#S ve ses Æ Fos ù LE : 24 : Ne x ; » SE ET L * ù s ; : 2 : * RD mt rte e Das DE “ Lt LA: VIE ET:LA, LUMIÈRE LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN, 1408, boulevard Saint-Germain, PARIS BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE VOLUMES IN-8, CARTONNÉS A L’ANGLAISE ; OUVRAGES A 6, 9 ET 12 FRANCGS. Derniers volumes parus : LANESSAN (J.-L. de), professeur agrégé d'histoire naturelle à la Faculté de medecine de Paris, ancien ministre. Transformisme et créationisme. Contribution à l'histoire du transformisme depuis l'antiquité jusqu'à nos jours. 1 vol.in-8 . . ne MG: CRESSON (A.), docteur ès lettres, professeur au collège Chaptal. L'espèce et son servi- teur (sewualité, moralité). 1 vol in-8, avec 42 grav. . . RS CE PEARSON (K.), professeur au Collège de l'Université de Londres. La grammaire de la science (La physique) Traduit de l'anglais par LUCIEN MARCH. 1-vol. in-8. . . ONE Ouvrages portant sur la biologie : ARLOING, professeur à l'Ecole de médecine de Lyon. 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ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE, DES RADIATIONS ULTRA-VIOLETTES, INFRA-ROUGES, FLUORESCENTES, DES RAYONS X, DU RADIUM ET DES ONDES HERTZIENNES SUR LES ANIMAUX ET SUR LES VÉGÉTAUX. PHOTOTHÉRAPIE. PAR LE D: RAPHAËL DUBOIS Professeur de Physiologie générale à l'Université de Lyon, Directeur du Laboratoire maritime de Physiologie de Tamaris-sur-Mer, Avec 48 figures dans le texte. PARIS\ LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 408 1914 Tous droits de reproduction. de traduction et d'adaptation réserves pour tous pays. SMITHSONIAN INSTITUTION LIBRARIES Bequest of STILLMAN BERRY LA VIE ET LA LUMIÈRE INTRODUCTION L'étude de la production de la lumière par les êtres vi- vants, avec celle de l’action de ses diverses radiations sur les organismes, constituent deux des plus attrayants cha- pitres de cette belle science prophétisée, en 1837, par Du- trochet et véritablement créée plus tard par Claude Bernard, la physiologie générale, qui s'occupe des phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. On a bien tenté, dans ces derniers temps, de remplacer son nom par celui de « dynamique biologique », vraisemblable- ment dans l'espoir de faire croire à quelque nouvelle con- quête scientifique. Cette entreprise, si elle eût réussi, n’eût rien ajouté à la physiologie générale, ni la méthode expéri- mentale, ni le déterminisme scientifique, dont Claude Ber- nard l’avait dotée dès sa naissance. Le mot « dynamique » a en outre le grave inconvénient de faire croire à la légitimité d'une idée reconnue fausse dans ces temps derniers seulement, mais que j'ai personnellement combattue depuis un quart de siècle: le dualisme de la Nature. Pourquoi ne conserverail-on pas le nom de physiologie qui R. Dupois. 1 2 LA VIE ET LA LUMIÈRE remonte à la plus haute antiquité et n’a rien perdu aujour- d’hui encore de son exactitude ? Du temps d’Aristote, on désignait par l'expression of gustohoyo: ceux qui s’occupaient des « choses et des êtres de la Na- ture ». Au premier abord, on peut trouver excessive l'étendue d'un tel programme, mais, avec un peu de réflexion, on ne tarde pas à reconnaître que les phénomènes dont les êtres vivants sont le siège ne peuvent être scientifiquement étu- diés abstraction faite du milieu où ils naissent, vivent et meurent. Or ce milieu n’a véritablement d’autres limites que celles de l'Univers, ou plus exactement de la Nature, c’est-à- dire de cette partie du Tout qui est accessible à notre con- naissance. La lumière qui nous vient d'une étoile située à des millions de lieues provoque dans notre œil une série de phé- nomènes complexes aboutissant à la vision; celle-ci, à son tour, éveille dans l'esprit des idées qui peuvent être bien dif- férentes selon que l'œil récepteur est celui d’un poète, d'un navigateur ou d’un astronome. A l'excitation première suc- cèdent l'impression puis la sensation, suivie d’une perception qui peut rester inconsciente, où, au contraire, devenir con- sciente et provoquer alors l'explosion de multiples et compli- qués phénomènes d’idéation ; et comment? par simple irra- diation dans la profondeur de notre cerveau d'une excitation d'origine stellaire ! Inversement, le rayon lumineux qui s'échappe de cette modeste étoile de l'herbe qu'est notre Ver luisant, fuit vers l'infini avec une vitesse de 300.000 kilomètres par seconde. Et sans la radiation solaire, que serait la Vie à la surface du globe? Il est vrai qu'il est fort difficile de définir ce qu'est la Vie et pourtant ce mot figure en tête de notre ou- vrage. Ce n'est pas que les définitions fassent défaut : il yen a beaucoup au contraire, mais on peut être certain qu'il en est de même et pour les définitions et pour les panacées : si elles sont nombreuses, c’est qu'aucune n’a de véritable valeur, sans quoi les autres disparaîtraient fatalement. INTRODUCTION 5 Ce qui a constitué le plus grand écueil dans cette entre- prise de définir la Vie, c'est qu'on ne peut pas dire véritable- ment où elle commence et où elle finit. L’abime que ligno- rance a creusé entre ce qui vit et ce qui ne vit pas, entre la «matière brute » et la « matière organisée et vivante » n’existe pas plus que la barrière imaginée pour séparer les végétaux des animaux; celle-ci a été brisée hier par la physiologie géné- rale,et demain, grâce à cette science synthétique éminemment philosophique, les frontières du monde vivant n’existeront plus : on peut même dire qu’elles n'existent plus et que les « trois règnes » ou plutôtles trois royaumes de la Nature n'en font plus qu’un. Tout marche vers l’union par l’unifica- tion et, à chaque pas que l'on fait en gravissant la montagne de la Science, on voit grandir l’éclatet le rayonnement de l'antique adage : Natura non facit saltus, qui prouve com- bien puissante était la perspicacité des anciens philosophes. Entre ce qui ne vit pas encore, ce qui vit et ce qui a cessé de vivre, on trouve toutes les transitions les plus insensibles.On a invoqué la puissance de reproduction, de multiplication, mais un fragment de cellule, un anthérozoïde, un spermatozoïde, un ovule non fécondé peuvent vivre isolément sans se repro duire. On a aussi objecté à tort que les êtres non vivants, à l'encontre des autres, sont dépourvus de motilité, surtout de mouvement rythmé et spontané, de périodicité, etc. J’ai mon- tré le contraire, ainsi que d’autres expérimentateurs. Enfin, peut-on nier qu'entre la manière dont se comportent les fer- ments à tort dits solubles, les zymases ou enzymes, et celle que nous montre la substance vivante 1l y ait les plus grandes analogies ? Pourtant les granulations zymasiques ne présentent que les mouvements rectilignes browniens ou exceptionnellement des mouvements curvilignes. Lorsqu'en 1895 (1) je vis prendre naissance des corps ayant la forme et les dimensions d'une cellule épithéliale pavimenteuse avec son noyau, parfois même en voie de division apparente, colorable en partie par les réactifs histo- (1) Voir RaAPHAEL Dusois, Leçons de physiologie générale et comparée, Paris, 1898. j 4 LA VIE ET LA LUMIÈRE chimiques, je ne crus pas un seul instant avoir créé artifi- ciellement une vraie cellule vivante. Est-ce à dire qu'on ne puisse pas raisonnablement croire à la possibilité de la synthèse de l'Etre vivant ? Nullement. Mais il importe de ne pas confondre, comme l'ont fait à plai- sir certains réactionnaires scientifiques, la « synthèse biolo- gique » avec la « génération spontanée ». Si la Vie a eu un commencement, si elle n’a pas été, con- trairement à ce que tout semble prouver, le résultat d’une évolution insensible, continue de certains éléments cos- miques, il y a eu, à un moment donné, génération spontanée. Mais les impérissables expériences de Pasteur ont montré que là où l’on avait détruit ou enlevé les germes vivants, la Vie ne reparaissait plus, au moins dans les conditions défi- nies par les panspermistes et par leurs adversaires. Toutefois est-ce le propre des êtres vivants de ne point apparaître dans de telles conditions? Aucunement. En effet, on ne voit pas davantage se former spontanément des productions plus simples, des composés organiques tels que l’urée, la vanil- line, l'acide tartrique, l'alcool, etc., etc., et les chimistes du commencement du siècle dernier soutenaient que seuls les organismes vivants pouvaient engendrer les produits orga- niques. Aujourd'hui, c'est par milliers qu'on fabrique ces derniers par synthèse. Il n’y a pas de raison pour qu'il n’en soit pas de même demain pour la substance vivante et ce sera la condamnation des savants qui confondent actuelle- ment la synthèse biologique avec la génération spontanée et combattent avec les mêmes armes deux choses essen- tiellement différentes, qu'ils s’obstinent à frapper aveu- glément par le même anathème. La synthèse biologique naîtra d’une connaissance plus approfondie, plus exacte de la nature intime de la substance vivante et de ses propriétés physico-chimiques. On peut dire que sous ce rapport de grands progrès ont été réalisés. Par l'emploi d'une technique savante et compliquée, les histologistes en étaient arrivés à donner de ce qu'ils appellent INTRODUCTION 5 encore aujourd’hui, à tort, le « protoplasme » une descrip- tion absolument fausse. Ils s’en sont aperçus un peu tard, mais ils avouent leur faute avec une si louable franchise qu'on ne saurait leur en vouloir (1). Ceux qui, au contraire, avaient étudié la substance vivante « sur le vif » au lieu de la tuer préalablement par des agents chimiques, ont puissamment contribué à la conception que l’on doit en avoir aujourd'hui. L'étude du mécanisme intime de la production de la lumière par les organismes vivants n'a pas peu contribué à ce progrès puisqu'on lui doit ma découverte des « vacuolides », corpuscules élémentaires de toute substance vivante, découverte qui m'a permis de com- prendre le fonctionnement de ces éléments primordiaux el d'en tirer la théorie vacuolidaire (2). Dans cette théorie toute substance vivante est considérée comme étant à l’état de colloïde instable. Les tissus sont à l’état de gels et les plasmas à l’état de sols. Le biocolloïde, comme tous les autres colloïdes, est composé de particules, de granulations en suspension dans un liquide. Ce liquide, c’est l’eau qui, chez certains animaux, comme les Cœlentérés, par exemple, peut représenter 98 p. 100 du poids du corps. Dans les muscles, dans le cerveau, on en trouve 790 à 760 p. 1000 et dans les os et les cartilages seulement,en moyenne, 500 p. 1000. Sa proportion est donc en relation avec le degré d'activité du tissu considéré sous le rapport de sa noblesse, pourrait-on dire. Abondante chez les sujets jeunes et robustes, elle diminue beaucoup avec la sénilité. J'ai dé- montré (3) que les propriétés vivifiantes de l’eau sont en rap- port avec sa chaleur spécifique, qui est la plus élevée de celles de tous les liquides organiques neutres, et que tous ceux qui, par leur mélange avec elle, tendent à l'abaisser, ralentissent et entravent le fonctionnement physiologique. (1) FAURET-FRÉMIET, Biologica, n° 10, 1911, Paris. (2) Voir : Les vacuolides de la purpurase et la théorie vacuolidaire C. R. de l’Académie des Sciences, t. 153, p. 1507, 1911. (3) Voir : Hydratalion (fonction d'). Dictionnaire de physiologie de CH, RICHET, Paris: F; Alcan: 6 LA VIE ET LA LUMIÈRE Ainsi s'explique l’activité toxique des alcools et des anes- thésiques généraux, qui croît en sens inverse de leur cha- leur spécifique ; plus celle-ci est faible et plus le pouvoir osmotique des liquides aqueux auxquels ils sont mélan- gés diminue ; or, on verra bientôt que les vacuolides sont comparables à de petits dialyseurs à l’intérieur des- quels une certaine quantité d'eau peut être fixée par absor- ption. Autour des granulations vacuolidaires se trouve une atmosphère d'eau tenant en dissolution des corps à l’état cristalloïdal. Cette eau est à l’état d’eau d’adsorption et de liquide intergranulaire, plus ou moins abondant, suivant qu'il s’agit d’un biosol ou d’un biogel et aussi suivant diverses conditions physiologiques d’un même tissu. L'eau d'absor- ption, l’eau d’adsorption et l’eau intergranulaire constituent l'eau d'hydratation des tissus. Chez les crganismes jeunes et sains, l’eau est retenue avec énergie et l’on doit dire alors que la tension de dissociation de l'eau et des tissus est faible: elle devient au contraire grande quand la vitalité diminue sous l'influence d’un empoisonnement, d’une maladie, de la sénilité, d’une cause quelconque d'affaiblissement, de dé- chéance ou de misère physiologique. Les vacuolides élémentaires forment les centres de ces atmosphères aqueuses. Elles possèdent, comme dans tout colloïde, des mouvements spécifiques, variables, des charges électriques qui règlent leurs attractions ou leurs répulsions, soit à l’état d'équilibre physiologique, soit à l’état pathologique. En raison de leur innombrable quantité dans un millimètre cube, dans une cellule, ces granulations offrent des surfaces énormes aux phénomènes de tension superficielle et à toutes les modalités énergétiques qui peuvent en dériver. Enfin, à cause de la structure même des vacuolides, la superficie offerte aux phénomènes d'absorption, d'imbibition, de diffusion, d’os- mose est colossale. C’est elles qui sont le siège d'élection des substances alimentaires ou toxiques. Dans leur plus grand état de développement, les vacuolides sont représen- tées par les leucites : chloroleucites, amyloleucites, ete. Il y INTRODUCTION 7 a bien des années que j'enseigne que les leucites dérivent des vacuolides (1). Or, dans ces temps derniers, Pensa, Lewitsky, Fauré- Frémiet, Guilliermond, etc., ont fait dériver ces mêmes leu- cites des mitochondries. Ces mitochondries mises récem- ment à la mode par Benda ne sont bien évidemment pas autre chose que mes anciennes vacuolides, car deux quanti- tés égales à une troisième sont égales entre elles. Les leucites sont constituées par une cavité entourée d'une membrane et c’est dans cette cavité ou vacuole que se fa- brique une foule de produits : pigments, amidon, etc., et que d’autres se détruisent. Les vacuolides sont, en général. beaucoup plus petites que les leucites, bien qu'on trouve entre les unes et les autres toutes les tailles intermédiaires. On voit déjà par ce qui précède que l'importance considé- rable qui s'attache à ces formations est de nature à apporter une solution définitive, au point de vue statique et dyna- mique, d’une foule de questions fondamentales relatives au fonctionnement intime de la matière vivante. C'est au sein des organes lumineux que j'ai pu observer pour la première fois les vacuolides, ce qui prouve bien que l'intérêt de l'étude de la biophotogénèse n’est pas bornée à la connaissance du mécanisme de la production de la lumière par les êtres vivants : elle a soulevé beaucoup d'autres ques- tons de physiologie générale et comparée, comme par exemple celle du fonctionnement des glandes à sécrétion in- terne, qui n'avait pas jusqu’à mes recherches trouvé d’expli- cation satisfaisante. Je voyais, à un certain moment, la cellule photogène se désagréger en donnant naissance à une foule de granulations arrondies, puis dans le centre de ces dernières primitivement homogènes apparaître un petit point; ce dernier finissait par former une vacuole au sein de laquelle se montraient d'abord de très fines granulations qui, peu à peu, se trans- formaient en sphéro-cristaux. . (1) Leçons de physiologie générale el comparée (voir pp. 70 et 78), Paris, 1898. 8 LA VIE ET LA LUMIÈRE Je constatai plus tard que ces vacuolides existent dans une foule de tissus, principalement dans les organes glandu- laires. Elles étaient faciles à observer dans les cellules de la glande à pourpre des Murex et j'ai démontré que c’était bien les vacuolides qui élaboraient le pigment de la Pourpre qui joua un si grand rôle dans l'antiquité. Tout récemment, M. Mulon et d’autres auteurs ont bien montré l’universalité de ma conception vacuolidaire (1). En outre, dans ces deux cas, celui des glandes photogènes et celui des glandes à pourpre, la partie active est une zy- mase ; la luciférase dans le premier et la purpurase dans le second: j'ai pu isoler et caractériser l’une et l'autre. II faut donc rejeter, dans ces deux derniers cas et vraisemblablement dans le cas de toutes les zymases, les expressions de « fer- ments solubles », « ferments non figurés », etc., puisque leur partie active, c’est-à-dire la vacuolide, a une structure, et qu'elle est par cela même organisée. Il ressort de tout ceci qu'entre les ultimes parties élémen- taires figurées de la substance vivante et certaines granula- tions zymasiques, il n’y a pas de différence morphologique. Cela seul suffirait à justifier l’opinion que j'ai toujours soutenue, à savoir que la zymase est encore quelque chose de vivant, mais on sait, en plus, que toutes les causes qui entravent, suspendent, arrêtent, favorisent le fonctionne- ment de la substance vivante agissent de même sur les zy- mases. En définitive, les cellules nous apparaissent comme des organismes très complexes renfermant une quantité considé- rable de particules élémentaires ayant chacune une ou plu- sieurs spécialités fonctionnelles et susceptibles, dans certains cas, de montrer des phénomènes de réversibilité sous de très légères influences, telles, par exemple, qu'une augmentation où une diminulion de concentration aqueuse, d'hydratation. (1) Voir C. R. de la Société de Biologie, t. LXXV, p. 1023, 1913. (2) Voir les Vacuolides de la Purpurase et la théorie vacuolidaire avec la bibliographie de la question, in Comples rendus de l’Académie des Sciences, t: CLIV, p; 1507, séance du 26 décembre 1911: INTRODUCTION 9 Ces particules, faune élémentaire de la cellule animale, flore élémentaire de la cellule végétale, président aux phénomènes d'assimilation et de désassimilation, en un mot de nutrition, aussi bien qu’à ceux de la reproduction. On peut les suivre et les voir à l'œuvre dans l'acte de la fécondation : les vacuo- lides sont les dépositaires de l’hérédité, de ce que j'ai appelé autrefois l'énergie ancestrale. Ainsi, à aucun moment, même avant la fécondation, on ne voit s'éteimdre la lumière du Ver luisant : elle existe dans l’ovule, dans l'œuf fécondé, chez la larve à tous ses stades de métamorphose, chez la nymphe et chez l’insecte parfait. Jamais depuis l'apparition du premier Ver luisant, ce flambeau de la Vie ne s’est éteint un instant. Il ya toujours eu assez de vacuolides photogènes pour assurer son rayonnement. On s'expliquerait diffici- lement ce fait qu’il y a dans un œuf d’Insecte assez de ces particules pour assurer le fonctionnement ancestral pendant de longs siècles d'innombrables lignées, si l’on ne savait que d'une part les vacuolides sont susceptibles de croissance et de multiplication, et que, d'autre part, leur volume initial est extrêmement petit. Avant d'être vacuolides, c'est-à-dire d’être pourvues de la petite cavité, qui m'a fait leur donner ce nom nettement carac- téristique à la fois de leur structure morphologique et de leur mode de fonctionnement, ces organites élémentaires sont à l'état de granulations de toutes dimensions. Les plus petites ne sont pas visibles, même à l’aide de l’ultra-microscope; mais on peut les faire apparaître : par exemple en les hydratant. On peut supposer que dans leur ‘état de condensation le plus grand, leur volume peut être voisin de celui de la molécule. Or, les physiciens ont déter- miné le volume de la molécule et, en s’en rapportant au nombre qu'iis donnent, on trouve qu'un cube d’un millimètre de côté, quelque chose du volume d’un œuf de Ver à soie, contiendrait un nombre au moins égal au cube de dix mil- lions, c'est-à-dire de l'unité suivie de vingt et un zéros. L'un d’eux a calculé que si l’on devait les compter et que l’on détaehât par la pensée un million à chaque seconde, on 10 LA VIE ET LA LUMIÈRE en aurail pour plus de deux cent cinquante millions d'an- nées : l'être qui aurait commencé cette tâche à l’époque où notre système solaire ne devait être qu'une informe nébu- leuse, ne serait pas encore au bout. Je n'ai pas vérifié l’exac- ütude de ces calculs, mais ils nous permettent de comprendre comment un œuf d'Insecte renfermant un aussi grand nombre de vacuolides élémentaires, à l’état embryonnaire, pourra se diviser un nombre immense de fois sans jamais cesser de pos- séder des échantillons variés de la faune cellulaire primitive. Si l'équilibre est rompu, l'organisme le rétablira par la fécon- dation, la conjugaison, et si le nombre de vacuolides lui- même menace d'être insuffisant, l'équilibre pourra encore se rétablir par un autre moyen, puisqu'elles auront encore la ressource, après s'être développées, de se multiplier par divi- Sion. La théorie vacuolidaire, que je ne puis développer ici comme il conviendrait pour en faire apprécier convenable- ment l'adaptation à la solution de tous les problèmes morpho: logiques, physico-chimiques et physiologiques concernant la substance vivante, constitue un évident progrès sur toutes les autres théories granulaires, dans lesquelles on a trop sou- vent fait intervenir seulement des hypothèses gratuites ou des données purement morphologiques. C’est encore la théorie vacuolidaire qui s'impose dans les essais de synthèse biologique auxquels j'ai donné le nom de cullures minérales (1). Un jour, je déposai à la surface d'un bouillon gélatineux stérilisé une parcelle de ce composé mal défini auquel on donnait le nom de chlorure de radium et de baryum. Je ne tardai pas à voir se former une tache grandissante en éten- due eten profondeur, qui simulait absolument une colonie de microbes. En examinant une parcelle de cette tache, je vis qu'elle renfermait une quantité colossale de-petites granula- (1) Voir RAPHAEL Dugois, Cultures minérales sur bouillon gélati- neux. C. À. de la Sociélé de Biologie, p. 697, 1904, et la Création de l'Etre vivant et les lois naturelles. Discours d'ouverture de la rentrée solennelle des Facultés, novembre 1904. Lyon universilaire, 1905. INTRODUCTION 11 tions arrondies de la dimension de certains microcoques, mais elles n'étaient pas toutes de la même grosseur. Je reconnus plus tard que les plus petites étaient les plus jeunes : or, celles-ci présentaient le même aspect que mes vacuolides (1). J'ai pu obtenir des formations exactement semblables avec du chlorure de baryum non radio-actif. Au moment de leur apparition, ces vacuolides synthétiques organico-minérales sont animées de mouvements propres qui les transportent avec rapidité relativement très loin, vu leur taille infime, de leur point de formation. Elles sont organi- sées puisqu'elles montrent la structure vacuolidaire : ce sont de petits organites. Elles augmentent de volume jusqu'à atteindre un stade adulte, auquel elles s'arrêtent. Cet accrois- sement est suivi de phénomènes de segmentation, en deux, quatre, huit segments et davantage jusqu'à ce que la vacuo- lide ait pris l'aspect d’une morula microscopique rappelant celle de l’œuf de Grenouille arrivé à ce stade du développe- ment. Mais je n'ai pu par des ensemencements sur des bouil- lons stérilisés obtenir des colonies de culture, comme cela arrive avec les microbes. Tous ces organites sont stériles, comme avortés. C'est pourquoi je ne suis pas allé aussi loin que Martin Kuckuck, de Saint-Pétersbourg, qui a assimilé mes vacuo- lides synthétiques aux Xénophyophores de Schulze, c'est-à- dire à des Rhizopodes abyssaux (2). En désignant ces formations sous le nom générique de microbioïdes, j'ai voulu montrer seulement qu'elles présen- taient de nombreux caractères attribués ordinairement d'une manière exclusive aux êtres vivants. J'ai constaté chez elles (1) Ce sont exactement les mêmes formations que Buttler Burck a obtenues, à Cambridge, plusieurs mois après mes publications, par le même procédé et avec les mêmes substances : il a donné à ces granulations le nom de « radiobes » absolument impropre, car pour les obtenir on peut se servir avec autant de succès, au lieu du radium, de chlorure de baryum inactif, comme je l'avais montré dès le début de mes expériences. (2) MarTiIN KuckucK, l'Univers être vivant, ouvrage en français, de 659 pages, avec 77 figures, Genève, 1911. 12 LA VIE ET LA LUMIÈRE 4 la naissance, l'accroissement avec un arrêt en stade adulte, le mouvement propre, des apparences de segmentation et même de conjugaison, une structure morphologique, c'’est- à-dire l'organisation, le vieillissement, enfin la transformation ultime en cristalloïde, la mort, comme dans la substance vi- vante. J'ai conclu de tout cela non seulement que la découverte des microbioïdes du baryum est importante parce qu'elle rap- proche l’ « animé » de l’ « inanimé », ce qui vit de ce qui ne vit pas et fait faire ainsi un pas à la synthèse générale des lois naturelles, mais encore que c’est un phénomène physique ou physico-chimique nouveau, d'où peuvent découler d’autres découvertes intéressantes (1). L'absence de reproduction périodique, de multiplication ne saurait constituer une limite nette entre ce qui vit et ce qui ne vit pas, puisque l’ovule non fécondé et le sperma- tozoïde séparés sont bien vivants et ne peuvent pourtant 1s0- lément donner naissance à des descendants. La vérité, je le répète, est que la vie ne commence et ne finit nulle part et que l’on passe insensiblement de ce qui vit à ce qui ne vit pas. Pourtant je me suis bien souvent servi de l'expression «substance vivante » et j'ai fait plus, j'ai osé proposer un néologisme pour là remplacer : le mot « bioprotéon », qui relie étroitement l’idée de vie à celle de transformation, de métamorphose, d'évolution, en un mot de changement inces- sant. À mon sens, la création de ce néologisme se justifiait par la nécessité de faire disparaître d’une part le mot « prolo- plasme » et de l’autre l'expression de « substance ou matière vivante » communément employée pour désigner ce qui vit. Le premier a le grave inconvénient d'indiquer indif- féremment ce qui vit et ce qui a vécu et, en outre, d’être couramment employé dans le même sens que le mot ( cyto+ (1) RaPHAEL Dugois, Sur les mivrobioïdes. Comples rendus de l’Aca- démie des Sciences, &. CLIIT, p. 905, séance du 6 novembre 1911, INTRODUCTION 13 plasme ». Quant à la seconde, elle implique l'idée fausse d'un dualisme qui n'existe pas dans la Nature, comme je l'ai dit déjà. À l'époque où je fus appelé à enseigner la physiologie générale à la Faculté des sciences de Lyon, les maitres de l'Université étaient tous exclusivement « dualistes » : Spi- ritualistes ou matérialistes, scientifiques ou lettrés, tous croyaient qu'en dernière analyse la Nature était réductible à deux principes distincts, la « Force » et la « Matière ». La Matière inerte, esclave passive, obéissait à la force agissante dominatrice : Force et Matière, disait-on alors. Si, par hasard, le mot « monisme » était prononcé, c'était pour indi- quer que Hæckel supposait que l'Homme pouvait bien être issu par transformisme de la « monère », mais ce monisme hæckelien n'allait pas plus loin. Les théologiens entendaient aussi par cette expression que les trois personnes de la Sainte-Trinité n'en font qu’une. J'étais seul à enseigner, devant un public plutôt sceptique, que l'on passe insensiblement de la Force à la Matière, que ce ne sont pas deux principes distincts, mais seulement deux aspects différents d’un principe unique. À ce nouveau-né, résultant de la fusion de la Force et de la Matière, de l'identification des deux principes du dualisme, il fallait un nom : je lui ai donné celui de « PROTÉON ». Je n’ai pas cherché une métaphore et il n’est pas entré dans ma pensée de ressusciter le défunt dieu Protée, bien que certains commentateurs aient vu dans la légende mytholo- gique de Protée le symbole de la Nature, à laquelle l'Homme ne peut arracher ses secrets qu'à force de travail, de persévé- rance et d’audace. | J'ai voulu seulement par le mot « Protéon » exprimer le caractère essentiellement changeant de cet Etre unique qui, par ses incessantes et innombrables métamorphoses, donne à la Nature sa merveilleuse et infinie variété d’aspects. Pour cela, il n'est nécessaire de faire intervenir aucune créa- tion, aucune destruction, mais seulement des métamorphoses. Ce caractère du Protéon est à la fois nécessaire et suffisant : 14 LA VIE ET LA LUMIÈRE comme avant, rien ne se perd, rien ne se crée, mais tout se transforme aujourd'hui, sans cesse... partout. Le Protéon a des lois qui elles-mêmes évoluent. Ce sont ces lois et leur évolution qu'il faut chercher à connaître, non dans le vais espoir de leur commander, mais seulement pour apprendre à leur obéir. Nous ne péchons que par igno- rance : le but de la Science est d’en reculer de plus en plus les limites. J'avais accumulé des documents et des arguments nom- breux et, à mon avis, irrésistibles ; mais 1l n’a pas fallu moins que la découverte du radium pour faire triompher l'idée de mon Protéon, que les physiciens et les philosophes, il y a peu de temps encore, ne prenaient pas même la peine de discuter. Aujourd'hui ilin’est plus question que de dématérialisation de la Matière! Mais, objectera-t-on, le mot Bioprotéon indique une divi- sion de la Nature en deux espèces de Protéon : celui qui vit et celui qui ne vit pas. J'ai dit plus haut que l'on passait insensiblement de ce qui vit à ce qui ne vit pas. Cette divi- sion est virtuelle, empirique, artificielle, rien de semblable n'existe dans la Nature qui est une et indivisible : elle a été conservée pour les besoins de l’enseignement qu'il est encore indispensable de fractionner tant que les sciences synthétiques n'auront pas accompli leur œuvre complète- ment. La Vie est un état spécial de métamorphose, d'évolu- tion du Protéon, plus compliqué en apparence qu’en réalité. L'étude approfondie de la biophotogénèse, mieux qu'aucune autre, pourra nous montrer à quel degré d'extrême simplicité peut être réduite cette merveilleuse propriété que possèdent des animaux et des végétaux, d'émettre une lumière d’une incomparable beauté avec une économie dont aucun de nos procédés industriels ne peut donner une idée, même approxi- mative. Le Bioprotéon, dépouillé peu à peu, progressivement, de tout ce qu'il y avait de variable, d’accessoire dans les organes lumineux, nous a montré que la fonction photogé- nique n'est pas localisée inséparablement dans un organe, dans un tissu, dans une cellule vivante, mais bien dans ces INTRODUCTION 15 ultimes éléments que j'ai appelés vacuolides, où s'opère le conflit de deux colloïdes distincts : la Luciférine et la Luciférase. Puis abandonnant la méthode analytique pour celle de la synthèse, j'ai remplacé cette dernière par un pro- duit chimique artificiel (voir p. 129). L'étude de la fonction biogénique, qui occupe une par- tie de ce livre, peut certainement mettre sur la voie de l’éclai- rage de l'avenir par la lumière froide : elle a déjà suscité des recherches intéressantes dans cette direction, mais ce qu'elle offre à nos yeux de beaucoup plus important, c'est qu'elle nous a permis de réduire à un simple phénomène physico-chimique bien défini un des plus curieux, des plus merveilleux phéno- mènes communs aux animaux et aux végétaux, que plus d’un chercheur avait déclaré intimement lié au mystère insondable de la Vie, et par là même impénétrable dans son essence. Ce nest pas à l'étude du Bioprotéon que nous devons la solution tant cherchée du problème de la biophoto- génèse; c'est tout au contraire cette dernière qui nous à conduit à une théorie générale de la Vie : la théorie vacuoli- daire, et c'est là de beaucoup, à nos yeux, le résultat le plus important. Si les organismes vivants déversent dans le milieu ambiant de la lumière qu'ils ont fabriquée, inversement, ils reçoivent de ce milieu des radiations qui agissent sur eux. En em- ployant le langage dualistique nous dirions que les orga- nismes lumineux sont des transformateurs, comme tous les autres d'ailleurs, et que l'énergie qu'ils reçoivent du milieu extérieur est absorbée par eux, plus ou moins modifiée, puis rejetée dans ce même milieu. L'étude du rayonnement de la lumière par le Bioprotéon appelait donc l'étude inverse des effets produits sur lui par la lumière extérieure : c'est ce qui constitue la seconde partie de cet ouvrage. La première est consacrée exclusivement à la production de la lumière visible, des radiations ultra-violettes et infra- rouges par les organismes vivants. Enfin, à titre d’appendice, nous avons écrit une troisième partie sur les propriétés physiologiques et thérapeutiques de 16 LA VIE ET LA LUMIÈRE ces variétés protéoniques qui, par leur forme ondulatoire ou radiante et par leurs effets, se rapprochent de la lumière vi- sible, des radiations infra-rouges, et surtout des rayons ultra- violets : je veux parler des rayons X, des substances radio- actives el des ondes hertziennes, qui,avec les autres modalités vibratoires encore inconnues, constituent le « Continent noir » de la Science, encore bien peu exploré, mais plein de promesses pour l'avenir. FA" PREMIÈRE PARTIE BIOPHOTOGÉNÈSE OU PRODUCTION DE LA LUMIÈRE PAR LES ÊTRES VIVANTS Les animaux et les végétaux peuvent produire de la lumière visible. Le nombre des organismes lumineux connu est con- sidérable. Peut-être le serait-il encore davantage si l’on possé- dait un microphote, c'est-à-dire un instrument plus sensible que l'œil ou que la plaque photographique. Les êtres lumineux se montrent à tous les degrés de l'échelle des organismes vivants, depuis l'infime Microbe jusqu’au vertébré. Ils vivent dans les milieux les plus divers : dans l'air, dans la terre et dans l’eau, sur tous les points du globe et jusqu’au fond des abimes de la mer. Là où sans la vie régnerait une nuit éternelle, des animaux aux formes étranges promènent dans les vallées silencieuses et profondes des fanaux étince- lants, aux feux multicolores, d'une incomparable beauté, tandis que dans leur sillage s’allument des forêts de Polypiers, d’où jaillissent de féeriques 1lluminations. Ce merveilleux phénomène a bien souvent excité la verve des poètes et beaucoup plus encore la curiosité et la sagacité d'innombrables savants, et non des moindres, depuis la plus haute antiquité. Tous ceux qui ont vu seulement la « lumière volante » des Lucioles d'Italie, ont été frappés d’étonnement et d’admiration. Hier encore le secret de cet admirable flam- . Dugois. 2 18 LA VIE ET LA LUMIÈRE beau vivant élait inconnu : il ne l'est plus aujourd'hui et demain peut-être imitera-t-on complètement ce chef-d'œuvre de la Nature. La bibliographie concernant cette question est énorme : à elle seule, elle exigerait un fort volume. Déjà en 1835, Ehren- berg ne citait pas moins de quatre cent trente-six auteurs qui se sont occupés des animaux lumineux de la mer exclu- sivement et, en 1887, Henri Gadeau de Kerville mentionnait les travaux de trois cent vingt-six chercheurs connus qui ont écrit sur les Insectes seulement : le nombre de ces derniers pourrait être aujourd'hui porté à cinq cents environ. Par ces deux citations, on peut juger du nombre colossal de recher- ches se ratlachant à celte étude de la biophologénèse, qui constitue, comme je l'ai dit déjà, un des chapitres les plus intéressants de la physiologie générale. Sa place est marquée à côté de celle de la bioélectrogénèse et de la biothermogé- nèse ou production de l'électricité et de la chaleur par Îles êtres vivants. CHAPITRE PREMIER LES VÉGÉTAUX LUMINEUX L'existence de la fonction photogénique n'a été constatée avec certitude que chez les végétaux achlorophylliens. Tous les végétaux lumineux rentrent dans deux groupes de Champignons : les Jyphomycèles et les Bactériacées. Parmi les Æyphomycètes, on compte une vingtaine de Champignons lumineux, appartenant pour la plupart au genre Pleurotus. Cinq des plus brillantes espèces habitent l'Australie. On avait émis l'opinion que la luminosité des Hypho- mycèles était due à des Bactériacées photogènes parasites. J'ai montré que cette hypothèse était erronée en ce qui con- cerne Agaricus olearius, qui croît assez communément en Provence au pied des Oliviers. En revanche, j'ai vu des Pho- tobactéries lumineuses se développer sur des moisissures (Aspergillus niger) poussées accidentellement dans un bouil- lon renfermant de l’asparagine. En général, chez les Hyphomycètes lumineux jeunes, c’est l'hyménium qui brille exclusivement : chez les vieux Cham- pignons le chapeau s’obscurcit, mais le pied peut devenir lu- mineux superficiellement et même dans la profondeur. Les spores ne sont pas lumineuses. Chez Agaricus Gardneri, Champignon brésilien qui émet une superbe lumière verte, toute la plante brille, même le dessus du chapeau. L’inten- sité de la lumière est assez forte pour qu’on puisse lire dans l’obscurité. Dans certaines espèces, chez Agaricus melleus, par 20 ; LA VIE ET LA LUMIÈRE exemple, le Champignon adulte ne brille pas ; le mycélium seul est lumineux. Ce sont ces mycéliums qui rendent très souvent phosphorescents les vieux bois, les racines, les écorces et même les feuilles mortes : celles du Chêne et du Hêtre plus spécialement (fig. 1). La phosphorescence se montre principalement sur les espèces suivantes : Bouleau, Hêtre, Aune, Marronnier, Châtaignier, Sapin, Chêne blanc, Saule, Noyer. On voit souvent se développer ces mycéliums dans les mines, sur les vieilles poutres de bois, où ils émettent une lumière comparable à celle du clair de lune. J'ai eu l’occasion d'observer la phosphorescence sur des bois frais ne portant aucune trace de mycé- liums. Je n'ai pu déceler la pré- sence que d’une espèce de Bacté- riacée, dont les colonies avaient une belle couleur verte, et un joli éclat fluorescent. Je me suis deman- dé si, dans ce cas, la lumière n’est Fié. 1.— Feuille morte par- Pas due à l'émission par le bois de ra- tiellement envahie par Un diations obscures capables de deve- mycélium lumineux de R RE champignon (Molish). nir visibles grâce à la substance fluo- rescente des Bactéries parasites. Les spores de l’Agaricus melleus se cultivent bien sur bouil- lon de pruneaux ou de pain cuit pas trop fluide : les rhizo- morphes et les hiphes qui émergent brillent seuls. Bactériacées lumineuses, Microbes phosphorescents où Photo- bactériacées. — On a signalé une trentaine d'espèces de Pho- tobactériacées, appartenant à cinq ou six genres, qui toutes pourraient être réunies en un seul, le genre Photobacterium. Les espèces sont vraisemblablement beaucoup moins nom- breuses, car les Photobactéries sont extrêmement polymor- phes ; certaines changent de forme sans perdre le pouvoir photogène ; d’autres, au contraire, peuvent cesser de briller tout en conservant leur forme suivant le milieu, l’âge, etc. Par de nombreuses expériences, j'ai démontré que la fonction LES VÉGÉTAUX LUMINEUX 21 photogénique n'est pas liée indissolublement à une condi- tion essentielle de la vie de ces petits organismes, telle que la respiration. Dans l’état naturel, les Photobactéries se rencontrent prin- cipalement dans l'eau de mer et à la surface des Poissons qu'elles rendent phosphorescents quelques heures après leur mort. En 1886, j'ai pêché en pleime mer des Sar- dines qui furent aussitôt enfermées dans des bocaux stéri- lisés : au bout de trois jours elles étaient lumineuses. Les Microbes lumineux se trouvent également à la sur- face des Poissons d'eau douce, mais ils ne brillent pas à cause de l'absence de la dose néces- saire de chlorure de sodium. Certains Poissons de mer pourtant ne sont pas suscep- tibles de briller : je n'ai Ja- mais pu constater la phos- phorescence chez la Torpille électrique de la Méditerra- née, chez Mustellus levis et Fi. 2. — Microbes lumineux, Photobacterium sarcophilum. chez Acanthias vulgaris. La phosphorescence cesse au moment où commence la pu- tréfaction. La viande présente assez souvent le même phénomène, surtout quand la température est voisine de + 10° C., vers Pâques principalement. Elle a été observée souvent sur la chair du Porc, du Cheval, du Bœuf, du Mouton. En 1891, j'ai le premier isolé et cultivé, à l’état de pureté,un Microbe lumineux trouvé sur de la viande; c'était celle d’un Lapin dépouillé, qui présentait une belle luminescence. Je lui ai donné le nom de Photobacterium sarcophilum : il est très polymorphe et c’est principalement lui qui, pour cette raison, a été décrit sous les noms de Micrococcus phosphoreus, de Bacterium phosphoreum, etc. (fig. 2). Les Photobactériacées sont très communes sur le conti- 22 LA VIE ET LA LUMIÈRE nent et, d’après Molish, il suffirait d'abandonner à l'air de la viande de Cheval ou de Bœuf à moitié immergée dans l’eau salée à 3 p. 100 pour voir cette dernière devenir lumi- neuse 87 fois sur 100. Pendant les campagnes de dragage du Prince de Monaco, Richard a retiré des régions abyssales des Photobactériacées qu'il désigne sous le nom d'Halibactéries lumineuses. Leur dispersion est donc considérable. L'ingestion des viandes lumineuses n’a jamais causé d’ac- cidents : la présence des Photobactéries indique même l'absence du Bacterium termo de la putréfaction, qui les éteint. C'est sans doute à la présence de ces mêmes micro-orga- nismes qu'il faut attribuer la phosphorescence accidentelle de diverses matières alimentaires : œufs d'Oiseaux, fromages, légumes (Navets, Pommes de terre cuites; Carottes, Choux avariés), charcuterie, etc., et même celle des cadavres humains constatée par divers observateurs. On a signalé fréquemment aussi des cas de phosphores- cence chez des individus vivants : phosphorescence de la sueur, de l’urine, et même des excréments. Un exemple de ce dernier cas a été observé par Mülder chez un malade qui avait mangé des Crustacés (Squilles) mal conservés. D'après Azara, l'urine normale de la Mouffette d’'Amé- rique est également lumineuse : ce serait, d'après cet auteur, avec l'infecte odeur qu'elle répand, un moyen d’éloigner ses ennemis. Quoy et Gaimard ont observé une Tortue de mer qui por- tait sur le dos une plaie phosphorescente. En 1885, j'ai ino- culé des Photobactéries à une plaie située sur le dos d’une Grenouille et j'ai vu la phosphorescence persister pendant douze heures. Elle disparaissait presque aussitôt sur les plaies d'animaux à sang chaud inoculés avec le même mi- crobe (Photobacterium sarcophilum Dubois). Plus tard, Tarchanoff a rendu une Grenouille lumineuse pendant deux ou trois jours en lui injectant du bouillon de culture lumineuse dans lés sacs lymphatiques et l'animal n’a pas succombé. LES VÉGÉTAUX LUMINEUX 23 Entre temps, en 1889, Giard et Billet observèrent sur la plage de Vimereux des Talitres phosphorescents. Ces petits Crustacés étaient visiblement malades et leur sang était rempli de Photobactéries que l'on put inoculer à d’autres Crustacés marins : Orchestries, Hyales, Ligies et même à des Cloportes. | La maladie lumineuse a été observée chez des Mouches, des Moustiques et des Cousins par divers savants et plus ré- cemment par B. Issatscheryko, au mois de juin, dans des endroits buissonneux, près de la ville de Nikolaieff, dans le village de Warwarouka, sur des Cousins, d’où le nom de Bacterium (Photobacterium) chironimi qu'il a donné à la Bac- térie lumineuse qui paralyse et tue ces Diptères. Peut-être pourrait-on lutter avantageusement contre les maladies transmissibles à l'Homme par les piqûres d’Insectes en pro- pageant dans les endroits malsains cette Photobactérie qui se cultive facilement en bouillons salés à 3 p. 100. C'est sans doute à la même cause qu'il faut attribuer la luminosilé accidentelle des Courtilières, des Fulgores, des œufs en incubation et même des Oiseaux (Æffraie, Héron). Pourtant, chez ces derniers, il pourrait s'agir également de parasites animaux, tels que des Podures el aussi de débris d'Hyphomycètes poussés dans les troncs d'arbres vermoulus où habitent souvent les animaux nocturnes. J'ai trouvé des Photobactéries dans le mucus lumineux sécrété par la Pholade, dans celui de la Pelagia noctiluca, élé- gante Méduse de la Côte d'Azur, mais elles ne sont pour rien dans les propriétés photogènes propres de ces animaux, sur lesquelles elles vivent en symbiose, comme sur beaucoup d’autres. On ne les voit pas briller dans l'eau de mer à l’état naturel, ni même sur les animaux vivants et sains, comme les Pois- sons. Ce n’est donc pas aux Photobactériacées qu'il fallait attribuer la phosphorescence de la mer que Beijerinck à observée dans la mer du Nord, dans l'été de 1888, à une époque où l’on rencontrait beaucoup de Noctiluques et de Cœlentérés lumineux. En 1886, j'ai montré comment la mer 21 LA VIE ET LA LUMIÈRE peut devenir phosphorescente en l'absence de Noctiluques el sans le concours des Photobactériacées, j'aurai l'occasion de revenir sur ce point à propos de la phosphorescence de la mer (voir p. #41). La culture des Photobactéries est facile sur des bouillons de gélatine peptone neutres ou très légèrement alcalins, mais contenant 3 p. 100 de sel marin. J'ai constaté que les peptones ne facilitent pas la croissance et la luminosité seulement par elles-mêmes, mais parce que celles du commerce contiennent des impuretés, des produits phosphorés : nucléines, lécithines, etc. Ces dernières en se décomposant par la chaleur peuvent fournir de l'acide phos- phoglycérique et de la névrine. Or, en ajoutant à un bouillon d'agar-agar, sans peptone, un peu de ces produits de décom- position, on obtient des cultures très lumineuses. Je me suis servi avec avantage dans mes recherches de bouillons de culture liquides, dont je suis parvenu à élimi- ner les substances colloïdales mal définies chimiquement, tels que peptones du commerce, gélatine, extraits de viande, de Poisson, etc. La présence de ces dernières compliquent d'une manière fâcheuse et masquent en grande partie les réactions qui accompagnent la fermentation photogène. Le bouillon dont voici la formule m'a donné d'excellents résultats, bien qu'il ne renferme que des substances cristalli- sables. Eau:commune 1.4 04e Nr. 0) era mes ASpArASIne ENENENNR CERN TELE 1 gramme. GIVEÉTINE, 2 MS RME EEE 1 — Phosphate (de potasse MEME AE UE 0,10 centigr. DÉLAINATIIUL Us UE DORE MEME 3 grammes. La glycérine peut être remplacée par divers autres aliments carbonés : dextrine, saccharose, glucose, dulcite, etc.; la lac- tose donne les meilleurs résultats. Ce bouillon chimique a l'avantage de ne pas s’altérer à l'air aussi facilement que ceux qui renferment de la gélatine et des peptones difficiles à préserver de la putréfaction. LES VÉGÉTAUX LUMINEUX 95 J'ai pu également faire des bouillons de culture écono- miques et peu putrescibles avec des extraits de tourteaux de graines oléagineuses (voir Éclairage par les microbes, p. 30). D'une manière générale, le milieu de culture doit être neutre ou légèrement alcalin, mais une trop forte alcalinité est nuisible. Certaines Photobactériacées, peut-être toutes, peuvent se multiplier en milieu légèrement acide, car la viande phosphorescente et le mucus de Poisson de mer lumi- neux ont une réaction faiblement acide. J'ai démontré expé- rimentalement que P. Sarcophilum peut se développer et même briller dans un bouillon gélatineux assez fortement acide, comme celui de gélatine peptone non neutralisé. Mais j'ai fait la remarque curieuse que cette faculté ne s'exerce que grâce à celle possédée par le micro-organisme de sécréter une substance alcaline, qui lui fait un milieu convenable à son développement et à son fonctionnement photogène. La Photobactérie agit ici comme une cellule qui se défend d’une toxine ambiante en sécrétant une antitoxine. Il doit en être ainsi pour beaucoup de Microbes pathogènes, qui peuvent se préparer un terrain de culture dans un milieu défavorable et qui, pour cette raison, sont toujours inoculables, tandis que d’autres exigent un état de réceptivité qu'iis ne peuvent créer par eux-mêmes. L'acidité est néanmoins contraire à la photogénèse, alors même que la nutrition et la multiplication continuent à s’exercer. La luminosité disparue pour cette raison pendant plusieurs mois peut être ramenée par le transport des Pho- tobactériacées éteintes dans un bouillon légèrement alcalin. J'ai pu ainsi éteindre et rallumer successivement des cultures en changeant la réaction du milieu. Une petite quantité de sel est nécessaire à la nutrition des micro-organismes, mais la proportion de 3 p. 100 est indis- pensable pour donner au milieu une tonicité déterminée per- mettant l’accomplissement de la photogénèse. Si le bouillon de culture est un peu trop salé, il ne brille pas : 1l est curieux de constater que l’on peut éteindre la lumière d’un ballon de bouillon liquide bien lumineux en ajoutant à ce dernier un 26 LA VIE ET LA LUMIÈRE peu de sel et le rallumer ensuite avec de l'eau, sans tuer les Photobactéries. Je donnerai plus loin l'explication du curieux résultat qu'offre cette expérience. Ce fait est très général et n'est pas particulier aux Photobactéries : il se pro- duit, en effet, avec l’eau rendue phosphorescente par la désa- grégalion de Cœlentérés photogènes, avec le mucus lumi- peux de la Pholade, etc. Le milieu extérieur doit être isosmo- lique avec le milieu intérieur des Photobactériacées ou plutôt des vacuolides zymasiques photogènes qu'elles renferment. On peut remplacer la dose de sel marin isosmotique par d'autres doses de différents corps : sucre, sels divers, chlorure de potassium, iodure de potassium, chlorure de magnésium, azotate de potassium, sulfate de potassium, sulfate de magné- sium, par exemple. Mais, je le répète, il semble qu'une quan- üté, fût-elle très petite, de sel marin soit nécessaire à la nutri- üon, bien que Mc Kenney ait avancé que le sodium peut être remplacé totalement par le magnésium ; par contre, d'après le même expérimentateur, le polassium, le baryum, le strontium ne peuvent remplacer le sodium. Pour de sem- blables essais, il faudrait pouvoir se procurer des bouillons absolument exempts de sodium, ce qui est extrêmement dif- ficile, ou se servir de mon bouillon à l'asparagine (voir p. 21). Le rôle de l'oxygène est important à connaître. Pour bril- ler, les Photobactéries doivent fonctionner comme aérobies : le contact avec l'air leur est nécessaire. Si l’'ensemencement sur gélatine lécithinée est fait dans un sillon profond, elles ne brillent pas, mais j'ai vu se produire dans ces condiuons un fait singulier. De chaque côté du sillon d’ensemen- cement, j'ai observé la formation de petites sphères imitant des cellules. Ces petites sphères se déformant par pression réciproque au fur et à mesure de leur naissance et de leur accroissement, on assiste finalement à la naissance d’un véri- table tissu, qui rappelle par son aspect extérieur celui des organes lumineux des Insectes et qui, comme eux, est exté- rieurement limité par une zone crayeuse. Mais l'examen his- tologique montre que ces pseudo-cellules sont dépourvues de noyau : il n'en est pas moins vrai que ce sont là de sin- LES VÉGÉTAUX LUMINEUX 27 gulières formations plastidaires dues au travail physiologique des Microbes. Dans les tubes renfermant des bouillons liquides lumineux la zone en contact avec l'air brille seule, mais il suffit de faire pénétrer de l’air dans les parties profondes pour qu'elles s'éclairent aussitôt. Ceci ne prouve nullement que la fonction photogène soit confondue avec celle de la respiration, car lorsque la température s’élève, l'intensité de la respiration croît d'une manière continue, tandis que l’intensilé lumineuse n'augmente que jusqu'à un certain degré pour diminuer ensuite. En d’autres termes, 1l n'y a pas concordance entre la courbe respiratoire et celle de la luminosité en fonction de la température. J'avais observé déjà ce défaut de parallélisme autrefois chez les Insectes lumineux. Enfin les Photobactéries peuvent vivre et se multiplier sans briller, comme je l'ai indiqué. Cependant les corps réducteurs tels que l'acide sulfhydrique, les sulfites, etc., suppriment la lumière. Dans les gaz neutres : azote, hydrogène, la lumière persiste longtemps, mais finit par s'éteindre sans que l’on puisse dire si c’est l'oxygène qui manque à une combustion photogène ou bien si c'est simplement la respiration, sans laquelle la nutrition et l'élaboration des corps photogènes ne peut se faire, qui est entravée. Un courant d'acide carbonique, à la pression ordinaire, traversant un bouillon lumineux affaiblit beaucoup la lumière et la supprime complètement à 6 atmo- sphères, mais il est possible que Co° agisse ici par son acidité et par son action anesthésique à la fois. Les anesthésiques généraux, tels que l’éther et le chloroforme, suppriment défi- nitivement la luminosité, quand on les fait agir fortement et assez longtemps, en tuant les Photobactéries, mais avec des ménagements on peut suspendre seulement pour un temps le pouvoir photogène; inversement on serait arrivé à accoutu- mer des Photobactéries à briller en présence de vapeurs d'éther. Dans le premier cas, il est vraisemblable que le bio- protéon paralysé par l’anesthésique définitivement ou provi- soirement cesse de sécréter au moins l’un des principes pho- togènes. 28 LA LUMIÈRE ET LA VIE Contrairement à ce qui devrait arriver si la photogénèse était intimement liée à la respiration, la luminosité s’exagère au moment où l'on fait le vide pour ne diminuer et finalement disparaître qu’au bout d’un temps assez long. Cela ne peut guère s'expliquer dans le cas d'une oxydation photogène que par la mise en liberté d'oxygène combiné ou fixé par le bio- protéon pour un autre objet et qui se trouve alors utilisable pour la réaction lumineuse. Pour leur nutrition, les Photobactériacées sécrètent des zymases capables de modifier les éléments nutritifs qui se trouvent à leur portée. Si on les cultive sur des plaques enduites de bouillon ne renfermant pas de produits hydro- carbonés, elles ne brillent pas, mais en laissant tomber sur la surface des plaques des grains d’amidon, on ne tarde pas, pour certaines espèces, à voir apparaître des points brillants, parce que l’amidon a été changé en maltose. Mais pour d’autres espèces l'expérience ne réussit pas de même, on ne voit appa- raître aucune lumière autour des grains d’amidon et pour en avoir ce sont des grains de maltose qu'il faut semer. Certaines Photobactéries, d’après Beijerinck, seraient sac- charifiantes et d’autres seraient dépourvues de cette pro- priété. Cet expérimentateur a proposé de fonder une classi- fication des Photobactériacées sur des différences d'activité physiologique de cet ordre, mais pour une même Photobac- térie, les modes d'activité sont pour le moins aussi variables que la forme elle-même. Dans les bouillons de culture liquides, au fur et à mesure que la vie se prolonge, on voit apparaître des produits d’excrétion : cristaux de phosphates de chaux, de phosphates ammoniaco-magnésiens, des matières provenant de la dé- composition des corps azotés : tyrosine, leucine, cristaux radiés analogues à ceux que l’on rencontre dans les organes lumineux des Insectes, etc. Le milieu devient peu à peu acide. Quant aux produits photogènes, il ne semble pas avoir été sécrétés, ni excrétés, car le bouillon lumineux après avoir tra- versé les filtres en porcelaine est complètement éteint. Pour- LES VÉGÉTAUX LUMINEUX 29 tant cela ne serait pas une preuve absolue, car les macrozy- mases, constituées par des vacuolides assez volumineuses, sont arrêtées par les filtres en question, mais je me suis assuré que le liquide filtré ne renferme ni luciférine, ni luci- férate (voir p. 130). On doit admettre alors que les produits photogènes sont détruits au fur et à mesure de leur formation et qu'il n'y a pas accumulation comme chez les animaux où la lumière, au lieu d'être continue, ne paraît que par intermiltences. C'est probablement ainsi que doit s'expliquer l'échec de Dewar, qui ayant broyé avec de la glace des Microbes photogènes, fut surpris de ne pas voir reparaître la lumière après la décongé- lation. Ce résultat négatif le conduisit à admettre que la lumi- nosité des Photobactériacées est le résultat de l’activité vitale de la cellule. L’activité de la cellule est certainement néces- saire à la production des principes photogènes, mais il est contraire à tout ce que l'on sait d'affirmer qu'ils n’en sont pas distincts. Si, dans le cas des Photobactériacées et des Hyphomycètes, la séparation n’a pu être eifectuée, c'est parce que chez ces organismes, à lumière continue, la consommation se fait au fur et à mesure de la production. Il convient de faire remarquer, en outre, que pendant la congélation, et même après que celle-ci a été effectuée, la luminosité per- siste pendant un certain temps, alors que loute vitalité est suspendue: la dépense de produits photogènes continuant après que toute fabrication a cessé, l'épuisement est com- plet et sans réparation possible au moment de la décongé- lation si la cellule a été détruile. J'ai toujours échoué dans les nombreuses tentatives que j'ai faites pour isoler des cultures de Photobactériacées un principe photogène volatil ou autre. En 1862, Heller avait remarqué que l’eau rendue lumineuse par des Poissons morts brillait encore à — 14°. Forster et, après lui, John ont affirmé que les Photobactéries peuvent se multi- plier à + o°. Il résulte de nos recherches que Photobacterium sarcophi- 30 LA VIE ET LA LUMIÈRE lum brille et se développe le mieux au voisinage de 12°. Il peut supporter une température de 20° sans s’éteindre, aussi bien dans les bouillons alcalins que neutres ou légèrement acides. Si l'on élève rapidement la température, on voil les cultures pâlir entre 30° et 4o° et s’éteindre définitivement vers 20°. Au contraire, si l'on refroidit brusquement une culture lumineuse, la lumière pâlit mais ne s'éteint pas vers — 3°. Elle persiste encore à — 7°, alors que le contenu du tube, dans le cas d’un bouillon liquide, est congelé. Il s’agit ici de refroidissement brusque, mais, d’après Mc Kenney, la température limite pour l'émission lumineuse continue, durable, est un peu au-dessus de celle de Ia nutri- lion. Un changement soudain ou graduel est sans effet sur la luminescence : il ne la stimule pas. Il n’y a pas de lumière dans les cultures maintenues à une température inférieure à o°. Une température qui est optimale pour la croissance est nuisible à ia phosphorescence. Le Photobacterium phos- phorescens serait, d'après Mc Kenney, capable de s'adapter à une température de + 35°, c'est-à-dire de cinq degrés supé- rieure à la Lempérature maxima de la luminescence. C'est peut-être de celte façon que l’on pourrait expliquer les cas de phosphorescence observés chez l'Homme. Eclairage par les Photobactéries. La meilleure lumière serait celle qui contiendrait la quantité maxima de radiations de longueurs d'onde moyennes unie à la quantité minima de radiations calorifiques et chimiques. A l'heure actuelle, ce qui se rapproche le plus de cet éclai- rage idéal c’est celui que donne la lumière froide physiolo- gique dite lumière vivante (1). Les Microbes lumineux produisent dans certains cas une belle luminescence d'un éclat particulier. La lumière qu'ils (1) Voir ch. X, p.118 et principalement les Élatérides lumineux, loc. cit., p 54, 2° partie, chap.r, $ #4, p. 118. LES VÉGÉTAUX LUMINEUX 31 émettent contient si peu de radiations chimiques qu'il faut un très long temps de pose pour avoir un cliché. I n'a pas fallu moins de 23 heures de pose pour obtenir la Fic, 3. — Photographie du buste de Claude Bernard éclairé par la lumière des Photobactéries. photographie du buste de Claude Bernard entouré par des ballons renfermant des bouillons lumineux (fig. 3). Les radiations calorifiques sont en quantités infinitési- males et le spectre est très peu étendu du côté du rouge. Mal- gré cela, Molish et Nadson ont pu provoquer chez de jeunes plantes des phénomènes d'héliotropisme (voir p. 120, fig. 38;. 32 LA VIE ET LA LUMIÈRE La force de pénétration de cette lumière est assez grande pour lui permettre de traverser, mais seulement après 20 ou 26 heures de pose, par une sorte d'action cumulative, des corps opaques pour notre œil dans les conditions ordinaires, dé CE Et | | Re * DR promener È Ke = 2 FiG. 4. — La lampe vivante de Raphaël Dubois. tels que de minces planchettes de bois ou des feuilles de car- ton peu épaisses. Elle ne traverse pas, comme le font les rayons X, les feuilles d'aluminium. Dans les cultures ordinaires, le pouvoir éclairant est faible et très limité. Je suis parvenu à l’accroître suffisamment pour en faire ce que j'ai appelé la lampe vivante. LES VÉGÉTAUX LUMINEUX 33: Dans mes premiers essais, je me suis servi d’un bouillon liquide renfermant comme aliments ternaires de la glycé- rine ou de la mannite; les aliments quaternaires étaient des peptones ou de l’asparagine et les aliments phosphorés de la lécithine, ou du phosphate neutre de potasse. Comme je l'ai dit déjà, l'asparagine a sur les peptones l’avantage de ne pas donner de putréfaction et de s'altérer moins facilement et moins rapidement. Les bouillons liquides ont le grand inconvénient d'exiger un barbotage d'air stérilisé. C'est pour ce motif que j'ai imaginé une lampe vivante sèche, qui a été plus tard imitée par Molish. Ma lampe vivante (fig. 4) se compose d’un vase de verre à fond plat, dont la partie supérieure bombée est recouverte de papier d'étain servant de réflecteur. L'aération est assurée par deux tubulures : une latérale et une supérieure, portant des bouchons de coton stérilisé pour la filtration de Fair ; mais on peut éviter de se servir de coton en recourbant les deux tubulures de façon à ce que leur ouverture dirigée en bas ne puisse pas recevoir les germes extérieurs. La paroi interne du vase, bien stérilisée, est enduite d’une mince couche d’un bouillon gélatinisé préalablement inoculé avec des Photobac- téries non liquéfiantes très lumineuses. Toute la surface du ballon ne tarde pas à devenir éclai- rante et, si l'opération a été bien conduite, cette lampe peut briller pendant un mois sans jamais s'éteindre et sans aucun entretien. Quand lœil a été préalablement reposé de la lumière du jour, elle permet de lire facilement les caractères d'imprime- rie et de distinguer, pendant la nuit, comme à la lueur d'une veilleuse, tout ce qui se Louve dans un appartement. A l’'Exposilion universelle internationale de Paris, en 1900, j'ai pu éclairer une vaste salle du Palais de l'Optique au moyen de grands barils en verre préparés de cette façon. La lumière était aussi vive que celle d’un beau clair de lune. Ce mode d'éclairage, qui sera peut-être perfectionné un jour, pourrait être utilisé dès à présent: dans les poudrières, les R. Dugois. 3 34 LA LUMIÈRE ET LA VIE soutes à poudre, dans les mines où l’on craint le gri- sou, etc. En effet, avec cette lumière froide, toute cause d'explosion est évitée. Nos essais ont été répétés avec succès par Molish, de Prague. EN RÉSUMÉ, dans le règne végétal, la biophotogénèse n'a été observée avec certitude que chez des organismes achlorophylliens et seulement chez des Champignons des deux groupes des Hypho- mycèles et des Photobactériacées. Ces dernières sont très poly- morphes et ne brillent que dans des conditions particulières, ce qui prouve que l'exercice de la fonction photogénique n'est pas indispensable au fonctionnement vital de ces organismes. Chez les végétaux lumineux, la fonction photogénique bien qu'étant dans une dépendance assez étroite de celle de la respiration, ne se confond pas avec elle. Elle n'est pas localisée dans des or- ganes spéciaux. Dans ces organismes, les substances photogènes se détruisent au fur et à mesure de leur production, contraire- ment à ce quise passe pour d'autres, parce que leur lumière étant continue, ne permet pas l'accumulation des produits pho- togènes pendant des périodes de repos. ANIMAUX LUMINEUX CHAPITRE II PROTOZOAIRES PHOTOGÈNES Les deux classes de l’'embranchement des Protozoaires, les Rhizopodes et les Infusoires, contiennent des espèces photo- FiG. 5. — Noctiluque. A, masse cytoplastique émettant des tractus chargés de granulations vacuoli- daires photogènes ; — E, granulations radio-cristallines ; — D, noyau ; — C, appen- dice contractile. géniques. Ce sont des animaux marins que l’on trouve princi- palement dans l'Océan Atlantique, dans le Pacifique, dans 36 LA VIE ET LA LUMIÈRE lOcéan Indien: ils sont relativement rares dans la Médi- terranée. Le Protozoaire photogène le mieux connu est Noctiluca miliaris (fig. 5), dont la présence à la surface de la mer, en très grande abondance à certains moments, produit la plus belle des phos- phorescences. La densité de ces ani- malcules est légè- rement inférieure à celle de l’eau de mer et pourtant ils peuvent des- cendre et remon- ler à la surface sous des influen- ces encore peu connues. En com- primant de l'eau contenant des Noctiluques, on les voit descendre au fond à la ma- nière d’un ludion. Peut-être doit-on rapprocher ce Fic. 6. — Nocliluque, fragment de tractus cyto- phénomène de plasmique renfermant de nombreuses gränula- à tions photogènes : Il hyper hydi ata- A, B, C, à divers stades ; D, corpuscules alimentaires. tion des éléments cellulaires sous l'influence des hautes pressions, que j'ai jadis étudiée avec P. Regnard. La Noctiluque miliaire affecte généralement la forme d'une pomme microscopique. La luminosité siège surtout dans la masse cytoplasmique centrale de ces animalcules unicellulaires, mais aussi dans les tractus qui partent de celle-ci pour aller à la membrane PROTOZOAÏRES PHOTOGÈNES 37 d’enveloppe. Dans toutes ces parties (fig. 6) se rencontrent des corpuscules alimentaires avec aussi, en grand nombre, des granulations présentant tous les caractères de vacuolides à divers stades de leur évolution et de même nature que celles qui se trouvent dans les organes lumineux des Insectes ou d’autres animaux photogènes (voir p. 57, fig. 13). De même que “hez ces derniers, les granulations photogènes ne préexistent pas, mais on peut les faire apparaître par l'excitation, prin- cipalement par l'excitation électrique, qui est aussi un exci- tant de la lumière chez la Noctiluque. Il est à noter que l’ap- Fié. 7. — Nocliluque, observée au microscope dans l'obscurité, montrant les granulations photogènes en activité. parition de la lumière et celle des granulations vacuolidaires est simultanée. Cette simultanéité est facile à mettre en évi- dence par simple excitation mécanique des cellules ectoder- miques d’un élégant Cœlentéré de la Côte d'Azur, Hippo- podius gleba, et c’est là un fait très important, non seulement au point de vue de l'explication du mécanisme intime de la biophotogénèse, mais encore de la mécanique générale du bioprotéon. De Quatrefages avait autrefois déjà observé qu'à des endroits où la lumière paraissait diffuse, se montrait, à chaque excitation, une quantité de ces points lumineux dis- tincts, comme ceux d'une nébuleuse vue au télescope (fig. 7) et que la plus grande quantité de points se formait dans les endroits où l'excitation provoquait des ruptures des trac- tus cytoplasmiques. C'est ce qui l'avait conduit à admettre que la lumière est le résultat de la contraction. Le phénomène lumineux n'est pas plus le résultat de la contraction qu'il 38 LA VIE ET L LUMIÈRE n'est dû, en dernière analyse, à l'irritabilité bioprotéonique à laquelle on a fait jouer aussi un rôle prépondérant. Dire, avec Massart, que les Noctiluques réagissent sous l'influence des excitants en donnant de la lumière, comme d’autres montrent leur irritabilité en produisant du mouvement, cela n'avance en rien la solution du problème de la photogénèse. I n'y a pas plus de rapport immédiat entre la contraction, l'irritabilité et le phénomènelumineux, qu'entre ce dernier et la respiration. De Quatrefages a noté que, dans un bocal plein d'eau de mer, les Noctiluques de la profondeur brillaient autant que celles de la surface et que la luminosité se montrait même dans une atmosphère d'acide carbonique, d'hydrogène aussi bien que dans l’oxygène pur : c'est pourquoi il ne croyait pas à une combustion. On a.cru démontrer le rôle prépon- dérant de l'irritabilité en suspendant par les anesthésiques généraux, comme l’éther, et par le froid la luminosité de la Noctiluque ; mais j'ai depuis bien longtemps prouvé expéri- mentalement que ces agents agissent de la même manière, par déshydratation du bioprotéon et particulièrement des vacuolides (1) dont ils suspendent ainsi non seulement l'irri- tabilité, mais aussi toute autre activité physiologique. Il suf- fit de constater que la luminosité persiste pendant un certain temps après la mort et qu'elle peut être rétablie par une goutte d'eau douce chez des Noctiluques tués par dessiccation, pour couper court à toutes les hypothèses plus ou moins ingé- nieuses, mais toutes fausses, proposées pour expliquer cet admirable phénomène auquel est due, le plus souvent, la phosphorescence de la mer sur des centaines de lieues d'étendue. EX RÉSUMÉ, chez les Protistes, la fonction photogénique n'est pas localisée dans des parties nettement délimitées : elle n'est pas non plus absolument diffuse, en ce sens qu'elle se manifeste sous forme d’étincelles isolées correspondant à des granulations caractéristiques que l’on retrouve dans tous les organes photo- (1) Voir Introduction, p. 5. PROTOZOAIRES PHOTOGÈNES 39 gènes des métazoaires. L’irritabilité qui semble n'avoir que peu ou pas d'importance chez les végétaux photogènes, en acquiert une très grande chez les Protistes, qui répondent aux excitations par une émission de radiations lumineuses. La fonction photo- génique est affaiblie par la fatigue, quelle que soit sa cause ; tou- tefois la production de la lumière survit à l'irritabilité et méme à la vie somatique de l'individu. Ces infiniment pelits organismes produisent parfois des quantités colossales de lumière, par exemple dans la phospho- rescence de la mer, dont ils sont la cause la plus ordinaire. CHAPITRE II LES CŒLENTÉRÉS LUMINEUX L'embranchement des Cœlentérés comprend un très grand nombre d'espèces photogènes réparties principalement dans les sous-embranchements des Cnidiaires et des Cténo- phores. Parmi ces dernières, les plus remarquables sont les Beroés et les Cestes ou Ceintures de Vénus, communes sur la Côte d'Azur. Beroe ovata présente huit côtes longitudinales ou cordons. Autour des troncs gastro-vasculaires, qui leur correspondent, le tissu forme une véritable gaine de plastides, qui, au moment où on les examine,se transforment ordinairement en vésicules remplies de granulations jaunâtres de même matière que celles que l’on rencontre partout et que Panceri avait, à tort, pris pour des granulations graisseuses. Des constatations analogues ont été faites chez des Cy- dippus ainsi que chez Cestus Veneris qui forme de longs rubans de cristal ondulant gracieusement au sein des eaux. Si l'on touche un point de leurs cordons, la lumière apparaît en ce point, où elle peut rester limitée. Si l'excitation a été assez forte, elle va courant le long des côtes en produisant des lueurs fugitives, ordinairement verdâtres et du plus bel effet. W. Peters a eu tort de faire jouer un rôle capital aux pa- lettes nataloires des côtes, car ce même observateur, après Agassiz d'ailleurs, a signalé la phosphorescence des œufs de Cténophores, dès les premiers stades du clivage, alors qu'il n'y a pas encore de cils phosphorescents. Allmann a noté, de son côté, que l'embryon brille déjà avant sa sortie de l'œuf. LES COFLENTÉRÉS LUMINEUX 41 L'observation suivante prouve bien que le rôle des organes et, en particulier, des palettes est très secondaire. En 1887, j'ai vu à Menton, après le tremblement de terre, la mer devenir très phosphorescente sans cependant qu’il me fût possible de découvrir, dans l'eau lumineuse, des Nocti- luques ou autres Protistes photogènes, et j'ai déjà dit pourquoi les Photobactériacées ne pouvaient pas provoquer la phos- phorescence de la mer. Mais en filtrant l’eau de mer, je vis qu'il s'était déposé sur le papier blanc et serré, dont Je me servais pour cela, une foule de granulations jaunâtres sem- blables à celles que l’on rencontre partout dans les organes photogènes. Elles provenaient d’une innombrable quantité de Cœlentérés, surtout composée d'Eucharis phosphorescents, qui, poussés vers la côte, venaient y mourir et se désagréger. Je mis dans un bac où l’eau n'était pas phosphorescente un de ces Cœlentérés : il ne tarda pas à mourir et à se fondre, pour ainsi dire, dans l’eau. Alors tout le contenu du bac de- vint lumineux. Quand on l’agitait, on voyait de tous côtés partir des milliers d’étincelles, comme cela avait eu lieu dans la mer elle-même. Ce scintillement de particules lumineuses, ce pélillement, pourrait-on dire, cessait de se produire quand on ajoutait à l’eau de mer une certaine quantité de sel marin et, chose curieuse, il reparaissait quand ensuite on ajoutait de l’eau douce : il s’exagérait même si la propor- tion d'eau douce dépassait celle qui existait normale- ment dans l’eau de mer. Manifestement la lumière se pro- duisait dans de très fines particules répandues dans la masse de l’eau et provenant de la désorganisation des Eucharis. J'ai signalé plus haut des effets analogues obtenus avec les cultures de Photobactéries, mais je me suis assuré que les Bactéries lumineuses n'étaient pour rien dans le phénomène que je viens de décrire. Le rapprochement que je fais tend seulement à montrer la généralité du processus photogène. La luminosité des Cœlentérés marins s’observe entre + 9° et + 37° avec un optimum vers 21°,5. Dans l’ordre des Acalèphes, chez les Méduses supé- 49 LA VIE ET LA LUMIÈRE rieures, j'ai observé sur Pelagia Noctiluca que le siège de la phosphorescence est dans les cellules épithéliales de la surface du chapeau, des tentacules et des glandes génitales : elles se fondent en un mucus lumineux, qui s'attache aux doigts. On peut se rendre très exactement compte des modifica- tions qui se passent dans les cellules épithéliales au moment où la lumière apparaît. Hippodius gleba est un élégant Cténophore, assez commun dans la baie de Villefranche. Quand il est dans l’eau, au repos, il n'émet aucune clarté et sa chaîne de segments en forme de sabots de cheval, reste transparente comme du cristal. Mais vient-on à exciler mécaniquementl'’animal, la transparence est remplacée par un aspect louche, laiteux,opalescent, en même temps que se développe une magnifique illumination azurée de la surface, d’un bel effet dans l'obscurité. Le même phé- nomène peut être provoqué sur un anneau isolé, ou seule- ment sur un mince fragment, en procédant avec précaution. Dans ces conditions, l'examen microscopique devient pos- sible el permet de constater qu’au moment précis de l’excita- tion, le cytoplasme des cellules de l’épithélium, et de celles-là seulement, devient trouble par la formation d’une foule de granulations causée par l'ébranlement, comme apparaissent brusquement, à la suite d’un choc, des cristaux au sein d’une solution sursaturée. Il:y a concordance absolue entre l’appa- rition de la lumière et celle des granulations et ce fail est à rapprocher de celui que j'ai déjà signalé chez les Nocti- luques (voir p. 37). Dans l’ordre des Siphonophores, les genres et les espèces lumineuses sont très nombreuses, ainsi que dans l’ordre des Hydroméduses. Les Polypiers Anthérozoaires du sous-embranchement des Cnidiaires ont fourni également des observations intéres- santes. On a retiré des profondeurs du Golfe de Gascogne, entre autres, des spécimens appartenant à la famille des Gorgonidés qui devaient former au fond de la mer de véri- tables forêts lumineuses, car ces polypiers peuvent atteindre LES COELENTÉRÉS IUMINEUX . 