LA
THÉOLOGIE AFFECTIVE
ou
SAINT THOMAS
D'AQUIN
Médité en vue de la
PRÉDICATION
par LOUIS BAIL
Docteur en Théologie
NOUVELLE ÉDITION
REVUE ET ANNOTÉE AVEC LE PLUS GRAND SOIN, MISE EN FRANÇAIS MODERNE
ET EN HARMONIE
AVEC LES PLUS RECENTES DECISIONS DE l'ÉGLISE
ET LES DERNIÈRES DECOUVERTES DE LA SCIENCE
par M. l'Abbé BOUGAL
Docteur en Théologie et en Droit canonique
TOME NEUVIEME
De la Sainte Vierge (suite) Des Sacrements
.MONTREJEAU
(Haute-Garonne)
LIBRAIRIE J.-M. SOUBIRON, ÉDITEUR
Droits de reproduction et de traduction réservés.
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University of Ottawa
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LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ou
SAINT THOMAS
D'AQUIN
EN MÉDITATIONS
PERMIS D'IMPRIMER
Toulouse, le lo septembre iCjob.
E. F. TOUZET,
V. g
SEP 1 1 1952
LEdiîcnr se réserve tous les droits de reproduction et de traduction.
Ce volume a été déposé conformément aux lois en septembre 190^.
LA
THÉOLOGIE AFFECTIVE
ou
SAINT THOMAS
D'AQUIN
Médité en vue de la
PRÉDICATION
par LOUIS BAIL
Docteur en Théologie
NOUVELLE ÉDITION
REVUE ET ANNOTÉE AVEC LE PLUS GRAND SOIN, MISE EN FRANÇAIS MODERNE
ET EN HARMONIE
AVEC LES PLUS RECENTES DECISIONS DE l'ÉGLISE
ET LES DERNIÈRES DECOUVERTES DE LA SCIENCE
par M. l'Abbé BOUCAL
Docteur en Théologie et en Droit canonique
TOME NEUVIÈME
De la Sainte Vierge (suite) Des Sacrements
MONTRÉJEAU
(Haute-Garonne)
LIBRAIRIE J.-M. SOUBIROX, ÉDITEUR
Droits de reproduction et de traduction réservés.
LA
THÉOLOGIE AFFECTIVE
ou
SAINT THOMAS
EN MÉDITATIONS
Tcrtia pars juxta Sanctum Thomatn (suite)
DEUXIÈME TRAITÉ
(suite) De la Sainte Vierge (suite)
XIV^ MÉDITATION
DE LA PURIFICATION DE LA SAINTE VIERGE
SOMMAIRE:
La Vierge a été dotée d'une très parjaite pureté, — Elle n'était point obligée par la loi de la purification. — (Quelques raisons pour les- quelles le Saint-Esprit lui inspira de s'y sou- mettre.
1
CONSIDÉREZ que la Vierge a été dotée d'une parfaite pureté. Car deux choses sont requi- ses pour la pureté. La première est que pour ce qui regarde le passé Tàme ne reconnaisse en elle aucune faute, qui n'ait point été expiée par une digne pénitence et une satisfaction proportionnée. La
Bail, t. ix. I
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
seconde est que, pour ce qui regarde l'avenir, Tàme ne trouve rien ni dans le temps ni dans l'éternité de si pénible et de si contraire à sa nature, qu'elle ne soit prête à l'accepter pour faire la volonté de Dieu, quand bien même elle serait destinée aux peines éternelles de l'enfer (i). Autrement com- ment l'homme pourrait-il demander à Dieu tout ce qu'il est, s'il ne lui offrait, d'un cœur ouvert et avec une sincère affection, tout ce qu'il est lui^ même et tout ce qu'il peut souffrir pour lui ?
Or, si l'on conçoit ainsi la pureté, il est certain qu'elle a été très parfaite dans la Sainte Vierge. Car, quant au passé, elle ne découvre dans son âme aucun péché ni mortel, ni véniel, ni même le péché originel, dont sa conception fut affranchie, et pour ce qui est de l'avenir, qu'y avait-il au monde de dur et de fâcheux qu'elle n'eût accepté pour plaire à Dieu ? Elle le prouve suffisam- ment par la résignation qu'elle montra dans la Passion de Jésus-Christ, où elle fut privée tout à la fois du bien qu'elle chérissait le plus et où elle fut affligée de toutes les douleurs par compassion et par contre-coup ; car, de même qu'il n'y eut pour une créature de son sexe de dignité, à laquelle elle n'eût pas été élevée, ainsi il n'y eut pas de douleur si aiguë qu'elle n'ait eu à endurer. Par la pureté de son âme elle s'abandonne absolu- ment au bon plaisir de Dieu et il n'y a rien qu'elle ne soit très contente de souffrir plutôt que de résister le moins du monde à la volonté de Dieu.
I. Harphius, in Direct, contempl. p. 3.
hi: I.A SAINTli VIERGI'; J
Hugues de Saint Victor (i) parle autrement de la pureté ; il dit qu'elle consiste à faire toutes choses, ou pour l'utilité du prochain, ou pour la gloire de Dieu. Cette pureté s'est encore rencon- trée dans la Vierge, qui ayant été la plus chérie et la plus favorisée de Dieu, a dû aussi lui rendre la réciproque et Taimer avec une plus grande fer- veur ; et comme elle avait de plus grandes lumiè- res et une plus parfaite connaissance de ses perfections, elle devait avoir également une plus ardente charité. Or celui qui a plus de charité pour Dieu, vise à la gloire de Dieu et y tend plus purement en toutes choses. Et comme la chanté par laquelle on aime Dieu est la même que la charité qui porte à aimer le prochain, quiconque aime davantage la gloire de Dieu, aime aussi davantage le bien spirituel du prochain. C'est pourquoi la Sainte Vierge se portait à l'un et à l'autre parfaitement, et surtout dans les actions les plus importantes de la vie, comme la sustenta- tion et l'éducation de son Fils ; elle faisait ces deux actions pour la gloire de Dieu, mais de telle sorte qu'elle n'oubliait pas le salut du monde auquel elle contribuait en élevant et en nourrissant pour lui un Sauveur et un Rédempteur. Si donc la pureté consiste à tout rapporter au bien du prochain et à la gloire de Dieu, il faut en conclure que la Sainte Vierge a eu une très grande pureté, en raison de son affinité et de sa parenté avec Dieu
I. Lib. 3 MiscELL. tit. i. « Pur lias auiem est ut « quidqtiid agitur^ aut ad utiîUatem prôximi aut ad « honorent Déifiât. »
4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
au premier degré. C'est pourquoi saint Anselme (i) dit qu'il convenait qu'elle brillât d'une pureté telle qu'il fût impossible d'imaginer une plus grande pureté après Dieu.
Louez et honorez la Sainte Vierge pour son extrême pureté. Etudiez-vous tous les jours de votre vie à acquérir la pureté et la sainteté, « sans « laquelle^ dit saint Paul, personne ne verra « Dieu. » (Héb. 2). O Seigneur immortel. Dieu de pureté infinie, de qui ne peut approcher que ce qui est très pur et très saint, qui nous avez appelés à la religion chrétienne, comme à l'école de toute pureté, ouvrez le sein de votre douceur et donnez- nous la connaissance et le désir très ardent d'une parfaite pureté. Détruisez, très pitoyable Seigneur, toutes nos iniquités passées, rompez toutes les attaches que nous avons aux choses créées, afin que nous aimions le bien spirituel de notre pro- chain en vue de votre gloire et qu'il n'y ait rien en nous qui nous détourne de la pureté. Que cette pureté nous unisse avec vous éternellement.
II
Considérez que la Sainte Vierge étant si pure n'était pas obligée d'observer la loi de la purifica- tion, à laquelle néanmoins elle s'est soumise scrupuleusement (Luc, 2). Cette loi en effet n'obli- geait que les femmes qui avaient conçu par la voie ordinaire et qui avaient mis au monde un fils. Celles-là devaient aller elles-mêmes le présenter au temple, quarante jours après leur délivrance, et
I. De Concep. Virg. cap. 18.
DF I.A MAINTE V I F R G E
otTrir un agneau, ou, si elles étaient pauvres, une paire de tourterelles. (Lévit. 12). Or la Sainte Vierge, à cause du privilège de sa virginité, n'est pas comprise en matière rigoureuse et d'obligation sous le nom de femme, parce qu'à proprement parler, il y a une différence entre une femme et une vierge. C'est pourquoi le dévot saint Bernard (i) considérant son trouble au jour de l'Annonciation, quand l'ange la salue par ces mots : « Vous êtes « bénie entre toutes les femmes^ » dit qu'elle fut troublée de s'entendre appelée bénie entre les femmes, elle qui avait toujours souhaité d'être bénie entre les vierges. Le docte Origène (2) se fonde sur cette loi et en conclut que les femmes doivent porter le fardeau de la loi, mais que les vierges en sont exemptes.
De plus, la Vierge avait conçu par une voie immaculée, miraculeuse et extraordinaire; le Fils qu'elle avait mis au monde était très élevé et très pur, sans aucune souillure du péché. C'est pour- quoi, au nom de la loi et au nom de la raison, elle était dispensée de l'obligation de se purifier comme les autres femmes. Aussi fut-elle traitée dans le temple de Jérusalem avec tout honneur et respect. Un ancien Père (3) nous raconte que, quand elle porta son Fils entre ses bras mêlée aux autres femmes venues dans le même but, elle fut distinguée des autres femmes par une lumière
1 . Serm. de verbis Apost.
2. Homil. 8 super Levit.
3. Timothœus presb. Serm. de Simeone, apud Baron, anno i.
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
céleste et admirable qui resplendissait en elle. C'est ce qui donna lieu au vénérable prêtre Siméon de s'approcher d'elle, de prendre entre ses bras son fruit divin et immaculé et de dire aux autres femmes : voici la Reine et la Maîtresse, vous n'êtes que les servantes ; n'offrez point vos enfants sur cet autel, mais offrez-les à son Enfant, qui est avant qu'Abraham fût et qui est le Dieu infini.
Si l'on objecte que sa pureté ne l'exempta pas de recevoir le sacrement de baptême et celui de la pénitence et de la confession, après la promulga- tion suffisante de la loi chrétienne, et qu'il n'y a pas plus de raison pour qu'elle fût dispensée de la loi de la purification ; à cela il faut répondre que pour ce qui regarde le baptême, elle le reçut des mains de Jésus-Christ lui-même, comme l'affir- ment plusieurs auteurs (i). Mais aussi la seule raison de recevoir le baptême n'est pas la nécessité de se purifier du péché, c'est encore la nécessité de rece- voir le caractère sacramentel et l'habileté aux autres sacrements, comme aussi celle d'être inséré au corps mystique de Jésus-Christ. C'est pour cela que saint Augustin (2) dit que le baptême a pour but d'incorporer les baptisés à Jésus-Christ et d'en faire ses membres. Quant à la confession des péchés, Marie n'y fut jamais obligée, à cause de sa parfaite innocence, et sa confession n'aurait pu être sacramentelle par défaut de matière. C'est pour- quoi un célèbre théologien estime qu'il est ridicule
1. Euthymius m c. 5 Joan. ; Nicephorus, 1. 2, HisT. c. 3.
2. De bapt. parvul.
1U-: I.A SAINTI': \ IKK' CE
de dire qu'elle a confessé ses péchés à saint Jean, comme certains Pont mis en avant, car elle n'avait pas de péchés à confesser. La confession qu'elle pouvait faire était une confession de louanges faite à Dieu, pour l'avoir aimée au point de lui donner une plus grande grâce qu'il n'est permis à une créature de la mériter. Elle pouvait dire seule- ment que le Fils que Dieu lui avait donné était l'effet de sa bonté envers elle et qu'elle lui était très obligée, mais elle ne pouvait pas dire qu'elle eût péché ; elle eût fait une faute en le disant, car elle ne pouvait être excusée ni par la faiblesse d'esprit ni par le scrupule qui n'eut aucune action sur elle (i).
I. Celui qui n'a pas même commis après le baptême un péché véniel, est incapable de recevoir le sacrement de Pénitence (voir Suarez, t. iv, disp. 3^, sect. i, n. i). Or tel fut le cas de la Sainte Vierge pendant toute sa vie, et c'est un cas unique. Que la Sainte Vierge n'ait pas même commis un seul péché véniel, soit délibéré soit même semi-délibéré durant tout le cours de sa vie, c'est un dogme catholique, quoiqu'il n'ait point été expressément défini. L'Eglise montre suffisamment quelle est sa foi sur ce point dans le canon suivant du Concile de Trente : « Si quelqu'un dit que Vhomme une <c Jois justifié... peui^ pendant iotit Je cours de sa vie, « éviter tous les péchés même véniels, à moins quil n'ait « reçu de Dieu tin privilège spécial, tel que l'Eglise le
« TIENT POUR ACCORDÉ A LA BIENHEUREUSE ViERGE, qu' il SOit
« anaihème ! » (Sess. 6. can, xxiii). Nous pouvons appor- ter comme preuve de ce privilège un document tout récent. La Bulle Ineffabilis nous montre la Mère de Dieu « comblée de V abondance des dons célestes, puisés
8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Appréciez la prompte et ponctuelle obéissance de la Vierge à une loi qui ne l'oblige pas. Combien sera-t-elle plus exacte à faire ce qui sera d'obliga-
« dans le trésor de la divinité et comblée d'une manière « si merveilleuse, que toujours et entièrement pure de
« TOUTE TACHE DE PÉCHÉ, TOUTE BELLE ET TOUTE PARFAITE, « ELLE EUT EN ELLE LA PLÉNITUDE d'iNNOCENCE ET DE SAINTETÉ « LA PLUS GRANDE QUE l'oN PUISSE CONCEVOIR AU-DESSOUS
« DE Dieu et telle que, sauf Dieu, personne ne peut la « comprendre. » Et plus bas Pie IX s'exprime ainsi : « Par cette singulière et solennelle salutation (la saluta- « tien angélique), // est déclaré que la Mère de Dieu est « le siège de toutes les grâces divines ; qu'elle a été ornée « de tous les dons du Saint-Esprit ; bien plus, qu'elle « est comme le trésor infini et l'abîme inépuisable de ses « dons. » La Vierge Marie est l'unique créature humaine qui ait joui d'un tel privilège : tel est, au témoignage de saint Thomas, l'enseignement commun des Théolo- giens. <(. La principale raison, dit Suarez (De myst. vit. « Christ. 1. 9, cap. 8, n. 24), est que ce privilège va « contre une loi générale, c'est-à-dire qu'il constitue une « dérogation à des affirmations des Ecritures qui corn- « prennent tous les hommes; donc une telle exception ne « peut être admise que sur le témoignage des saintes « Ecritures elles-mêmes, ou de l'Eglise, ou des SS. Pères. « Mais ce témoignage fait précisément défaut pour tout « autre saint que la Sainte Vierge. Certains Pères reven- « diquent ce privilège pour saint f e an-Baptiste ; aussi ne « serait-il point téméraire de le lui attribuer, quoiqu'une « telle opinion soit Peu probable. Ce qui est certain c'est « qu'on ne peut l'attribuer avec quelque probabilité à « aucun autre saint. » Saint Augustin est du même avis : « Si après avoir fait une exception pour cette Vierge « (la Vierge Marie), nous supposons qu'il nous eût été
DK I.A SAINT H VIKRG E
tion ? Confondez-vous vous-mcme de manquer si souvent à ce qui vous est commandé ou de le faire avec tant de peine et de répugnance. Et quand bien même vous le feriez exactement, c'est encore une bien petite justice de ne faire que ce qui est rigou- reusement prescrit par la loi (i). Néanmoins ne perdez pas si tôt de vue la Vierge et saint Joseph qui vont de l'étable au temple de Jérusalem. O sainte et admirable Vierge, permettez que je vous accompagne en esprit dans votre course. N'aurez- vous point pour agréable, ô ma très auguste Maî- tresse, que je participe aux entretiens ravissants que vous avez avec votre époux pendant ce voyage ? Ne voulez-vous pas que je vous aide à porter votre Fils céleste ? Ce n'est pas que j'ignore qu'autour de vous sont les Anges du ciel, prêts à vous obéir et à vous servir au moindre signe que vous ferez; mais pardonnez. Madame, à ma témérité, car je vois tous vos mystères si remplis de tendresse et de dévotion que je ne puis m'empêcher d'exciter en moi ces désirs, quoique je me reconnaisse très méchant et très indigne pécheur.
« possible de réunir tous les Saints et toutes les Saintes, « pendant leur vie, et de leur demander s'ils soiit sans « péché y quelle aurait été, pensons-noxis, leur réponse! « Est-ce que tous ne se seraient point écriés d'une seule « voix : Si nous disions que nous n'avons pas de péché, « nous nous tromperions nous-mêmes et la vérité ne « serait point en nous. » ^De natur. et grat. cap. 36, n. 42).
I. Seneca, lib. 2. De ira, c. 27 ; « Angusta innocentia « est ad legem bonum esse. »
10 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
III
Considérez quelques-unes des raisons pour les- quelles le Saint-Esprit excita la Vierge à se sou- mettre à la loi de la purification.
Ce fut d'abord pour éviter le scandale, pour ne pas fournir aux Juifs un prétexte de la reprendre pour n'avoir pas été purifiée et de blâmer son Fils pour ne point s'être présenté à Dieu et ne pas avoir été racheté comme les autres premiers-nés d'Is- raël. Elle aurait pu, il est vrai, se justifier aux yeux de ses accusateurs, en faisant connaître les raisons qui l'exemptaient de cette loi; néanmoins, comme il n'était pas encore à propos que tout le monde connût ce secret, c'était le plus court pour elle d'observer la loi, afin de n'être point dans la néces- sité d'arrêter les murmures du monde, en disant trop clairement avant le temps ce qu'elle était, et ce qu'était son Fils.
Ce fut, en second lieu, pour lui faire pratiquer plusieurs actes de vertu et notamment des actes d'humilité et de religion. En effet, si elle s'humilia beaucoup le jour de l'Annonciation, en se disant la servante du Seigneur, quand l'ange lui donnait le titre de mère, elle s'humilie davantage dans sa purification, en se mettant au rang des pauvres femmes, qui étaient réputées immondes, et qui avaient besoin de purification; car être la servante de Dieu, est une très sublime qualité, puisque c'est régner que de servir Dieu, au lieu qu'il n'y a rien de si humiliant que d'être tenue pour une femme immonde, surtout pour celle qui met sa plus grande gloire dans sa virginité, C'est pourquoi
I>K LA SAINTlî VIKRGE 11
dans cette cérémonie elle renonce à tout orgueil et elle foule aux pieds sa propre réputation pour l'immoler à l'amour de sa propre abjection. Elle exerça aussi plusieurs actes de la vertu de religion, en visitant les lieux saints de Jérusalem, en rendant à Dieu des actions de grâces et en le louant des grandes choses que son bras avait opérées en elle, en lui offrant son Fils, et en rachetant avec cinq sicles celui qui devait racheter le monde entier avec ses cinq plaies précieuses. La Vierge fait tous ces actes avec une dévotion très fervente et très enflammée ; elle se met à genoux devant l'autel et, élevant les yeux au ciel, elle dit : Acceptez, ô Père éternel, pour le salut du genre humain cette offrande de votre Fils, comme vous avez accepté les offrandes d'Abel, de Noé et d'Abraham. Ne rejetez pas celle-ci qui comprend et dépasse la vertu de toutes les autres. C'est l'Agneau imma- culé, c'est la colombe sans fiel, c'est votre Fils bien-aimé, qui est beau plus que tous les enfants des hommes, qui est la splendeur de votre gloire et la vive image de vos beautés infinies. O Père très saint, à la vue de cette offrande et de ce cœur sacré, qui languit du désir de vous donner sa vie en sacrifice, prenez enfin pitié des misères extrê- mes et des ruines continuelles de tant de pauvres âmes. Dieu de miséricorde, sauvez le monde et donnez la paix au genre humain.
La troisième raison pour laquelle la Sainte Vierge accomplit la loi de la purification, a été de lui fournir l'occasion d'être instruite par le saint vieillard Siméon conduit au temple par l'Esprit de Dieu, de la douleur qu'ellç 4eyait un jour
12 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
souffrir et de l'y préparer de longue main. Car ce saint vieillard, prenant Jésus-Christ entre ses bras, après avoir exprimé la grande consolation qu'il éprouvait en portant le Sauveur du monde, le rendit à la Sainte Vierge, puis s'adressant à elle prononça ces paroles : « Celui-ci est pour la ruine et pour « la résurrection de plusieurs, cest un signe qui « sera contredit et un glaive transpercera votre « âme. » Par ces paroles saint Siméon donne à entendre que Jésus-Christ ressemblerait à une pierre sur le chemin, que cette pierre montrerait aux uns la voie, et que d'autres viendraient trébu- cher contre elle ; que bien qu'il fût venu pour sau- ver tous les hommes, il serait néanmoins le sujet d'une plus grande damnation pour certains qui par malice le contrediraient ; ou bien qu'il causerait la ruine et la résurrection de plusieurs au jugement dernier, car alors il en précipiterait plusieurs dans les enfers et en exalterait plusieurs dans la gloire. En attendant, il serait comme un but contre lequel on lance beaucoup de traits ; c'est ce que firent les Juifs contre lui en le contrariant de mille maniè- res. Si bien que pour ce motif l'âme de la Vierge devait ressentir des douleurs et des afflictions très grandes. Donc, afin que la Sainte Vierge entendît ces paroles douloureuses et qu'elle se préparât à tout souffrir, le Saint-Esprit lui inspira de se sou- mettre à la cérémonie de la purification, dans laquelle il savait ce qui devait arriver.
Apprenez par ces considérations à ne pas don- ner, autant que possible, de scandale, et à ne pas fournir à autrui de prétexte pour se plaindre et murmurer contre vous. Recherchez et embrassez
DK LA SAINTE VIERGE \ .•>
volontiers les occasions où vous pourrez être moins estimé que ce que vous êtes, à l'exemple de la Sainte Vierge dans sa purification. Offrez à Dieu ce que vous avez de plus cher et de plus précieux au monde, offrez-lui votre cœur et vos plus arden- tes affections pour le glorifier. O Vierge immacu- lée, présentez-moi, je vous en supplie, à votre Fils très doux et offrez-moi avec lui au Père éter- nel, afin que je sois capable de vous accompagner en esprit à votre retour de Jérusalem à Nazareth. Enfin préparez votre cœur à recevoir les afflictions que Dieu connaît devoir vous arriver pendant le cours de votre vie, afin que, comme les traits qu'on prévoit blessent moins, vous soyez moins ému et moins agité quand vous en serez frappé, à l'exem- ple de la Sainte Vierge qui fit son profit des paroles de Siméon et qui fut plus constante et plus résignée à Theure des contradictions et des souffrances de Jésus-Christ, parce qu'elle s'y était disposée depuis longtemps.
14 l'A THÉOLOGIE AFFECTIVE
XV^ MÉDITATION
EXPLICATION PLUS AMPLE
DU GLAIVE DE DOULEUR
qui TRANSPERÇA LE CŒUR
DE LA VIERGE
SOMMAIRE
Le glaive de douleur de la Vierge — i) est sem- blable au glaive du Chérubin — 2) il peut être appelé le glaive du Seigneur — 3) // peut être appelé aussi le glaive de la colombe.
I
CONSIDÉREZ que le glaive de douleur qui transperça le cœur de la Vierge fut sem- blable à celui du Chérubin, qui fut chargé par Dieu de garder le paradis terrestre ; ce fut « un » glaive de flamme voltigeant ça et là. » (Gen. 3). Ce fut un glaive de flamme, c'est-à-dire d'amour et de charité, parce que la douleur qu'elle ressen- tit au sujet de Jésus-Christ procédait de l'amour extrême, dont elle brûlait pour ce Sauveur ; car comme l'amour cause une grande joie quand il arrive quelque bien à la personne aimée, il cause aussi de la tristesse, quand il lui arrive des malheurs et des misères. C'est pourquoi un ancien disait qu'il n*y avait pas autant d*étoiles brillant
I>K l.A S Al NT K VIKIv'CR m
au tirmamcnt, ni autant de feuilles dans les bois, que de douleurs dans l'amour ; car, quand la per- sonne aimée soutVre, la personne vraiment aimante en ressent vivement le contre-coup, dans la mesure même de son amour. Donc Tamour de la Sainte \'ierge pour Jésus-Christ étant très grand et très parfait, elle en ressentit les douleurs les plus grandes et les plus pénétrantes qui se peuvent imaginer. Et certes elle aimait Jésus-Christ plus qu'elle-même et plus que son propre cœur; c'est pourquoi elle fut plus tourmentée à Toccasion de sa mort et de sa Passion, que si elle-même eût été en croix. Elle souffrit, dit Amédée (i), au-delà des forces humaines ; elle souffrit plus que si elle eût été torturée dans son propre corps, parce qu'elle aimait incomparablement plus qu'elle-même le sujet à cause duquel elle souffrait. Mais le Saint- Esprit renferma cette grande et très véhémente dou- leur dans son âme, et ne la laissa pas rejaillir sur son corps qui en serait mort mille fois. En effet, si nous voulons adopter les pensées des grands Théologiens (2), la Vierge fit dans la mort de Jésus-Christ une perte inestimable, car elle le perdit pour trois jours et perdit pour ce même temps sa qualité glorieuse, qui est la qualité de Mère de Jésus-Christ ; Jésus-Christ cessa en effet d'être son Fils, car qui dit fils dit un être vivant, et Jésus-Christ cessa d'être vivant, puisqu'il était véritablement mort. Qui dit fils dit un
1. Homil. 5 De Virg. matre ; « Quia incomparabiliier « diîigebat id unde doîebat. »
2. Œgidius Rom. Qnodlib. 4, disp. 2, q. i.
LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
être semblable à son principe, et dans ce temps Jésus-Christ cessa d'être semblable à la Vierge au point de vue de la nature humaine qui n'était plus en lui, puisque la nature humaine se compose d'un corps et d'une âme unis ensemble. Or pendant les trois jours de la mort, l'âme et le corps de Jésus-Christ demeurèrent séparés (i). Ainsi le Verbe incarné cessant d'être le Fils de la Vierge, la Vierge cessa d'être mère, et la qualité sublime de sa maternité incomparable qui l'élève au-dessus de tout le monde, fut éclipôée en elle. Quelle douleur ne devait-elle donc pas ressentir d'une si grande perte ?
Compatissez aux excessives douleurs de la Sainte Vierge et à sa perte immense qui est au-dessus de toutes les pensées et de toutes les considérations. Soyez confus de ressentir si peu les douleurs de Jésus-Christ. Sans doute cela vient de ce que vous n'avez point d'amour pour lui ; voilà pour- quoi vous demeurez insensible à la vue de ses peines, comme si c'était une personne indifféren- te qui souffrît. O très pitoyable Jésus, qu'une très ardente charité a attaché à la croix pour nous, ac- ceptez la douleur et la compassion de votre très douce Mère pour l'expiation de mes péchés et pour les péchés du monde entier. O très doux et très suave Jésus, je vous offre pour moi et pour tout l'univers, la douleur que ressentit votre très bénie et très affligée Mère, lorsqu'elle vous vit nu, pau- vre, humilié et méprisé, lorsqu'elle vous vit cruci-
I. Scotns, IN 3 SENT. dist22, q. unica, tenei Chrisium non fuisse Jiotninem in iriduo mortis. (Note de l'auteur).
DE I.A SAINTE VIERGE I7
fié entre deux larrons. O mon cher Sauveur, je vous supplie par votre miséricorde, d'imprimer dans mon cœur votre Passion et la compassion de votre sainte Mère, afin que je vous considère dans votre Passion avec ses mêmes regards et que je ressente vos douleurs du même cœur qu'elle- même.
II
Considérez que ce même glaive de douleur peut être comparé à celui dont il est parlé au livre des Juges et qui fut appelé « la glaive du Seigneur et « de Jédéon » (Juges, 7), d'autant plus que la Vierge était torturée par les souffrances de Jésus- Christ même. Car toutes les mêmes douleurs qui furent éparses dans le corps de Jésus-Christ, fu- rent réunies dans le cœur de Marie, qui en fut pro- fondément navré. Là, Madame, dit le Docteur séraphique (i), votre cœur fut percé de la lance et couronné d'épines, là il fut moqué, bafoué, ca- lomnié, abreuvé d^ fiel et de vinaigre. Le roi David que plus de mille ans séparaient de l'époque de la Passion, en parlait néanmoins comme s'il l'eût ressentie dans son propre corps et comme s'il eût enduré lui-même toutes les tortures qui furent infligées à Jésus-Christ. « Ils m'ont « regardé et considéré^ ils se sont partagé mes « vêtements^ Ils ont percé mes mains et mes « pieds^ ils ont compté mes os. » (Ps. 21). C'est ainsi qu'il parle ordinairement de la Passion, absolument comme si elle avait été infligée à sa propre personne ; ce que n'ont pas coutume de
I. In Stimul, part. 2, c. 3. Bail. t. ix. •
iS LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
faire les autres prophètes. Mais saint Léon le Grand (i) dit que ce Roi se représentait vivement les douleurs de Jésus-Christ, et comme si elles lui eussent été propres, parce qu'il considérait le Sauveur comme descendant de lui, comme formé de sa chair et de son sang. Ainsi, conclut ce Père, David a véritablement souffert en Jésus-Christ, parce que Jésus-Christ a souffert dans la chair de David. Si donc David a pu s'attribuer les douleurs et les souffrances de Jésus-Christ, bien qu'il ait existé plus de douze cents ans avant la Passion, que ne devons-nous pas penser de la Sainte Vierge qui lui était si proche qu'il était la chair de sa chair? Elle aura pu comme David s'attribuer tous les tourments de sa sainte Passion. En effet, quand saint Siméon lui prédit ses douleurs et lui dit : « Un glaive transpercera votre âme^ » (Luc, 2), il n'entend pas autre chose par ce glaive que la douleur et la Passion de Jésus-Christ ; car de même qu'il arrive qu'un grand coup qui tue une personne en blesse souvent une autre qui est au- près d'elle, ainsi la Passion, qui donna le coup de la mort à Jésus-Christ, fit une grande et doulou- loureuse blessure à l'âme de la Sainte Vierge, qui était unie et collée d'amour à celle de son Fis (2). D'où vient que Dieu ne fit pas un petit miracle, dit sainte Brigitte (6), quand la Vierge-Mère na-
1. Serm. 16, De. passionne. « Vere oiivi David in « Christo est passîiSj quia vere Jésus in David carne est « crucifixus. »
2. Maldonat,
3. In Serm. Aug. c. 18.
\<K LA SAIXTE VIERGE IQ
vrée par tant de douleurs et voyant son Fils bien- aimé traité avec tant de cruauté et d'ignominie, ne mourut pas. La femme de Phinée mourut de douleur, en apprenant que l'arche avait ''*é prise par les ennemis. (I, Rois, 4). Or les dv leurs de cette femme ne peuvent être comparées aux dou- leurs de la Sainte Vierge, qui voyait le corps de son Fils, figuré par cette arche, pris et retenu par les clous sur l'arbre de la croix. Si bien que pour ce motif elle peut être appelée martyre, parce qu'elle a souffert de la part des Juifs des douleurs capables de lui ôter la vie, si Dieu n'eût pas fait un miracle, pour la préserver alors de la mort. Ainsi saint Jean l'Evangéliste a le titre glo- reux de martyr, quoiqu'il ait été miraculeusement préservé dans la chaudière d'huile bouillante où il fut jeté ; parce qu'il suffit, pour avoir ce noble titre, d'avoir souffert des tourments assez grands pour en mourir, quoiqu'on ait été préservé de la mort par quelque secours miraculeux.
Tirez de ce point les mêmes affections que du précédent et ajoutez-y celles du Docteur séraphi- que (i), qui adresse à la Sainte Vierge mourant sur le Calvaire les demandes suivantes : O Marie, qui êtes toute abîmée dans vos douleurs et qui renou- velez en vous la Passion de Jésus-Christ, unissez à mon cœur votre cœur tout blessé. Eh ! pourquoi donc mon cœur ne serait-il pas navré aussi bien que le vôtre, en ressentant les douleurs de votre Fils mourant ? O Madame, quelle est la mère, qui, si elle pouvait, ne voudrait prendre les maux de
I. In Stimul. p. 2.
10 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
•
son fils pour en charger un méchant serviteur ? O Madame, pourquoi rejetez- vous ma demande? Ou je vous ai offensé, ou je vous ai servi; si je vous ai offensé, vengez-vous sur mon cœur, faites- lui ressentir les douleurs de votre Fils innocent ; si je vous ai servi, je ne veux d'autre salaire que ses blessures. Eh ! où est donc, ô sainte Vierge, votre clémence accoutumée ? Je ne vous demande pas un soleil, ni un royaume, je vous demande les plaies de votre Fils. Quoi! en serez-vous avare, au point de refuser à celui qui vous prie, de les lui imprimer dans le cœur ? De deux choses l'une : ou ôtez-moi la vie, ou faites-moi ressentir la mort de votre Fils.
III
Considérez que le glaive de la Sainte Vierge fut semblable au glaive de la colombe, dont parle Jérémie. « Retournons dans notre pays natal^ « fuyons le glaive de la colombe. » (ch. 46). Il est vrai que si nous prenons l'Ecriture à la ri- gueur de la lettre, ce glaive de la colombe s'en- tend de l'armée d'Alexandre le Grand, qui avan- çait rapidement comme la colombe, ou bien des Chaldéens qui avaient sur leurs étendards l'image de la colombe, en souvenir de leur reine Sémira- mis, que l'on croyait avoir été nourrie par des colombes (i). Mais si on l'entend par accommoda- tion et dans le sens mystique, on peut voir dans ce glaive de la colombe la douleur de la Vierge gémissant comme une colombe dans la retraite
»
I. Theodor. in hune locum. — Corn, a Lap. ibid.
DE l.A SAIXTK VIRRc". E 21
intérieure des plaies de Jésus-Christ, selon ce qui est dit dans le Cantique sacré : « Ma colombe est » dans les trous de la pierre, dans le creux de « la muraille. Vos yeux sont des yeux de colombe, « sans compter ce qui est caché au-dedans . » (Gant. 2 et 4). En effet la colombe est le s3^mbole de la douceur et de la patience ; elle souffre sans dépit et sans songer à se venger, quand on lui ravit ses petits qui lui sont si chers. C'est pour- quoi Origène (i) compare Job à la colombe qui supporte le fardeau de ses pertes et la mort de ses enfants avec une patience toute héroïque. Or, bien que Job ait été en son temps un miroir de patience et une colonne que n'ont pu ébranler toutes les secousses des afflictions de ce monde, néanmoins il ne peut être comparé à la Mère de Jésus-Christ, dont la magnanimité l'emporte sur les plus grands courages de la terre et supporte une affliction qui surpasse toutes les afflictions du monde. « Au- « près de la croix de Jésus, sa Mère était de- « bout. » (Jean, 16). Les tempêtes qui la battirent rudement, ne l'abattirent pas, elle demeurait ferme comme une forte colonne bien assise et que rien ne peut ébranler C'est pourquoi dire que le cœur lui manqua et qu'elle tomba par terre de faiblesse, c'est démentir l'Evangile, car elle demeura ferme et toute droite aux pieds de la croix (2). Elle en méditait l'admirable mystère et
1. Liv. 2, 171 Job.
2. Les peintures et les tableaux représentant la Sainte Vierge tombant en syncope ont été proscrits par ordre des Inquisiteurs de la foi. (Cf. Alex. M. Planch. O. S. M., Vita B. M. V., etc., p. 207 et suiv.)
22 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
le fruit qui en proviendrait ; elle admirait la cha- rité excessive de son Fils et s'unissant à son des- sein généreux, souhaitant comme lui la gloire de Dieu et le salut du genre humain, elle souffrait en patience et douceur cette mort si amère, d'où pro- viendraient des fruits très savoureux. Même au milieu de ses douleurs et des gémissements in- térieurs de son âme sur un si lamentable objet, elle rendait des actions de grâces à son Fils, et lui disait en elle-même : Je vous rends grâces de toute Tardeur de ma dévotion, p mon Fils bien- aimé, pour votre Passion et votre mort ; je vous loue et je vous bénis au nom de tous les hommes et de toutes les créatures, puisque vous avez estimé davantage notre vie spirituelle que votre vie corporelle (i). Elle pouvait bien dire aussi ces paroles du Cantique : « Je suis noire, mais jesuis (c belle » (ch. i); car si elle était noire et hideuse à cause de ses angoisses, elle était belle cependant à cause de ses excellentes vertus, qui la faisaient tenir bon au pied de la croix d'un esprit ferme et élevé au ciel ; elle augmentait ses mérites d'une manière indicible par sa patience généreuse et in- vincible (2). Voilà pourquoi Jésus-Christ voulut
1. Veruchin. Méditai. 68.
2. « Elle est parvenue à un tel sommet de gloire, que « nul autre, ni homme, ni ange, n'obtiendra, parce que « personne ne pourra jamais lui être comparé en mérite et « en vertu. Ainsi la royauté dans le ciel et sur la terre « lui est destinée, parce qu'elle doit être l'invincible Reine « des martyrs ; ainsi pendant toute l'éternité elle portera « un diadème et sera assise sur un trône auprès de son
DE LA SAINTE VIERGE 23
qu'elle fût présente à son supplice, il connaissait la grandeur de son courage, il savait qu'elle était prête à suivre « V Agneau partout oh il irait » (Apoc, 14), et que cette présence lui fournirait une occasion de la glorifier davantage. En vérité cette constance en la Sainte Vierge est si grande que le Saint-Esprit a jugé à propos d'en léguer le sou- venir à tous les siècles et que dans ce but il a fait écrire dans l'Evangile : « qu'elle était debout au- « près de la croix de Jésus. » (Jean, i6). Elle le regardait non de loin, mais de près, d'un endroit où elle pouvait être arrosée des gouttes de son sang qui coulait et des larmes qui tombaient de ses j^eux, d'un endroit d'où elle pouvait entendre ses dernières paroles. Et là elle était debout, non à terre, ni assise, ni évanouie, ni soutenue ou s'appuyant sur quelqu'un, mais regardant tout ce qui se passait sur le Calvaire, écoutant tout ce qui s'y disait, avec une générosité incomparable et un courage invincible, unissant son cœur au cœur de Jésus-Christ, son Fils, et ses intentions aux siennes, consentant avec lui au sacrifice qu'il offrait pour la Rédemption du monde, dont elle souhaitait le salut avec la charité la plus ardente qui ait jamais été, après celle qui se trouvait dans l'âme de Jésus-Christ. C'est pourquoi sa vertu y fut toute admirable et sa conduite pleine de mé- rites.
« Fils^ parce qu'elle doit, avec une grande constance du- « rant sa vie et une constance beaucoup plus admirable en- « core sur le Calvaire, boire avec lui au calice débordant « de la tristesse. » (Léon XIII, Encycl. Magnœ Dei Matris, 8 sept. 1892).
24 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Admirez donc la constance et la sainteté de cette Mère divine, et l'excessive chanté qu'elle avait pour le salut des hommes, qui lui fit accepter et regarder d'un œil tranquille le supplice de son Fils. Imitez sa conduite dans les afflictions de cette vie, en considérant le dessein qu'a Dieu d'en tirer de grands biens, afin de ne pas vous laisser absor- ber par la tristesse. Demandez-lui qu'elle vous y obtienne la douceur d'esprit et la patience. Vous pouvez aussi imiter à ce sujet la conduite d'un prêtre très pieux (i), qui considérant ses extrêmes angoisses, s'efforçait de la consoler en lui disant : Réjouissez-vous, Marie, d'être la Mère de Dieu et toute immaculée. Réjouissez-vous, Marie, à cause de la nouvelle joyeuse que vous avez reçue de l'ange. Réjouissez-vous d'avoir mis au monde la lumière éternelle. Réjouissez-vous, Marie, parce que vous êtes Vierge et Mère. Réjouissez-vous, parce que toute créature vous loue. Ce service pieux fut si agréable à la Sainte Vierge, que ce bon ecclésiastique, éprouvant à l'article de la mort de grandes peines à cause des tentations de désespoir par lesquelles le démon le tourmentait, elle lui apparut toute joyeuse et lui dit : Pourquoi es-tu affligé, mon fils, toi qui t'eflorçais d'adoucir mes douleurs ? Tu m'as annoncé la joie et tu es dans la tristesse ? Réjouis- toi aussi maintenant, viens avec moi jouir du ciel, après avoir quitté joyeuse- ment la terre,
I. Dan. Mallon, adc. i. Paleoti. De sacr. sindone.
DE LA SAINTE VIERGE 25
XVr MÉDITATION
DES MÉRITES DE LA SAINTE VIERGE
ET COMBIEN GRANDE
FUT SA GRACE
SOMMAIRE :
La Sainte Vierge a mérité un accroissement de grâce à chaque instant de sa vie qui dura soixante-trois ans. — Elle a mérité par tous les actes de sa vie soit, active soit contempla- tive^ et la nuit comme le jour. — A quelle quantité de grâce était-elle parvenue à la fin de sa vie.
I
CONSIDÉREZ que la Sainte Vierge a mérité l'accroissement de sa grâce et de sa gloire, depuis sa première sanctification jusqu'à la fin de sa vie qui fut de soixante-trois ans (i). En voici la raison : pendant tout ce temps elle était en état de mériter et elle avait toutes les conditions néces-
I. Suarez, tom. 2, disp. 18, sect. i. La date de la mort de la Sainte Vierge est incertaine. L'opinion la plus probable fixe sa mort à l'âge de soixante-douze ans. C'est l'opinion de saint Antonin, de Corneille à Lapierre, de Gotti (De vera relig. Christ., t. 4, p. 2. c. 40, parag. 3, n. 12 et 13), de Suarez (De myst. vit. CH. s. i).
26 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
saires au mérite, car elle était libre et pouvait à son gré produire divers actes de vertu. Elle était en état de grâce sanctifiante et de charité, état dont jamais elle ne fut déchue, mais qui persista tou- jours en elle. Elle était aussi voyageuse, c'est-à- dire dans la voie de la béatitude éternelle. Enfin pendant ce temps elle s'appliqua à des œuvres très saintes et très louables et n'en accomplit jamais une seule qui fût défectueuse et répréhensible ; parce qu'elle était l'objet d'une protection très spéciale de Dieu, qui l'empêchait d'omettre une chose commandée sous peine de péché. Par consé- quent elle a mérité durant toute sa vie un accrois- sement de grâce et de gloire.
Quelques Docteurs (i) néanmoins bornent le cours de son mérite à l'époque de la conception de Jésus-Christ, époque où l'ange la dédiXTa pleme de grâce. Ils disent qu'alors elle reçut une grâce aussi parfaite qu'elle était capable de la recevoir, car l'ange aurait parlé contre la vérité, en la procla- mant/)7^/w^ de grâce, si, à partir de ce moment, elle eût pu augmenter cette grâce, puisque ce qui est plein ne peut rien recevoir de plus (2). Mais ce raisonnement est peu fondé et ne suffit pas pour
1. Almain, in 3, dist. 5.
2. Cette opinion soutenue par Scot, Alexandre de Halès et Richard ne jouit d'aucune probabilité, car elle ne s'appuie sur aucun fondement solide; elle va contre Topinion commune (Cf. Suarez, De myst. vit. Chr. d. 18, s. I ; Raynaud, Dypt. Mar. part. 2. p. 3.) Ces mots pleine de grâce doivent s'entendre non pas de cette plénitude finale que la Sainte Vierge ne devait pas
HE LA SAINTE VIERGE
priver la Vierge du droit qu'ont tous les hommes justes de pouvoir augmenter de plus en plus leurs mérites et leur grâce, par un progrès perpétuel durant tout le cours de cette vie que Dieu a des- tinée au mérite. Après la conception de son Fils en effet elle était plus agréable à Dieu ; elle fit aussi des œuvres plus excellentes dignes de récom- penses toutes particulières, par exemple elle nourrit le Fils de Dieu et l'éleva, elle assista à sa mort avec une patience surhumaine et, après son Ascension, elle assista ses membres, c'est-à-dire les premiers chrétiens, par ses instructions, ses exemples, ses consolations et par plusieurs autres moyens. Pour- quoi toutes ces œuvres n'eussent-elles pas été méritoires aussi bien que celles qu'elle faisait avant d'être saluée par l'ange ? Ceux qui préten- dent que toute la grâce qu'elle pouvait mériter dans cette vie, lui fut donnée par avance au moment où elle conçut son Fils, l'affirment gra- tuitement et on doit le nier aussi facilement qu'ils l'affirment. Il est bien vrai qu'alors elle reçut une grâce qui la consomma et la confirma dans le bien, fermant tout accès au péché; ainsi elle fut rendue impeccable comme il convenait à sa qualité de Mère de Dieu (i). Mais elle ne fut pas tellement
dépasser, mais de la plénitude de la mesure de grâce à laquelle elle était prédestinée en vue de sa maternité divine.
I. Cette grâce qui la confirma dans le bien et la ren- dit impeccable lui fut conférée dans sa première sanc- tification, c'est-à-dire au moment même où elle fut conçue. « // est certain, dit Suarez (De myst. vit. Ch.
28 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
consommée qu'elle ne pût encore recevoir quelques nouveaux degrés de grâce, par lesquels elle s'enri- chissait de jour en jour et de minute en minute, semblable au soleil qui croît jusqu'à ce qu'il soit au point le plus élevé du ciel, c'est-à-dire à son midi. C'est pourquoi Rupert (i) méditant ces pa- roles du Cantique : « Ouelle est celle qui monte « semblable à Vaurore qui se lève, belle comme « la lune, choisie comme le soleil ? » dit que la Vierge ressembla dans sa première sanctification à l'aurore ; dans la conception de Jésus-Christ, à la lune ; dans sa mort, au soleil. Elle fut, il est vrai, pleine de grâce, au moment de la conception de son Fils, mais c'était seulement autant que son état le requérait alors, et autant qu'il convenait de l'être à celle qui commençait à être plus proche de Dieu, à être sa Mère. Ce qui n'empêche pas que, puisqu'elle continuait ses actes méritoires très sublimes, il ne lui convînt de recevoir à la fin de sa vie la suprême consommation de ses grâces par la gloire et la vision bienheureuse.
Félicitez la Sainte Vierge pour le bonheur qu'elle
« d. 4, s. 4, parag. Scd vix) quelle reçut dé sa première <ii sanctification des dons de grâce et des secours tels qu'elle « ne pécherait jamais. Une telle grâce est en effet néces- « saire pour ne jamais pécher véniellement , et c'est là le « privilège spécial qui, d'après le Concile de Trente, lui a « été conféré. '}> La grâce qu'elle reçut, quand elle conçut le Fils de Dieu, ne la rendit pas plus impeccable, mais à partir de ce moment elle eut à l'impeccabilité un droit strict, qui résultait de sa dignité de Mère de Dieu. (Suarez, 1. c. parag. Ex quo). I. Lib. 6. in Cant. cap. 6.
DE LA SAINTE VIERGE 29
a eu dans le commencement et dans la continuation de son mérite. Admirez-la, et dites : « Quelle est « celle qui monie semblable à Vaurore qui se « lève, belle comme la lune, choisie comme le « soleil ? » Désirez et mettez-vous en devoir de mériter ainsi continuellement tout le temps de votre vie, que Dieu vous donne pour mériter réternité bienheureuse (i).
II
Considérez que la Sainte Vierge a mérité par tous et par chacun de ses actes, qu'elle a mérité par des actes très parfaits de la vie active et de la vie contemplative, dans tous les trois états de sa vie, le jour et la nuit. Toutes ces paroles ont leur valeur et doivent être considérées distinctement.
En premier lieu, la Sainte Vierge a mérité par tous et par chacun de ses actes, car dès sa première sanctification elle était douée d'une excellente connaissance des perfections de Dieu et des moyens de lui plaire ; elle était entlammée d'une ardente charité qui la portait à vouloir lui plaire en toutes choses et à vouloir le glorifier. Elle était aussi dégagée de toute inclination désordonnée pour la créature. C'est pourquoi elle ne faisait que des actions vertueuses et moralement bonnes, elle les faisait en vue de Dieu, et pour sa gloire. Jamais elle n'en fit une seule de mauvaise et de répréhen- sible, pas même une seule qui fût indifférente, parce que les âmes parfaites et qui agissent selon la plus haute perfection, ne font pas d'actions
I. Suarez, ibid. sect. 2.
3o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
<.
indifférentes. Or la Vierge a été très parfaite, elle a choisi la meilleure part et la meilleure façon d'agir et elle a tout rapporté à Dieu qu'elle aimait uniquement. Elle était, dit saint Ambroise, atten- tive à ses actions, réservée dans ses paroles, elle était accoutumée à avoir non pas un homme, mais Dieu pour juge, à tel point que l'apparence exté- rieure de son corps était la représentation de son âme et l'image de sa probité (i).
En second lieu, la Sainte Vierge a mérité par des actes très parfaits de la vie soit active, soit contemplative, parce que l'état le plus parfait de la vie humaine, celui qu'a embrassé Jésus-Christ, ce modèle de la vraie perfection, comprend les actions de la vie active et celles de la vie contemplative tout à la fois, ainsi que l'enseigne le Docteur angé- lique (2). Or la Vierge a embrassé l'état le plus parfait, et s'est conformée de plus près qu'aucun saint à la vie et à la sainteté de son Fils. C'est pourquoi elle a mérité par des actes très parfaits de la vie active et de la vie contemplative.
En effet, et c'est ce qui est à considérer en troi- sième lieu, elle a mérité par ses actes dans les trois états de sa vie, dans l'état de jeune fille, depuis sa conception jusqu'à l'Annonciation, dans l'état de Mère, depuis l'Annonciation jusqu'à l'Ascension, où son Fils se sépara d'elle, et enfin dans l'état de veuve, depuis l'Ascension de Jésus-Christ jusqu'au jour de sa propre mort. Dans le premier état on peut juger de ses actes par la vie qu'elle mena dans
1. Lib. 2. De Virgin.
2. II. II. q. 188. art. 6.
l) !•: I. A s A I N T !•; \ I 1-. R i . K .-> I
le temple de Jérusalem, où elle partagea son temps entre les œuvres extérieures saintes et la prière ou la méditation. Dans le second état elle s'occupa exclusivement de Jésus-Christ, de le servir, de le suivre, de le pourvoir de tout ce qu'elle pouvait lui donner, de l'entendre discourir et de méditer ses paroles, car si elle conserva dans son cœur et si elle médita sur les paroles de Siméon (Luc, 2) et sur celles d'autres personnes que son Fils, à plus forte raison aura-t-elle con- servé dans son cœur et médité sur les paroles de Jésus-Christ, qu'elle écoutait sans doute avec non moins d'attention que Marie Madeleine. Saint Epiphane (i) l'appelle pour ce motif la perpétuelle spectatrice et suivante de Jésus-Christ, ne perdant pas, autant qu'elle le pouvait, un seul de ses ser- mons. Mais qu'est-ce que tout cela en comparaison des mérites qu'elle acquit sous la croix de Jésus- Christ, mérites qui ne le cèdent pas à ceux des plus grands martyrs de l'Eglise. Un prédicateur du siècle dernier, qui s'est appelé le Disciple (2), par humilité, parle en maître sur ce sujet. Il dit : les mérites de la Vierge sont nobles, parce qu'elle a exercé immédiatement envers Jésus-Christ six a^uvres de miséricorde. Elle l'a logé dans ses entrailles, elle l'a allaité de son lait, qui lui servait de nourriture et de breuvage, elle l'a vêtu, elle l'a visité, quand il était attaché à la croix, comme s'il eût été détenu dans une prison ; elle l'a enfin assisté dans sa sépulture. Dans le troisième état,
1. Hœreses, hœr. 78.
2. Discipulus, serm. 61.
32 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
qui fut comme un état de viduité, puisque nous la considérons comme séparée corporellement de Jésus-Christ, son Epoux, elle mérita encore d'une manière indicible par les actes de la vie active et de la vie contemplative. Elle compensait l'absence de son Fils en pensant continuellement à lui, en s'occupant à toutes sortes d'exercices de charité et de piété, qui lui convenaient, soit pendant qu'elle demeura à Jérusalem dans la maison de saint Jean, soit pendant qu'elle habita Ephèse. A cette époque elle vaquait à la lecture et à la méditation des Ecritures saintes, elle instruisait les Apôtres des particularités de l'Evangile, elle visitait le Calvaire, le sépulcre et les lieux saints, qui avaient été honorés ou par les m3^stères, ou par la présence ou par les miracles de Jésus-Christ. Elle commu- niait chaque jour avec une pureté et avec des dis- positions admirables, ne pouvant se rassasier de ce bien qui était pour elle le bien souverain (i). Elle secourait volontiers les misérables. Enfin dans
I. Suarez dit : « Il est certain que la bienheureuse « Vierge a reçu fréquemment V Eucharistie . Première- « ment, parce que la réception de cesacrement est imposée « par un précepte divin qui comprenait la Sainte Vierge^ « comme le précepte du Baptême. Secondement, la récep- « tion fréquente de ce sacrement fait partie des con- « seils divins.^ elle est en soi excellente, très utile et très « conforme au grand amour de la Vierge envers son Fils. « Troisièmement, parce que nous lisons (Act. 2) qiie dans « la primitive Eglise tous les fidèles recevaient chaque « jour ou fréquemment ce sacrement ; à plus forte raison « la B. Vierge a-t-elle observé cette coutume, » (De myst. VIT. Ch. d. 18, s. 3).
DE LA SAINTK VIERGE
33
cet état, elle l'ortifiait les martyrs, instruisait les confesseurs, dirigeait les vierges, consolait les veuves, excitait puissamment les fidèles à croire à la religion chrétienne (i) si bien qu'en tout temps elle augmenta d'une manière indicible ses mé- rites (2).
En quatrième lieu elle a mérité le jour et la nuit. Pendant le jour l'oisiveté est blâmable chez qui- conque est capable de faire quelque chose de bien. C'est pourquoi la Sainte Vierge ne demeure pas un seul instant, sans accomplir quelque acte ou intérieur ou à la fois intérieur et extérieur. « Elle « n'a pas mangé son pain dans V oisiveté. » (Prov. 3i). Et cependant la nuit dans le peu de sommeil
I. Voici comment Léon XIII confirme ce point de doctrine : « Si digne qiCelle soit du ciel, (Marie) est « retenue sur la terre, pour être la parfaite consolatrice « et la maUresse de V Eglise naissante^ elle qui a pénétré « au-delà de tout ce qtion peut concevoir, dans les profon- de deurs insondables de la divine sagesse... Et noies lacon- « tem pions dans le cénacle... appelant sur l'Eglise la « surabondante effusion dît Paraclet, don suprême du Christ. » (Encycl. Jucunda semper, 8 sept. 1894). Le même Pontife ajoute ceci dans une autre Encyclique : « Dès lors, en effet (dès le cénacle) on la voit soutenir « admirablernent les prémices du peuple chrétien par la « sainteté de ses exemples, l'autorité de ses conseils, la € suavité de ses consolations, l'efficacité de ses prières; « très véritablement Mère de l'Eglise, Maîtresse et Reine « des Apoires, à qui elle communiqtiait libéralement les « divins oracles conservés dans son cœur. » (Encycl. Adjutricem populi, 5 sept. 1895).
2. V. Paulum Cararias, Reg. 4. art. 3, puncto. 5. Bail, x, ix. 5
34 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
i
qu'elle prenait, encore son âme agissait pour Dieu et se portait vers lui au moyen de la science infu- se, qui ne dépend pas du concours des représenta- tions corporelles, si bien que même en sommeil- lant, elle avait des élans d'amour pour Dieu. Elle subissait plutôt la nécessité de dormir qu'elle n'en avait envie, dit saint Ambroise (i), et même quand son corps reposait, son esprit veillait. Sou- vent dans les songes l'esprit se ressouvient des choses déjà vues ou interrompt son sommeil, pour continuer à les considérer. C'est pourquoi elle pouvait dire ces paroles du Cantique : v Je dors^ « mais mon cœur veille » (Cant. 6) (2), parce que son amour ne se reposait pas et son mérite ne discontinuait pas durant le sommeil de la nuit, ainsi que l'ont écrit plusieurs graves auteurs.
Formez les mêmes affections qu'à la suite du point précédent. Soyez aussi confus vous-même de ce que vous faites si peu d'actions méritoires, et de ce que vous multipliez si mal le talent que Dieu vous a donné. Votre vie se passe dans la lan- gueur, dans l'oisiveté, dans des actes mauvais ou indifférents, et s'il y en a quelques-uns de bons, vous les trouverez peut-être défectueux dans les circonstances qui les accompagnent. O Vierge sacrée, vous êtes seule toute belle et toute parfaite, vous êtes toute accomplie et immaculée, et il n'5^ a point de tache en vous. Vos moindres actes ont été d'un plus grand poids et d'un plus grand mé- rite devant Dieu, que ne le sont nos plus ardentes
r. De Virginibus.
2. Rupertus et Carthus. in hune loc.
I)K I.A SAINTE VIERGE 33
dévotions. C'est de vous que PHpoux dit : « Vous « ave^ blessé mon cœur, ma sœur, tnon épouse, « vous ave:^ blessé mon cœur avec un seul de vos « yeux, avec un seul de vos cheveux » (Gant. 4). Vos seuls regards ont conquis son cœur, même tous vos pas lui ont été agréables, c'est pourquoi il les loue; « O fille du prince, que vos pieds sont « beaux dans votre chaussure ! » (Gant. 7). O Vierge admirable, ô trésor de sainteté et de tout bon mérite ! obtenez-nous de Jésus-Ghrist, votre Fils, la grâce d'être plus ardents pour les œuvres saintes, d'être plus attentifs à les faire et à les continuer jusqu'à la mort, avec tant de perfection et avec des intentions si pures, qu'elles ne soient pas mises au rebut, mais acceptées par lui, pour être récompensées ici-bas par la grâce et là-haut par la gloire.
III
Considérez à quelle quantité ou à quel comble de grâce arriva la Sainte Vierge à la fin de sa vie, après tant d'actes méritoires qu'elle fit sans inter- ruption. Le profond Théologien (i) a examiné ce point avec beaucoup de vigueur d'esprit et il l'a résolu au plus grand avantage de la Sainte Vierge, qu'il a glorifiée davantage dans deux ou trois pages de ses œuvres, que ne l'ont fait plusieurs grands personnages dans des volumes entiers écrits à sa louange. Or sa conclusion est que la grâce de la Sainte Vierge fut à la fin de sa vie presque immen- se, et que si de tous les degrés de grâce de tous les
I. Suarez, ibid. sect, 4.
36 LA Théologie affective
justes, des Anges et des hommes, on pouvait faire une seule gràce^ cette grâce n'égalerait pas celle à laquelle parvint la Sainte Vierge à la fin de sa vie (i). Les Pères sont favorables à cette affirma- tion, entr'autres saint Epiphane (2) qui appelle la Vierge un océan spirituel et qui dit que sa grâce est immense. En effet le premier des Séraphins et le plus glorieux de tous les Anges, a eu une grâce finale et une gloire si parfaites et si élevées, qu'ex- cepté Jésus-Christ et la Sainte Vierge, aucun saint ne l'égale. Cependant cet Ange suprême est arrivé à cette hauteur par deux ou trois actes de foi, de charité et de religion envers Dieu. Quelle sera donc la quantité de grâce de la Sainte Vierge, qui a fait non pas trois ou quatre actes méritoires, mais des actes innombrables pendant tout le cours de sa vie ? De plus la Vierge n'étant pas gênée par le foyer du péché et par des inclinations désordon- nées vers les objets terrestres, a toujours corres- pondu entièrement aux mouvements de la grâce excitante et a produit ses actes d'amour de toute la force de son habitude de charité. D'où il suit que les actes d'amour qu'elle formait avaient au moins autant de degrés d'intensité que son habi- tude et par conséquent son habitude de charité
1. Cette affirmation n'est pas purement gratuite, comme le prétend Vasquez. C'est une vérité qu'on peut appeler catholique ; elle a pour base solide la tra- dition qui déclare que la grâce de Marie est incompara- ble, ineffable, connue de Dieu seul^ etc. (Cf. Passaglia, DE Immac. Deip. Conc. s. 2, c. 8).
2. Orat. de laudib. B. Virg;.
DE I.A SAINTE VIERGE
et aussi sa grâce sanctifiante s'accroissaient du double îl chaque acte d'amour qu'elle formait, par- ce que l'acte fait croître l'habitude d'autant de de- grés qu'il en contient. Or ces principes sur lesquels les Scolastiques s'étendent beaucoup étant posés, il s'ensuit, que la grâce de la Sainte Vierge a été presque immense à la fin de sa vie, qu'elle est in- concevable à tout esprit et inénarrable à toute langue humaine (i). Puisque ses actes doublaient à chaque fois sa charité et sa grâce, si sa première grâce sanctifiante avait cent degrés, après le pre- mier acte d'amour, elle avait deux cents degrés ; après le second acte, quatre cents degrés ; après le troisième acte, huit cents degrés ; après le qua- trième acte, seize cents degrés, et ainsi elle a tou-
I. Nous trouvons une confirmation frappante de cette doctrine dans la Bulle Ineffabilis qui résume ainsi la tra- dition : « Ils(les Pères) avaient coutume d'appeler la mère « de Dieu: immaculée et immaculée à tous égards^ — inno- « cent e et V innocence même, — intégre et d'une intégrité « parjaite, — sainte et exempte de toute souillure de péché, « toute pure, toute chaste, le type même de la pureté et « de V innocence, — plus belle que la beauté, d' une grâce « au-dessus de toute espèce de charme, — plus sainte « que la sainteté^ la seule sainte, — très pure d'âme et « de corps. Vierge qui a surpassé toute chasteté et toute « virginité, — la seule qui ait été faite toute entière « le tabernacle de toutes les grâces du Saint-Esprit, celle « qui, au-dessous de Dieu seul, est au-dessus de tou- <c tes les créatures, qui par nature est plus belle, plus « parfaite, plus sainte que les Chérubins et les Séraphins, « que toute V armée des Anges; et dont, ni sur la terre, ni « dans le ciel, aucune langue ne peut célébrer dignement « les louanges. »
38 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
jours doublé jusqu'à la fin de sa vie. Ce qui fait qu'a- près trente ans de vie, en formant un acte d'amour plus parfait, elle méritait par ce seul acte plus qu'elle n'avait fait par tous les autres trente ans auparavant, et ainsi par le dernier acte elle mérita plus que par tous les actes précédents, parce qu'el- le augmentait au double toute la grâce qu'elle avait méritée. D'où il suit qu'elle parvint à une immensité de grâce.
Ceux qui ont calculé la quantité de blé qu'il fau- drait pour en mettre en trente deux greniers de telle façon que le premier grenier eut un seul grain de blé, le second deux, le troisième quatre, le quatrième huit et ainsi toujours le double du précédent, jus- qu'au trente deuxième grenier, jugeront de quelle grâce abondante fut enfin remplie la Vierge par des actes méritoires innombrables accomplis du- rant tout le cours de sa vie (i). Le nombre de ces grains est de deux milliards, cent quarante sept millions, quatre cent quatre-vingt-trois mille, six cent quarante-huit. Si on doublait encore le nom- bre de grains jusqu'à cinquante-deuxfois, on aurait un chiffre si élevé, que le nombre des plus petits grains de sable qui rempliraient tout l'espace qui sépare le ciel de la terre, ne l'égalerait pas, ainsi qu'un grand mathématicien (2) en fait la preuve certaine et la démonstration.
Quand donc la Sainte Vierge n'aurait produit tous les jours que cinquante actes d'amour de Dieu, comme chaque acte d'amour était le double du
I. Combrecius, 1. 2, dé Studio perfect. c. 38. s. Clavius,in c. 2, Sphœrœ,
DE LA SAINTE VIERGE 3c)
prcccdcnt, parce qu'il procédait d'une habitude de charité qui doubhut toujours en intensité et qui accomplissait toujours chaque acte selon toute son intensité, de plus comme la Vierge continua ainsi pendant au moins soixante ans qu'elle vécut, à quelle mesure ou à quel comble de grâce en cet- te vie et de gloire dans Tautre ne sera-t-elle pas parvenue ? Voilà qui dépasse toutes nos pensées et même notre imagination. Supposons maintenant que tous ses actes sont aussi nombreux que les saints du paradis et que par un seul acte elle a mérité autant que le plus grand saint du paradis, parce que ses fondements furent placés sur les montagnes saintes, et que sa première grâce sanc- tifiante égalait la plus haute grâce des saints, il s'ensuit encore que si toutes les grâces des saints étaient réunies en une seule grâce, elle ne l'em- porterait pas sur celle de la Sainte Vierge. Et quoique le nombre des saints soit peut-être plus grand que le nombre de ses actions méritoires, toutefois comme un seul des actes qu'elle accom- plissait était plus parfait que les actes de plusieurs saints ensemble, et que sa grâce a été aussi accrue par l'œuvre opérée en vertu des sacrements, on peut encore conclure très vraisemblablement et avec autant de certitude qu'on peut en avoir dans un tel sujet, qui n'est pas expressément révélé, que sa grâce ne serait pas inférieure à la somme des grâces de tous les saints.
Aussi avons-nous déjà considéré que Dieu la chérissait toute seule plus que tous les saints en- semble, plus que toute l'Eglise militante et toute l'Eglise triomphante considérée sans elle. Elle
40 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
seule également avait plus d'amour pour Jésus- Christ, que tous les saints ensemble, parce qu'il convenait qu'une telle Mère aimât d'un tel amour un tel Fils, et c'est pour cela qu'elle aura demandé à Dieu un tel amour et l'aura obtenu. Que devons- nous donc conclure, sinon que par un tel amour si saint et si méritoire, elle se sera acquis à la fin de sa vie plus de grâces, que n'en ont eu tous les saints à la fin de leur carrière. Après ces considé- rations je ne trouve plus si étrange que l'on avan- ce à sa plus grande gloire qu'elle a, en suçant les mamelles de sa mère sainte Anne (i),ou en donnant le lait des siennes à Jésus-Christ, mérité davanta- ge que les martyrs en versant des ruisseaux de sang, parce qu'elle faisait ces choses d'an amour plus ardent et d'une charité plus enflammée sans aucune comparaison que n'était celle de saint An- dré soupirant après la croix, celle de saint Lau- rent offrant ses côtes pour être rôties sur le gril, celle de saint Barthélémy donnant sa peau à écor- cher et même celle de saint Paul offrant sa tête au glaive de Néron. C'est pour cela qu'il est dit d'el- le : « Votre taille est semblable au palmier^ et « vos mamelles aux grappes de raisin. » (Cant. 6). Voici ce que dit sur ces paroles une des plus bril- lantes lumières de France (2) : Les mamelles sont comparées aux grappes de raisin et en cela on voit le mérite excellent de la Sainte Vierge qui n'a pas moins mérité en donnant le lait de ses mamelles pour nourrir son Fils, que les martyrs
1. Sherlogus, antel. 8. in Cant. sect. i
2. Gard. Hailgrinus. /^V
DE LA SAINTE VIERGE 4I
qui sont signifiés par les grappes de raisin, en versant leur sang dans le martyre. Car la récom- pense de toutes les œuvres est estimée selon la charité (i).
Si l'on trouve que ceci dépasse toute imagina- tion, il faut considérer que sa dignité de Mère de de Dieu, à laquelle sa grâce a du être proportion- née, était comme immense et infinie. C'est pour- quoi, quelque sublime grâce que nous nous figu- rions en elle, cette grâce ne sera jamais trop gran- de eu égard à une si haute qualité de Mère de Dieu. Et puis les Pères et les Docteurs de l'Eglise ont si hautement parlé de la Vierge, que ce n'est que suivre leur piste et leurs pensées que de faire de semblables considérations sur elle. « Tous les « fleuves rentrent dans la mer^ dit le Sage, et la « mer ne déborde pas. » (Eccl. i). Toutes les grâ- ces des saints sont réunies dans la Vierge et elle ne déborde pas, comme si elle ne pouvait pas les contenir et si elle en avait trop ; elle n'a que ce qu'il lui convient d'avoir eu égard à sa très haute et divine qualité.
Admirez la merveilleuse capacité d'une âme capable de posséder Dieu. Elle est capable comme d'une infinité de degrés de perfection spirituelle qui peut s'accroitre en elle sans mesure. Quel re- gret auront donc les âmes au seuil de l'autre vie d'avoir négligé les occasions de s'enrichir de méri- tes ? Nous nous étonnerons donc de nous voir si éloignés de la perfection de Dieu et aussi de voir
I. « Omnium enim operum merces secundum radicem « caritatis pensatur . :j>
42 LA THÉOI-OGIE AFFECTIVE
que tant de saints qui se sont appliqués à multi- plier leur talent spirituel, nous dépassent dans une mesure incroyable, tandis qu'il y en a peu qui viennent après nous. Nous admirerons ensuite ce qui a fait l'objet de cette considération, je veux dire une Vierge exaltée à une hauteur indicible. O divine Mère, ô océan de mérite et de félicité, ô très excellente Vierge, je me réjouis de tout mon cœur de la grandeur de vos mérites et de l'immensité de votre grâce. Oh ! béni soit le Dieu tout-puis- sant, qui vous a rendue si riche et si heureuse ! Oh ! je chanterai de tout mon cœur en votre hon- neur la louange de la femme forte : « Plusieurs « filles ont amassé des richesses, tnais vous les « surpasse^ toutes. » (Prov. ii). O Vierge mer- veilleuse et étonnante ! Comme le Fils que vous avez porté dans votre sein est ineffable, ainsi nul ne peut dire la gloire que vous avez méritée. O sainte et plus sainte que les saints, saint trésor de toute sainteté ! O champ de bénédiction spirituelle ! O la première après Dieu, à qui les martyrs ren- voient leurs palmes, à qui cèdent les Séraphins et les Chérubins ! (i) O soleil très resplendissant de- vant qui les plus saints perdent tout leur éclat ! Oh ! qui fera. Vierge divine, que toutes les créa- tures reconnaissent votre grandeur et vous trai- tent avec le respect et la révérence qui vous sont dus ? Oh ! quand augmentera la dévotion pour vous ? O très illustre princesse, quand serez-vous honorée en proportion de vos insignes mérites ? O Vierge sacrée et miraculeuse, au nom de l'abon-
I. Ildephonsus, serm. 2. de Assiimpt,
ni' LA SAINTE VIERCIE J[:>
dance de vos grâces, regardez-nous avec pitié et faites par une faveur très désirable que nous nous enrichissions de mérites.
XVir MÉDITATION
DU BIENHEUREUX TRÉPAS DE LA SAINTE VIERGE
SOMMAIRE :
Belles raisons de la mort de la Vierge. — Elle meurt par la force de son amour. — Elle est délivrée de trois misères auxquelles sont sou- mis les mourants.
I
CONSIDÉREZ que la Sainte Vierge, après avoir vécu environ soixante-deux ou soixante- trois (i) ans dans la pratique de toutes les vertus, rendit son àme à Dieu et mourut. (2) Considérez en particulier pourquoi elle mourut, malgré sa très grande sainteté.
1. Soixante-douze ans, selon l'opinion la plus vrai- semblable, comme nous l'avons déjà dit.
2. C'est une vérité théologiquement très certaine qu'un grand nombre d'auteurs dont on peut voir la lon- gue liste dans François Macedo (T. i. De Clav. Pétri, I, IV, p. 2. De pecc. orig. sect. 3) ont néanmoins contestée.
44 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
La première raison est que la mort est un pas- sage nécessaire pour arriver à la gloire et c'est un ordre de Dieu, après le péché d'Adam, que le ciel s'acquiert par la vie des créatures humaines. Jésus- Christ est passé par là : « N'a-t-il pas Jallu que « Jésus-Christ soujfrit et qu'il entrât ainsi dans « sa gloire ? » (Luc, 24). — « Personne, àh Dieu à « Moïse, ne me verra et vivra. » (Ex. 33). Il faut se séparer une fois de la chair et de la masse du corps pour s'unir à l'Essence divine,
La seconde raison est la désobéissance d'Adam. « Le jour y lui a dit Dieu, oii tu mangeras de ce « fruit, tu mourras. » (Gen. 2). Cette menace s'adresse en même temps qu'à lui à toute sa pos- térité, à tous ceux qui tirent de lui leur origine. Ce sera la punition de son péché qu'il n'ait pas la joie de voir un seul de ses fils exempt de la mort. C'est pourquoi en punition de la désobéissance d'Adam, Jésus-Christ lui-même est mort, quoiqu'il n'eut pas péché ; il en a été de même de la Sainte Vierge. En effet les hommes étant mortels selon leur constitution naturelle et n'ayant été immor- tels au paradis terrestre qu'en se nourrissant du fruit de i'arbre de vie qui avait le privilège de conserver la vie immortelle, comme aujourd'hui le monde est privé de cet arbre de vie en punition du péché d'Adam, en punition du même péché la nature humaine est abandonnée à elle-même et par suite à la mort. (1)
I. Nous croyons que ces deux raisons n'ont aucune valeur. La Sainte Vierge était de droit immortelle, et cette immortalité résultait, non pas de sa nature, car
DI-: LA SAINTE VIERGE 4:?
Voici la troisième raison : la Sainte Vierge a dû mourir, alin qu'acceptant la mort et s'y disposant
toute nature corporelle tend à la mort, ni de la gloire, dont, à la différence de Jésus-Christ, elle ne jouissait pas encore sur celte terre, mais de la grâce de sa Conception immaculée qui l'éleva à l'état de l'inno- cence originelle, comme l'insinue d'une manière assez claire Pie IX dans la Bulle Ineffabilis : « Cest pourquoi « l'élevant incomparablement au-dessus de ions les esprits « angéliques et de tous les Saints, il la combla deVabon- « da}ice des dons célestes, puisés dans le trésor de la divi- « nité. Il l'en combla d'une manière si merveilleuse, que « toujours et entièrement pure de totite tache du péché, « toute belle et toute parfaite, elle avait en elle la pléni- « tude d'innocence et de sainteté la plus grande que l'on « puisse concevoir au-dessous de Dieu, et telle que, sauf « Dieu, personne ne peut la comprendre. » Or à cet état d'innocence originelle était annexée, par un bienfait gratuit de Dieu, l'immortalité, et il n'y a eu aucune raison de révoquer ce bienfait, en ce qui concerne la Sainte Vierge, car cette révocation aurait été une peine que la Vierge n'avait méritée par aucun péché et de plus Dieu n'avait point révoqué pour elle, comme il les a révoqués pour tous les hommes, les autres privilèges attachés à la justice originelle, tels que l'exemption de l'ignorance, du foyer de la concupiscence, de la mala- die, de la douleur dans l'enfantement. Cette doctrine nous semble également découler delà condamnation de la 73"^ proposition de Baïus (Denz. p. 248. éd. ix) : « La B . Vierge est morte, parce qu'elle a contracté le « péché d'Adam, et toutes les afflictions qu'elle endura « dans cette vie furent pour elle, comme pour les autres « saints, des peines du péché actuel ou originel. » La Sainte Vierge est donc morte, parce que, conformément à la volonté de son Fi^s, elle a renoncé à son privilège.
46 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
saintement, elle portât ses mérites à leur comble et aussi haut qu'ils devaient monter, et qu'ainsi elle nous servit d'exemple pour nous résoudre à la mort et la recevoir avec une sainte dis- position (i).
Si Ton dit que la Vierge a été exempte du péché originel dans sa conception, et que la mort est la peine de ce péché, nous répondons qu'elle n'en- dura pas la mort comme une punition du péché qui aurait été en elle, pas plus que les autres misères et les autres peines de cette vie qui servent à exercer la vertu des justes, mais elle la souffrit en punition du péché d'Adam dont elle porta la peine (i). Si on nous oppose après cela qu'Enoch et Elie sont encore vivants, et que la Sainte Vierge doit jouir aussi des privilèges accordés aux autres Saints, il faut répondre qu'Enoch et Elie doivent
I. Nous proposons de remplacer ces trois raisons par ces trois autres que donne saint Thomas (m. q. xiv, a. i) de la volonté qu'a eue Jésus-Christ de mourir, et qui s'appliquent, avec les différences voulues, à la Sainte Vierge. Elle a voulu mourir : 1°) Afin de satisfaire pour nos péchés en qualité de corédemptrice ; 2°) Afin de nous préserver d'une grave erreur touchant l'Incarna- tion ; si Marie n'était pas morte comme tous les autres hommes, nous aurions pu croire que celui-là ne fut pas réellement homme qui était né d'une femme immor- telle; 3°) Afin que l'Eglise put la proposer au peuple chrétien comme un modèle de patience et de con- stance ; ce qui exige qu'elle ait subie la suprême épreuve de la vie, qui est la mort.
I. L'auteur met en note : Vide me in ariic. disp. de graiia, p. 2. art. y 2.
DE LA SAINTE VIERGE 47
finalement mourir, ainsi que nous le méditerons plus loin. Enfin s'il semble à quelques-uns que Jésus-Christ étant tout puissant sur la mort, devait en afIVanchir sa très sainte Mère, comme le ferait pour la sienne tout enfant bien né, qui en aurait le pouvoir, il faut accorder sur ce point que Jésus- Christ, il est vrai, devait l'exempter d'une mort horrible et douloureuse et qui eut été fâcheuse pour elle; voilà pourquoi il ne voulut pas qu'elle fut livrée à la cruauté des tyrans, afin que son corps virginal et qui était la fleur de toute pureté, ne fut exposé en aucune façon à la merci des hommes. Mais il ne devait pas l'exempter d'une belle et agréable mort, d'une mort avantageuse pour elle ; c'était plutôt un trait de charité envers elle que de lui souhaiter cette mort, puisqu'il est écrit : « La mort des Saints est précieuse aux <L yeux de Dieu. » (Ps. ii5). Or ce fut d'une belle et douce mort, d'une mort excellente et précieuse que mourut la Sainte Vierge, ainsi que nous allons le méditer.
Mais auparavant nous apprendrons par ce point à nous résoudre à la mort. Et quoi ! elle est morte cette Vierge qui toute seule avait plus de mérite que tous les Anges, et nous, vermisseaux pleins de pourriture, nous ramperions immortellement sur la terre ! Quoi ! la Mère de Dieu toute pure, toute belle et innocente, est passée par le tranchant de la mort, et nous, serviteurs inutiles, mauvaises servantes, nous serions plus privilégiés qu'elle ? Il faut mourir et il faut être prêt à recevoir la mort, quand elle se présentera. O Vierge sacrée, par votre mort précieuse, faites-moi la grâce d'y
48 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
■ >
penser souvent et de la recevoir paisiblement, quand mon heure sera venue.
II
Considérez que la Sainte Vierge mourut par la force de l'amour, à savoir d'une langueur et d'une fièvre que lui causa l'ardeur de l'amour divin. Cette considération s'appuie sur l'autorité de plusieurs auteurs (i) qui l'ont enseignée et avec raison, parce que la mort la plus digne et la plus souhaitable est celle qui est l'effet de la charité, et si les Anges étaient capables de mourir, ils souhaiteraient de mourir de cette excellente et désirable mort. De quelle autre mort aurait donc pu mourir la sainte Mère de Dieu, la Reine des Anges, l'honneur du monde entier ? Comme elle était la plus aimée de Dieu parmi les créatures, elle fut. aussi la plus aimante, et sa charité qui augmentait de jour en jour, lui livra à la fin des assauts si puissants qu'elle y succomba. C'est ce qui nous est repré- senté en quelque sorte dans le Cantique sacré; cette sainte amante ne pouvant plus dissimuler la véhémence de ses affections célestes, se recom- mande à Jésus-Christ, son Fils, par les fidèles qu'elle voit mourir avant elle. « ]e vous adjure^ « ô filles de Jérusalem, de dire à mon bien-aimé, « si vous le trouve^, que je languis d'amour. » (Cant. 5) (2). Et les Anges qui assistaient à son
1. Albert M. et Carthus. apud Berard. t. i, 1. 6, ch. 12 ; Suarez, in 3. p. t. 1. disp. 21, sect. i ; De Sales, DE l'amour, 1. 7, c. 13 et 14.
2. Rupertus.
DE LA SAINTE VIERGE 49
trépas, se disaient Tun à Tautrc : « Quelle est celle (i qui monte par le désert^ comme une petite <i vapeur d'aromates, de myrrhe et d'encens, et de « toutes sortes de poudres de senteur? » (Cant. 3). Car comme c'est le l'eu qui dégage et fait monter la vapeur agréable des poudres de senteur, ainsi ce fut le feu de la sainte dilection qui fit s'exhaler hors du corps Tàme de la Très Sainte Vierge (i). Il est vrai pourtant que de prime abord il paraît difficile d'entendre comment il est possible que Tamour, qui semble une chose si douce et si suave, puisse causer cet étrange effet, la mort. Ceux qui ont examiné de plus près cette difficulté nous apprennent que Tamour peut causer la mort de trois manières. La première manière est par excès de chaleur, parce que Famour produit dans le corps une ardeur d'autant plus intense qu'il est plus grand, et comme une chaleur excessive con- sume tout l'humide radical qui soutient la vie, ainsi que la flamme de la lampe épuise toute l'huile, et amène l'extinction de la lampe, ainsi l'amour divin peut faire croître la chaleur du corps à un tel point que la mort s'ensuive. Secondement, par la diminution des forces animales et corpo- relles, parce que les actions sprirituelles consu- ment les esprits vitaux ; c'est pour cela que les facultés corporelles, telles que la faculté de sentir, celle de se nourrir, celle de digérer et les autres, refusent de faire leurs fonctions. De là provient la débilité et la défaillance du corps et finalement la mort. « La méditation fréquente^ dit le Sage, est
I . D. Hier. Episi, ad Patdam et Eustoch. t. 9. Bail, t. ix. 4
So LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« l'affliction de la chair. » (Eccl. 12). Et de même que Marthe se plaint d'être délaissée par Madeleine, qui s'adonne à la contemplation, ainsi la chair res- sent le contre-coup de ràme,qui est toute occupée et toute tendue par les fonctions spirituelles. Troi- sièmement, l'amour peut causer la mort par la force des élans par lesquels une âme se porte vers Dieu qui l'attire à lui par ses douceurs et ses suavités ; ainsi l'oiseau pris à la glu sur quelque buisson où il est retenu, s'élance parfois avec tant de force, qu'il se met en liberté. Il peut en arriver autant à une àme puissamment attirée par les suavités divines : ne pouvant souffrir de délai pour s'unir à Dieu, elle renouvelle tant de fois, par la puissante vigueur de sa charité, ses élans et ses efforts pour être toute à son bien-aimé, qu'elle s'échappe du corps. C'est en l'une ou en plusieurs de ces trois manières que l'amour divin aura pu séparer l'àme de la Vierge de son corps, qui ne pouvait plus soutenir naturellement les efforts de cet amour (i).
I. Il est certain que la Sainte Vierge n'est morte ni de maladie, ni de vieillesse. Il est non moins certain qu'elle est morte dans une extase provoquée par l'amour de Dieu. Mais nous voyons un sérieux inconvénient à affirmer avec Bail et les auteurs qu'il cite, auxquels on peut encore ajouter Bossuet (//« Sermon sur l'Assomp- tion, 2« point), que c'est la violence de l'amour de Dieu qui lui a donné la mort. L'amour de Dieu qui conve- nait à Marie était un amour spirituel, résidant dans la volonté et ne rejaillissant sur la partie sensible que dans la mesure où elle pouvait le supporter. Il semble qu'il y aurait eu un certain désordre à laisser cet amour s'em-
DE LA SAINTE VIERGE bl
Admirez cette mort désirable et la force de l'amour de dilection. O cœur sacré de Marie, blessé plus profondément des traits de l'amour, que de ceux de la mort ! O amour, amour ! comment est- il possible que tu sois si doux, et que cependant tu sois la cause de la mort ? O amour, comment as-tu payé d'une langueur et d'une blessure mor- telle le cœur sacré d'une Vierge innocente, qui t'a reçu et logé avec tant d'amitié ? Est-ce donc ainsi, ô amour, que tu récompenses cette fidèle hôtesse ? O Vierge mourant de la mort de l'amour, qui me donnera de mourir d'une semblable mort ? Qui me donnera d'aimer mon Dieu avec une telle ardeur que mon cœur éclate et que ma vie expire ? « Que mon âme meure de la mort des justes ! » (Nom. 23). Que mon âme meure de la mort de l'amour ! Faites donc, je vous prie. Vierge très aimante, que par l'impétuosité de mon amour envers votre Fils et envers vous, mon cœur s'en-
parer des sens, au point de les briser et d'arrêter la vie. Nous préférons dire avec un auteur récent (Lépicier, TRACT. deB. V. Maria^ p. 2, c. 2, a. 3, u. 17), que Dieu avait doté l'âme de Marie d'une vertu surnaturelle suffi- sante, pour la préserver de la mort, avec le secours néanmoins des autres moyens destinés à conserver la vie. Marie serait morte le jour où par ses ardents désirs elle obtint de Dieu de ne plus ressentir l'effet de cette vertu surnaturelle et de négliger les au- tres moyens ayant pour but la conservation de la vie. C'est peut-être, ajoute ce même auteur, la rai- son qui expliquerait pourquoi cette mort entourée d'un si profond mystère a laissé si peu de traces dans la tradition.
52 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
tr'ouvre et soit atteint d'une blessure éternelle ! O blessure ! O mort souhaitable !
III
Considérez de plus que la Sainte Vierge fut délivrée de trois misères auxquelles sont soumises les créatures humaines au moment de la mort.
La première misère est une multitude de dou- leurs provenant de la fièvre, des maux d'estomac, des fluxions, des convulsions et quelquefois aussi des remèdes eux-mêmes qui font souffrir plus que les maladies. Or la Sainte Vierge fut affranchie dans sa mort de cette première misère (i). En assistant sur le Calvaire au crucifiement de Jésus- Christ, elle avait souffert les transes de la mort, elle en fut exempte dans ce suprême passage et son amour était si grand qu'il charma les douleurs de la mort et rendit Marie insensible. Comme Moïse et Elie jeûnèrent quarante jours sans ressentir les douleurs de la faim, à cause de leur très grand amour, ainsi la Vierge passa de ce monde en Tautre sans douleur ni tourment, parce que la force de son amour résistait à tout autre sen- timent (2).
La seconde misère est une tristesse infinie, quand on a quelque attache à cette vie : « O mort, « dit le Sage, que ton souvenir est amer à celui « qui a la paix dans ce monde. » (Eccl. 41). Les plaisirs et les voluptés n'existent plus alors, la
1. Bern. de Bustis, in Stellario cor. Virg. 1. 10.
2. Note de Fauteur : Phira apud Sherlogum, in c. 8 Cant. in Explan. mor. sect. 6.
DE I.A SAINTE VIERGE 53
bonne chère, les viandes délicates et les bons vins se changent en fiel, les amis en ennemis, les lits mollets en une couverture de teigne et de pourriture, le corps mollement traité en une car- casse de vermine et toutes les prétentions s'en vont en fumée. Mais la Sainte Vierge qui n'avait aucune attache aux biens du monde et dont la volonté était parfaitement conforme aux volontés divines, mourut sans tristesse et très contente, n'ayant rien qui put l'affliger, mais plutôt recevant des consolations inénarrables de son Fils, Jésus- Christ, qui lui apparaissait à cette heure.
Enfin une troisième misère des créatures hu- maines à l'heure de la mort, est un saisissement de crainte et de frayeur, soit à cause des tentations de l'ennemi qui à ce moment trouble davantage les âmes, soit à cause des justes et raisonnables appréhensions des jugements de Dieu qui doivent intimider les plus justes et les plus saints. C'est pourquoi David disait : « Saîive:{-m.oi de la gueule « du lion et des cornes des licornes. » (Ps. 21). Or la Sainte Vierge fut encore exempte de toute crainte et de toute fra3^eur, parce qu'elle était con- firmée en grâce et sûre de sa gloire, ainsi que de l'amour et de la bienveillance de son Fils. L'en- nemi du genre humain n'eut pas d'accès auprès d'elle, il fut chassé bien loin par les troupes célestes des bons Anges qui assistaient Marie fidèlement.
Réjouissez-vous avec la Sainte Vierge, à qui l'amour divin a causé une mort si belle et si pré- cieuse, de son bonheur. Espérez donc, si vous portez h Dieu un grand amour, que votre mort
54 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sera plus douce et plus facile à supporter ; d'autre part vous devez redouter qu'elle ne soit accompa- gnée de grandes détresses et d'angoisses, si vous n'êtes pas plus fervent dans l'amour divin. O Vierge bénie, obtenez-moi de votre Fils cet amour plus fervent. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous maintenant et à l'heure de notre mort.
XVIir MÉDITATION
DU TRÉPAS DE LA SAINTE VIERGE ET DE SON ASSOMPTION
SOMMAIRE :
Faveur que reçoit la Sainte Vierge à sa mort. — Grande félicité qui lui est échue le jour de son Assomption. — Elle est établie Reine de Vunivers et Impératrice du ciel et de la terre au-dessous de Jésus-Christ.
I
CONSIDÉREZ quelques autres faveurs et privi- lèges que reçut la Sainte Vierge en mou- rant et après sa mort.
Son premier privilège fut d'être avertie par l'ange Gabriel de l'heure de son trépas ; elle lui répondit comme au jour de l'Annonciation avec une grande joie et une grande résignation ; « Voici
DE LA SAINTE VIERGE 55
« la servante du Seigneur, qiCU me soit fait selon « votre parole^ » ou bien, comme dit saint Jean Damascène (i), je remets mon âme entre vos mains. Plusieurs Saints ont eu cette grâce d'être avertis de la part de Dieu du jour de leur mort et par conséquent la Sainte Vierge n'a pas dû en être privée.
Le second privilège fut qu'en mourant elle fut assistée de tous les Apôtres qui vivaient encore et qui prêchaient l'Evangile dans les diverses parties du monde ; transportés à travers les airs sur des nuées, ou par tel moyen qu'il plut à Dieu, et que Dieu connaît, ils se trouvèrent réunis pour assister à son trépas. Denys l'aréopagite (2) qui s'y trouva aussi en rend un suffisant témoignage. D'où nous pouvons constater le soin et l'affection de Jésus- Christ pour sa sainte Mère, qu'il avait laissée ici- bas en se retirant au ciel, puisqu'il la faisait ainsi visiter et assister à l'heure de sa mort par ses bien-aimés disciples et Apôtres, qui étaient les plus grands hommes de la terre.
Son troisième privilège fut que Jésus-Christ même qui était apparu à saint Etienne dans son agonie, lui apparut également en personne, en- touré d'une infinité d'Anges, et la consola ineflfa- blement, tant par la vue de son visage glorieux que par le doux langage qu'il lui tint. Il lui dit : venez dans mon repos, ma Mère bénie, levez-
1. Legenda D. Damasceni, orat. i* et 2^ De Assump- TioNE et Canisius, lib. 5 De Deipara.
2. De Div. NOMiN. c. ^.\ Mich. Singulus, in vita D.
DiONYSII.
56 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
VOUS, ma bien-aimée, belle entre toutes les fem- mes. « Voict que Vhiver est passée et que le prin- « temps est arrivé. Vous êtes belle, ma très chère, « et il n'y a point de tache en vous ; V odeur de vos « vêtements Vemporte sur tous les parfums. » (Gant. 2 et 4) (i).
