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JOHN M. KELLY LIDDACY
Donated by The Redemptorists of the Toronto Province
from the Library Collection of Holy Redeemer Collège, Windsor
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in 2011 witii funding from
University of Toronto
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LA VOCATION
L'ÉTAT RELIGIEUX
Tout exemplaire non revêtu de la signature ci-dessous
sera réputé contrefait
et poursuivi conformément aux lois.
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rJtp'r.i.MEniE pithat aimé, r.-jz cextil, 4.
LA VOCATION
L'ÉTAT RELIGIEUX
d'après LES SAINTS DOCTEURS
PAR
LE R. P. BEL UT
J)K h\ C0MPAGMI2 DE JESUS
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LYOx\
librairip: Jacques legokkre
Ancienne Maison Périsse Frères de Lyon
LEGOFFRE FILS ET G"', SUCCESSEURS
RUK MERCIÈRE, 47
^SPFRlTO
HOtYREWEÔ^LIBRARY, WINDSOR
DEDICACE
0 vous qui, dès l'âge le plus tendre appelée au temple du Seigneur, vous êtes montrée si docile à son invitation, si empressée à vous y consacrer à son service, daignez, ô Vierge fidèle, agréer l'hommage de ce modeste écrit. Vous êtes la fille de Sion ; vous avez prêté l'oreille à la voix de l'Esprit-Saint et écouté son appel ; vous avez, pour lui plaire, quitté votre peuple et la maison de votre père; vous avez élevé sur la terre de l'exil l'étendard de la virginité : attirées par vo- tre exemple, les âmes accourent sous votre céleste bannière. 0 Reine des vierges, le livre que nous osons vous dédier a pour but le bien des âmes que Dieu invite à vous suivre; puisse-t-il, béni par vous, les aider à reconnaître sa voix, à répondre à ses instances.
N'êtes-vous pas, ô divine Vierge, la Mère du céleste Époux? N'êtes-vous pas le canal de toutes ses grâces, l'instrument de ses divines faveurs ? N'est-ce pas par vos maternelles mains que nous arrivent les célestes rayons estinés à guider nos pas dans la vie, à reconnaître la route par où il veut que nous marchions ? N'est-ce pas votre voix pleine de tendresse qui nous transmet les divines invi-
VOCATION A
VI DEDICACE
talions ? N'est-ce pas grùce à votre secours, à la puissance de vos» prières que nous pouvons éviter les pièges que l'ennemi tend à notre fidélité et triompher de tous ses efforts? Souffrez, ô Mère du bel amour, que nos actions de grâces, pour arriver à la source de tout bien, passent par votre cœur. Avec elles nous déposons à vos pieds cet humble opuscule : daignez le faire servir à l'honneur de votre divin Fils, au salut et à la sanctification de ses épouses.
Fcle de )a Compassion de Noire-Dame.
AVERTISSEMENT
Donner aux fidèles des notions exactes sur la perfection à laquelle ils sont appelés, sur l'obliga- tion faite à tous d'y tendre, sur les conseils évangéliques et sur l'état religieux ; leur faire connaître la nature intime de cet état; leur ap- prendre en quoi consiste la vocation religieuse et comment l'on peut savoir si l'on est appelé de Dieu à marcher par cette voie vers le but su- prême de la vie; montrer enfin combien il im- porte de correspondre à une telle vocation, et, après avoir indiqué les obstacles et les difficultés auxquels doit s'attendre celui qui ne veut pas être sourd à la voix de son Dieu, exposer les moyens d'y être fidèle, l'encourager par l'assu-
VIII AVERTISSEMENT
rance du centuple et de la ^'ie éternelle, promis à sa fidélité : tel est l'objet de ce livre.
Ce sont autant de questions fort importantes dans la vie spirituelle, et sur lesquelles il n'est pas rare de rencontrer dans les esprits beaucoup d'incertitudes, souvent même des idées erronées. Sur tous ces points nous avons cherché à pro- jeter les lumières de l'Écriture sainte et de la Tradition. Nous reproduisons la doctrine de l'Ange de l'école ; nous la développons par les lumineux enseignements des Pères et des prin- cipaux maitres de la vie spirituelle.
Notre livre viendra en aide aux âmes encore incertaines sur leur vocation : il servira à diriger leurs pas dans la recherche de la volonté divine. A ceux que le Seigneur appelle à la voie des con- seils, nous avons voulu faire comprendre l'in- signe faveur qui leur est proposée et les aider à entrer en possession de ce riche trésor. Les pa- rents, et en général toutes les personnes char- gées de l'éducation de la jeunesse, apprendront, en nous lisant, quels devoirs la religion leur im- pose quand il s'agit pour leurs enfants de la vo- cation religieuse. Notre travail ne sera pas inu- tile non plus aux jeunes religieux : il servira à
AVERTISSEMENT IX
leur faire estimer leur saint état, et leur décou- vrira les pièges multipliés que l'ennemi tend à leur constance; il leur indiquera les moyens de les éviter et de rester fidèles à leur vocation. Enfin les directeurs des âmes pourront trouver dans les enseignements des Pères que nous mettons sous les yeux du lecteur, les lumières dont ils ont besoin pour l'époque la plus impor- tante peut-être, et la plus difficile de la vie spi- rituelle de ceux dont ils ont la conduite.
Nous croyons pouvoir le dire aussi, l'exposé que nous faisons dans cet ouvrage de la doctrine des Pères touchant la vie religieuse, la vocation à cette vie et la fidélité avec laquelle on doit y répondre, est à lui seul une réponse suffisante aux attaques et aux calomnies dont l'état re- ligieux a été récemment l'objet.
De tout temps, depuis la naissance de l'Église, l'ennemi de Dieu et des âmes a cherché à éloigner les fidèles de la voie que le Sauveur semble pro- poser à tous dans son Evangile, et que les saints Docteurs déclarent être la plus sûre et la plus expéditive pour arriver au salut ; il s'est elïorcé de répandre dans les esprits, à l'aide du men- songe, des préjugés, des soupçons contre les
X AVERTISSEMENT
asiles de la pauvreté, de la chasteté et de l'obéis- sance ; il a tâché de verser dans les cœurs, avec le venin de la calomnie, des répulsions et des haines contre les victimes volontaires d'une héroïque immolation. De tout temps aussi, les saints Docteurs ont dû prendre la plume pour dissiper ces ténèbres, pour répondre à ces accu- sations mensongères, pour vengerla religion et la vertu dans ce qu'elles ont de plus pur et de plus sublime, pour condamner tous ceux qui, d'une façon ou d'une autre, empêchent les âmes d'obéir à la voix de Dieu, qui les appelle à lïmmolation et au sacrifice. Saint Ambroise, par son livre De Virginitate, répondait à ceux qui accusaient la virginité d'être inutile en ce monde et de nuire aux progrès du siècle. Saint Jean Chrysostome composa trois livres contre les adversaires de la vie monastique '. Saint Jérôme écrivit pour dé- voiler les sophismes semés par Jovinien contre le mérite et la gloire de la virginité ^ Saint Bo- naventure dut, par plusieurs ouvrages, prendre la défense des pauvres de Jésus-Christ ^ IXous
' Adv. oppugnat. vitœ 7nonasticœ, libri très.
2 Contra Jovinian,, 1. I.
^ Determinationes quœstionum in icg, S. Franscisci— Libellii^
AVERTISSESIEiNT XI
voyons le Docteur angéJique, dans un de ses opuscules \ suivre pas à pas les détracteurs de la vie religieuse, afin de dévoiler leurs sophismes, de dissiper leurs accusations malicieuses. Il mon- tre dans un autre -, et d'après les lumières de la foi, l'excellence de l'état de perfection ; il réfuie dans un troisième la doctrine pestilentielle de ceux qui cherchent à éloigner les âmes delà vie religieuse ^
En reproduisant, comme il a été dit, sur la nature et sur rexcellence de l'état religieux, sur la grâce insigne de la vocation, les enseigne- ments que ces saints Docteurs nous ont laissés dans les immortels écrits oii ils traitent officiel- lement la question même qui fait l'objet de ce livre, nous vengerons suffisamment la vérité et la vertu des calomnies renouvelées de l'esprit de mensonge. D'ailleurs la vérité, pour confondre ses ennemis, n'a qu'à se manifester. Or nous ne faisons autre chose dans cet ouvrage que de mon-
apologeticiis in eos qui ordini FF. minorum adversantiir. — De pnupertale Christi. — Apologia pmtperum.
^ Contra impugnantes religionein.
- De Perfectione vitœ spiritiialis.
■• Contra pesliferam doctrinam rctrahentium liomines ub in- gressH rcligionis.
Xll AVERTISSEMENT
trer la vie religieuse dans sa réalité et telle qu'elle est dans les desseins de Dieu, dans le plan de no- tre rédemption par le renoncement et la croix ; et nous le savons; tout chrétien que les fausses maximes de l'esprit du siècle n'ont point aveuglé, le sait, la vie religieuse, dans le sein de l'Eglise où elle est née et où elle subsistera toujours, est telle que Dieu l'a conçue dans sa sagesse, telle qu'il l'a voulue dans sa miséricorde, pour le salut de ses enfants. Ainsi donc, en redisant aux fidèles les leçons des Pères et des Docteurs sur les points qui font l'objet de ce livre, nous aurons aussi travaillé à dissiper les nuages que des accusations sophistiques et calomnieuses auraient pu faire naitre dans quelques esprits.
LA VOCATION
L'ÉTAT RELIGIEUX
LIVRE PREMIER
LA PERFECTION CHRÉTIENNE, LE SALUT DE L'ÉTAT RELIGIEUX.
CHAPITRE PREMIER
En quoi consiste la Perfection chrétienne.
La perfection de la vie chrétienne consiste surtout dans la charité ^. Les autres vertus ne lui appartiennent que d'une manière secondaire ; elles en sont comme les accidents ; la charité en est la substance même. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul, dans sa Lettre aux Colossiens, après nous avoir recommandé la mortitication des passions et la pratique des autres vertus, nous exhorte surtout à la possession de la cha- rité 2. Il rappelle le lien de la perfection , observe sain
^ Voy. S. Thom., opusc. de Perfect. Viice spirit., c. i. — Sua- rez, dcRclig., tr. VII, 1. I, c. m, n. 17 et seq. ^ Coloss., m, H.
VOCATION. 1
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2 EN QUOI CONSISTE LA PERFECTION CHRÉTIENNE
(îrégoire le Grand '., parce qu'elle donne à toute bonne action son prix et sa fermeté. Elle est le couronnement et la con- sommation des autres vertus ; elle leur donne leur dernière perfection ; elle dirige vers Dieu toutes leurs opérations -. Sans la charité, quels que soient les dons sublimes dont nous soyons honorés, quels que soient nos aumônes, nos tra- vaux et nos souffrances, 7îous sommes comme un airain sonnant et des cijmbales retentissantes 3. Aussi est-ce pour obtenir et pour conserver ce don précieux que s'exercent les autres vertus. C'est pour acquérir cette divine vertu, dit Sua- rez *, que nous prions, que nous nous mortiiions, que nous faisons toutes nos bonnes œuvres.
Le connnenceraent de la charité est le commencement de la justice, le progrès de la charité est le progrès de ta justice, la perfection delà charité est la perfection de la justice 3.
Et, en vérité, la perfection de toute chose créée consiste en ce qu'elle atteigne le but pour lequel elle a été faite. Ainsi, la perfection du pinceau est de bien étendre les couleurs, celle de l'œil, de bien voir. De même, l'homme est fait pour Dieu. Dieu est sa fin dernière ; sa perfection consiste à être uni à Dieu ; elle est dans le lien cjui l'unit à Dieu. Or ce lion, c'est la charité *"'. Saint Paul nous l'a déjà fait connaître. Saint Jean, l'apôtre de l'amour, ne pouvait se taire sm' ce point : aussi nous apprend-il que Dieu est charité, que celui qui demeure dans la charité reste uni à Dieu, demeure
'L. XXVIîî .i;ora?., c. ult.
- Siiarcz, de RcUg., tr. VII, 1. ï, c, in, u 1 1 cî IS.
U Cor.', .Mil, 1, 3.
^ De Rclig., tr. VII, 1. I, c. m, n. 15.
^ S. Aug., 1. de Nat. et Grat., c, lx.m.
<= S. Thom., II i\, q. 184. a. 1 .
EN QUOi C().\SrSïE LA PERFECTION CHRÉTIENNE 3
011 Dieu el Dieu en lui ^. In peu plus loin, le bien-aimé dis- ciple ajoute : « Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu « demeurera en nous, nous l'aimerons parfaitement et l'on ce reconnaîtra à notre amour pour lui qu'il est en nous et ce que nous sommes en lui ^. »
Si la perfection consiste dans la charité, si celle-ci est le but et la fin de toute la loi, si elle est le terme de toutes les opérations de Dieu dans les âmes, elle ne doit point cesser avec la vie. Ce sont les moyens qui cessent quand la fm est obtenue ; mais on reste dans la fm, on s'y repose. C'est encore ce que dit saint Paul de la charité : (( La charité ne tinira jamais : et les prophéties disparaîtront, et les langues cesseront, et la science sera détruite, car ces connaissances que nous avons maintenant sont très-imparfaites. Mais lors- qu'arrivera ce qui est parfait, tout ce qui est imparfait sera aboli. . . La Foi, l'Espérance et la Charité demeurent à présent da?is l'Église ; elles sont toutes trois nécessaires ; mais la Charité est la plus excellente des trois 3. » Elle demeurera éternellement.
La charité est tellement la tni de la vie chrétienne, que tout ce que Dieu opère dans le monde, soit comme auteur de la nature, soit comme auteur de la grâce, il l'opère dans le but de faire naître, de conserver, d'augmenter et de couron- ner en nous la chanté. Si les deux et la terre annoncent sa gloire, si le jour la redit au jour, si la nuit l'indique à la nuit *, c'est afin de nous apprendre à l'aimer. La vie el la mort de Jésus-Christ, la parole de Dieu et les sacrements,
' I Joan., IV, 10. 2/6îd., 12, 13. M Cor., xiii, 8, 9, 13. * Ps. .xviii, 2,
4 EN QUOI CONSISTE LA l'ERFRCTION CHRÉTIENNE
l'Église avec sa hiérarchie, avec ses lois et son cuhe, ont pour fin de nous rendre amis de Dieu, de nous faire croître dans son amour.
La charité est la plénitude de la loi, dit encore l'Apôtre ' , c'est-à-dire, comme la fin de toutes les lois est de procurer la perfection des sociétés qu'elles régissent, ainsi la fin de toute la loi chrétienne et de toutes ses prescriptions est la charité. C'est à l'effusion et à l'accroissement de la charité dans tous les membres du corps de l'Éghse que tendent sa morale, sa disciphne, ses ministères. Le Saint-Esprit lui- même ne l'éclairé, ne l'anime, ne la féconde que pour répan- dre et augmenter dans ses enfants la charité. Car, suivant l'Apôtre, la charité de Dieu est répandue dans nos cœurs par l'Esprit-Saint qui nous est donné ^^.
Cette divine charité doit donc être l'objet de tous nos désirs, le but de tous nos efforts, la fin de toute noire vie. C'est à elle que doivent tendre tous nos pas ; vers elle que doivent converger toutes nos démarches ; pour elle que doi- vent se former tous nos desseins. Elle est la perle précieuse dont parle le Sauveur : afin de l'acquérir, il convient de sacriiier tout le reste ^.
Il avait reconnu le prix de cette perle inestimable, le jeune homme dont l'histoire rapporte le trait suivant : Venu de loin à la célèbre université de Paris pour y étudier les sciences sacrées, il s'était présenté à un cours de théologie tenu par un docteur renommé. Assis sur un banc, comme les autres élè- ves, il écoute avec avidité, dans la première leçon, l'exphca- tion donnée, par le maître, de ces paroles de la Sainte Écri-
^ Rotn., xiii, 10.
Rovi., V, 5. ' :\Iatth., XIII, 4S, 46.
EN QUOI (JONSISTii LA l'EKFECTIOiN CHUÉTlEiN.NE o
ture : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur *. » L'explication terminée, le jeune éudiant se lève et se dispose à quitter la salle. Cette conduite étonna les élèves, et fit une pénible impression sur le maître ; celui-ci se crut méprisé de son nouveau disciple : « Eh ! en quoi donc ai-je pu vous offenser, lui dit-il, pour que, à peine entré dans mon école, vous ayez pris la résolution de l'abandonner? Ma doc- trinevousa-t-elledéplu? — Au contraire, reprit lejeunehomme, c'est précisément la sublimité de votre doctrine qui m'engage à quitter votre école. J'ai compris ce que je dois faire pour arriver à la perfection et devenir un saint. A quoi bon vous écouter plus longtemps ? Je dois maintenant travailler à mettre en pratique ce que vous venez de nous dire. Après cette réponse, le jeune homme se retira dans un couvent : il y travailla à renoncer à lui-même et à obtenir la perfection avec la possession et l'accroissement de l'amour divin 2.
C'est dans la charité que nous devons chercher la perfec- tion. Mais la charité n'a-t-elle pas plusieurs degrés? Et, s'il en est ainsi, quel est celui auquel nous pouvons arriver ici-bas ?
Saint Thomas nous enseigne ^ que la charité a différents degrés de perfection. Il y a, dit-il, une perfection de charité à laquelle nulle créature ne peut atteindre. Elle consiste à aimer Dieu autant qu'il est aimal)le ; et Dieu seul peut s'ai- mer de cette manière. Un autre degré, propre aux bienheu- reux dans le ciel, et auquel nous ne pouvons arriver ici- bas, consiste à aimer Dieu d'un amour actuel toujours le
' Matth., .\xii, 39.
-Trait rapporté par Scaramelli : Méthode de direction spirit., ir. I, n. in. Min, q. 184, a. 2.
(3 EN yilOl CONSISTE LA PEREECTlO^i CUIIÉTIENIN E
même et toujours le plus grand dont l'âme soit capable ; c'est- à-dire, comme l'explique Suarez ^, d'un amour qui n'éprouve ni interruption ni difficulté dans son exercice, qui soit uni i\ une pureté de cœur excluant toute faute vénielle, quelque légère qu'elle soit.
L'Apôtre des nations nous indique ce degré et en fait ressortir la sublimité. Car, parlant de la ])erfection de la charité que nous pouvons atteindre en ce monde, il l'appelle une perfection enfantine ; et il nomme adulte et virile la charité des saints dans le ciel, ce Maintenant, dit-il, tout est impartait en nous ; mais, lorsque nous serons arrivés à la perfection du ciel, nous laisserons tout ce qui est imparfait. Lorsque j'étais enfant, je parlais comme un enfant, je jugeais, je raisonnais comme un enfant. 'Mais, quand je suis devenu homme, j'ai abandonné ce qui était de l'enfant. Ainsi nous ne voyons Dieu maintenant que comme dans un miroir et en des énigmes ; alors nous le verrons face à face ; nous ne lo connaissons qu'imparfaitement ; nous le connaîtrons alors comme nous sommes connus de lui '-. » Le grand Apôtre, observe saint Thomas, compare l'état présent à l'enfance et la vie future à l'âge mûr de la perfection. Il veut nous montrer par là combien notre perfection est imparfaite ; elle est , comme l'enfant, dans un état de croissance; celle des bien- heureux est sans progrès, elle est parvenue à son plus haut degré, de même que l'homme d'un Age mûr a évidemment atteint toute la hauteur de sa taille.
« Il y a dans cette vie. dit saint Thomas, trois choses qui empêchent notre âme de se porter totalement à Dieu : la pre- mière est une inclination contraire ; elle naît dans l'âme,
' De Relig., tr. VII, 1. I, c. iv, n. 2. U Cor., XIII, 9, 13.
EN QUOI CONSISTE LA PERFECTION CHRÉTIENNE 7
quand celle-ci, par le péché, se porte aux biens changeants comme à sa fin et se détourne du bien immualjle. La seconde est la sollicitude pour les choses du siècle, suivant la parole de l'Apôtre : Celui qui a une épouse est occupé des choses du monde et du soin de plaire à son épouse^ et il est divisé, c'est-à-dire que son cœur ne se porte pas uniquement à Dieu. La troisième consiste, premièrement, dans l'infirmité de la vie présente et les nécessités auxquelles il faut pourvoir, telles que le sommeil, la nourriture et autres semblables qui empê- chent l'âme de s'appliquer actuellement à Dieu ; deuxième- ment, dans le poids de ce corps mortel : c'est un fardeau qui appesantit l'esprit, l'empêche de voir la diNine lumière dans sa source, et d'être par cette me perfectionnée dans la charité, selon ce que dit encore l'Apôtre : Tant que nous habi- tons dans le corps, nous sommes éloignés du Seigneur et de notre patrie ; nous marchons éclairés par la foi et non par la claire vue. Or, l'homme en cette vie peut éviter le péché mortel qui éloigne de Dieu ; il peut aussi se déliwer des soucis des choses temporelles, puisque, comme le dit l'Apô- tre : « Celui qui est sans épouse est occupé des choses di%ines « et du soin de plaire à Dieu ; mais, quant au poids de cette « chair corruptible, personne ne peut en être exempt en ce « monde . » Ainsi donc , ce tte perfection de la charité à laquelle on parvient par l'enlèvement des deux premiers obstacles, nous pouvons l'avoir ici-bas ; mais nous ne pouvons atteindre celle qui exige l'éloignement du troisième. C'est pourquoi la perfection de la charité propre à l'autre vie, personne n'a pu l'avoir en celle-ci, si ce n'est celui qui fut à la fois viator et comprehensor, Jésus-Christ Notre-Seigneur ^ . »
' s. Thon)., in Qaiist. dispai., qwxst. de Cliaritate, a. 10.
8 EN QUOI CONSISTE LA PERFECTION CIir.ÉTlENNE
Parmi les degrés de charité possibles en cette ^^e, poursuit saint Thomas ', le plus bas exclut de notre affection tout cv qm est opposé à l'amour de Dieu. Il consiste à n'aimer rien contre Dieu, rien plus que Dieu ni autant que Dieu 2. Ce degi'é est nécessaire au salut ; mais il n'exclut pas de l'âme toute attache au péché, puisqu'il peut subsister avec des fautes vénielles. Dans les autres degrés, le cœur exclut en outre de son affection ce qui le partagerait, ce qui l'empê- cherait de se porter entièrement i\ Dieu. Plus l'âme se dégage de ces empêchements, plus sa charité se perfec- tionne, phis elle s'élève elle-même sur l'échelle mystérieuse suivant les paroles du Psalmiste : Ascensiones in corde suo disposidt, in loco qiiem posuit ; elle a disposé des ascen- sions dans son cœur, au lieu qu'elle a choisi ^.
On arrive au plus haut degré de charité qu'il soit possible d'atteindre en cette vie, quand la volonté est non-seulement résolue à n'offenser jamais son Dieu, môme en matière légère, pour quelque cause que ce soit, mais qu'elle est encore dis- posée à suivre en tout son bon plaisir, â prendre pour demeurer unie à lui , afin de s'élever encore dans ce degré et de croître dans son amour, tous les moyens qu'elle recon- naîtra les plus propres à cet effet *.
' Un, q. 184, a. 2.
MI II, q. 184, a. 2 et a. 3 ad 2.
5 Ps. LXXXIII, (i.
* Conf. Suarez, de Relig., tr. VII, I. I, c. iv. — S. Thora., II II, q. 184, a. 3. ad 3.
OBLIGATION DE TENDRE A LA PERFE<:T10> CHRÉTIEMSE
CHAPITRE II
Obligation de tendre à la Perfection
chrétienne.
C'est une erreur assez commune parmi les chrétiens peu habitués à la lecture et à la méditation des saints Évangiles, de croire qu'ils ne sont nullement obligés d'être parfaits; que l'obligation de tendre à la perfection n'existe que pour le prêtre et le religieux, et que les simples fidèles, vivant dans le monde, en sont exempts. Et, cependant, il n'y a rien de plus clairement exprimé dans les saintes Lettres, que l'obligation faite à tous de se rendre parfaits.
Saint Jean Chrysostome le fait remarquer aux détracteurs de la vie monastique. « Lorsque, écrit-il ^, Notre-Sei- gneur Jésus-Christ intime ses lois et ses divins préceptes, il s'adresse à tous, il commande à tous de ne point jurer, de ne point se mettre en colère, de s'abstenir des désirs coupables; il exige de tous, comme condition de l'éternelle béatitude, la pauvreté d'esprit, les larmes de la pénitence, le pardon des injures, la douceur et la miséricorde; il ne distingue pas entre les religieux et ceux qui ne le sont pas. Cette distinction est de l'invention des hommes ; on ne la trouve pas dans les divines Écritures '2. »
* Ado. ojypugnalores vitiv monast.., 1. III, n. 14.
^ Saint Jean Chrysostome on conclut que le religieux et le séculier différent par leur état, mai.s que, par rapport à l'observation des pré- ceptes, leurs obligations sont les mêmes; que les fautes commises par les religieux contre les divins commandements ne sont pas plus graves que celles des séculiers, et même qu'elles le sont moins, attendu que ceux-ci, ayant plus de satisfactions terrestres, sont plus inexcu- sables de ne pas s'en contenter. — Saint Thomas, traitant la même
1.
10 OBLIGATION DE TENDUE A LA PERFECTION Cli RETIENNE
« Écoutez la doctrine de saint Paul : les paroles de l'Apô- tre sont celles de Jésus-Christ lui-même. Lorsqu'il écrit aux personnes mariées et ayant des enfants à nourrir, il n'exige d'elles pas moins de diligence que des personnes religieuses ; il leur interdit et le luxe des habits et la déli- catesse des viandes ; il leur enjoint de se parer de modestie et de sobriété, de piété et de bonnes œuvres *; il déclare que celles qui vivent dans les délices ont l'apparence de la vie, mais sont en réalité dans la mort -. Ailleurs, il nous dit à tous que, si nous avons de quoi nous couvrir et de quoi vivre, nous devons être contents. Que pourrait-il demander de plus à des religieux? Et lorsqu'il vient à parler de la modération de la langue, il en • fait pour tous une loi si exacte et si étroite que les religieux eux-mêmes ont assez de peine à la garder. Il ne condamne pas uniquement les discours sales et impertinents ; il interdit les simples bouf- fonneries. Ce ne sont pas seulement les paroles pleines de colère et d'amertume, mais encore les cris et les clameurs qu'il retranche de la bouche des fidèles ^. Quand il parh' de la charité, de la mortification des passions, de la pureté du cœur, il exige de tous la même perfection que celle
question (II ii, q.lSG, ii. iu^confirme le sentimentde saint Jean Chry- sostome, par la raison que d'ordinaire la volonté du religieux qui tombe en quelque faute est moins attachée au mal que celle du sé- culier. Mais, comme le fait observer saint Thomas, il faut entendri- ceci de fautes qui seraient de pure fragilité, sans scandale du pro- chain, et dont la matière ne serait pas celle des vœux; car, s'il y avait ou mépris, ou scandale, ou infraction d'un vœu, le péché serait plus grand dans le religieux. (Conf. S. Antonin., llf p. Sinnm., tit. XVI, c. X, §2.)
' I r/m., II, n,to.
' ITim. v,G. '^Eph.,\\\ 13.
OBLIGATION DE TENDRE A LA PERFECTION CHRÉTIENNE 1 1
demandée par Jésus-Christ à ses disciples; il veut que tous prennent pour modèles, dans la pratique des vertus, non- seulement les disciples du Sauveur, mais le Sauveur lui- même, et il leur montre, non point dans les apôtres, mais dans le Fils de Dieu, la perfection à laquelle tous doivent s'efforcer d'atteindre.
« C'est la source des grands désordres qui règne sur la terre, de croire que les seuls religieux sont obligés d'avoir le zèle de leur perfection, et que les séculiers peuvent se négliger sur ce point. Non, non, il n'en est pas ainsi. Quand
le Sauveur nous crie : Venez à moi prenez mon joug
sur vous, et apprêtiez de moi que je suis doux et humble de cœur ^, il ne parle pas aux seuls religieux, il parle à tout le genre humain. Lorsqu'il nous recommande de passer par la porte étroite, de haïr notre âme en ce monde, et autres choses d'une égale perfection, ce n'est pas aux rehgieux seulement, c'est à tous qu'il s'adresse.»
En vérité, n'est-ce pas à nous tous, qui que nous soyons, que le Seigneur enjoint de nous contenter dans nos cUscours du oui et du noji; (h ne pas nous vcngçr d'une injure, mais de présenter la joue à celui qui nous a frappé, d'abandonner notre manteau ù celui qui veut nous ravir notre tunique , d'aimer nos ennemis, de faire du bien ù ceux, qui nous haïssent et nous persécutent, de devenir iùnsi semblables à notre Père qui est au ciel. Entin, c'est k nous tous qu'il donnr le précepte d'être parfait comme notre Père céleste est par- fait 2. « En effet, s'écrie saint Basile =*, quand Jésus-Chrisi promulguait les commandements de son divin Père, il parlait
' Matth., XI, 28. 2Matth.,v, 37, 48. ^Scrm. de Abdicat. rcrum.
1^2 OBLIGATION DE TENDRE A LA PERFECTION CHRÉTIENNE
à tous ceux qui vivent dans le monde. S'il lui arrivait parfois d'être interrogé à part par ses disciples et de leur répondre en particulier, il témoignait alors vouloir dire à tous les fidèles ce qu'il leur disait à eux-mêmes. »
Rappelons-nous d'ailleurs que la perfection consiste dans la charité. Or, le précepte de la charité est imposé à tous les hommes en des termes qui mettent dans tout son jour la vérité qui nous occupe. « Vous aimerez, est-il dit, le Sei- gneur, votre Dieu, de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre esprit et de toutes vos forces * . » Voilà ce que le Seigneur demande de tous, et il demande tout : quelle per- fection plus grande pouvait-il exiger ? « Y a-t-il en nous, dit s. .it Augustin '^j quelque chose qui puisse êti'e ajouté au tout qui nous est demandé. Voilà; dit-il ailleurs 3, la règle de la charité divinement établie. Vous aimerez le prochain comme vous-riièmes ; mais, pourle Seigneur votre Dieu, vous l'aimerez de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit ^; afin que toutes vos pensées, toute votre vie, foutes vos facultés, vous les rapportiez à celui duquel vous les tenez. Lorsqu'en effet, il dit : de tout votre cœur, de tout votre esprit, de toute votre âme, il ne laisse rien en nous- mêmes, rien dans notre vie, qui ne doive être pour Dieu ; mais tout ce qui s'offre à notre amour, tout ce que nous aimons, doit être comme entraîné là où doit nous porter notre amour. Celui donc qui aime le prochain comme il doit l'aimer, aime en même temps le Seigneur de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit. Ainsi, en aunant le
' Matth., xii, 30.
2 De Spir. et LUI., c. iilt.
3 L. I, de Docfr. Christ., c. .wil. * Matth., x.xii, 37.
OBLIGATION DE TE^DRE A LA PERFECTION CHKÉTIENINE 13
prochain comme soi-même, il rapporte et l'amour de soi et l'amour du prochain à l'amour de Dieu, ce divin fleuve ne souffrant point que les ruisseaux qui lui appartiennent s'éloi- gnent de lui et lui ravissent leurs eaux.
« Dans l'amour de Dieu et du prochain qui nous est commandé, observe à son tour saint Thomas, aucune me- sure ne nous est fixée au delà de laquelle commence l'objet d'un simple conseil. On le voit par la forme même du pré- cepte où nous est indiquée la perfection de la charité. Elle est exprimée par ces paroles : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, puisque la totalité et la per- fection sont la même ctose. Elle est également désignée pa»*-, ces autres paroles : Vous aimerez votre prochain comme vous- mêmes; car chacun s'aime soi-même le plus qu'il peut s'aimer. La raison de tout ceci , c'est que la chanté est la fin du pré- cepte. Or , on ne met point de mesure dans l'intention de la fui , mais seulement dans le choix et l'emploi des moyens qui peuvent y conduire. Ainsi, le médecin ne se propose pas de guérir seulement dans une certaine limite , il veut guérir parfaitement , et il proportionne à cette fin les re- mèdes , la diète et tous les moyens de rendre la santé ' . »
' Non autem dilectio Dei et proximi cadit siib prcecepto secun- diim aliqiKim mensuram ; ita quod id quod est plus, sub consilio rémanent, ut palet ex ipsa forma prœcepti, qiite perfectionera de- monstrat, ut cura dieitur : Diliges Dominuin Dcum tuum ex toto corde tim ; totum enim et perfectum idem sunt, secunduni philo- sophuni in 3 Phys., text. 64, et cum dieitur : Diliges proximnm siait tcipsum : unusquisque enim seipsum maxime diligit. El hoc ideo est quia finis pnecepti chantas est, ut Apostolus dicit, l ad Tim., I. In fine autem non adhibetur aliqua mensura, sed solum in his qucie sunt ad finem, ut Thilos. dicit in I Politic, c. vi, a med., sicut medicus non adhibet mensuram quantum sanat, sed quanta medicina, vel dia:)ta utatur ad sanandum, Il ii, q. 184, a. 3.
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, , j, , ,1 . ;.ji , ;.; , sH'ssioM du divin I It
; du Cifl nmis drMUfurrra fonmV jusquft n» i\av noir, soii rnliftt'mrnl punliAr (^l quVïlo ail saliffaiJ plnn- I :*» la divin*' jusliii". ! itin . Notn'-S4iKn«ur nous commando dr w |»oinl nous 1. luT aux rhos.s do la lonv , do fuir lo moindre p^Vho . ...us lonir on gardo oonlm IN^pril «lu momlo , dYiro .1 humblos do nnn. do nous fain* v iolonoo , do re- ■ t I !iMM«i-mômPs, do morlilior iiON jw^sions ol incU- .,i, ,1. 1. _!. .'S, do supportor avoc palionco le* mjuro> <m . iiilMilalions . do nous abslonir do toul ado inUTieur el , n.ur do ool.^n' ol dinipalionor. Kii loulos 00s rocom- ,;„lali.ms il faul rooonnjdlro autanl <lo pircoplos tU- per- iiuii rhn-lionn«* inn>osôs ù Ions, aux s'Vuliors commo m\\
l'jiii'ux.
Ainsi dom-, ilistuijiuaul la prn.Tiioii nirriinm.- yv\^-
'uis lo sons quo nous vouons doxposor, ol sos difforonls
H . . pios do certains moyens de |)orfoclion appelés conseila
vatujiHiqties , il faul dire qu'à l'ôgard do colle porfoolion
>!- mi-nio ol do sos piV-ooplos divoi-s. loMijïation de li's
ii.uroon pi-aliquo ««>l imposôo à lous les lidolr^. Il faul
tr.'.'n possession du dofçr»'* de charilo qiii exclul lout p/'ché
.'l loule affeclion au i>écho . pour accomplir le pW-ceplo
qui nous esl fail d'ainior Pion do loul noire oreur. Mai? .
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14 (JBLIGATKIN DE TENDRE A LA PElîFECTION CHRÉTIENNE
Il faut conclure de tout ce qui précède que si, par per- fection chrétienne, on entend l'observation de certains con- seils auxquels les religieux s'obligent par vœu, tels que ceux de pauNTeté, de chasteté et d'obéissance, les séculiers ne sont point tenus à les observer. « Le Seigneur, en effet, ne nous les a pomt imposés. Il s'est exprimé , dit saint Jean Chry- sostome *, de manière à nous faire clairement comprendre qu'il n'en faisait point une loi. Ainsi , quand il conseille la virginité, il dit : Que celui qui peut comprendre comprenne, qui potest capere capiat; mais il n'ajoute rien qui exprime un précepte formel. Et l'Apôtre, imitant le Maître, dit à son tour , qu'au sujet de la virginité il n'a point de préceptes à nous transmettre, mais un simple conseil 2. »
Mais, si on place la perfection dans la possession de 1;) charité et dans la persévérance de l'amitié divine, nul doute que les séculiers , comme les religieux , ne soient obligés à posséder toujours ce céleste trésor, à être, h chaque heure du jour et de la nuit, prêts pour l'arrivée de leur Maître et Seigneur ^, à avoir sans cesse allumée et brillante la lampe divine remise entre leurs mains pour recevoir l'Époux tt être admis aux noces de l'Agneau ^^
De plus , si , d'après l'Écriture et la tradition , l'on fait consister la perfection, non-seulement dans la fuite du péché mortel, mais encore dans une pureté de cœur qui exclut toute affection au péché même véniel, dans la disposition à souf- h'ir tous les maux , la mort même , plutôt que de consentir à la moindre offense de Dieu . il est également certain que
' Adv. oppu;/)). vitw iiwnasl., 1. III, n. 14. ^I Cor., VIK25. ^ Luc, XI, 26 et seq. ■ Matth., xxv'.
OBLlGATIOrS DE TENDUE A LA l'ERFECTiON CHRÉTIEiNNE 15'
tous les chrétiens sont obligés à cette pureté de cœur, à cette perfection de charité.
ï[ nous suffit , sans doute , pour conserver avec la grâce sanctifiante nos droits à fhéritage céleste, de ne pas nous rendre coupables de fautes mortelles. Mais avons-nous con- tracté la souillure de quelques fautes vénielles, nous ne pou- vons en cet état entrer en possession du divin héritage ; la porte du Ciel nous demeurera fermée jusqu'à ce que notre âme soit entièrement purifiée et qu'elle ait satisfait pleine- ment à la divine justice.
Enfin , Notre-Seigneur nous commande de ne point nous attacher aux choses de la terre , de fuir le moindre péché , de nous tenir en garde contre l'esprit du monde , d'être doux et humbles de cœur, de nous faire violence , de re- noncer à nous-mêmes , de mortifier nos passions et incli- nations déréglées, de supporter avec patience les injures el Ips tribulations , de nous abstenir de tout acte intérieur et extérieur de colère et d'impatience. Eu toutes ces recom- mandations il faut reconnaître autant de préceptes de per- fection chrétienne imposés à tous, aux séculiers comme aux rehgieus.
Ainsi donc , disthiguant la perfection chrétienne prise dans le sens que nous venons d'exposer , et ses différents préceptes de certains moyens de perfection appelés conseils l'vangéliques , il faut dire qu'à l'égard de cette perfection (41e-mènio vX de ses préceptes divers, l'obligation de les mettre en pratique est imposée à tous les fidèles. U faut être en possession du degré de charité qui exclut tout péché et toute affection au péché , pour accomplir le précept;» qui nous est fait d'aimer Dieu de tout notre cœur. Mais . comm.e l'observe saint Thom.as, on peut l'accomplir plu .
16 OBLIGATION DE TENDRr A L\ PERFECTION CHRÉTIENNE
OU moins parfaitement , suivant que l'on est plus ou moins détaché des choses terrestres. Et l'on conçoit que ce déga- gement doive être plus parfait dans les âmes que Dieu a favorisées de grâces plus nombreuses.
Quant à l'emploi des moyens de perfection dits conseils évangéliques, on n'y est obhgé, sous peine de péché, qu'au- tant qu'on en a soi-même contracté l'engagement volon- taire'. Cette obligation est celle du religieux. Aussi, la perfection rehgieuse n'est-elle autre chose que la perfection chrétienne acquise par la pratique des conseils évangéli- ques 2.
CHAPITRE ni
Suite du même sujet
D"après le premier des divins commandements , nous devons aiîner le Seigneur notre Dieu de tout notre cœur, de tout notre esprit , de toute notre âme , de toutes nos forces 3. Or, suint Thomas nous l'a déjà appris , nous ne pouvons aimer Dieu autant qu'il est aimable , lui seul pou- vant s'aimer avec cette perfection. Il nous est également impossible ici-bas de l'aimer d'un amour actuel toujours 1(^ même, d'un amour qui soit sans défaillance ni diminution , comme sans interruption. L'Apôtre nous le It^it assez en- tendre, quand il dit : « Je n'ai pas atteint cet amour, et j(>
' s. Thoiii., II II, (\. 186, a. 2.
-Cette vérité sera mise dans tout son jour aux cliap. iv, v et vi de ee livre.
^ .Marc, XII, 30.
OBLIGATION DE TENDRE A LA l'ERFECTIOîS CHRÉTIENNE 17
ne suis pas arrivé h la perfection, mais je poursuis ma route, et je m'efforce d'y arriver '. » Mais nous pouvons aimer le Seigneur de tout notre cœur, de tout notice esprit, de toute notre âme et de toutes nos forces , en ne laissant rien en nous qui ne lui soit rapporté , au moins par un amour ha- bituel. Nous l'aimerons de tout notre cœur , en ordonnant notre vie de manière qu'elle tende tout entière à sa gloire, suivant le précepte de l'Apôtre : « Soit que vous mangiez ou que vous bu\'iez, ou que vous fassiez quelqu'autre chose faites-le toujours pour la gloire de Dieu 2. » Nous l'aime- rons de tout notre esprit, en rendant notre inteUigence sou- mise à Jésus-Christ sous le joug de la foi ^. Nous raime_ rons de toute notre âme, en n'aimant toute chose qu'en lui^ en lui rapportant toutes nos affections. Enfin, nous l'ahue- •'ons de toutes nos forces , si nous dirigeons à son amour nos paroles et nos œuvres. « C'est là, conclut saint Thomas, le degré de charité auquel tous les hommes sont obligés par le précepte du Seigneur *•. »
Mais l'amour -propre se fait facilement illusion sur ce point ; la paresse spirituelle lui venant en aide , on trouve des prétextes plausibles pour s'exempter de la pratique de cette perfection tant recommandée dans les saints Livres ; on distingue entre les actes des vertus rigoureusement exigés et ceux qu'on appelle de surérogation, entre les moyens absolument prescrits et ceux qui sont simplement conseillés ;
1 Phil., m, 12. M Cor., X, 31. MI Cor., X, 5.
* Hic est ergo tertius perfectœ dilectionis divinie modus, ad quem omnes ex necessitate prsecepti obligantur. (S. Thom., opusc. de Perfect. vitœ spirit., c. m, iv et v.)
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18 OBLIGATION DE TENDRE A LA l'ERIECriO\ CUKÉTIE^NE
on prétend assez faire en se bornant à ceux-là, et pou- voir impunément négliger tout ce qui parait appartenir à ceux-ci. Démontrons que, si l'on satisfait rigoureusement à l'obligation d'être parfait en é^^tant tout péché , il faut quelque chose de plus pour mettre son salut en sûreté , pour ne point être exposé au danger prochain d'offenser Dieu.
C'est une maxime des Maîtres de la vie spirituelle ', qu'il faut toujours viser plus haut que le but à atteindre. La fai- blesse de notre volonté est telle, que nous ne faisons jamais tout ce que nous nous proposons de faire. Semblables à celui qui lance une flèche , nous donnons toujours plus ])as que le point auquel nous visons. Vous ne prétendez , dites- vous, vous ne cherchez qu'à éviter les péchés mortels : vous ne les éviterez jamais tous. Vous vous contentez de vouloir fuir le péché véniel, vous ne tenez nul compte des simples imperfeclions : vous tomberez souvent, par le fait, dans les péchés que vous vous proposez d'éviter. Ainsi, pour arriver à la perfection chrétienne exigée de tous , il faut employer des moyens qui ne sont pas imposés par des préceptes formels ; il faut s'apphquer à la pratique de bonnes œuvres proposées sous forme de conseil. Nous devons en user ainsi, vu la faiblesse de notre volonté et les attraits du mal, sous peine de ne pas être fidèles à l'obsen-ation des préceptes mêmes de la perfection chrétienne. C'est donc notre propre intérêt qui nous fait un devoir de ne pas nous contenter de ce qui nous est formellement com- mandé.
Les imperfections, en effet, si elles ne sont combattues.
' Voy. Scaramelli. Méthode de direction spir il., _ tr. I,a. 2,c. m.
OBLIGATION i)K TENDRE A LA l'ERFECTION CHUÉTIE.MNE 1?
roiicluisent insensiblement aux péchés véniels ; ceux-ci , quand on ne leur fait point la guerre , acheminent aux mortels. Au contraire, un moyen de se tenir éloigné de l'of- lense de Dieu , c'est de s'exercer dans la fuite des imper- fections et dans la pratique de toute sorte de bonnes œuvres. Gerson le démontre par l'expérience. 11 fait observer • qu'il (,'st rare de voir des chrétiens, fidèles observateurs des pré- ceptes , qui ne s'adonnent fréquemment à des œuvres de simple conseil. Suarez "^ assure qu'il est moralement impos- sible de conserver toujours le même propos de ne jamais pécher mortellement , sans faire des œuvres de suréroga- tion, et sans avoir conçu et formé le projet de s'y appUquer toujom's : et il le montre par une comparaison tirée des substances naturelles. Celles-ci ne peuvent se conserver et périssent nécessairement , si elles sont séparées de leurs accidents. Le feu sans la chaleur s"éteint , la neige sans le froid se fond , l'eau et l'air sans le mouvement se corrom- pent ; les fruits et les autres substances, privés de leurs qualités accessoires , se gâtent et périssent. C'est ainsi, dit-il , que périt et meurt en nous la divine charité, lors- qu'elle est dépourvue des œuvres qui la fortifient et l'aug- mentent.
« C'est ce que Notre-Seigneur dit lui-même au bienheureux Henri Suzo, dans la célèbre vision des neuf rochers 3. Ce ser- viteur de Dieu, ravi en extase, aperçut une montagne dont le sommet semblait atteindre le ciel. Neuf rochers, qui s'ap- puyaient les uns sur les autres contre le flanc de cette
' Part. II, alpli. 68, litt. H, cite par Scaramelli, dans la Mc- Ihodc de direct, spirit., tr. I, a. 2, c. m. ^ Cité par Scaramelli, ibid. ^ Cité par le même. ihid.
'iO itlJLlGATiON DE TEiNDRE A LX PEUfECTION CHRÉTIENiNE
montagne, étaient couverts d'habitants plus ou moins nom- breux. Ils signifiaient les neuf degrés de perfection que l'homme peut monter pendant le cours de sa vie mortelle. Tandis que le saint considérait attentivement la hauteur de cette montagne et de ces rochers , il se vit tout h coup placé sur le sommet du premier ; de là , il put apercevoir d'un seul coup d'œil tout ce bas monde enveloppé comme d'un immense filet. Il voyait ce filet s'étendre sur toute la surface de la terre , mais laisser libres les rochers de la montagne. Le bienheureux suppUa le Seigneur de lui dé- couvrir le sens de cette vision. Jésus-Christ lui répondit que c'était l'image du tllet avec lequel le démon attire les hom- mes dans le péché, et dont il enlace le monde presque tout entier ; mais que ce filet ne pouvait couvrir les rochers , parce que là se trouvent seulement les chrétiens exempts dépêchés mortels. Après cette réponse , le bienheureux, toujours ravi en extase , demanda quelles étaient les per- sonnes qui se trouvaient autour de lui sur le premier ro- cher. « Ce sont, répondit Notre-Seigneur, les âmes tièdes et « négUgentes , qui ne s'apphquent nullement à être géné- « reuses dans le service de Dieu ; ce sont les âmes aux- « quelles il suffit de conserver le ferme propos de ne com- « mettre aucun péché mortel, et qui se contentent de vivre « ainsi jusqu'à la mort. » Le serviteur de Dieu, voyant ces personnes si près du filet , demanda si elles seraient sauvées. « Elles le seront, répondit le Sauveur , si elles meu- n rent sans avoir la conscience chargée d'un péché grave ; « mais elles courent un grand danger, parce qu'elles se (f persuadent pouvoir servir en même temps Dieu et le « monde. » Au môme instant, le saint aperçut plusieurs de ces personnes qui. tombées du premier rocher, furent ans-
OBLIGATION DE TENDRK A LA PERFECTION CHRETIENNE 21
sitôt prises et enveloppées dans le tilet. 11 demanda ce que signifiait cette chute : « Ce rocher, répondit Jésus-Chrisl . «( ne peut supporter ceuK qui commettent mi seul péché « mortel ; les âmes qui s'y trouvent sont lâches et pares- (( seuses , elles tombent facilement et retournent ainsi aux « pièges du vice. »
Toute cette vision, conclut l'auteur que nous citons , n'a pas besoin de commentaire. Notre-Seigneur dit en termes très-clairs que les chrétiens tièdes , qui se contentent d'é- viter le péché mortel , tombent néanmoins dans des fautes graves , et s'exposent ainsi à un grand danger de perdre leur salut éternel... En outre, il est moralement impossible d'accomplir les préceptes diNàns quand on néglige les lois de la perfection ; car celui qui voudrait négliger entièrement son avancement spirituel commettrait certainement mie foule innombrable de péchés véniels qui l'entraîneraient dans des fautes mortelles. C'est ce que V Ecclésiastique nous af- tirme en ces termes : « Celui qui méprise les petites choses tombera insensiblement... » On pourrait confirmer cette vé- rité pai^ mille exemples. Ainsi, une jeune fille commence par se parer d'ornements superflus; elle désire ne point paraître commune, elle veut se faire remarquer. Du vain luxe des vêtements elle se laisse bientôt aller à la légèreté; la hcence qu'elle accorde à ses yeux , à ses paroles , à sa conduite , excite dans son cœur des affections qui , sans être d'abord mauvaises, ne laissent pas d'être dangereuses; le poison en- nemi se glisse peu à peu dans cette âme ouljlieuse de la perfection chrétienne, ses amitiés se corrompent insensi- blement, les tentations de l'enfer survienn eut, et l'infortunée jeune fille se laisse aller jusqu'à fouler aux pieds le beau Hs de la pureté. Voilà comment, par des fautes légères dont on
±2 OBLIGATION DE TENDUE A LA PERFECTION CHRÉTIENNE
lait peu de cas . on est eiiti'aiiu'' à commettre les péchés les plus graves '.
Ainsi donc, l'intérêt de notre propre salut concourt avec les di^ins préceptes , pour nous l'aire à tous une obligation de travailler sérieusement à acquérir la perfection chrétienne. Si Ton demande, après cela, quel péché commettrait im sé- culier qui, se bornant au soin d'éviter les fautes graves, ne tiendrait aucun compte de la perfection , nous répondrons avec le commun des théologiens que, si il le fait par mépris de la perfection, il commet un péché mortel; mais que s'il ivagit point par un motif aussi déréglé, sa conduite ne laisse pas d"ètre entachée de péché véniel; il s'expose, en outre, comme il a été dit, au danger de perdre tôt ou tard la grâce deDieuparle péché mortel. « C'est un péché, dit le cardinal Cajetan -, que de rester dans l'intention de ne point se per- fectionner dans la pratique des vertus , et de se contenter d'observer en général les commandements de Dieu-: on en- durcit ainsi son cœur , au grand préjudice de son avance- ment spirituel, on résiste directement au Saint-Esprit. »
Ajoutons qu'avec une pareille insouciance, quand même on éviterait le malheur de tomber en péché mortel , on ^.' rendi\i coupable d'une multitude de fautes vénielles ; et Vàme qui en sera souillée ne pourra jamais, avant d'en.élre entièrement purifiée et d'avoir pleinement satisfait à la di- vine justice pour toutes ces fautes, voir le ciel s'ouvrir de- vant elle. Oh! comme alors, dans les flammes cxpiatrices et dans la longueur d'un cruel exil, elle comprendra quel soin elle devait avoir de se renoncer elle-même . de faire la
' Scaramelli, loc. cit.
'- In (1. Thom., II ii, q. 186, a. "2, ad. 2.
LES PRt'CEPTES ET LES CONSEILS 23
guerre à ses inc.linaljons , de tenir sou cœur libre de toute affection terrestre et déréglée! Comme elle comprendra l'obligation où elle était de se rendre parfaite et de mettre en pratique le précepte du Seigneur : Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait ' .
CHAPITRE lY
Les Préceptes et les Conseils considérés par rapport à la Perfection chrétienne.
11 est important de distinguer, avec l'Ange de l'École 2. deux sortes de conseils. Les uns appartiennent à la perfec- tion chrétienne comme ses effets et ses fruits : tels sont le conseil de bénir ceux qui nous maudissent, celui de pré- senter la joue gauche quand on nous a frappés sur la droite, de céder notre manteau à celui qui veut nous enlever notre tunique, de faire trois mille pas avec celui qui nous en demande mille ^. Ces conseils sont, sans aucun doute, donnés à tous les fidèles, en ce sens que tous doivent y avoir une certaine disposition, parce que tous doivent avoir la charité, source des actes auxquels ils nous portent ; mais leur exer- cice est en rapport avec le degré de charité de chacun : il n'est pas le même dans les commençants, dans ceux qui progressent et dans les parfaits *.
1 Mattli., V, 48.
«Un, q. 186, a. 2.
^Matth., V., 39,4-1.
' Conf. Siiare;:, de Beliglone, tr. VII, 1, X, c. x, n, (j.
'2i LES PRÉCEPTES ET LES CONSEILS
Les autres conseils appartiennent à la perfection chrétienne comme des dispositions qui en facilitent l'acquisition et Texercice : tels sont les conseils concernant la pauvreté volontaire, la continence, l'abstinence, l'obéissance religieuse et les autres vertus.
Il n'est question que de cette seconde classe de conseils dans ce chapitre et dans les suivants.
C'est une erreur assez commune paraii les chrétiens de mettre, entre les préceptes et les conseils ainsi entendus, la différence du plus au moins, de croire que les premiers demandent une perfection moindre que les seconds. Samt Thomas relève cette erreur en certains adversaires de la vie monastique contre lesquels il écrivait. Il fait remarquer que, le premier des préceptes nous commandant d'aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit et de toutes nos forces, on ne voit point ce que les conseils pourraient demander de plus, puisque ce premier précepte demande tout. Et, après en avoir donné la raison déjà expo- sée plus haut S que, la charité étant la fin même du précepte, on ne doit point mettre délimite à sa perfection, il en conclut que le précepte ,de la charité, fm dernière de toute la vie chrétienne, n'est pas restreinlen de certaines limites, en sorte ([u'on puisse dire : tel degré de charité tombe sous le pré- cepte et tel autre, supérieur, est l'objet des conseils. Mais il est commandé à chacun d'aimer Dieu de tout son cœur, comme l'indiquent les paroles mêmes du précepte. On peut d'ailleurs l'accomphr plus ou moins parfaitement. Celui-là ne l'observe nullement qui, dans son cœur, ne préfère pas Dieu à toutes choses. Mais ceux qui le préfèrent à tout, comme leur fm
Voy. en, page 13.
LES PRÉCEPTES ET LES CONSEILS ai)
dernière, peuvent le faire plus ou moins partait ement, selon qu'ils se dégagent plus ou moins des choses créées. Car, et c'est la remarque de saint Augustin '', le désir des biens ter- restres, quand on y met sa fin dernière, est le poison de la charité. La diminution de ces désirs lui donne de l'accrois- sement; elle a sa perfection là où les convoitises ont cessé 2.
C'est aux deux préceptes de la charité envers Dieu et envers le prochain , que tendent , comme ti leur fin , les au- tres préceptes et les conseils, mais d'une manière différente; les autres préceptes y tendent , comme des moyens sans lesquels la fin ne peut nullement être obtenue. Ainsi, la nourriture est nécessaire à la conservation de la vie; les conseils y tendent comme des moyens par lesquels la fin s'obtient plus sûrement et plus parfaitement. Ainsi, certaines potions de médecine préservatrice , sans être nécessaires à la santé , sei-vent cependant à la mieux conserver et à la rendre meilleure. Tel est aussi l'effet des conseils par rap- port à la charité : ils rendent plus faciles et plus sûrs la conservation et l'accroissement de la charité ^.
Sahit Paul le démontre clairement au sujet de la virgi- nité quand, renouvelant le conseil donné par le Seigneur, il ajoute : « Celui qui n a point d'épouse met sa sollicitude à plaire à Dieu ; celui qui en a une est occupé du soin de lui être agréable, de plaire au monde. 11 a le cœur partagé. Une femme non engagée dans le mariage, une vierge, songe à plaire au Seigneur, à être sainte de corps et d'esprit; celle
^ Inter qq. 83, q. 30, Du aidvienda cliaritate . ■ '^ S. Tho:n., Cnnira retrait, ab ingress. relig., c. VI. - IbUl.
VUCATlOiN. 2
2(3 LES PKÉCF.PTrS ET LES CONSEILS
(jui est mariée songe aux choses du niondi' et s'occupe de plaire à son époux ^ . m
On le voit manifestement aussi par le conseil de la pau_ vreté volontaire; car. lorsque Jésus-Christ dit aujeune homme de rÉvangile : Allez, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, il lui propose tout cela comme le moyen d'ar- river à la perfection, dont il lui montre la pratique et l'exer- cice en ajoutant : Vejiez, et suivez-7noi 2. Il ne suftit pas , en effet, observe saint Jérôme ^, d'avoir tout laissé ; c'est pourquoi Pierre, après avoir dit dans la même circoustance : « Voici que nous avons tout quitté, « ajoute, ce qui est la perfection : Et nous vous avons suivi ^.
Ainsi , Jésus lui-même présente l'abandon des choses de la terre comme le moyen de le suivre de près et d'arriver à la perfection de la charité. Cette vertu augmente dans un cœur quand la cupidité y diminue ; et celle-ci s'affaiblit ou s'éteint même entièrement par le détachement réel des biens terrestres ''. La possession de ces biens trompeurs a, en effet, une force particulière pour attacher le cœur. « On les aime plus ardemment quand on les possède , qu'on ne les désire quand en en est privé. Pourquoi le jeune homme qui avait demandé conseil au Seigneur, sur le moyen d'ar- river à la vie éternelle, invité par lui à se dépouiller de se^^ biens, se retira-t-il plein de tristesse, quand il eut entendu Jésus lui répondre que, s'il voulait être parfait, il vendit tous ses biens , les distribuât aux pauvres , et se fit un trésor
nCor., VII, 32, 33, 34.
^Matth., XIX, 21.
' Lib. m, in .Afattti. xi.x.
^Malth., XIX, 27.
^ S. Thoni., loc. cit. Conf.. Quodlibelvm 4, a. 24.
LES PRÉCEPTES ET LES CONSEILS 27
ùaiis le ciel? N'est-ce point parce qu'il avait de grandes possessions ? Il est bien plus facile de ne point désirer les choses qu'on n'a pas que de se dépouiller de celles qu'on possède. Celles-là sont des mets auxquels on n'a point touché : on peut facilement y renoncer ; celles-ci sont comme des aliments qu'on s'est incorporés : ce sont des membres qu'il faut couper ^ . »
Ainsi donc . entre les préceptes di\ins , ceux qui n'onl pas pour objet direct la charité ont pour but d'éloigner de nos âmes tout ce qui est contraire à cette vertu , tout ce cpii la détruirait entièrement , comme la haine, l'envie , la rapine, la vengeance, et le reste ; les conseils tendent à ôter des obstacles qui, sans être contraires à la perfection chré- tienne ou à la charité, en rendent cependant difficile la con- servation et l'exercice : tels sont les liens du mariage , les soucis des affaires temporelles , la possession des biens de la terre.
De là vient que saint Thomas considère les conseils comme des instruments de perfection -. C'est aussi le sen- timent de Cassien : « Le dépouillement et la privation de tous les biens temporels , dit-il , ne sont pas la perfection , mais seulement les instruments de la perfection; car ce
' Cum superllua et terrena diliguntur, arctius adepta qiiam con- cupita constringunt ; iiam unde juvenis ille tristis discessit, qui consilium vitsc œtern» consequendae quœrebat a Domino, cum ay- disset vendenda esse oinnia sua, et distribuenda pauperibus, et ha- bendum thesaurum in cœlo, si vellet esse perfectus, nisi quia mag- nas habebat divitias ? Aliud est enim jam nolle incorporare qus-' desunt, aliud jam incorporata divellere. Illa enim veluti cibi repu- diantur, ista velut membra prœcinduntur. (S. Aug., Epist. XXXI. alias'KXKlV, ad Paulinum et Therasiam, n. K.)
^ Instrumentaliter perfectio consistit in consiliis. (I[ ii. q. t8i, a. 3.)
28 Li:s l'RÉCEi'ins et les conseils
n'est pas en eux qu'elle consiste, mais c'est par eux qu"on y pai'vient ^ . » Ainsi , s'être dépouillé de la possession des biens de la terre , s'être éloigné des plaisirs du monde . s'être soumis à la volonté d'un autre , tout cela n'est point être parfait, mais c'est avoir éloigné les principaux obstacles à la perfection , c'est avoir pris les moyens de devenir par- fait, c'est s'être mis sur la route qui mène plus sûrement et plus facilement à la perfection.
En effet, la pauvreté volontaire conduit le chrétien à la perfection, parce qu'en le dépouillant des biens terrestres, elle arrache ]ilus efticacement de son cœur l'affection aux richesses, si opposées à la charité. La chasteté l'y conduit; car en le privant de tous les plaisirs charnels , elle le dé- gage des sens et de la matière ; et le dispose au très-pur amour de Dieu. L'obéissance nous y mène, en ce que, ré- primant en nous le penchant qui nous porte à faire toujours notre volonté . elle nous dispose à obéir à celle de Dieu ; elle nous prépare à l'exercice du pur amour. On doit en dire autant des autres conseils évangéhques. Tous doivent être considérés comme des nuages propres à nous faire arriver à la perfection de la charité , requise par le premier et par le second commandement : « Les conseils , dit saint Thomas, appartiennent sans doute à la perfection ; mais la pei'fection ne consiste pas dans les conseils , ils n'en sont que les instinmients , ils nous offrent comme une route qui y conduit ^. »
' Jejunia, vigilire, meditatio scriptiirarum, niiditas ac privatio omnium facultatiim, non perfectio, sed perfectionis instrumenta sunt, quia non in ipsis consistit disciplina iilius finis, sed per ilia pervenitur ad fînem. {Collât. , l. c. vn.)