43 jusqu'à deux mètres de hauteur. Amenés sur le pont du Ta- lisman, qui les avait pêchés, ils produisaient des jeux de feux dont les éclats s’atténuaient puis se ravivaient pour passer du violet au pourpre, du pourpre au rouge, à l’orangé, au bleu, et aux différents tons du vert, parfois même au blanc de fer surchauffé, et ce n’est pas là une des particularités les moins curieuses de la lumière froide physiologique. La clarté était si vive qu'on pouvait lire à une distance de six mètres. Les types les plus remarquables sont les Isis, les Gorgones, les Mopsea, les Melithea et aussi Plumarella Grimaldi, ainsi que des Ombellulaires, portant une longue tige surmontée d’un bouquet de polypes émettant une jolie lumière violette. Le Prince de Monaco a pêché de très beaux spécimens de ces animaux dans des fonds de 4.400 mètres. Les branches et les zooïdes sont phosphorescents de sorte qu’on croirait se trouver en présence d’arbustes dont les rameaux porteraient des fleurs lumineuses. Au point de vue de l'analyse physiologique, les plus inté- ressants parmi les Polypiers sont les Plumes de mer ou Pennatulides. Ici, la lumière émane exclusivement des polypes rudimen- taires ou zooïdes. Les organes lumineux sont les huit cor- dons adhérents à la surface externe de la cavité gastro-vas- culaire et se continuant dans chacune des papilles buccales. Ils renferment de ces cellules à granulations caratéristiques, dont il a été déjà souvent parlé. Celles-ci peuvent laisser échapper leur contenu sous forme d’un mucus lumineux, comme l'épithélium des Méduses. Si l’on touche une Plu- matule bien vivante, il se produit une série d’étincelles sur les bords polypifères et celles-ci vont en se prolongeant de proche en proche, d’un polypier à l’autre et d'une branche à une autre, dans un ordre qui a été déterminé avec soin par Panceri. Le temps qui s'écoule entre le moment de l’excita- tion et l'apparition du courant lumineux est environ quatre cinquièmes de seconde et celui-cise propage, chez Pennatula rubra et P. phosphorea avec une vitesse de deux secondes en moyenne à tout l’étendard. 44 LA VIE ET LA LUMIÈRE EN RÉSUMÉ, chez les Cœlentérés, l'irritabilité continue à jouer un grand rôle dans la réponse lumineuse à une excita- tion; mais le phénomène photogène peut se montrer là où l'irri- tabilité n'existe plus. Il tend à se localiser, par exemple, dans les cellules à mucus de l’épiderme et aussi dans des organes fonctionnant comme des glandes chez les Cœlentérés adultes. La fonction photogénique existe déjà dans l'œuf et dans la larve. Le siège de la réaction lumineuse ultime, fondamentale peut étre facilement localisé dans ces granulations distinctes aux- quelles j'ai donnéle nom de vacuolides et que l'on fait apparaitre facilement dans certaines circonstances. Par leur désagrégation, les Cœlentérés, dans certains cas, provoquent la phosphorescence de la mer. CHAPITRE IV ÉCHINODERMES, ENTÉROPNEUSTES, VERS LUMINEUX Les organismes lumineux sont relativement rares dans l'embranchement des Échinodermes. Un seul a été signalé, Diadema setosum Gray, chez les Oursins ; les autres appartiennent aux Stellérides (Brisinga) et aux Ophiures (Ophiothrix, Ophiacantha, Amphiura, etc.). Les Brisinga sont des Étoiles de mer d’une grande beauté, aux bras longs et flexibles. Asbjoernsen leur a donné ce nom générique dérivé de Brising, qui est celui du bijou étincelant posé sur le sein de Fréia, déesse de l'amour et de la beauté dans la mythologie scandinave. Les Étoiles de mer lumineuses pa- raissent plus abondantes dans les régions abyssales. Edmond Perrier en a retiré de fonds de 800 à 1.500 mètres sur la côte occidentale d'Afrique, pendant la campagne du Talisman, une espèce (Odinia elegans Perrier) très brillante. Les jeunes sont ordinairement plus lumineux que les adultes. Chez Ophiacantha, la lumière n'est pas continue et il en est généralement ainsi dans les autres espèces. Pour cette dernière, la lueur de feu dessine le disque, l’éclaire jusqu'au centre et se met à courir le long des bras. La couleur de la lumière est ordinairement verte, ou jaune vert. Chez Ophiopsila annulosa, de la baie de Naples, la substance photogène est sécrétée par des glandes unicellulaires : si la sécrétion n’est pas abondante, la cellule brille seule et le liquide ne se répand pas dans l’eau ambiante. La sécrétion 46 LA VIE ET LA LUMIÈRE est sous l'influence des nerfs, qui agissent par l'intermédiaire des muscles. Il en est de même pour d’autres espèces. Morphologiquement, les ÆEnteropneustes forment une tran- sition naturelle entre les Échinodermes et les Vers : c’est ce que l’on constate aussi sous le rapport de la photogénèse. J'ai trouvé aux environs de Roscoff, enfoui dans le sable, un Balanoglossus émettant, lorsqu'on le brisait, une belle couleur vertémeraude. Diguet a rencontré également un grand Balanoglosse lumineux sur les côtes de Californie. Parmi les Vers oligochètes, on a signalé, à la Nouvelle- Zélande, une grande espèce de Lombric photogène(Octochætus mulliporus) servant à l'élevage des volailles et rien n’est plus curieux que de voir, le soir, ces volatiles ingurgiter cette sorte de macaroni lumineux. J'ai souvent rencontré dans nos jardins une espèce de Ver de terre phosphorescent, pro- bablement originaire de la Patagonie (Photodrilus phospho- reus Giard, ou Microscolex modestus Rosa). Ce Lombric laisse sur les doigts et sur ses propres traces un mucus lumineux, qui est le résultat d'une sécrétion de glandes cutanées. Je n’y ai jamais trouvé de Photobactéries. Dans le groupe des Annélides polychètes errantes, on a signalé un certain nombre d'espèces marines photogènes. La plus commune est Polynoe torquata, dont les glandes lumi- neuses siègent au voisinage des élytrophores. D’après Kuts- chera, la sécrétion lumineuse, chez Acholoe astericola, se fait par des cellules glandulaires épithéliales en forme d’étoiles au travers de la cuticule des papilles de la surface des élytres. Par des glandes disséminées sur les élytres, les antennes, les appendices et la peau, Chætopterus variopedatus, annélide polychète sédentaire de la Méditerranée, fournit une abon- dante sécrétion, qui rend l’eau ambiante phosphorescente. Chez les larves des Annélides marines, la phosphorescence se montre même avant la différenciation des tissus méso- dermiques. Pour certaines espèces, il se peut que la luminosité ne se manifeste qu’au moment de la période de reproduction et qu'elle facilite cette dernière. . ÉCHINODERMES, ENTÉROPNEUSTES, VERS LUMINEUX 47 EN RÉSUMÉ, chez les Vers, comme chez les Échinodermes, le Jonctionnement photogénique affecte le caractère d’une sécrétion glandulaire externe. La biophotogénèse existe de très bonne heure chez les larves et probablement déjà dans l'œuf. CHAPITRE V ARTICULÉS LUMINEUX CRUSTACÉS, THYSANOURES ET MYRIAPODES Dans l’embranchement des Articulés, on trouve chez les Crustacés marins, chez les Thysanoures, chez les Myriapodes et les Insectes, des espèces très intéressantes au point de vue de l'étude de la fonction photogénique : elles sont particuliè- rement nombreuses dans le groupe des Insectes, Chez les Crustacés, il ne faut pas confondre ceux qui sont normalement photogènes avec des individus accidentellement éclairants par suite d’inoculation parasitaire (voir p. 23). Chez les premiers, on rencontre deux sortes d'organes lu- mineux : 1° des glandes photogènes à sécrétion interne ; 2° des glandes photogènes à sécrétion externe. La fonction photogénique appartient, en propre, particu- lièrement à deux ordres de Crustacés : les Schizopodes et les Décapodes. C'est chez les Schizopodes Euphaustidés que se rencontrent les organes photogènes localisés, qui portent le nom de photosphères. Chun a donné de bonnes figures de ces organes, mais n’a pas bien saisi leur fonctionnement, qui est très analogue à celui des glandes à sécrétion interne des Insectes et des Mo- lusques Céphalopodes. Chez Nematoscellis rostrata, l'organe lumineux est étroite- ment annexé à l'organe oculaire, de sorte que ce dernier peut facilement distinguer les objets éclairés par le premier ; d'au- tant mieux que cette lanterne est munie d'un réflecteur et d’une lentille (fig. 8). ARTICULÉS LUMINEUX 49 Les photosphères ont de grandes homologies de structure avec l'œil : nous retrouverons quelque chose de semblable chez la Pholade dactyle (voir p. 84), chez laquelle la face externe de la peau du siphon est sensible à la lumière tandis que la face interne est photogène et pourtant, entre ces deux couches, les différences morphologiques ne sont pas considé- rables. En outre, sous certains rapports, l'œil peut être consi- déré comme une glande. Dans la photosphère de Chun, voici comment 1l convient d’in- terpréter les choses. Le réflec- teur rfl se compose d’une cou- che pigmentaire pg extérieure à l'organe, tapissant la face pro- fonde de la couche de fibres. Le réflecteur est traversé par un nerf x, dont les ramifications se répandent dans l’intérieur de l'organe. Au centre de la photo- sphère se trouve le corps strié str que Chun avait considéré comme la partie photogène. En réalité, celle-ci est représentée par de li emma nn grandes cellules granuleuses € trata. qui entourent le corps strié et dont la masse est creusée par les ramifications d’un vaste sinus sanguin sin. L'ensemble de ces cellules constitue une glande à sécrétion interne, dont les produits se déversent dans le sang apporté à l'organe par le sinus. Comme dans la glande pho- - togène à sécrétion interne du Pyrophore, les petits muscles de la photosphère ont pour fonction non de la faire mouvoir puisqu’elle est fixe, mais de faire pénétrer le sang dans le sinus qui le distribue dans la glande et danslequel se déversent ses produits de sécrétion. Comme le réflecteur, la lentille / est un organe de perfectionnement. La seconde espèce d'organes lumineux chez les Crustacés est représentée par des glandes à sécrétion externe, Elles ont R; Dusois. 4 30 LA VIE ET LA LUMIÈRE élé bien observées par Giesbrecht sur plusieurs Copépodes Entomostracés du Golfe de Naples. Ce sont de très petites glandes unicellulaires cutanées, de o mm. 010 à o mm. 015, en forme de poire, renfermant une liqueur qui peut être déjà lumineuse avant son émission, mais peut aussi être lancée à une certaine distance. Ces organes sont très nom- breux : Giesbrechl en a compté jusqu'à 18 répandus sur tout le corps et Hansen jusqu’à 117 disséminés sur toute la sur- face de la carapace et des membres par places et nombres définis. Les excilants physiques (chaleur, électricité), mécaniques (choc, pression), chimiques (vinaigre, eau douce, ammoniaque surtout) provoquent des décharges partielles ou générales de toutes les glandes. Chez un Crabe japonais, Dœflein a vu que la sécrétion lumi- neuse était due à des glandes céphaliques et qu'elle s'accu- mulait dans des sacs, d’où elle était chassée par des contrac- Lions musculaires. Cet Ostracode laissait ainsi dans son sillage un ruban étincelant. : Giesbrecht a constaté que le pouvoir photogène persiste assez longlemps après la mortet dansles cadavres desséchés, où l'on peut ranimer la lumière par un peu d’eau douce. L'alcool suspend par déshydratation la luminosité, les acides la suppriment et l’'ammoniaque l’exagère. C'est ce que nous rencontrons partout. Parmi les Décapodes : les Macroures, les Anomoures et les Brachyures, on trouve des espèces lumineuses. Gerion tri- dens est remarquable par l'éclat des foyers lumineux qui accompagnent les yeux. Il est important de retenir que de même que dans les pho- tosphères, les organes nettement glandulaires des Euphau- süidés sont entourés d’un sinus sanguin : cette riche circula- tion, que l’on trouve si accusée chez les Insectes, aurait dû tout d'abord attirer l'attention des observateurs. Dans les organes photogènes des Schizopodes, en particu- lier, on trouve, comme chez les Insectes, des cellules photo- gènes granuleuses et d'autres qui ne le sont pas. En réalité, ARTICULÉS LUMINEUX A Al te sont des cellules toujours glandulaires; mais à des degrés de développement, d'évolution différents. EN RÉSUMÉ, chez les Crustacés, on trouve deux sortes d’or- ganes lumineux : 1° des photosphères composées d'une glande pho- togène à sécrétion interne, en rapport avec de larges sinus $an- quins, et pourvues de parties accessoires de perfectionnement : tels que réflecteurs et lentilles: 2° des glandes photogènes à sécrétion externe, avec ou sans réservoir et conduit excréteur, entourées de sinus sanguins avec lesquels elles sont dans un rapport étroit. Le rôle des muscles dans l'irrigation des sinus sanguins se dessine également et permet de comprendre déjà l'action indi- recte du système nerveux sur le fonctionnement des organes photogènes. La photogénèse a élé constatée dans l’ordre des Thysa- noures chez des Podurides du genre Lipura. J'en ai trouvé en abondance au mois d'octobre 1886, dans le sol d’une houblonnière du village d'Handschusheim, près d'Heidelberg, dans le grand-duché de Bade. Ils ren- daient le sable étincelant comme celui d’une plage remplie de Noctiluques. Ces petits animaux d'une longueur de 2 à 3 millimètres émettent par toute la sur- face du corps une lueur bleuâtre, qui émane de glandes cutanées dont le corps est couvert. La chaleur, l'agitation aug- mentent la luminosité. L'espèce que j'ai observée est Lipura noctiluca Dubois (Hg. 9). Il existe un assez grand nombre d’ob- ATARI L À ; ; IG. — LIpura servations de Myriapodes lamineux, mais noctiluca Dubois. la fonction photogénique n’a pu être bien Ex étudiée que sur des individus de deux espèces : Scolia- planes crassipes et Orya barbarica. J'ai rencontré des indi- vidus de la première espèce en assez grande abondance dans 52 LA VIÉ ET LA LUMIÈRE la même localité et à la même époque que Lipura ambulans. Mais on a signalé son existence dans toute l’Europe centrale, principalement en Angleterre, en Allemagne et en France. Ils laissent après eux une traînée de mucus verdâtre lumineux, qui se dessèche rapidement et est sécrété par des glandes unicellulaires sternales : il y en a quatre par anneau. Si l'animal est fatigué, il cesse de sécréter le liquide photogène, mais le corps reste lumineux depuis la tête, exclusivement, jusqu'à la queue. En captivité, la lumière disparaît, mais on peut la faire renaître par l'excitation mécanique ou par la chaleur jusqu'à 4o° et 50°. Au-dessus de cette température la lumière cesse brusquement. Les deux sexes sont phos- phorescents. Orya barbarica est un su- 7 { f) 17 ETS UE L . IL C7 URUOUE D perbe géophile pouvant at : À teindre 10 et même 12 centi- FiG. 10, — Glande photogène de l'Orya barbarica. mètres de longueur: il habite l'Algérie et la Tunisie. Dans le Sud-Oranais, aux environs de Tlemcen, j'en ai trouvé de nombreux spécimens dans des endroits secs, dénudés, mais non absolument dépourvus de végétation. Il habite dans le jour sous des pierres, le plus souvent en compagnie d'un Scorpion, qui peut-être profite de la lumière de son compa- gnon. Comme chez Scolioplanes, les deux sexes sont phosphores- cents. Ils sécrètent, par des glandes unicellulaires s'ouvrant par des pores groupés en ellipse sur les lames sternales et sur les plaques antérieures et postérieures des épisternums(fig. 10), une substance visqueuse, épaisse, jaunâtre, d'une odeur sui generis, d'une saveur âcre. La lumière qu'elle émet avec une certaine persistance, est d’un bleu verdâtre rappelant celle du phosphore. Pendant la réaction photogène qu’on peut suivre avec le microscope, on voit se former de magnifiques cristal- lisations (fig. 11). La réaction n'est pas sous la dépendance directe de l'oxygène de l'air. En effet, si l’on frotte un peu de mucus entre les doigts, il s'éteint par dessiccation, mais en ARTICULÉS LUMINEUX 53 trempant les doigts dans l’eau, la lumière reparaît. Au bout de deux mois, j'ai pu faire renaître la lumière sur un fragment de papier à filtrer imprégné de mucus photogène desséché sim- plement, en l’humectant d’eau. Ce produit est acide, comme celui des Podures : il ne s’agit donc pas d'une réaction iden- tique à celle que Radzisewski a obtenu avec une solution for- tement alcaline de potasse dans l’alcool et de diverses sub- stances. La plus belle des réactions artificielles de ce genre Fi. 11. — Cristaux de la sécrétion glandulaire de l’Orya barbarica. est celle que j'ai obtenue avec l’esculine (voir oxyluminescence, P- 133). Le mucus photogène de l’Orya donne toutes les réactions des substances albuminoïdes. Traité par l'alcool absolu, il s'éteint aussitôt, mais le coagulum peut être rendu de nou- veau lumineux par l'eau après évaporation de l'alcool. EX RÉSUMÉ, chez les Thysanoures et chez les Myriapodes, la Jonction photogénique est localisée dans des organes glandulaires à sécrétion externe. Le produit photogène excrété peut étre éteint par dessiccation et, longtemps après, la lumière peut étre ravivée par l'addition d'un peu d'eau. Au sein de ce liquide prennent naissance des cristaux, dont il sera question à propos du méca- nisme intime de la fonction photogénique (p. 131). CHAPITRE VI ARTICULÉS LUMINEUX (suite) LES INSECTES LUMINEUX De tous les animaux lumineux, ce sont les Insectes qui ont suscité le plus grand nombre de recherches, parce que, d'une part, on les rencontre sur un très grand nombre de points du globe où ils peuvent être facilement capturés et, d'autre part, parce que si l’on met à part quelques animaux très rares, ce sont eux qui fournissent la plus belle lumière. J'ajouterai que parmi les Insectes se trouve le genre Pyro- phorus, dont les individus de l'espèce P. noctilucus sont de véritables animaux de laboratoire, très vivaces, se prêtant admirablement à l’expérimentation, comme je l'ai montré dans mon livre sur les Elatérides lumineux (1). Il existe un nombre considérable de publications sur les Insectes lumineux. Leur analyse n'est pas bien instructive parce que la plupart des chercheurs se sont laissés pour ainsi dire hypnotiser par une idée préconçue absolument fausse, à savoir que les trachées des Insectes sont des sortes de «tuyaux de forge » enflammant le bioprotéon comme un vulgaire charbon. Si les auteurs avaient su que l’œuf de l’Insecte, même avant la fécondation, fabrique de la lumière, ils n'auraient (1) Contribution à la production de la lumière par les êtres vivants, Les Élatérides lumineux. Bull. de la Soc. zool. de France, Paris, 1886, et thèses de la Faculté des Sciences de Paris, 1886, ouvrage couronné par l'Institut (grand prix des sciences physiques, 1887). LES INSECTÉS LUMINEUX 55° pas cherché sans doute à faire jouer aux trachées, aux muscles, aux nerfs un rôle fondamental dans la photogénèse. Tous les Insectes lumineux appartiennent à l'ordre des Coléoptères : la luminosité observée dans d'autres ordres était très vraisemblablement exclusivement parasitaire. Parmi les Coléoptères, tous se rangent dans deux familles affinées : les Malacodermidés et les Élatéridés. . Me plaçant ici surtout au point de vue physiologique, j'étudierai dans ce chapitre plus spécialement notre Ver lui- sant (Lampyris noctiluca), la jolie Luciole d'Italie (Luciola ita- lica) parmi les Malacodermidés et, parmi les Élatéridés, le beau Pyrophore des Antilles (Pyrophorus noctilucus), les ré- centes recherches faites en Amérique sur les Photuris et les Photinus n'ayant rien ajouté d’important à ce que l'on savait déjà. Œufs lumineux des Insectes. — Newport croyait que la luminosité de l'œuf des Vers luisants est due à des matières qui lui sont étrangères et Wielowiejski a réédité celte grossière erreur. L'œuf du Lampyre fabrique lui-même sa propre lumière. Il suffit pour s’en convaincre de piquer avec une épingle un œuf lumineux; on en fera jaillir une goutte- lette brillante, tandis que l’œuf non blessé ne laisse aucune trace lumineuse sur les doigts ou sur le papier. J’ai montré que l'œuf est photogène de très bonne heure, alors qu'il est encore contenu dans l'oviducte et avant toute fécondation. Il est curieux de remarquer qu'après la ponte, pour la femelle, comme après la fécondation, pour le mâle, la luminosité des appareils éclairants baisse de plus en plus et finit par s'éteindre presque complètement, comme si ce qui fait la lumière était transmis par les ancêtres à leurs descendants, lesquels transmettront à d’autres ce flambeau de la Vie qui jamais ne s'éteint un seul instant en passant de l'œuf aux larves, des larves aux nymphes et de ces dernières aux Insectes parfaits, pour retourner aux œufs et ainsi de suite pendant de longs siècles. Cela ne peut surprendre après ce que j'ai dit dans l'introduction de ce livre sur la constitution intime du Bioprotéon. Ce n’est pas évidemment la substance photo- 56 LA VIE ET LA LUMIÈRE gène tout entière qui est léguée ainsi héréditairement, mais seulement quelque principe essentiel à sa production et à son fonctionnement, et ce quelque chose est contenu dans l'œuf à l’état de granulations infiniment petites, capables de se développer et même de se multiplier; ce sont les « vacuo- lides photogènes » que nous apprendrons à connaître plus tard. J'ai montré que ce n'est ni dans le chorion, ni dans le vitellus nutritif que se localise la lumière de l'œuf, mais dans le vitellus de formation, et, après la segmentation, F1G, 12. — Formation de l'organe lumineux. A, face supérieure et postérieure de l'anneau ; — B, face inférieure de l'anneau ; — ca, ca, plastides du corps adipeux, — »p, p, plastides de l'hypoderme suppor- tant des poils. dans le blastoderme, dont dérive l’ectoderme, qui donnera plus tard naissance aux organes lumineux. On peut dire qu'ici la fonction précède l'organe, qui n'intervient que pour la mieux servir. J'ai constaté qu'il en était de même pour la fonction purpurigène dans l'œuf du Murex qui produit la Pourpre. Les mêmes constatations ont été faites sur les œufs des Pyrophores des Antilles, que j'ai pu faire pondre au labo- ratoire de Paul Bert, à Paris, alors que j'étais son prépa- LES INSECTES LUMINEUX 57 rateur; il doit en être de même pour tous les Inseetes lumi- neux. Larves lumineuses.— À sa naissance, la larve du Ver luisant n’a pas plus de 1 à 2 millimètres de longueur : elle est inco- lore, mais ne tarde pas à brunir, sauf en deux points où il y a deux taches ovoïdes jaune clair situées sur la face ven- trale de l’avant-dernier anneau et où la cuticule est restée mince et transparente. Cette sorte de cornée correspond aux deux organes larvaires (fig. 12). Ils se sont développés d'un certain nombre de grosses cellules hypodermiques desquelles partent des files de jeunes éléments, dont l’ensemble formera l'organe lumineux larvaire, qui plus tard s’isolera en s’en- fonçant dans la profondeur. L'organe larvaire photo- gène conserve son aspect de- puis la première mue jusqu’à D: À ARENA Fic. 13. — Cellules photogènes du la quatrième et dernière : 1 Pyrophore subissant la désagréga- atteint à peu près le volume tion granulaire. Transformation progressive des L S = de 1 œuf, dont il rappelle un granulations en spéro-cristaux. peu la forme ovoïde : il est enfermé dans une sorte de sac anyste relié à l'hypoderme par un mince pédicule, par un tronc trachéen, d’où partent de nombreuses et très fines trachéoles se distribuant dans tout l'organe, et par quelques fibres musculaires. C’est à ces dernières qu'aboutissent les fines branches nerveuses qui se dirigent aussi vers l'organe. Les cellules de l'organe photogène se présentent bientôt sous deux aspects différents : celles de la couche supérieure sont fortement granuleuses, tandis que les autres, dont les noyaux laissent voir des contours bien distincts, sont trans- parentes et très finement granuleuses. Ces dernières sont des plastides jeunes et les autres, plus âgées, commencent à subir la désagrégation des éléments glandulaires (fig. 13). Mais les unes et les autres sont bien de même nature et elles ont bien toutes la même origine. Wielowiejski et Bongardt acceptent maintenant cette opinion que j'ai émise en 1887. LA VIE ET LA LUMIÈRE ©t O0 Quand on écrase, sous le microscope, l'organe larvaire, il s'en échappe une quantité de très petits corpuscules arrondis, animés non seulement de mouvements browniens rectilignes, mais encore de mouvements de translation curviligne. Chez les larves des Pyrophores, inconnues jusqu'alors, et FiG. 14. — Larve du Pyrophore au sortir de l'œuf, appareil lumineux. md, mandibule ; — «, antenne ; — ep, epistome; — y,:œil; — /e, ligne claire; — apl, appareil lumineux; — ip, insertion de la première paire de pattes; — st, niveau du premier stigmate ; — tr, trachées. î que J'ai pu obtenir des œufs pondus à la Sorbonne, j'ai vu que dans le premier âge, il existe un foyer lumineux à l'union de la tête et de l'anneau prothoracique. Il paraît formé de deux lobes accolés (fig. 14) séparés par un sinus sanguin à la partie antérieure. Ces lobes sont soumis: à des déformations rythmiques coïncidant avec les contractions de petits muscles latéraux et aussi avec des variations dans l'in: LES INSECTES LUMINEUX 59 tensité lumineuse semblant dépendre de ces mouvements. Au moment de mes observations, les larves avaient une longueur de 3 millimètres. à Après la deuxième mue, apparaissent d’autres organes lumineux : il y en a trois par anneau et ils sont rangés sui- vant des lignes parallèles sur la face inférieure des huit pre- miers anneaux de l'abdomen. Comme le premier, le dernier anneau abdominal ne compte qu’un organe photogène. Quand la larve du Pyrophore est immobile, on pourrait la comparer à un bracelet ouvert formé de trois rangées de perles lumineuses et portant sur chaque fermoir un point unique plus brillant. Toute irritation augmente l'intensité de la lumière : celle- ci ne se produit parfois que dans le point excité, ou bien elle se généralise, C’est le cas quand l’animal marche ou cherche à s'échapper. Le va-et-vient de la lumière produit le même effet qu'une rampe de becs de gaz balayée par le vent, dont les foyers s’éteignent et se rallument de proche en proche. Rien n'est plus merveilleux que l'étrange illumination de cet être bizarre, dans les entrailles duquel semble circuler un métal en fusion. On se figure difficilement l'impression que pourrait produire l'apparition inattendue d'un animal sem- blable, cinquante fois plus long seulement et large à propor- tion. Parfois ces larves se livrent des combats acharnés, pendant lesquels on les voit faire feu de toutes parts : à chaque choc jaillissent des gerbes de rayons étincelants el rien n'est plus curieux à observer que cette lutte du feu contre le feu dans la nuit ! A partir de ce moment, les larves creusent des galeries dans le vieux bois; leur développement n'a pu être suivi plus loin : la nymphe est inconnue. . Chez les larves des Phengodes de l'Amérique du Sud, il y a un fanal rouge à l’union de la tête et du premier anneau et vingt petits feux d’un bleu verdâtre disposés en deux lignes parallèles sur le reste du corps. J'ai observé une lueur légère répandue sur tout le corps du Lampyre au moment des mues et pendant le temps très court où les téguments restent transparents; Tout l'hypo- 60 LA VIE ET LA LUMIÈRE derme, par sa face profonde, semble prendre part à la photo- génèse. Le même phénomène se voit chez la nymphe : pen- dant toute la période nymphale, ses téguments restent rosés, transparents. Elle est immobile, ramassée sur elle-même en boule, comme certains quadrupèdes dormant du sommeil quotidien ou du sommeil hivernal et dans un état de torpeur profonde, continue. Tant que dure cet état d'inertie exté- rieure, on voit britler d'une lueur fixe, calme, vive, les F1G. 15. — Coupe de l'organe mâle du Lampyre mâle (grossis. 120 diam.). a, a, a, plastides du corps adipeux; — fr, trachées ; — ;n, faisceau musculaire ; — ‘, couche crayeuse ou radio-cristalline ; — g, granulations libres ; — p, p, couche parenchymateuse ; — à, à, i. i, cellules de l'hypoderme, appareils larvaires, qui ne semblent pas prendre part aux métamorphoses internes bouleversant silencieusement l’orga- nisme, en vue des nouvelles fonctions qu'il aura à remplir. Il est bien évident que pendant toute cette période la volonté n'intervient en rien dans l’accomplissement du phé- nomène. Après la transformation de la nymphe en Insecte parfait, les organes larvaires persistent seuls chez le mâle (fig. 15) mais, chez la femelle, de la face profonde de l’hypoderme sont nés des organes nouveaux qui occupent les dixième et onzième anneaux, tandis que l'organe larvaire, qui persiste ici également,occupe le douzième et dernier anneau (fig. 16). LES INSECTES LUMINEUX 61 Ces organes nouveaux, très briliants, sont situés à la face ventrale. Ils naissent de la prolifération des cellules hypoder- miques, qui se groupent en chapelets: par leur accolement, ces files cellulaires forment une membrane recourbée sur elle-même, creusée de sinus sanguins délimitant des lobes (fig. 17). De petits muscles intrinsèques et extrinsèques peuvent écarter les bords des sinus et des méats qui se remplissent ainsi de sang. Ces muscles, que j'ai décrit depuis fort longtemps, ont été signa- lés de nouveau par Bongardt, qui porte leur nombre à six faisceaux par organe. Par leurs extrémités la- térales, les organes photogènes fe- melies reçoivent de gros troncs tra- chéens, qui se ramifient dans tous les lobules. Je n'ai pas rencontré d’autres filets nerveux que ceux qui se rendent aux faisceaux musculai- ones le res. Les cellules les plus éloignées de neux de la femelle du la naissance des files deviennent for- Rampe res ë N, chaîne nerveuse sym- tement granuleuses, se déforment en pathique, dont l'extrémité in- DA r C férieure est brisée et relevée; œ oo O' |: = subissant la désagrégation glandu No ee Cie en laire : elles forment la zone dite arrière; — {r, dr, trachées ; — in, m, muscles ; — 04, or- crayeuse des organes phologènes, gane lumineux larvaire ; — ainsi appelée à cause de son opacité 22,93: °'#2nes lumineux fe- et de sa teinte blanchâtre, par oppo- sition à la zone parenchymateuse formée de cellules jeunes, à contours bien limités, transparentes, facilement colora- bles, avec granulations très fines et d’un diamètre considé- rablement inférieur à celui des granulations de la couche crayeuse : elles ont les unes et les autres la même origine, mais en se recourbant, la partie des files renfermant les cel- lules âgées est venue former comme une couche distincte recouvrant celle des cellules jeunes. Bien que situés et disposés différemment, les organes lumi- neux des autres Lampyrides, des Photinus, de la Luciole,etc., 62 jA VIE ÊT LA LUMIÈRE présentent fondamentalement la même structure histolo- me me me me Lx DETTES me me' II me’ gique et le même agencement. A l’état adulte, la femelle de Lampyris noctiluca garde la forme larvaire : elle est aptère, tandis que le mâle, plus petit, est ailé. La femelle a de grosses lanter- nes et de petits yeux et le mâle des organes lumineux larvaires, mais de gros yeux qui lui per- mettent de découvrir de loin, en FiG. 17. — Appareils lumineux femelles vus par leur face ven- trale, montrant les files de plastides parenchymateux . et les méats, me, me, me, par où le sang circule dans les or- ganes ; en Î[, me’, me’, grand méal central entre la couche crayeuse el la couche paren- chymateuse. en son plein, la volant, la femelle immobile sus- pendue le ventre en l'air à un brin d'herbe, pendant les soi- rées calmes et obscures de l'été. Elle craint la concurrence de la lune et quand celle-ci brille femelle du Ver luisant éteint sa veilleuse. Dansles genres Luciola, Photinus, etc., les deux sexes sont ailés. Il en°est de même chez Pyrophorus ce roi de la gent aérienne Le mâle ne se distingue guère de la femelle que par la taille, qui est plus grande chez cette der- noclilucus, lumineuse. nière. L'Insecte parfait possède trois fa- naux, qui émettent une lumière d’une in- comparable beauté : deux sont situés sur le ‘dos du prothorax et le troisième à la face ventrale du corps (fig. 18). Ce dernier n'est visible que lorsque l’Insecte relève la pointe de l'abdomen, : ce qu'il ne peut faire qu'en écartant les FiG. 18. — Pyrophorus ‘ noctilucus montrant ses deux lanternes prothoraciques (grandeur naturelle, individu de forte taille). ailes et les élytres. L'appareil ventral n'entre en jeu que dans le vol et dans la natation. LES INSECTES LUMINEUX 63 J Au repos, cet organe, enveloppé par une membrane mince anhiste, est reployé en forme de bissac caché dans l’espace Fire. 19. — Coupe horizontale de la plaque lumineuse ventrale du Pyrophore noctiluque. I, hiatus ou sinus central antérieur et lacunes ou méats latéraux ; — », m., muscles latéraux intrinsèques écarteurs des méats et tenseurs de la plaque ventrale. compris entre le métathorax et le premier anneau abdominal : il est vide de sang. Quand l'abdomen, en se relevant, s'éloigne du métathorax, le bissac se déploie en un ecusson ovalaire et l’on distingue alors deux sinus, l'un: antéro-postérieur s'arrêtant vers le milieu de l'organe, dans l'extrémité duquel débouchent à angle aroit deux sinus latéraux. Les lèvres du sinus antérieur s'écar- tent par la contraction de deux pe- tits muscles latéraux et le sang pénètre en abondance dans l’or- gane au moment où il va devenir éclairant (fig. 19). F1G. 20. — Coupe schématique C'est par un mécanisme analo- d’un organe lumineux pro- ; thoracique de Pyrophore. gue que le fonctionnement des or- PAR CA A ANNEE ganes céphalothoraciques est :as- jequel le sang pénètre par l'hia suré, mais ces derniers sont séparés , Dascies on 4e innervés par! les de l'extérieur par une cornée chiti- : nerfs # #;— 4», trachées. neuse transparente rigide (fig. 20). Le tissu photogène se compose, comme chez les Lampy- rides, de files de cellules nées de la face profonde de l'hypo- derme, dont les plus vieilles sont en dégénérescence granu- leuse glandulaire. Les produits résultant de cette désagréga _ 64 LA VIE ET LA LUMIÈRE tion sont versés dans le sang des sinus et l’on assiste ici au mécanisme le plus simple et le plus saisissant d’une sécrétion interne. Les trachées fort nombreuses dans l'organe photo- gène, qui en est pénétré de toutes parts, amènent en abon- dance de l'oxygène au sang pour l'hématoser et les nerfs se rendent aux muscles chargés de modérer ou d'activer l’en- trée ou la sortie du sang des sinus. J'ai démontré par de nombreuses expériences et par l'étude anatomique approfondie de l'appareil respiratoire du Pyro- phore que tout ce que l’on avait prétendu relativement au rôle prépondérant des stigmates, des troncs trachéens et de la distribution de leurs branches était imaginaire. Les gros troncs trachéens communiquent tous entre eux et si l’on bouche un ou deux stigmates, la pénétration de l’air s’effec- tue par les autres. Il ne me paraît pas utile de critiquer ici l'opinion de ceux qui prétendent que les trachéoles se termi- nent dans les cellules lumineuses. On ne sait pas encore exactement comment se terminent les trachées. Toutes ces savantes discussions ont perdu leur intérêt aujourd'hui que l'on sait que l'œuf de l’Insecte fait de la lumière sans trachées, sans nerfs et sans muscles. Physiologie de l'Insecte lumineux. J'ai choisi de préférence à tout autre insecte pour mes recherches expérimentales le Pyrophore des Antilles, non seulement à cause de l’incomparable éclat de sa lumière, mais encore et surtout parce que c’est un Coléoptère robuste, facile à nourrir en captivité et se prêtant admirablement à tous les genres d'expérience : c’est, en un mot, un véritable animal de laboratoire. Si, au lieu de s'attaquer à de chétifs Lampyrides comme la Luciole et les Photuris américains, les Lampyres, etc., difficiles à manier, on s'était adressé de suite aux Pyrophores, il y a longtemps que les divergences qui se perpétuent parmi les savants auraient cessé. IL est vrai qu'il existera toujours sans doute de ces soi-disant savants qui ne croient pas nécessaire de faire des expériences, ne fût-ce que LES INSECTES LUMINEUX 65 pour contrôler celles qui ont été faites par d’autres, pour approuver ou condamner telle ou telle opinion. La méthode «intuitive » de Giard est la contre-révolution de la révolution dans les sciences biologiques expérimentales due à Magendie et à Claude Bernard : elle a malheureuse- ment trouvé en France et autre part des adeptes. J'ai eu la bonne fortune de pouvoir étudier jusque dans les moindres détails l'anatomie du Pyrophore noctiluque grâce aux savants conseils et à la très précieuse collaboration de l’émi- nent entomologiste français Kunckel d’Herculais du Muséum d'histoire naturelle de Paris : par elle, j'ai pu entreprendre avec certitude et précision de nombreuses expériences. Il est vrai aussi que j'ai reçu pour cet objet des Anlilles des cen- taines de beaux Pyrophores expédiés avec une inoubliable générosilé par M. Guède, secrétaire de la Société d'Horticul- ture de la Guadeloupe, sans lesquels il m’eût été impossible de mener à bonne fin mes recherches expérimentales. Le Pyrophore noctiluque est construit comme notre Taupin, mais il est beaucoup plus grand. Toutes les espèces de ce genre ne sont pas lumineuses : il ÿ en a (P. extinctus, P. cæcus, par exemple), qui ont perdu le foyer ancestral : on ne retrouve plus sur le prothorax que la place des organes lumineux. On connaît une centaine d'espèces lumineuses cantonnées entre le 30° de latitude nord et le 30° de latitude sud et entre le 40° et le 180° de longitude : presque toutes sont donc améri- caines, à l'exception de quelques-unes, qui sont océaniennes. Les Nègres de la Guadeloupe leur ont donné des noms qui rappellent parfois le bruit que font ces Taupins avec le res- sort de leur corselel et avec leurs ailes quand ils prennent leur vol : Labelle, Clindindin, Clinclinbois. Les anciens Espa- gnols les appelaient Cucuyo, Cucullo, Cucujo, mots dérivés de Locuyo employé par les Indiens. Aux Antilles, ils se montrent à la saison des pluies, de la fin mars Jusqu'en septembre. Ce sont des Insectes lécheurs qui, à l’état adulte, se nourrissent plus particulièrement de jus de canne à sucre. Les larves se creusent des galeries dans les vieux bois; elles vivent de la moelle des roseaux R. Dugois. 5 66 LA VIE ET LA LUMIÈRE el des palmiers, el seraient lignivores : pourtant leur arma- ture buccale est plutôt celle des Insectes carnivores. Au Mexique, on garde les Pyrophores en captivité quatre semaines en leur donnant de la canne à sucre et des fleurs de Pluméria ; on les baigne une fois par jour dans l’eau fraîche. Je les ai conservés aussi longtemps à Paris, en les nourrissant avec des dattes fraîches, des bananes, des rondelles de ca- rottes. Ils aiment beaucoup les méringues et ingèrent égale- ment le glucose, le sucre de raisin, le sucre de lait, sans que leur pouvoir photogène soit modifié. L'eau surtout leur est indispensable. Le soir, on les voit voler dans les endroits chauds et hu- mides, peu élevés. La forte lumière paraît les plonger dans une sorte d’engourdissement et ils se réfugient pendant le jour à la face inférieure des feuilles de canne à sucre: ils semblent affectionner par-dessus tout cette lumière verte atténuée par le feuillage, qui se rapproche beaucoup de celle qu'ils émettent eux-mêmes. Au crépuscule, leur vol ne dure pas plus de deux ou trois heures. J'ai fait cette curieuse remarque que des Pyrophores que je tenais depuis plusieurs jours dans l'obscurité complète, allumaient leurs lanternes tous les soirs à la tombée de la nuit. Comment expliquer cette singulière périodicité, qui s’observe d'ailleurs dans les mêmes conditions chez les végé- taux sommeillants, tels que la Sensitive? L'effet produit par le vol des Pyrophores sur la lisière des forêts tropicales est féerique : « Ce sont, disait le Père Du- tertre, un auteur du dix-septième siècle, comme de petits astres animez, qui dans les belles nuicts les plus obscures remplissent l'air d'une infinité de belles lumières, qui éclai- rent et brillent avec plus d'éclat que les astres qui sont atta- chez au firmament. » Au moment de la conquête du Nouveau Monde, les Indiens s'en servaient pour divers usages : pour la pêche, pour la chasse, et, en temps de guerre, ils en faisaient pendant la nuit d'excellents télégraphes optiques, car leur flamme ne craint ni le vent, ni la pluie. Ils avaient aussi coutume de sus- LES INSECTES LUMINEUX 67 pendre ces Insectes emprisonnés dans des calebasses ajourées, au plafond de leur cases, pour s’éclairer et éloigner les moustiques et les serpents. Dans les réjouissances publi- ques, les indigènes s’eu frottaient la figure et obtenaient ainsi un masque lumineux du plus curieux effet. On dit qu’au Mexique les femmes s’en servaient comme de parure pouvant rivaliser, le soir, par l'éclat de leurs feux, avec les plus beaux bijoux. Les premiers missionnaires arrivés aux Antilles nous ont appris que lorsqu'ils manquaient de chandelle, chacun pre- nait dans sa main un Cucujo pour chanter matines et que les choses n’en allaient pas plus mal... Leurs feux sont si vifs qu'à l'époque où les Anglais arri- vèrent en Amérique, une de leurs troupes se réfugia précipi- tamment sur les vaisseaux parce qu'ils avaient pris des Pyro- phores voltigeant sur les buissons pour les mèches des arque- buses espagnoles. Les ouvrages des premiers explorateurs de l'Amérique sont remplis d'anecdotes de ce genre, qui prouvent combien ils furent frappés par la beauté et l'originalité de ces lumières vivantes. Le champ d'éclairage de ces lanternes est assez grand: je reviendrai sur ce point à propos du rôle de la lumière physio- logique (voir p. 134). J'ai déterminé autrefois (voir les Élatérides lumineux) le bilan énergétique d’une vingtaine de Pyrophores placés dans un même récipient comparativement pendant la période d'extinction et pendant celle de l'éclairage. Les chiffres relevés sont défavorables à l'idée que la fonction photogénique doit être confondue avec la fonction respiratoire et l’ensemble de ces phénomènes n’est pas à identifier avec la n] 5: Les mouvements respiratoires sont localisés dans l'abdomen et J'ai pu les enregistrer facilement. On constate alors que les mouvements d'expiration coïncident avec les mouvements d’affaissement et d'excavation des tergites abdominaux, el combustion d'une bougie au point de vue du quotient 68 LA VIE ET LA LUMIÈRE que, à l'instant où ils se produisent, la pointe de l'abdomen se relève. Or, c'est précisément ce même mouvement qui se manifeste au moment où les appareils ventraux se démas- quent, en resplendissant de leur plus vif éclat. De plus, quand on excite la sensibilité périphérique, les tracés indiquent, comme chez beaucoup d’autres animaux, un mouvement d'expiration prolongé : celui-ci est justement accompagné d’une apparition ou d’une exagéralion de la luminosité. J'ai dit déjà que les expériences faites en obturant certains sligmates ont montré que ces organes n'ont pas d'action directe sur la photogénèse, Loutes les parties de l'arbre respi- ratoire communiquant entre elles. Si l'étude anatomique complète de l'appareil respiratoire a permis des constatations nouvelles et importantes pour dé- truire radicalement de fausses hypothèses, celle du système nerveux n'a pas été moins fructueuse : elle a mis clairement ea évidence le véritable rôle des nerfs dans le fonctionne- ment photogénique, qui est d’innerver les muscles réglant l'apport du sang, d’une part, et, d'autre part, opérant 1ci comme dans tous les organes glandulaires, d'une manière mécanique sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir à propos de la sécrétion photogène de la Phodate dactyle (voir p. 84). Les agents mécaniques, physiologiques, physiques et chimiques exercent sur la fonction photogénique une action facile à mettre en évidence et à analyser chez notre Pyrophore. Mais il importe de ne pas confondre, comme l'ont fait très malen- contreusement une foule d'expérimentateurs, ce qui appar- tient au fonctionnement de l'organe avec ce qui constitue le mécanisme intime de la réaction photogène. Celle-ci reste toujours la même, alors que les organes el leur fonctionne- ment sont très variables et elle persiste après la mort soma- tique de l'animal, survivant même à l'irritabilité bioprotéo- nique. Les chocs, les ébranlements mécaniques agissent en faisant apparaître ou en exagérant la luminosité, aussi bien dans l’œuf que chez la larve et chez l’Insecte parfait : il existe donc LES INSECTES LUMINEUX 69 bien, en dehors du système nerveux, dont l’action est tou- jours indirecte, une irritabililé bioprotéonique photogène. Si les excitants mécaniques restent sans action, c'est par suite de fatigue, d’épuisement ou de mort de l'organe et de ses éléments cellulaires constituants. Chez le Pyrophore normal, l'excitation mécanique amène toujours l'éclairement, comme elle amène le réveil dans le sommeil normal : l'animal n’a pas le pouvoir de s'y soustraire par la volonté. Il peut cependant se mettre en marche sans briller, ce qui est même la règle quand il se meut dans un endroit très éclairé. J'ai étudié l’action des vibrations du diapason sur la réaction organique photogène : si elles atteignent le chiffre de deux cent cinquante vibrations doubles par minute, la lumière des appareils prothoraciques baisse rapidement et disparait bientôt pour renaître dès que le diapason cesse de vibrer. Avec cent vibrations, il y a plutôt de l'excitation. Les vibrations sonores paraissent sans action. J'ai employé les sons musicaux les plus variés. Lorsque les Cucujos sont entrés dans la période de repos, il faut un bruit assez violent pour les forcer à éclairer. L'action d'une vive lumière est plutôl, comme je lai dit déjà, inhibitrice. Pourtant les Pyrophores, de même que les mâles de Lampyre, sont allirés par nos lampes, comme beau- coup d’autres Insectes. En plaçant un certain nombre de mes sujets dans une boîte allongée couverte avec des verres de toutes les couleurs du spectre, je les ai toujours vus se rassembler dans la pénombre de la région du vert et du jaune, c'est-à-dire dans la lumière qu'ils préférent à l'état de liberté et qu'ils trouvent sous le feuillage. Comme je l’ai déjà fait remarquer, c'est la teinte de leur propre lumière, dont la longueur d'onde moyenne est voisine de la raie du thallium, qui signifie « rameau vert ». Il est donc très probable qu'ils distinguent les couleurs. Divers auteurs ont prétendu que les organes photogènes des Lampyrides ont la propriété de condenser la lumière solaire pour l’émellre ensuite dans l'obscurité. Ce point était d’au- 70 LA VIE ET LA LUMIÈRE tant plus utile à examiner qu'il existe dans les organes lumi- neux et dans le sang du Pyrophore une substance fluores- cente, ainsi que nous le verrons plus tard, et que les belles recherches de E. Becquerel tendent à assimiler complète- ment la fluorescence et la phosphorescence. En ce qui concerne les Lampyrides, l'hypothèse de la con- densation avait été rélutée par Peters et Matteucci. | J'ai constaté, de mon côté, qu'il n’y avait aucun emmagasi- nement de la lumière solaire par les appareils lumineux du Pyrophore. L'action de l'électricité a été essayée sous différentes formes. J'ai foudroyé et fait voler en éclat un P yrophore au moyen d’une batterie de condensateurs donnant des élincelles de vingt-cinq centimètres ; les glandes photogènes brillaient encore douze heures plus tard. Les courants induits agissent indirectement, sur l'animal entier éteint par asphyxie, par fatigue ou anesthésié, en réveillant l'activité musculaire. Ils excitent également la lumière dans l’organe isolé en agissant sur l'irritabilité cellulaire. Si les électrodes sont enfoncées respectivement dans les deux organes prothoraciques, celui qui est en contact avec le pôle positif brille d’un bel éclat tandis que l’autre s'éteint. Dans ce cas, le résultat est dû à une action électrolytique. L'action de la chaleur et du froid est différente selon qu'elle s'exerce sur un animal entier ou sur des organes lumineux isolés et aussi selon qu'elle est plus ou moins brusque. Quand les Pyrophores ont à lutter contre une température inférieure à celle pour laquelle ils sont adaptés, ils tombent dans un élat de torpeur, de somnolence pendant lequel on n'obtient que très difficilement une faible lueur par les exci- tants ordinaires. Si la température ambiante n'est pas supé- rieure à —15°, ils succombent lentement et on voit disparaître la fonction photogénique avant les propriétés motrices et sensitives, comme cela arrive d’ailleurs dans d’autres condi- tions de misère physiologique, telles que l’inanition, le des- séchement, etc. On ne peut plus ensuite ranimer la lumière comme dans certains cas de mort violente. LES INSECTES LUMINEUX 71 Quand le refroidissement est rapide, on peut voir au con- traire les propriétés musculaires et nerveuses disparaître avant la luminosité, mais cette dernière est réduite à une lueur faible et continue. Dans le premier cas, les réserves photogéniques sont épuisées et dans le second, le sang, les muscles et les nerfs n'assurent plus le fonctionnement de l'organe, qui est livré à ses propres ressources. J'ai même vu la luminosité des organes résister à la con- gélation complète des Pyrophores entiers : elle retrouve son éclat moyen à — 4°. Elle n’est même pas définitivement sup- primée par un froid de — 100° et reparaît quand la tempéra- ture remonte. Les œufs de Lampyre éteints par un froid de — 15° ont recommencé à briller vers — 3° centigrades. Le phénomène essentie! de la réaction photogénique est donc complètement indépendant de l'irritabilité, de la contracti- lité, de la neurilité et même de la respiration. En chauffant des Pyrophores à la température de + 46° à + 47°, la lumière s'éteint bientôt après avoir passé par un maxi- mum, sans que l'on puisse provoquer son retour, bien que la sensibilité générale et la motilité soient conservées : il y a ici une curieuse dissociation de ces fonctions. La chaleur agit de la même manière sur les organes isolés des Lampyrides et des Pyrophores. L'immersion dans l'eau bouillante, ou seulement à + 80°, les éteint immédiatement. Si la température est élevée progressivement, la luminosité s'accroît et vers 55°, il y a une augmentation subite d'éclat suivie d’exünction. À ce moment, j'ai constaté que la lumière change de couleur; elle prend une teinte rouge feu, ce qui _indiquerait que les changements de coloration observés chez les Polypiers, chez les Pyrosomes, peuvent bien tenir à une plus ou moins grande brusquerie de la réaction photogène. Cette question sera examinée à propos des propriétés physi- ques de la lumière physiologique (voir p. 107). J'ai étudié attentivement l'action des agents chimiques sur les Pyrophores entiers et sur leurs organes photogènes iso- lés. ; 72 LA VIE ET LA LUMIÈRE “ Une dépression barométrique rapide suspend en même temps la lumière et les mouvements de l'animal quand la pression est réduite à deux ou trois centimètres de mercure. L'extinction se produit aussi, mais beaucoup plus lentement avec une pression de cinquante centimètres : les Pyrophores continuent à se mouvoir sans paraître incommodés. Ils se comportent dans l'oxygène pur comme dans l'air, même en présence d’une certaine quantité d'ozone, mais dans l'oxygène comprimé à cinq atmosphères, les Insectes étaient notablement moins lumineux. Les vapeurs d'essence de Lérébenthine, qui empêchent la phosphorescence du phosphore, sont sans action sur la lumi- nosité. Le chlore gazeux provoque subitement l'extinction, qui est définitive. Les vapeurs oxydantes d'acide hypoazotique déter- minent d'abord de l'agitation de l'animal sans accroissement de lumière, mais celle-ci disparaîtrapidement avec la motilité et la sensibilité. Les vapeurs d'acide osmique agissent de même et, à aucun moment, sur un Pyrophore anesthésié par le chloroforme, chez lequel la lumière persistait, quoique affaiblie, elles n'ont pu en relever l'éclat. L'acide carbonique, suivant les doses, agit soit comme un anesthésique, soit comme un gaz irrespirable. Les Pyrophores peuvent vivre longtemps dans le pro- toxyde d'azote pur sans paraître incommodés. Dans les gaz inertes : azote, hydrogène, ils se comportent à peu près comme dans l’air raréfié. Bongardt a dit avoir obtenu avec les Lampyres soumis à l'influence des gaz des résultats différents de ceux que m'ont donné les Pyrophores. Mais les Lampyres présentent des. réactions particulières, par exemple de s’éteindre sous lin- fluence d’un courant d’air, ce qui leur arrive en liberté quand il fait du vent. Les Pyrophores, au contraire, brillent plus for- tement pendant le vol ou quand on souffle dessus. Mais, en somme, Bongardt aboutit aux mêmes conclusions que celles que j'avais formulées dans mon ouvrage sur les Élatérides : à savoir qu'il n’y a pas une relation directe entre la respiration LES INSECTES LUMINEUX 73 et la fonction photogénique ; il va même plus loin en décla- rant que la lueur se fait sans consommation d'oxygène et que dans l'organe lumineux est sécrétée une substance qui s’éclaire quand elle dispose d’un certain degré d'humidité. C'est là une explication absolument insuffisante. On sait depuis fort longtemps que les organes desséchés et conser- vés dans le vide se railument quand on leur rend de l’eau et de l’air. Les récentes expériences de Mc Dermott sur les Photinus américains n'ont également rien appris de nou- veau sous ce rapport. Avec les gaz réducteurs tels que l'acide sulfureux et l'acide sulfhydrique, la lumière s'éteint rapidement en même temps que la motilité et la sensibilité : l'animal est asphyxié. Mais avec l'aldéhyde et la paraldéhyde, la lumière peut disparaitre longtemps avant les mouvements spontanés. L'hydrogène phosphoré, à la formation duquel on avait attri- bué la production de la lumière, éteint au contraire celle-ci. Les anesthésiques généraux (éther, chloroforme) laissent persister une faible lueur que n’exagèrent plus les excitations extérieures. On peut seulement l'augmenter en pressant sur l'abdomen de façon à faire refluer le sang dans les sinus des glandes photogènes. En réalité, ces expériences montrent qu'il n'y a pas de relations directes entre ces agents et la photogénèse : mais il y en a d'assez étroites entre la fonction glandulaire photogé- nique, la motilité, la circulation. l’innervation, la respiration et l'irritabilité cellulaire, sur lesquels ils portent leur action. Pour arriver à faire la part de ce qui revient en propre à chacune de ces fonctions, il fallait pousser plus loin l'analyse physiologique et, pour cela, j'ai eu recours à des poisons non gazeux et à des vivisections. Les poisons non gazeux ne peuvent être utilisés qu'en dis- solution dans l’eau ; or l'expérience montre que l'injection d'eau pure dans la cavité générale fait reparaître la lumino- sité chez des Insectes morts et éteints depuis un certain temps. J'ai essayé néanmoins l’action du curare, mais celle-ci, chez les Insectes, n’est pas évidente: en revanche, les poisons 74 LA VIE ET LA LUMIÈRE suivants : digitaline, atropine, morphine, ont donné des résul- tats assez démonstratifs. L'action la plus instruclive relativement au rôle des mus- cles et des nerfs, est celle de la strychnine. A l’aide de ce poison on peut provoquer des convulsions toniques intermit- tentes pendant la durée desquelles on voit nettement, avec une loupe, des poussées de sang se produire dans les sinus de l'appareil ventral, en même temps qu'il s'éclaire d’une vive lueur cessant dans l'intervalle des convulsions toniques. Ces expériences, et d’autres encore, montrent nettement que les alcaloïdes ne portent pas directement leur acüon sur la substance photogène, mais qu'ils modifient indirectement son activité en agissant sur les muscles, les nerfs, et par eux sur la circulation et la respiration. Toujours, en effet, après la mort par les alcaloïdes, une lueur persiste longtemps, et une pression sur l'abdomen fai- sant refluer le sang vers les organes, ou bien une injection d'eau pure, suffit à leur rendre un vif éclat. Le rôle de la circulation et du sang peut ètre exploré direc- tement. Si l’on fait un petit orifice à un des organes protho- raciques, il apparaît en ce point une gouttelette de sang qui grossil à chaque pulsation de l'organe photogène. Ces pulsa- tions ne sont pas isochrones avec celles des contractions du vaisseau dorsal : on verra plus loin qu'elles sont produites par les muscles de l'appareil photogène. Si l’on excite l'animal, le nombre des pulsations augmente en même temps que l'éclat des foyers lumineux. Avant moi, on avait déjà noté des variations d'intensité lumineuse isochrones avec les pulsations cardiaques chez la Luciole d'Ilalie. J'ai dit qu'en exerçant une pression sur l'abdomen, pour faire refluer le sang vers les organes, on ramenait la lumière éteinte ou bien l’on avivait celle qui était affaiblie.Inversement lorsqu'on amène le prothorax en arrière, en flexion forcée, chez le Pyrophore, la circulation est entravée et la lumière faiblit aussitôt : elle retrouve toute sa vivacité si, au con- traire, on provoque une flexion inverse sur la face inférieure du thorax, permet tout l'afflux du sang. Les anesthésiques LES INSECTES LUMINEUX 75 généraux agissent d’une manière analogue en arrêtant pres- que complètement les pulsations cardiaques, que l’excita- tion réflexe ne peut plus ranimer. La destruction du vaisseau dorsal par le fer rouge laisse subsister une lueur continue, mais aucune excitation ne peut plus l’exagérer. Le ganglion frontal n’agil pas directement sur l'organe lumineux, mais bien sur les muscles, qui en actionnent la circulation par l'intermédiaire du système nerveux central. En effet, si l’on pratique une section entre le ganglion fron- tal et les masses cérébroïdes, ou bien l’ablation de la tête par torsion, pour éviter l’hémorragie, on ne détruit pas immé- diatement les mouvements cardiaques, qui deviennent même plus rapides. Cependant les lanternes sont mises en veilleuse et les excitations mécaniques n’en raniment pas l'éclat. Il ne suffit pas que le sang circule, il faut que la circulation soit réglée par le jeu des muscles intrinsèques et extrinsèques des appareils lumineux, qui n'obéissent plus dans ces conditions. Quand la cavité abdominale est ouverte, on observe les mêmes phénomènes qu'après la destruction du vaisseau dor- sal. J'ai déjà parlé du rôle des muscles dans le fonctionnement de l'appareil lumineux ventral {voir p.63) : on le comprendra mieux encore en jetant un coup d'œil sur la coupe schéma- lique du prothorax représentée dans la figure 20. Le muscle m est dirigé d'avant en arrière et de dedans en dehors, son insertion fixe se fait à la face interne du sque- lette tégumentaire prothoracique, tandis qu'il prend son in- sertion mobile à la face inférieure de l’organe lumineux, où ses fibres s’enchevêtrent avec celles du muscle métathora- cique : chacun de ces muscles, agissant séparément, peut ouvrir l'hiatus du sinus I, par lequel le sang de la cavité générale se précipite dans l'organe O. S'ils se contractent simultanément, l’'écartement de l'hiatus est plus grand et la direction des fibres de ces faisceaux tend à se rapprocher de celle des muscles moyens, en même temps que l’espace lacu- neux limité par les trois faisceaux s’efface en se vidant du 76 LA VIE ET LA LUMIÈRE sang qu'il contient. On peut facilement arriver à exercer des tractions mécaniques sur l’extrémité du muscle méta- thoracique et, à chaque traction, on voit se produire une pul- sation de l'organe et une augmentation de clarté simullanée. On arrive à des résultats semblables en provoquant des contractions localisées par les courants faradiques. L'étude anatomique et l'analyse physiologique ont été éga- lement très minutieusement faites pour l'appareil ventral (1). Elle a conduit aux mêmes conclusions relativement au rôle des muscles (voir p. 63). On n'a pas oublié que notre Pyrophore est un Taupin, muni d'un ressort, qui lui permet, comme aux autres, s'il est sur le dos, de se remettre sur le ventre par un saut. Si l’on saisit un Cucuyo par l'abdomen, il cherche à se dégager par des secousses successives, qu’il imprime à tout son corps en faisant Jouer coup sur coup l'appareil à ressort. Il projette alors une très vive lumière par le prothorax : celle-ci n’est pas intermittente, mais présente des périodes d’exaltation correspondant à la tension musculaire du ressort et d’affai- blissement après la détente. L'action du système nerveux peut être mise en évidence par la vivisection, La lésion du ganglion frontal fait tomber les appareils prothoraciques en veilleuse, mais le réflexe de l'excitation mécanique n'est pas aboli. Le même résultat est obtenu par une section transversale entre le ganglion frontal et les gan- glions cérébroïdes divisant complètement les connexions. La suppression d'un seul des ganglions cérébroïdes ne modifie pas le fonctionnement spontané ou provoqué des appareils prothoraciques. Mais si les deux sont détruits, les pulsations rythmiques disparaissent et le phénomène lumi- neux est immédiatement aboli; en outre, le réflexe photogène par excilation mécanique est perdu. La décapitation produit le même effet. (1) Voir les Élatérides lumineux, loc. cil., p. 54, et Leçons de phy- siologie générale el comparée, p. 329, Paris, 1898. LES INSECTES LUMINEUX 77 La destruction du ganglion prothoracique, d'où partent les nerfs qui innervent les muscles de l'appareil lumineux, donne les mêmes résultats. L'action du système nerveux par l'inter- médiaire du muscle ne peut être plus nettement mise en évidence. La plaque ventrale se comporte de mème façon après des- truction du ganglion sous-æsophagien : l'excitation portée entre elle et le point blessé peut ranimer la lumière éteinte, mais l'effet est nul si on agit au-dessous de l'organe, ou encore après avoir détruit le ganglion qui commande à ses muscles. Ainsi donc, toute manifestation photogène dépend soit d’une impulsion venant directement des centres de l’intelli- gence et de la volonté, soit d'un réflexe ayant son point de départ dans les terminaisons sensitives et son centre dans les ganglions cérébroïdes, ou dans ceux qui commandent aux muscles des appareils. Ces derniers agissent de deux ma- nières : principalement en réglant l’afflux du sang, mais aussi par excilalion mécanique directe. La circulation assure l'apport du sang, qui doit être convenablement oxy- géné par la respiration trachéenne. Ce sont là des fonctions accessoires, mais la fonclion principale, fondamentale, réside dans l'organe photogène exclusivement. Les organes photogènes isolés jouissent d une vitalité propre, dans une certaine mesure indépendante du reste de l’orga- nisme. C'est dans les cellules de ces organes, ou plutôt, comme on le verra plus tard, dans certains produits qu'elles con- tiennent, que réside l'acte fondamental de la photogénèse. En plaçant les organes isolés dans une atmosphère humide et assez oxygénée, ils continuent à briller pendant de longues heures d'une lueur calme et fixe, mais qui va en s’affaiblis- sant de plus en plus. De même que celle des œufs, leur luminosité peut être augmentée par le choc : ils jouissent donc d’une certaine irri- tabilité cellulaire propre. Comme les œufs, ils résistent à des /roids intenses et leur éclat se ranime vers — 3° à — 4°. Celui-ci augmente 78 LA VIE ET LA LUMIÈRE avec la température jusqu'à + 25° ou + 30°, pour rester égal jusqu’à + 55°. Au-dessus, il s'éteint pour ne plus reparaître. Si on projette dans l’eau bouillante un organe lumineux, il brille avec une force extrême pour s’'éteindre aussitôt, mais ce n’est qu'un éclair. Ainsi que le choc, les courants faradiques mettent en jeu l'irritabilité cellulaire photogène, mais faiblement. La luminosité, qui persiste souvent douze heures dans l'oxygène, disparaît au bout d’une demi-heure à une heure dans l'azote, dans l'hydrogène pur, mais se ranime quand on laisse de nouveau agir l'air. C’est une preuve de plus qu'il n'y a pas oxydation directe, mais que cependant il faut pour que la cellule satisfasse à la fonction photogénique une certaine quantité d'oxygène renouvelée de temps à autre. Un organe lumineux, qui brillait depuis trente minutes dans l'acide carbonique, à la pression ordinaire, s’est éteint immé- diatement quand la pression du gaz a été porté à cinq atmo- sphères. L'acide carbonique ne se comporte donc pas toujours comme un gaz neutre. L'oxygène pur ou comprimé n'agit pas plus énergiquement que l'air. En présence des vapeurs d'acide osmique, oxydant très énergique, la luminosité s'est abaissée progressivement dans le tissu, lequel prenait une teinte noire de la périphérie vers le centre, sauf du côté protégé par la cuticule, où la lumière a persisté le plus longtemps. L'action de l’eau est très remarquable. Des œufs de Lam- pyres et de Pyrophores ont été desséchés jusqu'à la dernière limite, à la température ordinaire; el après être restés huit jours dans le vide sulfurique, il a suffi d’une goutte d'eau pour leur rendre l'éclat primitif. Les organes isolés se sont comportés de même. Les expériences récentes de Mc Dermott et Kastle sur les Photinus américains, celles de Bongardt sur les Lampyres, n'ont fait que confirmer ce qui élait connu depuis bien long- temps. Il est donc établi, sans contestation possible, que les cellules LES INSECTES LUMINEUX 79 photogènes des Insectes, comme l'œuf des Lampyridés et des Élatéridés, possèdent une luminosité propre et que les efforts obstinés des anatomistes et de quelques physiologistes pour expliquer la lumière des Insectes par le jeu des trachées ont été pour le moins superflus. Mais on peut se demander si la réaction photogène des Insectes exige l'intégrité fonctionnelle de la cellule, si c'est en un mot une « fonction cellulaire » comme beaucoup d'auteurs l’ont proclamé, ou bien si la cellule étant détruite, le phénomène lumineux peut néanmoins s’effecluer. Il y a lieu d’être profondément surpris et même attristé de voir encore aujourd'hui, après les expériences pourtant si démonstratives que j'ai publiées il y a plus d’un quart de siècle, cette question remise sur le tapis et discutée à nou- veau par certains auteurs qui semblent s'être fait une spé- cialité du rajeunissement des vieilles vérités. La méthode consiste à refaire sur un Insecte différent des expériences anciennes dont on présentera les résultats comme des nou- veautés ; d’autres préfèrent nier, sans contrôle, ce qui a été dit et fait antérieurement, remettre tout en question en substituant des hypothèses à des faits établis expérimentale- ment. De ces pitoyables pratiques, ne peut résulter que du discrédit pour leurs auteurs et malheureusement aussi pour la Science el les savants. J'ai depuis longtemps montré que la biophotogénèse chez l'Insecte n'est pas un phénomène cellulaire pour les raisons suivantes : 1° Les organes lumineux des Lampyridés et des Élatéridés desséchés et broyés peuvent retrouver au contact d’une goutte d'eau leur pouvoir photogène. 2° Les organes photogènes frais des Insectes, écrasés avec de l’eau, de façon à ce que toute trace de cellule normale ait disparu par l’action combinée de l’eau et du broyage, fournissent un liquide lumineux qui traverse les filtres en papier gris. Le liquide reste lumineux pendant un certain temps, bien qu'il ne renferme plus aucune cellule. 3° On écrase un organe frais, bien brillant de Pyrophore 80 LA VIE ET LA LUMIÈRE et on le triture jusqu'à ce qu'il ait cessé de donner de la lumière.D'autre part,on fait la même opération avec un organe semblable immergé dans l’eau presque bouillante, juste pen- dant le temps nécessaire pour éteindre la lumière. Par le mélange des deux substances, qui restaient obscures l’une et l'autre au contact de l'air, on voit apparaître la lumière. De cette réaction typique que j'ai publiée en 1885 (1) j'avais déjà tiré cette conclusion, que la réaction photogène,chez l'Insecte, est une réaction zymasique. EN RÉSUMÉ, la fonction photogénique chez les Insectes se montre déjà dans l'œuf, même avant la fécondation. Plus tard, elle se localise dans les cellules ectodermiques du blastoderme. L'intervention des trachées n'est donc pas nécessaire à soneæistence. Elle est le flambeau ancestral, qui passe sans jamais s'éteindre un instant, de l'œuf à la larve, à la nymphe, à l'Insecte parfait, el de ce dernier à l'œuf, et ainsi pendant de nombreux siècles. Chez l'Insecte adulte, les organes photogènes sont des glandes à sécrétion interne typiques. La lumière est faible ou nulle quand le sang n'arrive pas en contact avec les éléments glandu- laires : elle apparaît, au contraire, et prend un vif éclat quand il se précipite dans les sinus de la glande interne. Cet apport du sang est réglé par les muscles. Ceux-ci, à leur tour, obéissent aux nerfs moteurs el ces derniers, par l'intermédiaire des ganglions, concourent aux actes réflexes, dont le point de dé- part est dans les nerfs sensitifs, ou dans leurs terminaisons sen- sorielles. Les muscles intrinsèques et extrinsèques des appareils photo- gènes sont striés et peuvent obéir aux centres nerveux, même en dehors de tout phénomène réflexe. Comme ailleurs, mais avec plus d'activité peut-être, ils assurent dans les appareils pho- togènes l'oxygénation par le sang. La ventilation trachéenne peut être suspendue au moment méme où apparaît la lumière dans les organes lumineux. L'action du sang est primordiale et pré- pondérante. (1) Voir les Élatérides lumineux, pp. 264-269, loc. cit., p. 54. LES INSECTES LUMINEUX 81 La réaction photogène est localisée dans des cellules de l'organe, qui sont manifestement en voie de désagrégation sécrétoire, de fonte glandulaire. Elles sont bourrées de ces granulations vacuolidaires que l'on rencontre dans tous les organes lumi- neux (1). On peut écraser complèlement les cellules de l'organe photo- gène, détruire exactement toute organisation cellulaire, sans arrêter la production de la lumière. La substance écrasée, délayée dans l'eau, laisse passer au travers des filtres de papier un liquide lumineux. La substance des organes lumineux, desséchée rapidement, s'éteint, mais on peut la rallumer en l'humectant d'eau. Des organes éteints par la chaleur, à 60° environ, puis écrasés, ne donnent plus de lumière, méme au contact de l'air. Mais ils sont rallumés quand on les broye avec des organes frais éleints à froid par trituration prolongée. Le phénomène lumineux n'est pas d'ordre cellulaire : il naît d'une double réaction d'ordre zymasique, fait établi par moi dès 1885, L'éclat de la lumière est modifié et renforcé dans les appa- reils lumineux des Insectes par des substances fluorescentes qui transforment des radiations obscures inutiles ou nuisibles en radiations éclairantes (2). (1) Les vacuolides des cellules photogènes ont été considérées, à tort, par Umberto Pierantoni (V. La luce regli niselti luminosi e la simbiosi eredilaria, Naples, 1914). Comme des microorganismes symbiotiques, j'aireconnu depuis longtemps l'inexactitude de cette interprétation, véritablement spécieuse en raison de la très grande ressemblance des vacuolides photogènes à une certaine période de leur évolution avec des microorganismes, mais les vacuolides photogènes ne sont pas autre chose que ce qu’on a appelé « mitochondries », pour faire croire à une découverte nouvelle. On peut en dire autant des vacuolides pigmentogènes de la glande à pourpre ou granulations macrozymasiques de purpurase. (2) Voir Propriélés physiques de là lumière physiologique, p. 105. R Dusois. 6 CHAPITRE VII MOLLUSQUES PHOTOGÈNES L'embranchement des Mollusques ne fournit pas un grand nombre d'espèces photogènes, mais elles sont curieuses par les types variés de leurs appareils éclairants. (C’est un animal de cetembranchement, la Pholade dactyle, qui, par l'abondance Fi&. 