8/00 S0ÿÿO I9/1 € HANNUR RSA ES Mr Fe prement dit, propagé en Amérique avec un succès extraordinaire. Root, Quinby, Dadant, Cheshire, de Layens, Cowan, Heddon, Ho- ward, etc., y apportent encore quelques amé- liorations précieuses. Mehring, pour épargner aux abeilles l'élaboration de la cire et la cons- truction de magasins qui leur coûtent beaucoup de miel et le meilleur de leur temps, a l’idée de leur offrir des rayons de cire mécaniquement gaufrés, qu'elles acceptent aussitôt et appro- prient à leurs besoins. De Hruschka trouve le Smélatore, qui, par l'emploi de la force cen trifuge, permet d'extraire le miel sans briser les rayons, etc. En peu d'années, la routine de l’apiculture est rompue. La capacité ét la fécon- dité des ruches sont triplées. De vastes et pro- ductifs ruchers se fondent de tous côtés. A AU SEUIL. DE 7 A p rtir de ce moment prennent fin l’inutile mas- sacre des cités les plus laborieuses et l’odieuse sélection à rebours qui en était la consé- quence. L'homme devient véritablement le maître des abeilles, maître furtif et ignoré, _ dirigeant tout sans donner d'ordre, et obéi sans _ être reconnu. Il se substitue aux destins des saisons. Il répare les injustices de l’année. Il =. réunit les républiques ennemies. Il égalise les _ richesses. Il augmente ou restreint les nais- sances. Il règle la fécondité de la-reine. Il la . détrône et la remplace après un consentement difficile que son habileté extorque d’un peuple - qui s'affole au soupçon d'une intervention inconcevable. IL viole pacifiquement, quand il _ le juge utile, le secret des chambres sacrées et toute la politique retorse et prévoyante du . gynécée royal. Il dépouille cinq ou six fois de _ suite du fruit de leur travail les sœurs du à bon couvent infatigable, sans les blesser, sans Ne. les décourager et sans les appauvrir. Il propor- _ lionne les entrepôts et les greniers de leurs demeures à la moisson de fleurs que le prin- tempsrépand, dans sa hâte inégale, au penchant des collines. Il les oblige de réduire le nombre ë fastueux des amants qui attendent la naissance des princesses. En un mot, il en fait ce a il veut 12 - LL VIE DES ABEILLES ” ES el en obtient ce qu ñl demande, pourvu que sa ne demande se soumette à leurs vertus et à leurs Es À lois car, à travers les volontés du dieu inattendu = qui s’est emparé d'elles, — trop vaste pourètre discerné et trop étranger pour être compris, . — elles regardent plus loïn que ne regarde ce dieu mème, et ne songent qu'à accomplir, dans une abnégation inébranlée, le devoir mysté- à rieux de leur race. IV Maintenant que les-livres nous ont dit ee qu’ils avaient d'essentiel à nous dire, sur une. histoire fort ancienne, quittons la science ac- quise par les autres pour aller voir de nos pro- pres yeux les abeilles. Une heure au milieu du rucher nous montrera des choses peut-être . moins précises mais infiniment plus vivantes et plus fécondes. Je n’ai pas encore oublié le premier rucher à que je vis, où j'appris à aimer les abeïlles. C'était, voilà des années, dans un gros village de cette Flandre Zélandaise, si nette et si gra= cieuse, qui, plus que la Zélande même, miroir concave de la Hollande, a concentré le goût ES dors, ses M arbres alignés le long des quais el des canaux, dans l'attente, semble-t-il, d'une cérémonie bienfaisante et naïve, ses barques et …_ ses coches d’eau aux poupes ouvragées; ses portes et ses fenêtres pareilles à des fleurs, ses _ écluses irréprochables, ses ponts-levis minu- tieux et versicolores, ses maisonnelles ver- ; nissées comme des poteries harmonieuses et : éclatantes d’où _ des ere en forme de Fire les vaches en des prés re de bar- _rières blanches, ou étendre le linge sur le tapis découpé en ovales et en losanges et méticuleu- Là sage ne conne Soin is an dégoûls, > mais un peu las d'interroger les hommes qui répondent moins simplement que les animaux etles plantes aux seules questions intéressantes | que l’on puisse poser à la nature et aux lois … véritables. Tout son bonheur, de même que … celui du philosophe scythe, consistait aux beautés d’un jardin, et parmi ces beautés la mieux aimée et la plus visitée était un rucher, composé de douze cloches de paille qu'il avait ‘ peintes, les unes de rose wif, les autres de J jaune Clair, la plupart d'un bléw tendre, car il avait observé, bien avant les expériences de sir John Fe Lubbock, que le bleu est la couleur préférée des abeilles. Il avait installé ce rucher contre : le mur blanchi de la maison, dans l’angleque formait une de ces savoureuses et fraîches cui- | Ë sines hollandaises aux dressoirs de faïence où élincelaient les étains et les cuivres, qui, par à -la porte ouverte, se reflétaient dans un canal … paisible. Et l'eau, chargée d'images familières, sous un rideau de peupliers, guidait les regards à jusqu’au repos d'un horizon de moulins etde prés. En ce lieu, comme partout où on les pOSE, # les ruches avaient donné aux fleurs, au silence, à la douceur de l'air, aux rayons du soleil, une sait au carrefour étincelant où convergent et d'où rayonnent les routes aériennes que par- courent de l'aube au crépuscule, affairés et sonores, tous les parfums de la campagne. On y venait entendre l'âme heureuse et visible, la voix intelligente et musicale, Le foyer d’allé- _ gresse des belles heures du jardin. On y venait _ apprendre, à l’école des abeilles, les préoccu- _ palions de la nature toute-puissante, les rap- ports lumineux des trois règnes, l’organisation _ inépuisable de la vie, la morale du travail ardent et désintéressé, et, ce qui est aussi bon que la morale du travail, les héroïques ouvrières y enseignaient encore à goûter la saveur un peu confuse du loisir, en souli- gnant, pour ainsi dire, des traits de feu de leurs mille petites ailes, les délices presque insaisissables de ces journées immaculées qui tournent sur elles-mêmes dans les champs de l'espace, sans nous apporter rien qu'un globe transparent, vide de souvenirs comme un bon- heur trop pur. AU SEUIL DE LA RUGIE 6 ÿ Afin de suivre aussi simplement que pos- sible l'histoire annuelle de la ruche, nous én à prendrons une qui se réveille au printempset se remet au travail, et nous verrons se dé- te rouler dans leur ordre naturel les grands épi ‘sodes de la vie de l'abeille, à savoir : la forma- PAR tion et le départ de l'essaim, la fondation de la cité nouvelle, la naissance, les combats et le vol nuplial des jeunes reines, le massacre des mâles et le retour du sommeil de l'hiver. Cha- 2 cun de ces épisodes apportera de lui-même tous les éclaircissements nécessaires sur les lois,les particularités, les habitudes, les événements qui le provoquent ou l'accompagnent, en sorte qu’au bout de l’année apicole, qui est brève et dont l’activité ne s'étend guère que d’avril à la fin de septembre, nous aurons rencontré tous les mystères de la maison du miel. Pour li ins-. ù È (ant, avant que‘de l'ouvrir et d’ y jeter un coup à d'œil général, il suffit de savoir qu'elle se com= | pose d’une reine, mère de tout son peuple; de … milliers d'ouvrières ou neutres, femelles in- complètes et stériles, et enfin de quelques cen- … | AU. SEUIL DE LA RUCHE 47 Due = re parmi lesquels sera choisi l'époux unique et malheureux de la souveraine future que les ouvrières éliront après le départ plus ou moins volontaire de la mère régnante. A La première fois qu’on ouvre une ruche, on éprouve un peu de l'émotion qu'on aurait à . violer un objet inconnu et peut-être plein de surprises redoutables, un tombeau par exemple. + _ Il y a autour des abeilles une légende de me- naces et de périls. Il y a le souvenir énervé de ces piqûres qui provoquent une douleur si spé- _ ciale qu'on ne sait trop à quoi la comparer, une aridité fulgurante, dirait-on, une sorte de flamme du désert qui se répand dans le mem- _ bre blessé ; comme si nos filles du soleil avaient extrait des rayons irrités de leur père, un venin éclatant pour défendre plus efficacement les trésors de douceur qu'elles tirent de ses heures a _bienfaisantes. - Ilest vrai qu'ouverte sans précaution par quelqu'un qui ne connaît ni ne respecte le caractère et les mœurs de ses habitantes, la 2: 48 LA VIE DES ABEILLES ruche se transforme à l'instant en un buisson ardent de colère et d'héroïsme. Mais rien ne s'acquiert plus vile que la petite habileté néces- saire pour la manier impunément. Il sufht d'un peu de fumée projetée à coup de sang-froid et de douceur, et les ouvrières bien armées se laissent dépouiller sans penser à tirer l’aiguillon. Elles ne recon- naissent pas leur maître, comme on l’a sue elles ne craignent pas l’homme, mais à l’odeur de la fumée, aux gestes lents qui parcourent leur demeure sans les menacer, elles s'imagi- nent que ce n'est pas d'une attaque ou d'un grand ennemi contre lequel il soit possible de se défendre, qu'il s’agit, mais d’une foree ou. d'une catastrophe naturelle à laquelle il con- … vient de se soumettre. Au lieu de lutter vaine-. ment, et pleines d'une prévoyance qui se trompe parce qu'elle regarde trop loin, elles veulent du moins sauver l'avenir et se jettent sur les réserves de miel pour y puiser et pour cacher en elles-mêmes de quoi fonder ailleurs, n'importe où et aussitôt, une cilé nouvelle, si l'ancienne est détruite, ou qu ‘elles soient forcées | de l’abandonner. propos, de beau- s mi . A ‘3 D. # 173 34 19 1 4 +3 ‘Me Fa. ; Le profane devant qui l'on ouvre une ruche ; d'observation 1, est d’abord assez déçu. On lui avait affirmé que ce coffret de verre renfermait une activité sans exemple, un nombre infini de _ lois sages, une somme étonnante de génie, de _ mystères, d'expérience, de calculs, de sciences, | _ d'industries diverses, de prévisions, de certi- _tudes, d’habitudes Lrineetare de sentiments et de vertus étranges. Il n’y découvre qu'un amas confus de pelites baies roussälres, assez | semblables à à des grains de café torréfié, ou à des isins secs agglomérés contre les vitres. Ces pauvres baies sont plus mortes que vives, ébran- è lées dé mouvements lents, incohérents et in- ompréhensibles. Il ne reconnaît pas les admi- A On appelle ruche d'observation, une ruche vitrée mu- É nie de ‘rideaux noirs où de volets. Les meilleures ne ren- ferment qu'un seul rayon, ce qui permet de l'observer sur s deux faces. On peut, sans danger et sans inconvénient, staller ces ruches, pourvues d'une issre extérieure, dans ur | salon, une bibliothèque, etc. Les abeilles qui- habitent celle qui se trouve à Paris, dans mon cabinet de travail, écoltent dans le désert de role de la grande ville, de quoi ivre . nee 20: ARE DES ABEILLES rables gouttes de lumière, qui tout à h Rs se déversaient et rejaillissaient sans relâche dans - l'haleine animée, pleine de perles et d'or, de mille calices épanouis. ! à Elles grelottent dans les ténèbres. Elles | étouffent dans une foule transie ; on dirait des prisonnières malades ou des reines déchues + qui n’eurent qu'une séconde d'éclat parmi les fleurs illuminées du jardin, pour rentrer bien- tôt dans la misère honteuse de .leur morne demeure encombrée. HSPS à Il en est d'elles comme de toutes les réalités profondes. Il faut apprendre à les observer. Un habitant d'une autre planèle, qui verrait les - hommes aller et venir presque insensiblement par les rues, se tasser autour de certains édi- fices ou sur certaines places, atlendre on ne sait quoi, sans mouvement apparent, au fond de leurs demeures, en conclurait aussi qu'ils 2 sont inertes et misérables. Ce n’est qu'à la lon- gue qu'on démêle l’activité multiple de celle inertie. : “.. Re 4 En vérité, chacune de ces petites baies à peu à près immobiles travaille sans répit et exerce « un métier différent. Aucune ne > connait le " _-AU SEUIL DE LA RUCHE 21 grappes mortes, ont la {âche la plus mystérieuse _ et la plus faligante; elles forment et sécrètent la cire, Mais nous rencontrerons bientôt le * à détail de cette activité unanime. Pour l'instant, … il suffit d'appeler l'attention sur le trait essen- _ tiel de la nature de l'abeille qui explique l’en- ÿ _tassement extraordinaire de ce travail confus. … L’abeille est avant tout, et encore plus que la fourmi, un être de foule. Elle ne peut vivre _quen tas. Quand elle sort de Ja ruche si en- combrée qu'elle doit se frayer à coups de tète Le passage à travers les murailles vivantes qui _l'enserrent, elle sort de son élément propre. - Elle plonge un moment dans l’espace plein de - fleurs, comme le nageur plonge dans l’océan _ plein de perles, mais sous peine de mort il faut qu'à intervalles réguliers elle revienne respirer la multitude, de même que le nageur - revient respirer l'air. Isolée, pourvue de vivres _ abondants et dans la température la plus favo- rable, elle expire au bout de quelques jours, non de faim ou de froid, mais de solitude. . L’accumulation, la cité, dégage pour elle un aliment invisible aussi indispensable que le miel. C'est à ce besoin qu'il faut remonter pour fixer l'esprit des lois de la ruche. Dans la ruche, l'individu n'ést rien, il n’a qu’une exis- e2 : LAVE DES ABS 2 tence conditionnelle, il n’est qu'un moment indifférent, un organe ailé de l'espèce. Toute sa vie est un sacrifice total à l'être innombrable et perpétuel dont il fait partie. Il est curieux de constater qu'il n’en fut pas toujours ainsi. On retrouve éncore aujourd'hui parmi les hyménoptères mellifères, tous les états de La civilisation progressive de notre abeille do- mestique. Au bas de l'échelle, elle travaille seule, dans la misère: souvent elle ne voit. même pas sa descendance (les Prosopis, les Collètes, etc.), parfois elle vit au milieu de l'étroite famille annuelle qu’elle crée (les Bour- dons). Elle forme ensuite des associalions tem- poraires (les Panurgues, les Dasypodes, les Halictes, etc.), pour arriver enfin, de degrés en degrés, à la sociélé à peu près parfaite mais impitoyable de nos ruches, où l'individu est entièrement absorbé par la république, et où la république à son tour est régulièrement saeri- liée à la cité abstraite et immortelle de l'avenir. VIII Ne nous hâtons pas de tirer de ces faits des conclusions applicables à l'homme. L'homme ” AU SEUIL D DE EN NOGE ‘2 ala faculté de ne pas se soumettre aux lois de le nature: et, de savoir s'il a tort ou raison d'user de celte faculté, c'est le point le plus grave et le moins éclairci de sa morale. Mais … iln’en est pas moins intéressant de surprendre … la volonté de la nature dans un monde diffé- _ rent. Or, dans l'évolution des hyménoptères, qui sont immédiatement après l'homme les habitants de ce globe les plus favorisés sous le rapport de Pintelligence, cette volonté parait très nette. Elle tend visiblement à l’améliora- _ sion de l'espèce, mais elle montre en même _ temps quelle ne la désire ou ne peut l'obtenir qu'au détriment de la liberté, des droits et du … bonheur propres de l'individu. À mesure quela … société s'organise el s'élève, la vie particulière _ dé chacun de ses membres voit décroiître son cercle. Dès qu'il y a progrès quelque part, il . né résulte que du sacrifice de plus en plus complet de l'intérêt personnel, au général. Il faut d’abord que chacun renonce à des vices, _ qui sont des actes d'indépendance. Ainsi, à . lavant-dernier degré de la civilisation apique _ se trouvent les bourdons, qui sont encore sem- _blables à nos anthropophages. Les ouvrières 1 pie rôdent sans cesse autour des œufs pour les dévorer, et la mère est obligée de les dé- fendre avec acharnement. IL faut ensuite te chacun, après s'être débarrassé des vices les plus dangereux, acquière un certain nombre de vertus de plus en plus pénibles. Les ouvrières des bourdons par exemple, ne songent pas à renoncer à l'amour, au lieu que notre abeille domestique vit dans une chasteté perpétuelle. Bientôt, du reste, nous verrons tout ce qu'elle abandonne en échange du bien-être, de la sécu- rité, de la perfection architecturale, écono- mique et politique de la ruche, et nous revien- drons sur l’étonnante évolution des hyménop- tères, dans le chapitre consacré au progrès de l'espèce. D LIVRE L'ESSAIM HE à 7 Les abeilles de la ruche que nous avons choisie ont donc secoué la torpeur de lhiver. La reine s'est remise à pondre dès les premiers jours de février. Les ouvrières ont visité les anémones, les pulmonaires, les ajoncs, les . violettes, les saules, les noisetiers. Puis le printemps a envahi la terre; les greniers et les caves débordent de miel et de pollen, des mil- - liers d'abeilles naissent chaque jour. Les mâles, - gros et lourds, sortent de leurs vastes cel- lules, parcourent les rayons, et l'encombrement “ de lacité trop prospère devient tel que, le soir, É à leur retour des fleurs, des centaines de tra- L- vailleuses attardées ne trouvent plus à se loger £ + po Lot DES ABEILLES ee et sont obligées de passer la nuit sur le seuil Re où le froid les décime. Fe Une inquiétude ébranle tout le PÈRES et la vieille reine s'agile. Elle sent qu'un destin nouveau se prépare. Elle a fait religieusement son devoir de bonne créatrice, et maintenant, du devoir accompli sortent la tristesse et la tri- bulation. Une force invincible menace son repos; il va falloir bientôt quitter la ville où elle règne. Et pourtant cette ville, c'est son œuvre, et c’est elle tout entière. — Elle n'en. _estpas la reine au sens où nous l’entendrions parmi les hommes. Elle n’y donne point d'ordres, et s'y trouve soumise, comme le der- nier de ses sujets, à cette puissance masquée et souverainement sage que nous appellerons, en attendant que nous essayions de découvrir où elle réside, « l'esprit de la ruche ». Mais elle en. est la mère et l'unique organe de l'amour. Elle l'a fondée dans l'incertitude et la pauvreté. Sans cesse elle l’a repeuplée de sa substance, et tous ceux qui l’animent, ouvrières, mâles, lar- ves, nymphes, et les jeunes princesses dont la naissance prochaine va précipiter son départ et dont l’une lui succède déjà dans la pensée immortelle de l'Espèce, sont sortis de ses flancs. L'ESSAIM 27 IL « L'esprit de la ruche », où est-il, en qui sin- carne-t-il? 11 n’est pas semblable à l'instinct particulier de l'oiseau, qui sait bâtir son nid avec adresse et chercher d’autres cieux quand le jour de l’émigration reparaît. ILn’est pas davan- tage une sorte d'habitude machinale de l’es- __ pèce, qui ne demande aveuglément qu'à _ vivre et se heurte à tous les angles du hasard sitôt qu'une circonstance imprévue dérange la série des phénomènes accoutumés. Au con- _ {raire, il suit pas à pas les circonstances toutes- puissantes, comme un esclave intelligent et _ preste, qui sait tirer parti des ordres les plus dangereux de son maitre. Il dispose impitoyablement, mais avec dis- _ crétion, et comme soumis à quelque grand devoir, des richesses, du bonheur, de la liberté, de la vie de tout un peuple ailé. Il règle jour par jour le nombre des naissances et le met strictement en rapport avec celui des fleurs qui illuminent la campagne. Il annonce à la reine sa déchéance ou la nécessité de son départ, la force de metlre au monde ses * 28" LA VHE DES ABEILLES | rivales, élève royalement celles-ci, les protège contre la haine polilique de leur mère, permet ou défend, selon la générosité des calices mul- ticolores, l'âge du printemps et les dangers probables du vol nuptial, que la première née d’entre les princesses vierges aille tuer dans leur berceau ses jeunes sœurs qui chantent le chant des reines. D’autres fois, quand la saison . s'avance, que les heures fleuries sont. moins longues, pour clore l'ère des révolutions et hâter la reprise du travail, il ordonne aux ouvrières mêmes de mettre à mort toute la descendance impériale. Cet esprit est prudent et économe, mais non pas avare. Il connait, apparemment, les lois fastueuses et un peu folles de la nature en tout ce qui touche à l'amour. Aussi, durant les jours abondants de l'été, tolère-t-il — car c'est parmi eux que la reine qui va naître choisira son amant — la présence encombrante de trois : ou quatre ‘cents mâles élourdis, maladroits, inutilement affairés, prétentieux, totalement et scandaleusement oisifs, bruyants, gloutons, grossiers, malpropres, insatiables, énormes. js Mais la reine fécondée, les fleurs s’ouvrant plus tardetse fermant plus tôt, un matin, froidement; il décrète leur massacre général et simultané. entretien de la reine et ne la perdent pas de _ vue, aux ventileuses qui du battement de leurs ailes aèrent, rafraichissent ou réchauffent la _ ruche, et hâtent l’évaporalion du miel trop - chargé d’eau, aux architectes, aux maçons, aux cirières, aux sculpteuses qui font la chaine et bâtissent les rayons, aux butineuses qui vont chercher dans la campagne le nectar des fleurs . qui deviendra le miel, le pollen qui est la nour- riture des larves et des nymphes, la propolis qui sert à calfeutrer et à consolider les édifices dé la cité, l’eau et le sel nécessaires à la jeu- nesse de la nation. Il impose leur tâche aux chimistes, qui assurent la conservation du miel en y inslillant à l'aide de leur dard une goutte l Rent les allants et venants, rain | 3, * 30 | LA VIE DES ABEILLES à les adolescentes à leur première ie effa- rouchent les vagabonds, les rôdeurs, les pil- lards, expulsent les intrus, attaquent en masse les ennemis redoutables, et s’il le faut, barri- cauent l’entlrée. | Enfin, c’est « l'esprit de la ruche » qui fixe l'heure du grand sacrifice annuel au génie de l'espèce, — je veux dire l'essaimage, — où un peuple entier, arrivé au faîte de sa prospérité et de sa puissance, abandonne soudain à la géné- ralion future toutes ses richesses, ses palais, ses demeures et le fruit de ses peines, pour aller chercher au loin l'incertitude et le dénuement d'une patrie nouvelle. Voilà un acte qui, con- sciemt ou non, passe certainement la morale humaine. [1 ruine -parfois, il appauvrit tou- jours, il disperse à coup sùr la ville bienheu- reuse pour obéir à une loi plus haute que le bonheur de la cité. Où se formule:t-elle, cette loi, qui, nous le verrons tout à l'heure, est. loin d’être fatale et aveugle comme on le croit? Où, dans quelle assemblée, dans quel conseil, dans quelle sphère commune, siège. -til, cet esprit auquel tous sé soumettent, etqui : est lui-même soumis à un devoir héroïque età # une raison toujours tournée vers l'avenir? Il en est de nos abeilles comme de la plupart | et PR Re UD MS ON Sn EP PEN RE SU NUS U V'OR A ET ONE TE PR UE LES UE M Ve POULE APR MST AU NIET EU L'ESSAI Le 31 d “Nes 7 ce hu. nous observons quel- ques-unes de leurs habitudes, nous disons : elles font ceci, travaillent de cette facon, leurs reines naissent ainsi, leurs ouvrières restent vierges, : elles essaiment à telle époque. Nous croyons Sous les connaître et n’en demandons pas davantage. Nous les regardons se hâter de fleurs en fleurs; nous observons le va-et-vient frémissant de la ruche; cette existence nous semble bien simple, et bornée comme les autres aux soucis instinc- _ tifs de la nourriture et de la reproduction. … Mais que l'œil s'approche et tâche de se rendre ; . comple, et voilà la complexité effroyable des . phénomènes les plus naturels, l'énigme de l’in- _ telligence, de la volonté, des destinées, du but, des moyens et des causes, l'organisation incom- préhensible du moindre acte de vie. IL A _ Donc, dans notre ruche, l'essaimage, la grande immolation aux dieux exigeants de la race, se prépare. Obéissant à l'ordre de « l’es- - prit», qui nous semble assez peu explicable, - attendu qu'il est exactement contraire à tous … les instincts el à lous les sentiments de notre ‘% AVE DE ABEILLES espèce, soixante. à soixante- dx Hole” sur les quatre-vingts ou quatre-vingt-dix mille de la population totale, vont abandonner à l'heure prescrite: la cité maternelle. Elles ne parliront point dans un moment d'angoisse, Ë e. % elles ne fuiront pas, dans une résolution subite 2 et effarée, une patrie dévastée par la famine, la à guerre ou la maladie. Non, l'exil est: longue- | ment médité et l'heure favorable patiemment : attendue. Si la ruche est pauvre, éprouvée par | les malheurs de la famille royale, les intempé ries, le pillage, elles ne l’abandonnent point. 1 Elles ne la quittent qu’à l'apogée de son 1 bonheur, lorsque, après le travail forcené du Ë Re l'immense palais de cire aux cent 1 vingt mille cellules bien rangées regorge de 4 miel nouveau et de cette farine d’arc-en-ciel qu'on appelle « le pain des abeilles » et qui sert à nourrir Les larves et les nymphes. Jamais la ruche n’est plus belle qu'à la - veille de la renonciation héroïque. C'est pour elle l'heure sans égale, animée, un peu fébrile, … et cependant sereine, de l'abondance et de l'al- légresse plénières. Essayons de nous la répré- senter, non pas telle que la voient les abeilles, car nous ne pouvons nous imaginer de quelle façon magiquése reflètent les phénomènes dans * : L'ESSAM La rs = es six ou sept mille facettes de leurs yeux laté- raux ét dans le triple œil cyclopéen de leur front, mais telle que nous la verrions si nous avions Jeur taille. | Du haut d'un dôme plus colossal que celui de . Saint-Pierre de Rome, descendent jusqu’au sol, . verticales, multiples et parallèles, de gigantes- _ ques murailles de cire, constructions géomé- triques, suspendues dans les ténèbres et le vide, _ et qu'on ne saurait, toutes proportions gardées, _ pour la précision, la hardiesse et lénormité, comparer à aucune construction humaine. - Chacune de ces murailles, dont la substance est encore toute fraîche, virginale, argentée, immaculée, odorante, est formée de milliers de cellules et contient des vivres suffisants pour nourrir le peuple entier durant plusieurs semaines. Jei, ce sont les taches éclatantes, rouges, jaunes, mauves et noires du pollen, férments d'amour de toutes les fleurs du prin- iemps, accumulés dans les alvéoles transpe- -rents. Tout autour, en longues et fastueuses draperies d’or aux plis rigides et immobiles, le | miel d'avril,-le plus limpide et le plus parfumé, repose déjà dans ses vingt mille réservoirs fermés d'un sceau qu'on ne violera qu'aux jours de suprème détresse. Plus haut, le miel ue VIE DES ABEILLES de mai nbrié encore dans ses cuves rade Ë ouvertes au bord desquelles des cohortes vigi- lantes entretiennent un courant d'air incessant. Au centre, et loin de la lumière dont les jets à de diamants pénètrent par l'unique ouverture, | dans la partie la plus chaude de la ruche, som- F meille et s'éveille l'avenir. C'est le domaine … royal du « couvain » réservé à la reine et à ses k. acolytes : environ dix mille demeures où reposent les œufs, quinze ou seize mille chambres occupées par les larves; quarante : mille maisons habitées par des nymphes blanches que soignent des milliers de nour- rices!. Enfin, au saint des saints de ces limbes, les trois, quatre, six ou douze palais clos, pro- : 1% ? : L porlionnellement très vastes, des princesses ! adolescentes, qui attendent leur heure, enve- ! loppées d’une sorte de suaire, immobiles et ! pâles, étant nourries flans les ténèbres. 