- Consilia ad vit» perfectionem pertinent, non quia in eis princi- paiiter consistit perfectio. sed quia sunt via qusedam, vel instrumenta
LES l'RÉCEPTES ET LES CONSEILS 50
Disons-le donc avec le même docteur ; « Les préceptes de la loi nouvelle nous imposent les moyens nécessaires pour obtenir la vie éternelle ; les conseils nous présentent les moyens par lesquels on parvient plus sûrement et plus facilement à cette fin. L'homme se ti^ouve placé entre les biens fragiles de ce monde et les biens spirituels, dans les- quels consiste l'éternelle félicité ; il s'attache d'autant plus à ceux-ci qu'il s'éloigne davantage de ceux-là, et vice versa. . . Il n'est pas nécessaii'e pour arriver au salut de se dépouiller l'ntièrement des biens teiTestres ; on peut en user convena- blement, sans y mettre sa fin dernière, et arriver ainsi à la vie bienheureuse; mais on y arrivera avec plus de facilité par la voie d'mi total renoncement. Or c'est à prendre cette voie que nous invite le Seigneur, en nous appelant à la pra- tique des conseils évangéUques K »
ad charitatis perfectionem obtinendam. (Contra rctrah. ah infjrcss. relig., c. vl)
• Oportet igitur quod prfpcepta novre legis intelligantur esse data de his quse sunt necessaria ad conseqiiendum lîneni atténue beatitu- dinis, in qiiem lexnova immédiate introducit ; consilia vero oportetessc deillis per quae meiiiiset expeditiuspotest homo consequi tinemprap- dictum. Est autem homo constitutus inter res miindi hiijiis et spi- ritiialia bona, in qiiibus a?terna boatitudo consistit, ita quod quanto plus inhœret uni eorum, tanto plus recedit ab aKero, et e converse... Sedquod homo totaliterquœ sunt niundi, abjiciat, non est necessa- lium ad perveniendum in tinem pnedictuni; quia potesL homo utcns rébus hujus mundi, dummodo in els finem non constituât, ad boati- tndinem .Tternani pervenire ; sed expeditius perveniet totaiiter bona hujus mundi abdicando, et ideo ad hoc dantur consilia Evangelii. (S. Thom., I II., q. 108, a. 4.)
30 LES CO>SEILS CONSiDÉRÎÎIS VXVx UArPOPxT AU SALUT
CHAPITRE Y
Les Conseils considérés par rapport an Salut.
Nous avons distingué, avec le Docteur angélique ', plu- sieurs degrés dans la charité que nous pouvons avoir ici- bas. Un degré supérieur plus ou moins élevé , suivant que le cœur est plus ou moins dégagé de l'amour des choses créées ; im degré inférieur, dans lequel l'âme n'aime rien plus que Dieu, ni autant que Dieu. Ce degré, observe saint Thomas 2. est nécessaire au salut ; car celui qui ne le pos- sède pas est , par le fait . coupalDle de la transgression du premier commandement , et passible de l'éternelle damna- tion.
Les conseils, nous l'avons vu au chapitre précédent, sont des moyens efficaces de nous faire arriver à toute la per- fection de la charité qu'il est possible d'atteindre en cette vie. Ajoutons quïls ne sont pas moins propres à nous con- server dans le degré inférieur de charité, à nous maintenii' dans la grâce de l'adoption divine et dans les droits qu'elle nous domie à l'héritage céleste.
La pratique des conseils , en effet , fortifie l'âme contre tout ce qui est contraire à la charité ; elle lui facilite l'ob- servation des préceptes, sans laquelle la charité périt ; elle éloigne d'elle le danger de tomlier dans le péché et de perdre la grâce en le commettant. C'est un précepte im- posé à tous les hommes de ne pas jurer en vain; mais celui-
' Voy. au c. 1.. p. ><. Un, q. 18i. ;i. 3, ad. 2.
LES CONSEILS CONSIDÉRÉS PAR RAPPORT AU SALUT 31
Kl s'en facilite l'accomplissement , qui est fidèle au conseil de ne point contester, de dire simplement oui ou won '. C'en est un autre de ne point prendre le bien d'autrui. Mais celui qui se dépouille de tout ce qu'il possède pour sui\Te le conseil de Jésus-Christ '^ se dispose mieux à accomplir ce précepte que s'il conservait la jouissance des biens de la terre. Ne s'éloigne-t-on pas du dîuiger de commettre l'adul- tère , défendu par un autre précepte, quand on se met du nombre de ces eunuques volontaires, loués par le Seigneur, qui se privent librement de tout plaisir charnel ^ ? Oui , la pratique de la chasteté éloigne de l'adultère, celle de la pau- Nreté religieuse détourne du vol , l'observation du silence diminue le danger de tomber dans la médisance et la ca- lomnie, la mortitication préserve des périls de la sensualité.
De là , dans l'état religieux , tant d'observances adoptée.^ pour diminuer en ceux qui l'ont embrassé les attraits du vice i't le danger d'enfreindre les préceptes divins *.
r^es préceptes qui nous interdisent le mal peuvent être comparés à des murs de défense, dont le but est de pro- léger la reine des vertus ; les conseils sont les avant-postes de la place: ils servent à tenir l'ennemi éloigné des rem- jiarts •'.
'Matlli.,v,37.
-Matth., XIX, 21.
MIatth.,xix, l'i.
'• Adduntui' ctiam in religionis statu mult;c observanliu', piita vigiliaruni, jejimioriim et sequestrationis a sœcularium vita, per qiuf homincs inagis avitiis arcentur, et ad virtutis perfectionem fa- ciliiis promoventur. (S. Jhom., Contra retvah. abingr. relig. ,c.\i.)
° Ipsa consilia, dit Siiarez (tr. de Relig., 1. I, c. xi, n. 19), prop- trr prcccepta custodiuntur. Quoniam vel ad facilius et securius con- icrvandara gratiam inserviiiiit, vcl ctiam ad obtinendam illani per veram pœnitentiam, si forte sufticieiis non pr.ccosserit, eliguntur.
32 LES CONSEILS CUNSIDÉUÉS PAU RAI'PORT AU SALUT
Ainsi la voie des conseils assure et facilite l'arrivée au port du salut , en rendant moins difficile l'observation des préceptes. La voie commune, au contraire (et nous appelons ainsi celle où l'on se contente des moyens ordinaires de sanctification, sans mettre en pratique les conseils évangé- liques *) , est couverte d'obstacles qui rendent la route dif- ficile et périlleuse : le salut y est beaucoup plus exposé.
N'est-ce pas ce que le Seigneur veut nous faire entendre, quand il dit à ses disciples : « En vérité, je vous le dis, les riches entreront difficilement dans le royaume du ciel 2, » et la raison en est , comme l'observe saint Jérôme , qu'il est difficile de mépriser les richesses que l'on possède et d'en être détaché ; de plus, les joies trompeuses qu'elles produisent et les sollicitudes qu'elles font naître étouffent dans les âmes la semence de la divine parole et l'empêchent de produire des fruits de vie. Il n'est donc pas étonnant qu'elles rendent le salut difficile fi ceux, qui les possèdent. Jésus-Christ va même jusqu'à dire qu'il est plus difficile à un homme riche d'entrer dans le royaume de Dieu qu'à un chameau de passer par le trou d'une aiguille ^. Sans doute, observe à ce sujet le Docteur angélique ^, le Seigneur déclare la chose simple-
* Il n'est pas rare d'entendre opposer la voie des conseils à la voie des préceptes. C'est un raisonnement inexact. Il suppose l'erreur que, d'après saiutThomas, nous avons indiquée au comniencementdu cha- pitre précédent. L'observation des préceptes est la fin qu'il faut at- teindre plus ou moins parfaitement. Deux voies s'offrent pour y arriver : celle des conseils évangéliques , et celle oii l'on n'a pas d'autre moyen pour atteindre cette même tin que les instruments ordinaires de salut et de sanctification, tels que la prière, les sa- crements, etc.
niaUli., .\ix, 23.
5 Luc, XVIII, 23.
^ De Perfect. vitœ spirit., c. Vii.
LES CONSEILS COXSîDÉUÉS l'AR UAPPOHT AU SALUT 31?
ment difficile à ceux qui possèdent des richesses ; mais ii faudrait la regarder comme impossible à ceux qui demeurent dérèglement attachés aux richesses qu'ils possèdent, plus impossible même qu'au chameau de passer par le trou d'une aiguille; car, si les lois physiques s'opposent à cette seconde chose, les lois de la divine justice, dont la vertu est plus indéclinable encore, s'opposent. à la première. 11 est donc plus? utile, pour arriver à la vie éternelle , conclut le saint Docteur , de se dépouiller des biens de la terre que de les posséder , parce qu'il est difficile , quand on possède ces • biens, de ne pas y attacher son cœur; et c'est en quoi ap- paraît la raison du conseil donné par le Seigneur. Car le conseil porte à ce qui est plus utile, suivant cette parole de l'Apôtre aux fidèles de Corinthe : Je vous conseille cette chose, parce qu'elle vous est avantageuse '..
On voit, il est vrai, des personnes se sanctifier dans la vie commune, au sein des richesses, au milieu des cours, mais on en voit aussi marcher impunément sur une corde à une grande hauteur : cet exercice en est-il plus facile et moins périlleux ?
« Oui , sans doute , observe encore saint Thomas -, Abraham s'est rendu parRiit au milieu même des grands biens qu'il possédait. On doit admirer sa vertu, comme on admire en Samson cette force merveilleuse qui lui fit, avec une mâchoire d'âne, abattre une multitude d'ennemis ; mais il n'est pas moins nécessaire au soldat d'aller au combat avec ses armes , ni moins utile à ceux qui désirent arriver k la perfection, de se défaire de leurs biens. Les faits merveil-
1 n Cor., vni, 10.
'De Perf. vitœ ."pinl.. c. vu.
34 LES CONSEILS CONSIDÉRÉS PAR RAPPORT AU SALUT
leux lie doivent point être la règle de notre conduite, car les faibles peuvent plutôt les admirer que les imiter. Sans doute TEsprit-Saint. dans V Ecclésiastique ^, déclare bienheureux le riche qui a été trouvé sans tache, qui n'a point cherché for et n'a point mis son espérance dans les trésors. Oui. il loue, il célèbre la vertu du riche que l'amour des richesses n'a souillé d'aucun péché , qui ne s'est point attaché à l'or . qui ne s'est point confié en ses richesses , ni élevé par l'or- gueil au-dessus des autres ; mais il déclare en même temps quune telle vertu est aussi rare qu'elle est insigne , puis- qu'il ajoute aussitôt : Quel est celui-là, et nous le louerons? car il a opéré des merveilles en sa vie -.
Le dépouillement des biens terrestres dispose l'àme à la lutte ; il lui préjjare une victoire plus assurée sur les enne- mis de son salut. « A ceux qui viennent à lui pour marcher h sa suite , dit saint Grégoire le Grand , le Seigneur recom- mande de renoncer à ce qu'ils possèdent , car nous tous, qui avons entrepris les combats de la foi, nous avons ac- cepté la lutte contre les mahns esprits. Or, ces ennemis pervers ne possèdent rien en ce monde : il faut donc que nous soyons déi)ouillés de tout pour lutter avec eux. Tout homme couvert d'habits qui lutte avec un adversaire nu , donne prise k son ennemi ; il sera bientôt terrassé. Or,'que sont pour nous les biens de la terre, sinon une sorte de vê- tement corporel ? Que celui donc qui s'avance au combat contre le démon rejette ces vêtements, afin de n'être pas renversé 3. »
' Eccli., XXXI, 8.
2 Ibid.
"' Hom. 32, in Evang.
LES CONSEILS CONSIDÉRÉS PAR RAPPORT AU SALUT Sa
Si l'homme doit trouver dos obstacles au salut dans la possession des biens de la fortune, il n'en trouve pas moins dans les liens du mariage et dans l'indépendance de sa pro- pres volonté. Sans doute, il a les grâces d'état, il peut avec leur secours surmonter ces obstacles ; mais la route où il marche n'en est pas moins bordée de précipices qui mettent sans cesse son salut en danger.
Saint Jean Chrysostome démontre la vérité de cette asser- tion, par l'expérience des chutes beaucoup plus fréquentes dans l'état du mariage que dans l'état religieux, dans le siècle que dans le cloître. « Le sécuUer engagé dans le ma- riage devrait, dit-il ^, à cause des consolations dont il jouit, mieux observer la continence conjugale que les moines la chasteté rehgieuse. Cependant, c'est le contraire qui arrive. Nous voyons tomber dans le péché plus d'hommes mariés que de religieux. Voit-on, en effet, autant de ceux-ci recher- cher une épouse que de ceux-là se livi'er à des femmes étrangères ? Si, dans les combats où la victoire leur devrait être plus facile qu'aux religieux , les sécuUers tombent plus fréquemment , que doit-il arriver dans les attaques où ils sont eux-mêmes plus pressés , dans celles que leur livrent l'amour de l'argent, la recherche des déhces de la vie, de la puissance et des honneurs ? Dans une armée aux prises avec l'ennemi, où le combat est-il plus dangereux? N'est-ce point là où les soldats tombent en plus grand nombre ?
« Qui donc doit craindre davantage ? celui qui s'éloigne de la région des écueils et des tempêtes et se hâte de ga- gner le port , ou bien celui qui reste exposé à tous les orages , et que mille solUcitudes étrangères détournent du
' Adv. opjJiign. vitrr nionast., 1. III, n. 13
;}0 LKS CONSEILS roNSIDEIlÉS PAU R/vPPORT AL SALLT
soin de son salut el rendent négligent sur les intérêts de son âme ? Mais quoi ! tous les séculiers devront donc périr ? Je ne dis point cela , continue saint Jean Chrysostome , ils peuvent échapper au naufrage ; mais il leur faudra plus de pénibles efforts qu'à ceux qui marchent par la voie des con- seils , car celui qui est hbre court plus facilement que celui qui est chargé de chaînes. Et ils n'en recevront point pour cela de meilleure récompense ni de plus riches couronnes, car ces chaînes qui les hent et leur rendent la marche pé- nible, ils se les sont imposées librement : ils pouvaient ne pas les prendi'e. »
On alléguera peut-être , contre ce raisonnement , que la voie des conseils ajoute elle-même à l'obUgation des divins commandements celle d'accomplir de nouveaux devoirs cl des actes tle vertus fort difficiles. Nous répondrons : On s'en- gage , il est vrai , à de nouvelles obligations en embrassant la voie des conseils ; mais ces obhgations, loin d'augmenter la difficulté inhérente à la pratique des commandements, la duninuent au contraire. Ainsi, le gravier que l'on jette au fond des navires , loin de les retarder par son poids , est nécessaire à leur marche et rend leur course plus facile. « Oh! combien il est suave et léger, le fardeau du Chritst. s'écrie saint Bernard. Il est vraiment léger ce fardeau, qui, loin d'accabler celui auquel il est imposé, le soulage ; qui. au heu de le charger, le soutient et le porte lui-même! Ce divin fardeau remplissait le sein de Marie, mais sans lui faire senth- son poids. Il soulageait les bras du vieillard Si- méon, par lesquels il se laissait porter. C'est encore lui qui ravissait jusqu'au troisième ciel l'apôtre saint Paul, avec le lourd fardeau d'un corps sujet à la corruption. Je cherche parmi les êtres créés quelque chose que je puisse comparer
LES CONSKILS COJNSIDERKS l'Ail RAPPORT AU SALU'l 37
à ce fardeau qui soulage. Les plumes des oiseaux se pré- sentent à ma pensée. Leur exemple peut nous servir ; car elles rendent le corps des oiseaux à la fois plus pesant et plus agile. Admirable ouvrage de la nature! ce qui aug- mente la matière d'un corps en diminue le fardeau. Il en est ainsi du joug de Jésus-Christ : il porte ceux qui s'en sont chargés. Que dirai-je du char préparé pour quatre chevaux? Il ajoute assurément à la charge que doivent, par lui, traîner les coursiers , mais il la leur rend plus légère. Le fardeau s'ajoute au fardeau et le poids diminue. Ainsi , au poids si lourd de la loi mosaïque s'ajoute le char de l'Évangile; il aug- mente la perfection et diminue la difficuUé ^ . »
Ainsi, conclurons-nous, en continuant la pensée du saint Docteur, les obhgations de la voie des conseils s'ajoutent à celles des simples préceptes, mais elles rendent celles-ci plus
1 Licet admirari quam levé sit omis veritatis. Nuiic vere levé est quod portantem non gravât, sed levât! Quid eo leviiis onere, quod non solum non onerat, sed et portât omnem ciii portandiini imponitur ? Hoc onus potuit uterum gravidare virgineum , gravare non potuit. Hoc onus ipsa, quibus se praîbuit sustentandum , senis Simeo- nis brachia sustentabat. Hoc etiam Paulum in gravi licet et corrup- libili corpore positum rapiebat usque ad tertium cœliim. Quaro in rébus si quid forte huic exoneranti oneri simile inveniamus : occur- rit mihi de pennis avium, quod utcumque coaptem, qute quodani videlicet singulari modo et corpulentiorem redduntsubstanliam, et agilioreni. Mirum opus naturœ ! Unde groscescit materia, inde sar- cina levigatur : et quantum crescit in massa, tantum decrescit in pondère. Hoc plane in pennis Christi oneris exprimit similitudinem, quod et ipsœ ferunt a quibus feruntur. Quid et de quadriga dicam? Haec nimirum admotajumento sarcinam, quœ ab ipso moveri non po- test, auget quidem, sed portabilioreni facit. Onus oneri additur, et minus onerat. Sic et oneri gravissimo legis accedens quadriga Evan- gelii, et auxit pertVctionem, et difficuitatem minuit. (S. liern.,Epist. Lxxii ad Reinuklmn.)
VOCATION. 3
3S IXS CONSEILS CONSIDÉRÉS PAU R.\I>1'0RT M SALI 1
;aci!es à rcmpliv. Leur fai'deau ivest point une charge qui accable, ce sont des ailes qui font voler. Par une compassion mal entendue, afin de le soulager duranlles ardeurs de rôté; enlevez à Toiseau ses plumes, il restera à terre, il ne pourra plus s'élever dans les airs '. Ainsi en est-il du joug de la vie religieuse. Sous son poids fortifiant, on court, on vole dans la carrière de la perfection. Jfais celui qui le dépose comme un fardeau gênant ne fait plus que se traîner dans la voie du salut ; il se trouve sans force et sans courage ; à chaque pas il se sent défaillir.
Mon joug est doux et mon fardeau léger , a dit le dinn Maître 2. 11 l'appelle un joug, parce qu'il le porte avec nous. 11 nous en impose une partie seulement , la plus légère , il prend sur lui la plus pesante ; par son exemple et par l'onc- tion de sa grâce , il nous communique force et courage 3.
Oui, la grâce de la vocation rend faciles les épreuves les plus dures, agréables les sacrifices les plus pénibles : témoin ces jeunes gens d'une naissance distinguée, ces jeunes filles d'une complexion déficate, que l'on voit si pleins de courage, si
1 lîirc sarcina non est pondus onerati, sed ala volaturi. Habent enim et aves pennarum siiarum sarcinas. Portant ilias et portantur. Portant illas in terra; portanUir ab illis in cœlo. Tu si misericor- diam velis pra?bcre avi, prœsertim sstate, et dicas : Miseram is- lam aviculam onerant penn», et detralias onus hoc , in terra reraa- nebit cui subvenire voluisti. (S. Aug., Serm. xxiv, de Verbis Ap., cité par Cornet. aLap., in Matth. xi, 30.)
- .Tuguni enim meum suave est et onus levé. (.Alattli., .\i, 30.) ^ Jugnm enim dicitur quod duo jumenta juncta subeunt : jugum enim a jungendo nuncupatur. Christus ergo jugi, id est, legis evan- gelicœ unam dumtaxat partem collo nostro imponit, alteram et po- fiorem ipse subit; itaque nobiscum jugum hoc trahit et nobis vires animosque traheudi sua gratia ;oque ac suo exemplo suggerit. (Corn, a Lap., ht Miitih.. xi, 30. j
LES CONSEILS CONSIDÉRÉS PAR RAPPORT AU SALLT -i^
heureux dans les travaux de l'abnégation et de lobéissance religieuse. Elle rend douces les observances de la vie reli- gieuse et délicieux les mets les plus grossiers. Andi-é Spi- nola appartenait à une illustre famille génoise. 11 était camé- rier du bienheureux pape Pie V. Invité à la fois parle saint Pontife à revêtir la pourpre, et par une voix intérieure à en- trer dans la Compagnie de Jésus, il se montra quelque temps incertain. La faiblesse de sa complexion , une grande déli- catesse dans le choix des ahments , lui faisaient redouter l'austérité de la vie commune. Rassuré enfin par la voix di- vine qui lui parlait intérieurement et lui promettait son se- cours , il entra au noviciat. Il suivit avec ferveur tous les exercices de la communauté. Sa santé n'en fut nullement incommodée. Les mets communs de la table reUgieuse, lohi de lui causer de la répugnance, lui semblaient exquis. Six ans après, il mourut, à Naples, victime de son dévouement au service des malades dans les hôpitaux K
Parfois , cette même grâce fortifie tellement le corps , qu'elle le rend comme insensible aux coups les plus violents, infatigable dans les plus rudes travaux. Alexandre Briant, ce jeune et illustre martyi' de l'Église d'Angleterre, avait eu le corps brisé et déchiré par les coups des bourreaux ; on avait renouvelé pour lui un supplice oubhé des persécutions ]iaïcnnes : on lui avait enfoncé des aiguilles sous les ongles des mains et des pieds ; on devait le remettre pour la troi- sième fois sur le chevalet. Dans sa prison , où il attendait l'heure du soppUce , il fait vœu d'entrer dans la Compagnie de Jésus, s'il plaît à Dieu de lui rendre la liberté, et il écrit
' P. Ant. Natale, le Paradis sur lu terre, c. vi: Crélineaii-Jolv, Illsloirc de la Compagnie de Jàsvs, l. II, c. vi.
4U LES ÉTATS DE PERFECTION ET L'ÉTAT RELIGIEUX
mie lettre par laquelle il sollicite la faveur d'y être admis. Mis à la torture , il y lut tellement tbrtitié . qu'il n'éprouva aucune douleur pendant cette horrible dislocation de ses membres. Son âme surabondait de joie. Et cependant le cruel Norton, qui présidait à ce supplice barbare, se vantait au palais d'avoir r^ndu Briant plus long que Dieu ne l'avait fait '.
CHAPITRE YI
Les états de perfection et l'état religieux.
On appelle état un genre de vie ayant son principe dans une obligation naturelle et forcée , ou dans un engagement volontaire, irrévocable de sa nature 2. Les principaux, dans l'Église, sont : 1° le mariage, où les époux sont unis par im lien indissoluble et astreints aux charges et aux lois propres à cet état ; "2° l'état de continence , dans lequel on distingue les religieux, obligés par vœu , pour toujours, à la pratique des conseils évangéUques; 3» l'épiscopat, qui attache par des liens pei^péluels à l'exercice du ministère ]jastoral. Les prêtres, les diacres et les sous-diacres peuvent être classés dans ce dernier état, parce que. en vertu des ordres sacrés, ils sont attachés par une obhgation perpétuelle au service de Dieu comme ministres du culte ; mais ils appartiennent
IP. Ant. Natale, ibkl. ; item, P. Pozzoz, Yic et Mort du P. Campian, c. xxxv; l'abbé Destombes, la Persécution religieuse en Angleterre.
- S. Thom., Il II, q. 188, a. 1, q. 1S4, a, 4.
LES ETATS DE PERFECTION ET L'ÉTAT RELIGIEUX 41
aussi au second, par le vœu de chasteté annexé aux saints ordres ^.
Par état de perfection , il faut entendre , dit Suarez , une manière de \ivre perpétuelle , dans laquelle on s'engage k certaines œuvres de surérogation ayant pour objet la perfec- tion chrétienne '^.
L'état de perfection considéré en général, soit dans la vie religieuse, soit hors de la vie religieuse, est, selon saint Tho- mas , un état de servitude dans lequel on se constitue , par rapport à Dieu, par un engagement volontaire et perpétuel. Cette condition, ce genre de vie spirituelle, dans laquelle on se met volontairement , peut ne regarder que l'intime de l'âme. C'est dès lors un état intérieur qui a Dieu seul pour témoin. Tel serait celui d'une âme obhgée à certains actes de perfection par suite de simples promesses faites à Dieu au for intérieur. Mais les obligations nées d'un engagement volontaire peuvent aussi concerner les actes de la vie exté- rieure et avoir l'Église pour témoin et pour juge : l'Église peut leur reconnaître ou leur conférer la vertu de constituer un état de perfection. Nous ne nous occupons dans ce traité que de l'état de perfection reconnu tel par l'Éghse 3.
^ P. Louis du Pont, la Perfection chrétienne, tom. II, tr. n, c. i.
^ Breviter respondeo, necessarium esse ad statum perfectionis, ut fiai per actum qui et ad perpétue nianendum in tali vivendi modo, et ad observandum seu exercendum in eo aliquid perfectionis obliget. Tr. VU, de BcUg., 1. I, c. xii, n. 11 .
^ Status proprie perlinet ad conditionem libertatis vel servitutis. Spiritualis auteni libertas vel servitus potest in Iiomine attendi du- pliciter : unoniodo, secundum id qiiod interius agitur, alio modo se- cunduni id quod agitur exterius. Et quia ut dicitur I Reg., 16, 17 : Homines vicient ea quœ parent , sed Deus intuetur cor, inde est quod secundum intcriorem hominis dispositionem accipitur conditio
4'2 LES ÉTATS DE l'EUFECTlON ET L"ÉTA1 IIELIGIEUX
H liait d'un engagement perpétuel approuvé par l'Église, et attachant d'une manière spéciale au service de Dieu le chrétien qui le contracte. On n'est pas dans un état de ser- vitude, dit saint Thomas , par cela seul qu'on rend des ser- vices à quelqu'un , ni dans un état de liberté parce qu'on cesse de servir; mais celui-là est proprement serviteur, qui est obhgé au service : on est libre quand on n"est pas hé par cette obUgation. Ainsi , on peut faire des actes de per- fection , être même parfait , sans être pour cela dans un état de perfection , parce qu'on n'est pas obhgé d'une manière perpétueUe à ces actes ; et, vice versa, on peut être dans un état de perfection tout en omettant les actes delà vie parfaite auxquels on s'est obhgé. L'état de perfection diffère donc de la perfection elle-même ^ . Il est même un moyen d'arriver à la perfection et d'observer plus facilement et plus parfaite- ment les préceptes -.
Le nom de servitude que lui donne saint Thomas lui vient de ce que la liberté de faire ce qui plaît est liée par le vœu. Celui qui s'obhge par vœu se rend en quelque manière es-
spiritualis status in liomine per comparalioneni adjudlcium divinum, secundum autem ea quœ exterius agimtur accipitur spiritiialis sta- tus in homine per comparationem ad Ecclesiam. Et sic nunc de sta- tibus loquimur, prout scilicet ex diversitate statuum quffdam Eccle- siœ pulchritudo consurgit. (S. Thoni., II ii, q. 184, a. 4.)
^ Sic ergo in statu perfectionis proprie dicitur aliquis esse, non ex eo quod habet actuni dilectionis perfectœ, sed ex eo quod obligat se perpetuo cum aliqua solemnitate ad ea qu;e sunt perfectionis. Con- tingit etiam quod aliqui se obligant ad id quod non servant, et aliqui implent id ad quod se non obligarunt... Etideo nihil prohibet aliquos esse perfectos qui non sunt in statu perfectionis, et aliquos esse in statu perfectionis qui non sunt proprie perfecti. (S. Ttiom., II ii, q. 184, a. 4.)
- Suarez, tr. VII, de Rclig., 1. I, c. ii, n. 9.
LES ÉTAIS DE î'ERFECllOiN ET L'ÉTA'i !*,EL!GIEL1X 43
clave par rapport à l'objet de son vœu : il se soumet à l'obli- gation de le remplir , et se prive ainsi de sa liberté ; et s'il consacre par un vœu toute sa vie à l'accomplissement des œuvres de la perfection, il se constitue par là même l'es- clave de Dieu ^ .
L'état de perfection ne peut être constitué que par la vo- lonté délibérée de celui qui l'embrasse. Si cette volonté, dit Suarez 2, est nécessaire aux adultes pour embrasser l'état (le mariage , si elle l'est à tout homme ayant l'usage de la raison pour entrer ]tar le Baptême dans l'état du christia- nisme, elle le doit être , à plus forte raison, pour se mettre dans un état de p&rfection. Cet état et ces obligations ne peuvent naître que du libre consentement de la volonté.
On le voit clairement , d'ailleurs , par l'énumératiôn des divers états de perfection. Car ni l'état religieux ne peut exister sans la profession volontaire et libre des trois vœux substantiels de religion; ni l'état de continence, sans la pro- messe volontaire et libre de garder cette vertu; ni l'état épis- copal, sans l'acceptation volontaire et libre de l'épiscopat ; et ainsi des autres états de perfection qui ont ])lus ou moins de rapport avec ceux que nous venons d'indiquer.
Il est manifeste , en effet , que l'état de perfection et ses
^ Libei'tas faciendi quocllibet per votiim tollitur.... Unde qui se ad aliquid voto se obligat, in quantum necessitati se subjicit, quo- dammodo constituit se servum, libertatc se privans. Siquidem ergo aliquis se voto obligel ad aliquod particulare opus implenduui , con- stituit se quodamniodo servum, non simpliciter, sed secundum quid scilicet illius ad quod se obligavit. Si vero siraplicitev per votuni to- tam suam vitam dedisset Deo ad implenda ea quœ sunt opéra per- l'cctionis, proptcr Dcum simpliciter seipsum servum constituit. (în Quodlibeto III, a. 17.)
2 Tract. VII, dcRclijj., 1. I, c. xii, u. 1.
ii LES ÉTATS DE PERFECTION ET L'ÉTAT RELIGÏEL'X
obligations diverses étant des choses de pur conseil , personne n'y peut être obligé qu'autant qu'il s'y engage librement lui-même. Dans les cas, fort rares d'ailleurs, où Ton serait tenu en conscience d'embrasser un état de per- fection, le consentement de la volonté n'en serait pas moins requis, et Tétat de perfection lui devrait encore son exis- tence '.
L'acte de volonté d'où naît l'état de perfection est ordi- nairement un vœu. C"est le vœu qui donne naissance à l'état religieux, à l'état de simple continence, et aux autres états dans lesquels on s'engage à quelque manière pei'pétuelle de servir Dieu.
Nous disons ordinairement , car il faut , pour constituer Tétat de perfection, un acte par .lequel on s'oblige à un genre de vie stable , ayant pour but le service de Dieu ; mais \p vœu n"est pas le seul moyen d'obtenir la stabilité requise pour l'état de perfection, .\insi l'état épiscopal est lui état de perfection. L'évèque est engagé d'une manière irrévocable et perpétuelle aux œuvres de la plus haute perfection. Il doit, dit saint Thomas 2, être toujours disposé à faire le sacrifice de ses biens et de sa vie pour l'honneur de Dieu et le salut de son troupeau; mais il s'obUge à ces a^uvres parfaites par le seul fait de l'acceptation Ubre de la charge épiscopale et non par un vœu spécial ^. Celui , dit encore Suarez *, qui s'engagerait pour toute sa vie, par un simple contrat, h ser- ^^r les malades dans un hôpital et à s'y hvrer aux œuvres de miséricorde pour l'amour de Dieu et pour son propre
1 Tract. VU, de Rclig.. I. I, c. xii, n. 2, 3, 4. -\{ II, q. 184, a. o et 7.
^ Suarez, tr. VII, deBelig., 1. 1, c. xii, n. b, 6 et 7. ^ Ibid., n. 7.
LES ÉTATS DE PERFECTION ET L'ÉTAT RELIGIEUX 43
profit spirituel, se mettrait par là dans un étal de perfection, et cependant il n'aurait émis aucun vœu.
L'état de perfection consiste essentiellement dans les con- seils. C'est la pratique des conseils qui lui donne naissance; car cet état n'est point lui-même commandé, mais seulement conseillé. L'acte par lequel on s'engage à pratiquer certaines œmTes de perfection , et par lequel seul on peut se mettre dans un état de perfection, est un acte de pur conseil. Enfin, les œu\Tes auxquelles on s'engage par cet acte sont le plus souvent des œuvres de simple conseil, telles que la conti- nence, la pauvreté, l'obéissance, les œuvres de miséri- corde '.
Vétat religieux est un état de perfection. Mais en quoi consiste-t-il? Quelle est la fin qu'on s'y propose? Et quels moyens y emploie-t-on pour atteindre cette fin ?
D'après saint Thomas , l'état religieux a été institué pour faire acquérir aux fidèles la perfection chrétienne ; il y con- duit à l'aide de certains exercices ayant pour effet d'enlever les obstacles à la parfaite charité. On peut le considérer comme une voie spéciale offerte aux âmes pour les mener à la perfection '^.
C'est en cela que l'état de perfection propre au religieux diffère de celui de l'évèque. L'évoque est tenu d'être parfait, parce qu'il doit en quelque sorte communiquer la perfection. 11 a pour mission de purifier, d'éclairer, de fortifier les fidèles, de travailler à leur sanctification par la surabondance
1 Suarez, tr. VII, de Belig., 1. I, c. xii, n. 12, 13.
- Status religionis est qiuedam disciplina vcl exercitiuni ad pcr- fcclionem pcrveniendi; ad ruiam qiiidein aliqiii pervenire niliiiitur diversis exei'citiis;-sicut eliam mediciis ad sananduiu ati potcsl di- versis mcdicamcntis. (II ii, q. 186, a. 2 et scq.)
3.
iO l.ES ÉTATS DE l'EKFKGT[0?; El' L'ÉTAT RELIGIEUX
de- la charité dont il doit être rempli ; il faut qu'il soit versé lui-même dans la science qu'il doit commimiquer aux au- tres '. Le religieux n'est pas tenu d'être parfait, mais de lendre à la perfection par la pratique des conseils évangé- liques auxquels il s'est engagé en entrant en religion. Il ne fait pas profession d'être parfait, dit saint Thomas, mais de mettre son soin à acquérir la perfection. Ainsi, l'enfant qui va h l'école ne fait point profession d'être savant, mais d'é- ludier pour acquérir la science "2. Il est manifeste, en effet, que celui qui est dans la voie pour parvenir à un terme n'est pas obligé d'être arrivé à ce terme , mais uniquement de prendre quelque moyen propre à l'y conduire. C'est pour- quoi celui qui embrasse l'état religieux n'est pas obligé, par le tait, d'avoir la perfection de la charité, mais il est tenu d'y lendre et de chercher à l'acquérir 3.
La perfection que l'on se propose d'atteindre en religion par la pratique des conseils évangéliques, et qui est aussi la tin de la vie chrétienne ^, ne consiste pas seulement à aimer Dieu au-dessus de tout et à ne lui rien préférer , elle con- siste encore à avoir le cœur dégagé des affections qui l'eni-
' S. Thom., II 11, q. 181, a. 7.
- Ille qui transitât! religionein, non protitetur se esse perfectum, sed profltelur se adhibere studiiim ad perfectionem coiisequendam : sicut etiani ille qui intrat scholas, non profitetur se scientem, sed profitetur se studentem ad scientiam acquirendam. (Un, q. 18(3, a. 2 adl.)
^ Manifestiini est aiilem qiiod illi qui operatur ad iinem, non ex necessitate convenit quod jaui assecutus sit fiucm, sed requirilui' quod per aliquam viam tendat ad tinem. Et ideo ille qui statum reli- gionis assumit, non tenetur haiiere perfectam chai'itateni ; sed tene- tur ad hoc tendere et operam dare ut liabeat cljaritateni perfectam, (Il II, q. 186, a. 2 in c.)
' Voy. le chap. i'^^ de ce livre-
LES ÉTATS DK PliiVFECTIOiN ET LÉTAT RELIGIEUX 47
pécheraient d'être entièrement à Dieu. Aussi l'état religieux, en enlevant à celui qui l'embrasse la jouissance des biens d'où naissent ces affections , a-t-il pour but de le faire ar- river plus sûrement et plus facilement à la perfection de la charité '.
Quels sont les moyens propres à l'état religieux pour atteindre cette fin? Saint Thomas répond que cet état a pour but de conduire à la perfection par l'observation des conseils '^, c'est-à-dire , que la pratique des conseils proposée à tous les fidèles, dans l'Évangile , pour arriver à la perfection de la charité , est nécessaire au rehgieux , puisque cet état , étant un état de perfection , consiste essentiellement dans les (-onseils , ainsi qu'il a été dit plus haut.
Mais quels sont les conseils auxquels on s'oblige dans l'état religieux? Premièrement, l'état religieux, pas plus qu'aucun autre état de perfection, n'embrasse la pratique de tous les conseils proposés dans l'Évangile. Ces conseils, en eflèt , doivent être considérés comme des moyens très-pro- pres à faire arriver le religieux à la fin de l'état qu'il a em- brassé, laquelle est la perfection de la charité. Mais, comme l'observe saint Thomas , il n'est ])as obhgé de prendre tous les moyens qui })Ourraient lui servir à atteindre cette fin; il suffit qu'il emploie ceux qui lui sont déterminés par la règle de son institut ^. Ainsi le malade, désireux de recouvrer la santé, n'est point obligé i\ prendre tous les remèdes propres
» Conf. S. Thom., II ii, q. 186, a. 1 ad 4.
"- II II, q. 186, a. 1 ad 4, coll. a. 2 ad 3.
■ Non tenentiir ad nninia exercilia ([uilnis ad pcrl'ectioiioiu pervc- nitiir, sed ad illa rjiue determiiiate siiiil ci laxata seciiiidiiiu regulaiii 'liiain proressus est. (11 ii. 'f. I.'^G, '.i. ''!.■
48 LES ÉTATS DE PERFECTION ET L'ÉTAT RELIGIEUX
à le guérir, -mais seulement ceux qui lui seront indiqués par le médecin auquel il se sera adressé.
Deuxièmement , il faut distinguer , dans les ordres reli- gieux , la fin générale immédiate de l'état religieux , et la fin spéciale propre à chaque ordre en particulier.
La fin générale immédiate de Tétat religieux est l'éloigne- ment des principaux obstacles fi la perfection et des sollici- tudes terrestres, et la consécration de soi-même à Dieu. Par rapport à cette fin générale, il y a les moyens essentiels et les moyens simplement utiles. Les moyens regai'dés comme essentiels à l'état religieux, appelés pour cette raison constitutifs et substantiels de cet état, sont les trois \(vu\ de pauvreté . de chasteté et d'obéissance. Ils engagent 1p religieux à la pratique de la pauvreté volontaire, de la con- tinence perpétuelle et de l'obéissance à ses supérieurs. Ils sont nécessaires , el ils suffisent pour constituer l'état reli- gieux , parce que , comme l'explique admirablement bien l'Ange de l'école , ils enlèvent les principaux obstacles à la perfection, ils délivrent l'âme de la triple source des solliri- tudes terrestres . et consacrent à Dieu l'homme tout entier pai' un parfait holocauste.
« On peut, en efî'et , <'onsidérer l'état rehgieux sous un triple rapport : premièrement, comme une route qui conduit à la perfection de la charité; deuxièmement, comme délivrant l'âme des sollicitudes extérieures , selon cette parole de rÂp(Mre : Je veux que vous soyez sans sollicitude ; troisiè- mement, comme un holocauste par lequel on s'offre entiè- rement à Dieu soi-même et ses biens. Or, il est facile df^ voir que, sous ce triple rapport , l'état religieux est intégra- lement constitué par les trois vœux.
t( Considéré comme une route qui conduit à la perfection.
LES ÉTATS DE PERFECTION ET L'ÉTAT RELIGIEUX i9
il doit offi'ir au religieux l'éloignemeut des obstacles qui pourraient l'empêcher de donner entièrement son affection à Dieu , c'est-à-dire d'arriver à la perfection de la charité. Or, ces obstacles sont au nombre de trois principaux. Le premier est le désir des biens extérieurs, et il est enlevé par le vœu de la pauvreté ; le second est le désir des satisfac- tions sensibles et surtout des plaisirs charnels que retranche le vœu de continence ; le troisième est le dérèglement de la volonté, auquel le vœu d'obéissance apporte remède.
« Si nous envisageons l'état religieux par rapport aux sollicitudes du siècle, nous voyons celles-ci retranchées par les trois vœux. Le vœu de pauvreté prévient celles qui ont pour objet le soin des choses extérieures ; les soucis attachés au gouvernement d'une famille, on s'en déliwe par le vœu de continence ; ceux que chacun rencontre dans la disposi- tion de ses projires actions , on les éloigne par le vœu d'o- béissance, en se confiant à la direction des supérieurs.
« Enfin, ces trois vœux font de l'état reUgieux un véritable holocauste; car, par eux, l'homme offre à Dieu les trois sortes de biens qu'il possède : il lui sacrifie les biens exté- rieurs par le vœu de pauvreté volontaire , son propre corps par le vœu de continence, renonçant par lui aux plus grandes satisfactions sensuelles ; son àme tout entière , en lui con- sacrant par le vœu d'obéissance sa propre volonté , et par elle toutes ses puissances. Et, ainsi, l'état religieux consiste intégralement dans les trois vœux ' . »
' s. Thoni.. II II, q. 186, a. 7. — Ainsi ['état religieux peut se définir un état de perfeclion conslitué par les trois vœux àe.pan- vrctc, de chasteté et d'obéissance, émis dans un ordre approuvé par rKglise. — Conf. S. Thom. II ii, q. 184-, a. 4; item, q. I8G. a. 3,4 et S.
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oO LES ÉTATS DE PERFECTION ET L'ÉTAr RELIGIEUX
Les conseils simplement utiles , dont la pratique est en usage dans l'état religieux, sont destinés à favoriser l'emploi des moyens substantiels, à en assurer les fruits. « Les exer- cices établis afin de pourvoir à la nourriture, comme le tra- vail, la mendicité et autres semblables , se rapportent à la pauvreté. C'est pour conserver cette vertu que les religieux se procurent de cette manière leurs aliments. Les macéra- tions corporelles , telles que les veilles , les jeûnes et autres du même genre , ont pour but direct l'observation du vœu de continence. Quant aux observances destinées, dans les religions , à diriger les actions de leurs membres à la vie religieuse , c'est-à-dire à l'amour de Dieu et du prochain , telles que la lecture, la prière, la visite des infirmes, et autres semblables, elles sont toutes comprises sous le vœu d'obéis- sance : par la pratique de ce vœu , la volonté, sous la direc- tion du supérieur, ordonne tous ses actes à la fin proposée. La forme de l'habit rehgieux se rapporte aux trois vœ.ux , comme signe des obhgations qu'ils imposent; c'est pourquoi on le donne, ou on le bénit au moment de la profession •.»
Mais le nombre de ces exercices et leur nature , comme aussi la manière d'observer les trois vœux substantiels , dé- pendent du caractère propre des divers instituts et de la fin spéciale qu'ils se proposent. Car, outre la fin générale com- mune à tous, chaque ordre religieux a une fin spéciale, c'est- à-dire une manière particulière de servir Dieu, de tendre à la perfection. Cette fin, propre à chaque institut, demande des moyens spéciaux , et partant la pratique de quelque conseil, auquel ses membres peuvent être engagés par vœu.
C'est d'après celte fin spéciale et les moyens employés
' Il H, q. lyO, ;i.7acl-i.
LES ÉTATS DE l'ERFECTlON ET LÉTAT RELIGIEUX ol
pour l'atteindre que les ordres religieux diffèrent entre eux. C'est par là aussi qu'on doit juger de la perfection plus ou moins grande des divers instituts. Mais, remarquons-le ici, autre est la perfection d'un institut, autre celle d'un religieux. La perfection du religieux, comme religieux , se doit appré- cier d'après la manière plus ou moins parfaite avec laquelle il tend à la tin de son institut par l'emploi des moyens que lui prescrit la règle. La perfection de l'institut, lui-même, se mesure à l'excellence de la tin spéciale qu'il se propose d'atteindre et à l'aptitude des moyens qu'il a pour y con- duire le religieux. Un institut est plus parfait , dit saint Thomas, quand le bien qu'il se propose d'obtenir est meil- leur , soit parce qu'il est plus élevé , soit parce qu'il est plus étendu: et entre deux instituts qui se proposent le même but, le plus parfait sera celui qui a les moyens les mieu>L proportionnés à ce but '.
D'après cette règle, le Docteur angélique met en première ligne les ordres religieux, dont le but spécial est l'enseigne- ment de la foi et la prédication de l'Évangile; parce que, dit- il , dans ces ordres religieux les actes de la vie active pro- viennent de la plénitude de la contemplation, et, comme il
' Excellenlia iinias religionis super aliam principaliter quidein attenditur secundum religionis linem, secundario aiitem secunduiii cxercitinni. Diversiniode taraen ulraque comparatio attenditur. Nani coniparatio qu;e est secundum linem est absoluta, eo quod finis proptev se quœritur; comparatio autem quff. est .secundum exercitium est res- pectiva, quia exercitium non qua-ritur propter se, sed propter tinem. Kt ideo illa religio alteri prœfertur qu;e ordinatur adfinemabsohite po- tiorem, vel quia est majus bonum, vel quia ad plura bona ordinatur. Si vero sit finis idem, secundario attenditur pneeminentia religionis, lion secundum quantilatemexercitii, sed secundum proportionem ejus dû finem inlenlum. (Un. q. t8«. a. 6.~i
0'2 L'ÉTAT RELIGIEUX PAU RAPPORT AU SALUT
est plus parfait d'illuminer que d'être simplement éclairé, il est plus partait aussi de communiquer aux autres les lumiè- res de ses contemplations que de se borner à contempler. Il place au second rang les ordres purement contemplatifs , et dans le troisième tous ceux qui ont pour lin l'accomplis- sement des œuvres de miséricorde corporelle ' .
CHAPITRE VII
L'état religieux considéré par rapport au salut
Nous l'avons déjà remarqué '2, la pratique des conseils a pour effet de f^iciliter l'observation des préceptes et de con- server dans rame la charité. Mais nous n'avons considéré ce résultat qu'en général : il ne sera pas inutile de l'étudier
^ Sic ergo diceiidiini qtiod opus vitie activip est duplex : unum quideni quod ex plenitiidine contemplationis derivaUir, siciit doc- trina et prœdicatio. Unde et Greg. dicit super Ezech., Hom. S, a. med., quod de perfectis vins post conteraplationem suam radeunti- bus, dicitur Psal. cxuv, 7 : Meinoriain suavitatis tuœ eructabunt. ¥,\ hoc prœfertur simplici contemplationi. Sicut enim majus est illu- minare quam lucere solum, ita majus est contemplata aliis tradere quam solum contcmplari. Aliud autem opus est activai vitre quod to- taliter consistit in occupatione cxteriori ; sicut eleeraosynas dare, tiospites recipere, et alia hujusmodi, qu;e sunt minora operibus con- templationis , nisi forte in casu necessitatis , ut ex dictis patet (q. 182, a. 1). Sic ergo summum gradum in religionibus tenent qu;e ordinantur ad docenduni, et pn^dicandum, qua; et propinquissima sunt perfeclioni episcoporura... secundum autem gradum tenent illie qu?e ordinantur ad contemplationem, tertius est earum quse occu- pantur circa exteriores actiones. (S. Thom., Un, q. 188, a. (j.
- Voy. au G. 1 de ce livre.
L'ÉTAT RELIGIEUX PAR RAPPORT AU SALUT oS
dans l'état religieux en particulier. De nouvelles considéra- tions nous montreront que cet état offre réellement au chré- tien, conmie l'enseigne l'Ange de l'école ', une voie plus sûre et plus facile pour arriver au salut.
Saint Bernard compare le monde à une immense mer dont les flots^ amers sont sans cesse agités. Il dit que tous les hommes doivent traverser cette mer orageuse pour ar- river au port, mais d'une manière bien différente. « Les per- sonnes mariées, dit-U, vivant dans les devoirs du mariage et dans la possession des biens de la terre , la traversent à la nage. C'est la manière la plus longue et la plus pénible. Elle est aussi la plus périlleuse. Nous le devons conclure , en voyant un si grand nombre de personnes périr par cette voie, et un si petit nombre faire une heureuse traversée. Il est, en effet, bien difficile , surtout dans le temps présent , où la malice s'est accrue, d'éviter, au miheu des flots de ce siècle, et les gouffres tournants du vice , et les abîmes du crime... Les prélats passent cette mer sur un navire, et, suivant l'expression des Saintes Lettres, ils travaillent dans les grandes eaux. Il leur faut aller et venir partout, porter secours à tous , explorer les endroits dangereux pour les éviter , exciter les tièdes , soutenir les faibles. On les voit tantôt s'élever jusqu'au ciel pour y traiter les choses divines, tantôt descendre jusque vers les enfers, pour y juger les for- faits les plus criminels. Mais où trouver un navire qui puisse soutenir les efforts de flots aussi furieux et demeurer intact au sein de si grands périls?... Quant aux religieux, c'est sur un pont qu'ils doivent traverser cette même mer. La route qui leur est offerte est plus courte , plus facile et plus sûre,
UIii, q. 184,3. 3;q. 186, a. 1 ad 4; q. 189, a. 1.
54 L'ÉTAT RELIGIEUX. PAR RAPPORT AU SALUT
comme })ersonne ne l'ignore. Ce qu'ils ont à redouter, c'est de s'égaler à leurs frères , de retourner en arrière ou de rester sans faire nul progrès dans la voie qui mène au port ^ . »
Saint Grégoire nous donne le même renseignement, lorsque, écrivant à l'empereur Maurice, pour le prier d'abro- ger mie loi par laquelle ce prince avait défendu aux sol- dats d'embrasser la vie religieuse , il lui déclare que , par cette loi, il a fermé le ciel à un grand nombre d'âmes : « Plusieurs, lui dit-il, peuvent mener une vie religieuse sous un habit séculier ; mais il y en a un grand nombre
' Ipse est (scilicct conjiigatonini ordo) qui maxime mare magnum vado pertransit, laboriosum prorsu3, et periculosum etiam, et lon- gum habens iter, quippe qui multa viœ compendia captet. Kam quod periculosum sit iter, in eo palet quod tam multos in eo perire do- lemus, tam paucos videmus sicut necesse est pertransire. Valde cnimdiflicile est, prœsertim diebus istis, quibus malitia nimis inva- luit, inter undas hujus raundi, vitiorum voraginem, et criminalium peccatorum foveas declinare... Porro prœlati quidem ipsi sunt qui descendunt mare in navibus, facientes operationem in aquis multis. Neque enim certa pontis aliqua seu vadi semita coarctantur ; ut li- bère possint usquequaque discurrere, et occurrere singulis, ut oportet, ac dirigere pontis semitam seu vadi, ordinate gradientes, pe- ricula investigare et declinare, excitare tepidos, pusillanimes sus- tentare. Denique ascendunt usque ad cœlos, et descendunt usque ad inferos, nunc quidem spiritualia tractantes atque sublimia, nunc in- fernalia et horribilia facta dijudicantes. Sed quœ poterit navis inve- niri, qnx tam imnianes sustinent fluctus, et in tanto secura possit esse discrimine ?... At continentium quidem ordo et ponte per- transit, quod iter brevius, et facilius, et securius esse nemo est qui nesciat... Recta quidem semita vestra, charissimi, 'et securior con- jugatorum via, non tamen omnino secura : timendum enim pei'icu- lum triplex, id est, ne forte aut œquare se alteri, aut respicere ré- tro, aut certe in medio ponte stare aut residere quis velit. (S. Bern. Scrm. de tribus ordinibus Ecclesiœ.)
L'ÉTAT RELIGIEUX t'AU KAlTOirr AU SALUT '63
qui ne peuvent arriver au salut qu'en abandonnant le siècle ^ . »
Saint Alphonse de Liguori se plait à répéter ces enseigne- ments des Pères : il les rappelle aux âmes qui se sentent attirées à la vie religieuse. « Considérez, leur dit-il 2, que, d'après saint Bernard, il est facile aux religieux de se sauver, et qu'il est bien rare qu'on se damne lorsqu'on meurt en re- ligion : Facilis via de cella ad cœlum ; vix unqiiam aliquis a cella in infernum descendit. La raison que le saint donne à l'appui de ce sentiment, c'est qu'un religieux persévère dif- ficilement jusqu'à la mort, s'il n'est du nombre des élus 3. Aussi, saint Laurent Justinien appelait-il l'état religieux la porte du Paradis : llliiis cœlestis civitatis iste est in- troitus. Et il y voyait pour les religieux une grande marque de leur prédestination : Magnum quippe electionis indi- cium. »
Cet état, en effet, résulte des trois vo^aix de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, c'est-à-dire de l'engagement per- pétuel d'observer les trois conseils évangéUques de pau- vreté volontaire , de continence perpétuelle et d'obéissance aux supérieurs. Mais que sont ces conseils , sinon , comme
' Quam constitutionem ego, fateor Dominis meis, vehementer expavi, quia per eam cœlorum via multis clauditur, et quod nunc us- que licuitne liceat prohibetur. Multi enim sunt qui possunt religio- sam vitara etiam cura sœculari habitu ducere. Et plerique sunt, qui nisi omnia reliquerint, salvari apud Deuni nullatenus possunt. {Epist. l.III, epist. 67.)
2 Fe considération sur l'état religieux. — Nous devons avertir le lecteur, et nous le faisons ici une fois pour toutes, que, dans la plu- liart des citations empruntées à saint Alphonse de Liguori , nou^ .ivons profité de la traduction nouvelle de M. L.-J. Dujardin.
^ S. Bern., de Vitasolitar., c. iv.
o6 L'ÉTAT RELIGIEUX PAR RAPPORT AU S VLUT
nous l'avons appris de saint Thomas . des moyens qui con- duisent plus sûrement et plus facilement au salut ' . C'est la pratique de ces conseils qui , en diminuant pour le religieux les occasions du péché et le danger de perdre la grâce, as- surent, pour ainsi dire, sa persévérance dans le bien, contre les fragilités de la nature déchue ^.
Quel est le grand obstacle au salut? L'amour déréglé des richesses, des honneurs, des plaisirs. C'est là le triple foyer de tous les vices, le triple tilet dans lequel Satan fait tomber les enfants des hommes, la triple chaîne dont il en fait ses esclaves, et par laquelle il les retient et les empêche de se rendre au festin du Père de famille et aux noces de l'Agneau.
Or, cette triple concupiscence se trouve tellement excitée par la possession des biens dû monde , que saint Jean ne craint pas de donner à ceux-ci le nom de celle-là, et de nous dire que tout ce qui est dans le monde est concupis- cence de la chair , concupiscence des yeux , orgueil de la vie 3,
« La cause principale pour laquelle , dit saint Bernard , nous devons fuir les richesses, c'est qu'il n'est guère pos- sible de les posséder sans les aimer. Tous ces objets sont
* Per qii:e nielius et expeditiiis potest liomo consequi finem teternie beatitudinis. (I u, q. 108, a. i.)
- Ad sahitem maxime necessarium est post perfectam remissionem peccatorum, perseverare in gratia, et vitare peccata mortalia ; et quia hoc valde difficile est in natiira lapsa, ideo modus vivendi institui- tiir, et quferitur, in quo et minores et pauciores sint occasiones peccandi, seu amittendi gratiam, et ad hune finem inter alios ins- titutus est status perfectionis. (Suarez, tr. VII, de Relig., 1. I, c. XI, n. 9.)
' Omne quod est in mundo concupiscentia carnis est, et coucu- piscentia oculorum, et superbia vits. (I Joan., Il, 16.)
LETAT RELIGIEUX PAK RAPPORT AL SALL'J Ot
comme gluants et visqueux ; le cœur humain s'y attache do lui-même ^. »
Pour nous faire comprendre le danger que présente à notre cœur la possession et la jouissance des choses tem- porelles , saint Augustin les compare à l'hameçon couvert d"un appât trompeur. « Le poisson se réjouit quand il dé- vore l'appât sans voir l'hameçon ; mais quand le pêcheur commence à le retirer de l'eau , alors il sent ses entrailles déchirées. La douceur de l'appât qui le réjouissait l'a con- duit à la mort. Il en arrive de même à ceux qui placent leur bonheur dans la possession des biens du monde. C'est un hameçon qu'ils ont avalé ; ils vont et viennent , savourant la douceur de l'appât qui le recèle ; viendra le temps où ils sentiront les cruelles épines des plaisirs sur lesquels ils se jettent avec tant d'ardeur '2. »
Mais quel moyen d'éviter les pièges de ces funestes plai- sirs ? Et comment avaler l'appât sans être pris par l'hame- çon? Le plus sûr est sans doute de fuir l'appât dont l'ha- meçon est couvert, et c'est ce qu'on fait en embrassant l'état rehgieux.
« Tous les crimes du monde , dit saint Bonaventure 3, ont leur source dans la concupiscence des yeux , dans la concupiscence de la chair et dans l'orgueil de la vie. Pour éviter les pernicieux effets de ces trois concupiscences , on
* Et haec fugieiidarum causa divitiarum perpétua est, quod aut vix aut nunquam sine ainore valeant possideri. Limosa siquidem et gluti- nosa nimis non modo exterior, veruni etiam interior subslantia nostra videtur, et facile cor liumanum omnibus quœ frequentet adha^ret. (S. Beru., Déclamât, invcrba: Ecce nos reliquimus omnia, etc.)
'^ S. Aug., Lib. de Pugiia Christ., c. vu.
^ la Apologia Pauperum, resp. I, c. m.
oS î;ètat religieux par rapport au salut
peul les combaltre, par le rofus du consentement et des actes auxquels elles nous portent, et par la pratique des vertus opposées ; on le peut aussi par la fuite des occasions et l'éloignement des objets vers lesquels elles nous attirent. Ce second moyen est le plus méritoire, le plus propre à con- duire au salut et à la perfection. Aussi Jésus-Christ , notre divin Maître, afin de nous soustraire plus parfaitement à la concupiscence des yeux, nous conseille de laisser les biens temporels ^ ; afin de nous délivrer de l'orgueil de la vie , il nous propose le renoncement à notre propre volonté ^ ; et afin de nous mettre à l'abri des traits de la concupiscence de la chair , il nous invite à suiwe l'exemple de ces eunu- ques qui, pour le royaume du ciel, se privent de toute satis- faction charnelle 3. »
La vie religieuse naît de ce triple retranchement ; elle se meut et se développe dans ce triple renoncement : elle est donc par son fond un remède à la source de tous les crimes, à la triple concupiscence.
Et, en effet, la concupiscence delà chair a pour objet les satisfactions des sens ; elle est excitée par les aises et les commodités de la vie , favorisée par la liberté que l'on a de tout voir, de tout entendre, de se trouver en relation, en contact avec mille objets pleins de périls. Or, dans l'état religieux, le vœu de chasteté enlève les principaux objets de cette concupiscence , ceux dont les attraits sont les plus puissants sur nos sens ; la vie rehgieuse nous en éloigne ; elle nous met comme hors de la portée de leurs traits. En
1 Mattli., XIX, 2t. '- Matth., XVI, 24. s Mattli., XIX, 12.
l.'ÉTAT RELIGIEUX PAR RAPPORT AU SALUT ')!'
même temps, la pauvreté et la vie commmie rendent comme impossible aux religieux la recherche des aises et des com- modités de la vie; le silence, la clôture, et tant d'autres observances salutaires viennent diminuer les périls : avec elles, mille pièges sont évités et mille occasions retran- chées.
La concupiscence des yeux nous porte à l'amour des biens extérieurs. Ce qui l'excite, c'est le pouvoir et la facihté que l'on a de les acquérir. Saint Bonaventure ' nous rap- pelle qu'elle est , d'après l'Apôtre , la source de tous les maux 5î. « C'est en elle, en effet, dit-il, et dans l'orgueil qui l'accompagne toujours , que tous les crimes ont leur prin- cipe, leurs ahments et leurs progrès. Saint Augustin l'ap- pelle le fondement de la cité de Babylone... Or, comme elle a sa racine dans l'affection du cœur où elle réside, et qu'elle se nourrit dans la possession des biens terrestres , il faut, pour la détruire puriaitement, attaquer à la fois et l'affection intérieure et la possession extérieure. » C'est aussi ce que fait le rehgieux par la pratique de la pauvreté volontaire. Quand le voyageur s'arrête pour considérer l'émail des prai- ries et la beauté des campagnes, il n'avance pas dans sa route. C'est pour cette raison que Notre-Seigneur n'a pas coutume d'épargner les épreuves à ses élus, désireux d'ar- river à la gloire : il les fait passer par un chemin semé de croix et couvert d'épines, de crainte que les douceurs et les charmes du pèlerinage ne ralentissent leur ardeur, n'affai- blissent leurs désirs et ne retardent leur marche. Or , ce que la divine sagesse fait pour les élus , le religieux qu'elle
1 la Apologla Pauporum, resp. III, c. - I Tim., vr, 10.
t)0 L'ÉTAT REI.IGIELX PAR RAPPORT AU SALL'l
a éclairé de sa lumière le fait pour lui-même, il renonce aux. aises et aux commodités de la vie, il embrasse de plein gré les privations, afin que rien ne le captive ni ne l'arrête en ce lieu d'exil ^ .
L'orgueil de la \ie ou la troisième concupiscence nous porte aux honneiu's et aux dignités, à tout ce qui nous élève au-dessus des autres et en particulier à l'indépendance de la volonté ou à l'usage sans contrôle de la liberté.
Dans l'état religieux, le vœu d'obéissance nous prive de cette dangereuse indépendance , source de tant d'or- gueilleuses révoltes contre Dieu et contre les dépositaires de son autorité. Â force d'obéir, on se détache peu à peu de sa volonté propre, on s'éloigne de plus en plus du malheur de résister à celle de Dieu et de tomber dans le péché.
