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BIBLIOTHEQUE DES ECOLES FRANÇAISES D'ATHÈNES ET DE RO^JE
rl'BLlÉE
SOUS LES AUSPICES DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
FASCICULE CENT UNIÈME
LA
VIERGE DE MISÉRICORDE
ÉTUDE D'UN THEME ICONOGRAPHIQUE
PAR
Paul PERDRIZET
ANCIEN MEMBRE DE l"ÉCOLE d'aTHÈNES
DOCTEUR ES LETTRES
MAITRE DE CONFÉRENCES À l'uNIVERSITÉ DE NANCY
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OUVRAGE CONTENANT QUATRE ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE ET TRENTE ET UNE PLANCHES HORS TEXTE
V^rfO^
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE THORIN ET FILS
ALBERT FONTEMOING, ÉDITEUR
Libraire des Écoles françaises d'Athènes et de Rome,
de rinstitut français dArchéologie orientale du Caire,
du Collèjj'e de France et de lÉcole Normale Supérieure.
4, RUE LE GOFF, 4
1908
VOLUME D INTRODUCTION : Mémoire s.r vss Missiox .v Mo>t Athos Suivi dun niemoiie sur unambon conservé àSaloniquc, la représentation c]os,\\^^'„^X ■ " et en Occitlent durant les premiers siècles na\Tnn=.^ ^^^^ de rinstitut. directeur de lEcole LSede Rome ef M ciT^ir^Ll^''''"^^' de_s_Ee.,es françaisesdAthénes et de Rome. direSèu^de renfc^/nen ^^rsi^^^^^^^^^
FASCICULE I. I. ETiMESL-n le L.ber Po.nt.ficalis. par MonseiKneur ■dVchLe"
M f" Nr'rri f'" '"' ^'■^^•'^^^'^«'7^ ARCHÉOLOGIQt-ES^,E Jacques Gr.m.lo" par
NL h. Ml. NT/. 3. Ltlde slk le .mystère i.e sai.nte Ag>Ès. parM. CLÉr.AT i"o T
II hss.U SIR LES MOMME^TS GRECS ET ROMA..NS REL..T,FS Af MYTHE DE PsVcHÉ Par
M. Ma.xime Collig.nos •• ini^ "c r-sicHE, par
III. Catalogies des vases p^>^ i^ ^vséE i^Ë i^' SociéTé '^ncHénJ;^,n\:^ ^^ a ^Î:^
^. . »u..,.. . , un fgdiemcni ci-(lessus fascicule IV ou 1- partie d<^ cet ouvraëp i. Recherches poir servir a lhistoirf f.p i a i.xr,^...-„ ouvrage.)
iVII. IVILDE SI R PreNESTE. VILLE Df I VTll« .^a.. \T ' b ,' ^' '^ "• ^^
..ulc carte et trois planches en h^C'a^ulî::. ''• E'"'"-^"^' Ferm.ik. avec une
CERIGÏ"v:APplNDΣïr*;;rM Otho^^ "■^^ "-^^ Io..Ex^E;;iri.-ZANTE^I^
XIX.C„..RTEs,.rTHRSi^TÉ,Ro?Exv^^^^^^^^^^^^^^ ^ fr. 50
n.-Krançois Del..horde. avec'd^ir^raLclTes^Vl oji;;'..^-^- °^ •^— -^P-
Ai. La IrIKRE ATHEMENNF Ktnrl» ,|-....„l..i .1 ...• "o'<*^l"e.. gfp^
^ÎKL.noR;:r "" '" """■"'■^"^ '^^' ■•"'•-■ -■Gri-.vi;MËLEBR.n:ox;paVlI.--Franç.îïs
tÎ^ 't .^^ rR;:-^:^::^:;,^!:^^"' - - Hi..,oT„È.iy •v•.T;cA^v. x^inr
n AL.ENNE. par M. Antoine T.,'km\s ^'^■^''^''' chanson i.e geste krakco-
xxvîi'Trfs;:'^:?:^''''"'''''^'- p^''-'^i-'J"ies'MAUTHA;;;;:;:: 5 î;:-
^ar NI '- AlU^ri^^nT,"^"!""" " ^«-™-"-'^ - R^VENNE. Et.de ETCOLLABœ^ATIcîÏ:
XXVIII. Premii-re section. Les Àuts".v"i Vr.'i', « .■.■■ '^ f'"-
i>a.- M. Eugène ^I.^T..'^n,i i^^^: KN. 'i^.^•^'^;^l':!:^''^^ - -• - - -"
SIECLE, par .M. Euu'ène MrvT/ m ..„i i li • ■ ■^' •■■= i-t.-inA.Nr le xv« et le .\vi«
seciion^vecdeur,:Li^h::^-^î:;i:!t:è ïvenv"'- '"""'^" "^"^"^- p'-*^™^^- ^iSi:Z';::;;^,Z^^\r^::::j''^'^^^^^^ et u dissomtion
Nr E. PoTTiER avec quatre"p,rnc,^;s crcS.;"'^''"'^^'^^-^— .u..HHA.nEs par
^u'::;':':":::':':^'':':] ": "'r'^' '^^ ^^•^'-- p-'^^- ^i-'-'- XLBERTta^ec i^s
2 XXII. Les Archives de la i?ini lOTiii'nn" V-J '.'„''r" • '.A ^ f'"- ^^
JKH.SAi.nM A Malte, par M. nKLvv.ur'LrRoiI"''*''" '*^ >• Ordre de Saint-Jean dk
,' ' : 8 fr.
BIBLIOTHÈQUE
DES
ÉCOLES FRANÇAISES D'ATHÈNES ET DE ROME
FASCICULE CENT UNIÈME
LA VIERGE DE MISÉRICORDE
ÉTUDE D'UN THÈME ICONOGRAPHIQUE
Par p. PERDRIZET
MAÇON, PROTAT FRERES, IMPRIMEI'RS
LA VIERGE DE MISERICORDE
ÉTUDE D'UN THÈME ICONOGRAPHIQUE
OUVRAGES DU MEME AUTEUR
Les Fouilles de Delphes, tome V (bronzes, vases, terres cuites, anticiui- lés diverses . Paris, Fontemoing, 1906-1908.
La peinture religieuse en Italie jusqu'à la fin du XIV*^ siècle. Nancy, Irn|)rini('rie de l'Est, 190'J.
La Galerie Campana et les musées français (en collal)oration avec M. René Jean". Bordeaux, Feret, 19()7,
L'art symbolique du moyen âge, à propos des verrières de léglise Saint-Étienne à Mulhouse. Leipzig, Cari Beck, 1908.
Spéculum humanae salvationis (en collaboration avec M. Jules Lutz), 2 vol. f", en cours à Mulhouse chez Meininger depuis 1907.
Étude sur le Spéculum humanae salvationis. Paris, Champion, 1908.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
Cliché de Vauleur
Notre-Dame de Bunsecolus a Nancy (Slaliie de Miitisiiy Gauvain)
LA
VIERGE DE MISÉRICORDE
ÉTUDE d'un thème ICONOGRAPHIQUE
PAK
Paul PERDRIZET
A.XCIE.X MEMBHIC DE l'ÉCOLE d' ATHENES
DOCTEUR ES LETTRES
MAITRE DE COXFÉRENCES À l'uMVERSITÉ DE NANCY
OUVRAGE CONTENANT QUATRE ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE ET TRENTE ET UNE PLANCHES HORS TEXTE
PARIS
anch:nne librauue thorln et fils
ALBERT FONTEMOING, ÉDITEUR
Libraire des Ecoles françaises d'Athènes et de Rome,
de rinstitut français d'Archéologie orientale du Caire,
du Collège de France et de l'École Normale Supérieure.
4', RUE LE GOFF, 4 190 8
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4 161
AVERTISSEMENT
Sainte-Beuve parle quelque part de ces historiens « qui tombent dans le dossier ». V archéologue . quand il entre- prend un travail d' iconographie^ doit se résigner d'avance à ce reproche : l'iconographie ne consiste-t-elle pas d' abord, et sur- tout, à rassembler les monuments, à les répartir par séries^ donc à classer des dossiers?
Pourtant, on peut souhaiter que, même dans des monogra- phies du genre de celle-ci, le document non seulement n em- pêche pas la synthèse, mais qu'il ne la masque pas trop. J'ai tâché de distinguer, même à l'œil, mes dossiers de înes démon- strations.
Un livre c/ui renferme une documentation assez fualaisée à réunir a toujours un grand nombre d'auteurs. J'ai mentionné, chacun en son lieu, fous mes collaborateurs béné- voles. Je tiens à remercier ici, d'une façon particulière, ceux auxquels Je dois le plus : MM. Jéon Germain de Maidy, Emile Bertaux, Gaston May, René Jean, Albert Grenier, René Harmand et Adrien Moureau. Je remercie aussi M. Hol- leaux, qui n'a pjas hésité à offrir à cette étude l'hospitalité de la Bibliothèque des Ecoles, et mes imprimeurs MM. Protat.
F. P.
INTRODUCTION
G'esl une vieille statue lorraine qui a élé la cause occa- sionnelle de celle étude.
La Vierge de Mansuj Gauvain (pi. I), dans l'église de N.-D. de Bon-Secours à Nancy, intéresse à la fois l'archéo- logue et riiistorien : cet ex-voto, commémoratif de la vic- toire de René II sur Charles le Téméraire, est l'une des rares sculptures lorraines qui aient échappé aux ravages de la iTuerre de Trente Ans et de la Révolution ; c'est, d'autre part, l'une des répliques les plus connues d'un type ico- nographique vraiment étrange, et aujourd'hui tout à fait suranné. J'ai été curieux de connaître l'origine et l'his- loire de ce lype singulier. Les livres qui en parlaient ne m'ayant pas satisfait, j'ai cru qu'il pourrait être utile de ]uil)lier les résultats des recherches dont la statue de Gauvain a été pour moi le point de départ : ils ne seront peut-être pas complètement inditl'érents à l'étude de l'iconographie, ni même à l'histoire critique du catholi- cisme.
A quelle date le type de la Vierge au manteau — Madonna ciel manto^ SchutzmantelbUd — a-t-il apparu? Dans quel milieu religieux? Et quelles croyances expri- maient les images de la Vierge de Miséricorde, de Secours, de Bon-Secours, de Grcàce, de Consolation — Madonna délia Misericordia, del Soccorso. ou simple- ment Misericordia ^ ^ Misericordiabild — ? Pourquoi le
1. A Lucca (lipinse una miserlcordla, diLTAnonyme florentin du Codex Mcigliahechianus (éd. Frey, p. 107). Il s'agit de Fra Bartolommeo et de Pi-miHizi:T. — La Vlerçfe de Miséricorde. 1
INTRODUCTION
manteau a-t-il été choisi comme symbole de protection? Comment ce type s'est-il propagé? Dans quelles con- trées, à quelles époques, par quelles personnes ou par quelles collectivités a-t-il été spécialement affectionné? Dans quelles circonstances la dévotion y avait-elle recours? Quand est-il tombé en désuétude, et pour quelles raisons? Enfin, ce type présente sans doute des variantes selon les temps et les lieux. Et il ne doit pas être séparé de types dérivés, créés sur le modèle de la Vierge de Miséricorde, les types des saints et saintes abritant des priants sous leur manteau.
On voit combien nombreuses sont les questions qui forment notre sujet. Il est assurément complexe, car il touche à plusieurs points importants de l'histoire du moyen âge, le développement du culte mariai, les rivali- tés entre les grands Ordres religieux, la littérature mys- tique et monacale, Forigine et la vogue de certaines pra- tiques pieuses comme la flagellation et le rosaire, la nais- sance et le rôle des Confréries de pénitence et de charité, les conséquences religieuses des grandes épidémies. Mais c'est la complexité même de cette étude qui en a fait pour moi le profit et l'attrait.
Un aperçu des opinions émises sur Forigine du type de la Vierge au manteau justifiera la présente élude.
Un auteur du xvii^ siècle, le P. Julet, provincial des Minimes en Lorraine, dans son livre des Miracles et grâces de N.-D.-de-Bon-Secours-lez-Nancy^, a consa- cré \\\\ long chapitre à la statue de Mansuy Gauvain et,
son tableau de Lucfjues. I/expression dont se sert M. Pératé [Ilisl . de l'art publiée sous la direclion d'A. Micliel, t. II, 2, p. 844j, « Vierge de Merci », ne saurait désigner (jue la Vierge des Mei'cédaires. M. S. Rei- naeh a inventé, sans nécessité, la dénoininalion de « Vierge tutélaire » (liéj)ertoirr (li's peintures, l. I, p. 4!M ; t. II, p. liSa).
\. Imprimés du cotnmandemenl de Monseigneur rillustrissinir Cardinal de Lorraine, à Nancy, par S. Philippe, imprimeur de Son Altesse, 1630. Réimprimés en style rajeuni à Nancy en 1734. Cf. Jérôme, Uéçjlise N.-D. de lion-Secours à Nancy (Nancy, Vagner, 1898), p. 37.
INTRODUCTION ,j
accessoiremeiil, au type qui nous occupe; il s'évertue à en expliquer le symbolisme, mais les textes qu'il cite ne sont pas peiiinenls, les légendes qu'il raconte n'ont rien à voir avec la question : il allègue saint Martin et son manteau, ou encore l'histoire d' « un grand seigneur et grand homme d'eslat huguenot ' à qui bien prit, le jour de la Saint-Barthélémy, de trouver à sa dévotion le pan de la robe de la Reine Mère pour lui servir de bou- clier^ » ; puis, comme s'il comprenait lui-même que tout ce bavardage n'explique rien, il se réfugie dans l'histoire naturelle, entendue comme l'entendaient, au moyen âge, les auteurs de Bestiaires ^ : « Entre plusieurs choses dignes de considération que l'on dit de la Baleine, celle- cy me semble mémorable, c'esl que, si quelque danger survient, elle cache ses petits dans sa bouche... Quand la Lamprove craint que quelque mal n'arrive à ses petits, elle fait de mesme que la Baleine... La Canicle marine fait davantage, recevant les siens non en sa bouche, mais en son ventre... '* »
Pas plus que le P. Julet, la plupart des archéologues modernes n'ont su découvrir l'origine de la Aierge au manteau.
M. Schreiber^, qui a souvent rencontré ce type icono- graphique dans les gravures incunables et qui a dû y revenir à propos des images relatives à la peste, le date
1. Je ne sais de quel seig-neur huguenot Julet a voulu parler.
2. Julet, p. 467.
3. Sur ce symbolisme, cf. Màle,L'a/"< rel.du XIII'" s.,2'' éd., p. 43-64.
4. P. 471-473.
5. Manuel de la gravure au XV^ siècle, t. I, p. 295 (cf. t. III, p. 114) : « Au xv" siècle, les troubles des Hussites ainsi que le concile de Cons- tance portèrent le culte de Marie à son apogée ; presque toute la chré- tienté la prenait pour intercesseur, et dès lors on voit apparaître dans lart la Vierge de Miséricorde ou Madonna del Popolo. » M. Schreiber se trompe : jamais les Italiens n'ont appelé la Vierge de Miséricorde Madonna del Popolo ; l'article de Middleton auquel il renvoie (Maria del Popolo, dans \e Portfolio de juin 188a) est consacré à la célèbre église romaine de ce nom.
4 INTKODUCTION
du xv^ siècle. Bouchot* ne le faisait pas remonter plus haut que la Vierge de Miséricorde du musée du Puy (pi. XXI, 1) qui semble de 1420 environ. D'après M.Thode-, le type serait d'origine italienne et plus pré- cisément franciscaine; les plus anciens exemples en seraient un tableau de Lippo Memmi, à la cathédrale d'Orviéto, et le retable de Spinello, à Sainte-Marie-des- Gràces d'Arezzo ^ D'après M. Moritz-Eichborn ^, Fri- bourg-en-Brisgau posséderait les plus anciennes images sculptées de la Vierge au manteau (pi. XXVI, 1 et 3) : elles remonteraient au début du xiv^ siècle. M. Leh- mann ^ croit aussi que les plus anciennes représenta- tions de la Vierge de Miséricorde sont allemandes : il cite la statue de la cathédrale de Fribourg, qu'il date de la fni du xiii*' siècle, et une fresque de Tan 1334, dans la cliapelle de Marienbourg, en Prusse, la célèbre forte- resse des Teutoniques. Feu Ilelbig'', en 1885, ne connais- sait pas de Schui zmanlelbild aussi ancien qu'une pein- ture de la fin du xni^ siècle, qui représente sainte Odile, l'une des compagnes de sainte Ursule, abritant sous son manteau ses jeunes sœurs, Ima et Ida : en sorte que, pour qui se rappelle tant d'images archaïques de sainte Ursule avec les onze mille Vierges sous son manteau, la question se pose de savoir si le manteau de protection n'a pas appartenu d'abord à la patronne de Cologne. C'est donc fort à propos que M. Brockhaus "a signalé un
1. La. peinlure en France xous les F.j/ojs, notice de la pi. XXII cf. les additions) ; du même, Les primitifs français, p. 263.
2. Franz von Assisi, 2«éd. (Berlin, 1904J, p. olO.
.3. « Auf dem Hauptaltar von S. Maria délia Misericordia », dit M. Thode. Il n"y a pas d'église de ce nom à Arezzo. La Misericordia d'Arezzo est l'ancien local dune Confrérie charitable.
4. Der Skulplurencyklus in der Vorhalle des Freihurrjer Miinslers (Strasbourg-, 1899), p. 412.
;j. Das Bikinis hci den alldeutschen Mcislern bis uiif Diirer (Leipzig, 1900j, p. 210.
fi. Revue de Vart chrétien, 1883, p. 277.
7. Fnrsriiiini/i'n lihcr /lorenlincr Ktinslircrhe Leipzig, 1902), p. 108.
INTRODUCTION 0
texte qui fait remonter jusqu'au milieu du xiii^ siècle le type de la Vierge au manteau; mais il a été moins heu- reux quand il en a expliqué la diffusion uniquement par le développement des Confréries. M, Supino ' voit dans la Vierge au manteau la traduction figurée des vers du Dante :
Orrihil fiiron li peccati miéi,
Ma la Bontà infinita ha si gran hraccia^ Che prende ciô che si. rivolve a lei ''.
Mais la « Divine Bonté » dont il s'agit dans ces vers est la bonté de Dieu, non la bonté de Marie. Kraus ^ voyait dans le type de la Vierge de Miséricorde la tra- duction figurée de l'antienne du xi*^ siècle, Salve Regina misericordiae, ou d'une prière encore plus ancienne, Siih tiiuni praesidium confugimiis, d'où le nom de Suh tu II m dont on a quelquefois désigné les Vierges au man- teau '. Plus que tout autre, Barbier de Montault '' s'est approché de la vérité, en rappelant la vision de saint Dominique dont nous parlerons plus loin, et même la vision rapportée par Gésaire, laquelle est en fin de compte l'origine du type en question ; mais Barbier n'a pas su tirer parti de ces indications : c'était un collec- tionneur de menus faits, aussi incapable de synthèse que de critique.
La plupart des opinions que nous venons de rapporter contiennent, quant à l'histoire du thème, une part de vérité, que nous aurons à dégager. Mais pour ce qui est de l'origine du thème, les érudits n'auraient pas proposé
1. Les deux Lippi (Florence, 1904), p. 87.
2. Purgat., III, 121-123.
3. Geschichleder christlichen Kunst (Frihourg, 1897), t. II, p. 433.
4. Par exemple Drexler, Tafelbilder aus dem Muséum des Sfiftes Klosterneuhurçj (Vienne, Schenk, 1906), p. 2.
;j. Traité d'iconographie chrétienne, nouvelle édition (Paris, 1898), l. 11, p. 239; Revue de l'art chrétien, 1889, p. 24.
6 INTRODUCTION
des solutions si diverses et contradictoires, s'ils avaient connu l'introduction critique qu'un Bollandiste du xviii^ siècle, Guillaume Cuper, écrivit pour la Vie de saint Dominique, dans les Acta Sanctorum ^ Nous avons, en 1905, M. Krebs ~ et moi ^, indépendamment lun de l'autre, signalé et exploité cette précieuse mine de renseignements. Sous l'influence des documents domi- nicains réunis par Cuper, et de ceux qu'il avait lui-même mis au jour dans ses recherches sur le couvent domini- cain d'Adelhausen ^, M. Krebs s'est arrêté à l'opinion que la difî'usion du thème de la Vierge au manteau serait due à l'Ordre des Prêcheurs. On verra que les meilleurs arauments à faire valoir en faveur de cette théorie ont échappé à M. Krebs, et que, même fortifiée de ces argu- ments nouveaux, elle n'en reste pas moins très exagérée et inexacte : les Cisterciens, les Franciscains, les Con- fréries ont autant contribué que les Dominicains à répandre le thème en question^.
1. De S. Dominico conimentarius praevius [Acta SS, août I, p. 358- 545). Ce volume des Acta est datéde 1733.
2. Maria iiiit rlem Schutzmantel ani Freihurger Munster [Freiburger Munslerhlatter, Ileft 1, 1905, p. -27-35).
3. Lorraine Artiste, t. XXIII (1905), fascicules de mars et de juin, p. 62-71,109-117 ; Congrès archéologique de France, LXXI^ session tenue au Puij en 1 90i (imprimé en 1905 , p. 570-584.
4. Die Mystili in Adelhausen, dans la Festgabe offerte à 11. Fincke, et à part (Munster, 1894).
5. Mon travail était depuis longtemps commencé et j'en avais déjà publié les conclusions principales, quand il a paru dans la Gazette des Beaux-Arts, n" de novembre 1905, sous la signature de M. Léon Silvy, un court article sur VOrigine de la Vierge de Miséricorde, dont le point de départ est le frontispice des Collecta de Jean de Cirey. Je ne dois rien à cet article. Les documents dont s'est servi l'auteur niétarenl tous connus; le frontispice des Collecta m'avait été indiqué par mon regretté compatriote, feu Henri Bouchot.
CHAPITRE P"^ LA CROYANCE A LA MISÉRICORDE DE MARIE
Cette croyance n'est pas très ancienne en Occident. — Le texte dlré- née sur Maria advocala ; la fresque du cimetière Ostrien. — Le récit des noces de Cana fondement scripturaire de la croyance à la miséri- corde de Marie. — Origine orientale du Siih tuuin praesidium. — Saint Anselme. — Le Salve Reçjina inisericordiae. — Les sermons de saint Bernard pour l'octave de l'Assomption. — Les Cisterciens et la mariolâtrie.
«Les privilèges de la sainte Vierge, écrit un théologien con- temporain, vécurent plus ou moins longtemps d'une vie latente '.«Cette formule savoureuse revient à dire que la mario- logie et la mariolâtrie se réduisaient à fort peu de chose pour les chrétiens des premiers siècles.
Le même théologien écrit encore : « L'idée que le sentiment chrétien se faisait de Marie s'est d'abord heurté à certains textes qui étaient plutôt de nature à l'obscurcir, et qui, de fait, ont égaré certains Pères -. » Autrement dit, il a fallu, pour que la mariolâtrie pût se développer, que la tradition fût parvenue à se débarrasser, par une interprétation habile, des textes scripturaires qui auraient gêné ce développement, celui de Luc "^, sur la purification de Marie, celui de Matthieu^, sur les rapjDorts de Joseph et de Marie après la naissance de Jésus, ou encore les nombreux passages concernant les frères de Jésus. Ces textes sont en effet fort gênants pour la croyance à la virginité de Marie. Or la question touchant Marie, qui a le plus préoccupé les premiers siècles du christianisme, était celle de sa virginité, avant, pendant et après l'Incarnation.
1. Turmel, Histoire de la théologiepositire depuis l'oriyine jusqu'au Concile de Trente (Paris, 1904), p. 286.
2. Ibid., p. 72.
3. II, 22-23.
4. 1, 25 : non cognoscehat eam donec pcperit filium suum primogenilum.
8 CHAPITRE 1
Ainsi, la mariologie de la première époque chrétienne a con- sisté surtout à conformer le sens des Évangiles à la croyance en la virg-initéde la Mère de Dieu. On n'avait pas encore l'idée, en Occident du moins, de faire jouer à l'humble iille de Joa- chim im rôle capital dans le drame de la rédemption.
A en croire les érudits catholiques, larchéologie prouverait le contraire. La Mère de Miséricorde aurait été représentée déjà au iv^ siècle, dans une fresque du cimetière Ostrien i, qui nous montre une femme dans l'attitude de Forante, avec un enfant assis sur seso^enoux, et avec le monog-ramme du Christ, à droite et à gauche, sur le fond. Cette fresque serait l'illus- tration d un mot d'Irénée, 1 irgo Maria advocata : ainsi la croA'ance à la miséricordieuse intercession de la Vierge serait attestée par \m texte du ii*^ siècle et par un monument figuré du iV^.
En réalité, si l'on se reporte au passage du Contra haere- ses d'où sont extraits ces trois mots Vir<fo Maria advocata, on constate quirénée ne parle point de la Mère de Miséricorde, avocate du genre humain, advocata nostra, comme l'appellent le Salve Regina et les mystiques du moyen âge. La Vierge Marie, dit saint Irénée, a racheté, par son obéissance ' à faire la volonté de Dieu, la désobéissance de la vierge Eve : lancienne Eve avait perdu le monde, la nouvelle l'a sauvé en donnant le jour à Jésus, et elle est, dans le ciel, l'avocate de l'ancienne Eve •', de même c|ue les saints sont, devant le tribunal de Dieu, les avocats des âmes chrétiennes qui se recommandent à eux : ciiiquc, dit une inscription du cimetière de Cyriaque, cuique vitae suae testimonio sancti marfi/rcs apiid Deuin et Christum
1. Wilpert. Pillure délie Catacoinhe Boniane. p. 103. pi. 16.3. 207, 208 ; Marucclii. Eléments d'archéol. chrétienne, t. I, p. 319. C'est, je suppose. an\ peintures des catacombes que sonjreait M. labbé Broussolle, quand il a risqué cette assertion déconcertante : u Liconosrrapliie de N'.-D. de Bon-Secours est des plus riches. On trouve déjà cette Madone dans les plus vieilles peintures de l'État romain » La jeunesse du Pérugin, p. 175 .
2. Luc. I, 3S : Ecce ancilla Domini. fiât mihi secundum verhuni tuum.
3. Irénée, Co/i<ra /laereses. V, 19 Migne. F'. G.. W\. 117,') : Ea inohedie- lat Deo. h:iec siiasa est obedire Deo, uli iiryinis Evae rirgo Maria fierel advocata. El quemadmodum adslriclum est morli (/enus humanum per vircfi- nem. salvtilur per rirr/ineni. Cf. Bossuet, -'/' sermon pour IWnnonciation. l" point (Hùiires oratoires, éd. Lcbarcq.t. III. p. 3 : •« Eve croit au serpent et Marie à l'anjre. Eve, séduite j)ar le démon, est contrainte de fuir devant la face de Dieu, et Marie, instruite jiar Tanfre Gabriel, est rendue dijrne de porter Dieu. alîn. dit saint Irénée. (pie la Vierjre Marie fût l'avocate de la Vieru'c Eve ...
LA CROYA.Nf;!-: A LA MISERICORDE DE MARIE \)
erunt advocatiK Une fresque du cimetière de Saint-Hermès ^ représente un trihiinal où siège un ju<^e qui est le Christ ; au pied du tribunal, deux avocats, sans doute les martyrs enter- rés dans cette catacombe, saint Prote et saint Hyacinthe, défendent lame d'un fidèle, qui sest recommandé à eux ; cette âme fait les gestes de l'orante ; les deux saints font des gestes d'orateur, qui conviennent à leur rôle d'avocat. Donc la Vierge du cimetière Ostrien nest pas représentée comme advocata, puisqu'elle fait les gestes de l'orante. Et il est aussi abusif de l'interpréter comme une représentation de la Vierge de Misé- ricorde, que de prétendre démontrer, par une citation tron- quée de saint Irénée, la très haute antiquité de la croyance à l'intercession miséricordieuse de Marie '^. Dans les premiers siècles du christianisme, l'idée de miséricorde est exprimée par le type iconographique du Bon Pasteur, et l'idée d'interces- sion donne naissance au culte des saints. 11 semble que les chré- tiens d'Occident, pendant le premier millénaire, aient surtout compté, pour être sauvés, sur la protection des saints dont ils possédaient des reliques : c'est ce qui ressort, pour la période mérovingienne, du De gloria martyrum de Grégoire de Tours et des ouvrages spéciaux deMarignan ^ et de Bernoulli '. Plus tard, les saints tendent à se confiner chacun dans un rôle spé- cial, l'un guérissant telle maladie, l'autre protégeant telle cor- poration, faisant réussir telle sorte d'affaires : mais pour l'af- faire principale, pour le salut, c'est à la Vierge, désormais, que l'on s'adresse d'abord.
Bossuet, dans sa Lettre au pape Innocent XI sur l'instruction du Daup/iin, écrit tranquillement ceci : « La lecture de l'Evan- gile nous servoit aussi à lui (au Dauphin) inspirer une dévo-
1. Marucchi op. cit., t. I, p. 185.
2. Marucchi, op. cit.. t. I, p. 307.
3. Sans autre preuve que ces trois mots de saint Irénce, un théologien con- temporain écrit : « Le rôle d'Avocate par excellence est attribué par les Pères à Marie dès le second siècle » Terrien, La .Mère de Dieu et la .Mère des hommes, '2" éd., t. IV, p. 41i).
i. Eludes sur la civilisation française, t. II le culte des saints sous les Mérovingiens , Paris, ISO'.i.
5. Die Heiligen der Merowinger, Fribourg-, 1900. Cf. encore Bayet, dans rilisl. de France de Lavisse. II, 1. p. 2io.
10 CHAPITRE 1
tion particulière pour la sainte Vierge, qu'il voyoit s'intéresser pour les hommes, les recommander à son fils comme leur avocate, et leur montrer en même temps que ce n'est qu'en obéissant à J.-C. qu'on en peut obtenir des grâces. » Ces assertions étonnent : on se demande en quel endroit des Ecri- tures Bossuet a trouvé tout cela. Un théologien catholique répondra sans hésiter que Bossuet avait en vue les premiers A'ersets du chapitre ii de l'Evangile de Jean :
\. Et die tertia nupliae facfae siint in Cana Galilaeae ; et erat mater Jesu ihi.
2. Vocatus est autcm et Jésus, et discipuli ejiis ad nuptias.
3. Et déficiente vino, dicit mater Jesu ad eum : Vinum non habent.
4. Et dicit ei Jésus: Quid milii et tihi est, mulier? Nondum venit hora mea.
o. Dicit mater ejus ministris : Quodcumque dixerit vohis, facite .
Ce texte est la base scripturaire de la croyance à la miséri- corde de Marie. Il suffît d'y appliquer la méthode scolas- tique.
La méthode de la théologie scolastique repose sur ce prin- cipe implicite que tout ce qui est rapporté dans l'Ecriture doit avoir un sens profond, par cela même que l'Ecriture le rapporte; particulièrement, des paroles du Christ et de la Vierge ne sau- raient être trop scrutées, méditées ; outre le sens littéral, histo- rique, elles ont un sens mysti({ue, allégorique. Le vin que la Vierge demanda pour les gens de la noce signifie la grâce dont manquent les hommes : en demandant ce vin à son Fils, la Vierge a manifesté sa miséricorde envers nous : elle a, pour emprunter la métaphore des anciens docteurs, plaidé notre cause, elle s'est faite notre avocate.
Les mystiques d'aujourd'hui, si l'on en juge par l'ouvrage du Père Terrien, ne disent plus, pour exprimer la miséricor- dieuse médiation de Marie, que la Vierge s'est faite notre avo- cate auprès du Juge. Cette vieille expression, qui fait songer au préteur romain jugeant dans sa basilique, leur semble sans doute une métaphore trop naïve. Le moyen âge, et Bos- suet encore, comme on vient de le voir, la trouvaient excel- lente. L auteur inconnu du Salve Regina s'écriait : Eia ergo,
LA CROYANCE A LA MISÉRICORDE DE MARIE 11
advocata nostra, illos tuos miséricordes ociilos ad nos cou- verte ! Cette comparaison de la Viei'g^e avec un avocat, n"a rien inspiré de pkis curieux qu'un poème du xiv*' siècle, VAdvocacie Notre-Dame, qui montre la Vierge plaidant contre le Diable, au tribunal de Jésus-Christ, ^ la cause du genre humain : nous reviendrons plus loin sur cette singulière pro- duction.
Les textes qui parlent de la Vierge comme avocate, sont réunis dans le recueil de Salzer '. Si Ton prend la peine de les parcourir, on verra que les plus anciens, ceux qui sont anté- rieurs au xi*" siècle, sont tirés presque tous des auteurs orientaux, des Pères Grecs, de la liturgie orthodoxe et de saint Ephrem, le poète de l'Eglise syrienne.
La mariolàtrie, en effet, s'est développée beaucoup plus vite en Orient qu'en Occident. Les Orientaux ont cru, bien avant les Occidentaux, que les pécheurs seraient sauvés par la toute-puissante miséricorde de la Vierge. La célèbre prière Suh tuum praesidium confugimus, dont certains archéologues ont vu lillustration dans les représentations de la Vierge au manteau protecteur, est d'origine orientale : elle aurait été tra- duite du grec en latin sur le désir de Charlemagne '. On notera que le texte grec invoquait la compassion (£j!7-ÀaY-/vLz) de la Vierge, et que les traductions latines ^ font appel à sa pro- tection (praesidium) : la Vierge, pour les rudes chrétiens d'Occident, à l'époque où se constitue la féodalité, est une puissante Dame dont on veut devenir le vassal.
« Le xiii*^ siècle, a-t-on dit, est par excellence le siècle de la Vierge. Les cloches de la chrétienté sonnent l' Angélus. Saint Dominique répand le rosaire en l'honneur de Marie. Il faut lire le De laudihus beatae Mariae du dominicain Albert le Grand et le Spéculum heatae Mariae du franciscain Bona-
1. Die Sinnhilder und Beiicorte Mariens, dans les Programmes de l'Ober- gymnasium des Bénédictins de Seitenstetten (Linz, 1886-1894), p. 394-596 du tirage à part. Cf. Mone, Lateinische Hymnen Fribourg, 1854 , t. II, p. 174.
2. Paléographie musicale de Solesmes, fascicule V, 1896, p. 13-15. Voici le texte grec :'Ynô tt;v a7;v c'ja-Xayyvîav xa-aosûyoïAîv, 0cOTO/.E,xà; f,;jLà)y [y.riQ'.ai {atj — apîôr]; v/ TUSpiaTotas'., àXÀ' I7. zivojvcov À-Jtotoaa'. fjU.à;, (xovr) iyvf,, [xÔ^^Ti suXoyTjasvT] — et le texte latin, tel qu'on le récite aujourd'hui : Suh tuum praesidium con- fugimus, sancta Dei genitrix. nostrns deprecaliones ne despicias in necessita- tibus, sed a periculis cunctis libéra nos, semper virgo, gloriosa et benedicta.
3. Sauf dans lantiphonaireambrosien (ms. duxii» s., au Musée britannique), qui traduit : Suh luam misericordiam.
12
CHAPITRE I
venture pour se faire une juste idée des sentiments que le XIII'' siècle professait pour la Merge. » Personne ne con- testera l'importance du culte mariai au xiii^ siècle ; mais peut- être doit-on faire remarquer que lAngelus ne date que du xiv^ siècle ' et le rosaire que du xv*^- ; que le De laudihus heatae Mariae n'est pas d'Albert le Grand^, ni le Spéculum beatae Mariae de saint Bonaventure^
Ensuite, devons-nous appeler le xii^' siècle le siècle de la Vierge, de préférence au xii^ et même au xi«? Je ne le pense pas. Le xi« siècle qui a produit saint Anselme, et qui a vu se vouer au service de Marie les Gamaldules, les Chartreux et les Cisterciens ; le xii% qui a donné saint Bernard et saint Norbert, qui a élevé la cathédrale de Notre-Dame de Chartres et populariser Ave Maria^ ont sans doute autant fait que le xiii« pour le développement du culte mariai. L'étude complète de la mariologie aux xi^ et xii« siècles dépasserait le cadre de ce travail. Le développement de la croyance à la miséricordieuse intervention de ^L'lrie est la seule question qui doive nous occuper. Encore nous suffira- t-il de quelques indications.
Au xi"^ siècle, le plus éloquent interprète de la crovance à la miséricorde de Marie est assurément saint Anselme : « Parmi les terreurs qui me poursuivent, s'écrie-t-iic, dans la crainte qui me glace, ô Souveraine très clémente, quelle médiatrice invoquerai-je avec plus de ferveur que celle dont les entrailles ont porté la Réconciliation du Monde ? Quelle
1. Vacant et Manf-cnol. Dicl. de théol. aitholique, s. v. Amielus
2. Cf. infra, ch. v. • j ■
,.^- ^^^/t l-nulibus a été imprimé dans le tome XX des Œuvres d'Albert le Grand, ed.t.ondeLyon, léditeur Jammy ^de l'Ordre des Préeheurs avant jugé bon de 1 attribuer au j^rand docteur Dominicain. Mais cette attribution n'a été admise par aucun de ceux qui se sont occupes de la question : môme les Domi- mcains y ont renonce (Quétif et Echard. Script. 0. P., t. I, p. I"! L'ouvia-e est précède d un prolof^ue qui en fait connaître l'inspiration cistercienne • A'< qmarogHtnssum ah, -nu, ci, meis (am monachis quarn monialihusde ordiheCis- lerciensium, ,,u, spcciali affectu famulari soient V,n,ini gloriosae. non prout dehm sed proutpolui.pmsecntus sum laudes ejus. L'auteur parait avoir vécu
séc"ulie,. îr'T'"T T"ï ''" T' ''''^*' ' "" '■""'■'•'"^ Kénéralement à un prêtre sccul.e. H.chard de Saint-Laurent, chanoine, archidiacre et pénitencier de Rouen Daunon. dans r//,.s/. Ult. de la France, t. XIX. p. 23-27 c'était lattri' hution reçue avant l'édition de Jammy (Hrunet, Manuel, t. IV col I''88 t. On I attribue à Conrad de- Sa.\e
6 p'?"^CLVnfT'" ^""' ''' ""'''■ '■''"'■' '■ ' ■ -^"^'^'■'I"'^ ^salutations
LA CROYANCE A LA MISÉRICORDE DE MARIE 13
intercession obtiendra plus facilement la grâce d'un criminel comme moi, que la prière de celle qui a nourri de son lait l'universel vengeur des crimes et le miséricordieux auteur du pardon ? »
Je me contenterai de cette citation de s^int Anselme. J'ai hâte d'arriver aux textes qui ont le mieux exprimé pour le moven ào:e, lacrovance en la miséricordieuse intervention de Marie, et qui ont le plus contribué à la rendre populaire, les sermons de saint Bernard et le Salve Regina.
La date et l'auteur du Salve Regina sont inconnus. Cette antienne a été attribuée tantôt à Adhémar, évêque du Puy (•J- 1080) — d'oi^i le nom d'antiplionia de Podio — tantôt à Pierre de Compostelle, et, avec plus de vraisemblance, à Hermannus Contractus ^ Le succès en a été vraiment extraor- dinaire : les paraphrases, les traductions en sont innom- brables '-. On notera que, dans le texte ancien du Salve Regina •', le mot /na/er luanque entre regina et niiserieordiae ; il n'v a été intercalé que plus tard : pour la mystique du xii*^ siècle, la Vierge était, non pas Mère de miséricorde, mais bien Reine de miséricorde, Regina niiserieordiae. par oppo- sition au Christ, au Juge du monde, qui est le Roi de jus- tice, Rex jiistitiae ^.
1. Cf. Daniel, Thesaurum liymnologicatn, t. II, p. 331 ; llohauU de FIciiry, La sainte Vierge, t. I, p. 392 ; Ulysse Chevalier. Heperlorium hymnologicum
t. II, p. 319 : Brambach, Die verlorene geglHuhle Historia de S'' AlVa mar- tyre iind (las Sal\e Rejiiiia des Hermannus Contracliis, Karlsruhe, 1892. Sur la tradition de l'éfflise de Spire, concernant les prétendues additions faites par saint Bernard au Salve Regina, cf. Vacandard. Vie de saint Bernard, '2' éd., t. II, p. 83.
2. Cf. dans 7\ L., CLXXXIV. 107S, la 3/ei//7a/iom Salve Résina, qui n'est pas de saint Bernard. Les Gloires de Marie de saint Alphonse de Lifjuori sont une paraphrase du Salve Regina. Mone ' Lateinisclie Hi/mnen. Fribourg, 1S54, t. II. p. 201; dit qu'au moyen âge, en Allemagne, des fondations furent instituées pour faire chanter le Salve Regina : il en publie p. 203-216 des para- phrases en latin, en allemand, en italien et en français. Cf. Suchier, Marien- gebete Halle, 1877 , p. 1 i, et la traduction versifiée dans VAdvocacie Notre- Dame p. 57, Cliassant . La plus curieuse des paraphrases se trouve dans les apocryphes de saint Bonaventure [Opéra, éd. de Lyon, t. VI, p. 166).
3. Voici le te.Kte ancien : Salve, Regina niiserieordiae, vita. diilcedo et spes noslra, salve ! Ad te clamamus, exules filii Evae, ad le suspiramus gementes et fientes in hac valle lacrymarutn. Kia ergo, advocata 7iostra. illos lues misé- ricordes oculos ad nos converte, et Jesum henedictnm friictnni venlris tui nohis posl hoc exsiliumoslende, o démens, o pia, o dulcis Maria 1
4. Saint Thomas, préface des Épitres canoniques, cité par saint Alphonse de Liguori, Les Gloires de Marie, ch. i. Le commentaire des Épitres cano- niques, attribué communément à saint Thomas et public souvent dans ses
14 C.nAPITRE I
Il y a clans les œuvres de saint Bernard une série de ser- mons sur le Salve Regina '. C'est au premier de ces sermons que M. Mâle emprunte le texte par lequel il établit le rôle de Marie comme avocate dps pécheurs '-. En réalité, les sermons sur le Salve Regina sont apocryphes. Mais il nest pas surpre- nant cpi ils aient été mis au compte de saint Bernard. Celui qu'on a surnommé le dernier Père de l'Eglise, la grande merveille du xii'' siècle, le chevalier de Marie, il siio feclele Bernardo '^, son dévot chapelain, son cithariste, a contribué plus que nul autre théologien à fonder la doctrine catholique relative à Marie ^ et plus spécialement, la doctrine relative à la médiation de Marie et à sa miséricorde.
Dante a condensé en quelques vers inoubliables la doc- trine de saint Bernard sur la miséricorde de Marie :
Donna, .se' tanlo grande, e lanto vali.
Che quai vuol grazia, ed a le non ricorre. Sua disianza vuol volar senz' ali . . .
In le misericordia '',...
Cette doctrine est exposée surtout dans les quatre sermons de saint Bernard pour l'octave de 1 Assomption, qui consti- tuent vraiment l'un des documents capitaux de la pensée religieuse du moyen âge. Tous les mystiques les ont médités : c est de là que proviennent ces citations de saint Bernard, qu'on retrouve dans tous les ouvrages qui exposent la misé- ricorde de Marie:
Sileat misericordiain tiiam, Virgo J)ea(a, si qiiis est, qui invocatani te in necessitatibus suis sihi meminerit defuisse. Nos (juidem servuli fui caeteris in virfuiibus congaudemus tibi, sed in hac potius nobis ipsis : laudamus virginitatem, hurnilitaleni mirainur, sed misericordia miseris sapit dulcius,
reuvres complètes par ex. dans l'cd. d'Anvers ou Cologne, 5612, t. 18), paraît être en réalité de Nicolas de Gorraii : cf. Quétif et Ecliard, Script. 0. P., t. I, p. .'5 «3 et 1 il .
1. P.L., CLXXXIV. 1059-1077.
2. Uart reU(fieiix du XIII' siècle, 2" édition, p. 29(i. .3. Dante. Par<if/(,so. XX\'l. 102.
4. \'acandai-{l, \'ie de sainl Bernard, 2° éd., t. II. p. 80-lt8 : du même. Saint Bernard nraleiir,p. 281-.'{21.
5. Parad., XX.XIII, 12-19
LA CROYANCE A LA MISÉRICORDE IJE MARIE lo
misericoi'diam amplectimur cai'ius, recoi'damur saepius, cre- hrius invocamus* .
Omnibus miserico/rliae siniim aperit, ut de plenitudine ejus accipiant universi, captivus redemplionem^ aeger curationem, tristis consolafionem, peccatorveniam, Justwsgratiani^ angélus laetitiarn, denique tota Trinitas gloriam ~.
Pour sédilîer à cet éj^^ard, qu on se reporte, dans les éditions lyonnaises du xvii^ siècle, auDe laudihus beatae Mariae ou au Spéculum heatae Mariae Virginis : il suffît de parcourir les références indiquées en nianchettes pour s assurer que les ser- mons de saint Bernard ont fourni la majeure partie des textes qui composent ces vastes mosaïques. On en peut dire autant des Meditationes citae Christi, qu'une tradition erronée-^ attri- bue, comme le Spéculum heatae Mariae Virginis, à saint Bona- venture, et qui, si on les débarrasse des interpolations du début, paraissent sinon d'origine, au moins d inspiration cister- cienne ^.
1. In Assump. sermo IV"\ § 8 P. L., CLXXXIII, 42S;. Celte citalion se retrouve par exemple dans \e Spéculum h. Mariae Virriinis S. Bonaventurae
Opéra, éd. de Lyon, 1668, t. VI, p. 413), et dans le De laudibiis h. Mariae, 1. IV, ch. xxii Alberli Magni opéra, éd. de Lyon, 1651, t. XX, p. 138-139).
2. Sei-monpoiir le dimanche après l'Assomption, § 2 (P. L., CLXXXIII, 130 . Cette citation se retrouve deux fois dans le Spéculum h. Mariae Virginis, p. 436 et 441.
3. Je dois dire qu'elle a encore des défenseurs : « On a voulu, mais sans grand succès, enlever les Méditations à saint Bonaventure » {Gazette des Beaux- Arts, I'"'fév. 1904, p. 97 . Mais cette attribution n'est plus admise par les spécialistes ; le P. E^berl Smeets. président du Collège Saint-Boiiaventure, à Quaracchi, n'en a même point parlé dans son article sur saint Bonaventure {Dict. de théologie, publié sous la direction de ^'acant et Manj^cnot , et les Méditations ne figurent point dans l'édition des Opéra S. Bonaventurae publiées à Quaracchi. Elles sont attribuées par Barthélémy de Pise, l'auteur du fameux livre des Conformations, à un certain Fr. Joannes de Caulibus (cf. S. Bonav. opéra, éd. de Quaracchi. t. X, p. 25i. Il en subsiste plusieurs manuscrits, qui, d'après les renseignements que me fournit le P. Smeets, contiennent de nombreuses interpolations, si bien qu'il parait très difficile de retrouver le texte original. Sur les apocryphes attribués à saint Bona- venture, cf. J. V. Leclerc, dans VHist. litt. de la France, t. XX, p. 73 : « Les Franciscains, pour égaler le nombre des 73 opuscules imprimés par les Domini- cains sous le nom de saint Thomas, en cherchèrent partout qu'ils pussent donner à saint Bonaventure ».
4. Cf. le prologue des Meditationes dans les Upera S. Bonaventurae. éd. de Lyon 1668 , t. VI. p. 33 4 : sanclorum Patrumauctorilatihus conspersuni est, praesertim S. Bernai-di, cujus rei rationem c. S6 reddit Auctor lus verbis : « Ideo Ubenter Bernardi verba in hoc opusculo intersero et adduco, quia non solum spiritualia sunl, et cor penetrantia. sed et décore plena, et ad Dei ser- vitium excitanfia. Cf. ch. n, p. 335: inter eas {misericordiam et pacem., veri-
10 CHAPITRE 1
Lune des meilleures preuves de linfluence immense de saint Bernard, c'est le nombre d'ouvrages apocryphes qui lui ont été attribués, traités et sermons, prose et poésie '. Beaucoup dont les auteurs avaient tu leurs noms par humilité, ont été mis au compte de saint Bernard, moins encore par fraude pieuse que par conjecture sincère. Tels sont par exemple les Sermons et la Méditation sur le Salve Rcfjina ~ où l'on retrouve, exprimée dans le style même de saint Bernard, la doctrine, bernardine par excellence, de la miséricorde de Marie.
Saint Bernard était à ce point, pour le moyen âge, le théo- logien de la miséricorde de Marie, que des ouvrages où cette théologie était exposée ont fini par être enlevés à leur véri- table auteur, dont le nom était pourtant connu, et ont été mis au compte de l'abljé de Clairvaux : ainsi le /)e laudihus heatae Mariae d'un contemporain et d'un admirateur de saint Ber- nard, Arnaud de Chartres, abbé bénédictin de Bonne val.
Ce n'est pas seulement saint Bernard, c'est l'Ordre de Cîteaux tout entier qui fait accomplir, au \iV siècle, un pro- grès merveilleux à la mariolàtrie. Dès leur fondation, les Cis- terciens placent leurs églises sous l'invocation de Notre-Dame; ils empruntent aux Chartreux la pieuse habitude de réciter avant l'office canonique le Petit Office de la Vierge: ils ter- minent la journée par le chant solennel du Salve Be'jina mise- ricordiae -K Cisterciens et Cisterciennes se considèrent comme les familiers de Marie : speciali affectufamulari soient Virgini r/loriosae, écrit au milieu du xiii*" siècle, l'auteur du De laudihus heatae Mariae '*. « L'Ordre de Cîteaux, dit Jean de Cirey dans la conclusion de ses Collecta, est sur terre la famille particulière de la Mère de Dieu. Car, outre qu'elle lui prodigue les révé- lations spirituelles et les consolations intimes, souvent elle est venue en personne, accompagnée d'une suite brillante de saintes et d'anges, le consoler, l'instruire, l'aider, le diriger. Aussi Fappelle-t-on la patronne et la dame de cet Ordre, sa
latem et jiislilinm) magna controversin fada eut. proul narrai h. Bernardus piilchroel longo stylo, sed ego succincle. iil potero. referam xumniam . Frequen- ler enim ipsiiis dicta melliflua inlendo addurere.
1. Pour les apocryphes attribués à saint Hcrnaril. cf. Ilisl. lit t. de la Fr.. XIII, 211 : Pellecliet, Cal. général des incunables, l- I, |). J08 ; llauréau. Des poèmes lalins atlrihiiés à saint Bernard (Paris, 1890. sm.
2. I'. L.. CLXXXIV, 1059-1079.
3. Vacandard, Vie de saint Bernard, t. II, p. 97.
i. .\lherti Magni opéra, cd. de Lyon, (1651), t. X.\. p. 2.
LA CROYANCE A LA MISÉIUCUUUE DE MARIE 17
protectrice et son avocate : car il est le premier de tous ceux qui sont dédiés à Marie. Si. par impossible, le Diable et Judas lui-même se mettaient à suivre la règle de Giteaux, humble- ment et entièrement, il ne faudrait pas désespérer de leur salut final : la Vierge, par sa miséricorde, saurait bien les sauver ' ». Cette énerg-ique hyperbole fait sentir, mieux que tout autre texte, avec quelle force l'Ordre cistercien sest attaché à la doctrine bernardine de la miséricorde de Marie.
Ces éclaircissements sur le rôle de saint Bernard et des Cisterciens dans le développement de la mariolàtrie en géné- ral et particulièrement de la dévotion à la Mère de ^liséri- corde étaient nécessaires pour expliquer que le type iconogra- phique de la ^^ierg;e au manteau protecteur, imag-iné par le moyen -Âge occidental comme symbole de la miséricorde infinie de Marie, soit né, comme on va le voir, dans un couvent de Citeaux,
]. Peculiaris in terris fninilia cjloriosissimne matris Domini... Xnm ultra spiritiiales revelaliones inliinas([ue consohitiones saepiiis fuhfidissimo caeli civium stipata comitaln ens visilahat. etiarn visihiliter consolahat, edocehat, adjiivabat. dirigebat. ()b hoc et ipsa sacri hujus Ordinis palrona, domina, prolectrix et advocata noininatiir, sicul Ordo primus est omnium Ordinum in ejiis honoreni dedicatus... Si per possihile Daemon aut etiam Judas humiliter et inte(fraliter sacri Ordinis observantias custodirent, de eorum sainte finali neqiiaqiiam desperandum videretiir. Sur les Collecta de Jean de Cirey, voir infra, p. 29. Ce texte est cité par Tissier. en tète de sa Bibliotheca Palriini Cislerciensium Bonnefonlainc, J660j. dans la dédicace, qui est adressée à la Vierg:e Marie, speciali Cisterciensis Ordinis patronae. Après cette citation, Tissier poursuit ainsi : dileclionem liiam in omnes ejiisdem Ordinis personas ea praecipue visione demonstrasli. c[ua eas siib chlamide tua te f'overe et pro- tegere, quasi gallina pullos, ostendisti : cl il raconte la vision rapportée par Césaire, dont nous allons parler. Voir encore, dans le même ouvrajje, t. VII, p. 211, un sermon d'Hélinand de Froidmont, avec les remarques de Lecoy de la Marche. La chaire française au moyen âge, 2" éd., p. 374.
Pehurizet. — La Vierge de Miséricorde.
CHAPITRE II
LE THÈME DE LA VIERGE AU MANTEAU PROTECTEUR EST D'ORIGINE CISTERCIENNE
Ce thème est inconnu à l'art d'Orient et, avant le xiii* siècle, à l'art d'Occident. — lia sa source dans une légende Cistercienne, rappor- tée par Césaire d'Heisterhach. — Le symbolisme du manteau. — Succès du thème parmi les Cisterciens.
Le type de la Merg-e au manteau est inconnu de Fart chré- tien d'Orient : la Vierge de Miséricorde dans l'art byzantin (y; 'EKtoj7x) ne diffère en rien des Panaghias ordinaires '. Dans l'art d'(3ccident, on ne le trouve qu'à une époque assez avan- cée déjà du moyen âge. Rohault de Fleury, qui a réuni avec tant de soin les représentations de la Vierge antérieures au XIII'' siècle-, n'a pas rencontré celle-là. Il y a dans l'église Saint-Marc de Florence une mosaïque romaine du viii'' siècle 3, qui représenterait, d'après l'inscription placée au-dessus, la Mater misericordiae : la Vierge est représentée dansle costume d'impératrice byzantine et dans l'attitude de Forante ; l'ins- cription d'ailleurs est assez récente. Je suppose que si l'on a fait de cette Vierge orante une Mère de Miséricorde, c'est à cause du geste des bras, mal compris : on aura vu dans les bras écartés de Forante le geste habituel des Vierges de Misé- ricorde, qui pour étendre leur manteau sur les pécheurs écartent les bras.
1. Pour les types de la Vierge dans l'art byzantin, cf. Brockhaus, Die Kunst in den Alhus Kloslern Leipzi},', IS91 , p. 105 sq; KondakolT, Les monuments de l'arl chrétien au monl Alhos en ruf^i^c), Pctersbourjr. 1002 : Perdrizet, La Vierge qui baise la main de l'enfant, clans Revue de l'art chrétien, 1907.
2. La Sainte Vierge, éludes archéologiques d'iconographie, Paris, 1878- 1879.2 vol.f". Le déparlement des mss. de la liibliothèque Nationale vient d'hériter des documents léunis par les Rohault père et fds : je nie suis assuré qu'ils ne renferment rien concernant mon sujet.
3. Alinari, phot. 1571, reproduite dans \'enturi, La Madonedans Vart italien, j). 4, cl dans VaSloria deliarte itaiiana, du même, t. II, lig. 188, p. 276. Elle se trouvait à Home dans l'oratoire de la Porta Santa (chapelle de Jean VII, pape de 705 à 708) et fut transportée à Florence en 1609.
LA VIERGE AU MANTEAU PROTECl'EUR ET LES CISTERCIENS 19
Au porche de la cathédrale d'Autun où est fig-uré le Juge- ment dernier ', on voit de petites âmes qui. pour échapperaux griffes des diables, se cachent sous la robe de l'archange. Mais la ressemblance avec le type qui nous occupe est superficielle. L'auteur du Jugement dernier d'Autun était un artiste d'ima- gination féconde ; ce détail des âmes qui se réfugient sous la robe de l'archange est ime invention qui semble lui être propre ; autant que je sache, elle n'a' été copiée nulle part et ne repose sur aucun texte ; tandis que les Vierges abritant les pécheurs sous le manteau de protection forment une série immense qui a certainement son origine, non dans la fantaisie d'un artiste, mais dans quelque texte sacré, à tout le moins dans quelque légende pieuse.
Est-ce dans un passage de l'Ecriture? Une métaphore biblique aura-t-elle donné naissance à ce type étrange, comme on voit, par exemple, qu'une métaphore de l'Évangile' a donné naissance dans l'art d'Orient et dans l'art d'Occident, aux représentations d'Abraham tenant dans un pan de son manteau de petites figures nues qui sont les âmes des justes '*? Le livre de Ruth, voulant signifier la protection dont l'Eter- nel couvre ceux qu'il aime, parle des ailes de Jahvé ' : Jalivé est comparé à une oiselle couvrant ses poussins de ses ailes. Cette métaphore revient souvent dans les Psaumes : « Aie pitié de moi, ô mon Dieu, dit le Psalmiste, protège- moi à l'ombre de tes ailes contre les méchants qui me persé- cutent'... C est l'Eternel qui m'a délivré du filet de l'oise- leur ; il te couvrira de ses ailes, et tu trouveras 1 espoir sous ses plumes. » Ces textes, où survit quelque chose de l'antique
1. Vers 1150. Reproductions clans Dehio, Kungstgeschichte in Bildern (Leipzig, 1902', t. II, pi. 38 : mieux dans Marcou, Album du musée de sculp- ture comparée. 1. 1, pi. 41, et dans \'itry et Brièrc, Documents de sculpt. (r. du moyen ùge. pi. XI. « De petites âmes s'accrochent à la robe de l'ange », écrit M. Mâle dans le Musée d'art, p. 73 i^cf. L'art religieux du XIII' s., 2" éd., p. 420, n. J).
2. Lhc, XVI, 22-23.
3. Le sein d'Abraham est le lieu de reposdes justes, jusqu'au Jugement der- nier qui les fera entrer dans le paradis : « Dans certaines représentations byzantines du Jugement dernier, on voit, au milieu du paradis, Abraham tenant lésâmes vertueuses dans son giron... Le peintre du couvent de la Pha- néromcni. à Salamine, plus rigoureu.x et plus savant, n'a mis dans le para- dis, avant l'arrêt du Jugement dernier, ni ces âmes, ni ce patriarche » Didron, Manuel d'iconographie chrétienne, p. 272).
4. II, 12 : plenam mercedem recipias a Domino suh cujus confugisti alas.
5. Ps. LVI, 2.
20 CHAPITRE U
conception de Jahvé-chéroub ', sont la source où la mystique a pris la comparaison de la Vierge protectrice avec une oiselle "'. Mais jamais la protection divine n'est comparée dans la Bible à un manteau.
Cette comparaison se trouve-t-elle dans les Pères ou dans la Liturgie ? Salzer, qui a recherché avec une patience admi- rable les épithètes et les métaphores de la Vierge dans la patristique grecque et latine, dans la liturgie, les hymnes et les écrits mvstiques, cite des centaines de textes sur la Mère de Miséricorde : les métaphores sont vas, fons, latex, flumen, sinus misericordiae'^ ; saint Bernard, par exemple, dans un passage célèbre (jue nous avons déjà eu occasion de citer, compare la Vierge de Miséricorde à une mère qui ouvre ses bras à ses enfants : omnibus niisericordiae sinum aperii, ut de plenitudine ejus accipiant universi. Mais dans aucun des textes collectionnés par Salzer, la miséricorde de Marie n'est comparée à un manteau.
Le type iconographique de la Vierge au manteau, comme celui de la Vierge Immaculée, ou ^'ierge de Lourdes, a sa
1. Ps. XG. 3 : Ipse liberavit nie de laqiieo venanliiini... Scapulis suis obum- brabit tibi. et snh permis ejus sperabis.CL XVI. 8 -.sub umbra alai-umluarnm protège me;XXW, S: filii hominurn in legmine alaruin liiarum sperabunl; LXIl, 8 : in velamento alariim tnaruni exuUabo.
2. In Salve reçfina. II (sermon attribué à tort à saint Bernard, dans Migne, CLXXXn'^, 742) : le sermonnaire adresse à la \'ierg:e la prière du Psalmiste sub timbra alaruni iuarum nos protège Ps., XVI, 8). Cf. P. L.. CLIX, 314. Saint Ephrem. De laud. Mariae, t. III, p. 57(5 de l'éd. de Rome, 1732, cité par Salzer, op. cit.. p. 373: sub alis pietatis atque niisericordiae protège nos. Le prieur Reitter dans une ode de son Mortilogus Augsbourg, 1508), sur laquelle nous reviendrons plus loin^ a cette strophe :
Pande maternuni greminm reliclis.' Sub tuis tuti latitenius alis, Dira ne nabis noceanl venena Pestis acerbae !
(I 1.,'àme de saint Hugues de Cluny se réfugia près de la Vierge coinme sous l'aile dune mère » (Sausseret, -lp/)a7'/7('oHs et révélations de la T. S. Vierge, t. I, p. 171). Les Franciscains ont hardiment transféré cette métaphore de la \'ierge à leur fondateur : « Une femme singulière, sainte Douceline. agitait le midi de la France. Elle appartenait au Tiers-ordre de saint François. On recueillait ses paroles comme une révélation divine. A la question inquiète dune sœur, elle répondit : « Oui vraiment. sous Icsailesde saint François, vous serez toutes sauvées » Gebhardt, L'Italie mystique, p. 209, d'après la Vie de sainte Douceline, texte provençal, publié par Albanès, Marseille, 1879).
3. Salzer, op. cit., ]). 553-556.
LA VIERGE AU MANTEAU PROTECTEUR ET LES CISTERCIENS 21
source dans une histoire d'apparition, dans un récit de vision.
La vision dont il s'ag^it est racontée par Césaire d'Heister- bach •, Cistercien du diocèse de Cologne, dans son Dialogus miraciiloriim, qui fut écrit entre 1220 et 1230, au dernier chapitre du livre VI, lequel est consacré en entier aux appa- ritions de Marie. Entre tant de recueils consacrés aux appa- ritions de la sainte Vierg-e, celui de Césaire est, je crois, le plus ancien. Les recueils ultérieurs- lui ont tous emprunté, directement ou non, le récit en question :
Du moine qui vil dans le royaume des eieux
V Ordre de Cîleaux sous le manteau de Marie.
« Un moine de notre Ordre, qui avait une dévotion parti- culière pour Notre-Dame, fut, il y a quelques années, ravi en esprit, et admis à contempler le ciel de gloire. Ayant vu les divers Ordres de l'Eglise triomphante, les Anges, les Patriarches, les Prophètes, les Apôtres, les Martyrs, les Con- fesseurs, et, répartis selon leurs insignes, les Chanoines réguliers, les Prémontrés, les Clunisiens, il s'inquiéta de son Ordre à lui. Et il regardait de tous côtés, et ne découvrait aucun des siens dans le royaume de gloire. Alors se tournant vers la bienheureuse Mère de Dieu, il gémit et lui dit : « Pourquoi donc, Dame très sainte, ne vois-je ici personne de Cîteaux ? Pourquoi les plus dévoués de vos serviteurs sont- ils exclus de ces béatitudes ? » Et la reine du ciel lui répon- dit : (( Ceux de Cîteaux me sont au contraire si chers et si familiers que je les réchautïe sous mes bras. » Et ouvrant le manteau qui la couvrait et qui était d'une largeur merveilleuse,
1. Sur Césaire, voir Daunou clans l'/fts/otre littéraire de la France, t. XVIII, p. 194; Kaufniann, Caesariiis von Heisterhach, Cologne, 1850: du même. ^Uiz/i- derbare Geschichten ans den Werken des C. ans II. {Annalen desllisl. Vereins fur denMederrhein,Uefl Al et 58, Cologne 1888 et 1891); Potthast, Bihl. Med. Aevi, t. II, p, ISO ; Wattenbach, Deutschlands Geschichlsquellen, II", p. -i85. Pour les éditions, cf. Bihliotheca hagiographica latina Bruxelles, 1898), t. I, p. XIX et Analecta Bollandiana, t. XXI (1902), p. 45.
2. Gonon, Chronicon S.Deiparae (Lyon, 163"), p. 137; Bridoul, Le triomphe annnel de la Sainte U/crfye (Lille, 1640), t. IL p. "43 ; Sausseret. Apparitions et révélations de la T. S. Vierge depuis l'origine du christianisme jusqu'à nos jours (Paris, 185 5), t. I, p. 197, d'après Chrysostomus llcnviquez, Fascicu lu s sanctorum Ordinis Cisterciensis, vie de S. Albin. Le texte de Césaire est cité d'après Sausseret par Rohault de Fleury, La Sainte Vierge, l. I, p. 319.
22 CHAPITRE II
elle lui montra une multitude innombrable de moines, de frères convers et de nonnes. Lui, plein d'une grande joie, rendit grâces, et son esprit ayant réintégré son corps, il raconta à son abbé ce quil avait a'u et entendu. Et labbé, ayant rapporté la chose aux abbés de l'Ordre assemblés en chapitre, les remplit de joie et d'une ardeur plus grande à aimer la sainte Mère de Dieu ' ».
Pourquoi le moine par qui cette vision fut imaginée eut-il l'idée de faire du manteau de Marie le symbole de la pro- tection dont elle couvre l'Ordre de Citeaux?Nous avons vu que ni dans la Bible ni dans la Liturgie, ni dans les Pères ni même dans saint Bernard, la protection divine n'est com- parée à un manteau. On dira que cette comparaison est tellement naturelle, que le moine Cistercien peut bien l'avoir inventée. Mais justement parce qu'elle est si naturelle, un folk-loriste ne se résignera pas aisément à croire qu'elle ne remonte pas plus haut. D'ailleurs, est-elle vraiment si simple à trouver ? Il est permis d'en douter. Qu'on n'objecte pas qu'elle a été réinventée par tel écrivain contemporain '-; car l'écrivain dont il s'agit était nourri de lectures pieuses,
1. Caesarii Heisterhachensis monachi Ordinis Cisterciensis dialogus mira- culornm.Yll, 59. éd. Strange Cologne, ISôI"!. t. II, p. 79.
De monacho qui Ordinein Cisterciensem suh Mariae pallio vidit in regno caelorum.
Monachas quidam Ordinis nostri Dominam nostram plurimum diligens antepancos annosmenle excedens,ad contemplationeni (jloriae caelestisdeduc- tus est. L'bi duni diverses Ecclesiae triumphanlis Ordines videret, Ancjelorum videlicet. Pafriarcharuni. Prophelarum, Apostolorum. Martyrum. Confesso- runi. et eosdeni certis characteribus distinclos, item Canonicos fiegulares, Praemonstratenses. sive Cluniacenses, de suo Ordine sollicitus. cum staret et circamspiceret. nec aliquam de illo personam in illa gloria reperiret. ad hea- tam Dei Genitricem cum gemitu respiciens, ail: Quid est, sanclissima Domina, quod de Ordine Cisterciensi neminem hic video? Quare famuli tui. tihi tam dévote servientes. a consortio tantae beatitudinis excluduntur ? Videns eum turbatum Regina caeli, respondit: lia mibi dilectiac familiares sunt hi qui de Ordine Cisterciensi sunt. ut eos eliam sub ulnis meis f'oveam. Aperiensque pallium suum quo amicla videhatur, quod mirae erat latitudinis.innumerabi- lemmultitudinem mnnachorum, conversorum.et sanctimonialium illi jstendit. Qui nimis exultans et gratias referens, ad corpus rediit, et quid viderit quidve audierit Abbati suo narravit . Ille vero insequenti Capitulo haec refe- rens Abbatibus.omnes laetificavit, ad ampliorem sanctae Dei Genilricis amo- rem illos accendens.
2. Huysmans, En route, p. 20 (description d'une messe d'enterrement) : " Le prêtre fait à grands pas le tour du catafalque, le brode de perles d'eau bénite, abrite la pauvre âme qui pleure, la console, la couvre en quelque sorte de sa cho|)e. >'
LA VIERGE AU MANTEAU PROTECTEUR ET LES CISTERCIENS 23
imbu de mysticité catholique, très instruit d'art religieux, et la phrase qu'on cite de lui peut bien être une réminiscence.
Si le moine Cistercien a eu l'idée de faire du manteau de Marie un symbole de la protection dont elle couvre l'Ordre de Citeaux, c'est, je crois, que le manteau était vin symbole de protection dans certains rites juridiques et religieux dont ce moine avait connaissance.
Jacob Grimm assure que pour les anciens Allemands, le manteau des rois et des reines, des seigneurs et des dames était un signe de protection : c'est à quoi feraient allusion les mots qui se trouvent dans mainte vieille ballade : unter des M an tels Ort K
Les rites du mariage offrent quelque chose d'analogue. Dans certaines parties de l'Allemagne, le marié, lors de la cérémonie nuptiale, enveloppait sa femme dans son man- teau 2. Même usage en Russie ^ chez les Juifs. La mariée juive, dit Reuss *, est couverte d'un manteau, qui symbolise l'au- torité protectrice du mari. « Veuille étendre le pan de ton manteau sur ta servante ■- » , dit Ruth à Booz, quand elle invoque leur parenté pour qu'il l'épouse.
Le rôle du manteau dans les rites matrimoniaux explique peut-être le rôle du manteau dans les rites d'adoption et de légitimation. Au moyen âge, chez les peuples du Nord (x\lle- magne, France, Angleterre), celui qui adoptait ou légitimait un enfant le couvrait solennellement de son manteau '\ Lorsque le fils de Bernardone eut dépouillé ses vêtements devant son père et devant l'évêque d'Assise pour montrer qu'il renonçait aux biens de ce monde, « l'évêque en fut réduit, disent les his- toriens, à prendre sous son manteau le pauvre François trem-
1. Grimm, Deutsche Rechstallerthûmer^, p. 160. Cf. Ghassan, Essai surla symbolique du droit (Paris, 1847), p. 155 et 221.
2. Grimni, Poésie im Redit, g 6 (Kleinere Schriften, t. VI, p. 164).
3. Hulchinson, Marriac/e custorns, ch. xiv (Russia), p. 199 : « another cus- tom, now chani^red, liad the like sigTiificaace: after the marriage cei'emony, the bride used to knock lier head on her husbands shoe in token of obédience, and lie castthe lap of his gown over her in token of liis duty to protect and cherish her. »
4. Traduction de Ruth, p. 10.
5. Ruth, III, 19. Le même rite explique Ezéchiel, XVI, 8 : « Ainsi parle l'Éternel à Jérusalem : « Tu étais nue: je passai près de toi, je te regardai, et voici, ton temps était là, le temps de la puberté : j'étendis sur toi le pan de ma robe, je couvris ta nudité, je te jurai fidélité et tu fus à moi. »
6. Du Gange, Gloss. med. et inf. lat., s. v. Pallia cooperire.
24
CHAPITRE n
blant déniotion et de froid ' » : ce g-este de révéque. que l'art a popularisé ', était peut-être, au vrai, un rite d'adoption. Le même rite existait chez les Juifs, comme le montre le pas- sage de la Bible qui raconte comment Élie s'adjoignit Elisée : Clinique venisset Elias ad eiim, misit pallium super illum^.
Peut-être aussi le moine qui a imaginé la vision rapportée par Césaire, a-t-il transféré à la Vierge un miracle que les peuples du Nord racontaient d'un de leurs saints, et plus anciennement, dun de leurs héros ou dun de leurs dieux. On lit dans la vie de saint Columba, qu'en 635, pendant la nuit qui précéda la bataille où il devait battre les Bretons, Oswald le Saxon eut ce rêve : saint Columba, le grand abbé d'iona, mort depuis trente-six ans, se trouvait devant lui ; la taille du saint était si grande qu'il touchait le ciel de la tête; il était vêtu dun manteau resplendissant, dont il étendait les pans, en sorte qu'ils couvraient tout le camp des Saxons. Et il dit à Oswald ce que le Seigneur avait dit à Josué : (( Aie bon cou- rage, car voici, je serai avec toi ! ^ »
Ainsi, le thème du manteau protecteur paraît être d'origine septentrionale — celte, ou germanique,
Césaire ne dit pas d'où était le moine qui vit la Vierge abritant les Cisterciens sous son manteau. Il n'en savait rien, probablement. Ne nous hâtons pas de conclure de la natio- nalité de Césaire, que le moine qui fut favorisé de cette vision était un moine allemand. C'est plutôt la conclusion contraire cpii d'abord semblerait juste : si le monachus quidam avait été Allemand, Césaire aurait aisément pu savoir son nom et le nom de son couvent.
Mais on peut dire, d'autre part, que si le type de sainte l rsule abritant ses compagnes sous son manteau a été créé, comme il est permis de le croire, à Cologne, au xin*" siècle, à l'iiiiitation du type de la Vierge de Miséricorde, c'est que le thème du manteau protecteur était familier à la mystique alle- mande'.
J. Sabaticr, Vie de saint François d'Assise, p. 70.
2. Fresque de GiotLo à S. Francesco d'Assise ;\Vôrmann. Kun.<it(feschichte, l. II, p. 367) : tableau flamand des environs de 1500. dans Friedliinder. Meis- tericerke derniederl. Mulerei. pi. 60; etc.
3. III Rois, xix, 19.
5. Acla .S\S, juin II. p. 199 : The life of St Cohimha. fonnder of IIii. ivrilten ht/ Adanuuin, éd. W. Reeses (Dublin, 1857 . p. 1 i. Cf. MonlalonibcVl. Moines dOrcidenl. 2-= éd. (Paris 18S8), t. IV, p. 11.
5. Cf. inj'ra, eh. xiii.
LA VIERGE AU .MANTEAU PROTECTEIR ET LES CISTERCIENS 2o
La fragilité de ces inductions contradictoires est évidente. Nous nous sentons incapable de nous décider dans un sens ou dans l'autre.
Il est croyable que Césaire connaissait cette vision par tra- dition, de son abbé, qui lui-même lavait entendu raconter par un autre abbé Cistercien, dans un chapitre général de l'Ordre. Elle aurait eu lieu anfe paucos aniios^ aux environs de l'an 1200.
Césaire la raconte tout à la lin de son livre sur les appari- tions de ]SIarie : il Ta gardée, si j'ose dire, pour la bonne bouche. Evidemment, c'est qu'il la considérait comme la plus belle de toutes. Il en jugeait en Cistercien. Et l'Ordre de Cîteaux a jugé comme Césaire : il n'a jamais oublié les paroles de prédilection dont la Vierge consola 1 humble moine. La Vierge au manteau protecteur sert de type, dès le xiv*' siècle, aux sceaux des défîniteurs de l'Ordre et à ceux de plusieurs abbayes Cisterciennes (pi. II). Elle formerait, depuis une date que je ne saurais préciser, le cimier des armoiries de l'Ordre '. Sur un tableau italien du xiv*" siècle, qui représente les funérailles de saint Bernard, un moine porte une bannière où est peinte la Vierge au manteau (pi. III, 1). Un tableau allemand du xv*" siècle, dans l'église du couvent Cistercien d'IIeilsbronn en Franconie, montre agenouillés sous le man- teau de la ^ ierge treize moines Cisterciens avec leur abbé. L'Ordre militaire de Alontesa, de filiation Cistercienne ', s'est fait représenter sous le manteau de Marie. Les Trappistes, qui. eux aussi, descendent de Cîteaux-^, auraient été repré- sentés sous le manteau de la Mère de Miséricorde ^. Le frontispice des Collecta quorumdam privilegiorum OrcUnis Cisterciensis de Jean de Cirey, abbé de Cîteaux, ouvrage paru à Dijon en 1491, représente la Vierge nimbée, sans la cou-
1. J'emprunte, sous réserves, ce rcnseij^nement à Barbier de Montault. Il a jjarlé plusieurs fois des armoiries de Cilcaiw [Annuaire du conseil héral- dique de France. 1890, p. 135 ; Œuvres, t. II, p. 248 ; IV, p. 172 ; Revue de l'arl chrétien, 1889, p. 24 , mais sans jamais dire à quelle époque elles remontent. Le seul exemple qu'il cite fresque dans la sacristie de Sainte-Croix de Jérusalem à Rome doit être moderne.
2. Janauscliek, Orifjinum Cisierciensiuin. t. I, p. v. Cet Ordre fut fondé en 1317 par Jacques II d'Arag;on : il remplaça en Espajiiie celui du Temple, dont il recueillit les biens ; il a été rattaché depuis à l'Ordre de Calatrava.
3. Hélyot, Ilist. des Ordi-es relief ieux,l. V,p. 362!
4. Au dire de Barbier de Montault. OEuvres, l. V, p. ir)2.
26 CHAPITRE II
ronne et sans lenfant, étendant son manteau sur l'Ordre de Cîteaux ; à droite sont les moines, Tabbé en tête, à g-auche les moniales. Au-dessus de la Vierge, cette épio^ramme :
Quam lihi Cisterci placeat sanclissimu.s Ordo^ Haec nohis primiim ostensio fada, prohal :
Ergo tuo maneat semper suh niimine tutus, Dediius ante alios, Virc/o heata, tihi !
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PL II
Sceaux cisteuciens et autres
(filichés de l'auteur)
CATALOGUE
1. — Sceau desdéfinileurs de l'Ordre de Cîteaux.xiv^ siècle. La Vierge, debout, de face, couronnée, sans l'Enfant, abrite sous son manteau huit abbés Cisterciens, agenouillés, ^{igilluin) DIP'FINITORV(m) CAP[i7u)LI GENERALI(s) ClST^erciensis) ORDI(n«)S. Un dessin de ce sceau dans le Recueil des travaux de la Société de sphragistique de Paris, I (1852), p. 26; reproduit dans Cahier, Caractéristiques, I, p. 298. La matrice a été exposée par Hoffmann en 1889 {Exposition rétrospective de Vart français au Trocadéro, p. 36, no 29); elle se trouve maintenant au Musée de la Côte-d'Or [Catalogue, Dijon, 190i, n" 1803), où je l'ai fait mouler. Je n'oserais en garantir l'authenticité. Mauvaise reproduction dans la Gaz. des B.-A., 1905, II, p. 404. — PL II, 1.
2. — Douët d'Arcq, Collection de sceaux, II, p. 10, n° 8195 : « Frag- ment de sceau rond, d'environ 55 mm. Abbaye de Cîteaux. Un person- nage debout, vu de face, et abritant sous les pans de son manteau deux groupes d'abliés agenouillés et portant des crosses. Légende détruite. Appendu à un acte du dernier avril 1505. Dafum in Diffinitorio nostro Cisterciensi, sub sigillo Diffinitorii ». Reproduction dans la Gaz. des B.-A., 1905. t. II, p. 404. — Pi. 11, 4.
3. — Sceau de l'abbaye de Beaupré, monastère de femmes qui suivaient la règle de Cîteaux. Daté de 1335. La Vierge, debout, avec l'Enfant sur les bras, et des nonnes sous le manteau. Au pourtour : ^ S. COVETVS. BELLI PRATI. Cf. Guignies, L'ahbaije de Beaupré à Grimmingen, dans les Annales du cercle archéologique d'Enghien, t. IV (1895), p. 429.
4. — Sceau de N.-D. de Cercamp-lès-Frévent ('canton de Frévent, arr. de Saint-Pol, Pas-de-Calais), abbaye Cistercienne, fondée en 1137 (Janauschek, Originuni Cisterciensiuni, t. 1, p. 66). Apposé à un acte de 1332. La Vierge, debout, couronnée, l'Enfant dans les bras, huit Cister- ciens sous le manteau. SIGILLVM COXVENTVS ABBADIE CARl- CAMPI. Moulage au Musée du Trocadéro, n° 1729. Reproduction dans Demay, Sceaux de l'Artois, n° 2601, et dans la Gaz. des B.-A., 1905, t. II, p. 405. Cf. Douët d'Arcq, t. I, p. lxxiii; t. III, n» 8174. —PL 11,2.
5. — Ga/jrf. Sceau de Sainte-Marie de la Byloke : sur ce couvent de nonnes Cisterciennes et sur son hôpital, cf. A. \ an Lakeven, Historique de Vhôpital de la Biloke et de l'abbaye de la Vierge Marie (Gand, 1840);
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7. — Gan<i, L'aK' flamand yi"vir<;rt!: deïjoot, ' oofinee ^
de Gand, i ouvrage ma ter* m Gen/ (Culte, n* .'J
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8. — «Nous f>os5édons l'empreinted'aa «*• paraît être ij» SIC. MONA. MOXL\. S. M BE\. DE OB. Il offre lima- '- '^ v;.., deux petites religieuses a. Bévue de Fart chrélien, IHHit. p. i :.^ . i se transcrit sans peine : SigÛlum mr. de Mi$ericordia. PADOL fait songer à Ja ^• Padulo en Sardaigne Janauschek. t. î. p d'hommes. Le deuxième voh des abbaves Cislerciennesi
ulaire dont la légende
Z MIS. PADOL. S.
•T-oas son manteau
iates » (Germain,
::' -*•- cette léirende Mariae ?nne de labhare
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9. — Musée chrétien XIV* siècle, représenj porte une bannière couronne et sans 1 rOrdre cistercien. Barbier de MonlauJ t. II, p. 248, et tie de mon élè^ obtenu lautori
10. — Hei abbave Cist t. l/p.2k.^ ning. de moines ci l'Enfant Deux un fil pi. tali
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Pkhdhizet. La Vierje de Jf:o
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28 CATALOGUE
Verhaegen, L'hôpital de la Byloke (Gand, 1889, f°). La Vierge debout, rEiifant dans les bras; sous son manteau plusieurs rangées de nonnes agenouillées. Acte daté de 1444, aux Archives du dép. du Nord, décrit dans Demay, Sceaux de la Flandre, t. II, p. 230, n" 6824 (j'en dois la photographie à M. Jouguet) ; acte daté de 1436, au bureau centi'al des hospices de Gand. — PI II. 3.
6.- — J ai vu, au couvent de la Byloke, une gravure sans signature, ni lieu, ni date, qui m'a paru du milieu du xix« siècle, et qui représentait la Vierge abritant l'Ordre cistercien sous son manteau; au-dessous était reproduit le texte de Césaire d'IIoisterbach relatif à cette vision.
7. — Gand. L'aiibaye des religieuses Cisterciennes du Nouveau-Bois (en flamand Xieuiven-Bosche ou Nieul-Benbosse) a pour armoiries la Vierge debout, couronnée, tenant l'Enfant, et abritant sous son manteau des nonnes vêtues de blanc et coiffées de noir. Cf. aux Archives de la ville de Gand, l'ouvrage manuscrit de P. J. Maes, Wappenschilden der Kloos- ters in Gent (Culte, n» 36), f 165.
8- — «Nous possédons l'empreinted'un sceau ovulaire dontla légende paraît être »î< SIG. MONA. MONIA. S. MARIAE || DE MIS. PADOL. S. BEN. DE OB. Il offre l'image de la Vierge abritant sous son manteau deux petites religieuses agenouillées, les mains jointes » (Germain, Bévue de l'art chrétien, 1885, p. 137|. Le commencement de cette légende se transcrit sans peine : Sigillum inonasterii rnonialium Sancfae Mariae de Misericordia. PADOL fait songer à la grande abbaye Cistercienne de Padnlo en Sardaigne (Janauschek, t. I, p. 211); mais c'était une abbaye d'hommes. Le deuxième volume de Janauschek, qui contiendra la liste des abbayes Cisterciennes de femmes, n"a pas encore paru,
9. — Musée chrétien du Vatican, 8'' armoire, n° 4, tableau italien du XIV'' siècle, représentant les funérailles de saint Bernard. Un frère porte une bannière blanche, où est peinte la Vierge debout, sans la couronne et sans l'Enfant, abritant sous son manteau les religieux de l'Ordre cistercien. Cette peinture avait été signalée plusieurs fois par Barbier de Montault (/?//)//o//iè(/j;e Vaficane, p. 150; cf. OEuvres complètes, t. II, p. 248, et Bévue de l'art chrétien, 1889, p. 24). La lenace diploma- tie de mon élève et ami Albert Grenier, membre de l'École de Rome, a obtenu l'autorisation de m'en faire exécuter la photographie. — PI. III, 1.
10. — Heihbronn, entre Nuremberg et Anspach, bourg connu par son abbaye Cistercienne, marjnificum et opulentum inonasterium (Janauschek, t. I, p. 28). Panneau peint, dans le troisième quart du xv* siècle, par Pfen- ning, de Nuremberg. Sous le manteau de la Vierge, une multitude de moines cisterciens; au premier rang, à droite, est l'abbé, La Vierge porte l'Enfant sur le bras gauche; de la main droite, elle tient le sceptre. Deux anges la couronnent. L'Enfant s'amuse avec un oiseau attaché par un (il. Cf. Thode, Die ^fal rschule von Niirnhevçj (Frankfurt-a-M., 1891), pi. XIII, p. 67 ; Lehmann, op. cit., p. 155 et 211. Les Cisterciens du tableau de Pfenningsont noir-vêtus. Il est vrai que l'Ordre de Citeaux, en l'honneur de la Vierge est voué au blanc, couleur virginale; mais il v
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PI. III
T. ■=,
■T. ^
CATALOGUE 29
a eu des exceptions, pour lesquelles nous renvoyons à VHisfoire des Ordres monastiques de Hélyot, t. V, p. 307, pi. 08 à 6t.
11. — Gravure sur bois au recto du l^"^ feuillet des Collecta de Jean de Cirey, imprimés à Dijon en 1491 par Pierre Meitlinger, le plus ancien livre sorti des presses dijonnaises; cf. Brunet, Manuel du libraire, s. v. Johannes Cisterciensis. La Bibliothèque Nationale en possède plusieurs exemplaires; le frontispice de celui que j"ai pu étudier (Rés. Il, 1053) porte les noms de deux possesseurs successifs ; l'écriture étant de la fin du xv'= siècle, ce sont probablement les deux premiers possesseurs : Ad usum f[rat)ris Pétri Janiaille Cisterciensis — cujus dono me h abet) f{ra- te)r Nicolaus ahbas Septemfontium (Septfontaines dans rAllier; cf. Janauschek, t. I, p. 25;. Le frontispice de l'exemplaire de la Bibl. de Grenoble a été reproduit dans la Gaz. des B.-A., 1903, t. II, p. 403.
12. — Peinture sur bois, de la Gnduxv^ siècle, très repeinte, jadis au château de Montesa, puis à Valence, dans Téglise du Temple, qui appar- tenait à l'Ordre de Sainte-Marie de Montesa, maintenant à Madrid, à la Secrétairerie des Ordres de chevalerie. La Vierge, sans l'Enfant, abrite sous son manteau les membres de l'Ordre. Pour donner une description plus détaillée, il faudrait être fixé sur l'importance des repeints; je ne connais ce tableau que par la chromolithographie publiée par Don Valentin Carderera y Solanodans son Iconografia espaùola (Madrid, 1835), t. I, pi. XVI, d'après laquelle a été exécuté le dessin publié dans la Vie militaire et religieuse au moyen âge et à la Renaissance (Paris, 1876) de P. Lacroix, p. 204.
CHAPITRE III
LES AUTRES ORDRES EMPRUNTENT AUX CISTERCIENS LE THÈME DU MANTEAU PROTECTEUR.
Pauvreté d'invention de l'imagination populaire. — Pauvreté de la légende de saint Dominique. — La vision de la Vierge au manteau pro- tecteur dérobée aux Cisterciens par les Dominicains dès la pre- mière moitié du xin'" siècle: vision de la recluse, vision de saint Domi- nique. — La vision de la Vierge au manteau protecteur et limagina- tion monastique. — Les autres Ordres, à l'exemple des Dominicains, se réfugient sous le manteau de Marie. — La dévolion du « Manteau de Notre-Dame ».
L'imag-ination populaire est dune surprenante pauvreté d'invention '. Qu'il s'agisse de contes de fées ou de contes à rire, de haeotiana ou de vies de saints, le nombre des thèmes, si l'on en fait un classement systématique, apparaît finalement comme des plus restreints.
En étudiant ailleurs ' le miracle de la coupe cassée, depuis Asclépios, qui l'a opéré à Epidaure quatre cents ans avant notre ère, jusqu'à saint Antoine de Padoue, j'ai montré par un curieux exemple, comment un thème de miracle se répète à travers les siècles, comment il passe d'une religion à une autre, comment les biographes d'un saint rempruntent à la vie d'un saint antérieur. Alfred Maury dans des pages excel- lentes^, et après lui, le Bollandiste Delehaye ont indiqué, d'après
1. Cf. Delehaye. Les làyendes hagiographiques, 2° éd. (Bruxelles, 1006), p. 29.
2. Archiv fiir Religionwissenschaft. 1905, p. 303-309. Aux textes rassem- blés dans cet article, ajouter P. L.. CLXXII, 835, où Honorius d'Aulun attribue le miracle à saint Jean rÉvan^'éliste. Pour le miracle du verre dans la légende et l"ic(ino{iraphie de saint .\ntoine de Padoue, cf. G. de Mandach, Saint Antoine de Padoue dans l'art italien, p. 297.
3. Croyances et légendes du moyen âge, p. 9i sq. Maury s'est surtout atta- ché à monlrei- comment les léfjendes des saints répètent celles que la Bible raconte des propliètes, des patriarches, mais surtout du Christ. Comme Jésus, les saints multiplient les pains, marchent sur les eaux, guérissent les possédés, ressuscitent Us morts ; l'exemple le plus typique de l'imita-
LA VIERGE AU MANTEAU ET LES ORDRES RELIGIEUX 31
la littérature hagiographicp^ie, beaucoup d'exemples analogues ; on en trouverait une foule d'autres en parcourant les Caracté- ristiques des Saints du P. Cahier. Saint Denis n'est pas le seul martyr qui, après avoir été « décollé », se relève, prend sa tête et la porte à l'église prochaine : saint Mitre', à x\ix, en fît autant, et beaucoup d'autres dont Cahier donne la liste ■^. Giotto, qui a peint le pape Honorius voyant en songe saint François soutenir l'église ébranlée du Latran ^, avait été devancé par fra Gugliemo qui, sur ÏArca de Bologne'*, avait raconté la même vision au profit de saint Dominique, con- formément à la tradition Dominicaine'. Dès le xiii'' siècle, un autre miracle de saint François, l'ordalie des livres jetés au feu, est attribué à saint Dominique: il sert de type dès 1273 au sceau du prieur Dominicain de Douai''. Sur le plus grand des miracles dont ait été favorisé le poverello, le miracle des stig- mates, Dominicains et surtout Dominicaines s'acharnent pour le reproduire. « Depuis que les compagnons de saint François avaient cru devoir relever la sainteté de leur maître par cette similitude étrange avec le Christ, les stigmates passaient pour unirait de la plus haute sainteté ' ». C'est par les stigmates de sainte Catherine de Sienne que l'Ordre de saint Dominique
tion de J.-C. par les saints est la légende de saint François, telle que l'a racontée Barthélémy de Pise dans son fameux ouvrage, Conformitates vitae s. Frnncisci ad vitam J. C. Comme Élie, saint François est enlevé au ciel sur un char de feu; comme Élie, saint ^'it, saint Modeste, saint Crescent sont nourris au désert par les oiseaux du ciel ; comme Elisée, saint Leufroi fait remonter sur l'eau un fer de hache qui était tombé dans un llcuvc. La légende de la conversion de Clovis à Tolbiac, celle de l'apparition de saint Bernard à Aniaury, roi de Jérusalem, sont copiées sur l'apparition du laba- rum à Constantin.
1. Son martyre est représenté sur im tableau de la cathédrale d'Aix ;Bou- chot, La peinture en France sons les Valois, pi. LIV).
2. Caractéristiques, t. II, p. 761.
3. Fresque d'Assise, Alinari 3256 ; panneau giottesque provenant de S' Croce, au musée de l'Académie de Florence, Alinari I4S1 : prédelle du Giotto du Louvre (n° 1.312).
4. Alinari 10527 ; cf. Reymond, Aa scn/phzre /7orefi///ie, t. I, p. 85. Prédelle de r.\ngelico au Louvre n' 1290 .
5. Constantin d'Orviéto, Vila S. Doininici éci-ite entre 1242 et 1247 ; Ber- nard Gui, Libellusde mac/istris ord. Praed. (dans Martène et Durand, Vet.scr. et mon. anipliss. collectio): J. Nys, O. P., Vita et miracula S. P. Doininic. (Anvers, 1611).
6. Demay, Sceaux de la Flandre, n" 7463. Cf. Nys, n° 12; Balme et Lelai- dier. Carlulaire de saint Dominif[ne. t. I. p. 119.
7. Renan, Christine de Stoinmeln. dans VHisl. litt. delà France, i. XXVIII, p. 2 (réimprimé dans les Xoavelles études d'histoire religieuse].
32 CHAPITRE 111
prit définitiA'ement sa revanche des stigmates de saint Fran- çois. Encore ceux-là n'ont-ils pas suffi : ce nest pas seulement sainte Catherine, écrit un biographe de l'Ordre, c'est huit ou neuf autres saintes Dominicaines qui furent décorées des stig- mates du Christ '.