Le quatrième privilège fut, que quand elle eut rendu l'esprit à la suite des nouvelles aspirations d'amour que lui causa le regard de Jésus-Christ, son âme sainte fut sans aucun délai revêtue de la lumière de la gloire et admise à jouir de la vision de Dieu, à un degré qui correspondait à ses mérites et qui était supérieure la félicité des Saints. Il n'y avait rien en effet à purifier en elle, et ses bonnes oeuvres étaient plus méritoires que toutes celles des autres Saints. Si bien que cette âme sainte passant immédiatement de l'union avec son corps à l'union béatifique avec TEssence divine n'inter- rompit pas en mourant ses actes de charité.
Le cinquième privilège fut que son corps ayant été porté par les Apôtres dans un sépulcre situé dans la vallée de Josaphat, fut exempt de corrup- tion; car si Jésus-Christ a voulu que son propre corps en fut exempt, et s'il a voulu s'épargner à lui-même cette misère, suivant ce qui est écrit : « Vous ne perm.ettre^ pas que votre saint voie la corruption (Ps. i5), il est bien vraisemblable qu'il en aura aussi préservé le corps de la Sainte Vierge. En effet, dit le docte évêque de Paris (2), qui de nous laisserait dévorer par les vers sa propre
1 . D. Joan Damasc. Orat. 2. De Assumpt. Dei Genit'
2. Guill. Paris, serm. 2. in Assumpt.
HE LA SAINTE VIERGE ?7
mère, s'il pouvait, sans difficulté, rempccher ? De plus, puisqu'il a voulu qu'elle fut alVranchie de cette sentence générale signifiée à Eve : Tu enfan- « teras dans la douleur » (Gen. 3), pourquoi n'aurait-il pas voulu qu'elle fut aussi exceptée de la sentence générale signifiée à Adam : « Tu retour- if. fieras en poussière? » Et encore si sur la croix et dans les angoisses de sa Passion, il a eu soin de sa Mère, l'aurait-il oubliée et délaissée, une fois exalté dans le ciel et revêtu de la toute-puissance sur le monde ? Enfin s'il l'a conservée pure et intacte, sans aucune lésion de son intégrité virgi- nale, quand il Ta choisie pour Mère, pourquoi ne voudrait-il pas après sa mort la conserver à l'abri de toute corruption ?
Le sixième privilège fut qu'au troisième jour après sa mort, son âme glorieuse vint rejoindre son corps dans le tombeau, pour le vivifier, le ressus- citer et le glorifier en lui communiquant les qua- lités des corps glorieux, qui sont la clarté, l'impas- sibilité, l'agilité et la subtilité. Il était bien raison- nable que Jésus-Christ l'honorât ainsi et dans son âme et dans son corps, qui lui avait servi de demeure; il était raisonnable aussi qu'elle ne reçut pas moins de grâces de lui que ceux dont les corps ressuscitèrent au jour de sa Résurrec- tion et apparurent à plusieurs dans la sainte cité de Jérusalem.
Le septième privilège fut d'être élevée en corps et en âme dans le ciel sur un trône glorieux pour y être à jamais bienheureuse ; elle fut reçue avec joie et allégresse par toute l'Eglise triomphante. Elle a été transportée tout entière, dit un ancien
58 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Père (i), afin qu'il n'y eut pas une partie d'elle- même qui demeurât avec le Verbe, et une autre partie avec le ver (2). Aussi Jésus-Christ n'eût pas voulu que le corps de la Vierge eût été sans hon- neur sur la terre, s'il n'eût pas été en honneur dans le ciel, puisque non seulement il veut que les corps des martyrs soient honorés, mais aussi ses tourments, sa croix et ses clous (3). De plus s'il a été convenable qu'il hâtât sa propre Résurrection et son Ascension, afin de donner aux hommes l'espérance de ressusciter et de monter au ciel ; il a été également convenable que la Résurrection et l'Assomption de sa Très Sainte Mère au ciel ne fut pas retardée, afin de donner au sexe féminin qui avait tout gâté au paradis terrestre et qui est plus faible et naturellement plus défiant, l'espérance de pouvoir ressusciter et monter au ciel. Et puisque l'un et l'autre sexe avaient été chassés du paradis ter- restre, l'un et l'autre sexe devaient apparaître dans le paradis céleste comme le signe de la réparation accomplie. Ajoutons que, puisque Jésus-Christ a voulu, pour la gloire du sexe féminin, être le fils d'une femme, mais non d'un homme, il a voulu aussi exalter la nature humaine quant à l'âme et quant au corps dans une femme, pour la plus
1. Eusebius, in Chron. ann. Dom. 48.
2. L- De Assumptione, tom. 9 OperumT) . Augustini, in append. Non est Angtist . (Note de l'auteur).
3. Le fait qu'en aucun lieu du monde ne se trouve même la plus petite relique de la Sainte Vierge est déjà une grave présomption en faveur de son Assomption, pour l'excellente raison que donne l'auteur.
DE LA SAINTE VIERGE Sc)
grande confusion de ses ennemis et à Thonneurde sa très abondante Rédemption. Enfin il aurait semblé à Jésus-Christ qu'il n'était pas monté tout entier dans le ciel, s'il n'eût attiré à sa suite celle de qui il avait pris son corps. C'est pourquoi il désirait ardemment avoir avec lui ce vase précieux, je veux dire ce corps choisi de la Vierge, où rien ne s'était trouvé qui déplut à la divinité (i).
Réjouissez-vous avec la Vierge de tant de fa- veurs et des grâces singulières qu'elle reçoit avant
I. La doctrine de l'Assomption de Marie au ciel a pour elle le témoignage constant des Pères de l'Eglise grecque et de l'Eglise latine, le suffrage des Théolo- giens scolastiques, notamment de saint Thomas (iv. Dist. 13, q. I, art. 3, sol. 3), l'institution de la fête du Repos, du Passage, du Sommeil, ou de VAssûmption de la Sainte Vierge, — fête qui est une des plus anciennes parmi celles qui ont été instituées en son honneur, — enfin le sentiment de tous les fidèles de l'Eglise orientale comme de l'Eglise occidentale ; c'est ce qu^ont attesté les Pères du Concile du Vatican qui demandaient la définition de l'Assomption corporelle de la Sainte Vierge : « A moins qu'on ne veuille traiter d'adhésion « irréfléchie et de crédulité la foi très ferme de l'Eglise en « V Assomption de la B. Vierge, ce qu'il serait impie « même de penser^ il faut sans aucun doute croire très « fermement que cette doctrine nous vient de la tradition « apostolique et divine, c'est-à-dire de la révélation. » (CoLLECT. LAC. VII, 868). Quoiqu'elle ne soit point encore ni définie, ni même contenue formellement dans les Saintes Lettres, nul catholique, dit Suarez (In 3. disp. 21) ne peut la révoquer en doute, et la nier serait, dit Melchior Cano, « une folle témérité, » (L i . De log.
THEOL. C. II.)
6o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
et après sa mort. Vénérez-la avec une grande dévotion à la vue de tant de privilèges qui lui sont accordés. O divine Vierge, que vous êtes heureuse maintenant de ne plus rien avoir des misères de la terre! O Vierge des vierges et beauté de toutes les vierges, il semblait que vous fussiez délaissée, quand votre Fils se sépara de vous en montant au ciel. Maintenant vous ne paraî- trez plus être oubliée, mais on verra que vous êtes la plus aimée de Dieu. O cité céleste, que tu es belle et ra3''onnante, grâce au soleil et à la lune qui t'enrichissent, grâce aux corps sacrés de Jésus- Christ et de Marie ? O céleste Marie, comme votre Fils montre au Père éternel ses plaies et ses cica- trices, montrez-lui vos mamelles, afin d'intercéder pour nous plus efficacement, car vous êtes mainte- nant notre très grande espérance après votre Fils (i). Qu'il soit à jamais béni et loué pour toutes les grandes choses qu'il a faites en vous !
I . Suarez s'exprime ainsi sur l'intercession de Marie : « // résulte de ce que nous venons de dire non seulement « que la B. Vierge intercède pour nous^ mais de plus que « son intercession est la plus efficace de toutes. Bien « plîis j'estime que par son pouvoir et l'efficacité de son « intercession la Vierge l'emporte non seulemetit sur « chacun des Saints y mais même sur toute la cour céleste ; « de telle sorte que, si nous supposons par la pensée le cas « oii la B. Vierge demanderait une chose, à laquelle « s'opposerait toute la cour céleste, comme dans Daniel « oîi nous voyons un ange résister à un autre ange, — la « prière de la B. Vierge serait plus puissante et aurait « une plus grande efficacité et une plus grande valeur « auprès de Dieu, que celle de tous les autres Saints^
nn I. A SAINTE VIERGE 6l
II
Considérez ensuite à quoi degré de gloire spiri- tuelle et corporelle, et à quelle grande félicité est arrivée la Sainte Vierge au jour de son Assomp- tion. Pour comprendre ce point, il faut repasser dans son esprit ce qui a été médité sur les mérites de la Sainte Vierge et sur sa grâce, qui fut comme immense et plus abondante que toutes les grâces des autres Saints ensemble, quand la Vierge arriva à la fin de sa vie. Ces principes une fois posés, il n'y a plus de difficulté à comprendre la grandeur de sa gloire, car cette gloire doit être proportionnée à sa grâce. Autant dit saint Ber- nard (i), un arbre pousse de racines dans la terre, autant il pousse de branches au dehors; et autant
« Voilà pourquoi V Eglise dans ses prières s'adresse plus « fréquemment et plus solennellement à la Vierge qu^ aux « autres Saints. 7> (In 3 p. disp. 23, sect. 2). Ajoutons au témoignage des Théologiens et des Pères, dont Suarez s'est fait l'interprète, le témoignage de l'Eglise. « // n'y « a rien à craindre, dit Pie IX, il n'j a jamais lieu de « désespérer, quand on marche soxis la conduite^ sous les « auspices, sous le patronage et sous la protection de celle « qui, ayant pour nous un cœur de Mère, et se chargeant « de V affaire de notre salut, étend sa sollicitude à tout le « genre humain. Etablie par le Seigneur Reine du ciel et « de la terre, exaltée au-dessus de tous les chœurs des « Anges et de tous les ordres des Saints, assise à la droite « de son Fils unique Notre-Seigneur Jésus-Christ, ses « prières maternelles ont une force toute puissante. Ce « qu'elle veut, elle Vobtient; elle ne peut demander en « vain . » (Bulle Ineffabilis). 1. Serm. i. De Assumpt.
$2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
un homme a de grâce dans cette vie, autant il a de gloire dans Tautre. C'est pourquoi jugeant d'après cette maxime, qui est admise partons les Théolo- giens, il prononce ces paroles sur l'exaltation de la Très Sainte Vierge : autant elle a acquis sur la terre de grâce au-dessus des autres, autant elle possède de gloire singulière dans les cieux. Si l'œil n'a pas vu, si l'oreille n'a pas entendu, si le cœur n'a pas conçu ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment, qui pourra dire ce que Dieu a pré- paré à celle qui l'a engendré et qui l'a aimé plus que tous ? Si bien qu'il faut estimer que la gloire de la Sainte Vierge est comme immense et qu'elle surpasse la gloire de tous les Anges et de tous les Saints; tous les Anges et tous les Saints à la fois ne glorifient pas Dieu plus qu'elle ne le glorifie, de même que tous ensemble ne sont pas plus glorifiés qu'elle n'est glorifiée par Dieu (i). Cette
I. Que la gloire de Marie dans le ciel l'emporte non seulement sur la gloire de chaque Ange et de chaque Saint, mais sur la gloire de tous les Anges et de tous les Saints réunis, c'est simplement une opinion probable, qui s'appuie sur les nombreux passages des Pères où il est dit que Marie a glorifié Dieu à elle seule plus que toutes les autres créatures de Dieu, quoique moins que Jésus-Christ. Or cette affirmation ne serait point vraie, si les biens surnaturels et les degrés de gloire accordés à tous les Anges et à tous les Saints ne se trouvaient pas en elle. — Si l'on veut toutefois s'en tenir à ce qui est certain et de foi, il faut dire simplement que la gloire dont jouit la Vierge dans le ciel l'emporte en perfection, c'est-à-dire soit en intensité^ soit en exten- sion, sur la gloire de n'importe quel Ange ou quel
DE LA SAINTE VIERGE
63
vérité est confirmée par les Révélations de sainte Brigitte, où il est rapporté que Dieu ayant créé ce grand monde et tout ce qui y est compris,
Saint. C'est ce qu'enseignent unanimement les anciens Pères et l'Eglise elle-même : « La Sainte Mère de Dieu « a été élevée dans les deux au-dessus de tous les chœurs « des Anges. » (Office de l'Assompt.) Elle a en effet réuni en elle les divers genres de mérite dans lesquels les Saints ont excellé, comme il est facile de le cons- tater en énumérant les divers états de sainteté. Marie a eu le mérite de la vie angélique, à cause de son admi- rable virginité : « Regina angelorum » ; le mérite des patriarches, à cause de l'ardeur de sa foi : « Vous êtes « bienheureuse, parce que vous ave^ cru. » (Luc, i, 45) ; Regina patriarcharum » ; le mérite àes prophètes , comme le prouve cette prédiction faite par elle : « Toutes les « générations m'appelleront bienheureuse. » fLuc i, 48), Regina prophetarum ; le mérite des Apôtres et des Evan- gélistes, car c'est elle qui les instruisit des mystères de la foi, Regina apostolorum; le mérite des inartjyrs, puisqu'au pied de la croix « tin glaive de douleur trans- « perça son âme. » (Luc, 35) Regina martyrum ; le mérite des confesseurs, car nul ne loua comme elle la grandeur de Dieu : « Mon âme glorifie le Seigneur. » (Luc i, 46) ; Regina confessorum; le mérite des vierges, car elle fut vierge et le demeura toujours, Regina virginum. Il faut donc conclure avec saint Thomas que « puisqu'elle eut <t les mérites de tous et même davantage, il était conve- « nable qu'elle fut élevée au-dessus de tous. » (Serm. lviii IN AssuMPT.) Cette gloire supérieure de Marie consiste non seulement en ce qu'elle voit en Dieu plus claire- ment que les Anges et les Saints les vérités que ceux-ci y voient, mais en ce qu'elle y voit un plus grand nom- bre de vérités qu'eux. Les Saints voient en Dieu tous les effets particuliers qui se rapportent à leur état. Or
64 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
excepté l'homme, il y avait encore un petit monde à créer. Ce petit monde se présentait à ses yeux avec toute sorte de beauté et de ce petit monde il devait revenir à Dieu plus de gloire, aux Anges plus de joie et à tout homme qui prétend jouir de la bonté de Dieu, plus d'utilité, qu'il ne devait en provenir de tout ce grand monde. O très douce dame. Vierge Marie, aimable envers tous, utile à tous, c'est vous qu'on entend avec raison par ce petit monde. L'abbé Guerry (i) dit encore que
tout ce qui se rapporte à l'état de chaque Saint et de tous les Saints à la fois, se rapporte d'une manière plus élevée à l'état de la Sainte Vierge, parce que, en qualité de corédemptrice elle a contribué, de concert avec Jésus-Christ, au salut de tous les hommes et de tous les prédestinés, et que tous ces effets particuliers qui ont quelque rapport avec l'état de chaque Saint consis- tent dans des grâces données à des prédestinés en vue du salut. De plus tous les effets surnaturels et toutes les grâces ont l'Incarnation ou pour fin ou pour principe. Or la Sainte Vierge doit connaître dans le ciel mieux que tous les Saints ce mystère, à l'accomplissement duquel elle a eu une si intime et si glorieuse part. Par là elle s'élève incomparablement au-dessus de Tétat et du mérite de tous les Saints, surtout si l'on tient compte des fruits de grâce et des mérites qui ont été pour elle la conséquence de cette large part qu'elle a eue dans ce mystère. De tout cela il résulte que la Vierge forme à elle seule dans le ciel, au-dessus des neuf chœurs des Anges, un chœur spécial ; c'est ce que signifient ces paroles de l'Eglise : « La Sainte Mère de Dieu a été « exaltée dans le ciel an-dessus des chœurs des Anges », comme il convient à la Maîtresse et Reine des Anges.
I. Serm. 4. in festo Assumpi.
DE LA SAINTE VIERGE 65
Jésus-Christ était descendu du ciel sur la terre pour honorer son Père, et qu'il remonta de la terre au ciel pour honorer sa Mère, afin de la faire asseoir comme une Reine couronnée à la droite de Dieu. Jésus-Christ lui dit : personne ne m'a servi plus que vous dans mon état de bassesse, je ne veux aussi donner à personne plus qu'à vous dans Tétat de ma gloire. Vous m'avez communiqué l'humanité, je vous ferai part de ma divinité, et il ne me semblera jamais que je sois assez glorifié, tant que vous ne serez pas glorifiée, et le chœur des Anges reprit : gloire à vous, ô Seigneur. D'autres ajoutent que la Vierge montant au ciel fut accueillie par son Fils avec les paroles sui- vantes : Venez, ma bien-aimée Mère, ma colombe, ma toute belle, venez recevoir le paiement du logement que vous m'avez donné, la récompense pour m'avoir nourri, m'avoir élevé et pour tous les soins que vous avez eus de moi. Vous m'avez revêtu de la substance de la chair, je vous revê- tirai de la gloire de la Majesté. Vous avez couvert le soleil d'une nuée, maintenant vous serez tou- jours vêtue de soleil, afin que vous soyez toujours honorée comme « la femme vêtue du soleil. » (Apoc. 12). Enfin celle qui avait couché Jésus- Christ dans une humble crèche, est élevée par lui sur un trône sublime. Celle qui l'avait placé entre deux animaux, est placée par lui-même à la tête de tous les Anges. Celle qui l'avait mené en Egypte est conduite par lui du désert de ce monde dans le ciel. Et celle qui l'avait vêtu de langes, est re- vêtue de l'étole de la félicité éternelle (i). I. Petrus Blesens. loc. cit.
B^H., T. IX. 3
66 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Félicitez la Sainte Vierge sur l'excellence de sa gloire et souhaitez-en la vue. Réjouissez-vous donc maintenant, filles de Sion. Vous cherchiez votre bien-aimé avec des désirs très ardents : « Montrez-moi, cher amour de mon âme, où vous « paisse^ et où vous reposera midi. » (Gant. i). Et maintenant vous avez trouvé ce que vous souhaitiez, vous avez trouvé votre Epoux plein de clarté et de lumière, et vous le contemplez d'une intime et parfaite vision. O Vierge très heureuse, vos travaux sont passés, vos souffrances et vos humiliations ne sont plus, vous montez au trône de votre gloire. Tous les chœurs des bien- heureux désireraient vous retenir avec eux et vous comblent de louanges ; mais vous vous élevez plus haut et toutes les portes du paradis vous sont ouvertes. Voilà que toute la Trinité vous reçoit. Oh ! quelle douceur vous témoigne le Père éternel ! Quelles caresses vous fait le Fils et avec quelle suavité vous accueille le Saint-Esprit ! Voilà, 6 très glorieuse, que vous recevrez plus de gloire essentielle que tous les bienheureux; c'est pourquoi vous voyez plus clairement l'Essence divine. Vous recevrez ensuite plus de gloire cor- porelle ; c'est pourquoi par votre beauté admira- ble, par votre odeur suave, vous réjouissez toute la cité céleste, qui vous rend tous les honneurs possibles. Oh ! bénie soit votre humilité, bénie soit votre virginité, bénie soit votre charité, bénie soit votre sainteté et toutes les actions de votre vie, qui vous ont élevée à tant de grandeurs ! Bénie soit à jamais la puissance du Père, la sagesse du Fils et Tamour du Saint-Esprit, qui
DE LA SAINTE VIERGE 67
VOUS ont rendue si glorieuse (i)! Mais quand, ô divine Vierge, qui ravissez les Anges et tous les bienheureux, quand vous contemplerai-je et quand mon àme demeurera-t-elle ravie à la vue de votre gloire et de votre face ? O pureté ! ô blancheur ! ô sérénité ! ô beauté plus que très douce de mon cœur, attirez-moi à vous et que je ne m'en éloigne jamais, pas même l'espace d'un moment. Montrez- moi, je vous prie, votre face, beaucoup plus belle que l'aurore, et je la regarderai avidement parce qu'elle me remplira de chastes joies. Alors comme un grand brasier mon cœur s'enflammerait pour vous, mon cœur qui ne vit que dans les tourments parce qu'il est loin de vous. Ah ! beauté de mon àme, mon espoir et mon firmament dans la terre des mourants, de quels désirs je me sens en- flammé ? Oh ! apparaissez-moi et soyez moi pré- sente, ô Vierge, à tout jamais (2) !
III
Considérez qu'au jour de son Assomption la Sainte Vierge fut établie Reine de l'univers et Impératrice du ciel et de la terre, au-dessous de Jésus-Christ. Le saint prophète David a exprimé cette dignité de la Vierge par ces paroles : « Une « reine s'est présentée à votre droite avec un vê- « tement doré, entourée de variétés. » (Ps. 44). Depuis plusieurs siècles les Pères de l'Eglise lati- ne lui ont attribué cet éloge. Saint Athanase (3}
1. Gers, tract. 4. super Magnificat.
2. Joannes a Jesu Maria, ep. ad Virg. in Theolog. mystica.
). Serm. de Annonc.
^8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dit d'elle : puisque celui qui est né d'elle est Roi et Seigneur, c'est à bon droit qu'on qualifie la Mère qui l'a engendré de Reine et de Dame. Saint Jean Damascène (i) l'appelle la Reine de la nature et dit qu'il fallait que la Mère de Dieu pos- sédât les biens de son fils ; car bien que de tout temps l'héritage aille des parents aux enfants, néanmoins maintenant, pour employer les expres- sions d'un savant, les fleuves sacrés remontent vers leurs sources, car le Fils a assujetti tout ce qui est créé à sa Mère. L'abbé de Vendôme (-2) dit aussi : C'est elle que les Anges servent, elle à qui les Archanges obéissent. Elle seule après Dieu a la principauté sur toute créature. Cette Vierge très sainte est la louable et universelle Impératrice des Anges et des hommes. En effet puisqu'elle était la Mère de Dieu, il ne convenait pas qu'elle demeurât personne privée, mais elle devait être pleine de pouvoir et de puissance. C'est pourquoi Gerson (3) parlant de son Assomption dit : aujour- d'hui la bienheureuse Vierge a été tellement exal- tée, qu'elle est appelée à bon droit la Reine du ciel et même du monde, car elle a une prééminence et une autorité sur tout. Elle a, si l'on peut parler ainsi, comme Esther et Assuérus, qui sont la figure d'elle et de son Fils, la principauté sur la moitié du royaume de Dieu. Le royaume de Dieu consis- te en effet dans la puissance et la miséricorde : « Dieu a parlé une fois ; fai entendu ces deux
\ . Orat. 3 de Nat. B. Virg.
2. Orat. 2 in annunc* — Golfrid. abbas, serm.
^, Tract, 9, super Magnificat ,
nr I.A SAINTE VIERGE Gg
« choses, que la puissance est à Dieu^ et à vous, u Seigneur, la miséricorde. » (Ps. 8i). La puis- sance est demeurée au Seigneur, mais le départe- ment de la miséricorde a été cédé en quelque façon à la Mère de Jésus-Christ, et à son Epouse ré- gnante. De ces paroles nous devons conclure que la Vierge exerce sort domaine et son pouvoir en faisant du bien à toute créature, car elle est si puis- sante pour obtenir toutes les grâces et les faveurs qu'elle désire, que rien ne peut lui être refusé par son Fils. Elle n'est pas Reine pour exercer des rigueurs et des actes de justice qui appartiennent à son Fils, mais elle est Reine pour dispenser les faveurs divines et les trésors de ses grâces célestes. C'est pourquoi elle est appelée le trône de Jésus- Christ, non pas le trône d'où il lance ses foudres et prononce des arrêts de mort ; mais le trône du haut duquel il exerce sa juridiction pacifique ; car en considération de ses prières et de ses mé- rites, il donne la liberté aux captifs, la lumière aux aveugles, le repos aux affligés, l'abondance aux indigents, l'assurance aux timides, la grâce aux commençants, enfin la gloire et le triomphe aux parfaits (i).
Il est vrai que l'hérétique ne peut supporter qu'on attribue à Marie ce titre d'honneur, comme s'il était injurieux à Jésus-Christ à qui « toute puis- « sance a été donnée au ciel et sur la terre. » (Matt. dern. chap.). Mais on lui répond que Jésus- Christ est le Roi, et que ce n'est pas lui faire in- jure d'honorer sa Mère et de l'appeler Reine du
ï. Petrus Blesens. serm. 39.
70 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ciel. Si elle a été associée à la Passion de Jésus- Christ, pourquoi ne le serait-elle pas à sa consola- tion ? (Rom. 8). Si elle a souffert avec lui, pour- quoi ne bera-t-elle pas glorifiée avec lui, comme raisonne saint Paul ? Si elle a souffert, pourquoi ne règnera-t-elle pas avec lui ? Si elle a été pauvre d'esprit, pourquoi le royaume des cieux ne sera-t- il pas à elle, comme l'a promis Jésus-Christ ? (Matt. 5). Marie donc n'est pas seulement Reine du ciel, mais des cieux, comme étant la Mère du Roi des Anges, la sœur et l'épouse du roi des cieux.
O Reine des cieux, ô Marie, ô Mère de miséri- corde, je vous révère avec une singulière affection à cause de cette qualité de Dame et de Reine, qui vous a été donnée au Jour de votre glorieuse Assomption. Je vous salue, ô Reine et Mère de miséricorde, qui employez votre pouvoir à délivrer les misérables des peines, et à les remplir des biens, en même temps qu'à dispenser des grâces et des faveurs aux âmes qui vous invoquent. O Reine et Mère, ô Dame très douce et pitoyable, c'est à bon droit que tout le monde vous honore et vous respecte ! Oh ! que vous êtes exaltée dans le ciel où votre jubilation est perpétuelle ! Oh ! qui me donnera d'arriver un jour auprès du trône de votre gloire et de m'en approcher ? Qui me donne- ra de pénétrer bien avant dans les cieux, afin que mon âme se repose dans la vue de votre si grande gloire et des grands respects qui vous y sont ren- dus ? Car qui pourrait imaginer jusqu'où s'élève votre grandeur, avec quels regards la cité céleste se porte vers vous et à quel point elle se réjouit
DE LA SAINTE VIERGE 7I
à la vue de votre merveilleuse beauté ? Oh ! qu'il me parait long le retard de ce bonheur et de ce spectacle si désiré ! O Vierge plus brillante que l'aurore, inclinez-vous vers mes ardents désirs, so3'ez-moi favorable. Oh ! je vous supplie, par le cœur de votre Fils Jésus-Christ, qui vous est plus cher que le vôtre, de fixer une fois vos yeux si doux sur moi, misérable pécheur ; daignez frap- per mon cœur d'un rayon de votre pitié et de vo- tre douceur, afin qu'il devienne pieux et qu'il vous demeure consacré, à vous et à votre Fils Jésus-Christ.
7^ LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Xir MÉDITATION
CONCLUSION DE CE TRAITÉ
DE LA DÉVOTION
ENVERS LA SAINTE VIERGE
SOMMAIRE
La dévotion à la Sainte Vierge consiste à faire ce qui lui plaît^ et à éviter ce qui Vojfense. — Motifs de cette dévotion. — Méthode.
I
CONSIDÉREZ que la vraie et parfaite dévotion envers la Sainte Vierge consiste dans une volonté prompte et constante de fuir ce qui lui déplait et de faire ce qui lui est agréable ou qui tourne à son honnenr (i). La raison en est que nous devons nous faire une idée de la vraie dévo- tion à l'égard de la Sainte Vierge, en la compa- rant à la véritable et parfaite dévotion envers Dieu. Or cette dévotion envers Dieu consiste dans une volonté prompte et constante de se porter à tout ce qui regarde son honneur et son service, de fuir le péché qui lui déplait, et de faire ce qui lui est agréable et honorable. Donc aussi la vraie et sincère dévotion envers la Sainte Vierge consiste dans une volonté prompte et constante de s'adon-
I. Joan. Carmel. De cultu reg. cœli^ p. a, c. 8.
DE LA SAINTE VIERGE yS
ner à ce qui concerne son honneur et son service, en évitant le mal qui lui déplaît et en faisant le bien qui lui plaît, et en le faisant en considération d'elle. Nous appelons cette dévotion une volonté prompte, parce qu'une âme qui se porte lentement et difficilement à honorer la Sainte Vierge, ne mérite pas d'être appelée dévote envers elle. Nous l'appelons aussi une volonté constante, c'est-à-dire ferme, résolue et persévérante, qui ne change pas à tout vent, l'honorant un jour et la déshonorant le lendemain. Qui dit dévotion envers elle dit une certaine allégresse et une ardeur continuelle, qui ne déchoit pas aisément dans les œuvres de son service, auquel on s'est donné et voué d'une ma- nière plus spéciale. Nous disons encore que cette dévotion porte à fuir le mal qui lui est désagréable. Car il n'y a rien de plus éloigné de la vraie dévo- tion à la sainte Mère de Dieu, que l'affection au péché, ou le défaut de pénitence pour les péchés commis ; les péchés en effet lui déplaisent parce qu'ils sont contraires à l'honneur de Dieu et à toute espèce de justice. Si bien que si quelqu'un faisait plusieurs grandes actions pour elle, mais en état du péché mortel ou avec la volonté de le commettre, ce serait ni plus ni moins comme si l'on servait à la table d'une puissante reine de très bonnes viandes, mais dans un plat souillé d'im- mondices, qui ferait horreur à voir et soulèverait le cœur.
Cette même dévotion porte encore à faire des œuvres qui lui soient agréables et qui consistent à la servir, parce que de même que la fuite du mal n'est que l'entrée de la justice chrétienne, qui ne
74 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
devient parfaite et accomplie que par la pratique des saintes œuvres, suivant cette parole de David : « Evite le mal^ et fais Je tien » (Ps. 36); ainsi la fuite des péchés n'est que le commencement de la dévotion envers la Sainte Vierge, dévotion qui a sa perfection et son dernier terme dans plusieurs œuvres qui lui sont agréables, et qui regardent son honneur. C'est pourquoi il faut que de telles œuvres se fassent en considération de la Vierge, c'est-à-dire dans le but de lui rendre le respect qui lui est dû ou quelque service qui lui est agréa- ble. Sans une telle intention et un tel but ces œuvres n'appartiendraient pas à la dévotion à la Vierge.
Apprenez par cette considération à bien discer- ner la vraie dévotion à la Sainte Vierge et ne vous trompez pas mal à propos, comme le font plusieurs à leur préjudice : ils croient témérairement qu'ils ont cette dévotion, bien qu'ils vivent dans le péché, sous prétexte qu'ils récitent quelques prières ou font quelqu'autre chose pour son service. Exami- nez donc la conduite de votre vie, et tout ce qu'il y a eu en vous qui a pu déplaire aux yeux de cette Reine incomparable. Regrettez que dans le passé vous ayez peut-être mal entendu cette dévotion et que vous l'ayez encore plus mal pratiquée. Vous avez peut-être cru avoir tout fait, quand vous aviez visité plusieurs fois une de ses chapelles, quand vous l'aviez saluée avec votre chapelet, ou quand vous aviez fait quelques autres actions qui la regardaient ; et en même temps vous aimiez ce qui lui déplaisait et vous omettiez de faire ce qui lui eut été agréable. Et c'est ainsi que vous vous
DE LA SAINTE VIERGE 7B
abusiez, n'ayant qu'un simulacre de dévotion, mais non la vraie dévotion. Excitez-vous à l'avoir et à la pratiquer d'une meilleure manière (i).
II
Considérez quelques-uns des motifs qui doivent vous porter à une grande dévotion envers la Sainte Vierge (2). Les premiers motifs sont tirés de cette dévotion même, qui est très excellente et très pro- fitable. Les seconds sont tirés des biens que la Vierge nous a déjà accordés, ou qu'elle est capable de nous accorder. Les troisièmes sont tirés d'elle-
1. Sans doute la véritable dévotion à la Sainte Vierge est incompatible avec la violation ou l'inobservation des commandements de Dieu. Est-ce à dire toutefois qu'un chrétien qui pèche par entraînement ou par fai- blesse, mais qui reste fidèle à certaines pratiques pieu- ses en l'honneur de la Sainte Vierge, ne peut raisonna- blement rien espérer de cette Mère de miséricorde ? Nous ne le croyons pas et nous admettrions volontiers qu'une telle dévotion, si imparfaite soit elle, lui vaudra de la part de la Sainte Vierge une assistance toute par- ticulière pour arriver à la justification et au salut. LEglise ne l'invoque-t-elle pas sous le vocable de « Refuge des pécheurs » ; ainsi que les SS. Pères tels que par exemple saint Ephrem (in serm. de laud. B. V.), saint Germain (in orat. in Zonam), saint Jean Damascè- ne (in Can. de S. Trin.), saint Antoine de Padoue (in serm. in Dom. 3 quadrag.) ? A plus forte raison inter- cèdera-t-elle pour les pécheurs qui ont conservé quel- ques sentiments pieux pour elle. Ce qui serait pré- somptueux, de la part des pécheurs, ce serait de comp- ter absolument sur un tel secours.
2. Plura apud Maubrun, p. 2 Roseti, dist. s.
76 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
même, de ce qu'elle est très digne â cause de ses hautes qualités, d'être très humblement vénérée, alors même qu'elle ne nous ferait aucun bien. Les quatrièmes motifs sont pris du côté de Dieu ou de Jésus-Christ, son Fils, à qui cette dévotion est très agréable.
Premièrement, nous devons être touchés de dévotion envers elle, à cause de l'excellence et de l'utilité de cette dévotion; car par elle toutes sortes de biens arrivent aux âmes; elle réforme prompte- tement l'intérieur de la conscience et en chasse le péché; elle y introduit la vertu, la pureté, la sain- teté, la pratique de plusieurs sortes de biens. Cette dévotion est une marque de prédestination, pourvu que ce soit la vraie dévotion, car ceux-là ne manquent pas d'être aimés de Jésus-Christ qui aiment sa sainte Mère et qui la servent fidèlement. Il est vrai de dire qu'une àme dévote à la sainte Vierge, mais de la vraie dévotion, ne peut périr avec cette dévotion, parce qu'elle est accompagnée de la parfaite justice chrétienne qui consiste dans la fuite du péché et dans la pratique du bien, deux choses avec lesquelles on ne peut périr (i). C'est
I. Cette consolante vérité, que la dévotion à la Sainte Vierge est un signe de prédestination s'appuie sur l'enseignement des SS. Pères et sur l'Ecriture Sainte elle-même. S. Ephrem appelle la dévotion envers Marie « une charte de liberté. » (Orat. de laud. M. V.) et S. Germain, évêque de Constantinople, dit clairement : « De même que la respiration non interrom- « pue est en même temps que le signe, la cause de la vie; « ainsi le nom de Sainte Marie, sortant des lèvres des ser- « viteurs de cette Reine, est la preuve qu^ils sont vériio'
nELASAlNTRVlERGE 77
pourquoi saint Anselme (i) a dit cette parole bien vraie : de même, ô très heureuse Vierge, qu'il est nécessaire que quiconque se détourne de vous et
« blement vivants, il produit et conserve en même temps « cette oie et leur obtient de Dieti toute joie et toute aide. » (In orat. De Deip.). Toutefois cette formule : la dévotion à Marie est un signe de prédestination peut donner lieu à de fausses et présomptueuses interprétations. « // « y en a, ditThéoph. Raynaud, qtii prétendent qu'il est « absolument impossible qu'un serviteur de la B. Vierge « soit damné, parce que la B. Vierge lui obtiendra les « secours convenables, au moyen desquels, s'il tombe dans « le péché, il se relèvera infailliblement avant de mourir « et finalement sera sauvé .. Mais le sens des paro- « les des Pères que nous avons cités est bien différent. « Ils veulent simplement affirmer la grande importance « qu'il y a à servir Marie, car celui qui la sert pieusement « et avec persévérance a V espoir fondé qiCil ne périra « pas... Oui, tous les serviteurs fervents de la Mère de '< Dieu peuvent avoir grandement confiance qu'ils ne péri- << ront pas éternellement. Mais nous ne pouvons sans « erreur promettre à personne, pas même à l'homme le « plus dévot à l'égard de la S. Vierge, qu'il se convertira « infailliblement ou qu'il persévérera infailliblement. » (Dypt. Mar. par. 2, p. 10, n. 38). Voici, en particulier, d'après le même auteur, ce qu'il faut penser, au point de vue du salut, du port du Scapulaire, au sujet duquel la Sainte Vierge a fait au B. Simon Stock des promesses spéciales. «... Nous disoiis que le Scapulaire de Marie « est, par une institution de la Mère de Dieu, un signe de « salut et une marque de prédestination, en ce sens que le « port de ce Scapulaire est la marque d'une protection
I. In Alloquiis cœl. num. 27 : <^ Ita omnis ad te « convcrsus et a te respcctus iitipossibile est ut pereat. »
78 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
que VOUS délaissez périsse, ainsi il est impossible que celui-là périsse, qui se tourne vers vous et sur qui vous jetez les yeux.
Secondement les biens reçus et à recevoir de sa part, nous obligent à avoir de la dévotion envers elle. Pour ce qui est du passé, c'est elle qui nous a donné le Sauveur du monde, qui sur la croix a été le prix de notre Rédemption et qui est notre
« toute spéciale de la part de la B. Vierge^ qici viendra « en aide à ses clients et leur ménagera comme moyen de « salut des grâces particulières, à l'aide desquelles ils « observeront avec plus de sécurité les commandements , et « arriveront plus sûrement à la fin désirée, c' e si-à-dire à « la béatitude. Voilà tout ce que Von veut dire quand on « affirme que le port du Scapulaire est un signe de salut « et un gage ou une marque de prédestination... Mais les « clients de la Sainte Vierge n'auront aucun privilège « particulier, si la promesse leur garantit simplement le « salut, à la condition qu'ils observeront les commande- fa ments et qu'ils vivront pieusement. Tous les chrétiens « en effet, même ceux qui ne portent pas le Scapulaire, « seront sauvés, s'ils observent les commandements et « vivent pieusement , et parviendront comme de vrais pré- « destinés à la montagne sainte, c'est-à-dire à la vie éter- « nelle. Quelle est donc V utilité du Scapulaire po2ir cette « fin ? Elle est très grande de toute manière. Le port du « Scapulaire est en effet la m.xrque et le gage de secours « plus abondants de la grâce que la Mère de Dieu obtien- « dra pour ses cliens \ grâce à son intervention ils obser- « verontles commandements et finiront saintement leur vie. « Tel est le privilège spécial que nous voulons qu'on « attribue au port du Scapulaire, conformément àlapro- <t messe faite par la Mère de Dieu.^ (Opp. t. 7, Scapul. Mari AN. p. 2, q. 7).
1)K LA SAINTE VIERGE 79
très sainte réfection dans l'Eucharistie. C'est elle qui par ses prières a conservé l'Eglise dans laquelle nous espérons nous sauver, et qui a apaisé notre Dieu, quand nous l'avions offensé, si bien que peut-être nous lui sommes redevables même de notre vie corporelle, que nous méritions de perdre à cause de nos péchés. Dans le passé elle a été souvent notre avocate très miséricordieuse auprès de Dieu. Pour ce qui est de l'avenir nous ne devons pas en attendre moins de biens, car elle est très opulente et très puissante pour nous combler de faveurs. Elle est établie la Reine et l'Impéra- trice du monde au-dessous de Dieu, comme Joseph fut établi au-dessous du roi Pharaon le surinten- dant de tout le royaume d'Egypte et de la maison du roi, où rien ne se faisait que par son ordre. (Gen. 41). Elle est la favorite de la Sainte Trinité, pleine de compassion et de libéralité envers nous. Elle est la trésorière des biens célestes. L'enfer redoute sa puissance et tout le ciel l'honore (i). Si l'Eglise est un corps qui a pour chef Jésus- Christ, elle est le cou plus blanc que l'ivoire de ce corps, cou par lequel le Chef influe sur son corps mystique et lui communique ce qui est nécessaire à sa vie et à son soutien : « Ton cou est semblable « à la tour de David. » (Gant. 4). Enfin ôtez du monde le soleil, dit un docte personnage (2) et il n'}' restera plus que la nuit. Otez Marie du ciel,
1. Petrus Blesens. serm. 39.
2. « Aujeratur illiid corpus solare de niundo et non « erit nisi nox; auferatnr Maria de cœlo, et non erit in « hominibus nisi cœciias. »
So LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
il n'y aura plus dans les hommes qu'aveuglement et ténèbres. Sans aucun doute ce motif est très puissant pour obliger les âmes chrétiennes à lui être dévotes.
Le troisième motif n'est pas moins puissant. Le voici : quand bien même nous n'aurions encore rien reçu d'elle, ou que nous n'en attendrions aucun bien, elle est en elle-même toute belle et gracieuse, elle est plus lumineuse que les étoiles ( i ).
I. La Sainte Vierge est admirablement belle dans son corps; à cette beauté ont contribué la nature, la grâce et la gloire. Voici ce que pense sur cette question Suarez : « Disons brièvement que le corps de la Vierge « fut extrêmement parfa't dans son espèce et dans son « sexe. C'est ce qu'enseignent tous les Pères qui ont écrit « sur la bienheureuse Vierge... Un grand nombre con- « cluent de là que la bienheureuse Vierge, n'a jamais eu « une vraie maladie, en raison de Vexcellente complexion « de son corps unie à la parfaite modération de son « âme,.. En second lieu, on doit en conclure que la bien- « heureuse Vierge fut douée d'une beauté corporelle très « honnête... La beauté de Rachel et d'autres pemmes « semblables de V Ancien Testament a été la figure de la « beauté de la Vierge... Mais de très graves Théologiens « ajoutent que la beauté de la Vierge fut telle, que ceux « qui la contemplaient n étaient excités qu'à la chasteté « et à la pureté. C'est ce qu'a ensiigné saint Thomas (in « 3, d. 3, q. I, a. 2, quœstiun. i, ad. 4), qui ajoute avec « raison, que ce fut là un effet tout particulier de la « grâce, parce que ni la seule beauté naturelle, ni la vertu « ni la modestie n'auraient suffi à le produire. » (Suarez. De myst. vit. Christ, d. 2. s. 2; S. Thomas de Ville- neuve, De Nativ. B. V. M. conc. 3. part. iv). En second lieu, la dignité surnaturelle et hors de pair à laquelle
DE LA SAINTK VIKRGK 8l
Sa noblesse est la plus grande du monde et sa majesté la plus auguste. Elle est douée d'une dou- ceur ravissante et elle possède à un degré très émincnt toutes les qualités les plus précieuses et
Dieu l'avait élevée en la choisissant pour sa Mère, imprimait sur son front une sorte de splendeur divine, conformément à cette parole qui s'applique mieux à elle qu'à Judith : « Dicti mcmc lui ajouta encore un « nouvel éclat. » (x, 14). *i. Je l'aurais vénérée comme un « Dieu, dit l'auteur qui écrit sous le nom de S. Denys « VAréopagite, si la /oi divine ne m'avait averti qu'elle « n'était point Dieu. -}> (Epist. quœdam supposiiitia ad S. Paulum, apud Carthagen. 1. 2. hom. 5.) En troisième lieu, la Sainte Vierge a dans le ciel toutes les qualités glorieuses communes à tous les Saints, mais elle les a d'une manière d'autant plus excellente que la gloire de son âme l'emporte sur la gloire de Tâme des Saints. De plus à cause de sa maternité divine infiniment pure, son corps est revêtu d'un éclat particulier qui la dis- tingue comme Mère de Dieu et Reine des Saints. Citons ce beau passage de Mgr Pie sur la beauté de Marie considérée au moment où dans la crèche de Bethléem elle vient de donner le jour au Sauveur du monde : « Figure:[-vous cette tête pudique de Marie^ oïl le péché « originel n^ avait rien terni, rien dérangé ; oîi reluisaient « par un heureux mélange et dans une merveilleuse har- « monie, les joies et les amours de la mère avec les chastes « attraits de la Vierge. Quels admirables reflets de « beauté cette tête modeste de la Vierge ne devait-elle pas ^ envoyer sur la tête auguste du Sauveur, dti Verbe fait « chair, de celui dont Vhumanité sainte fut le chef- « d' œuvre du doigt divin, qui épuisa, pour en former les « sacrés linéaments et les proportions adorables, toutes « les délicatesses de ses touches, toutes les industries et les « ressources de son art infini ? Comme ces deux figures Bail, t. ix. 6
82 . LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
les plus souhaitables qu'on puisse imaginer, et qui rendent les personnes très dignes d'être honorées et chéries.
Enfin voici le quatrième motif de dévotion envers la Sainte Vierge : c'est chose très agréable à son Fils Jésus-Christ, de se consacrer à son ser- vice, de la chérir et de la vénérer d'une manière toute spéciale ; car elle lui est alliée au premier degré et de plus elle est alliée au Père et au Saint- Esprit, qui n'ont qu'une même Essence avec le Fils. S'il a tant pour agréable le service des pau- vres, comment ne se plairait-il pas de voir sa chère Mère, qu'il aime plus que tous le reste des créa- tures, honorée, traitée avec amour et respect par les Anges du ciel et par les hommes de la terre?
Excitez-vous donc pour tous ces motifs à une grande ardeur de dévotion envers la Sainte Vierge, car ce serait manquer d'esprit, de ne pas se don- ner entièrement au culte d'une telle Reine, ornée de tant de belles et sublimes qualités. O Reine du ciel très débonnaire, ô la grande espérance de mon salut, après votre Fils Jésus-Christ, je reconnais d'une part ma pauvreté et mon besoin et de l'autre votre puissance et votre miséricorde. Je désire de tout mon cœur vous avoir pour tutrice durant tout le cours de ma vie qui est si laborieuse et traversée dans ses divers actes par une infinité de difficultés très grandes et très épineuses. Je vous supplie
« s'embellissent, se perfectionnent Vune par V attire ! Ecce
« TU PULCHER ES, DILECTE MI, ET DECORUS. EcCE TU PUL- « CHRA ES, AMICA MEA. » (La SaINTE ViERGE d'aPRÈS
Mgr Pie, par le R. P. Mercier, s. j. p. 289; Paris 1881).
DE LA SAINTE VIERGE 83
donc, ô clémente, à compatissante, ô très puissan- te, usez de votre force et de votre vertu, comman- dez à mes passions et elles s'apaiseront. Alors mon cœur deviendra un lieu de paix, où votre amour reposera tranquillement, et les bêtes féro- ces qui me persécutent étant devenues douces à votre commandement, je respirerai dans votre miséricorde qui m'est plus agréable que la vie, et au milieu des ténèbres de la nuit votre lumière me consolera. Je vous supplie donc, par les entrailles de votre Fils, de ne pas me mépriser, mais de me recevoir sous votre protection, afin que, avec une volonté très ferme et très constante, je m'éloigne de tout péché et je m'adonne à tout exercice de sainteté. Ainsi sous l'aile de votre défense, je per- sévérerai jusqu'au dernier soupir dans l'amour et dans la chaste crainte de mon Dieu.
III
Considérez une méthode de servir la Sainte Vierge et de pratiquer la dévotion envers elle ; elle consiste à faire pour elle et à employer à la servir plusieurs actes intérieurs de l'âme, les paroles de la bouche et les œuvres extérieures des pieds et des mains (i). Cette méthode comprend les servi- ces les plus importants et les actes les plus remar- quables de la dévotion que nous lui devons. Mais avant d'en venir au détail, considérons qu'elle nous a servi et qu'elle a fait servir à notre salut les actes intérieurs de son âme, les paroles sacrées
I. De Bustis, in Siellario cor. Virg. 1. 12, art. 2.
84 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de sa bouche et ses œuvres extérieures. Par les actes intérieurs de son âme, elle a cru au mystère de l'Incarnation et elle l'a désiré avec ardeur ; par la force de son amour indicible elle a attiré le Fils de Dieu du sein de son Père dans le sien, par les actes de son intelligence très éclairée, elle connaît nos besoins, par ceux de sa mémoire elle se souvient de nous et par ceux de sa volonté elle désire notre bien. Elle a employé les paroles de sa bouche à remercier Dieu des grâces faites aux hommes, elle a instruit les Apôtres et les Evangé- listes de plusieurs secrets concernant la vie de son Fils, Jésus-Christ, et dans le ciel elle ouvre la bouche et intercède pour nous d'une voix intelli- gible (i). Elle nous a aussi servis par ses œuvres extérieures, car tous les voyages, toutes les veilles et toutes les peines qu'elle a eues dans l'éducation
I. C'est-à-dire que la Sainte Vierge intercède pour nons formellement, ce qui d'ailleurs est vrai de tous les autres Saints. Ils ne prient pas seulement d'une manière que les Théologiens appellent interprétative, c'est-à-dire par le seul fait des mérites qu'ils ont acquis autrefois, quand ils vivaient sur la terre, ou par un acte d'amour parfait et perpétuel envers Dieu et envers tous les fidè- les en général, comme le prétendent quelques Théolo- giens, mais par un acte qui est une vraie prière et une prière ayant pour objet d'obtenir telle ou telle grâce à telle personne en particulier. Ce qui le prouve c'est que l'Eglise s'adresse dans ses prières spécialement à tel ou tel Saint ; chose qui serait parfaitement inutile, si les Saints intercédaient pour nous d'une manière sim- plement interprétative et générale, et non pas par un acte de demande formel.
DE LA SAINTE VIERGE 85
de Jésus-Christ, son Fils, n'ont eu d'autre but que d'élever pour nous un Rédempteur.
Si la Sainte Vierge a fait servir à notre salut tous ces actes différents, il est bien raisonnable que, nous consacrant à elle, nous lui rendions la réciproque et, en premier lieu, que nous fassions dans le but de l'honorer plusieurs actes intérieurs se rapportant à elle. Tels sont les actes intérieurs d'hyperdulie, par lesquels nous Testimons plus que tous les Anges et tous les Saints du paradis. Tels sont les actes de congratulation, par lesquels nous nous réjouissons intérieurement à la pensée de sa grande noblesse, de la dignité de ses fonc- tions et de l'excellence de ses vertus. Telles sont les actions de grâces par lesquelles nous la remer- cions comme notre bienfaitrice très gracieuse, très universelle et souveraine après Dieu. Tels sont les actes de compassion et de condoléance, par lesquels nous compatissons à ses douleurs passées. Telles encore les offrandes intérieures que nous devons lui faire de nos bonnes œuvres, en lui disant dans notre cœur : O Reine du ciel à qui je souhaite de plaire, j'offre à la gloire de votre Fils première- ment et puis à la vôtre, les pensées, les paroles et les œuvres de ce jour. Je me propose pour votre honneur d'éviter tout péché et de m'adonner aux bonnes œuvres, autant qu'il me sera possible (i). Après l'avoir servie d'esprit et de cœur intérieure- ment il est à propos que nous la servions de bou- che et en paroles, chantant ses louanges, parlant d'elle avec tout honneur, réfutant ce qui est con-
I. Joan. Carmel. ibid. part. 2, c. 4.
86 , LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
traire à sa véritable gloire et grandeur, récitant son office dévotement et les oraisons qui s'adres- sent à elle, comme aussi sa Couronne ou le Rosaire par lequel elle se sent très honorée et dont la pra- tique lui est très agréable ; ce qui a fait dire à un célèbre Docteur (i) qu'on recevrait autant de se- cours et de vertus, autant de consolations au moment de la mort, qu'on éviterait autant de tourments et qu'on acquerrait autant de récom- penses particulières dans le ciel, qu'on aurait pro- noncé de fois dévotement la Salutation angéli- que (2). Enfin on peut la servir par des œuvres et
1. Alanus de Rupe, apudMaubur.
2. La dévotion au saint Rosaire a mérité les plus grands éloges de la part des Souverains Pontifes. « Puisqu'il est reconnu que cette sainte formule de prière « est souverainement agréable à la Sainte Vierge et qu'el- « le a une grande efficacité soit pour la défense de l'Eglise « et du peuple chrétien, soit pour obtenir les bienfaits « divins aux particuliers et aux nations ; il ne faut « point s'étonner des remarquables éloges par lesquels nos « prédécesseurs eux aussi l'ont exaltée et embellie. Ainsi <i: Urbain IV atteste que chaque jour le peuple chrétien « OBTIENT DES BIENS PAR LE RosAiRE. Sixte IV considère
« cette MANIÈRE DE PRIER COMME HONORABLE POUR DiEU ET « POUR LA VIERGE ET COMME TRÈS PROPRE A ÉLOIGNER LES
« DANGERS QUI MENACENT LE MONDE ; léon X déclare qu'il
« A ÉTÉ INSTITUÉ CONTRE LES HÉRÉSIARQUES ET CONTRE LA PRO- « PAGATION DES HÉRÉSIES, et JulcS III quH CSt l'oRNEMENT
« DE l'Eglise romaine. Saint Pie V affirme qiiK mesure
« QUE se répandait CETTE FORME DE PRIÈRE, LES FIDÈLES ONT
<<r SENTI LEUR AME s'ÉCHAUFFER DANS CES MÉDITATIONS, ET
« s'enflammer par CES PRIÈRES, ILS SE SONT SENTI CHANGÉS
« SUBITEMENT EN DES HOMMES NOUVEAUX, LES TÉNÈBRES DE
DEI.ASAINTEVIEPGE gy
par des actions extérieures, comme en visitant ses églises, en contribuant à leur édification ou à leur décoration, en s'emplo3'ant aux œuvres de miséri-
« l'erreur se sont dissipi-es, et la lumière de la foi catho- « LIQ.UE A LUI. Enfin Grégoire XIII déclare que le Rosaire « a été institué par saint D0MINIQ.UE pour apaiser la colère « de Dieu et pour implorer le secours de la Bienheu- « REUSE VIERGE. » (Encycliquc Supremi Apostolatus de Léon XIII, i*"" sept. 1883). Mais aucun pape n'a imprimé à cette dévotion un aussi vigoureux essor que Léon XIII lui-même ; ses Encycliques qui pendant vingt ans ve- naient régulièrement à l'approche du mois d'octobre, recommander au peuple chrétien cette forme de prière, lui ont justement mérité le titre de pape du Rosaire. « // nous semble entendre la voix même de la Reine du « ciel, disait cet illustre Pontife, nous encourageant au « milieu de nos traverses, nous aidant de ses conseils dans « les mesures à prendre pour le bien commun des fidèles ; « 710US avertissant d'exciter le peuple chrétien à la piété et « à la pratique de toutes les vertus. Plusieurs fois dans » le passé il nous a été doux et nous nous sommes fait « un devoir de répondre par nos actes à ces désirs de Ma- « rie. Parmi les heureux fruits, que sous ses auspices, « nos exhortations ont produit, il convient de signaler les « grands développements de la dévotion du Saint Rosaire, « les nouvelles confréries érigées sous ce nom et la recons- « titution des anciennes, les doctes écrits publiés à cette « fin, au grand profit des fidèles, et jusqu'à certaines « œuvres d'art d'un mérite et d'une richesse remarquables, « inspirées par cette même pensée '^. (Lettre encyclique Lœtitiœ saxctœ, Du Rosaire de Marie, 1893). Léon XIII fait ressortir l'excellence de cette prière : « L'homme, « dit-il, est sufet durant la prière, à voir sa pensée se « distraire de Dieu de bien des façons par suite de sa fra- « gilité, et à perdre de vue sa sainte intention première.
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
corde en son honneur, ou en entreprenant quel- que travail qui tourne à sa gloire. Notez ces trois méthodes pour servir la Vierge,
« Or le Rosaire pour qui le considère comme il doit être, « a en soi une vertu particulière soit pour exciter et « nourrir le recueillement, soit pour pousser la conscience « à se préoccuper de la question du salut et pour élever « l'esprit. Il se compose^ en effet, de deux parties distinc- « tes entre elles, mais inséparables, — à savoir de' la « méditation des mystères et de la récitation des prières « vocales. C'est par conséquent, un genre de prière qui « reqtiiert non seulement une élévation quelconque de « rame vers Dieu, mais une attention toute particulière ; « de sorte qu!en réfléchissant sur les choses que l'on con- « sidère, on y trouve des motifs et des impulsions pour « réformer et sanctifier sa vie. Ce sont, en effet, les choses « les plus substantielles ^ les plus admirables dii christia- « nisme, par lesquelles le monde fut renouvelé avec d^heu- « reux pruits de vérité, de justice et de paix. Et il y a lieîi « de remarquer comment ces mêmes choses nous sont « proposées d'une manière bien adaptée aux esprits de « toutes sortes de personnes même des plus simples. Car « elles ne se présentent pas comme des vérités ou des doc- « trines dti genre spéculatif, mais comme des faits à voir « et, pour ainsi dire, à regarder comme présents • et ainsi « présentés avec leurs circonstances de lieu, de temps, de « personnes, les mystères produisent un effet d'autant plus « vif, d'autant plus utile. Et cela sans le moindre effort « d'imagination, vu qu'il s'agit de choses apprises et gra- « vées dans le cœur dès l'enfance. De sorte qu'à peine un « mystère at-il été annoncé qiC aussitôt V âme pieuse , avec « une grande facilité de pensée et d'affection, s'y engage, « et y recueille, grâce à la bonté de Marie, un aliment « céleste et abondant ». (Lettre encyclique sur le Rosaire DE Marie, 1894). Léon XIII nous montre enfin dans le
DE LA SAINTE VIERGE 89
^t pratiquez-les tous les jours, ou tous les mois, ou bien à toutes les fêtes. Et néanmoins comme nous avons besoin de la faveur du Fils, pour être
Rosaire le remède providentiel aux maux de notre société contemporaine. « Dans la société civile telle que « nous lavoj'ons constituée aujourd'hui, il est des causes « novibreîises et multiples qui affaiblissent les liens de « Tordre public^ et détournent les peuples de la voie de « riiotînéteié et des bonnes mœurs. Ces causes nous parais- « sent surtout être les trois suivantes^ à savoir : l'aver-
« SION POUR LA vie HUMBLE ET LABORIEUSE ; l'hORREUR DE «: TOUT CE QUI FAIT SOUFFRIR ; l'oUBLI DES BIENS FUTURS,
« OBJET DE NOTRE ESPÉRANCE ». S'agit-il des maux qui résultent de l'aversion que ressentent nos contempo- rains pour la vie humble et laborieuse : « Le remède à « ces maux, qu'on le demande au Rosaire de Marie, à « cette récitation coordonnée de certaines formules de « prières accompagnée de la pieuse méditation des mysiè- K res du Sauveur et de sa Mère. Que dans un langage « convenable et adapté à V intelligence des simples fidèles, « on leur explique les Mystères joyeux en les leur mettant « devant les yeux, comme autant d'images et de tableaux
« de la pratique des vertus Nous voici en présence de
« la maison de Nazareth, le domicile de la sainteté divine « et terrestre. Quelle perfection de vie commune ! Quel « modèle achevé de la société domestique ! Il y règne la « candeur et la simplicité ; une perpéttielle concorde ; un « ordre toujours parfait ; un respect mutuel, et un amour « réciproque, un amour non point faux et mensongety « mais réel et actif .^ qui par l'assiduité de ses bons offices « ravit même les yeux des simples spectateurs. Un ^èle « prévoyant y pourvoit à tous les besoins de la vie ; mais « cela, IN SUDORE vuLTUS, à la sueur du front, à la façon « de ceux qui, sachant se contenter de peu, s'efforcent « moins de multiplier leur avoir que de diminuer leur
go LA THEOLOGIE AFFECTIVE
admis au service de sa sainte Mère, prions Tun et l'autre. O Jésus, Fils de Dieu, et vous, ô Marie, sa sainte Mère, vous le voulez et il est raisonnable
« pauvreté. Par dessus tout, ce qu''on admire dans ce « foyer domestique, c'est la paix de l'âme et la joie de « r esprit, double trésor de la conscience de tout homme « de bien. Or ces grands exemples de modestie et d'Jiiimi- « lité, de patience dans le travail, de bienveillance envers « le prochain, d'un parfait accomplissement de menus « devoirs de la vie privée et de toutes les vertus ne sau- « raient être médités ni se fixer ainsi peu à peu dans la « mémoire, sans qu' insensiblement il n'en résulte une « salutaire transformation dans les pensées et dans les « habitudes de la vie ». — Le second mal « extrême- « ment funeste » qui ronge notre société, c'est l'horreur de la souflFrance. « Ici encore, il est permis d'espérer que, « par la vertu de l'exemple, la dévotion du saint Rosaire « donnera aux âmes plus de force et d'énergie ; et pour- « quoi en adviendrait-il autrement, quand le chrétien, dès « sa plus tendre enfance et constamment depuis, s'est ap- « pliqué, dans le silence et le recueillement, à la suave « contemplation des Mystères appelés douloureux ? Dans « ces mystères nous apprenons que Jésus-Christ, l'auteur
« ET LE consommateur DE NOTRE FOI, A COMMENCÉ simulta-
« nément par faire et par enseigner ; afin que nous trou- ai, viens en lui, réduit en pratique^ ce qu'il devait nous « enseigner touchant la patience et la générosité dans les « douleurs et les souffrances, au point de vouloir endurer « lui-même tout ce qu'il petit y avoir de plus crucifiant et « de plus pénible à supporter. Nous le voyons accablé sous « le poids d'une tristesse qui, comprimant les vaisseaux du « cœur en fait sortir une sueur de sang. Nous le contefn- « pions lié à la façon des malfaiteurs, subissant le juge- « ment des scélérats, injurié, calomrtié, accusé de faux « crimes, frappé de verges, couronné d'épines^ attaché 4 h
DE LA SAINTE VIERGE f)!
que nous aimions ce que vous aimez. Donc, ô très bon et très noble Fils, par rameur même que vous avez pour votre sainte Mère, je vous supplie de
« croix, Jugé indigne de vivre ei méritanl que la foule « réclamai sa mort. A tout cela nous ajoutons la médita- « tion des douleurs de sa Très Sainte Mère, dont un « glaive tranchant na pas seulement effleuré le cœur, « mais Va transpercé de part en part, afin qtC elle devint « et méritât d'être appelée la Mère des douleurs. Qiiicon- « que contemplera préqucmmcnt non pas seulement des « yeux du corps, mais par la pensée et la méditation., « d'aussi grands exemples de force et de vertu, comment « ne brûlerait-il pas du désir de les imiter ? Que la terre « se montre à lui couverte de ses malédictions et ne pro- « duisant que des ronces et des épines ; que son âme soit « oppressée de peines et d'angoisses, son corps miné par « les maladies ; il ny aura pas de souffrance lui venant « soit de la méchanceté des hommes, soit de la colère des « démons, pas d'adversité, soit privée, soit publique, dont « sa patience ne finira par triompher. » — Au troisième danger qui menace les âmes de nos jours et qui n'est autre que l'oubli des biens futurs, « ne sera certainement « jamais exposé le chrétien qui^ le pieux Rosaire à la « main, en méditera souvent les Mystères glorieux. « De ces mystères, en effet, jaillit une lumière qui nous « découvre ces célestes trésors et beautés, que notre œil « corporel ne saurait atteindre, mais que nous savons par « la foi être préparés à ceux qui aiment Dieu. Nous y << apprenons que la mort n^cst pas une ruine qui ne laisse « rien derrière elle, mais le passage d'une vie à une autre, « et que le chemin du ciel est ouvert à tous. Quand nous « y voyons monter le Christ Jésus, nous nous rappelons « sa promesse de nous y préparer une place : Vado parare « voBis LOCUM. Le saint Rosaire nous fait souvenir quil « y aura un temps où Dieu séchera toute larme de nos
92 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
me faire la grâce de l'aimer cordialement, vous qui Taimez véritablement et qui entendez qu'elle soit aimée. Et vous, ô bonne et pitoyable Mère, je vous prie, au nom de l'amour même par lequel vous aimez votre Fils, de m'obtenir la grâce de l'aimer sincèrement comme vous l'aimez. Ce que je demande est en votre pouvoir; pourquoi donc mes péchés mJempêcheraient-ils d'obtenir ce qui est en votre pouvoir ? Quoi donc ! ô très miséricor- dieux ami des hommes, vous avez pu aimer jus- qu'à la mort vos pécheurs criminels, et vous pourriez refuser à votre créature qui vous en supplie votre amour et l'amour de votre Mère ? Que mon âme donc vous honore et vous estime comme vous le méritez, que mon cœur vous chérisse comme il convient, que ma langue vous
« YEUX, ou IL n'y aura PLUS DE DEUIL NI DE GÉMISSEMENT •
« ni aucune douleur, ou nous serons toujours avec le « Seigneur, semblables a Dieu, parce que nous le verrons « comme il est ; enivrés du torrent de ses délices, conci- « toyens des Saints, en conséquence de la bienheureuse « Vierge notre Mère et notre grande Reine. Comment « une âme qui se nourrit de semblables pensées^ ne se « sentirait-elle pas brûler d' une sainte flamme et ne s'écrie- « rait-elle pas avec un grand saint : Que la terre me « parait vile quand je regarde le ciel : « QUAM sordet « TELLus dum cœlum aspicio ? » Comment ne se console- « rait-elle pas, en songeant qu'une légère tribulation « momentanée produit en nous un poids éternel de gloire : « momentaneum et leve tribulationis nostrœ œternum « gloriœ PONDUS OPERATUR IN NOBis ? » (Lettre encyclique de Léon XIII, Du Rosaire de Marie, Lcetiti^ï sanct^b, 1893).
DE LA SAINTE VIERGE g,'>
loue comme vous en êtes digne, que tout mon corps vous serve comme vous avez le droit d'être servi, et que toute ma vie se consume en chantant: Béni soit éternellement le Seigneur ! Ainsi soit- il (0.
Xr MÉDITATION
DE LA DÉVOTION A LA SAINTE VIERGE (suite)
SOMMAIRE
La chair de Jésus -Christ dans l'Eucharistie renferme une partie de la chair de la Sainte Vierge. — Il faut remercier la Sainte Vierge, après la communion pour deux raisons. — // faut imiter la dévotion qu'avait la Sainte Vierge en communiant.
I
C
oNSiDÉREz un moyen plus particulier d'ho- norer la Sainte Vierge dans le sacrement de TEucharistie ; il consiste à y croire et à y révérer une partie de la substance de sa chair qui y est réellement contenue dans la substance du
I. D. Anselmus, loc. cit.
•94 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
corps de Jésus-Christ, son Fils. Saint Augustin (i) a donné lieu à cette dévotion, en écrivant que le Verbe divin a pris sa chair de la chair de Marie et qu'il nous a donné à manger la chair de Marie pour notre salut. En réalité Jésus-Christ ne perdit jamais entièrement la portion de substance de son corps [qu'il prit d'elle en naissant. On pourrait penser qu'elle fut dissipée et détruite par l'activité de la chaleur naturelle, mais ce n'est guère admis- sible, car tout le temps de sa vie a été un temps d'accroissement, or pendant ce temps l'humide radical diminue fort peu. Dans le cas même où cette portion aurait été dissipée par la chaleur naturelle, Jésus-Christ aurait pu la reprendre en ressuscitant, suivant l'opinion de plusieurs célè- bres Théologiens (2), qui enseignent que les corps
1. D. Augustinus, m Psalm. 98 : « Et de carne Mariée « carnem accepit et illam carnem nohis manducandam ad « saliitem dédit. » L'auteur ajoute en note : « lege sic : « Et ipsam carnem manducandam dédit », et il entend par là : ipsam carnem Mariée. Or saint Augustin ne dit rien de semblable dans le passage allégué. Son but est d'expliquer ces paroles de David : « Adorate scahellum « pedum ejus. » Voici l'explication textuelle du grand Docteur : « En effets le Seigneur a reçu de la terre la « terre de sa chair ^ car sa chair est de terre, et il a reçu « sa chair de la chair de Marie. Et^ comme il a vécu ici- « bas dans sa chair, il nous a donné cette chair à manger « pour notre salut ; et nul ne la mange, s'il ne Va d' abord « adorée. Voilà donc trouvé comment nous adorons cette « terre qui est le marchepied du Seigneur ... 7> {Œmvk^s COMP. de saint Augustin, éd. Vives, tom. 14, p. 144).
2, Suarez, tom. 2, in 3 p. disp. 1. rect. 2.
DE LA SAINT K VIHRGE (p
reprennent en ressuscitant la même substance dont ils avaient été primitivement formés. Si bien que quelques-uns pensent que comme Eve fut la cause de la perte du genre humain à cause de la nourriture qu'elle ollrit à Adam, ainsi la Vierge a été la cause de la vie par la nourriture eucharisti- que qui provient d'elle, car « la chair de Jésus- « Christ est la chair de Marie » (i). De là vient
I. Cette autre sentence est encore attribuée bien à tort à saint Augustin par ceux qui partagent l'opinion de Bail. Elle se lit au chapitre 5® du livre de l'Assomp- tion DE LA Vierge, livre qu'on trouve à l'appendice des Œuvres du saint Docteur. Or ce livre n'appartient pas au saint Docteur. De plus cette sentence n'a pas le moins du monde dans ce livre le sens que Bail lui donne ; qu'on veuille bien en juger : « La chair de « Jésus est la chair de Marie plus véritablement que « celle de Joseph n'était celle de Juda et de ses autres « frères, dont ce dernier disait : « Il est notre frère et « NOTRE CHAIR.» (Gen. XXXVII, 27). Car la chair de « Jésus-Christ, quoiqu'elle ait été ennoblie par la gloire « de la résurrection... reste cependant la même chair ; « c'est la même nature qu'il a reçue de Marie. » (Œuvres coMP. de saint Augustin, éd. Vives, tom. 23, p. 14'j). Ces dernières paroles indiquent clairement le sens de ce passage, qui est loin d'être celui que Bail veut y voir. D'autre part à moins d'un miracle, il est impossible qu'une parcelle du corps de Marie se soit conservée et soit demeurée comme enchâssée dans le corps de Jésus- Christ. Au moment delà conception du Sauveur, par le fait de l'union substantielle de l'âme qui lui était des- tinée avec la matière puisée dans le sein de la B. Vierge, un changement substantiel s'est produit dans cette même matière, et à dater de ce moment il y a eu deux
^9^ LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
encore que ceux qui la reçoivent contractent une affinité ou même une consanguinité avec elle? affinité ou consanguinité plus grande que celle que produirait le mariage.
Je considérerai donc le Saint-Sacrement comme un précieux reliquaire, dans lequel se trouve une portion de la substance corporelle de la Mère de Dieu et une portion qui est là plus noblement qu'en Marie elle-même, puisqu'elle est hypostati- quement unie au Verbe divin. O mystère d'amour, auquel la Sainte Vierge prend une si grande part !
natures et deux personnes absolument distinctes. Un des auteurs qui ont écrit de nos jours avec le plus de théo- logie et de piété sur la Sainte Vierge, porte sur cette opinion le jugement suivant : « Je nai pas besoin de « dire combien pareille opinion répugne à la science, et « comment y par ailleurs, elle n^ a aucune autorité sérieuse , « Rêverie pieuse^ peut-être^ mais indigne d^être prise en « considération. C'est le cas de redire l'adage bien connu : « Marie n'a besoin^ pour être exaltée, ni de nos mensonges^ « ni de nos inventions humaines ^ tant elle est grande par « elle-même. » (La Mère de Dieu et la Mère des hommes parle P. Terrien, 2 p. t. 2. p, 47. — A noter encore cette parole de saint Ignace, extraite du journal où il recueillait ses saintes impressions : *(. Ala consécration « surtout y elle (la Sainte Vierge) me montra que sa chair « était dans la chair de son Fils, et l'intelligence de ces « choses était si vive que je ne pourrais l'écrire'. »(Cons-
TITUT. S. J. LATIN^ET HISPANIC-« CUM DECLARAT.pp. •551,352.
Append. xviii, Matriti, 1892). Le Saint veut simplement dire que la chair de Jésus-Christ est venue originaire- ment de Marie comme de son principe ; or c'est là pour nous une raison suffisante de témoigner à Marie notre plus vive reconnaissance. .
DE UA SAINTE VIEBGE 97
C'est pourquoi elle y invite elle-môme les chré- tiens par ces paroles sacrées ; a Venc\, mange\ a mon pain et buve\ Je vin que je vous ai pré- « paré. » (Prov. y). Ainsi, quoique vous vous soye2s élevée en corps et en àme dans le ciel, la terre n'est cependant pas privée de votre pure subs- tance ; cette substance se trouve renfermée dans TEucharistie et contenue sous la blancheur des espèces, qui est la couleur de la virginité. O pré- cieux gage d'amour ! O sainte alliance du commu- niant avec la Mère de Dieu ! Qui ne se portera avidement vers cette table délicieuse, où il doit être ennobli au point d'y être allié avec la Mère de Dieu et la Reine des Anges ?
II
Considérez aussi qu'il faut remercier la Sainte Vierge pour le bienfait du Saint-Sacrement, car puisqu'on y reçoit une portion de sa substance, ij est raisonnable de lui en rendre dea aetions de grâces (i). Le cardinal Damien (2) écrivait sur ce sujet : Pesez bien, mes très chers frères, combien vous êtes obligés à l'égard de la bienheureuse Mère de Dieu et combien nous devons la remercier après avoir remercié, comme il convient, Jésus-Christ. Car nous prenons sur l'autel sacré ce corps que la bienheureuse Vierge a engendré, qu'elle g réchauffé dans son sein, qu'elle a enveloppé de langes, qu'elle a nourri avec une affection natureile. Il n'y 4 pas de Ipuange assez grande pour celle qui noua
|. Hautiqus, ^e sacr. amor. 1. 5, n. 929, a, Serm. de Virg. Maria. Bah., T. IX. 7
^8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
fait de sa chair immaculée la nourriture de nos âmes, à savoir celui qui a dit de lui-même : « Je « suis le pain vivant qui est descendu du ciel. » (Jean, 6). Si bien qu'il y a deux raisons de témoi- gner sa reconnaissance à la Sainte-Vierge après la communion. La première est qu'on y reçoit une portion de sa substance incorporée à la chair de Jésus-Christ ; l'autre est que l'on y reçoit le fruit béni de ses entrailles sacrées et celui que ses ma- melles ont allaité. C'est ainsi que l'on y reçoit le lait de ses mamelles, en tant que l'on y reçoit une substance en laquelle son lait a été converti.
O Mère très aimable, que pourrait-on imaginer qui put nous obliger davantage à vous aimer ? Comme vos tendres enfants nous sommes nourris et sustentés par le lait de vos mamelles sacrées et par la substance de votre chair immaculée. Qui me donnera donc d'être aimable à vos yeux et d'avoir pour vous un attachement qu'entretiennent des désirs perpétuels ? Oh ! quel grand bien ce serait pour moi d'être tout à vous à cette seule pensée ? Si votre dévot saint Bernard eut tous les jours de sa vie de si tendres et de si affectueux sentiments à votre égard pour quelques gouttes de lait, que vous fîtes couler sur lui dans une appari* tion, quelle grande affection ne devons-nous pas ressentir envers vous et pour vous, nous qui som- mes nourris de votre lait dans ce sacrement ? O divine Marie, divine Mère et nourrice, nous vous aimerons toujours à la pensée de ce sacrement, où nous sommes nourris du sang des plaies de Jésus, et allaités du lait de vos mamelles. Oh ! quelle abondance de douceur !
DE LA SAINTF. VIERGE 99
III
Considérez que Ton peut encore honorer la Sainte Vierge en communiant à son exemple et en s'excitant à des aflections semblables aux sien- nes. Il est certain que la Sainte Vierge a souvent communié, car elle était du nombre de ces pre- miers chrétiens qui « persévéraient dans la corn- ai 7nunion de la fraction du pain. » (Act. 2). Albert le Grand (i), son théologien, le prouve en s'appuyant sur cette parole de Notre-Seigneur : « Si vous ne mange^ la chair du Fils de Vhomîîie^ « vous n''aure:{ pas la vie en vous. (Jean, G). Donc tous les fidèles de TEglise sont obligés de com- munier à certaines époques déterminées ; donc la Sainte Vierge aussi a communié. Déplus TEucha- ristie est le sacrement de l'amour ; donc il lui appartenait spécialement de le recevoir, parce qu'elle a été la Reine de l'amour. Et comme on pourrait douter de l'effet que pouvait produire en elle ce sacrement, Albert le Grand dit qu'elle en recevait trois effets : le souvenir de la Passion de Notre-Seigneur, l'exercice de la dévotion actuelle et la consolation de l'absence corporelle de Jésus- Christ (2). Si bien que quelques-uns croient que ce fut un motif qui obligea Jésus-Christ à instituer ce sacrement, il voulut que la Sainte Vierge ne fut
1. Albertus, super inissus est, quœst. 38.
2. A ces trois effets il taut évidemment ajouter l'effet que produit ce sacrement chez tous ceux qui le reçoi- vent en état de grâce^ à savoir l'augmentation de cette même grâce, ex opère operato.
ioO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pas privée de la douceur de sa présence, après sa retraite dans le ciel. Aussi communiait-elle tous les jours et trouvait-elle sa plus grande joie dans ce saint exercice, qui alimentait la flamme de son amour. Mais qui dira avec quelles dispositions intérieures et extérieures elle le faisait? Quelle fer- veur, quelle tendresse, quel accroissement de grâces elle y recevait ? C'est une chose qui sur- passe toutes les pensées et les paroles des hommes. La suavité qu'elle y ressentait est indicible, la communion était son paradis commencé.
J'aurai donc recours à votre intercession, ô très bonne Marie, car rien de ce que vous demanderez ne vous sera refusé (i). Je vous demande d'avoir
I. On peut juger de l'efficacité qu'ont les prières de la Sainte Vierge, d'après ce principe que pose saint Thomas : « Plus la charité des saints qui sont dans la « patrie est parfaite^ plus ils prient pour les hommes « voyageurs quç leurs prières peuvent aider ; et plus leur « union avec Dieu est intime, plus letirs prières sont effi- « caces. » (il. II. q. i,xxxiii, a. ii). A ce compte com- bien grande doit être l'efficacité des prières de cette Vierge, dont la charité dépasse celle de tous les Saints et dont l'union avec Dieu par la maternité divine laisse bien loin derrière elle l'union avec Dieu par la grâce, la seule à laquelle aient pu parvenir les autres Saints ? Les Docteurs de l'Eglise l'ont appelée omnipoteniia sîipplex ; expre?.sion qui doit s'entendre non pas dans ce sens que Marie peut produire tous les êtres qui sont possibles ou qu'elle peut accomplir des miracles par sa propre vertu, m^is dgns çq sens qu'il n'y a rieu parnii tout ce que Dieu accomplit dans l'ordre actuel de sa Providence, que Marie ne puisse obtenir par ses prières.
DE LA SAINTE VIERGE 101
rr- • — — ^ — ^-^—
paît à votre esprit, je vous demande une étincelle de cette ardente charité avec laquelle vous receviez. ce grand mystère d'amour. Hélas ! datls quel état est mon âme, après s'être si souvent approchée de cette table sacrée. Il semble que je sois rejeté par une étrange élimination, comme si j'étais réduit à demeurer dans l'ombre de la mort, tant ma lan* gueur est grande dans la communion. Je crois bien certainement que c'est en punitisnde mes péchés, — car quel est l'homme sur la terre, n'eùt-il qu'un jour, qui est exempt de tout péché ? — mais les miens sont plus graves. Que ferai^je donc, si ce n'est d'aimer davantage celui qui m'a fait de plus grands dons et de plus grandes miséricordes. C'est à cela que j'aspire de toutes mes forces. Obtenez donc qu'il envoie du ciel dans ma poitrine un feu qui m'embrase tout et qui consume toute mon impureté* Que je ressuscite ainsi à une nouvelle ferveur et que mon âme soit vraiment vivante ; que la participation à sa suavité me fasse oublier le monde, et que tous les plaisirs de ce monde me soient en horreur, autant que les tourments de l'enfer. O Vierge, qui, par votre beauté, ravissez tous les cœurs et qui dissipez comme un brouillard toutes leurs obscurités, apaisez une fois de plus
« Le Seigneur qui est ioui-puîssant, dit saint Bonaven- « ture, est avec vous^ conformément à cette parole : Celui
« Q.UI EST PUISSANT A FAIT EN MOI DE GRANDES CHOSES. VoUà
« pourquoi vous aussi vous êtes toute-puissante avec lui, toute-puissante pour lui, toute-puissante auprès de lui ; « de telle sorte que vous pouve:{ dire en toute vérité : Je
« SUIS PUISSANTE DANS JÉRUSALEM » (In SPEC. C. 8).
{02 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
par l'oblation de votre cœur sacré le cœur de votre Fils en ma faveur, rendez-le moi favorable, afin que la tempête de mes passions étant toute apai- sée, je m'unisse à lui d'une âme tranquille, dans la réception de ce parfait sacrement. Dans ce but je me tiendrai davantage à l'écart de la conversation du monde, j'aimerai les lieux de retraite et une plus grande solitude où s'épancheront plus libre- ment mes affections envers vous. Là je considère- rai vos innombrables excellences et c'est à cause d'elles, ô Reine incomparable toute resplendis- sante de pierres précieuses et couronnée de beauté, que je désire vous aimer plus que toutes les choses admirables de ce monde, et à tel point que mon âme défaille, tant seront véhéments ses désirs. O volupté céleste qui couronnez la chasteté et excitez l'amour de la pure charité, quoique plus d'une fois vous invoquant avec une grande force j'aie frappé l'air en vain et que mes soupirs n'aient eu aucun effet, néanmoins je ne cesserai d'espérer en votre douceur, qui est plus grande en vous qu'en tous ceux qui habitent la terre. Tout mon bonheur est d'adhérer à votre Fils par une faveur singulière de votre part, ô Vierge qui êtes la ferme espérance de ceux qui vous recherchent et vous invoquent. Ainsi tant que je serai dans cet exil et que je respi- rerai, je veux élever sans fin mes désirs vers vous.
TROISIÈME TRAITÉ
Des Sacrements
r MÉDITATION
DÉFINITION ET NOMBRE DES SACREMENTS
SOMMAIRE
Un sacrement est ime pluralité de signes sensi- bles institués par Dieu pour signifier et pro- duire la grâce dans la personne qui le reçoit avec les dispositions requises. — Raisons pour lesquels Dieu a voulu instituer les sacrements et nous conférer la grâce au jnoyen de signes sensibles. — Il y a sept sacrements.
I
CONSIDÉREZ qu'il faut entendre ici par le mot sacrement un certain nombre de signes sensibles institués par Dieu dans le but de signi- fier la grâce et de la produire dans la personne qui
Ib4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
les reçoit ou qui en use avec les dispositions requises (i).
Premièrement nous entendons par tin sacre- ment un certain nombre ou une multitude de signes sensibles, parce que chaque sacrement consiste en pluSieufs choses requises ou nécessai- res, telles que la prononciation de quelques paro- les, l'application de certaine chose corporelle et extérieure, ou bien certains actes de la personne qui le reçoit. En réalité chaque sacrement renferme en soi une multitude de cérémonies saintes et religieuses, qui signifient et représentent la grâce que le sacrement confère. De là vient qu'il est composé de matière et de forme ; parce que parmi ces cérémonies les unes signifient la grâce moins expressément et pour ce motif s'appellent la ma- tière du sacrement, — car c'est le propre de la ma- tière d'être indéterminée pâf elle-même, comme le disent les philosophes, — les autres signifient cette même gï-âce plus clairement et évidemment, et pôilf ce môtîf S^àppéîlênt la forme, parce que c^ést le pt-opfè de la forme de déterminer la matière et parce que les paroles ont une forcée plus grande que quoi que ce sôit, pour signifier et déterminer. Ainsi les paroles qu'on prononce dans les sacre- ments en sont là forme, comme la chose sensible et extérieure en est la matière.
Secondement : il faut entendre par le mot sacre-
i . Ëhs inàràîe aggregàîum ex pîuHbûs sighis sensibili- bui a Dëô insiîiuHs, ad sigHi/îtândum et cônferèndâm gtàiiam in snscipieniibus rite dispositis. (Note de l'aU' leur.)
DES SACREMENTS Io5
ment une multitude de cérémonies et de signes sensibles tels qu'ils aient été institués par Dieu pour signifier et conférer la grâce. En effet Jésus- Ghrist seul, comme souverain Prêtre, comme premier chef et Fondateur de TEglise, est Fauteur des sacrements^ il n'appartient pas aux Anges de les instituer, les Apôtres n'ont fait que les publier et les annoncerj après que le Fils de Dieu les eût insti- tués. C'est pourquoi le Concile (i) dit : anathème à eelui qui dira que les sacrements de la Nouvelle Loi n'ont pas tous été institués par Notre-Sei- gneur Jésus-Christ. En voici la raison : pour insti- tuer un sacrement qui ait la Vertu de sanctifier, il faut être l'auteur de la grâce sanctifiante et pou-- voir disposer de cette grâce à son gré ; ce qui n'appartient qu'à Jésus-Christ, Homme et Dieu tout ensemble, et souverain Rédempteur du monde. Il faut encore que les cérémonies qu'il voudra ins- tituer comme sacrement, soient choisies par lui expressément pour conférer d'une manière directe et immédiate la grâce ; c'est par défaut de cette Condition que la profession de l'état religieux n'est pas un sacrement, Car elle n'est pas dirigée direc- tement et immédiatement vers cette fin. Or les Sacrements signifient et Confèrent tout à la fois la grâce, car ils sont un remède suffisant pour l'homme qui par suite de 8ôn péché était tombé dans l'ignorance et dans la concupiscence. C'est pourquoi dans les sacrements il y a quelque chose de mystique, de mystérieux et de significatif, qui instruit l'homme dans son ignorance, et y a aussi
I, Sess. 7, can» i.
196 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
une vertu qui produit la grâce pour guérir la concupiscence (i).
En troisième lieu, parce que Dieu ne donne pas ses grâces plus précieuses et sanctifiantes indiffé- remment aux dignes et aux indignes, nous enten- dons parle mot sacrement une multitude de signes sensibles et de saintes cérémonies instituées par Dieu, dans le but de signifier et de produire la grâce dans la personne qui les reçoit ou en use avec les dispositions requises. Ces dispositions sont différentes selon la diversité des sacrements qui requièrent des préparations différentes dans leur sujet, pour y verser leur précieuse liqueur. C'est pourquoi le sacrement est toujours par lui- même producteur de la grâce divine, comme il en est aussi le signe, et quand il ne la confère pas, ce défaut provient presque toujours de l'indisposi- tion de celui qui le reçoit.
Déduisez de tout ceci des affections convenables et reconnaissez premièrement ce trait de la bonté divine, qui consiste à avoir institué les sacrements comme des témoignages sensibles de son amour et de sa grâce, et à les avoir composés de matière et de forme, afin d'y témoigner doublement sa bien- veillance, car la parole s'unit à l'élément et forme ainsi le sacrement (2). L'élément n'était pas un témoignage assez grand ; c'est pourquoi Jésus- Christ y ajoute la parole, afin que le témoignage fut plus exprès et plus clair. Il veut aussi que ces
1. D. Bona. in 4, dist, i, part, i, art. i, q. 2.
2. D. Augustinus, tract. 20 in Joan. : « Accedit ver- « hum ad elementum et fit sacramentum. »
DES SACREMENTS I07
deux témoignages soient vrais et pour cela qu'ils soient efficaces et productifs de la grâce, dont ils sont le signe, afin de nous apprendre à lui rendre à notre tour plusieurs témoignages de notre amour, mais des témoignages qui ne soient pas vains ou vides, comme sont ceux des hypocrites et des courtisans, des témoignages qui soient suivis de leurs effets. Témoignons-lui donc que nous l'ai- mons, mais avec sincérité et vérité, accomplissons nos promesses à son égard, exécutons nos résolu- tions. Prenons garde surtout de révérer les sacre- ments et de ne pas les violer en les traitant et en les recevant indignement, car alors, par notre mdis- position, nous les empêcherions d'opérer ce qu'ils signifient, comme s'ils étaient des signes feints et faux, péché qui est un sacrilège. Enfin tirons encore de ces pensées un sujet de confiance et de consolation, puisque Dieu nous donne de sembla- bles témoignages de son amour. Oh ! quelle tran- quille confiance eut Madeleine, quand elle entendit ces paroles : « Vos péchés vous sent remis ! » (Luc, 7). Quelle paix et quel calme de conscience doit avoir le pécheur quand il entend ces mots : <i. Je vous absous de vos péchés ! y> O Jésus ! béni soit à jamais votre dessein dans l'institution des sacrements. « Vos témoignages sont devenus très « croyables. » (Ps. ii8).
II
Considérez pourquoi Dieu a voulu instituer les sacrements et nous conférer sa grâce par des signes appaçents et sensibles. Pour trois raisons, dit le
iq8 la théologie affective
Maître des Sentences (i) : pour nous humilier, pour nous enseigner et pour nous exercer.
Premièrement, pour nous humilier, parce que l'homme se soumettant dans Tusage des sacre- ments à des créatures sensibles et inférieures à lui, et cela sur Tordre de son Créateur, est plus agréable à Dieu et a un plus grand mérite à ses yeux, puisqu'il cherche pour i'âmour de lui son salut dans les choses inférieures, non pour le tenir d'elles, mais de lui par elles. Secondement, pour nous enseigner, parce que nous arrivons par la connaissance des choses extérieures et apparentes à la connaissance de la vertu cachée et spirituelle, que renferment les sacrements. Troisièmement, pour nous exercer et nous occuper par la diversité des sacrements, afin que nous ne languissions pas, faute d'exercice, que nous ne demeurions pas dans l'oisiveté, que nous ne nous portions pas à de mauvais emplois de notre temps, faute d'en avoir de bons, et que le démon ne prenne pas occasion de nous tenter en ne nous voyant pas utilement et saintement occupés. C'est pourquoi il y a plu- sieurs sacrements.
Le Docteur séraphique (:2) amplifiant et éclair- cissant ces raisons dit qu'il convenait d'instituer des sacrements, tant de la part de Dieu, que de la part de l'homme. De la part de Dieu, rien ne convenait mieux à sa miséricorde, à sa justice et à sa sagesse. A sa miséricorde, parce que l'homme, à cause de l'inconstance de sa liberté essentielle-
î. L. 4. SenL dist. i. — D. Thom. q. 61, a. i. a. In 4) dist. i, part, t, q. i.
DES SACREMENTS I09
ment chnngcante, conserve mal la grâce et la perd aisément ; c'est pourquoi Dieu lui a donné, pour la recouvrer, les sacrements. A sa justice, parce qu'il était raisonnable que Thomme fut humilié pour rentrer en grâce et se disposer à la recevoir; c'est ce qu'il fait en se soumettant aux sacrements. Enfm c'était chose convenable à sa sagesse, afin que l'homme qui se perd par les créatures sensibles, se sauvât par ces mêmes créatures et trouvât le remède de son mal dans la cause de son mal ; ce qui est un trait de grande sagesse. Les sacre- ments étaient encore convenables de la part de l'homme, qui après le péché était aveuglé dans sa partie raisonnable, enflé d'orgueil dans sa partie irascible et dégoûté des vrais biens dans sa partie çoncupiscible. C'est pourquoi les sacrements lui sont donnés, visibles et apparents pour l'instruire, corporels pour l'humilier, en grand nombre pour lui donner un exercice suffisant et empêcher qu'il ne se dégoûte, comme cela arriverait, s'il n'avait que les choses spirituelles à contempler ou tou- jours un seul et même sacrement à recevoir.