1 4 2 IV 1 . : Or, au jour prescrit par « l'esprit de la ru- che », une partie du peuple, strictement déter- 1. Les chiffres que nous Mr ici sont rigoureusement ! exacts. Ce sont ceux'd'une forte ruche en pleine prospérité. On ho Ave la ville dome is » très jeunes abeilles qui soignent le couvain ét quelques milliers d'ouvrières qui continue- ront de butiner au loin, garderont le trésor _rale particulière. On en rencontre de très ver- | tueuses et de très perverties, el l’apiculteur imprudent peut corrompre tel peuple, lui faire perdre le respect de la propriété d'autrui, l'in- citer au pillage, lui donner des habitudes de ré et d'oisiveté qui 1 rendront re ee Senrichir, et qu'il est plus facile de s’intro- duire en fraude dans les vitles mal gardées, u dayüir bidons mais impitoyable qui ait d'elle l’esclave ailée des corolles dans l'har- es parmi lesquels sera choisi l'amant royal, accumulé, et maintiendront les traditions mo- _rales de la ruche. Car chaque ruche à sa mo- dé er _ LA VIE DES ABEILL Se monie Dual de la nature, et il est re malaisé de ramener au bien une ruche ainsi dépravéez 5 | ï | b T À #1 4 - z À h 2: Tout indique que ce n'est pas la reine, mais l'esprit de la ruche qui décide l’essaimage. Il en est de cette reine comme des chefs parmi les : hommes ; ils ont l'air de commander, mais ! eux-mêmes obéissent à des ordres plus impé- | rieux et plus inexplicables que ceux qu'ils donnent à qui leur est soumis. — Quand cet esprit a fixé le moment, il faut que dès l'au- » rore, peut-être dès la veille ou l’avant-veille, il ait fait connaître sa résolution, car, à peine le soleil a-t-il bu les premières gouttes de rosée, qu on remarque tout autour de la ville bour- donnante une agilalion inaccoutumée, à. laquelle l'apiculteur se trompe rarement. Par- fois mème on dirait qu'il y a lutte, hésitation, recul. Il arrive en effet que plusieurs jours de suite lémoi doré et transparent s'élève et s'apaise sans raison apparente. Un nuage, que nous ne voyons pas, se forme-t-il, à cet instant, dans le ciel que les abeilles voient, ou un be der ER à D lice at de déc SE nn ne tie ‘éd de 6 PT be à a PE Fans da ignore si elies le font à la manière des unes Cl bourdonnement parfumé de miel, ce frémis- sement enivré des belles journées d'été, qui est un des plus doux plaisirs de l’éleveur d'abeilles, ce chant de fête du travail qui monte et qui escend tout autour du rucher dans Je cristal nt toute une gamme sons que nous- es discernons et qui va de la félicité pro- , à la détresse’; M (LA VIE DES ABEILLES s'émeuvent pas des bruits que nous produi- sons autour de la ruche, mais elles jugent peut-être que ces bruits ne sont pas de leur monde et n'ont aucun intérêt pour elles. IL est vraisemblable que, de notre côté, nous n’entendons qu'une minime partie de ce. qu'elles disent, et qu’elles émettent une foule d'harmonies que nos organes ne sont pas faits. pour percevoir. En tout cas, nous verrons plus | loin qu'elles savent s'entendre et se concerter avec une rapidité parfois prodigieuse, et quand, par exemple, le grand pilleur de miel, l'énorme Sphinx Atropos, le papillon sinistre qui porte ! sur le dos une tète de mort, pénètre dans la ! ruche au murmure d’une sorte d'incantation irrésistible qui lui est propre, de proche en proche la nouvelle circule et, des gardes de. l'entrée aux dernières ouvrières qui travaillent, là-bas, sur les derniers rayons, {out le peuple tressaille. de Sr eit RTE À Qu JE SAP Ve 7 PA re A er Le Le On à cru longtemps qu'en abandonnant les! trésors de leur royaume, pour s'élancer ainsi | dans la vie incertaine, les sages mouches à à s be CE SEE CRETE EME ES RE notes | ms M Li à 4e Hess LINE Ÿ EC à 4 AY tr CE mp nur US ps TE ; LU CR 8 “écénomes, si sobrés, si prévoyantes tude, obéissaient à une sorte de folie. le, à une impulsion machinale, à une loi l'espèce, à un décret de la nature, à cette force qui pour tous les êtres est cachée dans le temps qui s'écoule. _ S'agit-il del abeille ou de nous-mêmes, nous appelons fatal tout ce que nous ne comprenons pas encore. Mais aujourd'hui, la ruche a livré . deux ou trois de ses secrets matériels, et on à _ constaté que cet exode n’est ni instinetif, ni inévitable. Ce n’est pas une émigration aveu- gle, mais un sacrifice qui paraît raisonné, de la génération présente à à la génération future. 11 suffit que l'apiculteur détruise en leurs cel- lules les jeunes reines encore inertes, et qu'en même temps, si les larves et les nymphes sont nombreuses, il agrandisse les entrepôts et les _dortoirs de la nation : sur l'heure, tout le tumulte improductif s'abat comme les gouttes d'or d'une pluie obéissante, le travail habituel Se répand sur les fleurs, et, devenue indispen- sable, n’espérant ou ne redoutant plus de suc- cesseur, rassurée sur l'avenir de l'activité qui Va naître, la vieille reine renonce à revoir cette _année la lumière du soleil. Elle reprend paisi- -blement, dans les ténèbres, sa tâche maternelle qui consiste à $ : méthodique, de cellule en “es sans en ometlre une seule, sans s'arrêter jamais, deu ou trois mille œufs chaque jour. : 4 … Qu'y a-t-il de fatal en tout ceci que l'amour de la race d'aujourd'hui pour la race de demain? Cette fatalité existe aussi dans l'es- _pèce humaine, mais sa puissance et son éten- . due y sont moindres. Elle n'y produit j jamais de ces grands sacrifices totaux et unanimes. À quelle fatalité prévoyante obéissons-nous * qui remplace celle-ci? Nous lignorons et ne connaissons point l'être qui nous regarde comme nous regardons les abeilles. “* VII Mais l'homme ne trouble point l'histoire de. la ruche que nous avons choisie, et l'ardeur encore toute mouillée d’une belle journée qui. È s'avance à pas tranquilles et déjà rayonnants | sous les arbres, hâte l'heure du départ. Du. haut en bas des corridors dorés qui séparent les murailles parallèles, les ouvrières achè-… vent les préparatifs du voyage. Et d'abord, chacune d'elles se charge d’une provision = | 110008 la construction des édifices. Elles se munissent en outre d'une certaine quantité de propolis, qui est une sorte de résine destinée à mastiquer les fentes de la nouvelle demeure, à y fixer tout ce qui branle, à en se _ vernir toutes les parois, à en exclure toute : lumière, car elles aiment à travailler dans une obscurité presque complète, où elles se diri- gent: à l’aide de leurs Ja à facettes ou peut- être de leurs antennes, qu'on suppose le siège fun sens inconnu qui palpe et mesure les à us et les prés, et demain, après-demain, il est possible qu'il vente, qu'il pleuve, que leurs «RTS 7 42. LA VIE DES ABEILLES ailes se glacent et que les fleurs ne s'ouvrent point. À défaut de cette prévoyance, ce serait Ja famine et la mort. Nul ne viendrait à leur | secours et elles n'imploreraient le secours de _ personne. De cité à cité elles ne se connaissent _pointet ne s’aident jamais. Il arrive mème que : ; l'apiculteur installe la ruche où il a recueilli la vieille reine et la grappe d'abeilles qui l'en toure tout à côté de la demeure qu’elles vien nent de quitter. Quel que soit le désastre qui L = À les frappe, on dirait qu’elles en ont irrévoca- blement oublié la paix, la félicité laborieuse, les énormes richesses et la sécurité, et toutes, une à une, et jusqu'à la dernière, mourront de froid et de faim autour de leur malheureuse souveraine, plutôt que de rentrer dans Ha maison natale, dont la bonne odeur d’abon- dance, qui n'est que le parfum de leur travail passé, pénètre jusqu’à leur détresse. 2 TP TT I De NN I TE IX Voilà, dira--on, ce que ne feraient pas les : hommes, un de ces faits qui prouvent que, - malgré les merveilles de celte organisation, il il n'y a Rà ni intelligence, ni conscience véri- > en TS. à os trois personnes causer et s 'agiter act. _ rière une fenêtre, sans entendre ce qu’elles - disent, et déjà il nous est bien difficile de de- _ viner la pensée qui les mène. Croyez-vous qu’un habitant de Mars ou de Vénus, qui, du haut d'une montagne, verrait aller et venir par à les rues et les places publiques de nos villes, 4 Jes ; petits points noirs que nous sommes dans espace, se formerait au spectacle de nos mou- vements, de nos édifices, de nos canaux, de nos machines, une idée exacte de notre intelli- gence, ‘de notre ro de notre manière sy r ge En fout cas, 1} aurait bus du mal à décou- + _édifier et amasser de petites choses, et le len- vrir dans « nos petits points noirs » la gra: de direction morale, l’admirable sentiment una- nime qui éclate dans la ruche. « Où vont-ils! se demanderait-il, après nous avoir observés durant des années ou des siècles; que font-ils ? « quel est le lieu central et le but de leur vie? obéissent-ils à quelque dieu? Je ne vois rien 1 qui-conduise leurs pas. Un jour ils semblent 7 PI ee PR TP TP PE ET VI To ER VIT 4 demain les détruisent et les éparpillent. Ils s'en vont et reviennent, ils s’assemblent et se dis- persent, mais on ne sait ce qu'ils désirent. Ils. offrent une foule de- spectacles inexplicables. On en voit, par exemple, qui ne font pour | tone ainsi dire aucun mouvement. On les reconnaît | - à leur pelage plus lustré; souvent aussi ils sont plus volumineux que les autres. Ils occupent des demeures dix ou vingt fois plus vastes, plus ingénieusement ordonnées et plus riches : que les demeures ordinaires. Is y font tous les jours des repas qui se prolongent durant des heures et parfois fort avant dans la nuit: Tous ceux qui les approchent paraissent les honorer, et des porteurs de vivres sortent des maisons voisines et viennent même du fond de la cam- pagne pour leur faire des présents. Il faut croire qu'ils sont indispensables et rendent à . _rore au coucher du soleil, ne cessent de s agite péniblement. Tout nous fait supposer que cette agitation est punissable. On les loge, en effet, dans d’ élroites hultes, malpropres et dslébrées Ils sont couverts d'une substance incolore. tions aussi défavorables à son CR Du reste, il convient d'ajouter que, hormis cette obstination caractéristique à.leurs agita- ions pénibles, ils ont l'air inoffensif et do- “à et s'accommodent des restes de ceux qui °. N'est-il pas étonnant que la ruche que nous voyons ainsi confusément, du haut d’un autre monde, nous fasse, au premier regard que nous y jetons, une réponse sûre et pro- fonde? N'est-il pas admirable que ses édi- fices pleins de certitude, ses usages, ses lois, son organisation économique et poli- tique, ses vertus et ses cruautés mèmes, nous montrent immédiatement la pensée ou le dieu que les abeilles servent, et qui n’est pas le dieu le moins légitime ni le moins raisonnable qu'on puisse concevoir, bien que le seul peut- ètre que nous n'ayons pas encore sérieuse- ment adoré, je veux dire l'avenir? Nous cher- _chons parfois, dans notre histoire humaine, à évaluer la force et la grandeur morale d'un peuple ou d’une race, et nous ne trouvons pas d'autre mesure que la persistance et l'ampleur de l'idéal qu'ils poursuivent et Fabnégation avec laquelle ils s'y dévouent. Avons-nous ren- contré fréquemment un idéal plus conforme aux désirs de l'Univers, plus ferme, plus auguste, plus désintéressé, plus manifeste, done Ed dit Cite mu ét à 15 br SP % 3 ja ve M. D oki He CAE if jou EEE étre Ep dde 4 AS CE VA A CAE AT TES à CL Stein bnégation plus tolale et plus hé XI ue Étrange pelite république si logique et si _ grave, si positive, si minulieuse, si économe et cependant viclime d’un rêve si vaste et si pré- ke caire! Petit peuple si décidé ct si profond, _ nourri de chaleur et de lumière ct de ce qu'il y a de plus pur dans la nature, l'âme des fleurs, _ c’est-à-dire le sourire Île plus évident de la matière et son eflort le plus touchant vers le bonheur et la beauté, qui nous dira les pro- lèmes que vous avez résolus et qui nous restent à résoudre, les certitudes que vous vez acquises et qui nous reslent à acquérir? | ts'il est vrai que vous ayez résolu ces pro mes, acquis ces certitudes, non pas à l’aide ; e l'intelligence, mais en vertu de quelque im- pulsion primitive et aveugle, à quelle énigme plus insoluble encore ne nous poussez-vous à prit RauR cité ee de foi, d espérances, | ‘acceptent-elies + une tâche qu'aucun esclave humain n'a jamais acceplée? Ménagères de leurs forces, un | peu moins A d’ elles- mêmes, un peu moins ardentes à la peine, elles reverraient un autre printemps et un second . été; mais dans le moment magnifique où toutes les fleurs les appellent, elles semblent frappées de l'ivresse mortelle du travail, et, les ailes brisées, le corps réduit à rien et couvert de blessures, elles périssent presque toutes en moins de cinq semaines. | é Tantus amor florum, et generandi gloria mellis, s’écrie Virgile, qui nous a transmis dans le qua- trième livre des Géorgiques, consacré aux abeilles, les erreurs charmantes des anciens, qui observaient la nature d'un œil encore tout ébloui de la présence de dieux imaginaires. XII Pourquoi renoncent-elles au sommeil, aux délices du miel, à l'amour, aux loisirs adora- bles que connaît, par exemple, leur frère ailé, le papillon? Ne pourraient-elles pas vivre comme lui? Ce n'est pas la faim qui les presse. Deux ou trois fleurs suffisent à les nourrir et . elles en visitent deux ou trois cents par heure û <: * NE EN CS PE sois ÈS e NE y Grau jtd vi nd pire At foie ER TR FT EN L D Re, CES UT PET sise re = ne belle el plus heureuse, qu elle fera que chose que vous n’ayez pas fait? Nous voyons - votre but, il est aussi clair que le nôtre : vous _ voulez vivre en votre descendance aussi long- temps que la terre elle-même; mais quel est” donc le but de ce grand but et la mission de cette existence élernellement renouveléé? ; _ Mais n'est-ce pas plutôt nous qui nous tour- entons dans l'hésitation et l'erreur, qui som- s des rêveurs puérils et qui vous posons des ve Dons, dovonues RS pu ane et bien | reuses, vous seriez arrivées aux dernières sans arrière- pensée. Avons- nous pu jusqu’ à ce. & jour imaginer un seul de nos dieux, depuis le 1 plus grossier jusqu’au plus raisonnable, sans le faire immédiatement s'agiter, sans l'obliger de créer une foule d'êtres et de choses, de cher- cher mille fins par delà lui-même, et nous | résignerons-nous Jamais à représenter tran- | quillement et. durant quelques heures une * forme intéressante de l’activité de la matière, : pour reprendre bientôt, sans regrets et sans étonnement, l'autre forme qui est lincons- ciente, l’inconnue, l’'endormie, l’éternelle? . XIII 2: Mais n'oublions pas notre ruche où l'essaim | perd patience, notre ruche qui bouillonne et déborde déjà de flots noirs et vibrants, tels qu'un vase sonore sous l’ardeur du soleil. Il est midi, | et l'on dirait qu’autour de la chaleur qui règne, « les arbres assemblés retiennent toutes leurs * feuilles, comme on retient son souffle en pré- = sence d’une chose très douce, mais très grave. Les abeilles donnent le miel et la cire odorante … à l’homme qui les soigne; mais, ce qui vaut : _peu- -être mieux que le miel et la cire, c'est | ‘ ARE ge aus D TA L FR AREA Fi ons aidons l'aile dipenté des parfums qui s'élancent, l intelligence des rayons “qui planent, le murmure des clartés qui tres- _saillent, le chant de l'atmosphère qui s'étire et se repose, et leur vol est le signe visible, la note | convaineue et musicale des petites joies F innombrables qui naissent de la chaleur et VIV nt dans la lumière. Elles font comprendre o x] = plus intime des bonnes heures UNE XIV. reconnait plus les sérieuses et paisibles abeilles des heures laborieuses. 11 les avait vues quel- ques instants auparavant arriver de tous les 1 coins de la campagne, préoccupées comme de … petiles bourgeoises que rien ne saurait distraire | des affaires du ménage. Elles entraient presque : inaperçues, épuisées, essoufflées, empressées, agilées, mais discrètes, saluées au passage d'un léger signe des antennes par les jeunes amazones du portail. Tout au plus, échangeaient- elles les trois ou quatre mots, probablement indispensables, en remettant en hâte leurrécolte de miel à l’une des porteuses adolescentes qui stationnent toujours dans la coùr intérieure de l'usine; — ou bien elles allaient déposer elles- mêmes, dans les vastes greniers qui entourent le couvain, les deux lourdes corbeilles de pollen _accrochées à leurs cuisses, pour repartir immé- diatement après, sans s'inquiéter de ce qui se passait dans les ateliers, dans le dortoir des . ny in es ou le palais royal, sans se mêler, ne fût-ce qu'un instant, au brouhaha-de la place publique qui s'étend devant le seuil, et qu'en- combrent, aux heures de grosse chaleur, les bavardages des ventileuses qui, suivant lex-.1 pression piltoresque des apiculteurs, «font la | barbe », # | < 4 4 4 | 3 4 Le ÈS dis cute He APT PT A PORTO OI AE SE AE ca PV LE SO = dl à sud ED. 3 un nombre d'ouvrières, ne % À comme s si rien n'allait se passer, vont 5 champs, en reviennent, nettoient la no montent aux chambres du ss 11 ns les. ni par qui, ni comment. Elles v> Dinsuilamient el infléxiblement is : LA VIE DES ABEILLES XVI à El Et cependant, l'attrait paraît irrésistible. C'est le délire du sacrifice, peut-être incon- scient, ordonné par le dieu, c'est la fète du- "4 miel, la victoire de la race et de Favenir, : c'est le seul jour de joie, d’oubliet de folie, 1 c'est l’unique dimanche des abeïlles. C'est aussi, croirait-6n, le ‘seul jour où elles mangent à leur faim et connaissent pleinement ! la douceur du trésor qu'elles amassent. Eïiles È ; ont l'air de prisonnières délivrées et subite: ment lransportées dans un pays d'exubérance et de délassements. Elles exultent, ne se pos- sèdent plus. Elles qui ne font jamais un mou- vement imprécis ou inutile, elles vont, elles viennent, sortent, rentrent, ressortent pour exciter leurs sœurs, voir si la reine est prête, élourdir leur attente. Elles volent beaucoup plus haut que de coutume et font vibrer tout - autour du rucher les feuillages des grands arbres. Elles n’ont plus ni craintes ni soucis. | Elles ne sont plus farouches, tatillonnes, soup- çonneuses, irritables, agressives, indomptables._ | L'homme, le maîtrè ignoré qu’elles ne recon | ee Le l'homme peut les | déchirer le rideau blond et tiède que forment autour de lui leurs tourbillons relentissants, les prendre dans la main, les cueillir, comme * une grappe de fruits, elles sont aussi douces, ussi inoffensives qu'une nuée de libellules ou phalènes et, ce jour-là, heureuses, ne possé- plus rien, confiantes en l'avenir, pourvu n ne les sépare pas de leur reine qui porte ne cet avenir, elles se soumettent à à tout et XVII ouvrir Ja pensée. En temps ordinaire, rentrées chez elles, les abeilles oublient w'elles : ont des ailes, et chacune se tient Te | | + à peu près RS mais non 1 pas inactive, sur | les rayons, à la place qui lui est assignée par. son genre de travail. Maintenant, affolées, elles : | se meuvent en cercles compacts du haut en. - bas des parois verticales, comme une pâte vibrante remnée par une main invisible. La température intérieure s'élève rapidement, à tel point, parfois, que la cire des édifices | s’amollit et se déforme. La reine, qui d'habi- : tude ne quitte jamais les rayons du centre, | parcourt éperdue, haletante, la surface de la : | foule véhémente qui tourne et retourne sur soi. | Est-ce pour hâter le départ ou pour le retarder? : Ordonne-t-elle ou bien implore t-elle? Pro- | page-t-elle l'émotion prodigieuse ou si elle la | subit? 11 paraît assez évident, d’après ce quenous savons de la psychologie générale de l'abeille, que l'essaimage se fait toujours contre le gré de la vieille souveraine. Au fond, la reine. est, aux yeux des ascétiques ouvrières que sont ses filles, l'organe de l'amour, indispen- sable eb sacré, mais un peu inconscient et souvent puéril. Aussi la traitent-elles comme une mère en tutelle. Elles ont pour elle un respect, une tendresse héroïque et sans bornes. A elle est réservé le miel Je plus pur, spécia- lement distillé et presque entièrement assimi- e à une nourriture particulière, être trans- | se en poupee ha c'est le ne prin- 58 LA A VIE ! DES AB ILES à bâtir les rayons se rompent et se désa- | grègent, les butineuses ne visitent plus les fleurs, les gardés de l'entrée désertent leur. poste, et les pillardes étrangères, tous les para- sites du miel, perpétuellement à Faffût d'une aubaine, entrent et sortent librement sans que personne songe à défendre le trésor âprement amassé. Peu à peu, la cité s’appauvrit et se dépeuple, et ses habilantes, découragées, ne : tardent pas à mourir de tristesse et de misère, bien que toutes les fleurs de. l'été éclatent : devant elles. Mais qu'on leur restitue leur souveraine avant que sa perte soit passée en force de. chose accomplie et irrémédiable, avant que la démoralisation soit trop profonde (les abeilles sont comme les hommes, un malheur et un désespoir prolongé rompt leur intelligence et dégrade leur caractère), qu'on la leur restitue quelques heures après, et l'accueil qu'elles lui font est extraordinaire et touchant. Toutes s’'empressent autour d'elle, s’altroupent, grim- pent les unes sur les autres, la caressent, au. passage, de leurs longues antennes qui con- tiennent tant d'organes encore inexpliqués, lui présentent du miel, l'escortent en tumulte jusqu'aux chambres royales. Aussitôt l'ordre trent parfois moins de trois minutes après léjà chargées de nectar et de pollen, les pil- lards et les parasites sont expulsés ou massa- crés, les rues sont balayées, et la ruche retentit doucement el monotonement de ce chant bien- heureux et si particulier qui est le chant intime de la présence royale. XVIII QUaiEe ; 6 Ds £ fee PES MODES TE tiens: ae RES me É SES es + DE Mr IS (re de miel. Et tant qu’elle est en vie, quel que soit ! le désastre, le découragement n'entre pas dans ‘la cité des « chastes buveuses de rosée ». Brisez vingt fois de suite leurs rayons, enlevez-leur vingt fois leurs enfants et leurs vivres, vous n’arriverez pas à les faire douter de l'avenir; et décimées, affamées, réduites à une petite troupe qui peut à peine dissimuler leur mère aux yeux de l'ennemi, elles réorganiseront lesrèglements de la colonie, pourvoiront au plus pressé, se ? ? partageront à nouveau la besogne selon les nécessités anormales du moment malheureux, - et reprendront immédiatement le travail avec une patience, une ardeur, une intelligence, une ténacité qu’on ne retrouve pas souvent à ce degré dans la nature, bien que la plupart des êtres y montrent plus de courage et de confiance que l’homme. | Pour écarter le découragement el entretenir leur amour, il ne faut même pas que la reine soit présente, il suffit qu’elle ait laissé à l’heure de sa mort ou de son départ le plus fragile espoir de descendance. « Nous avons vu, dit le vénérable Langstroth, l’un des pères de l’api- Aéro PA en Lo not : VE 4 node RG RE “pa iiihé ist | L CE 4 culture moderne, nous avons vu une colonie … qui n'avait pas assez d’abeilles pour couvrir un rayon de dix centimètres carrés essayer d'éle- css mais ses ailes étaient si no qu’elle ne put voler. Quoiqu’elle fût impotente, ses abeilles ne la traitèrent pas avec moins de - respect. Une semaine plus tard, il ne restait guère plus d’une douzaine d’abeilles; enfin, _ quelques jours après, la reine avait disparu, _ Jaissant sur les rayÿôns quelques malheu- | reuses inconsolables. » XX Voici, entre autres, une circonstance, née des preuves inouies que notre intervention ré- ‘4 ente et tyrannique fait subir aux infortunées | mais inébranlables héroïnes, où l’on saisit au if le dernier geste de l’amour filial et de 'abnégalion. J'ai plus d’une fois, comme tout aateur d’abeilles, fait venir d'Italie des reines fécondées, car la race ilalienne est meilleure, plus robuste, plus prolifique, plus active et lus douce que la nôtre. Ces envois se font ms de petites boîles percées de trous. On y et quelques vivres et on y renferme la reine , . à. VIE DES ABEILLES accompagnée d'un certain nombre d' ouvrières, choisies autant que possible parmi les he âgées (l’âge des abeilles se reconnaît assez facilement à leur corps plus poli, amaigri, presque chauve, et surtout à leurs ailes usées et déchirées par le travail), pour la nourrir, la soigner et veiller sur elle durant le voyage. Bien souvent, à l’arrivée, la plupart des ouvrières avaient succombé. Une fois même, toutes étaient mortes de faim; mais, cette fois comme les autres, la reine était intacte et vigoureuse, et la dernière de ses compagnes avait probablement péri en offrant à sa souve- raine, symbole d'une vie plus précieuse et plus vaste que la sienne, la dernière goutte de miel qu'elle tenait en réserve au fond de son jabot. XX L'homme ayant observé cette affection si constante a su tourner à son avantage l’admi- rable sens politique, l’ardeur au travail, la persévérance, la magnanimité, la passion de l'avenir qui en découlent ou s'y trouvent ren- fermés. C'est grâce à elle que depuis quelques années il est parvenu à domestiquer jusqu à dti t tin ane MEET I TG sh E- st angère, + dune Leur inconsciente Te elles he servent encore ee: leurs propres lois ee don des royaumes. Il n’en ad pas moins vrai que la reine n'est au fond qu'une sorte de vivant symbole, qui, comme tous les symboles, représente un principe . . . moins visible et plus vaste, dont il est bon que S | apiculteur lienne compte s’il ne veut pas sex- poser à plus d’une déconvenue. Au reste, les abeilles ne s y trompent point et ne perdent pas de vue, à travers leur reine visible et” éphémère, leur véritable souveraine immaté- rielle et permanente, qui est leur idée fixe. Que cette idée soit consciente ou non, cela n'importe que si nous voulons plus spéciale- ment admirer les abeilles qui l’ont ou la nature qui l'a mise en elles. En quelque point qu’elle _ se trouve, dans ces petits corps si frêles, ou dans le grand corps inconnaissable, elle est ne de: does atention. Et, pour. le passant, si nous prenions garde à ne pas su bordonner notre admiration à tant de circons- Fe _ tances de lieu ou d’origine, nous ne perdrions _ pas si souvent l'occasion d'ouvrir nos yeux avec élonnement,-et rien n’est plus salutaire que de les ouvrir ainsi. XXI On se dira que ce sont là des conjectures bien hasardeuses et trop humaines, que les abeilles n'ont probablement aucune idée de ce genre, et que la notion de l'avenir, de l'amour de la race, et tant d'autres que nous leur attri- buons, ne sont au fond que les formes que prennent pour elles la nécessité de vivre, la crainte de la souffrance et de la mort et l'attrait du plaisir. J'en conviens; tout cela, si l’on veut, n’est qu'une manière de parler, aussi n'y. attaché-je pas grande importance. La seule chose certaine ici, comme elle est la seule chose cerlaine dans tout ce que nous savons, c'est que l’on constate que dans telle et telle circons- tance, les abeilles se conduisent envers leur reine de telle ou telle façon. Le reste est un mo ins ingénieuses. Mais si nous parlions des Lie comme il serait peut-être sage de - parler des abeilles, aurions-nous le droit d'en dire beaucoup Dtuiager Nous aussi nous n ’obéissons qu'aux nécessités, à l'attrait du plaisir ou à l'horreur de la souffrance, et ce que nous appelons notre intelligence a la - même origine et la même mission que ce que nous appelons instinct chez les animaux, Nous accomplissons certains actes, dont nous croyons Dnsitee les effets, nous en ra dont Aus ue -les HS proches et les ee | éloignés, s'accomplissent dans une nuit pro fonde où il est probable que nous sommes à eu près aussi aveugles que nous supposons que le sont les abeilles. [æp] 1 # 66 - . LA VIE DES ABEILLES XXII 7) 14 F ñ ds « SU Es + sécl Ligiit La irigeront leurs pas vers la re- un instant sur le seuil des portes incon- : formeront les cercles d’allégresse solen- liers de petites mémoires prudentes et èles. Les points de repère des alentours sont gneusement relevés, la cité nouvelle existe à tout entière au fond de leurs imaginations t le cœur de tous ses habitants; on entend atir en ses murs l'hymne d'amour de la pré- e royale, et le {travail commence. = :XXXI l'homme ne le recueille point, l’histoire, essaim ne finit pas ici. Il reste suspendu branche jusqu'au retour des ouvrières qui t l'office d’éclaireurs ou de fourriers ailés et 92 qui nie les ane minutes de Fos se Sont dispersées dans toutes les directions pour aller à la recherche d’un logis. Une à une elles reviennent et rendent compte de leur. mission, et, puisqu'il nous est impossible de. pénétrer la pensée des abeilles, 1l faut bien que. nous interprétions humainement le spectacle auquel nous assistons. Il est donc probable qu'on écoute attentivement leurs rapports. L'une préconise apparemment un arbre creux, une autre vante les avantages d'une fente dans un vieux mur, d'une cavilé dans une grotte ou d’un terrier abandonné. Il arrive souvent que. l'assemblée hésite et délibère jusqu’au lende- main matin. Enfin le choix se fait et l'accord. s'établit. À un moment donné, toule là grappe s’agite, fourmille, se désagrège, s'éparpille ct,” d'un vol impélueux et soutenu qui cette fois ne. connait plus d’obstacle, par-dessus les haies, les | champs de blé, les champs de lin, les meules, les étangs, les villages et les fleuves, le nuage. vibrant se dirige en droite ligne vers un but déterminé et toujours très lointain. Il est. rare que l'homme le puisse suivre dans cette. seconde étape. Il retourne à la nature, et nous _perdons la trace de sa deslinée. LA |FONDATION DE ee CITÉ " É 9% LA VIE DES ABEILLES menaces de l'hiver. Elles y ont laissé, endor- mies au fond de leurs berceaux, des milliers et des milliers de filles qu’elles ne