Les fds de saint Dominique ont donc beaucoup emprunté à la merveilleuse légende franciscaine pour orner la légende plus pauvre-, la figure moins séduisante de leur fondateur. L'Ordre dominicain, au xiu'' siècle, dans son étonnante expansion, a exercé une telle influence, a joui d'une telle réputation de piété, qu il a pu s'attribuer presque de bonne foi et sans susciter de trop fortes réclamations, des honneurs qui étaient à d'autres.
Les Franciscains ne sont pas les seuls qui auraient à se plaindre de cette sorte d accaparement. Dès le milieu du xiu® siècle, les Dominicains se glissent, si l'on peiit ainsi dire, sous le manteau de la Vierge, ils y prennent la place des fils de Cîteaux.
La vision de la Vierge au manteau est racontée de deux façons par les anciens auteurs Dominicains : c est tantôt saint Dominique, tantôt une simple recluse qui voit la famille Dominicaine sous le manteau de Marie. Sous l'une et l'autre forme, cette vision est inconnue du premier biographe de saint Dominique, Jourdain de Saxe (y 1237 i.
Des deux visions, c'est celle de la recluse qui est connue par le texte le plus ancien.
On appelait reclus-'' ou j'ecluses des personnes dévotes et pénitentes qui pour s'absorber dans la prière, la méditation et les macérations, se retranchaient du siècle. Dès l'époque mérovingienne ^, la France avait eu de ces solitaires qui, dans les cités, vivaient comme avaient vécu au désert les ermites de la Thébaïde\ Leur recluserie consistait d'ordinaire en
1. Xys, op. cit., introduction. Cf. Maury, La Magie et l'astrologie dans l'antiquité et au moyen âge^ 3= éd. (Paris, 1S64 , p. 363 ; du même, Croyances et légendes du moyen âge., p. 382.
2. Le P. Beurier {Sommaire des vies des fondateurs et réformateurs des Ordres religieu.T, Paris, 1635 a dit très justement : » le plusgrand des miracles de saint Dominique est linstilution et la propagation de son Ordre. »
3. Pour les textes, cf. Du Gange, s. v. inclusi.
4. Bayet. dans Vllist. de France de Lavisse, I, 1, p. 228; Marignan, Études sur la civilisation française, t. II, p. 43.
5. Cf. la note de Gussanvillaeus sur la lettre de Grégoire le Grand au reclus Secundinus Episl., IX, 52: Migne, P. L., LXXVII, 98 T.
LA VIEKGE AU MAMEAU ET LES OUDIîES UELIGIELX 33
une logette dont la porte était murée ou scellée ; une baie de dimensions exig-uës, à hauteur d'appui, permettait de faire parvenir aux reclus la nourriture corporelle et la nourriture spirituelle ^ : telles sont les logettes figurées dans les Thé- haïdes des vieux peintres siennois- : un moine assis à l'exté- rieur, près de la fenêtre, fait au reclus une lecture pieuse, une exhortation. Les reclus choisissaient pour y bâtir leurs logettes les lieux les plus tristes des villes, les édifices en ruines. La recluse rongée des vers cpii aurait été pour saint Dominique l'occasion d'un miracle dont nous avons peine à supporter le récit •^, habitait une ruine de Rome ; à la même époque, il y avait à Lyon, dans les ruines de l'amphithéâtre, jusqu'à onze recluseries ^. A Paris, au milieu du xv'' siècle, une recluse vivait, si c'est cela vivre, dans une logette du charnier des Innocents '.
Ces fakirs d Occident avaient une idée très étroite de la perfection chrétienne. Etant morts au siècle, ils détestaient comme un grand péché tout contact avec lui. Aussi ne durent- ils d'abord rien comprendre à l'institution Dominicaine. Le Frère Prêcheur n'avait pas pour but la vie contemplative, mais l'action. 11 allait au siècle, bravement, comme avaient fait les apôtres. G est la soif de l'apostolat qui explique que bien des moines du xiii" siècle aient dépouillé le froc noir de saint Benoît" pour revêtir la robe blanche de saint Dominique. Les
1. Dans \eSpeciilum humanue salvalionis. la première miniature du ch. xi.in représente un reclus clans sa loj;ette : Quidam hoino Deo devotiis in cel- la residehat . Sur les reclus et recluses en Allemagne, cf. Basedo■s^', Die Incliisen in Deiitschland Heidelberg', Hrirning', 1893 , dont la source principale est Césaire d'Heisterbach.
2. Fresque du Campe Santo de Pise, attribuée à Pietro Lorenzetti Alinari, 8819) : panneau du musée des Offices, attribué au même maître (Alinari, 787).
3. Thierry d'Apolda, dans Acta SS.. août, I, p. 584.
4. Balme et Lelaidier, Cartnlaire de saint Dominique, II, 223.
5. Hélyot, Histoire des Ordres monastiques, II, p. 294. La logette des Inno- cents nétait d'ailleurs pas la seule de Paris : cf. Dulaure. Hisl. de Paris, éd. de 1821, t. II, p. 2i, et Victor Ilug-o, Notre-Dame de Paris, 1. VI, ch. 2. D'autres recluses vivaient dans des ermitages (inclusoria) épars dans les campagnes : ces « cluses » se fondirent, au.x xiir et xiv s., dans les Ordres mendiants (Ch. Schmidt, Précis de l'histoire de l'Église d'Occident au moyen âge, p. 149).
6. L'un des fondateurs du couvent Dominicain de Cologne, le F. Chrétien, était un Cistercien : saint Dominique considérant le vif désir qu'avait ce reli- gieux de se vouer à l'apostolat, obtint pour lui du pape l'autorisation de revê- tir l'habit des Prêcheurs {Analecta 0. P., t. I. p. 370 ; Balme et CoUomb. Car- tulaiie de saint Dominique, t. III, p. 173 . Un autre exemple dans Géraud de Frachet, I, 1, 3 éd. Reichert, p. 8 .
Pkudiuzet. — La \'ierge de Miséricorde. 3
34 CHAPITRE 111
Frères Prêcheurs laissaient les fils deCîteaux poursuivre leur rêve mvstique dans les monastères des vaux solitaires, dans ces paisibles et poétiques oasis, où n'arrivaient pas les bruits du monde ; leur vocation les appelait dans les villes popu- leuses, où rhérésie cathare cheminait souterrainement, dans les Universités où disputaient les docteurs, où se produi- saient les opinions téméraires, où se glissait comme un ser- pent la doctrine athée d'Averroès, à Paris, à Montpellier, à Bolou^ne, à Florence, à Rome, partout où il y avait des mécréants à confondre, des âmes chrétiennes à défendre. Les Frères Prêcheurs, aux débuts delOrdre, étaient pour la plupart des jeunes g'ens qui gardaient sous le froc les qualités char- mantes de leur âge, l'entrain, la gaîté, l'allure aisée et élé- gante. Vidimus maxiîiie in inifioOrdinis Praedicatoruni, écrit vers 12601e Dominicain Thomas de Chantimpré *, vidimus et niinc juvenes inexpertos. delicaios, récentes a saeculo venientes, circuire terras sociahiliter conihinafos. inter perversos non evei'sos, inter nocentes innocentes, si/nplices sicut columhas, prudenter tamen sicut serpentes, in sui cusfodiani ambu- lantes : quis non miretur, ut olim, et magis nunc. istos pue- ras in medio fornacis aestuanfis non e.ruri ? Les reclus, dans l'intransigeance de leur piété farouche, s'élevèrent contre 1 Ordre nouveau : le récit qu on va lire a été inspiré par le désir de leur fermer la bouche.
« Il y avait en Lombardie, raconte Géraud de Frachet, une recluse dont la dévotion pour Notre-Dame était fervente. Ayant appris qu'un Ordre nouveau s'était fondé, elle désira en connaître des membres. Justement Frère Paul et un autre Frère, dans une tournée de prédication, vinrent à passer par là. Ils allèrent voir la recluse et l'entretinrent, comme font nos Frères, des choses de Dieu. Elle leur demanda de quel Ordre ils étaient. Ils répondirent qu'ils étaient de l'Ordre des Prêcheurs. Et elle, voyant qu'ils étaient jeunes et beaux et proprement vêtus, conçut deux du mépris, pensant qu'ils ne pourraient pas, encourant le monde, garder longtemps la con- tinence.Mais la nuit d'après, elle eut une vision : la Vierge était devant elle, qui lui disait d'une voix courroucée : ((Ahl comme tu mas olfensée, hier! Crois-tu donc que je ne puisse protéger
1. Bonttm universelle de proprielnlihus apiiim. seii miraculn et eiempla. meninrnhili.i sui temporis. II, x. p. 170 de l'cd. do Douai. 1603.
LA VIERGE AU MANTEAU ET LES ORDRES RELIGIEUX 3.^5
mes jeunes serviteurs qui parcourent le monde pour le salut des âmes? Afin que tu saches que je les protèg-etout spéciale- ment, vois, jeté les montre, ceux que, hier, tu as méprisés. » Et, levant son manteau, elle lui montra une multitude de Frères et dans le nombre ceux dont la recluse avait mal pensé la veille. La recluse, édifiée à cette vue, aima de ce jour les Frères de tout son cœur, et c'est d'elle-même que l'Ordre tient ce récit. »
Les Vitae Fratruin de Géraud de Frachet furent termi- nées en 12G01. De la même époque date le naïf recueil des Abeilles, de Thomas de Chantimpré"^, et la Vie de saint Domi- nique, par Barthélémy de Trente. La \ie de saint Dominique, par Thierry d'Apolda^, est un peu moins ancienne. Après Jourdain de Saxe, ces quatre écrivains sont les plus anciens biographes de l'Ordre des Prêcheurs : tous quatre racontent la vision de la recluse. Barthélémy est le seul qui ne sache pas d'oi^i était cette recluse. Thomas, qui était de la France du Nord, en fait une Saxonne. Thierry, qui était Saxon, et Géraud, que Thierry a copié presque mot à mot, en font une Lombarde : c longinquo major reverentia. Les indications de lieu, dans les récits lég-endaires, n'ont en g-énéral aucune valeur. Le rééit de Thomas est le même, en plus bref, que celui de Géraud. Dans celui de Barthélémy, qui raconte la vision comme une preuve de l'efficacité des prières de saint Dominique, le parti pris de la recluse contre les Prêcheurs est passé sous silence, et il ne reste plus qu'une histoire assez plate d'apparition .
Gérard us de Fracheto, Fj7ae/"ra- Theodoricus de Apolda, Acla
Irnrn 0. P., 1. I, c. 6, § 4 [Monu- ainpliorn S. Dominici, XXIII \Acla
menlaO.P. historica,éd. Reichert, SS., août, I, p. 607).
I,p. 40). Feminafjuaedam devotain Loin-
FuU in Loinhardia feinina quae- hardia solifariaryi arjens vitani, au-
\. Hist. litt. de lu France, t. XXXII, p. "jôO. Géraud était Limousin: il entra dans 10. P. en 1225.
2. « Géraud de Frachet et Thomas de Cliantimpré sont des compihiteurs d'une excessive crédulité, très enclins à mettre leurs idées, leurs apprécia- tions, leurs sympathies et leurs ressentiments sous le couvert de prédictions et d'interventions merveilleuses d'un caractère puéril » François Van Ortroy, boll., dans Analerla BoUandiana, 1905, p. 115),
3. Dietrich von Apolda (Saxe-^^'eimar), né en 1228. Il écrivitla Vie de saint Dominique en 1292. Sur la foi que mérite cet hagio{?raphe, cf. ActaSS., août, I, p. .'}"2 : «;i^er ipsos Praedicalnrea disceptatar. iilrum prudenler credi possinl oninia illa, qnae Theodoricus ex leslimoaio sororis Caeciliae narrai.
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CHAPITRE III
dam,solitariani vilam gerens, adino- dutn Dominae nostrae devola, qiiae audiens novuin Ordinem Praedica- tornm surrexisse, toto a/feclu desi- derahat ahquos de illi^ videre. Cou- tigit aulein Fratreni Paulum cum socio suo per partes illas praedican- do Iransire.Cumque diverlissent ad illam et more Fratruin rerbis divi- nis allofjuerentur eam, quaesivit il- la, qui vel eu jus Ordinis essent. Et cum dicerent se deOrdine Praedica- torum esse, considerans eos juve- nes et pulchros et in honesto habi- tu, despexit eos, aestimans, quod taies per mundumdiscurrentes, non passent diu vivere continenter. Se- quenti igitur nocte visa est sihiads- tare Beata Virgo, turhata facie, di- cens : « Ah heri me graviter offen- disli ! An non putes, credis, quod erqo servos meos valeam custodire juvenes et per mundum pro salute animarum currentes ? Ut autem scias me ipsos in specialem susce- pisse tutelam, ecce osfendo, quos heri contempsisti. » Et elevans pal- lium, ostendit ei muUitudinemFra- trum magnam, et inter eos illos, quos despexeral ante. Unde dicta reclnsacompuncla, extunc Fratres dilexit ex corde, et hoc per Ordinem enarravit.
diens novum Praedicatorum Ordi- nem surrexisse, videre ex eis aliquos concupivit. Contigit autem, duos Fratres partes illas praedicando transire ; qui divertentes ad eam, ip- sam more Fratrum verhis sacrisal- locutisunt.Quaecumquaesisset,qui et de quo forent Ordine, responde- runt, se de Praedicatorum Ordine novoesse. Quae considerans eos pul- chros et in habitu decenti juvenes despexit, existimans quod sic non passent in hoc nequam saeculo sub- sistere illihali. Qui nocte sequenti Beata Dei Virgo Mater turhata facie adstans, dixit : « Ah heri me gra- viter offendisti ! Xon credis, quod valeam servos meos juvenes custo- dire illaesos, pro salute animarum per mundum discurrentes ? Ut au- tem noveris, me in specialem eos cusfodiam suscepisse, ecce oslendo tihi, quos heri despicere praesump- sisti. » Et elevans palliuni, ostendit ei multitudinem Fratrum magnam, et eos, quos despexerat, inter illos.
Thomas Cautimpretanus, Bonum universale de proprietatibus apium, seu miracula et exempta memorabi- //a, 1. U.c. 10, § 17 éd. de Douai, 1603, p. 170; Acta SS., août, I, p. 468).
Cum quaedam in Saxonia ut no- bis F. Walterus de Treviri O. P. retulit) sanclissimae opinionis re- clusa, Praedicatorum nomine exci- tata, videre Fratres in principio Or- dinis vehementius affectasset,et tan- dem duos juvenes Fratres, data occasione, vidisset, attonita mentis acie dixit ad Dominum : >< Quid est, Domine, quod praedicalio verbi lui
Barlholomaeus Tridentinus, Vi- ta S. Dominici [Acta SS., août, I, I, p. 561j.
li pro Deo incarceratam visitave- rant, quorum juvenilem elegan- tiam intuens, haesitare coepit, vix talcs, aut horumsimiles, immacula- tos ab hoc saeculo posse cusfodiri. Anxiatae pro talibus et dévote oranti adstitit Regina, moerentium consolatrix, proiectrix suorum, Virgo Maria, et inenarrahile pal- lium, quo eitunc amicta videhaiur, coram anxia expandens, pro qui- bus erat sollicita, juxta se adstantes ostendit, dicens : « -Ve sis pro his
LA VIERGE AU MANTEAU ET LES ORDRES RELIGIEIX 37
per tam infantiles et imperitos ho- anxia aut horiim similiJjus, qui mines usurpatur ? » Cui mox ad niei siint, et jnihi eos servaho, » verba Christi Mater apparens, re- levato pallio, ei Fratres Oi'dinis os- tendit, dicens : « Xedesjjicias quos- cumque taies ; ego suin, quae rerjo eos et protego,et eorum pedesdiri- go in viatn pietatis. »
La vision de la recluse avait été imaginée jDour glorifier l'Ordre des Prêcheurs et plus encore pour le défendre contre certaines attaques. Mais comme les Dominicains devinrent très vite tout-puissants, ils n'eurent bientôt plus besoin de réciter cette apologie. Elle paraît vers le milieu du xiii'' siècle, puis tombe en oublia Elle marque la première tentative de l'Ordre dominicain pour mettre la main sur la légende cistercienne de la Vierge au manteau. Que les deux Ordres se soient en effet disputé cette légende c'est ce qui résulte, je crois, de l'his- toire suivante, que raconte Thomas de Chantimpré.
«Un moine Cistercien, d'une si grande sainteté que ce serait une honte et une impiété de ne pas croire ce qu'il a raconté, eut une vision étonnante : ravi en esprit, il vit la patronne de son Ordre, la très douce mère de Jésus, et elle lui dit: « Aime mes frères et mes fils sincèrement, prie pour eux de toutes tes forces, je les recommande à ton amour. » Et lui de répondre joyeusement oui, croyant qu'il s'agissait des Frères de son Ordre. « C'est que j'ai, reprit la Vierge, d'autres Frères que je favorise de mon patronage et que j'enveloppe de ma protec- tion. » Et disant ces mots, elle ouvre son manteau et montre au Cistercien les Frères Prêcheurs blottis dessous : « Voici, lui dit-elle, ceux qui tâchent tout spécialement que le sang de mon Fils chéri n'ait pas été versé en vain-'. »
1. On en peut trouver un vagrue souvenir dans cette vision d'PJlsbeth de Falkenstein, nonne du couvent d'Adelhausen à Fribourg-en-Brisgau : « Deux Vierges lui apparurent un cierge à la main ; derrière elles venait N.-D. qui avait sous son manteau un novice de l'Ordre des Prêcheurs ; puis venaient sainte Catherine et sainte Madeleine: «Vois, dit la Vierge, ce novice est mort, je le conduis devant la face de mon Fils : toi qui vois cela, tu en porteras témoignage! » Et la vision prit fin » Die Chronik der Anna von Munzinçfen, entre J310et 1320, publiée par J. Kônig, Fre/yj»7Y/e''7)/Vi=es;i)icirc/iâie, XIII, 1880, p. 156. Citée par Kvehs. Maria mit dem Scluilzniantel, p. 33 ; cf. du même, Die Myslik in Adelhaiisen, p. bS).
2. Quidam Cisterciensis Ordinin monachus vitae tam sanctae. ut ei non cre- dere flagitiosissimitm et impium putaretur, viaionem mirahilem vidit. Raptus enim in xpiritu patronam ipsius Cisterciensis Ordinis vidit Christi Jesu heni-
38 ciiapiïrf: m
Ce texte, diin quart de siècle postérieur à celui de Césaire et qui le contredit si audacieusement, ne s'explique que par lui. Les Cisterciens n'y sont pas seulement dépouillés de leur plus belle légende : c'est Tun d'eux qui confesse et révèle le triomphe de l'Ordre nouveau. On saisit à merveille, dans ce texte de Thomas, la façon dont les Dominicains s'y prenaient pour supplanter les Cisterciens. Ils ne s'y sont pas pris autre- ment pour éclipser les autres Ordres : témoin ce récit de Géraud de Frachet, qui n'a pas dû faire plaisir aux Chartreux : ;• Une fois que les Frères Prêcheurs de Paris étaient assem- blés en chapitre, le sous-prieur, pour les exhorter à dire dévo- tement l'office de la sainte Vierge, leur raconta le fait .sui- vant. Un Chartreux, âgé, lettré, et dévot à la Vierge, lui demanda de lui révéler ce qu'il devait faire pour lui être agréable. F]llelui commanda de la louer, de l'aimer et de Iho- norer. « Apprenez-moi donc, dit-il, à vous louer, à vous aimer et à vous honorer. » — « Va vers les Frères, répondit- elle ; ils te l'apprendront. » — (( Mais, ]SIadame la Vierge, répondit le Chartreux, il y a des Frères de bien des Ordres : auxquels m'envoyez-vous? » — « Va chez les Frères Prê- cheurs, lui répondit la Vierge: ceux-là sont mes frères ; ils t instruiront. Vade ad Fratres Pracdicatores, quia ipsi siint fratres mei, et ipsi te docehuntK »
La vision de la recluse fut la première tentative de l'Ordre des Prêcheurs pour s'approprier la lég-ende cistercienne de la Vierge au manteau. A la fin duKiu*^ siècle, nous voyons les fils de saint Dominique l'attribuer tranquillement, malgré Césaire et la tradition cistercienne, à leur père spirituel.
C'était, en 1218, pendant le concile duLatran. Saint Domi- nique se trouvait à Rome, au couvent de Saint-Sixte. Une
finissimam (fenitricem. Cui heala Vircfo." Ut sincère, inciuit. cliUifas eos et pro eis intentiiis ores, tuae caritali meos fratres et (îlios recommendo. » Cnmque ille laetus annueret, fratres Ordinis siii hos confidens. heata Virgo : « Ilabeo, inquit, et alios fratres, quos meo patrocinio fovendoset custodiendos ampleclor. » Et haec dicens, relerato pallio, Fratres O. P. sub eo coiilutatos ostendit et adjecit : » Hi sunt, iiiqiiit. qui specialiter inslituunt neifotio, ne dilecti Fiiii mei sanffttis inulititer sil effiisns Thomas de (21iiintimi)ié, De Api- bus. II, 10, g 16, éd. de Douai, lOOô, p. 16!t\ Il est curieux de voir l'usasse que fait de ce texte un Dominicain du xvii' siècle, le P. Hyacinthe Chouquet Mariae Deiparae in Ordineni Praedicatoruni riscera materna, Anvers, 1634, p. 11-1.')) : on croirait, à lire le P. Chouquet, que c'est rhaî4:iof;Taphe des Cis- terciens, t:ésaiie d lleisterbach, qui raconte, à la plus j,'rande jjloire des Do- niicains, la \ision ci-dessus.
1. Géraud de Frachet. 1,6, S 5 (éd. lleichcrt, p. 12 .
LA YIERGi: AL iJANTEAU ET LES ORDRES RELIGIEUX 39
nuit qu'il était en prière, o il fut ravi en esprit, et vit le Sei- gneur assis sur son trône, et la mère de Dieu assise à sa droite, vêtue d'un manteau bleu comme le saphir. Devant le Très-Haut, dans la lumière de gloire, se ^Ji'essaient les Pères spirituels, les fondateurs d'Ordres, qui ont enfanté au Christ des fils et des lîlles selon 1 esprit. Dominique, ne voyant nulle part ses fils à lui. fut saisi d'une grande douleur et se mit à pleurer. Elfrayé par l'éclat de la majesté divine, il n'osait approcher du Dieu de gloire et de la Vierge. Celle-ci lui fait de la main signe de venir à elle. Dominique était si tremblant qu'il n'osa s'approcher que lorsque le Dieu de majesté lui eut de même fait signe de venir. Il s'approche donc, tout craintif, et pleurant amèrement ; il se prosterne aux pieds du Fils et de Marie. Et le Consolateur des affligés, le Dieu de gloire lui dit : « Lève-toi 1 Pourquoi pleures-tu si amèrement ? « — « Parce que, Seigneur, je vois devant votre face des religieux de tous les Ordres, sauf du mien. » Le Sei- gneur lui dit : (( Tu veux voir ton Ordre ? » Alors touchant de la main le manteau de la Vierge : (( J'ai confié ton Ordre à ma mère », déclara le Seigneur. Et comme Dominique persis- tait dans son pieux désir et qu'il souhaitait voir où étaient ceux de son Ordre, le Seigneur lui demanda de nouveau : « Veux-tu vraiment voir ton Ordre? » — « Je le désire de toutes les forces de mon âme, Seigneur. » Et voici, la Vierge Mère, parce que cela plaisait à son Fils, ouvrit largement le manteau dont elle était parée ; et ce manteau était si ample, si vaste qu'il renfermait aisément toute la patrie céleste. Sous ce siir abri, au giron de la piété, Dominique, contem- plateur des secrets sublimes, voyant des choses de Dieu, découvrit la foule innombrable des Frères de son Ordre ^ . »
1. Rapliis est in spiritu aille Deiim, et vidil Dominum sedenlem, el Matrem ipsiiis, qiiae sedebat ad dextram ejiis, Virginein (jloriosain, amiclavicappa coloris sapphirini. Aspiciens aalein in circuitu, vidit ex omni natione spiritua- lium patî-uin, qui ex sacris Belicjionibiis Christo filios et filias spirilaales genuerunt. multitudmes innnnierasin conapeclu AUissinii gloriantes ; et cnm nullum illic suorum conspicerel filiornni, eriihescens et contpunctiis ex inli- niis. amarissinie flere cœpil. Eiterritus ergo a gloria majestatis Doniini, stetil a longe, nec audebat vultui gloriae et Virginis excellentiae prnpinqiiare. In- nuit aiilein ei manu Domina, ut ad se veniret. Al ille Iremens ac pavens non praesumpsil accedere, quousque euni siniililer vocavit Dominus majestalis. Accessit itaciue homo compunctus el tinmili spiritu et conlrilo corde, amaris- simis tolus perfusus lacrimis, Filii et Matris propitiis pedihus devolissime et humillime se prostravit : ac consolator flebilium, Dominus gloriae dixil ei :
iO f:iIA PITRE III
Dans cette narration traînante do Thierry, dans les répéti- tions de ce dialogue entre le Christ et Dominique, on sent les redites de la parole orale: certainement, la vision de saint Dominique avait été plus dune fois racontée en chaire par les Prècheiu's, avant d'être écrite, vers la lin du xni'' siècle, par Thierry dApolda. C'est à Thierry cjue les hagiographes ulté- rieurs ont emprunté ce récit, Galuagni de la Flamma au xiv'' siècle', saint Antonin de Florence-, Joannes Garzo de Bologne 3 au xv*". pour ne citer que les plus importants et les plus anciens.
Les Cisterciens ne durent pas se laisser dépouiller sans protestation. Ils objectaient aux Dominicains qu'en 1218, année où Dominique aurait eu sa vision, 1 Ordre des Prê- cheurs n était fondé cjue depuis peu, qu il ne comptait encore que deux Frères décédés, et qu'à cette date, par con.séc|uent, la Vierge ne pouvait pas encore abriter sous son manteau les âmes d une multitude de Dominicains. A quoi les Domini- cains'* répondaient que la vision de leur fondateur avait été une vision prophéticjue. Le Bollandiste Cuper, dans ses
Surçfe. Qui cum slaret coram Domino, interrogavit eum dicens : Ciir sic ama- rissime ploras ? Qui ail : Quia in conspeclu (/loriae oninis lieliiiionis honiines inlueor : de mei vero Ordinis filiis hic, proh dolor, nullnin conspicio. Gui Doininiis : Vis videre Ordinem luum ? Al ille : Hoc desidero. Domine Deus. TuncFilius Dei manum suani supra scapulam Virginis ponens. dixil adillum: Ordinem luum Malri meae commisi. El cum adhuc pio adhaererel aff'eclu, Ordinem suum videre desiderans. Doniinus ilerum di.rit ei : Omnino vis eum videre '.' Respondit : IIoc affeclo. mi Domine. El ecce Maler Virgo. dum placuit Filio. cappam. gua decorala cernebalur. evidenter palefaciens aperuil, expan- dens coram Incrimoso Dominico servo suo : eralque hoc tanlae cai)acilalis el immensitatis veslimentum. quod lolam caeleslem palriam amplerando dulci- ler conlinebat. Su!) hoc securitalis legumento. in hoc pietatis gremio vidit ille conlemplator suhlimium et ])rospeclor secrelorum Dei Dominicus Fratrum sui Ordinis innumeram mulliludinem singularis proleclionis custodia el hra- chiis amoris pecularis complexam. Thierry d'Apolda. dans ActaSS.. août, I, p. 583. Cf. Galuajrni de la Flamma, Chron. 0. P.. p. 16 Reichert. Pour les ha^iogrraphes plus récents, qui ont reproduit le récit de Thierry, cf. Acla SS., août, I, p. 467 : Marrachi, Annales 0. P., t. I, p. 256; Balmc et Collomb. Car- tulaire de saint Dominique. III. p. 42. Les ouvrajres de piété ont souvent raconté cette vision : cf. le P. Bridoul. Le triomphe annuel de A'.-D. (Lille, 1640), t. II. p. 110: Lacordaire. Vie de saint Doni/'n/V/iie. ch. 12: Maynard, La sainte Vierge (Paris, 187'), p. 402 : le P. Terrien. S. .1.. La Mère de Dieu et la Mère des hommes, t. IV, p. 118; etc.
1. Chronica O. P.. p. 16 Reichert.
2. Chronic, pars III, tit. 23. cap. 23.
3. Acla SS.. août I. p. 466-467.
1. Malvenda, .Annal. O. P.. ad ann. r2ls, cap. 31. cilé dans les Acla SS., août I, p. li)7.
r.A VIERGE AL" MANTEAU ET LES ORDRES RELIGIEUX 41
recherches sur la vie de saint Dominique, expose le débat avec une parfaite franchise et ne cache pas la force que donne a la revendication des Cisterciens l'antériorité de Césaire sur Thierrv d'Apolda'. 11 n'en conclut pas moins qu'on peut tenir les deux visions pour également authen- tiques. Pourquoi, finalement, cette défaillance du sens critique chez Ihonnète Bollandiste ? C'est que le P. Cuper était Jésuite et qu'au xvi® siècle, un Père Jésuite fut censé avoir été favo- risé de la même vision. Si un Jésuite a reçu de la Viero-e cette faveur insigne — et le P. Cuper, Jésuite, ne peut songer à en douter — c'est que la Vierge ne l'a pas réservée aux seuls Cisterciens, saint Dominique a bien pu la recevoir aussi.
C'est ainsi qu'au xin'' siècle, Cisterciens et Dominicains se disputaient les faveurs de Marie. La victoire devait rester aux nouveaux venus, plus entreprenants, plus audacieux, plus habiles dans la discussion scolastique et dans la prédication populaire. Dès le xiv'" siècle, la légende racontée par Thierry dApolda se répand partout.
Aucun hagioo^raphe de l'Ordre des Prêcheurs n'a eu autant de succès que Thierry. La Vie de saint Dominique oii le moine de Thuringe a raconté les merveilleuses histoires qu'il tenait de la nonne Cécile, éclipsa très vite les récits beaucoup plus véridiques de Jourdain, de Barthélémy et de Géraud. Les mystiques de l'Ordre dominicain, qui en a tant produit, se sont nourris de ces pieuses histoires. Dès le xiv*" siècle, les repré- sentations figurées aidant, il n'est pas de fils ou de iille de saint Dominique qui ne rêve du manteau de la Vierge-. Dans les couvents de nonnes Dominicaines de l'Allemagne du Sud, ces rêves sont notés et collectionnés avec une minutie toute germanique.
Le cloître où elles vivaient était pour les nonnes un monde
1. Si quis ex siniililiidine utriiisque hislorine inferret, scriptores Domini- canos hanc ecstasim ex Caesario accepisse. ac sanclo siio fundalori aplasse, eadem siispicio in Cislercienses caderel. inquit Joannes [Jean de Sainte- Marie, Acta S. Dominici, III, cli. 33], et hoc idem arqiimentum m ipsos relor- qiieri posset. At Cistercienses in eo casii respundej-ent. Caesarinni siium Heis- terhachenaem antiquiorem esse Theodorico de Appoldia. qui inler hiogra- pbos primas hanc S. Dominici visionem litteris mandavit Acta SS.. août, I. p. 568).
2. Une gravure de Th. Galle (Bihl. NaU, Est.. OEiivre des Galle, t. V, î" S) représente, je ne sais d'après quel texte, le fameux n>ystique Dominicain Henri Suso '^1295-1365' sub Deiparae palla a parvnlo Jesn Jtenedicfns.
42 CHAPITRE III
merveilleux. Les choses réelles n'existaient à ^eurs yeux que comme symboles des choses invisibles. Leur foi était récom- pensée par des miracles et surtout par des apparitions. Elles voyaient familièremeut Jésus, la ^ ieri^e et tous les Saints et Saintes du Paradis. Les récits de visions abondent dans les livres qu'elles ont laissés. Ouvrons, par exemple, les Vies des premières religieuses d'Unterlinden, à Golmar, par Catherine de Guebwiller '. Maru^uerite de Brisach et Benoîte de Bogen- heim, raconte leur bioo;raphe, furent admises à voir la Trinité; Mechthilde de Wintzenheim. qui eut la même vision, en fut transfigurée, et son corps flotta dans l'air comme celui d'un ange. Une sœur vit Jésus célélirer la messe. D autres lui furent liancées. Agnès de Blozenheim assista à la Passion ; elle vit couler le sang divin: elle entendit distinctement le bruit des coups de marteau qui clouaient le Christ sur la croix, et devant tant de souffrance, elle fut saisie d'une telle douleur quelle trépassa. Toutes n'avaient pas des visions aussi tragiques. Aux nonnes dont l'imagination était puérile, le Seigneur appa- raissait sous la forme d un petit enfant, Jesulus : « J'étais grand et tout -puissant, leur disait-il; mais je me suis fait petit pour être aimé de toi. ><
On peut imaginer comme la vision de la Vierge au manteau protecteur dut émerveiller ces pieuses filles quand elle leur fut contée par leurs directeurs Dominicains. Plusieurs des visions dont elles furent depuis favorisées ne s'expliquent que parcelle-là.
Sœur Elsbet Ortlieb, du couvent du Val-des- Anges, avait un culte spécial pour la sainte Vierge : un jour, à l'octave de l'Assomption, au moment où les nonnes entonnaient l'antienne Salve, mater Salvatoris, Elsbet vit la Vierge planer au-dessus d'elles et les envelopper toutes de son manteau-.
Lue nonne du ^ al-Sainte-Catherine travaillait dans lou- vroir. Elle avait le cœur triste. Mais voici, la Vierge lui appa-
1. Pez, Bihliotheca ascetica. t. ^'I1I. Cf. Barlliodi, Ciiriosilés d'Alsace Col- mar, 1864 . t. I, p. 107 et Ingold, .\olice sur Vécjlise et le couvent des Domini- cains de Colniar, p. 11. Le ms. fies Vies est à la bibliothècjue de Colniar. Le couvent dl'nterlinden fut fondé en 12.32; Catherine y eulra en 1260, huit ans après que les Subtiliennes eurent passé de la rè}::lc de saint Aujjustin sous celle de saint Dominique.
2. Der .\onne von Engelthal liûchlein von der Gnaden i'eberlasl [Le livret du fardeau de la {fràcej, éd. Schroder, dans la liihliothek des liter. Vereins, Stuttfrart. t. C\'in.p. 25. Cet ouvrage est antérieur à 1355.
LA VIERGE AU MAMEAU Kl LES ORDRES RELIGIEUX 43
rut ; elle portait un beau manteau sur lequel était écrit Ave, 3faria, en lettres d'or. Elle prit la nonne sous sou manteau, la conforta et lui promit la vie éternelle '.
Elsbet Bachlin était une nonne de Thiiss-, qui avait huit ans à peine. Il lui sembla dans son sommeil que la Vierge était devant elle ; et elle se jetait dans les bras de la Vierg^e ; et celle-ci la prenait dans son manteau et lui disait : « Tu vois, je ne te laisserai jamais sortir de ce manteau. » Le cœur d'en- fant de la petite Elsbet fut alors tellement fortifié par la grâce que depuis, chaque fois qu'au couvent il lui arrivait quelque chose de désagréable et qu'elle en ressentait de l'impatience, elle pensait aussitôt : «Las! Elsbet, veux-tu donc t'éloigner du manteau de la Vierge?-^ »
J'emprunte ces trois histoires à M. Krebs, qui connaît si bien la littérature pieuse de l'Allemagne au xiv'' siècle. Elles ne contiennent d'ailleurs rien qui soit spécialement allemand. On en trouverait d'autres toutes pareilles, à la même époque, dans la littérature pieuse des autres jaays. Une des com- pagnes de sainte Claire de Montefalco'', ravie en esprit après la mort de sainte Claire, vit la Vierge qui abritait la sainte sous son manteau ; et la Vierge disait : « Voici Claire, elle est ma iîlle^ »
Sainte Gertrude d'Allemagne (-|- 1290) voit la Vierge revê- tue d'un manteau immense, qui recouvrait des lions, des tigres, toutes sortes d'animaux féroces et immondes ; Gertrude comprend que ces animaux sont les pécheurs, et qu'il n'est pas d'âme si gâtée par le péché sur laquelle la Vierge ne puisse étendre la protection de son iniinie miséricorde*^. Le manteau de la Vierge est donc le symbole de sa miséricorde. C'est ce que dit sainte Brigitte dans un passage souvent cité au moyen âge de son fameux livre des Révélations" . Elle
1. Leben heiliçjer Alemannischer Fraiien iin Miltelalter. 5. Die J\onnenvon SI Kalharinenthiil hei Dieszenhofen, éd. Birlinger {Alemannia, XV, 1887), p. 181.
2. Couvent de nonnes près Winterthur. Cf. Schiller, Das mystiche Leben der Onlensschti^estern zii Thôss (lierner philol. Diss., 1903).
3. Greith, Die Mystik ini Predicjerorden (Fribourj;-en-Brisgau, 1861), p. 369. ■l. Augustine, f 1308. Cf. Potthast, B. M. .is., II, p. 1245.
3. Faloci, Vita di S. Cliiara di Montefalco, p. 134. Cité par Barljier de Montault, Revue de l'art chrétien, 1889, p. 25.
6. Sausseret, .4/i/jci/-t7tofis et i-évélations de la T. S. Vierge, t. II, p. 16.
7. L. III, cap. 17. Les Révélations de sainte Brigitte parlent encore du manteau symbolique de la Vierge, mais d'une façon diflércnte : Eyo vocor ab
44
CHAPITRE HT
raconte un entretien mystique que saint Dominique aurait eu avec la Vierge, où il lui aurait demandé de protéger les Frères de rOrdre qu il avait fondé : Suftcipo Fratrcs mcos, qiios edu- cavi et fovi sub stricto sci}])iilnri inco, et défende eos siib lato mantello tuo. Rege eos, et refore, ne hostis antiquus preevaleat eis et ne dissipet vineam novellam qiiam planfavit dextera Filii tiii 1 A quoi la Merge aurait répondu : 0 Dominice amice dilecte, quia dilexisti me plus quam te ! Ego sublato mantello meo défendant et regam fdios tuos. necnon et omnes qui in régula tua persévérant, salrabuntur. Mantellus vcro jneus lafus misericordia mea est, quam nulli féliciter petenti denego. Toutes les âmes pieuses n'étaient pas capables de conce- voir, avec sainte Hrigitte, le manteau protecteur de Marie comme un syml:)ole, une allégorie, ou pour emplover le terme théologique, comme une « ligure » de la miséricorde infinie de Marie. Beaucoup devaient se l'imaginer d'une façon tout k fait matérielle. 11 y avait dans le Béguinage de Bruxelles, à l'inlirmerie, une Béguine malade dhydrojiisie. Sa fin sem- blant innninente, on appela le curé ; quand il arriva, la Béguine était guérie. Elle lui raconta qu une femme d'aspect imposant, et merveilleusement belle, était entrée dans l'inlir- merie et avait étendu son ni;inteau sur elle, et que ce geste lavait guérie sur-le-chanqi '. Sophie de Xeitstein, du cou- vent du \'al-des-Anges. étant morte, revint dire aux sœurs que quand elle s'était mise à chanter sur son lit de mort le Salue Regina. la Reine de Miséricorde était arrivée, vêtue d'un manteau violet, accompagnée de sainte Agnès et d'autres vierges saintes ; et Marie tourna son manteau contre les ennemis — contre les diables, qui attendaient autour du lit de la moribonde le moment de s'emparer de son âme- — et ils
omnibus Mater mixericordiae. tuisej'icoi-dia l'ilii luei fecit me luisericorflem.. Krgo tu. filia mea. veni el absconde te sub mantello tneo. hic est e.rterius con- templibilis, inlus re/o ulilis propter tria : primo obumbrat ab aère tempes- tuoso. secundo munit a friffore urente, tertio défendit contra nubium imbrem- llic mantellus humilitas mea est.
1. Vitn S. lietfçiae viduae... nuctore ,1. (i. a lîvckol ah Ooibcck (Loiivain, UkU. p. l.iS : Fuit lieyçiina in liefiginario liru.rellensi quae in Valetudinario laborabat hi/dropisi... durio. sollicitus pro ejus morbo et morte imminente, primo crepusculo ingressus ad eam. reperit eam in solidutn curatam : soltici- tusque tam repentinae salutis ori(finem et cau.'iam. audirit ingressam miri decoris augusiissimam mulierem. ({uae suum super infîrutam erlendissel ami- culum. atifue ila in momento sanassel.
2. Se ra|>polor les trrnviiivp du De arte moriendi.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PI. IV
Stnsitms airnyicur tûtus, irmwumi ynnrat :
As[ mm nullum glanait adcsfe fuim . Sifce , mauit Cnrtjtus, Lu-hrymas, et Mornr mi.
fn Marin crmis qiws latitare tat^a . ^ 17\
ORDO BtATIi^lM.-F. \ 1RGINI5 MAKI.+: DE. MOTv.'l"h: CARMUJ.O.
3 4
La Vierge de MisÉnicoi\DE et les Ordres religieux
(Clichés de l'aulcup;
LA VIKRGE AU MANTEAU ET LES ORDRES RELIGIEUX io
s'enfuirent tous : da icet miser frau den mantel gen den vin- den, da fîuhen sic aile hinwe/x '.
Sainte Brigitte, sainte Gertrude, sainte Claire de Montefalco, ne sont, non plus que la Bég-uine de Bruxelles, ni des Cister- ciennes ni des Dominicaines. Ainsi, peu à peu, dès le xiv" siècle, la vision de la Vierge au manteau cesse d'être la propriété exclusive des deux grands Ordres qui se l'étaient disputée au xui*^. Elle devient un thème courant de la mystique monastique -. La vision reste la même ; il n'y a de changé que les noms, celui de la personne qui aurait été gratifiée de cette vision, et celui de l'Ordre à la gloire duquel la vision est racon- tée. Quelques exemples suffiront.
Au commencement du xvi'' siècle, une abbesse de Calabre voit la Vierge abritant sous son manteau un ordre qui allait naître, celui des Capucins '. En 1563, comme sainte Thérèse était avec ses compagnes en oraison dans le chœur après compiles, la \ierge lui apparut : elle était vêtue d'un man- teau blanc dont elle couvrait toutes les religieuses du Car- mel^. Dans la suite, plus dune fille de sainte Thérèse, la bienheureuse Marie de l'Incarnation, et en 1623, Catherine de Jésus eurent la même vision que leur fondatrices Bien avant, du reste, que sainte Thérèse eût réformé le Carmel, cet Ordre disputait aux Cisterciens et aux Dominicains la vision de la ^ ierge au manteau. Le Carmel est l'un des Ordres qui se sont voués spécialement au culte de Marie ; il s appelle, par privilège reçu d Honorius 111 (1216-1217), l'Ordre de la divine Vierge Marie, Ordo heatisslmae \ . M. de Monte Car- melo, Divae Mariae Carmeli societas. Un tableau de Porde- none représente la Merge abritant sous son manteau les deux saints du Carmel, saint Ange martyr et saint Simon Stock, avec la famille des Ottoboni. LTne gravure de Pierre de Jode représente la ^ ierge, en costume de Carmélite, abritant sous son manteau tout le Carmel, k droite les hommes, à gauche les
1. Der Xonve von Engeltal Bûchlein, p. 38.
2. Cf. par ex. la prière de saint Thomas de "S'illeneuve (1 18S-1555, augrustin, archevêque de Valence : « Ainsi, ô Marie, nous nous réfujjrions sous \otre man- teau... » Jai trouvé cette prière dans L'enfanl de Marie à la campaçfne, par le P. Letierce, S. J., t. II, p. 76.
3. Le P. Bridoul, Le triomphe annuel de X.-D. (Lille, 16i0i, t. II, p. 9, d'après le t. I des Annales Capuc. de Zach. Boverius.
4. Vie de sainte Thérèse, ch. 37.
5. Sausseret. t. Il, p. 279.
46 CHAPITRE m
femmes. Une gravure de C. Galle représente la Vierge abri- tant sous son manteau des gens de diverses conditions, dont un Carme et une Carmélite et leur distribuant des scapulaires • on sait que le port du scapulaire est une dévotion propre au Carmel ; elle aurait été enseignée par la \ ierge à saint Simon Stock. Mercédaires, Servites, Prémontrés, Chartreux se sont fait représenter, eux aussi, agenouillés sous le manteau de Marie. Il n'est pas jusqu'aux Jésuites, ces tard-venus du monde monastique, qui n'aient tâché de s'approprier la vieille légende cistercienne. Un de leurs plus récents auteurs', après avoir raconté sans chronologie ni critique et d après des ouvrages de deuxième ou troisième main, quelques-unes des apparitions"^ dans lesquelles la Vierge s'est montrée abri- tant un Ordre religieux sous les plis de son manteau, continue ainsi : « La Mère de Dieu daigna faire à plusieurs reprises une grâce semblable aux religieux de la Compagnie de Jésus... Parmi les enfants de saint Ignace, un des plus célèbres par son amour envers la très sainte Vierge et par les faveurs qu'il en reçut, est sans contredit le P. Martin Gutierez... Marie se fit voir à lui, racontent les Tableaux des personnages signalés de la Compagnie de Jésus^\ •' comme une Royne très riche- (' ment esquipée, toute parsemée de pierres et debrillans plus « brillans que le soleil ; et sous sa robe royale, laquelle esten- (( doit bien au large, elleembrassoit tousles enfansde laCom- « pagnie. pour leur donner à entendre qu'elle estoit leur mère « et qu'elle les couvoit tous dessous les esles de sa protection, <( comme la poule fait ses poussins ''» .
A la fin du xvi*" siècle, le thème de la A ierge au manteau donne naissance en Allemagne à une dévotion extravagante.
1. Le 1'. Tcifien. La Mère de Dieu cl la Mère des hommes Paris. l'jOo . 2- partie, t. II, p. 119.
2. " Rien, ce semble, n'autorise à en mettre en doute rauthenticité » : cette appréciation du P. Terrien [Op. cit., p. 116) donne la mesure de sa critique. Il comrhence par laconter d'après Lacordaire la vision de saint Dominique, puis il passe à la visif>n rapportée par Thomas de Chantimpré, qu'il cite d'après un ouvra},'e de dévotion dominicain fies Lezioni morale sopra Gionk du P. Pacinclielli O. P.; et qu'il apprécie ainsi : <> Cette vision rej,'arde l'Ordre de saint Dominique plus encore cpie Citeaux. quoiqu'elle soit très apte à mon- trer la fraternelle alliance des dilTércnts Ordres sur le sein de leur com- mune mère. •>
.i. Attribué f,'énéralement, mais à tort, au P. Pierre d'Outreman : cf. Som- mcrvogel, Bihl. de la C" de Jésus. VI, 37.
1. Cf. Acla .S.S., août. I, j). 168, d'après les Opuscul. spirit. de Lancinius. 1. II, ch. 2. n° n8: Bridoul. t. I. p. 1 17 : Saussercl, t. II, p. 1 14, etc.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PI. V
LA VIERGE AU MAMEAl ET LES ORDRES RELIGIEIX 47
Le P. Bridoul, Jésuite, raconte qu'Eléonore d'Autriche, qui fut duchesse de Mantoue, « avoit pris «^oust en Allemagne à une certaine dévotion qu'on nomme le Manteau de Notre-Dame^ qui consiste à réciter ou à faire réciter 32.000 Ave Maria en l'honneur de la A'ierge Marie ; mais parce que la qualité de son état lui dérobait les meilleures heures du jour, elle fut contrainte de s'en décharger sur ceux de sa cour et sur plu- sieurs monastères, partageant entre eux le nombre des Ave Maria que nous avons dit^ ». Expliquons, en passant, ce chilfre de trente-deux mille : 32 et 33 sont des nombres aux- quels la mystique chrétienne a prêté une vertu singulière, parce que Jésus a été crucifié dans sa trente-troisième année, après avoir passé trente-deux ans sur la terre. Les flagellants du XIV'' siècle quittaient leur maison pour une période de 32 jours et demi-^. Les prophètes, à la clôture du chœur de la cathédrale d'Albi-^ sont au nombre de 33. La Divine Comédie se compose de trois poèmes de 33 chants chacun (plus un prologue). LTn roi de Danemark, étant venu à Cologne pour apporter de riches offrandes au tombeau des rois Mages, les vit en songe ; ils le remercièrent et lui prédirent qu au bout de 33 ans, il mourrait et serait sauvé '. En 1389, Urbain ^'I statua que le jidîilé aurait lieu tous les 33 ans, en souvenir de la vie terrestre de Jésus-Christ. Le « chapelet de X.-S. )i, institué vers loi 6 par le Camaldule Michel de Flo- rence, a 33 grains (30 petits et 3 gros) en mémoire des 33 ans que Jésus-Christ a passés sur la terre. Cette mystérieuse
1. Le P. Bridoul. Le Triomphe annuel de Marie Lille. 16 10 . l. H. p. 163.
2. Ou de 33 jours et demi : les ténîoig;nag:es varient. Les lla^ellants « disoient qu'ilzles convenoit ainsy aler par lespace de XXXII jours et demy et qu'il le sçavoient ainsy par la demonstrance divine a la remembrance de N. S. qui ala par terre près de XXXII ans et demy » {Clxroni<[ue de Jean Le BeL écl.Viard et Déprez, t. I, p. 224}. Froissart, la recfula flarfellatorum (Ker- vyn de Lettenhove. éd. de Froissart, t. XVIIL p. 308 ; ditrahit /'raternitas XXXIII diehiis ciini diniidio . la Chronique publiée par Le Houx de Lincy
Recueil de chants historiques français, t- L p. 235 et Kcrvyn (Op. ci7.,p. 30ô) parlent de 33 jours et demi : « XXXIII ans et demi ala Dieus .T.-C. par terre, cnsi que les saintes Escriptures tesmoni;nent : et il alerent casc[une compa- frnie .VXXIII jours et demi » Froissart, éd. I. p. 330 . Cf. encore Gui^uc, éd. du Poème sur la qrande peste, par Olivier de la Haye (Lyon, 1888). p. xi.
3. Didron. Manuel d'iconorfraphie chrétienne, p. 117.
1. Gesia Romanoram, chap. xlvh. Il est vrai quOesterley imprime exple- tis XXIIl annis ju([iler in caelestihus nohisciim reipiahis ; mais XXIII est soit une faute d'impression, soit une mauvaise leçon ; car la \ersion fran- çaise des Gesla Le violier des hislnires romaines, éd. Brunet, p. 110 traduit ainsi : " Le terme descript accomplis de 33 ans, il mourut et fut sauvé. »
48 CIIAPITHE III
« Compagnie du Saint-Sacrement » dont nous commençons à entrevoir laction occulte, entretenait au milieu du xvii'- siècle un séminaire dit « des Trente-Trois », parce qu'il contenait trente-trois écoliers, « en mémoire d'autant d'années que Ton croit que X.-S. a passées sur la terre ' ». Au xviii'' siècle se fondent des « Associations à l'honneur des sacrés cœurs de Jésus et de Marie- », composées de 33 personnes en mémoire des « 33 années de la vie divinement humaine de notre ado- rable Sauveur ». Une idée mystique toute pareille explique le « chapelet de sainte Brigitte », qui se compose de 63 dizaines à Ave, en souvenir des années que la sainte ^ ierge a vécues en ce monde •^.
Ainsi, par une suite de pieux larcins, la ^'ierge au manteau protecteur a passé des Cisterciens aux Dominicains, puis aux autres Ordres, et finalement aux Pères Jésuites.
On sera surpris, peut-être, de n'avoir pas vu paraître les Franciscains dans cette longue histoire. Il ne faudrait pour- tant pas croire qu ils n aient pas cherché, eux aussi, à se blot- tir sous le manteau de Marie.
Il existe au musée de l'Académie, à Sienne, un petit tableau que les critiques s'accordent à attribuer au grand maître sien- nois, Duccio di Buoninsegna : ce tableautin serait donc de la fin du xiii'^ siècle. Il représente la Vierge assise, tenant 1 Enfant sur son genou; aux pieds de la Vierge, beaucoup plus petits qu'elle, sont agenouillés trois fratelli; le pre- mier baise le pied de la Vierge, les deux autres l'implorent les mains jointes : et la Vierge miséricordieuse ramène sur eux le pan de son manteau. Cette représentation, unique à ma con- naissance, montre qu à l'époque même où les Dominicains s'appropriaient la vision cistercienne, le symbole du manteau protecteur de Marie n'était pas inconnu des Franciscains.
L'auteur du Guide de l'art chrétien, Grimoûard de Saint- Laurent, possédait une miniature provenant d'un graduel
1. R. Allier. Le testament de M. Le Gaufj'rc. dans la Revue de Paris du 1" sept. 1906. p. 177.
2. Voir la plaquette ]nibliéc sous ce litre en 17k| à Nancy, chez Pierre lîarhier.
:i. Rouyer, dans la Revue helcje de numisma(i(iue, 1897, p. 207. Cf. R. de Maulde. Jeanne de France, p. i65 : « Un bref de Léon X porta à 70.000 jours l'iiidnlj^cncc de ceux qui ont reçu les 72 insijrnes eu Ihonneur des 72 ans de la vie de la sainte Vierge. » La tradition n'est pas unanime sur le nombre des années que la Vierge a passées en ce monde.
LA VIERGE AU MAMEAU ET LES ORDRES RELIGIEUX 49
franciscain, qui représentait la Vierg-e abritant sous les plis de son manteau des Franciscains agenouillés. Cette fois, c'est bien le type ordinaire de la Vierge de Miséricorde : elle est debout, les priants sont répartis en deux groupes symé- triques, à droite et à gauche. Cette miniature, qu'on ne connaît que par le calque publié par Grinioùard et que j'ai vainement tâché de retrouver, est le seul exemple qui me soit connu d'une Vierge abritant sous son manteau la famille séraphique. Un fait isolé ne prouve rien. On a démesurément grossi l'im- portance de la miniature de Gi'imoûard : reproduite par Bar- bier de Montault, comme exemple du type iconographique de la Vierge au manteau — c'était vraiment faire trop d'honneur à une représentation médiocre et dont on ignore la date^ et la provenance — elle a été alléguée par Kraus d'après Bar- bier comme preuve de l'origine franciscaine du thème en question. En réalité, pour montrer que ce thème n'est pas resté indifférent à la mystique franciscaine, il y a de meil- leures preuves que cette miniature. Dès le milieu du xiii*^ siècle, les confréries de pénitence et de charité cherchent un refuge sous le manteau de la Vierge : or, ces confréries sont presque toutes, plus ou moins directement, d'origine franciscaine, et la première qui se soit fait représenter sous le manteau de Marie tenait sa règle de saint Bonaventure, un Franciscain. Plus tard, au xv*^ siècle, ce sont les prédications d un autre Franciscain, saint Bernardin de Sienne, qui poussent les foules italiennes, aifolées par la peur des pestes et de l'Antéchrist, à se réfugier sous le manteau de Marie, pour y chercher un aljri contre les flèches de la colère divine.
1. Grimoïiai'cl et Barbier dataient cette miniature du xiii'^ siècle ; elle ne paraît pas antérieure au xiv.
Fi;nuHi/.iiT. — Lit Vienje de Miséricorde.
CATALOGUE
DOMINICAINS
1. Florence. Bih]\olhè([uc de S.Marco. Miniature d'un graduel domini- cain, portant au fol. llia la signature de fra Benedetto del Migello (1.389- 1448.) La Vierge abritant les Dominicains sous son manteau. Signalée par Kreijs, Maria mit dem Schutzmantel, p. 35.
2. Coblence, Musée municipal de peinture [Catalogue, 1874, n° 61). Tableau à fond d'or; xv^ s. La Vierge tient l'enfant : sous son manteau, deux Dominicains, tout petits, agenouillés. A dr. et à g. de ce groupe central, saint Dominique et saint Thomas d'Aquin, agenouillés ; derrière eux, debout, sainte Catherine de Sienne et saint Pierre martyr.
3. Gravure de Théodore Galle (Nys, f° 17). En bas, sur la terre, saint Dominique en extase, agenouillé, les yeux fixés au ciel. Dans le ciel, au milieu de nuages, apparaît la Vierge ; son manteau, soutenu par des anges, abrite à dr. les Dominicains, à g. les Dominicaines. Le titre de la gravure est : Rorjinn caeli multitudineni Fratrum et Sororum sub pallio latitantes illi ostendit ; le quatrain explicatif, dû à J. Nys, O. P., est :
Sensibuit abripitur tolui^, caelumque pererrat : ast inibi nullum plangit adesse suuni.
Siste, inquil Christus, lacrymas, et quaerere noli : en Mariae cernis rjuos latitare tog;>.
PI. IV, 1.
FRANCISCAINS
1. Sienne. Académie, n" 20. Petit panneau archaïque. « 11 est permis d'attribuer à Duccio la jolie petite Madone, si grandement conçue, avec trois Franciscains à ses pieds » Burckhardt, Le Cicérone, t. II, p. ;J07 de la traduction . La Vierge est assise sur un trône, les pieds sur un tabouret. Derrière elle, quatre anges à mi-corps. De la main g,, elle lient l'Enfant, de la dr., elle ramène le pan de son manteau sur trois fratelli agenouillés; le premier lui baise le pied, les deux autres Tim- plorcnt les mains jointes. Lombardi, 2436 ; phototypie dans Cavalca- selle et Crowe, A hiatorij of painting in Ilahj, éd. Douglas 'Londres, 1903), t. 1, pi. à la p. 101).
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PI. VI
Cliché de railleur
Les PRÉMOXTRÉS sous la protection de la ^'lERGE
(Gravure d'E. Jloreau)
CATALOGLl:: 51
2. Miniature détachée dim ujraduel franciscain du xiv^ siècle. Cf. Gri- moiiard de Saint-Laurent, Guide de l'art chrétien, t. III, p. 107, pi. X. D'après le calque publié par Grimoïiard ont été exécutées les repro- ductions encore plus médiocres de Barbier de Montault, Traité d'ico- nographie, t. II, pi. .33, n" 343 et du Saint François d'Assise publié par les PP. Franciscains Paris, Pion , p. 38.
3. Milan, Brera. Peinture de Francesco Verla (1490-lo20 . La Vierge protège sous son manteau, que des anges tiennent soulevé, deux saints Franciscains, dont saint François. Signalée par Krebs, Maria mit deni Schu(zmantel,p, 35.
PRÉMONTRES
1. Panneau du musée de Budapest (G. de Terey, Catalogue, 1906, p. 170, u° 685) attribué au « Maître de la Vie de la sainte Vierge ». Dans un édifice voûté, devant une de ces tentures qui caractérisent les tableaux colonais, la Vierge debout, couronnée, tenant lEnfant ; sous son man- teau, six religieux agenouillés, en manteau blanc et tunique sombre, sans scapulaire, probablement des Prémontrés; l'abbé, coiffé d'une calotte, est à la droite de la Vierge.
PI. V, 2.
12. Gravure d'Edme Moreau (de Reims; vivait sous Louis XIII), qui sert de frontispice aux deux volumes du catéchisme des Prémontrés de Pont-à-Mousson, publié en 1G23 par le réformateur de l'Ordre, Servais de Lairuels, abl)é de Sainte-Marie-Majeure (sur ce personnage, cf. Eug. Martin, Servais de Lairuels et la réforme des Prémonfrés en Lorraine et en France au AT//« siècle, Nancy, 1893).
Ca/ec/i«.snit I novitiorum et eorundeni \ magistri, \ omnibus quorum- cumqueOrdinum \ religiosis utilissimi \ tomus I {II), | autliore Reverendo D[omino) Servatio de Lairuelz,doct. theologo,S. Mariae | Majoris Mussi- pontanae olini ad Nemus abbate et R[everendissi)mi D^omini] Pétri j Gos- setii ord inis) Praenionstraten[sis) generalis incommunitate \ anfiqui rigo- ris necnon per Germaniam, Boemiam et \ Poloniam vicario generali. \ Mussiponti, apud Sanctam Mariam Majorem | , per Franciscum du Bois serenissimi ducis Lotharingiae typographum \ , anno Domini MDCXXIII. I E. Moreau fec.
Ce beau frontispice représente la Vierge de Miséricorde protégeant les Prémontrés ; l'abbé des Prémontrés occupe la première place, à la droite de la Vierge; la première place à gauche est occupée par le prieur de Pont-à-Mousson. Deux saints soutiennent le manteau, à droite samt Augustin, créateur légendaire de l'Ordre des Chanoines auquel appartient Prémontré, à gauche saint Norbert, fondateur de Prémontré, reconnaissable à l'ostensoir qu'il tient à la main. Saint Augustin dit : ecce filii nostri sicut novellae oliiarum in circuitu (ce texte, pris au Psaume CXXVII, 3, a été souvent appliqué à tel ou tel Oi'dre monas- tique : cf. Lecoy de la Marche, La chaire franc, au m. A., 2" éd., p. 87). Saint Norbert dit : monstra te esse niatrem (c'est un vers de VAve maris
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Stella). De la bouche de Fabbé monte vers la Vierge cette prière inemor esto congregalionls tuae ; le sous-prieur prononce ces mots empruntés au Psaume LXXXVI, 7 (avec l'addition du mot nostrum] ; sicut laetantium omnium nostrum hahitatio est in te, texte qui s'ap- plique à la protection maternelle de la Vierge (cf. Bréviaire t^omain, office de la sainte Vierge. 2'' nocturne, antienne du 3« Psaume). — PI. VI,
CARMES
1. Tableau d'un peintre viennois anonyme, du début du xvi*^ siècle, peint pour les Carmes de Vienne, aujourd'hui au musée du couvent bénédictin de Klosterneubourg. Ce tableau singulier sera étudié plus loin, ch. XI. — Pl.XXVlIl, 1.
2. Venise, Musée de l'Académie, n° 321. Anderson, n° 12903. Tableau du Pordenone, peint en 1.j2o, jadis dans l'église de Pescincanna. La Vierge, sans la couronne et sans l'Enfant, apparaît sur des nuages, les bras ouverts d'un large et beau geste. Sous son manteau, ({ue sou- tiennent de petits anges, les deux saints du Carmel : à dr. le martyr de l'Ordre, saint Ange, qui, comme saint Pierre de Vérone, porte un glaive fiché dans son crâne; à g., saint Simon Stock, Anglais, troisième géné- ral de l'Ordre ; il porte un Ij-s, symbole de virginité. Les deux saints montrent à la Vierge la famille Ottoboni agenouillée, à dr. les hommes, à g. les femmes (dont deux Carmélites). Au bas du tableau, cette ins- cription : Dive Marie Carmeli societas. Crowe et Cavalcaselle [Histonj of paintinçj in north Italia, II, p. 26o) et les récents éditeurs du Cicérone (p. 882 de la 8^ éd. ail.) admirent beaucoup ce tableau ; k dipinto molto sciupato dai lavacri )> (Paoletti, ^'a/a/or/o, p. 102). Cf. encore Jameson, Legends ofthe Madonna, 2''- éd., p. 93.
3. Statue plus grande que nature, en bois, par Gregor Erhart {f 1540), jadis dans un couvent du Carmel près Augsbourg, aujourd'hui au
• musée de Berlin. Cf. le Catalogue de Bode-Tschudi, n*" 357 ; repro- duction dans la Kunstchronik, XXII (1887), col. 423. La tête de la Vierge offi-e une grande analogie avec la tête du relief d'Olmutz (cf. infra, ch. x). La tète est refaite. Six personnes sous le manteau, trois moines à dr., ti'ois nonnes à g. L^ Vierge porto l'Enfant. A ses pieds, le croissant de la lune à tête féminine.
4. Gravure éditée à Anvers par Pierre de Jode. La ^'ierge, couronnée, en costume de Carmélite, portant sur le scapulaire les armoiries de l'Ordre (sur ces armoiries, cf. Cahier, Caractéristiques, t. I, p. 83), abrite sous son manteau à dr. les Carmes, à g. les Carmélites. Deux anges, dans les airs, tiennent au-dessus de sa tête une couronne de fleurs. Au-dessous, cette légende : Ordo Beatissimae Virginis Mariae de monte Carmelo .
PI. IV, 3.
5. Gravure de C. Galle. La Vierge, couronnée, tenant l'Enfant, distribue des scapulaires à des priants agenouillés sous son manteau. A dr. les
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hommes; au premier rang un Carme, puis un seigneur. A g. les femmes; au premier rang, une Carmélite. Le manteau de la Vierge est soutenu par deux petits anges. Les scapulaires portent le chifTre de la Vierge ^RA surmonté d'une couronne. En haut, dans lechamp : DECOR CAR- MELl. Sous la gravure, recipife hoc SANCTVM SCAPVLARE in quo qiiis moriens aeternum non patietur incendium.
6. Anvei^s. Musée Plantin, salle II, n° 69. Dix-huit dessins par Corn. Jos. d'Heur (1707-1762) pour un bi'éviairein-1 6, Z^reri'ar/unj //-a /rw»i fi. T'..Var/ae de Monte Carmeli. Le frontispice représente une vigne florissante, sym- bole de l'Ordre du Carmel, au pied de laquelle sont deux Carmes (sansie scapulaire, on verra plus loin pourquoi). Celui de droite sappuie d'une main sur la bêche avec laquelle il vient de travailler la terre au pied de cette vigne; dans l'autre main, il tient une épée llamboyante : cet attri- but le fait x'econnaitre pour le prophète Elie, que les Carmes assuraient avoir été le fondateur de leur Ordre (Cahier, Caractéristiques, t. I, p. 111 et 363) : l'épée flamboyante rappelait que «la parole d'Élie brûlait comme la flamme » [Ecclésiastique, xi.vjii,l) et qu'il « était enflammé de zèle pour le Dieu des armées » (III Rois, xix, 10, 14i. Le Carme qui arrose la vigne est le disciple d'Elie, Elisée, reconnaissableà sa cruche (Cahier, t. I, p. 301). L'Ordre des Carmes, qui fut fondé vers 1156 par un croisé calabrais sur le mont Carmel en Palestine, a toujours gardé de son origine orientale un faible très prononcé pour le merveilleux. « Les Carmes semblent représenter assez bien ce qu'on pourrait appeler la mythologie de l'histoire monastique : leur prétendue descendance des anciens solitaires qui, dès les premiers âges du monde, peuplaient, dit-on, le mont Carmel ; les noms de quelques-uns de leurs chefs, parmi les- quels ils se plaisent à compter le philosophe Pythagore, et dont ils auraient persisté à donner une liste antérieure au déluge, si l'on ne leur avait objecté que l'Écriture ne dit point qu'il y eût des Carmes dans l'arche de Noé ; leurs nombreux et inconcevables ouvrages pour soute- nir toutes ces fables, défendues le plus souvent par des injures gros- sières ou par des menaces non moins ridicules que les injures; tout cela n'a servi qu'à les faire descendre fort au-dessous de la puissante congrégation de saint Dominique, ou des illustres disciples de saint Benoit^. » On sait à quelle polémique donnèrent lieu, à la fin du XVII*' siècle, entre le Bollandiste Papebroch et les Carmes, les traditions de ceux-ci touchant l'antiquité fabuleuse de leur Ordi'e -. Le dessin du musée Plantin montre que les Carmes, au xvin^ siècle, n'avaient rien ral)altu de leurs prétentions. Aujourd'hui, les Carmes d'esprit avancé pensent que le prophète Elie doit être considéré comme le père de leur Ordre, parce qu'il aurait apparu à saint Berthold, leur premier général,
1. J. V. Le Clerc, dans l'F/s/. litt. de la Fr.. t. XX. p. 511. Cf. Rev. des Biblio- thèques, 1905. p. 322.
2. Ces traditions expliquent la curiosité iconographique relcAee par Sauvai (Hist. et recherches des antiquités de Paris, appendice du t. III, p. 35) : " depuis peu, aux Billettes, dans la chapelle de la A^ierge. le P. Mathias de Saint-Jean, provincial des Carmes Mitigés, a fait représenter Agabus, lun des préten- dants de la A'ierge, rompant sa baguette et prenant l'habit du Carme [c- à-d. du Carmel], de dépit de voir la Vierge mariée à Joseph. ■>
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et lui aurait commandé de réunir sur le mont Carmel les religieux qui devaient former le noyau de l'Ordre nouveau (Anal. BolL, 1906, p. 195).
Au pied de la vigne resplendit dans une gloire le chiffre de Marie sur- monté de la couronne i-oyale, ce qui signifie que le Carmel est consacré uniquement à la dévotion de la Reine du ciel — tandis que l'apparition qu'on voit au-dessus de la vigne prouve que la dévotion du Carmel pour Marie trouve au ciel sa récompense : Marie apparaît, portant l'Enfant Jésus, et abritant sous son vaste manteau soutenu par des anges, à droite les Carmes, à gauche les Carmélites ; au premier rang, à gauche, sainte Thérèse tenant un crucifix, à droite saint Simon Stock, auxquels Marie remet le scapulaire des religieux sur l'apparition delà Vierge à saint Simon Stock, voir la fameuse dissertalion de Jean de Launoy). Pour les deux sortes de scapulaires, celui des religieux et celui des laïques, cf. Cahier, Caractéristiques, s. v. scapulaire; celui des religieux Carmes ou Dominicains est une longue bande d'étoffe, qui tombe jusqu'aux pieds et qui est de la même couleur que la tunique, blanche pour les Dominicains, brune pour les Carmes. Si Élie et Elisée n'ont pas le sca- pulaire, c'est que, quand ils furent sur la terre, la Vierge ne l'avait pas encore octroyé aux Carmes.
PI. IV, 4.
7. Avila, dans la sacristie de l'église des capucins (cette église est bâtie sur l'emplacement de la maison natale de sainte Thérèse). Enorme tableau peuplé de centaines de personnages, qui représente les gloires du Carmel. Toile en largeur. Vers 1600 'renseignements communiqués par M. Bertauxj.
CHARTREUX
1. Sceau du xiv» siècle, provenant de la Chartreuse du Val-Profond (archidiocèse de Sens). Dans une arche gothique, la Vierge nimbée, debout, de face, abritant sous son manteau deux Chartreux agenouillés, qui tiennent un phylactère sur lequel on lit cette phrase de VAve maris Stella : MONSTRA {te) ESSE MA /rem). Le manteau de la Vierge est tenu par deux saints qui seraient saint Christophe portant l'Enfant Jésus sur les épaules, et saint Jacques de Compostelle. Cf. Vallier : Sigillographie de l'Ordre des Chartreux et numismatique de saint Bruno (Montreuil-sur-Mer, 1891, 8° , pi. XIV, n» 4.
2. Le plus intéressant des monuments (jui représentent la Vierge de Miséricorde abritant les Chartreux sous son manteau, est une fresque de la deuxième moitié du x\^ siècle, qui se trouve à l'ancienne Char- treuse du Pesio, dans l'Apennin ligure, non loin du col de Tende. Elle a été publiée par M. de Laigue dans le Bulletin archéologique du Comité (1905, p. 166-167, pi. XIII). J'ai montré ailleurs {Bull, des antiquaires de France, 1906, p. 136-139; que M. de Laigue s'est étrangement mépris en voyant dans cette fresque l'œuvre d'un primitif français, dont il a cru pouvoir dire le nom, et montrer le portrait parmi les moines agenouillés sous le manteau de la Vierge. Cette fresque n'est pas un travail soigné ; c'est un barbouillage fait à la diable, dans une niche en plein vent, à
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l'entrée d'un pont par où l'on accède au couvent. La Vierge est debout sur un piédestal, où, probablement, avait été peinte une brève prière, effacée aujourd'hui. Derrière la Vierge, une tenture en hauteur forme un fond soml)i-e; cette tenture se relrouve derrière beaucoup de Vierges ita- liennes de la fin du w" siècle, surtout dans la peinture ombrienne et véni- tienne. La Vierge est coiffée d'un bonnet cylindrique, un peu évasé du liaut, analogue à celui de la Vierge de Miséricorde peinte en 1445 par Piero délia Francesca pour Ihùpital de Borgo San Sepolcro ; ce bonnet est entouré, en bas, d'une couronne où les perles alternent avec les fleu- rions : tel celui qu'on voit au duc Federigo d'Urbin, sur le portrait du musée des Offices peint par le même Piero délia Francesca en 1469. Le manteau de la Vierge est soutenu à gauche par saint Bruno, à droite par saint Jean-Baptiste, reconnaissable à l'Agneau mystique qu'il tient sur la main gauche. Pourquoi saint Jean-Baptiste ? Parce que les fils de saint Bruno l'honorent d'un culte particulier, comme en témoigne la formule de leurs vœux : « Moi, N., promets stabilité, ol)éissance et conversion de mes mœurs, devant Dieu et ses saints et les reliques de cet ermitage, qui est bâti en l'honneur de Dieu, de la bienheureuse Vierge Marie et de saint Jean-Baptiste. » Hélyot (édition Migne, Dict. des Ordres religieux, t. I, col. 868), à qui j'emprunte cette formule, ne dit pas pourquoi les Chartreux honorent spécialement le Précurseur, mais la raison s'en voit assez : il est leur modèle, parce qu'il a vécu par avance de leur vie ascétique et solitaire : » En ce temps-là parut Jean-Baptiste dans le désert de Judée... 11 se nourris- sait de sauterelles et de miel sauvage ; il avait un cilice de poil de chameau, une ceinture de cuir autour des reins » (Matth., m, 1-4). De là le luinhar, cette ceinture de corde que les Chartreux portent conti- nuellement sur la peau nue. De là vient encore que les Chartreuses sont fréquemment placées sous l'invocation de saint Jean-Baptiste et que l'image du Précurseur figure souvent sur les sceaux des Chartreux : cf. Vallier, Sigillographie de VOrdre des Chartreux, passim.
3. Cologne. Wallraf-Bichartz Muséum n" 1.57 [Verzeichnis, p. 131 ; Aldenhoven, Geschichte der Kôlner Malerschule, p. 263). Tableau de la fin du xve siècle, provenant delà Chartreuse de Cologne. La Vierge, avec l'Enfant sur le bras, est debout sous un baldaquin gothique. Sous son manteau sont agenouillés dix Chartreux. 11 est tenu levé par saint Hugues, évêque de Lincoln [f 1200) et par saint Hugues, évêque de Grenoble, fondateur présumé de la Grande-Chartreuse ("l- 1132; cf. Cahier, Caractéristiques, t. I, p. 37 et 249).
4. Au musée de rhospice de Villeneuve-lès- Avignon, dans l'escalier, mauvaise peinture du xvi« siècle : la Vierge abritant les Chartreux sous son manteau. Ce tableau provient, je suppose, de la Chartreuse du Val- de-bénédiction, fondée en 1356 par Innocent VI.
5. Tableau de Zurbaran,au musée provincial de Séville, provenant delà Chartreuse de las Cuevas. Sous le manteau que soutiennent deux ange- lots, sont agenouillés des Chartreux. La Vierge pose les mains sur la tête des deux premiei's. Au-dessus d'elle, l'Esprit Saint, sous la forme
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cFuno colombe, entouré de chéiubins. Photographie Laurent-Lacoste, n° 1088. Reproduction dans V. Mavnard, La Sainte TiVr^re (Paris, 1894), p. 493,
SERVITES
1. Sienne, dans le chœur de Sainte-Marie des Servites. Tableau à fond dor, daté et signé dun peintre siennois qui n'est j)as autrement connu : Opus Johannis d\e\ Pétri S[enens;si MCCCCXXXVI. Lombardi, 401. « Probabihnente dev'essere stata rifalla saU'anHea. La tempera è scarsa e grigia ; la tavola ha sofjferto per i^estauro » (Cavalcaselle et Crowe, t. [X, p. 43 . La Vierge abrite sous son manteau les membres de l'Ordre des Servites. « L'on prétend, dit Hélyot (t. III, p. 301), que la Vierge s'apparut aux fondateurs de cet Ordre, en leur montrant un habit noir qu'elle leur commanda de porter en mémoire de la passion de son Fils. C'est en mémoire de cette apparition, qui, selon le P. Archange Giani [Annales Ord. Serr. B. V. M.), arriva le vendredi saint de l'an 1239, que les religieux Servites ont coutume de faire ce jour-là une cérémonie qu'ils appellent les Funérailles de J.-C. » Gio- vanni di Pietro a donné à la Vierge la robe noire des Servites (cf. Hélyot, t. III, pi. 81-84,, mais en l'ornant, sur les manches, de grandes brode- ries qui représentent des prophètes ; le scapulaire que porte la Vierge est couvert de broderies analogues : en haut, sur la poitrine, la Sainte Face; au-dessous, trois prophètes tenant des banderoles où sont figurés des caractères dénués de sens. Derrière le manteau de la Vierge, quatre anges vus à mi-corps.
PI. V, 3.
2Relief de grandes dimensions, jadis au-dossusdela porte latérale de l'église des Servites, à Venise, placé depuis 1900 au-dessus de la porte d'entrée du Musée de peinture (anciennement Scuola délia Carità) ; don Guggenheim (Diego Sant'Ambrogio, La colonno votiva di Cantù,p. 12).
3. Gravure romaine du xviii'" siècle, par N. Bangiorgi. La Vierge de Sept Douleurs — l'Addolorata — avec les sept glaives plantés dans le cœur, abrite sous son manteau les Servites agenouillés, à droite les hommes, à gauche les femmes. Au-dessous, cette inscription : Regina servorum tuorinn, ora pro nohis. 3e ne connais cette gravure que par une reproduction imprimée à Rome, le 21 juin 1894, au couvent des Servites (S'-Marcel du Corso, cédé aux Servites par Grégoire XI en 1370i, et qui était en 1905 affichée à un pilier du chœur de Saint-Sau- veur de Bruges. Une image analogue se trouve, parait-il, en tète des bréviaires des Servites; ce serait en quelque sorte le slenima de l'ordre.
MERCËDAIRES
1. Gravure éditée par Pierre de Jode a\ec celle lég;on(\e : Ordinis beat ae Mariae Virginin de mercede redeniplionis captivoruni (la planche usée de cette f^ravure a été réemployée par P. Mariette le fils). La Vierge, couronnée et nimbée, est vêtue de l'habit des Mercédaires : manteau, robe, et large scapulaire sur lecjuel sont brodées les armes de l'Ordre;
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pour ces armoii'ies, cf. Barbier de Montault, Traité d'iconogr., t. IV, pi. XVII, n° 189 Œuvres, t. IV, p. 173. i Deux anges soutiennent son manteau, sous lequel sont agenouillés les Mercédaires avec d'autres personnes (à dr. le pape et des évèques ; à g, l'empereur et le roi). A terre, devant la Vierge, des fers de captifs. Dans le ciel apparaît Dieu le Père, qui fait le geste de la bénédiction. PI. IV, 2.
2. Gravure in- 12, non signée, du milieu du xvii<^ siècle, au Cabinet des Estampes !Fig. myst. de la Vierge, t. I). La légende est française : « La très sainte Vierge, l'an 1218, le i'"'" jour d'aoust, apparut avec grand esclat et déclara que son Fils vouloit que l'on instituât sous son nom l'Ordre des Religieux de la Mercy pour le rachapt des Chrétiens esclaves : ceux qui portent le scapulaire de leur confrérie ou qui font l'aumosne pour les esclaves gaignent de grandes indulgences qu'ils peuvent appliquer aux defuncts. » Dans un cadre ovale, où sont accro- chés des fers et des chaînes, apparaît la Vierge dans le costume des Mercédaires ; sous son manteau, que soutiennent les anges, sont age- nouillés, à droite le Pape, un saint en costume de mercédaire (sans doute le fondateur de l'ordre, saint Pierre Nolasque, y 13 juin 12^8 et une sainte; à gauche un jeune roi et sa jeune femme d'artiste a dû penser à Louis XIV et à Marie-Thérèse). Au-dessus de la Vierge, une banderole qui porte ces mots : Maior horum est charitas (I Cor. xiii, 13^. A terre, devant la Vierge, une paire de « doubles boucles ». Au bas du cadre les armoiries de l'ordre, et deux captifs agenouillés : ils viennent d'être rachetés et ils offrent leurs fers en ex-voto à la Vierge.
3. Musée de Valence, n° 49. Grande toile en longueur, par Antonio Vergara (début du xvii'^ s. . Xuesfra S* de la Merced. La Vierge porte le blanc costume des Mercédaires, manteau, robe et scapulaire, celui-ci marqué des armoiries de l'Ordre. Au premier rang des priants qui sont agenouillés sous le manteau protecteur, un Mercédaire tenant la bannière de l'Ordre : c'est le donateur, d'ailleurs inconnu. A côté de lui, une femme présente son enfant à la Vierge, et un captif racheté lui offre ses chaînes. Je dois cette description à M. Bertaux.
4. Musée de Valence, n° .^4. Toile en hauteur, par VicenteLopez il772- 1850!. La Vierge de la Merci, en blanc. Les captifs, la femme et les deux enfants agenouillés sous le manteau sont des portraits du peintre, de sa femme et de ses fils Luis et Bernardo. Le manteau est soutenu par des angelots. Tableau d'un joli ton clair; influence manifeste de Tiepolo renseignements communiqués par M. Bertaux . — PI. XXX, 2.
AUGUSTINES
1. Au musée de Pérouse,n° 336. tableau du xvi'^ s., provenant du cou- vent des nonnes Augustiniennes de sancta Lucia in porta Sanl'Angelo. La Vierge, sans l'Enfant et sans la couronne, abrite sous son manteau deux groupes de jeunes filles, vêtues de l'obes de toutes couleurs, mais portant chacune un voile blanc sur la tête.
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BÉNÉDICTINS
1. Suhiaco. Fresque du monastère du Sacro Speco, dans la crypte, chapelle de la Dormition de la Vierge, peinte à la fin du xiv^ s. « Marie étend son large manteau pour abriter pape, évêques, cardinaux, reli- gieux » Barbier de Montaull, dans Annales archéologiques ^ t. XIX, p. 238). Je n'ai pas pu me renseigner sur cette fresque. Il est croyable qu'elle représente la Vierge abritant la grande famille bénédictine.
JÉSUITES
1. On signale, chez un brocanteur de Lyon, un petit tableau repré- sentant la Vierge Marie abritant les Jésuites sous son manteau : cf. Réu- nion des sociétés des Beaux-Arts, 1907, p. 4G4.
ORDRES INDÉTERMINÉS
1. Petit tableau à fond d'or, giottesque ou siennois, de la fin du xir*" ou du début du xv siècle, au musée de l'Académie, à Florence (n° 272). La provenance exacte n'est pas connue. Comme la plupart des tableaux de l'Académie, il doit avoir appartenu à un couvent. Sur la bordure inférieure est peinte cette inscription, qui se rapporte à la Vierge : Advocata Universitatis, .< Universitas •> signifiant ici, non pas l'universalité des humains ou des chrétiens, encore moins une Univer- sité, mais seulement l'Ordre auquel appartenaient les nonnes, qui sont représentées à genoux sous le manteau protecteur. En haut, dans le ciel, paraît le Christ, (jui, à la prière de la Vierge, bénit les nonnes. En face du Christ, trois anges inclinés dans une attitude d'adoration. Notons à titre de curiosité, que le Guida délia r. galeria antica e inoderna (par Pieraccini, 5* éd., p. Hoj, croit que ce tableau représente, non pas la Vierge de Miséricorde, mais sainte Elisabeth de Hongrie.
PL V, 1 .
2. Marseille, musée Borély.
Broderie de provenance inconnue ; xvi« siècle. La Vierge, sans la couronne et sans l'Enfant, couvre de son manteau, dont elle lient les pans à poignée, six religieuses agenouillées sur un dallage formé de plaques carrées. Devant la Vierge est posé un coq.
PL VI 1,1.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PI. VU
CHAPITRE IV LA VIERGE AU MANTEAU ET LES CONFRÉRIES
Fondation des Confréries, au xiii^ s., sous l'influence des Ordres men- diants ; le Tiers-ordre franciscain. — Flagellants et Pénitents. — Saint Bonaventure et la Confrérie romaine des Recoininandati Vir- gini. — Dévotion des Confréries pour la Mère de Miséricorde. — La Vierge au manteau protecteur figurée sur les retables, les bannièi"es et les enseignes de Confréries. — Les Misericorilie d'Italie, les Scuole de Venise, les Pénitents de Provence, les Charités de Normandie. — La Confrérie de Saint-Nicolas-des-Clercs à Toul.
Gomment, de monastique que le thème de la Vierge au manteau était à l'origine, est-il devenu, au sens étymolo- gique du mot, « catholique », cest-à-dire universel"? Com- ment la Chrétienté tout entière a-t-elle réussi à s'agenouiller sous le manteau protecteur, qui n'abritait au xii'' siècle qu'un Ordre religieux? Comment s est opéré le passage d'une con- ception à l'autre, sous quelles intluences, par quels intermé- diaires et à quelle époque '?
Je crois que cette évolution s'est accomplie, du milieu du xui*^ siècle au milieu du xiv*^, sous l'influence des Francis- cains et des Dominicains, par l'intermédiaire des Con- fréries.
Les Confréries, associations de laïques fondées pour pra- tiquer certains exercices de dévotion, certaines œuvres de cha- rité, pour honorer particulièrement un mystère ou un saint, semblent avoir commencé à se développer au xiii^ siècle. Les mêmes causes qui expliquent l'institution du Tiers-ordre
60 chapitrf: IV
franciscain et du Tiers-ordre dominicain expliquent la nais- sance el la vogue rapide des Confréries K
L'Ordre franciscain, à son début, était animé d'un esprit si différent de l'égoïsme, de la cujoidité et de l'ambition qui ins- piraient les autres familles relig-ieuses, la vie et la prédication des premiers frères Mineurs étaient si conformes à la pure doctrine évangélique, les nouveaux prédicateurs étaient si enthousiastes, ils savaient si bien le secret de toucher l'àme populaire, que les foules chrétiennes furent saisies d'un immense désir de devenir franciscaines. Tel était l'empresse- ment à entrer dans l'Ordre nouveau que le fondateur craignit, dit-on, de vider le monde et d'attirer la chrétienté entière dans les cloîtres. Il eut l'idée de créer, au proiit des postulants et postulantes qu'il ne pouvait admettre, une affiliation de gens vivant pieusement dans le siècle "-. Cette ramification de l'Ordre franciscain parmi les séculiers s'est appelée depuis le Tiers- ordre '^ les plus anciens documents l'appellent la Confrérie de la Pénitence, Ordo poenitentiiun, Fratres de poenitentia. Elle naquit spontanément de l'enthousiasme qu'excitèrent les prédicateurs de François, dès 1210. après son retour de Rome ^.
Le Tiers-ordre franciscain, et d'une façon générale les Con- fréries de pénitence, sont parmi les manifestations les plus caractéristiques de ce « pieux laïcisme » ' dont les masses chré- tiennes ont été agitées au xiii*' siècle. Elles tâchent de faire elles-mêmes leur salut, elles ne l'attendent plus uniquement
1. On a écrit que <i les Confréries s'étaient extrêmement multipliées dès la fin du xn" siècle » et cité, à l'appui de celte asserliou, une décision d'un concile qui avait été tenu à Rouen en 1189 et dont les actes seraient jiubliés au t. II du recueil de Labbe, p. 585 ; en réalité, le t. II de Labbe est consacré aux conciles du i\° siècle, il n'y a pas eu de concile en 1189, ni à Rouen ni ailleurs, et la décision citée, qui concerne les abus des Charités nor- mandes, est empruntée aux actes d'un concile tenu à Rouen en lôsl [Concilia lîolomagensis jjrovincia, éd. dom Dessin, Rouen, 171", p. 223 ; Labbe, Con- cilia, t. XV, p. S51). Cf. dans la Bihl de l'École des Charles, 1881, p. 5, la charte d'érection d'une confrérie de saint Martin, dans le monastère de Cani- pou,au diocèse d'Elne, datée du 2 avril 1295. — Sur les Confréries en général, voir les auteurs cités par A. Mat ter. dans la Reçue de Paris, 1906, 11, p. I8.'5.
2. Karl Mi'dler, iJ/'e .In/Vi/ij/e des Minorilensordens und der Ihissbruder- schaften (P'ribourg-, 1885), p. 117, 13 4.
3. L'appellation /'/•<'i<re.s terlii ordinis S. F ra ncisc i piwnil jjour la première fois en 1231 (Mi'dler, op. cit., p. 135).
4. Prcmièi'e vie de saint François par Thomas de Celano, dans Acta SS., cet. II, p. t)9S lî et la note m ; cf. dans le même tome des.4c/,i, la p. 593 et Sabatiei-, Vie de sainl François dWssise, p. 305.
5. Kraus, Ilisi . de rEf/lise, Irad. fr. (Paris, 1898). t. II. p. 3i8.
LA VIERGE AU MANTEAU ET LES CONFRÉRIES 61
du prêtre. Les foules, à cette époque, ont une extraordinaire faculté d'émotion ; des enthousiasmes délirants s'emparent d'elles et leur inspirent toutes les saintes folies de la croix. L'Eglise assiste à peu près impuissante à ces mouvements désordonnés, qu'elle n'a pas créés : Croisades des enfants, en 1212 et en 1237 i; Croisade des pastoureaux, en 1251 ~. Ce sont des pays entiers qui se lèvent et se rassemblent autour des prédicateurs populaires : Berthold de Ratisbonne parlait à des foules de 60.000 personnes ; fra Giovanni Schio de Vicence pacifia un instant, en 1238, tout le nord de l'Italie et jeta Guelfes et Gibelins dans les bras les uns des autres-^.
Saint François n'avait pas donné de règle aux Tertiaires ^. Dans sa pensée, leur règle devait être l'Evangile; et leur but, la paix et la concorde entre tous les hommes. Mais les Frères et les Sœurs de la Pénitence dévièrent vite du che- min que le fondateur leur avait tracé. Les Confréries de pénitence tombèrent bientôt dans les pratiques extérieures et la dévotion mécanique. Elles imitèrent les dehors et les façons des Ordres. A partir de 1260, elles prennent modèle sur les flagellants. Dans toutes les associations de pénitents, la disci- pline prise en commun était de règle''. En Italie, les membres de ces Confréries s'appelaient indifféremment Poenifentes ou Disciplinati.
1. Hecker. Die ffrossen Volkskrankheilen des Mittelallers, réédition de Ilirsch (Berlin, 1865), p. 124-142.
2. Élie Berger, Histoire de Blanche de Castille, p. 303.
3. Sabatier, o/). Liud., p. 132. Le résultat le plus important des prédications populaires dans l'Italie du xiv" et du xv' siècle aurait été. d'après Jacob Bur- ckhardt, d'amener des réconciliations entre des ennemis déclarés : " il ne s'obtenait qu'à la fin d'une série de sermons, quand l'esprit de pénitence avait gajrné à peu près toute la ville, quand l'air retentissait du cri de tout le peuple : Misericordia .' « Pareva che l'aria si fendesse, » dit un chroniqueur. On voyait alors des familles se réconcilier et s'embrasser solennellement, même s'il y avait eu du sang versé. On permettait aux bannis de rentrer dans la ville » (La civilisalion en Italie au temps de la Renaissance, Paris, 1S85, t. II, p. 240.. Les deux mouvements flagellants, de 1260 et de 1350, produisirent des effets analogues.
4. La règle des Tertiaires, que la tradition attribue à saint François, dérive, comme la montré MûUer (op. cit., p. 117-129), de la bulle de Nicolas IV, Supra montent (17 août 1289).
5. « Il y aurait un grand profit à établir en l'iionneur de la Mère de Dieu la congrégation secrète des confrères les plus fervents. Voici en abrégé les ser- vices qui s'y pratiquent : la discipline se prend l'espace d'un Miserere et d'un Salve etc. » (Alphonse de Liguori, Les gloires de Marie, II, iv, § VII : Des Confréries de la sainte Vierge).
62 CHAPITRE IV
La névrose de la flagellation paraît avoir pris naissance dans lltalie centrale. Un témoignage vraisemblable lafait commen- cer à Pérouse ' , dans des populations imbues d'idées francis- caines. L'épidémie se déclara en 1239- 1260-, on ne sait à quelle instigation : il est croyable qu'il n'y eut pas d'insti- gateur, et que Jacques de Varazze a raison de dire que le mouvement commença a pauperihus et simplicihus. Il devint irrésistible très vite .' sacrilegus hahehatur qui id non ageret-^. Gomme par enchantement, aux cris de : Par, pax .' que pous- saient les flagellants, les discordes publiques et privées s'apai- saient, les exilés étaient rappelés dans les villes. Puis, non moins vite, le mouvement tomba. L'ondulation de cet extraor-
1. Cf. Annales S. Juslinne Piiluvinne dans Muratori, Reriim ila.1. script.. t. VIII, col. "12 (sur ces Annales, cf. Potthasl, Bihl. M. .£., t. I, p. 72) :
[Anno MCCLIX , cum Iota Italia miillis essel flagitiis et sceterihus inqui- nata, quaedam suhilanea compunclio et inaudita, invasil priniitus Perusi- nos, liomanos posimndum. deinde fere Italiae popvlns iiniversos. In tantum ilacfue limor Domini irriiit super eos, quod nobiles pariler, et iynobiles. senes et juvenes. infantes etiam quinque annoriim, midi per plaleas civitatum, opertis lanlumdeni piidendis, hini et hini processionaliter incedehant:singuli flaqellnni in manibus de cnrriqiis continentes, et cuni (jemitu et ploratu se acriter super scapulis usque ad effusioneni sançfiiinis verberantes : et eff'usis fonlibas lacryninruni.ac sicorporalibus oculis ipsani Salvatoris cernèrent pas-
sionem, misericordiani Dei et Genetricis ejns auxiliuni iniplorabant non
solum in die. verum etiam in nocte cum cereis accensis. in hi/eme asperrima, centeni. milleni. decem millia quoque per civilates ecclesias circuibant. et se ante altaria humililer prosternebant. praecedenlibns eos sacerdolihus cum crucibus et vexillis. Super ista vero poenilentia repentina, quae ultra etiam fines llaliae per diversas provincias est diffusa, non solnm viri médio- cres, sed et sapientes non irrationahiliter mirahantur : cogitantes, unde tantum fervoris impetus proveniret : maxime cum iste modus poenitenliae inauditus non fuisset a summn pontifice institutus, qui tune Anagniae resi- debat : nec ab alicujus praedicatoris, tel auctorahitis pcrsonae industria vel facundia persuasus, sed a simplicibus sumsit initium. quorum vestigia docti pari ter et indocti subito sunt secuti.