Louez Dieu de la manière dont il sanctifie les âmes et les élève à leur perfection ; et comme sa volonté, qui est très raisonnable, ne fait rien que pour des raisons très sérieuses, imitez ce procédé dans vos œuvres, ne les faites jamais que pour de belles raisons concernant la gloire de Dieu et l'uti- lité du prochain. Assujettissez-vous aussi volon-t tiers à ses ordonnances, qui sont très équitables et fondées sur la raison, particulièrement en ce qui concerne les sacrements. Tirez-en l'édification que Dieu veut vous en voir tirer, en vûus éclai-
îrO LA TttÉOLÔGÎË AFFECTIVE
rant par l'étude sur les choses spirituelles, en vous humiliant pour les recevoir, fussiez-vous le plus grand personnage du monde, et en vous occupant sérieusement dans leur usage. Vous implorerez sa grâce pour arriver à ces fins et participer à tant de biens.
III
Considérez qu'il y a sept sacrements. Ana- thème, dit le Concile (i), à celui qui dira qu'il y a plus ou moins de sept sacrements : ce sont le Baptême, la Confirmation, l'Eucharistie, la Péni- tence, l'Extrême-Onction, l'Ordre et le Mariage. La principale raison de ce nombre, c'est qu'il y a sept signes sensibles ou sept sortes de cérémonies externes instituées par Dieu, auxquelles sont annexées les promesses de la grâce, signes ou cérémonies qui ont toujours été usitées dans l'Eglise depuis sa naissance et depuis le temps des Apôtres jusqu'à nos jours.
Le premier sacrement dont l'institution est évidente dans les Evangiles, c'est le Baptême : « Celui^ dit Jésus-Christ, qui croira et qui « sera baptisé^ sera sauvé. » (Marc, dern. chap.)
La confirmation est autorisée par les Actes des Apôtres (i et 2) et par saint-Paul qui dit : « Dieu « nous confirme et nous oint^ lui qui a mis dans « nos cœurs le gage du Saint-Esprit. » (II Cor. 2). L'Eucharistie est enseignée par les quatre Evan- gélistes et par saint Paul. Jésus-Christ dit de ce sacrement : « Celui qui mangera ce pain.^ vivra
\. Sess. 7, can. i.
DES SACREMENTS 1 I I
« éternellement. » (Jean, 8). Instituant celui de la Pénitence, il dit aussi : « Les péchés seront remis « à ceux à qui vous les remettre^. « (Jean, 20). L'Extrème-Onction a été annoncée et publiée par l'apôtre saint Jacques : il en avait reçu Tordre de Jésus-Christ, qui l'avait instituée pour les ma- des : « Y a-t-il parmi vous quelqu'un de malade ? « qu' il appelle les prêtres de V Eglise, qu'ils prient « pour lui et qu'ils V oignent d'huile au nom du « Seigneur^ etc. (Jacq. 5). L'Ordre est publié par saint Paul dans sa lettre à Timothée : « Ne néglige « pas la grâce qui est en toi., et qui t'a été donnée « par prophétie, avec l'imposition des mains « dans la prêtrise. » (Tim. 4). Le même saint Paul attribue le nom de sacrement au Mariage : « C'est un grand sacrement ; j'entends en Jésus- « Christ et dans l'Eglise. » (Eph. 3), car hors de là il n'}^ a point la sainteté du sacrement.
Outre ces preuves il y a des convenances qui nous font mieux comprendre ce nombre déter- miné de sept sacrements. II sont en effet établis par Jésus-Christ pour remédier à nos maux et nous fortifier dans les vertus. Or nous avons sept maladies, trois de la coulpe, dit le Docteur séraphique (i), et quatre de la peine,, trois qui sont coupables et quatre qui sont pénales. Les trois ma- ladies de la coulpe sont le péché originel, le péché mortel et le péché véniel. Contre le premier est institué le Baptême, contre le second la Péni- tence, contre le troisième TExtrême-Onction. Les quatre maladies pénales sont l'ignorance, la ma-
1.6. par. Centil. c. ^ .
laa LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
lice, rinfirmité, 1^ concupiscence ; l'Ordre remé- die à l'ignorance, l'Eqcharistie à la malice, la Confirmation à l'infirmité et le Mariage à la concu- piscence. Il y a d'ailleurs sept vertus dans lesquelles nous sommes fortifiés par les sept sacrements qui nous aident aussi à en pratiquer les actes. Le Baptême a pour but de fortifier la foi, qui est la porte et la première des vertus, comme il est U porte et le premier des sacrements ; l'Extrême- Onction est pour aider l'espérance, l'Eucharistie qui nous unit à Jésus-Çhrist est pour le reofort de la charité ; l'Ordre aide la prudence ; la Pénirt tence fortifie la justice ; le Mariage secourt la tempérance et la Confirmation la force (j).
Pe plus la vie spirituelle est conforme à la vie corporelle. Or sept choses sppt requises pour la vie corporelle. Il faut : i° que l'homme soit engen^ dré ; 2° qu'il croisse ; 3" qu'il soit nourri ; 4° que dans ses maladies il soit guéri ; 5° que les restes de la maladie soient détruits ; 6° que l'homme soit gouverné par quelque supérieur, qui prenant soiii du bien commun conserve les particuliers ; 7° que la vie humaine qui est mortelle soit communiquée aux autres par la génération. Les sept sacrements remplissent tous ces rôles pour la vie spirituelle. Le Baptême donne au chrétien sa première n^is' sance, la Confirmation fait croître, augmente et fortifie cette vie ; l'Eucharistip l'alimente ; la Péni- tence guérit ses maladies et l'Extrême-Onction le3 restes de ses maladies ; l'Ordre donne à cette vie des conducteurs pour la gouverner et la diri-
I. Idem, in 4, dist. 2, art. 1, q. 3.
DES SACREMENTS 1 l3
ger ; le Mariage enfin la propage, en tant qu'il est institué pour avoir des enfants qui soient chrétiens et qui glorifient Dieu éternellement. Ainsi rai- sonne sur le nombre des sacrements le Docteur angélique (i) ; le Concile de Florence (2) lui-même explique leur nombre par cette comparaison d'une vie à l'autre.
Admirez ici l'infinie bonté de Dieu qui a institué tant de sortes de moyens divers pour distribuer ses grâces aux hommes mortels, à qui il les offre libéralement pour guérir leurs maux, pour aider leurs vertus et pour entretenir leur vie spirituelle. Ne témoigne-t-il pas bien le désir qu'il a du salut de nos âmes, en nous ouvrant tant de portes pour entrer dans le ciel ? En quel état peut se trouver l'homme, où il ne soit assisté par les sacrements? Est-il né? le Baptême lui est préparé. A-t-il un peu grandi ? la Confirmation lui est offerte. Est-il en état de péché ? il a la Pénitence. Est-il juste et en bon état ? voilà l'Eucharistie. Est-il malade à mou- rir ? il a l'Extrême-Onction. Veut-il vivre dans le monde ? voilà le Mariage. Veut-il vivre hors des mœurs du monde? TOrdre le sanctifie. O Seigneur très riche en bonté, que vous avez eu de soin de nos âmes misérables ! O très magnifique et très pitoyable Rédempteur, je vous en remercie et je vous demande comme surcroît de faveur la grâce d'en user si dignement que j'y trouve le remède de tous mes maux et le chemin de la vie éternelle. Ainsi soit-il.
1. Quœst. 65, art. i.
2 . In Decreio Eugenii.
Bail, t. ix S
114 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ir MÉDITATION
DES EFFETS DES SACREMENTS
SOMMAIRE
Les trois ejfcts principaux des sacrements sont la grâce sanctifiante, le caractère et la grâce sacramentelle. — Les Sacrements confèrent la grâce ex opère operato, c'est-à-dire par leur propre vertu. — Le mauvais état du ministre des sacrements n empêche pas ceux-ci de pro- duire leurs effets.
I
CONSIDÉREZ trois effets plus notables des sa- crements : à savoir la grâce sanctifiante, la grâce sacramentelle (i) et le caractère. Le Con-
I. Il faut noter toutefois que la grâce sacramentelle n'est au fond rien autre chose que la grâce sanctifiante. Cette grâce produit chez tous les mêmes effets, et soit les vertus surnaturelles, soit les dons du Saint-Esprit qui sont inséparables de la grâce sanctifiante, suffisent pour accomplir tous les actes surnaturels, et par consé- quent ceux-là aussi en vue desquels est donnée la grâce sacramentelle. Il est même exact de dire que la grâce sanctifiante obtenue en dehors du sacrement confère un droit aux secours de la grâce actuelle, qui seuls peuvent mettre l'homme en état de faire des actes surnaturels. La seule chose purement extrinsèque qui distingue la
DES SACREMENTS ll5
cile (i) affirme le premier de ces effets, quand il prononce Tanathcme contre ceux qui disent que les sacrements de la Loi nouvelle ne contiennent pas la grâce qu'ils représentent ou ne la confèrent pas à ceux qui n'y mettent pas d'empêchement. L'Ecriture sainte enseigne cette même vérité, quand, parlant des sacrements en particulier, elle leur attribue le salut, la pureté, la sanctification, la rémission des péchés et la vie immortelle des âmes ; nous en avons déjà touché quelques mots. TertuUien (2) a exprimé cette même vérité en termes élégants : la chair est lavée, dit-il, afin que l'àme soit purifiée ; la chair est ointe, afin que l'àme soit consacrée ; la chair est marquée d'un signe, afin que l'âme soit fortifiée ; la chair est couverte par l'imposition des mains, afin que l'àme soit illuminée par l'Esprit ; la chair est nourrie du corps et du sang de Jésus-Christ, afin que l'àme soit engraissée de Dieu. Enfin c'est le propre des sacrements de sanctifier les âmes et de leur appli- quer abondamment les mérites de la Passion de
grâce sanctifiante reçue en dehors des sacrements de la grâce sanctifiante sacramentelle, c'est que cette der- nière, en vertu de l'institution de Jésus-Christ, donne droit à ces secours actuels, à un nouveau titre, elle donne droit aussi à les recevoir plus sûrejnent, plus facilement et plus abondamment.
1. Sess. 7. can. 6.
2. L. DE RESURR. GARNIS : '< Caro abluitur, ut anima « emaculeiur ; caro ungiiury ut anima consecretur ; caro « cor pore et sanguine Christi vesciiur, ut anima Deo « sagineiur. »
Il6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Jésus-Christ, et la grâce sanctifiante qu'il a méri- tée en mourant. Et de même que Dieu, qui crée l'âme, l'infuse dans le corps qui a les dispositions matérielles requises et suffisantes pour la rece- voir ; ainsi quand les signes sensibles et corporels qu'il a institués sont appliqués, il crée sa grâce et la communique à l'âme. Si bien que les sacre- ments sont comme des canaux par lesquels la vertu du sang précieux de Notre-Seigneur est ré- pandue dans les âmes ; avec cette différence néan- moins que le Baptême et la Pénitence confèrent la première grâce sanctifiante, par laquelle l'âme passe du péché mortel à la sainteté ; c'est pour- quoi ils sont appelés sacrements des morts, car appliqués à ceux qui sont morts par le péché, ils les ressuscitent à une vie nouvelle. Quant aux cinq autres, ils confèrent la seconde grâce ; c'est pourquoi ils sont appelés sacrements des vivants, car on ne les applique qu'à ceux qui ont déjà la vie de la grâce par le Baptême ou la Pénitence, afin qu'ils l'aient plus copieusement.
Le second effet des sacrements est la grâce sacramentelle, par laquelle il faut entendre cer- tains secours spirituels, ou certaines grâces actuel- les nécessaires pour remplir les fonctions ou atteindre la fin, à laquelle chaque sacrement est spécialement destiné par Dieu. Chaque sacrement en effet vise à quelque but qui lui est propre ; afin que l'homme puisse y parvenir, il reçoit encore en temps et lieu, en vertu du sacrement, des grâces actuelles, qui sont appelées sacramentelles. Ainsi le Baptême étant la porte des sacrements et ayant été institué par Dieu enir'autres raisons, afin que
DESSACREMENTS; II7
riiomme fut capable de participer aux autres sa- crements, la grâce sacramentelle du Baptême est un secours de grâce pour recevoir en temps et lieu les autres sacrements. La Confirmation ayant pour but de fortifier le chrétien en le rendant apte à défendre sa foi en cas de persécution, la grâce sacramentelle qu'elle donne consiste dans un secours aidant Tàme à demeurer ferme dans la foi au milieu des violences des tyrans et des grandes tentations contre la foi. L'Eucharistie ayant pour fin de nourrir Tàme, la grâce sacramentelle qu'elle confère consiste dans un goût et une suave dévo- tion, qui est l'aliment délicieux de l'âme chré- tienne aspirant au ciel. La grâce sacramentelle de la Pénitence est un secours de Dieu pour nous empêcher de retomber dans le mal ; celle de l'Ex- trême-Onction un secours pour mourir saintement et bien combattre dans l'agonie ; celle de l'Ordre est une assistance de Dieu pour bien remplir les fonctions ecclésiastiques, et celle du Mariage une assistance que reçoivent les personnes mariées pour vivre chastement et pour supporter toutes les grandes difficultés de leur état dans la généra- tion, l'éducation et l'établissement de leurs en- fants. Puisqu'il en est ainsi, il est aisé de juger que les grâces sacramentelles ne se donnent pas toujours au même instant où les sacrements sont reçus, mais au moment où l'homme en a besoin. Néanmoins dès l'instant même où il les a reçus, il a acquis le droit de recevoir ces grâces actuelles au besoin, et elles ne lui seront pas refusées.
Le troisième effet des sacrements s'appelle le caractère ; c'est une certaine marque ineffaçable
Il8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
imprimée à Tâme et une certaine puissance d'une très grande vertu, qui y restera éternellement et qui la distinguera de toutes les autres âmes, soit qu'elle jouisse du bonheur dans le ciel, soit qu'elle soit malheureuse dans l'enfer : « // nous a oints, « dit saint Paul, et nous a marqués ».(IICor. i) (i). Et l'Eglise (2) qui ne peut errer, et qui est la
I. Ce texte pris en lui-même et considéré au point de vue purement exégétique ne prouve pas l'existence du caractère sacramentel. D'autres sens peuvent lui être légitimement donnés et lui sont en réalité donnés. Saint Thomas entend par ce signe le signe de la foi ou de la croix ou encore TEsprit-Saint (In 2 Cor. c. i. lect. 5) ; et Cornély interprète ainsi ce passage : « (L'Apôtre) entend par là la vocation et la préparation « à la fonction d'apôtre, ou plutôt la collation de la « charge apostolique et cette communication de VEsprit- « Saint qui est nécessaire pour la bien remplir... C'est à « bon droit que nous y voyons le caractère de l'apostolat « imprimé dans V âme par les dons de l'Esprit-Saint. > (In 2 Cor. I, 22). Les autres textes qu'on a coutume d'alléguer (Ephés. i, 13 et Ephés. iv, 30) ne sont pas davantage probants, car on peut dire que le signe ou la marque dont ils parlent n'est autre que la grâce sanctifiante. Il faut néanmoins tenir compte de ce fait qu'un certain nombre de Pères, notamment saint Am- broise (De Spir. S. 1. i, c. 6, n. 79 ; § 16, 723) et saint Jean Chrysostome (Hom. 2. in ep. ad Eph. n. i ; § 62, 18), ainsi qu'un grand nombre de Théologiens anciens auxquels il faut joindre le plus grand nombre des Théologiens modernes et le Catéchisme romain lui- même (p. 2. c, i,n. 30) interprètent ces divers passages de saint Paul du caractère sacramentel.
?. Sess. 7. can. 7.
DES SACREMENTS II9
colonne de vérité^ prononce ranathcmc contre quiconque dira que dans les trois sacrements qui sont le Baptême, la Confirmation et l'Ordre, il ne s'imprime pas dans Tàme un caractère, qui est un signe spirituel et ineffaçable et qui fait que ces sacrements ne peuvent se réitérer. Aussi n'y a-t-il que trois sacrements qui produisent cet effet. Il convient en effet que ceux qui sont reçus par le Baptême au nombre des sujets de Jésus-Christ, soient distingués des infidèles par quelque mar- que, comme aussi ceux qui par la Confirmation sont enrôlés dans la milice chrétienne et ceux qui par rOrdre sont choisis et instruits dans le but de commander aux autres et de les conduire.
A la vue de ces trois effets, louez la magnificence de Jésus-Christ, l'auteur des sacrements. « Qui « parlera des puissances du Seigneur, qui Jera « entendre toutes ses louanges ? » (Ps. loi). D'où vient à l'eau une telle vertu, qu'elle touche le corps et lave le cœur? dit saint Augustin (i). Oh! que la grâce précieuse nous est donnée facilement et par des moyens aisés à pratiquer ! Car qu'y a-t-il de plus commun que l'eau, l'huile, les paro- les et les signes sensibles des sacrements ? Tout cela le pauvre peut l'avoir comme le prince. Jésus- Christ n'a point voulu faire consister les sacre- ments dans des matières de grand prix, qui n'ap- partiennent qu'aux plus riches, afin que les moyens d'obtenir la grâce fussent à la disposition des plus petits comme des plus grands. O Seigneur ! soyez
I . Tract. 80 IN JoAN. : « Unde tanta virtus aquœ^ ut « corpus tangat et cor abluat ? »
120 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
béni et glorifié d'avoir donné tant de vertu aux sacrements et de distribuer vos faveurs spirituelles par de tels moyens ! Enfin tremblez à la pensée que vous avez la marque et le caractère ineffaça- ble de Jésus-Christ et par le Baptême et par la Confirmation et par l'Ordre, si vous l'avez reçu. Oh ! que ce sera pour vous une grande confusion dans l'enfer, d'être marqué parmi tous les damnés, si vous vivez ici dans le péché ! Respectez donc le caractère de l'Ordre, mais aussi celui de votre Confirmation et de votre Baptême.
II
Considérez secondement que les sacrements confèrent la grâce sanctifiante d'une manière très efficace et excellente, à savoir par eux-mêmes et par le seul fait de leur application, et non pas seu- lement par la disposition de celui qui les reçoit. C'est ce qu'entendent les Théologiens, quand ils disent que les sacrements confèrent la grâce en vertu de Tœuvre opérée^ c'est-à-dire par le seul fait que ce qui est requis est accompli, et non pas uniquement en vertu de V œuvre de V opérant^ c'est-à-dire selon la mesure de la bonne disposi- tion qu'on apporte à leur réception. L'Eglise (i) a encore tranché ce point et prononcé l'anathème contre quiconque dit que la grâce n'est pas confé- rée par les sacrements de la Loi nouvelle en vertu de l'œuvre opérée (2). Or pour mieux comprendre
1. Conc. Trid. sess. 7, can. 8.
2. Cette formule est consacrée par un long usage et de plus elle a l'avantage d'exprimer clairement un
DES SACREMENTS 121
ce terme : Tœuvre opérée, il est important de remarquer que les sacrements de leur côté appor- tent toujours une certaine mesure de grâce dans les sujets qui n'y mettent pas d'empêchement, comme chez les enfants qui sont baptisés sans y contribuer en rien ; car la grâce qu'ils y reçoivent ne peut provenir que de l'application du sacre- ment, — c'est ce qu'on appelle l'œuvre opérée, — et nullement de leurs bonnes dispositions et des actes qu'ils formeraient en le recevant, — ce qui est l'œuvre de l'opérant. Il en serait de même s'ils
dogme très important. Pierre de Poitiers qui succéda, à Paris, dans la chaire de Théologie à Pierre Lombard (-|- 1205), l'employa le premier (Sentent. 1. i, c. 16), et Innocent III, son contemporain, dit au sujet du saint sacrifice de la Messe : « Quoique l'œuvre de l'opérant « soit impure, cependant l'œuvre opérée est toujours « pure. 2> (De myst. missœ, 1. 3, c. 5). Cette locution fut adoptée au xiii® siècle par les grands Théologiens de cette époque, notamment par Guillaume d'Auxerre (SuMMA, 1. 4, fol. 243, col. i), Alexandre de Halès (4, q. 3, m. 4, a. i), saint Bonaventure (4, dist. i, part, i, q. 5), saint Thomas (4, dist. i, a. 5). Peu à peu elle devint d'un usage commun et au xvi^ siècle les Pères du Concile de Trente n'en trouvèrent point de plus exacte pour définir la doctrine catholique en face des erreurs des Protestants ; aussi la consacrèrent-ils solennelle- ment : « Si quelqu'un dit que ces mêmes sacrements de là « loi nouvelle ne confèrent pas la grâce par la vertu de « l'œuvre opérée, ex opère operato, mais qtie la seicle foi « aux promesses divines suffit pour recevoir la grâce, « qu'il soit anathème ! » (sess. 8, can. 8). Certains auteurs récents (voir dans la première édition du Lexi- que ecclésiastique de Fribourg, VIII, 803, l'article opus
122 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
recevaient encore la Confirmation et la sainte Eucharistie avant d'avoir l'usage de la raison, car ils recevraient la grâce en vertu du seul sacrement, et uniquement de sa part. Mais si étant déjà en état de grâce par le Baptême et ayant l'usage de la raison, ils produisaient des actes de dévotion pour se disposer à la réception de ces deux sacre- ments, alors ils recevraient la grâce de deux côtés, du sacrement et de leur dévotion, ce qui serait recevoir la grâce en vertu de l'œuvre opérée et en vertu de l'œuvre de l'opérant. Il est vrai néan- moins, pour parler d'une manière rigoureusement
operatum) soucieux plus que de raison de l'orthodoxie grammaticale^ alors qu'une orthodoxie plus haute est en jeu, ont voulu donner dans cette formule au verbe operari un sens actif. Mais il est certain que l'Eglise, — et les grammairiens eux-mêmes donnent ce sens à plus d'un verbe déponent, — entend ce verbe dans un sens passif ; sans cela la définition du Concile de Trente manquerait totalement son but. D'ailleurs c'est dans ce sens qu'il a été employé par les anciens Docteurs et par les SS. Pères, notamment par Lactance (Instit. div.1. 7, c. 27 ; § 6, 819), par Tertullien (Prœscr. c. 29 ; § 2, 41), et par saint Augustin (De unit. Eccl. c. 27 ; § 43, 443) ; dans la Vulgate elle-même on trouve un certain nom- bre de verbes déponents pris dans ce même sens, par exemple promereri (Héh. xiii, 16), consolari (I Cor. i, 4, 6) «j^v/zor/arî (ibid.), inierpretari {M.^\X . i, 23 ; Juda,XII, 6 ; II Mach. i, 36). Par ces mots opus operatum , l'Eglise entend l'œuvre au point de vue objectif, c'est-à-dire le signe sacramentel posé tel que Jésus-Christ l'a institué; par Vopus operantis, elle entend l'œuvre au point de vue subjectif, c'est-à-dire au point de vue de la valeur qui lui vient de la personne qui l'accomplit.
DES SACREMENTS \23
exacte, que la giàce qu'ils recevraient en vertu de l'œuvre de l'opérant et en vertu de la disposition de l'opérant, ne peut être attribuée au sacrement comme à la cause efficiente, mais seulement comme à la cause occasionnelle, parce que les actes de dévotion qui ont causé la grâce, ont été produits en vue du sacrement et pour le recevoir dignement.
D'où nous pouvons conclure à la supériorité des sacrements de la Loi nouvelle sur ceux de l'an- cienne Loi (excepté néanmoins la Circoncision) (i) ; car comme ceux-ci ne produisaient la grâce que par l'œuvre de l'opérant et en vertu des actions méritoires auxquelles donnaient lieu leur applica- tion et leur usage, ils ne produisaient pas propre- ment la CTràce sanctifiante. Ainsi l'a décidé le
I . Quelques Théologiens en effet, partisans de la doctrine de Scot, ont voulu excepter la circonci- sion de la loi générale proclamée par les Conciles de Florence et de Trente, qui refusent toute efficacité intrinsèque (ex opère operaio) aux sacrements de la Loi ancienne ; ils s'appuient sur cette raison que la circon- cision n'appartient pas à la Loi ancienne, car elle était déjà établie avant cette Loi. L'opinion commune rejette cette exception, et de fait, si on pèse bien les défini- tions des deux Conciles, on voit qu'ils attribuent la production de la grâce exclusivement aux sacrements de la Loi nouvelle, afin de montrer qu'elle l'emporte sur tous les temps qui ont précédé la venue de Jésus- Christ. On peut considérer comme certain que « la « circoncision remettait le péché originel^ » comme le déclare incidemment le pape Innocent III (3 décret., tit. 42, cap. « MAJORES » de bapt,) et qu'elle conférait la
124 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Concile de Florence (i). Ceux de la Loi nouvelle au contraire sont de véritables causes productrices de la grâce, parce qu'ils la produisent par eux- mêmes, par l'œuvre opérée, en tant qu'ils sont appliqués à une âme qui n'y met aucun obstacle. Plusieurs ont pris de là l'occasion de soutenir que les sacrements produisent dans Pâme la grâce, comme causes physiques instrumentales; Dieu s'en sert, disent-ils, pour sanctifier les âmes, comme l'ouvrier se sert des outils de son art. D'autres contredisent cette affirmation, parce que les sacrements confèrent souvent la grâce sacra- mentelle quand ils ne sont plus et quand ils ne peuvent agir que comme causes morales, en ce sens qu'ils excitent Dieu à la produire. Or, s'ils ne produisent la grâce sacramentelle que comme causes morales, il y a tout lieu de croire qu'il en est de même pour la grâce sanctifiante. Ajoutez à cela que c'est chose superflue et nullement néces- saire qu'ils produisent cette grâce comme causes instrumentales physiques, étant donné qu'ils peu- vent la produire aussi abondamment comme causes morales. C'est pourquoi Dieu qui ne mul-
grâce, mais elle ne la conférait ni ex opère operato, ni même ex opère operantis, puisqu'elle était pratiquée sur les enfants. Elle était simplement une condition sine qna non de la collation de la grâce. Le péché ori- ginel était remis en vertu de la profession de foi au Messie à venir ; or Dieu avait statué que les fils d'Abraham ne feraient cette profession que par la réception de la circoncision.
I. In Décréta Eugenii.
DES SACREMENTS 125
tiplie pas les miracles sans nécessité, s'est contenté de s'obliger par sa promesse à conférer la grâce aux personnes qui les recevraient sans indignité de leur part. Enfin il faut accorder que la Passion de Jésus-Christ a été la cause de la grâce, d'une plus noble façon que les sacrements • cependant la Passion n'en est que la cause morale principale. Les sacrements n'en seront donc que la cause morale et non la cause phy- sique, et encore la cause moins principale et instrumentale, car ils n'agissent qu'en vertu de la sainte Passion, qui produit son effet dans les âmes par leur application (i).
I. Dans cette question si discutée parmi les Théolo- giens, l'auteur embrasse l'opinion qui paraît la plus probable. « Nous ne devons pas, dit de Lugo(DE sacram. « disp. 4, sect. 4, n. 35), rendre sans nécessité les véri- « tés de noire foi plus difficiles et plus obscures, mais « plutôt, autant que nous le pouvons, plus faciles et plus « à la portée de l'intelligence dît vulgaire et des infi- « deles. » Or que des signes matériels puissent être rendus capables de produire physiquement une réalité spirituelle et surnaturelle, c'est une chose si difficile à comprendre que des Théologiens et non des moindres, tels que Soto et Vasquez, l'ont considérée comme absolument impossible. Néanmoins ont admis la cau- salité physique des sacrements, presque tous les Tho- mistes, et en outre Bellarmin (1. 2, c. 11), Suarez (disp. 9. sect. 1, n. 14), Grégoire de Valence (t. 4, disp. 3, q. 3, p. i), Ysambert (de sacram. q. 62, dis. 4, a. 3), André Vega, Tapper, Drouin, et, à notre époque, Schazler, Oswald, etc. Les partisans de la simple cau- salité morale sont presque tous les Scotistes et en outre parmi les Thomistes, Melchior Cano (Relect. de
130 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Nous reconnaîtrons de nouveau à la suite de cette considération la noblesse et la vertu des sacrements que Jésus-Christ a donnés à son Eglise, puisqu'ils confèrent la grâce sanctifiante d'une manière si efficace. Nous féliciterons l'Eglise de la faveur signalée qu'elle a reçue de Jésus- Christ, son Epoux, son Chef et son Sanctifica- teur. L'ancienne Eglise qui fut le synagogue n'a pas reçu de tels dons de Moïse, elle n'a pas eu des sacrements d'une si haute vertu, ce n'étaient que des « éléments défectueux et impuissants pour sanctifier », aux termes de saint Paul (Gai. 4). Nos sacrements au contraire sont riches et puis- sants ; ce sont les vases précieux de la grâce divine ; Ils effacent tous les péchés et il suffit qu'ils nous soient appliqués, pour opérer efficacement ces merveilles. Ainsi, ô Jésus, sous votre loi d'amour, la rémission de nos péchés et la grâce sanctifiante, que vous nous avez acquises au prix de tant de tourments, de blessures et de sanglants outrages, ne nous coûtent qu'un peu d'eau, un peu d'huile et quelques actions déterminées par votre autorité,
SACRAM. p. 4), Martin, Barthélémy, Ledesma, Vasquez, (disp. 132, c. 3), de Lugo (disp. 4, sect. 4, n. 32), Lessius, Coninck, Bécan, Platel, Antoine, la Théologie de Wurzbourg, Franzelin, Duhamel, Tournely. Quant aux anciens Théologiens scolastiques, ils n'ont jamais traité cette question ex projesso • ainsi en est-il spécia- lement de saint Thomas. Certains ont voulu voir en lui un partisan de la causalité physique, mais il résulte, d'après Vasquez, de Lugo et Franzelin, de l'étude des textes du saint Docteur, qu'il est franchement favora- ble à la causalité morale.
DES SACREMENTS 127
toutes choses que les pauvres peuvent avoir aisé- ment, comme les plus riches; il ne nous reste plus qu'à ne mettre aucun obstacle, pour être quittes de nos dettes et riches de votre grâce. O Jésus, soyez béni éternellement par toute créature, que vos sacrements soient toujours en grande estime, en grand respect et en grand honneur chez toutes les âmes chrétiennes !
III
Considérez encore un trait de la bonté de Dieu touchant les effets des sacrements ; c'est que ces effets sont produits même quand les sacrements sont administrés par des personnes qui sont en mauvais état, quoique de leur part il y ait faute grave à les traiter indignement. Anathème, dit le Concile (i), à celui qui dit que l'administrateur du sacrement, s'il est en état de péché mortel, ne fait pas ou ne confère pas le sacrement, alors même qu'il y observe toutes les choses requises. La raison principale de cette vérité est que Jésus- Christ est l'agent principal dans l'économie des sacrements, et qu'il a plein pouvoir de se servir des pécheurs aussi bien que des justes, comme ministres et serviteurs, pour sanctifier les âmes. Or, comme il était nécessaire pour la paix des consciences que les sacrements ne dépendissent pas du bon état de celui qui les administre, parce • que cet état est très incertain et que la discussion à laquelle on voudrait se livrer à ce sujet causerait une infinité de peines et de troubles, il n'a pas
I. Sess. 7, can. 12. De sacrum, in génère.
128 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
voulu que la validité et les effets des sacrements, et conséquemment le salut des âmes dépen- dissent du bon état des prêtres et des pasteurs. En effet comme les bons mérites et les œu- vres vertueuses ne leur donnent pas la puis- sance éminente d'administrer les sacrements, de même leurs démérites et leurs péchés ne les privent pas de cette puissance. Si cela était ainsi, dans quelles angoisses ne se trouveraient pas tous les jours les personnes chrétiennes, quand elles se demanderaient si elles ont reçu le Baptême, l'absolution ou quelqu'autre sacrement, d'un prêtre en état de charité et exempt de péché mortel? Certes Dieu accorde bien aux pécheurs les grâces gratuitement données, telles que la prophétie, le don des langues, le pouvoir de faire des miracles et autres grandes choses, en vue de l'utilité des âmes. Caïphe et Balaam furent pro- phètes. Les Scribes et les Pharisiens avaient juri- diction et autorité sur le peuple Juif, et cepen- dant ils manquaient de sainteté et de justice ; ils prêchaient dans leur chaire avec des paroles ravissantes, quoique leurs œuvres fussent très perverses. Qu'est-ce donc qui empêche que les méchants aient aussi le pouvoir de confectionner les sacrements, et par leur moyen de porter la grâce dans autrui, quoiqu'ils en soient eux-mêmes privés ? L'Eglise convaincue de cette vérité ne rebaptise pas ceux que les hérétiques ont bapti- sés, et les chrétiens ne sont pas tenus d'examiner, si jadis ils ont reçu les sacrements de personnes qui étaient en grâce avec Dieu. Ces recherches seraient blâmables et dangereuses. De même que
DR s SACREMENTS 12()
la semence germe dans la terre, qu'elle y ait été jetée soit d'une main propre, soit d'une main sale, de même que la fontaine verse son eau éga- lement par un canal en or ou un canal en terre ou en bois, de même que le soleil envoie ses rayons dans les appartements, quoique celui qui a ouvert la fenêtre soit attaché à ses intérêts ou qu'il ait eu un mauvais dessein en l'ouvrant ; ainsi la semence des sacrements porte fruit, que le prêtre soit Juste ou pécheur. Jésus-Christ, source des grâces, les répand par un canal d'or ou de terre, par un prêtre plein de charité ou rempli de péchés, et quel que soit celui qui lui prépare les cœurs et lui ouvre la porte des âmes par l'administration des sacrements, Jésus-Christ envoie la lumière des grâces. Enfin il en est des bons et des mauvais ministres comme de deux anneaux marqués au même coin de l'empereur; ces anneaux impriment sur la cire une même figure, quoique l'un soit en or, et que l'autre soit en fer (i).
Il est vrai néanmoins que le prêtre qui admi- nistre les sacrements en mauvais état, pèche gra- vement ; c'est pourquoi saint Grégoire le Grand (2) dit : les prédestinés purifiés par les mains des prêtres entrent dans la patrie céleste et les prê- tres de Jésus-Christ descendent à cause de leur vie réprouvée dans les supplices de l'enfer. A quoi comparerai-je les mauvais prêtres, sinon à l'eau du Baptême ?elle pousse les baptisés vers le ro3^aume des cieux en effaçant leurs péchés, mais ensuite
1. Greg. Nazianz. 40.
2. Hom. 17, in Evang.
Bail, t. \%. i,
l3o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
elle descend en bas. Néanmoins cela n'empêche pas que ces prêtres en apportant ce qui est essen- tiel dans l'administration des sacrements et en conformant leur intention à celle de Jésus-Christ en vertu de qui ils agissent ou à l'Eglise pour laquelle ils agissent, ne fassent des Saints du para- dis, par l'action même par laquelle ils se rendent eux-mêmes davantage les membres de Satan.
Il faut recueillir de cette considération combien est grande la bonté de Dieu, qui veut se servir même des méchants pour le bien de ses élus. Car il ne manquait pas de prévoyance en instituant les sacrements, il connaissait le nom et le prénom de tous ceux qui les traiteraient indignement, avec des mains souillées et sacrilèges. Cependant il a résolu d'agir de concert avec eux et de ne pas arrêter le cours de ses grâces à cause de leur malice. O Jésus, louées soient à jamais votre mi- séricorde et la suavité de votre Providence ! Mais soit détestée à jamais la témérité de ceux qui remplissent indignement leur ministère ! O Sau- veur du monde, touchez-les d'un vif repentir, afin qu'à l'avenir ils traitent saintement les choses saintes.
DES SACREMENTS I J) I
Iir MÉDITATION
DE
L'INSTITUTION DES SACREMENTS
DE LEUR EXCELLENCE
ET DE LEUR PERFECTION
DANS L'AUTRE VIE
SOMMAIRE
Le temps de la Loi de grâce était le temps propre à l'institution des sacrements. — Les sacre- ments qu'a institués Jésus-Christ sont plus parfaits que ceux de V ancienne Loi. — Les sacrements n auront leur plein effet et leur perfection que dans ïétat de gloire.
I
CONSIDÉREZ que le temps le plus propre et le plus convenable à l'institution des sacre- ments était le temps de la loi de grâce et de misé- ricorde instituée par Jésus-Christ. Si en effet nous jetons un coup d'oeil sur l'état d'innocence, état qui a précédé le péché d'Adam et la déchéance de la nature humaine, nous constaterons qu'il n'était pas à propos d'instituer dans cet état des sacre- ments, (i) parce que par eux l'homme eut été
I. D. Thom. q. 6i, art. 3.
l32 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
soumis aux choses inférieures de la terre, pour recevoir la grâce par leur moyen et être élevé ainsi à la connaissance des choses supérieures et célestes. Or, dans cet état, l'homme conservait rhonneur de sa création, par laquelle il avait été élevé au-dessus de tous les êtres terrestres et il n'avait pas mérité d'être assujetti à ces êtres ter- restres, en punition du péché dont il était exempt. De plus les sacrements ont été institués par Dieu pour être les vases sacrés du sang précieux et des mérites de Jésus-Christ. Ils ne servent que comme instruments pour appliquer aux âmes qui en sont sanctifiées le fruit de sa Passion doulou- reuse. Or si cet état heureux, si ce siècle d'or et d'innocence eut duré au paradis terrestre, le Verbe divin ne se fut pas incarné, comme nous l'avons considéré plus haut, et ainsi ses mérites n'eussent pas dû être appliqués aux hommes ; par conséquent les sacrements n'eussent pas été nécessaires. De plus le principal dessein de Dieu dans l'institu- tion des sacrements a été de faciliter aux hommes les moyens de rentrer en grâce avec lui ; car comme il leur est difficile de s'y disposer et de s'appliquer aux occupations spirituelles et aux œuvres surnaturelles méritoires de la vie éternelle, il a jugé très utile de secourir la faiblesse humaine, par quelques cérémonies extérieures, par lesquel- les elle peut arriver à la grâce sans beaucoup de difficulté. Sans cela peu de personnes fussent arrivées au salut et à la vie éternelle. Or dans l'état d'innocence, la nature humaine étant dans son intégrité première, sans la violence et la mul- titude de ces passions qui ont suivi le péché, il
DES SACREMENTS l33
n'était pas difficile à une âme immortelle de s'ap- pliquer à la méditation de Dieu et à des exercices d'une dévotion sublime, pour se conserver ou faire des progrès dans la sainteté. C'est pourquoi il n'y avait pas alors grand besoin de sacrements et de cérémonies extérieures (i).
Mais il en va tout autrement depuis qu'Adam en désobéissant a ruiné l'heureuse fortune de sa famille qui a été bannie du paradis pour ne plus faire que soupirer dans cette vallée de misère et de pauvreté. Gomme les hommes penchés vers la terre par le poids du péché originel, ne s'élèvent que très difficilement et très laborieusement aux
I. Lessius, in 3 part. q. 61, art. 4. — Tout ce qu'on peut dire de plus raisonnable sur cette question, où tout dépend de la libre volonté de Dieu, c'est que les sacrements conviennent davantage, mais non exclusi- vement, à l'état de l'homme déchu. L'institution des sacrements dans l'état d'innocence, si cet état avait duré, pourrait se justifier par d'assez bonnes raisons. Ils eussent été utiles, dit Suarez (disp. 3, sect, 3, n. 4 et suiv.) i) soit comme signes : (a) pour aider les hommes à professer extérieurement leur foi, (b) pour exciter leur mémoire et leur cœur, (c) pour les aider à mieux comprendre les choses surnaturelles, (d) pour imprimer un cachet d'unité à leur culte extérieur ; 2) soit comme producteurs de la grâce, car cette effica- cité inhérente au sacrement lui-même est toujours un bienfait pour l'homme, quel que soit l'état de l'huma- nité, parce qu'elle lui confère la grâce au-delà du mérite de ses œuvres. Ne voyons-nous pas Dieu, pour éprouver l'homme dans l'état d'innocence, se servir d'une réalité sensible, de l'arbre de la science du bien et du mal ?
1^4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
œuvres saintes capables de leur acquérir la grâce, il a été nécessaire qu'ils fussent aidés et secourus promptement par des moyens faciles d'acquérir la grâce; par conséquent immédiatement après le péché, Dieu institua pour les hommes quelques saintes cérémonies qui leur tenaient lieu de sacre- ments pour les délivrer du péché et les entretenir dans son service (i). A l'époque de Moïse, quand il donna la Loi ancienne, il multiplia ces cérémo- nies mystérieuses par lesquelles les juifs protes- taient de leur foi, de leur espérance et de leur désir à l'égard du Messie, de Jésus-Christ, qui devait venir au monde ; par l'usage de ces cérémonies ils s'entretenaient dans la religion. Toutefois comme Dieu s'était proposé de traiter les hommes plus doucement et plus suavement, lorsque son Fils se serait uni à la nature humaine par l'Incar- nation, comme il avait réservé jusqu'à cette épo- que la loi appelée Loi de grâce et de miséricorde, parce que par elle le salut est plus facile ; c'était alors la vraie saison d'instituer des sacrements et
I. Ces cérémonies, ou tout au moins la cérémonie qui avait pour but de délivrer les enfants du péché originel, — car c'est la seule dont on puisse affirmer d'une manière certaine l'existence sous la loi de nature, — constituait plus probablement un vrai sacrement. Elle avait en effet tout ce qui est requis pour un sacre- ment : i) elle signifiait la grâce de Jésus-Christ ; 2) elle consistait dans un signe extérieur ; 3) ce signe produi- sait une certaine sanctification consistant dans l'agréga- tion de l'enfant à la société des vrais croyants ; 4) ce signe avait été institué par Dieu qui « veut le salut de tous les homrnes. » (I Tim. 11, 4).
. k
DES SACREMENTS i3d
certaines cérémonies extérieures dont Tusage ne fut pas trop pénible, et dont néanmoins l'efficacité fut très grande pour sanctifier les âmes aisément, sans beaucoup de frais. Ce que Dieu s'était pro- posé, il Va accompli, et pour faciliter aux hommes les moyens de s'enrichir dans sa grâce, Jésus- Christ, Homme-Dieu devint l'auteur des sacre- ments, qui nous retirent du péché et font couler dans nos âmes les richesses de sa grâce précieuse, O le noble et généreux dessein de Dieu ! O la noblesse de sa charité ! O la tendresse de son amour ! Il veut que nous ayons les plus grands biens du ciel et il veut que nous les ayons comme sans peine et à bon marché. « Vene^, dit-il, ache- « ie^ sans argent et sans aucun échange le vin et « le lait. » C'est pourquoi son amour le porte à instituer des sacrements, pour nous y faire ressen- tir dans la facilité qu'ils nous offrent sa bonté naturelle. Ah ! Seigneur, pourquoi épargnez-vous si fort les peines et les travaux des misérables pécheurs qui ne méritent que la damnation ? Ah ! Seigneur, que votre procédé à notre égard est suave ! Ce sont, ô Jésus, vos peines et vos souf- frances qui nous ont acquis ces moyens si faciles; vous vous êtes ciiargé de la croix pour nous rendre votre joug plus léger. Oh ! soyez estimé, chéri et loué par toutes les âmes du monde !
II
Considérez que les sacrements institués par Jésus-Christ sont plus parfaits que ceux de l'an- cienne Loi ; non seulement ils produisent la grâce, mais ils la signifient plus expressément, car l'état
l36 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de la Loi nouvelle est plus abondant en grâces et a de plus grandes lumières. Comme nous Pavons déjà considéré, — et il importe de le considérer encore, — les sacrements de l'ancienne Loi, tels que la manducation de l'Agneau pascal, les obla- tions et les cérémonies diverses ne conféraient pas la grâce sanctifiante par le fait de leur usage et de leur application, mais seulement en tant que cet usage et cette application étaient une action méri- toire accomplie avec toutes les conditions d'une œuvre méritoire. Mais les sacrements de la Loi nouvelle produisent la grâce par leur propre vertu et efficacité, quand le sujet ou l'âme qui les reçoit, ne met aucun empêchement à la grâce (i). La rai- son en est que les sacrements nous appliquent davantage le fruit du sang et de la Passion de Jésus-Christ, que les bonnes œuvres accomplies avec la charité; car le mérite de Jésus-Christ nous est communiqué d'une manière plus spéciale par les sacrements que lui-même a institués. Par con- séquent quoique leur usage n'ait pas toutes les conditions du mérite, il produira toujours comme effet la grâce sanctifiante que Jésus-Christ leur fait produire tout particulièrement, sans préjudice de celle qui peut provenir du mérite. Il n'en était pas ainsi des sacrements anciens que saint Paul appelle : (i. de débiles et vains éléments » (Gai. 4), parce que Jésus-Christ ne leur communiquait pas ses mérites d'une manière si particulière et si favo- rable. Si bien que si les hommes recevaient quel- quefois la grâce en en faisant usage, c'était seule-
I. Cano, in Relect. de Sacrant, part. 5.
DES SACREMENTS I 37
ment en vertu de l'œuvre de l'opérant, c'est-à-dire en tant qu'ils faisaient une bonne œuvre en état de charité et avec les conditions requises pour mériter.
De là vient que les sacrements de l'ancienne Loi ne conteraient la grâce qu'aux âmes contrites, tandis que ceux de la Loi nouvelle la confèrent aussi aux âmes qui n'ont que l'attrition. Cette différence est la conséquence de la première, car puisque les sacrements anciens ne conféraient point la grâce par une efficacité propre, mais seu- lement par la vertu de l'œuvre de l'opérant, et en tant qu'elle était méritée par la foi et la charité de celui qui les recevait, la grâce ne s'y donnait qu'à celui qui l'avait déjà et qui possédait la dis- position suffisante pour la rémission du péché, c'est-à-dire la contrition. De là résulte une autre différence ; c'est que les sacrements anciens ne remettaient jamais les péchés et ne conféraient jamais la première grâce, tandis que les sacre- ments de la Loi nouvelle remettent les péchés, et apportent avec eux la première grâce sanctifiante, par laquelle l'âme passe tout d'abord de l'état de damnation à l'état de salut et reçoit ce qu'elle n'avait pas auparavant. « // nous a sauvés, dit « saint Paul, par le bain de régénération et non « par les œuvres de justice que nous avons, fai- « tes » (Tit. 3). Jésus-Christ dit à ses Apôtres au sujet de la Pénitence : « Les péchés seront remis « à ceux à qui vous les remettre^. » (Jean, 20). De plus le Baptême remet toute la peine du péché, et les autres sacrements en remettent une partie. Il n'en était pas ainsi des sacrements de l'ancien
l38 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Testament ; ils ne remettaient la peine que dans la mesure où la foi et la charité de ceux qui les recevaient étaient satisfactoires. Cela vient de ce que Jésus-Christ se communique plus librement par les sacrements qu'il a voulu lui-même insti- tuer et ennoblir en leur attribuant la vertu de produire de plus considérables effets. Ceci paraît davantage en ce que les sacrements de l'Ancien Testament n'ouvraient pas la porte du ciel, comme ceux de la nouvelle Loi. On n'entrait pas au ciel immédiatement après les avoir reçus, si la mort arrivait, car, comme dit saint Paul : « La voie des « saints ti' était pas encore ouverte jusqu'à ce que « Jésus-Christ^ prêtre^ ouvrit une voie nou- « velle. » (Héb. 9.) C'est lui qui est entré le pre- mier au ciel que le péché d'Adam avait fermé, c'est lui aussi qui a donné aux sacrements la vertu d'y introduire ceux qui les reçoivent dignement.
La Loi nouvelle renferme encore plus de lumiè- res que la Loi mosaïque ; et pour ce motif les sept sacrements sont plus expressifs et élèvent l'intelligence à une connaissance plus claire des choses saintes. Ils nous font connaître par les symboles des choses corporelles les excellentes propriétés de la grâce divine, car il est naturel à l'homme de se servir des choses corporelles comme de degrés pour s'élever à la connaissance des cho- ses spirituelles. L'eau du Baptême nous apprend que la grâce blanchit et épure nos âmes ; le chrême, que cette grâce nous fortifie ; les espèces du pain et du vin, que la grâce nous nourrit ; le consentement au Mariage, que cette grâce nous unit à Jésus-Christ comme à notre Epoux ; en un
DES SACREMENTS 189
mot la forme de chaque sacrement nous repré- sente quelque trait particulier de la grâce divine. Ensuite ils donnent à l'homme une plus grande assurance qu'il est dans la grâce de son Dieu et dans la voie du salut, non seulement parce que par leur usage nous témoignons que nous sommes les disciples de Jésus-Christ et des familiers qui font partie de sa maison et portent sa livrée,, mais aussi parce qu'étant persuadés et convaincus par la foi, que les sacrements confèrent la grâce et mettent nos âmes dans l'état du salut, quand ils ne rencontrent pas d'obstacle en nous, et de plus voyant d'une manière sensible que les sacrements qui signifient que la grâce de Dieu est en nous, nous sont appliqués, nous avons une plus grande confiance que nous possédons ce bien. Si au con- traire les sacrements étaient purement intérieurs et spirituels, nous douterions non seulement de nos dispositions, mais aussi de leur application. De plus ils perpétuent pour nous le souvenir de notre Chef et Rédempteur, Jésus-Christ. Jésus- Christ étant Dieu et homme et nous ayant sauvés non seulement par les actes intérieurs de son âme, mais aussi par les actions extérieures et visibles de toute sa vie, doit être servi non seulement par des actes intérieurs de l'esprit, mais aussi par des actions extérieures et par des signes sensibles, tels que les sacrements, par lesquels son souvenir est entretenu et conservé sensiblement parmi les fidèles. C'est pourquoi on les appelle des signes commémoratifs, démonstratifs et prophétiques; ce sont des signes commémoratifs de la Passion de Jésus-Christ, démonstratifs de la grâce qu'ils
•>I40 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
produisent actuellement et prophétiques de la gloire éternelle, à laquelle ils nous disposent mieux que la multitude des sacrements anciens.
Si après tout cela nous voulons prolonger notre considération, nous pouvons observer que nos sacrements nous élèvent à une plus grande con- naissance de la puissance, de la sagesse et de la miséricorde de Dieu. De sa puissance, car par les sacrements qui sont en apparence peu de chose, il opère des merveilles indicibles, il sanctifie les âmes, les dégage de la tyrannie de Satan et du péché, et les rend glorieuses pendant toute Téter- nité. De sa sagesse, puisqu'il fait servir à nous purifier et à nous rendre saints les choses sensibles et corporelles, par l'usage desquelles nous nous dépravons davantage. Finalement ils nous élèvent à la connaissance de la bonté et de la miséricorde de Dieu, qui par des moyens si faciles nous donne la sanctifiaation intérieure.
J'admirerai cette double vertu des sacrements institués par Jésus-Christ, vertu que n'avaient pas les sacrements de Moïse. Ainsi plus le monde va en avant et plus les péchés se multiplient, plus la miséricorde et la magnificence de Dieu se commu- niquent aux misérables mortels. Ah ! « il na pas « agi ainsi à V égard de toute nation » (Ps. 147), comme il a agi avec les chrétiens. O mon âme, que de bienfaits de Dieu cachés renferment ces admirables sacrements ! Oh ! heureux celui qui pourrait creuser davantage cette mine par une plus profonde méditation ! Quel riche trésor, quelle abondance merveilleuse de biens et de consola- tions n'y découvrirait-il pas ? O Seigneur, c'est
DES SACREMENTS I4I
dans ces sacrements que vous déployez les riches- ses de votre amour à Tégard des mortels. Oh ! je désire employer les sept jours de la semaine à vous remercier pour les sept sacrements, comme pour sept sources d'où coulent jusqu'à nous tous les biens spirituels. C'est la raison pour laquelle nous devons honorer vos sacrements et les traiter avec toute sorte de respect, car ce sont les canaux sacrés par lesquels votre libéralité magnifique épanche ses dons et ses grâces pour nous enrichir. O Jésus, imprimez dans mon cœur ce désir de les traiter toujours avec respect ! Faites que je retire de leur usage l'avantage que vous me proposez, à savoir votre grâce dans la vie présente et votre gloire dans l'autre.
III
Considérez de plus que les sacrements auront leur plein effet après cette vie, dans l'état de la béatitude ; car comme l'état de cette vie est très imparfait, il reste encore beaucoup à perfectionner et à achever dans une àme, même lorsqu'elle a été munie ici-bas des sacrements (i). En effet le Baptême qui purifie ici l'àme, ne la rend pas pourtant impeccable, il laisse en elle le foyer du péché et l'étincelle des concupiscences qui la tra- vaillent et l'exercent jusqu'à la mort; mais dans la gloire le Baptême aura son effet total et sa consom- mation, car l'âme sera absolument impeccable et affranchie du foyer du péché. La Confirmation
I. Idiota Fernandus de las infantas, in Psal. 109, c. 45.
142 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
fortifie bien Tàme, mais elle la laissa au milieu des dangers et des persécutions, où elle perd quelque- fois courage et manque de force ; tandis que dans la béatitude elle sera confirmée en grâce pour toute l'éternité, sans avoir à craindre aucune lutte ni pour le présent ni pour l'avenir. L'Eucharistie nourrit ici l'àme, mais d'une manière cachée, car Jésus-Christ y est présent sans s'y montrer, sans faire paraître l'éclat incomparable de sa splendeur et de sa beauté ravissante, tandis qu'au ciel l'àme sera rassasiée de cet aliment, sans que rien y soit caché, elle en goûtera et savourera parfaitement les douceurs infiniment délicieuses. « Travaille^ « pour avoir non la nourriture qui périt ^ mais « celle qui demeure dans la vie éternelle. » (Jean, 6). La Pénitence remet ici-bas la coulpe, mais laisse le plus souvent l'obligation de subir la peine due au péché, ou sur la terre ou dans le purgatoire, elle n'affranchit pas l'àme de toute crainte d'avoir provoqué contre elle-même la colère divine ; mais dans le ciel toute la peine et l'appréhension que nous laisse le péché auront disparu et l'âme sera totalement amendée et con- vertie sans avoir à craindre aucune rechute dans un seul de ses défauts. L'Extrême-Onction guérit les restes du péché, mais non pas tous. Elle donne quelque confiance et quelque force contre les craintes et les saisissements qui arrivent à l'heure de la mort à la pensée des offenses de la vie passée ; mais elle n'abolit pas la dette entière de la peine, tandis que dans le ciel tous les restes des péchés seront ôtés et il n'en subsistera plus rien. L'Ordre nous fait prêtres et nous donne le pouvoir
DES SACREMENTS 143
d'offrir Thostie vivante au Père éternel, mais il ne nous en donne Tenticre possession que sous le voile des espèces, de telle sorte que notre désir n'est pas encore satisfait et assouvi ; dans la gloire nous aurons la pleine participation de cette hostie par une jouissance telle que nous en tirerons notre félicité éternelle. Enfin le Mariage unit l'époux mortel avec l'épouse mortelle par un lien qui dure Jusqu'à la mort, ce qui est l'image de l'union qui se fait par la grâce de l'àme immortelle avec Dieu immortel. Mais cette grâce peut se perdre par le péché et l'union peut cesser, tandis qu'au ciel le Mariage aura atteint sa perfection, l'àme, comme épouse, sera unie par la gloire à Jésus-Christ, l'Epoux immortel, d'une union qui ne sera jamais rompue. Le temps des noces de l'Agneau sans tache sera venu, et l'àme, son épouse, préparée et embellie par les pierres précieuses de toutes les bonnes oeuvres, sera élevée en triomphe, pour être mise en possession des palais célestes et des biens immortels de son divin Epoux, avec lequel son alliance durera dans tous les siècles des siècles. Oh ! quel sujet de louer la magnificence divine pour tous ces effets si parfaits qui paraîtront éter- nellement dans l'état de gloire ! Ne nous découra- geons donc pas si après la fréquentation et l'usage des sacrements nous nous voyons encore dans une multitude de défauts et d'imperfections. C'est dans la vie à venir, ô mon cœur, que les fruits des sacrements seront dans toute leur perfection et sans aucun défaut. O Dieu éternel, quand viendra cet état glorieux? Quand aura passé cette vie mor- telle ? Et quand serons-nous montés par les éche-
144 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Ions des sacrements jusqu'au sommet de notre félicité ? Oh ! dans cette attente je prendrai cou- rage et je ne perdrai point le désir de vous servir, malgré tant de défauts qui me restent. J'espérerai que tout sera parfait et achevé dans la vie à venir. Dieu de vérité, vous nous avez fait cette si conso- lante promesse : « Vous putserec^ avec Joie aux <f. Jontaines du Sauveur. » (Is. 12). Ces fontaines sont, ô mon Sauveur, vos plaies sacrées, d'où jail- lit le sang qui nous purifie ; ce sont également vos sacrements dans lesquels nous puisons durant cette vie les eaux de la grâce, mais avec douleur et amertume, à cause de nos péchés et où nous espé- rons puiser les eaux des joies éternelles avec une grande jubilation de cœur, quand les ombres de cette vie mortelle auront baissé et quand votre jour lumineux nous apparaîtra. Oh! qu'il vienne bientôt ce jour si désirable ! Que nous soyons tous comblés et rassasiés des fruits suprêmes de vos admirables sacrements.
DES SACREMENTS 145
IV^ MÉDITATION
DU SACREMENT DE BAPTÊME ET DE SES EFFETS
SOMMAIRE :
Le Baptême consiste à laver le corps avec de Veau et à prononcer des paroles. — Le premier effet du Baptême est la rémission du péché originel. — Le Baptême produit une grâce égale dans tous les enfants.
I
CONSIDÉREZ que le Baptême est le premier des sacrements. Il consiste dans l'ablution du corps avec de l'eau et dans la prononciation de ces paroles : Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Il fait renaître la per- sonne baptisée en Jésus-Christ. Toutes ces paroles méritent d'être remarquées, car il convient que le Baptême soit le premier des sacrements. C'est là un de ses privilèges sur tous les autres sacrements de la religion chrétienne : il est la porte du chris-» tianisme, l'introduction à la vie chrétienne, l'en- trée dans la piété et le sacrement par lequel il faut commencer pour être capable de recevoir les autres. L'ablution avec l'eau et la prononciation de ces paroles : Je te baptise^ etc., sont la matière et la forme qui le composent et les deux signes
Bail, t. ix. IO
146 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sensibles de la grâce divine. L'ablution avec Teau en est la matière expressément déterminée par Jésus-Christ qui a dit : « Baptise\-les au nom du « Pere^ du Fils et du Saint-Esprit. > (Matt. dern. chap.). Ainsi Teau qui lave les souillures repré- sente la grâce divine qui lave les taches de Tàme ; comme aussi Peau est transparente, qu'elle est rafraîchissante et qu'elle éteint même le feu, elle signifie encore cette même grâce qui dissipe les ténèbres du péché et ralentit l'ardeur des concu- piscences. La prononciation de ces paroles en est la forme : Je te baptise au nom du Père^ du Fils et du Saint-Esprit, parce que ces paroles signi- fient encore plus évidemment la grâce divine qui rend l'âme pure et nette de toutes ses souillures. C'est Jésus-Christ qui a prescrit ces paroles, quand il a dit : « Bapttse:{-les au nom du Père, du Fils « etdu Saiut-Esprit. » L'Eglise a toujours inter- prété de telle sorte l'intention de Jésus-Christ, puisqu'elle a enjoint à ses Apôtres de les pronon- cer mot à mot en baptisant. C'est pourquoi celui qui les omettrait ou les altérerait à tel point que le sens en fut tout autre, ne conférerait pas le sacre- ment de Baptême, quand bien même il ferait passer sur un corps toute l'eau de la mer.
Au reste, ce qui est encore lort important, c'est ce qui termine la définition : pour faire renaître la personne baptisée en Jésus-Christ. Le Baptême vise directement à nous donner une nouvelle nais- sance en Jésus-Christ, naissance sainte et spiri- tuelle par laquelle nous recevons de lui un être nouveau et une vie nouvelle, qui nous fait ses enfants et ses membres, qui fait que nous lu
I>IiS SACREMENTS I.}7
appartenons. C'est pourquoi lui-même traitant de la Loi avec un grand docteur appelé Nicodème, et l'instruisant sur le Baptême, lui disait : « Iljaut « que Fhommc naisse de nouveau. » (Jean, 3). Car notre première naissance que nous avons tirée d'Adam par l'intermédiaire de notre père tempo- rel, de notre mère terrestre et de nos ancêtres, est une naissance malheureuse et de tout point infor- tunée, parce que nous sommes conçus et nés d'Adam dans le péché originel qui est la racine féconde de toute misère, nous sommes nés enfants de colère et de la colère de Dieu, pri- vés des grâces habituelles et des grâces actuel- les, remplis d'ignorance pour tout ce qui est bon et profitable, farcis et empoisonnés de concu- piscences pour les plaisirs, les connaissances, les grandeurs et tout ce qui s'y rattache. Enfin nous sommes nés avec des passions brutales, qui secon- dées par les ténèbres de notre ignorance née éga- lement avec nous, nous précipitent dans toutes sortes d'actions mauvaises et désagréables à Dieu. Si nous n'avons que cette seule naissance du vieil Adam, il n'y a rien de si misérable que nous. C'est parce que nous sommes nés si mal et si malheureusement qu'il faut renaître plus heureu- sement de Jésus-Christ et par une naissance qui ait au moins autant de bonnes conditions que notre première naissance en contient de mau- vaises.
C'est à cela que tend le Baptême; il répare les malheurs et toutes les disgrâces de la naissance corporelle, imprime de nouveau l'image de Dieu dans nos âmes, nous forme de nouveau et nous
Î48 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
refait avec une structure plus magnifique, et comme parle le Théologien, (i) plus divine et plus excellente que la première structure de notre création. Il nous communique la grâce sanctifiante et la grâce baptismale, par laquelle est effacé le péché originel et tout autre péché qui se rencon- trerait dansl'àme. Cette grâce tient lieu à la per- sonne baptisée d'un être nouveau et d'une vie nouvelle, être et vie semblables à l'être et à la vie de Jésus-Christ; et cette âme désormais appartient à Jésus-Christ, doit le suivre, l'imiter dans la sainteté de ses moeurs, de ses intentions, de ses affections et de sa très sainte vie. C'est pourquoi saint Paul a écrit ces belles paroles : « Vous êtes « ictis enfants de Dieu par la foi en Jésus-Christ. « Vous tous qui êtes baptisés en Jésus-Christ, « vous ave:^ revêtu Jésus-Christ. Il n'y a plus ni <i juij, ni grec\ ni esclave, ni homme libre ; ni homme^ ni femme ; car vous êtes tous un en « Jésus-Christ. » (Gai. 3). L'Apôtre veut dire : vous êtes tous refondus par le Baptême, vous êtes tous les membres d'un même corps, vous êtes tous les enfants d'un même Père, vous avez tous la forme de Jésus-Christ, vous êtes nés à son image et à sa ressemblance, pour être comme lui, de même que vous étiez nés à l'image et à la ressemblance du vieil Adam, et également disgra- ciés comme lui.
Je verrai d'après cette considération quelle noblesse nous confère le Baptême, par lequel nous renaissons enfants de Dieu et membres de
I. Greg. Naz. Orat. 40.
DES SACREMENTS 1 49
Jésus-Christ, nous qui étions auparavant enfants du vieil Adam et membres de Satan. Si un homme né d'un père misérable, un homme qui est tout difforme et contrefait, aveugle et malheureux, pouvait renaître d'un autre père très noble et très riche, s'il pouvait renaître très beau, très net, très bien conditionné et très heureux, il serait Timage de l'homme qui a reçu le Baptême. Et quelle reconnaissance, ne devrait-il pas avoir de cette renaissance, quel amour, quel honneur et quel respect ne devrait-il pas témoigner à ce second père de qui il tiendrait tant d'avantages et d'excel- lences ? Quel respect dès lors et quelle affection ne devons-nous pas témoigner à Jésus-Christ, notre second père, dont nous avons reçu une seconde naissance qui répare tous les défauts de notre première naissance infortunée? Oh! que nous devons avoir une grande union, une étroite alliance et amitié et une parfaite conformité avec ce Père admirable, qui moyennant un peu d'eau et quelques paroles a eu la vertu si puissante d'opérer un tel renouvellement ? O Jésus ! je suis à vous par le titre et l'obligation de mon Baptême; je suis obligé d'être uni à vous et d'embrasser vos intérêts, comme un fils ceux de son père, je suis obligé de ne rien faire de bas et de messéant à celui qui a l'honneur d'être de votre famille et de tenir de vous sa naissance spirituelle. Ohi que je sois donc éternellement à vous ! Que je meure à mon ancienne vie, pour vivre pour vous seul d'une vie chrétienne et qui soit toute employée à vous servir et à vous honorer.
l5o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
II
Considérez les effets du Baptême.
Le premier effet du Baptême est la rémission du péché originel et de tout autre péché, tant mortel que véniel, qui pourrait se trouver dans la per- sonne baptisée, a Je confesserait le Symbole de Constantinople, qu'il y a un Baptême^ pour la rémission des péchés. » Saint Paul déclare cette vérité en ces termes : « Quiconque est baptisé en « Jésus-Christ , est baptisé dans sa mort » (Rom. 6), c'est-à-dire selon la ressemblance de sa mort; parce que de même que la vie corporelle de Jésus-Christ fut éteinte par sa mort, ainsi le péché est détruit dans le Baptême. En réalité le Baptême est une imitation de la mort et de la Résurrection glorieuse de Jésus-Christ. Il est une imitation de sa mort, dans laquelle il y a deux choses à remar- quer, à savoir l'effusion de son sang et l'extinction de sa vie corporelle. Ainsi dans le Baptême il y a effusion de l'eau ou immersion dans l'eau et extinc- tion de la vie du péché. Il est aussi une imitation de sa Résurrection, dans laquelle il faut encore considérer deux choses, à savoir la sortie du sépul- cre et la vie immortelle. Ainsi dans le Baptême il y a la sortie hors de l'eau et la nouvelle vie spiri- tuelle (i).
Le second effet du Baptême est la grâce sanc- tifiante, accompagnée des vertus surnaturelles de la foi, l'espérance et la charité (2). La grâce
I. Lessius, ad 3 p. q. 69, art. i. a. In Psalm. 118, octon. 16, c. 5.
n F s s A C R E M E N T s I ? I
sanctifiante lave l'ànie et la rend plus blanche que la neige. C/est pourquoi saint Ambroise (i) com- pare les personnes baptisées aux colombes dont il est fait mention dans le Cantique des Cantiques, et qui « sont lavées avec du lait. » Celui qui va être baptisé pourrait dire à Dieu comme David ; « Vous me laver e\ et je serai plus blanc que la « neige. » (Ps. 5o).
Le troisième effet est la grâce sacramientelle, qui comprend une multitude de secours spirituels, d'illuminations et d'inspirations pour accomplir la loi chrétienne et remplir tous les devoirs aux- quels on s'oblige en recevant le Baptême. C'est pourquoi la plupart des grâces actuelles que reçoit
I. Autrefois un grand nombre de Théologiens ont nié que dans le Baptême fussent conférées aux enfants les habitudes surnaturelles (Voir le chap. Majores d'Inno- cent III). Le Concile de Vienne fit à ce sujet la déclara- tion suivante : « Nous avons jugé devoir adopter, avec « l'approbation du saint Concile, Vopinion qui soutient « que la grâce sanctifiante et les vertus sont conférées « dans le baptême tant aux enfants qu'aux adultes, « comme étant plus probable et aussi plus conforme « soit aux paroles des Saints soit à V enseignement des « Théologiens modernes. » Mais de cette opinion que le Concile de Vienne ne donnait que comme plus proba- ble, le Concile de Trente a fait un article de foi. Voici ce qu'il dit de toute justification, mais spécia- lement de la justification dont le Baptême est la cause instrumentale : « Dans la justification, l'homme « reçoit par Jésus-Christ à qui il est incorporé, et la « rémission de ses péchés, et tous ces dons en même temps « répandus : la foi, V espérance et la chariti'. » (Sess. vi, chap. 7).
1^2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
le chrétien pour adhérer à Jésus-Christ et renon- cer aux pompes du démon, pourraient être attri- buées au Baptême (i).
Le quatrième effet est la rémission et condona- tion de toutes les peines qui sont dues, au jugement de Dieu, pour la punition du péché. L'Eglise a défini cette vérité dans ses Conciles généraux (2) ; elle n'impose pas de pénitence ni d'œuvres satis- factoires à ceux qui sont baptisés. Le Baptême leur sert de purgatoire et les rend quittes de toutes leurs dettes envers Dieu, par une plus ample com- munication qui y est faite. de la mort de Jésus- Christ, absolument comme si nous avions enduré la mort pour nos péchés. Ainsi dans notre nais- sance temporelle la transgression d'Adam nous est communiquée comme si nous y avions contribué par
1. Saint Thomas en donne la raison. « Par le hap- « terne on est régénéré à la vie spirituelle. . . Or, la vie « n'appartient qu'aux membres qui sont unis au chef « dont ils reçoivent le sentiment et le mouvement . Et c'est « pour cela que par le baptême il est nécessaire qu'on soit « incorporé au Christ, comme un de ses membres. Mais « comme dans l'ordre naturel la tête communique aux « membres le sentiment et le mouvement^ de même c'est du «• Chep spirituel qui est le Christ^ que découle sur ses « membres le sentiment spirituel, qui consiste dans la « connaissance de la vérité et le mouvement spirituel qui « est produit par V action de la grâce... C'est pourquoi il « s'ensuit que ceux qui sont baptisés sont éclaires par le « Christ à V égard de la connaissance de la vérité, et « fécondés par lui de la fécondité des bonnes œuvres par « l'infusion de là grâce. » (III, q. 69, art. 5).
2. Florent, in Decreto unionis ; Trid. sess. 14, can. 3.
DES SACREMENTS l53
notre propre consentement, quoiqu'il y ait quelque différence. Or cette parfaite communication de la mort et Passion de Jésus-Christ, avec lequel nous sommes morts et ensevelis au Baptême, exigeait en même temps que l'abolition de la coulpe celle de toute la peine. Il est vrai néanmoins que les misères et les peines de la vie humaine demeu- rent après le Baptême, telles que la faim, la soif, les concupiscences, les maladies, les travaux et la mortalité. Mais ces choses qui sont la punition du péché originel chez les païens et les infidèles, changent de titre chez les personnes baptisées ; elles ne subsistent pas en elles comme punition, mais comme des pénalités et comme une matière à exercer la vertu et à augmenter le mérite à Toc- casion (i).
I. Citons l'important décret par lequel le Concile de Trente définit cette doctrine : «... Dans les hommes « régénérés il rCest rien que Dieu haïsse : Il n'y a rien
« QUI MÉRITE CONDAMNATION DANS CEUX QUI ONT ^TÉ, PAR LE « BAPTÊME, VRAIMENT ENSEVELIS AVEC JÉSUS-ChRIST, POUR « PARTICIPER A SA MORT et qîli NE VIVENT PLUS SELON LA
« chair; mais ^«/, dépouillés de vieil homme et revêtus du « nouveau créé selon Dieu, ont été^ rendus innocents, « immaculés, purs, sans tache, bien-aimés de Dieu, ses « héritiers et les cohéritiers de Jésus-Christ, dignes « d'entrer immédiatiaiement dans le ciel. Que cependant « la concupiscence^ ou le foyer du péché ^ démettre dans « ceux qui ont reçu le Baptême, c'est là la pensée et la « déclaration du Concile; mais, laissée poiLr le combat, « elle ne saurait nuire à ceux qui lui refusent leur con- « sentement et qui, secourus par la grâce de Jésus-Christ, « lui résistent avec courage. Qui plus est, a qui aura
l54 I-A THÉOLOGIE AFFECTIVE
Le cinquième effet du Baptême est le caractère qui demeurera éternellement comme une marque et une livrée à laquelle on reconnaîtra que tel homme a été du parti de Jésus-Christ ; ce qui sera pour les bons un sujet de gloire et de consolation dans le paradis, et pour les mauvais qui sont déchus de la grâce du Baptême, un sujet d'opprobre et de confusion éternelle dans l'enfer où on les remar- quera et où on les distinguera entre tous les autres.
Le sixième effet du Baptême est l'admission ou la réception dans la famille de Jésus-Christ. Qui- conque en effet est baptisé est enrôlé dans la so- ciété du Fils de Dieu, il est au nombre de ses soldats, de ses membres, de ses enfants, par con- séquent il est engagé dans son parti, obligé de lui obéir, de le suivre, de l'imiter et de l'honorer.
Le septième effet est l'ouverture du paradis. Le Baptême ôte tous les empêchements qui sont les péchés et les peines qui en découlent. C'est pour- quoi si le chrétien sortait de ce monde aussitôt après le Baptême, il trouverait libre entrée dans le ciel; la preuve en est que quand Jésus-Christ fut baptisé dans les eaux du Jourdain, les cieux s'ou-
« BIEN COMBATTU EST RÉSERVÉE LA COURONNE. L Apôtre
« appelle quelquefois cette concupiscence péché ; mais le « saint Concile déclare que jamais l'Eglise catholique na « compris cette dénomination dans ce sens qtie dans les « hommes régénérés la concxipiscence fût vraiment et pro- « prement un péché ^ mais elle a reçu ce nom ^ parce qu'elle « vient du péché et qu elle incline au péché . Si quelqu'un « professe un sentiment contraire^ qu'il soit anathème ! » (Sess. 5, can. 5).
vrircnt pour nous apprendre que ce serait l'effet du Baptême de rendre libre l'accès du paradis.
Tous ces elVets sont si grands qu'ils ont donné sujet à Tertullien (i) d'appeler ce sacrement un heureux sacrement et au Théologien (2) de dire qu'il est la splendeur des âmes, un changement de vie en mieux, le renfort de notre infirmité, la renonciation à la chair, l'assomption de l'esprit, la participation du Verbe divin, l'amendement de notre naissance, le déluge du péché, la communi- cation de la lumière, la destruction des ténèbres, un char pour aller à Dieu, un pèlerinage avec Jésus-Christ, l'aide de la foi, la perfection de l'esprit, la clef du royaume céleste, la communi- cation de la vie, la délivrance de la servitude, l'affranchissement de nos liens et le passage de notre être à un meilleur état, en somme le plus signalé et le plus fameux des bienfaits de Dieu. C'est pourquoi saint Louis aimait davantage la ville de Poissy, où il avait été fait chrétien par le Baptême, que la ville de Reims, où il avait été couronné roi de France, parce que les effets du Baptême sont préférables à tous les biens et à tous les honneurs de la terre et même aux grandeurs d'une couronne (3).
Admirez la multitude de tant de nobles effets obtenus par un moyen si facile et si aisé. Oh ! qu'elle est grande la libéralité de Jésus-Christ à
I. L. De Baptismo. 1. Greg. Naz. Orat. 40,
3. Gaufridus de Bello loco, De vita et convers. Sti LuDovici. — Le sieur de Joinville en sa Vie,
l56 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
l'égard des âmes qui entrent à son service ! Comme il leur fait ressentir bénignement la suavité de son joug, en les comblant tout d'abord de tant de biens et en les délivrant de tout péché ! Un océan de larmes ne pourrait pas nous obtenir une ré- mission de péchés plus entière que deux ou trois gouttes d'eau. Rendez à Dieu des actions de grâ- ces, pour avoir, par un trait tout particulier de sa Providence, reçu un sacrement si riche et si abon- dant en tout bienetpour l'avoir reçu dans votre pre- mière enfance, avant même que vous pensiez seulement à Dieu. Que vous avez d'obligation à ceux qui vous ont procuré un tel bien ! Hélas ! que de millions de créatures humaines sont et seront privées d'un si grand bienfait ! Déplorez leur condition, regrettez la perte et le désastre des âmes, faute de sacrement. Efforcez-vous de tout votre pouvoir de le faire administrer à quelque personne qui est exposée à en être frustrée. Enfin redoutez après le Baptême de tomber dans quel- que péché mortel qui vous priverait de tous ses bons effets, et si, par malheur, vous y êtes déjà tombé, recourez au plus tôt au sacrement de Pé- nitence, qui peut réparer d'une certaine manière ce malheur.
III
Considérez que la grâce sanctifiante produite par le Baptême est égale chez tous les enfants baptisés et chez tous les adultes, qui y apportent une égale disposition. La raison en est que le Baptême produit son effet à la manière d'un agent naturel ; or un tel agent produit autant dans un
r>ES SACREMENTS ib']
sujet que dans un autre, quand les dispositions sont semblables. Et puis, comme le Baptême est institué par Jésus-Christ avec une mesure déter- minée de vertu et d'efficacité; laissé à sa propre force, il ne peut produire qu'un même et semblable etîet (i). Saint Gyprien(2) prend à tâche d'éclaircir
1. C'est l'opinion conimune des Théologiens. Elle s'appuie sur le Concile de Trente qui, après avoir dit que le Baptême est une des causes instrumentales de la justification, déclare que chacun reçoit en lui une justice qui lui est propre, « selon la mesure que VEs- « prit-Saint fait ^ à son gré, à chaque homme, et selon la « disposition et la coopération personnelle de chacun « d'eux. » (Sess. v 6, ch. 7.)Ce texte suppose que Dieu, a déterminé, en instituant les sacrements, la mesure de grâce qu'ils produiraient, et qu'il l'a déterminée comme il la voulu <(. proîit vult » et absolument, mais néan- moins de telle sorte que la quantité de grâce conférée serait proportionnée aux dispositions plus ou moins parfaites du sujet. Quelques rares Théologiens ont pensé que Dieu dans le Baptême confère la grâce d'une manière inégale aux enfants qu'il prévoit devoir mourir avant d'avoir atteint l'âge de raison ; la raison qu'ils apportent est que les hommes doivent être semblables aux Anges en nombre et en gloire, et que, puisque les Anges sont inégaux en gloire, les hommes doivent l'être aussi, et par conséquent doivent recevoir une grâce inégale. Or c'est là une supposition arbitraire. Scot à son tour (4, dist. 4, q. 7) semble s'écarter de la thèse commune, quand il soutient que Dieu, qui a prédestiné les élus à divers degrés de gloire, peut, ou par une faveur spé- ciale, ou par une application spéciale des mérites de Jésus-Christ, ou en considération du mérite de celui
2. Epist. •]() ad Magnum.
Ip8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
cette vérité qu'il confirme par l'autorité d'un Concile de Garthage. Il compare le Baptême au soleil et à la manne. De même que le soleil fait resplendir également ses rayons sur le monde, ainsi le Baptême communique sa grâce avec éga- lité ; de même que la manne était distribuée dans une égale mesure à tous les enfants d'Israël, durant leur marche à travers le désert; ainsi en est-il de la grâce sanctifiante, qui découle du Baptême sur les enfants baptisés. Comme ils sont venus au monde aussi grands pécheurs l'un que l'autre et également infectés du péché originel, ils sont éga- lement sanctifiés.
Si l'on dit que Dieu prédestine tel enfant à une plus grande gloire que tel autre, et qu'en vertu de cette prédestination il lui fait une plus grande largesse de sa grâce, de manière à ce qu'elle soit proportionnée à une plus grande
qui administre le sacrement ou même des assistants, conférer à telle personne, outre la grâce accordée à tous en vertu du sacrement, un supplément de grâce. Mais, d'après ses commentateurs, Scot ne parlerait que de ce que Dieu peut faire et n'affirmerait nullement qu'en réalité il le fait. Cajétan enfin (3. q. 64, a. i) estime que quelquefois telle personne obtient dans la réception des sacrements une plus grande grâce que telle autre, non pas en vertu du sacrement lui-même, mais à cause de la sainteté et de la dévotion de celui qui l'administre. Cette opinion ne paraît pas admissi- ble ; en réalité le ministre du sacrement peut bien mé- riter quelque chose d'un mérite de convenance à celui à qui il administre le sacrement, mais il ne peut lui obtenir directement aucun degré de grâce sanctifiante.
DHS SACRKMKNTS 1:^9
gloire ; il fnut pour répondre à cette difficulté se rappeler que la prédestination se fait d'après la prévision des mérites de la vie, et que, comme les enfants ne sont pas sauvés par leurs propres mérites, mais par ceux du second Adam, Jésus- Christ, de même qu'ils étaient perdus par les démérites du premier Adam, ce n'est pas tant la gloire à laquelle ils sont prédestinés qui est la cause de leur grâce, que leur grâce qui est la cause et la source de leur gloire. Si donc nous ne consi- dérons que le cours ordinaire de la prédestination, la prédestination n'est pas la cause pour laquelle l'un reçoit dans son enfance une gloire plus abondante que l'autre. Cela pourrait avoir lieu seulement dans quelques insignes prédestinés, dont le nombre est aussi rare que la manière dont ils sont prédestinés est secrète. Certains de ceux- là pourrraient être plus spécialement favorisés de Dieu dans leur Baptême ; c'est ainsi qu'un savant personnage admet la chose comme probable pour le grand évêque de Myre, saint Nicolas, qui vécut saintement et pour Dieu, avant que de vivre pour le monde (i). Mais le privilège accordé à quelques personnes n'empêche pas que, selon le cours ordi- naire, la grâce se donne dans une égale mesure à ceux en qui il n'y a point d'inégalité. En somme la prédestination ne requiert pas que les enfants reçoivent dans leur Baptême le privilège d'une grâce extraordinaire ; mais elle exige seulement que la Providence de Dieu ne permette pas qu'ils sortent de ce monde sans Baptême, et sans avoir
I. Turrecremata in Qiiœst. spir. convivii.
l6o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
mérité, par le moyen ordinaire des bonnes œuvres, le degré de gloire auquel Dieu les a prédestinés. Pour ce qui est des adultes qui reçoivent le Baptême à Tàge de discrétion, après s'y être dis- posés par le repentir de leurs fautes passées, et par la résolution de vivre soumis à la loi chrétienne, il est bien vraisemblable que Jésus-Christ, pour encourager les hommes à mieux se disposer à recevoir les sacrements, les a institués de telle sorte et doués d'une telle vertu que la grâce serait conférée par eux d'autant plus largement qu'on s'y disposerait mieux. C'est pourquoi celui qui aura une plus grande foi et une plus grande pénitence de ses fautes, quand il est baptisé à Tàge de dis- crétion, y recevra de plus grandes caresses et des faveurs plus signalées de Jésus-Christ. Il peut même arriver qu'il ne recevra aucune grâce, s'il manque d'attrition pour ses fautes, car l'attrition est la moindre disposition pour recevoir ce sacre- ment, quoiqu'elle soit suffisante. Toutefois comme la bonté de Dieu est grande et qu'il ne peut pas souffrir qu'une âme repentante soit éternellement privée de l'effet du sacrement, qui ne peut se réitérer et qui lui est nécessaire pour la vie éter- nelle, il veut que, lorsque le Baptême a été reçu sans effet, faute de disposition, ce sacrement pro- duise la grâce plus tard, à l'instant même où cette âme ôtera l'obstacle qui arrêtait l'écoulement de la grâce en elle, c'est-à-dire où elle se repentira sin- cèrement et sans fiction. C'est, dit saint Thomas ( i), comme ce qui arrive dans un corps pesant, qui
I, Quœst. 69, art. 10.
bKS SACREMENTS l(h
tend vers la terre et y tombe, si rien ne Ten empêche, et qui, si un obstacle l'arrête, y tombe de nouveau, l'obstacle une fois ôté. Ainsi quand quelqu'un est baptisé, il reçoit, s'il n'y a aucun obstacle qui l'en empêche, la «iràce sanctifiante, et s'il y a empêchement par défaut de disposition, cet empêchement une fois ôté, la grâce revient dans cette àme, absolument comme si le Baptême revivait en elle et lui était conféré actuellement (i).
I. Celui-là use de fiction, dit Scot, qui Jait paraître « une chose extérieurement , tandis qu'il a une chose diffé- « rente dans le cœur. Quelqu'un peut user de fiction dans « la réception du sacrement de Baptême de deux ma- « nicres. Premièrement, s'il fait paraître l'intention de « recevoir cette ablution de la manière dont l'Eglise « entend la conférer, et si au fond de l'âme il a une « intention contraire ; celui-là ne reçoit pas le sacrement. « La seconde manière d'user de fiction consiste à Jaire « paraître qu'on a les dispositions requises pour la « réception du sacrement, alors qu'on ne les a point en « réalité, soit parce qu'on manque de la /oi orthodoxe, soit « parce qu'on a quelque péché mortel commis soit avant la « réception soit dans la réception du sacrement, péché « mortel dont on n'a à aucun degré ni Vattrition ni la « contrition. C'est dans ce dernier sens communément « que les Saints et les Docteurs disent de quelqu'un qu'il « a reçu le Baptême avec fiction, » (4, dist. 4, q. 5). Il est certain et admis par le plus grand nombre des Doc- teurs que celui qui a reçu le Baptême avec ce genre de fiction,c'est-à-dire en état de péché mortel, — ce qui est un obstacle à la collation de la grâce, — n'a, pour faire revivre le sacrement et en recevoir la grâce, qu'à faire disparaître cet obstacle en se mettant dans la disposition requise. Le Baptême qu'il a reçu avec cet obstacle à la grâce a Bail, t. ix. xi
l6'2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Donc puisque le défaut de disposition dans une personne ayant l'usage de la raison fait que la grâce n'est pas conférée, il est bien convenable que l'abondance des bonnes dispositions la fasse abonder.
été valide et a imprimé dans son âme le caractère sacramentel. Or, dit saint Thomas (4, dist. 4, q. i, a. I, ad 5), ce caractère qui l'a fait membre de la famille du Christ exige moralement qu'il soit sanctifié et que les péchés lui soient remis, dès que l'obstacle aura disparu. Et le sacrement revit non seulement en ce sens qu'il confère à l'âme la grâce sanctifiante, mais aussi en ce sens qu'il éteint totalement la dette de la peine tempo- relle, car cet effet est inséparable de la grâce spécifique du Baptême. Les Théologiens ne sont pas d'accord sur le nombre des sacrements qui revivent ainsi. Les uns disent que seul le Baptême peut revivre ; telle est l'opinion de Dom. Soto, de Vasquez, etc. Saint Bona- venture attribue cet effet aux seuls sacrements qui impriment un caractère, mais à tous ces sacrements. D'autres Théologiens, notamment Suarez et le cardinal de Lugo rétendent à TExtrême-Onction, au Mariage et même à la Pénitence. Cajétan, Pierre Soto, Henriquez et d'autres admettent que tous les sacrements peuvent revivre. Quant à saint Thomas, sur ce point comme sur un certain nombre d'autres, il est difficile de concilier divers passages de ses œuvres. D'une part il prouve que le Baptême doit revivre par cette raison qu'il imprime un caractère ; nous sommes donc autorisés à conclure qu'il admet la reviviscence de la Confirmation et de l'Ordre, qui eux aussi impriment un caractère. (5 p. q. 69,3. 10; 4, dist. 4, q. 3, a. 2, sol. 3). D'autre part quand le saint Docteur affirme dans le commentaire sur le livre des Sentences (1. c. ad 3) que l'Eucharistie ne
uns SACREMENTS
l63
Je puis reconnaître d'après cette considération que Dieu traite également les enfants au Baptême, tant les riches que les pauvres, et que la disposi- tion plus parfaite que certains y apportent à l'âge de discrétion, est la source des diîférentes grâces
revit pas, parce qu'elle n'imprime pas de caractère, il nous autorise à conclure qu'il n'attribue la vertu de revivre qu'aux seuls sacrements qui impriment un caractère. Néanmoins dans un autre passage (4, dist. 17, q. 3, a, 4, sol. 1) il enseigne que le sacrement de Pénitence peut revivre et il ajoute : « comme d'ailleurs « tous les autres sacrements. » Voici ce qu'on peut dire de plus probable sur cette question : i) Non seulement le Baptême, mais aussi la Confirmation et l'Ordre peu- vent revivre. Par ces sacrements en effet est imprimé un caractère indélébile qui voue l'homme dans l'Eglise à un certain état ; il a droit désormais à une grâce propre à chacun de ces sacrements, grâce qui lui est néces- saire pour remplir les obligations de l'état auquel il a été élevé pour toujours. Or si ces sacrements ne revi- vaient pas, l'obstacle une fois ôté, l'homme qui les aurait reçus avec fiction, serait à tout jamais privé de ces grâces nécessaires ; mais cette conclusion est en con- tradiction avec ce que les Saintes Lettres nous appren- nent de la bonté de Dieu, qui n'est pas moins grande à l'égard des pécheurs pénitents qu'à l'égard des justes (Ezéch, XXXIII, 12). 2) Revivent aussi l' Extrême-Onction et le Mariage, pour la même raison que nous venons de donner, car ces sacrements ont une grande ressem- blance avec ceux qui ne sont conférés qu'une seule fois, puisque on ne peut recevoir une seconde fois ni l'Extrême-Onction durant la même maladie, ni le Mariage, du vivant de l'autre époux. 3) Quant au sacre- ment de Pénitence, pour qu'il put revivre il faudrait
164 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
qu'il communique aux uns et aux autres. Ainsi Dieu n'estime que la plus grande vertu et n'a de préférences dans l'économie des sacrements que pour les âmes mieux préparées. Que ne puis-je estimer de même mon prochain, sans acception de personne, et préférer seulement celui qui pratique la vertu à un degré plus éminent ? Que ne puis-je également me résoudre à apporter toujours de grandes et parfaites dispositions dans l'usage des sacrements, afin d'y être plus abondamment pourvu des biens et des richesses précieuses de la grâce divine.
qu'il put être informe, c'est-à-dire reçu validement et néanmoins sans produire la grâce. Or il est plus pro- bable que ce cas est impossible. 4) Enfin, c'est l'opinion commune des Théologiens que l'Eucharistie reçue sacrilègement ne revit pas, car ici fait absolument défaut la raison alléguée pour les autres sacrements.
DES SACREMENTS
l65
r MÉDITATION
DE L'INSTITUTION DE
LA NÉCESSITÉ ET DES CÉRÉMONIES
DU BAPTÊME
SOMMAIRE
Il convenait que le Baptême Jut le premier des sacrements. — Le Baptême est nécessaire à tous les hommes. — Principales cérémonies du Bap- tême.
I
CONSIDÉREZ qu'il convenait que Jésus-Christ instituât le sacrement de Baptême comme le premier des sacrements et comme devant servir d'entrée dans la religion chrétienne. Le Docteur subtil (i) dit sur ce sujet qu'il fallait qu'un sacre- ment fut institué pour nous introduire dans l'Eglise, qu'il fallait que ce sacrement fut nouveau, qu'il fut très significatif, abondant en grâce, facile à recevoir et commun à tous.
Il fallait que ce fut un sacrement nouveau, car la loi de Jésus-Christ était alors nouvelle et par elle l'ancienne Loi mosaïque était abolie. Or une Loi nouvelle demande une cérémonie nouvelle pour son commencement.
Il fallait que ce fut un sacrement clairement
I. Scotus, in 4, dist. 3, q. 4.
l66' LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
significatif, c'est-à-dire qui représentât manifeste- ment à l'esprit, et lui fit concevoir sans difficulté le bien et l'effet qu'il produit, car il faut commen- cer par les choses les plus évidentes et les plus faciles à entendre, pour avancer ensuite de plus en plus dans la connaissance des mystères les plus cachés et les plus secrets de la religion. Au com- mencement les esprits sont moins instruits, si les choses n'étaient pas claires comme le jour et faciles à entendre, ils demeureraient dans l'obscurité et ne sauraient jamais ce qu'ils entreprendraient.
Il fallait que ce sacrement fût abondant en grâce et causât une multitude de bons effets. Car il est bon que celui qui s'adonne au service d'un maître reconnaisse dès le début qu'il est libéral et magnifique ; il est excité par là à le servir avec un plus grand courage. C'est ainsi qu'il fallait que le premier sacrement de l'Eglise témoignât de la douceur et de la magnificence de Jésus-Christ, par la multitude des dons et des grâces que ce Sauveur y accorderait, pour que le chrétien fut encouragé à se soumettre à tous les articles de sa loi.