C'est ainsi que la triple concupiscence s'aftaibht dans la vie religieuse par l'éloignement des objets propres à l'exciter, parla privation des jouissances capables de l'alimenter et de la fortifier. Ses flammes sont comme celles d'un incendie : on en devient maître en leur ôtant ce qui nourrit leur ardeur, elles s'éteignent faute d'aliment. Le vieil homme (et l'on donne ce nom aux trois concupiscences , triste lot que nous a légué notre premier père) , le vieil homme, privé de ce qui entretient ses rébeUions, s'affaibUt : il fait au nou- vel homme une guerre moins dangereuse ; il met moins d'obstacles à ses accroissements. On dompte les bêtes fé- roces par le jeûne et les privations ; on les rend ainsi sou- mises et dociles. Et les bêtes de la terre vous seront paci-
^ S. Grégoire le Grand, in Moralibus, cité par Plains, di< Bonheur de la vie rdigiciisa, t. I, part. I, c. ix.
LKTAT UELIGIELX l'VR UAPPUKT AL SALL 1 Ol
Jiques, est-il dit au livre de Job '. Cette parole s'est vérifiée, dans son sens littéral, au Paradis terrestre en faveur de nos premiers parents et dans l'arche au temps du déluge ; elle se vérifie, au sens figuré, dans l'état religieux en ceux qui l'ont embrassé, a Car, dit saint Grégoire -, on peut en- tendre par les bêtes de la teiTc les mouvements de la con- voitise qui , en nous portant au mal , se jettent sur nous comme des bètes farouches. Mais, quand nos cœurs sont soumis au joug de la loi divine, ces bêtes de la terre s'ap- paisent bientôt ; elles murmurent encore par les tentations qu'elles excitent, mais elles n'en viennent pas jusqu'à mettre sur nous leurs dents cruelles, jusqu'à nous faire commettre le mal. Quel est, en effet, celui qui, dans une chair coupable, peut se promettre de dompter pleinement ces animaux fé- roces, quand nous entendons le grand Apôtre, ravi au troi- sième ciel , s'écrior : Je vois dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de mon esprit , et qui tend à me rendre esclave du péché 3. Mais autre chose est de voir ces bêtes furieuses ravager le champ de nos œuvres , autre chose est de les tenir frémissantes, mais enfermées dans le fond de notre cœur. Retenues ainsi dans les barrières de la continence, elles feront encore entendre les rugissements de la tentation , mais elles n'arriveront pas jusqu'à la mor- sure de l'acte coupable. »
Tel est donc le fruit salutaire de la vie religieuse fidèle- ment pratiquée : eUe pacifie nos ennemis domestiques ; elle ne les empêche pas de rugir encore, mais elle les tient à la
' Job, m, 2,3.
^ L. YI Moral., c. xxxiit.
^ Bom., vu, 2, 3.
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En nous dépouillant des biens terrestres , elle nous rend plus facile la lutte contre des ennemis qui n'ont rien en ce monde, elle nous assure la victoire et le triomphe *.
Elle rend notre course plus agile dans la carrière. Car qu'est-ce que la vie chrétienne , shion une course , par la- quelle on s'efforce d'atteindi-e réterneUe couronne? Or tout honune qui court dans la lice s'abstient et se dégage de tout ce qui pouiTait arrêter sa marche ; il s'impose toute sorte de privations , dans la vue de remporter une couronne périssable 2.
Au rapport de Cassien ^, les athlètes , destinés à com- battre dans l'arène afin de remporter le prix de la lutte ou de la course , devaient s'abstenir de tout autre aliment que ceux indiqués par des lois sévères, s'interdire tout excès de bouche et tout plaisir énervant , éviter tout ce qui aurait pu affaiblir leurs forces ; ils fuyaient l'oisiveté et se retiraient de la sollicitude des affaires ; ils se tenaient si éloignés des plaisirs charnels, que, pour en étouffer le sentiment et con- server à leur àme toute son énergie , ils se mettaient sur les reins des plaques de plomb. Ils comprenaient qu'ils se- raient impropres au combat, trop faibles pour remporter le prix, si la vigueur, fruit de la continence , était en eux tant soit peu diminuée. Or qui ne voit que dans l'état rehgieux les règles et observances diverses ont pour but de conser-
' s. Greg. Magn., Hom. 32 in Evang.
- Sic currite ut comprehendatis. Omnis auteni qui in agone conten- dit, ab omnibus se abstinet; et illi quidem ut corruptibilem coro- aani accipiant, nos auteni incorruptam. (\ Cor., ix, 23, 24.
^ L. VI Inslif., c. vu.
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LÉTAl RELIGIEUX PAK RAPPORT AL SALUT 63
ver à l'âme toute sa force , et de lui assurer le prix de la course et de la lutte spirituelles. Elles out pour effet de nous faire déposer tout fardeau inutile ou gênant , et de nous faire courir à une victoire certaine ' .
Suivant saint Grégoire le Grand , notre âme , en cette vie, peut être comparée à un vaisseau battu par la tempête. « Lorsque, dit-il 2, les flots soulevés menacent le navire et annoncent aux matelots un naufrage imminent, ils ne sont plus touchés de l'amour des choses de la terre ; le désir de conserNTr la vie leur fait jeter au fond de la mer les fruits d'une longue navigation. Ainsi , celui qui veut arriver à la vie véritable , qui craint de voir s'amonceler sur sa tête les flots du courroux divin, méprise pour les éviter tout ce qu'il possède. Tels que des matelots surpris par un désastreux orage, nous délivrons notre âme du poids des désirs terres- tres ; en renonçant aux biens de ce monde, nous déchar-. geons notre navire du fardeau qui l'accable et tend à le faire périr. Notre âme, au milieu des flots de la tentation, s'élè- vera d'autant plus vers le ciel, qu'elle sera plus dégagée des sollicitudes de ce siècle. » Elle se verra d'autant plus enrichie des biens célestes , qu'elle sera plus appauvrie des biens de la terre. Il y a une grande différence entre notre âme ainsi dépouillée et le navire débarrassé de son fardeau pour échapper à la tempête : celui-ci, privé de sa cargaison, reste vide , et les matelots sont contramts de souffrir la di- sette et de mendier leur pain ; mais l'âme , dépouillée de l'aflection aux biens terrestres., auxquels elle a renoncé, est enrichie des biens célestes. Elle n'a â craindre pour eux
1 Déponentes omne pondus et circumstans nos peccatum, curra- mus ad propositum nobis certamen. {Hebr., xii, 1.) - L. XXI Moral, c. ult.
<i"i LÉTAT RELIGIEUX PAR RAPPORT AU SALUT
cliaîno , elle les met , pour ainsi dire . hors d'état de nous nuire.
En nous dépouillant des biens terrestres , elle nous rend [ilus facile la lutte contre des ennemis qui n'ont rien en ce monde, elle nous assure la victoire et le triomphe '.
Elle rend notre course plus agile dans la carrière. Car qu'est-ce que la vie chrétienne , sinon une course , par la- quelle on s'efforce d'atteindre l'éternelle couronne? (3rtout honmie qui court dans la lice s'abstient et se dégage de tout ce qui pomTait arrêter sa marche ; il s'impose toute sorte de privations , dans la vue de remporter une couronne périssable -.
Au rapport de Cassien 3, les athlètes , destinés à com- battre dans l'arène afin de remporter le prix de la lutte ou de la course , devaient s'abstenir de tout autre aliment que ceux indiqués par des lois sévères, s'interdire tout excès de bouche et tout plaisir énervant , éviter tout ce qui aurait pu affaibUr leurs forces ; ils fuyaient l'oisiveté et se retiraient de la sollicitude des affaires ; ils se tenaient si éloignés des plaish's charnels, que, pour en étouffer le sentiment et con- server à leur àme toute son énergie, ils se mettaient sur les reins des plaques de plomb. Ils comprenaient qu'ils se- raient impropres au combat, trop faibles pour remporter le })rix, si la vigueur, fruit de la continence , était en eux tant soit peu diminuée. Or qui ne voit que dans l'état religieux les règles et observances diverses ont pour but de conser-
' s. Greg. Magn., Honi. 32 in flvang.
- Sic currite ut coniprehendatis. Omnis autem qui in agone conten- dit, ab omnibus se abstiuet; et ilii quidem ut corruptibilem coro- nam accipiant, nos auteni inrorruptani. (\ Cor., i\, 23, 24.;:
= L. VI Jnstif., c. VII.
LÉTAl RELIGIEUX PAR KAI'l>ORl Al SALUT 63
ver à l'âme toute sa force , et de lui assurer le prix de la course et de la lutte spirituelles. Elles ont pour effet de nous faire déposer tout fardeau inutile ou gênant , et de nous faire corn-ir à une victoire certaine ' .
Suivant saint Grégoire le Grand , notre âme , en cette vie, peut être comparée à un vaisseau battu par la tempête. « Lorsque, dit-il 2, les flots soulevés menacent le navire et annoncent aux matelots un naufrage imminent, ils ne sont plus touchés de l'amour des choses de la terre ; le désir de conserN'er la vie leur fait jeter au fond de la mer les fruits d'une longue navigation. Ainsi , celui qui veut arriver à la vie véritable , qui craint de voir s'amonceler sur sa tête les flots du courroux divin, méprise pour les éviter tout ce qu'il possède. Tels que des matelots surpris par un désastreux orage, nous délivrons notre âme du poids des désirs terres- tres ; en renonçant aux biens de ce monde, nous déchar-, geons notre navire du fardeau qui l'accable et tend à le faire périr. Notre âme, au milieu des flots de la tentation, s'élè- vera d'autant plus vers le ciel, qu'elle sera plus dégagée des sollicitudes de ce siècle. » Elle se verra d'autant plus enrichie des biens célestes , qu'elle sera plus appauvrie des biens de la terre. Il y a une grande différence entre noti'e âme ainsi dépouillée et le navire débarrassé de son fardeau pour échapper à la tempête : celui-ci, privé de sa cargaison, reste \\de , et les matelots sont contraints de souffrh* la di- sette et de mendier leur pain ; mais l'âme , dépouillée de l'aflection aux biens terrestres., auxquels elle a renoncé, est enrichie des biens célestes. Elle n'a à craindre pour eux
' Déponentes omne pondus et circuniblans nos peccatum, ciirra- nius ad propositum nobis certanien. (Hebr-, xii, t.) - L. XXI Moral, c. ult.
6i L'ETAT RELIGIEUX PAR RAPPORT ALI SALUT
ni le soulèvement des flots , ni la fureur des vents , ni le malheur d'un nau{i\ige ' .
Mais ne serait-il pas plus, glorieux et plus méritoire de rester dans le siècle et d'en tiiompher?
« Vous me dites, répond saint Jérôme 2, demeurez dans la mêlée, résistez à l'ennemi et triomphez de ses attaques , afin de remporter la couronne. J'avoue ma faiblesse , je ne veux pas m' exposer à un combat si périlleux. Pourquoi laisser le certain et courir après l'incertain ? Il faut éviter la mort à l'aide du bouclier ou par la course ; par la résistance on parla fuite. Vous qui voulez vous exposer au combat, vous pouvez vaincre ou être vaincu. Moi, tpii prends la fuite, je ne suis pas vaincu parce que je fuis, mais je fuis afin de n'être pas vaincu. 11 n'y a nulle sûreté k dormir auprès d'un serpent. Il peut arriver qu'il ne me morde pas, mais il peut arriver aussi qu'il me morde. »
« C'est une erreur, dit à son tour saint Bonaventure ^, de croire qu'il est plus parfait de demeurer dans le siècle, sous prétexte que la vertu s'exerce dans la lutte, qu'il est plus difficile d'éviter le péché au sein des occasions , plus digne d'admiration de ne pas brûler au milieu des flammes,
^ S. Basil., Ilom. in seculiim.
- L. contra Vigilantium, n. 10.
^ In Apologia Paupentm, resp. I, c. m. — Saint Thomas fait à la même question mie réponse à peu près semblable : « Dicendum quod duplex est difficultas. Una quœ est ex arduitate operis, sicut virgi- nilatem servare, et alla hujusmodi : et talis difficultas facit ad aiig- mentum virtutis. Alla difficulta?; est ex impedimentis et periculis imminentibus : et talis difficultas non facit ad augmentum virtutis, sed ad diminutionem ipsius. Non enim videtur esse prudens, nec multum amare bonum virtutis qui pericula non cavet, et talis diffi- cultas ad bene vivendum imminet in saeculo remanentibus. » (In Qttod'ibetolU,Si. 12 ad 4.)
L'ÉTAT RKI.lGlEt'X PAU UAPI'ORT AU SALUT 6^
et plus glorieux de triompher d'ennemis plus nombreux, de. résister à des assauts plus fréquents et plus dangereux. Il n'est pas juste, en effet, de dire qu'il y a plus de vertu là où il y a moins de sécurité, ni qu'on est plus rapproché de la l)arfaite justice quand on est plus près de sa perte, ou qu'un état est plus parfait parce qu'il est plus difficile d'y éviter le péché. La difficulté d'une chose peut provenir de trois causes différentes. Elle peut naître de la sublimité elle- même de l'action : telle est celle qui se rencontre dans la pratique de la continence perpétuelle, de la pauvreté volon- taire et de l'obéissance reUgieuse. Une semblable difficulté accroît le mérite de l'action. Mais il y en a une autre qui a sa source dans le vice même de la personne : telle est celle qu'éprouvent l'avare à donner, le superbe à se soumettre , l'intempérant à faire abstinence , le voluptueux à garder la continence ; cette sorte de difficulté augmente , non le mé- rite, mais la misère de la vie. Enfin , il est une troisièiiK' sorte de difficulté, celle (|ui naît de circonstances extérieures : c'est par elle qu'il est plus difficile de garder la tempérance à une table bien servie , de mépriser les biens temporels quand ils s'ofti'ent beaux et nombreux , de rester chast(.' dans la fréquentation des femmes. Ce genre de difficulté sert parfois d'occasion ou de cause indirecte à l'accroisse- ment du mérite , lorsque la vertu demeure intacte au sein de ces périls ; mais il tend par lui-même et directement à la perte de l'àme, c'est pourquoi il est mieux de le fuir. »
66 L'ÉTAT RELIGIEUX l'AU K.Vl'I'ORT AU SALUT
CHAPITRE YIll
Suite du même sujet.
Ce qui rend plus sûre et plus facile la voie qui conduit à un but . ce n'est pas seulement l'absence des obstacles , c'est aussi l'abondance et l'efficacité des moyens. Considérée sous ce deuxième aspect , la vie religieuse apparaît égale- ment comme la route la plus facile pour arriver à réternelle félicité. Les moyens de salut y sont multipliés , et le reli- gieux se trouve comme dans une heureuse nécessité d'en faire usage ; car le respect humain , ce fidèle auxiliaire de Satan, la cause de la perte de tant d'âmes dans le siècle ,. cède la place dans l'état religieux à une sainte émulation ])Our la vertu.
Nous parlerons seulement îles principaux moyens de sanctification qui se trouvent dans Fé-tat religieux, et encore ne ferons-nous guère que les indiquer , laissant au lecteur le soin d'en peser lui-même les avantages. Ces moyens sont les sacrements, la prière, la méditation des choses saintes, V édification mutuelle, les avis des supérieurs et la correc- tion fraternelle, la conduite de fobéissance, la mortifica- tion des passions et la pratique des vertus.
Les sacrements sont les grands canaux de la grâce. La Pénitence et l'Eucharistie surtout sont destinées à réparer nos pertes , à guérir nos blessures , à relever nos forces épuisées, à nourrir notre âme , à la fortifier dans la lutte. Les dispositions avec lesquelles on les reçoit multiplient leurs sdutaires effets. Mais . je le demande , où ces canaux
L ÉT.Vl RELIGIEUX PAU RAPPORT AL SALL T 07
divins sont-ils, plus que dans l'état religieux, à la portée de nos besoins et de nos vœux ? En quel état les dispositions pour en approcher dignement sont-elles plus faciles à ac- quérir, et leurs effets plus assurés et mieux garantis ?
Quelle source de grâces, pour une âme religieuse, cjue le bonheur d'avoir Jé?us, l'époux qu'elle a aimé, qu'elle a dé- siré , qu'elle a choisi , toujours présent pour elle dans le sacrement de son amour, demeurant avec elle sous le même toit. « Si les gens du monde , dit à ce sujet saint Alphonse de Liguori ', font tant de cas de la faveur d'être appelés par un roi à demeurer dans son palais , combien plus les reli- gieux ne doivent-ils pas se féliciter d'être admis à passer toute leur vie avec le Roi du ciel dans sa sainte maison î
« Jésus-Christ se tient à l'éghse tout exprès pour eux , afin qu'ils le puissent trouver à toute heure. Les sécuhers peuvent à peine aller le visiter dans la journée, et, en beau- coup d'endroits, le matin seulement, tandis que les religieux le trouvent au saint tabernacle toutes les fois qu'ils le dési- rent, le matin, dans la journée, pendant la nuit. Là, ils peuvent continuellement s'entretenir avec leur Seigneur. De son côté , Jésus-Christ aime à traiter famihèrement avec les serviteurs qu'il a tirés de l'Egypte ; il les fait jouir de sa présence en cette \\e, sous les voiles du sacrement, en at- tendant qu'ils le voient face à face dans le ciel pendant toute l'éternité. »
« 0 solitudo, in qua Deus cum suis familiariter loquitur et conversatur ! Chaque maison religieuse est une douce retraite, où Dieu se conmmuique à ses amis avec la plus tendre familiarité. Les âmes f[ui aiment ardcnmient Jésus-
' XIc Conmlcrution s»/' l'élal nlujicax.
G8 L'ÉTAT RELIGIEUX PAR RAPPORT AU SALUT
Christ ne sauraient désirer un meilleur paradis sur la terre que de se trouver en présence de leur Seigneur , au sacre- ment de l'autel , où il demeure constamment pour l'amour de qui le cherche et le visite.
c( Non habet amaritudinem conversatio illius , nec tœ- dium convictiis illius , sed lœtitiam et gaiidium ' . On peut éprouver de l'ennui auprès de Jésus-Christ quand on l'aime peu ; mais, quand une âme, sur la terre, a mis toutes ses affections en Jésus-Christ seul, elle- trouve dans le saint Sacrement son trésor, son repos, son paradis. Aussi s'aj>- plic[ue-t-elle alors de tout son cœur à faire sa cour à son Dieu présent sur l'autel , à le visiter aussi souvent et aussi longtemps cpie possible, déposant à ses pieds ses affections, ses peines, ses désirs de l'aimer, de le voir face à face, et. en attendant , de lui plaire en tout. »
La prière est, après les sacrements, le grand moyen de salut et de sanctitication offert auK âmes. Elle est , suivant saint Jean Chrysostome -, la clef des célestes trésors , clef nécessaire, sans laquelle les divins trésors nous resteraient fermés ; nous devons , pour ainsi dire, l'avoir toujours à la main, parce que nous avons un besoin continuel du secours de la grâce et que nous voyons Jésus-Christ et son Apôlre nous presser instamment de prier sans cesse , de prier à toute heure ^.
Oy cette prière fréquente , si nécessaire à notre âme, si , vivement recomnrandée à tous , où peut-elle se faire avec plus de facilité que dans l'état reUgieux? Quels obstacles y
* Sap., VIII, 16.
- Hom. I de Ondioiic.
^ Luc, xviu, 1 ; XXI, 36. — Theis., v, 17; I Tim., xi, 18.
LÉTAT RELIGIEUX PAR RAPPORT AU SALUT 6(1
rencontre-l-elle qu'on ne puisse surmonter sans peine? Et où peut-elle avoir plus aisément les qualités propres à as- surer son efficacité? où sera-t-elle faite avec plus de foi que là où régnent les maximes de l'Évangile? où plus confiante que dans un cœur auquel Dieu tient lieu de père, de mère et de toutes choses? où plus attentive et plus fervente que dans la solitude du sanctuaire et dans la compagnie des anges.
La méditation des choses saintes est pour fàme une nour- riture indispensable. Si la désolation règne sur la terre , c'est que, d'après la parole de Jérémie , personne ne médite dans son cœur les intérêts du salut '. Au moyen de la mé- ditation , nous pénétrons en esprit dans l'assemblée des saints, nous entrons en rapport avec les anges , nous pre- nons part à leurs entretiens, notre conversation est dans le ciel 2 ; par elle nous contemplons les choses invisibles , nous voyons toutes choses à la clarté de la lumière éternelle, nous éclairons tous nos pas du flambeau de la foi.
Mais cette salutaire lumière , cette nourriture nécessaire, ces communications célestes , où sont-elles plus assurées et plus abondantes que dans l'enceinte des maisons reli- gieuses , où la pratique de la règle , le son de la cloche, la vigilance des supérieurs, l'entraînement de l'exemple, con- courent à les produire ?
La mutuelle édification. Suivant saint Denys TAréopa- gite 3, dans les rangs des célestes phalanges , parmi les chœurs de la hiérarchie angélique, les flots de la divine
^ Jerem., xii, 11,
2P/iî7., III, 20.
^ De cœlesti hierarchia.
70 L'ETAT RELIGIEUX PAU RAPPORT AU SALUT
lumière et les fleuves des dons célestes se distribuent de telle sorte, qu'ils passent des rangs supérieurs aux rangs inférieurs. De là les noms d'illuminantes et cYilliiminées que donne le saint Docteur aux phalanges qui transmettent à d'autres les lumières qu'elles ont reçues.
Il se passe quelque chose de semblable sur la ten'e , parmi ceux qui s'efforcent , dans un corps de chair, d'imiter la vie des anges. Éclairés par le Soleil de la grâce, ils bril- lent chacun d'une lumière spéciale : l'un se distingue par l'éclat d'une prompte obéissance , l'autre par celui d'une profonde humilité ; celui-ci répand la lumière d'un zèle infa- tigable , celui-là, la flamme d'une charité sans défaillance ; on voit briller en ceux-ci la patience et la mansuétude , en ceux-là la modestie et une aimalile candeur '. Mais toutes ces lumières se mêlent , s'unissent et se prêtent un mutuel secours. Il y a aussi parmi ces anges terrestres les phalanges illuminées et les phalanges illuminantes. Les rayons divins vont de l'un à l'autre et multiplient , en se réfléchissant . l'éclat des vertus qui leur ont donné naissance.
Celui donc qui a le bonheur de vivre dans ce lumineux séjour, dans cette région demi-céleste, comment échappe- rait-il aux bienfaisants rayonnements , aux salutaires ardeurs (le tant d'astres illuminateurs ? Comment son esprit n'en serait-il pas éclairé , son cœur embrasé, sa volonté fortifiée? Sous la céleste influence de ces divins exemples , ne s'é-
' Videas illum peccata flentem, aliiim in Dei laudibus exultantem, hune hominibiis ministrantem, alium alios erudientem, hune oran- tem, illum lugentem, hune miseranteni illum, alium peccata punien- tem, hune eharitate flagrantem, alium humilitatc pollentem, hune in prosperis humilem, illum in adversis sublimem, hune in actione la- borantem, illum in contemplatione quiescenteni. (S. Bern., Hom.f/f regno cœlorum simili homini quœrenti bonus juargaritas.)
LÉTAT RELIGIEUX PAR RAPPORT AL SALLÏ 71
criera-t-il pas avec le Roi-Prophète : Ecce quant bonum et quam jiicimdum habitare fratres in unum ! Oh ! qu'il est bon et qu'il est doux d'habiter ensemble comme des frères * !
Les avis des supérieurs et la correction fraternelle vien- nent en aide, dans l'état religieux, contre les erreurs de l'es- prit , les illusions du cœur et les ruses de l'amour-propre.
Dans le siècle, les âmes de bonne volonté elles-mêmes se trouvent le plus souvent entourées de faux amis ou d'a- mis aveuglés , dont tout le soin, est de leur cacher la vérité, d'excuser leurs faiblesses, de couvrir leurs défauts du man- teau de la vertu , d'encourager leurs lâchetés , de favoriser- leurs désirs déréglés. Dans le siècle , le pécheur entend louer ses coupables projets ; le méchant voit ses iniques succès applaudis 2.
Dans l'état rehgieux , on se concerte pour faire la guerre aux ennemis domestiques , aux vices de toute sorte qui s'opposent au règne de Dieu en nous; on réunit ses Imnières pour les découvrir ; on regarde comme un précieux service d'être aidé dans cette recherche, comme une bonne fortune d'avoir, avec le secours de ses frères, reconnu en soi-même un défaut cpi'on n'avait pas soupçonné jusqu'alors. Tous les fondateurs d'ordres ont grandement estimé ce moyen de sanctification et de salut. Saint Ignace de Loyola le recom- mande à ses disciples ; il désire qu'ils soient contents et heureux d'en être pourvus et d'en recueillir les fi^uits 3.
La conduite de Vobéissance est uai des moyens qui con-
* Ps. CXXXII, i. ■' Ps., H., X, 3. ^ Reg. sumni.. 9 et 10,
il L'ÉTAT RELIGIEUX PAU RAPPORT AU SALUT
tribueiît le plus à taire de Fétat religieux une route sûre et facile vers le port du salut. Non-seulement la direction des supérieurs délivre les religieux des illusions du propre esprit , des errements et des caprices de la volonté propre et des pièges de l'ennemi ; mais, de plus, elle leur procure l'inestimable consolation et le précieux avantage d'avoir Dieu même pour guide , suivant cette parole du Seigneur : Celui qui vous écoute m'écoute ', et de pouvoir dire avec vérité : Le Seigneur me conduit , rien ne me manquera 2. Elle les fait entrer dans la ligne des moyens providentiels que Dieu a préparés pour leur éternel bonheur et qu'il sait devoir les y conduire.
« 11 y a, en effet; dit à ce propos le pieux et savant Les- sius 3, divers ordres de secours et différentes séries de moyens de salut que le Seigneur peut mettre à notre dis- position. 11 connaît ceux auxquels nous serons fidèles , et ceux dont nous ne retirerions point de fruit ; ceux qui doi- vent nous conduire au salut et ceux qui ne mettraient point obstacle à notre perte. C'est une grande grâce que celle t!ui nous met en possession des premiers , qui ouvre sur nous cette série de bienfaits et de secours destinés à nous conduire infailliblement à l'éternelle béatitude : c'est la grâce de la persévérance. Or, continue le savant théologien, ce don précieux, on peut l'obtenir à la fois par la prière et par une humble soumission à la direction de l'obéissance. La prière nous l'obtient ; la conduite de l'obéissance nous
'Liic.,x, 16.
"^ Ps.xxii, 1.
^ De Statu vitœ diligendo, q. 12, n. 1b3, opuscule auquel nous avons emprunté plusieurs des considérations contenues dans ce cha- pitre.
L'ÉTAT RELIGIEUX PAR RAPPORT AU SALUT 7f^
en met en possession. Dieu nous place par l'action des su- périeurs dans cette ligne providentielle qui doit nous faire arriver au port du salut. Le religieux n'a qu'à s'en remettre à la direction de ceux dont le Seigneur se sert pour le con- duire. Qu'il leur ouvre son âme, qu'il leur soumette toutes ses difficultés, et qu'il s'abandonne à leur conduite : Dieu le mènera, par la voie la plus avantageuse, à l'éternelle félicité. »
La mortification des passions et la pratique des vertus. Ce sont les deux mouvements essentiels à la vie chré- tienne : ils lui sont nécessaires comme l'aspiration et l'expi- ration le sont à la vie naturelle, comme les deux rames au batelier ))ûur remonter le courant d'un fleuve. C'est à ces deux mouvements de la vie spirituelle que tendent et que doivent aboutir toutes les inspirations de la grâce , les lu- mières et les motions de l'esprit sanctificateur.
Or ces mouvements salutaires sont des produits spon- tanés de la vie religieuse. Ce sont des fiiiits de vie qui nais- sent d'eux-mêmes dans la terre de la religion ; il n'est besoin à ses heureux habitants ni de longues recherches pour découvrir les plantes qui les portent , ni de grands efforts pour les cueillir. Ils les rencontrent à chaque pas dans ce jardin fertile en cette sorte de fruits.
Saint Louis de Gonzague comparait la vie religieuse à un navire à voile.s , lequel avance toujours , lors même que les matelots ne sont point aux rames. Il voulait dire qu'en religion, pour progresser sans cesse dans la vertu, il n'y a qu'à se laisser aller au courant ou au souffle de la grâce , toujours présente et toujours abondante.
Qu'est-elle, en effet, la vie religieuse en elle-même ? Une série non interrompue de toutes les vertus. Le religieux,
VOCATION. O
74 L'ÉTAT RELIGIEUX PAR RAPPORT AU SALUT
par cela seul qu'il vit en religion et qu'il en suit toutes les observances , produit continuellement des actes de dé- tachement , de pauvreté , de renoncement à soi-même . d'hmmlité, de modestie, de patience, de charité. C'est pour cette raison que les Pères grecs appellent la \ie religieuse un exercice des vertus (iTOvjcj;,-), les religieux, des hommes qui s'exercent dans la pratique des vertus (ûcrxrjrjK'), et la maison religieuse , le lieu où l'on s'exerce à la vertu
Tels sont les principaux moyens de salut et de perfec- tion que l'état religieux offre à celui qui l'embrasse. Ils l'ont de la maison religieuse une sorte de ville fortifiée , pourvue de toute arme , riche en provisions de toute sorte, et dont les habitants n'ont rien à craindre de l'ennemi, à moins qu'ils ne veuillent se livrer eux-mêmes en refusant de se défendre.
Ces moyens de salut sont encore pour le religieux comme autant de degrés qui lui rendent facile l'ascension de la Montagne sainte. « Ils font de la vie religieuse , d'après l'interprétation des saints , l'échelle mystérieuse figurée par eelle qu'aperçut en songe le patriarche Jacob *. Véritable
' Voy. Cornel. a Lap. in Gen. xxviii, 12; P. L. du Pont, la Per- fection chrétienne, t. III, p. IV, c. viii, parag. 1. — « Hœcergo sint, dit saint Bernard, declam. in verba : Ecce nos reliquimus anmia, c. XIV, latera scalœ, vilitas et asperitas... sane ubi sic !5tabilieris et firmaveris in corde tuo asperitatem corporalis abs- tinenti» et laboris amplecti, et omni vilitate et extremitate esse contentiis, bona sunt latera, securus jam insère gradiis exercitii spiritiialis, ut totiiin quod nuindo et canii subtrahis, studio pieta- tis impendas : oblitus qutc rétro sunt et extentus' ia anteriora, ut, uscensionibus dispositis , de virtute protlcias in virtuîem , ut videre Deum deorum in Sion nierearis. " Le saint Docteur, après ces paroles, rapporte comment, dans une vision accordée à deux reli-
L'ETAT RELIGIEUX. l'AR RAPPORT AU SALU'l 7;J
«'■(•helle du salut, elle offi'e pour ai'river au ciel une route sûre et agréable ; pai' l'une de ses extrémités elle touche à la terre, parce qu'elle est établie sur la connaissance et le mépris de soi-même et de toutes les choses mondaines ; ])ar l'autre, elle atteint le ciel et arrive jusqu'au trône de Dieu, car elle conduit l'àme à la contemplation de la Divi- nité et à l'amour partait qui l'unit à son Créateur. Les de- grés de cette échelle sont la pauvreté, la chasteté, l'obéis- sance et les autres exercices et observances de la religion. Par ces degrés, le religieux monte au ciel, comme les anges de l'échelle prophétique, pour converser avec Dieu et s'en- tretenir familièrement avec lui ; comme eux aussi , il en descend afin de s'employer en divers ministères au service du prochain. Ainsi que Jacob, il aperçoit au sommet de l'échelle le Seigneiir qui lui promet ses faveurs et lui dit avec bonté : « Je suis le Dieu de tes pères : c'est moi qui t'ai donné cette terre où tu reposes ; j'y multiplierai tes mérites comme la poussière de la terre, j'étendrai ton ac- tion à l'Occident et à l'Orient , au Nord et au Midi ; je ré- pandrai par toi mes bénédictions sur les nations ; je serai partout ton guide et ton protecteur ; je ne t'abandonnerai |)as, et j'accomplirai envei's toi toutes mes promesses '. »
gieux de saint Benoit, au moment du décès de leur bienheureux patriarche, la règle qu'il avait laissée et l'ordre qu'il avait fondé leur furent représentés sous la figure d'une voie lumineuse, s'éteii- (lant depuis la cellule du saint jusqu'au ciel. « Qua nimirum via, ajoute saint Bernard, Doraini dilectus ascendil, quia non potuit vir sanctus aliter docere quam vixit. Et h»c quidem eorum vel maxima tiducia est, qui ipsius utcuraque student inh;erere vestigiis ipsum prœceptorem pra;viumque sequunlur. .1
' Ego sum Dominus Deus Abraham patris tui, et Deus Isaac. ïerram, in qua dormis, tibi dabo et semini tuo. Eritque semen
7G L'ÉTAT RELIGIEUX PAR RAPPORT AU SALUT
C'est dans la contemplation de ces grands biens de l'étal religieux que saint Bernard s'écriait : « Quelle est cette perle précieuse pour laquelle nous devons tout donner ? N'est-ce pas cette vie religieuse, sainte, pure et immaculée, dans la- quelle l'homme vit avec plus d'innocence, tombe moins sou- vent, se relève plus promptement, marche avec plus de pru- dence, est comblé de plus de grâces, se repose avec plus de sécurité, meurt avec plus de confiance, est plus vite purifié et pin.' largement récompensé. 0 séjour admirable, vallée entourée du rempart de la discipline et fertile en toute sorte de vertus , où les roses de la divine charité sont toujours épanouies , et répandent sans cesse leur céleste odeur ! Vous êtes la porte merveilleuse par laquelle on entre dans la sanite cité , par laquelle on se met en possession du royaume du ciel ; vous conduisez les âmes aux joies éter- nelles et à la terre des vivants; vous ètesTéchelle de Jacob, au moyen de laquelle les âmes escaladent le ciel ; vous êtes la voie royale qui mène à la patrie ; vous êtes l'armure des guerriers victorieux , l'arène où l'on remporte les im- mortelles couronnes. Vous conduisez aux joies éternelles que l'œil n'a point vues , que l'oreille n'a point entendues , c(ue le cœur n'a point goûtées , que la langue ne saurait exprimer, et que vous avez préparées, Seigneur, à ceux qui vous aiment K »
tiium quasi piilvis terrre : dilataberis ad Occidentem , et Orienteni, et Septentrionem, et Méridien). Et benedicentur in te et in .semine luo cunctœ tribus terrœ. Et ero cuslos tuus qiiocumque perrexeris, et redncam te in terrani hanc : nec dimitlara nisi coniplevero uni- versa quœ dixi. (Gen., xxviii, 13,15.)
* Quœ est ista, qureso, fratres mei charissimi, tam pretiosa niar- garita, pro qua universa dare debenuis, ut possimus eam habere ? Nonne hrec religio sancta, pura, inimaculata, in qua honio vivit pu-
1
EXCELLENCE DE L'ÉTAT RELIGIEUX 77
CHAPITRE NEUVIÈME
Excellence de l'état religieux.
Ceux qui ont embrassé l'état religieux sont , en vertu de leurs vœux, consacrés en quelque sorte au service de Dieu ; ils se trouvent, par l'observation de la règle , en un exer- cice continuel de la vertu de religion. « Cette vertu ne ren- ferme pas seulement l'offrande des sacritices et les autres actes qui lui appartiennent plus spécialement; mais les actes de toutes les vertus , par cela seul qu'on les rapporte au service de Dieu, deviennent des actes de religion. Si donc quelqu'un consacre sa vie au service de Dieu , sa vie tout entière appartiendra à la vertu de religion. '. » C'est ce que fait le religieux.
rius, cadit rarius, surgit velocius, incedit cautius, irrogatur frequen- tius, qui escit securius, moritur fiducius, purgatur citius, prœmia- tur copiosius? 0 religio gloriosa et amabilis î... 0 religio vallo dis- ciplina? munita , in qua est pretiosarum virtutum fecunda fertilitas ; ubi sunt rosœ charitatis quœ semper flammescunt , quse seniper in sancto odore vivunt... 0 porta pneclarissima, per quam in sanctani civitateni intratur, per quam regnum cœlorum rapitur et possidetur ! ... Tu scala Jacob, quœ animas perducis ad Paradisum. Tu via rc- gia Paradis!, quœ homines perducit ad patriam. Tu studium certan- tium, luctatorumque bene currentium, producis ad sacras coronas... Tu ducis ad œterna gaudia, quœ oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascenderunt, et lingua dicere non potestquœ tu parasti, Domine, diligentibus te. (S. Bern., Hom. super verba Domini : Simile est regnum cœlorum homini quœrenti bo7ias margaritas. — Voy. S. Anton., p. lit Summ., tit.xvi, c. x, de Cotniueiidatione religionîs : ce chapitre renferme le commentaire des paroles de S. Bernard.)
^ Ad religionem pertinent, non solum oblationcs sacriRciorum et alla hujusmodi, qute sunt religioni propria-, scd etiam actus omnium
78 EXCELLENCE DE L ÉTAT RELIGIEUX
Il a quitté ses biens et sa famille. 11 a été reçu dans la maison de Dieu , au nombre des serviteurs attachés d'une manière spéciale au service de sa divine Majesté. Dès lors il n'a point d'affaire qui ne soit l'affaire de Dieu ; il ne tra- vaille , il n'agit que pour les intérêts de Dieu ; soit qu'il dorme ou qu'il veille , qu'il vaque à l'étude ou à la prière , qu'il manie la plume ou le balai, c'est toujours pour le ser- vice du divin Maître. Un séculier , quelque lionmie de bien qu'il soit, quelque bonnes œuvres qu'il accomplisse, diffèi-e autant du religieux dans les services qu'il rend à Dieu, qu'un ami diffère d'un serviteur fidèle dans ceux qu'il rend à son ami. L'ami le plus bienveillant et le plus dévoué donne la plus grande partie de son temps à ses propres intérêts ; le serviteur n'est plus maître du sien : tons ses moments , tous ses pas, tontes ses actions, sont pour le service de son maître. Le religieux appartient à la maison de Dieu à un titre spécial : Ex domesticis Dei ' .
C'est que, comme nous l'a fait observer l'Ange de l'école, le religieux, en faisant profession, se voue tout entier au service du Seigneur. « Il ne se réserve rien , il consacre ù Dieu tout ce qu'il en a reçu 2. Il a engagé toute sa vie au culte divin ; il s'est donné tout entier. Enrôlé dans l'armée du Christ, il fait la guerre au démon pour l'honneur de
virtutum, secundum quod refenintiir ad Dei servitiuni et honorein, efficiuntur actus religionis. Et secundum hoc si quis totam vitani suam divino servitio deputet, tota vita ipsius ad religionem pertinet : et secundum hoc ex vita religiosa, quam ducunt, religiosi dicunlur, qui sunt in statu perfecUonis. (S. Thom., II 11, q. 186, a. I ad 2.)
^ Eph., XI, 19.
' Nihil sibimetipsis reservant; sed sensum , linguani, vitam •^'■'' que suhstantiam, quam perceperunt, omnipotenti Deo immolant. 'S. Greg. magn., honi. x.x, in Ezech. Alias 1. II, hom. viu, n. 16.)
EXCELLENCE UE L'ÉTAT HELIOIEUX. 79
Dieu '. H mérite excellemment le nom de religieux, parce qu"il s'est totalement offert h Dieu par un holocauste perpétuel 2. »
Ce n'est pas, en effet, un sacrifice quelconque que celui que l'on offre au Seigneur par les vœux de religion ; c'est le sacrifice par excellence, le sacrifice parfait, celui où au- cune partie de la victime n'est réservée, mais où la victime tout entière est offerte et immolée. C'est un véritable holo- causte 3.
<( Lorsque, dit saint Grégoire le Grand , l'on voue à Dieu une part seulement de ce que l'on possède, c'est un simple sacrifice ; mais, quand on lui consacre tout ce que l'on a de bien, de vie, de sentiment, c'est un holocauste. Il en est qui, retenus dans le siècle, ne laissent pas d'employer une partie de leurs biens à secourir les pauvres, à défendre les oppri- més. Ils font d'une part de leurs richesses un sacrifice au Seigneur , et s'en réservent à eux-mêmes l'autre portion ; mais il en est qui ne se réservent rien, et immolent au Sei- gneur tout ce qu'ils ont reçu : ceux-ci lui offrent un holo- causte, ou plutôt, ils deviennent eux-même un holocauste ^.m
' Totam vitani suam Dei cultui mancipavit et se totiim Deo de- dit, et pro pietate et Dei ciiltu cuni dœmonibus belliiin gerit. (S. Joan. Chrys., lib. de Comparatione régis ciun Monacho.)
- Et ideo autonomastice religiosi dicuntur illi qui se totaiiter mancipant divino servitio , quasi haulocaustuni Deo offerentes. fS. Thom.,II II, q. 186, a. 1.)
^ Thora., de Perfcct.vitœ spirif., c. xi.
'' Cum enim quis saura aliquid Deo vovet et aliquid non vovct, sacrificiura est. Cum vero omne quod habet, omne quod vivit, omne quod sapit, oninipotenti Deo voverit, holocaustum est. Nani sunt qui- dam qui adhuc mente in hoc niundo retinentur, et tamen ex posses- sis rébus subsidia egentibus niinisfrant. Oppresses defendere fes- tinant. Isti in bonis quœ faciunt sacrincium yfferunt . quia et aliquid
80 EXCELLENCE DE L'ETAT RELIGIEUX
Ainsi, les biens de la terre , les plaisirs et la liberté doi- vent être pour tous les chrétiens, pour les séculiers comme pour les religieux, matière de sacrifices ; mais les séculiers se réservent un,e part de toutes ces victimes et cèdent l'autre au Seigneur. Ils accordent à Dieu ce qu'ils ne peuvent lui refuser sans encourir sa disgrâce , et retiennent le reste pour eux. Ils offrent à Dieu celle que la loi exige, et ils gardent celle qui ne leur est point réclamée.
Par ses vœux, le religieux cède à Dieu tous ses biens, et il les lui donne sans s'en réserver aucune partie. Il ne les divise pas, il les donne en entier. Par le vœu de pau- vreté , il offre à Dieu toutes ses richesses , avec la faculté d'en acquérir et d'en user à son gré. Par le vœu de chas- teté, il lui sacritie tous les plaisirs charnels , ceux qui lui seraient permis dans un légitime mariage, comme ceux que la loi divine lui défend. Par le vœu d'obéissance, il renonce à son jugement et à sa volonté, il consacre à Dieu sa liberté tout entière. Ainsi, par ces trois vœux comme par un triple holocauste , le religieux fait à Dieu le sacrifice parfait de ses biens extérieurs, de son corps et de son âme '.
« Ce que nous avons de plus cher, dit à ce propos saint Alphonse de Liguori 2, c'est notre propre volonté; et ce que Dieu demande de nous par-dessus tout, c'est aussi
de sua actione Deo immolant, et aliquid sibimetipsis reservant. Et sunt quidam qui nihil sibimetipsis reservant, sed sensum, linguam, vitaui atque substantiam quam perceperunt, Domino immolant. Quid isti nisi holocaustum offerunt, imo magis holocaustum sunt? (S. Greg. magn., Hom. xx, in Ezech. (alias, 1. II, boni, viii, n. 16.)
» Conf. S. Thom., II 11, q. 180, a. 7 ; S. Antonin, III p. Sum., tit. XVI, c. X, parag. 8. L. du Pont : la Perfection chrétienne, t. III, Ir. m, c. V.
^ Cinquième considération sui' l'état religieux.
EXCELLENCE DE L'ETAT RELIGIEUX SI
noire volonté ou notre cœur : Prcebe, fili, cor tuiimmihi '. Ceux qui servent Dieu dans le siècle lui donnent bien ce qu'ils ont, mais ils ne se donnent point eux-mêmes ; ils don- nent une partie , mais non le tout ; ils donnent de leurs biens par l'aumône, de leur nourriture par le jeûne, de leur sang parla flagellation, etc.; mais ils se réservent toujours leur propre volonté , jeûnant quand ils le veulent, priant quand il leur plaît , etc. Le religieux, par le sacrifice de sa volonté propre , se donne lui-même à Dieu , et lui donne tout: il donne, non-Seulement les fruits de la plante, mais la plante elle-même. Après, il j;eut lui dire avec vérité : « Seigneur, je vous ai donné ma volonté , je n'ai plus rien a vous offrir. »
Saint Grégoire le Grand voit dans la tiiple donation que foit le religieux, et dans l'état de perfection qui en résulte, le huitième des degrés par lesquels , suivant la vision du prophète, on arrive à la porte de la cité sainte et à la vie sublime dont cette cité est la figure. « Les sept premiers degrés , dit ce saint docteur -, désignent les sept dons de l'Esprit-Saint. Le huitième indique la vie parfaite de ceux qui ont su s'élever en esprit au-dessus de toutes les choses temporelles , et mépriser pleinement cette vie présente , pour se livrer aux exercices de la contemplation des choses divines. Les apôtres de la divine parole, figurés par la porte de la cité mystérieuse, nous invitent à monter les sept pre- miers degrés , quand ils nous prêchent la crainte de Dieu, la piété, la science, la force et le conseil, rintelligence et la sagesse. Us nous portent à franchir le huitième , quand
' Prov., xxiii,26.
- Hom. xx UiEzech. (alias. 1. II, hoiii. viii, n. 2 et 4).
82 EXCELLENCE DE L ÉîAT RELIGIEUX
ils nous excitent h tout quitter pour Dieu, quand ils nous exhortent à ne rien aimer de ce monde, à ne nous attacher à aucune chose périssable , mais à contempler la céleste patrie, et à nous réjouir à la vue des biens célestes. La vérité elle-même indiquait ce degré au jeune homme qui lui avait dit, en parlant des préceptes de la loi : « Je les ai tous gardés dès mon enfance '. » Il était donc arrivé au sep- tième degré. Le Seigneur lui répondit : Il vous manque en- core une chose .■ si vous voulez être parfait , allez , vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres , et vous aurez un trésor dans le ciel; et puis venez et suivez-moi -. Jésus-Christ lui montrait le huitième degré à fi'anchir pour arriver à la vie parfaite. Le jeune homme le comprit; mais il ne voulut pas aller plus avant ': il se retira plein de tris- tesse. »
La perfection du sacrifice oftert à Dieu par ceux qui oui le courage et le bonheur de franchir le huitième degré in- diqué par saint Grégoire, donne à cet acte une autre va- leur bien précieuse. Cést par les sacrifices, dit saint Tho- mas 3. que la loi divine commande d'expier les crimes dont on s'est rendu coupable. Or, les trois v(eux de religion for- ment le plus parfait sacrifice que l'honmie puisse offi'ir à Dieu ; le religieux , en les faisant , présente donc à Dieu une complète satisfaction pour ses foutes ; la vie quil embrasse unit à la perfection de la charité la perfection de la pénitence.
' Matth., XIX, 20.
- Adhuc unumtibi deest : Si vis perfectus esse, vade, vende om- iiia quœ habes, et da paiiperibus, et habebis tliesauruni in cœlo ; et veni, sequere me. (Matth., xix, 21.)
5 De Perfect. vitœ .<jj«r<7.. c. xi.
EXCELLENCE DE L'ÉTAT RELIGIELX 83
Aussi est-ce le sentiment imanime des Pères , que l'en- tive en religion est pour le chrétien un nouveau baptême '. Elle est,- en effet, un sacrifice de parfaite charité qui le purifie de toutes ses fautes passées ; c'est un sacrifice de parfaite expiation qui paye toutes ses dettes et satisfait pour toutes les peines dues à ses péchés.
« Si par quelques aumônes , observe le Docteur angèli- que 2, on peut, au témoignage de Daniel ^, satisfaire pour ses péchés, combien le pourra davantage celui qui, par son entrée en religion , se consacre tout entier au Seigneur : il offre ainsi pour ses fautes une satisfaction qui surpasse toute autre pénitence. Aussi lit-on, dans les Vies des Pères, que ceux qui embrassent l'état religieux obtieiment sous ce rapport la même grâce que ceux qui reçoivent le bap- tême. » La raison en est que celui qui donne de l'or ou de l'argent aux pauvres ne donne que ce qui est hors de lui- même, et souvent la moindre partie de ses superfluités; mais le religieux donne tout de grand cœur , il se donne lui-même tout entier ; nulle aumône , nulle oblation n'est donc comparable à son offrande. Aussi saint Thomas fait-il remarquer que la rémission des péchés est octroyée aux religieux , non par forme de simple indulgence , mais en vertu d'une très-excellente satisfaction ; car, en consacrant
' Parmi les SS. Docteurs qui ont donné à l'état religieux le nom de second baptême, citons S. Jérôme, Ep. 3o. al. 2o, ad Paulnm, de obitii Blesillœ ; S. Anselme, t. lll, de Sbnilit., c. cxci;S. Bernard, De dupUci buptismo et de prœcept. et\dispens., c. xxiH; S. Thomas, citant les Vies des Pères, II ii, q. 189, a. 3 ad 3; in 4 distinct, q. 3, a. 3 ; S. Antonin, p. III Sum., tit. xvi. c. cccxciii, etc., etc.
Ul H, q. t89, a. 3 ad 3.
' Dan., IV; 24.
Si EXCELLENCE DE L'ÉTAT RELIGIEUX
au Seigneur sa volonté et sa liberté, il lui consacre en elle le principe môme de toutes ses actions , il fait un sacrifice plus méritoire que ne sauraient l'être toutes les œuvres sa- tisfactoires qu'il pourrait faire *.
« Vous voulez savoir de moi , écrit saint Bernard 2, pourquoi, entre toutes les œuvres satisfactoires, la vie reli- gieuse a reçu le privillége d'être appelée un nouveau bap- tême. Je pense qu'elle le mérite, et par le parfait renonce- ment au monde qu'on y pratique, et par l'excellence de la vie spirituelle dont on y fait profession. Placée ainsi au- dessus de tous les états de la vie humaine , elle élève ses enfants au-dessus du commun des hommes , elle les met au rang des anges , elle réforme en eux l'image de Dieu . et les rend, comme le baptême-, conformes à Jésus-Christ. En embrassant la vie religieuse, nous sommes en quelque sorte baptisés de nouveau, nous pratiquons la mortifica- tion dont parle l'Apôtre , nous sommes de nouveau revêtus de Jésus-Christ et transplantés suivant la ressemblance de sa mort. Ainsi qu'au baptême nous sommes arrachés de la puissance des ténèbres, et transportés dans le royaume de la lumière éternelle ; de même, en cette seconde régéné- ration de rentrée en l'état religieux, nous sommes tirés des ténèbres , non plus d'un seul péché originel , mais d'une infinité de péchés actuels, et introduits dans le beau
' Voy. riatiis, du Bonheur de la vie religieuse, tom. I, p. I, c. ni. — M Status religionis, dit encore S. Thomas, est status perfecta' pœnilentia?, et nulla satisfactio adsequari potest pmiitentiœ religio- sorum, qui et se et sua totaliter Deo dant : unde pro nullo peccato iniponi potest homini pro pœnitentia , ut religioneni introeal, et iticonimutationem satisfactionis quantunicumque gravis, consulittir lantum religionis ingressus. » In Quodlibcto III, a, 12.
- Lib. de Prcec. cl Dispens., c. xxiii.
EXCELLENCE DE L'ÉTAT RELIGIEUX 85
jour des vertus , en sorte que nous pouvons dire avec l'Apôtre : La nuit est passée, et le jour est venu : Nox prœcessitt dies autem appropinquavit. »
CHAPITRE DIXIÈME
Suite du même sujet.
Il n'est pas rare d'entendre comparer les œuvres de zèle ayant pour objet le salut et la perfection des âmes aux exercices de la vie religieuse , et donner la préférence aux premières, quand même elles sont exercées par ceux qui vivent dans le siècle.
Saint Thomas a fait de cette comparaison elle-même l'objet de l'une de ses intéressantes questions connues sous le nom de Qtiodlibeta. Ce qu'il en dit confirme la doctrine que nous avons exposée au chapitre précédent sur l'excel- lence de l'état religieux. 11 ne sera pas inutile de le mettre sous les yeux du lecteur.
Un acte de vertu , dit le saint Docteur , peut être consi- déré sous un triple aspect. Premièrement , dans la dispo- sition de la volonté d'où il procède ; deuxièmement , dans ses rapports avec quelqu'autre acte propre à lui donner de la valeur ; troisièmement , en lui-même et dans sa na- ture ' . Si on considère sous le premier rapport les œuvres
^ Aliqua duo opéra vel iii boiio, vcl in nialo possiint miiltipHciter ad inviceni comparari. Uno modo, secundm siiiim gemis, sicutdici- mus continentiam virginaleni praeminere in bono continenliie vi- diiali : in niaio vero honiicidiiini farto, et hoc modo vita activa est
86 EXCELLE.NCE DE LÉIAT RELIGIEUX
du prêtre séculier et celles du religieux , on ne peut les comparer entre elles ni en porter aucun jugement; car leur mérite dépend du degré de ferveur de la volonté de chacun K Envisagées sous le second aspect, les actions des religieux ont un mérite bien supérieur à celles des prêtres séculiers , car elles se rapportent toutes, comme à leur racine, à l'acte par lequel les religieux ont consacré à Dieu leur vie tout entière-. Ainsi, continue saint Thomas, on doit considérer sous ce rapport, non ce qulls font, mais quïls se sont engagés à faire tout ce qui leur sera imposé. Le mérite de leurs œuvi'es, comparé à celui d'actes de vertu isolés, est en quelque sorte dans le rapport de l'intini au fmi. Car celui qui se dévoue à faire tout ce qu'on voudra
fructiosior, quam contemplativa, sed contemplativa merito major est quam activa, utGregorins dicit in VU Morali. Zelus etiam animarum est sacrificium Deo acceptissimura, si tamen ordinale fuit, ul scilicet homo primo habeat curam salutis sute et postmodum aliorum : alio- quin iiihil pvodust homini, simnversuin mwtdum hicretur, nnimœ vcro stiœ chfrimentum patiatur, ut dicitiir Matthc'ei xvi. Alio modo, potest opus operi comparari in bono vel ia malo non seciindiim se, sed in ordine ad alium actum, sicul abstinentia pra'fertiir in bono sumptionis cibi, tamen assumere cibum cum aliquo propter charita- fem prtTlertur abstinentia' : et in malo adulterium priefertur furlo; ta- men furari giadium ad occidendum est gravius quam adulterium. Ter- tio, prœfertur opns operi in bono vel malo ex voluntate facientis. Quod enim promptiori voluntate fit, melius vel pejus judicatur. (In Quodlibeto III, a. 17.)
' Si ergo comparemus opéra plebani vel archidiaconi operibus l'e- ligiosorum secundum promptitudinera voluntatis, tune incertum est judicium, quia ille qui ex ferventiori charitate operatur, opéra ma- gis meritoria habet. Ihid.
- Si vero comparentur per ordinem ad aliqnod aliud opus, sic opéra religiosi sunt incomparabililer eminentiora operibus archidiaconi vel plebani. Fa enim qu» religiosi agunt i.d i!l,nm radicem referuu- tur qua totam \itam suam Deo devovcrunt. Ibid.
EXCELLENCE UE L'ETAT IIELIGIELX 87
donne intiniment plus que celui qui ne s'offre que pour des actes isolés. Si donc on suppose le religieux faisant . d'après les prescriptions de sa règle, quelque action de minime importance en elle-même , cette action reçoit un ^orl grand mérite de sa liaison avec l'acte par lequel il s'est consacré au Seigneur '. Le vœu est, en effet, un acte de religion, la plus excellente des vertus morales. Or la valeur des actes d'une vertu est en raison de la dignité de cette vertu ; ceux d'une vertu inférieui'e reçoivent un prix, un mérite spécial de la vertu supériem'e qui les dé- termine. Ainsi, les actes de foi, d'espérance, faits par amour, reçoivent de la charité un mérite plus grand ; il en est de même des actes des vertus morales. Le jeûne est un acte d'abstinence ; la continence , un acte de chasteté : ces actes sont meilleurs et plus méritoires , quand ils se font par vœu ; car alors ils appartiennent au culte de Dieu... Ainsi donc une bonne couvre dun laïque peut être en son genre égale à celle d'un religieux . mais celle-ci reçoit une dignité, une valeur spéciale de Tobéissance et du vœu par lequel le religieux s'est consacré à Dieu '^.
' Unde non est pcnsandum qiiid facianl, sed magis qiiod ad quse- iihet fucienda se devovei'iint, et sic quodanimodo coniparantiir ad eos qui aliquod singnlirc bonuni opus f;;fiunt, sicut infinitum ad finitum. Qui enini dat se aiicui ad faciendum omnia qua:" jubet, in intinitum niagis dat se ei, quam ille qui se dat ei ad aliquod opus faciendum. Unde supposito quod religiosus secundum cxigentiam suce religio- nis faeiat aliquod opus quod sit parum secundum se, tamen recipit maguani intentionem ex ordlue ad prinK^m objigationeni qua se totum Dec vnvit.
- Vovere est actus latrise, qm: est pr^cipua inter virtutes morales ; nobilioris autem virtutis est opus nielius et magis meritorium. Unde actus inferioris virtutis est melior et magis meritorius ex hoc, quod imper<tur a suneriori virtute, ciijus actus (it per iniperium, sicnt actus
88 EXCELLENCE DE L'ÉTAT RELIGIEUX
Enfin ; si Ton considère les œuvres en elles-mêmes et flans leur nature propre , on trouvera que certains actes de vertu du prêtre séculier sont supérieurs à certaines actions du religieux. Ainsi l'exercice du zèle pour le salut des âmes l'emporte en lui-même sur le jeûne , le silence et autres semblables. Mais, si Ton prend les actes dans leur ensemble ; il faut dire que ceux qui composent la vie reli- gieuse sont beaucoup plus parfaits. Bien qu'en effet, en considérant les choses en général , il soit plus parfait de procurer le salut des âmes que de s'occuper seulement de soi-même, cependant toute application au salut des âme- n'est pas préférable au soin de son propre salut. Ainsi il est bien mieux de s'appliquer totalement et parfaitement aux intérêts de son âme que de travailler beaucoup au salut des autres, et de vaquer d'une manière imparfaite, quoique suffisante, au sien ]'ropre '. La raison en est.
tidei vel spei luelior est, si imperetur a caritate: et ideo actus aliii- riini virtutum moraliuni, puta jejunare, quod est actus abstiiientiœ, et continere, quod est actus castitatis, sunt meliora et magis ruerito- ria, si fiant exvoto, quia sic jam pertinent ad divinum cultura, quasi qusedani Dei sacrilicia... Ita factum laici. etsi sit teque bonum sicut nionachi in suo génère, momcbi tamen opus redditur melius ex obe- dientia et voto, quo Deo dedicatum est.
^ Si vero comparentur ipsa opéra secundum se, secundum prjmuni niodum corapuMtionis, sic aliqui particularia opéra quœ plebani fa- ciunt, vel archidiaconi, sunt m Jora aliquibus particularibus operi- bus quse religiosi faciunt. sicut majus est intendere saluti aniraarum quam jejunare, vel siientium tenere, vel aliqua hujusmodi. Si tamen oninia omnibus comparentur, raulto majora sunt opéra religiosorum. Etsi enim procurare salutem aliorum sit majus quam intendere sibi soli, loquendo in génère, tamen non qnocumque modo intendere sa- luti aliorum prœfertur ei, quod est quocumque modo intendere suœ saluti. Si enim aliquis totaliteret perfeetc intendit su» saluti, multo majus est quam si aliquis multa particularia opéra agat ad salutem
EXCELLEINCE DE L'ÉTAT RELIGIEUX. 89
comme saint Thomas le dit au même endroit, que le zèle des âmes , pour être agréable à Dieu , doit se faire avec une charité bien ordonnée, c'est-à-dire de manière que l'on ait d'abord soin de son âme , et ensuite de celle des autres ^ .
Certains adversaires de la vie monastique, afin de dimi- nuer dans l'esprit des fidèles l'idée qu'ils avaient de l'ex- cellence de l'état religieux , prétendaient que cet état était, à la vérité, plus sûr, mais que l'état des prêtres séculiers était un état plus parfait et plus fructueux. Saint Thomas leur répond dans un autre de ses Opuscules. Il montre que l'état des prêtres séculiers n'est point par lui-même un état de perfection , quels que soient d'ailleurs les actes de vertu qu'ils y exercent; car, bien qu'ils aient charge d'âme, ils ne sont liés à l'exercice du zèle par aucune obligation perpétuelle. Et même, ajoute le saint Docteur, à considérer les choses de plus près, il y a des religieux qui sont plus qu'eux dans un état de perfection ayant pour objet le salut des âmes : ce sont ceux qui sont obligés, d'après leur ins- titut, de s'employer sous la direction de l'obéissance, à la prédication et à la confession , et de venir ainsi en aide aux évêques dans l'exercice du sainl^ ministère 2. Par la nature
aliorum, si saluti propriœ etsi sufficientcr, non tamen perfecte in- lendat. (S. Thoni., loc. cit.)
' Zelus enim animarum est sacrificium Deo acceptissimum, si ta- men ordinale fiât, ut scilicet primo homo habeat curam salutis su», et postmodum aliorum. Ibidem.
^ Etsi igitur archidiaconus vel presbyter curatus aliquem perfec- tionis actum exerceat, vel officium accipiat, non tamen perfectionis statum habet. Et si quis recte consideret, hujus perfectionis statum magis habent religiosi, qui ex voto sui ordinis obligantur ad hoc, quod episcopis subministrent in his quœ ad curam animarum perti-
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A. J.
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90 EXCELLENCE DE L'ÉTAT RELIGIEUX
de leur institut , ces religieux sont donc pour deux raisons dans un état de perfection : ils y sont par les vœux de re- ligion , qui les engagent à la pratique des conseils ; ils y sont aussi en quelque manière par l'obligation perpétuelle de travailler, dans la ligne de leur institut, au salut des âmes.