'1. En 1261. dit .Jacques de A'arazze. Cette date peut être exacte de Gènes, dont .Jacques était évêque. Elle est fausse pour le reste de lltalie.
3. Ricobaldi Ferrariensis historia imperatorum dans Muratori, Fer. ital. script., t. IX, col. 1.31 Ricobaldi écrivait au début du xw" siècle: cf. Polthast, t. II, p. 9-2) :
{Anno M(^CLX) inaudita novilas fuit per omnes Italiae partes. Xam omnes prima hyeme nudi longn agmine bini euntes lecto corpnre infra umbilicum per urbes. vicos et villas rilUcolae incedebant. se (lagellis et Inris caedenles et psallentes Dei laudes et lieatae Mariae. clamitantes : Fax pax 1 Eo in/initae discordiae et hostililatespacatae sunt. .\Iulieres in lurmishac noclibusfaciebant; sacrilegus liahebatur quicunuiue id non agerel. sed post Januarium paulatim defecit ea nocilas. ([naeappcllata crat Verberamenium. — Le mot verberamen- tuni rappelle le mot consolamentum, qui désignait liniliation complète à ralbigéisinc.
LA VIERGE AU MANTEAU ET LES CONFRÉRIES 63
dinaire ébranlement s'était pi'opagée jusqu'en Allemagne ' et en Pologne -.
La première épidémie des flagellants semble avoir laissé des traces profondes en Italie. Les pénitents italiens conservèrent les pratiques ascétiques des flagellants, la discipline reçue en commun, les supplications processionnelles au Christ et à la Vierge, la méditation fréquente et intense de la Passion ; ils conservèrent aussi leur costume, le capuce qu'on rabattait sur le visage, et leurs insignes, ces bannières, ces grandes croix qu'on portait en tète des processions.
La plupart des Confréries qui se fondent au xiii^ siècle se placent, à l'instar des Ordres religieux, sous l'invocation de la Vierge 3, et s'efforcent d'obtenir contre la malice du Diable et la colère de Dieu la protection de Marie ^. Se blottir sous le manteau de Marie, ce rêve des Ordres religieux devait deve- nir celui des Confréries. Dès le milieu du xiii^ siècle, le
L Henricus Slero. cité clans Raynaldus, Annales eccles.. t. III, p. 56 : Erat modusipsius poenilentiae ad pntienduni duras, hnrribiliset mirnhitisad viden- dum : nam al) umbilico siirsiini corpora dénudantes, quadam veste partent corporis inferiorem usque ad tains tegentem hahehanl. et ne quis eoriim acjnosceretur, cooperto capite et facie incedehant. Procedehant etiani bini, terni, tanquani clerici. vexillo praevio tel cruce, llagellis semeptisos bis in die per triçfinta ires dies. et deinde in nienioriam leniporis hunianitatis Domini nostri Jesii Christi super terrani apparenlis lanidiu cruciantes, quousque ad (juasdani canlilenas. quas de passione ac morte Domini dictaverant. duobus vel tribus praecinentibus circa ecclesiam vel in ecclesia complevernnt, nunc in terram corruentes, nunc ad caelum nuda bracliia erigenles, non ohstante luto vel nive. frigore vel calore. Miserabiles itaque gestus ipsorum et dira, verbera multos ad lacrymas et ad suscipiendani eamdeni poenitentiam provo- cabant. Sed quia nrigo eiusdem poenilentiae nec a sede Romana. nec ab aliqua persona auctoral)ili fnlciebatur. a quibusdam episcopis et domino Henrico duce Bavariae coepit haberi contemptui. unde tepescere in brevi coepit sicut res immoderate concepta.
2. Joannes Longinus, Hisf. Pol.. lili. 7, cité dans Raynaldus, Ann. Eccles., t. III. p. 57.
3. Voir les Annales 0. Praed.. t. I. app., p. 165-183 1255-1288\ pour les Congregationes B. Mariae Virginis. Cf. Bullarium 0. Praed., I (éd. Ripolli), p. 266. 370, 392 (1258-59 . Humbert de Romans, général de TOrdre Domini- cain de 1263 à 1273. aurait écrit ceci : In aliquibus nationibus et maxime in Italia fiant interdum congregationes, seu confrariae. in honorent B. Vir- ginis. vel alicujas Sancti. ex quibus sequitur mulius fructus. Ce texte est cité par Choquet. Mariae Deiparae in Ordinem Praedicatorum viscera materna Anvers, 1634;, p. 466. Je crains quil ne soit empruntée à un pseudé- pij;raphc du xv« siècle, le Liber sermonum de fraternitate Bosarii b. Vir- ginis îcf. Hist. litt. delaFr., XIX. 346).
4. La plupart des confréries de pénitence qui se fondent après le xiii" siècle sont pareillement |)lacées sous Tinvocation de la A'ier^e : ainsi, la fameuse confrérie des Pénitents établie en 1583, par Henri III, à léjrlise des Grands- Auyustins de Paris avait pourtitre « Association Notre-Dame. »
64 CHAPITRE IV
thème de la Vierg-e au manteau protecteur est emprunté aux Ordres religieux par une confrérie de Rome, la plus célèbre détentes les associations de pénitents placées sous l'invocation de Marie, la Confrérie des « Recommandés à la Vierge », Recommandât i Virgini : elle fait peindre sur sa bannière la Vierge abritant les confrères sous son manteau ; et cette bannière parait si bien imaginée que les FrateUi recommandati en reçoivent le surnom populaire de Società del (jonfalonc. M. Brockhaus', qui a cité le passage des Annales de Raynal- dus"~ où ces faits sont rapportés, n"a pas connu une circons- tance essentielle, qui leur donne leur vrai caractère : cette Confrérie romaine des Recommandati avait reçu sa règle de saint Bonaventure. qui exerçait alors la charge d'inquisiteur g'énéral du Saint-Office -^ ; la Confrérie dont il s'agit est donc d'origine et d'inspiration franciscaines ; comme elle paraît avoir servi de modèle à nombre d'associations similaires, voilà donc bien les Confréries rattachées au Francisca- nisme.
Je ne pense pas que 1 antique gonfalon des Recommandati subsiste encore. En revanche, il nous reste beaucoup de pein- tures votives provenant de Confréries instituées sur le modèle de celle de Rome. Or, le type choisi pour ces ex-voto est le même que celui qui avait été fîg-uré sur la bannière romaine : ainsi, le tableau peint vers 1350, par Lippo Memmi pour les Recommandati d Orviéto. La Toscane et la Vénétie possèdent
1. Forschungen ûher florentiner Kunsluerke. p. 8j-89.
2. T. III, p. 232: (licebalar confralernilus commendntontm Vir<finl. in ciijus coUegii insifjnihus Deiparae pallia siw sodales teijenlis effigies expressa erat^ ac societas Gonfalonis nuncupala oh vexillum hujusmodi imagineinsigniluin. quod religioso agmine solemni pompa incedenti praeferre soleret :atque liujus exeinplo condila alla pia sodalitia.
3. Hélyot. Hixloire des Ordres monasliques. t. VIII. p. 260-264. Cf., dans le Dict. de théologie catholique deVacanl et Mangenot. p.965, la notice sur Bona- venture, par le P. Snieels, et S. Bonaventurae opéra, éd. de Quaracchi, t. X, p. 36. La biographie de saint Bonaventure, de 1264 à 126f>,est mal connue, faute de documents certains. La tradition qui rapiJorte à Tannée J264 la règle donnée à V Arciconfralernità del Gonfalone a pour unique garant une consti- tution de Grégoire XIII, du 12 octobre 1576 ; cum itaqiie, siciit accepimus, snperiorihiis temporibits. videlicel de anno lêô-'i in aima Urbennstra admodum insignis sorielas regiilae Recommendaloriim ejusdem bealae Mariae Virginis. primo et deinde Gonfalonis nunciipata . . . ranonicc inslitiita. . . . el inler
cetera pro illiiis felici directione. . . . per S. Bonaventuram pie staliila el
ordinata. Plusieurs érudits, notamment Raynaldus. datent de 1267 l'érection de cette Confrérie ; les Bollandistcs {.\cta SS., 14 juillet, Vita S. Bonav.,^ i. n. 37 , de 1270.
LA VIERGE AU MANTEAU ET LES CONFRÉRIES 63
plusieurs peintures analogues, datant du trecento, qui repré- sentent des Confréries de pénitents ag^enouillés sous le manteau de Marie. Sur le retable de Simone da Gusighe, qui date de 139i, on voit la Vierge de Miséricorde abritant sous son manteau une Confrérie de discipUnali ; Tun d'eux porte leur (jonfalone : l'image de la Vierge au manteau protecteur y était peinte, comme sur la bannière des Recommandati romains (pi. X, 1).
La plus curieuse de ces vieilles peintures est un tableau siennois, jadis dans la collection Campana, aujourd'hui au musée de Cherljourg (pi. III, 2). On y voit la Vierge de Miséri- corde abritant sous son manteau de reine des gens de tout état. Au premier plan sont agenouillés les membres d une Confrérie de pénitents ; ils se frappent à grands coups de discipline ; leur robe a clans le dos une large ouverture circulaire, pour que le fouet puisse mordre la peau nue^ Ce tableau paraît dater de la tin du xiv*^ siècle : il semble à peu près du temps qui vit la deuxième épidémie des flagellants. En tout cas, les Discipli- nati qu'on y voit représentés sont bien du pays où les flagel- lants parurent pour la première fois.
On trouvera, à la fin de ce chapitre, le catalogue descriptif des Vierges de Miséricorde, sculptées ou peintes, qui pro- viennent de Confréries. Il est riche surtout en monuments italiens, parce que nulle part les Confréries n'ont autant pul- lulé qu'en Italie- : « c'est, dit Hélyot'^, le pays du monde où il y en a le plus grand nombre ; il faudrait un volume entier pour parler de toutes, puisque dans la seule ville de Rome où elles ont pris naissance, il y en a plus de cent. » A l'instar des Recommandati de Rome, les Confréries italiennes s'étaient placées sous la protection spéciale de la Vierge miséricordieuse. Les monuments qui les montrent agenouillés sous le manteau protecteur peuvent être classés suivant trois ou quatre types principaux.
1. Même ouvertuiv, dans la robe des pénitents de Simone da Cusi^he.
2. Sur les Confréries de Tltalie actuelle, on trouvera de curieux renseigne- menls dans la Stalislica délie conf'raternile puliliée par la Direction générale de la statistique italienne (1'=" vol. ^ Rome, 1S92). Elle en compte 13,216. Les noms sont: confratria. fraleria, collecta, consnrlium, sodalitiiiin, compaçfnia, congreffhe ; à Venise, en Lombardie scuole ; dans l'ancien royaume de Naples, eslaurile, staurile. Quand d'une confraiernità en dépendent d'autres elle prend le nom (.Varciconfî'aternilà.
3. Op. cit., t. VIII, p. 260.
Peuuri/.ijt. — La Vierfje de Miséricorde. 5
66 ciiAPiTRr: iv
Une Confrérie était, avant tout, une association pieuse qui se réunissait pour pratiquer certains exercices de dévotion. Le premier et le plus important, celui qui donnait la force de se plier aux autres, celui aussi qui permettait à la Confrérie de déployer quelque pompe, c'était la participation au Saint Sacrement de l'autel. Chaque Confrérie avait, pour y faire dire la messe, son autel dans une chapelle d'église, parfois dans un oratoire indépendant. L'autel des Confréries vouées à la Vierge était orné d'un retable représentant d'ordinaire la Mère de Miséricorde, avec les confrères à genoux sous son 'manteau.
De bonne heure', nombre de Confréries avaient pris à tâche l'accomplissement des œuvres de miséricorde. Les Miséricordes comme on les appelait en Toscane -, les Sciiole comme les désignait le dialecte vénitien ■^, les Charités comme on disait en Normandie, cumulaient les rôles que jouent aujourd hui l'assistance publique, l'administration des hos- pices, le service des pompes funèbres. Cela exigeait des locaux considérables. Les Scuole de Venise, les Miséricordes de Toscane possédèrent, dès le xiV^ siècle, de véritables palais. A Florence, le Biffallo, ce bijou d'architecture, et le délicieux palais de justice d'Arezzo sont d'anciens hôtels de Confréries charitables 4.
Suivant 1 usage du moyen âge, les locaux des Confréries
1. M""" Jameson sest étrangement trompée en attribuant à saint Jean de Dieu (1498-1550) la fondation des institutions de charité Legends of the monaslic Orders,\>. 3il).
2. Cf. Passerini, Storia degli stahilimenti di heneficenza délia cilla di Firenze. Florence, Lemonnicr, 1853. « La Toscane, dit la Stati.tlique citée plus haut, est caractérisée par ses Confréries de la Miséricorde, qui ont pour but de secourir les infirmes, les pauvres, les malades, les j?cns frappés sur la voie pulilique de mort subite ou violente, de doter les jeunes filles pauvres et d'accompagner les corps au lieu de leur sépulture » (p. xii).
3. Sur les associations charitables à A'enisc, cf. Sansovino, Venezia descril- ta, p. 281.
4. « Une Confrérie cliaritable de Florence se plut à orner sa maison, de ses deniers, le mieux possible, suivant la bonne coutume italienne, dans un temps où il n'y avait endroit sacré ni public ([ui ne fut relevé par l'éclat de l'art. Ce ne fut pas une façade de palais, comme dans plusieurs Scuole de ^'enise, mais seulement une petite maison ornementée, dont le charme est uniquement dans l'exécution raffinée de formes très simples. Lauteur inconnu du Bigallo pourrait bien être un successeur d'Orcagna. Plus sévère et plus riche est la façade de la Misericordia d'Arez/o : c est un véritable monument de transition ravissant en son genre, qui commence dans le style gothique et s'achève û l'étage supérieur dans le style Renaissance » (lîurckhardt. Le Cicérone, t. II, p. 60 de la traduction).
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PI. VIII
LA VTERGE AU MANTEAU F:T LES CONFRÉRIES G7
avaient, comme toutes les maisons d'alors, leur enseigne sculp- tée, placée au-dessus de la porte. Cette enseigne représentait généralement la Mère de Miséricorde : la plupart des reliefs vénitiens qui figurent la Vierge au manteau sont des enseignes de sciiole ; des reliefs analogues existent encore en place sur la porte de l'église de la Miséricorde, à Ancône, et sur la porte de laMiséricorde (aujourd'hui palais de justice) d'Arezzo(pl.IX). Une fresque de ce type avait été peinte, à Arezzo encore, sur la façade de l'église Saint-Laurentin et Saint- Pergentin, qui servait d'oratoire aux confrères de la Miséricorde : « De bons et honorables bourgeois d' Arezzo, écrit ^'asari', qui s'étaient réunis pour rassembler des aumônes au profit des pauvres honteux, acquirent un tel crédit, pendant la grande peste de 1348, en secourant les malades et les pauvres, en ensevelissant les morts et en faisant d'autres œuvres de cha- rité, que leur Confrérie se trouva posséder par donations et testaments le tiers de la fortune d'Arezzo. Même chose advint pendant la peste de 1383. Spinello, qui faisait partie delà Confrérie, risqua sa vie à visiter les pestiférés, à enterrer les morts et à rendre d'autres pieux services habituels aux membres de telles Confréries ; jîuis, pour conserver le souve- nir des événements de 1383, il représenta, sur la façade de l'église Saint-Laurentin et Saint-Pergentin, la Vierge abritant sous son manteau le peuple d'Arezzo. On y voit, parmi les Arétins, beaucoup de membres de la Confrérie, munis du maillet de bois avec lequel ils allaient frapper aux portes, et de la besace dans laquelle ils recueillaient les aumônes. »
La fonction la plus fréquemment assumée par les Confré- ries, aussi bien de ce côté des monts qu'en Italie, était l'ensevelissement des morts. Elles enterraient les pauvres gratuitement ; pour les riches, elles percevaient une taxe, proportionnée, par exemple, au nombre des cierges réclamés pour honorer le convoi "-. Ainsi, grâce aux Confréries, l'Italie
\. Ed. Milanesi, t. I, p. 682 ,Vie de Spinellu). La fresque dont il s"af;it fut détruite au xviii" siècle. La création de la Confrérie arétine de la Miséricorde remonterait, d après Milanesi, à 12f!.3.
2. Cf. L. Rostan. Un élahli.isement du moyen l'ige à Saini-Mariinin : con- frérie de X.'D. d'Espérance et de Miséricorde, dite X.-D. des (irands Cierges (Draguignan, 1869, extrait du Bull, de la soc. d'études scient, de Draguignan). Cette Confrérie, qui datait du \iu' s., a duré jusqu'à la Révolution ; au milieu du XIX'- s. encore, on désignait à Draguignan le bureau de bienfaisance sous le nom de Miséricorde . La Confrérie ensevelissait les morts : gratuitement, les
V 68 CHAPITRE IV
et plusieurs régions de la France ont ignoré, au moyen âge et même depuis, la répugnante profession de croque-mort. A tour de rôle, les confrères, anonymes sous le capuce baissé, accomplissaient leur funèbre tâche : une forte solidarité chrétienne rapprochait, devant la mort, les gens d'une même ville, sans distinction de rang ni de fortune. D'autre part, le spectacle des funérailles, dans le pays où elles étaient confiées aux Confréries, était impressionnant, et bien fait pour inspi- rer des pensées salutaires. Elles avaient lieu généralement la nuit ; le costume des pénitents, cette grande robe ^ ce capuce percé de trous où brillaient les yeux, les cierges et les torches qui éclairaient la scène, tout était calculé pour émou- voir les assistants : ceux qui ont vu, à la nuit tombée, sur la place déserte du dôme de Pise, les confrères de la Miséricorde porter un mort au Campa Santo, en gardent un souvenir qu'ils n'oublieront point.
Pour remplir leur pieuse besogne de nécrophores, les con- frères avaient besoin d'un matériel. Certaines Confréries de Sienne possèdent encore le leur, tel qu'il existait au xv® siècle : la pièce essentielle en est un cercueil de bois, celui dans lequel on portait les morts au cimetière. L'art, spéciale- ment la peinture, à Sienne, au quallrocento, marquait tout de son sceau : une foule d'humljles choses, que nous trouvons naturel de condamner à la banalité et à la laideur, resplen- dissaient alors d'un rayon de beauté ; les registres des finances, qu'on relierait aujourd'hui en noire basane, étaient,
pauvres ; pour les riches, elle percevait une rétribution proportionnée au nombre des ciergres qui figuraient au convoi. Elle secourait les pauvres, les malades, les visitait, leur donnait des vêtements, de la viande, du pain. A'ers 16S0, elle halîillait de 50 à 60 pauvres par an ; la distribution des vêtements avait lieu le dimanche avant la Noël. La Confrérie faisait elle-même, dans sa maison, le pain des pauvres. Elle dotait les iilles pauvres. Elle s'alimentait par des quêtes, faites principalement à l'époque du battage du blé sur les aires. Elle avait été trouvée si édifiante, que les archevêques d'.\ix l'honoraient d'une approbation particulière. Les marguilliers de cette Confrérie ne furent jamais que des artisans, des cultivateurs aisés: les bourgeois, les notables de la ville ne purent jamais parvenir à mettre la main sur cette association toute plébéienne.
1. Ellcportait le nom biblique de sac, d'oi'i le nom d'e/i.scic/ies qu'on donnaiten certains endroits au.v membres des Confréries. « L'habillement des Pénitents consiste en une robe de toile ou de serge qu'ils appellent sac, serrée d'une ceinture, avec un capuce pointu qui leur couvre tout le visage, n'y ayant que deux petits trous à l'endroit des yeux, afin qu'ils puissent voir et n'être point vus» Ilélyot, op. cil., t. VIII, p. 260!. Pour les ensachés de Nice, cf. Moris, Au P'iys bien Paris, 1900), p. 47 et additions.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PI. IX
LA VIERGE AU MANTEAU ET LES COM-RÉRIKS 09
à Sienne, reliés dans des ais de bois, dont les plats étaient décorés de peintures. De même, les Confréries siennoises avaient fait historier de peintures le cercueil commun où elles portaient les morts. Quelle représentation choisirent-elles pour ces teste di barra? La même que l'on voyait au retable de l'autel de la Confrérie et surTenseigne de son local, l'imao-e de la Mère de Miséricorde, abritant la Confrérie sous son manteau. Et cette image était singidièrement touchante, peinte au bout du cercueil commun, où tous les confrères, l'un après l'autre, chacun à son heure, devait être couché (pi. VIII, 1). Mais c'est surtout pour leurs bannières que les Confréries de pénitence et de Miséricorde ont affectionné le type de la Vierge au manteau protecteur. La bannière des Con- fréries était à la fois un emblème et un phylactère : la croix qui la surmontait, la Vierge qui y était peinte, mettaient en fuite les démons, écartaient des confrères les fléaux, les péchés, les maladies et la mort '. Bouchot croyait que la Vierge de Miséricorde du musée du Puy avait été d'abord une bannière : vu la forme de cette toile, l'hypothèse paraît peu vraisemblable. Mais les documents d'archives ont prouvé qu'au xv'' siècle, dans le Midi de la France, furent peintes des bannières de Confréries au type de la Vierge de Miséricorde. Il est croyable qu'il faille voir là un phénomène d'influence italienne, explicable par la proximité géographique, par les relations commerciales, surtout par les rapports entre Avi- gnon et Rome. La plupart, en etTet. des bannières de Confré- ries au type de la ^'ierge de Miséricorde qui sont parvenues jusqu'à nous se trouvent en Italie. On a vu plus haut que dès 1264 les Recommandati de Rome avaient fait peindre la Vierge au manteau sur leur fameux gonfalone. Le retable de Simone da Cusighe prouve qu'au xiv'^ siècle les confréries de la Vénétie avaient suivi l'exemple de l'Archiconfrérie romaine.
I.^ Ces croyances superstitieuses sont naïvement formulées dans \a Légende dorée, ch. lxx De letania niajori et minori : criicem deferimus et campanas pulsamus, ut daemones territi fugiant . ..Tempore tempestatis crux de ecclesia extrahitur. ut scilicet daemones vexillum Summi Régis videant et territi
fugiant Criix in processione defertur ut daemones in ipso aëre exislentes
territi fugiant et a nostra infestatione désistant. Cf. saint .\lplionse de Liguori, Les gloires de Marie, II, s- 3: « Le nom de Marie est la terreur des esprits infernaux. A ce nom, dit le bienheureux Alain i .\lain de la Roche, linven- teur du Rosaire , Satan fuit et l'enfer tremble. Selon Richard de Saint-Lau- rent, ce nom est comme une tour très forte, qui garantit les justes des assauts de lenfer. »
70 CHAPITRE IV
Les bannières italiennes de ce type qui nous sont parve- nues ont presque toutes été peintes au xV siècle pour des Confréries ombriennes (pi. XVII).
« La bannière, a dit Rio', est un produit spécial de l'art ombrien. » Cette assertion est fort exagérée. Les Confréries, dès leur apparition, durent avoir chacune leur bannière. En 1260, quand les flagellants arrivèrent de Modène à Reg-gio, les Confréries qui s'étaient jointes à eux avaient chacune leur gonfanon-. En I3i9 et sans doute déjà en 1260, les flagellants, comme les Confréries, portaient « gonfanons et grandes ban- nières de cendal-^ » de taifetas). Les commandes de bannières abondent dans les recueils documentaires publiés par Mila- nesi pour Sienne, par Blancard pour Marseille, par Requin pour Avignon''. Mais, si l'on en réduit l'exagération, la remarque de Rio devient juste : en aucun pays, les bannières n'ont abondé comme en Ombrie. C'est sans doute qu'en aucun pays il n'y a eu autant de Confréries. Et si les Confré- ries ont été si nombreuses en Ombrie, c'est que nul pays n'a été aussi profondément imprégné d'influences franciscaines.
La Provence, le Comtat, le Niçois sont particulièrement riches en représentations de la Vierge au manteau protecteur. Le fait s'explique par le grand nombre de Confréries de péni- tence qui, de très bonne heure, ont fleuri dans le Midi\ La
1. De l'art chrétien, t. II. p. 211.
2. Memoricile Potestatum Regiensium, dans Muratori, Berum italic. script., t. VIII. col. 1122 : fanno MCCLX] veneriint verheralores per universum orbem. El die Lunae in festo omnium Sanctonim omnes illi de Mutina venerunt Regium lam parvi quam niagni : et omnes de Comitata, et Poteslas, et Episco- pus cum Confalonihus omnium Socielalum, et verheraverunt se per civitateni et iverunt Parmam pro majori parle. Cf. Mansi dans les Annales de Raynal- dus, t. III, p. 56.
3. Cf. Fr. Closener, Strasshurger Chroniken, éd. Hegel (Leipzig, 18"70), l. I, p. 105 : Hahebant vexilla de serico et purpura depicla. cum quibus pro- cessionibus Iransibanl.
4. Le S juin 145", Enguerrand Charonton promet aux prieurs de la Confrérie de N.-D. des Anges d'Aix de leur peindre une bannière de taffetas de 9 palmes et demie de haut sur 8 de large, vexillum sire banderiam de panne fino in et super panno de laff'elano. Il doit représenter d'un côté la Vierge entourée d'Anges, tenant lEnfant et adoré par les Mages : de l'autre, saint François, saint Louis de Marseille et saint Bernardin (Requin, Documents inédits, dans la Hhinion des sociétés des beaux-arts, 1889, p. 134 et 180). — Le 4 juillet 14so, le trésorier de l'Ordre de Saint-.Iean-de-Jérusalem com- mande à Martin Pacaud, peintre d'Avignon, huit bannières. Sur les deux premières, l'artiste devait peindre la sainte Vierge ; sur les deux sui- vantes, saint .Jean-Haptiste ; sur deux autres, les armes du Pape ; sur les deux dernières, les armes de France (Requin, op. laud.. p. 109).
5. Ilélyot, op. cit., p. 259. d'après Molinier, Institutions et exercices des
LA VIERGE AU MANTEAU ET LES CONFRÉRIES 71
plus ancienne serait celle des Pénitents gris d'Avignon. Elles y subsistent encore : l'un des deux témoins qui signèrent l'acte de vente du moulin de Pampérigouste s'appelait a Loui- set. dit le Quique, porte-croix des Pénitents blancs * ». A Nice existe toujours la Confrérie des Pénitents noirs, qui fit peindre à la fin du xv*^ siècle deux grands retables où la Mère de Miséricorde occupe la place d'honneur; cette Confrérie recrutait ses membres dans l'aristocratie; elle possédait, entre autres privilèges, celui de gracier chaque année, le jour de la décollation de saint Jean-Baptiste, un condamné à mort"-.
Ce ne sont pas seulement les Confréries de pénitence, ce sont encore les Confréries charitables qui, dans le Midi de la France comme en Italie, cherchèrent un refuge sous le manteau de la Vierge. En voici deux preuves, l'une pour l'Italie, l'autre pour la Provence.
Le musée de Parme s'est enrichi naguère d'une fresque de Pier Antonio Barnabei (1567-1630), précédemment au-dessus de la porte extérieure de VOrfanotrofio femminile de Parme ; cette fresque représente la Vierge abritant sous son manteau, avec les orphelines, les recteurs et rectrices de l'orphelinat ; la Vierge fait de la main droite un geste d'accueil, et dans la main gauche, elle tient un pain^.
Un tableau de Granet (1775-1819), au musée d'Aix, repré- sente l'intérieur d'un orphelinat provençal. Au mur de la salle est suspendu un grand tableau où l'on voit la Vierge de Misé- ricorde, abritant sous son vaste manteau les quatre régentes de l'institution : elles portent la fraise, le tableau reproduit par Granet devait dater de la fin du xvi'' ou du début du xvii^ siècle.
Confrairies de Pénitens, t. I, ch. 23. Les Pénitents gris d'Avignon dateraient de J268. " Au rapport de Molinier, il yen eut de blancs à Avignon en 1527, de blancs, de bleus et de noirs à Toulouse en 1571 et 1577, de blancs à Lyon en 1577. Ils se multiplièrent fort dans la suite, principalement dans le Lan- guedoc, la Provence et le Lyonnais. »
1. Alphonse Daudet, Lettres de mon moulin, avant-propos.
2. H. Moris, Au pays bleu (Paris, 1900), p. 47 et additions. Hélyot {op. cit., p. 263-265) rapporte qu'à Rome quelques confréries de Pénitents Noirs avaient le même privilège ; il leur fut ôté par Innocent X. qui ne le laissa qu'à la plus considérable, l'Archiconfrérie de la Miséricorde ou de Saint-Jean-Décollé, instituée en 148s par des Florentins demeurant à Rome, pour assister les sup- pliciés et les aidera faire une bonne mort. Hélyot donne une gravure repré- sentant un Pénilent Noir de Rome.
3. Bolletino d'arte del Ministeriodella pubhl. islruzione, 1907, fasc. 4, p. 19, avec gravure.
IJ, CHAPITRE IV
Dans la France du Nord, les Confréries de pénitence ne semblent jias avoir eu o^rand succès : sans doute, le bon sens national ne goûtait pas beaucoup les manifestations auxquelles se livraient les pénitents de Provence et d'Italie. Henri III, fils d'une Italienne, lui-même plus italien que français, tâche vainement d'enrôler la Cour et Paris dans une Confrérie de Disciplinati. Les pénitents eurent une vog-ue plus durable dans le pays des Guise : Hélyot remarque au début du xviii'' siècle, qu'il y en avait en Lorraine '. Mais, ni à Paris ni en Lorraine, les pénitents ne semblent avoir pris pour patronne, à l'instar de leurs confrères provençaux ou italiens, la Vierge au manteau protecteur.
Les Confréries de charité ont eu plus de succès dans la France du Nord que les Confréries de pénitence. C'est en Normandie surtout qu'elles ont fleuri'-. Plusieurs de ces (( Charités » normandes subsistent encore. Les plus anciennes datent du xiv® siècle. Celle de Saint-Côme, Saint-Damien et Saint-Lambert, en l'és-lise Saint-Denis de Rouen, est de I3o8-^. La plupart ont été fondées au xv*^ siècle. Au xvi'\ elles donnèrent lieu à des abus criants, que les évêques de la contre- réformation s'efforcèrent de supprimer : earum tanien aholi- tionem non judicamus expedire, déclare le Concile tenu à Rouen en 1381 '*, propier earum necessitatem in peste et puhlica calamitate. Or les « Charités » normandes, comme les autres Confréries, aimaient à se placer sous la protection de la Vierge : celle de l'Hôtel-Dieu de Bernay, lune des quatre « Charités » qui existaient dans cette ville avant la Révolution, avait pour armoiries : d'azur à une Notre-Dame ayant plusieurs personnes à genoux sous le manteau, le tout d'or'. Une fresque du troisième quart du xiv'' siècle '', dans le
1. Op. cit.. t. VIII, p. 260. Sur les pénitents à Nancy, cf. Pfisler, Histoire de .\nncii. 1. 1, p. 263 ; III. p. 342. 420.
2. Cf. R. Bordeaux. Des confréries de charité dans Miscellanées d'urchéo- loçfie normande relatives au dép. de l'Eure (Paris, I88O1. p. 165 et suivantes, et Langrlois. dans la Revue critique de 1889, n° 14.
3 Statuts de la confrérie de Saint-Côme. publiés par Ch. do Beaurejjaire, Rouen, 18,s8.
4. Concilia Rotomagensis provinciae. éd. Doni Bcssin Rouen. 17171, ]>. 223 = Labbe, Concilia, t. XV, p. 851.
3. R. Bordeaux, op. cit., p. 162 ; Forée, Le registre de la Charité des Cor- deliers de Bernay (Rouen, 1887), p. 3.
6. La Normandie monumentale et pittoresque, Orne Le Havre, 1S96, f j, p. 72 (notice de M. Ch. de Beauropairc .
LA VIERGE AU MANTEAU ET LES CONFRÉRIES 73
chœur de l'église paroissiale de Saint-Céneri-le-Gerei, arron- dissement et canton d'Alençon, représente la Vierge abritant sous son manteau un grand nombre de laïques agenouillés sur quatre rangs de profondeur : chose curieuse, ils sont appa- riés par couples. Je crois que cette fresque archaïque, dont il ne paraît pas qu on ait donné l'explication, représente une de ces innombrables « Charités » normandes, celle qui s'était fondée au village de Saint-Géneri ; les femmes y figurent k côté de leurs maris : nous savons en effet par les statuts de la Confrérie rouennaise de Saint-Côme, d'une vingtaine d'années antérieurs à la fresque de Saint-Céneri, que les femmes mariées pouvaient faire partie des (( Charités », à condition d'avoir l'agrément de leur époux. Notons, k propos de la Vierge protectrice de Saint-Céneri, qu'k côté du groupe qu'on vient de décrire, hors du manteau protecteur, le peintre a représenté « un homme qui, malgré les elforts visibles qu'il fait pour se retenir, parait glisser sur une pente rapide au bas de laquelle l'attendent deux bêtes immondes prêtes k le dévo- rer », — deux diables (pi. XI, 1).
Plus ancienne encore que la fresque de Saint-Céneri est une miniature touloise qui date de 1356, presque immédiatement après la « Grande peste » (pi. XII).
La Confrérie dite de « Saint-Nicolas-des-Clercs » fut tout d'abord établie dans l'église paroissiale de Saint-Jean-Baptiste, située dans le cloitre de la cathédrale, dont elle était lancien baptistère. C'était la première et la plus ancienne paroisse de la ville •. L'acte d'érection de la Confrérie est daté du 29 janvier 1356. 11 porte le nomdes fondateurs, Jean de Lunéville. officiai de l'évêché de Toul, Otto, curé de l'église Saint-Jean, et de 64- autres personnages qui furent les premiers confrères. La Confrérie était probablement d'origine, tout au moins d'inspi- ration dominicaine, car le couvent des Frères Prêcheurs, bâti vers 1240, se trouvait sur la paroisse Saint-Jean. La Confrérie, placée sous le patronage de saint Nicolas, était réservée aux ecclésiastiques, avocats, procureurs, notaires, tabellions, clercs, tant de la ville de Toul que d ailleurs. De là lui vient son nom de Confrérie de Saint-Nicolas-des-CIercs.
Trois ans après la fondation, il fut permis aux confrères de recevoir des bourgeois de la ville, et l'entrée de la Confrérie
1. Bonnît Picart. Hist . eccl. rie Tnul (Tm\\. 1707). p. 20.
/4 CHAPITRE IV
fut également accordée aux femmes'. Chaque confrère acquit- tait en entrant un droit fixe [2 francs en 1687], et était tenu de seng-ager, par serment, à garder et observer les règlements insérés dans l'acte de fondation. Un procès-verbal du serment est conservé dans les registres de la confrérie.
En 1378, le curé de l'église paroissiale Saint- Vast, Jean- Etienne, contraint, faute de paroissiens, d'accepter la cure de Lave, fît abandon de son ésrlise aux confrères de Saint-Xico- las, pour y célébrer le service de leur Confrérie. Cette transmis- sion est faite moyennant une somme de quinquc solidos par- vos Turonenses, que les confrères devaient payer annuelle- ment au curé de Laye et à ses successeurs.
Le chapitre de la cathédrale donna son agrément tout en se réservant le droit de se rendre en procession, plusieurs fois l'an, selon son ancien usage, dans l'église Saint- Vast. Il fit en outre ajouter aux clauses portées à la charge des confrères, que ceux-ci devraient abandonner l'église au cas où il sur- A'iendrait un nombre de paroissiens suffisant pour la rétablir. Ils devaient également, et sur leur oifre, rebâtir l'église ou tout au moins y faire exécuter des changements et des répa- rations équivalant presque à une reconstruction, y élever un nouvel autel, un clocher qui devait être garni de cloches, etc. Tous ces travaux devaient, en cas de reprise, faire retour aux nouveavix paroissiens, sans aucune indemnité de leur part, et les confrères ne pourraient enlever que les livres, ornements et <( tout ce qui se peut porter ».
Dans le courant de la même année 1378. Guilbertus, car- dinal a latere du royaume de Bohème, en résidence à Trêves, confirmait la cession faite par le curé de Lave, avec le con- sentement de Messieurs du Chapitre de la cathédrale de Toul. Un peu plus tard, par lettres datées de Metz, il accordait éga- lement des indulgences aux confrères.
En 1400, un testament daté du li septembre, Regnault Lampouel, confrère, laissait des biens à la Confrérie, pour per- mettre la fondation d'une chapelle qui devait être placée sous l'invocation de saint Nicolas et sainte Catherine.
Les Archives de Meurthe-et-Moselle, possèdent l'acte d'érection de cette Confrérie-. C'est une charte en parche-
1. Ces détails, et ceux qui suivent, sont empruntés aux archives de la Con- frérie (Archives de Meurthe-et-Moselle, G, 1201). Cf. E. Martin, Ilisl. des diocèses de Toul, de Aanci/ et de Saint-Dié (Nancy, 1900), t. I, p. 308.
2. G, 1201 (réserve).
LA VIERGE AL" MANTEAU ET LES CONFRÉRIES 75
min, mesurant Om. 61 de haut sur 0 m. .06 de large. En tête, la lettre G, initiale du mot Gloriosus, se détache en pourpre sur fond bleu encadré de baguettes d'or formant un carré, des ang^les et du milieu duquel se détachent des rinceaux de feuil- lage. Une guivre ailée vient mordre l'angle inférieur gauche. L'intérieur de la lettre est à fond d'or. Sur le parvis de la cour céleste, représenté par un carrelage rouge à dessins blancs, la Mère de Miséricorde, de face, très hanchée, portant les insignes des reines (couronne d'or à fleurons, manteau de pourpre doublé d'hermine) tient l'Enfant Jésus sur le bras gauche, et dans la main droite un rameau rouge. Le manteau de protection, largement étendu, est tenu, à droite, par saint Nicolas, patron de la Lorraine, à gauche par sainte Catherine, patronne des clercs. Les deux saints protecteurs sont debout. Saint Nicolas porte la mitre, la chasuble et la crosse : la main droite est levée, bénissant. La sainte a la main gauche appuyée sur l'épée, et, dans l'autre, elle tient une petite roue (les bourreaux tentèrent de rouer sainte Catherine, et n'ayant pu y parvenir, ils la décapitèrent).
Sous le manteau de la Reine des Cieux, des hommes age- nouillés, les mains jointes, les uns barbus, les autres imberbes; tous semblent tonsurés et portent le manteau à capuchon des clercs et des moines. Manteaux et capuchons sont de couleurs de fantaisie : rouge, bleu, vert, pourpre.
L'Enfant Jésus porte une robe Aerte rayée de blanc, avec semis de fleurs rouges. La tête, selon l'usage, est nimbée du nimbe crucifère, et dans chaque canton supérieur du nimbe figure un petit o : ce détail a son origine dans l'iconographie grecque*, où le nimbe crucifère des personnes de la Trinité porte toujours dans les cantons supérieurs 0 QN c Je suis celui qui suis » [Exode, m, 14).
Dessin très fin, dont quelques couleurs sont légèrement passées, mais dont quelques-unes, principalement les ors, ont gardé une merveilleuse fraîcheur. Dimensions de la lettre : 100X1 16 mm.
1. Le Guide de la peinture (Didron, Manuel d'iconographie, p. 457) s'exprime ainsi : « Dans la croix marquée sur le nimbe des trois personnes de la Trinité, écrivez ces lettres O CON, car c'est ainsi que Dieu a parlé à Moïse lorsqu'il lui est apparu dans le buisson ardent : ivw du.: 0 (ôv. Disposez ainsi ces lettres : que Yomicron soit sur la partie droite du nimbe, Yôméga sur la partie supé rieure. le ni/ sur la partie ^--auche. »
CATALOGUE
O.MBlilE
1. Triptyque autrefois dans la collection Campana, aujourd'hui au musée de Perpignan (Perdrizet-René Jean, La galerie Campana et les musées fra>içais, p. 33 . Le Cat. des tableaux du musée Napoléon III, p. 88, n" 324, le décrit ainsi : « Au milieu, Jésus sur la croix avec la Made- leine à ses pieds ; d'un côté des soldats, do l'autre la Vierge évanouie dans les bras de Marie et de saint Jean. Au-dessus de la Crucifixion, le Couronnement de la Vierge. Les volets représentent X.-D. de Misé- ricorde, la Crèche, l'Annonciation, et dans le bas, six figures de saints. A l'extérieur, les volets portent une inscription à demi efTacée et dont on ne peut lire distinctement que la date 1333. Style de Giotto, école ombrienne. » M. Crouchandeau {Catalogue du musée de Perpignan, 1884, p. 107), transcrit ainsi cette inscription : « MCCCXXII hoc opus... factum per societatem devotam beatae Miariae) Virginis gloriosae... sanctum Vitalem ex impensis societatis prediclae... Dei semper sit filio sua in adjutorium... auxilium ad dictam tahulam. Requiescant in pace. Amen ». — Il ne m'a pas été possible de trouver à Perpignan un photo- graphe capable de faire la reproduction de ce tableau.
2. Pérouse. — Frescjue dans l'église de la Commanderie de Sainte- Ci'oix, par Bonfigli, datée de 1478. Cf. Cavalcaselle et Crowe, t. IX, p. 136 et 139 : <( copia di una composizione troppo conosciuta e comune. Le figure che stanno inginocchiate, ai lati délia pittura, solto al manto délia Vergine, porlano il nome d'una Confraternità. L'Eterno scaglia dardi dalV alto. La pittura ha niollo sofferlo. >•
3. Bastia (près Assise). — Tableau peint par Bornardino di Mariotto pour la confrérie de saint Antoine abbé et de saint Antoine de Padoue
(de Mandach, Saint Antoine de Padoue et l'art italien, p. 149). La Vierge apparaît sur une nue. Son manteau est soutenu par des anges. Elle descend vers la terre, pour protéger la Confrérie agenouillée, qui lui est recommandée par les deux Antoine. Bernardino di Mariotto, qui pei- gnait vers 1320, est un archaïque attardé.
Banmkres de confréries ombriennes
4. pérouse. — Bannière peinte (par Bonfigli ?), aujourd'hui à S. Fran- resro al Prafn. Mentionnée par Thode, Franz von Assisi. 2'' éd.. p. ''117.
CATALOGUE 77
Photog:raplnée par Alinari. Publiée dans Les Arts, n"clenov. 1907, p, 10. Pour la description, voir infra, p. 114. Dans le bas de la bannière, est représentée Pérouse ; on distingue, dans une rue, une procession de pénitents blancs qui se dirige vers une église : ce détail donne à croire que la bannière avait été commandée par une Confrérie — PL XVII.
5. Bannière peinte en 1472 (par Bonfigli?) pour les Fratelli délia con- fraternità di S. Benedetto, à l'église S* Maria Xuova de Pérouse; Anderson, n° 15663; médiocres reproductions dans les médiocres livres de l'abbé Broussolle, Pèlerinacjes ombriens, fig. 4, et La Jeunesse du Pérugin et les origines de Vécole ombrienne, fig. 301. Pour la description, voir infra, p. 114.
6. Assise. — Bannière ruinée, autrefois à l'église Saint-Crépin. La description de Cibo, p. 116, est visiblement inexacte ; je suis celle de Milanesi (Vasari, 111, p. 510). Cette bannière, qui appartenait à une Confrérie de Saint-Biaise, représente d'un côté la Madone, qui, à la prière de saint François et de sainte Claire, accueille sous son manteau la foule des confrères de saint Biaise, vêtus de blanc ; de l'autre côté, saint Biaise évêque, assis entre saint Rufin et saint Victorin, et au-des- sous, deux épisodes de la légende de saint Biaise. Rumohr (II, p. 116) suggère que c'est peut-être la bannière dont parle Vasari dans la vie du Pinturricchio (111, p. 509) : « in Ascesi fece [rAlunno] un gonfalone che si porta a processione. »
7. Bannière, autrefois dans la collection Campana {Cat. des tableaux ^f^ musée Napoléon III, n" 372), depuis 1876 au musée d'Angoulême (Per- drizet-René Jean, La galerie Campana et les musées français, p. 33). Reiset la décrit ainsi [Notice des tableaux du musée Napoléon III dans les salles de la colonnade du Louvre, p. 48, n° 111 : « Niccolô Alunno. Toile. H. 2, 52. L. 1, 28. Grande bannière peinte des deux côtés. Au recto. Vierge de Miséricorde couronnée par des anges et entourée de chérubins. Elle couvre de son manteau saint François d'Assise et sainte Catherine de Sienne, qui lui présentent des pénitents agenouillés. Dans le haut, le Christ en croix entre la Vierge et saint Jean. Au verso, divisé en trois compartiments, se voient, en haut, l'Annonciation ; au milieu, un évècjue assis entre deux évèques debout ; dans le bas, le martyre de saint Biaise. Nous supposons que cette bannière est celle dont a parlé Vasari et qui avait été peinte à Assise. » Cf. Frenfanelli Cibo, Niccolo Alunno e la scuola Umhra (Rome, 1872), p. 163. Le Cata- logue du musée d'Angoulême dit qu'en 1876 la bannière était en mauvais état, et (ju'elle a été restaurée. Cavalcaselle et Crowe, qui l'avaient vue quand elle était encore à Rome, chez Campana, ont noté que la figure du Christ était mollo danneggiata e rifalta, ainsi que plusieurs autres personnages. — Il ne m'a pas été possible de trouver à Angoulême un photographe capable de photographier cette bannièi'e.
BOKGO S. Sepolcro.
8. Retable de Piero délia Francesca, conservé aujourd'hui au munl- cipio de Borgo San Sepolcro. L'une des plus anciennes œuvres du maître: elle lui fut commandée le 11 juin 1445, moyennant 150 florins
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d'or, pai" la Compafjnia délia Misericordia pour sa chapelle de Thôpital (Milanesi dans Vasari, 11, p. 494). Alinaii, 10o()4-S ; Rosini, III, p. 37, pi. 3S ; Jameson, Madonna, p. 33 (fig.) ; Cavalcaselle-Cro\ve, VIII, p. 193-199; Burckhardt ■', p. 677 ; Witting, Ptero dei Franceschi, p. 7, pi. 2. Sur les volets, entre autres saints, saint Sébastien. La Vierge porte un bonnet dont le bas est ceint d'une couronne, où les perles alternent avec les fleurons; la forme du bonnet rappelle celui que porte le duc Federigo d'Urbin sur le fameux portrait des OlTices, peint par Piero en 1469. Huit laïques, de condition moyenne, quatre hommes et quatre femmes, sont agenouillés sous le manteau ; un des hommes porte le costume noir de la Confrérie. Aux bouts de la prédelle, sur laquelle sont peintes des scènes de la Passion, le monogramme de la Confrérie
çpj^ = M{sericord)ia.
'9. Il ne faudrait pas identifier ce tableau avec la fresque dont parle Vasari : « Al Borgo... in fresco lavorô [il Piero] una Nostra Donna délia Misericordia in una Compagnia ovvero, come essi dicono, Confra- ternità ». Cette fresque n'existe plus. Elle se trouvait dans les locaux que la Confrérie occupait à l'hôpital. Elle fut peinte en 1478, et paj'ée 87 écus (Milanesi dans Vasari, II, p. 494).
VlTERBE.
10. Via del orologio vecchio, n°H, au-dessus de la ported'une maison du moyen âge, médaillon haut d'environ un demi-mètre, i-eprésentant la Vierge de Miséricorde, sans la couronne ni l'Enfant, abritant sous le manteau de protection deux membres d'une Confrérie revêtus de la catroule.
11. G. Angelmi Rota, Spoleto e dintorni (Spolète, 1905), p. 6 : « Nella
via Cecili è la chiesa délia Misericordia, sulla quale poggia la maeslosa
abside dell' ex-chiesa des'li Aaostiniani, S. Nicolô. La chiesa inferiore
.... trae il suo nome da uno di quei communissimi dipinti, rappreseritanti
la Virgineche accoglie sotto il manto i fratelli di una Compania di
disciplina, tavola che si vedeva nella chiesa superiore. »
Orvikto.
12. Anderson, Io:)41. A la cathédrale, maintenant dans la chapelle du sanlissinio Corporale. Tableau représentant la Vierge (pii prie pour un grand nombre de gens agenouillés sous son manteau, les hommes à dr., les femmes à g. Derrière la Vierge se pressent les Anges; deux d'entre eux tiennent les pans du manteau. Comme aucun des priants ne porte de cagoule ni de bannière, on est tenté de croire qu'ils représentent les habitants d'Orviélo ; le priant plus grand (|ue les autres, à dr., (pii porte le costume ecclésiasticjue, serait le donateur. Mais d'après
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M. Fuuii, les priants représenteraient la Confrérie des Fratelli reconi- inandati, et l'ecclésiastique serait leur cappellano. Parmi les femmes, deux, jeunes et belles, portent des couronnes à fleurons. La Vierge est debout sur un degré où est inscrit cet hexamètre :
LIPVS DE SEXA NATus NOS PIXXtV AMENA
non se rapportant aux priants. Cavalcaselle et Crowe (III, p. 127), Fumi {Il duomo di Orvielo e i suoi restauri, Rome, 1891, p. 361), Ileywood et Olcott {Guide to Siena, p. 183) admettent que cette ins- cription mérite créance. Ce tableau d'Orviéto présente en effet de grandes analogies avec la Maestà peinte par Lippo Memmi à San Gimignano. S'il est de Lippo, il est antérieur à 1336, date de la mort du peintre. Personne ne nie du i-este. que le tableau d'Orviéto n'ait subi dimportantes retouches : quelques-unes, par exemple celle de la doublure du manteau, sont visibles même sur la photographie. Je ne sais sur quoi se fonde M. Thode [Franz von Assisi-, p. ol6| pour attri- buer ce panneau à un élève de Lippo. Reproduction excellente dans l'Histoire de iarl publiée par la librairie Colin, t. Il, 2, fig. o20 : l'auteur du texte explicatif (p. 844) estime cette peinture « Tune des plus suaves de Lippo ». Autre reproduction, pénible à voir, dans Reinach, Répertoire de peintures, II, 536.
SlEXNE.
13. Tableau de la collection Campana [Catalogue des tableaux du musée Napoléon III, n" 144), depuis 1876 au musée de Cherbourg [Rev. archéol.. 190o, I, p. 427 ; Perdrizet-René Jean, La galerie Campana et les musées français, p. 22). Reisel le décrit ainsi (Xotice des tableaux du musée Xapoléon III exposés dans les salles de la colonnade du Louvre, Paris, 1863, p. 34. n" 82) : « Ecole de Sienne, commencement du xv« siècle. Bois. La Vierge de Miséricorde tenant l'Enfant Jésus. Sous son man- teau se réfugient un grand nombre de personnes de toutes conditions. Au pi'emier plan, plusieurs pénitents se frappent avec leurs disciplines. Leur vêtement est fendu de façon à laisser voir leur dos nu », ou plu- tôt de façon à permettre à la discipline de frapper directement la peau. Même ouverture au dos de la robe des Disciplinati délia confraternité, di S. Domenico, sur un tableau de Boccati da Camerino, au musée de Pérouse (Alinari, o614; Broussolle. Jeunesse du Pérugin, fig. 31 ; Rei- nach, Répertoire, t. I, p. 272) et des pénitents du retable de Simone de Cusighe infra, p. 8o). — PI. III, 2.
14. Sous l'hôpital de Sienne sont des chapelles de Confréries. La plus importante de ces Confréries, la Confraternità délia Madonna, possède une petite collection de peintures, dont les plus curieuses ornaient lextrémité des bières dont se servaient les confrères pour transporter les morts. L'une de ces teste di barra (Lombard!, 2401) représente la Vierge de Miséricorde, trônant, avec l'Enfant qui bénit et la couronne ; deux anges soutiennent le manteau sous lequel sont agenouillés les
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confrères, nu-lète. A droite, saint Bernardin ; le pénitent qui est der- rière lui, et les deux premiers à ffauciie sont couronnés de rayons : ce sont, je pense, deux des douze compagnons de saint Bernardin, qui se dévouèrent avec lui, pendant la peste de 1400, à Ihopital de S. Maria délia Scala. Bernardin avait alors vingt ans; deux ans après, il entra dans rOrdre F'ranciscain {cî. Acla Sanctorum, mai IV, p. 726-727; Heywood and Olcolt, Guide io Siena, p. 97, 2fib, 260 ; Analecta Bollan- diana, XXI, j). 68; XXV, p. 307). La (esta di barra photographiée par M. Lombardi est d'un archaïque attardé, Guidoccio Cozzarelli ; la date, MCCCCLXXXXlIll, est inscrite sous la Vierge. D'autres teste di barra, du même Cozzarelli, se trouvent à l'église de la Miséricorde, près S. Martino ; mais elles ne sont pas en aussi bon état que celles de la Confraternltk délia Madonna (Ileywood-Olcott, p. 280). — PI. VIII, 1.
15. « En 1444, Domenico di Bartolo peignit pour la chapelle de l'hospice (/eZ/a Scala une fresque qui est connue sous le nom de Madonna del Manto, parce qu'on y voit la Vierge étendant son manteau, pour pi'endre le peuple siennois sous sa protection... Cette image, même dans l'état de ruine où elle est aujourd'hui, nous apparaît encore suave et grandiose; elle suffirait à elle seule pour assigner à son auteur une des premières places parmi les artistes siennois du xv« siècle. C'est le seul tableau de dévotion qui reste de Domenico à Sienne » (Rio, De l'art chrétien, I, p. 82; cf. Heywood and Olcott, Guide to Siena, p. 267*.
* 16. Milanesi \Documenti per la storia dell'arte Senese, t. III, p. 80) a j)ublié un document concernant une I)annière peinte pour la Confrérie de la Trinité par Benvenuto di Giovanni di Meo del Guasta : Memnria chôme a di XVIII di Magio anno 1 49i fu jinito il chonfalone che s'è fatto nnovo délia Comparjnia délia sanla Efernilà e da una allro lato la ç/rolioxa Xostra Madré senipre cergine Maria, la quale tiene sotto el suo santis- sinio manto tutti e frateglie sorele di noslra Compagnia.
Ahezzo.
* 17. Spinello d'Arezzo (y 1410) avaitpeint pendant la peste de 1383, sur la façade de l'église des saints martyrs arétins, Laurentin et Pergen- lin, la Vierge de Miséricorde abritant sous son manteau la population d'Arezzo (Vasari, t. I, p. 682). La petite église Saint-Laurentin et Saint-Pergentin servait d'oratoire à la Confrérie de la Miséricorde (Vasari, t. II, p. 283 ; Spinello faisait partie de cette puissante Con- frérie ; c'est pour elle qu'il peignit la fresque en cpiestion. L'œuvre a été détruite au xv!!!*" siècle, lors de la réfection de l'église. On n'en sait rien de plus que ce qu'en dit Vasari. Des peintures, œuvres de Parri (1387- 14;i2), le fils de Spinello, peuvent donner idée de la fresque perdue. Parri, qu'on a souvent confondu avec son père, fut de ces peintres attar- dés qui, jusqu'au milieu du xV^ siècle, restèrent fidèles aux traditions du xiv'=. Ses œuvres sont caractérisées par la longueur démesurée des personnages. Vasari, Arétin comme Parri, fait de lui, par esprit de clo- cher, un éloge excessif 'co/ort benissimo a tempera ed in fresco perfella- nvnli'. I. II. II. 276).
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18. Grand tableau d'autel, parParri Spinello, décrit par Vasari ,'t. II, p. 283), aujourd'hui à la Pinacothèque d'Arezzo ( Alinari, OOTa'i. II fut voué, dit Vasari, par la Confrérie de la Miséricorde, dont Parri était membre ; en effet, le monogramme de la Miséricorde est figuré deux fois, dans le champ. La Vierge, de taille gigantesque, vêtue d'une somptueuse étoffe à ramages, porte l'Enfant : celui-ci, dans la main droite, tient un petit oiseau. Deux anges volent autour de la Vierge, avec des encensoirs : deux autres anges tiennent d'une main son manteau soulevé; dans l'autre main, ils ont des tiges fleuries de lis et de rosier. Le sol, aux pieds de la Vierge, est jonché de fleurs. Sous le manteau sont agenouillés les gens d'Arezzo, à droite les hommes, à gauche les femmes. Parmi les hommes, des bourgeois coiffés du chaperon, des moines, et un roi, couronne en tète. A droite et à gauche, agenouillés, intercédant autour de la Vierge, saint Laurentin et saint Pergenlin. Le martyre de ces saints est représenté sur la prédelle, en quati'e com- positions qui sont comme de grandes miniatures : i< La predella con- tiene di figure piccole il mnrlirio di que due Sand, tanlo ben fatlo, che è cerfo, per cosa piccola, una inaraviglia » (Vasari). Cf. Cavalcaselle- Crowe, éd. Douglas, t. II, p. 27.3). Vasari donne des détails sur la fête que la Confrérie de la Miséricorde célébrait le 2 juin, natale des saints Laurentin et Pergentin (Acta SS., juin I, p. i.o9 a). L'église des deux martyrs, qui était l'oratoire de la confrérie, eût été trop petite pour contenir la foule : sur la piazza alla croce, où se trouvait l'église, on dressait ime tente sous laquelle on élevait un autel ; sur cet autel, on exposait à la vénération des fidèles la chasse de Forzore, dont nous allons parler (n" 20 , et le tableau de Parri.
19. Fresque de Parri Spinello, dans la grande salle de l'ancienne mai- son des Confrères de la Miséricorde, maintenant salle du trii)unal civil. Cf. Cavalcaselleet Cro%ve, Storia, t. II, p. 467. Douglas, dans son édition del'ouvragede Cavalcaselleet Crowe (t. II, p. 272), confond cette frest[ue avec celle de S. Maria délie Grazie [infra, ch. x, cat. n" 12). Elle représente la Vierge abritant sous son manteau les gens d'Arezzo pour lesquels intercèdent saint Grégoire et saint Donat debout ; derrière la Vierge, deux anges qui volent. Vasari (t. II, p. 283) dit que beaucoupdes priants représentaient des personnages connus d'Arezzo, notamment un certain Braccio, qu'on appelait <■ le Riche » et qui mourut en 1425.
20. Reliquaire en bronze, très médiocre travail toscan de la première moitié du xv^ siècle, au musée d'Arezzo (Alinari, 9749 . Sur les côtés, des scènes de la vie des saints Laurentin et Pergentin. Au sommet du couvercle, une statuette de bronze, qui repi'ésente la Vierge de Miséri- corde, abritant sous son manteau, à droite les hommes, à gauche les femmes. Ce serait l'œuvre de Forzore di Niccolô Spinello, cousin de Parri Spinello. Vasari éd. Milanesi, t. II, p. 2831 parle d'un reliquaire de Forzore, en argent, qui contenait les corps des saints Laurentin et Pergentin, et qui appartenait à la Confrérie de la Miséricorde ; or le reliquaire du musée d'Arezzo serait en bronze. Mais Vasari, qui s'est trompé sur le degré de parenté entre Forzone et Parri, a l)ien pu se
romper aussi sur la matière du reliquaire. — PL VII, 2.
Pr.nnm/.iiT. — La Merye de Miséricorde. 6
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21. Lunette à arc mixtilig-ne (cf. Reyniond, L'arc mirtlligne florentin, dans Riviata d'arte, II, n" 12i, en marbre blanc, sur la porte de Tan- cicnne maison des confrères de la Miséricorde. Perkins, Sculpteurs il.iliens (Paris, 1870). t. I, p. lofi, dit à tort que ce relief orne le por- tail de S. Maria délia Pieve. Reproductions dans Cicognara, Storia (lella scultura, pi. XVIII, et dans Bode, Denknviler der Renaissance- Srulplur Toscanas, pi. 313 ; cf. Alinari, 9739. Venturi Archivio slorico dcliarte, 1889, p. 233 ; cf. Burckhardt, 9, p. 449) a démontré que ce relief, altril)ué jusqualors, d'après Vasari, à Niccolô di Piero di Liimberli, Arétin, qui commença en 1383 la construction de la Misé- ricorde d'Arezzo, était de Bernardo di Mattco da Settignano, autre- ment appelé Rossellino. La maquette, assez difTérente dans les détails, est au musée d'Arezzo (Alinari, 9743 ; Bode, pi. 31G|. Les proportions très élancées de la Vierge rappellent Spinello, avec l'exagération en moins. La Vierge a l'Enfant sur les bras, dans une belle attitude mater- nelle; elle regarde en haut, vers Dieu ; le visage, le regard expriment la pitié, la tendresse miséricordieuse. Deux angelots écartent les pans du manteau, sous lequel sont agenouillés des gens de toutes conditions ; à droite, en haut, le pape ; derrière lui, sur la maquette, un moine enca- puchonné ; derrière le moine, un soldat casqué ; devant le soldai, sur la maquette, une femme. Bernardo a rompu avec la tradition, qui ne manquait pas de mettre à la droite delà Vierge les clercs ou les hommes, à la gauche les laïcjues ou les femmes. Aux extrémités du tympan, age- nouillés, les doux martyrs locaux, Laurentin et Pergentin, une main sur la poitrine, dans un geste d'adoration ; l'autre main, qui tient la palme du martyre, s'appuie sur une targe qui porte Le monogramme crucifère de la (Confrérie, Miisericordi)A, le même que sur le tableau de Parri à la Pinacothèque d'Arezzo. — PI. IX, 1.
Flohence.
' 22. Retable et sceau de la Compac/nia di S. Maria délia Pielà o delta Miscricordia. Cette Confrérie, ordinairement appelée bucca di S. Giro- lamo d'après l'endroit où elle fut fondée (la grotte de saint Jérôme à P'iesole), se réunissait dans le sous-sol de l'hôpital S. Mattco. Ses statuts, de 1410, révisés en 1414, sont conservés dans les archives de la confrérie, piazza S. .Innu/jcia^a, et contiennent cette mention : « Una tavola di Noslra Donna délia Pietà overo Misoricordia, sotto il cui amanto si goda la brigata degli eletti... Ancora uno suggello colla figura di S. Maria della Pietà collo amanto steso al modo detto. » Ces deux monu- ments sont aujourd'hui perdus. Cf. Brockhaus, ForKchunfjen, p. 111.
22 bia. Le manuscrit (pii renferme ces statuts est orné de deux petites miniatures (lettres ornées ?) qui représentent la Vierge abritant sous son manteau des priants agenouillés. Cf. Brockhaus, op. laud., p. 114. D'après M. Grenier, qui a bien voulu les examiner à mon intention, ces mmiatures ne présentent pas de particularités notables.
23. La maison des Enfants trouvés (Spcdale degli innocenti) possède dans s-i petite galerie de peinture une toile de Pontormo (1494-1 !)')7) qui
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représente la Vierge couvrant de son manteau les enfants trouvés. Cet institut de bienfaisance est placé sous l'invocation de la Vierge (Brock- haus, oy). latid., p. 115).
24. Prédelle de Ridolfo Ghirlandajo, au Bigallo. Alinari, 17095 ; Poggi-Sui)ino-Ricci, Il Bir/allo (Florence, 190^>, p. 29). Cette prédelleorne le retable de marbre blanc, exécuté au commencement du xvi'' siècle pour loger les trois statues d'Alberto Arnoldi, qui sont du xiV siècle. .< Dipinse anco Ridolfo nella chiesina délia Misericordia in sulla piazza di S. Giovanni, in una predella, tre bellissime storie délia Nostra Donna, che paiono miniate » ^Vasari, VI, p. o38). La Vierge de Miséricorde occupe le milieu de la prédelle, entre deux petits panneaux qui forment comme les volets d'un triptyque et qui représentent la Nativité et la Fuite en Egypte. Les pans du manteau sont soutenus par des anges. Sous le manteau, à droite, le pape, l'évèque, le moine et des laïques ; à gauche, les femmes, religieuses et séculières. Du groupe formé par la Vierge et par ceux qui l'implorent s'approche le Christ ; de la main droite, il fait le geste de la bénédiction, les deux premiers doigts levés; de la main gauche, il montre sur sa poitrine le lis de Florence. A l'une des extrémités delà prédelle, saint Pierre de Vérone, massacré par les hérétiques. A l'autre extrémité, Tobie et son père portent un mort; dans le fond, un cortège de pénitents noirs ; la scène se passe devant S. Giovanni, c'est-à-dire devant le Bigallo môme. Ces deux composi- tions rappellent la double origine de la Confrérie du Bigallo. En 1244, saint Pierre de Vérone fonde l'ancienne Confrérie du Bigallo » ad onore e reverentia délia nostra gloriosa madré V^ergine Maria » i texte cité par Alinari, Eglises et couvents de Florence, p. 85), pour combattre l'albi- géisme. En 1425, cette Confrérie se fond avec celle de S. Maria délia Misericordia, qui datait de 1292 (Brockhaus, Forschungen, p. 108i, et qui avait Tobie pour patron : c'est pourquoi dans l'une des chambres du Bigallo est peinte à fresque, en douze tableaux, toute l'histoire de Tobie
Urbin (environs d').
25. Giovanni Santi vers 1483) reçut la commande d'une Madonna délia Misericordia pour l'oratoire de l'hôpital de Montefiore, à quelques milles d'Urbin. a La Vierge, debout dans une niche, présente l'Enfant, qui bénit d'une main, et de l'autre tient le globe. Deux anges soulèvent les pans du manteau. Au-dessous du groupe divin sont agenouillés à droite quatre confrères de la Miséricorde ; à gauche, trois connorelle, devant lesquelles en est une quatrième, jeune et belle, qui encourage à l'adora- tion son petit enfant. Ces figures, qui sont des portraits, ont beaucoup d'animation et expriment avec une rare justesse une foi naïve et un peu bornée. Saint Paul, saint Jean l'Evangéliste, saint François et saint Sébastien sont groupés à l'entour. Dans le haut, deux petits anges age- nouillés sur des nuages » (Cavalcaselle et Crowe, Vlll, p. 406). La description de Passavant (Raphaël d'Urbin et son père Giovanni Santi Paris, 1860, t. 1, p. 24; cf. t. II, p. 607) est très inexacte.
Ancône.
26. Tym[)an cinti'é,sur la porte de l'église de Santa Maria delta Mise- ricordia. La Vierge, sans la couronne et sans l'Enfant, couvre de son
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manteau la foule des confrères de la Miséricorde 'Alinari, 17666'. Cette porte est une œuvi-e élégante de la première Renaissance (Biirckhardt, Le (Acerone, t. Il, p. 63 de la traduction); le relief, qui est de la même époque, g'arde une forte saveur archaïque. — PI. IX, 2.
Bologne.
*27. Retable aujourd'hui perdu Milanesi, Vasari, II, p. 140), jadis sur le maître-autel de l'église de Mezzaratta, près Bologne. Cf. d'Agin- court, t. III, p. 151, pi. 160, d'après un ouvrage anonyme que je n'ai pu voir, Pitture, scolture ed architetlure délie chiese di Bologna, 1782, p, 362. La Vierge est encore de type roman ou byzantin ; des deux mains, elle tient devant elle l'Enfant qui bénit. Les priants sont échelonnés les uns au-dessus des autres, à droite des femmes, à gauche des hommes. Ce sei'aient, d'après d'Agincourt, les membres de la Confrérie qui fit faire cet ex-voto. Au revers du tableau était cette inscrip- tion :"XPOFORUS [Christo foras) PINXIT. 1380.
Parmk.
28. Fresque de la fin du irecenlo. dans une chapelle du Baptistère. Au- dessous d'une Crucifixion, la Vierge de Miséricorde entre deux saints, Zenexius ^S. ZE.NEXIVS; qui joue du violon, et Zenon. La Vierge étend son manteau sur une dizaine de personnes agenouillées, de tout âge et condition, à droite les hommes, à gauche les femmes. Dans le champ, une inscription ruinée : CSORTIVM VIVORVM et MORTVORVM MCCCLXXXXVIII... La Vierge de Miséricorde était la patronne du Consorzio dei Vivi e dei Morti auquel appartenait la chapelle, et qui avait été fondé le 25 février 130* Allodi, Série cronologica dei vescovi di Parma, I, p. 576). Je dois la photographie de cette fresque à l'obli- geance de M. L. Testi, directeur de la Galerie de Parme. — PI. VIII, 2.
29. Madonna délia Misericordia, fresque de Pier Antonio Barnabe! (1567-1630 , naguère au-dessus de la porte extérieure de YOrfanotrofio femminile de Parme, récemment entrée au musée de Parme. II. 2,14 ; larg. 4,60. La Vierge abrite sous son manteau les orphelins et les recteurs et rectrices de l'établissement; elle fait de la main droite un geste d'accueil et dans la main gauche tient un pain. Cf. Bnlletlino d'arte dei Minislerio délia Puh. Isfruzione, 1907, fasc. IV, p. 19, avec gravure.
Vkrone.
30. L'église Sainte-Marie de la Miséricorde, plus tard église Saint-Eloi, était celle de la Corporation (Università des orfèvres. La Vierge y était représentée abritant six membres de la Corporation sous son manteau dont deux anges tenaient les pans Biadego, L'arte dcgli ure/ici in Verona, Vérone, Francliini, 1890, p. 29-30).
Perdrizet, Lii Vierge de Miséricoi-de
PI. X
;j
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Venise. Miniatures et peintures .
31. Musée Correr, salle XIV, n° 106. Mariegola (Mariae régula). Manu- scrit de la règle de la Confraternité de saint Martin, dans l'église du même nom. Date : 133)). Sur l'une des pages du frontispice, la Crucifixion ; sur l'autre, la Vierge abritant sous son manteau une foule de bourgeois.
32. Musée Correr, salle XIV, n" 92. Miniature qui a dû servir de fron- tispice à une Mariegola. Sous le manteau de la Vierge sont agenouillés des confrères en cagoule, ayant sur le cœur un médaillon avec les lettres SMV [Societas Mariae Virginis) entrecroisées.
33. Académie, n" 18. Retable de Simone daCusighe, peintre vénitien de la seconde moitié du xiv'' siècle; jadis dans l'église Saint-Barthélémy, à Salce (Salce et Cusighe sont deux villages près de Bellune). Braun, 20798; Anderson, 13280. Cf. Cavalcasalle et Crowe, IV, p. 254; Lafe- nestre et Richtenberger, Venise, p. 81; Paoletti, Cat. délie R.gallerie di Venezia, p. 12. Sur le cadre on lit : M CCCL XXXXIIIl INDIC(<to/ie) II DIE XX AVGVSTIFACTVMFVITlïioclOlpfisjOXESTO VIROD(ommo) X(/-/sfo)FORO CAPELL(a/i)0 ^{ancti) BA(r;TII(o/o/»ae) ISIMOX FECIT. Sur les panneaux latéraux, la vie de saint Barthélémy : on le voit
h droite : prêchant, exorcisant à gauche : devant le roi Astragès, la fille du roi Polé- baptisant Astragès,
mios, jugé par Polé- écorché vif, décapité,
mios, battu de verges. La Vierge, couronnée, ayant devant la poitrine l'Enfant dans une mandorla, soulève d'un geste mièvre les plis de son manteau sous lequel sont agenouillés les membres d'une Confrérie; tous ceux dont on voit la figure sont barbus; tous ont le chapelet à la main; deux tiennent de grands cierges allumés, à grande bobèche; un autre, la bannière de la Confrérie : ce gonfalone devait être surmonté tfune grande croix d'or- fèvrerie, et sur l'étoffe de couleur rouge était peinte la Vierge de Miséri- corde : la bannière a été représentée flottant au vent, maison y distingue très bien la partie supérieure d'une Vierge au manteau. — PI. X, 1.
34. Académie, n" 270 (Phot. Salviati, 760). Tableau du Tintoret. La Vierge, sans la couronne et sans l'Enfant, est debout sur un piédestal, autour duquel sont agenouillés, tête nue, les membres d'une Scuola. Les premiers mots de la prière qu'ils récitent sont inscrits sur le pié- destal : SVB TVVM PRAESIDIVM CONFVGIMVS.
Reliefs.
35. Sur la porte delV aniico alhergo de' Confratelli délia Misericordia. xiv** siècle. Tympan en arcade, divisé en trois compartiments par deux
86
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colonneltes. Dans les compartiments latéraux, debout, saint Jean-Bap- tiste et un apôtre. Dans celui du milieu, la Vierge debout, couronnée, nimbée; devant elle, dans la inandorla, l'Enfant levant les deux mains pour bénir. La Vierge étend son manteau sur dix confrères agenouillés. L'arcade trilobée au-dessus de la Vierge est ornée de fleurons d'où sortent trois bustes : en haut, Dieu bénissant, avec le globe du monde ; à droite et à gauche, saint Pierre et saint Paul.
36. Relief du xiv« siècle, à Santa Maria dell" Orto. Cf. Zanotto, Guida di Venezia, p. 321; Pe^'kins, Sculpleurs italiens (Paris, 1870), II, p. 193; Hans von der Gabelentz, Mittelalterliche Plastik in Venedig (Leipzig, 1903), p. 229.
37. A S. Stefano. Mentionné par Gabelentz, p. 229.
38. Relief de forme ogivale attribué à l'atelier de Bartolomeo Buon (commencement du xv* siècle), autrefois sur la porte délia scuola délia Misericordia, aujourd'hui au musée de South Kensington. Cicognara, pi. 39, t. II, p. 171; Jameson, Madonna, p. 30; Saint François d'Assise (Paris, Pion), p. 48; Kraus, Geschichle der chrisll. Knnst, II, fig. 268; Gabelentz, p. 229. Derrière la Vierge, un figuier — l'aibre de Jessé — dans les branches duquel apparaissent à mi-corps des personnages barbus, tenant des banderoles : ce sont les ancêtres et les prophètes du Christ : en haut, reconnaissables à leur couronne, David (barbu) et Salomon (imberbe); les autres portent le bonnet phi'ygien, caractéris- tique des Orientaux l'art chrétien archaïque en coifl'ait les rois Mages). Deux anges aident la Vierge à soutenir les plis du manteau. Le premier priant à gauche semble relever son capuce pour mieux voir la Vierge. Etant donné la provenance du i-elief, il est surprenant que les auteurs du Saint François d'Assise aient voulu reconnaître « la famille francis- caine » dans cette confrérie. — PI. X, 2.
39. La grande salle de la Scuola grande de Santa Maria délia Carità, aujourd'hui la salle I de l'Académie, est ornée d'un plafond en bois, de style << gothique », exécuté de 1461 à 1484, par Marco Cozzi di Giampe- Iro, de Vicence. « Nel tondo di mezzo, che in origine avea intagliata la Madona accogliente sotto il nianto dei confratelli, fu per ultimo collocata una tavola di Alvise Vivarino représentante il Padre Eterno circondato da cherubini » Paoletti, Catalogo, p. 2).
40. Musée Correr, n° 16. Relief de VMi ; « era sopra la porta délia Scuola dei Varotari a S* Margherita ». Mentionné par Gabelentz, p. 229.
Niçois et Provence.
41. Marseille. — Bannière commandée en L'ilS à Antoine Ronzen, peintre d'Aix-en-Provence, par la Confrérie du Rosaire, pour l'église des Dominicains de Marseille. Voir ])\us loin. ]>. loi.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PI. XI
i:AlALU(il K 87
42. Nice. — Dans la sacristie de la cliapolle de la Miséricorde, autre- ment dite des Pénitents Noirs. Grand retaille à onze compartiments, signé : hoc pinxit Johannes Mirniheti (vers 1475-1480). Dans le compar- timent du milieu, la Mater omnium, sans l'Enfant; dans les autres, des Saints, dont trois antipesteux, Hoch, Côme et Damien. Sur la prédelle, des scènes de la Passion : Noli me tangere; la Déposition au tombeau; les Saintes femmes au tombeau. (]r. Brun, Jean Miraiheli et les trois Bréa, étude sur la peinture niçoise de la Renaissance [Annales de la Société des lettres, sciences et arts des Alpes-Maritimes, t. XII, p. 9 du tirage à part) ; H. Moris, Au pays bleu (Paris, lUOO), p. 48 avec planche ; Palustre, De Paris à Sybaris, p. 77.
43. Nice. — Au même endroit que le précédent. Retable de Jean Miraiheti ou de son élève Louis Bréa, peint vers 1480, représentant la Mater omnium avec TEnfant sur le bras gauche. Dans le fond une vue de Nice (château, pont Saint-Antoinel. Cf. Brun, op. cit., p. 20 ; Moris, op. cit., p . 47.
44. Aix. — Tableau de Granet (né à Aix en 1773, -j- 1849) au musée d'Aix, repi'ésentant l'intérieur d'une salle d'asile. Au mur de la salle est suspendu un grand tableau représentant la Vierge de Miséricorde ; en haut, dans chaque coin, un ange ; sous le manteau de la Vierge quatre femmes à mi-corps, la fraise au cou, prol)ablement les régentes d'une institution charitable.
France du nord.
45. Fresque dans le chœur de l'église paroissiale, à Saint-Céneri-le- Gérei (arr. et canton d'Alençon). La Vierge, couronnée, abrite sous son manteau un grand nombre de laïques agenouillés, placés sur quatre rangs, appariés par couples, le maria côté de sa femme; ni vieillards, ni enfants; tous sont nu-tête, sans attributs caractéristiques. Au-dessus de la Vierge, deux anges font flotter une banderole qui portait une inscrip- tion aujourd'hui illisible. Hors du manteau protecteur « un homme, malgré tous les efforts qu'il fait pour se retenir, paraît glisser sur une pente rapide au bas de laquelle l'attendent deux bètes immondes, prêtes aie dévorer. » Les fresques de cette église auraient été exécutées entre 1362 et 1370. Cf. La Normandie monumentale et pittoresque, Orne (Le Havre, 1896, f), p. 72 (notice de M. de Beaurepaire). — PI. XI, 1.
46. La Confrérie de l'IIôtel-Dieu, l'une des ([uatre Confréries de cha- rité qui existaient à Bernay, avant la Révolution, avait pour armoiries : d'azur à une N.-D. ayant plusieurs personnes à genoux sous son man- teau, le tout d'or (R. Bordeaux, Miscellanées d'archéologie normande relatives au dép. de l'Eure, Paris, 18S0, p. 162 ; Porée, Le registre de la Chxrité des Cordeliers de Bernag, Rouen, 1887, p. 3).
47. Méreau de plomb trouvé dans la Seine, à Paris, sous le pont Notre-Dame, en 1858. Dun côté, la Vierge tenant l'Enfant et couvrant de son manteau des priants agenouillés. De l'autre côté, saint André.
88 CATALOGUE
Ce méreau provient probablement d'une Confrérie de saint André qui existait au x\"^ siècle, dans la paroisse Saint-Eustache. Cf. Forg-eais, Plombs historiés trouvés cluns la Seine Paris, 186a , t. III, p. 128; l'objet est conservé au musée de Clunv.
Lorraine.
48. Lettre initiale de la charte d'érection de la Confrérie de Sainl- Nicolas-des-Clercs, à Toul. Voir supra, p. 73. — PL XII.
Alsace.
49. Fresque du début du xvr' siècle, dans l'église de Vieux-Thann, au- dessus de l'autel des Pfei/jfer : les musiciens ambulants de la Haute- Alsace formaient une Confrérie qui, annuellement, le jour de leur fête [Pfeiffertay , se réunissait dans l'église de Vieux-Thann. La Vierge cou- ronnée tient l'Enfant sur le bras gauche et, dans la main droite, une fleur. Deux anges soulèvent le manteau sous lequel les Pfeiffer sont agenouillés, chacun avec son instrument : guitare, violon, tambour. A gauche, au premier rang, sont agenouillés trois personnages vêtus de blanc, les dignitaires de la Confréi'ie (?). Cf. Straub, L'église de Vieux- Thann (Strasbourg, Schultz, 1873;, brochure in-8, avec une planche en couleur, et deux lettres d'indulgence de 4399, relatives à Fautel des Pfeiffer. La planche publiée par Straub, d'après laquelle nous avons dû faire exécuter notre reproduction, ne saurait passer pour un modèle d'exactitude, pas plus que la copie récente, sur toile, en grandeur d'ori- ginal, qui est exposée dans l'église de Vieux-Thann. — PL XI, 2.
Bavikke.
50. A la cathédrale, dans la chapelle de la Mère de Miséricorde, « vom Grabmal der "Priesterlu'uderschaft », plaque de marbre rouge, datée de 1620. Marie, debout, couronnée, les mains jointes, le regard fixé avec compassion sur les personnages agenouiUés à ses pieds ; sous son man- teau, que soutiennent deux anges, deux prêtres sont à genoux, en cos- tume d'officiant ; l'un tient un calice sur lequel est l'hostie. Cf. Die Kunsldenkmiiler (les Konirjreichs Bayern, t. I, p. 989, pi. 149.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PI. XII
\i -) ' U- i ,v— , - ^— i^ — . — j
Charte de la Confrérie de Saint-Xicolas-des-Clercs, a ïûul
CHAPITRE V
LA VIERGE DE MISÉRICORDE ET LES CONFRÉRIES DU ROSAIRE
La dévotion du Rosaire inventée vers 1470 par le Dominicain breton Alain de la Roche, et lancée à la fin du \\^ siècle par l'Ordre des Prêcheurs. — La Confrérie de Cologne, la première en date des Confréries du Rosaire. — Le retable de cette Confrérie. — Pourquoi la Vierge au Rosaire a-t-elle été figurée d'ordinaire, jusqu'à la fin du xvi" siècle, en Mater omnium ? — Description d'une curieuse gravure incunable.
Nous n'avons parlé jusqu'ici que des Confréries de péni- tence et de charité. A côté de celles-là, il en est d'autres qui ont pour objet la méditation de certains mystères. Les plus importantes de ces Confréries mystiques sont les Confréries du Rosaire.
La dévotion du Rosaire a pour but d'honorer la sainte Vierge et de méditer les principaux mystères de la vie de Jésus-Christ et de Marie, auxiliaire de Jésus-Christ dans l'œuvre de la rédemption. 11 va deux sortes de rosaire, le grand et le petit, celui-ci désigné communément aujourd'hui sous le nom de chapelet. Le grand rosaire se compose de ioO Ave Maria, divi- sés en lo dizaines dont chacune commence par le Pater et se termine par le Gloria Pa/r; ; le petit rosaire est le tiers du grand. Pour dire ces kyrielles de prières, le fidèle s'aide d'un chapelet composé de boules de deux sortes, plus petites pour les .Ire, plus grosses pour les Pater ; il n'y a pas de boules pour les Gloria PatriK On ne sait pas exactement pourquoi ce
J. Sur le Rosaire et les indulfi,ences qui y sont attachées, cf. S' Alphonse de Li^uori, Gloires de Marie. II* partie, ch. iv. § 3 : « Quiconque récite le tiers du rosaire gagne l'indulgence de 70.000 ans : quiconque le récite en entier, celle de 90.000, et davantage s'il le récite dans la chapelle du Rosaire. De plus, quiconque dit le rosaire gagne lindulgence plénière à toutes les fêtes princi- pales de Marie, de l'Eglise et de saint Dominique, en visitant les églises après s'être confessé et avoir comniimié : mais ce qui précède ne doit s'entendre que des personnes inscrites au livre du Rosaire: à celles-là. le jour où elles
90
CHAPITRE V
chapelet a été appelé « couronne de roses », rosarium. Hosen- kranz. Il y a doO Ave dans le grand Rosaire pour rappeler les loO Psaumes : aussi le rosaire était-il appelé Psalteiium hea- tae Mariae, « Psautier de la Vierg-e Marie ».
Si l'on étudie le catholicisme à cette période morbide qui précède la Réformation, un des phénomènes dont on est le plus vite frappé est le prodigieux développement des Confré- ries du Rosaire. Si, poussant plus avant, 1 on étudie liconogra- phie de cette dévotion, on constate qu'elle est en connexion étroite avec le thème de la Vierge au manteau protecteur : sur mainte gravure, sur maint retable de la fin du xv", du xvi*^ et du commencement du xvii" siècle, la Vierge au manteau protecteur est ligurée abritant les Confrères du Rosaire, ou distribuant le rosaire, ou dans un encadrement formé par le rosaire. Pour expliquer cette affinité et pour rendre raison des particularités cpie présentent les images en question, il faut rappeler d'abord à quelle époque apparaît la dévotion du Rosaire et dans quel milieu religieux.
A en croire les Dominicains et la tradition catholique, le Rosaire, dont l'invention remonterait jusqu'à la sainte Vierge ^ , aurait été propagé par saint Dominique à la suite d'une appa- rition de la Merge dont il aurait été favorisé en 1208 ou en 1211, près de Toulouse, pendant la croisade des x\lbigeois. Cette thèse a été naguère encore soutenue au « Congrès scien- tifique des catholiques » tenu à Fribourg en 1898 "'. Il est remarquable et significatif qu'une erreur aussi certaine ait pu se produire dans une réunion « scientifique » sans être sur-le- champ réfutée ni même contredite.
Le rosaire a été inventé à une date et par un personnage qui sont parfaitement connus. Henri Estienne, dans son Apologie pour Hérodote, a dit là-dessus l'essentiel. Il n'est pas mau-
s'inscrivent, confessées et comniuniées. est accordée rindiiljrence plénière, cent années, si elles portent le rosaire : et à celles qui font loiaison mentale une demi-heure par jour, sept années pour chaque fois, et l'indulgence plé- nière à la fin du mois. ••
1. « Le chapelet remonte à la A'ierjre. Il est probable, dit lîenoît Xl\\ quelle s'en servit pour réciter des versets de psaumes, et après 1". Annonciation pour répéter les paroles de lange » (Barbier de Montault, Manuel il'ironogr.. t. II, p. 242). Cette citation caractérise l'esprit dont l'œuvre de liarbicr est inspirée.
2. Une hypothèse sur la date et le lieu de iinslilulion du Itosaire, par l'abbé Dullaut ((Compte rendu du IV' congrès scientifique international des catho- liques. Fribourg, 1898, 1. 1. p, 42-64 . Voir la critique qu'en ont faite les Ana- lecta Bollandiana. Is99, p. 290.
LA vip:rge et les confréries de rosaire 91
vais, si ron veut connaître et ajiprécier les choses religieuses du xv*" siècle, de se renseigner auprès des libres esprits du siècle suivant.
« Environ lan 1470, sous le pape Sixte IV, un nommé Alain de la Roche, Jacopin, forgea un psautier de la Vierge Marie, ce qui a été nommé Bosariiim, et le prescha au lieu de lEsvan- gile, et finalement en institua une Confrairie. Laquelle fut approuvée par les bulles du dict pape, usant de grandes lar- gesses d'indulgences. Et outre ce, Jaques Sprenger, provincial d'Alemaigne, forgea plusieurs miracles pour l'autoriser. Et qui est bien d'avantage, on n'eut point honte de publier un livre traitant de ceste Confrairie, au commencement duquel il estoit récité qu'un jour la Vierge Marie estoit entrée en la chambrette dudict Alain, etluy avoit faict un anneau de ses cheveux, avec lequel ellel'avoit épousé. Item qu'elle Tavoit baisé, et luy avoit présenté ses tetins pour les manier et les tetter. En somme, qu'elle estoit aussi familière avec luy qu'une femme ha cous- tume d'estre avec son mari ' . »
Il n'y a rien, dans cette page terrible, qui ne soit vrai. A la fin du xvii*^ siècle, les recherches de (^uétif et d'Echard- — qui pourtant étaient des Dominicains — confirmées au xviii", par celles du Bollandiste Cuper -^ et, de notre temps, par les tra- vaux du Jésuite Thurston '' et du Franciscain Holzapfel ', ont confirmé le réquisitoire d'Estienne. Le lecteur qui souhaite- rait d'être complètement édifié sur Alain de la Roche et sur la façon dont il a lancé la dévotion du Rosaire se reportera aux textes cités par ces savants ou, k tout le moins, aux comptes rendus critiques des Analecta Bollandiana qui ont clos le débat'' .
1. Apoloffie pour Hérodote, ch. xx.w, éd. Ristelhuber, t. II, p. 239.
2. Scriptores Ordinis Praedicatorum. t. I, p. 851. Quoi qu'en dise M. Jules Guiraud {Saint Dominique, dans la collection Les Saints, p. 12 et 210), on n'avait pas attendu les Bollandistes pour émettre des doutes « assez graves » sur la légende relative à l'origine du Rosaire.
3. Acta SS., août, I (Anvers, 1733), p. 427. Paquot, dans son édition de IHis- ioria SS. imaginum de Molanus (Louvain, 1771), p. 72, déclare, en s'autorisant de Quétif et d'Echard, ainsi que des Bollandistes, que les écrits d'Alain de la Roche ne méritent aucun crédit. Cf. encore VHist. litt. delà Fr., XIX, 346.
4. TheMonth, d octobre 1900 à avril 1901 ; cf. la Revue du clergé français, décembre J901, et VOherrheinisclies l'asloralhlatt, 1901, n»» 6 et 20.
5. St Dominikus und der Rosenkranz, Munich, 1903 (fasc. 13 des publica- tions du Kunstliistorische Seniinar de l'Université de Munich).
6. Anal, holl., 1899, p. 290, compte rendu du travail de DulTaut ; 1902, p. 219 compte rendu des articles de Thurston : " Th. a démontré qir.\lain fut un
92 CHAPITRE V
Rien ne naît de rien. Il est certain que la dévotion inventée par Alain se rattache à des pratiques antérieures. Il y a (( une préhistoire du Rosaire' >k Comme tant d'autres inventeurs, Alain a eu des devanciers, dont il a systématisé et développé les idées. Le rosaire est une sorte de chapelet : or les chré- tiens avaient pu voir le chapelet en Orient et en Espag-ne, aux mains des Musulmans et des Juifs, et ils s'en sont servi avant la fin du xv* siècle : l'enfant Jésus de la fameuse « Madone aux fleurs de pois », par un élève de Wilhelm (vers 1370), tient un chapelet '^. Le rosaire consiste dans la récitation d'un cer- tain nombre d'Ave Maria : or la dévotion de VAve Maria remonte au xii^ siècle. Plus précisément, il consiste dans la récitation de 130 ou de oO Ave Maria: or, dès le xu* siècle, il est question de relig-ieux et de reliffieuses qui avaient imaginé de réciter de suite loO Ave Maria, 150 à cause des 130 psaumes, 30 en considération de chacune des trois personnes de la Trinité, 30 étant le tiers de 130 •'^. Mais le Rosaire, tel qu'il apparaît dans le dernier quart du xv*^ siècle, avec ses décades d'.lt'^', avec le Pater qui forme l'incipit et le Gloria Patri qui forme la clausule de chaque décade, avec la médi- tation de certains mystères de la Vie du Christ et de la Vie de Marie, avec les Confréries instituées pour le réciter, avec l'influence qu en devait tirer l'Ordre qui le répandit et qui organisa les nouvelles Confréries — le rosaire est bien l'in- vention du moine breton Alain.
Quoiqu'il convienne, en général, de se défier de l'argument
esprit morbide, inconscient; ses discours et ses écrits renferment mainte page scandaleuse, qu'on a eu tort de préserver de l'oubli » : 1903, p. 30â, compte rendu de Holzapfel : » Alain est l'ardent et peu scrupuleux créateur de la légende. Il s'est évertué par les moyens les plus e\ti'a\agants à lui donner le poids d'une tradition reculée. Le P. Holzaplel. pour porter le dernier coup à ce rêveur déséquilibré, n'a pas hésité à insérer, au cours de sa dissertation, des citations textuelles intraduisibles dans nos langues vivantes. »
1. L'expression est du Boilandiste Poncelet 4/iti/. BolL, 1902, p. 45).
2. Au musée de Cologne. Cf. Aldenhoven. Geschirhle der KnlnischenMalerei. p. "1 et 339.pl. 17: W(')rmann. Ge.sc/i(c/i<e rfer A'Hns<. t. H. p. 323. Sur le retable de Simone de Cusighe [supra, p. s.) et pi. X. I), qui date de 1494, les Disciplinati égrènent le chapelet.
3. Cf. Césaire d'Hcistcrbach, Lihri VJII mirarnlnrum. éd. .\loys Mcister (Rom. Qiiartalschrif'l, XÏV Sup])lcmentband , 1. 111, ch. 24 : Qiiidatu inonachiis Cisierciensis ordinis lanlnni venera})aliir H. \'ir(finem iil sinrfiilisdiehus quiii- qnafjinta Ave diceret. — Id., ch. 37 : Qiiaedam sancliinonialis cnnxnela fuit H. Mariae in omni die cenliim quinqiia(fenla Ave Maria dicere. — Thomas de Cantimpré : Bonum imiversale de apibus. ch. xxix, S 6 et 8. — Dauties textes dans Anal. BolL. 1902, p. 45, et dans Holzapfel, op. laud., ch. v.