reverront pas. Elles y ont abandonné, outre l'énorme trésor de cire, de propolis el de pollen accumulé par elles, plus de cent vingt livres de miel, c'est- à-dire douze fois le poids du peuple entier, près de six cent mille fois le poids de chaque abeille, ce qui représenterait pour l’homme quarante-deux mille tonnes de vivres, toute une flottille de gros navires chargés d’aliments plus précieux et plus parfaits qu'aucun de ceux que nous connaissions, car le miel est aux abeilles une sorte de vie liquide, une espèce de chyle immédiatement assimilable et presque : sans déchet. Ici, dans la demeure nouvelle, il n’y a rien, pas une goulle de miel, pas un jalon de cire, pas un point de repère et pas un point d'appui. C'est Ja nudité désolée d’un monument immense qui n'aurait que le toit et les murs. Les parois, circulaires et lisses, ne renferment que l'ombre, et là-haut la voûte monstrueuse s’arrondit sur le vide. Mais l’abecille ne connaît pas les regrels inutiles ; en tout cas elle ne s'y arrête point. Son ardeur, loin d’être abattue par une épreuve qui surpasserait tout autre cou- », est plus grande que jamais. À peine la che est-elle redressée et mise en place, à peine le désarroi de la chute tumultueuse commence-t-il à s’apaiser, qu'on voit s'opérer uns la multitude emmèlée une division très _nelte et tout à fait inattendue. La plus grande partie des abeilles, comme une armée qui obéi- rait à un ordre précis, se met à grimper en _ colonnes épaisses le long des parois verticales du monument. Arrivées dans la coupole, les premières qui l’atteignent s’y cramponnent par les ongles de leurs pattes antérieares ; celles qui viennent après s'accrochent aux premières et ainsi de suite, jusqu'à ce que soient formées de longues chaînes qui servent de pont à la foule qui s'élève toujours. Peu à peu, ces chaînes se mullipliant, se renforçant et s’enla- çant à l'infini, deviennent des guirlandes qui, sous l’ascension innombrableet ininterrompue, _se transforment à leur tour en un rideau épais et triangulaire, ou plutôt en une sorte de cône compact et renversé dont la pointe s'attache au sommet de la coupole et dont la base descend” en s’évasant jusque la moitié ou les deux tiers de la hauteur totale de la ruche. Alors, la der _nière abeille qui se sent appelée par une voix intérieure à faire partie de ce groupe, ayan de 0 1 VIE DES ABEILLES io) rejoint le let suspendu date Ur Trés. : É l'ascension prend fin, tout mouvement s'éteint peu à peu dans le dôme, et l'étrange cône ren- versé attend durant de longues heures, dans un silence qu'on pourrait croire religieux et dans une ‘immobilité qui paraît elfrayante, À l’arrivée du mystère de la cire. Pendant ce temps, sans se préoccuper de. + la formation du merveilleux rideau aux plis duquel un don magique va descendre, sans paraître tenté de s'y joindre, le reste des … abeilles, c’est-à-dire toutes celles qui sont demeurées dans le bas de la ruche, examine l'édifice et entreprend les travaux. néces- saires. Le sol est soigneusement balayé, et les feuilles mortes, les brindilles, les grains de sable sont portés au loin, un à un, une à une, car la : propreté des abeilles va jusqu’à la manie, et, lorsqu'au cœur de l'hiver les grands froids les empêchent trop longtemps d'effectuer ce qu'on appelle en apiculture leur « vol de pro- preté », plutôt que de souiller la ruche elles périssent en masse, victimes d’affreuses ma- ladies d’entrailles. Seuls, les mâles sont incor- rigiblement insoucieux, et couvrent impudem- ment d'ordures les rayons qu'ils fréquentent près s 5” … Les abeilles du même | pe profané, du groupe qui ne se mêle pas u cône suspendu dans une sorte d’extase, se mettent à luter minutieusement le pourtour inférieur de la demeure commune. Ensuite, toutes les lézardes sont passées en revue, remplies et recouvertes de propolis, et l'on commence, du haut en bas de l'édifice, le ver- nissage des parois. La garde de l'entrée est d'ouvrières vont aux champs et en reviennent chargées de nectar et de pollen. IT réorganisée, et bientôt un certain nombre VUE 98 LA VIE DES ABEILLES Le qu'il s’agit d'élever le plus économiquement et le plus rapidement possible, car la reine, pressée de pondre, répand déjà ses œufs sur le sol. Il faut, en outre, dans ce dédale de cons- tructions diverses, encore imaginaires et dont la forme est forcément inusitée, ne pas perdre de vue les lois de la ventilation, de la stabi- lité, de la solidité, considérer la résistance de la cire, la nature des vivres à emmagasiner, l’aisance des accès, les habitudes de la souve- raine, la distribution en quelque sorte prééta- blie, parce qu’elle est organiquement la meil- leure, des entrepôts, des maisons, des rues et des passages, et bien d’autres problèmes qu'il serait trop long d’énumérer. Or, la forme des ruches que l'homme offre aux abeilles varie à l'infini, depuis l'arbre creux ou le manchon de poterie encore en usage en Afrique et en Asie, en passant par la classique cloche de paille que l’on trouve au miheu d’une touffe de tournesols, de phlox et de passe- roses, sous les fenètres ou dans le potager de la plupart de nos fermes, jusqu'aux véritables usines de l’apiculture mobiliste d'aujourd'hui, où s'accumulent parfois plus de cent cinquante kilogrammes de miel contenus en trois ou quatre étages de rayons superposés et entourés ANR cp ns ei int BE dc rte du PRESS ie ea dés jé: ES ET LT Cf LT CE NB FC ut ET hu TL Se EAP a Arr e 4 4 3 . RTE TE 7) CP RES CESSE ÿ TONER RE QE Léa d'un ea | ier, d'en here la récolte par la .. cen- fuge ? à l’aide d’une turbine, et de les remettre eur place, comme on ferait d’un livre dans e bibliothèque bien rangée. Le caprice ou l'industrie de l'homme intro- duit un beau jour l’essaim docile dans l'une ou l’autre de ces habitations déroutantes. A la petite mouche de s'y retrouver, de s'orienter, de modifier des plans que la force des choses veut pour ainsi dire immuables, de déterminer dans cet espace insolite la position des maga- sins d'hiver qui ne peuvent dépasser la zone _ de chaleur dégagée par la peuplade à demi ngourdie; à elle enfin de prévoir Le point où se concentreront les rayons du couvain, dont lemplacement, sous peine de désastre, doit être à peu près invariable, ni trop haut, ni trop bas, ni trop près, ni trop loin de la porte. Elle sort, par exemple, du tronc d’un arbre renversé qui ne formait qu'une longue galerie horizontale, étroite et écrasée, et la voilà dans . un édifice élevé comme une tour et dont le toit se perd dans les ténèbres. Ou bien, pour nous rapprocher davantage de son étonne- ment ordinaire, elle s'était accoutumée depuis des siècles à vivre sous le dôme de paille de nos ruches te et voici ï qu ‘on line à talle dans une espèce de grande armoire, ou de grand coffre, trois ou quatre fois plus vaste que sa maison natale, et au milieu d’un _ enchevêtrement de cadres suspendus les uns au-dessus des autres, tantôt parallèles, tantôt perpendiculaires à l'entrée, et formant un réseau d’échafaudage qui brouillent toutes les surfaces de sa demeure. IL. = N'importe, on n’a pas d'exemple qu'un essaim ait refusé de se meltre à la besogne, se soit laissé décourager ou déconcerter par Lt la bizarrerie des circonstances, pourvu que “ l'habitalion qu'on lui offrait ne fût pas im- prégnée de mauvaises odeurs, ou réellement inhabitable. Mème dans ce cas il n'est pas question de découragement, d’affolementou de renonciation au devoir. Il abandonne simple- ment la retraite inhospitalière pour aller cher- cher meilleure fortune un peu plus loin. On ne peut dire, non plus, que l’on soit jamais parvenu à lui faire exécuter un travail puéril ou illogique. On n’a jamais constaté que les E. ut: Ê Er. iles aient thus . hasard, des constructions hagardes et hétéro- _elites. Versez-les dans une sphère, dans un cube, dans une pyramide, dans un panier ovale ou polygonal, dans un cylindre ou dans une spirale, visitez-les quelques jours après, sielles _ ont acceplé la demeure, et vous verrez que _ celte étrange multitude de petites intelligences ; _ indépendantes a su se mettre immédiatement d'accord pour choisir sans hésiter, avec une _ méthode dont les principes paraissent in- _ flexibles, mais dont les conséquences sont vi- vantes, le point le plus propice et souvent le seul endroit utilisable de l'habitacle absurde. - Quand on les installe dans l’une de ces grandes usines à cadres dont nous parlions tantôt, elles ne tiennent compte de ces cadres _ qu'autant qu'ils leur fournissent un point de départ ou des points d'appui commodes pour … leurs rayons, et il est bien naturel qu'elles ne se soucient ni des désirs, ni des intentions de l'homme. Mais si l’apiculteur a eu soin de garnir d’une étroite bande de cire la planchelte supérieure de quelques-uns d’entre eux, elles _saisiront tout de suite les avantages que leur. offre ce travail amorcé, elles étireront soigneu- Le) 102 LA VIE DES ABEILLES sement la bandelette, et, y soudant leur propre cire, prolongeront méthodiquement le rayon dans le plan indiqué. De même, — et le cas est fréquent dans l’apiculture intensive d'au- jourd'hui, — si tous les cadres de la ruche où l'on a recueilli l’essaim, sont garnis du haut en bas de feuilles de cire gaufrée, elles ne per- dront pas leur temps à construire à côlé ou en travers, à produire de la cire inutile, mais, trouvant la besogne à moitié faite, elles se contenteront d'approfondir et d’allonger cha- cun des alvéoles esquissés dans la feuille, en rectifiant à mesure les endroits où celle-ci s’écarte de la verticale la plus rigoureuse, et, de cette façon elles posséderont en moins d’une semaine une cité aussi luxueuse et aussi bien bâtie que celle qu'elles viennent de quitter, alors que livrées à leurs seules ressources il leur aurait fallu deux ou trois mois pour édifier la même profusion de magasins et de maisons de cire blanche. IV Il semble bien que cet esprit d’appropriation excède singulièrement les bornes de l'instinct. ones, LL Een né:) éanratriEs ON A RE ES D nue SET ANR RS a FR | rien n'est plus arbitraire que ces dis- ctions entre l'instinct et l'intelligence pro- ment dile. Sir John Lubbock, qui a fait sur tions si personnelles et si curieuses, est très rté, peut-être par une prédilection incon- iente et un peu injuste pour les fourmis, qu'il plus spécialement observées, — car chaque bservateur veut que l’insecte qu'il étudie soit lus intelligent ou plus remarquable que les autres, et il est bon de se garder de ce petit tra- ers de l’amour-propre, — sir John Lubbock, dis-je, est très porté à refuser à l'abeille tout | liscernement et toute faculté raisonnante dès quelle sort de la routine de ses travaux habi- _ tuels. Il en donne pour preuve une expérience ue chacun peut facilement répéter. Intro- duisez dans une carafe une demi-douzaine de mouches et une demi-douzaine d’abeilles, puis, a carafe horizontalement couchée, tournez-en e fond vers la fenêtre de l'appartement. Les abeilles s’acharneront, durant des heures, squ’à ce qu’elles meurent de fatigue ou d'ina- nilion, à chercher une issue à travers le fond de cristal, tandis que les mouches, en moins _ de deux minutes, seront toutes sorties du côté opposé par le goulot. Sir John Lubbock en conclut que l'intelligence de l'abeille est extri ds limitée et de le mouche est bien plus chemin. Cette conclusion ne de pas irré prochable, Tournez alternativement vers la clarté, vingt fois de suite si vous voulez, tantôt le fond, tantôt le goulot de la sphère transpa rente, et vingt fois de suite les abeilles se. retourneront en. même temps pour faire face au jour. Ce qui les perd dans l'expérience du savant anglais, c'est leur amour de la lumière, et c’est leur raison mème. Elles s'imaginen! évidemment que, dans toute prison, la déli vrance est du côté de la clarté la plus vive, elles agissent en conséquence et s'obstinent à agir trop logiquement. Elles n’ont jamais eu connaissance de ce mystère surnaturel qu'est pour elles le verre, cette atmosphère subite- ment impénétrable, qui n'existe pas dans la. nature, et l'obstacle et le mystère doivent leur être d'autant plus inadmissibles, d'autant plus incompréhensibles qu'elles sont plus intelli- gentes. Au lieu que les.mouches écervelées, sans se soucier de la logique, de l'appel de la lumière, de l'énigme du cristal, tourbillonnent au hasard dans le globe et, rencontrant ici la bonne fortune des simples, qui parfois se sau- Le même het donne une autre preuve la page que voici du grand apiculteur américain vénérable et paternel Langstroth. « Comme a mouche, dit Langstroth, n’a pas été appelée à vivre sur les fleurs mais sur des substances dans lesquelles elle pourrait aisément se noyer, lle se pose avec précaution sur le bord des ases qui contiennent une nourriture liquide ety Poe prudemment, tandis que la pauvre abeille s'y jette tête baissée et y périt bientôt. e funeste destin de leurs sœurs n'arrête pas un inslant les autres quand elles s’approchent à leur tour de l’amorce, car elles se posent comme des folles sur les cadavres et sur les mourantes, pau partager leur triste sort. Per- ons ne peul s' DRRBIRee l étendue de leur . le leur manque d'intelligence, et la trouve dans 7 106 LA VIE DES ABEILLES s'étaient noyées, des milliers se poser sur le sucre en ébullition, le sol couvert et les fenè- tres obscurcies par les abeilles, les unes se traînant, les autres volant, d’autres enfin si complètement engluées qu'elles ne pouvaient ni ramper ni voler; pas une sur dix n'était capable de rapporter à la maison le butin mal acquis, et cependant l’air était rempli de légions nouvelles d’arrivantes aussi insensées. » | Ceci n'est pas plus décisif que ne serait pour un observateur surhumaïn qui voudrait fixer les limites de notre intelligence, la vue des ravages de l'alcoolisme, ou d'un champ de ba- taille. Moins, peut-être. La situation de labeille, si on la compare à la nôtre, est étrange en ce monde. Elle y a été mise pour y vivre dans la nature indifférente et inconsciente, et non pas à côté d’un être extraordinaire qui bouleverse au- tour d'elle Les lois les plus constantes et crée des phénomènes grandioses et incompréhensibles. Dans l’ordre naturel, dans l'existence monotone de la forêt natale, l’affolement décrit par Lang- stroth ne serait possible que si quelque accident brisait une ruche pleine de miel. Mais alors il n'y aurait là ni fenêtres mortelles, ni sucre bouillant, ni sirop trop épais, par conséquent guère de morts et pas d’autres dangers que ceux que court tout nt en poursuivant sa proie. . Garderions-nous mieux qu'elles notre sang- _ froid si une puissance insolite tentait à chaque . pas notre raison? Il nous est donc bien difficile - de juger les abeilles que nous-mêmes rendons _ folles et dont l'intelligence n'a pas été armée e) pour percer nos embûches, de même que la nôtre ne semble pas armée pour déjouer celles _ d’un être supérieur aujourd’hui inconnu mais 4 néanmoins possible. Ne connaissant rien qui nous domine, nous en concluons que nous occupons le sommet de la vie sur notre terre mais, après tout, cela n'est pas indiscutable. Je . ne demande pas à croire que lorsque nous fai- - sons des choses désordonnées ou misérables, nous tombons dans les pièges d’un: génie supé- rieur, mais il n’est pas invraisemblable que cela paraisse vrai quelque jour. D'autre part, on ne peut raisonnablement soutenir que les abeilles soient dénuées d'intelligence parce « qu'elles ne sont pas encore parvenues à nous distinguer du grand singe ou de l’ours, et nous traitent comme elles traiteraient ces hôtes ingé- aus de la forêt primitive. Il est certain qu'il y a en nous et autour de nous des influences et _ des puissances aussi dissemblables, que nous ne discernons pas davantage. ‘Enfin, pour diner celle apologie o lombe un peu dans le travers que je reprochais à sir John Lubbock, ne faut-il pas être intelli- sent, pour être capable d’aussi grandes folies? Il en va toujours ainsi dans ce domaine incer- lain de l'intelligence, qui est l'état le plus. précaire et le plus vacillant de la matière. Dans la même clarté que l'intelligence, il. LS Ja passion, dont on ne saurait dire au juste si elle est la fumée ou la mèche de la flamme. Et ici la passion des abeilles est assez noble pour excuser les vacillements de ne: Ce ee faire à loisir dans les ces de 1 demeure. Observez-les, suivez-les dans une circonstance analogue, vous les verrez, sitôt leur jabot plein, retourner à la ruche, y verser : leur butin, pour rejoindre et quitter trente fois : en une heure les vendanges merveilleuses. 3 C’est donc le même désir qui accomplit tant +4 d'œuvres admirables : le zèle à rapporter le plus de biens qu’elles peuvent à la maison de leurs sœurs et de l'avenir. Quand les folies ; des hommes ont une cause aussi désintéressée, | nous leur donnons souvent un autre nom. _ Pourtant, il faut’ dire toute la vérité. Au. milieu des prodiges de leur industrie, de ; leur police et de teurs renoncements, une chose nous surprendra toujours et interrom- -_ pra notre admiration : c’est leur indiffé- _ rence à la mort et au malheur de leurs com- : | pagnes. Il y à dans le caractère de l’abeille un - ‘Gédoublement bien étrange. Au sein de la . ruche, toutes s’aiment et ‘s’entr'aident. Elles sont aussi unies que les bonnes pensées d’une même âme. Si vous en blessez une, mille se de sacrifieront pour venger son injure. Hors de la _ ruche elles ne se connaissent plus. Mutilez, _ écrasez, — ou plutôt gardez-vous d’en rien _ faire, ce serait une cruauté inutile, car le fait _ est constant, — mais enfin supposons que vous mutiliez, que vous écrasiez sur un rayon posé à quelques pas de leur demeure, dix, vingt ou _ trente abeilles sorties de la même ruche, celles que vous n’aurez pas touchées ne tourneront pas la tèle et continueront de puiser au moyen _ de leur langue, fantastique ‘comme une arme chinoise, le liquide qui leur est. plus précieux 10 ir que la vie, Ai ent os aux agonies dont. 4 _ derniers gestes les frôlent et aux cris de dé- tresse que l’on pousse autour d’elles. Et quand le rayon sera vide, pour que rien ne se perde, pour recueillir le miel qui s'attache aux wvic- times, elles monteront tranquillement sur les mortes et sur les blessées, sans s'émouvoir de la présence des unes et sans songer à se- ‘courir les autres. Elles n’ont donc, dans ce cas, ni la notion du danger qu'elles cou- rent, puisque la mort qui se répand autour d'elles ne les trouble point, ni le moindre sentiment de solidarité ou de pitié. Pour le danger, cela s'explique, l'abeille ne connaît pas la crainte, et rien au monde me l’épou- vante, excepté la fumée. Au sortir de la ruche elle aspire en même temps que l’azur, la longa- nimité et de condescendance. Elle s’écarte devant qui la dérange, elle affecte d'ignorer l'existence de qui ne la serre pas de trop près. On dirait qu'elle se sait dans un univers qui appartient à tous, où chacun a droit à sa place, où il convient d'être discret et pacifique. Mais sous cette indulgence se cache paisiblement un cœur si sûr de soi qu'il ne songe pas à s’aflirmer. Elle fait un détour si quelqu'un la menace, mais elle ne fuit jamais. D'autre part, dans la ruche, elle ne se borne pas à cette _ passive ignorance du péril. Elle fond avec une impétuosité inouie sur tout être vivant : fourmi, lion ou homme qui ose effleurer l'arche sainte. 4 Appelons cela, selon notre disposition d'esprit, - colère, acharnement stupide ou héroïsme. Mais sur son manque de solidarilé hors de la ruche et même de sympathie dans la ruche, il n'ya rien à dire. Faut-il croire qu'il y ait de ces limites imprévues dans toute espèce d’in- telligence et que la petite flamme qui émane à grand'peine d’un cerveau, à travers la combus- _ ion difficile de tant de matières inertes, soit _ toujours si incertaine qu'elle n’éclaire mieux un _ point qu'au détriment de beaucoup d’autres? . On peut estimer que l'abeille, ou que la nature dans labeille a organisé d’une manière plus parfaite que nulle autre part, le travail en com- _mun, le culte et l'amour de l'avenir. Est-ce pour cette raison qu'elles perdent de vue tout le reste? Elles aiment en avant d'elles et nous aimons surtout aulour de nous. Peut-être suffit-il d'aimer ici pour n'avoir plus d'amour à dépenser là-bas. Rien n’est plus variable que la direction de la charité ou de la pitié. Nous- mêmes, autrefois, nous aurions été moins cho- qués qu'aujourd'hui de cette insensibilité des a abeilles, et bien des anciens n’eussent guère songé à la leur reprocher. D'ailleurs, pouvons- nous prévoir tous les étonnements d'un être qui nous observerait comme nous les obser- . vons? | LS VII Il resterait à examiner, pour nous faire une idée plus nelte de leur intelligence, de quelle … façon elles communiquent entre elles. Il est manifeste qu'elles s'entendent, et qu'une répu- blique si nombreuse et dont les travaux sont si variés et si merveilleusement concertés, ne saurait subsister dans le silence et l'isolement spirituel de tant de milliers d'êtres. Elles doi- vent donc a voir la faculté d’éxprimer leurs pen sées ou leur sentiments, soit au moyen d'un _ vocabulaire phonétique, soit plus probable- ment à l’aide d’une sorte de langage tactile ou d'une intuition magnétique, qui répond peut- être à des sens ou à des propriétés de la matière qui nous sont totalement inconnus, intuition dont le siège pourrait se trouver dans ces mys- | térieuses antennes qui palpent et comprennent les ténèbres et qui, d’aprèsdes calculs de Ches- NDATION DE LA CITÉ 113 shire, sont formés chez les ouvrières de douze _ mille poils tactiles et de cinq mille cavités olfactives. Ce qui prouve qu’elles ne s’enten- dent pas seulement sur leurs travaux habi- tuels, mais que l'extraordinaire a également un nom et une place dans leur langue, c'est la ma- _nière dont une nouvelle, bonne ou fâcheuse, - coutumière ou surnaturelle, se répand dans la ruche; la perte ou le retour de la mère, la chute d’un rayon, l'entrée d’un ennemi, l'intrusion. d'une reine étrangère, l'approche d’une troupe de pillardes, la découverte d'un trésor, etc. A chacun de ces événements, l'attitude et le mur- mure des abeilles sont si différents, si caracté- ristiques, que l’apiculteur expérimenté devine assez aisément ce qui se passe dans l'ombre en émoi de la foule. ee Si vous voulez une preuve plus précise, observez une abeille qui vient de trouver quel- ques gouttes de miel répandues sur le seuil de votre fenêtre ou sur un coin de votre table. D'abord elle s'en gorgera si avidement que vous pourrez tout à loisir et sans crainte de la distraire, lui marquer le corselet d’une petite tache de peinture: Mais cette gloutonnerie n’est qu'apparente. Ce miel ne passe pas dans l’es- tomac proprement dit, dans ce qu'il faudrait 10. appeler son estomac personnel; il reste dans le jabot, le premier estomac, qui est, si l'on peut ainsi parler, l'estomac de la communauté. Sitôt que ce réservoir est rempli, labeïlle s'éloignera, mais non pas directement et étour- diment comme ferait un papillon ow une mouche. Au contraire, vous la verrez voler … quelques instants à reculons, en un va-et-vient attentif, dans l'embrasure de la fenêtre où autour de votre table, la face tournée vers l'appartement. Elle reconnait les lieux et fixe en sa mié- ?° : moire la position exacte du trésor. Ensuite elle se rend à la ruche, y dégorge son butin dans l’une des cellules du grenier, pour revenir trois ou quatre minutes après, reprendre une nouvelle charge sur le seuil de la fenêtre pro- videntielle. De cinq en cinq minutes, tant qu'il y aura du miel, jusqu’au soir s’il le faut, sans s’interrompre, sans prendre de repos, elle fera ainsi des voyages réguliers de la fenêtre à la ruche et de la ruche à la fenêtre. 115 FONDATION DE LA CITÉ C2 ‘e à : VIIL Je ne veux pas orner la vérité, comme beau- coup l'ont fait, qui ont écrit sur les abeilles. Des observations de ce genre n’offrent quelque intérêt que si elles sont absolument sincères. _ J'aurais reconnu que les abeilles sont inca- _ pables de se faire part d'un événement exté- rieur, que j'aurais pu trouver, ce me semble, _ em regard de la petite déception-éprouvée, . quelque plaisir à constater une fois de plus - que l'homme est, après tout, le seul être - réellement intelligent qui habite notre globe. Et puis, arrivé à un certain point de la vie, on ressent plus de joie à dire des choses vraies que des choses frappantes. Il convient ici _ comme en toute circonstance, de se tenir à ce - principe : que si la vérité toute nue paraît sur le . moment moins grande, moins noble ou moins . intéressante que l’ornement imaginaire qu'on Jui pourrait donner, la faute en est à nous qui ne savons pas encore distinguer le ns ai tou- _ jours étonnant qu'elle doit avoir à notre être encore ignoré et aux lois de l'univers, et dans _ cecas, ce n’est pas la vérité qui a besoin d’être dar Le 116 agrandie et ennoblie, mais not intelligence | J'avouerai donc que souvent les abeilles marquées reviennent seules. Il faut croire qu'il y a chez elles les mêmes différences de caractère que chez les hommes, qu'on en trouve qui sont silencieuses et d’autres bavar- des. Quelqu'un qui assistait à mes expériences, soutenait que c'était évidemment par égoïsme ou par vanité que beaucoup n'aiment pas. à révéler la source de leur richesse où à > partager avec une de leurs amies la gloire d’un travail, que la ruche doit trouver mira- culeux. Voilà de bien vilains vices qui n’exha- lent pas la bonne odeur, loyale et fraîche, de la maison des mille sœurs. Quoi qu’il en soit, il arrive souvent-aussi que l'abeille favorisée par le sort revienne au miel accompagnée de : deux ou trois collaboratrices. Je sais que sir John Lubbock dans l’appendice de son ouvrage, - Ants, Bees and Wasps, dresse de longs et mi-. nutieux tableaux d'observations, d’où l’on peut conclure que presque jamais une autre abeille ne suit l’indicatriee. J'ignore à quelle espèce d'abeilles avait affaire le savant naturaliste, ou de si les circonstances étaient particulièrement défavorables. Pour moi, en consultant mes - propres tables, faites avec soin, et après avoir pris toutes Le alone siblée pour que à les abeilles ne fussent pas directement attirées par l'odeur du miel, j'y vois qu'en moyenne + quatre fois sur dix une abeille en amenait _ d’autres. : _- J'ai même rencontré un jour une extraordi- naire petite abeille italienne, dont j'avais _ marqué le corselet d’une tache de couleur bleue. Dès son second voyage elle arriva avec _ deux de ses sœurs. J’emprisonnai celles-ci sans - la troubler. Elle repartit, puis reparut avec trois associées que j'emprisonnai éncore, et _ ainsi de suite jusqu’à la fin de l'après-midi, - où, comptant mes caplives, je constatai qu elle _ avait communiqué la nouvelle à dix-huit abeilles. _ Au résumé, si vous faites les mêmes expé- - riences, vous reconnaîlrez que la communica- : tion, si elle n’est pas régulière, est à tout le _ moins fréquente. -Celte faculté est tellement connue des chasseurs d’abeilles en Amérique, . qu'ils l’exploitent quand il s'agit de découvrir _ unnid.«lls choisissent dit M. Josiah Emery (cité par Romanes dans l’/ntelligence des animaux, _ t.1,p.117)ilschoisissent;pourcommencer leurs opérations, un champ ou un bois loin de toute colonie d’abeilles apprivoisées Arrivés sur le terrain, ils avisent quelques abeilles qui se | à butiner sur les fleurs, les attrapent el les en- ferment dans une boîte à miel, puis, lors- qu'elles se sont repues, ils les lâchent. Vient alors un moment d'attente dont la longueur dépend de la distance à laquelle se trouve l'arbre aux abeilles ; enfin, avec de la patience, _le chasseur finit toujours par apercevoir ses abeilles qui s’en reviennent escortées de: plu- sieurs compagnes. Il s'en empare comme avant, leur fournit un régal et les lâche cha- cune en un point différent, en ayant soin d’ ob- server la direction qu'elles prennent ; le point vers lequel elles paraissent converger lui dé- signe approximativement la position du nid. » IX Vous observerez aussi dans vos expériences, à que les amies, qui paraissent obéir au mot d'ordre de la bonne fortune, ne volent pas tou- jours de conserve et qu'il y a souvent un inter- valle de plusieurs secondes entre les diverses | arrivées. Il faudrait done, au sujet de ces com- munications, se poser la question que sir John Lubbock a résolue pour celles des fourmis. 