Enfin, s'il est besoin de quelque autre considération pour convaincre le lecteur de l'excellence de l'état religieux, nous lui rappellerons :
Premièrement, les nombreuses faveurs accordées par l'Église aux ordres religieux. Ne montrent-elles pas d'une
neni, prœdicando et audiendo confessiones, qiuini ipsi archidiaconi curati. Ainsi s'exprime S. Thomas, 1. de Perfectionevitœ spiritua lis, c. XXIII. Ailleurs (in QuodUbeto III, a. 17), expliquaiit un pas- sage de saint Jean Chrysostome qu'il s'était objecté, et oii le saint docteur paraît mettre le mérite du prêtre séculier au-dessus de celui du religieux, il montre que saint .Tean Chrysostome y compare non l'état du prêtre séculier à l'état religieux, mais la vertu d'un prêtre séculier qui se conserverait sans tache au milieu des dangers du monde à celle d'un religieux vivant à l'abri de tout péril ; mais il ne met nullement l'état séculier au-dessus de l'état religieux , et il ajoute : « Quilibet enim sapiens niagisvellet habere tantam virlutem, per quam posset etiam inter pericula securus existere, quam talein virtutem qua posset extra pericula servari : sed quia prœsumptuo- sum est, ut aliquis talem virtutem se habere prœsumat, per quam possit etiam inter pericula esse tutus, virtuosius est quod se extra
pericula ponat Majoris enim virtutis indicium est, ut puritatem
perfectam aliquis conservet etiam inter pericula puritatis, quam si eam extra pericula conscrvaret .- sed tamen parum amare puritatem suam convincitur, qui puritatis pericula non évitât, inter quae diffi- cillimum est et rarissimum omnimodam puritatem servare : sicut maxima puritas fuit beatœ Agnetis, quœ etiam in lupanari posila vir- ginalem pudicitiam servavit, et tamen quia puritatis amatrix erat, nunquam in lupanari hanc suam virtutem ostendere elegisset, sed quanto magis puram mentem habebat, tanto minus lupanar propria \oluntate elegisset, et simile est in omnibus talibus. »
EXGELLENCI'; DE LETAl RELIGIEUX 01
manière éclatante l'estime que la divine Épouse de Jésus- Chi'ist fait de ce saint état, et le désir qu'elle a de voir ses enfants l'embrasser. Remplie de l'esprit de son céleste Époux, elle cherché par là à nous attirer à la pratique des conseils que lui-même nous a donnés ; elle ne les impose pas, parce que Jésus-Christ ne les a pas imposés, mais elle nous y invite, parce qu'il nous les a conseillés; elle les entoure des grâces dont elle a la disposition pour nous les faire embrasser.
Deuxièmement, la faculté laissée aux nouveaux époux, dont le mariage n'est point consommé , de rompre , par l'entrée en religion et la profession religieuse, le lien spiri- Uiel contracté par le sacrement. Dans ce cas, en effet, la profession religieuse brise le lien formé par le sacrement . H celui des deux époux qui est resté libre dans le siècle peut contracter un autre mariage '. Ce privilège n'est ac- cordé qu'à la profession religieuse, il n'est point attaché aux saints ordres ; le sacerdoce lui-même ne le possède pas. <'elui-ci rendrait illicite l'usage du mariage, il ne briserait pas le lien conjugal , c'est l'avantage propre de la profes- sion religieuse ; car par elle le religieux meurt au monde pour vivre à Jésus-Christ, l'àmc religieuse devient d'une manière spéciale l'épouse du Seigneur, et les liens qui l'u- nissent à ce divin Époux ne laissent plus subsister aucun autre lien.
' Vide Concil. Trident., sess. xxiv, can. (5. — Ce privilège n'ap- |i;irtieiit pas à toute sorte de vœux, mais seulement à la profession lies vœux solennels faite dans les ordres proprement dits, approu- vés comme tels par l'Église. Une congrégation dont la règle n'a pa- été confirmée et sanctionnée par le Saint-Siège n'est point un ordre religieux proprement dit.
92 EXCELLENCE DE L'ÉTAT RELIGIEUX
On peut rapporter à ce remarquable privilège de la pro- fession religieuse celui qui est attribué à la simple entrée en religion, de suspendre tous les vœux que l'on aurait faits auparavant , à l'exception du vœu d'entrée dans un autre ordre. La raison de ce privilège est que la vie reli- gieuse renferme éminemment le mérite de tous les autres vœux et de toutes les bonnes œuvres auxquelles on se se- rait engagé envers Dieu ^.
Troisièmement, la liberté que les saints canons accor- dent aux ecclésiastiques et même aux prêtres appliqués au salut des âmes d'entrer en religion , afin d'y vaquer à leur salut et à leur perfection. Les évoques, dit à ce propos saint Thomas 2, ne peuvent, pour quelque motif que ce soit, abandonner le soin de leur troupeau, sans une permission spéciale du Souverain Pontife, parce qu'ils sont liés par un engagement perpétuel. Mais les simples prêtres ou archi- diacres préposés à des cures ne sont point liés par un tel engagement , et peuvent sans une semblable permission renoncer à la charge qui leur a été confiée. C'est pourquoi, conclut ailléurs.le même saint Docteur ^, ils peuvent licite- ment embrasser l'état religieux sans la permission de leur évêque. La raison qu'il en donne est que ni la charge des âmes qui leur sont actuellement confiées , ni l'exercice des fonctions du saint ministère , ne les met dans un état de perfection, et que, n'étant point attachés par des liens pei- pétuels à ces charges et à ces emplois, ils peuvent les quitter sans encourir le reproche de l'Évangile : Nemo manum
1 Conf. s. Thoni., II 11, .1. 18U, a. 3 ad 3. Min, q. 189, a. 7. MIii,q.184, a. 6.
EXCELLENCE DE L'ÉTAT RELIGIEUX 93
mittens ml aratrum et respiciens rétro, aptus est regno DeiK
1 Luc, IX, 62. — V. S. Alph. de Lig., Theol. mor., 1. IV, n. 74 et siiiv.; et Mgr Gousset, Thcol. moi-., 1. 1, n. 535. — Benoît XIV, dans sa Bulle Ex quo dilectu du ii janvier 1747, rappelle cette liberté laissée aux clercs, par les saints canons, d'entrer dans l'état reli- gieux. Bien que ce soit, observe-t-il, un devoir pour les clercs, ayant charge d'âme, d'avertir leur évoque et de lui soumettre leur projet, cependant le refus que celui-ci ferait de leur permettre de l'exécuter ne les obligerait point en conscience : Sivero permissio denegetur, hujusmodi dissensus presbyterum non adstringet, quominus reli- fjionem ingredi valeat. — Saint Alphonse de Liguori, dans l'endroit cité ci-devant, rapporte qu'un archidiacre étant entré dans la Compa- gnie de Jésus contre le gré de Son Ém. le cardinal Quirinus, et celui- ci ayant écrit tout un livre pour obtenir du Souverain Pontife la dé- claration qu'un clerc ne pouvait entrer en religion sans le consentement de son évêque, Benoît XIV répondit que les clercs ainsi disposés, au lieu d'Atre empêchés d'exécuter leur dessein, devaient plutôt y être exhortés et encouragés.
Benoît XIV, dans la Bulle déjà citée, reconnaît, il est vrai, à l'évê- que, dans certaines circonstances , le droit de réclamer un de ses clercs qui serait entré en religion contre son agrément; mais il ajoute que, dans la pratique, il lui serait difficile de venir à bout de son des- sein, car la charge d'une cure, par exemple, de quelque importance qu'elle soit dans l'Église, offre moins d'assurance pour le salut que l'état religieux ; et un curé, avec cette seule exception, pourra se dé- fendre contre son évêque : « Certis in casibus justisque cxigentibus causis, jus episcopocompetit ut suum clericum sœcularem ordini regu- lari adscriptum repetere possit.... Hujus tamen juris persecutio in casibus particularibus non admodum facilis esse videtur.... Si agatur de parochis, aliisve aniraarum curam gerentibus, nemo quidem ne- gabit ipsoruni munus magni in Ecclesia momenti esse : sed cuni simul negari nequeat prœlationis munus seu statum (ut inquit Suarez, de Relig., t. III, 1. I, c. xxi) minus securum esse, religionis vero esse statum majoris securitatis in ordine ad spiritualem salutem, unusquisque parochus religiosœ vitae cupidus, hac una exceptione in judicio se tuebitur adversus episcopum qui ipsum ad animarum cu- ram revocare contendat. »
Voici en quels termes, dans un cas semblable, saint Grégoire le Grand écrit à un évêque des Gaules de ne point s'opposer à la voca-
94 EXCELLENCE DE L ÉTAT RELIGIEUX
Ecoutons, eu terminant, les paroles par lesquelles saint Jean Chrysostome décrit le bonheui" dont jouissent les reli-
tiond'unde ses diacres, mais, au contraire, de la favoriser de tout son pouvoir:
« Gregorio Desiderio, episcopo in Gallia.-
« Pancratius lator prœsentium, ut asserit, diaconus , apostoloruni se liminibus reprœsentans, a nobis noscilur petiisse. ut eum frater- nitati vestne deberemus specialitercommendare. Int-imavit enini nobis quod in cleritatus officio vestrto sit Ecclesice niancipatus. llnde, di- vina inspirationc compunctus, gratiam monastica' oonversationis ap- petiit, illicque in eodem quer.i sumpslt habitu desidcrans permanere, etiam diaconuni se ejusdem monasterii factum esse commémorât. De cujus loci servitio avelli nulla patitur ratione. Nune vero, quan- tum asserit, fraternitas vestra non quidem impedientis intentu, sed affectu benevolenti», in oflicio eum suœ vult Ecclesite revocare. Hor- tamur igitur ut tam promptœ devotioni ejus , quam in sancto studet habere proposito, minime vestra sit impedimento fraternitas; magis autem quibus valetis adhortationibus pastorali admonitionesuccendite, ut fervor hujus desiderii in eo non tepescat ; ut qui , a turbulento curarum sœcularium tumuitn se segregans quietis desiderii portum monasterii appetiit, rursum in ecclesiasticarum curarum non debeat perturbationibus implicari, sed in Dei laudibus permittatur secure ab his omnibus, ut postulat, remanere. » {Epistol.,l.Xll,eip. xxxy.)
Un décret de S. S. Pie IX, du 2u janvier 1848, ordonne que nul ne soit admis au saint habit dans un ordre d'hommes, « sans avoir des lettres testimoniales, soit de levêque d'origine, soit de l'évê- que dans le diocèse duquel le postulant aurait demeuré plus d'un an après avoir accompli sa quinzième année. » Ce décret ne di- minue en rien la liberté des vocations religieuses. Par ces lettres, en effet, l'évêque rend témoignage de ce qu'il sait ou de ce qu'il a pu apprendre sur le compte de l'aspirant, afin que, grâce à ces informa- tions, la religion ne soit pas exposée à recevoir un sujet indigne ou atteint de quelque empêchement canonique. Mais ce document n'est point une permission que le postulant, laïque, clerc ou même curé, doive demander à son évèque. En aucun cas, celui-ci ne peut refuser de délivrer les lettres testimoniales, comme le disent très-clairement les paroles du décret : Sciant ordinarii eorum conscientiam super verltate cxpositonnn oneratam remanere, nec ipsis unqiiam libe- riim esse hujusmodi testimoniales lifteras denegare. S'il arrivait
KXCELLENCE DE L'ÉTAT RELIGIEUX 9o
-ieux et l'excellence de leur état, a Quels (jue soient les oi'ages des jjassions qui agitent le monde, dit-il i, ils sont tranquilles et en sûreté dans le port; il semble qu'ils con- sidèrent du haut du ciel même les naufrages des autres. Ils ont choisi un genre de vie digne des cieux ; ils ont ac- quis un état qui n'est point inférieur à celui des anges. Entre eux, en effet, comme parmi les anges, nulle inégalité de condition : on ne voit point les uns dans la prospérité et les autres en proie à la misère; mais tous jouissent des mêmes biens. Nul ne reproche. à un autre sa pauvreté, per- sonne ne se gioritie de ses richesses. Le mieii et le tien, source de tant de troubles et de bouleversements parnii les hommes, sont complètement bannis du milieu d'eux. Ils ont tout en commun, la table, l'habitation, le vêtement. Et qu'y a-t-il en cela d'étonnant , puisqu'ils n'ont qu'un cœur et qu'une âme ? Tous sont nobles d'une même noblesse , es- claves dans la même servitude , libres parla même liberté. Ils ont les mêmes richesses et ce sont les véritables riches- ses; ils ont la même gloire, et c'est la waie gloire; car les biens c[u"ils possèdent sont des biens réels, et non des biens apparents. Ils ont tous le même bonhem^, les mêmes désirs, la même espérance. Pour eux tout est pesé à la même balance. Parmi eux l'ordre , l'accord , l'harmonie -ont une source de joie perpétuelle »
vcc qu'il est bien difficile de supposer; que les lettres testimoniales fussent refusées, les déclarations annexées au décret de S. S. Pie IX et approuvées par lui, disent qu'on aurait alors à recourir à la sacrée Congrégation, super statu rcgularium.
En France, plusieurs ordres religieux ont obtenu du Saint-Siège des dispenses ad tempui^ ou totales ou partielles, touchant le décret qui prescrit les lettres testimoniales.
' Adv, oppiic/n. vit. ■monust., 1. III, n. 11.
96 EXCELLENCE DE L'ÉTAT RELIGIEUX
« Assis dans le port, dit-il ailleurs S ils y sont comme des phares étincelants destinés à éclairer les navigateurs, ils invitent tous les hommes à venir partager leur repos , ils ne laissent pas dans les ténèbres ceux qui tournent vers eux leurs regards, ils ne les abandonnent pas dans la tem- pête... Allez- voir les tentes des saints : il vous semblera que vous passez de la terre au ciel; vous n'y trouverez rien de ce qui vous attriste en votre propre maison ; tout y est pur, tout y est dans le repos et le silence. Là, ne se trouvent ni le mien ni le tien. Un ou deux jours seulement passés dans ces saints lieux vous seraient une source d'intime bonheur. Le jour arrive , et pour eux l'heure du lever de- vance celle du jour. Dans nos demeures , les serviteurs continuent à ronfler , les portes restent fermées , tous les habitants sont comme des morts ensevelis dans le sommeil, pendant que le muletier frappe à la porte pour se faire ouvrir. Là, rien de semblable : tous se lèvent ensemble au signal donné par celui qui préside; la piété chasse le som- meil; ils sont prêts pour l'exercice du chœur, etausshôt, les mains étendues, ils chantent les hymnes sacrées. Ils n'ont pas besoin, comme nous, de longues heures pour secouer le sommeil et la torpeur ; on ne les voit point s'asseoir après le lever, afin de goûter encore quelque repos, et em- ])loyer beaucoup de temps à se laver les mains et la face , à prendre leurs vêtements et leurs chaussures.
« Rien de semblable parmi eux : personne n'appelle de serviteur; chacun se suffit à soi-même; point de vêtement superflu ; nul besoin du secours d'un autre pour chasser le sommeil ; mais, aussitôt que le religieux a les yeux ouverts,
' Iti I Tm., hom. xiv, n. 3 et seq.
EXCELLENCE DE L'ÉTAT RELIGIEUX 07
grâce à la sobriété de la table , il ressemble à un homme éveillé depuis longtemps. Quand le cœur n'est point appe- santi et conmie accablé par la nourriture, il faut peu de temps pour sortir du sommeil et jouir d'un plein réveil. Combien leur repos même est réglé et tranquille ! ce n'est point un sommeil bruyant ; on ne les y voit point dans le mouvement et l'agitation. Quelle modestie dans leur tenue! Ils ont plus de décence dans le sommeil que les autres dans la veille. C'est le fruit de l'ordre qui règne dans leur âme.
« Lorsque le grand jour est venu , on voit les séculiers s'appeler les uns les autres, parler de leurs dépenses, courir au forum, visiter les magistrats, agir afin d'éloigner quelcp.ie disgrâce : les uns voilt à leurs plaisirs , les autres à leurs affaires. Il n'en est pas ainsi des religieux. Quand ils ont a.jhevé leurs prières et leurs hjinnes matinales, ils s'appliquent à la lecture des saintes Écritures. Quelques- uns se livrent au travail de la composition. Chacun reste dans sa cellule, travaillant en silence. Personne ne se per- met d'inutiles conversations. Les heures de tierce, de sexte, de noue , de vêpres , viennent couper la journée par une pieuse psalmodie et des hymnes de louange au Seigneur. Pendant que les séculiers se livrent aux festins , aux rires joyeux , aux excès de l'intempérance , eux se délassent par le chant des cantiques spirituels. Ils donnent peu de temps à la table et aux sens, et, après un court repas, ils repren- nent leurs occupations saintes. Celles-ci terminées avec les exercices d'une journée , chacun se met sur la pauvre couche préparée pour le seul repos et d'où la sensualité
Iest bannie. « Parmi eux on ne craint ni la défaveur des princes, ni
98 EXCELLENCE DE L'ÉTAT RELIGIEUX
l'arrogance des maîtres , ni la rébellion des esclaves , ni lej querelles des femmes, ni les cris des enfants. On n'est gêné ni par la multitude des meubles , ni par le nombre d"habits superflus ; on n'a ni or, ni ai'gent. ni autres objets précieux, à la garde desquels il faille veiller avec soin; tout y est prières, hymnes et parfums spirituels. Ils ne crai- gnent pas les incursions des voleurs, puisqu'ils n'ont rien qui soit en péril. Ils ne possèdent point d'argent, ils n'ont que leur corps et leur âme. Si on leur enlève la vie, ce n'est pas un dommage qu'on leur cause, c'est un gain qu'on leur procure, car ils disent avec l'Apôtre : Mihi enim vivere Christum est, et mori lucrum '. »
' Phil., c. XXI.
I
LIVRE DEUXIEME
LA VOCATION A L'ÉTAT DE PERFECTION.
CHAPITRE PREMIER
La Vocation générale à la pratique des Conseils.
EXISTENCE DE CETTE VOCATION. — LES INVITATIONS DE JÉSUS-CHRIST DANS L'ÉVANGILE.
En parlant de vocation générale à la pratique des con- seils , nous ne prétendons pas qu'il y ait des lumières et inspirations données effectivement à tous les fidèles pour les attirer à cette voie. L'objet de ce chapitre et des deux suivants est simplement d'établir qu'il y a dans les saintes Lettres une invitation d'embrasser l'état de perfection , faite à tous ceux qui sont libres de la suivre ; et que , par conséquent, Dieu met à la disposition de tous ceux qui veulent en profiter les secours nécessaires pour y répondre; car on ne peut supposer de la part de Dieu une invitation réelle, sans le reconnaître en même temps disposé à ac- corder les moyens d'y être fidèle.
La question étant ainsi réduite à savoir s'il y a , dans les saints livres, une semblable invitation , nous répondons aflirmativement, el nous ajoutons que l'Écriture sainte et
100 LA VOGAllUN GLiNÉKALE
les enseignements des Pères ne laissent aucune incertitude sur ce point '.
' Le lecteur aura compris que nous ne parlons point, dans tout cet ouvrage, de la vocation à l'état ecclésiastique. On s'exposerait à de graves erreurs, si l'on voulait appliquer à cette vocation ce que nous disons de la vocation à l'état religieux. Ainsi, il n'existe pas d'in- vitation générale h l'état ecclésiastique ; mais celui-là seul peut s'y engager qui y est appelé spécialement de Dieu : Nec qtùsquam su- mitsibiho)iorem,sedquivoc(itusaDeotanqtiam Aaron. {Hebr.,v,i.) Il faut, pour y être admis, des aptitudes, des qualités, un degré de per- fection qu'on n'exige pas de l'aspirant à l'état religieux; l'examen de la vocation demande plus de temps, la matière en est plus complexe. « Il y a , en effet , entre l'état ecclésiastique et l'état religieux une différence très-considérable, k laquelle plusieurs personnes ne font pas toujours assez attention. L'état religieux requiert la volonté de devenir parfait, non d'une manière quelconque, mais par la pratique des conseils évangéliques, c'est-à-dire, parle renoncement entier aux biens du monde , par l'abandon des plaisirs sensuels et par l'abné- gation de sa volonté propre. L'état ecclésiastique, par lui-même, n'enlève ni la propriété ni l'usage libre des biens de la terre; il laisse à celui qui l'a embrassé l'usage indépendant de son libre ar- bitre. On peut être religieux sans avoir le dessein ni la capacité de recevoir les ordres sacrés, de diriger les autres; mais on se détour- nerait de la tin principale de l'état ecclésiastique, si on l'embrassait sans le dessein ni la capacité de concourir au salut des âmes par ses propres travaux. Voilà pourquoi l'état ecclésiastique demande une perfection déjà acquise , et qu'on soit purilié et éprouvé avant de l'exercer; il exige le détachement des choses créées , l'habitude de l'oraison et de la mortification, le zèle du salut des âmes, etc., bien qu'il laisse l'homme au milieu du monde et dans la possession de ses biens. L'état religieux demande seulement la volonté ferme de tendre à la perfection par l'éloignement de tout ce qui pourrait partager le cœur et l'empêcher d'être tout à Dieu. Sans doute, la pratique de la vie religieuse dispose admirablement au saint sacerdoce , elle peut rendre très-propre à l'exercice du saint ministère celui qui a les au- tres qualités requises; mais, nous le répétons, aucun des saints ordres n'est essentiel à l'état religieux et n'est la fin de cet état.
« La différence entre l'état ecclésiastique et l'état religieux est donc essentielle ; elle demande évidemment une vocation spéciale.
A LA l'UATlQLE DES CONSEILS lOI
Saint Jérôme ne doute point que ce ne soit le sens des paroles du Seigneur : Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres ; et puis, venez et suivez-moi '. Jésus-Christ répondait ainsi à un jeune homme qui assurait avoir observé toute la loi et demandait ce qu'il lui manquait encore pour être par- fait. Saint Jérôme pense que cette réponse s'adresse à tous les fidèles. Interrogé par une vertueuse femme , nommée Helbidie , sur les moyens qu'elle devait prendre pour ar- river à la perfection chrétienne, il s'appuie sur ces paroles du Sauveur pour la porter à la pratique des conseils : « Vous me demandez, lui dit-il, la même chose que, dans l'Évangile , le docteur demanda à Notre-Seigneur. Jésus- Christ lui répondit que , s'il voulait être parfait , il devait vendre tout ce qu'il avait , le donner aux pauvres , et se mettre à sa suite. Je vous répondrai donc par les paroles mêmes du Sauveur : Si vous voulez être parfaite , porter votre croix, suivre le Seigneur et pouvoir dire avec l'apôtre : Nous avons tout quitté pour vous suivre - ; allez , vendez tout ce que vous avez , donnez-le aux pauvres , et suivez le Sauveur. Ce n'est pas un joug nécessaire qu'on vous
Ainsi, celui qui est appelé de Dieu à l'état religieux n'obéirait pas à ceUe vocation en devenant prêtre séculier, parce qu'il ne ferait pas à Dieu ce sacrifice complet des biens temporels, de sa volonté, de toute isa personne , que Dieu lui demande; et comme le sacritice que l'on fait de soi-même par la pratique des conseils cvangéliques est le plus grand que l'homme puisse faire à Dieu, toute œuvre de. zèle , tout travail, quel qu'il soit, sans la pratique des conseils, n'y supplée- rait pas. )) {Opusc. sur Viviportance et la manière de eunnaiirc su vocation. Paris, 1S29. )
iMatth.,XLX, 21.
^Matth., x,2S.
102 LA VOCATIorS GÉNÉRALE
impose , c'est une chose offerte à voire choix. Voulez-vous être parfaite et vous placer au premier rang, faites ce qu'ont fait les apôtres, vendez ce que vous avez, donnez-le aux pauvres et suivez Jésus-Christ '. »
Saint Augustin se servait des mêmes paroles pour exhorter les fidèles à la pauvreté parfaite : « La perfection dont parle le Sauveur , quand il dit : Allez , ve?idez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, et puis venez et suivez- moi , cette perfection , dit-il , je l'ai ardemment aimée , et je l'ai embrassée, non par mes propres forces, mais avec le secours divin; autant que je le puis , j'y exhorte les au- tres; et grâce au Seigneur, j'ai des compagnons, auxquels j'ai eu le bonheur de le persuader -. »
Saint Thomas '^ se demande si le conseil donné par Jésus au jeune homme dont parle l'Évangile n'est donné qu'à lui seul ou s'il est adressé à tous les tidèles , et il répond qu'il nous est adressé à tous. Il le démontre par la réponse faite peu après à Pierre, et où Jésus-Christ promet le centuple en ce monde et la vie éternelle à tous ceux qui suivront ce conseil ; il le confirme par l'usage que fil saint Jérôme des paroles du Seigneur , et il en conclut que chacun peut suivre le même conseil comme s'il lui était donné person- nellement à lui-même; car, dit-il, les paroles que Jésus- Christ nous a adressées dans la sainte Écriture , nous devons les recevoir comme si nous les entendions nous- mêmes de sa bouche divine.
' s. Hiei'on., Epist. xv (alias cxx), ad Helhidiam.
-Et ad hoc propositiim quanluni possuni viribus alios exhorter,] et in nomine Domini habeo consortes qiiibiis hoc per meiim minis-|j teriuni persiiasuui est. (S. Aug., Epist. clvii alias lxxxix, c. îv, n. 30.^
^ Contra retrahentcs ab iiujrcssu relig., cap. ix. iu niedio.
A LA PRATIQUE ^'ES COASEtLS 103
Un peu avant la question faite par le jeune riche et la ré- ponse du Seigneur, les apôtres avaient entendu Jésus-Christ insister sur l'indissolubilité du mariage et lui avaient dit : « Si telle doit être la condition de l'homme avec son épouse, il vaut mieux ne point se marier ' ; » et Jésus leur avait ré- pondu : K Tous ne comprennent point cette parole , mais ceux-là auxquels il est donné de l'entendre '2. » Il parla en- suite avec éloge de ces eunuques volontaires qui, par leurs vœux, se sont mis dans une sorte d'impossibilité morale de manquer à la continence , et il ajouta : Que celui qui peut comprenrh'e comprenne "\
Les saints Pères considèrent ces paroles de Jésus et celles qui précèdent comme une invitation à la chasteté virginale faite à tous les tidèles.
« Non omnes capiunt hoc verbum. Il ne dit pas, observe saint Jean Chrysostome, qu'il est facile de vivre dans l'état de continence , de peur d'avoir l'air d'en faire une obli- gation ; mais il loue et relève cet état , afin d'y attirer les âmes. Ensuite, afin de montrer qu'il est possible, il ajoute ; « Il y a des eunuques qui sont tels par la naissance, d'au- tres qui le deviennent par la main des hommes ; et il en est d'autres qui se sont eux-mêmes rendus tels pour le royaume de Dieu. » Il veut par là nous inviter à la pra- tique de la continence perpétuelle et nous convaincre qu'on
1 Si ita est hominis causa cuni miiliere , non expedit mibere.
(Matth., XIX, 10.)
- Non omnes capiunt iioc verbum, sed quibus datum est. {Ihid., 1 1 .) ^ Sunl enim eunuclii, qui de matris utero sic nati sunt ; et sunl
eunuchi, qui facti sunt ab hominibus ; et suuteunuchi, qui seipsos
castraverunt propter rcgnum cceiorum. Oui potest capere. capial.
{IbicL, 1-2.,
lui LA VOCATION GÉNÉRALE
peut la garder. C'est comme s'il nous disait : Pensez à ce que vous feriez si vous étiez devenus tels par la naissance ou par l'injustice des hommes. Vous seriez en cet état sans le mérite de l'avoir choisi librement. Rendez donc grâce à Dieu de pouvoir mériter des couronnes en souffrant ce que d'autres supportent sans protit. Et d'ailleurs, votre sacrifice est plus léger que le leur : il est adouci par l'espoir de la récompense et par la conscience que vous avez de prati- quer une sublime vertu ; de plus , c'est le moyen d'être moins agité par les flots des passions. . . Si donc le Seigneur parle des eunuques , c'est afin de nous attirer à cette vie parfaite. Et s'il ajoute que celui qui peut comprendre com- prenne, c'est afin d'enflammer les désirs en montrant com- bien la chose qu'il propose est grande et sublime. Il ne l'impose point , parce qu'il est plein de douceur ; il fait voir qu'elle est possible, pour la faire désirer.
« Mais, direz-vous, si la chose est laissée à notre liberté, pourquoi dit-il : Tous ne comprennent pas, mais ceux aux- quels cela est accordé? Il ajoute ces paroles afin de vous apprendre qu'il s'agit du fruit d'un combat sérieux, et non de l'effet d'une disposition du sort. Il nous fait entendre qu'il est besoin d'une grande grâce pour engager ce com- bat, et que ce secours est donné à tous ceux qui le veulent recevoir '. »
« Les apôtres, à la pensée des charges du mariage, se disaient entre eux : Si telle est la condition de l'homme avec son épouse, il n'est pas avantageux d'être marié. Le Sei- gneur approuve la sentence des apôtres : Vous avez raison, leur dit-il, de penser qu'il n'est point avantageux à l'homme
' s. Joan. Cluys., Hom. lxii (alias lxiu) in Matth., n. 3 et 4.
A LA PRATIQUE DES CONSEILS lOl)
qui tend au royaume de Dieu de prendre une épouse , mais c'est là une chose difficile ; et tous ne comprennent point cette parole , mais ceux-là seulement qui en reçoivent la grâce. La nature fait des eunuques, la violence des hommes en fait d'autres ; ceux-là me plaisent qui le sont par leur propre volonté. Je reçois avec joie dans mon sein ceux qui se rendent tels pour le royaume du ciel, et qui, pour mon service, refusent ce que leur donne la naissance... C'est l'effet d'une grande foi et d'une grande vertu, de devenir ainsi le temple très-pur de Dieu., de s'offrir tout entier en holocauste au Seigneur ; et , suivant l'Apôtre , d'être saint et de corps et d'esprit. Ce sont ces eunuques qui, se com- parant à un bois aride à cause de leur stérilité, entendent le Seigneur, par la bouche d'isaïe, leur promettre une de- meure dans sa maison , et un nom qui leur vaudra mieux que des fils et des filles , un nom durable qui ne périra pas *. »
Ainsi parle saint Jérôme 2, et, commentant ces autres paroles de JésuS'Christ ; Que celui qui peut comprendre comprenne, il compare Notre-Seigneur à un agonothète qui propose à des coureurs le prix de la course et les exhorte à le remporter : « Divin agonothète, dit-il, il offre le prix, il invite à la course, il tient en ses mains la cou- ronne de la virginité; il montre la très-pure fontaine, et
^ Ne (licat eunuchus : Ecce ego lignuin ariduni : quia lia?c dicit Domiiuis eunuchis: Qui ciistodiimt sabbata mea, et elegorint qiue ego volui, et tenuerint fœdus meiim : dabo eis in domo mea, et in mûris meis locum , et nonien melius a liliis et filiabus : nomen sem- piternum dabo eis quod non peribit. (Isa., lvi, 3.) — P. L. du Pont, la Perfection chrét., tom. II, tr. II, ch. ni, §2.
■^ Lib. I, Adv. Jovinian., n. 12-, cdit. aligne, toni. II.
lOti Î.A VOCATION GÉNÉRALE
il crie : Que celui qui a soif vienne à moi el qu'il boive ; que celui qui peut l'atteindre l'atteigne ' . »
Ne doit-on pas aussi regarder comme une invitation semblable , comme un appel fait à tous les hommes , ces paroles du-Seigneur : « Quiconque laissera sa maison , ou ses frères, ou ses sœurs, nu sa mère, ou son épouse, ou ses enfants, ou ses champs, à cause de mon nom, recevra le centuple en ce monde, et possédera la vie éternelle -. » Jésus- Christ propose le détachement de toutes les choses de la terre, et, pour y attirer les âmes, il fait briller à leurs regards les biens qu'il leur donnera en récompense en celte vie et en l'autre. « Ce sont ces paroles, s'écrie saint Ber- nard, qui ont persuadé aux hommes le mépris du monde -^t la pratique de la pauvreté volontaire. Ce sont elles qui 1 emplissent les cloîtres de religieux , et les déserts d'ana- chorètes. Ce sont elles qui dépouillent l'Egypte et lui ra- vissent les vases les plus précieux. Elles forment le discours vivant et efficace qui convertit les âmes , leur inspire une béatifiante émulation de la vertu , une ferme confiance aux divines promesses ^ »
Qui pourrait s'étonner de cet appel général à la pratique
' Proponit xy-rjoûiTr^i pnemiuai , invitât ad cursum , tenet in niaïui virginitatis braviura, ostendit purissinuun fontem, et clamât: Qui silit, veniat ad me et bibat ; qui putest capere capiat. (Lib. adv. Jovin., n. 12.)
- yiMh., XIX, 29.
' H;ec nempe sunt verba i{uai conteniptuui nuuidi in universo mundo et voluntariani persuasere hominibus paupertatem. Hœc. sunt quse monachis clanstra replent, déserta anachoietis, haec, inquam, fcunt verba qua; .'Egypluni spoliant, et optima quœque ejus vasa di- ripiunt. Hic sernio viviis et efticax, convertens animas lelici œniula- tione sanctitalis, et veritalis promissione lidelis. (Declum. in verba Ecce nos reliquimus oninia (alias de Contonptu miotdij initio.)
A LA H4ATIQL F, l>i:s COiVSKILS 107
des conseils? Y a-t-il rien de plus conforme à la souve- raine bonté du Seigneur, à son ardent désir de sauver tous les hommes? La pratique des conseils et l'état de perfection ne sont-ils pas pour tous les fidèles la voie la plus facile et la plus expéditive pour arriver à la vie éternelle ' ? S'ils ne conviennent pas à quelques 'âmes en particulier, dit saint Thomas , c'est parce qu'elles n'ont pas le désir et la volonté de les embrasser -. Jésus-Christ a aimé tous les hommes jusqu'à donner pour eux sou sang et sa vie : est-il surprenant qu'il leur ait propj:)sé à tous, dans son Évangile, le moyen le plus propre à leur faire obtenir le salut? Ne faudrait-il pas s'étonner, au contraire, qu'il ne l'eût point fait? Aurait-il rendu impossible au plus grand nombre l'emploi de ce moyen , inaccessible pour eux cette voie si avantageuse, en ne mettant pas à leur disposition les grâces qui peuvent la faire embrasser? Non, telle n'est point l'idée qu'il nous a donnée lui-même de sa divine bonté , de son tendre amour. 11 nous a proposé à tous cette voie plus fa- cile , il nous a offert h tous son secours et son appui pour y marcher. C'est une conséquence manifeste de l'invitation générale à la pratique des conseils : il ne refusera point à ceux qui voudront y répondre la grâce de suivre cette voie et d'y être fidèle.
' s. Thom., I H, q. 108, a. 4; 11 ii, q. 190, a. 1.
■^ Prœdicta consilia, quantum de se, sunt omnibus expedientia, sed ex indispositione aliquorum contingit quod iiHcui expedientia non iunt. quia eonini iiffecfus ad li;cc non inclinaiiir. (In, q. lùS, a. 4 ad 1 . ,
108 LA VOCATION C.ÉNERALE
CHAPITRE DEUXIÈME
Même sujet.
LES CONSEILS DE l'aPOTRE.
Si , comme nous l'assurent les saints Pères , l'appel de Jésus-Christ à la pratique des conseils est adressé à tous les hommes ; les apôtres , si fidèles à redire les enseigne- ments de leur Maître, ont dû le répéter aux Églises ; l'écho des invitations du Sauveur aura retenti dans leurs prédi- cations; ils n'auront point omis d'exhorter les fidèles à embrasser la voie des conseils, de leur en faire connaître les avantages et les fruits, de leur montrer les obstacles et les périls de la voie opposée. Ne leur avait-il pas été re- commandé de redire en public ce qu'ils avaient appris en secret , de prêcher sur les toits ce qui leur avait été dit à l'oreille ' ?
Aussi voyons-nous l'Apôtre des nations se faire comme le héraut des invitations du Seigneur. Il les répète , il les appuie sur les motifs les plus pressants , dans sa première Épître aux Corinthiens. Le chapitre septième de cette lettre est une éloquente exhortation à la pratique de la parfaite continence.
Les fidèles de Corinthe lui avaient demandé , entre au- tres choses, ce que les nouveaux chrétiens devaient penser du mariage et de la virginité : si, après avoir cru en Jésus- Christ , ils devaient renvoyer leurs épouses , afin de vivre
'Mattli., X, 27.
A LA PRATIQUE DES CONSEILS 109
dans la continence, et si les vierges qui embrassaient la foi pouvaient s'engager dans le mariage *.
Saint Paul leur répond tout d'abord « qu'il est avanta- geux à l'homme de ne point toucher à une femme ; mais que chacun d'eux, dans la crainte de commettre la forni- cation , doit garder son épouse , et chaque épouse son mari 2. » l\ ne dit pas, observe saint Jérôme 3, que chacun prenne une épouse afin de ne pas tomber dans la fornica- tion , il eût par là favorisé la convoitise en lui fournissant une excuse ; mais il dit : Que chacun garde son épouse, c'est-à-dire celle qu'il avait avant de devenir chrétien, celle qu'il lui était avantageux , après sa conversion à la foi , de traiter comme sa sœur et non comme son épouse, sauf le péril de la fornication. Ce qu'il leur accorde et leur conseille dans l'usage des droits du mariage , afin d'éviter un plus grand mal , c'est une concession qu'il leur fait, une sorte d'indulgence qu'il a pour eux *. C'est comme s'il leur disait : « Il est bon de vous nourrir du pain du plus pur froment ; cependant, dans la crainte que vous ne soyez amenés à manger la fiente de bœuf, je vous accorde de manger du pain d'orge. Le froment en est-il moins ex- cellent, parce que l'orge est préféré au fumier? »
Aussi , l'Apôtre ne craint-il pas de dire aux fidèles de Corinthe qu'il voudrait les voir tous semblables à lui ^.
' Conf. S. Hieron., 1. I, Adv. Jovînian., n. 7.
- De quibus aiitera scripsistis milii : Donum est honiini miilierem nontangere. Propter fornicationein auteni unusquisqiie suam lixorem habeat, et miaqiueque suiim virum habeat. (I Cor., vu, i, 2.)
' S. Hieron., loc. cit.
* Hoc aiiteni dico secundum indulgcntiam , non seciindum inipe- riiim. {ICor., vu, 0.) '
s Vo!û cnim omneâ vos es.sc sicut meipsum. (Ibid., 7.)
VOGATIû.v. 7
110 LA VUCATION GÉiSÉRALE
« C'est mon souhait, mon désir intime, veut-il dire, d'après saint Jérôme ', que vous soyez mes imitateurs en ceci comme je le suis de Jésus-Christ. Lui est né vierge d'une vierge ; immaculé d'une mère sans tache. Nous ne pou- vons l'imiter dans sa naissance , imitons-le dans la pureté de sa vie. La pureté de sa naissance est l'apanage de sa divine nature : la nôtre sera conforme à notre condition et à notre correspondance à la grâce. »
Après cette invitation générale à l'état de parfaite conti- nence, le saint Apôtre console ceux qui sont fixés dans un état contraire : leur état est, lui aussi , un don de Dieu ; et dans celui qu'ils ont choisi , ils peuvent compter sur la grâce divine. C'est le sens que saint Ambroise ~ donne Ci ces paroles de l'Apôtre : « Chacun a reçu de Dieu un don spécial, l'un celui-ci , un autre celui-là ^. »
Ensuite saint Paul déclare à tous ceux qui sont libres , aux personnes non mariées et à celles qui sont dans le veu- vage , qu'il est avantageux pour elles de demeurer dans l'état de continence ^. Il ajoute : a Si elles ne gardent point la continence, qu'elles prennent l'état du mariage ^. » Une dit pas : Si elles ne peuvent garder la continence, car elles le peuvent toujours , si elles le veulent , avec le secours de la grâce; mais il dit simplement : Si , par le fait, elles ne la gardent pas. L'état du mariage est dès lors pour elles
' s. Hieroii., Adv. Jovlnian., n. 8.
- In hune lociim.
•^ Unusquisquc propriuiu doniim liabet ex Deo : alius quideni sic, alius autem sic. (I Cor., vu, 7.)
* Dico autem non nuptis et viduis : Bonum est illis si sic pernia- neant sicut et ego. {Ibid. , 8.)
^ Quod si non se continent, nubant. {Ibid., 9.)
A LA PRATIQUE DES CONSEILS 1 1 1
un remède, et il vaut mieux prendre ce remède que d'être consumé par le feu de la passion. C'est ce que veut dire l'Apôtre, quand il ajoute : Il vaut mieux se marier que de brûler '.
« D'après saint Paul, il est mieux de se marier, parce que c'est un mal d'être consumé. Otez l'ardeur de la con- voitise, et il ne dira plus qu'il est mieux de s'engager dans le mariage. Il le dit meilleur, par comparaison à ce qui est pire , et non à ce qui est avantageux en soi. C'est comme s'il disait : Il vaut mieux avoir un œil que de n'en point avoir ; ou bien encore : Mieux vaut marcher sur un seul pied et se soutenir avec un bâton que de se traîner à terre privé de l'usage de ses jambes. Si vous négligez, ô grand Apôlre! l'élégance du discours, vous n'en négligez pas la science et la vérité ; vous connaissez la valeur des paroles que vous employez. Quand vous parlez delà continence et de la virginité , vous dites qu'il est utile à Vhomme de ne pas toucher à une femme ; qnil est avantageux aux fidèles de rester comme vous êtes vous-même ; que cela est bon à cause de la brièveté de la vie. Mais, quand vous parlez de mariage, vous ne dites point qu'il est bon de s'y engager; vous vous gardez de le conseiller d'une manière absolue, mais vous dites qu'il vaut mieux se marier que d'être con- sumé par la passion. Si le mariage est par lui-même avan- tageux , veuillez ne pas le comparer à un incendie , mais dites simplement qu'il est bon de se marier. Je suspecte les avantages d'un état que vous ne jugez préférable qu'à un feu dévorant -. »
' Meliiis est enim nubere, quam un. (1 Cov., vil, 9.) ^S. Hieron., 1. I, Ado. Joviniaii., n. 9.
ll^i: LA VOCATIU.N GE.NEHALE
Après avoir parlé des devoirs mutuels des époux, saint Paul reprend son exhortation à la parfaite continence. Il avoue que le Seigneur n'a point imposé cet état ; mais i! sait qu'il l'a conseillé , et lui aussi le conseille , parce que Dieu lui a fait la grâce de le suivre , et il désirerait voir tous les hommes l'embrasser K Le saint Apôtre suppose donc que Dieu est prêt à en donner la grâce à tous ceux qui la lui demanderont et voudront y coopérer. C'est , du reste , le sentiment unanime des Pères , qu'il est au pou- voir de chacun de garder la virginité, pourvu qu'il la de- mande et qu'il coopère à la grâce , que Dieu ne refuse à personne -.
Saint Paul enseigne ensuite que la virginité est préfé- rable au mariage, à cause de la brièveté de la vie qui nous pousse vers l'éternité ^. « Si vous êtes uni à une épouse,
' De virginibiis autem pneceptum non habeo: consiliuni autem do. tanquani misericordiam consecutus a Domino, ut sira fidelis. (I Cor., VII, 2S.)
^ Vide Cornel. a Lapide, in hune iocuni.
^ Existimo ergo hoc bonum esse propter iuslantem necessitateiii, quoniam bonum est homini sic esse. I Cor., vu, 26.
De faux docteurs, qui mettaient le mariage au-dessus de la virgi- nité, prétendaient que saint Paul, en disant de la virginité : //(•;'■ bonum esse propter instrmtcm nccessilatcm, ne recommandait cet état qu'en raison des avantages qu'il offie pour la vie pri^senl'j: saint Augustin répond en ces termes : <■ Virginalis integritas, et per piam continentiam ab omni concubitu immunitas angelica portio est , et in carne corruptibili incorruptionis perpetuœ meditalio. Cedat huic omnis fecunditas carnis, oninis pudicitia conjugalis : illa non est in potestate , illa non est in œternitate : fecunditateni carnalem non habet liberum arbitrium, pudicitiam coiijiigalem non habet coeluni. Profecto habebimt magnum aliquid prœter caeteros in illa commun i immortalitate, qui habent aliquid jam non carnis in carne.
«< Unde niirabilitcr desipiunt qui putant hujus continentiae bonun; noa esse necessarium propter regûum cœlorum , 5ed propter piaiscui
A LA PRATIQli: DES CONSEILS 113
njoute-t-il , ne cherchez pas à briser vos liens ; mais, si vous êtes libre encore, ne vous y engagez pas : le mariage est licite ; mais il est une source de tribulations , et je voudrais vous les épargner '. » Il les avertit tous que le
s.Tculuni; qiiod scilicet conjiigia terrenis ciiris pluribus atque arc- tiorilius distenduntur , qiia molestia virgines et continentes carent; quasi ob hoc tantiim meiius sil non conjugari, ut hiijiis teniporis re- laxentur angustite , non quod in futurum ssculiim aliquid prosit. Hanc vanam sententiam ne cordis proprii vanitate protuiisse vidcai;- tur, adhibent ex Apostolo testinioniinn, ubi ait: De viry imbus autem ■prœceptum Domini non haheo , consilium autem do , tanquam misericordimn consecufus a Deo, î(t fdelis csscm. Existinio itaque hoc bonum esse propter prœseidem necessitatem quia bomiiii est Iiomini sic esse. Ecce, inquiunt, ubi manifestât Apostoliis, htc propter necessitatem prspsenteni bonum esse, non propter futuram a;terni- tatem. Quasi pnesentis necessitatis rationem haberet Apostolus, nisi providens et consulens et futurum; cum omnis ejus dispensatio non nisi ad vitam œternam vocet.
« Praesens ergo est vitanda nécessitas, sed tamen quœ aliquid bo. norum impedit futurorum : qua necessitate vita cogitur conjugatis cogitare quœmundi sunt, quomodo placeat vir uxori, vel uxor \iro. » {De sancla Virfjinitate , cap. Xlii et xiv.)
' Allifjaius es uxori? noli quœrere folutionem. Sohttus es ab uxore? noU qiuerere uxorem. Si autem acceperis uxorem, nonpec- casti Et si nupserit viryo, nonpeccavit : tribulationem tamen car- 7ns hubebu t hujusmodi . Efjo autenivobisparco.d Cor., vu, 27, 28.) « Hoc modo exhortans ad viiginitat; m continentiamqiie perpe- tuam, dit sur ces paioles saint Augustin (1. de sancta Vd-giniiate, cap. xvO, ut aliquanlulum a nup ils eliam ileterreret, modeste sane, non tanquam a re mala et illicita , sed tanquam ab onerosa et mo- lesta. Aiiud est enim admitlere carnis turpitudinem, aliud babere carnis tribulationem : illud est criminis facere, hoc laboris est pati, quem plerumque homines etiam pro officiis honestissimis non récu- sant. Sed pro habendo conjugio jam lioc tempore, quo non per carnis propaginem venturo Christo ipsiusprolis propagatione servitur, istani tribulationem carnis , quarn nupturis prsedicit Apostolus , suscipere tolerandam perstultum esset , nisi metucretur incontinentibus , ne tentante Satana in peccata damnabilia laberentur. Quod autem se
114 LA VOCATION GÉNÉRALE
temps de la vie est court , et que dès lors ceux qui sont engagés dans le mariage doivent s'occuper de leur âme comme s'ils n'avaient point d'épouse, user des biens d'ici- bas comme n'en usant pas, car la figure de ce monde s'en va '. Il répète qu'il préférerait les voir hors de toutes ces sollicitudes , c'est-à-dire dans l'état de virginité ; et la raison qu'il en donne est que celui qui n'a point d'épouse s'occupe de servir le Seigneur et de lui plaire, au lieu que celui qui en a une est préoccupé du soin de satisfaire le monde et de contenter son épouse , et son cœur est par- tagé. De même une femme libre, une vierge, s'occupe de servir le Seigneur et de demeurer sainte do corps et d'es- prit; celle qui est dans le mariage, au contraire, s'applique aux choses du monde et à plaire à son époux -. Si donc il leur conseille la virginité, ce n'est point pour leur tendre un piège, c'est dans l'intérêt de leurs âmes, et parce qu'ils trouveront en cet état un moyen plus facile de servir Dieu 3.
dicit eis parcere , quos ait tribulationem carnis habituros , nihil niihi intérim sanius occurrit, quam eum noluisse aperire et expli- care verJiis eamdem ipsam carnis tribulationem, quam prtenuntiavit eis qui eiigunt nuptias, in suspicionibus zeli conjugalis, in procreandis tiliis atque nutriendis , in timoribus et mœroribus orbitatis. Quotus enim quisque cum se connubii vinculis alligaverit, non istis trahatur atque agitetur affectibus? Quos neque nos exaggerare dcbennis, ne ipsis non parcamus , quibus parcendum existiniavit Apostolus, »
II Cor., VII, 29-31.
2 Volo auteni vos sine sollicitudine esse. Qui sine uxore est sol- licitus est quœ Doniini sunt, quomodo placeat Deo. Qui eum uxore est sollicitus est quœ sunt nuindi, quomodo placeat uxori, et divisus est. Et mulier innupta , et virgo, cogitât qucc Doniini sunt, ut sit sancta corpore et spiritu. Quaî autem nupta est, cogitât quœ sunt mundi, quomodo placeat viro. [Ibid., 32-34.)
^ Porro hoc ad utilitatem vestram dieo : non ut laqueum vobis in-
A LA PRATIQUE DES CONSEILS 113
« Ainsi donc, conclut saint Paul, en résumant en quel- ques mots tous ces enseignements, celui qui engage sa fille dans l'état du mariage fait bien; mais celui qui ne l'engage pas fait encore mieux. Quant à la femme mariée, elle est attachée à la loi du mariage tant que son mari est vivant ; mais , si son mari meurt, elle est libre. Qu'elle se marie à qui elle voudra, pourvu qu'elle le fasse selon le Seigneur. Cependant elle sera plus heureuse si elle de- meure dans l'état où elle se trouve , comme je le lui con- seille; et je crois que j'ai moi aussi l'Esprit de Dieu, » et que c'est lui qui me fait parler ainsi ^ .
Telle est l'exhortation de l'Apôtre. « Il s'efforce, dit saint Thomas 2, de persuader aux fidèles d'embrasser l'état de continence, et il leur en signale trois précieux avantages, trois fruits très-excellents. Le premier est de les délivrer des sollicitudes attachées à l'état du mariage , et de leur donner dès ici-bas un avant-goût de la paix et de la tran- quillité dont ils doivent jouir éternellement •^. Le deuxième est, par l'éloigncment même des obstacles au salut si nombreux dans l'état du mariage, de les porter au service de Dieu et au soin ;le leur perfection *. Le troisième est
jiciam, sed ad id quod honestum est, et quod facultateni prsebeat sine impediniento Dorainum obsecrandi. (I Cor., vu, 3b.)
1 Igitur et qui matrimonio jungit virgineni suam bene facit; et qui non jungit melius facit. Mulier alligata est legi quanto tempore vir ejusvivit; quod si dormierit vir ejus, liberata est : oui vult nubat, tantum in Domino. Beatior auteni erit, si sic permanserit, secundum meura consilium : puto autem quod et ego Spiritum Dei habeam. {Ihid., 38-40. — Conf. Cornel. a Lapide, in hune locuni.)
^ In hune locum.
»I Cor., vu, 32.
* Ibid. , 34.
116 LA VOCATION GÉNÉRALE
de leur faciliter le saint exercice de l'oraison, de leur ouvrir la voie aux divins entretiens '. »
« 0 heureuse continence , s'écrie à ce propos un pieux auteur 2, ô heureuse et parfaite continence, qui enlève les obstacles à l'oraison , à la fontaine de toutes les grâces ! , 0 bienheureuse virginité, qui permet à l'âme de traiter familièrement avec Dieu ! Et qu'y a-t-il d'étonnant qUe tel soit le fruit de la continence, puisque celte vertu élève l'âme à la dignité d'épouse du Seigneur? Quelle porte peut être fermée à une épouse, lorsqu'elle veut converser avec son époux?.... 0 virginité admirable et glorieuse, qui met ceux qui l'ont embrassée du nombre des l)ien- heureux élus vus par l'Apôtre autour de l'Agneau dans la cité sainte. Avec l'Agneau ils gravissent la montagne de Sion : ils s'appliquent à l'imitation de ses héroïques ver- tus , embrassant avec ardeur la perfection qu'il leur a enseignée, et s'unissent à lui par la contemplation et par l'amour. Ils portent écrits sur leur front le nom de l'Agneau et celui de son divin Père, car ils protestent qu'ils ne sont plus à eux, mais à Dieu et au Christ leur Seigneur, qui habite en eux ; ils mettent leur ambition à témoigner de leur foi en ce divin Rédempteur par la pratique de la chasteté ; ils se glorifient de porter le nom d'enfants de Dieu et de frères de Jésus-Christ. Les accents de leurs prières sont pour les démons ce qu'est pour nous le bruit de la tempête et l'éclat du tonnerre , mais ils réjouissent le ciel comme les sons harmonieux d'une céleste mélodie. Eux seuls peuvent chanter le cantique nouveau qu'il est
* I Cor., VII, 33.
* Le P. L. Dupont, la Perfection chrétienne, t. III, tr. II, c. iv.
A LA PRATIQUE DES CONSEILS 117
seulement permis aux autres d'entendre, le chant de ces joies intimes qui sont la récompense de la parfaite conti- nence. Ils reçoivent du sang de l'Agneau, dans lequel ils sont purifiés et dont ils sont nourris, une pureté toujours croissante, une beauté toujours nouvelle. Enfin, ils suivent partout cet Agneau immaculé, parce q'i'ils limitent en toutes ses vertus ', »
CHAPITRE TROISIEME
Suite du même sujet
LES EXHORTATIONS DES MAINTS PÈRES
Parfaitement instruits des conseils du Seigneur, imbus de la doctrine du grand Apôtre, les saints Pères n'ont point négligé, dans leurs écrits, de célébrer les avantages et les gloires de la virginité. Ils ont pris un soin spécial de nous rappeler les invitations du Sauveur et les enseignements
* Et vidi : et ecce Agnus stabat supra niontem Sion , et cum eo centum quadraginta quatuor millia habentes nomen ejus , et nonien Patris ejus scriptuni ia frontibus suis.
Et audivi vocem de cœlo , tanquani voceni aquarum niullarum , et tanquam vocem tonitrui niagni : et vocem quam audivi, sicut citha- l'sedorum citharizantium in cilharis suis.
Et cantabant quasi canticum novum ante sedem , et ante quatuor animalia, et seniores : et nemo poterat dicere canticum, nisi ilki centum quadraginta quatuor millia qui empli sunt de terra.
Hi sunt qui cum mulieribus non sunt coinquinati : virgines enira sunt. Hi sequuntur Agnura quocumqueierit. Hi empli sunt ex homi- nibus, primitiae Dec et Agno. {Apoc, xiv, 1-4. —De his conf. S. Aiig., lib. De aanrta Virr/initatc, e. xxvil et seq.}
7.
b ifim, hm'CJ^. X)m\ îivôc dT^wlaM i»î"^ <^<' <iouc^i)r que vons
aàift>M4f> id'aMîAîil î^lïis ar*^<^mmall qiit^ vôiïs nitntc.7 pli» et: $m\ à îwi ([vlâîTie. La <:^cinlnw am mïis et v(w lAnij>(>s
i^Mh mKJi^uif^ <|n« vdïïs t»fs. xi^imÛT ««t vos îi^iiryiois d'or,
:1 i\M dii : Cmuj-t T^ffmmfi Aflwrirw.w nmnyin ; cmfaJc Dû-
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et le eeenr orné de la trèft-pnre venté ; et il a éent de tous qne TOUS snkez fAgnean {«atout ob il va ',.„ Oni, sans doute, TOUS le stôrez par la {rareté de corps et d'esfnîl; car le snifre n'est-ce pas Yiaàiert diaciiii le soit en ee qo^ Hmile, non cmmiie Fils de I^um, par qm totites (fJ^iTHi^ies «mit été feites, mais etmaae VU» de rboamie, der ena noire uioi«li%. Tous penveol le smme en imitant sa pan- vrclé, sa dooceor et son humilité , sa soif de la justice et son amonr poor la T<rio»téde son divin Fête, sa clémence et sa bemté, sa patience dans les épreuves, JMaisil mardie ansâ par le saitier de la pureté vir^^nale, CcHumeol peo vent y msardaer apiH lui ceux qui ai <»t Sut Yinépanible- perte? Pour vous, ô Yier^ de fAgnean, marcliez-f :qn^ loi; suivez, suivez fid^emoit ses pas, en lui d<mnant avec constance ce que vous lui avez promis avec ardeur '. »
Saint Augustin s'adresse aisuite à ceux qid sont eacert Hl»es de prendre la même voie. «Et vous ansn, leur diMl, qui n'avez pcunt Eût an Seigneur cette pr^nnesse, qui pou- vez enc<»e saisir cette couronne, ssûàuezrisL *; eSorcex- vous de courir pour Fatteindre *; apportez diacun vos victimes, entrez dans h sanctuaire du Seigneur ^, non pas ccmtraînts par la nécessté, mais dans le pldn usage de votre vtrionté. Car on ne peut dire, I» ffipffmerai pas, comme il est dît, tu nt tneras point. De ces deux choses, cà\ia-ii est exigée comme une dette : on soa ccwdamné sa Ton n j apas satinait; celle-là est sim|]lement conseillée :
« Ap«>e.f nv, 4-
* S. Aag ,, Ijfc, De samtia Vir/jimUnie. t. îitiii, jorwi, nus, ' Hâta,, xxa, 12.
* I Cw., tt, 2*.
* fi. wrr, ^,
V -
H 8 LA VOCATION GÉNÉRAL r,
du Docteur des nations. Ils se sont efforcés de faire esti- mer, aimer, embrasser la pratique des conseils évangé- liques et l'état de perfection. Écoutons quelques-unes de leurs paroles si pleines de lumière et d'onction.
Saint Augustin contemple la gloire spéciale promise aux vierges dans ce passage de l'Apocalypse que nous rappe- lions au chapitre précédent. Il s'écrie, en parlant aux âmes qui avaient embrassé l'état de continence : « Marchez à la suite de l'Agneau, ô saints et saintes de Dieu, jeunes enfants et jeunes filles, hommes et femmes, vous tous qui vivez dans le célibat, marchez avec persévérance jusqu'à la fin. Louez Dieu avec d'autant plus de douceur que vous pensez à lui avec plus de fruit ; espérez de lui d'autant plus de félicité que vous le servez avec plus d'application ; aimez-le d'autant plus ardemment que vous mettez plus de soin à lui plaire. La ceinture aux reins et vos lampes allumées, attendez le Seigneur à son retour des noces célestes •. Vous apportez aux noces de l'Agneau un nou- veau cantique, que vous ferez retentir sur vos harpes d'or, non point ce cantique que chante toute la terre, à laquelle il est dit : Cantate Domino canticum novum; cantate Do- mino, universa terra ^, mais un cantique que vous seuls pouvez chanter. Tels vous a aperçus , dans l'Apocalypse, celui qui fut entre tous le bien-aimé de l'Agneau, qui avait coutume de reposer sur son sein et d'y puiser, pour nous les transmettre, les merveilleux secrets du Verbe divin. Il vous a vus , au nombre de douze fois douze mille , une harpe à la main, le corps paré d'une virginité sans tache,
'Luc, x!i, 3a, 3C). 2 Ps. xcv, 1 .
A L\ PRATIQUE DES CONSEILS il9
et le cœur orné de la très-pure vérité ; et il a écrit de vous que vous suivez l'Agneau partout où il va ^ . . . Oui , sans doute, vous le suivez par la pureté de corps et d'esprit; car le suivre n'est-ce pas l'imiter ? Chacun le suit en ce qu'il l'imite, non comme Fils de Dieu, par qui toutes (Il oses ont été faites, mais comme Fils de l'homme, devenu notre motlMe. Tous peuvent le suivre en imitant sa pau- vreté, sa douceur et son humilité , sa soif de la justice et son amour pour la volonté de son divin Père, sa clémence et sa bonté, sa patience dans les épreuves. Mais il marche aussi par le sentier de la pureté virginale. Comment peu vent y marcher après lui ceux qui en ont fait l'irréparable- perte? Pour vous, ô Vierges de l'Agneau, marchez-y après lui; suivez, suivez fidèlement ses pas, en lui donnant avec constance ce que vous lui avez promis avec ardeur 2. »
Saint Augustin s'adresse ensuite à ceux qui sont encore libres de prendre la même voie. « Et vous aussi, leur dit-il, qui n'avez point fait au Seigneur cette promesse, qui pou- vez encore saisir cette couronne , saisissez-la 3; efforcez- vous de courir pour l'atteindre *; apportez chacun vos victimes , entrez dans le sanctuaire du Seigneur ^, non pas contraints par la nécessité , mais dans le plein usage de votre volonté. Car on ne peut dire, tu n'épouseras pas, comme il est dit, tu ne tueras point. De ces deux choses, celle-ci est exigée comme une dette : on sera condamné si l'on n'y a pas satisfait; celle-là est simplement conseillée :
' Apoc, XIV, 4.
^ s. Aug., lib. De sanclu Vir(jini(alc, c. Nxvii, xxviii, xxix.
^ Mattli., XXIX, 12.
M Cor., IX, 24.
"?»-. xcv, 8.