LA VILRGE ET LES CONFRÉRIES DC ROSAIRE 93
e silentio, il se présente dans la question des origines du Rosaire avec une force irrésistible. Même les Dominicains d'aujourd'hui sont obligés de confesser leur surprise i de ne pas trouver la mention de cette dévotion dans les anciennes Vies du saint qui en aurait été le fondateur : pourtant il n'y a pas moins de dix Vies de saint Dominique datant du xiii° siècle, et elles sont remplies du détail complaisamment énu- méré des dévotions multiples de l'Ordre envers la Vierge. De même, on chercherait en vain une allusion au rosaire, si loin- taine et discrète fût-elle, soit dans les ^icta- des chapitres de rOrdre tenus au xui^ siècle, soit dans les dépositions des trois cents témoins du Toulousain qui furent entendus en 1232 au procès de canonisation de saint Dominique. Dans les deux premiers tiers du xv*" siècle, les Dominicains qui écrivent la vie de saint Dominique, Thomas -Antoine de Sienne (7 vers 1430), saint Antoine de Florence (7 1 io9), Jean Lopez [j vers 1470), ne disent encore rien du Rosaire.
Telle est, depuis ijlchard, l'argumentation des critiques. Au temps d'Echard, l'historien n'employait d'autres matériaux que des textes. On doit aujourd'hui, à l'argument négatif fourni par les textes, ajouter l'argument négatif fourni par l'icono- graphie. Le rosaire ne se trouve sur aucun monument figuré antérieur au dernier quart du xv*" siècle. Cette constatation ne saurait être indill'érente k l'archéologie, puisqu elle lui pro- cure un terminus post quem pour dater les représentations où parait le rosaire. Il est certain, par exemple, que le retable du Carmel de Pérouse, qui représentait la Mater omnium cou- vrant de son manteau toutes sortes de gens occupés à dire le rosaire, datait au plus tôt de la fin du xv"* siècle et que la date 1119, qui y était inscrite, témoignait que les Carmes avaient tenté de s'approprier l'invention de la nouvelle dévotion 3.
Alain de la Roche paraît avoir commencé à prêcher le Rosaire à partir de 1463, dans la Flandre et la Frise, puis dans le Nord de l'Allemagne ^ En 1473, Jacques Sprenger, prieur des Dominicains de Cologne — le sinistre auteur du
1. Cf. Mortier. O.P.. Histoire des mailres généraux de l'Ordre des Frères Prêcheurs (Paris, Picard, 1903 , t. I, p. 15, et le compte rendu de cet ouvrage par le P. Van Ortroy, dans les Anal. BolL, XXIII ^1904), p. 116.
2. Publiés par Douais (Toulouse, 1895).
3. Mariotti, Leltere pitloricfhe perugine (Pérouse, 1788), p. 1 i.
4. Echard, op. laud.. t. I, p. 850.
94
CHAPITRE V
Maliens maleficaruin — institue dans cette ville la première Confrérie du Rosaire. Charles le Téméraire était venu mettre le siège devant Neuss : les Colonais redoutaient qu'après la prise de Neuss, il ne les attaquât k leur tour: dans ces con- jonctures. Spren<j;'er n'eut pas de peine à leur persuader de recourir k la dévotion nouvelle : il les enrôla tous dans une Confrérie, qui fut inaugurée par une procession solennelle, k la fête de la Nativité de la Vierge, le jour même où, par une coïncidence dont la crédulité fît un « signe », mourait k Rostock le soi-disant." rénovateur » du Rosaire, Alain de la Roche. Sur ces entrefaites, la paix est conclue entre le duc de Bourgogne et l'Empereur : on y voit l'elfet des prières de la Confrérie nouvelle, la dévotion du Rosaire est désormais consacrée'. Aussitôt le légat de Sixte IV confirme la Confrérie et la dote d'indulgences^. Deux ans plus tard, le 30 mai 1478, elle est approuvée et enrichie de nouveaux privilèges par bulle pontificale '^ Dès lors, le Rosaire se répand partout ; dans tous les pays se fondent des Confréries sur le modèle de celle de Cologne.
L'église Saint-André à Cologne possède un grand triptyque attribué au maître de Saint-Sé vérin fpl. XIII, 1), qui com- mémore la fondation de la Confrérie colonaise et la protec- tion dont la Mère de Miséricorde, touchée par les prières de cette pieuse société, couvrit alors Cologne. Au milieu, une Vierge gigantesque, debout, portant l'Enfant qui égrène le rosaire ; deux anges volant, tiennent au-dessus de la Vierge trois couronnes de roses blanches et rouges. Sous le manteau doublé d'hermine sont agenouillés, les mains jointes, k droite les clercs, k gauche les laïques, la plupart tenant le rosaire.
La dévotion du Rosaire, inventée par un Dominicain breton, lancée par les Dominicains allemands, est essentiellement dominicaine. Les monuments iconographiques ne manquent pas de rappeler cette origine. Sur le tableau de Cologne, du
1. Kcliard. op. laiid.. t. I, p. Ssl.
2. Celte Cfjnfirniation est datée du 10 mars 1176. Cf. Maniachi. .4Hna/e.s 0. P.. t. I (Kome. 17.^6), appendice, p. 207.
.3. liiiUariiim Ovd. Pr.ied.. III, 576. Il n'est pas question. dan.s cette bulle, de saint Dominique. Plus tard. Pie V f-f 1572 et Hencjit XIII (j 1730), tous dcu.\ de l'Ordre des Prêcheurs, ont enrichi de nouvelles indulgences la dévotion Dominicaine : mais, quoique hls de saint Dominique, ils n'attribuaient le Rosaire à leur père spirituel que sous réserve, ut pie creditur, ut menwriae proditum est.
PEnDHizET, La Viergr dr Misérlcordr
PI. XIII
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LA VIERCE ET LES CONFRÉRIES DU ROSAIRE 95
côté des clercs, Prêcheurs et Prêcheresses sont en majorité ; le g'ros abbé agenouillé en belle place, bien en vue, derrière le pape, est un prieur Dominicain, sans doute Jacques Spren- ger : la figure, très individuelle, paraît bien un portrait. Et si le spectateur ne faisait pas attention à tous ces Domi- nicains et Dominicaines agenouillés parmi les priants, il ne pourrait pas ne point remarcp.ier que les deux interces- seurs qui soutiennent le manteau de la Vierge sont des saints Dominicains. Celui qui a la place d'honneur, k la droite de Marie, est le fondateur de l'Ordre, reconnaissable à l'étoile de son front ; il tient dans sa main gauche une grande croix processionnelle. Près de lui, dans le champ, sont écrits ces mots, qui visent Ihommage rendu à Marie par la récitation du rosaire : diligite^ salutate M[ariam) '. A gauche, saint Pierre Martyr, près duquel sont écrits ces mots inspirés de la première Epître aux Corinthiens (xiii, 13) : charitas nianet in aeferniini : la « charité » dont il s'agit ici, est l'amour des fidèles pour Dieu et pour Marie. — De même, sur la bannière qui fut peinte en loi") pour la Confrérie du Rosaire établie par les Dominicains de Marseille, la Vierge au man- teau protecteur avait à sa droite saint Dominique, à sa gauche saint Thomas d Aquin.
En général, la Mère de Miséricorde, quand elle est représen- tée comme Vierge du Rosaire, abrite sous son manteau, non pas les membres d'une Confrérie, mais la Chrétienté tout entière : autrement dit, la Vierge au rosaire est généralement figu- rée comme Mater omnium. Pour s'expliquer cette anomalie, il faut bien comprendre ce que la dévotion du Rosaire, dans sa nouveauté, fut pour l'Ordre ambitieux qui l'avait lancée. Elle offrait aux fidèles, k si bon marché, de si grandes indulgences, elle avait une telle vogue, que les Dominicains purent espé- rer que toute la Chrétienté finirait par être inscrite k leurs Con- fréries : Confraternitas Rosarii Ecclesiam fe.re implevit univer- sam ■-. La Confrérie du Rosaire fondée en liSi par les Domini- cains de Colmar, s'étendait sur toute l'Alsace, et hors d'Alsace, jusqu'k Berne, Fribourg-en-Brisgau et Wiesbaden. Au début du xv!*" siècle, k la veille de la Réformation, la liste de la
i. Je suis les leclui-es dAldenhoven, Geschichte der Kolner Malerschule, p. 296. Sur l'original j'ai lu: i)(7t(/t7e, saliitate sans Mariam et .charitas inaneat. Le retable a été fortement repeint.
2. Quétif et Echard, Script. 0. P., L I, p. 88 1.
9() CIIAI'ITRE V
Confrérie colniariemie comprenait 3000 noms, dont GOO de Colmar '.
De même que les ouvrag'es composés par les Dominicains du xv*" siècle pour défendre la virginité de Marie-, la dévo- tion du Rosaire témoigne des efforts de T Ordre des Prêcheurs poui" rendre à Marie les honneurs qu'ils paraissaient lui dénier par leur attitude obstinée dans la controverse de l'immaculée conception. Le succès des Confréries du Rosaire dut compen- ser, et au delà, pour les Dominicains, la défaveur qu'ils s'at- tiraient d'autre part à soutenir, contrairement aux Francis- cains et à la foi populaire, la théorie « maculiste » de saint Thomas d'Aquin. Ces confréries, d'ailleurs, étaient une invention admirable pour faire marcher en bon ordre le trou- peau des ouailles sous la surveillance des n chiens du Sei- gneur )), Domiiii canes. C'est pour ces deux raisons que sur les monuments figurés de la fin du xV" et du début du xvi*' siècle, la Vierge au Rosaire abrite sous son manteau, non pas les seuls membres de ses Confréries, mais l'universalité des chrétiens.
Parmi les plus anciennes représentations de la Vierge au Rosaire, il en est une qui montre, sous le manteau de Marie, non pas l'universalité des chrétiens, ni les membres d'une Confrérie du Rosaire, mais 1 Ordre de saint Dominique. Je ne connais aucun document iconographique qui atteste aussi clairement le caractère Dominicain de la dévotion du Rosaire.
C'est une gravure enluminée, de la Bibliothèque de Bam- berg (pi. XIV, 2). M. Schreiber, quil'a décrite à deux reprises, dit que sous le manteau de la Vierge sont agenouillés des ecclé- siastiques. Il est A-rai qu'un porte la tiare, un autre la mitre; mais, comme tous ont l'habit Dominicain — manteau noir, robe et scapulaire blancs — , le doute n'est pas possible : la gravure de Bamberg représente bien l'Ordre des Prêcheurs sous le manteau protecteur de la Vierge. Si le graveur a mis
1. Ingold, Xolice sur Végliseetle couvent des Dominicains de Colmar, p. 66.
2. J. von Schlosser, dans le Jahrb. der kunsthisl. Samml.. Vienne, 1902, p. 29j.
LA VIERGE ET LES COM-RÉRIES DU ROSAIRE 97
dans la foule des moines un pape et un évèque, c'est que l'orgueil Dominicain tenait à rappeler que l'Ordre avait fourni à l'Église une infinité de prélats', et plus d'un pape"-^.
La Mère de Miséricorde, couronnée par la Trinité, est debout dans un rosaire dont les 50 petits grains sont rem- placés par autant de roses jaunes, et dont les cinq gros grains sont remplacés par autant de cercles portant chacun limage d'une des cinq plaies -^ Devant la Vierge, à sa droite, est age- nouillé saint Dominique ; près de lui, un chien tenant dans la o:ueule une torche allumée (allusion à une vision dont fut favorisée la mère du saint). Aux quatre coins de la gravure, les quatre personnages qui sont, après le fondateur, les prin- cipales illustrations de l'Ordre Dominicain. M. Schreiber les a dénommés tout de travers. En haut, à gauche, saint Pierre Martyr, reconnaissable à la blessure du crâne, et au grand coutelas : M. Schreiber croit qu'il s'agit de sainte Catherine d'Alexandrie. A droite, saint Thomas d'Aquin, portant l'Eglise sur la main droite, un livre dans la main gauche : M. Schreiber croit qu'il s'agit de sainte Barbe. En bas, à gauche, saint ^'incent Ferrier, un livre dans une main, dans l'autre une image du Juge du Monde : M. Schreiber croit qu'il s'agit de saint Hyacinthe. A droite, sainte Catherine de Sienne, couronnée d'épines, et portant un cœur d où sort un crucifix : M. Schreiber croit qu'il s agit de sainte Brigitte.
Cette curieuse gravure, qui sort évidemment de la même officine qu'une gravure non moins intéressante dont nous par- lerons plus loin^, est accompagnée dune longue légende alle- mande, dont voici la traduction :
« Apprenez comment le fondateur de lOrdre des Prêcheurs, le saint Père Dominique a recommandé son Ordre et tous ses frères à ^larie, la reine du ciel, la mère de Dieu ; et J.-C. la ravi en esprit et lui a demandé s'il voulait voir son
1. En 25 ans. de 1227 à 1232. il sortit des rangs des Prêcheurs 7" évoques, y compris un cardinal, un patriarche et 9 archevêques (Mortier, Hist. des maîtres généraux de VOrdre des F. P., Paris. Picard, 1903, t. I. p. 390).
2. Pierre de Tareutaise, intronisé en 1276. sous le nom dinnocent V : saint Benoit XI, intronisé en 1303 ; etc.
3. La Saliitalion angéliqne de Veit Stoss. à l'éijlisc Saint-Laurent de Nurem- berg, est entourée d'un Rosenkranz de 50 petites roses: les cinq gros grains sont remplacés par des reliefs circulaires qui représentent cinq des sept joies de la Vierge; les deux autres joies sont placées symétriquement sur le haut de la couronne, à lextérieur.
4. Ch. vni.
Perdrizet. — La \'ierye de Miséricorde. 7
98 CHAPITRE V
Ordre et ses frères ; ce qu'il désira du fond du cœur et avec des larmes ; — comment il dit à tous les frères de son Ordre que le Seig-neur Jésus avait ouvert le manteau merveilleuse- ment brodé de Marie, lequel était si vaste et si grand qu'il abritait toute la milice céleste ; et Jésus lui dit : « Voici ton Ordre et tes frères que j'ai recommandés à ma très chère mère, qui doit être votre mère et votre protectrice. » Mais quand le saint père Dominique dut recevoir de Dieu sa récompense, à son dernier jour (d'après ce que Marie elle- même a révélé à sainte Brigitte, comme nous lisons au IIP livre [des Révélations]^ chapitre 17i,il dit à ^larie, la Mère de Miséricorde : <( 0 Marie, je vous recommande mes membres, c'est-à-dire mes frères. Instruisez-les comme vos fils, et pro- tège-les comme leur mère. <( Alors Alarie répondit : « 0 Domi- nique, mon bien-aimé, parce que tu m'as aimé plus que moi- même, je veux sous mon large manteau défendre et gouverner tes fils, et tous ceux qui restent placés sous ta règle seront sau- vés. Mon large manteau est ma miséricorde, que je ne veux refuser à aucun homme qui la désire ardemment : tous ceux qui cherchent protection sous les pans de ma miséricorde en recevront protection. » C'est pourquoi nous devons tous, d'un cœur recueilli et dans une attitude humble, crier vers elle et dire : « Sous votre protection, nous nous réfugions, sainte mère de Dieu; ne repoussez pas nos prières dans l'affliction, mais délivrez-nous de tout danger, sainte 'Vierge bénie ! »
J'ai cru devoir traduire cette longue légende, parce qu'elle donne une idée des sermons par lesquels les Frères Prêcheurs répandirent la dévotion du Rosaire, à la fin du xv"^ et au début du xvi*^ siècle, dans les masses populaires.
Ainsi les Dominicains, pour représenter leur Vierge au Rosaire, adoptèrent le type de la Vierge au manteau. C'est un fait dont je m'étonne que M. Krebs, qui attribue la diffusion de ce tj'pe à l'Ordre Dominicain, n'ait pas tiré argument.
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1 . Tableau votif de la Confrérie colonaise du Rosaire, dans l'église Saint-André de Cologne, publié par Schnûtgen {Zeitschriftfïir christlichen Kunst, 1890, col. 18, p. ii). Voir supra, p. « Die Vorderseite ist stark ïibermalt, sodass man ûber den Stil kein sicheres Urtheil fàllen kann » (Aldenhoven, Geschichte der Kôlner Malerschule, p. 296), ce qui n'em- pêche pas les érudits colonais d'adjuger cette peinture au Maître de Saint-Séverin. Je ne puis comprendre par quel raisonnement Aldenho- ven, qui croit, comme Schniitgen, que l'Empereur figuré sous le manteau delà Vierge est Frédéric III i-J-l493), peut conclure que le tableau date d'après 1511 : « Unter den Dominikanern soll ganz vorne Jacob Spren- ger abgebildet sein ; er lebte noch in den neunziger Jahren des xv. Jahrhunderts. Dagegen spricht die idéale Auffassung des Kaisers fiir spatere Zeit : wenn der Maler sich nach der Darstellung des Weissku- nigs gerichtet hat, so wûrde das Bild nach loll entstanden sein. » — PI. Xlll, 1.
2. Gravure enluminée, des environs de l'an 1300, à la Bibliothèque de Bamberg, décrite dans Schreiber, Manuel de l'amateur de la gravure sur bois au A'T'e siècle (Berlin, Cohn, 1893), t. I,p. 296, n" 1012 et reproduite • dans Pesthlàtler des XV. Jahrhunderts, herausg. von P. Heitz mit einlei- tendem Text von W.L. Schreiber (Strasbourg, Heitz, 1901', pi. VII. Cf. supra, p. 96. Sous la gravure est cette légende : Es ist zu merckenn so styf- fter, und anheber prediger ordens der heylige vater SantDominicus sei- nen ordeii und aile seine brudere marie der hymel kôngyn, der mutler gottes hevolhen und Christus Jhesus in ëntzuckt ini geyst fraget ob er, seineni orden und brudern sehen woldet des er aus grunlh seijnes herzen und weinlich begerth So er aus allen ane seineni orden brudere sage das der herre Jhesus den mantel marie seiner allerliebsten jnutter erôffnet wunderliche gezijret und also weyt und gross das er auch das ganze hymelysche hère umbfinge und sprach zu ym sich deinen orden und bru- dere welche ich ineyner allerliebsten niutter bevolhen habe die ewer aller beschutzerin und mutter sali seyn do aher der heylige vatter Dominicus von got belonunge soit entphangen an seinem lelzte ende wie dan maria selbersf ei kundet hat die heylige brigittam als wir dan im drillen buch ani sibenzeenden capitell yrer offenbarungen lesen. Sagte er zu maria der mutler aller barmherzigkeyt : 0 maria ich bevelhe dir meine glyth- massen meyne brudere unther weysse sy'als dey ne sône und beschuze s y al ire mutter. Do autworth maria : 0 dominice mein gelibter dorumb das du mich hocher gelibet hast wan dich selberst So will ich unther meinen breyten mantell vurfechten und regiren deine sône und aile dy unther
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cleiner rerjell hestemlich hlei/hen werclen xeylich. Mein breyfter manlel ist mein barmherzichketjt die ich keyiiem menschen der sy eyliglich begert wil vorsar/en. Sonder aile dy do suchen hiilffe unter der sc/iosse ineiner banirherzichkeyt dy werden von niir barniherzirjlich beschûl- zet. Derhalben sollen wir aile mit andechtirjen herlzen und demutigen gebcrlhe zu yr schreyhen and sprechen : « Unther deine beschuzunge flyhen ivir 0 heylige gotles gebereryn unnser bytten in nôtenn nicht vorschmehe sonder von allen ferligkeyten erlôse uns aile zeyl o gebened- cyte Junckfrawe ! » — PI. XIV, 2.
3. Schreiber, Manuel, n" 1012 a ; Peslblâlter, pi. 5. Gravure enluminée, de la collection Schreiber; loOO environ. Elle a la forme d'un fonrfo, qui pour cadre aurait un rosaire fait, non de grains, mais de roses, des roses blanches pour les Are, des roses rouges pour les Pater. La Mater 07?inium, couronnée, prie les mains jointes pour les chrétiens agenouil- lés sous son manteau : à droite de la Vierge, les laïques, Empereur, Roi. Reine, etc., parmi lesquels une distraction du graveur a introduit un car- dinal ;à gauche les clercs. Pape, Cardinal, Evèque, Abbé, etune moniale. Deux anges soutiennent le manteau de Marie. Dieu apparaît à mi-corps dans les nuées ; il brandit les trois traits, un dans la main droite, deux dans la main gauche. Dans le fond, entre des montagnes que des châ- teaux couronnent, un grand fleuve portant bateaux. Le paysage rappelle les bords du Rhin entre Bingen et Cologne. M. Schreiber dit cette gra- vure alsacienne, sans expliquer pourquoi. Je suppose que c'est parce que sur le frontispice du î ractatulus de fraternitate Rosarii, imprimé à Strasbourg en 1500 (à la suite du De Sancta Anna et de universa ej'us progenie), la Vierge est représentée dans un rosaire fait de fleurs de roses pareil à celui de la gravure en question.
4. Schreiber, Manuel, n° 1012 c ; Pestblâtler, pi. 8. Nuremberg, musée Germanique. Médiocre gravure sur bois, non enluminée, rectangulaire, découpée dans un livret incunable qu'il s'agirait de déterminer, encadrée (sauf en bas- d'un chapelet, et divisée en deux registres.
En haut, la Mater omnium protégeant contre la colère de Dieu les chrétiens agenouillés sous son manteau. Dieu apparaît à mi-corps dans les nuées ; il tient les trois traits, deux dans la main droite, un dans la main gauche. A droite de la Vierge, le Pape,rÉvèque et deux autres per- sonnages; à gauche, l'empereur et deux autres personnages. Le Pape et l'Empereur ont en main le rosaire.
En bas, sainte Anne, assise, tenant sur le genou droit l'Enfant Jésus, nu, sur l'autre genou la petite Vierge Marie en adoration devant l'En- fant. Devant le groupe se tiennent debout les douze Apôtres : au pre- mier rang, saint Pierre avec la clef, saint Simon avec la scie, saint Tho- mas avec la lance.
Sur la dévotion à sainte Anne en Allemagne, à la fin du xv siècle, cf. le petit traité de Trithemius, De laudihus sanclissimae matris Annae (Mayence, 1494), ([ui préconise l'institution de Confréries du Rosaire de sainte Anne, à l'instar des Confréries du Rosaire de Marie, et qui contient un Itosaire de Sainte Anne calqué sur le Rosaire de .Marie. Entre autres vertus, sainte Anne aurait celle de préserver ses dévots delà peste (Thri-
Perdrizi T, Lu Vierge de Miséricorde
PI. XIV
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themius, ch. 14). Schreiber (II, p. 7) assure qu'en Allemagne sainte Anne aurait été souvent invoquée contre la peste à partir de 1494. — PI. XVI, 1.
5. Ueherlingen. Retable sculpté, dans l'église Saint-Nicolas. Il fut exécuté en suite d'un vœu formé en 1632, à l'approche des Suédois, par la veuve du bourgmestre Jean de Schultheiss, et terminé en 1640 ; l'évèque de Constance en fit la dédicace le .30 avril ; il avait coûté 1500 florins. La Vierge est au centre d'un grand rosaire. « Die Madonna hatte friiher einen Kopf, der durch eine Mechanik nickte » [Die Kunst- denkmiiler desGrossht'rzoçjihums Badens. I. Konstanz, p. 604).
6. Marseille^. Commande d'une grande bannière du Rosaire, pour l'église des Dominicains de Marseille (28 janvier 151a), faite à Antoine Ronzen d'Aix, dit le Vénitien, par la Confrérie du Chapelet. Le texte est en latin, mais la bannière est décrite in vulgari de voluntate partiuni ipsa- runi ambaruin (cette langue vulgaire est un provençal mêlé de français) : Vymaçie de Nostre Dame au niiech de la handicra, regardant tout drech... tendent son mantelestendut amhesus dos nianstantde una part que d'autre ; et ung chappellet en cade man, pendant ; sota lodict mantel, sa es ^ a banda drecha^, l'estat de la gleyxa'*, como es le pape, l'emperador, patriarche, cardinal, arclievesque, evesque et autres prelatz et senhors de gleyse, en nombre que porra estar en la dicta part drecha ; estans agenolhas, ben proportionas ; la cappe del pape et imperador, d'or ou de brocat; las mitres, aussi d'or ; et los autres personages, de riches et con- venables collors^ a gens de gleyse; cascun personages tenant ung chap- pellet en sas nians joynches, les sinquante Ave Marias d'or, et los sinq Patenostres a manière de roses rouges... A la banda senestre sera restât temporal, so es la rey, la reyna, i-estis d'or fin et en habit real, les cou- rones, d'or, bien proportionadas ; et après ellns,chivaliers et autres sen- hors, et gens temporals, vestis de bones , sufficientes et convenables col- lors, et riches; estans agenolhas, et cascun tenent son chappellet. . . Item, sera tengut de faire lodict mestre Anthony al bout del mantel Nostre Dame, après totes altres gens, d'una part, sanct Domenge : et d'autre cos- tal, sanct Thomas, de l'ordre des Predicadors, estans drechs, tenens la crucifix en las mans. Albanès, qui a publié ce document dans le Bull, archéol. du Comité, 1884, p. 287, croyait à tort que le peintre Ronzen avait inventé le plan de cette composition : u Ronzen, écrit Albanès, donna lui-même le plan de celte bannière, qui est curieux et gran- diose. » D'autre part, l'éditeur a omis d'expliquer la particularité la plus intéressante de cette minutieuse description : l'empereur y figure à droite, non à gauche de la Vierge, parmi les clercs, non parmi les laïques.
7. Retable du Carmel, à Pérouse. Cf. plus haut, p. 93.
1. Sur le culte de la Vierji,e de Miséricorde à Marseille, cf. VExplicalion des usages et coutumes des Marseillais, par François Marchetti (Marseille, J»is3), 1. 1. p. 175. 2. so es : c'est-à-dire. 3. a ])anda drecha : du coté
droit. 1. l'eslat de la gleysa : le monde ecclésiastique. 5. col-
Inrs : couleurs.
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8. Relief de terre cuite, à Genga (provinced'Ancône). Jeledécrisd'après une photographie non signée, conservée à la Bibliothèque de l'Union cen- trale des arts décoratifs. La Vierge, debout, tenant l'Enfant sur le bras gauche, distribue des rosaires aux priants agenouillés sous son manteau ; à sa droite, les hommes et les garçons, à sa gauche, les femmes et les fdles. Les costumes des priants indiquent le milieu du xvi« siècle. Le manteau de la Vierge est soutenu par quatre saints, qui sont : à la droite de la Vierge, c'est-à-dire à la place d'honneur, saint Dominique avec le lis et saint Pierre Martyr avec la palme ; à gauche, un saint pape et un saint évèque, ceux-ci sans caractéristiques. Ce relief, de forme cintrée, est encadré dans un rosaire dont les quinze gros grains sont remplacés par autant de grandes roses contenant chacune la repré- sentation dun des quinze mystères douloureux. — PI. XllI, 2.
9. Milan. Une peinture sur toile, de la fin du xvi^ siècle, servant de retable dans la chapelle du Rosaire, à S* Maria délie Grazie, repré- sente la Vierge de Miséricorde abritant sous son manteau le comte Vimercati, sa femme et sa famille. Cf. Diego Sant'Ambrogio, dans la Lega Lombarda, de Milan, n°* du 16 et 21 octobre 1898.
10. Gravureintitulée Imago mirac. B. V. Rosarii Mediol.^ vulgo Gratia- /■um, représentant la Vierge couronnée, debout, au milieu du rosaire; sous son manteau, que soulèvent deux petits anges, sont agenouillés, à droite trois dames, à gauche, trois seigneurs. Au-dessous, cette légende : Anno 1 630,exeunte Julio ad médium usque Augusti, canipanae Ord.Praed.Mediol. noctu et interdiu sua sponte sonuerunt ; algue extunc plurimi peste quae tune ibi saeviebat, oleo lampadis B. V. nullo alio medicamento usi, curati sunt : quod cerlatim hodieque Italia pêne tola expetitur.
11. Frontispice d'un livre sans date imprimé à Milan, intitulé : Délia virtù e del preggio délia divozione del ss'^" Rosario (Guéné- bault, 1, vol. 736). La Vierge, debout, distribue des deux mains des rosaires aux personnes agenouillées sous son manteau; le sujet est entouré de roses qui sortent d'une tige. Titre : La glor'^ V^ del S™° Bosario délie Grazie, Milano.
CHAPITRE VI
LE SPECULUM IIUMAXAE SALVATIONIS
Vogue immense de ce livre à images, du xiv* siècle au xvi'^. — Son influence iconographique. — Son origine Dominicaine. — La Vierge au manteau protecteur lune des illusti-ations traditionnelles du S. //. S, — Le S, H. S. a dû contribuer à la diffusion de ce thème figuré.
M. Krebs a eu raison de croire que les Dominicains ont beaucoup fait pour répandre le thème de la Vierge au man- teau protecteur. Mais on peut reprocher aux raisonnements du savant fribourgeois de reposer sur une documentation trop restreinte, et pas toujours probante. Pour établir 1 importance de ce thème dans la mystique Dominicaine, il y avait à allé- guer plus et mieux que des visions de nonnes et que les Mater omnium de la cathédrale de Fribourg : car pour les visions rapportées par M. Krebs, elles n'ont certainement pas été connues hors de l'Alémannie, et quant aux Mater omnium de Fribourg-, leurs relations avec la mystique Dominicaine est possible, mais M. Krebs n'en n'a donné aucune preuve.
Pour montrer combien le thème qui nous occupe a été cher à la mystique Dominicaine et pour en expliquer la diffusion, il est nécessaire que nous résumions ici ce que nous avons dit ailleurs d'un ouvrage Dominicain dont la vogue, depuis la première moitié du xiv" siècle jusqu'au milieu du xvi*", a été immense, le Spéculum humanae salvationis.
Cet ouvrage expose, selon la méthode figurative ou typolo- gique, l'histoire de la chute et de la rédemption. L'histoire uni- verselle, jusqu'à la mort du Sauveur, n'aurait été qu'une pré- figuration de la vie de Celui qui devait racheter le monde, et aussi de celle de la Vierge Marie, son auxiliaire dans l'œuvre rédemptrice. Il se compose de 4o chapitres, comprenant 100 vers, ou plutôt 100 lignes, car il est écrit, comme le Spéculum ecclesiae d'Honorius d'Autun et comme nombre
lOi
CHAPITRE VI
de sermons du xii'' et du xiii'' siècle, en prose divisée en lig-nes de longueur variable, mais rimées par rimes plates — par « doublettes ». comme on disait au moyen âge. Chaque chapitre est divisé en quatre parties, la première consacrée à l'un des principaux faits de l'histoire de la rédemption, les trois autres à trois c types » ou préfigures de ce fait. Dans les exemplaires enluminés, un chapitre occupe deux pages, à raison de deux colonnes de 2o lignes par page, chaque colonne étant surmontée d'une miniature. Les chapitres com- mencent au verso des feuillets et finissent au recto suivant. Le livre ouvert montre donc toujours un chapitre complet : il offre aux yeux, d'un coup, un des faits de 1 histoire de la rédemption, suivi du cortège de ses préfigures, il met en regard trois « types -> de même sens, a^ec 1' « antitype » cor- respondant.
Le Spéculum humanae salvationis est un résumé de la doctrine catholique touchant la question de la rédemption. C'est dire que la Vierge Marie n'y tient pas beaucoup moins de place que le Rédempteur même. Particulièrement impor- tants sont à cet égard les chapitres xxxvii-xxxix, qui exposent le rôle de médiatrice, de protectrice et d' « avocate » que joue la 'Vierge dans l'afTaire de notre salut . Je ne parlerai pour l'instant que du xxxviii'' : nous aurons plus loin à revenir sur les deux autres.
Le chapitre xxxviii montre comment Marie nous protège contre la vengeance de J.-C, contre les attaques du Diable, contre les pièges du monde :
Défendit nos a Dei vindicla el ejiis indiqnalione, A diaholi mfestafione, et a njundi tenlafione.
A chacvm de ces trois aspects sous lesquels peut être con- sidérée la miséricordieuse protection de Marie correspond une préfigure: Tarbis, princesse d'rLthiopie. qui sauva la ville de Saba assiégée par Moïse, aurait préfiguré la Vierge en tant qu'elle devait nous protéger contre la vengeance de J.-C. ; la femme de Thèbes, qui cassa la tête d'Abimélech, aurait préfi- guré la Vierge en tant qu'elle devait nous protéger contre les attaques du Diable ; Michol, femme de David, qui fit échapper David aux gens venus pour le prendre, aurait préfiguré la Vierge en tant (ju'elle devait nous protéger contre les pièges du monde.
LE SPECULUM HUMANAE SAI.VATIONTS lOo
Le Spéculum n'est pas seulement un livre de piété, c'est aussi un livre à images. Son texte édifiait les gens capables de le lire, son illustration instruisait les illettrés : picturae quasi librilaicorum. Chaque chapitre est]orné de quatre images : la première représente le fait de l'histoire de la rédemption auquel le chapitre est consacré, les trois autres représentent les trois préfigures de ce fait.
Or la première image du ch. xxxviii, pour figurer la protection dont Marie couvre les pêcheurs, représente presque toujours ' la Mère de Miséricorde abritant l'humanité sous son manteau.
On doit tenir compte de cela pour expliquer la diffu- sion du thème qui nous occupe. Le Spéculum humanae salvationis a eu dans les pays du Nord, en France, aux Pays- Bas, en Allemagne un succès prodigieux : il subsiste du texte latin plus de 220 manuscrits, auxquels il faut ajouter les manuscrits des traductions en langue allemande, française, hollandaise, anglaise, tchèque, et les éditions incunables — une trentaine environ — du texte latin ou des traductions. Cette vogue est attestée encore par le nombre des œuvres d'art inspirées par l'illustration traditionnelle du Spéculum-: dès le milieu du xi\^ siècle, les vitraux de l'église Saint- Etienne à Mulhouse sont copiés jusque dans le plus menu détail sur les miniatures de ce répertoire de l'art symbolique ; un demi-siècle plus tard, à Brixen en Tyrol, le cloître de la cathédrale est décoré de fresques qui reproduisent l'illustration du Spéculum, et le texte du livre est peint à côté sur le mur.
Le Spéculum fut écrit pendant la captivité de Babylone (1309-1377), et plus précisément, s'il faut en croire deux manuscrits de Paris, en 1324. On admettra facilement qu'un ouvrage qui, pendant deux siècles, a été aussi répandu, dont l'illustration a exercé une aussi grande influence sur l'icono- graphie, et dont l'une des images traditionnelles représentait le type de la Vierge au manteau, a bien pu contribuera la diffusion de ce type .
1 . Les exceptions sont très rares. La traduction de Miclot, à la Bibliothèque Nationale, en oITre un exemple.
2. Cf. Mâle, dans la Revue de l'arl ancien et moderne, sept. 1905 ; Per- drizet, L'art symbolique du moyen ùçfe, ;i propos des rerrières de l'église Saint- Etienne à Mulhouse, dans le Bulletin de la Société industrielle de Mulhouse, mai 1007 et à part (Leipzig-, Ch. Beck .
106 CHAPITRE VI
Ce qui rend 1 hypothèse encore plus vraisemblable, si l'on se rappelle combien les Dominicains ont affectionné le thème de la Vierg^e au manteau protecteur, c'est que le Spéculum, dont Fauteur, par humilité. n*a pas voulu se faire connaître — nomen auctoris humilifafe silefur — a été écrit par un Domini- cain. Pour la démonstration de ce dernier point, je renvoie au deuxième chapitre de mon Etude sur le Spéculum humanae salvationis. Je me contente de reproduire ci-contre quelques Vierg-es de miséricorde empruntées à des exemplaires du Spé- culum. Lune (pi. XV, 1) se trouve dans le manuscrit de Munich (clm 23i33j, auquel devait certainement [beaucoup ressemljler le manuscrit dont les miniatures ont servi de modèle pour les verrières de Mulhouse. Une autre (pi. X^', 3) est extraite d'un manuscrit de la Bibliothèque Nationale de Paris ' : elle représente la Vierg-e abritant sous son manteau une famille monastique. Une troisième (pi. XV, i) est extraite d'un incu- nable, le Miroir de la rédemption, publié à Lyon à plusieurs reprises, et dont les bois sont ceux de l'édition antérieure- ment publiée à Bàle. en 147. A titre de comparaison, j'ai rap- proché de ces reproductions celle de la ^'ie^ge de Miséricorde, telle quelle a été figurée, d'après une miniature du manuscrit de Munich dont je parlais tantôt, sur l'une des verrières de Mulhouse (pi. XV, 2). On verra plus loin fpl. XIX, 1) la reproduction d'une Vierg^e de Miséricorde contenue dans un Spiegel der menschlichen Behaltniss qui paraît avoir été copié vers 1400, par un Dominicain du couvent de Saint-Biaise, à Ratisbonne. D autres Vierges de Miséricorde empruntées à divers manuscrits du Spéculum, ont été publiées dans notre édition de cet ouvrage mystique-, dans un catalog-ue de vente ^ et dans la Béunion des Sociétés des beaux-arts, 1907^.
1. Ms. fr. lt!0, f» 149.
2. Lulz-Perdrizel. Spéculum humanae .s.i ira /t'onts (Mulhouse. 1907), pi. 75.
3. Catalogue J. Rosenthal. XXXVI. n» 529.
4. PI. 80, d'après le ms. du musée Condé, à Chantilly, (jui contient la tra- duction de Miélot (n° 1363. f° 38 v . L'auteur de l'article paru dans la Réunion des sociétés des heaux-arts. n'ayant pas vu le manuscrit de Chantillj-, croit que c'est un exemplaire du texte latin.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
Pi. XV
^)arw flV nû» KtîiiratTix 't .^rrcH-n-
,_,t..j. f-^._'».,'.>^. r^,^
Munich, clin 23 433 (xiv^ siècle)
Vitrail de Mulhouse (xiv'' siècle)
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Wotioif k'i<f.T>iiun f^iihiiiroii
iioic<>i>iiii»iiiv° ni<>i'ik(^ fî'V-Dlir ■au fi«tt ,-ÏVfOiin- f uiiifi- SvcitW ai*, fa <)iidîô cfvf; fii'i" 'W '»*<'^ ^(>6 fi ivitiiii iiKXVini/iliir.iiMi)!'
[ Toîncnt mopTcS a (a bataillec contre iacitcfcc faba.
CVirte c/e Viiuteiir
CUchi de Vnuteur
Bibl. nat., ms. fr. 46o (xv'^ siècle)
Miroir de la /■édrinptio/i, Lyon, 1^78
La Vierge de Miséricorde et le Spéculum hu/nanœ saluationis
CHAPITRE VII LES FLÈCHES DE LA COLÈRE DIVINE
La peste, pour le folklore, est produite par des flèches invisibles : traces de cette croyance chez les Grecs anciens, les Musulmans, les Germains, dans la Rome chrétienne du vi*" siècle, dans la dévotion de saint Sébastien. — Les flèches de la peste arrêtées par le manteau protecteur de saint Sébastien (fresque de S. Gimignano) ou de Marie (bannières ombriennes, peintures italiennes et allemandes). — Ce thème date du w'^ siècle et semble se rattacher à la prédication de saint Bernardin de Sienne. — II a été abandonné au xvi*', comme entaché de superstition.
On se rappelle le début de Y Iliade : pour se venger des Grecs, Apollon, le dieu ambigu qui peut, à son choix, déchaî- ner la peste sur les hommes ou les en guérir ', descend de rOhmpe, « semblable à la nuit » — - sans bruit, car la nuit vient sans qu'on l'entende ; pendant neuf jours, il tire sur le camp des Grecs ; et tous ceux que touchent ses flèches invi- sibles, meurent de la peste.
Le mythe racontait qu'Apollon avait tué à coups de flèches le serpent Python, le géant Tityos, la progéniture de Niobé. Mais ce serait être la dupe de la mythologie que d'expliquer par les mythes de Python, de Tityos et des Niobides le surnom à'ky^rfiokzz dont l'épopée saluait Apollon, ou l'arc et les flèches cpii, dans l'imagerie, étaient les caractéristiques de ce Dieu. Les vieux sculpteurs Tektœos et Angelion -' l'avaient repré- senté à Délos portant les Grâces sur une main et dans l'autre l'arc et les flèches, — les Grâces, dit Macrobe •^, parce que, parfois, il fait grâce aux hommes, leur épargne les épidémies, — l'arc et les flèches, parce que, d'autres fois, il les tue des flèches invisibles de la pestilence ^.
1. Sur ce caractère ambigu d'Apollon, cf. Macrobe, Saturnales, I, 17; sur Apollon comme dieu des épidémies, cf. Roscher, Apollo und Mars, p. 6i.
2. Overbeck, Schriftquellen, n°' 334-337; CoUignon, Hist. de la sculpture gr., I, p. 224.
3. Sat., I, 17; quia perpeluam praestat saluhritatem et pestilens ab ipso casus rarior est, ideo Apollinis simulacra manu dextra gratias geslant, arcum cum sagitlis sinistra, quod ad noxam sit pigrior, et salutem manus promptior largiatur.
4. Lycophron, 1203, Xoiiity.à ToÇîj[iaTa.
108 r.iiAPiTRi: VII
Une maladie est lente ou rapide. Les unes consument le malade peu à peu, le fondent pour ainsi dire : c'est ce que les Grecs exprimaient par le verbe TÉxeiv. Les autres le terrassent brusquement, ou. comme nous disons encore, le « frappent » ; le g^rec avait une expression analogue : Hippocrate ' emploie le mot ^\r,-oi pour désig-ner les g'ens frappés dune maladie aiguë. Dans ces expressions qui d'abord semblent décolorées, la sémantique retrouve les traces de la vieille croyance qui attribuait à des coups portés par un Invisible, à des flèches mystérieuses lancées par un dieu méchant, les atteintes du « mal qui répand la terreur ». les ravages effrayants des épidémies.
L idée d'expliquer les épidémies, leurs coups soudains, multipliés, implacables, par la colère d'une divinité qui, pour faire périr les vivants, les perce de flèches qu'on ne voit pas, est une très vieille croyance, dont il serait possible, probable- ment, de retrouver la trace dans les folk-lores les plus divers. « LesMahométans. dit Herbelot-, croient qu'il y a des esprits ou des lutins armés de flèches, que Dieu envoie pour punir les hommes quand il lui plaît, et que les blessures que font ces spectres sont mortelles lorscpi'ils paraissent noirs ; mais qu'elles ne le sont pas lorsque les flèches sont décochées par des spectres qui paraissent blancs. C'est ainsi que les Maho- métans raisonnent sur la peste, et c'est sur ce fondement qu ils ne prennent aucune précaution pour s'en garantir. » D'après Grimm 3. les anciens Germains attribuaient aux flèches des elfes, des sorcières ou des dieux, certaines mala- dies subites, ylfa gescot, liugtessen (/escot, êsa gescot. Hono- rius d'Autun ' et Jacques de ^'arazze "■ rapportent que lors de
1. De victu in inorhis acutis. II. p. 34 Kiilin.
2. Bibliothèque or(e;i<aZe Macslricht. 1776, f ° . t. T. p. 596. Cité par Lie- brecht,dans son édition des Olia imperialia de Gervais de Tilljury (Hanovre, 1856), p. 42.
3. Deulsche Mylholoyie, p. 1192: cf. Simrock, Ilandhuvh der deutschen Mythologie, 4' éd., p. 335.
4. nie dies qui Major Letania dicituv ea de causa inslitutus legitur : Tybe- ris plus solito inundavit, Romam ingrediens ... multa aedificia cum populo suhvertit. per cujus alieum ingens draco cum magna multitudine serpenlium mare ingreditur, cum quihus omnibus ibidem suff'ocatur. Qui in litus pro- jecti aerem sua putredine corruperunt et gravem mortalilateni humanageneri inluleruni. Sagillae namque caelilus venire conspiciebanlur. de quibus inguina hominum tacla sine mora moriebantur: primitus papa l'elagius morilur. deinde populus Romanus pêne tolus subila morte consumilur. Gre- gorius itaque eijisciipus levatur qui populum, jejunare. cruces porlare et orare horlatur. Quod cum dévoie peragunt.plaga cessât {Spéculum Ecclesiae, sermo in Hofralionibus, P. L.. CLXXI, 951).
5. Légende dorée, ch. xi.vi de S. Greçorio), p. 190.
LES FLÈCHES DE LA CÛLÈUL DIVINE lUU
la peste de Rome, en 590, qui donna lieu k l'institution de la grande Litanie, on vit pleuvoir des flèches, qui touchaient les gens à l'aine et les faisaient mourir sur-le-champ.
L'église Saint-Pierre-aux-Liens, à Rome, expose à la véné- ration des fidèles, presque en face du Moïse de Michel-Ange, une vieille mosaïque de style byzantin ' , qui représente saint Sébastien. Une inscription commémorative assure que cette mosaïque aurait été dédiée en 680, lors d'une peste qui rava- geait Rome : ce serait le plus ancien témoignage du culte rendu k saint Sébastien comme protecteur contre les épidé- mies. En réalité, comme l'a démontré J.-B. de Rossi, cette inscription, qui est du xv'' siècle, de huit siècles environ moins ancienne que la mosaïque, a été fabriquée au moyen d'un pas- sage de Y Histoire des Lombards -, dans lequel il ne s'agit point de Rome, mais de Pavie : en 680, une peste ravageant Pavie, quelqu'un, on ne sait qui, apprit par révélation que cette peste ne prendrait fin que lorsqu'on aurait élevé k saint Sébastien un autel dans la basilique de Saint-Pierre-aux- liens de Pavie : comme, pour vouer un autel k un saint, il fallait pouvoir y enfermer une relique de ce saint '^ les gens de Pavie allèrent quérir à Rome, où il avait été martyrisé en 288, des reliques de saint Sébastien.
Pourquoi, pendant la peste de 680, les gens de Pavie eurent-ils l'idée d'invoquer saint Sébastien? Pourquoi, d'une façon générale, la foi chrétienne, en cas de peste, a-t-elle eu recours k cet intercesseur ? Rien, dans la mosaïque de Rome, ne nous met sur la voie de l'explication : le saint y est représenté debout, nu-tête, vêtu de l'uniforme des officiers byzantins. Pour trouver le mot de l'énigme, il faut se reporter k la légende de ce brave soldat. Saint Sébastien moment sous les verges, par ordre de Dioclétien. Mais ce qui, dans la légende du martyr, a frappé l'imagination populaire, ce n'est pas sa mort même : « quantité de proses très répandues au moyen
1. Alinari, 7252; De Rossi, Musaici crixtiani nnteriori al sec. AT, pL XX, 2.
2. Par Paul le Diacre : cf. l. VI, p. 166 des Monumenla Germaniae ctUdam per revelationem dicliun est, quod peslis ipsa prias non quiescerel quant in basilica heati Pelri quae ad Vincula dicit.iir sancti Sebastiani marly- ris allarium ponerelur. Factiini([ue est, et delalis ah iirhe Roma beali Sebas- tiani marlyris reliquiis, pestis ipsa quievit. Cf. encore Léqende dorée, ch. XXIII (de S. Sebastiano), sub fine.
3. Marignan, Le culte des saints sous les Mérovingiens, p. 226.
110 CHAPITRE Yll
àg-e ne font aucune mention de son supplice'. » Quelque temps avant d être mis à mort, Sébastien avait été lié à un arbre et criblé de flèches par les archers de Dioclétien : il en reçut tant, dit la Légende dorée, qu'il ressemblait à un héris- son, ita euni sagittis implevcrunt ut quasi hnricius videretur ; mais, par la grâce de Dieu, il avait réchappé de ses multiples blessures. Voilà le fait dont s'est emparée l'imagination popu- laire. La vieille croyance folk-lorique qui expliquait la peste par les coups de flèches invisibles, subsistait, tenace, dans l'esprit incroyablement superstitieux des gens de ce temps- là "-. On imagina que le saint qui avait réchappé de tant de blessures produites par des flèches, pouvait sauver ses dévots des flèches de la peste. Simil'ia similihus curantur : c'est le principe de la magie. Transposé en langage mystique, il revient à dire que les saints compatissent de préférence aux souffrances qu'ils ont eux-mêmes ressenties : censentur didi- cisse ex lis, quae passi sunt, compassionem -^
Ainsi s'explique — même les érudits catholiques en con- viennent^ — la façon dont lart du moyen âge et la Renais- sance a représenté saint Sébastien ■'' ; ainsi s'explique aussi la multiplicité vraiment prodigieuse de ses images : la plupart
1. Caliier, Caractéristiques, l. I, p. 414.
2. Pour juger de la superstition dans laquelle l'esprit humain était alors tombé, il faut lire les Dialogues de saint Gréf^oire le Grand.
.3. Raynaud, S. J., dans ses Opéra omnia (Lyon, 1665). t. VIII, p. 511.
4. « Ceux qui tiennent beaucoup à chercher des relations plus ou moins étroites entre la mythologie et les dévotions populaires du christianisme, peuvent se donner carrière pour assimiler les flèches d'Apollon aux traits qui percèrent saint Sébastien, dans son premier supplice. Le P. Théophile Ray- naud (Ha(/iologium Luffdunense. dans ses Opéra, t. ^'III, p. 514) ne s'y oppose pas très fort, lui qui ne capitule point volontiers devant les adversaires de l'Eglise. 11 se i)ourrait bien en e/Tet que cette invocation ait eu son origine à Rome par opposition à quelque vestige du paganisme qu'on voulait faire dis- paraîti'e en le détournant vers un but louable. L'Eglise a suivi cette marche mainte fois en divers temps et lieux » (Cahier. Caractéristiques, t. II, p. 661). Ce n'est pas Raynaud qui a eu l'idée de comparer aux flèches dont fut percé saint Sébastien, celles dont Apollon accabla les Grecs : d'après Raynaud lui-même, ce rapprochement avait déjà été fait par .loanncs Pictus t. 42 Ilie- roçfli. c. 17, et jiar Philibcrtus Maichinus in opère de l)elln divino prohl. S.
5. Molanus. De hisloria sacraruni imaginuin, 1. III, c. 6 ; Rio, De l'art chré- tien, t. II, ji. 18S; Jameson, Sacred and legendarg art. j). 245; Detzel, Chrisl- liche Ikonographie. t. II, p. 6.'ii; Cahier, Caractéristiques, t. I. p. 414; For- geais, |P/om/)S historiés, t. IV, p. 166; Reinach, Répertoire. I. 583-590; II, 648-655; etc. Des flèches dont avait été percé saint Sébastien étaient con- servées dans l'église des .\ugustins de Poitiers, à Lambesc en Provence, et ailleurs (Estienne, Apologie pour Hérodote, ch. x.vxvm).
LES FLÈCHES DE LA COLÈRE DIVINE 111
des monuments ' qui montrent le bel éphèbe percé de flèches ont été voués dans la crainte de la peste, beaucoup en temps de peste. Assurément saint Sébastien n'a pas été le seul saint « antipesteux » du moyen âge : on en vénérait beaucoup d'autres, selon les pays ' : en Flandre, saint Macaire de Gand, saint Adrien, martyr^ ; en Italie, à partir delà fin du xvi'' siècle, saint Charles Borromée ; en France, saint Christophe, saint Nicaise '* et même saint Louis ", quoiqu'il fût mort de la peste, ou plutôt parce qu'il en était mort, comme s'il avait dû être pour la terrible maladie une victime suffisante. Plus impor- tant fut, à cet égard, le culte d'un laïque, saint Roch de Mont- pellier, né à la fin du xiu*^ siècle, et qui, dès la fin du xiv**, a été regardé dans toute la chrétienté comme un puissant pro- tecteur contre les contagions. Mais, quoiqu'on en ait dit^, l'antique réputation de saint Sébastien n'a jamais pâli devant celle de saint Roch : les églises, autels, ex-votos qui, du XV"' siècle au xvii°, ont été placés sous l'invocation de saint Sébastien sont légion ; tous les livres d'heures du xv'' et du xvi" siècles contiennent une prière à saint Sébastien, une antienne sur ce saint, une miniature qui le représente ^. Ce qui est vrai, c'est qu'à partir du xv^ siècle, dans les ex-votos et les gravures de dévotion, saint Sébastien et saint Roch sont fréquemment associés ; parfois, on leur joint saint Antoine, qu'on invoquait contre le mal des ardents.
Toute personne divine est, pour les primitifs, une force ambiguë, susceptible défaire, selon les cas, le bien ou le mal. Apollon, qui préservait de la peste, pouvait aussi la déchaî-
1. La plupart, non pas tous : car un certain nombre de représentations de saint Sébastien proviennent de Confréries d'archers et d'arbalétriers ; il était le patron des archers et arbalétriers, à cause des flèches dont il fut percé.
2. Cahier, Caract., t. 11, p. 661, s. v. Peste et contagions.
3. Cf. le Mistere de St Adrien, éd. Picot (dans la collection du Roxburghe Club), p. VI.
4. Guigne, Olivier de la Marche, p. xvii.
5. Durand, Monographie de la cathédrale d'Amiens, p. 419.
6. Par exemple Cahier, Caractéristiques, t. I, pp. 217 et 414.
7. ^lartin. Les miniaturistes français, p. 153. Je citerai quelques exemples : Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 68i (Heures en latin, xv" s.), prière à saint Sébastien: — .\rscnal, ms. 63 « (Heures en latin et en français, xvr- s.), f" 87, prière à saint Sébastien avec miniature: — Arsenal, ms. 635 (Heures en latin et en français, xv^s.), f" 152, prière à saint Sébastien; — Arsenal, ms. 649
Heures en latin et en français, à l'usage d'Orléans, xvs.jjf" 120, antienne latine sur saint Sébastien, la même que Forgeais (Plombs historiés, t. IV, p. 166; a reproduite d'après un Office de saint Sébastien imprimé à Falaise en 1822.
112 cnAimui:; vu
ner. Le moyen âge concevait de même le pouvoir des saints antipesteux : je ne parle pas, bien entendu, des théologiens, mais de la crédulité populaire, telle quelle s'étalait quand se leva le o^rand souffle purifiant de la Renaissance et de la Réforme : « Cependant, Grandgousier interrogeoit les pèlerins... Nous venons de S' Sébastian près de Nantes, et nous en retour- nons par noz petites journées. — Voyre, mais (dist Grand- gousier), qu'alliez vous faire a S^ Sébastian? — Nous allions (dist Lasdaller I luy otTrir nos votes contre la peste. — 0 (dist Grandgousier), povres gens, estimez vous que la peste vienne de S' Sébastian? — Ouy vraiment (respondit Lasdaller), nos prescheurs nous l'afferment. — Ouy (dist Grandgousier), les faulx prophètes vous annoncent ils telz abuz? Blasphèment ilz en ceste façon les justes et sainctz de Dieu, quilz les font semblables aux diables qui ne font que mal entre les humains, comme Homère escript que la peste fut mise en l'oust des Gregoys par Apollo et comme les Poètes faignent un grand tas de Veioves et dieux malfaisants. Ainsi preschoit a Sinaj's un caphart, c{ue S' Antoine metoit le feu es jambes. S' Eutrope faisoit les hydropiques, S' Gildes les folz. S' Genne les gouttes ',..». « Chacun de ces saincts, dit Henry Estienne dans VApolof/ie pour Hérodote ( ch. 38 ). peut envoyer la mesme maladie de laquelle il peut guarir. Et qu'ainsi soit, quand on dit le mal S' Main, le mal S' Jan, c'est aussi bien a dire le mal qu'ils envoyent que le mal duquel ils guarissent. »
Un mystique du xv*' siècle, Jean Raulin, approuvé au xvr par Molanus - et au xix'' par Grimoùard de Saint-Laurent, expliquait que les images qui représentent saint Sébastien percé de traits signifient qu'il intercède pour nous auprès de Dieu, en lui montrant, pour le fléchir en notre faveur, les bles- sures dont il fut couvert . Cette explication , certainement inspirée par un thème mystique, sur lequel nous reviendrons — celui de Jésus montrant ses blessures au Père pour apaiser son
1. Hfibclais, Gar(fantua. 1. I. ch. 15. Voir les noies des éditions Burgaud des Marcls-Rathery et Marty-Lavcaux. Sur le calembour comme explication du rôle de patrona^'e attribué à beaucoup de saints, cf. H. Estienne. Apolorfie pour Hérodote, ch. xx.wiii, t. II. p. 312 de l'éd. Ristelhuber : Raynaud, Opéra, t. VIII, p. 515 (quibusdam Caelitibus specialis cultus defertur injecta exo- randi spe ex nominis cortice); Cahier, Carac<eri.s<tV/ue.s, t. II. p. 605 ; Gaidoz dans Mélnsinc, t. IV. p. 505 sq. ; t. V, p. 152; Delehayc, Légendes hnyiogra,- ])hiqiies, 2" éd., p. 51.
2. De hist. SS. imaginiim. III, 6.
pERDRizET, La Vifi'ge de Miséricorde
PI. XVI
/■«.,/. r;,„l.,„,U
SAINT SKBASTIEN l'ROTEGE LES GENS DE SAN-(iE.MINIA\0
(Fresque tle B. (iozzoli)
LES FLÈCHES DE LA COLÈRE DIVINE 113
courroux contre les hommes — implique, ce me semble, la croyance aux 'flèches de la colère divine : lorsque Dieu va les lancer sur les hommes, saint Sébastien paraît devant lui, tout sanglant, et lui dit : « Ne sufïit-il pas des flèches qui m'ont percé? Epargnez aux hommes, par égard pour mes souf- frances, le supplice que j'ai enduré. »
Ainsi, par l'intercession de saint Sébastien, se détournaient de ceux qui s'adressaient à lui les flèches invisibles de la contagion. Cette idée, où la crédulité catholique se mêle à la superstition antique, n'a nulle part été mieux exprimée que par Benozzo Gozzoli, dans la fresque de l'église Saint -Augus- tin, à S. Gimignano (pi. XVI) '. Elle fut peinte en 1464, pen- dant une peste tellement violente que les conseils de la ville cessèrent de se réunir et que toutes les fonctions publiques lurent suspendues. Du haut du ciel, Dieu le Père et les anges lancent des javelots sur les gens de San Gimignano ; mais ceux- ci échapperont à la colère divine, car ils se sont réfugiés sous le manteau de saint Sébastien; ils supplient le saint d'intercé- der pour eux : Sancle Schastiane, intercède pro devoto populo tuo, dit l'oraison inscrite sur le socle où se dresse l'image du saint : et, en etfet, le saint, les mains jointes, prie pour ses dévots. Cependant, au ciel, se passe un drame émouvant : agenouillés devant le Père, le Christ et la Vierge lui font par- venir les supplications de Sébastien, en y joignant les leurs : le Christ montre la plaie de son flanc, la Vierge ses seins, qui ont nourri IHomme-Dieu : nous reviendrons plus loin sur cet étonnant dialogue. Par la vertu de toutes ces prières, les javelots de la colère divine sont arrêtés par le manteau et s'y brisent.
La fresque de S. Gimignano est une variante extrêmement curieuse d'un thème que la peinture religieuse italienne du XV*' siècle a souvent traité : la Vierge de Miséricorde proté- geant sous les plis de son manteau, contre les coups de la
1. Phot. Lombardi, 2076. Cl'. Cavalcaselle-Crowe, Sloria, t. L\, p. 32; Gazette des Beaut-Arls, août 1870, p. 163 (Gruyer), où Ton trouvera sur les pestes qui ravajjèrent S. Gimignano aux xiv» et w" siècles des détails empruntés à Pecori, Storia delta terra di S. Giinifjnano (Florence, 1S53) ; Lorraine-Artiste, 1905, p. 68 (avec reproduction).
Peiiuuizkt. — La \ ienje de Miséricorde. 8
114 CHAPITRE VU
colère divine, lliumanité pécheresse. Examinons les exemples les plus caractéristiques de ce thème ^.
Ils abondent dans la peinture ombrienne de la deuxième moitié du quattrocento. Le plus remarquable est assurément la bannière datée de 1482, peinte sans doute par Bonfig-li et qui sert aujourd'hui de retable dans Téglise de Montone. En bas, la petite ville de Montone, ceinte d'un rempart à tours, avec son église paroissiale, ses maisons et son château. Au-des- sus, dans le ciel, les gens de Montone. hommes, femmes, enfants — agenouillés. Des saints, Sébastien, François d'As- sise, Jean- Baptiste, Antoine l'ermite. Bernardin de Sienne, Antoine de Padoue, Nicolas de Myre, Grégoire pape, inter- cèdent pour eux auprès de la Vierge qui les couvre de son manteau. Et cette Vierge, de brocart d'or vêtue, est immense; sa couronne touche au ciel, sa robe à la terre. Dans le ciel, au- dessus de la Vierjj^e, le Fils, la poitrine demi-nue laissant voir la plaie du flanc gauche ; de chaque main, il lance des javelots sur Montone ; mais ils sont arrêtés par le manteau de Marie ; ils éclatent en morceaux, aucun n'arrive au but. Tout en bas, à droite, la Mort qui s'approchait sournoisement de ^lontone, sa grande faux à la main, est obligée de s'en- fuir.
On rapprochera de cette peinture, pour le thème de Jésus lançant les javelots et pour le thème de la Mort, une autre bannière de Bonligli, à .S'^ Maria \uova de Pérouse, peinte en 1472 pour les fratclli délia confraternità di S. Bene- detto. En haut, entre le soleil et la lune, Jésus demi-nu. lais- sant voii la plaie de son liane, lance les javelots de la colère : il en brandit un dans la main droite, et en tient trois dans l'autre main. Derrière lui, des anges portent les instruments de la Passion. A ses pieds, la Vierge et saint Paulin (sanctvs PAVi.iMS, lit-on dans le nimbe). Au-dessous, saint Benoît et sa sœur, sainte Scolastique, intercèdent auprès de la Vierge pour les Pérugins agenouillés en bas du tableau. La Mort, armée d'une faux, passe au milieu d'eux. Derrière elle, un ange brandit une lance, je ne sais si c'est pour chasser la Mort, parer les coups de la faux, ou pour l'aider
1. A la représentation de Dieu lançant les flèches se rattache celle de Jupiter, dans le jeu de cartes vénitien (fin du xv s." au Cabinet des estampes de la Hibliotlièque impériale de Vienne (reproduction dans les Millh. des k. k. Centrnlcommission, V. 1860, p. 99^.
LES FLÈCHES DE LA COLÈRE DIVINE Ho
dans son œuvre de destruction, de même que, pendant la peste de 680, le bon ange coopéra avec le mauvais K A l'ar- rière-plan, assise sur ses collines, Pérouse telle qu'elle était au XV® siècle, avec ses tours innombrables, Perugia turrita.
L'ég-lise de Corciano, villati^e des environs de Pérouse, pos- sède une bannière analogue. A la requête de saint Sébastien et de saint Nicolas, la Vierge implore Dieu pour ceux de Corciano. Saint Nicolas s'adresse à la Vierge en ces termes : Sancta Maria, succiirre misei'is, juva pusillanimes, refove flehiles, ora pro populo. Saint Sébastien prononce cette strophe - :
0 Maria, flos virginum Veliil rosa vel lilium, Funde preces ad Filiiim Pro sa lu te fideUum.
Au-dessus de la Vierge, Dieu lance ses javelots sur Cor- ciano ; mais ils se brisent contre le manteau protecteur. Dans le bas, sur sa montagne, la petite ville avec sa double enceinte, le campanile de son église paroissiale et la haute tour de son municipio.
Une quatrième bannière du même type, de Bonfigli encore, se trouve à Pérouse, dans l'église N. Francesco al Prato (pi. XVII). En haut, dans le ciel, le Christ lance les javelots. A ses côtés volent deux anges, ou plutôt deux personnages allégo- riques, nimbés et armés de glaives : leurs noms sont dans leurs nimbes : à droite du Juge est la Justice, elle lève son glaive pour frapper les hommes ; l'autre est la Miséricorde, elle remet son glaive au fourreau. Ces deux figures symbo- lisent les deux sentiments qui se combattent dans l'âme du Juge : on sait 1 importance de cette psychomachie, et comme, après avoir été inventée par saint Bernard-^, elle a été popu-
1. Tune visibilité?' niiiltis apparuit, quia bonus et malus anc/elus noctu per civitalem perafferent, et ex jussn boni angeli malus angélus, qui videhatur venahuluni manu ferre, quoliens de venabulo oslium cujuscumque domus percussisset. toi de eadem domo die sequenti humines interirent (Paul Diacre, Hist. Lanqoh.. 1. VI, p. 166 des Monum. Germaniae ; cf. Légende dorée, ch. xxiii, de S. Sebastiano. sub fine .
2. Elle se retrouve sur la bordure du manteau de la Vierg:e, dans un tableau flamand du xvi" siècle, qui fait partie de la collection Masure-Six et qui a figuré sous le n» 35 à l'Exi^osition de la Toison d'Or (Bruges, 1907). Cf. Pératé dans Les Arts, n° de nov. 1907, p. 11.
3. Sermo primus in annunt. B. Mariae (P. L., GLXXXIII, 388).
H6 CHAPITHE VII
larisée par les mystiques et les prédicateurs du xiii^ et du xiv*^ siècle, notamment par l'auteur anonyme des Meditationes vitae Christi ' et par la Vita Christi de Ludolphe "', au point d'inspirer, au xv" siècle, l'art théâtral -^ et les arts fig-urés ^. Mais revenons à la bannière de Pérouse. Au milieu est la Vierge ; sous son manteau, contre lequel les traits lancés par le Christ viennent se briser, elle protège les Pérugins age- nouillés, qui lui sont recommandés par huit saints : à droite, Bernardin, François, Herculan (évèque de Pérouse) et Lau- rent ; à gauche, Sébastien, Pierre martyr, et deux saints évêques — S^ Nicolas, je suppose, et S' Louis de Toulouse. En bas, Pérouse, avec ses murailles, ses clochers, et les tours de ses palazzi. Dans la ville on aperçoit une confré- rie de pénitents blancs, qui se dirigent en procession vers une église. Cependant, hors des murs se passe un drame terrible : des gens suivaient tranquillement le chemin qui monte à Pérouse, quand la Mort, brusquement survenue, en a tué plusieurs à coups de javelot; mais un archange, lance à la main, fonce sur la Mort — sans doute à la requête de Marie — et l'empêche de poursuivre sa funèbre besogne. Il est croyable que cet épisode a rapport à une peste : les gens dont le peintre a représenté la mort subite durent être soudaine- ment terrassés parla contagion, comme le sont, par exemple, quelques-uns des personnages de la grande Litanie, dans lune des plus étonnantes peintures des Très riches Heures ■\ Le thème dont ces quatre bannières sont des variantes devait être populaire dans 1 Ombrie, dans la deuxième moitié du quattrocento. Mariotti*^* décrit une fresque aujourd'hui
1. Gh. II. Les Medilidiones sont attribuées communément à saint Bonaven- ture. Sur cette attribution, voir plus haut, p. 15.
2. Pars I, cap. u (éd. de Lyon, 1644, p. 10).
3. Un mystère en vers, imprimé vers la fin du xv siècle (Brunet, La France littéraire au XV' s., p. 167), a pour titre : Le procès que a faicl Miséricorde contre Justice pour la rédemption humaine.
i. Mâle, dans la Gazelle des Beau.r-.\rts, 1" février 1904, p. 98.
5. Durrieu, Les très riches Heures du duc de Berri/. pi. XLIII : dans sa notice sur cette planche, Durrieu énumère d'autres miniatures i-eprésentant le même sujet, et il ajoute : « La présence d'une représentation de la prrande Litaine dans un livre d'Heures est un fait très rare. C^e sujet semble avoir été l'objet d'une prédilection particulière de la part de l'atelier dont Pol de Lim- bourjr était le chef. » Cette « prédilection >> s'explique peut-être par la peste dont la France fut ravagée au début du \v" siècle, de 1399 à 1402 i^sur cette peste, cf. Delisle, Étude sur la condition de la classe aijricole en Sormandie, p. 642, où l'on trouvera l'indication des témoignages contemporains).
G. Letlere. p. 5s. lîroussolle {La jeunesse du Férurfin, pp. 9S et 32S) repro-
Perdrizet, L(i Vifj'ffi' dr Miséricorde
PI. XVII
Bannièue de San-Francesco, a Pérouse
LES FLÈCHES DE LA COLÈRE D1VLNE 117
détruite, qui se trouvait dans une église de Pérouse, S''' Croce in borffo S. Sepolcro, et qui représentait la Madone protégeant sous son manteau le peuple de Pérouse agenouillé. A droite de la Vierge, saint Sébastien qui l'implorait. A gauche, un archange, qui remettait son épée au fourreau. Au-dessus de la Vierge apparaissait Dieu che vibra fulniini. Sur la robe de Marie étaient peints ces vers :
Con iimele chore et ardente fervore, Regina celi, dei pechatore sainte, Noi pregiani te che prege che ci aiute El tuo figlinlo e levace elfurore.
Avec un cœur humble et une ardente ferveur, Reine du ciel, salut des pécheurs, Nous te prions que tu pries de nous être en aide Ton Fils, pour que sa fureur prenne fin.
Saint Sébastien disait ceux-ci :
Per queste piaghe che er ci rade al quanto, Per lo tuo amore e per lo figliolo tuo. Te priego, Madré, che lo priege tanto Che esshaudischa questi popul suo.
Par ces blessures qui me furent assez cruelles. Par ton amour et par ton Enfant, Je te prie. Mère, de le prier tant Qu'il exauce ce peuple qui est sien.
La réponse de la Vierge était écrite sur une banderole entre la Vierge et l'archange :
Martir heato con humilie chore, Se essaudito, e pero, agnolo cruo, Remette l'arme e la crua spada.
Martyr bienheureux, humble cœur.
Sois exaucé ! Aussi, ange cruel.
Remets (au fourreau) ton arme, ta cruelle épée.
L'archange obéissait : il rengainait son glaive sur lequel était écrit le mot fiat, « que ta volonté soit faite ! » C'est le
duit la description de Mariotti sans l'expliquer et sans traduire les inscrip- tions.
118 CHAPITRE VII
geste de la Miséricorde, sur la bannière S. Franccscoal Prato '.
Une autre bannière ombrienne doit être, pour létude du thème des javelots, rapprochée des précédentes : elle a appar- tenu jadis à la ])asilique Saint-François, à Assise -, les gens d'Assise l'appelaient « la bannière de la peste », ce qui signifie qu'elle a dû être vouée en temps d'épidémie et qu'on la pro- menait en processsion chaque fois que la peste revenait. En bas, Assise, vue de la Portiuncule, avec les énormes soubas- sements de San Francesco et la Rocca di Papa ; au-dessus de la ville, dans le ciel, les Saints qui intercèdent pour elle, François, Glaire, Sébastien, Roch et deux évêques ; au-dessus du groupe des intercesseurs, la Vierge qui fait parvenir leurs prières au Christ, en y joignant les siennes ; tout en haut de la bannière, le Christ, juge du monde, dans une mandorla de chérubins; des anges l'accompagnent, dont cha- cun porte trois javelots, instruments delà colère divine; mais ces anges, au lieu de tendre les javelots au Juge, joignent leurs prières à celles de la Vierge et des saints ; si bien que le Juge, au lieu de punir, lève la main sur Assise et la bénit.
Un tableau de Domenico Pecori (début du xvi*^ siècle), à la Pinacothèque d'Arezzo, montre Dieu le Père tenant à poignées les traits de la colère pour en accabler les gens d'Arezzo. Les Arétins sont agenouillés sur la terre, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre et invoquent la Vierge. Deux interces- seurs, saint Donat et saint Marc, se sont joints à eux. Tou- chée par leurs prières, la Vierge de Miséricorde descend du ciel, portée par les anges, et sur le peuple arétin étend son manteau.
Le thème qui nous occupe se rencontre aussi dans l'Italie méridionale.
1. Je retrouve cet archange dans la fresque de Pietro Negri, Venise délivrée de la peste en I6S0 par la Vierge Marie sur l'intercession de saint Sébastien, saint Roch et saint Marc, peinte à ^'enise en 1673 pour la confrérie de Saint- Roch (Lafenestre-Richtenberger, Venise, p. 199: « Au ciel, l'ange de la Mort remet le glaive au fourreau ») et dansun tableau de Simon^'ouet, au musée de Bruxelles, n" 508, Saint Charles Borromée priant le Christ et la Vierge pour les pestiférés de Milan: dans le fond, un archange remet lépée au fourreau.
2. Cf. (^avalcaselle et Crowe, Sloria. t. IX. p. 111; Cibo, S'iccolo Alunno e la, scuola umhra. p. llo. Cette peinture, qui se trouvait autrefois à Cologne dans la collection Ramboux, u" 202, est conservée maintenant dans le réfectoire du Prieslerhaus, à Kevelaer pèlerinage célèbre, entre Clèves et Crefcld),où je l'ai fait photographier. C'est un faible travail dans la manière de l'Alunno. H, l,so, larg. 1,30.
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LES FLÈCHES DE LA COLÈRE DIVINE H 9
Une fresque qui paraît être de la première moitié du XV'' siècle, et qui se trouve dans l'église d Atella, en Basilicate, représente en haut, dans le ciel. Dieu à mi-corps, au milieu des nuées ; il lance les javelots à poignées ; deux anges lui en
Fresque d'Atella.
apportent d'autres, par faisceaux : ils renouvellent ses muni- tions, si j'ose dire. Les gens d'Atella se sont réfugiés sous la protection delà Vierge, mais trop tard, semble-t-il, car beau- coup de traits ont touché le but. La A'ierge étend son manteau pour sauver les Atellans qui survivent.
Plus curieux encore est un panneau qui se trouve dans la cathédrale d'Aversa en Campanie ; c'est l'œuvre d'un Napoli- tain, Angelillo Arcuccio, qui peignait vers 1470, sous l'in-
i20 CHAPITRE VII
fluencG des Flamands (pi. XVIII). Le haut et le bas de ce pan- neau ont, je suppose, disparu; la partie subsistante montre la Vierge de Miséricorde assise sur un trône; son manteau, ouvert, est soutenu par des angles ; du ciel pleut vers ce manteau une grêle de flèches : mais aucune ne parvient même à le toucher : toutes se recourbent ou se brisent ; elles sont renvoyées par vme force invisible et reviennent vers la main qui les a lan- cées, comme sur certaines représentations on voit les flèches se retourner contre les bourreaux des saints Anargyres ' ou de saint Christophe -, ou comme il est dit dans la légende de saint Philémon "^ ou dans celle de l'apparition de saint Michel sur le mont Garg^anus ', Toute différence "ardée. cette façon naïve, mais saisissante, d'exprimer la force invisible qui réside dans le manteau de Marie rappelle l'inspiration sublime de Michel-Ange, tant admirée de J. Burckhardt. dans la Créa- tion de l'homme à la chapelle Sixtine : « Le Tout-Puissant, de son index, communique l'étincelle de vie au doigt du premier
1. Alinari, 15i5. Une g^ravure de Callot {Les images de tous les saints et saintes de l'année. 27 septembre i-eprésente les Anaiyyres tenant dans une main l'urinoir, dans lautre la flèche : cette flèche ne fait pas allusion à la mort des deux frères, puisqu'ils eurent la tète tranchée, mais à un épisode de leur martyre : quand le proconsul, raconte la /.étende dorée (ch. i:-\i,iii. De SS. Cosma et Damiano, p. 63S Griisse'. ordonna de les tuer à coups de flèches, les traits se retournèrent contre les archers : Jussit (Josmam et Damianum a quatuor militihus sagittari.sagittae vero conversae plurimos vulnerahant.sed sanctos marti/ros non laedebant. I^es archers qui tirèrent sur les Anargyres étaient au nombre de quatre : pour tirer sur saint Christophe, il n'y en eut pas moins de quatre cents : Bex jussit Chrislophorum ad slipilein ligari et a CCCC militihus sagittari. Sagitlae autem omnes in aëre suspendebanlur nec ipsiimaliqua contingere potuit. Rex autem pulans ipsum a militihus sagitta- tum cum eidem insultaret, suhito una de sagittis ah aëre veniens et rétro se verlens regem in oculo percussit Légende dorée, ch. c. de S. Chrislophoro, p. 434 Grasse). La taille gigantesque de Christophe explique ce chiffre déme- suré : mais le tiième des flèches cjui se retournent vers le peloton d'exécution ayant été emprunte par la légende de saint Christophe à celle des Anargyres, il a du s'amplifier par l'effet de celte surenclière dont les légendes hagiogra- phiques présentent de nombreux exemples.
2. Cahier. Caract.. I. p. 415. qui cite une châsse de Dalmatie publiée dans le Jahrbuch der K. K. Central-Commission de Vienne, V (1861), p. 150.
3. Cahier. Id.. II. p. 369.
1. 0 Matière de bréviaire », dirait Rabelais : cette légende, en elTet, se trouve dans le Bréviaire romain, à la date du s mai. Elle est aussi dans la Légendedorée. ch.cxi.v (de S. .Michaelcarchangelo). p. 013. Grasse, où il semble c|u'on aurait pu la laisser. Cf. encore Petrus de Xatalibus, Catal., I. IV, ch. CXI., et Palustre, De Paris à Sgbaris. pp. 293-296. L'apparition de saint Michel sur le mont Garganus aurait eu lieu en 493. Le sanctuaire du Garganus fut au moyen âge en Occident « la métropole du culte des anges » (Grcgoro- vius, Geschichte der Stadl Rom. III, 434).
LES FLÈCHES DE LA COLÈRE DIVINE 121
homme : il n'y a pas, dans toute l'histoire de l'art, un second exemple de cette traduction de l'invisible. »
La plupart des représentations qui montrent la Mère de Miséricorde protégeant les pécheurs contre les flèches de la colère divine proviennent de l'Italie centrale,' plus précisé- ment encore de l'Ombrie, c'est-à-dire du pays qui a été le plus pénétré de l'influence franciscaine '. Sur les bannières omljriennes dont on vient de lire la description, au premier rang des saints qui intercèdent auprès de la Vierge, qui lui trans- mettent les prières des hommes, sont les Saints franciscains : sur la bannière de Montone, les trois premières places, après saint Sébastien, qui a le pas sur tous les autres saints comme protecteur contre la peste, sont dévolues à trois Franciscains, François d Assise, Antoine de Padoue, Bernardin de Sienne; sur la bannière de S. Francesco, les deux premières places sont occupées par saint Bernardin et par saint François.
On remarquera que, sur ces deux bannières, saint Bernar- din est avant saint François, et fait pendant à saint Sébas- tien. Sur la bannière de Corciano, le premier personnage age- nouillé à la droite de la ^ ierge est un prédicateur franciscain, sans dovite celui qui décida les gens de Corciano à vouer cette bannière ; sur sa poitrine resplendit le trigranmie sacré inventé par saint Bernardin ".
1. Le retable de Gottingue. que nous décrivons plus loin p. 127 , pi'c)vient d'une église de Franciscains.
2. Pour la dévotion du trigranime et pour son iconographie, cf. Acta SS., mai IV. t. 723; Molanus, De Hist. SS. imaginum. IIL 1 et 18: Cahier, Carac- téristiques, t. I, p. 96: Delaborde. La gravure, pp. 4i et 4S : Siniéon Luce, Jeanne d'Arc à Domrémy. p. ccxxxix : Rouver, Le nom de Jésus employé comme type sur les monuments numismatiques du XV' siècle, dans la Revu^ belge de numismatique, ^^96 et 1897; Thureau-Dangin, Sain< Bernardin de Sienne. Paris, l.s96 ; Reinach, Répertoire, t. I, p. 541-b42, 552. et larticle sur Bernardin de Sienne dans le Dicl. de théol. catholique de Vacant et Man- genot. Le texte capital sur le fétiche inventé par Bernardin est aujourd'hui celui de la Vie anonyme l'écemnient éditée par le Bullandiste Van Ortroy {Anal. BolL. 1906, p. 317) : cernens gloriosum nomen quod est super omne nomen Pliilipp. II, 9) e mentibus hominum fere oblitteratum. studuit habere parvulam telam. in qua depictum seu descriptum litteris aureis nomen illud haherelur : quam populis cunctis ad ejus sernionem singulis diebus ostende- hat venientihus. Quihus clara voce dicehat : « Haec sunt insiynia veslra et arma populi Dei. Hoc est nomen. et non est aliud in quo vos fieri salvos oporteal. Hoc nometi salutiferum est et suave, quod et in cordihus vestris indelehiliter depictum portare vos convenil et ibidem quotidie meditari et in plateis et saper liminaribus doinorum vestrarum palam ac dignissime depictum singuli veslrum debetis et in omnibus eliam prosperis proponere et in adversis invo- care debetis. » Et coeperunt omnes hoc nnmen sanclum et gloriosum magna
122 CHAPITRE vil
Il n est pas surprenant que saint Bernardin tienne une telle place sur ces bannières. Le peuple italien n'avait pas oublié le dévouement de Bernardin pendant la peste de 1400; c'était la peste de 1400 qui avait déterminé Bernardin à prendre l'habit de saint François '. Et l'on sait de reste que le prédi- cateur à la parole brûlante, le fondateur des Mineurs de l'extrême Observance, a insufflé au franciscanisme, pendant la première moitié du xv*^ siècle, une nouvelle vie.
Je croirais même volontiers, avec M.Thode', que le thème de Marie s'interposant entre Dieu et les hommes, arrêtant avec son manteau les flèches de la colère, a son origine dans les prédications de saint Bernardin. La messe -^ composée par Clément W, pendant la g^rande peste de 1348, ne parle ni des flèches de la colère, ni des traits de la peste : iraciindiae tiiHc flagella amoveas, dit-elle simplement ; la Merge n'y appa- raît que comme intercesseur ; c'est a Dieu seul, non à la Yierg-e, que s'adresse l'oraison prononcée après la commu- nion : cxaucli nos, Deus salutaris nohis, et intercedente beata Dei génitrice semperque virgine Maria '*, populum tuum ah iraciindiae tuae terrorihus libéra et misericordiae tiiae fac lar- (jitate securum. Le thème des flèches de la colère arrêtées par le manteau protecteur apparaît dans l'art italien à l'époque où l'Italie centrale résonne encore des prédications de saint Bernardin. Somme toute, ce thème inspirait des idées rassu- rantes, il exprimait cette croyance qu'il y a un recours contre la colère du Juge : or, la prédication de saint Bernardin et la dévotion du trigramme qu'il imagina avaient précisément pour but de rassurer l'Italie, que les sermons terribles des Frères Prêcheurs avaient atfolée : « Comme Vincent Ferrer avait dit que l'Antéchrist était né en 1 403. les années qui se succédaient ne faisaient qu'accroître la terreur des popula- tions. Cette terreur était arrivée à son comble en 1423, prin- cipalement dans l'Italie septentrionale, qui avait retenti des prédications sinistres de Mainfroi de Verceil. Ce fut alors
ciim devotione et reverentia nominare et pinc/ere, et pictiim, siciil vir Dei docuerat eos, publiée déferre.
1. Cf. supra, p. 80.
2. Franz von Assisi, 2" éd., p. 516-517.
3. liibl. de V École des Chartes, 1900. p. 336.
4. L'appel à linterccssion de la \'ierge, impriniô ici en caractères romains, est supprimé dans le texte actuel, tel que le donnent les missels modernes.
LES FLÈCHES DE LA COLÈRE DIVINE 123
qu'un Franciscain de l'Observance, Bernardin de Sienne, eut l'idée de recommander aux fidèles un procédé facile et en quelque sorte matériel dd dévotion propre à calmer leur épou- vante. Ce procédé consistait à rendre un culte extérieur au nom de Jésus, à tous les sig-nes visibles, à toutes les représen- tations matérielles de ce nom. Bernardin portait partout avec lui une imag-e où le nom de Jésus (IHS) se détachait en lettres d'or au milieu d'une «gloire ; et quand il avait fini de prêcher, il présentait cette image aux fidèles en les invitant à se mettre à genoux et à l'adorer. Quiconque avait soin de se munir d'une image de ce genre et d en orner sa demeure, pouvait défier toutes les puissances du mal '. »
« L'école ombrienne, a dit Rio "^ porte une empreinte ascé- tique qui la distingue des autres écoles italiennes. » Ascétique est impropre : Rio n'a pas ])ien exprimé tme impression juste. La peinture ombrienne du xv^ siècle est, plus encore même que la peinture siennoise.unart toutpopulaire, travaillant pour le peuple, sous l'inspiration de celui des Ordres religieux quia toujours eu le plus de contact avec le peuple. Or la foi populaire ne connaît pas la mesure, la prudence, le juste milieu. La piété franciscaine s'est toujours portée aux extrêmes, sans se soucier des difficultés qu'elle créait aux théologiens : elle s'est complu à détailler les conformités de saint François avec le Christ ; elle a affirmé, la première, l'immaculée conception de la Vierge. Le thème de la Vierge arrêtant les flèches de la colère divine me semble franciscain d'origine, à cause de sa hardiesse même. Sans doute, les docteurs enseignaient que la Grâce est plus forte que la Loi, la Miséricorde plus forte que la Justice, et que Jésus avait fait sa mère Reine de Miséri- corde :
Regnam suiim iu duas parles divisif ; Unam partem sihi retinuit, alleram Marûv commisit ; Duae parles regni siii sunt jusfitia et mi'sericordia. Per jiistitiam minahatur nohis Deus.per misericordiam
[siiccurrit nobis Maria ^.
Telle est la doctrine de saint Thomas ^. Mais le Domi-
1. Siméon Luce, loc. laud.
2. De l'art chrétien, t. II, p. 211. Cf. Burckhardt. Le Cicérone, t. II, p. 570. de la traduction.
3. Spec. hum. .•ialvat.. ch. xxxix. 1. 95-9S, éd. Lutz-Perdrizet. p. XI.
4. Cf. supra, p. 13.
\2'i CHAPITRE VII
nicain anonyme auquel nous empruntons ce texte, continue ainsi :
0 hone Jesii, exaudi siipplicanfem pro nohis fvam Mairem !
Autrement dit, la miséricorde de Marie peut faire fléchir la justice de Dieu, mais encore faut -il que la Vierg^e implore. Sur les représentations qui la montrent arrêtant les flèches de la colère, elle n'implore pas toujours '. Les saints intercèdent auprès d'elle, et elle, brusquement, s interpose entre Dieu et les hommes. Elle étend son manteau, et les flèches divines se brisent, ou même retournent Acrs Celui qui les a lancées. La Yierg-e apparait gigantesque, entre le ciel et la terre, pendant que Dieu, à demi caché dans les nuées, semble tout petit -. On ne saurait donner à entendre dune façon plus sig^nitîcative quela^ie^ge, par sa miséricorde infinie, contrarie et annihile les desseins de Dieu. Mais, parce quelle était outrancière, cette représentation devait inquiéter la prudence des théolo- giens. Aussi ne sest-elle pas répandue en dehors des milieux franciscains. Aussi n a-t-elle pas, que je sache, été adoptée en France, où le catholicisme a toujours été plus pondéré qu'en Italie et en Allemagne. Et elle a disparu dès le xvi'^ siècle, en même temps que le trigramme de saint Bernardin : les flèches de la colère ou de la pestilence, le fétiche du Nom sacré ^ durent paraître à l'orthodoxie catholique, quand elle tâcha de faire face aux attaques de la Réformation, des sym- boles compromettants, trop souvent entachés de supersti- tion populaire pour qu'on les pût garder.
1. Sur la bannière de Corciano elle est fig-urée priant, les mains jointes : mais sur les bannières de Montone et de S. Francesco. sur les fresques d'Atella et dAversa ou sur le tableau de Pecori, rien n'indique quelle prie.
2. Même disproportion dans le tableau de la collection Butler, qui repré- sente le pape Léon IX guéri dun mal à la main par lintercession de la Viergre
Reinach. Bépertoire, t. I. p. 492 .
3. Il se trouve aujourd'hui sur une foule d'ornements d'église et de vêtements sacerdotaux : on l'explique comme étant l'abréviation de l'invocation J esus) hiominumi sialvaton : au xv siècle, le trigramme ne signifiait pas autre chose que le Nom de Jésus. Ihesu s. IHS oj;j.
CATALOGUE
Italie.
1. Montone. Dans Téglise Saint-François. Bannière datée de 1482, transformée depuis en retable. Pour la description, voir supra, p. 114. OEuvre de Bonfigli, selon toute vraisemblance ; l'attribution à Sini- baldo Ibi, de Pérouse, dont il y a, au dôme de Gubbio, un tableau daté de 1307, et qui procède du Pérugin et de Raphaël, est inaccep- table. Alinari, 3187 et 3786. Cf. Revue de l'art chrétien, 1900, p. 206 ; Broussolle, La Jeunesse du Pérugin et les origines de lart Ombrien, fig. 123; de Mandach, Saint Antoine de Padoue, p. 91; La Lorraine artiste, 1903, p. 63; Gaz. des Beaux-Arts, 1903, II, p. 407; Les Arts, n" de nov. 1907, p. 9.
2. Pacciano (village à 13 km. de Città délia Pieve^. Bannière de Bonfigli. Au centre, la Vierge couvrant de son manteau les fidèles age- nouillés pour lesquels intercèdent saint Sébastien et saint Nicolas. Dans le haut, le Christ irrité, avec saint Raphaël et saint Gabriel. Au bas, une vue du pays de Pacciano. Cf. Broussolle, Pèlerinages, p. 36; Origines, p. 177.
*3. Pérouse. Fresque aujourd'hui détruite à S'^ Croce in borgo S. Sepolcro. Cf. supra, p. 117.
4. Bannière de S^ ^Jaria Nuova, à Pérouse. Cf. p. 141.
5. Bannière de S. Francescô al Prato,i\ Pérouse. Cf. p. 113.
6. Corciano, à trois lieues de Pérouse. Bannière (de Bonfigli ?). Date : 1472. Andersen, 13840; description insuffisante dans Broussolle, Pèlerinages, p. 36,'et Origines, p. 177; mieux dansCavalcaselle et Crowe, t. IX, p. 137. Cf. supra, p. 113. u Peinture médiocre, qui a pei'du son caractère original par suite de repeints ». (Cavalcaselle-Crowe .
7. Fresque dans Féglise de la Commanderie de Sainte-Croix, à Pérouse. Cf. supra, p. 76.
8. Arezzo. Grand tableau d"autel, à la Pinacothèque, par Domcnico Pecori, d' Arezzo, peinti'e médiocre du commencement du xvi'" siècle. Alinari, ,9970. Pour la description voir supra, p. 118. Cf. Cavalcaselle et Crowe, t. VIII, p. 332, et Lorraine artiste, 1903, p. 06. Vasari, dont l'information, pour ce qui concerne Arezzo, est particulièrement pré- cise, dit que Pecori, dans l'exécution de ce retable, fut aidé par un Espagnol léd. Milanesi, t. V, p. 31).
126 CATALOGUE
9. Fresque de 142o environ, dans l'abside d'une église, à Alella (Basi- licatei. Pour la description, voir supra, p. 119. L'église dont cette fresque (! écorait l'abside ayant été ruinée en 1694, l'abside fut murée et la fresque oubliée. Le terrible tremblement de terre de 1831 jeta à terre le mur qui fermait l'abside, et limage de cette Vierge de Miséricorde réapparut. C'était à la Vierge de Miséricorde que les habitants de la Basilicate, en cas de tremblement de terre, adi'essaient leurs prières. La réapparition de l'ancienne image sembla un miracle. Le roi de Naples, Ferdinand II, dans le voyage qu'il entreprit à travers la Basilicate ruinée, vint prier devant la Madonna riparatrice d'Atella et fit dessiner la fresque par Giuseppe Abbate ; la reine Marie-Thérèse accepta l'hommage d'une dissertation de Stanislas d'AIoe (La Madonna dWtella nello scisnia d'Italia, Naples, 18o3, 4°), où l'auteur tâchait de prouver que la fresque d'Atella était la représentation allégorique de la Madonna délie divine grazie à laquelle Urbain VI, au moment le plus ardent du grand schisme, s'était adressé et en l'honneur de laquelle il avait fondé la fête delà Visitation. M. Bertaux I monuinenfi niedievali nella ret/ione del Vulture, dans la revue Xapoli nohilissiina, 1897, p.xvii- xvni, Cg. 29', a montré que cette peinture ne pouvait être antérieure à 1420. Cf. la Lorraine artiste, 1903, p. 66. — - Fig. 1.
10. Panneau dAversa, Cf. supra, p. 119. — PI. XVllI.
11. Vincenzo Pinturicchio, qu'il ne faut pas confondre avec son illustre homonyme, Bernardo Pinturicchio, l'auteur des fresques de la Lihreria de Sienne et des appartements Borgia, a peint en 1318 une bannièi-e conservée aujourd'hui dans Féglise de Sainte-Marie-Majeure, à Bet- toua, en Ombrie. Au centre, la Madone assise dans une ?nandorla, avec l'Enfant sur ses genoux. Au-dessus d'elle, sainte Anne étend un man- teau contre lequel viennent se briser les flèches que Dieu lance sur Bettona. Dans le bas, à l'arrière-plan, la ville de Bettona ; au premier plan, agenouillés, saint Christophe et saint Antoine de Padoue. Cf. G. Bianconi, /n/or/jo ar/ un dipinlo esistenie in S. Maria Maggiore di Bet- tona attribuifo allô Spagna i Pérouse, Santucci, 1869 : de Mandach, Saint Antoine de Padoue et Vart italien, p. 148.
Allemagne.