21. — Pholades dans leur trou. de sa sécrétion lumineuse, m'a permis d'obtenir la solution complète et définitive du problème de la biophotogénèse, jusqu'à ce jour vainement cherché par un nombre considérable de savants. MOLLUSQUES PHOTOGÈNES 83 Sur les cinq classes de l'embranchement des Mollusques, trois seulement fournissent des animaux lumineux : ce sont celles des Lamellibranches, des Gastéropodes et des Céphalo- podes. La Pholade dactyle (Pholas dactylus L., fig. 21 et 22) est un Mollusquelamellibranche habitant les côtes de la Méditerranée et de l'Océan, où elle est connue sous les noms de Dayes, Daillon, Datte de Mer. Sa frèle coquille est incomplète et insuffisante pour la protéger; mais, grâceàses aspérités, elle lui permet de creuser, pour s’abriter, des trous dans les gneiss tendres et les calcaires, aussi bien que dans l'argile. Elle y vit en re- cluse, ne communiquant avec l’ex- térieur que par un prolongement du manteau en forme de canon de fusil double, mais rétractile : le siphon. Il sert à la fois d'organe de tact, de vision, de gustation, de préhension, d’excrétion, en même temps que d'appareil principal pour la photogénèse. L'un des canaux est le canal aspirateur par où pé- Le à photade ES nètre l’eau chargée d'oxygène pour verte pour montrer les cor- larespiration et d'aliments : l'autre : ns 6 €, et les triangles Iu- mineux ft, {. est le canal expirateur. C'est dans ce dernier que siègent les glandes photogènes à sécrétion externe, constituées par deux cordons parallèles au grand axe du siphon, saillants sur la paroi interne en forme de bourrelets jaunâtres striés transversalement (fig. 22) et par deux triangles de même nature situés plus bas, à la base du siphon. La paroi du siphon est composée de deux séries de plans successifs accolés. La première série comprend de dehors en dedans une zone neuromyoépithéliale, qui est le siège de la fonction photodermatique ou dermatop- 84 LA VIE ET LA LUMIÈRE tique étudiée dans la seconde partie de cet ouvrage (voir p. 293), ainsi que des plans musculaires plus profonds ; la seconde série montre, de dedans en dehors également, une zone neuromyoépithéliale et, plus profondément aussi, des plans musculaires qui sont la répétition symétrique de ceux de la première série. Mais tandis que la zone neuromyo- épithéliale extérieure constitue une sorte de réline derma- tique, en ce sens qu’elle est très sensible à la lumière, la zone neuromyoépithéliale interne fabrique de la lumière. Je ferai remarquer de suite une curieuse analogie, c'est que les photosphères ou ap- pareils IJumineux des Crustacés, des Céphalopodes et des Poissons se rapprochent (elle- ment par leur struc- ture des organes oculaires, qu'au dé- but, on les avait confondus avec ceux-ci. Il ne faut qu'une légère modification pour qu'un organe soit sensible à la lumière ou photorécepteur, ou bien producteur de lumière ou photogène; et, chose admirable, ces deux organes de rèle inverse sont souvent étroitement unis et se prêtent un mutuel appui, par exemple chez les Poissons (voir p. 99). Il y a très: peu de différences entre les segments épithéliaux des deux zones : ceux de la zone externe sont pigmentés, tandis que ceux de l'interne sont transfor- més en calices glandulaires munis de cils vibratiles au niveau F1G. 23. — Cellules glandulaires caliciformes des organes lumineux de la Pholade dactyle. des sillons et des triangles photogènes, De même que les segments épithéliaux externes, les segments glandulaires se continuent avec des segments contractiles, qui, à leur tour, entrent en relation avec des cellules nerveuses situées plus profondément. Les segments musculaires s'enfoncent perpen- diculairement dans la paroi, ou bien se recourbent pour for- mer un plan musculaire sous-jacent aux calices glandulaires EN MOLLUSQUES PHOTOGÈNES 85 (fig. 23). Quand ils se contractent, d’une part, ils étirent les calices et, d'autre part, ils les compriment latéralement en exprimant ainsi le contenu qui constitue la sécrétion photo- gène. La contraction de ces segments peut être provoquée soit en excitarit mécaniquement un point de la surface des cor- dons ou des triangles : et alors on voit se former une dépres- sion limitée au point touché, mais pouvant s’irradier de proche en proche si l’excilation a été assez forte, soit encore par l'excitation du nerf palléal ou du ganglion ner- veux palléal. Ce dernier peut être aussi le centre réflexe où ‘aboutira toute excitalion sensitive portée sur la périphérie. Si cette dernière a été assez forte, non seulement la sécrétion lumineuse se produit, mais encore, simultanément, le siphon se contracte brusquement, expulsant en dehors une abondante quantité de mucus lumineux mélangé à l’eau de mer quil contenait. Si l'excitation a été provoquée par un Crabe ou par quelque autre agresseur, celui-ci, ainsi que la Pholade elle-même, se trouve enveloppé d'un nuage de lumière qui les rend invisibles aussi bien, mais par un moyen opposé, que le noir de la Seiche le ferait en les masquant par l’obscur nuage qu'il produit dans les mêmes circonstances. Je n’ai jamais vu briller la Pholade au repos ; aussi est-1l peu probable, comme on l'a prétendu, que sa lumière puisse servir à attirer les animalcules dont elle se nourrit. La lumière se montre d'une manière permanente, continue, dans le siphon détaché du corps de l'animal et s'y maintient fort longtemps, même après la mort. Le même effet est obtenu par la section du nerf palléal. Ce dernier, qui est un nerf à la fois centripète et centrifuge pouvant servir à assurer le réflexe lumineux, joue en outre, au repos, le rôle de nerf inhibiteur de la sécrétion photogène : c’est là un des points les plus curieux de la physiologie neurale des Mollusques, que nous a révélé, par surcroît, l'étude de la biophotogénèse. Le mucus photogène, dont j'étudierai longuement la com- posilion et les propriétés plus loin (voir p. 129), renferme les mêmes granulations vacuolidaires que nous avons rencontrées partout; il est mélangé dans le siphon avec du mucus non 86 LA VIE ET LA LUMIÈRE photogène de sa paroi, résultant, en partie, de l'issue de clas- matocytes nombreux, dont on constale la présence dans son épaisseur. Parmi les Gastéropodes hétéropodes, on a signalé quelques Ptéropodes rares (des genres Hyalea et Creseis) dans la mer de Java, et un Cléodora. Leur mécanisme photogénique n'est pas connu. Je signalerai encore, parmi les. Opistobranches, le genre Aeolis, qui possède des larves lumineuses, ainsi que le plus curieux et le mieux connu des Gastéropodes photogènes Fic. 24. — Glandes photogènes unicellulaires à sécrétion externe du Phillirhoë bucephale. ‘ sch, glande à mucus ; — e, glande à albumine, d'après TROJAN. Phillirhoë bucephale Péron et Lesueur, assez commun dans la rade de Villefranche et dans la baie de Naples. Son corps est pisciforme, très aplati, d'un centimètre de longueur environ et absolument transparent. Dans l'obscurité, quand l'animal est tranquille, on ne remarque rien de parti- culier, mais à la moindre excitalion chimique, physique ou mécanique, toute la surface du corps se pare d’une belle lumière bleuâtre. Au microscope, on voit qu'elle émane de points disséminés sur toute la surface du corps, mais nom- breux surtout dans son liers postérieur. Ces points corres- pondent à de petites cellules glandulaires cutanées en forme de bouteilles, bien étudiées par Trojan. Elles s'ouvrent à l’ex- térieur par un pore situé à l'extrémité du goulot (fig.24). Les plus pelits points brillants correspondent à des cellules isolées, les plus gros à des groupes de ces mêmes cellules. Comme chez les Crustacés centropogidés, si bien étudiés par Gies- brecht, on rencontre deux espèces de glandes que Trojan MOLLUSQUES PHOTOGÈNES 87 nomme respectivement « glandes à mucus » et « glandes à albumine ». Il pose, sans la résoudre, la question de savoir si ces deux espèces de glandes, ou plutôt leurs sécrétions, sont nécessaires à la réaction photogène : elles peuvent être grou- pées ensemble ou isolées ; il arrive même que les divers goulots d’un groupe s'ouvrent par un même pore, formant en quelque sorte une glande composée. D'autres fois, le goulot s'atrophie, de telle sorte que, sur ce même animal, on peut suivre l’évolution phylogénétique de l'organe glandulaire tel qu'il est dans la série: 1° sécrétion intra-cellulaire, comme chez les Protistes; 2° sécrétion extra-cellulaire, comme chez les Myriapodes; 3° intra-glandulaire ; 4° extra-glandulaire. Toutefois, le type des glandes à sécrétion interne des Insectes, des Céphalopodes et des Poissons fait ici défaut. La sécrétion se fait sous forme de petits globules ou de traînées lumineuses. C'est dans ces organes que j'ai rencontré, en 1886, les grosses vacuolides que J'ai montrées au labora- toire de Villefranche à Bolles Lee. Il se peut que ces organes soient des glandes à venin, comme aussi ceux de la Pholade, qui paraissent être les homologues de la glande hypobranchialé de la Pourpre. J'ai moutré que la sécrétion de cette dernière renferme un venin et de grosses vacuolides de la macrozymase que j'ai appelée purpurase et qui transforme la purpurine en propigment de la pourpre. Toutes ces granulations ont beaucoup: de rapports avec celles que l’on lrouve dans d’autres glandes à venin et qui sont aussi des vacuolides. Elles sont particulièrement faciles à observer dans le venin de l'Abeille. i Le corps du Phillirhoé, après avoir été desséché et broyé, peut donner encore de la lumière quand on l'humectle avec un peu d’eau. Après la mort, la luminosité persiste, ce qui n’exisle pas chez l'animal vivant, au repos. Comme il arrive toujours, l'ammoniaque agit de deux facons : il excite la sécrétion et active la réaction photo- gène. En seplembre 1834, Vérany découvrit la phosphorescence des Céphalopodes sur un {lelioteuthis Bonelliana vivant. Ce 88 LA VIE ET LA LUMIÈRE Poulpe avait été pêché au large de la mer de Nice par un fond d'environ 1.000 mètres. En 1893, Joubin s'étant procuré des exemplaires conservés de ce Céphalopode, à pu étudier la structure des organes photogènes signalés par Vé rany et, plus tard, celle d’or- ganes appartenant à d’autres espèces. Des recherches de même ordre ont été faites en- suite en Angleterre par Hoyle. C'est seulement en 1900-1903 qu'ont paru les belles re- cherches de Carl Chun sur des Céphalopodes lumineux pêchés pendant l'expédition de la Valdivia. Elles sont d'une haute importance parce qu’elle sont été faites sur des sujets vivants, dont les organes lumineux ont pu être fixés à l'état frais. Chunestmême parvenu à pho- tographier un de ces curieux Poulpesilluminé par sa propre lumière, Eunoploteuthis dia- dema Chun, pêché dans la ré- gion de Bouvet par 1.500 mè- PR ee tres de fond. Ce Céphalopode Tademe Cars est pourvu de vingt-quatre lanternes. Chacun des grands bras préhenseurs en a deux. Le bord inférieur des yeux est entouré de cinq organes lumineux pour chacun d'eux. Le reste est disposé sur le côté ventral du manteau dans l'ordre indiqué dans la figure 25. Ces appareils émettent des feux incomparables en beauté à tout ce que l'on connaît. On croirait que le corps est paré d’un diadème de pierreries de couleurs variées et de la plus belle eau. Les plus médians MOLLUSQUES PHOTOGÈNES 89 des organes brillaient d'un bleu d'outre-mer et les latéraux offraient des éclats nacrés. Les organes ventraux antérieurs envoyaient des rayons rouges rubis, tandis que les postérieurs étaient blancs de neige ou nacrés,à l'exception du plus médian qui brillait d’un bleu céleste. Ces organes sont conformés en godet: leur surface antérieure se bombe en lentille et la face profonde est revêtue d’un pigmentnoir ou brun faisant écran. Meyer et Verner Th. ont décrit chez une Seiche des glan- des à sécrétion ex- terne lumineuse, et c’est probablement à des organes de ce af genre qu'était due la ME y di luminosité observée Sn par Enrico Giglioli É à sur des Céphalopo- l . des pélagiques, tels ; que Crancha scabra Leach, chez un Lo- Lo FiG. 26, — Leachia cyclura (d'après Jour), ligo et chez quelques montrant cinq organes photogènes margi- ces naux où périorbitaires et un organe isolé Octopodidés de pe sous le cristallin (face ventrale). tite taille pêchés dans l'Océan Pacifique, pendant une traversée de Callao à Valparaiso. Dans tous les autres cas connus, il s’agit manifestement de glandes à sécrélion interne se rapprochant beaucoup de celles des Insectes, particulièrement de celles des Pyrophores. Les cellules photogènes des organes périoculaires de Leachia Cy- clura (fig. 26) étudiés histologiquement par Joubin, offrent la 90 LA VIE ET LA LUMIÈRE plus grande ressemblance avec celles des Lampyres. Chez les Céphalopodes, elles se disposent comme chez ces der- niers et chez les Pyrophores en deux zones distincles for- F1G. 27. — Coupe d’un organe lumineux marginal de Leachia cyelura (d'après Joux) (gross. 65 diam.). À, cercle cartilagineux; — C, chromatophores; — D, organe postérieur; — G, gaine conjonctive ; — TL, lentille ; — M, N, O, R, couches de la rétine; — P, cel- lules photogènes ; — V, vaisseau ; — Y, cellules lenticulaires de la gaine. Cette figure montre nettement l’origine cytodermique commune des cel- lules photogènes divisées en deux zones comme chez les Insectes. mées par des files de cellules, les unes claires, transpa- rentes, facilement colorables, peu ou pas granuleuses : ce sont des éléments encore jeunes, en repos physiologique, au point de vue de la photogénèse. Celles qui composent la seconde zone sont devenues irrégulières, déformées, aplaties, YEN ARR MOLLUSQUES PHOTOGÈNES 91 fortement granuleuses, et sont manifestement en voie de fusion glandulaire. Chez Chiroteuthopsis, d'après Chun, les cellules photogènes, peu nombreuses mais grandes, se confondent en partie, et chez Pterygioteuthis, la fusion va si loin qu'on ne peut plus parler de limites de cellules ; il n’y a plus qu'une sub- stance plasmatique à grainsfins,danslaquelle de nombreux noyaux de différentes grandeurs sont répartis. Dans l'organe d’Abra- liopsis, les cellules se fusionnent et finale- ment perdent leur noyau: 1l s'agit bien encore ici d’une fonte glandulaire. Chez Leachia Cyclura (fig. 27 et 28), les cel- lules jeunes, claires, sont tournées du côté de l'extérieur parce Fi. 28. — Leachia cyelura, coupe d’un or- qu'elles naissent de la gane photogène marginal (gross., À 65 diam.) (d’après JouBix). couche profonde du té- GC, chromatophore ; — G&, gaine conjonctive ; gument transformé en —L, lentille; — T, cornée et épithélium sous- cornéen. — V, vaisseaux internes ; — P, cel- cornée, comme celles : jules photogères. des Insecles naissent de la face profonde de l’hypoderme du tégument également trans- formé au niveau des organes lumineux en cornée transpa- rente. Dans le cas où l’on a décrit des éléments en fibrilles ou fuseaux, 1l est probable que l’on a pris pour des cellules pho- togènes des éléments des parties accessoires. Il est difficile sur des sujets morts de fixer exactement la situation des foyers lumineux. Le contraire a pu se produire également: c’est ainsi que l'on a pris évidemment une des deux zones constituant 92 LA VIE ET LA LUMIÈRE l'organe phologène pour une lentille, de même qu'avant mes recherches, on faisait deux formations distinctes de la couche crayeuse et de la couche parenchymateuse des Insectes. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d'élé- ments de même origine, mais dans des états différents, comme cela se voit dans tous les organes glandulaires. Enfin chez Leachia Cyclura, comme chez le Pyrophore, de larges sinus sanguins mettent l'organe en communication Fi. 29. — Helioleuthis Rupelli. Coupe longitudinale médiane de l’organe lumineux grossi 20 fois envi- ron. Marche théorique des rayons lumineux concen- trés au point O par le réflecteur parabolique et réflé- chis par le miroir concave. Cr — Chromatophores,. CG — Écran noir. R — Réflecteur. Ep — Epiderme. L — Lentille biconvexe. A — Cône transparent. N — Nerfs. F — Couche photogène. M — Miroir supérieur. Mi — Miroir inférieur. T — Lentille concavo-convexe. avec la circulation générale. Chez d'autres, comme Thauma- tolampas, on a signalé une vascularisation abondante. On n’a pas pu suivre les nerfs jusqu’à l'organe photogène, mais seu- lement jusque dans son voisinage, où il y a des fibres muscu- laires : il est probable que c’est là qu'ils se rendent, comme chez les Insectes et, en général, comme dans toutes les glandes. Les organes photogènes sont souvent annexés aux yeux, auxquels ils sont parfois étroitement unis. Ils ont été souvent confondus avec des organes oculaires à cause des parties accessoires ou de perfectionnement, qui se rapprochent beau- coup de celles de ces derniers. D'autre part, j'ai déjà fait MOLLUSQUES PHOTOGÈNES à 93 remarquer à propos de la Pholade (voir p. 84) que les parties productrices de lumière ressemblent à celles qui sont char- gées de la percevoir. Les propriétés optiques des parties accessoires ou de per- fectionnement ont été bien étudiées chez Histioteuthis Rupelli, par Paul et Louis Joubin (1). Chez Histioteuthis Rupelli, on trouve, comme chez beaucoup d’autres Céphalopodes, en plus de la glande photogène, un tissu réfringent formant lentille L (fig. 29), un réflecteur R, l'enveloppe pigmentaire C et, à l’intérieur de celle-ci, un tissu formé de cellules fusiformes disposées en lames minces cons- tituant un fapis, grâce auquel ces organes ont souvent l'éclat de la nacre et peuvent décomposer la lumière. D’autres présentent une véritable cornée transparente et même une sorte de pupille formée par des chromatophores pouvant intercepter plus ou moins la sortie de la lumière, en se resserrant ou en se dilatant. Chez Chiroteuthis Grimaldi, Chun a signalé des organes ressemblant à des yeux où à des organes photogènes recou- verts de chromatophores remplis de pigment rose, mais dont le rôle est inconnu. EN RÉSUMÉ, on rencontre chez les Mollusques et méme dans la seule classe des Céphalopodes, deux types d'organes photogènes : 1° des appareils glandulaires à sécrétion interne identiques à ceux que nous avons vu apparaître pour la première fois chez les Insecles: 2° des glandes photogènes à sécrétion externe. Ce dernier type donne chez la Pholade dactyle une abondante sécré- lion de mucus lumineux et c'est cette circonstance exception- nelle qui m'a permis de résoudre complètement et définitivement le problème de la réaction ultime qui donne naissance à la lumière physiologique. (1) V. Nolice sur les travaux ‘scientifiques de M. Louis Joubin, p. 65, Rennes, 1902. CHAPITRE VIII LES TUNICIERS LUMINEUX Ces animaux forment une transition naturelle entre les invertébrés et les vertébrés photogènes. On en rencontre d'assez nombreux exemples dans les Appendiculaires, les Ascidies simples et agrégées, les Synas- cidies, les Ascidies salpiformes, les Salpes et les Barillets. Au point de vue physiologique, les Tuniciers les plus inté- ressants et les mieux connus, grâce aux beaux travaux de Panceri et de Polimanti, sont les Pyrosomes, Ascidies salpi- formes coloniales nageant à la surface des mers. Pyrosoma giganteum elegans habite la Méditerranée (fig. 30) et Py- rosoma atlanticum, comme son nom l'indique, se trouve dans l'Atlantique. Cette dernière espèce a 3 à 7 pouces de long, mais on trouve dans l'Océan Indien des Pyrosomes pouvant atteindre jusqu'à quatre mètres de longueur. La colonie présente la forme d’un dé à coudre allongé ; elle est transparente et composée d’un grand nombre d'individus fixés perpendiculairement à l'axe longitudinal de la colonne et réunis par un tissu commun de consistance gélatino-carli- lagineuse. Chaque individu possède deux orifices, un pour l’en- trée et l'autre pour la sortie de l’eau: ces derniers débouchent à l’intérieur de la cavité centrale ou cloaque commun. Cette curieuse association animale comporte parfois plu- sieurs milliers de membres, qui agissent comme un seul individu pour satisfaire un besoin général, par exemple dans les mouvements de natation ou dans les contractions desli- LES TUNICIERS LUMINEUX 95 nées à faire renouveler l'eau apportant l'oxygène et la nour- riture. Ces contractions font aussi circuler le sang du sinus qui baigne largement les organes lumineux de chaque colon ou ascidizoïde, comme cela se voit chez les Insectes, par exemple. Chaque individu, en forme de bouteille, possède deux glandes photogènes situées chez Pyrosoma atlanticum près du col, au ni- veau et près des branchies. Ce sont de petits points brillants, jaunâtres, ovales ou triangulaires. Ces éléments, d'après Julien, se déve- loppent aux dépens de l’ectoderme. Les œufs ovariens, non segmentés, mais pres- que mûrs, ainsi que les embryons sont phosphorescents. Il semble que ce soit une loi générale qu'à aucun moment de la vie des êtres phosphorescents, la fonc- tion photogénique n’est suspendue. Les cellules lumineuses sont volumi- neuses, arrondies : elles renferment des grains que Julien considère comme de nature mitochondriale, mais on sait que les mitochondries nouvelles ne sont pas autre chose que mes vacuolides an- ciennes. En écrasant l'animal, on peut en re- tirer un liquide qui reste lumineux après M6: 30 Pyrosone à : géant (1/5 de gran- passage au travers d’un linge, mais deur natur.). s'éteint rapidement. Toutefois l’extinc- üion n'est pas définitive, car l’eau douce et la chaleur peuvent faire reparaître la lumière : l'alcool et les acides la font dis- paraître; on peut, en les humectant d’eau, faire renaître la lumière des organes desséchés. Comme chez les autres organismes photogènes entiers, les excilants mécaniques, physiques et chimiques provoquent la luminosité, qui d’ailleurs peut se produire spontanément dans les mouvements de la colonie. 96 LA VIE ET LA LUMIÈRE D'après Polimanti, la lumière solaire est sans action, mais on excile la lumière avec une lampe électrique de 36 bougies chez Pyrosoma elegans. Ce qu'il y a de vraiment curieux, c’est que l'éclairage se produit aussi bien au moment où l'on allume la lampe qu’au moment où on l'éteint. J'ai signalé le même résultat pour la contraction dermatoptique du siphon de la Pholade qui renferme, comme on sait, les organes photogènes. Il est probable qu'il se produit aussi chez le Pyrosome quelques contractions localisées ayant pour résultat d’agir directement sur la glande photogène ou indirectement par le sang du sinus, comme cela arrive chez l'Insecte. De très intéressantes recherches de Polimanti sur la période d'excitation latente, etc., permettent aussi d'établir certains rapports entre la réaction lumineuse et la réac- tion musculaire, D’après l'éminent physiologiste ilalien, le degré optimum de luminescence pour Pyrosoma elegans est entre 10° et 15°, mais la luminosité peut s’accroître jusqu'à 2$ pour diminuer progressivement et cesser à G6o°. Il fait remarquer « que la lumière du phosphore continue à s’ac- croître et que, par conséquent, il ne s’agit pas d’une oxydation directe, comme le pensait -Panceri, mais plutôt d'une pro- priélé physicochimique de l’ordre de celle qui a été indiquée par R. Dubois ». La persistance de la luminosité dans ‘une atmosphère d'acide carbonique en est une nouvelle preuve. Si des bulles d'air dégagées dans l'aquarium peuvent exciter la lumière, cela tient à une excitation mécanique. Néanmoins, Polimanti admet que le manque d'aération hâte l'épuisement, provoque l'inexcitabilité d’abord, puis la mort et la décomposition. Quand la lumière devient persistante, continue, c'est que le Pyrosome va mourir; elle persiste même après la mort soma- tique; la lumière physiologique est ici, comme autre part, l'ullimum moriens. Une des remarques les plus curieuses faites sur les Pyro- somes est que la lumière peut varier de couleur non seule- ment pour des espèces différentes, mais encore chez un mèêmeindividu à différents moments. Chez Pyrosoma atlanticü, LES TUNICIERS LUMINEUX 97 Péron l’a vu passer du vert au rouge vif, à l’aurore, à l'oran- ger et au bleu d'azur. Polimanti a remarqué chez Pyrosoma elegans, à mesure que l'animal s’altère, que ce ne sont plus les rayons verts carac- téristiques qui sont émis, mais une lumière rouge : c'est-à- dire que les rayons réfringents les plus réfrangibles sont rem- placés par des rayons qui le sont de moins en moins. D’après Polimanti, le ton vert indiquerait, contrairement à ce que croyait Panceri, qu'il ne s’agit pas d’un processus de com- bustion. Mais que penser alors des tons rouges qui se mani- festent quand on plonge dans l’eau très chaude soit, comme je l’ai déjà montré, un organe photogène de Ver luisant, soit un Pyrosome. Panceri n’a pu révéler la moindre trace de chaleur au mo- ment de « l'embrasement » maximum du Pyrosome, mais il - explique ce fait en disant que l'énergie calorifique est trans- formée en lumière; faudrait-il alors admettre qu'il existe dans les organes photogènes une substance capable de ramener les radiations calorifiques vers les longueurs d'onde moyennes du spectre, comme cela a lieu pour les radiations chimiques avec la luciférescéine? Je reviendrai sur ce point à propos du rôle de la fluorescence dans la lumière physiologique (voir Composition physique de la lumière physiologique, p. 107). EN RÉSUMÉ, dans l’embranchement des Tuniciers, on voil encore l’immortel flambeau ancestral se transmettre de l'adulte à l'œuf, de l'œuf à la larve et de celle-ci à l'adulte et toujours ainsi sans jamais s'éleindre, comme le feu des Vestales. La lumière chez les Tuniciers est aussi toujours fournie par des éléments ectodermiques, par des glandes entourées de grands sinus sanguins et dans ces éléments, Julien trouve des granula- lions qu’il considère comme des mitochondries et qui ne sont autres que mes vacuolides, ce qui prouve une fois de plus leur identité et mon antériorité. Quant à la substance photogène, elle se conduit chez les Tuni- ciers comme partout ailleurs. R. Dugors. rl CHAPITRE IX VERTÉBRÉS PHOTOGÈNES. LES POISSONS LUMINEUX Ces curieux animaux habitent ordinairement les régions abys+ales où la lumière du jour ne pénètre pas. Leurs formes sont des plus bizarres, ce qui, joint aux fanaux de lumières versicolores qu'ils portent sur les points les plus variés du corps, leur donne une étrange originalité. Ordinairement les organes lumineux sont rangés sur la Fic. 31. — Slomias boa Rasso. Poisson présentant deux doubles rangées latérales d'organes lumineux. ligne latérale et sur les ramifications qui en partent vers la tèle, comme chez les Stomias (fig. 31). Ils semblent provenir de transformations des organes glandulaires que l’on ren- contre dans celte région chez les autres Poissons. D'ailleurs, leur position est très variable. Chez Photoblepharon palpebratus Weber (fig. 32), Poisson de surface des côtes ouest des îles Néerlandaises, dont les pè- cheurs indigènes utilisent l'appareil lumineux pour la pèche, ils sont situés au-dessous des yeux el mobiles comme eux, ce qui VERTÉBRÉS PHOTOGÈNES 99 permet à l'animal de masquer à volonté ses fanaux oculaires. Chez Melanocetus Johnsoni (fig.33), l'appareil lumineux est # 4 Ÿ h Des 2 ù & St has à Fig. 32. — Photoblepharon palpebralus W£Ber. situé à l'extrémité d’un barbillon mobile, et sert vraisembla- blement de piège pour attirer dans la gueule énorme et bien armée de l'animal les organismes dont il fait sa nourriture. Le nombre des fanaux n'est pas moins variable que leurs formes et leur situalion. Sur Maurolicus, petit Poisson lumineux de 5 à 6 centi- mètres de long pé- ché dans les grandes profondeurs de la baie de Naples, Man- goldt a compté jus- qu'à 144 appareils lumineux distincts. Chez ce Poisson, la lumière n'apparaît pas d'elle-même, mais toujours à la suite d'une excita- Uon : pincement de Fi. 33. — Mélanocèle (3/5 de grand. natur.). la queue, etc. Elle est agréable, ne vascille pas. Sa nuance varie du blanc au jaune vert, au vert clair el au bleu, mais le jaune et le vert apparaissent d’abord. Par l'action réflexe, c’est l'organe de la tête qui s’éclaire, parfois seul quand on excite le Poisson 100 LA VIE ET LA LUMIÈRE dans l'eau. Tout le reste s’illumine par une excitation plus forte. Si on place ce Poisson de mer dans l'eau douce, la lumière devient continue. C'est ce qu'on observe chez les animaux malades ou morts, en général. | De l’avis de tous les auteurs et principalement de Braüer, auquel on doit de très importantes recherches sur les Pois- sons pêchés par la Valdi- via, tous ces organes sont de nature glandulaire. Les uns sont simples et s’ou- vrent directement au de- hors pour rejeter dans le milieu ambiant la sub- stance photogène. D’au- tres, au contraire, n’ont pas de canal excréteur, ce sont des glandes à sécrétion interne. En somme, ils se réduisent tous aux deux types que l’on rencontre chez les Insectes, les Crus- tacés et les Mollusques. Les glandes photogènesà Fic. 34. — Organe lumineux latéral. LEE ; d'un Stomias. sécrétion interne sont ordi- er, cristallin; — 7, cellules photogènes; nairement accompagnées — 1’, les mêmes plus âgées (2° couche); — 6 : r, réflecteur. d organes accessoires ou de perfectionnement. Chez Stomias, par exemple (fig. 34), on constate l'existence d'une masse centrale (/) formée de cellules photogènes rappe- lant exactement par leur forme celles des organes lumineux des Lampyres, et des Céphalopodes à l’élat jeune. Comme chez ces derniers, on y rencontre en même temps d’autres cellules photogènes l’, mais légèrement différentes des premières, à contenu granuleux, à noyau périphérique. [ci encore, ces deux sortes de cellules ont manifestement la même origine. En haut de la figure, on voit en cr un véritable cristallin recouvert d'une cornée destiné à faire converger les rayons VERTÉBRÉS PHOTOGÈNES 101 lumineux. Enfin, au-dessus de la glande photogène, se trouve un réflecteur r composé de deux couches et tapissé par du pigment. Une disposition analogue se rencontre encore dans les Fra. 35. — Chauliodus. dr, cellules ectodermiques formant un cristallin ; — c/, {!, cellules de l'organe photogène formant deux couches distinctes, comme chez les Insectes. organes lumineux de Chauliodus (fig. 37), où les deux zones de la masse glandulaire photogène sont encore plus nelte- ment marquées et où cependant on peut bien constater leur identité d’origine. Les glandes à sécrétion interne sont remplacées par des glandes à sécrétion externe, particulièrement dans les organes D? SAT d LA 102 LA LUMIÈRE ET LA VIE tentaculaires des Cératidés et des Onchocéphalidés : cette dis- position est très nettement marquée chez Gigantactis. L'or- gane est constitué par un sac en forme de boule dont les parois sont lapissées par un épithélium glandulaire dr à plu- sieurs assises el dont la cavité assez vaste s'ouvre à l’exté- rieur. Cette cavité est remplie d'un mueus à grains très fins F1G. 36. — Glande photogène à sécrétion externe du Gigantactis. provenant de la désagrégation des cellules glandulaires (fig. 36). Chez les Onchocéphalidés, les organes lumineux sont de même des glandes à sécrétion externe, soit avec de nombreux canaux sécréloires séparés (Chaunax, soit que plusieurs glandes se réunissent pour sécréter par un canal commun. La cavité glandulaire peut même disparaitre : on ne trouve plus, chez les Wytophoridés, que des cellules formant des lamelles plates et minces, isolées en parlie, pour représenter les organes photogènes. ÿ 24 VERTÉBRÉS PHOTOGÈNES 103 EN RÉSUMÉ, on trouve chez les Poissons, c'est-à-dire chez les organismes photogènes les plus hautement différenciés, pour ainsi dire la répétition générale de tout ce qui a été vu dans les degrés inférieurs de l'échelle des étres vivants. C'est surtout dans cet embranchement que l’on peut suivre pas à pas l'évolution «de l'organe glandulaire photogène, depuis la simple cellule épider- mique, nue, superficiélle, jusqu'à ces curieux appareils oculi- formes que sont les photosphères les plus compliquées avec leurs organes de concentration, de réflexion, leurs diaphragmes, leurs écrans d'adaptation et d'accommodation, et méme leurs appareils d'orientation. C’est dans l'étude des Poissons lumineux que se trouve la confirmation la plus éclatante de l'unité des procédés fondamentaux des mécanismes intimes qui nous sont révélés par la physiologie générale, mais dont la simplicité nous est le plus souvent masquée par des complications accessoires, de perfection- nement où d'adaptation que la physiologie comparée seule nous permet de discerner. Biophotogénèse accidentelle chez les vertébrés. — Chez les vertébrés autres que les Poissons, on n’a pas constaté d'une manière certaine l'existence de la biophotogénèse normale, physiologique. Il faut d'abord écarter tous les cas de fausse photogénèse due à des phénomènes de réflexion, de réfraction, etc., résul- tant de la présence dans le fond de l'œil d’un «tapis » comme chez les fauves, chez le Phoque, et chez certains Papillons comme le Sphinx à tête de mort. On doit attribuer à une cause de cet ordre la prétendue luminosité d'un Pinson d'Australie, Poëphila Gauldiæ. On a prétendu cependant que l'œil pouvait être une source de lumière. Cette hypothèse méritait d'être examinée en raison des analogies existant chez les Crustacés, les Mollusques et les Poissons entre les photosphères et les organes oculaires. Mais je n’âi jamais pu constater de lumière oculaire dans l'obscurité absolue et c’est inutilement que pendant fort longtemps J'ai fixé ou fait fixer les regards sur des plaques photographiques sans jamais voir se développer la moindre trace d'impression. 104 LA LUMIÈRE ET LA VIE D'autres cas paraissent attribuables à des emprunts, par exemple celui de la gueule d’un crapaud de Surinam, qui avait sans doute mangé quelque animal photogène, celui des Hérons. des Effraies, etc. La luminosité observée fréquemment à la surface des plaies (Homme, Tortue), sur des cadavres, dans l’urime et le lait était vraisemblablement d'origine parasitaire, et due à des photo- bactéries. Peut-être en était-il de même dans les cas où l’on a vu se produire des lueurs sur le front de moribonds, sur les excréments de personnes ayant mangé des Crustacés marins mal conservés (Squilles) ? D'après Azara, chez la Mouffette d'Amérique, Zorillo ou Sorillo (Viverra putorius), l'urine est normalement lumineuse et cette propriété servirait, jointe à son odeur fétide, à éloigner les ennemis. Des sueurs nocturnes lumineuses ont été signalées chez des sujels qui paraissaient normaux. J’ai personnellement relevé l'observation d'une jeune femme qui avait pendant plusieurs semaines présenté ce singulier phénomène, sans que l’on pût savoir au juste à quoi il était attribuable. La cause et la nature de la luminosité des œufs de Gre- nouille, de Lézard et de Gecko reste encore problématique. D'après Pütter, celle des œufs de Lézard ne rappelle que très faiblement celle des animaux marins des grandes profondeurs. Toutes ces questions appellent des recherches nouvelles. EN RésuMÉ, l'existence de la biophotogénèse normale ou phy- siologique signalée chez des vertébrés plus élevés que les Poissons, a besoin d'étre prouvée par de nouvelles observations. Il serait désirable également que la biophotogénèse patholo- gique fût l'objet d’une étude spéciale. Il se peut que des sécrétions glandulaires, telles que celle du lait, de la sueur, de l'urine, fournissent parfois des liquides lumineux en dehors de toute infection parasitaire, mais dans la grande majorité des cas obser- vés sur des blessés, des moribonds, des cadavres, il semble bien certain que l’on se soit trouvé en présence de phénomènes acci- dentellement provoqués par des photobactéries parasites. CHAPITRE X CARACTÈRES ET COMPOSITION PHYSIQUE DE LA LUMIÈRE PHYSIOLOGIQUE Les caractères organoleptiques sont intéressants à noter. La lumière est continue, tranquille chez les Champignons élevés et les Photobactériacées. Lorsque les cultures des Photobac- téries sont encore très petites et disséminées par petits points dans les cultures par semis, on peut observer une véritable scintillation. J’ai montré que ce phénomène est dû aux oscillations des éléments visuels de la rétine ; j'aurai l’occa- sion de revenir sur ce point à propos de la vision derma- tique (voir p. 253). Elle peut parfois paraître ondulante, comme s'il y avait des émissions de vapeurs phosphorescentes, mais ce n'est qu'une apparence trompeuse. Il en est de même chez les Myriapodes. Beaucoup d'animaux inférieurs ont également une lumière continue ; chez d’autres, elle est intermittente, scintillante, comme chez les Lucioles,les Photinus américains, pendant le vol. La couleur peut changer chez les Photobactériacées suivant les milieux de culture. La lumière de Photobacterium sarco- philum Dubois est bleu verdâtre sur la viande de porc et blanche sur les bouillons de gélatine peptone : le degré de salure à une influence ; l’âge de la culture modifie à la fois l'intensité et la couleur. Suivant les espèces également on peut avoir des lumières blanche, bléuâtre, orangée, dorée, verte. Ce caractère modifiable chez une même espèce ne peut 106 LA LUMIÈRE LT LA VIE servir de base à une classification. La lumière des mycéliums de Champignons, comme celle de notre Agaricus olearius, est blanche, mais chez les Champignons exotiques, elle devient vert émeraude ou bleu verdâtre. La couleur propre des Champignons n’a pas d'influence sur celle de la Ilumière, comme le croit Molish: la chair d'Agaricus olearius est rouge orangé, et la lumière est blanche. Certains animaux ont une lumière changeante. Les mé- duses rencontrées par le Prince de Monaco en grande abon- dance aux environs de Ténériffe émettaient une lueur douce allant du bleu tendre au rose. Les Gorgonidés abyssaux lan- cent de tous les points des tiges et des branches, des éclats s'atténuant puis s'exaltant pour passer du violet au pourpre, au rouge, à l’orangé, et du bleuâtre aux différents tons du vert. Ce dernier est [a couleur dominante. J'ai parlé déjà des changements de couleur que subit le Pyrosome sous l'in- fluence de certaines excitalions (voir p. 96). La nuance varie suivant le sexe : elle est jaunâtre chez le Lampyre mâle et blanche chez la femelle. L'âge, le stade d'évolution a parfois une influence très grande : la lumière de la larve du Pyrophore est bleuâtre et celle de l'Insecte adulte est verte. Sur le même animal, on peut rencontrer des fanaux de cou- leurs très diverses, par exemple chez ce curieux Céphalopode qu'est Eunoploteuthis diadema Chun (voir p.88), dontila été pré- cédemment question. Il se peut que parfois la couleur de la lumière soit modifiée par celle des téguments ou par les lames minces des réflecteurs. Enfin il n’est pas douteux que la teinte verte du sang ait une influence sur celle de la lumière du Pyrophore des Antilles. Mais dans la majorité des cas, surtout quand il y a des changements chromatiques s'opérant sur un même point dans un même organe, il faut bien admeltre que ceux-ci sont en rapport avec des modifications intimes du bioprotéon pho- togène ou de ses produits. Chez la Noctiluque vigoureuse, de Quatrefages a noté que la luminosité par éclairs est bleuâtre, et que chez l'animal COMPOSITION PHYSIQUE DE LA LUMIÈRE PHYSIOLOGIQUE 107 fatigué ou malade, elle devient continue, blanche, pâle. Dans l'intérieur de ce dernier, elle est encore produite, comme dans le premier cas, par des points lumineux scintillants, mais ces points sont beaucoup plus petits et plus rapprochés. Il est bien probable que dans les autres cas de lumières changeantes, les différences résultent de modifications dans le nombre et surtout dans le volume des particules lumineuses produites par la rapidité plus ou moins grande, par l'énergie plus ou moins vive de la réaction photogène. J'ai noté que quand on chauffe brusquement les organes lumineux du Lampyre, ou que l’on ajoute un peu d’ammoniaque à l'eau rendue lumineuse par trituration avec ces organes, la lumière du blanc bleuâtre passe au rouge feu. Plus tard, Mc Dermott a constaté que si l’on humecte avec du peroxyde d'hydrogène à 3 p. 100 le tissu desséché des organes lumineux de Photinus pyralis, le spectre de la lumière ainsi produite est localisé dans la partie jaune ou jaune orangé du spectre. Il y a dans cette direction de curieuses recherches à faire. On ne doit pas confondre la couleur avec l'éclat, Tous les observateurs qui ont vu la lumière des P yrophores s'accordent à dire que cette « belle lumière » a un éclat par- ticulier : il correspond à une sensation spéciale de notre œil el ne se confond pas avec le sens chromatique. La Luciole et d’autres animaux photogènes, mais à un moindre degré, impressionnent de même notre rétine. En 1886, j'ai découvert l'explication de ce curieux phéno- mène et montré qu'il tient à ce que les organes photogènes du Pyrophore renferment une substance fluorescente à laquelle j'ai donné le nom de Pyrophorine : elle acquiert la plus grande intensité lumineuse dans les rayons ultra-violets d’une lon- gueur d'onde — 0,391 4. L'acide acétique lui fail perdre sa fluorescence, mais l’'ammoniaque la lui restitue : c'est vrai- semblablement un glucoside. Je n'ai pas trouvé cette sub- stance fluorescente chez les larves, qui d’ailleurs n’ont pas le même éclat que l'adulte. En revanche, j'en ai depuis long- temps signalé la présence chez la Luciole italique. J'ai ainsi établi que la fluorescence s'ajoute à la photogénèse propre- 108 LA LUMIÈRE ET LA VIE ment dite, aussi bien chez les Élatérides que chez les Lampy- rides. L'exactitude de ma conclusion a été confirmée par les recherches ultérieures de Ives, Coblentz, Kastle, Me Dermott sur les Photinus américains. L'étendue du spectre fluorescent chez ces Insectes s'étend de 0,380 y à 0,510 u, tandis que celui de la lumière émise totale va de 0,510 w à 0,670 y. Ces deux lumières se trouveraient ainsi, chez Photinus, complé- mentaires l’une de l’autre. Je suis tombé d'accord avec Mc Dermott pour donner à ces corps fluorescents le nom générique de « Luciférescéine » formé par les trois premières syllabes des mots que j'ai créés pour désigner les produits photogènes « Luciférase » et « Luci- Jérine », suivis de la terminaison « escéine » qui est commune avec celle du mot fluorescéine et rappelle ainsi la propriété caractéristique de cès corps. La luciférescéine des Photinus lumineux disparaît chez Photinus corrascus, Lampyride devenu diurne. Il serait inté- ressant de rechercher s’il en est de même pour Pyrophorus cæcus et P. extinctus. Ainsi que je l'ai indiqué en 1886, la fluorescence des Insectes est un procédé de perfectionnement indépendant de la réaction photogénique proprement dite. Elle permet à l'ani- mal de transformer des radiations obscures inutiles, peut-être même nuisibles et d'augmenter ainsi notablement le rende- ment des appareils éclairants, en donnant ce que j'avais appelé une « lumière condensée ». Cette découverte a été depuis le point de départ d’utiles et importantes applications indus- trielles, mais comme toujours le procédé naturel s’est trouvé supérieur à l'invention humaine (1). En injectant de l'éosine dans un organe lumineux, j'ai vu la lueur devenir rouge feu avec reflets fluorescents. Toutes les radiations chimiques ne sont donc pas transformées en (1) Nora. — Je n'ai pas dit, comme pourrait le faire croire une des notes de Mc Dermott, que la Pyrophorine ou Luciférescéine du Pyrophore est de l’esculine. J'ai montré, ce qui est bien différent, que l’esculine peut donnerune magnifique lumière capable de rivaliser avec celle de la Pholade (voir p. 133). COMPOSITION PHYSIQUE DE LA LUMIÈRE PHYSIOLOGIQUE 109 radiations éclairantes par la pyroluciférescéine et c'est d’ail- leurs ce que l'expérience vérifie, comme on le verra plus loin. Les luciférescéines doivent avoir une « résonance » spéciale, car je n’ai pas réussi, jusqu’à présent, à augmenter le pou- voir éclairant du mucus de Pholade en y ajoutant des traces d’une vingtaine au moins de corps fluorescents organiques ou minéraux. J'ajouterai encore que j'ai depuis longtemps signalé l’exis- tence de corps fluorescents chez des animaux non lumineux, où ils doivent jouer certainement un rôle parliculier : j'y reviendrai à propos de l’action de la lumière sur les orga- nismes vivants (voir p. 166). L'existence de la fluorescence dans la lumière du Pyro- phore et de la Luciole indique la présence de radiations chi- miques, actiniques, ultra-violettes dans le rayonnement des Élatérides et des Lampyrides. Les recherches de Nagooka n'ont fait que confirmer ma découverte des rayons ultra-vio- lets dans la lumière des Insectes, attribuée à tort par Houl- levigue au savant japonais. En est-il de même pour les autres organismes lumineux ? En 1886, j'ai présenté à la Société de biologie la phologra- phic d’un Poisson (Orphie) rendu lumineux par les Photobac- téries : elle avait exigé six heures de pose dans le cabinet noir. D'ailleurs, chez les Pyrophores, la fluorescence ne sup- prime pas tout pouvoir actinique, car, dès 1884, j'avais pu obtenir des photographies très nettes, en un temps relative- ment court, avec la lumière du Pyrophore. En 1887, d'après Forster, des épreuves photographiques auraient été également obtenues par Hasen-Noman, et, la même année, Fischer aurait photographié un Hareng. Plus tard, j'ai fait une photographie du buste de Claude Bernard éclairé par les microbes lumineux (voir fig. 3, p.31). Ces expériences furent répétées avec succès par Barnard, Molish et d’autres. Enfin, en 1903, Nadson reproduisit les contours d’une grenouille parasitée par inoculation de mi- crobes photogènes. 110 LA LUMIÈRE ET LA VIE Abel Busquet, en 1895, a montré que la puissance ou inten- sité graphique du rayonnement par le Pyrophore est très faible et ne dépasse pas un millionième de bougie décimale graphique P — 0.000.001. En s'appuyant d'autre part sur nos évalualions photométriques, il a conclu que la machine éclai- rante vivante du Cucuyo fournit des radiations parmi les- quelles 1/5000 seulement est perdu en rayons actiniques : elle voilerait donc 5.000 fois moins vite une plaque qu'une bougie. Cet éclairage, d'après Busquet, pourrait être utilisé pour les photographies qui doivent être obtenues très lente- ment. Les cullures en ballons faites par mon procédé (voir p. 119) pourraient être utilisées dans ce sens ou mieux encore ma « lampe vivante » (voir p. 32). La lumière du Pyrophore ne renferme pas de vibrations électriques susceptibles de décharger l'électroscope à feuilles d’or le plus sensible. D’autre part, avec un galvanomètre pouvant accuser 1/10000 de volt, nous n'avons pu déceler aucune différence de potentiel mesurable entre l'appareil lumineux et un point voisin du corps. Ces recherches failes à la Sorbonne, par moi et Bourbouse, remontent à 1885. Daniel Berthelot vient de faire la même constatation avec le Ver luisant. Malgré cela, on pouvait se demander, en raison de l'exis- tence de la fluorescence, si la lumière physiologique, comme les rayons X ou les émanations du radium, pourrait influencer une plaque photographique au travers de corps opaques pour notre œil. Faute de Pyrophores, je me suis servi de la lumière des appareils de la Pholade dactyle et de cultures de Pholobactéries. En évitant toutes les causes d'erreurs pro- venant du contact, d'émanalions gazeuses, elc., j'ai pu in- fluencer une plaque enveloppée de papier noir. Il a fallu quinze heures de pose. Avec un temps plus long encore, jai pu obtenir le même résultat en séparant la plaque du foyer lumineux par du carlon mince ou par une planchetle de bois : la photographie montrait la structure interne du couvercle de boîte en bois dont je m'étais servi. Cette lumière ne traverse pas les couches d'aluminium et peut-être oblien- . COMPOSITION PHYSIQUE DE LA LUMIÈRE PHYSIOLOGIQUE Il drait-on les mêmes résullats que ceux que j'ai consignés ci-dessus avec d’autres sources de lumière. MM. Lumière, de Lyon, ont obtenu, je crois, une photographie malgré l'interposition d’une plaque d'ébonite entre la plaque et le foyer d'une lampe. Quoi qu'il en soit, je n'ai pu accepter les conclusions que Molish a tirées de ses expériences de con- trôle et des miennes, el je les ai réfutées complètement (1). Toutes les substances sont plus ou moins translucides, poreuses, el certaines d'entre elles, qui laissent passer la lumière en quantité insuffisante pour impressionner nolre rétine, peuvent à la longue, par un effet cumulatif, impres- sionner la plaque photographique : il ne s’agit pas là de « lumière noire » mais simplement de « lumière invisible ». C'est une question de quantité et non de qualité. D'après Murakao, la lumière du Ver luisant se comporte- rait comme de la lumière ordinaire, mais par sa filtration à travers le carton, ou une lame de cuivre, elle acquerrait des propriétés analogues aux radialions de Rünlgen ou à celles de Becquerel, par un « phénomène de succion » com- parable à l'allure des lignes de forces magnétiques vis-à- vis du fer. Il serait indispensable de répéter les expériences du savant japonais avant de conclure définitivement. La recherche des radiations calorifiques était indiquée pour établir le bilan érergétique de lumière physiologique, En 1869, Maurice Girard ies avait recherchées chez les Lampyres, mais les moyens employés étaient tout à fait insuffisants : on peut en dire autant des recherches de Dieckhoff, Matteucci, de Joseph sur ce mème Insecte, de celles d'Ehrenberg sur les animaux marins, de Quatre- fages sur les Noctiluques, de Panceri sur les Pholas, Pyro- somes, Méduses, Siphonophores et Pennatules. En 1884 el 1885, j'ai entrepris d'élucider définilivement la queslion en utilisant les plus puissants animaux photogènes, les Pyrophores des Antilles. Les radiations fournies par douze Pyrophores dirigées sur (1) Voir Revue scientifique, 25 novembre 1905, Paris. 112 LA LUMIÈRE ET LA VIE les ailettes d'un radiomètre très sensible puisque, dans l'obscurité, l'approche de la main suffisait à le mettre à dis- tance en mouvement, ne produisirent aucun effet. Mais en uti- lisant une pile thermoélectrique et un galvanomètre d’une extrême sensibilité, appartenant au laboratoire de physique de la Sorbonne, nous avons pu, en nous entourant des plus minutieuses précautions (voir les Élatérides lumineux, Loc. cit., p.94), déceler seulement des {races infinitésimales de chaleur dans le faisceau de lumière fourni par l'appareil prothoracique du Pyrophore. Ce résultat a été confirmé en Amérique par deux physi- ciens de la plus haute valeur : Very et Langley, avec leur bolomètre, instrument d’une extrême sensibilité. Ils ont cher- ché à mesurer la quantité de chaleur rayonnée par un centi- mètre carré de surface lumineuse en dix secondes; ils ont trouvé qu'elle est environ de 0,000 de petite calorie et que la radiation totale de la tache la plus lumineuse, celle de l'abdomen, ne doit pas excéder 0,0007 de calorie dans le même temps! On voit bien que nous avions eu raison de dire que la quantité de chaleur accompagnant la lumière des Pyrophores est véritablement infinitésimale. Il convient d'ajouter que Very et Langley ont également adopté notre manière de voir, à savoir que l'on se trouve bien en présence d'une lumière spéciale qui ne ressemble, par sa composition, à celle d'aucun foyer usuel artificiel et qui mérile, pour cette raison,le nom de « Lumière froide ». Plus récemment (1), les belles recherches de William W. Co- blentz sur les Photuris et les Photinus américains ont apporté une nouvelle confirmation des résultats que j'avais obtenus avec les Pyrophores, et il est regrettable qu'Houllevigue, qui n’a fait aucune recherche expérimentale sur la lumière froide physiologique, ait eu l’imprudence de critiquer cette expres- sion. L'analyse qualitative des radiations visibles de la lumière physiologique a été l'objet de nombreuses recherches, qu'il (1) À physical Sludy of the firefy, Washington, 1912. NN Te € COMPOSITION PHYSIQUE DE LA LUMIÈRE PHYSIOLOGIQUE 113 serait trop long d’énumérer ici, et pour lesquelles je renvoie à l’article « Lumière » que j'ai écrit pour le dictionnaire de physiologie de Charles Richet. Toutes concordent à montrer que la lumière physiologique est continue, sans bandes ni raies et riche principalement en radiations appartenant à la région moyenne du spectre, c'est- à-dire à celle qui est la plus éclairante. Mes recherches personnelles ont porté sur les Photobac- tériacées, sur la Pholade dactyle, mais seul, le Pyrophore des Antilles a pu me permettre de faire une analyse quantitative de la lumière physiologique : elle a été poursuivie en 188/- 85 à la Sorbonne (voir Élatérides lumineux) à l’aide du spec- trophotomètre de Gouy. Les résultats obtenus à cette époque concordent également de tous points avec ceux qui ont été trouvés quelques années plus tard par Very et Langley : aucune hésitation ne peut donc subsister sur leur valeur. S'il est vrai que l’œ1il puisse servir à établir une comparai- son entre deux quantités de lumière de même qualité, telle que deux quantités de lumière blanche ou bien deux quanti- tés de lumière simple identiques aualitativement, il n’en est plus de même quand il s’agit de comparer la lumière du Pyrophore avec une lumière artificielle. La teinte de celte lumière est verte, et de plus, elle a un éclat fluorescent. Pour la photométrie, il était de toute nécessité d’avoir recours à la spectrophotométrie comparée de la lumière du Pyrophore avec celle d’une bougie. Les chiffres fournis par cette méthode ont permis de construire des courbes comparatives qui ont fait voir que l'aire comprise entre l'axe des longueurs d'onde et la courbe est, pour la lumière des Pyrophores, pres- que entièrement occupée par des rayons verts et jaunes, ces derniers couvrant environ les deux tiers de cette aire (fig. 37): on remarque également que le maximum d'intensité correspond à la longueur d'onde 528,56; or, cette longueur d'onde se trouve être précisément la même que celle qui a été indiquée par Charpentier pour le maximum de clarté du spectre solaire. Les courbes montrent également que pour la bougie, le maximum ne correspond plus qu’à la longueur R. Dugois. 8 114 LA LUMIÈRE ET LA VIE d'onde 496, 67 4 et se trouve par conséquent reportée du côté des rayons les moins réfrangibles. D'après les expériences de Dowe, on obtiendrait un résultat inverse si la composi- ion du spectre des Pyrophores devait ses propriétés à la fai- blesse de son intensité. Enfin, l'aire délimitée par la courbe des intensités de la bougie et la ligne des longueurs d'onde M CRORAPEE Fr&. 37. — Courbes des intensités calorifique, lumineuse et chimique] dans le spectre solaire. T, courbe des radiations calorifiques ; — K, courbe des radiations chimiques ; — L, courbe des radiations lumineuses ; — M, position du maximum spectrophotome- trique de la lumière du Pyrophore ; — 5%», position du maximum spectrophotomé- trique de la flamme d'une bougie. Nora. — Les courbes comparatives établies pour la lumière d’autres In- sectes (Photinus américains) n’ont fait que confirmer l’incomparable supé- riorité de la lumière physiologique sur celle des foyers artificiels. n’est occupée que dans une partie beaucoup plus restreinte par les rayons jaunes. Les calculs photométriques montrent que la valeur d’un appareil prothoracique de Pyrophore est d'environ 1/150 de bougie du Phénix (de 8 à la livre). Si l’on admet que l’appa- reil ventral possède un pouvoir éclairant double d’un des appareils prothoraciques, on voit qu'il faudrait trente-sept à trente-huit de ces Insectes à la fois lumineux par tous leurs appareils pour éclairer un appartement avec la même inten- sité qu'une bougie. Il ne faut pas oublier que dans le volume occupé par la flamme d'une bougie, il pourrait tenir un nombre considérable d'appareils photogènes. 0 COMPOSITION PHYSIQUE DE LA LUMIÈRE PHYSIOLOGIQUE 115 S1 l'on perce deux petits trous de mêmes dimensions dans un écran et que l’on examine comparativement l'éclairage fourni par une bougie placée derrière l’un des trous et celle qui est fournie par un Pyrophore, on voit déjà, à l'œil, qu'il existe un gros avantage en faveur du Pyrophore, mais ce procédé ne permet aucune mesure.Tandis qu'avec les mesures photométriques, on peut conclure, comme l'on fait après nous Very et Langley, que la composition de la lumière vivante est non seulement qualitativement mais encore quan- litativement très supérieure à celle de nos foyers artificiels, même à celle du soleil. La composition trouvée par l’ex- périence ne lient nullement à la faiblesse relative des foyers physiologiques dus à leur petitesse, ni à l'absorption du spectre par les appareils employés : elle est véritablement caractéristique d’une lumière spéciale, presque complète- ment dépourvue de radiations protochimiques et calorifiques constituant un véritable type de lumière froide d’une incom- parable valeur économique. On sait que la quantité d'énergie W rayonnée par un foyer lumineux se compose de deux parties : l’une W, représente l'énergie de radiations lumineuses et W, celle des radiations obscures. W — W, +- W2 W ee Le rapport = de l'énergie des radiations lumineuses à W celle de la totalité des radiations s'appelle le rendement lumineux du foyer. Chez le Pyrophore W; est représenté pour l'énergie chimique par 1/5000 et l'énergie calorifique ne dépasse pas, pour la plaque ventrale, 0,0007 de petite calorie. Cela signifie que le rendement est donc presque égal à l'unité ou, en d’autres termes, qu'il sera à peu près de 100 p. 100;alors que nos meilleurs foyers ne donnent guère un rendement supérieur à 4 p. 100. Mes conclusions et celles de Very et Langley trouvent encore leur confirmation et leur généralisation dans les recherches récentes de Yves et Coblentz faites en Amérique 116 LA LUMIÈRE ET LA VIE sur Photinus Pyralis el divers autres malacodermes améri- cains (1). La lumière de ces Lampyrides est sans bandes ni raies. Du côté du rouge.elle ne dépasse pas 0,670 y et du côté du violet 0,510 &. Le pouvoir radiant évalué par une autre méthode que la nôtre, a fourni des résultats à peu près semblables, puisque ces physiciens ont évalué à 96 p. 100 le rendement lumineux de Photinus. Le tableau de Guillaume, dressé d'après les résultats que nous avions donnés, montre la valeur comparative des rende- ments respectifs et de la composition du soleil, de la lampe à arc et du Pyrophore. D'après cet auteur, si l’on considère comme unité le rende- ment économique de la lumière des Pyrophores, on trouve que celui de la flamme d’une bougie est égal à 0,00014, celui de la flamme d’un bec de Benzel à 0,00018, celui d'une lampe à incandescence à 0,0005, celui de la lampe à 0,0025 ; enfin celui de la lumière solaire est égal à 0,14. Toutes les recherches qui ont suivi les miennes, publiées en 1886, aboutissent à la même conclusion, à savoir l’incom- parable supériorité de la lumière physiologique au point de vue économique sur celle de tous les autres foyers éclairants connus et la certitude qu'il s'agit bien d'une lumière d'une espèce particulière, dont le mode de production doit être également d’une nature spéciale. | L'examen organoleptique suffit, à lui seul, à montrer sa su- périorité au point de vue de la sensation visuelle. A l’aide des échelles typographiques employées en oculistique pour me- surer l’acuité visuelle, j'ai constaté qu'elle est même au- dessus de celle que dénote l'analyse spectro-photométrique. Son énorme supériorité sur nos foyers usuels est encore confirmée par les quelques chiffres suivants donnant la sen- sation lumineuse produite par des radiations de diverses longueurs d'ondes correspondant à la même quantité d’éner- gie. La sensation lumineuse dans le rouge est ici prise pour unité. ACC {1} Loc. cif., p. 112. ° COMPOSITION PHYSIQUE DE LA LUMIÈRE PHYSIOLOGIQUE 117 Violet Vert Jaune Rouge Rouge sombre Longueurs d'ondes en microns . 0,400 0,530 0,580 0,650 0,750 Sensation lumineuse. . . . . 41.600 100.000 28.000 1.200 1. Ainsi donc, la même quantité d'énergie dépensée dans le rouge sombre pour produire une sensation égale à l'unité produirait une sensation 28.000 fois plus forte dans Je jaune, 100.000 fois plus forte dans le vert. À cela, 1l convient d'ajouter l'influence de la fluorescence : c'est elle surtout qui fait que tous les observateurs disent la « belle lumière » en parlant de celle des Pyrophores. Elle a une action spéciale sur la rétine. Or, comme à des effets spéciaux correspondent des causes spéciales, il n’est pas douteux pour moi que lors même que les radiations fluorescentes occuperaient les mêmes régions du spectre lumineux solaire que les autres, elles ne sont pas de la même espèce que celles auxquelles elles se superposent : de même on ne doit pas confondre l’harmonique d’un son fondamental avec ce son lui-même. La lumière physiologique a encore sur beaucoup d’autres l'avantage de ne pas laisser dans la rétine d'images persis- tantes. Les images accidentelles complémentaires s'obtiennent cependant, mais avec une extrême difficulté, par exemple, si après avoir longtemps fixé la lumière verte d'un foyer de Pyrophore, on porte ses regards sur la flamme jaunâtre d’un bec de gaz: à ce moment, cette dernière peut paraître rouge. Malgré la teinte verte, le sens chromatique n'est pas ou est très peu influencé. On reconnait facilement toutes les couleurs des objets et des échantillons de couleurs dites « à confusions » des oculistes, sauf le bleu foncé et le violet qui n'existent pas dans le foyer. Les rayons éclairants venant soit directement, soit indi- rectement, après réflexion, ou autrement de ces appareils pho- togènes sont perçus jusqu'aux plus extrêmes limites du champ visuel. 118 LA LUMIÈRE ET LA VIE Il y a donc encore, non seulement sous le rapport écono- mique, mais aussi sous celui de la vision, une incomparable supériorité de la lumière physiologique sur toutes celles qui nous sont connues. EN RÉSUMÉ, la lumière physiologique est surtout constituée par des rayons de longueur d'onde moyenne, c'est-à-dire par les plus éclairants du spectre solaire. L'examen optique direct prouve que cette lumière présente, pour la vision, une supériorité incontestable sur la lumière fournie par tous les autres foyers connus. Elle ne contient que très peu de radiations chimiques et que des quantités infinité- simales de radiations calorifiques. Ces constatations ne peuvent pas étre attribuées à la faiblesse des foyers étudiés, ni à l'absor- ption par les appareils employés: il s'agit bien là d'une lu- mière spéciale, la Tumière froide. Au point de vue économique, son rendement est presque de 100 p. 100 et la dépense d'énergie ‘exigée pour sa production est des plus réduites. Dans certains cas, son intensité est renforcée par des sub- stances fluorescentes, qui, tout en transformant une partie des radiations chimiques inutiles ou nuisibles en radiations éelai- rantes, ajoutent aux autres qualités physiques et organolep- tiques de cette merveilleuse lumière un éclat particulier du plus bel effet. CHAPITRE XI ESSAI D'UTILISATION PRATIQUE DE LA LUMIÈRE PHYSIOLOGIQUE. — LA LAMPE VIVANTE En 1900, au Palais de l'Optique, à l'Exposition universelle internationale de Paris, j'ai pu éclairer comme par le plus beau clair de lune un vaste sous-sol au moyen de grands barils de verre de 25 litres de capacité préparés de la façon suivante : L'intérieur du baril était flambé, pour le stériliser, avec un tampon de coton imbibé d'alcool enflammé et porté au bout d'une tige de verre. On versait dans le baril, après stérilisa- tion, une quantité d’un bouillon gélatineux presque froid, mais encore liquide, qui venait d'être ensemencé avec des photo- bactériacées sélectées et très brillantes. Rapidement, on rou- lait le baril en divers sens pour étendre sur toute la paroi une couche de ce bouillon ensemencé, après avoir fermé le goulot du baril avec du coton stérilisé où simplement avec un cris- tallisoir de verre flambé et renversé. Le bouillon se soli- difiait rapidement sur la paroi interne et alors on dressait le baril sur son fond et on le laissait en place. Au bout de qua- rante-huit heures environ, toute la surface interne brillait d’une belle lumière. Un certain nombre de ces barils, placés à quelque distance les uns des autres, permettaient de recon- naître d’un bout à l’autre de la salle les personnes, de lire et de voir l'heure à sa montre, mais pour cela, il fallait que l'œil ne fût pas ébloui par la lumière du jour ou alors qu'il fût reposé par un assez long séjour à l'obscurité. Mais le soir, aussitôt 120 LA LUMIÈRE ET LA VIE entré, on élait en état de lire et de jouir du coup d’œil d'en- semble de la salle. De petits ballons préparés de la même façon avaient été mis à la disposition du public : ils pouvaient servir de veil- leuse pendant un mois. Les premiers ballons, qui renfer- maient des cultures liquides, duraient beaucoup moins long- temps et nécessitaient une agitation pour briller, ce qui élait inutile pour les ballons secs. C'est ce principe que J'ai employé pour la construction de ma « lampe vivante » qui a été depuis imitée par Mo- lish de Prague (1). Elle se compose d’un bal- lon hémisphérique à fond plat portant une tubulure su- F1G. 38. — Courbes héliotropiques de jeunes plantes provoquée par périeure et une tubulure in- la lumière des Photobactéries (d'après Morisu). férieure, toutes deux fermées par du coton stérilisé pour permettre la circulation de l’air filtré. Le dôme est recouvert de papier d'étain ou bien de feuilles d'or ou d’argent servant de réflecteur, On peut même supprimer le coton et laisser les tubulures ouvertes en coiffant la supérieure avec un capuchon de verre Lerminé à sa partie supérieure par un tube recourbé en bas, et en courbant la tubulure inférieure également en bas pour éviter la chute des germes de l’air dans l'intérieur. J'ai pu ainsi garder pendant un mois, sans diminution bien sensible de la lumière, une lampe qui me servait de veilleuse et me permettait la nuit de reconnaitre tous les objets placés dans ma chambre : on pouvait même lire les caractères d'im- primerie el voir l'heure à une montre. On peut évaluer à environ 10 centimes le coût d’un mois de cet éclairage. Quelques efforts que j'aie faits, et ils ont été bien nom- (1) Voir : Sur une lampe vivante de sûreté. Comples Rendus de l'Aca- démie des Sciences, juin 1903. UTILISATION DE LA LUMIÈRE PHYSIOLOGIQUE 121 breux, bien variés, je n’ai pu encore dépasser l'intensité lu- mineuse du plus beau clair de lune. Cela est manifestement insuffisant pour l'éclairage usuel. Avec les Photobactériacées, la lumière est diffuse. On ne peut pas la dissocier par le prisme. Elle est beaucoup moins belle et moins éclairante que celle du Pyrophore. Sion pou- vait lui faire atteindre seulement l'intensité de celle-ci, tous les autres foyers usuels seraient éteints immédiatement. C'est qu'en dehors des avantages que la lumière physiolo- gique présente pour l'œil et pour la conservation des objets qu'elle éclaire, elle a l'immense avantage d'être froide, ce qui est considérable dans les pays chauds, où la lampe à incandescence est déjà gênante. Pour la même raison, elle ne peut mettre le feu; elle serait dès à présent utilisable dans les lieux où l’on craint des dangers d’explosion tels que les mines, les poudrières, etc.; elle brille jour et nuit et pour ce motif évite l'allumage; enfin, il n’y a plus ni fils, ni tuyaux, ni machines, ni réparations : les frais sont insigni- fiants, les soins nuls. On peut transporter ma lampe partout, car elle est très portative et ne craint ni la pluie, ni le vent. C'est bien vraiment l'éclairage idéal sous Lous les rapports et c'esl certainement la lumière froide qui est celle de l'avenir. Si le but pratique u’est pas atteint par moi, il le sera par d'autres; il me restera peut-être le mérite d’avoir indiqué la voie à suivre pour produire cette grande révolu- Uon économique : c'est du moins ce qui semble résulter de récents essais, bien qu'il ne s'agisse encore que d’une mo- dification de la lampe électrique à incandescence et de l'amé- lioration de la lumière des lampes à vapeurs de mercure par l'emploi des substances fiuorescentes. C'est le procédé naturel qu'il faudrait imiter, car la Nature suit toujours la loi du moindre effort et nos inventions sont toujours de beaucoup inférieures aux siennes. C’est avec raison que l'on à dit, à propos de nos procédés d'éclairage, qu'ils ne valent guère mieux, au point de vue du rendement, que la torche du Sauvage. Le plus gros obstacle est vaincu, car on va voir que le mystère qui enveloppait le mécanisme 122 LA LUMIÈRE ET LA VIE intime de la lumière physiologique n'existe plus aujourd’hui. EN RÉSUMÉ, des essais publics d'éclairage usuels par la lumière froide physiologique ont été faits en 1900 à Paris au moyen de la lumière des photobactériacées, particulièrement avec la « lampe vivante » de R. Dubois. Cet éclairage est susceptible d'applications immédiates, mais restreintes, en raison de son intensité insuffisante, car elle ne dépasse pas celle d'un très beau clair de lune. Outre les qualités physiques et organoleptiques supérieures de la lumière physiologique, la « lampe vivante » présente d'autres avantages. La dépense qu'elle exige est des plus minimes ; son entretien ne nécessite aucun soin pendant des semaines. Elle ne produit pas de chaleur incommode et évite ainsi tout danger d'incendie. Cette lampe ne craint ni le vent, ni la pluie, ne dégage aucune vapeur désagréable, nuisible ou délétère, Elle ne nécessile aucun fil conducteur, aucune canalisation, est légère et peut se déplacer très facilement. La lumière froide est la lumière de l'avenir. CHAPITRE XII DU MÉCANISME FONCTIONNEL COMPARÉ DE LA BIOPHOTOGÉNÈSE Dans la série végétale, ce sont des organismes inférieurs, achlorophylliens, les Champignons, comprenant les Microbes Jumineux ou Photobactériacées, qui seuls présentent la fonction biophotogénique. Il est curieux de constater que c’est également chezles animauxinférieurs, Infusoires, Radiolaires, Cœlentérés, Polypiers, que se trouve le plus grand nombre d'organismes lumineux. Il ne semble donc pas que la faculté de produire de la lumière soit un signe de perfectionnement, d'évolution avancée, puisqu'on la trouve très répandue chez les Microbes et chez les Protistes. On peut se demander alors si, à l’origine des èlres vivants actuels, quand la lumière solaire ne devait percer que difficilement l'atmosphère épaisse qui enlourait la terre, tous les êtres n'étaient pas lumineux. Il est à retenir, en effet, que dans les grandes profondeurs, dans les obscures régions abyssales, les organismes éclairants sont extrêmement nombreux et sont surtout représentés par des êtres élevés en organisation, par des vertébrés, les Poissons lumineux, qui sont très rares dans les régions superficielles de la mer. Chez les végétaux photogènes, comme chez les Protistes lumineux, la fonction photogène n'est pas localisée. De plus elle est continue le plus souvent, ce qui fait que les prin- cipes photogènes ne s'accumulent pas dans ces organismes, d’où on ne peut les extraire parce qu’ils sont détruits au fur et à mesure de leur formation. 