120 LA VOCATION GÉNÉRALE
si VOUS l'accordez de vous-même au Seigneur, il vous payera à son retour K Songez à cette récompense, quelle qu'elle puisse être , à ce lieu choisi dans sa maison et qui vaut mieux que des fils et des filles. Pensez au nom qui vous y sera donné et qui ne périra point ^. Qui peut expliquer quel sera cet admirable nom ? Quel qu'il soit , il sera éternel. En le croyant, en l'espérant, en Taimant, vous pouvez, non point éviter des noces prohibées, mais dédaigner des liens qui vous sont permis 3. » Ces invi- tations à l'état de virginité que le saint évêque d'Hippone redisait sur les plages africaines, saint Ambroise les faisait entendre aux Églises d'Italie. Il exhortait les parents ù inspirer à leurs tilles l'amour de la virginité, afin d'avoir en elles une expiation de leurs crimes. « Une vierge, leur disait-il, est un don de Dieu, le plus beau présent d'une raôre : elle a le sacerdoce de la chasteté. Une vierge est une hostie vivante ; par un sacrifice de chaque jour, elle attire sur ses proches la divine clémence. Elle sera pour vous un gage des bénédictions célestes. Vous n'aurez point la sollicitude de lui préparer une dot; elle ne vous aban- donnera pas pour entrer dans une autre famille ; elle ne vous offensera par aucun mépris '^ »
* Luc, X, 3b.
* Isa., Lvi, S.
3 Lib. De sanct. Yirginitate, c. xxx.
*Audistis, parentes, quibus erudire virtutibus, quibus instituera disciplinis filias debeatis, ut habere possitis, quarum meritis vestra de- licta redimantur. Virgo Dei donuni est, nninus parentis, sacerdotiiim castitatis. Virgo raatris hostia est , cujus quolidiano sacrificio vis divina placatur. Virgo individuum pignus parentum, quœ non dote soUicitet, non emigialiono destituât, non offendat injuriis. (L. I, De Virginibus, c. 7, n. 32.)
A LA PRATIQUE DES CONSEILS 121
Saint Ambroise traite en plusieurs de ses écrits de cet état de perfection. Il s'y étend avec complaisance sur les fruits de la virginité. 11 y répète, il y développe les invi- tations du Seigneur et les instances du grand Apôtre ^.
«Voyez, s'écrie-t-il, ce que vous enseignent les saints livres , ce que l'Apôtre cherche à vous persuader. Et qui peut vous donner un meilleur conseil que ce vase de la divine élection ? Écoutez donc attentivement ce qu'il vous dit : Je voudrais que vous fussiez tous comme je suis moi- même 2. Et ensuite parlant de ceux qui sont libres encore, ou qui le sont devenus : Il leur est avantageux, dit-il, de demeurer ainsi, comme je suis moi-même ^. Je voudrais donc , conclut saint Arabroise , vous voir imiter ce saint Apôlre , fuyant les liens du mariage pour devenir captif de Jésus-Christ *. »
« Vous savez, mes enfants, poursuit le saint évêque, quel est le prix de la virginité : elle obtient le royaume cé- leste, et le royaume céleste nous procure la vie des anges. Je cherche à vous persuader ce qu'il y a de plus beau, de devenir des anges parmi les hommes. Car entre les anges il n'y a nul lien nuptial, nulle union charnelle ^. Tels sont sur la terre ceux qui vivent dans l'état de perpétuelle con- tinence. Ils n'éprouvent point les tribulations de la chair annoncées par l'Apôtre; ils ignorent la servitude du mariage ; ils sont exempts de la contagion des pensées
' Conf. De Virginibus, 1. I, n. 3, 5-9; de Vidais, c. XII-XIV; de Virginitate, c. vii, viii; Exhortât. Virginitatis, c. iii-vir. 2'l Cor., VII, 7. s Ibid., S.
'' Exhortât io Virginitatis , c. iv, n. 22. '^JVIatlli., XXII, 30.
122 LA VOCATION GÉNÉRALE
mondaines ; et, comme s'ils étaient dépouillés déjà de l'in- firmité du corps, ils s'occupent non de l'homme, mais de Dieu K M
« On m'accuse , dit-il ailleurs 2, de ne cesser de parler de la virginité et de chercher à la persuader aux âmes? Plaise à Dieu que je sois convaincu de ce crime ! Puissent les effets venir à l'appui de l'accusation ! Je n'en craindrais point la honte , si j'en reconnaissais les fruits. Que ne puis-je être convaincu par les faits aussi bien que pour- suivi par les paroles ! J'ai plutôt à craindre de paraître avoir suborné de secrets auiis pour me donner de cette manière des louanges que je ne mérite pas,
« Vous éloignez du mariage , dit-on , de jeunes filles initiées aux divins mystères et consacrées à l'intégrité vir- ginale. Plût à Dieu que je pusse arrêter celles qui vont s'engager dans les liens de l'union conjugale! que je pusse changer le flambeau nuptial en un voile virginal !... Com- ment serait-ce pour moi une honte de faire ce qu'on a toujours regardé comme un fruit de la grâce sacerdotale , de répandre les semences de la virginité et de porter les âmes h la parfaite continence ?
« M'accuscra-t-on de nouveauté? Oui, c'est une nou- veauté, et je consens à condamner ma conduite, si Jésus- Christ lui-même ne m'a pas appris à en agir ainsi; car il est la voie que nous devons suivre. Mais n'a-t-il pas ensei- gné ce que nous enseignons? n'a-t-il pas invité à la par- faite continence , quand il a dit : Il y a des eunuques qui se sont rendus tels volontairement pour le royaume de
' Exhortalio Virginitalù, c. iv, 11. 17. * Lib. De Virginitad' , c. V.
A LA PRATIQUE DES CONSEILS 123
Dieu ^ ? n'y a t-il pas exhorté quand il a ajouté : Que celui qui peut comprendre comprenne ? Et n'esl-ce point pour cela qu'aussitôt après cette parole , de jeunes enfants lui furent offerts pour qu'il les bénit, et leur conservât dans un âge innocent le don d'une parfaite intégrité? Car le royaume des cieux appartient à ceux qui, comme ces enfants, igno- rent la corruption , et reviennent par cette salutaire igno- rance à une sorte de chasteté enfantine 2. »
« J'entends dire , continue saint Ambroise 3, que quel- ques-uns craignent pour le monde, pour le genre humain, les conséquences de nos exhortations. Ils redoutent, si nos conseils viennent à être suivis comme nous le désirons , que le genre humain ne diminue, que le monde ne se dé- peuple , qu'il n'y ail plus de mariage. Mais quel est celui qui a jamais cherché une épouse et n'a pu la trouver * ? Ferait-on la guerre pour une vierge consacrée au Seigneur? quels meurtres a jam-ais causés la prise du voile virginal? C'est du mariage que naissent de tels forfaits ; ce sont les
iMatth.,xix, 12.
- Lib. De Virginitate, c. vi.
^ Ibid., c. VII.
* A riiérétique Vigilance, qui combattait par de semblables raisons la pratique de la virginité, saint Jérôme demandait s'il craignait donc de ne plus voir célébrer de mariages, de ne plus entendre les enfants crier dans leurs berceaux, de voir les sages-femmes sans occupation et mendiant leur pain. Il lui rappelait que la vertu est rare , et qu'elle n'est pas aimée du grand nombre. « Plût à Dieu, ajoutait-il, que tous fussent comme ce petit nombre dont il est écrit : Il y en a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus. » (Lib. Coutra Vigilantium, n. 15'.)
Saint Thomas , répondant à la même objection , dit qu'une telle crainte ressemble à celle de celui qui s'abstiendrait de puiser de l'eau dans un fleuve , de peur de le tarir : « Patet ergo quod hic timor stultus est : puta si aliquis timeret haurire aquam , ne flumen defi- ceret. » (II 11, q.180, a. 7. ad. 2.)
124 L V VOCATION GÉNÉRALE
adultères que l'on immole, et les ravisseurs que Ton pour- suit : voilà les crimes qui causent à la république un vé- ritable dommage.
« Vous croyez que la consécration des vierges peut di- minuer le genre humain? Considérez que là où il y a moins de vierges consacrées à Dieu , là aussi la population es moindre ; elle est nombreuse dans les lieux où le zèle de la virginité est plus ardent. Apprenez combien de vierges se donnent à Dieu chaque année dans les Églises d'Egypte, d'Alexandrie et de tout l'Orient. Milan et l'Italie voient moins naître d'hommes que ces églises ne voient de vierges se consacrer au Seigneur. Ne craignez donc aucun dom- mage pour le monde de la pratique de la virginité; rap- pelez-vous que le salut est venu par une vierge , et que c'est la virginité qui a fécondé le monde K »
Dieu , en effet , ne se laisse pas vaincre en générosité. Aux parents qui lui consacrent un ou deux de leurs en- fants, il en rend plusieurs autres, accordant aux mères une heureuse fécondité et aux enfants l'abondance de ses di- vines faveurs. Dans l'ancienne loi, Anne, l'épouse d'Elcana, longtemps stérile , obtient du ciel la fécondité. En recon- naissance de ce don , elle consacre au Seigneur Samuel , son premier-né. Dieu ne veut pas qu'une telle générosité
^ Si quis igitur putat cousecratione virginiim niinui genus huma- num, consideret quia iibi paucae virgines, ibi etiam paiiciores hoiiii- ncs : ubi virginitatis studia crebriora , ibi numerum quoqiie homi- num esse majoreai. Discite quantas Alexandrina, totiusque Orientis et Africana Ecclesia quotannis sacrare consueverint. Pauciores hic homines prodeunt, quam illic virgines consecrantur. Ex ipsiusigiliir orbis terrariim iisu non iniitilis virginitas existimatur, prœsertim cuni per virginera salus veneril, orbem fœcundatnra Romanum. (Lib. De VirfjiniUtlt' , c. vu, n. 36.)
A LA PRATIQUE DES CO>SEILS l'iÎJ
reste sans récompense, il multiplie ses bénédictions : Anne reçoit de sa divine bonté cinq autres enfants.
CHAPITRE QUATRIEME
Suite du même sujet.
EFFETS DES EXHORTATIONS DES PÈRES.
s'il est PERMIS ET LOUABLE DE PORTER LES FIDÈLES A LA PRATIQUE
DES CONSEILS.
Les invitations de Jésus-Christ et de son Apôtre , répé- tées par les saints Pères , les éloges donnés par ceux-ci à l'état de continence, eurent de l'écho dans les cœurs. Beau- coup comprirent l'appel du Seigneur et s'empressèrent d'y répondre.
A ceux qui demandaient à voir les fruits de ses fréquentes exhortations à la virginité, saint Ambroise montrait des troupes de vierges accourant de Plaisance , de Bologne et de la Mauritanie, et venant à Milan demander le voile des épouses du Christ. « Voyez, s'écriait-il ', quelle est la suavité des fruits de la pudeur ! Elle gagne l'affection des peuples de Barbarie; des parties les plus reculées de la Mauritanie accourent des vierges qui demandent avec ar- deur à être consacrées à Dieu, et là où toutes les familles sont dans les fers 2, la pudeur seule sait n'être point cap- tive... Chose surprenante ! je parle ici, et je persuade ail- leurs. S'il en est ainsi, j'irai parler ailleurs afin de vous
* Lib. I, de Virginibus, c. 10.
* Saint Ambroise fait ici allusion à la domination tyrannique d'un certain Gildon qui , ayant soumis à sa propre puissance les provinces
12G LA VOCATION GÉNÉRALE
persuader ici. Mais quoi! ceux qui ne m'entendent pas se rendent k mes invitations ; et ceux qui m'entendent ne s'y rendraient point? Je le sais, la plupart des vierges veulent y répondre ; mais elles en sont empêchées par leurs mères. Si elles voulaient s'unir à un homme mortel, elles le pour- raient sans obstacle; et il ne leur serait pas permis de choisir Dieu pour époux ! »
Les conseils donnés par l'Apôtre et les exhortations des Pères regardaient l'état de continence observé même au milieu du monde. Elles conviennent à plus forte raison à la virginité gardée dans la vie religieuse ; car elle y est moins exposée et plus entourée de moyens propres à la conserver et à lui donner tout son éclat et toute sa per- fection. C'est pour cette raison que saint Bernard, dans ses prédications , exhortait sans ' cesse ses auditeurs à fuir le monde et à embrasser l'état religieux. Il regardait comme un devoir du ministère apostolique de faire entendre à tous l'appel du Seigneur et de se faire l'écho fidèle des invitations de l'Apôtre. Il ne craignait pas d'employer son éloquence et son zèle à persuader aux âmes de suivre les conseils du divin Maître. Il le faisait avec tant d'éloquence et un tel succès, que les mères empêchaient leurs enfants et leurs époux d'aller l'entendre.
Puisque telles furent les invitations de l'Apôtre et les exhortations des Pères, il est donc permis d'attirer les fidèles à la pratique des conseils , de les porter à quitter le siècle, à se consacrer à Dieu dans l'état religieux.
« Quand tout est en désordre dans le monde, s'écrie
d'Afrique, donna main forte aux Donatistes, pour vexer et opprimer les catholiques.
A LA PRATIQUE DES CONSEILS 127
saint Jean Chrysostome i, quand les cités sont pleines d'i- niquités et de forfaits , et que la solitude (de la vie reli- gieuse) offre des fruits si abondants de sainteté, est-il juste d'accuser ceux qui s'efforcent de retirer les âmes du mi- lieu de ces tempêtes , et de les conduire dans un port tranquille? Dites-le-moi : si quelqu'un était allé, au milieu de la nuit, mettre le feu à une maison pleine de gens en- dormis, blâmerions-nous celui qui courrait les réveiller et les arracher aux flammes? Ne réserveriez- vous pas toute votre indignation pour l'auteur de l'incendie, qui les au- rait réduits â cette extrémité? Quoi donc! si je vois une ville opprimée par la tyrannie, désolée par la peste, agitée par les séditions, et que je m'efforce de persuader ù ses malheureux habitants de quitter cette ville et de chercher un asile sur les montagnes , eu leur prêtant aide et se- cours , m'accusercz-vous de retirer les hommes de tels périls pour les mettre en sûreté? Et ne pensez pas que le monde soit dans un meilleur état que cette cité. Il est dans un état pire encore. Ce n'est point un homme, c'est Satan, plein de malice , qui , tel qu'un cruel tyran , occupe la terre entière avec son infernale phalange, et travaille à la perte des âmes. De là, comme d'une citadelle exécrable, il dicte chaque jour ses lois aux hommes. Non content de mettre la division dans les mariages, de semer partout la rapine et le vol, d'inspirer les haines, les vengeances et le meurtre, il détache de Dieu les âmes qui lui étaient unies par la grâce, il les livre a ses impurs satellites, il les soumet à leurs infâmes désirs ; et ceux-ci les traitent avec toute l'ignominie et la cruauté dont leur perversité est ca-
* Adversiis oppugnat, vide monast., 1. 1, n. 7.
128 L\ VOCATIOX GÉNÉRALE
pable. Dépouillées de tous les vêtements des vertus, cou- vertes des haillons sales et fétides du vice , elles ne ces- sent d'être par eux, en cette honteuse nudité, plongées dans toutes les impuretés et dans tous les mépris. Rien ne peut satisfaire les exécrables désirs qu'ils ont de dégrader ces âmes. Ils ressemblent à des hommes ivres en qui le vin excite les ardeurs de la soif • leur fureur et leurs ou- trages augmentent avec les souillures dont ils couvrent ces âmes malheureuses. Ils les blessent , ils les déchirent de leurs cruelles morsures, ils ne cessent de répandre sur elles leur venin mortel , jusqu'à ce qu'ils les voient par- tager leur propre sort. Quelle tyrannie , quelle servitude , quelle désolation , quelle guerre, quelle famine peut être comparée à de tels traitements ? A la vue d'une âme ainsi dépouillée et accablée d'outrages , qui pourrait être assez cruel, assez barbare, assez rempli de folie et de férocité, pour ne pas faire tous les efforts afin de la dé- livrer d'une telle fureur et d'une telle ignominie ? Une pareille insensibilité ne peut se rencontrer que dans un cœur de pierre et une âme sans pitié. Que faut-il donc penser, je vous le demande, de ceux qui, voyant des hom- mes toujours prêts à affronter mille dangers pour sauver ces âmes, mettre leurs mains jusque dans la gueule de la bête , dont elles sont les victimes , et les en retirer en s'exposant eux-mêmes , non-seulement leur refusent leur admiration et leurs louanges, mais les désapprouvent en- core , leur font la guerre , les poursuivent de leur haine, et voudraient les voir expulsés et proscrits de l'empire? » Ainsi parle saint Jean Chrysostome. Saint Thomas, trai- tant le même sujet au point de vue purement théologique, et avec l'exactitude d'expression qui lui est propre , en-
A LA PKATIQIE DES COi>SEILS 129
seigne que c'est une œuvre non-seulement permise , mais encore très-méritoire, de porter les autres à l'état reli- gieux. Il cite à l'appui les paroles de l'apôtre saint Jac- ques : Celui qui retirera le pécheur de l'erreur de ses voies sauvera son âme et couvrira la multitude de ses péchés ; et ces autres paroles , adressées par un ange à Daniel : Ceux qui forment les âmes à la connaissance et à la pra- tique de la justice brilleront comme des étoiles dans les demeures éternelles K
Considérant ensuite les divers abus qui pourraient se glisser dans cette conduite , saint Thomas n'en trouve que trois. Le premier consisterait à employer la violence pour attirer les âmes à la vie religieuse ; le second , à se servir du mensonge ; le troisième , à faire usage de simo- nie. De tels moyens ne sont point licites ; et celui qu'on aurait ainsi attiré serait peut-être en danger, lorsqu'il se serait vu trompé, de retourner en arrière. Cependant ce ne serait pas employer la simonie que de fournir à l'en-
* II II, q. 189, a. 9. — Saint Ignace de Loyola enseigne aussi, dans son livre des Exercices spirituels (annot. l4 et 1S), qu'il est permis et méritoire de portera la continence, à la vie religieuse et à tout auîre genre de perfection évangélique ceux qu'on y juge propres. S'il conseille à celui qui donne les exercices delà retraite de ne point le faire pendant ce temps, c'est, comme il le dit lui- même, afin de laisser le Créateur opérer seul dans sa créature , et l'attirer lui-mfme ii son amour et à son service. Il reconnaît de même le mérite du bien opéré par suite d'un vœu ; et néanmoins il recommande à tous les prêtres de sa Compagnie (m Rcg. "23 sacerd. soc. Jcsu) de ne permettre qu'avec une grande circonspection aux personnes qu'ils dirigent de s'engager par vœu à un état quelconque dû perfection. Cette direction pleine de sagesse ne contredit en rien h doctrine du Docteur angclique : elle en renferme même la confir- matbn expresse.
130 LA VOCATION GÉNÉRALE
ti'cticii de quelqu'un dans la vue qu'il se fit religieux, ni de gagner son affection par des présents , pourvu que nul pacte n'intervînt *.
Cette doctrine de l'Ange de l'école suppose évidemment la vocation générale dont il est question dans ce chapitre et dans les précédents. Conmient, en effet, pourrait-il être méritoire et même licite de porter le prochain à l'état re- ligieux, si l'on pouvait douter que Dieu fût disposé à pourvoir des grâces propres à cet état tous ceux qui veu- lent l'embrasser.
Jésus-Christ , dans son Evangile , a invité à l'état de perfection tous ceux qui voudraient l'embrasser : n'est-il pas très-conforme à ses désirs de porter les âmes à pro- fiter de cette invitation? Ainsi ont pensé tous les saints. Saint Bernard , décidé à se faire religieux , exhorte ses parents et amis à imiter son exemple. Il en entrame trente à sa suite , et quelque temps après il attire à Cîteaux tous ses frères. Tel un homme , après avoir trouvé un riche trésor, le découvre à ses parents et le partage avec eux. La vie religieuse est un riche trésor de biens spirituels ; elle est la perle précieuse. Pour l'acquérir, il convient de vendre tout ce que l'on a 2 ; seule , elle suffît à enrichir les âmes. D'ailleurs, la vraie charité n'est point jalouse des biens qu'elle possède ; elle est , au contraire , disposée à les communiquer. Ainsi nous voyons l'apôtre saint André, aussitôt après avoir trouvé le Seigneur, s'en aller chercher son frère Simon et le conduire à Jésus. Phi- lippe se hâte de même d'annoncer ù Nathanaël qu'il a
' S. Thom., loc. cit. 2.Matth.,xiii, 46.
A LA PRATIQUE DES CONSEILS 131
trouvé le Messie, et il le presse de venir jouir de sa pré- sence ^
Une conséquence de cette invitation générale faite îi tous dans l'Évangile, conséquence fort importante pour la pratique, c'est qu'il faut plus de motifs pour rester dans la vie commune , c'est-à-dire pour s'engager dans le ma- riage , que pour embrasser la pratique des conseils ou l'état religieux. Il faut , disait saint Ignace de Loyola, plus de signes pour reconnaître que la volonté de Dieu nous veut dans l'état où il suffit d'observer les préceptes , que pour embrasser la voie des conseils. La raison en est, ajoutait-il, que le Seigneur a ouvertement exhorté à la pratique des conseils ; quant à l'état de la vie commune , il s'est appliqué à en montrer les dangers 2. Ajoutons que le grand Apôtre, de son côté, ne conseille à personne l'état du mariage, si ce n'est comme remède à quelques âmes ^. Au contraire, il s'efforce d'attirer les fidèles à l'état de par- faite continence. Or n'est-il pas manifeste que pour em- brasser un genre de vie que l'Apôtre n'ose conseiller, où, avec Notre-Seigneur, il nous montre tant de périls et de difficultés , il faut plus de motifs que pour se fixer dans un état que tous deux s'accordent à louer et à nous offrir, auquel les saints Pères nous invitent avec tant d'instance , et que l'Ange de l'école nous présente comme la voie la plus facile et la plus sûre pour arriver au salut? Ne faut-
1 Joann., i, 40 et soq.
'- Aiebat majora iitiqiie signa rcquii'i ad statuenduiii qiiod ca sit Dei vohmtas, ut quis in eo statu maneat, iu qiio satis siL servarc prtecepta, qiiam ut viani consilioruni aggrediatur : quia Dominus tam aperte ad consilia exhortatus est ; at vero in illo statu magna ostendit esse pei'icula. [S. Ignntii Sententia, in Direct., c. xxiii, n. 4.)
' Voy. au chap. 11 de ce livre.
132 LA VOCATION SPÉCIALE
ii pas plus de raisons pour s'engager dans une route pleine de périls, hérissée d'obstacles, que pour en prendre une autre où il y en a peu?
CHAPITRE CINQUIÈME
La Vocation spéciale à la pratiqiie des Conseils et à l'état religieux.
Saint Thomas, dans un de ses opuscules, parlant de l'in- vitation à la pratique des conseils faite par Jésus-Christ dans rÉvangile, avait dit que chacun peut considérer cette invitation comme lui étant adressée à lui-même. Il ajoute i{u'il y a une autre sorte d'invitation faite par le Seigneur, celle qu'il adresse intérieurement à ràm.e, suivant ces pa- roles du Psalmiste : Aiidiam qiiid loquaîur in me Dominus Deus : j'écouterai ce que le Seigneur me dit intérieure- ment. Cette sorte d'invitation, continue saint Thomas , est d'un bien plus grand prix que toute autre purement exté- rieure; car c'est d'elle que celle-ci reçoit son efticacité '. C'est elle que nous appelop.s vocation spéciale.
La vocation spéciale à la pratique des conseils et à
' Est autem aliiis modus qiio Deus interius homini loquitur, se- cimduni illiid l's. lxxxiv, 9 : Audiam qukl loqiiaturin me Dominus Deus: qufe quideni locutio cuilibet lociitioiii cxteriori pneponitur : dicit enim Gregoriiis in Hom. Pentecostes : « Ipse conditor non ad eruditioneni hominis loqiiitiir, si eidcm lioniini per iinclionem Spi- ritus non loquatur. (S. Thom., Adv. retrah. ah ingressu relig., c. ix, circa médium.)
A LA PRATIQUE DES CONSEILS 133
l'état de perfection consiste dans des grâces particulières, dont l'âme est prévenue ' .
Ces grâces ont pour effet :
Premièrement , d'éclairer l'esprit de vives lumières sur les difficultés de l'état commun, sur les dangers du monde, sur la vanité de tout ce qu'on y estime et de tout ce qu'on y aime, sur le péril que l'on court , en y restant , d'en de- venir la victime , sur les avantages de l'état de perfection et les secours qu'on y trouve pour opérer son salut et tendre à la sainteté recommandée dans l'Évangile.
Deuxièmement , de mouvoir fortement la volonté, et de la porter à embrasser l'état de perfection. Ils lui en inspi- rent de saints désirs , ils la fortifient contre les obstacles , ils lui font pressentir que tous les sacrifices qu'il lui faudra faire lui seront, par la grâce divine, faciles et agréables.
« Il est à remarquer , dit le P. Louis Dupont , parlant de la vocation à la chasteté perpétuelle 2, qu'il y a deux sortes de vocations à l'état de continence : l'une géné- rale ; par elle , Notre-Seigneur nous exhorte à cet état , comme à une chose de plus grande perfection , et nous
1 Par suite de l'invitation à la pratique des conseils que Notfe- Seigncur Jésus-Christ adresse à tous les fidèles dans son Évangile, on peut dire qu'il tient à la disposition de tous ceux qui voudront en profiter les lumières et les inspirations propres à la vocation spé- ciale. Un assez grand nombre d'ànies reçoivent, il est vrai, plusieurs de ces grâces, mais elles n'y attachent pas d'importance, elles n'y font nulle attention, elles laissent périr ces germes précieux. Un plus grand nombre ne les reçoivent même pas , parce qu'elles met- tent obstacle à la libéralité divine. Elles ne répondent pas à d'au- tres grâces de sanctification qui leur sont données : Dieu les prive avec justice de celles qui regardent la pratique des conseils, et qu'il leur avait destinées.
2 la Perfection chrùtiemvs , t. III , tr. il, C. Vl.
VOGATIO,\. 8
134 LA VOCATION SPÉCIALE
offre les secours siiftisants pour le garder, c'est en vertu de cette vocation générale que saint Paul nous dit : « Je « n'ai point de commandement à vous transmettre de la « part de Dieu au sujet de la virginité, mais je vous la « conseille i. » C'est une vocation commune à tous les chrétiens , et tous peuvent l'accepter , et suivre le conseil de l'xVpôtre, dont saint Ambroise disait aux vierges de son Eglise : « (^ui pourrait mieux vous conseiller que le vase « d'élection? Et pensez-vous vous-mêmes choisir un meil- « leur époux que Jésus-Christ? A celles qui ont la liberté « du choix, ne sera-l-il pas permis de préférer un Dieu 2. » « Mais, outre cette vocation générale, il y en a une autre bien plus particulière ; elle incline et attu'C intérieurement la volonté avec beaucoup de douceur et d'efficacité, elle la porte à embrasser la continence et à renoncer au mariage. Cette vocation n'est pas accordée à tous, elle est le partage de ceux que Notre-Seigneur a choisis , élus par sa souve- raine Providence ; car c'est à lui qu'il appartient de distri- buer les inclinations et les attraits aux divers états de l'Église, de veiller à ce qu'il y en ait toujours qui les choi- sissent et les embrassent. Saint Paul parle de cette voca- tion, quand il dit : « Je désire que tous vous soyez comme « moi, mais chacun a reçu de Dieu un don particulier, « l'un celui-ci, l'autre celui-là 3; » c'est-à-dire que, par une spéciale vocation, l'un embrasse l'état de continence, l'autre l'état du mariage, et il appelle cette vocation le don propre de Dieu.
M Cor., vu, 2o.
- Exhort. Virginitatis, c. IV; 1. I de Viryinibus, c. .x.
^ I Cor., VII, 7.
A LA PRATIQUE DES CONSEILS 13S
« Ce qui ne veut point dire, observe le même auteur S que la continence soit, comme Font prétendu certains héré- tiques charnels, un don de Dieu comme la prophétie, le don des langues et autres grâces gratuites, provenant non du libre arbitre de l'homme, mais de la seule libéralité du Seigneur, qui les donne à qui il veut. Car la chasteté dé- pend de notre libre volonté ; il est en notre pouvoir d'em- brasser l'état de continence ou de le refuser. Cependant ce n'est point l'œuvre de notre volonté seule; c'est aussi, c'est principalement le fruit de la vocation et de l'inspira- tion du Saint-Esprit. Ce divin Esprit fait en quelque sorte l'office d'entremetteur et de paranymphe ^ auprès des âmes que Jésus-Christ a choisies pour épouses. Comme, en effet, il appartient aux hommes de rechercher celles qu'ils veulent pour épouses, et à celles-ci de consentir k leiu* choix et d'accepter leur main ; ainsi il n'appartient qu'à Dieu d'inspirer la virginité et la chasteté perpétuelle, et de choisir pour épouses les âmes qui aiment cette vertu et qui consentent à ses divines inspirations ; car sans leur libre consentement ce mariage spirituel ne pourrait se con- clure, ni ces noces se célébrer : aucune violence n'est faite, aucune obligation n'est imposée pour choisir cet état. »
Il y a donc, outre l'appel général h l'état de continence fait à tous les hommes dans les saintes lettres, des invita- tions spéciales faites à certaines âmes en particulier. Il est manifeste qu'on peut faire la même distinction par rapport à l'état de pauvreté volontaire et h celui d'obéissance.
1 La Perfection chrétienne, t. III, tr. II, c. VI.
^ On appelait ainsi, cliez les Hébreux, celui qui devait conduire l'épouse k son époux et présider h la célébration des noces.
130 LA VOCATION SPÉCIALE
Tous les fidèles semblent invités au premier par ces paroles du Seigneur : « Si vous voulez être parfaits, allez, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres; et puis, venez et suivez-moi •. » Tous aussi semblent appelés au second par ces autres paroles : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive 2. » Car le renoncement à soi-même est, suivant saint Basile, l'oubli total des choses terrestres et l'abnégation de sa propre volonté; et, suivant saint Jean Chrysostome, ce renoncement est proposé à tous les hommes ; en sorte que , en disant : Si quelqu'un veut, si quis vult, le Seigneur veut dire : si quelqu'un, homme ou femme, roi ou sujet, libre ou esclave 3. Mais il en est qui reçoivent des lumières particulières ayant pour effet de leur montrer les grands avantages attachés à la pratique de ces conseils , et avec ces lumières des inspirations plus ou moins pressantes qui les portent k l'embrasser. Or ces inspirations et ces lumières appartiennent, comme il a été dit, à une vocation spéciale.
Sans ces vives lumières qui éclairent l'esprit, sans ces motions divines qui sollicitent le cœur etfortifient la volonté, il arriverait que personne ne répondrait à l'invitation que nous fait Jésus-Christ de le suivre par la pratique des conseils, de nous vouer à sa suite, par des liens perpétuels, h une vie de pauvreté, de mortification et de renoncement.
' Si vis perfectus esse, vade, vende quœ habes, et da pauperibus, et habebis thesaurumin cœlo : et veni, sequere me. (MaUh., xix, "21.)
^ Si quis vult post me venire, abneget semetipsum, et tollat cru- cem suam , et sequatur me. (Mattli., xvi, 24.)
^ApudD. Thom. , Opusc. contra retrait, ab ingressu relig., c. IX, circa médium.
A LA PRATIQUE DES CONSEILS 13T
Sans ces lumières, sans ces grâces qui produisent en nous le vouloir et le faire ', lésâmes, en présence des avantages de l'état de perfection et avec la connaissance elle-même de l'invitation faite à tous les hommes par le Seigneur et répétée par l'Apôtre, demeureraient sine intellectu 2, du nombre do celles dont il est dit : Tous ne comprennent point cette pa~ rôle 3, ells resteraient sans amour pour la voie qui leur est montrée.
Il s'agit, en effet, d'un grand dessein, d'une entreprise qui contrarie toutes les inclinations de la nature , d'un re- noncement perpétuel à tout ce qui flatte le plus les sens et l'amour-propre. Un tel renoncement, une semblable entre- prise ne peut s'effectuer sans que l'âme soit prévenue de lumières spéciales et fortifiée par des grâces de choix; et l'on peut entendre de ces grâces de vocation ce que le Sei- gneur dit de la grâce de la foi : Personne ne peut venir à moi si mon Père ne l'attire *. Aussi le Sauveur, après avoir dit que tous ne comprennent point les avantages de l'état de continence: Non omnes capiunt verbum istucl, ajoute-t-il aussitôt que ceux-là seuls les comprennent qui en reçoivent la grâce : Sed quibus datum est ^. Et en vérité, qui pourrait sans un secours spécial quitter son pays et sa famille comme Abraham <^, oublier son peuple et la maison de son père, comme le recommande le prophète 7, abandon-
iPhil., Il, 13. niatth., XV, 16. ^ Matth., XIX, 11. ^ Joann., vi, 44. ^iMatth., .XIX, 11. '^Gen., XII, 1. "^ Ps. XLIV, M.
133 LA VOCATION SPECIALE
lier ses biens sans espérance de les recouvrer, se priver pour toujours des légitimes affections de la nature, renon- cer entièrement à la liberté de disposer de soi-même et de ses actes, pour suivre Jésus-Christ par la voie la plus étroite ? Une telle entreorise est trop contraire aux incli- nations du cœur humaic pour ne pas exiger des lumières qui éclairent vivement l'esprit, des grâces qui sollicitent fortement le cœur et obtiennent de la volonté une déter- mination ferme et généreuse.
« Quel est celui, dit le Seigneur, qui, voulant bâtir une tour, ne commence par calculer les ressources qui lui sont nécessaires et par voir s'il a de quoi achever son entreprise, dans la crainte qu'après avoir posé les fondements , il ne puisse terminer son travail?... Ou bien encore, quel est le roi qui s'engage dans une guerre avec un autre roi, sans avoir bien considéré d'abord si , avec les dix mille guer- riers dont il dispose , il pourra résister aux vingt mille sol- dats de son rival ' ? n Les fonds nécessaires pour coju- mencer et achever la tuur de la perfection religieuse , les forces suftlsantes pour terrasser l'ennemi de tout bien dans la guerre qu'on lui déclare par l'entrée en religion , nous sont assurées par les lumières et les grâces dont nous par- lons. Celles-ci en sont comme le gage certain; elles nous donnent le droit d'y compter ; elles nous annoncent de la part de Dieu les secours les plus abondants pour venir h
' Qiiis enim ex vobis volens lurrim œdificare, non priiis sedens com- piilat sumptiis qui necessarii sunt si habeat ad perficiendum : ne posteaquam posuerit fiindanientum, et non potiierit perficere, onines qui vident, incipianl illudereei.... Aut quis rex iturus commiUere hélium adversus alium regem, non sedens prius cogitât si possit cum decem miilibus occurrere ei, qui cum viginti millibus venit ad se? Luc, XIV, 28-31.
A LA PRATIQUE DES CONSEILS 139
bout de notre généreux dessein, et pour demeurer vain- queurs dans le glorieux combat que nous aurons entre- jiris K
Ainsi donc les lumières et les impulsions propres h la vocation spéciale éclairent et fortifient les âmes; elles leur font embrasser cette route plus étroite que le Seigneur nous propose à tous dans l'Évangile, Elles leur sont néces- saires , parce que , comme le dit saint Grégoire , c'est en vain que le Créateur lui-même parle k l'extérieur , s'ils ne se font aussi entendre à l'intérieur par l'onction de l'Es- prit-Saint ^ ; elles servent à les fortifier contre les difficultés de l'entreprise, contre la faiblesse de la chair, contre les affections du cœur, contre l'inconstance de la volonté.
Envoyés par le Seigneur, les anges avaient pressé Loth de quitter Sodomc, et ils avaient invité tous ses proches à fuir avec lui. Ceux-ci n'en voulurent rien faire : ils péri- rent dans les flammes. Loth aurait eu le même sort, si, voyant qu'il hésitait à suivre leur conseil , les anges ne l'eussent pris par le bras et ne lui eussent fait une salutaire violence ^. Sans cette violence , il serait demeuré dans la cité condamnée, et il y aurait péri avec ses gendres. Il fal- lait cette douce contrainte pour l'aider à triompher de l'af- fection trop grande qu'il avait à son pays et à ses biens.
Le conseil donné à Loth et à ses proches peut être re- gardé comme une figure de l'invitation faite à tous les hommes, dans l'Évangile, d'embrasser la voie des conseils; la violence faite au premier par les anges est une imago
^ Conf. P. L. Dupont, ïa Perfection chrétienne, t. III, tr. IV, c. i. ^ Cité par S. Thoni., Adr. rctrnh. ((h inqress^H rclig., c. ix. '-Gcn., XIX, 15-17.
140 LA VOCATION SPÉCIALE A LA PRATIQUE DES CONSEILS
des lumières et des inspirations propres à la vocation Jspé- ciale. Si ces lumières, si ces inspirations ne viennent en aide aux âmes, l'amour des biens terrestres les empêchera de suivre le conseil de Jésus-Christ.
Dans l'examen des vocations, on recherche avec soin les signes de vocation spéciale. Pour l'admission des candidats, on les exige d'autant plus nombreux et manifestes que le sujet présente par lui-même moins de garantie de persévé- rance, k cause de la légèreté de son caractère et de la fai- blesse de sa volonté. Les lumières plus nombreuses, les attraits plus prononcés , les inspirations plus pressantes, sont le signe que Dieu a des desseins plus particuliers d'ob- tenir l'acquiescement de la volonté, de suppléer par sa grâce à ce qui manquerait du côté de la nature.
Nous trouvons dans la parabole du roi qui célèbre les noces de son fils ' une figure de ces diverses vocations. A une invitation générale faite à tous ceux que le roi voulait admettre au festin, succèdent des invitations particulières. Celles-ci sont transmises par des serviteurs envoyés à di- verses reprises. Ces serviteurs pressent les invités, ils leur exposent la richesse du festin, le désir du roi, l'achèvement des préparatifs 2. Mais les conviés méprisent toutes ces avances ; il ne répondent ni à la première invitation , ni aux instances des serviteurs j ils s'en vont à leurs affaires ^.
^ Matth., XXII; Luc, xiv.
^ Et misit serves siios vocare invitâtes ad nuptias, et nolebant venire. Itenim misit alios servos, dicens : Dicite invitatis : Ecce prau- dium meum paravi , tauri mei et altilia occisa sunt, et oninia parata : vénite ad nuptias. (Matth., xxn, 3-4.)
^lUi autem negiexerunt : et abierunt, alius in villam suam, alius vero ad negotiationem suam. {Ibid., tj.)
LES SIGNES D'CJNE VOCATION DIVINE 141
Combien d'âmes appelées comme eux, avec non moins d'ins- tances qu'eux, à l'état de perfection, au banquet de la vie religieuse, à ce festin des noces de l'Agneau, sont retenues, elles aussi, par l'amour des choses terrestres, et demeurent sourdes aux appels réitérés d'une vocation spéciale, comme à l'invitation commune faite par Jésus-Christ dans son Évangile ! Combten d'autres , après avoir résisté longtemps aux pressantes sollicitations de la grAce , ne cèdent enfin qu'à une sorte de violence que leur fait le Seigneur, à quelque rude épreuve qui leur est ménagée par la Provi- dence, semblable à ceux dont le roi de la même parabole dit à son serviteur de les contraindre à venir ^.
CHAPITRE SIXIEME
Les Signes d'une Vocation divine.
On peut appeler vocation , dit Lessius ^, un certain at- trait ou impulsion intérieure qui porte l'âme à quelque genre de vie. Cet attrait peut, en général, provenir soit de Dieu, soit du démon , soit de la nature elle-même.
Quand est-ce que la vocation doit être réputée divine?
Pour reconnaître si le mouvement qui porte une âme à l'état de perfection vient de Dieu, il faut voir où il tend, pour quelle fin cette âme est portée à ce genre de vie ; car on n'aspire â cet état que dans la vue de quelque bien. Le re-
* Exi in vias et sepes; et compelle intrare, ut impleatur domus mea. (Luc.,xiv, 23.)
* De Statu vitœ d^Ugendo, q. S.
142 XES SIGNES D'UNE VOCATIOîN DIVINE
noncemént au monde et à ses joies , la pratique de la pauvreté, l'assujettissement de la volonté k une règle et à la direction des supérieurs , sont choses peu agréables par elles-mêmes : on ne les désire que dans la vue d'ob- tenir par elles quelque autre bien qui attire la volonté. Ceci posé , nous pouvons répondre de la manière suivante à la question posé^., qui fait l'objet de ce chapitre.
Si le seul motif qui attire la volonté à l'état de perfection est d'acquérir quelque Dien spirituel , par exemple, de s'é- loigner des dangers du monde , d'imiter Jésus-Christ , de suivre les conseils qu'il nous a donnés , de se donner à Dieu , de se consacrer tout entier à son service , de tra- vailler avec plus d'efficacité et do mérite au salut des âmes, etc., il est indubitable qu'une semblable vocation vient de Dieu.
Elle ne peut venir du démon. En l'inspirant, il travaille- rait à la ruine de son propre empire; ce qu'il ne peut faire, comme Notre-Seigneur lui-même le fit entendre aux pha- risiens qui l'accusaient de chasser les démons par le pou- voir du prince des démons. Il n'y a rien , en effet, d'aussi contraire aux desseins du malin esprit et à toutes ses vues que l'éloignement des richesses , des plaisirs et des hon- neurs, le mépris du monde, l'amour de la pauvreté, la pra- tique de la chasteté, le renoncement à la volonté propre, l'imitation de Jésus-Christ. Ces œuvres sont tellement pro- pres à l'Esprit-Saint, que ce serait une sorte de blasphème que dé les attribuer à Satan.
Saint Thomas est on ne peut plus explicite sur ce point : « Ceux, dit-il ', qui sont chargés de recevoir un aspirant,
'Un, q. ult., art. iilt., ad. t.
LES SIGNES D'UNE VOCATION DIVINE 143
peuvent douter s'il est amené par l'esprit de Dieu ou par quelque autre esprit : et voilà pourqaoi ils doivent l'éprouver. C'est à eux qu'il est dit : Éprouver tes esprits, afin devoir' s'ils viennent de Dieu * . Mais poui celui qui se présente , il ne peut douter si son dessein d'entrer en religion lui a été inspiré par le Saint-Esprit dont le propre est de conduire l'homme dans les droits sentiers. Il ne peut en douter , parce qu'il lui est facile de se rendre compte des motifs qui le font agir. « Et, ajoute le saint Docteur, de ce que quelques-uns renoncent ensuite à la vie religieuse, il ne faut pas en conclure qu'ils n'étaient point appelés de Dieu ; autrement il faudrait dire que tous les biens de Dieu sont inamissibles, et que les âmes qui sont une fois en posses- sion de sa grâce ne peuvent plus la perdre, comme l'en- seignent des hérétiques. » Si donc auelques-uns abandon- nent un état de perfection , qu'ils avaient d'abord choisi pour des motifs surnaturels , c'est parce qu'ils cessent de correspondre à leur vocation. Celui qui prétendrait que le démon avait pu lui inspirer ce dessein dans la vue de le lui faire abandonner ensuite , devrait avouer aussi que le démon peut attirer les infidèles à la foi, les hérétiques à la vraie Église , dans l'espérance d'en faire ensuite des apos- tats et des hérétiques. Satan est à la fois trop rusé et trop méchant pour laisser ainsi échapper les âmes qu'il tient déjà de quelque manière dans ses filets, c'est-à-dire dans les liens des sollicitudes terrestres et des affections aux biens de ce monde , pour les porter lui-même à se retirer en une sorte de forteresse, à l'abri de ses traits les plus acérés.
' IJoann., iv, i.
144 LES SIGNES D'UNE VOCATION DIVINE
Mais n'arrive-t-il pas souvent que Satan se transforme en ange de lumière? « Oui, sans doute, répond saint Tho- mas ^ ; et, comme il agit de la sorte pour nous amener à ses fins, il faut être sur ses gardes; mais, quelles que soient les illusions qu'il produise, tant qu'il n'inspire rien de mal, il n'y a rien à craindre. En supposant même qu'il portât quelqu'un à la vie religieuse, comme c'est une bonne œuvre, conforme à celles qu'opèrent les saints anges, il n'y aurait point de danger à suivre cette impulsion ; seu- lement, il faudrait se tenir en éveil pour lui résister lors- qu'il commencerait à inspirer de l'orgueil ou quelque autre vice. Du reste, il arrive souvent que Dieu se sert de la malice du démon pour le bien de ses élus. »
Ce même attrait , appuyé sur de tels motifs , ne saurait venir de notre pi'opre fond. Nous sommes, en effet, par ce fond même , portés h des choses toutes contraires ; nous désirons les richesses, les plaisirs, l'honneur, la liberté, ce qui nous élève et nous met au-dessus des autres; nous avons en horreur la mortification, la pauvreté , les priva- tions, les humiliations, l'abjection, les mépris. Eh quoi, nous ne pouvons, sans un mouvement particulier de l'Es- prit-Saint, prononcer le nom de Jésus 2, c'est-à-dire invo- quer Jésus-Christ comme notre Seigneur et notre Dieu, nous ne pouvons par nous-mêmes avoir une pensée salu- taire 3j et nous prétendrions pouvoir, sans l'action du même esprit , avoir la volonté efficace de fuir le monde , d'imiter Jésus-Christ, d'embrasser et de porter la croix dans la carrière religieuse! Non, de tels desseins, une
^ Contra retrah. où ingressurdig., c. X-.
M Cor., XII, 3.
»UCor.,ui,9.
LES SIGNES D'LNE VOCATION DIVINE 14o
semblable résolution, provenant de l'unique désir des biens que la foi nous fait estimer, ne peuvent venir que de l'Es- prit de Dieu. Ils appartiennent à une vocation vraiment divine.
Ainsi donc, quand une âme se propose d'embrasser l'état religieux dans la vue de renoncer au monde et de remplir les devoirs qu'impose cet état, il ne faut nulle- ment douter que cette vocation ne vienne de Dieu même, quel que soit d'ailleurs celui dont il se sert pour la lui inspi- rer. C'est la conséquence de ce qui précède, et l'enseigne- ment du Docteur angélique. « 11 faut savoir, dit-il *, que si le démon ou un homme suggérait à quelqu'un la pensée d'embrasser la vie religieuse, pour y marcher à la suite de Jésus-Christ , une telle suggestion n'aurait d'efficacité que si Dieu y attirait lui-même intérieurement; en sorte que la résolution d'embrasser la vie religieuse vient de Dieu, quel que soit celui qui Tait suggérée. La raison en est qu'une telle résolution est une bonne volonté, une volonté salutaire, qui ne peut venir que de Dieu ; il en est de ce bon vouloir comme de la conversion d'un hérétique ou d'un infidèle , auquel le démon lui-même aurait prêché la foi; cette conversion serait due à l'action intérieure de la grâce (divine et non au démon. »
Si le motif unique ou principal qui porte à la vie reli- gieuse est un bien temporel; si l'on y est attiré, par exemple, par le désir du repos, de la considération, de quelque prélature, un tel attrait ne doit point être attribué à l'esprit de Dieu : le propre de ce divin Es{)rit est plutôt d'inspirer le mépris de ces biens que de porter à les re-
* Contra retruh. ab inyvessu reliy., c. X.
VOCATION. 9
14-6 LliS SIGNES D'LNE VOC MiON D1VIM-.
chercher; et d'ailleurs ces désh-s jaillissent, comme de leur source, du fond même de notre nature. La vocation, pour être divine, doit avoir une lin surnaturelle. Ce n'est point quitter le monde, mais plutôt le rechercher, que de se pro- poser dans la religion la jouissance des honneurs et des commodités temporelles. Tel était le motif pour lequel le Scribe de l'Évangile s'offrait à suivre Notre-Seigneur. Il le montra bien , quand , ayant entendu Jésus lui dire : « Les renards ont leur tanière et l'es oiseaux du ciel leur nid. mais le Fils de l'Homme n'a pas où reposer sa tète '; » il n'insista point. Le Saint-Esprit peut, sans doute, per- mettre que l'on embrasse par un motif semblable un genre de vie plus parfait, atiu d'amener ensuite insensiblement le cœur à l'amour- des biens spirituels ; mais alors il n'a qu'à laisser agir la nature; son opération à lui est de faire succéder une intention pure et élevée à des aspirations basses et terrestres.
Si l'espérance d'un bien temporel n'est pas la cause dé- terminante du choix que l'on fait de l'état rehgicux, mais un motif purement secondaire, elle n'empêche point la vocation d'être divine. La vie rehgieuse, en effet, outre les biens spi- rituels dont elle est enrichie, renferme aussi certains avan- tages temporels; et rien n'empêche qu'elle puisse être légiti- mement recherchée pour ces biens de moindre importance , pourvu qu'ils ne soient point le seul ni le principal objrt des désirs que Ton a de l'embrasser. Ainsi, pourvu que le motif principal qui porte quelqu'un à l'état rehgieux soit les biens spirituels dont cet état est la source, il peut se pro- poser aussi, en le choisissant, certains avantages temporels
^Matth., viii, 20.
LES SIGNES DUiNE VOCATIO.N DIVIiNE H7
qui peuvent y être attachés, tels que la tranquillité de la vie, la délivrance des sollicitudes terrestres ; ces avantages ac- cessoires peuvent servir d'éperons à celui que Dieu appelle, pour lui faire quitter le monde et entrer en- religion; ils ne doivent point être la fin principale de cette démarche. Notre- Seigneur nous l'a fait entendre , en disant à ceux qui le sui- vaient, et qu'il avait nourris dans ce lieu désert : « Vous me cherchez, non parce que vous avez été témoins des miracles que j'ai opérés, mais parce que vous avez mangé des pains que je vous ai distribués, et que vous avez été rassasiés : recherchez donc, non une nourriture qui périsse, mais celle qui demeure éternellement et que le Fils de l'Homme vous donnera *. » "
Les motifs surnaturels que l'on se propose dans le choix d'un état et qui sont la marque d'mie vocation divine sont plus ou moins parfaits. On peut les diviser en trois classes, répondant aux trois voies que l'on disthigue dans la vie spi- rituelle, à la voie purgative, à la voie illuminative, h la voie unitive,. Lorsque saint Ignace de Loyola, dans l'exercice du rhgne de Notre-Seigneur, fait contempler à son disciple un prince puissant qui appelle ses vassaux et ses sujets à une expédition guerrière, et qu'il lui montre ces derniers répon- dant à sa voix : les uns pour être délivrés des attaques de l'ennemi, les autres par désir de la gloire et des récom- penses, d'autres par dévouement à la personne de leur roi* il indique les divers genres de motifs qui peuvent nous porter à la suite de Jésus-Christ dans la voie des conseils.
Premièrement, nous pouvons nous attacher à Jésus-
^ Joann., VI, 26, 27. — Conf. Lessius, de Statu vitœ deligemlo,
C.V.
148 LES SIGNES D'UNE VOCATION DIVINE
Christ et le suivre dans l'état de perfection parce qu'il est notre unique voie, le guide qui nous a ramenés dans le droit chemin, et qui seul peut nous préserver de nouveaux erre- ments, parce qu'il est le Sauveur qui nous a arrachés à li mort, et que seul il peut nous empêcher de nous perdre ; parce qu'en lui seul nous pouvons triompher de nos enne- mis et que lui seul peut dire : Confidité, ego vici mundum. Ainsi on s'attache à Jésus-Christ , on embrasse la voie de ses conseils, parce qu'on a contemplé l'abîme dont on a été tiré par lui. Comme le possédé déliviT. d'une légion de dé- mons, on ne peut plus quitter ce divin libérateur, on s'offre pour le suivre '. C'est la pensée de la mort, c'est la crainte des jugements de Dieu qui détache le cœur de biens péris- sables, qui détermine la volonté à embrasser la voie des conseils ^. Ces motifs appartiennent aux lumières de la voie purgative.
Deuxièmement, on peut, dans la détermination d'embras- ser l'état de perfection, être mû ])ar le désir des grandes récompenses promises à ceux qui ont tout quitté pour Dieu. On a été frappé des paroles du Sauveur : « Celui qui lais- sera sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou ses enfants, ou son champ, à cause de mon nom, recevra le centuple en ce monde et possédera la vie éternelle 3. » On aspire au centuple, on veut arriver plus sûrement à la vie éternelle et la recevoir comme le prix de sa fidéhté à un contrat conclu avec Dieu même ; on a en- tendu l'invitation du Seigneur : « Écoute, ma fille, considère
iiMatth.,v, 18.
2 Voy. P.L. Dupont, la Perfection chrétienne, t. III, tr. IV, c. vu.
5Matth.,xix,29.
LES SIGNES D'UNE VOCATION DIVINE 149
et prête l'oreille à ma voix : oublie ton peuple et ta maison et ton père, et le roi se complaira en ta beauté i. » On veut avoir part aux divines complaisances promises h ceux qui répondent à cette invitation.
Ou bien c'est la vie religieuse qui apparaît h l'âme avec sa merveilleuse beauté et ses précieux avantages. L'âme comprend, elle goûte par avance le secret bonheur de cette vie dont le Psalmiste disait : Combien il est doux et agréable (V habiter ensemble comme des frères 2; elle se prend à dire, comme saint Pierre sur le Thabor : « Il nous est bon de rester ici 3. » De tels motifs conviennent d'une manière plus spéciale à ceux qui avancent dans la voie illuminative.
Troisièmement , il y en a qui se déterminent à quitter le monde et à suivre Jésus-Christ dans la vie religieuse par des motifs encore plus élevés. Ce sont ceux qui, suivant l'expression de saint Ignace, veulent se lier plus étroitement à Notre-Seigneur et se distinguer â son service *, par recon- naissance pour ses bienfaits, par attachement à sa personne, par dévouement à sa cause; ils désirent ressembler à Jésus- Christ , vivre comme lui dans le travail et les privations , dans la dépendance et l'immolation ; ils veulent partager ses épreuves et porter ses hvrées. Ce sont les aspirations de la voie unitive.
Ces divers motifs diffèrent sans doute en perfection ; mais tous présentent â la volonté des biens de l'ordre surnaturel, tous indiquent une vocation divine, parce que, comme nous
* Ps. XLIV, 11, 12. - Ps., CXX.\II, 1.
''Matth., XVII, 4.
* li qui volunt magis affici et insignes se exhibere in onini servitio sui Régis œterni ac Domini. {Contempl. de Regno Christi.)
lyO LES SIGNES D'UNE VOCATION DIVINE
l'avons dit, la détermination d'embrasser l'état de perfection prise pour de tels motifs ne peut venir que des lumières et des inspirations de la grâce. Si les motifs surnaturels sont les seuls qui agissent sur la volonté, le vocation, en prenant ce mot pour l'ensemble des motifs qui déterminent la volonté, est non-seulement divine, mais elle est pure et sans mélange de vues humaines. S'il y a mélange de quelques vues hu- maines, du désir de quelque bien terrestre , et que ce désir et ces vues ne soient point dominants, mais d'une influence secondaire, la vocation n'est pas entièrement pure : elle ne laisse pas d'être divine, bien qu'elle admette ce mé- lange terrestre.
On peut regarder comme des indices d'une vocation spé- ciale et divine les dispositions naturelles que l'on a pour tel genre de vie. Il faut en dire autant du défaut d'aptitude pour Tétat contraire, et de certains obstacles extérieurs qui em- pêcheraient de l'embrasser. « Ainsi telles personnes ne trouvent point à se marier; d'autres ont une complexion faible et de continuelles maladies qui les rendent impropres au mariage. Les unes et les autres peuvent voir en cela un signe de la volonté divine à leur égard, une marque de leur vocation à l'état de continence perpétuelle.
« De même on peut prendre pour un indice de vocation divine à l'état de virginité une complexion ferme, naturelle- ment portée à la continence, une nature calme et tranquille , sans passion véhémente. Car Notre-Seigneur a coutume de poser les fondements de la nature conforme à l'édifice qu'il prétend élever par la grâce. Aussi, comme nous conseillons le mariage à ceux qui y sont comme entraînés par des pas- sions ardentes, parce que ce nous est un signe que Dieu les veut dans cet état; de même, on peut conseiller la chasteté
LES SIG?<ES D'UNE VOCATION DIVINE 1S1
perpétuelle à ceux qui y sont enclins par la nature de leur complexion naturelle.
« Une telle disposition peut donc être prise pour un indice de vocation. Mais, seul, cet indice ne serait pas suffi- sant, non plus que le défaut de cette disposition ne serait un signe que la vocation divine manque ; car plusieurs, vérita- blement appelés de Dieu à cette grande entreprise, ont à souffrir de violents assauts ; mais en eux la grâce supplée à ce que la nature n'a pas donné. Il faut donc surtout consi- dérer la véhémence des inspirations et des mouvements intérieurs, l'affection de la volonté ébranlée soit par des illuminations célestes, soit par les considérations qui mani- festent à l'âme les avantages de l'état de continence et lui inspirent de l'éloignement pour l'état opposé *. »
(( On ne peut nier que certains dons surnaturels ne s'ac- cordent parfaitement avec les dons naturels qui ont avec eux de la ressemblance, et que le Seigneur ne donne souvent les premiers à ceux qu'il a d'avance pourvus des seconds. Notre-Seigneur lui-même se compare à un maître qui dis- tribue les talents à ses serviteurs, selon les qualités propres à chacun d'eux : Uniciiique seciindiim propriam virtutem 2 ; c'est-à-dire qu'il distribue les états et les offices de l'Église, ainsi que les autres grâces gratuites, appelées ici talents, suivant les qualités, les inclinations et les forces naturelles do chacun. Il en agit ainsi, afin que chacun fasse valoir son talent, exerce son office, se perfectionne dans son état, avec plus de charité, de persévérance et de fermeté... Ainsi a-t-il coutume d'employer ceux qui ont le cœur naturelle-
1 P. L. Dupont, la Perfection chrétienne, t. III, tr. II, c. vi, S 1. -Matth.,xxv, 1S.
152 LES SIGNES D'UNE VOCATION DIVINE
ment grand et généreux à des entreprises difficiles et extra- ordinaires. Ceux qui sont timides et pusillanimes, il les laisse exercer les vertus communes. Il ne choisit pas pour le calme de la vie contemplative ceux qui sont d'une nature inquiète, ni pour les exercices de la vie active ceux qui sont portés au repos et à la tranquillité. Il n'appelle point à l'of- fice de prélat, de juge, des hommes naturellement timides, lâches, paresseux , ou de peu de jugement, ni à l'état de continence ceux dont les passions sont trop ardentes et peuvent à peine être contenues. Il agit comme cet homme prudent dont il parle dans son Évangile, il se garde de mettre du vin nouveau dans de vieilles outres, de crainte que celles-ci ne se rompent et que le vin ne se répande ; mais il le met dans des outres neuves, afin de le conserver avec elles ^ ; il distribue les états et les charges, selon les apti- tudes et les inclinations de chacun : il rend ainsi plus doux et plus facile l'accomplissement des obligations qui y sont attachées 2. »
Mais, parce qu'il est tout-puissant, il peut aussi subvenir par lui-même à la faiblesse et à l'indisposition de l'instru- ment qu'il emploie, il peut suppléer par sa grâce aux défauts de la nature, pourvoir par elle aux qualités qui manquent à l'instrument, ou perfectionner celles dont il est doué. Ainsi il donne de la magnanimité aux âmes timides, du calme aux esprits inquiets, le courage aux cœurs pusillanimes. Et, de même qu'on l'a vu dans l'andenne loi choisir pour de grandes victoires de simples femmes ^ et les valets de l'ar-
^Marc, H, 22.
^ P. L. Dupont, la Perfection chrétienne, t. If, tr. I, c. iv, $ 1 .
' Judic, IV; ibid.^ vill.
LES SIGNES D'UNE VOCATION DIVINE 133
mée < , ainsi dans la loi nouvelle on le voit souvent élire pour l'exécution de ses desseins de simples femmes, des liommes sans lettres et dépourvus des dons de la nature : il leur contie les entreprises les plus difticiles ; il les fait triompher de tous les calculs de la sagesse humaine et dé- jouer toutes les ruses de l'enfer; il accomplit par eux les plus éclatantes oeuvres de sa droite. Alors se vérifie cette parole de l'Apôtre : « Il a choisi ceux que le monde estime sots pour confondre les sages ; il a pris les faibles selon le monde pour confondre les puissants ; il a élu ceux que le monde jugeait vils et méprisables et ce qui n'est rien à ses yeux pour détruire ce qu'il estime grand, afin que personne ne se glorifie devant lui 2, »
CHAPITRE YII
Suite du même sujet.
Nous indiquerons quelques conséquences pratiques des principes exposés au chapitre précédent. Concluons d'abord avec le savant Lessius ' que, pour
* III Reg., XX, 14 et seq.
2 Qua; stulta sunt niundi elegit Deus , ut confundat sapientes; et infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia : et ignobilia raundi, et contemptibilia elegit Deus , et ea quœ non sunt, ul ea quae sunt destrueret : ut non glorietur omnis caro in conspectu ejus. {[Cor., I, 27-29. — Conf. P. L. Dupont, loc. cit., §2.)
'' Opusc de Statu vitœ deligendo, q. 5.
9.
ilji LES SIGNES D'UiNE VOCATION DIVINE
savoir si Dieu nous appelle à tel genre de vie, il est inutile de demander et d'attendre une sorte de révélation particu- lière. Dieu n'a pas coutume de manifester sa volonté par ce moyen, et il ne veut pas que, dans la pratique de la vie, nous attendions pour agir de semblables manifestations. Il les emploie quelquefois, parce qu'il est libre dans la distri- bution de ses dons et dans la manière de nous les commu- niquer, et il agit toujours dans des desseins dignes de sa sagesse et de sa bonté; mais sa conduite doit être pour nous un sujet d'admiration et de louanges et non un motif de compter sur de semblables faveurs.
Demandons-lui, ce qu'il ne nous refusera pas, les lumières propres à nous faire choisir l'état auquel il nous destine, et la fidélité à ces lumières. La conscience des motifs surnatu- rels qui nous font agir suffira pour nous donner une entière confiance et toute la certitude qu'il nous est permis de désirer.