12. Dans la chapelle du chàteau'de Bruck, non loin de Lienz, a l'en- trée du Pustertal en Tyrol, sont des peintures murales du début du xvi"" siècle, dont l'une est un Pesthild. CL Borvmann, Aufnahmen mittel. Wand-und Deckeninalereien in Deutschland, pi. II et IV; meilleure reproduction dans Semper, Beisestudien iiber einige M'erke tirolischer Malerei ini Pustertal und Karnten Jalirbuch der K. K. Centralcom- niissinn, Vienne, 1904, ûg. 21 et 22). En haut, apparaissant à mi-corps dans les nuages. Dieu le Père, armé de l'arc et lançant les flèches une par une contre le monde. Autour de Dieu Hotte une banderole avec ces mots : Congregabo super eos mala et sagittas nieas coniplebo in eis (Deulér. xxit, 23). Deux Prophètes, dont le roi David, sont auprès de
CATALOr.EE 127
Dieu. Sur la terre, à la droite du Père, le Clirist nu, agenouillé, montrant la plaie de son flanc; près de lui flotte une banderole avec ces mots : ecce latus ineuni apertuin propter peccatores. A gauche, la Vierge, Mater omnium, beaucoup plus grande que le Christ : sous son manteau, que soutiennent quatre anges, sont agenouillés les hommes, à droite les clercs, à gauche les laïques. De la main droite, la Vierge montre à Dieu sa poi- trine, qui est, ici, soigneusement couverte. Les flèches, en arrivant près du manteau, se brisent à angles droits en plusieurs morceaux : Semper les a prises à tort pour des éclairs [gezackte Blitze, col. 121).
13. Une fresque analogue, qui semble de la même main que la précé- dente et qui est datée de 1488, se trouve dans la même partie du Tyrol, à Obermauern.
14. Tableau du musée de Buda-Pesth, attribué à L. Cranach le Vieux ou à Griinewald. Braun, 22.j80. Pour la description, voir p. 128. — PI. XIX, 2.
15. Fresque dans la chapelle du cimetière de Mundelsheim, arron- dissement de Marbach, Wurtemberg, datée de 14oo ; description dans Lehmann, Das Bildnis,p. 211 : c Marie est debout devant son fils, et lui montre le sein qui l'a nourri, pendant (]ue sous le manteau, qu'étendent les anges, se réfugient des hommes et des femmes de tout âge et de toute condition. »
16. 11 faut rapprocher des peintures précédentes la miniature d'un des manuscrit munichois du Spéculum humanae salvationis (clm 23433), où l'on voit un javelot venant du ciel contre les pécheurs réfugiés sous le manteau de Marie. — PI. XV, 1.
17. 11 en faut rapprocher encore le tableau suivant, (jui témoigne d'idées analogues.
Retable daté de 1424, jadis dans l'église des Franciscains à Gôt- tingue, aujourd'hui au Welfen-Museum, à Hanovre (Zeitschrift fiir christliche Kunst, 1889, col. 213). Il représente en haut le Christ comme juge du monde, assis sur l'arc-en-ciel ; du ciel tombe une pluie de flèches. En bas, à droite, est agenouillée Marie qui, dans son manteau qu'elle tient levé à deux mains, reçoit nombre de ces flèches. Derrière elle, deux saintes sont agenouillées. Devant elle, agenouillés, en pleurs, saint François et sainte Claire ; près de ceux-ci est cette légende : Salve illos, Chrisfe, pro quitus Virgo Mater te oral. Entre Marie et François gisent seize personnes, les unes vêtues, d'autres nues ou enveloppées du linceul, toutes percées par les flèches de la colère; les unes sont déjà mortes, les autres lèvent des mains suppliantes. — PI. XXX, 1.
CHAPITRE VIII
LE THÈME DES TROIS FLÈCHES
Los liois llèclies du Dieu de vengeance représenleul les trois lléaux, la guerre, la famine et la peste, dont Dieu punit les trois concupis- cences, avarice, orgueil et luxure. — Origine scripturaire et domi- nicaine de ce liième ; vision de saint Dominique, ex[)lication d'un Pesthlaft dominicain.
Parfois dans l'art allemand, le Dieu de vengeance, au lieu de lancer des javelots, se sert de l'arc — comme il est dit dans les Psaumes^ — et décoche des flèches, soit une à une, soit trois à chaque coup. Dans un manuscrit, copié vers liOO, d'une traduction allemande du Spéculum humanae salva- tionis-, on voit au-dessus de la Mater omnium, Dieu irrité, apparu à mi-corps dans les nuées, bandant l'arc contre les pécheurs (pi. XIX, 1). Sur cette miniature l'arc n'est armé que d'une flèche ; dans le tableau attribué à Cranach le Vieux, au musée de Buda-Pesth (pi. XIX, 2), dans un tableau du musée de Nuremberg, qui, comme celui de Buda-Pesth, doit dater des environs de ITiSO, Dieu le Père décoche trois flèches d'un coup-^.
Un retable du peintre Valençais, Jean Reixats, représen- tait, d'après les termes du contrat de commande, Jésus-Christ armé de trois lances dont il veut détruire le monde, et, au- dessous, la Vierge de Miséricorde abritant l'humanité sous
1. Ps. VIL 13 : ai-ciim suum lelendil et paravil illum ; XVII, 15 : misit siKjillas suas et dissipavit eos. Cf. II Rois, xxii, 15 : misit sagiltas ; Josèphe, Anl. Jud., I. n, i (il s'agit de la destruction de Sodonie) : -/.a\ ô 0êô; lys/.r'-.xs'. [jiÀo: il: Tr,v 7:oÀsv. Une Bible eu images, du xui" siècle, contient une miniature qui représente Dieu tirant des flèches — une par coup — sur les pécheurs fBibl. Xat. IV. 0561: photogr. au Cabinet des Estampes, dans Ad. l'i.J c, t. I .
2. L. Rosenthal, Iiuunahtila xi/loffraphica et typographica (cat. 90), Munich 1.S!)2, II" 1 : Cal. IV 100, p. 291-295. Cf. Bouciiot, Les 200 incunables xylogra- phiqiies du département des Estampes, p. 2".
3. Pour le tableau de Xuremberp-. voir IWppcndice.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PI. XIX
c;
LE THÈME DES TROIS FLÈCHES 129
son manteau, et montrant à Jésus pour le fléchir, saint Domi- nique et saint François, agenouillés derrière elle. C'est bien toujours le même thème, mais avec des modifications impor- tantes : le Dieu de vengeance n'est plus armé de javelots ou de flèches, il est armé de lances ; d autre part la Vierge, pour le fléchir, fait intervenir les fondateurs des deux Ordres men- diants. Le retable de Reixats n'est pas le seul exemple de cette variante. La première miniature du xxxvii^" chapitre du Spéculum humanae salvationis la représente à peu près de la même façon — avec cette dilférence que dans le Spéculum, la Merge de Miséricorde n'est pas figurée abritant les hommes sous son manteau. On dirait que Reixats a fondu en un seul deux thèmes pris au Spéculum .'la Mater omnium du chapitre xxviii et la première miniature du chapitre xxxvii. Le tableau de Cranach le Vieux, au musée de Buda-Pesth, les fresques de Bruck et d'Obermauern sont des amalgames analogues. On y voit, au ciel, Dieu le Père, bandant l'arc contre les hommes ; sur la terre, à la droite du Père, le Christ lui montrant, pour le fléchir, les blessures de la Passion — c'est le sujet de l'une des miniatures du chapitre xxxix du Spéculum — ; k gauche, la Vierge de Miséricorde, abritant sous son manteau, toute 1 humanité — c'est la première miniature du chapitre xxxviii. Le chapitre xxxvii du Spéculum débute par le récit d'une vision dont aurait été favorisé le fondateur de l'Ordre des Prêcheurs ' :
Quod plaçât iram Chrisli merlialrix noslra Virgo Maria, hliid patet in quadain visione cl soinno authentico, Quod diviniius oslensiis est sanctissimo palri Dominico
C'était en 1216, pendant le concile de Latran. Saint Dominique et saint François se trouvaient l'un et l'autre à Rome, mais ils ne se connaissaient pas encore. Une nuit, Dominique eut une vision : je la laisse raconter à l'auteur anonyme d'un recueil manuscrit de Miracles de la Vierge, qui est du début du xvi^ siècle - :
Des trois lances desquelles N. S. vouloil occirre le monde.
1. Lutz et Perdrizet, Spéculum humanae salvationis. t. I, p. 76.
2. Bibl. nat. ms. fr. ls81, papier; iT. 181-182.
PEKDRiziiT. — La Vierge de Miséricorde.
J30 CHAPITRE VIII
« Saint Dominique vist en esprit que N. S. tenoit trois lances desquelles il vouloit occirre le monde ; et N. D. ynellement * y ala et lui demanda qu'il vouloit faire de ces trois lances ; et lui respondit que il vouloit occirre le monde qui estoit plain de trois grans vices, c'est d'orgueil, de luxure et d'avarice ; et N. D. se laissa cheoir a ses piez et lui pria moult doulcement : Mon cher fîlz, ayez pitié du monde et par ta sainte miséricorde attremj)e - ta justice. Et il lui dist : Ma chère mère, vous veez coment le monde s'efforce encontre ma defîence et comandement de persévérer en pechie et especialement es trois pechies dessus nommez. Et elle li dist : Mon doulz fîlz, j'ay un serf etchapellain bon et deligent qui, avec ses disciples, yra par le monde et le fera obéissant a toy et a tes comandemens ; et li baillera}^ un compaignon qui fera le monde obéissant a toy comme lui. Et Jhesu Crist li respondit : Par amour de vous, douce mère, je esparneray le monde et retrairay ma justice et ma sentence que je voulois fere contre lui ; mais je veuil veoir les deux bons sers par lesquels le monde a moy se convertira et sera obéissant. Et elle li présenta saint Dominique et saint Francoys, lesquels N. S. moult loua et dist que bien feroient avec les disciples loftice, et par ainsi N. S. fut repaisiez envers le monde par le mérite et aide de sa benoite mère la glorieuse Vierge Marie, A ce propos, bien hat l'auttorite saint Barnart qui dist : Le fîlz de Dieu monstre a Dieu le père son coste percie, ses piez, ses mains perciez en la crois, et la mère monstre a son fîlz ses mamelles '■'' : dont nul reproche ne reffuz ne sera fect ou il a tant de signes et de réfrigères de charité. Et c'est veoir entendu de ceulx qui aront contricion, et de bon cuer devost retourneront et recognoistront et Jhesu Crist et sa douce mere.^ »
1. Rapidement. Cf. Godefruv, .s. r. isnelemcnt. '2. Tempère.
3. Ce texte n'est pas de saint Bernard, comme nous létablirons plus loin eu étudiant le douille thème iconograpliit(ue aufiucl il a donné naissance (voir l'Appendice).
4. Frater quidiim ininnr. relifposus et fide (l'KjniiH.qni socins h. Francisci inulto lempore fuil.nnrrnvil l'rulrihus(iitihiis(htm. quorum unus hoc rniiqislro Ordinis !icrii)sil.quod, cuin esset Rome h. Dominicns etpro Ordtnis con/irma- tione ajmd Deum et .npud dominum pap.im instarel, quadam nocte orans, more solitn. vidit in visione, ul sibi videhalur. dominum Jesum Christum slanlem in aëre et très lanceascontra mundum libranlem. Cui ad genua pro- cidens Virqo mater roqabat, ut misericors his quos redemerat, fieret et jus-
LE THÈME DES TROIS FLÈCHES loi
Cette légende est d'origine Dominicaine : cela explique qu'elle fasse le sujet d'un chapitre du Spéculum. On remar- quera que dans le Spéculum comme dans le texte fran- çais que nous avons cité, la vision est attribuée à saint Dominique. Dans les plus anciens auteurs dominicains, Géraud de Frachet, qui l'a racontée le premier, et Thierry d'Apolda, elle est attribuée à un Franciscain : le fameux prédicateur Dominicain, Vincent Ferrier, l'attribuait même à saint François. Les Dominicains, pour la plus grande gloire de leur Ordre, attribuaient à leurs rivaux ' une
tiliam misericordia temperaref. Ad qiiamFilius aiehaf : << Nonne vides quantae injuriae mihi fiant '.' Justifia niea non patitiir mala tanta impunita. » Tune dixit mater :'i Sicultu sois, qui oninia nosti,haecest eia perquameos ad te reduces. Habe ounum servum fidelem quem milles in mundum.ulverha tuaannunliet, ef convertentur.et tequaerent omnium salvalorem.Alium eliam servum ei dabo in adjulorem, qui similiter operelur.» Tune Filius inquit malri : » Ecce placa- tus suscepi faciem tuam: verumtamen ostende mihi. quos vis ad tanlum offi- cium destinure. » Tune domina mater b. Dominicum offerebat domino jesu Christo.Cui dnminus: « Beneet studiose fariet quae dixisti. » Obtulit ef beatam, Franciscum. et hune simiiiter salvator commendavit. Beatus iqitur Dominicus in visione iLla socium diligenler considerans. quem antea non noverat. in cras- linum. cum eum in ecclesia reperisset, ex iis quae nocte viderat j-ecognovit, et in oscula sancta ruens et sinceros amplexus dixit : « Tu es socius meus ». Et ex tune facti suntcor unumel anima una in Deo. Géraud de Frachet, Vies des Frères de l'Ordre des Prêcheurs icommeiicées en 1256 , I, J . 1, éd. Reichert, p. 9 ^ Acta SS, août I. p. 442. C'est à Géraud de Frachet que l'ont emprunté les narrateurs ultérieurs, par ex. Galua^iii de la Flamnia \Chron. 0. P., p. 5, éd. Reichert , Thierry d'Apolda (Acta SS, août I. p. 576), et Jacques deA'arazze [Légende dorée, p. 470 Griissej. Cf. encore Rarthélemy de Pise, Opus con- formitatum vitae b. Francisci ad vitam Domini nostriJ. C. Milan, 1513), 1. I, II, f" 16 v"> ; Gonon, Chronicon SS. Deiparae, p. 209 : Bridoul. Le triomphe annuelde .V.-D. (Lille. 1640). II. p. 107 ; Martène et L>urand, Amplissima col- lectio, t. VI. p. 68 : Quétif d'Echard, Script 0. P., 1. 1, p. 37 ; Sausseret, Apparitions et récélatinns delà T. S. Vierge (Paris, 1252), t. I. p. 279; J. Gui- raud. Saint Dominique, p. 78 ; Lea, Hist. de l'inquisition, t. I, p. 845 de la traduction, etc. Schreiber Manuel de la gravure au XV' s., t. I, p. 213) attribue par erreur à saint Bernard la vision des trois flèches. On trouvera dans Lacordaire {Vie de saint Dominique, ch. vu) et dans le Saint François d'Assise des PP. Franciscains (Paris, Ploni. p. 106. de curieux détails sur les cérémonies auxquelles a donné lieu la légende de la rencontre. Pour l'icono- graphie de la scène de la rencontre, cf. le relief d'A. délia Robbia, à la log:gia di S. Paolo de Florence, reproduit dans Saint François d'Assise, j). 106, la prédelle botticellesque du Louvre (Perdrizet et R. Jean. Galerie Campana. pi. ir, la prédelle de Cortone ^Supino. Beato Angelico, éd. fr., p. 34). Pour l'iconographie de la vision des trois flèches, cf. Nys, Vita et miracula S- Dominici. n° 13.
1. Sur la rivalité entre Dominicains et Franciscains, voir entre autres Daunou. dans VHist. litt.de la France, t. XVIII, p. 481 : Lea. Hist.de l'Inqui- sition,i.\, p. 343, t. II, p. 88 delà traduction. Le boUandiste Van Ortroy, dans les Analecta hollandiana, 1904, p. 115, proteste énergiquement contre les apologistes qui réduisent les querelles entre les Prêcheurs et les Mineurs « à de simples disputes de frères jumeaux ». Elles éclatèrent dès le
132 CHAPITRE VIII
vision où saint Dominique avait le pas sur saint Fran-
çois
Ce récit de vision, inventé par l'orgueil Dominicain, a été représenté d'une façon bien curieuse dans un tableau de Paris Bordone, aujourd hui au musée de Brera '. En bas, sur la terre, saint Dominique agenouillé, et la Vierge qui le présente à Jésus-Christ ; le Christ apparaît dans les nuées, assis, tenant trois lances, deux dans la main gauche, une dans la main droite ; il tient celle-ci la pointe en 1 air : entendez qu'à la prière de la Vierge, il vient de relever son arme. Du fond du ciel arrivent vers Jésus les milices célestes, armées de lances : le peintre a voulu signitier que Dieu a toujours à ses ordres des légions d'anges exterminateurs. On notera l'absence de saint François. Ce tableau a dû être commandé par un Dominicain fanatique de la gloire de son Ordre. Saint François, même à la seconde place, derrière saint Dominique, eût paru de trop au donateur. Le sentiment inverse explique que dans le tableau commandé k Rubens par les Récollets de Gand et qui représente le Christ Ajoutant foudroyer le monde, saint François figure seul, sans saint Dominique ^.
xiii' siècle. En 1266. la mésintellij^ence entre les Dominicains de Marseille et rinquisitcur franciscain de cette ville est lorij^ine d'une guerre entre les deux Ordres, qui agrite la Provence et le Languedoc : Dominicains et Franciscains prêchent les uns contre les autres et se prodiguent les pires injures: Clé- ment IV est obligé d'intervenir : il décrète notamment qu'il % aura toujours un intervalle d'au moins 3.000 pieds entre deux couvents aiipartenant aux deux Ordres rivaux. La (juerelle de l'Immaculée conception fut pendant le xiv et le xv« s. la cause de disputes scandaleuses entre les deux Ordi'cs , Lea, op. cit., t. III, p. 7J7 sq) ; la question du Saint Sang donna naissance, pendant la même période, à des luttes non moins âpres J.ea. op. cit.. t. II, p. 203 . Les Dominicains n'acceptèrent que contraints le miracle des stigmates de saint François Lea, t. II, p. 260;, puis tâchèrent d'en faire honneur à des personnes de leur ordre : inversement, les Franciscains protestèrent avec violence quand les Dominicains revendiquèrent le même miracle pour sainte Catherine de Sienne.
1. Le plus grand artiste de l'Ordre Dominicain, Beato Angelico, l'a repré- sentée dans un tableau aujourd'hui à Berlin reproduit dans le Saint Frnnçois d'Assise, puljlié par les PP. Franciscains, p. 100 .
2. Phot. Brogi, n" 2699.
3. La vision, rapportée par Cahier (Caractéristiques, t. II, p. 500), de la bienheureuse Marguerite de Savoie, Prêcheresse ( -{- 27 nov. 1467), est une bonne preuve de l'importance que le thème des trois lances a eue dans la mys- tique Dominicaine. Un jour. X.-S. lui apparut portant trois lances ; sur lune était écrit calomnie, sur l'autre maladie, sur la troisième persécution. << Choi- sis, lui dit-il, et tu seras inscrite au livre de vie. » La sainte prit les trois lancés, et il ne lui manqua aucune de ces tribulations. Sur un tableau du cou- vent des Dominicains de Poissy, elle était représentée, dit Cahier, serrant les trois lances contre son cœur.
LE THÈME DES TROIS FLÈCHES 133
Pourquoi le Dieu de vengeance arme-t-il son bras de trois lances ou de /ro/s javelots, pourquoi décoche-t-il trois flèches sur le monde ? Le Spéculum répond très précisément à cette question :
Ubiqiie jam cari tas et veritas periclitantur ;
Superhia, ararifia et liixiiria dominanliir...
Quolidie irritatur Doininiis contra mundurn par fiaec tria*.
Chaque jour. Dieu est irrité contre le monde, k cause de ces trois péchés principaux, Orgueil, Avarice et Luxure, les trois £7:iGuij.(a'. de l'épître de Jean -, les trois concupiscences de la théologie ^ : Stahaf, dit Thierry d'Apolda, Christus in aethere aspectu terribilis, et contra mundum in maligno posi- tuni lanceas très vihrahat : unani, qua superhorum cervices erectas transfiffcret ; alteram^ qua cupidorumviscera effunde- ret ' tertiani, c/ua concupiscentiis carnis deditos perforaret'^.
L'esprit subtil des théologiens du moyen âge a eu la pas- sion de la symétrie et de l'antithèse. Puisque l'homme irritait Dieu par trois concupiscences, trois fléaux devaient les lui faire expier. Ces trois fléaux, que symbolisaient les trois lances, les trois javelots, les trois flèches, en quoi consistaient-ils au juste ? Quels en étaient les noms ? La réponse nous est donnée par une gravure incunable (pi. XIV, 1), faite en Allemagne pour les Dominicains 5. C'est une pauvre image de piété, violemment coloriée, comme on en vendait vers 1300 dans les foires, et comme les petites gens en clouaient au mur de leur chambre, au chevet de leur lit. Elle mérite qu'on s'y arrête, parce que c'est un document caractéristique des croyances populaires, et aussi parce que le commentaire qu'en a donné M. Schreiber n'est pas sans reproche.
1. Ch. xx.wii, 1. 7, 33. Une g^ravure de piété, signée d'Andréa Vaccario et datée de Rome, 1604, représente la vision rapportée par Géraud de Frachet et Thierry d'Apolda : dans le fond, sur la terre, saint Dominique et saint Fran- çois s'en allant de compag:nie: dans le ciel, le Christ armé des trois lances, et la Vierg-e qui l'implore à genoux en lui montrant ses deux serviteurs : oh tria inundi scelera, dit la légende, minans Christus tribus lanceis voluit populum punir e.
2. I Joan. II, 16.
3. Aug., Con/'ess., X, 35 (P.L., XXXII, 802); Thom., Si/m. I" 11"% q. 77, § 5.
4. ilc<a SS, août I, p. 576.
5. Schreiber, Manuel de la gravure au XV" siècle, t. I, p. 297, n" 2012 b ; reproduite dans Pestbliitter, pi. VI. Possesseur actuel: M. Paul Heitz, à Strasboure;.
134
CHAPITRE VIII
Au milieu d'un rosaire dont les cinq gros grains sont rem- placés par des écussons portant la représentation des cinq plaies, la Vierge implore le Juge du monde pour l'humanité agenouillée devant elle, et représentée par le pape, l'empereur, le roi (dont on ne voit que la couronne) et par un quatrième personnage. Le nom de la A'ierge est écrit dans le nimbe : Sancta Virr/o Mater Dei. M. Schreiber lit: Sancfa Virgo Aja- zia, ce qui lui permet de doter l'Italie d'une ville d'Ajazia, qui n'a jamais existé, et de faire de cette gravure la copie d'un modèle italien. Et cette appréciation imprévue m'inspire, je l'avoue, quelque défiance quant au jugement artistique de M. Schreiber : car s'il y a une gravure incunable indubitable- ment germanique, c'est bien cette pitoyable estampe.
La Vierge montre au Juge saint Dominique et saint François agenouillés derrière elle ; les deux saints sont en prière, le rosaire en main, comme le pape. Aux quatre coins de la gravure, quatre saints à mi-corps dans les nuages, chacun tenant le rosaire. Leur nom est dans le limbe. A gauche, en haut, saint Vincent Ferrier(6'. Vincenfius), avec une branche de lis, sym= bole de chasteté virginale. A droite, en haut, sainte Catherine ('S''^ Katherina de Senis), avec un cœur d'où jaillit un crucifix. Entre sainte Catherine et saint Vincent, dans une gloire en forme d'amande, le Christ, les bras levés, comme il apparaî- tra au monde, au jour du Jugement '. Saint Vincent Ferrier, l'un des plus fameux prédicateurs de l'Ordre dominicain, maxinius posf apostolos Divini Verbi praeco, avait pour sujet ordinaire de ses prédications le Jugement dernier : c'est pour- quoi la gravure dont nous parlons le représente montrant du doigt le Juge du monde qui ajDparait dans la gloire. En bas, à gauche, saint Pierre martyr (S, Peter von Mei/lant), recon- naissable à l'entaille dans sa tonsure, et au coutelas qu'il tient à la main. En bas, à droite, saint Thomas d'Aquin, recoiinaissable à la colombe, image du Saint-Esprit, qui lui parle à l'oreille. Entre saint Pierre et saint Thomas, la sainte Face.
Ce qui fait le principal intérêt de cette image populaire, c'est qu'elle nous donne la signification des trois flèches de la colère divine. Le Juge apparait dans les nuées, tirant trois flèches d'un coup : à côté de chacune est inscrit son nom : la
1 . Cf. Mille, L'arl religieux du XIII' s.. 2' éd.. p. 41 î.
Li: TiiÈMi: jji;s rnuis Fi.ik;iii:s 135
première s'appelle Pestilenz, la seconde Teiirunff, la troi- sième Kryeg, c'est-à-dire la Peste, la Guerre et la Cherté, autrement dit la Famine,
Pourquoi ces trois fléaux et non d'autres ?
Entre autres supplications, la Grande Litanie, que rEg;lise récite depuis la peste de 390, contient celle-ci : a peste, famé et hello libéra nos. Domine. Ce texte liturgique a une origine scripturaire. Quand David eut fait le dénombrement d'Israël et de Juda, Jahvé, dieu jaloux, en fut courroucé ; il résolut de châtier David et les Juifs ; il envoya Gad le prophète vers David pour lui offrir le choix entre trois fléaux : Ilaec dicit Dominus : elige qiiod volueris : aiit tribus annis famem; aut tribus mensibus te fugere fiostes tuos, et gladium eorum non posse evadere ; aut tribus diehus gladium Domini et pestilen- tiam versari in terra, et angelum Domini interficere Israël^.
Ce texte biblicpie explique que dans les livres d'Heures, en tête des psaumes pénitentiaux, soit figuré David à genoux, et au-dessus de lui, dans le ciel, l'ange de Dieu tenant ou lançant les trois flèches -. Il explique d'autre part les trois flèches de la vision de saint Dominique. 11 explique, enfin, que dans les monuments qui représentent Dieu brandissant ou lançant les traits de la colère, ces traits soient généralement au nombre de trois, ou répartis par groupes de trois. Dans le tableau de L. Cranachle VieuxàBuda-Pesth (pi. XIX, 2) et dans le tableau analogue du musée de Nuremberg, Dieu tire des flèches trois par trois, comme sur la gravure que nous venons de décrire. Sur deux Pestbllitter allemands-^ et sur la bannière de Bonfigli à S. Francesco de Pérouse (pi. XVII), le Christ brandit trois javelots, un dans une main, deux dans l'autre. Sur le panneau de Teruel (pi. XXVII, 2), et dans la bannière de Bonfigli, à S* Maria Nuova de Pérouse ^, le Christ tient trois javelots dans la main gauche. Sur la bannière ombrienne conservée à Kevelaer, les deux anges qui sont à côté du Christ tiennent chacun trois javelots ■'.
1. I Paralip . , \yi, 12; cf. II Rois, xxiv, 13.
2. Henry Martin, Les miniaturistes français, p. 152. Cf. les Heures d'Anne de Bretagne, pi. XXIX de l'édition Berthaud.
3. Schreiber-Heitz, Pestblàtter, pi. V et VIII. 1. Anderson, 156(53.
5. A Gand, dans une des chapelles du chœur de l'éj^lise Saint-Michel, un tableau de K. Van Mander représente saint Charles Burromée suppliant le Christ de faire cesser la peste de Milan : à côté de saint Charles, un archange
13G CHAPITRE VIII
Le frontispice de la version manuscrite duSpeculum humanae salvationis, par Jean Miélot, à la Bibliothèque nationale, est, pour le thème des trois flèches, particulièrement intéressant. C'est une « histoire pleine » , comme on disait au xv® siècle, c'est- à-dire une miniature occupant la page entière, où l'on voit, à g-auche, l'auteur présumé du Spéculum, frère Vincent de Beau- vais, le grand savant Dominicain, assis dans son cabinet, occupé à écrire son livre ; sur la table sont ses lunettes et des livres ; le bon moine compile en paix. Cependant, hors de ce calme asile, se passe quelque chose de terrible, un dialogue formi- dable, digne de VApocah/jise : dans le ciel apparaît l'Ancien des jours, couronné du triregno ; sur la terre est debout la Mort, sous la forme d'une larve nue, aux chairs pourries. Dieu lui tend d'une main trois javelots, delautre, un parche- min scellé d'vm triple sceau. Ce parchemin contient l'acte en bonne et due forme par lequel Dieu donne permission à la Mort de détruire les hommes au moyen des trois flèches ou des trois fléaux ' : il y a un paragraphe et un sceau par flèche, un notaire n'y trouverait rien à redire.
tient trois flèches dans la main fiauche : clans le ciel, le Christ tient aussi trois flèches, ou ])lutùt un foudre à triple carreau. Le Christ de Rubens, dans les tableaux de Bruxelles et de Gand (cf. infra, appendice; brandit de même le foudre à triple carreau.
1. La Mort, dans les représentations macabres du xv" et du xvi^ siècle, est plus souvent armée d'un javelot que d'une faux. La faux de la Mort est. Je crois, d'orijrine humaniste et italienne. La Mort en est armée dans les ban- nières de Bonfîg:li. .\u contraire, dans l'art français et dans l'art flamand, elle est armée dun jrrand javelot : cf. par exemple la Danse macabre histo- riée, 1192 Claudin, Hist. de l'imprimerie en France, t. II, p. 17";, la j^ravure qui termine le Compost et calendrier des hergères. Paris. 1499 (Claudin. t. I, j). .392^, le frontispice du Triomplie et exaltation des Dames. Paris, dernières années du xv' s. Claudin. t. II. p. 91 . et les bordures des Heures de Simon Vostre reproduites dans Montai};lon. L'alphabet de la Mort de H. Holbein, Paris. 1S56). La fresque de la chapelle d'Orléans, dans l'église des Célestins à Paris, représentait, d'après ime vision de Louis d'Orléans ( y 1407). la Mort brandissant un javelot iLenoir, Statistique moninnentale de Paris., t. 11, pi. 15, j). iS6: Le Clerc et Renan. Hist. litt. de la Fr. au XIV^ s., t. II. p. 2.iO'. Pour l'art fiamand. cf. le bréviaire Grimani. Une jjeinture siennoise de 1 i26 donne jjour armes à la Mort l'arc et les flèches ; Lisini, Tavolelte dipinte di bicchierna, pi. X.'^CIX.
CHAPITRE IX LA VIERGE DE MISÉRICORDE ET LES PESTES
Les pestes du moyen âge. — Leurs conséquences morales et religieuses. — Le pathétique et le macabre à partir du milieu du xiv" siècle. — De la Vierge de Miséricorde comme recours contre la peste. — De quelques-unes de ses images ([ui furent vouées en temps de peste.
Trois c/rans danc/iers especiaulx Ont miz a mort avant droit aage Cent mitions dnmain liç/nage : Le premier mal est pestillence Dair corrompu par influence ^ ; Le second est, en vérité, Grand default et stérilité Des fruiz et des biens de la terre, Et le tiers est criiele guerre.
Ainsi s'exprime Fauteur dvin Poème sur la peste noire '-. II aurait pu ajouter que, de ces trois fléaux qui, g-énéralement, s'abattaient ensemble sur le pauvre monde, le plus terrible et le plus redouté était la peste : « rien n'épouvante plus les hommes que les grandes épidémies •^. »
Les témoignages populaires sont suspects d'exagération, quand il s'agit de calamités publiques. Mais pour la peste noire '*, qui ravagea l'Europe de 1317 à 1350, il ne semble pas
1. Par rinfluence dune comète qui parut alors, ou par la conjonction de Jupiter et de Saturne dans le A'erseau. Tous les textes contemporains relatifs à la peste noire, mentionnent ces explications astrologiques.
2. Olivier de la Haye, Poème sur la. grande peste de IS-iS, éd. Guisjue (Lyon, 1888), p. 10.
3. Littré, Des (fraudes épidémies, dans la Revue des Deux Mondes, lôjanv. 1836, p. 221 (réimprimé dans Médecine et Médecins .
i. Sur la peste noire, cf. J. Fr. G. Hecker, Der schwarze Tod in XIV. Jahrliunderl (Berlin, 1832), d'après lequel Littré a écrit son bel article Des grandes épidémies, et auquel la brochure médiocre de Philippe, His- toire de la peste noire (Paris, 1853^, doit tout ce qu'elle contient dinté-
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que les témoins aient exag'éré. Le fléau s'attaqua d'abord à ritalie. Elle était à cette époque riche et peuplée, ^'enise (y compris la terre- fer me) perdit, assure-t-on, 100.000 âmes; Florence, 60.000, et 90.000 en comptant son territoire ; Sienne, 70.000; Gènes, iO.OOO '. En 1348. la peste gagne d'un côté la France, de l'autre le sud de l'Autriche et de la Bavière. En 13o0, elle atteint le nord de l'Allemaorne. Elle fut particulièrement terrible en France '. Plus de 100.000 per- sonnes seraient mortes à Rouen ■'■. A Paris, où la maladie fit rage un an et demi, les victimes furent quelquefois presque 800 par jour» ; le nombre des Filles-Dieu tombe dans l'été 1349, de Pâques à la Saint-Rémy, de 102 à 40 ; le cimetière des Innocents regorge de cadavres : on doit le fermer et ouvrir hors des murs une autre nécropole, l'ne foule de villes fran- çaises sont obligées de demander au roi l'autorisation d'agran- dir leurs cimetières ou d'en ouvrir de nouveaux, les anciens ne pouvant plus suffire ■'.
En l'an mil trois cent quarante neuf. De cent ne clemeuroient que neuf
ressant. Je cite le travail de Hecker d'après la réimpression de Hirsch {Die grossen Voltiskranfitieiten des Mitlelallers, historiacti-pathologisctie Untersucliiingen von J. f"r. C. Hecker. heraus^cf^eben von A. Hirsch. Berlin, 1865). Cf. encore Littré. Opuscule relatif h la peste de l.'i-iS poème de Simon de Co\ ino^dans Bihl. de l'Ecole des Chartes, H. p. 201; Michon, Documents inédits sur la grande peste de IS4S (Paris, 1860 : Dechambre. Dut. encyclo- pédique des sciences médicales, s. v. peste ; Haescr, Lelirhacfi der Gescfiicfite der Medizin, 3" éd.. t. HI, p. 175: Rebouis, Etude tiistorique et critique sur la peste Paris, 1888 ; Gasquet, The greal pestilence (Londres, 1893 ; Guigne, préface de son édition du Poème sur la grande peste par Olivier de la Haye ; Viard, dans Bihl. de VEcole de Chartes, t. LXI, p. 334-338 messe contre la peste, rédigée par ordre de Clément VI) : Denifle, La désolation des églises, monastèreset hôpitaux en France pendant la guerre de Cent Ans (Paris, ISQ"?- 1S99), l. II, p. 57 : Pestblatter des XV. Jahrhunderts. hciausgegeben von P. Heitz mit einlcitendem Tcxt von W. L. Schreiber Strasbourg. 1901, f"). Sur la peste en Languedoc, cf. une note à dom Vaissete. Hist. du Langue- doc, éd. Privât, t. IX, p. 609; — en Auvergne, Boudet et Grand, Documents inédits sur les grandes épidémies extrait de la Revue de la Haute-Auvergne, 1902 ; — en Normandie, L. Delisle, Etudes sur la condition de la classe agri- cole en Normandie au mogen âge. p. 650.
j. Pour les chifTi'cs. cf. Ilccker-Hirsch, p. 46.
2. Froissart, Chroniques, éd. Luce, t. IV. p. 330 ; .lean Le Bel, Chronique, éd. Viard et Déprez, t. I, p. 222.
3. Delisle. op. cit.. p. 640.
4. Les grandes chroniques de France, éd. Paulin Paris, t. V, p. 485.
5. Viard dans Bibl. de l'Ecole des Chartes, t. LXI 1900), p. 335. Cf. Delisle. op. cit., p. 640.
LA VIERGE DE MISÉRICORDE ET LES PESTES 139
disait-on plus tard en Bourgogne. Le Languedoc, l'Auvergne, la Provence ne furent pas moins maltraités. A Die, le clergé de la cathédrale perdit 7i de ses membres. A Marseille, les Frères Prêcheurs et Mineurs moururent tous. Tous les Frères Mineurs de Carcassonne moururent. L'Ordre Franciscain comptait que dans les quatre années 1347-1350, il avait perdu 124.430 frères (y compris, je suppose, les membres du Tiers- ordre). La peste noire aurait causé en Europe, à l'estimation deHecker ', 2a millions de décès. « Bien la tierce part du monde mourut », dit Froissart '-. MorUia est ultra quam tertia pars hominum, dit la Chronique de Mayence. Une note manuscrite, relevée par J. V. Le Clerc ^, k la fin d'un codex de Richard de Saint- Victor, est terrible : « Es villes ou la mor- talité entroit, mouroit plus des deux pars des gens, et disoit on que le monde fenissoit. »
Après la grande épidémie de 1348, la peste ne disparaît pas de la chrétienté : pendant trois siècles, elle revient presque tous les dix ans, avec une régularité désespérante, faucher les vies. Voici, pour l'Allemagne, jusqu'à la fin du xv*" siècle, les dates de ces funèbres apparitions : 1358, 1365, 1379, 1387, 1406, 1420, 1427, 1437, 1451, 1462, 1473, 1483, 1494. Le nombre des morts prématurées causées par le fléau est incalcu- lable. On ne sait pas grand'chose de précis sur les i^avages que la peste lit dans les bourgs et villages ; mais dans les villes, pour lesquelles on a des renseignements certains, on voit la population diminuer graduellement : Nuremberg, qui avait environ 30.000 habitants en 1350, tombe à 8.000 en 1450. A Strasbourg, en 1457, le glas des morts retentit si souvent que la grosse cloche de la cathédrale fut fendue.
Il n'y a pas moyen de mesurer le contre-coup que devaient avoir sur la sensibilité populaire ces calamités répétées. On peut croire que, depuis la grande peste de 1348, le moyen âge a vécu dans une terreur perpétuelle, dans un continuel ébran- lement nerveux. La crainte de la mort dont il a toujours été hanté devient, depuis que la peste s'est mise à ravager pério- diquement l'Europe, une angoisse de tous les instants. Peu de gens avaient la tète aussi ferme que Boccace, qui a donné
1. Hecker-Hirsch, p. 55.
2. Éd. Luce, t. I, p. 100.
.3. Hist. litt. de ta France au XIV" s., t. I, p. 519, d'après BibL Nat., anc. fond latin, n" 2588.
140 CHAPITRE IX
le récit de la contagion de 1348 comme préface à des contes d'amour. Chez le plus grand nombre, l'obsession de la peste devait produire im effet de détraquement. Les historiens ne tiennent peut-être pas assez compte de cela '. Ils mentionnent la grande épidémie de 1348 et en signalent les conséquences immédiates, procession de flagellants, massacres des juifs et des <( semeurs de peste », puis ils passent. Mais l'ébranlement nerveux causé par la peste noire et par les épidémies qui suivirent a produit bien autre chose que ces réactions passa- gères : elle a eu des effets profonds et prolongés, que les chro- niqueurs n'ont pas dits, que les contemporains ne pouvaient guère apercevoir, qui échappent, par conséquent, si l'on s'en tient aux textes sur lesquels travaille ordinairement l'hi-sto- rien, mais qui apparaissent, si l'on opère sur des documents d'un autre ordre. Je crois en effet que l'obsession de la peste explique beaucoup de nouveautés qui surgissent, à partir du milieu du xiv'" siècle, dans la dévotion et dans l'iconographie.
L art du siècle pi^écédent avait été serein, doux, souriant. A la lin du xiv° siècle, la douleur et la mort sont devenues les inspiratrices de la piété et de 1 art. Je crois que si le moyen âge .sur son déclin s'est complu dans un pathétique morbide, que le xin'' siècle, pas plus que l'antiquité classique, n'avait connu, la cause en est, pour une part % dans les idées funèbres où, dans le milieu du xiv'' siècle, la peste le plongea et le maintint.
Je voudrais donner quelques preuves de cette assertion.
D'où provient, à quelle époque apparait la dévotion horrible des Cinq plaies de Jésus '■'' — aujouid hui oubliée et rempla- cée par la dévotion non moins répugnante du Sacré Cœur'l Elle date du milieu du xiv'' siècle, du temps même de la grande peste : la Chanson des flagellants contient '* ces vers :
Jhesus, par les cinq rouges playes. De morl soudaine nous delai/es !
1. Cf. par exemple Coville dans V Histoire de France publiée sous la direc- tion de Lavisse, t. IV, 1, p. 87.
2 M. Maie, dans son admirable article sur l Apparition du pathétique (dans l'art français de la fin du moyen âge) indique une autre cause, qui n'est pas exclusive de celle que je signale : « Je crois, écrit-il, que si Ion veut remon- ter à la source d'où tant de pitié a coulé sur le monde, il faut aller tout droit à Assise... Il y a quelque chose de saint François chez tous les mystiques du xiv et du XV" siècle » Revue des Deux Mondes. 1"' oct. 1905. p. 6JS .
.3. Sur cette dévotion, cf. Molanus, Dehist. SS.imaffinuin. II.. il .et supra, p. 99.
i. Le texte français publié par Le Roua de Lincy, Recueil de chants his-
LA VIERGE DE MISÉRICORDE ET LES PESTES 141
Ces vers de la Chanson des flagellants sont curieux double- ment, pour l'histoire de la dévotion aux cinq plaies, et par l'effroi très particulier qui s'y exprime. De quoi avaient peur les pauvres gens qui criaient vers le ciel cette supplication? De mourir de la peste ? Non pas tout à fait, mais bien d'en mourir soudainement. Le moyen Âge n'a pas tant craint la mort que la maie inorf, celle qui vient si vite qu'on n'a pas le temps de s'y préparer, c'est-à-dire de se confesser. Un saint avait pour spécialité dejJrotég^er les chrétiens de la maie mort: c'était saint Christophe '. Celui qui avait \u le matin une image de saint Christophe était sûr, ce jour-là, de ne pas mourir sans confession ; d'oîi l'usage de mettre à la façade des églises ou contre l'un des premiers piliers de la nef une gigantesque image du bon saint : il suffisait, en passant le matin près du moùtier, d'y entrer, ne fût-ce qu'une minute : on avait vu le saint, on était tranquille ce jour-là. Les Bâlois avaient fait mieux encore : ils avaient mis saint Christophe sur une des tours de leur Aille : nul qui ne le vît dans sa journée. M. Mâle a parlé de la dévotion à saint Christophe dans son beau livre sur ÏArt religieux au XIII^ siècle ~, à
toriques français {Pavï^i, l,s42 , t. I, p. 2:37, puis par Kervyu de LeLtcnliovc, éd. de Froissart. t. XVIII. p. 310. Jésus, dnr dîne n^nden rod, Be hod uns vor deni gehen dod. dit le texte allemand (Hecker-Hirsch, p. 94). L'épidémie des flagellants à laquelle la grande peste donna naissance, alTccta la même forme, produisit les mêmes conséquences que l'épidémie de 12()0. Les flagellants, dit un contemporain cité pai" Ivervyn dans son édition de Froissart (t. X^'III. p. 305), « portoient crucefis et confanons et grandes banières de ccndal par manières de processions, et aloient par les rues II et II chan- tant haultement chanchons de Dieu et de N. D. et puis aloient en une place et se desvestoient jusques au petis draps [c'est-à-dire jusqu'au perizonium e.\clusivement : il ne faut pas croire, avec M. Coville Hisl. de France de Lavisse, t. IV, l,p. 87) que les flagellants se missent tout nus] deux fois chas- cun jour et se bastoient quanques ilz pouvoient d'escorgies et d'aguilles ens fichées, si que le sanc de leurs espaules couroit aval de tous costes, et ton- dis chantant leur chanchons, et puis se jettoient trois fois en terre par dévo- tion ». 'c Ils se batoient d'escourgees de trois lasnieres en chacune, esquelles lasnieres avoit ung neu, ouquel neu avoit IlII pointes ainsi comme d'aguilles, lesquelles pointes estoient croisées par dedens ledit neu et pairoient dehors en quatre costes dudit neu, et se faisoient seignier en eulx bâtant... » Jean le Bel, éd. Viard et Déprez, t. I. p. 221). « ¥A furent faites par ces penitances, dit Froissart (éd. Luce, t. I, p. 100), plusieurs belles paix de morts d'hommes, où en devant on ne pooit estre venu par moyens ne aultrement. »
1. Cf. Molanus, De hist. SS. imaginum, III, 27 Christophori piclura mulli' pliciler discutitur\ Les femmes enceintes invoquaient saint Christ()plie, par peur de mort subite Maury, Croyances et légendes du M. A., Paris, 1896, p. 147).
2. L'art religieux du XIII^ s.. 2« éd., p. 310. M. Màlc remarque lui-mcmc
1 Ï2 CHAPITRE IX
tort, sil est vrai, comme le montreraient, je crois, les monu- ments figurés, qu'elle ne s'est développée qu'à partir du milieu du XI v"" siècle, sous l'influence de la peste. Cette hypothèse me semble confirmée notamment par les tableaux archaïques où la Yieri^e est figurée entre saint Christophe et saint Sébas- tien '.
Ce n'est pas Dieu le Père, c'est Jésus-Christ qui présidera au Jug-ement Dernier. 11 vengera, au jour de la colère, les offenses que lui font les hommes. On se le rappelle, tel que l'a peint Michel-Ange à la Sixtine, ou tel que l'ont représenté nos grands sculpteurs du xm'' siècle : « Au milieu de la nuit, à l'instant même où le Christ ressuscita, le Juge apparaîtra dans les nuées... D'un geste admirable, aux tympans du Jugement Dernier, il lève ses deux mains pour faire voir ses blessures, et sa tunique écartée sur sa poitrine laisse paraître la cicatrice de son flanc : on sent qu'il n'a pas encore ouvert la bouche pour parler au monde, et ce silence est terrible ~. » — Mais avant le jour du Jugement, l'humanité aura déjà souvent ressenti l'effet de la colère divine. Le Christ se venge continuellement des offenses des hommes en leur envoyant, outre des malheurs particuliers, les calamités publiques, qui frappent de grands coups sur l'humanité, les guerres, les famines, les tremblements de terre, les incendies, les inon- dations, les épidémies, les pestes, surtout les pestes, fléau et terreur du moyen âge. Quand le chrétien sentait la colère de Dieu déchaînée, quand pleuvaient autour de lui les flèches de la vengeance divine, il cherchait un refuge : il se tournait vers les saints, mais surtout vers Marie, vers la Mère de Miséricorde. Beaucoup de représentations de la Mater omnium .sont des ex-voto dédiés en temps de peste. Encore en 1832, quand Lyon, pour échapper au choléra, se voua k
(p. 320) que " les images de saint Cliristophe se mulliplicnt à la fin du moyen âge ...
1. Citlà di Castello, peinture du style de Signorelli : Alinari. 5351 ; Reinach. Répertoire, t. I. p. 332. Tableau attribué à Fioi>enzo di Lorenzo, musée de Francfort : Reinach. id.. p. 290.
2. Mâle, I^iirt religieux du XIH' s. en France. 2" éd., p. il 1.
LA VIERGE DE MISÉRICORUH ET LES PESTES 143
Notre-Dame de Fourvières, le tableau votif exécuté par Orsel représenta la Vierge couvrant de son manteau la ville de Lyon, personnifiée par une femme agenouillée.
Il est aisé d'en faire la preuve pour les bannières oml^riennes au type de la Vierge de Miséricorde : la plupart auraient pu s'appeler, comme celle d'Assise que nous avons décrite plus haut ', des « bannières de la peste ». « Dans les grandes calamités publiques, dit Rio -, l'art ombrien fait briller, comme un phare dans la tempête, l'image consolatrice sur laquelle doivent se fixer les yeux de ceux qui souffrent et qui espèrent : alors paraît la bannière qui est dans le domaine de l'art ce que l'hymne est dans le domaine de la poésie, et qu'on élevait entre le ciel et la terre comme pour porter vers Dieu le magnifique témoignage du repentir populaire. Car il ne s'agit pas ici de bannières triomphantes, à la suite desquelles on entonne des hymnes de victoire, mais de bannières suppliantes qu'une foule pénitente sui- vait en se frappant la poitrine et en criant : Miséricorde ! A chaque nouvelle invasion de la peste, on élève ce signal de détresse, que chaque génération d'artistes est obligée de renouveler, depuis Nelli jusqu'à Raphaël ■^. »
Toutes les peintures qui montrent la Vierge protégeant les hommes contre les traits de la colère divine, doivent être con- sidérées comme des ex-voto destinés à écarter la peste. De même les peintures oîi saint Sébastien figure parmi les inter- cesseurs à la prière desquels la Vierge a étendu le manteau protecteur sur l'humanité pécheresse : tels sont le retable de Gottardo Scotti, au musée Poldi-Pezzoli(pl. XXII, 2), le poly- ptyque de Pierro délia Francesca peint pour la confrérie de la Miséricorde de Borgo San Sepolcro, les bannières de Montone, de Gorciano, et celle de S. Francesco à Pérouse (pi. XVII). Au musée de l'Académie à Venise, un triptyque d'André de
1. P. US!.
2. De lart chrétien. 2- éd., Paris, 1861, t. II, p. 211.
3. Ottaviano Xelli. de Gubbio ("h 1444 . Je ne connais pas de bannière de Nelli. Quant à Rr.phaël, la seule bannière qu'on ait de lui est celle quil pei- jrnit, très jeune, vers 1300, pour Ic^ilise S. Trinità. à Città di Castello : d'un côté, saint Sébastien et saint Roch intercédant auprès de la Trinité : de l'autre la création d'Eve (Passavant, 7îao/i<ié(. t. II, p. 7; Burckhardt. Le Cicérone, t. II, p. 66Sde la traduction). Rumohr {Forschunffen, t. II, p. 316J a soutenu que la Madone de Saint-Sixte était une ancienne bannière : mais cette hypo- thèse est repoussée par Passavant (t. II. p. 279).
144 CHAPITRE IX
Murano représente la Vierge au manteau auprès de laquelle sont quatre intercesseurs, deux saints Dominicains, saint ^ incent Ferrier et saint Pierre martyr, et deux saints « anti- pesteux », saint Sébastien et saint Roch : certainement, ce triptyque, qui provient d'une ég-lise Dominicaine, dut être voué en temps de peste.
M. Schreiber, aidé d'un collectionneur alsacien, M. Paul Heitz, a publié naguère, sous le titre de Pesfhlàtter, une curieuse série d'estampes populaires du xv*^ siècle et du début du XVI'', qui ont servi en leur temps de phylactères contre les épidémies : elles représentent saint Antoine, avec sa clochette et son bâton terminé en forme de tau, saint Sébastien, percé de flèches, saint Roch avec son chien, et, plus souvent encore, la Vierge au manteau, protégeant les humains contre les flèches de la colère divine. On pourrait composer un recueil analogue de Pesttafcl et de Pcsthilder avec les images peintes et sculptées de la Vierge miséri- cordieuse, qui furent vouées en temps de peste ou en crainte de la peste.
Si les circonstances dans lesquelles ont été vouées les effigies de la Vierge au manteau, étaient chaque fois mieux connues, on constaterait probablement que le plus grand nombre de ces représentations pourraient être classées selon l'ordre chronologique des épidémies qui, Mu milieu du xiv" siècle jusqu'au milieu du xvn'', dévastèrent la chrétienté. La docu- mentation que j ai réunie n'est pas assez complète, tant s'en faut, pour me permettre de tenter une classification de ce genre. Je me contenterai de vérifier l'exactitude de mon asser- tion par quelques exemples qui m ont paru particulièrement probants.
Nous avons vu, dans un précédent chapitre, que la fresque dont Spinello décora, lors de la peste de 1383, l'oratoire des confrères de la Miséricorde d'Arezzo, représentait la Madone abritant les Chrétiens sous son manteau.
On a retrouvé en 1894 au Castello Sforzesco de Milan, sous la grande arcade qui donne accès de la place d'armes dans la cour ducale, une grande fresque • qui avait dû être badi-
1. Repvoduilc dans II castello di Milano e i suoi musei d'arte Milan, Mon- taboiie, 1902. 1 vol. 4°), pi. 62; cf. BeRvami. Il castello di Milano durante il dominio dei Visvonti edeyli Sforzi Milan, INOl). p. 703.
LA VIERGE DE MISÉRICORDE ET LES PESTES 145
geonnée dès 1480, sous la rég-ence de Bone de Savoie i. Cette fresque représente la Vierge couronnée et nimbée abritant sous son manteau, que soutiennent deux ang-es, une foule de ^ensag:enouillés, vêtus de cottes mi-parties, la tête nue, rasée : ce ne sont, semble-t-il, ni des seigneurs ni des soldats 2 : ils ont l'air humble et le costume modeste des artisans. Or on sait qu'en 1451, pendant la construction du Castello, la peste décima les ouvriers qui v travaillaient 3. Il est croyable que la fresque retrouvée en 189i avait été peinte en 1451 pour détourner le fléau des g-ens employés à la construction et à la garde du château.
Une autre fresque du quaftrocento, récemment débarrassée de son linceul de plâtre, la fresque de Ghirlandajo dans la chapelle des Vespucci, à Ognissanti de Florence, qui repré- sente la Vierge de Miséricorde abritant la famille Vespucci sous son ample manteau, fut probablement peinte en 1480, pendant une peste : la contagion emporta le donateur, Bar- tolomeo di Ser Vespucci.
Deux vitraux d'une église près de Cortone, attribués au verrier français Guillaume de Marcillat, représentent l'un saint Sébastien, l'autre la Mater omnium : il est croyable que ces deux verrières ont été vouées en temps de 23este.
La célèbre Vierge de la Miséricorde par fra Bartolommeo, aujourd'hui à la Pinacothèque de Lucques, a été mise en rapport non sans vraisemblance avec la peste de 1512.
A Waltlingen, près de Stammheim (Suisse) est une chapelle rurale du xv'' siècle, qui a conservé presque entièrement ses fresques anciennes. La chapelle est consacrée à saint Antoine abbé. On venait y demander d'être préservé du mal des ardents et en général de toutes les contagions. Les fresques repré- sentent la légende de saint Antoine et saint Antoine guéris- sant les ardents ; saint Sébastien criblé de flèches et sa décol- lation ; enfin, la Vierge de Miséricorde, abritant sous son manteau doublé d'hermine les gens de l'endroit, les hommes à droite, les femmes à gauche.
1. Peltrami, op. laiid., p. 115.
2 Diego Sant'Ambroyio, La colonna volita di Cnnllt extrait de la revue milanaise /« Polttecnico, 1906), p. 7, reconnaît le xhune délia corle sforzesca in ricchiahbujhamenti da un lato di Maria e i rispettivi cavalieri dairallro con quel hizarro costume dei dignatari ducali.
■i. Beltrami, op. cit., p. "8-82. 97.
Perdrizeï. — La Vierge de Miséricorde.
10
146 CHAPITRE IX
Un tableau du Musée lorrain pi. XX jreprésente François II de Lorraine et sa famille sous la protection de N.-D. de Bonsecours. Je crois qu'il fut peint comme ex-voto pendant la peste qui, en 1630 et 1631, décima Nancy et la Lorraine. La contagion éclata à Nancy dans la Ville-vieille dès le mois de mars 1630 : elle disparut à la fin de novembre, pour reparaître, beaucoup plus violente, vers le mois de mars 1631 ; la morta- lité fut très crrande ; la paroisse Saint-Sébastien, qui compre- nait la Ville-neuve entière et n'avait eu que 317 morts en
1630, en compta 703 l'an d'après K C'est alors, le la juin
1631, au moment où la peste faisait le plus de victimes, que la ville de Nancy, se rappelant l'humble chapelle et la Vierge de René II, se met par un vœu solennel sous la protection de N.-D. de Bon-Secours"'. Ce vœu fut gravé sur une table de marbre, autour de laquelle furent placées les statues des trois saints'^ : saint Sébastien, saint Roch, saint Charles Borromée (lo38-lo8i-; canonisé en 1610); je ne sais si l'on a expliqué pourquoi ceux-là et non d'autres : c'est que tous trois avaient pour spécialité de préserver de la peste*.
En 1631, Nancy eut quelque temps pour gouverneur le duc François II, en l'absence du duc régnant. Charles IV, fds du précédente François devait du reste mourir l'an d'après. La tradition, recueillie par feu M. Boulanger et par M. Wiener, qui attribue à François II la commande du tableau votif du Musée lorrain, n'a donc en soi rien d'inadmissible, et elle ne me paraît contredite ni par les figures, ni par les costumes du tableau. François aura fait comme Nancy : pour échapper à l'épidémie, il se sera placé, avec les siens, sous le manteau de N.-D. de Bon-Secours. La tradition reconnaît à la droite de
1. DigoV, Hisf.de Lorr:iine. t. V, p. 172-179 : Lepage, De Za Jepopu/afio» de la Lorraine au XVII' s/èc/e, clans \ Annuaire de la Meurthe, 1850; Beaupré, Recherchea sur l'imprimerie en Lorraine, t. I, p. 398ct 416.
2. Plisler. Histoire de .V.inc.y, t. I, p. 577. Ces statues, œuvres du sculpteur Siméon Drouin, ne furent exécutées quen 1615.
3. On pourrait aisément énumérernombre de » vœux» analogues. En 1720. pendant la peste de Marseille, le village de Fourrières en Provence se met par un vœu sous la protection de la Vierge André. Notre-Dame de Miséricorde, notice sur la statue vénérée sous ce titre dans la paroissede Fourrières et sur la dévotion qui s'y rattache, Marseille. 1S57 . Nous avons rappelé plus haut le vœu de Lyon à N.-D. de Fourvières lors du choléra de 1831. Cf. infra. p. 148, pour le vœu delîloisà N.-D. -des Aides pendant la peste de 1631.
4. Poiu- saint Charles Borromée comme intercesseur en cas de peste, cf. Cahier, Caractéristiques, t. II, p. 537 .
5. Digot. op. cit., t. \'. p. 177.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PI. XX
NOTRE-DA.ME DE BONSECOURS PKOTEGEANT LA MAISON DE LORRAINE
(Tableau du Musée historique lorrain)
LA VIERGE DE MISÉHICOUDE ET LES PESTES 147
la Vierg-e le duc François, puis ses fils, au premier plan Charles IV, au second Nicolas-François ; à la gauche, deux dames en robe de cour et deux religieuses : la femme du duc François, Christine de Salm n étant plus en vie à cette date, les deux dames seraient les deux fdles de François II. Hen- riette, femme de Lorraine, prince de Phalsbourg-, et Marguerite, qui, le 3 janvier 1632', devait épouser Gaston d'Orléans; l'une des religieuses doit être l'abbesse de Remiremont, Catherine, la sœur de François II ; l'autre est, je crois, la veuve du duc Henri II, Marguerite de Gonzague, qui mourut le 7 février 1632, et qui, le 29 juin 1629, avait pris l'habit du Tiers-ordre de saint Dominique '.
On objectera peut-être que François II avait 59 ans en 1631, et que, sur le tableau du Musée lorrain, le premier per- sonnage à la droite delà Vierge n"a pas l'air d'avoir cet àge- là ; il semble le frère, non le père, des deux autres. Il est vrai ; et même, on doit dire plus : les trois princes ont non seule- ment le même costume, mais exactement la même figure ; de même les deux princesses ; d'où il suit que l'artiste n'a point peint ses personnages d'après nature ; il ne faut pas demander à ce morceau de peinture officielle l'exactitude documentaire de la peinture de portraits. Celui-ci se ressent fortement des conventions que 1 influence de Van Dyck impose à cette époque aux portraitistes de l'aristocratie.
Une grande partie de l'Europe fut éprouvée par la « grande peste » de l62o-163o, la plus meurtrière, dit-on, de toutes les épidémies qui ont ravagé l'Europe depuis celle de 1348 3. Venue, dit-on, de Hongrie, elle se répandit dans l'Allemagne et l'Italie à la faveur des guerres. Nancy ne dut pas être la seule ville de la Chrétienté à se tourner, pour échapper au fléau, vers la Mère de Miséricorde. Une gravure d'un des Galle, qui représente la Vierge des Grâces de Milan (le type est celui de nos Vierges au manteau) rappelle les guérisons miraculeuses opérées par Marie, à Milan, pendant la peste de 1630. La grande et belle église de Santa Maria délia Salute,
1. Digot. op. cj7.,t. V. p. 189.
2. Digot. op. cit.. t. V, p. 201.
3. Sur la peste de 1625-1635, cf. R. Reuss. L'Alsace au XVII" siècle, t. II p. 121 ; André, La pesle de 16:29 dans le Vivarais {Bull. hist. et philol. du Comité, 1897) ; comte de Marsy. La peste à Coiupièç/ne (La P/cardj'e. juillet et août 1884).
148 CHAPITRE IX
à Venise, fut commencée en 1631, comme ex-voto de déli- vrance, après la grande peste de 16301. Une délibération des échevins de Blois. en date du 6 septembre 1631, décide que (( chacun an, jusques à trente ans, sera dite et célébrée une grand'messe en Tég-lise de X.-D. des Aydes et sera fait prière à Dieu que par l'intercession de la bienheureuse Vierge Marie, luy plaise d'apaiser son yre et faire cesser les maladies contagieuses dont cette ville et le pays sont affligés » -.
Entre tant d'images de la Vierge miséricordieuse qui ont rapport aux épidémies, la plus curieuse est assurément celle-ci ^.
Le Mortilogus, on n Discours sur la mort », de Conrad Reitter, plaquette imprimée àAugsbourg en lo08, se compose de 34 feuillets ornés de 10 gravures sur bois ^ Le texte est une suite de poésies latines •' dont la plupart ont pour sujet la vieillesse, les maladies et la mort ; elles montrent que l'auteur unissait à une foi sincère les talents aimables de l'humaniste. Celle qiiinous intéresse est une ode saphique, carmen dicolon tetrastrophon ex sapphico endecasyllabo et adonio dimetro, adressée à Notre-Dame ut nos a gallico morho intactos prae- servet incolumes. L'auteur était prieur du couvent Cistercien de Kaisersheim. Cette ode du prieur Reitter est caractéri-stique de l'état du clergé — en Allemagne et ailleurs — à la vedle de la Réformation.
1. Deux tableaux à la Confrérie de Saiul-Roch de Venise, l'un par Zanchi. l'autre par Ncfrri, représentent les souffrances de Venise pendant cette peste, et sa délivrance reproduits dans Molmcnti. La petnlure vénitienne, p. 122 ; cf. Lafenestre-Richtenberfrer, Venise, p. 100 .
2. R. Porcher. Bibliothèque mariale blésoise (Blois, 1004), p. 51.
3. Cf. Perdrizet. dans la Chronique médicnle duD'^ Cabanes, 1906, p. 49. Ln exemplaire du Morlilogus se trouve à la Hibliotlièquc Nationale Réserve,
mYc, 281 .
4. Ces \vlof,M-aphies ne sont pas dénuées dintérét pour 1 histoire de la gra- vure allemande : c'est à ce titre que celle dont nous parlons a été reproduite, sans explications d'ailleurs, par Muther, Die deutschc Bûcherdlustndion der Gnthik und Friihrenaissance, pi. 204, p. 166.
0. Le Bulletin du Bibliophile, 1861, p. 401, en a nonne 1 analyse.
LA VIERGE DE MISÉRICORDE ET LES PESTES
1 t9
Au-dessus du titre de Tode est une gravure (fîg. 2) qui repré- sente la Mère de Miséricorde abritant sous son manteau, pour
Caimen Dicolon Tctraftrophon ex fapphico endcca fillaba
««doniodimctro F Conradi R C ad clcmcnhirimâ domina
nortratn Mariana ut nos a galUco morbo intactes prefcïucc
incolumes
Aima fuprcoii genitrû tocaotis
Fk
les préserver delà contagion, à droite le Pape et le Cardinal, à gauche l'Empereur et le Roi : à eux quatre, ces grands per- sonnages représentent toute la chrétienté.
CHAPITRE X LA MATER OMNIUM
Le type de la Mater omn/um conséquence de la Grande Peste. — Dans les exemples les plus anciens, les hommes sont à droite delà Vierge, les femmes à gauche ; au xv^ s., les clercs sont à droite, les laïques à gauche. — Les deux mondes, ecclésiastique et laïque, représentés tou- jours par des personnages conventionnels. — La Mater omnium du musée du Puv. — La Vierge de Miséricorde sur les monuments des familles.
Nous avons vu dans les chapitres précédents qu'au xif siècle, il n'y avait encore que des moines et des nonnes sous le man- teau de la Vierge ; et qu'à partir du milieu du xiii'' siècle, on y trouve des Confréries de pénitence. A quelle époque le thème s'est-il élargi au point d'admettre, sous le manteau delà Vierge, la chrétienté entière ? A quelle date apparaît le type iconographique de la Mater omnium • ?
D'après ce que nous avons dit des conséquences religieuses de la Grande Peste, ce serait dans la deuxième moitié du xvi" siècle que la chrétienté tout entière aurait cherché un refuge sous le manteau protecteur. Cette hypothèse est confir- mée par l'étude chronologique des représentations de la Mater omnium.
Le type en question ne devait pas être encore inventé quand fut peinte la fresque du Bigallo où l'on a voulu voir une image de la Madonna délia Misericordia -, et qui porte la date mensongère de 1342. Le Bigallo date de 1352 3 ; \^ fresque doit être de la même année ; il faut donc la mettre en
1. L'expression Mater omnium a été empruntée par l'archéologie aux mys- tiquesdu moyen âge : Albert le Grand dans ses Quaesliones super missus. § 145, se demande s'il convient d'appeler la Merge Mater omnium.
2. Alinari, n" 4776. Elle se trouve dans l'ancienne salle du Commissaire de la Confrérie du Bigallo. Cf. Poggi-Supino-Ricci. // Bigallo iFlorence 1903^, p. 21.
3. Il Bigallo. p. S : cf. Alinari. Eglises et couvents de Florence, p. 87.
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rapport avec la Grande Peste qui venait de ravager terrible- ment Florence. La figure principale est coiffée d'une tiare papale k diadème unique ', l'art est celui des Giottesques du milieu du freccnto^ Giottino, Orcagna.
Que représente cette fresque, au juste? On a voulu y voir une image de la Vierge de Miséricorde : à lort, car l'artiste a écrit le nom même de la figure principale sur le diadème dont il l'a coiffée : Misericordia Doniini; et il lui a mis sur la poi- trine cette inscription qui explique l'autre : Misericordiae Dei plena est ferra (Ps. XXXII, o). Les Florentins qui avaient survécu à l'épidémie, remerciaient la Miséricorde divine qui les avait épargnés. Pour traduire aux yeux la métaphore biblique, le peintre a imaginé de représenter, au-dessus de la civitas Florentiae -, une femme immense, dont la robe, éva- sée en cloche, couvre la ville ; à ses pieds, hors des remparts, sont agenouillés, à droite les hommes, à gauche les femmes.
G'est déjà la même idée que celle qui inspirera les ban- nières de Bonfigli, les tableaux de Mariotto et de Pecori, et en France le Couronnement d'Enguerrand Gharton ^ : la Vierge gigantesque, sa tête touchant au ciel, sa robe descendant jus- qu'à la terre, abrite toute une cité sous son vaste manteau. C'est la même idée, avec cette différence que la fresque de Bigallo ne représente pas la Vierge de Miséricorde, mais une abstraction, la Miséricorde de Dieu. Autrement dit, je crois que lorsque cette fresque fut peinte, le type de la Mater omnium n'était pas encore inventé, ou du moins qu il n'était pas encore répandu.
Le plus ancien exemple de Mater omnium qui me soit connu est un retable ruiné, du peintre siennois Bartolo di Fredi (1330-1410), conservé à Pienza, en Toscane. Dans ce tableau, le manteau de la Vierge est soutenu, comme dans le tableau du Puy dont nous parlerons tantôt, par deux grandes Saintes ; à droite sont agenouillés les hommes, à gauche les femmes; parmi les femmes, plusieurs religieuses ; au premier rang des hommes, le Pape et le Gardinal ; derrière ceux-ci,
1. Sur les variations de la tiare pontificale, voir le travail de Miintz, dans les Mém. de lAcad. des inscr., t. XXX\'I, 1, p. 278.
2. La partie inférieure de la fresque, où se trouve la vue de Florence, a été reproduite dans un article de Raymond sur le dôme de Florence (.4 rie, 1905, p. 177j.
3. Bouchot, La peintureen France sous les Valois, pi. 91.
io2 CHAPITRE X
le Roi etrÉvêque. Ce tableau semble plutôt du milieu que de la Un du xiv'' siècle, car le Pape y porte encore la tiare à lan- tique, telle qu elle est fig-urée par Giotto et par Orcag"na : c'est une haute mitre conique, avant à la base un diadème à pointes.
On remarquera que sur le retable de Pienza, les priants sont répartis d'après le sexe : k la droite de la Vierge sont ag-enouillés les hommes, clercs ou laïques ; à la gauche, les femmes, séculières ou nonnains. La répartition des priants est encore la même que dans les représentations plus anciennes, qui montrent sous le manteau protecteur un Ordre religieux ou une Confrérie. Le type de la Mater omnium, tel que l'ont connu le xv*" et le xvi** siècles, n'est pas encore tout à fait constitué. La répartition des priants suivant le sexe caracté- rise les images anciennes ou archaïsantes de la Mater omnium; par exemple les statues de Fribourg-en-Brisgau ' pi. XXVI), le tableau siennois de Cherbourg pi. III, 2), le retable de Parri Spinello dans l'église Sainte-Marie-des-Grâces, le retable de Neri di Bicci, à Arezzo pi. XXII, 1).
La répartition des priants en deux groupes représentant, l'un le monde ecclésiastique, l'autre le monde laïque, n'ap- paraît qu'au xv*^ siècle. Le plus ancien exemple que j en con- naisse est une peinture française, de 1420 environ, au musée duPuy (pi. XXI, 1).
Dans les représentations de la Mater omnium où les clercs et les laïques forment deux groupes distincts, les clercs ont, naturellement, le pas sur les laïques. Cependant, l'ordre inverse se rencontre quelquefois. Dans les gravures, par exemple dans la xylographie des éditions incunables du Spé- culum humanae salvationis parues à Bàle, chez Richel, et à Lyon chez Mathias Huss (pi. XV, 4)', il s'explique par l'inadvertance de l'artiste, qui aura gravé dans le bois ou le cuivre l'image de la Mater omnium sans prendre garde qu'au tirage la position des deux groupes serait inversée. Sur un
1. Un autre exemple est la gravure milanaise de 1G30, qui reproduit limaire niii'aculeusc de N.D. des Grâces.
LA MATER OMXIUM 153
tableau du début du xvi^ siècle, aujourd'hui à Klosterneu- bourg- (pi. XXVIIl, 2), les ecclésiastiques sont à gauche, les laïques à droite : anomalie à première vue d'autant plus surprenante que ce tableau fut peint pour des religieux Carmes : on les y voit, reconnaissables à leurs vêtements blancs, sous le manteau de la Vierge, derrière le Pape, le Cardinal et l'Evêque. Faut-il croire que les Carmes, par modestie, ont voulu être représentés au dernier rang des protégés de Marie? Ce serait bien invraisemblable de la part d'un Ordre qui est voué au culte de la Vierge et qui s'inti- tule Orclo beatissimae Virginis Alariae, Ordo fratrum heatae Mariae semper Virginis, Divae Mariae sociefas. L'anomalie s'explique très simplement, par une raison technique. La Vierge est entourée des anges gardiens, qui l'implorent en faveur des hommes. La prière des anges, la réponse de la Vierge sont écrites chacune sur une grande banderole. Ces deux banderoles se déroulent dans le champ, l'une à droite, l'autre à gauche. Nécessairement, la demande des anges devait être écrite sur la banderole de gauche, la réponse de la Vierge sur la banderole de droite ; et la Vierge devait tourner la tête vers la banderole qui porte les paroles qu'elle est censée pro- noncer : elle tourne donc la tête vers la droite des spectateurs, c'est-à-dire vers les priants agenouillés à sa propre gauche : ce sont ceux-là qui semblent l'intéresser le plus : voilà pourquoi, par exception, le Pape, le Cardinal, l'Evêque et les Carmes ont passé à gauche ; sur le tableau dont il s'agit comme sur les représentations de la Mater omnium où les ecclésiastiques sont à la droite de la Vierge, c'est toujours vers les clercs que regarde la Vierge, c'est à l'Eglise qu'elle s'intéresse d'abord.
Dans les monuments qui montrent, agenouillés sous le manteau protecteur, d'un côté le monde ecclésiastique, de l'autre le monde laïque, le nombre des priants qui représente chacun de ces deux mondes est pareil de part et d'autre. Sur certaines peintures, la Mater omnium abrite une véritable foule ; sur la gravure du Mortilogus, elle n'a sous son manteau que quatre personnages.
Quel que soit le nombre des priants, chacun des deux mondes est représenté par ses personnages caractéristiques. En tète, de part et d'autre.
Ces deux moitiés de Dieu, le Pape et l'Empereur.
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CHAPITRE X
Derrière le Pape, le Cardinal, l'Evêque, les moines et les moniales. Derrière l'Empereur, le Roi, la Reine, les seig-neurs et les dames, les hommes du commun et leurs femmes. La gravure du Mortilogus montre à droite de la Vierg-e le Pape et le Cardinal, à gauche l'Empereur et le Roi.
On s'est parfois trompé sur la signification des Mater omnium qui n'abritent sous leur manteau que quelques per- sonnages caractéristiques. A propos de la Vierge d'Acey, qui abrite à droite le Pape et le Cardinal, l'Evêque et l'Abbé, à gauche l'Empereur et le Roi, le Seigneur et le Juge, feu Gauthier, archiviste du Doubs, écrivait naguère que 'c'était l'image (( si populaire au mo\'en âge, de la Vierge protégeant les hautes classes de la société » '. Cette explication me paraît bien curieuse. La religion catholique s'est, depuis la Révolution, tellement solidarisée avec les (( hautes classes », qu'un érudit a pu s'imaginer qu'il en allait de même au moyen âge. Mais vraiment, c'est faire tort à la religion du moyen âge que de la confondre avec le catholicisme contem- porain.
Quels sont les personnages agenouillés sous le manteau de la Vierge? Est-ce tel pape, tel roi, tel empereur? Les artistes, qui ont peint ou sculptédes Mater omnium, ont-ils eu l'intention de faire des portraits ? On s'est souvent mépris sur leurs inten- tions. Bouchot a écrit, à propos de la. Mater omnium, du Puy : « L'empereur paraît être Charles IV, le roi est probablement Charles VI, la reine, Isabeau de Bavière 2. » D'après Mantz, le roi figuré sur le tableau du Puy serait Charles VIII, à en juger <( par le costume et la physionomie •' ». D'après M. Rei- nach, on verrait sur la peinture du Puj' « l'Empereur, le roi de France, le duc de Berry, le duc d'Anjou et le duc d'Orléans ^ ». Dans le pape de la Mater omnium d'Atella, on a voulu recon- naître Urbain VI '^, et sous le manteau de la Vierge du Rosaire, à Saint- André de Cologne, on a prétendu voir à
1. Mémoires de l'Académie de /Jes.inçon, 1S93, i).2Sl.
2. Ciilalojjue de l'exposition des Primilifs fraisais, n" 12.
3. Le Temps, n° du l"' février 18X5. 'i. Rép. de peintures, II, p. 535.
5. Stanislas d'Aloe, La Madona d'Atella nello scisma d'Italia, Naples, 1853. Voir la réfutation de M. Bertaux dans Napoli nohilissima, 189", p. IS.
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droite. Sixte IV, le cardinal-léo^at Alexandre, et le prince- archevêque de Colog-ne ; à gauche, l'empereur Frédéric III de Habsbouro^, sa femme Kléonore, son fils Maximilien ' . Ces inter- prétations malheureuses procèdent dune faute de méthode, à laquelle s'applique l'aphorisme émis par Gerhard, à propos des vases grecs à peintures : monumentorum artis qui uniiin vidit, nulliim vidit ; qui milia vidit^ ununi vidif -. Si l'on a voulu trouver des portraits dans les priants mitres et couronnés de telle ou telle Mater omnium, c'est parce qu'on ne connais- sait pas suffisamment les autres monuments de la série. Il serait heureux, sans doute, que ces priants fussent des portraits : car, étant donné le nombre des Mater omnium, elles fourniraient des documents abondants à l'iconographie médiévale, qui, comme on sait, n'est pas bien riche. En réa- lité, le pape et l'empereur, le roi et la reine, le cardinal et l'évéque des Mater omnium sont des figures stéréotypées, imagines necessariœ et dehitœ '^ comme le pape et l'empereur, le roi et la reine et les autres personnages de la Danse macabre. L'empereur, par exemple, avec sa grande barbe « florie » qu'il doit aux chansons de geste et qu il a encore dans les Mater omnium du xvn*" siècle, n'est pas plus un por- trait que le Charlemagne du retable du Palais de justice ^. Une erreur analogue à celle qu'on a souvent faite au sujet des priants de la Mater omnium consiste à regarder comme des portraits de personnages historiques le pape et le cardinal, l'empereur et le roi, qui, dans la fresque dite de l'église mili- tante, à la Chapelle des Espagnols, trônent le long d'une cathédrale qui symbolise 1 Eglise catholique ^',
Il subsiste beaucoup d'effigies de la Mater omnium : elles diffèrent les unes des autres, quant au nombre des priants;
1. Zeitschrift fur chrislUche Kiinst, III 1S90', p. 18: Aldenhoven, Ges- chichte der Kôlner Malerei, p. 296.
2. Rapporta Volcente. dans les Annali deU'Institulo. 1831. p. 111.
3. Commande dune Mater omnium à Pierre de la Barre, peintre avignon- nais, datée de 11 il : i/mago \.-D. de Consolacionis cum suis parvis fic/uris et ymaginihus necessariis et dehitis.
4. Bouchot. La peinture en France sous les Valois, pi. 58.
3. Perdrizet. La peinture reliffieuseen Italie jusqu'à la fin du XIV' s. Nancy, 1905), p. 51.
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CHAPITRE X
mais ces différences n'ont aucun intérêt. Au contraire, il existe une Mater omnium qui, par la façon dont sont rangés les représentants du monde ecclésiastique, mérite une atten- tion particulière : c'est la peinture française archaïque du musée du Pur. On nous permettra de nous arrêter un instant devant cette composition singulière.
Les chefs de l'Eglise, le pape, le cardinal, l'évêque, y occupent, selon l'usage, les premières places à la droite de la Vierge. Derrière eux sont les Ordres monastiques, repré- sentés chacun par un délégué. A Florence, dans la salle capi- tulaire des Dominicains, la fresque dite de l'Eglise Militante montre une assemblée analogue ; mais il s'en faut qu'elle soit ordonnée avec la même rigueur que celle du Puy, où les représentants des familles monastiques sont placés stricte- ment suivant la hiérarchie et la chronologie.
Que fait au premier rang ce religieux qu'à sa robe brune, à sa longue barbe, à sa chevelure hirsute on reconnaît pour un ermite? Et derrière lui ce chanoine, coiffé d'une aumusse si haute ^, qu'on la peut soupçonner du péché d'orgueil ? Ils représentent les deux Ordres rivaux '", fils de saint Augustin,
1. M. l'abbé Mercier, du Puy, ma fait savoir qu'on retrouve cette grande aumusse dans un autre monument conservé au Puy et dontil a bien voulu me faire tenir la photographie, le tombeau d'un chanoine anonyme, sous le clocher de la cathédrale. Ce tombeau paraît du .\iv« siècle. Une tradition erronée en fait le tombeau d'une duchesse de (niise. Le chanoine est figuré deux fois, gisant sur le couvercle, et, sur la face verticale, agenouillé devant la \'ierge. Dans l'une et l'autre repi-ésentation, il est coillé d'une très grande aumusse. Vital Bernard, qui fut chanoine de la cathédrale du Puy, parle à plusieurs reprises dans son livre Le c/ia;iome, ou traité du nom, dignité, office... d'un chanoine {}.e Puy. 1617; Bibl.Nat. K i373), des grandes aumusses dontlcscha- noines du Puy avaient le privilège (p. 80. 631, 636, 680). Cf. laumusse du cha- noine napolitain (■fl36S) dont la pierre tombale est figurée dans Bonnard, Costume.i, I, ])1. 83. Ces grandes aumusses expli(jucnt l'étymologie fantaisiste rapportée par Ilélyol {Hist. des Ordres monastiques. Paris, 1714, t. II, p. 23) : aumusse = hautement mise.
2. « Il y a ti'op long lems que le différent des Chanoines réguliers et des Ermites de Saint-Aiigustin touchant le droit d'aînesse dure, pour estre si tost terminé. .lean XXII, pour les mettre d'accord, leur donna en commun l'Eglise de Saint-Pierre-au-Ciel-d'Or de Pavie, où repose le corps de leur Père, et on leur assigna à chacun un costé pour en estre le maistre. Mais au lieu que cela auroit deu conserver l'union et la charité entr'eux, cela ne servit au contraire qu'à augmenter leurs divisions par rapport aux offrandes et aux donations des Fidelles, de sorte que l'on fut contraint depuis ce tems là de leui- donner à desservir ceste église à l'alternative pendant un mois, ce (jui a esté observé pendant un long tems sans que les divisions aient cessé» (Hélyot, I, p. xviii). Les Chanoines réguliers prétendaient avoir été fondés par les apôtres (/d., t. II, p. 11). On trouvera de curieuses indications sur ces polémiques dans ime note de Paquot sur Molanus, De Ifist. SS. imayinum, p. 3 53.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PL XXI
D'aprèa Buurhot
2. Retable de la famille Cadard, musée Condé
JXaprés Bouvhot
1. Tableau du musée du Puy
LA MATER OMMCM 157
l'Ordre des Ermites et l'Ordre des Chanoines rég^uliers ; ils sont placés les premiers, parce que la règle de l'évèque d'Hippone ' est la plus ancienne des règ-les monastiques.
La seconde, par ordre chronolog-ique, est celle de saint Benoît, au vu'' siècle ; c'est pourquoi, sur le tableau du Puy, derrière le Chanoine, est un moine noir-vêtu, a hlakfriar^ un Bénédictin.
Le XI'' siècle vit se produire dans le monde monastique trois g-randes réformes: celle de saint Romuald, qui, en 1012, fonda les Camaldules, celle de saint Bruno, qui, en 1086, fonda les Chartreux, celle de saint Robert, qui, en 1098, fonda les Cisterciens. Les trois Ordres sont vêtus de blanc, couleur virginale, chère à Marie. Notre peintre, derrière le Bénédictin, a donc placé trois moines blancs, un Camaldule, un Chartreux, un Cistercien. Devant eux, au premier plan, un moine en robe noire et manteau blanc, représente Prémontré, fondé en 1119 par saint Norbert.
Plus tardifs sont les deux ordres institués par saint Fran- çois et saint Dominique. Ils figurent à leur place chronolo- gique, le frère Mineur dans sa robe de bure, le frère Prêcheur dans son manteau noir.
Ils ne sont pas tout à fait les derniers. Une moniale, hum- blement, est agenouillée à la dernière place. A elle seule, elle représente tous les Ordres de femmes. L'Eglise catholique n"a jamais donné dans le féminisme. De même, dans la chapelle des Espagnols, les dernières places, à l'extrême gauche, ont été dévolues aux religieuses, qui ne sont que quatre, tandis que les religieux sont très nombi'eux.
Quant au personnage coilTé de blanc et encapuchonné d'écar- late, au-dessus du Franciscain, c'est, je crois, un prêtre sécu- lier, docteur ou maître es arts. Je le retrouve dans la fresque de l'Eglise militante à la chapelle des Espagnols, où il tient un gros livre (rangée supérieure, dernière ligure, à gauche). Dans une miniature ^, un docteur qui dispute avec sainte Catherine porte le même costume.
On trouvera peut-être cette composition naïve, mais, dans
1. Sur la règle attribuée à saint Augustin, cf. en dernier lieu mon commen- taire d'un tableau italien du xiv" siècle, au musée de Besançon, qui représente le Triomphede sainl Aiiguxtin (Perdrizel et René Jean, Lu Galerie Campana el les musées français, p. 58-60 .
2. Bibl. nat., fr. 6*49, f° 48.
lo8 CHAPITRE X
sa naïveté elle est claire, instructive; elle répond bien au but de l'art religieux du moyen âge. qui est l'enseig-nement, la caté- chèse. Elle nous présente, dans un raccourci énergique, douze siècles de christianisme. Ce (( miroir » de l'Eglise nest pas sans grandeur. En tout cas, cette composition est unique, je veux dire qu'elle ne se retrouve dans aucune des autres repré- sentations delà Mater omnium '.
A partir de la deuxième moitié du xv*^ siècle, la Mère de Miséricorde est souvent représentée abritant sous son manteau les membres dune famille. Ce n est i)lus la Mater ojyinium, c'est la protectrice de quelques privilégiés.
En France, au milieu du xv*" siècle, cette variante semble encore inconnue. Jean Cadard et sa femme sont fig-urés par Enguerrand Cbarton en adoration devant la Mater omnium : ils n'accaparent point le manteau protecteur, ils se contentent de vénérer de loin, humblement, la consolante image (pi, XXI. 2). De même Guillaume Le Boulanger et sa femme, sur le relief du cimetière de Saint-Innocent (pi. XXIII, 2). En Allemagne, YEpitaphhild de la famille PegersdorfFer à Nuremberg, celui de la famille Locherer à Fribourg, repré- sentent la Mater omnium ; les familles qui ont offert à la Vierge ces magnifiques ex-voto, n'y sont représentées que par leurs armoiries. Dans les pays du Nord, la première famille qui se soit fait peindre sous le manteau de la Vierge est la famille Meyer, de Bàle, peinte par Holbein en lo2o ; à en croire les historiens dHolbein, le bourgmestre Meyer aurait voulu témoigner ainsi, par opposition à la Réforme naissante, de sa vénération pour la Vierge Marie.
1. J"ai proposé cette explication du tableau du Puy dans le Compte rendu du LXXr Congrès archéologique de France lenu au Puy en 190-i, et je ne vois pas quelle ait été contestée. Il est M-ai que dans le deuxième tome de son Répertoire de peintures p. 535), qui vient de paraître, M. Reinach adopte une autre description que la mienne : dans le groupe des clercs, il reconnaît « le Pape, des patriarches, des moines et un président au Parlement ». Je sup- pose que les " patriarches » sont l'ermite et le chanoine de Saint-Augustin : la barbe de l'un, laumusse de l'autre auront fait songer M. Heinach au clerus intonsus de l'Orient et aux /.aÀ'.u.aj/.!5c. .l'avais envoyé ma notice à M. Reinach, et il veut bien en citer le titre dans la bibliographie qu'il donne du tableau du Puy. S'il l'a lue, je suis afflige qu'elle ne lait pas convaincu.
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Les familles patriciennes d'Italie se sont fait représenter sous le manteau de la Vierg-e un peu plus tôt. Par exemple, dès 1480, les Vespucci à Florence ; dès 1473, une famille vénitienne dont je n'ai pu retrouver le nom, à Santa Maria Formosa. En 1496, pour remercier la Madone d'une victoire qu'il n'avait d'ailleurs pas ^ag-née, François de Gonzague se fait représenter seul sous le manteau protecteur. Dès la fin du XIV® siècle, un noble vénitien avait eu la même idée. Me trompé-je en expliquant ces représentations par les sentiments d'org-ueil et d'individualisme qui, comme l'a si bien montré Burckhardt, sont l'un des caractères les plus accusés de la Renaissance italienne ?
Pour ne pas multiplier k l'excès les divisions de notre cata- logue, nous n'avons consacré qu'une rubrique aux Mater omnium et aux représentations de la Vierge abritant sous son manteau soit la population d'une ville, soit les membres d'une famille.
GATA LOGUE
Toscane
1. Florence. — Fresque clans le couvent des Bénédictins, à S.Martino a Majano, près Fiesole. Baroni {La parrocchia tli S. Martino a Majano, 1873, p. 2o) en a publié un dessin des plus médiocres, dont M. Grenier m'a fourni le calque. La Vierg^e, sans la couronne, vêtue en bénédictine. Deux anges soulèvent le manteau. A dr., les hommes; d'abord les clercs, le pape, les évêques, les moines, puis les laïques. A g., les femmes: d'abord des nonnes, puis des bourgeoises et femmes du peuple. Baroni rapporte une tradition qui attribuerait cette fresque à Spinello d'Arezzo : entendez Parri di Spinello. Le pape portant, ce semble, la tiaie à cou- ronne unique, je crois devoir dater cette fresque de la deuxième moitié du xiv^ siècle.
2. Tableau de Fra Filippo Lippi, passé en 1821 de la collection Solly au musée de Berlin : c'est tout ce qu'on sait de son histoire. Braun, 19537 ; Hanfstangl, ."iOS. Cf. Cavalcaselle et Crowe, éd. Le Monnier, V, p. 23o ; Jameson, Lecjends of the Madonna, p. 30 ; Supino, Les deux Lippi, p. 87 de la traduction. La Vierge, debout, sans la couronne et sans l'Enfant, prie, les mains jointes. Le manteau, extrêmement large, est tenu levé par deux anges. Il abrite une foule de gens à genoux, religieux de divers Ordres, hommes et femmes du commun.
3. Fresque deDomenico del Ghirlandajo (1449-1494) dans la chapelle Vespucci à Oguissanti. Cette église, d'abord aux HumiliaU, passa en lo61 aux Franciscains. La fresque fut cachée sous un badigeon de plâtre en 1016, quand la cha|)elle des Vespucci fut cédée aux Baldovinetti. Elle fut retrouvée en 1898. Pour les reproductions, cf. l'Illustration, n° du 19 février 1898; VArte, 1898, p. 54; Gaz. des Beaux-Arts, 1898, I, p. 197 ; Rei\ de l'arl chrétien, 1898, p. 312 ; Knackfuss-Zimmermann, Kunstr/eschichte, II, fig. 281; et surtout Brockhaus, /'^or-sc/iu/j'/en ûher florentiner Kunstwerke, p. 8.") et suivantes, où elle a été admirable- ment publiée; cf. encore Alinari, 4116 a-f ; Brogi, 11481-11407. On s'étonne qu'une œuvre si souvent publiée ait fait l'objet d'une planche dans le dernier volume de la Réunion des sociétés des beaux-arts des départements, 1907, p. 476. Vasari la mentionne comme l'une des pre- mières œuvres du maître : « furono le sue prime pitture in Ognissanti, la caj)pella de' Vespucci, dov'è un Cristo morto ed alcuni Santi, e sopra un arco la Misericordia -> (III, p. 255). Cependant M. Brockhaus n'hésite
CATALOr.LE 101
pas à la dater de 1480 : il la met en relation avec la peste qui désolait alors Florence. En bas, à droite et à gauche, le peintre avait représenté deux grandes figures debout, dans des niches ; celle de droite est délimite ; celle de gauche parait avoir été un ange, sans doute l'ange delà Justice divine ; il devait, je suppose, tenir lépée dans la main droite. Si cette supposition est juste, la figure symétrique aurait représenté l'ange de la Miséricorde cf. p. 113, bannière de Bonfigli, à S. Francesco de Pérouse). Bartoloraeo di ser Vespucci. le donateur de la fresque, mourut en 1480, de la peste. C'était l'un des principaux personnages de la confrérie des Dis- ciplinali délia Misericordia del Sulvadore, fondée en 1.334, dont le siège était chez les Dominicains, à S' Maria Novella. Il est probable que la fresque d'Ognissanti, dont la partie inférieure représente le Sauveur descendu de la croix, et la partie supérieure la Vierge de Miséricorde, s'explique par cette dévotion particulière. On notera que la Vierge de Miséricorde remplace en ([uelque sorte le sommet du gibet d'où l'on vient de descendre le Christ ; et ([ue le geste de ses bras étendus rem- place le geste des I^ras étendus du Ciirist en croix: dans l'arrangement de cette double composition, il y a, je crois, une intention mystique.
4. Relief en faïence émaillée, au musée du Bargello (n° 35 , provenant de S'» Maria del Carminé, couvent supprimé en 1868: publié dans Cava- lucci et Molinier, Les délia Rohhia, n° 11, p. 217; Alinari, 2738. Le socle porte cette inscription : questa fece fare Agniolo di Bonaiuto di Xic coDo s{er) agliprimediodel anima sua e delà sua c/on/ja annoMDXXVIII
pour l'abréviation signifiant ser, niesser, cf. A. Capelli, Dizzion. di ahhreviature latine ed ilaliane, p. 307). La Vierge, couronnée, couvre de son manteau la famille d'Agniolo; au premier plan, le donateur et sa femme ; au dernier, deux pénitents, la tète voilée par le capuce.
5. Musée des OlTices. Dessin d'Andréa Boscoli (1340-1600 . Muter omnium abritant sous son manteau des gens de tout état, d'un côté les hommes, de l'autre les femmes. Signalé par Krebs, Maria mit dem Schufzmantel, p. 33.
6. Prato. — Musée communal, salle IV, n" 8. Tableau très médiocre, du xvi'^ siècle, représentant la Vierge de Miséricorde abritant des femmes sous son manteau communication de M. Grenier).