119 FONDATION DE LA CITÉ Les compagnes qui viennent au trésor décou- vert par la première abeille, ne font-elles que _ la suivre ou bien y peuvent-elles être envoyées Ë par celle-ci .et-le trouver par elles-mêmes en . suivant ses indications et la description des lieux qu'elle aurait faite? Il y a là, on le conçoit, au point de vue de l'étendue et du travail de l'intelligence, une différence énorme. Le savant anglais, à l’aide d'un appareil compliqué et ingénieux, de passerelles, de couloirs, de fossés pleins d’eau et de ponts volants, est parvenu à _ établir que dans ces cas, les fourmis suivaient simplement la piste de l’insecte indicateur. Ces _ expériences étaient praticables avec les four- - mis que l'on peut obliger de passer par où l’on | | veut, mais à l'abeille, qui a des ailes, toutes les _ voies sont ouvertes. Il faudrait donc imaginer - quelque autre expédient. En voici un dont j'ai . usé, qui ne m'a pas donné de résultats décisifs, _ mais qui, mieux organisé et dans des circons- _ tances plus favorables, entraînerait, je pense, _ des certitudes satisfaisantes. _ Mon cabinet de travail à la campagne, «se trouve au premier élage, au-dessus d'un rez- _ de-chaussée assez élevé. Hors le temps que _ fleurissent les tilleuls et les châtaigniers, les Fe abeilles ont si peu coutume de voler à cette l'obsertation, J'avais laissé sur Ja nn rayon de miel désoperculé (c’ est-à-dire dontles … cellules élaient ouvertes), sans qu'une seule fût attirée par son parfum el le vint visiter. Je pris alors dans une ruche- vitrée, placée non loin de la maison, une abeille italienne. Je l’emportai dans mon cabinet, la mis sur le rayon de miel et la marquai tandis qu “elle. sè régalait. Repue, elle prit son vol, retourna à la ruche, et, l'ayant suivie, je l'y vis se hâter à la surface à de la foule, plonger la tête dans une cellule vide, dégorger son miel et se disposer à sortir. Je la guettai et m'en saisis lorsqu'elle reparut sur le seuil. Je répétai vingt fois de suite l’ex- périence, prenant des sujets différents et suppri- mant à chaque fois l'abeille « amorcée », afin que les autres ne pussent la suivre à la piste. Pour le faire plus commodément j'avais placéàa la porte de la ruche une boîte vitrée divisée, par une trappe, en deux compartiments. Si l'abeille marquée sortait seule, je l’emprisonnais sim- plement, comme j'avais fait de la première, et j'allais attendre dans mon cabinet l'arrivée > des butineuses auxquelles elle aurait pu com- muniquer la nouvelle. Si elle sortait accom- ; f l’une où ‘deux Abeilles, je Un retenais 1 risonnière dans le premier compartiment de la boîte, la séparant ainsi de ses amies, el après avoir marqué celles-ci d’une autre couleur, je leur donnais la liberté en les suivant des yeux. Il est évident que si une communication ver- _ bale où magnétique eût été faite, comprenant LA une description des lieux, une méthode d’orien- # _ tation, etc., J'aurais dû retrouver dans mon. _ cabinet un certain nombre de ces abeilles ainsi renseignées. Je dois reconnaître que je n’en . vis venir qu'une. Suivit-elle les indications _ reçues dans la ruche, était-ce pur hasard? L'observation était insuffisante, mais les cir- _constances ne me permirent pas de la conti- nuer. Je délivrai les abeilles « amorcées », et bientôt mon cabinet de travail fut envahi par la foule bourdonnante à laquelle elles avaient enseigné, selon leur méthode habituelle, le chemin du trésor‘. | : 1, J'ai recommencé l'expérience aux premiers soleils de ce printemps ingrat. Elle m'a donné le même résultat Ç négatif. D'autre part, un apiculteur de mes amis, observa- teur très habile et très sincère, à qui j'avais soumis le pro- blème, m'écrit qu'il vient d'obtenir, en usant du même pro- cédé, quatre communications irrécusables. Le fait demande à être vérifié et la question n’est pas résolue. Mais je suis convaineu que mon ami s’est laissé induire en erreur par son désir, trés naturel, de voir réussir l'expérience. 11 : X Sans rien conclure de cette expérience incom- ” plète, bien d’autres traits curieux nous obli- gent d'admettre qu'elles ont entre elles des. rapports spiriluels qui dépassent la portée d'un . : «oui » ou d’un-« non » ou de ces relalions élé- mentaires qu'un geste ou l'exemple détermi- nent. On pourrait citer, entre autres, la mou- vante harmonie du travail dans la ruche, la sur- prenante division de la besogne, le roulement régulier qu’on y trouve. Par exemple, j'ai sou- vent constaté que les butineuses que j'avais marquées le malin, s'occupaient l'après-midi, — à moins que les fleurs ne fussent très abon- dantes, — à réchauffer ou à éventer le couvain, ou bien je les découvrais parmi la foule qui forme ces mystérieuses chaînes endormies au milieu desquelles travaillent les cirières et les sculpteuses. J'ai observé aussi que les ouvrières que je voyais recueillir le pollen durant un jour ou deux, n’en rapportaient point le lende- . main el sortaient à la recherche exclusive du nectar, et réciproquement. On pourraitciter encore, au point de vue de eur Éqnis a de Layens de da ré- partition des abeilles sur les plantes mellifères. Chaque jour, dès la première heure de soleil, dès la rentrée des exploratrices de l'aurore, la _ ruche qui s’éveille apprend les bonnes nou- . velles de la terre :’ « Aujourd'hui fleurissent les tilleuls qui bordent le canal », — « le trèfle blanc éclaire l'herbe des routes », — « le méli- = lot et la sauge des prés vont s'ouvrir », — « les … lys, Les résédas ruissellent de pollen ». Vite, il _ faut s'organiser, prendre des mesures, répartir _ la besogne. Cinq mille des plus robustes iront _ jusqu'aux tilleuls, trois mille des plus jeunes _animeront le trèfle blanc. Celles-ci aspiratent hier le nectar des corolles, aujourd'hui, pour reposer leur langue et les sers de leur jabot, elles iront recueillir le pollen rouge du réséda, celles-là le pollen jaune des grands lys, car vous ne verrez jamais une abeille récolter ou mêler des pollens de couleur ou d'espèce diffé- rentes; et l'assortiment méthodique dans les greniers, suivant les nuances et l'origine, de la belle farine parfumée est une des grandes préoccupations de la ruche. Ainsi sont distri- bués les ordres par le génie caché. Aussitôt, les travailleuses sortent en longues files et SA 19% LA VIE DES ABEILLES - fleurs des bois, on peut les voir visiter active- chacune d'elles vole droit à sa ich. « Il: sem- ble, dit de Layens, que les abeilles soient par- faitement renseignées sur la localité, la valeur mellifère relative et la distance de toutes les plantes qui sont dans un certain rayon autour -de la ruche. « Si on note avec soin les diverses direc-. tions que prennent les butineuses; et si l’on va observer en détail la récolte des abeilles Sur les diverses plantes d’alentour, on constate que … les ouvrières se distribuent sur les fleurs pror 5 portionnellement à la fois au nombre des plantes d’une même espèce et à leur richesse | mellifère. Il y a plus : elles estiment chaque jour la valeur du meilleur liquide sucré _ qu’elles peuvent récolter. : « Si par exemple, au printemps, après la flo- raison des saules, au moment où rien n'est encore fleuri dans les champs, les abeilles n’ont guère pour ressource que les premières ment les anémones, les pulmonaires, les ajoncs et les violettes. Quelques jours plus tard, des champs de chou ou de colza viennent- ils à fleurir en assez grand nombre, on verra les abeilles abandonner presque complètement -la visite des plantes des-bois encore en pleine :FONDATION. LE LA CITÉ floraison, pour se consacrer à la on des | fleurs de-chou ou de colza. «Chaque jour, elles règlent ainsi leur distri- bution sur les plantes, de manière à récolter le meilleur liquide sucré dans re moins de . temps possible. # es . « On peut donc dire quela colonie d abeilles, aussi bien dans ses travaux de récolte que dans l'intérieur de la ruche, sait établir une distribu- tion rationnelle du nombre d’ouvrières, tout en. appliquant le principe de la division du tra- . : vail. » - XI Maïs, dira-t-on, que nous importe que les | iles soient plus ou moins intelligentes? _ Pourquoi peser ainsi, avec tant de soin, une ; petite trace de matière presque invisible, à ‘mme s’il s'agissait d'un fluide dont dépen: _ dissent les destinées de l’homme? Sans rien _exagérer, je crois que l'intérêt que nous y _ avons est des plus appréciables. A trouver, hors de nous une marque réelle d'intelligence, nous éprouvons un peu de l’émotion de Robin- son découvrant l'empreinte d’un pied humain | Sr 196 LA VIE DES ABEILLES sur la grève de son île. Il semble que nous soyons moins seuls que nous ne croyions __ l'être. Quand nous essayons de nous rendre eompte de l'intelligence des abeilles, c'est en définilive le plus précieux de notre substance que nous étudions en elles, c’est un atome de cette matière -extraordinaire qui, partout où elle s'attache, a la propriété magnifique de transfigurer les nécessités aveugles, d'orga- niser, d'embellir et de multiplier la vie, de tenir en suspens, d’une manière plus frappante, la force obstinée de la mort et le grand flot in- considéré qui roule presque tout ce qui existe . dans une inconscience éternelle. | Si nous étions seuls à posséder et à main- tenir une parcelle de malière en cet état parti- culier de floraison ou d'incandescence que nous nommons l'intelligence, nous aurions quelque droit de nous croire privilégiés, de nous ima- giner que la nature atteint en nous une sorte de but; mais voilà toute une catégorie d'êtres, les hyménoptères, où elle atteint un but à peu près identique. Cela ne décide rien si l’on veut, mais le fait n'en occupe par moins un rang honorable parmi la foule-des petits faits qui con- tribuent à éclairer notre situation sur cette terre. Il y a là, d’un certain point de vue, able de Poire être, il y a là des superposi- s de destinées que nous dominons d'un lus élevé qu'aucun de ceux que nous indrons F pour contempler les destinées de ne. Il y a la, en raccourci, de grandes et ples lignes que nous n'avons rs l’occa- n de démêler ni de suivre jusqu'au bout | notre sphère démesurée. Il y a là l’es- : _. ou malière, ns et eng nt dans le temps et Hat modifient qe nous le croyons l'idée seerèle de la 128 Reprenons donc, où nous l’avions laissée, l'histoire de notre ruche, pour écarter, autant que possible, un des plis du rideau de guirlandes au milieu duquel l'essaim commence à éprou- ver cette étrange sueur presque aussi blanche que la neige et plus légère que le duvet d’une. aile. Car la cire qui naît ne ressemble pas à celle que nous connaissons tous : ellé est. immaculée, impondérable, ‘elle paraît vrai= ment l’âme du miel, qui est lui-même l'esprit des fleurs, évoquée dans une incantation im- mobile, pour devenir plus tard entre nos mains, en souvenir, sans doute, de son origine où il y a tant d'azur, de parfums, d'espace cristallisé, de rayons sublimés, de pureté et de magni- ficence, la lumière odorante de nos derniers aultels. | a FX Il est fort difficile de suivre les diverses phases de la sécrétion et de l'emploi de la mération de plus en plus dense, doit produire a empérature favorable à cette exsudation qui est le privilège des plus jeunes abeilles. Huber, ui les étudia le premier avec une patience incroyable et au prix de dangers parlois sé- _rieux, consacre à ces phénomènes plus de deux cent cinquante pages. intéressantes, mais for- cément confuses. Pour moi, que ne fais pes un he de ce qu il a si ns mn à rapporter ce que chacun peut voir, n re- d 1 une ur si élevée qu’on irait qu’une flamme couve au creux de la ruche, des écailles blanches et transparentes pparaissent à l'ouverture de quatre petites poches situées de chaque côté de l’abdomen de l'abeille. _ Quand la plupart de celles qui forment le cône renversé 6nt ainsi le ventre galonné de E la clef de voûte de la cité nouvelle, car il s'agit 130 | + TE DES ABEILLES | lamelles d'ivoire, on voit tout à à coup. l'une d'elles, comme prise d'une inspiration subite, se détacher de la foule, grimper rapidement le long de la multitude passive, jusqu'au faîte intérieur de la coupole, où elle s'attache solide- ment tout en écartant à coups de tête les voi- 4 sines qui gènent ses mouvements. Elle saisit alors avec les pattes et la bouche l’une des huit plaques de son ventre, la rogne, la rabote, la sel ductilise, la pétrit dans sa salive, la ploie et la Gi redresse, l’écrase et la reforme avec l’habileté d'un menuisier qui manierait un panneau mal- léable. Enfin, lorsque la substance malaxéedela sorte lui paraît avoir les dimensions et la con- sistance voülues, elle l applique au sommet du dôme, posant ainsi la première pierre ou plutôt VIe EE TR UP ici d’une ville à l'envers qui descend du ciel et ne s'élève pas du sein de la terre comme une ville humaine. Cela fait, elle ajuste à cette clef de suspendue dans le vide d’autres fragments de cire qu'elle prend à mesure sous ses anneaux de corne; elle donne à l’ensemble un dermer coup de langue, un dernier coup d'antennes ; puis, aussi brusquement qu’elle est venue, elle se retire et se perd dans la foule. 4 XIV : Fu) En bloc de rs encore informe _. mé, qui tout à coup désigne dans le vide la a e que doit occuper la première cellule, dont pendront mathématiquement celles de toutes es autres. En tout cas, cette abeille appartient la classe des ouvrières sculpteuses ou cise- euses qui ne produisent pas de cire et se con- tentent de mettre en œuvre lesmatériaux qu'on leur fournit. Elle choïsit donc l’emplacement . de la première cellule, creuse un moment dans le bloc en ramenant vers les bords qui s'élèvent autour de la cavité, la cire qu'elle ôte dans le fond. Ensuite, comme l'avaient fait les fonda- trices, elle abandonne soudain son ébauche, “ une ouvrière impatiente la remplace et reprend son œuvre qu'une troisième achèvera, pendant que d’autres entament autour d'elles, selon la. même méthode de travail interrompu et suc- cessif, le reste de la surface et le côté opposé de la paroi de cire. On dirait qu'une loi essen- tielle de la ruche y divise l’orgueil de la beso- gne et que loute œuvre y doive être commune : et anonyme pour qu'elle soit plus fraternelle. _ XV Bientôt le rayon naïssant se devine. Il est encore lenticulaire, car les petits tubes prisma- tiques qui le composent, inégalement pro- _longés, s’accourcissent en une dégradation régu- lière du centre aux extrémités. À ce moment, il a à peu près l'apparence et l'épaisseur d’une langue humaine formée sur ses deux faces de BE TE 4 . 11 faut donc que, dans leur plan, elles pré- mdr épaisseur définitive de chaque rayon, qui ést de vingt-deux ou vingt-trois milli- C1 _ autre les rayons ou trop peu. Elles y ‘emédient alors du mieux qu'elles peuvent, 1 PERS it VIE DES ABEILLES rayon irrégulier. « Il leur arrive patfois de se tromper, dit à ce propos Réaumur, et c'est encore un des faits qui semblent prouver qu'elles jugent. » XVI On sait que les abeilles construisent quatre espèces de cellules. D'abord les cellules royales, qui sont exceptionnelles et ressemblent à un gland de chène, ensuite les grandes cellules réservées à l'élevage des mâles et à l'emmaga- sinage des provisions quand les fleurs sura- bondent, puis les pelites cellules qui servent de berceau aux ouvrières et de magasins ordi- maires, et,normalement, occupent à peu près les ‘huit dixièmes de la surface bâlie de la ruche. Enfin, pour relier sans désordre les grandes aux petites, elles édifient un certain nombre de cellules de transition. A part l’inévitable irrégularité de ces dernières, les dimensions du deuxième et du troisième type sont si bien calculées, qu’au moment de l’établisse- ment du système décimal, lorsqu'on chercha dans la nature une mesure fixe qui pût servir de point de départ et d’étalon incontesta- posé sur une base pyramidale, et chaque rayon ee opposés par la base, de telle manière que chacun des trois rhombes ou losanges qui constituent L base pyramidale d’une cellule de lavers = midale de trois cellules du revers. s'en échappe pendant le temps de sa matura- | tion, ce qui arriverait inévitablement s'ils < étaient strictement horizontaux comme ils paraissent l être, les abeilles les relèvent légère- ment selon un angle de quatre ou cinq degrés. considérant l’ensemble de cette merveilleuse construclion, outre l'épargne de cire, qui résulle de la disposition des cellules, outre _ des alvéoles est d'une régularité admirable, mais, comme pas #”athématiquement invariable dans la même ruche. En outre, comme le fait remarquer M. Maurice Girard, les diverses espèces d’abeilles ont un apothéme d'alvéole dis- tinct, de sorte que l'étalon serait différent d’une ruche à Faatre, siivant l'espèce d'abeilles qui s'y trouve. 3 de ces ou estun ne e est formé de. deux couches de ces tuyaux # forme en même temps la base également pyra- __ C'est dans ces tubes prismatiques qu'est É _ emmagasiné le miel. Pour éviler que ce miel _ « Outre l'épargne de cire, dit Réaumur en 4. On rejeta, non sans motifs, cet étalon. Le diamètre _ tout ce qui est produit par un organisme vivant, il n’est dy MEL 136 LA VIE D ES ABHILLES 0 22 qu'au moyen de cet arrangement les abeilles remplissent le gâteau sans qu'il y reste aucun vide, il en revient encore des avantages par | rapport à la-solidité de l'ouvrage. L'angle du fond de chaque cellule, le sommet de la ca- vité pyramidale, est arc-bouté par l’arêle que i font ensemble deux pans de l'hexagone d'une : autre cellule. Les deux triangles ou prolonge- ments des pans hexagones qui remplissent-un des angles rentrants de la cavité renfermée par les trois rhombes forment ensemble un angle plan par le côté où ils se touchent; chacunde ces angles, qui est concave en dedans de la cel- lule, soutient du côté de sa convexité une des lames employées à former l'hexagone d’une autre cellule, et cette lame, qui s'appuie sur cet angle, tient contre la force qui tendrait à les pousser en dehors; c’est ainsi que les angles se trouvent fortifiés. Tous les avantages que l'on pouvait demander par rapport à la solidité de chaque cellule lui sont procurés par sa propre figure et par la manière dont elles sont dispo- sées les unes par rapport aux autres. » n'y a que trois sortes de figures que l’on puisse espaces semblables, de forme régulière et de même grandeur sans interstices. l'hexagone régulier qui, en ce qui concerne la construction des cellules, l'emporte sur les _ deux autres figures, au point de vue de la com- _ moditéet de la résistance. Or, c’est justement — la forme hexagone que les abeilles adoptent, comme si elles en connaissaient les avantages. _ de trois plans qui se rencontrent en un point, Let il a été démontré que ce système de cons- D ion permet de réaliser une économie con- À _sidérable en fait de travail et de matériaux. _ Encore la question était-elle de savoir quel angle d’inclinaison des plans correspond à l’éco- nomie la plus grande, problème de hautes ma- thématiques qui a été résolu par quelques sa- _ la solution dans le compte rendu de la Société | 12. DRE . : — + —: on AS É . XVII à « Les géomètres savent, dit le D' Reid, qu'il adopter pour diviser une surface en petits vants, entre autres Maclaurin dont on trouvera « Ce sont le triangle équilatéral, le carré ke : « De mème, le fond des cellules se compose | cellule suivante. - Au bout de quarante-huit heures, et bien que noi ou quatre abeilles au plus pussent travail- ler en même temps dans l'ouverture, toute la _ surface de l’étain était couverte d’ alvéoles es- _ quissés. Ces alvéoles étaient certes moins régu- ï liers que ceux d'un rayon ordinaire; c’est pour- uoi la reine, les ayant parcourus, sagement LL. “ds pondre, caril n'en ie qu'une 54 creusées dans un bloc selon l’observation de Huber, ou dans un capuchon de cire, selon . Celle de Darwin, circulaires d’abord et ensuite - hexagonisées par la pression de leurs voisines. re PA 13 pas d'autre fond que le métal même. Les ing nicurs de l’escouade présumaient évidemme que l'étain suffirait à retenir les liquides et _ avaient jugé inutile de l’enduire de cire. Mais, nl faudrait remarquer aussi, non pas sus l'orientation des grandes rues, déterminée par “Je. parallélisme des rayons, que la disposition des ruelles et passages ménagés çà et là au tra- — ou autour des gâteaux pour assurer le _ trafic et la circulation de l'air, et qui sont habi- lement distribués de manière à éviter de trop Line détours ou un encombrement probable. 1] faudrait enfin étudier la construction des cel- lules de transition, l'instmct unanime qui pousse les abeilles à augmenter, à un moment donné, les dimensions de leurs demeures, soit ue la récolte extraordinaire demande de plus grands vases, soit qu’elles jugent la population assez forte ou que la naissance des mâles de- _vienné nécessaire. Il faudrait admirer en même temps l'économie ingénieuse et l'harmonieuse certitude avec laquelle elles passent, dans ces cas, du petit au grand ou du grand au petit, de _ la symétrie parfaite à une asymétrie inévi- table, pour revenir, dès que le permettent les _ lois d'une géométrie animée, à la régularité LA VIE DES idéale, sans qu'une cellule soit perdue, san qu'il y ait dans la suite de leurs édifices un quartier sacrifié, enfantin, hésitant et barbare, | ou une zone inutilisable. Mais déjà je crains : de m'être égaré dans bien des détails dénués d'intérêt pour un lecteur qui n'a peut-être jamais suivi des yeux un vol d’abeilles où qui ne s y est intéressé qu’en passant, comme nous : nous intéressons tous en passant à une fleur, à + un oiseau, à une pierre précieuse, sans de- : mander autre chose-qu'une distraite certitude superficielle, et sans nous dire assez que le . moindre secret d’un objet que nous voyons dans la nature qui n’est pas humaine, participe peut-être plus directement à l'énigme profonde de nos fins et de nos origines, que le secret de nos passions les plus passionnantes et le plus complaisamment étudiées. _ _ é + Æ XXII Pour ne pas alourdir celte étude, je passe également sur l'instinct assez surprenant qui les fait parfois amincir et démolir l'extrémité de leurs rayons quand elles veulent prolonger où élargir ceux-ci; et, cependant, on con- ne. on à “fit pour le refaire . ne. ment, suppose un singulier dédoublement de l'aveugle instinct de bâtir. Je passe encore sur des expériences remarquables que l’on peut : faire pour les forcer de construire des rayons circulaires, ovales, tubulaires ou: bizarrement contournés, et sur la manière ingénieuse dont elles parviennent à faire correspondre les cel- _ lulles élargies des parties convexes aux cel- Jules rétrécies des parties concaves du gâteau. Mais avant de quitter ce sujet, arrêtons-nous, _ ne serait-ce qu'une minute, à considérer la _ façon mystérieuse dont elles concertent leur … travail et prennent leurs mesures lorsqu'elles sculptent en même lemps, et sans se voir, les à _deux faces opposées d’un rayon. Regardez par : transparence un de.ces rayons, et vous aper- cevrez, dessinés par des ombres aiguës dans la cire diaphane, tout un réseau de prismes, aux arêtes si nettes, tout un système de concor- dances si infaillibles, qu'on les croirait estam- _ pées dans l'acier. rieur d'une ruche se représentent suffisam- ment la disposition et l'aspect des rayons. Qu'ils se figurent, pour prendre la ruche de nos “re is, . Je ne sais si ceux quin ‘ont jamais vu l'inté- péysans où l'abeille ei livrée à elle F qu’ils se figurent une cloche de paille ou d'esier; cette cloche est divisée de haut en bas par cinq, six, huit et parfois dix tranches de cire parfaitement parallèles et assez semblables à _ de grandes tranches de pain qui descendent du _. sommet de la cloche et épousent strictement la forme ovoïde de ses parois. Entre chacune de ces tranches est ménagé un intervalle d'en. viron onze millimètres dans lequel se tiennent et circulent les abeilles. Au moment où com- mence dans le haut de la ruche la construction d'une de ces tranches, le mur de cire qui en - est l’ébauche, et qui sera plus tard aminei et - étiré, est encore fort épais et isole complète- ment les cinquante ou soixante abeilles qu. travaillent sur la face antérieure, des cinquante ou soixante qui cisèlent en mème temps sa face postérieure, en sorte qu'il est impossible qu’elles se voient mutuellement, à moins que (9 leur yeux n'aient le don de pereer les corps les. plus opaques. Néanmoins, une abeille de la face antérieure ne creuse pas un trou, n'apoute pas un fragment de cire qui ne corresponde exactement à une saillie ou à une cavité de la face postérieure et réciproquement. Comment s'y prennent-elles? Comment se fait-il que l'une } #2 vent de compas dans l'invisible, ou enfin ue le rapport de toutes les cellules dérive rathématiquement de la disposition et des 152 à à les détruire. XXTE Quittons enfin les plateaux monotones et le désert géométrique des cellules. Voilà donc les rayons commencés et qui deviennent habita- bles. Bien que l’infiniment petit s'ajoute, sans espoir apparent, à l’infiniment petit, et que notre œil, qui voit si peu de chose, regarde sans. rien voir, l’œuvre de cire qui ne s'arrête ni de jour ni de nuit s'étend avec une rapidité extraordinaire. La reine impatiente a déjà parcouru plus d'une fois les chantiers qui blanchissent dans l'obscurité. et, maintenant que les premières lignes des demeures sont achevées, elle en prend possession avec son | cortège de gardiennes, de conseillères ou me servantes, car on ne saurait dire si elle est. conduite ou suivie, vénérée ou surveillée: Arrivée à l'endroit qu’elle juge favorable ou que ses conseillères lui imposent, elle bombe le dos, se recourbe et introduit l'extrémité de son long abdomen fuselé dans l’un des godets vierges, pendant que toutes les petites tèles La 2 > noirs des ne de son escorte, l'enserrent d'un cercle passionné, lui soutiennent les _ pales, lui caressent les ailes et agitent sur elle leurs fébriles antennes, comme pour l’encoura- 5 ger, la presser et la féliciter. | : On reconnaît aisément l'endroit où elle se . lrouve à cette espèce de cocarde étoilée, ou plutôt à cette broche ovale dont elle est la _ topaze centrale et qui ressemble assez aux im- _posanies broches que portarent nos grand’ 2) mères. Il est d’ailleurs remarquable, puisque _ s'offre l’occasion de le remarquer, que les _ ouvrières évitent {toujours de tourner le dos à la reine. Silôt qu'elle s'approche d'un groupe, toutes s’arrangent de façon à lui présenter in- rs variablement les yeux et les antennes et mar- _ chent devant elle à reculons. C’est un signe de respect ou plutôt de sollicitude qui, pour invrai- semblable qu'il paraisse, n’en est pas moins constant et tout à fait général. Mäis revenons à . notre souveraine. Souvent, pendant le léger spasme qui accompagne visiblement l'émis- ' sion de l'œuf, une de ses filles la saisit dans ses 5 . bras, et front contre front, bouche contre bou- che, semble lui parler bas. Elle, assez indiffé- _ rente à ces témoignages un peu effrénés, mission qui paraît être pour elle une volupté amoureuse plutôt qu'un travail. Enfin au bout de quelques secondes, elle se redresse avec calme, se déplace d’un pas, fait un quart de tour sur elle-même, et, avant d'y introduire la pointe de son ventre, plonge la tête dans la : cellule voisine afin de s'assurer que tout y est en ordre, et qu’elle ne pond pas deux fois dans le mème alvéole, tandis que deux ou trois abeilles de l’escorte empressée culbutent sue- cessivement dans la cellule abandonnée, pour voir si l’œuvre est accomplie, et entourer de leurs soins ou mettre en bonne place le petit œuf bleuâtre qu’elle vient d'y déposer. A partir de ce moment jusqu'aux premiers froids de l’au- tomne, elle ne s’arrèle plus, pondant pendant qu'on la nourrit et dormant — si tant est qu'elle dorme — en pondant. Elle représente dès lors la puissance dévorante de l'avenir qui envahit tous les coins du royaume. Elle suit pas à pas les malheureuses ouvrières qui s’épui- sent à construire les berceaux que sa fécondité réclame. On assiste ainsi à un concours de deux instincts puissants dont les péripéties éclairent pour les montrer, sinon pour les. résoudre, plusieurs