124 LA LUMIÈRE ET LA VIE La lumière est également produite dans toute la masse bio- protéonique de l'œuf des organismes lumineux, avant la segmentation, et alors encore elle est continue. De sorte qu'au double point de vue phylogénique et onto- génique, dans les stades inférieurs de la vie générale ou indi- viduelle, la fonction photogénique est diffuse et continue. [ei et là, c'est la fonction qui précède l'organe. Chez les Métazoaires, après la fécondation, elle se localise comme je l'ai montré pour l'œuf de l'Insecte, dans l'ectoderme et tous les organes photogènes différenciés que nous rencontrons dans la série animale dérivent de cet ectoderme. Après ce qui a élé dit précédemment, il ne saurait rester aucun doute sur la nature des organes lumineux : ce sont des glandes. Seulement ce qui a pendant longtemps égaré l'opinion des chercheurs c'est l'existence de glandes à sécrélion interne chez les Insectes, au fonctionnement desquelles ils n'avaient rien com- pris avant nos recherches sur le Pyrophore. Ce qu'il y a de véritablement étrange, c'est de constater que le siège de la fonction se déplace en passant de l'adulte à l'œuf. Après la fécondation, la petite lampe du mâle s'éteint bien vite, et meurt avec lui : chez la femelle, au fur et à me- sure que se développent les œufs, sa belle clarté s'évanouit peu à peu avec sa jeunesse et lorsqu'elle a pondu, la maternité lui a enlevé presque tout son éclat, qui ne tarde pas à disparaître complètement. Ne dirait-on pas qu'il y a dans l'adulte un principe photogène ancestral, qui se [ransmet de générations en générations, comme le flambeau de sa vie, dont 1l n’est pas ici seulement le symbole. Il ne peut être représenté que par ces infiniment pelites granulations que l’on voit partout apparaître, puis grossir, puis se transformer en vacuolides, au fur et à mesure que se déroule le processus lumineux, et dans lesquelles apparaissent finalement des sphéro-cristaux. Julien (voir p.95), chez le Pyrosome, les a considérés comme des mitochondries, mais on ne peut nier que mes anciennes vacuolides et les récentes mitochondries ne sont qu'une seule et même chose, dont dérivent, comme je le soutiens depuis de nombreuses années, les leucites. Cette vérité, dont MÉCANISME DE LA BIOPHOTOGÉNÈSE 125 quelques-uns voudraient faire une découverte nouvelle pour s’en attribuer le mérite, est vieille de plus d'un quart de siècle ! Ce n'est pas seulement chez les Insectes que l'on voit la fonclion photogénique se localiser dans l'œuf; nous en avons cilé des exemples chez les Cœlentérés, les Vers, les Mollus- ques, les Tuniciers, peut-être même existe-t-elle chez tous les organismes photogènes métazoaires : cela est fort probable. Ehrenberg a observé chez un Ver marin, Polynoë fulgurans, que les étincelles lumineuses se montraient seulement dans le champ des ovaires, et qu'il en était de même chez un Ccœæ- lentéré, Cydippe. pileus. D'après Johnston, un Alcyonaire, Finiculina quadrangularis aurait à la base des polypes une lumière bleue dont le point d'émission est en rapport avec les ovaires. Il y aurait donc une sorle de localisation de la fonction, mais dans d'infimes granulations pouvant être contenues par millions dans l'œuf et susceptibles de se déplacer, de se con- centrer transitoirement dans des organes parliculiers pour faire retour à l'œuf, sorte de patrimoine, d’héritage ancestral Lransmis de générations en générations (voir la théorie vacuo- lidaire, p. 5), mais dont une faible partie seulement est dé- pensée pour les besoins de chaque individu de la lumineuse lignée. On peut grouper de la façon suivante tous les modes fonc- üionnels de la photogénèse : 1° Sécrétion intrabioprotéonique chez les végétaux et chez les protistes, dont le type est la Noctiluque; 2° Sécrétion localisée dans les cellules épidermiques, comme chez Hippopodius gleba (voir p. 37) et chez Pelagia noctiluca, où elles peuvent fournir par leur fonte une véritable sécrétion épidermique d’un mucus lumineux ; 3° Certaines cellules glandulaires dépourvues de canal excréteur peuvent être lumineuses; mais à un degré plus avancé, on voit ces glandes unicellulaires déboucher à l'exté- rieur par un conduit plus ou moins long destiné à verser au dehors la sécrélion photogène, c’est la sécrétion externe. Chez 126 LA LUMIÈRE ET LA VIE certaines Ophiures, d’après Trojan, la luminosité resterait intracellulaire, le conduit ne servant qu’à éliminer les détritus de la réaction photogène. Peut-être, dans ce cas, s'agit-il sim- plement d'un phénomène que j'ai observé chez les Myriapodes (Scolioplanes crassipes). Le mucus lumineux est sécrété par des glandes unicellulaires cutanées débouchant à l'extérieur. Tant que l'animal n’est pas fatigué, ou que ses glandes lumineuses n'ont pas été surmenées, la sécrétion externe se produit. Dans le cas contraire, les petites glandes peuvent briller par elles-mêmes, mais elles ne laissent plus rien transsuder. On voit ensuite, chez Phillirhoë bucephale, plusieurs glandes unicellulaires à sécrétions externe déboucher dans un même canal et s'ouvrir à l'extérieur par un orifice unique: c’est ici la glande composée, à sécrétion externe, qui apparaît. On en- trouve d’autres exemples chez les Poissons. Enfin, chez les Céphalopodes, les Poissons et les Insectes, nous voyons se développer de magnifiques glandes à sécré- tion interne, dont le mécanisme fonctionnel m'a été révélé par l'étude du Pyrophore. Le sang, richement hématosé, est introduit et injecté dans les glandes photogènes par le jeu des muscles intrinsèques et extrinsèques. Ceux-ci à leur tour sont régis par le système nerveux. Tous ces systèmes ou organes respiratoires, musculaires et nerveux concourent au même but : apporter à la glande photogène les matériaux néces- saires à son fonctionnement et en règler le jeu. Mais c’est toujours, en dernière analyse, à la cellule glan- dulaire photogène, ou plutôt à son contenu, qu'il faut s’a- dresser pour demander le secret du mécanisme intime de la réaction, tant cherchée, qui produit la lumière. Ex RÉSUMÉ, La fonction photogénique est partout réductible à un processus de sécrétion glandulaire fournissant des produits photogènes. CHAPITRE XIII MÉCANISME INTIME DE LA PRODUCTION DE LA LUMIÈRE PHYSIOLOGIQUE : LUCIFÉRASE, LUCIFÉRINE, LUCIFÉ- RESCÉINE. S il fallait faire l’'énumération, l’analyse et la critique de toutes les hypothèses imaginées pour expliquer le mécanisme intime par lequel la lumière physiologique prend naissance, on devrait consacrer à ce travail un fort volume. Ce dernier serait peut-être de quelque utilité si la solution définitive du problème était encore à souhaiter, mais il est aujourd’hui sans objet puisque celle-ci, tant et si longtemps cherchée, a été trouvée et démontrée exacte expérimentalement (1). Un ouvrage de ce genre ne présenterait plus qu'un intérêt historique et philosophique montrant principalement combien ont été multiples les efforts des nombreux chercheurs, parmi lesquels se trouvent des hommes éminents, qui ont vainement essayé de déchiffrer celte fascinante énigme de la nature. L'insuccès de ces efforts a tenu à trois causes principales : La première est que les substances photogènes ne sont produites que par des organismes assez rares, de petite taille, en petite quantité, et ne se montrant souvent qu’à de certains (1) Nora. — Mes principales expériences sur la réaction photogène au moyen de la luciférase et de la luciférine ont été répétées à la Sor- bonne devant une commission académique composée de MM. Bou chard, d’Arsonval, Dastre, Henneguy et, publiquement, à l'aquarium du Palais Océanographique de Monaco, lors du Congrès international de Zoologie de 1913, ainsi qu’au laboratoire de physiologie de Grü- ningue, pendant le Congrès international de physiologie, en sep- tembre 1913 et dans diverses autres circonstances. 128 LA LUMIÈRE ET LA VIE moments, Ces substances sont, en outre, très inslables et souvent détruites au fur et à mesure de leur production. La difficulté est venue, en second lieu, de ce qu'avant moi nul n'avait entrepris des recherches comparatives dans toute la série des animaux et des végétaux, et simultanément au point de vue anatomique, physiologique, chimique ; pour- tant il n'y avait qu'une étude générale ontologique et phylo- génique qui pouvait montrer que partout le mécanisme intime de la biophologénèse est fondamentalement le même. Enfin, la troisième cause des insuccès, et non la moindre, est qu'un grand nombre de chercheurs se sont laissés guider par des idées préconçues, au lieu de s’en tenir aux faits dans ce qu'ils avaient de plus général. Ils ont confondu ce qu'il y avait d’accessoire avec ce qui élait fondamental, ou bien ils ont attri- bué à l’organisation et au fonctionnement cellulaire la fabrica- Lion de la lumière, intimement liée, par conséquent, dans leur esprit, à la vie de la cellule et à son intégrité fonctionnelle. Dès 1886 cependant, j'avais démontré que même chez les Insectes lumineux, la réaction photogène n’est nullement liée à l'intégrité de la cellule; en broyant celle-ci avec de l’eau et en filtrant au papier, on oblenait une liqueur lumineuse ne renfermant plus aucune cellule, aucun fragment cellulaire. Je prouvais, en outre, que dans cette liqueur, la lumière résullait du conflit de deux substances dont l’une se compor- tait comme un ferment, comme une zymase. Pour cela, je plongeais un organe bien lumineux de Pyro- phore pendant un temps très court dans l’eau bouillante et l'en retirais aussitôt éteint. D'autre part, un autre organe cru était trituré jusqu’à extinction de la lumière, ainsi que Île premier avec un peu d’eau, mais isolement. Ces deux prépara- tions n'émettaient aucune clarté à l'air libre, mais venait-on à les mélanger, aussitôt apparaissait la lumière. La quantité de substances photogènes était trop faible chez les Pyrophores, et ces Insectes des Antilles trop rares pour qu’il me fût possible de pousser plus loin l'analyse. Je me mis en quête d'un animal photogène plus commun et plus riche en principes photogènes. PRODUCTION DE LA LUMIÈRE PHYSIOLOGIQUE 129 La Pholade dactyle répondit complètement à mon désir. Je me contenterai de résumer ici mes principales expé- riences, que tout le monde peut facilement répéter. a) Le siphon de la Pholade est fendu de manière à mettre à nu les organes photogènes : il est desséché ; plusieurs semaines après avoir été conservé bien sec, on peut rallumer ses organes éteints en le faisant macérer quelques instants dans l’eau froide ; b) Au lieu de dessécher directement les siphons, on peut les enro- ber dans du sucre en poudre : ils cessent de briller, mais se rallu- ment avec l’eau, mème au bout de plusieurs mois ; c) La fonte d’une partie du sucre dans le liquide rejeté par les siphons frais produit un sirop épais qui donne encore au bout de plusieurs mois, par son mélange avec 3 ou 4 parties d’eau, une belle liqueur lumineuse. On à done, de cette façon, pour ainsi dire de la lumière en bouleille ; ce sirop, chauffé à 65°, ne donne plus de lumière par son mélange avec l’eau, mais seulement après addition des agent oxydants dont il sera question plus loin. d) Si l’on introduit dans une théière en grès des fragments de si- phons frais, ou conservés dans du sucre, et que l’on verse dessus de l’eau bouillante, qui, par son contact avec le vase et les fragments de siphon, tombe rapidement à 65° environ, on obtient un infusum non lumineux ; e) Ge liquide ne brille pas par agitation en présence de l'air ; c’est le liquide A ; f) Si, d'autre part, on fait macérer dans de l’eau tiède, en agitant de temps en temps, des fragments des siphons frais ou confits, on obtient un liquide lumineux qui finit par s’éteindre et ne plus briller au contact de l'air par agitation : c’est le liquide B ; g) Si l’on mélange les deux liquides A et B la lumière apparaît ; i) L'action photogène du liquide B peut être remplacée par celle d’une parcelle de permanganate de potasse ou d’un certain nombre d’autres substances chimiques oxydantes ; j) Si Pon chauffe à 100°, et même à une température un peu supé- rieure à 70°, le liquide A, il ne donne plus aucune lumière avec le liquide B, ni avec le permanganate de potasse ou autres oxydants : il s’est formé par la chaleur dans le liquide A un précipité floconneux ; k) 11 se produit aussi des flocons de coagulation quand on chauffe le liquide B, mais on constate, en outre, que vers 60° il perd défini- tivement tout pouvoir photogène ; 1) La réaction photogène s’opère donc entre deux substances coagu- lables par la chaleur, dont l’une est détruite au-dessus de 70° et l'autre vers 60°. Si l’on porte à l’ébullition le liquide où la réaction R. Dusois. 9 130 LA LUMIÈRE ET LA VIE lumineuse a commencé à se produire, et où elle se continuerait à froid pendant longtemps, elle est aussitôt supprimée ; m) Les deux substances photogènes des liquides A et B présentent tous les caractères des substances proléiques : n) La substance active purifiée de À ne renferme pas de phosphore et possède les caractères généraux des albumines naturelles : je lui ai donné le nom de luciferine ; o) L’ammoniaque liquide active fortement la réaction photogène ; p) Les siphons frais ou séchés ne renferment aucune substance lipoïde ni aucun composé volatil photogène ; q) Toutes les causes physiques ou chimiques qui entravent, favorisent, retardent ou suppriment les réactions zymasiques agissent de même sur le mélange de A et de B ; r) Le principe actif B jouit des propriétés générales des zymases ; son action est oxydante : je lui ai donné le nom de « Luciférase ». I n'est pas spécial aux organismes photogènes, car on peut provo- quer l'apparition de la lumière dans le liquide A au moyen du sang de divers animaux à sang froid appartenant aux Mollusques et aux Crustacés marins. Je n’ai pas rencontré de luciférine, malgré de nom- breuses recherches, en dehors des organismes lumineux ; s) Le sirop photogène résultant du contact des siphons avec le sucre en poudre est légèrement louche. Au bout de plusieurs mois de repos à l'obscurité, on voit monter à sa surface une crème brun jaunâtre. On y trouve alors des vacuolides en abondance, à forme un peu différentes de celles de la purpurase, qui sont réniformes, car elles sont ovoïdes ; ce sont les vacuolides de la luciférase, qui, comme la purpurase à vacuolides réniformes, est une « macrozymase ». La luciférase et la lueiférine sont des substances très altérables à l'état de pureté : leur préparation et leur purification exigent des manipulations délicates et compliquées, dont le détail ne saurait figurer ici. Nous nous contenterons de donner les caractéristiques chimiques de ces deux substances photogènes. Luciférase. — Elle n’est pas détruite par une solution de fluorure de sodium à 1 p. 100, ce qui exelut l’idée d’une action cellulaire ow micro-organique ; elle traverse facilement les filtres en papier, beau- coup plus difficilement les filtres en porcelaine, et ne dialyse pas. La luciférase décompose énergiquement l’eau oxygénée ; la chaleur augmente son activité photogène avec un optimum compris entre 30° et 40° ; elle est détruite à 60°. Elle résiste aux plus grands froids et son mélange aqueux avee la luciférine brille encore à — 5°, même après congélation, mais beaucoup plus faiblement. Les sels neutres, le sucre, en solutions concentrées, suspendent, sans la détruire, son activité, qu’elle retrouve par dilution suffisante avec l’eau. PRODUCTION DE LA LUMIÈRE PHYSIOLOGIQUE 131 L'alcool fort la précipite, mais en la détruisant ; le chloroforme, l’éther, l’acétone, le formol la décompose lentement. La luciférase présente les caractères généraux des substances pro- téiques et se montre dans les tissus sous la forme vacuolidaire. Elle ne renferme ni manganèse, ni cuivre, mais du fer dissimulé : c'est une zymase ferrique. Son caractère spécifique est de donner de la lumière avec la luci- férine en présence de l'eau. Son poüvoir oxydant est établi par ce fait que, dans la réaction photogène, elle peut être remplacée par le permanganate de potasse, le bioxyde de plomb, le bioxyde de baryum et surtout en traitant la luciférine d’abord par quelques gouttes d’eau oxygénée, puis par un peu de protosulfate de fer ou de citrate ammoniacal de fer additionné d’un peu d’ammoniaque, ou bien encore simplement d’un peu de sang ou d’hématine. On peut encore démontrer son caractère oxydant par une foule d’autres réactifs : Elle ne bleuit pas, ou faiblement, la teinture de gaïac, sauf après addition d’un peu d’eau oxygénée neutre ; elle colore le gaïacol en jaune, le pyrogallol en brun marron, la quinone en brun, le chlor- hydrate de diamidophénol en bleu, puis en vert, puis en brun, le mélange de néaphtol et de paraphénylène-diamine en bleu, etc.; la plupart de ces réactions sont activées par l’ammoniaque. Elle déco- lore la liqueur de Tromsdorf bleuie par une trace de nitrite de sodium et d’acide sulfurique. La luciférase constitue un type d’oxydase assez spécial, se rappro- chant par certains côtés des peroxydases et par d’autres des oxy- dones de Stern et Battelli. Luciférine. — Cette substance présente les caractères spécifiques des albumines naturelles, qu'il n’est pas utile d’énumérer ici ; elle n’est pas phosphorée. Le rôle de la luciférase consiste, en définitive, à emprunter de l'oxygène au milieu ambiant et à le combiner à la luciférine. La bio- oxyluminescence exige donc non seulement de l’eau et de l'oxygène libre, mais encore ün corps oxydant indirectement la Tuciférine. Il n'y a pas oxydation directe, comme avec le phosphore et avec certains corps organiques volatils. Dans la liqueur photogène de la Pholade, il se forme des cristaux présentant les mêmes formes que ceux de la sécrétion lumineuse de l’Orya barbarica (voir fig. 11), mais on ne saurait expliquer le phénomène lumineux par la cristallolumines- cence. Quand on fait agir in vitro la luciférase sur la luciférine, toutes deux purifiées par dialyse, on voit se former une infinité de petites granulations arrondies, en tout semblables à celles que l’on trouve en abondance dans les Noctiluques, les organes lumineux des In- 132 LA LUMIÈRE ET LA VIE : sectes, etc., ete. Ces granulations non photogènes, séparées par cen- trifugation, donnent la réaction xanthique : elles proviennent mani- festement de l'oxydation de la luciférine (1). Mes recherches plus récentes sur la Pholade dactyle confirment donc absolument les conclusions de mes études anciennes sur le Pyrophore noctiluque. La luciférase et la luciférine, très altérables à l’état pur, se conser- vent longtemps dans les solutions saturées de sucre, soit ensemble, soit séparément. Le pouvoir éclairant de la réaction photogène est très augmenté chez certains animaux (Insectes, Céphalopodes, Poissons) par des dispositifs de perfectionnement. EN RÉSUMÉ, le phénomène uliime de la biophotogénèse se produisant à froid doit prendre place parmi ceux que Wiedemann a groupés sous le nom de LUMINESCENCES et qu'il a divisés en un certain nombre de groupes. La biophotogénèse s'obtenant, en dernière analyse, en dehors de toute cellule ou débris de cellule, IN vitro, par double réac- lion, en présence de l'eau et de l'air, peut étre rangée dans le groupe des CHIMIE-LUMINESGENCES, à moins que l’on admetle que la luciférase est encore quelque chose de vivant, les zymases pré- sentant la plupart des propriétés du bioprotéon ou substance vivante. Il y aurait lieu, dans ce cas, de conserver le groupe des BIOLUMINESCENCES. Autrement, celte luminescence appartient au sous-groupe des CHIMIE-LUMINESCENCES PAR OXYDATIONS, OÙ OXY-LUMINESCENCES, el à la catégorie des zYMo-OXY-LUMINESCENCES, représentée uni- quement, jusqu'à présent, par l'oxydation de la luciférine par la luciférase. C'est en 1886 que j'ai signalé l'existence de cette zymase oxydante dans les organes lumineux du Pyrophore nocti- luque (2). A cette époque, on connaissait déjà des phénomènes d'oxy- (1) Voir pour les renseignements complémentaires : RaPpaaEz Dugois, De la place occupée par la biophotogénèse dans la série des phénomènes lumineux, Ann. de la Soc. linn., Lyon, 12 jan- vier 1914, et ibid., Examen critique de la question de la biophotogé- nèse, chez Rey édit., Lyon. (2) Voir les Élatérides. lumineux, p. 266-267 : loc. cit., p. 54. PRODUCTION DE LA LUMIÈRE PHYSIOLOGIQUE 133 luminescence, mais purement chimiques, tels que celui du phos- phore et ceux qui accompagnent l’échauffement des corps gras dans certaines préparations pharmaceutiques. Radziszewski avait aussi montré que la potasse alcoolique, et méme d'autres alcalis, peuvent en oxydant certaines substances (la lophine, par exemple) donner, à froid, de la lumière. Mais ce chimiste ne fit aucune expérience sur les animaux ou sur les végétaux pho- togènes. J'ai accru beaucoup le nombre des corps chimiques suscep- tibles de fournir de la lumière à froid par oxydation indirecte, en milieu liquide, et montré, en même temps, qu'il y avait là le principe d'une nouvelle méthode permettant de déterminer le degré de pureté et de déceler les falsifications de certaines sub- stances (essence de rose, par exemple) (1). La plus curieuse est un glucoside, principe extractif végétal naturel: l'escu- line. Non seulement elle est fluorescente, comme les luciféres- céines, mais encore elle donne une belle lumière très analogue à celle du mélange luciférine-luciférase et se manifestant également par l'action de l'eau oxygénée, de l'hématine et de l’ammoniaque. Cette substance pourtant ne brille pas avec la luciférase. Il existe peut-être plusieurs variétés de luciférases et de luci- Jérines, mais ce ne sont que des variétés, et le processus photo- génique est le même partout. On rencontre chez certains animaux des dispositifs organiques de perfectionnement qui augmentent beaucoup le pouvoir éclai- rant de la réaction photogène. On peut affirmer aujourd'hui que le problème de la biophoto- génèse, considéré dans son essence méme, et en dernière analyse, est résolu, puisqu'il s'agit d'une CHIMIE-ZYMO-OXY-LUMINESCENCE produite par des composés chimiquement caractérisés. (1) RAPHAEL Dugois, Luminescence obtenue avec certains composés organiques. C. R. de l'Ac. des Sc., p. 431, 1901. CHAPITRE XIV DU ROLE DE LA BIOPHOTOGÉNÈSE Les finalistes, surtout quand ils sont en même temps anthropomorphisles, expliquent avec l'aisance qui les carac- térise, et grâce à la méthode intuitive qui leur est familière, la raison d’être, l'utilité, le but et même l’origine de la fonc- lion photogénique. Mais la plupart de leurs hypothèses ne reposant ni sur des observations, ni sur des expériences pré- cises doivent rester dans le domaine de la métaphysique. Molish a supposé que les mycéliums de Champignons pou- valent servir à guider les larves dans leurs voyages au tra- vers des feuilles mortes. La phosphorescence en attirant les Insectes faciliterait la dissémination des spores de Champi- gnons lumineux. Pour d’autres, les Photobactéries qui se développent à la surface des Poissons morts, serviraient à indiquer l’existence de ces cadavres aux animaux sauvages chargés de les détruire pour en faire leur pâture... et sans doute aussi à guider les Chats vers les garde-manger ! En réalité, on ne voit pas bien quel rôle peut jouer la lu- mière chez les végétaux inférieurs : elle n’en joue probable- ment aucun. Les Photobactéries abyssales, comme celles de la surface, doivent être obscures dans les conditions ordi- naires du milieu naturel. Ce n’est pas à elles qu'il convient d’al- tribuer l'éclairage, présumé continu, des abîmes de la mer. On en peut dire autant des Protistes et des Noctiluques. Ces animaux, comme les Cœlentérés, ne brillent pas ordi- nairement au repos, mais seulement quand on les irrite. Il DU ROLE DE LA BIOPHOTOGÉNÈSE 135 en est de même pour la Pholade dactyle qui, dans ces condi- tions, se cache dans un nuage de lumière. Il semble donc bien qu'il s'agisse là, non pas d'un moyen d'attirer des proies, mais bien plutôt d'un moyen de défense. Les Polypiers également ne sont lumineux que quand on _les excite et il est peut-être imprudent d'admettre qu'il existe des forêts lumineuses dans les régions abyssales. On a bien invoqué, en faveur de cette hypothèse, l'existence d'animaux colorés, particulièrement en rouge, comme certaines Étoiles de mer retirées des abîmes. Mais il n'est pas prouvé que ces animaux doivent leur pigment rouge à l’action de la lumière, peut-être est-il simplement le résultat de la déshydratation rapide qui se produit quand on soumet les animaux à de brusques et fortes dépressions. Les Poissons retirés par les dragages des grandes profondeurs arrivent à la surface comme s'ils avaient subi un commencement de cuisson et chacun sait que la cuisson fait rougir la carapace brune des Crustacés (Homard, Langouste, Écrevisses). J'ai montré qu'on obtenait le même résultat au moyen de la déshydratation par l'alcool. De plus, il résulte de mes expériences avec Paul Ré- gnard que, lorsqu'on comprime à 7 ou 800 atmosphères des animaux, ils sont surhydratés par la pression et que lors- qu'on supprime la pression, l’eau absorbée par les tissus est rejetée : 1l y a donc, après la surhydratation, une déshydrata- tion. Les forêts de Polypiers ne doivent être lumineuses que sur le passage des Poissons, qui les ébranlent. C’est sans doute ce qui expliquerait, chez certains d’entre eux, l'existence d’yeux coïncidant avec l’absence de fanaux éclairants. En tout cas, leur éclairage semble insuffisant pour le déve- loppement de végétaux chlorophylliens. Autrefois, je me suis évertué, mais en vain, à faire verdir au moyen de la lumière des Pyrophores des végétaux poussés dans l’obscurité et étiolés ; depuis, Molish n’a pas été plus heureux avec celle des Photobactéries. Mais nous savons par l'analyse spectropho- tométrique que ce sont principalement les radiations les plus utiles pour l'exercice de la fonction chlorophyllienne qui 136 LA LUMIÈRE ET LA VIE Ù font le plus défaut dans la lumière physiologique. Molish a pu montrer seulement, dans ces conditions, la production du phototropisme axial ou héliotropisme végétal, ce qui indique que ce ne sont pas les mêmes radiations qui agissent dans les deux phénomènes (voir pp. 195 et 220). Beaucoup d'animaux sont sans yeux; cela ne prouve pas d’ailleurs qu'ils soient insensibles à la lumière (voir fonc- tion photodermatique). D’autres, au contraire, sont pourvus d'organes oculaires parfois fort développés et de fanaux indiquant bien nettement par leur disposition qu'ils les uti- lisent pour la locomotion et la poursuite de leurs proies. Chez d’autres, enfin, il semble que le fanal soit un piège comme chez Melanocetus (fig. 33). Souvent le même animal, comme nous l'avons vu, porte des fanaux de couleurs différentes. On peut admettre alors que ces feux jouent le même rôle que les couleurs du plumage et du pelage chez les animaux terrestres. Ces caractères permettent aux individus de même espèce de se reconnaitre, et sans doute de distinguer les sexes. Comme je le mon- trerai plus loin, il n’est pas douteux que la lumière physiolo- gique facilite l’accouplement et par conséquent la multi- plication. Les œufs des Poissons photogènes doivent être également lumineux et exciter ainsi l'attention des mâles. Dans les eaux, comme sur terre, la lumière attire certains animaux et l’on a utilisé cette propriété pour construire des nasses renfermant des ampoules électriques, qui ont donné de bons résultats dans les campagnes océanographiques du Prince de Monaco. Depuis longtemps, les pêcheurs utilisent, en France, le Ver luisant pour la pêche à la ligne la nuit, et les Indiens faisaient de même avec les Pyrophores, lors de l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique. Dans les îles Néerlandaises, à Banda, les pêcheurs se servent des disques lumineux du Photoblepharon palpebratus (fig. 32) dans le même but. Les expériences que j'ai faites dans ce sens avec Pholas dactylus ne m'ont donné que des résultats incertains. D'après Ozorio, les pêcheurs de Cezimbra (Portugal) com- priment l'abdomen des Malacocephalus lœvis Lowe pour faire DU ROLE DE LA BIOPHOTOGÉNÈSE 137 sortir par le pore anal un liquide, peut-être excrémentitiel, jaune, épais, trouble, émettant dans l'obscurité une lumière bleu de ciel. Ils en imprègnent des morceaux de chair de Squale encore adhérents à la peau, pour servir d’amorce. L'immersion dans l’eau de mer avive la lumière, qui peut se conserver plusieurs heures. Ils donnent à ces amorces le nom de « candil », qui signifie sans doute « chan- delle ». Au lieu d'être attirés, certains animaux fuient la lumière physiologique. Les Indiens suspendaient dans leurs huttes des calebasses pleines de Pyrophores, non seulement pour s'éclairer, mais aussi pour chasser les Moustiques et, quand ils voyageaient la nuit, ils fixaient sur leurs doigts de pieds des Pyrophores pour faire fuir les Serpents. La légende des petits Passereaux de Birmanie appelés Bayas qui éclaireraient, dans le même but, leurs curieux nids avec des Vers luisants serait inexacte, d’après les renseignements que j'ai fait prendre par M. John Solomon. Je crois que les boulettes d’argile appliquées à l'ouverture inférieure des nids ont simplement pour objet de les lester et non de fixer des lanternes vivantes. Le rôle protecteur de la lumière ne parait pas être lou- jours efficace, car Emery a vu les Araignées du vieux château d'Heidelberg manger des Vers luisants. Mais Mc Dermott affirme avoir vu un Photinus, qui allait être mangé par une poule, sauvé par sa lumière. Trojan suppose que les glandes photogènes du Phyllirhoë bucephale sont venimeuses. Dans le jour, la forme de l'animal suffirait à faire fuir ceux qui pourraient être intoxiqués et la nuit ils seraient prévenus par la luminosité, qui alors devien- drait un moyen de défense. Comme beaucoup d’autres, cette opinion est ingénieuse, mais elle manque de preuves. Pour Giesbrecht, la luminosité ne semble pas avoir pour but de faciliter le rapprochement des sexes chez les petits Crustacés Copépodes, attendu qu’elle existe en dehors des périodes d’accouplement et même alors que le stade nau- plius n’a pas été dépassé. D’après le savant observateur, la 138 LA LUMIÈRE ET LA VIE sécrélion servirait plutôt à donner le change aux ennemis qui, croyant saisir le Copépode, se jetteraient de préférence sur le liquide lumineux éjaculé des glandes. S'il s'agissait d'un moyen de défense, on serait surpris que ces animaux en fussent privés pendant une partie du temps, puisqu'ils ne bril- lent que dans les premiers mois de l’année. Ils ne paraissent pas ürer grand avantage de leur luminosité pour la locomo- lion, car ce seraient précisément ceux qui possèdent des appareils photogènes qui ont les plus petits yeux et ces organes manquent totalement dans certaines espèces de Crustacés pourtant photogènes. D'autres ont prétendu que les Copépodes brillent seulement pendant les mois d’accouplement, parce que le reste du temps ils se reproduisent par parthénogénèse. Pour Chun et Leden- feld, les Crustacés Euphausiidés se servent de leur lumière pour éviter les dangers et chercher leur nourriture. Ce sont des hypothèses sans fondement. Pour Brandt, la lumière des Cœlentérés et des Polyzoaires éloignerait les ennemis, parce que beaucoup de ces êtres sont urticants. La lumière jouerait à peu près le même rôle que ces étiquettes rouges avec une tête de mort que les pharma- ciens mettent sur les récipients contenant des poisons. On retrouve encore ici le finalisme anthropomorphiste. Dohl voit dans la phosphorescence une sorte de mimé- tisme et donne une interprétation fort obscure de la lumi- nescence. Mc Instosh dit que les jeunes Étoiles de mer et les petites Ophiures sont plus lumineuses que les adultes, parce que les jeunes sont prédestinées en grand nombre à servir de nourri- ture ; c’est toujours l’idée finaliste, beaucoup plus répandue qu'on ne le croit chez les scientifiques, ce qui peut paraître étrange. La fonction photogénique, d'après Nutting, facilite les dépla- cement des Méduses, des Crustacés, des Vers, des Étoiles de mer. Pourtant on peut objecter que les Ophiures sédentaires sont lumineuses ; il admet aussi qu’elle sert à l'accouplement des Noctiluques. DU ROLE DE LA BIOPHOTOGÉNÈSE 139 On pourrait cheminer longtemps encore dans le domaine des hypothèses, sans profit aucun. A part le rôle évident des photosphères chez les Céphalo- podes et chez les Poissons, on ne sait que peu de choses sur l'utilisation de la photogénèse, sauf chez les Insectes. On avait dit depuis longtemps que la lumière de la femelle du Ver luisant sert à altirerle mâle qui l'est fortement aussi par les lumières artificielles, mais, avant Emery, de Bologne, on n a- vait fait aucune expérience, Ce savant enferma des Lucioles italiques femelles dans des flacons de verre qu'il exposa ensuite dans les endroits où les lucioles volaient le soir. Il a donné une charmante description du rôle de la lumière dans les Amours de la Luciole d'Italie, écrite dans le langage des hommes de son pays et dont la traduction que voici est bien pâle à côté de l'original : « C’est la nuit ; les dernières lueurs du crépuscule ont dis- paru et les Lucioles sortent peu à peu de leurs cachettes; les bocages ombreux, les haies, les bosquets, les berges des ruisseaux se peuplent de petites flammes volantes, qui envahissent les champs et les prés découverts. Vers 9 ou 10 heures, la fête a atteint toute sa splendeur. Les mâles lor- gnent en volant, scrutant le sol avec leurs grands yeux à facettes ; parlout dans l'herbette de coquettes femelles atten- dent leur passage : à la vue de leurs scintillements, ils ré- pondent, répondent, fascinés, par une lumière tremblante, un appel timide. De-ci de-là, des duos d'amour et partout la pluie de lumière fait l'office de roulades et de gazouillements. Les appels succèdent aux appels. Elles ne se contentent pas d'un galant : en voici deux, trois et même davantage. Autour de chaque femelle se produisent de nombreuses disputes, de fa- con que les mâles volants s'éclaircissent : à un moment donné, on n’en voit plus que peu. Les autres sont alors tous assem- blés en cette étrange cour d'amour. Ma science finit là. » La lumière vivante a eu pour effet de faire vibrer en France aussi la lyre des poètes. Voici un fragment des Vers luisants de Despeylou, que l'au- teur me fit jadis l'honneur de me dédier : 140 LA LUMIÈRE ET LA VIE Notre cœur a soif de tendresse, Et nous aimons à pleine ivresse Jusqu'à l'heure où blanchit le jour. Cette lueur qui nous éclaire, Diamant qui jamais ne s’altère, C’est l’ardent flambeau de l’amour ! Et pendant que dans le ciel sombre L'étoile glisse rayant l'ombre De sa fine aigrette de feu, On voit nos amoureuses flammes, Lumineux reflets de nos âmes, Scintiller dans leur éclat bleu. Ehrenberg ne croyait pas que la lumière fût l’auxiliaire de l'amour chez les bêtes marines sous prétexte que beaucoup sont hermaphrodites. Mais l’hermaphroditisme n'exclut pas plus l’accouplement que la parthénogénèse. Mc Dermott et Barber ont noté aussi le rôle de la photogé- nèse dans l’accouplement chez les Lampyrides américains. Enfin, d’après Bongardt, les femelles du Lampyre se lien- nent sur le dos pendant le temps du vol du mâle, montrant ainsi leur appareil ventral ; ensuite elles se remettent sur le ventre, tandis que la femelle du Lampyris splendidula, dont les organes latéraux brillent fortement ne se montre jamais sur le dos. La lumière chez les Insectes lumineux jouerait donc le même rôle que l’olfaclion chez d’autres. Les seules expé- riences relatives au rôle de la photogénèse dans la locomo- Uon sont celles que j'ai faites autrefois sur le Pyrophore. Les zones d'éclairement des appareils prothoraciques et ventraux ont élé déterminés avec la plus grande exactitude ; elles mon- trent que les deux premiers répondent parfaitement aux besoins de la locomotion dans la marche et la plaque ventrale est plus spécialement adaptée pour le vol et la natation (1). Détail intéressant à noter au point de vue de l'adaptation et même de la créalion de l'organe en vue de la fonction, (1) RaPHaAEL DuBois, Leçons de physiologie générale el comparée, pp. 312-346. <# DU ROLE DE LA BIOPHOTOGÉNÈSE 141 l'appareil ventral n'existe pas chez la larve, qui ne vole ni ne nage. En 1885, j'ai fait l'expérience suivante qui montrait pour la première fois l'influence exercée par la direction des rayons lumineux sur la progression d'un animal, avec une particu- larité bien originale : à savoir que les radiations lumineuses étaient fournies par l'individu lui-même, lequel obéissait à leur action. Aucune des expériences faites depuis par Loeb et FiG. 39. — Tracé de la marche d’un Pyrophore dans le cabinet noir, la lanterne droite étant éteinte. tant d’autres, n’est aussi démonstrative, et l'explication que j'en ai donnée est précisément celle qui, beaucoup plus tard, a été fournie par le physiologiste américain, lequel certaine- ment ne connaissait pas mes recherches sur ce sujet. Chez un Pyrophore vigoureux et bien lumineux, j'ai sup- primé la moitié du champ d'éclairage en obturant d’un seul côté l’un des appareils prothoraciques avec une boulette de cire noircie et opaque. Ensuite, l'animal fut placé dans le cabinet noir sur une feuille enduite de noir de fumée. On obtint ainsi un tracé très net de sa marche montrant qu'il est entrainé du côté éclairé (fig. 38). Par l'examen du graphique, 142 LA LUMIÈRE ET LA VIE j'ai été amené à admetllre que c'était parce que les muscles du côté éclairé l'emportent en vigueur sur ceux du côté non éclairé. C'est cette même explication qui nous est revenue . d'Amérique, à propos du phototropisme, de longues années après la publication de mes recherches sur le Pyrophore. Ce n’est pas le poids de la boulette de cire obturatrice qui cause la déviation, car en la remettant, après l'avoir enlevée, à côté de la lanterne prothoracique, l’Insecte reprend sa marche normale, qui estrectiligne. Enfin, si les deux appareils prothoraciques sont obturés à la fois, la marche devient hésitante, irrégulière : l'animal se dirige tantôt à gauche, tantôt à droite, lâtant le terrain avec ses palpes etses antennes et ne tarde pas à s'arrêter. Il n'est donc pas douteux que les Insectes photogènes utilisent leur lumière pour la marche, le vol et la natation. C'est aussi sa belle clarté qu'ils semblent préférer entre toutes. Ayant placé des Pyrophores, pendant le jour, dans une boîte couverte avec des verres de toutes les couleurs du spectre, j'ai vu mes P yrophores se grouper de préférence dans la zone du jaune vert, dont est principalement formée la lu- mière qu'ils émettent. Ils fuyaient la trop grande clarté et se tenaient pendant le milieu du jour, dans la pénombre de la zone indiquée, de même qu'aux Antilles, on les voit se réfugier à la face inférieure des feuilles de Canne à sucre dans la journée. Que peut-on désirer de mieux qu'un flambeau qui ne s'é- Leint ni par la pluie, ni par le vent, qui brille aussi bien au fond des abîmes que dans l’air et ne saurait mettre le feu? Si l'on joint à cela qu'il ne coûte presque rien, comme on le verra plus loin, que son éclat est admirable et la composi- tion de ses rayons calculée pour ainsi dire d’après les be- soins de l’œil, même chez l'animal, on trouve que l'Homme est beaucoup moins bien partagé que le P yrophore, le Cépha- lopode ou le Poisson lumineux sous le rapport de l'éclairage. EX RÉSUMÉ, dans beaucoup de cas le rôle de la lumière est impossible à définir, mais dans d'autres, manifestement, il sert DU ROLE DE LA BIOPHOTOGÉNÈSE 143 à assurer les fonctions de locomotion, de préhension, de défense et de reproduction. En outre, la réaction photogénique, surtout dans le cas de sécrétion interne, peut étre intimement liée à quelque processus nutritif intérieur utile, mais non indispen- sable, car, chez les Pyrophores, par exemple, à côté d'espèces très brillantes, il en est qui sont éteintes et je suis parvenu à enlever à la larve du Lampyre ses organes lumineux sans en- traver le développement de l’Insecte. DEUXIÈME PARTIE ACTION DE LA LUMIÈRE DES RADIATIONS INFRA-ROUGES, ULTRA-VIOLETTES ET FLUORESCENTES SUR LES ÊTRES VIVANTS Il est vraisemblable que dans la Nature, dans l'Univers entier, le mouvement protéonien soit représenté par une gamme chromatique ininterrompue, insensiblement con- linue, ascendante, depuis les longueurs d'onde infinitési- males, intimement unies et confondues avec les dernières particules de ce que les dualistes appellent encore « Ma- tière », jusqu'aux ondulations à très grandes périodes, dont la longueur d'onde et la durée sont peut-être très supé- rieures à certaines variations cosmiques dont les effets nous sont connus, mais dont nous ignorons encore les lois. De cette gamme certainement continue, nous ne connais- sons que des fragments épars, dont l'existence et les pro- priélés nous sont révélées, soit par nos organes des sens, soit par les effets qu'ils produisent en dehors d'eux, soit encore par les instruments ou appareils imaginés par l'Homme pour les étudier par l'observation, l’expérimentation ou le calcul. Les ondulations protéoniques qui impressionnent notre rétine, que quelques physiciens considèrent comme pesantes, et que nous appelons communément « lumière », intéressent au plus haut point le physiologiste, puisque sans elles la : . ACTION DE LA LUMIÈRE SUR LES ÊTRES VIVANTS 145 Vie, tout au moins telle qu'elle nous est actuellement connue, ne pourrait exister. Mais dans la gamme ascendante en question, les ondulations lumineuses proprement dites sont précédées par de plus petites et suivies par d'autres plus longues, qui n'agissent pas sur notre organe visuel, bien qu’elles se continuent d'une manière insensible avec les ondulations lumineuses visibles. Aux plus petites on a donné le nom de rayons ultra-violels et aux plus longues celui de rayons ou de radiations infra-rouges. Les longueurs de ces ondes (à) sont habituellement comp- tées en unités Augstrom (Unités A), chaque unité étant égale au dix-millionième de millimètre. Le spectre visible se lrouve ainsi limité à ses extrémités aux longueurs d'onde de 8.000 À environ pour le rouge et de 4.000 À pour le violet; au delà de 8.000 A on a l'infra-rouge et en deçà de 4.000 A l'ultra-violet, sans qu'il existe de démarcations précises réelles, car il ne s’agit ici que de simples divisions subjec- lives et artificielles. Pour déceler les radiations qui n’impressionnent pas notre réline, il faut des détecteurs très sensibles, mais autres que l'œil : on se sert pour les radiations infra-rouges d'appareils thermométriques (piles thermoélectriques, radiomètres, bolo- Nora. — On peut représenter grossièrement la classification géné- rale des radiations suivant leur longueur d'onde de la facon suivante, d’après Guilleminot : Rayons X = < 02005 (suivant l'hypothèse et rayons y du radium la plus probable). ( ( ne Ultra-violet à À = 0 (ri 40; | \ — 0:40 Spectre lumineux à | N— 0% 80 ; ri = ue 80 Infra-rouge R. de Rubens a 4 —40:à 60: Rayons hertziens s ; plusieurs mètres, Rayons électriques G — 5.000 4 et au-dessus plusieurs kilomètres. R. Dugors. 10 146 LA LUMIÈRE ET LA VIE mètres, etc.) et pour l’élude des radiations ultra-violettes, de la plaque photographique, des actinomètres, etc. Cela ne veut pas dire que les radiations infra-rouges soient seules calorifiques, car les appareils thermométriques sont sensibles à toutes les radiations lumineuses, même à l’ultra- violet, sensibilité qui va en s'atténuant sans doute avec la réfrangibilité des rayons, mais sans devenir nulle; et, de même, l'emploi de la plaque photographique n'est pas limité à la région ultra-violette; on sait que les plaques au gélatino- bromure sont parfaitement utilisables jusqu’à la naissance du rouge dans le spectre visible. Et, si l’on se sert de plaques orthochromatiques, on peut photographier non seulement tout le spectre visible, mais encore le commencement de l'infra-rouge. Dans l’état naturel, on ne peut donc pas étudier séparé- ment ce qui doit être attribué à l'action globale des radiations obscures et des radiations lumineuses du spectre solaire. Pour faire la part respective du rôle spécifique de chacune d'elles, il faut avoir recours à des artifices d'expérimentation. - Au lieu de s'attacher d’abord à définir les propriétés de la zone lumineuse, lesquelles sont enchevêtrées avec celles des deux zones obscures voisines, ultra-violette et infra-rouge, nous commencerons par chercher les propriélés dominantes de ces dernières. CHAPITRE PREMIER ACTION DES RADIATIONS ULTRA-VIOLETTES SUR LES ÊTRES VIVANTS Pour étudier expérimentalement l'action physiologique des rayons ultra-violels, il faut se servir de foyers construits spécialement. Le verre (flint) laisse passer des radiations d’une longueur d'onde supérieure à 3.600. Au-dessous, et jusqu'à 1.700 A, il faut substituer le quartz au verre. Au delà, l'air lui-même devient opaque sous une très faible épaisseur et pour per- mettre d'aller jusqu’à la longueur d'onde 1.250, il faut rem- placer le quartz par de la fluorine (fluorure de calcium ou spath-fluor) et, en outre, opérer dans le vide. Pour expérimenter avec les U.-V., on se sert dans les laboratoires de lampes composées d’un tube fermé en quartz, dans lequel on fait un vide aussi parfait que possible, et dont les extrémités renferment du mercure représentant ainsi les électrodes auxquelles des fils de platine ou de fer scellés dans le tube même, amènent le courant. Le spectre ultra- violet du mercure allant de À 3.650 jusqu'à À 2.225 À, le quartz le transmet en totalité. Les qualités physiques du quartz permettent, en outre, de dépenser une quantité plus considérable d'énergie dans la lampe, c’est-à-dire d'accroître notablement la densité de la vapeur de mercure et d’augmenter énormément le rayonne- ment. Il existe plusieurs procédés pour évaluer l'intensité des 148 LA LUMIÈRE ET LA VIE U.-V. qui, comme les radiations visibles, diminuent en raison , : Fe I inverse du carré des distances DIE et pour mesurer la lon- gueur d'onde des radiations, on emploie des spectropholo-. mètres spéciaux. Il n’est pas, en effet, indifférent, comme on le verra plus loin, d'opérer dans telle ou telle autre région du spectre ultra-violet. Pour éviter l’action combi- née des U.-V. et de la chaleur, on se sert, en physiologie, de lampes et avec un faible ré- gime électrique refroidies par un courant d'eau, permettant d'opérer à une courte dis- lance. Je me suis servi avec avan- tage de la lampe Tian (fig. 40) qui permet d'utiliser les cou- rants alternatifs (1). Propriétés chimiques des U.-V. — Pour comprendre l’action physiologique des U.-V. sur le bioprotéon ou substance vi- Fic. 40, — Lampe Tian à vapeurs : k , de mercure pour la production vante, il est utile de dire quel- des rayons ultra-violeis. ques mots de leurs propriétés chimiques, qui ont élé systéma- tique ment étudiées dans ces lemps derniers avec soin. ierry, Victor Henri, Albert Ranc ont été les premiers à (1) Disposilions caractéristiques de la lampe Tian: 1° [’enveloppe de l'arc seule est en quartz, le reste en verre : on évite ainsi le passage des électrodes à travers le quartz (rendu très difficile par l'impossibilité pratique de souder un métal à cette sub- stance) ; 2° La partie éclairante a la forme d'un /ube fermé ellibre de loule connection électrique, d'où facilité d'immersion et utilisation complète de son rayonnement ; 3e La lampe peut tourner autour d'un axe horizontal eonstitué par ACTION DES RADIATIONS ULTRA-VIOLETTES 149 expérimenter l’action des U.-V. sur les hydrales de carbone. Hs ont constaté l'apparition de réductions dans les solutions de certaines polyoses, comme la saccharose, el de glucosides tels que l’amygdaline. Pour analyser le phénomène, ils se sont ensuite adressés à des molécules moins complexes, tels que la d-fructose ou lévulose. Ils observèrent alors que sous l'influence des U.-V., la molécule de ce monose subit une dégradation profonde, jusqu'à formation d'aldéhyde formique et d'oxyde de carbone. C'était la première fois que sans fer- ments, ni agents chimiques, on obtenait une telle dégrada- tion de ce sucre. La présence de l’aldéhyde formique parmi les produits de cette décomposition a une certaine impor- tance biologique. On sait, en effet, qu'au cours du travail chlorophyllien, l'aldéhyde formique prend naissance aux dépens de CO? et de H?0 et se condense ultérieurement pour former les réserves hydrocarbonées. Ce composé se trouve donc à La base de la synthèse et de la dégradation des sucres. Comme type de polyalcools, les mêmes auteurs ont choisi la glycérine. Cet alcool triatomique soumis à l’action des U.-V., s'oxyde en milieu neutre, en donnant la glycérose qui est un sucre à trois atomes de carbone. La même expérience faite en milieu alcalin donne naissance à un hexose : le 8-acrose. Dans le cas de l'emploi d’une source de U.-V. très puissante, la glycérine se dégrade très vite jusqu'à la produclion d'al- déhyde formique, d’acides et d’autres produits à fonctions aldéhydiques. Les mêmes expérimentateurs ont obtenu avec la saccha- rose l'hydrolyse en glucose et lévulose, l'oxydation avec pro- duction d'acides et dégradation allant jusqu'à la formation, entre autres corps, de l’aldéhyde formique et de l’oxyde de carbone. La réaction d'hydrolyse apparaît comme une réaction la tige munie d'ailettes, qui la supporte et la refroidit : elle peut ainsi être placée verticalement ou à peine inclinée, suivant que l’on veut produire un éclairage latéral ou par-dessous ; 4o Le courant d'alimentation peut être alternatif. (Voir C. R. Ac. d. Se., 7 avril 1913, et Journ. de phys., juin 1913.) 150 LA LUMIÈRE ET LA VIE d'ordre primaire se produisant sur les molécules de saccha- rose el d'eau, aussi bien dans le vide qu’en présence de l’oxy- gène et ayant lieu en solution neutre, comme en solution acide. La réaction d'acides par oxydation est aussi une réaction primaire; l’apparition des produits gazeux, au contraire, est secondaire et ne se montre pas quand on immobilise les acides par le carbonate de calcium. Ces expériences, dans des conditions différentes, peuvent être produites par des agents chimiques ou biochimiques comme les ferments, mais la délicatesse de l'action des agents photochimiques la rapproche surtout de l'action des diastases (1). Ils produisent à froid une foule d'oxydations et de combus- tions totales que la chaleur ne réalise qu’à la température du rouge. Comme Je l'ai déjà dit, ils ont des effets analogues à ceux des ferments, par exemple du ferment nitreux, car l'azote ammoniacal est par eux amené au stade nitreux, comme dans la nitrification naturelle. Les U.-V. possèdent le pouvoir de polymérisation et aussi de combinaison, qui leur permet de réaliser à la température ordinaire des photosynthèses rappelant les synthèses qui sont effectuées par les végétaux. Telle est la polymérisation du cyanogène gazeux, qui est condensé en paracyanogène so- lide, la polymérisation des carbures non saturés à liaison double. L'éthylène est polymérisé au triple sous la forme d'un liquide cireux. L'acétylène est précipité sous forme d'un solide blanchâtre. Les carbures saturés n’ont pas de tendances à la polymérisation; toutefois, si le méthane se trouve en présence de l'oxygène, il perd de l’hydrogène sous l'influence des U.-V. et forme des homologues très conden- sés du groupe des paraffines. Postérieurement aux travaux de Bierry, Victor Henri et Albert Ranc, D. Berthelot et Gaudechon ont aussi réalisé (1) Voir C. R. de Ta Soc. de biol., 14 mai 1910; C. R. de l'Ac. des Sce., 25 juillet 1910, 27 février 1911, 6 mai 1912, et Journ. de phys. el de paih., septembre 1911. int ACTION DES RADIATIONS ULTRA-VIOLETTES 151 dans ses traits principaux la synthèse chlorophyllienne, à savoir: décomposition de CO?, combinaison du CO formé avec H (synthèse de l’aldéhyde formique) et polymérisation de l’aldéhyde formique HCOH en hydrates de carbone plus condensés, et cela à la température ordinaire, c’est-à-dire à celle du milieu naturel. Il y a lieu de signaler encore, dans les composés quater- naires, la synthèse de l'acide formique avec l'oxyde de car- bone et l’ammoniaque, point de départ de celle des albumi- noïdes. J. Stoklasa et W. Zdobnicky, en soumettant à l’action des U.-V. un mélange d’acide carbonique et de vapeur d’eau en présence de la potasse, ont vu se former de l’aldéhyde for- mique. Si, au lieu de vapeur d'eau, on emploie de l'hydro- gène naissant, 1l se forme du sucre et si on ne fait pas agir les U.-V., il se produit de l'acide formique. D’après ces auteurs, dans la cellule contenant de la chlo- rophylle, l'hydrogène à l’état naissant exerce une action ré- ductrice non pas sur CO?, mais sur le bicarbonate de potasse : il se forme ainsi de l’aldéhyde formique, qui, en présence de la potasse, se transforme en hydrate de carbone. Ceci est d'accord avec les expériences par lesquelles j'ai montré que le prétendu dégagement des bulles d'oxygène par les plantes immergées et exposées à la lumière, peut s'expliquer autrement que par une dissociation de CO? en CO et O (voir p. 198). Ce qu'il y a de plus remarquable dans une foule d'actions photochimiques, c'est leur réversibilité : combinaison de H et de O d’une part et, inversement, décomposition de la vapeur d'eau, combinaison de CO et de H et décomposition de HCOH (aldéhyde formique); polymérisation de HCOH en hydrates de carbone plus condensés et dépolymérisation : on peut avoir de même, selon les cas, formation et destruc- tion d’eau oxygénée. Sous ce rapport, les U.-V. se rapprochent encore des zy- mases qui, sous de légères variations de milieu, montrent de nombreux exemples de réversibilité, comme l'ont établi, dans 152 .LA LUMIÈRE ET LA VIE ces dernières années, les belles recherches de Bourquelot et de quelques autres expérimentateurs. D'après Dreyer et Haussen, c'est aux U.-V. que la lumière doit son action affaiblissante sur les enzymes, toxines, anti- corps et décomposante sur les glucosides comme la cycla- mine et la saponine qui se dédoublent avec un fort éclairage. L'action des U.-V. sur les toxines est entravée par l’état colloïdal à cause de l'absorption qui est alors considérable : il faut, par exemple, d'après les recherches récentes de Courmont et Nogier, de Cernovodeanu et Victor Henri diluer la toxine tétanique au 1/2000 pour obtenir la suppres- sion de la toxicité. La même observation a été faite sur les toxines diphtéritique et ricinique par Baroni, Jonesco, Mohaiesti. S1 l’on ne fait pas de dilution, il faut faire agir les U.-V. sur des couches très minces (1). La tuberculine de Koch offre une grande résistance. L'action sur les sérums est, au contraire, très sensible. Les sérums tuberculeux, et d’autres, perdent rapidement leur faculté d’être précipilés. Ils deviennent opalins et visqueux, puis, à la longue, se gélatinisent. D'après Weinberg et Rubinstein, le pouvoir antipeptique et antitryptique du sérum humain est détruit par les U.-V. Mais Breton a constaté qu’un sérum syphilitique, donnant par la méthode de Wassermann une réaction positive, ne semblait pas modifié à ce point de vue après une heure et demie à deux heures d'exposition à dix centimètres de la lampe. Jonesco, Mohaiesti et Baroni ont remarqué aussi que, sous l'action des U.-V., le sérum alexique du Cobaye, le sérum hémolytique du Lapin agissant sur les hématies du Mouton perdent plus ou moins rapidement leurs propriétés spéei- fiques. (1) Les corps dont les molécules sont labiles, c'est-à-dire qui réa- gissent facilement, absorbent fortement les rayons ultra-violets. Par conséquent, à côté des effets produits par les différents groupements chimiques et par la constitution moléculaire, la prédisposition des molécules à entrer en réaction provoque une exaltation très forte du pouvoir d'absorption des rayons ultra-violets. (Vicror HENRI.) ACTION DES RADIATIONS ULTRA-VIOLETTES 153 Le sérum anticholérique cesse de fixer l’alexine en présence du vibrion cholérique ; il cesse aussi de produire la bactério- lyse des Vibrions et son agglutinine est rapidement détruite. De même le sérum antidiphtéritique du Cheval perd son pou- voir protecteur contrela toxine. Ces mêmes expérimentateurs ont fait perdre au sérum dilué du Cheval la toxicité diphtéri- tique et il devient inoffensif pour les animaux anaphylactisés. Il perd également la propriété d'être précipité par un anti- sérum. Stassano et Lamotte ont vu que les Bacilles typhiques tués par stérilisation au moyen des U.-V. conservent leur aptitude agglutinative initiale. Ils sont agglutinés au même titre que les Bacilles vivants, avec seulement un léger retard. Mais ce retard est beaucoup moindre pour les Bacilles irradiés que pour les Bacilles tués par la chaleur ou par le formol. Ce moyen offrirait donc des avantages pratiques réels dans la préparation des bactériolysines destinées au séro-diagnoslic. L'action des U.-V. sur les venins a été également étudiée. Le venin de Cobra est détruit beaucoup plus rapidement que le sérum antivenimeux, même si le venin est dilué dans le sérum de Cheval. L'influence des U.-V. sur les ferments dits, à tort, solubles, ou zymases, doit servir de prélude à l’action des U.-V. sur l’en- semble du bioprotéon composé de granulations actives qui, pour la plupart, sont des grains zymasiques, de futures vacuo- lides ou des vacuolides déjà formées et plus ou moins trans- formées en leucites (chloroleucites, chromoleucites, ete.). Dans ma théorie vacuolidaire, les zymases sont, comme je l'ai expliqué déjà, quelque chose d’organisé et de vivant (voir p. 8). Les U.-V. rencontrent chez les diastases ou zymases des sensibilités différentes. Aguhlon a reconnu que l’amylase et la sucrase du malt sont très rapidement atténuées par les U.-V. L'amylase pancréatique et la pepsine sont beaucoup plus résistantes ; l'émulsine et la présure le sont moyenne- ment. En tout cas, il y a toujours atténuation par quelques heures d'exposition. Elles sont d'autant plus résistantes 154 LA LUMIÈRE ET LA VIE qu'elles sont plus concentrées, ce qui n’a rien d’extraordinaire puisqu'elles sont à l’état colloïdal. D'après Schmidt et Nielsen, la lumière de la lampe à arc agissant pendant 15 minutes rend inactifs les 75 à 95 cen- tièmes de la diastase. J. Giaja a vu que les U.-V. agissent également sur les deux agents diastasiques contenus dans l'émulsine : sur celui qui met en liberté l'acide cyanhydrique et sur celui qui hydrolyse le biose de l'amygdaline. C'est sans doute à l’action de ces radiations qu’il faut attribuer celle des rayons solaires sur l’'émulsine, notée par Marius et Séricano. C'est encore aux radiations chimiques qu'il faut attribuer la destruction de la catalase par les rayons visibles du spectre, si la lumière est suffisante, aussi bien en présence de O? qu’en son absence. On n'a pu donner aucune explication du mécanisme intime des U.-V. sur les diastases. Ce n'est pas par un processus d'oxydation, car si l’'émulsine est moins activement détruite dans le vide qu’en présence de l'oxygène, la présure est atta- quée d'une façon aussi intense en présence de l’oxygène que dans le vide. Action des U.-V. sur les cellules vivantes et sur les organismes. — On connaît depuis longtemps déjà l'action bactéricide sté- rilisatrice de la lumière solaire. D’après les recherches de Hertel sur Bacillus coli, de Bang, de Raybaud sur les Moisis- sures el celles d’autres expérimentateurs, c'est à la pré- sence des U.-V. dans ia lumière solaire qu'il convient de l'attribuer. Mais ces effels de la lumière solaire ne peuvent être comparés à ceux des U.-V. produits par la lampe en quartz à vapeur de mercure. La limite des U.-V. solaires est, en effet, de À 2.950 A, car tous les rayons de longueur d'onde inférieure à 2.950 A sont absorbés par l'atmosphère et ne nous arrivent pas ; or les U.-V. sont surtout bactéricides au-dessus de 2.800 À, et c’est en s'appuyant sur ce fait et sur des expé- riences directes que Paul Becquerel a combattu la théorie des cosmozoaires, c'est-à-dire des germes vivants traversant les espaces célestes pour venir se développer à la surface du globe. ACTION DES RADIATIONS ULTRA-VIOLETTES 155 L'étude de l’action bactéricide des rayons solaires, ou plu- tôt de l’action de la lumière sur les Bactéries a été, d’après E. Lobstein, faite pour la première fois dans le remarquable mémoire de Downes et Blunt datant de 1877 : « Les différents facteurs, dit Lobstein, dont dépend cette action y sont si net- tement indiqués que les travaux publiés depuis par Duclaux, Arloing, Strauss, Roux, Buchner, Franckland et Marshall Ward n'ont pu que préciser leur influence sans rien ajouter d’essentiel. » D'après ces divers auteurs, la partie chimique seule du spectre est active. Si l’insolation a été courte, il y a simple- ment retard du développement de la colonie, etempêchement total, si elle a élé longue. La lumière diffuse est très peu active, et même, si l'éclairage est très peu intense, les cul- tures peuvent se faire aussi bien que dans l'obscurité. Pour les diverses espèces microbiennes, il y a évidemment des différences de résistances individuelles. La virulence va en diminuant à mesure que le Bacille se rapproche de la durée d'exposition mortelle. La présence de l'air favorise l'action de la lumière, car Roux a montré que dans le vide la résistance est beaucoup plus grande, toutes choses égales d’ailleurs. Duclaux et Roux . ont émis l'hypothèse que, dans l'action simultanée de l'air et du soleil, il se produit un changement dans le milieu nutriif nuisible au développement des germes (changement de réac- tion des liquides, oxydation des corps gras). Quelques années plus tard, Richardson (1893), puis Dieu- donné et Marshall Ward (1894) signalèrent la formation d'eau oxygénée dans les liquides de culture exposés au soleil et attribuèrent à l'apparition de cel antiseptique un rôle prépon- dérant, mais, d'après Lobstein,exagéré. Treskinkaja, au sana- torium de Davos, en 1910, constata que l'action bactéricide de la lumière est plus grande en été qu'en hiver, que cette action croît avec la hauteur du lieu, que, d’autre part, l’action de la chaleur, qui se superpose à celle de la lumière, ne peut être in- voquée, car une culture soumise à une chaleur sèche de l’étuve de 65 à 70° demeure encore virulente au bout de 10 heures. 156 LA LUMIÈRE ET LA VIE H. Thicle et Kurt Wolf pensent que les U.-V. ne tuent pas les Bacléries par un changement du milieu, mais par une action directe. Pour rechercher quels rayons sont effective- ment nuisibles aux Bactéries, ces auteurs interposent entre la source et le bac qui contient les cultures, divers corps absorbants pour tout ou partie de l’ultra-violet. Une plaque de verre de o em. 135 arrête toute action ; une solution d'acide oxalique à 10 p. 100, qui limite vers 300 uu le spectre de l'U.-V., agit de même ; une solution de même teneur en sul- focyanure de potassium, qui l’arrête, à 265 y, laisse au con- traire détruire les Bactéries. C’est donc entre ces limites que se trouve la partie la plus active du rayonnement de l'arc. Pour ne laisser agir que les U.-V., les expérimentateurs n'ont trouvé comme écrans convenables que le sel gemme bleu. Il résulte des recherches de Hertel sur Bacillus coli, de Bang, de Raybaud, de Becquerel sur les spores, de Dauflers et Ray- baud sur les Mucorinées et les Moisissures, que les U.-V. sont surtout bactéricides au-dessous de 2.800 A ; par consé- quent la limite des U.-V. solaires arrivant à la surface du globe étant de 2.950 À, leur pouvoir abiotique est moins grand que celui des U.-V. de la lampe en quartz à vapeurs de mercure. Cette dernière est tellement forte que Paul Becquerel a pu démontrer que, dans le vide et aux plus basses températures, les spores, mêmes sèches, sont tuées. Rochaix el Colin ont signalé plus tard des recherches ana- logues avec des Bacilles desséchés, nouvel argument invoqué par Paul Becquerel contre la théorie des poussières cos- miques renfermant des cosmozoaires ou des germes, empor- tées par la pression de la lumière au travers des espaces pla- nélaires, suivant l'hypothèse ingénieuse de Swant Arrhé- nius. En 1907, Paul Becquerel a vu également que les radiations de l'arc au fer oxyde les téguments des graines et les graines décortiquées eu état de vie latente, et qu’à la longue cette action peut retarder et même abolir la germination. Dans la même année, Hertel a montré que l’action des U.-V. ACTION DES RADIATIONS ULTRA-VIOLETTES 157 s'étend plus loin dans le domaine de l’activité abiotique ou destructive que l’activité chimique sur la plaque photogra- phique, car il existe encore des U.-V. bactéricides à 2.100 A. Raybaud a obtenu des résultats de même ordre avec Phyco- myces nilens ; alors que l’action de l’ultra-violet s'arrête sur la photographie à 2.302 À, elle s'étend sur Phycomyces jusqu'à la radiation 2.200 A. D'après ce dernier auteur, les U.-V. déterminent une énorme contraction des mycéliums des Mucorinées, la mem- brane mycélienne peut même être déchirée et Ia masse proto- plasmique s’en détacher. Le suc cellulaire forme un manchon liquide épais entre ce dernier et la membrane : il est plasmo- lysé, ou mieux déshydraté, et l'on ne voit plus alors les cou- rants se produire. C'est à un mécanisme du même ordre qu’il convient d’attri- buer les effets des U.-V. sur des végétaux plus élevés. Les feuilles de végétaux chlorophylliens exposés à ces rayons pen- dant quelques minutes deviennent noires au bout de deux ou trois jours. Si l'on fait agir les U.-V. sur des plantes suscep- tibles, par le contact deszymases avec des glucosides ou autres corps qu’elles contiennent, mais à l'état séparé, de donner des essences (laurier-cerise, moutarde, mélilot el autres plantes à coumarine, gousse de vanille, etc.), il se dégage très vite des odeurs caractéristiques par suite des déplacements dessucs cellulaires se produisant aussi par le mécanisme que J'ai dé- crit sous le nom d’atmolyse (1). Sous ce rapport, il y a donc lieu de rapprocher l’action des U.-V. de celle des vapeurs de chloroforme, d’éther, et de tous les anesthésiques généraux, qui, comme je l'ai montré depuis longtemps, agissent à la ma- nière de la congélation, dont j'ai, à la même époque, expliqué le mécanisme alors inconnu; c’est sur cette similitude d’ac- lion qu'est basé le forcement des plantes par les vapeurs d'éther, employées aujourd’hui à la place du froid. Toutefois l'action des U.-V. diffère de celles des anesthésiques et du froid en ce qu'elle détruit les spores sèches, tandis que ces (1) Voir RAPHAEL Dugois, Atmolyse et atmolyseur. C. R. de l’Ac. des Sc., v. CLIIT, p. 1180, 1910. 158 LA LUMIÈRE ET LA VIE dernières peuvent résister aux vapeurs anesthésiques et aux températures les plus basses. Notons encore que les Bactéries soumises à l’action des U.-V. subissent des modifications dans leur manière de se comporter vis-à-vis des colorants, conséquence des modifica- tions de leur substance même. Certaines spores peuvent alors être teintes sans mordants; mais si l’action des rayons est prolongée, on n'arrive plus du tout à colorer les Microbes. Le corps microbien apparaît alors comme désagrégé. On obtient soit une véritable bactériolyse, soit une dissociation granu- leuse vacuolidaire. Parmi les spores, il en est qui gardent leur coloration élective, alors que le corps microbien a perdu le pouvoir de se colorer. L'action des U.-V. a été étudiée aussi chez les animaux. Dufour et Forel avaient depuis longtemps indiqué la sen_ sibilité des Fourmis à l’action des U.-V., en faisant agir la lumière ultra-violette d'un spectre intense sur des Fourmis et sur leurs nymphes. Ils ont vu les Fourmis transporter leurs nymphes de la partie soumise à l’U.-V., dans les régions complètement obscures de la caisse servant à l'expérience. Loeb aurait provoqué ce qu'il appelle improprement l « hélio- tropisme animal » chez des larves de Balanes,chez des Daphnies, des Gammarus et des Copépodes divers par l'action des U.-V., mais cet effet disparaît au bout de 10 à 20 minutes. D'après Lévy F., les U.-V. ont une action toxique sur les spermatozoïdes et les œufs de Grenouille. Il en serait de même sur les œufs d'Oursin, Paracentrotus lividus, ce qui constitue une difficulté pour cinématographier leur segmentation quand on la provoque par des procédés artificiels, qui les rendent encore moins résistants que les autres, suivant Fred Vlès. Les animaux inférieurs adultes, tels que les Amœæbes, Infu- soires, Trypanosomes, sont, comme les Moisissures et autres Champignons inférieurs (Mucorinées et Microbes), détruits par les U.-V. D'après Raybaud,les U.-V. de la lainpe à mercure peuvent encore exercer une action mortelle sur des animaux d'ordre . ACTION DES RADIATIONS ULTRA-VIOLETTES 159 plus élevé. Ceux qui ont la peau nue ne résistent pas aux effets de la lampe placée à 1 m. 50, alors que la température n'excède pas d’un degré celle du milieu ambiant. Les ani- maux qui possèdent une enveloppe ou un tégument épais ont plus de chances de résistance. Certains Insectes, tels que les Mouches qui sont blessées mortellement par les radiationsultra-violettes, doivent, d'après l’auteur, présenter quelque défaut à leur cuirasse chitineuse. Il a expérimenté sur des têtards de Grenouille, des Mouches domestiques, des Sauterelles grises, des Scarabées et des Souris blanches. M. et Mme Victor Henri ont étudié l'excitation des orga- nismes par les rayons ultra-violets, et ont tiré de leurs expériences les conclusions suivantes : 1° il existe un seuil très précis pour l'excitabilité par les rayons ultra- violets; 2° la photo-excitabilité est d'autant plus grande que la proportion des U.-V. est plus forte; 3 il existe une valeur minima de l'intensité des rayons ultra-violets au-dessus de laquelle l’animal ne réagit plus, quelle que soit la durée de l'irradiation ; 4° lorsqu'on augmente l'intensité du rayonne- ment U.-V., la durée nécessaire pour provoquer une excita- tion diminue de plus en plus ; 5° lorsqu'on augmente l'in- tensité du rayonnement, l'énergie du rayonnement des U.-V. nécessaire pour provoquer une excitation, passe par un mini- mum ; 6° il y a une loi d'induction physiologique qui consiste en ce qu'uneexcitation ullra-violette de durée inférieure au seuil provoque des effets qui augmentent encore pendant un certain temps après la cessation de l'irradiation ; ces effets s'effacent ensuite progressivement. De sorte que, en résumé, il existerait une excitabilité phy- siologique par les rayons ultra-violets ; elle pourrait être étu- diée sur le même plan et avec autant de précision que l’exei- tabilité soit électrique, soit photo-rétinienne, soit tactile ou auditive. La photo-excitabilité obéit à des lois de seuil, de mini- mum d'énergie, et à la loi d’induction physiologique, comme c’est d’ailleurs le cas pour tout agent chimique, physique ou mécanique agissant sur le bioproléon organisé. Une consta- 160 LA LUMIÈRE ET LA VIE tation contraire eût constitué une exceplion aux lois de la physiologie générale (1). Les petites longueurs d'onde sont plus destructives que les grandes pour les organismes, en général : en d’autres termes, le pouvoir abiotique augmente au fur et à mesure que la lon- gueur d'onde diminue, et 1l est proportionnel au coefficient d'absorption du bioprotéon. Cetle dernière constatation confirme la généralité de la loi d'absorption photochimique annoncée par Grotthus, en 1818 : « Ce sont les rayons absorbés par une substance qui produi- sent les actions chimiques sur cette substance. » Cette loi a élé vérifiée d’une façon quantitative par Lazareff, en 1906, pour les rayons visibles et, plus tard, par Vurmser, puis par’ M. et Mme Victor Henri pour les U.-V. Il en résulte que si l’on veut connaître l’action produite par des rayons différents sur un corps, on doit, avant tout, déterminer d'une façon quantitative l'absorption de ces rayons par ce corps, c'est-à- dire établir son spectre d'absorption. En appliquant ces principes avec des sources intenses (arc à mercure ou étincelles condensées entre les électrodes de cadmium),M. et Mme Victor Henri ont déterminé quelles sont les valeurs d'absorplion des divers corps et montré que Fon peut, par exemple, attaquer dans une cellule vivante seulement les lipoïdes en laissant presque intacts les albuminoïdes, ou, au contraire, agir plus particulièrement sur les constituants albuminoïdes. L'épiderme exposé à des longueurs d'onde inférieures à 3.000 À est brûlé, desquamé et une action prolongée peut amener la vésication. Les yeux sont atteints de conjonctivite très douloureuse. On peut les protéger cependant en se ser- vant de lunettes de verre renfermant un sel de chrome, ou bien dont les verres ordinaires sont recouverts par une pelk- cule de gélatine imbibée de picrate d'ammonium ou d'acide picrique, qui arrêtent le violet et l’ultra-violet. (1) Pour les publications de ces auteurs ou de leurs collaborateurs, voir C. R. de la Société de biologie, 1911, 1912, 1913. ou lat ACTION DES RADIATIONS ULTRA-VIOLETTES 161 D'après Vinceslas Moycho, il ne semble pas que le système nerveux intervienne d’une facon directe dans les effets des irradiations. Les changements observés après les sections des nerfs doivent plutôt être attribués aux modifications vasculaires et à celles de la nutrition qui leur correspon- dent. Dans les oreilles irradiées du Lapin, l'élévation de la température favorise et accélère l'apparition de la radio- dermite et augmente l'intensité des réactions inflamma- toires. Les effets sur la peau se rapprochent beaucoup de ceux que produisent les rayons X, mais les radiodermites par les U.-V. sont beaucoup plus bénignes et plus rapidement guéries que les radiodermites rô‘entgéniennes. Aussi les U.-V. ont-ils été employés contre une foule de maladies bactériennes : eczéma, lupus, acné, furonculose, herpes tonsurans. Mile Cervodeanu et M. Nègre ont signalé l’action énergé- tique que les rayons de la lampe à quartz exerce sur les tissus cancéreux des Souris : ils auraient pu dans certains cas obte- nir une destruction complète des tumeurs. Je reviendrai sur cette question dans le chapitre consacré à la Photothé- rapie. Stérilisation de l'eau. — Eu 1903, Preisz, puis Seifert en 1909, Marc de Billou-Daguerre en 1906, proposèrent les pre- mières applications des U.-V. à la stérilisation de l’eau et de divers liquides alimentaires. Mais ce n’est qu’en 1909 que la stérilisation de l’eau fut étudiée d'une manière approfondie par Courmont et Nogier. L'eau ne doit pas être trouble. On peut la faire passer avec une vitesse convenable sous la lampe ou mieux immerger celle-ci. Les U.-V. sont actifs dans l’eau claire jusqu’à o m. 30 de leur source. Nogier a fait construire, à cet effet, des appareils permettant de stériliser de Ja sorte 400 à Goo et jusqu'à 1.000 litres d'eau à l'heure. La stérilisation est complète, immédiate. Ainsi Courmont et Nogier avaient souillé des eaux avec du Bacille de la fièvre typhoïde et des Colibacilles jusque dans la proportion de mille millions par centimètre cube (alors que les eaux les plus impures n’en ren- R. Dugois. 11 1627 LA LUMIÈRE ET LA VIE ferment rarement que 1.000) et à la sortie de l'appareil Nogier, dans lequel l’eau passa en couches minces autour de la lampe, avec un débit pouvant atteindre cependant 1.000 li- tres à l’heure, l'eau était absolument privée de germes. Ces résultats ont été confirmés par Miquel, Victor Henri, Vallet, Lobstein. D'après les expériences de Miquel, les spores du 2. mesen- lericus ou d'une espèce analogue, qui résistent pendant plu- sieurs heures à la température de l’ébullition de l’eau, n'ont pas résisté avec un débit de 8o litres à l'heure. Cette stérili- sation n’altère en rien ia potabilité de l’eau et ne lui donne aucun goût. En raison de la rapidité du passage de l’eau, les impuretés ne sont pas modifiées chimiquement, ce qui prouve bien que ce n'est pas par la formalion d'ozone ou d'eau oxy- sénée que s'opère la stérilisation. Les Microbes jeunes sont beaucoup plus sensibles que ceux des cultures anciennes. Il y a également une sensibilité spécitique qui a été trouvée décroissante pour les espèces suivantes par Mile Cernovo- deanu et M. Victor Henri : Staphilocoques, Vibrion cholé- rique, Colibacille, Bacille typhique, Pneumobacille de Fried- lander, Bacille charbonneux, Bacille tétanique, Bacille Phléole, Bacillus subtilis, Sarcine, Orange. La durée de l'exposition est diminuée avec l'augmentation du voltage : avec un voltage double, la durée est diminuée environ cinq fois. La température n'exerce pas une grande influence sur l'action des U.-V., ainsi la stérilisation s’obtiendrait aussi bien lorsque le milieu est congelé, et les différences sont insi- gnifiantes pour les températures de o°, 18°, 25° et 50°. Ces résultats concordent d’ailleurs avec ce fait que les vitesses de réaction purement chimiques varient excessivement peu avec la température. Cependant, d’après Thicle et Wolf, l'élévation de la température activerait le pouvoir bactéri- cide des U.