Ce sacrement devait aussi être facile à recevoir, afin que les hommes ne fussent pas tout d'abord rebutés, en expérimentant quelque chose de trop pénible et de trop fâcheux.
En dernier lieu, il devait être commun à tout le monde sans exception, afin d'apprendre à tous que Dieu traitait également les chrétiens, quand il les recevait dans l'Eglise. Il fallait encore qu'il fût commun dans sa matière, qui devait se trouver partout, parce que la religion chrétienne devait être commune à tous les hommes de la terre.
DES SACREMENTS 1 67
Or toutes ces qualités se rencontrent avantageu- sement dans le Baptême. C'est un sacrement nou- veau, car,avant Jésus-Christ, il n'y avait pas eu au monde un sacrement pareil qui se donnât avec un peu d'eau. Le Baptême est aussi très significatif et très expressif de la grâce, qui rend les âmes nettes des souillures du péché. Qu'y a-t-il en effet de plus facile à se représenter que la purification de l'âme par la grâce, quand on voit le corps lavé par l'eau et quand on entend ces paroles : Je te baptise, c'est-à-dire je te lave, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ? Le Baptême est aussi fort abondant en grâce ; il remet non seulement tous les péchés, les grands et les petits, mais il apporte aussi l'abolition et le pardon entier de toutes les peines qui leur étaient dues, il produit même plusieurs autres effets que nous avons con- sidérés ci-dessus. C'est l'imitation de la mort et de la Résurrection de Jésus-Christ : de sa mort, parce que de même que par elle s'éteignit la vie de Jésus-Christ intérieurement, quand soncorpsfut baigné dans son sang, ainsi par le Baptême la vie du péché est éteinte intérieurement, quand le corps est baigné dans l'eau; de sa résurrection, parce que de même que Jésus-Christ sortit de son tombeau avec une vie nouvelle sans aucune plaie, ni aucune peine, ainsi le baptisé son de l'eau avec une vie nouvelle exempte de toutes les plaies et de toutes les peines du péché. Le Baptême est encore facile à recevoir. Il n'y a ni fer ni pierre tranchante comme dans la circoncision des Juifs, le péché originel y est lavé facilement avec un peu d'eau, tandis que le fer ne pouvait le racler que très dif-
l6S LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ficilement et non sans effusion de sang parmi les Juifs. Enfin le Baptême est commun à tout le monde, Peau coule dans tous les lieux du monde pour baptiser les hommes qui sont tous obligés par la loi de Jésus-Christ de recevoir ce sacrement. Quand le Sauveur fut sur le point de quitter la terre pour monter au ciel, le cœur brûlant d'amour pour le salut de tous les hommes, il recommanda tous les hommes à ses Apôtres et à ses disciples, puis instituant le Baptême avec tous ses avantages il leur donna cet ordre : « Alle:!^, enseigne^ toutes « les nations, baptises[-Ies au nom du Père, du « Fils et du Saint-Esprit ». (Matt. 28).
O l'amour suave ! O la charité universelle de Jésus-Christ dans l'institution de ce sacrement ! O Dieu infini, que louerai-je davantage, ou la gran- deur de votre amour, ou la merveille de votre sa- gesse dans cette sainte et adorable institution ? Je louerai l'un et l'autre et je convierai toutes les âmes prudentes de la terre à vous remercier pour ce premier sacrement. Hélas ! tous les enfants baptisés ne vous louent pas pour ce bienfait, parce qu'ils sont privés de l'usage de la raison, et parmi les personnes raisonnables et âgées peu vous savent gré, comme il conviendrait, de ce merveilleux bienfait. O Seigneur, au nom de tous, des petits et des grands, je vous rends grâces et je vous adore profondément pour nous avoir donné le Baptême, afin que par lui nous entrions dans l'Eglise et nous nous consacrions à votre service.
DES SACREMENTS l6c)
II
Considérez que la réception du Baptême est nécessaire à tous les hommes de la terre, grands et petits, pour être délivrés du péché originel et arriver à la vie éternelle. Sur ce point les paroles de la Vérité sont expresses : « Si quelqu'un ne « renaît pas de l'eau et du Saint-Esprit, » c'est-à- dire de la grâce du Saint-Esprit, « il ne peut pas « entrer dans le royaume de Dieu ». (Jean, 3). Tous les hommes viennent au monde souillés du péché originel, qui les rend enfants de colère et exposés à Tindignation de Dieu ; c'est pourquoi ils ne verront jamais la face de Dieu et la mer- veille infinie de son Essence, s'ils ne sont purifiés par l'eau et par les paroles sacramentelles du Baptême, par lequel la maladie originelle est guérie et leur première nativité selon la chair est réformée avec avantage par une nativité selon l'es- prit, car, comme l'ajoute la Vérité : « Ce qui est « né de la chair est chair ^ et ce qui est né de Tes- « prit est esprit. Voilà pourquoi je vous ai dit « qu'il fallait naître de nouveau ». Ce qui signifie qu'il faut naître de nouveau pour devenir céleste et spirituel, en remplissant les obligations du Baptême qui soumet les âmes à la loi immaculée de Jésus-Christ. L'origine de cette nécessité c'est que tous les hommes considérés comme enfants et membres d'Adam, étaient obligés de se sauver par le don de la justice originelle dans laquelle ils devaient naître et étaient tenus de se conserver. C'était le premier plan de Dieu pour le salut des hommes. \Oi de même qu'il arrive que celui qui
1^70 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ne peut nager, est obligé d'avoir une barque pour passer la rivière, et que si on faisait un pont sur la rivière, il ne serait pas obligé d'avoir une bar- que pour la traverser ; ainsi en est-il de la question qui nous occupe. L'homme étant par lui-même incapable de passer de la terre au ciel, était rede- vable à la justice originelle qui lui eût donné le moyen de se sauver en qualité de membre d'Adam ; mais depuis l'Incarnation, Dieu a changé ce plan, il lui donne un pont pour passer au ciel, ce pont c'est la grâce baptismale ; car elle fait que les hommes qui étaient auparavant des membres d'Adam deviennent des membres de Jésus-Christ. L'ordre d'après lequel on se sauve étant changé, l'homme est exempt de l'obligation qui lui était imposée de posséder la justice originelle, mais il est tenu de passer par le pont du Baptême.
Cette nécessité du Baptême est si grande et admise d'une manière si certaine dans l'Eglise que jamais l'Eglise n'a ordonné de faire des priè- res pour les enfants morts sans Baptême, et même elle n'a jamais permis qu'ils fussent ensevelis en terre sainte, les considérant comme perdus et incapables d'arriver jamais au ciel. Saint Augus- tin écrivant à saint Jérôme rend témoignage de cette croyance universelle de l'Eglise. Quiconque dira que les petits enfants qui sortent de cette vie sans ce sacrement et sans sa participation sont vivifiés de Jésus-Christ, celui-là condamne toute l'Eglise, vers laquelle on se hâte et l'on court pour porter les enfants à baptiser, parce que l'on croit sans aucun doute qu'ils ne peuvent être au- trement vivifiés en Jésus-Christ.
DES SACREMENTS I7I
Il n'est pas sûr d'estimer que, lorsque le Bap- tême ne peut être appliqué pour quelque raison, Dieu y supplée par quelqu'autre moyen extraordi- naire, de manière à ce que les enfants ne périssent pas. Ce moyen extraordinaire a été inconnu à tous les Pères et à tous les Docteurs de l'Eglise, qui jamais n'a eu connaissance de ce secret si im- portant, et qui par suite n'a jamais pu se résoudre à prier pour le salut d'un enfant décédé sans Bap- tême, pas plus que pour un pécheur adulte décédé sans Pénitence, croyant le Baptême aussi néces- saire au salut de celui-là que la Pénitence est nécessaire au salut de celui-ci. C'est pourquoi ce qu'a mis en avant l'hérésiarque Calvin, à savoir que les enfants des fidèles naissent sanctifiés et qu'il n'est pas besoin de hâter le Baptême de ces enfants, est une maxime pleine de cruauté qui a été suggérée par Satan, le mortel ennemi des hommes. Cette maxime a fermé le paradis à un nombre indicible de petits enfants, pour qui les parents hérétiques ont différé le Baptême, de sorte que la mort, en les ravissant, les a privés et les prive encore tous les jours de la félicité éter- nelle. Cette félicité Jésus-Christ a résolu de ne la donner à personne sans la réception de ce sacre- ment ; il l'a établi dans l'Eglise comme l'arche au temps du patriarche Noé, hors de laquelle per- sonne n'échappa au déluge. Grand décret en vé- rité, grave décision, en conséquence de laquelle des enfants sans nombre périssent tous les jours, ou par avortement, ou à cause des difficultés de l'enfantement ou pour toute autre raison, sans (|ue cet unique reniède de salut leur ait été appli-
172 LA THÉOLOGIE AFFFECTIVE
que. Néanmoins si, dans ces lamentables misères, les jugements de Dieu sont cachés, ils ne sont ni injustes ni répréhensibles. Dieu en effet après le péché originel pouvait laisser tous les enfants d'Adam dans leur état de disgrâce et de mort sans les en relever. Cependant il ne Ta pas voulu. Il a établi ce remède, qui est le plus commun et le plus facile de tous les remèdes ; car il pouvait être appliqué par une personne étrangère aux enfants qui avaient été perdus par la volonté d'autrui. S'il ne peut être appliqué à tel enfant en particulier, cela provient de la faute de celui qui par malice ne veut pas baptiser l'enfant ou de celui qui con- tribue par son péché à troubler tellement l'ordre des causes secondes qu'un enfant est empêché de naître et dès lors devient incapable de renaître. Dans ces divers cas le défaut de Baptême ne peut pas être attribué à Dieu, qui, comme cause uni- verselle, doit laisser agir les agents naturels selon leurs instincts et de la manière qui leur convient, sans troubler à chaque instant l'économie de ce monde (i). Par ce procédé il fait paraître d'abord la suavité de sa Providence, en ne voulant pas user de violence sur les êtres de la nature, et en- suite la sévérité de sa justice, en permettant ces choses en punition du péché, et enfin sa miséri- corde toute particulière à l'égard de ceux qui viennent au monde dans un si heureux concours de circonstances célestes et terrestres, que le Bap- tême leur est heureusement appliqué (2).
1 . Saint Prosper, 1. 2. De vocat. gentium, c. 23 .
a. Sur cette question particulièrement ardue, il sem-
DES SACREMENTS lyS
Oh ! quelle grande obligation nous avons à Dieu à ce sujet? Quand je jette les yeux sur les quatre parties du monde, où tant de peuples sont enveloppés dans un déluge de perdition, sans y trouver Tarche du Baptême, je me sens porté à m'écrier : Eh ! Seigneur, que vous ai-je fait pour recevoir la faveur singulière du Baptême ? Pour- quoi ai-je été préféré à tant d'autres qui vous eus- sent témoigné plus de reconnaissance que moi ? Vous avez jeté les yeux sur moi, Seigneur, lors- que je n'étais encore que dans les maillots et dans
ble qu'il faille se contenter de la solution suivante, sans pouvoir affirmer qu'elle satisfasse absolument notre esprit. Dieu veut le salut des enfants qui meurent sans Baptême^ d'une volonté sérieuse dont il donne des preuves en leur préparant les mérites de Jésus-Christ qui est mort pour eux et le Baptême qui a été institué, pour leur appliquer ces mérites. Mais Dieu ne veut leur salut que d'une volonté conditionnelle, c'est-à-dire « autant qu'il dépend de lui », dit Suarez (lib. iv De Provid. grat. circ. reprobos, c. IV, n. lo). 11 ne le veut pas d'une manière absolue et indépendamment des obstacles inhérents au mode de rédemption que dans sa sagesse il a choisi et qui consiste à ne rendre actuel- lement à l'homme qu'une partie des biens perdus par Adam, à savoir la grâce sanctifiante, mais non l'inté- grité, ni l'immortalité, ni l'exemption des misères mul- tiples de cette vie. Or exiger que Dieu veuille d'une manière absolue le salut de tous les enfants, ce n'est rien moins qu'exiger qu^il supprime la maladie et la mort, la malice et la négligence chez tous les hommes. Dieu assurément n'était pas tenu de créer un tel ordre de choses, qui serait tellement parfait qu'il remporte- rait en perfection sur l'état d'innocence, où l'homme
^74 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
les misères de ma première enfance, vous m'avez alors prévenu de vos bénédictions. Mon âme s'en réjouit maintenant et vous loue à ce souvenir en même temps que mon cœur tressaille d'allégresse. Qui vous est semblable, ô Seigneur, dans vos des- seins merveilleux ? Vos œuvres sont admirables et vos affections incomparables! Oh ! jamais le temps n'arrachera de ma mémoire le souvenir de vos bienfaits anciens à mon égard. Ah ! continuez-les, Seigneur très pitoyable, et de même qu'en entrant dans ce monde, j'ai reçu le premier des sacre- ments, faites que je ne sorte pas de ce monde par
malgré tous ces dons était sujet à défaillir. On ne s'ex- pliquerait même pas, si un tel ordre avait jamais dû être établi, pourquoi il ne l'aurait pas été avec l'état d'innocence dans lequel cependant Dieu a créé l'homme faillible et a même permis qu'il faillit. — Quant au sort des enfants morts sans Baptême, la foi catholique ne nous apprend d'une manière certaine qu'une seule chose, c'est qu'ils sont éternellemenl exclus du ciel : « Nous « définissons^ dit Eugène IV, que les âmes de ceux qut « meurent avec le péché mortel actuel ou avec le seul « péché originel, descendent aussitôt en enfer, oh elles « sont punies de peines inégales. » (Bulla Lœtentur CŒLi), c'est-à-dire spécifiquement inégales, de la peine du dam et du sens pour les âmes coupables de péchés actuels mortels et de la seule peine du dam pour les âmes souillées du seul péché originel ; c'est la doctrine à peu près unanime des Scolastiques à la suite de Pierre Lombard. Ces entants c prouvent-ils tout au moins quelque tristesse à la pensée du ciel à jamais perdu ? L'opinion plus probable le nie avec saint Thomas (In 2, dist. ))f q. 2. a. 2), et nie également qu'ils aient la moindre notion sur l'existence du ciel.
DES SACREMENTS 1 75
la mort, sans recevoir le dernier sacrement, que votre bonté nous a préparé pour ce temps. « Quand « la force me manquera, ne me délaisse^ pas. »
III
Considérez les principales cérémonies du Bap- tême, tant celles qui le précèdent que celles qui le suivent. 11 n'y a pas de sacrement qui s'admi- nistre avec un plus grand nombre de belles céré- monies, soit parce que c'est l'entrée dans l'Eglise, soit afin que ce sacrement ne fut pas médio- crement estimé à cause de la vilité de la ma- tière, qui n'est que de l'eau commune et natu- relle (i).
Les principales cérémonies qui précèdent le Baptême sont le catéchisme, l'exorcisme et le renoncement aux pompes du démon. Le caté- chisme s'}' fait de deux manières, par paroles expresses et par des œuvres ou des signes qui mstruisent le baptisé de ce qu'il doit faire. Bien qu'aujourd'hui ceux qui reçoivent le Baptême ne comprennent pas ce catéchisme, parce que ce sont ordinairement de petits enfants, on le fait néan- moins, pour garder l'uniformité. Et puis il est utile aux parrains et aux assistants, pour leur apprendre l'obligation qu'a l'enfant de savoir les mystères de la foi ainsi que la pratique des bonnes mœurs, et pour leur apprendre qu'ils doivent, le temps venu, contribuer à le leur enseigner, sans compter que cela leur rappelle à eux-mêmes leurs propres obligations. C'est pourquoi ce catéchisme
1. D. Bonavent. in 4, dist. 7, art. ^.
i']6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
consiste en paroles, par lesquelles on explique les principaux mystères de la foi et en quelques signes qui révèlent les bonnes mœurs que doit avoir le baptisé ; c'est ainsi qu'on lui fait sur le front le signe de la croix, pour signifier qu'il ne doit pas avoir honte de la croix de Jésus-Christ, on le lui fait aussi sur la poitrine et sur les épau- les, pour signifier qu'il doit la porter intérieure- ment, et qu'il doit extérieurement supporter de bon cœur le joug de la religion chrétienne. Le sel qu'on lui met dans la bouche, indique qu'il doit- prendre goût aux choses pieuses et les pratiquer avec la saveur de la dévotion. Il en est de même de la salive dont on lui humecte les narines et les oreilles ; c'est pour lui apprendre qu'il doit réveil- ler et appliquer ses sens à tout ce qui est des choses divines. Enfin les onctions qui se font avant le Baptême servent à lui montrer qu'il doit être disposé à combattre ses ennemis invisibles, parce que anciennement les soldats, avant de com- battre, étaient oints avec de l'huile.
La seconde des cérémonies principales est l'exor- cisme. Celui qui donne le Baptême adjure le démon de laisser libre la personne qu'il va bapti- ser, et qui, à cause du péché originel, est en quel- que sorte livrée à sa puissance. Aussi cette céré- monie n'est-elle pas inutile : elle sert à mettre le diable en demeure de ne pas s'opposer au Bap- tême, et de n'exercer aucune cruauté contre l'en- fant, ce qui arrive quelquefois. A cette cérémonie appartient le souffle, par lequel on traite le démon avec mépris, comme s'il n'était qu'une paille légère qu'on chasse avec un souffle. A cette céré-
DES SACREMENTS I 77
monie appartient encore l'imposition des mains du prêtre avec la bénédiction ; par là il dénote qu'il prend possession de l'enfant et qu'il en ferme les avenues au démon, de manière à ce qu'il n'entre jamais en lui.
La troisième cérémonie est le renoncement à Satan et à ses pompes. Celui qui est baptisé fait profession de renoncer à toutes les vanités et à toutes les concupiscences du monde comme aussi à toutes les mauvaises suggestions de Satan, pour se donner entièrement au parti de Jésus-Christ ; ainsi il se sépare des Egyptiens et les délaisse, comme firent les enfants d'Israël, avant de passer la mer Rouge, qui est l'image du Baptême. De là vient que saint Pierre l'appelle : l'interrogation « d'une bonne conscience envers Dieu » (I Pierr. 3) ; c'est-à-dire l'examen et la recherche de l'état d'une àme envers Dieu, pour savoir si elle est ferme et résolue à le servir, à abandonner le parti de Satan et à renoncer à toutes ses suggestions. C'est pour- quoi après que le prêtre a demandé à celui qui doit être baptisé, s'il renonce à Satan et à ses pompes, il lui demande s'il veut être baptisé. C'est comme s'il lui demandait s'il veut être au nombre des sujets, des membres et des enfants spirituels de Jésus-Christ, et s'il veut porter toutes les obligations de sa loi.
Après quoi il le baptise par l'application de l'eau et la prononciation des paroles sacramentel- les qui sont l'essence du Baptême et qui confèrent la grâce sanctifiante et les effets déjà énumérés. En confirmation de quoi suivent trois autres céré- monies : la vêture de la robe blanche, l'onction au
Bah, t. IX. p
l'^8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sommet de la tête avec le chrême composé d'huile et de baume, enfin la remise du cierge allumé entre les mains de Tenfant baptisé. La robe blan- che a pour but de témoigner de la pureté et de la splendeur d'une innocence angélique. Le chrême est pour témoigner de la dignité royale à laquelle Tenfant est élevé par le Baptême, car il est uni au corps mystique du Roi des rois et a le droit d'atten- dre le royaume éternel. Le cierge allumé a pour but de témoigner de la foi par sa lumière, de l'espé- rance par sa forme élancée et droite et de la cha- rité par sa flamme ; car ce sont là les trois vertus théologales qu'il reçoit par le Baptême en même temps que d'autres et qu'il doit présenter de nou- veau à la fin de sa vie ; c'est pourquoi au moment de la mort le cierge allumé lui est encore mis entre les mains.
Telles sont les principales cérémonies qu'on observe encore aujourd'hui en conférant le Bap- tême, cérémonies touchant lesquelles les Pères nous ont laissé de très remarquables témoignages, tout en ajoutant d'autres raisons et d'autres par- ticularités que les plus curieux méditeront dans leurs ouvrages (i).
De ce que nous en avons considéré nous devons
I. Les saints Pères en effet font mention dans leurs ouvrages de presque toutes les cérémonies que nous observons aujourd'hui dans l'administration de ce sacre- ment, comme on peut le constater en lisant Tertullien (De bapt. et de cor. mil.), Origène (Hom. 12. in Num.), saint Cyprien (Epist. 70), et surtout saint Cyrille de Jérusalem (Catech. myst. 2). Cf. Probst (Sacram. p. 12') et suiv.).
DES SACREMENTS 179
apprendre avec quel respect doit être traité ce sacrement, queTEglise dirigée par le Saint-Esprit administre avec tant de m3'stérieuses cérémonies. Nous devons aussi reconnaître quelles sont nos obligations après le Baptême et combien nous devons être saints et éloignés de toutes les œuvres que nous suggère Satan, qui sont rorgueil,renvie, la haine, la contention, la jalousie, la colère, les querelles et les dissensions, en un mot toutes les concupiscences de la terre ; car nous 3^ avons renoncé dans le Baptême pour nous consacrer uniquement àJésus-Christ. Or examinons un peu combien il s'en faut que les chrétiens s'acquittent de ces devoirs. Si plusieurs d'entr'eux avaient renoncé à Jésus-Christ et s'étaient liés avec Satan, pourraient-ils mieux seconder ses pernicieux des- seins? Auraient-ils oublié davantage Jésus-Christ, comme aussi tout ce qui concerne l'amour et le respect qui lui sont dus ? Rentrez en vous-même et voyez combien de fois vous avez manqué aux devoirs de votre Baptême. Dites avec un grand personnage: (i) Seigneur, vous savez qu'après mon Baptême j'ai méprisé vos commandements, que, par négligence, j'ai omis le bien que je devais faire, que, par audace, j'ai fait le mal que je ne devais pas faire et que, par concupiscence, j'ai com- mis plusieurs péchés de la vue, de l'ouïe, du goût, de l'odorat, du toucher, d'autres péchés en pensées, en paroles et en actions. Je n'ai point gardé et accompli ce que j'ai promis dans le sacro- saint Baptême en présence de vos Anges et de vos
I. Alcuinus, De usu Psalm.
iSÔ LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Saints. « O Seigneur, vous connaisse^ ma folie, « et mes péchés ne vous sont point cachés. » (Ps. 68). Faites-moi miséricorde et accordez-moi la grâce de faire pénitence. O mon Roi, ne per- mettez pas que mon cruel ennemi vienne à bout de ses desseins contre moi, car il est résolu à vous offenser et à me perdre, et « il tourne comme « un lion rugissant cherchant quelqu'un à de- if. vorer. (I Pierr. 5). J'ai renoncé à lui dans le Baptême, j'y ait fait profession de m'attacher à vous. Faites, ô Créateur très sublime, par votre protection perpétuelle, que je sois tel que vous m'avez fait la grâce d'avoir été par l'eau de la régénération, et puisque j'ai commencé une fois d'être à vous, que je ne connaisse jamais aucun autre maître.
DES SACREMENTS lOI
Vr MÉDITATION
DU SACREMENT DE CONFIRMATION
SOMMAIRE
Ce qu'est la Confirmation. — Merveilleux effets de la Confirmation. — Pourquoi la plupart des chrétiens sont si faibles.
I
CONSIDÉREZ que la Confirmation est un sacre- ment. Il consiste d'une part dans une onc- tion qui est faite ordinairement par Tévêque en forme de croix sur le front avec le saint-chrême qui est composé d'huile et de baume, bénits par l'évêque, et d'autre part dans la prononciation de ces paroles : Je te marque du signe de la croix et je te confirme du chrême du salut, au norn du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Il a pour but de fortifier la grâce reçue dans le Baptême. La Confirmation est un sacrement, comme l'a défini l'Eglise dans ses .Conciles généraux, parce qu'elle renferme plusieurs signes visibles institués par Jésus-Christ, pour signifier et conférer la grâce : à savoir l'onction avec le saint-chrême qui est la matière du sacrement (i) et les paroles que
I. Pour ce qui regarde la matière prochaine du sa- crement de Confirmation, l'opinion la plus commune-
l8l LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ron prononce en Tadministrant, qui en sont la forme, parce qu'elles dénotent plus expressément Feffet de la grâce qui y est conférée pour rendre une âme plus forte. Le second sacrement, dit le Concile de Florence, (i), est la Confirmation, dont la matière est le chrême fait d'huile, qui signifie la netteté de la conscience, et le baume qui signifie l'odeur de la bonne réputation ; il est béni par l'évêque. En voici la forme : « Je te marque du « signe de la croix et je te confirme avec le chrême « du salut, au nom du Père, du Fils et du Saint- « Esprit. » Le ministre ordinaire de ce sacrement est l'évêque ; le simple prêtre peut faire toutes les autres onctions, mais l'évêque seul doit faire celle- ci, parce que nous lisons que les Apôtres seuls, dont les évêques tiennent la place, donnaient le Saint-Esprit par l'imposition des mains. On lit toutefois qu'un simple prêtre avec dispense du Siège apostolique et pour une cause raisonnable et urgente, a administré quelquefois le sacrement
ment admise par les Théologiens modernes considère comme essentielles, soit l'imposition des mains, soit l'onction avec le saint chrême, m.ais en entendant par imposition des mains non pas celle qui a lieu au début delà cérémonie de la Confirmation, mais celle qui accom- pagne l'onction elle-même et ne forme avec elle qu'un seul geste. Saint Alphonse de Liguori dit : L'opinion « que nous défendons et que nous considérons avec Bcl- « larmin comme très certaine, est que la matière adéquate « et totale de la Confirmation est V onction avec le chrême, « onction qui est faite aux confirmés par V imposition de « la main de l'évêque . » (1. 6, n. 164).
I. Florent, in Decr. Eugenii — Trid. sess. 7, cap. i.
ni:S SACREMENTS 1 i^3
de Contirmation, avec néanmoins un chrême béni par révèque.
L'elTet de ce sacrement est de donner le Saint- Esprit /)c>7^r la force (c'est-à-dire pour renforcer), comme il fut donné aux Apôtres le jour de la Pentecôte, afin que le chrétien confesse hardiment le nom de Jésus-Christ. C'est pour ce motif que celui qui est confirmé est oint au front, où est le signe de la honte, afin qu'il n'ait point honte de confesser le nom de Jésus-Christ et principale- ment sa croix. Telles sont les paroles de l'Eglise, qui « est la colonne et le soutien de la vérité » (I Tim.3);afin que nous ne puissions pas errer, elles nous font connaître ce qui appartient à l'essence de ce sacrement, et nous font entendre que tout cela doit avoir été établi par Jésus-Christ, à qui seul il appartient de déterminer ce qui est néces- saire au sacrement. Ainsi le Sauveur a dû en ins- truire les Apôtres, soit avant sa mort dans la cène de l'agneau pascal, dans laquelle il enseigna à faire le chrême, ainsi que l'écrit le pape Fabien (i), soit après sa résurrection, quand apparaissant à ses Apôtres, il les entretenait « du royaume de « Dieu » (Act. i), c'est-à-dire de l'Eglise, de sa police, de son gouvernement et surtout de l'admi- nistration des sacrements. De là vient que par une tradition perpétuelle, elle a conservé cette matière et cette forme pour ce sacrement et a toujours considéré ce sacrement comme ayant pour but de fortifier la grâce du Baptême. Car ce qui se passe dans la naissance et la vie du corps, se remarque
I. Epist. 2, c. I ad Orient.
184 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dans la naissance spirituelle et la vie de l'àme. De même que dans la vie corporelle l'homme est d'abord engendré, et qu'ensuite il croît et parvient à la force d'un âge ferme et robuste qui le rend capable d'accomplir les actions qui lui sont pro- pres ; ainsi par le Baptême l'homme est engendré à la vie, qui chasse de lui la mort du péché, et par la Confirmation, il reçoit un accroissement ; sa nouvelle vie qui ne fait que commencer au Bap- tême et qui est encore faible, est fortifiée, de manière à ce qu'il puisse faire les actes d'un chré- tien, au milieu des tentations qui l'attaquent. Ainsi par ce sacrement il reçoit un surcroît de grâce ; cette grâce est confortative et corrobora- tive de celle du Baptême qu'elle rend plus parfaite. C'est ce que signifie l'huile qui surnage dans l'eau et qui tient le dessus ; car c'est ainsi que la grâce donnée dans la Confirmation s'élève au-dessus de celle qui est donnée dans le Baptême. C'est encore ce que dénotent les paroles qui servent de forme pour ce sacrement, elles signifient que le chrétien qui n'est pas absolument ferme dans les tentations de ses adversaires, par le fait de la seule grâce reçue dans le Baptême, est confirmé et fortifié pour être plus stable, plus ferme, plus robuste, plus raide, plus impitoyable et invincible par la Confirmation. C'est pourquoi le prélat lui impose les mains sur la tête, comme pour lui donner de l'assurance et lui dire qu'il est sous la protection de Dieu qui ne lui manquera pas au besoin.
Contemplez dans ce sacrement l'immense cha- rité et providence de notre Dieu à l'endroit de ceux qu'il a incorporés à son Eglise, qu'il a attirés
DES SACREMENTS 1^5
et appelés à lui par le Baptême pour leur donner une nouvelle naissance et une nouvelle vie. Il ne veut pas laisser son œuvre commencée sans Tache- ver, il n'a pas mis des enfants au monde pour les abandonner dans leur faiblesse et dans leur infir- mité. Le prophète Jérémie se lamentait sur la dureté des pasteurs de la synagogue, qui ne pre- naient pas soin de perfectionner les âmes confiées à leur conduite : « Les lamies ont découvert leurs « mamelles et ont allaité leurs petits; mais la « fille de mon peuple est cruelle comme ïautru- « che du désert » (Lament. 4), qui abandonne dans le désert ses œufs et ses petits. Il n'en est pas ainsi des pasteurs de l'Eglise ; ils ont soin d'élever et de fortifier ceux qui sont nés dans les eaux du Baptême, ils les fortifient avec l'huile de la Confir- mation et ils les corroborent avec le signe de la croix, pour les faire rester debout. O Jésus, que votre miséricorde est grande, ainsi que votre dou- ceur paternelle à l'égard de vos enfants ! Oh ! qu'il vous appartient bien de dire : « Une femme peut- « elle oublier son enfant et n'avoir pas pitié du « fruit de ses entrailles ? Eh bien ! si elle tou- « bliait, moi, je ne l oublierai pas. » (Is. 49). Oh ! que vous le montrez bien dans ce sujet où vous pourvoyez par un nouveau sacrement à ce que ceux qui sont régénérés par les eaux du Baptême et qui ont reçu la nouvelle vie de votre grâce, puis- sent se conserver au milieu de tous les périls et des hasards de ce monde auxquels ils sont expo- sés ! Ainsi non content de nous avoir donné les richesses de votre grâce dans l'enfance de notre Baptême, vous nous avez aussi donné le Saint-
I \
^86 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Esprit pour tuteur et protecteur dans la Confir- mation. Oh ! quel soin vous avez du salut des hommes mortels, et que le désir que vous avez de leur bien est grand ! « Loue^ ô Jérusalem, le Sei- « gneur ; loue, ô Sion^ ton Dieu ; parce quil a « renforcé les serrures de tes portes et qu'il a « béni tes enfants. » (Ps. 147). Espérons, ô mon âme, dans sa Providence.
II
Considérez les effets de la Confirmation.
Le premier est la seconde grâce sanctifiante, c'est-à-dire une augmentation de grâce, par laquelle l'âme est enrichie davantage et confirmée davantage dans la sainteté et dans le droit qu'elle avait auparavant à l'héritage du ciel. Car de même que ceux qui ont quelque droit aux héritages de la terre ou aux dignités de l'Eglise, peuvent être confirmés dans leur droit de la part des supérieurs, soit par paroles, soit par lettres expédiées à ce sujet et que dans ce cas leur premier droit est accru par cette confirmation, en même temps que les prétentions de la partie adverse sont diminuées et affaiblies ; ainsi les chrétiens qui ont reçu un droit dans le Baptême à l'héritage du ciel, et à toutes les dignités des enfants de Dieu, reçoivent dans ce sacrement une confirmation de ce droit, qui se trouve ainsi accru en même temps que la force des démons est diminuée. C'est pourquoi le surcroit et le nouveau degré de grâce que confère ce sacrement doit être beaucoup estimé et à un
DES SACREMENTS I07
tel point, dit un célèbre Docteur (i), qu'il faut le préférer à tous les biens du monde, parce que toutes les richesses et les grandeurs de la terre ne le valent pas.
Le second effet de ce sacrement est la grâce sacramentelle qui consiste en des secours plus spéciaux. Dieu les donne au besoin, pour défendre la foi de Jésus-Christ que nous avons reçue au Baptême, et pour la confesser hardiment devant les tyrans, fallut-il en la confessant perdre dans de cruels supplices la vie qui est un bien très excellent. Qu'y a-t-il en effet de plus noble et de digne d'une plus grande estime aux yeux de Dieu, des Anges et des hommes, que de mépriser géné- reusement la tyrannie des rois et des princes infi- dèles, quand ils ont conspiré contre Dieu, de professer hautement la foi et de dire comme David : « Je parlais de vos témoignages en pré- « sence des rois, et je n'en rougissais point. » (Ps. 118) ? Or c'est un effet de ce sacrement d'ar- mer le chrétien de force et de résolution pour tenir ferme contre les ennemis de Dieu, même jusqu'à souffrir le martyre. Nous sommes par le Baptême, dit un des anciens et saints Pontifes de l'Eglise (i), régénérés à la vie, par la Confirmation nous som- mes affermis pour le combat ; nous sommes lavés par le Baptême, nous sommes revêtus de force après le Baptême. La régénération sauve par elle- même ceux qui doivent être aussitôt après ravis à la terre pour entrer dans la vie bienheureuse, mais
I. Palatius, in 4, dist. 5, disp. 4.
I. Melchiades, Epist. ad episc. Hispa.iom. i. Concil.
LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
la Confirmation arme ceux qui doivent survivre, ceux qui sont réservés pour les batailles et les luttes de ce monde. C'est pourquoi les Apôtres qui, avant la descente du Saint-Esprit, étaient timi- des au point de renier leur Maître ou de le délais- ser, furent après si constants qu'ils répandirent leur sang et méprisèrent leur vie pour la confes- sion de son nom. Au reste il ne faut pas croire que ce sacrement produit seulement son effet, quand la guerre est engagée et quand la persécu- tion sévit contre l'Eglise de la part des infidèles. Comme nous avons toujours dans ce monde des ennemis visibles et invisibles, au dedans de nous et au dehors, ce sacrement nous munit et nous fortifie aussi pour leur résister. Nous recevons le Saint-Esprit, dit le même Pontife, afin que nous soyons spirituels, « parce que Vhomme animal ne « comprend pas les choses divines. » (I Cor. 2). Nous recevons le Saint-Esprit, pour savoir discer- ner entre le bien et le mal, pour aimer les choses justes, et rejeter les mauvaises, afin que nous nous battions contre la malice et l'orgueil, que nous résistions à la luxure et aux divers attraits des basses concupiscences. Nous recevons du Saint- Esprit l'amour de la vie (de la vertu) et le désir ardent de la gloire, afin qu'étant divinement enflam- més nous élevions notre esprit des choses terrestres aux choses sublimes et divines. L'évêque de Paris (1) n'attribue pas moins d'efficacité à la Confirmation : il dit qu'elle corrobore la partie raisonnable, la partie irascible et la partie concu-
I. Guillel. Paris. De sacrum. Con/irm.
DES SACREMENTS 1S9
piscible de Thomme. La partie raisonnable, de telle sorte qu'elle ne soit pas atteinte ni blessée, comme par de certaines tlèches, par les arguments des philosophes et des hérétiques, par les doutes, les opinions fausses, Tinlidélité, ou l'ignorance des choses qu'il faut savoir ; car ce sont là autant de blessures de la partie raisonnable. Elle corrobore aussi la partie irascible, de manière à ce qu'elle ne succombe pas sous les injures, les calomnies, les affronts et toutes les choses difficiles qui se pré- sentent. Elle corrobore la partie concupiscible, de manière à ce qu'elle ne soit pas endommagée par les amours coupables, les mauvaises haines, les mauvais désirs et les mauvais dédains, qui sont les plaies dont elle peut être affligée. Et si quel- qu'un, dit-il, entend par la force de la Confirma- tion Tamour des vertus, amour par lequel ces vertus sont plus fortement imprimées en nous et par lequel nous les tenons plus fermement, il n'entendra ce mot ni mal ni dans un sens impro- bable. Il nous découvre par ces paroles que l'effet de la Confirmation est l'amour des vertus et une plus grande union de notre âme avec elles, union qui fait qu'elles y tiennent mieux et que nous y tenons mieux aussi, de manière à ne point les perdre ou nous relâcher si aisément de leur pra- tique.
Le caractère est le troisième effet de ce sacre- ment. Par le caractère le chrétien est marqué inté- rieurement et porte dans ses armes les couleurs de Jésus-Chiist et de ses soldats, comme ceux qui combattent sous un prince en portent la livrée. Ce caractère restera éternellement imprimé dans
ÎCJO LA THEOLOGIE AFFECTIVE
ceux qui ont reçu ce sacrement ; il n'est pas seu- lement, comme qu.elques-uns l'ont pensé, une extension du caractère du Baptême, mais c'est un caractère nouveau et distinct, qui donne au confirmé la force de professer publiquement la foi, comme une chose qui fait partie de sa charge, de sa qualité et de sa dignité.
Enfin un quatrième effet de ce sacrement est de perfectionner le chrétien (i). De là vient que, comme parle saint Denys (2), les princes divins de notre hiérarchie, qui sont les Apôtres, Font appelé la perfection. Il faut l'entendre cependant sans préjudice des œuvres de conseil ; car le chré- tien recevant deux sortes de perfection, l'une dans les sacrements par la Confirmation, et l'autre par les œuvres de conseil, ne mérite pas d'être appelé chrétien parfait, si outre le Baptême il ne reçoit la Confirmation, qui, au témoignage de plusieurs (i), confère une plus grande sainteté et une grâce plus abondante. C'est ce qui a fait dire au pape Mel- chiade qu'elle méritait une plus grande vénération que le Baptême et au théologien d'Auxerre (4), que le Baptême donne une plénitude de grâces suffi- santes, mais que la Confirmation confère une plé- nitude de grâces abondantes.
Reconnaissez à la suite de ces considérations l'obligation que vous avez à Dieu pour l'institu- tion de ce sacrement, dont les effets sont si grands
1. D. Thom. q. 72, art. 2.
2. De eccles. hierarc. c. 4.
3. Palatius, in 4, dist. 7, disp 3, loc. cit.
4. In 4, De Confirmai.
DES SACREMENTS I9I
et si admirables. Rendez-lui des actions de grâces, si vous l'avez reçu, sinon faites toutes les diligen- ces possibles pour ne pas en être frustré. Ayez de la compassion pour ceux qui en ont été privés jusqu'à présent. Déplorez le peu de zèle et de charité qu'ont plusieurs prélats de l'Eglise pour visiter leur diocèse dans le but d'administrer ce sacrement et de faire participer à un si grand bien les âmes rachetées par le sang de Jésus-Christ. Hélas ! qui pourrait dire tous les malheurs qui arrivent aux peuples chrétiens par défaut de ce sacrement, dont les avantages restent inconnus et dont la réception ne leur est point rendue facile ? « La blessure, la plaie enflammée n'a point été « bandée, on ne lui a point appliqué de remède, « ni on ne l'a adoucie avec Vhuile. » (Is. i). La plupart ont honte de faire en public |des œuvres dignes d'un chrétien ; peut-être les dernières héré- sies qui ont causé et qui causent tous les jours tant de ravages, n'auraient pas fait tant de pro- grès, si l'administration de ce sacrement eût été plus fréquente. Demandez à Dieu d'ouvrir les yeux des pasteurs et de leur donner du zèle pour ce sacrement.
III
Considérez les raisons pour lesquelles, étant donné que les effets de ce sacrement sont si excel- lents, il y a néanmoins tant de faiblesse et de langueur dans la plupart des chrétiens qui l'ont reçu. Le sentiment des Théologiens est qu'ils mettent obstacle, soit à la grâce sanctifiante que produit ce sacrement, en le recevant sans charité
ig2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
et en mauvais état, soit aux grâces sacramentelles qu'il donne droit de recevoir au temps des tenta- tions et des persécutions, parce que la plupart retombent dans le péché après l'avoir reçu. A cette réponse qui est la vraie se rapportent les quatre salutaires avertissements d'un prélat qui est le plus savant de son siècle (i).
La première chose qu'il affirme, c'est que c'est en vain qu'espèrent être corroborés et fortifiés par ce sacrement, ceux qui aiment leurs faiblesses et qui ne veulent pas les quitter; ces faiblesses sont les maladies et les plaies de leurs péchés et aussi les liens et les charges qui en découlent, liens et charges qui sont incompatibles avec l'ac- croissement spirituel. Car comment devenir fort et puissant contre son agresseur et son ennemi, si on reste toujours malade, blessé, lié et chargé ? L'homme» sera ainsi inférieur à son adversaire, il sera contraint de lui céder et de se laisser marcher sur le ventre. Loin d'être armé et fortifié contre lui, il l'armera plutôt et le renforcera contre lui- même, en s'adonnant au péché et en faisant de ses membres des instruments d'iniquité.
Le second avertissement nous apprend qu'il faut s'approcher de ce sacrement avec un grand respect et le traiter dignement. L'Apôtre dit de la Sainte Eucharistie : « Plusieurs sont faibles et dorment « (du sommeil de la mort), parce qu'ils ne discer- « nent pas le corps du Seigneur » (I Cor. ii); de même la vertu ou l'efficacité du sacrement de Confirmation est presque réduite à néant, parce
j. Guillel. Paris. De sacra Confirm.
DK s SACREMENTS IC)Ù
que ce sacrement n'est pas traité avec assez d'hon- neur et de vénération, et cela nous croyons qu'on doit l'imputer aux prélats et aux Docteurs, à qui il appartient d'enseigner et d'avertir le peuple. Il semble qu'il ne reste plus aujourd'hui d'autre hon- neur pour ce sacrement, que la défense de l'admi- nistrer faite à tout autre qu'aux grands-prètres, qui sont les évèques, car nos 3'eux nous attestent combien sont ignorants ceux qui le reçoivent et avec quel désordre et quel défaut de respect on s'en approche. C'est pourquoi il n'y a rien d'éton- nant si dans de telles personnes la vertu de la Confirmation est petite, ou tout à fait nulle, c'est- à-dire si elles ont honte et crainte de montrer à l'extérieur qu'elles sont chrétiennes et de laisser paraître des marques de sainteté ; il y en a peu en eftet qui ne rougissent et qui n'appréhendent de bien faire comme aussi de dire la vérité en présence du monde et même des chrétiens.
Le troisième avertissement est que les confirmés doivent mettre toute leur confiance et l'espoir de vaincre dans le crucifix et par le crucifix; c'est pour cela qu'on leur a imprimé une croix sur le front avec le chrême, afin que dans leurs tentations ils pensent à celui «.qtii a souffert de telles contra- nt dictions de la part de ses ennemis. » (Hébr. 1 1). Car « Jésus-Christ a souffert pour nous, afin que « vous l'imitie^, dit saint Pierre (II Pierr. 2). « Jésus-Christ donc ayant souffert sur la croix., « armei(-votcs d'une semblable pensée. » (II Pierr. 3). Il faut donc être faible par soi-même et dans sa pensée, pour être confirmé en Dieu. Car s'appuyer sur soi-même, c'est s'appuyer sur une chose qui
Bâii., t. ixt 1}
1^94 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
tombe et ne peut se soutenir, c'est tomber et se perdre, mais s'appuyer en Dieu qui est la force et le soutien de toutes choses, c'est vraiment s'affer- mir et devenir fort.
Le quatrième avertissement est que les confir- més se souviennent qu'ils sont les porte-enseigne du Roi des cieux, qu'ils portent sur le front sa croix et son étendard, que celui-là est criminel et digne de mort, qui jette à terre son enseigne et qu'il fait une grande injure à son roi, s'il se tourne du côté de ses ennemis avec l'enseigne qu'il porte. Quel affront et quel outrage est fait au Roi des rois par les chrétiens dont la plupart combattent contre lui ; car « qui n'est pas avec moi, dit- « il, est contre moi. » (Luc, ii). L'étendard de la croix crie contre toi, il crie que tu es un traître et un criminel de lèse-majesté. Ce premier étendard que tu portes au front crie contre toi d'un cri qui monte jusqu'au ciel, et d'un cri si fort qu'il n'a pas son semblable; il crie que tu es porte- enseigne et tes œuvres crient que tu es ennemi. L'un et l'autre crient que tu es un pervers et un déloyal, que tu es un infâme traître. Car on a grande confiance dans la vertu et le courage de ceux à qui on confie les étendards pour les porter dans les combats ; c'est pourquoi leur perfidie et leur lâcheté n'en sont que plus détestables. As-tu oublié, toi qui trahis Dieu, ce qui a été dit aux autres : Tu seras vainqueur par ce signe ? C'est dans ce signe en effet qu'est véritablement donnée la force pour remporter la victoire. Ce sont jus- qu'ici presque textuellement les paroles de ce docte prélat plein de zèle et de dévotion pour ce
DES SACREMENTS IqS
sacrement. C'est pourquoi nous n'ajouterons rien à ce qu'il a écrit sur ce sujet.
Mais nous nous confondrons nous-mêmes à bon escient, si, ayant été confirmés, nous voyons en nous si peu des bons etTets que ce sacrement a coutume de produire. N'en attribuons pas la cause à d'autres qu'à nous-mêmes, car ce sacrement est véritablement grand et d'une plus haute efficacité que plusieurs ne l'ont pensé jusqu'à présent. C'est nous qui par notre mauvaise volonté avons mis des barrières et des empêchements à ses effets très puissants; c'est pourquoi nous succombons si aisément aux attaques des tentations. Hélas ! nous étions suffisamment armés pour défier et pour combattre toute la rage et la fureur des enfers, et cependant un moucheron nous a épou- vantés, un peu de vent et de fumée nous a mis en déroute, nous qui devions en vertu de ce sacre- ment, résister aux tortures, aux géhennes, aux flammes et aux glaives de tous les tyrans du monde, nous n'avons pu supporter, sans offenser Dieu dans sa loi, la piqûre d'une aiguille, nous n'avons pu endurer patiemment pour l'amour de Jésus-Christ, qu'on nous eût fait quelque petit tort, ou même que l'on nous eût piqué sourdement par quelque parole offensante, nous avons voulu en tirer vengeance, nous nous sommes mis en colère contre notre prochain et les moindres croix ont été pour nous insupportables. O Dieu immense ! est-il possible que nous fassions ordinairement un si grand abus de vos grâces et de vos sacrements, par lesquels vous nous les communiquez ! O Sei- gneur, que nous devons appréhender la rigueur de
ig6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
VOS jugements à l'heure de notre mort, puisque nous ne paraissons forts et confirmés que dans le mal pendant cette vie ! Cependant il est en notre pouvoir avec votre secours qui ne nous manque pas, de lever les barrières et les obstacles que nous avons opposés à vos faveurs ; c'est ce qui aura lieu si nous faisons pénitence et si nous nous repen- tons avec amertume de notre lâcheté et de notre perfidie. Ah ! que je voudrais, ô Dieu très bon, vous avoir été très fidèle dans toutes les œuvres de votre service ! ce sera pour l'avenir et dès mainte- nant. O bonté adorable, confirmez-moi puissam- ment avec des grâces qui triomphent de ma vo- lonté inconstante : « Confirme^ en moi^ Seigneur^ « l'esprit principal » (Ps. 5o), c'est-à-dire^n esprit généreux et magnanime. Confirmez-moi dans une sainte hardiesse contre la vaine crainte du monde. Confirmez-moi au milieu des combats de la mort, par la puissance de votre amour. Confirmez-moi enfin dans le bonheur éternel de votre paradis, contre toutes les misères de cette vie, afin que je loue votre nom et que je chante vos louanges en présence des Anges et des Saints bienheureux dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
DES SACREMENTS 1^7
Vir MÉDITATION
DE LA PRÉSENCE RÉELLE ET SUBSTANTIELLE DU CORPS
DE JÉSUS-CHRIST
DANS LE SAINT-SACREMENT
DE L'EUCHARISTIE
SOMMAIRE
Première preuve tirée de la promesse. — Seconde preuve tirée de V institution. — Troisième preuve tirée de Vusage de ce sacrement.
I
CONSIDÉREZ la première preuve de la présence réelle de Jésus-Christ dans le saint-Sacre- ment; elle est tirée de la promesse que fit Jésus- Christ de donner son corps et son sang dans ce sacrement, car pour disposer les esprits des hom- mes à croire à ce mystère, par une sagesse spé- ciale, il en instruisit auparavant ses disciples et leur promit ce grand mystère par ces paroles : « Je suis le pain vivant descendu du ciel. Si « quelqu'un mange de ce pain., il vivra éternelle- « ment. Le pain que je donnerai, c'est ma chair « pour la vie du monde. » (Jean, 6). Ces paroles sont claires et expresses et ne peuvent être inter-
198 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
prêtées de la figure de son corps, que par ceux qui s'éloignent de la vérité de son esprit et de son intention, comme font les hérétiques. Il promet ici en effet de donner quelque chose de grand et de singulier, quelque chose qu'il n'appartient qu'à lui de donner et qui n'avait pas encore été donné. S'il n'était question que de donner des figures de son corps, cela avait été fait auparavant, car la manne et les pains de proposition, ainsi que les pains multipliés au désert, étaient autant de figures de son corps. Il promet donc de donner quelque chose de plus grand, à savoir son corps précieux. Les grands effets aussi que Jésus-Christ attribue à ce pain qu'il promet et les louanges qu'il lui donne, témoignent que c'est tout autre chose que la seule figure. « Celui qui mange ma chair et qui « hoit m.on sang, ajoute-t-il, a la vie éternelle et « je le ressusciterai au dernier jour, car ma « chair est vraiment une nourriture et mon sang « est vraiment un breuvage. Qui mange ma chair « et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. « Comme mon Père m'a envoyé et que je vis pour « mon Père, ainsi celui qui me mange vivra « pour moi » ; c'est-à-dire comme Je vis de la substance de mon Père, qui m'a communiqué la même divinité ; ainsi celui qui me mange vit à cause de moi, il vit de ma propre substance que je lui communique. Fallait-il tant de paroles et tant de redites, s'il ne promettait que l'ombre et la figure de son corps ? Tant de choses grandes et relevées ne conviennent pas à ce qui n'est qu'une figure. Puis s'expliquant davantage il déclare que ce qu'il veut donner est une chose plus excellente
DES SACREMENTS 100
que la manne, que Dieu fit tomber miraculeuse- ment du ciel, pour nourrir pendant quarante ans dans le désert les enfants d'Israël. Bien que cette manne tombée du ciel fut un pain merveilleux, néanmoins il dit du pain qu'il promet qu'il est quelque chose d'encore plus merveilleux : « Vos « pères ^ dit-il aux Juifs qui l'écoutaient, ont « mangé la manne au désert et ils sont morts ; « celui qui mange de ce pain vivra éternellement « et je le ressusciterai par ma vertu. » Si ce n'était qu'une figure, la manne vaudrait mieux, car c'était une nourriture venue du ciel et préparée par les Anges eux-mêmes. Il faut donc conclure que Jésus-Christ parlait de donner son vrai corps réellement et substantiellement.
Aussi les Juifs les plus grossiers, comme les Capharnaïtes, comprirent bien à ces expressions qu'il parlait de donner son vrai corps. C'est pour- quoi comme c'était la première fois qu'ils l'en en- tendaient parler, ils en demeurèrent surpris et se posèrent plusieurs questions entre eux. « Corn- « ment celui-ci peut-il donner sa chair à man- « ger ? », car ils pensaient qu'il devait la donner comme une viande de boucherie, et ils ne compre- naient pas encore de quelle façon il résiderait dans le Saint-Sacrement. Alors Jésus-Christ ne leur dit pas, pour calmer leurs esprits, que ce ne serait que la figure de son corps, mais il confirme de plus en plus ce qu'il vient de dire. « Cela vous « scandalise ? Si donc vous voye:^ le Fils de Vhom- « me montant là oîi il était premièrement, que « sera-ce donc ? » Il veut leur dire par là : vous trouvez difficile de croire que moi, qui suis près
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de VOUS, je me donne à vous ; que ferez-vous donc quand je serai monté au ciel ? Je serai alors éloi- gné de vous et cependant il faudra bien que vous croyiez que je me donnerai en nourriture, quoique je sois à la droite de mon Père, car je suis le pain descendu du ciel. Allez, « la chair nest d aucune « utilité », selon la manière grossière dont vous vous imaginez que je veux vous la donner, com- me si j'avais l'intention de vous donner une chair morte et séparée de la divinité qui la vivifie. De cette manière la chair n'est utile en rien, mais l'esprit de la divinité est uni à ma chair, et quand vous vous en nourrirez, cet esprit de la divinité vous donnera la vie ; « cest V esprit qui vivifie ». Or non seulement les Capharnaïtes moins spiri- tuels se rebutèrent en entendant la promesse du Fils de Dieu, mais plusieurs de ses disciples qui ne l'avaient pas encore entendu parler d'un si étrange mystère, se rebutèrent aussi ; car le Sau- veur ne leur dit pas pour les apaiser et les ins- truire, que ce qu'il promettait n'était pas une chose si étonnante et qu'il n'entendait donner que la figure de son corps, — comme il semble qu'il eût été à propos de le faire, pour les instruire de la vérité et les préserver de l'erreur, — mais il per- sista constamment dans ce qu'il avait dit et leur demanda en les réprimandant, s'ils ne voulaient pas aussi le quitter. Ce qui donna sujet à saint Pierre, le plus fidèle et le plus ardent des Apôtres, de lui répartir : « A qui irions-nous^ Seigneur ? « vous ave:( les paroles de la vie éternelle. » Il protestait par là qu'il croyait ce que disait Jésus- Christ et il affermissait les autres Apôtres.
DES SACREMENTS 201
Faites à la suite de toutes ces réflexions un acte de foi ferme. Je le tiens pour indubitable, je le crois fermement, ô Jésus, ô mon Rédempteur, vous êtes véritablement et substantiellement sous les espèces du pain et du vin dans cet auguste sacre- ment. Vous l'avez dit, vous avez pu le faire par votre toute-puissance et vous l'avez voulu par votre ineffable bonté. C'est donc vrai, ô Seigneur, je vivrai et je mourrai dans cette croyance, en m'ap- puyant sur votre parole, qui ne peut-être que très vraie. Vous, Seigneur, qui êtes la vérité même, auriez-vous voulu tromper votre Eglise ? Auriez- vous promis d'une manière expresse de lui donner votre chair à manger et votre sang à boire, et ne lui en auriez-vous donné que l'ombre et la figure ? Non, il n'en est pas ainsi, « vous ave^ les paroles « de la vie éternelle^ » et vous ne trompez per- sonne. Je dois respecter assez votre parole et votre promesse, pour les croire simplement. Vous n'a- vez pas promis de ne donner que la figure de votre corps et de votre sang, mais vous avez promis de donner votre sang même. Oh ! vos promesses sont vraies. Malheureux ceux qui croient qu'il en est autrement et qui se privent volontairement du si grand trésor contenu dans ce sacrement ! A qui irions-nous donc, Seigneur ? Nous n'irons pas aux assemblées des hérétiques, mais nous irons tou- jours à votre Eglise, qui nous donne véritablement votre corps, car « vous ave^ les paroles de la vie « éternelle ».
202 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
II
Considérez une seconde preuve de la présence réelle de Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement ; elle est tirée des paroles de l'exécution de ce qu'il avait promis et de l'institution de ce sacrement dans la dernière cène de l'agneau pascal. Les Evangélistes remarquent qu'ayant alors pris le pain entre ses mains, Jésus-Christ le bénit et le donna à ses Apôtres, en disant : « Prene^, man- <^ g^^i c^^^i ^st mon corps ». (Matt. 26). Egalement il leur donna le calice, en prononçant ces paroles : « Ce calice est le nouveau testament dans mon « sang^ qui est répandu pour vous ». (Luc, 22). Ces paroles sont expressives et significatives par elles-mêmes ; elles prouvent manifestement que Jésus-Christ s'est acquitté de la promesse qu'il avait faite 8e donner son corps et son sang dans ce sacrement. Les Apôtres reconnaissant que c'é- tait l'exécution de la promesse, n'y ont plus fait de difficulté, ils obéirent simplement et reçurent son corps et son sang selon sa volonté. Depuis lors l'Eglise a toujours vécu dans cette croyance et les vrais chrétiens ont toujours estimé recevoir non la figure et l'ombre de son corps, mais la réalité même ; c'est pourquoi ils ont adoré l'Eucharistie et lui ont témoigné comme aussi procuré toutes sortes de respects. Parmi les Pères, les uns (i) ont dit expressément que Jésus-Christ n'a pas donné alors la figure ou le signe de son corps, mais son
I. D. Damascenus, 1. 4, De fide, c. 14 ; Theophil. in Matt. c. 26 et m Marc. c. 14.
DES SACREMENTS
2o3
corps lui-même ; ils ont donné des témoignages de leur foi si clairs et si évidents, qu'il faut avoir perdu toute pudeur pour mettre en doute leur foi. En réalité, y a-t-il interprétation des Ecritures plus absurde que celle des hérétiques qui enten- dent ainsi les paroles de Jésus-Christ : prene^^ mange\, ceci est non pas tnon corps^ mais seule- ment la figure de mon corps ? N'est-ce pas une dépravation manifeste des paroles sacrées de Jésus-Christ ? Et n'ont-ils pas sujet d'appréhender que, s'ils persistent dans cet aveuglement, ils n'é- prouvent les effets de sa colère et qu'ils ne soient terrassés au moment de la mort par cette parole si claire : ceci est mon corps^ comme par un coup de foudre ?
S'il avait seulement l'intention de ne donner que la figure de son corps, lui qui est la sagesse éter- nelle, manquait-il de paroles pour exprimer net- tement qu'il n'en donnait que la figure ? Ou bien il aurait parlé imprudemment ; mais se peut-il rien penser de plus absurde ? Certainement Jésus- Christ est Dieu et homme, il s'est fait admirer sur la terre par ses œuvres et par ses paroles, person- ne n'a jamais fait autant d'actions héroïques, ni prononcé autant de sublimes discours que lui, au témoignage de ses ennemis eux-mêmes ; quelle apparence y a-t-il donc qu'au moment où il fallait se séparer du monde, il ait dégénéré ou se soit relâché de sa façon excellente de parler et d'agir ? Aussi dans ce dernier temps de sa vie, il entra d'u- ne façon royale dans Jérusalem et fit de grandes actions dans le temple. Ensuite, il se fit préparer un banquet dans la ville, d'une façon toute extraor-
2Ô4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dinaire, dans une grande salle tapissée, témoignant qu'il avait quelque grand dessein. Et cependant il aurait couronné tous ses miracles par le don d'un petit morceau de pain qu'il aurait laissé à ses Apôtres, en mémoire de sa personne et en souve- nir de lui-même ? Est-ce là avoir de dignes pensées de la grandeur et de la sagesse du Verbe incarné ? Cette dernière de ses actions correspondrait-elle suffisamment à tant de belles prouesses et de mer- veilles qu'il a opérées durant toute sa vie ? 11 est bien plus digne de lui d'estimer que, quand il voulut quitter le monde, il fut partagé entre deux désirs : celui de se retirer dans le ciel qui était le lieu destiné à sa grandeur et celui de demeurer avec les hommes à cause du grand amour qu'il leur portait. Afin de satisfaire ces deux désirs, il va à la mort après ce dernier banquet et en même temps il institue le Saint-Sacrement, dans lequel son corps demeurerait présent ; de la sorte il demeurerait présent réellement et de fait avec les hommes, jusqu'à la consommation des siècles, tout en étant vivant et en régnant dans le ciel à la droite de Dieu, son Père.
Si bien que ce fut l'amour qui lui inspira ce grand dessein, comme aussi le désir qu'il avait de vivre parmi les enfants des hommes, et de les gagner tous à son amour par un procédé si obligeant. En effet ce que la fable raconte du vieux Cupidon, se trouve réalisé dans ce sacre- ment. Ce dieu habile entreprit un jour, dit-on, de porter à l'amour le cœur d'un homme grossier et rustique. Dans ce but il tira de son carquois une, deux ou trois flèches qu'il enfonça dans ce cœun
DES SACREMENTS ioS
sans rémouvoir aucunement ; il vida ensuite son carquois et usa toutes ses tièches sans obtenir ^ucun résultat sur ce cœur terrestre et sauvage. Enfin il s'avisa comme dernier expédient de se jeter lui-même à corps perdu sur ce misérable cœur, la torche à la main pour Tembraser, et par ce mo3'en il en fit sa proie et sa conquête. Il en a été de même du véritable Dieu d'amour : pour gagner les cœurs humains à son amour, il a lancé sur eux autant de flèches qu'il leur a conféré de bienfaits divers, soit en les conservant, soit en les délivrant de mille maux, soit par la vocation, soit par les promesses d'une vie bienheureuse. Mais les cœurs humains ne se laissent pas pénétrer par ces dards. Alors comme dernier effort il a pris la résolution de se jeter comme à corps perdu sur leurs cœurs, le flambeau brûlant de sa charité à la main. Il s'est caché dans ce sacrement sous les espèces du pain et du vin, afin de porter les hom- mes à l'aimer et il a dit : « Prene^, mangée^, ceci (K est mon corps » ; je ne vous dis pas la figure de mon corps simplement, mais c'est moi-même qui veux entrer en vous, qui veux m'unir à vous.
Je renouvellerai à la suite de ces considérations, les actes de foi dans la vraie, réelle et substantiel- le présence de Jésus-Christ dans la sainte Eucha- ristie. C'est l'œuvre des œuvres de Jésus-Christ, elle est digne de sa puissance et de sa grandeur. O Dieu, « que les peuples le confessent^ que tous « les peuples le confessent » (Ps. 66)^ c'est votre corps, c'est votre sang qui est dans l'Eucharistie, ce n'en est pas seulement la figure et la représen- tation. L'hérésie en a menti, c'est vous-même.
2t)6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
VOUS le Rédempteur du monde, qui vous présen- tez dans ce mystère. O Père éternel, quand je verrai le prêtre sacrifier et tenir l'hostie dans ses mains, je me représenterai que du fond du paradis vous étendez vers moi votre puissante main, pour me faire présent de votre Fils. O très admirable Jésus, il n'a donc pas suffi à votre bonté de nous donner le ciel et la terre au jour de la création ; vous vous êtes aussi donné vous-même dans l'In- carnation. Vous avez conversé avec nous dans cette vallée de larmes pendant trente-trois ans ; après quoi, voulant retourner à votre Père, vous avez résolu de demeurer avec nous d'une manière admirable, en vous cachant sous les espèces du Saint-Sacrement. O bonté ! O libéralité ! O béni- gnité ! O charité ! O amour ! Pourquoi ne puis-je assez vous comprendre et vous exprimer ?
III
Considérez la troisième preuve de la réalité du corps de Jésus-Christ tirée des paroles par les- quelles saint Paul, le fidèle interprète des inten- tions de Jésus-Christ, a représenté l'usage que l'on doit faire de ce sacrement. « Que l'homme « s'éprouve lui-même^ et qu'ainsi il mange de ce « pain et boive de ce calice ; car quiconque man- « géra ce pain ou boira à ce calice indignement^ « sera coupable du corps et du sang de Jésus- « Christ. » (I Cor. 2). Ce sont là des paroles ter- ribles et foudroyantes par lesquelles il donne à entendre que ceux qui s'approchent du sacrement auguste de l'Eucharistie, sans au préalable s'être éprouvés eux-mêmes, s'ils n'ont la vraie foi et la
DES SACKKMENTS 207
vraie paix de la conscience, sont aussi criminels que les Juifs, qui n'ont pas épargné le corps de Jésus, mais Font crucifié et ont fait couler tout son sang. Mais saint Paul ne se contente pas de repré- senter la gravité du péché de ceux qui commu- nient indignement, il fait connaître aussitôt la peine de ce péché et le supplice horrible dont il sera puni : « Car celui qui mange et boit indi- « gnement, mange et boit sa condamnation ; » il avale sa condamnation et reçoit en lui la source de son tourment. Il ne faut que faire un peu de réflexion sur ces paroles de l'Apôtre, pour avouer que ce n'est pas seulement un morceau de pain que Ton reçoit en communiant, et qu'il faut bien qu'il y ait autre chose qu'une figure et une repré- sentation. Car comment serait-il possible que, pour avoir reçu en mauvais état un petit morceau de pain, qui ne serait que la figure du corps de Jésus-Christ, Dieu exerçât de si étranges et de si redoutables châtiments ? La loi dit que « le nom- « bre des coups doit être proportionné à la gra- « vite du délit ; » et ce ne serait pas un crime si atroce et qui méritât la rigueur de tant de rudes châtiments, si ce n'était qu'un pain ordinaire que les bons chrétiens et les chrétiens instruits ont coutume de prendre avec bénédiction et actions de grâces envers Dieu. Il faut donc avouer que saint Paul entendait qu'il y avait plus qu'une figure et qu'une représentation, et que c'était le corps même de Jésus-Christ, qui était traité indi- gnement par les communions sacrilèges.
En réalité c'est à cela qu'il rapporte toute la raison de ce grand péché et de ce grand supplice.
2t>8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« // mange, dit-il, et boit son jugement, car il ne « discerne pas Je corps du Seigneur \ » et il le traite comme un pain ordinaire, qu'on peut man- ger sans inconvénient, quel que soit Tétat dans lequel se trouve la conscience. Il ajoute ensuite que, parce qu'ils n'ont pas fait le discernement du corps sacré de Jésus-Christ et qu'ils ne lui ont pas rendu l'honneur qui lui est dû, plusieurs parmi les Corinthiens en furent exemplairement châtiés, sans délai et sans rémission : « Cest pour ce « motif qu'il y en a beaucoup parmi vous de « malades et de languissants qui périssent. » Or ces punitions ont continué de plus en plus contre ceux qui se sont rendus coupables à ce sujet. Saint Cyprien raconte à ce propos des histoires prodigieuses, par exemple celle d'une femme qui ayant emporté le Saint-Sacrement et l'ayant en- fermé dans son coffre, voulut l'en retirer et le prendre en mauvais état de conscience ; elle vit sortir une flamme qui l'épouvanta et l'empêcha d'y toucher. Il cite aussi le cas d'une autre femme qui, bien qu'elle fut sortie de l'Eglise catholique par l'infidélité, dans ses vieux jours se glissa parmi les autres femmes, pour recevoir la com- munion. Elle ne l'eut pas plus tôt fait que, comme si elle eût avalé un couteau ou un poison mortel, elle commença à trembler et à ressentir les tour- ments de son péché, puis elle mourut sur place. Ainsi le péché de ce sacrilège ne demeura pas longtemps impuni et celle qui avait trompé un homme, eut Dieu même pour juge et pour ven- geur de sa conscience dissimulée. Et pour mon- trer que ces punitions ne tombent pas sur les têtes
DES SACREMENTS 20{)
des femmes seulement, il apporte encore l'exem- ple d'un chrétien, qui avait assisté aux sacrifices des idoles et qui avait osé ensuite participer à ce sacrement sans pénitence. Il ne trouva dans ses mains que de la cendre ; Jésus-Christ s'était retiré de celui qui l'avait renié ; tant est vraie la parole du grand Apôtre, que celui qui mange et boit indignement, en porte bientôt la peine. Jésus- Christ en eft'et qui est la vie pour les bons, est la mort pour les méchants, et de même que dans les uns il fait sentir sa présence par l'abondance des douceurs qu'il leur apporte ; ainsi dans les autres il la fait sentir par les punitions et les supplices, par lesquels il châtie leur irrévérence.
J'apprendrai par ces paroles à respecter Jésus- Christ dans le Saint-Sacrement, et à m'en appro- cher avec tout le respect qui me sera possible. Je me prosternerai humblement en sa présence, pro- testant de cœur et d'affection, et aussi avec la foi la plus ardente qu'il me sera possible, que c'est mon Rédempteur, celui qui doit me juger, et celui par la miséricorde de qui j'espère parvenir à la béatitude. Oh ! que je souhaiterais que tout le monde se mit en devoir de lui rendre les honneurs qui lui sont dus ! Oh ! que je voudrais que l'infi- délité, qui en empêche plusieurs de l'adorer, fut éteinte ! Oh ! si tous les prêtres qui touchent à ce mystère sacro-saint, étaient saints et doués d'une pureté convenable ! Oh ! si tous les chrétiens appréhendaient de s'en approcher indignement ! Oh ! s'il n'y avait dans l'Eglise aucune commu- nion sacrilège, qui attirât sur la terre la colère du ciel ! O Jésus ! faites-vous rendre les respects qui
Bail, t. ix. 14
210 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
VOUS sont dus dans ce sacrement. Si ma vie ché- tive peut vous être utile dans ce but, je vous Toffre du fond du cœur ; elle sera bien employée si, en se perdant, elle pouvait faire cesser un seul acte d'irréligion et d'irrévérence à votre égard.
VIIF MÉDITATION
DE CE QUI EST PLUS ESSENTIEL
DANS LE SACREMENT
DE LA SAINTE EUCHARISTIE
SOMMAIRE
L Eucharistie est un sacrement de la nouvelle Loi qui consiste dans les espèces du pain et du vin, et dans le corps et le sang de Jésus-Christ réellement contenu sous ces espèces^ pour don- ner à Vâme sa nourriture spirituelle. — Jésus- Christ est présent dans ce sacrement en vertu des paroles prononcées par le prêtre. — Dans cette conversion il ne demeure rien de la subs- tance du pain ni de la substance du vin.
I
CONSIDÉREZ que l'Eucharistie est un sacre- ment de la nouvelle Loi qui consiste dans les espèces du pain et du vin, et dans le corps et
D E s s A C R E M E N T s 2 1 1
le sang de Jésus-Chiist réellement contenus sous ces espèces, pour donner à Tàme sa nourriture spirituelle.
Premièrement, l'Eucharistie est appelée un sacrement de la nouvelle Loi, pour nous donner à entendre qu'elle fut instituée par Jésus-Christ, qu'elle a des signes sensibles qui signifient la grâce divine et la confèrent à ceux qui les reçoi- vent avec les dispositions requises. Tout cela en effet convient à tout ce qui est sacrement de la nouvelle Loi et par conséquent à l'Eucharistie. Or nous ajoutons ici expressément : de la nouvelle Loi, pour avoir l'occasion de considérer, que ce sacrement n'a pas été donné sous la loi de nature, ni sous la loi de Moïse. Le monde était alors inca- pable d'un mystère si grand et si auguste, car il était dans son enfance et dans ses commence- ments. Dieu a voulu attendre la plénitude des temps et comme l'âge viril ou l'âge parfait du monde, qui est le temps de la Loi évangélique, pour l'y faire participer.
Secondement, il est dit que ce sacrement con- siste dans les espèces du pain et du vin et dans le corps et le sang de Jésus-Christ réellement con- tenus sous ces espèces, pour nous représenter par ces paroles la matière et la forme dont ce sacre- ment est composé, en tant qu'on le considère comme complet et formé. Car le sacrement de l'Eucharistie considéré comme formé et complet a pour matière les espèces du pain et du vin, c'est- à-dire les accidents et les apparences du pain et du vin, ^telles que la blancheur, la rougeur, la sa- veur et autres accidents, qui dénotent la nourri-
212 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ture, la corroboration et la sustentation intérieure de Tàme, par le moyen de la grâce. Il a comme forme, et, pour ainsi dire, comme âme, le corps et le sang de Jésus-Christ, ou bien Jésus-Christ même, qui est véritablement et de fait présent sous les espèces, et comme il n'est venu au monde que pour faire grâce et miséricorde, sa présence est une très grande marque de la grâce et de Tabondance des biens spirituels, de même que la présence d'un roi qui n'a jamais fait que du bien partout où il a été, annonce des grâces et des faveurs à l'égard de ceux qu'il daigne visiter en personne. En cela apparaît de prime abord com- bien ce sacrement est auguste et vénérable par dessus tous les autres, qui n'ont que des paroles pour leur forme, c'est-à-dire pour ce qui leur donne force et vigueur, tandis que ce sacrement a comme forme qui lui donne sa vigueur, Jésus- Christ même. Dieu et homme, son véritable corps et son sang précieux.
Au reste pour comprendre ce point très sublime, il faut distinguer trois états dans ce sacrement. Le premier état est celui de sa formation, en tant qu'il est encore à naître ou à être. Le second état est celui de son achèvement et de sa perfection, en tant que le sacrement est parfait et complet. Le troisième état est celui de son application, en tant que le sacrement est appliqué et donné aux per- sonnes qui le reçoivent en communiant. Tous ces trois états sont grands et admirables, et ce sacre- ment est digne dans chacun de ces états de la contemplation des plus grands esprits du monde. Or laissons de côté, pour une autre fois, le troi-
DES SACREMENTiN 2l3
sièmc état de ce sacrement, c'est-à-dire celui où il est donné ou appliqué aux fidèles par la commu- nion appelée sacramentelle, et ne le considérons maintenant que dans les deux premiers états, en tant qu'il est en voie de formation et en tant qu'il est formé. Or, dans l'un comme dans l'autre de ces deux états ce sacrement a sa matière propre et sa forme propre. Car, en tant qu'il est encore en voie de formation et qu'il est encore à naître, il a pour matière le pain et le vin communs et natu- rels, et comme forme il a ces paroles sacramen- telles : « Ceci est mon corps, ceci est le calice de « mon sang^ » etc. En tant qu'il est formé et complet en vertu de ces paroles sacramentelles prononcées par le prêtre avec l'intention voulue et sur la matière du pain et du vin, il a alors pour matière les seules espèces du pain et du vin qui restent après la prononciation des dites paroles, et comme le corps et le sang de Jésus-Christ succè- dent à la substance du pain et du vin, demeurent et persistent réellement avec leurs accidents, ce corps et ce sang tiennent lieu de forme et y sont suffisamment sensibles à cause des paroles qui ont précédé : « Ceci est mon corps, ceci est le « calice de mon sang » (i).
I. Cette théorie de l'auteur sur l'Eucharistie considé- rée comme sacrement permanent, nous semble s'écar- ter notablement de l'enseignement commun des Théo- logiens sur ce point. Ils admettent en effet communé- ment, d'après Suarez (disp. 42, sect. 3, n. 2) que le sacrement de l'Eucharistie, une fois fait ou produit par les paroles de la consécration, consiste essentiellement et également en deux éléments qui sont les espèces
214 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Enfin on ajoute dans la définition : pour donner à Tàme sa nourriture spirituelle. Par cette nour- riture spirituelle, il faut entendre avec la grâce sanctifiante l'amour de Dieu, le goût de Dieu et la douceur de la dévotion à son égard. Ce sont là les vrais fruits naturels de ce sacrement surna- turel et ce qui nourrit et sustente Tàme spirituel- lement, parce que, sans les actes d'amour et sans la dévotion actuelle, elle ressemble à un corps qui manque de nourriture ; ce corps se dessèche tous les jours, il ne fait que languir et s'affaiblir de plus en plus.
eucharistiques et en même temps le corps et le sang de Jésus-Christ. Ces deux éléments sont en effet requis, pour constituer un signe sensible et efficace de la grâce. Si l'on demande quelle est alors, c'est-à-dire après la confection de ce sacrement, sa matière et sa forme, nous répondons qu'à l'état permanent ce sacre- ment a la même matière et la même forme qu'au mo- ment où il était produit, car les paroles qui physique- ment ne sont plus et qui constituent sa forme, persévè- rent moralement et virtuellement, c'est-à-dire par leur efficacité et dans leur effet. Les espèces eucharistiques ne sont le signe de la présence de Jésus-Christ, qu'en tant qu'elles ont reçu des paroles ce sens déterminé, car nous ne savons que les espèces sont consacrées et renferment Jésus-Christ, que lorsque nous savons que les paroles de la consécration ont été prononcées sur elles. Peut-être peut-on dire avec Bail, que le corps et le sang de Jésus-Christ tiennent lieu de forme, et le pain et le vin de matière, en ce sens que les espèces sont l'élément qui rend visible le corps de Jésus-Christ, tandis que ce même corps est comme la vertu qui rend ces espèces capables de produire la grâce.
DFS SACREMENTS 21 5
Je concevrai comme fruit de cette première con- sidération une très haute estime de ce sacrement, dans la composition et l'achèvement duquel entre l\Homme-Dieu, Jésus-Christ, pour lui servir de forme et d'essence, pour être comme son âme vi- vifiante. Les composés en effet sont d'autant plus excellents que leur forme est plus sublime et plus relevée ; c'est ainsi que les plantes sont plus excellentes que les pierres, parce que les plantes ont une forme plus noble. L'homme est le plus digne sujet parmi tous les êtres corporels, parce que sa forme, qui est son àme raisonnable, atteint à un plus haut degré de dignité. Quelle doit donc être l'excellence de ce sacrement, dont la forme est si éminente ; et si les formes les plus excel- lentes des composés produisent les plus sublimes effets, que ne faut-il pas attendre et espérer de ce sacrement ? Quelles choses souhaitables et mer- veilleuses n'en procéderont-elles pas ? O très digne et très divin sacrement rempli de Jésus-Christ et enrichi de sa présence, puissè-je, en vous médi- tant, vous connaître parfaitement, ainsi que toutes vos singularités admirables, afin que vous connaissant je vous estime et vous affectionne, je vous vénère et vous loue et j'excite les mortels à vous rendre l'amour et le [respect qui vous appar- tiennent.
II
Considérez que Jésus-Christ est rendu présent dans ce sacrement par la vertu des paroles sacra- mentelles proférées par le prêtre : « Ceci est mon « corps^ ceci est le calice de mon sang, » etc. Il
2l6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
se fait alors une transmutation ou bien un change- ment du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ. L'Eglise a toujours vécu dans cette croyance et dans la persuasion de cette vérité. Toujours, dit le Concile (i), on a été persuadé dans l'Eglise de Dieu, et ce saint Concile le dé- clare de nouveau, que par la consécration du pain et du vin, il se fait une conversion de toute la substance du pain en la substance du corps de Notre Seigneur Jésus-Christ, et de toute la subs- tance du vin en la'substance de son sang ; conversion qui est appelée proprement et convenablement par la sainte Eglise catholique, transsubstantia- tion. La raison de cette grande vérité est que les paroles de Jésus-Christ : « Ceci est mon corps., » ne peuvent être vraies, si au même instant qu'il les proférait, la substance du pain ne se changeait en celle de son corps. Or elles étaient très vraies, car elles étaient prononcées par celui qui est la vérité même, et qui ne peut errer le moins du monde ; par conséquent elles opéraient et accom- plissaient secrètement par une puissante vertu ce qu'elles signifiaient. C'est pourquoi comme celui qui tiendrait dans sa main de la poudre à canon et serait assez puissant pour lui faire prendre feu en disant : ceci est du feu, changerait, en proférant cette parole : ceci est du feu, la poudre en feu et dirait vrai, s'il disait en tenant et en montrant la poudre : ceci est du feu ; ainsi devons-nous com- prendre par cette comparaison familière, que la parole de Jésus-Christ : ceci est mon corps., étant
I. Trid. sess. 13, c. 4.
DES SACREMENTS 217
une parole etlicace, — car le prophète a dit : « La « voix du Seigneur est pleine de force » (Ps. 28), — par la vertu de cette parole, la substance du pain quHl' tenait dans ses mains, a été convertie en la substance de son corps, ainsi que la poudre serait convertie en feu, dans le cas que nous venons de citer. Au reste il est bien raisonnable d'attribuer cette force et cette puissance à la parole de Jésus- Christ, car sa parole est d'une plus grande effica- cité, et il faut lui attribuer beaucoup plus qu'à la parole d'un homme et d'une simple créature. Or celle-ci signifie toujours quelque chose ; afin donc que celle-là ait un avantage sur elle, elle ne doit pas seulement signifier, mais elle doit aussi effec- tuer ce qu'elle signifie. C'est pourquoi, par l'éner- gie des paroles de Jésus-Christ prononcées par le prêtre dans la consécration du pain et du vin, il se fait un changement admirable de substance en substance ; le pain y devient le corps de Jésus- Christ, le vin y devient son sang et l'un et l'autre cessant d'être ce qu'ils étaient auparavant, mon- tent à un degré meilleur et beaucoup plus relevé, qui est l'être de Jésus-Christ même.
Ceci ne doit pas nous sembler incroyable, car une créature change bien une autre créature en sa substance. Ainsi la chair de l'homme change en elle-même le pain qu'elle mange. Pourquoi donc la parole d'un Dieu tout-puissant, qui a tout créé par sa parole, ne pourrait-elle pas changer le pain en son corps et le vin en son sang ? Il a bien changé dès le commencement du monde le limon de la terre en un corps humain, celui du premier homme Adam et une des côtes de cet homme en
2'l8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
une femme qu'il en forma par une mystérieuse métamorphose. (Gen. i). Et s'étant fait hom.me, aux noces de Cana, il se fit connaître par une semblable transformation, quand il changea Teau en vin. Pourquoi ne pourrait-il pas faire une chose semblable dans ce grand sacrement? Certes la na- ture est toute remplie d'effets pareils. Le soleil par son influence change la terre en or et en tou- tes sortes de métaux ; les abeilles font du miel avec les fleurs ; la poule sans changer la coque de l'œuf en change le jaune en une chair vivante. Pourquoi Jésus-Christ par un moyen admirable ne pourait-il pas changer la substance intérieure du pain en son corps, sans en altérer les acci- dents ? Si la nature fait ces choses à tout moment sans peine, que ne pourra pas faire l'auteur de la nature ? Mais que dis-je ? la nature. L'art fait tous les jours de nouveaux changements. Les cendres se changent en verre sous l'action du feu, l'alchi- mie change des substances en d'autres substances plus excellentes et qui approchent de l'or vérita- ble. Si donc l'art a cette puissance, qui osera la refuser à Dieu et à sa parole toute-puissante ? Mais que n'a pas fait Moïse aidé de l'assistance divine ? Jetant sa verge par terre, il la change en dragon, et, quand il la prend par la queue, elle revient à sa première nature. (Ex. 4). Il change les eaux des fleuves en sang et le sang en eau et il fait plusieurs autres changements admirables. Ce- pendant Moïse n'est que le serviteur, quelle sera donc la puissance du Maître, s'il institue des paroles expresses, pour faire un changement d'une substance en une autre, comme il en a ins-
DES SACREMENTS 219
titué pour la sainte Eucharistie ? « Il Jera, dit le « Sage, ce qu'il voudra, sa parole est pleine de « puissance et personne ne peut lui dire: pour- « quoi agissez-vous ainsi? y> {Ecc\. 8). Enfin re- présentons-nous la reproduction d'un corps dans un lieu où il n'est pas ; qui peut contester que Dieu ait ce pouvoir ? Si je n'étais pas en France, personne ne doute qu'il ne put me produire en Asie, ou dans tel lieu qu'il lui plairait. Or la pré- sence de ma personne en France m'empêche pas la toute-puissance de Dieu de me reproduire, s'il lui plaît, autre part, ni plus ni moins que ma présence en un temps ne peut l'empêcher de me produire dans un autre temps, car le lieu n'est pas pour lui un plus grand obstacle que le temps. Qui peut donc l'empêcher, tandis que le corps de Jésus-Christ est aujourd'hui dans le ciel, de le reproduire sur les autels et en tels lieux de la terre et du monde qu'il voudra ?
Oh ! bénies soient infiniment la toute puissance et la bonté de Dieu, qui font un tel changement de la substance du pain en celle de Jésus-Christ par amour pour moi, afin que prenant les appa- rences ou espèces du pain, je m'en nourrisse et le reçoive lui-même ! O Seigneur, en reconnaissance de ce grand changement, je désire aussi accomplir un changement par amour pour vous, un change- ment de moi-même et de mon ancienne vie en une vie nouvelle plus céleste et plus spirituelle. Je désire changer en moi tout ce qui est du vieil Adam gâté et corrompu, aux saintes mœurs et actions du nouvel Adam. Ce changement n'a pour objet que des accidents seulement. Si vous faites
2^0 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pour mon amour le changement d'une substance basse et très commune en une substance qui est la plus rare, la plus précieuse et la plus divine du monde, refuserai-je pour votre amour de changer mes accidents mauvais et pervers, en d'autres plus louables et plus saints ? J'aurai aussi confiance, à la vue de cette transsubstantiation, que de très bas et très vil que je suis maintenant, je pourrai être transformé en un état qui se rapprochera de l'état glorieux de Jésus-Christ. Aussi saint Paul dit : « IL formera de nouveau votre corps sur le « modèle de son corps glorieux. » (Phil. 3). Car s'il fait ce changement d'une façon beaucoup plus haute dans le pain par amour pour l'homme, l'homme, n'a-t-il pas grand sujet de s'attendre à être élevé et à m.onter à un rang plus honorable, à un rang glorieux,'oLi il sera divinisé et transformé en Jésus-Christ par l'imitation et la ressemblance des qualités de sa gloire très parfaite ? O heureuse et mille fois désirable conversion ! « Convertisse\- « nous., Seigneur^ et éloigne^ de nous votre colère. » (Ps. 84).
III
Considérez que dans cette conversion il ne reste rien de la substance du pain et du vin ; elle cède entièrement au corps et au sang de Jésus- Christ, et il n'y a que les seuls accidents ou les seules espèces qui demeurent, telles que la blan- cheur, la rougeur, la saveur et les autres. Sous ces accidents Jésus-Christ est présent tout entier et tel qu'il est dans le ciel, pour être le pain vivant et vivifiant de nos âmes ; il porte et soutient par
DES SACREMENTS 121
sa vertu ces accidents destitués de leur propre substance et de leur soutien naturel. Cette vérité doit se conclure de la précédente, où il a été con- sidéré qu'il y avait transmutation d'une substance en une autre, car partout où il y a une telle trans- mutation, la substance transmuée cesse d'être ce qu'elle était auparavant et par conséquent la subs- tance du pain cesse d'exister, quand devient pré- sent le corps de Jésus-Christ, dans lequel elle se change. D'ailleurs elle serait inutile, et impropre à tout usage spirituel ; car les accidents qui demeu- rent sont pleinement suffisants pour signifier l'effet du sacrement, et Jésus-Christ, qui est pré- sent, est assez capable par sa vertu infinie de les soutenir et de les faire agir sans leur substance. En effet « c'est lui^ dit saint Paul, qui soutient « ton ta choses par sa parole toute puissante » (Héb. i). Et de même que, dans l'Incarnation, dont ce mystère est une imitation, le Verbe divin soutient en lui-même l'humanité dépouillée de son suppôt et de son soutien naturel, qui est sa subsistance ; ainsi dans ce mystère Jésus-Christ soutient par lui-même les accidents privés de leur suppôt naturel, qui est la substance dans laquelle ils résidaient dans une union très intime (i).
I . Il faut bien se garder de prendre trop à la lettre cette comparaison. Le Veibe supplée en Jésus-Christ la personne humaine par une union substantielle et ontologique avec la nature humaine. Dans l'Eucharistie, il n'y a entre le corps de Jésus-Christ et les accidents du pain ou du vin, aucune union physique formelle^ ni substantielle, ni accidentelle, car il est certain que
112 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Cette substance n'est plus, car elle a quitté sa place à l'arrivée du Fils de Dieu, en vertu de la loi qui veut que les inférieurs cèdent la place à ceux qui sont notablement plus grands et plus illustres. Quoi qu'il en soit des hommes qui con- testent souvent pour la préséance, c'est le droit du Créateur souverain que toute créature lui cède et s'anéantisse, autant qu'il lui est possible, en sa présence. Dieu apparut au commencement du monde dans le paradis terrestre, et « Adam se « cacha, dit le texte sacré, ainsi que sa femme en « la présence du Seigneur. » (Gen. 3). L'arche d'alliance fut portée dans le temple de Dagon, et son idole tomba par terre en sa présence. Jésus- Christ dit aux soldats qui étaient venu le garrotter au Jardin des Oliviers : « C'est moi.^ » et aussitôt ils tombèrent à la renverse et ne purent subsister. Ainsi en est-il de la substance du pain dans cet auguste sacrement : aussitôt que Jésus-Christ paraît, elle fait honneur à son Créateur et lui cède
les accidents du pain et du vin demeurent sans sujet. (Conc. de Constance). Il n'y a qu'une union morale, qui consiste en ce que ces espèces indiquentla présence cer- taine du corps de Jésus-Christ, et en ce que d'une part le corps de Jésus-Christ continue à être présent sous ces espèces à cause de la persistance de ces mêmes espèces, et de l'autre Dieu continue à les iaire subsis- ter sans sujet, par un eflfet de sa toute-puissance, à cause de la présence du corps de Jésus-Christ. Tout au plus pourrait-on admettre une certaine union réelle qui consisterait en ce que le corps de Jésus-Christ concour- rait, comme instrument physique, à soutenir les espè- ces privées de tout sujet.
DES SACREMENTS 223
la place, comme si elle avait le sentiment de sa hassesîîe et de sa vilité, et ne se croyait pas digne de demeurer avec lui. Toutefois elle ne perd rien par cette soumission; Dieu, qui exalte les hum- bles, sait bien la relever. En effet, outre que ses accidents sont intégralement conservés. Dieu l'améliore extrêmement et de Tamélioration la plus parfaite qui puisse être, car il la fait devenir son propre corps, il la change en lui-même ; ce qui est la faire monter au plus haut point de grandeur que l'on puisse imaginer.
Je formerai des actes de foi à la suite de cette considération. Je le crois, ô Jésus, après les paro- les sacramentelles, la substance du pain n'est plus, ni la substance du vin, c'est votre corps sacré et votre sang très précieux qui a été répandu pour nous, et que vous avez repris au jour de la Résurrection, c'est ce sang, dis-je, qui lui succède. O Jésus ! que ce mystère convient à votre gran- deur, puisque les substances matérielles du pain et du vin vous font hommage, en cessant d'exister en votre présence et en vous cédant la place, si bien qu'en rigueur on pourrait dire qu'elles sont vrai- ment anéanties, si vous ne preniez leur place. Oh ! je me réjouis que les êtres inanimés honorent votre pouvoir. Je m'écrierai comme ceux qui vous virent commander aux orages : « Quel est « celui-ci, à qui les vents et la mer obéissent ? » (Matt. 8). Qui êtes-vous donc, ô Jésus, pain vivant descendu du ciel, pour que le pain matériel se rende si obéissant en votre présence ? Oh ! si les créatures raisonnables et intelligentes, imitant ces substances inanimées, rentraient dans leur néant
224 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
et s'humiliaient profondément à votre vue et en votre sainte présence ! O Seigneur, je veux cesser d'être ce que j'ai été jusqu'à présent, je ne veux plus de moi en moi, afin que vous y soyez tout seul, et si je suis, je ne veux plus être qu'en vous. O l'admirable conversion de la droite du Très Haut ! Il ne s'en peut imaginer une meilleure ; l'âme chrétienne ne peut espérer en ce monde une bonté plus parfaite et plus consommée, que de se réduire à rien pour tout céder à Jésus, et de n'être rien qu'en lui, renonçant à toute propriété. O Sei- gneur, par toutes les merveilles de cet auguste sacrement, donnez-moi la grâce de m'anéantir de la sorte devant votre suprême Majesté, afin que je puisse dire comme votre grand Apôtre : « Je vis, « non, ce nest pas moi qui vis^ mais cestjêsus- « Christ qui vit en moi y) (Gai. 2), ou bien comme disait David : « Ma substance est comme un « néant devant vous. » (Ps. 38). Enfin de même que les accidents du pain et du vin ne laissent pas d'être et d'opérer sans leur appui naturel, parce que vous les soutenez par votre vertu ; ainsi faites, Seigneur, que privé du support des créatures et n'ayant plus aucune attache avec elles, je vive et agisse par votre assistance, n'étant attaché qu'à vous seul qui donnez la force et la vertu à toutes choses.