énigmes de la ruche. soucis ‘de us RER qui songent 4 aux | provisions des mauvais jours, elles s’empres- sent de remplir de mielles cellules conquises . sur l’avidité de l’ espèce. Mais la reine s’appro- che; il faut que les biens matériels reculent devant l'idée de la nature, et les ouvrières _affolées déménagent en hâte le trésor importun. à IL arrive aussi que leur avance soit d’un rayon entier : alors, n'ayant plus sous les yeux : celle qui représente la tyrannie des jours que me. personne ne verra, elles en profitent pour bâtir | aussi vite que possible une zone de grandes _ cellules, de cellules à mâles, dont la construc- tion ‘est beaucoup plus facile et plus: rapide. Arrivée à cette zone ingrate, la reine y dépose à regrel quelques œufs, la franchit, et vient sur ses bords exiger de nouvelles cellules d'ou- wrières. Les travailleuses obéissent, rétrécissent nn graduellement les alvéoles, et la poursuite recommence, jusqu à ce que l'insaliable mère, ; _ fléau fécond et adoré, soit ramenée des extré- . mités de la ruche aux cellules du début, “ abandonnées dans l'entre-temps par la pre _ mière génération qui vient d’éclore, et qui je. _ bientôt, de ce coin d'ombre où elle est née, va 156 se répandre sur les fleurs des énvirons, peupler les rayons du soleil et animer les heures bien- veillantes, pour se sacrifier à son tour à la génération qui déjà la remplace dans les ber- ceaux. XXI1Y> Et la reine abeille, à qui obéit-elle? A la 4 nourriture qu'on lui donne: car elle ne prend pas elle-même ses aliments; elle est nourrie comme un enfant par les ouvrières mêmes que sa fécondité harasse. Et cette nourriture à son tour, que lui mesurent les ouvrières, est pro- portionnée à l'abondance des fleurs et au butin- que rapportent les visiteuses des calices. — Ici donc, comme partout en ce monde, une portion du cercle plonge dans les ténèbres; ieï donc, comme partout, c'est du dehors, d’une puissance inconnue que vient l’ordre suprême, et les abeilles se soumettent comme nous au maître anonyme de la roue qui tourne sur elle- même en écrasanl les volontés ne la font mouvoir. se Quelqu'un à qui je ménirais dernièrement, dans une de mes ruches de verre, le mouve- 119) sement rpéteet énigmatique et fou des ourrices sur la chambre à couvain, les passe- elles et Les échelles animées que forment les irières, les spirales envahissantes de la reine, ort impitoyable et inutile, les allées et venues accablées d’ardeur, le ol: ignoré hormis ans des berceaux que déjà guette le travail de emain, le repos même de la mort éloigné un séjour qui n'admet ni malades ni tom- beaux, quelqu'un qui regardait ces choses, tonnement passé, ne tardait pas à déiouruet es yeux où se lisait je ne sais quel effroi attristé. y a en effet dans la ruche, sous l’allé- esse du premier abord, sous les souvenirs ctivité diverse et incessante de la foule, l'ef- Le mais une forme pitoyable de la grande f qui nous anime et nous dévore aussi. | Oui, si l’on veut, cela est triste, comme est triste dans la nature a on se ÿ ou que ce secret soit pee alors pes r d’autres devoirs qui peut-être n’ont pas en de nom. En attendant, que notre cœur répè s’il le désire : « Céla est triste », maïs que notre raison se contente de dire : « Cela est ainsi ». Notre devoir de l'heure est de chercher s'il n'y a rien derrière ces tristesses, et pour celail n faut pas en délourner les yeux, mais les regar- der fixement et les étudier avec autant d’ raté è et de courage que si c’étaient des j joies. — est juste qu'avant de nous plaindre, qu 'ava de juger la nature, nous achevions de l'inter roger. Nous avons vu qué les ouvrières, dès qu'elles ne se sentent plus serrées de près par la mena- çante fécondité de la mère, se hâtent de bâtir des cellules à provisions dont la construction est plus économique et la capacité plus grande. $ Nous avons vu, d'autre part, que la mère pré- è fère pondre dans les petites cellules et qu'elle _ en réclame sans cesse. Néanmoins, à leur dé- _ faut, et en attendant qu'on lui en fournisse, elle se résigne à déposer ses œufs dans ne _ larges cellules qu’elle trouve sur son passage. D bee abeilles qui en r hairont seront des mâles Eu sn à ceux dont naissent les ouvrières. Or, au rebours de ce qui a lieu dans la trans- formation d'une ouvrière en reine, ce n'est 46 dans une ie cellule et transporté ensuite dans une cellule d'ouvrière sortira (j'ai _ réussi à opérer quatre ou cinq fois ce transfert qui est assez difficile à cause de la pelitesse 160 un mâle plus ou moins atrophié, mais incen- . testable. Il faut donc que la reine en pondant ail la faculté de reconnaître ou de déterminer le sexe de l’œuf qu'elle dépose, et de Fappro-. prier à l’alvéole sur lequel elle s’accroupit. IL est rare qu'elle se trompe. Comment rs comment, parmi des myriades d'œufs que con- tiennent ses deux ovaires, sépare-t-elle lé | mâles des femelles, et comment descendent-ils | à son gré dans l’oviducte unique? | Nous voici encorê en présence d'une dés : énigmes de la ruche, et d'une des plus impé- nétrables. On n'ignore pas que la reine vierge. | n’est point stérile, mais qu'elle ne peut pondre que des œufs de mâles. Ce n'est qu'après à” fécondation du vol nuptial qu'elle produit à son choix des ouvrières ou des faux-bourdons. : A la suite du vol nuptial, elle est définitive- ment en possession, jusqu’à sa mort, des sper- matozoaires arrachés à son malheureux amant. Ces spermatozoaires, dont le docteur Leuckart estime le nombre à vingt-cinq millions, sont. conservés vivants dans une glande spéciale si- tuée sous les ovaires, à l'entrée de l’oviducte | commun, et appelée spermathèque. On suppose donc que l'étroitesse de l’orifice des petites cel- lules et la manière dont la forme de cet. 3 sur le vagin, et, de fait, ces muscles sont extrè- . mement nombreux, puissants et compliqués. _ Sans vouloir décider laquelle de ces deux hypo- _ thèses est la meilleure, car plus on va plus on observe, mieux on voit que l’on n’est qu'un naufragé sur l'océan jusqu'ici très inconnu de a nature, mieux on apprend qu'un fait est oujours prêt à surgir du sein d’une vague Ë ubitement plus transparente, qui détruit en un instant tout ce que l’on croyait savoir, ouerai cependant que je penche pour la nde. D'abord, les expériences d'un api- ülteur bordelais, M. Drory, montrent que si outes les grandes cellules ont été enlevées de ruche, la mère, le moment venu de pondre s œufs de mâles, n'hésite pas à les déposer s'des cellules d’ouvrières ; et inversement _pondra des œufs d'ouvrières dans des 14, 162 ceHules de mâles, si Von n'en à ne d'autres à sa disposition. | "# Ensuite, les belles observations de M. Fabre sur les Osmies, qui sont des abeilles sauvages et solitaires de la famille des MORE AS prouvent à l'évidence que non seulement l'Osmie connaît d'avance le sexe de l'œuf qu'elle pondra, mais que ce sexe à ns pour la mère qui le détermine suivant l’espace | dont elle dispose, « espace fréquemment fortuit * et non modifiable, » établissant ici un mâle, R. une femelle. Je n’entrerai pas dans le détail _ des expériences du grand entomologiste’ Les cais. Elles sont extrêmement minutieuses et 53 nous entraîneraient trop loin. Mais quelle que soit l'hypothèse acceptée, l'une ou l'antre expliquerait fort bien, en dehors de toute in- | telligence de l'avenir, la propension de la : _reine à pondre dans des cellules d'ouvrières. IL est probable que cette mère-esclave que I à plaindre, mais qui est 4 nous sommes portés à peut-être une grande amoureuse, une grande | voluptueuse, éprouve dans l'union du principe mâle et femelle qui s'opère dans son être, une certaine jouissance, et comme un arrière-goùt … de l'ivresse du vol nuptial unique dans sa vie. Ici encore, la nature, qui n'est jamais si ingé- cr ÿ st jeter une pierre dans un de ces gouffres. inexplorables que l'on trouve au fond de cer- laines grolles, et s’imaginer que le bruit qu’elle produira en y tombant répondra à toutes nos + ae et nous révélera autre chose que l'immensité de l'abime. Quand on répète : la nature veut ceci, orga- | . cette merveille, s'attache à cette fin, cela revient à dire qu’une petite manifestation de vie réussit à se maintenir, landis que nous nous en occupons, sur l'énorme surface de la 358 ue nous Fate inactive À que nous sent pas + même chance F dev à. jamais sans avoir eu l’occasion de nous émer- D 11 serait téméraire d'affirmer autre ne choquons contre du moins connu encore, pour _ faire un petit bruit qui nous donne conscience du plus haut degré de l'existence particulière « que nous puissions atteindre sur cette même 4 surface muette et impénétrable, comme le - chant du rossignol et le vol du condor leur » révèlent aussi le plus haut degré d’existence propre à leur espèce. Il n'en reste pas moins, … qu’un de nos devoirs les plus certains est ne produire ce petit bruit chaque fois que l'oc- … sation s'en présente, sans nous décourager es parce qu'il est vraisemblablement inutile. 6] | 4 | REINES les traces de pou resserrent ls à mises au pillage, vont aux fleurs, veillent sur … le dépôt del'avenir,conscientes dela missionet _ fidèles au devoir qu'un destin précis leur i im. pose. dans la superposition infinie des merveilleux alvéoles à six pans, des myriades de nymphes, plus blanches que le lait, qui, les bras repliés : et la tête inclinée sur la poitrine, attendent l'heure du réveil. A les voir dans leurs sépul- tures uniformes, innombrables et presque. transparentes, on dirait des gnomes chenus qui médilent, ou des légions de vierges déformées. par les plis du suaire, et ensevelies en des prismes hexagones multipliés jusqu’au délire par un géomètre inflexible. | Sur toute l'étendue de ces murs ae laires qui renferment un monde qui grandit, se Mais si le présent paraît morne, , tout ce que | l'œil rencontre est peuplé d’espérances. Nous … sommes dans un de ces châteaux des légendes allemandes où les murs sont formés de milliers de fioles qui contiennent les âmes des hommes qui vont naître. Nous sommes dans le séjour. de la vie qui précède la vie. 11 y a là, de toutes parts en suspens dans les berceaux bien elos, … + NA | ERA ” ; 4 CU TE . y 9 4 DROLE di rAEE SAT en DS D D TN EN ED PR D PR NE TO re ou ue fois de vêtements ct file son nceul dans l'ombre, battent des ailes et dan- rs nécessaire et aussi pour une fin plus : obscure, car leur danse a des trémoussements _ extraordinaires et ns qui doivent ie répondre à quelque but qu'aucun observateur me, je crois, démèlé. : | Au bout de quelques ; jours, les couvercles de : ces myriades d’urnes (on en compte, dans une forte ruche, de soixante à quatre-vingt mille), se_lézardent, et deux grands yeux noirs et ; graves apparaissent, surmontés d'antennes qui palpent déjà l'existence autour d'elles, tandis jue d’actives mâchoires achèvent d'élargir lou- verture. Aussitôt, les nourrices accourent, ai- lent à à la jeune abeille à sortir de sa prison, Ja utiennent, la brossent, la nettoient et lui offrent au bout de-leur langue le premier miel e sa nouvelle vie. Elle, qui arrive d'un autre monde, est encore étourdie, un peu pâle, vacil- Jante. Elle a l'air débile d’un petit vicillard “échappé de la tombe. On dirait d’une voya- geuse couverte de la poussière duveteuse des F | emins inconnus qui mènent à la naissance. 4 Ju reste, elle est parfaite des pieds à la tête, | et, pareille à ces enfants du peuple qui appren- nent pour ainsi dire en naissant qu'ils n’auront guère le temps de jouer ni de rire, elle se dirige vers les cellules closes et se met à battre des aïles et à s’agiter en cadence pour réchauf- fer à son tour ses sœurs ensevelies, sans s’at- tarder à déchiffrer l’étonnante énigme de son destin et de sa race. At II Pourtant, les plus faligantes besognes lui sont d'abord épargnées. Elle ne sort de la ruche que huit jours après sa naissance, pour accom- PRE RS + Edo Berg plir son premier « vol de-propreté » et remplir. 4 d'air ses sacs trachéens qui se gonflent, épa- nouissent tout son corps et la font, à partir de cette heure, l'épouse de l’espace. Elle rentre ensuite, attend encore une semaine, et alors s'organise, en compagnie de ses sœurs du mème âge, sa première sortie de butineuse, au milieu d’un émoi très spécial que les apicul- teurs appellent le so/etl d'artifice. I faudrait plutôt dire le soleil d'inquiétude. On voit en effet qu’elles ont peur, elles qui sont filles de | * tissue de uns. Elles se promènent s sur le seuil, elles hésitent, elles partent et revien- nent vingt fois. Elles se balancent dans les à airs, la tête obslinément tournée vers la mai- qui s'élèvent et qui, soudain, relombent sous le Mes glisseront au retour soit aussi inflexible- nt tracée dans leur mémoire que si deux ‘aits d'acier la marquaient dans l’éther. Voici un nouveau mystère. Interrogeons-le (eo: me les autres, et s’il se tait comme eux son lence agrandira du moins de quelques arpents buleux, mais ensemencés de bonne volonté, champ: de notre ignorance consciente, qui st le plus fertile que notre activité possède. neure, que, parfois, il est impossible qu'elles oient, qui souvent est cachée sous les arbres dont l'entrée où elles abordent, n’est, en “es és ; son natale, elles décrivent de grands cercles : inlerrogent, reflètent et retiennent à la fois . . arbres, la fontaine, la grille, l'espa- omment- les abeilles retrouvent-elles leur A ER LA VIE DES : tout cas, qu’un Got ie perce PIE dans l'été | due sans bornes? Comment se fait-il que trans- portées dans une boîte à deux ou trois kilo . mètres de la ruche, il est extrêmement rare qu "elles s ‘égarent? La distinguent-elles à travers les. phetedles? : Est-ce à l'aide de points de repère qu'elles s’orientent, ou bien possèdent-elles ce sens « particulier et mal connu que nous atiribuons à certains animaux, aux hirondelles et aux pi- geons, par exemple, et qu’on appelle le sens de la direction? Les expériences de J.-H. Fabre, de Lubbock et surtout celles de M. Romanes (Nature, 29 octobre 1886) semblent établir è qu'elles ne sont pas pee par cet instinet - étrange. D'autre part, j'ai plus d’une fois cons- taté qu'elles ne font guère at{ention à la forme ou à la couleur de la ruche. Elles parassent s'attacher davantage à l'aspect coutumier du “4 _ plateau sur lequel repose leur maison, à la dis- position de l'entrée et de la planchette d’ abor- 1 dage‘. Mais cela même est accessoire, et si, pendant l'absence des butineuses, on modifie de 4 1. La planchette d'abordage, qui n’est souvent que le pro- *+ longement du fablier ou plaleau sur lequel est posée la #« ruche, forme une sorte de perron, de palier ou de repos, # devant l’eutrée principale ou trou de vol. les n'y reviendront pas moins directement des profondeurs de l'horizon, et ne manifeste- ront quelque hésitation qu'au moment de franchir le seuil méconnaissable. Leur méthode d'orientation, autant que nos expériences per- mettent d'en juger, parait plutôt basée sur un repérage extraordinairement minutieux et pré- cis. Ce n’est pas la ruche qu’elles reconnais- sent, c'est, à trois ou quatre millimètres près, sa position par rapport aux objets d’alentour. Et ce repérage est si merveilleux, si mathéma- _tiquement sûr et si profondément inscrit en leur mémoire, qu'après cinq mois d'hiver- Le. dans une cave obscure, si l’on remet la ruche sur son plateau, mais un peu plus à gravé dans le ciel. …_ Aussi, quand on déplace une ruche, beau- coup d'abeilles se cn à moins qu'il ne s'agisse d’un grand voyage ct que tout le É paysage qu'elles connaissent parfaitement jus- qu'à trois ou quatre kilomètres à la ronde ne soit transformé, à moins encore qu'on n'ait soin de mettre une planchette, un débris de tuile, un obtacle quelconque devant le « trou de vol », qui les avertisse que quelque chose est changé, et leur permette de s'orienter à nou- veau et de refaire leur point. ere. III Cela dit, rentrons dans la cité qui se re- peuple, où la multitude des berceaux ne cesse a de s'ouvrir, où la substance même des murs se met en mouvement. Toutefois cette cité n'a pas encore de reine. Sur les bords d'un 4 des rayons du centre, s'élèvent sept ou huit édifices bizarres qui font songer, parmi la plaine raboteuse des cellules ordinaires, aux protubérances et aux cirques qui rendent si étranges les photographies de la Lune. Ce sont des espèces de capsules de cire rugueuse ou de glands inclinés et parfaitement clos, qui occupent la place de trois ou quatre alvéoles PA AR ne Pelé UE 3 D EL SN HAE MT ad ee ET LE 'imnne, rénale Gi té M lie Hier dés Tele", |: 1er nquièle et attentive, veille sur la région où flotte on ne sait quel prestige. _ C'est là que se forment les mères. Dans cha- _ cune de ces capsules, avant le départ de l’es- saim, un œuf, en tout pareil à ceux dont sortent _ les travailleuses a été déposé, soit par la mère elle-même, soit plus probablement, bien qu'on a n'ait pu s’en assurer, par les nourrices qui l'y Fe transportent de quelque berceau voisin. _ Trois jours après, se dégage de l'œuf une petite larve à laquelle on prodigue une nour- riture particulière et aussi abondante que pos- sible; et voici que nous pouvons saisir un à un les mouvements d'une de ces méthodes magnifiquement vulgaires de la nature, que ious couvririons, s’il s'agissait des homnres, du nom augusle de la Fatalité. La petite larve, grâce à ce régime. prend un développement exceptionnel, et ses idées, en même temps que son corps, se modifient au point que l'abeille qui en naît semble appartenir à une race d'in- sectes entièrement différente. _ Elle vivra quatre ou cinq ans au lieu de six ou sept semaines. Son abdomen sera deux fois lus long, sa couleur plus dorée et plus claire, = | 15. + et son aiguillon recourbé. S Ses yeux ie & | douze ou treize salle Son cerveau sera ne. étroit, mais ses ovaires deviendront énormes et. elle possédera un organe spécial, la sperma- thèque, qui la rendra pour ainsi dire herma- phrodite. Elle n'aura aucun des outils d’une vie laborieuse : ni pochettes à sécréter la cire, ni. brosses, ni corbeilles pour récolter le pollen. Elle n'aura aucune des habitudes, _ aucune des passions me nous croyons bé à . l'abeille. Elle n'éprouvera ni le désir du solei ni le besoin de l’espace, -et mourra sans avoir visité une fleur. Elle passera son existence dans l'ombre et l'agitation de la fonle, à la. recherche infatigable de berceaux à peupler. En revanche, elle connaîlra seule Pinquiétude de l'amour. Elle n’est pas sûre d'avoir deux moments de lumière dans sa vie — car la sortie de l'essaim n’est pas inévitable, — peut- être ne fera-t-elle qu'une fois usage de ses ailes, mais ce sera pour voler à la rencontre de l'amant, 11 est curieux de voir que tant de choses, des organes, des idées, des désirs, des habitudes, toute une destinée, se trouvent ainsi en suspens, non pas dans une semencé — te serait le miracle ordinaire de la plante, de un de la vieille reine. Lis his prin- _pas toutes du même âge, car il est de l'intérêt | des abeïlles que les naissances royales se suc- cèdent - à ne qu mt décideront CE ’un , a lait (Fès riche en azote, que sécrète une er pus dont est - pourvue la tête des nourrices. Mais au rex = la future reine est gurgée jusqu'à son RER dévelop- D qu lait rite qu'on à appelé « bouillie 2e ». cières qui dorment dans les capsules ne sont 6 moe qui la es la. netlomnt: la ca- ressent, elle se dégage et fait ses premiers pas sur le rayon. Comme les ouvrières qui viennent de naître, elle est pâle et chancelante, mais au bout d'une dizaine de minutes ses jambes s'af- fermissent, et inquiète, sentant qu’elle n’est. pas seule, qu’il lui faut conquérir son royaume, que des prétendantes sont cachées quelque. part, elle parcourt les murailles de tire, à la recherche de ses rivales. Ici, la sagesse, les décisions mystérieuses de l'instinct, de l'esprit de la ruche, ou de l'assemblée des ouvrières interviennent. Le plus surprenant, quañd on suit de l'œil, dans une ruche vitrée, la marche de ces événements, c’est qu’on n’observe jamais ” Ja moindre hésitation, la moindre division. On n ne trouve aucun signe de discorde ou de dis- cussion. Une unanimité préétablie règne seule, c'est l'atmosphère de la ville, et chacune des … _ abeilles paraît savoir d'avance ce que toutes les autres penseront. Cependant le moment est © pour elles des plus graves : c’est, à proprement 3 parler, la minute vitale de la cité. Elles ontà choisir entre trois ou quatre parlis qui auront 1 des Ru lointaines, totalement diffé- à rentes et qu'un rien peut rendre funestes. Elles ont à concilier la passion ou le devoir inné de ‘3 : -sehe de ses rejetons. Quelque- | is elles se trompent, elles jettent successive- ment trois ou quatre essaims qui épuisent complètement la cité-mère et qui, trop faibles eux-mêmes pour s'organiser assez vite, surpris par notre climat qui n’est pas leur climat d'origine dont les abeilles gardent malgré tout _ Ja mémoire, succombent à l'entrée de l'hiver. Elles sont alors victimes de ce qu'on nomme, _« la fièvre d’essaimage » qui est, comme la _ fièvre ordinaire, une sorte de réaction trop _ ardenle de la vie, réaction qui dépasse le but, _ ferme le.cercle et retrouve la mort. ie ne paraît s'imposer, et l’homme, s’il reste sim- Plement spectateur, ne peut prévoir celle qu ‘elles choisiront. Mais ce qui marque que: ce hoix est toujours raisonné, c’est qu’il peut l'influéncer, le déterminer même, en modi- fiant certaines circonslances, en rétrécissant ou . grandissant par exemple l’espace qu'il ac- orde, en enlevant des rayons pleins de miel ”\ pour ÿ subetiluer ds ar uns vides, m brassent üun temps considérable, surtout si on _ sage ne pas jeter un second essaim. Lei encore, * de ao d'ouvrières. sième ve jours “après la sortie de : jeur reine à à 18 . du deuxième © essaim. On ne sau- toute une combinaison de prévisions, qui em: le compare à la brièveté de leur vie. VI Ces mesures concernent la garde des j jeunes reines encore ensevelies dans leurs s prisons de. cire. Je suppose que les abeilles jugent plus deux partis sont possibles. Permettront-elles M 1" je au » dont ou dépendre l’ave- r de la nation? Souvent elles aulorisent le massacre immédiat; souvent aussi elles s’y opposent, mais on comprend qu'il est diffi- ile de démêler si c’est en prévision d'un: deuxième essaimage, ou des périls du « vol nup- tial », », car on à plus d’une fois observé qu'après avoir décrété le deuxième essaimage, elles y renonçaient brusquement, et détruisaient toute Ja descendance prédestinée, soit que le temps fût devenu moins propice, soil pour toute autre use que nous ne pouvons pénélrer. Mais pre- ns qu'elles aient jugé bon de renoncer à saimage et d'accepter les risques du « vol 28 ». hp notre re ue Lin $ 3 “à ment + cocon qui tapisse + demeure, lénude la princesse endormie, et, si sa ans Fu VIE : DES ABEIL 180 est déjà reconnaissable, elle se retourne introduit son aiguillon dans le godet, et fré nétiquement le darde jusqu à ce que la captive succombe sous les coups de l'arme venimeuse. - Alors elle s’apaise, satisfaite par la mort qui miet une borne mystérieuse à à la haine de tous les êtres, rentre son aiguillon, s’altaque à une 4 autre capsule, l'ouvre, pour passer outre si elle 3 n'y trouve qu’une larve où une nymphe* impar- faite, et ne s'arrête qu’au moment où hale- tante, exténuée, ses ongles et ses dents glis- ï sent sans force sur les parois de cire. 24 * Les abeilles autour d'elle regardent sa colère À | | Sans y prendre part, s’écartent pour lui laisser $ le champ libre; mais, à mesure qu’une cellule ; est perforée et dévastée, elles accourent, en À retirent et jettent hors de la ruche le cadavre, la larve encore vivante ou la nymphe violée, et … se gorgent avidement de la précieuse bouillie royale qui remplit le fond de l’alvéole. Puis, quand leur reine épuisée abandonne sa fureur, … elles achèvent elles-mêmes le massacre des : innocentes, et la race et les maisons souve- ; raines disparaissent. | C'est, avec l'exécution des mâles, qui d’ail- . leurs est plus excusable, l'heure affreuse de la ruche, la seule où les ouvrières permettent à A CAD AR SE HE Ja Dors. et à la mort d'envahir leurs demeures. Et, comme il arrive souvent dans la nature, ce sont les privilégiées de l'amour - qui atlirent sur elles les traits extraordinaires _de la mort violente. _ Parfois, mais le cas est rare, car les abeilles prennent des précautions pour l’éviter, parfois deux reines éclosent simultanément. Alors, . c'est au sortir du berecau le combat immédiat et mortel dont Huber a le premier signalé une _ particularité assez étrange : chaque fois que, dans leurs passes, les deux vierges aux cui- rasses de chitine se mettent dans une position … telle qu'en tirant leur aïiguillon elles se perce- raient réciproquement, — comme dans les com- … bats de l’/iade, on dirait qu'un dieu ou une _ déesse, qui est peut-être le dieu ou la déesse “de la race, s’interpose, et les deux guerrières, | prises d'épouvantes qui s'accordent, se sépa- rent et se fuient, éperdues, pour se rejoindre — peu après, se fuir encore si le double désastre menace de nouveau l'avenir de leur peuple, jusqu'à ce que l’une d'elles réussisse à sur- rendre sa rivale imprudente ou maladroite, et à la tuer sans danger, car la loi de l’es- pèce n’exige qu’un sacrifice. 16 us JEUNES REINES k Rd TT it HAL PS Lorsque la jeune souveraine à ainsi délrui les berceaux ou tué sa rivale, elle est acceptée par le peuple, et il ne lui reste plus, pour ré-: gner. véritablement et se voir traitée comme : l'était sa mère, qu'à accomplir son vol nuptial, car les abeilles ne s’en oceupent guère et Lui rendent peu d'hommages tant qu'elle est infé-. conde. Mais souvent son hisloire est moins | simple, et les ouvrières renoncent rarement au désir d'essaimer une seconde fois. Fe Dans ce cas, comme dans l'autre, portée d' un. même dessein, elle s'approche des cellules | royales, mais, au lieu d’y trouver des servantes soumises et des encouragements, elle se heurte à une garde nombreuse et hostile qui lui barre À la route. frritée, et menée par son idée fixe, elle “a veut forcer où tourner le passage, mais ren- 3 contre partout les sentinelles, qui veillent sue. les princesses endormies. Elle s’obstine, elle revient à la charge, on la repousse de plus en 1 plus âprement, on la maltraite même, jusqu'à + ce qu'elle comprenne d'une manière informe que ces pelites ouvrières inflexibles représen- ‘ Li s'éloigne enfin, et sa colère inassouvie promène de rayon en rayon, y faisant RE. : mr. ce chant de guerre: où cette EC nn. qu'on l'entend, surtout Je soir, à s ou qualre mètres de distanée, à travers les fes songent à l'attaquer. * ax ou trois jours durant, parfois cinq, ce £ 2 are ‘ “€ é ement outragé erre ainsi et appelle au 184 “ LANE DES SABEILLES cles de leurs cellules. Un peaié te À menace la république. Mais le génie de la . ruche, en prenant sa décision en a prévu toutes les conséquences, et les gardiennes bien ins- truites savent heure par heure ce qu'il faut faire pour parer aux surprises d’un instinct contrarié et pour mener au but deux forces opposées. Elles n'ignorent point que si les jéunes reines qui demandent à naître parvenaient à s'échap- per, elles tomberaient aux mains de leur aînée déjà invincible, qui les détruirait une à une. ÿ Aussi, à mesure qu’une des emmurées amincit : intérieurement les portes de sa tour, elles les recouvrent en dehors d’une nouvelle couche de cire, et limpatiente s'acharne à son travail sans se douter qu’elle ronge un obstacle enchanté qui renaît de sa ruine. Elle entend en même temps les provocations de sa rivale, et, connais- sant sa destinée et son devoir royal avant même qu'elle ait pu jeter un regard sur la vie et savoir ce que c'est qu'une ruche, elle y répond héroïquement du fond de sa prison. Mais comme son cri doit percer les parois d’une tombe, il est très différent, étouffé, caverneux, et l'éle- . veur d'abeilles qui s'en vient vers le soir, lorsque les bruits se couchent dans la campa- gne, et que s'élève le silence des étoiles. inter- VIII Fe … Cette réclusion prolongée est d’ailleurs favo- __ ràble aux jeunes vierges, qui en sortent müries, et l’a mise à même d'affronter les périls du s quitte alors la demeure, hi a à sa tête la pre-. be mêmes tentatives meurtrières, pousse les mêmes cris de colère, pour quitter la ruche à Plémère. : | SNS cite une ruche qui, par ses ainsi trente cle en une seule saison. 