-V., ainsi d'ailleurs que celui des autres longueurs d'onde, Contrairement à certaines conclusions de Roux et de ML Le. by 4. ACTION DES RADIATIONS ULTRA-VIOLETTES 163 Duclaux, dont il a été question antérieurement, l’irradiation préalable pendant plusieurs heures de l’eau ou d'un liquide nutritif n'aurait aucune influence sur les micro-crganismes que l’on introduit ensuite dans cette eau ou dans ce milieu et qui s’y développeraient parfaitement. Ce que j'ai dit plus haut de la résistance des colloïdes à la pénétration des U.-V., pouvait faire prévoir qu'ils ne seraient guère applicables pratiquement à la stérilisation des liquides alimentaires: lait, bouillon, bière ; l'absorption est même très difficile pour le cidre et Le vin. Pour tourner la difficulté, Victor Henri et Stodel ont ima- giné de faire passer dans une lampe à films une couche de lait de o mm. 1 d'épaisseur entraînée par un cylindre tour- nant sur son axe horizontal et pouvant donner un débit de 50 litres à l'heure. La coagulabilité du lait par les ferments reste la même, mais 1l prend vite un goût de suif assez marqué, par suite sans doute de l'oxydation des corps gras. En dehors de la stérilisation de l'eau dont je viens de parler et de la photothérapie, dont il sera question plus loin, les applications pratiques sont encore à trouver dans le domaine biologique. EX RÉSUMÉ, dans des conditions déterminées, les U.-V. repro- duisent des phénomènes vilaux synthétiques à la méme tempé- rature que les organismes vivants, particulièrement ceux de la Jonction chlorophyllienne. Dans d'autres cas, ils déterminent, à Jroid, des oxydations rapides, intenses. On les voit encore agir à la façon des ferments, comme agents catalyseurs accélérant la vitesse des réactions, et comme eux, ils peuvent décomposer, par exemple, les solutions de glucose et de lévulose, en produisant un dégagement gazeux rappelant celui des fermentations. D'autres fois, ils se comportent comme des agents abiotiques puis- sants, des stérilisateurs énergiques, ou simplement en exerçant sur les produits biologiques : Loxines, anticorps, diastases, des modificalions, des transformations dont il sera vraisemblable- ment tiré un grand parti dans l'avenir. Il est infiniment pro- 164 LA LUMIÈRE ET LA VIE bable qu'une grande quantité de phénomènes attribués à l'action de la lumière visible est due à ce qu'elle est accompagnée ordi- nairement par des radiations ultra-violettes. Les radiations infra-rouges paraissent également jouir de propriétés physiolo- giques qui ont élé confondues avec celles de la lumière éclai- rante (voir p. 178). à + DNS, CHAPITRE II ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE FLUORESCENTE Lorsque les radiations ultra-violettes frappent certains corps, ils deviennent aussitôt lumineux. Mais la lumière ainsi obtenue impressionne l’œil d’une manière toute parti- culière : elle a un éclat spécial qui lui a fait donner parfois le nom de {uminescence. Pour les physiciens, la fluorescence ne serait qu'un cas particulier de la phosphorescence, mais pour- tant, au point de vue physiologique, organoleptique, cette assimilation est inacceptable, car beaucoup de corps phos- phorescents ne produisent pas sur l'œil l’effet bien connu des lumières fluorescentes : or, à un effet différent correspond certainement une cause différente. L'œil est un appareil d'analyse délicat et il se refuse à cette confusion. Nous ver- rons bientôt que d’autres propriétés des lumières fluores- centes les distinguent des radiations spectrales ordinaires. Cela ne tient pas évidemment à la composition quantitative produite par l'assemblage, en proportions déterminées, de diverses radiations simples, car elles peuvent prendre toutes les couleurs sans perdre leur éclat ou luminescence caractéristiques. Mes recherches, et plus tard celles de Very et Langley, ont bien prouvé que la lumière du Pyrophore a une composition spéciale, qui la rend supérieure, au point de vue de l'éclai- rage, à toutes celles connues jusqu'à ce jour. Nous avons montré que cette supériorité était due à une combinaison 166 LA LUMIÈRE ET LA VIE élective des radiations ordinaires les plus éclairantes et à l'élimination de celles qui pouvaient être inutiles ou même nuisibles ; ensuite que cette élimination ne tenait nullement à la faiblesse des foyers lumineux, ni à l'absorption ou à la dispersion des instruments employés pour analyser quantita- tivement la lumière qui s’en échappe. La lumière du Pyro- phore est bien un type de lumière spéciale : la lumière froide, comme je l'ai appelée en 1886, mais celte dénomination est justifiée et expliquée par sa composition spéciale en radia- üons lumineuses ordinaires, sélectées par un procédé de fabrication absolument inconnu avant mes recherches, tout à fait distinct des autres et véritablement typique. Elle diffère donc des autres surtout quantilativement. Mais à celte différence quantitative s’en ajoute une autre qui, celle-là, est surtout qualitative : la fluorescence. J'ai montré que, dans la lumière du Pyrophore, les radiations fluores- centes s'ajoutent aux autres, comme les harmoniques au son fondamental, pour leur donner un « éclat », une lumi- nescence, qui lui a fait donner par tous ceux qui l'ont vue le nom de « belle lumière », et cette propriété n’a rien de commun avec la couleur. J'ai, en effet, retrouvé de la fluorescence, non plus chez des Élatérides lumineux, mais chez d'autres Insectes lumineux, les Lampyrides, et la Luciole d'Italie, dont la couleur de la lumière diffère de celle des Pyrophores (voir p. 107). Beau- coup plus tard, [ves et Coblentz, Mc Dermott ont fait la même constatation sur d’autres Lampyrides : les Pholinus américains. Ma découverte de la fluorescence chez les invertébrés lumineux el du principe fluorescent qui la produit, m'avait incité à chercher s’il n’exislait pas d'autres substances fluo- rescentes chez des animaux non lumineux, et j'en ai mis plu- sieurs en évidence chez différents Vers et Échinodermes : Marphysa sanquinea Mont., Eulalia clavigera syn. viridis, Bonellia viridis, Holothuria Forskali. Quand on expose à la lumière solaire, dans l’eau de mer, Eulalia clavigera, ce Ver marin polychète émet bientôt après un pigment colorant qui . ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE FLUORESCENTE 167 donne à l'eau ambiante une couleur rosée et une lumines- cence particulière. Par l'alcool, on extrait facilement de cet animal un corps fluorescent. On peut se demander alors si l'émission de ce corps, au moment de l'exposition au soleil, n'aurait pas pour objet de protéger l’animal contre certaines radiations solaires nuisibles, ou bien, au contraire, si l’action de ces dernières étant accrue par la fluorescence, il n’en résulterait pas une altération rapide du tégument, d'où éli- mination, émission de produits résultant de cette lésion. Nous verrons plus loin les raisons d'être de cette hypo- thèse. Avec la Bonellie, l'effet est plus marqué encore. Ce Ver marin fuit la lumière intense, mais si on l’oblige à la subir, en le plaçant dans une cuvette de porcelaine blanche remplie d'eau de mer et exposée au soleil, il ne tarde pas à s’entou- rer d’un nuage de fluorochlorobonelline. Même un certain temps après la suppression de l'éclairage, l'émission continue par un de ces singuliers phénomènes d’induction connus chez les végétaux et chez les minéraux, et que j'avais déjà signalés à propos de la formation du pigment dans les ‘issus des Protées aveugles des grottes de la Carniole (voir p. 282). Chez la Bonellie, le pigment vert est localisé dans des sortes de papilles qui font saillie sur la peau et sont disposées à intervalles réguliers. Il est probable que, sous l'influence d’une lumière trop vive, ces papilles deviennent turgescentes, comme cela arrive pour les branchies externes des Protées, et qu’elles laissent alors échapper la fluorochlorobonelline. On peut supposer également que sous l’action de ce corps fluo- rescent, combinée avec celle des radiations chimiques solaires, les cellules à pigment sont rapidement détruites et laissent échapper leur contenu dans l’eau ambiante, qui devient ainsi un écran protecteur arrêtant les U.-V. au pas- sage. En tout cas, le mécanisme de cette émission et le rôle de la fluorescence serait intéressant à élucider complètement. Ce qu'il y a de bien certain, d'après mes recherches, c'est que la Bonellie fuit le bleu et le violet pour se placer dans les 168 LA LUMIÈRE ‘ET LA VIE lumières vert-jaune et rouge. Les lumières bleue et violette ne détruisent pas la fluorochlorobonelline. Après 24 heures d'exposition en solulion alcoolique, elle conserve son di- chroïsme, tandis que la lumière solaire provoque en deux jours une décoloration complète. Les radiations jaunes, rouges et vertes agissant isolément produisent, dans le même temps, une décoloration de moyenne intensité. Le di- chroïsme et la fluorescence persistent très longtemps, et sans nul doute, définitivement à l'obscurité. Il ne semble donc pas que la fluorescence soit favorable à la Bonellie : peut-être serl-elle à ce Ver aveugle et lucifuge d'avertissement lorsqu'il cesse d’être protégé par l'obscurité. Il est bien évident que ces principes fluorescents existant en grande abondance chez Marphysa sanguinea, chez Eulalia clavigera, Bonelia viridis et Holothuria Forskali, puisque leur fluorescence se reconnaît à la lumière ordinaire, doivent jouer un rôle physiologique important. Cette idée que nous avons soutenue il y a longtemps déjà, à propos des Pyrophores, a pris dans ces temps derniers une signification très générale. A l’époque où, pour la première fois, j'annonçais la pré- sence de corps fluorescents chez les invertébrés, je me ser- vais simplement de la lumière d’une lampe à arc condensée par une lentille de quartz el décomposée par un prisme de même substance. Ce spectre était projeté sur un tableau noir. La partie éclairante du spectre étant interceptée à l’aide d'un écran, je promenais l’objet à examiner dans la partie obscure du spectre jusqu’à ce que j'aie rencontré des radiations capa- bles de produire en lui la « résonance lumineuse (1) ». Hertel E. construisit aussi un appareil pour étudier l'effet des radiations de longueur d'onde d'environ 280 y. Mais la découverte de la lampe de quartz à vapeurs de mer- cure a depuis singulièrement facilité ces recherches, surtout après l'invention de microscopes à fluorescence, où, au lieu d'éclairer les objets avec la lumière ordinaire, on projette sur (1) RapHaEL Dugois, Recherches sur la pourpre et sur quelques au- tres pigments animaux. Archives de zool. exp. et gén., 5° sér., t. IT, Paris, 1909. ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE FLUORESCENTE 169 ces derniers les préparations des radiations ultra-violettes qui rendent lumineux tout ce qui est fluorescent, exclusive- ment, laissant le reste en noir. Cette invention est due à H. Lehmann et elle constitue un procédé nouveau d'analyse. En effet, presque tous les corps, sous les U.-V., deviennent fluorencents, mais la luminescence n’est pas la même pour chacun d'eux; elle n’a ni la même intensité, ni la même couleur ; enfin elle ne se produit pas pour tous avec les radiations de longueur d'onde quelconque. Par un simple éclairement d’une préparation, on peut re- connaître la nature d’un corps, sa qualité, son degré de pureté, etc. Reichert, à Vienne, et Zeiss, à Iéna, ont construit pour cet objet des « Fluorescens-microscopes », qui ne diffèrent du mi- croscope ordinaire que par des accessoires tels que les «UV- Filter »,ou filtres destinés à absorber les radiations lumineuses, et des « UV-Fillerlampe » ou combinaison d'un foyer produc- teur de lumière avec un écran seulement transparent pour les rayons ultra-violets. Dans l’appareil pour la « Luminescenzanalyse » de Zeiss, les préparations éclairées par un condensateur de quartz, avec de la lumière ultra-violelte invisible, sont observées avec un microscope ordinaire, La principale partie de tout l'appareil est constituée par un couvre-objet spécial. Ce dernier doit absorber parfaitement les rayons ultra-violets, autrement les lentilles de l’oculaire et du microscope deviendraient plus ou moins fluorescentes et cacheraient l'image. Si l'on se servait des lentilles en quartz, alors les U.-V. provoqueraient la fluo- rescence des milieux de l'œil, qui rendrait l'observation diffi- cile, el il en pourrait résulter des accidents. Si, d'une part, le couvre-objet doit laisser passer la lumière produite par la luminescence de la préparation, et non les radiations de la lumière ordinaire, d'autre part, il ne doit pas être fluorescent par lui-même. De cette façon les objets brillant, quelquefois, de couleurs des plus merveilleuses, apparaissent sur fond sombre. On a pu les photographier avec les plaques auto- chromes Lumière. 170 LA LUMIÈRE ET LA VIE Grâce à ces perfectionnements, on a constaté que presque tous les lissus présentent une fluorescence caractéristique parce qu'elle est de couleur différente dans les divers organes de l'animal. C'est ainsi que, d’après Hans Stübel (1), la luminescence prend les couleurs suivantes : Pour le cœur, bleue chez Helix pomatia (Escargot), intensi- vement blanche et un peu verte chez l’Astacus fluviatilis (Écre- visse), faiblement bleuâtre chez Lenciscus rutilus, jaune chez la Grenouille, et, chez le Lapin, brun noir un peu verdâtre. D'autrefois pour le même tissu, on trouve la même couleur dans des espèces différentes. Avec les muscles de l’Écrevisse, elle est intensivement bleue. Chez ceux de Lenciscus rutilus : bleu clair; mais cette couleur passe au blanc un peu jaunâtre chez la Grenouille, etc. Il n’y a rien de constant dans la série. Le sang n’est pas fluorescent, en général. De même pour les principes immédiats, il y a des lumi- nescences particulières. É Elle est fortement bleu clair, pour l'élastine, la gélatine, le gluten, la kératine, la chiline, l’asparagine, la tyrosine, le glycogène, les sucres de lait et de cannes, fortement bleue pour l’albumine, mais pour le beurre jaune verdâtre. pour l'huile d'olive jaune vert, pour le lait jaune, etc. Il serait curieux de rechercher si les éléments mixtes, comme les éléments neuro-myo-épithéliaux, présentent une luminescence différente suivant la nature des diverses zones. Fred Vlès s'est servi avec avantage de l’éclairage par les U. V. pour étudier les propriétés optiques des fibres muscu- laires. L'activité d'action des U.-V. paraît singulièrement activée par la présence des substances fluorescentes dans les points où on les fait agir. O. Raab en étudiant l'action sur certains Infusoires (Pa- ramæcium caudatum) de diverses substances qui par leur (1) Die Fluoreszenstierischer Gewebe in ultraviolettem Licht. Archiv. für die Ges. Physiologie, Bd. CXLII, Bonn, 1911. ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE FLUORESCENTE 171 composition chimique se rapprochent de la quinine, comme le chlorure d’acridine, par exemple, a trouvé que le temps nécessaire pour tuer les Infusoires par ces substances variait, dans divers jours, d’après l'intensité de la lumière. Les Infu- soires tenus dans l’obscurilé se conservèrent vivants pendant plusieurs jours dans une solution d’acridine, tandis que la lumière solaire les tuait déjà après quelques minutes. Or l’acridine étant une substance fluorescente, Raab a répété l'expérience avec d'autres substances fluorescentes et a trouvé qu'elles ont toute une propriété « photodynamique », c'est-à-dire favorisante de l’action lumineuse. Certaines de celles-ci agiraient même à des doses infinitésimales : ainsi une solution de rose de Bengale de 1/6000000 tue la Pa- ramœæcie en cinq minutes à la lumière diffuse. Après Raab, Danielsohn et Ullmann constatèrent le même phénomène avec la lumière électrique. Tappeiner et Jodlbauer étudient alors, à la suite des recher- ches de Raab, l’action des substances fluorescentes sur les Bactéries et trouvent que le temps nécessaire pour leur des- tructien est plus long que pour la Paramæcie. Ils attri- buent ce retard à la membrane qui enveloppe les Bactéries et qui empêcherait les colorants fluorescents de pénétrer dans le corps cellulaire, où se passe l’action photodyna- mique. Dreyer augmente le pouvoir bactéricide de la lumière par l’érythrosine ; Mettler oblient le même résultat en colorant les milieux de culture par l’éosine et l’érythrosine, et Jakob- son constate la mort des Bacilles tuberculeux après vingt- quatre heures dans de faibles solutions d'éosine. Après les Bactéries, on s’est attaqué aux ferments. Downes et Blunt avaient constaté que l’invertine exposée au soleil pendant trois ou quatre semaines dans une solution de chlorure de sodium, a une action beaucoup plus faible que le même ferment conservé dans l'obscurité. Suivant Fermi et Pernossi, l’action de la lumière sur les ferments serait très faible : mais d'après divers expérimen- tateurs, la diastase, la papayotine, le lab-ferment, la levure de 172 LA LUMIÈRE ET LA VIE bière seraient rapidement détruits, à la lumière, quand on y ajoute de l’éosine et de l'érythropsine. Mais il convient de faire remarquer de suite que, même à l'obscurité, l’action bactéricide des substances fluorescentes, en général, est très marquée: c’est pour cette raison, qu'il m'a été impossible, ainsi qu'à mon assistant M. Hugues Clé- ment, d'obtenir des cultures de Photobactériacées dans des bouillons gélatineux, auxquels j'avais ajouté diverses sub- stances fluorescentes, dans l'espoir de pouvoir accroître le pouvoir éclairant : il est vrai que l'on peut objecter que c'est la lumière des Photobactériacées qui devenait nuisible aux Microbes qui la fournissaient, en exaltant le pouvoir bacté- ricide des corps fluorescents en contact avec eux. Les corps fluorescents n'agissent pas tous d'une manière identique sur l’activité de la luciférase : l’oxynaphtylamine sulfonique, le B-naphtolmonosulfonate de sodium, le jaune d’acridine, l'orangé d’anidine, le colloïde d'urane, nuisent au développement de la réaction photogénique et parfois la suppriment brusquement. D’autres, au contraire, semblent la favoriser d’abord, comme l’esculine, la pyronine, le rouge d'acridine et divers autres. Mais par un contact prolongé à l'obscurité elles atlénuent ou même suppriment l’activité de la luciférase. L'insolation produit un effet contraire. En ajoutant ces substances au sirop photogène renfermant la luciférase et la luciférine, on constate après exposition au soleil, et comparativement à l’obscurité, que l’insolation conserve le pouvoir photogène grâce aux corps fluorescents, car sans eux il est détruit. La même expérience répétée avec la luciférine seule montre que c’est sur la luciférase que porte l’action des substances fluorescentes. D'après Friedmann, les substances fluorescentes exerce- raient une action destructive, in vitro, sur les toxines, mais dans l'organisme animal cette action est insignifiante ou nulle. Les antitoxines, les compléments du sérum et les substances spécifiques des sérums précipitants subissent la même action photodynamique. Elle s’'exercerait aussi sur ° ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE FLUORESCENTE 173 k l'épithélium du pharynx de la Grenouille en arrêtant, d'après Jacobson, les mouvements des cils vibratiles des cellules épithéliales qui les tapissent. Sacharoff et Sachs, ainsi que Pfeiffer, ont observé la destruction des globules rouges et Sœvendi celle des globules blancs. L'action des substances fluorescentes photodynamiques injectées dans le sang est plus intéressante. Raab injecte l’éosine aux rats et les expose à la lumière : 1l constate alors une nécrose des oreilles, qu'il attribue à l'ac- ion de la chaleur, mais Jodlbauer et Busk ont obtenu le même résultat après avoir éliminé l'action de la chaleur, ce qui tendrait à prouver qu'on peut communiquer cette pro- priété photodynamique à un animal vivant. Le nom de sensibilisation a été donné par Dreyer à la pro- priété qu'ont les substances fluorescentes de rendre plus sensibles à l’action de la lumière les organismes inférieurs et les cellules des organismes supérieurs. C'est l'expression employée en 1873 par Vogel, qui avait montré que si l’on ajoute aux sels d'argent usilés en photographie une substance qui absorbe les rayons d'une certaine longueur d'onde {par exemple les rayons Jaunes), le sel d'argent acquiert la propriété de réagir chimiquement sous l'influence de ces mêmes rayons; si le bromure d'argent ne réagit pas aux rayons rouges, c'est qu'ils ne sont pas ab- sorbés. Il faut dè même, pour que les radiations lumineuses ‘ou obscures solaires agissent sur nos tissus, qu’elles soient absorbées, et ce serait de cela que dépendrait justement le rôle des substances fluorescentes. Dreyer expérimente l’action de l’érythrosine, en solution au 1/8000 sur une espèce d’Infusoire Nassula, après avoir tamisé la lumière par une solution de bichromate de potas- sium, qui laisse passer seulement les rayons rouges, orangés et jaunes. Sous l'influence de l’érythrosine ces rayons acquiè- rent une action 660 fois plus grande que celle de la lumière normale. Le même résultat est obtenu avec Bacillus prodi- giosus. Il en conclut que par l'effet de la sensibilisation, les rayons les moins réfrangibles acquièrent un pouvoir égal à ceux des ultra-violets. 174 LA LUMIÈRE ET LA VIE Pour montrer que l’aclion sensibilisatrice se manifeste à travers les issus, Dreyer fait passer la lumière au travers de plusieurs couches de peau. IT constate que sur les bacilles sensibilisés, la lumière agit en 20 secondes à travers une couche de peau de 1 mm. 25, tandis que dans les conditions normales, il faut 60 minutes pour obtenir le même résul- lat. Le mème auteur en faisant agir la lumière filtrée par le monochromate de potassium sur l'oreille saine d’un Lapin, n'obtient aucun résultat. Mais avec la même lumière, même après l'avoir fait passer au travers de l'oreille saine, on obtient de l’hyperémie et même de l’œdème sur l’autre oreille sensibilisée par l’érythrosine à 1 p. 100, qui n'a pas d'action irritante par elle-même. C’est par hasard qu'on a constaté l’action sensibilisatrice directement sur l'Homme. Prience, en partant d’un tout autre point de vue, expérimenta l’action de l'éosine sur les épilep- tiques : il n’obtint aucun effet curatif, mais constala au con- traire divers symptômes d'intoxication sur les parties décou- vertes : œdèmes et ulcérations du visage et des mains, chute des ongles, etc. Plusieurs auteurs avaient, d’après Lobslein, remarqué que chez des sujets atteints d’hydroa d’été (coup de soleil), der- matose provoquée par la lumière solaire, il y a hématopor- phyrinurie. L’hématoporphyrine pouvait peut-être jouer 1ci un rôle photodynamique de sensibilisation. Neubauer fit à ce sujet d’intéressantes recherches. Ayant provoqué de l’hé- matoporphyrinurie chez les Lapins, en leur administrant du sulfonal, il constata sur les oreilles de ces aninaux exposés pendant trois minutes aux rayons de la lampe de Kromayer, la formation d’une dermite bulbeuse avec nécrobiose consé- culive évoluant tout à fait comme dans l'hydroa d'été chez l'Homme. Des Lapins témoins, c’est-à-dire non traités au sul- fonal, ne présentaient, dans les mêmes conditions d’irradia- tions, qu’un léger érythème rapidement disparu. Cette ac- tion, en quelque sorte catalytique, que l'hématoporphyrime exerce vis-à-vis de U.-V., serait retardée et même empêchée . ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE FLUORESCENTE 17% par le bisulfate de quinine, mais accélérée, au contraire, par l’éosine. Peut-être doit-on rapprocher de ces faits ceux qui ont été observés par OEhmke, d’après lesquels l’ingestion de Sarrasin produit la mort des Souris, des Lapins, des Cobayes blancs, même à la lumière diffuse, alors que cet aliment est bien supporté par ces mêmes animaux dans l'obscurité. La sub- stance active se trouverait dans l'extrait alcoolique nettement fluorescent du Sarrasin. Certaines eaux naturelles sont fluorescentes en raison de l'abondance du Bacillus liquefaciens fluorescens : il serait inté- ressant de rechercher si elles sont plus pures que celles qui n'en contiennent pas, après une exposition comparative pendant un temps égal à la lumière. Le mécanisme de la sensibilisation est mal connu. D'après Ledoux-Lebard, l'éosine exposée à la lumière acquiert un pouvoir photodynamique plus grand que dans l'obscurité : il semble qu’elle se charge d'une autre espèce d'énergie en transformant l'énergie rayonnante solaire. Dreyer et Halberstædter ont étudié les lésions produites sur les lissus sensibilisés par la lumière. Chez la Grenouille, le premier a constaté une forte tuméfaction œdémateuse avec vaso-dilatation, formation de thrombus capillaires, et légère diapédèse des globules blancs. Chez le Cobaye, le second a vu une forte dilatation des capillaires avec thrombus et abon- dante émigration des globules rouges, tandis que celle des globules biancs était plulôt insignifiante. Plus tard, sur- vient un commencement de nécrose de l'épiderme avec forte diapédèse. Malheureusement ces constatations n’expliquent pas le mécanisme d'action des substances fluorescentes sensibilisa- trices. Il convient de rappeler encore que beaucoup d’entre elles sont toxiques et bactéricides même à l'obscurité, et il se peut que sur des êtres déjà affaiblis par une intoxication, les qualités abiotiques des radiations ne soient pas augmentées, mais simplement plus efficaces vis-à-vis d'êtres fatigués que sur des organismes normaux. C’est là une loi absolument 176 LA LUMIÈRE ET LA VIE générale : ce n'est pas l'action destructive qui serait augmen- tée, c’est le pouvoir défensif qui serait amoindri. Il semble cependant, d'après certaines expériences, que l'action directe du rayonnement fluorescent, sans contact des tissus avec les substances fluorescentes sensibilisatrices, possède une action physiologique sur les Infusoires et sur les micro-organismes. Richet pense que la lumière des sulfures phosphorescents peut retarder la fermentation lactique, mais pour des raisons indiquées plus haut, je crois que la lumière de ces derniers ne doit pas être confondue, au point de vue physiologique, avec la fluoroluminescence. D'après Daniel Berthelot et Henr: Gaudechon (1), aucune substance fluorescente ou radio-active, en dehors des sels d'uranium, ne produirait la photocatalyse chimique. Mais les réaclions qui se produisent spontanément dans les U.-V. ont lieu à la lumière ordinaire avec les sels d'uranium. Une pelite proportion de ces derniers ajoutée à une solution d'acide oxalique permet sa décomposition instantanée à la lumière solaire. Le pholocatalyseur a pour effet d'abaisser la fréquence vibratoire de la réaction photochimique, de même qu'un ca- talyseur ordinaire abaisse la température d'une réaction chi- mique. Les rayons X étant comme les U.-V. susceptibles de provo- quer la fluorescence d’une foule de corps, il est vraisemblable qu'il faille tenir le plus grand compte de la fluorescence naturelle des tissus dans le mécanisme intime de leur acti- vilé. D'autre part, cette action nocive devrait être très générale puisque tous les Lissus, ou presque tous, comme nous l'avons vu au commencement de ce chapitre, sont naturellement fluorescents, et qu'il en est de même d’une foule de principes immédiats et aussi de corps introduits dans l'économie. Mais il n’est pas douteux pour moi que la fluorescence (1) C. R. Ac. des Sc., 4 août 1913. \ + ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE FLUORESCENTE 177 réponde à des processus physiologiques encore inconnus, sauf dans le cas de la biophotogénèse, où ce rôle, ou du moins un de ces rôles, a été bien mis en évidence par mes recherches, les premières faites dans cette direction. Mes observations et mes expériences sur les Vers et les Échinodermes très riches en substances fluorescentes nor- males, montrent aussi qu'il y a lieu de tenir compte de ce facteur dans la manière dont les animaux, et sans doute aussi les végétaux, réagissent à l'action des radiations éclairantes solaires ou autres et c'est probablement par les corps fluores- cents, modificateurs de l'absorption des énergies lumineuses que l’on arrivera à expliquer le mécanisme intime d’une foule de phénomènes, lels que la fonction chlorophyllienne, dont la nature est encore aujourd’hui mystérieuse. EN RÉSUMÉ, la production des radiations fluorescentes par les animaux photogènes, la présence de pigments fluorescents chez divers animaux marins que j'ai signalée depuis longtemps, ainsi que la fluorescence d'une foule de tissus et de principes immédiats récemment découverte par l'emploi du microscope à fluorescence, indiquent qu'il y a lieu d'attribuer un rôle phy- siologique important à la fluoroluminescence, rôle encore très imparfaitement connu. Ce dernier parait consister surtout dans une action sensibili- satrice du bioprotéon vis-à-vis des radiations solaires, des rayons (ultra-violets) et très vraisemblablement aussi des rayons X el d'autres radiations encore. R. Dugois. 12 CHAPITRE I ACTION PHYSIOLOGIQUE DES RAYONS INFRA-ROUGES Avant d'aborder l'examen de l’action physiologique de ra- diations visibles du spectre, il importe de rechercher la part qu'il convient de faire aux radiations purement calorifiques. En employant des appareils très sensibles, comme je l'ai fait pour l'étude de la lumière du Pyrophore avec la pile thermo- électrique et, plus tard, Very et Langley avec le bolomètre, on constate que, dans cette lumière même, qui est, ainsi que je l'ai dit, le véritable type de la lumière froide idéale, il y a encore, en quantité infinitésimale, il est vrai, du rayon- nement calorifique. Ce dernier devient comparativement énorme dans le rayonnement solaire et dans celui de la plu- part de nos foyers d'éclairage, lesquels ne sont guère supé- rieurs à la torche du sauvage, car presque toute l'énergie dé- pensée est employée à faire de la chaleur. Les effets de la chaleur rayonnante ont, la plupart du temps, élé confondus avec ceux de la température ambiante. Cependant, dans une foule de circonstances, la propagation de la chaleur a lieu par convection surlout el aussi par con- ductibilité mais non par rayonnement. Or, d'après H. Bor- dier (1), l’action de la chaleur serait fort différente, selon son (mode) de transmission. (1) Les Radialions calorifiques en thérapeutique (Radiothérapie infra- rouge), ext. du Journ. de. Radiologie, Bruxelles. iles . ACTION PHYSIOLOGIQUE DES RAYONS INFRA-ROUGES 179 Si l'on chauffe progressivement un corps, il vibre, en même temps que son rayonnement calorifique augmente avec la température.Lorsque ses vibrations atteignent 400 trillions par seconde, il commence à émettre, avec la chaleur, de la lumière. Ces mêmes radiations calorifiques obscures et lumi- neuses existent dans les rayons solaires et, si l’on disperse un rayon de lumière solaire par le prisme, on trouve des radia- tions à grandes longueurs d'onde depuis la raie o jusqu’à la raie À de Frauenhofer : c’est la partie infra-rouge du spectre solaire caractérisée par ses radiations calorifiques. Dans cette partie obseure du spectre, il ÿ a également une décroissance de la vitesse des ondulations au delà de la raie 0, mais le spectre calorifique est encore peu connu. Il est très probable que, de même que pour le spectre lumineux, les réactions physiologiques ne sont pas les mêmes pour toutes les ré- gions de ce spectre « aphotique ». Nos connaissances, sous ce rapport, sont très bornées, aussi bien d’ailleurs que pour ce qui a trait aux effets propres des radiations calorifiques du spectre lumineux. Ce qui caractérise avant tout le mode de propagation de la chaleur par rayonnement, c'est que celle-ci se transmet aux corps absorbants, comme nos tissus, à travers l’air qui reste froid: de même, on sait que la chaleur solaire nous arrive à travers le vide des espaces célestes, dont la température est inférieure à — 60°, et à travers l'air, qui est d'autant plus froid que l’on monte plus haut. L'air conserve une température initiale parce qu'il n’ab- sorbe pas les radiations calorifiques qui le traversent et pour lesquelles il est transparent. Mais si l'air renferme des parti- cules en suspension, comme cela a lieu au-dessus des grandes villes, dont l'atmosphère à une composition colloïdale, cet air absorbe, grâce à ces poussières et particules, une certaine quantité de radiations infra-rouges solaires ; c’est ainsi que Bordier explique le sentiment de malaise que l’on éprouve dans les villes mal aérées, l'été, et qu'on traduit par le terme « chaleur lourde », malaise que l’on n'éprouve pas à la cam- pagne, où l'on trouve « l'air plus léger qu’en ville ». 180 LA LUMIÈRE ET LA VIE D’après H. Bordier, voici les effets physiologiques produits sur l'organisme humain. Lorsqu'un faisceau de rayons infra-rouges tombe sur une région du corps, certains phénomènes physiologiques appa- raissent. On constate, en premier lieu, la vaso-dilatation : la peau rougit el, en même temps, la température de la région irradiée s'élève fortement ; cet érythème se produit, contrai- rement aux érythèmes ultra-violets et rontgéniens, inslanta- nément, c'est-à-dire dès que les rayons sont absorbés. A la vaso-dilalation succède la sudalion : les glandes sudoripares sécrètent abondamment, mais la vaporisalion se fait aussitôt. L'absorption de chaleur qui accompagne cette évaporation permet de comprendre qu’un malade puisse supporter assez longtemps une irradiation prolongée sans être brûlé, quoique le thermomètre de Rumford placé dans le même plan in- dique souvent une température supérieure à 100°. On peut atténuer la radiation en interposant des substances translu- cides plus ou moins auxradiations calorifiques. Langlois sur certains vertébrés inférieurs: Lézards, Varans, Tortues, et Couvreur chez la Grenouille, ont noté l'apparition . d'une véritable polypnée thermique. Mais, chose fort curieuse, el qui montre bien que l’action de la chaleur thermique n'est pas comparable aux autres procédés d'échauffement, celte po- lypnée n'apparaît que si c'est un faisceau de lumière chaude qui frappe la tête de l'animal; le séjour à l’étuve, même por- tée à une haute température, ne produit pas de polypnée. Il y aurait lieu d'examiner de plus près ce qui se passe dans les phénomènes d’insolalion où la chaleur rayonnante semble jouer un rôle prépondérant et tuer par déshydratalion. C’est à tort que l'on donne le nom de « coup de soleil » à certaines maladies du tronc des arbres qui se produisent en effet, en général, du côté le plus exposé au soleil, Cet acci- dent n’est pas dû à la lumière visible, ni aux radiations ultra- violeltes, mais à la chaleur rayonrante. Celle-ci échauffe l'arbre du côté le mieux ensoleillé, variable d’ailleurs avec l'exposition, et ainsi que je l’ai souvent constaté, les larves des Insectes xylophages creusent de préférence leurs gale- ° ACTION PHYSIOLOGIQUE DES RAYONS INFRA-ROUGES 181 ries de ce côté, de même que d’autres y déposent plus vo- lontiers leurs œufs: il s’agit donc ici d'un effet indirect de la radiation solaire et non d’une action de lumière visible. Il n'existe encore aucun moyen radiométrique permettant de mesurer la quantité de rayons absorbée par la peau irra- diée ; mais par des considérations indirectes on peut évaluer la proportion d'énergie infra-rouge absorbée par notre revê- tement cutané à la moitié de la chaleur incidente. Je reviendrai ultérieurement sur l’action des rayons infra- rouges à propos de la photothérapie (voir p. 324). En général, on ne peut guère obtenir de renseignements sur le rôle des radiations calorifiques qu’en expérimentant avec des lumières qui en sont dépourvues : on juge alors par différence avec les autres foyers lumineux. C’est ce que j'ai fait en étudiant les propriétés organoleptiques et physiolo- giques de la lumière froide des Pyrophores et des autres animaux photogènes (1). Je rappellerai seulement que je n'ai pu, avec celte belle lumière, provoquer le développement de la chlorophylle dans les végétaux étiolés dans l'obscurité et que, dans des expé- riences ultérieures, Molish n’a pas été plus heureux avec les Photobactériacées. En revanche, cet auteur a montré que les cultures de microbes lumineux peuvent très bien provoquer le phénomène du phototropisme chez les plantes, ou plus exactement de l’héliotropisme, qu'il ne faut pas confondre avec les mouvements que J. Loeb désigne sous ce dernier nom chez les animaux, et qui sont de nature essentiellement différente {voir fig. 37). Ce n’est point à dire pour cela que la lumière sans radiations calorifiques ne puisse pas provoquer des phénomènes dits de phototropisme, chez les animaux, particulièrement chez les Insectes, puisque j'ai été le premier à démontrer que l’éclai- rage unilatéral chez le Pyrophore peut entraîner l'animal du côté éclairé par un dynamisme neuro-musculaire augmenté de ce côlé, explication qui a été étendue depuis par J. Loeb à (1) Voir ch. xv, p. 141, et principalement les Élalérides lumineux, loc. cit., p. 54, deuxième partie, ch. F, $ 4, p. 118. 182 LA LUMIÈRE ET LA VIE un nombre assez considérable de cas, nombre peut-être exa- géré (voir 2° partie, ch. vu, $ 2). Les radiations infra-rouges ne sont donc pas la cause du photolropisme, au moins dans les cas considérés. Joubin a décrit chez les Céphalopodes des organes qui dif- féreraient des yeux et des photosphères par certains carac- tères ; il les considère comme des organes « thermoscopiques » impressionnables par les radiations calorifiques. Mais les preuves expérimentales font défaut pour vérifier la valeur de celte hypothèse, et le milieu aquatique marin ne semble pas très favorable à la transmission à distance des radiations in- fra-rouges. Il n'est pas impossible pourtant qu'il existe des appareils de ce genre, puisque cerlaines de nos terminaisons cutanées sont préposées à l'exercice du sens thermique. Il existe des fibres musculaires, les fibres lisses, par exemple, qui se contractent sous l'influence de la chaleur et il en est peut-être de même de certains éléments neuro-épithéliaux. On dit que ces fibres sont fhermosystaltiques. Parfois, elles sont superficielles: on pourrait alors supposer qu'en se con- traclant sous l'influence de [.-R., elles exercent des traclions sur les terminaisons nerveuses sensilives qu'y s'y rendent et averlissent ainsi les centres nerveux en communicalion avec ces derniers, pour provoquer des perceptions conscientes ou non, et même des phénomènes réflexes. Toutefois, je me suis assuré que ce n'élait pas le cas dans le mécanisme der- maloplique ou vision par la peau, que j'ai découvert et étudié chez la Pholade dactyle (voir p. 255) (1). J'aurai le soin, toutes les fois que l'occasion s'en pré- senlera, dans la suite de cette étude, de signaler la part (1) Pour éliminer les radiations éclairantes, on peut se servir de différents moyens. Le plus simple consiste à faire passer le faisceau de lumière au travers d'une solution concentrée d'iode dans du sulfure de carbone, ou encore au travers d'un verre noir ou rouge très foncé. On peut obtenir un spectre de l’infra-rouge en le dispersant au moyen d'un prisme creux rempli d'une solution concentrée d'iode dans le sulfure de carbone : ce dispositif permet d'explorer l'action des diverses zones de ce spectre obscur et peu connu. Inversement, on pourra dépouiller les radiations éclairantes de ACTION PHYSIOLOGIQUE DES RAYONS INFRA-ROUGES 183 d'activité qui peut être altribuée à la radiation calorifique dans les effets produits par la lumière solaire ou par des foyers artificiels. EX RÉSUMÉ, dans toutes les expériences faites avec la lumière solaire ou avec des foyers de lumières artificielles, il faut tenir compte des effets attribuables aux radiations calorifiques infra- rouges et même à la chaleur qui accompagne toujours les radia- lions véritablement lumineuses. On peut arriver par divers artifices à arréter les radiations calorifiques obscures en ne laissant passer que les radiations lu- mineuses, ou bien employer des lumières froides, comme cela a été fait avec les organismes photogéniques, pour connaître, par élimination, ce qui appartient respectivement aux radiations calorifiques et aux radiations colorées. La chaleur rayonnante n'agit pas sur la peau comme la cha- leur par convection ou conductibilité. Les radiations calorifiques ne sont pas nécessaires dans l'au- tophototropisme des Insectes, ni dans l'héliotropisme végétal ; elles paraissent utiles pour le développement de la chlorophylle el ne jouent aucun rôle dans le mécanisme de la fonction dermatoptique ou vision par la peau. D'une manière générale l'action des radiations infra-rouges est peu connue et appelle de nouvelles recherches (voir Photothé-. rapie, p. 324). leurs propriétés calorifiques ou de la chaleur rayonnante, qui les accompagne ordinairement, en leur faisant traverser une couche d’eau courante, une solution d’alun ou un bloc de sel gemme. CHAPITRE IV ACTION PHYSIOLOGIQUE DES RADIATIONS VISIBLES SUR LES VÉGÉTAUX ACHLOROPHYLLIENS Les radiations visibles (1) sont presque complètement d'origine astrale, principalement d'origine solaire ou bien (1) REMARQUE. — Je rappelle que, dans toute la partie consacrée à l'action des radiations visibles, il s’agit la plupart du temps de résul- tats complexes dus aux radiations obscures ultra-violettes ou infra- rouges, qui accompagnent d'ordinaire les radiations visibles, ou encore aux propriélés calorifiques ou chimiques, qui semblent appartenir en propre à ces dernières. D'après la théorie de Newton, la lumière blanche solaire serait le résultat du mélange de plusieurs radiations colorées plus simples. On peut admettre aussi que la lumière blanche est une lumière simple ayant une longueur d'onde de 5.200 À environ, mais pouvant être modifiée par le prisme ou par les corps sur lesquels elle tombe. Les corps qui nous paraissent jaunes auraient la propriété de ralentir la vitesse et d'allonger la longueur de l'onde de la lumière blanche, les rouges encore davantage, le noir la transformerait en radiations calorifiques et c’est pourquoi ils s’échaufferaient davan- tage que les blancs, qui n'absorbent rien et réfléchissent toute la lumière. Inversement, les corps bleus ou violets accéléreraient la vitesse de la lumière blanche en diminuant la longueur de ses ondes. En réalité, c'est l'idée généralisée que l’on se fait du rôle des corps fluorescents, qui transformeraient en rayons éclairants des radiations chimiques obscures, des U.-V., simplement en ralentissant leur vitesse et en accroissant leur longueur d'onde. Cette idée peut être étendue à certains corps phosphorescents qui deviennent lumineux sous l'influence des radiations infra-rouges par une action inverse. La lumière blanche devrait alors occuper la place que l’on attribue à la lumière verte qui n'existerait dans le spectre que parce que des radiations voisines, jaunes et bleues auraient envahi la région de la lumière blanche. Il y a longtemps que par mes expériences sur la vision photoder- ACTION PHYSIOLOGIQUE DES RADIATIONS VISIBLES 185- produites par les êtres vivants et alors elles sont bioprotéo- niques ou mieux physiologique. On ignore la source de ces dernières, source qui a coulé depuis le premier ancêtre lumineux sans interruption jusqu'à son dernier descendant. On sait seulement que ceux-là, comme tous les êtres vivants, ont besoin, pour vivre et se perpétuer, de la lumière solaire. Cette dernière peut intervenir de deux façons différentes dans les phénomènes vitaux : ou bien elle joue le rôle d’un simple excitant, dont l'intensité n’est dans aucun rapport avec l'effet produit, qu'il s'agisse de l’étincelle faisant détoner des quintaux de poudre ou de la piqûre d’une mouche faisant partir au galop un Cheval, qui, en un instant, dépensera une quantité proportionnellement colossale d'énergie ; ou bien encore elle vient compenser les pertes subies par les orga- nismes en s’emmagasinant potentiellement dans les aliments fabriqués par les végétaux. En tenant compte seulement des rôles physiologiques, on aurait pu distinguer {rois sortes de lumière : matique de la Pholade dactyle, j'avais été conduit à cette conception que la lumière blanche est une excitant de rapidité moyenne (voir p. 262). Dans ces transmutations de la lumière blanche en lumières colorées, il n'y aurait qu'un exemple de plus du transformisme universel qui est la base de la philosophie protéonique. La lumière que quelques physiciens considèrent comme pesante, à cause surtout de la pres- sion qu'elle exerce dans certaines circonstances, constitue le passage, le trait d’union entre l’immatériel ou énergie et le matériel, qui comme on l’admet enfin, se volatilise, s’évanouit en électrons, et peut, en se transformant ainsi, se dématérialiser suivant ma théorie du Protéon, qui né fait de la force ou énergie et de la matière que deux aspects différents d’une seule et même chose. Le mouvement ne peut se comprendre qu’à la condition qu'il existe quelque chose qui se meuve : c'est ce que j'ai appelé les « protéo- nides » ou dernier état de division du Protéon. Les protéonides lumi- neuses ne peuvent agir que sur des protéonides en état d'évolution telle qu'elles sont susceptibles d'adopter le même mouvement vibra- toire que celle qui les rencontre. On dit alors qu'il y a résonance. C'est dans ces conditions seulement qu'il peut y avoir fusion des protéonides,association, en un mot absorption. Lalumière n’agit sur le bioprotéon qu’autant qu’elle y rencontre des protéonides susceptibles de vibrer à l'unisson, de contracter par résonance cette union qui constitue l'absorption. 186 LA LUMIÈRE ET LA VIE (o2) a) La lumière ancestrale et bioprotéonique ; b) La lumière excilatrice ; c) La lumière compensatrice. Les deux dernières sont fournies par le milieu cosmique ; mais leurs effets sont tellement et si souvent confondus dans les résultats fournis par l'observation et l’expérimenta- lion, que pour l'exposition de ces derniers nous serons obligés d'adopter une division tout à fâit arbitraire, qui, malgré tout, ne pourra pas empêcher un inévitable enchevêtrement de phénomènes d'ordres différents. Je commencerai par l'étude des phénomènesles plus simples, c'est-à dire par ceux que la lumière provoque, favorise, entre- lient, gêne ou empêche chez les végétaux achlorophylliens. L'action de la lumière est très différente selon qu'elle s'exerce sur les végétaux pourvus de chlorophylle ou dé- pourvus de ce pigment. En 1888, Gaillard, de Lyon, en a donné une idée générale dans un excellent travail dent voici les conclusions : 1° La lumière active les mouvements d'un certain nombre de Bactéries; 2° Elle paraît peu favorable à la production des matières colorantes par les Microbes ; | 3° Les Bactéries, même à l’état de spores, perdent rapide- ment leur végétabilité quand eiles sont exposées aux rayons solaires ; 4° La rapidité avec laquelle disparaît la végétabilité varie avec la nature du milieu ambiant ; D» À un moment donné la virulence de plusieurs d’entre elles peut être atténuée à un certain degré, qui permet de les utiliser comme vaccin (Bacillus anthracis); 6° La lumière du soleil favorise le développement de plu- sieurs Champignons, en particulier celui de certains Micro- coques et de certaines Levures; 7° L'action de la lumière est accrue en présence de l'air, et diminuée en l'absence de ce gaz; & Les différents rayons du spectre ont tous une certaine activité, moindre que celle de la lumière composée; se, ACTION PHYSIOLOGIQUE DES RADIATIONS VISIBLES 187 9° L'action de celle-ci est en rapport avec celle des rayons éclairants. Veinzlir, en 1907, augmenta notablement l'activité de la lumière en supprimant les récipients de verre. Il vit alors que toutes les parties du spectre sont Bactéri- cides. La quantité des germes est sans influence sur celte action. Si on mélange plusieurs espèces, le soleil les tue indi- viduellement, d’après leur résistance propre, les Bactéries de la même espèce les plus résistantes étant celles qui sont âgées de 16 à 20 heures. Parmi les rayons invisibles, il a trouvé que les infra-rouges sont aussi bactéricides que les ultra-violets, mais la lumière blanche paraît la plus active. De hautes tem- pératures de l'air favorisent l’action abiotique, tandis que le froid l'affaiblit. Si on expose au soleil, par intermittences, des cultures, les actions s’additionnent. Les expositions fractionnées même de courte durée (centièmes de seconde) nuisent aux Bactéries. Si l'atmosphère est riche en oxygène, les Bactéries meurent plus vite. Il y a lieu de faire certaines réserves sur les conclusions de cet auteur. D'après Orsi, la lumière a une action nuisible sur les Bactéries, mais ne les détruit pas complètement et elle ne les atténue pas en réalité au moins définitivement, car si on les repique sur un milieu favorable, elles reprennent toute leur virulence. En conservant pendant quelques semaines à la lumière du jour et à une température de 10 degrés des Photobactéries bien lumineuses, j'ai vu les cultures changer d'aspect, devenir jaunâtres et finalement s'éleindre. La lumière astrale avait éteint la lumière ancestrale, Les Photobactéries repiquées sur des bouillons de culture neufs et laissées à la lumière don- nérent d'opulentes colonies, mais elles n'étaient pas lumi- neuses. Pour leur rendre la lumière, il fallut les laisser pen- dant quelques jours dans l'obscurité. La lumière avait donc eu une action inhibante: on a prétendu que celle-ci s’exerçait aussi sur des animaux lumineux : Noctiluques, Cœlentérés. Je n’ai pu la constater chez la Pholade, ni sur la luciférine et 188 LA LUMIÈRE ET LA VIE la luciférase qui, au bout de 24 heures d'exposition à la lumière diffuse, donnent par leur mélange une aussi belle lumière que si elles ont été maintenues à l'obscurité pendant le même temps. Mais l’insolation détruit assez rapidement le pouvoir photogène de la luciférase (voir p. 172). Randolph E. B. Mc Kenney a nié celte action inhibante de la lumière sur les Photobactéries, mais il s'est placé dans des. conditions absolument différentes des nôtres : son exposition à la lumière du jour et à celle d'une lampe à incandescence de 16 bougies, placée à deux pieds de distance, a duré 48 heures! dont il faut sans doute soustraire pour la fumière du jour la durée de la nuit. I! est vraiment regrettable, quand un expérimentateur se livre à des expériences de contrôle, qu'il ne se place pas dans les conditions exactement iden- tiques à celles qui ont été établies par l'auteur des premières expériences. C’est l'alphabet du déterminisme expérimental, sans la connaissance duquel on n’aboutit qu’à jeter la confu- sion partout el à discréditer injustement des résullats pour- tant exacts. L'absence de discipline expérimentale, consciente ou inconsciente, est un mal redoutable et malheureusement trop fréquent. L'action de la lumière sur d’autres végétaux achlorophyl- liens et sur les microbes a été bien étudiée récemment par Ray- baud. Chez des Champignons inférieurs, les Mucorinées, il a observé que la sensibilité du bioprotéon à la lumière est très différente selon l’état du développement. Le maximum d'action s'exerce au moment où la spore vient de se gonfler et s'ap- prête à germer. Les pomtes des filaments mycéliens chez lesquels n'existent ni vacuoles, ni gouttelettes graisseuses , sont particulièrement sensibles. Le passage de l'obscurité à la lumière augmente le nombre des vacuoles et des gouttelettes, ce qui indique une augmentation d'activité biologique. Le contraire a lieu dans le passage de la lumière à l'obscurité. L'action de Ja lumière se prolonge après que le Champign on a élé soustrait à l'éclairage. Ce phénomène, dit d'« imdue- tion », est fréquent, non seulement chez les végétaux et les animaux, mais encore dans le monde inorganique. ACTION PHYSIOLOGIQUE DES RADIATIONS VISIBLES 189 Une trop vive lumière agissant sur une spore gonflée d’eau peut retarder la germination et même tuer la spore. D'après Laurent, la lumière solaire exerce sur les graines des végétaux supérieurs, particulièrement sur les plus petites une action nuisible se traduisant par un retard dans la germi- nation, et quelquefois même par la mort de l'embryon. Cette aclion parait variable suivant les espèces, mais Heinricher trouve qu’elle est nécessaire pour la germination de certaines graines telles que celles de Pitcairitia maïdifolia et Drosera capensis : el la faculté germinative se perd par un séjour pro- longé à l'obscurité. Dans d’autres cas, ia lumière hâte simple- ment la germinalion. Certaines graines sont indifférentes à la lumière et enfin chez d’autres, comme celles d'Acanthostachys, elle détruit la faculté germinative. Remer, qui a également étudié l'influence de la lumière sur la germinalion, conelut de ses expériences que la plupart des graines sont indifférentes : un petit nombre sont favora- blement influencées (Viscum poa), d’autres réagissent négati- vement. Ces divergences peuvent tenir à des conditions différentes introuites par les auteurs dans le déterminisme de leurs expériences, el aussi à la variété de constitution des graines. Il en est, par exemple, comme celles du Potiron, qui sont doublées d’une couche de chlorophylle, dont la présence doit notablement modifier l'influence de l'éclairage. Kinsel a poussé plus loin l'analyse en étudiant l'effet des diverses couleurs du spectre sur la germination des graines de Véronique. Les couleurs de faible réfringence se sont mon- trées plus favorables que les couleurs de forte réfringence : les rayons bleus arrêtent nettement la germination à cause de leur effet chimique. La lumière a une influence sur la formation des organes sexuels et par conséquent sur la multiplication et la propaga- tion des espèces. Un éclairage intense est nécessaire à la formation des organes sexuels des Marchantia. Le résultat est le même avec la lumière rouge et avec la lumière bleue, d'après 190 LA LUMIÈRE ET LA VIE Dachnowski. Si l'on diminue l'intensité éclairante, même en augmentant l'humidité, il ne se forme ni propagules, ni organes sexués. Les rayons rouges ou de faible réfran gibilité accélèrent la formation des spores des Saccharomyces, d'après les recher- ches de Purvis et Warwich : elles se montrent plus vite que dans la lumière blanche. A l'obscurité les spores se forment à peu près avec la même vitesse que dans le rouge. La lumière verte paraît retarder la sporulation ; les rayons bleus et violets la retardent très nettement. Les rayons ultra-violets sont encore plus actifs comme relardateurs de la sporulation. et influencent désavantageusement la vitalité des cellules de Saccharomyces. Chez les Algues, les variations de l'intensité lumineuse sont sans action, sauf chez Paucheria sessilis, certains Spyrogyra, Closterium, Cosmarium, OEdogonium où les organes sexués apparaissent dans une intensité lumineuse très vive et, au contraire, ne se forment pas dans l'obscurité ; il en est de mème chez les Warchanlia et chez les Fougères; les prothalles de Polypodium aureum ne développant pas d'organes sexués dans une lumière à faible intensité, il ne se forme que des bourgeons adventifs. On a prétendu que le pollen était indifférent à l aclion de la lumière, mais les recherches faites dans cette direction paraissent insuffisantes. Chez les Phanérogames, le développement des fleurs exige un certain éclairement, dont la nature varie avec les espèces. Si les plantes sont exposées à une lumière d’intensité trop faible pour obtenir ce développement complet des fleurs. on obtient des modifications intéressantes. La corolle peut être frappée d’un arrêt de développement (WMelandryum rubrum, Silene nocliflora, ou bien toutes les parties de la plante se réduisent (Mimulus ilingti). En tout cas, les caractères servant à attirerles Insectes s'effacent : grandeur, coloris des fleurs, et parfums; la fleur devient « eléistogame », c’est-à-dire qu'elle est destinée à se féconder elle-même. W*!,. ° ACTION PHYSIOLOGIQUE DES RADIATIONS VISIBLES 191 Wôchting a pu transformer les fleurs « chasmogames » de Stellaria media et de Lanium purpureum en fleurs cléisto- games par un affaiblissement de l'éclairrement. Concurrem- ment avec la réduction et la disparition des fleurs, on observe un plus grand développement des organes végétatifs. C'est sans doute à cause d’une insuffisance d'éclairage que les plantes tropicales introduites dans nos serres fleurissent rarement. D'après Gaiduko, l'exposition à la lumière prolongée de plantes à chromophylle (feuilles colorées) amène des chan- gements prévus par la théorie des couleurs complémen- taires. Ainsi les plantes exposées pendant deux mois à la lu- mière : Rouge vertes. Jaune } deviennent respectivement < bleu vert. Verte | rouges. Il existerait, d’après l’auteur, un processus physiologique d'optation chromatique. Le même expérimentateur a vu que les Oscillatoria calda- riorum, espèce naturellement bleu verdâtre, passent par les teintes suivantes : gris vert, gris violet clair, brun violet, jaune brun, quand on les cultive dans la lumière verte. Les fleurs doivent être sujettes à des variations analogues. La lumière agissant sur les racines souterraines en ralentit la croissance, tandis que l'obscurité l'accélère. Si d'autres auteurs ont trouvé des résultats différents, variables avec les espèces considérées, c'est qu'ils n'ont pas tenu un compile suffisant des écarts individuels, et d'autre part, que les espèces étudiées n'étaient pas assez robustes. D'après Iltis, enfin, il y a ure forte accélération de la crois- sance des racines adventives des plantes aquatiques dans l'obscurité, mais ce phénomène présente des exceplions. D'une manière générale, la lumière a une action marquée sur le bioprotéon végétal incolore. La respiration peut être 192 LA LUMIÈRE ET LA VIE diminuée par l'éclairage d’un tiers des gaz échangés, comme cela a été constaté chez des Champignons, et chez des phané- rogames sans chlorophylle (Neoltia nidus avis, Monotropa hypopitys, graines en germination). Cette diminution est constante chez les plantes en voie de croissance : elle s’est montrée nulle chez les Moisissures adultes. Ce sont les rayons jaunes et rouges qui affaiblissent le plus la respiration, les rayons plus réfrangibles ont une influence plus faible, d’après Mangin. La transpiration est accélérée par la Inmière, mais beau- coup moins que chez les végétaux verts. Les végétaux non chlorophylliens se nourrissent et s’ac- croissent grâce à l'existence de molécules organiques élabo- rées par les végétaux verts sous l'influence de la lumière et modifiées parfois par leur passage au travers des organismes animaux. Dans certains cas pourtant, ils peuvent faire œuvre de synthèse, même dans l'obscurité la plus complète. Les Microbes nitrifiants utilisent l'acide carbonique pour leur fonctionnement, mais comme le travail de synthèse nu- trilive est endothermique, il est de toute nécessité qu'ils puisent à une source de chaleur extérieure, autre que l'énergie solaire, celle qui leur est indispensable. Ils la trouvent dans la réaction exothermique de la transformation par l'oxygène de l'air, du carbonate d'ammoniaque en produits nitreux et nitriques, d’où résulte le salpètre ou nitrate de potasse qu'ils fabriquent. Ex RÉSUMÉ, la lumière visible naturelle est d'origine astrale, une pelile quantité pourtant est produite par les étres nivants : c'est la lumière ancestrale. La lumière astrale fournit de l'énergie excilatrice, et de l'éner- gie compensalrice. L'action de la lumière sur les végétaux achlorophylliens est généralement nuisible à leur fonclionnement, à leur développe- ment, à leur évolution. j ET ou . ACTION PHYSIOLOGIQUE DES RADIATIONS VISIBLES 193 Son action abiotique peut porter seulement sur certaines fonc- tions exclusivement : par exemple, elle éteindra la lumière des Photobactéries sans nuire à leur développement et à leur multi- plication ; ou bien elle S'exercera sur certains organes, tels que ceux de la reproduction, à l'exception des autres. Dans d'autres cas, suivant le stade du développement, mais exceptionnellement, la lumière a une action favorable, biotique. Les différentes radiations spectrales n'agissent pas de même sur le bioprotéon végétal incolore. Chez les phanérogames, le développement des fleurs exige un certain éclairage, dont la limite et la nature varient avec.les espèces. La respiration peut étre diminuée dans de fortes proportions par l'éclairage : ce sont les rayons jaunes et rouges qui l’affai- blissent le plus chez les végétaux achlorophylliens : exception- nellement le bioprotéon incolore peut faire œuvre de synthèse dans l'obscurité. R. Dugois. 13 CHAPITRE V ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE SUR LES VÉGÉTAUX VERTS La synthèse bioprotéonique s’exerçant dans l'obscurité, dont je viens de parler, constitue une exception : l'immense majorité des végétaux ne peul vivre qu'aux dépens de la lu- mière et à l’aide d’une matière verte, la chlorophylle (1). À l'heure actuelle, on ne peut faire que des hypothèses. sur la nature, à l’étal normal, et sur la mécanisme inlime: de l'action physiologique de la chlorophylle. (1) REMARQUE. — Les iravaux d’Etard et d'autres savants indiquent qu'il existe un grand nombre de chlorophylles différant au point de vue chimique suivant leurs origines. En réalité, ce que l’on obtient par les procédés usités par les chimistes pour l'analyse immédiate et l'ex- traction des principes immédiats de la substance organisée, pourrait bien n'être que des altérations plus ou moins profondes du pigment vert normal physiologique et actif des végétaux chlorophylliens. Armand Gautier a obtenu une chlorophylle cristallisée. C’est un lipochrome ayant pour formule CSH#O7N%Mg. Bien que sa forma- tion exige la présence du fer, il n'en contient pas, mais le magné-— sium parait constituer le noyau métallique aussi nécessaire à son activité que le manganèse l’est à celle de l’'oxydase, ou de certaines. oxydases, au moins, comme la laccase, d’après les belles recherches de Bertrand. La présence du magnésium a été confirmée par Will- stätter, mais, contrairement aux conclusions de Borodin et de Mon- terverde, la chlorophylle amorphe, méthylphylochlorophylline ou phylochlorophyllide, serait la seule sorte de chlorophylle normale existant chez les végétaux. La chlorophylle cristallisée, éthylméthy]- chlorophylline ou éthylchlorophyllide, serait un produit d'altération de la chlorophylle physiologique (voir p. 201). Enfin, d'après F. Czapek, il est à prévoir que la synthèse des chlorophylles communes sera effec- tuée par une zymase, la chlorophyllase, au moyen du phytol et de l'éthylchlorophyllide. . ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE 195 Mais ce que l'on sait bien, c’est ce que j'enseigne depuis fort longtemps (1), à savoir que la chlorophylle ne prend pas seulement naissance dans les chromoleucites, mais aussi dans ces corpuscules élémentaires du bioprotéon que j'ai appelés vacuolides et dont dérivent les leucites. Guillier- mond, de Lyon, a remplacé le mot vacuolide par celui plus récent de mitochondrie, mais cela n’a rien changé à mes conclusions, dont il n’a pu que vérifier l'exactitude. Cet emploi du mot « mitochondrie » dans le cas spécial, offre même l'avantage d'établir nettement que les mitochondries nouvelles ne sont pas autre chose que mes vacuolides an- ciennes. Ce botaniste, ainsi que Fauré-Frémiet, on fait dériver les leucites des mitochondries : nouvelle preuve de leur identité avec mes vacuolides, car deux quantités égales à une troisième sont égales entre elles. Il n'y a donc rien de nouveau dans la constatation de Guilliermond, qui n’est en réalilé qu'une vérification, une simple confirma- tion de l'exactitude de ce que j'enseigne depuis bien des années (1). Pour se former,le pigment chlorophyllien exige le concours de la lumière. La qualité de cette dernière n’est pas indiffé- rente ; le verdissement commence dans l’ultra-rouge à une distance du bord À du spectre visible — AD, et se continue dans l’ultra-violet jusqu’à une distance égale à la longueur du spectre visible. Entre ces limites, l’action des radiations passe par un maximum qui correspond à la raie D. Les végétaux chlorophylliens que l’on fait pousser dans l'obscurité prennent une teinte jaune ; ils sont étiolés et ne tardent pas à mourir. Le fait que certaines Fougères, beaucoup d’Algues, quelques graines (Potiron, Courge), verdissent à l'obscurité constitue une exception. La présence de la chlorophylle est notamment liée à la for- mation de l’amidon, mais cette dernière ne peut avoir lieu sans le concours de la lumière. Non seulement il n'apparaît (1) Voir Leçons de physiologie, pp. 70 et 78, loc. cil., p. 7. 196 LA VIE ET LA LUMIÈRE pas dans les chloroblastes, chloroleucites, chlorovacuolides à l'obscurité, mais s'il y a déjà pris naissance, il disparaît rapidement 1à où la lumière fait défaut. On ne peut évi- ter cette disparition qu’en fournissant au végétal privé de lumière des substances hydrocarbonées solubles : telles que des sucres, c'est-à-dire des produits organiques déjà syn- thétisés. La lumière et la chlorophylle normale ne sont pas les seuls éléments entrant en jeu dans la synthèse chlorophyllienne. L'intervention de lasubstance vivante ou bioprotéon est néces- saire, au moins représentée par les chlorovacuolides, chloro- leucites, chloroblastes, c'est-à-dire par les éléments primaires où cette fonction est localisée dans la cellule. En effet, la fonction chlorophyllienne cesse de s'effectuer après la mort du végétal vert et c'est en vain que l'on s’est efforcé d'obtenir la synthèse des substances hydrocarbonées avec la lumière solaire et le pigment chlorophyllien extrait des cellules vertes. C'est seulement par l’action directe des radiations ultra-vio- lettes de la lampe à mercure en quartz que l’on y est parvenu (voir p. 151), mais ce n’est pas là un procédé naturel. Ce qui prouve bien que dans l’état naturel le bioprotéon joue un rôle important, c'est que l’éther et d'autres poisons dimi- nuent l’action de la chlorophylle sans pourtant l’altérer chi- miquement. Il en est de même du froid, de la chaleur dans certaines limites et de la lumière elle-même quand elle est trop forte. L'origine du carbone servant de noyau aux synthèses chlorophylliennes est très discutée et on se trouve en pré- sence de trois hypothèses : 1° Le carbone vient des matériaux organiques contenus dans la terre, dans l’humus (acide ulmique, etc.) ; > Le carbone vient de l'acide carbonique de l’air ou de celui que l’eau dissout (plantes aquatiques) ; 3° Le carbone vient des carbonates contenus dans le sol. Ces trois hypothèses renferment chacune une part de vérité et le tort des savants a été de vouloir les rendre exclu- sives les unes des autres; mais toutes les trois, prises isolé- AS AU ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE 197 ment, sont également insuffisantes, tandis que dans leur ensemble elles se complètent parfaitement. Si les plantes vertes tiraient leur carbone des matières organiques du sol, on ne pourrait s'expliquer ni l’origine de ces matières organiques, ni surtout leur renouvellement. La seconde hypothèse repose sur des expériences dont on a tiré des conclusions contestables. L’énorme disproportion entre l'acide carbonique contenu dans l'air avec la masse de carbone fixée par les végétaux d'une forêt, par exemple, est inquiétante. La troisième, qui d’ailleurs n'exclut pas les deux autres, joue un rôle absolument prépondérant à mon avis, avis basé d’ailleurs sur des expériences qui seront relatées plus loin. Il n’entre pas dans le cadre du présent ouvrage de faire un exposé complet de la question, qui exigerait des développe- ments très étendus. Je rappellerai seulement que Boussingault a soulenu que le volume du gaz acide carbonique absorbé est sensiblement égal au volume d'oxygène exhalé. Comme ce gaz carbonique contient un volume d'oxygène égal au sien, Boussingault admettait qu'il subit dans la plante une décomposition totale et que le carbone naissant s'unit à l'eau pour former des composés ternaires de la forme C"(H°0}". De celle manière la fonction chlorophyllienne aurait pour résultat simple et direct la formation de composés ternaires (voir p. 151). Mais en réalité, d'après Mangin, le phénomène est beau- coup plus complexe, car Boussingault s'est borné à mesurer la résultante de deux phénomènes opposés : la respiration et la fonction chlorophyllienne. Si l'on cherche, comme l'ont fait Bonnier et Mangin, à séparer la fonction chlorophyllienne de celle de la respiration, on obiient des résullats très diffé- rents. Entre autres procédés, l'emploi des anesthésiques, qui supprime la fonction chlorophyllienne sans allérer la respira- lion, a permis de trouver le rapport CO? des gaz échangés par l'action chlorophyllienne seule. x Ce rapport serait toujours supérieur à lunilé de 1 à 198 LA VIE ET LA LUMIÈRE 2 dixièmes, résultat qui a été confirmé par Schlæsing fils pour le bilan des échanges gazeux pendant la végétation. Cet excé- dent d'oxygène ne peut provenir de la décomposition de l'acide carbonique. J'ai fait l'expérience suivante qui vient encore jeler des doutes sur l'exactitude de l'opinion, généralement ad- mise, que l'oxygène dégagé par la plante sous l’influence de l'action solaire vient toujours et complètement de la réduction de l'acide carbonique puisé dans le milieu exté- rieur. Dans cinq éprouvettes À, B, C, D, E, j'ai introduit de l’eau de mer naturelle et des filaments d'une Confervacée marine: Chœlomorpha crassa Kussing. L’éprouvette A servait de témoin. Les éprouvettes B, C, D, E contenaient de l’eau de mer purgée de gaz par l'ébullition et refroidie à la même tem- pérature que A. Dans ces quatre éprouvettes, j'immergeai avec précaution, pour ne pas entraîner de gaz, des filaments de Chœtomorpha. Le lout fut exposé au soleil. Au bout de peu de temps, de nombreuses bulles de gaz se dégageaient en A; plus d'une heure après, on ne constatait rien en B, C, D, E. On introduisit alors quelques bulles de CO* en B et une assez abondante quantité du même gaz en C, sans pouvoir faire apparaître de dégagement au soleil. De l'éprouvette E, je retirai un peu d’eau bouillie et j'agi- tai l'Algue avec le restant de l’eau, de façon à bien aérer le tout. Ensuite, je provoquai le départ des bulles restées adhé- rentes à l’Algue avec un agitateur de verre. Quand les bulles en question eurent complètement disparu, je remis de nou- veau E au soleil. Bientôt apparut le dégagement gazeux. On ne saurail attribuer ce dégagement relativement abondant au dédoublement de la quantité infinitésimale de CO* contenu dans l'air introduit par agitation. On ne peut pas non plus l'expliquer par la décomposition de CO? contenue dans l’Algue, car celle-ci aurait pu s'effectuer dans l’eau bouillie et dans B et C surtout. Il ne s’agit pas d'air entrainé mécaniquement pour plusieurs raisons: la pre- mière est que des Algues plongées dans l'eau de mer bouillie ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE 199 et bouillante, puis refroidies ne donnent lieu à aucun dégage- ment après agitation comme en E. La seconde, est qu'en retirant doucement les filaments inactifs de Peau bouillie froide et, en les immergeant lentement dans l’eau de mer na- turelle, on ne tarde pas à voir reparaître le dégagement depuis longtemps suspendu. On peut ajouter qu'il n'y a pas ici de phénomène cellulaire, car le dégagement gazeux s'effectue au soleil, dans de l'eau contenant de fortes proportions de formol (jusqu’à 25 p. 100 de la solution du commerce). Je ne vois d'autre moyen d'expliquer ces phénomènes qu'en admettant que l’Algue prend de l'oxygène dans le milieu ambiant et qu'elle le rejette au fur et à mesure sous l'influence de la lumière. Quand cette dernière n'agit pas, l'oxygène n’est pas rejeté: il sert à la respiration et aux phé- . nomènes bioprotéoniques, et c'est alors principalement de l'acide carbonique qui est éliminé ; ordinairement, il y a un enchevêtrement plus ou moins accentué de ces deux phéno- mènes. J'ai répété ces expériences sur des plantes aquatiques d'eau douce (Elodea canadense Nichx). Les résultats ont été les mêmes. Toutefois, si l’on prive complètement d'acide carbonique l'air ou l'oxygène ajouté à l’eau et préalablement purgé de CO?, le dégagement n'a pas lieu. Il faut donc, pour qu'il se produise, à la fois de l'oxygène et une quan- tité, füt-elle extrémement petite, d'acide carbonique. Dans les deux cas, l'oxygène ne vient pas de l'acide carbo- nique, dont une très petite quantité suffit à provoquer le dé- gagement. Il est manifeste que, dans ces expériences, il a pour effet seulement d’amorcer le dégagement. Dans une autre série d'expériences, j'ai montré que l’action de la cellule dans cette élimination d'oxygène sans absorp- üion corrélative et proportionnelle d'acide carbonique, ne peut pas s'expliquer par l'activité cellulaire puisque le formol, poi- son de la cellule, n'empêche pas le dégagement, qui n’a pas lieu avec les plantes tuées par l’eau bouillante. J'ai été amené à attribuer ces effets à la présence d’une zymase el d'autant 200 LA VIE ET LA LUMIÈRE plus facilement que j'ai constaté que l’action de plusieurs zymases communes n'avait pas été supprimée par le formol. D'autre part, la chlorophylle ne fournissant par elle-même aucun renseignement, on est conduit, par élimination, à attri- buer la production de ces phénomènes à une zymase à effet réversible sous l'influence de la lumière ou bien à deux zymases, l’une oxydante et l’autre réductrice. Cette explica- üon devient plus séduisante encore si l’on songe que le pro- cessus chlorophyllien a son siège dans des :vacuolides ou chloroleucites embryonnaires et que précisément les macro- zymases, comme la purpurase et la luciférase, sont aussi des vacuolides, ainsi probablement que beaucoup d’autres dias- tases ou ferments dits à tort solubles, puisqu'ils se présen- tent sous l'état colloïdal (voir p. 8). En somme, les observations de Bonnier et Mangin, celles d'auteurs anciens tels que Spallanzani et les miennes prou- vent que la théorie, considérée comme classique, depuis Boussingault, parait entachée d'erreur. On peut se faire la même réflexion au sujet d’une autre expérience classique qui consiste à recueillir les bulles gazeuses qui se détachent d'une plante verte immergée dans l’eau et exposée au soleil. J'ai démontré que l'apparition des bulles peut tenir à un phénomène purement physique, dont il a été tenu compte dans les expériences précitées. Au lieu de rameaux verts etd’Algues vivantes, sionimmerge dans de l’eau bien aérée des morceaux de bois mort, des baguettes de verre, du coton de verre, etc., on voit apparaître sur leur surface de nombreuses bulles gazeuses. Il n’est pas surprenant que l’on ait trouvé avec les plantes vertes que ces bulles sont presque exclusivement formées d'oxygène puisque l'eau ne dissout que de très faibles quantités d'azote et que les bulles en question ne peuvent provenir que du gaz dissous dans l’eau. Mais en serrant de plus près l'analyse de ce phé- nomène, j'ai constaté un fait assez curieux. Ayant immergé dans une cuve en verre à faces parallèles remplie d’eau aérée des tubes à essais renfermant des liquides colorés en violet, ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE 201 bleu, vert, jaune et rouge, je vis après exposilion au soleil que les bulles se formaient plus rapidement, et en beaucoup plus grand nombre à la surface du tube, dont le contenu était coloré en vert que sur les autres, et cela principalement du côté exposé au soleil. Je n’entreprendrai pas de donner ici une explication du mécanisme de ce phénomène, mais il élait utile de le signaler afin de pouvoir séparer ce qui est pure- ment physique de ce qui peut être biologique. Je ne puis entrer ici dans la discussion des théories rela- tives au mode de fixation du carbone par les végétaux verts : je me bornerai à dire que mes expériences personnelles m'incitent à penser que la source du carbone, du moins la source principale, n’est pas dans l'acide carbonique libre, soit dilué dans l'air, soit dissous dans l'eau, mais bien dans les carbonates ammoniacaux, alcalins et alcalino-terreux. Le carbone, à un moment donné, apparaît comme uni à une molécule d’eau H°0, dont un atome d'hydrogène s’est com- biné avec l'oxygène de la respiration pour former de l'eau d'une part et CHO, ou aldéhyde formique, d'autre part; par polymérisation, ce dernier corps peut donner des composés hydrocarbonés comme les sucres, ainsi que le montrent les expériences de synthèse faites avec les U.