DES SACREMENTS 22^
ir MÉDITATION
DES DIVERS MOTIFS
POUR LESQUELS JÉSUS-CHRIST
EST PRÉSENT DANS L'EUCHARISTIE
SOMMAIRE
Premier motif : la gloire de Dieu. — Second motif : Vexaltation de Vhumanité de Jésus- Christ. — Troisième motif \ V utilité des hom- mes et leur plus grand honneur.
I
CONSIDÉREZ divers motifs pour lesquels Dieu a voulu que Jésus-Christ fut présent dans cet adorable sacrement, et premièrement celui de la gloire de Dieu, qui est la tin de toutes ses œuvres. Cette présence lui apporte de la gloire de deux manières principales.
D'abord sa gloire paraît par la manifestation de ses attributs et de ses perfections ; ici il fait paraî- tre davantage sa puissance, sa sagesse et sa bonté. Sa puissance paraît par la multitude des miracles qui se font dans ce mystère, pour rendre son Fils présent sous les espèces du pain et du vin. Car la substance du pain est changée par la vertu des paroles en celle du corps de Jésus-Christ, et celle du vin en celle de son sang. Les accidents du pain
Bah., t. IX. i^
226 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
et du vin demeurent sans le soutien de leur subs- tance, ainsi que des nuées dans Tair sans appui. Jésus-Christ tout entier et selon toute sa grandeur est contenu dans une petite hostie et dans un peu de liqueur. Il est en même temps en des lieux innombrables. Le prêtre opère ces merveilles par les paroles sacramentelles. Toutes ces choses grandes et étonnantes et qui continueront jusqu'à la fin des siècles sont les effets de la toute-puis- sance divine, qui se révèle ici autant que dans aucun de ses ouvrages.
Sa sagesse ne paraît pas moins, en ce qu'il a trouvé un tel moyen de se communiquer à l'homme et de contrepointer les ruses de Satan. Car, comme l'homme a été perdu par un peu de nour- riture, ainsi dans ce sacrement il est réparé par une autre nourriture. De même que l'homme contracte le péché originel et les malheurs qui y sont annexés par la participation de la chair d'Adam, chair pécheresse et damnable qui appe- santit l'àme et l'incline vers la terre par des affec- tions terrestres ; ainsi il acquiert la grâce et la sainteté par la participation de la chair de Jésus- Christ, chair virginale et immaculée, chair rédemp- trice et salutaire, qui élève l'àme au ciel par des affections toutes célestes.
Mais sa bonté ne paraît pas moins en ce qu'il fait tant de miracles dans ce sacrement, pour s'unir au cœur de l'homme et se communiquer à lui plus intimement. Elle paraît aussi en ce qu'il met encore ici son Fils dans un état d'humiliation, qu'il l'expose sur les autels à la merci des hommes, dont plusieurs le traitent indignement. Si bien
DKS SACRKMKNTS 227
que si c'est une preuve d'an:our d'entreprendre beaucoup, de donner beaucoup, et de hasarder beaucoup pour la personne aimée, ici Dieu fait paraître sa bonté par la multitude des miracles qu'il accomplit pour le salut des hommes, ainsi qu'autrefois il la fit paraître à l'égard des enfants d'Israël par l'accomplissement de tant d'œuvrcs prodigieuses, en vue de leur délivrance de l'Egypte. Il Ta prouvé par cette largesse immense qu'il nous a faite en donnant son Fils qu'il a élevé jusqu'à sa droite, et en le donnant non en général, mais en particulier, à quiconque le désire, sans exclure personne ; de plus il le donne si entièrement à chacun considéré à part, qu'il semble qu'il n'ait pensé qu'à se donner à lui seul. Il a encore prouvé son amour en s'exposant au danger de devenir l'objet de toutes sortes d'irrévérences et d'ignomi- nies de la part des pécheurs et des impies ; ce qui lui arrive souvent. Enfin il faut être plus qu'aveu- gle, pour ne pas reconnaître son immense charité et sa bonté infinie.
En second lieu, la gloire de Dieu paraît encore davantage dans ce sacrement en ce qu'il y est adoré, remercié, apaisé, aimé et servi par son Fils, Jésus-Christ, dans tous les endroits du monde où se célèbre ce mystère. Toutes les adorations et les services des autres créatures ne rendent au- cune gloire à Dieu en comparaison de la gloire qu'il reçoit ici de son Fils, car c'est un sujet in- fini qui l'honore en tout lieu. Et de même qu'un roi est beaucoup plus honoré par les révérences que lui fait un prince de haute condition, que par celles d'une menue populace, quoique très nom-
228 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
breuse; ainsi les adorations, que Jésus-Christ rend à Dieu, le glorifient plus que celles de tous les hommes et de tous les Anges, parce que c'est un sujet infini et un Dieu qui adore un Dieu adorable et qui ne pouvait être dignement adoré que par un Dieu. C'est pourquoi Dieu se sentant honoré par ce mystère se glorifie et dit par son prophète : « Mon nom est grand parmi les Gên- ai tils^ parce qu'en tout lieu une oblation sans « tache est offerte à mon nom » (Malach. i) ; c'est-à-dire, comme l'expliquent les Pères de l'Eglise (i), l'Agneau immaculé qui efface le péché du monde, m'est sacrifié.
Admirez dans ce premier motif le dessein de Dieu, et réjouissez-vous de la gloire qu'il reçoit dans ce mystère sacré. O Dieu infini ! il vous appartient de paraître grand en puissance, mer- veilleux en sagesse et ravissant de bonté. O Dieu très sublime ! il est bien raisonnable que vous soyez servi par d'autres plus grands que des hommes chétifs et rampant sur la terre, car en face de vous, ils sont encore moins que des four- mis en face d'un homme. C'est pourquoi comme un homme ne s'estimerait pas assez honoré par toutes les fourmis du monde qui s'humilieraient devant lui, vous serez, vous, bien moins glorifié encore par l'honneur que tous les hommes de la terre pourront vous rendre. O noble Jésus, ô adorateur infini, il n'y a que vous seul, qui pouvez dignement aimer et adorer le Dieu infiniment aimable et adorable. Je me réjouis donc de ce que
I. Theodoret. in hune locum.
DES SACREMENTS 229
pour la gloire de Dieu vous êtes renfermé dans ce mysttre, pour adorer Dieu et l'aimer dans tous lieux du monde.
II
Considérez que Jésus-Christ est encore présent dans ce sacrement admirable pour la plus grande exaltation de son humanité sacrée. Car quoiqu'elle y soit à certains points de vue dans un état d'hu- miliation, toutefois cette humiliation est com- pensée par tant de grandeurs et de merveilles, qui lui arrivent dans ce sacrement, que les avantages qu'elle y trouve sont de beaucoup supérieurs à ses pertes et à ses abaissements. Par ce mystère Dieu dont les secrets sont admirables, lui donne beau- coup plus de biens sur la terre, qu'elle n'y a souffert de maux pour le salut du monde.
Car premièrement, cette humanité est rendue présente tout à la fois en des millions d'endroits ; ce qui est un privilège tout particulier, qui ne convient à aucune créature. La créature en effet est en un lieu seulement ; hors de ce lieu elle n'est rien et elle ne vit pas. Mais l'humanité de Jésus- Christ, par ce mystère, est en un lieu de telle sorte qu'elle est aussi et qu'elle vit véritablement dans un million d'autres lieux. En cela elle se rapproche quelque peu de l'immensité de Dieu qui est partout à la fois et dans tous les lieux du monde. Cette humanité qui n'a pas l'immensité ni l'ubiquité, a la pluralité de présence ; elle est en divers lieux, en divers royaumes et en diverses parties de l'univers, où elle se trouve même là dans son être, dans sa substance, avec ses puis-
23o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sances et ses qualités, avec sa vie et ses opérations intérieures (i). En cela elle est aussi favorisée par Dieu que si elle recevait de lui la vie et Têtre plu- sieurs fois. Or comme la vie de cette humanité sainte est une vie bienheureuse, une vie toute contente et rassasiée de joie par la vision béatifique et par la félicité dont elle jouit, à mesure que cette humanité est rendue présente dans un nouveau lieu, sa vie bienheureuse est reproduite en même temps qu'elle, et aussi ses contentements inénar- rables. D'où vient qu'elle est autant de fois heu- reuse, que sa présence est multipliée de fois par la multitude des consécrations que font les prêtres, à qui appartient le pouvoir de changer en sa subs- tance celle du pain et du vin.
Ce point est important et contient une singula- rité admirable du bonheur de cette sainte huma- nité, du bonheur des prêtres et de ceux qui leur font offrir le sacrifice. Pour le concevoir davantage, il faut se représenter ce qu'enseignent les Théolo- giens (2), au sujet de ce qui serait arrivé, dans le cas où l'un des Apôtres eût consacré pendant les trois jours de la mort de Jésus-Christ, alors que son âme était séparée de son corps. Ils disent que le corps eût été sous l'espèce du pain, sans âme et sans sang; parce qu'en ce moment le corps de Jésus-Christ était sans àme et sans sang gisant dans le tombeau. Et si on leur demande ce qui serait arrivé, si quelqu'un eût consacré pendant que Jésus-Christ était à l'agonie ou en proie aux
1. Albertus Magnus in Compend. 1. 6, c. 14.
2. D. Thom. 9. 81, art. 4.
n F. s s A C R K M ]• N T s '2 31
douleurs de la croix, ils répondent que .lésus- Chrisreùt été sous les espèces, plein de douleur et d'amertume, comme il Tétait en réalité à ce moment. Disons donc que la consécration se fai- sant alors que Jésus-Christ est plein de vie et de vie bienheureuse, il est présent en divers lieux du monde avec ses joies et ses contentements et que ce mystère multiplie d'une rare manière sa félicité très parfaite, dont il ne se prive pas lui-même pour nous dans son Eucharistie, puisqu'il ne s'en est même pas privé sur l'autel de la croix (i). Aussi il n'y a pas de raison pour que sa douleur doive l'accompagner dans l'Eucharistie, plutôt que sa joie et son bonheur.
On pourrait parler aussi du contentement sin- gulier, qu'a cette humanité, d'adorer Dieu en divers lieux du monde et de la gloire qui lui revient de ce fait qu'elle est chérie et vénérée des hommes fidèles qui croient en ce sacrement. Mais il nous sufiit de nous arrêter à la multiplication de sa béatitude pour reconnaître son bonheur sans égal et son avantage très admirable, qui lui permet de dire par la bouche du Sage : « Mes délices sont « d'être avec les enfants des hommes. » (Prov. 8).
O humanité sacrée ! Je me réjouis du bonheur que vous goûtez dans ce sacrement, je suis heureux que vos consolations l'emportent sur tout ce qui paraît à nos yeux et qui est vil et méprisable. Oh ! je vous révère, je vous aime et vous honore dans
I. Vasquez, 3 part. disp. 192, c. 3, Ita quoque Sco- tus, in REPORT. 1. 4, dist. 10, 9. 5 : « Non privai se bono aliquo es sentiali pr opter necessitatem nostram. >
232 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
cette vie bienheureuse, que vous recevez tant de fois. Vous êtes dans cet état un abîme de délices, un monde de félicités, un excès d'éminences et de raretés. Vous êtes véritablement le chef-d'œuvre de Dieu, celui où il épuise hors de lui-même sa puissance et sa bonté à vous combler de biens et d'excellences inouïes. Oh! vivez toujours heureuse dans cet admirable sacrement ! Oh ! puisque par votre grâce je suis élevé aux fonctions du sacer- doce, quoique très indigne de cette faveur, je veux consacrer dans cette intention et dans un esprit d'amour de bienveillance envers vous, afin que rendue de nouveau présente sur les autels, vous ayez, entre mes mains et par mon ministère, votre vie bienheureuse et ses contentements très divins. Oh ! quelle confiance dois-je avoir d'obtenir la vie bienheureuse, puisque tant de fois par la sainte consécration, j'ai contribué à rendre Jésus vivant de sa vie très heureuse dans plusieurs lieux où il n'était pas auparavant ? O chrétiens, travaillons à ce que ce sacrement soit fréquenté davantage, afin que Jésus jouisse de sa vie et de ses délices en plusieurs contrées et endroits de l'univers. Oh ! malheur à ceux qui s'y opposent et qui s'efforcent de le détruire !
III
Considérez que Dieu a encore voulu la présence réelle du corps sacré de Jésus-Christ dans ce sacrement pour l'avantage des hommes et pour leur plus grand honneur.
En premier lieu, il fait participer les hom- mes à lui-même et fait une alliance intime
DES SACREMENTS 233
de lui-picme avec eux. C'est pourquoi ce sacre- ment est une extension de Tlncarnation. De même en etVet qu'il a communiqué sa subsistance à une seule humanité, ici il communique cette hu- manité à tous les fidèles; et de même que l'huma- nité à laquelle il se communiquait était soutenue par le Verbe, ainsi les fidèles sont soutenus par ce sacrement, selon cette parole du prophète : « Le « pain réconforte le cœur de lliomme » (Ps. io3).
En second lieu, Jésus-Christ supplée ici au bien qu'il a différé de nous donner en nous rache- tant. En effet, quand il est mort pour notre salut et pour racheter de la mort nos âmes et nos corps, néanmoins pour le temps présent il ne nous a donné qu'une âme justifiée, vivant de la vie de la grâce et exempte de la mort du péché. Pour ce qui est du corps, il le laisse dans sa misère et dans sa mortalité jusqu'à la résurrection générale où ce corps éprouvera le bienfait de la Rédemption, par un état glorieux qui lui sera alors donné. C'est pourquoi Jésus-Christ nous donne seulement une âme maintenant et ne nous donne pas de corps ; mais en attendant il nous donne le sien, qui est présent dans ce sacrement ; c'est la compensation de ce délai.
Troisièmement, son corps est ici présent, pour obliger puissamment tous les fidèles à un grand respect, une grande modestie et une grande dévo- tion dans toute leur conduite, puisqu'ils savent qu'ils sont en présence du Fils de Dieu, qui est à la droite de Dieu et qui est adoré des anges. Le peuple d'Israël qui était devenu insolent, pendant que Moïse était sur la montagne, rentra dans le
284 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
devoir aussitôt qu'il parut devant eux à son retour, ainsi que les disciples s'apaisent en présence de leur maître, et une troupe séditieuse à la vue de quelque personne qui a de l'autorité et qui inspire le respect. Ce fut le moyen dont se servit le père de famille pour rappeler au devoir de l'obéissance les vignerons qui avaient maltraité ses serviteurs ; il leur envoya son fils, dans l'espoir qu'ils seraient pénétrés de respect à la vue de sa personne : « Ils respecteront mon fils. » (Matt. 22). Ainsi Dieu le Père a estimé qu'en rendant présent son Fils dans ce mystère, les chrétiens lui feraient honneur, comme le mérite sa grandeur : « Ils « respecteront mon Fils ». En effet la plus grande dévotion de l'Eglise se traduit par le respect de l'Eucharistie ; c'est pour elle qu'il y a des temples si magnifiques, des autels et des tabernacles si riches, des offices si solennels et des prêtres si purs et si saints, des pénitences et des réformes de mœurs en si grand nombre. Le Docteur subtil (i)a admis ce motif de la présence réelle de Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement et il a écrit ces paroles très remarquables : Toute la dévotion qu'il y a dans TEglise consiste dans le respect à l'égard de ce sacrement. A la pensée de l'Eucha- ristie, les clercs récitent l'Office divin avec plus de dévotion, pour célébrer la messe. Dans la même pensée le peuple assiste à la messe avec plus de respect qu'à tout autre office. En vue de ce sacre- ment, chacun confesse ses péchés plus exactement,
I. In 4, dist. 8, 9. I : « Quasi omnis devotio in Eccle- « sia est in or dîne ad illud sacratnenium. »
DES SACREMENTS 2 33
conformément au commandement de TEglise.
De plus la présence de Jésus-Christ anime tous les chrétiens à mieux combattre dans la guerre spirituelle de cette vie contre les ennemis de notre salut, car la présence d'un roi dans une armée est un puissant aiguillon pour exciter les soldats à se comporter généreusement. Germanicus levait le casque en combattant, pour se faire voir de ses soldats. Les rois de Perse combattaient nue tête. Les Macédoniens, vaincus par leurs ennemis, remirent leur armée sur pied, et combattant une seconde fois, ils tirent apporter au milieu de Tar- mée le roi Europus, qui était un enfant dans les langes, et animés par sa présence, ils remportèrent la victoire (i). Les Juifs ayant vu jadis un Ange à cheval sous la figure d'un capitaine, avec un habit blanc et des armes dorées, ne trouvèrent plus rien de difficile à surmonter (II Mach. ii). Combien plus la présence de Jésus-Christ, qui épouvante Tenfer, doit-elle animer les chrétiens à triompher généreusement de tous les obstacles de leur salut ?
Enfin cette même présence donne le repos à nos âmes, qui étant créées pour Dieu ne se rassasient de rien moins que de Dieu, et elle fortifie l'espé- rance que nous avons de la gloire. Car nous avons une raison suffisante pour espérer vivre avec les Anges et contempler avec eux l'Essence divine, puisque maintenant nous vivons avec Jésus-Christ et de Jésus-Christ même. Celui qui se donne à manger refuserait-il de se donner à voir et à con templer ?
I. Justin. 1. 7.
236 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Toutes ces choses bien pesées lont que ce sacre- ment doit être appelé le plus grand des sacrements, non-seulement à cause de ce qu'il contient, mais aussi parce qu'un sacrement étant un signe de la grâce et de l'amour de Dieu, nous avons ici un témoignage de la bonté et de la bienveillance de Jésus-Christ plus grand et plus solennel que dans tous les autres sacrements.
Reconnaissons donc à tous les instants de notre vie, la grandeur du don de Dieu dans la sainte Eucharistie, qui nous rend si honorables et nous apporte tant de biens et tant de gloire à la fois, O Seigneur, que je ne demeure pas insensible et ingrat après un si grand témoignage de votre amour ! O Père éternel, que je vous adore et que je vous loue durant toute l'éternité, pour nous avoir donné votre Fils de cette seconde manière et tant de fois, et pour tant de biens que vous nous accordez dans ce sacrement d'amour. Car quand je considère le prêtre tenant l'hostie entre ses mains, je me représente, ô Père très aimant, que du paradis vous me tendez la main et que vous me présentez votre Fils ; et quand je le vois élevant le calice, je me figure, ô très aimable Sau- veur, que vous me présentez votre côté ouvert et que vous me conviez à me rassasier de votre sang précieux. Quoi donc, ô Jésus, n'était-ce pas assez de vous être donné et consacré, l'espace de trente- quatre ans pendant votre vie souffrante, à aider des créatures mortelles et qui rampent sur la terre ? Ne semblait-il pas qu'après cet excès vous deviez demeurer dans l'état de votre gloire, sans plus vouloir regarder le monde, où vous avez reçu
nns SACREMENTS iSy
des traitements si indignes ? Et cependant, ô excès d'amour, pour continuer cet amour, vous renfer- mez et cachez votre grandeur dans la petitesse des accidents du pain et du vin, autant qu'elle s'étend et se manifeste dans le grand ciel empyrée. O Seigneur très bon, mon esprit s'élève vers vous à la vue de ce grand témoignage d'amour et de ce grand don que vous faites de vous-même ; en retour de ce don, il veut être tout à vous. Oh ! que je voudrais que toutes les âmes raisonnables s'ap- pliquent à vous aimer et à vous contempler, à vous rendre des actions de grâces, à se donner et à s'unir à vous dans ce mystère 1 Que je voudrais que dans ce but elles renoncent à tout leur amour-propre, pour vous y servir et vous y adorer purement !
238 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
T MÉDITATION
DE L'UNION DE JÉSUS-CHRIST
AVEC LES ESPÈCES DU PAIN
ET DU VIN DANS L'EUCHARISTIE
SOMMAIRE
Jésus-Christ, en s' unissant aux espèces du pain et du vin nous prouve — i) son admirable bonté — 2) son grand désir de se communiquer aux hommes — 3) sa prodigalité.
I
CONSIDÉREZ la merveilleuse bonté de Jésus- Christ dans ce fait qu'il s'unit aux espèces du pain et du vin, pour faire le composé admirable de TEucharistie. Car ce sacrement est un composé des espèces et du corps de Jésus-Christ, comme rhomme est un composé de corps et d'âme, et comme Jésus-Christ est un composé et un tout ineffable de Dieu et de l'homme (1). C'est pour- quoi saint Irénée (2) dit que l'Eucharistie est composée de deux choses, l'une terrestre et l'autre céleste, c'est-à-dire des espèces et du corps de
1. D. Thom. in 4, dist. 3, 9. i, art. i.
2. L. 4 CONTRA Hœreses, c. 34 : « Ex dîiabus rébus « constans^ terrena et cœlesti ».
I>KS SACRI' MKXTS 2.i(j
Jésus-Christ. C'est là une pensée qui est com- mune aux Pères de PEglise. Ils comparent en effet ce sacrement au Verbe incarné, car de même que deux natures se retrouvent en Jésus-Christ, la nature divine et la nature humaine ; ainsi deux natures se retrouvent dans l'Eucharistie, à savoir le corps de Jésus-Christ et les espèces ou appa- rences, d'où résulte un seul sacrement. En réalité le sacrement de l'Eucharistie est, absolument par- lant, adorable, comme le définit l'Eglise (i) ; par conséquent il doit renfermer quelque chose de divin, comme est divin le corps vivant de Jésus- Christ ; et ainsi ce sacrement ne consiste pas dans les seules espèces, mais à la fois dans les espèces et dans le corps sacré de Jésus-Christ. Il est donc adorable en lui-même à cause de ce qu'il contient. Or c'est là un trait merveilleux de la bonté de Jésus-Christ. Lui qui est si heureux, lui qui est plein de gloire, et si parfait, s'abaisse jusqu'à se faire la partie d'un tout, jusqu'à s'associer par une union très intime avec les espèces, pour faire avec elles un seul tout et un sacrement qui perfectionne les chrétiens. Car il faut bien peser ici la vilité des espèces, qui sont de tous les êtres créés les derniers, et d'autre part il faut peser la dignité et la noblesse de Jésus-Christ, qui est élevé au-des- sus de tous les cieux. Néanmoins, il veut s'unir à ces espèces si minces et si méprisables dans leur réalité naturelle, pour, de concert avec elles, pro- duire la grâce par ce sacrement. Si bien que ce qu'il y a de plus grand et ce qu'il y a de plus petit
I. Trid. sess. 13, c. 5.
240 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
au monde, ce qu'il y a de plus précieux et ce qu'il y a de plus vil, ce qu'il y a de plus élevé et ce qu'il y a de plus bas, se trouve uni, pour composer ce sacrement. Or par le fait que Jésus-Christ s'unit ainsi à ces espèces et se tient caché en elles, il s'enferme comme dans une cachette ou dans une prison très étroite et très obscure à la fois. En effet il est tout entier dans toutes les espèces et tout entier dans la moindre partie des espèces ; à tel point que quiconque les diviserait et les subdiviserait jusqu'à en rendre les parcelles plus petites que les grains de sable, n'empêcherait point que Jésus-Christ ne s'y trouvât présent et ne fut uni à ces espèces, et que, réduit comme au néant, il fut néanmoins tout entier dans la moindre partie de ces espèces.
O sacrement étonnant et admirable ! O prodi- gieuse condescendance de l'amour de Jésus-Christ ! Vous êtes grand. Seigneur, et votre grandeur est au-dessus de tout le monde. Vous êtes parfait en vous-même et au sommet de toute perfection, et vous qui n'avez besoin de rien, vous vous sentez porté, par la condescendance de votre amour, à vous associer à des êtres très petits et à vous réduire au rôle de partie, pour entrer, en cette qualité, dans la composition d'un sacrement des- tiné à faire avancer les âmes dans la sainteté. Je dirai avec le séraphique saint François (i) : Que tout homme frémisse et que tout l'univers tremble ! O l'humble sublimité ! Le Dieu de l'univers. Dieu et Fils de Dieu, s'est humilié de telle sorte pour
I. Epist. 13 ad fratres.
DES SACREMENTS 241
notre salut, qu'il a été jusqu'à se cacher sous une petite forme de pain ! Et moi, mon cher Sauveur, donnerai-je encore lieu à l'orgueil et au mépris de ceux qui paraîtraient moins que moi, quand je vois que vous ne dédaignez pas de vous unir à ces espèces ? N'aimerai-je point davantage la retraite et la solitude, quand je vous contemple renfermé par amour pour moi dans la prison étroite de ces espèces ?
II
Considérez le grand désir qu'a Jésus-Christ de se donner aux hommes, puisqu'il a choisi les espèces du pain et du vin, pour s'unir à elles, se renfermer en elles et passer sous ce voile dans la poitrine des créatures humaines, afin de s'appro- cher de leur cœur et de les animer par sa présence. Il n'y a rien qui soit plus commun parmi les hommes que le pain et le vin, qui sont entière- ment destinés à l'usage de la vie humaine ; aussi Jésus-Christ a voulu montrer, en se couvrant de leurs accidents et en se cachant en eux, qu'il était tout entier pour l'usage des hommes, qu'il voulait être tout employé et consumé pour eux, sans qu'ils eussent plus de difficulté à en prendre leur part, qu'à prendre un peu de pain. Il est à consi- dérer ici que ces espèces sont choses très com- munes, très faciles à avoir et sans beaucoup de dépenses ; c'est pour cela que Jésus-Christ les a choisies, plutôt que les espèces et accidents d'autres substances plus rares et d'une plus grande valeur, bien qu'il lui convînt en raison de sa très sublime excellence, de s'unir aux accidents des
Bah., t. IX. lô
2*42 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
substances les plus nobles et les plus précieuses du monde, et de s'enfermer en elles comme sous une tente ro3'ale dans laquelle sa grandeur serait cachée. En réalité si la manne, qui était la figure de ce sacrement, fut placée dans Tarche d'alliance, faite de bois incorruptible et revêtue d'or de tous côtés; il appartenait bien davantage à Jésus-Christ de se placer sous les accidents des choses moins indignes de sa majesté, de s'enfermer dans l'or le plus précieux, dans des diamants ou des pierreries les plus riches du monde (i).
Mais s'il en eût usé ainsi dans ce sacrement, il se fut moins communiqué, il n'y aurait eu que les princes et les riches qui auraient pu le posséder- Les uns eussent été privés de ce sacrement par la recherche trop difficile de ces choses plus rares; les autres par l'épargne et l'avarice, afin de ne rien dépenser; tandis que, s'étant caché sous les accidents des choses plus vulgaires et plus com- munes, il s'offre libéralement à tout le monde et par cette facilité il invite chacun à venir le prendre et le recevoir sans frais et sans dépense, sans or et sans argent, comme sans aucun échange, si ce n'est celui de la vie du communiant en une vie meilleure et plus parfaite. Ainsi il s'offre à tous dans ce sacrement et il fait voir par la grandeur du don la grandeur de son amour, se livrant et se donnant tout entier et sans réserve, tel qu'il est dans sa gloire. Encore si c'était aux Anges et aux Séraphins les plus embrasés qu'il se donnât de la
I. Hautinus, De sacram, amor. 1. 2, p. 2, c. 3, art. 3, dist. 3.
DKS SACREMENTS 2J[3
sorte, en considération de ce qu'ils sont purs esprits et les plus nobles substances du monde après la divinité, la chose serait moins étonnante ; mais il se donne à des hommes misérables, qui sont conçus dans Tinfection du péché. Et il se donne non seulement aux plus élevés parmi les hommes, tels que les rois et les princes, mais aussi aux plus chétifs et aux plus pauvres des enfants d'Adam, comme si un roi se dérobait aux plus grands de la cour, pour venir habiter dans la cabane de quelque paysan, afin de Taider dans ses nécessités et de lui faire de grands biens. C'est pourquoi il est écrit : « Les pauvres mangeront et « seront rassasiés » (Ps. 21). Même s'il se don- nait ainsi lui-même une seule fois ou bien rare- ment, après les prières instantes de tous les hommes de la terre prosternés devant lui pour lui en faire la demande, après que toutes les hiérarchies des Anges auraient intercédé pour les hommes, afin de leur obtenir une fois cette faveur, qui dans ces conditions n'aurait été accordée que difficilement ; même alors il y aurait sujet d'ad- mirer sa largesse et la noblesse de son amour, qui se laisserait vaincre finalement à force de suppli- cations et qui ferait un si riche présent aux mor- tels. A combien plus forte raison doit-on demeurer comme ravi d'admiration et en extase, à la pensée qu'il se donne lui-même dans ce sacrement, sans en être prié, de son propre mouvement, et en cédant à l'inclination amoureuse qu'il a de se donner aux hommes. Mais qu'il se donne tous les jours, aussi souvent qu'il plaît aux hommes de s'approcher de la sainte table, quoiqu'il sache que
244 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
plusieurs d'entre eux se montreront ingrats pour cette faveur et recommenceront bientôt de l'offen- ser et de faire des actions qui lui déplairont ; ah ! il faut que son amour soit prodigue et que l'affec- tion qu'il porte à de pauvres vermisseaux de la terre soit extrême.
O mon divin Sauveur, « Qu'est-ce que Vhom.me, « pour que vous vous souveniez de lui? » (Ps. 8). — « Qiii a jamais ouï parler de choses sem- « blables ? » (Is. 66). L'homme qui ne méritait qu'un mépris éternel de votre part, qui méritait d'être privé de tout bien et à jamais délaissé, est néanmoins recherché par vous dans ce sacrement. Vous le caressez si affectueusement qu'il semble que vous ne pouvez vivre sans lui comme si tout votre contentement et tout votre paradis consistaient à habiter dans sa poitrine, afin de demeurer tout près de son cœur. Un désir si exces- sif ne me transportera-t-il pas d'amour pour vous, au point de ne rien vous refuser de ce qui est en moi, en reconnaissance bien faible de ce que vous vous donnez dans ce sacrement, si facilement, tant et tant de fois, à tant et tant de misérables créatures ?
III
Considérez une sorte de prodigalité qu'a voulu faire Jésus-Christ en s'unissant dans ce sacrement à des espèces corruptibles et qui une fois descen- dues dans l'estomac de l'homme durent peu. Il a institué ce sacrement de telle sorte qu'il a résolu de le faire subsister aussi longtemps que les espèces subsisteraient et de ne cesser d'être présent, que quand les espèces viendraient à s'altérer, à être
DES SACREMENTS 246
détruites. De nicmc qu'il arrive que Tàme se sépare de son corps, quand la constitution ou complexion naturelle de ce corps est détruite ; ainsi Jésus-Christ cesse entièrement d'être sous les espèces, quand elles sont tellement altérées qu'elles ne peuvent plus durer. De là vient que, quand Jésus-Christ entre dans la bouche des hommes sous les espèces, et passe dans l'estomac qui détruit bientôt ces espèces, il va comme s'anéantir et se réduire en quelque sorte au néant au milieu d'eux, tant il se donne amoureusement et avec une prodigalité vraiment prodigieuse. En vérité il est important de méditer ici, que, quand les espèces sont détruites, Jésus-Christ cesse entièrement d'être présent dans ces espèces, de telle sorte que, si d'autre part il ne se trouvait pas dans le ciel et sur les autels, il serait absolument anéanti en vertu de cette cessation, et il aurait perdu tout ce qu'il a, son corps, son âme, sa grâce, son union hypostatique même. Ce serait un anéantissement plus étonnant que celui de la croix ; car sur la croix l'union seule de l'âme avec le corps fut détruite, mais ni l'âme, ni le corps ne furent détruits, tandis que dans ce mystère, quand les espèces sont détruites, tout ce qui est en lui sans exception serait comme anéanti et ne serait plus rien en réalité, s'il n'existait autre part. Or Jésus-Christ sait qu'en se donnant dans la com- munion sous des espèces corruptibles, il doit au bout de quelques instants expirer dans le sein de ses bien-aimées créatures ; et cependant il le fait, voulant ainsi se donner, malgré la perte et comme le dommage de tout ce qui est en lui.
246 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
En effet il ne demeure pas même un quart d'heure, comme on le pense communément, dans la poitrine du communiant, après qu'il y est entré, et il cesse d'être dans le sacrement. Car selon les plus grands médecins consultés sur ce point, à peine la chaleur de l'estomac met-elle une minute, c'est-à-dire la soixantième partie de l'heure, à consommer la petite hostie qui se donne aux laïques en communion (i). Et ils le prouvent par des raisonnements basés d'abord sur ce fait que la chaleur de l'estomac consomme ordinairement deux onces de viande solide dans une heure, puis sur cet autre fait que l'hostie Jetée dans de l'eau bouillante s'altérerait en peu de temps et que la chaleur de l'estomac n'est pas moins active que celle de l'eau bouillante. Or la petite hostie des laïques n'équivaut pas à la soixantième partie de deux onces, et en moins d'une minute l'eau bouil- lante a altéré l'hostie. Ainsi les espèces durent peu dans la poitrine des communiants et la grande hostie du prêtre avec les espèces du pain ne sub- siste pas ordinairement plus d'un demi-quart d'heure, ou tout au plus un quart d'heure.
Par ce moyen Jésus-Christ qui est digne d'une vie immortelle, abrège, pour ainsi dire et d'une certaine façon, sa vie, pour se communiquer amou- reusement à une créature. En cela il a deux des- seins. Le premier est de n'être point longtemps à charge aux âmes qui ont le bonheur de participer
I. Cardinal de Lugo (de Sacram. Euch. disp. 10, sect. 4). Consiilnit Romœ peritissimos medicos. (Note de l'auteur).
DES SACREMENTS 247
à cette grâce. Si en elVet il attendait une ou plu- sieurs heures après son entrée, avant de cesser d'être en elles, elles seraient obligées de l'entre- tenir longuement et de lui offrir longtemps les actes de leur dévotion, ce qui serait pénible et laborieux pour beaucoup de personnes qui se fussent fatiguées à lui rendre cependant leurs justes devoirs. Pour n'être point à charge de cette manière, il a préféré se cacher sous des espèces qui se corrompent dans peu de temps. Le second dessein qu'il a eu a été de se donner encore d'autres fois. Car si les espèces étaient incorrup- tibles, une seule communion eût été suffisante pour toute la vie. Elles sont donc corruptibles, afin que renouvelant plusieurs fois le don de lui- même, Jésus-Christ se donne et se redonne ainsi avec prodigalité plusieurs fois. Par cet exemple si merveilleux il nous invite à nous donner et à nous redonner à lui plusieurs fois, à l'exemple de l'épouse sacrée du Cantique, qui disait : « Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui » (Cant. 2). Efforcerez-vous d'entrer dans les sentiments qui conviennent à tant de traits d'amour, que renferme ce mystère admirable, mais particulièrement pour ce fait qu'aussitôt après que nous l'avons reçu Jésus-Christ cesse d'être et s'en va, comme s'il ne venait en vous que pour détruire toute sa subs- tance et tout ce qu'il a de biens, lesquels il semble ne rien estimer à cause de la grandeur de son amour. C'est comnie si un homme entrait dans la maison de son ami pour le secourir, assuré qu'il n'y serait pas plus tôt entré qu'il faudrait qu'il y périsse. O amour ! que vos inventions sont admi-
248 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
rables et que vos faveurs sont excellentes ! Que mon âme est grossière et stupide, elle qui ne souffre pas de cette cessation d'être, au moment où est consommé le sacrement et où elle est ainsi frustrée de la présence réelle de Jésus- Christ ! Il faut donc que j'entre dans les pensées' suivantes, quand les espèces se consommeront en moi : amour ! vous vous séparez trop tôt de moi, que ferai-je sans vous ? Comment vivrai-je sans vous ? O ma très douce vie, comment pourrai-je respirer sans votre présence qui m'est si chère et si précieuse ! O les délices de mon cœur ! O la douceur de mon âme ! O la joie de toutes mes puissances ! O l'ardeur de ma volonté ! O la lumière de mon intelligence ! O le trésor de ma mémoire ! O les richesses inestimables du pa- radis ! O l'ornement du ciel et de la terre ! O la nourriture des anges et la vie des hommes ! O la force et le soutien de l'Eglise militante ! O le repos entier de l'Eglise triomphante ! O mon Dieu et toutes choses ! Je défaille sans vous, je ne puis subsister sans vous, je ne puis davantage être séparé de vous. Quand retournerez-vous, ô amour ? Revenez encore une fois, et donnez- vous à moi, et que je me donne mille fois à vous ! (i).
1. Saluthius, in convivio spiritali, ci.
DES SACREMENTS 249
Xr MÉDITATION
DE LA COMMUNION SOUS UNE SEULE ESPÈCE
SOMMAIRE
Notre Seigneur a donné auxprêtrcs trois grands pouvoirs : celui de consacrer, celui de sacrifier et celui de distribuer son divin corps. — Les prêtres ont distribué le corps de Jésus-Christ aux laïques., tantôt sous les deux espèces.^ tantôt sous une seule. — C'est à tort que certains se plaignent deV ordonnance deV Eglise., qui ne permet la communion que sous une seide espèce.
I
CONSIDÉREZ que notre Seigneur Jésus-Christ a donné trois grands et excellents pouvoirs concernant le saint sacrement de l'Eucharistie. Le premier pouvoir est celui de consacrer et de pro- duire le changement merveilleux de la substance du pain en celle de son corps, et de la substance du vin en celle de son sang précieux. Le second pou- voir est d'offrir ce corps et ce sang en sacrifice, pour rendre à Dieu, souverain maître, le culte qui lui convient. Le troisième pouvoir consiste à prendre ce corps et ce sang et à le distribuer à ceux qui ne sont capables ni de consacrer, ni de
'■25o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sacrifier. Ces trois pouvoirs furent donnés aux Apôtres et en leur personne aux prêtres qui seraient ordonnés, et ils leur furent donnés, quand Jésus-Christ institua ce sacrement dans la dernière cène de TAgneau pascal oii il leur adressa ces paroles : « Faites ceci en mémoire de moi » (Luc, 2i) ; comme s'il eût voulu leur dire : Jusqu'à présent vous avez fait la cérémonie du sacrifice de l'agneau pascal et vous avez observé ce que la Loi mosaïque ordonnne de faire, mais toutes ces façons d'agir ordonnées par la Loi n'étaient que des ombres, des figures et des représentations du sacrifice parfait, qui doit remettre les péchés du monde. A l'avenir ces sacrifices anciens ne seront plus en usage, mais en leur lieu sera le sacrifice de mon corps et de mon sang pour la rémission des péchés. Donc ce que je fais maintenant, en prenant le pain et le vin et en les changeant, faites le pareillement en mémoire de moi ; consacrez mon corps et mon sang, offrez-le en sacrifice, puis distribuez -le aux autres fidèles, selon qu'il conviendra et de la manière dont doivent le faire de fidèles dispensateurs du mystère de Dieu, car je vous établis tels dans mon Eglise.
Tous ces trois pouvoirs sont grands et admi- rables, ils élèvent des hommes mortels plus haut que les plus grands monarques de la terre et que les plus hauts Séraphins du ciel, à qui Dieu n'a pas attribué d'aussi grands pouvoirs. En réalité, si c'est une grande chose de changer une subs- tance en une autre, il est encore plus étonnant que des hommes aient le pouvoir de se servir de cette substance comme d'une victime pour s'ac-
nESSACRRMENTS 2 M
quitter envers Dieu des devoirs de religion, pour lui rendre grâces de ses bienfaits, comme aussi pour TotTrir en supplément de paiement pour le reste des peines dues à leurs péchés. Jésus-Christ dans son état sacramentel est en ellct une victime latreutique pour adorer, eucharistique pour re- mercier et propitiatoire pour abolir les peines des péchés. Mais ce qui surpasse encore les deux pre- miers pouvoirs, c'est que les prêtres puissent prendre ce corps et ce sang à leur gré et le distri- buer aux autres.
Ainsi Jésus-Christ donne à ses apôtres et aux prêtres trois pouvoirs différents sur son corps sacré et sur son sang précieux. Ces trois pouvoirs ne conviennent pas à tous les hommes de la terre, f tous les laïques et à tous les fidèles, quoiqu'ils soient baptisés et chrétiens, mais à ceux-là seule- ment qui sont choisis parmi les hommes et qui ont été ordonnés prêtres, par ceux qui en ont le pouvoir.
Admirez ces trois grands et incomparables pou- voirs, qui sont donnés aux prêtres. Ayez les prêtres en particulière vénération et estime, à cause de cela, et dites d'eux quelquefois : « Ainsi « sera lionoré celui que le roi veut honorer » (Esther, 6) ; ou bien élevez-vous à Dieu, et louez- le et bénissez-le d'avoir donné de si hauts pou- voirs à des hommes mortels. Ne vous égalez donc point aux prêtres, si vous n'êtes que laïques, mais soumettez-vous à eux par une sainte obéissance, puisque Jésus-Christ s'y est soumis lui-même dans ce sacrement. C'est en effet par la volonté des prêtres, par leur voix et leur parole, par la
^252
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
puissance de leur caractère, qu'il est sur les autels en qualité d'hostie à l'égard de Dieu, et en qualité de nourriture à l'égard des hommes ; c'est par l'entremise des prêtres que vous participez à ce mystère. O abaissement du Dieu tout-puissant, qui encore ici se met sous la dépendance des hommes, comme il y était dans son enfance. Car de même qu'alors il fut porté par les bras d'autrui, ainsi il est porté par les mains du prêtre à votre bouche, après avoir été offert au Père Eternel, ^ qui a eu cette offrande pour agréable ; mais il n'a reçu ici son être sacramentel, ni il n'est employé à aucun usage et il n'a aucun mouvement que par la volonté de l'homme et sous la dépendance de sa créature. O exaltation de l'homme mortel ! O abaissement du Dieu immortel ! (i).
II
Considérez que les Apôtres et leurs successeurs, qui sont les évêques et les prêtres et qui ont la charge de distribuer aux laïques avec fidélité et prudence le saint sacrement de l'Eucharistie, l'ont tantôt donné sous les deux espèces, tantôt sous une seule, tantôt plus souvent, tantôt plus rare- ment, tantôt avec plus de cérémonies, tantôt avec moins, selon qu'ils l'ont jugé à propos dans les diverses occurrences des temps, des personnes et des états de l'Eglise. Car Dieu a désiré les voir user de prudence et de fidélité dans la dispensa- tion d'un si grand mystère, conformément à ces paroles évangéliques : « Quel est, à votre avis,
I. Le cardinal de Bérulle, Œuvres de piété, 79.
liIiS SACREMENTS 2^3
« l'économe fidclc et prudent que Je Maître éta- « blira sur sa famille, pour distribuer à chacun « sa mesure de blé en son temps? » (Luc, 12). Or comme il est assez constant d'après l'histoire ecclésiastique que la communion a été donnée aux laïques sous les deux espèces, et que quelques- uns seulement doutent qu'elle ait été donnée sous une seule espèce, il est plus important de vérifier ce point. Ce n'est point difficile à faire, si nous considérons que Notre Seigneur Jésus-Christ a donné lui-même l'exemple de cette communion le Jour de Pcàques, c'est-à-dire le jour de sa Résur- rection, car apparaissant sur le chemin d'Emmaûs à ses deux disciples et prenant son repas avec eux, il les communia sous l'espèce du pain seulement. L'Evangile dit en effet : « Il prit le « pain, le bénit, le rompit et le leur donna ; aus- « sitôt leurs yeux s'ouvrirent « (Luc, 24). Les Pères de l'Eglise (i) ont entendu ce passage de la sainte Eucharistie, dont l'effet est d'éclairer les hommes. Dans les preniiers temps de l'Eglise les premiers chrétiens communiaient sous une seule espèce, selon ce que nous apprennent les Actes des Apôtres : « Ils persévéraient aans la doctrine « des Apôtres^ dans la communion de la fraction « du pain et dans les prières » (Act. 2). Durant les quatre ou cinq premiers siècles de l'Eglise, comme les chrétiens n'avaient pas la liberté de s'assembler souvent, on leur donnait l'Eucharistie pour l'emporter dans leurs maisons et se commu-
I. D. August. De consensu Evangel. 1. 3, c. 25 5 D. Hieron. in epitaphio Paulœ, ad Eusiochitim.
254 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE ■
nier eux-mêmes en secret, comme nous le remar- quons dans Tertullien (i), dans saint Cyprien (2) et dans d'autres anciens Pères, qui en rendent témoignage. Or ils n'emportaient pas Tespèce du vin, qu'ils n'auraient pas pu conserver. Il est donc nécessaire de reconnaître que c'est une pratique usitée dans l'Eglise, de communier sous une seule espèce, et que la suppression de la coupe pour les laïques n'est pas chose nouvelle. L'Eucharistie se conservait aussi de tout temps pour être portée aux malades ; ce qui ne pouvait se faire que sous une seule espèce. Les mémoires de l'antiquité (3) sont chargés de témoignages qui l'attestent, de telle sorte qu'on ne peut pas le contester raison- nablement. Mais les Conciles de Constance (4), de Bàle (5) et de Trente (6), rendent assez témoignage sur ce point. Ils déclarent que la communion sous une seule espèce, a toujours été considérée comme chrétienne et comme suffisante par l'Eglise, car l'Eglise a le pouvoir de statuer de quelle manière ceux qui ne consacrent pas doivent communier, tant pour sauvegarder la gloire et l'honneur de Jésus-Christ, que pour leur utilité spirituelle. Comme les deux premiers Conciles avaient remar- qué de leur temps un grand nombre de désordres qui se produisaient à l'occasion de la communion
1. Lib. 2 Ad uxorem.
2. Serm. de lapsis.
3. Paulinus, in Vita D. Ambrosii ; Toletan. II, can, 1 1 •
4. Constant, sess. 13.
5. Basiliens. sess, 30.
6. Trid. sess. 21.
Dl'S SACRI-MKNT.s 2DD
SOUS les deux espèces, et que le sacrement était profané et traité irrévéremnient, non sans la ruine et la damnation de ceux qui en usaient, ils déclarent que l'ancienne coutume observée dans TEglise de communier sous une seule espèce, de- viendra désormais la loi et constituera un précepte qu'il ne sera loisible à personne de changer sans l'autorité de l'Eglise. Si quelqu'un attaque cette loi, en estimant qu'elle est illicite, et que c'est un sacrilège de l'observer; ces Conciles veulent qu'on chasse de telles gens comme perdues et qu'on les punisse gravement comme hérétiques. Ainsi de- puis l'époque de ces Conciles il n'est plus loisible aux prêtres de distribuer la communion sous les deux espèces, ni aux laïques de la recevoir autre- ment que sous la seule espèce du pain. Il doit suffire à chacun que ce qui est de la substance et de l'intégrité du sacrement soit sauvegardé, comme c'est en réalité sauvegardé, quand on administre l'Eucharistie sous une seule espèce, dans laquelle Jésus-Christ se trouve aussi entièrement que sous les deux et contribue aussi avantageusement au progrès spirituel du communiant. Quant aux céré- monies, l'Eglise en use comme il lui semble plus convenable, eu égard à la diversité du temps et des occasions ; elle prend ainsi des décisions diffé- rentes en vue de la gloire de Jésus-Christ et du salut des âmes. C'est pourquoi il y a eu des épo- ques, où elle ne permettait que difficilement et après de longues pénitences, la communion, aux chrétiens qui avaient péché gravement, et il y a eu des époques où l'on ne communiait point à Pâques sans avoir observé auparavant la cérémo-
256 LA THÉOLOGIE AFFFECTIVE
nie du lavement des pieds, qui eut lieu en même temps que la première institution de ce sacrement vénérable par Jésus-Christ (i). Or comme l'Eglise a usé de son pouvoir légitime en prescrivant toutes ces manières de communier, elle en use aussi maintenant en ne permettant aux laïques la communion que sous une seule espèce.
Je me soumettrai donc au jugement de TEglise, à qui il appartient d'interpréter les ordres et les in- tentions de Jésus-Christ, de TEglise que l'Esprit de vérité dirige dans toutes les ordonnances qu'elles fait pour conduire les âmes à leur fin surnaturelle. Je déplorerai la multitude des hérétiques et des chrétiens peu soumis et peu obéissants, qui font du bruit, et qui murmurent dans ces rencontres, et qui maintiennent à cor et à cri plusieurs erreurs touchant le sacrement de l'Eucharistie, si bien que le feu de ladiscordeet delà divisions'allumede tous côtés. O Seigneur, fortifiez-nous dans la foi, dans la soumission et dans l'obéissance que nous devons à l'Eglise ; faites miséricorde à tant de pauvres créatures, éloignées du vrai chemin, que l'hérésie a séduites et transformées en enfants de Bélial et de rébellion. Quel sujet, ô mon Dieu, ont-ils de tant crier pour les seuls accidents du vin dont on les prive pour l'avantage de votre gloire, pendant qu'ils s'efforcent eux-mêmes de priver tout le monde de la véritable substance de votre corps et de votre sang. Ils ne voient pas que ce sont eux-mêmes qui veulent ravir à toutes les âmes votre véritable présence, en ne donnant que
I, Tolet. 17, c. 3.
DES SACREMENTS 257
du pain et du vin, au lieu de vous-même, qui êtes Taimé et le désiré de tout le monde. Ainsi ils veulent vous laisser sans sacrifice et sans autel, comme Ta prédit un de vos prophètes (Osée, 3) (i). Est-ce afin que T Antéchrist qui complétera la ruine de ce sacrement, ne manque point de précurseurs et de ministres, pour préparer et faciliter son com- plot ? O Taveuglement des hommes misérables et rebelles ! O mon Dieu, quand votre toute-puis- sance mettra-t-elle fin à ces scandales ?
III
Considérez que c'est à tort et injustement que quelques-uns se plaignent de cette ordonnance de TEglise, qui ne permet la communion aux laïques que sous la seule espèce du pain. Certains allèguent comme prétexte que Jésus-Christ a institué ce sacrement sous les deux espèces du pain et du vin et qu'il a prononcé lui-même ces paroles : «. Si vous ne tnange^la chair du Fils « de l'homme et si vous ne buve^ son sang, vous « naître^ pas la vie en vous. » (Jean, 6). En conséquence ils ont peur de pécher, s'ils ne se conforment à l'institution de Jésus-Christ et en
I. Personne n'ignore en effet que la définition suivante du Concile des Trente (sess. 21, can. 1): (^ Si quelqu'un « dit, qu'en vertu d'un précepte de Dieu ou d'une « nécessité potir le salut, tous et chacun des chrétiens « sont obligés à recevoir le très saint sacrement de « r Eucharistie sous les deux espèces, qu'il soit « anathème ! » ; était dirigée contre Luther et Calvin, ces mêmes héritiques qui niaient la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie.
Bail, T. ix. 17
258 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
même temps à ces paroles qui semblent les menacer de la perte de la vie éternelle, s'ils ne reçoivent pas la communion sous les deux espèces. A ceux-là il faut expliquer que, quoique Jésus-Christ ait institué cet auguste sacrement sous les deux espèces, distinctes et séparées l'une de l'autre, toutefois il n'a pas prescrit l'usage des deux espèces. Ainsi Dieu, qui a institué et produit toutes les créatures en créant le monde, n'en a pourtant pas commandé l'usage, si ce n'est de cer- taines et avec un grand nombre de restrictions ; aussi l'institution d'une chose est-elle très différente de son usage. Et quand même Jésus-Christ aurait commandé l'usage des deux espèces, il ne s'en suivrait pas cependant que ce fût un commande- ment qui obligeât tout le monde ; il suffirait que les Apôtres et les prêtres à qui il s'adressait alors, fussent tenus de communier sous l'une et l'autre espèce. Les commandements donnés à une com- munauté n'obligent pas toujours tous les particu- liers ; on le voit par les commandements que Dieu a faits de rendre la justice et de labourer la terre, qui n'obligent que les juges et les laboureurs. Or les prêtres obéissent à cet ordre, quand en célébrant la messe, ils participent pleinement à la victime, puisqu'ils prennent et consomment l'une et l'autre espèce. Quant à ce qui est des paroles qui menacent de la perte de la vie, si on ne mange son corps et si on ne boit son sang, il est évident, puisque le corps de Jésus-Christ est contenu tout entier sous une seule espèce, qu'il s'y trouve vivant et animé et avec le sang, il est évident, dis-je, que quiconque prend une seule
DES SACRKMKNTS 2bC)
espèce, prend le corps et le sang, c'est-à-dire à la fois la nourriture et le breuvage, et qu'ainsi en une seule lois il mange et boit, car il prend la chair et le sang tout ensemble. Qu'est-il donc besoin de détourner de leur sens les paroles de Jésus-Christ ? il ne parle que de ce qui est contenu sous les espèces, et nullement du contenant. Pourquoi donc entendre du contenant ce qui est dit ducomenu ? (i) C'est une tricherie de sophistes qui ne s'étudient qu'à surprendre les esprits par quelque apparence vaine et peu solide. Car en ce même endroit Jésus-Christ témoigne assez que la réception de la seule espèce du pain est suffisante, puisqu'il lui attribue manifestement la vie éter- nelle, qu'il le dit et le redit plusieurs fois sans faire mention de l'espèce du vin (2).
D'autres, pour blâmer cet usage de l'Eglise, se plaignent qu'ils reçoivent une moindre abondance
I. Joannes de Ragusio, orat. habita in concil. cons- « TANT. Arguunt a contento ad continens. »
(2) C'est le même argument que fait valoir par une opposition frappante des textes sacrés le Concile de Trente (sess, xxi, ch. i) « En effet, celui qui a dit :
« SI vous NE MANGEZ LA CHAIR DU FILS DE l'hOMME ET SI « VOUS NE BUVEZ SON SANG, VOUS n'aUREZ PAS LA VIE EN
« VOUS, a dit aussi : celui qui mangera de ce pain vivra « ÉTERNELLEMENT. Et celui qui a dH : celui qui mange ma
« CHAIR ET boit MON SANG A LA VIE ÉTERNELLE, a dit aUSSi '. LE « PAIN QUE JE VOUS DONNERAI EST MA CHAIR (immoléc)
« POUR LE SALUT DU MONDE. Et cufin celui qui a dit :
« CELUI QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG DEMEURE EN
« MOI ET JE DEMEURE EN LUI, a dit néanmoins : celui qui
« MANGE ce pain VIVRA ÉTERNELLEMENT. »
26o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de grâces sous une seule espèce, que sous deux ; les deux espèces seraient comme deux mamelles fécondes pour allaiter spirituellement les âmes. A cela nous répondons par la doctrine du Doc- teur angélique (i), qui est suivi sur ce point par la plupart des Théologiens. Il dit que, comme toute l'efficacité de ce sacrement dépend de Jésus- Christ, qui est le même sous Tune et l'autre espèce, il apporte autant de grâces sous une seule espèce, que sous les deux espèces jointes en- semble. Car ce qu'ont à souhaiter les chrétiens, c'est seulement Jésus-Christ, et ils le trouvent aussi entièrement sous une seule enveloppe que sous plusieurs. Si on ne recherche que le noyau, qu'importe qu'il soit caché sous plusieurs écorces. Ce n'est pas à dire cependant que le sacrement donné sous l'espèce du vin, ne confère pas aussi la grâce ; mais il confère la même grâce que celle qui a été donnée sous l'espèce du pain. Il se passe ici quelque chose de semblable à ce qui arrive- rait à un homme qui posséderait un même héri- tage en vertu de deux testaments; il n'en serait pas plus riche. Et quand bien même il serait vrai que l'espèce du vin cause quelque surcroît de grâce ; néanmoins, comme l'a prudemment dé- claré le Concile (2), ce ne serait pas une grâce né-
1. III, q. 80, art. 2. « Nec exinde sequitur aliqiiod de- « irimeniiim . »
2. Voici ce que dit le Concile de Trente (sess. 21, ch. 3). « he Concile déclare en outre que, nonobstant le « fait cité plus haut de V institution de l' Eucharistie par « Notre-Seigneur dans la dernière cène, et de la corn-
DES SACREMENTS 261
cossairc au salut. Un bon chrétien qui aime son
« mnnion offerte aux Apôtres sous l'une et l'autre espèce^ « il Jatit cependant reconnaître que, sous une espèce seule^ « on reçoit Jésus-Christ dans son intégrité et le sacre- « ment dans sa vérité ; et qu'ainsi en ce qui concerne « l'efficacité du sacrement, nulle grâce nécessaire au salut « n'est dérobée à ceux qui reçoivent une des espèces seule- « ment. Nu lia gratia necessaria ad salutem vos defrau- « dari. » Par ces derniers mots le Concile n'entend pas parler de la grâce qui est absolument nécessaire au sa- lut, mais de la grâce nécessaire pour arriver plus sûre- ment et plus facilement au salut, car c'est de cette grâce seulement que serait privé celui qui ne recevrait qu'une seule espèce, si les deux espèces conféraient une grâce supérieure à celle que confère une seule espèce. Mal- gré cette explication des paroles du Concile, — explica- tion qui nous paraît plus vraie que celle de Bail et qui tendrait à prouver que les deux espèces ne produisent pas ex opère operato une grâce supérieure à la grâce produite par une seule espèce, — cette dernière opinion qui est en réalité l'opinion commune, et qui est admise par saint Bonaventure, Bellarmin, Grégoire de Valence et Suarez, a contre elle de Lugo (disp. 12, sect.) qui a suivi sur ce point Vasquez (disp. 215, cap. 2). Mais quand bien même il y aurait, conformément à cette dernière opinion, une perte spirituelle à ne communier que sous une seule espèce, l'Eglise a eu le droit de dé- fendre pour les laïques la communion sous les deux espèces, puisqu'elle a pu défendre de communier deux fois le jour, ce qui aurait été la source de plus grandes grâces. Et de plus cette perte est facile à réparer soit par la communion hebdomadaire pour ceux qui com- munient tous les quinze jours, soit en apportant à la communion de meilleures dispositions qui peuvent mériter une augmentation indéfinie de grâces.
262 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Maître et Rédempteur, Jésus-Christ, devrait souffrir humblement et patiemment la privation de cette grâce, plutôt que de le voir exposé aux pro- fanations et aux outrages qu'il aurait à subir, si- son sang était distribué communément à tout le monde sous l'espèce du vin. Saint Paul souhaitait bien d'être anathème et séparé de Jésus-Christ pour le salut des Juifs, si cela avait pu y contri- buer. Un chrétien doit-il avoir moins d'amour, pour conserver l'honneur et le respect dû à son Sauveur si aimable, qui serait tous les jours en danger d'être indignement traité, s'il se distri- buait indifféremment à tout le peuple sous l'espèce du vin ?
Mais que n'a pas inventé l'adversaire de notre salut pour augmenter les plaint.es et les murmures . contre cette loi de l'Eglise ? Il a fait penser et dire à d'autres sous prétexte d'une plus grande dévotion, qu'on les prive de la douceur d'une merveilleuse consolation ; à savoir de la consola- tion de pratiquer l'enseignement de saint Jean Chrysostome, qui consiste à s'approcher du calice comme du côté ouvert du Sauveur, pour humer et sucer avec délices son sang précieux. Or ils disent qu'ils sont privés de cette dévotion par la. suppression de la coupe. Il faut leur répondre que, s'ils ont la vraie et entière foi touchant ce sacrement, s'ils croient que Jésus-Christ, la joie et le contentement parfait du paradis, est tout en- tier sous l'une et l'autre espèce, ils ont assez de quoi satisfaire leur dévotion ardente, en le re- cevant sous une seule espèce ; car ils boivent et mangent tout ensemble, et ils y sont rassasiés
DES SACREMENTS 263
d'une vraie manne tombée du ciel, qui donnait toutes sortes de saveurs aux bons Israélites qui s'étaient abstenus de murmurer. Ainsi s'ils ont la vraie foi, ils y trouveront toutes sortes de goûts de bonne et céleste dévotion, et ils pourront y puiser autant de douceurs spirituelles que leur foi sera grande et capable d'en contenir. « Mon bien-aimé^ « dit l'épouse, est une grappe de raisin de Chypre « dans les vignes d'Engaddi. » (Gant i). Ce rai- sin qui donne à manger et à boire, c'est Jésus- Christ même, qui dans le sacrement de l'Eucha- ristie, où est son corps et son sang, est devenu la nourriture et le breuvage de l'Eglise. Enfin, dit saint Thomas (i), la douceur spirituelle se goûte dans ce sacrement comme dans sa source. De quoi donc pourra séplaindre un laïque dévot, s'il est bien fidèle, puisqu'il a la source même et la fon- taine de toute bonne dévotion et de toute consola- tion intérieure ? Après avoir bien considéré toutes ces choses, il faut estimer que ceux qui poursui- vent opiniâtrement l'une et l'autre espèce tout ensemble, ou sont ignorants, ou ont quelque erreur dans l'esprit, ou n'ont pas du tout à cœur les intérêts de Jésus-Christ ; car ils veulent l'ex- poser à une inftnité de traitements indignes, en désirant pour leur propre satisfaction le rendre commun à tout le peuple sous les espèces de vin. Comme ils feraient bien mieux d'exercer leur dé- votion en obéissant à l'Eglise, — car l'obéissance vaut mieux que le sacrifice, — et en s'accommo- dant charitablement à ce qui est pratiqué par tous,
I. Opuscul. 57.
264 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
plutôt que d'être une occasion de schisme et de révolte par un zèle indiscret et sans science.
J'acquiescerai donc paisiblement, si je suis laïque, à cette loi de l'Eglise. Tout ce qui vient d'elle est sagement et divinement ordonné. O mon Sauveur Jésus-Christ, qui, plein de gloire, êtes élevé jusqu'à la droite de votre Père céleste, il convient que l'Eglise ne permette pas que vous soyez exposé davantage aux injures, aux mépris et aux irrévérences, qui se commettraient contre vous à qui est dû tout respect, si l'on vous don- nait à prendre sous l'espèce du vin, car il se ré- pandrait à terre trop facilement et il serait souillé de diverses manières. Hélas ! mon cher Rédemp- teur, encore vous en arrive-t-il trop, quand vous vous communiquez aux laïques sous la seule espèce du pain, quoiqu'elle soit moins sujette à être profanée. Car, hélas ! combien de tabernacles ont été brisés, combien de ciboires dérobés et d'hosties foulées aux pieds par la violence de la guerre à notre époque, par ceux même qui ne se disent ni turcs, ni payens, ni hérétiques, mais qui se disent enfants de votre Eglise ! O mon Jésus ! je dois frémir et éprouver de l'horreu^r au sou- venir de ces exécrables profanations. Pourquoi donc désirerais-je pour ma satisfaction que vous soyez exposé à de plus grands affronts ? Hélas ! c'est bien encore trop pour moi que de participer à une seule espèce, dont je me reconnais et je m'avoue à la face du ciel et de la terre très indigne. O Père éternel, prenez en main la cause de votre Fils très innocent, qui vous a obéi jusqu'à la
DES SACREMENTS 265
mort, ne soutirez sous aucun prétexte, qu'il soit davantage profané et traité irrévéremment.
Xir MÉDITATION
DES EFFETS DU SACREMENT DE L'EUCHARISTIE
SOMMAIRE :
Le sacrement de V Eucharistie est doué d^une grande vertu. — Exposition en détail des effets de ce sacrement. — L Eucharistie produit son principal effet dans le trajet de la bouche à Vestomac.
I
CONSIDÉREZ que le sacrement de l'Eucharis- tie est doué d'une grande vertu ; et qu'il faut en attendre de très nobles effets et des effets supérieurs à ceux de tous les autres sacrements. Car puisque Jésus-Christ y est en propre per- sonne, que son corps y est, ainsi que son sang précieux, son âme très pure et très sainte et sa divinité même, il faut bien avouer qu'il a eu de grands desseins et que son intention était d'opérer de grandes choses. Les rois de la terre ne se trou- vent ordinairement en personne que là où doivent être accomplis de grands exploits, à combien plus
266 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
forte raison le Roi des rois, Jésus-Christ, ne se trouverait pas toujours dans ce sacrement, s'il n'avait la haute prétention d'accomplir de très grandes choses pour le bien, de ceux qu'il visite lui-même. Le trésor des grâces est ici ; la fontaine même, l'auteur de tout bien à qui rien n'est im- possible ni difficile, s'y trouve. Que ne faut-il donc pas espérer ! Certes c'était son habitude, quand il conversait sur la terre, de faire partout quelque bien, et ainsi d'y imprimer des marques de son passage. « // a passé^ dit saint Luc, en faisant le « bien à tout le inonde et en délivrant tous ceux « que le démon opprimait . » (Act. io,38). Il obligeait tout le monde par bonté d'âme, et il ne repoussa jamais aucune prière qui fut polie et honnête. Sans doute il sera encore le même dans ce sacrement, et il n'entrera ni dans les bouches, ni dans les poi- trines fidèles, sans y laisser les effets d'une bonté royale et magnifique. L'arche d'alliance avait bien cette vertu, car Dieu bénit Obédédom, il le com- bla de richesses et d'honneurs pour l'avoir reçue chez lui, si bien qu'il prit envie au roi David de participer à cet avantage. (II Rois, 6). Que ne fera donc pas l'Eucharistie et quelle abondance de béné- dictions ne causera-t-elle pas là où elle sera reçue et logée ? Les reliques des Saints ont bien eu des vertus toutes admirables; leurs corps desséchés, leurs os cariés, leurs cheveux même et leurs cen- dres ont eu des pouvoirs prodigieux (i), car même les reliques du prophète Elisée ressuscitèrent un mort, l'ombre seule de saint Pierre guérissait les
I. Guillel. Paris, ibid. c. 3.
DES SACREMENTS 267
maladies, ainsi que les mouchoirs de saint Paul. (IV Rois, i3; Act. 3 et 19). Quelle vertu incomparablement plus grande n'aura pas le corps de Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement de Tau- tel ? Sa robe dont la femme atteinte d'une perte de sang toucha la frange, arrêta par sa puissante vertu le Hux du sang. (Marc, 5). Eh quoi ! sa robe aurait tant de vertu et sa chair n'en aurait pas ? Nous savons par expérience que la chair des ani- maux, soit de ceux qui marchent sur la terre, soit de ceux qui volent dans les airs, a la force de nourrir et de sustenter nos corps ; à combien plus forte rai- son sa chair précieuse et son sang très pur auront aussi de la force pour le bien de nos âmes, qui sont plus chères à Dieu que nos corps, et pour lesquel- les il n'a pas fait moins de merveilles. Même la chair des serpents a une très grande efficacité, puisqu'on en compose la thériaque qui sert d'anti- dote et de contrepoison ; et après cela la chair très sacrée du Christ n'aurait aucune action contre le poison du péché qui tue la vie des âmes ? D'ailleurs qui pourrait raconter les vertus se- crètes des pierres précieuses ? et si les pierres sont douées de vertus, Jésus-Christ en serait dépourvu ! Les simples même, non seulement les cèdres et les pins, mais les herbes les plus petites, les herbes rampantes, ont des propriétés très remarquables qui opèrent une multitude d'ef- fets ; combien plus doit en avoir le corps de Jésus- Christ et son sang précieux dans le Saint-Sacre- ment. Enfin il n'y a presque rien au monde qui ne doive nous convaincre de cette vérité, qui fait le sujet de cette considération, à savoir que le Saint-
268 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Sacrement est très actif et produit un grand nom- bre de nobles effets.
C'est pourquoi nous devons concevoir une grande estime de sa vertu et de son pouvoir très ample et très magnifique. Nous devons aussi concevoir une grande espérance de ce grand sacre- ment, parce qu'il est capable de nous enrichir de grands biens, car dit le prophète, « Qiiel est le « bien, de Dieu, et qu'est-ce qu'il a de beau, si ce « n'est le froment des élus ? » (Zach. 9). Qu'est-ce qu'il y a de si grand, que nous ne puissons l'atten- dre de ce trésor caché ? « Approciions-nous donc « avec confiance du trône de sa grâce, afin d'obte- « nir miséricorde et de trouver des secours en « temps opportun. » (Héb. 4).
II
Considérez en détail les effets de ce sacrement dans ceux qui le reçoivent. Dans ce but imaginez- vous que l'homme est semblable à un grand royaume, dans lequel il y a divers états ou diverses régions, car les uns y sont dans une basse condi- tion, les autres dans une condition médiocre, d'autres enfin dans une haute et sublime condi- tion. Ainsi dans Thomme on peut considérer, comme divers états ou diverses régions, ses di- verses puissances et facultés. Il renferme la partie végétative avec la masse du corps qui est la région la plus basse, la partie sensitive avec ses appétits et les sens corporels, — ce qui constitue en lui comme la région moyenne, — et enfin la partie raisonnable, qui comprend l'àme spirituelle et ses facultés, — ce qui est la région suprême. Or
DES SACREMENTS 269
le Saint-Sacrement opère de grandes choses dans toutes ces régions.
Et premièrement, voici ce qui regarde le corps. Quand un roi entre dans une maison, pour en faire sa demeure ordinaire, il rend cette maison honorable et belle, il la munit par sa présence et par celle de ses gardes qui l'environnent, et il lui confère quelque immunité. Nous pouvons en dire autant des corps des tidèles dans lesquels Jésus- Christ établit son domicile par la sainte commu- nion. Il les rend dignes de lui et il leur confère un honneur inestimable, par le fait de sa présence et de sa demeure ; c'est ainsi que la Vierge est digne d'être honorée pendant toute l'éternité, pour l'avoir porté neuf mois dans ses flancs virginaux. La croix mérite des respects profonds, pour l'avoir porté trois ou quatre heures, et le Saint-Suaire est en très grande vénération, pour l'avoir enve- loppé après sa mort pendant trois jours. Saint Paul était hors de lui-même, quand il pensait à cette gloire: «.Je z; /s, disait-il, non^ ce n'est pas « moi qui vis, c' est Jésus-Christ qui vit en moi. » (Gai. 2). De même saint C3'rille de Jérusalem dit : Nous devenons des porte-Christ, car nous portons le Christ dans nos corps, quand nous avons reçu son corps et son sang dans nos membres. Le corps est également fortifié, soit pour agir, soit pour souffrir et beaucoup de personnes délicates devien- nent robustes par ce sacrement, pour supporter soit les veilles, les couches dures, les abstinences et les austérités d'une vie plus spirituelle et plus religieuse, soit les tourments d'un cruel martyre • et c'est là la raison pour laquelle autrefois on avait
270 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
soin de donner la communion aux fidèles qui n'attendaient que la mort de la part des tyrans et des ennemis de la foi. C'est aussi ce qui a fait écrire à cette époque à saint Gyprien (î) : celui-là n'est pas prêt pour le martyre, qui n'a pas été armé par l'Eglise pour combattre, et l'àme que l'Eucharistie ne fortifie pas et n'enflamme pas, tombe bientôt en défaillance.
Ce sacrement donne aussi des privilèges et des immunités au corps, il lui confère le droit à la résurrection glorieuse pour le grand jour du réveil de tous les morts. Car on peut accumuler droit sur droit, et, quoique les chrétiens doivent res- susciter en vertu de leurs bonnes œuvres méri- toires, ils ressusciteront aussi en vertu de leur communion, parce que leurs corps ont été touchés par ce corps, qui ne connut jamais la corruption. « Celui qui mange ce pain^ dit Jésus-Christ, « vivra éternellement » (Jean, 6). Il n'a en effet redit et inculqué aucune vérité, autant que celle- ci : Le Saint-Sacrement donne l'immortalité au corps.
Entrez dans la seconde région de l'homme, dans sa partie sensible, où se trouve un double appétit, l'appétit concupiscible et l'appétit irascible ; c'est le siège de toutes les passions, qui se révoltent contre l'empire de la raison supérieure et causent tous les désordres, tous les désastres et toutes les misères de la vie humaine. Le Saint-Sacrement opère dans cette région ; il y apaise la violence des
I. Epist. 54 : « Idoneus esse non potest ad martyrium, « qui ab Ecclesia non armatur ad prœlium. »
271 I-A THÉOLOGIE AFFECTIVE
mouvements déréglés et empêche leurs transports furieux. Car en augmentant la grâce sanctifiante, il augmente dans une égale mesure la charité et les vertus morales qui tiennent ces passions en bride et maintiennent dans le devoir de l'obéissance ces sujets rebelles. Si bien que, comme, en même temps que la manne, il tombait du ciel une rosée ; ainsi avec TEucharistie il vient une fraîche rosée de grâces spirituelles qui ralentit l'ardeur des pas- sions les plus enflammées. C'est pourquoi elle est un médicament salutaire qui corrige les instincts dépravés de notre corps et qui apaise la loi cruelle de nos membres. Aussi un des plus puissants motifs que puisse avoir un chrétien d'être plus modéré, c'est de considérer quelle est la nourri- ture qu'il reçoit dans la sainte communion ; car c'est « le froment des élus et le vin qui fait ger- « mer les vierges » (Zach. 9). C'est Jésus-Christ avec toute sa pureté ; comment donc serait-il impur et déshonnète, lui qui se nourrit de la chas- teté même ? C'est celui qui est prodigue de ses biens et aussi de lui-même ; comment donc le chrétien ne réprimera-t-il pas cette convoitise qui le porte à tout retenir pour lui? Quelle excuse aurons-nous ? des loups mangent un agneau, et puis, après avoir été nourris comme des brebis, ils déchirent comme des lions !
Montons enfin à la suprême région de l'homme, c'est-à-dire à sa partie raisonnable, à Tàme spiri- tuelle. Sans doute si le Saint-Sacrement a beau- coup opéré dans les deux plus basses régions, il ne sera pas oisif et inutile dans celle-ci. Le Concile
DES SACREMENTS 272
de Florence (i) dit que tout ce que fait la nourriture corporelle et le breuvage matériel pour la vie du corps, le Saint-Sacrement le fait pour la vie de Tàme. Or la nourriture produit pour le corps quatre effets principaux : elle le soutient, le fait croître, répare ce que la chaleur détruit, et enfin le délecte. Ainsi le Saint-Sacrement soutient Tàme et l'empêche de tomber dans les fautes qui sont les chutes de la conscience, car elle apporte avec elle des secours spéciaux, qui mettent Tàme en état de résister, si elle le veut, aux tentations et de persévérer dans son bon état. C'est pourquoi les personnes qui communient saintement passent des années entières, des âges entiers et parfois toute leur vie sans commettre un vrai péché mor- tel. Elles sont comme Elle ; réconfortées par cette nourriture elles marchent jusqu'à la montagne de Dieu, jusqu'à ce qu'elles arrivent au paradis. Le Saint-Sacrement fait croître l'àme en grâce et en vertu, car il les augmente, et Jésus-Christ peut dire de ce sacrement : « Je suis venu pour qu'ils '(. aient la vie et qu'ils Valent avec plus d'ahon- « dance » (Jean, lo). Il répare ce que consume la chaleur naturelle de la concupiscence par les péchés véniels, parce que par sa vertu et efficacité propre, il remet les péchés véniels, auxquels l'àme n'est pas actuellement occupée soit en les com- mettant, soit en désirant les commettre pendant la communion, et l'absolution du prêtre ne les remet pas plus efficacement que la réception de Jésus-Christ dans son Eucharistie. Que dire encore ? Ce sacrement comme une nourriture
I. \n Decreto Eugenii ,
DES SACREMENTS 278
exquise délecte par le goût et la saveur de la dévo- tion qu'il cause ; car il excite la charité à produire ses actes propres dont les plus parfaits sont des complaisances et des joies intérieures à la pensée de la bonté et des perfections divines. Personne, dit le saint Docteur (i) n'est capable d'exprimer quelle est la suavité de ce sacrement, par lequel on goûte la douceur spirituelle dans sa source même. Et un personnage de rare vertu (2) disait : O Seigneur, le malade qui ne se sent pas récon- forté auprès de vous, est bien près de la mort. L'àme qui ne se réjouit pas avec vous, de quoi pourra-t-elle se réjouir? Celui qui s'ennuie auprès de vous, ne sait pas que vous êtes son Dieu et tout son bien.
Qui pourrait donc jamais assez estimer et sou- haiter cet auguste sacrement, dont les effets sont si divers, si utiles et si agréables ? Quel arbre de vie du paradis terrestre produisit jamais des fruits si excellents ? Quel trésor de toutes sortes de richesses renferma jamais tant de biens ? Etonnez-vous donc de la stupidité de tant de chré- tiens qui ont si peu le désir de communier, qu'ils passent les mois et les saisons et quelquefois plu- sieurs années, privés de cette table qui leur est en vain préparée tous les jours. Ne faut-il pas que la foi soit bien éteinte dans leur intelligence ? Car si on leur annonçait qu'il y a dans la ville une fon- taine d'où coulent le lait et le miel, ou quel- qu'autre liqueur plus rare et plus précieuse que
1. D. Thom. 9. 79, art. 4; Opiisc. 57.
2. Balt. Alvarez apud Corn, a Lap. in c. 9. Zach. Bail, t. ix. . iS
\274 La théologie affective
l'eau, il y aurait presse, on se heurterait Tun l'au- tre pour y aborder et pour y puiser ce précieux breuvage. Et le Saint-Sacrement, la fontaine de grâces et de biens innombrables, est abandonné de la plupart des chrétiens. Détestons leur assou- pissement, abhorrons leur négligence et leur in- dévotion dont il leur cuira un jour. Pour nous, jouissons des biens de la magnificence divine, aimons à fréquenter cet auguste sacrement, approchons-nous-en avec ardeur. Ne voyez-vous pas, dit saint Jean Chrysostome (i), avec combien d'ardeur les petits enfants prennent la mamelle et comme ils pressent fortement de leurs lèvres l'ex- trémité du sein maternel ? Approchons-nous aussi de cette table avec une semblable allégresse, que ce soit même avec une plus grande ardeur ; que comme de petits enfants à la mamelle, nous tirions la grâce de l'esprit, et que notre unique douleur soit d'être privés de cette nourriture.
Considérez à quel moment le Saint-Sacrement produit son principal effet, qui est l'accroissement de la grâce sanctifiante. Ce n'est pas aussitôt qu'il a atteint la bouche du communiant, ni après qu'il est arrivé dans la poitrine, mais dans le trajet de l'un à l'autre et lorsque de la bouche il est attiré dans l'estomac et est en voie d'y parvenir. La rai- son en est que Jésus-Christ promet la grâce à celui qui mange son corps : « Celui qui me mange « vivra pour l'amour de moi ; celui qui mange « ce pain vivra éternellement. » (Jean, 6). Or c'est proprement à ce moment que le chrétien mange
I. Hom. 83 in Matt., Aliàs 82.
' J
I)i;S SACRKMENTS 278
actuellement le corps de Jésus-Christ, car au- paravant il ne le mange pas encore, et après ce trajet il ne le mange plus, mais il Ta déjà mangé.
D'ailleurs après avoir déterminé ce point, il est important d'examiner si pendant tout le temps que le corps de Jésus-Christ demeure dans la poitrine du communiant, il y produit la grâce par son efficacité sacramentelle et par l'œuvre opérée, c'est-à-dire en vertu de l'application du sacrement, si on ne met pas d'obstacle à sa puissance et à sa vertu. Cette controverse est agitée par les per- sonnes qui s'occupent de spiritualité, et elle est diversement résolue. Il y en a qui estiment que pendant tout le temps que le sacrement demeure dans la personne qui Ta reçu, il opère sans inter- ruption à la manière du soleil qui ne cesse de dar- der ses rayons ou bien comme la nourriture cor- porelle qui ne cesse de nourrir, tant qu'elle demeure dans l'estomac. Il disent que Jésus-Christ ayant la vertu de sanctifier et le sujet dans lequel il est étant disposé à être continuellement sancti- fié, il y aurait un inconvénient à ce que le sacre- ment demeurât comme oisif et ne fit rien. C'est pourquoi ils appliquent au Saint-Sacrement ces paroles : « Aussi longtemps que je suis dans le « monde ^ je suis la lumière du monde. » (Jean, 9) (i). Mais plusieurs Théologiens (2) re- prennent aigrement ceux qui soutiennent cette opinion ; le Saint-Sacrement en effet ne confère la
I. Major, in 4, dist. 9, 1. i, arg. 5 ; Cajetan. in 3, p. quœst. 76, art. i.
a. Soto, in 4, dist. 11, q. 2, art. i,
276 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
grâce sanctifiante qu'à la condition d'être appliqué par la manducation actuelle, de telle sorte que, s'il pouvait entrer dans le corps autrement que par la manducation, il n'opérerait rien. Ajoutons que cette première opinion donne lieu aux supers- titions punies par l'Inquisition d'Espagne ; l'une de ces superstitions consiste à donner à la per- sonne qui communie plusieurs espèces ou hosties à la fois, dans le but de faire durer plus longtemps le Saint-Sacrement dans leur corps et par suite la continuation de ses effets dans leur âme. Enfin il est incroyable que la personne qui communie re- çoive une abondance de grâces telle que Jésus- Christ pourrait la produire, en agissant sans interruption durant tout le temps qu'il demeure en elle, et comme il demeure plus longtemps dans les corps de faible complexion et qui digèrent plus lentement, certains tireraient de leur faiblesse na- turelle de plus grands avantages. Malgré ces raisons, quelques Théologiens (i) ne trouvent pas cette opinion répréhensible, pourvu qu'elle soit modifiée de la manière suivante : le sacrement produirait la grâce durant tout ce temps, en vertu de l'œuvre opérée et de son efficacité sacramen- telle, dans le cas oii l'âme augmenterait de plus en plus sa bonne disposition par des élans plus sublimes et par des actes plus fervents de sa dévotion. Jésus-Christ a pu instituer le sacrement avec une telle vertu, il n'y a aucune répugnance à ce que la chose soit ainsi, elle fait même paraître davan- tage la douceur et la bonté de Dieu, et elle est
1. Suarez, ibid.
DES SACREMENTS 277
pour le chrétien un motif de bien employer le temps qui suit la communion, sans en laisser écouler inutilement la moindre partie, afin de faire une plus grande provision de biens spirituels, pendant le séjour de Jésus-Christ dans leur corps. Mais quoique Ton modifie et Ton adoucisse cette opinion, elle ne laisse pas d'être rejetée par d'autres Théologiens (i), qui s'attachant fortement aux paroles de saint Thomas recommandent d'avoir une grande dévotion, quand on reçoit ce sacre- ment, parce que c'est alors que son effet se pro- duit, si bien que saint Thomas a estimé que c'était dans la seule réception du sacrement que la grâce se donnait, et non pendant la digestion des espèces, qui n'est pas une action humaine, mais une action purement naturelle et qui ne contribue en rien à la production de la grâce. C'est pour- quoi la digestion n'est pas requise pour cette nourriture spirituelle, comme elle l'est pour la nourriture corporelle, et le chrétien qui expirerait dans la manducation actuelle du sacrement, ne recevrait pas moins de grâces par la vertu du sacrement. Au reste Jésus-Christ ne sera pas oisif pendant que les espèces sacramentelles subsiste- ront dans le corps, bien qu'il n'y produise pas la grâce en vertu de son être sacramentel. Il y jouit en effet de la contemplation de l'Essence divine, à laquelle son âme bienheureuse est occupée tou- jours et en quelque endroit qu'elle soit, à la ma-
I. Vasquez, disp. 203, c. 2 ; M«rat. disp. 3, sect. i ; D. Thomas, q. 80, art. 8, ad 6"^" ; Isambertus^ ad. q. 79, disp. }f art. i.
278 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
nière des Anges qui, gardant les hommes sur la terre, ne laissent pas de voir toujours la face de Dieu. Enfin nous pouvons nous arrêter à cette opinion et dire que Dieu n'a pas besoin de notre mensonge pour exciter les hommes à avoir beau- coup de dévotion après la communion, en son- geant que le sacrement continuerait à produire alors ses effets (i). Ce motif qui n'attache les âmes qu'à leur propre intérêt spirituel, ne fait pas par- tie de la meilleure voie et de la meilleure méthode de direction. Il vaut bien mieux que pendant ce temps elles soient excitées à la dévotion par la grandeur de Jésus, qui est leur hôte, qui mérite d'être traité avec toute sorte de respect, et d'être chéri d'un amour indicible, à cause de ce qu'il est lui-même, quand bien même il ne nous apporte-
I. C'est aller trop loin que de qualifier indirectement de mensonge une opinion au moins aussi probable que celle de saint Thomas et à laquelle on peut s'arrêter avec tout autant de raison. C'est l'opinion que Suarez formule ainsi : « La présence pxirement matérielle du « corps de Jésus-Christ dans l'homme n^augmenie pas « continuellement la grâce ; car tout sacrement donne la « grâce au moment où il est appliqué et ici il est appli- « que, quand il est reçu . "Néanmoins il est raisonnable « d'admettre que la grâce est augmentée en vertu de « V œuvre opérée^ aussi longtemps que le Christ demeure « dans le corps du communiant, si celui-ci se dispose « continuellement par de nouveaux actes à recevoir de « plus grandes grâces. C'est dans ce sens, croyons-nous, « que les Saints recommandent tant de bien employer le « temps précieux qui suit la communion. » (Disp. 43, sect. 7).
DES SACRHMKNTS '2~C)
rait aucun bien, car il ne peut pas y avoir de bar- barie et d'incivilité plus grande que de l'oublier dans ce moment et de ne lui faire intérieurement aucune caresse. C'est tout à fait une grande mi- sère, dit saint PYançois d'Assise (i), et une déplo- rable infirmité, de penser à quelqu'autre chose au monde, quand vous l'avez présent. Que tout homme frémisse et que tout le monde tremble, quand Jésus-Christ, le Fils de Dieu, est sur les autels entre les mains du prêtre.
Je m'arrêterai donc à cette opinion du Docteur Angélique, qu'il faut apporter une grande dévotion dans la réception de ce sacrement, parce que c'est alors qu'il opère et produit son effet. Et quoi- qu'après la manducation il n'agisse plus comme sacrement, je ne dois pas cependant cesser de produire toutes sortes d'actes pieux, parce que celui qui demeure en moi est un hôte descendu du ciel, c'est le noble Fils de Dieu, c'est Jésus même dont les grandeurs sont partout adorables et dont la douceur est partout très aimable. Je m'évertuerai donc alors à produire des actes de foi, d'espérance et de charité. L'embrassant avec les bras de mon âme, je lui dirai : « Que je vous « aime^ mon Dieu ^ ma force » (Ps. 17). Je louerai sa bonté et sa miséricorde qui l'ont empêché de me dédaigner, je lui rendrai des actions de grâces pour sa condescendence si grande et je convierai toutes les puissances de mon âme à lui offrir leur service. Les sens lui offriront une plus grande retenue, mon appétit sensuel s'astreindra à réfréner
I. Epist. ad sacerd, sut ordin. ip Bibl. SS. Patrum.
iSo LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
tous les mouvements de ses passions, mon intel- ligence formera des actes de foi et confessera qu'il est le vrai Dieu et le Rédempteur du monde, ma mémoire se souviendra des douleurs de sa Passion supportées pour moi et ma volonté éclatera en plusieurs actes d'amour. Ainsi me soit fait toujours, Seigneur mon Dieu, par votre miséricorde.
Xlir MÉDITATION
DES TROIS SORTES
DE DISPOSITIONS A LA RÉCEPTION
DU SAINT-SACREMENT
SOMMAIRE :
La disposition nécessaire et suffisante pour rece- voir la grâce sanctifiante de la sainte commu- nion est V exemption du péché mortel obtenue par la conjession. — Disposition prétendue suffisante et qui ne lest que probablement. — Dispositions convenables.
I
CONSIDÉREZ que la condition nécessaire et suffisante pour recevoir le Saint-Sacre- ment et avec lui l'augmentation de la grâce sanc- tifiante, c'est d'être exempt de tout péché mortel,
DES SACREMENTS 28 I
par le moyen de la confession et de l'absolution du prêtre. Le péché véniel ou le défaut de dévotion actuelle et positive, qui pourrait arriver par dis- traction, par oubli, par sécheresse, par bassesse ou stupidité d'esprit, ne constitue pas un empêche- ment à la réception de la grâce dans la commu- nion (i). Le Concile (2) semble confirmer cette cette affirmation, puisque, pour participer à l'effet de ce sacrement, il ne requiert rien autre chose que la pénitence et la confession du péché mor- tel, et qu'il interprète dans ce sens les paroles de Saint Paul : « Qtie rhomme s'éprouve lui- ft même y> (I Cor. 11), en confessant ses péchés mortels, et puisqu'il enjoint expressément à celui qui a conscience d'être en état de péché mortel, de ne pas s'approcher de l'Eucharistie, quelque contrit qu'il soit, sans s'être au préalable confessé sacramentellement. Le Concile s'arrête là et il ne paraît pas, si on consulte les lois de Dieu ou de l'Eglise, qu'il y ait autre chose de requis de la part de l'àme, pour recevoir l'effet du sacrement. Car, pour ce qui est du corps, personne n'ignore que l'on doit, à cause de l'honneur qui est dû au corps de Jésus-Christ, être à jeun, c'est-à-dire n'avoir rien pris depuis minuit, hormis le cas de maladie. Au reste la pratique semble autoriser cette même doctrine, car autrefois on donnait l'Eucharistie aux petits enfants baptisés, qui n'étaient capables de former aucun acte de foi, de
I. Isambertus, ad. q. 79, disp. 2, art. i. 3. Sess. 13, cap. 7.
282 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
charité, d'adoration, ni de tout autre vertu (i), et aujourd'hui même, ceux qu'on présume être tom- bés en démence, quand ils étaient dans un bon état, ne sont pas frustrés de la communion. D'où l'on peut inférer que c'est être suffisamment dis- posé que d'être en état de grâce et sans péché mor- tel. D'ailleurs le péché véniel n'a aucune répu- gnance avec la grâce sanctifiante, c'est pourquoi il n'empêche pas le sacrement de la produire. C'est autre chose s'il s'agit du péché mortel; il est abso- lument nécessaire d'en être débarrassé et purifié pour participer à la grâce, qui se donne dans ce sacrement. Car, dit Saint Paul, « Celui qui « mange et boit indignement^ mange et boit son « jugement », il avale sa condamnation, car « il « ne discerne pas le corps du Seigneur » (I Cor. 2), puisqu'il le reçoit dans un lieu infect, dans un lieu où sont ses ennemis, ce qui est lui faire une injure atroce. 11 n'a point égard davantage à la grandeur de Jésus-Christ et à la pureté de cette nourriture, car il la reçoit comme un aliment profane, qu'il importe peu de manger en bon ou en mauvais état. Mais rien n'est plus important pour l'Eucha- ristie, parce que cette nourriture, qui n'est desti- née qu'à ceux qui vivent de la vie spirituelle de la grâce et qui sont les enfants adoptifs de Dieu? est donnée à un mort et à un chien; car celui qui est en état de péché mortel est réputé aux yeux de Dieu n'être qu'un chien très vil et misérable. En cela il commet un double sacrilège, d'abord en ce qu'il traite irrévéremment une chose sainte, en ce
I. D. August. Epist. 10. 7. — Niceph. 1. 17,0. 15.
DES SACREMENTS 283
qu'il la prend, tandis qu'elle ne lui appartient pas, puis parce qu'il y participe en état de péché, alors que cela lui est défendu. C'est le crime et l'atten- tat de Judas, qui présuma le premier de recevoir l'Eucharistie, avec l'indignité du péché mortel ; c'est pourquoi ce qui lui était oftert par miséri- corde, le rendit, par l'abus qu'il en fit, plus crimi- nel aux yeux de la Justice divine.