16. _ déjà vigoureuses et prêtes à prendre l'essor. D'autre part, l'attente a raffermi la reine libre _ voyage. Le second essaim ou essaim secondaire _ Cette multiplication extraordinaire s’observe 2 186 > LAVE DS surtout après les hivers désastreux, comme si. les abeilles, toujours en contact avec les volontés secrèles de la nature, avaient conscience du danger qui menace lespèce. Mais, en temps normal, cette fièvre est assez rare dans es ‘ _ruchées fortes et bien gouvernées. Beaucoup n'essaiment qu'une fois, plusieurs même n’essai- ment pas du tout. | D'habitude, après le deuxième essaim, les abeilles renoncent à se diviser davantage, soit qu'elles remarquent l’affaiblissement ‘excessif de la souche, soit qu’un trouble du ciel leur a. dicte la prudence. Elles permettent alors à la troisième reine de massacrer les caplives, et la vie ordinaire reprend et se réorganise avec d’au- tant plus d'ardeur que presque toutes les ouvrières sont très jeunes, que la ruche est appauvrie et dépeuplée, et qu'il y a de grands vides à remplir avant l'hiver. IX La sortie du deuxième et du {roisième essaim réssemble à celle du premier, et toutes les eir- conslances sont pareilles, à cela près que les abeilles y sont moins nombreuses, que la troupe ne. .. son monde re grande rs de la ruche. Joignez-y que cette deuxième « Mort », « Infini », « Sélection », « Génie de l'Espèce », et bien F autres, comme ceux qui. : nous Hiécédétent y fixèrent les noms de : « Dieu », de « Providence », de « Destin »,… de « Récompense », etc. C'est cela si l'on veut, et rien davantage. Mais si le dedans demeure obscur, du moins y avons-nous gagné que les inscriptions élant moins menaçantes nous pouvons approcher des vases, les toucher et y | appliquer l'oreille avee une curiosité salutaire. à Mais quelque nom qu’on y attache, il est . certain qu’à tout le moins l’un de ces vases, le : plus grand, celui qui porte sur ses flancs le … mot : «Nature », renferme une force très réelle, la plus réelle de toutes, et qui sait maintenir … die 1: r, Rat Da d OT ais de sur notre globe une quantité el une qualité dés ie, énorme et merveilleuse, par des moyens Si ingénieux que l'on peut dire sans exagéra- tion qu'ils passent tout ce que le génie de l'homme est capable d'organiser. Celte qualité … et cette quantité se maintiendraient-elles par. d’autres moyens? Est-ce nous qui nous trom- pons en croyant voir des précautions là où il _n'y a peut-être qu'un hasard fortuné qui survit _ à un million de hasards malheureux? | XVI Il se peut; mais ces hasards fortunés nous donnent pour lors des leçons d'admiration, qui égalent celles que nous trouverions au-dessus du hasard. Ne regardons pas seulement les à êtres qui ont une lueur d'intelligence ou de conscience et qui peuvent lutter contre les lois aveugles, ne nous penchons même pas sur les premiers représentants nébuleux du règne animal qui commence : les Protozoaires. Les expériences du célèbre microscopiste M. H. J. Carter, F.R.S., montrent, en effet, qu'une vo- lonté, des désirs, des préférences se manifes- tent déjà dans des embryons aussi infimes que LES: JBUNES CREINES _. Sn, 19 © 19 ere! > Es -# > les myxomycèles, qu'il y a des mouvemer CE de ruse dans des infusoires privés detout orga- _nisme apparent, tels que l’Amnæba qui guett avec une sournoise patience les jeunes Acinètes \ à la sorlie de l'ovaire maternel, parce qu'elle sait qu'à ce moment elles n’ont pas encore de tentacules vénéneuses. Or, l’'Amæba ne possède ni syslème nerveux, ni organe d'aucune espèce que l’on puisse observer. Allons directement aux végélaux qui sont immobiles et semblent soumis à toutes les fatalités, etsans nous arrètér - aux plantes carnivores, aux Droseras par exem- ple, quiagissent réellement commelesanimaux, étudions plutôt le génie déployé par telles de nos fleurs les plus simples pour que la visile | d’une abeille entraîne inévitablement la fécon- dation croisée qui leur est nécessaire. Voyons le jeu miraculeusement combiné du rostellum, des rétinacles, de l'adhérence et de l'inclinaison mathématique etautomalique des pollinies dans l'Orchis Morio, l’'humble orchidée de nos con- trées'; démontons la double baseule infaillible 1. Il est impossible de donner ici le détail de ce piège mer- veilleux décrit par Darwin. En voici le schôème grossier: le pollen, dans l’'Orchis Morio, n'est pas pulvérulent, mais aggloméré en forme de petites massues appelées Pollinies. Chacune de ces massues (elles sont deux) se termine à son PTS POÈTES M M NUS ABE. PISE, D satrémits fafériure par une rondelle visqueuse (le Réli- nacle) renfermée dans une sorte de sac membraneux (/e Ros- Le tellum) que le moindre contact fait éclater. Quand une abeille se pose sur la fleur, sa fête, en s'avançant pour. pomper le vectar, effleure le sac membraneux qui se déchire et mel à nu les deux rondelles visqueuses. Les Pollinies, grâce à la glu des rondelles, s’attachent à la tête de l'insecte. : qui, en quittant la fleur, les emporte comme deux cornes va os Si ces deux cornes chargées de pollen demeu- ne at éclater le sac sn de la seconde fleur, les 'atteindraient pas le re ou LHrsene femelle PEL a ut : me © 0 CT 4 ER: EU 204 © LA VIE DES ABB l'entrée de l'abeille tous les organes de ces trois fleurs se mettre en mouvement à la manière de ces mécaniques compliquées que l’on trouve dans nos foires villageoises, et qui entrent en branle quand un tireur habile a touché le point noir de la cible. Nous pourrions descendre plus bas encore, montrer comme l’a fait Ruskin, dans ses £thics of the Dust, les habitudes, le caractère et les ruses des cristaux, leurs querelles, ce qu'ils font quand un corps étranger vient troubler leurs plans, qui sont plus anciens que tout ce que notre imagination peut concevoir, la ma- nière dont ils admettent ou rejettent l'ennemi ; la victoire possible du plus faible sur le plus fort, par exemple le Quartz tout-puissant qui cède courtoisement à l’humble et sournois Épi- dote et lui permet de le surmonter, la lutte tantôt effroyable, tantôt magnifique du cristal de roche avec le fer, l'expansion régulière, im- maculée, et la pureté intransigeante de tel bloc hyalin qui repousse d'avance toutes les souil- lures, et la croissance maladive, l’immoralité évidente de son frère, qui les accepte et se tord misérablement dans le vide;:nous pourrions invoquer les étranges phénomènes de cicatri- sation et de réintégration cristalline dont parle } NEC +. d'OS ARS LES à JEUNES REINES _ Claude D vard: etc. . Mais, ici, le mystère nous est trop er Tenons-nous à nos us. qui sont les dernières figures d’une vie F qui à encore quelque rapport à la nôtre. Il ne s'agit plus d'animaux ou d'insectes auxquels _ nous altribuons une volonté intelligente et. particulière, grâce à laquelle ils survivent. A _ {ort ou à raison, nous ne leur en accordons _ aucune. En tout cas, nous ne pouvons trouver en elles la moindre trace de ces organes où naissent et siègent d'habitude la volonté, l'in- . telligence, l'initiative d’une action. Par consé- : quent, ce qui agit en elles d’une manière si admirable, vient directement de ce qu'ailleurs nous appelons : la Nature. Ce n’est plus l’intel- ligence de l'individu, mais la force inconsciente etindivise, qui tend des pièges à d’autres formes À d’elle-mème. En induirons-nous que ces pièges ._ soientaulrechose que de purs accidents fixés par Ë une routine accidentelle aussi ? Nous n’en avons pas encore le droit. On peut dire qu'au défaut - de ces combinaisons miraculeuses; ces fleurs on eussent pas survécu, mais que d’autres, qui H'auraient pas eu besoin de la fécondation croi- _sée, les eussent remplacées, sans que personne se fût aperçu de l'inexistence des premières, Sans que la vie qui ondule sur la terre nous eût 18 206 LE VE DES AABEILLES É paru: moins incompréhensible, moins diverse ni moins étonnante. 4 + X VII Et pourtant, il serait difficile de ne pas . reconnaître que des actes qui ont tout l'aspect : d'actes de prudence et d'intelligence, provo- … quentet soutiennent les hasards fortunés. D'où … émanent-ils? Du sujet mème ou de la force où il puise la vie? Je ne dirai pas « peu importe », au contraire : il nous importerait énormément de le savoir. Mais en altendant À que nous l'apprenions, que ce soit la fleur qui s'efforce d'entretenir et de perfectionner la vie. que la nature à mise en elle, ou la nature qui - fasse effort pour entretenir et améliorer la part d'existence que la fleur a prise, que ce soit | enfin le hasard qui finisse par régler le hasard; une multitude d’apparences nous invitent à croire que quelque chose d'égal à nos pensées - les plus hautes sort par moments d’un fonds … commun que nous avons à admirer sans pou- 3 voir dire où il se trouve. sp e. Il nous semble. parfois qu'une erreur sorte : de ce fonds commun. Mais bien que nous | S JEUNES REINES 207. peu de choses, nous avons maintes fois l’occasion de reconnaître que _ Perreur est un acte de prudence qui passait la portée de nos premiers regards. Mème dans le petit cercle que nos yeux embrassent, nous _ pouvons découvrir que si la nature parait se _ tromper ici, c'est qu’elle juge utile de redresser là-bas son inadveritance présumée. Elle a mis Les trois fleurs dont nous parlons, dans des conditions si difficiles, qu’elles ne peuvent se féconder elles-mêmes, mais c’est qu'elle juge profitable, sans que nous pénétrions pourquoi, que ces trois fleurs se fassent féconder par _ leurs voisines; et le génie qu’elle n’a pas mon- - tré à notre droite, elle le manifeste à no're gauche, en aclivant l'intelligence de ses vic- times. Les détours de ce génie nous demeurent : mexplicables, mais son niveau reste toujours en admettant qu'une-erreur soit possible, mais 1. remonte immédiatement dans l'organe el argé de la réparer. De quelque côlé que 208! LA VIE DES ABEILLES aujourd hui la nature, et demain nous Sir trou verons peut-être un autre nom, plus terrible ou plus doux. En attendant, il règne à la fois et d'un esprit égal sur la vie et la mort, et fournit … aux deux sœurs irréconciliables les armes magnifiques ou familières qui bouleversent et qui ornent son sein. X VIII MEET RTE ge TER k Mo pue LES La ne Er FA (RAS TENTE Tr ie PRET ES ON RUES D BTE Quant à savoir s’il prend des précautions … pour maintenir ce qui s’agite à sa surface, ou s'il faut fermer le plus étrange des cercles en ï disant que ce qui s’agile à sa surface prend des précaulions contre le génie mème qui le fait vivre, voilà des questions réservées. Il nous est impossible de connaître si une espèce a sur- vécu malgré les soins dangereux de la volonté supérieure, indépendamment de ceux-ci, ou enfin grâce à eux seuls. | Tout ce que nous pouvons constater, c'est que telle espèce subsiste, etque par conséquent la nature semble avoir raison sur ce point. Mais qui nous apprendra combien d'autres, que nous n'avons pas connues, sont tombées vic- : y} ra: tués: times de son intelligence oublieuse ou in- LIVRE V LE VOL NUPTIAL Voyons maintenant de quelle manière a lieu la fécondation de la reine-abeille. Ici encore, la nature a pris des mesures extraordinaires pour favoriser l'union des mâles et des femelles issus de souches différentes; loi étrange, que rien ne l’obligeait de décréter, caprice, ou peut- “être inadvertance initiale dont la réparation use les forces les plus merveilleuses de son activité. Il est probable que si elle avait employé à assurer la vie, à atténuer la souffrance, à adoucir la mort, à écarter les hasards affreux, la moilié du génie qu’elle prodigue autour de la fécondation croisée et de quelques autres rËcs " UE PR re r Ko EU, 7 4 US | ‘3 LATE PVR NUE de Se PL un énigme : moins dote moins jtoyable que celle que nous tâchons de péné- trer. Mais ce n’est pas dans ce qui aurait pu être, c'est dans ce qui est qu'il convient de puiser notre conscience, et l'intérêt que nous pers: à l'existence. Autour de la reine virginale, et vivant avec : lle dans la foule de la ruche! s 'agitent des cen- laines de mäles exubérants, toujours ivres de F miel, dont la seule raison d'être est un acte d'amour. Mais malgré le contact incessant de deux inquiétudes qui partout ailleurs renver- sent tous les obstacles, par union ne s'opère dans la ruche, et l'on n'a jamais réussi à rendre : éconde une reine captive'. Les amants qui entourent ignorent ce Less est, tant a in de la bare qu v'ils a eeui avec ; ponur Fes mêmes es qu ls l'ont dr -être Æ professeur Mc Lain est récemment parvenu à fécon- der artificiellement quelques reines, mais à la suite d'une ue admirables, qui coiffent toute leur tête d'un. casque fulgurant, ne la reconnaissent et ne la. désirent que lorsqu'elle plane dans l'azur. Chaque jour, de onze heures à trois heures, quand la lumière est dans tout son éclat, et. surtout lorsque midi déploie jusqu'aux confins du ciel ses grandes ailes bleues pour altiser. les flammes du soleil, leur horde empana- chée se précipite à la recherche de l'épouse plus royale et plus inespérée qu’en aucune légende de princesse : inaccessible, puisque vingt ou trente tribus l’environnent, accourues de toutes les cités d’alentour, pour lui faire un cortège de plus de dix mille prétendants, et que. parmi ces mille, un seul sera choisi, pour un baiser unique d'une seule minute, qui le mariera à la mort en même temps qu’au bonheur, tan- dis que tous les autres voleront inuliles autour du couple enlacé, et périront bientôt sans revoir l'apparition prestigieuse et fatale. MP 0 LAVE DES ABEILLES II Je n’exagère pas cette surprenante et folle prodigalité de la nature. Dans les meilleures ruches on compte d'habitude quatre ou cinq - LE VOL NUPTIAL 243 _ cents: males. Dans les ruches dégénérées ou plus _ faibles, on en trouve souvent quatre ou cinq mille, car plus une ruche penche à sa ruine, - plus elle produit de mâles. On peut dire qu'en | moyenne, un rucher composé de dix colonies, éparpille dans Fair, à un moment donné, un peuple de dix mille mâles, dont dix ou quinze au plus auront chance d'accomplir l'acte unique pour lequel ils sont nés. En attendant, ils épuisent les provisions de _ la cité, et le travail incessant de cinq ou six ouvrières suffit à peine à nourrir l’oisiveté vo- race et plantureuse de chacun de ces parasites qui n'ont d'infatigable que la bouche. Mais » toujours la nature est magnifique, quand il ; s'agit des fonctions et des privilèges de l'amour. Elle ne lésine que les organes et les instru- ments du travail. Elle est particulièrement pre à tout ce que les hommes ont appelé vertu. En revanche, elle ne compte ni les joyaux, ni es faveurs qu'elle répand sur la route des amants les moins intéressants. Elle crie de Loutes parts : « Unissez-vous, multipliez, il n’est d'autre loi, d'autre but que l'amour », — quitte à ajouter à mi-voix : — « Et durez après si vous le pouvez, cela ne me regarde plus ». On a beau faire, on a beau vouloir autre chose, on retrouve partout cette morale si différente de tu nôtre. à Voyez encore, dans les mêmes petits êtres, son avarice injusle et son faste insensé. De sa nais-_ sance à sa mort, l'austère butineuse doit aller au loin, dans les fourrés les plus épais, à la recherche d’une foule de fleurs qui se dissimu- lent. Elle doit découvrir aux labyrinthes des nectaires, aux allées secrètes des anthères, le miel et le pollen cachés. Pourtant ses yeux, ses organes olfactifs, sont comme des yeux, des organes d’infirme, au prix de ceux des mâles. Ceux-ci seraient à peu près aveugles et privés d'odorat qu'ils n'en pâtiraient guère, qu'ils le sauraient à peine. Ils n'ont rien à faire, aucune proie à poursuivre. On leur apporte leurs ah- menis tout préparés et leur existence se passe à humer le miel à même les rayons, dans l'obscurité de la ruche. Mais ils sont les agents de l'amour, et Les dons les plus énormes et les plus inutiles sont jetés à pleines mains dans l'abime de l'avenir. Un sur. mille, parmi eux, aura à découvrir, une fois dans sa vie, au pro- fond de l’azur, la présence de la vierge royale. Un sur mille devra suivre, un instant dans l’es- pace, la piste de la femelle qui ne cherche pas à fuir. 11 suffit, La puissance partiale a ouvert à l'extrême et jusqu’au délire, ses trésors inouis. Er She Elle a Dub leurs antennes, s selon les calculs de Cheshire, de trente-sept mille à huit cents cavités olfactives, alorsque l'ouvrière n'en possède pas cinq mille. Voilà un exemple de Ja disproportion qu'on observe à peu près he à partout entre les dons qu elle accorde à l'amour, et ceux qu'elle marchande au travail, entrela L faveur _ ele Pr sur ce qui donne essor à | rencontre : ainsi, il en soit une Évire ordinaire qui n'aurait aucun rapport à Mais l'homme ignore trop de choses pour otre ce portrait où il ne saurait meltre 216 LA VIE DES ABEILLES … III Bien peu, je pense, ont violé le secret des noces de la reine-abeille, qui s’accomplissent : aux replis infinis et éblouissants d’un beau ciel. Mais il est possible de surprendre le départ. hésitant de la fiancée, et le retour meurtrier de l'épouse. | Malgré son impatience, elle choisit son jour. et son heure, et attend à l'ombre des portes qu'une matinée merveilleuse s'épanche dans. l’espace nuptial, du fond des grandes urnes azurées. Elle aime le moment où un peu de rosée mouille d'un souvenir les feuilles et les fleurs, où la dernière fraîcheur de l'aube _défaillante lutte dans sa défaite avec l’ardeur du jour, comme une vierge nue au bras d'un lourd guerrier, où le silence et les roses de midi qui s'approche, laissent encore percer çà. et là quelque parfum des violettes du matin, - quelque cri transparent de l'aurore. : Elle parait alors sur le seuil, au milieu de l'indifférence des butineuses qui vaquent à. leurs affaires, ou environnée d'ouvrières affo- lées, selon qu’elle laisse des sœurs dans la qu me est ie SonnIbIS de la rem-. _ placer. Elle prend son vol à reculons, revient de x ou trois fois sur la tablette d'abordage, et quand elle a marqué dans son esprit l'aspect et la situation exacte de son royaume qu'elle n a jamais vu du dehors,elle paft comme un trait au zénith de l'azur. Elle gagne ainsi des hauteurs _ et une zone lumineuse que les autres abeilles _n’affrontent à aucune époque de leur vie. Au loin, autour des fleurs où flotte leur paresse, les mâles ont aperçu l'apparition et respiré le - parfum magnétique qui se répand de proche en _ proche jusqu'aux ruchers voisins. Aussitôt les hordes se rassemblent et plongent à sa suite as la mer d’allégresse dont-les bornes lim- es se déplacent. Elle, ivre de ses aïles, et ssant à la magnifique loi de l'espèce qui sit pour élle son amant el veut que 2 ss . 248 1 LA VIE DES. ABEILLES ee le mystère. Elle s'élève encore, et déjà la troupe inégale diminue et s’égrène sous elle. Les faibles, les infirmes, les vieillards, les mal venus, les mal nourris des cités inactives ou misérables, renoncent à la poursuite et dispa- raissent dans le vide. Il ne reste plus en sus- pens, dans l’opale infinie, qu'un petit groupe infaligable. Elle demande un dernier effor t à ses ailes, et voici que l'élu des forces incom- préhensibles la rejoint, la saisit, la pénètre et, qu'emportée d'un double élan, la spirale ascen- dante de leur vol enlacé tourbillonne une se- conde dans le délire hostile de l'amour. IV MURS La plupart des êtres ont le sentiment confus qu'un hasard très précaire, une sorte de mem- brane transparente, sépare la mort de l'amour, et que l’idée profonde de la nature veut que l'on meure dans le moment où l’on transmet la vie. C’est probablement cette crainte hérédi- laire qui donne tant d'importance à l'amour. lei du moins se réalise dans sa simplicité pri- mitive cette idée dont le souvenir plane en core sur le baiser des hommes. Aussitôt l'anion VOL NEPAL Fe . r les, les 4 se détendent et, ue par l'éclair nuplial, le sarps vidé tournoie et tombe dans l’abime. | La mème pensée qui tantôt, dans la parthé- _ nogenèse, sacrifiait l'avenir de la ruche à la _mulliplication insolite des mâles, sacrifie ici À le mâle à l'avenir de la ruche. | Elle étonne toujours cette pensée; plus on I interroge, plus les cerlitudes diminuent, et Darwin par exemple, pour citer celui qui de tous les hommes l’a le plus passionnément et le _. Dos étudiée, un sans u* Es royablement mystérieuses et _incohérentes stérilité et de la fécondité des hybrides, les de la variabilité des caractères spé- es et génériques. À peine a-t-il formulé rincipe que des exceptions sans: nombre Ssaillent, et bientôt le principe accablé heureux de trouver asile dans un coin et 220 . LAVE DES ABEIL 15 de garder, à litre d’ ni un reste d'e: e tence. - C’est que dans l’hybridité, dans la variabilité (notamment dans les variations simultanées,« appelées corrélalion de croissance), dans l'ins= üinct, dans les procédés de la concurrence vitale, dans la sélection, dans la succession. géologique et dans la distribution géographique. des êtres organisés; dans les affinités mutuelles, comme partout ailleurs, la pensée de la naturé est tatillonne et négligente, économe et gà cheuse, prévoyante et inattentive, inconstantes et inébranlable, agitée et immobile, une € innombrable, grandiose et mesquine dans même moment et le même phénomène. Alors qu'elle avait devant elle le champs immense eb vierge de la simplicité, elle le peuple de petitel erreurs, de petites lois contradictoires, de petits problèmes difficiles qui s’égarent dans l'existence comme des troupeaux aveugles. IE vrai que tout cela se passe dans notre œil qui ne reflète qu’une réalité appropriée à notré taille et à nos besoins, et que rien ne nous autorise à croire que la nature perde de vue ses causes et ses résultats égarés. $ En tout cas, il est rare qu'elle leur permets 4 + À d'aller trop un de s'approcher de régio signe à la vie ou _ rétablir l'ordre et retracer la route avec indif- _ férence. | ÿ Elle nous échappe de toutes parts, elle mé- a connaît la plupart de nos règles, et brise toutes _ nos mesures. — À notre droite, elle est bien _ au-dessous de nolre pensée, mais voilà qu'à notre gauche, elle la domine brusquement comme une montagne. À tout moment, il F0 flot de l'ésbèce F qui est matelas | férieure : à la “He que peut concevoir et à la mort qui viennent A 922 | LA VIE DES S AREILLES tort que ce même esprit se demande aujour- d'hui si son devoir n’est pas de chercher toute : vérité, par conséquent les vérités morales aussi bien que les autres, dans ce chaos plutôt qu'en lui-même, où elles paraissent relativement si claires et si précises? Il ne songe pas à renier la raison et la vertu de son idéal consacré par tant de héros et de sages, mais parfois il se dit que peut-être cet idéal s’est formé trop à part de la masse énorme dont il prétend à représenter la beauté À diffuse. À bon droit, il a pu craindre jusqu'ici qu'en adaptant sa morale à celle de la nature, il n’eût anéanti ce qui lui paraît être le chef- d'œuvre de cette nature même. Mais à pré- sent qu'il connaît un peu mieux celle-ci, et que quelques réponses encore obscures, mais d’une ampleur imprévue, lui ont fait entrevoir un plan et une intelligence plus vastes que tout ce qu'il pouvait imaginer en se renfermant en lui-même, il a moins peur, il n'a plus aussi im- périeusement besoin de son refuge de vertu et de raison particulières. Il juge que ce qui est si grand ne saurait enseigner à se diminuer. HI voudrait savoir si le moment n’est pas venu de soumettre à un examen plus judicieux ses : principes, ses certitudes et ses rêves. SL M éal humain. Cela même qui d’abord dis- de cet idéal apprend à y reverir. La nature ne saurait donner de mauvais conseils à un esprit à qui toute vérité, qui n’est pas au _ moins aussi haute que la vérité de son propre _ désir, ne paraît pas assez élevée pour être _ définitive et digne du grand plan qu'il s'efforce d embrasser. Rien ne change de place dans sa vie, sinon pour monter avec lui, et longtemps _ encore il se dira qu'il monte quand il se rap- . proche de l’ancienne image du bien. Mais dans De sa pensée tout se transforme avec-une liberté Re lus grande, et il peut descendre impunément : ns sa contemplation passionnée, jusqu'à ché- ir autant que des vertus, les contradictions les lu _cruelles et les plus immorales de la vie, il a le pressentiment qu'une foule de val- successives conduisent au plateau qu re. Cette RAnnnHen et cet amour n’em- ècl entpas qu en cherchant la certitude, etalors me que ses recherches le mènent à l'opposé ce quil aime, il ne règle sa conduite sur la té la plus humainement belle et setienne au visoire le plus haut. Tout ce qui augmente erlu bienfaisante entre immédiatement-dans ie; {out ce qui l'amoindrirait y demeure en À 1 $E M: Se nl ELLE] 224 LA VIE DES ABEILLES suspens, comme ces sels insolubles qui 1 s’ébranleront qu'à l’heure’de l'expérience déct sive. Il peut accepter une vérité inférieuré, mais, pour agir selon cette vérité, il attendra, | — durant des siècles, s'il est nécessaire, +. qu'il aperçoive le rapport que cette vérité doit avoir à des vérités assez infinies pour es | per et surpasser toutes les autres En un mot, il sépare l’ordre moral d l’ordre intellectuel, et n’admet dans le premier que ce qui est plus grand et plus beau qu'au trefois. Et s’il est blämable de séparer ces deux ordres, comme on Île fait trop souvent dans la vie, pour agir moins bien qu’on ne pensé; voir le pire et suivre le meilleur, tendre sof action au-dessus de son idée, est toujours salu* taire et raisonnable, car l'expérience humaine nous permet d'espérer plus clairement de jour en jour, que la pensée la plus haute que nous puissions alteindre sera longtemps encore au- dessous de la mystérieuse vérité que nous cherchons. Au surplus, quand rien ne serail vrai de tout ce qui précède, il lui resterait unê raison simple et naturelle pour ne pas encoré abandonner son idéal humain. Plus il accordé de force aux lois qui semblent proposer l'exemple de l’égoïsme, de l'injustice et dé Us EE ir tre qui obseillent la nn , la pitié, la justice, car dès l’instant qu'il méthodiquement les parts qu'il fait à l'univers “et à lui-même, il trouve à ces dernières lois quelque chose d'aussi profondément naturel qu aux premières, puisqu'elles sont inscrites aussi profondément en lui que les autres le Font dans tout ce qui l entoure. VI _— . Remontons aux noces Has de la reine. _ 226 LATE DES ABEILLES | goultes d'eau qui obéissent aussi à des 1 invincibles, il faut qu’elle prenne des mesures pour que cet accouplement soit aussi bref que possible. Il l’est, grâce à la mort foudroyante du mâle. Une étreinte y suffit, et la suite de. lhymen s accomplit aux flancs mêmes de l épouse. ; Celle-ci, des hauteurs bleuissantes, redescend à la ruche tandis que frémissent derrière elle, comme des oriflammes, les entrailles déroulées * de l’amant. Quelques apidologues sréterdenti} qu'à ce retour gros de promesses, les ouvrières « on : manifestent une grande joie. Büchner,entreau- tres, en trace un tableau détaillé. J'ai es bien _des fois ces rentrées nupliales et j'avoue n’avoir guère constaté d’agitalion insolite, hors les cas à L. 7 so où il s'agissait d'une jeune reine sortie à la tête d’un essaim et qui représentait l'unique espoir d'une cilé récemment fondée et encore déserte. Alors toutes les travailleuses sont affolées et se précipitent à sa rencontre. Mais pour lordi- naire, et bien que le danger que court l'avenir de la cité soit souvent aussi grand, il semble qu'elles l'oublient- Elles ont tout prévu jusqu'au moment 6ù elles permirent le massacre des reines rivales. Mais arrivé là, leur instinct s'arrête ; il y a comme un trou dans leur pru- gresse que notre ion attendait. Posi- tives et lentes à l'illusion, avant de se réjouir, : _elles attendent probablement d'autres preuves. _ On a tort de vouloir rendre logiques et huma- miser à l'extrême tous les sentiments de petits êtres si différents de nous. Avec les abeilles, comme avec tous les animaux qui #7 portent en eux un reflet de notre intelligence, 4 sd arrive or à des résultats aussi précis D lnnne: nous demeurent inconnues. ourquoi les montrer plus parfaites qu'elles ne k, en disant ce qui n’est pas? Si quelques-uns it qu'elles seraient plus intéressantes si étaient pareilles à nous-mêmes, c'est n’ont pas encore une idée juste de ce qui LA VIE DES ABEILL Lo D Go : s RP MP TNT Ve AN ST DE D OST ji 5 cn Fr Pourtant, l'indifférence n’est pas unanime, et. lorsque la reine haletante arrive sur la plan-" chette d'abordage, quelques groupes se forment « et l’accompagnent sous les voûtes, où le soleil, à héros de toutes les fètes de la ruche, pénètre à petits pas craintifs et trempe d’ombre et d'azur les murailles de cire et les rideaux de miel. Du reste, la nouvelle épousée ne se trouble pas plus que son peuple, et il n’y a point place pour de nombreuses émotions dans son étroit cerveau de reine pratique et barbare. Elle n’a ; qu’une préoccupation, c'est de se débarrasser au plus vite des souvenirs importuns de l'époux qui entravent sa démarche. Elle s’as- sied sur le seuil, et arrache äâvec soin les or- ganes inutiles, que des ouvrières emportent à mesure et vont jeter au loin; car le mâle lui a … donné tout ce qu’il possédait et beaucoup plus qu'il n’était nécessaire. Elle ne garde, dans sa spermathèque, que le liquide séminal où nagent les millions de germes qui, jusqu'à son dernier jour, viendront un à un, au passage _des œufs, accomplir dans l'ombre de son corps . l'union mystérieuse de l'élément mâle et . femelle dont naîtront les ouvrières. Par un échange curieux, c’est elle qui fournit le prin- _… cipe mâle, et le mâle le principe femelle. Deux * l'acc ouplemént, ‘ele dépot à ses er œufs, et aussitôt le peuple l'entoure dd d’un one ae plus 5 ruche; ne revoit pus la nn * si te solilaires et’ anis. _ d’admirables ivresses où la mort, sur- SN | © Ia DES ABEILLE devenues maternelles , prend let 7 soin d'introduire et d’unir pour un long avenir inséparable, dans un seul et même corps, eue petites vies fragiles. 