-V. (voir p. 151) (1). Emmanuel Laurent et Marchal ont vu que l’action de la lumière est également nécessaire pour la formation des ma- tières albuminoïdes dans les organes à chlorophylle, mais (1) REMARQUE. — Le magnésium paraît jouer un rôle très impor- tant. La chlorophylle serait une sorte de dérivé magnésien R — Mg, analogue aux composés de Grignard. Elle fixerait CO° en donnant CO2Mg — R qui, par hydratation, fournirait de l'acide formique et de l'oxygène: en régénérant la chlorophylle : CO? — Mg — R — H?20 = HCOH + O + R — Mg. L'acide formique subirait, sous l'influence des radiations lumi- neuses, une réduction, en donnant du méthanal et de l'oxygène: HCO’H = H —- COH + O. Le magnésium apparaîtrait alors comme un agent de synthèses chimiques, dont l’action ne serait plus limitée aux recherches de laboratoire. 202 LA VIE ET LA LUMIÈRE on est bien indécis encore au sujet du mécanisme de cette synthèse. Les radiations violettes et ultra-violettes exerceraient une influence prépondérante sur cette dernière. Jusqu'à présent, on n’a pu faire que des hypothèses sur le mode intime d'action de la lumière, et particulièrement des ra- dialions rouges. Les nombreuses bandes d'absorption disper- sées dans le spectre solaire, que présente la chlorophylle, semblent indiquer que des énergies nouvelles naissent de la transformation des ondes lumineuses absorbées. Il est possible qu'à chacune de ces énergies correspondent des effets déterminés; que, par exemple, les radiations absorbées et transformées par le rouge remplissent une fonction, et que celles qui résultent de l'absorption dans le bleu en remplis- sent une autre : on peut supposer que les ondes absorbées dans les parties les plus réfrangibles du spectre opèrent principalement des actions réductrices, et que celles des par- ties les moins réfrangibles provoquent des polymérisalions. On peut considérer aussi comme très acceptable l'inter- vention de l'électricité dans l'ensemble des phénomènes: l'existence des courants trophiques, que j'ai signalée dans les végétaux, rend cette opinion très légitime (1). On sait que la lumière est considérée par Max Well comme une onde élec- trique, on ne voit donc rien d'impossible à ce que la radiation lumineuse soit transformée par la feuille en électricité. La chlorophylle serait dès lors, non plus un réducteur chi- mique direct, mais l'agent de transposition de longueurs d'onde, comme est l'esculine, corps fluorescent, pour les U.-V. Elle peut encore, par exemple, accroître la quantité de rayons ultra-violets agissant sur les cellules, ou bien celle des rayons calorifiques. Enfin, il n’est pas impossible qu’à la manière des corps fluorescents, elle sensibilise, par voie photodynamique, le bioprotéon à l’action des U.-V. (voir p.170). Ce qu'il y a de certain, c’est que l’on constate des (1) Rapnaez Dupois : Sur la bioélectrogénèse chez les végétaux: . C. R.Soc. bio. S. II., t: I, p. 923; 1899, et Ann. Soc. Linn., Lyon, 1899: ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE 203 effets électromoteurs très nets quand on fait tomber sur le limbe d'une feuille verte une radiation lumineuse. Mais il est difficile de décider s'ils sont cause ou effet, ou les deux à la fois, des réactions photochimiques de synthèse. Pour les plantes vertes aquatiques, il semble que lesradia- tions lumineuses traversant l’eau douce ou l’eau de mer se transforment progressivement en chaleur. Dans le lac de Genève, au mois d'avril, la lumière cesse d'exister à 20 mètres de profondeur et, au mois de septembre, à 170 mètres. Or, déjà, à 25 mètres de profondeur, les Algues vertes deviennent rares et à 60 mètres, on n'en trouve plus qu'une seule espèce : la Mousse d'Yvoire (Thamnium Lemani Schneltz). Dans la mer, l'éclairage exerce une influence manifeste : aux Algues vertes de surface succèdent des Algues brunes, puis, au-dessous, on ne rencontre plus que des algues rouges. Les Cyanophycées s'adaptent à des profondeurs différentes en changeant de couleur. Expérimentalement, on a pu cons- tater que leur couleur naturelle, qui est le violet sale, devient vert dans le rouge et rouge dans le vert. Il apparaît donc que la chlorophylle verte ne soit pas le seul pigment capable de permettre au bioprotéon végétal de former des matières orga- niques par synthèse avec des matériauxinorganiques ou miné- raux. Pourtant, il semble que l’on ait poussé trop loin l'esprit de généralisation en accordant aux Purpuro-bactéries, comme l'a fait Engelman, le pouvoir de décomposer l'acide carbo- nique pour en fixer le carbone. Il a pu démontrer seulement qu’elles utilisaient la lumière pour les besoins de leur fonc- tionnement physiologique, mais non que la matière rouge qu'elles contiennent peut jouer le même rôle que la chloro- phylle chez les organismes verts. Stahl a montré que la pénétration de l’air dans le paren- chyme des feuilles est nécessaire également. Si l'on oblure les stigmates d’une feuille avec de la paraffine, il ne se forme pas d'amidon, malgré son exposition à la lumière. Mais si l'on égratigne la cuticule avec une aiguille, il se produit de l'amidon sur les bords de la déchirure. 204 LA VIE ET LA LUMIÈRE L'air et la lumière sont donc deux conditions indispen- sables à l'exercice de la fonction chlorophyllienne ; mais il y en a d'autres qui favorisent ou entravent le développement et le fonctionnement des chlorovacuolides. La température opltima est, en moyenne, de 35°, maiselle ne doit pas dépasser 40° et 45°, ni s'abaisser au-dessous de 4° à »°. La fonction chlorophyllienne peut s'exercer encore à des températures plus basses ; par exemple, dans les feuilles du Laurier-cerise, elle persiste par des froids de — 6°. Sous l’in- fluence du froid, de même que sous l'influence des vapeurs anesthésiques, on la voit se suspendre avant la respiration. Ceci prouve une fois de plus ce que j'ai démontré depuis longtemps, à savoir que les anesthésiques généraux agissent par le même mécanisme que le froid sur le bioprotéon, en le déshydratant (voir Hydratation [fonction d'|, Dictionnaire de physiologie, de Charles Richet). L'activité chlorophyllienne augmente avec l'intensité lumi- neuse jusqu'à un certain point au delà duquel il y a ralentis- sement de l’activité et même mort de la chlorovacuolide. Pour la grande culture, l’optimum correspond à l'éclairage solaire, mais, pour beaucoup de végétaux, 1l répond à des éclairages beaucoup plus faibles, par exemple, pour les Capil- laires, les Polypodes, les Fougères, les Mousses, qui croissent à l'ombre des grottes et des frondaisons d'autres végétaux. D’après Wiesner, pour un même arbre à feuilles caduques, l’'oplimum n’est pas le même pour les divers organes foliacés. Les bourgeons exigent un éclairage intense, tandis que les feuilles inférieures se comportent mieux à la lumière diffuse. Weiss a montré qu'Ænothera biennis assimile trois fois plus à la lumière solaire qu'à lalumière diffuse ; au contraire, Polypodium vulgare assimile davantage à la lumière diffuse qu'à la lumière directe, et Marchantia polymorpha lent une place intermédiaire entre les deux plantes précédentes. D'une manière générale cependant, c'est pendant la nuit que l'accroissement de la plante est le plus rapide. Les végétaux possèdent des moyens de défense contre une lumière lrop vive ; ce sont parfois des modifications morpho- ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE 205 logiques, telles que changement du tissu en palissade des feuilles en tissu lacuneux. Mais on voit aussi dansles cellules les corps chlorophylliens se déplacer et fuir, par exemple, la paroi frappée normalement par une lumière trop vive pour se grouper sur la paroi située dans un plan parallèle à celui des radiations. Dans d'autres cas, comme on le verra dans le prochain chapitre, les feuilles s'orientent de façon à éviter la trop grande lumière. La continuité de l'éclairage constitue une condition défa- vorable à l'exercice de la fonction chlorophyllienne et de la vie de la plante verte, Landis que la succession du jour et de la nuit produit l'effet contraire, Si, après avoir exposé à la lumière pendant un certain temps une plante éliolée par le séjour dans l'obscurité, on la remet dans un endroit obscur avant qu'elle n'ait reverdi, le verdissement commence au bout d'un temps plus ou moins long après la suppression de la lumière, en vertu d'un phéno- mène d’induction, qui a élé également noté pour l'héliotro- pisme ; dans d’autres circonstances, nous en avonsrencontré jaunes, déjà cerlains exemples. La lumière augmente la transpiration des plantes vertes et l’on a donné à ce phénomène le nom de Chlorovaporisation. Chodat a voulu voir dans ce fait une preuve que l'énergie lumineuse se transforme, grâce à la chlorophylle, en énergie calorifique. Dans ce phénomène, les rayons bleus seraient cependant les plus actifs, puis ensuite les rouges, puis les d’après Wollny. L'intensité la plus grande correspond aux radiations les plus réfrangibles, contrairement à ce qui existe pour l’assi- milation du carbone, ce qui permel de supposer qu'il n'ya pas une relation directe entre ces deux phénomènes. Il est curieux que la lumière, qui fait fermer les stomales par turgescence de leurs lèvres, accélère la transpiration : s'agit donc plutôt ici d’un phénomène de déshydratation que d'une fonction superficielle et organique d’excrétion. EN RÉSUMÉ, l’immense majorité des végétaux ne peut vivre 206 LA VIE ET LA LUMIÈRE que par l'action d'un pigment vert, la chlorophylle, combinée avec celle du soleil et des vacuolides, organites élémentaires du bioprotéon ou substance vivante. Ces vacuolides, à un certain degré d'évolution, constituent les chloroleucites. Ces chlorovacuolides ont été improprement appe- lées « mitochondries ». Il convient de leur restituer leur dénomina- tion primitive, qui donne une idée exacte de leur structure et de leur mode de fonctionnement. Les diverses radiations du spectre solaire n’'agissent pas de méme sur les végétaux verts: les unes sont actives, les autres paraissent inactives : aux diverses radiations actives paraissent correspondre des fonctions différentes. Les effets physiologiques diffèrent également suivant la quan- tité de lumière incidente. Les végétaux possèdent des moyens de défense, de protection contre la trop grande intensité de l'éclairage. La fonction chlorophyllienne, comme l’héliotropisme, présente des phénomènes dits d’induction. Les origines du carbone firé par les plantes vertes sont mul- tiples. Les hypothèses failes pour expliquer le mode de fixation du carbone et la synthèse des corps carbonés sont insufisantes ou erronées. Dans certains cas, l'acide carbonique agit par sa qualité, comme excitant et non par sa quantité. Il joue alors le rôle d'amorce et dans d'autres circonstances, celui de frein automa- tique du fonctionnement organique. La lumière provoque chez les végétaux verts des phénomènes électro-moteurs, comme chez les animaux dans certains cas (voir p. 266). D'une manière générale, c'est pendant la nuit que l'accrois- sement des plantes vertes est le plus rapide. La température a une influence variable sur l'action de la lumière chez les végétaux verts. En moyenne, elle ne doit pas dépasser 40° à 45° ni tomber au-dessous de 4° à 5°. La fonction chlorophyllienne semble done intimement liée au fonctionnement intime du bioprotéon et, en particulier, à celui des organites élé- mentaires représentés par les CHLOROVACUOLIDES. CHAPITRE VI DES PHÉNOMÈNES DE MOUVEMENT PROVOQUÉS PAR LA LUMIÈRE CHEZ LES VÉGÉTAUX Très souvent les végétaux, comme les animaux, répondent à l’action de la lumière par des mouvements : ils sont parfois bornés à l’intérieur de la cellule et d’autrefois extérieurs. Il serait véritablement bien superflu de s’attarder à démontrer, comme certains savants s’y sont appliqués, que ces réactions motrices sont intimement liées à des phénomènes physico- chimiques provoqués par la lumière. En effet, aucune réac- üon ne s'opère dans un organisme vivant, qu'elle soit déter- minée par la lumière ou par toute autre excitation, sans que, simultanément, il ne se produise des modifications dans le jeu des ions, des électrons, des atomes, des molécules, des granulations colloïdales et des vacuolides ou organites élé- mentaires du bioprotéon. Cette conception est bien loin d’être nouvelle, contrairement à ce que l’on pourrait supposer en lisant les publications de Jacques Loeb : la doctrine méca- niste et le déterminisme expérimental en physiologie et en bio- logie ne pouvaient passer pour des questions d'actualité qu'aux époques où écrivaient Descartes et Claude Bernard :il n’en est plus ainsi aujourd’hui, même en Amérique. Ce qui serait plus méritoire et plus fructueux serait de s'attacher, sans hâte et avec prudence, à déterminer la nature des mécanismes intimes par lesquels la lumière provoque des phénomènes de mouvements. L'entreprise est difficultueuse par elle-même ; elle l’est devenue plus encore par une confusion regrettable de 208 LA VIE ET LA LUMIÈRE phénomènes très divers née du besoin excessif de généralisa- Lions prématurées. Au Congrès international de psycholo- gie de Genève, en 1909, J'ai montré, à propos des commu- nications de Loeb et de ses adeptes, que l’on a confondu sous les noms d’héliotropisme, actinesthésie, phototactisme, phototaxie, antitypie, photoantilypie, somatoptisme, lucitac- tisme, etc., une foule de phénomènes souvent disparates pour chercher à les grouper tous sous la dénomination de pho- totropismes. J'ai fait ressortir les raisons pour lesquelles cette expression devait disparaitre, aussi bien d’ailleurs que celle de tropisme (rcéxew, se diriger). On ne peut dire où com- mence et où finit le phototropisme, mais est-ce bien une raison pour soutenir que c'est en vertu du même mécanisme qu'un liseur approche son journal d'une lampe, qu'un Oursin hisse sur son dos un écran protecteur du soleil et qu'une plante s'incurve vers une source lumineuse? L'anthropomor- phisme, qui consiste à confondre avec les mécanismes fonc- tionnels humains tous les actes observés chez les animaux, est pour le moins aussi fâcheux que la tendance inverse à expliquer tous les actes de l'Homme par les phénomènes observés chez des êtres inférieurs el même chez des végé- taux. Le zoomorphisme ne peut pas être opposé à l’anthropo- morphisme sans susciter les mêmes critiques. Sans doute, il existe des lois générales, communes aux animaux et aux végétaux : il y en a certainement plus qu'on ne le suppose ordinairement, mais à côté de cela, il y a des fonctions acces- soires, de perfectionnement, qu'il importe de ne pas confondre avec les fonctions générales, fondamentales. Les mouvements provoqués par la lumière chez les végé- taux peuvent être groupés de la façon suivante : 1° Déplacements cytoplasmiques à l'intérieur des cellules à membranes rigides ; 2° Déplacements du corps de la plante chez les organismes uni ou pluri-cellulaires ; 3° Déplacements temporaires, alternatifs, périodiques des organes végétaux ; 4° Mouvements liés à une modification de la croissance DES PHÉNOMÈNES PROVOQUÉS PAR LA LUMIÈRE 209 pouvant provoquer une déformation durable de la plante normale. Les mouvements intra-cellulaires s'observent assez souvent chez les végétaux verts; ils consistent en déplacements des chlorovacuolides et des chloroleucites. | Une Algue de la famille des Conjuguées, Mesocarpus, est for- mée de cellules superposées présentant dans chaque cellule un corps chlorophyllien, en forme de plaque, traversant la cellule dans sa longueur et suivant son axe. Si l'intensité lumineuse est très grande, la plaque verte prend la position de « profil », c’est-à-dire qu’alors son plan devient parallèle aux rayons incidents ; mais si l'intensité lumineuse est très faible, la plaque se dispose perpendiculairement aux rayons incidents : elle occupe alors la situation dite de face. Entre ces deux siluations, on peut observer, d'après OIt- mann, toutes les autres intermédiaires. Toutes les intensités lumineuses comprises entre la valeur [, à partir de laquelle la plaque va abandonner la situation de profil, et la valeur l’, pour laquelle elle prend la position de face, correspondent à l’opti- mum, Car, pour toutes ces valeurs, le produit de l'intensité lu- mineuse par lasurfaceutiledemeure constant. Des phénomènes analoguesse montrentchez les Mousses, les Lemneæ, Elouea,Cal- litriche, Joubarbe, ete., où l'on voit les corps chlorophylliens prendre les positions diurnes les plus favorables pour obtenir l’optimum d'intensité lumineuse et fuir le trop fort éclairage. De ses belles recherches sur « les mouvements du proto- plasme à l’intérieur des mycéliums de Mucorinées », Raybaud a Liré, entre autres, les conclusions suivantes : Les changements brusques d'éclairements provoquent des mouvements également brusques du protoplasme à l’intérieur du mycélium tout jeune el ces changements sont comparables au déplacement des protoplasmes libres, tels que ceux des plasmodies des Myxomycèles sous la même influence. Ces mouvements seront des mouvements de recul si le Champignon passe de l’obscurité à la lumière, et, au con- traire, des mouvements de progression si le Champignon passe de la lumière à l'obscurité. FR. Dusgoïs, 14 210 LA VIE ET LA LUMIÈRE La sensibilité du cytoplasme est à peine marquée pour les radiations peu réfrangibles : rouge, orangé, elc.; au contraire. dans les milieux recevant les radiations les plus réfrangibles : bleues, violettes, les mouvements se manifestent avec une activité presque aussi grande que dans la lumière blanche. Les déplacements du corps entier de la plante provoqués par la lumière s'observentsouventchez les Algues inférieures : Flagellées, Volvocinées, zoospores de Chlorophycées, en géné- ral, chez des êtres mono- ou paucicellulaires. La sensibilité à la lumière de ces divers organismes est variable : on peut, par exemple, trier un mélange de Gonium et de Pandorina, en exposant à la lumière un vase assez large les contenant : une forte lumière attire les uns et repousse les autres. Si ce lriage n’est pas absolu, c’est qu'il y a des différences individuelles que Chodat a attribuées à l’âge, lequel change- rait le tonus, c’est-à-dire l’état amené par des circonstances préparaloires, qui disposent, prédisposent on indisposent l'organe ou l'organisme à recevoir l’excitant et à réagir con- séquemment. Si c'est la température qui indispose ou pré- dispose, on a un Cthermotonus »; si c'est la lumière, un « pho- totonus ». Ces modifications sont certainement en relation avec l’hydratation du bioprotéon. Dans toute riposte à un excitant, le tonus est l'état particu- lier créé par un second facteur, qui peut accélérer, retarder, renverser ou inhiber la réaction. C’est ainsi que beaucoup de spores deviennent plus photophiles à une température plus basse; autrement dit, telle intensité lumineuse qui serait répulsive à une basse température devient attractive à une plus haute température (Botrydium, Ulothrix), Les mouve- ments provoqués par la lumière ou par d'autres causes sont souvent déviés en raison de modifications amenées dans les sensibilités internes par des agents extérieurs secondaires, ou par l'effet même des modifications internes dont dépendent les autotactismes qui font mouvoir un organisme. L'état de repos, d’'immobililé, est un état d'équilibre établi par des auto- tactismes opposés, qui peuvent êlre affaiblis ou renforcés par DES PHÉNOMÈNES PROVOQUÉS PAR LA LUMIÈRE 211 des radiations lumineuses entraînant aussi une rupture d’équi- libre traduite extérieurement par du mouvement dans un sens ou dans un autre, en général, dans la direction des radialions lumineuses ou en sens inverse. Les expressions de « tonus » et d’ « autotactisme » étaient- elles indispensables pour exprimer que le repos est un élal d'équilibre qui peüt être rompu soit dans un sens, soit dans l’autre, suivant des conditions internes inconnues? On a sou- vent trop de tendances, en physiologie, à se payer de mots : il est vrai que ce reproche n’est pas mérité par les seuls phy- siologistes. Chez les Euglènes (Euglena viridis), le corps présente en avant un bec incolore dans lequel on observe un stigma rouge. On a prétendu que ce point rouge était une sorte d'organe visuel parce que l'organisme n'avance ou ne recule que si la région de cet organe est éclairée ou obscurcie. A cela on peut objecter que chez certaines Algues ou zoospores d’Al- vues, ce stigma est situé sur le côté et que son siège ne parail guère en rapport avec le sens de la locomotion. | La présence de cils, de flagellums, etc., n’est pas une con- dition indispensable au déplacement du corps de la plante : il peut s'observer soit chez des organismes cellulaires nus, soit chez des cellules à membrane rigide. Pour les cellules nues, isolées ou réunies en massifs, comme dans les plasmodies des Myxomycètes, la sensibilité à la lumière est très grande. Ainsi Fuligo septica ou Fleur de tannée, qui vit dans le tan, élève son plasmode à la surface du substratum quand l'intensité est faible ; mais, si elle s'accroît, le plasmode disparait et s'enfonce dans le {an échappant ainsi à l'influence nocive exercée par la radiation. Chez certaines Desmidiées, Algues de Ja famille des Conju- guées, pourvues de parois rigides non ciliées, on observe de curieux mouvements, dont le mécanisme est resté mysté- rieux. Le Closterium moniliferum, à corps fusiforme, oriente son grand axe dans la direction de la lumière incidente. En outre, chaque individu exécute une série de pirouettes se 212 LA VIE ET LA LUMIÈRE succédant à intervalles réguliers, de manière à présenter successivement chacune de ses extrémités à la source : il y a donc un phénomène de polarisation périodiquement ren- versé dans chaque moitié. On pourrait dire que chaque « tropisme » provoque aussitôt un « antitropisme », ce qui n'explique rien. On peut supposer que sous l'influence de la lumière incidente, le bioprotéon se condense à la partie anté- rieure, comme fait le mercure dans ces petits jouets exécu- tant des pirouettes sur un plan légèrement incliné et que l’on désigne sous le nom de « ramponneaux » ; l’autre extré- mité se trouvant àson tour exposée à la lumière, le bioprotéon s’y condense encore et une nouvelle pirouette s'exécute, et ainsi de suile, ou inversement, suivant l'intensité de l’éclai- rage. Chaque individu manifeste nettement par le sens dans lequel il exécute des pirouettes, les modalités de l'intensité lumineuse. Pour une certaine valeur, qui constitue l'optimum, les pi- rouettes s’exécutent sur place ; si l'intensité diminue, chaque cellule se rapproche de la source par une série de pirouettes; si elle augmente, elle s’en éloigne par le même mécanisme. Quand le récipient qui contient les Clostéries est éclairé de façon que tous les points soient au-dessous de l'intensité oplimum, elles viennent toutes se coller contre la paroi la plus rapprochée de la source. Dans le cas contraire, elles ne tardent pas à s’accumuler sur la face la plus éloignée. Penium curtum, de la même famille, oriente son grand axe dans la direction des rayons incidents et progresse, une ex- trémité toujours la même en avant, tandis qu'une autre Des- midiacée, Micraster rota, formée de cellules aplaties, oriente son grand axe perpendiculairement. Chez certaines Diatomées, les Navicules, par exemple, on n'observe plus d’orientations, ni de polarité, mais un certain nombre d'oscillations, qui tendent à les éloigner ou à les rap- procher de la source de lumière unilatérale. Les mouvements caractéristiques des Diatomées vertes “essent lorsqu'on les place à l'obscurité et à l'abri de l’oxy- gène, mais ils reprennent aussitôt que l’on fait agir la lu- DES PHÉNOMÈNES PROVOQUÉS PAR LA LUMIÈRE 213 mière de nouveau. Dans un espace confiné et surtout dans l’intérieur de ces petits organismes, l'oxygène est bientôt consommé et la saturation par CO? arrive rapidement. Mais si l'on rétablit l'éclairage, c’est le contraire qui arrive. Ce phé- nomène est dû probablement à une cause très générale d’ap- parilion et de suspension des mouvements;il se produit ainsi sans doute une sorte d’autonarcose carbonique. Les Bactéries pourprées, bien étudiées par Engelman, sont mobiles. La rapidité de leurs mouvements est d'autant plus grande que l'intensité de la lumiêre incidente est plus forte. Dans l'obscurité complète, elles finissent par tomber en repos ; la présence de l'oxygène retarde leur immobilisa- üon. Inversement, une lumière constante supprime les mou- vements. Si l'éclairage est brusquement suspendu, il y a un mouvement de recul immédiat : si elles sont entrées dans une zone très éclairée, elles ne peuvent plus en sortir pour pénétrer dans une zone obscure à cause de ce mouvement de recul. Elles distinguent certaines radiations infra-rouges que nous ne percevons pas. Dans le microspectre de la lumière électrique, elles s'accumulent dans l'ulira-violet de À 0,90 à À 0,80. Elles se rassemblent en quantité moindre dans une zone étroite de l’orangé et du jaune comprise entre x 0,60 et À 0,95, puis, à un degré rapidement décroissant, dans le vert, environ À 0,55 et À 0,52, dans le bleu et dans le violet et enfin dans le rouge, environ entre À 0,79 et À 0,64 ; c'est dans l'infra-rouge, au delà de À 1,0 et dans l’ultra-violet qu’elles sont le moins nombreuses. Ces points correspondent exac- tement aux bandes d'absorption du pigment auquel elles doi- vent leur couleur, la bactériopurpurine, L'acide carbonique agit comme l'obscurité et paralyse les mouvements. Si, comme l'avait prétendu Engelman, la bac- tériopurpurine se comportait comme la chlorophylle, il s'agi- rait encore ici, comme chez les Diatomées vertes, d’une autonarcose carbonique due à l'accumulation de l'acide car- bonique dans la Bactérie pourprée, dès que la lumière cesse- rait de le décomposer. Mais l'assimilation proposée par 214 LA VIE ET LA LUMIÈRE Engelman a été reconnue inexacte ; ce qui reste bien établi c'est la perte de la mobilité provoquée par l'acide carbonique et c'est un fait important à retenir pour l’explicalion des mouvements chez les végétaux supérieurs. Le mouvement est rétabli par l’action de la lumière el par celle de l'oxygène. Les Bactéries pourprées sont attirées par ce corps. Si l'on place une Algue verte filamenteuse dans une préparation renfermant des Purpuro-bactéries et qu'on l’éclaire au moyen du spectromicroscope, celles-ci s’'accumu- lent surtout dans le rouge et dans l’ultra-violet, c’est-à-dire dans les zones du spectre où la fonchüion chlorophyllienne provoque le dégagement le plus abondant d'oxygène. Les mouvements provoqués par la lumière dans les organes adultes des plantes sont trop connus pour que j'y insiste lon- guement ici. Les pétales, les sépales des fleurs, les folioles et les feuilles elles-mêmes peuvent prendre par le passage de la lumière à l'obscurité des attitudes qui sont le résultat de mouvements auxquels on a donné le nom de nyctotropiques. Ces mouvements sont souvent de sens inverse; ainsi la Belle- de-Nuit ouvre ses fleurs pendant la nuit, tandis que l'Oxalis les ferme. Ils sont dus à des phénomènes de turgescence de certaines parties de ces organes. Il en est de même pour les stomates des feuilles, qui se ferment sous l’in- fluence de la lumière parce que les cellules stomatiques formant les lèvres de l'ostiole se gonflent, tandis qu'elles se flétrissent à l'obscurité. C'est également à la turgescence plus ou moins grande des renflements moteurs situés à la base des pétioles des feuilles et des folioles qu'il faut attribuer les positions de veille et les positions de sommeil que l'on observe dansles organes foliaires des végétaux verts adultes, et même pour les cotylédons. Malgré la suppression des périodes de jour et de ruïit, ces mouvements alternatifs peuvent persister pendant quelque temps en vertu d'un phénomène d'induction, de réma- nence, qui constitue une sorte de mémoire automatique, d'habitude. 0 DES PHÉNOMÈNES PROVOQUÉS PAR LA LUMIÈRE 215 Si l’on maintient dans l'obscurité des Sensitives, elles con- tinuent à prendre périodiquement les atlitudes de veille et de sommeil aux heures habituelles pendant quelque temps. J'ai observé un phénomène de même ordre chez des In- sectes, les Pyrophores noctiluques qui, maintenus dans un cabinet noir, allumaient tous les soirs, à heure fixe, leurs petites lanternes, comme dans la vie libre. Peut-être est-1l permis de rapprocher ces faits de ceux que J'ai autrefois décrits sous le nom de « mémoire médullaire ». Chez des animaux décapités après qu’on avait imprimé à leur marche des modifications particulières par des lésions céré- brales, ces modifications persistaient après que la cause qui les avait déterminées était supprimée : causa sublata, non tollitur effectus. Les mouvements de sommeil des plantes s'effectuent par des séries d’oscillations, comme celles que présente la tête d’un Homme ou celle d’une Marmotte luttant contre l'envahis- sement du sommeil. Les variations de température peuvent accélérer ou ralen- tir l’action de la lumière. À + 10°, les mouvements ont lieu difficilement, ils cessent à + 5° ; d'autre part, une élévation brusque de température peut provoquer la position du som- meil en pleine lumière. Les diverses radiations ne sont pas également actives ; dans le rouge, les feuilles tombent très vite en sommeil ; dans le jaune, le passage est plus lent ; il est très lent et même nul dans le vert; enfin, dans les radiations bleues et vio- lettes, les feuilles demeurent dans la situalion de veille. Sous l'action des radiations les moins réfrangibles, les feuilles se comportent donc comme à l’obscurité et sous celles des ra- diations les plus réfrangibles comme à la lumière. Par contre, quand les plantes sont endormies, les radiations rouges les réveillent aussi bien que les radiations violettes. Dans toutes ces expériences, il eûl été nécessaire de me- surer la valeur énergétique relative des diverses radiations employées et leur pureté. J'ai constaté qu'on pouvait provoquer la position de som- 216 LA VIE ET LA LUMIÈRE meil chez diverses plantes telles que la Sensitive, l'Oxalis, en les plaçant, même en pleine lumière, dans une atmosphère d'acide carbonique. Or, dans l’état raturel, ce même gaz s’'accumule dans le végétal dès qu'il n’est plus décomposé par la lumière; en outre, pendant le jour, cette dernière inhibe les phénomènes respiratoires, qui deviennent très ac- fs aussitôt qu’elle cesse d'agir : on conçoit facilement, ces deux causes s’ajoutant, qu’il se produise rapidement dans l'intérieur de la plante une atmosphère surchargée en acide carbonique, d’où résulte l'autonarcose carbonique, qui pro- voque le sommeil. L’acide carbonique est un anesthésique ; or, depuis long- temps Leclerc, de Tours, a montré que l’on pouvait endormir les Sensitives avec d'autres anesthésiques tels que les vapeurs d'éther et de chloroforme. D'autre part, j'ai prouvé expérimentalement que ces mêmes vapeurs, par un phénomène d'atmolyse, provoquent des dé- placements d’eau dans l'intérieur des tissus, suffisants pour expliquer les variations de turgescence d'où dépendent les mouvements nyctitropiques (1). Or sait, d'autre part, que chez la Marmotte c’est l'accumu- lation progressive de l'acide carbonique qui amène le som- meil et de même chez l'Homme: c'est ce qui explique com- ment à la période d'activité diurne succède la fatigue vespé- rale puis le sommeil nocturne. Il s'établit ainsi un lien des plus simples et des plus étroits entre le sommeil des plantes et celui des animaux (2). () Voir Hydratation (fonctions d’) in Dictionnaire de physiologie, de CHARLES RICHET. (2) Nora. — Il faut définitivement rejeter toutes les théories du sommeil fondées sur des lésions ou des modifications fonctionnelles du cerveau et particulièrement la théorie de Pieron et Legendre; ainsi que je l'ai démontré au Congrès international de physiologie à Grüningue (septembre 1913). La clinique et l’'expérimentation montrent qu'il peut exister des alternatives de veille et de sommeil après suppres- sion du cerveau, chez l'Homme et chez les mammifères: elles existent chez beaucoup d'organismes dépourvus de cerveau. Le sommeil est un phénomène très général, conséquence naturelle des variations cosmiques diurnes et nocturnes, plus ou moins modifiées par des . DES PHÉNOMÈNES PROVOQUÉS PAR LA LUMIÈRE 217 Tout indique d’ailleurs que c’est en faisant varier dans le milieu intérieur la proportion d'acide carbonique que la lumière produit les phénomènes d’autorégqulation signalés antérieurement, en dehors même des mouvements nyclitro- piques. Avant mes recherches, sur la thermogénèse chez les hiber- nants principalement, on considérait l'acide carbonique comme un simple déchet excrémentitiel des organismes, alors que c’est, en réalité, le plus nécessaire, le plus général et le plus merveilleux autoréqulateur du fonctionnement des êtres vivants animaux et végétaux. Son rôle physiologique est aussi important que celui de l'oxygène. Si, par un excès de ce dernier, les combustions s’exagèrent, aussitôt l'acide car- bonique, qui en résulte, joue le rôle d’extincteur, de frein automatique de la thermogénèse et du fonctionnement inlime de tout ce qui est bioprotéon ou substance vivante. L'explication du mécanisme des mouvements nyclitropi- ques peut être étendue, par analogie, à ceux auxquels on a donné le nom de parhéliotropiques. Cest un phénomène d’au- torégulation qui consiste en ce que, par exemple, des feuilles ou des folioles, qui, dans une lumière modérée, sont orientées perpendicülairement aux radiations, se déplacent peu à peu dans une lumière intense de manière à présenter leur tranche aux rayons incidents (Robinia, Mimosa albida, ete.). La lumière imprime aussi aux végélaux, dans certaines circonstances, des modifications qui leur donnent une forme ou une attitude particulière, mais durable; on les désigne sous le nom de photomorphoses. Nous savons déjà que sous l'influence d'une vive lumière le tissu palissadique des feuilles peut être remplacé plus ou moins par du tissu lacuneux. Le faux épiderme des Mar- chantiacées, leurs poils assimilateurs confervoides, leurs hydrocytes réticulés font place dans l'obscurité à un paren- chyme presque uniforme. Dans de curieuses Algues, les influences saisonnières (sommeil hibernal}). Le mécanisme du sommeil est absolument le même dans toute la série des êtres vivants, les mêmes causes amenant les mêmes effets. 218 LA VIE ET LA LUMIÈRE Siphonées, plantes acellulaires, les Caulerpa, on voit se for- mer des feuilles du côté éclairé des rhizomes et des rhizoïdes sur le côté opposé. Les archégones et les anthéridies des prothalles de Fou- gères naissent du côté obscur, les racines adventives du Lierre terrestre (Hedera helix) ne naissent que du côté opposé à la lumière, On peut produire des tubercules sur des tiges foliifères de Pomme de terre en les plongeant, en parte, dans l'obscurité. Arloing a démontré depuis longtemps que les tiges de Bambou s'accroissent davantage la nuit que le jour et de nombreux exemples sont venus s'ajouter depuis à ceux qu'il avait fournis (1). Pendant l'été, on remarque que les gaines foliacées de Zea mays présentent des bandes inégalement colorées formant une zébrure transversale. Les zones les plus colorées et les plus hautes sont celles qui dans la nuit sont sorties des an- clennes gaines. L’allongement est favorisé par l’obscurité dans le plus grand nombre des cas, mais il n’en est pas toujours ainsi et l'on a donné le nom de tiges héliophiles à celles dont la croissance est accélérée par la lumière (Cactées, rhizomes stolonants d'Adoxa moschatelli. A ces phénomènes de photomorphisme, se rattachent très étroitement ceux que l'on connaît sous le nom d’héliotro- pisme. Les Linaria cymballaria sont de très gracieuses petites plantes de la famille des Personnées auxquelles on a donné le nom de « Ruines » parce qu’elles poussent dans les inters- üices des vieux murs, où elles enfoncent leurs racines. Leurs tiges grêles et décombantes se relèvent vers leur extrémité ; les feuilles, assez longuement pétiolées, étalent leur limbe de facon à ce qu'il reçoive la lumière perpendiculairement à leur surface. Les pédoncules floraux, pendant la période qui pré- (1) Nora. — Le sommeil n'empêche pas l'accumulation des réserves en certains points, par exemple, celle du glycogène dans le foie des hibernants. DES PHÉNOMÈNES PROVOQUÉS PAR LA LUMIÈRE 219 cède la fécondation des fleurs, s'orientent aussi vers la lu- mière, mais ils prennent une direction opposée quand les fleurs ont été fécondées. On voit alors les pédoncules floraux se lor- dre et se diriger vers les anfractuosités obscures pour y dépo- ser finalement les graines dans les points les plus favorables à leur conservation et à leur germination, Avant la féconda- tion, les pédoncules floraux sont dits « positivement hélio- tropiques » el après cette dernière « négativement héliotro- piques ». Ne dirait-on pas que ces fleurettes sont animées, comme les animaux, d'amour et de prévoyance maternels ? En réalité, il s’agit de photomorphoses dont le sens a été renversé par les modifications résultant de la fécondation, entrainant probablement une sorte de flétrissure, de racor- nissement dû à la déshydratation des pédoncules floraux. Dans ces photomorphoses héliotropiques, on retrouve, comme chez les animaux soumis à des excitations lumi- neuses, calorifiques, électriques, etc., divers temps distincts dans l’évolution du phénomène provoqué. Le seuil de l'excitation par la lumière est variable avec chaque plante, même dans des conditions identiques. L'action de l’excitant croît jusqu'à un certain point qui est l'optimum. Si l'intensité de l’excilant continue à augmenter, toutes les autres conditions externes restant égales, l’action, au lieu de croître, peut, au contraire, décroître progressivement jusqu’à être complètement annulée. Le seuil de l'excitation et l'optimum sont difficiles à fixer ; on à pu y arriver cependant pour plusieurs plantes. La cour- bure des plantules étiolées de Vicia sativa n'a plus lieu à partir de 0,002 bougie et cette courbure atteint son maxi- mum à une demi-bougie. D'autres plantes réagissent à ure lumière plus faible : ainsi chez Lepidium sativum, le seuil a été fixé à 0,0003 bougie (Wiesner!). La faible lumière des Photobactéries a suffi pour provoquer les courbures héliotropiques de diverses plantules (fig. 37). En augmentant l'intensité lumineuse progressivement, on a pu renverser le sens de la courbure chez Phycomyces nitens. Il ÿ a une zone neutre où la plante reste indifférente, 220 LA VIE ET LA LUMIÈRE les actions positives et négatives s’annulant réciproque- ment. Si les plantes sont éclairées avec des intensités différentes dans deux directions opposées, il faut, pour que se manifeste les effets d’une sensibilité différentielle, qu'il y ait un écart suffisant entre l'intensité des deux sources opposées. Le Champignon Phycomyces nitens n'effectue une courbure positive que si la différence est de 18 p. 100, et ceci aux dif- férentes inlensités moyennes. Dans les phénomènes héliotropiques, ce sont les radiations les plus réfrangibles qui sont les plus actives. Ce n’est qu'au bout d'un certain temps d'exposition à la lumière que se montre la courbure. Il y a pour chaque plante un seuil de durée, qui est le temps minimum pendant lequel il faut exposer une plante à la lumière pour obtenir un effet. La période latente est celle qui s'écoule depuis la fin de l'exposition à la lumière jusqu'à ce que l’action de cette dernière se soit manifestée. C’est alors le {emps de riposte qui commence. Dans le cas particulier qui nous occupe, il dure depuis l'apparition de la courbure jusqu'au moment où elle cesse de se produire. S1 après avoir exposé un temps suffisant une plante à l'éclai- rage unilatéral, on la replace dans l’obscurité, on ne voit apparaître la courbure qu’au bout d’un séjour plus ou moins prolongé à l'abri de la lumière. Cette sorte de mémoire ren- tre encore ici dans la catégorie des phénomènes d'induction, de rémanence, dont j'ai parlé à propos des plantes som- meillantes. Quand on cesse l'éclairage unilatéral, après que la cour- bure a été produite, elle peut se défaire et la plante repren- dre sa situation de début. Mais, si avant qu'elle soit revenue à sa position, on l’éclaire de nouveau unilatéralement, et dans le même sens, elle recommence à se courber dans le sens de la source lumineuse; on peut ainsi faire décrire à la plante des mouvements pendulaires à volonté. Si la durée des interruptions diminue et que l'éclairage DES PHÉNOMÈNES PROVOQUÉS PAR LA LUMIÈRE 221 soit assez intense, la réaction négative de redressement n'existe plus, et la courbure est continue, comme si l’éclai- rage unilatéral l'avait été lui-même, de même que notre œil prend pour une lumière continue un éclairage intermittent de 20 périodes à la seconde. On peut expliquer le mécanisme intime du phototropisme par l’action qu'a la lumière de provoquer une diminution ou un accroissement de la croissance du côté éclairé, selon l'espèce ou l'organe frappé et suivant l'intensité de l'éclairage employé. On conçoit facilement que la courbure qui s'effectuera sera tournée du côté où l'accroissement sera ralenti. Mais il n'est pas indispensable, comme l'ont montré les expériences de Rothert, que la lumière frappe directement le point où doit s’effectuer la courbure. En protégeant celle-ci et en éclairant seulement le sommet de la plantule {Avena sativa, Phalaris Canariensis, ete.), la courbure se produit dans le point protégé par une sorte de propagation de l'excitation portée sur le point terminal, dont la sensibilité est toujours plus grande que celles des régions situées au-dessous, où elle existe néanmoins. La propagation de l’excitabilité hélio- tropique ne se fait pas par les faisceaux, mais par le paren- chyme du tissu fondamental et probablement grâce aux com- munications protoplasmiques de ce tissu. Chez Brodiæa con- gesta, la vitesse de propagation a été évaluée à 2 centimètres par seconde. La sensibilité héliotropique n’est donc pas localisée au sommet de la plantule; en réalité, elle existe dans toute la zone de croissance, mais à des degrés variables. Il y a lieu de distinguer la sensibilité héliotropique de l’excitabilité héliotropique : ainsi quand la croissance a cessé de se ma- nifester dans une région, la faculté de réagir à la suite d’une excitation héliotropique s'annule, mais la sensibilité et la propagation de l'excitation perçue pourront persister encore. Ces deux propriétés sont même souvent indépendantes l’une de l'autre : ainsi dans le Panicum, la tige hypocotylée est héliotropiquement excitable, mais insensible. 222 LA VIE ET LA LUMIÈRE Ces déformations photomorphiques de l’héliotropisme végétal ont pour résultat d'orienter la plante dans la situa- üon la plus favorable à son fonctionnement. Loeb n'a pas craint d’assimiler à ces phénomènes de crois- sance les attitudes prises par certains animaux (Polypes, Vers tubicoles) sous l'influence de l'éclairage unilatéral, ou inéga- lementrépartisur les régions opposées d'unorganisme animal. En réalité, les explications, si spécieuses qu'elles puissent être, du savant physiologiste de Chicago, n’expliquent abso- lument rien. Des analogies superficielles ne constituent pas des identités fondamentales et sous prétexte de généralisa- tion, il importe de ne pas provoquer la confusion. EN RÉSUMÉ, la lumière provoque chez les végétaux chloro- phytliens el achlorophytlliens des mouvements très variés, comme chez les animaux :on « eu tort de réunir sous le nom de « photo- tropismes » des phénomènes de nature différente. Les photoréactions motrices consistent en déplacements cyto- plasmiques à l'intérieur des cellules à membranes rigides, dépla- cements de la plante entière,changements de position temporaires, alternatifs d'organes de certains végétaux et aussi en change- ments dus à une modification de la croissance pouvant provo- quer une déformation durable (photomorphoses, héliotropisme végélal). L'oxygène provoque, accroit ou entretient les photoréactions motrices. L'acide carbonique, au contraire, les ralentit, les entrave et méme les suspend : il est, comme pour les phéno- mènes de nutrition, le modérateur et l'autoréqulateur par excel- lence des photoréactions motrices. C'est par son action que S'ex- plique le « sommeil des plantes ». Dans les photoréactions motrices, on observe des phénomènes d'induction ou de rémanence, le seuil d'excitalion, le seuil de durée, la période latente, le temps de riposte, des phénomènes d'addition, etc. Elles se traduisent par des courbes offrant deux minima et un oplimum. Les diverses radiations spectrales n'agissent pas de même dans Les photoréactions motrices. DES PHÉNOMÈNES PROVOQUÉS PAR LA LUMIÈRE 223 Les variations de la température influencent les photoréac- lions motrices ; parfois méme la chaleur peut complètement remplacer la lumière. L'héliotropisme végétal est un phénomène de photomorphisme qu'il importe de ne pas confondre avec ce que l’on a impropre- ment appelé héliotropisme animal. CHAPITRE VII ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX On doit comprendre sous le nom de photoréaclions toutes les réactions constituant des réponses, des ripostes à une excitation lumineuse. Toutes pourraient rentrer dans la caté- gorie des réactions phototrophiques, car aucune d'elles ne peut se produire sans qu'il en résulle simultanément des modifications d'ordre trophique ou nutrilif. Il est véritable- ment puéril de proclamer comme une découverte que les phototropismes, par exemple, sont le résullat d'actions phy- sico-chimiques s’expliquant par le jeu des ions et des élec- irons, sans qu'on puisse spécifier desquelles il s’agit ; c’est pourtant par ce procédé que Loeb et ses adeptes sont parvenus, dans ces temps derniers, à donner à certaines hypothèses creuses une apparente solidité scientifique, qui n'a pas résiste à l'épreuve du temps. Ces réserves étant faites, pour la commodité de l'exposi- lion du sujet, je diviserai les photoréactions de la manière suivante : 1° Photoréactions motrices, dont la réponse est constituée par un mouvement. Ce mouvement peut être extérieur comme dans le cas de déplacement d’un organe ou d’un or- ganisme enlier, ou bien interne : mouvements des chromato- phores de la peau, des franges rétiniennes, des cônes et des bâtonnets de la rétine, et de tous les photeurs en général, qu'il s'agisse de la vision oculaire ou bien de la vision par la peau ou photodermatique. ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 225 4 2 Photoréactions physiques : elles peuvent être internes, comme la production d'effets électro-moteurs dans la rétine dermatoptique de la Pholade ou dans celle de l'œil, ou bien externes, comme l'émission de la lumière fluorescente par les Insectes photogènes, l’inhibition de la biophotogénèse par la lumière, elc. 3° Photoréactions trophiques proprement dites : dans cette catégorie viennentse ranger toules les autres photoréactions: action de la lumière sur la segmentation et le développe- ment des œufs, sur l’accroissement des larves et des adultes, sur les photomorphoses des animaux des cavernes et autres, sur la circulation, la respiration, la formation des pigments, la photothérapie, etc. UN 1. — PHOTORÉACTIONS MOTRICES. A. Action de la lumière sur les animaux fixés. Si l'on soumet à un éclairage unilatéral une tige de l’'hy- droïde ÆEudendrium racemosum, les polypes s'inclinent de façon à ce que les points symétriques de ces derniers soient atteints sous un angle égal par les rayons lumineux (Loeb), Un Ver marin, Annélide tubicole, Spirographis Spallanzani, vivant dans un tube membraneux et flexible qu'il sécrète, laisse s'épanouir à l'extrémité libre de ce dernier le magni- fique panache horizontalement étalé de ses branchies quand la lumière tombe verticalement d'en haut. Si l'éclairage est brusquement supprimé, le panache rentre aussitôt dans le tube. Lorsque la lumière ne frappe que d’un côté, dans un aquarium par exemple, le panache de branchies et le Ver lui- même s'inclinent dans la direction de la source lumineuse. Cette position peut être conservée, si artificiellement l’éclai- rage est maintenu sans discontinuilé de cette direction. Dans ces conditions le tube sécrélé par l'animal pourra épouser d'une manière définitive la courbure imprimée au corps du Ver. Toutefois, tandis que celui-ci extrait de son tube repren- dra sa position ordinaire, le tube inerte conservera sa cour- R. Dusors. 15 296 LA VIE ET LA LUMIÈRE bure : ce sont ces deux propriétés, bien nettement distinctes pourtant, du tube inerte et de l'animal, qui ont été confondues par Loeb avec ce qui se passe dans une tige végétale expo- sée à un éclairage unilatéral ; il n’est pas permis cependant de confondre le soulier inerte avec le pied sensible et mobile qu'il abrite. J'ai vu des Spirogyres extraits de tubes coudés, ou même sortis spontanément de leurs demeures déformées, ramper comme à l'ordinaire ; bien plus, des fragments de ces. vers, mais encore munis de leur panache, se dirigeaient en rampant vers une source de lumière. Je ne sache pas que l’on ait démontré réellement chez les végétaux quelque chose: présentant avec ces phénomènes une véritable identité. Un autre annélide, Serpula uncinata, dont les individus sont rassemblés en colonies au nombre de plusieurs milliers, : vit enfermé dans un tube calcaire rigide qu'il sécrète et dont l'allongement se fait par un pôle oral. Si, ordinairement, la lumière tombe normalement, les tubes sont droits et l'An- nélide étale son panache de branchies dans un plan per- pendiculaire à la direction des rayons. Mais si à ces derniers. on donne une direction telle que la colonie soit éclairée d'un seul côté, comme dans le cas précédent, la corolle de branchies s'incline vers la source lumineuse. Il en résulte la formation d’une courbure du tube rigide, dont la crois- sance suit la position de l'extrémité du Ver qui le sécrète. Le tube acquiert bien une courbure définitive, mais il n’en est pas de même de son habitant. Loeb explique ces phénomènes en disant que quand la cou- ronne des branchies est éclairée d'un seul côté, il se produit des « modifications de nature probablement physico-chi- mique » (?) qui, chez Spirographis Spallanzani, provoque une augmentation réflexe de tension dans les muscles situés du côté de l’inclinaison des branchies, ou dans ceux qui portent la tête du même côté. Le frottement se trouvant plus intense de ce côté, détermine par voie réflexe une sécrétion plus abon- dante des glandes. Pour Serpula uncinata, il s’agit encore d’une modification « physico-chimique » qui, se propageant par les nerfs jusqu'aux muscles du même côté, les amènent à ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 227 se contracter plus fortement que dé l’autre. Pour Loeb, qui d’ailleurs ne fournit aucune preuve à l'appui de son opinion,le phénomène est le même que dans les poils du Drosera. Il croit que cette idée d’assimiler les conducteurs d’une excitation chez la plante à un phénomène nerveux a élé « entrevue » par Darwin, Nemec et Hildebrandt. Il ne sait pas que Leclerc, de Tours, l’auteur de la belle découverte de l’anesthésie de la Sensitive par l’éther et le chloroforme, avait bien antérieu- rement à ces auteurs soutenu cette opinion. Toutes les hypo- thèses de Loeb ne suffisent pas pour faire admettre que le tube inerte membraneux ou calcaire d’un Annélide, et cet ani- mal lui-même, soient comparables à une tige végétale hélio- tropique où même à un simple poil de Drosera. J'ai montré, il y a fort longtemps, que le siphon de la Pholade dactyle éclairé unilatéralement s'incline du côté de la lumière ; mais j'ai, en même temps, prouvé expérimenta- lement que cette courbure était le résultat de contractions locales provoquées par la lumière dans la rétine dermatop- tique. Si je me suis servi jadis incidemment du mot « hé- Hotropisme animal », pour désigner ce phénomène, il n’est jamais entré dans ma pensée de le confondre avec les phé- nomènes de photomorphisme de l'héliotropisme végétal. Les tentacules des Actinies sont aussi influencées par les radiations lumineuses et Bohn a montré que l’on pouvait modifier leurs photoréactions motrices par l'éducation. Je ne connais rien de semblable chez les végétaux. S2. — Mouvements de totalité du corps provoqués par la lumière. Les animaux, dont il vient d’être question, sont considérés comme dépourvus d’yeux. Outre ces animaux fixés, il en est de libres qui sont dans le même cas et présentent également des photoréaclions motrices; on en rencontre chez les Protozoaires (Pelomyxa palustris, et chezune foule d’Infusoires, Glenodinum, Stentor, etc.), chez les Cœlentérés (larves d'Eudendrium, de Raniera filigrana, Hydra veretillum, Edwarsia, Cerianthus, 228 LA VIE ET LA LUMIÈRE Sertularia), les Bryozoaires (Cristatella), les Vers (Lumbricus agricola), les Arthropodes (Balane, Geophilus longicornis, larves de Diptères, etc.), les Mollusques (Solen vagina, Mactra, Pinna, Avicula, Dentalium, Arion, Empiricornis, Pholas), les Vertébrés (Proteus anguinus, Amphioxus). Certains animaux artificiellement privés d’'yeux ont égale- ment des photoréactions motrices. Les Cancrelas, les Sala- mandres, les Grenouilles aveuglées se placent dans les points les plus obscurs, d’après Graber. Suivant H. Parker, les ani- maux dont les yeux sont enlevés et la peau éclairée fuient ordinairement la lumière. Les Insectes aveugles des cavernes sont dans le même cas et c'est, d'après Viré, ce phototro- pisme négalif qui les empêche de sortir de leurs retraites. Chez Proteus anguinus des Grottes de la Carniole, que j'ai particulièrement étudié, les yeux sont atrophiés. J'ai pu expé- rimentalement démontrer qu'il existe sur tous les points du corps une véritable sensation lumineuse localisée dans la peau. J'y reviendrai plus tard. On a donné depuis longtemps les noms de « lucifuges », ou de «nyctalophiles », aux animaux qui fuient la lumière, et ceux d'«héméralophiles », ou de «nyctalophobes » à ceux qui se di- rigent vers la clarté. Mais Paul Bert a fait observer qu'il ne faut pas ajouter une valeur absolue à ces expressions. Pour le célèbre physiologiste, tous les animaux vont à la lumière ; la direction qu'ils prennent est fonction de l'intensité. Ainsi les Limaces grises, les Blattes, les Ténébrions sont lucifuges. Mais, si on les place dans une boîte obscure, sauf dans un point où quelques piqûres d’épingle laissent arriver une faible lueur, ils se dirigent bientôt vers celle-ci: une forte lumière les fait fuir, comme elle nous ferait fuir nous-mêmes. Georges Adams a fait des constatations de même ordre sur le Ver de terre. D'autres fois, des animaux crépusculaires, qui recherchent les éclairages faibles, sont attirés irrésistiblement, comme beaucoup d'Insectes, par nos foyers artificiels, où ils viennent se brûler les ailes:il en est de même des Oiseaux qui se tuent en grand nombre en allant se jeter sur les phares; on ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 229 ne peut cependant pas dire d'eux qu'ils sont héméralophiles, c'est celte attraction qui m'a fait suggérer l’idée de capturer certains Insectes nuisibles au moyen de pièges lumineux. Les expériences poursuivies à Villefranche-sur-Saône sur la Pyrale de la vigne (Tostria pilleriana), sur la Cochylis (Tostria ambiquella), la Pyrale du pommier (Cagrocapsa pomonella) ont donné des résultats intéressants. Tous ces Papillons ne sont pas également sensibles à toutes les lumières colorées. La majorité va se grouper dans le jaune, le vert, l'orange, en assez grand nombre dans le rouge,très peu dans le bleu et en- core moins dans le violet. Mais c'est la lumière blanche diffuse qui a donné les meilleurs résullats. Le rayon d'un foyer d'attraction n'est d'ailleurs pas proportionnel à son inten- sité. L'action de ces pièges lumineux n'a pas une très longue portée : elle est de 16 à 18 mètres seulement pour un foyer de 7 bougies ; il semble que les Insectes ne voient pas la lu- mière de très loin, sauf peut-être certains Insectes photo- gènes, comme le Lampyre ou la Luciole mâle. Les mâles de Cochylis ambiguella sont capturés en beaucoup plus grand nombre que les femelles. Dans toutes les expériences avec les lumières colorées, il serait indispensable de tenir compte de l'intensité _éclai- rante relative des différentes régions du spectre lumineux. En projetant celui-ci sur un bac rempli de Daphnies, Paul Bert a vu que ces petits Crustacés venaient se grouper prinei- palement dansles régions jaunes el verles: ces résultats expé- rimenlaux ont été vérifiés et confirmés récemment (v.p. 232). En 1807, Davenport et Caunon ont vu que les Daphnies vont toujours de la partie la moins éclairée à la plus lumineuse, si faible que soit la luminosité. Yerkes, de son côté, en 1900, a confirmé les résultals précédents et admet qu'il faut tenir compte de l'intensité éclairante, même quand on opère avec des radiations colorées. Dans de semblables recherches, il faut toujours tenir compte très strictement du déterminisme expérimental. C'est ainsi que A.-R. Moore a montré que les rayons ultra- violets de longueur d'onde plus courte que 3.3/1 À, ont une 230 LA VIE ET LA LUMIÈRE valeur spécifique pour déterminer le phototropisme négatif des Daphnies. Le phototropisme négatif ainsi produit est renversé quand on ajoute à l’eau contenant ces Crustacés un peu d'acide carbonique ou d'acide chlorhydrique. Chez d’autres petits Crustacés, le phototropisme expéri- mental peut être renversé par d’autres substances, telles que le camphre ou les acides. Il est bien connu que les animaux malades, les Chats, par exemple, recherchent l'obscurité. Y a-t-1l quelques rela- üons entre ce fait et le tropisme d’origine loxique ? Pourtant la qualité de la lumière a bien par elle-même une action en dehors de la question d'intensité. Jai dit, à propos des Pyrophores des Antilles, qu'ils pré- fèrent à toute autre lumière celle de la lumière du jour tamisée par le feuillage, laquelle se rapproche beaucoup par sa composition de celle qu'ils fabriquent eux-mêmes. Si on met un certain nombre de ces Insectes dans une boîte recou- verte de verres de diverses couleurs, on les voit se grouper dans la zone éclairée par les radiations jaunes et vertes et dans la partie la moins éclairée de cette zone, c’est-à-dire dans la pénombre produite par la paroi de la boîte disposée transversalement par rapport à l'incidence des radiations éclairantes. Ils ont certainement à la fois la notion de la valeur chromatique et celle de l'intensité relative des radia- tions éclairantes. Torelle trouve que, chez la Grenouille, le phototropisme décroit à mesure que l’on emploie des rayons moins réfran- gibles : entre le rouge et le jaune, la Grenouille choisit le Jaune. Le mouvement a toujours lieu du rouge vers le bleu. Au point de vue de l'influence des lumières colorées sur les photoréaclions des invertébrés, les expériences de Minkie- wicz sont des plus intéressantes. Cet expérimentateur a analysé chez les Pagures et chez d’autres Crustacés le chromatropisme normal vis-à-vis des surfaces colorées el confirmé indirectement les expériences de Paul Bert et de Lubbock. Il a combattu l’opinion de Nuel, pour lequel tous les Insectes seraient achromatropes, ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 231 mais qui n’a apporté aucune preuve expérimentale à l'appui de son opinion. Les principales recherches de Minkiewicz ont porté sur un Décapode brachyure oxyrhinque du groupe de Majad : Maja squinado. _ Des individus appartenant à cette espèce ayant été mis dans un aquarium à fond coloré avec des fragments de papiers de diverses couleurs, il remarque qu'ils chargent sur leur dos exclusivement ceux qui sont de la couleur du fond de l’aquarium : rouge sur fond rouge, vert sur fond vert. Si l'on met les Crabes dans un aquarium à deux fonds, vert et rouge, où sont disposés des papiers verls et rouges, ceux sur fond vert ne prennent que les papiers verts et ceux sur fond rouge seulement les papiers rouges. Si, ensuite, on porte les Crabes ayant chargé, pour s’en vêtr, des papiers verts, et ceux qui ont les papiers rouges dans un aquarium à fond partie vert et partie rouge, ceux qui ont les papiers verts se groupent sur le fond vert et ceux qui ont les papiers rouges sur le fond rouge. Aveugle-t-on les Crabes, ils continuent à charger sur leur dos des fragments de papiers, mais alors de couleurs di- verses et sans rapports avec celle du fond. Il ne s'agit pas, dans ces cas, de mimétisme, car les Majas choisissent souvent pour se les coller sur la carapace des -objets colorés qui les rendent plus voyants. Le chromatropisme, au moins pour le rouge, n’est pas dou- teux chez l'Écrevisse, qui se dirige vers un pétale de coque- licot tombé au fond de l’eau et ne se dérange pas pour une feuille verte. Minkiewicez a cherché à dissocier le chromatropisme ou action des lumières colorées du leucotropisme ou action de la lumière blanche. De ses expériences sur les Zoés el sur les Némertes, il conclut qu'il existe, contrairement à la théorie de Loeb, des animaux chromalropes par rapport aux régions moyennes du spectre (ce qui est le cas des Pyrophores dans mes expériences) ; 2 que le purpurotropisme, ou action de Aa lumière violette, n'est pas lié au phototropisme positif et 232 LA VIE ET LA LUMIÈRE l'érythrotropisme au phototropismenégatif; 3° quelesanimaux peuvent être en même lemps phototropes et achromatropes ; 4° que certains organismes peuvent être, comme Wiessner l’a montré pour les plantes, insensibles à certaines radiations déterminées ; 5° que des expériences avec les Zoés placés dans des tubes verticaux montrent que le chromatropisme peut avoir une influence sur la distribution verticale des ani- maux, Car on sait que le pouvoir de pénétration des radiations colorées dans l’eau est en raison directe de leur réfrangibilité. Contre l'opinion de Nuel s'élèvent encore celles de Sprengel, Hermann, Müller, Delpino, L. Errera, lord Ave- bury, Lubbock, Paul Knuth, qui ont tous affirmé que le sens visuel, beaucoup plus que le sens olfactif, était mis à profit par les Insectes pour le choix des fleurs, les couleurs étant pour eux plus attractives que les odeurs. Enfin, d'après H.-A. Allard, la force attractive des colorations florales est indéniable et doit se comparer à une espèce de fascination et même de tropisme. Enfin, les ingénieuses expériences de Frisch et Kupel- wieser sur Daphnia magna et Daphnia pulex (1), viennent de démontrer définitivement que ces Crustacés sont guidés non seulement par l'intensité, mais aussi par la qualité de la Iu- mière, en d’autres termes qu'ils possèdent le sens des cou- leurs. Paul Bert avait donc raison. Chez les animaux Vertébrés, il n’est pas douteux que le chromatropisme existe comme chez l'Homme. Les Chiens, les Chats, les Singes, sur lesquels on a expéri- menté, sont visuellement impressionnés par les mêmes cou- leurs que nous : tout le monde connait l'impression produite par le rouge sur le Taureau, le Dindon et la Grenouille. Mais pour C. Hess, les Oiseaux ne verraient pas certaines couleurs que perçoit notre œil et il en résulterait une véri- table cécité complète pour les objets présentant ces cou- leurs. Cet expérimentateur répand des grains à terre et pro- jette sur leur emplacement un spectre lumineux : il observe (1) Voir Biol. Centralb., XXXIIT, p. 517. v A (D: DTA UNE ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 233 que les Poules, ou même un poussin nouveau-né, picore sur- tout les grains situés dans les régions rouge, orangée, jaune du spectre, beaucoup moins que ceux situés dans le vert ou le vert bleu et pas du tout les grains où tombe la lumière bleue ou violette. Présente-t-on à un Coq d'Inde un repas composé de grains colorés en rouge et l'autre moitié de grains colorés en bleu, le tout disposé sur une surface sombre, le Coq mange les grains rouges, mais ne touche pas aux bleus. De ces faits, Hess conclut que les Oiseaux sont aveugles pour le bleu et le violet et qu'ils ignorent l'existence des grains bleus ! Je vois, dans cette singulière interprétation des faits, la preuve la plus évidente du danger des idées précon- çues en matière d'expérimentation. Qui donc oserait pré- tendre que parce qu’un daltonien ne voit pas les couleurs, 1l «ignore » les objets qui l'entourent. Personne n'avait jamais, je pense, confondu le daltonisme avec la cécité avant Hess. Et, d'ailleurs, les expériences de Hess ne prouvent en aucune façon que les Oiseaux soient daltoniens par rapport à nous pour certaines couleurs, mais simplement qu'ils évitent des aliments présentant une couleur suspecte, et c'est au contraire, une preuve qu'ils la distinguent fort bien. Il n’est pas néces- saire d'être un Dindon pour n'avoir aucun appétit pour des aliments bleus ou violets : cette répulsion instinctive existe chez l'Homme, qui n’aime pas non plus boire dans des verres de cette couleur. Est-il nécessaire d’insister davantage sur celte question ? Certes, il est indispensable dans les études sur l’action des lumières colorées de tenir compte des intensités éclairantes relatives, mais il est évident que, dans toute photoréaction, il faut distinguer ce qui dépend de la quantité et ce qui dépend de la qualité de l’excitant. On en trouvera une nou- velle preuve d'ordre expérimental dans mes recherches sur le dermatoptisme ou fonction photodermalique (voir p.253). Les réactions photomotrices norientent pas toujours l'animal suivant la direction des radiations incidentes. ‘234 LA VIE ET LA LUMIÈRE Dès 1748, Réaumur avait remarqué que ce sont précisé- ment les Papillons nocturnes, ceux qui, dans l'état naturel, fuient la lumière du jour, qui sont attirés par les lumières artificielles. De plus, ces Insectes ne volent pas directement vers le foyer éclairant pour s’en éloigner à nouveau, puis s’en rapprocher, et ainsi de suite indéfiniment, s'ils ne sont point d'abord lombés dans la flamme. En réalité, ils s’en appro- chent obliquement, décrivent un ou deux cercles autour de la zone lumineuse puis s’en éloignent, s'ils n’ont pas les ailes roussies en passant près de la flamme. En expérimentant avec des Insectes marcheurs, tels que les Coccinelles, on observe les mêmes irrégularilés dans les mouvements d'approche et d’éloignement. Des photoréactlions motrices les plus diverses ont été con- fondues, je le répète, par Loeb et son école sous les noms de « phototropisme » et d’ « héliotropisme animal ». Certains adeptes vont jusqu'à vouloir diviser les animaux en phototro- piques positifs et en pholotropiques négatifs. J’ai dit plus haut pourquoi une semblable division était antiphysiologique. Si, comme l’a prélendu Paul Desroche, la valeur de l'intensité lumineuse n’a aucune influence sur la direction et sur la vitesse des Zoospores positivement phototropiques de Chlamydomo- nas, il n'en est pas de même dans l'immense majorité des cas, le sens du mouvement de déplacement dépendant le plus sou- vent de l'intensité du rayon incident ou de sa durée. J'ai montré, entre autres exemples, que si l’on place un Oursin (Strongylocentrotus lividus) dans une cuve allongée remplie d'eau de mer, et à l'extrémité de Hquelle se trouve une lampe à gaz à régulateur munie d'un capuchon à incandes- cence, l'animal s'éloigne d'abord de la source lumineuse, puis, au bout d’un certain temps, il s'arrête el revient vers elle. Il s'est produit ce qu'on pourrait appeler un « anti- tropisme » constitué par des changements opérés dans l'inté- rieur de l'animal pendant l’action de l’éclairement. Ces der- niers peuvent êlre très variés, surtout s'il s'agit d'animaux possédant des yeux, ce qui n'est pas le cas pour l'Oursin. C'est avec raison que Georges Bohn a écrit, à propos de ses 0 ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 235 patientes recherches sur l'Adaptation des réactions phototro- piques (1) : « Pour expliquer les attractions et les répulsions exercées par les écrans noirs et blancs, il faudrait faire inter- venir des éléments nombreux et variés, et, en particulier, tenir compte des mouvements que l'animal exécute dans les diverses circonstances de la vie et de tous les essais infruc- tueux antérieurs. Nous voilà bien loin des explications si simples, où on ne fait intervenir que l’éclairement asymé- trique des deux côtés du corps. » Cette sage conclusion peut s'appliquer plus exactement encore à d’autres expériences que j'ai faites sur les Our- sins. L'action de la lumière peut provoquer chez les animaux des manifestalions motrices comparables entre elles pour une même qualité et une même quantité de cet excitant. Mais dans un grand nombre de cas, j'ai vu les Strongylocentrotus lividus Brdt. se comporter de diverses manières, parfois opposées, bien qu'ils fussent placés dans des conditions de milieu absolument identiques. Ces mamfestations diverses ne pouvaient s'expliquer ni par l'éclairage, ni par l'orientation, ni par aucune variation énergétique connue du milieu ambiant. On en pouvait dire autant de l’aéralion, du jeûne, du sexe, de l’âge. Les Oursins pêchés dans le même lieu, à la même heure, manifestaient chacun à sa manière. Il faut donc admettre qu'en plus des conditions extérieures, il y a des influences internes qui dominent les manifestations motrices d'apparence spontanée. Alors celles-ci donnent à l'animal une sorte de personnalité, d'individualité, qui ne permet pas, par- ticulièrement en ce qui concerne le phototropisme, d'adopter l'idée d'un mécanisme simpliste comme celui qui a été pro- clamé par Loeb. Dans ces manifestations des Échinodermes, il faut certaine- ment tenir compte tout à la fois de l’action du « milieu exté- rieur actuel », du « milieu antérieur » et du « milieu intérieur ». (1) Bull. Soc. Biol., 1906, p. 584. 236 LA VIE ET LA LUMIÈRE Le siège des photoréactions expérimentales principales provocables chez l'Oursin se trouve dans les ambulacres, Lorsque l'animal est en marche, on voit ses ambulacres diri- gés en avant et se déplaçant comme les bras d’une personne qui marche à tâtons dans une pièce obscure : une partie cependant, dans les rangées les plus inférieures, se fixe au sol par les ventouses terminales. Quand ils y ont pris un point d'appui solide, ils se rétractent, attirant l'Oursin pendant que d'autres vont prendre un point d'appui plus en ayant. Si l’on projette un faisceau de lumière vive direc- tement sur les ambulacres, {ous se rétractent du côté éclairé, mais ceux du côté opposé, c'est-à-dire du côté de l'ombre, s'allongent, et l'Oursin se met à marcher en sens contraire, en fuyant la lumière. Dans les endroits assez profonds, rocheux et herbacés, les Strongylocentrotus se tiennent pendant le jour à labri de la vive lumière, et, le soir, ils sortent de leurs retraites pour aller à la recherche de leur nourriture ; par une photoréaction motrice inverse, ils rentrent dès l'aube dans leur demeure. Mais tous n'habitent pas des endroits propres à les pro- téger dans le jour. On en trouve de nombreux spécimens dans des lieux complètement dénudés, situés à de faibles profondeurs, par exemple dans la rade du Lazaret, en face du laboratoire maritime de Tamaris-sur-Mer. On est alors frappé de ce fait que presque tous ces Oursins sont porteurs d'une coquille, d'une feuille, d'un caillou plat, etc. Schmidt, qui avait observé cette singulière habitude et avait fait, à ce sujet, quelques expériences, en avait conclu qu'il s'agissait d’un phénomène de mimélisme ayant pour finalité de dissi- muler l'Oursin au regard de ses ennemis. Cette interpréta- tion est inexacle, l'animal n'est protégé que d'un côté et les objets qu'il porte sur son dos seraient généralement plutôt de nature à attirer l'attention qu'à le dissimuler. Il résulte des expériences que j'ai poursuivies au laboratoire de Tama- ris (1) qu'il s'agit d'une photoréaction défensive. (1) Voir C. R. de l'Ass. franc.p. l'av. des Sc., Nimes, 1912, et C. R. du Congrès inlern. de Zool., Monaco, 1913. AR TEE NET 25 Ÿ. L : . ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 231 Si l’on place des Oursins dans un grand cristallisoir à fond de sable où l'on a semé des jetons en os colorés de diverses facons, des disques de verres de couleur, et qu’on expose le tout à une forte lumière, on voit les Oursins, à l’aide surtout de leurs ambulacres, et aussi de leurs épines, qu'ils inclinent, en divers sens, hisser sur leur corps ces mêmes objets. Mais ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'ils les orientent de façon à les placer perpendiculairement au plan des rayons incidents, comme ferait une personne qui voudrait se garantir avec une ombrelle d'un soleil trop ardent. Mais chez l'Oursin, ce mouvement de défense se fait d'une manière absolument automatique. Au lieu de se fixer sur un sol résistant, les ven- touses des tentacules ambulacraires s'appliquant sur un objet mobile, celui-ci est entraîné de proche en proche par la rélrac- ton des tentacules qui s’y appliquent successivement el l’at- tirent ainsi en sens opposé du mouvement de progression, c'est-à-dire du côté éclairé. Les disques transparents sont bien capturés aussi, mais, en général, ils ne tardent pas à être abandonnés pour être rem- placés par des objets opaques ; les disques en verre rouge sont ceux qui sont de préférence conservés ; si un disque est percé au centre d’une large ouverture, 1l peut être gardé, mais il n'est pas rare que son ouverture soit bientôt obturée par un écran opaque. Il arrive que les Oursins capturent et hissent sur leur dos de semblables écrans, même dans l'obscurité complète : cela n'a rien de surprenant puisqu'ils exécutent des mouvements de marche, mais alors les écrans sont orientés d’une facon quelconque. On ne peut pas donner à ces photoréaclions, pas plus qu’à celles observées et provoquées par Mindkiewicz, le nom de « phototropismes », bien qu'il y ait une relation très étroite entre la photoréaction motrice et celle qui est plus particuliè- rement défensive et a pour principal résultat d'éviter à l’ani- mal d’obéir précisément à des impulsions qui auraient pour effet de le déplacer sans utilité, puisque dans l'ambiance il n'y a aucun refuge fixe. 238 LA VIE ET LA LUMIÈRE Dans ces manifestations, les Oursins montrent encore une certaine individualité, mais les choses se passent comme je l'ai dit, d'une manière très générale. Il est certain que dans ie même lieu, on voit des Oursins dépourvus d'ombrelles. Schmidt avait pensé que les femelles seules en portaient, mais c'estrunederreur. Ces indices d’une certaine personnalité, d’une individualité propre, sont fréquents chez les animaux inférieurs, et Bohn a insisté sur ce point à propos de ses recherches sur les Étoi- les de mer. Walter a vu que les Planaires se meuvent beaucoup plus à l'obscurité qu’à la lumière. Lorsque celle-ci agit d’une manière continue, les mouvements deviennent plus lents, la fatigue se manifeste et l'animal cesse d'y être sensible. Ce- pendant la réaction aux facteurs de même nature n’est pas toujours la même. Aïnsi la locomotion des Planaires varie d'un jour à l’autre, les conditions restant identiques. Les variations individuelles de cet ordre sont plus grandes que celles qui résultent des différences d'intensité lumineuse. C’est ce qui a fait dire à Loeb qu'à l'intérieur de certains animaux, comme les Papillons de nuit, par exemple, ont lieu, sans règle apparente, des processus qui provoquent des mou- vements ou des changements de direction des mouvements. Il s’en faut, en effet, que les photoréactions soient toujours aussi nettes que dans les expériences présentées comme ty- piques par Loeb et qui ne sont d’ailleurs que des rééditions du genre de celles de du Tremblay (1791), de Pouchet et de beaucoup d’autres auteurs. | Parmi les conditions naturelles d’erdre interne capables de modifier ou de changer les réactions motrices, il faut signa- ler la phase d'évolution de l'individu. Les Pucerons verts ne sont positivement phototropiques que lorsqu'ils sont ailés, tandis que les larves de la Mouche commune, quand elles sont complètement développées et près de se transformer, les larves des Limules à un certain stade de leur développement, ainsi que beaucoup d'autres, sont négativement phototropiques ; plus tard, ce sera le contraire. ETS nd. ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 239" Le changement de saison peut amener le renversement complet de la direction des tropismes. Les chenilles de Por- thesia chrysorrhæa, à l’état d’hivernage, sont positivement phototropiques : plus tard, elles le seront négativement. On peut en dire autant d'une quantité d’autres causes telles que l’âge, la nourriture, la température, la maturité sexuelle. Au moment du vol nuptial, les Fourmies aiïlées et les Abeilles ont un phototropisme positif, mais à l'état larvaire, c’est le- contraire. Anna Drzewina a montré que les Clibanarius misanthropus de la Méditerranée présentent un phototropisme positif de signe constant. Ceux de l'Atlantique (Arcachon) ont un pho- totropisme qui périodiquement varie de signe. D'après l’au- teur, un rapport entre ces faits et la présence ou l'absence de marée s'impose. Bohn avait observé déjà l'influence de la marée sur le phototropisme des animaux liltoraux : Litto- rines, Hédistes, et aussi celle de l’état de plus ou moins grande hydratalion : j'ai montré que celui-ci ne variait pas seulement avec les conditions du milieu ambiant, mais encore avec l’âge des individus, les phases de l'évolu- tion, etc. (1). J'ai noté également que la Pholade dactyle est beaucoup moins sensible à la lumière dans la Méditerranée que dans l'Océan où son siphon est aussi moins pigmenté. Loeb, et beaucoup d’autres expérimentateurs, ont démon- tré qu'en modifiant chimiquement le milieu ambiant par des acides, des alcalis, des sels neutres, des toxiques divers, on peut changer le sens des tropismes. Les alcools sont de ce nombre, mais j'ai prouvé depuis longtemps qu'ils agissent sur les organismes par leur action déshydratante, qui est propor- tionnelle à leur poids atomique et inversement proportionnelle à leur chaleur spécifique. Sur les larves de Polygordius, Loeb a vu que l’abaissement de la température agit comme la concentration de l’eau de mer, ce qui confirme ce que j'ai établi depuis longtemps, à (1) Voir Æydratalion (fonction d’), in Diclionnaire de physiologie, de CHARLES RICHET. + 240 LA VIE ET LA LUMIÈRE savoir que la déshydratation des tissus agit dans le même sens que la chaleur. Dans les expériences sur les photoréactions, il ne faut jamais oublier que la faiblesse des sujets, les maladies, les secousses et une foule de causes de perturbations physiolo- giques inconnues compliquent considérablement le détermi- nisme des expériences. Ainsi un simple changement de pres- sion de o m. 80 d’eau renverse le phototropisme des larves de Homard. Il en est de même pour les Calanides, mais les Con- voluta sont insensibles à la pression, d'après Bohn. Certains poisons, comme le cyanure de potassium, paraissent agir indirectement en modifiant les phénomènes respiratoires (Drzewina). Ostwald a fait dans ce sens de curieuses recher- ches pour déterminer l'action exercée par la lumière sur les phénomènes intimes de la respiration (voir p. 280). Loeb désigne sous le nom de sensibilité différentielle a cause des photoréactions motrices qui se produisent par un changement brusque dans l'éclairage ; il ne faut pas, d'après lui,les confondre avec les réactions phototropiques. C'est à des phénomènes de sensibilité différentielle qu'il convient d'attribuer les faits observés par Hjalmar Dietle- vesen dans ses recherches sur les réactions de quelques ani- maux du plancton vis-à-vis de la lumière. Ces organismes (Cruslacés' surtout) recherchent les régions les plus éclai- rées. S'ils sont exposés brusquement à une lumière d'inten- sité moindre, ils tendent instantanément à s’enfuir el, en- fermés dans un aquarium, à en gagner le fond. Au bout de quelque temps, ils se font une adaptation aux nouveiles con- ditions et ils se répartissent régulièrement dans l'aquarium. Les lumières de qualités différentes ont à peu près une influence semblable; cependant les rayons de faible longueur d'onde agissent plus énergiquement, Ce mot, relativement nouveau, de « sensibilité différen- tielle » n'indique pas des phénomènes nouvellement connus. J'ai depuis longtemps signalé que si l’on fait passer la main entre le soleil et un bac contenant des Pholades, dont le siphon est étendu, il se rétracte aussitôt : un simple nuage ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ‘ANIMAUX 241 de fumée de tabac suffit. Inversement, la rétraction pourra être obtenue en éclairant brusquement, même avec une lu- mière faible, comme celle d’une allumette, des Pholades à siphons étendus dans l'obscurité. Le passage lent de la lu- mière à l'obscurité, ou inversement, n'a aucune influence. D'après Anna Drzewina,la sensibilité différentielle peut entraîner le changement de signe du tropisme chez les Bran- chellions, mais on peut obtenir à la fois le changement de signe du photolropisme et celui de la sensibilité différentielle par divers moyens : dessalure, insolalion prolongée, décapi- tation, modifications du support. D’après le même auteur, le chlorure de sodium ne provoque pas le changement du signe du phototropisme chez le Pagure misanthrope, mais exalte sa sensibilité à la lumière. Il est fort difficile dans beaucoup de cas de distinguer ce qui appartient à la sensibilité différentielle des autres pho- toréactions motrices. Loeb réserve le nom de « photolropisme » aux réactions qui dépendent de Ja structure symétrique (ou approximati- vement symétrique) des organismes, et dont le trait essentiel serait l'orientation des animaux par rapport à la lumière. L'influence de la direction des radiations lumineuses est connue depuis fort longtemps. En 1888, j'ai montré que le siphon de la Pholade enfoncée incomplètement dans l'argile s'incline dans la direction de la lumière, et j'ai fait connaître expérimentalement le mécanisme intime ‘de ce phénomène (voir Dermatoplisme): dès 1886, j'avais étudié le problème de l'influence de l'éclairage asymétrique sur l'orientation des animaux libres. Il nous est venu du Nouveau-Monde, beau- coup de choses qui n’ont rien de nouveau. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici ce que j'ai déjà dit à propos du rôle de la biophotogénèse chez les Insectes. Dans la nuit, grâce à l'éclairage symétrique de ses deux lanternes prothoraciques, le Pyrophore noctiluque des An- tilles marche en ligne droite. Mais vient-on à masquer un de sés fanaux, aussitôt il est entraîné vers le côté opposé : si c’est la lanterne droite qui est masquée, il est fatalement at- FR. Dugois. 16 242 LA VIE ET LA LUMIÈRE tiré vers sa gauche, c'est-à-dire du côté éclairé (fig. 38). Le même phénomène se produit si, laissant les lanternes libres, on obture l'œil d’un côté. Quand on masque les deux lan- lernes, la marche de l’animal devient hésitante, mais il s’avance en ligne droite. Il en est de même si l’on obture ou si l’on détruit les deux yeux: le Pyrophore se sert alors de ses antennes el de ses palpes comme quelqu'un qui marche à tâtons. Enlève-t-on une des antennes, dans ces conditions l'animal est entraîné du côté opposé el si les deux antennes sont enlevées, ce sont les palpes qui les suppléent. La lésion d’un ganglion cérébroïde d’un côté entraîne la marche curvi- ligne du côté opposé, comme la suppression d'une des deux lanternes ; le graphique est alors identique ; la lésion du lobe optique d'un côté produit le même effet. J'avais, dès 1886, à la suite de ces expériences, attribué le mouvement de manège provoqué par l'éclairage unilatéral à une diminu- lion de lonicité des muscles du côté non éclairé. Cette expli- cation a été ultérieurement élendue par Loeb à d’autres pho- totropismes. Beaucoup plus tard, Beth, Holmes, Axenfeld, Rad, Bohn ont noté également les mouvements de manège provoqués par un inégal éclairement des deux yeux {excision ou noircis- sement de l’œil, Axenfeld a constaté une corrélation entre le signe du tropisme et le sens du mouvement de manège. Radl a trouvé que la lumière reçue par un œil à une influence sur la tonicilé des muscles du même côté, et Bohn a observé des mouvements rolatoires d’origine oculaire, non seulement chez les Annélides et les Gastéropodes, mais encore chez les Crustacés et chez les Poissons. Chez les animaux sans yeux, on observe également des mouvements rotatoires, comme ceux de la Pholade dans son trou,mouvements qui lui permettent d'agrandir peu à peu sa demeure. Certains Oursins arrivent à creuser dans le roc des cuvetles, où ils se logent, grâce à une semblable rotation sur, place. Si on place un Strongylocentrotus lividus au milieu d'un grand cristallisoir plein d’eau de meret éclairé latéralement, ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 243 il quitte sa position centrale en fuyant la lumière et ne tarde pas à être arrêté par la paroi opposée à celle par laquelle elle pénètre. Il se met alors à tourner en rond en suivant l'angle formé par le fond et la paroi verticale, en général en sens inverse du mouvement des aiguilles d'une montre, mais il n'est pas rare de le voir, sans cause apparente, renverser le sens cle la rotation. Il se peut qu'ici la photoréaclion soit ac- compagnée de ces phénomènes encore mal connus que l'on désigne sous le nom de « sléréotropisme. » Mes expériences anciennes sur les Pyrophores, et l'explica- tion que j'en ai donnée, sont d'accord avec celles proposées plus récemment par Loeb pour les phototropismes. Soit un Insecte frappé latéralement par la lumitre, celle-ci aura pour effet de mettre en action les muscles qui dirigent la tête de l'animal vers la source lumineuse. Une fois l'animal placé dans le sens de la radiation, la lu- mière frappera avec la mème intensité les deux côtés de son corps, il ne pourra donc plus dévier ni à droite, ni à gauche el continuera à se mouvoir vers la lumière. Loeb a, dit-il. emprunté cette conception à la notion des lignes de force de Faraday, agissant sous des angles inégaux, ce qui provoque un travail inégal des deux moitiés du corps, comme je l'ai montré avec le Pyrophore, et une rotation jusqu’à ce que les lignes de force soient parallèles au plan de symétrie. Si les idées théoriques de Loeb découlent naturellement de mes expériences et de celles plus anciennes de Paul Bert sur le Caméléon, prouvant que la suppression de la vision d'un côté peut entrainer une rupture de l'équilibre physiolo- gique entre les deux côtés du corps et une asymétrie fonction- nelle, il ne s'ensuit pas que l’on soit autorisé à dire avec Radl que le phototropisme des animaux inférieurs et l'acte de regarder chez les animaux supérieurs ne sont pas différents l’un de l’autre : on peut trouver tous les intermédiaires entre le rouge et le bleu, entre l’eau glacée et l'eau bouillante et d'une manière générale dans la Nature entière, mais, encore une fois, nous dirons que sous prétexte de généraliser, il ne faudrait pas tout confondre. 244 LA VIE ET LA LUMIÈRE Jeannings a opposé aux idées cartésiennes de Loeb, trop simplistes au point de vue du déterminisme, de nombreux faits d'observation et d'expérimentalion qui montrent qu'on ne doit s’avancer qu'avec une extrême prudence sur le terrain des généralisations. Il s'est appuyé particulièrement sur les réactions des Infusoires ciliés et flagellés à la lumière. Stentor cœruleus a un phototropisme négatif. Or, si le bassin qui le renferme est éclairé sur une moitié, la théorie de Loeb exigerait qu'arrivé à la ligne de séparation, l'animal fût orienté instantanément. Il n’en est pas ainsi. D'abord il y a recul, puis essai de progression dans différentes directions jusqu’à ce que le Stentor trouve une place où il pourra pro- gresser sans rencontrer de lumière. Avec certains dispositifs, on voit même l’animal nager vers la source lumineuse avant de rentrer dans l’ombre. On n'observe d'orientation brusque que si la lumière tombe directement sur un des côtés du Stentor. Englena viridis recherche au contraire la lumière. Lorsque son intensité est modifiée, 1l y a accentuation de certains com- posants. Dans le cas d’une excitation forte, l'extrémité anté- rieure décrit un cercle autour de la postérieure prise comme centre de ce mouvement, et ce dernier se répète jusqu’à ce que l'extrémité antérieure se trouve dans une zone lumi- neuse. La diminution de l'éclairage produit le même effet que son accroissement. Des faits de même ordre ont été observés par Jeannings chez Cryptomonas et Chlamydomonas, d'où il résulte que les êtres inférieurs agissent par essais successifs et n'obéissent pas positivement aux lignes de force de Faraday. Mast a été conduit par ses recherches sur les Stentors aux mêmes con- clusions que Jeannings, c'est-à-dire contraires à la théorie de Loeb. On peut conclure, avec Bohn, que les idées émises par Loeb sur le mécanisme des tropismes, en 1890, ont exercé une réac- tion salutaire contre certaines exagérations des psychologues anthropomorphistes, mais qu'elle eut l’inconvénient de servir d'encouragement à l'exclusivisme fâcheux de l'école méca- PT PT ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 245 niste radicale de Bethe, Uexküll, Th. Beer, Ziegler, qui firent du principe de Faraday-Loeb une application trop exclusive et trop étroite à l'explication des actes de tous les animaux. : On ne doit pas craindre le reproche d' « anthropomor- phisme » en rapprochant ce qui se passe d’analogue chez l'Homme et chez les organismes inférieurs : c'est LouJours une tendance malheureuse que de vouloir séparer l'Homme du reste de la nature animée, puisque c'est un animal. Mais, d'autre part, il est certain qu’on ne peut pas assimiler com- plètement nos manifestations à celles des organismes infé- rieurs sans tomber dans un « zoomorphisme » regrettable. Cependant l'être humain doit être étudié de la même manière objective que les autres animaux. Il ne diffère de ces derniers que parce que nous connaissons directement les états subjec- lifs qui accompagnent ses manifestations psychologiques, tandis que pour les animaux, on ne peul raisonner que par analogie. Dans toutes ces questions, il ne faut jamais oublier que les organismes inférieurs ont des moyens de défense, des réactions à opposer à des actions des agents extérieurs et que les phénomènes d'adaptation, si fréquents, ne pourraient pas se produire sans une éducation possible de l'être vivant. Or, celle-ci suppose une sorte de rémanence, comme j'en ai signalé antérieurement quelques exemples chez les animaux et même chez les plantes, puis, à un degré plus élevé, une mémoire associative. Les exemples d'habitudes acquises, d’ac- coutumance, sont nombreux, même chez les végétaux. Ainsi les étamines irritables des fleurs de Mahonia, de Berberis, sou- vent visitées par des Insectes, finissent par ne plus réagir à leur contact, alors que la plus légère excitation mécanique différente les mel encore en mouvement. Les antitropismes, cemme celui de l'Oursin, qui, après avoir reculé devant la lumière, revient vers elle, finissent parfois par se substituer au tropisme ordinaire. Holme a montré que l'expérience passée à une influence sur le phototropisme de Ranatra. Hachel-Souplet affirme avoir modifié des tropismes par dressage. On connaît d’ail- 246 LA VIE ET LA ‘LUMIÈRE leurs des exemples populaires d'éducation d'animaux infé- rieurs sans parler de la célèbre Araignée de Latude. Mais voici une expérience scientifiquement combinée qui met bien en évidence la possibilité de l'éducation chez des êtres relalive- ment inférieurs. Szymanski, à l'Instilut expérimental de bio- logie de Vienne, a obtenu le renversement habituel du pho- totropisme de la Blatte (Periplaneta orientulis) par la méthode classique employée en psychologie animale pour l'acquisition des habitudes. L'Insecte est placé dans une boite de verre dont une partie est obscurcie et sur les planches de laquelle circulent des conducteurs électriques où l’on peut envoyer des courants faradiques. Lorsqu'il va dans la région obscure, l'Insecte reçoit des chocs, mais non lorsqu'il va dans la région éclairée. Au bout d'un nombre variable de chocs (entre 23 et 118) sui- vant les individus, la Blatte finit par s'éloigner spontanément de la région obscure. Elle a acquis pendant un temps qui dure de 4 à 45 minules un phototropisme positif. D'après Piéron, on ne peut parler ici du « Lichtsklaven » de Loeb, quand il suffit de quelques secousses électriques pour qu'un animal astreint à fuir la lumière puisse se mettre à sa recher- che. Il y a tout un délerminisme interne à faire intervenir. Comme Je l'ai dit dèjà à propos des photoréactions motrices végélales, j'ai insisté au Congrès international de Psychologie de Genève en 1909, sur la nécessité de ne pas continuer à grouper sous le nom d’ «héliotropisme » ou même de « photo- tropisme » des phénomènes dont les processus sont différents. Il y a certainement une part de vérité dans les idées de cha- - cune des deux écoles adverses de Loeb et de Jeannings, mais il est urgent d'éviter les exagérations systématiques et de classer méthodiquement les faits que l’on étudie. Si la théorie de Loeb était rigoureusement exacte et géné- ralement applicable, les borgnes tourneraient en rond et l'on ne pourrait pas se rendre chez l'oculiste avec un bandeau sur l'œil ! ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX LI pres SR | S 3. — Mouvements partiels provoqués par la lumière. Certains éléments analomiques différenciés sont, comme beaucoup d'organismes unicellulaires, directement excitables par la lumière sans que la sensibilité neurale intervienne. Déjà, en 1859, Brown-Séquart avait signalé dans l'iris isolé du reste de l'œil de différents vertébrés à sang froid et, en particulier, dans l'iris de l'Anguille, des mouvements provo- qués par l’action directe de la lumière. Il avait constaté la persistance de ces mouvements au bout de plusieurs jours alors que la rétine était déjà en partie décomposée. Plus tard, Steinach vit que la contraction des fibres iriennes de l'œil de la Grenouille pouvait encore être excilée au bout de quatorze jours. Brown-Séquart s'était assuré que ces con- tractions n'étaient provoquées ni par les radiations chimi- ques, ni par les radiations calorifiques. Avec les radiations jaunes, il y avait une aclion très marquée, marquée avec l'orangé et le vert et très faible ou nulle avec les autres radiations. Le resserrement étail plus rapide avec le jaune, et c'est là une remarque très importante parce qu'elle est de l’ordre de celles qui m'ont permis de montrer le mécanisme respectif de la notion d'intensité visuelle et de la notion des couleurs ou chromatopsie. Il n’est plus douteux aujourd'hui que les contractions excitées dans l'iris des Poissons et des Amphibiens aient leur siège exclusivement dans les fibres musculaires de l'iris (Steinach). Ce ne sont pas les seuls mouvements élémentaires suscep- übles d’être provoqués directement dans l'œil par la lumière. Quand un faisceau lumineux tombe dans cet organe, il se produit : 1° une descente de pigment le long des cônes et des bâtonnets ; »° un raccourcissement des cônes et des bâton- nels (Van Gederen Stort et Engelman). Ce raccourcissement est dû à la contraction d’une partie des cônes et des bâton- nels portant des strialions analogues à celles des muscles striés el que Van Gederen Stort a nommée conomyoïde, Cette contraction serait suivie d’une diminution de colorabilité 248 LA VIE ET LA LUMIÈRE (Birnbacher; probablement due à une acidité résultant, comme dans les muscles, de la contraction. Enfin Barbiéri aurait en vain cherché les principes chimiques du nerf optique dans . la rétine que l’on considère généralement comme son épa- nouissement. Stéphanowska, S. Exner, G.-H. Parker, et d'autres, ont étudié les changements « photomécaniques » dans les yeux des Arthropodes sous l’influence de la lumière ordinaire, et Pergens, Ladato, etc., les changements histélogiques et chi- miques de la rétine des vertébrés sous l'influence des radia- ions chromatiques. Suivant Van Gederen Stort et Engelman, l'intensité de la lumière agit seule, et la qualité rouge, verte ou bleue paraît être sans influence. Au contraire, d’après Dor, Angeleucci, Birnbacher et Lodato, les cônes seraient différenciés en vue de la perception consciente de toutes les modalités lumi- neuses : vision de lumière blanche et vision de couleurs. Ils pensent que la lumière rend acides certains éléments de la réline préalablement alcalins: mais je crois que cela doit plu- Lôt être considéré comme un effet consécutif que comme ure cause de sensation. Les radiations bleues ne provoqueraient aucune différence de colorabilité des noyaux, mais, avec la lumière rouge, les cônes et les bâtonnets se coloreraient diver- sement avec les réactifs histochimiques appropriés. IF est regrettable que, dans ces recherches, il n'ait pas élé Lenu comple de la rapidité d'action plus ou moins grande des diverses radiations colorées. D'après Smidt, la migration du pigment dans l'œil des Crustacés serait dans un certain rapport avec le phototro- pisme. Toutefois, la plupart des auteurs ne considèrent les mouvements du pigment rélinien que comme un phénomène d'ordre secondaire, ayant surtout pour effet de protéger les véritables éléments visuels, c’est-à-dire les cônes et les bà- tonnets, contre un excès de clarté inutile ou nuisible et de les isoler les uns des autres par des écrans mobiles. Les franges rétiniennes agiraient comme ces stores que les photographes font mouvoir pour éclairer convenablement leur modèle. Ce . ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 249 qui confirme celle opinion c’est que les albinos ne sont pas aveugles, mais seulement gênés par la grande lumière et qu'il existe des éléments (cellules optiques de Hesse) dépourvus de pigment chez le Lombric et chez d’autres animaux terrestres. Mais ce qui prouve jusqu’à l'évidence le sunple rôle protec- eur, modérateur du pigment et infirme son rôle « photeur ou optique », c'est qu'il fait complètemnet défaut chez cer- tains animaux abyssaux (Crustacés), par exemple, chez Nema- loscelis mantis et, dans le genre voisin, chez Stylocheiron, qui ont cependant des yeux bien développés et adaptés pour voir avec de faibles éclairages. Quant à la pourpre rétinienne, il est admis qu'elle n'a qu'une fonction, également secondaire, de sensibilisation, ou bien un rôle passif, protecteur, transitoire, ayant pour objet de modérer l'effet de l'excitation lumineuse sur |’ « appareil cré- pusculaire » (bâtonnets), en attendant que se fasse sentir l'in- fluence modératrice des centres supérieurs innervés différem- ment du système diurne (cônes), d’après Doniselli. On sait que le Hibou ne possède que des bâtonnets. Quel que soit le rôle du rouge rétinien ou pourpre réti- rienne, la durée nécessaire pour obtenir avec l’érythropsine une photographie ou optogramme (15 minutes d’après Kühne) exclut toute idée que le phénomène fondamental de la vi- sion soit en rapport avec une impression photochimique pro- duite sur la pourpre rélinienne.Barbieri affirme même n'avoir pu trouver aucune trace de rhodopsine ou érythropsine dans la rétine du bœuf, la coloration violette qu’elle présente par- fois étant due à du sang extravasé{?). Ce qui est bien certain, c'est que la pourpre rétinienne est absente des yeux d’une foule d'animaux. En définitive, c'est donc dans les cônes ei les bâtonnets, ou plus exactement dans leur segment cono- myoïde, que se réalise la véritable réaction visuelle. Peu importe, d’ailleurs, qu'il s'agisse de cônes ou de bätonnets, car si les cônes manquent chez le Hibou, on ne trouve plus de bâtonnets chez certains Reptiles mais seulement des cônes. Dans l'élément photeur proprement dit des Arthropodes, on voit encore, comme dans les muscles, la striation 250 LA VIE ET LA LUMIÈRE myoïde des bâlonnets, mais elle ne tarde pas à disparaitre chez les organismes plus inférieurs. Dès 1791, du Tremblay avait observé que les Hydres d'eau douce se dirigent vers la lumière; or, dans le tégument de ces Cœlentérés sans yeux, on ne lrouve comme élément pho- teur capable de photoréaction motrice que des éléments myoépithéliaux dont les prolongements contractiles sont en rapport les uns avec les autres, ce qui. soit dit en passant, peut expliquer les phénomènes d'irradiation directe que lon rencontre même dans notre œil. De cette photoréaction cellulaire directe, il convient de rapprocher celle que présentent les chromatophores. Beaucoup d’ani- maux terrestres el aquatiques, Ccæ- lentérés, Échino- dermes, Annéli- des, Mollusques, Fig, 41. — Caméléon coloré dans les parties frappées par la lumière. Crustacés, Pois- sons, Amphibiens, Reptiies, ont la propriélé de prendre une coloration se rap- prochant plus ou moins du milieu où ils se trouvent, ce qui permet de dissimuler leur présence. En 1834, Milne- Edwards a montré que, chez les Caméléons, les change- ments de coloration sont dus au déplacement de corpus- cules pigmentés diversement colorés ou chromatoblastes (chromatophores). Mais c’est surtout aux travaux de Pouchet et de Paul Bert que l’on doit de connaitre exactement le mécanisme de cette fonction du tégument chez le Caméléon. Chez cet animal, la vision a une influence évidente sur la peau, ce qui est l'inverse de ce qu’on observe chez la Gre- nouille pour les mouvements du pigment rélinien. Si l’on en- lève un œil à un Caméléon, le côté correspondant du corps ne change presque plus de couleur, et, en tout cas, conserve une nuance beaucoup plus claire que celle du côté opposé. ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 251 L'ablation du second œil rétablit l'équilibre. Lorsqu'un Ca- méléon est exposé à la lumière solaire, sa couleur prend un ton foncé dû à une action directe. Ce phénomène a lieu aussi pendant le sommeil, pendant l'insensibilisation chlo- roformique el même après la mort. Paul Bert plaça avec précaution une sorte de selle en papier découpé sur le dos d'un Caméléon qui dormait dans l'obscurité (fig. 43) el avait pris la teinte jaune grisâtre qui est habituelle dans cette cir- constance. Puis 1l approcha une lampe de l'animal, sans le réveiller. Très rapidement, la peau devint d'un brun foncé : enlevant alors le papier protecteur, il vit que les parties sous- Jacentes avaient gardé leur premier aspect.Ce sont les rayons les plus réfrangibles du spectre qui produisent ce phénomène : la lumière rouge est inactive. Les changements de coloration de la peau peuvent être produits: 1° par la volonté de l'animal; 2° par une action réflexe ; 3° par une excitation lumineuse directe. Is sont dus soit à des déplacements des chromatophores, soil encore à leur changement de forme el aussi aux dépla- cements des corpuscules pigmentaires dans les cellules té- gumentaires (Parker). Les pholoréactions directes s'observent dans les deux types connus : chromalophores simples des invertébrés et chro- matophores composés. Ceux du premier Lype sont constitués par une cellule de nature amœæboïde dépourvue de membrane propre. Les rami- ficalions que ces cellules émettent peuvent, en se touchant, se fusionner complètement. Les chromatophores composés, qui ont élé surtout étudiés chez les Céphalopodes, sont formés par une vésicule arrondie hyaline, renfermant un noyau et des granulations pigmen- taires. La vésicule est entourée d’une membrane propre trans- parente très mince et élastique ; sur cette membrane s’insère des fibres radiaires, qui donnent au chromalophore une figure éloilée. Ces prolongements sont de nature musculaireet, sous l’action directe de la lumière, ils se contractent très ra- pidement à la facon des muscles striés (Klemensiewick, Phy- 252 LA VIE ET LA LUMIÈRE salix, elc.). Ces fibres radiaires contractiles sont des cellules très allongées, pourvues d’un noyau et entourées d’une mem- brane ; elles s’insèrent par leur base un peu élargie sur la membrane qui entoure la vésicule pigmentaire centrale. Elles ne contiennent pas de pigment. Ce dernier point est important à retenir, puisque, comme dans le segment cono- myoïde des cônes et des bâtonnets, comme dans les photeurs des Lombrics ou dans l'œil des Crustacés abyssaux, la pré- sence du pigment n'est pas nécessaire pour produire la pho- toréaction. On distingue trois sortes de mouvements dans les chroma- tophores de Céphalopodes: 1° des mouvements de trémulation constilués par de petites secousses, à peine visibles, analogues à une série de secousses musculaires insuffisamment fusion- nées pour produire un létanos : elles seraient placées sous l'influence du système nerveux; 2° des mouvements d'ondula- lion pouvant persister après la mort: 3° des mouvements fonctionnels (volontaires, réflexes, ou par excitation directe), consistant en expansionset rétractions de chromalophores, soit par un mécanisme amæboïde,soit par contraction et reläche- ment des fibres musculaires des chromatophores composés. Ce qu'il importe de retenir surtout, c’est que les chroma- tophores composés se contractent sous l’action directe de la lumière, et que si leurs mouvements peuvent être aclionnés par le système nerveux central, comme ceux des cônes, des bätonnets et même des franges rétiniennes, inversement ils peuvent actionner par leurs photoréactions motrices au- tonomes les terminaisons périphériques et, par ieur inter- médiaire, le système nerveux central. De ses recherches sur « la fonction locomotrice de la lu- mière chez les Céphalopodes », Steinach conclut que la lu- mière provoque des mouvements du corps chez les animaux par deux mécanismes différents : le premier consiste dans la propagation de proche en proche de l’excilabilité lumineuse des chromatophores à la peau des ventouses et à la mus- culature, c’est-à-dire en une transmission de l'excitation sans l'intervention du sytème nerveux ou « antilypie excito- 711 ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 253 lumineuse », et le deuxième est un véritable réflexe nerveux. Les muscles des chromalophores s’anastomosent avec les cordons musculaires de la peau et c’est ainsi que l'excitation lumineuse peut produire immédiatement, sans organes récep- teurs spéciaux et même sans transport nerveux, un mouve- ment en une région plus ou moins éloignée. C’est le phéno- mène que j'ai depuis fort longtemps décrit, chez la Pholade dactyle, sous le nom d'irradiation. Des faits analogues ont été signalés dans les muscles du cœur, de l’urètre : ils peuvent tous être rapprochés des phénomènes d'irradiation rétinienne. Toutes les notions qui précèdent montrent done clairement que, dans les organes visuels, comme dans les téguments, la pho- toréaction à l’action directe de la lumière est un mouvement de contraction, et que ce n’est que secondairement que le système nerveux est ébranlé. Tous ces faits peuvent être : ajoutés à ceux qui m'ont permis de créer, en 1892, une théorie de la vision basée sur l'observation et sur l’expérimentation. Je l'oppose à toutes les hypothèses sans fondement scienti- fique proposées par des auteurs, qui ont eu le grand tort de négliger d'étudier dans leur ensemble les photoréactions motrices dans la série des êtres vivants (1). SA. — Photoréactions visuelles chez les animaux sans yeux. Dermatoptisme, fonction photodermique. Certaines photoréactions se produisant sous l'excitation directe de la lumière peuvent être rapprochées des précé- dentes, par exemple, celles qui ont été signalées par Auer- bach dans le bioprotéon de l'œuf de la Grenouille. Lorsqu'un rayon vient frapper Pelomyæa palustris, Rhizo- pode qui se traine lourdement dans la vase ou le sable de certains étangs au moyen de ses pseudopodes, il se contracte en se roulant brusquement en boule et tout mouvement cesse pour ne reprendre qu'à l'obscurité. Le passage graduel de l'obscurité à la lumière ne produit par contre aucun effet. (1) Voir loc. cit., p. 272. 254 LA VIE ET LA LUMIÈRE Il s’agit iei d'une photoréaction de l’ordre de celle que j'ar signalée chez les Champignons Myxomyceètes. J'ai aussi parlé déjà de la sensibilité à la lumière d’ani- maux privés d’yeux artificiellement. Les Grenouilles aveuglées se placent dans les points les plus obscurs : il en est de même des Salamandres, des Cancrelas : ces animaux aveuglés recherchent le rouge et fuient le bleu (Graber). Mais parmi les observations et les expériences les plus instructives et les plus intéressantes que l’on puisse faire sur la sensibilité des téguments à la lumière, ce sont celles fournies par Proteus anguinus où Protée aveugle des grottes de la Carniole et par la Pholade dactyle, dont il a été longue- ment question à propos de la fonction photogénique, qui tiennent certainement le premier rang. Le Protée, dont l'organe visuel est atrophié, se plait dans les ténèbres, où 1l a coutume de vivre depuis longtemps sans doute. En mesurant le temps qui s'écoule avant que l'animal réagisse, on trouve que l'échelle d’après laquelle son bien- être paraît diminuer, depuis l'obscurité, qui semble lui être agréable, jusqu'aux radiations qu'il fuit avec le plus de rapi- dité, est la suivante : obscurité, rouge, jaune, vert, bleu, blanc. Mais de ce qu'il fuit le bleu avec persistance, il ne faudrait pas conclure qu'il n’y à que les radiations chimiques qui l’impressionnent. Finsen à été beaucoup trop exclusif, parce qu'il a été dominé par des idées systématiques. Le Protée réagil sous l'influence du rouge, du vert, du bleu, de manière différente. Il réagit par des mouvements lorsque, étant dans l'obscurité, il recoit une radiation colorée quelconque ; mais, en outre, l’action de la lumière se mani- feste par l'accumulation du pigment dans la partie la plus vasculaire du derme, et j'ai constaté que celle-ci pouvait se produire dans la lumière verte. Parker a remarqué que l'Ammocæte est négativement pho- totropique et « photodynamique » comme le Protée ; chez ce poisson également les yeux ne sont pas indispensables pour cette double photoréaction. Le tégument est sensible à la lumière dans la queue et dans toute autre partie du corps ou o ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 255 de la tête. Les parties sensibles sont, d’après cet auteur, les terminaisons du nerf spinal. Mais c’est d’une manière absolument hypothétique que l'on a généralisé et admis chez tous ces organismes l’exis- tence d’une vision dermatoptique. Darwin pensait que, chez le Lombric, ce sont les ganglions cérébroïdes qui sont in- fluencés au travers de la peau. Ce n'est qu’en 1888 que fut établie par mes expériences et mes observations per- sonnelles sur le siphon de la Pholade dactyle la preuve qu'une sensa- CG tion lumineuse vérita- blement cutanée peut être mise en évidence et son mécanisme expliqué scientifiquement. La Pholade dactyle est un Mollusque marin lamellibranche qui vit dans des trous : de l’en- re trebâillement de ses Fe. 12, — Coupe d’un ocelle d’Euplanaria valves incomplètes sort Jones. un long tube membra- ie RE LR M NE neux : le siphon. Dans plastides optiques; — #0p, noyaux des plas- 5 > tides optiques (grossi 120 fois, d’après BEER). l'intérieur, se trouvent les organes lumineux et, à l'extérieur, un revêtement luci- tactile donnant des photoréactions motrices localisées ou généralisées, suivant les circonstances, sous l'influence des modifications de l'éclairage. On considère ce Mollusque comme privé d'yeux, la surface du siphon présentant cependant de petites papiiles, dont l'extrémité libre est fortement pigmentée. Mais, outre que d’autres parties du manteau dépourvues de ces papilles mon- trent une sensibilité manifeste à la lumière, on trouve dans les coupes une structure très analogue, sinon identique, à celle du reste du tégument. Il est probable qu'il n'existe dans ce / 256 LA VIE ET LA LUMIÈRE dernier aucun élément différencié spécialement pour la vision mais il serait téméraire de l’affirmer. Les éléments neuro- myo-épithéliaux que l’on trouve dans les papilles du siphon de la Pholade offrent la plus grande analogie avec ceux que l'on rencontre dans les ocelles d’Euplanaria gonocephala (fig. 42) et de Dendrocælum luteum (fig. 43). Mais chez ces deux Vers, ils paraissent spécialisés exclusivement pour la vision, tandis que ceux de la Pholade réagissent avec d'autres exei- tants mécaniques, physiques, chimiques et physiologiques. b Si l’on touche avec une pointe d’aiguille un point quelconque du tégument du si- phon, on remarque, à l'endroit touché, la formation d'une pe- lite dépression, qui s'agrandit par un phénomène d’irra- diation irritative Fic. 43. — Coupe d’un ocelle de c + Dendrocælum luteum. musculaire. Sous l’é- GC, capsule de l'ocelle ; — b, bouton ocellaire — pithélium du tégu- O, O, plastides optiques (grossi 750 fois, d'après BEER). ment se trouvent, en effet, depetitesfibres musculaires lisses, qui se continuent avec la terminaison basale des cellules épithéliales et viennent se rendre, d'autre part, dans une couche neurodermique sous-jacente, riche en plastides ganglionnaires. C’est à l'ensemble de ces trois seg- ments constituant l'élément complexe fondamental de la réline dermaloptique que j'ai donné le nom de « système avertisseur ». Si l'excitation mécanique ainsi produile n'est pas trop forte, la dépression reste localisée au point touché. Ainsi, on peut obtenir des sillons longitudinaux ou circulaires en pro- menant la pointe excitatrice légèrement sur la surface du siphon. Si l'excitation tactile est plus puissante, la surface totale ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 257 du siphon commence à se rétracler par la contraction de toutes ses fibres superficielles, à laquelle succède bientôt un raccourcissement brusque et total du siphon, dû à la contrac- tion, d'ordre réflexe, des grands muscles longitudinaux. Les petites fibres musculaires dermiques, en se contractant, ont irrité mécaniquement les cellules nerveuses du tégument et 2 Some æœmm—— — + 20 ANS es | © FiG. 44. — Appareil enregistreur des mouvements provoqués par la lumière chez la Pholade dactyle. B, chambre noire où est enfermée la Pholade plongée verticalement dans un vase à faces parallèles planes rempli d'eau de mer; — ax, ax?, obturateur à main ; — m, br, manipulateur (cette pièce a été remplacée par un obturatenr photographique à iris); — cy, cylindre renfermant un bec de gaz pour entretenir une température constante ; — ch, cheminée ; — f, fil attaché à l'extrémité supérieure du siphon de la Pholade ; — T, tambour de Marey récepteur relié à un autre tambour enregis- trant les mouvements du siphon sur le cylindre eg; — S$S, signal électrique ; — M, métronome ou diapason ; — E, pile avec dispositif permettant d'enregistrer la durée de l'action de la lumière et des divers phénomènes qui en résultent. celles-ci ont communiqué, à leur tour, l'excitation aux gan- glions nerveux, d’où partent les nerfs innervant les muscles longitudinaux. On produit les mêmes effets en déposant à la surface du derme des substances excitantes ou sapides, ou bien par l'excitation électrique, ou encore par la chaleur, à l’aide d’une pointe chauffée. Toutefois, les réactions motrices diffèrent entre elles sui- R. Dugors. 17 258 LA VIE ET LA LUMIÈRE vant la qualité des divers excitants et aussi, pour un même excitant, suivant l'intensité de l'excitation. On peut facilement avec le siphon de la Pholade enregis- trer les photoréactions motrices, aussi bien celles qui sont purement myodermiques, superficielles, tégumentaires, que celles qui sont de nature réflexe. Ce qu'il y a de fort remarquable, c’est qu'un fin pinceau de lumière projelé sur le tégument du siphon produit un résultat F1G. 45. — Courbe fournie par la lumière tombant à la surface d'un siphon de Pholade isolé des centres nerveux et du corps de l’animal. a, début de l'éclairage ; — «’, début de la contraction. sinon absolument identique, du moins très analogue à tout autre excitation localisée. Si l'excitation n'est pas trop forte, en vertu de cette con- traction tégumentaire, le siphon peut s'incurver d’une manière très caractéristique du côté éclairé. Il est évident que l'on ne saurait assimiler cette photoréaction motrice aux phénomènes de photomorphose de l'héliotropisme végétal, et, si je me suis servi autrefois pour le désigner du mot « héliotropisme animal », c'est dans un sens purement mélaphorique. Au moyen d'un dispositif spécial (fig. 44),1l est facile d'obte- nir des courbes graphiques des photoréactions motrices su- perficielles ou réflexes : la Pholade peut donc enregistrer ses sensations lumineuses (fig. 45 et 46). Dans ces conditions, c’est exactement comme si l’on enregistrait les contractions des ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 259 cônes et des bâtonnets sous l'influence de l’éclairement de la rétine el la contraction réflexe du sphincter de l'iris qui lui succède. Avec le siphon de la Pholade séparé du corps, c'est-à-dire des centres réflexes (ganglions palléaux), on peut obtenir isolément le premier phénomène, quelle que soit l'intensité de l’excilation lumineuse : cet organe détaché reste excitable B GR DPI CAR OT AN, PER SE EN PO ARS ER TERRE REA F1G. 46. — Courbe fournie par la lumière tombant à la surface du siphon d'une Pholade entière. À, contraction primaire, superficielle du système avertisseur neuro-myo-épithé- lial; — B, contraction réflexe des grands muscles longitudinaux du siphon (A est comparable à la contraction des cônes et des bâtonneis &@ans la rétine et B à la contraction réflexe de l'iris). pendant plusieurs jours, mais seulement dans ses parties superficielles, ce qui est fort commode pour étudier sépa- rément les propriétés physiologiques de la couche myoder- mique. Rapidité visuelle. — La surface dermatoptique du siphon de la Pholade dactyle de l'Océan est très sensible : celle de la Méditerranée, plus pigmentée, l’est moins. Pour la première, il suffit avec une lampe de 10 bougies placée à une distance de 30 centimètres, d'un éclairage de 2/100 de seconde pour- obtenir un tracé. Mais, à cette limite, avec la Pholade entière, on n'enregistre le plus souvent que la contraction myoder- mique, ou bien la seconde, ou contractionréflexe, ne se montre que tardivement, mais alors avec une grande brusquerie. Intensités éclairantes. — Avec une lampe de 10 bougies placée à une distance de 6o centimètres, si l’on fait des exci- tations d’une durée de deux secondes chacune, à une heure d'intervalle, on obtient des tracés identiques; mais si l’on éloigne de plus en plus la lampe, on voit peu à peu aug- menter la durée de la période latente de contraction et dimi- 260 LA VIE ET LA LUMIÈRE nuer l'amplitude de la courbe. Pour éviter les perturbations produites par la fatigue dans les expériences en séries, il est préférable de placer alternativement la lampe à 100 centi- mètres et à 10 centimètres. Dans ces conditions, j'ai trouvé que lorsque l'éclairage devenait 100 fois plus faible, l'amplitude de la courbe deve- nait dix fois moindre et la durée de la période latente envi- ron deux fois plus longue. Minimum d'intensité perceptible. En éloignant la lampe de plus en plus, jusqu'à ce que la lumière ne donne plus qu'une contraction imperceptible, on trouve que la lueur la plus faible, encore capable de provoquer une sensation, est égale à 1//400 de bougie. La Pholade peut donc, comme nous, sentir de faibles clartés et apprécier avec une grande précision la valeur des intensités lumineuses. Elle pourra distinguer un mouvement, la direction de la lumière incidente, la durée et aussi l'inten- sité lumineuse ; cette dernière notion lui est manifestement fournie par lamplitude de la contraction myodermique, de même que la notion de l'intensité de l'éclairage nous est cer- tainement donnée par l'amplitude des contractions des cônes et des bâtonnets, qui varie avec elle et lui est proportion- nelle. Sensation chromatique. Dermochromatoptisme. — Si lon fait tomber successivement sur l'ouverture de lobturateur de mon appareil les différentes zones du spectre solaire ou du spectre d’une lampe à arc, on provoque des contractions du siphon isolé ou de la Pholade entière par toutes les radia- tions colorées que notre œil peut voir : la Pholade voit donc les mêmes couleurs que nous (1). (1) REMARQUE. — Cela ne signifie pas que ce Mollusque a des cou- leurs, des variations de l'intensité lumineuse, de la direction et de la durée de l'éclairage les mêmes représentations « psychiques » ou plutôt « cérébrales » que nous : il ne s’agit icique de ce qui se passe dans les organes des sens, et dans le cas particulier, ce sont unique- ment la rétine dermatoptique et l'œil différencié. C’est dans ces par- ties que je localise les sensations pour éviter la confusion avec ce qui se passe dans l'organe récepteur et dans les centres, où se font les DES à ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 261 Le moindre déplacement du prisme, lorsque la Pholade est éclairée par les radiations vertes, par exemple, suffira pour provoquer une contraction dans Île jaune vert. Non seulement la Pholade voit les couleurs, mais elle dis- üngue aussi les nuances. Il ne saurait s'agir ici de variation de l'intensité éclairante. Les courbes, pour des différences d'intensité, ne varient que sous le rapport de l'amplitude, même quand il s’agit d'une lumière monochromatique. L'am- plitude de la courbe ne peut nous fournir aueune indication sur l'existence ou l'absence du sens chromatique derma- toptique : il n’en est pas de même de la forme des courbes, laquelle change avec la couleur de la lumière incidente, qu'il s'agisse de la couche myodermique seule ou de la grande contraction réflexe combinée avec elle. La contraction est très lente avec le rouge et le violet; elle est lente avec le bleu et rapide avec le jaune et le vert. De sorte que si l’on range les excitants lumineux des diverses régions du spectre suivant la rapidité de la photoréaction motrice qu'ils provoquent, et selon la durée de la période perceplions, lesquelles peuvent être conscientes ou inconscientes. Ainsi un rayon de lumière fait-il contracter les bâtonnets et les cônes, aussitôt une traction est exercée sur les fibres du nerf optique ; l'excitation neurale succédant à cette excitation mécanique sera transmise à des centres de perception, et il pourra en résulter soit simplement une contraction réflexe de la pupille, laquelle peut être parfaitement inconsciente, soit la notion consciente d'une clarté plus ou moins intense, plus ou moins rapide, reconnue colorée de telle ou telle manière, selon l’idée que nous avons de la couleur. Ce qui a beaucoup nui au progrès de ces questions, ce sont les dis- cussions stériles nées du défaut de définition précise des termes employés et de l'abondance extravagante des néologismes créés pour indiquer bien souvent un même fait, un même phénomène. Nuel, en cherchant à metlre un terme à ce malencontreux état de choses, n’a fait que l’aggraver. Les abus de l’anthropomorphisme, du finalisme, ont, par réaction, provoqué les abus du mécanisme, du zoomorphisme et du fata- lisme radical. Il serait urgent de s'occuper de rechercher ce que l'Homme a de semblable, d'analogue ou de différent vis-à-vis des autres organismes vivants, au lieu d'en faire un être à part, seul « psychologant » dans la Nature, ce qui n'a d’ailleurs aucun sens, la question de l’âme étant devenue surannée, désuète et ne constituant plus aujourd'hui qu'un vestige intellectuel ancestral inutile. 262 LA VIE ET LA LUMIÈRE latente qui la précède, on observe l'ordre croissant suivant : violet, rouge, bleu, jaune, vert. La lumière blanche,considérée comme composée de toutes les couleurs réunies du spectre, provoque une contraction de rapidité moyenne et c'est peut-être pour ce molif qu'avec un faisceau composé d’un excitant lent, le rouge, et d'un exci- tant rapide, le vert, on a une contraction de rapidité moyenne donnant la sensation de lumière blanche; le résultat serait le même avec le bleu, excitant lent, et le jaune, excitant rapide. Aiünsi s'expliquerait le rôle des couleurs complémentaires et leur mécanisme physiologique. Si l'on veut considérer la lumière blanche comme une lumière simple, dont les longueurs d'ondes de valeur moyenne peuvent êlre raccourcies ou allongées par le prisme, on comprend mieux encore pourquoi elle ne provoque qu'une photoréaction motrice de rapidité moyenne. Ce résultat expé- rimental a l'avantage de pouvoir être expliqué à la fois par les deux théories les plus spécieuses sur la nature de la lu- mière blanche. En résumé, il résulte des nombreuses expériences que j'ai faites avec la Pholade, que la sensation d'intensité lumineuse est fonction de l'amplitude du mouvement du système avertis- seur et que la sensation de couleur est déterminée par la rapi- dité de ce mouvement, comme dans l'audition la hauteur du son est fonction de la rapidité des vibrations sonores, et son intensité de l’amplitude de celles-ci. Ces résullats sont sans doute dans un étroit rapport avec ce qui se passe dans l'oreille interne pour les fibres auditives : ces dernières doivent se comporter comme le système avertisseur visuel. La vision se trouve donc ainsi réduite à un phénomène tactile, puisque les nerfs ne sont impressionnés que par des ébranlements résultant du raccourcissement des segments musculaires dermiques fournissant des courbes de contrac- lions télaniques, comme le montrent les figures 45 et 46. Cet état télanique est certainement accompagné de con- tractions fibriilaires plus ou moins rapides, comme cela arrive toujours en pareil cas, capables de faire vibrer, d’une manière ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 263 spéciale pour chaque radiation simple, les nerfs conducteurs et les éléments nerveux récepteurs. La plus ou moins grande rapidité du départ de la contrac- tion indique bien également que ces tétanos sont provoqués par des excitants plus ou moins rapides. Les sensations lumineuses que produisent les courants électriques traversant notre œil sont bien connues : elles sont du même ordre que celles qui résultent de pressions méca- niques exercées sur le globe de l’œil et qu’on désigne sous le nom de phosphènes. Si l’on excite directement le nerf optique, par exemple dans l'opération de l'énucléation de l'œil, ou de la simple section chirurgicale du nerf, on obtient encore des phosphènes. Les courants électriques ne donnent pas seule- ment des sensations lumineuses, mais encore des sensations suivies de perceptions chromatiques, qui n'ont pas été assez étudiées. Heltmoltz disait que sur lui-même les courants forts produisaient une confusion de couleurs dans laquelle il ne pouvait découvrir la loi. Cela tenait sans doute à des déri- vations multiples dues à l’inégale conductibilité de divers point des milieux de l'œil. Newton expliquait les phosphènes par cette hypothèse que l’'ébranlement mécanique de la rétine donne à celle-ci un mou- vement analogue à celui que lui imprime les rayons lumineux qui viennent la frapper. Or, on admet aujourd’hui que la lumière exerce une pression sur la surface qui la reçoit. J'ai dit plus haut que les excilalions mécaniques peuvent produire des contractions létaniques de la couche myoder- mique de la Pholade aussi bien que la lumière. Les choses doivent se passer de même dans la rétine, qui n'est, après tout, comme le montre l'embryogénie, qu'un retour vers l'extérieur d’une invagination de l'ectoderme. La photoréaction contractile, ou photo-irritabililé, est une propriété qui existe, comme je l’ai indiqué, chez les Protistes, chez les Cœlentérés, dans les fibres iriennes des Poissons et des Reptiles, et dans diverses espèces de chromatophores d’un grand nombre d'animaux : elle est donc très répandue. Tous ces faits sont en faveur de ma théorie générale de la 264 LA VIE ET LA LUMIÈRE vision, à laquelle j'ai donné le nom de Théorie phosphénique. Mais l'exactitude et la généralité de cette théorie nouvelle trouve aussi d’autres preuves, d'une importance plus grande encore, dans les recherches suivantes qui ont été suggérées par mes recherches. D'Arsonval a vu que quand on illumine un muscle de Grenouille à l’aide d'un arc électrique, il reste immobile. Mais si on lui adjoint des courants d'induction d'une intensité au-dessous du seuil, et si l’on éclaire de nou- veau, il se produit un léger tremblement des muscles. Frédérick a obtenu le même résultat avec le muscle car- diaque sans le secours de l'électricité. De son côté, Charpentier, à l’aide de disques tournants diversement agencés, a constaté l'existence d'oscillations réli- niennes au sujet desquelles il s'exprime ainsi : « Il se peut qu'il y ait là une véritable contraction des bâtonnets. Ce qui semble très remarquable, c'est la valeur du rythme de cetle oscillation. La fréquence est de 30 à 35 oscillations complètes ou doubles par seconde: or, les physiologistes. ont reconnu expérimentalement que la contraction muscu- laire normale chez l'Homme se compose d’un nombre très. analogue de secousses fusionnées : c’est, en un mot, un phénomène rythmique que celui étudié dans ce travail. La réaction oscillatoire de la rétine peut donc étre rapprochée d'un phénomène de contraction. » C'est en 1892 que Charpentier publiait ces résultats qui n'étaient en définitive que la confirmation de l'exactitude de la Nouvelle théorie du mécanisme des sensations lumineuses que: j'avais publiée en 1890, c'est-à-dire deux ans plus tôt (1). Plus tard, en 1896, Charpentier reconnut la généralité des oscillations qui se produisent à la naissance de toute excilalion lumineuse, et, en 1808, il annonçait que la percep- lion entoptique de la pourpre rétinienne pouvait s’obtenir par les excitations lumineuses d'un certain rythme, déterminé par celui des oscillations en question. Angelucci a exposé des considérations qui se rapprochent (1) Rev. gén. des Sc. p. et app., 1, p. 198, Paris, 1890. ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 265. beaucoup de celles que j'avais publiées autrefois sur le mé- canisme visuel (voir p. 270). Il n'est pas possible d'expliquer autrement que par des contractions oscillatoires le papillotement lumineux que l’on éprouve en regardant tourner un tube de Gessler. C'est encore le même phénomène qui se produit quand on fixe dans l'obscurité, alors que l'œil est bien reposé, de très petites colonies naissantes de Photobactéries : il en résulte une véritable impression de scintillement. Elle est pour moi de même nature que celle que l’on éprouve en regardant la nuit un petit point lumineux très éloigné ou une étoile vue par conséquent sous un angle très aigu el avec une faible clarté. Dans ces conditions l'excitation qui tombe au fond de l'œil sur un point très limité ne s’irradie pas vers les points voisins. En outre, les oscillations contrac- iles élémentaires des cônes et des bâtonnets ne se fusion- nent pas, comme dans un tétanos électrique rendu imparfait par insuffisance d'intensité du courant, et ainsi se trouvent éliminées les deux conditions qui pourraient concourir à donner à la sensation lumineuse une continuité : il y a alors scintillation (1). On sait aussi que les étoiles à lumière rouge (excitant lent) scintllent moins vite que les étoiles à lumière jaune et blan- che (excitants rapides). Nos perceptions colorées sont certainement en rapport avec la vitesse plus ou moins grande des oscillations. On peut s’en rendre compte facilement avec le « disque-tonton » de Charles Benham, qui permet d'obtenir des perceptions colorées au moyen de la succession plus ou moins rapide de segments noirs et blancs. L'explication de ce curieux phéno- mène proposée par Charles Henri ne saurait être exacte, car (1) REMARQUE. — Il se peut que dans la scintillation des étoiles il existe de véritables intermittences objectives d'ordre physique, puisqu'on a pu les cinématographier, mais, en astronomie, on admet aussi depuis mes recherches sur ce sujet que, dans l'étude de la scin- tillation, il faut tenir compte de phénomènes d'ordre physiologique. (Ca. GALLISSOT, Contribution à l'étude de la scintillation. C. R. Ac. d. Sc., p. 1134, 2 déc. 1912.) 266 LA VIE ET LA LUMIÈRE au lieu d’un disque plat, j'ai pu me servir d'un cylindre tournant, qui m’a donné les mêmes résultats. Si les preuves nombreuses d'ordre morphologique, chi- mique, physiologique, accumulées pour prouver la généra- lité et l'exactitude de ma théorie phosphénique de la vision ne paraissaient pas, contre toute apparence, suffisantes, on pourrait y ajouter encore celles qui résultent de l’étude com- parative des effets électro-moteurs provoqués dans l'œil et dans la rétine dermatoptique par l’action des radiations lumi- neuses. 24 D. — Production de l'électricité par la lumière ou photoélectroréaction. Si dans un circuit galvanométrique on intercale une Pholade maintenue à l'obscurité, de façon que l’une des bor- nes soit reliée à la face externe et l’autre à la face interne du siphon de l'animal, et que l’on fasse tomber à la surface de cel organe un faisceau de lumière, on constate au galvano- mètre lrois dévialions successives : 1° Une première, négative, c'est-à-dire indiquant une dimi- nulion de potentiel de la surface externe éclairée ; 2° Une deuxième de même sens que la première; 3° Une troisième, en sens inverse des deux premières, et survenant lardivement. La première déviation précède la première photocontrac- lion, celle qui a lieu dans la couche myodermique ; la seconde précède la deuxième contraction réflexe des grands muscles longitudinaux et la {roisième correspond à l'allongement du siphon, qui reprend son atlitude de repos. Sur une Pholade, peut-être un peu fatiguée, j'ai trouvé que le temps écoulé entre le moment de l'éclairage et la dé- vialion était de 8/3 de seconde, et, entre celle-ci et la première contraction, de 5/3 de seconde (1). (Lt) Voir La Pholade dactyle, Ann. de l'Un. de Lyon (pp. 121-123), 1892, et Traité de phys. biol., p. 290, 1903, Paris, Masson. ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 267 La deuxième contraction a apparu 32/3 de seconde après l'éclairage et 18/3 de seconde après la deuxième déviation. Des phénomènes de même ordre se passent dans notre œil. Dewar, Holmgren, Châtin, ont établi qu'il se produit une « variation négative » dans le nerf optique, d'où résulte un «courant d'action » toutes les fois qu'un rayon lumineux tombe sur la rétine; en outre, la chute de potentiel, comme le départ de la contraction dans mes expériences, est plus rapide pour les radialions jaunes et vertes ou de longueur d'onde moyenne que pour les autres (1). Alessandro Brossa et Arnt Kohlrausch ont fait récem- ment à l’aide du galvanomètre enregistreur photographique F1c. 47. — Courbe de Brossa et ARNT KOHLRAUSCH. de Einthoven de très intéressantes observations sur la photo- électroréaction de la rétine de la Grenouille vivante et curari- sée (2). On savait, d'après les travaux de Kühne, Steiner, De- war, Mac Kendrick, etc., que la grandeur du courant d'action de la rétine excitée par la lumière dépend de la grandeur de l'excitation lumineuse, en d’autres termes de la quantité de lumière incidente. Il était acquis que les couleurs telles que le rouge et le bleu ayant un pouvoir éclairant moindre que le jaune et le vert, provoquent aussi un moindre courant d'action. A. Brossa et Arnt Kohlrausch se sont demandés si les diffé- rences entre les courants d'action provoqués par les diverses couleurs du spectre se traduisaient seulement par des varia- (1) Voir Cent. BI. f. Physiol. et Arch. de Rubner, 1913, et Arch. f. Anal. u. Physiol., pp. 449-492, 1913. (2) REMARQUE. — Le curare n'agit pas sur tous les éléments contrac- tiles. 268 LA VIE ET LA LUMIÈRE üons d'intensité, et ils ont constalé qu'il n’en élait pas ainsi. Ces auteurs, qui ignoraient l'existence de ma théorie phosphé- nique de la vision, sont arrivés à des conclusions expérimen- tales qui confirment de la manière la plus irréfutable la loi que j'ai formulée, à savoir que la notion de quantité de lu- mière se traduit par l'amplitude des contractions élémen- taires réliniennes, et celle de la qualité de la lumière par la forme de ces contractions. Seulement, au lieu d'enregistrer directement ces contractions, ce sont les courants d'action provoqués par la photoréaction qu'ils enregistrent. Pour démontrer que l'amplitude des courbes galvanomé- triques est fonction seulement de la quantité de lumière, ils augmentent la quantité de la lumière colorée incidente en ouvrant progressivement la fente du collimateur du spectro- scope fournissant les radiations colorées. Ils arrivent ainsi à obtenir des courbes ayant toutes la même amplitude, mais la Jorme de ces courbes diffère, exactement comme ce que nous avons trouvé en enregistrant les contractions photoderma- tiques de la Pholade. Ces expérimentateurs ont également constaté l'existence de trois photoréactions successives, mais, chez la Grenouille, la troisième s’est montrée de même sens que les deux pre- mières. Malgré l'égalité d’excitation, l'amplitude de la deuxième courbe est plus grande pour le bleu que pour le rouge, mais ce qu'il y a de nettement caractéristique pour déceler la diffé- rence qualitative de ces deux excilations chromatiques, c'est que la courbe fournie par le bleu monte beaucoup plus vite que celle du rouge et que la descente de la courbe est beau- coup plus rapide pour le bleu que pour le rouge. Avec des intensités différentes de chacune de ces radialions colorées, la forme typique est conservée, ce qui prouve bien que ce sont des différences dues à la longueur d'onde et non à l'in- tensilé. Pour le Jaune et le vert, les différences de formes seraient intermédiaires ; à part ce dernier point de détail qu'il y aurait peut-être lieu de revoir, on peut dire que mes observations et ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 269 celles de A. Brossa et Arnt Kohlrausch se complètent de la manière la plus heureuse et qu'il faut définitivement admettre : que la photoréaction visuelle peut étre traduite par des courbes qui, par leur AMPLITUDE, indiquent l'intensité de l'éclairage et par leur FORME sa qualité chromatique. La contraction photodermatique ne se montrant qu'après la variation électro-motrice, on peut se demander si ce n'est pas elle qui produit la photoréaction motrice, l’excitant lu- mière étant alors préalablement transformé en excitation électrique. Quoi qu'il en soit, entre les deux phénomènes photoréaclion motrice el photoréaction électrique, il existe les relations les plus étroites et toutes les deux conduisent à la même conclusion: à savoir que la sensation visuelle est liée à la quantité de lumière, et la sensation chromatique à sa qualité, dans la peau de la Pholade comme dans la rétine. Donc, tout ce que nous savons démontre que la notion de quan- tité et de qualité de la lumière n'est pas le résultat direct d'une prétendue sensibilité spécifique neurale, mal définie, de termi- naisons « nerveuses » hypothétiquement considérées comme dif- Jérenciées à cet effet, et que les cellules pigmentaires et la pour- pre rétinienne n'interviennent que dans des cas particuliers pour jouer un rôle secondaire de perfectionnement. La lumière pro- voque d'emblée, primitivement et directement dans la rétine oculaire, comme dans la rétine dermatoptique, des photoréactions motrices, qui secondairement excitent les terminaisons de nerfs se rendant à des centres, où ils éveillent des perceptions et des actions réflexes spéciales, comme si on les touchait, ou bien comme Si on les excitait directement par des agents physiques (électricité), ou chimiques. La vision ordinaire est à rapprocher, et même à identifier pour son mécanisme normal avec celui des phosphènes, d'où le nom de « théorie phosphénique de la vision » choisi pour désigner ma théorie visuelle (1). (1) REMARQUE. — En 1905, Angelueci a repris pour son compte ma théorie de la vision, mais il a eu le tort de faire concourir au phé- nomène visuel des effets qui ne sont manifestement que le résultat consécutif, secondaire de l'activité photique des éléments fonda- 270 LA VIE ET LA LUMIÈRE Actuellement certains auteurs (surtout des morphologistes comme von Beer) inclinent à penser que la différenciation morphologique existe toujours, ou presque toujours, pour la sensation lumineuse par la peau: si l’on n’a pas encore décou- vert el distingué des autres organes sensitifs les « photeurs », éléments optiques ou visuels, c'est par suite de l’imperfec- tion de nos moyens de recherche. Dans une copieuse compilation, qui ne renferme malheu- reusement aucune observation, et surtout aucune expérience personnelle, von Beer a accumulé des matériaux morpholo- giques, dont il se sert pour combattre des expériences et des données physiologiques, dont il ne paraît pas avoir toujours saisi le senset la portée(1). Or, on a renoncé depuis longtemps à définir le rôle physiologique des organes ou même des éléments anatomiques, qui les constituent, d’après leur mor- phologie. Claude Bernard s’est appliqué à montrer les dan- gers d'une semblable méthode. Hesse, il est vrai, a cherché par l'expérimentation à loca- liser dans ce qu'il appelle les « cellules optiques » une fonc- tion visuelle. Pour cela, il touche avec une faible dissolution mentaux de la vision, ainsi que l’a fait justement remarqué Chiarini ; on ne doit pas confondre l'activité du muscle résultant de sa con- traction avec la contraction elle-mème. Ce dernier auteur pense que la contraction des bâtonnets n’est pas nécessaire pour la vision. Cer- tains rongeurs jouissant d'une vision parfaite, ne posséderaient que des bâtonnets et ces derniers ne seraient pas contractiles. Cependant dans les cinq classes de vertébrés qu’il a étudiés, Chiarini a toujours observé la contraction des cônes et la déformation des bâtonnets, mais il attribue cette dernière à la pression latérale exercée par les cônes pendant leur contraction (?). Les figures données par l'auteur semblent montrer, au contraire, un véritable raccourcissement des bâtonnets, là où l’on devrait voir un allongement si l'interprétation donnée par l’auteur était exacte. I1 attribue les mouvements des franges rétiniennes à un « chimioa- tropisme » et non à un phénomène de contractilité. Mais il est mani- feste que les segments épithéliaux, les franges rétiniennes et même les corpuscules pigmentaires sont simplement allongés par les cônes et les bâtonnets qui les étirent au moment de leur contraction. D’après le même auteur, le pigment n'aurait pas d'autre rôle que de nourrir les cônes et les bâtonnets, mais c'est là une hypothèse purement gra- tuite. (1) In Wiener Klin. Wochensch., n° 11, 12 et 13, 1901. ET PE ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 271 de quinine différentes places du corps d’un Lombric:il obtient ainsi une contraction suivie d'un gonflement sur tous les points du tégument, tandis qu'en mettant les Lombrics dans des tubes de verre que l’on éclaire par points, le maximum d'excitabilité à la lumière correspond aux régions où se ren- contrent en plus grand nombre les cellules optiques. Malheu- reusement ces expériences rudimentaires ne prouvent pas même que le siège de l’excitabilité à la lumière se trouve dans la peau ct, à plus forte raison, qu’elle soit localisée dans les éléments en question. La réception des excitalions mécaniques aurait lieu par des terminaisons libres des nerfs dans l'épiderme, découvertes par Smirnow ; mais ici encore la démonstration expérimentale fait défaut. La différenciation morphologique tend à s’effacer de plus en plus au fur et à mesure que l’on descend l'échelle des êtres organisés. Comme chez les organismes photogènes, c'est l'organe qui disparaît quand la fonction persiste encore. Chez les Protistes, la photoréaction motrice n’est pas plus localisée que ne l’est la biophotogénèse. Pourtant Pouchet avait jadis décrit un œil chez les Péri- diniens et Harold Wager aurait, à son tour, découvert l'œil végétal de l’Euglène, qui n'est plus considéré aujourd'hui comme un animal. Cet œil végétal consisterait en une masse de granulalions pigmentaires semblant enrobées dans une matière cytoplasmique. La lumière absorbée par cette masse paraîtrait agir sur le renflement placé près de la base du flagellum, dont elle modifierait les mouvements. D’autres auteurs sont allés plus loin encore dans la voie de la généralisation. D'après les recherches de Guttenberg sur les parties sensibles à la lumière des feuilles d'Odora moschatellina et Cynocrambe prostrata, ce n'est pas le pétiole qui place la feuille dans la position la plus favorable vis-à-vis de l'intensité lumineuse. Les mouvements seraient dus à des organes spé- ciaux, à des cellules épidermiques des papilles possédant des parois plus épaisses que celles du reste de la membrane cellulaire. La face externe aurait le plus souvent une forme 272 LA VIE ET LA LUMIÈRE concave-convexe par suile de son épaississement formant condensateur. Le noyau de ces cellules gît régulièrement contre la face basale. On sait, d’ailleurs, que la lumière tom- bant sur une feuiile verte y provoque des réactions électro- motrices analogues à celles de la rétine. A la suite de mes recherches sur la Pholade, divers auteurs ont admis que des organes sensoriels ne présentant pas de différences morphologiques reconnaissables peuvent être le siège de plusieurs sensations différentes ou servir de récep- teur à des excitations de nature diverses. À ces éléments polyesthésiques, où plurisensitifs, on a donné, en Allemagne, le nom de « Wechselsinne Organe ». Nagel, en 1894, a cité un grand nombre d'exemples à l’ap- pui de cette conception que j'avais émise plusieurs années auparavant. Il a fait remarquer, entre autres choses, que les tentacules des Aclinies sont des organes sensitifs universels. Tréviranus, en 1822, admettait déjà que les appareils des sens possèdent, en outre de la réceptivité, qui est uniquement propre à chacun d’eux, en même temps une réceptivité pour des 1m- pressions accessoires, et chez tous, disait-1l, on peut remarquer une déviation du toucher. Cette hypothèse qui n'est d’ailleurs qu'un reflet de celle d’Aristote, rééditée par saint Thomas d'Aquin : « Ergo non debet poni alter sensus præter tactum », est devenue une vérité démontrable à la suite de mes recher- ches sur la Pholade dactyle et sur l'Escargot (1). Croire qu'un élément sensoriel ne peut être excilé que par un excitant spécifique en vue duquelil est différencié est une grave erreur. Chacun sait que ceux de la rétine, qui sont spécialement adaptés à l’excitant lumière, ne fournissent pas moins des sensations suivies de perceptions lumineuses à la suite d’excitations mécaniques (phosphènes) ou élec- (1) Voir Anatomie et physiologie de la Pholade dactyle : structure, locomotion, tact, olfaction, gustation, vision dermatoptique, photo- génèse, avec une théorie générale des sensations, Ann. de l'Un. de Lyon, t. II, fase. 2, 1892; Physiologie comparée de l’olfaction, C. R. Ac. des Sc., 1890, et: Sur le sens olfactif de l'Escargot, C. R. de la Soc. de Biol., LVI, p. 198, 1904. ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 273 triques et que la perception douleur peut être produite par la lumière, la chaleur, le froid, l'électricité, le tact, l’audi- tion, etc. La notion de lumière, d’odeur, de saveur, de son, dépend surtout des centres de perception où se rendent les conduc- teurs venant des organes des sens, siège des impressions-sen- sations. Au point de vue de leur fonctionnement et même de leur structure, les divers éléments sensoriels présentent entre eux la plus grande ressemblance. En effet, on y trouve tou- jours un segment épidermique, une partie renflée en fuseau, dont l’extrémité profonde est en rapport, d'ordinaire, avec un élément nerveux (cellule ou fibre) : c'est toujours un sys- tème neuro-myo-épithélial plus ou moins différencié, pou- vant être formé par continuité ou contiguité, peu importe. Tout le monde sait aussi qu’une même impression-sensa- tion venant d'un organe, comme l'oreille, par exemple, peut, par répercussion réflexe, faire naître des perceptions lumi- neuses et même chromatiques (vision auditive). De même un bruit aigu, un son « aigre » donnera la perception gustative d'un acide, ou bier une perceplion de froid dans le dos ; enfin, quand on regarde une vasle surface blanche, comme un nuage très éclairé ou un fond de neige, on éprouve des pico- tements du côté de la muqueuse olfactive, el c'est un moyen bien connu de faciliter l'explosion d’un élternûment hésitant que de regarder le soleil. Je rappellerai encore que l’électrisa- tion des papilles de la langue produit des sensations gusta- tives. IL est parfaitement admissible que des éléments identique- ment constitués et excitables, comme est l'Amœæbe entier lui- même, par tous les excitants physiques, chimiques où méca- niques puissent fonctionner comme des récepleurs universels susceplibles de provoquer des perceptions de natures diverses parce qu'ils seront respectivement en rapport avec des centres percepteurs différents. Dans le cas où ces centres seraient eux-mêmes peu différenciés, ils n'éveilleraient que des perceptions associées, par cela même confuses, soil de tact-gustation-olfaction, soit de vision-audition, par exemple, R. Dugors 18 274 LA VIE ET LA LUMIÈRE ou, plus simplement encore, chez des êtres inférieurs, comme les Actinies, une seule perception synthétique, plus ou moins consciente, provoquée par des excitations de na- tures diverses, grâce à une seule espèce d’élément récep- teur et percepteur. Enfin, s’il n’y a ni organe récepteur, ni organe percepteur différencié, il ne reste plus, comme chez l’'Amæbe, que l'irritabilité bioprotéonique qui suffit à tout. C'est seulement par l'étude comparative des phénomènes phy- siologiques dans la série des êtres vivants que l’on arrive à distinguer ce qui est fondamental, de ce qui est accessoire et de perfectionnement, chez les organismes supérieurs, et c’est par la physiologie générale et comparée seulement que l'on parviendra à débarrasser la Science des hypothèses sans. aucun fondement scientifique qui l’encombrent malencontreu- sement, principalement en ce qui concerre la physiologie de: la vision. S 6. — Influence de la lumière sur l'idéation el sur le travail. Le noir, le violet, le vert foncé sont des couleurs tristes, de- « deuil ». Le vert clair, le jaune, le rouge sont des couleurs qaies. C’est en grande parlie à la lumière que nous devons les modifications psychiques que nous éprouvons suivant les jours et les saisons, par les nuits sombres ou étoilées, en face d’un paysage, d’un tableau, d’une statue, elc. Chacun sait que le rouge excite le Taureau, le Dindon et aussi l'Homme, qui en a fait un emblème révolutionnaire. Et chose curieuse, l'assassin impulsif dit qu'au moment du crime il a « vu rouge »! L. Dor a constaté des excitations allant Jusqu au vertige chez des neurasthéniques auxquels on faisait fixer une large surface rouge, alors qu'avec le vert, même très éclairé, ce résultat ne pouvait être oblenu. La lumiére verte a plutôt un effet calmant : on se repose volontiers à l'abri du feuillage. Autrefois dans les usines Lumière pour la fabrication des plaques photographiques, à ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 275 Lyon, quand les ouvriers travaillaient toute la journée dans une salle éclairée par des vitres rouges, ils se mettaient à chanter, gesticulaient abondamment et « inquiétaient » les femmes. Depuis que l'on a remplacé la lumière rouge par de la lumière verte, ils sont calmes, ne parlent plus guère et sont bien moins fatigués quand ils sortent de l'atelier (A. et L. Lumière). Les lunettes bleues ont été employées avec succès pour calmer les chevaux emportés. Ch. Ferré a étudié l'influence des sensations lumineuses et colorées sur le travail et la fatigue. Il a constaté que l'accès de la lumière provoque un relèvement du travail ergogra- phique commencé dans l'obscurité. Les verres colorés, et surtout les verres rouges, produisent un surcroît de travail, sans qu'il soit possible toutefois d'établir un classement dynamogénique des couleurs. Enfin Griesbach a vu que le travail manuel fatigue plus vite les aveugles que les voyants. Selmi et Piacentini ont trouvé que la lumière est un acti- vant du travail musculaire, même dans les états subconscients et même dans le sommeil : ce seraient le vert et le jaune qui produiraient le plus d'effet chez le Chien, la Tourterelle, la Poule. Pott est arrivé au même résultat avec la Souris. $ 7. — Influence de la lumière sur la circulation. Les phénomènes psychiques que je viens d'indiquer som- mairement sont, comme tous les aulres, dans un rapport étroit avec la circulation cérébrale. Pour celte raison, et pour d’autres encore, il est utile de connaître l’action de la lumière sur la circulation en général. Mes expériences sur les Protées aveugles des grottes de la Carniole ont permis de démontrer expérimentalement l'action directe de la lumière sur la circulation capillaire, d'une manière évidente, non discutable. Si l’on observe un Protée aveugle placé dans un endroit sombre, on constate que ses houppes branchiales sont flasques, flétries, blanchâtres : 276 LA VIE ET LA LUMIÈRE mais, dès que l’on fait tomber sur elles un rayon de vive lumière, elles deviennent aussitôt turgescentes et d'un rouge vif. La turgescence des branchies ne se produit pas dans la lumière rouge. Celte couleur paraît plutôt avoir un effet dépressif ou cons- triclif, anémiant en tout cas, qui doit retentir sur la cireula- ion cérébrale. Serait-ce pour cette raison que le rouge pro- voque la colère ou l'excilation cérébrale? On serait tenté de le croire, car c’est la pàleur qui accompagne Jes grandes émolions. Pourtant le Protée recherche l'obscurité ou, à son défaut, la lumière rouge ; il ne craint pas le vert, mais fuit avec énergie les radialions bleues, probablement à cause de leur action chimique. Le rouge qui ne provoque pas la lurges- cence des vaisseaux capillaires du Protée, ne détermine pas non plus la produclion du pigment cutané, qui colore la peau, normalement d'un blanc rosé de cet animal, en brun, quand il reste exposé à la lumière ordinaire : il doit y avoir une étroite relation entre ces deux phénomènes ; je reviendrai sur ce point à propos de l'influence de la lumière sur la for- mation des pigments. De celle observation, 1l convient peut-être de rapprocher celle de Gayda sur l'influence de la lumière sur l'hyperglobulie de la haute montagne. Des recherches qu'il a faites, en 1911, sur des Lapins, à 2.900 mètres d'altitude, l’auteur conclut que, parmi les facteurs qui agissent sur le système circulatoire dans la haute montagne, la lumière a son importance dans la déterminalion des variations du sang. En effet, l'hyperglo- bulie périphérique des hautes allitudes diminue et peut même disparaitre, au moins temporairement, sous l'influence de l'obscurité. D'après Gayda, l'hyperglobulie périphérique en question est due à la stagnation du sang dans les vaisseaux superficiels dilatés : c'est ce que j'ai constalé chez le Protée où le phénomène est très amplifié. OErum a étudié aussi l’action de la lumière sur le sang. Dans l'obscurité, chez le Lapin, la quantité de sang diminue de 3 p. 100 environ; le chiffre de l’hémoglobine totale s'abaisse . ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 277 aussi. La lumière rouge agit comme l'obscurité. Au contraire, la lumière bleue peut accroître en quatre heures la quantité de sang de 25 p. 100 (?); son aclion décroîit ensuite, mais reste su- périeure à celle du jour diffus. L'éclarement intense, comme l'obscurité, fait pälir le sang. Celle dernière augmente la pression sanguine, l’éclairement la diminue. La saignée de un quart de la quantité totale de sang, après séjour à l'obscu- rilé, peut ne pas entraîner de diminution de concentration du sang. Les animaux qui naissent à l'obscurité ou dans la lu- mière rouge pèsent plus que les animaux normaux, mais leur quantité de sang serait beaucoup moindre. Les résultats de ces expérimentateurs, qu'il faudrait cepen- dant contrôler, sont, en général, parfaitement d'accord avec ce que j'ai vu chez le Protée. | Marty a noté depuis longtemps que, chez le Rat, le nombre des globules rouges diminue à l'obscurité; faudrait-il rappro- cher de cet effet ceux qui font que chez la femme la mens- truation est plus hâtive dans les pays de soleil, tandis que chez les Esquimaux, les femmes ne sont pas réglées pendant les mois d'hiver? Finsen expose à la lumière solaire un têtard enveloppé dans du papier à filtrer, el plongé dans un courant d'eau froide, pour éliminer l’action des radialions calorifiques ; après dix ou quinze minutes des changements commencent. Dans les capil- laires qui s'étaient distendus, la circulation se ralenUil el finit par s'arrêter : les globules blancs,et mème les rouges, sortent des vaisseaux : il y a une véritable inflammation et elle est due aux rayons ultra-violels, d'après l'auteur. Pourtant, la plus grande partie de ces radiations doit être éliminée par le cou- rant d'eau et c’est plutôt à la partie éclairante du spectre qu'il faut attribuer les effets observés, malgré l'enveloppe de papier à filtrer. Le sang absorbe beaucoup de radiations ultra-violettes, mais elles sont loin d’être les seules actives. C'est sans doute pour protéger le sang, qui circule en abon- dance dans l'œil, de l’action nuisible des radiations lumi- neuses, qu'il existe une aussi grande abondance de pigment dans le fond de l'œil, et ce pigment paraîl êlre lui-même le 278 LA VIE ET LA LUMIÈRE résultat de la grande quantité de lumière jointe à l'abondance du sang dans cette région. Cette action de la lumière interviendrait-elle également dans les phénomènes phototropiques? Bohn a émis l'hypo- thèse qu'il existe deux espèces de sensibilisation des orge- nismes : celle vis-à-vis de la lumière et celle vis-à-vis de l'ombre, qui correspondent à des réactions chimiques anta- gonistes : oxydalions et réductions. Les causes qui accélèrent les oxydations organiques, augmenteraient la force de l’attrac- lion pour l'ombre. S 8. — Influence de la lumière sur la respiration. Peut-être aussi les photoréactions motrices, ou autres, se rattachent-elles à des oxydations ou à des réductions dues à l'action de la lumière sur l'activité des zymases respiratoires. Ostwaldt a étudié l’action de la lumière sur la catalase et la peroxydase, qui sont les agents principaux de la respira- üon lissulaire. La lumière artificielle ou naturelle détruit faci- lement la catalase. Chez les animaux ayant vécu en pleine lumière, on constate également une grande perte de catalase. Dans l'obscurité, ils présentent d’abord une augmentation, puis un déclin de leur contenu en catalase. Selon qu'il s’agit d'extraits de catalase ou d'animaux vivants, l'action des lumières colorées n’est pas toujours la même. Ces résultats contradictoires tiennent sans doute à ce que, chez l'animal vivant, les différentes lumières colorées agissent différem- ment. Quant à la néoformation de la catalase détruite, les unes la favorisent et les autres l'empêchent. La lumière faible empêche l'augmentation de la peroxydase, qui a lieu norma- lement en présence de l'oxygène. Cette action négative de la lumière devient positive quand elle a duré un certain temps ou que l'intensité de la lumière augmente. Sur les animaux vivant à la clarté du jour, la peroxydase est augmentée au même degré que la catalase est détruite. Les animaux posili- vement phototropiques contiennent beaucoup plus de cata- ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 279 lase et moins de peroxydase que ceux qui ont un phototro- pisme négatif. Ces conclusions sont d'accord avec celles de Bohn, car ce sont les animaux les mieux pourvus de peroxydase, d'après Ostwaldt, qui sont surtout attirés vers l’ombre ou l'obscurité. A ce propos, 1l n’est pas inutile de faire remarquer que la Pholade, riche en lucilérase oxydante, vit dans un trou, et que les animaux photogènes sont nocturnes ou crépuscu- laires. Je rappellerai cependant que l'insolation affaiblit et détruit même la luciférase, quand elle n’est pas protégée par des substances fluorescentes (voir p. 172). C'est peut-être par cette action de la lumière sur la luciférase que se peut expliquer l'action inhibante de l'éclairage signalée par quelques auteurs chez certains animaux photogènes, mais que je n'ai pu constater chez la Pholade dactyle vivante. Drewina a remarqué que sous l'influence du cyanure de potassium chez les Vers, les Échinodermes et les Mollusques, la sensibilité à la lumière disparaît bien avant la sensibilité tactile : cela tiendrait à ce que les oxydations sont inhibées par le cyanure de potassium. Quincke a montré que le chimisme respiratoire des cellules du pus est augmenté par la [umière. Lodato, de son côté, trouve que le pouvoir oxydant des tis- sus de la rétine de Grenouilles exposées à la lumière est très supérieur à celui des sujets maintenus à l'obscurité. Maleschot et Fubini ont constaté que l'émission d'acide carbonique par les organes isolés est plus considérable à la lumière qu'à l'obscurité. La même augmentation aurait été constatée également chez des Grenouillles entières et même chez des Grenouilles décapitées ou privées de leurs poumons. Fubini a publié, en 1891, des expériences de divers auteurs d'après lesquels l’exhalation de l'acide carbonique par les voies respiratoires serait augmentée à la lumière, même chez des animax plongés dans le sommeil hibernal (Loirs, Muscar- dins, Chauves-souris). Ces derniers faits ne prouvent pas que la lumière ait une action directe sur les oxydations élémentaires. J'ai montré 280 LA VIE ET LA LUMIÈRE que toutes les conditions qui favorisent le sommeil dimi- nuent les combustions et, parmi ces dernières, il faut placer en première ligne l’obscurité. Le sommeil des hibernants dans les endroits éclairés est plus léger, et alors les mouve- ments respiratoires et ceux du cœur sont accrus : il n’est donc pas surprenant que l'élimination de l'acide carbonique augmente. J'ai dit, à propos des Protées, que la lumière peut exercer une action directe sur la circulation, mais il se peut aussi qu'il s’y ajoute des effets réflexes dans l’état normal. Même chez les Grenouilles décapitées dont on éclaire seulement un côté, l'excitabilité réflexe serait plus grande du côté éclairé, d'après les expériences de Wendenski. Quoi qu'il en soit, il est important de noter, d’après Ost- wadt, que les Chenilles chez lesquelles la catalase s’accu- mule durant une expérience de clarté prolongée (3-4 jours) finissent par mourir ; leur phototropisme positif aurait donc une importance vitale. Les photoréactions nerveuses jouent un rôle bien diffi- cile à séparer, chez les organismes normaux, de l’action di- recte de la lumière sur les Lissus et, à mon avis, l’on n’a pas tenu assez compte, à tort, de l'augmentation de l'acide car- bonique dans les tissus, qui se fait simultanément avec celle des oxydations. Or, précisément, l’acide carbonique est un des agents les plus propres à renverser le sens des photo- tropismes et par conséquent des photoréactions. C’est d’ail- leurs, comme je l'ai montré par mes recherches sur l'hiberna- tion, le plus admirable des autorégulateurs pour toutes les fonctions de l'organisme. Les oxydations s’exagèrent-elles ? Parallèlement il se produit de l’acide carbonique qui les mo- dère ; si la température s'élève trop, l'acide carbonique inter- vient aussitôl avec son pouvoir hypothermique; ce pouvoir est si grand que ce gaz peut, par son accumulation dans le sang de la Marmotte, faire tomber la température de plus de 30 degrés. Il en est de même d’ailleurs quand on l’admi- nistre par inhalation, mélangé à l'oxygène dans des propor- tions convenables. Son pouvoir hypnotique, et même anesthé- ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 281 sique, est bien connu etil n’est pas surprenant que des animaux trop éclairés, chez lesquels les combustions sont exagérées d'abord, se saturent d'acide carbonique et se trouvent à un moment donné dans le même cas que si on avait augmenté l'acide carbonique du milieu ambiant, ce qui les aurait de même rendus négativement phototropiques: ils sont ainsi, par un mécanisme interne, poussés vers les régions les plus favorables au repos, au sommeil, vers lobscurité. Après 2 À le réveil, le quotient O diminue, et quand la quantité d’oxy- gène est redevenue proporlionnellement plus grande et suffi- sante, les oxydations recommencent à augmenter; la vie active s'ensuit, avec le relour vers la lumière et ainsi de suite. De cette façon s'expliquent logiquement l’enchaîne- ment des phénomènes de périodicité de la veille et du som- meil et leur coïncidence avec celle du jour et de la nuit. Mais, en réalité, ce que l’on attribue à l'oxygène est ce qui appartient à l'acide carbonique. Chez l'Homme même la respiration cutanée serait accrue, d'après Fubini et Rouchi. Lesexpériences plus récentes de Weissne confirment pasles résultats de Fubini, au contraire. Ce savant expérimentateur n'a pu constater aucune augmentation d’exhalation de l'acide carbonique par la lumière sur des Grenouilles curarisées ou privées du cerveau antérieur (C. R. de la Soc. de Biol., 1908); il serait indispensable de voir s'il ne s’accumule pas dans le sang. Je ne saurais trop le répéter, l'acide carbonique, que l’on avait, avant mes recherches, considéré comme un simple dé- chet de la nutrition, inutile, sinon nuisible, est au contraire un précieux agent de frénation, le plus merveilleux et le plus universel de tous les autorégulateurs des fonctions vitales. Dans l'organisme humain, il est surtout le frein automatique par excellence des phénomènes d’oxydation, quand il ne devient pas l'accélérateur des mouvements respiratoires, si l’économie se trouve menacée par sa présence en excès. Il n'agit pas alors sur le bulbe, comme on l’a prétendu, mais -282 LA VIE ET LA LUMIÈRE bien sur les centres respiratoires du cerveau moyen, ainsi que je l'ai démontré autre part (1). S 9. — Action de la lumière sur la production et sur la destruction du pigment. Quand on expose à la lumière le Protée aveugle des grottes de la Carniole, qui est naturellement d'un blanc rosé, il prend très rapidement une teinte grise, puis brune. Cette action peut être localisée à certains points du tégument que l'on aura éclairé à l'exclusion des autres. Par un phénomène d'induction, de rémanence de l'excitation, la coloration pourra n'apparaître que plusieurs heures après une courte expo- sition au soleil. Elle est due à la formation de pigment qui se dépose dans les parties les plus vasculaires de la peau, principalement autour des vaisseaux capillaires et paraît due à une extravasalion du sang. Cette production n’a pas lieu dans la lumière rouge ; elle se produit dans la lumière verte plus que dans la lumière bleue, qui cependant impressionne vivement l'animal, car il l’a fuit d’une manière constante. La pigmentation disparaît rapidement à l'obscurité. On sait que, chez les mineurs, la peau et même les cheveux se décolorent à la longue, même en dehors des cas d’anémie parasitaire, tandis que le teint des personnes qui vivent à la grande lumière du jour ont les parties qui y sont exposées fortement pigmentées. Cette pigmentation a pu s’accentuer avec le temps chez les nègres et devenir héréditaire pour la même raison. Smidth a établi l'existence d'une oxydase dans la peau du Cobaye et du Lapin, on en a même trouvé dans la peau de la Grenouille, et c’est grâce à elle que les principes générateurs de la mélanine, ou pigment noir, seraient engendrés après avoir été précipités de leur milieu alcalin par la sueur acide ; (1) RapnAEL Dupoïs, Contribution à l'étude de la thermogénèse et du sommeil. Physiologie comparée de la Marmotte. Ann. de l'Univ. de Lyon, 1896. ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 283 mais ce sont des vues théoriques qu’il faudrait soumettre à l'épreuve de la crilique expérimentale. Dewitz attribue la coloration de la soie des cocons de Saturnia pavonia et S. pyri à l’action d’une oxydase, mais la lumière n'interviendrait pas dans ce processus. Pourtant, d’après mes observations les cocons verts du Saturnia yama- maï sont beaucoup plus colorés du côté exposé à la lumière. Ce sont les animaux des tropiques et des pays chauds qui présentent les couleurs les plus riches et les plus variées, tan- dis que bien souvent dans les pays froids, c’est le blanc qui domine. Ce n'est pas, très vraisemblablement, un phénomène de mimétisme, comme le voudraient les finalistes, mais bien le résultat de l’insuffisance du rayonnement solaire ; il est à remarquer aussi que les animaux ont le dos plus coloré que le ventre. Chez certains Mollusques marins, la coloration de la co- quille dépend, jusqu'à un certain point, de la profondeur. On a remarqué que chez les Élatobranches, jusqu'à trois brasses, les couleurs sont les plus éclatantes ; de trois à vingt brasses, c'est le blanc et le vert qui dominent ; de vingt à trente-cinq, le pourpre ; plus profondément, le rouge et le jaune ; de soixante-seize à cent cinq brasses, le rouge brun ; enfin, de cent six à deux cent dix brasses, on ne rencontre guère que le blanc mat. Il ne faudrait pas trop généraliser, car on a retiré de mille brasses de profondeur dans la Méditerranée un Mollusque bivalve, Pecten opercularis, aux vives couleurs, et dans les dragages pratiqués dans les plus grandes profondeurs, des Alcyonaires remarquables par la beauté de leur coloris : mais il est vraiqueces régions abyssales sont éclairées par les ani- maux eux-mêmes. Pourtant « la lumière vivante » semble plutôt défavorable à la production du pigment, chez les In- sectes particulièrement. Les téguments très bruns des Pyro- phores et des Lampyrides restent translucides au niveau des appareils lumineux. Il existe bien des chromatophores pig- mentés à côté des glandes photogènes du Phyllirhoë buce- phale, mais, en revanche, la paroi interne du siphon de la 284 LAND ET ILA BONIÈRE Pholade où siègent les organes photogènes, en est dépourvue. En général, les animaux abvyssaux : Crustacés, Mollusques, Étoiles de mer, sont incolores, comme les animaux des cavernes ; les couleurs autres que le noir, le blanc sont excep- tionnelles, et certaines teintes du rouge sont rares; le bleu manque totalement (1). Schmidt a exposé pendant plusieurs semaines des Huîtres, dont une des valves avait été enlevée, à l’action de di- verses radiations colorées. Les Huîtres ensoleillées ou éclai- rées par la lumière bleue, fabriquent dans tout leur corps un pigment très visible. Celles qui sont exposées à la lumière rouge ne forment pas de pigment. Les Huitres, ayant fabriqué du pigment, le reperdent facilement à l'obscurité. Le pigment peut aussi se former sous l'influence indirecte de la lumière. D'après Franz, la jeune Sole, d’abord trans- parente pendant la vie pélagique, devient de plus en plus colorée avec la vie sédentaire, phénomène dû à l’augmenta- üon des cellules pigmentaires. Dans d'autres cas, il y a dilatation maximale des chroma- tophores après l'énucléation des yeux. La vue des corps sombres provoquant le noircissement, d’après cel auteur, le système chromatique est soumis à une influence trophique des excilations visuelles et des nerfs qui les transmettent. Le mécanisme intime de la formation d'un pigment sous (1) La couleur rouge présentée par des animaux retirés des grandes profondeurs peut tenir aussi, comme je l'ai déjà fait remarquer autre part, à la décompression qu'ils subissent. Il résulte des recherches que j'ai faites autrefois avec Paul Regnard, à la Sorbonne, que si l’on comprime à 700 atmosphères des Grenouilles ou d’autres animaux, leurs tissus absorbent de l’eau, ils sont hyperhydratés : quand la dé- compression cesse brusquement, c’est l'inverse qui se produit, l'eau d'abord fixée est rejetée par le bioprotéon par un phénomène de dés- hydratation. Or, si au moyen de la cuisson ou seulement de l'al- cool, on déshydrate des Crustacés, tels que le Homard ou l'Ecrevisse, chacun sait que de bruns qu'ils étaient, ils deviennent rouges. Beau- coup d'animaux brusquement attirés des régions abyssales arrivent à la surface comme s'ils avaient été cuits : la couleur rouge de cer- tains d’entre eux pourrait bien n'être que le résultat d’une déshydra- tation par décompression. ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 285 l'influence de la lumière n'a pu que dans un seul cas être réduit à un phénomène physico-chimique in vitro, comme la été le mécanisme de la lumière physiologique. Et chose remarquable, dans la formation du pigment en queslion, 1l y a absorplion de l'énergie lumineuse et dans le second émis- sion de lumière ! Comme je l'ai déjà dit, pour qui sait les analyser, les pro- cédés naturels sont d’une grande simplicité, car pour la pro- duction des éléments de la photoréaction pigmentogène de la pourpre, ce sont encore des glandes qui les préparent et 1l est curieux de voir que ces glandes sont les homologues de celles qui, chez les Mollusques lumineux, préparent les élé- ments de la réaction photogène. En effet, j'ai démontré que la glande à pourpre du Murex brandaris cont'ent une zymase, que j'en ai isolée et à laquelle j'ai donné le nom de Purpurase. En agissant in vitro sur une seconde substance cristallisable sécrétée par cette même glande et que j'ai appelée provisoirement purpurine, laquelle joue le rôle de prochromogène, il se forme un chromogène vert. Celui-ci, sous l'influence de la lumière, se transforme en pig- ment pourpre, c'est-à-dire en cette matière colorante, dont les anciens teignaient les étoffes destinées exclusivement aux empereurs, aux hauts fonctionnaires et à la noblesse, et dont le secret de formation et de fabrication était jusqu'à l'époque de mes recherches resté absolument mystérieux. J'ai montré que l'on pouvait, sous le microscope, suivre pas à pas la transformation de la purpurime de Murex bran- daris (1), en chromogène vert ou chloropurpurine, puis sous l'influence de la lumière en pourpre. La purpurase a été rangée parmi les macrozymases à cause de la grosseur relativement grande de ses grains. Sous l'influence de l'hydralation, ces grains se gonflent et passent à l’état de vacuolides (mitochondries glandulaires). (1) ReMarQuE. — La Purpurine du Purpura lapillus se comporte comme celle du Murex brandaris, mais celle du Murex trunculus donne un chromogène qui se transforme en pourpre violette, sans le secours de la lumière. 286 LA VIE ET LA LUMIÈRE Au centre, apparait une vacuole et dans l’intérieur de celle- ci des grains de pigment quand la purpurine y a pénétré. Ces derniers peuvent même prendre naissance en dehors des vacuolides, quand après avoir été transformée de prochro- mogène en chromogène, la purpurine a été rejetée par la vacuolide dans le milieu ambiant. Nous savons que les grains de la luciférase sont égale- ment des vacuolides et que la luciférase, comme la purpu- rase, est une macrozymase. Il est vraisemblable que toutes les zymases colloïdales sont formées de vacuolides, mais à grains colloïdaux plus petits. Les organes de la pourpre sont, comme les organes photo- gènes de la Pholade, des glandes hypobranchiales. Grâce à la séparation de la purpurase et de la purpurine, j'ai pu étudier dans des conditions expérimentales satisfaisantes l'action des diverses radiations sur la formation de la pour- pre. Pour cela, j'ai mélangé ces deux substances et pro- voqué la réaction photochromatogène dans des tubes à essai immergés dans des solutions colorées monochromatiques. J'ai constaté que, dans la lumière blanche, la couleur du mélange devient rapidement rouge ; dans la lumière bleue, moins rapidement; dans la lumière verte, moins vite que dans la lumière bleue; dans la lumière violelte, moins vite que dans le vert. Avec la lumière rouge, la couleur rouge apparaît tardivement et dans le jaune, elle ne se montre pas du tout. H se forme seulement le chromogène vert ou chloropurpurine, mais il suffit d'une courte exposition à la lumière blanche pour que celui-ei se transforme en pourpre. Avec la solution de purpurine du Murex brandaris et la purpurase, on peut facilement Leindre les étoffes de laine en pourpre. On fait bouillir avec de l’eau de savon de la flanelle blanche et on la lave à grande eau pour enlever toutes les impuretés ; ensuite on la fait bien sécher. Quand elle est sèche, on l’immerge dans une solution alcoolique de purpurine ; l'étoile est séchée à l'air libre et à la lumière. Il ne se produit aucune coloration, Quand toute trace d’alcool a disparu, on trempe ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 287 la flanelle dans une quantité de sel de purpurase juste suffi- fisante pour imbiber l’étoffe. On l’expose ensuite au soleil. La flanelle se colore rapidement en pourpre, elle est teinte d’une manière indélébile. On traite alors par l’eau bouillante et on sèche. L'étoffe préparée de cette façon m'a permis d'obtenir des photographies. Pour cela, il suffit, aussitôt que la flanelle a été imprégnée de purpurase, de l’exposer au soleil après l'avoir recouverte (l’un cliché négat:f. Toutes les parties frappées par la lumière blanche apparaissent en rouge pourpre plus ou moins saturé. Quand le tirage paraît suffisant, on fixe l’image en faisant bouillir la flanelle dans l’eau. La purpurase est détruite et la purpurine inaltérée est dissoute. On lave à l’alcool et on sécre One Avec desclichés en couleurs obtenus par le procédé de Lipp- mann, j'ai vu se former des nuances variées : du rouge, du vert, du jaune, parfois même du bleu, malheureusement ces teintes, d’ailleurs impossibles à fixer, ne correspondent pas à celles du cliché, mais il y a là une indication que l'on trou- vera peut-être un jour un chromogène qui formera du rouge dans la lumière rouge, du bleu dans la lumière bleue, etc. Mandoul a remarqué que les diverses radiations, chez cer- lains Insectes à propriétés chromogènes spéciales, seraient capables de déterminer la formation de pigments reprodui- sant les teintes des radiations qui les impressionnent. Au moment où le chromogène du Murex brandaris donne sous l'influence de la lumière le pigment pourpre, il se déve- loppe une odeur fétide, bien connue des anciens : elle résul- terait, d'après Derrien, de la formation simultanée d'un mer- caplan. Il se peut que beaucoup d'odeurs, de parfums des fleurs ou des fruits se développent par un procédé analogue sous l’action de la lumière. | D'après Slavko Secernov, la lumière produit des effets de (1) RaPHAEL Dugors, Recherches sur la pourpre et sur quelques au- tres pigments animaux. Arch. de zool. exp. et gén., 5° gsér., t. XI, 25 nov. 1909, Paris- 288 LA VIE ET LA LUMIÈRE synthèse ou de destruction des pigments. Les pigments colorés dérivent, en général, d’un pigment noir pouvant se former aussi bien à la lumière qu'à l'obscurité, mais dans ce dernier cas, il serait plus facilement transformable en bleu, jaune, rouge. Ce sont les trois composants du pigment noir ; le rouge est le plus difficile à obtenir. La lumière peut agir de diverses facons soit sur la mélanine, soit sur le chromco- gène, sur la zymase formatrice du prochromogène ou sur ce dernier lui-même : d’où des modes de formations diverses des colorations des organismes vivants. L'action de la lumière sur les animaux fluorescents ayant élé traitée à propos de l’action des radiations fluorescentes (voir p. 166), je n'y insisterai pas 1c1. Je rappellerai seulement qu'on à confondu la fluorochloro- bonelline de la Bonellie avec la chlorophylle et que j'ai, avec mon élève M. Villard, donné les caractères différentiels qui les séparent radicalement. Il n'en faudrait pas conclure que je pense que la chlorophylle n'existe pas chez les animaux ; on l'y rencontre en effet, mais elle a deux origines bien diffé- rentes : elle peut provenir de l'extérieur par la nourriture, soit encore par imprégnation et par symbiose, ou bien appar- tenir en propre à l'organisme animal. La chlorophylle que l’on rencontre dans l’hépalo-pancréas de l’Escargot est bien, comme l’a démontré Dastre, d'origine alimentaire. Peut-être en est-il de même de celle dont Bec- querel et Brongniard ont signalé la présence dans certains Insectes verts (Orthoptères du genre Phyllium). Chez un certain nombre d'animaux: Infusoires, Cœlen- térés, Spongiaires, Turbellariés, la chlorophylle est contenue dans des corpuscules verts qui ont donné naissance à de nombreuses discussions. Les uns considèrent ces corpuscules comme des algues symbiotiques pour les raisons suivantes : 10 Ils présenteraient la constitution d’une cellule chloro- phyllienne ; o° [ls pourraient vivre en dehors des organismes où on les rencontre ; ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 259 3° Ils pourraient être inoculés à un animal incolore de la même espèce et le contaminer ; 4° Ces corpuscules ont une grande analogie avec certaines algues unicellulaires communes, Chlorella vulgaris, par exemple, abondantes dans les eaux vaseuses. D’autres regardent ces corpuscules comme de véritables chloroleucites animaux pour les motifs suivants : 1° Comme les leucites, les corpuscules verls ne vivent jamais en liberté dans l’eau ; 2° Comme les leucites, les corpuscules verts des animaux renferment une vacuole, parfois contractile, comme chez les Infusoires verts ; 3° Comme les leucites, ils se reproduisent par simple divi- sion. Même en les cultivant dans un milieu approprié, ils n'ont jamais pu donner de zoospores, mode de production normale chez les algues unicellulaires ; 4° On n’a jamais pu observer que des individus incolores soient contaminés naturellement par des espèces vertes vivant dans la même goutte d'eau. En outre, on n’a jamais pu inoculer à une espèce incolore les grains verts d'une espèce différente ; 5° La chlorophylle commence à se montrer sous forme de fins granules dans l'œuf de l’Hydre verte d’eau douce, au moment où 1l prend la forme d'un papillon aux ailes étendues et, à côté de granules bien verts, on en observe d’autres qui ne sont encore que faiblement jaunâtres et d’autres tout à fait semblables à ceux des Hydres incolores. De plus, les cor- puscules verts ne disparaissent pas quand l’animal s’enkyste (infusoires verts). Il se peut que l'on puisse parfois amener le verdissement de Vorticella campanula, et même de Rotifer, en ajoutant des végétaux verls (Valisneria) flétris aux cultures artificielles, comme l'a vu Danilewski, mais cela ne prouve pas que les corpuscules verts que l’on trouve chez certains Vers, comme Convoluta Roscoffensis et chez l'Hydre verte d'eau douce, ne soient pas des chloroblastes ou chloroleucites animaux. Quant à moi, je les ai toujours considérés comme tels, et, R. Dugors. 19 290 LA VIE ET LA LUMIÈRE bien des années avant les recherches de Guilliermond, j'ar enseigné que ces leucites, aussi bien chez les animaux que chez les végétaux, ne sont autre chose que des vacuolides grossies. La prétendue découverte du botaniste lyonnais consiste à avoir substitué au mot « vacuolide » d'origine française, celui de « mitochondrie », d’origine allemande. Il existe donc, chez certains animaux, une fonction chloro- phyllienne s’exerçant à l’aide de chlorovacuolides et de chlo- roleucites, qui ne sont que deux degrés de développement différent du même organisme élémentaire spécialisé en vue de cette fonction. L'importance de ces chlorovacuolides animales dans la nutrition de ces organismes est indiquée par le rôle que rem- plit vis-à-vis d’eux la lumière : un tel organisme peut accu- muler l'énergie solaire pour reconstituer avec les produits de sa désassimilation, et particulièrement avec l'acide carbonique, des aliments de réserve qu'il pourra utiliser à nouveau. C'est d’ailleurs ce que fait tout végétal vert, et c'est une preuve, A gétal et le règne animal aucune séparation radicale. Les Planaria Roscoffensis se dirigent vers les parties les à ajouter à beaucoup d'autres, qu'il n’y a entre le règne vé- Q plus éclairées du récipient qui les contient et s'appliquent sur les parois de facon à recevoir la plus grande quantité possible de lumière, mais dès que l'obscurité arrive, elles se . dispersent dans toutes les directions. Enfin, 1l est intéressant de noter que ces petits Vers chlorophylliens choisissent de préférence les parties éclairées par les radiations spectrales les plus favorables à l'exercice de la fonction chlorophyl- lienne. Toutefois, les corpuscules verts ne semblent pas in- dispensables à la vie de leur propriétaire, car, sans tuer ce dernier, j'ai pu les détruire chez un Ver chlorophyllien des eaux douces, en tamisant la lumière, au moyen d'un verre vert foncé. Il ne me paraît pas douteux cependant que les animaux en question utilisent la lumière solaire à la manière des végé- taux. ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 291 $ 10. — Influence de la lumière sur le développement et la nutrition, en général. La présence de la chlorophylle dans l'organisme animal ne serait pas indispensable pour qu'il emmagasinât de l'énergie solaire. D’après W. Edwards, la lumière favorise et accélère le dé- veloppement des œufs de Grenouille et celui des Têtards, et selon Béclard, celui des œufs de Mouches. Bohn a admis que l'énergie lumineuse s’accumule dans les œufs et se manifeste par des effets physiologiques (mouvements), et morpholo- giques (croissance) plus tardifs, mais d'autant plus accentués qu'on se rapproche davantage de l’époque de transformation des embryons de têtards. Les observations de W. Edwards et de Pouchet ont été confirmées par celles de Neuburger sur différents Insectes et, en 1878, Yung a noté que les œufs de Poissons incubent 53 jours dans le violet au lieu de 75 jours dans le vert. Plus récemment, Leredde et Pautrier, en France, Jaki- movitch, en Russie, étudiant le développement des têtards de Rana temporaria, dans des bocaux de différentes couleurs, concluaient que les lumières bleue et violette étaient les plus activantes. On a même été jusqu'à prétendre que les radiations auraient une action sur la nature du sexe. Il semble, en effet, que, chez certaines espèces animales, tout au moins, ce n'est pas au moment où la fécondation a lieu que se détermine d’une facon irrévocable le sexe de l'être futur, et chez le Ver à soie, la lumière bleue paraît être favorable à l’évolution de l’œuf vers le sexe femelle. D’après Loeb, les substances colorantes ne se fixeraient pas sur les cellules de la même manière à la lumière et à l'obscu- rité; celte différence reposerait sur deux actions distinctes : 1° la lumière peut modifier les cellules ; 2° la lumière peut modifier le milieu, c’est-à-dire les solutions colorantes. Hertel a vu que l'influence des rayons lumineux est dé- favorable au processus de division cellulaire, mais il faut 292 LA VIE ET LA LUMIÈRE pour cela une grande intensité lumineuse. Il importe de fixer cette intensité, et aussi de déterminer la composition de la lumière en radiations colorées aux différents temps d’accrois- sement de l'intensité éclairante. Ces résultats positifs ne sont pas en opposition avec les résultats négatifs obtenus antérieurement par Riesch, parce que cet expérimentateur n'avait opéré qu'à la lumière diffuse ou à un éclairage trop faible. En tenant un plus grand compte du déterminisme expérimental, on pourrait éviter de nom- breuses, pénibles et stériles discussions. Dans son étude de l'action de la lumière sur la ponte, Goyomus Murbach a constaté que l’on peut contraindre une Méduse à pondre à n'importe quelle heure du jour en la plaçant à l'obscurité pendant une heure. Serait-ce la raison pour la- quelle les accouchements ont souvent lieu la nuit au grand désespoir des médecins? Le remède alors serait facile à em- ployer en faisant la nuit dans la chambre de la patiente ; mais entre la Femme et la Méduse.… La lumière jaune orangé a empêché la ponte de la Méduse, qui s’est bien accomplie avec la lumière bleue, mais les œufs ne se sont segmentés que lentement. Faudra-t-il aussi en médecine tenir compte de la couleur des tentures, dé celle des vitraux, ou bien prescrire des lunettes à verres de cou- leur dans les cas de ponte difficile ou irrégulière? et alors 1l faudrait sans doute opter entre le rouge et le vert (1). Lerrede et Pautrier ont étudié l'influence des diverses longueurs d'onde sur le développement des Batraciens. La partie chimique du spectre est plus active que la partie caio- rifique dans les phénomènes de division cellulaire. D’après Goggio, l'obscurité et la lumière rouge n’ont pas d’ac- tion appréciable sur le développement des larves à certaines périodes du développement; elle semble être plutôt favorable. J. Loeb a vu que le nombre des chromatophores formés dans la membrane vitelline de l'embryon du Fundulus, dépend de la quantité de lumière et diminue à l'obscurité, ce qui (1) Nora. — On a obtenu le forçage de la ponte des Poules en pro- longeant la lumière du jour, en hiver, par l'éclairage artificiel. ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 293 rentre dans la loi générale relative à la formation des pig- ments. D'après le même auteur, la formation des polypes dans les tiges d'Eudendrium racemosum est aussi sous la dé- pendance de la lumière. Les rayons bleus et la lumière dif- fuse du jour accélèrent la formation des polypes, tandis que les rayons rouges se comportent comme le noir. Godfarb a fait également des expériences sur Eudendrium racemosum. Les colonies conservées pendant un certain Lemps dans l’obscurité, mais influencées par un éclairage antérieur aux expériences (phototonus), commencent à régénérer leurs hydrantes deux jours après l’ablation des branches. Cette régé- néralion cesse, en moyenne, le treizième jour. Les colonies non influencées par l'éclairage antérieur, c’est-à-dire celles qui, conservées environ treize jours à la lumière, ont subi une pre- mière régénération, ne forment pas de nouveaux hydrantes. De ces expériences et d’autres encore, Goldfarb conclut que, dans les phénomènes de régénération étudiés par Loeb, la lumière n’est pas seule en cause. Si l’on place, d’après le même auteur, dans l'obscurité des colonies de Pennaria tia- rella avec leurs branches et leurs hydrantes, ces derniers se désagrègent et ne se régénèrent qu'après un minimum de deux jours d'exposition à la lumière. On a même prétendu, après expériences, que dans les élables éclairées par la lumière violette, les veaux engrais- sent plus rapidement que dans les autres. Est-ce parce qu'ils mangent plus ou dorment davantage ou pour toute autre cause indirecte? Ce sont des questions dont 1l ne faut pas mépriser l'étude, car elles peuvent avoir de nombreuses applications pratiques : l'observation de L. et A. Lumière sur l'influence du rouge et du vert sur le comportement des ou- vriers des usines photographiques constitue, à cet égard, une précieuse indication. Toutefois, Manca et Casello ont prétendu que la lumière n’exerçait presque aucune influence sur la nutrition. L'absence de lumière longtemps prolongée entraine l'atro- phie des organes visuels, comme cela arrive chezles animaux cavernicoles; mais, en revanche, les organes du tact et l’ol- 294 LA VIE ET LA LUMIÈRE faction prennent un développement considérable. Un exemple bien frappant de l'influence de la lumière sur le développe- ment de l’œil nous est fourni par un Crustacé marin, £thusa granulata. À la surface de la mer, il a des organes visuels bien conformés ; entre 110 el 370 brasses de profondeur, les yeux sont encore supportés par un pédoncule mobile, mais ils sont remplacés par une masse calcaire arrondie. Enfin, entre 500 et 700 brasses, le pédoncule se change en un ap- pendice pointu et immobile, qui sert de rostre. En général, dans les régions abyssales, les animaux n'ont pas d'yeux, ou bien le volume de ces organes est très exagéré, en vue sans doute de la perception de la faible clarté de la lumière physiologique des organismes photogènes : nous savons, en effet, que les yeux du Lampyre mâle sont extrême- ment développés. L'action indirecte de la lumière sur les animaux a une im- portance capitale, puisque, sans les végétaux verts, qui, avecle concours de l'énergie ancestrale, accumulent l'énergie solaire sur les molécules inorganiques pour les transformer en molé- cules organiques, les herbivores ne pourraient exister et nourrir les carnivores et les omnivores comme l'Homme. On ne peut nier cependant l'influence directe de la lumière sur la nutrition des animaux et s'il existe, à cet égard, des divergences d'opinions, elles ne peuvent tenir qu'à l'absence très regrettable d'un déterminisme comparatif rigoureux, qui fait défaut dans la plupart des expériences relatives à cette importante question. Mais cette influence serait bien insuffisante pour maintenir Ja Vie sur le globe sans le concours des végétaux verts, même au sein des mers. Les radiations lumineuses sont successivement, progressi- vement transformées et absorbées dans l’ordre croissant de leur réfrangibilité, au fur et à mesure que l’on descend da- vantage dans le milieu aquatique. Dans la mer, au-dessous de 100 à 120 mètres, on ne trouve plus que quelques algues glauques et nacrées, puis le grand travail de synthèse biopro- téonique disparaîl. Si quelques radiations actiniques peuvent ACTION DE LA LUMIÈRE VISIBLE SUR LES ANIMAUX 295 encore pénétrer jusqu'à 800 à 1.000 mètres, elles sont im- puissantes à le maintenir. Dans les abîmes, on ne trouve plus que des végétaux achlo- rophylliens destructeurs (halibactéries), ou des animaux car- nivores. Tout ce monde vit des miettes de la table où préside le Soleil, La lumière froide, que fabriquent les habitants des abimes, ne peut faire œuvre de synthèse, et avec la Lumière du jour s’évanouit la Vie. EN RÉSUMÉ, l’histoire de l’action de la lumière sur les animaux constitue un des chapitres les plus importants de la physiologie générale: il renferme une foule de notions diverses qu'il est impos- sible de rappeler toutes en quelques lignes. Cette action se mani- Jeste par des photoréactions de diverses natures que l'on peut arbi- trairement grouper de la façon suivante : photoréactions trophi- ques, motrices et physiques. Il est certain qu'aucune de celles qui appartiennent aux deux derniers groupes ne peut avoir lieu sans que simultanément il se produise des modifications trophiques correspondantes : aussi a-t-il été véritablement puéril d'annoncer, comme une découverte, que toutes les photoréactions sont le résul- tat d'actions moléculaires physico-chimiques, dans lesquelles in- tervient le jeu des ions et des électrons, sans préciser cette action. L'étude des photoréactions trophiques porte plus spécialement sur l'action exercée par la lumière sur la segmentation, le déve- loppement des œufs et des embryons, sur l'accroissement des larves et des adultes, sur la respiration, la circulation, la for- mation des pigments, sur les animaux chlorophYylliens,les photo- morphoses des animaux cavernicoles, etc. La découverte de la macrozymase de la pourpre et de ses va- cuolides a permis de fonder expérimentalement une théorie du mécanisme d'action intime des zymases, en particulier en ce qui concerne la formation des pigments. Aux photoréactions trophiques se rattachent indirectement l'action de la lumiere sur le travail, l'état de veille et desommeil, l'idéation, etc. Elles donnent lieu à des phénomènes de réma- nence, d'induction, comme chez les végétaux, et à des mani- festations de mémoire associative. 296 LA VIE ET LA LUMIÈRE Pour les photoréactions motrices, la réponse caractéristique est constituée par un mouvement apparent : il peut étre exté- rieur, comme celui d'un organe ou d'un organisme, ou bien in- terne : mouvement de chromatophores de la peau, des franges réliniennes, des cônes et des bätonnets et de tous les photeurs, en général, qu'il s'agisse de la vision oculaire où de la vision par la peau ou fonction dermatoptique. L'étude de ces phéno- mènes, dans leur ensemble, et particulièrement de la fonction dermatoptique ou photodermatique, a permis de remplacer les explications classiques du mécanisme de la vision rélinienne, qui ne reposent que sur des hypothèses absolument insuffisantes, par une théorie basée sur l'expérimentation : la THÉORIE PHOS- PHÉNIQUE. Cette dernière a conduit à des généralisations importantes sur le mécanisme des sensations dans toute la série animale. La lumière blanche et les radiations colorées agissent non seu- lement par leur QUANTITÉ mais aussi par leur quaLiTÉ. 1l im- porte de séparer nettement ces deux notions dans l'interprétation des photoréactions. L'héliotropisme végétal ne peut pas étre assimilé à ce qui a élé improprement appelé « héliotropisme animal ». Sous. le nom de « phototropisme » on a désigné collectivement une foule de faits disparates : l'expression de « tropisme » na fait que produire une regrettable confusion. La notion que certains animaux se dirigent vers une source de lumière ou la fuient, en vertu d'une action d'abord asymé- trique de la lumière incidente, n'est pas plus nouvelle que l'ex- plication dynamique de ce phénomène proposée par Loeb. Certaines photoréactions motrices ont été à tort considérées comme des actes de mimétisme. Les photoréactions physiques sont celles qui sont plus particu- lièrement manifestées par la production de lumière, de chaleur ou d'électricité. Les plus récentes recherches sur les courants d'action dévelop- pés dans l'organe visuel sous l'influence de la lumière, ont donné une importante confirmation de l'exactitude de la théorie de la vision phosphénique. TROISIÈME PARTIE ACTION PHYSIOLOGIQUE DES RADIATIONS PARAOPTIQUES : RAYONS X, RADIUM ET ONDES HERTZIENNES OU OSCILLATIONS ÉLECTRIQUES En deçà et au delà de l'infime région occupée par les rayons visibles pour notre œil, ou ondulations optiques, dans la gamme certainement ininterrompue, continue et ascendante des ondulations énergétiques, se trouvent de vastes terri- toires, dont quelques-uns sont connus et d’autres inconnus, que l’on pourrait appeler le « Continent noir » de la Science. Il est proportionnellement fort étendu, comme le montre la figure (fig. 48) (1). Je n’ai pas cru devoir séparer l'étude des radiations obscu- res ultra-violettes et infra-rouges de celle des radiations optiques ou visuelles, c'est-à-dire de la lumière proprement dite, à cause de l’enchevêtrement étroit de leurs propriétés calorifiques et chimiques communes, et aussi parce que ce sont ces (rois élats protéoniques qui paraissent dans la Na- ture exercer la plus grande influence sur les organismes vivants. (1) HouLzeviGuE, Les lumières invisibles et les rayons ultra-violets. La Science el la Vie, juillet 1913. 298 LA VIE ET LA LUMIÈRE L'étude de l'action des rayons X, du radium et surtout des ondes hertziennes, ou oscillations électriques, appartient, en réalité, plu- tôt à l'étude de l’action que l’électri- cité exerce sur les phénomènes de la Vie, et ce troisième chapitre ne doit guère être considéré que comme un appendice des deux premiers ; mais, Oscillations Electriques comme Je l’ai déjà répété, sous pré- texte de généraliser, il ne faut pas tout confondre et l'expression de « lu- s CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES 331 duisent par des mouvements plus ou moins apparents, loca- lisés ou généralisés, par l'émission ou la suppression de Jumière chez les organismes phologènes, la production de phénomènes électro-moteurs, etc. Dans ces temps derniers, les photoréactions motrices ont joué un grand rôle dans la doctrine mécaniste. C’est surtout en s'appuyant sur les phénomènes divers 1m- proprement groupés sous le nom de phototropismes, que les néocartésiens ont tenté d'élablir que les êtres vivants obéis- sent à la manière des êtres non vivants à l'influence des forces extérieures. Si, dans certains cas, il paraît en être réellement ainsi, comme je l’ai démontré depuis fort longtemps, dans beaucoup d’autres, on est forcé de reconnaître que les orga nismes opposent à des « tropismes » donnés, des « antitro- pismes » résultant d’influences venues du milieu intérieur, du milieu antérieur, individuel où ancestral, etc., qu'ils sont susceptibles d'adaptation, d'éducation, de mémoire associalive el sont doués de mécanismes qui leur permettent de réagir contre des influences passagères du milieu ambiant. Dans ces considérations générales, il serait bien difficile de rappeler toutes les conclusions qui ressortent plus ou moins nettement des faits nombreux relatifs à l’action de la lumière, des radialions infra-rouges et des rayons ultra-vio- lets, et puis, il faut bien l'avouer, dans beaucoup de cas, on se trouve en présence de faits contradictoires, au moins en apparence, d'incerlitude tenant au défaut d’un déterminisme expérimental rigoureusement établi dans des conditions com- parables entre elles. Ceci est plus vrai encore pour ce qui concerne l'étude physiologique et thérapeulique de l’action des rayons X, de celle du radium et des ondes hertziennes. Pourtant, il semble se dégager assez nettement déjà des essais entre- pris dans cette dernière direction que ce qui domine, c'est l’action abiotique, antibioprotéonique, destructive. Mais cette puissance peut être utilisée pour la destruclion d'organismes parasites nuisibles ou de parties malades dangereuses pour le reste de l'économie. Sous ce rapport, une des plus intéres- 339 LA VIE ET LA LUMIÈRE santes découvertes est l'action élective de certaines radialions. laquelle n’est pas la même pour tous les éléments des tissus et des organes et peut être obtenue à volonté par le filtrage. Bien que ces diverses radialions protéoniques soient surtout abiotiques, leur action physiologique se rattache cependant à celle de la lumière par les analogies qu’elle présente avec celle des rayons actiniques et particulièrement des rayons ultra-violets; mais, en réalité, les quelques lignes qui leur ont été consacrées ne doivent être considérées que comme un simple appendice de l'histoire physiologique de la lumière. Je n'ai point mentionné ce qui a été dit de certaines radia- tions pour le moins hypothétiques comme les rayons N et Y, et d’autres encore. J'ai vainement cherché, par de nombreuses expériences personnelles, à mettre en évidence expérimenta- lement, soit l’action de ces prétendues radiations sur les or- ganismes vivants, soit leur production par ces derniers. Je n'ai eu à enregistrer que des insuccès. Cela ne signifie pas que Je pense qu'il n'existe pas d'ondes capables d’influencer le bioprotéon, autres que celles dont l’action a été étudiée dans ce livre. Je suis convaincu du contraire, en raison de certains faits d'observation que j'ai signalés en passant. Ce que j'ai appelé le « Continent noir de la Science » est formé de vastes lerritoires encore inexplorés qui réservent aux chercheurs de riches moissons de découvertes. On me pardonnera peut-être d'avoir beaucoup insisté sur mes recherches personnelles. Il m'a semblé que plusieurs d'entre elles étaient susceptibles de modifier, de transformer, et même de remplacer complètement certaines notions à mon avis manifestement erronées, et qui trouvent encore un crédit immérité auprès d'auteurs d'ouvrages classiques inca- pables de critique expérimentale, ou même de savants plus prompts à condamner qu’à examiner d’une manière impar- tiale les opinions contraires à celles auxquelles ils sont accoutumés, J'ai appelé plus particulièrement l'attention sur ma théorie phosphénique de la vision et sur les considérations générales relatives aux sensations qui en découlent. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES 333 En ramenant la vision à un phénomène d'ordre méca- nique, je n’ai d’ailleurs fait que confirmer expérimentale- ment cette hypothèse des anciens philosophes qui soutenaient que toutes les sensations ne sont que des variétés du tact. Mes recherches sur le mode de formation de la Pourpre, et ma découverte de la purpurase et de son mode d'action intime, m'ont permis de substituer à toutes les hypothèses relatives à l’action des ferments zymasiques une théorie dont l'exactitude est facile à vérifier par l'observation et par l'ex- périmentation. Les travaux les plus récents, et en particulier ceux du professeur Mulon, en ont montré la grande généra- lité, surtout en ce qui concerne la formation des pigments. Cette explication du fonctionnement des zymases se ratta- che, en effet, étroitement à ma théorie vacuolidaire qui assi- mile le bioprotéon aux colloïdes instables, dont les propriétés essentielles résident dans des particules infinitésimales repré- sentant une faune ouuneflore intracellulaire ancestrale de cor- puscules élémentaires susceptibles de se multiplier et de s’ac- croître pour donner naissance aux vacuolides et aux leucites, qui sont les véritables agents organisés du fonctionnement vital. Cette théorie vacuolidaire est née incidemment de mes recherches en vue de découvrir le secret de la biophotogé- nèse. C'est dans les organes lumineux que j'ai vu pour la pre- mière fois des vacuolides. En leur donnant ce nom j'ai voulu montrer que leur constitution morphologique ne m'avait pas échappé. Elles sont, en effet, composées de deux parties de composition distincte : une centrale et l’autre périphérique, et je ne puis m'expliquer pourquoi les « mitochondries » pré- sentant la même constitution morphologique que mes vacuo- lides, on se refuse encore à leur rendre le seul nom qui leur convienne pour lui substituer une dénomination nouvelle, qui ne signifie rien. Mes travaux sur les organismes lumineux m'ont donc servi à me rendre compte du mécanisme d'action intime de la substance vivante et des zymases, qui en sont la partie active. LA VIE ET LA LUMIÈRE Ce n'était pas ce résultat que je poursuivais : 1l a dépassé mon attente. J'ai été pendant de nombreuses années comme fasciné par le problème de la production de la lumière par les êtres vivants, qui avait pourtant déjà suscité lant de tra- vaux, tant d'efforts infruclueux de la part d’un si grand nombre de savants, dont quelques-uns portaient des noms illusires. Comment pourrait-on se désintéresser d'un phénomène aussi étrange que celui de la lumière vivante, ou plus exacte- ment de celle qui semble être une émanation directe de la substance vivante? Dans l'air, dans les prés, dans les bois, dans les eaux s’agi- tent des fanaux animés, aux lueurs étranges, chatoyantes, incomparablement belles et suggestives,autant pour le poète que pour le savant. À la surface des océans, parfois sur d'immenses étendues, la mer lutte de splendeur avec le fir- mament étoilé, et par une multitude d'êtres infiniment petits produit des effets infiniment grands, tandis qu'à des centaines de brasses de profondeur, de féeriques illuminations s’allu- ment dans des forêts de polypiers resplendissants au passage d'animaux fantastiques, tout enguirlandés de perles étince- lantes, de feux dont le merveilleux éclat ferait pâlir les plus riches pierreries ! Ces curieux organismes se rencontrent à tous les degrés de l'échelle des êtres vivants : le nombre en est considérable. L'organisation, le fonctionnement, les mœurs de chacun d’entre eux nous intéresse à cause de leurs rapports avec la fonction photogénique et, sous une apparente complexité, nous découvrons que la façon dont ils fabriquent leur lumière est la même pour tous. Malgré cela, ce qui est accessoire ou de perfectionnement présente un réel intérêt : par exemple cette substance fluorescente, la luciférescéine, dont l'éclat vient s'ajouter à l'intensité de la lumière engendrée par le conflit de la luciférase et de la luciférine. Grâce aux méthodes et aux appareils que la physique met à la disposition du physiologiste, on découvre que cette CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES 335 lumière a une composition très spéciale, qui lui est propre, et des qualités que l’on demanderait vainement à nos procé- dés d'éclairage. Elle ne s'éteint ni par le vent ni par la pluie et ne saurait produire d'incendie, car c'est de la lumière froide. Nos foyers artificiels, au contraire, produisent d'énormes quantités de chaleur et {très peu de lumière d’une qualité d’ailleurs fort inférieure : au point de vue du rendement, ils ne sont guère supérieurs à la torche du sauvage, puisque 95 p.100, et plus,de l'énergie sont dépensés à faire autre chose que de lalumière, La lumière physiologique ne coûte presque rien et son rende- ment est presque de 100 p. 100. Elle s'offre à nous comme un modèle que nous devons nous efforcer sans retard d'imi- ler artificiellement pour nous affranchir de tout ce matériel encombrant, dangereux et si onéreux qu’entraine l'emploi du gaz et de l'électricité. La solution du problème pratique est-elle plus inabordable que ne l’a été la découverte du secret du procédé vital? En aucune façon. Non seulement j'ai montré que la lumière vivante résulle de l’action d'une zymase oxydante sur un produit chimique isolable, mais j'ai pu remplacer la zymase, c'est-à-dire ce qui, dans la réaction, représente en quelque sorte la vie, en der- nière analyse, par un composé chimique vulgaire, tel que le permanganale de polasse. Pourquoi désespérer puisque, d’une part, j'ai fait connaître la nature de la réaction qui produit la lumière et que, d'autre part, un des deux agents de cette réac- tion est déjà un produit de l’industrie ? Le point important était de savoir exactement à quel genre de phénomène on avait affaire; or, comme on l'avait soup- conné depuis longtemps d’ailleurs, mais sans pouvoirle dé- montrer, il s'agit d'un processus d'oxyluminescence. Dans mes essais d'éclairage avec la « lampe vivante », l’in- tensité lumineuse ne s’est pas montrée suffisante pour tous nos besoins : elle ne dépassait guère celle d'un beau clair de lune; celle du Pyrophore, ou même celle du Ver luisant, esl bien supérieure, mais seulement grâce à des accessoires de ‘336 LA VIE ET LA LUMIÈRE perfectionnement, car le principe est le même. Ces derniers nous sontdéjà en grande partie connus. Nous sommes, en vérité, infiniment plus près d’une solution pratique, que Gal- vani et Volta ne l'étaient au moment de leurs immortelles découvertes. I n’est pas indispensable, d'ailleurs, de copier servilement la Nature. J'ai montré déjà qu'avec un vulgaire glucoside, l’esculine que fabriquent en abondance certains végétaux, on peut obte- nir par oxyluminescence chimique une lumière presque com- parable à celle que donne la luciférase et la luciférine des organismes photogènes. Il ne s’agit donc plus maintenant que de perfectionner, le principe étant trouvé. Mais ce n'est pas l'espoir de doter l'humanité d’un nouveau procédé usuel d'éclairage qui m'a guidé et soutenu dans mes recherches : c'est le désir de pénétrer plus avant dans la con- naissance du secret de la Vie. Il m'avait semblé que de toutes les manifestations énergétiques des êtres vivants : mouve- ment, chaleur, électricité, la production de la lumière était celle qui devait me conduire plus directement aux sources même de ce qui fait la Vie. Mon attente n'a pas été trompée puisque c'est à l'étude de la biophotogénèse que je dois la découverte de la théorie vacuolidaire et la conception du Protéon. TABLE DES MATIÈRES Pages NS EAN AR ER AU En ed MOT Rn à a porte MEN Aus L PREMIÈRE PARTIE BIOPHOTOGÉNÈSE OU PRODUCTION DE LA LUMIÈRE PAR LES ÊTRES VIVANTS CHAPITRE les Négétaux/lunmineuxs MMM LT EN 19 _— IT = "ALes Protoz04res IUMINEUX ML ANTON" 35 — IPBeSC'elen té lUMIneURE ET NT 40 — IV. — Les Échinodermes et les Vers lumineux . . 45 — V. — Les Articulés lumineux : Crustacés, Thysa- noures, Myriapodes . . . ne Sr 48 — VI. — Les Articulés (suite) : Insectes Le ae 54 — VII. — Les Mollusques photogènes . . . . . . . 82 — VIII. — Les Tuniciers lumineux. . . . Tr L 94 — IX. — Les Vertébrés photogènes. PUSSURe ae neux et RS accidentelle chez SAME ASC : 98 — X. — Caractères et ÉD anoeltion physique de ï Te mière physiologique . . . NUE — XI. — Essai d'utilisation pratique ne ire Die siologique. La lampe vivante . . . . SNITIR) — XII — Mécanisme comparé de la RP ete A2 — XIII, — Mécanisme intime de la production de la lu- mière physiologique : luciférase, luciférine, lueiférescéme M ec 2 7 — XIV. — Du rôle de la DIRE lose ee TO LEE R. Dugois 22 338 LA VIE ET LA LUMIÈRE DEUXIÈME PARTIE ‘ACTION DE LA LUMIÈRE SUR LES ÊTRES VIVANTS CuapirRe I. — Action des radiations ultra-violettes sur les êtres vivants. SRE URSS EE — II. — Action physiologique de ta nie fluores- cente. DR: : = III. — Action PAR PE den rayons Afro en es _- IV. — Action physiologique des radiations visibles sur les végétaux achlorophylliens : — . V. — Action physiologique de la lumière sur les végétaux verts. LAS TERS : — VI. — Des phénomènes de mouvements provoqués par la lumière chez les végétaux. . — VII. — Action de la lumière visible sur les animaux. TROISIÈME PARTIE 147 ACTION PHYSIOLOGIQUE DES RADIATIONS PARAOPTIQUES : RAYON X, RADIUM ET ONDES HERTZIENNES OU OSCILLATIONS ÉLECTRIQUES CHAPITRE |. — Action physiologique des rayons X — II. — Action physiologique du radium — III. — Action physiologique des ondes herinentee et des courants de haute fréquence sur les organismes vivants. : — IV. — Radiothérapie; héliothérapie, olothérapIes I.-R.-thérapie, U.-V.-thérapie, CE H.-thérapie et d’Arsonvalisation. ONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 3138. — Tours, imprimerie E. ARRAULT et Cie. 303 313 317 320 LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN, 108, boulevard Saint-Germain, PARIS NOUVELLE COLLECTION SCIENTIFIQUE Directeur : ÉMILE BOREL Sous-directeur de l’École normale supérieure, professeur à la Sorbonne. VOLUMES IN-16 A 3 fr. 50 La Vie des plantes, par NoEL BERNARD. Avec figures. Le Combat, par le général PERGIN, ancien membre du Conseil sup. de la Guerre. Avec cartes Le Concept mécanique de la vie, par J. Lors, professeur à l'Université de Berkeley. Traduit par H. Mouton. Avec figures. Le Hasard, par EmiLe BoREL. 9° édition. L'Aviation, par P. PAINLEVÉ, de l'Institut, E. BorEL et CH. MAURAIN, directeur de l'In- stitut aerotechnique de l'Université de Paris. 6° édit., revue et augm. Avec 48 figures. Le Système du Monde, des Chaldéens à Newton, par JULES SAGERET. Avec 20 figures. La Question de la Population, par PAUL LEROY-BEAULIEU, de l'Institut. 3° édition. (Couronne par l'Institut.) Les Atomes, par JEAN PERRIN, professeur de chimie physique à la Sorbonne. Avec gravures. 5° édit. (Couronne par l'Académie des Sciences.) Le Maroc physique, par Louis GENTIL, professeur adjoint à la Sorbonne, directeur de l’Ins- titut de recherches scientifiques de Rabat. Avec cartes. Science et Philosophie, par J. TaAnNery. de l'Institut, avec une notice par E. BoREL. L'Evolution de l'électrochimie, par W. OstTwaALp, professeur à l'Université de Leipzig. Tra- duit de l'allemand par E. Philippi, licencié ès sciences. Le Transformisme et l'Expérience, par E. RABauD, maitre de conferences à la Sorbonne, Avec gravures. L'Artillerie de campagne. Son histoire, son évolution, son état actuel, par E. BuaAT, lieute- nant-colonel d'artillerie. Avec 75 gravures L'Evolution des théories géologiques, par STANISLAS MEUNIER, professeur de géologie au Muséum d'histoire naturelle. Avec gravures. La Race slave. Statistique, démographie, anthropologie, par LuBor NiEDERLE, profess.ur à l’Université de Prague. Traduit du tchèque et précédé d’une préface par L. Leger, de l'Institut. Avec carte en couleurs hors texte. La Chimie de la matière vivante, par J. DucLAUXx, préparat. à l'Institut Pasteur. 2° éd. Les Etats physiques de la matière, par Ch. MAURAIN, professeur à la Faculté des sciences de Caen. 3° édition. L'Energie, par W. OsrwaALp, professeur à l'Univ. de Leipzig, trad. par E. Philippi. 3° éd. La Crise du transformisme, par F. LE DAnNTEC. 2° édition. De la Méthode dans les Sciences (1'° série), par MM. P.-F. Tomas, docteur ès lettres, professeur au lycée Hoche; E. Prcarp, de l’Institut; J, TANNERY, de l'Institut; PAINLÉVÉ, de l'Institut; BouAssE, professeur à la Faculté des Sciences de Toulouse; Jos, professeur au Conservatoire des Arts et Métiers; A. GARD, de l'Institut; LE DANTEC, chargé de cours à la Sorbonne ; PIERRE DELBET, professeur à la Faculté de médecine de Paris; Tu. RiBor, de l'Institut; DURKHEIM, professeur à la Sorbonne ; LÉvy-BrunL, professeur à la Sorbonne ; G. Monop, de l’Institut. 3° édition. — (2° série), par MM. E. BoreL; B. BaiLLAuD, de l’Institut, directeur de l'Observatoire de Paris; J. PERRIN, professeur à la Sorbonne ; L., BERTRAND, professeur adjoint à la Sor- bonne; R. ZEILLER, de l'Institut, professeur à l'Ecole des Mines; L. BLARINGHEM, charge de cours à la Sorbonne ; S. REINACH, de l’Institut ; G. LANSON, professeur à la Sorbonne ; L. Marc, directeur de la Statistique générale de la France; A. MEILLET, professeur au Collège de France. 3° édition L'Education dans la famille. Les péches des parents, par P.-F. THoMAs, professeur au lycée Hoche. 4° édit., revue. (Couronne par l'Institut.) La Voix. Sa culture physiologique. Théorie nouvelle de la phonation, par le docteur , BONNIER, laryngologiste de la clinique médicale de l'Hôtel-Dieu. 4° ed. Avec figures. Eléments de Philosophie biologique, par F. LE DANTEC, chargé du cours de biologie générale à la Sorbonne. 3° édition. ÉEAMREVUE DU, MOIS Directeur : EMILE BorEL, Sous-directeur de l'Ecole normale supérieure, professeur à la Sorbonne, Secrétaire de la rédaction : A. BrANcONI, agrégé de l'Université (9° année, 1914.) Abonnement:Un an, Paris, 20 francs; Départements, 22 francs; Union postale, 25 francs. Six mois, Paris, 10 francs ; Départements. {1 francs; Union postale, 12 fr. 50. Le numéro, 2 fr. 25. LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN, 408, boulevard Saint-Germain, PARIS BIOLOGIE (Extrait du Catalogue.) BELZUNG (E.), docteur ès sciences, professeur agrègé de sciences naturelles au lycée Charlemagne. Anatomie et physiologie animales, suivies de la DÉS 12° edit. 1 vol. in-$ avec 613 grav. Broché, 6 fr., cart. à Pangle oo e — Anatomie et physiologie végétales. 1 fort vol. in-8, ilL., ‘20 fr., cart. à l'angl. 21 fr. 50 — Précis d'anatomie et de physiologie végétales. 1 vol. in- 8 NE 4. AG CHARLTON BASTIAN. L'évolution de la vie. 1 vol. in-8, avec fig. etpl cart. à l angl. 6 fr. COSTANTIN (J.), de l’Institut. Les végétaux et les milieux cosmiques (enrenps évolu- tion). 4 vol. in-8, avec 171 gravures, cart àl'angl. . ; : PRO NT: — La nature tropicale. 1 vol. in-8, avec grav., cart. à l'angl. : RON — Le transformisme appliqué à l' agriculture. 1 vol. in-8, avec 105 grav., ‘cart. à l’angl. 6 fr. CRESSON (1A.), docteur ès lettres, professeur au collège Chaptal. L'espèce et son serviteur (sexualité, morulite). 1 vol. in-8, avec 42 grav., cart. Pal'angl . . 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