Demande-t-on s'il y a plus d'inconvénient à manger qu'à regarder l'Eucharistie en état de péché ? Il faut considérer que l'Eglise n'a pas toujours permis à toutes sortes de personnes de la regarder, car elle prenait garde que ni les infi- dèles ni même les chrétiens non encore baptisés ne jetassent leurs regards sur elle (i). Le Docteur séraphique (2) dit aussi que ce n'est pas chose semblable de regarder l'Eucharistie et de la man- ger, que dans le second cas l'irrévérence est plus notable, parce qu'alors le sacrement est reçu et que la grâce, à laquelle il y a obligation de se disposer, est offerte. Si les Bethsamites qui regar- dèrent l'arche furent tués (I Rois, 6), ils ne sont pas la figure de ceux qui jettent les yeux sur l'Eu- charistie, mais de ceux qui examinent trop curieu- sement, quoiqu'ils soient simples d'esprit, les pro- fonds mystères, et qui périssent quelquefois et perdent la foi, pour avoir été trop présomptueux. Enfin d'autres font cette difficulté : l'expérience montre, disent-ils, que plusieurs de ceux qui com- munient souvent paraissent avoir fait peu de pro-
1. D. Diony. De Eccl. hier. c. 7.
2. In 4, dist. 9, art, 2, q. 2.
284 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
grès dans la vertu et dans la charité ; or la charité ne demeure point oisive, là où elle est grande. Ceci dénote, disent-ils, qu'il faut autre chose que l'exemption du péché mortel, pour recevoir l'effet du sacrement et que cette autre chose manque à ceux qui fréquentent ce mystère, sans paraître plus vertueux, ni avoir une charité plus parfaite. On répond communément à cette objection que la grâce de Dieu est invisible et qu'elle peut être grande dans une âme, sans qu'il en paraisse rien ; néanmoins l'efficacité de la fréquente communion se constate d'une manière assez évidente à cet effet, qu'une telle âme persévère longtemps dans la grâce et se préserve de tout péché mortel ; ce qui n'est pas un effet de petite conséquence. Au reste nous toucherons une autre source de ce désordre dans la considération suivante. En at- tendant :
Nous apprendrons par ce point un trait de la miséricorde de Dieu, qui requiert si peu de chose pour la réception de ce sacrement et du fruit de ce sacrement. Ne pouvait-il pas exiger avec justice tous les plus grands devoirs, les plus difficiles et les plus exactes préparations du monde, pour se communiquer lui-même si libéralement dans ce mystère ? Certes sa grandeur le méritait, mais il a eu égard à notre pauvreté, à notre misère et à notre infirmité. C'est pourquoi il se donne à si bon marché, lui et la bénédiction de ses grâces. Il lui suffit qu'une âme ait délogé son ennemi mortel par le sacrement de la Pénitence, et le voilà prêt à entrer, quoiqu'elle ait des péchés véniels et d'autres défauts qui pourraient le décider juste-
DES SACREMENTS 285
ment à ne pas se communiquer à elle. O Seigneur que votre conduite est douce ! Que votre esprit est facile et que vous donnez bien sujet aux personnes qui sont débarrassées de leurs péchés mortels par l'absolution sacramentelle, d'être en repos et en paix, après s'être approchées de vous, bien qu'elles voient en elles de grandes imperfections ! Mais autant est grande votre bonté, autant est grande la malice de ceux qui, ressentant intérieurement les remords de la conscience chargée d'un péché mortel, ont l'audace de se présenter à votre table. Oh ! les traitres qui vous font cet outrage dans votre maison, à votre table, en présence de vos Anges qui en tireraient vengeance à l'heure même, si vous ne les arrêtiez, car vous voulez, pour juger ces coupables, attendre la un du monde. O Seigneur ! préservez-moi durant toute ma vie d'une communion indigne et sacrilège ! Préservez-en tout le monde. Vous n'avez reçu que trop d'outrages de la part des Juifs qui vous cruci- fièrent entre deux voleurs, au temps de votre hu- manité passible et mortelle. Maintenant vous êtes dans la gloire de Dieu, votre Père, il vous appar- tient d'être reçu partout avec respect et adoration, avec charité et sainteté. Oh! donnez cette sainteté à tous ceux qui s'approchent de vous.
II
Considérez une seconde disposition, qui est prétendue suffisante pour recevoir l'effet de ce sa- crement ; mais elle ne l'est que probablement, elle ne l'est qu'en apparence et non en vérité. Cette disposition est assez ordinaire, elle est une des
286 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
principales causes du peu de fruit que Ton constate dans l'Eglise après la communion de Pâques et d'autres temps. Elle n'était pas vraie ni suffisante en effet et en vérité et devant Dieu, mais seule- ment dans l'esprit et dans la pensée de ceux qui ont estimé être saints et guéris du péché mortel, bien qu'il ne fut pas délogé de leur àme. Il n'en est pas délogé, soit parce qu'un examen de conscience suffisant a fait défaut, soit parce qu'on a conservé une affection secrète au péché, soit parce qu'on a manqué d'attrition surnaturelle en se confessant, soit parce que la juridiction ou l'approbation ont fait défaut au confesseur et qu'il y a eu erreur des clefs, soit parce qu'on a l'esprit infecté d'une opinion qui intéresse le salut et que l'on estime trop légèrement être probable ou certaine, soit à cause de quelqu'autre défaut qui est ignoré. De telles personnes demeurent en réalité dans le péché mortel, mais croyant d'une manière proba- ble qu'elles en sont délivrées, elles s'approchent de bonne foi du très auguste sacrement, et n'en reçoivent ni bien ni mal. L'Eucharistie en effet étant le sacrement des vivants et sa dignité étant telle qu'il n'est destiné qu'aux vrais enfants de Dieu jouissant de l'état de grâce et qui déjà unis à Dieu attendent de ce sacrement une augmenta- tion de grâce, ce sacrement ne peut produire son effet. La grâce ne peut être augmentée que si elle existe déjà et la nourriture qu'on mettrait dans la bouche d'un corps mort n'y opérerait rien pour la vie. Mais d'autre part elles ne commettent pas un nouveau péché, consistant en ce qu'elles n'auraient pas reçu dignement ce sacrement, car elles s'ap-
DES SACREMENTS 287
prochent de bonne foi et avec une disposition probablement suffisante, qui les excuse du péché. De la sorte il y a un milieu pour ce qui concerne la communion, c'est-à-dire un état d'âme dans lequel on ne pèche pas mortellement et où cepen- dant on ne reçoit pas le fruit de la grâce. De là vient qu'on a beau réitérer de semblables com- munions, tant qu'on voudra, on demeure dans le même état, on n'avance pas, on ne recule pas, la même tiédeur persiste, la lèpre des mêmes vices continue et la pauvre créature aveuglée et séduite par une fausse persuasion, est autant éloignée du ciel, qu'elle est proche de l'enfer, jusqu'à ce que la grâce divine la touche plus vivement et lui fait produire des actes parfaits d'amour et de contri- tion, ou la fait rentrer en elle-même et s'appro- cher des sacrements avec un cœur nouveau et des dispositions valables aux yeux de Dieu.
Cette doctrine théologique vraiment étonnante est enseignée par le Docteur Séraphique (i), avec plus de rigueur encore que nous n'en avons usé. Le communiant, dit-il, qui veut recevoir ce sacre- ment, est tenu de se préparer, parce que Dieu vient pour habiter dans l'homme. Or, la prépara- tion n'est pas toujours suffisante, mais seulement quand l'ennemù de Dieu est mis dehors par un examen et une contrition sérieux, ou par le juge- ment de la Pénitence. De plus, puisque la majesté divine s'humilie par cette grande condescendance et que la bonté divine nous offre sa grâce dans ce sacrement, l'homme doit, pour y participer digne-
I. In 4, dist. 9, art. 2, p. 3.
288 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ment, s'en approcher avec une crainte respectueuse et avec un grand amour. Il y en a donc qui se préparent suffisamment, selon la vérité, d'autres qui se préparent suffisamment, non pas selon la vérité, mais selon la probabilité (i) ; d'autres qui ne se préparent ni de l'une ni de l'autre manière, mais qui négligent de le faire. Celui donc qui se prépare suffisamment, mange dignement et celui qui ne se prépare d'aucune manière, mange indi- gnement. Mais celui qui se prépare moins que suffisamment, c'est-à-dire celui dont la préparation est plutôt selon la probabilité que selon la vérité, ne mange pas dignement, parce qu'il ne se prépare pas suffisamment dignement et il ne mange pas indignement, parce qu'il se prépare seulement probablement. Celui-là donc, quoiqu'il ne reçoive pas la grâce, ne commet pas cependant une faute, car il se prépare selon le jugement de sa conscience et se contente de la probabilité. Nous avons cité jusqu'ici les paroles de ce grand Docteur, dont le sentiment est suivi par bon nombre de Théolo- giens, tels que Gabriel, Marsile, Adrien, Cajétan, Suarez et d'autres (2).
1. « Quidam aidem non suffïcienter secundutn verita- « tem, suffïcienter tanien secundum probabilitatem ».
2. Apud Suarez, ad q. 79, disp. 63, sect. 2. — Il y a en réalité un cas où le communiant ne pèche nulle- ment en s'^pprochant de ce sacrement et où cependant il ne reçoit aucune grâce ; c'est le cas de celui qui se croit légèrement en état de grâce et qui cemmunie de bonne foi, mais sans avoir au moins l'attrition. Si à cette bonne foi vient se joindre l'attrition surnaturelle (implicite), l'Eucharistie efface ses péchés mortels et le
DES SACREMENTS 2S9
Nous déplorerons, comme conclusion de cette considération très vraie, la pauvreté et le désordre d'une trop grande multitude de chrétiens, prêtres et laïques, religieux et religieuses qui, parce qu'ils n'apportent à ce sacrement qu'une disposition prétendue suffisante, n'en tirent pas de profit, mais après toutes leurs communions croupissent dans tous leurs vices, toujours aussi colères, aussi avares, aussi médisants, aussi volontaires, aussi indévots et aussi immortifiés qu'auparavant. Le feu ne les réchauffe pas, la lumière ne les éclaire pas, la médecine ne les guérit pas, l'abondance ne les enrichit pas, la force ne les fortifie pas. N'est- ce pas une chose pitoyable et honteuse, que le pain grossier et terrestre que nous mangeons produise plus d'effet sur nos corps que le Saint- Sacrement n'en produit sur nos âmes ? que ce pain mort et inanimé fortifie et nourrisse notre chair et produise plusieurs autres bons effets en nous et que le pain vivant, Notre- Seigneur, avec toute la puissance de sa divinité et avec tous les mérites de son humanité, n'opère rien dans nos esprits et demeure dans nos esto- macs comme si c'était un caillou ? (i). Quelle est la cause d'un si grand malheur ? Certainement il ne faut pas en chercher d'autre que notre indis-
justifie. Telle est la doctrine tellement commune des Théologiens, qu'elle rencontre très peu de contradic- teurs ; c'est celle notamment de saint Thomas (3, q. 79, a. 3), Bellarnim (1. 4. c. 19), Suarez (disp, 63, sect. I. n. 10), saint Alphonse (1. 6, n. 269).
I. P. S. Jure, 1. 3. De la comiaiss. sect. 6. Bail, t. ix. 19
2qO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
position. Rentrez donc en vous-même, si vous ressentez peu ou point d'effet de vos communions, redoutez que votre indisposition ne soit qu'ima- ginaire et non véritable. Peut-être manquez-vous d'instruction ? Pensez-vous faussement qu'une action qui vous est ordinaire, ne constitue qu'un péché véniel ou une imperfection ; néanmoins elle est aux yeux de Dieu un péché mortel, votre ba- lance est trompeuse et vos poids sont faux. Vous vous confessez par pure routine, sans esprit de pénitence ; vous ne cherchez pas à apaiser Dieu, et votre douleur telle quelle manque des condi- tions nécessaires. Que dirai-je encore ? vous ne vous examinez que superficiellement et vous ne vous jugez pas bien vous-même ; c'est pourquoi vous êtes toujours vous-même et si vous ne mourez pas de la réception du sacrement, parce que vous vous en approchez de bonne foi, vous êtes néanmoins infirme et vous n'en recevez aucun réconfort. O Dieu infini, ayez pitié de notre misère; « Voye^ si je suis dans la voie de Vini- « quité et conduisez-moi dans le chemin de « l'éternité. Délivrez-moi, Seigneur, de mes « péchés cachés. Illumine^ mes yeux, afin que je « ne m'endorme jamais dans la mort ». (Ps. i38 ; 5o ; 12).
III
Considérez une troisième disposition à la récep- tion du Saint-Sacrement. C'est la disposition qui convient, et celle qu'il faut y apporter, tant par respect pour Jésus-Christ que pour participer plei- nement à tous les effets de la communion. Cette
DES SACREMENTS Iqi
disposition convenable comprend la disposition nécessaire et de plus certains actes d'une dévotion réelle et positive, qu'il est très raisonnable et bienséant d'avoir, outre l'innocence et l'état de justice. Or comme les livres spirituels parlent assez de cette disposition et que nous en avons donné la pratique dans les préludes de cette Théo- logie, nous nous contenterons dans cette considé- ration, de revoir six principaux articles de cette disposition, telle qu'elle est décrite par le Caté- chisme composé par ordre du Concile de Trente (i) et par les travaux de saint Charles Borromée et d'autres personnages célèbres par leur sainteté et leur science, qui s'en sont occupés ; aussi l'auto- rité de ce livre porte-t-elle sa preuve avec elle.
Le premier point de cette disposition est que les fidèles reconnaissent une différence entre ta- ble et table, discernant cette table sacrée des ta- bles profanes et ce pain céleste du pain commun. C'est ce que nous faisons, quand nous croyons d'une manière certaine que le vrai corps et le vrai sang de Notre-Seigneur est présent, le corps et le sang de celui que les Anges adorent au ciel, qui par un seul clin d'œil fait trembler et frémir les colonnes du ciel, et qui remplit le ciel et la terre de sa gloire. C'est là discerner le corps de Notre- Seigneur, comme Saint Paul nous le demande.
Le second point de cette disposition est que cha- cun recherche et s'informe bien s'il a la paix avec les autres, s'il aime sincèrement et de cœur son prochain. « Si donc tu off'res ton présent sur
I Catech. ad parochos, p. 3, c. 2.
292 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« l'autel^ et là si tu te ressouviens que ton frère « a quelque chose contre toi (à quoi tu aies donné « sujet par ta propre faute), laisse là ton présent « devant V autel et va d'abord te réconcilier avec « ton frère et alors tu reviendras offrir ton pré- « sent. » (Matt. b).
Le troisième point consiste à examiner avec di- Ugence notre conscience, de peur qu'elle ne soit entachée de quelque péché mortel, dont il serait nécessaire de faire pénitence, afin qu'elle soit avant tout lavée par le médicament de la contri- tion et de la confession. Car le Saint Concile de Trente (i) a statué qu'il n'est permis à personne que le remords du péché mortel aiguillonne, pour bien contrit qu'il soit, et s'il a la faculté de se confesser au prêtre, de recevoir la sainte Eu- charistie avant d'être purifié par la confession sacramentelle.
Le quatrième point de notre préparation con- siste à penser en nous-même combien nous som- mes indignes de recevoir de Dieu un tel bienfait. Aussi faut-il dire de bon cœur cette parole du cen- turion : « Seigneur., je ne suis pas digne que vous « entriez sous mon toit. » (Matt. 8).
Le cinquième est de rechercher si nous pouvons nous appliquer à nous-même cette parole de saint Pierre : « Vous save^., Seigneur, que je vous « aime » (Jean. 21); car il faut se souvenir que celui qui s'assit au banquet sans la robe nuptiale, fut envoyé dans une prison ténébreuse et con- damné à des peines éternelles.
I. Sess. 13, ch. 13.
DES SACREMENTS 29.'»
Le sixième est qu'outre la préparation de rame, la préparation du corps est aussi nécessaire, il faut n'avoir rien mangé depuis minuit qlii pré- cède l'heure de la communion. La dignité du sa- crement demande que les personnes mariées se soient abstenues l'une de l'autre quelques jours auparavant. Ce sont là les principales conditions que doivent observer les fidèles, afin de recevoir plus utilement les mystères sacrés.
Or, pour comprendre la raison de tout cela, il faut considérer que Jésus-Christ vient dans TEu- charistie et descend en nous avec six circonstances très remarquables. D'abord il y est caché ; il y est le même pour tous et en tous ; il y est comme nourriture ; il y est dans un état d'humilité ; il y est par l'action la plus charitable et pleine d'amour qu'on puisse imaginer ; et finalement il y est avec une pureté indicible. Parce qu'il est caché dans l'Eucharistie sous des espèces visibles, la foi est nécessaire pour croire qu'il est réellement présent et pour lui dire avec le prophète : « Vous êtes « vraiment tin Dieu caché » (Is. 45). Parce qu'il est le même et qu'il veut se donner entièrement et sans différence, il est encore requis d'avoir la paix et l'amitié avec son prochain, car la communication des mêmes biens demande une union d'autant plus étroite que la multitude de ces biens qui nous sont communiqués est plus grande. C'est ainsi que ceux-là doivent s'entr'aimer davan- tage qui communient en un même père et en une même mère, et encore plus s'ils commu- nient à une même table. Si de plus ils ont une même maison, une même profession, soit au spi-
294 ^A THÉOLOGIE AFFECTIVE
rituel, soit au temporel, s'ils ont un même chef qui les gouverne, leur union doit en être plus forte. La raison de l'unité est la communion en un même bien, objet de notre amour; c'est pour- quoi les frères qui ont une même origine, les com- mensaux qui ont une même table, les soldats qui ont un même général, les marchands qui font de semblables négoces et d'autres personnes associées pour de plus grands biens, s'entr'aiment davan- tage, à moins que l'envie ou quelqu'autre peste de corruption vienne traverser leur amitié. Or par le Saint-Sacrement les hommes ont les plus par- faites communications dans les plus grands biens et dans les mêmes biens, car Jésus-Christ est le même en tous, et se rend pour tous le même bien aimable et très commun dans son unité, pour les unir tous ensemble dans une même vie, dans un même Père, et dans un même chef, qu'il est lui- même, comme aussi dans une même profession et un même genre de vie spirituelle, qui est de servir Dieu, et dans une même maison, à savoir dans son Eglise. C'est pourquoi ce sacrement ne peut souîfrir de partialité ni de division d'es- prit (i).
De plus il se donne dans le Saint-Sacrement comme la nourriture des âmes; par conséquent elles doivent être vivantes de la vie de la grâce, car ce qui est mort n'est plus capable de nourriture. C'est pourquoi les âmes mortes par le péché sont incapables de la recevoir, et si l'Eglise a condamné ceux qui donnaient le Saint-Sacrement aux morts
I. Guillel. Paris, Desacram. Euch. c. 6.
DES SACREMENTS iqS
quant au corps (i), elle ne condamne pas moins ceux qui le prendraient, étant morts quant à Tâme.
Jésus-Christ est encore dans ce sacrement dans un état d'humiliaiion absolument inouïe, il est réduit à la petitesse d'une hostie. Or c'est une impudence intolérable que là où sa Majesté s'anéantit, un vermisseau soit enflé d'orgueil.
Il y est aussi par l'action la plus amoureuse du monde et c'est une incivilité insupportable que là où cet Epoux céleste témoigne tant d'ardeur et de brûlante charité à une chéiive créature, cette créa- ture n'apporte que froideur et insensibilité, car l'amour veut être payé par l'amour. Quelle in- dignité n'est-ce donc pas de ne voir aucune cor- respondance d'amour envers un ami si ardent ? Les Anges à la vue d'un si étrange et si funeste spectacle, prononcent et fulminent l'anathème que lança autrefois saint Paul contre ceux qui n'ai- maient pas ce Sauveur : « Que quiconque n'aime « pas le Seigneur Jésus-Christ, soit anathème! » (I Cor. 16} ; qu'il soit maudit comme un vilain excommunié (2) !
Enfin Jésus-Christ est dans ce sacrement plein de pureté, comme il est partout ailleurs ; c'est pourquoi il doit être reçu avec la plus grande pureté tant de l'àme que du corps qu'il est pos- sible d'avoir. Aussi il a voulu prendre naissance d'une Vierge, et le sentiment de l'Eglise est que
1. Concil. Antisiodor. can. 12, sub Gregor.
2. P. Jean de Sainte Marie, tom. 2, Médit, ai, pour bien communier.
2g6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
celui qui fut considéré comme son Père, fut vierge également. Il a tant aimé l'intégrité et la fleur de la pudicité, qu'il a voulu non seulement naître d'un sein virginal, mais qu'il a même voulu être touché par un nourricier vierge, lorsqu'il pleurait encore dans la crèche. Quelles sont donc les personnes qui doivent recevoir son corps main- tenant qu'il règne dans les cieux? Si lorsqu'il repose dans la crèche il n'est touché que par des mains pures, avec quelle pureté n'exigera-t-il pas que l'on traite son corps qui est maintenant exalté dans la gloire ? Y a-t-il, dit saint Jean Chrysos- tome (i), quelque chose de si pur que celui qui participe à ce sacrifice ne doive être encore plus pur? Le rayon de soleil ne doit-il pas être dépassé en pureté par cette main qui fait la distribution de ce pain, par cette bouche qui est remplie de ce feu spirituel, par cette langue qui est rougie par ce sang admirable ? Pensez à l'honneur qui vous est fait et à la table dont vous jouissez.
Je formerai donc plusieurs fois la résolution d'apporter à la communion cette disposition qui est la disposition convenable. Je ne me conten- terai pas de ne ressentir aucun reproche intérieur occasionné par un péché mortel, mais encore je ferai des actes de foi et des actes d'amour de mon prochain, je renoncerai à tout sentiment d'aversion et de vengeance. J'entrerai profondément dans la connaissance de mon indignité, et je m'exciterai fortement aux actes les plus enflammés de la charité divine, sans mépriser les dispositions qui
I. Hom. 83, in Matt.
DES SACREMENTS 297
conviennent de la part de mon corps, car il doit être le vase dans lequel le Saint-Sacrement doit être reçu. O Jésus, mon Seigneur, Fils unique de Dieu, vous qui êtes avec le Père et le Saint-Esprit un Dieu de même Essence, vous par qui seul nous obtenons la rémission de nos péchés et le salut éternel, qui avez justifié le Publicain confessant ses péchés, qui avez exaucé les prières de l'humble Chananéenne, qui avez pardonné ses fautes à la fervente Madeleine, donnez-moi. Seigneur, à moi, dis-je, très misérable et très malheureux pécheur, la grâce de confesser mes péchés avec amertume de cœur, donnez-moi des lumières pour considérer Votre Majesté et votre grandeur cachées sous les voiles du sacrement, donnez-moi la paix et la sin- cère dilection avec tous mes frères, donnez-moi l'humilité et la ferveur de votre amour, afin que mon àme participant à votre corps sacré par la sainte communion, en retire tous les fruits et tous les effets salutaires qui peuvent en découler et qu'elle vous en glorifie à jamais.
298 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XIV^ MÉDITATION
DE LA DISPOSITION CONVENABLE
POUR MIEUX
COMMUNIER (SUITE) ET DES
EFFETS DE LA COMMUNION FAITE
AVEC UNE TELLE DISPOSITION
SOMMAIRE
Autre pratique pour communier convenablement, comprenant sept degrés. — Fruits merveilleux qui proviennent de la communion Jaite avec cette disposition. — Pourquoi certaines âmes qui se sont bien disposées à communier, ressen- tent si peu le goût de la dévotion.
I
Considérez une autre pratique concernant la disposition convenable pour la réception du Saint-Sacrement ; elle est comprise en sept degrés ou sept échelons par lesquels nous attei- gnons Jésus-Christ (i).
Le premier de ces degrés s'appelle l'excitation ; par elle une âme chrétienne s'excite elle-même à bien se disposer. Elle se représente dans ce but
I. Maubur. in Roseto, p. i, t. 6.
DES SACREMENTS 'Iqq
les dangers et les malheurs qu'il y a à communier indignement, qui sont de se rendre le plus criminel des damnés, de donner pouvoir au démon sur soi- même, de s'endurcir et de s'obstiner dans le mal, d'encourir des infirmités corporelles, d'abréger ses jours et d'outrager Jésus-Christ à l'exemple de Judas et des perfides juifs. Elle se représente encore le bien qu'il }' a communier dignement, pour croître en grâce et en charité et s'unir plus fidèlement à Jésus-Christ. Elle se met aussi sous les yeux l'exemple de ceux chez qui le roi doit venir loger et qui font tant de préparatifs pour le recevoir honorablement, mais surtout la grandeur et la sublimité de ce sacrement qui mérite d'être reçu avec plus de pureté et de sainteté qu'il n'y en a dans tous les Anges du ciel et avec une charité plus ardente que celle de tous les Séraphins à la fois.
Le second 'degré s'appelle la considération: par elle l'âme déjà excitée à se préparer dignement, médite sérieusement et posément sur la grandeur et l'importance de l'action qu'elle prétend faire, eu égard d'une part à sa propre vilité et à sa très basse condition, et d'autre part à la noblesse de Jésus-Christ qu'elle va recevoir, à sa puissance, à sa sagesse et à sa miséricorde. Dans ce degré elle médite qu'elle, très chétive créature à cause de mille défauts dont elle est chargée, doit recevoir chez elle celui que les cieux des cieux ne peuvent contenir, qu'elle doit manger le pain des Anges et enfermer dans sa poitrine la splendeur du para- dis, cette Lumière dont toute la cité sainte est éclairée et qui sert à cette cité de soleil par l'éclat
3oO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de sa gloire. Elle songe pareillement que la com- munion sacramentelle est une des plus grandes actions du monde, une action où brille avec un éclat admirable la toute-puissance de Dieu, qui a transformé la substance du pain en celle d'un corps glorieux, sa sagesse qui a trouvé un tel moyen de sauver par une telle nourriture tous les hommes, qui s'étaient perdus en mangeant d'une nourri- ture défendue, et enfin sa bonté qui se donne entièrement à ses créatures.
Le troisième degré s'appelle probation. L'âme s'éprouve elle-même, pour savoir s'il n'y a en elle ni empêchement ni obstacle, si elle possède les ornements et les atours convenables pour la récep- tion de son Dieu, et encore si elle a quelques mar- ques de dévotion, pour communier dignement. Dans ce degré elle examine si elle n'a pas de péché mortel ou véniel, si elle n'a point d'attaches trop étroites avec les créatures ou des sentiments trop violents contre le prochain, si elle est dans la voie de la soumission, et si elle n'est pas sous le coup d'une défense de ses supérieurs relative à la com- munion. Elle examine dans ce même degré si elle a la foi, l'espérance et la charité, si elle est chaste et pudique, humble et obéissante, pitoyable et compatissante, si elle a la paix et la concorde avec tous, si elle a le souvenir et de l'affection pour la Passion de Jésus-Christ, et finalement si elle a une dévotion ardente pour le Saint-Sacre- ment.
Le quatrième degré s'appelle la purification. Ici en effet l'âme se purifie de ses péchés, grands et petits, par l'amertume de la pénitence, elle se pu-
DES SACREMENTS 001
rifie aussi de toutes les impuretés du cœur, à sa- voir des attaches aux biens créés et des affections pour les choses terrestres qui sont plus fortes que l'amour des choses spirituelles, et en somme de toutes les intentions qui n'ont pas la gloire de Dieu pour dernier but. A cet etlet elle forme des actes de contrition et de pénitence, elle désavoue ses propres passions et ses intérêts, se consacre et se réfère toute à la gloire de Dieu.
Le cinquième degré s'appelle la décoration ou rembellissement, par lequel Tàme pare et embellit sa partie intellectuelle, sa puissance affective et sa partie sensitive par des actes de foi et d'admi- ration à la vue des grandes choses contenues dans le Saint-Sacrement. Elle orne sa volonté par des actes de charité, sa mémoire par le souvenir de la Passion du Sauveur, et ses facultés sensitives par des actes divers de mortification et de soumission à la loi de Dieu.
Le sixième degré s'appelle l'inflammation. L'àme s'enflamme tant à cause de la crainte et du respect de ce sacrement, qu'à cause du désir et de l'amour violent qui la portent à y participer. Ce pain en effet ne veut pas être mangé avec dégoût, mais avec une grande faim et un grand appétit spirituel. Dans ce degré, l'àme, envisageant la grandeur de Jésus-Christ et ses grandes qualités opposées aux siennes et infiniment plus nobles, tremble dans sa petitesse et redoute de s'approcher de lui, dont elle s'estime indigne. Elle lui dit, à l'exemple de saint Pierre : « Retirez-vous loin de « moi, Seigneur, car je suis une pécheresse. » Mais d'autre part, jetant un regard sur sa face
3o2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pleine de bonté, songeant au grand désir qu'il a de se communiquer à ses créatures malgré leur indignité et le grand besoin que la créature a de ce sacrement, elle le désire avec ardeur et il lui tarde de jouir au plus tôt de ce bien. Elle s'écrie intérieurement: O ardeur! ô charité! Oh! qui vous a connue et ne vous a pas aimée ? O abîme ! qui vous a considéré et n'a pas été épouvanté ? Celui qui ne vous a pas aimé est pervers et impie, comme celui qui ne vous a pas redouté est fou et insensé.
Le septième degré s'appelle l'invitation. Par elle l'àme enflammée du désir de posséder Jésus- Christ dans le Saint-Sacrement, l'invite de tout son pouvoir à descendre en elle et lui dit, comme l'épouse du Cantique : « Que mon bien-aimé « vienne dans son jardin et qu'il y mange les « fruits de ses pommiers ». (Cant. 5). Dans ce degré l'âme soupire après Jésus-Christ; imitant les désirs ardents de tous les saints patriarches, elle a des élans d'affection par lesquels elle souhaite la présence du Sauveur en elle et elle souhaite aussi de se rassasier de lui. Elle ne prend plus goût aux choses du monde, car elle n'a pas moins de raisons pour dési- rer le Sauveur dans la communion qu'en avaient toutes les âmes saintes de l'Ancien Testament, pour le désirer dans l'Incarnation. Dans ce degré l'âme se représente comme un pauvre criminel, qui languit dans les prisons et qui appelle son juge, non pour être condamné, mais pour être absout ; c'est ainsi que l'âme se considérant dans ce monde comme dans une prison fâcheuse et où elle est longtemps captive, demande son juge
1)1-: s SACRKMKNTS 3o3
pour être renvoyée libre et absoute. Elle se repré- sente elle-même comme un pauvre malade saisi par la fièvre, qui désire le médecin. Elle le désire comme son maître, pour connaître ses volontés, l-'lle rimplore comme un Roi très puissant pour la défendre et la protéger contre ses ennemis. Elle rappelle comme son soleil, pour dissiper toutes les ténèbres et faire disparaître sa froideur ; elle l'ap- pelle comme le soulagement de ses travaux, afinqu'il Taide et qu'il allège son fardeau. Enfin se fondant d'amour, elle l'invite comme son Epoux céleste, car elle sait que par condescendance il veut bien élever les âmes à la qualité d'épouses, pour les faire participer à ses biens et à ses grandeurs.
Après ce degré, c'est-à-dire après l'invitation, vient la réception du sacrement, accompagnée de sentiments d'humilité, de respect et d'admiration pour sa grandeur, à l'exemple de Saint Thomas s'écriant : « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jean, 20), ou d'amour et de joie, conformément à cette parole : « Entre^, béni de Dieu. — Oh! soye\ béni, « vous qui vene\ au nom de Dieu » (Gen. 24 — Matt. 21).
Souhaitez d'avoir cette disposition qui convient à la réception du Saint-Sacrement. Regrettez de ne l'avoir ni connue ni pratiquée dans le passé et désirez qu'elle vienne à la connaissance de plu- sieurs, afin qu'elle soit pratiquée pour la plus grande gloire et le plus grand honneur du Fils de Dieu dans le Saint-Sacrement. Mettez-vous vous- même en devoir de passer dans votre prochaine com- munion par tous ces degrés, auxquels vous pense- rez l'un après l'autre, ou dans une même heure, ou
3o4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dans les sept jours consécutifs, qui précéderont vo- tre communion. Chaque jour vous vous arrêterez à un degré ou à un des échelons de cette échelle mystérieuse par laquelle vous arrivez à Jésus- Christ, pour en tirer des biens qui vous rendront heureux pour toute l'éternité.
II
Considérez les merveilleux fruits qui résultent de lacommunion faite avec une telle disposition. Il n'y a point de langue, dit un célèbre Théologien (i). capable d'expliquer, ni d'esprit capable de com- prendre les fruits et les avantages de la réception de ce sacrement, dont on pourrait bien entendre ce mot d'Isaïe et de Saint Paul : « L' œil rC a point « vu^ Voreille 7i'a point entendu et il n'est pas « entré dans V esprit de Thomme ce que Dieu a « préparé à ceux qui V aiment ». (Is. 64; i Cor. i). Toutefois on pourra méditer pour sa consolation spirituelle le Psaume XXIP que David a composé sur ce sacrement, et où il énumère douze avanta- ges qui sont échus à ceux qui communient dévo- tement.
Le premier avantage est que par ce sacrement nous avons Jésus-Christ pour Roi et pour conduc- teur : « Le Seis[neur me régit. » On peut dire à l'âme qui communie comme à la fille de Sion: « Voici ton Roi qui vient à toi plein de douceur » (Matt. 21), ton Roi dont la bonté égale la majesté ; et l'âme peut dire : O le bonheur inestimable ! Le puissant monarque du ciel vient en moi pour me
I. Viguerius, 16, vers. 28.
DES SACREMENTS 3o5
donner sa paiK et sa grâce, pour prendre posses- sion de mon cœur et de toutes mes puissances, comme de son propre domaine, pour y établir sa loi et ses maximes, pour me gouverner et me con- duire saintement. Quel plus grand honneur peut- il y avoir pour une chétive créature? Il ne se con- tente pas de nous avoir donné pour guide la raison naturelle et Thabitude de la foi, il veut nous diri- ger lui-même et nous inspirer dans cet auguste sacrement, afin qu'adhérant à la loi, nous ne mar- chions pas dans les ténèbres de Terreur, mais dans la vraie lumière.
Le second avantage est une abondance de grâces : « et rien ne me manquera. » Ici se trouve en effet l'auteur de la grâce, celui qui ne vient que dans le but d'enrichir une âme et de la faire parti- ciper à sa plénitude. D'oià vient que saint Paul, félicitant ceux qui communient dignement, leur dit : « Je rends toujours grâces à mon Dieu pour « vous, parce que vous êies riches en toutes cho- « ses par Jésus-Christ, de sorte qu'aucune espèce « de grâce ne vous manque. » (I Cor. i).
Le troisième avantage est la douceur de la réfec- tion spirituelle : « Il ma établi dans un lieu « abondant en pâturages. » Cette réfection con- siste en de bonnes et savoureuses pensées toutes célestes, en d'ardentes affections de la charité, en des épanouissements de cœur, en des tressaille- ments de joie et des goûts très suaves de la dou- ceur divine. C'est pourquoi ce sacrement est une manne cachée, d'une douceur très savoureuse, qui consiste dans le rassasiement des âmes bien pures.
Le quatrième avantage est la modération des
Bail, t. xx. 90
3o6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
passions très ardentes ; « il m'a élevé auprès « (Tune eau qui me nourrit. » Rien en effet ne tempère l'ardeur des concupiscences désordonnées, comme de communier dignement. « La rosée, dit « le Sage, ne refroidir a- t-elle pas V ardeur ? » (Eccl. 18). Or c'est ici qu'est la rosée céleste tant souhaitée par les anciens Pères, qui s'écriaient : « O deux, envoye\ d' en-haut votre roséeX » (Is. 45). Le cinquième avantage est de nous convertir et de nous transformer en lui : « // a converti mon « âme, » Car cette nourriture céleste ne s'altère pas comme la nourriture ordinaire, pour se changer en notre corps. Ce corps divin ne nous servirait pas en effet, s'il était changé en notre corps mor- tel, il périrait avec nous. Il a donc une force et une vigueur sans pareille pour changer et conver- tir notre âme en lui, afin qu'elle vive pour lui, et qu'elle vive de sa vie par l'imitation de son esprit et de sa vie céleste. C'est pourquoi saint Augus- tin (1) entendit cette parole, que plusieurs appli- quent à ce sujet: Je suis la nourriture des grandes âmes; grandis et jmange-moi. Tu ne me changeras pas en toi, comme ta chair, mais tu seras changé en moi. Dans cette conversion, la substance de l'àme reste la même, mais ses accidents sont changés, car elley reçoit des accidents déiformes, qui la font vivre selon l'esprit de Jésus-Christ, et elle reçoit de lui, comme un membre de son chef, une nouvelle vi- gueur.
I. L. 7 CoNFESS. c. 10 : <LNéctu me in te mutahis, si- « eut cibum carnis niortu<Zf sed tu mutaberis in me. » — Biel IN CANON. Miss^, lect. 88,
DES SACREMENTS J07
De là naît un sixième avantage, qui est Tinclina- tion au bien pour la seule gloire de Dieu : « // m'a « conduit par les sentiers de la justice pour la « gloire de son 120m. » Car comme Jésus-Christ n'a d'inclination que pour le bien et pour la gloire de Dieu, qu'il considère toujours dans toutes ses œuvres ; il en est de même du chrétien, en qui Jésus-Christ a imprimé son esprit par la commu- nion. Il n'aspire qu'à suivre les voies de la justice et de la sainteté, et le tout, non dans son propre intérêt, mais pour glorifier le nom de Dieu.
Le septième avantage est la protection contre les assauts et les attaques de l'ennemi : « Si je « marche au milieu de l'ombre de la mort, je ne « craindrai aucun mal, parce que vous êtes avec « moi ». Les ombres de la mort sont les tenta- tions du démon, contre lesquelles le Saint-Sacre- ment arme et fortifie puissamment l'esprit ; c'est pourquoi il est figuré par le pain que vit Gédéon, pain qui perdit les Madianites, c'est-à-dire les démons de l'enfer. Car pourquoi celui-là les crain- drait-il qui sent qu'il est avec Dieu et qu'il l'a en lui-même comme son protecteur? De là vient que Job adresse avec confiance à Dieu cette demande : • « Meite:{-moi auprès de vous et que la main de «.qui que ce soit combatte contre moi » (Job, 27).
Le huitième avantage est la consolation parmi toutes les angoisses et les tribulations de cette vie : « Vous ave\ préparé une table devant moi « contre les efforts de ceux qui me persécutent ». Une communion bien faite a une puissance abso- lument admirable, pour apaiser les plus cuisantes douleurs.de cette vie. C'est pourquoi Jésus-Christ
3o8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
invite les personnes affligées et les appelle à lui : « Vene^ à moi, vous tous qui travaille^ et qui êtes « accablés, et je vous soulagerai » (Matt. 1 1). Elcana consolait sa femme désolée à cause de sa stérilité, en lui disant : « Anne ^ pourquoi pleur es- « tu ? est-ce que je ne vaux pas pour toi dix « enfants ? » (I Rois, i). Ainsi une âme qui se rendra dévote à l'égard de ce mystère pourra, quand elle sera affligée par les pertes et par la ruine des biens de ce monde, entendre Jésus- Christ lui adresser cette consolation : Pourquoi t'affliges-tu pour la perte des biens passagers de cette vie ? Ne suis-je pas ton souverain bien et un bien qui se donne tout à toi ? Ne suis-je pas préfé- rable tout seul et plus capable de te rendre heu- reux que toutes les prospérités mondaines ?
Le neuvième avantage est l'onction intérieure du Saint-Esprit qui dans ce sacrement illumine les âmes : « Vous ave:^ oint ma tête d'une huile « sacrée », c'est-à-dire mon esprit qui est rempli de clartés et qui demeure plus illuminé et plus clairvoyant pour ce qui est des choses célestes. Les deux disciples d'Emmaiis eurent les yeux ouverts à la fraction de ce pain (Luc, 24), et les yeux de Jonathas furent éclairés, après qu'il eût goûté un peu de miel (III Rois, 4). Bien plus illuminée sera l'âme qui a en elle-même le Soleil de justice dont les rayons très clairs pénètrent partout.
Le dixième avantage est le saint enivrement de l'amour : « Que mon calice^ qui a la j or ce deni- « vrer^ est admirable ! » Dieu donne quelquefois dans la communion de si grands sentiments d'amour, que comme une personne enivrée ne
DES SACREMENTS 3og
peut digérer ni contenir en elle le vin dont elle est pleine ; ainsi l'amour intiue sur le cœur avec une telle abondance et une telle impétuosité, que force lui est d'éclater au dehors, soit par des excla- mations amoureuses, soit par des cantiques de jubilation, soit par quelqu'autre moyen. Car ce sacrement est le sacrement des élus et le vin qui fait germer les vierges : l'hébreu porte : « le vin « qui fait chanter les vierges » (i). De même que celui qui aurait logé chez lui son juge, et qui l'au- rait accueilli avec tout honneur, aurait auprès de lui plus de crédit; ainsi une àme qui communie dignement est favorisée pendant toute sa vie par Jésus-Christ. Il lui en est reconnaissant et il la regarde miséricordieusement dans tous ses be- soins, en reconnaissance de ce qu'elle l'a reçu avec toute son affection ; aussi dit-il dans ce sacrement ces paroles qui sont douces pour les uns et amères pour les autres : « Quiconque m'aura glorifié^ je « le glorifierai ; et ceux qui me méprisent de- « meureront infâmes » (I Rois, 2).
De là résulte le douzième avantage, qui est l'ac- quisition de la félicité éternelle : « Afin que fha- « bite dans la maison de mon Dieu Jusqu'à la fin « de mes jours. » Ce sacrement est en effet le gage de la gloire et une àme ne doit pas douter que Jésus-Christ ne se donne à voir, quand il se donne à manger. Aussi en fait-il la promesse : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement » (Jean, 6).
Que nous reste-t-il à faire après la méditation
I. Versiones Pagnini et Vatabli,
3lO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de ce psaume m3^stérieux, si ce n'est d'entonner des louanges en l'honneur de Jésus-Christ qui produit en nous tant de fruits et tant d'avantages par la sainte Eucharistie ? « O Seigneur, combien « grande est la multitude de votre douceur, que « vous réserve^ à ceux qui vous craignent! » (Ps. 3o). Vraiment « vous ave\ nourri votre « peuple de la nourriture des Anges et vous lui « ave^ donné un pain préparé au ciel sans aucun « travail^ pain qui renfermait en soi tout ce « qu'il y a de délicieux et tout ce qui peut « être agréable au goût » (Sag. 16). Qui eût jamais osé espérer tant de biens dans cette vallée de misères ? Si bien que les fruits de ce sacrement surpassent notre attente non moins que notre mérite. C'est « Varbre de vie qui porte dou\e m fruits » (Apoc. 22). Qui me donnera donc, ô mon Dieu, de vous recevoir souvent avec une digne préparation, afin que je me rassasie de ces fruits savoureux ? O Seigneur, si vous me donnez ce pain à manger et le vêtement de votre charité, vous serez toujours le Dieu unique de mon âme et je vous louerai avec une ferveur qui ne se ralentira jamais. O pain, source de tout bien et de toute joie, je vous désirerai incessamment de toute l'ar- deur de mon cœur, et pour un seul repas que je ferai de vous, je mépriserai tous les passe-temps et les vaines récréations du monde. Je suis attiré à vous par l'odeur qui vous est propre et intime, qui est l'odeur d'une campagne fleurie et abondante en richesses, à laquelle le Dieu d'amour très clé- ment et très libéral a donné sa bénédiction. Oh ! certainement, Seigneur, « voire miséricorde vaut
DES SACREMENTS M I
« mieux que toutes les vies, mes lèvres vous loue- « ront » (Ps. 62), et mes entrailles s'ouvriront pour recevoir la suavité de votre table nuptiale. O Seigneur, si je suis pauvre en biens dès ma jeunesse, ô le Dieu très aimable de mon àme, à qui m'en prendrai-je si ce n'est à moi-même, qui pouvais m'enrichir des fruits de votre sainte table ? O pain vivant et vivifiant, faites-moi participer à tant de biens désirables !
III
Considérez d'où peut provenir que plusieurs âmes qui usent de toute diligence, pour se pré- parer convenablement à la réception de ce sacre- ment, ressentent si peu le fruit qu'elles y font et principalement ce fruit qui s'appelle le goût et la saveur de la réfection spirituelle. Quelques Théo- logiens (i) ont examiné cette difficulté qui trouble beaucoup certaines consciences timorées ; ils répondent que le sacrement, pour sa part, confère toujours la grâce de cette douceur et de cette réfection spirituelle aux personnes convenablement préparées, mais que le libre arbitre doit y coopérer et y contribuer de son côté ; faute de quoi cette réfection manque. D'ailleurs, disent-ils. Dieu ne la donne pas toujours au moment même de la réception du sacrement, mais quand il lui plaît, pourvu qu'on ne s'en rende pas indigne, car les grâces sacramentelles et particulières à chaque sacrement se donnent dans le besoin et en temps opportun. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner
I. Suarez, 3 p., disp. 63, sect. 9,
3l2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
si un certain nombre d'âmes ne ressentent pas sitôt la ferveur de la charité et la douceur de la dévotion ; c'est une grâce que Dieu leur réserve, et qu'elles ressentiront si elles n'y mettent aucun empêchement. D'autres (i) ajoutent que tous les palais spirituels ne sont pas capables de savourer cette douceur, ainsi que cela arrive pour les palais et les goûts des animaux pour toutes les saveurs sensibles, car le palais d'un pourceau n'apprécie point la douceur des parfums. C'est pourquoi il^ ne faut pas s'étonner si plusieurs, quoique sains et sans maladies, ne ressentent pas toutes sortes de suavités spirituelles, car elles ont trop de sublimité et de noblesse pour des palais trop grossiers, comme sont les leurs. Et puis chez plusieurs c'est le défaut de bien mâcher le pain du ciel par de bonnes considérations de l'esprit bien éclairé, qui les empêche d'en exprimer et d'en sucer la dou- ceur. Il faudrait, en effet, admirer dans ce sacre- ment la toute-puissance de la vertu divine, sa sagesse et sa providence ; il faudrait méditer l'abondance de sa bonté, par laquelle il s'offre et se donne si promptement, comme aussi sa misé- ricorde sans pareille, en nous souvenant de sa Passion dont la mémoire nous est recommandée dans ce mystère. Albert le Grand (2) a répondu à cela que ce pain est un pain volontaire et qu'il se fait sentir comme il lui plaît ; parfois il garde sa douceur sans la communiquer ni la faire sentir, pour qu'à la fin le mérite soit plus grand et qu'à l'avenir cette douceur soit mieux ressentie.
I. Guillel. Paris. De sacram. Euch. c. 7. I. In Serm. dist. 17, art. 36.
DES SACREMENTS 3l3
Au reste il peut aussi arriver que Dieu, par un trait de sa providence spéciale, prive de ces dou- ceurs des personnes qui communient dévotement, pour leur plus grand bien et sans qu'on puisse leur reprocher aucun défaut (i). En premier lieu, pour les humilier, de peur que ces sentiments ne leur inspirent de la vanité et de l'orgueil. En second lieu, il leur retire ces douceurs, pour leur en donner un plus grand désir par la privation qu'elles en ressentent, semblable à une mère qui fait semblant d'abandonner son petit enfant, afin qu'il la recher- che davantage, qu'il la caresse plus tendrement et qu'il prenne plus de soin de se tenir auprès d'elle. Troisièmement, pour leur faire mieux connaître leur propre misère et fragilité, et qu'ainsi elles s'estiment peu de chose et apprennent qu'elles ne peuvent rien d'elles-mêmes. Quatrièmement, afin qu'elles soient plus pitoyables et plus compatis- santes pour les âmes qui n'éprouvent que séche- resse et aridité au milieu de tous leurs exercices de dévotion. Cinquièmement, afin qu'elles satis- fassent à Dieu pour la peine due à leurs péchés, par la privation des douceurs spirituelles. C'est ainsi que l'humanité de Jésus-Christ plongée dans le torrent de ses souffrances et dans un défaut absolu de consolations, satisfit pour les péchés du monde. Sixièmement, afin que les personnes qui sont capables d'aider le prochain dans la vie active, ne s'occupent pas uniquement d'elles-mêmes ; il serait à craindre, en effet, qu'arrêtée par ces goûts et ces douceurs divines, elles ne voulussent se
I. Gabriel Biel, in canon, Missœ, lect. 8.
3l4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
reposer comme Madeleine, quand il serait néces- saire de travailler comme Marthe. Septièmement, c'est pour punir quelques fautes vénielles commises autrefois. Ainsi un père montre quelquefois un visage un peu sévère à son fils, qu'il aperçoit se donner trop de licence. De la sorte on ne néglige pas de se corriger des petits péchés, qui ouvrent la porte à de plus grands. Huitièmement, cela a lieu afin que l'on connaisse si une àme sert Dieu avec une affection désintéressée, alors même qu'elle ne devrait recevoir de lui aucune consola- tion. On sait alors si elle est disposée à rester du parti de Dieu, à ses risques et périls, en tout cas et tout événement, comme aussi en toute tribula- tion, comme un soldat bien fidèle et bien affectionné qui combat toujours pour son prince, quoiqu'il n'en reçoive pas de solde. Neuvièmement, Dieu sèvre une âme de ces douceurs, afin qu'elle ne s'arrête pas tant aux dons de Dieu qu'à Dieu lui- même. Dixièmement, c'est afin que ces douceurs spirituelles ne lui servent pas de récompense pré- sente et qu'elle la reçoive dans l'avenir plus abon- damment. Onzièmement, c'est afin que l'âme trans- portée de ferveur spirituelle, ne se porte pas à des exercices trop violents, consistant en pleurs, gé- missements, jeûnes, veilles et austérités ; car Jésus-Christ ne veut pas grever son hôte et plu- sieurs âmes ne pourraient soutenir l'ivresse spirituelle, si elles étaient toujours introduites dans « la cave à vin » de l'Epoux. (Cant. 2). C'est pourquoi il en garde les clefs et la tient tantôt ouverte, tantôt fermée. Douzièmement, cela se fait pour exercer la patience, dont l'acte est très
1»ES SACREMENTS 3lS
parfait et surtout dans ce sujet, où Tàme se voit privée des avant-goùts du paradis, pour languir comme à l'ombre, c'est-à-dire à la ressemblance de la mort.
Ces considérations nous apprendront à ne pas nous troubler et nous décourager, si, apportant à la réception de ce sacrement toute la préparation possible, nous ne nous sentons pas toujours rem- pli des douceurs de la dévotion. Mais tantôt il faut s'humilier et penser que l'on a l'âme trop grossière pour goûter les sublimes saveurs de la table des Anges; tantôt il faut espérer ces faveurs pour un autre temps, où il plaira à Dieu de les donner et alors remercier le Saint-Sacrement par lequel Dieu les donne. Et quoiqu'il faille prier et se purifier soigneusement pour les obtenir dans la communion ; néanmoins comme Dieu dispose tout pour un plus grand bien, il faut être en tel état, que l'on soit prêt à les recevoir et à en user avec actions de grâces, si elles sont accordées, et prêt à en accepter la privation, si elles nous sont refusées, mais sans cesser pour ce motif de recevoir ce sacrement.
3l6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XV^ MÉDITATION
CONDUITE A TENIR APRÈS LA COMMUNION
SOMMAIRE:
Importance de s'entretenir en secret avec Jésus- Christ après la sainte communion. — Cet entretien comprend sept actes de dévotion. — Trois conseils spirituels qu'il Jaut pra- tiquer après cet entretien.
I
CONSIDÉREZ qu'après la communion il importe souverainement de s'entretenir quelque temps dans le secret de l'âme avec Jésus-Christ, par le moyen de quelque acte de dévotion. L'exem- ple de la civilité du monde enseigne assez cette vérité. Si on a reçu chez soi un ami, c'est une grande impolitesse d'avoir l'air de ne point le regarder, de lui tourner le dos ou de le laisser là tout seul dans une chambre, surtout si cet ami est une personne digne de tout honneur et venue exprès pour apporter beaucoup de bien par sa visite. Qui pourra donc excuser ou plutôt ne pas accuser et condamner la mauvaise conduite de plusieurs personnes chrétiennes à l'endroit de Jésus-Christ, qui est venu les visiter par la com- munion, et qui est venu du plus haut du ciel, où
DES SACREMENTS Zl'J
il règne, et pour leur bien éternel ? Comment ne pas condamner ces chrétiens qui ne pensent pas seulement à lui, ne font en sa faveur aucune dé- monstration d'amitié, et au lieu de fixer leurs pensées sur lui, se laissent emporter vers tout autre objet ? C'est faire effrontément outrage à ce grand Roi du ciel ; c'est renverser à son égard toutes les règles de l'honnêteté, si, après s'être préparé à l'honorer à son arrivée, on ne lui fait ensuite aucun honneur. C'est imiter les Juifs qui le jour des Rameaux allèrent au-devant de lui pour le recevoir avec pompe et magnificence, et qui, après son arrivée, le traitèrent avec honte et ignominie (Matt. 21). Si bien qu'il ne faut pas s'étonner que plusieurs âmes profitent si peu de la communion, c'est qu'elles ne se donnent pas le temps ni le loisir d'une sainte récollection inté- rieure pour goûter la douceur de cette nourriture céleste, pour entretenir Jésus-Christ de leurs affaires spirituelles, et profiter des avantages que l'on peut espérer de la présence d'un tel ami, si affectionné, si riche et puissant en toutes choses, et si rempli de bonne volonté à l'égard, des âmes, à qui il se donne si libéralement et si aimablement. Ce manquement se trouva, premièrement, dans la personne du traître Judas, qui fut le premier adversaire du Saint-Sacrement ; il le traita sans aucun respect, car à peine Teùt-il reçu de la m.ain sacrée de Jésus-Christ, qu'il sortit aussitôt, sans prendre un seul moment pour se recueillir dans la contemplation de ce mystère (i). « Après qu'il eût
I. Sherlogus, in Catit. c. 5, vestig. 32, sect. i.
3l8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« pris le morceau, dit l'Evangile, il partit immé- « diatement. » (Jean, i3). S'il eùi un peu médité sur ce qu'il venait de recevoir, cela aurait suffi pour le convertir; mais, dit saint Cyrille d'Alexan- drie (i), le démon qui a l'esprit madré et subtil, craignait que, s'il se fut arrêté un peu, il ne fit pénitence et voilà pourquoi il le pousse à toute bride et le presse de sortir. En cela il est imité par ceux qui sortent de l'Eglise avant la dernière bénédiction.
Il n'en est pas ainsi des âmes spirituelles et bien in'îtruites des exercices de la véritable piété. Elles se retirent à l'écart ou dans quelque lieu tranquille, immédiatement après leur commu- nion, et rentrent profondément en elles-mêmes, pour s'entretenir avec leur bon Maître et lui rendre les témoignages de leur pure et sincère affection. Elles négligent tout autre chose, pour ne considé- rer que ce divin objet et ressentir un commence- ment de la jouissance de ses douceurs, qui doit s'achever plus tard dans le paradis. Elles se tien- nent comme Madeleine à ses pieds, entendant ses divines paroles, attentives à ses inspirations qui les portent à tout bien, et elles lui demandent la grâce de les pratiquer fidèlement. Elles croient qu'il n'y a pas un temps plus opportun pour trai- ter leurs affaires spirituelle-, que celui où elles sont remplies de ce divin sacrement qui leur donne de la vigueur pour courir dans la voie de la vertu. C'est pourquoi elles en tirent des joies, des con- solations, des espérances, des attendrissements de
I. lit Jo^n. 1. 9.
DES SACREMENTS SlQ
cœur, d'importantes lumières et connaissances dans leur entendement, comme aussi dans leur volonté des ardeurs nouvelles pour servir fidèle- ment celui qu'elles chérissent et embrassent étroi- tement au-dedans d'elles-mêmes. Aussi l'épouse sacrée du Cantique n'a-t-elle pas plus tôt mangé son rayon avec son miel, et bu son vin avec son lait, qu'aussitôt elle entre dans sa retraite et dans son repos et dit : « Jedors^ mais mon cœur veille. » (Gant. 5). Car si elle semble immobile dans ses actions et quant au corps, son cœur est plein de soupirs et d'élans, après la réception de cette nourriture, qu'elle appelle son miel et son lait, à cause du torrent de douceur qu'elle sent déborder en elle. Aussi Jésus-Christ a dit de ceux qui com- munieraient dignement : « Celui qui mange ma « chair et boit mon sang^ demeure en moi et moi « en lui » (Jean, 6); comme s'il voulait dire: il demeure en moi par l'union et l'occupation de son esprit, comme je demeure en lui par la pensée, par l'affection et par les effets; il ne «e distrait pas de moi et ne la laisse pas égarer sa pensée dans les affaires du monde.
Formez donc la résolution de n'y jamais man- quer. Gardez-vous soigneusement d'imiter le traî- tre Judas, en occupant votre esprit à d'autres su- jets qu'à celui qui est en vous, qui doit vous ravir d'admiration. Il n'en est pas de cette nourriture comme de celle du corps ; pour celle-là les person- nes saintes tâchent d'en éloigner leur pensée, autant que possible, quand elles la prennent, et dans ce but elles se rendent attentives à quelque sainte lecture ; mais cette nourriture étant toute
320 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
divine, il faut y enfoncer hardiment son esprit et sa volonté et toutes ses puissances. Ne refusez donc pas au moins un quart d'heure à cette récol- lection, à dire le bonjour et le grand merci au Roi des Anges, qui vous a visité. Regrettez, pour ce qui regarde le passé, de vous être trop hâté et trop tôt diverti, soyez confus d'avoir commis plusieurs fois une incivilité, que tous les Anges ont en hor- reur.
II
Considérez que l'entretien que nous devons avoir avec Jésus-Christ, après l'avoir reçu, consiste en plusieurs actes de dévotion, et particulièrement en sept actes qui sont l'admiration, l'action de grâces, l'offrande de Jésus-Christ et de tous ses mérites au Père éternel, l'offrande de nous-même et de toutes nos puissances à Jésus-Christ, la manifestation de nos misères, plusieurs saintes demandes et enfin la glorification de sa bonté pour tous les biens qu'il nous a faits depuis le moment de son Incarnation jusqu'à la présente commu- nion.
L'admiration est le premier acte que l'on peut produire après la sainte communion. On doit s'étonner d'une faveur si signalée et d'un fait si extraordinaire que celui du Roi des rois, du Fils de Dieu qui est assis à la droite de son Père et qui descend dans l'estomac infect d'une chétive créa- ture. Car qu'y a-t-il de plus étonnant au monde que la sainte communion, dans laquelle l'Etre le plus élevé s'unit intimement à un vermisseau rampant sur la terre ? Le plus aimable et le plus
DES SACREMENTS 321
digne d'être chéri de Punivers, à une âme qui est digne de l'aversion de Dieu? La bonté à la malice, le très magnitique et très libéral à une àme avare, la beauté à la laideur, la splendeur aux ténèbres, le très heureux, au misérable, le juge au criminel, le très charitable à un cœur rongé d'envie, la voie, la vérité et la vie à un égaré, à un menteur et à un mortel, en somme le Tout-Puissant à la fai- blesse et à rinlirmité? L'àme doit considérer en silence ces oppositions et s'écrier sans bruit au fond d'elle-même : D'où vient ceci ? Quelle grande merveille! Les cieux ne peuvent vous contenir et vous vous enfermez dans mon étroite poitrine ! O grandeur et majesté infinies ! Oh ! la gloire du ciel et de la terre 1 Que iaites-vous ?
Ensuite il faut passer au second acte, qui est le remercîment pour un si grand bienfait; il faut con- sidérer brièvement la grandeur de ce don, son uti- lité, le grand amour avec lequel Dieu s'est donné, avec quelle grande facilité et que de fois il se donne, et encore combien nous sommes petits et ravalés pour être ainsi favorisés; ce sont là autant de considérations qui animent notre acte de recon- naissance. Dans ces pensées l'àme dira donc : O vous, so3'ez béni et loué par tous les Anges et par tous les esprits du monde pour cette inestimable faveur que je reçois, en même temps que je suis accablé par tant d'autres dettes. O mon bon Sei- gneur et Maître, que d'obligations indicibles j'ai à votre égard pour votre excès d'amour pour moi ! O Dieu souverain de mon cœur! Oh! que n'ai-je tous les cœurs du monde, pour vous rendre des actions de grâces qui répondent en quelque sorte à
Bail, t. ix. 31
''322 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
la grandeur et à la qualité de ce bienfait ? Que pourrai-je vous rendre et vous offrir en reconnais- sance de l'obligation que j'ai envers vous ?
Ici il faudra passer au troisième acte qui est l'offrande de Jésus-Christ et de toutes ses vertus et mérites au Père éternel. On peut le faire en disant : O Père suprême et adorable, de qui vient tout don parfait et tout présent excellent, je n'ai de moi-même que misère et pauvreté, je ne suis qu'un vase d'immondice et ne connais rien en moi qui mérite de vous être offert. Mais maintenant que mon doux Jésus s'est donné à moi, je ne veux point perdre cette occasion, je vous offre et vous présente ce Sauveur, en reconnaissance de mon obligation, je vous oifre sa charité éminente, son zèle ardent, ses souffrances très amères et tous les mérites de sa vie immaculée. O Père très saint, acceptez cette offrande !
Il faudra ensuite pratiquer le quatrième acte, qui est l'offrande de soi-même et de toutes ses puissances à Jésus-Christ. Car de même que lors- qu'un roi entre dans une ville, tous les Etats et tous les magistrats de cette ville viennent le saluer et lui offrir leurs services ; ainsi quand Jésus- Christ est entré en nous, il faut que toutes nos puissances se présentent devant lui et que chacune produise en son honneur un acte de vertu qui lui soit propre et qui soit agréable à Jésus-Christ à qui nous devons en faire hommage. C'est ainsi que nous dirons à notre intelligence, à notre volonté et aux autres facultés : « Vene^y adorons- « le et prosternons-nous devant lui » (Ps. 94). Puis il faudra que nous produisions sur le champ
DES SACREMENTS 323
un acte de foi par notre intelligence, un acte d'amour, de complaisance ou de bienveillance par notre volonté ; il faudra que notre mémoire se ressouvienne de sa Passion, que notre appétit concupiscible et notre appétit irascible se sou-- mettent de manière à être modérés dans leurs passions. On pourra aussi par un acte de Timagi- nation appliquer ses cinq sens extérieurs à Jésus- Christ ; on se représentera qu'on le voit avec son maintien incomparable, qu'on entend sa voix re- tentir avec douceur, et proférer des paroles de vie, que Ton sent sa suave odeur, que Ton goûte sa douceur, qu'on embrasse humblement ses pieds.
Puis viendra le cinquième acte qui est la décla- ration de ses besoins spirituels. L'àme lui exposera naïvement l'état de son intérieur, ses chutes plus ordinaires, ses tentations plus fréquentes, le peu d'énergie avec lequel elle leur résiste, et les vertus dont elle reconnaît avoir le plus de besoin.
Après quoi elle lui fera des demandes, ce qui est le sixième acte. Elle le priera de remédier à ses misères, de rendre la présente communion fruc- tueuse et utile en opérant ce pourquoi il est des- cendu, de lui donner la grâce de ne jamais plus l'offenser, le don de persévérance, la réalisation de ses bons desseins, la grâce d'accomplir ce qui lui est agréable. Puis se souvenant de son prochain, elle pourra aussi demander pour lui ce qui lui sera le plus nécessaire dans les diverses occur- rences. Ce point est de grande importance, car dans ce moment où Jésus-Christ est présent en nous, nous avons sujet d'avoir grande confiance qu'il exaucera nos prières, principalement si nous
324 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
l'avons reçu avec une grande dévotion. Il est en effet à présumer qu'il voudra assister une àme qui lui aura fait un bon accueil et une réception hono- rable et qu'il ne permettra pas que son voyage et sa visite lui soient inutiles.
Après ces six actes, on pourra finalement se jeter sur le septième, qui est la glorification de la bonté de Jésus-Christ. L'àme lui représentera doucement toutes les actions de sa vie et lui dira : O mon Seigneur, qui pourrait vous louer assez hautement pour tout ce que vous avez fait par amour pour moi dans le passé ? Car pour moi vous n'avez pas eu horreur de passer neuf mois dans le sein de la Vierge, puis vous êtes né dans une étable au cœur de l'hiver, le huitième jour vous avez été circoncis, vous avez vécu trente-trois ans sur la terre, partageant les misères humaines, fuyant, persécuté, haï, contredit et finalement vous avez souffert la mort sur la croix. Vous avez fait ces choses, ô mon doux Seigneur, par amour pour moi. Vous ne vous êtes point encore arrêté là, vous avez fondé et conservé l'Eglise jusqu'à présent, cette Eglise à laquelle je suis appelé par votre miséricorde, pour y opérer mon salut. Vous m'avez fait participer aux sacrements, et surtout au sacrement précieux, que vous m'avez donné tant de fois, notamment aujourd'hui. O mon doux Jésus, que votre bonté est ravissante! Oh ! quel Chérubin, quel Séraphin vous donnera assez de gloire ? « Oh ! toides les œuvres du Seigneur, « bénisse^ Je Seigneur, louc^-Ie et exalte^-le à « jamais » (Dan. 3). — « Mon âme glorifie le
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« Seigneur^ parce que celui qui est puissant a vi fait en moi de grandes choses. » (Luc, i).
Efforcez-vous de retenir dans votre mémoire les sept actes de cet entretien, afin de le pratiquer fidèlement, ou en tout ou en partie, dans vos pro- chaines communions. Soyez confus vous-même à la pensée que vous avez peut-être bien l'adresse d'entretenir la conversation et de passer le temps avec les personnes du monde qui vous visitent, et que vous manquez de sainte et honnête civilité pour vous entretenir un quart d'heure avec Jésus- Christ, qui vous visite avec un si grand amour dans votre communion. Demandez-lui pardon de votre rusticité, et, pour l'avenir, la grâce de mieux communier.
lïl
Considérez encore trois conseils que donnent les directeurs de la vie spirituelle, comme devant être mis en pratique après cet entretien.
Le premier conseil est d'augmenter ses dévo- tions et ses prières pendant le quart d'heure qui suit la communion; car, après ce temps, les espèces s'étant vraisemblablement consommées dans l'es- tomac sous l'action de la chaleur naturelle, Jésus- Christ cesse d'y être plus longtemps présent. Il ne s'en va pas, il est vrai, par un changement de lieu, mais il cesse d'être plus longtemps présent par une simple cessation d'être ; ainsi quand on coupe un bras à un homme, l'âme n'est plus présente dans le bras coupé, non parce qu'elle se retire ailleurs, mais simplement parce qu'elle cesse
326 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
d'être là. Le philosophe Sénèque (i) dit que nous ne souhaitons jamais si ardemment les choses que lorsque nous sommes sur le point d'en être privés. Les fruits, dit-il, ne sont jamais si agréables que quand la saison s'en va. L'enfance ne paraît jamais si belle, que lorsqu'elle s'en va. Tout ce que la volupté a de plus délectable, elle le réserve pour la fin, et la vie même nous plaît davantage quand elle penche vers la mort. S'il en est ainsi des choses de peu d'importance, à combien plus forte raison Jésus-Christ doit-il nous sembler ai- mable et digne d'être retenu et embrassé, lorsqu'il va nous quitter. Aussi c'est un point très digne de considération que, de même qu'en sortant de ce monde il témoigna un plus grand amour à ses Apôtres, « ayant aimé les siens qui étaient dans « ce monde, illes aimajusqu'àla fin » (Jean, i3); de même à ce moment où il cesse d'être dans le corps qui l'a reçu, il montre un plus grand amour, que peut-être durant toute sa vie et même au moment de sa mort sur la croix ; car alors il n'abandonna qu'une vie souffrante et douloureuse et encore la vie misérable d'un corps passible, et non la vie bienheureuse de son âme immortelle. Mais ici il cesse d'être respectivement dans nos corps, sa vie bienheureuse aussi respectivement cesse d'être, et ainsi d'une certaine manière par cessation d'être, il perd, pour s'être donné à man- ger, une vie bienheureuse et telle qu'il la possède dans la gloire. Car, quoiqu'il demeure toujours vivant à la droite de Dieu, son Père, il ne laisse
I. Epist. 22. « Graiissima sunt poma, ciim fugiunt . »
DES SACREMENTS 827
pas de cesser véritablement d'être, quand les es- pèces se consomment. Cette vérité mérite une plus exacte discussion de notre part, et de la part des âmes chrétiennes l'acte d'amour le plus en- flammé dont elles soient capables. C'est pour- quoi plusieurs redoublent alors de ferveur dans leur dévotion ; ils disent tantôt comme les deux disciples, à qui il était apparu sous les dehors d'un pèlerin : « Demeure^ avec nous, Seigneur, car il « serait tard » (Luc, 24) ; tantôt comme autrefois Jacob qui luttait avec l'ange pour figurer l'oraison : « Je ne vous laisserai pas aller, que vous ne « m'aye^ héni » (Gen. 32).
Le second conseil est de se souvenir de temps en temps pendant la journée, de la communion. Pensons, dit saint Jean Chrysostome (i), à l'action dont nous avons été rendus dignes, et qu'une telle pensée serve de frein à nos mouvements déréglés.
Le troisième conseil est de donner toujours quelque chose à Jésus-Christ pour chaque com- munion que l'on fait ; par exemple on se mortifie- rait ce jour-là en se privant de quelque passe- temps permis, on garderait un silence plus rigou- reux, on ferait une visite au Saint-Sacrement dans l'après-midi, en se rendant à quelque église, on exercerait quelque œuvre de miséricorde tempo- relle ou spirituelle, on ferait ses actions ordinaires avec une plus grande pureté d'intention et plus parfaitement (2).
I. Homil. 61 ad popul. Antioch.
I. Voyez l'ornement intérieur dans la Philosophie
AFFECTIVE.
328 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Je me souviendrai de ces trois conseils qui ne tendent qu'à faire traiter le Fils de Dieu dans son Eucharistie, d'une manière plus convenable et plus honorable. O Jésus, toute la gloire de mon âme ! Oh ! combien il est juste et équitable que nous ayons de tels sentiments et une telle recon- naissance pour les merveilles d'amour que vous opérez continuellement dans ce mystère. Oh ! faites, par votre miséricorde et par votre bénédic- tion, que toutes les âmes écoutent et pratiquent volontairement, et que, lorsque vous cessez d'être en elles sacramentellement, votre grâce y de- meure, ainsi que votre charité brûlante et le sou- venir de votre inconcevable amour.
XVr MÉDITATION
DE LA FRÉQUENTE COMMUNION
SOMMAIRE :
Généralement parlant, on doit conseiller la com- munion fréquente. — Ordinairement la com- munion ne doit pas être quotidienne. — Règles à observer pour la communion fréquente.
I
CONSIDÉREZ que généralement parlant, il vaut mieux communier souvent que rarement. La fréquente communion est en soi meilleure,
DES SACREMENTS ?>2g
doit être souhaitée et conseillée davantage, prê- chée et recommandée davantage par les Théolo- giens que la communion rare (i). La communion fréquente est un effet de la ferveur de dévotion et de Tamour divin, tandis que la communion plus rare est la conséquence de la paresse et de la tié- deur, ou bien de la crainte de ne pas en être digne. Or ce qui provient de la charité et de la dévotion est ordinairement plus excellent en soi et l'emporte sur ce qui provient de la paresse, de la tiédeur et de la crainte ; ainsi les fruits d'un meilleur arbre sont plus savoureux et les eaux d'une meilleure source sont plus salutaires. De plus la communion fréquente cause une plus grande abondance de grâces que la communion plus rare, toutes choses égales de la part de ceux qui communient. Or il vaut mieux qu'un chrétien choisisse ce qui peut le faire croître davantage en grâce; car, si pour le temporel on préfère les actes les plus lucratifs, à combien plus forte raison doit- on estimer davantage ce qui apporte un plus grand profit spirituel et augmente les trésors de la grâce. Ajoutons que ce sacrement est l'aliment spirituel des âmes ; il les nourrit, les fortifie et les sustente, c'est le nerf de la piété, la pointe de notre vigueur spirituelle, le soutien de la dévotion. De même donc que le corps souffre, quand il est trop long-
I. Trt'd. sess. 22, ch. 2,/avei huic sententiœ. (Note de l'auteur). Citons ce texte qu'il importe de retenir : « Le saint Concile désirerait qu'à chaque messe célébrée « les fidèles présents fissent la communion non seulement « spirituelle, mais encore sacramentelle, afin de recueillir « par là le fruit de ce sacrifice avec plus d'abondance. »
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
temps privé de sa nourriture, de même souffrira une àme qui demeurera longtemps, sans recevoir cette nourriture. Autre raison : l'Eucharistie est un sacrement d'unité, il unit l'àme à Dieu par amour et par dévotion. Par conséquent l'homme sera d'autant plus uni à Dieu qu'il communiera plus souvent.
Outre ces raisons on n'a pas de peine à consta- ter ce que nous montre l'expérience, k savoir que ceux qui communient souvent, sont ordinairement beaucoup plus éloignés du péché que ceux qui ne communient que de loin en loin. Les plus grands Saints du paradis ne seront pas ceux qui dans la religion chrétienne n'auront communié qu'une fois l'an, ou même plus rarement, et c'est là une mar- que que la communion fréquente est un acte de plus haute vertu et qu'elle est plus efficace pour la sainteté. En effet celui qui communie souvent examine plus fréquemment sa conscience, implore davantage la miséricorde de Dieu, se confesse et satisfait pour ses péchés par de bonnes œuvres : toutes choses qui augmentent beaucoup la perfec- tion et la pureté des âmes. Enfin la sainte com- munion renferme la pratique de plusieurs actes des vertus théologales et des vertus cardinales. On y exerce la foi, l'espérance et la charité, on y adore Dieu, on s'humilie devant lui et on se donne à lui. Pour ce motif la communion est très agréable à Dieu, elle réjouit les Saints et les Anges du paradis, qui prennent plaisir à voir pratiquer ces vertus. Or si une communion a tant d'avan- tages, plus elle sera renouvelée, plus les avan- tages augmenteront. C'est ainsi que la commu-
DES SACREMENTS 33l
nion iVcquente est meilleure, à ne considérer la chose que d'une manière générale et en elle-même. Il faut donc aspirer à la communion fréquente et en avoir des désirs entiammés. Il faut donc regretter que les mondains communient si rare- ment et se privent des avantages qui se trouvent dans l'usage plus fréquent de cet auguste sacre- ment. Il faut imiter le zèle d'une àme bienheu- reuse (i) qui ne pouvait supporter la négligence des chrétiens à recevoir ce sacrement. O amour, amour, disait-elle, comme vous êtes peu connu et aimé ! Si vous ne trouvez pas où vous reposer, venez en moi, et je vous recevrai. O âmes créées pour l'amour, pourquoi n'aimez-vous pas l'amour? Vous me faites mourir toute vivante, ô amour, à cause de la peine que j'ai et du regret qui me ronge, en voj'ant que vous êtes si peu connu, si peu reçu et si peu aimé.
II
Considérez que cette communion ne doit pas être si fréquente qu'elle soit journalière, si ce n'est pour certaines personnes d'une pureté extraordi- naire et éprouvée par une longue expérience, à qui la communion quotidienne pourrait être utile- ment conseillée (2). Cette considération est néces- saire pour renfermer dans les limites de la pru-
1. B. Madeleine de Pazzi.
2. L'auteur met en note : Omnibus quoiidianam com- nninionem siiadet Vincentius Ma{illa, in Memoriali et Joanncs SancJiius in Select, disp. 22. — Contra est commiuiis scolasiicoriun Doctorum consensus, quos refert et sequitnr card. de Lugo, De Euchar. disp. 17.
332 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dence le zèle qui se porte à Textrémité, et qui conclut des raisons qui portent à la communion fréquente, qu'elle doit se faire tous les jours, quand on n'y met pas l'empêchement du péché mortel. Cette conclusion n'est pas approuvée par le Docteur angélique (i), car raisonnant sur l'im- portant sujet de l'usage de ce sacrement, il dit que l'on peut y considérer deux choses : l'une du côté du sacrement, dont la vertu est très salutaire aux hommes, et de ce côté il serait utile de com- munier tous les jours ; l'autre du côté de celui qui communie et en qui est requise une grande dévo- tion en vue de ce sacrement. Mais comme dans la plupart des hommes il y a plusieurs empêchements à cette dévotion, par le fait de l'indisposition du corps ou de l'âme, il n'est pas utile à tous les hommes de s'approcher tous les jours de la com- munion. Et véritablement s'il était plus utile de communier tous les jours, tout au moins les fon- dateurs d'ordres religieux, tels que saint Bruno, saint Dominique, saint François et les autres, qui étaient conduits par l'Esprit de Dieu et qui avaient un grand zèle pour les religieux voués à Dieu dans leurs Ordres, auraient fait quelque règle ou con- sacré quelque article à la communion quotidienne et l'eussent fait approuver par le Saint-Siège. Or ils se sont contentés d'obliger leurs religieux à communier les uns une fois par mois, les autres une fois par semaine ; ce qui est une marque assez évidente qu'ils n'ont pas jugé la chose con-
I. D. Thom. q. 80, art. 10 : « Non est utile omnibus « quotidie accipere. »
DES SACREMENTS 333
venablc même aux personnes religieuses, à plus forte raison à celles qui vivent dans le monde. De plus la même raison qui prouve qu'il serait plus utile de communier chaque jour, prouve qu'il serait aussi plus utile de communier plusieurs foisle jour. Or c'est une chose que l'Eglise ne permet pas, parce qu'il s'ensuivrait de là un notable mépris de ce sacrement. Il est vraisemblable que le même inconvénient se produirait bientôt, si la communion quotidienne était en usage indifféremment parmi toutes sortes de personnes, car à cause de la cor- ruption de la nature humaine, il n'y a rien de saint qui ne devienne moins respecté, par suite d'un trop commun usage (i). Or il est à considé- rer que l'Eglise a de tout temps été fort exacte à supprimer les coutumes qui semblaient préjudi- cier au grand respect dû à ce sacrement, alors même que de telles coutumes paraissaient utiles pour l'augmentation de la grâce parmi les chré- tiens. Ainsi a été abolie la coutume de verser dans la bouche d'un enfant nouvellement baptisé quel- ques gouttes du sang de Jésus-Christ, qu'on lui faisait prendre, parce qu'il n'était pas capable d'avaler l'hostie (2). Ainsi en est-il de la coutume de donner aux enfants de deux ou trois ans les restes du pain consacré ou des hosties, pourvu qu'ils fussent à jeun (3). Pour la même raison la coupe a été supprimée aux laïques, car il y avait danger de répandre le sang. Egalement la coutume
1. Joan. Carmel. Relect. de arteviv. spir. p. 3, c. 4.
2. Bellarm. 1. 4. De sacram. Eiich. c, 16.
3. Nicephorus, Hist. écoles. 1. 17, c. 2^.
0J4 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
qu'avaient les chrétiens d'emporter l'Eucharistie dans leurs maisons pour se l'administrer eux- mêmes a été supprimée (i). Or il en serait de même de la communion, si elle était journalière. Comme la trop grande familiarité engendre le mépris, Jésus-Christ serait traité avec moins de respect par plusieurs. Et quand bien même quel- ques particuliers se comporteraient convenable- ment, néanmoins l'Eglise le désapprouverait. Car sollicitée par deux grands désirs : l'un de conserver à Jésus-Chsist tous ses droits et toutes les préro- gatives d'honneur et de respect qui lui sont dues ; l'autre de voir les chrétiens abonder en grâce, si elle voyait que ces choses fussent incompatibles, elle aimerait mieux conserver le droit qu'a Jésus- Christ d'être traité avec respect, que de voir les chrétiens abonder en certains degrés de grâce, qui ne leur seraient pas absolument nécessaires pour le salut. C'est ainsi qu'elle en a usé dans la sup- pression de la coupe et dans la défense de donner ce sacrement aux enfants, ou de l'emporter chacun dans sa maison. En effet il importe davantage de sauvegarder le respect dû à Jésus-Christ, que de procurer aux chrétiens une grâce surabondante et non nécessaire au salut, d'autant plus que si Jésus- Christ était traité irrévéremment, la peine en re- tomberait sur la plupart des chrétiens, qui croyant s'enrichir d'un côté, s'appauvriraient d'un autre et tomberaient dans la disgrâce ds leur Dieu, pour ne pas lui rendre le respect et l'amour qu'il méri- terait et devrait recevoir.
I. In Concil. Basilien.St Basilius, epist. ad Cœsariam Patritiam,
DES SACREMENTS 335
Si quelqu'un objecte que ces considérations n'ont pas empêché les premiers chrétiens de communier tous les jours, la réponse est facile. Cette coutume n'était pratiquée que par les chrétiens de Jéru- salem et d'Alexandrie, qui étaient d'une très haute sainteté, comme étant prêts tous les jours au martyre et à mourir pour Jésus-Christ, et dès lors le manque de respect envers Jésus-Christ n'était pas à craindre. Mais leur exemple ne prouve rien pour les chrétiens de ce temps, qui ont à peine l'ombre de leurs vertus. Ce serait bien s'ils étaient aussi saints aujourd'hui qu'alors. C'est pourquoi le Docteur séraphique (i) traitant cette question la tranche ainsi : Il faut dire que si quelqu'un constate qu'il est dans un état sembla- ble à celui des chrétiens de la primitive Eglise, il est à louer, s'il communie tous les jours ; s'il est dans Tétat de l'Eglise finissante, à savoir froid et languissant, qu'il communie rarement ; s'il est entre les deux, il doit s'abstenir quelquefois de communier, afin d'apprendre le respect dû à ce sacrement, et -il doit quelquefois s'en approcher, pour apprendre l'amour, car à un tel hôte nous devons l'honneur et l'amour (2).
D'où il faut conclure que le respect dû à Jésus- Christ, ne pouvant se conserver dans l'état de nature déchue, où la familiarité cause souvent le mépris, la communion quotidienne ne peut être
1. L. 4, Sent. dist. 12, art. 2, q. 2.
2. « Oicia tali hospiti debeiur îwnor , debetiir et « amor. »
336 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
conseillée indistinctement à toutes sortes de per- sonnes.
J'apprendrai par cette conclusion combien est. important le respect dû à Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement de l'autel, de la part de tous les fidèles, puisque à cause de ce respect il vaut mieux qu'ils se privent pendant plusieurs jours d'un moyen qui augmenterait probablement leur grâce et ensuite leur gloire. O respect dû à Jésus- Christ, que vous devez être bien pesé et mûre- ment considéré par les hommes ! O Jésus-Christ, mon Seigneur, soyez donc à jamais béni, adoré et glorifié comme vous le méritez, dans le Saint- Sacrement. Si pour ce motif nous devons accepter la privation de quelque degré de plus de grâce et de gloire, à combien plus forte raison nous de- vrions nous priver des grandeurs et des biens de la terre, pour maintenir votre honneur et le culte de latrie qui vous appartient ! O Seigneur très adorable, que n'avons-nous donc les sentiments que nous devrions avoir de votre souveraine grandeur, de votre bonté immense et de votre amour incomparable? Oh! il est juste. Roi de majesté, que, par respect, l'Eglise s'anéantisse en votre sainte présence, et que toutes les âmes vous adorent. Oh ! je m'unis de cœur et d'affection à toutes celles qui reconnaissent votre grandeur en vous adorant. Oh ! si je pouvais, moi seul, vous adorer aussi profondément qu'elles vous adorent toutes ensemble !
DES SACREMENTS SBy
III
Considérez quelle doit être la règle qu'il faut observer pour la communion fréquente. Cette règle est difficile à établir pour tous les cas ; il faut peser les circonstances pour l'établir prudemment. Néanmoins si tous les confesseurs et directeurs de conscience avaient les mêmes sentiments touchant le grand respect dû au sacrement et l'utilité des âmes, toutes choses mûrement pesées, il suffirait d'assigner pour règle de la fréquente communion la prudence du confesseur. Mais tous ne sont pas d'accord sur ce sujet controversé, sur lequel nous avons écrit autre part plusieurs choses que nous ne voulons pas répéter (i). De plus, il n'est nullement ici question de ceux qui demeurent dans l'affec- tion au péché mortel ou dans l'occasion prochaine de le commettre, alors qu'ils pourraient l'éviter. De telles personnes ne doivent s'approcher de cette table qu'après une véritable conversion. Il n'est pas question davantage des religieux qui ne peu- vent mieux faire que de suivre sur ce point leurs règles et leurs constitutions, sans vouloir se sin- gulariser et troubler l'ordre de leur communauté.
Nous parlons donc des autres chrétiens et nous disons qu'il serait à souhaiter, en tenant compte du prudent et sage avis du confesseur, qu'il ne faut jamais négliger, que le temps ordinaire de leurs communions fût de huit jours en huit jours, ou de mois en mois, selon les occupations des per- sonnes et le bon désir qu'elles auraient de la communion. Ce temps, en effet, semble être celui
I. In Examine pœnii. quœsito 98, edit. 2 et 3. Bail, t. ix. »3
338 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
qui convient pour sauvegarder à la fois le respect et l'amour dus au Saint-Sacrement, comme aussi pour s'y disposer suffisamment eu égard à l'infir- mité humaine. Il semble peu utile de différer davantage la communion pour les âmes qui en ont un bon désir. Car comme la privation de la sainte communion n'est pas un être réel et positif, mais un défaut d'être, comme elle n'est pas un acte de vertu, on ne voit pas bien à quoi ce non-être ou cette privation pourrait être élevée pour devenir utile au salut des âmes (i). Si quelques supérieurs veulent l'imposer pour mortifier leurs inférieurs, en les privant du bien qu'ils désirent, ils devraient penser que ce n'est pas une bonne mortification de priver une âme d'un grand bien ou d'une grande vertu qu'elle désire, mais plutôt de la priver du mal ou de la chose inutile qu'elle désirerait. Or la communion n'est pas un mal, ni une chose inu- tile, mais elle est un très grand bien, dont Sainte Claire (2) disait, quand elle l'avait reçue, que Dieu lui avait fait le plus grand bien du monde. En conséquence quelques Docteurs estiment que la privation de la sainte communion n'est pas un objet légitime de mortification, pour qu'on puisse l'im- poser, sans autre dessein que de faire accomplir un acte de mortification. C'est pourquoi l'inten- tion que l'on devrait avoir en différant la commu- nion à quelques-uns, devrait être ou de les obliger à penser plus sérieusement à corriger leurs habi- tudes vicieuses, — car le délai de la communion
1, Joan. Sanchius in Selectis, disp. 33, n. 21.
2. Refert Vuadingus, in Annal, min, t. 2. anno 1251.
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pour quelques jours seulement, fait souvent ren- trer une àme en soi-même de manière à mériter par son amendement à être admise de nouveau à la participation de TEucharistie, — ou de leur donner du temps pour se préparer suffisamment à la recevoir comme il convient. Or comme il y a peu de personnes, si on en excepte celles qui con- servent la volonté et l'occasion de pécher, à qui huit jours ou un mois ne soient suffisants pour songer à s'amender ou à se préparer, en supposant qu'elles en aient le désir, il n'est pas utile d'im- poser un plus long retard. A cela se rapporte ce que nous lisons sur Sainte Gertrude (i). Etant un jour en prières pour une certaine vierge de sa Con- grégation, qui poussée par un zèle sévère, rendait les autres sœurs craintives et les éloignait de la fréquente communion, qui pouvait être d'une ou deux fois par semaine, elle entendit Notre-Seigneur lai dire : puisque mes délices sont d'être avec les enfants des hommes et qu'à cause de ma souve- raine charité, j'ai laissé ce sacrement à mes fidè- les qui le recevraient en mémoire de moi, puisque je veux demeurer avec eux par ce sacrement jus- qu'à la fin du monde, quiconque par parole ou par insinuation détourne quelques-uns de ceux qui sont exempts de péché mortel de me recevoir, celui-là empêche et interrompt d'une certaine manière mes délices, que je pourrais goûter avec
I. L. 3. Divin, insin. c. 78. — Blosius in Monili spir. c. 6, edit. Antuerp. an. 1564 et Paris, an. 1622, in qui- biis non est : Sed communicat digne, ut citât Perliniis in Sacro convivio. (Note de l'auteur).
340 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
eux(i). Il est semblable à un certain précepteur de fils de roi, qui sous prétexte qu'il serait plus convenable pour son élève d'être traité en roi qae de jouer à la balle avec quelques pauvres garçons de son âge, dans la compagnie desquels il se plai- rait beaucoup, les repousserait rudement loin de son élève. Toutefois, ajouta Dieu, si quelqu'un se proposait de se corriger à l'avenir de cette sévérité, non seulement je lui pardonnerais, mais ce chan- gement me serait aussi agréable que le serait au fils de ce roi, la détermination de son précepteur qui, rassénérant son front et son visage, lui ramè- nerait ses bien-aimés compagnons pour jouer avec lui. Si on veut raisonner en alléguant la parité de raison pour un retard de quelques mois et un re- tard de quelques jours, ce serait admissible pour qui considère les choses physiquement et non moralement, comme ici où ce qui est peu est con- sidéré comme n'étant rien. C'est pourquoi la pru- dence et la fidélité à Dieu, que doit observer le confesseur, qui est « le fidèle et prudent dispen- n sateur que Dieu a établi sur sa famille, pour « donner en son temps la mesure de froment aux « serviteurs ». (Luc, 12), cette prudence, dis-je, et cette fidélité ne consistent pas à trop exagérer les dispositions requises pour la sainte commu- nion, ni à exercer un empire absolu sur certaines âmes simples qui s'accusent de leurs péchés et proposent de s'en amender, en les privant pendant plusieurs mois du souverain bien, à la réception
I. « Is quodammodo impedit et interrumpit delicias m eus ».
DES SACREMENTS :>.\l
duquel il devrait les exciter, au lieu de les détourner sous prétexte d'un plus grand respect. Supporte- raient-ils qu'on exerçât sur eux un tel empire et qu'on les privât de célébrer pendant plusieurs semaines, malgré leur dévotion ? Ils allégueraient aussitôt Saint Paul qui dit : « Que Thomme « s éprouve lui-même^ et^ qu ainsi éprouvé, il « mange ce pain » (i Cor. ii) ; c'est-à-dire qu'il se confesse et qu'après il communie ; car Saint Paul ne déclare pas seulement que la confession est requise pour ne point faire de sacrilège, mais aussi qu'après la confession on peut librement communier ; « et^ qu^ ainsi éprouvé par la confes- « sion, il mange de ce pain ». Par conséquent, cette prudence et cette fidélité consistent plutôt à sevrer de la communion les endurcis et les obsti- nés, qui se confessent sans volonté ferme de s'amender, ou sans quitter l'occasion du péché mortel, ainsi que l'Eglise excommunie et prive des sacrements les pécheurs obstinés, aussi longtemps que dure leur obstination. Cette prudence et cette fidélité consistent à la défendre à ceux qui retien- nent le bien d'autrui, sans le restituer, quoiqu'ils puissent le faire, à ceux qui nourrissent l'esprit de vengeance et à quiconque est incapable de l'absolution. Quant aux autres qui ont l'esprit soumis et contrit, qu'est-il besoin d'être plus sévère à leur endroit que Jésus-Christ même ? Ne s'est-il pas mis dans l'Eucharistie pour se donner libéralement sous le voile des accidents, comme gage et comme preuve de la volonté qu'il a de se donner à voir face à face dans l'état de sa gloire ? Si bien que c'est même fidélité et prudence de
342 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
conseiller à certains chrétiens de communier plu- sieurs fois la semaine, parce que leur vie dans le monde n'est pas moins pure que celle de plusieurs autres dans l'état religieux. On ne peut donc donner au sujet de la fréquente communion une règle telle qu'elle puisse être universelle et s'ap- pliquer à tout le monde (i).