7. Pienza. — Retable, mal conservé, de Bartolo di Fredi (1330- 1410. Lombardi, 1447-1449. Mater omnium. Le manteau est soutenu par deux Saintes, un peu moins grandes que la Vierge. A dr. les hommes, à g. les femmes. Parmi les hommes, au premier rang, le Pape, le Roi ; au deuxième, le Cardinal, l'Evèque. Le Pape porte encore la tiare archaïque : c'est un bonnet conique, dont le bas est garni dune couronne en forme de cercle à pointes. La trireçjno apparaît sous le règne de Benoit XII (1334-1342 : cf. Mùntz, La tiare pontificale du VIII" auXVl<= siècle, dans Mémoires de l'Acad. des Inscr., t. XXXVI, i, p. 278. Le bonnet à couronne unique se rencontre dans le Jugement dernier d'Orcagna, à S*" Maria Novella Alinari, 4049). Je n'en connais pas d'exemple aussi tardif que celui du retable de Pienza : c'est une
Peudrizut. — La Vierr/e de Miséricorde. 11
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preuve de plus de l'esprit conservateur et traditionnel de la peinture siennoise.
8- Sienne. — Une miniature sur couverture de livre, datée de 14o8, attribuée par Mary Logan [Gaz. des B.-A., 1904, II, p. 211) à Giovanni di Paolo, représente '< la Madone couvrant de son manteau les fidèles ».
9. En 1400, la Si;/noria de Sienne chargea le Vecchietta de décorer le Palais public. De cette décoration subsiste encore un fragment de fresque dans la salle deW aiulo bilanciere, retrouvé au xix^ s. sous un enduit de plâtre. Dans un tym|jan demi-circulaire, la Vierge de Miséri- corde couronnée par deux anges ; d'autres anges soutiennent le manteau, qui est immense, tel qu'il fallait qu'il fût pour couvrir tout le peuple de Sienne ; àdr. les prêtres, moines et moniales ; à g., les laïques, hommes, femmes et enfants. Derrière le manteau apparaissent à mi-corps quel- ques-uns des Saints protecteurs de Sienne, à dr. saint Savin, évêque, saint Jérôme, saint Pierre martj'r, à g., sainte Catherine, saint Laurent, saint Ansan. La tête et les vêtements de la Vierge sont retouchés. Lombardi, 521-523. Cf. Cavalcaselle et Crowe, Sforia, IX, p. 19-20; Heywood-Olcott, p. 219.
10. Eglise S. Martine, à Sienne. A l'entrée, à dr., est une peinture de Lorenzo Cini, vouée en commémoration de la victoire de Camollia, remportée en 152(i par les Siennois sur les troupes de Clément Vil. Sur le gradin, « Cini peignit une miniature bien supérieure au tableau, sous l'influence d'Antoine Razzi. Elle représentait la Madone couvrant Sienne de son manteau ». Cf. Rio, De l'art chrétien, I, p. 144.
11. A?'ezzo. — Retable de Xeri di Bicci à la Pinacothèque d'Arezzo. Alinari, 9969. M. Reinach, qui en a publié un croquis insuffisant, n'en a pas donné l'explication. Il y voitla représentation de la « Vierge tutélaire, protégeant le peuple d'Arezzo » (Répertoire, t. I, p. 491). En réalité, ce tableau représente la Mater omnium, priant les mains jointes, pour le salut de la chrétienté entière, abritée sous son manteau; à droite, les hommes; parmi eux le Pape, l'Empereur, le Roi; à gauche, les femmes. Deux anges posent d'une main une couronne sur la tête de la Vierge et de l'autre soulèvent les plis du manteau. A droite età gauche, détaille presque égale à celle de la Vierge, saint Michel i patron du donateur), et saint Nicolas. Devant la Vierge, saint Bernardin agenouillé tenant une grande croix. Aux bouts de la prédelle, d'un côté saint Jean-Baptiste, de l'autre, saint Barthélémy. Le reste de la prédelle raconte en trois pan- neaux une histoire relative à saint Bernardin de Sienne et à l'église Sainte-Marie-des-Grâces, près d'Arezzo. Cf. Vasari, t. II, p. 279; Wad- ding. Annales Minorum, XXII, année 1405, et surtout la Vie anonyme publiée pour la première fois dans les Analecta Bollnndiana, 1906, pp. 331-334. Bernardin habitait alors Arezzo ; dans un bois non loin de la ville se trouvaient les ruines d'un temple païen, que les Arétins conti- nuaient d'entourer d'un respect superstitieux. Bernardin s'y rendit un matin, avec une grande croix de bois qu'il avait fait confectionner par les frères conventuels de saint François, dans l'église desquels il |)rêchait ;
Perdrizet, La Vierge de' Miséricorde
PI. XXIl
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1 §
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par la vertu de la croix, il chassa les démons dont ces ruines étaient le repaire, et y éleva un oratoire de la Vierge, qui devint le but d'un pèle- rinage. Quelque temps après, on y éleva l'église de Sainte-Marie-des- Gràces, qui, sur les instances de Bernardin, fut enrichie par Eugène IV de nombreuses indulgences. Au-dessous de la prédelle, cette ins- cription : Hoc opus fecit fieri Michael Angélus Papii magistri Fran- cisci de Aesthereliis de Aretio pro remedio anime sue et suorum anno Dominl MCCCCLVI die VIII mensis niarlii. —PI. XXII, 1.
12. Image miraculeuse deSainte-Marie-des-Gràces, peinte parParrida Spinello, derrière le maitre-autel de l'église de ce nom Alinari, 9976 ;Rey- mond, La sculplure florentine, t. 111, p. 172'. Cette image célèbre, que Vasari n'a eu garde d'oublier t. 11, p. 280), a été altérée — surtout la tète de la Vierge — par des restaurations. La Mère de Miséricorde, sans l'Enfant, étend son manteau sur les Arétins. La frescjue de Parri a été entourée à la fin du xv^ siècle d'un merveilleux encadrement en terre cuite émaillée, provenant de l'atelier d'Andréa délia Robbia.
13. Coffret-reliquaire, par Maestro Xicola di Giovanni di Giuccio, dans la collection E. von Miller (Leisching, Figurale Holzplastik, Vienne, 1908, f", pi. IV). Le coffret est surmonté d'une statuette de la Vierge au manteau protecteur, comme le coffret de Forzore di Niccolô Spinello cf. supra, p. 81).
14. A S. Francesco, dans la première chapelle à dr. de l'entrée, fresque du xv<' s. dont il ne reste que le haut : on distingue la tète et le buste dune Vierge ; le geste n'est pas douteux, c'était bien une Vierge au manteau (communication de M. Grenier).
15. Grand retable en fa'ience, par Andréa délia Robbia 1437-1528), dans l'église S^ Maria in Gradi. Alinari, 9722 ; Bode, Denkmaler, pi. 263 ; Reymond, La sculpture florentine, t. III, p. 174. La Vierge, ([ui tient dans les bras l'Enfant nu, regarde avec une compassion douce les priants agenouillés autour d'elle ; dans le ciel. Dieu le Père fait un grand geste d'accueil et de pardon ; et la colombe descend du Père vers le Fils. Deux anges, dune main, posent une couronne sur la tète de la Vierge, de l'autre soulèvent les plis du manteau. Les femmes sont à droite, les hommes à gauche. Au pi'emier rang des hommes, reconnaissable à ses gants, un évèque sans la mitre. Priants et priantes sont vêtus de façon conventionnelle, à l'antique. A dr. et à g. de la Vierge, saint Pierre et saint Ililarion. Sur la prédelle. le Dieu de pitié, au milieu. A droite, la Vierge et saint Michel archange avec la balance. A gauche, saint Jean l'Evangéliste et un saint franciscain, saint Ber- nardin de Sienne, je crois. — PI. XXIII. 1.
16. Cortone. — Vitrail représentant la Mater omnium, dans l'église S. Mariadel Calcinajo ; attribué à Guillaume de Marcillat, ainsi que deux autres vitraux de la même égiise, qui ont dû être voués en même temps ; l'un d'eux représente saint Sébastien : celui-ci, et celui de la Vierge de Miséricorde, ont sans doute été voués à l'occasion d'une
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peste. Milanesi, dans son édition de Vasari, IV, p. 427, mentionne d'a- près Pinucci, Meniorie istoriche délia chiesa del Calcinajo, p. 140, ces trois verrières ; il décrit brièvement celle de la Vierge de Miséricorde, et admet l'attribution à Marcillat : on sait, eu effet, par Vasari, que le célèbre verrier a exécuté divers travaux à Cortone en l;il7. Cf. encore Archivio siorico delVarie, 1890, p. 40. Barbier de Montault (Revue de l'art chrétien, 1892, p. 77 a émis l'hypothèse malheureuse que Marcillat, pour son vitrail de Cortone, s'était « évidemment » inspiré de la Vierge nancéienne de Mansuy Gauvain : c'est que Barbier croyait Marcillat lor- rain, sur la foi d'un texte (Gaye, Carlerjfjioinedito, II, p. 449; cf. Milanesi, éd. de Vasari, IV, p. 418) qui le qualifie de priore di S. Tihaldo, di S. Michèle, diocesi di Verduno ; il concluait de ce texte que Mai'cillat était né àSaint-Mihiel : le prieuré de S.Tibaldo serait un prieuré toscan ; mais il est prouvé aujourd'hui que Marcillat était de la Châtre, et que le seul rapport qu'il ait eu avec Saint-Mihiel, c est d'y avoir été prieur réser- vataire ou désignataire du modeste prieuré de Saint-Thiébaut, où proba- blement il n"a jamais résidé Léon Germain, Guillaume de Marcillat, prieur de Saint-Thiéhaut de Saint-Mihiel, Xancy, 1877).
17. Lucr/ues. — Grand tableau d'autel peint en lijlo par Fra Barto- lommeo, jadis à S. Romano, aujourd'hui à la Pinacothèque. Alinari, 8449; Brogi, 11904. Cf. Vasari, t. IV, p. 191 Mdanesi ; Rosini, IV, p. 243, pi. Lxxviii ; Jameson, Legends of the Madonna, p. 32 ; Grimoiiard de Saint-Laurent, Guide, III, p. 107 ; Gruyer, Fra Bartolommeo, p. 72 ; du même. Les Vierges de Raphaël et V iconographie de la Vierge, I, p. 313 ; Burckhardt, Le Cicérone, p. 650 de la traduction ; Bilder- schatz, 3a2 ; Knapp, Fra Bartolonimeo délia 7-*o/'/a i Halle, 1903), p. 119 et 260 ; S. Reinach, Répertoire, I, p. 488. Il est erroné de dire, comme le fait Gruyer, que « la Vierge semble monter à Dieu, tandis que les hommes qui se pressent autour d'elle sont retenus par des liens matériels dont la mort ne les a point affranchis. » La V'ierge, debout sur un « tri- bunal » à plusieurs marches, implore dans une attitude passionnée la miséricordede son Fils ; d'une main elle lui montre les hommes ; l'autre main fait un geste de joie, car le Christ parait dans le ciel, ouvrant les bras au genre humain : devant lui vole un ange qui porte un cartouche avec ces mots: misereor super turbani (Marc, viii, 2). Le manteau de la Vierge, soulevé par deux petits anges, ne couvre qu'une partie des priants; ils représentent tous les âges de la vie : au premier plan, les petits enfants, avec les mères et les grand'mères. Au deuxième plan, à gauche, le dos tourné au spectateur, le donateur que saint Dominique réconforte en lui montrant la Vierge. C'était un Dominicain nommé Fra Sebastiano Lambardi de' Montecatini : ce qui explique l'inscription du trône de la Vierge : M'\ate)r pietatis et nn{sericordia)e. F{rater) S{ebas- tianus) 0[rdine) P(raedicatoruin). Madame Jameson a mis celte peinture en rapport avec la peste de 1"J12, non sans vraisemblance.
Ombrie
18. Pérouse. — Au musée, fragment, en très mauvais état, d'une grande fres([ue, par Fiorenzo di Lorenzo (contemporain de Bonûgli; ses
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premières œuvres sont de 1472; f lo20;. Cette fresque se trouvait jadis à riiôpital S. Egidio (via Longara , fondé en 1322 par Jean XXII pour loger les pèlerins. Il est difficile de décider quels étaient les person- nages que la Vierge abrite sous son manteau. Dans le ciel apparaissait Dieu le Père, entouré d'anges; les renseignements qui m'ontété donnés sur cette fresque ne me permettent pas daffirmer que Dieu lançait les flèches de la colère.
*19- A Sant'Açjata, tableau à deux faces, sur l'une desquelles était peinte la Vierge de Bonsecours (mentionné par Mariotti, Letlere pittoriche perugine).
20. Au musée, salle VI, petit tableau de provenance inconnue, vers 1500. Vierge couronnée, abintant sous son manteau à droite des bour- geois, à gauche leurs femmes avec deux enfants.
21. La Rocchiciola, hameau près d'Assise. — Grande fresque sur le mur de Fautel de la chapelle latérale : la Madone abritant sous son manteau des religieuses et des femmes agenouillées avec cette inscrip- tion : Queala opéra la fata fare le donii(e)per loro (de votione e voio. Date : 17 avril lo61 (Broussolle, Origines^ p. u24).
22. Cerqueto, village au sud de Pérouse. — « Dans un oratoire hors des murs, une grande Madone des Grâces abritant des femmes et des enfants sous les plis de son manteau. Je crois bien que cette Madone a été repeinte au moins deux fois » (Broussolle, Pèlerinages, p. 259).
23. Spello. — « Chiesa dell" Ospedale, in una caméra dell' economalo. lavola a tempera dipinta da ambo i lati. Nel diritto la Madonna délia Misericordia attorniata da sei serafini e due angioli e che ricopre del suo manto una folla di devoli. Xel rovescio in alto una croce entra nimbo sostenuta da due angioli; nel centro inferiore una torre : in basso due piccole figure che accennano al miracolo : a sinistra la Ver- gine seduta ed a destra Jesù : bella opéra di scuola folignate del xv secolo,iii parte malconcia. <> Frenfanelli Cibo, A7cco/ô Alunno e la scuola Umhra i Rome, 1872), p. 100.
24. Foligno. — *( Affresco rettangolare riportata in un incannucciato rappresentante la Madonna che accoglie sotto il suo manto varii angeli e devoti. Alla sommità del medesimo, sono efTigiati due angeli che sos- tengono un arazzo. Opéra del sec. xiv. Distaccato nell' ex chiesa diruta di S. Giovanni degT impiccati in Foligno nel 1869. Misura 2™ 40 X 1 ™ 08. » [^Catalogn délie pit tare ed altri oggetti d'arfe esistenti nella Pinacoteca communale di Foligno, P'oligno, 1893, n° 8).
25. Diruta (environs de Pérouse). — Fresque de Fiorenzo di Lorenzo, à la voûte de la chapelle Saint-Antoine, représentant la Vierge de la Miséricorde, avec les quatre Evangélistes (Berenson, The Central italian painters of the Renaissance, p. 1421. Cavalcaselle et Cx'owe Fattribuaient
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à Bonfigli, en remarquant qu'il est difficile de se prononcer sur une peinture qui a pâti autant que celle-là du temps et des hommes (Sloria, t. IX, p. 140).
26. Beltona. — Panneau peint à Thuile par le Pérugin, en 1512, et conservé dans l'église des Frères Mineurs. La Vierge de Miséricorde, assistée de saint Marnés et de saint Jérôme, protège sous son manteau les deux donateurs agenouillés, l'homme et la femme (Cavalcaselle et Crowe, t. IX, p. 261).
Province homaine
*27- Viterhe. — Niccola délia Tuccia dit, dans sa Chronique de Viterbe (cf. Potthast, J5.3/..-E., t. II, p. 846; : Venuto il tempo del lioS, io Xicola di Xicola délia Tuccia scriitore di qiiesta, fui fatto de' priori... E accib che quelli voranno sapere la forma di mia persona, qui presso ne farb menzione. Nel detlo priorato che fu del mese di gennaro in fehraro, facemmo fare una fir/ura délia Nostra Donna nelV altare délia cappella dei magnifici signori priori, in una lavola, nella quale tutti ci fummo dipinti naturale secundo c/ieravamo di funzione. Nella quale sono, sotto il mantello di quella benedetta figura, sette persone per canto... Suit rénumération des priants, avec la description de leur costume. L'un des priants si chiamava Giovanni di Giovanni di Picca, nipote di mas- tro Valentino pittore di detta tavola. Ce peintre n'est pas autrement connu ; et cette Vierge de Miséricorde semble perdue. Le texte de Niccola délia Tuccia est cité dans une étude de Corrado Ricci sur Lorenzo da Vitorbo {Archivio, 1, 188S, p. 61;; Barbier de Montault, pour avoir lu cette étude trop rapidement, attribue Revue de l'art chrétien, 1892, p. 77) au grand peintre de Viterbe la peinture votive dont parle Niccola.
28. Rome. — Statuette en terre cuite, au-dessus d'un porche, près .S^' Maria Novella. La Vierge abrite sous son manteau trois priants. Une épée est plantée dans son cœur : en ,mème temps que la Mère de Miséricorde, c'est la Mère de Douleur ; aussi cette statuette s'ap- pelle : Immagine di Maria Santissima Addorolata. Grimoûard de Saint- Laurent (III, p. 109) en parle en ces termes : « œuvre toute popu- laire, qui, malgré l'inlériorité du travail, a été jugée digne du mouvement miraculeux en 1790 » : à ce titre, elle est mentionnée et reproduite dans Marchetti, De prodigi avvenuli in molti sagre immagini, specialmente di Maria santissima, seconda gli autentici processi compilati in Roma (Rome, 1797, 8"), p. 80 (p. 133 de la réédition de 1896; il |y a aussi une édition française, Paris, 1801, 12°).
29. Marino. — Dans l'église S» Maria délie Grazie. une peinture derrière l'autel représente la Vierge au manteau : la partie inférieure est cachée par le tabernacle.
Italie méiudionale
30. \af>les. — Église S. Pietro Martiiv, première cliapelle à droite de
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l'entrée. Cette chapelle était autrefois dédiée à S. Maria del Soccorso (article de Cosenza, dans la revue .Yapo/i nohilissinia, août 1000, p. 120, n° 4). Bas-relief en marbre, du xir^ siècle, dans une arcade en tiers-point. La Vierge de Miséricorde tient doux couronnes suspendues sur deux groupes de priants réfugiés sous son manteau. Dans la même chapelle, un tableau du début du xyi*^ siècle, très médiocre, représente le même sujet.
MaUCUES, RoMAGNE, EiMILIE.
31. Macerala. — » La bella Madonnadi Pietro Alamanni che proteg-ge col suo manto tutta una moUitudine di papi, di imperatori, di gentil- donne, di cavalieri, divescovi e di prelati...» Diego Augeli, L'esposizione (H Macerata : urte anfica e moderna, dans le Giornale d'Italia, 23 août 1905. Pietro Alamanni est un peintre des Marches, trop dédaigné, disciple de Cnvelli.
32. Urhin. — Dans l'église de S. Maria del Lomo (ou deU'Omo\ fresque d'Ottaviano di Martino di Xello da Gubbio, représentant la Madonna dpi Soccorso qui abrite sous son manteau un gTand nombre de bourgeois d'Urbin. Deux anges couronnent la Vierge. Cette fresque serait de 1428. Alinari, 17590. Cf. Calzini, Urhino e suoi monuinenli (Rocca S. Cas- ciano, 1897), p. 132.
33. Guhbio. — On assure que vers 1410, Ottaviano Nelli peignit à Gubbio, dans l'église Saint-Augustin, une Madone del Soccorso. La peinture en question subsiste encore, mais comme elle a été, en 1600, considérablement retouchée, on n'en peut plus juger le caractère original (Cavalcaselle et Crowe, Storia, t. IX, p. 54).
34. Iinola. — Tableau de Francucci Innocenzo (Innocenzo da Imola, ■1494-1550, élève de Francis;, provenant d'une église des environs d'Imola, aujourd'hui à la Pinacothèque de Bologne Guadagnini, Cafalogo, p. 5i-) : « La Madonna cui due angeli tengono aperto l'ampio manto, sotto il ([uale stanno genuflessi molti fedeli. In alto due Cherubini sostengono una corona sopro il di leicapo. » Burckhardt {Cicérone, t. Il, p. 702 delà traduction) remarque la « naïveté » de ce tableau.
Italie du Nord
35. Parme. — Musée, n° 450. Ex-voto d'une famille qui s'était fait représenter sous le manteau de la Vierge de Miséricorde. Écussons efîacés. Le tableau se trouvait en 1868 chez les capucins de Parme. Fin du xv" siècle ; attribué à l'école de Crémone par C. Ricci, La R. Galleria di Par ma, p. 36.
36. Plaisance. — - « .Dans la cathédrale de Plaisance, peinte sur un pilier, une Madonna délie Grazie, du type de la Vierge de Bonsecours à Nancy » (communication de M. l'abbé Eug. Martin).
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31 . Manlnue. — La Vierge de la Victoire, par Mantegna fmusée du Louvre). Elle l'ut placée à Mantoue dans la petite éfj-lise de la Victoire, le 6 juillet 1490, anniversaire de la Ijataille de Fornoue ;6 juillet 1495), que le marquis François de Gonzague prétendait avoir gagnée sur Charles VIIL Gonzague est seul sous le manteau protecteur, à la droite de la Vierge. Le manteau est soutenu par les saints Archanges, Georges ^avec sa lance bri- sée^ et Michel. Derrière la Vierge sont les saints protecteurs de Man- toue, André et Longin. Cf. Thode, Mantegna, fig. 97: Jameson, Madonna, p. 97; Lafenestre et Richtenberger, Le Louvre, p. 83 ; et surtout Kris- teller, Mantegna, p. .323, où Ton trouvera le reste de la bibliographie.
38. Vérone. — A S» Anasfasia, église des Dominicains (cf. Burckhardt, Le Cicérone p. 63 de la traduction), chapelle Cavalli. Fresque du xiv« siècle, représentant la Vierge abritant sous son manteau la famille Cavalli.
39. Vicence. — Le monte Berico, au pied duquel et>t bâti Vicence, porte une église célèbre, dite délia Madonna del Monte. Cette Madone est une Vierge de Miséricorde. Dans VHistoria délia iniracolosa costru- zione del sacro tenipio di S. Maria di Monte di Vicenza (Vicence, 1576!, sur le titre et à la fin du volume, elle est représentée debout, sur le croissant, couronnée par deux anges et couvrant de son manteau quatre pi'iants. Dans YAllas Marianus de Gumppenberg, II, 69, sous le titre imago B. V. miraculosa in monte Berico, est i-eprésentée une Vierge debout, couvrant de son manteau deux priants agenouillés (cf. Guéné- bault, Dict. iconogr. des Saints, t. I, col. 737, et Rev. de l'art chr., 1885, p. 137).
40. Vi'nise. — Académie, n" 13. Triptyque à fond d'or. Entre les deux saints Jean, la Vierge de Miséricorde ayant sous son manteau des gens agenouillés, tout petits. Devant la poitrine de la Vierge, dans la man- dorla, l'Enfant tient le globe du monde. Dans le haut du cadre deux médaillons où est peinte TAnnonciation. Braun, 26774. La signature Jacobello del Fiore et la date 1436 dont on ne s'est pas défié Lafenestre et Richtenberger, Venise, p. 51 ; Ange Conti, Cat. dex galeries roijales de Venise) sont fausses ; ce triptyque est d'un Vénitien anonyme du xiv'" siècle (Paoletti, Cat. délie B. Gallerie di \'enezia, p. 9 .
41. Jadis dans l'église Saint-Pierre-Martyr, à Murano, aujourd'hui à Venise, musée de l'Académie, n° 28. Ancona in tre scomparti ed unn lunetta con fondi d'oro. Xel mezzo stanno S. Vincenzo e S. Bocco. Ai lati S. Sehastiano e S. Pietro Martire. Nella lunetta, la Vergine proiel- trice.Nelhasso del quadro centrale la firma opvs .4AD/?A\f Db' MYRAXO (Paoletti, Catalogo, p. 16). Derrière la Vierge, deux anges tiennent une banderole où on lit : mater guati.i..
42. A .S" Maria Formosa, tableau d'autel. La Vierge, sans l'Enfant, abrite sous son manteau une famille patricienne. Au premier rang, à droite, un ecclésiastique portant une chape splendide, sur le dos de laquelle est brodée la Résurrection. Les hommes sont à droite,
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les femmes à gauche ; derrière les femmes, un pénitent ou une pénitente, le capuce relevé. Dans le haut, quatre anges volant, deux qui prient et deux qui couronnent la Vierge. Au bas du tableau, la signature et la date : bartuolomaevs vivarinvs de mvhano pinxit MccccLxxiii. Naja, 1907 ; Alinari, 1()7.j3; Anderson, lV002.Cf. BurckhardI, Le (Cicérone, p. tiOT de la traduction.
43. Aux Frari. Tableau d'autel. Deux anges couronnent la Vierge, deux autres soutiennent les pans de son manteau. Sur la poitrine de la Vierge, formant comme l'agrafe de son manteau, la mandorla avec l'Enfant bénissant. Sous le manteau, de chaque côté, quatre confrères en surplis blanc sur tunique bleu clair. Ils portent sur le cœur un médail- lon avec les initiales S. M. V. entrecroisées. Dans le ciel, derrière des feuillages et sur des nuages, des prophètes avec des phylactères, dont David, et Moïse qui tient les tables de la loi. Au bas une inscription retouchée et la date mdxxvi (note de M. Grenier).
44. Galerie Pitli, n° 484. Tableau de Mai-co Vecellio, le neveu du Titien (lo4a-1611). La Vierge étend son manteau protecteur sur une nombreuse assistance : à dr., les hommes ; à g., les femmes et les enfants. i< Coloris puissant, gras et clair, hion que d'une exécution un peu molle» (Burckhardt, p. Le Cicérone, p. 7o.j de la traduction). Cf. Lafenestre et Richtenberger, F/ore/ice, p. 173.
45. Tympan gothique, sur la porte du Ponte del Paradiso. La Vierge, couronnée, sans l'Enfant, abrite sous le manteau de protection un seul priant, agenouillé à sa droite. Alinari, 12997 a. Mentionné par Gabe- lentz, p. 229.
46. Relief encasti'é au-dessus des fenêtres du premier étage d'un palais sur le Canal Grande, au débouché du Rio délia Maddalena. Vierge couronnée, avec l'Enfant dans la mandorla. Quatre priants sous le manteau.
47. Bellune — Relief u suUa fronte délia chiesa dei Battuti » (Diego Sant' Ambrogio, La colonna vptiva di Canlà, p. 12).
48. Milan. — Musée du Castello Sforzesco, n" 1115. Relief en marbre, du xv« siècle, ayant servi d'enseigne à la Fabrique du Dôme de Milan. La Vierge protège sous son manteau, que deux anges tiennent relevé, l'ancienne église de S» Maria Maggiore, que le Dôme actuel a remplacée et qui a subsisté jusque vers 1650. De part et d'autre de l'église, saint Pierre et saint Roch présentent à la Vierge deux dona- teurs agenouillés. C'est, je sup[)Ose, le relief qui a été reproduit (d'après vme vieille gravure ?) sur le titre d'un ouvrage paru récomment à Milan chez Hoepli : La scullura nel duoniodi Milano, illusirafa a cura dcir aniniinistrazione dclla fahrica. da V. Nebbia.
49. A la cathédrale, dans la lunette de la porte de la sacristie Sud, relief de Hans von Fernach, en collaboration avec Ilans Brondefer et l'autrichien Pierre de Vienne M 393). Alinari. n» 14198. Cf. A. G. Meyer,
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Oberitalienische Friihrenaissance Ban (en and Bildwerke der Lomhardei, I, pi. II ; Schubring, Mailand und die C.ei-tosa di Pavia {Moderner Cicérone, 1904), reproduction à la p. 349 ; Nebbia, op. laud., p. 17. La lunette est divisée en trois parties : en bas, la Mise au tombeau ; au-dessus, la Madone avec l'Enfant, adorés par saint Jean-Baptiste et saint André ; au-dessus, la Vierge de Miséricorde, sans l'Enfant ; des anges la cou- ronnent, d'autres étendent son manteau, sous lequel sont agenouillés les Milanais.
50. Musée du Castello Sforzesco, n° 1494. Relief provenant de la porte du château de Monza. La Vierge couronnée, assise, ayant l'Enfant sur les genoux, abrite sous son manteau, à droite les hommes, à gauche les femmes.
51. Colonne votive à Cantù (entre Côme et Lecco) du début du xv<=siècle. Le chapiteau est orné d'un relief gothique, que M. Diego Sant' Ambrogio {La colonna votiva di Cantù, dans la revue Politecnico, Milan, 1906, p. 4 du tirage à part) décrit ainsi : « La Vierge de Miséricorde étend son manteau sur deux époux agenouillés, l'homme à sa droite, la femme à sa gauche ; à leurs pieds sont treize enfants au maillot, qui ont l'air, eux aussi, d'être agenouillés. » La photolypie publiée par M. Sauf Am- brogio est malheureusement trop mauvaise |jour permettre de vérifier cette description.
52. Petit triptyque à fond d'or, provenant de la Valteline, au musée Poldi-Pezzoli, n" 68o. En bas, la signature Gotardus [de] Scotis de Mello'pinsil s>ïc . Sur le panneau central, la Vierge (couronnée) étend son manteau sur des priants agenouillés, les hommes à dr., au premier rang le curé de la paroisse, les femmes à g. Les panneaux sont divisés en compartiments ; sur ceux du haut, l'Annonciation ; sur ceux du bas, à dr., saint Sébastien et saint Nicolas, celui-ci reconnaissable à son costume dévèque et aux trois boules d'or dans la main g. ; à g., les Rois mages adorant l'Enfant. Cf. Fr. Malaguzzi Valeri, Pittori Lomhardi del quattrocento (Milan, Cogliati, 1902, p. 217 . Gottardo Scotti, dont il existe une autre peinture signée et datée dans la chapelle de Vigevano {Ego Gotardus de Scottis pictor suhscripsi, 1472), n'est pas mentionné dans les documents milanais avant 1457 : aussi n'oserai-je pas, malgré la ressemblance entre la Vierge du triptyque Poldi-Pezzoli et la Vierge de la fresque du Castello (voir supra, p. 144), lui attribuer cette fresque, ([ui, comme nous l'avons vu, doit dater de la peste de 14."î1. — PI. XXII, 2.
53. Bellaç/io sur le lac de Côme). — Dans l'église, fresque ancienne, représentant la Mère de Miséricorde, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre (communication de M. Léon Germain;.
Espagne
54. Gerona (Catalogne). — Musée archéologique de S. Pedro. Relief de marbre, sans indication de provenance. Dans un encadrement gothique, la Vierge, couronnée, sans l'Enfant, assise, étend son manteau sur quatre
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clercs agenouillés, qui lèvent vers elle des mains suppliantes. Derrière la Vierge, deux anges soutiennent un pavillon. Première moitié du xv'= s. Photographie communiquée par M. Bertaux.
55. Biirgos. — « Nous avons l'encontré plusieurs images de la Vierge au manteau protecteur dans diflërentes provinces de l'Espagne, notam- ment dans des bas-reliefs funéraires à Burgos,qui nous ont paru dater du xv" siècle » (L. Germain, dans Rev. de Vart chrétien, 1883, p. 137).
56. Majorque. — Retable dans l'église des Trinitaires. Je ne connais ce monument que par la gravure pul:)liée dans les Acta Sanctorum, juin V, p. 638. Dans la partiecentrale, la Trinité; au-dessous l'Homme de dou- leurs prie, entouré d'anges, pour le salut des hommes; au-dessus, la Vierge de Miséricorde, en prière elle aussi; sous son manteau, que sou- tiennent des anges, est agenouillée l'humanité. Sur la partie droite, saint Antoine, et au-dessus, l'ange de l'Annonciation. Sur la partie gauche, Raymond LuUe, et au-dessus, la Vierge Marie à son prie-Dieu. La prédelle est à cinq compartiments; dans celui du milieu, le Christ sortant du tombeau ; dans les quatre autres, des histoires de la vie de Raymond Lulle.
57. Contrat de commande d'un retable, passé entre dame Isabelle Martorella et le peintre catalan Johan Luys. Le milieu du retable devait représenter la Vierge de Miséricorde, appelée Vierge de Grâce : en la principal tailla del mi</ lo ditmestre ohrarà e pintarà Ymatiede la Verge Maria de Gracia, aconipanyada de gents, ah son mantell stès, axi com es de cosiuni (Sanpere y Miqnel, Loscuairoccntislas Catalanes, Barcelone, 1906, t. 11, pp. Lxix,' 197 et 282).
58. Retable d'art catalan, de la fin (Ui xv" siècle, conservé dans l'église des Escaldas, en Cerdagne (Les Escaldas, hameau de la commune de Ville- neuve-des-Escaldas, canton de Saillagouse, arr. de Prades, Pyrénées- Orientales : sur cette localité, voir le N^oiiv. Dict. de géogr. iiniv. de Vivien de Saint-Martin, s. v.). Pour le retable des Escaldas, cf. Bull, de la Soc. de géographie de Toulouse, 1882, p. 422, et Perdrizet, dans le Compte-rendu du LXXIII^ Congrès de la Société française d'archéologie tenu en 1900, à Carcassonne et à Perpignan (Caen, Delesques, 1907), pp. 552-570. Pour l'école de peinture à laquelle se rattache cet ouvrage, cf. Sanpere y Miquel, Los cuatrocentistas Catalanes (Barce- lone, 1906, 2 vol. 8"). Panneau de bois encadré de contreforts à pinacles; au sommet un arc en accolade orné de redents fleuronnés. Sur le fond d'or sont imprimés des rinceaux en relief; les nimbes, les broderies et les bijoux des personnages sont aussi en relief et dorés. Debout, tête nue, nimbée, vêtue d'une robe de brocart et du manteau royal, la Vierge étend les bras d'un grand geste d'amour, sur l'humanité agenouillée à ses pieds. Deux anges tiennent le manteau. A la droite de la Vierge sont agenouillés les ecclésiastiques, au premier rang le Pape, puis le Cardinal et l'Évèque, derrière eux les chanoines et les moines ; à gauche sont les laïques, hommes et femmes. D'après la complainte locale, Goigs de Nostrn Scngoria de Gracia, que m'avait
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communiquée feu B. Palustre, les personnages réfugiés sous le man- teau de la Vierge, représenteraient les malades qui viennent ou devraient venir cheiTher aux eaux des Escaldas, la guérison de leurs maux :
Ah vosire manto ahrigau A tots los (lesamparnts Y ah rjran arnor ahrassau Malalto de renie >/ privais ; Per ço lots vos rlonan gracias Oferinl al y un trésor : Sou de gracia Iota plena Vida y llum del peccador.
c'est-à-dire : « Sous votre manteau, vous abritez — tous les malheureux ; — vous embrassez avec grand amour — les malades incurables '. — Pour cela, tous vous rendent grâces — et vous offrent des trésors. — Vous êtes de grâce toute pleine, — vous êtes la lumière du pécheur. )■
Une prédelle à triple arcature montre, au milieu, le cadavre du Christ debout dans le sépulcre ; à droite du Christ , saint Laurent; à gauche, un saint Dominicain (Thomas d'Aquin, probablement .
59. Contrat en langue catalane, pulilié parZarcos del ^'alle, dans Docu- mentos ineditos jtaru la historia de Espa/la, t. LV, p. 289-291, d'après un ms. rédigé en 1802 par le P. Agustin de Arques Joves, maître et plusieurs fois définiteur de Tordre de la Merci dans la province de Valence communication de M. Bertaux'i. C'est la commande, datée du 28 mai 1456, d'un retable au peintre valençais Johan Reixats: Item que la dilMeslre Johaii Reixals pinte a figure lo dit retavle delesystories: primo en la taula del mig faza la figura è ymatge del glorios arcangel Sant Miguel ah spasa en la ma è animes en cascuna pega una, è ange l g diable, segons es acostumats . E desus la dila figura altra casa ah la gstoria de la Verge Maria de Misericordia con Jehu-Christ volia destruhir le mon figurât ah ires lances, è la Maria ah lo mantell è hrazos stesos ah molta gent davall. è Sent Francès è San Domingo agenollat. Sur le panneau central, saint Michel pesant lésâmes; au-dessus de saint Michel, dans un compartiment à part, la Vierge de Miséricorde protégeant, à la prière de saint François et de saint Dominique, contre le Christ armé des trois lances, l'humanité réfuçfiée sous son manteau.
FiiANCE nu Midi
60. Avignon. — Contrat de commande d'un retable, passé en 1441 entre Jean de Quiqueran, noble d'Arles, et Pierre delà Barre, peintre avi- gnonnais. Publié par Requin, Documents inédits sur les peintres, peintres- verriers et enlumineurs h Avignon au XV'' s., dans la Réunion desSociétés des Beaux-Arts des départements, iH>i9, p. 175; unum rrtahulum alias
1. D'après l'article du Bull, de la Soc. Je géogr. de Toulouse, la Vierge des Escaldas serait appelée dans le pays « la Vierge des abandonnés».
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retaule longUudinis iiniuft canne et altifiidinis sive latitudinis sex palmo- rum, honuni et sufficiens, miinitiini aura hatiito in suis ?iecessitatihus, in quo sont depicle yinagines sequentes : videlicel ymago Nostre Domine de Consolacionis cuni suis parvis fiyuris et ymaginibus necessariis et debitis, videlicet in medio; et in parte dextra, ymago heati Johannis Baptiste representans ymaginem ipsius domini Johannis existentis in sua cota armorum, ut moris est; item a parte sinisti-a, ymago heate Marie Mag- dalene ymaginem uxoris dicti domini Johannis representans in forma. La canne, mesure de longueur usitée dans le Midi, valait 8 palmes (Du Gange et Godefroy, s. v.).
61. Retable de forme allongée, au musée Condé, à Chantilly (ancien- nement dans la collection Reiset). Braun, l'iôSS; Bouchot, La peinture en France sous les Valois, pi. XLllI; Reinach, Rép. de peintures, II, H^i. Il a passé longtemps pour italien selon les uns, pour flamand selon les autres; ce n'est qu'en 1904 que M.Camille Benoit en a deviné la prove- nance avignonnaise [Monuments I*iot, X, p. 263 ; Revue de Paris, 1<^'" mai 1904, p. 196), et que les érudits ont reconnu qu'il devait être identifié avec le retable commandé en 1452 par Pierre Cadard, seigneur du Tlîor, aux peintres avignonnais Enguerrand Quarton (ou Charton, Cha- ronton), du diocèse de Laon, et Pieri-e Vihite, du diocèse de Limoges. Cette identification est due à feu Bouchot (Gaz. des Beaux-Arts, 1904, I, p. 441) et à M. Durrieu {Gaz. des Beaux-Arts, 1904, II, p. 5). Le conti-at a été publié par M. Requin, Documents inédits, pp. 132 et 176 : in medio, ymaginem gloriose Virginis Marie cum mantello coloris lazulipuri de Acre sufficientis et fidelis, que ymago communiter appellatur Xostra Domina de Misericordia ; et in latere dextro sanctum Johannem Baptistam tenentem sive presentantem figuram domini Johan- nis Cadardi, patris ipsius domini de Thoro;et a latere sinistro, sanctum Johannem Evangelistam presentantem matrem ipsius domini de Thoro. « Lazuli puri de Acre » : il s'agit de l'azur de saint Jean d'Acre, ou bleu d'outremer, par opposition à l'ci azur d'Alamaigne » : cf. Requin, p. 179. — PI. XXI, 2.
62. Marseille. — « Le 2 mai 1516, Delphine Daumas,abbesse du cou- vent de Saint-Sauveur-de-Marseille, autorise la dame Rigone, veuve de Jean Durand, corroyeur, adresser un autel contre le pilier de l'église des Accoules, oîi se trouvent l'autel de Sainte-Marie-des Plâtriers et le béni- tier de Saint-Crépin, avec obligation d'y placer dans le coui-ant de l'an- née un retable dédié à N.-D. de Consolation. Douze jours après, Rigone Durand donne ce retable au prix fait de 160 florins à Jean Cordonier, de Troyes, peintre d'Aix. L'acte qui le constate, écrit sur une feuille volante, donne comme il suit la composition du tableau, d'après des indications qui durent èti-e dictées au notaire par l'artiste. » Nous repro- duisons le fac-similé publié par M. Barthélémy [Documents inédits sur les peintres et les peintres-verriers de Marseille de 1 300 à t ooO, dans le Bull. arch. du Comité, 1885, p. 393).
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Quein genuit adoravit
Lo coronameni Lo Irespas Camp d'or
Lo coronament
Lo camp d'or La corona de dessus la testa amhe dos angels de dessa Sanct Jolian et délia. Nostra Dama Evangelisia de (Consolation, son mantel et Sancta d'or, forât d'asur, et sa roha Barba de dessubs de hrocat d'or,
3/'' Jo. Durant et lo Papa,Rey,Emperador, a ginous Reyna, et tous autres
personnages al plus richamment que si porra faijre seyon leur estât
Una
companhia
d'an gels
Sant Jacques
S^ Catharina
D. Rigona
a ginous
Quant
Joachim
fou refusât
al temple
La porta daurada. Quant Van- gel s'apj)a- reguet a Joachim
La nafivitat
Xostra-
Dama.
La porta
daurada.
La présen- tation Lanativitat
Camp d'or
La Xunciada
La
nativitat N. Seignor
La Xunciada
La j)i'édelle et le fronton racontaient la Vie de la Vierge et de Jésus. Il fallait les regarder en commentant, selon lusage, par le bas et par la gauche. Les indications, telles que les a transcrites le notaire, sont assez confuses. Pour retrouver l'ordre véritable, il faut, dans le troisième compartiment delà prédelle, intervertir les deux indications, mettre en haut La porta daurada, et en bas La nativitat Xostra Dama. On devait voir, sur la prédelle : 1° l'offrande de Joachim refusée, 2° l'annon- ciation à Joachim, 3° la rencontre à la Porte Dorée, 4" la naissance de Marie, o" la présentation de la Vierge au Temple, G" l'annonciation à Marie, 7° la naissance de J.-C; — sur le fronton: 1" l'adoration de l'Enfant Jésus par sa mère, 2" la mort de la Vierge, 3° le couronnement de la Viercre.
63- Riof (village des Alpes-Maritimes, arr. de Grasse, cani. d'Anlibes). — Dans l'église, retable qui, d'après le procès-vei'bal de la visite que Mgr de Bernage fit en 1669, ornait le maitre-autel et qui est maintenant relégué à g. de l'entrée. Au milieu, la Mater om/u'u»i, dont deux anges soulèvent le manteau ; elle tient l'Enfant sur le bras g.; l'autre main tend le chapelet (non [)as le rosaire) aux priants agenouillés sous son manteau. Dun côté, saint Jean-Baptiste, un saint moine tenant un livre et une palme, saint Pierre. De l'autre côté, sainte
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Marie-Madeleine (patronne de léglise'encore en 1638, mais non plus de nos jours\ saint Julien (l'égalise de Briot possède des reliques du martyr de Brioude), saint Paul. — J'emprunte cette description à une note qu'a bien voulu me fournir M. G. Doublet. Cf. Moris, Au Pays Bleu, p. !07. Ce retable a figuré à l'Exposition universelle de Paris en 1900.
64. Saint-Etienne-sur-Tinée (chef-lieu de canton, arr. de Puget-Thé- niers, Alpes-Maritiuiesi. — Dans une chapelle. Fresque représentant la Vierge de Miséricorde ^renseignement communiqué par M. G. Doublet i.
65- Bpzaudens (canton de Coursegoules, arrondissement do Grasse, Alpes-Maritimes). — Chapelle de N.-D. du Peuple. Triptycjue en bois, de la fin du xv^' ou du début du xvi<' siècle (renseignement dû à M. Moris, archiviste des Alpes-Maritimes i.
66. Draguifjnan. — Eglise X.-D. du Peuple, triptyque en bois, des environs de IbOO i renseignement dû à M. Moris).
France du centre, Paris, Cuampagne
67. Peintui-e française archaïque au musée du Puy (Vibert, Musée du Puy, catalogue de la section des heaux-arts. n° 13!. — PI. XXI, 2. Cf. Per- drizet, La Mater omnium du musée du Puy, dans le Compte rendu du LXXP Congrès archéologique de France, tenu au Puy en 1904, p. 570-384, avec une photographie; autre reproduction dans la Gaz. des Beaux-Arts, lOOo, pi. Il, pl.àla p. 402; une meilleure dans Bouchot, Lapeinlure en France sous les Valois, pi. XXII. J'ai déjà signalé plus haut (p. 158] la fâcheuse description de M. Reinach {Bépertoire, II, o33j. C'est à cette pein- ture que pensait M. Huysmans quand il écrivait, dans Les Foules de Lourdes, p. 133 : « Le manteau de la Vierge couvre tout, ainsi qu'en ces très vieux tableaux de Madones protectrices où Marie, très grande, et debout, étend un large manteau d'hermine, soutenu par deux saintes femmes, au-dessus de minuscules personnages de toutes classes, de tous pays, de tous rangs, qui prient à sa gauche et à sa di'oite et ne forment, en somme, qu'un unique troupeau, abrité sous une seule et même tente. )>
De cette peinture, on ne sait ni l'auteur, ni la date, ni oii, par qui, ni pourquoi elle fut dédiée. Elle a été donnée au musée du Puy en 1830 par le conseil de fabrique de l'église Saint-Pierre-des-Carmes. Les Carmes l'avaient, dit-on, reçue dans la première moitié du xix" siècle, d'une dame qui l'avait probablement sauvée pendant la Révolution (cf. Ulysse Ronchon, Un primitif français au musée du Puy, dans le journal La Haute-Loire, 29 juillet 1903). Du fait que le manteau de la Vierge est soutenu par deux saintes, en costume de religieuses, on est en droit d'inférer que la peinture provient de la chapelle d'un couvent de femmes. Bouchot {op. ci'/., notice de la pi. XXIII; a supposé qu'elle a dû d'abord servir comme bannière. Elle est en effet peinte sur toile; au commencement du xv^ siècle, on ne peignait pas sur toile, mais sur bois — ou plus exactement sur bois recouvert de plâtre — les tableaux d'autel. D'auti'e part, la Vierge au manteau a été l'un des types les
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plus souvent reproduits sur les bannières. Remarquons seulement qu'une bannière est beaucoup plus haute que large, tandis que la toile du Puy est sensiblement plus large que haute. Peut-être était-elle fixée à une hampe, et formait-elle drapeau. On voit d'ailleurs par des miniatures Bibl. Nat., lat. 8886, missel et pontiflcal d'Etienne de Loy- l>eau, ff. 46 r°, 318 v" qu'au commencement du xv« siècle les bannières étaient parfois très larges.
Ce nest quen 1883 que la Mater omnium du musée du Puy a été signalée à l'attention, et son origine française reconnue. L'honneur de cette découverte appartient à Paul Mantz. s'il est bien, comme je crois, lauleur de larlicle anonyme paru dans le Temps du l*^"" février ls8.3 (à propos du don Bancel au musée du Louvre) : « Nous connaissons, disait cet article, un tableau qui pourrait fort bien être une œuvre de Jean Perréal et que nous signalons aux érudits qui se préoccupent de
I Ecole française de ce temps. 11 est au Puy, au musée archéologique, perdu et ignoré dans un coin obscur. La composition représente la Vierge debout, tenant l'enfant Jésus dans ses bras et enveloppant dans son manteau d hermine l'humanité représentée par plus de cent [sic) personnages de tous rangs et de toutes conditions, divisés en deux catégories. A droite sont les empereurs, les rois, les princes, les évèques et les religieux de tous ordres; à gauche, les seigneurs, les bourgeois et les manants. Au premier rang figure un personnage que le costume et la physionomie désignent comme pouvant être Charles VIII. »
II n'est plus nécessaire de montrer que le tableau du Puy ne peut être de Jean Perréal. Il lui est très antérieur. De combien de dizaines d'années? C est un point sur lequel les critiques qui en ont parlé, quand il était exposé au Pavillon de Marsan, ne sont pas tombés d'accord : '< Toutes les écoles, écrivait M. Lafenestre (L'exposition des Primitifs français, p. 36), se mêlent étrangement à partir du milieu dn xv* siècle. S'il est déjà difficile dès lors de déterminer ce qui est bourguignon et ce qui ne lest point, il devient aussi fort ardu d'assigner une origine aux peintures éparses dans les autres régions... Heureusement, ce qui est beaucoup moins difficile, c'est d'y reconnaître le caractère français. Tel est le cas, par exemple, de cette belle Vierge protectrice, entourée de clercs et de laïques, venue du couvent des Carmes, au Puy. Pauvre toile, bien usée, bien fatiguée, presque en poussière. Mais quelle har- monie, sûre et délicate, dans l'assortiment des colorations légères! Quelle sincérité touchante, grave et douce, dans toutes les physionomies des adorants, hommes et femmes, d'un dessin si juste et si pur ! Certes, l'artiste qui a peint celte bannière ou tenture, a vu des miniatures pari- siennes et des retables toscans, car on a toujours vu quelque chose avant d'être un maitre; mais avec quelle finesse, à si grande distance d'illustres contemporains qu'il ne connaissait pas sans doute, Vittore Pisano et Fra Angelico, il a modelé légèrement, dans le mêirue esprit, toutes ces têtes ferventes et ty[)iquesl M. Bouchot a très justement signalé les rapports de cet art avec l'art d'Enguerrand Charonton. » D'un style moins simple, M. Gillet Les primitifs français, dans les Cahiers de la quinzaine, VI, 7, p. 41) répète les mêmes assertions : « La bannière du Puy fut peinte vraisemblablement par quelque artiste de passage, peut-être un émigrant[?\ Les figures sont vivement écrites et
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comme d\in seul trait, d'une main expéditive mais si sûre qu'elle est presque infaillible et dans l'extrême hàle, dit en somme ce qu'elle veut dire. Beaucoup de ces têtes sont jolies, faites, ce qui semble étrange dans ces conditions, avec moins d'esprit que de sentiment. Et c'est une préface toute trouvée et fort honorable au Couronnement de la Vierge d'Enguen-and Charonton. » Mais avec Charonton, nous sommes au milieu du xv<' siècle, plutôt après 14")0 qu'avant (T'jer^e des Cadard, 1452 ; Couronnement de la Vierge, 14;j3); et le tableau du Puv, indé- pendamment de toute considération esthétique, présente des particula- rités de costume qui, à un juge compétent comme feu Bouchot, parais- saient indiquer les environs de 1420 [La peinture en France sous les Va/ois, notice de la pi. XXII; le même, dans Les Primitifs français au palais du Louvre, p. 189 : « La Vierge du Puy serait de l'année 1420 par certains détails très écrits »), voire même de 1415 [Les Primitifs français, p. 12). Le chapeau à plumes du grand seigneur placé derrière la reine se retrouve sur le frontispice des Très riches heures de Chantilly. Les miniatures des manuscrits du duc de Berry, par exemple celles du Jioccace à la Bibhothèque Nationale (fr. 598 : pour le manteau du roi, cf. fî. XV v", XVIII r»; pour la coiffure de la dame qui est au bout de la rangée supérieure, cf. f° xxiiir"), prêteraient à des rapprochements analogues. L'énorme chapeau fourré, en forme de tronc de cône évasé, garni sur le devant d'une médaille pieuse cerclée de perles, que porte le prince qui est au-dessus de l'empereur, est celui-là même qu'on voit au frère du duc de Berry, Philippe le Hardi (Thévet, Portraits et vies des hommes illustres, Lyon, 1584, p. 267). Au total, je tiens pour assuré que la Vierge du Puy est antérieure à Charonton d'une génération.
Eu ce temps-là, vers 1420, Le Puy jouait un rôle dans l'histoire de France. Le Velay était au roi. Le dauphin Charles passe au Puy une partie des années 1420 et 1422 ; le 21 octobre 1422, il y est proclamé roi de France lOdon de Gissey, Discours hisforicjues sur la très ancienne dévotion de N.-D. du Puy, Lyon, 1620, p. 549 et 556). Très dévot, comme plus tard Louis XI, à la fameuse Vierge adorée au Puy, il n'a pas fait moins de cinq séjours dans la capitale de Velay (sur le séjourdu dauphin Charles au Puy en 1420 et sur sa dévotion à N.-D. du Puy, cf. Siméon Luce, Jeanne dWrc à Domrémy, p. ccxcv). La tentation est grande de mettre en rapport la peinture votive qui nous occupe, d'une part avec les séjours du dauphin Charles au Puy, — la robe de la Vierge est ornée de fleurons qui ressemblent bien à des fleurs de lis — d'autre part avec la vogue de la Virgo Aniciensis : sur la vogue de cette dévo- tion, et sur les jubilés qu'on célébrait au Puy quand le Vendredi saint tombait le 25 mars, anniversaire de l'Annonciation, ce qui arriva en 1407, 1418, 1429, cf. S. Luce, op. cit., p. ccxcii-ccxcvii.
Derrière le manteau de la Vierge du Puy, beaucoup moins grand que les deux saints qui le tiennent soulevé, apparaissent à mi-corps des saints et une sainte, en tout six personnages. Le peintre les a groupés par paires, une paire à la droite de la Vierge, deux paires de l'autre côté. Le premier, à gauche, paraît être saint Pierre. Le dernier, à droite est certainement saint Boch; à côté de saint Boch, un jeune saint qui pourrait bien être saint Sébastien. De la sainte à côté de saint Pierre et
PEnoRi/iiT. — La Vierge de Miséricorde. 12
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des deux derniers saints à gauclie, je ne saurais rien dire, faute de caractéristiques.
68- Paris. — «Tombeau de pierre sous les charniers de Saint-Inno- cent, à la 4* arcade du côté de la rue de la Lingerie. » Ce monument, qui n'existe plus, est connu par un dessin à la plume, en deux exemplaires, dans la collection Gaignières, au (Cabinet des Estam|)es CoZZ. Gaif/nières, Paris, rglises diverses, f"* 40 et 41 ; cf. Bouchot, Inventaire des dessins exécutés pour Roger de Gaiijnières, t. II, p. 9.')). C'était un grand relief cintré qui, par sa forme, sa composition, rappelle les grands reliefs flo- rentins des délia Robbia ; la ressemblance, par exemple, avec le relief de l'église S. Maria in Gradi. d'Arezzo. est telle qu'il semble bien que le relief des Innocents fût une œuvre italienne ion sait (jue Girolamo, l'un des fds d'Andréa délia Robbia. fut attiré en France par François I"""; cf. Molinier et Cavallucci, Les délia Robbia) ; à tout le moins était-ce le travail d'un italianisant. En haut, l'Ancien des jours, avec la tiare à triple couronne et la boule du monde; il bénit ; deux anges l'adorent. Au-dessous, dans un fond semé de chérubins, une longue I:)anderole se déroule, portant ces mots du Psaume XXX, v. 2 : In te, Domine, spcravi. IVon confundar in wternum. Amen. Au-dessous, la Mater omnium, sans l'Enfant, la tête auréolée de rayons. Deux anges la couronnent, deux autres laident à soulever les plis de son immense manteau. A droite sont agenouillés les clercs; à gauche les laïques. Ni pape, ni empereur : nous sommes en France. A la tète des laïques, le Roi ; à la tètedes clercs, le Cardinal : se rappeler que le premier ministre de Louis XII fut un cardinal, Georges d'Amboise (-{- 1510). Les dames agenouillées derrière le roi ont la coiffure et le costume de Claude de France. On peut croire que le relief a été sculpté en 1516, après le plus récent décès mentionné dans l'épitaphe. De chaque côté de ce relief, deux reliefs plus petits, eux aussi de style italien (arc en plein cintre surmonté d'un fronton triangulaire) : ils représentent, l'un, Jean le Bou- langer, l'autre son fds Michel, adorant à genoux la Vierge au manteau. — PI. XXIII, 2.
Voici, d'après la copie de Gaignières, les épitaphes de ce tombeau ; celle de gauche a été conservée aussi par Sauvai, //is/otre et recherche des antiquités de la ville de Paris, t.I, p. 727.
A gauche :
Cy dessoubz yist noble homme et saige messire Jehan le Boulenger, en son vivant chevalier, conseiller du Roy nostre sire, et premier président en la court de parlement, seigneur de Jacquille en Gastinois, de Illes et de Montigny en Brie, qui tresj>assa le xxi. Jour de febvrier lan mil cccc iiii-^-r et a ; Aussy gisl noble dame Phelippe de Colhereau en son vivant femme dudit chevalier, qui trespassa le iii. iour de novembre lan mil iHJcc Ixxiii.
A droite :
Cy dessoubs gisent nobles personnes Messire Michel le Boulenger, en son vivant conseiller du roy nostre sire en sa court de parlement, filz aisné dudit deffunct président qui trespassa le iiii^ jour de septembre lan mil vc et dix ; et damoiselle Catherine Chambellan sa première femme qui trespassa le dernierjour de juillet lan mil iiii'' iiii-':-'' xiiii, et damoiselle
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PI. XXIIl
CQ
S 'X
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Martine de Valloiys sa ii /'einnie qui aussi Irespassa le viii Jour du mois darril lan mil v<^ etxvi après pasques. Priez dieu pour leurs a?nes.
69. Ervy (Aubei. — ■ Rue du Guérillon, dans le poteau d'angled'une mai- son, est sculptée une Vierge qui enveloppe de son manteau toute une famille suppliante; cette famille est assistée de saint Claude, sans doute le pati'on de son chef; au premier plan l'enfant ressuscité, qui carac- térise le saint franc-comtois. Cf. Fichot, Statistique monumentale de CAube, II, p. 81 ; Morel, JSiouveau guide de l'étranger dans Troyes et dans l'Aube (Troyes, 1905), p. 134.
70. Mater omnium, statue en pierre, polychrome, des envii-onsde Tan 1500, dans l'église de Fontaine-en-Duesmois |Côte-d"Or, arr. de Chàtil- lon, canton de Baigneux). Une médiocre photographie dans L'art sacré n° du 5 oct. 1904, p. 7.
71. M(arsauxV Les ornements religieux à l'Exposition de Reims, dans le Bulletin monumental, 1895, p. 175 : u Statuette de la Vierge, abritant sous son manteau les divers membres de l'Église, agenouillés ; elle rappelle la statuette \sic) de N.-D. de Bon-Secours de Nancy, xvi'" siècle. Appartient à M. Perseval, de Reims. »
72. En 1G73 fut installé le nouveau séminaire d'Angers, n Les prêtres du séminaire ayant eu de grandes affaires en différentes occasions dont ils ont toujours eu bon succès par la toute-puissante protection de Marie, M. Maillaid, leur supérieur, fit placer une de ces figures en relief sur l'autel de la chapelle, avec ces mots en lettres d'or : N.-D. de la Vic- toire, et Ri îa'ive un devant d'autel où sont peints plusieurs ecclésias- tiques à genoux aux pieds de N.-D. qui les couvre de son manteau, avec ces paroles autour : Nemo rapiet eas de manu mea [Ev. Joan., X, 28] » (Grandet, N.-D. Angevine, p. 435, cité par Barbier de Montaull, Rev. de l'art chrétien, 1889, p. 25).
Bourgogne
73. Ancienne église de la fameuse abbaye cistercienne de Pontigny fYonne, arr. d'Auxerre, canton de Ligny-le-Chàtel) statue de pierre; début du xvi« siècle. Marie debout, sans voile, cheveux flottants sur les épaules et la couronne en tète ; longue robe à petits plis serrée à la taille par une ceinture agrafée au moyen d'une boucle ovale assez forte. Manteau de protection moins ample qu'à l'ordinaire et relevé parla Vierge. Sur le socle, six personnages placés, non pas sous le man- teau, mais plutôt en avant de la statue principale, et formant en quelque sorte le demi-cercle autour d'elle ; à droite: évècjue, religieuse, franciscain; à gauche : cistercien, clerc et laïque. Tous sont agenouillés, les mains jointes, le regard dirigé vers Marie. Sur la bordure du man- teau, ou lit l'inscription suivante, divisée en deux parties :
Mater consolatur fili[os) Suos suspirantes ad te.
180 CATALOOLt;
Sur le socle, les premiers vers de la quatrième strophe de V Ave maris Stella : Monstra te esse inatrem. — Je dois cette description à M. Paul Denis.
74. Dans l'église de labbaye cistercienne d'Acey (sur la rive g-auche de rOgnon, dép. du Jura), retable polychrome, du commencement du xvi« siècle, voué par un cellerier de l'abbaye. Ce i-etable, que je crois inédit, m'est connu par la description insuffisante qu'en a donné l'ar- chiviste J. Gauthier dans les Mémoires de l'Académie de Besançon, 1895, p. 281. Les pans du manteau sont tenus levés par saint Benoît et saint Bernard, les deux saints auxquels était anciennement dédiée la chapelle où se trouve le retable. A droite, le pape, le cai-dinal, l'évêque et l'abbé ; à gauche, l'empereur, et trois autres personnages la'iques.
75. La(/nieu en .Bugey, ville du dép. de l'Ain, canton de Bellay, Retable dans la chapelle du cimetière chapelle Saint-Sébastien, ou de la Croix. Mater omnium ; sous le manteau delà Vierge, que deux anges tiennent levé, à droite les clercs et le donateur, à gauche les laïques et la femme du donateur. Sur la base, la dédicace: hanc tahulam fecit fieri Joannes Favier de Laniaco, ducati Sahoidiae) secretarius, quiobiit anno mille CCCCLXXI et die XVII novemb. Deux statues de Saints, à droite et à gauche de ce groupe princij)al, complétaient le retable : à droite, saint Maurice, protecteur de la maison de Savoie ; à gauche, saint Bernardin de Sienne, reconnaissable aux trois mitres épiscopales placées à terre, devant lui; dans la main gauche, il semble tenir un livre ouvert : en réalité, il tenait jadis son attribut ordinaire, le tableau carré avec le trigramme sacré : le retable a été restauré et repeint, un restaurateur ignorant a transformé le tableau en livre, et sur le livre il a peint ces mots : « A la gloire de Dieu ». Décrit dans la Réunion des sociétés des Beaux-Arts, 1907, p. 471 ; décrit et reproduit dans la Revue de rilistoire de Lyon, 1907, p. 83. Les auteurs de ces descriptions ne se sont pas avisés que les deux statues, à droite et à gauche du groupe central, représentaient des Saints. D'après la notice de la Réunion des soc. des Beaux-Arts, le monument en question se trouverait « près de Lagnieu, dans la chapelle du cimetière de Jujurieux » ; il aurait été voué par Jean Favier, <> qui vivait vers l'an 1482 >>. Or, la chapelle où se trouve le monument est bien celle du cimetière de Lagnieu même ; Jujurieux est un village à 20 kilomètres au nord de Lagnieu. Quant à Favier, la dédicace même du retable de Lagnieu dit qu'il mourut en 1471. — PI. XXXI (cliché prêté par la Revue de l'Histoire de Lyon, avec l'autorisation de M. Perroud).
76- Jasseron, villagedel'Ain, arr. de Bourg, cantonde Ceyzériat.Dans l'église, bas-relief de pierre, qui semble dater de la fln du xv» siècle. Mater omnium, couronnée, sans le nimbe et sans l'Enfant. A droite et à gauche, au dernier rang des priants, des jongleurs i?j jouent de la flûte : cf. supra, p. 88, le retable des Pfeiffers, à Vieux-Thann. Exécution grossière (Perroud, dansla /Jcrue de l'Histoire de Lyon, 1907, p. 86).
CATALOCrE 1 8 1
77. Brienne, villag'e de Saone-et-Loiro, canton de Cuisery, arr. de Louhans. Dans l'église, statue de pierre, de la fin du xv^ siècle. La Mater omnium, couronnée, écarte des deux mains son large manteau sous lequel sont agenouillés des g-ens de tout état, à droite les ecclésias- tiques, à gauche les laïques. Reproduction dans la Réunion des sociétés des Beaux-Arts, 1007, pi. LXXVII, p. 40o.
78. Statue jadis au-dessus du grand autel de l'église des Minimes de Consolation (commune des Maisonnettes, canton de Pierrefontaine, arr. de Baume-les-Dames, Doubs). Je ne la connais que par une des- cription anonyme, conservée à la Bibliothèque Nationale, ms. fr. 32547, f" 147-152 : « On m'a demandé au mois de juin 1728 ce que je pensais d'une statue de Notre-Dame qui est au-dessus du grand autel de l'église des Minimes de Consolation, sous le manteau de laquelle on voit du costé droit vn pape, vn evesque, vn cardinal, vn jacobin et deux abbesses, et au costé gauche cinq personnages habillés en comtes et en chevaliers, le tout sans datte ny inscription. » Suit une longue dis- sertation historique, où l'auteur s'efTorce de prouver que les onze priants représentent diverses personnes de la famille de la Palu, qui possédait au xv'^ et au xvi<^ siècle la seigneurie de Chàteauneuf-de-Vennes, sur laquelle s'élevait la chapelle de Consolation.
79. Retable de pierre, dans l'église de Pirej^ village du Doubs, can- ton d'Audeux, arr. de Besançon. La Mater omnium, debout, couronnée, l'Enfant nu sur le bras gauche, le sceptre dans la dextre. Le manteau est tenu levé par deux anges. Quatorze priants agenouillés, les clercs à droite, les laïques à gauche. Première moitié duxvi*" siècle. Reproduc- tion dans la. Réunion des sociétés des Beaux-Arts, 1907, pi. 78.
80. Retable de pierre, encastré dans une maison de Gy (Haute-Saône). Le bourg comtois de Gy, fameux jadis par son vignoble, était la résidence rurale des archevêques de Besançon; il possède encore leur château, c'est un élégant édifice de la fin du xv^ siècle. Mais l'église du moyen âge a été démolie au xviu" siècle, et remplacée par une pompeuse cons- truction, dont le plan serait, paraît-il, de Soufflot. Le relief dont il s'agit doit provenir de l'église ancienne. Il est divisé en trois arcades de style italianisant (niches à coquille, pilastres, frise ornée de rinceaux, chapiteaux d'où sortent des putti). Dans l'arcade du milieu, qui est plus haute que les autres, la Mater omnium couronnée, les bras étendus, comme pour bénir les gens agenouillés à ses pieds. A droite, l'Annon- ciation : la Vierge est à son prie-dieu; à terre, devant elle, un vase d'où sortait un grand lis; l'ange, en costume de diacre, tient le bâton des hérauts ; une banderole s'y enroule, sur laquelle devaient être peints les premiers mots de la Salutation angélique. A gauche, la Visi- tation. La fresque bavaroise de Feldmoching (f'n/'ra, p. 192) devait l'epré- senter de même la Mater omnium entre l'Annonciation et la Visitation. Ces deux épisodes étant consécutifs dans la légende, il est naturel que les arts figurés les aient souvent rapprochés : ainsi, sur le volet droit du retable peint en 1.398 par Melchior Brœderlam (musée de Dijon; cf. Wauters, La peinture flamande, fig. 4 , la Visitation est à côté de
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l'Annonciation. Si l'ornementation du retable de Gy est déjà italienne, le type des figures, la tête de la Mater omnium et la tète de l'ange, rajjpellent l'art bourguignon-tlamand ; et le groupe de la Visitation est évidemment inspiré du groupe fameux de l'église Saint-Jean à Troyes. Le groupe de Troyes, que l'on date de 1;)20 (Koechlin et Marquet de Vasselot, La sculpture à Troyes et dans la Champagne méridionale, p. 140), paraît avoir été en son temps très admiré, et a suscité diverses imitations : un groupe dans l'église de Virey-sous-Bar, une verrière de l'église de Saint-Étienne-Nozay près d'Arcis-sur-Aube, un des reliefs du jubé de Villemaur (Aulje), exécuté en 1321 parles maitres huchiers Tbomas et Jacques Guyon (Koechlin et Vasselot, op. cit., p. 142 . Un retable de pierre, dans l'église de Saint-André près Troyes le travée du bas-côté X.), représentant la Crucifixion, rappelle beaucoup, par l'ornementation, le relief de Gy. Celui-ci doit être l'œuvre d'un sculpteur champenois, tra- vaillant vers 1525, ou d'un franc-comtois ayant vécu à Troyes. — PI. XXIV, 1.
81. Saint-Loup fJura). — - Statuette en bois, d'un mètre de haut. La Vierge couronnée, porte l'Enfant, couronné lui aussi, et tenant une colombe par les ailes. Sons le manteau six personnages agenouillés : à droite, le pape, à gauche, le roi. Cette statuette aurait été apportée d'Autun après la Révolution. Je dois ces renseignements à M. Grand, cui'é de Saint- Loup.
82. Dôle. — Au musée, petite Vierge de Miséricorde, médiocre travail du xvii^ s. (communication de M. René Jean).
Lorraine.
83. Statue de Mansuy Gauvain dans l'église de N.-D. de Bonsecours. Reproductions photographiques dans Jérôme, L'église N.-D. de Bon- secours à Nancy ;Nancy, 1898 , p. 209; Pfister, Histoire de Nancy, t. I, p. 570; Lorraine artiste, 1905, p. 113. — PI. I.
Par lettres patentes du 28 octobre 1484, René II, sept années après la bataille de Nancy, accorde à frère Jean Villey de Scesse la permission d'élever une chapelle sur la fosse où gisaient les corps des 4000 Bourguignons morts dans la journée du 5 janvier 1477; les lettres patentes spécifient (jue la chapelle sera dédiée à N.-D. de Bonsecours, « en recordation et perpétuelle mémoire de la victoire que, moyennant la grâce de Dieu et laide et intercession de la glo- rieuse Vierge Marie sa mère, avons obtenue en cedit lieu » (le texte complet publié par Lepage, La chapelle de Bonsecours ou des Bour- guignons, p. 4 du tirage à part de l'Annuaire de la Meurlhe, 1852). Il semble résulter d'un passage de la Nancéide de Pierre de Blarru (éd. Schiitz, t. II, p. 258) que la première image de la Vierge, qui ait été pla- cée dans la chapelle du Bonsecours, la représentait allaitant l'Enfant [struclum non grande sacellum Virginis, aima Deo çupp prsebuit uLera nato). En 1505, René II commande à un artisan lorrain, Mansuy Gau- vain. le futur auteur de la Porterie du palais ducal, une image de la Mater omnium, destinée à la chapelle des Bourguignons : Payé à Mansuy, menuisier, pour avoir taillé ung yniaige de N.-D. affublée d'un manteau ouvert et laillié gens de tous estas... viii francs r gros
Perdrizet, La' Vierge de Miséricorde
PI. XXIV
1. Retable de Gv
Cliché Penotlet
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2. Chasse d'Albi
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(comptes du receveur général de Lorraine pour IdOo-I.'jOô : texte publié pour la pi-emière fois par Lepage, dans le Bull, de la soc. d'archéol. lori'., 18"tl, p. 33). La seconde femme de René, la pieuse Philippe de Gueldres, qui était affiliée à l'Ordre franciscain, fit les frais de lenluniinui'e : « Payé à Marlin Denisel, chappellain de X.-D. de Bonse- cours, que la Royne [^Philippe de Gueldres s'intitulait reine, à cause des prétentions de son mari à la couronne de Sicile; lui a ordonné bail- ler ceste fois pour faire paindre une y mage de X.-D. à plusieurs per- sonnages adjacens à icelle... vi florins d'or, ix livres aij sols » (comptes du receveur général de Lorraine pour loOo-1506 ; texte publié pour la première fois par Lepage, op. laud., p. 54). Dans la somme payée à Deniset, était compris, selon l'usage, le prix des fournitui-es; il l'em- portait sans doute de beaucoup sur le salaii'e de l'enlumineur. La poly- chromie dont l'œuvi-e de Gauvain avait été revêtue en loOo n'existe plus depuis longtemps ; comme les autres sculptures du même temps que possède encore la Lorraine (tombeau de René II dans l'église des Cor- deliers, à Nancy; tombeau de Hugues des Hazards, à Blénod-lez-Toul), la statue de Bonsecours a été cruellement repeinte au xix*^ siècle. C'est une des raisons, je pense, d'une légende singulière, qui m'a été racontée à Nancy par des ecclésiastiques : la statue de Bonse- cours ne serait pas l'œuvre originale de Mansuy Gauvain, mais une copie exécutée lors des travaux de restauration qui précédèrent la fête du couronnement de la Vierge de Bonsecours le 3 septembre 1865 : la copie aurait été frauduleusement substituée à l'original, celui-ci aurait disparu. Noël {Mémoires pour servir à l'histoire de Lor- raine, n° 5, t. 1, p. 226 ; Catalogue raisonné de ses collections lorraines, t. II, p. ()98, 876 et 1051) croyait lui aussi que l'église de Bonsecours n'a plus qu'une copie de la statue de Gauvain : il se fondait sur les diffé- rences qu'il y a enti-e la statue et les nombreuses gravures de dévotion qui ont été exécutées d'après elle au xvii^ et au xviii'' siècle, depuis le frontispice du livre de Nicolas Julet par Callot (reproduction dans Pfis- ter, Histoire de Nancy, t. I, p. 575) jusqu'à la grande image in-folio « geni'e Epinal », sortie vers 1850 des presses de Deckherr, à Mont- béliard (un exemplaire de cette image dans la collection Wiener, à Nancy). Mais, comme l'a dit Rouyer [Mémoires de la Société d'arch. lorr., 1886, p. 393), « l'inexactitude, dans la représentation des monu- ments, aux siècles passés, était un défaut quasi-général ». J'ai pu examiner de près, à l'aide d un échafaudage dressé tout exprès, la statue de Bonsecours, et je me suis rendu compte que c'est une absur- dité d'y voir une copie subrepticement exécutée au milieu du XIX"" siècle. Des repeints épais empâtent les figures expressives des priants, alourdissent et vulgarisent l'ensemble; le visage de la Vierge a les fades couleurs des images pieuses confectionnées à l'ombre de Saint-Sulpice.
La statue est taillée dans un seul bloc de pierre de Sorcy. Avec ses joues pleines, ses formes rebondies, cette Vierge est bien l'œuvre d'un artiste habitué à travailler le bois. Par ordre chronologique, c'est la pre- mière œuvre connue de Gauvain ; dans l'un des comptes où il en est question, le maitre est quaHfié de « menuisier». Notons encore, si l'on veut, la forte santé de la Vierge, cette vigueur solide de paysanne
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lorraine : les Vierges de France ou d'Italie sont plus fines, plus mys- tiques. Et remarquons aussi la simplicité de la composition pyrami- dale ; la statue a conservé quelque chose de la forme massive que devait avoir le bloc d'où l'artiste la tirée.
Au surplus, gardons-nous de surfaire le mérite artistique de cette res- pectable image, et d"y découvrir, par esprit de clocher, par amour- propre << régionaliste », des significations qui n'y sont pas : « Cette race, écrit M. Barrés à propos des Lorrains du xv'' siècle {Un homme libre, coll. Minerva, p. 110), hésitait à affirmer sa personnalité. A son réveil, elle craint de se confesser; peu de pièces, à Nancy, qui puissent nous conter les origines de nos âmes. Pourtant une Vierge de Mansuy Gauvain, dans l'église de Bonsecours, est tout à fait significa- tive. Voilà nos primitifs ! Nous nous agenouillons devant une mère, et sous son manteau ouvert tout un peuple se précipite. Ces enfants me touchent, si intrépides contre le Bourguignon, et qui expriment leur rêve par cette image sincère : je vois qu'ils ont beaucoup soutTert. Ils conçoivent la divinité non sous la forme de beauté, mais dans l'idée de protection. » — Mais, si la Vierge de Gauvain n'est qu'un des exem- plaires, et non l'un des plus anciens, d'une série fort riche, qu'une variante, et non l'une des plus curieuses, d'un type universel de l'art médiéval, comment peut-elle nous révéler F « âme lorraine » du temps de René II ?
84. La Vierge de Bonsecours-lez-Nancya suscité un certain nombre de gravures dont nous ne croyons pas devoir donner la liste (voir les col- lections du Musée historique lorrain et de la Bibliothèque municipale de Nancy : Favier, Bibliographie du fonds lorrain de la Bibl. deXancy, n" 2756), et une quantité de statues et de statuettes. Nous ne signale- rons que celles qui servent en Lorraine au culte public. Je n'ai pas vu la peinture qu'Alexandre Joly a signalée à Raville, près Lunéville [Mém. de la Soc. d'archéol. lorr., 1870, p. 86) : « Raville, église du XV"" siècle. Dans la chapelle de N.-D. de Bonne-Nouvelle, au retable de l'autel, tableau à l'huile du commencement du xvii" siècle : N.-D. abrite sous son manteau un pontife, un duc et quehjues princesses. »
85. Les Minimes, ou fils de saint François de Paule. avaient reçu du duc Henri 11 de Lorraine, par lettres patentes du 18 octobre 1609 Jérôme, op. cit., p. 23), la concession de l'église N.-D. de Bonsecours-lez-Nancy. Ainsi s'explique qu'ils aient répandu en Lorraine le type de la Vierge au manteau. Une réplique de la statue de Gauvain, en marbre blanc, fut placée ])ar eux au xvii* siècle dans l'église du prieuré de Saint-Thiébaut à Saint-Mihiel, qui leur avait été donnée en l.o98. Elle ornait une cha- pelle vouée à N.-D. de Bonsecours, où ion venait en pèlerinage le 4« dimanche après Pâques. Une bulle papale, du 17 avril 1728, avait autorisé l'érection d'une confrérie dans cette chapelle. Après- la Révo- lution, la statue fut transportée dans l'église Saiut-Etienne, où elle existe encore, l'*^ chapelle à gauche en entrant. Cf. Dumout, Histniro de Saint-Mihiel (Nancy, 1861), t. III, copié par l'abbé Giliant, Poiiillé <lu diocèse de Verdun Verdun, 1904 , t. 111, p. 274 et .'130.
86. Ei,'lise paroissiale de Villers-lès-Nancy. Dans l'absidiole du col- latéral, côté del'épitre, un autel surmonté d'une statue de la Vierge de
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Miséricorde ; haut., 0™ 86; bois doré, chairs peintes; fin du xyii* siècle. La Vierge est debout et abrite sous son manteau six personnages, trois à droite, trois à gauche. A droite : le Pape, l'Evêque, un clerc. A gauche : le Roi, un seigneur, une dame.
87. Tableauvotif du duc FrançoisII, léguéen 1877 au musée historique lorrain par feuM. Boulenger, curédeBonsecours.Cf. [Wiener], Catalogue (lu musée hislorique lorrain, p. 102, n" 34;), et Lorraine artiste, 1905, p. 63. Il n'en faut pas exagérer la valeur d'art : si la toile du musée lorrain est digne d'intérêt, ce n'est point pour son mérite artistique, qui est médiocre, ni pour les portraits qu'elle contient, car ces portraits sont des plus conventionnels, c'est pour les motifs qui ont commandé cet ex-voto. Sur ces motifs, cf. su]>ra, p. 146. — PI. XX.
88. Rouyer, Médaille d'origine allemande à limage de N.-D. de Bonsecours, rappelant la prise de la ville de Bude, en Hongrie, conquise sur les Turcs, le 12 sept. 1686, par les forces réunies sous le comman- dement du duc de Lorraine, Charles V, généralissime des armées impé- riales, dans les Mémoires de la Soc. cVarchéol. lorraine, 1886, p. 391.
A droite, le pape et Maximilien-Emmanuel, électeur de Bavière ; à gauche, l'empereur et le duc Charles V de Lorraine. La Vierge est debout sur le croissant, comme dans le groupe de Grégoire Erhart [supra, p. 52) : cf. Apocal. xii, 1 : mulier àmictâ sole, et lunà sub pedi- busejus. La légende auxilium christianorum est empruntée aux litanies de la Vierge, telles qu'on les répète depuis Lépante. C'est la seule des médailles frappées à l'occasion delà prise de Bude, qui soit au type delà Vierge de Bonsecours, protectrice de la Lorraine, et spécialement de la famille ducale de Lorraine : « Charles V, malgré son mérite, ou à cause de son mérite, n'était pas aimé à la cour de Vienne » (Rouyer).
89. Ainsi, le vieux type de la Vierge au manteau protecteur est resté populaire en Lorraine aux xvii" et xviii" siècles. Cette popularité per- siste toujours : « Les bannières, surtout, foisonnaient... Beaucoup étaient célèbres,... celle de N.-D. de Fourvières, aux armes de Lyon, celle de l'Alsace, en velours noir, brodé d'or, celle de la Lorraine, où Ton remaiHjuait une Vierge couvrant deux enfants (s/c)de son manteau » (Zola, Lourdes, p. 426). Elle s'explique par la vénération que les Lor- rains ont témoignée depuis le xvi'' siècle à l'image miraculeuse de Bonsecours-lez-Nancy, et par leur esprit conservateur et obstinément catholique.
90. Charmante statue, en bois de tilleul, haute de 1°» 50, conservée à Mouterhouse (sur la rivière quae Mothra vocatur : cf. Miïndel, Les Vosges, 1904, p. 207), près Bitche, aux confins de la Lorraine et de l'Alsace. La coiffure, la ceinture, le vêtement de la Vierge, la composi- tion pyramidale du groupe ra[)pellent la statue nancéienne. Les Schutz- mantelhilder allemands n'ont pas cette grâce simple, cette soi)riété. .le ne crois pas me tromper en reconnaissant dans ces qualités inen fran- çaises une marque d'origine. M. llausmann (Monuments d'art de la Lorraine, notice de la pi. 50) pense ([ue les priants représentent les divers états de la société, noblesse, clergé, roture. Peut-être i-epré-
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sentent-ils une famille : n'ayant pas vu l'original, je ne puis donner d'avis personnel. On ne sait rien de l'origine de cette jolie sculpture. D'après feu Bouchot, dont j'avais pris l'avis, les costumes paraissent indiquer comme date les environs de 1670. Publiée, d'après Hausmann, dans la Lorraine artiste, 190'i, p. 116. Cf. encore Bull, de la Soc. d'ar- chéol. etdliist. de la Moselle, 1860, p. 1 19; L'art sacré, avril 1905, p. 8 ; L'Austrasie, t. I, p. 247. — PI. XXV.
Flandres, Pays-Bas.
91. Miniature du missel de dona Juana Enriquez, seconde femme de Juan II d'Aragon, et mère de Ferdinand le Catholique. Musée de Madrid. Phot. Laurent, 810. La Vierge, debout, couronnée et nimbée, tient l'Enfant qui bénit. Sous le manteau, qui est soutenu par deux anges, sont agenouillés, à droite les clercs, à gauche les la'iques. A droite de la Vierge, en avant du groupe des clercs, est agenouillée la reine Juana, son missel dans les mains. Devant lareine, un petit chien. La Viei'ge et l'Enfant sont tournés de trois-quarts à droite, du côté des clercs et delà reine. Cette miniature occupe le verso d'un feuillet ; sur le recto suivant, on lit ceci : Bonifacius papa ortavus concessif oninihiis dicentihus istani oratio- nem cotidie, dévote confessis et contrilis, genibus flexis coram ymagine gloriose virginis marie, indulgentiam a pena et culpa de oinnihiis pecca- tis suis : Oratio. Stahat virgo iuxta cruceni, videns pati reram lucem. Begis omnium vidit càput coronalum, vidit latus perforatum, vidit mori fUium, vidit caput inclinatum, totum corpus cruentatum. Pastoris pro ovibus vidit potum felle mijctum. . . (Pour cette hymne, cf. Chevalier, Bep. hym., t. II, p. 600, n" 19423'. D'après Durrieu, le missel de la reine Jeanne aurait été enluminé vers 1480, par le peintre brugeois Guillaume Vrelant [Bibl. de V Ecole des Chartes, 1893, p. 276).
92. Bruxelles. — Mater omnium, statuette en chêne polychromée, de la fin du xv^ siècle (jui a passé de la collection Steinmetz à Bruges, dans la collection Mohl à Paris. Elle a figuré aux expositions rétrospectives de Matines, 1864, et de Bruxelles, 1888. Cf. W. H. James Weale, Cat. des objets d'art religieux . .. exposés à l'hôlel de Liedekerke à Malines, sept. 486i ; N. H. J. Westlake, A souvenir of Ihe exhibition of Christian art held at Mechelin. avec croquis; Instrumenta ecclesiastica, choix d'objets religieux du M. A. et de la Benaissance exposés à Malines en sept. I86i, avec une planche ; Bévue de Tari chrétien, 1885, p. 277. M. Destrée a montré quelle était d'origine bruxelloise, car elle est mar- quée au poinçon de la corporation des tailleurs d'images bruxellois [Mém. de la Soc. des antiquaires de France, t. LU, 1891, p. 61 ; Étude sur la sculpture brabançonne au M. A., Bruxelles, 1894, p. 132, extrait des Annales de la Soc. d'archéol. de Bruxelles, t. IX, 1893, avec photo- graphie). La Vierge a perdu sa couronne. Sur la bordure du manteau, Gloria Patri en lettres d'or; sous le manteau, six personnes de condi- tion bourgeoise, quatre femmes et deux hommes.
92 bis. .^later omnium, peViie statuettede la lin du xv"" siècle, en bois, d'assez belle facture, ap[)artenant à M. Stolzenberg, à Ruremonde (IIol-
Perdrizkt, Lu Vierge de Miséricorde
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LA VIEKCK DK MdUTERHAUSEN
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lande), marquée au poinçon de la corporation des tailleurs d'images de Bruxelles (Destrée, Étude sur la ftculpture hrabançonne, p. 138).
93. Petit retable en cliène sculpté et polychrome. Les volets sont peints, et représentent sainte Barbe et sainte Catherine. Dans la partie centrale, la Vierge de Miséricorde abritant sous son manteau à droite un pape, un évèque et un abbé, à gauche trois femmes qui ne sont pas des religieuses. Travail bruxellois, de la première moitié du xvi*" siècle, appartenant à M. Paul van Zuylen, de Liège, et qui a figuré en 190"), à l'exposition d'art ancien bruxellois organisée par le Cercle artistique de Bruxelles (n° 7 du Catalogue imprimé .
94. Broderie dans le trésor de la catédrale d'Aix-la-Chapelle. Travail hollandais du xv*^ siècle. Cf. Die Rheinlande, Dùsseldorfer Monatschrift fiir deutsche Arf und Kunsl, février 1904, p. 221 et suivantes; Beissel, Kunstschalze des Aachener Kaiserdomes (M. Gladbach, 1904, pi. XXXV). La Vierge, couronnée et nimbée, tient l'Enfant sur le bras gauche; deux anges soutiennent les pans du manteau. Les priants, hommes et femmes de toute condition, ont tous le bâton des pèlerins. Au premier rang, un seigneur et sa femme (les donateurs? .
95. Planche 23 etdernière du Tfiesaurus precumetexercitafionuin spiri- tualium in usum praesertim sodalitatis Partheniae, auciore R. P. Thoma Saillio S. J. presbytero. Anlverpiae. Ex officino Planliniano MDCIX. Les cuivres de cet ouvrage sont conservés au Musée Plantin, où l'on peut en faii'e tirer des épreuves. Ils sont d'A. van Xoort, le maître de Rubens. La planche qui nous intéresse représente, à l'arrière-plan, la Vierge debout sur un lapis, couronnée, nimbée, distribuant des indul- gences à l'humanité agenouillée sous son manteau (à droite les clercs, à gauche les laïques). Le manteau est soutenu à droite par deux anges au- dessus desquels est écrit Virlutum fortitudo, à gauche, par deux anges portant des lis; au-dessus Anrjeloruni purilas ; d'autres lis, plus grands, sont derrière la Vierge. Au premier plan d'autres anges, assis, font de la musique; au-dessus, Ançjelorum laetilia. Entre la Vierge et les anges musiciens, deux anges, dont l'un porte un lis, et l'autre un parchemin scellé de trois sceaux.
Allemagne.
96. Cologne. — Wallraf-Richartz Muséum, n» 117 (Ferceic/injs, p. 26). Triptyque de la fin du xv« siècle ; école de Cologne. A droite, le Christ avec Marie-Madeleine; à gauche Marie Égyptienne avec le donateur agenouillé. Au milieu, la Vierge tenant l'Enfant sur un bras, un lis dans l'autre main. Deux soutiennent le manteau, sous lequel sont les donateurs, douze bourgeois et bourgeoises.
97. Aix-la-Chapelle. — Statue de bois, au musée Suermondt, repro- duite dans la Gaz. des Beaux-Arts, 1908, I, p. 173. Fin du xv"" siècle. Mater omnium, avec l'Enfant. Les priants, très petits, sont échelonnés sur deux lignes verticales. Cette composition en hauteur est fréquente en Allemagne (cf. n°^ 101, 103. 113'. Elle convenait pour les statues destinées à des niches, à des pinacles.
1 88 CATALOGIE
98. Schreiber, Manuel, n» 2514 (gravure incunable, au Cabinet des estampes de Berlin). La \ lerge debout, couronnée, tenant TEnfant. Deux anges soutiennent le manteau, sous lequel est réfugiée la chré- tienté, d"un côté le pape avec le clergé, de Faulre l'empereur avec les laïques. Au-dessous, on lit Sub tua protectione confugimus. D'après Schreiber, travail rhénan, vers 14(30-1475.
QS bis. Schreiber, n° 1010. Gravure incunable, enluminée, autrefois chez le libraii'e L. Rosenthal de Munich. La ,Vierge, couronnée, couvre de son manteau un grand nombre dhommes à genoux. De chaque côté delà tète de la Vierge un ange planant. Médiocre travail, attribué par Schreiber à un atelier de la Basse-Allemagne, vers 1470-1*80.
98 /cr. Marhourg. Vitrail dans l'église Sainte-Elisabeth. Cf. Haseloff, Die Glaxgemàlde (1er Elisabelhkirche in .l/arZ»;/-^ ; Berlin, Spielmeyer, 1907 . : je n'ai pas vu cette monographie.
Oberrhein, Bade, Suisse.
99. Au château princier d'Erbach (Hesse-Darmstadt). Relief en bois, représentant la Mater omnium, sans la couronne et [sans TEnfant. Hau- teur : i™ 86. Cf. Kunstdenkmàler im Grossherzngthum Ilessen, Kreis Erbach, Darmstadt, 1891, p. 84.
100. Wimpfen-am-Berg, dans l'église évangélique, fresque représen- tant le Jugement Dernier {Kunstdenkmàler im Grossherzogthum Ilessen, Kreis W impfen, Darmstadt, 1898, pi. à la p. 36 ; cf. la Zeitschrift fi'ir bildende Kunsf, VI [1871], p. 272). En haut, dans le ciel, le Juge du monde, auprès duquel intercèdent la Vierge et saint Jean. En bas, la terre d'où sortent les morts ; à gauche, la gueule de l'Orcus : à [droite, la Vierge de Miséricorde, recevant les élus sous son manteau. Auprès d'elle, saint Pierre. Cette grande fresque a été cruellement restaurée en 1870 par un barbouilleur patenté, « professer A. Xoack, Ilistorien- und Hofmaler zu Darmstadt ». L'original devait dater du xvi*" siècle; dans la restauration, le caractère général a disparu, et plus d'un détail parait suspect.
101. Frihourg. — Statue de pierre, du xiv*" siècle, dans le pinacle qui surmonte le contrefort Nord de la façade du clocher de la cathé- drale. La Vierge, couronnée, sans l'Enfant, abrite sous son manteau une vingtaine de priants debout, échelonnés deux par deux, les hommes à droite, les femmes à gauche; pas de grands personnages, tels que pape, empereur, roi, cardinal ou évêque ; au premier rang des hommes sont des chevaliers ; derrière eux, des moines et des gens du com- mun ; les femmes des premiers rangs, habillées toutes de la même façon, sont peut-être des moniales; mais celles des dei'nières rangées, sans voile ni coiffure, ne sont certainement pas des religieuses. Repro- ductions dans Kempf, Maria mil dem Schutzmantel article publié par la revue fribourgeoise Schau-ins-Land, t. XVIII), p. 2.'); Moritz-Eich- born, Die Skulpturencgclus in der Vorhalle des Freiburger Mùnaters (Strasbourg, 1899;, p. 412, pi. XIX; Lehmann, Das Bildnis bei den altdeutschen Meislern fLeipzig, 1900\ p. 210; Krebs, dans les Freibur-
ERDRizET, La Vierge rie Miséricorde
PI. XXVI
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CAIALOGUE 189
ger MunsterbUiller, Heft l, p. 29. Les archéologues allemands ont accoutumé de citer cette statue comme la plus ancienne représentation de la Vierge de Miséricorde : cf. Thode, Franz von Assisi-, p. 516. Je la crois de la deuxième moitié du xiv^ siècle, comme les deux sui- vantes. Elle n"a peut-être pas toujours été à la place quelle occupe aujourd'hui, car elle est sensiblement plus petite que celles cjui garnissent les autres pinacles de la cathédrale de Fribourg. On a rat- trapé ce défaut de hauteur eu la plaçant sur un petit piédestal dont sont dépourvues les statues de la même série. — PI. XXVI, i.
102. Statue petite nature, analogue à la précédente. La Vierge tient TEnfanl sur le bras gauche, et les priants qu'elle abrite sont moins nom- breux. Cette statue, aujourd'hui au musée archéologique, provient de l'ancien hôpital, et porte les armes des Richeim : un Paul de Richeim fut administrateur de l'hôpital en 1383. Reproduction dans Kempf, p. 27. — PI. XXVI, 3.
103. Statue analogue aux précédentes, dans le pinacle du deuxième contrefort du bas-côté sud de la cathédrale. La tète de la Vierge est moderne. Reproduction dans Krebs, p. 33.