4 La vérité profonde n’a pas cette poésie, elle : en possède une autre que nous sommes moins aptes à saisir; mais que nous finirons peut-être par comprendre et aimer. La nature ne s'est 1 pas souciée de procurer à ces deux « raccoureis 4 d'alôme », comme les appellerait Pascal, un. À mariage resplendissant, une “idéale minule d'amour. Elle n’a eu en vue, nous l'avons déjà 4 dit, que l'amélioration de l'espèce par la fécon- 3 dation croisée. Pour l’assurer, elle a disposé | l'organe du mâle d'une façon si particulière ! qu’il lui est impossible d'en faire usage ailleurs que dans l’espace. Il faut d’abord que par un vol prolongé il dilate complètement ses deux grands sacs trachéens. Ces énormes ampoules | qui se gorgent d'azur, refoulent alors les parties basses de l'abdomen et permeltent l’exsertion de l'organe. C’est là tout le secret physiologique, assez vulgaire diront les uns, presque fâcheux affirmeront les autres, de l'essor admirable des amants, de l'éblouissante poursuite de ces noces magnifiques. | LORS REC ” L LR DE JDE BELLE RTE Er NT + LAN er es € Et nous, se demande un poète, devrons- nous donc toujours nous réjousr au- dessus de. la vérité ? » Re ; Le | Oui, à à tout propos, à à tout moment, en toutes LAN Lee que . ce molif nous soit cher. Peut-être 232 . propos Done a ne sera pas perdue pour la vérité qui viendra tôt-ou tard. C’est avec de ; mots, avec des sentiments, c'est dans la cha leur développée par d'anciennes beautés ima- ginaires, que l’humanité accueille aujourd! hui. L des vérités qui peut-être ne seraient pas nées, # et n'auraient pu trouver un milieu favorable, ! si ces illusions sacrifiées n'avaient d’abord 4 habité et réchaulfé le cœur et la raison où les | vérités vont descendre. Heureux les yeux qui « n'ont pas besoin d’illusion pour voir que le # spectacle est grand! Pour les autres, c’est | l'illusion qui leur apprend à regarder, à admirer et à se réjouir. Et si haut qu'ils regardent, ils ne regarderont pas trop haut. Dès qu'on s'en approche, la vérité s'élève ; dès qu’on l’admire on s’en rapproche. EL si haut qu'ils se réjouis- sent, ils ne se réjouiront jamais dans le vide ni au-dessus de la vérité inconnue et éternelle qui est sur toute chose comme de la beauté én. suspens. PANTALON EL OP CET PT TO PR 7 PA IX PUS TE NN LED ES Est-ce à dire que nous nous attacherons aux mensonges, à une poésie volontaire et irréellé, Soi, mais nous nous y arrètons parce qu'il _ attitude en face de divers ordres de vérités, — est-ce à dire que dans cet exemple nous négli- nuptial, qui, quelle qu’en soit la cause, n’en est _ pas moins l’un des plus beaux actes lyriques | “ de cette force tout à coup désintéressée et irré-_ _sistible à laquelle obéissent tous les êtres vi- _vants et qu'on nomme l'amour? Rien ne serait p us puéril, rien ne serait plus impossible, grâce x excellentes habitudes qu'ont prises aujour- ‘hui tous les esprits de bonne foi. Ce menu fait de l’exsertion de l'organe de beille mâle, qui ne peut avoir lieu qu'à la ite du gonflement des vésicules trachéennes, ous l'admettrons évidemment puisqu'il est incontestable. Mais si nous nous en conten- ons, si nous ne regardions plus rien par de a, si nous en induisions que toute pensée qui a trop loin ou trop haut a nécessairement tort : … et que la vérité se trouve toujours dans le détail matériel, si nous ne cherchions pas, : 20. : en représente mille autres et toute notre * È | gerons l’explication physiologique pour ne + relenir et ne goûter que l'émotion de ce vol +2 OS Æ LA VIE DES ABEILLES n'importe où, dans des incertitudes souvent plus étendues que celles que la petite explica- tion nous a forcé d'abandonner, par exemple dans l'étrange mystère de la fécondation croisée, dans la perpétuité de l’espèce et de la vie, dans le plan de la nature, sinous n'y cherchions pas une suite à celle explication, un prolongement de beauté et de grandeur dans l’inconnu, j'ose presque assurer que nous passerions notre exis- tence à une plus grande distance de la vérité que ceux-là mèmes qui s'obstinent aveuglé- ment dans l'interprétation poétique ét tout imaginaire de ces noces merveilleuses. Ils se trompent évidemment sur la forme ou la nuance de la vérité, mais beaucoup mieux que ceux qui se flattent de la tenir tout entière dans la main, ils vivent sous son impression et dans son atmosphère. Ils sont préparés à la recevoir, il y à en eux un espace plus hospitalier, et s'ils ne la voient pas, ils tendent du moinsles yeux vers le lieu de beauté et de grandeur où 1l es salu- taire de’ croire qu'elle se trouve. Nousi ignorons la fin de la nature quiest pour nous la vérité qui domine toutes les autres. Mais, pour l'amour même de cette vérité, pour. entretenir en notre âme L'ardeur de sa recher- che, il est nécessaire que nous la croyions } Le ML Pa den NN se CPR 1 TCÉ=-NS TE TS *4 ii mn ET à LÉ dE Pen 4 NETTETÉ AE si, un jour nous reconnaissons que VO: ; fait fausse route, qu'elle est pelite 0] érente, ce sera grâce à l'animation que avait donnée sa ndin présumée que _découvrirons sa petitesse, et cette peti- sse, quand elle sera certaine, nous enseignera s ans, Et ut le dernier mot de 1 Hiceei serait misérable, ce ne sera nn sue choix qu'il subit ou qu'il fait souvent ‘éfléchir et auquel il se tient, détermine la me et la conduite de tout ce qui pénètre en cœur, la mort ou la Lis qui le dede ce ciel de septembre que nous regardons, ce jardin superbe et charmant, où l’on voit, comm dans la Psyché de Corneille, « des berceaux de verdure soutenus par des termes dorés, » lé troupeau qui pait et le berger qui dort, Les der: nières maisons du village, l'océan entre les arbres, tout s’abaisse ou se redresse, touts’ or e ou se dépouille avant d'entrer en nous, selon 1& pelit signe que lui fait notre choix. Apprenons à choisir l'apparence. Au déclin d’une vie où j'ai tant cherché la menue vérité et la cause phyà sique, je commence à chérir, non pas ce qui éloigne d’elles, mais ce qui les précède, et sur tout ce qui les dépasse un peu. . «Nous élions arrivés au sommet d’un plateauk de ce pays de Caux, en Normandie, qui est sou +. ple comme un parc anglais, mais un Be na 4 d’une us qui s’élendait jusqu'à mer, Me paysans édifiaient une meule. surdez, me ditail : $ vus d'ici, ils sont r ou portal, qui es par excellence le monu- j à Le de chant ee paroles qui répond au noble chantdes feuilles qui parlent sur nos têtes. Au-dessus d'eux, le ciel est magnifique, comme : . si des esprits bienveillants, munis de palmes _ de feu, avaient balayé toute Ia lumière du côté _ de la meule pour éclairer plus longtemps le _ travail. Et la trace des palmes est restée dans dE. l'azur. se 4. es Le qui les _—. et ES Er : Regardez l'homme qui en les chevaux, le corps de celui qui tend la gerbe sur la four che, les femmes penchées sur le blé et les en fants qui jouent... Ils n'ont pas déplacé une. pierre, remué une pelletée de terre pour em- | bellir le paysage; ils ne font pas un pas, ne plantent pas un arbre, ne sèment pas une fleur « qui ne soient nécessaires. Tout ce tableau n ‘est. : que le résultat involontaire de l’ effortde l’homr me pour subsister un moment dans la nature; et. cependant, ceux d'entre nous qui n’ont d'autre « ; souci que d'imaginer ou de créer des spectacles - 1 de paix, de grâce ou de pensée profonde, n’ont rien trouvé de plus parfait, et viennent sim- | plement peindre ou décrire ceci quand ils veu- lent nous représenter de la beauté ou du bon- ! heur. Voilà la première apparence que quelques- » uns appellent la vérité. » VAUT HE Euk men. a 0 NE XI « Approchons. Saisissez-vous le chant qui ré- pondait si bien au feuillage des grands arbres? Il est formé de gros mots et d’injures; et quand le rire éclate c’est qu’un homme, qu’une femme 3 lance une ordure ou qu'on se moque du plus | 1 bossu qui ne peut soulever son far- boiteux qu’on renverse, de l'idiot qu’on Je les observe depuis bien des années. Nous mes en Normandie, la terre est grasse et cile. Il y a autour de cette meule un peu plus de bien-être que n’en suppose ailleurs une seène de ce genre. Par conséquent, la plupart des hommes sont alcooliques, beaucoup de emmes le sont aussi. Un autre poison que je n'ai pas besoin de nommer, corrode encore la ace. On lui doit, ainsi qu'à l'alcool, ces enfants jue vous voyez-là. Ce nabot, ce scrofuleux, ce neux, ce bec-de-lièvre et cet hydrocéphale. de jen maitres une ane recuite et enr et, s'ils ont à leur tour des valets, ils profiten de l'expérience de la servitude pour surpasser la dureté et l’avarice dont ils ont souffert. «Je pourrais vous faire le détail des mesqu neries, des fourberies, des tyrannies, des injus- tices, des rancunes qui animent ce travail baign “d'espace et de paix. Ne croyez pas que la vu -de ce ciel admirable, de la mer qui étaie derrièr l'église un autre ciel plus sensible qui cot sur la terre comme un grand miroir de cons= cience et de sagesse, ne croyez pas que cela les étende ou les élève. Ils ne l'ont jamais rep rE Rien ne remue et ne mène leurs pensées, sinon 6 trois ou quatre craintes circonscrites : crainte de. | | la faim, crainte de la force, de l'opinion et de * la loi, et à l'heure de la mort, la terreur de l'en- fer. Pour montrer ce qu'ils sont, il faudrait le prendre un à un. Tenez, ce grand à gauche qui a l’air jovial et lance de si belles gerbes. L'été dernier, ses amis-lui cassèrent le bras droit dan une rixe d’auberge. J'ai réduit la fracture q élait mauvaise et compliquée. Je l'ai soign longtemps, je lui ai donné de quoi vivre e attendant qu'il pût se remettre au travail. I venait chez moi tous les jours. Il-en a profit * . Mais je pense de mon bon porte- o! rche ne comprenait point pourquoi je le oignais sans en tirer profit. Il soupçonne quel- que manigance et n'entend pas être dupe. Plus d'un, plus riche ou plus pauvre, avait fait de mème avant lui, ou pis. Il ne croyait pas men- r en don ses inventions, il obéissait à un re confus de la moralité envirennante. Il répondait sans le savoir, et pour ainsi dire De Lu au désir ne de la mal- Xi Asseyons-nous sur ces gerbes, poursuivil il, et regardons encore. Ne rejetons aucun de pelits faits qui forment la réalité que j'ai dite _Laissons-les s'éloigner d'eux-mêmes dans l'es pace. Ils encombrent le premier plan, mais 1 faut reconnaître qu’il y a derrière eux une grande force bien admirable qui maintient tou l’ensemble. Le maintient-elle seulement, ne l’élève-t-elle pas? Ces hommes que nou voyons ne sont plus tout à fait les animaux. farouches de La Bruyère « qui avaient comme M une voix articulée, et se retiraient la nuit dans des tanières, où ils vivaient de pain noir, £ eau à et de racines... » _ « La race me direz-vous, est moins forte et moins saine, C'est possible; l’alcool et l'autre fléau sont des accidents que l’humanité doit dépasser, peut-être des épreuves dont tels de nos organes, les organes nerveux par exemple, tireront bénéfice, car régulièrement nous. voyons la vie profiter des maux qu'elle sur- | monte. Au surplus, un rien, qu’on peut trou- ver demain, suffira à les rendre inoffensifs. Ce à Er qui est | et'bas est déjà meilleur que ce qui n’est pas. Ils n’en usent guère que pour . le semblait vouloir élan mais, au du compte, de tout ce mal résulte toujours n certäin bien. Du reste, je ne tiens nullement prouver le progrès; selon l'endroit d’où on le onsidère, c'est une chose très petite ou très ande. Rendre un peu moins servile, un peu ins pénible la condition humaine, c’est un it énorme, c'est peut-être l'idéal le plus mais, évaluée par l'esprit un instant dé- é des conséquences matérielles, la distance tre l’homme qui marche à la tête du pro- grès eb ai qui se j trié aveuglément à suite, n'est pas considérable. Parmi ces jeun rustres dont le cerveau n’est hanté que d'id informes, il en est plusieurs où se trouve la possibilité d'atteindre en peu de temps le degré de conscience où nous vivons tous deu On est souvent frappé de l'intervalle insigni- fiant qui sépare l'inconscience de ces gens, que l’on s'imagine complète, de la conscien que l’on croit le plus élevée. « D'ailleurs, de quoi est-elle faite cetle con science dont nous sommes si fiers ? De beau- coup plus d'ombre que de lumière, de bea coup plus d'ignorance acquise que de science, de beaucoup plus de choses dont nous savons qu'il faut renôncer à les connaître que de » choses que nous connaissons. Pourtant, “a Vous me détruirez peut-être, mais, sicene pour former de mes débris un nee meil-! LE VOL NUPTIAL m ide Pespace à laquelle j’ buis vous apprendra que vous avez élé jugé. Et si vous n'êtes même pas capable de vous soucier d'être ugé Justement, qu'importe votre secret? Nous ne tenons plus à le pénétrer. IL doit ètre stu- pide et hideux. Vous avez produit, par hasard, un être que vous n'aviez pas qualité pour pro- duire. Il est heureux pour lui que vous l’ayez _ supprimé par un hasard contraire, avant qu'il _ ait mesuré le fond de votre inconscience, plus heureux encore qu'il ne survive pas à la série infinie de vos expériences affreuses. Il n'avait rien à faire dans un monde où son intelligence * ne répondait à aucune intelligence éternelle, - où son désir du mieux ne pouvait arriver à aucun bien réel. _« Encore une fois, le progrès n’est pas néces- Saire pour que le spectacle nous passionne. énigme suffit, et cette énigme est aussi tout-puissant. Ce principe, de siècle en siècle, : nous modifions son épithèle. Il en a eu qui . étaient précises et consolantes. On a reconnu enseigné ds milliers d'antes Bones. c’est à lui donner un nom plus vaste, plu proche de nous, plus flexible, plus docile à l'attente et à l'imprévu. C’est celui qu’il porte aujourd'hui; et c'est pourquoi il ne parut jamais plus grand. Voilà l’un des nombreux aspects de la troisième apparence, el c'est la dernière vérité. : des la fécondation des reines, si le ciel e existence out nr pro- Fi ge es et indélicats : satisfaits, ventrus, en- >rant les allées, obstruant les passages, mbarrassant le travail, bousculant, bous- 28 LA VIE DES ABEILLES culés, ahuris: importants, tout gonflés d'u mépris étourdi et sans malice, mais mépri: avec intelligence et arrière-pensée, inconscients de l'exaspération qui s'accumule ct du destin qui les attend. Ils choisissent pour y som meiller à l'aise le coin le plus tiède de la de meure, se lèvent nonchalamment pour alle humer à même les cellules ouvertes le miel 1 plus parfumé, ét souillent de leurs excréments les rayons qu'ils fréquentent. Les patientes ou- vrières regardent l’avenir et réparent les dégâts | en silence. De midi à trois heures, quand la” campagne bleuie tremble de lassitude heureuse … sous le regard invincible d'un soleil de juillet # ou d'août, ils paraissent sur le seuil. Ils ontun casque fait d'énormes perles noires, deux hauts panaches animés, un pourpoint de velours fauve et frotté de lumière, une toison héroïque, un quadruple manteau rigide et translucide Ils font un bruit terrible, écartent les senti nelles, renversent les ventileuses, culbuten les ouvrières qui reviennent chargées de leu humble butin. Ils ont l'allure affairée, extrava=z « gante et intolérante de dieux indispensables « qui sortent en tumulte vers quelque grand * dessein ignoré du vulgaire. Un à un, ils affrontent l’espace, glorieux, irrésistibles, et elliers, plongent la tête jusqu'au cou dans les uves à miel, s’enflent comme des .amphores pour réparer leurs forces épuisées, et re- gagnent à pas alourdis le bon sommeil sans . rêve et sans soucis qui les recueille jusqu'au. _ prochain repas... Br de Hsioe. 1 gros oisifs endormis en grappes insoucieuses sur les murailles | mellifères sont brusquement tirés de leur sommeil par une armée de vierges irritées. ‘Ils se réveillent, béats et incertains, ils n'en … croient pas leurs yeux, et leur étonnement a À peine à se faire jour à travers leur paresse comme un rayon de lune à travers l'eau d'un marécage. [ls s’imaginent qu'ils sont victimes d'une erreur, regardent autour d'eux avec stu- péfaction, et, l’idée-mère de leur vie se rani- «# mant d’abord en leurs cerveaux épais, ils font * un pas.vers les cuves à miel pour s’y récon- forter. Mais il n’est plus, le temps du miel de «# mai, du vin-fleur des tilleuls, de la franche : + ambroisie de la sauge, du serpolet, du trèfle blanc, des marjolaines. Au lieu du libre accès aux bons réservoirs pleins qui ouvraient sous leur bouche leurs margelles de cire complai- santes et sucrées, ils trouvent tout autour une ardente broussaille de dards empoisonnés qui se hérissent. L’atmosphère de la ville est changée. Le parfum amical du nectar a fait place à l’âcre odeur du venin dont les mille gouttelettes scintillent au bout des aiguillons et propagent la rancune et la haine. Avant qu'il se soit rendu compte de l'effondrement inouï de tout son destin plantureux, dans le boule- = - b AL SE ET DETTE NES Der TAN PES RES AE, EEE et TORRES EE PORN Er EN GR TT x ailes, à scier le péliole qui relie l'abdomen et à . les antennes fébriles, à eur masse obtuse aux coups qui les accablent. Renversés sur le dos, ils agitent gauchement, È sent que la loi profonde et sèche de la na- . Les ailes des malheureux sont lacérées, innocente arrogance de l'été, maintenant : donc par Ja souffrance, ne reflèten la détresse et l’ angoisse de la fin. Les uns : ue ; combent à leurs blessures et sont immédiate | ment emporltés par deux. ou trois de leur : bourreaux aux cimetières lointains. D'autres, moins atteints, parviennent à se réfugier dans un coin où ils s'entassent et où une garde inexorable les bloque jusqu'à ce qu'ils . meurent de misère. Beaucoup réussissent | gagner la porte et à s'échapper dans l'espac x en entraînant leurs adversaires, mais, vers le | soir, pressés par la faim et le froid; ils re: viennent en foule à l'entrée de la ruche implo- . rer un abri. Ils y rencontrent une autre garde inflexible. Le lendemain, à leur première « sortie, les ouvrières déblayent le seuil où s’a- * moncellent-les cadavres des géants inutiles, et le souvenir de la race oisive s'éteint dans la. cité jusqu’ au printemps suivant. à III 2 Souvent le massacre a lieu le même jour dans un grand nombre de colonies du rucher. Les plus riches, les mieux gouvernées, en. donnent le signal. Quelques jours après, les 5 peuplades les plus pauvres, les plus celles dont la mère est très vieille et n groupe affamé et étroitement enlacé qui en silence, dans l'ombre de la ruche, “Le miel re pour compléter ris indispensables, An | EE A — On cesse de 0 ! . ss ont La es et les vents incl ments, les brumes du matin, les embüch de l'ombre trop prompte, emportent des ce taines de travailleuses qui ne reviennent plu et tout le petit peuple, aussi avide de soleil « que les cigales de l’Attique, sent s étendre sur. lui la menace froide de l'hiver. “4 L'homme a prélevé sa part de la SAT à Chacune des bonnes ruches lui a offert quatre=* vingts ou cent livres de miel, et les plus mer-b veilleuses en donnent parfois deux cents, qui. représentent d'énormes nappes de lumière à liquéfiée, d'immenses champs de fleurs visitée 1 une à une, mille fois chaque jour. Maintenant il jette un dernier coup d'œil aux colonies qui. s’engourdissent. Il enlève aux plus riches leurs® trésors superflus pour les distribuer à celles” qu'ont appauvries des infortunes, toujours im" | méritées, dans ce monde laborieux: Il couvre! | chaudement les demeures, ferme à demi les” porles, enlève les cadres inutiles et livre le abeilles à leur grand sommeil hivernal. EI se rassemblent alors au centre de la ruche, s contractent et se suspendent aux rayons q renferment les urnes fidèles, d'où sortira, pen + in i de suite jusqu'au dernier qui forme Dre: ue les abeilles de cette enve- sphère tiède et fauve, que scindent les ailles de miel, et qui monte ou descend, | e ou recule d’une manière insensible à re que s'épuisent les cellules où elle s’at- er au soniraire de ce a croit entie. mais non pas arrêtée . pus . dehors, s leur sphère une chaleur invariable et e à celle d'une journée -de printemps. Ce RER UP RTE RE ES = elles entretiennent- maintenant revient à sa forme première. IL ir -cule dans la sphère comme un sang généret de cœurs. Il tient lieu de soleil et de fleur: _renaissent les violettes et les anémones, réveille * doucement les ouvrières pour leur montrer | qu'un rayon de chaleur ai aon pe Les abeilles qui se tiennent sur les alvéoles, débordants l'offrent à leurs voisines, qui transmettent à leur tour. Il passe ainsi de griffe en griffes, de bouche en bouche, et gag les extrémités du groupe, qui n’a qu’une pensé et une destinée éparse et réunie en des milli | jusqu'à ce que son frère aîné, le soleil véritabl du grand printemps réel, glissant par la por entr'ouverte ses premiers regards atliédis © É que l’azur a repris sa place sur le monde, et que | le cercle ininterrompu qui joint la mort à la & vie, vient de faire un tour sur lui: même et de se. ; ranimer. à LE droit de se rapprocher de celle de l'homme; re -pour dénier aux abeilles toute autre intelligence : : sarcophages ou qui sont repré Res pierres et les papyrus égyptiens. Citez-no) instinct admirable, mais une intelligence qui d'espérer avec elle on ne sait quelle destin, LE plus haute que celle de la matière inconscient et soumise. Re as Ce n’est pas seulement le profane qui parie | # ainsi, mais des entomologistes de la valeur de | - Kirby et Spence ont usé du même. sims} ë que celle qui s'agite vaguement dans l'étroite + Prison d'un instinct eo invariable. | tier à la cire et à la punis et nous cl & drons qu'elles sont capables de raisonner. > 00 Cet argument, que Romanes appelle « The question begging argument », et qu ‘on pourrait : mel = ee insatiable », est. Re ia tre de certains arbres, observa que … abeilles avaient complètement renoncé à : : ue: et n’usaient plus que ER % . aux environs de leur Ha FH - et la raie de la science & te Re . 260 afin d'aider à l'astine de tes et de nymphes, qui en consomment énorméme répandent une certaine quantité de farine proximité du rucher. 11 est évident qu'à l'é de nature, au sein de leurs forêts natales owdes vallées asiatiques où elles virent probab) ment le jour à l’époque tertiaire, elles non jamais rencontré une substance de ce genre « Néanmoins, si l’on a soin d’en « amorcer quelques-unes, en les posant sur la farine répandue, elles la tâtent, la goûtent, recon- naissent.ses qualités à peu près équivalentes à | celles de la poussière des anthères, retournent à la ruche, annoncent la nouvelle à leurs | sœurs, et voilà que toutes les butineuses ac- É courent à cet aliment inatfendu et incompré-. hensible qui, dans leur mémoire héréditaire, doit être inséparable du calice des fleurs où, depuis tant de siècles, leur volest si voluptueu- sement et si somptueusement accueilli. , Mn ni CRTC get | 4 É “à 4 Ë # + >: ci cent ans à peine, c’est-à-dire depuis squante ans que 1 Le perfrclionnements du & kr rogée? Ne SaVOnS-nous pas que ne s évo! t d’une espèce, un siècie se ee cou une go la vie de la matière universelle, les irénat passent aussi vite que les années sur r l'histo d’un peuple? | : III Mais il n’est pas établi que rien n’ait chang dans les habitudes de l'abeille. À les examine sans parti pris, et sans sortir du petit champ 4 éclairé par notre expérience actuelle, on trou- 4 “vera, au contraire, des varialions très sensibles. € Et qui dira celles qui nous échappent? Un : observateur qui aurait environ cent. cinquante _fois notre hauteur et à peu près sept cent mille ‘ fois notre importance (ce sont les rapports d ni. notre taille et de notre poids à ceux de humble « mouche à miel), UE n'entendrait pas notre. | lieu dans les deux derniers liers de ce siècles mais comment pourrait-il se faire une idée de À 4 “re un qu'occupe l'abeille domestique dans la on scientifique : se Insectes. Ordr rt Hyménoptères. Famille. . . Apides. 2er er, Apis. * $ * Mellifica. ee des plus us toutes les Apides, sauf Da : | Haetel ee étant mellifiques. Res re dit: quelles il lui a fallu pp Lost espèces ne diffèrent pas beaucoup plus ent elles qu'un Anglais ne diffère d’un Espagnol nos premières remarques, nous ne constatero: ici que ce que voient nos propres yeux, et dan: _ce moment même, sans le secours d'aucun hypothèse, quelque vraisemblable et impérieus qu'elle soit. Nous ne passerons pas en revu tous les faits qu’on pourrait invoquer. Rapi .dement énumérés, quelques-uns des plussigni ficatifs suffiront. | IV < Et d’abord, l'amélioration la plus importante etla plus radicale, qui correspondrait chez - l'homme à d'immenses travaux :la protection extérieure de la communauté. 