Remarquons en second lieu que, quelles que soient la clarté des lumières et la force des inspirations, elles ne sont que des moyens pour obtenir la détermination de la volonté en éclairant l'esprit et en touchant le cœur. Il ne faut donc point confondre ces moyens avec la fin, avec le vouloir dont parle le Seigneur , quand il dit au jeune homme qu'il invitait h le suivre : « Si vous voulez être parfait, allez, vendez tous vos biens, et donnez-le aux pauvres S » etc. Ce vouloir, cette détermination de la volonté, est un fruit qui naît à la fois de ces lumières, de ces inspirations et de la cor- respondance de la volonté. Celles-là sont un effet de la grâce prévenante, ou plutôt elles sont la grâce prévenante elle-
^Matth., .\ix, 21.
LES SIGNES D'UNE VOCATION DIVINE 1î51î
même : elles sont en nous sans nous ; le bon vouloir y est par le concours de notre libre arbitre à l'action de la grâce ; pour le produire il faut plus ou moins de lumières et d'inspirations, suivant le caractère et les dispositions du sujet sur lequel elles agissent. Ceux qui examinent les vocations doivent étu- dier la nature de ce fruit et le degré de maturité auquel il est parvenu, c'est-à-dire considérer si la volonté est déterminée et quelle est la fermeté de cette détermination, quelle en sera la constance. Ils se rendront compte des motifs qui font agir le candidat, des moyens dont le Seigneur s'est servi pour l'attirer à la vie religieuse. Ils le connaîtront ainsi plus parfaitement, ils sauront quelles sont ses dispositions actuelles et ce qu'on peut espérer de lui pour l'avenir.
En troisième lieu, après qu'une âme s'est déterminée sous l'action de l'Esprit-Saint, avec tous les signes de la vocation spéciale, il peut arriver que la lumière divine diminue, que des nuages se forment en son esprit, que la grâce se fasse moins sentir, que la volonté éprouve des craintes, des répugnances, une sorte d'hésitation. En tout ceci, rien qui doive la surprendre, nul motif de mettre en doute la vérité des signes de la volonté divine. La grâce de la vocation n'exclut point ces vicissitudes.
Dieu, pour nous manifester sa volonté, nous donne les lumières et les inspirations nécessaires. Quand nous les avons reçues, il peut en diminuer la clarté, et ne nous laisser même que le souvenir d'avoir vu et compris : il reste en droit d'attendre de nous la correspondance à ses lumières. C'est une invitation qu'il nous a faite : elle n'a pas besoin, pour subsister, d'être indéfiniment renouvelée. En y répondant, nous n'avons pas à craindre de n'être point reçus au divin banquet.
1S6 LES SIGNES D'UNE VOCATION DIVINE
Quant aux vicissitudes auxquelles nous sommes sujets par la faiblesse même de notre nature, et qui sont telles qu'elles n'empêchent point notre volonté d'être suffisamment affermie, ni notre vocation d'être bonne, écoutons ce qu'en dit saint François de Sales. Traitant, dans un de ses entretiens aux religieuses de la Visitation ^ , des signes aux- quels on peut reconnaître une bonne vocation, il s'exprime ainsi :
«La bonne vocation n'est autre chose qu'une volonté ferme et constante qu'a la personne appelée de vouloir servir Dieu en la manière et au lieu auquel sa divine Majesté l'appelle, et cela est la meilleure marque que l'on puisse avoir pour cognoistre . quand une vocation est bonne. Mais remarquez que quand je dis une volonté ferme et constante de servir Dieu, je ne dis pas qu'elle fasse dès le commen- cement tout ce qu'il faut faire en sa vocation, avec une fer- meté et constance si grande, qu'elle soit exempte de toute répugnance, difticulté ou dégoust en ce qui en dé- pend. Non, je ne dis pas cela, ny moins que ceste fermeté et constance soit telle qu'elle la rende exempte de faire des fautes, ny que pour cela elle soit si ferme qu'elle ne vienne jamais à chanceler, ny varier en l'entreprise qu'elle a faite de practiquer les moyens qui la peuvent conduire à la perfection. Oh non, certes ! ce n'est pas ce que je veux dire ; car tout homme est subject à telle passion, change- ment et vicissitude, et tel aymera aujourd'huy une chose qui en aymera demain une autre ; un jour ne ressemble jamais à l'autre. Ce n'est pas donc par ces divers mouvemens et sentimens qu'il faut juger de la fermeté et constance de
' Entretien xvii.
LES SIGNES DUNE VOCATION DIVINE V67
la volonté au bien que l'on a embrassé ; mais ouy bien, si, parmy ceste variété de divers mouvemens, la volonté de- meure ferme à ne point quitter le bien qu'elle a embrassé encore qu'elle sente le dégoust et le refroidissement en l'amour de quelque vertu, et qu'elle ne laisse pour cela de se servir des moyens qui lui sont marquez pour l'acquérir : tellement que pour avoir une marque d'une bonne vocation il ne faut pas une constance sensible, mais qui soit en la partie supérieure de l'esprit et laquelle soit effective. Doncques pour sçavoir si Dieu veut que l'on soit religieux, il ne faut pas attendre qu'il nous parle sensiblement, ou qu'il nous envoyé quelque ange du ciel pour nous signifier sa volonté ; ny moins est-il besoin d'avoir des révélations sur ce subject. Il ne faut non plus un examen de dix ou douze docteurs pour voir si l'inspiration est bonne ou mauvaise, s'il faut la suivre ou non, mais il faut bien cor- respondre et cultiver le premier mouvement, et puis ne pas se mettre en peine s'il vient des desgouts et des refi'oidis- semens touchant cela : car si l'on tasche toujours de tenir sa volonté bien ferme à vouloir rechercher le bien qui nous est monstre. Dieu ne manquera pas de faire réussir le tout à sa gloire. Et quand je dis cecy, je ne parle pas seulement pour vous autres, mais encore pour les filles qui sont au monde, desquelles certes il faut avoir du soing, les aydant parmi leurs bons desseins. Quand elles ont les premiers mouvemens un peu forts, rien ne leur est difficile ; il leur semble qu'elles franchiront toutes les difficultés : mais quand elles sentent ces vicissitudes et que ces sentimens ne sont plus si sensibles à la partie inférieure, il leur semble que tout est perdu et qu'il faille tout quitter ; l'on veut et l'on ne veut pas. Ce que l'on
io8 LES SIGNES DL'NE VOCATION DIVINE
sent alors n'est pas suffisant pour faire quitter le monde, « Je voudrois bien, dit une de ces filles, mais je ne sçay pas « si c'est la volonté de Dieu que je sois religieuse, d'autant « que l'inspiration que je reçois h ceste heure n'est pas, ce a me semble, assez forte. Il est vray que je l'ay eue beaucoup ce plus forte que je n'ay à cette heure ; mais comme elle « n'est pas de durée, cela me fait croire qu'elle n'est pas « bonne. » Certes, quand je rencontre telles âmes, je ne m'estonne point de ces desgouts et refi^oidissemens, ny moins crois-je que pour iceux leur vocation ne soit pas bonne. Il faut seulement en cela avoir un grand soing pour les ayder, et leur apprendre à ne se point estonner de ces changemens , mais .les encourager à demeurer fermes parmy ces mutations. Hé bien, leur dis-je, cela n'est rien : dites-raoy, n'avez-vous pas senti le mouvement ou Thispi- ration dans votre cœur pour la recherche d'un si grand bien ? « Ouy, (Msent-elles, il est bien \Tay, mais cela s'est « aussitôt passé. » Ouy, bien, leur dis-je, la force de ce sentiment, mais non pas en telle sorte qu'il ne vous en soit demeuré quelque affection. « Oh ! non, dit-elle, car je « sens toujours je ne sçay quoy qui me fait tendre de ce « costé-là ; mais ce qui me met en peine, c'est que je ne (c sens pas ce mouvement si fort qu'il faudroit pour une telle « résolution. » Je leur réponds qu'elles ne se mettent pas en peine de ces sentimens sensibles et qu'elles ne les exami- nent pas tant, qu'elles se contentent de ceste constance de leur volonté, qui parmy tout cela ne perd point l'affection de son premier dessein. Qu'elles soyent seulement soi- gneuses à le bien cultiver et à bien correspondre à ce pre- mier mouvement. » Quelques vicissitudes mtérieures qu'elle éprouve, l'âme
LES SIGNKS D'LNÏ VOCATION DIVINE 1j9
appelée de Dieu à la vie religieuse ne doit point s'en étonner, ni croire que Dieu cesse de la vouloir à sa suite dans la voie des conseils , parce qu'il ne l'attire pas avec la mémo force ni avec la même suavité qu'il le faisait d'abord. Malgré les nombreuses variations de l'atmosphère et les brusques et violentes successions des temps les plus contraires, le laboureur laisse au sein de la terre la semence qu'il y a jetée ; il ne cesse d'en espérer une riche mission. Il y a dans le ciel de notre âme mille va- riations diverses : la chaleur y succède au froid et le calme y fait place aux orages. Mais toutes ces vicissitudes et tous ces changements laissent subsister dans son sein le germe précieux de la vie parfaite que le Seigneur y a déposé par la vocation. Loin de lui nuire, ils doivent dans les desseins de Dieu, comme nous le dirons au livre suivant en traitant des épreuves de la vocation, servir à son développement et assurer sa fécondité. Ce n'est donc point d'après la règle incertaine du sentiment, si variable de sa nature et si aveugle, qu'il faut juger des desseins de Dieu en nous, c'est à la lumière de la foi. Celle-ci brille toujours d'un assez vif éclat dans les hautes régions de l'àme, pour éclairer sa marche à travers les ténèbres, les tristesses et les défail- lances, auxquelles elle est sujette par sa nature et sa condition. Une âme qui aspire à la vie parfaite doit s'atten- dre, comme tout autre, à ces vissitudes intérieures, elle ne doit point s'en étonner. Elles ne sont point pour elle une raison de douter de l'appel du Seigneur. « Voyez, dit à ce propos saint Bernard ' , celui qui marche selon l'Esprit ne demeure pas toujours dans le même état, il n'avance pas
^ Serm. xxi in Cantic, n. .^î, 0.
160 LES SIGNES D'UNE VOCATION DIVINE
toujours avec la même facilité, car la voie de l'homme n'est pas en sa propre main ; mais, suivant que l'Esprit divin qui le dirige lui dispense ses dons avec plus ou moins d'abondance, il se sent plus ou moins d'ardeur pour oublier ce qui est derrière lui et s'étendre en avant dans la voie de la perfection. Et je pense que, si vous êtes attentifs à votre intérieur, vous faites en vous-mêmes l'expé- rience de ce que je vous dis. Lors donc que vous vous sentirez affaiblis par la torpeur, la paresse ou l'ennui, ne perdez point confiance pour cela et n'abandonnez pas votre entreprise spirituelle, mais appelez la main de l'aide céleste ; à l'exemple de l'Épouse des Cantiques, priez-le de vous attirer à lui, jusqu'à ce que devenus, par une nou- velle action de sa grâce, plus prompts et plus agiles, vous couriez à sa suite en disant : J'ai couru, Seigneur, dans la voie de vos commandements quand vous avez dilaté mon cœur ^ . »
Mais, dira-t-on peut-être, il en est plusieurs qui, après être entrés en religion par des motifs siu'naturels, n'y ont pas persévéré. N'est-ce point parce qu'ils ont reconnu s'être trompés sur leur vocation et n'avoir pas été véritable- ment appelés de Dieu?
Nous répondons avec l'Ange de l'école que la retraite ou défection de ceux-ci ne prouve nullement que la vocation divine leur ait manqué, car il n'est point vrai de dire (|ue tout ce qui vient de Dieu est indestructible, autrement il faudrait avouer avec les Manichéens que les créatures ne sont point l'œuvre de Dieu, et admettre avec d'autres héré-
* Viani mandatorum tuorii m ciicurri cuni dilatasfi cor nicuni. (/ s. cviii, 32.)
LES SIGNES D'UNE VuCATION BÎV.'NE Ji'.l
tiques, qu'on ne peut perdre la grâce quand on a eu le bonheur de la posséder-^.
Mais il peut arriver qu'après avoir été appelé de Dieu et avoir reçu de lui la grâce de la vocation, on soit infidèle à cette grâce. « Il en est, dit saint François de Sales '^, qui ont esté bien appelez, qui toutesfois n'ont pas persévéré ; ains après avoir demeuré quelque temps en religion, ont tout quitté. Et de cecy nous avons l'exemple do Judas, duquel nous ne pouvons doubler qu'il ne fust bien appelé, car Nostre-Seigneur le choisit et l'appela à l'apostolat de sa propre bouche ; d'où vient donc qu'estant si bien appelé, il ne persévéra pas en sa vocation ? 0 c'est qu'il abusa de sa liberté, et ne voulut pas se servir des moyens que Dieu lui donnoit pour ce subject ; mais, au lieu de les embras- ser et d'en user à son profit, il s'en servit pour en abuser, et pour les rejetter, et en ce faisant, il se perdit. »
Cependant, il peut arriver aussi qu'une âme ne puisse réali- ser un dessein de vie religieuse conçu par les motifs les plus purs et que même, après avoir mis la main à l'œuvre, elle se voie, sans infidélité de sa part, obligée d'abandonner son entreprise. Faudrait-il en conclure que sa vocation n'est point divine, que les lumières et les inspirations reçues par elle ne venaient point de Dieu? Nullement. Il y a, en effet, des désirs d'entrer en religion qui viennent de Dieu et dont cependant le Seigneur ne veut point la complète réalisation : il demande seulement la correspondance directe de la volonté. Il avait demandé à Abraham le sacrifice de son fils, il voulait de la part du saint patriarche une prompte et
* II II, q. ult., art. ult., ad. 1, ^ Entretien xvii.
102 LES SIGNES D'LXE VOCATÎON DIVLNE
parfaite obéissance à sa volonté sainte ; mais il ne voulut point l'immolation elle-même de l'enfant de la promesse . puisqu'il arrêta pai- la main d'un ange le glaive prêt à frapper. Ainsi, le Seigneur communique lui-même à quelques âmes des désirs ardents de souffrir le martyre, de faire certains actes de vertu, sans leur donner l'occasion ni la possibilité de les accomplir. Il en est de même des désirs d'embrasser l'état de perfection. Nous en avons un exemple dans l'Évan- gile ' . Un homme avait été longtemps possédé par une légion d'esprits impurs, qui rompaient toutes les chaînes dont on essayait en vain de le lier, et le faisaient courir nu au milieu des cimetières. DéliM'é par Notre-Seigneur de ses cruels ennemis, il le suppliait instamment de lui permettre de le suivre. Ce désir venait assurément de la grâce, et Dieu lui- même le lui avait inspiré. Cependant Notre-Seigneur lui or- donna de retourner dans sa maison, et d'y publier les bienfaits de Dieu. Devant Dieu, une volonté déterminée à l'exécution tient lieu de l'exécution elle-même, et c'est pour avoir l'oc- casion de les récompenser qu'il inspire lui-même des désirs qui ne doivent point obtenir leur réalisation. Tout le soin d'une âme doit être de répondre autant G[u'il est en elle aux inspirations du ciel, et de laisser à Dieu le succès des dé- marches qu'elle doit fah'e 2.
^Marc, V, 1-20.
- Voy. Ant. Natale, le Paradis sur la tprre, c. x.
LKS MOYENS PROVIDENTIELS 103
CHAPITRE YIII
Les Moyens providentiels.
Cassien nous apprend que Dieu a trois manières différentes d'attirer les âmes à la vie religieuse. Tantôt il fait connaître immédiatement par lui-même son bon plaisir, soit par quel- ques signes extérieurs, soit par des lumières intérieures qui ne laissent à l'âme aucun doute. Ainsi nous lisons dans la sainte Écriture qu'il invita Abraham à quitter son pays et sa famille en disant : « Sors de ton pays et de ta parenté et de la maison de ton père ^ . » C'est aussi de cette manière qu'il appela le bienheureux Antoine : celui-ci, étant entré dans une église, entendit le prédicateur prononcer ces paroles : « Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel , et puis venez et suivez-moi 2. » Antoine , soudaine- ment éclairé, regarde ces paroles comme lui étant adressées à lui-même : il se met aussitôt en devoir d'y répondre ; sans être excité par aucune parole humaine, il renonça à tout et se mit à la suite de Jésus-Christ.
On peut rapporter à ce moyen les attraits intérieurs, les consolations spirituelles , dont le Seigneur se sert comme d'un doux appât pour attirer les âmes à une vie plus par-
* Exi de terra tua, et de cognatione tua, et de domo patris lui. [Gen., xn, 1.)
2 Si vis perfectus esse, vade, vende omnia quœ habes, et dapau- peribus,et habebis thesaurum in cœlo; et veni,sequere me. (Matth., XIX, 21.)
104- LES MOYENS PROVIDENTIELS
faite. C'est un rayon de miel dont la suavité entraîne à sa suite les enfants de ses prédilections ; c'est l'odeur des par- fums du céleste époux qui excite les âmes fidèles à courir a])rès lui ; ce sont quelques gouttes de ce vin et de ce lait céleste qu'il nous presse d'acheter, et dont il donne à goû- ter aux hommes pour les engager à en faire l'acquisition ; ce qui lui fait dire dans Osée : « Je l'allaiterai et je la con- duirai dans la solitude afin de lui parler au cœur *. »
Mais Dieu n'emploie pas toujours ces attraits intérieurs. Il se contente souvent d'éclairer l'âme, de la fortifier insen- siblement par sa grâce, de l'encourager par les exhortations des hommes vertueux et par les exemples des saints. Il n'excite, il est vrai, dans la volonté aucun attrait prononcé, mais il manifeste les avantages de l'état auquel il appelle , et les périls de l'état contraire : la volonté se détermine d'après les lumières de la raison et de la foi et avec l'aide de la grâce; elle le fait parfois malgré les répugnances de la nature, et elle exécute ses résolutions, quelles que soient les réclamations du cœur et des sens ; elle opère alors d'après les motifs dont l'intelligence a compris la valeur. Ainsi, quand le commandant d'un navire a reconnu la nécessité de jeter à la mer toute la cargaison, afin d'éviter un naufrage imminent, il se résout à ce sacrifice malgré la peine qu'il en éprouve.
On serait dans l'erreur si l'on croyait que, pour être ap- pelé à l'état rehgieux, il faut s'y sentir comme entraîné par de vifs attraits et d'ardents désirs. La voix de Dieu ne se fait pas seulement entendre quand elle dilate le cœur, ou
* Propter hoc , ecce ego lactabo eam , et ducam eam in solitudi- nem : et loquar ad corejus. (Ose*, ii, 14.)
LES MOYEXS PKOVIDEINTIELS 1 05
qu'elle le liquéfie ; le Seigneur parle aussi quand il se borne à éclairer l'intelligence et à offrir à la volonté la force néces- saire pour exécuter ce qu'il lui demande. Jésus-Christ appela saint Matthieu avec tant de suavité, que celui-ci , fidèle à cette invitation, quitta avec plaisir toutes ses ri- chesses et fit en signe de joie un festin soleimel. Il employa le raisonnement à l'égard de ces deux disciples qui désiraient s'en aller, l'un ensevchr son père, l'autre mettre ordre à ses affaires * ; il se contenta de les exhorter à briser ces attaches, à ne pas se laisser arrêter par ces difficultés 2.
Enfin le Seigneur, afin de déterminer la volonté de ceux qu'il voit attachés aux biens de ce monde, emploie les épreuves diverses que sa Providence ménage ou permet : telles sont, dit Cassien, la violence des tentations, des périls de mort, la perte des biens ou de personnes chéries, la per- sécution : par ces épreuves du malheur, l'on est comme contraint de suivre l'invitation qu'on aurait méprisée dans la prospérité 3.
Ce sont autant de moyens par lesquels Dieu vient en aide aux lumières et inspirations intérieures, soit pour les pré- parer, soit afin de favoriser leurs effets dans les âmes. Si Dieu est admirable dans la force qu'il donne à ses élus, en les faisant triompher de tous les obstacles , il ne l'est pas moins dans la manière dont il les appelle aux divers états de perfection.
Il se sert souvent de la vue et de l'expérience des dangers qu'offre le monde. Il permet que l'on voie de près, et, pour
iMatth., VIII, 21; Luc, ix, 59.
* Voy. P. L. Dupont, la Perfection chrétienne, t. III, tr. IV, c.ii, § t. ' Cass , coll. III, c. IV.
160 LES MOYENS l'UOVIDE.NTŒLS
ainsi dire, que l'on touche du doigt sa corruption, afin que l'on entende mieux sa voix quand il dit par Isaie : « Fuyez, fuyez, sortez du siècle et ne touchez point à ses souil- lures ' ; » ou quand il crie dans l'Apocalypse : a Sortez du milieu de Babylone de peur de participer à ses crimes et de recevoir les plaies dont elle va être frappée 2. » A la vue des naufrages que font dans le siècle tant d'âmes d'abord inno- centes, au spectacle des désordres dont il est rempli, on sent contre lui une secrète horreur ; on comprend qu'il y a peu de sûreté à vivre au miheu de tant de périls ; on s'écrie avec le Sage : « Qui pourra cacher du feu dans son sein sans être consumé, ou marcher sur des charbons ardents sans avoir les pieds brûlés 3 ? )> Et l'on prête une oreille docile à la voix de Dieu, quand il redit au cœur ces paroles de son Apôtre : « Quittez la société des mondains, séparez-vous d'eux ; et ne prenez aucune part à leurs immondichés, et je vous recevrai moi-même, je deviendrai votre père et vous serez mes enfants ^. »
Ceux qui n'ont point connu la mahce du monde, qui n'ont point expérimenté en quelque manière ses dangers, ont besoin pour répondre à l'appel du Seigneur de lumières plus vives, de motions intérieures plus fortes. Souvent ils imitent le jeune homme de l'Évangile auquel Jésus offrait la
^Recedite, recedite, exile inde, poUutiini ejus nolile tangere. (Is., LU, 11.)
- Exile de illa (Babylone) ne participes sitis delictoriira ejus , et ne de plagis ejus accipiatis. (Apoc, xviii, 4.)
^ Quis poterit abscondere in sinu suo igneni , aut ambulare super primas, ut non coniburantur plantae ejus. (Prov., vi, 27.)
'* Propter quod exile de medio eorum, et separamini, dicil Dominus, et immundura ne tetigerilis : et ego recipiam vos , et ero vobis in patreni, et vos eritis mihi in filios et fliias. (II Cor., vi, 17, 18.)
LES JjOVENS 1-ROVlDEÀÏiELS !(J7
grâce de la vocation apostolique K Ce jeune homme, au sein de l'abondance des choses de la vie, s'était tenu éloigné des foUes du siècle ; il n'en avait point encore couru les dangers ni aperçu les écueils; il s'y croyait en sûreté, et il n'eut pas le courage de suivre le Seigneur. Jésus-Christ n'ayant pas insisté, il fut privé de la faveur insigne qui lui était offerte, et demeura exposé à des périls dont il ne soupçonnait pas l'existence. Ainsi font souvent ceux qui, à son exemple, n'ont point l'expérience des dangers du siècle : attachés d'une part aux biens qu'ils possèdent, et de l'autre, se croyant capables de persévérer dans la pratique de la vertu, ils font peu de cas des lumières qui leur montrent une vie plus par- faite, ils ne prêtent point une oreille attentive à la voix inté- rieure qui les appelle, et ils demeurent dans le siècle, exposés d'autant plus aux dangers qu'ils les redoutent moins.
Quelquefois, afin d'attirer ces derniers et d'autres qui ré- sisteraient aux inspirations intérieures, Dieu emploie la voie des disgrâces temporelles, des tentations et même des chutes qu'il permet, dans la vue de les éclairer et d'obtenir d'elles ce qu'elles avaient d'abord refusé. Loth et sa famille avaient été avertis par les anges de se retirer jusque sur la mon- tagne '^. Sortis de Sodome et arrivés en la petite ville de Ségor, ils voulurent s'y arrêter, comme ils en avaient obtenu la permission. Ils pensaient y être en sûreté ; mais, quand ils aperçurent les flammes de la ville incendiée, qu'ils sentirent l'odeur du soufre et de la fumée, ils changèrent d'avis et gagnèrent la montagne, où il leur avait été dit de se rendre 3.
iMatth., XIX, 19. ^ Gen., XIX, 17. ^Ibid., 30.
1(38 LES MOYENS PROVIDENTIELS
Ainsi il arrive aux âmes dont nous parlons. Le Seigneur, les voyant portées à demeurer dans le siècle d'où il voudrait les faire sortir, permet quelles sentent la fumée, la mauvaise odeur des tentations ; quelquefois même, il les laisse faire des chutes qui leur ouvrent les yeux sur les périls auxquels elles sont exposées. 11 obtient ainsi que, changeant de réso- lution, elles gagnent la montagne de la vie rehgieuse, où il les appelle. Avec David elles s'écrient au milieu de l'épreuve : « Mon cœur s'est troublé en moi-même et la crainte de la mort est venue fondre sur moi : j'ai été saisi de tremblement, les ténèbres m'ont environné et j'ai dit : Qui me donnera des ailes comme à la colombe, et je m'envolerai et je me repo- serai 1. M Arrivées à la sainte montagne, elles peuvent en- core chanter avec lui : « Je me suis éloigné par la fmte, et j'ai demeuré dans la sohtude 2. »
Saint André Avellin remphssait avec autant d'honneur que de dévouement la carrière d'avocat : élevé au sacerdoce, il ne plaidait, suivant les canons, que les causes ecclésias- tiques. Mais il lui échappa, dans une de ses plaidoieries, un léger mensonge. Quelque temps après, il lit, dans les saintes Écritures, ces paroles de la Sagesse : La bouclie qui ment donne la mort à Vâme ^. Son esprit est aussitôt éclairé d'une vive lumière ; il est frappé du danger où il est, dans la car- rière qu'il a embrassée, de ne point accomplir le précepte du
^ Cor meum conturbatum est in me , et formido mortis cecidit super me : timor et tremor venerunt super me, et contexerunt me tenebrœ. Yl dixi : Quis dahit mi'iii pennas sicut columkc, et volabu, et requiescam. {Ps. liv, 5-7.)
- Ecce elongavi fugiens, et mansi in solitudine. [Ibid., 8.) — Vuy. P. L. Dupont, la Perfect. chrét., t. III, tr. IV, c. vi, § 1.
^Sap., I, 11.
LES MOYENS PROVlDEiM'IELS 169
Seigneur : Contentez-vous de dire : Cela est ou Cela n'est pas '. En conséquence, il renonce à cette carrière et ne tarde pas à entrer dans un ordre de clercs réguliers 2,
Un revers subit de fortune, la perte de personnes chéries, quelque grave injustice, ou quelque affront sanglant , reçu de la part d'un monde auquel on s'efforçait de plaire, sont aussi des moyens dont Dieu se sert pour faire abandonner la vie commune et embrasser l'état religieux. On peut citer entre autres saint Romuald, fondateur d'un ordre célèbre et dont la vocation commença par sa retraite dans un monas- tère; il y fuyait la justice humaine, à cause d'un meurtre auquel il avait participé, et il y arriva à la sainteté. Gérard, frère de saint Bernard, résista aux instances du saint jusqu'à ce que, surpris par ses emiemis et frappé au côté d'un coup de lance, il se rendit à Cîteaux, y fit profession, y vécut et mourut saintement. Saint Jérôme, écrivant à un jeune sei- gneur, à qui la mort avait ravi son épouse et ses enfants, lui montrait dans cette pénible épreuve la main du Seigneur, enlevant les obstacles qui pouvaient s'opposer à son entrée en religion : « C'est, lui dit-il, un coup de la Providence du Dieu qui veut le salut de tous, et qui aime mieux le retour du pécheur que sa mort; en vous enlevant votre épouse, il vous a ôté toute excuse ; il l'a empêchée de vous retenir aux choses terrestres ; il a fait que vous puissiez la suivre au royaume céleste ■'\ »
iJMatli., V, 37.
^ In Brev. Rotn. , 10 niaii.
* Providentissimus Dominus , et onrinium saliitem desiderans , ma- lensque pœnitentiam peccatoris quam morteni , abstulit tibi hanc excusationem, ut non illa (uxor) te retrahat ad terras, et tu eani sequaris ad paradisi régna trahenteni. (S. Hieron., ep. cxviu (alias xxxiv), ad Julianum, n. 4.)
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« Dieu, dil saint François de Sales ', a plusieurs moyens d'appeler ses serviteurs et servantes à son service. Il se sert quelquefois de la prédication, d'autres fois de la lecture des bons livres. Les uns ont esté appelez pour avoir ouy les pa- roles sacrées de l'Évangile, comme saint François et saint Antoine, lesquels l'ont esté, oyant dire ces paroles : « Va, « vends tout ce que tu as, et le donne aux pauvres et me « suis ; et quiconque veut venir après moy, qu'il renonce à « soy-même, prenne sa croix et me suive. » Les autres ont { esté appelez par les ennuys , désastres et affections qui leur survenoyent-au monde, ce qui leur a donné subject de se despiter contre luy et l'abandonner. Nostre-Seigneur s'est sou- vent servy d'un tel moyen pour appeler plusieurs personnes à son service, lesquelles il n'eust pu avoir en autre façon. Car combien que Dieu soit tout puissant et peut tout ce qu'il veut, si est-ce qu'il ne veut point nous o.ster la liberté qu'il nous a une fois donnée ; et quand il nous appelle à son service , il veut que ce soit de nostre bon gré que nous y : allions, et non par force et par contrainte. Car bien que ceux- cy viennent à Dieu comme despitez contre le monde qui les a faschez, ou bien à cause de quelques travaux et afflictions , qui les ont tourmentez, si ne laissent-ils pas de se donner à Dieu d'une franche volonté ; et bien souvent telles personnes réussissent bien au service de Dieu, et deviennent des grands saints, et quelquefois plus grands que ceux qui y sont en- trez par des vocations plus apparentes. Vous aurez leu ce que raconte Platus d'un gentilhomme brave, selon le monde, lequel s'estant un jour bien paré et frisé, estant sur un beauj cheval bien empannaché, taschant par tous moyens de plaire
* Entretien xvii.
LES MOYENS PROVIDENTIELS 171
aux dames qu'il muguettait ; et comme il bravoit, voilà que son cheval le renverse par terre au milieu de la fange, d'où il sortit tout sale et crotté. Ce pauvre gentilhomme fut si honteux et confus d'un tel accident, que tout en colère, il se résolut en cest instant-là de se faire religieux , disant ; « 0 traistre monde, tu l'es mocqué demoy,maisje memoc- « queray aussi de toy; tu m'as joué de ceste cy, mais je « t'en jouiiray aussi d'une autre ; car je n'aurois jamais part « avec toy, et dès ceste heure je me resous de me faire « religieux. » Et de faict il fut receu en religion, où il vesquit sainctement, et neantmoins sa vocation venoit d'im despit. »
Cassien avait aussi observé que les vocations qui com- mencent par ces coups extérieurs de la grcàce et qu'il appelle pour cela vocation de nécessité, ont, il est vrai, des com- mencements imparfaits , mais qu'elles ont d'ordinaire une heureuse tin , et produisent souvent des hommes parfaits, des hommes ne le cédant point en ferveur à ceux qui ont mieux commencé ; il cite à ce propos l'exemple de l'abbé ^loïse : celui-ci avait en effet embrassé la vie monastique par crainte de la mort dont il était menacé à cause d'une accusation d'homicide, et il arriva bientôt au sommet de la perfection. Au contraire, on en voit quelques-uns qui, après de brillants commencements, laissent leur première ferveur et finissent par se perdre entièrement. Judas avait été, comme Pierre et les autres apôtres, appelé par Jésus-Christ même; après une vocation si extraordinaire, il se laissa dominer par l'amour de l'argent et trahit son maître par le plus cruel des parricides ' .
' Cass., coll. III, c. V.
172 LES MOYENS PROVIDENTIELS
Les miséricordes de Dieu sont si grandes, les ressources de son infinie sagesse sont telles, qu'il se sert quelquefois des intentions purement humaines ou môme coupables de quel- ques-uns pour les retenir dans la vie religieuse, qu'ils ont choisie pour ces motifs déréglés, et avoir l'occasion de les conduire ainsi à la perfection. Sans doute de telles intentions ne peuvent provenir de l'Esprit-Saint; elles sont contraires à ses inspirations et il les condamne; mais il sait tirer le bien du mal, et il fait servir h ses fms ces intentions coupables. Il permet donc alors que ceux-là entrent dans sa maison pour une fin qui lui déplaît; mais il obtient, par l'action de sa grâce, que ces âmes, venues pour l'intérêt de l'amour propre, demeurent dans la vue de leur perfection et pour son service.
Aussi les saints conseillent à ceux qui auraient commencé de cette manière, de ne point songer à retourner en arrière, ni à rompre les liens dans lesquels ils se seraient engagés, mais bien à se changer eux-mêmes, à demeurer pour une bonne fin là où ils étaient venus pour une fin mauvaise, enfin à rendre ainsi certaine et divine leur vocation ■*.
« Dieu, bien souvent, en ceci, remarque saint François de Sales ^, fait voir la grandeur de sa clémence et de sa miséricorde , employant ces intentions, qui d'elles-mesmes ne sont aucunement bonnes, pour faire de ces personnes-là des grands serviteurs de sa divine Majesté. Et en cecy, il se fait voir admirable : ainsi ce divin artisan se plaist à faire des beaux édifices avec du bois qui est fort tortu et qui n'a aucune apparence d'estre propre à chose du monde ; et tout
' s. Ignat., Libr. excre., introd. ad eligcnd. reritm notitiam, 4». 5 Entretien xvu.
EX.4MEN DE LA VOCATIOX 173
ainsi qu'une personne qui ne sçait que c'est de la menui- serie, voyant quelque bois tortu en la boutique d'un me- nuisier, s'estonneroit de lui entendre dire que c'est pour quelque beau chef-d'œuvre; car, diroit-il, si cela est comme vous dites, combien de fois faudra-t-il passer le rabot par- dessus, avant que d'en pouvoir faire un tel ouvrage ; ainsi, pour l'ordinaire, la divine Providence fait des beaux chefs- d'œuvre avec ces intentions tortues et sinistres; et comme il fait entrer en son festin les boiteux et les aveugles, pour nous faire voir qu'il ne sert de rien d'avoir deux yeux ou deux pieds pour aller en paradis, qu'il vaut mieux aller en paradis avec une jambe, un œil, un bras, que d'en avoir deux et se perdre. Or, telles sortes de gens estant ainsi venus en rehgion, on les a veus souvente fois faire des grands fruicts, et persévérer fidellement en leur vocation. »
CHAPITRE IX
Examen de la Vocation à l'état religieux.
OBJET DE l'examen.
L'examen de la vocation ne demande pas les mêmes re- cherches de la part de l'aspirant à l'état religieux que de la part de ceux auxquels il se présente pour y être admis.
Ceux qui, dans un ordre religieux, sont chargés d'exami- ner le candidat ou postulant doivent chercher à connaître :
Premièrement, les lumières et inspirations particulières qu'il a reçues, c'est-à-dire les signes de vocation spéciale qu'il
10.
174 EXAMEÏS DE LA VOCATIO.N
peut avoii* et qui sont, comme on Ta vu, le gage de grâce particulière que Dieu lui destine ;
Deuxièmement, la disposition habituelle de sa volonté et de son caractère, afin de juger du degré de correspondance qu'on peut attendre de lui ;
Troisièmement, les aptitudes naturelles qu'il possède et qui le rendent plus ou moins propre au genre de vie auquel il aspire, et à l'institut qu'il désire embrasser.
« Ceux, dit saint Thomas S qui ont la charge de recevoir les aspirants à la vie religieuse, peuvent ignorer quel est l'esprit qui les amène : si c'est le désir de leur profit spiri- tuel, ou s'ils viennent, comme cela arrive quelquefois, dans le but d'explorer la conduite des reUgieux, ou avec quelque autre mauvaise intention. C'est à eux qu'il est dit : « Ne « vous fiez pas à tout esprit, mais éprouvez les esprits, pour « reconnaître s'ils sont de Dieu 2. Ils peuvent aussi ignorer « si ces aspirants sont aptes à la vie religieuse et à leur « institut. C'est pourquoi les décrets du siège apostohque « et les prescriptions de la règle exigent un certain temps «c de probation. »
Quant au candidat lui-même, quel doit être l'objet de son examen, pI sur quoi doit porter la délibération ?
Cette question est complexe : nous la diviserons pour la résoudre et nous donnerons sur chacun des points qu'elle renferme la réponse des saints docteurs.
I. Il n'y a pas lieu pour le candidat d'examiner si l'état religieux est le meilleur en soi, s'il oftre par lui-même moins
^ II II, q. iilt., art. iilt. ad. 1; item, Contra retrah. ah ingressu relig., ex.
- Nolitc omni spiritiii credere : sed probate spiritus, si ex Deo sint. (I Jnann., iv. 1 .)
rXAMEN DE LV VOCATION 173
d'obstacles et plus de moyens pour arriver au salut et à la perfection. « C'est une chose certaine ; en douter serait faire injure à Notre-Seigneur qui donne le conseil de l'em- brasser ^ . La voie des conseils est en effet la plus facile et la plus sûre pour arriver à la fm de la béatitude éternelle ; et, si cette voie ne convient point à quelques-uns, c'est uni- quement parce qu'ils n'y sont pas eux-mêmes disposés, parce que leur affection n'y est point inclinée 2. »
Mais le candidat peut, à l'aide de sages méthodes et de la direction ^, se rendre compte des lumières et des inspira- tions particuhères qu'il a reçues par rapport à ce genre de vie, et se déterminer d'après elles à l'embrasser.
II. Il n'y a pas heu non plus de douter si, en embrassant fétat religieux dans la vue de mieux travailler à son propre salut et à sa perfection, on aura les grâces nécessaires pour en remplir les devoirs, parce que en une telle entreprise on ne compte point sur ses propres forces, mais sur le secours de la grâce divine. Or Dieu ne saurait refuser ce secours à celui qui répond à son appel. Il doit donc mettre sa confiance en Dieu ; car, suivant la parole d'Isaïe, « ceux qui espèrent dans le Seigneur recevront des forces toujours nouvelles, ils prendront les ailes de l'aigle, ils courront sans se fatiguer, ils marcheront sans se lasser *. »
^ Circa ingressnm religionis potest considerari primo quidem ipse religionis ingressus secunduni se; et sic certiim est qiiod ingressus religionis est nielius bonum : et qui de hoc dubitat , quantum in se est, derogat Chrysto, qui hoc consilium dédit. (S, Thom. , II il, q. ult., art. ult.)
- S. Thom. , I ir, q. 108, a. i in corp. et ad. 1.
^ Voy. ci-après les chap. XI et XII.
* Potest considerari religionis ingressus per comparationem ad
no EXAMEN DE LA VOCATION
Ainsi donc, tenez pour déraisonnable la crainte de ceux qui doutent s'ils pourront dans la vie religieuse arriver à la perfection * ? Une telle crainte ressemble à celle d'un voyageur , 'qui hésiterait à prendre, pour arriver à la ville, la route qui y conduit directement et où il n'a aucun péril à redouter. Saint Augustin répond lui-même à ce doute, quand, décrivant les craintes qu'il avait d'embrasser la pratique de la continence, il s'écrie : « Sur la voie de la perfection, où je portais mes regards, et où je craignais de marcher, la continence m' apparaissait : son visage respirait la majesté et la douceur ; d'un air aimable et modeste, elle me faisait signe de venir, de ne plus hésiter. Elle étendait, pour me recevoir et pour m'embrasser, ses pieuses mains, pleines de bonnes œuvres. Il y avait auprès d'elle un grand nombre de jeunes garçons et de jeunes filles, des hommes et des femmes de tout âge , des veuves vénéi'ables et des vierges arrivées jusqu'à la vieillesse. Elle m'adressait des paroles propres à m'encourager, et semblait me dire : « Quoi ! tu ne pourras faire ce que font toutes ces persomies (; qui m'entourent ? Et l'ont-elles pu elles-mêmes par leurs (( propres forces ? N'est-ce pas la vertu de Dieu qui les a « soutenues ? N'est-ce point par sa grâce qu" elles ont le
vires ejus qui est religionem ingressurus : et sic etiam non est locus dubitationis de ingressu religionis, quia illi qui religionem ingrediun- tur, non confidunl in sua virtute se posse subsistere , sed auxilio vir- tutis divinœ, secundum iliud Isa. xl, 31 : Qui sperant in Domino mutabunt fortitirlincni, assument pennas , sicut aquilœ ; current, et non laborabnnt ; ambulabunt , et non déficient. (S. Thom. , II :i , q. ult., art. ult.)
1 Timor autem eorum qui trépidant, an per religionis ingressum possint ad perfectionem perveuire, esse irrationabilis ex multorum exemplo convincitur. (S. Thora., ibid., ad. 3.)
EXAMKN DF. LA. VOCATION 177
« bonheur de me posséder ? Quelle merveille que vous « tombiez, si vous croyiez pouvoir vous soutenir de vous- « même ! Jetez-vous dans les bras de Dieu, et ne craignez «point : il ne se retirera pas pour vous laisser tomber. « Jetez-vous-y en toute confiance : il vous recevra et il vous « guérira * . »
Sans doute, et c'est l'avis de Jésus-Christ lui-même, l'homme prudent qui veut bcàtir une tour considère d'abord les ressources dont il dispose ; un roi sage, avant de s'en- gager dans une guerre contre un voisin puissant, se de- mande s'il a des forces suffisantes pour le vaincre ^. Mais, si l'un et fautre ont un ami riche et puissant, ils peuvent compter sur son appui. Dieu est cet ami puissant dont le concours est assuré aiîx âmes qu'il appelle à élever l'édifice de la perfection reUgieuse ; elles peuvent compter sur le secours de cet ami fidèle et dévoué : il le leur promet par les lumières qu'il leur donne, par les invitations qu'il leur fait. Elles doivent donc moins considérer les qualités qu'elles tiennent de la nature que les grâces que Dieu leur promet en les appelant. Les premières sont les seules ressources que leur offre leur propre patrimoine : elles ne sauraient suffire pour cette entreprise surhumaine ; mais elles trouve- ront dans les secondes un fond inépuisable de divines res- sources, et le bras du Très-Haut, ce bras qui fortifie 3, qu^ sauve *, auquel aucun obstacle ne saurait résister '•>.
* S. Aug., Confess., 1. VIII, c. n. 2 Luc, xiv, 28-32. ^ Ps. Lxxxviii, 22. *Ps. xcvii, 2.
^ Sap., x[, 22. — Voy. P. L. Dupont, la Perfection chrétienne, t. II, tr. I, c. IV, § 2.
178 EXAMEN DE LA VOCATION
« C'est chose certaine, dit à ce sujet saint François de Sales ', que quand Dieu appelle quelqu'un ù une vocation, il s'oblige par conséquent, par sa Providence tlivine, à luy fournir toutes les aydes requises pour se rendre parfaict en sa vocation. Or, quand je dis que Nostre-Seigneur s'oblige, il ne faudroit pas penser que ce soit nous qui l'ayons obligé à ce faire en suivant sa vocation, car on ne sçauroit l'obliger ; mais Dieu s'oblige soy-mesme par soy-mesme, poussé et provoqué à ce faire par les entrailles de son infinie bonté et miséricorde : tellement que me faisant reli- gieux, Nostre-Seigneur s'est obligé de me fournir tout ce qui est nécessaire pour estre bon religieux, non point par devoir, mais par sa miséricorde et providence infinie ; tout ainsi qu'un grand roy levant des soldats pour faire la guerre, sa prévoyance et prudence requiert qu'il prépare des armes pour les armer. Car quelle apparence y auroit-il de les en- voyer combattre sans armes? Que s'il ne le fait pas il est taxé d'une grande imprudence. Or, la divine Majesté ne manque jamais de soing ny de prévoyance touchant cecy ; et pour nous le mieux faire croire, elle s'y est obhgée ; en sorte qu'il ne faut jamais entrer en opinion qu'il y ait de sa faute quand nous ne faisons pas bien : voire sa libérahté est si grande, qu'il donne ces moyens à ceux auxquels il ne les a pas promis, et auxquels il ne s'est pas obhgé pour ne les avoir pa^ appelez. Remarquez aussi que quand je dis que Dieu s'est obligé de donner à ceux qu'il appelle toutes les conditions requises pour estre parfaicts en leur vocation, je ne dis pas qu'il les leur donne tout à coup et à l'instant qu'ils entrent en religion. Oh ! non ; il ne faut pas penser cpi'en en-
* Entretien xvii.
EXAMEN DE LA VOCATION 179
trant en religion, on soit parfaict tout promptement ; c'est assez qu'ils viennent pour tendre à la perfection, et poui' embrasser les moyens de se perfectionner, et, pour ce faire, il est nécessaire d'avoir ceste volonté ferme et constante, d'embrasser tous les moyens propres de se perfectionner en la vocation en laquelle on est appelé. »
III. Celui qui a pris la résolution d'embrasser l'état religieux, ne peut ignorer dans quelle intention il le fait, ni quels motifs l'ont déterminé à solliciter son admission ^ . Il ne peut par conséquent douter si sa résolution vient ou non de l'Esprit de Dieu, dont le propre est de conduire l'homme dans la voie de la justice 2. Ce n'est donc pas précisément sur ce point que doit porter son examen et sa délibération.
Mais, pour ne point agir à la légère en une affaire aussi importante, il doit auparavant se faire une juste idée de la vie religieuse, l'envisager comme un moyen très-efficace d'arriver à la perfection et au salut par la pratique d'une entière abnégation. Il doit pouvoir se rendre le témoignage qu'en embrassant l'état religieux, ce qu'il désire, ce qu'il cherche, c'est le véritable renoncement, la \Taie mort à soi-même. Il doit donc savoir que la vie religieuse est la pratique même de ce renoncement et la vouloir comme telle.
^ His qui propositum religionis assiimendœ gerunt, dubium esse non potest, qiia iatentione id faciunt. (S.Thoni., Contra retrait, ab ingr. relig., c. x.)
^ Illi qui ad religionem accedit, non potest esse dubium, an pro- positum de ingressu religionis in corde ejus exortum sit a Spiritu Dei, cujus est ducere hominem in terrani rcclam. (S. Thom., II ii^ q. ult., art. ult., ad. 1.)
180 ):XAMEN DE LA YOCATIOiV
C'est l'avis important que lui donne saint Basile : « Celui, dit ce saint docteur ^, que le Seigneur appelle à porter sa croix dans la vie religieuse, et qui veut obéir à sa voix et se hâter d'embrasser cette vie pauvre et exempte de sollicitude, est vraiment digne d'admiration ; on peut le proclamer bienheureux. Cependant je l'exhorte à ne point agir sans réflexion, à ne point se figurer une vie facile, un salut exempt de combats. Qu'il s'attende, au contraire, et qu'il se dispose à supporter des épreuves corporelles et spirituelles, dans la crainte qu'après s'être jeté au milieu de combats qu'il n'aurait pas prévus, il ne se trouve sans courage dans la lutte, et n'abandonne le champ de bataille ; car par là il se couvrirait de confusion et exciterait la risée du monde, il causerait la perte de son âme en retournant à sa première vie, et en scandaliserait plusieurs en leur faisant croire que la vie réglée selon Jésus-Christ est impossible. »
Quand Notre-Seigneur avertit celui qui désire élever la tour de la perfection évangéhque, d'examiner s'il a les ressources nécessaires à un si grand ouvrage 2, que lui veut-il dire, sinon qu'avant d'exécuter son dessein, il se demande s'il est réellement disposé et prêt à renoncer à tout ce qu'il possède, à tout ce que le monde peut lui offrir, et à sa propre liberté. S'il s'y sent disposé, et qu'il soit en même temps plein de confiance que Dieu lui donnera toutes les grâces qui lui sont nécessaires, il a toutes les ressources dont parle le Sauveur 3. 11 ne les
^ Serin, de Ahdicationc rerum,
- Luc, XIV, 28 et seq.
"• S. Thom. , II II, q. 189, a. 10, ad. 3. — Conf. S. Aug. , Epist.
EXAMEN DE LA VOCATION 181
aurait pas, s'il se sentait tellement attaché aux choses de la terre ou à sa propre liberté, qu'il n'eût pas le courage d'y renoncer, et ne voulût point se faire violence pour triompher de cette mollesse. Mais il serait en son pouvoir de les acquérir, avec la grâce divine, en secouant sa torpeur, en excitant son courage par la considération des exemples .les saints et des véritables intérêts de son âme.
IV. Enfui, celai qui désire embrasser l'état religieux, peut rencontrer des obstacles à l'accomplissement de son dessein. Tels pourraient être son peu de forces physiques et certaines obligations auxquelles il devrait satisfaire. Il peut aussi ignorer dans quelle religion il doit entrer, être indécis sur le temps et la manière d'exécuter son projet. Sur tous ces points, observe saint Thomas, il y a lieu à délibération, et il faut prendre conseil de ceux qu'on sait devoir ne point mettre obstacle à ses desseins, mais en favoriser l'exécution K
ccxLiii (alias xxxvili), ad Lœtum', — Lossius, de Statu vitœ deli- (jendo, q. 7, n. 87.
* Si sit aliquod spéciale impcdimeiitiim fpula inGrmitas eorporalis, vol onera debiloriiiii , vel aliqiia luijusmodi), in his roquiritur dolibe- ratio et consiiium ciim his de qiiibus speratur quod prosint, et non
inipediant Tertio autem modo considerari potest niodiis religio-
ncm intrandi , et quam religioncm aliquis ingredi debeat ; et de ta- libus potest haberi ctiam consiiium cum his qui non inipediant. (S. Thom., H II, q. ult., art. ult. — Conf. opusc. Contra retrah. ab incjressu rcîig., c. ix in fine.
VOCATION. 11
182 EXAMEN DE LA VOCATION
CHAPITRE X
Suite du xaême sujet. QUI l'on doit consulter.
Nous avons vu, au chapitre précédent, ce qui dans la vocation à l'état religieux peut êf 3 pour l'aspirant un objet d'examen et de délibération. Ajoutons que la pru- dence lui fait un devoir de ne point s'en tenir à ses seules lumières sur la décision à prendre. C'est l'avis de l'Esprit- Saint dans les Proverbes, que personne ne doit s'appuyer sur sa propre sagesse *. Il est en effet naturel à l'homme, dans les choses douteuses, d'avoir besoin des conseils d'autrui. Les limites de ses connaissances, la faiblesse de son esprit, la facilité où il est de s'égarer dans ses propres raisonnements, et de prendre, sous l'influence de la passion, les biens apparents pour les biens réels, tout lui rend nécessaire le recours aux lumières des autres hommes. Mais ceux-ci ne sont pas tous capables de lui donner les conseils dont il a besoin. Et dans une affaire telle que la vocation, il ne pourrait attendre d'un grand nombre que de funestes conseils ou une fausse direction.
Quels sont donc ceux dont il lui faut éviter de prendre l'avis ? De quels hommes au contraire doit-il invoquer les lumières ou rechercher la direction ?
« Dans cet examen, répond l'Ange de l'école, il faut avant tout éloigner les parents. Car il est écrit dans les
t Ne innitaris in prudentia Lua. {Vrov., m, Ij.)
EXAMEN DE LA VOCATION 183
Proverbes : Traitez votre cause avec votre ami, et ne révélez point votre secret à un étranger. Or, dans l'affaire de la vocation à l'état religieux, les parents ne sont point des amis, mais des ennemis de notre âme, suivant ces paroles du prophète, répétées par le Seigneur lui-même dans l'Évangile : Les ennemis de Vhomme sont dans sa propre maison... Il faut aussi se tenir en garde contre les avis des hommes charnels et mondains, auprès desquels la sagesse de Dieu passe pour foUc. Ce qui fait dire par ironie à l'auteur de l'Ecclésiastique : Traitez donc de la sain- teté avec un homme irréligieux, et de la justice avec le voleur ! et lui fait ajouter ensuite : Ne les consultez point dans vos affaires, mais fréqueiitez les saints, et demandez leurs conseils dans les choses oii vous en avez besoin '. »
Les personnes du monde, en effet, sont plus ou moins imbues de ses maximes. A leurs yeux, la pauvreté volon- taire est de la misère, la chasteté de la mélancoUe, l'obéis- sance une servitude. Pour eux, un haljit vil et simple est un déshonneur, un monastère une prison ; tous les exercices
' Ab hoc consilio primo qiiidem amovendi siint carnis propinqui. Dicitur cnini Prov. xxv, 9 : Causam tuam tracta cum amico fuo , cl sccrctiim extrunno non révèles. Propinqui auteni carnis in hoc proposito amici non sunt , sed potins ininiici, secundiim illiid qiiod habetur ^Michœœ , vu , 6 : Inimici hominis domestici cjus. Quod etiam Dominiis introducit Matlh., x, 30. Inhoc igitur casu sunt prae-
cipue vitanda carnalium propinqiiorum consilia Arcendi sunt
etiam ab hoc consilio carnales homines, apud quos Dei sapientia stultitia reputatur, undc /scdes «os î. , xxxvii, irrisoric dicitur: Cum vîro irrcUgioso tracta de sanctitate , ciim injusto de justitia ! Et postea subdit : Non attcndas his in omni consilio, sed cum viro sanclo, aasidtius esto, a quo est petcndum consilium, si de aliquibus 'm hoc casu consiliari opor'ct. (S. Thom., Contra rctrah. ab ingr. relig., c. ix.)'
18i EX.UIKN DE LA VOCATIOX
de l'humilité religieuse, des choses peu dignes d'hommes honorables. Au contraire, ils estiment tout ce qui a de l'apparence, du reUef, de l'éclat, ce qui respire la richesse et l'opulence, tout ce qui flatte l'amour-propre. Comment avec des idées si éloignées de celles de rÉvangilc leur serait- il possible de donner des avis sains et salutaires? Chacmi n-.' donne que des conseils conformes à ses propres sentiments ; personne ne conseillera à un autre la vie religieuse, s'il n'est tel lui-même qu'il fût disposé à l'embrasser si Dieu l'y appelait '.
De plus, les conseils de ceux qui nous sont attachés par les liens de la chair et du sang ne procèdent guère en pareille circonstance que de leur propre intérêt. Ils parais- sent chercher le nôtre ; c'est en réahté, comme l' observent les saints docteurs, le leur qu'ils ont en vue. Les parents veulent jouir de leurs enfants, les voir, s'entretenir avec eux, s'en servir pour régler leurs affaires ; ils désirent leur transmettre leurs droits, leur héritage, leur nom, et revivre par eux, pour ainsi dire, dans la postérité. Telles sont les secrètes espérances des parents. EUes ne procèdent point de la pure charité, ni de cette véritable et sincère amitié par laquelle on recherche uniquement le bien de celui que Ton aime. Elles procèdent dim secret amour propre. Or, Ta- mour propre n'est point et ne peut être un bon conseiller, parce qu'il se propose son propre avantage, et non le bien de celui qui le consuUe 2.
Notre ennemi est plein de ruse, dit quelque part saint Grégoire le Grand 3, il parlera par leur bouche. Sachant
* Lessius, de Statu vitœ dcU(jendo, q. 4, n. 33.1 ^ Lessius, ibkl., 11. 39. ' In Moral.
EXAMEN DE LA VOCATION 185
combien ils sont aimés, il cherchera par leur moyen à faire pénétrer le glaive de ses suggestions clans nos géné- reux desseins. « A la réception de ma lettre, écrivait le môme saint Grégoire à un patrice de Syracuse, déserteur de l'état religieux, vos amis accourront, vous appellerez vos chents lettrés. Quoi ! il est pour vous question de la vie, et vous demandez conseil aux fauteurs de la mort, à ceux qui aiment, non votre personne, mais vos biens, et ne vous disent que ce qui peut vous flatter et vous plaire ! Ce sont de tels conseillers, vous le savez, qui vous ont conduit au crime d'apostasie... Si vous voulez, dans votre affaire, employer l'avis des hommes, prenez le mien, je vous en prie. Personne ne peut vous donner de plus fidèles conseils que celui qui vous aime vous-même et non vos biens. Et daigne le Dieu tout-puissant vous faire sentir au cœur de quel amour, de quelle charité je suis rempli pour vous ' ! » Saint Alphonse de Liguori s'est fait l'écho de ces sages enseignements. Il les résume dans sa Théologie morale ^. 11 les expose plus au long dans ses avis sur la vocation reli- gieuse : « Quand il s'agit, dit-il, de s'étabhr dans le monde et de choisir une épouse, le P. Pinamonti adopte avec raison l'avis de Sanehez, de Koning et d'autres théologiens qui pensent que les jeunes gens doivent prendre conseil de leurs parents, parce que, dans cette affaire, les parents peuvent avoir plus d'expérience, et qu'en pareille circons- tance un père se rappelle facilement qu'il est père. Mais, quand il est question delà vocation religieuse, ajoute le même
^ s. Greg. Magii.j Epist., lib. II, ep. xxxiv, ad Venanlium cx- monachum.
- La Vocation victorieuse , c. m.
ISO EXAMEN DE LA VOCATION
P. Pinamonti avec non moins de raison, l'enfant n'est pas obligé de consulter ses parents, parce qu'ils n'ont en cela aucune expérience, et que l'intérêt les change ordi- nairement en ennemis. C'est aussi l'avis de saint Thomas, qui, en parlant également de la vocation rchgieuse, dit que nos amis selon la chair sont souvent opposés à notre progrès spirituel •... Lorsque Dieu, dit un grave auteur, appelle une âme à la vie parfaite, il veut qu'elle oublie son père et toute sa famille, il lui dit : Écoute ma fdle, considère et sois attentive : oubhe ton pays et la maison de ton père, pour ne voir et n'écouter que moi seul 2. Sans aucun doute, le Seigneur nous avertit par ces paroles de ne point demander conseil à nos parents, quand il nous appelle à la vie reli- gieuse. Saint Cyrille, expliquant la réponse de Jésus-Christ au jeune homme dont il est parlé en ^aint Luc : « Celui (( qui met la main k la charrue et regarde en arrière est ce impropre au royaume de Dieu ^, » dit que c'est regarder en arrière que de demander du temps pour conférer avec ses parents sur l'affaire de sa vocation ^^
« Lors même que les parents sont doués de sentiments pieux, l'intérêt et la passion les égarent tellement que, sous divers prétextes, ils ne se font pas scrupule d'entraver, par tous les moyens, la vocation de leurs enfants.
a On lit dans la Vie du P. Paul Segneri le Jeune, que
^ Fréquenter amici c:;rnales adversantur profectui spirituali. (Un, q. 189, a. 10 ad 2.
2 Audi, filia, et vide, et inclina aurem tuani; et obliviscere popu- lum tuum et domum patris lui. (Ps. xliy, U.)
5 Nenio mittens manum ad aratrum et respiciens rétro aptus est regno Dei. (Luc, ix, 62.)
'► Aspicit rétro , qui dilationem quœrit occasione cuni propinquis conferendi. (Apud S. Tliom., II 11, q. 180, a. 10 ad 2.)
I
EXAMEN DE LA YOCATIOÎS 187
sa mère, quoique adonnée à l'oraison, ne négligea rien pour mettre obstacle à la vocation religieuse de son fils. On voit également dans la Vie de Mgr Cavalieri, évoque de Troie, que son père, homme faisant profession de grande piété, tenta toutes les voies pour l'empêcher d'entrer dans la congrégation des rieux-Oavriers : il alla jusqu'à lui intenter un procès en forme devant le tribunal ecclésiastique. Com- bien d'autres parents, bien qu'ils fussent gens de dévotion et d'oraison, se sont vus changés entièrement en pareil cas et sont devenus comme possédés du démon ! Tant il est vrai que l'enfer ne paraît, en aucune occasion, employer d'armes plus redoutables que lorsqu'il s'agit de barrer la route à ceux qui sont appelés de Dieu à l'état religieux.
« Ainsi, mon cher frère, si Dieu vous inspire le dessein de renoncer au monde, ayez bien soin de ne pas en donner connaissance à vos parents ; contentez-vous de la béné- diction du Seigneur, et tâchez de réaliser votre vocation le plus tôt possible et à leur insu, si vous ne voulez pas vous mettre en grand danger de la perdre ; car, pour l'ordinaire, comme nous l'avons dit ci-dessus, les parents, surtout le père et la mère, s'opposent à de semblables projets.
« Pour le même motif, gardez-vous bien de découvrir votre vocation à vos amis, car ils ne se feraient point scrupule de chercher à vous en détourner, ou au moins de pubUer votre secret, dont la connaissance parviendrait ainsi facilement à vos parents ^ . »
Et qui faudra-t-il consulter? Nous avons déjà entendu l'Ange de l'école nous répondre : Ceux qu'on sait ne devoir point mettre d'obstacle aux desseins que Dieu inspire, mais
^ s. Alph. de Lipori, Avis sur la vocation religieuse , § 2.
188 EXAMEN DF. LA VOCATION
nous aider au contraire à enlever les obstacles qui pour- raient empêcher ou retarder leur accomplissement ' .
C'est l'avis que nous donne l'auteur de l'Ecclésiastique quand il nous dit de fréquenter l'homme saint, l'homme craignant Dieu, dont l'âme ressemble à la nôtre et qui est touché de compassion pour nous, en nous voyant chanceler dans les ténèbres 2.
Nous avons vu saint Grégroire le Grand s'offrir lui-même à un patrice de Syracuse pour ces salutaires conseils et au titre d'ami véritable ^. « Je vous aime, lui disait-il, mais d'un amour cpii reste fidèle à Ifi grâce divine. Je poursuis votre faute en aimant votre personne ; et j'aime votre personne sans approuver vos défauts. Si donc vous vous croyez aimé de moi, présentez-vous au seuil des saints Apôtres et servez-vous de mes conseils. Mais peut-être me croyez-vous trop dévoué à la cause de Dieu ; peut-être vous suis-je suspect à cause de l'ardeur de mon zèle : alors nous emploierons le conseil de l'Église de Rome ; et je souscrirai avec joie ;\ ce qui aura été jugé salutaire pour vous dans cette commune assemblée *. »
« Il faut consulter, dit à son tour saint Laurent Justinicn, ceu\ qui, ayant lutté longtemps contre les vices et gagné ; la couronne des vertus, possèdent, sous l'inspiration du divin Esprit habitant en eux , le don de direction , qui sont embrasés de l'amour du prochain et dont la vie est
MI II, q. 180 , a. 10, cité à la tin du chap. précédent.