I, De nos jours, les moralistes et les auteurs qui trai- tent de la vie spirituelle insistent beaucoup moins sur le respect auquel une communion fréquente pourrait nuire, et beaucoup plus sur la nécessité de commu- nier, pour résister à la violence des passions ; ils prou- vent par l'autorité des Pères que l'Eucharistie est beau- coup moins une récompense accordée à la vertu, qu'une arme de combat, i) S'agit-il de la communion tous les huit jours, qui n'est pas proprement une commu- nion fréquente, ils soutiennent avec Saint Liguori, qu'on peut la permettre aux personnes qui, étant en état de grâce, commettent des péchés véniels d'habi- tude ou avec préméditation ; parce qu'il n'existe au- cune loi qui défende de communier quand on con- serve l'affection au péché véniel et que cette affection, comme l'enseigne Saint Thomas (Sum. theol, m. p. q. 79, art. 8), n'empêche pas le sacrement de produire dans l'âme un accroissement de grâce et de charité habituelle. 2) S'agit-il de la communion que Saint Liguori et les autres appellent communément la com- munion fréquente, c'est-à-dire de celle qui a lieu plu- sieurs fois la semaine, on peut la conseiller aux chré- tiens qui, quoique faibles et commettant même de loin en loin quelques fautes de propos délibéré, ont le désir de remplir de leur mieux leurs devoirs de bons chré- tiens. 3) Pour ce qui est de la communion quotidienne on doit la permettre à tous ceux qui ont vaincu leurs
DES SACREMENTS 343
Inspirez donc, ô mon Dieu, inspirez à tous les fidèles de s'approcher plus souvent de votre trône sacré et de vos autels, afin qu'ils aient le bonheur de vous y posséder plus souvent et d'y goûter spirituellement la douceur dans sa source. Vous êtes, ô Jésus, vous êtes dans cet auguste sacre- ment, tout l'honneur, toutes les délices, toutes les richesses du monde et sans vous tout est pauvre ici-bas. Vous y êtes l'unique refuge, la consola- tion, l'asile de toutes les âmes affligées ; vous y êtes la paix et la paix profonde des âmes que le trouble agite. Vous y donnez toutes les consola- tions et toutes les instructions nécessaires aux âmes, et devant vous on se sent tout remis de ses plus grandes angoisses et tout apaisé. Oh ! malheu- reux ceux qui se privent si longtemps de vous ! Oh ! malheureux ceux qui autorisent cette cruelle privation ! O Seigneur, inspirez aux pasteurs et aux prêtres de votre Eglise de suivre toujours votre esprit, esprit de douceur et de toute bonté, afin que, grâce à une entente commune, la sainte com- munion soit plus fréquente dans l'Eglise.
passions et qui ne conservant aucune affection au péché véniel, s'efforcent de tendre à la perfection. (Saint Alphonse de Liguori^ Praxis confessarii, n. 149, 150, 153, 130).
344 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XVir MÉDITATION
DU SACRIFICE DE L'EUCHARISTIE
SOMMAIRE
La consécration du pain et du vin est le véritable sacrifice de la loi chrétienne. — Nécessité d'avoir un tel sacrifice dans lequel la victime soit Jésus-Christ. — Efficacité du sacrifice de V Eucharistie pour obtenir un grand nombre de biens.
I
CONSIDÉREZ que la consécration du pain et du vin par la vertu des paroles sacramentelles : « Ceci est mon corps, etc. », est le véritable sacri- fice de la religion chrétienne. Pour comprendre cette vérité, il faut premièrement supposer que toute religion vraie doit avoir un sacrifice, parce que la religion n'a d'autre but que d'honorer et de reconnaître Dieu d'une façon très pure et très sainte ; or Dieu n'est jamais mieux honoré et reconnu dans sa grandeur que par le sacrifice. C'est pourquoi la loi de nature et la loi de Moïse ont eu leur sacrifice, et tous les hommes l'ont es- timé si intime et si essentiel à la religion, qu'à mesure qu'ils se sont créé quelque nouvelle reli- gion, ils y ont toujours mis quelque sacrifice, comme si elle ne pouvait subsister autrement. Si bien que Saint Paul a jugé que l'union entre l'un
DES SACREMENTS S.jB
et Tautre est absolument indissoluble : « // est « nécessaire^ dh-W^que le sacerdoce étant changé^ « et par conséquent le sacrifice, la loi, c'est-à-dire « la religion, soit aussi changée. » (Héb. 7). En effet le sacrifice est une oblation externe et publi- que faite à Dieu en son honneur et en reconnais- sance de son domaine suprême, par un prêtre légitime, avec changement et destruction de la chose qui est offerte. Afin de prévenir les scandales et les manières différentes d'honorer Dieu, il faut que le sacrifice soit ordonné par l'autorité publique, ni plus ni moins que les lois qui gouvernent les hommes. C'est pourquoi le sacrifice est une obla- tion publique, qui ne dépend pas de la volonté ni de l'humeur de chaque particulier. C'est aussi une oblation extérieure, parce qu'elle a pour but de témoigner et de faire paraître la souveraine excel- lence de Dieu, sa puissance et sa grandeur infinie, surtout cette grandeur infinie par laquelle il l'em- porte sur tous les êtres, qui ne sont qu'un pur néant auprès de lui et par laquelle il a le pouvoir de vie et de mort. C'est pour indiquer ce pouvoir, que la chose qui lui est offerte en sacrifice, est transformée ou détruite, afin de dire tacitement que la créature n'est rien devant lui, et c'est en cela que le sacrifice se distingue de la simple offrande faite à Dieu d'une chose, mais sans chan- gement ni destruction, comme si quelqu'un don- nait à l'Eglise quelque somme d'argent, quelque tableau ou quelque vase précieux. Enfin cette oblation doit être faite par un prêtre légitime; car, dit Saint Paul, « personne ne doit s'arroger cet « honneur^ mais celui qui est appelé de Dieu
346 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« comme Aar on. » (Hébr. 5). Le sacrifice étant en effet un acte public de religion, il doit se faire par une personne publique, qui ait pouvoir et auto- rité.
Or ces conditions qui appartiennent au sacrifice, se rencontrent dans la consécration du pain et du vin, lorsqu'à la sainte messe le prêtre profère les paroles sacramentelles, car il fait alors une obla- tion externe à cause des paroles qu'il profère, et en même temps une oblation publique, car elle est ordonnée par Jésus-Christ, qui en a donné l'exem- ple et le précepte dans la dernière cène de l'agneau pascal, suivant le sens que les Pères (i) ont attribué à ces paroles : « Faites ceci en mémoire de moi. » (Matt. 26 ; Luc, 22.) La chose qui est offerte est le corps et le sang de Jésus-Christ, qui se rendent présents au moment où sont prononcées les paro- les ; de plus le prêtre a l'intention de l'offrir à Dieu, pour rendre hommage à son domaine absolu et à sa grandeur suprême. Voilà pourquoi Jésus- Christ, l'être le plus grand et le plus noble du monde, y est réduit comme au néant, car il n'y est que sous des espèces mortes et dans l'état d'humiliation le plus inouï, et cela pour donner un plus vif sentiment de la grandeur divine, pour laquelle il se réduit à une forme si abjecte aux yeux des sens et à une manière d'être si différente de celle qu'il a dans le ciel où il règne. Les Pères con-
I. D. Dionys. De ecclesi. hierar. c. 3 ; Cyprian. epist. 63, ait: « Et sacriflcium Patri primus ohtulit et hoc fieri in sut commemorationem prcBcepit. »
DES SACREMENTS 847
firment cette vérité, entre autres saint Irénée (i)qui s'exprime ainsi : Jésus-Christ, en disant : « Ceci est mon corps^ etc. », nous a fait connaître quelle serait Toblation du Nouveau Testament, et cette oblation que TEglise a reçue des apôtres, elle la présente à tout le monde. Saint Irénée interprète ensuite dans ce même sens ce que dit le prophète Malachie : « Depuis V Orient jusqu'à F Occident, « on m'offre une oblation ptire, on sacrifie en « mon honneur en tout lieu, car mon nom est « grand parmi les Gentils. » (Malach. i).
Déplorez l'aveuglement des hérétiques de ce temps, qui veulent abolir le sacrifice de l'Eglise, et empêcher ainsi qu'on honore Dieu. Ne sont-ils pas pires que les nations du monde les plus barba- res, qui éclairées de la seule lumière de la nature, ont toujours estimé qu'il fallait honorer la divinité par des sacrifices extérieurs. Ils sont pires que Caïn, qui n'eut pas l'àme assez dépravée pour se refuser absolument à rendre à Dieu ce devoir : « Nous avons un autel, dit saint Paul, dont ceux « qui servent au tabernacle n'ont pas le droit de « manger. » (Héb. i3). Cet autel ne s'entend pas de la croix, dont le fruit est commun aux Juifs et aux Gentils, mais il s'entend de l'autel des églises de Jésus-Christ, où est offert à Dieu le sacrifice de son corps et de son sang précieux. Rendez grâces à Dieu d'être dans une religion où il y a un autel, comme il y en avait au temps de saint Paul, et un sacrifice, pour y honorer la grandeur de Dieu. Concevez de grandes espérances de cet au-
I. L. 4, c. 32.
348 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
tel et de ce sacrifice si noble et si excellent que Jésus-Christ en est lui-même la victime.
II
Considérez combien nous était nécessaire un tel sacrifice dont Jésus-Christ fut lui-même la victime et la chose offerte en sacrifice. Quatre choses in- finies exigeaient un sacrifice qui fut d'une valeur et d'une excellence infinie, à savoir: Dieu qui est infini en perfection, le péché qui est infini en malice, la peine due au péché qui est encore infinie en durée, parce qu'elle est éternelle et qu'elle ne doit jamais finir, et enfin les biens de Dieu qui sont encore infinis ; ces biens sont infinis, en effet, en tant qu'ils aboutissent tous à une gloire infinie en durée d'abord et puis à une gloire éternelle et infi- nie au point de vue de son objet qui est Dieu même, Dieu qui offre dans cette gloire la posses- sion et la jouissance de lui-même (1). Ces quatre choses demandaient un sacrifice ayant une victime d'une valeur infinie, tel que celui de la messe, dans lequel Jésus-Christ infiniment noble et ex- cellent, tient lieu de victime. En effet la grandeur infinie de Dieu mérite d'être honorée infiniment, et elle requiert pour cela qu'un sacrifice d'une va- leur infinie lui soit offert. Le péché, offense faite à Dieu, a une malice infinie, et, à ce titre, il demande un sacrifice d'une bonté infinie, afin que la malice soit compensée exactement par la bonté. Il en est de même de la peine due pour le péché ; cette
I. Dupont, au traité du sacrifice de la messe^ c. i, parag. s.
DES SACREMENTS 849
peine étant d'une durée infinie, requiert une infi- nité dans le sacrifice propitiatoire, qui doit la con- trebalancer. Enfin les bienfaits de Dieu sont infinis; donc le remercîment pour ces bienfaits doit être infini, et par suite le sacrifice que l'on offre à Dieu en action de grâces. Or comme toutes les créatu- res sont bornées dans leurs perfections et que Jésus-Christ est infini, parce que sa nature humaine est unie à la personne du Verbe, nous avions besoin d'un tel sacrifice, dont lui-même fut la vic- time.
De plus on peut considérer que Jésus-Christ est chargé de trois offices spirituels qui ont pour but de procurer notre salut ; à savoir de l'office de prêtre, de celui d'avocat et de celui de médecin. Or pour pouvoir exercer ces divers offices, il doit être présent dans le sacrifice de la loi chrétienne (i). Car comme prêtre, il doit consacrer, appliquer à Dieu et sanctifier les âmes en personne et par son propre ministère. C'est pourquoi comme le sacrifice de la messe a pour but la sanctification des âmes, il lui appartient d'y être présent pour y exercer fidèlement et par lui-même son office sacerdotal. Dans le sacrifice il faut encore traiter la cause et les affaires du peuple que l'on doit mettre dans l'amitié de Dieu et pour qui on doit obtenir les biens qui lui sont nécessaires. Or le bon avocat doit être présent en personne, pour plaider utilement la cause de son client et pour intercéder pour lui. Ainsi il était convenable que Jésus-Christ, le très fidèle avocat des hommes,
I. Guillel. Paris. De sacra. Euçh, c. 2.
35o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
auprès du Père éternel, intervint ici et fut pré- sent au sacrifice. Egalement le bon médecin doit visiter en personne son malade, quand Tintirmité le presse et qu'il est besoin de lui donner des mé- dicaments ; or le sacrifice est un médicament pré- cieux pour traiter les maladies spirituelles des âmes, soit pour les guérir, soit pour les prévenir. Jésus-Christ donc, médecin très charitable et très passionné pour leur santé et leur bon état intérieur, les visite par lui-même dans le sacrifice.
De plus, S'il n'}'- était présent, les mains des prêtres seraient vides ; car quand bien même les hommes offriraient à Dieu toutes les richesses et tous les trésors de la terre, ils n'offriraient rien en réalité, parce que toutes ces choses sont comme un néant devant lui et qu'il n'estime que son Fils unique, Jésus-Christ, l'héritier de ses grandeurs, pour qui toutes choses ont été créées. De là vient qu'il est toute l'opulence et tout l'ornement des temples et des églises, qui seraient pauvres sans sa présence.
Admirez et louez hautement les desseins de Dieu et sa suprême providence, dans ce grand et inestimable sacrifice. Réjouissez-vous que, par la dignité infinie de ce sacrifice, Dieu soit honoré en proportion de sa grandeur, remercié en propor- tion de ses bienfaits, et qu'il reçoive une satisfac- tion proportionnée à Tinjure que lui a faite le péché. Félicitez Jésus-Christ par qui ces choses si grandes et si merveilleuses sont accomplies. Re- connaissez la bonté et la fidélité de son amour à votre égard : il se rend présent en personne pour vous consacrer et vous sanctifier comme prêtre,
DES SACREMENTS • .'•DI
pour traiter vos affaires et défendre votre cause comme avocat, pour vous panser soigneuse- ment comme un médecin, et pour vous enrichir de biens, comme étant le trésor de tous les biens. O ma gloire souveraine, ô admirable Sauveur ! Que faites-vous pour une chétive créature ? et que pourrai-je vous rendre en échange de ces biens? Certes je vous offre ce que j'ai de plus précieux en moi, je vous sacrilie mon cœur et toutes mes affec- tions. Pour ce motif j'ai résolu de travailler plus fidèlement à me dompter moi-même et à mettre un frein à mes passions trop licencieuses.
III
Considérez Teiïicacité du sacrifice eucharistique pour obtenir plusieurs biens spirituels et tem- porels. En effet par ce sacrificice on obtient un certain nombre de lumières et de pieux mouve- ments, un certain nombre d'illuminations et d'ins- pirations, tant pour faire croître ceux-là en grâce et en vertu que pour faire sortir ceux-ci du miséra- ble état de leurs péchés, si les uns et les autres n'}' mettent aucun obstacle, mais y contribuent pour leur part et correspondent à ces faveurs en se portant à la réception des sacrements et aux bonnes actions auxquelles ces sacrements leur ins- pirent par leur vertu de se porter. On obtient également plusieurs biens temporels, selon qu'il plaît à la divine Providence de les donner, en re- tour de l'oblation qui lui est faite de ce très saint sacrifice. Le Concile de Trente (ij donne ces vé-
1. SeSS. 22, c. 2,
352 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
rites à entendre, quand il enseigne que Dieu étant apaisé par ce sacrifice, accorde le don de pénitence, et que ce sacrifice s'offre pour les peines et pour les péchés et aussi pour d'autres nécessi- tés. En réalité un puissant moyen d'obtenir quel- que bien d'une personne, c'est de lui offrir quel- que chose de précieux et qui lui soit agréable. Or dans ce sacrifice on offre à Dieu quelque chose qui lui est plus cher et plus précieux que tout l'or et que toutes les richesses du monde, celui de qui lui-même a dit : « C'est mon Fils bien-aimé^ « en qui fat mis toutes mes complaisances, yy (Matt. 17). Et par conséquent il accordera volon- tiers les justes demandes qui lui seront faites, en considération de cette riche oblaîion. C'est en effet une chose naturelle d'exaucer les prières pour l'amour d'un fils ; les curieux en histoire ont re- marqué que les peuples Molossiens n'étaient jamais éconduits par leur roi, quand ils se met- taient à genoux devant lui, tenant entre leurs bras un de ses enfants. Si Dieu a donné cette inclination aux hommes, il la garde aussi en lui- même; et pour l'amour de son Fils qui lui est offert, il se rend libéral et magnifique, autant qu'il est convenable de l'être, eu égard aux besoins et aux capacités des personnes, pour qui le sacri- fice lui est offert. Dans l'ancienne Loi les sacrifices étaient impétratoires des grâces et des faveurs divines, comme il appert par celui qui fut offert à Dieu au temps du roi David, pour détourner le fléau de la peste et par celui du pontife Onias pour la vie du misérable Héliodore. (II. Rois, 24 — II. Mach. 3). Or le sacrifice de l'Eucharistie qui
DES SACREMENTS 353
surpasse en vertu et en excellence tous les autres n'a pas moins d'etHcacité. De là vient que, d'après les messes et les liturgies, le prêtre olîre son sa- crifice pour le salut des âmes et même pour des biens passagers, comme aussi pour la délivrance de plusieurs misères temporelles. Il l'offre pour la paix de toutes les églises, pour la tranquillité du monde, pour les rois, pour les soldats, pour les associés, pour les malades, pour les affligés et en somme pour tous ceux qui ont besoin d'être se- courus. Saint Augustin (i) rapporte qu'une maison fut délivrée des esprits dont elle était infectée, dès que le prêtre y eût offert le saint sacrifice de la messe. Le vénérable Bède (2) raconte que le sacrifice ayant été offert pour un homme réduit en captivité dans un pays étranger, à l'heure même ses liens se rompirent. L'expérience met sous nos yeux mille autres effets de ce sacrifice, qui sont une preuve indubitable de sa puissante vertu, et dès lors si quelqu'un n'en retire pas ce qu'il en attendait, ce défaut ne vient pas de l'im- puissance de ce sacrifice. Il ne faut pas douter en effet que Notre-Seigneur Jésus-Christ, en tant qu'homme et en tant que prêtre et hostie tout en- semble, n'obtienne tout ce qu'il voudra de son Père très aimant et très miséricordieux, comme il le témoigne lui-même : « Mon Père, je « savais que vous m exauce^ toujours » et ailleurs : a. Il a été exaucé à cause de son res- « pect. y> (Jean, 1 1 — Héb. 5) (3). Mais il veut être
1. L. 21, De Civit. Dei, c. 8.
2. L. 4, Hist. angl. c. 22.
3. GuilleL Paris. De sacr. Eiich. c. 5.
Bail, t. ix. 25
354 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Utile à ceux qui offrent le sacrifice ou à ceux pour qui on Toffre, autant qu'il leur est expédient et autant qu'il les voit dignes et capables. C'est ainsi que le soleil n'illumine pas également tous les corps selon toute l'étendue de sa splendeur et que le feu ne les échauffe pas selon toute la force de sa chaleur, mais autant qu'ils sont préparés à recevoir soit la lumière, soit la chaleur. Pareille- ment Jésus-Christ n'opère pas dans le sacrement de l'autel selon toute la puissance de son crédit envers Dieu et selon toute l'excellence de ses mé- rites, mais souvent selon ce que méritent les prêtres qui sacrifient ou ceux pour qui ils sacri- fient, ou selon ce qu'il juge leur convenir ; car pesant tout avec une sagesse à laquelle rien n'est caché, il obtient pour ceux-ci et pour ceux-là ce qu'il estime être plus à propos.
Puisez dans cette considération une grande confiance dans le sacrifice de la messe, et ayez-y recours dans vos besoins temporels et spirituels, pour lesquels Jésus-Christ daigne s'emplo3Tr lui- même dans ce sacrifice. Si nos désirs ne se trou- vent pas toujours accomplis, n'attribuons jamais ce défaut au sacrifice, comme s'il manquait d'effi- cacité et de vertu, mais dans un esprit d'humilité et de résignation à la sagesse et au jugement di- vins, attribuons-le à notre incapacité et à notre indignité. Nous ne méritions pas que Jésus-Christ s'employât pour nous de tout son pouvoir et il n'a pas trouvé convenable, dans sa profonde sagesse, de demander pour nous ce que nous souhaitions. Ainsi si nous sommes exaucés dans ce sacrifice, nous en serons reconnaissants, et si nous ne le
DES SACREMENTS 355
sommes pas, nous nous humilierons et nous ado- rerons les jugements secrets de sa Providence, qui ne prenant pas sa loi des créatures, ordonne tout équitablement selon la grandeur d'un esprit intini.
XVIir MÉDITATION
JÉSUS-CHRIST POURSUIT
DANS CE SACRIFICE
LES TROIS DESSEINS QU'IL AVAIT
EN MOURANT SUR LA CROIX
SOMMAIRE :
Jésus-Christ poursuit dans ce sacrifice son triple dessein : i) d'honorer Dieu — 2) de le remercier — 3) d! apaiser sa colère.
I
CONSIDÉREZ que Jésus-Christ s'offrant sur l'arbre de la croix avait le dessein d'ho- norer Dieu, autant qu'il se peut imaginer, et qu'il poursuit encore le même dessein dans la sainte Eucharistie en s'y offrant en sacrifice par les mains du prêtre. Pour comprendre cette vérité, il faut se représenter que son àme sacrée se voyant comme infiniment chérie, favorisée et exaltée par
356 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Dieu à cause de son union avec la personne du Verbe, aima Dieu d'un amour excessif, d'un amour supérieur à celui des Séraphins et des Anges les plus enflammés. Poussée par cet amour ardent et indicible, elle désira passionnément avoir une belle occasion de lui rendre quelque service signalé, et de lui procurer la gloire la plus haute du monde, en l'honorant extrêmement. Or elle vit que le service qui lui serait le plus agréable, était de réparer son honneur outragé par le péché des hommes, en lui offrant à cet effet un sacrifice latreutique et en l'honorant par la destruction d'une victime qui eût une dignité infinie, et par laquelle il serait honoré comme à l'infini. Dieu en effet est d'autant plus honoré, que la victime offerte et consacrée à sa gloire est plus digne et plus précieuse, et comme il n'y avait dans le monde entier rien de plus digne et de plus pré- cieux que l'humanité déifiée, elle voulut par un excès d'amour, être elle-même la victime de ce sacrifice, s'offrir sur l'autel de la croix et y perdre la vie en versant son sang précieux, afin de faire à Dieu l'honneur le plus grand du monde. Et en effet jamais Dieu ne fut honoré autant que par Jésus-Christ se sacrifiant sur la croix, puisque l'honneur qu'il en reçoit absorbe et surpasse des millions d'injures que tous les péchés commis ou à commettre peuvent lui causer.
Mais le feu de l'amour ne s'arrêta pas là. L'hu- manité adorable de Jésus-Christ voulut honorer Dieu par un sacrifice latreutique, qui durât plus de trois heures, qui s'accomplît dans d'autres na- tions que le peuple juif et dans d'autres lieux que
DES SACREMENTS SSy
la montagne du Calvaire. C'est pourquoi par un généreux dessein elle institua le sacrifice latreu- tique de la sainte messe, où cette même humanité tiendrait lieu de victime sans effusion de sang, — Dieu ne désirant plus, à cause de l'indicible amour qu'il avait pour elle, que son sang coulât. — Ainsi Dieu serait honoré par un sacrifice qui durerait jusqu'à la fin du monde, qui se renouvellerait mille et mille fois par jour, non sur une montagne, mais dans tous les endroits du monde, dans tous les royaumes de la terre où il y a quelque prêtre qui offre ce sacrifice pour l'honneur de Dieu et en reconnaissance de sa Majesté infinie. Dieu souve- rain connaissant cet admirable dessein de son Verbe incarné et de l'âme très sainte qui est unie à son Fils par une union personnelle, appréciant aussi l'honneur qu'il recevrait de ce sacrifice et comme en respirant de loin la très suave odeur qu'il exhalait vers le ciel, ne prend plus plaisir aux sacrifices et aux holocaustes de la loi de Moïse, il lui tarde qu'ils soient abolis et que le temple de Jérusalem soit renversé : « Vous n'agrée^ pas^ « lui dit David, les holocaustes. » (Ps. Sg). Il s'exprime plus clairement par le prophète Mala- chie, il demande que l'on ferme la porte du tem- ple, que l'on n'entretienne plus le feu de son autel pour consumer les victimes, il fait sentir qu'il en a assez et qu'il ne les a plus pour agréables à cause de l'excellence du sacrifice de la nouvelle Loi. « Depuis V Orient jusqu'à V Occident mon « nom est grand parmi les nations ; en tout lieu « on sacrifie et on offre à m,on nom une oblation « pure, car mon nom est grand parmi les
' 1!
358 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« Gentils^ dit le Seigneur des armées. » (Mal. i). Arrêtez-vous et pesez bien ce grand dessein de Jésus-Christ, ainsi que Tamour indicible qu'il a eu en s'offrant sur la croix et en s'offrant sur les autels. Qui pourrait estimer dignement le courage et la magnanimité de cette âme adorable et in- comparablement plus aimable que toute chose créée ? O âme sacrée, qui aimez et honorez si grandement la divinité ! O divinité sublime si aimée et si honorée par cette âme bénie ! O Dieu infini, quelle immense joie c'est pour moi que vous ayez créé cette âme si noble, et qui vous a procuré tant d'honneur et de gloire ! Oh ! vive cette âme glorieuse ! Oh ! vive son dessein si gé- néreux ! Oh ! qu'il dure toujours son sacrifice ! O Dieu infini, que jamais la rage des infidèles ne puisse l'abolir! Oh ! que cet holocauste brûlé par les flammes de l'amour vous soit toujours agréable, qu'il soit toujours adorable et vénérable, aux yeux des Anges et des hommes ! Oh ! malheur aux hé- rétiques qui conduits par Satan, l'ennemi de la gloire de Dieu, s'efforcent de détruire une prati- que de seize siècles ! O Jésus, amateur de la divi- nité, je désire à votre exemple, me sacrifier, au- tant que je le pourrai, au service et à la gloire de Dieu ; et que je voudrais pouvoir le faire en tout temps et en tout lieu ! Oh ! exaucez mon désir pour l'extension de votre amour et de vos desseins glorieux, faites que j'en vienne à l'accomplisse- ment.
DES SACREMENTS SSg
II
Considérez que Jésus-Christ sur la croix avait encore le dessein "de remercier la divinité des grâces et des perfections très éminentes qu'il avait reçues dans son humanité, et qu'il poursuit le même dessein dans le sacrifice de la messe, où il se sacrifie lui-même pour la remercier continuelle- ment et en tous les endroits du monde, afin de lui témoigner partout et en tout temps, la grande reconnaissance qu'a son âme pour avoir été favo- risée et chérie infiniment au-dessus de tout ce qui est créé. L'humanité qui était parfaite en vertu, ne pouvait être ingrate et méconnaître que Dieu s'était donné à elle par une union personnelle, de la façon la plus intime et la plus sublime dont il peut se communiquer à une créature. Elle désira à son tour se donner et se consacrer à lui de la façon la plus parfaite dont une créature peut se donner, c'est-à-dire par le sacrifice ; par le sacri- fice en effet elle se détruit elle-même et se réduit au néant, autant que possible, pour faire paraître la grandeur infinie de Dieu par le contraste de son abaissement. Cette humanité sacrée ne connut pas de moyen plus parfait de remercier la divinité ; c'est pourquoi elle se porta au sacrifice sanglant de la croix sur laquelle elle a voulu mourir, et rendre sa vie à celui qui en était l'auteur. Le pro- phète royal nous représente Jésus-Christ souhai- tant la mort par un motif de gratitude et de reconnaissance, quand il lui fait dire ces paroles : « Que rendrai-Je au Seigneur pour tous les « biens qu'il m'a donnés? Je prendrai le calice
36o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« du salut. » (Ps. II 5). Je mqurrai pour sa gloire, puisqu'il m'a obligé de telle sorte, et je lui donne- rai ma vie en actions de grâces. « Mon hien-aimé « est à moi et je suis à lui. » (Gant. 2). Il s'est donné à moi et je me donne à lui.
Mais Jésus-Christ ne s'est pas contenté de ce remercîment, il a voulu qu'il fut perpétuel et connu du monde entier; c'est pourquoi il l'a per- pétué dans le saint sacrifice de l'autel, institué dans le même but. ^G'est aussi pour ce motif que ce sacrifice est appelé Eucharistie, c'est-à-dire bonne grâce ou bon remercîment, car Jésus-Christ y remercie son Père des biens qu'il a accordés à son humanité et à tous ses membres qui sont dans l'Eglise. De là vient que les Evangiles font men- tion expresse que, lorsqu'il institua ce mystère, il remerciait Dieu et lui rendait grâces : « // rendit (K grâces^ le rompit et le donna en disant., etc. » De plus, tandis que la version commune du psaume que nous venons de citer porte : « Que « rendrai-je au Seigneur pour tous les biens « qu'il m'a donnés"^ Je prendrai le calice du sa- « lut » ; au lieu de ce mot: a je prendrai », le texte hébreu porte, comme Ta remarqué un savant interprète (i) : « f élèverai le calice », pour nous donner manifestement à connaître la cérémonie qui se pratique à la messe où on élève le calice, et que cette cérémonie se fait comme remercîment et comme témoignage de reconnaissance. Aussi saint Augustin (2) dit: comment pourrions-nous rendre
I. Jansenius Gandavensis, in hune locum. 3. L. I, c. 18, Contra advers. leg. et prophet.
DHS SACREMENTS obl
à Dieu de plus grandes actions de grâces que par Notre Seigneur Jésus-Christ, dans le saint sacri- fice de la messe ? C'est ce que savent bien les fidèles. En effet, par ce sacrifice, nous sommes as- sez riches pour remercier Dieu du plus grand de ses bienfaits, je veux dire du don de son Fils uni- que, qu'il a livré pour nous à la mort et qu'il nous donne dans le Saint-Sacrement. Par ce sacri- fice nous lui rendons ce même Fils, et ainsi nous le remercions par une reconnaissance juste et égale au bienfait. Or si ce sacrifice est suffisant pour remercier Dieu de ce don inestimable, il le sera bien plus pour le remercier de ses autres fa- veurs et entre autres de celle qu'il nous fait, quand il nous rend vainqueurs de toutes nos passions et de tous les ennemis de notre salut. C'est pourquoi il fut figuré par le sacrifice de Melchisedech, qui en actions de grâces de la victoire qu'Abraham venait de remporter sur quatre rois, offrit en sa- crifice du pain et du vin ; « car, dit le texte sacré, « ïl était prêtre du Très-Haut. » (Gen. 14), et à ce titre il lui appartenait de sacrifier. Ainsi Jésus- Christ, << prêtre éternellement selon l'ordre de Mel- , chisédech y) (Ps. 109), offre ici admirablement le sacrifice de son corps et de son sang sous les es- pèces du pain et du vin, en action de grâces pour les victoires que remportent les fidèles contre leurs ennemis et pour toutes les autres grâces qui leur sont départies.
Constatons, d'après cette considération, combien c'est chose importante d'être reconnaissant envers Dieu, puisque Jésus-Christ fait des œuvres si étonnantes dans ce but. Que pouvons-nous avoir
302 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de meilleurdans notreesprit, dit saint Augustin (i), que pouvons-nous exprimer de meilleur par notre bouche ou écrire avec notre plume que ces mots : grâces à Dieu? On ne peut rien dire de plus court, rien entendre de plus joyeux, rien comprendre de plus grand, on ne peut rien faire plus fructueuse- ment. Détestons donc toute ingratitude et confor- mons nos pensées aux pensées sacrées de Jésus, qui nous procurant tous nos biens par un trait d'amour signalé, offre lui-même pour nous les remercîments de son sacrifice. Remercions Dieu tous les jours, par des cantiques de louange et par des hymnes de bénédiction, et donnons-nous tout à lui. Et puisque, quand bien même nous lui donnerions mille et mille fois notre âme et tout ce que nous avons, ce ne serait à peu près qu'un néant en face de sa majesté, offrons-lui de tout cœur, soit en di- sant la messe, soit en y assistant, en supplément de reconnaissance et de satisfaction, cet admira- ble sacrifice.
III
Considérez le troisième dessein de Jésus-Christ sur la croix ; ce fut d'apaiser Dieu pour les péchés du monde. Il poursuit ce même dessein dans le sacrifice de la messe, qui est propitiatoire pour la peine due aux péchés des hommes. Le disciple bien-aimé affirme la première partie de notre considération, quand il dit au Fils de Dieu : « // « est la victime de propitiation pour nos péchés^ « et non seulement pour les nôtres^ mais aussi
I. E]pist. "jT, Deo grattas.
DES SACREMENTS 363
« pour ceux du monde entier. » (Jean, 2). En se sacrifiant sur Tautel de la croix il demanda pardon à Dieu au nom de tous les hommes par autant de bouches et de voix qu'il avait de plaies sur tout son corps et qu'il versa de gouttes de sang, il le supplia avec de grands soupirs, avec des sanglots et des larmes dans les yeux, d'avoir pitié d'eux. Tel fut l'effet de son sacrifice que Dieu voulut à l'avenir et pour ce motif, offrir des moj'ens de salut à tous les hommes, afin de les réconcilier avec lui effectivement, s'ils se les appliquaient et en faisaient bon usage. Ces moj'ens sont en pre- mier lieu les grâces sanctifiantes, la foi, les sacre- ments, les œuvres saintes et le sacrifice de la messe.
Mais comme « sa Rédemption est abondante » et surabondante, selon ce que dit le prophète (Ps. 129), et comme il a voulu satisfaire à la justice divine avec excès ; ce qu'il fit sur la croix, il continue de le faire sur les autels, où il se sacrifie pour rendre Dieu propice aux hommes coupables. C'est pourquoi à la messe, disait l'apôtre saint Jacques (i), on supplie Dieu d'accepter l'oblation comme propitiation pour les péchés et les igno. rances du peuple. Dans la messe de saint Basile on lit ces mots : rendez-nous dignes de vous offrir ce sacrifice vénérable et non sanglant pour nos péchés et pour les ignorances du peuple. Dans celle de saint Jean Chrysostome nous lisons : rendez-nous aptes à vous offrir des sacrifices pour nos péchés et pour les ignorances du peuple. Et
I. In Bibliot. Patrum.
364 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dans le canon de notre messe, telle que nous le disons aujourd'hui, nous déclarons que nous offrons ce sacrifice pour la rédemption de nos âmes, et nous prions qu'il soit l'ablution de nos fauter, (i). On peut remarquer en passant la mention qu'on y fait de l'ignorance du peuple, soit parce que c'est une chose intolérable pour des hommes apostoliques de voir si peu d'instruc- tion dans le peuple chrétien, soit afin d'imiter Jésus-Christ qui, priant sur la croix pour ses ennemis, alléguait leur ignorance : « Pardonne^- « leur^ ils ne savent ce qu'ils 'font. » (Luc, 23). Or la raison pour laquelle se sacrifice est pro- pitiatoire, c'est qu'il honore Dieu; car celui qui a été blessé dans son honneur, s'apaise quand son honneur est réparé. Egalement Dieu y est remer- cié pour ses bienfaits et rien n'a autant de pouvoir pour apaiser une personne que de lui témoigner de la reconnaissance ; c'est pourquoi, puisque le sacrifice de la messe est latreutique et eucharis- tique, il ne faut pas s'étonner qu'il soit encore propitiatoire et réconciliant. Tu demandes, dit un philosophe païen (2), comment tu te feras bientôt un ami, le voici : ce sera si nous nous accordons sur ce point que je te rende sur le champ ce que je te dois.
Tout ce que les hérétiques apportent de plus fort contre cette vérité, c'est que le sacrifice de la croix suffit seul pour détruire tous les péchés des
1. 1 Sit ahliitio scelerum. »
2. Seneca,Epist. 9 : «6"/ ilUid tihi mccum convenerit « ut sîatim tibi solvam quod debeo. »
DES SACREMENTS 3()D
hommes et que c'est lui faire tort de parler du sacrifice de la messe. Mais les hérétiques sont peu spirituels et n'ont que des pensées très basses, ils ne comprennent rien au grand zèle et à l'amour insatiable de Jésus-Christ. Quand bien même le sacrifice de l'autel ne remettrait pas la peine des péchés, il ne s'ensuivrait pas qu'il fut inutile, car il servirait à honorer Dieu et à le remercier excel- lemment, selon le désir de Jésus et le zèle de son âme très sainte. Mais à Dieu ne plaise que nous leur accordions que ce sacrifice ne soit pas propi- tiatoire pour les péchés. Au contraire nous con- fesserons avec l'Eglise qu'il l'est, et nous n'esti- merons pas faire tort au mérite de la croix et à l'oblation qui lut faite sur la croix. L'oblation de la croix en effet n'empêche pas l'effet de l'oblation que fit Jésus-Christ de lui-même, quand il entra dans ce monde, et de celle qu'il fit au temple le jour de sa présentation, ni de toutes celles qu'il fit tous les jours de sa très sainte vie avant sa mort. Aussi ne doit-elle pas empêcher l'effet de l'oblation de lui-même qu'il renouvelle tous les jours depuis sa mort dans ce sacrifice, afin de nous racheter ainsi abondamment, en se donnant des millions et des millions de fois pour nos péchés. Si saint Paul a dit que « par une seule ablation « il a consommé, c'est-à-dire rendu parfaits pour « toujours, ceux qu'il a sanctifiés » (Héb. lo), saint Paul n'entend parler que des Juifs qui étaient morts en état de sainteté avant sa Passion et qui n'ayant pu être purifiés de leurs péchés par la multitude des victimes de la loi mosaïque, furent sanctifiés en vertu du sacrifice de la croix et par
366 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
le mérite de ce sacrifice, c'est-à-dire par une seule oblation. Le sacrifice de l'Eucharistie en effet n'a pas été institué pour eux, mais pour les chrétiens qui sont venus après la Passion, que Jésus-Christ assiste diversement et autant qu'il lui plaît, ou qu'il le juge convenable, non seulement par l'obla- tion sanglante de sa croix, mais encore par l'obla- tion non sanglante des autels. Enfin si l'on veut étendre les paroles de saint Paul plus que lui- même n'en a eu l'intention, il faut dire que saint Paul se sert du substantif et dit : une oblation, pour signifier une seule chose offerte, à savoir son humanité précieuse. Dans ce passage en effet il oppose et préfère l'unique victime de la croix à la multitude des sacrifices d'Aaron, sacrifices qui n'avaient pas la vertu de sanctifier les Juifs. Or, bienque Jésus-ChristperfectionnelesSaints soit par l'oblation de la croix, soit par celle des autels, il est toujours vrai qu'il les perfectionne par l'offrande d'une seule chose, puisque dans l'une comme dans l'autre oblation, c'est la même victime.
Demeurons donc fermes dans la foi et la croyance de la sainte Eglise, notre mère ; persis- tons dans cette foi qu'ont conservée tous les siècles depuis sa fondation. Cette foi nous ap- prend que le sacrifice de l'autel est propitiatoire pour les peines des péchés, et que Jésus-Christ se donne mille et des millions de fois pour la liberté de nos âmes qu'il rachète ainsi abondamment. Parmi les objets de cette foi invariable, admirons grandement les procédés pleins d'amour de Jésus, notre libérateur, qui s'immole encore tous les jours, afin de satisfaire pour les péchés d'autrui.
DES SACREMENTS 367
Ah! mon âme, que ne devons-nous pas faire à son exemple dans le but de satisfaire pour nos péchés ? Hélas ! que sont nos pénitences si Iroidé? au prix de ce que fait notre Rédempteur? Faut-il, ô mon âme, que ce doux Agneau fasse tout tout seul ? qu'il adore toujours, mais pour nous, qu'il soit toujours chargé de remercier Dieu en notre nom et qu'il porte tout seul le fardeau de nos offenses ? Ah ! que nous devons être confus en voyant que nous faisons de si légères pénitences pour nos propres fautes qui sont énormes ? Que ne nous sacrifions-nous donc tous les jours de notre vie, pour rendre Dieu propice et pitoyable à nos iniquités ? Mais nous n'en faisons rien. Et puis nous nous étonnerons de ressentir quelque peine intérieure, parce que nous ne savons pas si nous avons apaisé Dieu, et si nous avons satisfait à sa justice. Oh ! que deviendrions-nous, Seigneur, sans votre zèle et votre très brûlante charité ? O très noble Jésus ! unique espérance de notre sa- lut! Oh! continuez toujours à offrir votre sacri- fice pour nous. Quant à nous, nous continuerons toujours à offrir votre sacrifice pour nous, et nous renouvellerons les souhaits du saint prophète Da- vid touchant ce sacrifice expiatoire. Nous désire- rons qu'il soit toujours offert à Dieu et que les desseins de Jésus y soient accomplis pour le salut de nos âmes. Chantons donc au Roi des rois im- molé sur les autels :
En ces jours si troublés qu'une guerre effroyable
Tâche à tout renverser^ Soit aux vœux que tic fais V Eternel favorable,
Et te veuille exaucer.
368 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Du grand Dieu de Jacob le secours V accompagne.
D'en-haut te secourant^ De tes oblations sa mémoire touchée
S'aille ressouvenant. Qu'aux désirs de ion cœur débonnaire il s'incline
Et les rende accomplis. Les conseils, les projets que couve ta poitrine
De bonheur soient remplis (i).
Donc, Père éternel, que cette charité immense de votre Fils très aimé touche votre cœur ; par amour pour lui et en considération de l'affection si grande qu'il a pour nous, pardonnez-nous nos offenses.
I. Desportes sur VExaitdiat.
DES SACREMENTS 36c)
X\T MÉDITATION
DES TROIS ACTES DE DÉVOTION ENVERS LE SAINT- SACREMENT QUE PRATIQUENT LES AMES PIEUSES
SOMMAIRE
La dévotion au Saint-Sacrement porte les âmes pieuses : i) à lui rendre un culte de latrie — 2) à raccompagner aux processions et quand on le porte aux malades — ?>) à le visiter.
I
CONSIDÉREZ que la dévotion envers le Saint- Sacrement porte les âmes fidèles à l'hono- rer de plusieurs manières, et entre autres à lui rendre le culte de latrie ou d'adoration, tant par la soumission intérieure de l'esprit, que par la génuflexion ou l'inclination, ou la prosternation du corps (i). Les Ecritures saintes nous indiquent ce premier acte de dévotion ; le prophète royal parlant de l'Eucharistie, dit que les grands de la terre l'ont mangée et Tout adorée : « Tous les « grands de la terre ont mangé et adoré » (Ps. 2 1 ). Saint Augustin (2) interprète ce passage de la sainte
1. De Saintes, repet. 9, c. 4.
2. « Mandiicaveriint corpus humilitatis Domini ». Bail, t. ix. 34
SyO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Eucharistie et le Concile (i) prononce l'anathème contre quiconque soutiendra que le Fils unique de Dieu ne doit pas être honoré dans le Saint- Sacrement d'un culte de latrie. En effet l'adora- tion est due au Fils de Dieu dans tout lieu ou tout état dans lequel il se trouve. C'est pourquoi il est ordonné aux Anges de l'adorer dès le premier ins- tant de son Incarnation, dans les flancs sacrés de la Vierge « et que tous les Anges V adorent », (Héb. i). Les bergers l'adorèrent, et, les rois, après avoir fait un long voyage, se prosternèrent devant le Sauveur couché dans la crèche et lui offrirent leurs présents. Il fut adoré sur le chemin par le lépreux et la Chananéenne, dans le temple par l'aveugle-né, sur le navire par les nautonniers, en Galilée par les Apôtres, dans la Judée par tous ceux qui le connurent, sur la croix par le bon lar- ron et dans les cieux par tous les bienheureux. Si donc partout où il est présent, il est reconnu et il reçoit comme hommage l'adoration, pourquoi ne la recevrait-il pas dans l'Eucharistie, surtout si nous considérons qu'il nous y témoigne autant d'amour et de bienveillance qu'en aucun lieu du monde, car il y est présent pour converser avec nous plus intimement et plus familièrement, sans dédaigner notre extrême bassesse, sans avoir hor- reur de nos corps, de notre bouche et de notre poitrine. Certes c'est un prodige qu'une âme ne soit pas touchée à la vue du procédé si plein d'amour de ce Roi des rois, qui est assis et règne à la droite de Dieu son Père. Car qu'est-ce qu'il y
3. Sess. 13, can. 6.
DES SACREMENTS Syi
a qui oblige davaniagc a vénérer une personne de haute qualité, que de la voir s'abaisser, et, pour ainsi dire, oubliant sa grandeur, avoir de gracieuses faveurs pour une personne de peu ? C'est ce qui doit exciter à lui rendre de plus grands honneurs, de plus profondes révérences et une plus absolue soumission. Ainsi Sainte Elisabeth honora la Sainte Vierge, qui, alors qu'elle était déjà la Mère de Dieu, qu'elle avait conçu du Saint-Esprit, s'abaissait jusqu'à la visiter en personne, a Et d'où « me vient, dit-elle, cet honneur, que la Mère de « mon Dieu vienne à moi ? » (Luc, i). Ainsi Saint Jean-Bapiiste était plein du sentiment de la gran- deur de Jésus, quand ce divin Sauveur voulut se soumettre à recevoir le baptême de sa main. « C'est v. moi, dit-il, qui dois être baptisé par vous et « cest vous qui vene^ à moi », (Matth. 3). Saint Pierre le voyant près de lui, s'estimait indigne de sa présence : « Retire^-votis loin de moi, Seigneur, « car je ne suis pas digne de m'approcher de « vous », (Luc, 5 ; Matth. 8). Il en fut de même du centurion qui professa d'autant plus haute- ment son indignité et la dignité de Jésus-Christ, qu'il le voyait résolu à descendre dans sa maison, pour y guérir son serviteur. Si bien que c'est une chose comme naturelle d'accorder plus de véné- ration aux grands que nous voyons portés à s'abais- ser pour nous faire du bien.
Or Jésus-Christ dans ce sacrement s'abaisse pour nous à un tel point qu'il semble avoir oublié ce qu'il est, sa noblesse, sa royauté et l'état de ses sublimes grandeurs. C'est pourquoi nous devons nous sentir portés à nous soumettre plus profon-
372 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dément à lui et à Tadorer plus profondément, puisque d'ailleurs il est adorable à cause de sa personne à laquelle est dû un respect infini.
D'ailleurs il n'est pas nécessaire que cette ado- ration soit conditionnelle, c'est-à-dire que nous l'adorions dans le cas où l'hostie est légitimement consacrée ; il suffit d'avoir une certitude humaine et morale de la présence et de la dignité d'une personne pour l'honorer selon son mérite. Autre- ment il ne faudrait respecter les prélats et les prêtres que sous condition, c'est-à-dire s'ils étaient validement ordonnés. Ainsi on pourrait tout révo- quer en doute et ne respecter absolument per- sonne, mais mettre toujours en avant quelque si ou quelque moyennant ; ce qui ne nuirait pas médiocrement à la politesse humaine. Il suffit donc de croire de bonne foi que le pain a été consacré pour rendre le culte de latrie à Jésus-Christ, présent sous les accidents qui restent. Peu importe que le Saint-Sacrement soit peut-être entre les mains d'un prêtre vicieux ; les ordures de l'étable de Bethléem et les animaux qui s'y trouvaient n'empêchèrent pas les rois mages d'y adorer Jésus-Christ, qui porte partout sa grandeur.
Par conséquent nous nous mettrons sans crainte en devoir d'adorer Jésus-Christ sur le trône sacré de son Eucharistie ; comme des enfants nous ré- vérerons notre bon Père, comme sujets notre Prince légitime, comme criminels notre Juge très équitable, comme esclaves notre Libérateur, comme créatures notre souverain Créateur. « Vene\ donc, « adorons et prosternons-nous devant le Sei- <i. gneur ». (Ps. 94). Disons-lui d'esprit et de bou-
DES Î?ACRENTENTS 37^
chc : 6 Jésus, je vous adore dans votre sacrement, comme le Fils unique de Dieu par nature, le pre- mier principe de toutes choses, comme mon Sauveur qui doit être aussi mon juge et prononcer sur moi l'heureuse parole d'éternelle bénédiction ou la parole redoutable de malédiction éternelle. Je vous adore, ô Jésus, qui êtes contenu vérita- blement et réellement dans ce très auguste et très vénérable m3'stère, vous qui êtes né de la Vierge pour notre salut, qui avez vécu trente-trois ans sur la terre, qui avez été crucifié pour la rédemption du genre humain, qui ensuite êtes ressuscité et monté au ciel, à la droite de Dieu le Père où de- meurant toujours et sans vous en séparer, vous daignez néanmoins vous rendre présent sur les autels, afin d'y servir de sacrifice et de sacrement pour moi, très vil vermisseau. O mon Seigneur, mon Dieu, en esprit d'amour pour votre bonté, en esprit de crainte pour votre toute-puissance, en esprit d'humilité et de respect en face de votre sagesse et de votre majesté, je vous loue, je vous glorifie et je me soumets à ne vivre et à ne res- pirer dans le temps et dans l'éternité, que sous votre dépendance. O Jésus, remplissez le monde entier du sentiment de votre grandeur et de votre majesté infinie, afin que chacun s'anéantisse en esprit et se prosterne profondément devant vous. O Dieu de majesté qui êtes adoré par tous les Anges et par tous les Saints, je vous adore, je m'unis à toutes les adorations qui vous sont ren- dues au ciel et sur la terre par l'Eglise triomphante et par l'Eglise militante. O Père éternel, que votre Fils qui est ici humilié et mis en état de victime
374 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pour l'amour des âmes, soit reconnu par toutes les âmes ; qu'il n'y en ait pas une seule, ô Dieu éternel, qui lui refuse l'amour et le respect qui lui sont dus.
II
Considérez que la dévotion envers le Saint- Sacrement porte encore les âmes à l'accompagner en deux occasions : dans les processions publiques et quand on le porte aux malades. Car de tout temps, l'Eglise a eu coutume de porter le Saint- Sacrement d'un lieu dans un autre pour divers motifs ; soit pour qu'on put communier chez soi, comme faisaient les premiers chrétiens, qui en temps de persécution n'ayant pas la liberté de fréquenter les assemblées de l'Eglise, emportaient avec respect dans leur maison des hosties consa- crées, afin de ne pas être au besoin dépourvus de Saint-Sacrement (i) ; soit pour être munis comme d'une forte et puissante garde contre les divers périls et accidents de cette vie, comme Saint Am- broise le raconte de son frère Satyrius, qui portant l'Eucharistie sur mer, fut préservé du naufrage (2) , soit comme signe de paix et d'union, ainsi qu'au- trefois, en signe de paix, le Souverain Pontife l'envoyait de Rome aux évêques qui venaient dans cette ville et même à ceux qui demeuraient dans leurs églises (i), soit pour exciter les fidèles à une
1. Tertul. 1. 2 AD uxoREM : << Qiiid secreio anie cihiim gustes ».
2. In FUNEBRI ORAT. DE FRATRE.
I. Euseb. 1. 5. HisT. c. 24 ; Baron, ann. Christi 195.
DES SACREMENTS SyS
plus grande confiance et une plus grande dévo- tion, ainsi qu'autrefois dans toutes les processions qui se faisaient aux temples des martyrs on por- tait toujours l'arche du Seigneur avec les reliques des saints, c'est-à-dire le Saint-Sacrement comme le remarque un ancien Concile de l'Eglise (i) ; soit pour le faire recevoir aux malades, à qui on le porte en viatique, pour les fortifier au moment de leur sortie de ce monde, soit enfin pour d'au- tres raisons. Aujourd'hui il n'y a plus d'autres oc- casions de l'accompagner que les processions, et quand on le porte aux malades et le rapporte. Or la dévotion excite fortement à lui faire cortège alors et à le suivre par honneur, autant que pos- sible ; manquer à ce devoir sans excuse légitime, c'est un témoignage de grande froideur et de bien peu d'affection à son égard. Certes toutes sortes de bonnes considérations invitent à ce devoir. La bonté de la chose ; car qu'y a-t-il de plus juste et de plus saint que de se mettre à la suite de Jésus- Christ ? L'honnêteté de cette action ; car qu'y a-t-il de plus civil aux yeux du ciel, que de rendre cet honneur à Jésus-Christ, quand il est si peu accom- pagné sur la terre ? « C'est une grande gloire^ dit « le Sage, de suivre le Seigneur », (Eccl. 23). L'exemple des Anges ; car ils le suivent et l'ac- compagnent fidèlement et avec une grande vénéra- tion partout où il est porté. Saint Jean Chrysos- tome (2) affirme qu'ils environnent l'autel où s'accomplit le sacrifice, avec de très grands res-
1. Synodus Bracarensis, can. 5, circa ann. Christi 654.
2. L. 6. De sacerd. P. 4,
376 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pects, qu'ils font fidèle escorte à ceux qui ont communié purement dans leur maladie, qu'ils les environnent comme les gardes du corps environ- nent leur roi et qu'ils conduisent leurs âmes au ciel. Il est écrit aussi que les vierges suivent l'Agneau partout où il va (Apoc. 14). L'indignité qu'il y a à refuser cette assistance et cet accom- pagnement à Jésus-Christ dans l'état où il est dans ce sacrement. C'est comme si des sujets qui auraient reçu des bontés de leur roi, le voyaient dans un pays étranger peu suivi et peu accompagné et ne venaient pas l'honorer par leur présence aux yeux du monde. Le roi des Perses, Darius, allant combattre les Scythes, Œbabazus, grand Seigneur qui avait trois fils, lui en donna deux pour le suivre et se réserva l'autre pour lui. Le roi trouva cette action si indigne qu'il fit mourir ces trois enfants, parce que l'un d'eux s'était abstenu de venir avec lui (i). Le roi Xerxés allant guerroyer contre les Grecs, Pithius, riche Lydien, qui avait cinq fils, lui en donna quatre pour le suivre, le priant de vouloir exempter l'aîné qui aurait soin des affaires domestiques. Le roi trouva si mauvais que cet homme parlât de dispenser un de ses fils de le suivre à la guerre, où lui-même allait en personne, qu'il fit démembrer le corps de cet aîné et fit passer toute l'armée entre ses membres ex- posés des deux côtés du chemin. Si les rois de la terre ont jugé ces manquements si indignes de leur grandeur, que fera Jésus-Christ, le Roi des rois, pour ceux qui l'honorent et l'accompagnent
I. Herodotus, 1. 4 et 7.
DES SACREMENTS Syy
si rarement dans le Saint-Sacrement ? Enfin leur utilité personnelle doit encore engager les chré- tiens à accompagner leur Seigneur et Maître sou- verain ; car il dit lui-même : « Celui qui me suit « ne marche pas dans les iêncbres, mais il aura « la lumière de vie » (Jean, 8). Car c'est bien la moindre chose que l'on puisse attendre, que d'être éclairé, quand on suit le soleil, et sans doute Jésus- Christ qui a souvent accordé des grâces même à ses ennemis, ne manquera pas d'en accorder à ses amis, qui le suivent et l'accompagnent par amour. Il l'a prouvé dans la personne d'un seigneur de la maisond'Autriche, lecomte Rodolphe de Hasbourg. Rencontrant en Suisse le Saint-Sacrement porté par un prêtre a un malade dans un mauvais che- min, il descendit de son cheval, fit monter le prêtre dessus et le suivit à pied avec sa compagnie jusqu'au retour à l'église. Là il entendit le prêtre lui donner plusieurs bénédictions à lui et à sa postérité pour le bon office qu'il venait d'exercer. Peu de temps après le comte visita une femme de sainte vie, recluse dans un désert, qui lui prédit que Dieu récompenserait largement sa piété. En effet, vingt-deux ans plus tard, il fut élu empereur d'Allemagne, et la couronne impériale est demeurée depuis cette époque jusqu'à nos jours dans sa famille (i).
Proposez-vous donc de rendre ce devoir à Jésus- Christ, autant qu'il vous sera possible ; assistez de bon cœur aux processions du Saint-Sacrement, et acconipagnez-le, quand par hasard vous le ren-
I. Spondanus, anno Christi la^i, num. 8.
378 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
contrerez au moment où on le porte aux malades, ou bien au moment où on le rapporte à l'église. Re- présentez-vous que c'est votre Juge, celui de la pa- role ou de l'arrêt de qui dépend votre bonheur ou votre malheur éternel ; par conséquent soyez bien aise de lui rendre ce devoir, afin qu'il s'en sou- vienne en vous jugeant, et vous soit favorable. Si vous sentez quelque répugnance à le faire à cause du monde, dites comme le foi David, à qui sa femme Michol, pleine d'arrogance, avait reproché la dévotion qu'il avait témoignée à l'arche d'alliance en l'accompagnant avec joie au milieu du peuple, revêtu de ses ornements royaux : « Je veux me « rendre encore plus vil que je ne Vai été et je « serai plus humble à mes yeux. » (II. Rois, 6). Occupez-vous, pendant que vous l'accompagnez, à lui demander quelque grâce. Il est écrit de vous. Seigneur, que quand vous viviez parmi les hom- mes, vous avez fait du bien à tous en passant ; « Il a passé en faisant le bien. » (Act. i). Vous consoliez l'un, vous enseigniez l'autre, vous guérissiez l'un, vous ressuscitiez l'autre, vous donniez la vue à celui-ci, vous redressiez celui-là et le faisiez marcher droit. O Seigneur très libéral, si, aux jours de votre état souffrant et mortel, vous avez ainsi passé en obligeant tout le monde par bonté d'àme, puisque vous passez encore aujour- d'hui à travers le monde, dans un état de puis- sance et de gloire dont vous jouissez dans le ciel, ne produisez pas, s'il vous plaît, de moindres effets sur votre passage. O Seigneur, donnez votre bénédiction aux maisons le long desquelles vous pas- sez, donnez-la moi tout spécialement à moi-même.
DES SACREMENTS Sy*")
O Seigneur, en qui est mon espérance, apportez, le remède aux misères de mon âme, donnez-moi votre grâce, et faites que j'y persévère jusqu'à la fin.
III
Considérez que la dévotion envers le Saint- Sacrement porte encore les âmes à une action fort importante, qui consiste à le visiter souvent dans les églises où il repose, tantôt pour lui faire hom- mage de ses services et l'adorer, tantôt pour le remercier de quelque bienfait reçu, ou pour lui demander plus efficacement quelque grâce pour soi-même ou pour autrui, et quelquefois aussi sans autre prétention que d'être auprès de lui. Divers exemples et divers motifs engagent les âmes à rendre ce devoir à Jésus-Christ.
Premièrement, l'exemple des Anges. Ils descen- dent par phalanges du ciel sur la terre, pour y voir et honorer leur Maître et Seigneur, qu'ils sa- vent être caché sous le voile de ce mystère. Quand le prêtre, dit saint Jean Ghrysostome (i), a accom- pli ce redoutable sacrifice, à ce moment les Anges l'assistent et où tous les ordres des puissances céles- tes y font entendre leurs chants à leur manière ; le lieu le plus rapproché de l'autel est rempli par les chœurs des Anges qui honorent celui qui est im- molé. Ce qui est assez facile à croire à cause de la grandeur du sacrifice qui s'accomplit alors. Nous avons ensuite l'exemple des Juifs qui avaient un commandement formel du Seigneur de visiter
I. L. 6. De sacerdot. c. cit.
38o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
trois fois chaque année le tabernacle ou le Tem- ple, où résidait l'arche d'alliance. « Trois Jois « dans Vannée, dit leur loi, tout homme paraîtra « devant le Seigneur » (Ex. 23), c'est-à-dire en présence de l'arche. Cette loi obligeait tous les hommes depuis l'âge de vingt ans jusqu'à l'âge de cinquante ans, et aucun ne manquait de se pré- senter devant l'arche trois fois l'année. Un bon nombre venait de cinquante et soixante lieues pour remplir ce devoir, plusieurs vieillards, des femmes et des enfants que la loi n'y obligeait pas, s'en acquittaient par dévotion, ainsi que fit la Sainte Vierge, quand Jésus-Christ était âgé de douze ans. Or si l'on rendait ces visites à Tarche d'alliance qui n'était que la figure et l'ombre du Saint-Sacrement, combien est-il plus raisonnable de les rendre à la Vérité même ! La reine de Saba vint des extrémités de la terre visiter le roi Salo- mon, et ici « voici celui qui est plus grand que « Salomon. » (Matt. ii). Autrefois les chrétiens entreprenaient de très longs et très périlleux voyages pour visiter la Terre sainte et les lieux dans lesquels son humanité sacrée avait passé; ils disaient avec le prophète : « Nous Vadorerons « dans le lieu oii il a posé ses pieds. » (Ps. i3i). Les femmes même les plus enfermées avaient cette dévotion, comme en témoigne Théodoret, (i) de Marana et de Cyra, ces deux prodiges d'aus- térité. Que ne doit-on donc pas faire pour le Saint des Saints, Jésus-Christ, qui est présent en corps et en âme dans le tabernacle ? Combien de
I. In Hisior. relig.
DKS SAC RK M EXT S 38 1
fois et avec quelle alTection devrait-on le visiter, puisqu'il est si près de nous et que nous pouvons le faire si commodément ? Certes c'est être sans àme que de n'avoir aucune alTection pour cet exercice. Lui-même habite parmi nous, il proteste que c'est son plaisir de vivre au milieu des mor- tels, quoiqu'ils ne lui soient nécessaires d'aucune manière. De là viennent ces douces et ravissantes paroles : « Mes délices sont d'être avec les en- « fants des hommes », et ces autres : « L'orient « nous a visites d'en-haiit. » Et nous, nous ne correspondrons aucunement à cet amour, nous ne trouverons pas notre plaisir à converser avec lui, nous qui avons tant besoin de lui ? Laisserons- nous là tout seul dans le tabernacle ce Roi du ciel et de la terre, qui n'y est descendu que pour notre bien? Mettrons-nous perpétuellement en oubli celui qui à tous les instants de la durée pense à nous ? Négligerons-nous de faire la cour à ce monarque plein de bonté et de paraître devant sa face, alors qu'il a pour très agréables nos petits devoirs ? Les âmes vraiment zélées et qui con- sidèrent bien ces choses, ont en horreur la rus- ticité et la barbarie de celles qui dédaignent de faire ces visites, et elles sont soigneuses et em- pressées de les faire elles-mêmes souvent. Ainsi il y a des maisons religieuses (i;, où la Saint-Sa- crement est en plus grande vénération, où jour et nuit il est visité, et où il n'est jamais sans ses Chérubins, comme l'arche du temple de Salomon, c'est-à-dire sans quelques créatures angéliques,
I. Le monastère de Port-Royal, à Paris.
382 LÀ THÉOLOGIE AFFECTIVE
qui étendent sur lui les ailes de leur amour ; elles veillent « à la porte du tabernacle » (Exod. 38) comme les femmes et les filles pieuses dont Moïse fait mention.
Et alors même que ces visites dussent être pra- tiquées sans espérance de récompense, unique- ment pour y glorifier Jésus-Christ, et parce que c'est une chose très juste et très équitable de lui rendre hommage, on ne devrait pas y man- quer; néanmoins comme il a rendu sa gloire inséparable de notre utilité, et qu'une âme pure n'est jamais privée de récompense, bien que peut- être elle ne dirige pas son intention de ce côté, ces visites ne manquent jamais d'être fructueuses pour les personnes qui savent les faire comme il convient. Cependant il ne faut pas juger de la vertu de ce sacrement comme de celle des agents naturels, qui ont leur sphère d'activité limitée, c'est-à-dire qui agissent jusqu'à une certaine dis- tance et dans un lieu déterminé qu'ils ne sauraient dépasser, ainsi que le feu qui chauffe et le flam- beau qui éclaire jusqu'à une certaine distance ; car Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement peut étendre sa vertu d'un bout du monde à l'autre, s'il le veut. Le fruit donc de ces visites provient de ce que la personne qui les fait se rend plus digne de ses faveurs ; car elle lui témoigne plus d'amour, elle lui rend plus d'honneur, elle lui fait une pro- testation plus évidente de sa foi et de sa confiance en lui. Toutes choses qui l'engagent à se rendre plus libéral, comme il l'était sur la terre, à l'égard de ceux qui s'approchaient de lui et qui s'offraient pour être touchés par lui, ou pour le toucher lui-même,
DES SACREMENTS 383
ne fut-ce que pour toucher la seule frange de sa robe, comme rhémorroïsse, qui en éprouva sur le champ une douce et favorable influence. (Matt. 9). Il faut donc pratiquer ces saintes visites, il faut faire saintement sa cour au Roi du Temple des Anges, tantôt pour lui faire sa révérence, comme fait un sujet à son seigneur, tantôt pour le remer- cier des dangers auxquels on a échappé, des biens que Ton a acquis, de la communion que l'on a reçue, des tentations que Ton a surmontées, tantôt pour lui adresser ses prières avec plus d'efficacité, d'autres fois enfin pour goûter la douceur et sen- tir la consolation qu'il y a d'être auprès de lui, comme Madeleine qui se tenait à genoux à ses pieds. O Jésus, mon Rédempteur, attirez ainsi souvent toutes vos âmes fidèles devant votre trône sacré. Vous avez dit, que, lorsque vous seriez exalté de la terre au ciel, vous attireriez tout à vous ; attirez-nous donc souvent après vous par la puissance et la vertu de votre sacrement. Arra- chez-moi à mon amour-propre pour me soumettre tout entier à votre volonté. Arrachez-moi à l'amour des choses créées pour m'unir à vous par la charité. Arrachez-moi aux embarras de la vie du monde et attirez-moi dans le lieu où vous êtes présent, afin que moi qui ne puis vivre sans vous, je ne vive qu'avec vous. Que là, Seigneur, en votre présence mon cœur s'épanche, qu'il vous parle seul, à la place de ma langue. Qu'il proteste de la grandeur de la foi par laquelle il croit que vous êtes sous les espèces, aussi fermement que si les yeux du corps vous y voyaient. Qu'il vous dise la grandeur de mon espérance, qui lui fait
384 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
attendre de vous tout son bien et toute sa félicité. Que là encore il vous exprime toute sa charité, qui lui fait souhaiter que vous viviez toujours, que vous régniez toujours, que vous triomphiez tou- jours, que ni votre règne ni votre triomphe ne soient jamais bornés et ne finissent jamais, O Jésus, si vous me trouviez digne d'une seule œillade, je l'estimerais beaucoup plus que tous les biens de la terre et que toutes les grandeurs du monde. O Jésus, Famour des Séraphins et des Anges qui vous visitent par milliers dans votre sacrement, je crois en vous, j'espère en vous, je vous aime et je vous adore ! Mais, hélas! pourquoi avez-vous caché toute votre beauté sous le voile de ces espèces? Comment, vous y voyant présent, ne gémirais-je pas, comme si vous étiez absent ? Je vous y touche, pour ainsi dire, mais je ne vois pas votre beauté infinie, comme si j'étais frappé d'aveuglement. Hélas ! ô mon espérance et ma force dans cette terre des mourants, de quels désirs ne suis-je pas ^embrasé de voir enfin votre face plus gracieuse que l'aurore et plus brillante que le soleil ! Oh ! si une fois, — ne serait-ce que pour un moment, — vous faisiez paraître à mes yeux un seul rayon de sa lumière ! Oh ! quel ardent amour il susciterait dans mon âme, et que le souvenir de cette vision me causerait de chastes joies! Gomme, pendant le reste de ces jours misé- rables, mon cœur demeurerait suspendu et hale- tant après vous, jusqu'à ce que je fusse pleine- ment rassasié, en vous regardant face à face, le rideau des espèces ayant été tiré, au milieu de votre paradis.
DHS SACRKMHNT^
38:
XX^ MÉDITATION
DE LA PÉNITENCE CONSIDÉRÉE COMME VERTU
SOMMAIRE
La Pénitence est une vertu qui nous porte à vou- loir satisfaire à Dieu pour les péchés commis. — Quelques excellences de cette vertu. — Ses actes intérieurs et ses actes extérieurs.
I
CONSIDÉREZ que la Pénitence est une vertu morale qui nous porte à vouloir satisfaire à Dieu pour les péchés commis et à vouloir les détruire entièrement, en tant qu'ils sont injurieux à Dieu, avec la résolution de n'y plus retomber à Tavenir. Elle est appelée une vertu morale, parce qu'elle incline la volonté à une action difficile, équitable, honnête et conforme à la raison. Or toute habitude qui incline l'àme à de semblables actions est appelée vertu, et par conséquent c'est à bon droit que la Pénitence porte ce nom. Cette action dilficile consiste à détruire les péchés déjà commis, à satisfaire à Dieu pour ces péchés, avec le ferme propos de ne Jamais y retomber (i). Cette action est vraiment difficile, puisque plusieurs ont de la peine à s'y résoudre, et la fuient sponta-
I. D. Thom. q. 5, art. i. Bail, t. \x. 25
o86 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
nément, à cause de la répugnance qu'ils éprouvent à la faire; tels sont les athées, les hérétiques, les voluptueux et tous ceux qui se souillent tous les jours par de noaveaux péchés. En effet si c'est une entreprise épineuse de vouloir apaiser la colère d'un roi offensé, colère qui, aux termes de Salo- mon, « est semblable an rugissement du lion » (Prov. 19); qui pourra contester que ce ne soit une entreprise encore plus haute et plus hardie, de vouloir apaiser la colère d'un Dieu tout-puissant, traité injurieusement par les péchés et les déso- béissances de ses créatures ? Ainsi la Pénitence ne peut manquer d'être une vertu du côté de la diffi- culté de l'action à laquelle elle porte ou habitue la volonté. Elle ne peut aussi manquer de l'être du côté de l'honnêteté et de la droiture de cette même action; car qu'y a-t-il de plus juste et de plus rai- sonnable au monde, que de s'indigner contre le péché pour le détruire, parce qu'il est injurieux à la majesté de Dieu, et que de vouloir en faire toute la satisfaction possible ? « Si nous nous jugions nous-mêmes^ dit saint Paul, nous ne se- rions pas jugés par le Seigneur. » (II Cor. 11). Cette action est si sainte et si équitable, qu'elle arrête les foudres de la justice divine et qu'elle nous exempte de la rigueur et de la sévérité de ses jugements. C'est pourquoi Jésus-Christ disait : « Si vous ne faites pas pénitence^ vous périrez « tous y) (Luc, i3); par là il nous donne à con- naître que le mo3^en de ne pas périr, et de ne pas être condamné à son effroyable jugement, c'est de pratiquer cette vertu. Si nous considérons tant soit peu ce que Dieu est et ce que nous sommes, il ne
DES SACREMENTS ?87
sera pas possible que nous ne reconnaissions très manifestement la justice et la bonté de cette ac- tion. Dieu en effet est notre Roi d'une façon plus élevée et plus éminente que tous ceux qui portent ces noms sur la terre, il est notre Créateur et no- tre Conservateur, notre Sanctificateur et notre Glorificateur, il est notre principe et notre fin, l'objet de notre espérance pour l'éternité; en un mot, il est tout ce que nous pouvons souhaiter, celui (.(. en qui nous vivons, nous avons le mou- vement et V être. » (Act. 17). Si bien que nous dé- pendons absolument de lui ; nous n'avons pas un seul filet de vie, une seule inspiration, si ce n'est grâce à son assistance et à sa volonté. N'est-il donc pas bien raisonnable que nous ressentions vivement les mépris et les injures que nous lui avons faits nous-mêmes par la malice de nos pé- chés ? Si un sujet fidèle à son prince ne peut sup- porter de le voir méprisé et traité avec ignominie, si un enfant qui ne se remue pas, mais demeure insensible quand il voit le roi, son père, moqué, bafoué et détrôné, est tenu pour dénaturé'; que sera-ce de nous, si nous permettons, sans nous émouvoir, que notre Dieu, notre Père tout-puis- sant, notre Souverain Seigneur, notre Bienfaiteur infini, soit attaqué et offensé dans son honneur? Ne serons-nous pas considérés comme insensibles ou déraisonnables, si nous manquons à un devoir si juste ? Le bon roi David, fuyant de Jérusalem à cause de la révolte et de la conjuration de son fils Absalon, fut injurié et maudit par Seméï; alors la fidèle Abisaï dit au roi : <.<. Pourquoi ce chien mort « maudit-il mon roi ? J'irai et je lui trancherai
388 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« la tête. » (Il Rois, 17). En cela il remplit le de- voir d'un bon vassal, qui ne peut supporter de voir son prince outragé. Mais que parlè-je d'un homme? C'est ce motif qui porta le Fils de Dieu à s'incarnei, et à souffrir, après s'être incarné, mille tourments. Ce qui l'inspirait, c'était le désir de satisfaire à Dieu en rigueur de justice pour toutes les offenses du monde, qui était incapable de sa- tisfaire lui-même. Il se livra pour ce motif à toutes sortes de hontes, de mépris, de tourments, et à la mort même, qui est la peine propre du péché. Aussi rien n'est plus vrai que ceci : vouloir satis- faire à Dieu pour l'offense que lui font les péchés, c'est une entreprise très juste et par conséquent la Pénitence mérite bien le nom de vertu, puis- qu'elle dispose et incline à cela la volonté.
Il faut donc estimer grandement la vertu de Pénitence, il faut avoir un grand zèle pour répa- rer l'honneur de Dieu et venger sur soi-même les péchés commis contre sa grandeur. Eh quoi ! devons-nous dire, endurerai-je que celui qui me donne tous les jours son pain pour vivre, son air pour respirer, sa main pour me soutenir, ses bras pour me porter, son sein pour me reposer, son soleil pour m'éclairer, tout ce qu'il me faut dans l'ordre de la grâce et dans celui de la nature, souffrirai-je qu'il soit offensé, maltraité, bafoué, injurié, etc ? Ah! fût-ce moi-même qui aurais fait la faute; je vengerai ce tort fait à mon Dieu, et il n'y aura moyen que je n'essaie pour en venir à bout. Ah! mon Seigneur Jésus-Christ, qui avez été rempli de ce zèle brûlant pour les péchés d'autrui, faites-moi la grâce d'en être au moins
DES SACREMENTS 3<S()
rempli pour mes propres péchés. Vous avez com- mencé la prédication de la loi évangélique par ces paroles très saintes et très remarquables : « Faites pénitence^ car le royaume de Dieu est proche. » (Matth. i). Donnez-moi le courage de pratiquer cette vertu, faites que reconnaissant Ténormité des injures que vous ont causées mes péchés, et con- naissant aussi la grandeur de votre majesté offen- sée, j'ai dorénavant cette vertu à cœur, au point de vous satisfaire, autant que possible, pour tous les péchés de ma déplorable vie (i).
II
Considérez quelques excellences de la vertu de Pénitence (2).
D'abord elle est en un certain sens la première des vertus dans la justification du pécheur, car la grâce que Dieu lui envoie pour le faire sortir de Tétat de péché, l'excite premièrement aux actes de Pénitence. Comme la grâce déloge de l'àme le péché, avant de la promouvoir au bien, ainsi pour être justifié, le pécheur doit premièrement être délivré du péché et l'avoir en haine, avant d'être dirigé vers le bien et d'y arriver. En effet il faut quitter le point de départ avant de toucher au point d'arrivée ; c'est pourquoi il faut quitter le péché et s'en éloigner par la Pénitence, avant que l'on puisse atteindre le vrai bien vers lequel nous
1. Jean de Sainte-Marie, t. 2, Méd. 8. Pour se bien confesser.
2 . D. Thom. g. 85, art. 6. — D. Bonavent. in 4, dist. 14, art. 2, p. 2, q. 3.
3gO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
portent les autres vertus. C'est pourquoi le Fils de Dieu commença ses saintes exhortations par la vertu de Pénitence. O bienheureuse Pénitence, dit un saint personnage (i), le Fils de Dieu t'a recommandée dans les premiers de ses sermons, quand il a dit : « Faites pénitence^ car le royaume « des deux approche. » (Matt. 3o).
La seconde excellence de cette vertu est son antiquité et sa durée, car, dès le commencement du monde et après le péché d'Adam, elle a été pratiquée et elle a sauvé tous les saints de l'ancien Testament, qui étaient tombés dans quelque offense, dont elle les a délivrés, comme Adam, Noë, David et une infinité d'autres. Aussi tous les prophètes de l'ancien Testament ont-ils exhorté les homm.es à la Pénitence. Et quoique le Fils de Dieu ait institué la Pénitence sous forme de sacre- ment, la vertu de Pénitence n'a pas cessé de sub- sister. Elle a été l'exercice commun de tous les saints de la Loi évangélique, qui en ont fait des actes remarquables jusqu'à la fin de leur vie, et il est aussi à espérer que les saints qui viendront encore jusqu'à la fin du monde, vivront dans la pratique de cette vertu, qui déjà est des plus remarquables par son antiquité et sa durée. Aussi le saint Doc- teur (2) dit-il qu'elle appartient au droit naturel, parce que la raison naturelle suggère aux hommes et leur dicte qu'il faut réparer le tort fait à autrui et qu'il faut satisfaire à Dieu pour les péchés com- mis contre sa grandeur. Ce qui est principalement
1. Laurent. Justin. De perfect. grad. c. 3.
2. D. Thom. q. 85, art. 9.
DES SACREMENTS 3f)I
vrai, quand cette raison naturelle est éclairée du rayon de la foi et assistée de la grâce, comme elle l'a été dès le commencement du monde ; c'est pour cela que la Pénitence a toujours été pratiquée. La troisième excellence de cette vertu est qu'elle comprend toujours les autres vertus et les met en mouvement, afin qu'elles l'assistent dans ses pro- pres actes. En effet, la foi l'éclairé et la conduit, et sans elle, il n'y a point de justification; l'espé- rance la fortifie, car personne ne fait pénitence, s'il i^ l'espoir du pardon et s'il n'a confiance dans la mi^^icorde de Dieu ; la charité la perfectionne et la couronne, car la Pénitence n'est vraiment parfaite que, quand elle est animée et informée par cette vertu maîtresse; la prudence la dirige, l'empêchant d'être défectueuse ou excessive ; la justice l'accompagne de près, parce que son but est de venger justement le péché et de satisfaire à Dieu, à tel point que si la créature était capable de satisfaire à Dieu selon l'égalité, et de lui rendre exactement ce que le péché lui a ravi, la Péni- tence ne serait pas distincte de la justice (i); la
I. La Pénitence est une partie potentielle de la justice. Les vertus qui se rattachent comme parties potentielles à une vertu principale ou cardinale, sont celles qui ont quelque chose de commun avec la vertu principale, mais auxquelles il manque un élément essentiel, pour pouvoir leur être entièrement assimi- milées. Telle est la Pénitence à l'égard de la justice. Elle tient de la justice en ce qu'elle a pour objet la réparation du droit de Dieu lésé, mais elle s'écarte de la justice en ce qu'elle est incapable de satisfaire à Dieu selon l'égalité.
392 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
force lui est des plus nécessaires, car elle est une espèce de martyre et se plaît dans les souffrances, les adversités, les plus rudes travaux et âpretés de la vie spirituelle, toutes choses pour lesquelles le courage est requis; enfin la tempérance vient à sa suite; car cette vertu tend à sevrer l'homme des plaisirs et des douceurs de la vie, non seulement des plaisirs illicites, mais aussi des plus innocents et des plus permis, afin d'exercer une plus rigou- reuse vengeance par la privation de certains biens. Enfin la vertu de Pénitence constitue la dispo- sition la plus propre que puisse avoir l'homme pour s'approcher du sacrement de Pénitence et il a véritablement l'esprit qu'il faut pour ce sacre- ment, quand il s'exerce dans la vertu de Pénitence. Aussi si plusieurs s'approchent inutilement du confessionnal et n'en retirent pas le fruit qu'ils devraient percevoir d'un sacrement si salutaire, la cause en est que l'esprit et la pratique de cette vertu leur font défaut. C'est pourquoi le Fils de Dieu ne voulut donner au monde le sacrement de Pénitence que quatre mille ans après que la vertu de Pénitence y eût été pratiquée. Peut-être si les chrétiens pratiquaient cette vertu quatre jours ou tout au moins quatre heures avant de recevoir le sacrement de Pénitence, feraient-ils un tout autre progrès dans la perfection, peut-être y avanceraient- ils à pas de géant et non à pas de tortue. Or non seulement cette vertu dispose et prépare les coeurs au sacrement de Pénitence, mais elle fournit aussi à ce sacrement une partie de son essence, à savoir sa matière qui consiste dans les actes de contri- tion, de confession et de satisfaction, qui sont les
DES SACREMKNTS SgS
actes propres de cette vertu. Il est vrai que cette vertu ne remet pas le péché par le seul fait de l'œuvre opérée, comme fait le sacrement de Péni- tence, et en cela elle lui est inférieure ; mais elle le remet en vertu de l'œuvre de l'opérant, c'est-à- dire par l'énergie de ses actes, qui méritent d'un mérite de convenance le pardon des péchés.
Les excellences de cette vertu sont si grandes qu'elle est comparée à Téchelle de Jacob par laquelle on monte au ciel. Les deux bras de l'échelle sont ladoil^irdes péchés passés et la résolution de les éviter a l'avenir, ses échelons sont la contrition, la confession et la satisfaction, qui comprend en- core trois échelons : le jeune, l'aumône et la prière. Les Anges montent le long de cette échelle, pour porter à Dieu les prières, les soupirs et les gémis- sements des âmes repentantes ; ils descendent aussi pour leur apporter les consolations du ciel. Son extrémité touche le ciel, parce que la Pénitence parfaite et consommée introduit le pénitent au ciel. Dieu paraît au sommet de cette échelle et la tient ; il exhorte ceux qui y montent en leur disant : « Faites pénitence^ car le royaume du « ciel est proche ». (Matt. 3) (i).
Faites sortir de ces réflexions les mêmes affec- tions que du premier point. Regrettez encore qu'une vertu si excellente, soit si peu connue et si peu pratiquée par la plupart des pécheurs et par vous spécialement. O très noble vertu, que ta puis- sance est grande ! Tu es le refuge des humbles, le soulagement des affligés, la porte du pardon, l'es-
I, Raulinus, Serm. 14 De Pœnii.
394 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pérance de l'indulgence, la maîtresse de la con- naissance de notre misère, la terreur des démons, la nourricière des vertus, la gardienne des grâces, Tavant-courrière de la miséricorde, la source des larmes, Tamie des anges et la règle principale de la vie spirituelle (i). Donc, puisque cette vertu a tant de perfection, désirez d'en^pratiquer les actes.
III
Considérez divers actes de la vertu de Péni- tence, dont les uns sont intérieurs et résident dans rintelligence ou la volonté, et les autres sont extérieurs et perceptibles par les sens.
Les actes intérieurs (2) sont : la haine du péché, par laquelle on abhorre le péché comme étant in- jurieux à Dieu et comme rendant l'âme coupable aux yeux de sa justice; la confusion devant Dieu, devant les Anges, devant les hommes d'avoir péché, confusion qui fait que nous n'osons plus paraître; la détestation ou le déplaisir, ou bien la contrition par laquelle on voudrait n'avoir jamais commis le péché et on le regrette comme un grand malheur; la douleur ou la tristesse par laquelle on est affligé intérieurement de l'avoir commis; le désir que Dieu soit satisfait et que la justice soit observée à son égard par la vengeance et la puni- tion du péché; le ferme propos démettre à exécu- tion cette justice et cette sainte vengeance, afin que Dieu ait son compte et que son honneur soit réparé; l'offrande de soi-même à la justice de Dieu
1. Laurent. Just. Ibid.
2. Suarez, disp. 3, sect. i et a. De pœnit ,
DES SACREMENTS 3c)b
pour soLilVrir tels châtiments qu'elle ordonnera; la recherche de tous ses péchés par un examen de conscience attentif et sérieux; l'accusation inté- rieure et spirituelle de tous les péchés devant Dieu; la satisfaction par les actes intérieurs de l'oraison, de la méditation et des autres exercices spirituels; la résolution de garder à l'avenir les commandements divins; la joie d'avoir fait péni- tence et d'avoir satisfait à Dieu; car, dit saint Au- gustin %^, que le pénitent s'attriste du péché, et qu'il se rejouisse de sa tristesse.
Les actes extérieurs sont encore en beaucoup plus grand nombre. Car, comme la Pénitence a deux offices qui sont d'expier le péché passé et de l'évitera l'avenir, elle provoque plusieurs sortesd'ac- tions qui sont propres à ces fins, quoique ces mê- mes actions puissent être produites par d'autres vertus, mais pour d'autres motifs (2). Telles sont les austérités corporelles, ces inventions cruci- fiantes que l'esprit de vraie pénitence a fait décou- vrir aux saints en plus grand nombre que les plaisirs divers inventés pour leur propre contentement par tous ceux qui s'aiment eux-mêmes. Telles sont aussi les retraites et les solitudes, pour éviter les occasions de tomber dans le péché. Telle est la confession publique ou secrète de ses péchés. Telles sont toutes les œuvres de satisfaction qui font subira l'homme par leur rigueur et àpreté quelque chose des peines dues pour leurs offenses. Si ces peines semblent contraires à la nature, elles sont
1. De vera et falsa pœnit . c. 13.
2. Suarez, disp. 6, sect. i et 2.
3g6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pourtant conformes à la grâce et aux paroles de Dieu qui y invite les pécheurs par les prophètes? les évangélistes et les apôtres, notamment par saint Paul, qui donne l'exemple quand il dit : a Je « châtie mon corps^ de peur qu'après avoir prê- « chéles autres, je ne sois réprouvé y> (I Cor. 9); le mot grec signifie : Je plombe mon corps^ je le rends bleu àf or ce de coups {i). Depuis tous les saints ont pratiqué diversement ces actes et ont usé d'une merveilleuse sévérité contre eux-mêmes. Les livres de tous les siècles en rendent témoignage; ils reprochent aux mondains leur vie délicate et leur donnent sujet d'appréhender des châtiments éter- nels, à défaut des châtiments temporels qu'ils ont en extrême aversion. Il suffit de lire la vie de ces grands hommes et de quelques femmes écrite par Théodoret (2), pour voir combien sont variés les actes de la Pénitence. On dirait que ce ne furent pas des hommes, tant leur vie est prodigieuse à cause des croix et de l'austérité, si l'auteur même qui en fait le récit n'avait été témoin oculaire de la plupart des faits, s'il n'avait touché les chaînes de fer dont ils se chargeaient le corps par pénitence, s'il n'avait visité leurs retraites et examiné leur vie • Apprenez à choisir dans cette multitude d'actes ceux que vous pratiquerez, afin de satisfaire à Dieu pour vos offenses et de venger ces offenses' sur vous- mêmes. Si vous ne l'avez pas fait jusqu'à présent» nous n'en êtes pas meilleur ; ayez-en de la confu- sion. Si vous ne le faites pas à l'avenir, appréhendez
1. « Lividum facio . » A Lapide, ibidem.
2 . In Histor. relig .
Dl'S SACREMENTS .•>97
la justice de Dieu ; vous n'êtes pas plus cher à Dieu que les Saints qui ont pratiqué ces péni- tences et vous ne devez pas penser que Dieu vous donnera son paradis à meilleur compte qu'à eux. Car pourquoi le ferait-il ? Qu'ètes-vous de plus qu'eux, sinon peut-être un plus grand pécheur, un chrétien chargé de plus grands crimes.
XXr MÉDITATION
DU SACREMENT DE PÉNITENCE
ET DE
CE QUI LUI EST ESSENTIEL
SOMMAIRE
La Pénitence est aussi un sacrement de la Lot nouvelle qui consiste dans les actes du péni- tent d'une part et dans l'absolution du prêtre d'autre part. — Les actes du pérÀtent, contri- tion.^ confession et satisfaction sont pénibles et laborieux. — Vertu, de r absolution.
I
CONSIDÉREZ que la Pénitence n'est pas seu- lement une vertu, mais qu'elle est aussi un sacrement de la nouvelle Loi, qui consiste d'une part dans la douleur des péchés, dans leur
SgS LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
déclaration au prêtre et dans la satisfaction pour les mêmes péchés, et d'autre part dans les paroles de l'absolution prononcées vocalement par le prêtre, pour remettre les péchés commis après le baptême. Dans cette définition sont contenues les parties essentielles de la Pénitence considérée non plus comme une vertu morale, mais comme l'un des sept sacrements institués par Jésus-Christ et donnés à l'Eglise pour la sanctifier. Elle est ap- pelée ici sacrement, parce qu'elle renferme une multitude de signes sensibles ou de cérémonies religieuses instituées par Jésus-Christ pour repré- senter et produire la grâce. Ces figures sensibles sont d'une part la contrition, la confession et la satisfaction, et d'autre part l'absolution du prêtre. Ces choses en effet signifient que le pécheur est quitte et affranchi de son péché et qu'il est remis en grâce et réconcilié avec Dieu. On conjecture en effet qu'une personne n'est plus dans le péché, quand on lui voit produire au sujet de ses péchés des actes de douleur, de confession et de satisfac- tion ; mais on en a comme la certitude, lorsque le juge plein de pouvoir et d'autorité lui remet son péché et la renvoie absoute. Car il y a bien moins de raisons de douter après l'arrêt prononcé par le juge en faveur d'une personne, que lorsqu'il n'y a encore en elle que les seuls actes de douleur, de confession et de satisfaction ; ces actes ne mar- quent pas aussi évidemment l'état de grâce et la sortie du péché que ne le fait la sentence d'absolu- tion prononcée avec l'autorité et le pouvoir légiti- mes. C'est pourquoi les actes de douleur, de con- fession et de satisfaction tiennent lieu de matière
DES SACREMENTS 3()9
dans ce sacrement et l'absolution du prêtre en est la forme, le couronnement et la perfection, car elle signifie avec plus de certitude et d'évidence la grâce sanctifiante qui elTace les péchés. Le saint Docteur (i) confirme cette doctrine ; il dit en effet qu'il est manifeste que dans la Pénitence les cho- ses se passent de telle sorte qu'il y a quelque chose de saint qui est signifié, tant du côté du pécheur qui se repent, que du côté du prêtre 'qui absout. Le pécheur montre qu'il est éloigné du péché par ce qu'il fait et par ce qu'il dit; également ce que fait et ce que dit le prêtre sur le pénitent signifie l'œuvre de Dieu qui remet les péchés. D'où il est évident que la Pénitence qui se pratique dans l'Eglise est un sacrement.