104. Sous le porche du clocher de la cathédrale, fresque du xV siècle, détruite aujourd'hui. La Vierge, nimbée, sans la couronne, soulevait son manteau pour abriter à droite les hommes, à gauche les femmes. Le relevé qui fut pris de cette fresque avant sa destruction, est reproduit par Kempf, p. 28, et par Krebs, p. 35.
105. Vitrail à la fenêtre du portail du bas-côté S. de la cathédrale, xv"^ s. La Vierge, debout, couronnée, sans l'Enfant, étend son manteau sur les membres de la famille Tullenhaupt, à dr. les hommes, à g. les femmes. Reproduction dans Krebs, p. 34.
106. Retable en bois, voué vers 1520 par la famille Locherer, dans une chapelle du chœur de la cathédrale. A droite de la Vierge, un saint moine, à gauche, saint Antoine abbé. La Vierge, sans la couronne, tient l'Enfant. Six angelots soulèvent le manteau sous lequel est agenouillée la chrétienté, à droite les clercs, à gauche les laïques. Cf. Schau-ins-Land, XV (1890), p. 17 ; Krebs, p. 31 ; Reber et Bayersdorfer, Klass.Skulplur- enschalz, t. II, n" 244.
107. Kraus {Geschichle, II, p. 433) mentionne une Vierge au man- teau sculptée à Waghausen (entre Carlsruhe et Mannheim ; l'église est un but de pèlerinage).
108. Fresque de Waltalingen, près Zurich, publiée par Robert Durer dunsles Mil th. der antiquar. Gesellschafl in Zurich, Bd XXIV, Heft 5 (Der mitlelall. Bilderschmuck der Kapelle in Wallalingen, pi. III), avec des explications erronées : Durer croit à tort que le >< Schutzmantelbid » (pi. IIl) représente sainte Catherine patronne des écoliers.
109. La Vierge de Miséricorde abritant sous son manteau le bourg- mestre bàlois Jacques Meyer et sa famille : tableau d'Holbein le Jeune, peint en 1325 ou 1526. L'original à Darmstadt. Le musée de Dresde en
190 CAT\LOr,UE
possède une copie excellente, due, croit-on, à un artiste des Pays-Bas, du xvii« siècle, qui a passé pour l'ori^nnal jusqu'à l'Exposition de Dresde, en 1871. Cf. v. Liitzow, Erf/phnisse der Dresdener Holhein-Aiifstellunfj, dans la Zeitschrifl fur bild. Kunsf, 1871, p. 349-."io5 ; Woltmann, //. Holhein und seine Zeit (Leipzig, 1874), t. I, p. 294-314 ; Jameson, Madonna, p. 101 ; Mantz, Hans llnlbein, p. 55 et 192 ; Knackfuss, Hol- hein der J (ingère, p. 85-94 ; Revue de Varl chrétien, 1892, p. 26 ; Kunfgeschichie in Bildern, t. IV, n° 45 ; etc.
Souahe
110. Schreilîer, Manuel, n° 1215. Gravure incunable, enluminée. La Vierge couronnée, nimbée, debout, tenant l'Enfant à qui elle donne un fruit. Deux anges soulèvent le manteau, sous lequel sont agenouil- lés huit priants, quatre clercs et quatre laïques (dont un roi). Grossier travail, attribué par Schreiber à un atelier souabe, vers 1480.
111. Mater omnium, à la galerie de Schleissheim (Katalog, 1905, p. 24, n° 82) ; panneau du commencement du xvi« s., attribué soit à l'école souabe, soit à l'école de Nuremberg.
112. Gravure sur bois de V llinerarium beatae Mariae virginis, édité par Reger à Ulm vers 1490. Pour Vltinerariuin, cf. le Supplément de Brunet, I, 686. La Mater omnium, abritant sous son manteau à dr. les clercs, à g. les laïques (noter derrière le roi, un chevalier en armure), regarde au ciel où le Juge du monde apparaît dans les nuages ; il bénit de la dextre, dans l'autre il tient le globe ; à sa droite. Moïse, cornu, avec les tables de la Loi ; à sa gauche, saint Pierre avec le livre et la clef; derrière eux, des anges et d'autres personnes de la cour céleste. Repi'oduction dans le Katalog der Bûcher-Sammlung Franz Trau (Vienne, Gilhofer et Rauschburg-, 1905). Cette gravure me semble identique au n^ 1008 du Manuel de Schreiber.
113. Statue petite nature en bois de tilleul, repeinte, provenant de la Pfarrkirche de Ravensbourg. OEuvre souabe, des environs de lan 1500, attribuée par tjuelques érudits à un maître Schramm, de Ravens- bourg, d'ailleurs tout à fait inconnu. Depuis 1850 au musée de Berlin. Cf. Bode-Tschudi, n° 330, pi. XXII ; Jan Veth, dans A'uais/ und Kiinstler, 11(1904), p. 352, avec gravure. Dix priants échelonnés sous le manteau de la Vierge, alternativement des hommes et des femmes. — PI. XXVI, 2.
Franconie.
114. Schreiber, Manuel, n" 1007. Gravure incunaljlc, enluminée. La Vierge, couronnée, debout. Le manteau, qui est soutenu par deux anges, abrite des clercs et des laïques. D'après Schreiber, travail de la Haute-.\llemagne, peut-être de Nqremberg, vers 1460.
CATALOGUK
191
115. Retable de la chapelle de l'Ordre du Cygne, dans Téglise Saint-Gom])Oi't, à Anspach, en Franconie (peint par Wohlgemut en 1484). Cf. Stillfried-Alcantara, Altertumer und Kimsldenkmale des erlaucJilen Hanses Hohenzollern, tome I (Berlin, 1898), et Lehmann,o/). cit., p. 172. Le retable est surmonté d'une statuette de saint Georges, à cheval, tuant le dragon. Sur la face antérieure, au milieu, la Vierge sur le croissant, sans le nimbe, portant l'Enfant: à droite, l'Annoncia- tion; à gauche, l'Adoration des Mages; sur la prédelle, à droite, l'élec- teur Albert III de Brandebourg -[ 148G), à genoux devant saint Chris-
FiG. 3.
tophe portant l'Enfant; à gauche, la deuxième femme d'Albert, Anne, duchesse de Saxe, à genoux devant le Christ de pitié. Sur la face pos- térieure, à droite, la Naissance de la Vierge; à gauche, la mort de la Vierge; au milieu, la Mère de Miséricorde sous le manteau de laquelle sont agenouillés les enfants de l'électeur : d'un côté, sa belle-fille et ses quatre filles; de l'autre, son gendre, ses deux fils et deux pages. — Fiff. 3.
116. //e(7si/-o«/), dans l'église. Retable du xvi<= siècle, où sont peintes: 1" la Naissance de Marie; 2" la Présentation de la Vierge au Temple; 3° les Fiançailles de la Vierge (ces trois représentations inspirées de la Vie de Marte par Durer, qui date de i:\ii) ; 4° la Mère de Miséricorde, qui éten<l son manteau sur l'humanité représentée par les personnages habituels : en haut, à gauche. Dieu le Père l)randit l'épée contre les hommes; le Christ retient le coup, en prenant l'épée par le bout ; sur l'épée est posée la colombe, qui représente la troisième personne de la Trinité. Cf. Thode, Die Malerschule von Nûrabenj, p. 22.5; Lehmann, op. cit., p. 213.
192 CATALOOUE
117. Xurembei-fj. — Très grand relief funéraire, en bois, delà famille Pergenslorfer, aujourd'hui dans l'ég^lise Notre-Dame; œuvre d'Adam Kraft (7 lîiOiV, des dernières années de l'artiste et des premières du XVI'" s. Dans un encadrement gothique, la Vierge, debout, tenant lEn- l'anl : deux anges la couronnent, deux autres soulèvent les plis du man- teau, sous lequel sont agenouillés, à droite, les l'eprésentants de l'hu- manité entière, pape, empereur, roi, soldat, bourgeois, I)ourgeoises, etc. ; à gauche, huit personnes de la famille Pergenstorfer. Cf. F. Wanderer, Adam Kraffl und neiiie Schule (Nuremberg-, 1869;, pi. .38; Bode, Ges- rhir/ifr (1er deulschen Plastik, p. 1;j6-8 (avec gravure ; Daun, Adam Ki-a/fl und die Kiinsiler seiner Zeit Berlin, 1807), p. '.')'.}, pi. VIII, 1.
Bavière.
118. Feldmochincj, près Munich. — Dans l'église, fresque de la fin du xv" siècle; manque la partie gauche, qui devait représenter, à en juger par analogie avec le retable de Gy [supra, p. 181), l'Annonciation à Marie. Au milieu, la Mater omnium. A droite, la Visitation. Cf. Die Kunsl- denkmale des KiJnigreiches Iiaiern,l. I, p. 775, pi. 112, et Hager dans Monatschrift des hisf. Vereins von Oherhayern, t. III (1*'94), p. ij8. — Le peintre de Feldmoching a représenté sur le ventre de la Vierge le petit Jésus, et sur le ventre de sainte Elisabeth le petit saint Jean ; les deux petites figures sont nues et entourées d'une « gloire » amandi- forme; saint Jean s'agenouille devant Jésus, ([ui le bénit. Des représen- tations analogues sont fréquentes dans l'art français, flamand, allemand, aux XV* et xvi'^ siècles : cf. par exem[)le une tapisserie du musée de Fribourg-en-Brisgau, un dessin de livre d'esquisses publié par L. Rosen- thal [Catalogue de livres rares, n" 100, p. .328), un vitrail de Jouy, près Reims, un tableau du musée de Lyon cité par Didron [Manuel d'iconocjr. chrét., p. 157), etc. « Dès qu'Elisabetli, dit saint Luc, s'entendit saluer par Marie, l'enfant quelle portail dans son sein tressaillit, exullavit in utero ejus. » Les naïfs artistes du Nord ont voulu montrer ce tressaille- ment ; je ne crois pas que les Italiens l'aient osé. A partir du xvi*" siècle, dit Hager, on se contente en Allemagne de peindre sur le ventre d'Elisa- beth et de Marie, les noms de Jean et de Jésus entourés d'une gloire : liber derartiye Stiche Klauhers in Auçjshoury macht sich noch der Ver- fasser der Reise durcli den bayerischen Kreis 1784 (s. 103) lusli;/.
119. Sciireiber, n° iOli. Gravure incunable, de la collection Schreibcr. Marie, debout, couionnée et nimbée, couvre de son manteau onze petits personnages, cinq d'un côté, six de l'autre. D'après Schreiber, cette gravure aurait été faite à Ulm, vers 1475.
120. Galerie de Schleissheim [Kalaluy, l'JOo, p. 42, n<* I.'IO . Muter omnium ; panneau. « Obei'deutsch um 1480. » Cette peinture proviendrait tlun couvent de Passau.
121. A la cathédrale, dansla chapelle Sainte-Apollonie, grand tableau, (' Ilauptbild (ier Mihichener Scliule um l'ilO ». Deux anges couronnent
CATALOGLE 193
la Vierge; deux autres soutiennent son manteau, sous lequel sont age- nouillés à droite, les clercs, à gauche, les laïques. Devant la Vierge sont agenouillés à di'oite, un chanoine (le donateur), à gauche, la famille de ce chanoine. Au-dessous ce distique :
Tu quae sola potes aeteriii niiniinis irain Fleclere, virgineo nos teye, Diva, sinii.
Cf. Die Kunsldenkinale lies Kônifjreichs Bai/ern, 1, p. 986, pi. 142.
122. Tableau de l'école de Munich, sur bois, daté de 1")04, autrefois dans l'église des Franciscains, aujourd'hui au Musée national bavarois, salle XVI, n" 331.'^. Sous le manteau sont agenouillés un chevalier en armure et sa femme. Les armoiries sont celles de la famille bavaroise des Haslang (renseignements dus à M. J. A. Mayer, conservateur du Musée bavarois).
123. Burghaufien. — Fresque dans la chapelle bàlievei's 1480 par George le Riche, dans le château de Burghausen (dans la Haute-Bavière, sur la rive gauche de la Salzach). M. Lehmann [op. cit., p. 213), auquel j'em- prunte cette indication, dit que la fresque a été restaurée et que les personnages agenouillés sous le manteau de la Vierge portent des per- ruques.
124. Ingolstudt . — Eglise Notre-Dame, peinture-retable du grand autel, dédié en 1572, œuvre du peintre Hans Mielich et du menuisier Hans Wiszreiter (décrit et reproduit dans Die Kunstdenkmale des Kônigreichs Baiern, I, p. 30, pi. 7 . Dans le ciel, la Vierge, qui est, comme on sait, la patronne de la Bavière, avec l'Enfant ; le manteau de la Vierge s'étend sur ([uatre saintes et sur la famille de l'électeur de Bavière, Albert.
125. Saint- Jodock. — Fresque représentant la Vierge de Miséricorde, signalée par Lehmann, op. cit., p. "211.
MOUAVIE
126. Olniutz. — Relief en pierre, du commencement du xvi'" siècle. Il se trouvait autrefois (jusqu'en 1802) sur la porte du clocher de la Lieb- fraukirche, église aujourd'hui détruite. Dans le courant du xix" siècle, il a été à deux reprises restauré et repeint. Mater omnium, dont le manteau est porté par deux anges; le pape et l'empereur de profd, les autres priants de face. La Viei'ge de grandeur naturelle. Cf. Reber et Bayersdorfer, Skulplurenschatz, IV, n° 486; mieux dans Nowak, Kirch- liche Kunst-Denkmale aus Olmiitz (Olmutz, 1890), t. I, pi. IV.
PiîiiuuiziiT. — Lu Vierge de Miséricorde. 13
CHAPITRE XI
REMARQUES GÉNÉRALES SUR LES REPRÉSENTATIONS DE LA VIERGE AU MANTEAU
La Vierge au manteau et l'Enfant ; influence, à Venise, du type byzan- tin de la Platytéra. — Les acolytes de la Vierge au manteau : Anges et Saints. — Les insignes royaux : la couronne, le manteau d'hermine, le sceptre. — Difl'érence de taille entre la V^ierge et les priants. — Raisons de l'oubli où est tombé le type de la Vierge au manteau.
Nous avons classé les représentations de laVierg-e de Misé- ricorde d'après les diverses sortes de priants que nous avons vus venir tour à tour s'agenouiller sous le manteau protec- teur. ' Restent à étudier les nombreuses variantes que ces représentations nous offrent à tous autres ég'ards.
La plupart montrent la Vierg'e sans l'Enfant. D'une façon générale, la Mère de Miséricorde est représentée sans l'En- fant quand elle prie, les mains jointes, pour le salut de ceux qu'elle abrite, ou quand elle les protège contre les traits de la colère divine. Dans le premier cas l'absence de l'Enfant se passe d'explication ; elle s'explique dans le second, par une raison logique : la Vierge ne peut avoir l'Enfant Jésus dans les bras quand elle protège les pécheurs contre les traits de la colère divine, puisque c'est Jésus qui, du haut du ciel, en accable la terre. Pourtant, sur le panneau d'Aversa, où l'on voit les traits de la colère divine arrêtés par le manteau pro- tecteur , la Vierge tient l'Enfant sur les genoux : l'illogisme est manifeste ; mais outre qu'il ne faut pas attendre de l'art italien l'exactitude théologique de l'art français, le panneau d'Aversa date du xV^ siècle, d'une époque où l'iconographie commence à se relâcher de son ancienne rigueur.
Ce sont surtout les images italiennes du quattrocento qui représentent la Vierge au manteau priant debout, les mains jointes, pour le salut des pécheurs. Telles sont la Vierge des liecommundati, par Lippo Memmi, à Orviéto ; le retable de
REMARQUES GÉNÉRALES 193
Xeri di Bicci, à Arezzo (pi. XXII, 1), le tableau de Filippo Lippi, à Berlin. Benozzo Gozzoli a prêté le même g-este à son saint Sébastien, dans la fresque de San Gimignano (pi. XVI) ; déjà au milieu du xiv'' siècle, la fig-ure allégorique de la Misé- ricorde, au Bigallo de Florence, avait été représentée priant, les mains jointes. Horsd'Italie, je ne connais, comme exemples de Vierges de Miséricorde priant les mains jointes, qu'un Pestblatt publié par Schreiber et Heitz, et que le relief de la Confrérie des prêtres à la cathédrale de Munich.
La plus ancienne représentation de la Mère de Miséricorde tenant l'Enfant, est le petitpanneau de Duccio : l'Enfant bénit les trois Franciscains agenouillés sous le manteau de Marie. L'Enfant fait le même geste de bénédiction sur plusieurs autres images. Dans le tableau de la famille Meyer, Holbein a donné à 1 Enfant bénissant une grâce compliquée, à la fois puérile et mélancolique. Dans la fresque du Municipio de Sienne, le Vec- chietta a fait exprimer aux mains et aux figures du Bambino et de la Madone un dialogue muet : la Vierge implore l'Enfant pour les Siennois qu'elle lui montre ; l'Enfant les bénit et les prend sous sa garde pour complaire à sa mère. En Italie, le geste supplée souvent à la parole: il a une variété, une précision, une clarté que nous ne connaissons pas. C'est pourquoi le geste, dans cette fresque du Vecchietta, comme dans toutes celles de Giotto ', est si expressif. La plus grave des images de la ^'ie^ge au manteau où l'on voit l'Enfant bénissant, est assu- rément (ou plutôt était) le tableau de Cristoforo de Bologne : avec une solennité qui se ressent encore de l'art byzantin et de l'art roman, la Vierge debout, sans nimbe ni couronne, fait, si je puis ainsi dire, l'ostension de l'En- fant : il est nimbé, ses deux mains sont levées et bénissent. L'ensemble de la composition semble l'illustration du verset du Salve regina : « Et Jesum, henedictum fructum ventris tui, nobis post hoc exilium osiende. » Au xv*" siècle et au xvi®, aussi bien dans l'art allemand que dans l'art italien, sous l'in- fluence du réalisme qui commence au xiv*" siècle et qu'on voit s'épanouir aux deux siècles suivants, l'Enfant se désintéresse tout à fait des priants agenouillés sous le manteau de la Vierge ; il joue avec une fleur ou avec un oiseau, ou bien câline sa mère. Le retable de Saint- André à Cologne lui fait
1. Perdrizet, La peinture relig. en Italie jusqu'à la fin du XIV' s., p. 43.
196 CHAPITRE XI
niaisement égrener le rosaire : il donne l'exemple de la dévo- tion mécanique.
On notera la façon dont lEnfant est représenté sur les anciennes images vénitiennes de la Vierge au manteau (pi. X). Il est figuré comme sur le tableau de Cristoforo, assis et les mains levées pour bénir, mais il ne repose plus dans les bras de sa mère ; il semble suspendu devant la poitrine de Marie, au milieu d'une mandorla. Cette représentation singulière s'ex- plique par l'iconographie byzantine. Dans les églises orthodoxes, à la voûte du. diaconicon, où elle forme symétrie avec le Christ en gloire peint à la voûte de lAprothésis ' , on voit représentée une Vierge immense, en buste, les bras étendus en croix sous le manteau : devant sa poitrine, dans une gloire, apparaît l'En- fant. Ce type, que les Grecs appellent la Panaghia Platytéra, •fj Mr,--r;p0£OJ r, 7:Kx-j-épy. -Cr> cJpavfTjv, est la traduction figurée de textes liturgiques : l'hymne ' K-\ gsI yy^ipt'., qui se trouve déjà dans la liturgie de saint Basile, dit que Dieu a fait le sein de la Vierge plus vaste que les cieux, zXaTJTspav sjpavwv, puisqu'il l'a choisi pour y habiter - : <( Nous, les créatures, t'appelons bienheureuse, puisqu'il a plu au Christ notre Dieu, qu'aucun lieu ne saurait contenir, d'habiter en toi. » Le type vénitien archaïque de la Mère de Miséricorde est le résultat d'un amal- game entre le thème occidental du manteau protecteur et le thème oriental de la Platytéra ; cet amalgame s'explique par les influences byzantines dont Venise a été pénétrée. Lorsque la Vierge de Miséricorde joint les mains pour prier, ou qu'elle a l'Enfant sur les bras et ne peut tenir elle-même son manteau soulevé^ elle est assistée soit par des Saints ou des Saintes, soit par des Anges. Les Anges l'aident aussi à tenir son manteau soulevé quand il doit abriter une foule de gens, comme c'était le cas sur le relief voué par Jean Le Bou- langer (pi. XXIII, 2); un exemple encore plus typique est la Vierge de Lippi (p. 160), dont le manteau est si large qu'il fait songer aux ailes éployées d'une immense chauve-souris. Sur les images destinées aux Ordres religieux, les pans du
1. Didron, Manuel d' iconographie, p. 428. Comme exemples de représenta- tions de la Platytéra, cf. Sabatier, Monnaies byzantines, t. II. pi. 51 sq (.\r sièclci : Bayet, L'arl byzantin, fig. 77 et 84 ; Brockhaus, Die Kunst in den Athos-Klustern, p. 109.
2. EîpaoXoy.ov (éd. de Venise, l.S82\ p. i99 : Eue hologe, p. 5S9 ; Pentécosta- rioJi,p. 516. Cf. Brockhaus, op. cit., p. 109.
REMARQUES GÉNÉRALES 197
manteau sont fréquemment tenus par deux Saints de cet Ordre : le retable de Saint-André à Colog-ne fait tenir le man- teau à saint Dominique et à saint Pierre Martyr (pi. XIII, 1); dans des peintures faites pour les Chartreux, le manteau est porté par saint Hugues de Lincoln et saint Hugues de Grenoble, ou encore par saint Jean-Baptiste et par saint Bruno. Sur le frontispice du catéchisme des Prémontrés de Pont-à-Mous- son, le manteau est soutenu par saint Augustin et par saint Norbert (pi. VI).
Sur quelques tableaux archaïques, peints probablement pour des couvents de femmes, sur le retable dePienza et le tableau du Puy (pi. XXI, 1), le manteau de la Vierge estsoutenu par des Saintes dont aucune caractéristique ne permet de dire le nom : sans doute les Saintes qui, dans les visions des nonnes, accompagnent la Vierge, les grandes Saintes du moyen âge, Catherine et Barbe, Lucile et Marguerite, Agnès et Cécile.
Dans nombre d'images vouées par des villes ou des familles, les saints patrons de la ville ou de la famille sont debout, à côté de la Vierge. Ils sont là comme intercesseurs, pour pré- senter et recommander à la Vierge les personnes auxquelles ils s'intéressent, pour faire parvenir les prières jusqu'à elle. Dans certaines représentations, la peinture du Musée du Puy, la fresque du Municipio de Sienne (p. 162), les Saints inter- cesseurs et patrons sont placés derrière le manteau de la Vierge : ils forment la suite et la cour de la Reine des cieux.
Les anges aussi, dans les tableaux archaïques, apparaissent parfois très nombreux, derrière le manteau de leur Reine : tels on les voit, par exemple sur la fresque de Memmi, à Orviéto.
Au XVI'' siècle, les beaux anges du moyen âge, grands et graves, sont remplacés par des angelots qui ressemblent comme des frères &uxpiitti de l'art gréco-romain. Le type de l'ange, du xiv'' au xvi" siècle, s'est rapetissé et puérilisé, comme avait fait du v^ siècle à l'époque alexandrine, le type de l'Eros antique. Deux anges semblaient suffisants aux artistes du moyen âge pour soutenir le manteau de Marie. Au xvi'^ siècle, il faut une demi-douzaine de ces angelots. Sur le relief de la famille Locherer, sur l'un des Pesthlutter dominicains (pi. XIV, 2), on les voit voleter dans les plis du manteau, y faire cabrioles et culbutes.
Les représentations de la Vierge de Miséricorde, qui la mon- trent couronnée, ne sont pas les jdIus nombreuses, surtout
198 CHAPITRE XI
si Ton fait attention que pour plus d'une, par exemple pour la Vierge de Genga (pi. XIII, 2). la couronne doit être une addition postérieure : on sait que l'Église couronne les images de la Vierge qui ont opéré des miracles K Dans le retable du rosaire, à Saint-André de Cologne (pi. XIII, 1), deux anges tiennent au-dessus de la Vierge trois couronnes de roses: cette triple couronne rappelle que la Vierge est trois fois reine, reine du ciel, reine des anges et reine des vierges.
Le manteau de la Vierge est, comme la couronne, un emblème royal. Il est généralement doublé d'hermine. Un autre symbole de royauté est le sceptre, que la Vierge de Pirey (p. 181) et celle de Heilbronn(p. 28), tiennent dans la dextre.
La Vierge au manteau protecteur est d'ordinaire figurée debout. Les monuments qui la représentent assise sont peu nombreux : je n'en puis citer que quatre, qui sont, par ordre chronologique, le panneau de Duccio, le relief de Gerona, le panneau d'Aversa (pi. XVIIl), la bière peinte par Cozarelli de Sienne (pi. VIII, 1).
Elle est presque toujours figurée plus grande que les priants. Plus l'image est archaïque par la date ou au moins par l'es- prit, plus cette disproportion est sensible. Gomme exemple particulièrement frappant, on peut citer les peintures de Cris- toforo de Bologne et de Simone de Cusighe (pi. X, 1).
On remarque la même disproportion dans les images de sainte Ursule abritant ses compagnes sous son mnnteau, et dans les représentations du Jugement dernier : l'archange saint Michel est généralement bien plus grand que les démons et que les ressuscites-. A la partie inférieure des tableaux votifs, les donateurs sont souvent figurés en très petites dimensions, par modestie. Par une raison inverse, les professeurs sur leurs pierres tombales, sont figurés beaucoup plus grands que leurs élèves '^ Mais dans les images de la Vierge au manteau,
1. Au xvii" s., le comle Alexandre Sforza Pallavicini (-j- 1638) légua une somme considérable au chapitre de Saint-Pierre de Rome pour qu'il fût donné chaque année une couronne dor à deux ou trois imagesmiraculeusesdela\'ierge, choisies parmi les plus vénérées, soit à Rome, soit ailleurs. Cette fondation dure encore. Le Pape bénit ces couronnes, et la cour de Rome en fait l'envoi.
2. Cathédrale de Bourges (Dehio, Kiinstgeschichle in Bildern. t. II.pl. 73). Retable de Lubeck, par ,Memling (Id., t. IV. pi. 20).
.$. Pierre tombale du jurisconsulte bolonais Bonincontro di Boaterii, à Venise, église S. Giorgio. Cf. Perkins, Les sculpteurs ilHliens, t. II, p. 20S de la traduction.
REMARQIKS fiÉNÉRALES 199
comme dans les représentations du Jugement dernier, la Is- proportion s'explique par des survivances à la fois folkloriques et artistiques. Déjà l'art antique avait accoutumé de repré- senter les dieux plus grands que les mortels. C'est la règle constamment suivie dans les sculptures attiques d'un caractère religieux, comme les reliefs votifs et les reliefs « politiques. » Que l'on compare aux Vierges abritant une confrérie sous le manteau protecteur avec tel bas-relief du iv'^ siècle, qui représente un orgéon du Pirée en prière devant la déesse Bendis • : la ressemblance est frappante ; c'est de part et d'autre la même façon naïve d'exprimer la différence qu'il y a entre la divinité toute puissante et les faibles humains. Sur le bouclier d'Achille était représenté, entre autres scènes, le siège d'une ville : parmi les combattants « on distinguait Ares et Pallas, beaux et grands sous leurs armes, comme il seyait à des dieux; et les gens autour deux étaient tout petits »,
y.aXd) V.OC.I [Xz\'x'k(ii o-jv 'eùyta^jv^, waTS Bsw T:îp,
Cette différence de taille fait sourire, quand on regarde les images archaïques de la Vierge de Miséricorde. Mais, au xv^ siècle, l'art Ombrien en a tiré un grand effet. La Vierge de Montone est immense : sa tète touche au ciel, sa robe à la terre ; au-dessous d elle, la ville de Montone apparaît toute petite. Le peintre a su représenter la créature surhumaine, qui, vaste comme l'arc-en-ciel, joint le ciel et la terre, et par qui les grâces divines descendent ici-bas.
Il est instructif de voir ce que devient, à partir du xvi^ siècle le vieux thème de la Vierge au manteau. L'iconographie chré- tienne, on le sait,n'a guère à se louer de la Renaissance ni du classicisme. Epris de raison et de mesure, l'art classique a corrigé, avec une sagesse désolante, les thèmes archaïques. 11 ne s'est pas rendu compte qu'en les rendant raisonnables, il leur faisait perdre leur grandeur et leur poésie. La naïveté des archaïques se moque de la vraisemblance : c'est jus- tement pourquoi elle est plus capable que l'art classique de rendre les thèmes visionnaires, les sujets apocalyptiques. Représenter, comme l'avait osé Bonfigli, les gens d'une
1. Hartwig^. Bendis, eine archiiolog. i'nlersuchunff {Leipzig, 1^9"), p'- H.
2. /hade, XVIII. 517-518.
200
CHAPITRE XI
Aille au milieu des airs, sous le manteau d'une Vierge colos- sale, a semblé, depuis, une imagination absurde : l'art clas- sique fait redescendre sur le sol les priants et la Vierge, et il donne à celle-ci la même taille qu'aux gens qui l'implorent. La vérité terre-à-terre est respectée, mais une vérité d'un ordre supérieur a disparu, la A'érité de l'apparition prodigieuse dont Bonfîgli donnait l'idée.
Les peintres Ombriens du début du xvi'' siècle, Domenico Pecori, Bernardino di Mariotto, archaïques attardés, « étranges oiseaux de nuit ' ». traitent encore, à l'époque de Raphaël et de Léonard, le thème traditionnel de la Vierge au manteau. Mais comme on ne saurait échapper tout k fait àl'influence dutempsoù 1 on vit. ils ont tout de même un peu de gêne à représenter la Vierge abritant sous son manteau, comme une poule ses pous- sins, les membres d'une confrérie ou la population d'une ville. Ils modifient le vieux thème :1a Vierge descend du ciel, son vaste manteau flotte dans les airs ; le peintre nous laisse entendre que les gens agenouillés en bas du tableau, sur la terre, trou- A'eront un abri sous le manteau virginal. C'est la solution ingénieuse qu'adoptent le Pordenone pour sa Vierge du Car- mel, et l'auteur anonyme de l'ex-voto de François II, au Musée Lorrain fpl, XX).
Dès le milieu du trecento. Lippo Memmi avait imaginé, pour honorer la Mère de Miséricorde, de la surélever un peu, de la placer sur une sorte de marche ou de socle bas -. Au milieu du xv*" siècle, en Italie, ce socle grandit, prend la forme d'un piédestal antique ; on y peint une invocation à la Vierge, en caractères imitant les inscriptions latines '. Cette innova- tion italienne, où l'on sent 1 influence de l'humanisme, devait plaire au goût classique. Le Tintoret s'en souvient pour son tableau de Confrérie. Ce tableau du Tintoret est d'ailleurs l'une des plus faibles images de la Mère de Miséricorde : la Vierge s incline avec grâce, telle une actrice sous les bravos ; et, comme le socle où on l'a juchée est assez étroit, elle prend garde de ne pas tomber.
Il était réservé k Fra Bartolommeo, l'un des peintres les
1. L'expression estdc BurckliarcU. à propos de Bernardino Le Cicérone, trad. fr., t. II. p. 592 .
2. Cf. encorda Vierjre de Bart. Vivarini.et celle de la famille Pergenstorfer. .}. Fresque du Pesiof.supra.p. 55 ; de la famille Vespucci. Cf. le saint Sébas- tien de Gozzoli.àS. Gimignano pi. XVI .
REMARQUES GÉNÉRALES 201
plus académiques qu'il y ait eu, de trouver pis encore. Un Dominicain lui avant commandé une image de la Mère de Miséricorde, il ne put esquiver 1 obligation de traiter le thème traditionnel, auquel TOrdre des Prêcheurs, dont lui- même faisait partie, était si attaché. Il imagina de placer la Vierg'e sur un trône à plusieurs marches, au pied duquel il disposa les priants, quelques-uns au premier plan, agenouillés, ceux du fond, debout. La Vierge, dressée dans un grand élan, invoque son Fils. Des angelots font flotter son manteau, qui semble une toile emportée par le vent : il ne couvre plus les priants, il n'est plus là que pour mémoire. Cette composition tant célébrée jadis nous laisse froids aujourd'hui, justement parce qu'on y sent trop la recherche académique. Combien les images naïves des archaïques expriment mieux que ce « tableau vivant ", que cet arrangement théâtral, la confiance des foules en la pitié de Marie !
Ni Fra Bartolommeo, ni le Pordenone,niTintoret, ni l'auteur de l'ex-voto de François 11 n'ont choisi de leur propre gré le thème de la Vierge au manteau : il leur fut imposé, à Fra Bartolomeo par un Dominicain, au Pordenone parles Carmes, au Tintoret par quelque Scuola, au peintre de François II jsar la dévotion des princes lorrains pour la Vierge de Bon- secours-lez-Nancy. A partir du xvi"^ siècle, l'art ne représente plus la Vierge au manteau que d'une façon exceptionnelle, et qu'à contre-cœur. Le vieux thème était trop naïf, l'art nouveau trop savant, trop dédaigneux des images qui avaient ravi le moyen âge.
Et puis, à partir du xvi*" siècle, l'iconographie catholique ne pouvait plus se permettre d'être naïve, de faire sourire. Pour s'expliquer l'oubli où est tombé le vieux thème qui nous occupe, il faut tenir compte des scrupules que les attaques furibondes des Réformés contre la Vierge, les Saints, et les images ont inspirés au catholicisme. La Réforme a bafoué et brisé les images. Contre beaucoup, elle avait beau jeu. Vn des dessins dont Holbein a illustré V Éloge de la folie représente un paysan en prière devant une grande image de saint Christophe, peinte à fresque confiée un mur. Holbein intitule son dessin « la folie de la superstition » K Les chanoines de N.-D. de Paris qui, au xydi"^ siècle, firent détruire leur grande statue de saint Christophe, avaient sur les images du géant chré-
1. Mantz, //.TJis Ilolhein.p. 67.
202 CHAPITRE XI
tien et sur les superstitions qui s'y rattachaient, les mêmes idées qu'Holbein et qu'Erasme. Pour justifier leur acte de vandalisme, ils pouvaient alléguer un canon du synode tenu à Cambrai en I060, qui condamnait les superstitions relatives à saint Christophe '. Ce canon du synode de Cambrai est une bonne preuve, entre tant d'autres, que les railleries des Réfor- més ont fait honte au catholicisme de son ancienne imagerie. Il n ose plus, par exemple, à partir du xvii-' siècle, représenter la Vierge allaitant son Fils, ou montrant à Dieu, pour le fléchir, le sein qui a nourri l'Homme-Dieu.
Changement dans le goût artistique, crainte des sarcasmes protestants expliquent, en majeure partie, que le thème « gothique » de la Vierge au manteau soit depuis le xvi'' siècle tombé en désuétude. Il y faut joindre peut-être, tout au moins pour la France, l'influence des idées jansénistes. Le type iconographique de la Merge au manteau protecteur était 1 expression figurée de la croyance en la miséricorde toute- puissante de Marie. Or cette croyance est antipathique au Jansénisme. De la miséricorde de Marie, le Janséniste n'attend rien de plus que le Calviniste : ■< la prédestination tue l'inter- cession -. » Il n'est pas question de la Vierge comme Mère de Miséricorde dans les Pensées de Pascal '■''. Le Salve regina niisej'icordiae « exaspérait les Jansénistes » ^.
1. Note de Paquot sur Molanus, p. 100 de l'éd. de Louvain.
2. Sainte-Beuve. Port-lioyal. i. I, p. 234.
3. Il convient démettre le lecteur en garde contre une erreur soijrneusement entretenue par les ultramnnLains. << Port-Royal, avec ses filles de saint Ber- nard, n'était nullement indévot à la \"ierge. comme l'en accusaient ses enne- mis » (Sainte-Beuve, Fort-Royal. V. 208 . Saint-Gyran avait écrit une Vie mystique de la ^'ierfre. Nul n'a parlé de Marie d'une façon plus grandiose : pour Saint-Cyran. la A'ierge est " l'Idée >> des prêtres, ipsa sacerdos. car eWe a reçu la première le coips du (Ihrist Sainte-Beuve, I. p. i iS) : <i\'ous désirez, écrit-il à la sœur Marie-Claire, que je vous dise quelque chose sur la fête de l'Incarnation : il faut qu'en ce jour et en tous les autres que l'Église consacre à la sainte Vierge, nous lui rendions ce que nous lui devons. Sa grandeur est ter- rible. Pour la révérer, il ne fautque savoir qu'elle est le chef de l'Ange [c'est-à- dire supérieure aux Anges, et leur reine, regina Angeloruni, : en montant des créatures à Dieu, au-dessus d'elles toutes, vous trouvez la Vierge ; et en descen- dant de Dieu aux créatures, après le Saint-Esprit, vous la rencontrez. » Sainte- Beuve, auquel j'emprunte cette citation Port-Royal, I, p. 353), a très bien opposé l'idée auguste que les Jansénistes se faisaient de la Deipara à l'idée que le catholicisme s'est formée, depuis le moyen âge. de la Mater Miser icor dix.
4. Angot des Rotours, Saint .Alphonse de Liguori. p. 15o. — <■ Si l'on veut, d'un même coup d'cpil et en même temps qu'on embrasse toute la liauteur et l'étendue de la doctrine de Pascal, se donner le spectacle de la manière de voir, chrétiennement, la plus opposée à la sienne, on n'a qu'à lire la Préface, mise en télé des OE avres complètes du Bienheureux Alphonse de
REMARQUES GÉNÉRALES 203
Aussi, quand au xviii'' siècle, Alphonse de Liguori entre- prend de restaurer le catholicisme intégral, c'est contre le Jansénisme et pour Marie qu'il combat '. Au xix*' siècle, chaque progrès de la mariolâtrie a été regardé par les ultra- montains comme un triomphe sur le Jansénisme. Le curé Sausseret, qui publia en 1 8^2 deux volumes sur les Apparitions et révélations de la T. S. Vierge, s'exprime ainsi dans sa pré- face : « Nous n'écrivons point ces pages pour les philosophes sceptiques, pour les disciples de Luther, de Calvin, de Voltaire et de Saint Cyran ~. » Rien de plus instructif à cet égard, que le chapitre consacré au Jansénisme, dans l'ouvrage du jésuite Terrien sur la Mère de Dieu et la Mère des hommes.
A partir du xvii" siècle, la Vierge au manteau protecteur n'est plus guère connue que dans les villes auxquelles une
Liguori, traduites et publiées par les soins des modernes Bénédictins de So- lesmes (1834). L'amollissement, le relâchement de la discipline et de la morale chrétienne selon saint Paul et saint Augusliny est érigé en dogme : il paraît, à entendre ces savants et nouveaux interprètes, que le Christ, à mesure que Ton avance vers la fin des temps, confie à son Eglise des secrets tout nou- veaux : qu'il se fait de nouvelles effusions de grâce et de tendresse, qui per- mettent d'adoucir progressivement la sévérité première des préceptes de l'Évangile et d'admettre de plus en plus Findulgence dans la pénitence. « Le « culte de l'Épouse, y est-il dit, est devenu plus tendre à mesure que de nou- « velles amabilités de l'Époux lui ont été révélées. » Les inquiétudes et les craintes du chrétien ont beaucoup moins de raison d'être, depuis que «l'Église « a reçu l'ordre de mettre toute sa confiance et de jeter toute son inquiétude dans « le sein de Marie. » Loin et bien loin l'alTreux Jansénisme avec sa dure morale et ses dogmes repoussants ! Dieu a créé quelque chose de nouveau sur la terre en nous révélant toutes les prérogatives, et notamment la Conception immacu- lée de cette incomparable Vierge qui est désormais « la médiatrice toute- puissante du genre humain. » La morale facile des Jésuites, dénoncée par Pas- cal, est devenue toute saine et toute salutaire ; elle est plus qu'amnistiée, elle est préconisée: le Bienheureux Alphonse de Liguori, dans sa Théologie morale, n'a fait autre chose que la remettre en honneur, la replacer dans les voies praticables et la faire circuler authentiquement parmi les Chrétiens : ça été proprement sa vocation ; lui-même, pour un si grand bienfait, mérite d'être salué " un médiateur entre le ciel et la terre ». Toutes ces étrangetés, ces conceptions d'hier ou renouvelées du moyen âge, sont aujour- d'hui comme acceptées et légitimées parmi les Catholiques romains (et notez qu'il n'y a plus en France, à l'heure qu'il est, de Gallicans). \'oilà ce qui triomphe, ce que les observateurs, curieux des contrastes, doivent aller cher- cher et lire en regard de Pascal, en se demandant comment il se peut faire que le même nom de Chrétien s'applique également aux uns et aux autres. A vrai dire, il ne s'y applique point. Il n'y a pas d'élasticité qui aille jusque- là » (Sainte-Beuve, Port-Royal, III, 455).
1. Angot des Botours, op. cit., p. v et 174.
2. T. I, p. xxvii. Cf. Paquot ad Molani de hist. SS. iniag., p. 334 de l'éd. de Louvain : « Legllimum Marine cnltiim denegariint Calviniajii. Lutherani caete rique exorli saeculo XVI" haeretici. A/iqua sui parte enmdem imminuere quidam e recentiori Xovatoriim agmine. > Les iXoratores du commentaire de Paquot sont les Jansénistes.
204
CHAPITRE XI
ima<2^e miraculeuse de ce tvpe sert en quelque sorte de Palla- dion, la Madonna délie Grazie k Milan, la Vierge de Bon- secours à Nancy'. Elle est aujourd'hui tellement oubliée que l'auteur du plus copieux traité paru de notre temps sur la A ierg-e Marie, avoue ne pas savoir s'il existe des images de la Vierg-e couvrant de son manteau la chrétienté entière, comme il en existe, dit-il, qui la représentent couvrant de son man- teau un ordre religieux-.
Ainsi, le catholicisme, dans son évolution, a délaissé, comme une vieillerie, le type si naïvement expressif qu il avait trouvé à l'aube du xiii*" siècle pour faire comprendre aux simples la miséricorde toute-puissante de Marie. S il est vrai que le jour est proche où le magistère de l'Église sera sollicité de définir la croyance à la miséricorde de Marie, si la thèse de la coopération de la Vierge à l'œuvre rédemptrice et k l'effu- sion de toutes les grâces est vraiment un dogme en for- mation 3^ il semble que lorsque les théologiens se préoccu- peront de réunir le dossier de ce nouveau dogme, les repré- sentations de la Vierge au manteau protecteur prendront pour eux un intérêt singulier. L'histoire d'une religion qui admet le culte des images, ne doit pas être faite uniquement avec des textes. Les images, destinées k instruire le peuple — picturae quasi libri laicorum — , nous font, parfois, connaître mieux que les traités des docteurs et que les textes de la liturgie, les croyances, les aspirations religieuses des masses populaires.
1. En 1710, les consuls d'Albi <■ offrirent un manteau de moire dargrent rehaussé de galons dor et de rubans »à la statue de N.-D. de la Dréche. en faisant cette prière : " Par cette robe que nous vous présentons, nous vous prions instamment qu'il vous plaise de nous mettre à cou\ert sous votre puis- sante protection » (Texte cité sans référence par Barbier de Montault. fievne de l'art chi'étien, 1S89. p. 25 .
2. << Plus d'une fois, les peintres ont représenté la Mère de Dieu envelop- pant sous les plis de son manteau une famille relifrieuse. Sest-clle aussi mon- trée étendant son vêtement maternel sur le genre humain tout entier ? Je ne saurais le dire. Cequejesais bien, c'est que les tableaux où elle serait ainsi dépeinte exprimeraient une vérité incontestable » 'Le P. Terrien. S. J., La Mère de Dieu et la Mère des hommes, t. III, p. 552 .
3. Angot des Rotours, op. cit., p. 129. Cf. ces lignes du P. Bainvel. S..!.. Le dogme et la pensée catholique, paru dans Vn siècle (Poitiers et Paris, Oudin. 1900), p. 815 : « Les théologiens 'catholiques, depuis la définition solennelle de l'Immaculée Conception rêvent, sous l'attrait d'un amour qui ne dit jamais assez, aux moyens de mettre en relief et de mieux montrer au regard et au cœur du peuple chrétien un privilège qu'il reconnaît et qu'il affirme, mais confusément et sans en avoir encore une pleine conscience, celui de la coo- pération de Marie à l'œuvre rédemptrice, et de sa part dans toutes les grâces qui nous viennent de Dieu. ■>
CHAPITRE XII
DE QUELQUES REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES DE LA VIERGE DE MISÉRICORDE
I. La Viei'ge de Miséricorde et les Vierges Saintes. — II. La Vierge de Miséricorde et les sept Vertus. — III. La Vierge de Miséricorde et les sept Péchés. — -IV. La Vierge de Miséricorde et les Anges Gar- diens. — V. La Vierge de Miséricorde et le Démon.
Quelques représentations de la Vierge au manteau sont tellement singulières, qu'elles m'ont paru devoir être groupées et étudiées à part.
I. — La Vierge de Miséricorde et les Vierges Saintes
La tribune des chantres, dans la chapelle du château des Teutoniques, à Marienbourg en Prusse ', est ornée de fresques
d
a. — Le Juge du monde. h. — La Vierge au manteau, c. — S' Michel pesant les âmes. cl. — Les élus, e. — Les damnés.
du XIV*" siècle (de 133i, d'après M. Lehmann '), dont le schéma ci-dessus explique la disposition ■'^. Elles forment, en somme, une sorte de polyptyque, consacré au Jugement dernier. Ce qui en fait la singularité, c'est que, sous le manteau de la Vierge
1 . Sur ce cliàteau fameux, cf. La^•isse, Eludes sur ihisloire de Prusse, p. lis.
2. Dus Bikinis hei den alldeulschen Meislern, p. 211.
3. Sur ces fresques, cf. Steinbrecht, Die miltelallerlirhen \Vnnd(ieiniilde der Schlosskirche zu Marienhurg, dans la Zeitschrifl fur christl. KunsI, II (1889), p. 5. Je dois à l'obligeance de M. Steinbrecht la photoi^raphie d'un calque de la Vierge au manteau: la figure ci-contre reproduit cette photogra- phie.
20G
CHAPITRE XII
miséricordieuse [iig. 4), le peintre n'a représente ni un Ordre religieux, ni les g-ens de Marienbourg- ou les membres d'une famille, ni les divers membres de la Chrétienté, mais huit Saintes, reeonnaissables pour telles à la couronne, et plus précisément huit Vie rr/cs saintes, puisque près d'elles sont des agneaux et des colombes. Elles implorent leur reine. Maria, regina Virginum, non pour elles-mêmes, puisqu'elles ont déjà la couronne de vie, mais évidemment pour le salut des
FiG.
pécheurs. Ceux pour qui les Vierges saintes auront intercédé auprès de leur Reine, et que la Mère de Miséricorde aura défen- dus contre la sévérité du Juge, ceux-là entreront au paradis.
Somme toute, cette représentation n'est pas sans analogie avec celles qui montrent les Vierges saintes, compagnes de sainte Ursule, en prière sous le manteau de leur reine.
II. — La Vierge de Miséricorde et les sept Vertus Une miniature d'un manuscrit italien • du xiv" siècle montre
1. Bibl. Nal., nouv. ilal 112, f" 16 v". Celle niinialure a été signalée par
REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRKS DE LA VIERGE DE MISÉRICORDE 207
une représentation que je crois unique (PI. XXVII, 1). Sept femmes, mieux vaudrait dire sept Idées, portant la cou- ronne des reines, sont assises côte à côte, de face ; sur elles, une femme plus grande, debout, couronnée et nimbée, étend son manteau ; derrière le groupe sont dressées sept échelles, qui montent jusqu'à l'éther flamboyant, au ciel de gloire. Les prières et les sermons contenus dans le manuscrit ne renferment rien qui puisse servir à expliquer cette minia- ture ; il est vrai que le manuscrit est incomplet. Mais le sens ne semble pas douteux. Les sept reines assises sont les sept Vertus, et la reine qui les abrite sous son manteau doit être la ^'ierg•e.
L'iconographie des Vertus, on le sait, n'est pas la même dans 1 art italien et dans l'art français. Pour décrire notre miniature, il est nécessaire de nous rappeler d'autres représen- tations italiennes des Vertus, les fresques dont Giotto a décoré la cimaise del'Arena'. le tarot dit de Mantegna -, et le tom- beau de Michel Colombe, à Nantes, qui est, par l'iconographie, une œuvre non pas française, mais italienne ^.
Les Vertus cardinales sont à la orauche de la Viersre ; les Vertus théologales à la droite.
Je commence la description par la gauche.
1" La Foi, tenant deux banderoles restées blanches, mais qui ont dû être préparées pour recevoir des inscriptions des actes de foi : la banderole que tient la Foi àl'Arena^ porte ces mots du Symbole des Apôtres : Credo in Deuni Patrem omnipotenteni, creatorem caeli et terrae, et in Jesiim Chris- tu/n filiuni Dei unigenitum.
2" L'Espérance, les mains jointes, la tète levée vers le ciel, qui est indiqué par le disque du soleil : de même l'une des cartes du tarot deMantegna\ A l'Arena, Sjjes est une jeune femme ailée qui prend son vol vers le ciel, d'où un ange lui tend la couronne dévie.
Grinioïiai'd de Saint-Laurent, Guide de l'art chrétien, t. III, p. 129. Le nis. où elle se trouve contient, d'après l'analyse de Mazzatini {Inventario dei mano- scritli délia hibl. di Francia. Rome. 1886, t. I, n" 1I2\ des homélies latines, la passion selon saint Matthieu, des prières en latin et en italien, la vie de saint Jean-Baptiste.
1. Ruskin, Giotto and his works in Padua Londres, 1900 , p. 171 sq.
2. Travail florentin de la fin du xv« siècle. Cf. H. d'Allemagne, Les caries à jouer, t. I. p. 174.
3. Vitry, Michel Colombe, p. 395 et sqq.
4. Ruskin, op. cit., p. 179.
ô. D'Allemagne, op. cit.,l. I, p. 172.
208
CHAPITRE XII
3° La Charité tient devant elle, à deux mains, deux rameaux qui portent chacun six fruits verticalement placés : ce sont, je suppose, les doux fruits de la charité. A FArena, Karitas tient dans la main gauche une jatte pleine de fruits. A ses pieds, la Charité de notre miniature a une maison, sans doute quelque maison de miséricorde, hôpital ou orphelinat.
4° La Tempérance tient dans la main droite une grande clef, dans la main gauche une tour à deux étages.
^V' V.Q. Justice tientle glaive dans la main droite, la balance dans la main gauche. De même la Justice du tarot de Man- tegna. Pour la balance, comparer la Justice de l'Arena.
6° La Force tient deux colonnes, symboles de solidité et d'équilibre. D'ordinaire cette Vertu a pour attribut une colonne qui se brise, allusion à l'histoire de Samson le fort.
7° La Prudence, avec son visage janiforme et son miroir : pour ces caractéristiques, voir la Prude ntia de l'Arena, celle du tarot de Mantegna et celle du tombeau de Nantes.
Six autres miniatures, dans le même manuscrit, repré- sentent autant de Vertus. Manque la Force : la miniature qui la représentait a disparu ou n'a pas été peinte. Dans toutes ces miniatures, les Vertus ont pour attribut commun, de même (|ue dans celle (|ue nous publions, une grande échelle. Ceci demande quelques explications.
On se rappelle l'échelle que Jacob vit en songe : « elle était appuyée sur la terre, et son sommet touchait au ciel ; les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle ; et l'uiternel se tenait au-dessus d'elle '. » Cette vision, sui- vant la théologie morale, signifie qu'il y a un moyen de gagner le ciel : ou plutôt il y en a sept, car chaque vertu est comme une échelle qui permet d'arriver à la gloire éternelle.
Le Guide de la Peinture donne à Jean Climaque une bande- role qui porte ce précepte : « Elevez-vous graduellement par les vertus, en élevant votre âme par la pratique de la contempla- tion -. » Saint Jean, dit Climaque. moine sinaïte du vi^ siècle, est ainsi surnommé du nom d un long traité ascétique ', l'Echelle
1. Genè.se, XXVIII, 12.
2. Diciron. Manuel d'iconogrnphie. p. .'533. Le texte grec du Guide (éd. Konstantidinès, p. lOS] dit : ta-ç i^^i-%1; -poÇarvî roa-co jjaO[jLÎa'.,-ûv vojv àvj-i^oiv -paxT'.zaï; Os'-opta'.;.
3. Publié dans la Palrologie (jrecque de Mifj^ne, LXXXVIII, 596-1209 ; cf. Kriuiiljacher, Byz. Lilt.-, p. 1 13. Du môme temps que le poème de .Tean Climacjue est une homélie étudiée par dom G. Moiin {lieiiie hénèiUcline de
REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES DE LA VIERGE DE .^IISÉRICORDE 209
des vertus, qu'il écrivit pour des moines. La représentation que ce poème a inspirée à l'art byzantin, L'échelle du salut de l'âme et de la route du ciel, est, pareillement, destinée à l'édifi- cation des moines : elle orne les murs des couvents, et ce sont des moines qui en sont les personnages. « Devant la porte d'un monastère, dit le Guide K une échelle qui monte jusqu'au ciel. Des moines sont dessus, en train de monter. Des anges les y aident, des diables les en empêchent. Un vieux moine parvenu en haut de l'échelle, est reçu par le Seigneur, qui lui pose sur la tète la couronne de vie. L'inscription explica- tive commence ainsi : « Regardez l'échelle appuyée au ciel, et réfléchissez bien aux fondements des vertus. » Le poème de Jean Climaque a eu un succès immense, et la composition C[ui en est inspirée doit dater d'une époque ancienne, puisqu'elle figurait déjà dans ÏHortus deliciarum (1160). Sur l'un des montants de l'échelle, Herrade avait mis cette légende : Seplem sunt scalae quihus ascenditur ad regnum caelorum : Castitas, mundi Contemptio, Humilitas, Obedientia, Patientia, Fides, Caritas de puro corde [sic]. Les trois grands saints béné- dictins, Benoit. Romuald, Bernard Tolomei, auraient comme attribut une échelle, parce que saint Benoît, dans sa règle, compare l'observance monastique à l'échelle mystérieuse qui unissait la terre au Ciel dans la vision de Jacob. L'n tableau italien du trecento représente un rêve de saint Romuald - : le saint voit des moines montant au ciel, jusqu'à Dieu, par une échelle. Un tableau allemand du xvi" siècle représente saint Dominique montant au ciel par une échelle dont Jésus et la Vierge tiennent le haut 'K Une gravure romaine ' de 1687 représente, d'après une tradition cistercienne, saint Bernard délivrant les âmes du purgatoire par la vertu du saint sacri- fice : une échelle immense dont le pied plonge dans le purgatoire, permet aux âmes libérées de monter jusqu'au paradis.
Les textes et les monuments que nous avons cités sont tous
Maredsous, sept. 1904 . où la « Charité » est comparée à une tour au sommet de laquelle on parvient à laide d'une échelle de vertus comprenant huit degrés.
1. Didron, p. 405 : Konstantinidés. p. 243.
2. Reinach, Répertoire, t. I. p. 582. Cf. Cahier, CaracL, t. I, p. 328.
3. Darmstadt, musée grand-ducal.
4. Bibl. Xat.. estampes. R d. 65. Barbier de Montault (Traité d'iconogr-., t. I, p. 305 met l'échelle parmi les caracléristiqucs de saint Bernard.
Perdrizkt. — La Vierge de Miséricorde. 14
210 CHAPITRE XII
de provenance monastique ' : cétait donc dans les cloîtres, depuis Jean Climaque et saint Benoît, un locus de la prédica- tion, que la comparaison des vertus avec réchelle de Jacob. Le manuscrit italien où Ton voit les sept Vertus assises sous le manteau de protection, est donc probablement de prove- nance monastique : peut-être doit-on préciser davantage, car, parmi les opuscules attribués au franciscain Bonaventure, il en est un qui traite De gradibus virtutum — « virtutes et gradus virtutum, dit le prologue, quae sunt certissima via ad regnum cœlorum ».
Quant k la femme couronnée et nimbée qui abrite les sept Vertus sous son manteau, elle représente, je crois, la Vierge Marie. Grimoûard de Saint-Laurent'^ l'interprétait comme l'image de la Sainte Sagesse, de la divine Sisia : cette expli- cation ne contredit pas la nôtre, si l'on se rappelle que la Vierge a été identifiée, sinon par la théologie, au moins par la liturgie, avec la Sainte Sagesse. Beaia Virgo Maria^ vera Sophia, dit le Spéculum humanae salvafionis '^. Un tableau du début du XVI'' siècle ^ représente la Vierge vénérée par les Chérubins, qui sont les anges de la Sagesse et de la Science ; l'un d'eux tient une banderole, ouest inscrite cette invocation : 0 Sophia, sciens cuncta. nohis pia sis adjuncta! « Vous êtes, dit à la Vierge un mystique contemporain •', vous êtes la fille de l'impérissable Dessein, la Sagesse qui est née avant tous les siècles. Vous-même l'avez affirmé dans l'Epître de vos messes '• : « Le Seigneur m'a possédée au commencement de « ses voies, avant qu il créât aucune chose, au début ; j'ai été « établie dès l'éternité et de toute antiquité ; les abîmes « n'étaient pas encore, et déjàj'étais conçue. »
Pour les Grecs, l'échelle que Jacob vit en songe préfigure Marie : « On représente Jacob, dit le Guide '', avec une
1. Dans le Ménoloçfe Banilien. éd. Albani, t. II, p. 3, une échelle est debout près d'Ananias qui va recevoir le martyre, et des anges annoncent à Ananias que son àme montera au ciel par cette voie.
2. Guide de l'art chrétien, t. 111, p. 219.
Z. Ch. xx.vvi. S6 : éd. Lutz-Perdrizct. p. 7:5.
i. l'auker, Der marianische Bildercyclus dex Stifles Kloslerneuhurff, dans les Barichie und Mitth. der Altertlnnns-Vereines zur Wien. t. XXXV 1900 , p. 6.
3. Huysmans. Les foules de Lourdes, p. 31.3.
6. Messe de llmmaculée Conception, d'après les Proverbes. VIII, 22-24. Cf. les messes du commun de la Vierfre, depuis la Purification jusqu'à l'A vent, d'après V Ecclésiastique, ch. .\xiv. 14.
7. Didron, Manuel, p. 290.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PI. XXVII
REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES DE LA VIERGE DE MISÉRICORDE 211
échelle et un phylactère où sont ces mots adressés à la Vierge : Je vous ai vue en songe comme une échelle appuvée sur la terre et allant jusqu'au ciel. » Les mystiques occidentaux ont connu cette allégorie. Elle forme le sujet dun des petits poèmes de la Laus heatao VirçjinisMariae dont les Franciscains ont grossi le recueil des Œuvres de saint Bonaventure'.
La Vierge, sur notre miniature, abrite les Vertus sous son manteau : cela signifie que la pratique des Vertus ne suffit pas pour mériter le Ciel, il faut encore que la Vierge, dans sa miséricorde, intercède en faveur des hommes ; un chrétien ne doit pas penser qu'il puisse être à lui seul l'artisan de son salut. Somme toute, les échelles des vertus et le manteau de miséricorde sont des symboles contradictoires ou, à tout le moins, complémentaires.
11 se pourrait bien que cette miniature signifiât encore autre chose pour les mystiques à qui elle était destinée. Dès saint Clément d'Alexandrie et saint Augustin, la Vierge est la figure de lEglise, Maria est Ecclesiae tijpus '-. Autrement dit, notre miniature signifierait que pour gagner le ciel, il ne suffit pas de gravir les raides échelons des vertus ; il faut encore faire partie de lEglise, avoir vécu à l'ombre de sa protection : car, sans cela, comment participerait-on à la miséricorde nécessaire de la Mère de Dieu ?
IIL — La Viercfe de Miséricorde et les sept Péchés.
A révêché de Teruel (Aragon), se trouve un curieux pan- neau a tempera., de la deuxième moitié du xv*^ siècle (PL XXVII, 2). J'en dois la photographie à M. Bertaux. La Vierge est couronnée d'un diadème extraordinaire, fait de perles dis- posées en volutes. Deux anges soutiennent le manteau, sous lequel sont agenouillés, à droite les gens d'église, à gauche les laïques. La Vierge lève d'une façon suppliante la tête et la main droite vers le Christ qui, très loin de la terre, dans les nuées, lance les traits de la colère (un trait dans la main droite, trois traits dans la main gauche). Deux anges sont
1. Bonaventurae opéra, éd. de Lyon, 166S, t. VI, p. 469. Voir encore, dans le même volume, p. 474, le Psalteriiirn minus b. Marisa, où la Vierge est invo- quée en ces termes : Are, scala caelum lamfens.
2. Cf. Rohault de Flcury, La Sainte Vierge, t. I. p. 299.
212 CHAPITRE XII
ag-enouillés auprès du Christ : lun tient un lis. Les traits que le Christ a lancés ont atteint de petits personnag-es debout dans les niches de deux édicules. k droite et à gauche de la Vierge (ces édicules se rencontrent, paraît-il, dans beaucoup de retables aragonais du xv*" siècle] . Des inscriptions indiquent que ces personnages sont les Péchés :
Envydia |
Luxuria |
Avaricia |
Gui a |
Pereza |
Ira |
Les flèches atteignent les Péchés à la partie du corps où chacun à son siège : l'Envie est touchée à l'œil, la Gourman- dise à la panse, la Paresse au genou, la Colère au cœur ; il faudrait le latin, ou plutôt le grec, pour dire où est touchée la Luxure. Sous les pieds de la Vierge, tout au bord du tableau, une femme apparaît à mi-corps, la poitrine percée d'une flèche, sans doute la personnification de l'Orgueil, Superhia ; on a ainsi la série complète des sept Péchés capitaux.
IV. — La Vierge de Miséricorde et les Anges Gardiens
Il existe au musée du couvent bénédictin de Klosterneu- bourg une série de neuf tableaux de la fin du xv*" siècle, jadis dans l'église des Neuf-Chœurs-des-Anges, à Vienne, qui représentent la Reine des Anges, vénérée par chacun des neuf chœurs célestes. Ces peintures ont été exécutées pour les Carmes * auxquels appartenait jadis l'église des Xeuf-Chœurs- des-Anges. Nous avons déjà vu que les Carmes tiennent de leur origine orientale des préoccupations théologiques tout à fait particulières : ils se sont, notamment, beaucoup appliqués à l'angélogie ; nul Ordre n'a autant médité que le Carmel le fameux traité du Pseudo-Aréopagite, De caelesti hierarchia ~.
La neuvième de ces peintures '^ représente la Vierge adorée
1. Et non pour les Carmélites, comme le dit M. S. Reinach 'Répertoire, II, p. 538 , qui s'est trompé sur le sens du mot allemand Kanneliler.
2. Cf. supra, p. 53.
3. W. Pauker, Der marianische Bililercyclus îles Slifles Kloslerneuhurg, dans les Berichte iind Mitlh. des Alterthums-Vereines za Wien, t. XXXV ■1900), p. 15, pi. II:Drexler et List. Tafelhilder auf dem Muséum des SU fies Klosterneuburçf. pi. IV.
REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES DE LA VIERGE DE MISÉRICORDE 213
par les anges proprement dits, ceux du neuvième chœur, qui sont les anges gardiens charg-és de veiller sur les hommes (PL XXVIII, 2) . Sur ce tableau, ils sont au nombre de quatre; ils chantent les louanges de la Vierge, en s'accompagnant d'instruments. L'un deux tient une banderole où sont écrits ces mots :
Curant hahens singulorum, Sortem tene angelorurn
qui signifient cp.ie les Anges demandent à la Vierge de les assister dans leur tâche, de veiller avec eux sur les hommes : en somme, c'est l'adjuration Monstra te esse matrem de VAve, Maris Stella, adressée à la Mère de Miséricorde, non par les hommes, mais par leurs ang-es gardiens. La Vierge tient une banderole où sa réponse est écrite :
Mater omnium bonorum. Hic asisto (sic) custos horum.
Et joignant le geste à la parole, elle écarte les plis de son manteau, sous lequel on aperçoit, ag-enouillés à la droite de la Vierge, les laïques, k la gauche, l'iiglise, représentée par ses chefs, le Pape, le Cardinal, l'Evèque, et par la troupe blanche des Carmes, fratres beatae Mariae de Carmelo .
Cette image de la Mater omnium est d'autant plus curieuse que la Vierge est figurée ailée. Elle est ailée comme Reine des Anges, qui sont ailés. Sans doute faut-il aussi se rappeler le verset de V Apocalypse (XII, 14) : datae sunt mulieri alae duae aquilae magnae, où les mystiques ont vu une allu- sion à l'Assomption :
Mulieri sunt datae ad volandum duae alae,
Pcr quas intelligitur Assumptio tam corporisquam animae ^.
Il est' peu probable que l'artiste ait voulu signifier que la protection dont la Vierge couvre les hommes est comparable aux ailes dont Loiselle couvre ses petits. Je ne connais pas d'autres représentations de la Vierge ailée.
I. Spec . hum. salral.. cli. xxxvi. 1. 87-8S.
214 CHAPITRE XII
V. — La Vierge de Miséricorde et le Démon.
Il existe à la pinacoteca communale de Montefalco, en Ombrie, un tableau ^ d'un peintre inconnu de la fin du quat- trocento (Pl.XXVlII, 1), où la Vierg-e au manteau est représen- tée d'une façon bizarre. Sous le manteau de Marie est ag-e- nouillée une jeune mère en pleurs, les cheveux épars ; le Démon tâche de lui prendre son enfant; la jeune mère appelle la Madone à l'aide ; la Madone s'arme d'une massue et met en fuite le Démon. En haut du tableau, cette inscription: Santa Maria del Succurso, ora pro nabis. Derrière la Vierge, à l'ar- rière-plan, agenouillés, des moines et des pénitents blancs : la présence de ces pénitents indique que le tableau a été peint pour une Confrérie.
J'ai indiqué ailleurs les autres tableaux qui représentent le même sujet-. Ils sont de la fin du xv*^ siècle et du commen- cement du XVI'' ; tous sont italiens, presque tous ombriens. En appelant l'attention des érudits sur ce thème singulier, je souhaitais qu'un plus savant ou plus heureux que moi en trouvât l'explication.
M. Salomon Reinach en a aussitôt proposé une.
« Le type de la Vergine del Soccorso armée d'une massue, écrit-il, n'est pas d'origine populaire, mais demi-savante... Parmi les nombreux attributs de la Vierge, dans la littérature pieuse et la poésie du moyen âge, figure la clef. Comme la Pal- las y.Aî'.scjy;; dé Phidias, la Vierge Marie tient une clef ; c'est la clef du ciel. Les textes ont été réunis par Salzer. Déjà saint Ephrem qualifie la Vierge de clef qui nous ouvre le ciel. Ainsi la Vierge Marie est porte-clefs, clavigera, Si elle ne paraît pas avec cet attribut dans les œuvres d'art, c'est que la clef est l'attribut presque exclusif de saint Pierre. Mais claviger, épithète de Janus porte-clefs dans Ovide, est dans le même poète, épithète d'Hercule porte-massue. Clavis, clef, et clava, massue, ont donné le même dérivé claviger. Ce jeu de mots, qui devait se présenter aisément à l'esprit d'un clerc, explique
1. Alinari. 5476: reproducti(jn clans BroiissoUe, La jeunesse du Pérugin el les origines de iart ombrien, p. 475.
2. Pei-di-izet-René Jean, La galerie Campana et les musées français, p. 65-67, pi. V. Cl'. Tliode. Franz vnn [ssisi. 2" éd., p. 517.
REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES DE LA VIERGE DE MISÉRICORDE 21 0
le type de la Vierg^e porte-massue. Quand il s'est agi de repré- senter la Vierge mettant en fuite un démon et qu'il a fallu pour cela, lui trouver une arme, comme la tradition était muette, on s'est inspiré d'une des épithètes qu'elle attribuait à la Vierge et, sans lui en substituer une autre, on s'est con- tenté d'en modifier le sens. L'innovation purement graphique des peintres ombriens semblait justifiée par le langage des litanies ; la Vierge à la massue était toujours la Virgo clavi- gera. 11 y a là, semble-t-il, un exemple certain d'un type plastique né d'une confusion de langage '. »
L'explication de M. Reinach me paraît inadmissible.
11 est inexact, d'al^ord, que (( le langage des litanies » invoque la Vierge sous le nom de clavigera. Cette invocation ne se trouve ni dans les diverses Litanies de la Vierge dont j'ai pris connaissance '', ni dans l'Office de la Vierge, ni dans les Messes des Fêtes de la Vierge, ni ailleurs, que je sache. Avant M. Reinach, personne n'en avait gratifié Marie,
M. Reinach allègue des textes oîi la Vierge est appelée « clef du ciel, clef du paradis, clef de la divine Sagesse ». Mais de ce que la Vierge ait été comparée à une clef, il ne s'ensuit pas qu'elle ait été appelée porte-clefs, lin y a pas de texte où la Vierge soit appelée clavigera, pas plus qu'il n'y a de représentation où elle soit figurée portant les clefs.
Les textes réunis par Salzer -^ et allégués par M. Reinach, où la Vierge est appelée (( clef du ciel, du paradis, de la Sagesse », sont extraits de cantiques, pour la plupart orien- taux (syriens ou grecs), qui n'ont pas eu d'influence sur l'iconographie. Les innombrables citations coUigées par Salzer avec plus de patience et de piété que de sens critique et histo- rique demandent, pour être employés utilement, une certaine pratique de la littérature religieuse du moyen âge. Je compa- rerais volontiers le recueil de Salzer à un dictionnaire comme celui de Courtaud-Diverneresse, où sont mélangés A'ingt-cinq siècles de grécité, depuis Homère jusqu'à Photios. 11 s'agit d'expliquer un type iconographique bien localisé et daté, un thème qui est propre à l'Ombrie de la deuxième moitié du
1. Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions, 1907, p. 43-45. Cf. Revue critique, 190', I,p. 392 et Répertoire de peintures, II, 537.
2. Litanies dites « tirées de l'Écriture Sainte « ; Litanies de Lorette ; Lita- nies « péruviennes », à lusage de l'Amérique.
3. Sinnbilder, p. 549.
21 G niIAPlTBE XII
quattrocento. Des textes traduits dusj-riaque de saint Ephrem, ou extraits de cantiques latins récoltés en Allemagne, en Bohème et en Suède ne semblent pas très pertinents dans la question.
« Le type de la Vierge à la massue, écrit M. Reinach, nest pas d'origine populaire. » Je suis de lopinion exactement oppo- sée. La peinture religieuse des petites villes ombriennes, dans la deuxième moitié du xv*" siècle, a un caractère popu- laire bien accusé, sur lequel nous avons déjà eu à insister' : c'est de la peinture d'ex-voto pour confréries, pour couvents, pour bonnes gens d'une foi simple et passablement supersti- tieuse — naïve ou niaise, comme on voudra : c'est de l'ima- gerie populaire. Il est invraisemblable que la Vierge à la massue doive s'expliquer en fin de compte par l'erreur d'un clerc qui aurait lu Ovide, par un calembour d'humaniste. Ce type n'a été si répandu en Ombrie que parce qu'il était facile à comprendre pour les simples, grâce à l'enseignement religieux qu'ils avaient reçu, grâce aux textes sacrés avec lesquels les avaient familiarisés la liturgie et la prédication, les arts figurés et les représentations dramatiques.
Reportons-nous aux photographies et aux descriptions des tableaux de la série. Le tableau de Montefalco et celui de Palerme - mettent à lamain de la Vier<?e une massue. Mais celui de Montpellier ^ lui donne un bâton noueux, et celui de la galerie Colonna ^ un bâton lisse, ce qu'au moyen âge on appelait une verge (d'où l'expression huinsier à verge). Or, c'est en cpielque sorte un lieu commun de comparer la Vierge Marie à une virga. La plus fameuse des prophéties de la Vierge — egreditur virga de racUce Jesse — repose sur ce jeu de mots virga, Virgo. Les mystiques ne se sont d'ailleurs pas contentés du passage d'Isaïe. « Celle qui se promena sous des figures dans l'Ancien Testament, la ^'ie^ge antérieure aux Evangiles -^ » a été reconnue, par les auteurs des Bibliae Marianae. dans
1. Cf. supra, p. 12.3.
2. G. di Marzo, La pittura in Palermo t\el rinascimenlo Palcrmc. 1899, p. 145) : una niazza o clava.
3. Perdrizet-René Jean, op. cit., pi. V.
4. Alinari. 7331 : .\nderson. 703: Lafenestre-Uichtcnberirer. lînine. l. II. pholotypie à la p. 162. D'après M. Reinach, qui a public un calque de cette pliototypie Répertoire, II, .î37 . la Vierge tient une massue : mais cette asser- tion, qui s'explique par une idée préconçue, est contredite par le calque même.
j. Iluysmans. Les foules de Lourdes, p. 313.
REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES DE LA VIERGE DE MISÉRICORDE 217
tous les textes de la Bible où il était question devirga, notam- ment dans deux textes des Psaumes : l'un où David remercie Dieu de lui avoir donné une virga, c'est-à-dire d'avoir formé le dessein de faire naître de lui la Vierge (de qui naîtra Jésus, qui fera sortir des limbes les Pères de l'ancienne alliance, et David lui-même) ; l'autre où il est parlé d'une virga ferrea, qui brisera les rois : les mystiques l'entendent delà Vierge, qui abattra les démons par la part qu'elle prendra à la passion de son Fils'.
Pour montrer que la comparaison de la Vierge avec une verge est bien un locus de la mystique, je citerai quelques textes caractéristiques que j'ai notés en lisant les ouvrages écrits aux xii^ et XIII'' siècles sur la Vierge Marie. Je n'emprunte pas ces textes à Salzer; il ne les donne pas ; il en donne d'autres ', moins typiques et pris dans des ouvrages moins importants : ceci dit pour montrer que le recueil de Salzer, quel qu'en soit d'ailleurs le mérite, ne doit pas être considéré comme un recueil complet.
Le Psalmiste avait dit : Reges eos in virga ferrea, et tan- quam vas figuli confringes eos'^. Il avait dit encore : Si amhii- lavero in média umhrae mortis, non timebo mala, quoniam tu mecum es : virga tua, et haculus tuus, ipsa me consolata sunt ^. Ce sont les mystiques latins du xii*" et du xiii*' siècle qui ont eu l'idée de chercher dans ces textes peu clairs une allusion à Marie.
Virgo Maria est virga ferrea daemonihus, dit l'auteur du Spéculum B. Mariae Virginis'"^^ de hac virga non incongrue accipi potest illud Psalmorum : reges eos in Virga ferrea. 0 Maria virga aurea perfectis, virga ferrea et dura daemonihus, arceas daemones a nohis !
Maria Virga ferrea malignis hominibus et ipsis daemoni- hus, dit l'auteur du De laudihus B. Mariae^', quia per eam
1. Maria vieil diaboliim per compassionein : c'est ainsi que les mystiques conçoivent la victoire de Marie sur le diable ; le ch. xxx du Spéculum humanae salvationis (éd. LuLz-Perdrizet, p. 62-63) est consacré à cette question ; et la miniature du S. H. S. qui représente la Vierge de la « compassion », victorieuse du démon, la montre lui écrasant la tète avec le bois de la croix.
2. Op. cit., p. SOi-JOG.
3. Ps. II, 9. Cf. Apocal., 11, 27 et XIX, 13.
5. Ps. XXII, 1.
3. Bonaventurae opéra, éd. de Lyon, 1668, t. VI, p. 418,
6. L. XII, ch. 6, dans les Opéra Alberli Magni. Lyon, 1651. t. XX. p. 437.
218 CHAPITRE XII
infringuntur capita iniquorum. Unde dicitur Christo in Psalmis : in virg-a ferrea tanquani vas fig-uli confringes eos.
Virga dicitur Beata Virgo, écrit le dominicain Hugues de Saint-Cher '. haculus, crux. Haec duo vere consolantur nos in omni trihuJatione nostra. Et dicitur B. Virgo virga, quia hahet has proprietates virgae :
Plana, plicans. gracilis, mensurans, recta, rotunda ;
Percutit, irritât, corfice tecta canet.
Haec est virga illa c/ua retunduntur inipetus adversantium daemoniorum, dit au xii'' siècle un sermon Cistercien fausse- ment attribué à Pierre Damien -: virga Aaron, per quani fiunt signa et niirahilia. Baculuni autein crucis intellige, quo non solus verberatus est, sed et occisus ille insatiabilis homicida qui mortibus honiinum nascitur et nutritur. In Virgine virga et haculo cruce miserorum spes et consolatio continétur, sicut subliniis prophcta clara voce déclarât : Virga. inquif, tua et baculus tuus ipsame consolata sunt.
On a toujours profit, quand on veut se renseigner sur une question touchant la Vierge Marie, k se reporter aux Gloires de Marie, de saint Alphonse de Liguori : sous la forme d'une paraphrase du Salve regina, les Gloires de Marie contiennent, si l'on peut ainsi dire, la quintessence de la mariologie. Les textes qu'on vient de lire y sont assez bien résumés dans ces quelques lignes : a Oh ! comme ils fuient à l'aspect de notre reine, ces esprits rebelles ! Si Marie est de notre côté, que pourront contre nous les puissances de l'Enfer ? David, redou- tant sa dernière heure, se confiait déjà en la mort de son Rédempteur futur par l'intercession de la Vierge mère. Le car- dinal Hugues [de Saint-Cher] dit que par le bâton dont par-
1. Dans son commentaire sur le Psautier, t. II de ses Opéra, omnia in universnm Vêtus et .\ovum Testamentum (8 vol. f", Venise, Nicolas Pez- zana, 1703 . Ce commentaire des Psaumes a été attribué aussi à Alexandre de Halès Hurter. Xoinenclator lilterariiis. t. IV, col. 264 sq. . Hugues, natif de Saint-Cher près Vienne en Dauphiné, entra dans l'Ordre des Prêcheurs en 1225. devint cardinal du titre de Sainte-Sabine, il mourut en 1263. Voir sa notice dans Quétif et Echard.
2. 11 semble de Nicolas, moine de Clairvaux. secrétaire de Saint-Bernard (Mij,me,P. L., CLXXXIII, 26 sq., et CXCVI, 1589-I.'>90 . Pour lattribution à Pierre Damien, voir l'éd. des Œuvres de Damien pardom Constantin Caetani, 2 vol. f°, Rome, 1606-1608, t. II, f 110, et Migne, P. L., CXLIV, 721. Pour l'allé- gorie virga Virgo, cf. encore, au xii" siècle, le Mariale d'Adam, abbé fcistercien) de Perseigne P.L. CCXI, 699 sqq. le sermon sur l'Annonciation, d'Absalon, abbé augustinj de Springirsbach (P. L., CCXI, 121 , et les vers cités par Pitra. Spicil. Sofesm.,II,p. 389.
'eudrizei', Ld Virrgr rh' Miséricorde
PI. XXVIll
REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES DE LA VIERGE DE MISÉRICORDE 219
lait David, il faut entendre la croix, et par la verge linterces- sion de Marie, qui est cette Vierge prophétisée par Isaïe. La divine mère, dit Pierre Damien, est cette verge puissante, qui met en fuite les esprits infernaux '. »
On A'oit de quelle époque date la comparaison mystique de la Vierge avec une verge : du xii'' et du xiii'' siècle, du temps où, sous lintluence de saint Bernard et des Cisterciens, s'exalte la croyance à la miséricordieuse intercession de la Vierge, où le sentiment religieux associe la Vierge à l'œuvre de la rédemp- tion au point de l'y faire contribuer presque autant que le Rédempteur.
Pourquoi, sur le tableau de Montefalco et sur celui de Palerme, la virga est-elle remplacée par une massue? La raison s'en devine aisément, si l'on se rappelle l'inspiration populaire de ces peintures. 11 ne suffisait pas aux bonnes gens que le Diable fût bàtonné : il fallait qu'il fût assommé. Le bâton a été remplacé par une massue, parce qu'une massue est, si l'on peut ainsi dire, un bâton superlatif. N'oublions pas qu'il s'agit d expliquer des tableaux italiens, et que le peuple italien, comme l'indiquent les superlatifs et les diminu- tifs de sa langue, a un besoin inné d'exagération.
Ainsi, la massue dont la Vierge est armée sur les tableaux de Montefalco et de Palerme, le bâton dont elle est armée sur ceux de la galerie Golonna et du musée de Montpellier s'ex- pliquent par une métaphore que nul catholique ne saurait ignorer, Virgo virc/a. Mais ceci dit, la question que j'avais posée en appelant l'attention des érudits sur le type en ques- tion et à laquelle M. Reinach a pensé répondre, reste entière. Je ne demandais pas pourquoi la Vierge secourable s'était, pour chasser le démon, armée d'une massue, mais pourquoi on trouve en Ombrie une série de tableaux votifs qui repré- sentent la Vierge accourant, à la prière d'une mère éplorée, au secours d'un hamhino que le Démon veut ravir. Evidem- ment, ces tableaux se rapportent à un miracle opéré par la Vierge, sont l'illustration d'un récit d'apparition miraculeuse que la prédication ou le théâtre avait rendu populaire, en Italie et surtout en Ombrie, dans la deuxième moitié du xv^ siècle. Ce récit serait à retrouver.
1. Gloires de Marie, ch. ii, § 3.
CHAPITRE XIII
LES SAINTS ET SAINTES EMPRUNTENT A LA VIERGE LE MANTEAU DE PROTECTION
Dévotions d'imitalion. — Les Saints et les Saintes, à limitation de la Vierge, s'attribuent le manteau protecteur. — A quelle date et dans quelle région a-l-on imaginé d'en faire la caractéristique de sainte Ursule ?
La dévotion du Saint et Immaculé Cœur de Marie, qui date du xviii* siècle, est une imitation de celle du Sacré-Cœur de Jésus, qui paraît à la fin du xvi'" ; elles ont donné naissance au xix**, à la dévotion, condamnée par Rome, du Cœur de Joseph. La dévotion des sept Allég-resses de la Vierge, qui date du xiii'' siècle, suscite au xiv'', quand la piété catholique s'abîme dans la méditation de la Passion, la dévotion des sept Douleurs de Marie'. Le rosaire, inventé vers 1470 en l'honneur de la Vierg-e, donne naissance, en li9i, au rosaire de sainte Anne-, puis, au rosaire des Cinq Plaies'^. Le Salve regina, en l'honneur de la Reine de Miséricorde, donne naissance, au début du xvi'" siècle, à des gloses versifiées en l'honneur de diverses saintes, par exemple de sainte Agathe :
Salve, sa ne ta Af/atha, Virgo et martyr ineli/ta... Ad te clamamus in angustis eonstituti Ad te suspiramusf/c. ''.
Ainsi, les dévotions sont soumises aux lois de l'imitation.
1. Anal. Bolland.. t. XII. p. .3.36.
2. Voir supra, p. 100.
3. In;ieniosam. piam el Alexandro VII probalam coronain seii rosarium sacratissimorum J. C. vulneriim eicoijitavil G. de Wael a \'ronesleyn. S. J. ("j- 1659 ; Uhellum ejus qiiarlum edidit Briixellae l'r. Foppens an. ll>-'>7 (Paquot ad .Molani de hisl. SS iniaçjinnm, p. 93).
1. Hortulus aniniae i^yon, 15l6j, p. 133, dans Mono, Laletnische Hytnnen 'Friboui-f.'. ISai . t. II, p. 210.
SAINTS ET SAINTES AU MANTEAU PROTECTEUR 221
L'histoire du manteau protecteur vérifie cette remarque dune façon bien curieuse. Les saints et les saintes empruntent à la Vierge le manteau symbolique. On trouvera, à la fin de ce cha- pitre, le catalogue des personnages de la cour céleste qui sont représentés abritant sous les pans de leur manteau l'Ordre ou le couvent ' qu ils ont fondés, la ville qui porte leur nom - ou qui s'est réfugiée sous leur protection-^; sainte Félicité et la mère des saints Machabées abritent sous leur manteau leurs sept enfants; sainte Catherine, à Sienne, saint Simon, à Pise, témoignent de cette façon leur intérêt aux confréries de misé- ricorde ; sainte Ursule abrite sous sa fourrure d'hermine les onze mille ^'ierges.
Nul saint ou sainte n'a été figuré revêtu du manteau pro- tecteur aussi souvent que la patronne de Cologne et de la Sorbonne^. L'une des suaves peintures dont Memling a paré la châsse de Bruges a popularisé cette façon de représenter sainte Ursule. Plus dune fois la piété des fidèles et même la sagacité des archéologues ont pris une représentation de la Vierge au manteau pour une représentation de sainte Ursule, ou réciproquement : ainsi feu Helbig a cru que la sainte Ursule dite de Catherine Vigri au musée de Bologne repré- sentait la Viersre de Miséricorde^. Il convient de s'arrêter un instant à ces représentations de sainte Ursule, non pas tant à cause de leur nombre que pour prévenir des confusions pos- sibles, et aussi pour examiner si les plus anciennes représen- tations de sainte Ursule abritant les Vierges sous le manteau protecteur remontent à une date aussi haute que quelques archéologues l'ont pensé.
A en croire M. Delpy '', la plus ancienne représentation de sainte Ursule abritant ses compagnes sous le manteau de pro- tection, serait un tableau colonais du commencement du xv*" siècle, au musée de Nuremberg. ^L Delpy ignorait que sur une châsse peinte du xiii*^ siècle, à la cathédrale d'Albi, 1 on voit sainte Ursule abritant quatre Vierges martyres sous son
1. Sceau des Dominicaines de Poissy : saint Louis protège leur couvent, qu'il a fondé 'PI. II, 5).
2. Sceau de François de Riguet, grand-prévôt de Sainl-Dié.
3. Fresque de Saint-Sébastien, par B. Gozzoli, à S. Gimignanu PI. XVI .
4. Cf. deLouys, Sainte Ursule triomphante des cœurs, de l'enfer, de l'empire et patronne du célèbre collège de Sorbonne, Paris, 4°.
5. Revue de l'art chrétien, 1889, p. 277.
6. Die Légende von der heiligen Ursula, von E. Delpy Cologne,. 1901). p. 91
222 CHAPITRE XITI
manteau d'hermine. Il ignorait aussi la châsse du village de Kerniel, près Looz, au diocèse de Liège, qui fut peinte à Liège en 1292, et où l'on voit sainte Odile abritant sous son manteau d'hermine ses jeunes sœurs, Ida et Ima ; cette Odile légendaire, dont la fierté de Kerniel était censée contenir quelques ossements et qu'il ne faut pas confondre avec la célèbre abbesse Alsacienne, aurait été « Tune des chefs de cohorte >• de sainte Ursule. ^1. Delpy n"a pas connu non plus la fresque de Linz ' où l'on voit sainte Ursule abritant six Vierges sous son manteau et qui date de la fin du xiir siècle.
Sur le retable émaillé du Kunstgewerhemuseuin de Cologne -, sainte L rsule et deux de ses compagnes, sainte Pinnosa et sainte Cordula. n'abritent personne sous leur manteau. Ce retable est de la fin du xu'' siècle. C'est donc entre la fin du xii'' siècle et la fin du xiii'' que l'on a imaginé de revêtir sainte L'rsule du manteau symbolique qui venait d'être inventé pour exprimer la miséricorde de Marie.
Si le type de sainte Ursule abritant ses compagnes sous son manteau est, comme il est permis de le croire, d'origine colonaise, d'autre part il faut se rappeler que Césaire d'Heis- terbach, qui a le premier parlé de la Vierge au manteau, était originaire lui aussi, des environs de Cologne : en somme, le type de sainte Ursule abritant ses compagnes sous son manteau est une raison de croire que le Cistercien anonyme qui inventa le type de la Vierge au manteau protecteur était du pays rhénan. Mais, comme on l'a dit plus haut ^, cette raison n'est nullement péremptoire.
1. Sur le Rhin, entre Bonn et Coblence.
2. Delpy, p. 32.
3. Supra, p. 25.
Pehdrizet, Ld Vii-r(ji' de Misérirorr/c
l'I. XXIX
■i> , •' i'!-^
1. Sainlc Hfij'ili
2. Sainte Catherine de Sienne
3. Sainle nriiiiltr
4. Sainle Tiiérëse
Les saintes et le manteau protecteur
(Clicbcs lie l'auteur)
CATALOGUE
SAINT AUGUSTIN
1. Sceau d'un document lorrain du xv^ s. {Participation des bienfaits, suffrages et oraisons de l'Ordre de saint Augustin pour Antoine de Lorraine comte de Vaudémont et Marie de Ilaraucourt son épouse, accor- dée par Julien de Salm, prieur général des Augustins le 20 mai I âi7 . Bar, 'Chambre des Comptes, n° 84. Archives de Meurthe-et-Moselle, B 343). Saint Augustin, en costume épiscopal, debout, de face, nimbé, sous un dais, étend sa chape sur les ermites de son ordre, agenouillés à ses côtés, deux par deux en rangs superposés. Ce groupe est sur une arcade à trois entre-colonnements ; dans celui du milieu, le prieur, à genoux. — Pi. 11, 6.
2. Dipinse Stefano (de Vérone, quattrocentiste) esfernamente sopra la porta latérale di S. Eufemia (à Vérone', S. Agostino con due altri Santi Agostiniani dai lati, sotto al manto del quale vi stanno frati e monache del suo ordino, e vi si legge in carattere gotico cordelato : Stephanus pinxit, ma appena ora si conesce che rappresentino (Diego Zannandreis, Le vite dei pittori, scultori e architetti Veronesi, pubbl. da G. Biadego, Vérone, 1891, p. 45 ; cf. Milanesi, Vasari, III, p. 629).
SAINTE BEG6HE
Sainte Begga ou Beggha j il déc. 698i, fille de Pépin de Landen, abbesse dAndenne en Braisant, est vénérée en Belgique comme la fondatrice des Béguines et des Bégai"ds ; en réalité, les Béguines n'apparaissent qu'en 1180 et les Bégai'ds qu'en 1220 ( Schmidt, Précis de Ihist. de l'Église, p. 148). Elle est généralement représentée abritant sous son manteau, d'un côté les Bégards, de l'autre les Béguines : cf. Detzel, Christliche Ikonographie (Fribourg, 1896), t. II, p. 188 ; et, mieux, le frontispice de la Vita S. Beggae viduae, ducissae Brahantiae, Begginarum et Beggardorum fondatricis, auctore J. G. a Ryckel ab Oorbeck Louvain, 1631, 4"), mentionné par Guénébault, Z)jc/. d'iconogr. col. 877. A (Ir. les Béguines, à g. les Bégards ; la Sainte couronnée de la couronne ducale, tieut dans la main g. le livre de sa règle ; elle l'avait empruntée à l'abbaye de Nivelle, fondée par sa sœur sainte Gertrude ; les deux couronnes ducales, posées sur le livre de sainte Begghe, font allusion, je suppose, aux deux filles du duc Pépin. Dans la main droite,
221 CATALOGUE
la sainte tient les sept églises qu'elle a bâties à Andenne : en mémoii'e de ces sept églises, sainte Begghe a pour caractéristique une poule avec sept poussins. PI. XXIX, 1.
SAINT BENOIT
Florence, Pitti. Tableau de P. Véronèse. BrogijU" ~9;jl. Saint Benoît, debout, nu-tête, regarde au ciel, où Ion voit le mariage mystique de sainte Catherine. Derrière saint Benoît, ses premiei's compagnons, Maur et Placide. Saint Benoit, la crosse abbatiale dans la main g., bénit de la main dr. cinq Bénédictines agenouillées à ses pieds sous sa chape. La première est la sœur de saint Benoit, sainte Scolastique ; près d'elle, une colombe, symbole de l'innocence virginale. Sainte Scolastique offre à saint Benoit une mitre abbatiale brodée de perles et de pierreries : ce qui signifie que saint Benoit a été abbé des nonnes comme des moines. Ce détail, joint à la vision céleste du mariage de sainte Catherine, indique que le tableau provient dun couvent de Bénédictines : les nonnes sont, comme sainte Catherine, les épouses mystiques du Christ.
SAINT BERNARD
1. Vita cl miracula D. Bernardi Clarevalensis ahhatis, opéra el indus- iria Congrerjationis regularis ohservantiae ejusdein Ilispaniarum ad alendam pietatem universi ordinis Cisterciencis aeneis forniis expressa ... Rome 1637, 4° (Bibl. Nat., Est., Rd 69). Ces planches ont été gra- vées par Antonio Tempestini. La première représente saint Bernard abritant sous ses bras en croix à droite le Pape et le Roi, le Cardinal et des abbés mitres, à gauche les religieux Cisterciens. En haut, cette citation d'isa'ie, amhulabunt gentes in lumine tuo et reges in splendore orfns lui. En bas, cette inscription : religio D. Bernardi numerosa omnis generis multiludine propagatur, et au-dessus cette épigramme (par Julius Roscius llortinus) :
Aspice quot caris gentes amplectilur ulnis,
iVomina quot reguin nomina quoique ducuin ;
Hic plures mitra insignes roseoque galero ; Bexere et Pelri quinque per alla raleni.
Accédai, Bernarde, luis haec gloria faclis, Quod tantas acies sub tua signa trahis.