- Ciim viro sancto assiduus eslo, qiienicumque cognoveris obser- • vantem timorem Dei, cujus anima est seciindiim animani tiiam : et
qui, cum titubaveris in tenebris, condolebit tibi. (Eccli., xxxvii,1G.) ,!.
* Voyez ci-devant, page 183. h
* S. Greg. Magu., Epist., lib. I, ep. .xxxiv, ad Vcnantium. '%
EXAMEN DE LA VOCATION 189
comme mi miroir de toutes les vertus religieuses. Do tels hommes peuvent à peine se tromper; ce n'est qu'après avoir interrogé Dieu dans la prière, après avoir considéré la qualité des personnes et par la lumière même de l'Esprit- Saint, qu'ils donnent leur avis. Instruits à l'école du divin Paraclet, ils ne veulent point parler par leur propre sens, mais dire ce qu'ils jugent être le bon plaisir divin, et ils le cherchent par d'ardentes prières et sans intérêt propre. Il faut donc que le néophyte appelé au mépris du siècle suive les conseils de ces serviteurs de Dieu , distingués par leurs vertus et leur science, qui ne cherchent point les avantages temporels de leur ordre, mais le bien des âmes : qu'il leur ouvre entièrement son cœur pour le choix qu'il doit faire, qu'il leur fasse connaître ses forces corporelles, la constance de son âme, l'ardeur de ses désirs, la persé- vérance de sa résolution, enfin tout ce qui appartient en lui au vieil homme et à l'homme nouveau ' . »
« Celui, en effet, qui veut construire un édifice ne con- sulte pas un cordonnier, ni le malade un avocat, mais celui-ci prend conseil d'un médecin et celui-là d'un archi- tecte ; ils s'adressent aux plus expérimentés. Ainsi en est-il dans le choix d'un état de vie. Il s'agit de bâtir un édifice spirituel qui puisse résister aux vents et aux flots ; il s'agit de guérir, non point le corps, mais l'âme elle-même. Il ne faut donc point consulter ceux qui n'ont pas l'intelhgence de ces choses, ou dont le jugement est obscurci par mille affections terrestres ; mais il faut s'adresser à ceux qui, distingués par leurs vertus, ont eux-mêmes battu cette
^ s. Laur. Just., lib. de Obtxl., c. xxvi, cité par Dupont, la Per- fection chrét., t. III, h\ IV, c. xi, ,Ç2.
11.
1 90 EXAMEN DE LA VOCATION
voie, et qui, instruits par l'expérience qu'ils y ont acquise, peuvent diriger les autres, sans risque de les égarer. Quoi de plus insensé que de prendre pour pilote ou pour guide, sur mer ou sur terre, celui qui n'a jamais fait le voyage que vous entreprenez, au lieu de vous mettre sous La direction de ceux qui nont fait autre chose toute leur vie 1 ? ))
CHAPITRE XI
Suite du même sujet.
LA PRIÈRE ET LA RETRAITE.
Mais c'est surtout avec Dieu, avec soi-même et dans le recueillement d'une retraite qu'il faut délibérer sur le choix d'un état. La prière et le recours à Dieu sont de la plus haute importance dans cette affaire. U y a, en effet, des états et des emplois qui offrent plus d'occasions de péchés et plus d'obstacles au salut. La condition de notre nature et le cours ordinaire des choses humaines sont tels que, parmi les choses indifférentes en elles-mêmes, les unes deviennent l'occasion de notre salut, les autres la cause de notre perte. Or tout autre que Dieu ne sait d'une manière certaine celles où nous devons rencontrer un funeste écueil, et celles qui doivent être pour nous connne une planche de salut. Celui qui embrasse un genre de vie sans examen, sans consulter
* Lessius, (le Statu vitœ deligemlo, q. 4, n. Uo.
EXAMEN DE LA VOCATION iOI
Dieu, se jette en aveugle à travers des contrées inconnues, il court sans pilote sur une mer remplie d'écueils. Ainsi il arrive que beaucoup se perdent dans le mariage, qui se se- raient sauvés dans l'état religieux; plusieurs périssent dans les dignités et les honneurs , qui se seraient sanctifiés dans d'humbles emplois; ceux-ci trouveront une occasion de ruine dans une carrière Uttéraire, qui se seraient sauvés dans le travail des champs ; ceux-là deviendront la victime de l'orgueil et de l'ambition dans un institut plus sublime, qui se seraient sanctifiés dans un autre moins relevé * .
Il ya, comme nous l'avons dit, des grâces toutes spéciales assurées à celui qui fait un choix agTéable à Dieu. On en sera privé, si l'on agit contre sa divine volonté. Combien se sont perdus et se perdent encore tous les jours, parce que, n'ayant pas consuUé le Seigneur, ils se sont mis dans une voie où leur faiblesse les livre h tous leurs ennemis, et leur fait faire les chutes les plus déplorables ! Il leur était facile de connaître la voie que sa miséricordieuse bonté leur des- tinait, et ils y auraient trouvé toutes les grâces qu'il leur avait préparées : Cherchez le Seigneur, dit le Psalmiste, car ceux qui le cherchent ne sont privés d'aucun bien 2. Ils trouveront donc aussi le bien si nécessaire pour eux, la chose qu'il leur importe avant tout de connaître : ils sauront quelle est sur eux la volonté divine.
C'est donc avec Dieu qu'il faut traiter cette affaire, c'est lui qu'il faut interroger pour connaître sa volonté samte. Il faut répandre son âme devant lui, le fléchir par la péni-
^ Lessius , de Statu vitœ delîgemlo, q. 6, n. 7 1 . 2 Inquirentes autem Dominum, non minuentur omni bono. {Ps. XXXHI, 11.)
192 EXAMEN DE LA VOCATION
tence, les sacrifices, la fréquentation des Sacrements ; sol- liciter sa lumière par d'humbles prières, par de ferventes supplications, le conjurer de nous faire connaître ce qu'il est agréable à sa divine Majesté, et salutaire à notre âme, que nous fassions. Il faut lui dire avec le roi-prophète : « Faites- moi connaître, Seigneur, la voie où vous voulez que je marche, parce que j'ai élevé mon cœur vers vous •; déli- vrez-moi des pièges de mes ennemis, de Satan, du monde et de la chair, et faites-moi cormaître votre volonté , parce que vous êtes mon Dieu, celui à qui seul je veux plaire 2; daigne votre esprit me conduire dans la voie droite ; par votre nom, Seigneur, faites-moi vivre dans la grâce et la jus- tice 3. Envoyez-moi la lumière de votre vérité sainte; c^u'elle me conduise et me fasse parvenir h votre sainte montagne et jusqu'à vos tabernacles '*. Éclairez mes yeux, dans la crainte que je ne m'endorme dans la mort et que mon ennemi ne se gloritie de l'avoir emporté sur moi ». » Il faut répéter la belle prière que Salomon adressait à Dieu quand il lui disait : « Donnez-moi, Seigneur, la sagesse qui assiste à vos con- seils, et ne me rejetez point du nombre de vos enfants; car je suis votre serviteur et le fils de votre humble servante, un homme faible, de peu de durée, peu versé dans fintel-
^ Notam fac mihi viani in qua ambulem : quia ad te levavi aniraam nieam. (Ps. c.xlii, 8.)
2 Eripe me de inimicis mois, Domine, ad te confiigi : doce me fa- cere voluntatem tiiam, quia Deus meus es lu. {Ibid., 9, 10.)
^ Spiritus tuus dcducet me in viam rectam : propter nomen tuum, Domino, viviticabis me in œqiiilate tua. {Ps. ix, 11.)
^ Emitte lucem tuam et veritatom tuam : ipsa me deduxerunt et addu.xerunt in montom sanctum tuum et tabeniacula tua. (Pi-.XLU,3.)
° Illumina oculos meos, ne unqiiam obdormiam in morle, nequando dicat inimicus meus : Prœvalui adversus eum. (Ps. xii, 5.)
EXAMEN DE LA VOCx\TION 1 03
ligence de vos jugements et de votre loi. Envoyez cette divine sagesse du haut des cieux et du siège de vos grandeurs ; elle sera avec moi, elle travaillera avec moi, et je saurai par elle ce qui vous est agréable. Elle connaît tout, elle a Tintel- ligence de toutes choses : elle me conduira par ses conseils dans toutes mes entreprises, et me gardera par sa puissance. Etmesœu\Tes vous seront agréables '. »
ilais c'est surtout dans la retraite qu'il faut consuher le Seigneur: c'est dans le recueillement de la sohtude qu'il comient de traiter cette affaire avec Dieu et avec soi-même : « Si vous voulez, écrit saint Bernard à un de ses disciples 2, si vous voulez préparer votre oreille intérieure à la voix de votre Dieu, plus douce que le miel, fuyez les sollicitudes exté- rieures, dégagez-en votre cœur, mettez-le dans la sohtude, afin de pouvoir dire avec Samuel : Pariez , Seigneur, car votre serviteur vous écoute '^. Cette voix divine ne retentit point dans le forum, on ne l'entend pohit dans le public. Les secrets conseils du Seigneur demandent une oreille secrète. Il vous fera, assurément, entendre des paroles de joie et de bonheur, si vous l'écoutez dans le silence du recueihement. Abraham reçoit l'ordre de sortir de son pays et de sa parenté, afin de mériter ainsi de voir et de posséder la terre des vivants.
^ Da mihi sediumtuarum assistricem sapientiam, et noli me repro- bare a piieris tiiis : quoniam servus tuus sum ego, et filins ancillaa tiiffi, homo infirnuis, et exigui temporis, et minor ad intellectum ju- dicii et leguni.... Mitte illam de eœlis sanctis tuis, et a sede niagnitu- dinis tuae, ut meciim sit et mecum laboret, ut sciam quid accepuim sit apud te : soit enim illa omnia , et intelligit, et deducet me in operibus meis sobrie, et custodiet me in sua potenlia, et erunt ac- cepta opéra mea. (Scip., ix, 4, u, 10, It, 1-2.)
* Ad Tliomam , Epist. cvii in fine.
^Loquere, Domine, quia audit servus tuus. {IRcg-, m, 9, 10.)
191- EXAMEN DE LA VOCATION
Jacob laisse son père et sa patrie , il passe le Jourdain et il peut recevoir Rachel pour épouse. Joseph domine sur toute l'Egypte, mais il est loin de son pays et de ses parents. L'Église reçoit la promesse que le Roi du ciel sera épris de sa beauté, mais il lui dit en même temps d'oublier son peuple et la maison de son père. Marie et Joseph cherchent le divin Enfant parmi leurs proches et leurs connaissances et ils ne ly trouvent point. Fuyez donc vous aussi vos frères et vos amis, si vous voulez trouver le salut. Fuyez, dis-je, du milieu de Babylone. »
Voici en quels termes saint Alphonse de Liguori fait ressortir la nécessité de consulter Dieu dans la retraite, atin de connaître sa volonté. Il écrit à un jeune homme, qui était irrésolu r-elativement à l'état de vie qu'il devait embrasser, et qui lui avait demandé conseil à ce sujet :
« Les saints , lui dit-il , à l'exemple du prophète-roi , suppliaient sans cesse le Seigneur de les éclairer et de les délivrer de la nuit du péché , de leur montrer la voie dans laquelle ils devaient marcher pour accomplir sa divine vo- lonté. « Éclairez mes yeux, disaient-ils , afin que je ne c< m'endorme jamais dans la mort *. Qu'il répande sur nous « la lumière de son visage 2. Faites-moi connaître la voie (( par laquelle je dois marcher 3. Donnez-moi l'intelligence a et enseignez-moi vos commandements *. »
Or, pour obtenir cette lumière divine, il faut s'approcher de Dieu ; ai^prochez-vous de lui, est-il écrit, afin que vous
^ Illumina oculosmeos ne unquam obdormiam in morte. (P.>'.xir, 4.) - Deus illuminet vuUiim stium super nos. {Ps. lxvi,2.) ^ Ps. cxm, 8. * Ps. cxviii. 73.
EXAMEN DE LA VOCATION 1 9j
en soyez éclairés K Aussi saint Augustin dit-il que, comme nous ne pouvons voir le soleil qu'au moyen de sa propre lumière, de même nous ne pouvons voir Dieu que par la lumière de Dieu même 2. C'est ce qu'on trouve dans la re- traite : là, nous nous approchons de Dieu, et Dieu fait briller sur nous sa lumière. Les exercices spirituels con- sistent uniquement à nous séparer pour un certain temps du commerce des hommes, à nous retirer dans la soli- tude pour nous entretenir avec Dieu seul : là, Dieu nous parle par ses inspirations; nous parlons à Dieu, en mé- ditant, en l'aimant, en gémissant des déplaisirs que nous lui avons donnés , en nous offrant à le servir désormais de tout notre cœur, en le priant de nous faire connaître sa sainte volonté et de nous donner la force de l'ac- complir.
a Job enviait le bonheur des rois et des princes de la terre qui se bâtissent des solitudes : « Puissé-je, disait-il, me « reposer maintenant avec les rois et les princes de la terre « qui se bâtissent des solitudes 3. » Quels sont ces rois? Selon saint Grégoire, ce sont ceux qui, s'élevant au-dessus des intérêts d'ici-bas, se dérobent au tumulte du monde afin de se rendre dignes de converser seul à seul avec Dieu '*■.
« Comme saint Arsène s'occupait à examiner quels moyens il devait prendre pour se sanctifier, le Seigneur lui
^ Âccedite ad eum et illuminamini. {Ps. xxxm, 6.) * De Spir. et Anima, c. il. 5 Job., III, 13.
*jEdificant solitiidines, idest, seipsos a tumultu raiindi, quantum possuut, elongant, ut soli sint, et idonei loqui Deo.
10G EXAMEN DE LA VOCATION
fil entendre ces paroles : Fîige, tace, quiesce : éloignez-vous du monde; cessez deparlei' aux hommes, pour ne converser qu'avec moi; cherchez le repos et la paix dans la solitude. Conformément à cette maxime céleste, saint Anselme s'adresse en ces termes à une personne accablée d'occupa- tions séculières, et qui se plaignait de n'avoir pas un moment de repos : ces paroles vous conviennent très-bien îi vous- même : « Fuyez, dit le saint, dérobez-vous quelque temps a à ces occupations terrestres qui vous jettent dans le « trouble et dans Tinquiétude, et reposez-vous en Dieu u dans la retraite; dites-lui : Seigneur, enseignez-moi où (c et comment je puis vous trouver, afin que je vous parle « seul à seul, et que j'écoute en môme temps vos pa- « rôles •. »
a Oui, sans doute. Dieu parle à ceux qui le cherchent, mais ce n'est point au milieu des agitations du monde, ainsi qu'il a été dit à Éhe, lorsque ce prophète fut appelé de Dieu dans la sohtude : Non in commotione Dominus 2. La voix du .Seigneur est conune le nuu'mure d'un vent léger : si- bilus aurœ tennis; elle se fait entendre sans bruit, au sein d'un doux repos, non à l'oreille du corps mais à celle du cœur. C'est encore ce que le Seigneur déclare par la bouche du prophète Osée : Ducam eam in solitudinem et loquar ad cor ejus 3. Lorsqu'il veut attirer une âme à lui, il la con-
1 Fuge paiiluliim occiipationes terrenas, absconde te modicuni a tumultuosis cogitatioiiibiis luis : vaca aliquantiilum Deo, et reqiiiesce in eo. Die Deo: Eia, mine doce cor menm, iibi etquomodo te qiia>rat, iibl et quoraodo te inveniat. {Médit. XXf.)
^-mneg.,\\x, 11.
^Osese, II, 14.
EXAMEN DE L\ VOCATION 197
duit dans la solitude, loin des intrigues du siècle et du commerce des hommes. Là, il lui fait entendre ces paroles de feu ; Ignitum eloquium tuum ' . Les paroles de Dieu sont appelées paroles de feu, parce qu'elles liquéfient le cœur, suivant l'expression de l'Épouse des Cantiques : Anima mea Uquefacta est, ut locutiis est -; elles le disposent à se laisser facilement conduire et à embrasser un genre de vie conforme à la volonté du Seigneur. Ce sont en un mot des paroles efficaces et opératives qui, en même temps qu'elles se font entendre, opèrent dans les âmes ce que Dieu de- mande d'elles.
a Le Seigneur dit un jour à sainte Térèse : « Il y a bien des âmes auxquelles j'ai un grand désir de parler; « mais le monde fait tant de bruit dans leurs cœurs, que « ma voix ne peut s'y faire entendre. Ah\ si elles s'éloi- « gnaient quelque peu du monde * . » Ainsi , monsieur et bien cher ami , Dieu veut vous parler, mais il veut vous parler seul à seul dans la retraite ; car, s'il vous parlait au milieu de votre famille, vos parents, vos amis et vos af- faires domesticpies continueraient à faire du bruit dans votre cœur, et vous ne pourriez entendre sa voix 3. »
Saint Ignace de Loyola, cet habile maître de la vie spi- rituelle, invite, lui aussi, à la plus parfaite sohtude celui qui veut connaître la voie où le Seigneur l'appelle, ou ré- former sa vie dans l'état qu'il a déjà embrassé : « Il fera, dit-il, d'autant plus de progrès dans la vie spirituelle qu'il
^ Ps. cxviii, 14.
^ Cantic, V, 6.
^ S. Alph. de Liguori, Lettre à un jeune homme sur les fruits des exercices spirituels faits dans Ut solitude.
19.S EXAMEN DE LA VOCATION
se soustraira davantage h ses amis, fi ses proches, ;\ toutes les sollicitudes des choses humaines. Qu'il quitte son habi- tation ordinaire, qu'il se retire dans une demeure plus soli- taire, où il ne soit point exposé h être interpellé ou h rece- voir des visjtes. Entre autres avantages spirituels, il retirera de cette sohtude extérieure un plus grand mérite devant Dieu, pour le service duquel il se sera mis dans cet isole- ment des personnes et des choses ; il pourra employer li- brement toutes ses facultés à raff:hre importante qu'il a i\ traiter; il aura entln une facilité d'autant plus grande à chercher et à trouver le Seigneur que son àme se trouvera plus dégagée et plus soUtaire *.
CHAPITRE XII
Suite dn même sujet.
LES MÉTHODES DE SAINT IGNACE,
Nous l'avons vu, le premier soin de saint Ignace est de conduire dans la solitude le chrétien qui s'est mis sous sa conduite et qu'il voit désireux de connaître sa vocation, résolu de procéder au choix d'un état de vie. Là il lui donne un guide, qui connaît les difficultés de la route à parcourir et les pièges tendus par un ennemi plein de ruses ; il lui recommande de s'ouwir b. ce guide fidèle, de lui exposer
^ s. Ignat., Exerc. spirit., ann, xx.
EXAMEN DE LA VOCATION 199
ses doutes j de lui manifester son âme, de se rendre docile à ses avis.
Alors, parla voie de ses Exercices spirituels, il le mène avec autant d'efficacité que de douceur à la recherche des desseins de Dieu, à la connaissance de l'état que le Seigneur lui destine.
Dans des méditations approfondies sur sa fin dernière, sur l'usage qu'il doit faire des créatures, il pose en lui le germe de son élection. Il lui fait pénétrer l'importance de l'unique but auquel doit tendre toute sa vie. Il lui apprend à estimer, à vouloir ce but avant tout et par-dessus tout, et il l'établit dans une parfaite indifférence de volonté à l'égard des moyens laissés encore à son libre choix. Il le cUspose ainsi, avec un admirable sagesse, dès le principe, à l'élection de l'état auquel il est appelé par le Seigneur.
Saint Ignace travaille ensuite à déUvrer l'âme de son dis- ciple des ténèbres du péché. Il s'efforce de purifier son cœur de toutes les attaches capables d'obscurcir sa vue, de lui cacher la voie où Dieu l'appelle, ou de l'en éloigner. Il le met dans le grand jour de la foi, l'habitue â tout considérer au pohit de vue des vérités éternelles, â estimer d'après elle tous les biens 46 la terre. A l'éclat de ces vives lumières, il dissipe tous les nuages, il déchire tous les voiles ; il lui mon- tre toutes les choses de ce monde telles qu'elles sont en réa- hté et aux regards mêmes de Dieu. C'est le fruit des exerci- ces de la première semaine.
Ce résultat obtenu, saint Ignace, dans une nouvelle série d'Exercices, auxquels il donne le nom de deuxième semaine, met son disciple en présence de Jésus-Christ, de celui qui est la voie, la vérité et la vie. Il place sous ses yeux, il lui fait coritempler ce souverain modèle de toute perfection, ce
200 EX.\JIEN DE LA VOCATION
Fils bien-aimé du Père, auquel nous davons tous être trou- vés conformes '. Il le lui montre ù Nazareth soumis à ses parents, dans les travaux d'une vie obscure et laborieuse, mais ne craignant pas de les contrister en s' éloignant d'eux pour obéir à son divin Père, et il lui inspire, en même temps, un ardent désir de l'imiter et de le suivre de près 2.
Cependant, en maître expérimenté de la vie spirituelle, il prémunit son disciple contre les ruses de Satan. Il lui mon- tre, d'un côté, cet ennemi des âmes se servant pour les perdre dera})pàt des biens et des honneurs de ce monde, et de l'autre, Jésus-Christ employant pour les sauver l'estime, l'amour de la pauvreté et la jjratique d'une vie humble et obscure. Il lui inspire par là de la défiance pour les biens , apparents ; il le soustrait aux pièges de l'ennemi et à l'en- \ trainement des désirs terrestres. Avec cette disposition, si Dieu veut le laisser dans un état de vie séculière, il y restera uniquement parce que telle est la volonté divine. L'éloigne- ment, le saint mépris qu'il a conçu pour les plaisirs et les ' honneurs du siècle, sont pour lui un antidote salutaire con- ■> tre le poison caché dans la possession de ces biens, un pré- -■ servatif contre les périls d'un choix erroné, une sorte de bouclier qui le met à couvert des traits de l'ange des ténè- bres 3. . i
Le disciple des Exercices est prêt pour l'élection. 11 peut \
* Quos praescivit et praedestinavit conformes fieri imaginis Filii sui. {Rom., viii, 29.)
^ Excrc. spirit. S. Ignat. : de Regno Christi, de Aimunt., de Incarn.
'Ibid., de duobus Vexillis , de tribus gradibiis Immilitatis, de tribus classibiis. — Conf. Direct. inExcrc., c, xxix.
EXAMZ.N DE LA V0CAT10>' ■iUl
en toute SL'Cuiilé procéder à cet acte solennel. Voici de quelle manière il agira sous la direction de son guide.
Dieu vient-il, par une faveur spéciale, à lui faire connaî- tre sa volonté de manière à cmpèclier toute incertitude ? Lui a-t-il parlé, comme autrefois à Saul sur le chemin de Da- mas, par lui-même ? ou, comme au jeune Stanislas Kostka, par la bouche de Marie ? ou par quelque autre manifestation indubitable ? Dans ce cas, il n'y a plus qu'à en venir à lexé- cution, après s'être fortifié, dans de nouvelles contempla- tions, par la vue des souffrances et de la gloire du Dieu Sauveur K
Quand Dieu n'a point parlé d'une manière aussi manifeste, saint Ignace propose à son disciple, pour le guider dans son choix, les méthodes qu'il appelle du deuxième et du troi- sième temps -.
Méthode du deuxième temps. — C'est celle de l'expé- rience des consolations et des désolations ^. Nous l'appcl-
* Excrc. spirlt. : Contcmpl. 1 1 et iv hcbdom,
^ Temps désigne ici les circonstances favorables dans lesquelles l'âme peut connaitrc la volonté de Dieu sur elle. « Il y a , dit saint Ignace, trois temps propres à faire une bonne élection : ~ Le pre- mier, quand la vertu divine donne à la volonté une inipulb.ion telle, que l'àme ne doute pas , ne peut pas nn'imc douter qu'elle ne doive la suivre. C'est ce qui a eu lieu pour saint Maltliieu, saint Paul et quel- ques autres. — Le second, toutes les fois que l'âme rci^oit la lumière et la connaissance au moyen des consolations et des désolations in- térieures qu'elle éprouve, et dont elle juge en rocnurant aux règles du discernement des esprits. — Le troisième est i»i état de calme, cil l'âme n'ist point agitée par les différents esprits, mais exerce libre- ment et avec tranquillité tes facultés naturelles. » (S. Ignat. in libr. Exercit. spirit.,de tempure triplici ad elcctiuncni reclc faciendam.)
^ Spiritualis proprie consolatio tune esse noscilur, quandoperin- ternam quamdam motionem exardescit anima in amorem Creatoris sui , nec jam creaturam ullam, nisi propter Ipsum , potest diligere.
20-2 FAAMES DE LA VOG\TIO:«!
lei'oiis rexamen des attraits iiitérieuvs. Cet cxaaien doit se faire à l'aide des règles du discernement des esprits.
Le disciple des Exercices a, d'après l'avis de son guide, noté avec soin les luoiières qui lui ont été communiquées, les divers mouvements dont son cœur a été touché, les at- traits, les répulsions qui se sont succédé dans son âme, ' les états divers de joie ou de tristesse, de confiance ou de découragement, de bonheur intime ou de pénibles angois- ses, de ferveur ou de lâcheté dont elle a été agitée '.
Il sait que, dans le temps où son âme était dans la conso- ' lalion, c'est-à-dire dilatée par une joie intime, remplie de foi, d'espérance et d'amour, trouvant doux et agréable le joug du Seigneur, faciles tous les sacrifices, et insipides les plaisirs terrestres,' elle se trouvait sous l'action du bon Esprit, de Celui dont le propre est de conduire les âmes dans la voie droite. Il a appris aussi que, dans le temps de la désolation, quand l'âme est accablée de tristesse, pleine de
Quando etiam lacrymœ funclimtur , amorcm illuin provocantes, sive ex dolorc de peccatis profluant, sive ex meditationc PassionisChristi, sive alia ex causa qualibet, in Dei cultum et honoreni recte ordinata. Postremo, consolatio quoquc dici potest, Mei, spei, et charitatis quod- libet augmontiim : item lœlilia omnis, qiiœ animam ad cœlcstiiini re- rum incditationem , ad studiiim salutis , ad quietem et pacem cuni Domino habendam, solet incitare.
Spirituaîis e contra desolatio vocari débet qusevis animse obtene- bratio, conturbatio , instigalio ad res intimas seu terrenas : omnis deniquc inqiiietudo et agitaîio, sive tentatio traliens in diffidcntiam de sainte, et spem, charitatemque cxpellens; nnde se anima tris- tari , tepescere, ac torpere sentit , et de ipsius Dei Creatoris siii cle- mentia prope desperaro. Sicut enini consolationi opponilur desolatio, ita etiam qii:c ab utraque oriimtur cogitationes, sunt inter se prorsns oppositœ. (S. Ignat., in libr. Exercit. lîcg., ad Spir. dignosc, reg. m, 4.)
1 Direct, in Exerc, c. xxvn , n. Ij.
EXAMEN DE LA VOCATION 203
trouble et d'angoisses, qu'elle est en quelque sorte sans foi, sans confiance et sans amour, portée aux choses de la terre et trouvant pesante la loi du Seigneur, durs et pénibles les moindres sacrifices, alors c'est le souffle de l'esprit mau- vais, de l'ennemi de tout bien, qui domine en elle : c'est de lui que viennent la plupart de ses pensées, de ses projets, les désirs de toute sorte qui se succèdent en son cœur ^.
Il se rappelle vers quel genre de vie il s'est senti porté dans le temps de consolation ou de tranquillité, et quels attraits dominaient dans son âme, quand il se trouvait éprouvé par la désolation. Dans ses oraisons qu'il multiplie durant ce travail de l'élection, . afin de découvrir la volonté du Seigneur, il a soin, en s'offrant à son Dieu tantôt pour un genre de vie, tantôt pour un autre, d'observer les divers mouvements de son cœur, de voir quelle est, pour ainsi dire, la réponse que lui fait le Seigneur en les excitant en lui par sa grâce, quelle offrande semble lui agréer davan- tage. De cette manière, il pourra lui être donné de recon- naître avec clarté la voie où l'appelle l'Esprit-Saint 2.
Bléthodes du troisième temps. — Elles consistent dans V examen et la comparaison des motifs. «Par elles, dit saint Ignace de Loyola 3, quand lame est tranquille, le regard de l'intention fixé sur la fin pour laquelle on a été créé, c'est- à-dire la gloire de Dieu et son propre salut, on choisit.
* Quemadmodum enim fruitur quis eonsolatione il!a qiiam dixi- mus, non propriû siio, scd boni Spiritus instinctii regitur; ita, ob- versante sibi desolatione, agitiir a nialo spirilii, ciijiis instigationc nihil iinqnam recte conficitur. (S. tgnat., in Whr. Exer cit., Rcg. ad spiritus dif/nosc, reg. v. Conf. Direct, in Exerc. , c. xxvii, n. 5.)
2 Direct, in Excrc, c. xxvii, n. 6; item, c. xxx.
"• In libro Excrcit. spirit., De Icmpore triplici ad clcct.
204 EXAMEN DE L\ VOCATION
entre les états approuvés par TÉglise catholique, celui qui apparaît comme un moyen plus sûr et plus facile d'arriver à cette fin. Or la tranquillité requise pour faire ce choix a lieu quand l'âme n'est point agitée par les divers esprits, et qu'elle use librement de toutes ses puissances naturelles. Si donc l'élection n'a point été taite d'après le premier ou le deuxième temps, il faut recourir auxméthodes du troisième temps. ))
Dans le cas où la méthode du deuxième temps aurait manifesté à l'àme les desseins de Dieu sur elle, il ne serait point inutile, il serait même très-avantageux de recourir à celles du troisième temps. Ces dernières, il est vrai, offrent à l'àme moins de suavité et exigent plus de labeur; mais elles sont moins exposées aux ruses de l'ennemi, si habile à se transformer en ange de lumière. Il serait peu sûr pour l'homme de se conduire par les seuls mouvements de la volonté et attraits intérieurs, sans s'aider des lumières de la raison et de la foi. La méthode du deuxième temps trouve dans celles du troisième une sorte de contre-preuve ; et, si Dieu a réellement parlé à l'àmo, si sa volonté s'est véritablement manifestée par la voie des attraits, l'examen subséquent ne peut que confirmer cet appel ; car le Seigneur ne saurait se contredire lui-même, ni refuser sa lumière à celui qui le cheixhe avec sincérité ^ .
''■ Qiueret aliquis quid faciendiim sit, si forte contingat, ut secundo tcmpore in aliquam rem inclinemur , tertio vero tempore in alteiam contrariam vel dissimiiem. Respondemus esse d^ligenter rem exami- nandam per régulas disccrnendi spiritus, et per rectam rationem, et îcstiniandum pondus rcruni moventium uîroquc modo. Quod si con- starel clare quod ratio adstipulctur clcctioni tcrtii temporis, seeurius est cam sequi , quia non est certuni an motio illa sccundi tempor's sit a Deo, et tuac maxime cum ratio aliiid suadet. Contra vero si ra-
EXAMEN DE LA VOCATIOrV 205
C'est aussi l'effet propre des méthodes du troisième temps de donner lieu dans la volonté à une détermination plus ferme et plus durable, à une résolution appuyée, non sur des sentiments instables de leur nature, mais sur des motifs dont la vérité ne passe point ^ .
Première méthode. — Lorsque Tàme est dans la tran- quillité et le repos demandé par saint Ignace, elle doit se mettre devant les yeux et la tin pour laquelle elle a été créée et à laquelle elle doit tendre en toutes ses œuvres, et les divers états où il lui semble qu'elle peut être appelée par le Seigneur. Alors, indifférente à tout, excepté à Faccomplisse- ment de la volonté divine, disposée à ne se déterminer que pour le genre de vie qu'elle reconnaîtra, fila lumière de la raison et de la foi, le plus propre à la conduire à sa fin der- nière 2, elle a recours à la prière : elle supplie, avec toute
tiones, quae tertio tempore movent, esseiit débiles, motiones alitem secundi temporis bene examinatœ juxla régulas viderentur esse aDeo, et recta ratio eis non répugnât, tota electio secundi tenipors estprœ- ferenda : licet enim prius clare non constarct per eani de Dei volun- tate, tamen rébus melius agitatiset discuss's, accedente rat'onis tes- timonio, potest lieri ut constet. (Direct, in Excrcit.,c. xxviii,n. 9.)
1 Direct, in Exercit. , c. xxviii, n. b' et seq. — Conf. P. L. Du- pont, la Perfect. chrét., t. lit, tr. III, c. xi , § 1.
'^ Un étal de v'e n'est qu'un moyen. Il doit servir à atteindre la fin dernière. Il faut donc le choisir en vue de celte fin : c'est elle qui doit régler notre élection. Se décider d'abord pour un genre de vie , et songer ensuite aux moyens de s'y sanctifier, c'est subordonner la fin aux moyens, c'est renverser l'ordre de la saine raison, et von'.or soumettre les desseins du Seigneur k nos propres inclinations. Nous devons donc nous proposer avant tout et au-dessus de tout notre fin dernière, c'est-ii-dire le service de Dieu et le salut de notre âme , et subordonner à cette fin , régler d'après cette fin le choix et l'emploi des moyens qui peuvent nous y conduire. (S. Ignat., in libr. Excrc. 2)rai. ad elcclioncin.)
VOCATIO.N. 12
200 EXAMEN DE LA VOCATiON
la ferveur dont elle est capable, le Seigneur de réclairor, de la fortifier par sa grâce, et de l'aider de telle sorte qu'elle choisisse la voie à laquelle lui-même l'appelle.
Ensuite elle entre dans la considération des moyens et des obstacles que lui offrent pour le service de Dieu et son propre salut, les voies diverses entre lesquelles elle est in- certaine. Dans l'examen des motifs qui se présentent à son esprit, elle est fidèle à ne les considérer qu'au flambeau de la raison et de la foi et dans leur rapport avec sa fin der- nière ; elle ne les estime, elle ne les pèse qu'au poids des balances éternelles. Les considérations humaines ou terres- tres, les raisons suggérées par la chair et le sang, ne sont point admises à ce solennel examen ; elles sont sans valeur pour le jugement qui doit être porté • .
Comparant ensuite les avantages et les désavantages que lui présentent, pour arriver à son unique fin, les divers gen- res de vie, entre lesquelles elle doit choisir, elle se déter- mine pour celui que la raison et la foi lui montrent devoir êtr.' le plus sûr ; elle se décide malgré les réclamations que peu- vent faire la chair et le sang et sans nul égard pour les jugements du monde.
Le choix fait, dit saint Ignace de Loyola, il faut aller aus- sitôt se jeter aux pieds de Notre-Seigneur et le lui offrir 2.
' Direct, in Exerc, c. x.xix, n. 4.
- Si les lumières et les mouvements que l'on reçoit dans ceîlc prière confirment dans la rtîsolution prise , c'est un signe que D^cu approuve ce choix et promet des forces 1 our l'exécuîion. Si ces lu- mières ci ces mouvements étaient tels, qu'ils fissent douter de i.i .sagesse de l'élection, il faudrait recourir aux règles du discernemei,!, et, dans le cas où ces motions paraîtraient venir clairement de l'Es- prit de Dieu, il faudrait refaire l'élection. Mais, si le doute n'est pr.s
EX.\.MEN DE LA VOCATION 207
Deuxième méthode. — Il n'est pas nécessaire d'employer cette seconde méthode, quand à l'aide de la première on a obtenu ce que l'on cherchait. Néanmoins, elle n'est pas sans utilité soit pour confirmer le choix déjà fait, soit pour dissiper les doutes et les difficultés que l'ennemi du salut pourrait faire naître. Elle est aussi pour plusieurs âmes d'une application plus facile que la précédente.
Comme l'élecfion, dit saint Ignace de Loyola, doit procéder d'un mouvement de la volonté qui nous vienne d'en haut, il faut pouvoir se rendre le témoignage que toute l'affec- tion que l'on a pour le genre de vie que l'on choisit provient unicpiement de l'amour de Dieu et du désir de lui plaire.
Afin de m'en assurer, je ferai les suppositions suivantes :
Premièrement, celle d'une personne que je n'ai jamais vue, que je ne connais point, mais à laquelle je souhaite toute la perfection possible. Cette personne se trouve dans les mêmes circonstances que moi, incertaine de l'état qu'elle doit prendre, et elle me demande conseil. Le genre de vie que je lui conseillerais de choisir pour le plus grand service de Dieu et pour la plus grande perfection de son ûme est celui que je dois prendre moi-même.
Deuxièmement, je me supposerai sur le point de mourir, en face du tombeau, sur le seuil de l'éternité. Jeme deman- derai quelle voie je voudrais alors avoir choisie, dans quel état je voudrais avoir vécu, quelle valeur auraient à mes yeux les raisons tirées de la chair etdusang,lesrépugnan-
fondé , et que dans la prière on n'éprouve rien de remarquable, il faut s'en tenir à l'élection faite, et croire que Dieu a voulu par elle mani- fester sa velouté. (Direct, in Excrc, c. xxxn.)
208 EXAMEN DE L\ VOCATION
ces delà nature; et je ferai ce que je voudrais alors avoir fait.
Troisièmement, je me figurerai avoir rendu le dernier soupir et me trouver devant le tribunal du souverain Juge. Je me demanderai ce que je voudrais alors avoir choisi, et quelle résolution me donnera alors le plus de contentement et de joie.
L'élection faite et offerte au Seigneur, l'àmedoit, comme il a été dit, se préparer à rex.écution par la considération des souffrances et de la gloire de Jésus-Christ *. Retrempée dans le sang du Sauveur, encouragée par la vue de la ré- compense promise à ceux qui sont fidèles, elle pourra se mettre à l'œuvre avec contiance.
On peut, à l'aide de ces méthodes, faire son choix entre l'état religieux et l'état séculier, et, ce choix fait, reconnaî- tre, parmi les divers emplois auxquels on peut se livrer dans le monde, ou parmi les différents ordres rehgieux que l'on pourrait embrasser, celui où l'on pourra le mieux servir Dieu et arriver au salut 2.
Nous remarquerons, pour le choixà faire d'un ordre rch-
* Direct, in Exerc, c. xxxv, n. 1 ; c. xxxvi , n. 1 .
^ Le lecteur voudra bien remarquer ici que l'usage de ces méthodes ne doit point être restreint au choix d"un état de vie ; mais on peut s'en servir toutes les fois que l'on a une décision à prendre sur un point douteux. Le saint fondateur de la Compagnie de Jésus, dans son livre des Exercices, les propose également pour toutes les choses qui sont l'objet d'une élection sujette à changement. {De temporc tripUei ad elect. , in priori modo.) Lui-même y eut souvent recours , soit lorsqu'il composait les constitutions de son Ordre , soit quand il avait à délibérer sur des affaires importantes. La seconde méthode du troi- sième temps surtout peut être employée fréquemment, sans travail pénible ; elle peut devenir une source de lumières pratiques fort précieuses et très-propres à fa-re avancer siirement dans la vertu.
r.XAMEN DE LA VOCATION 2O0
gieux ou d'une congrégation, que tous les saints recom- mandent instamment d'exclure de ce choix toute commu- nauté où le relâchement se serait introduit, où les vœux seraient mal observés, la discipline sans vigueur, les rap- ports avec le monde trop libres, où l'esprit du siècle aurait pénétré, et avec lui les rivalités, les jalousies, l'ambition, et d'où il aurait banni la simpUcité religieuse et peut-être la charité chrétienne.
Le démon, voyant dans une âme de grands désirs de per- fection, la pousse quelquefois lui-même à entrer dans une congrégation moins fervente ou moins parfaite, et n'of- frant point les austérités et les travaux dont elle aurait besoin pour son avancement dans la vertu. Pour d'autres âmes, il cherche à leur faire embrasser un genre de vie qui soit contraire à leurs goûts et à leurs inchnations ou au- dessus de leurs forces, dans l'espoir d'empêcher leur per- sévérance. La prière, l'emploi fidèle des méthodes indi- quées et les conseils d'un sage directeur feront éviter les pièges de l'ennemi et déjouer toutes ses ruses i.
^ On trouvera exposées, aux chapitres ix et x du livre suivant, les principales tentations que Satan emploie pour tromper les âmes et les empêcher de suivre leur vocation.
12.
LIVRE TROISIEME
FIDÉLITÉ A LA VOCATION.
CHAPITRE PREMIER
Dangers auxquels on s'exposa en ne correspondant pas àxme Vocation religieuse.
Un jeune homme, appelé de Dieu à quitter le monde, ne pouvait s'y résoudre. Saint Jérôme lui montre en ces termes les dangers auxquels il s'expose par sa résistance à la grâce : « Que faites-vous dans la maison paternelle, guerrier délicat ? Où sont les remparts attaqués , les fossés franchis , les hivers passés sous la tente ? Voilà la j trompette qui sonne du haut-du ciel ; le souverain monar- 1 que s'avance armé pour le combat : il marche sur les ^ nues, il vient conquérir toute la terre ; de sa bouche sort une épée à deux tranchants ', qui taille en pièces tout ce | qu'elle rencontre. Et vous croyez pouvoir voler de votre cabinet au champ de bataille et passer de l'ombre à un brûlant soleil? Un corps vêtu avec mollesse soutiendra-t-il le poids d'une cuirasse ? une tète couverte d'étoffe légère
' Apnc, 1 , 1G.
DANGERS AUXQUELS ON S'EXPOSE, ETC. 211
pourra-t- elle supporter le casque? La garde d'un glaive est trop dure pour une main délicate... Tout ceci est bien, direz-YOus, quand il s'agit du martyre. Vous vous trom- pez, mon frère, si vous croyez que tout chrétien n'est pas exposé aux assauts de l'ennemi ; vous n'êtes jamais plus attaqué que lorsque vous ne vous en apercevez pas. Notre ennemi, tel qu'un lion rugissant, tourne de tout côté, cherchant quelqu'un à dévorer *, et vous croyez être en assurance? « Il se tient en embuscade avec les riches de ce c( monde, prêt à surprendre, à immoler l'innocent. Il a les « regards attachés sur le pauvre : il lui dresse des pièges « en secret, tel qu'un lion dans sa caverne, il épie le « moment do se saisir du pauvre comme d'une' proie -; » et vous, sur le point de devenir sa victime, vous dormez mollement à l'ombre d'un arbre touffu ? La luxure me poursuit, je sens les assauts de l'avarice; l'intempérance demande qu'au heu de Jésus-Christ je fasse mon Dieu de mon ventre, l'amour impur me presse de chasser l'Esprit- Saint qui habite en moi et de profaner son temple. Je suis assailli par un ennemi qui a mille noms différents, miUe moyens de nuire, et moi, infortuné, je me croirais victo- rieux, alors que je suis dans ses chaînes ?...
«... Moi qui vous parle ainsi, ai-je donc, pilote heureux, gardé intacts mon vaisseau et mes marchandises? Ai-jc toujours vécu loin delà tempête? Non, mais récemment échappé du naufrage, instruit par ma propre expérience, je crie d'une voix trembbnte à ceux qui veulent naviguer sur cette mer : Sous ces flots agités, l'impudicité comme un
ilPetr., V, 8. »Ps.,ix, 30.
212 DANGERS AUXQUELS ON S'EXPOSE
nouveau Carybde engloutit les âmes; comme une autre Scylla, la volupté, sous une forme innocente, attire les mortels par ses appâts séducteurs et ses trompeuses caresses, elle les précipite dans le gouffre où périt la pudeur. Là se trouve une côte couverte de barbares enne- mis. Ici Satan, le pirate de ces mers, rôde avec ses suppôts : il porte les chaînes dont il charge ses captifs. Ne vous fiez pas à ces ondes, ne croyez pas y être en sûreté. Elles vous paraissent calmes comme les eaux, dormantes d'un lac ; à peine le vent parait agiter leur tranquille sur- face. Mais ces campagnes si unies ont de profondes vallées : elles cachent de grands périls et de mortels ennemis. Déhez les cordages et suspendez les voiles ; placez l'antenne de la croix au sommet du na^'ire, car cette tranquillité apparente est une redoutable tempête ^. »
Celui qui persiste à demeurer sur cette mer orageuse, quand Dieu l'appelle à vivre en sûreté dans le port, est d'au- tant plus exposé à faire naufrage qu'il est privé des secours les plus propres ii lui faire éviter ce malheur. C'est un soldat entouré d'ennemis auquel il manque sa principale armure. Dans la vie religieuse, où Dieu l'a appelé, il combattrait, suivant la pensée de saint Augustin, sous les armes du Verbe de Dieu ; les assauts de l'ennemi ne pourraient lu nuire, il lancerait contre eux des traits redoutables , et les leurs se briseraient contre le rempart qui le protège -.
* s. Hieron., epist. xiv (alias i), ud Ildiod., n. 2, 4-, 6.
2 In ea (tiirri, de qua in Kvangelio Douiinus loquitiir) quippe stan- tem, et sub arinis Dei militantem , nulla ex parte penetrare ulls tentaliones valent : inde et jacta in adversariuin tela gravi pondère veniunt , et prospecta lirnio niuniminc devitantur. (S Aiig. , epist. ccxLiii, (alias xxxvui, ad L'vtum, n. 1.)
EN NE CORRESPONDANT PAS A LA VOCATION 213
Mais hors de cette cité fortifiée , où le Roi des rois l'in- vite au combat, il se trouve exposé à tous les traits de l'ennemi.
Par son infidélité à la voix du Seigneur, il mérite, en effet, d'être privé des grâces spéciales qui lui étaient des- tinées. Si un prince, observe Lessius S offrait à l'un de ses sujets la faveur de faire partie de sa cour, d'habiter son palais, de jouir de sa confiance, et que celui-ci, afin d'éviter les devoirs qui en résulteraient pour lui-même, refusât celte faveur, le prince aurait-il pour lui les mêmes attentions et la même bienveillance ? Sa générosité envers lui et envers sa famile serait-elle la même ?
Dans l'Évangile, les conviés au festin des noces refusent de s'y rendre, afin de vaquer à leurs affaires et à leurs plaisirs, et le roi, qui les a invités, justement offensé de leur refus, assure qu'aucun d'eux ne goûtera de son ban- quet 2. C'était une juste punition du mépris qu'ils avaient fait de ses invitations. Voyons-y une image frappante du châtiment dont Dieu punit l'inlldéUté à une vocation reli- gieuse : ceux qui s'en rendent coupables sont justement exclus du festin spirituel auquel Dieu les invitait ; ils seront privés de grâces précieuses, des mets choisis qui devaient leur être offerts aux noces de l'Agneau.
En vérité, quand Jésus presse une âme de tout quitter pour le suivi'e, quand il multiplie à cet effet ses lumières et ses inspirations, si cette âme refuse ou néghge de répondre à ses invhations pressantes, retenue, comme les conviés aux noces, par des intérêts terrestres, ne préfère-t-elle pas
' De Statu vitœ deltgendo, q. 8, n. 93. *Luc., XIV, 24.
214 PANGKRS AUXQUELS ON S'EXPOSE
en quelque manière ces intérêts à Jésus-Christ lui-même ? Ne se raontrc-t-elle pas indigne de lui, indigne de ses faveurs * ? N'est-il pas juste qu'en punition de cette préfé- rence, du mépris qu'elle fait de ses grâces, il la prive de celles plus particulières qu'il lui destinait ?
Un grand nombre de ces grâces sont d'ailleurs attachées à l'état reUgieux, auquel cette âme est appelée. La nature du terrain n'est point indifférente au développement de la plante et à la quahté des fruits qu'on attend d'elle. Telle plante ne fera que végéter dans un terrain, ou n'y produira que de mauvais fruits : dans un autre elle aurait pris de
* s. Alphonse de Liguori, dans l'ouvrage qui a pour titre : Homo apostolicus , au tr. XIII, n. 13, se demande si l'on se rend coupable de quelque péché, quand, appelé de Dieu à la vie religieuse, on né- glige de correspondre à cette vocation ; et il répond, d'après Lessius {De Statu vitœ deli(jendo , q. 8, n. 94), que cette négligence n'est Yioint par elle-même un péché, puisque les simples conseils, consi- dérés comme tels , n'obligent pas sous peine de péché. Cependant, ajoute ce saint auteur, à raison du danger auquel s'expose celui qui embrasse un état sans y être appelé de Dieu , on ne peut l'excuser de quelque faute. « En effet, dit-il encore (in Theol. moral. , 1. IV, n. 78), d'après le sentiment commun des docteurs, c'est un péché de détourner de la vie religieuse celui qui y est appelé, ou de le per- suader d'en sortir, parce que c'est l'engager à se causer h lui-même un grave dommage. Or, je ne vois point comment on pourrait ex- cuser de péché celui qui se cause à lui-même ce préjudice. Quant à décider quelle est la gravité de ce péché, je le laisse au jugement des sages. »
« Bien que , ajoute Lessius , en considérant la chose en général, on ne puisse dire que c'est un péché de ne pas suivre les conseils de Jésus-Christ, cependant il peut y avoir péché en raison de cer- taine circonstance accompagnant cette omission. Si, par exemple, votre conscience vous rendait le témoignage , comme cela arrive souvent, que vous vous perdrez en restant dans le siècle, vous péche- riez en ne répondant pas à une vocation religieuse. i> {De Statu vitœ deligendo, q. 8, n. 94.)
EN :;e GORiîEsro.Nû.vrs r pas a la vocation 213
merveilleux accroissements et donné des fi-uits sains et délicieux.
Ainsi en est-il des âmes. Beaucoup auraient dans la vie religieuse évité toute faute mortelle, qui dans le monde s'y laissent souvent entraîner. La terre de la religion est pour ceux qui sont appelés, conmie celle du paradis terrestre, une terre fertile et féconde, produisant comme d'elle-même et presque sans travail toute sorte d'excellents fruits. La terre du monde, au contraire, ressemble à cette terre maudite qui ne porte par elle-même que des ronces et des épines : il est aussi difficile à la bonne semence de n'y être point étouffée qu'il lui est facile dans le terrain de l'état religieux de croître, de se développer, et à ses fruits d'arriver jusqu'à une parfaite maturité. Le monde est le chemin battu où la céleste semence est à peine tombée, qu'elle est enlevée par les oiseaux du ciel ; il est le terrain pierreux où cette se- mence sacrée ne trouve point de fond et où ses racines ne peuvent pénétrer; il est la terre remplie de ronces et d'épines, où la divine semence est étouffée et n'arrive point à porter des fruits. La vie religieuse, au contraire, est la bonne terre où la grâce se consente et pénètre les âmes, développe en elle les racines de toutes les vertus, donne de l'accroissement à ces plantes mysticpes, et leur fait porter des fruits abondants et choisis * .
L'âme, dans le corps qu'elle anime, observe le père Louis Dupont '^, a sur les membres divers et sur les diverses parties de ce corps une double action, elle leur communi- que une double vie : l'une, commune à tous, par laquelle
1 Mattli., XIII.
- La Perfection chrétienne, tom. Il, tr. H, ch. il.
216 DANGERS AUXQUELS ON S'EXPOSE
elle les soutient, les conserve, les vivifie ; l'autre, par- ticulière à chacun des organes et en rapport avec les fonctions qui leur sont propres : ainsi aux yeux elle donne la faculté de voir, aux oreilles celle d'entendre ; les pieds en reçoivent le pouvoir de marcher, les mains celui de saisir. C'est une image de l'action du Verbe incarné dans les membres de son corps mystique. Ils reçoivent de lui une double communication de vie spirituelle : l'une dont il fait participants tous ceux qui n'y mettent point obstacle : c'est la foi et l'espérance dans tous les chrétiens, même dans les pécheurs ; c'est la charité et toutes les vertus infuses dans les justes. L'autre genre de communication de vie spirituelle, faite par notre divin Chef à ses membres, est propre aux divers états et offices de la répubUque chré- tienne. La part en est faite à chacun suivant la place qu"il doit occuper dans le corps mystique de Jésus-Christ et la charge qu'il y doit remphr. Il y a la grâce des pontifes et celle des rois, pour le gouvernement des Éghses et des États ; la grâce des vierges, des rehgieux et des prêtres ; toutes les autres classes de chrétiens ont aussi la leur. Ces grâces ont pour effet de doimer à chacun les lumières et .'les forces nécessaires au parfait accomphssement des de- voirs de sa position. Elles sont assurées, abondantes pour ceux qui ont consulté le Seigneur dans le choix d'un état et suivi son bon plaisir. Mais ceux qui ne l'ont point consulté, qui ont méprisé ses lumières, résisté à ses inspi- rations, peuvent-ilfe compter sur ces grâces abondantes, sur '' ces grâces de choix? Dieu les leur avait préparées dans l'état de vie où il les appelait : les trouveront-ils dans v.n autre?
EN NE CORRESPONDANT PAS A LA VOCATION 217
CHAPITRE II
Suite du même sujet
II y a parmi les gràct^s que le Seigneur nous destine des grâces qu'on peut appeler capitales, qui doivent être dans les desseins de la divine Providence le principe d'une série d'au- tres grâces spéciales. Ces grâces se lient entre elles de telle sorte que les premières doivent servir aux autres de prépa- ration, et celles-ci de couronnement et de récompense à celles-là. Si l'on ne correspond pas aux premières, on est privé des secondes. Telle fut la grâce faite à sainte Té- rèse quand elle vit dans l'enfer la place qu'elle occuperait un jour, si eUe ne renonçait aux habitudes d'une vie impar- faite. Telle est aussi la grâce de la vocation à l'état religieux : elle est connue le premier anneau d'une chaîne de précieuses faveurs, comme la pierre fondamentale de tout l'édifice spiri- tuel de notre perfection. Cette première pierre appelle les autres pierres de l'édifice, ce premier anneau est lié aux autres anneaux ; mais, si l'on refuse cette première grâce, comment pourra- t-on espérer recevoir les autres ?
« Les secours que le Seigneur nous destine, dit le savant Lessius 1, sont de trois sortes. Les uns ont pour effet d'éloi- gner de nous les tentations et les ocasions du péché, de comprimer la rage du démon ; les autres ont pour but d'exci- ter notre âme au bien, par les lumières qu'ils nous donnent sur la beauté de la vertu et la laideur du vice, et par l'im-
^ De Statu vitœ deliyendo , q. 8 , ii. 94-100.
VOCATION. 13
218 DANGERS AUXQUELS ON S'EXPOSE
pulsion qu'ils impriment à la volonté ; les troisièmes , enfin, ont pour fruit l'exécution de nos résolutions et notre persévérance dans la justice. Or tous ces secours dimi- nuent pour celui qui refuse de répondre à sa vocation. Ils lui auraient été prodigués dans la voie où Dieu l'invitait, ils lui seront comptés et donnés en une mesure restreinte dans celle où il s'engage de lui-même. Or, il arrive fré- quenmient que, privé ainsi de ces secours surabondants avec lesquels on aurait persévéré dans le bien et obtenu la couronne, on ne persévère pas et qu'on mérite l'éternelle réprobation. La privation de tels secours, et le malheur irré- parable qui peut en être la suite, sont bien capables, conclut Lcssius, de faire redouter le malheur d'être infidèle aune vocation religieuse. »
« Les hommes du monde, observe saint Alphonse de Liguori, ne se font pas scrupule de dire aux jemies gens appelés à l'état rehgieux, qu'on peut servir Dieu dans tous les états, même au milieu du siècle. On entend môme quelquefois de ])areils propos dans la bouche de prêtres, et môme de religieux entrés en religion sans vocation, ou ignorant le prix de la grâce qu'ils ont reçue. Oui, sans doute, on peut servir Dieu partout, lorsqu'on n'est point ; appelé à la vie religieuse ; mais, si l'on y est appelé et que j l'on reste dans le monde, infidèle à sa vocation, il est^ difficile d'y tenir une bonne conduite et d'y servir Dieu •. »
« Que d'exemples nous pourrions citer de la fin déplora- rable à laquelle on s'expose par cette infidéUté ! Lancicius en rapporte un fort célèbre, celui d'un étudiant du Collège romain. C'était un jeune homme de grand talent. Ap])clé
* S. Alph. (le Liguori, Avis sur la vocation rclijieuse , § 2.
I
E?J NE CORRESI'ONDAKT PAS A LA VOCATION 219
pendant une retraite à quitter le siècle, il demanda à son confesseur si c'était un péché de ne pas correspondre à une vocation religieuse. Le confesseur lui répondit : a L'invitation à l'état religieux n'est pas un précepte, mais c( un simple conseil, elle n'oblige point par elle-même sous « peine de péché ; mais, en ne la suivant pas, on met en ce grand péril son salut éternel, comme le prouve la triste « fin d'un si grand nombre de chrétiens. » Malgré cette réponse, le jeune homme négligea de répondre à la voix qui l'appelait et s'en alla étudier à Maccrata. Bientôt on le vit négliger l'oraison et la communion, et il finit par se livrer au désordre. Peu après, sortant la nuit de chez une femme de mauvaise vie, il fut frappé à mort par un rival, des prêtres accoururent, mais il expira avant leur arrivée et en face du Collège. Dieu montrait ainsi que la cause de son malheur était son infidéUtéà la grâce de sa vocation.
ce Jésus-Christ se montra un jour à un novice qu'il voyait résolu à quitter la vie rehgicuse ; il lui apparut sur son trône avec un visage sévère, ordonnant que son nom fût effacé du livre de vie ; le novice, saisi d'une salutaire terreur, renonça à son dessein et persévéra dans sa vo- cation.
« Combien de malheureux ne verrons-nous pas condam- nés au jour du jugement, pour n'avoir pas obéi à leur vocation ! Rebelles à la lumière, comme le dit l'Esprit- Saint par la bouche de Job ' , c'est par un juste châtiment qu'ils sont privés de la lumière ; et, parce qu'ils ont refusé de marcher dans la voie que Dieu leur a indiquée, ils sui- vront en aveugles celle qu'ils ont choisie d'eux-mêmes, et
^ Job, x.\iv, 13.
220 DANGERS AUXQUELS ON S'EXPOSE
ils iront ù leur perte.... Les insensés! leur punition sera, comme il est écrit dans les Proverbes, de manger le fruit de leur voie et d'être rassasiés de leurs conseils ^, le moindre obstacle, la plus légère tentation les fera tomber, leur prospérité môme les perdra 2. »
A quels regrets, à quels tourments doit s'attendre dans l'autre vie celui qui se sera perdu pour n'avoir pas été fi- dèle à sa vocation ?
« Le regret d'avoir perdu par sa propre faute quelque grand bien, ou de s'être causé volontairement quelque grand mal, est une peine telle que, même en cette vie, ■elle devient insupportable. Quel sera donc dans l'enfer le supplice d'un jeune homme appelé de Dieu par une faveur singulière à l'état religieux, lorsqu'il reconnaîtra qu'en répondant à cet appel il eût acquis une belle place en paradis, et qu'il se verra relégué pour toujours dans ce lieu de tourments !
« Ce sera là le ver cruel qui, toujours vivant, lui rongera à jamais le cœur. Il dira alors : 0 insensé! je pouvais devenir un saint, et si j'avais été fulèle, je serais maintenant au ciel, et me voilà damné sans espoir !
(( 11 ouvrira les yeux alors, le malheureux, pour son plus grand tourment; au jour du jugement universel, il verra rangés à la droite du Sauveur et couronnés de gloire, ceux qui, renonçant au monde, se seront retirés dans la maison de Dieu, où lui-même était aussi invité ; il ee trouvera séparé de la compagnie des bienheureux et jelé au milieu
' Comedeiit igitur frucUis viœ siuo, suisque consiliis satiirabuntiir, [Pivv., I, 31.)
- Prov., I, 32. — S. Alph. de IJguoi'i, Aois sur la voculioji rcll- (jieuse , § 1 ; Thcol. moral. ^ 1. IV, 11. 78.
EN NE COURESPONDANT PAS A LA VOCATION 2'21
de l'innombrable cohue des réprouvés, pour avoir fermé l'oreille à la voix de Dieu. Ah ! certainement alors le souvenir de la grâce de la vocation sera pour lui, dans l'enfer môme, comme un second enfer.
« On le sait, et nous l'avons montré plus haut, on s'expose à ce malheur quand on résiste à la grâce de la vocation religieuse. Vous donc, mon cher frère, qui êtes appelé à vous sanctifier dans la maison du Seigneur, considérez dans quel péril vous vous jetteriez si volontairement vous veniez à perdre cette grâce : due à la souveraine bonté de Dieu, qui vous l'a donnée pour vous élever au-dessus de la foule et vous placer au nombre des princes du ciel, elle deviendrait par votre faute, si vous étiez infidèle à Dieu, un enfer à part pour vous. Maintenant que le Sei- gneur vous met en main la faculté de choisir, faites donc votre choix, décidez vous-même ce que vous voulez deve- nir, ou un grand roi dans le paradis ou un damné plus tourmenté que les autres. »
Ainsi parle saint Alphonse de Liguori ', et il propose la prière suivante aux âmes que Dieu appelle à la vie reli- gieuse :
« 0 mon Dieu! ne permettez pas que je vous désobéisse et que je vous sois infidèle. Je reconnais votre bonté pour moi, et je vous remercie de ce qu'au lieu de me rejeter de devant votre face et de me précipiter dans l'enfer que j'ai tant de fois mérité, vous daignez m'appeler à la sainteté et me préparer une place distinguée dans le ciel. Je com- prends que je mériterais un double châtiment si je ne correspondais pas à cette grâce qui n'est pas donnée à
* IVe Considôvatlon sur l'état religieux.