Il est ajouté à la fin de la définition que ce sacrement consiste dans les actes de douleur, etc., et dans l'absolution du prêtre, pour remettre les péchés commis après le baptême. Le péché origi- nel et ceux que commettent les adultes avant la réception du baptême, sont remis par le baptême. Si l'on vient à pécher après le baptême, ce qui arrive ordinairement aux hommes faibles, il est nécessaire, — car le baptême ne peut être réitéré, — d'avoir recours à la Pénitence, qui répare et accroît les biens de la grâce acquis par le baptême. C'est ce qui a donné sujet d'appeler la Pénitence, la seconde planche après le naufrage (2); car quand nous nous noyions et nous nous abîmions dans la mer du péché originel, le baptême a été
I. D. Thom. q. 84, art. i.
3, ^Secunda post naufragium tabula, »
400 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
notre première planche, sur laquelle nous sommes montés pour échapper au naufrage, et lorsque nous nous sommes perdus de nouveau et noyés dans d'autres péchés survenus après le baptême, nous avons pour seconde planche la Pénitence, afin de nous sauver sur cette planche une seconde fois. On rappelle aussi la seconde échelle après le baptême; car par elle le chrétien peut de nou- veau remonter à Jésus-Christ. Cette échelle a trois échelons : la contrition dans Tàme, la con- fession dans la bouche et la satisfaction dans l'action, au moins en désir ; après cela vient l'absolution et ainsi l'homme arrive à la rémission et au pardon. Il s'unit de nouveau à Jésus-Christ et se réconcilie avec lui.
Louez Dieu de vous avoir donné ce sacrement pour réparer les fautes commises après votre bap- tême. Il faut certes que sa bonté soit grande et sans bornes, puisqu'il a formé de toute éternité le dessein d'instituer ce sacrement, pour suppléer au bapêtme qui ne se donnerait qu'une seule fois ; car Tàme se montre beaucoup plus ingrate quand elle offense son Dieu après la faveur et la grâce du baptême, et Dieu n'aurait qu'un trop juste sujet de l'abandonner dans son péclié, après l'en avoir une fois retirée. Mais sa bonté ne se fixe pas de limites dans ses œuvres. Il institue ce sacrement pour servir comme d'un nouveau bap- tême, quand l'àme sera retombée dans son état de perdition, afin qu'elle n'entre pas en défiance et ne se désespère pas après ses rechutes, comme si Dieu qui lui a pardonné une fois dans le baptême, ne voulait plus pardonner les fautes
DES SACREMENTS 40I
que Ton commettrait après le baptême, à Texem- ple des souverains de la terre qui ne pardonnent ordinairement pas une seconde fois les infidélités commises envers eux, et qui trouvent que c'est beaucoup de les pardonner une fois. Dieu institue ce sacrement comme mo3'en de salut et pour la sécurité du pécheur; car le pécheur entend le prêtre qui tient la place de celui qui a été offensé et contre qui le péché a été commis, lui donner l'absolution. O Dieu éternel ! qu'elle est douce la manière de procéder de votre Providence admira- ble! Elle rappelle suavement et elle ramène à vous les âmes pécheresses, elle donne des signes sensibles et des témoignages évidents de votre amour à des créatures ingrates qui ne mériteraient que des foudres et d'horribles châtiments. Oh ! Je désire à votre exemple donner de véritables signes de réconciliation à qui m'aura offensé, etc.
II
Considérez plus particulièrement que ce sa_ crement consiste dans les actes du pénitent, qui sont la contrition, la confession, la satisfac- tion. Ces trois actes appartiennent à l'essence ou à l'intégrité et à la composition de la Pénitence ; ils en sont la partie matérielle (i). Ce sont trois
I. Il existe sur ce point une grave controverse. Tous les théologiens admettent, surtout depuis le Concile de Trente, que les actes du pénitent sont dans un certain sens la matière prochaine du sacrement de Pénitence, mais le sont-ils de telle sorte qu'ils aient été institués par Jésus-Christ comme devant former, unis à l'absolu- Bail, t. IX. 36
402 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
actes pénibles, laborieux et difficiles à pratiquer. Ce point est d'autant plus important que ce semble être une chose particulière à ce sacrement. Car dans les autres sacrements l'homme n'agit pas, comme par exemple dans le baptême, où l'eau lui est appli-
tion du prêtre, le signe efficace de la grâce, ou, en d'autres termes, les actes du pénitent produisent-ils la grâce ex opère operato ? L'auteur embrasse cette dernière opinion, puisqu'il dit un peu plus loin (page 405) : que « les actes du pénitent sont cause efficace et sacramentelle « de la grâce, en vertu de l'œuvre opérée, comme l'est l'eau « du baptême. » Cette opinion, combattue par Scot et les scotistes est aujourd'hui de beaucoup la plus com- mune ; c'est celle de saint Thomas et des thomistes, tels que Gonet, Bellarmin, Suarez, Vasquez, de Lugo. Le Concile de Trente dit(sess. 14, chap. 3) : ^Les actes « suivants du pénitent : la contrition, la confession et la « satisfaction en sont comme la matière (du sacrement « de Pénitence). Ces actes sont appelés parties de la Pé- « niience, parce que, d'après l'institution de Dieu, ils « sont requis dans le pénitent pour que le sacrement re- .« çoive son intégrité et lui procure pleine et entière rémis- « sion de ses péchés. » Le Concile n'aurait pas dit que ces actes sont des parties de la Pénitence, s'ils n'étaient qu'une simple condition pour recevoir ce sacrement, et si ces mots ^ comme la matière'» ne signifiaient qu'une simple condition. Le Catéchisme romain donne d'ailleurs la raison pour laquelle le Concile a employé cette ex- pression : « Ces actes ne sont pas appelés par le saint « Concile comme la matière de ce sacrement, pour cette « raison qu'ils n'en seraient pas véritablement la matière, « mais parce qiCils ne sont pas une matière de la « même espèce que celle qui est employée extéricure- « ment, comme l'eau dans le baptême et le chrême dans la
DES SACREMENTS 40J
quée par un autre, ou dans la Confirmation, dans laquelle il reçoit le chrême, etdans l'ExtrèmeOnc- tion, où il est oint par le prêtre sans faire lui-même aucune action. Et, quoiqu'il semble agir dans l'Eucharistie en mangeant Thostie et dans l'Ordre en touchant les objets sacrés et dans le Mariage en donnant son consentement, néanmoins tous ces actes sont si faciles que Ton considère l'homme comme ne contribuant en rien à ces sacrements (i).
« confirmation. » (p. 2, c. 5, n. 13). Le même Concile « fournit un autre argument en faveur de cette doctrine quand il « enseigne de plus que la forme du sacrement de « Pénitence, où réside principalement sa vertu, consiste « dans ces paroles du ministre : Je f absous, etc. » (vers. 14 ch. 3); ces paroles supposent clairement que la vertu de ce sacrement réside aussi dans sa matière, qui ne peut être autre chose que les actes du pénitent. A no- ter aussi que seuls les actes extérieurs et sensibles peu- vent être la matière du sacrement; or de ces trois actes du pénitent il n'y a que la confession qui soit sensible par elle-même, il n'y a donc que la confession qui soit par elle-même la matière de ce sacrement, mais la con- fession faite en vue de recevoir l'absolution et par con- séquent accompagnée de la contrition et de la volonté de satisfaire à Dieu.
I. C'est faux pour le sacrement de Mariage, puisqu'il est certain que le signe sacramentel se trouve tout en- tier dans le consentement des futurs époux, exprimé verbalement ; d'après l'opinion la plus commune, les paroles par lesquelles on formule le consentement sont la matière du mariage, en tant qu'elles expriment la tradition des corps, et en sont la forme, en tant qu'elles expriment l'acceptation de cette tradition. Aussi est-il à noter que le sacrement de Pénitence ressemble plus qu'à
404 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
De telle sorte qu'il n'y a que le sacrement de Pé- nitence qui soit composé des actes de celui qui le reçoit, pour lesquels actes il éprouve de la diffi- culté et s'évertue avec peine et travail. Le saint Docteur (1) a donné la raison de cette différence. Les sacrements, dit-il, sont comme des remèdes destinés à rendre la santé. Or, parmi les remèdes, les uns consistent dans certaines choses extérieu- res que Ton applique au malade, tels que les em- plâtres et les appareils; les autres consistent dans certains actes de ceux qu'il faut guérir, tels que certains exercices que prescrivent les médecins. C'est de cette dernière espèce qu'est le sacrement de Pénitence ; c'est un remède de la maladie, qui consiste dans les actes du malade. Il faut qu'il peine et qu'il s'exerce, qu'il se remue et qu'il agisse en formant des actes de douleur, en se con- fessant, en réparant les mauvaises œuvres de son passé par des bonnes œuvres contraires. Au reste cette comparaison explique pourquoi les actes de
tout autre au sacrement de Mariage. L'un et l'autre ont cela de commun qu'ils n'ont pas de matière éloignée qui entre dans leur composition. La raison en est que, dans ces deux sacrements, le signe sacramentel réside tout en- tier dansson action. Or les actions ne comportentpasune application spéciale, telle qu'elle est nécessaire pour la matière proprement dite, par exemple pour l'eau et le saint-chrême. On ne saurait considérer les péchés comme la matière éloignée destinée à faire partie du sacrement de Pénitence, car Jésus-Christ n'a pas institué les péchés comme un signe capable de sanctifier. (Cf. S. Thom. 3, q. 14, a. i).
I. Ibid. ad. i.
DES SACREMENTS 4o5
l'homme interviennent dans '-e sacrement, mais elle n'explique pas suffisamment pourquoi ce sont des actes pénibles et difficiles à la nature, car on le constate par ce fait que plusieurs ont une grande violence à se faire pour avoir la contrition et qu'ils endureraient plus facilement des jeûnes et de ru- des disciplines que de s'accuser à un prêtre de leurs péchés honteux. Aussi il faut encore consi- dérer que ces actes sont laborieux et pénibles, parce qu'il faut détruire les péchés commis après le baptême et qui, par cela même, sont plus volon- taires et plus injurieux à Dieu. Car avant le bap- tême, le principal péché qui règne en nous est le péché originel, que nous avons contracté plutôt par la volonté d'Adam, notre premier père, que par notre propre volonté. Si ceux qui sont baptisés dans un âge plus avancé ont commis d'autres pé- chés, auxquels leur volonté propre a donné son consentement, il est vrai néanmoins de dire que la nature corrompue et inclinée au mal par le pli que lui a donné le péché originel, pousse grandement à les commettre, tandis qu'après le baptême, la nature étant réparée, le péché originel étant aboli et l'inclination au mal affaiblie par la grâce sancti- fiante et par les vertus infuses, tout péché que commet l'homme vient de son propre gré et de son propre consentement; c'est pourquoi il est inexcu- sable. Ajoutez à cela que dans le baptême l'homme reçoit de Dieu des bienfaits signalés qui surpas- sent toutes nos pensées, et que, comme l'offense croît en gravité selon qu'elle renferme plus d'in- gratitude et qu'elle se commet contre un bienfai- teur plus grand et plus libéral, les péchés des
406 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
hommes sont pour ce motif plus graves. En effet les hommes perdent l'état de grâce qui leur avait été acquis par le sang précieux de Jésus-Christ, ils n'offensent pas seulement Dieu comme Créateur, mais aussi comme Rédempteur et Sauveur, qui les avait délivrés par son sang, ils offensent toute la société chrétienne et tous les membres de Jésus- Christ, ils outragent un Dieu fait homme et cru- cifié pour leur salut, un Père très clément et leur Libérateur très bon. Or, plus Dieu a fait pour nous, plus il s'est sacrifié à nos besoins, plus est atroce et sanglante l'injure qui lui est faite (i)- Puisqu'il en est ainsi, Dieu a de justes raisons d'effacer de tels péchés par un sacrement plus pénible, plus rude, plus humiliant, plus mortifiant et qui coûte davantage aux chrétiens, car ils ont à produire des actes de douleur, à découvrir leurs vices, à y payer des amendes et à faire des œuvres satisfactoires. L'énormité de leurs péchés et leur ingratitude après le baptême ont mérité un châti- ment plus grand. Ainsi il ne faut pas s'étonner que les actes humains pénibles et laborieux entrent dans la composition de la Pénitence et qu'ils ap- Dartiennent à l'essence et à intégrité de ce sacre- ment.
Il faut plutôt reconnaître l'équité de la Provi- dence et de la conduite de Dieu sur le salut des hommes, de cette Providence qui sait ordonner toutes choses avec sagesse et avec une justice admi- rable. Il faut apprendre par là à avoir ses péchés de plus en plus en abomination, en pensant qu'on
I. Raymondus Sabond. in L. créât, ûi. 295.
DES SACREMENTS 407
a eu Taudace de les commettre après le baptême dans lequel on avait reçu le prix du sang précieux de Jésus-Christ, c'est-à-dire un état de grâce qui lui avait coûté d'ineffables douleurs et même la vie sacrifiée dans ce but. Quelle confusion ne doit point ressentir un chrétien à cette pensée? Mais combien sa confusion doit être plus grande, si non seulement il a été baptisé, mais s'il a été aussi confirmé, s'il a reçu la sainte Eucharistie, si l'absolution et le pardon lui ont été accordés, plu- sieurs fois même; alors il n'j'- a pas de paroles capables de faire comprendre la gravité de ses crimes ainsi que la grandeur.de la pénitence et de la satisfaction qu'il devrait en faire. Qu'il souffre donc volontiers ce qu'il y a d'âpreté et de rigueur dans le sacrement de Pénitence, qu'il n'estime pas trop faire, quand il s'efforce de produire des actes de contrition, de confession et de satisfac- tion, qu'il croie au contraire qu'à ce prix, il s'en tire à bon marché et qu'il loue Jésus-Christ, pour avoir institué ces choses.
III
Considérez la vertu de l'absolution. Quoique les actes du pénitent interviennent comme parties essentielles dans ce sacrement, et qu'ainsi ils soient causes efficaces et sacrementelles de la grâce en vertu de l'œuvre opérée, comme l'est l'eau du baptême; néanmoins le pénitent ne s'ab- sout pas lui-même de ses péchés, c'est le prêtre qui seul l'absout, quand il applique la forme en disant : «/^ f absous de tes péchés. y> Cette consi- dération est nécessaire pour éviter une difficulté
4o8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
que Ton pourrait faire contre ce que nous venons de dire. Car l'effet du baptême n'est pas attribué seulement à la forme et à la vertu des paroles, mais aussi à l'eau; c'est ce que dit Saint Augus- tin (i) en ces termes : D'où vient à l'eau une si grande vertu qu'elle touche le corps et lave le cœur ? Pourquoi donc également les actes de dou- leur et de confession qui sont la matière de la Pénitence, n'effacent-ils pas les péchés, et pour- quoi le pénitent ne s'attribuerait-il pas cet effet, puisque ces actes procèdent de lui? Le Docteur angélique (2) a écrit sur ce sujet des paroles très remarquables, pour contenir l'esprit humain dans l'humilité et l'empêcher de rien attribuer à sa propre vertu. Il affirme que la Pénitence est ins- pirée aux hommes suivant les paroles du pro- phète : « Après que vous m'ave^ converti^ f ai fait pénitencey> (Jér. 3i); il dit que les actes humains qui en sont la matière, viennent de l'inspiration de Dieu et qu'ainsi c'est Dieu opérant seul qui fournit la matière de ce sacrement, que le prêtre achève, quand il absout le pécheur. D'où il nous laisse à conclure combien est misérable l'homme pécheur et pénitent, combien sa pauvreté est grande, afin qu'il ne s'attribue pas l'absolution de ses fautes, mais qu'il l'attribue toute à Dieu, qui lui a inspiré les actes de contrition et de confes- sion et qui a donné au prêtre les clefs et le pou- voir pour prononcer efficacement cette parole : a Je f absous de tes péchés y>. D'autres théologiens (3)
I. Tract. 80 IN JoAN : ««/ corpus tangaiet cor abluat. » 3. Thom. q. et art. iisdem, ad 2. 3. Suarez, disp. 28, sect. 2.
DES SACREMENTS 409
répondent que les actes de douleur et de confes- sion ne contribuent pas autrement en vertu de l'œuvre opérée, qu'en tant qu'ils sont unis à la forme et aux paroles de l'absolution, et que par elles ils sont élevés à cette haute puissance de remettre les péchés, et qu'en conséquence la rémis- sion des péchés ne doit être attribuée qu'au prê- tre, qui applique la forme. D'auires(i) disent que, pour absoudre des péchés, il faut produire la grâce comme juge par le pouvoir juridictionnel, et que cet acte convient au prêtre seul, et non pas au pénitent. Enfin de même que lorsqu'il s'agit d'un composé naturel ou artificiel, l'honneur d'avoir accompli l'œuvre est attribué seulement à celui qui en produit la forme ou qui l'unit à la matière et n'est nullement attribuée à l'auteur de la matière, comme c'est à l'architecte qui a donné la forme à l'édifice, plutôt qu'à ceux qui ont fourni la pierre et le ciment, que revient l'honneur de l'avoir bâti; de même celui qui efface les péchés, c'est le prêtre qui donne la forme à ce sacrement et non pas le pénitent qui y apporte la matière.
Or, ce qui est ici plus considérable, c'est la manière dont le prêtre remet les péchés dans ce sacrement; ce n'est pas seulement par prière et supplication adressées à Dieu, mais c'est par une autorité et une puissance qui lui est communiquée par Dieu. Il ne déclare pas seulement que le pécheur est absous de ses péchés à cause de sa douleur ou de sa contrition, mais il l'absout véri- tablement et efface ses péchés, aussi bien qu'il le
I. Nœrat. De pœnit. disp. 3, sect. i.
410 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
fait dans le baptême, quand versant de Teau il prononce ces paroles : Je te baptise, etc. C'est pourquoi Saint Ambroise (i) dit : Jésus-Christ veut que ses disciples aient un grand pouvoir; il veut que ce qu'il faisait sur la terre, ses petits serviteurs le fassent également en son nom. Enfin il leur dit : vous ferez de plus grandes choses encore. Saint Ambroise ajoute après plusieurs exemples : Dans le baptême se trouve la rémission de tous les péchés. Qu'importe que les prêtres s'attribuent ce droit par la Pénitence ou par le Baptême ? Saint Jean Chrysostome (2) dit qu'il y a une différence entre les prêtres de l'ancienne Loi et ceux de la nouvelle ; ceux-là avaient le pouvoir non pas de guérir les lépreux, mais de déclarer qu'ils étaient guéris, quant à ceux-ci, ils ont le pouvoir pour ce qui regarde non plus la lèpre du corps, mais celle de l'àme, je ne dis pas de décla- rer que cette lèpre est guérie, mais de la guérir entièrement. En effet, de même que Jésus-Christ en disant ces paroles : inAlle^, enseigne:^ toutes les « nations^ haptise^-Jes au nom du Père, du Fils « et du Saint-Esprit » (Matt. 28), institua la forme du baptême, forme qui signifie et qui produit son propre effet, à savoir la grâce sanctifiante et la rémission de tous les péchés; également, quand il a dit ces paroles : « Recevez le Saint-Esprit^ les « péchés seront remis à qui vous les remettre^ »
1. L. 1. De pœnit, c. 1 : ^Quid interest uirum per « pœnitentiam aut per lavacrum^ hoc jus sibi datum « sacerdotes vendicent? ».
2. De sacerd. 1. 3, c. 6.
DES SACREMENTS 41 I
(Jean, -jo;, il institua la forme du sacrement de Pénitence : Je f absous de tes péchés. Cette forme est à la fois significative et effective de son propre effet, ainsi qu'il appartient à la forme des sacre- ments et comme cet effet est la grâce sanctifiante qui remet tous les péchés mortels, elle a le pou- voir et la vertu de la produire. C'est pourquoi, quand le prêtre prononce ces paroles, il fait une œuvre de sanctification, il fait grâce au pécheur, le pardonne, et le purifie de ses taches ; ce qui l'oblige à être saint et immaculé, puisque les pécheurs espèrent et recherchent d'être sanctifiés par lui (i). Le Docteur séraphique (2) dit que Dieu ayant des différends avec le pécheur, a fait un compromis; il a choisi le prêtre comme arbi- tre de ces différends, afin de mettre fin par le jugement du prêtre à des inimitiés réciproques et de faire la paix. C'est pourquoi le prêtre exhorte le pécheur à déclarer sa faute entièrement, à demander pardon à Dieu avec regret et humilité, et, lui ayant fait remplir ces devoirs de soumis- sion, il l'absout de ses péchés et le condamne à quel- que amende spirituelle, à savoir à une pénitence qu'il lui enjoint d'observer. N'est-ce pas là tout ce que pourrait faire un arbitre entre un grand prince porté à la miséricorde et un homme de basse condition qui aurait eu des torts ? Mais si c'est un honneur très grand d'être choisi par un roi de la terre comme arbitre de ses différends, il n'y a pas de paroles qui soient capables d'exprimer
1. Guillel. Paris. De Pœnit. c. 21.
2. In 4, disp. 15, p. 2, art. i, q. 2.
412 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
quel honneur c'est pour les prêtres d'être choisis par Dieu même comme arbitres, avec le pouvoir de réconcilier Dieu avec les pécheurs et les pé- cheurs avec Dieu.
Etonnez-vous donc de ce merveilleux pouvoir que reçoivent des hommes mortels et misérables, pouvoir qui consiste à administrer ce sacrement. Oh ! que Dieu est admirable, « qui a donné un « tel pouvoir aux hommes! » (Matt. 9). Oh! quelle confiance doit avoir le pécheur de voir ses différends et ses inimitiés avec Dieu se terminer à son avantage, puisque celui qui a été choisi par Dieu pour arbitre et pour juge est de son parti ! C'est un homme comme lui, un homme qui con- naît par sa propre expérience l'infirmité humaine, en face de laquelle il est par conséquent plus dis- posé à éprouver de la pitié. Cet état de chose n'est-il pas plus souhaitable, que si c'était un ange du ciel étincelant comme la foudre et plus brillant que le soleil ? Oh ! Dieu ! quel saisisse- ment, quelles angoisses éprouverait le pécheur à manifester ses souillures sous les yeux de cette pureté, ainsi que ses infirmités et ses défauts à la face de cette grandeur du ciel ? Quelle crainte que cet ange, qui a une autre nature que lui, refusât d'être gracieux et favorable à son égard ! Quel res- pect faut-il donc témoigner au prêtre à qui la puissance du ciel a été confiée ! Car Dieu le Père « a remis tout jugement à son Fils. » (Jean, 6). C'est pourquoi si celui qui aurait reçu du roi le pouvoir d'emprisonner ou de mettre en liberté qui il voudrait, serait admiré dans le royaume et redouté, que ne doit-on pas éprouver en face du
DES SACREMENTS 4l3
prêtre, qui a reçu un pouvoir d'autant plus grand que ràmc l'emporte sur le corps et le ciel sur la terre ? Quel est donc le prêtre qui osera peu estimer son état, et à qui sa condition déplaira comme une chose basse ? Arrière, arrière une telle folie, de mépriser une si grande puissance, sans laquelle nous ne pouvons acquérir le salut ni les biens qui nous sont promis (i) !
XXir MÉDITATION
DES EFFETS DU SACREMENTJDE PÉNITENCE
SOMMAIRE
Le grand effet du sacrement de Pénitence est la rémission de tous les péchés mortels sans délais sans fin et à tout jamais — Un autre effet du sacrement de Pénitence est la restitution de la grâce et des vertus perdues — Autres effets qui sont la conséquence de ceux-là.
I
CONSIDÉREZ qu'un des grands effets du sacre- ment de Pénitence, est la rémission de tous les péchés mortels, sans exception, sans délai, sans fin et à tout jamais. Dieu promet cet admi-
I . D. Chrysost. ubi supra, c. ^.
414 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
rable effet à la vertu de Pénitence. « Si l impie « fait pénitence, je ne me souviendrai plus de « ses iniquités. » (Ezéch. 18). Et encore : « Qiie <(. l'impie abandonne sa voie, qu'il se convertisse « au Seigneur et il obtiendra m.iséricorde. » (Is. 55). Il n'y a point en effet de péché qui ne cède à la puissante vertu de la Pénitence. Or il est constant que le sacrement de la Pénitence a plus d'efficacité que la vertu même de Pénitence ; parce que son effet est infaillible, et que ce sacre- ment agit en vertu de Tœuvre opérée, alors même que le pécheur n'a que la douleur de Tattrition. C'est pourquoi il efface également tous les péchés mortels, sans en excepter un seul, car en vérité Jésus-Christ n'excepte rien quand il dit : « Les « péchés seront remis à ceux à qui vous les re- « mettre^. » (Jean, 20). Aussi ne peut-il jamais arriver qu'un péché mortel soit remis dans une même âme et qu'au même instant les autres ne soient pas remis également, car tout péché mor- tel est remis par l'infusion de la grâce sanctifiante, qui est incompatible avec n'importe quel péché mortel. C'est pourquoi s'il pouvait se faire que tous les péchés des démons et des damnés fussent réunis dans une même âme et que cette âme re- çut seulement la centième partie de la grâce sanc- tifiante qui est donnée à un enfant nouvellement baptisé, ce serait assez pour purifier cette âme de tous ses péchés et la rendre nette au yeux de Dieu, comme un rayon de soleil. Dieu en effet ne pardonne pas à demi, il pardonne tout ou rien, pour ce qui est des fautes et des offenses mortelles. Aussi « les œuvres de Dieu sont parfaites », di-
DES SAC REM H NT S 4l5
sait Moïse (Deut. 32), et saint Paul ajoute : « // « « j' a aucun sujet de damnation dans ceux qui « sont en /ésus-Christ. » (Rom. 7). Pour énor- mes que soient les péchés, pour sanglants et atroces qu'on puisse les imaginer, quand ce serait des monstres de péché et des furies de concupis- cence, si la Pénitence s'étend jusqu'à eux, elle les efface et les absorbe entièrement. Il n'y a que le péché de l'obstination et de l'impénitence finale qui soit irrémissible, parce que la Pénitence n'a pas de prise sur lui et que le pécheur ne lui sou- met jamais ce péché, avec lequel il meurt et périt. Non seulement le sacrement de Pénitence dé- truit tous les péchés sans exception, mais il les détruit aussi sans délai et sans retard ; au même instant où l'absolution est prononcée, le pardon en est donné et entériné absolument autant pour mille péchés que pour un seul, la grâce ne met- tant pas plus de temps pour remettre un million de péchés, que pour en remettre un seul. La Pénitence est prompte, dit la Bouche d'or (i), mais la rémission est encore plus prompte ; d'ail- leurs il n'y a aucune raison pour que la rémission soit différée. De même que le péché mortel ne met pas de temps à détruire la grâce sanctifiante, et à en priver l'âme qui le commet, de même cette grâce ne tarde pas à détruire et à ruiner tous les péchés. Si bien qu'une ancienne version de l'Ecriture sainte souvent alléguée par de graves auteurs (2), portait dans Ezéchiel : « A quelque
1. Homil. I, tnPsal. ^o.
2. Lanspergius, in Pharetra div. amor.
4l6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« moment que gémisse le pécheur^ je ne me sou- « viendrai plus de toutes ses iniquités. » (Ezéch. i8). Cette vérité est confirmée par un dé- vot contemplatif (i), qui fait parler ainsi Dieu lui-même. Je pardonne mille péchés comme un seul. Je vais dire une chose merveilleuse et digne d'étonnement, et qui cependant doit être tenue pour vraie d'une foi très certaine et indubitable. Si tout Tunivers était un globe de feu et qu'au mi- lieu il y eût une poignée d'étoupes, elle ne s'en- flammerait pas aussi promptement que mon insondable miséricorde ne reçoit le pécheur pénitent qui veut se convertir. Car dans cette action na- turelle il y a quelque durée, il y faut un certain temps, pour si petit et si imperceptible qu'il soit; mais il n'y en a aucune entre le pénitent et celui qui remet le péché, entre celui qui gémit et celui qui exauce son gémissement.
Considérez de plus que cette rémission se re- nouvelle sans fin, non pas trois ou quatre fois seulement, mais autant de fois que le pécheur fait pénitence. « Toutes les fois qu'ils ont fait péni- « tence^i il leur a donné la force de résister. » (Judith, 5). « Dieu., dit le prophète, oublier a-t-il « de faire miséricorde'^ » (Ps. 76.) Sa miséricorde est une source qui ne peut tarir ou être épuisée par la multitude des pardons que l'on en tire. Le Fils de Dieu instruisit saint Pierre de ce mystère, et à cause de sa qualité de Chef de l'Eglise, de Prince des apôtres, de tous les pasteurs et de tous les confesseurs, il lui apprit qu'il fallait pardonner
I. In Instit. cJirist. ad virer. Claram.
DES SACREMENTS 417
sans tin et sans limite : « Je ne dis pas jusquà « sept fois, mais jusqu'à soixante dix-sept fois « sept fois » (xMatt. i8) ; ce qui fait quatre cent quatre-vingt dix fois (i). Cette parole donnait sujet à saint Jean Chrysostome, le plus zélé de tous les anciens Pères à entendre les confessions et à absoudre les pénitents, de les inviter à venir réveiller pendant son sommeil, pour se faire absoudre. Il leur disait ces paroles : Si vous re- connaissez votre état dix mille fois par la péni- tence, entrez dans TEglise, je suis toujours prêt à recevoir les pénitents. Ainsi il n'y a point lieu pour le pécheur de désespérer du pardon, à la vue de la multitude de ses rechutes, dont il peut se relever toutes les fois. Si TertuUien (2) dit qu'il ne faut faire qu'une fois pénitence, il entend par- ler des pénitences publiques ; quand un pénitent avait fait une pénitence publique pour de grands crimes, s'il était relaps, toute sa vie il était con- sidéré comme irrégulier, quoiqu'il ne laissât pas d'obtenir le pardon devant Dieu par la confession secrète (3). Mais qu'est-il besoin de plus longs dis-
1. D. Hieron. ibid. « Id est quadringentis nonaginta « vicibus. » anno Christi 56, apud Nicephor, 1. 12, c. 36.
2. De pœnit.
3. Les Pères disent en effet souvent que l'Hglise ne permettait aux grands pécheurs que de faire une seule fois pénitence. Outre TertuUien, on peut citer Hermas (Mandat. 4, 3, n. 6) ; Funk, (Patres apostol. p. 399), Clément d'Alexandrie (Strom. 1. 2, c. 13 ; M. 8,994), Origène (in Levit. tom. 15, n. 2; M. 12, ^61). Mais dans ces divers textes il ne s'agit, comme le dit l'au-
Bail, t. IX. *7
4l8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
cours sur ce sujet, quand le Concile (i) nous assure que Dieu a voulu que les pécheurs fussent absous au tribunal de la Pénitence, toutes les fois qu'ils s'en approcheraient vraiment pénitents. Si
teur, que de la Pénitence publique ; c'est ce que con- firme le témoignage de saint Ambroise : « C'est à bon « droit qu'on blâme ceux qui prétendent qu'on doit faire
« souvent pénitence car de même qu'il n'y a qu'un
« seul baptême, il n''y a aussi qu'une seule pénitence / <(. j'entends une seule pénitence publique^ il convient en « effet que nous nous repentions chaque jour de nos « péchés .:» (D-E pœnit. 1. 2, c. 10; M. 16, 520). L'Eglise avait de graves raisons pour n'admettre qu'une seule fois les pécheursà la Pénitence publique. D'abord si on en avait fait usage plusieurs fois pour le même péni- tent, elle aurait produit moins d'effet. « C'est prudem- « ment et utilement, dit saint Augustin, qu'il a été « établi que l'Eglise n'admettrait qu'une seule fois à la « pénitence la plus humble » (c'est ainsi que saint Au- gustin appelle la Pénitence publique), « de peur que le « remède étant avili fut moins utile aux malades ; la « pénitence est en effet d'autant plus salutaire qu'on « l'estime une plus grande chose. » (Epist. 153 ad Mace • DONiuM, c. 3 ; M. "^^^ 656). De plus les exercices que comprenaitla Pénitencepublique étaient très pénibles et duraient très longtemps, de telle sorte que difficilement la même personne pouvait les recommencer. Outre ces deux raisons, en voici de mystiques, que donne saint Thomas: <i La pénitence solennelle ne doit pas être re- « commencée pour trois raisons. De peur qxie recomman-
I. Trid. ses. 14, de sacram. pœnit. c. 2 : « Ante hoc « tribunal tanquam reos sisti voluit, ut per sacerdoium « senteniiaSf non semel, sed quoties ab admissis peccatis « ad ipsum pœnitcntes confugerint, passent liberari. »
DES SACREMENTS 419
Dieu le veut ainsi, lui qui est le Maître de ses dons et de ses miséricordes, pourquoi des hommes de terre veulent-ils s'opposer à cette volonté suprême ? Pourquoi rejettent-ils les pénitents après quelques rechutes dans les mêmes péchés et les renvoient-ils sans pardon ? Peuvent-ils être plus fidèles dispensateurs des grâces de Dieu, qu'en les distribuant selon sa volonté, qui est infiniment plus libérale et plus magnifique que les esprits des hommes ne peuvent le conce- voir ?
« cée elle devienne vile. Secondement, à cause de sa signifi- « cation ; elle signifie en effet Vexpulsion du premier « homme du paradis ; or le premier homme n'en a été « chassé qiCiine fois. Troisiètnement, la solennisation de « la pénitence équivaut à la profession de faire toujours « pénitence^ voilà pourquoi la pénitence solennelle ne « veut point être recommencée. » (Suppl. q. 28^ a. 2). — Il est historiquement démontré que, contrairement aux affirmations d'Albespy ( De veteribus Ecclesiœ ritibus, 1. 2, observât. 5 suiv.)etde Fechtrup (Theol. Quart als CHRiFT, Tiibing. 1872), l'Eglise n'a jamais refusé d'ab- soudre même ceux qui étaient retombés dans de grands crimes après avoir été admis à la pénitence publique. (Voir Sardagna, Theol. dogmaticopolemica, tract, de PŒNiT., Palmieri, de pœnit., Hurter, Theol. dogmat. compendium, édit. 8, tom. m, Frank, Bussdisciplin). Pie VI dans le bulle Auctorem Fidei a condamné « la « doctrine d'après laquelle^ le Concile ('de Pistoie) après « avoir déclaré qu'il ne pouvait s'empêcher d'admirer « cette discipline si vénérable de Vantiquité, qui, dit-il, « consistait à ne pas admettre facilement ou petit-être « même à ne jamais admettre à la pénitence celui qui « après un premier péché et une première réconciliation
426 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Enfin la rémission des péchés se fait encore sans retour des mêmes péchés une fois pardonnes. Alors même que le pénitent vient à rouvrir ses plaies et à commettre d'autres péchés, néanmoins les anciens péchés effacés par la Pénitence de- meurent entièrement abolis et ne reviennent plus. La raison en est qu'il faudrait un miracle pour faire revivre dans une âme des péchés que la Pénitence y a une fois éteints et réduits à néant. Car qui pourrait les produire de nouveau ? Mais cette vérité mérite une plus grande discus- sion.
En attendant apprenez à la suite de cette consi- dération quelle est la vertu incomparable du sacre- ment de Pénitence pour déterminer les péchés mortels. Retirez-en d'ardents désirs de le fréquen- ter pour participer à un si merveilleux effet, sans vous décourager à cause de l'énormité de vos offenses, ni à cause de leur multitude ni à cause du grand nombre de vos déloyautés, de vos rechu- tes et des manquements à vos résolutions de ne
« était retombé dans le péché, ajoute que cette crainte « d'être exclu de la communion et de la réconciliation, « même à l'article de la mort, sera un grand frein pour « ceux gtii considèrent pett le mal du péché et le craignent « encore moins : cette doctrine, dit Pie VI, est contraire « au I ^^ canon du I" Concile de Nicée, à la décrétale « d'Innocent I à Exupère de Toulouse et à la décrétale de « Célestin Z^"" aux évéques de Vienne et de la province « Narbonnaise, elle sent l'erreur que dans la même « décrétale le saint Pontife repousse avec horreur. » (Prop. 38'' parmi les 8^ du Concile de Pistoie condam- nées par Pie VI, le 28 aoîit 1894).
DES SACREMENTS 421
plus pécher, manquements dont vous vous êtes rendu coupable tant et tant de fois. Rien de tout cela n'empêche Telficacité de la Pénitence. Elle est au-dessus de tous ces obstacles qui retardent les âmes peu avisées de se bien reconnaître et de recourir à une miséricorde qui ne peut être vain- cue, ni surmontée par la grandeur des misères. Enfin formez des désirs d'imiter la miséricorde de Dieu à l'égard de ceux qui vous offensent ; par- donnez-leur tout sans exception, sans délai, sans limite et sans reproche.
II
Considérez un autre effet de la Pénitence, qui est la restitution entière de la grâce et des vertus perdues par le péché mortel, ainsi que le rétablis- sement de tous les mérites et de tous les droits à la gloire éternelle. Cette vérité est d'autant plus importante, qu'elle offre au pénitent un notable avantage et un bien très considérable. Mais pour en avoir l'intelligence plus parfaite, il faut supposer que le péché mortel prive l'àme de la grâce sanc- tifiante, de la charité et des autres vertus morales infuses en même temps qu'elle dans la volonté. De plus il fait perdre à l'âme tous les mérites de ses bonnes oeuvres passées, il la met dans un tel état que, si elle partait de ce monde avant d'avoir fait pénitence, elle n'obtiendrait jamais aucune récompense dans le ciel. C'est pourquoi, par le péché, elle est devenue semblable à un sujet qui s'est révolté contre son prince ; car elle a pris parti pour Satan; elle a commis des félonies et
422 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
des trahisons avec lui. La condamnation à mort s'en est suivie, en même temps que la dégrada- tion et la confiscation de tous ses biens et de tous ses profits spirituels. Toutefois comme Dieu est plus enclin à la miséricorde qu'à la justice et plus porté à faire grâce et à accorder ses faveurs qu'à exercer des rigueurs envers ses créatures, comme, d'autre part, de toute éternité il prévoyait les péchés des âmes qui auraient joui de sa grâce et acquis quelques mérites par des actions ver- tueuses; il décréta de ne pas les priver de ces biens sans espoir de restitution, si elles rentraient dans le devoir, si elles faisaient pénitence en im- plorant sa clémence et en promettant de s'amen- der. Dans ce cas il résolut de leur redonner la vie de la grâce, qu'elles avaient eue tout d'abord, la dignité des vertus qu'elles possédaient, comme aussi de les rétablir dans leurs mérites et dans leurs biens comme par une sorte de restitution entière. Ensuite, il se proposa de ne pas priver éternellement une âme d'aucun degré de grâce ni de gloire pour un péché qui aurait été par- donné pendant cette vie. Tout cela s'accorde avec ce qu'il promet par le prophète : « Si limpie fait « pénitence de tous ses péchés^ je ne me souvien- « dr ai plus de toutes ses iniquités. » (Ezéch. i8). Saint Paul écrivant aux Hébreux qui étaient pas- sés de la vertu au vice et de la grâce au péché, les exhorte à venir à résipiscence sous cette promesse que les biens qu'ils avaient faits autrefois leur seraient comptés et alloués par Dieu, afin qu'ils en fussent récompensés. « Dieu n'est pas injuste » au point d'oublier votre œuvre et V amour que
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» VOUS lui avc:^ iihnoigiic, vous qui ave^ rendu » service aux saints. » (Héb. i6)(i). Si bien que la grâce ayant été infusée dans i'àme pour y être
I. L'auteur cite en faveur de cette interprétation Théophilacte, Théodoret, saint Anselme et saint Tho- mas; on pourrait citer encore saint Epiphane, Prima- sius, Alcuin, etc. C'est la preuve que les SS. Pères ont admis la doctrine de la reviviscence des mérites, preuve de tradition. Mais il semble bien que les Pères partant de l'hypothèse fausse que les destinataires de cette lettre avaient perdu la foi, ont attribué à ce passage un sens qu'il n'a pas. Le contexte prouve que les Juifs convertis à qui s'adresse l'Apôtre ont simplement be- soin d'être fortifiés à cause des dangers qui menacent leur foi, mais qu'ils conservent encore cette foi. Il y a une terre qui ne porte que des ronces et des épines et qui est menacée de malédiction ; mais « tioiis avons, dit « l'Apôtre, nne meilleure opinion de voust»^ parce que « vous produisez des œuvres « voisines du salut et que « non-seulement vous ave^ assisté les saints, mais que « vous LES ASSISTEREZ ENCORE. » Afin que ces œuvres aient leur récompense, l'Apôtre les engage à persévérer dans l'état de grâce : « Mais nous souhaitons que chacun « de vous fasse paraître jusqiC à la fin le même ^èle, afin « que votre espérance soit accomplie. :^ (v. ii). Le Con- cile de Trente fait donc un usage judicieux de ces paroles : « Dieu nest point injuste », quand il s'en sert pour démontrer que les œuvres des chrétiens en état de grâce méritent la vie éternelle d'un mérite de condi- gnité. (sess. 6, c. 6). Le Concile ajoute, il est vrai, qu'il en est de même pour ceux qui ont recouvré la grâce, après l'avoir perdue, que pour ceux qui l'ont toujours conservée ; et il a pu le dire à bon droit, quoique saint Paul n'ait eu nullement l'intention d'af- firmer dans ce passage la reviviscence des mérites.
4^4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
éternelle et ne jamais périr, et les bonnes œuvres, que cette grâce a vivifiées, étant dignes en Justice de la récompense éternelle, tous ces mérites ont été arrêtés et comme tenus en suspens par l'obstacle du péché mortel qui est survenu. De là vient que cet obstacle une fois ôté par la Pénitence, la grâce reprend son cours dans l'âme et les mérites du passé reprennent leur première vie et vigueur. Et alors Dieu reçoit le pécheur, comme le père de l'enfant prodigue le reçut à son retour, avec de grandes caresses et de tendres embrassements. « Vite, vite, qu'on se dépêche. apporte\-lui sa « première robe. » (Luc, i5). C'est ainsi, en effet, que Dieu traite le pécheur qui vient à résipis- cence, sans délai et au plus tôt il lui rend la pre- mière robe de la grâce et de la charité qu'il avait eue, il lui tient compte aussi de tous ses services antérieurs et il ne veut pas qu'il en perde un seul. Il lui rend tout le butin que le démon avait fait sur son âme, ainsi que fit Abraham à l'égard de Loth (Gen. 19), quand il l'arracha aux mains de ses ennemis qui l'emmenaient prisonnier. Et comme la nouvelle conversion et pénitence porte encore avec elle de nouveaux degrés de grâce ces nouveau degrés joints aux précédents font une grâce plus forte et plus grande ; si bien que grâce à cette conjonction, toutes les fois que le pécheur fait pénitence, il possède une grâce plus abondante et un plus riche trésor qu'aupa- ravant. C'est pourquoi quand l'homme juste est rappelé de cette vie, c'est toujours pour recevoir sa récompense dans l'état de grâce le plus élevé et le plus parfait qu'il a eu dans tout le cours de sa
nES SACREMENTS 425
vie. Cette vérité n'est nullement contredite par le décret de la Faculté de Paris (i) qui a condamné cette proposition : Dieu retire toujours l'homme de cette vie dans son meilleur état; parce que ceux qui la mettaient en avant y comprenaient les réprouvés aussi bien que les prédestinés, tandis que seuls les prédestinés sont rappelés de cette vie dans leur meilleur état, et non pas les réprouvés.
Le fruit que vous devez recueillir de cette vé- rité si excellente, c'est l'amour et le désir de la Pé- nitence, qui a tant de vigueur et d'efficacité. Oh ! si vous avez vécu autrefois dans les délices de la vie spirituelle et que vous ayez fait une quantité de saintes œuvres, dont vous êtes déchu par quel- que surprise de Satan, ou par la perfidie de vos passions qui vous ont jeté dans le vice ; oh ! que vous vous faites grand tort ne pas recourir à la Pé- nitence pour regagner toutes vos richesses spiri- tuelles, toute votre grâce et les mérites qui ont abondé en vous ! Dites-nous, généreux pénitents qui, après le sac et le cilice, après l'accomplisse- ment de vos pénitences, êtes rentrés en grâce avec le Souverain Créateur, combien courte et légère a été votre peine, pour un si grand avantage que que vous avez reçu ; que vous manque-t-il des biens que vous aviez obtenus autrefois par une courte affliction? Vous avez acquis des consolations éternelles. O fruit de la Rédemption abondante de Dieu ! Qui ne voudrait à votre exemple s'enrôler
I. Apud Major, in 4, dist. 22, quœst. unica. Opposi- tus est error Parisiis damnaUis, (Note de l'auteur).
426 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dans votre compagnie, sous Tétendard de la croix ? Que ne fait-on pas en effet pour le recouvrement du butin que l'ennemi a enlevé dans ses courses ? « V ennemi a porté sa main sur tout ce qu'elle « avait de plus désirable. » (Lament. i). Le cou- reur des enfers a tout ruiné chez vous par le pé- ché mortel. Ayez donc recours à la Pénitence, dans ce passage étroit chargez brusquement votre ennemi et vous ferez la reprise de toute votre substance spirituelle. O mon âme, « loue^ avec « moi le Seigneur., parce qu'il est bon., parce que « sa miséricorde s'étend dans tous les siècles. » (Ps. 117). — « Oh! ses miséricordds sont au-des- « sus de toutes ses œuvres. » (Ps. 144).
III
Considérez encore d'autres eff"ets de ce sacre- ment de Pénitence ; ces effets sont la consé- quence des précédents, à savoir de la rémission des péchés et de la restitution de la grâce, car tout ce qui se dit de grand de la Pénitence se tient comme un anneau tient à un autre anneau dans dans une même chaîne.
Le premier de ces nouveaux effets est la déli- vrance de la servitude du démon, car quand les péchés dont l'àme était captive sont effacés, elle entre dans une noble liberté, qui est signifiée par la sortie des enfants d'Israël de la terre d'Egypte, on ils vivaient sous la tyrannie du cruel Pharaon. Et de même que les enfants d'Israël disaient : Pour en sortir, « Nous ferons dans le désert une « marche de trois Jours. » (Exod. 8); ainsi les pécheurs font dans le désert de la Pénitence un
DES SACREMENTS 427
chemin de trois jours spirituels qui sont la contri- tion, la confession et la satisfaction.
Le second etVet est la résurrection du mort, parce que la Pénitence remettant le péché et re- donnant la grâce, retire l'homme du non-être et lui donne l'être, la vie, et le mouvement des saintes actions, comme la résurrection le fait à l'égard de celui qui est mort (i). Aussi peut-on y remarquer les traits principaux de la résurrection générale. Au jour de la résurrection générale, à la voix du Fils de l'Homme et au son de la trompette de l'ange, la poussière des corps humains sera rassemblée en un seul lieu, où ils ressusciteront. Dans ce sa- crement les exhortations célestes, toutes les pen- sées de l'homme pécheur sont recueillies en une seule, il ne pense qu'à ressusciter. Là la terre sera ébranlée, elle tremblera ; ici le cœur humain est secoué par l'horreur de ses fautes et par les justes craintes de la colère de Dieu. Là les corps sorti- ront de leurs cercueils, ici les âmes sortent de leurs amours déréglés qui sont leurs tombeaux, parce que l'amant demeure enseveli dans l'objet qu'il aime ; « Le désir de l'impie, dit le Sage, est le tom- « beau des pervers. '>^ [Prov. 12). Là l'arrivée de Jésus-Christ dissipera toutes les ténèbres, ici les consciences sont éclairées et le pécheur y voit toutes ses laideurs et toutes ses difformités. Là se fera la comparution devant le tribunal de Jésus- Christ ; ici elle se fait devant le prêtre qui repré- sente la personne de Jésus-Christ. Là les méchants et les impies seront condamnés à l'enfer, les justes
I. Guillel. Paris. De sacrant. Pœnit. c. 6.
428 LA THÉOLOGIE AFFFECTIVE
seront rétablis dans leur honneur et élevés à la gloire; ici les péchés sont condamnés à une mort éternelle par la puissance des clefs qui les exter- mine sans espoir de retour, les actions saintes, la grâce et les vertus reprennent leur lustre et reçoi- vent une vie qui doit être éternelle.
Le troisième effet est la paix avec Dieu. Son courroux est apaisé par la Pénitence, qui humilie les âmes devant lui. Et de même que le lion gé- néreux renonce à sa fureur à la vue de ceux qui se prosternent devant lui et qui s'abattent à terre en sa présence; ainsi Dieu sent fléchir sa rigueur, quand il voit le pécheur prosterné devant lui par la Pénitence, n N'as-tu pas vu, dit Dieu, Achab « humilié devant moi'^ » (III Rois, 21). Ainsi les Ninivites l'apaisèrent quand se couvrant du sac et de la cendre, ils firent jeûner les enfants et les animaux, afin que par leurs cris et leurs gémis- sements, ils fussent eux-mêmes plus excités à pleurer leurs offenses (i). Ainsi, dit Tertullien (2), la satisfaction est disposée, c'est-à-dire réglée, par la confession. De la confession naît la Pénitence, et par la Pénitence Dieu est apaisé. De sorte que la Pénitence est un art de prosterner et d'humilier l'homme, en lui enjoignant une manière de vivre qui provoque et attire sur lui la miséricorde de Dieu.
Le quatrième effet est l'ouverture du paradis.
i.Theodoret. injonam.
2. L. DE Pœnit. « Exomoîogeris prostcrnendi et humi- liandi Jwminis disciplina est, conversationem injungens misericordice illicem. »
DES SACREMENTS 429
« Faites pénitence, disait Jean, car le royaume « de Dieu est proche. » (Matt. 3). Ainsi quand le bon larron confessa son crime devant Jésus-Christ, avec un déplaisir cuisant d'avoir offensé celui qu'il voyait mourir pour lui, et quand il accepta pour satisfaire à ses péchés les tourments de la croix et la jmort, il entendit cette si désirable promesse : « En vérité, je vous le dis, vous sere^ aujourd'hui « avec moi dans le paradis. »
Mais que faisons-nous, quand nous voulons con- cevoir tous les gracieux effets de la Pénitence. Ses louanges sont sans lin. Elle est la lumière de l'aveugle, la récréation de celui qui était anéanti, la réconciliation d'une épouse adultère avec son chaste Epoux ; elle rapproche de Dieu celui qui en était éloigné, elle remet dans la voie celui qui s'en était écarté, elle acquitte les dettes, elle guérit les infirmes, elle retire des portes de l'enfer, elle renouvelle l'homme, elle extermine tout mal et procure tout bien.
Rendons des actions de grâce à Dieu pour tant d'amour et de bienveillance qu'il nous témoigne dans ce très utile sacrement. Que ce grand Dieu sait tirer de biens de nos maux, qu'il sait changer nos misères en honneur et en félicité ! Ce n'est pas assez pour sa bonté sans mesure de biffer sim- plement nos péchés dans la Pénitence et de casser l'arrêt ne notre condamnation ; mais encore dans ce même instant il nous remplit de biens et nous comble de faveurs. Oh ! que je déplore l'aveugle- ment et la misère des pécheurs impénitents et en- durcis dans leur vie dépravée ! Hélas ! qu'ils se font de tort et se priventde plein gré de très grands
43o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
avantages ! La Pénitence, ô pécheur semblable à moi (ou plutôt moins pécheur que moi, car je re- connais que Je remporte sur toi par mes péchés) saisis-la, embrasse-la, comme celui qui fait nau- frage saisit une planche pour se sauver dessus (i). Elle te relèvera alors que tu t'enfonces dans les flots de tes péchés, et t'amènera au port de la clé- mence divine. Profite de cette occasion qui est pour toi un bonheur inespéré, afin que toi qui n'étais rien devant Dieu qu'un peu de poussière, qu'une gouttelette d'eau, qu'un petit vase de terre, tu deviennes un bel arbre planté le long des eaux, qui pousse ses feuilles et donne des fruits, qui ne craint ni la cognée ni le feu. Repends-toi de tes erreurs, maintenant que tu as trouvé la vérité, repends-toi d'avoir aimé ce que Dieu n'aime pas (2).
1. TertuU. lib. de pœnit : « Ita invade^ ita amplexare ut naufragus alicujus tabulœ fïdem. »
2, « Pceniieat amasse quod Deus non amat. »
DES SACREMENTS 43 I
XXIir MÉDITATION
COMMENT LA PÉNITENCE EFFACE LE PÉCHÉ SANS RETOUR
SOMMAIRE
Dieu pouvait remettre les péchés de telle sorte qu'ils seraient imputés de nouveau au pénitent qui y retomberait. — Dieu pardonne le péché absolument et sans condition, après une par- faite Pénitence. — Néanmoins les péchés déjà remis sont encore imputés au pécheur au point de vue de T ingratitude.
I
CONSIDÉREZ que Dieu pouvait remettre les péchés avec cette condition, que, si le pénitent retombait, il serait de nouveau tenu pour criminel aux yeux de la justice de Dieu, et qu'il serait privé soit de la grâce, soit de la gloire, et passible des supplices éternels, en vertu des pé- chés précédemment effacés et pardonnes par la Pénitence (i). Pour comprendre cette vérité, repré- sentez-vous que le pécheur donne par son oifense trois sortes de droits nouveaux contre lui à Dieu qu'il offense. Le premier droit qu'il donne à Dieu
1. Thomas Hurtado in Prœcursore Theologo, contro- vers. a, disp. 2.
432 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
en péchant, c'est le droit de le haïr, d'avoir de rinimitié pour lui, et de le prendre en dédain et en aversion. Car, puisque en transgressant la loi de Dieu, le pécheur se détourne de Dieu et le traite sans respect, et plutôt avec mépris, Téquité veut que Dieu agisse d'une manière semblable envers le pécheur, c'est-à-dire qu'il le prenne en dédain et en aversion. Le second droit que le pé- cheur donne à Dieu par son offense, est le droit de le punir et de lui faire porter la peine de sa témérité et de son outrecuidance ; car, comme Dieu est le souverain maître et juge des hommes, le péché lui met comme l'épée à la main, pour en tirer une juste vengeance, par des peines propor- tionnées à la grandeur du péché. Le troisième droit qu'a Dieu encore, quand l'homme pèche, est le droit de se tenir pour offensé et méprisé. Il peut bien avoir cette pensée, puisqu'en effet par le péché il a été méprisé, désobéi, et que le pé- cheur a préféré à sa loi la misérable affection de quelque bien ou de quelque intérêt. Or quoique Dieu pardonne miséricordieusement le péché dans la Pénitence^ et renonce volontairement à ces trois sortes de droits et d'avantages sur le pécheur ; toutefois rien ne l'oblige à y renoncer absolument. Il pourrait dire au pécheur : Je re- nonce aux droits que j'ai sur toi à cette condition que tu ne retomberas plus dans le péché ; mais si tu es assez malheureux pour retomber dans quel- que offense mortelle ou même vénielle, je pré- tends user de tous ces droits contre toi, quoique j'aie effacé ton péché et que je t'aie remis dans l'état de grâce sanctifiante. Ce sera toujours avec
DES SACREMENTS 433
cette réserve que tu en seras de nouveau privé et que tu seras soumis aux premières peines, si tu retombes. Il peut en être ainsi dans les affaires du monde. Un roi peut pardonner à un malfai- teur son crime et le rétablir dans tous ses pre- miers honneurs et dignités; à la condition qu'il ne commettra pas de nouveau le crime qui lui était pardonné, et que, s'il le commet, il sera passible du supplice, même pour le crime qui lui a été remis ; dans ce cas, le roi usera de son droit. Si un roi peut procéder ainsi, pourquoi Dieu, qui est si grand, qui est maître et seigneur si absolu et si puissant, ne pourrait-il point le faire ? sur- tout si nous considérons que la satisfaction offerte par le pécheur dans sa pénitence n'est pas telle qu'elle mérite en rigueur de justice l'abolition entière de son péché ; Dieu en effet remet toujours ce péché en exerçant largement sa clémence et sa miséricorde à l'égard du pécheur pénitent (i). Si
1 . Sans doute Dieu témoigne largement au pécheur pénitent sa clémence et sa miséricorde en acceptant que les mérites de Jésus-Christ lui soient appliqués. Mais cette substitution miséricordieuse des mérites infinis du Rédempteur à nos propres mérites une fois admise, il n'en est pas moins vrai que Dieu ne peut pas ne pas remettre au pécheur pénitent ses péchés abso- lument et simplement, car la réparation offerte est adéquate et même supérieure à l'offense. Nous savons en effet par maints endroits du Nouveau Testament que Jésus-Christ a pris sur lui tous nos péchés et qu'il a offert pour ces mêmes péchés une satisfaction entière et telle que pouvaient l'exiger les lois de la stricte justice.
Baii., t. IX. a8
434 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
bien que, s'il cède de ces trois sortes de droits, il pourrait, en faisant usage de sa puissance absolue ne céder de ces droits qu'en faisant de's réserves, et à une condition qui n'aurait rien que de raison- nable. Et puisque Dieu exige du pécheur le bon propos et la résolution de ne plus retomber, ainsi il pourrait exiger Taccomplissement et l'exécution réelle de ce bon propos et à son défaut révoquer son pardon. Il est vrai que le même acte du péché ne pourrait pas reparaître; mais absolument il pourrait se faire que la tache du péché et l'obli- gation de subir la peine ainsi que l'aversion et l'inimitié de Dieu revinssent les mêmes après la rechute (i).
«. Hyquœus, in 4, dist. 22, ad quœs. unicam Scoti arguit Vasquez, q. 88, art. i, contra sentientem. (Note de l'auteur). — Il est impossible en effet que le même acte du péché reparaisse. L'homme a beau pécher de nouveau, il lui est impossible de produire numériquement le même acte qu'il a produit dans le passé. De plus un nouveau péché ne peut jamais taire renaître un péché antérieur déjà détruit^ car aucun acte nouveau ne reproduit un acte passé et, si nous admettions un instant que cela put arriver, il en résulterait une conséquence absurde, à savoir que le péché de vol commis par un homme qui aurait obtenu la rémission de blasphèmes dont il se serait rendu autrefois coupable, ferait de cet homme un blasphé- mateur. Enfin Dieu ne peut pas reproduire dans l'homme le péché précédemment remis et par consé- quent détruit, car le reproduire, c'est le faire une se- conde fois. Or Dieu ne peut faire aucun mal moral. On peut se demander toutefois si cette impossibilité est absolue. Vasquez (in i, 2, disp. 208, in 3, q. 88),
DES SACREMENTS 435
Je reconnaîtrai donc le grand mal du péché. Voilà Tétat auquel il me réduit à l'égard de Dieu, qui, étant donné sa bonté et sa clémence, ne
que cite Bail en note, de Lugo (De PœNiTENX. disp. lo) Pallavicin, Haunold, Sylveira, etc., l'affirment, confor- mément à l'opinion commune des théologiens (de Lu- go, DE PcENiT. disp. lo, sect. \, n. 8). Quelques théolo- giens soutiennent qu'il est possible, absolument par- lant, que le péché une fois remis reparaisse soit quant à la faute, soit quant à la peine ; c'est notamment l'en- seignement de Grégoire de Valence (t. 4. De Pœnit., q. 5, p. i) de Viva et de Suarez; mais ce dernier admet seulement que le péché remis peut reparaître quant à la peine. (De PœNix. disp. 13, sect. 2, n. 14). Les ar- guments que nous venons d'indiquer, nous sem- blent démontrer que la réapparition des mêmes péchés est absolument impossible. De plus, pour que le péché put revivre, il faudrait qu'après la rémission il restât encore dans l'âme quelque racine du péché; cette racine du mal pourrait seule motiver la haine dont Dieu poursuivrait l'homme pour ce péché. Or il ne subsiste plus après la rémission aucun reste du péché, car la rémission a été absolue et parfaite, dautant plus qu'elle a lieu nécessairement par l'infu- sion de la grâce sanctifiante, dont l'effet est de faire de l'homme VawA et le fils adoptif de Dieu. ^Cheiles » hommes, dit Suarez, quand un créancier a remis à un » débiteur sa dette d'une manière absolue^ il a beau plus » tard se repentir de l'avoir remise et vouloir rétracter ce » qu'il a fait, il n'y parviendra jamais... De même si » Dieu qui est immuable pouvait, par impossible, chan- » ger pour d'autres choses son décret absolu, il ne le pour- » r ait pas néanmoins pour celle-là ; parce que l'effet dont » il s'agit, c'est-à-dire la destruction du péché, est tel que » Dieu ne peut faire par sa seule volonté que l'effet op-
436 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pourrait exercer contre l'homme aucune vengeance, si le péché ne lui mettait les foudres à la main. Je m'humilierai également dans l'action de la pé- nitence, parce qu'elle n'est pas si parfaite qu'elle puisse abolir le péché en toute rigueur de justice, si Dieu n'usait d'une grande bonté et d'une grande clémence. Il ne faut donc pas que j'attribue la rémission de mon péché à ma justice et simple- ment à la vertu de ma pénitence, mais je doisr reconnaître toujours la grande clémence et miséri- corde de mon Dieu. O clémence, que vous m'avez été favorable ! O miséricorde divine, que vous m'avez été propice 1
II
Considérez que de fait Dieu n'use pas du pou- voir qu'il a de remettre le péché à la condition de n'y plus retomber ; mais qu'il le pardonne et le détruit totalement après une pénitence entière, en sorte qu'il ne revient plus et qu'une âme n'est plus privée de la grâce de Dieu et de ce qui s'en- suit, en vertu de l'acte du péché passé et remis (i).
» posé existe, c'est-à-dire que l'âme soit en état de péché. » (De PœNiT. disp. 13, sect. r, n. 6). Toutefois il n'y a rien qui répugne, comme le soutient à bon droit l'au- teur, à ce que Dieu, qui est le maître suprême et absolu, ne remette à l'homme le péché qu'à cette condition et sous cette menace que le jour où il pécherait de nou- veau il contracterait une faute et une peine égales à la faute et à la peine qui résulteraient à la fois du péché nouvellement commis et de l'ancien péché^ s'il n'avait pas été remis. Mais Dieu ne Ta pas voulu.
I, Cette thèse est admise par tous les Théologiens.
DES SACREMENT?; 487
Saint Paul insinue cette douce et consolante vérité, quand il dit : « Les dons de Dieu sont sans repen- « tance et sans regret » (Rom. 1 1) ; il ne révoque pas le pardon une fois octroyé (i). L'Apôtre saint
Quelques-uns ont bien pensé différemment, comme nous l'apprend le Maître des Sentences (Sent. 1. iv, d. 22), mais personne ne les a suivis. (Voir Suarez, De Pœnit. disp, 13, sect. i, n. 4; De Lugo, De Pœnit. disp. 10, sect. I, n. 7 ; Vasquez, in i, n, disp. 208 et in ni, q. 88, art. i, n. 49 et suiv. ; la Théologie de Wurzbourg, De Pœnit. n. 73). Si les péchés remis réapparaissaient après un nouveau péché, il y aurait obligation de les accuser en même temps que ce nou- veau péché, conformément au décret du Concile de Trente (sess. 14, c. 5) qui prescrit aux pénitents d'ac- cuser « en confession iojis les péchés mortels, dont... ils « se sentent la conscience chargée. » Or rien n'est plus opposé au sentiment et à la pratique de l'Eglise,
I. « Les dons de Dien sont sans repentance » dit PApôtre. La grâce sanctifiante et la rémission des pé- chés sont des dons de Dieu, mais il y a une différence importante à noter entre la manière dont Dieu nous confère l'un ou l'autre de ces dons. En ce qui regarde la grâce sanctifiante. Dieu de son côté ne fait rien, il est vrai, pour la révoquer, mais il arrive que l'homme met un obstacle à la possession de cette grâce, et par cet obstacle qui est incompatible avec le don de Dieu, il oblige en quelque sorte Dieu à retirer son don. C'est alors le péché qui chasse la grâce. 11 n'en est pas ainsi de la rémission du péché. Le péché commis actuelle- ment n'est nullement incompatible avec la rémission des péchés antérieurs. En voici la raison : remettre le péché, c'est le détruire. Si la grâce par laquelle le péché a été détruit, disparaît, le péché ne revient pas pour
438 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Jacques dit : « qu'il donne à tous abondamment « et sans reproche. » (Epist. can. ch. i). En réalité, si Dieu ne pardonnait les péchés qu'avec cette condition que, si le pénitent démentait sa bonne résolution, il retomberait dans la même souillure et dans la même obligation de l'expier qu'aupara- vant. Dieu ne remettrait pas effectivement et véri- tablement le péché, parce que ce qui ne s'accorde que sous condition d'une chose incertaine et con- cernant l'avenir, n'est pas accordé absolument et si la condition ne se réalise pas. Ainsi Dieu n'au- rait pas décrété absolument de remettre le péché dans cette vie ; chose que saint Thomas (i) estime déroger à la grâce de Dieu. Remettre le péché, dit-il, avec une certaine condition dépendant de l'avenir, de telle sorte que l'homme ne soit pas justifié absolument, mais seulement pour le mo-
cela, car dans ce cas l'effet a consisté à détruire et un tel effet n'exige point la persistance de la cause, comme l'exige dans certains cas un effet positif à pro- duire. De plus le péché pourrait absolument être dé- truit sans l'infusion de la grâce ; donc la destruction du péché pourrait persister, alors même que la grâce ne persisterait pas dans l'âme. On doit dire que la ré- mission des péchés a lieu absolument ; c'est ainsi que Dieu le veut, et s'il en était autrement, dit saint Thomas (m. q. 88, art. i), il serait prouvé que la grâce n'est pas assez puissante pour annihiler le péché ; ce qui est faux. Au contraire le don de la grâce sanctifiante est conditionnel ; Dieu la donne à la condition que l'homme ne péchera pas, et cela, parce que la grâce est une réalité incompatible avec le péché.
I. I. quœst. 88, art. i.
DES SACREMENTS ^M)
ment, c'est déroger à la grâce de Dieu ; car, s'il en était ainsi, Dieu ne serait pas cause suffisante de la rémission des péchés, ce qui est faux. Si bien qu'il est vrai que Dieu détruit le péché tout à fait, absolument et sans aucune condition, et que jamais un péché remis et eflacé ne devient un obstacle à la grâce de Dieu et à son amour. Dieu l'elTace de sa mémoire et ne s'en ressouvient plus, pour retirer, à cause de ce péché, sa grâce au pé- cheur. Conformément à cela, il déclare par l'or- gane du prophète Ezéchiel : « Si Vitnpie fait « pénitence de tous ses péchés, je ne 7ne souvicn- « drai plus de toutes les iniquités qiiil a corn- et, mises. » (ch. i8). Ce qui s'accorde avec la parole d'un pape ancien (i): la divine clémence, dit-il,
I. Gelasius, Divina de poexiTEXTiA, dist. 4. — Ce texte du pape Gélase prouve non seulement que le péché est à tout jamais remis, mais aussi la peine due au péché, et que Dieu n'exigera plus cette peine, quelque puissent être les nouveaux torts à son égard de l'homme par- donné. Ce point est admis par la plupart des Théolo- giens, notamment par saint Thomas ; il est la consé- quence nécessaire de la non reviviscence du péché, car la seule raison qui légitime la peine c'est l'existence du péché, et par conséquent comme le pfché ne revit pas, l'obligation de subir la peine due à ce péché ne revit pas davantage. A noter qu'il s'agit aussi bien de la peine éternelle que de la peine temporelle, mais avec cette différence que dans la Pénitence la peine temporelle n'est remise d'ordinaire que partiellement, tandis qu'il est de foi que '< îa peine éternelle est remise « en même temps que la faute ^ soit dans le sacrement, « soit par le désir du sacrement. y> (Conc de Tr. sess. 6, c. 14).
440 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ne souffre pas que les péchés remis méritent encore d'être punis. Saint Prosper (i), qui est celui qui a le plus parlé et écrit selon les sentiments de saint Augustin, dit : celui qui s'éloigne de Jésus- Christ et meurt dans la privation de sa grâce, où va-t-il sinon à la perdition ? Mais il ne retombe pas dans ce qui lui a été pardonné et n'est point damné pour le péché originel. En agissant ainsi Dieu montre l'aversion et la haine qu'il a pour les péchés puisqu'il les détruit absolument ; car, s'il les aimait, il ne les détruirait pas ; en même temps il fait paraître l'efficacité de la grâce sanctifiante, qui par sa présence anéantit la faute, de telle sorte qu'elle n'est plus et ne peut plus revenir. C'est pourquoi on n'accorde plus aucun crédit à l'opi- nion d'un ancien Théologien (2) qui soutenait que les péchés remis revenaient par quatre sortes d'autres péchés, qui sont la haine du prochain, l'apostasie, le mépris de la confession et le regret d'avoir fait pénitence ; car il disait que Dieu ne remettait le péché qu'avec quatre conditions, qui étaient d'aimer le prochain, de persévérer dans la foi, de confesser sa faute et de la détester jusqu'à la fin. Ainsi, ajoutait-il. Dieu faisait un pacte avec le pénitent, qui s'engageait à tenir ces conditions inviolablement, sans quoi Dieu révoquait la grâce du pardon. Mais, dit saint Bonaventure, quoi- que cette opinion soit soutenue par un grand
1 . Responsio 2 ad objecta Gaîlorum.
2. Bail met en note: Opinio Prœpositivi rejecta a D. Bonaveni. in 4, dist. 22, art. /, q. 2.
DES SACREMENT?; 44I
Théologien, elle n'est pas fondée et on ne doit pas la tenir pour vraie (i).
Dans cette pensée j'exalterai la grandeur de la miséricorde de Dieu qui invite les pécheurs à la pénitence par mille moyens et les reçoit si béni-
I. Ces quatre péchés sont énoncés dans le distique suivant, cité par saint Thomas :
« FratreSyOdit aposiaiafii,spernit que Jateri, « Pœnituisse piget : Pristina culpa redit. »
(III. q. 88, art. 2, ad i).
Il est vrai que ces quatre péchés ne reviennent pas proprement, pas plus que les autres, mais on dit qu'ils reviennent dans ce sens qu'ils témoignent d'une ingra- titude spéciale. Saint Thomas se pose à lui-même cette difficultés « // semble que les péchés pardonnes ne re- « viennent pas par l'ingratitude qui résulte spécialement « de quatre genres de péchés, c'est-à-dire de la haine f ra- te ternelle, de l'apostasie de la foiy du mépris de la con- « fession, du regret qtie V m a d'avoir fait pénitence. « C'est ce qui a fait dire en vers : Il hait ses frères, de- « vient apostat, méprise la confession et regrette la péni- « tencc qu'il a faite ; alors ses anciennes fautes reviennent. « Car l'ingratitude est d'autant plus grande que le péché « qu'on commet contre Dieu est plus grave après le bien- « fait de la rémission des péchés . Or il y a des péchés « plus graves que ceux-là, comme le blasphème contre « Dieu et le péché contre le Saint-Esprit. Il semble donc « que les péchés pardonnes ne reviennent pas plutôt en « raison de l'ingratitude que l'on commet par ces péchés « que par d^ autres. » Et saint Thomas répond à cette difficulté : « On ne dit pas cela spécialement de ces péchés « parce qu'ils sont plus graves que les autres, mais parce « qu'ils sont plus directement opposés au bienfait de la « rémission des péchés. » (III. q. 88, art. 2, ad i).
442 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
gnement qu'il leur pardonne absolument et les délivre tout à fait de Tabîme des enfers. « Béni « soit Dieu et le Père de Notre-Seipneur Jésus- « Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de « toute consolation ! Le Seigneur est plein de pitié « et de miséricorde. Le Seigneur est suave à « regard de tous., et ses miséricordes remportent « sur toutes ses œuvres. » (II Cor. i — Psau. 144). O Seigneur, qui vous donnera des louanges infi- nies et qui vous servira dignement durant tout le cours de sa vie, en reconnaissance de ce bienfait admirable ? Une sainte Madeleine et une sainte Pélagie vous en ont aimé et remercié toute leur vie et les bienheureux du paradis vous en seront reconnaissants pendant toute l'éternité. Oh ! que je vous en sois reconnaissant maintenant, et, puis- que cette miséricorde s'exerce, non à l'égard des rebelles et de ceux qui s'obstinent dans le mal, mais à l'égard de ceux qui s'humilient et revien- nent à Dieu, je profiterai de cette miséricorde et j'en ferai un bon usage. Je me réduirai au plus tôt avec confiance sous le joug de la loi divine et d'une conversion sincère, comme saint Paul nous y engage par ces paroles : « Allons donc avec con- « fiance auprès du trône de la grâce de Dieu., afin « que nous obtenions miséricorde et que nous « trouvions avec la grâce un secours opportun. » (Hébr. 4).
III
Considérez que, bien que les péchés remis ne reviennent pas en eux-mêmes et avec toute leur gravité par la rechute, ils reviennent néanmoins
DES SACREMENTS 443
d'une certaine manière et à un certain point de vue. Ils constituent en ellet une circonstance aggravante pour le péché, soit mortel, soit véniel, que l'on commet plus tard (i). Dieu estime ce péché plus grave et plus punissable à cause de ringratitude du pénitent, qui, après être rentré en grâce, au lieu de se montrer reconnaissant à Tégard de Dieu, son bienfaiteur, qui Ta délivré de Tenfer et mis au nombre de ses enfants par le pardon, l'offense de nouveau et pèche encore malgré l'obligation plus grande qu'il avait de lui être fidèle (2). C'est ce qui paraît dans la réponse de cet homme ingrat et cruel, à qui le roi, son maître,
I. « Ainsi donc, dit saint Thomas, par le péché que « Von commet après la pénitence, on fait revivre d'une « certaine manière la peine due aux péchés qui ont été « auparavant pardonnes, non couitne un effet produit par « ces péchés eux-mêmes, mais comme résultant du péché « qui a été commis en dernier lieii, et qui se trouve « aggravé par les fautes antérieures. » (III. q. 88, art. i). Il est à noter aussi que par le nouveau péché commis après une première pénitence, l'homme ne se rend pas toujours plus coupable qu'il ne l'était aupara- vant, mais il est certainement plus coupable qu'il ne l'aurait été, s'il n'avait point déjà reçu de Dieu le bien- fait d'un premier pardon. Néanmoins l'ingratitude que renferme toujours une rechute après le pardon ne constitue pas nécessairement un péché d'une nouvelle espèce, à moins, comme le dit saint Thomas (III. q. 88, art. 4.) que quelqu'un eût l'intention formelle de témoigner à Dieu par le péché du mépris pour les bienfaits qu'il en a reçus.
a. Albertus, in 4, dist. 22, art. i et 2.
444 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
avait fait grâce et avait remis les dettes qu'il ne pouvait pas payer. Cet homme rencontrant un de ses débiteurs le traita avec toute rigueur (Matt. i8), Jusqu'à lui mettre le pied sur la gorge, pour en obtenir le paiement de sa dette. Le roi justement irrité le fit jeter en prison jusqu'au paiement de la dette que lui-même devait au roi : « Ainsi, dit « Jésus-Christ, vous traitera mon Père céleste, si « vous ne pardonne^ pas au prochain du fond « du cœur. » Le Sauveur veut nous indiquer par là que l'ingratitude de ce serviteur envers le roi qui l'avait traité si charitablement et dont il trai- tait impitoyablement le serviteur, excitait sa co- lère, de telle sorte qu'il se souvenait de ses dettes passées et remises, pour les punir (i). Ainsi ceux
I. Cette parabole du serviteur ingrat et cruel, constitue une difficulté grave contre la thèse de la non-réappari- tion des péchés remis. Mais dans toute parabole nous devons distinguer, comme saint Jean Chrysostome nous en avertit, la substance de la doctrine cachée sous le voile delà parabole de ce qui ne sert que d'ornement. Le passage de la parabole qui nous montre le roi remettant au serviteur sa dette, parce qu'il ignore ses mauvaises dispositions, sert simplement d'ornement à cette parabole et ne saurait s'appliquer à Dieu qui lit dans le cœur des hommes (Quelques Pères de l'Eglise semblent néanmoins avoir considéré cette parabole comme la preuve de la réapparition des péchés après le pardon, notamment saint Jean Chrysostome (m hunc LocuM, M. ^i, 29), saint Grégoire le Grand (Dial. 1. 4, c. 60 ; M. 77, 428) et saint Augustin (De bapt. 1. 1 , c. 12) n. 20; M. 43, 120). Vasquez (in 3, q. 88, a. i, n. 41, croit que tel a été en effet leur sentiment, mais De Lugo juge cette concession inopportune, car les textes de ces
DES SACREMENTS 445
qui retombent seront punis pour les péchés passés et pardonnes, dans ce sens que ces péchés consti- tuent une circonstance aggravante pour les fautes subséquentes.
Voici ce qu'enseigne le Docteur séraphique (i). Pour être vraiment reconnaissant, deux choses sont requises : la première, c'est qu'on se sou- vienne en temps et lieu du bienfait reçu, pour en remercier le bienfaiteur ; la seconde est que l'on soit prompt à servir celui qui nous a obligés et à lui rendre bien pour bien. De même on est ingrat de deux manières : en oubliant par mépris le bienfait reçu, dans le temps et le lieu propre à la reconnaissance et à en offrir des remercîments ; alors on commet le péché particulier d'ingratitude par omission. Secondement, on est ingrat, quand on a reçu des bienfaits et qu'on rend le mal pour ce bien; alors l'ingratitude est une circonstance qui se rencontre dans toutes sortes de péchés et qui aggrave d'autant plus le péché que le bienfait reçu est plus grand. D'où vient que, comme la rémission des péchés passés est un bienfait de Dieu très signalé, la récidive chez le pénitent
Pères peuvent s'entendre de la réapparition du péché sous un certain rapport, en ce sens que le second péché entraine après lui la même peine que le premier, à savoir la privation du bonheur éternel (De Pœnitent. disp. 10, sect. i, n. 6). De Augustinis à son tour croit que saint Augustin fait dans le passage indiqué un argument ai hominem et raisonne contre les Dona- tistes d'après leurs propres principes (De Pœnit. p. 143).
I, D. Bonavent. in 4, dist. 22, in littera.
44-6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
renferme une ingratitude plus notable, qui le rend plus criminel et digne devant Dieu d'une plus grande punition. Car celui à qui plusieurs offenses ont été pardonnées, devait témoigner une plus grande reconnaissance, et c'est une chose qui le couvre d'une plus grande honte et lui mérite de plus grands reproches, que de pécher contre celui qui lui avait témoigné tant de miséricorde. Si bien que de cette façon les péchés remis gracieuse- ment viennent retomber en quelque sorte sur le dernier péché et entrent en ligne de compte pour augmenter l'ingratitude. En vérité une âme chré- tienne lavée de ses péchés passés, avait coûté assez de sang à Jésus-Christ, quand en vertu de ce sang ces péchés lui ont été pardonnes. Ne faut-il pas qu'elle soit dénaturée, pour vouloir coûter encore davantage par de nouvelles offenses, qui demande- raient qu'il répandit de nouveau son sang, pour les laver encore une fois, si son unique mort n'était pas suffisante pour une infinité de néchés ? Ne faut-il pas qu'elle soit bien stupide et bien hébé- tée pour si peu considérer et si peu comprendre que celui qu'elle offense de nouveau est celui de qui elle dépend le plus, celui qui a le plus de pouvoir et d'autorité sur elle, celui dont la justice est la plus redoutable, puisqu'elle n'a épargné ni les Anges du ciel, ni le premier homme dans le paradis terrestre, ni le monde au déluge, celui enfin à qui elle est le plus redevable, à raison de ses miséricordes passées (i) ?
I. On peut encore dire, mais toujours improprement qu'un péché remis par la Pénitence reparaît, quand on
DES SACREMENTS 447
Puisque Dieu ressent ainsi ringratiiudc de celui qui retombe dans le péché, j'appréhenderai d'offen- ser la bonté de Dieu par la rechute, et je ne me reposerai pas sur sa miséricorde de telle sorte que je n'appréhende la rigueur de sa justice. Je m'éton- nerai du peu de jugement de certains, qui ne font autre chose que considérer les promesses de Dieu et les sentences de sa miséricorde, pour se con- soler parla eux-mêmes, et les inculquer perpétuel- lement aux autres et qui passent légèrement ou même ne pensent pas du tout à ses menaces, aux sentences où est formulée la rigueur de ses juge- ments ; et cependant l'Ecriture est pleine de ces sentences, afin de nous exciter à une crainte salu- taire qui soit le commencement de notre salut et nous préserver du péché. Je me représenterai souvent que je suis devant Dieu comme un servi- teur misérable, qui a rejeté le joug de sa servitude et que je me suis livré au démon par plusieurs rechutes, après tant d'absolutions prononcées sur mes péchés. Je ne séparerai donc pas la justice et la miséricorde, mais, comme l'Ecriture sainte m'en avertit, j'unirai l'une et l'autre, et je dirai avec David, le roi des pénitents : « Seigneur, je chan- « tarai votre miséricorde et votre justice. Toutes « les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité
commet un nouveau péché, en ce sens que l'âme est de nouveau privée de la grâce et condamnée à la même peine ; car ce sont là des effets communs à tout péché mortel. C'est le sens qu'il convient de donner à cette parole de saint Jacques : « Qiiiconque ayant observé la « loi la viole en iin seul point, est coupable, comme s'il « l'avait toute violée. »(Epît. ii, lo).
448 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
a pour ceux qui recherchent son testament » (Psa. 10 et 24), c'est-à-dire qui s'efforcent de faire sa dernière volonté.
FIN DU NEUVIÈME VOLUME
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE NEUVIÈME VOLUME
DEUXIÈME TRAITÉ (suite) DE LA SAINTE VIERGE (suite)
Pages
XIV* MéDiTATioN. — De la purification de la Sainte Vierge i
La Vierge a été dotée d'une très parfaite pureté. — Elle n'était point obligée par la loi de la purification. — Quelques raisons pour lesquelles le Saint-Esprit lui inspira de s'y soumettre.
XV^ Méditation. — Explication plus ample du glaive de douleur qui transperça le cœur de la Vierge 14
Le glaive de douleur de la Vierge — i) est sembla- ble au glaive du Chérubin — 2) il peut être appelé le glaive du Seigneur — 3) il peut être appelé aussi le glaive de la colombe.
XVI® Méditation. — Des mérites de la Sainte
Vierge et combien grande fut sa grâce 2^
La Sainte Vierge a mérité un accroissement de grâce à chaque instant de sa vie, qui dura soixante-trois ans. — Elle a mérité par tous les actes de sa vie soit active
Bail, T. ix- 3"
4^0 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
soit contemplative, et la nuit comme le jour. — A quelle quantité de grâce était-elle parvenue à la fin de sa vie.
XVII* Méditation. — Du bienheureux trépas de la Sainte Vierge 43
Belles raisons de la mort de la Vierge. — Elle meurt par la force de son amour. — Elle est délivrée de trois misères auxquelles sont soumis les mourants.
XVIII® Méditation. — Du trépas de la Sainte Vierge et de son Assomption 54
Faveur que reçoit la Sainte Vierge à sa mort. — Grande félicité qui lui est échue le jour de son Assomp- tion. — Elle est établie Reine de l'univers et Impéra- trice du ciel et de la terre au-dessous de Jésus-Christ.
XIX® Méditation. — Conclusion de ce traité : de
la dévotion envers la Sainte Vierge 79
La dévotion envers la Sainte Vierge consiste à faire ce qui lui plaît, et à éviter ce qui l'offense. — Motifs de cette dévotion. — Méthode.
TROISIÈME TRAITÉ
DES SACREMENTS
I" Méditation. — Définition et nombre des Sa- crements 102
Un sacrement est une pluralité de signes sensibles institués par Dieu pour signifier et produire la grâce dans la personne qui le reçoit avec les dispositions requises. — Raisons pour lesquelles Dieu a voulu
TABLE DES MATIÈRES 45l
instituer les sacrements et nous conférer la grâce au moyen Je signes sensibles. — Il y a sept sacrements.
II® Méditation. — Des effets des sacrements. ... 114
Les trois effets principaux des sacrements sont la grâce sanctifiante, le caractère et la grâce sacramen- telle. — Les sacrements confèrent la grâce ex opère operato, c'est-à-dire par leur propre vertu. — Le mau- vais état du ministre des sacrements n'empêche pas ceux-ci de produire leurs effets.
III* Méditation. — De rinstitution des sacre- ments, de leur excellence et de leur perfec- tion dans l'autre vie 131
Le temps de la loi de grâce était le temps propre à l'institution des sacrements. — Les sacrements n'au- ront leur plein effet et leur perfection que dans l'état de gloire.
IV* Méditation. ~ Du sacrement de Baptême et de ses effets
Le Baptême consiste à laver le corps avec de l'eau et à prononcer des paroles. — Le premier effet du Bap- tême est la rémission du péché originel. — Le Baptême produit une grâce égale dans tous les enfants.
V* Méditation. — De l'institution, de la néces- sité et des cérémonies du Baptême 165
Il convenait que le Baptême fat le premier des sacre- ments. — Le Baptême est nécessaire à tous les hommes. — Principales cérémonies du Baptême.
VI« Méditation. — Du sacrement de Confirma- tion i8i
Ce qu'est la Confirmation. — Merveilleux effets de la Confirmation. — Pourquoi la plupart des chrétiens sont si faibles.
VII* Méditation. — De la présence réelle et subs- tantielle du corps de Jésus-Christ dans le Saint- Sacrement de l'Eucharistie 197
Première preuve tirée de la promesse. — Seconde preuve tirée de l'institution. — Troisième preuve tirée de l'usage de ce sacrement.
Ï45
452 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
VIII® Méditation. — De ce qui est le plus essen- tiel dans le sacrement de la Sainte Eucharistie, 210
L'Eucharistie est un sacrement de la nouvelle Loi qui consiste dans les espèces du pain et du vin, et dans le corps et le sang de Jésus-Christ réellement contenu sous ces espèces, pour donner à l'âme sa nourriture spirituelle. — Jésus-Christ est présent dans ce sacre- ment en vertu des paroles prononcées parle prêtre. — Dans cette conversion il ne demeure rien de la subs- tance du pain ni de la substance du vin.
IX® Méditation. — Des divers motifs pour les- quels Jésus-Christ est présent dans l'Eucha- ristie 225
Premier motif : la gloire de Dieu. — Second motif: l'exaltation de l'humanité de Jésus-Christ. — Troi- sième motif : l'utilité des hommes et leur plus grand honneur.
X^ Méditation. — De l'union de Jésus-Christ avec les espèces du pain et du vin dans l'Eu- charistie 238
Jésus-Christ, en s'unissant aux espèces du pain et du vin nous prouve — i) son admirable bonté — 2) son grand désir de se communiquer aux hommes — 3) sa prodigalité.
XP Méditation. --De la communion sous une
seule espèce 249
Notre Seigneur a donné aux prêtres trois grands pouvoirs : celui de consacrer, celui de sacrifier et celui de distribuer son divin corps. — Les prêtres ont dis- tribué le corps de Jésus-Christ aux laïques, tantôt sous les deux espèces, tantôt sous une seule. — C'est à tort que certains se plaignent de l'ordonnance de l'Eglise qui ne permet la communion que sous une seule espèce.
XIP Méditation. — Des elïets du Sacrement de
l'Eucharistie 265
Le sacrement de l'Eucharistie est doué d'une grande vertu. — Exposition en détail des effets de ce sacre- ment. — L'Eucharistie produit son principal effet dans le trajet de la bouche a l'estomac.
TABLE DES MATIÈRES 453
XIII" MéuiïATioN. — Des trois sortes de disposi- tions ù la réception du Saint-Sacrement 280
La disposition nécessaire et suffisante pour recevoir la grâca saacti6ante de la sainte communion est l'exemption du péché mortel obtenue par la confes- sion. — Disposition prétendue suffisante et qui ne l'est que probablement. — Disposition convenable.
XIV« MéDiTATioN. — De la disposition convena- ble pour mieux communier (suite), et des effets de la communion faite avec une telle disposi- tion 298
Autre pratique pour communier convenablement, comprenant sept degrés. — Fruits merveilleux qui proviennent de la communion faite avec cette dispo- sition. — Pourquoi certzines âmes qui se sont bien disposées à communier, ressentent si peu le goût de la dévotion.
XV^ Méditation. — Conduite à tenir après la
Communion 316
Importance de s'entretenir en secret avec Jésus- Christ après la sainte Communion. — Cet entretien comprend sept actes de dévotion. — Trois conseils spirituels qu'il faut pratiquer après cet entretien.
XVI® Méditation. — De la fréquente communion. 328
Généralement parlant, on doit conseiller la com- munion fréquente. — Ordinairement la communion ne doit pas être quotidienne. — Règles à observer pour la communion fréquente.
XVll" Méditation. -^ Du sacrifice de l'Eucha- ristie
La consécration du pain et du vin est le véritable sacrifice de la loi chrétienne. — Nécessité d'avoir nn tel sacrifice dans lequel la victime soit Jésus-Christ. — Efficacité du sacrifice de l'Eucharistie pour obtenir un grand nombre de biens.
XVIII® Méditation. — Jésus-Christ poursuit dans ce sacrifice les trois desseins qu'il avait en mourant sur la croix
344
Jésus-Christ poursuit dans ce sacrifice son triple dessein : i) d'honorer Dieu — 2) de le remercier — 3) d'apaiser sa colère.
355
454 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XIX^ MéDiTATioN. — Des trois actes de dévotion envers le Saint-Sacrement, que pratiquent les âmes pieuses "5^ \/ ^
La dévotion au Saint-Sacrement porte les âmes pieuses : i) à lui rendre un culte de latrie — aj à l'ac- compagner aux processions et quand on le porte aux malades — 3) à le visiter.
XX® Méditation. — De la Pénitence considérée comme vertu 385
La Pénitence est une vertu qui nous porte à vouloir satisfaire à Dieu pour les péchés commis. — Quelques excellences de cette vertu. — Ses actes intérieurs et ses actes extérieurs.
XXP Méditation. — Du sacrement de Pénitence
et de ce qui lui est essentiel 397
La Pénitence est aussi un sacrement de la Loi nou- velle qui consiste dans les actes du pénitent d'une part et dans l'absolution du prêtre d'autre part. — Les actes du pénitent, contiition, confession et satisfaction, sont pénibles et laborieux. — Vertu de l'absolution.
XXII« Méditation. — Des effets du sacrement de Pénitence 413
Le grand effet du sacrement de Pénitence est la rémission de tous les péchés mortels sans délai, sans fim età tout jamais. — Un autre effet du sacrement de Pénitence est la restitution de la g:âce et des vertus perdues. — Autres effets qui sont la conséquence de ceux-là.
XXIIP Méditation. — Comment la Pénitence efface les péchés sans retour 43 1
Dieu pourrait remettre les péchés de telle sorte qu'ils seraient imputés de nouveau au pénitent qui y retom- berait. — Dieu pardonne le péché absolument et sans condition, après une parfaite Pénitence. — Néanmoins les péchés déjà remis sont encore imputés au pécheur au point de vue de l'ingratitude.
FIN DE LA TABLE DU NEUVIEME VOLUME
EN SOUSCRIPTION
LE CATÉCHISME
OU L'ENSEIGNEMENT
DE LA
Doctrine Chrétienne
EXPLICATION NOUVELLE
d après les données les plus récentes de l'exégèse, de V histoire , de la critique et de la science, pour répondre aux exigences de la pensée contempo- raine et aux besoins de notre époque,
par M. rAbbé Georges BAREILLE
Docteur en théologie et en droit canon
Ancien Professeur de Patrologie à l'Institut catliolique de Toulouse
Collaborateur du Dictionnaire de Théologie
CET OUVRAGE SE COMPOSERA DE
9 volumes in-8^ écu de 500 pages, dont
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(Chaque partie sera livrée complète)
1" Partie. Le Symbole 2 volumes
IP Pautii';. Les Goinniandemonts 2 —
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