5 Les abeilles n’habitent pas comme nous des. | “ * $ M D: % é % a 2 a villés à ciel cuvert et livrées aux caprices du « vent et de l'orage, mais des cités recouvertes tout entières d’une enveloppe protectrice. Or, à l’état de nature et sous un climat idéal, il . n'en va pas ainsi. Si elles n’écoutaiént que le Les e à cét instinct, et on a trouvé des _qui vivaient ainsi à l'air libre au l'un buisson!. Ô PE 0 Dos s, même aux Indes, cette habitude qui e pa a ue pause RÉLAUER Elle e cas est même assez fréquent parmi les essaims aires et tertiaires, car ils sont moins expérimentés et prudents que l'essaim primaire. Ils ont à leur tête ine vierge ef Volage et sont presque entièrement com- de très jeunes abeilles en qui l'instinct primitif parle Par contré, le Hide sh lai perm ‘en ( lier quatre ou cinq et davantage, et ren fc d'autant la population. et la prospérité d colonie. Aussi, toutes les races d’abeilles. régions froides et tempérées, ont-elles presqu complètement abandonné cette méthode prin tive. Il est évident que la sélection naturel sanctionné l'initiative intelligente de l'i insecte, en ne laissant survivre à nos hivers que les tribus les plus nombreuses et les mieux pr tégées. Ce qui n'avait été qu’une idée contrai à l'instinct, est devenu peu à peu une habitu instinclive. Mais il n’est pas moins vrai q ce fut d'abord une idée audacieuse et proba* blement pleine d’ebservations, d'expériences et de raisonnements, que de renoncer ainsi à la vaste lumière naturelle et adorée pour so ; fixer aux creux obscurs d’une souche ou d' une. caverne. On pourrait presque dire qu sie fut, #1 fe Me domestique, que l° invention du feu à Léa à à genre humain. grand progrès, qui tout en étant héréditaire demeure néanmoins e rs immédiate et surprenante elles % A Æ', agina de leur offrir. Jci, l’utilisation ingé- n 5 substance malléable, péniblement ée par des organes spéciaux de notre 268 dépose au sein d’une cité fabuleuse. reconnaissons qu’elle est faite d’une subs pareille à celle que nous sécrétons, mais pot out le reste, c'est un as: dont la logi | et annee et plus rca que ne se _l'incohérence. Notre plan ordinaire sy rm trouve, tout y est selon notre attente, mai n'y est qu'en -puissance et pour ainsi d écrasé par une force prénatale qui l’a arrê dans l’ébauche et empêché de s'épanouir. Li maisons qui doivent compter quatre ou cin mètres de hauteur forment de pelits es ments que nos deux mains peuvent recouvrir. Des milliers de murailles sont marquées par | un trait qui renferme à la fois leur contour etla … malière dont elles scront bâties. Atlleurs, il y! a de grandes irrégularités qu'il faudra rectifier, “ “des gouffres qu'il faudra combler et raccorder: harmonieusement à l’ensemble, de vastes sur- 3 faces branlantes qu'il sera nécessaire Tree Car l’œuvre est inespérée, mais fruste et dan- gereuse. Elle a été conçue par une intelligence # souveraine qui a deviné la plupart de nos” désirs, mais qui, gènée par son a même, n'a pu les réaliser fort ere | d | 2 une providence magnifique. Pour- . à peu près ce que font Les abeilles « propres à 7 ruche et qui parais- na! FAR elle n'ait pas encore achevé ke passer de lune | Arras et d'adopter définitivement 1 meilleure. LR 270 LA VIE DES 7” de ÿ rations, etc. un. à côté de ces fils qui pas assez déterminés, il en est d’ autres, | ) tants et-précis, qui montrent que toutes 1 races de l'abeille domestique ne sont pas à vées au même degré de civilisation politt qu'on en trouve où l'esprit public tâtonn cacore et cherche peut-être une autre-solu au problème royal. L’abeille syrienne, p exemple, élève d'ordinaire cent vingt reines et souvent davantage. Au lieu que notre Api mellifica, en élève, au plus, dix ou do Cheshire nous parle d’une ruche syrienne, m - lement anormale, où l’on découvrit vingt et une reines-mères mortes el quatre-vingt-dix reines vivantes et libres. Voilà le point de départ ou d'arrivée d’une évolution sociale. assez étrange et qu'il serait intér essant d élu: dier à fond. Ajoutons que sous le rap4 port de l'élevage des reines, l’abeille chy= priote se rapproche beaucoup de la syrienne“ Est-ce un retour, encore incertain, à l'oliga + chie après l'expérience monarchique, à là maternité multiple après l'unique? Toujours est-il que l'abeille syrienne et chypriote, très proches parentes de l’égyplienne et de l'ita: lienne, sont probablement les premières que al +3 la ruche, ne Sent pas le él ts roue mécaniquement + a | . re abeille noire change corpläfée : nt ses habitudes. Dès la seconde où la sième année, ayant constaté que l'été est pétuel, que les fleurs ne font jamais ut, elle vit au jour le jour, se contente de ler le miel et Je ue nécessaires à 1 Fait analogue signalé par Büchner, et prouvant l'adap- Es n aux circonstances, non pas lente, séculaire, incons- te et fatule, mais immédiate et intelligente : à la Bar ue, au milieu des raffineries où durant toute l’année elles - vent le sucre en abondance, elles cessent complète- t de visiter les fleurs. n 19 —?! ro LA VIE DES ABE entretenir son activité qu'en fui : mesure le fruit de son travail. VII Voilà ce que nous pouvons voir de n yeux. On conviendra qu'il y a là quelque _- faits Lopiques et propres à ébranler l'opinion de ceux qui se persuadent que toute intelligence est immobile et (out avenir immuable, hormis l'intelligence et l’avenir de l'homme. Mais si nous acceptons un inslant l'hypo- thèse du transformisme, le spectacle s'étend et « “sa lueur douteuse et grandiose atteint bientôt nos propres destinées. Il n'est pas évident, mais à qui l’observe attentivement, il est dif- ficile de ne pas reconnaître qu'il y à dans la. nature une volonté qui tend à élever une por- tion de la matière à un état plus subtil et : peut-être meilleur, à pénétrer peu à peu sa # _ surface d'un fluide plein de mystère que nous appelons d'abord la vie, ensuite l'instinet, et © peu après l'intelligence; à assurer, à organiser, - à faciliter l'existence de tout ce qui s'anime pour un but inconnu. Il n’est pas certain, mais © beaucoup d'exemples que nous voyons autour * 71 LA te pau Un EE CAN 0 EEE MTS évaluer Fe quantilé Fr ben qui | DHéne. s’est ainsi élevée; on trouve- w'elle n'a cessé d' accroître. Je le répète, sée 4 oué de au où l'on vit. - tre > que dans pont ans ie des sc 1e 1 œuvres des philosophes du siècle re d'un homme trop es et qui. _ lorsqu'on ne peut savoir la ingénieuses, il RTE ‘Fi sage de di e. simplement la vérité pe qui est a onn que s'il était prouvé qu'on ne saura jamais. attendant, elle nous maintiendrait dans une# immobilité plus funeste que les plus fâcheuses illusions. Nous sommes ainsi faits que rien ne nous entraîne plus loin ni plus haut que les bonds de nos erreurs. Au fond, le peu que nous avons appris, nous le devons à des hypothèses É toujours hasardeuses, souvent absurdes, ets pour la plupart moins circonspectes que celle à d'aujourd'hui. Elles étaient peut-être insen- sées mais elles ont entretenu l'ardeur de las recherche. Que celui qui veille au foyer de. . l'hôtellerie humaine soit aveugle outrès vieux, qu'importe au voyageur qui a froid et vient - s'asseoir à ses côtés? Si le feu ne s’est pas * éteint sous sa garde, il a fait ce qu'aurait pu endue des cieux. Que lui oppose- -t-on et à mettre à sa re si nous la 1 sse ou corbeille re j'ai revu les Plus d'une fois, il me promena parmi ses terres multicolores, dessinés et entrete comme au temps du père Cats, le bon poël hollandais, prosaïque et intarissable. fils fo _ maient des rosaces, des étoiles, des guirland des pendeloques et des girandoles au pi d'une aubépine ou d’un arbre fruitier taillé « boule, en pyramide ou en quenouille, et le bui vigilant comme un chien de berger, courait long des bords pour empêcher les fleurs d’e vahir les allées. J'y appris les noms et les“ habitudes des indépendantes butineuses que. nous ne regardons jamais, les prenant pour desk mouches vulgaires, des guêpes malfaisantes ou des coléoptères stupides. Et pourtant chacune” d'elles porte sous la double paire d'ailes qui la. F caractérise au pays des insectes, un plan de. vie, les outils et l’idée d'un dit différent et! souvent merveilleux. Voici d’abord les plus! proches parents de nos abeilles domestiques, les Bourdons hirsutes et trapus, parfois minus- cules, presque toujours énormes et couverts, comme les hommes primitifs, d’un informe ‘2 sayon que cerclent des arñneaux de cuivre ou de 4 … ur cb passe un monstre vêtu de ténèbres. 11 d’un feu sombre, vert et violacé : c’est la c ime qu'ila choisie, lé rence, presque ns, et toujours Facéaplés: de lourdes charges ds lambeaux de pourpre, pour en ne é: n°2 24 " x "a ; 7 A ed 4 22 = abeïlle, la plus petite de toutes, un grain d poudre qui plane sur quatre ailes électriqu É la Mégachile centuneulaire, découpe dans les! feuilles du rosier des demi-cercles parfaits qu' ) croirait enlevés à l’emporte-pièce, les ploie, le ajuste et en forme un étui composé d’une suite. de petits dés à coudre admirablement régu liers, dont chacun est la cellule d'une larve Mais un livre entier suffirait à peine à énumére les habitudes et les talents divers de la foul altérée de miel qui s’agite en tous sens sur le fleurs avides et passives, fiancées enchaînée qui attendent le message d'amour que des hôte distraits leur apportent. On connaît environ quatre mille cinq cents L: espèces d'abeilles sauvages. Il va de soi que ê nous ne les passerons pas en revue. Peut-être É. qu'un jour, une étude approfondie, des obser- | vations et des expériences qu'on n’a pas faites | ho ici et qui nb pas d'une 0 nous nous contenterons set apiles que nous emploierons tour à tour et a nos + e inmtons à la classification de M. Émile Blanchard. Latribu ne comprend toutes les familles d'abeilles. Les apides rment la première de ces familles et se subdivisent en-trois $ : Les Méliponiles, les Apiles et les Bombiles (Bour- . Enûn les Apiles renferment les SEE variétés de mystères, peut-être l’avez-vous vue plus d'une jolie et vive; la plus abondante en France Re BEI M ra abeilles que nous connaissons RS huis L'infortunée Prosopis est à peu près à l’ha tante de nos ruches ce que ‘serait l'homme de cavernes aux heureux de nos grandes ville Peut-être, sans y prendre garde, et sans vou douter que vous aviez devant vous la véné- rable aïeule à laquelle nous devons probable- ment la plupart de nos fleurs et de nos fruits. — (On estime en effet que plus de cent mille espèces de plantes disparaîtraient si les abeïlles ne les visitaient point,) et qui sait? notre civili- sation même, car tout s'enchaîne dans ces. Das nets de LATE fois dans un coin abandonné de votre jardin où elle s’agitait autour des broussailles. Elle est est élégamment lachetée de blanc sur fond : noir. Mais cette élégance cache un dénment incroyable. Elle mène une vie famélique. Elle est presque nue alors que toutes ses sœurs sont ! vêlues de toisons chaudes et somptueuses. Elle “ ne possède aucun instrument de travail. Elle 4 n'a pas de corbeilles pour récolter le pollen comme les Apides, ou, à leur défaut, la houppe coxale des Andrènes, ou la brosse ventrale des PR et de PR D ETAT A L PERRET 7 LS ue n nous ne connaissons pas davantage, s'en va mourir rss un coin, seule au cteur de pollen, poils, houppes, brosses les, tarsiennes.et ventrales, poindre el se ment d É intelligence sociale. + Nous avons vu voleter la malheureuse sopis, qui porte en silence dans ce vaslet vers plein de forces effrayantes son. pel destin solitaire. Un certain nombre de ses sœurs, appartenant à des races déjà mieux | | utiles et plus habiles, par exemple les Col-: lètes bien vêlues, ou la merveilleuse coupeuse des feuilles du rosier, la Mégachile centuncu-* Jaire, vivent dans un isolement aussi profonc el si, par hasard, quelqu’un s'attache à elles vient parlager leur demeure, c'est un ennemi ou plus souvent un parasite. Car le monde” des abeilles est peuplé de fantômes. plu étranges que les nôtres, et mainte espèce. ainsi une sorte de double mystérieux et ina - lif, exactement pareil à la victime qu'il choisit, sa paresse immémoriale lui eu un à un tous ses à de un nom un - peu bran catégorique les s solitaires, pareil à une flamme écrasée es et parfois bizarres, comme pour le 0 nailre, il parvient à percer le bûcher l'opprime et qui, un jour, nourrira son ue D. le plus otériet de la ma- re. Il s'agit de passer de la vie égoïste, pré- k Pen romplèle Ne DRE fraternelle, un | Exemples. — Les Bourdons, qui ont pour parasites les iyres, Les Stélides qui vivent au détriment des Anthi- _« On est obligé d'admettre, dit fort justement J. Perez Abeilles) à propos de l'identité iréquente du para- et de sa victime, on est obligé d'admettre que les deux n es [ne ons que deux formes d' un mme type, et Pace. ont séparé par le corps, .d obtenir q l'individu se sacrifice à l'espèce et de substil ce qui ne se voit pas aux choses qui se voie Est-il étonnant que les abeilles ne réalisent pas du premier coup ce que nous, qui nous trous vons au point privilégié d'où l'instinct rayont de toutes parts dans la conscience, n'avons p: encore, démêlé? Aussi est-il curieux, presqu touchant, de voir comme l’idée nouvelle tà- tonne d’abord dans les ténèbres qui enve= loppent tout ce qui naît sur cette terre. Elle so de la matière, elle est encore toute matérielle. » Elle n’est que du froid, de la faim, de la peur « transformés en une chose qui n’a pas encore X _ de figure. Elle rampe confusément autour des « grands dangers, autour des longues nuits, de * l'approche de l'hiver, d’un sommeil équivoque * qui est presque la mort. XI Les Kylétopes, nous l’avons vu, sont de puis santes abeilles qui taraudent leur nid: dans le - 1 opa ne ‘gfoupés frileusement tige d’Asphodèle, pour passer l'hiver ; imun. Cette fraternité tardive est excep- | . les ner mais, chez leurs À ut, et jusqu'ici, chez les Pass elle n'a pu dépasser celte première ligne e de l'amour. à d'autres Apiens, l’idée qui se cherche d’autres formes. Les Chalicodomes des ars, qui sont des abeilles maçonnes, les £ odes et les Halictes, qui creusent des ter- érs, se réunissent en colonies nombreuses construire leurs nids. Mais c'est une foule re formée de solitaires. Nulle éntente, action commune. Chacun, profondément 616 dans la multitude, bâtit sa demeure pour ul, sans s'occuper de son voisin. « C’est, . J.-Perez, un simple concours d'individus es mêmes goûts, les mêmes aptitudes ras- lent au même endroit, où la maxime de Hn pour soi se pratique dans toute sa gueur; enfin. une cohue de travailleurs rap- ant l’essaim d’une ruche uniquement par le donc F Ste conséquence de gra d d'individus habitant la même localité Mais chez les Panurgues, cousines di podes, un petit trait de lumière jaillit s et éclaire la naissance d'un sentiment n dans l'agglomération fortuite. Elles se re sent à la manière des précédentes et ch fouit pour son compte sa chambre souterr mais l'entrée, le couloir qui de la surface du conduit aux terriers séparés, est commu « Ainsi, dit encore M. Perez, pour ce qui. du read des cellules, chacune se compôr | comme si elle était seule; mais toutes ulilisen la galerie d'accès ; toutes, en ceci, profitent lu travail d’une ee ets’épargnent ainsi le tem] ps êt la peine d'établir chacune une galerie part ; | culière. Il y aurait intérêt à s'assurer si ce {ra- vail préliminaire lui-même ne s'exécuter pas en commun, et si plusieurs femelles ne relayeraient pas pour y prendre part : à tour rôle. » ee Quoi qu'il en soit, l'idée friterlle a percer la paroi qui séparait deux mondes. C n’est plus l'hiver, la faim ou l'horreur de mort qui l'arrache à l'instinct, affolée et mécon naissable ; c’est la vie active qui la suggè à. ji . chemins. Et voici qu'elle ré chez les Bourdons, y màrit, y prend dans une atmosphère différente et opère tiers miracles décisifs. Bourdons, ces grosses abeilles velues, Elle est seule au monde dans le printemps ’éveille. Elle déblaie, creuse, tapisse le L hoisi. Elle façonne ensuite d'assez infor- : cellules de cire, les garnit de miel et de. 1, pond, couve les œufs, soigne et nourrit rves qui éclosent, et bientôt elle est en- d’ une troupe de filles qui l’assistent dans ses travaux du dedans et du dehors, et quelques-unes se mettent à pondre à leur dieuse, mais ce qui, plus que tout, différ n les deux cités, c’est que l’une est permanente ( l'autre éphémère. En effet, celle des Bourde ) périra tout entière à l'automne, ses trois | quatre cents habitants mourront sans laisser trace de leur passage, tout cet effort sera dis- persé, et il n’y survivra qu’une seule femelle qui, au printemps prochain, recommencer dans la même solitude et le même dénuement quê sa mère, le même travail inutile. 1] n'en reste pas moins que cette fois l’idée a pris cons= cience de sa forces — Nous ne la voyons: pas à instant, fidèle à sa coutume, par une pe de métempsycose infatigable, elle va s'incar: É ner, toute frémissante encore de son dernier lriomphe, toute-puissante et presque parfaite, a une: mère nent unique', des ou- s stériles et des mâles. Même, certains ls y sont mieux réglés: Les mâles, par a ple, ne sont pas complètement oisifs, 118 > Do nent d hd 4 dde nuils des une porte la ferme; dans les nuits ; l Most pas titi que le principe de la royauté ou de matérnité unique soit rigoureusemeut respecté chez Méliponites. Blanchard pense avec raison que, étant pourvues d'aigüillon et ne pouvant par conséquent s entre- er aussi facilement que les reines-abeilles, plusieurs Fe probablement daus la même ruche. Mais le er les Mélipones sous notre climat. disparaître devant elles. L'idée fratérn s’est également et magnifiquement épa ‘es a Eu + D [a +3 chap. xvur de ce volume, en y ajoutant: que, dé bornée que chez nos abeilles, et partou introduit celles-ci, les Méliponites ten dans les deux races, excepté sur un point, | chez l’une elle n'a guère dépasssé ce qu avait déjà réalisé dans l'étroite famille Bourdons. Ce point, c'est l'organisation m nique du travail en commun, l’économie cise de l'effort, en un mot l’architecture d cité qui est manifestement inférieure. Il suffir& de rappeler ce que j'en ai dit au Livre HE les ruches de nos Apites, toutes les cellu sont indifféremment propres à lélevage 4 couvain et à l'emmagasinage des PORN | durent aussi longtemps que la cité même, a lieu que chez les Mékponités, elles ne peuv. nf servir qu'à une fin, et celles qui forment berceaux des jeunes nymphes sont détru après l’éclosion de celles-ci. C'est donc chez nos abeilles domestiques’ | l'idée a pris sa forme la plus parfaite; et w un tableau rapide et incomplet des mou ments de cette idée. Ces mouvements son fixés une fois pour toutes dans che ei 4 voulons, penchons plutôt vers Fe its a à espérance, car, s'il fallait absolu- | pue les des désirées seront les plus cer nee Du reste, reconnaissons encore que. rir les yeux. Mille expériences qu'on à :3 faire n “ont pas été tt Par exem- rgues, à. leur tour, dans des circons- s imposées et snormales, passeraient-ils ouloir commun à la chambre commune? nères des Bourdons, hivernées ensemble, un siècle et ta qu'on obébtes les m de cerlaines abeilles sauvages. Réaumur ‘connaissait que quelques-unes, nous en à étudié quelques autres; mais des centaine: milliers peut-être, n’ont été interrogées s- qu'ici que par des voyageurs ignorants Où pressés. Celles que nous connaissons dept les beaux travaux de l’auteur des Mémo n'ont rien chènat à leurs habitudes, et les bourdons qui, vers 1730, se poudraient d'or vibraient comme le délectable murmure 4 soleil, et se gorgeaient de miel dans les jardin$ de Charenton, étaient tout pareils à ceux. " l'avril révenu, bourdonneront demain à qu ques pas de là, dans le bois de Vincennes. de Réaumur à nos jours, c’est un clin d’ œi temps que nous examinons, et plusieurs. Yi d'homme bout à bout ne forment qu’ ‘une = conde dans l’histoire d'une pensée de la nat 1 d ce la perfection absolue, et il ee x possible à tous les génies combi ue *“ ne étrangère à notre lobe venait mander à la terre l’objet le plus parfait de | logique de la vie, il faudrait lui présenter Thumble rayon de miel. {10e - Mais tout n'est pas égal à’ce chef d'œuvre. | QE nous avons noté à la rencontre El stérile qui va du premier cel à la féco dation de la seconde reine, etc., etc. De ces fautes, la plus grave, la seule qui sous nos climats soit presque toujours fatale, c'est | l’essaimage répété. Mais n'oublions pas que sous ce rapport la sélection naturelle de l'abeille domestique est, depuis des milliers d'années, contrariée par l'homme. De l'Egyp- tien du temps des Pharaons à nos paysans d'aujourd'hui, l'éleveur a toujours agi à contre- biais des désirs et des avantages de l'espèce. Les ruches les plus prospères sont celles qui ne | jettent qu'un essaim dès le commencement de l'été. Elles remplissent ainsi leur désir mater- nel, assurent le maintien de la souche, le 1 renouvellement nécessaire des reines, et l'ave-: : nir de l'essaim, qui, nombreux et précoce, a le temps de bâtir des demeures solides et bien approvisionnées avant la venue de l’automme. [1 est certain que livrées à elles-mêmes, ces “4 ruches et leurs rejetons survivant seuls aux = épreuves de l'hiver qui eussent presque régu- lièrement anéanti les colonies animées d’ins- À _tincts différents, la règle de l'essaimage res- à PET males. Mais cé sont précisément ces dentes, opulentes et acclimatées que a toujours détruites pour s'emparer trésor. Il ne laissait et ne laisse encore, pratique routinière, survivre que les ïes, souches épuisées, essaims secon- res ou tertiaires, qui ont à peu près de quoi ‘hiver ou auxquelles il donne quelques de miel pour compléter leurs misé-” rovisions. Ilen est résulté que l'espèce obablement affaiblie, que la tendance à age excessif s’est héréditairement déve- et qu'aujourd'hui presque toutes nos iles, surtout nos abeilles noires, essaiment Depuis quelques années, les méthodes elles de l’apiculture « mobiliste » sont “ combattre celte habitude dangereuse, nd « on voit avec quelle rapidité la sélec- rtificielle agit sur la plupart de nos ani- domestiques, sur les bœufs, les chiens joutons, les chevaux, les pigeons, pour ne pas citer tous, il est permis de croire nt peu nous aurons une race d’abeilles enoncera presque entièrement à l’essai- naturel et tournera toute son activité à : atdrt plus direhont conscience du la vie commune ne pourrail-elle s'en. chir? Il y aurait beaucoup à dire sur ces qui tantôt émanent de l'inconnu dé la . tantôt ne sont qu'une suite de l’essaimage ses erreurs Où nous avons pris part d’après ce qu'il a vu jusqu'ici, chacun son gré accorder ou dénier toute intelli aux abeilles. Je ne tiens pas à les défe me semble qu'en maintes circonstances montrent de l’entendement, mais elles ferai RARIEnNL tout ce qu’elles font que curiosité n’en serait pas amoindrie. Il est ressant de voir un cerveau trouver en À | ressources extrordinaires Pa RS co ü . cela est bien Men t é se 4e ie on les niet à - e véritable au sein de la nature. S. > à ne point s taches à autre chose 2 * 298 gique et HR organisation du ne “une tribu d'êtres qui, par ailleurs, nous & bleraient doués d'une raison éminente. A toute la vie commune, péniblement et insu samment cultivée par deux ou trois dixièm _de la population totale; un autre dixième, abso= lument oisif, absorber la meilleure part des pre duits de ce premier travail: les sept derniers dixièmes, condamnés à ue de perp. tuelle, s’épuiser sans relâche en efforts étrang et stériles dont ils ne profitent jamais et qui nt paraissent servir qu'à rendre plus compliqué 1 et plus inexplicable l'existence des oisifs. Nous. s _eninduirions que la raison et le sens moral de | ces êtres appartiennent à à un monde tout die | à rent du nôtre et qu'ils obéissent à des principes | que nous ne devons pas espérer de comprendre L Mais ne pee pas plus loin cette revue : | de siècle en siècle que l’une d’ elles se rs coue un instant son sommeil, pousse un cri” de stupeur, étire le bras endolori qui soute rt, l'insécurité, la misère, à augmenter le _ être, les chances favorables et l'autorité soire et malheureuse, de la solitude. On < Le nature estime, comme Périclès 2 ni de se be s’il convient que : V'hôti la suive, mais il est certain que partout où d'une idée. ipéeente prend ce chemin « on ne connaît pas le terme. Pour ce qui regarde, il suffira de constater le soin lequel la nature S PR conserver el ne marque un +. à chaque effort heureux, : met en travers du recul qui serait inévitable après l'effort, on ne sait quelles lois spéciales et. _ bienveillantes. Ce progrès, qu'il serait diffci de nier dans les espèces les plus intelligent n'a peut-être d'autre but que son mouvem même et ignore où il va. En tout cas, dans u monde ‘où rien, sinon quelques faits de ce: genre, n'indique une volonté précise, il est assez significatif de voir certains êtres s’él ve ainsi graduellement et continüment, dép le jour où nous avons ouvert les yeux; ur Ps la nuit toute-puissante, c'en serait | pour ne pas regretter le temps consacré à XVIII omène nouveau, ie tout à nb un définitif à cet effort ou définitivement le uise. Cependant suivons notre route commé I + plus lumineuse, dit bouleverser notre Fe, ee les passions, les lois et les 302 resser à ces passions, à ces loiset à ces ne é les gs en noire per à Serres fidèle à qui est par excellence la mission Éaie pr se A. pas au premier rang pour accue sable, mieux que les sa ils sauront coi prendre cette incuriosité et cette résignation définitives et en tirer parti. XIX 05 Et pois < ne poussons pas nos rèves de à ce général n'entre point dans le calcul de nos | bé sognes, non plus que l'assistance Re d’un hasard. Jusqu ct, malgré les promesse +: sai 7. DE DSP + f leur race et transformer leurs déstinées. [les n’en suivent pas moins leur devoir primitif rofond. Et ce sont précisément celles d’entre »S qui obéissent le mieux à ce devoir qui se ouvent lè mieux préparées à profiter de l'in- rvention surnaturelle qui élève aujourd'hui e: ort de leur espèce. Or, il est moins difficile u’on ne croit de découvrir le devoir invincible un être. On peut toujours le lire dans l'organe ii le distingue et auquel sont subordonnés ous les autres. Et de même qu'il est inscrit sur a langue, dans la bouche et dans l'estomac des eilles qu’elles doivent produiree miel, ilest scrit dans nos yeux, dans nos oreilles, dans 304 LA VIE DES ABEILLES nos moelles, dans tous les lobes de notre êle dans tout le système nerveux de notre corp que nous sommes créés pour transformer que nous absorbons des choses de la te en une énergie particulière et d’une quali unique sur ce globe. Nul être, que je sach n'a été agencé pour produire comme nous fluide étrange, que nous appelons pensée, intel ligence, entendement, raison, âme, esprit, pui sance cérébrale, vertu, bonté, justice, savoi car il possède mille noms, bien qu'il n’aib qu'une essence. Tout en nous lui fut sacrifiés Nos muscles, notre santé, l’agilité de no$ membres, l'équilibre de nos fonctions. ani males, la quiétude de notre vie, portent la peine grandissante de sa prépondérance. Il esb l’état le plus précieux et le plus difficile où l’ on puisse élever la matière. La flamme, la cha leur, la lumière, la vie même, puis l'instinct plus subtil que la vie et la plupart des forces insaisissables qui couronnaient le monde avant notre venue, ont pâli au contact de l'effluves nouveau. Nous ne savons où il.nous mène, Se qu'il fera de nous, ce que nous en ferons. Ce sera à lui de nous l’apprendre quand il régnera dans la plénftude de sa force. En attendant, ne pensons qu'à lui donner toutce qu 4h où RS LE PROGRÈS DE L'ESPÈCE 305 le plus clair de nos devoirs. H nous enseignera. les autres par surcroît. Il les nourrira et les - prolongera selon qu'il est nourri lui-même, omme l’eau des hauteurs nourrit et prolonge 2 ruisseaux de la plaine selon l’aliment mys- férieux de sa cime. Ne nous tourmentons pas - de connaître qui tirera parti de la force qui S’accumule ainsi à nos dépens. Les abeilles gnorent si elles mangeront le miel qu'elles ré- oltent. Nous ignorons également qui profi itera de la puissance spiriluelle que nous introdui- - sons dans l'univers. Comme elles vont de fleurs D. n fleurs recueillir plus de miel qu ‘ils n’en faut à elles-mêmes et à leurs enfants, allons aussi de réalités en réalités chercher tout ce qui peut fournir un aliment à cette flamme incom préhen- ible, afin d'être prêts à tout événement dans la certitude du devoir organique accompli. Nour- issons-la de nos sentiments,-de nos passions, le tout ce qui se voit, se sent, s'entend, se tou- he, et de sa propre essence qui est l’idée qu’elle tire des découvertes, des expériences, des obser- vations qu’elle rapporte de tout ce qu'elle visite. Il arrive alors un moment où tout se tourne si {éressée, ni Re l'ardeur de sa recherche. a == Histoire des animaux x (rad. Barthélemy | mie, 308 BIBLIOGRAPH Bonnet (Ch.). — OEuvres Éhistons rare ; = - Schirach (A. G.). — Physikalische untersuchung bishèr un bekannten aber nacher entdeckten Erz gung der Bienenmutter, 4767 KL PES Janscha (A.). — Hinterlassene Voliständige Lehre voi der Bienenzucht, 1773. 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MARETHEUX, imprimeur, {, rue Cassette, — 21138, So 54 us Ne y en FA ne AA, » | | QL Maeterlinck, Maurice | 568 La vie des abeilles % A6GM2 Bio Med | PLEASE DO NOT REMOVE d CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY pe LEL MAY RTE Ed be dr, " hr tas 4 4124 Aie JA DEAR a RUEIL THERE ENT ROMANE Mn EM FRA Le Let AT RS US rh rt ete GATE Cr RAI RMS AN Een Ni TT ESETENNEE TE P RE IET LUE HATION he hs ; $ £ toners lé RAA ei heUEE Lhrtrfe 4 1 \ 2 (AA LEA Ê ti al trade ; ; + Î ie = CALE. HN ANTEE Le 4 nt ; CTAN jréepelt tt DOTE : t LE fe ù are a LA ve (are: Fée pÉ ES ENES nd Ends | … = at AT LR SN SE Dr à raz RSR RATS LE Et EC # ie G r= RESTES EL RÉ ESS te LES Pere Pre SE . REC Le Cond ÉRELE TE TES PE ÉT # e ee De RE DRE Sr PES AT t 1] 1e Le $ PT { iù 1395 st ANNE LAT.: Pere NA SE . ji 14) Fo see 7 Fe ESS 2. SEE ï pe 7 EL ar de > À aps FEAT ESS < ATEN À PAS ru È EURE fi Dates te SET { 8: ? 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