2. Sancti Bernardi docloris melliflui vitae niedulla, quinquaginta tribu.<t iconibus representala, expensis abbaliae B. Mariae de Baudeloo in civitate Gandariensi anno I Gij-i (Bibl. Nat., Est., Rd 68). Planches dessinées par Ph. b'ruyties, gravées par Jac. Xeeffs. La dernière représente saint Bernard en prière, abritant sous ses bras en croix un roi, un cardinal, des évêques, des abbés et des moines. En haut, la même citation d'isa'ie que sur la gravure précédente. En bas : Bernardus in fdiis suis hono- ratus.
CATALOGUÉ 22o
SAINTE BRIGITTE
Gravure de Jean Meyssens (né à Bruxelles en 1612). Sainte Bri- gitte de Suède ff 8 oct. 1344) implore la Vierge et la Trinité pour les Brigittains et Bi-igittaines agenouillés sous son manteau. De sa bouche monte vers le Père cette prière : Pater sancle, serva eos in noniine tuo (juos dedisti mihi ( « in nomine tuo », parce que l'Ordre fondé par sainte Brigitte s'appelle Ordre du Saint-Sauveur). Le Christ et la Vierge joignent leur intercession aux prières de la Sainte. A ses pieds une couronne royale (Brigitte était fdle de roi et renonça à son rang pour devenir religieuse), un livre (le livre des Révélations), un cha- peau de pèlerin et un bourdon (pour rappeler les pèlerinages de Brigitte à Saint-Jacques, à Rome, à Jérusalem . On remarquera, sur le voile quicoifîela Sainte et ses fdles, le curieux insigne des Brigittaiiies: c'est, dit Hélyot Hist. des Ordres monastiques, t. IV, p. 31), « une cou- ronne de toile blanche sur laquelle il y a cinq petites pièces rouges comme autant de gouttes de sang >^ (dévotion des Cinq plaies).
PI. XXIX, 3.
SAINTE CATHERINE DE SIENNE
Sienne, Santa Maria délia Scala. Lombardi, n° 470. Tableau de Sano di Pietro (1406-1481 ). Sainte Catherine de Sienne, nimbée, dans une main le crucifix, dans l'autre le lis virginal, abrite sous son manteau quatre pénitents blancs de la Conipagnia di S* Caterina délia notte, l'une des confréries qui ont leur siège à l'église S^ Maria, sous l'hôpital délia Scala. On montre encore, à côté de la chapelle de cette confrérie, la cellule où la Sainte se retirait pour prier, quand elle venait soigner les malades de l'hôpital (Ileywood-Olcott, A guide to Siena, p. 268 .
PI. XXIX, 2.
SAINTE CLAIRE
1. Milan, Musée du Castello, n" 426 (provient d'un couvent détruit). Sainte Claire protégeant sous son manteau les Clarisses agenouillées. Fresque du xv^ siècle, école lombarde.
2. Sainte Claire abritant les Clarisses sous son manteau. Petite vignette dans le cadi'e du frontispice des Icônes Sanctae Clarae, publiées à Anvers par Collaert (xvii'^ s.). La Sainte tient dans la main droite la monstrance, qui est sa caractéristique ordinaire (Cahier, II, p. o65).
3. Une composition d'un artiste belge contemporain, feu Béthune, représente, je ne sais d'après quelle tradition, sainte Claire abritant sous
PiîRDRizET. — La Vierge de Miséricorde. Ib
226 CATALOGUi:
son manteau les Saintes franciscaines (J. Helbig, Le baron Bêlhune fondateur des écoles Saint-Luc, Bruges, 1906, pi. XLV).
SAINT DIE
Bulletin de la Société philoniathique de Saint-Dié, t. XIV (1889), p. 133, pi. VII, fig. 19. Sceau de François de Riguet, grand prévôt de Saint- Dié depuis 1659. Le saint, en costume épiscopal, la tête auréolée de rayons, del^out, de face, étend sa chape sur les deux églises de sa ville, Saint-Dié et Notre-Dame. Au pourtour, cette légende: >^ SIGIL- LVM.PRAEPOSITI.ECCLESIAE.SANCTI.DEODATI.AD.CAVSAS.
SAINT DOMINIQUE
1. Pinacothèque de Vérone, n'' 384. Tableau archaïque, divisé en 24 compartiments, dans chacun desquels est figuré un saint. Il provient probablement dun couvent de Prêcheresses, car le compartiment ver- tical, qui est plus grand que les autres, est occupé par saint Domi- nique abritant sous son manteau six Dominicaines (De Mandach, Saint Antoine de Padoue, p. 120j. Le Catalogue du musée de Vérone dit à tort qu'il s'agit de saint Antoine, « che col manto copre sei suore di carità ».
2. Dans l'église des Dominicaines de Vérone, S'^ Anastasia, quatre fres((ues de Paolo Farinato (vénitien, 1524-1606; représentant saint Dominique abritant sous son manteau les Dominicains (n° 1), les Domi- nicaines (n° 2;, les frères et les sœurs du Tiers-ordre dominicain, fralres et sorores de poenitentia S. Doininici (n"* 3 et 4).
SAINTE FÉLICITÉ
Crosse de bois doré, du xv*^ siècle, à Téglise Sainte-Ursule de Cologne. Sur une face, sainte Félicité abritant ses sept fils sous son manteau. Félicité fut martyrisée avec ses enfants sous Marc Aurèle, en 162 (Goyau, Chronologie, p. 216). Ils s'appelaient Janvier, Félix, Philippe, Sylvain, Alexandre, Vital et Martial. Le culte dont ils ont été honorés au moyen âge est attesté par la Légende dorée (ch. xci : de Vil fratribusqui fuerunt filii beatae Felicilalis). — L'auti'e face repré- sente sainte Ursule abritant ses compagnes sous son manteau. Cf. Cahier et Martin, Mélanges d'archéologie, t. IV, p. 250, fig. 146 ; Carac- téristiques, t. II, p. 472; Bock, Trésors de Cologne, pi. VI, fig^. 22; Gri- moiiard de Saint-Laurent, Guide de l'art chrétien, t. V, p. 482.
SAINT GÉRÉON
Gravure incunable, à la Bibl. Nat. de Paris Bouchot, Les 200 incu- nables xf/lographiques du Cabinet des estampes, pi. LXXVII, p. 240).
CATALOGUE 227
Sainte Ursule abrite ses compagnes sous le manteau protecteur; à la gauche de la puissante patronne de Cologne, c'est-à-dire à la deuxième place, saint Géréon abritant le Pape, le Roi et une foule d'hommes. Bouchot attribue cette gravure à la Flandre française (vers 1460), je ne sais pour quelle raison. La légende raconte que Géréon était un officier chrétien qui commandait un corps de chrétiens d'Afrique ; il fut massacré à Cologne avec ses compagnons d'armes. La splendide église qui lui est consacrée à Cologne possède les osse- ments de ces martyrs. La légende de saint Géréon fait symétrie, si Ton peut ainsi dire, avec celle de sainte Ursule : c'en est le doublet au mas- culin ; comme celle de sainte Ursule, elle doit s'expliquer par la découverte, au moyen âge, d'un cimetière datant des premiers siècles chrétiens. La dévotion de saint Géréon étant spéciale au pays du Rhin, et Bouchot nayant point prouvé qu'elle ait été répandue dans la Flandre française, je crois prudent de ne pas enlever à la région rhénane la gra- vure du Cabinet des estampes.
JEANNE DE FRANCE
Gravure in-f", au Cabinet des estampes de la Bibl. Xat.de Paris, éditée en 1619 à Anvers par Michel Snyders et dédiée à Albert et à Isabelle-Claire-Eugénie d'Autriche, gouverneurs des Pays-Bas, par le P. Paludanus, de l'Ordre des Minimes. Arbre généalogique des maisons de Valois et de Bourbon, depuis saint Louis. Au centre, dans un médaillon ovale, la bienheui'euse Jeanne de France (1464- 1503, béatifiée en 174.3), tenant dans la main droite un crucifix (cf. Cahier, t. I, p. 294), de l'autre une branche de lis. Elle porte le cos- tume de l'Ordre des Annonciades, dont elle est la fondatrice, et abrite sous son manteau dix religieuses agenouillées. On sait que Jeanne de France était contrefaite : l'artiste n'a pas hésité à le rappeler. A droite de la Bienheureuse, l'Enfant Jésus, un panier au bras gauche, et de la main droite tendant à Jeanne une bague, celle, dit Cahier (t. I, p. 43), que la Sainte porta depuis le jour où l'Epoux céleste eut remplacé pour elle le prince qui l'avait répudiée (R. de Maulde, Jeanne de France, ducJiesse d'Orléans et de Berry, Paris, 1883, p. 412, donne une autre explication). Sur la robe de l'Enfant sont représentés les instru- ments de la Passion, dés, couronne d'épines, tunique, marteaux, deniers de Judas. Dans le champ, deux petits médaillons, contenant l'un l'Annonciation, l'autre les armoiries de l'Ordre de l'Annonciade.
SAINTE JULIENNE
Triptyque daté de 1376, au musée de Pérouse, provenant, comme beaucoup d'autres tableaux du même musée, de Sainte-Julienne, cou- vent de Cisterciennes, bâti aux portes de Pérouse en 1253 par le car- dinal Jean de Tolède, Cistercien, évè(jue de Porto; ce couvent sert aujourd'hui d'hôpital militaire. Sur le volet de droite, saint Christophe; sur le volet de gauche, le cardinal Jean de Tolède; sur le panneau central, sainte Julienne, couronnée, étendant son manteau sur des
228 CATALOGUE
nonnes Cisterciennes agenouillées à ses pieds et sur un Cistercien, leur aumônier. Au-dessous, ces inscriptions : 1° Reverendissima sancla Juliana. 2" Hoc opus fecit fieri reverenda mater Gabriella ahhalissa monasterii sancte Jiiliane de inense Augusti, qiio mense recepit capul supra dicte Juliane adventu fratrum predicatorum de Perusio.
SAINT LOUIS
Sceau des Dominicaines de Poissy, appendu à un acte de 1397. Douët d'Arcq, t. III, no 9454. Maintes fois reproduit : Demay, Le costume au moyen âge d'après les sceaux, p. 449; Lacroix, Vie militaire au moyen âge et à la Renaissance, 3** éd., p. 372 ; Balme et Lelaidier, Carlulaire de saint Dominique, t. II, p. 61; Gaz. des Beaux-Arts, 1905, II, p. 409. Saint Louis, de face, debout, couronné et nimbé, la tête 'accostée des lettres S. L. (Sanctus Ludovicus), et abritant des pans de son manteau deux groupes de Dominicaines agenouillées. S. CONVEXTVS SOHORV SCI LVDOVICI DE PVSSIACO ORD PREDICATORVM. — PL II, 5.
LA MÈRE DES SEPT SAINTS MACHABÉES
Sceau de l'église des sept saints Machabées à Lyon, exposé par l'an- tiquaire Hoffmann à l'Exposition rétrospective de 1889; xiv^ siècle. La mère des sept Machabées les abrite sous son manteau.
La dévotion des sept Machabées provient d'Orient, où elle est floris- sante encore aujourd'hui (Didron, Manuel, p. 328); en Occident, au moyen âge, elle fut assez répandue. Elle a son origine dans le passage du deuxième livre des Machabées (VII, 1-42), où il est raconté comment sept jeunes Israélites, n'ayant pas voulu manger de viande de porc, furent mis à mort par ordre d'Antiochus; leur nom n'est pas dit dans l'histoire; mais la piété populaire n'a pas consenti à les laisser tout à fait anonymes : elle les a appelés Machabées, du nom du livre où leur histoire est racontée (Cahier, Caractéristiques, t. I, p. 349). L'Eglise latine, au rebours de l'Eglise orientale, a marqué beaucoup de répu- gnance pour les saints de l'Ancienne alliance (Didron, op. laud., p. 132), Pierre Comestor [Hist. schoL, lib. II Mach., cap. I, col. 1322-3 Migne) et Jacques de Varazze [Légende dorée, ch. 109) donnent les raisons qui ont décidé l'Eglise latine à faire exception en faveur des saints Machabées. Au portail méridional de Chartres, ils ornent une voussure, autour du tympan où est figurée la lapidation de saint Etienne : les jeunes martyrs de l'Ancien Testament c servent de cadre, comme de guirlande » au Protomartyr tie la Nouvelle Alliance.
SAINT MAURICE
Comme exemple de saints et saintes abritant sous leur manteau des personnages agenouillés, Cahier (II, p. 540j cite saint Maurice et sainte Ursule. Je ne connais aucun document iconographique où saint Maurice soit gratifié du manteau protecteur.
pEUDRiZET, La Vierge de Miséricorde
PI. XXX
CATALOGUE 229
SAINTE ODILE
L'une dos peintures de la châsse de Kerniel, près de Looz (Bel- gique , représente sainte Odile, « l'une des chefs de cohorte » de sainte Ursule, abritant sous son manteau ses jeunes sœurs Ida et Ima : dans la main gauche, Odile devait tenir une flèche. La fierté de sainte Odile a été peinte à Liège en 1202, comme le constate un docu- ment qui y fut renfermé, peu d'années après la translation des reliques de sainte Odile, de Cologne à l'église du couvent des Croisiers à Huy : cf. J. Helbig, La châsse de sainte Odile, dans Le Beffroi, i. Il (1864- 1865), p. 31; du même, La peinture au pays de Liège (Liège, 1903), pi. II, p. 36, et L'Art Mosan (Bruxelles, 1906), t. I, p. 7.j. Bouchot, qui a tenté d'annexer à l'art français beaucoup d'œuvres de l'art des Pays- Bas, attribuait, sans raison, la châsse de Kerniel à un atelier parisien, ainsi que celles d'Albi et de Noyon (Les primitifs français, p. 53); et comme il travaillait vite, il appelle « châsse de Iluy » la châsse de Ker- niel, et donne à M. James Weale l'article de feu Helbig. La description que celui-ci a faite de la châsse de Kerniel n'est pas sans défaut. Il décrit ainsi le premier panneau, qui se compose de deux scènes diffé- rentes : (< A gauche, arrivée d'Odile et de ses compagnes à Rome; elles y sont reçues par le pape et deux évèques. A droite, une scène dont nous ne retrouvons pas l'explication dans la légende des Onze mille Vierges. Une reine dans un bateau, accompagnée d'une troupe de jeunes filles, semble appeler à elle un autre groupe de femmes qui s'avance vers l'embarcation... » En réalité, la scène de gauche représente sainte Odile quittant Rome avec ses compagnes, et recevant la bénédiction du pape; elle porte à la mainune croix à grande hampe, en signe de com- mandement, et, au front, la couronne de reine, parce qu'elle est fille de roi (comme Pinnose et Ursule; cf. infra, p. 233). Adroite, Odile, recon- naissable à la croix et à la couronne, préside à l'embarquement de ses compagnes. Celle qui va monter la première dans le bateau tient une fiole, peut-être une eulogie.
SAINT SÉBASTIEN
Fresque de Benozzo Gozzoli, dans l'église Saint-Augustin, à San- Gimignano (1464). Saint Sébastien abrite sous son manteau, contre les flèches de la peste, les gens de San-Gimignano. Voir plus haut, p. 113. — PI. XVI.
SAINT SIMON
« Pisa, Museo civico. Cecco di Pietro 15. Jahrhundert. St. Simon mit dem Schutzmantel ; darunter Misericordienl)rûder ». Krebs (Maria mit dem Schutzmantel, p. 35), auquel j'emprunte cette notice, ne dit pas s'il s'agit d'une peinture ou d'une sculpture.
230 CATALOGUE
SAINTE THÉRÈSE
Gravure de Jean Eillart, n» 19 de la Vie de sainte Thérèse (cette suite n'est pas mentionnée par Le Blant ; Eillart. qui se (jualifie de Frisius, vivait au milieu du xvii" siècle). Sainte Thérèse abrite sous son man- teau, à droite, les Carmélites; à gauche, les Carmes. Au-dessous, cette légende : De fructu maniium suarum vineam feracissimam planfavit et uti'iusque sexus Carmelitarum faecunda parens effecta, tota, terrarum orbe magna gentiuni devotione colitur et ab ea. coepta reformatio in dies propagatur. — PI. XXIX, 4.
SAINTE URSULE
Nous ne saurions énumérer d'une façon complète les monuments qui représentent sainte Ursule abritant ses compagnes sous le manteau prolecteur : peintures, sculptures, gravures, vitraux, illustrations peintes ou gravées des livres d'Heures, monnaies et jetons, médailles de dévotion, vêtements sacerdotaux, objets d"orfèvrerie formeraient une liste interminable icf. Detzel, Chrisll. Ikonographie, t. 11, p. 662). Nous nous bornerons à signaler les monuments les plus importants, ou ceux qui nous ont paru offrir quelque particularité intéressante. Plu- sieurs de ces représentations montrent sous le manteau de la Sainte, outre les Vierges ses compagnes, divers personnages, un pape, un roi, un cardinal, un archevêque, un évêque. Il ne faut pas dire, comme on l'a fait [Revue de Vart chrétien, 1885, p. 130\ que sainte Ursule abrite sous son manteau des c gens de tout état » ; les personnages en question sont parfaitement déterminés par sa légende : le pape s'appelait Cyriaque, il abdiqua la papauté pour suivre Ursule et subir le martyre avec elle, à Cologne; le cardinal et l'archevêque s'appe- laient Vincent et Jacques, ils suivirent le pape Cyriaque ; l'évêque est Pantulus de Bàle; le roi est Ethelreus, fiancé dUrsule, venu à sa ren- contre à Cologne et martyrisé avec elle. Cf. Legenda aurea, CLviir {De undecini niillibus Virginuni).
1. Fresque de la fin du xiii*' s., dans l'église catholique de Linz-am- Rhein : sainte Ursule abrite six Vierges sous le manteau protecteur. Cf. Paul Clemen, Die roinanischen 'Wandmalereien der Bheinlande (t. XXV des publications de la Gesellschaft fiir rheinische Geschichts- liiinde), pi. 58.
2. Cliâsse peinte de la fin du xni<' siècle, à la cathédrale d'.\lbi, men- tionnée dans le A'A\Y"= co/ij/rès arc/iéo/. c/e France, p. 512, et appréciée d'une façon bien surprenante par P. Mantz {La peinture française du /A'« siècle à la fin du AT/", p. 125'», qui y a découvert « cette qualité dont Téniers et les modernes revendiqueraient volontiers le privilège et qui s'appelle l'esprit. » Elle a été étudiée par le baron de Rivières dans la
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Revue ai'chéol. du Midi, t. I (1866), n"* 10-11, et à part, avec une chro- molithographie tout à fait insuffisante. Je dois la photographie du pan- neau de sainte Ursule et une description détaillée de l'ensemble, à M. l'abbé Jules Puget, d'Albi. Cette châsse est en bois de châtaignier, solide mais grossière; la forme, très simple, l'appelle celle des boites à jouets qu'on appelle « arches de Noé ». H. 0 m. 4o, long. 0 m. 54, larg. 0 m. 25. La peinture est sur couche de plâtre appliquée sur une toile de lin, laquelle a été collée à forte colle sur le bois (pour cette technique, dont Vasari attribue, à tort, l'invention à son compatriote Margaritone d'Arezzo, cf. Bouchot, Les primitifs français, p. 5, et Per- drizet, La peinture religieuse en Italie jusqu'à là fin du XIV'^ siècle, p. 23). Le toit forme couvercle, les charnières sont sur une des longues faces, celle où se trouve la représentation de sainte Ursule. La Sainte, couronnée et nimbée, soulève de ses bras écartés son manteau de reine, un manteau immense, doublé d'hermine; deux Anges Taident à le tenir ouvert. Quatre Vierges, à l'ombre de ce manteau, semblent marcher vers Ursule; elles sont nimbées et portent, dans une main, un livre, dans l'autre main, la palme du martyre. Sur une bande au-dessus des cinq vierges sont peints leurs noms ; les voici, en allant de gauche à droite : Sa Florentiana, S^ Mahilia, S"- Ursula, S* Ecleta, Sa Cris- tencia. Aux deux extrémités de la composition, sous la bande blanche, deux écussons pareils, presque effacés, portant d'or, au bœuf passant de gueules, à la bordure engrèlée de même : ce sont les armes du donateur, probablement des armes parlantes. Un obituaire d'Albi (Bibl. d'Albi, ms. 8, f" 28: rapporte que le 23 juin 1391 ohiit B. Vaquerius... rector Co/onie Cologne-sur-Gers, près Toulouse), cha- noine d'Albi. Au xîV siècle, un Pierre Vacquier fut capitoul de Tou- louse (Bvémond, Nobiliaire toulousain, éd. de 1863j. Le donateur de la chasse d'Albi était peut-être un Vacquier de la fin du xiii'^ siècle.
Sur le versant arrière du couvercle, on distingue assez mal, au milieu, la Vierge Marie, trônant, avec l'Enfant, entre saint André (S.Andrieu) et une Sainte qui paraît être sainte Cécile {Cecelia ?); à côté de saint André, les mêmes armoiries que précédemment.
Les petits côtés portent, l'un un saint évêque, l'autre, semble-t-il, saint Laurent avec le gril. Sur la grande face de devant, trois bustes sans inscriptions, médiocrement peints : je ne saurais dire s'ils sont de la même date que les autres peintures de la chasse, et s'ils ne repré- sentent pas des bustes- reliquaires. Aucune trace de peinture ne sub- siste sur le versant antérieur du couvercle.
Sainte Ursule était particulièrement en honneur dans le diocèse d'Albi. Une chapelle lui était dédiée dans la cathédrale; plus tard, cette chapelle a porté le nom de Saint-Barthélémy; elle est aujourd'hui consacrée à saint Sébastien. On lit dans la Description naïve et sen- sible de la fameuse é(jlise Sainte-Cécile d'Albi, publiée d'après un ms. inédit, et annotée par M. Eugène d'Auriac : « A l'opposite de saint Joseph et de Moïse, et du côté de l'épitre, sont (peints le patriarche Jacob et le i^rophète Jonas... A la pointe des arceaux, du côté de l'épître, sont représentées sainte Ursule et sainte Agnès, et à la face opposite sainte Barbe et sainte Véronique... » Ces peintures auraient été exécu- tées de 1503 à 1515.
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Les érudits locaux qui se sont occupés du culte des Saints dans TAlbi^eois ignorent quelles sont les Saintes qui, sur la chasse de la cathédrale, sont groupées sous le manteau de sainte Ursule. L'abbé Salabert (Les saints du diocèse d'Alhi, 2<' éd., Toulouse, 1892, 2 vol. 8°) n'en dit pas un mot. On chercherait vainement les noms des trois der- nières dans les listes de Saints publiées par Mas-Latrie Trésor de chro- nologie ., Giry [Manuel de diplomatique ., Cahier [Caractéristiques . Il est vrai que la liste de Mas-Latrie mentionne dans le Midi un saint Mabilis= Amabilis, dont le nom esta rapprocher de notre S* Mabilia. Le nom que nous avons lu Ecleta {= Eclecta) a paru au baron de Rivières être Celeta (= Cwlesta'? . Quant à S-"* Florentiana, qu'il faut sans doute identi- fier avec la pari-ula Florenlina, sœur cadette du fiancé de sainte Ursule [Légende dorée, ch. clviii, p. 704 Grasse), il en est question dans un pro- cès-verbal de visite, daté de 1698-1699, qui a été publié par M. de Rivières Bull, monumental, 1873-1875, p. 32 du tirage à part) : « une maschoire inférieure où il y a onze dents avec un escriteau par lequel il paroi t que cette relique est de sainte Florentiane. » Le procès- verbal ne mentionne aucune relique des autres saintes ; mais Ton sait que la cathédrale d'Albi possédait quelques parcelles du corps de sainte Ursule: la peinture même de la châsse suffirait à le prouver.
PI. XXIV, 2.
4. Pinacothèque de Bologne (n" 202), peinture attribuée faussement à Caterina Vigri et datée de 1432. Sainte Ursule, de taille gigantesque, abrite sous son manteau ses compagnes, qui sont coiffées de la couronne des élus; la première de chaque côté tient une haute bannière aussi haute que la Sainte; ces bannières sont à croix rouge sur fond blanc. Reproduction dans Jameson, Sacred and legendary art, t. II, p. ;j02 et dans J. llelbig, Le baron Béthune, fondateur des écoles Saint-Luc Bruges, 1906), p. 212; cf. Grimoûard de Saint-Laurent, Guide, t. V, p. ol7. On a dit, à tort, que ce tableau représentait la Vierge de Miséricorde abritant deux confréries de Bologne Revue de l'art chrétien, 188u, p. 277).
5. Nuremberg, musée germanique. Katalog der Gemàlde, éd. de 1893, n° 9 ; Zeitschrift fiir christliche Kunst, 1895, p. 315; Delpy, p. 71. Tableau colonais, d'un élève ou imitateur de Hermann Wynrich, vers 1430. Sainte Ursule debout, de face, avec la couronne, la palme et la flèche, abritant quatre Vierges sous son manteau. A sa droite, saint Jean- Baptiste. A sa gauche, une Sainte tournée de profil, regardant sainte Ursule; elle aussi a la couronne, la flèche et abrite des Vierges sous son manteau. D'après le Catalogue de Nuremberg, le peintre aurait figuré deux fois sainte Ursule. Cette explication est inacceptable. Il est vrai que les artistes du moyen âge représentent souvent deux fois le même personnage dans la même composition, mais c'est quand ils ont à montrer deux événements successifs d'une même histoire ; or, ici, il n'y a pas d'histoire, il ne se passe rien. M. Delpy propose, avec toute vraisemblance, de reconnaître dans la sainte de profil sainte Pinnosa,ou Vinnosa,dont il est (juestion dans le Sermo in Xatalihus. Ce panégyrique qu'on lisait le jour anniversaire de la « naissance » [natale) à la vie éter- nelle des Vierges colonaises, autrement dit le jour de leur martyre, fut
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écritentre 731 et 834; il nous représente les traditionsqui avaient cours à Cologne au viii* siècle, concernant les onze mille Vierges. On y voit qu'à cette époque, la fille du roi breton ne s'appelait pas Ursula, mais Pinnosa. Le Serino in Xatalibus a été publié dans les Acta SS, octobre, IX, p. 154-157 et dans les Bonner Jahrbiicher, 1890, p. 118-124; cf. Potthast, Bibl. nied. aevi, l. II, p. 1015, et Delehaye, Les légendes hagio- graphiques, 2^ éd., p. 26. C'est au xi*" siècle qu'au nom de Pinnosa se substitue celui d'Ursula, et que parait la légende, popularisée depuis par les peintres colonais, par Memling et ("arpaccio cf. Ludvig- et Mol- menti, Yittore Carpaccjo, Milan, 1905i. En somme, le tableau de Nurem- berg témoigne de lincertilude de la tradition quant au nom de la con- ductrice des Onze mille Vierges. La chasse de saint Odile, à Kerniel, qui date de la fin du xiii*^ siècle \\ou' supra, p. 229), montre qu'au dio- cèse de Liège tout au moins, on croyait que les Onze mille Vierges avaient eu à leur tète non pas Ursule, ou Pinnose, mais Odile.
6. Cologne, Wallraf-Richartz Muséum, 70 ( Verzeichnis, éd. 1903, p. 21) ; Scheibler-Aldenhoven, Gesc/i«c/i^e der Kôlner Malerschule, p. 163 et 400. Reproduction dans Delpy, p. 76. Fragment du retable de l'abbaye béné- dictine d'IIeisterbach. Le retable, dont les morceaux sont dispersés entre Cologne, Munich, Augsbourg et Nuremberg, est de l'école de Stephan Lochner il'''^ moitié du xv^ siècle). Le fragment du Wallraf- Richartz Muséum, que Delpy (p. 78) s'est efi'orcé d'attribuer à Lochner lui-même — ce serait une œuvre de la jeunesse du maître — , repré- sente la Sainte abritant sous son manteau quatre Saintes plus petites, nimbées, debout. Dans la main droite, Ursule tient la flèche; dans la gauche, la palme.
7. Polyptyque colonais, du début du xv^ siècle, 'au musée grand-ducal de Darmstadt (n°160). Au milieu, Jésus en croix. A droite, entre autres saints et saintes, sainte Ursule abritant cinq de ses compagnes sous son manteau. Cf. Zeitschrift fur christl. Kunst, 1895, n" 10; Klassischer Bil- derschatz, n° 247; Delpy, p. 74; Scheibler-Aldenhoven, p, 136.
8- École du Maître de la Vie de Marie (vers 1460-1490) : 1» Galerie d'Augsbourg (n" 6). Cf. Delpy, p. 80; Scheibler-Aldenho- ven, p. 230.
2° Pinacothèque de Munich (n" 34i. Cf. Delpy, p. 81; Scheibler- Aldenhoven, p. 221.
9-10. Ecole du Maître « der heiligen Sippe » (vers 1480-1520) ; 1" Musée Germanique, Nuremberg, n" 33. Cf. Delpy, p. 84; Scheibler- Aldenhoven, p. 249.
2° Cologne, Wallraf-Richartz Muséum, n° 222. Cf. Delpy, p. 85.
11-13. Maître de Saint-Séverin (commencement du xvi'' siècle) : 1" Cologne, Wallraf-Richartz Muséum, n° 125. Adoration des Mages.
Cf. Delpy, p. 89; Scheibler-Aldenhoven, pi. 92, p. 279; Wormann,
Kunstgeschichle, t. Il, p. 493.
2° Tableau de l'église Saint-Sévorin à Cologne. Cf. Delpy, p. 90.
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3" Petit tableau au Wallraf-Richartz Muséum. Cf. Scheibler-Alden- hoven, p. 280.
14. Colog-ne, presbytère deTéglise Sainte-Ursule, tableau daté de 1315, attribué à un élève du Maître de Saint-Séverin iZeitschrifl fiir hildende Kunst, 1892, pi. X; Scheibler-Aldenhoven, pi. 98, p. 291 ; Delj)}', p. 92, fig. à la p. 93'. Sainte Ursule présente à l'Homme de douleurs le dona- teur ag-enouillé, un chanoine de Cologne; aux pieds de la Sainte sont assises deux de ses compagnes; une troisième, en prière sous le man- teau protecteur, intercède auprès du Christ pour le chanoine.
15. Cologne, Wallraf-Richartz Muséum, n° 216 [Verzeichnis, éd. 1903, p. 50). Tableau colonais, de la première moitié du xvi'^ siècle.
16. Gravure incunable (allemande"? de la Bibliothèque Nationale : cf. >iupra, p. 227 (saint Géréon'.
17. (Grosse en bois doré, du xv"" siècle, à Féglise Sainte-Ursule de Cologne. Voir supra, p. 22(3 (sainte Félicité).
18. Statue en pierre à Saint-Michel de Bordeaux, jadis dans le clo- cher, maintenant dans la chapelle des fonts. Cf. Marionneau, Descr. des œuvres d'art qui décorent les édifices publics de Bordeaux (1861), p. 298 ; Corbin, Saint-Michel de Bordeaux, étude hist. et archéol. (Bordeaux, 187"/), p. 91; Guide illustré dans Bordeaux et ses environs (Bordeaux, Gounouilhou, 1904, in-18), p. 50. avec similigravure. Cette sculpture a été restaurée : sont modernes la tête de sainte Ursule, le livre recou- vert d'un linge que la Sainte tient dans la main droite, les tètes de plu- sieurs petits personnages. Sous le manteau, au premier rang, le pape Cyriaque, le roi Ethelreus, le cardinal Vincent, Jacques, archevêque d'Antioche, l'évèque de Bàle et un sixième personnage (laïque) dont je ne sais pas le nom; les compagnes de la Sainte sont étagées derrière, sur plusieurs rangs. Les costumes indiquent le commencement du xv" siècle. Je dois la photographie de cette curieuse statue à l'amitié de M. Paul Vitry.
19. Statue en pierre, du xv'^ siècle, dans l'église d'Avioth (Meuse). Cf. Chaudel, Ann. de l'Institut archéol. du Luxembourg bel(/e, Arlon, 1902-1904.
20. Cologne, Musée Wallraf-Richartz, n" 495 ( Verzeichnis, éd. de 1903, p. 109). Ancienne copie d'après un maître hollandais du commencement du xv'= siècle. Triptyque : au centre, la Nativité; sur le volet de droite, sainte Ursule avec deux flèches dans la main, étendant son manteau sur le pape, le cardinal et les vierges.
21. Une miniature, dans un livre d'Heures de la Bibl. Nat. (ms. lat. 10945), représente sainte Ursule abritant ses compagnes sous son manteau et tenant trois flèches, au lieu d'une : même particularité dans une pein- ture murale du xv'^ siècle, à l'église Notre-Dame de Trêves. Cette par-
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ticularité s'explique probablement par riniluence d'un thème iconogra- phique dont nous avons parlé plus haut ch. VIIT.
22. Peinture de Memling, sur l'un des petits côtés de la chasse de sainte Ursule (Reinach, Répertoire, II, 694, dit à tort que cette peinture orne un « grand médaillon » de la châsse), au musée de l'hôpital Saint- Jean à Bruges : Braun, n° 2i403 ; Hanfstangl, n° 25. Cf. Jameson, Sacred and legendary art, fig. 127; Le musée d'art, l. I, p. 113; Lud- wig et Molmenti, Vittore Carpaccio, pi. à la p. 106. Ursule, tenant la flèche dans la main droite, la tète ceinte d'une légère couronne de perles, abrite sous son manteau dix de ses compagnes.
*22. Retable d'un peintre brugeois anonyme. Cette peinture est per- due. On la connaît par le « Maître de la Légende de sainte Ursule », qui l'a représentée sur le panneau de la << Vénération des reliques des onze mille Vierges » (Frîedlander, Meisterwerke der niederl. Malerei, pi. XXXVIII).
23. Gravure incunable de la Bibliothèque Nationale, atti'ibuée par Bouchot Les 200 incunables xfjloijraphiques du Cabinet des Estampes, pi. LXXVI, p. 239i à la Flandre française, je ne sais pour quelle raison.
24. Tableau flamand du commencement du xvi^ siècle, dans l'église d'Hesdigneul-lez-Béthune (Pas-de-Calais), provenant de l'ancienne Chartreuse du Val-Saint-Esprit à Gosnay, publié dans le Bull, archéol . du comité, 1901, p. 48, pi. XIII. Sainte Ursule, tenant la flèche, abrite dix Vierges sous les pans de son manteau.
25. Statuette en l)ois. art flamand, xv<" ou xvi*" siècle, appartenant à la baronne van Caloen de Gourcy à Bruges, et qui figurait, en 1905, à l'Exposition d'art ancien org;misée dans l'hôtel de la Gruuthuuse à Bruges (n» 122).
26. Retable en bois polychrome, exécuté à Bruxelles, au commence- ment du xvi'= siècle, aujourd hui à Waldstena Suède'' : l'un des sujets représentés sur ce retable serait une sainte Ursule abritant ses com- pagnes sous son manteau (Destrées, dans Méni. de la Soc. des anti- quaires de France, t. LU, p. 67).
27. Statuette en bois du musée d'Amsterdam. Cf. Catalogue van de Beeld houwerken in het Xederl. Muséum, n" 96 ; A. Pit, La sculpture hollandaise au Musée national d'Amsterdam (Amsterdam, Van Rijkom, s. d., f°), pi. XVllI. Travail rhénan du commencement du xvi« siècle. Sainte Ursule abrite de chaque côté une demi-douzaine de Vierges. Le manteau a disparu : l'espèce d'écharpe que tient sainte Ursule n'est autre chose qu'une très longue manche flottante, comme on en voit dans certains costumes de la fin du xv"^ siècle. La raison de cette trans- formation du manteau doit être cherchée dans la passion des sculpteurs allemands pour le déchiquetage.
28. Gravure d'Israël Van Mecheln Bibl. Nat., Est., Œuvre d'Lv. M.,
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t. II, f" 192), Sainte Ursule, sous sou manteau que tiennent des anges, abrite quatre Ursulines, assises et lisant des livres de dévotion.
29. Gravure sur bois servant de frontispice à VHistoria de sancta Ursula iinpressa Colonie per Martinum de W^erdena, dont jai vu un exemplaire au musée Amstelkring, ou musée catholique d'Amster- dam, et qui est décrit dans le Caf. du duc de la Vallière, t. III, n" 4720.
30. Gravuie de .1. Wierx Alvin, Caf. de l'œuvre des frères Wierx, p. 273). Devant la Sainte, un livre sur lequel est posée une flèche. Au- dessous, cette légende qui fait allusion à l'illustre naissance de sainte Ursule : O quam pulchra est casta generatio cnm claritate : iinmortalis est eniin memoria illius i^Liber sapientiae, IV, 1). Sous le manteau, outre les Vierges, deux évèques.
31. Gravure de Th. Galle Bibl. \at.. Est., Œuvres des Galle, t. V, f"il . Devant la Sainte, le livre avec la flèche. Sous le manteau, outi'e les Vierges, deux évèques, des moines, des gens de toute condition.
32. Le musée archiépiscopal d'Utrecht est particulièrement riche en représentations de sainte Ursule abritant ses compagnes sous le man- teau protecteur : ce type y est représenté par une statuette en bois, du début du xvi"^ siècle sous le manteau, au premier rang, le pape et le car- dinal ; par un fragment de vitrail du xvii<" siècle; par un fragment de cha- suble; par une médaille de dévotion, en argent.
APPENDICE
COMMENT LE MOYEN AGE A FIGURÉ L'INTERCESSION DE LA VIERGE
Saint Bernard et la croyance en l'intercession de Marie. — La Vierge d'Intercession, pour apitoyer soit Dieu le Père, soit Jésus, répète le geste dllécube. — Histoire de ce geste, depuis le Spéculum hurnanae salvationis jusqu'à Riibens. — L'origine du thème se ti-ouve dans un sermon d'Arnaud de Bonne val.
La doctrine de saint Bernard sur l'intercession ou média- tion de la Vierge est étroitement unie à sa doctrine sur la miséricorde de la Vierge. Parce qu'elle est miséricordieuse, Marie intercède entre l'homme et Dieu. Saint Bernard a fait la théorie de cette intercession dans son fameux sermon pour la Nativité de Marie, connu sous le titre de De aqiiaediictiiK La Vierge est le canal par lequel nous arrivent les eaux de la grâce, car Dieu veut que nous ayons tout par Maiùe: « Dieu a fait de Marie , dit saint Alphonse de Liguori-, la dis- pensatrice de toutes ses grâces : telle était 1 opinion de saint Bernard, que l'on peut dire être commune aujourd'hui à tous les théologiens. » Les rapports directs de l'homme et de Dieu avaient été rompus par le péché d'Eve et d'Adam. Le Christ est venu comme médiateur entre Dieu et l'homme. Mais ce médiateur est encore trop haut, trop divin ; d'ailleurs, il est irrité contre les hommes, à cause des souffrances que leurs péchés lui font journellement souffrir. Entre le Christ média- teur et l'humanité pécheresse, il est besoin d'une médiation auxiliaire, qui incombe à Marie : la Mère intercède auprès du Fils, le Fils intercède auprès du Père, le Fils exauce sa Mère, et le Père exauce son Fils.
Le type iconographique de la Vierge au manteau fut inventé pour exprimer sous une forme sensible l'idée de la miséri-
^ 1. P. L., CLXXXIII. 437-448. 2. Gloires de Marie, V. g 1.
238 APPENDICE
corde de Marie. Je crois bon, comme complément de mon étude sur la Vierge au manteau, d'étudier le type iconogra- phique que le moyen âge a imaginé pour exprimer l'idée de l'intercession de Marie. Les deux idées sont connexes. L'une et l'autre semblent avoir été répandues d'abord par les Cister- ciens ; et le type iconographique inventé pour exprimer la seconde paraît bien, comme le type inventé pour exprimer la première, d'origine cistercienne.
Les représentations où l'on voit la^'ierge montrant ses seins à Dieu pour apaiser son courroux contre les hommes sont fort nombreuses depuis le xv" siècle jusqu'aux débuts du xyu"^. Elles se divisent en deux catégories : ou bien la Vierge et Jésus sont aux pieds du Père et lui montrent, celui-ci la plaie de son flanc, celle-là son sein nu ; ou bien c'est le Christ qui est irrité contre les hommes et veut les punir; la Vierge est devant lui qui l'implore en faisant le geste que nous disons.
Les derniers exemples, à ma connaissance, de la ^'ierge d'in- tercession montrant sa poitrine nue se rencontrent dans l'œuvre de Rubens. Un dessin de Rubens, gravé par Egbert Van Pande- rem, représente ainsi l'intercession de la Vierge : le Christ est debout, tenant sa croix ; la Vierge, devant lui, s'incline dans uue attitude suppliante, en portant la main sur son sein nu •. Plus connu est le tableau du Christ voulant foudroyer le monde (au musée de Bruxelles) tant admiré de Fromentin : « La terre est en proie aux vices et aux crimes, incendies, assassinats, violences ; on a l'idée des perversités humaines par un coin de paysage animé, comme Rubens seul sait les peindre. Le Christ paraît, armé de foudres; tandis qu'il s'ap- prête à punir ce monde abominable, un pauvre moine "-^ dans sa
1. Rooses, L'œuvre de liubens. t. II, p. 207, pi. 132.
2. Saint François : le tableau fut peint pour les Récollets de Gand. M^' Janie- son Le(/ends of Ihe Madonna. p, 27 , qui croyait qu'il avait été fait pour les Jésuites de Bruxelles, y reconnaissait le j;enre de mauvais goût qui caractérise rOrdre de Loyola. Le tableau du musée de Lyon Rooses, op. cit.. t. II, p. 242), e.\écuté pour les Dominicains d'Anvers, qui montre saint Dominique à côté de saint François, se rattache, par des intermédiaires qu'il serait curieux de connaître, à la miniature qui sert d' « antitype i> au chapitre xxxvii du Speciiliiin liiinianae salvalionis.
LA VIERGE OUI MONTRE SON SEIN 239
robe de bure, demande g^ràce. Est-ce assez de la prière du saint ? Non. Aussi la Vierge se jette au-devant du Christ et l'arrête. Elle n'implore, ni ne prie, ni ne commande : elle est devant son Dieu, mais elle parle à son Fils. Elle écarte sa robe noire, découvre en plein sa large poitrine immaculée, y met la main et la montre à celui qu'elle a nourri. L'apostrophe est irrésistible. Ni au théâtre, ni à la tribune — et l'on se sou- vient de l'un et de l'autre devant ce tableau — ni dans la peinture, je ne crois pas qu'on ait trouvé beaucoup d'effets pathétiques de cette vigueur et de cette nouveauté'. »
Le geste, à coup sûr, est pathétique, mais Rubens ne l'a pas inventé. Je m'étonne que Fromentin, si lettré, ne se soit pas souvenu du passage de V Iliade où Priam et Hécube supplient vainement Hector de ne pas se battre contre Achille : « Le vieux Priam s'arrachait les cheveux, mais il ne put fléchir Hector. Près de lui, la mère gémissait et pleurait. D'une main elle découvre sa poitrine, de l'autre montre son sein et s'écrie : « Hector, mon enfant ! prends pitié de moi ! Si jadis je te pré- « sentai ce sein, qu il t'en souvienne aujourd'hui !... »
Ce n'est pas dans l'/Z/a^/e. assurément, que Rubens a pris l'idée du geste pathétique qu'il a, par deux fois, prêté à Marie. 11 la reçue de la tradition. Comme les graveurs flamands, ses contemporains, qui fournissaient de gravures pieuses le monde catholique, Rubens était assujetti aux thèmes traditionnels de l'iconographie. Le théologien de Louvain qui, au milieu du XVI*' siècle, défendit contre les critiques des Réformés l'icono- graphie catholique, Molanus, l'auteur du De historia sacraruni imaginum^^ s'exprime ainsi (^livre 11, chap. xxxi) : Milita in
1. Les maîtres d'autrefois, p. 49 : « Peint par un élève; les chairs retouchées par le maître » Rooses. op. cit., t. II, p. Toi).
2. Iliade, XXII, 79-80.
3. Louvain, 1570. Pour Mulanus Jean ^'ernleuIcn dit — , voir sa notice dans la Biographie \ationale publiée par l'Académie royale de Belg'ique, t. XV, col. 48. L"ouvra|;e de Molanus est une réponse à la Ruche '« De Byen- korf » de Philippe Marnix de Sainte-Aldegondc. Il a été réédité, avec un précieux commentaire par Paquot Louvain, 1771): le commentaire de Paquot est dirigé surtout c(jntre les Jansénistes. L'ouvrage de Molanus a été réimprimé, avec les notes de Paquot. dans le t. XXVII du Cursus Iheolo- giae de Migne.
240 APPENDICE
picturis et imaginibus esse toleranda, quae probabilia sunt apud doctos quosdam, aut vulf/um. Et le premier exemple qu'il cite, c'est précisément la représentation delà Vierge mon- trant au Fils ses mamelles, imago Deiparae ostendentis Filio suo uheraK S'il défend les images de ce type, c'est qu'elles devaient exciter les sarcasmes des Protestants — un texte de Zwingli est formel à cet égard — et s'il en parle d'abord-, c'est qu'elles devaient être nombreuses. Le Jugement der- nier, peint en lo2o par Jan Provost, de Bruges ^, en est un bon exemple. Il nous fournit l'anneau qui rattache à l'icono- graphie du moyen âge les compositions de Rubens dont nous parlions tantôt, et les compositions analogues de l'art flamand du temps de Rubens ^ On conserve à l'Académie de Bruges, à côté de l'original, une copie du tableau de Provost, par J. Van den Coornhuuse, qui est de la fin du xvi*^ siècle; à cette époque, en pleine Contre-Réformation, l'art est devenu prude : Van den Coornhuuse a voilé la poitrine de la Vierge :
Par de pareils objets, les âmes sont blessées ; Et cela fait venir de coupables pensées.
1. Au contraire. Molanus condamne sévèrement les représentations qui montrent Jésus suppliant Dieu le Père en faveur de l'humanité pécheresse : erronea piciura est, et quidem nimis crassa. quae exprimit Salvatorern coram Pâtre suo orantem, genihus flexis super palihulum crucis II. 28).
2. Zwingli. éd. Schuler et Schulthes ^Zurich, 1830), t. II, 1, p. 56 (Antwurt an ^'alentin Compar, Von den hildnussen) : « Und wenn die gôtzen g:l.ych ghein gottes verbot hatlind, dennoch so habend sy so ein ungestalten miszbruch, dasz man sy nit dulden sollt. Hie stat ein Magdalena so hurisch gemalet, dasz auch aile pfaffen je und je gesprochen habend : ^^'ie kônnt einer hie andiichtig syn, niesz ze haben ? Ja die ewig sein unverseert macjd und muter Jesu Christi. die mûsz ire briist herfiir zoçjen haben. Dort stat ein Sébastian, Mauritius und der fromm Johannes evangelist, so jïinkerisch. kriegisch, kupplig, dass die wyber davon habend ze bychten ghebt. Und das ist ails ein schimpf. » Ce texte a été cité, mais sans la référence, par Bergner, Handbuch der kirchlichen Kunstaltertiimer, 1905, p. 212. Xe sachant pas le flamand, je n'ai pu rechercher dans la Byenhorf si Philippe Marnix de Sainte- Aldegonde avait censuré les images de la Vierge montrant son sein nu.
3. Pour la chapelle des cchevins ; aujourd'hui au musée de l'Académie à Bruges. Cf. le Catalogue de J. Weale (1861;, p. 28 : Le Beffroi, t. IV; p. 205; Lafeneslre-Richlenberger. La Belgique, p. 332; Huysmans, Les foules de Lourdes, p. 155. Reproduction dans Friedliuider. Meislerwerke der niederl. Malerei, pl. 57.
4. Peinture de Grimmer (1573-1618 , au musée d'Anvers, u° 817. Vue d'An- vers en 1600. Dans les nues, le Christ et Marie, entourés d'anges, intercèdent pour la ville auprès du Père ; le Christ montre la plaie de son flanc, la Vierge montre son sein.
LA VIERGE QUI .MOMKE SON SEIN 241
Je vais citer, en remontant de proche en proche aussi loin qu'il me sera possible, un certain nombre d 'œuvres qui repré- sentent la Vierge implorant soit le Père, soit le Fils en lui montrant son sein nu.
Un vitrail voué en 1590 dans l'église cistercienne de Wet- tingen', et qui est inspiré de VArs nwriendi, représente, dans le bas, un mourant dont l'âme est recueillie par un ange. Le Diable essaie en vain de s'en emparer. Saint Jean, qui est pré- sent à la scène, explique pourquoi : c'est qu'au même moment, dans le ciel, Jésus et la Vierge, montrant, 1 un la bles- sure de son flanc, l'autre les mamelles qui ont allaité l'Homme- Dieu, intercèdent auprès du Père pour l'àme du trépassé ~. Chaque personnage de cette composition tient une banderole. Je citerai seulement les textes inscrits sur les banderoles du Christ, de Marie et du Père, pour l'analogie qu'ils pré- sentent avec les inscriptions d'un tableau dont nous parlerons bientôt.
Jésus : Vatter^ erhor miner mu (ter Bitten
Durch die Wunden, die ich hah erlitten. Marie : Son^ von ivegen der Briisten min
Wellst diesem Si'mder harmherzig sin. Le Père : Sou, ever da hittet uni diner Mutlcr nameii, Den icill ich eiviff nie ht verdammen.
Un triptyque de l'école de Nuremberg-^, voué vers 1530 pendant une peste, représente une montagne plantée de sapins, sur laquelle, au premier plan, sont agenouillés les gens d'église et les princes; à l'arrière-plan, debout ou à genoux, implorant la miséricorde divine, les bourgeois et les paysans. Du haut du ciel, le Père lance sur les hommes les
1. Suisse, canton d'Argovie.
2. Kunstgewerbeblatt, II (18S6 , p. 110, 123, 1 18 : Die Glasgemalde im Kreuz- gaiig des ehemaligen Kiosters \^'ettingen.
3. Nuremberg, Musée germanique, Katalog der Genuilde, éd. de 1893. n" 23i. II est remarquable que la Vierge y soit à la droite et le Christ à la gauche du Père.
Perdrizkt. — La Vierge de Miséricorde. 16
242
APPENDICE
flèches de la colère, trois à cha([ue coup. Mais devant lui s'agenouillent le Christ et la Vierge. La Vierge lui montre le sein qui a nourri Jésus ; Jésus, couronné d'épines, lui montre ses plaies; des anges lui ôtent son manteau, et il apparaît comme il fut sur la Croix. Dans les airs, d'autres anges apportent les instruments de la Passion. Par la force magique des prières de la Mère et du Fils, les flèches dévient et se brisent.
Un tableau peint, paraît-il ', en I0O6, par Holbein le \'ieux,. YEpitaphhild d'Ulrich Schwarz, bourgmestre d'Augsbourg, représente Ihonorable magistrat entouré de sa très nombreuse famille-. Tous sont à genoux. Dans le ciel apparaît Dieu le Père, armé d'un glaive énorme -^ Mais Jésus et la Vierge intercèdent pour la famille Schwarz ; Jésus montre la plaie de son flanc, il y enfonce les doigts (^comme fait Thomas dans la scène de Y Incrédulité ou, selon l'expression byzantine, de V Attouchement). La Vierge montre à nu son sein droit. Jésus dit :
^Vatter.sicli. an. niein.
rrunden. rot. Ililf. den. inenschen.
ans. aller, not. Dure II . meinen . bittcrn
tod.
La Vierge dit :
Her. thun. ein. dein
schivert. des. du. hast, erzogen. Und. sieh. an. die. heist. die. dein. sun. hatgeso-
gen.
Père, regarde mes bles- sures rouges.
Aide les hommes à sor- tir de toute détresse,
par ma mort amère.
Seigneur, rentre ton
épée que tu as dégainée, et regarde le sein que ton fds a sucé.
1. Pour la date. cf. Zaliii dans les Jahrhucher fur Kunslicissenxchaft, IV. p. 127.
2. Publié piiur la premièi-e t'ois dans la Zeilschrifl fur bild. Kunst. XXII (1887;, p. 73. Cf. Janitschek, Ges. der deutschen Malerei, p. 27:>. Photôjîi'aphié par Hiinc, 11° 151 du calalojrue d'Aujîsbour^. I.'ori^^inal à .Vujjsbourg-, dans la collection Fr. von Sietten.
.î. Poiu" le j;laive de la colère divine, cf. Ps. VII, 12 : nisi conversi fiierilis. (fladiuin suain vibnihit. Un Psautier à miniatures, d'orijiine talienne. à la Bibl. Nal., montre un Christ qui tient de la main gauche un arc et des llèches. de la main droite une épée nue (Didron, Mnnnel d'icoiioç/r. chr., p. 111). Cf. encore le tableau de Ilcilsbronn, supra, p. 191.
LA VIERGE HLl MOMKE SUN SEl.N 243
A quoi le Père Eternel répond, en rengainant dun air maussade le glaive de la colère :
Barmherzigkit. ivill. ich. allen. den. erzaigen. die. da. mit. icarer. reu. von. hinnen. schaiden.
J'userai de miséricorde envers tous ceux qui trépasseront avec un vrai repentir.
Un tableau daté de li92, qu'on attribue au maître der heiligen Sippe, représente le donateur, un moine, présenté par un Saint abbé. Dans le ciel apparaît le céleste parvis; Dieu le Père est assis sur son trône. A ses côtés sont agenouillés la Vierge et Jésus; la Vierg-e montre, fort pudiquement, son sein demi-nu ; le Christ montre la plaie de son flanc. A terre devant lui, la colonne et les verges de la flagellation. Des anges apportent les autres instruments de la Passion : non moins que les cinq plaies, les instruments de la Passion témoignent de ce que Jésus a souffert pour les hommes ; ils rendent plus pathétique encore l'intercession du Crucifié. Dieu le Père par- donne et bénit ^
Une mauvaise petite gravure incunable, d'origine alle- mande"^, représente le Christ et la Vierge intercédant pour les hommes. Le Père, dans le ciel, va lancer les trois flèches. Le Christ et la Vierge, à genoux, lui montrent, l'un ses bles- sures, l'autre son sein nu. Derrière la Vierge sont des hommes agenouillés, des clercs, semble-t-il. Comme dans les minia- tures de beaucoup de manuscrits du Spéculum, le Christ est à genoux sur la croix, et la croix est couchée à terre.
On pourrait citer, dans l'art allemand des deux générations immédiatement antérieures à la Réforme, beaucoup d'autres exemples du sujet qui nous occupe -^ ce qui s'explique sans
1. Nuremberg, Kat. der Gemàlde, n° 30; Scheibler et Aklenhoven, Ges- chichte der Kolner Malerschule, pi. 72.
2. Schreiber, Manuel, I, p. 212, n- 751 ; Pestblatter, pi. 3. D'après Schreiber, cette grav'ure serait « oberdeutsch » et daterait de 1460 à 1470. En réalité, date et provenance sont incertaines. Cf. encore Schreiber, t. VI, pi. 6, n" 2899 : « Jugement dernier, g:ravure enluminée, vers 1430. Le Juge du monde, assis sur larc-en-ciel, montre ses plaies; la Vierge, pour le fléchir, lui montre son sein nu. »
3. Cf. la gravure sur bois (reproduite par J. Rosenthal. Cal. -27. MSS. à minia- lures et livres illustrés, p. 104) d'une traduction allemande de Jean Gerson intitulée Von den gnadenreichen Fiirhil vor Gotl dem Vater fiir die armen Siinder.
244 APPENDICE
peine, si Ton se rappelle quel succès le Spéculum eut en Alle- nia^'ue. Je me bornerai, pour en finir avec Fart allemand, à lui emprunter quelques exemples encore. D'abord, à la galerie royale de Schleissheim, près Munich, un panneau « oberdeutsch », que le Catalogue ', avec une précision peut- être excessive, date de 1490 environ. Un tableau de la même galerie, que le Catalogue attribue à l'atelier de Martin Schafîner, représente, en haut, dans le ciel. Dieu et les anges qui, à coups de flèches, détruisent l'humanité; en bas, sur la terre, beaucoup de gens sont déjà morts; la Vierge abrite les survivants sous son manteau ; elle regarde le Père d'un air suppliant et lui montre son sein nu"-. T^ne fresque, dans la chapelle de Mundelsheim, représente la Vierge de Miséricorde abritant les hommes sous son manteau ; elle est debout devant son Fils et lui montre le sein qui l'a nourri -^ Dans les fresques de Bruck et d'Obermauern, où la Vierge protège l'humanité contre les flèches de la colère céleste, elle montre au Père sa poitrine qui est, cette fois, soiarneusement couverte ^.
Dans les Grandes Heures d'Antoine Vérard, exécutées sur l'ordre de Charles VIII, au verso du premier feuillet, une gravure représente la Vierge et Jésus intercédant auprès du Père. La Vierge montre ses mamelles, le Christ la plaie de son flanc ^.
A ces exemples empruntés à l'art flamand, allemand, fran- çais, ajoutons-en un qui est italien, et de date plus ancienne. C'est la fresque peinte en 14Gi par Benoz/o Gozzoli, dans l'église Saint- Augustin à San Gimignano. après une peste qui avait ravagé cette cité*^. En haut, Dieu le Père et les anges lancent les flèches de la colère sur les gens de San Gimignano ; ceux-ci se réfugient sous le manteau de saint Sébastien, le
1. Édition de 1905. p. 42, n" 160: « Maria in der Mille stehend. zeigt auf ihre mûtlerliche Brusl, Chrislus auf seine Wundmale. Rechts Golt Valer mit Krone und Sccpler. »
2. M., p. 28, il" 102. Le cataloj,'ue intitule celle composition Votivbild zur Ahirendiiiuf von Kriegsç/efahr, alors qu'il s'agit probablement dun ex-voto contre la peste. Il ne dit rien du j,-estc de la Vierjre. Et il ifïnore que M" Jame- son a parlé de ce tableau dans ses Leçjenils of Ihe Mndonna, p. 27.
3. Cf. supru, p. 127.
4. Cf. supra, p. 126.
5. Reproduction dans Claudin, Les orùjines de l'imprimerie en France, II, p. 394.
6. Cf. supra, p. ll.i. pi. XVI.
LA VIERGE QUI MONTRE SON SEIN 245
plus grand des saints antipesteux. Le saint, debout sur un piédestal, prie avec ferveur pour son peuple. Mais si ses prières sont efficaces, si les traits de la colère divine se brisent sur le manteau protecteur, c'est qu'à l'intercession de saint Sébastien se sont jointes celles de Jésus et de sa mère. A genoux devant le Père, Jésus montre la plaie de son flanc, la Vierge met à nu les mamelles qui ont nourri l'Homme-Dieu. La fresque de San Gimignano est dans l'art italien le seul exemple que je connaisse du thème qui nous occupe. Les artistes italiens, moins naïfs que ceux du Nord, plus pudi- bonds, n'ont pas souvent — sauf les Milanais ^ — montré à découvert le sein de la Madone. Une Vierge comme celle de Fouquet, au musée de Berlin, aurait été un scandale en Italie. Au Campo-Santo de Pise, l'auteur de la fresque du Jugement dernier a représenté Marie trônant à côté du Fils, et le suppliant pour les hommes : joignant le geste à la prière, elle montre de la main sa poitrine, mais elle n'en- trouvre pas sa robe, son corps virginal reste chastement voilé.
Plus ancienne que la fresque de Gozzoli, est une miniature donnée au Louvre par M. Maciet, et qui provient d'un des manuscrits du duc de Berry, les Très Belles Heures dites de Turin-. Dieu le Père est assis sur son trône; devant lui sont agenouillés, suppliants, le Christ qui montre ses plaies, et la Vierge qui montre son sein nu .
Il est inutile d'allonger cette liste. Il est temps de nous demander pourquoi les artistes, depuis le xv® siècle jusqu'au début du xvii*^, ont représenté de cette façon l'intercession de la Vierge et de de son Fils. De quels textes se sont-ils ins- pirés ?
Si nous regardons de plus près la miniature des Heures de Turin, nous j voyons, au-dessous du groupe que nous avons décrit, dans ane lettre-ornée, un personnage qui se dépouille de ses vêtements devant un prince; sa peau est marquée de balafres rouges. Ce serait, d'après Curmer, N. S. envoyé à la
1. S. Reinach, Répertoire de peintures, I, 219.
2. Durrieu, Les Très belles Heures de Turin, pi. XXVIII, p. 24.
246 APPENDICE
flagellation, ou encore Judas qui vient déchirer ses vêtements devant le Prince des Prêtres. Ces explications sont fantai- sistes, M. Durrieu les a sans doute jug'ées telles, puisqu'il n'admet ni Tune ni l'autre. Mais il n'a rien proposé à la place. Ce feuillet des Heures de Turin reste, en effet, une énigme, si l'on n'en rapproche un chapitre du Spéculum humanae salvationis.
Au xxxrx'^^ chapitre du Spéculum, nous apprenons comment le Christ, pour fléchir le Père irrité contre les hommes, lui montre les blessures qu'il reçut pour nous , et comment cette scène mystique avait été préfigurée par l'histoire d'Antipater, qui, pour se disculper devant César, lui montra les blessures qu'il avait reçues au service de Rome'; comment encore, Marie, pour fléchir le Fils irrité contre les hommes, lui montre le sein dont il fut allaité.
In praecedentibus capitulis audivimus quomodo Maria est nostra
[mediatrix Et quomodo in omnibus anf;ustiis est nostra defensatrix ; Consequenler andiamus quomodo Christus ostendit Patri suo pro
[nobis sua vulnera, Et Maria ostendit Filio suo pectus et ul)era... Quod Christus vuhierum cicatrices Patri monstrare volebat, Hoc etiam olim per quanidam figuram ostensum erat... Christus ostendit Patri cicatrices vulnerum, quae toleravit; Maria ostendit Filio ubera, quibus eum lactavit; Sicut erg-Q Christus convenienter potest Antipater appellari, Ita Maria competenter potest Antifiha nuncupari. O dulcissime Antipater et o dulcissima Antitilia, Quam summe necessaria sunt nobis miseris vestra auxilia ! Quomodo posset ibi esse aliqua abnegatio, Ubi tam dulcissima est supplicatio ?
Les miniatures du chapitre xxxix représentent, la troi- sième, la Vierg-e montrant son sein à Jésus, la seconde, Antipater montrant ses plaies à César, la première Jésus et la Vierge montrant au Pèi^e, l'un la plaie de son flanc,
1. L'auteur du Spéculum a emprunté celte histoire à VHixIoire scolastiqae de Pierre le Man^'eur, lib. Machaheorum, XVI : eo tempore, Antipatrum el Hircanum criminahatnr Antigonus apnd Caesarem, dicens eorum consilio palretn anum et fratrem interiisse. Ad hoc Antipater, vente projecta, multila- dinem vulnerum demonslrans, verhis non opus esse dixit, cum cicatrices, se tacenle. clamurent. ipsum fuisse fidelem liomanorum.
LA VIERGE QUI MONTRE SON SEIN 247
l'autre le sein que Jésus a sucé. Nul doute que les nom- breuses représentations énumérées tantôt ne doivent se rattacher, plus ou moins directement, au texte et aux minia- tures du XXXIX'' chapitre du Speciihnn.
Il semble qu'au xiv*^ et au xv*^ siècle, la Vierge montrant ses seins k Dieu fut un lociis de la mystique ^ 11 devait défrayer la prédication. On a vu plus haut que le Spéculum humanae salvationis avait pour auteur un Dominicain ; il est croyable que cet ouvrage a souvent dû fournir de sermons les Frères Prêcheurs.
De la chaire chrétienne, le thème qui nous occupe est descendu dans le peuple, a passé à la peinture et peut-être jusqu'au théâtre. Je le retrouve au milieu du xiv" siècle, dans YAdvocacie Nostre Darne-, du chanoine de Baveux, Jean de Justice (-|- 1333). Ce singulier j^oème, tout à fait dans l'esprit du moyen âge, raconte comment la Vierge plaida devant Jésus, contre le Diable, la cause du genre humain. L'en pourrait, dit le prologue 3,
L'en pourrait plus tost espuissier Toute la mer, goûte aprez goûte, Que sa honte deviser foute...
1. Un poème latin en l'honneur de sainte Anne, jjublié à Majence en 1494 {Rutgeri canonici regularis in Heyna Woi-maciensi diocesi carmen elegiacuni de sancla Anna, dans Trithemius, De laiidihiis sanctissimae matris Annae tvaclatus) contient ces vers :
...Faciles si non inflexeril aures. Ad gnalam citius. Anna, recurre tiiam.
Uhera demonstret nato laa filia Chrisio...
Si miiKiim fiierit oralu diffîcilis res, Cnm genelrice sua filia, poscat opem.
La gravure de Gallot qui représente l'Assomption (Meaume. 96) porte cette strophe.
Perge, Virgo, perge. parens, Perge, Luna lahe carens, Pete felix aethera !
Si nos damnet reos Xatus, Noxa judex implacatus, Monstra, Mater, uhera.'
2. Publiée en extraits par A. Chassant, Paris, 1S55. Cf. l'introduction au Mislére du viel Testament, publié par .1. de Rothschild, I, p. i-x. Il en aurait paru en 1896 une édition complète (Ro'uania, 190", p. 628); mais je ne l'ai point vue.
3. Chassant, p. 3.
248 APPENDICE
Se son filz se cource, elle accourt Et lui demoustre sa mamele Dont l'aleita vierge et pucele.
Le poème met cela pour ainsi dire en action . Sentant que le DialDle va gagner le procès, la Vierge tâche d'émouvoir la pitié du Juge :
Ta mère suy, mère m' appelés: Beau fils, regarde les mameles De quoi aleiter te souloie '.
Le Diable proteste contre cette fa^on de plaider : Ten demanf interloqutoire.
Mais c'est en vain qu'il prouve que la Vierge, étant femme, ne peut, aux termes du Code Théodosien. plaider une cause qui n'est pas la sienne, et devant un juge dont elle est si proche parente : toutes ses chicanes de Basse-Normandie ne l'empêchent pas de perdre sa cause. Et les saints qui ont assisté, anxieux, à ce grand débat, entonnent en l'honneur de la Vierge le Salve Regina.
h'Advocacie Xostre Dame est une composition livresque, que le peuple n'a pas connue. Il n'en est pas de même d'une laude italienne, où se retrouve le thème que nous venons de signaler dans ÏAdvocacie. On sait, grâce aux travaux de d'An- cona "~, ce qu'étaient les laudes ombriennes du xiv'' siècle, — des chants religieux dialogues qui, à l'issue de la messe parois- siale, étaient déclamés, soit dans l'église même, soit dans la chapelle de la confrérie, par les confrères de la Pénitence. La laude du dimanche de l'Avent était consacrée au Jugement dernier : on entendait les damnés supplier Marie, et Marie tenter en vain, au nom de sa maternité miraculeuse, de fléchir le Juge : « Par le lait dont je t'ai nourri, écoute-moi un peu, mon Fils, pardonne à ceux pour qui je plaide... Neuf mois je t'ai porté dans mon sein virginal, et tu as bu à ces mamelles quand tu étais petit enfant : je t'en prie, si cela se peut, efface ta sentence ! »
1. Chassant, p. 38.
2. D'Ancona, Origini ciel teatro in Italia, 2" éd., Turin. 1891, t. I, p. 117. Cf. Gaspary, Storia délia letter. ital., I, p. 136 et Gebliart, L'Italie mystique, 1). 273.
LA VIERGE OUI >IONTRE SON SEIN 249
Le Christ et Marie agenouillés devant Dieu le Père et lui montrant pour désarmer sa justice et apitoyer sa miséricorde, lui les blessures de la Passion, elle le sein virginal qui a nourri riiomme-Dieu, quel étonnant dialogue, et comme il devait émouvoir l'àme impressionnable et pieusement ingénue du moyen âge! Le geste d'Hécube n'est pas plus grandiose que celui de Marie. On voudrait savoir quel est l'inventeur de ce thème si pathétique. A lire Guichard,le seul érudit qui se soit occupé des sources du Spéculum, l'auteur anonyme de ce livre mystique aurait inventé les « antitypes ))de son chapitre xxxix. Il n'en est rien. Ni Guichard, ni aucun des érudits qui, après lui, ont parlé du Spéculum n'ont pris la peine d'étudier dans les manuscrits les rubriques placées en havit ou en bas des pages, qui donnent en abrégé les sources auxquelles a puisé l'auteur. Ces indications sont parfois erronées, elles ne sont pas tout à fait les mêmes dans les différents manuscrits, mais pourtant, elles ne doivent pas être négligées.
D'après les rubriques du Spéculum, les deux thèmes de la Vierge suppliant Jésus, et de Jésus et la Vierge suppliant le Père, seraient empruntés à saint Bernard. Je reproduis quel- ques-unes de ces rubriques :
I. Jhesus Christ moustre a son père ses playes et le prie pour nous, povres pécheurs '.
Bibl. Nat. lat. 9385 : visio quaedam quam heatus Bernhar- dusponit; — 9386 : Bernhardisancti ; — fr. 6273 : comme dit saint Bernard; — ChaniiWx : Sanctus Bernardus.
II, La benoite Vierge Marie moustre à son fds ses mamelles dont elle le a allaittie.
Bibl. Nat. lat. 9383 : Bernardus super Cantica ; — 9386 : Bernard; — fr. 6273 : comme dit saint Bernard ; — Chantilly: Sanctus Bernardus.
Même attribution dans \e Spéculum heatae Mariae Virginis, qui est, comme on l'a vu plus haut -, une sorte de mosaïque
1. Cette rubrique française est empruntée au nis. fr. 6275 de la Bibl. Natio- nale (Le miroir deVhumaine salvation, version de Jean Miélot).
2. Supra, p. 15.
250
APPFMJlCi:
composée avec des textes empruntés sit' ul à saint Bernard : Maria inter hominern injustum et Dei i justuin esf optima mediatrix, optima irae Dei refritjera-i > Tcstalur heatus Bernard us (licens : « Securum jam hait Immuo accessum ad Deum, ubi mediatoreni causae suae Fili ii I. ihet ante Patrem, et ante Filiuni matrem, Filius nudato oijiiie Fatri ostendit latus et vulnera, Maria Filio pectus , ubera. Non potest ullo modo lieri repuisa, ubi concurritt et pérorant tanta carilatis insig-nia >• '.
Même attribution dans Molanus : I/k yo Deiparae ostenden- tis Filio suo uhera desumpla est verLis S. Jirrnardi^ quae ex sermonihus ejus fref/uenler citari soler ■ () liomo, securum habes accessum ad Deum, ubi Mater ; t< Filium, Filius ante Patrem. Mater ostendit Filio pectus ealxia. l'ilius ostendit Patri latus et vulnera : ibi non potes e-^sc ulla repuisa, ubi tôt sunt caritatis insig'nia. » Veruin.dcut /i;/urate intelliyo verha Bernardi, sic irna^/incm ex eis vhis desumptam intel- ligrndarn arhitror '-.
Molanus est un « auteur j^rave ». J croyais trouver dans les sermons de saint Bernard cette cituion en prose rimée que Molanus, le Spéculum Jjeafae Mari; et les rubriques du Spéculum s'accordent à lui attribuer, V priori, l'attribution paraissait vraisemblai)le : de tous les acteurs du moyen â^e, celui qui a le plus poéti(juenient rêvé e la \'ier};|^e et le mieux parlé d'elle, est n<jtre Bernard. Du rese, le seul érudit ^ qui eût touché à la question avait admis ans contestation l'opi-
nion traditionnelle, qui fait remonter i«aint Beia dont nous parlons.
Une chose cepend^^^^K^it dû n) n\ c'est que le passag^a^^^^^VMolanui; Bernard est en l^^^^^^^m^i (|ue de ce Père sont^^^^^^^Vose oi
1 . N. ISonuren de cette éclit innoinbral)! question, en vain
2. De
3. Se rei)ri' poiti^ po H
hème
ii.f:
r.l 1 MuMHf. nO^ HF.I^
r.i
En réalit m'avaient < i.- nement 1<- t' J'ai parcour crvphes <;
J'en it.ii Van Pandrr diriger d un vante : M' nostro pme- galutem ' pf)ical. '>■ lâtus et vui ubi tôt $uiil tanlin.,. Ui. du Speculw Bernard.
Le Père d» Panderem •
lUS et les rubriijueH «lu S/H-rnlum une mauvaise piste. J'ai cln-rthé vai-
^lion djins lesœuvre» de »aiiit Bernard. is de succès, l.i vaste ((.Ueclion t\'.*\to-
\-j<- ;iltribu;iit au d<K.t«ur M.liinu. « li.rthes «|uand la içravure d'H^I**""^
1 a été <|ueslion plus haut, ma fui les
.. Cette fçniv ure jK.rte la légende ftui-
!)ei matrrm aijnittrimiiM prn tjenere
interredentem : itu ut I)*tminiin nontir i vero eam tnntrrnn ufffctu ftro nolua r Filio fjrctuM rt ubrra ; FUiuB pMiri luomfulo pfiteril ihi e*»e iilU repiilM, in»i'/mi ? (S. (irrmanu* rpÏMCopuê tlonê-
. à la lin de ce morceau, If texte même
citation atirib'iée par Mol.uius à ««linl
Zie auquel l'attribue la jçravure de Van . rmanos I, patriarche de Gjnstantinople, ' >tes le cultf d«-« iin;i. -ut une icouf «le
la Théotoc. > pas plu» «lans le» a-uvres de saint
Germari " ' saint lU-rnard ne se trouve le
passag» > n'avait pas pris la peine «le
vérifier 1 ail raditionnelle. tant elle lui semblait hors
de I ' ' le lhéob»^ien (|ui lit la
léj^' .. -ma cherché la citation
dans saint i cpie, ne l'ayant pas trouvée, il s'est tiré
' •* -il les curieux a un Père connu par sa
mais qu'ils a inju-nt pas lire, pui»qu il avait écrit en gr^cj d'ailleurs, comme le» ouvrage» de Oerma- r. ^ * lés par ordre de Léon l'iconoclaste*, il
ssource de dire cpie le passage en cjue»- tion Sf • s un de» ouvrages perdus,
Fr ris. ave< ' ^ - .-<^ments, du début
f;iriae \ i ou Emaud de
Bonnevai en ii-ib, mort en ll-^fi :
Cahier, II. ç. , i. Genm^mi p^ii àe GcrmuMW dan»
2. KrnwharWT.
3. Oberalicr, Bc
îlif. AeUSS.. mû III. p. I*»- Ilipp- Marraeei a jLae CamgUui. Marûàle. qwe je •'» poml m, L»
il F.G , XCVIII. ,t:é. der Bf =. UU . . T é<L, p. M,
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2u0 APPENDICE
composée avec des textes empruntés surtout à saint Bernard : Maria infer hominem injiistum et Deum jusfum est optima mediatrix, optima irae Dei refrigeratrix. Testatur heatus Bernardus dicens : « Securum jam habet homo accessum ad Deum. ubi mediatorem causae suae Filium habet ante Patrem, et ante FiUum matrem. Filius nudato corpore Patri ostendit latus et vulnera, Maria Filio pectus et ubera. Non potest ullo modo fîeri repuisa, ubi concurrunt et pérorant tanta caritatis insig-nia >• '.
Même attribution dans Molanus : Imago Deiparae ostenden- tis Filio siio iihera desumpta est verbis S. Bernardi, quae ex sermonibus ejus fréquenter citari solet : « 0 homo, securum habes accessum ad Deum, ubi Mater ante Filium, Filius ante Patrem. Mater ostendit Filio pectus et ubera, Filius ostendit Patri latus et vulnera : ibi non potest esse ulla repuisa, ubi tôt sunt caritatis insignia. » Verum, sicut Jigurate intelligo verba Bernardi, sic imaginem ex eis verbis desumptam intel- ligendam arhitror '-.
Molanus est un « auteur grave ». Je croyais trouver dans les sermons de saint Bernard cette citation en prose rimée que Molanus, le Spéculum beatae Mariae et les rubriques du Spéculum s'accordent à lui attribuer. A priori, l'attribution paraissait vraisemblable : de tous les docteurs du moyen âge, celui qui a le plus poétiquement rêvé de la Vierge et le mieux parlé d'elle, est notre Bernard. Du reste, le seul érudit ^ qui eût touché k la question avait admis sans contestation l'opi- nion traditionnelle, qui fait remonter à saint Bernard le thème dont nous parlons.
Une chose cependant aurait dû me mettre en défiance : c'est que le passage cité par Molanus sous le nom de saint Bernard est en prose rimée. et que les sermons authentiques de ce Père sont écrits en prose ordinaire.
1. S. Bonaventurœ opéra, éd. de Lyon, 1668, t. VI, p. 447. Les mancheltes de cette édition donnent, avec une exactitude admirable, les références des innombrables citations qui composent le Spéculum. Mais, pour la citation en question, il n"v a pas de référence : sans doute l'éditeur l'avait cherchée en vain dans saint Bernard.
2. De hisloria sacraruni iinaçfinum, II, 31 .
3. Schreiber, Manuel de laç/ravure au XV' siècle, t. I, p. 168 : ■■ Sur maintes représentations du Juj^ement Dernier au xv siècle), la A'ierg:e découvre sa poitrine pour rappeler à son Fils que c'est un sein de femme qui la nourri et pour lui dire en quelque sorte par cela d'être abondant en grâce 'idée de saint Bernard »,
LA VIERGE QUI MONTRÉ SON SEIN 2o I
En réalité, Molanus et les rubriques du Spéculum m'avaient eng'agé sur une mauvaise piste. J'ai cherché vai- nement le texte en question dans les œuvres de saint Bernard, J'ai parcouru, sans plus de succès, la vaste collection d'apo- cryphes que le moyen âge attribuait au docteur « Melliflu. »
J'en étais là de mes recherches quand la g-ravure d'Egbert Van Panderem, dont il a été question plus haut, ma fait les diriger d'un autre coté. Cette gravure porte la légende sui- vante : Mariam vere Dei matrem agnoscimus pro génère nostro praesentissime intcrcedentem : ita ut Dominus noster salutem cHsfjcnsef, illa vero eani materno affectu pro nohis poscaf. Ostendit Mater Filio pectus et ubera ; Filius Patri latus et vulnera. Et quomodo poterit ihi esse ulla repuisa, ubi tôt sunt caritatis insignia ? [S. Germanus episcopus Cons- tantin.). On reconnaît, à la lin de ce morceau, le texte même du Spéculum et de la citation attribuée par Molanus à saint Bernard.
Le Père de l'Eglise auquel l'attribue la gravure de Van Panderem est saint Germanos I, patriarche de Constantinople, mort en 733, qui défendit contre les iconoclastes le culte des images, ce qui lui vaut d'être représenté portant une icône de la Théotocos ' ; mais pas plus dans les œuvres de saint Germanos que dans celles de saint Bernard ne se trouve le passage en question. Molanus n'avait pas pris la peine de vérifier l'attribution traditionnelle, tant elle lui semblait hors de contestation ; il est croyable que le théologien qui fit la légende de la gravure de Van Panderem a cherché la citation dans saint Bernard et que, ne l'ayant pas trouvée, il s'est tiré d'affaire en renvoyant les curieux à un Père connu par sa dévotion à la Vierge, mais qu'ils n'iraient pas lire, puisqu'il avait écrit en grec ; d'ailleurs, comme les ouvrages de Germa- nos avaient été brûlés par ordre de Léon l'iconoclaste ', il restait toujours la ressource de dire que le passage en ques- tion se trouvait dans un des ouvrages perdus.
En réalité, il est pris, avec quelques changements, du début du De laudihus B. Mariae Virginis, d'Arnaud (ou Ernaud) de Chartres'^, abbé de Bonneval en 1138, mort en 1156 :
1. Cahier, II, p. 484. Cf. Acta SS., mai III, p. 156. Ilipp. Marracci a publié un S. Germani patriarchae Constant. Mariale, que je nai point vu. Les écrits de Germanos dans Migne, P. G., XCN'III.
2. Ki'umbacher, Gesch. der Byz. LUI., 2" éd., p. 66.
3. Chevalier, Bio-hihlioçfraphie, nouvelle éd., II, p. 310; P. t., CLXXXIX,
252
APPENDICE
Securum accessum jam hahet homo ad Deum, iihi mediato- rem causas suae Filium hahet anle Patrern^ et ante Filiiim matrem. Christus, nudato latere^ Patrl ostcndit latus et vulnera, Maria Christo pecius et uhera. Nec potest ullo modo esse repuisa ubi concurrunt et orant omni lingua disertius haec clementiae monunienta et caritatis insigniaK
Je ne crois pas qu'il faille remonter plus haut : la prose rimée paraît bien indiquer un écrivain du temps d'Honorius d'Autun ; et le passage en question est cité, sous le nom d'Arnaud de Chartres, par saint Alphonse de Lig-uori, dans ses Gloires de Marie, paraphrase du Salve Regina, ch. ix. Cette citation, d'ailleurs, paraît de celles que les auteurs de livres édifiants se transmettent les uns aux autres : je la retrouve dans la Mère de Dieu et la Mère des hommes, du P. Terrien -.
J507; Mabillon dans P. L., CLXXXII, 513, n. .s2j et dans Annales Ord. S. Benedicii, t. Vl, p. 351 éd. de Lucques, où le savant bénédictin fait cette remarque, qui n'est pas sans rapport avec la fausse attriliution que nous relevons : Ernalduni, qnem alii Arnalduni seii Arnoldnni, nonnulli perperani Bernardum vacant.
1. Migne, P. L., GLXXXIX, 1725.
2. T. III, p. 422 : « Beaucoup d'auteurs ont parlé de la puissance que donne à la prière de Marie le mérite de sa maternité. Aucun peut-être ne l'a fait plus heureusement qu'Arnaud de Bonneval, dans ce te.xte que nous avons déjà rapporté : » Le Fils montre au Père son côté entr'ouvert et ses blessures, la Mère présente au Fils les mamelles qui l'ont nourri, le sein qui l'a porté... » Le sein qui l'a porté ! Cette traduction du mot pectus est vraiment libre, à tous égards.
GORRIGENDA
Page 13, note 1, ligne 1 : lire Thésaurus hymnoloijiciis au lieu de Thesau- rum hymnologicuni. — P. 47, n. 2, 1. 11 : lire t. au lieu de éd. — P. 51 : au lieu de 12, lire 2. — P. 52, n° 1, 1. 4 : au lieu de ch. xi, lire eh. xii. — P. 65, 1. 32 : agenouillées. — P. 69, 1. 10 : devaient être couchés. — P. 74, 1. 33 : par testament. — P. 91, n. 2, 1. 1 : lire Jean au lieu de Jules. — P. 92, n. 2, 1. 3 : lire 1394 au lieu de 1494. — P. 99, n" 1,1. 3 : lire p. 94.— Même page,n'' 2,1.22 : lire anticorth. — P. 106, 1. 19 : lire 1 176. — P. 130, n. 4, 1. 3 : lire Romae. — P. 131, n. 1, 1. 23: lire Quétif et Echard. — P. 134, I. 18 : lire nimbe. — P. 141, n. 1, 1. 2 : lire wunden. — P. 143, 1. 29 : lire Piero. — P. 138, 1. 19: lire Pergens- torfer. — P. 160, n" 3, 1. 10 : lire 11481-11487. — P. 169, n" 44, 1. 5, supprimer p. devant Cicérone. — P. 177, 1. 43 : lire grands. — P. 180, n° 74, 1. 4 : lire donnée ; n» 76, 1. 3 : lire Pfeiffer. — P. 1S9, 1. 1 : lire Mûnsterbliitter.
TABLE DES MATIERES
Avertissement vu
Introduction 1
CHAPITRE 1" LA CROYANCE A LA MISÉRICORDE DE MARIE
Cette croyance n'est pas très ancienne en Occident. — Le texte d'Irénée sur Maria advocata ; la fresque du cimetière Ostrien. — Le récit des noces de Cana, fondement scripturaire de la croyance à la miséricorde de Marie. — Origine orientale du Suh tuum praesidium. — Saint Anselme. — Le Salve Regina niiseri- cordiae. — Les sermons de saint Bernard pour l'octave de l'As- somption. — Les Cistei'ciens et la mariolàtrie. 7
CHAPITRE H
LE THÈME DE LA VIERGE AU MANTEAU PROTECTEUR
EST D'ORIGINE CISTERCIENNE
Ce thème est inconnu à l'art d'Orient et, avant le xiii" siècle, à l'art d'Occident. — Il a sa source dans une légende Cistercienne, rap- portée par Césaire d'Heisterbach. — Li; symbolisme du manteau. — Succès du thème parmi les Cisterciens 18
Catalogue
CHAPITRE III
LES AUTRES ORDRES EMPRUNTENT AUX CISTERCIENS LE THÈME DU MANTEAU PROTECTEUR.
Pauvreté d'invention de l'imagination populaire. — Pauvreté delà légende de saint Dominique. — La vision de la Vierge au man- teau protecteur dérobée aux Cisterciens par les Dominicains dès la première moitié du xni« siècle : vision de la recluse, vision de saint Dominique. — La vision de la Vierge au manteau protec- teur et l'imagination monastique. — Les autres Ordres, à l'exemple des Dominicains, se réfugient sous le manteau de Marie. — La dévotion du « Manteau de Notre-Dame » 30
Catalogue 50
256 TABLE DES .MATIÈIŒS
CHAPITRE IV LA VIERGE AU MANTEAU ET LES CONFRÉRIES
Fondation des Confréries au xiii^ s., sous linfluence des Ordres mendiants; le Tiers-ordi-e franciscain. — Flagellants et Péni- tents. — Saint Bonaventure et la Confrérie romaine des Recom- manclnti Virgini. — Dévotion des Confréries pour la Mère de Miséricorde. — La Vierge au manteau protecteur figurée sur les retables, les ijannières et les enseignes des Confréries. — Les Misericordie d'Italie, les Scwo/e de Venise, les Pénitents de Pro- vence, les Charités de Normandie. — La Confrérie de Saint- Nicolas-des-Clercs à Toul, 59
Catalogue .
CHAPITRE V
LA VIERGE DE MISÉRICORDE ET LES CONFRÉRIES DU ROSAIRE
La dévotion du Rosaii'e inventée vers 1470 par le Dominicain breton Alain de la Roche, et lancée à la fin du xv" siècle par l'Ordre des Prêcheurs. — La Confrérie de Cologne, la première en date des Confréries du Rosaire. — Le retable de cette Con- frérie. — Pourquoi la Vierge au Rosaire a-t-elle été figurée d'oi'- dinaire, jusqu'à la fin du xv!"" siècle, en Mater omnium ? — Des- cri[)tion d'une curieuse gravure incunable 89
Catalogue 99
CHAPITRE VI LE SPECULUM HUMAXAE SALVATIONIS
Vogue immense de ce livre à images, du xiv^ siècle au xvi^. — Son influence iconographique. — Son origine Dominicaine. — La Vierge au manteau protecteur, Tune des illustrations tradition- nelles du S.H.S. — Le S.H.S. a dû contribuer à la diffusion de ce thème figuré 103
CHAPITRE VII LES FLÈCHES DE LA COLÈRE DIVINE
La peste, pour le folklore, est produite par des flèches invisibles : traces de cette croyance chez les Grecs anciens, les Musulmans, les Germains, dans la Rome chrétienne du vi'' siècle, dans la dévotion de saint Sébastien. — Les flèches de la peste arrêtées par le manteau protecteur de saint Sébastien (fresque de
TABLE DES MATIÈRES 257
S. Gimignano) ou de Marie (bannières ombi-iennes, peintures ita- liennes et allemandes). — Ce thème date du xv<= siècle et semble se rattacher à la prédication de saint Bernardin de Sienne. — Il a été abandonné au xvi®, comme entaché de superstition 107
Catalogue 123
CHAPITRE YIII
. . LE THÈME DES TROIS FLÈCHES
Les trois flèches du Dieu de vengeance représentent les trois fléaux, la guerre, la famine et la peste, dont Dieu punit les trois concupiscences, avarice, orgueil et luxure. — Origine scripturaire et dominicaine de ce thème: vision de saint Dominique, explica- tion d'un Peslhlatl dominicain 128
CHAPITRE IX LA VIERGE DE MISÉRICORDE ET LES PESTES
Les pestes du moyen âge. — Leurs conséquences morales et reli- gieuses. — Le pathétique et le macabre à partir du milieu du xiv*^ siècle. — De la Vierge de Miséricorde comme recours contre la peste. — De quelques-unes de ses images qui furent vouées en temps de peste 137
CHAPITRE X LA MA TER OMNIUM
Le type de la Mater omnium conséquence de la Grande Peste. — Dans les exemples les plus anciens, les hommes sont à droite de la Vierge, les femmes à gauche ; au xv« s., les clercs sont à droite, les laïques à gauche. — Les deux mondes, ecclésiastique et laïque, représentés toujours par des personnages conventionnels. — La Mater omnium du musée du Puy. — La Vierge de Misé- ricorde sur les monuments des familles 150
Catalogue 160
CHAPITRE XI
REMARQUES GÉNÉRALES SUR LES REPRÉSENTATIONS DE LA VIERGE AU MANTEAU
La Vierge au manteau et lEnfant ; influence, à Venise, du type byzantin de la Plati/léra. — Les acolytes de la Vierge au man- teau : Anges et Saints. — Les insignes royaux : la couronne, le manteau d'hermine, le sceptre. — Différence de taille entre la Vierge et les priants. — Raisons de l'oubli oîi est tombé le type de la Vierge au manteau 194
238
TAULE DES MATIERES
CHAPITRE XII
DE QUELQUES REPRESENTATIONS SINGULIERES DE LA VIERGE DE MISÉRICORDE
La Vierge de Miséricorde et les Vierges Saintes. — La Vierge de Miséricorde et les sept Vertus. — La Vierge de Miséri- corde et les sept Péchés. — La Vierge de Miséricorde et les Anges Gardiens. — La Vierge de Miséricorde et le Démon 20b
CHAPITRE XIII
LES SAINTS ET SAINTES EMPRUNTENT A LA VIERGE LE MANTEAU DE PROTECTION
Dévotions d'imitation. — Les Saints et les Saintes, à l'imitation de la Vierge, s'attribuent le manteau protecteur. — A quelle date et dans quelle région a-t-oii imaginé den faire la caracté- ristique de sainte Ursule ? 220
Catalogue 223
APPENDICE
COMMENT LE MOYEN AGE A FIGURÉ L'INTERCESSION DE LA VIERGE
Saint Bernard et la croyance en l'intercession de Marie — La Vierge d'Intercession, pour apitoyer soit Dieu le Père, soit Jésus, répète le geste d'Hécube. — Histoire de ce geste, depuis le Spéculum humanae sahalionis jusqu'à Rubens. — L'origine du thème se trouve dans un sermon d'Arnaud de Bonneval. . . . 237
Corrigenda 2.53
Table des matières 235
Table des planches 2o9
Figures dans le texte 260
TABLE DES PLANCHES
Pages
I. Vierge de Mansuy Gauvain . Frontispice
II. Sceaux Cisterciens 27
III. Tableau du Vatican, tableau de Cherbourg 29
IV. La Vierge de Miséricorde et les Ordres religieux (gra-
vures) 45
V. Idem I tableaux) 47
VI. Frontispice du catéchisme des Prémontrés ;Jl
VII. Broderie de Marseille, reliquaire d'Arezzo ;'>8
VIII. Cercueil siennois, fresque de Pai'me 67
IX. Maison de la Miséricorde d'Arezzo, chapelle de la Miséri- corde d'Ancône 69
X. Vierges de scuole vénitiennes 85
XI. Fi'esque de Saint-Céneri, fres(|ue de Vieux-Thann 87
XII. Charte de la confrérie de Saint-Nicolas-des-Clercs à Toul. 89
XIII. La Vierge de Miséricorde et le rosaire 95
XIV. Peslblatfer Dominicains 101
XV. La Vierge de Miséricorde et le Specaluiu humanae salva-
tionis 107
XVI. Fresque de saint Sébastien à S. Gemignano 113
XVII. Bannière de S. Francesco, à Pérouse 117
XVIII. Panneau d'Aversa 119
XIX. Tableau de Cranach le Vieux, miniature d'un Spiegel der
menschlichen Behaltniss 129
XX. Tableau du Musée historique lorrain 147
XXI. Tableaux français du musée du Puy et du musée Condé. 157
XXII. Retables d'Arezzo et du musée Poldi-Pezzoli 163
XXIII. Reliefs d'Arezzo et du cimetière de Saint-Innocent 179
XXIV. Relief de Gy, châsse d'Albi. . . . , 183
XXV. Vierge de Mouterhausen 187
XXVI. Vierges allemandes (statues) 189
XXVII. Miniature italienne, panneau de Teruel 211
XXVIII. Tableaux de KIosterneuboursr et de Montefalco 219
260 TAI5LF. DES PLANCHES
Pages
XXIX. Saintes au manteau protecteur fgravures) 223
XXX. Tableau de Gœttingue, tableau de V. Lopez 229
XXXI. Retable de Lagnieu 237
FIGURES D.VNS LE TEXTE
1. Eresque dAtella 119
2. Gravure du Mortiloffus 149
.3. La Vierge d'Anspach 191
4. La Vierge de Marienbourg- 206
M.VIXiN, fltOTAT FIU:RBS, IMPRIMElll!^
Bibliothèque
Université d'Ottawa
Éciiéance
Library
University of Ottawa
Date Due
a29003 00 1^0^^2b
00601 28-01 -4
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D 5 .84 V101 1908 PERDRI2ET-I PfiUL FREDER VIERGE DE PIISERICORDE.
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