22-2 DAiNGERS DE NE PAS COURESPONDRE A LA VOCATION
tous. Seigneur, je veux vous obéir, me voici. Je suis à vous, et je veux être à vous pour toujours. J'accepte avec joie toutes les peines, toutes les épreuves de la vie reli- gieuse à laquelle vous m'invitez. Eh ! que sont ces souffrances en comparaison des peines éternelles que j'ai méritées? Déjà j'étais perdu à cause de mes péchés, maintenant je me donne tout à vous, disposez de moi et de ma vie selon votre volonté. Souffrez, ô bon Maître! que tout condamné à l'enfer que j'ai été, je vous serve et vous aime en cette vie et en l'autre. Je veux vous aimer désormais autant que j'ai mérité de vous haïr dans l'enfer. 0 Dieu infiniment aima- ble , ah ! mon Jésus , vous avez brisé les chaînes par lesquelles le monde me tenait attaché, vous m'avez délivré du joug de mes ennemis; je dois donc désirer de vous aimer beaucoup, ô mon amour! Aussi, pour l'amour que je vous porte, je suis résolu de vous servir en itout et tou- jours.
a Je vous rends grâce , ô Marie, mon avocate, à qui je dois cette grande miséricorde! Assistez-moi toujours, et ne permettez pas que je retombe dans mon ingratitude envers un Dieu si bon qui m'a tant aimé ! Faites en sorte que je meure plutôt que d'être infidèle à une si grande grâce. Ainsi j'espère. »
PROMPTITUDE A RÉPONDRE A L'APPEL DU SEIGNEUR 223
CHAPITRE III
Promptitude avec laquelle on doit répondre à l'appel du Seigneur
L'obligation de répondre promptcment h la grâce de la vocation religieuse est de même nature que celle de ne pas résister aux inspirations du ciel. Elle est fondée sur la di- gnité de celui qui daigne nous inviter et sur l'inconvenance qu'il y aurait à ne pas répondre aussitôt à ses divines avances . Si de fidèles sujets doivent obéir à leur roi quand il les appelle à une expédition glorieuse, à une guerre juste, à combien plus forte raison devons-nous n'être point sourds à la voix de Jésus-Christ, Roi éternel , mais prompt à répondre à son ap])el ' ,
Cette promptitude d'exécution a aussi pour motif le danger où l'on s'expose, en n'y répondant pas aussitôt, de perdre la grâce qui est offerte, et, en la perdant, de mettre son âme dans le plus grand péril.
« Combien, écrit saint Bernard 2, cette maudite sagesse du monde en a trompés, éteignant en eux la flamme divine que le Seigneur avait voulu y allumer ! « Prenez garde, dit- (( elle, d'agir avec prudence : c'est une grave affaire que « vous entreprenez, elle exige une longue délibération. a Éprouvez ce dont vous êtes capable, consultez vos amis,
* s. Ignat,, in libr. Exercit. spirit., contempl. dercgno Christi. ^ Declam. in verba : Eccenos reliquimus omnia , etc., vel de Contemptu mundi , cap. xi.
224 PROMPTITUDE AVEC LAQUELLE ON DOIT RÉPONDRE
« dans la crainte que vous ne vous repentiez de vous être a avancé. »
Tels sont les conseils des gens du monde et des pa- rents. Voici ce qu'en pense ce saint docteur : « C'est là, s'écrie-t-il, une sagesse terrestre, animale, diabolique, en- nemie du salut, meurtrière des âmes, mère de cette tiédeur qui provoque le vomissement du Seigneur. Prenez garde, dit-elle. Mais quoi! quand vous ne pouvez douter que l'ins- piration ne vienne de Dieu, qu'avez- vous à craindre? C'est l'ange du grand conseil qui vous appelle : pourquoi attendre des conseils étrangers? Qui peut être plus fidèle et plus sage que Dieu?... Oh! je sais ce qu'il faut faire prompte- ment; j'ai le moyen de me retirer du puits de l'abîme et de l'enfer, et je demanderais du temps, j'attendrais, je re- tarderais ma délivrance ! J'ai un feu caché dans mon sein : déjà mes côtes sont brûlées, mes entrailles découvertes, un sang noir en découle , et l'on me parle de délibérer, pour savoir si je dois me réveiller et rejeter ce feu! Oui, sans doute, ce qui m'est proposé est grand et sublime, c'est une raison de plus de m'en emparer avec plus d'empresse- ment, de le saisir avec plus de ferveur, avec plus de joie. Que celui-là s'éprouve lui-même qui compte sur sa propre vertu, car la vertu divine sur laquelle je m'appuie a fait ses preuves. Qu'il consulte ses amis, celui qui n'a point lu dans les saintes Lettres que l'homme a pour en- nemis ceux de sa propre maison. Pourquoi consulter l'Évangile, si ce n'est pour y conformer sa conduite? Or, nous y voyons Jésus répondre à celui qui lui promettait de le suivre, mais désirait auparavant ensevelir son père : Laissez les morts ensevelir leurs morts! Â un autre, qui voulait prendre congé de ses parents : Celui, dit-il, qui
A L'APPEL DU SEIGNEUR 223
met la main à la charrue et regarde en arrière, n'est point propre au royaume de Dieu. »
Répondant ù ceux qui exigent que l'on attende long- temps, que l'on délibère longuement avant d'entrer en reli- gion, saint Thomas ^ leur rappelle Pierre et André appelés par Jésus-Christ et abandonnant aussitôt leurs filets pour le suivre, Jacques et Jean quittant leur barque et leur vieux père : « Au milieu de leur travail, dit-il, ils entendent la voix de Dieu et ils ne remettent pas à plus tard d'y ré- pondre. Ils ne disent pas : Retournons à la maison afin de prendre congé de nos amis; mais ils laissent tout pour le suivre. Le Christ demande de nous une pareille obéissance, il veut que nous soyons prompts à répondre à sa voix. Ainsi fit encore saint Matthieu; Jésus lui flit : « Suis-moi, » et il le suit aussitôt. « 0 vous qui êtes appelés, s'écrie saint « Jean Chrysostome, apprenez de cet apôtre à obéir à la (( voix de Dieu, il ne résiste pas, il ne demande point i\ « aller dans sa maison faire part aux siens de sa détermi- (( nation. Un autre aurait craint peut-être de se créer « quelque affaire de la part des magistrats, en laissant ainsi « son emploi; lui n'en tient pas compte. C'est une leçon « pour nous apprendre qu'aucun motif humain ne doit « nous retarder dans le service de Dieu . »
Saint Thomas cite ensuite la réponse de Jésus au jeune homme qui, appelé à sa suite, lui demandait la permission d'aller auparavant ensevelir son père : « Suivez-moi, lui avait dit Jésus, et laissez les morts ensevelir leurs morts 2. » Il parle ainsi, non pour nous faire mépriser l'amour dû à
* Contra Retrait, ab ingressu relig., c. ix. - Matth.,viH, 12.
220 PROMPTITUDE AVEC LAQUELLE ON DOIT RÉPONDRE
nos parents, mais afin de nous montrer qu'il n'est rien au- dessus de l'accomplissement de la volonté de Dieu , qu'il tant nous y livrer tout entiers et ne point y apporter de re- tard, quelque importantes, quelque pressantes que soient les choses qui nous retiennent. Qu'y a-t-il de plus nécessaire que d'ensevelir un père? Quoi de plus facile? C'est une chose qui ne demande pas beaucoup de temi)s. Mais l'en- nemi est là, ardent à chercher une entrée, et s'il trouve la moindre négligence, il aura bientôt jeté l'àme dans une grande pusillanimité. Ne différez pas de jour en jour, dit le Sage , c'est-à-dire n'apportez aucun retard à l'exécution de la volonté divine ; faites-la passer avant tout le reste, quel- que nécessaire qu'il soit. « Il faut secourir votre père, fait « dire ici à Jésus-Christ saint Augustin i, mais il faut aussi « obéir à Dieu, et moi je vous appelle à la prédication de « l'Évangile, j'ai besoin de vous pour une autre œuvre. Or (c cette œuvre est plus grande que celle que vous voulez ce faire : il y en a d'autres qui ensevelissent les morts : il ne « faut point mettre en arrière ce qui doit être en avant • « aimez vos parents, mais préférez-leur le Seigneur votre « Dieu. » Si donc, conclut saint Thomas, Jésus-Christ blâme un court retard demandé pour une chose si importante, comment ose-t-on dire quïl faut longuement délibérer et longtemps attendre avant de suivre la voie du ciel. »
Un autre jeune homme , également appelé par Notre- Seigneur, lui avait demandé la permission d'aller au- paravant régler lui-même ses affaires , et Jésus lui avait répondu : « Tout homme qui, ayant mis la main ;\ la charrue, regarde en arrière, est impropre au royaume
' Serra, c, édit. Migne, alias de Verhis Dom., vu, n. 2.
I
A L'APPEL DU SEIGNEUR 227
de Dieu ^ » — « Celui-là , dit saint Cyrille 2, met la main à la charrue qui se montre ardent à suivre Jésus- Christ; mais on regarde en arrière, quand on demande du temps pour retourner au milieu de ses proches et conférer avec eux. Nous ne voyons pas que les apôtres aient agi ainsi, eux qui ont aussitôt laissé leur barque et leur père pour suivre Jésus-Christ. Et Paul n'a rien non plus accordé à la chair et au sang. Tels doivent être tous ceux qui suivent le Sauveur. »
« Quoi! s'écrie saint Augustin 3, l'Orient vous appelle et vous allez vers l'Occident. L'Orient, c'est Jésus-Christ, sui- vant cette parole du prophète : Ecce vir oriens nomen ejus *. L'Occident, c'est tout homme sujet à la mort et aux ténèbres du péché et de l'ignorance. Vous faites injure à Jésus-Christ, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse de Dieu, si, négligeant son conseil, vous croyez devoir recourir à ceux d'un mortel. » Le même docteur, exposant ces pa- roles de l'Apôtre : Ceux qui sont conduitspar l'Esprit de Dieu sont enfants de Dieu s, déclare que celui-là n'est point con- duit par l'Esprit-Samt qui résiste à ses inspirations, ou qui tarde d'y répondre. « C'est donc, poursuit saint Thomas c, le propre des enfants de Dieu de se porter, par le mouve- ment de la grâce, aux choses meilleures, sans attendre les conseils humains. Isaïe parle de cette impulsion , quand il
^ Nemo mittens manum ad aratrura et respiciens rétro aptus est regno Dei. (Luc, ix, 02 )
'^ Cité par S. Thomas, Contr. Retrah. ah ingr. relig.y c. ix. 5 Ibid.
*Zach., VI, 12. Rom., VIII, 14. ^Loc. cit.
228 PROMPTITUDE AVEC LAQUELLE OX DOIT RÉPONDRE
dit : Celui que meut l'Esprit du Seigneur se précipitera comme un fleuve impétueux '. C'est ce mouvement de l'Esprit-Saint que l'Apôtre nous presse de suivre, quand il écrit aux. Galates : Marchez en esprit, Spiritu ambulate 2; et encore : Si vous êtes conduits par V Esprit-Saint, vous n'êtes plus sous la loi de crainte ^. Et saint Etienne, dans les Actes, ne reproche-t-il pas aux Juifs, comme une grande faute, de résister toujours à l'Esprit-Saint *. » Lors donc, conclut saint Thomas, que l'homme est poussé par un mou- vement de l'Esprit-Saint à entrer en religion, il ne doit point en différer l'exécution, mais suivre aussitôt l'inspiration du divin Esprit, m
Voici un exemple frappant de cette docilité à la voca- tion :
« Deux officiers d'un empereur romain étaient allés se promener dans les jardins qui environnent la ville de Trêves, pendant que leur maître assistait au spectacle du cirque. Entrés dans la cellule d'un religieux, l'un d'eux y lut quelcpies pages de la Vie de saint Antoine qu'il y avait trouvée ; il fut tout à coup rempli de Tamour divin, et dit à son ami : a C'en est fait , j'ai renoncé à mes espérances terrestres, u j'ai résolu de servir Dieu : je commence à cette heure et « en ce lieu. » Saint Augustin, qui rapporte ce fait ^, se re- pent lui-même d'avoir si longtemps résisté à la grâce ; « Vous me montriez clairement. Seigneur, ce que je de-
^ Ciim vencrit quasi fluvius violentus quem Spiiitus Dei eogit. Isa. , LL\-, 19.) '- Gai., v, 10. '-Gal.,v, 18.
* Vos semper Spiritui sancto resistitis. {Act„ vu, 51.) ^ Confess., lib. VIII, c. vi.
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A L'APPEL DU SEIGNEUR 259
Viiis faire, et je n'avais à rien répondre , convaincu que j'étais par l'évidence de votre vérité sainte. Je ne pouvais dire que ces paroles somnolentes : « Bientôt, bientôt, « attendez quelque temps ! » mais ce bientôt n'avait point de fin, ce délai se prolongeait toujours *. »
« C'est donc, poursuit saint Thomas 2, une chose très- blâmable, après avoir entendu l'appel de Dieu, de différer d'y répondre et de recourir aux conseils humains comme pour des choses douteuses. La grâce de l'Esprit-Saint ne connaît point les retards : Nescit tarda molimina Spiritiis
sancti gratia Et celui-là ignore la vertu puissante de
l'Esprit-Saint, ou ne craint point de lui résister, qui arrête ses divins mouvements. « Celui que Dieu éclaire, dit un « philosophe païen, n'a que faire des conseils humains. Il « a pour principe de conduite une sagesse supérieure à « toute intelligence et à tout conseil. » Qu'ils rougissent donc ces hommes qui se disent chrétiens et qui renvoient à des conseils terrestres ceux que Dieu lui-môme inspire et à qui il a fait connaître ses volontés. » '
Il n'est donc nul besoin, comme le suggèreiit la chair et le sang, d'un long espace de temps pour mûrir une voca- tion. C'est un fi'uit qu'il faut cueillir dès qu'il nous est offert.
Mais, dira-t-on, le désir d'embrasser la vocation religieuse, s'il vient vraiment de Dieu, loin de s'affaiblir par les retards au milieu des obstacles, ne fera que s'y fortifier ; ainsi parlait Gamaliel de la prédication des apôtres 3.
1 Confcss., lib. VIII, c. v.
^ Contra Betrah. nb ingr. relig., c. ix.
Mcf., V, 38,39.
230 PROMPTITUDE AVEC LAQUEî.LS ON DOIT XIÉPOXDP.E
Le sage Gamaliel, répondons-nous avec Lessius ^, pou- vait donner ce conseil au sujet de l'Église naissante ; car Dieu se devait à lui-même de la soutenir contre les ruses ennemies et de la faire croître à travers tous les obstacles. Mais on ne pourrait l'appliquer généralement à tout ce qui vient de Dieu, ni spécialement à des désirs de vocation religieuse. Le Seigneur nous veut prompts et fidèles à obéir à ses inspirations ; il n'a point promis de nous con- tinuer des faveurs auxquels nous serions lents à corres- pondre. Quelle n'est pas d'ailleurs la faiblesse de notre cœur, la mobilité de notre volonté! Elles sont telles, que nous ne pouvons ^compter sur nos dispositions futures, ni renvoyer, sans péril, l'exécution de nos desseins. Voulons- nous que nos bons désirs soient efficaces, qu'ils ne ressem- blent point à la semence tombée sur le bord du chemin et enlevée par les oiseaux du ciel, ou à celle qui est étouffée par les épines? Ne les exposons pas volontairement aux périls des tentations, ni aux funestes attraits d'un monde séduc- teur.
« Les lumières que le Seigneur nous envoie, écrit saint Alphonse de Liguori 2, sont passagères et non permanentes ; c'est ce qui fait dire à saint Thomas, que les divines invi- tations à un vie plus parfaite doivent être suivies sans re- tard: Quanto citius. Le Docteur angélique ^ se demande s'il est louable d'entrer en religion, sans avoir consulté beau- coup de personnes et délibérer longtemps, et il répond : Il est nécessaire de consulter et de délibérer dans les choses
^ De Statu vitce deligendo, q. 3, u. 02.
2 Avis sur la vocation religieuse , § 1 .
3 11 II, q. 189, a. 10.
A L'APPEL DU SEIGNEUR 231
douteuses, mais non dans celle-ci qui est certainement bonne et que Jésus-Christ nous a proposée dans l'Évan- gile en nous invitant à la pratique de ses conseils.
« Chose étonnante, quand il s'agit d'entrer en religion pour mener une vie plus parfaite et plus assurée contre les- dangers du monde, les gens du siècle disent : Délibérez longuement avant de prendre une telle résolution et ne vous hâtez pas de l'exécuter, afin de vous assurer si cette vocation vient réellement de Dieu ou du démon. Mais est-il question d'accepter une dignité, une charge, où l'on trouve mille dangers de se perdre, ils ne disent pas qu'il faut beaucoup d'épreuves pour s'assurer qu'on y est vraiment appelé de Dieu.
a Le langage des saints est tout différent. Saint Thomas assure que la vocation religieuse, vînt-elle du démon, devrait encore être embrassée comme un conseil excellent, quoique donné par un ennemi. Suivant saint Jean Chrysos- tome, quand Dieu nous favorise de semblables inspira- tions, il veut que nous n'hésitions pas un instant à les suivre ^. Pourquoi cela? parce qu'il aime à voir en nous cette docilité, et que plus elle est prompte, plus il ouvre la main pour nous remplir de ses bénédictions. Les délais, au contraire, lui déplaisent beaucoup; il resserre la main, il retient ses grâces, et ainsi celui qui tarde à correspondre à sa vocation parvient avec peine à la suivre, et il l'aban- donne aisément. Aussi, ajoute saint Jean Chrysostome, quand le démon ne peut détourner quelqu'un de la résolu-
^ Talem obedientiam Deus qurcrlt a nobis, ut neque instanti tem- poris moremur. {InMatth., hom. xiv, cité par S. Thomas, Opusc. contra retrah. ab ingr. relig., c. x.)
232 PROMPTITUDE A RÉPONDUE A L'APPEL DU SEIGNEUR.
îion de se consacrer à Dieu, il cherche au moins à lui persuader d'en différer l'exécution et il croit avoir gagné beaucoup, quand il obtient le délai d'un jour, d'une heure même : Si levem arripuerit prorogationem ; car si, pen- dant ce jour ou cette heure, une nouvelle occasion se présente, il lui sera moins difficile d'oblenir un plus long terme. L'esprit malin procède ainsi jusqu'à ce que le sujet appelé de Dieu, se trouvant plus faible et moins favorisé de la grâce, finit par céder tout à fait et par abandonner sa vocation. Oh ! combien de fois, par de tels retards, l'en- nemi est parvenu à faire perdre la vocation à ceux qui l'avaient reçue. C'est pourquoi saint Jérôme, s'adressant i\ quiconque est appelé à sortir du monde, l'exhorte à s'en échapper au plus vite. Festina , quœso te, lui dit-il, et hœrentis in solo naviculœ fiinem, inagis prœcinde quam salve, c'est-à-dire , de môme qu'un homme , dans une barque attachée au sol et sur le point d'être submergée, chercherait plutôt à couper la corde qu'à la dénouer. Ainsi celui qui est retenu dans le monde doit tâcher de s'en détacher le plus tôt possible, afin d'être plus vite à l'abii du danger de se perdre. »
S'IL EST PEROTS D'ENTRER JEUNE DANS L'ÉTAT RELIGIEL-X 233
CHAPITRE n
S'il est permis et s'il convient d'entrer jeune dans l'état religieux.
Le père de famille dont parle l'Évangile • appela des ouvriers à toutes les heures du jour pour travailler à sa vigne ; ainsi Notre-Seigneur Jésus-Christ, le père de la fa- mille religieuse, le maître de cette vigne chérie, y appelle des hommes de tout âge : les uns le matin, aussitôt qu'ils ont l'usage de raison, et dans un âge encore tendre ; il les retire du siècle, dans la crainte que sa malice ne perver- tisse leur- entendement et que sa duplicité ne trompe leurs âmes. Il en appelle d'autres à la troisième heure, c'est-à- dire dans l'adolescence, ou à la sixième heure, l'âge de la jeunesse ; il appelle ceux-ci lorsque déjà ils ont perdu une grande partie de leur vie, il leur a laissé éprouver les mi- sères du monde pour leur faire estimer davantage les grands biens de la religion. Il appelle les autres à la neu-' \ièmè et à la onzième heure, c'est-à-dire dans l'âge viril ou dans la vieillesse, pour les disposer à une mort douce et paisible,- qui les conduise à la vie éternelle. La raison de cette conduite, c'est la volonté même de Dieu, ce sont les conseils de sa divine sagesse dans la distribution de ses grâces 2.
Mais quand est-il permis à un enfant, à un adolescent de répondre à l'appel du Seigneur?
k
Matth., X.
L. Dupont, la Perfection chrêt., t. III, tr. IV, c. 11, § 1.
22i S'IL EST PERMIS ET S'IL CONVIENT
Dès qu'un adolescent a atteint l'âge de puberté, c'est-ù- dire quatorze ans accomplis pour les garçons et douze pour les filles, il est libre, .d'après les saints canons, d'en- trer dans l'état religieux ; ses parents n'ont plus le droit de s'y opposer : ils sont obligés en conscience de laisser à leurs enfants toute liberté de suivre leur vocation i. C'est, dit Lessius ^, le sentiment commun des docteurs, une doctrine certaine dans l'Église. Le concile de Trente 3, en retardant la profession religieuse jusqu'à l'âge de seize ans et après une année de probation, n'a point changé l'ancien droit qui permettait l'entrée en religion, ou le commence- ment du noviciat à l'âge de puberté .
On est, en effet, apte à l'état religieux dès qu'on a la dis crétion suffisante pour en connaître les obligations et les avantages. Or on possède d'ordinaire cette discrétion à l'âge de puberté, et, à moins d'une preuve évidente du contraire, on doit juger qu'un adolescent • arrivé à cet âge en est doué.
D'ailleurs, on peut à cet âge contracter un mariage légi- time ; pourquoi ne pourrait-on embrasser l'état religieux ? Le mariage, on le dit souvent, n'a pas de noviciat: on n'est plus libre de se retirer, après avoir fait l'expérience des peines et des difficultés qui s'y rencontrent. Mais la vie religieuse est précédée d'un temps de probation ; et ce
1 Les lois françaises ne reconnaissent à l'enfant la liberté de dis- poser de lui-même qu'à l'âge de vingt et un ans accomplis. Une com- munauté religieuse ne pourrait donc , sans s'exposer à de graves inconvénients, recevoir un enfant mineur qui n'aurait pas le consen- tement de ses parents.
^ De Statu vitœ deligendo, q. 1, n. G.
^ Sess. XXV, c. XV, de Reforiualionc
D'ENTRER JEU.NE DANS L'ÉTAT RELIGIEUX 23îi
temps dure une ou deux années. Il faudrait donc plus de maturité et de prudence pour s'engager dans l'état de ma- riage que pour entrer en religion ; et cependant, au ju- gement même de l'Église, l'âge de douze et quatorze ans accomplis suffit à la maturité nécessaire au mariage, il doit donc suffire à celle qu'exige le choix de l'état religieux ; ainsi ceux-là se trompent qui pensent qu'on n'est point mûr à cet âge pour l'état religieux; leur jugement est opposé à celui de l'Église ^ .
Mais, dira-t-on peut-être, il ne convient pas toujours de faire ce qui est permis. Un jeune adolescent peut-il sans imprudence se soumettre sitôt à des obligations auxquelles il ne lui sera plus permis de se soustraire? Ne doit-il pas au contraire, avant d'embrasser la voie des conseils, s'exercer longtemps dans celle des préceptes, acquérir par son ex- périence la connaissance de ses propres forces, afin de juger s'il peut porter le joug des observances religieuses ; car, quelle espérance qu'il puisse les garder, s'il lui est si difficile d'être fidèle aux simples préceptes ?
Le lecteur comprend déjà le peu de solidité de ces rai- sons, appuyées sur le faux supposé que les préceptes de- mandent moins de perfection que les conseils, car il sait que les conseils ne sont que des moyens d'observer plus facilement et plus parfaitement les préceptes et d'arriver plus sûrement à la perfection de la charité que ceux-cinous imposent 2. Or n'est-il pas absurde de demander qu'on se prépare à l'emploi des moyens par l'exercice de la fin ^ ?
^ Voyez Lessius, de Statu vitœ deligendo, q. 1 , n. 9. 'Voyez liv. I, c. iv.
^ Il est peut-être superflu de faire remarquer ici qu'il s'agit, dans cet ouvrage, de la vocation à l'état religieux , et non de la vocation à
23G S'IL EST PERMIS El S'IL CJMVIENT
Ne faut-il pas au contraire prendre le plus tôt possible, pour arriver à la fin, les moyens les plus propres à nous la faire atteindre, quand ces moyens nous sont proposés ? N'est-il pas souverainement avantageux et salutaire de se dégager, dès qu'on le peut, des chaînes du monde, des mille obstacles qu'il met au salut, de tant de principes de séduction, de tant de périls d'éternelle damnation? Que peut-on gagner à attendre ? Faire l'expérience des vanités du siècle et des dangers qu'on y court? Mais c'est une ex- périence pleine de périls : elle est pour la plupart une occasion de ruine et de perte éternelle ; pour les autres, elle aura pour effet de multiplier les obstacles à leur salut et à leur perfection, en multipliant, en fortifiant les princi- pes mauvais qui sont en eux '.
Saint Thomas repousse énergiquement une pareille doc- trine « Si, comme c'est la vérité, dit-il 2, on arrive plus faci- lement au parfait amour de Dieu par la voie des conseils que par celle des simples préceptes, n'est-ce pas une folie de conseiller à une personne disposée à suivre la première voie, de s'exercer d'abord dans la pratique des simples conseils? Comme si l'on pouvait craindre d'aimer Dieu trop parfaitement ou d'arriver trop tôt au parfait accomplisse- ment du précepte qu'il nous donne de l'aimer de tout notre cœur, de toute notre âme, de toutes nos forces ! Ainsi, pour apprendre à vivre dans la continence et la vie reli- gieuse, on devrait d'abord vivre dans le mariage ! Il fau-
l'état ecclésiastique. Celle-ci est d"iine tout autre nature que celle-là. On ne pourrait, sans de graves erreurs , lui appliquer ce que nous disons de la première.
^ Voyez Lessius, de Statu vitce deligendo, q. 2, n. 21.
^ Contra Retrah, ah ingr. relig. , c. vi.
DENTREU JEUNE DANS L'ÉTAT RELIGIEUX 237
drait vivre au milieu des richesses pour mieux pratiquer la pauvreté ! Comme si la possession des biens de la terre disposait l'homme à s'en passer! Et au jeune homme qui as- pire à la conservation de son innocence, il faudra conseiller de vivre au milieu des femmes et des sociétés mondaines, lui dire de s'y exercer aux actes de cette vertu, afin de mieux la pratiquer dans la vie religieuse ! Expose-t-on de jeunes recrues aux plus difficiles assauts? Ne faut-il pas au contraire les exercer à la lutte loin des grands périls? »
« N'est-ce pas l'excès même de la folie, s'écrie à ce propos saint Jean Chrysostome ', déconseillera un jeune homme, que l'on voit sans défense, pressé par ses ennemis, de se jeter dans le monde, où il peut être si facilement vaincu, et lorsque, couvert de mille blessures, il sera étendu à terre, épuisé, de lui donner des armes et de l'exciter au combat. Oui , sans doute , s'il lui était libre de fixer le moment de l'attaque, il pourrait attendre; s'il était en votre pouvoir d'empêcher l'ennemi de se précipiter sur lui, votre conseil aurait quelque apparence de sagesse ; mais, d'une part, vous le laissez attaquer et accabler de trahs, et, de l'autre, vous voulez qu'il se tienne tranquille et même qu'il succombe ! Qu'y a-t-il de plus dommageable pour lui que de l'exposer ainsi désarmé à la fureur de son en- nemi, et de le livrer entre ses mains?
a II est jeune et faible, dites-vous : donc il faut une plus grande diligence pour le soustraire aux dangers. Il faudrait le mettre hors des traits de rennemi, et vous le jetez dans le plus fort de la mêlée! Il est plus exposé, et par son âge, et par sa faiblesse, etpar son inexpérience, et vous, comme
^Advenus Oppugnalorcs vilœ moiiasticw , lib. III, n. 17.
238 S'IL EST PERMIS ET S'IL CONVIENT
s'il s'était exercé par de grands exploits et avait acquis de la vigueur, vous l'entraînez au milieu des ennemis, vous ne lui permettez pas de s'exercer dans la solitude, de s'y pré- parer à la lutte ! Ainsi donc, à celui qui peut remporter mille trophées, vous conseillerez d'apprendre dans le repos l'art de la guerre, et vous poussez au combat celui qui est sans expérience et ne pourrait môme supporter la vue du combat ! »
Saint Thomas ne craint pas d'attribuer à l'inspiration du démon la conduite de ceux qui trouvent mauvais qu'on re- çoive les adolescents en religion. «L'esprit de Dieu, dit-il, les presse de se consacrer au service du Seigneur, de sortir du siècle, de renoncer à tout ce qu'ils possèdent, de s'ap- pliquer à la loi et à la parole de Dieu, et aussitôt de faux amis, des familiers trompeurs, empruntant le langage de Pharaon, les en détournent. Cette conduite est d'ailleurs directement opposée au précepte de Jésus-Christ, car n'est- il pas écrit dans TÉvangile qu'un jour, comme on lui offrait de petits enfants pour qu'il leur imposât les mains et priât sur eux, ses disciples se mirent à les repousser, mais le Sauveur leur dit: Laissez ces petits enfants, et ne les empêcliez pas de venir à moi ^ .
1 Dicere auteni qiiod malum est recipere adolescentes ad religio- nem est diabolicum, quia super illud Exod.^vi: Quarc, Moyscs et Aaron , solUcilatis populum ab opcribus suis, dicit glossa Oi'ig. = « Hodie quoque si Moyses et Aaron, id est, propheticus et sacerdo- talis sensus animam sollicitct ad servitiura Dei, exire de sœculo, re- iiuntiare omnibus qu» possidet, attendcre legi et verbo Dei, continuii audies unanimes etamicos Pharaonis diccntcs : « Videte quomodo se- « ducuntur homines, et pervertuntur adolescentes; » etposlea: « Ha>c « erant tune verba Pharaonis , et nunc amici ejus loquantur. » Est enira contra Christi praeceptum : dicitur cnim Jlatthaii i.x , quod oblati sunt ei parvuli , ut manus eis impoiierct et oraret, disci-
D'ENTRER JEUNE DANS LÉTxVT RELIGIEUX 239
En faisant ce reproche à ses disciples, le Seigneur mon- trait quel est son désir et que s'il lui plaît de se voir entouré de tendres enfants et de les bénir, il lui est bien plus agréable encore de voir de jeunes adolescents s'offrir à lui pour marcher à sa suite. D'ailleurs, à qui adresse-t-il, en son Evangile, l'invitation de vendre ses biens, de les don- ner aux pauvres et de venir à sa suite? A un jeune adoles- cent, comme l'indique la parole du texte grec ^ f.sxvla^A.os, {adolescentulus). A qui, parmi ses disciples, accorda-t-il le privilège d'un plus tendre amour? A qui fit»il part de ses plus intimes secrets ? Au plus jeune d'entre eux, à celui qui s'était attaché à lui avant d'avoir fait l'expérience de la ma- lice du siècle.
Il est avantageux à l'homme, dit le Seigneur, de porter le joug dès son enfance 2. Saint Thomas^ et d'autres inter- prètes appliquent ces paroles à celui quisesoumetaujougdc la vie religieuse dès son adolescence. L'autear sacré, disent- ils, le fait assez entendre en ajoutant qu'il s'assiéra dans la solitude et le silence et qu'il s'élèvera au-dessus de lui-mê- me ''•, c'est-à-dire que , séparé dès cet âge du tumulte du monde et des sociétés mondaines, il s'élèvera facilement au- dessus de ses inclinations naturelles pour vaquer aux choses divines et imiter la vie des anges. Saint Thomas
puli uiitem incrcpahant cos. Jcsus autcm ail eis : Slnite parvulos^ et nolite prohibcrc cos vcnirc ad me. (S. Thoni., in Quodlibcto m, a. 11. — Voyez aussi Quodlibet. iv, a. 23.)
i Malth., XIX; Luc, xvm.
2 Eonum est \iro; cum portavcrit jiiijum ab adolescenlia su;':. (r/t?-en., III, 27.)
^ Contra Relrah. ab iiigr. relig., c. m.
* Sedebit solitarius ettacebit : quia levavit supra se. [Thren,, m, 28 .)
240 S'IL EST PERMIS ET S'IL CONVIENT
confirme sa pensée par le témoignage- de saint Anselme ^ : celui-ci compare aux. anges restés fidèles ceux qui sont élevés dès leur jeune âge dans la vie religieuse ; il com- pare aux hommes mûrs ceux qui abandonnent le monde après Y avoir vécu.
L'histoire de l'Église nous offre de nombreux exemples déjeunes adolescents fuyant le monde, pour se consacrera Dieu dans l'état religieux. A l'âge de quinze ans, saintPaul, le premier ermite, saint Antoine et saint Hilarion distri- buent leurs biens aux pauvres et se retirent au désert. Saint Jean Calybite et saint Thomas d'Aquin avaient quatorze ans quand ils s'enfuirent de la maison paternelle })our se consacrer à Dieu dans le cloître. C'est à treize ans que saint Siniéon Slylite, saint François de Paule et saint Antonin quit- tèrent le monde pour embrasser l'état religieux. Dès l'âge de sept ans, le vénérable Bède fut élevé dans un monastère. Saint Placide et beaucoup d'autres, du temps de saint Benoît, furent confiés dès l'enfance à des monastères, où ils se consacrèrent au Seigneur. On compte par milliers ceux qui, dès l'enfance, furent ainsi initiés à la vie religieuse. Le savant Thomassin a prouvé avec autant de clarté que de science que la virginité pouvait être professée dans l'Église primitive dès l'âge de douze ans 2.
Rien de plus conforme à la raison et à la foi qu'une telle conduite ; car, puisqu'on embrassant la vie religieuse, on
^ Lib. de Si77iillt., c. Lxxviii.
^ Vêtus et nova Ecclesiœ Disciplina, circa Bénéficia , p. I, 1. III. — On a trouvé récemment aux Catacombes, dans le cimetière de Callixte, une inscription indiquant, avec la mort d'une jeune vierge, sa consécration au Seigneur à l'âge de douze ans. (Le cardinal Wiseman , Fabiola, part; II, xi.
D'ENTRER JEUNE DANS L'ÉTAT RELIGIEUX 241
s'offre soi-même à Dieu en sacrifice, n'est-il pas souverai- nement convenable que la victime qui lui est offerte soit saine, intègre et sans souillure? Dès que le Seigneur de- mande cette victime, ne faut- il pas la lui offrir sans atten- dre que le temps lui apporte des taches et des rides et ne la rende moins agréable à ses yeux ?
« Et puis, observe saint Jean Chrysostome ^, celui qui s'adonne tard à l'étude de cette divine sagesse consume le reste de ses jours à pleurer les péchés de sa vie passée, il y met toute son application, souvent il n'a pas même assez de temps à y consacrer, il quitte cette terre, emportant avec lui les restes des ses plaies. Pour celui qui s'est retiré du monde dès le premier âge, il n'a pas à employer son temps à pleurer ses fautes ni à guérir ses blessures ; mais dès l'entrée il reçoit des couronnes. Le premier a assez à faire de réparer ses pertes ; le second, dès le commencement de sa course, érige des trophées et ajoute victoire à victoire ; tel le vainqueur des combats olympiques, après avoir mar- ché de triomphe en triomphe depuis le premier âge jusqu'à la vieillesse, meurt enfin la tète chargée de lauriers, »
D'ailleurs, c'est dans la première adolescence que l'on est le plus propre à recevoir la f'ormalion religieuse ] l'heure des grandes et ardentes passions n'a pas encore sonné ; on a encore toute sa première ferveur, une grande con- fiance, de la générosité ; l'esprit n'est point faussé par des doctrines perverses, ni le cœur endurci par de mauvaises habitudes ou impliqué dans l'amour des choses créées ; l'âme est mieux disposée à recevoir les idées, les tendances, les formes de la religion ; elle a, du reste, assez de connais-
^ Adoars. Oppugnat. vitœ mon., 1. lil, il. iS.
VOCATION. 14
S-iS S'IL EST PERMIS ET S'IL CONVIENT
sance, elle est assez maîtresse d'elle-même pour pouvoir s'engager par de perpétuels liens à cette vie nouvelle.
« Ainsi nous voyons, ajoute Lessius, auquel nous avons emprunté plusieurs de ces considérations ', que chez tous les peuples on apprend à cet âge aux enfants les arts qu'ils doivent exercer toute leur vie ; on les y applique dès qu'ils en sont capables, afin de les y rendre habiles ; ils y réussi- raient moins, s'ils commençaient plus tard. Est-ce parce que l'art de l'abnégation religieuse est plus important et plus difficile, qu'il conviendrait de commencer plus tard à s'y exercer ? »
« La cire, observe saint Anselme '\ destinée à recevoir l'impression du sceau, ne doit pas être trop molle et à l'état liquide, elle ne doit point non plus avoir la dureté de la pierre; mais elle doit tenir le milieu entre ces deux extrê- mes. Ainsi en est-il des hommes ; dans un cage trop tendre ils seraient impropres à recevoir la forme religieuse et le sceau de la perfection : ils ne pourraient conserver les im- pressions qu'on leur donnerait ; à un âge trop avancé, ils les recevraient difficilement ; de plus ni les enfants, ni les vieil- lards n'auraient les forces suffisantes au joug de la vie religieuse. Voilà pourquoi, dans la plupart des ordres religieux, on n'admet point à la probation avant l'âge de puberté ni après l'âge de soixante ans. »
« On dit, observe saint Ambroise '^, qu'il faut donner le voile aux viersjes dans un âee avancé. Je l'avoue, c'est le
* Lessius, de Statu vitœ deligouîo, q. 2.
- Lib. de Similit., c. CLXxv, cité par le P. L. Dupont, dans la Perfection chrcilenne , t. III, tr. IV, c. ii, §1.
^ Lib. de Virginitate, c. vu, n. 39, 40, 41 j cdit Migne, t. III, p. 276.
D'ENTRER JEUKE DANS L'ÉTAT RELIGIEUX 243
devoir du ministère sacerdotal de ne pas le donner témérai- rement. Oui, sans doute, que le prêtre considèrel'âge, mais l'âge de la foi et de la pudeur, qu'il regarde la maturité de la modestie, qu'il examine la gravité et la vieillesse des mœurs, qu'il compte les années de l'innocence et mesure l'amour de la chasteté ; qu'il s'informe entin si la vierge qui se présente a été protégée par la vigilance d'une mère, si une prudente réserve a présidé à ses relations. Quand ces qualités ne font point défaut à une vierge, elles compensent la maturité de l'âge; viennent-elles à manquer, la jeune fille doit attendre : elle est plus jeune par les mœurs que par les années.
« On ne rejette point un âge trop tendre, on recherche les qualités de l'âme. La vertu, et non les années, rendit témoignage en faveur de Thôcla. Mais pourquoi m'étendre davantage sur ce sujet ! Tout âge propre à l'amour divin n'est-il pas mûr pour le Christ? Ce n'est point la vertu qui est l'accessoire de l'âge, mais l'âge qui l'est de la vertu. Ne croyez pas la profession religieuse incompatible avec l'adolescence; puisque vous voyez l'enfance même souffrir le martyre. N'est -il pas écrit : « Par la bouche des enfants et de ceux « qui sont k la mamelle vous avez rendu votre louange par- ce faite '.» Pouvons-nous douter que l'adolescence ne puisse suivre Jésus dans la continence quand l'enfance l'accom- pagne à la mort ? Pourquoi s'étonner de voir de jeunes filles nubiles marcher après lui pour régneraveclui, quand de petits enfants le suivent jusqu'au désert 2. »
« Gardez-vous donc d'éloigner de Jésus-Christ les
*Ex ore infantiura et lactentium perfecisti laudem. fP$. viii, 0.) -Matth.,xiv,21.
244 INJUSTICE DES PARENTS QUI S'OPPOSENT
enfants ; car eux aussi ont souffert la mort pour le nom de Jésus : C'est à eux qu'appartient le royaume des cieux *. Le Seigneur les appelle, et vous les empêchez d'aller à lui? C'est d'eux que Jésus a dit : Laissez-les venir àmoi : Sinite cos venireadme. N'éloignez point de lui les jeunes vierges. C'est d'elles qu'il est écrit : Les jeunes vierges vous ont aimé '^ et elles vous ont introduit dans la maison de leur mère 3. »
CHAPITRE Y
Injustice des parents qui s'opposent à la Vocation religieuse de leurs enfants
Nous l'avons vu au chapitre précédent, on ne i)eut sans injustice empêcher les adolescents de répondre à l'appel du Seigneur. Ce serait attenter à un de leurs droits les plus sacrés.
« Les parents qui, sans une cause juste et évidente, dé- tournent leurs enfants de l'état religieux, soit par des moyens coupables, soit par de simples prières ou pro- messes, ou de quelque autre manière que ce soit, offensent gravement le Seigneur. C'est le sentiment commun des théologiens. Non-seulement les parents, mais tous ceux qui détournent le prochain de la vocation religieuse, pèchent mortellement en agissant ainsi, à cause du grave
1 Matth., XIX, 14. - Cant., I, 2. ^ Cant., VIII, 2.
A LA VOCATION RELIGIEUSE DE LEURS ENFANTS 245
dommage qu'ils lui causent. Les parents font en cela un double péché : l'un contre la charité, l'autre contre la vertu de piété, car cette vertu les oblige à procurer, autant qu'ils le peuvent, le bien spirituel de leurs enfants *. »
L'enseignement des théologiens sur ce point a reçu une nouvelle force des décisions du concile de Trente. Ce saint concile, dans un de ses décrets, frappe d'anathème les clercs ou laïques de tout rang qui forceraient une vierge, une veuve, ou une autre femme, à embrasser la vie reli- gieuse. Il soumet à la même peine tous ceux qui, sans un juste motif, empêcheraient une vierge ou une autre femme de prendre le voile et de faire profession 2. Le concile ne parle pas de ceux qui empêchent les jeunes gens d'exécuter une semblable résolution. Est-ce parce qu'il considère comme moins injuste cette violence commise à leur égard? Nullement, mais c'est que les jeunes gens se laissent d'or- dinaire moins impressionner par les menaces et triomphent plus facilement des obstacles. On serait même plus coupable de s'opposer à la vocation religieuse d'un adolescent qu'à celle d'une jeune fille. La raison en est que le premier trouve dans le monde plus de dangers de se perdre 3.
1 S. Alph. de Ligiiori, Hoino apostol. , Ir. XIII, n. 3o; conf. Lessium, de Stala vitœ delicjendo, q. 8. — L'ignorance ne saurait excuser entièrement les parents qui se rendent coupables de cette injustice; car ils ont l'obligation de s'informer des devoirs que la religion leur impose en cette matière.
2 Simili modo anathemati subjicit eos , qui sanctarum virginum, vel aliarum mulierum voluntatem veli accipiendi, vel voti emittendi, quocumque modo, sine justa causa impediunt. (';Sess. XXV, c. xvni.)
^ Lessius, de Sida vitœ dcUgendo , q. 8. — Saint Thomas s'ex- prime ainsi en termes généraux : « Si quis vellet religionem intrare, et immineret opportunitas temporis, etomnes circumstantiœ conve-
ÛiQ INJUSTICE DES PARENTS QUI S'OPPOSENT
Empêcher ceux que Dieu appelle à son service d'obéir à sa voix, n'est-ce point s'opposer aux desseins de Dieu, détruire la base de l'édifice que lui-même cherche à élever dans les âmes, enlever ou étouffer la semence qu'il a déposée dans un cœur, pousser à la résistance, à la désertion les soldats qu'il enrôle sous son étendard? N'est-ce point conspirer avec Satan pour détruire ou diminuer le règne de Dieu dans les âmes, pour lui ravir la gloire qu'il attend de leur correspondance k ses grâces ?
« Éloigner de la vie religieuse celui que Dieu y invite, c'est s'opposer à Jésus-Christ, c'est l'immoler dans le sein de son frère, dissiper ce qu'il a recueilli, ravir les dons qu'il veut faire à ses soldats, » Ainsi s'exprime saint Jérôme, dans sa lettre à Héliodore ^ , et ailleurs 2 il ne craint pas d'appeler venenata animalia ceux qui tiennent une telle conduite. Saint Jean Chrysostome n'est pas moins expressif.
« Lorsque, dit-il, les Hébreux, de retour de la captivité, voulurent reconstruire le temple de Jérusalem 3 , des hommes cruels et barbares, sans respect pour le Seigneur, auquel le temple avait été élevé, sans pitié pour les longues calamités du peuple juif, et ne redoutant point les châti- ments dont ils étaient menacés, firent par eux-mêmes tous les efforts pour obliger les Hébreux à abandonner leur entreprise. Mais, comme ils ne gagnaient rien, ils écrivi-
nirent, graviter i occaret qui eum ab ingrcssu religionis prohiberet. Unde Dominus in Matth. xxiii, comniinatur Pharisœis qui nec ipsi inlrabant in regnum cœloruni , nec aiios intrare sinebant. » {Qucrd- lib. m, art. 14.)
1 Epist. I, alias xiv, n. 2.
2 Epist. X, alias liv, ad Furiam. ' lEsdr., IV ; Coll. Zachar., xiv.
A LA VOCATION RELIGIEUSE DE LEURS ENFANTS 247
rent à Artaxerxès, roi de Perse. Ils lui faisaient entendre que la ville que les Hébreux se disposaient à reconstruire avec son temple était une cité ' rebelle et séditieuse, aimant les changements et la guerre. Ils le priaient de leur donner h eux-mêmes le pouvoir d'en empêcher la reconstruction. Ce pouvoir leur fut accordé. Ils vin- rent avec un grand nombre de cavaliers attaquer les Hébreux, et ceux-ci durent alors abandonner leur entre- prise. Enflés d'un succès qu'ils auraient dû. pleurer, ces hommes pervers se glorifiaient d'être venus à bout de leurs perfides desseins. Mais leur triomphe eut peu de durée : bientôt ils virent fondre sur eux les plus grands maux. La construction du temple fut reprise et glorieuse- ment achevée. Ils apprirent alors, et tout le monde sut, que ce n'est point aux hommes qu'on fait la guerre quand on s'oppose à ceux qui s'adonnent à la pratique de la vertu : mais c'est contre Dieu même que l'on combat, contre Dieu qu'honore cette entreprise. Or quiconque s'at- taque à Dieu ne peut espérer un heureux succès de son audace. Peut-être ne sera-t-il pas puni dès le commence- ment de sa mauvaise action, parce que Dieu l'attendra Ci pénitence et lui accordera, pour ainsi dire, le temps de sortir de son ivresse; mais, en persévérant dans sa folie, il ne retirera aucun fruit de la clémence et de la bonté divines, et son châtiment viendra enfin servir de leçon aux autres. Il leur apprendra h ne point faire la guerre à Dieu, dont nul ne peut éviter l'invincible bras ^ .
« Or, si ces hommes méchants attaquèrent Dieu même on empêchant la reconstruction de son temple, ceux-là le
^ s. Joann. Clirys., Adv. Oppvguat. vitœ mon., 1. 1, n. 1.
24-8 INJUSTICE DES PAREM'S QUI S'OPPOSENT
font avec encore plus d'impiété, qui détournent les fidèles d'embrasser la vie religieuse. Carie temple spirituel dont ils empêchent la construction est beaucoup plus honorable et plus saint que l'ancien temple de Jérusalem. Leur entre- prise est plus criminelle; car par quels motifs et pour quelle tin lancent-ils ainsi leurs pierres et leurs traits vers le ciel ? Pourquoi déclarent-ils la guerre au Dieu de paix ? Les ennemis de Jérusalem et de son temple étaient des hommes barbares, étrangers à la nation et aux mœurs des Hébreux ; ils craignaient de voir se multiplier des voisins redoutables et leurs forces croissantes donner de l'ombrage îi leur propre puissance. Mais en est-il de même des ennemis de la vie rehgieuse ? Qu'ont-ils à craindre pour leur liberté et pour leur licence, si les âmes se consacrent au Seigneur ? Et de quels princes ont-ils obtenu l'appui ? Je le dis avec stupeur, de telles injustices se commettent impunément, au sein de nos villes, sous des empereurs chrétiens. Mais il y a plus encore : ceux qui agissent ainsi veulent passer pour des hommes religieux et pieux. Ils se disent chrétiens, ils ont même reçu l'initiation aux divins mystères, et ils se scandalisent de voir, disent-ils, des hommes libres, nobles, pouvant mener dans le monde une vie heureuse, s'engager dans cette carrière. En appre- nant ces choses, j'ai été saisi d'une vive douleur, et, dans la prévision des maux qui devaient s'ensuivre, je pleurais sur le monde entier, j'adressais à Dieu ces paroles : « Enle- « vez, Seigneur, mon âme de mon corps, arrachez-moi à « mes infortunes, délivrez-moi de .cette vie périssable, « transportez-moi dans un lieu où je ne puisse rien appren- « dre de semblable. Je sais qu'au sortir de ce monde on (c trouve les ténèbres extérieures, où il y a les pleurs et les
A LA VOCATION RELIGIEUSE DE LEURS ENFANTS 249
« grincemmts de dents ; mais il me sera moins désagréable « d'enteïidre les grincements de dents que les discours de (( ces hommes méchants '. »
Après avoir montré que la vie religieuse offre aux hommes une voie plus facile et plus sûre pour arriver au ciel, saint Jean Chrysostome s'élève avec force contre les parents qui empêchent leurs enfants de suivre cette voie. « Ils ont fait, dit-il, l'expérience de toutes les variétés du siècle, ils ont appris par le fait même combien sont froides les voluptés de la terre, et ils sont insensés au point de vouloir y entraîner les autres, quand ils ne peuvent plus en jouir eux-mêmes : ils devraient s'estimer malheureux de leur conduite passée ; au contraire, d(^à aux portes de la mort, sur le seuil du tribunal suprême, à la veille de subir les peines qu'ils ont méritées, ils cherchent à y précipiter les autres. Quelle sera leur excuse? Quel pardon peuvent- ils attendre? Ils devront subir, non-seulement les châti- ments dus à leurs propres péchés , mais encore ceux auxquels, par leurs perfides conseils, ils ont exposé leurs enfants 2.,..
« Ils peuvent tromper les hommes, mais ils ne sauraient tromper le Dieu qui scrute les cœurs, qui fait tout au grand jour; il leur demandera compte du salut de leurs enfants, il les punira dans sa juste colère ,soit qu'ils par- viennent à les entraîner dans le tourbillon du siècle, soit que leurs enfants, résistant à d'injustes violences, se retirent sur la sainte montagne. Si un homme exhorte son prochain à l'amour de la sagesse, qu'il réussisse ou non à le per-
' S. Joann. Chrys., Adv. Oppugnat. vitœmon., I. I, n. 2. '' Ihid., l.III, n. lu.
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Suite du même sujet
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' Episl. vil (alias cvn), ad Lœlani, n. ô".
250 INJUSTICE DES PARENTS QUI S'OPPOSENT
suacler, sa récompense est assurée. De même, quand on cherche à perdre quelqu'un, qu'on y parvienne ou non, on mérite le même châtiment, car on lui a fait tout le mal qu'on pouvait. Ainsi donc, lors même que vous ne parvien- driez point à ruiner dans l'esprit de vos enfants leurs géné- reux desseins, vous ne serez pas- moins punis que si vous aviez réussi dans vos efforts "• . »
Les saints docteurs insistent avec force sur l'injustice des parents qui s'opposent à la vocation religieuse de leurs enfants. Ils ont pour ces parents aveugles et coupa- bles des paroles sévères, d'effrayantes menaces 2. «Ah! que de malheureux parents, s'écrie saint Alphonse de Liguori ^, seront condamnés dans la vallée de Josaphat, pour avoir fait perdre la grâce de la vocation à leurs enfants ou à leurs neveux ! que de malheureux enfants seront également réprouvés , pour avoir manqué leur vocation et leur salut, en voulant contenter leurs parents et leur rester attachés ! » Puissent ces avertissements salu- taires ouvrir les yeux à tant de pères et de mères aveugles, qui ne craignent pas de se rendre coupables de cette injustice, et de travailler ainsi à la perte de ceux dont ils devraient procurer le salut.
1 s. Joann. Chrys., Advers. Oppugnat. vitœ mon., 1. III, n. 21.
- On verra ci-après, au chapitre vu de ce livre, la lettre cfiie S. Bernard écrivait, au nom de l'un de ses religieux, h des parents ainsi aveuglés.
^Avis sur la vocation religieuse , §3.
A L\ VOCATIO.W IlELIGIELSE DE LEURS ENFANTS 2S1
CHAPITRE YI
Suite du même sujet
L'injuste opposition des parents à la vocation de leurs enfants déplaît tellement à Dieu, qu'ill'a souvent punie dès cette vie par des châtiments sévères. Saint Jérôme en ra- conte un exemple. Ecrivant à une mère chrétienne ^ sur l'éducation de sa fille, que son aïeule avait destinée à Jésus- Christ, il lui recommande de lui donner des habits, une parure en harmonie avec ses engagements futurs ; il lui dit de ne point percer ses oreilles, de ne pas peindre avec la céruse ou le vermillon une face consacrée à Jésus-Christ, de s'abstenir de charger son cou et sa tète d'or et de pier- reries, de teindre sa chevelure et de la vouer ainsi auxfeux de la Géhenne. Après ces recommandations sur le soin d'une enfant qui n'avait pas encore choisi elle-même la vie religieuse, il ajoute :
« Une femme de grande noblesse avait, pour obéir à son mari, oncle d'Eustochium, changé tous les vêtements et tout l'extérieurde cettemodeste vierge. Elle avait donné à sa chevelure, jusqu'alors néghgée, une forme mondaine. Elle voulait à la fois triompher et de la résolution prise par la vierge généreuse et des désirs de sa pieuse mère. Mais voici que, la nuit suivante, elle voit en songe venir à elle un ange, qui, d'une voix menaçante, lui adresse ces paroles sévères : « As-tu donc osé préférer à Jésus-Christ la « volonté d'un homme, et toucher de tes mains sacrilèges
^ Epist. vu (alias cvii), ad Lœtam, n. Lî.
2o-2 INJUSTICE DES PAREXTS QUI S'OPPOSENT
« la tête d'une vierge du Seigneur? Ces mains coupables « vont se dessécher. Puisse ce châtiment te faire compren- « dre ton crime ! Et après cinq mois, tu descendras dans le « tombeau. Mais, si tu persévères dans ton péché , tu « perdras ton mari et tes enfants. » Tout s'est accompli à la lettre : une prompte mort mit le sceau à la pénitence tardive de cette malheureuse. C'est ainsi que Dieu se venge des violateurs de ses temples vivants. »
Ah ! combien les jugements de Dieu sont différents de ceux du monde! Là où celui-ci ne voit rien à reprendre, et trouve une conduite fort excusable, Dieu voit des crimes dignes des plus grands châtiments et la cause de la ruine entière des familles.
Voici un autre exemple non moins frappant, rapporté par saint Ambroise '. « Une jeune tille quenous avons con- nue, distinguée naguère dans le siècle par sa noblesse, mais plus noble^maintenant devant Dieu, se voyait pressée par ses parents et ses proches de s'engager dans le mariage : pour échapper à leurs instances, elle se réfugia auprès des saints autels. Où une vierge pouvait-elle chercher un meil- leur asile que vers le sanctuaire de la virginité ? Mais ce ne fut point là le dernier trait de son courage. Elle se tenait près de l'autel comme une hostie de la pudeur, une victime de la chasteté. On la voyait tantôt placer sur elle- même la droite du prêtre et demander des prières, tantôt impatiente du relard mis à ses vœux, mettre sa tète sous le saint autel. « Quel voile, disait-elle, peut mieux me cou- « vrir que l'autel qui sanctifie les voiles ? Il me plaît plus « que tous les autres, ce voile virginal, sur lequel le chef
'i,. I de Virc/inibiis, u. OiJ.
A LA VOCATION RELIGIEUSE DE LEURS ENFANTS 2o3
" des chrétiens, Jésus-Christ, est chaque jour consacré. « Que faites-vous, ô mes parents? Pourquoi me solliciter « à d'autres noces? En voici qui me sont préparées ; vous « m'offrez un époux? J'en ai trouvé un meilleur. Vous me « vantez ses richesses, sa noblesse, sa puissance? Personne «( ne peut être comparé à celui que j'ai trouvé ; riche, il « possède le monde ; puissant et noble, il a l'empire sur « toute créature, le ciel lui appartient. Si vous en avez un « semblable à m'ofïrir, je ne refuse pas de choisir entre eux ; « si vous ne le trouvez pas, ce n'est plus l'amour, mais <' l'envie qui vous presse. »
« Ainsi parla cette courageuse vierge, tous gardant le si- lence ; un seul lui répondit brusquement. « Crois-tu donc c< que, si ton père vivait encore, il te permettrait de rester « ainsi sans époux? — Peut-être, répliqua-t-elle avec a plus de religion et de piété, est-il mort afin qu'il ne pût « mettre obstacle à mon dessein. » Celui auquel elle s'adres- sait, frappé lui-même d'une mort soudaine, montra par ce prompt châtiment que la réi)onse de la vierge était pour lui une prédiction. Les autres, craignant pour eux-mêmes un pareil sort, commencèrent dès lors à favoriser le pro- jet auquel ils s'étaient opposés jusque-là. »
Ce récit du saint docteur nous indique, à la fois, avec quelle constance il faut, pour accomplir les desseins de Dieu, résister aux sollicitations de la chair et du sang, et comiTient il convient de répondre aux vaines raisons des parents et des proches. Il nous apprend aussi que parfois les paren'.s sont enlevés par une mort prématurée afin qu'ils ne mettent point obstacle à la vocation de leurs enfants, et que tous ceux qui cherchent à s'y opposer doi- vent s'atteîidre à être punis de Dieu.
VOCATION. 16
2b4. mjusTrcE des parents qui s'opposent
Mais par quels motifs ces parents aveugles pourront-ils justifier leur coupable conduite ?
Diront-ils qu'il leur était trop pénible de se séparer de leur enfant ? Dieu leur répondra qu'ils n'ont point hésité à s'en séparer, à le laisser courir après la fortune et la gloire, et s'exposer, dans de lointaines et aventureuses expéditions, à la recherche de biens incertains et périssa- bles. Dieu leur répondra qu'il n'a point hésité lui-même à donner, à sacrifier pour eux son Fils unique, l'objet de ses divines complaisances, à le livrer aux ignominies et aux tourments de la croix. Il leur dira que, si un prince de la terre leur avait demandé leur fils afin de l'élever à quelque haute dignité de son palais, ou leur fille dans le dessein d'en faire son épouse, ils auraient accepté son offre comme une insigne faveur, quand même il eût fallu s'en séparer pour toujours. Il leur rappellera qu'en lui donnant leurs enfants, ils n'auraient fait que lui rendre ce qui lui apparte- nait. Il pouvait les leur reprendre par la mort ; il les rede- mandait par la vocation rehgieuse. Auraient-ils murmuré si la mort les leur eût ravi ? par quels motifs le ferait-il alors qu'ils les sauraient en vie, heureux et honorés dans sa maison ?
Mais, ajouteront-ils peut-être, ce n'est point notre intérêt qui nous fait agir ainsi, c'est leur propre bien spirituel, le salut de leur âme ; nous craignons qu'ils ne persévèrent pas dans une entreprise aussi difficile. Ne vaut-il pas mieux ne pas mettre la main à l'œuvre que de l'abandonner ensuite et retourner en arrière ? « Vaine excuse, répond saint Jean Chrysoslome '; car
* Advers. oppugnat, vitœ mon,, 1. Ilf j n. 21.
A !>A YOCAIION RELIGIEUSE DE LEURS ENFAîSTS 25iJ
lors même que vos prévisions seraient certaines, ce qui n'est point, vous ne devriez point vous opposera la vocation de vos enfants. Voici un homme sur le point de tomber, si au lieu de lui donner appui, vous précipitez sa chute, serez-vous excusables? N'en serez-vous pas, au contraire, plus criminels? Pourquoi, en effet, ne le laissez-vous pas tomber par sa propre lâcheté ? En précipitant sa chute, vous faites peser sur votre tète le poids de son péché. Que dis-je? Il fallait ne point permettre que ce malheur lui arrivât ; il fallait mettre tout en œuvre, afin de préserver votre enfant de cette chute. Vous saviez, dites-vous, qu'il devait se perdre? Vous n'en êtes que plus coupables. Quand on voit quelqu'un sur le point de tomber, il faut, non le précipiter, mais lui tendre la main, l'aider du mieux possible à se tenir ferme, qu'on doive ou non réussir. Nous devons faire nous-mêmes tout ce qui est de notre devoir, quels que soient les avantages que les autres en retirent. Pour- quoi ? Afin de n'avoir pas à rendre compte à Dieu pour eux.
« En présence de tous ces motifs, laissez donc toute contestation, devenez de dignes pères d'enfants généreux, travaillez à l'édification de ces temples du Christ, fortifiez ces céleste athlètes, oignez leurs membres pour la lutte, excitez leur courage, aidez-les de toute manière dans leur sainte entreprise, afin d'avoir part à leur couronne. Si vous mettez obstacle à leurs desseins, et qu'ils persévèrent avec constance, ils arriveront à la possession delà sagesse, à la jouissance de tous les biens ; pour vous, vous aurez amassé sur votre tête un poids immense de vengeance : alors vous reconnaîtrez la vérité de nos paroles, mais il ne sera plus temps d'en profiter. »
256 IMUSXrCE DES PARENTS QUf S'OPPOSENT
Parents chrétiens, pensez donc qu'il ne peut rien y avoir de plus avantageux à vos enfants que de vivre loin des dangers du siècle, à l'abri des orages, dans le port de la religion, de marcher sur les traces de Jésus-Christ et des saints. Pouvez-vous leur laisser un meilleur héritage, un plus précieux trésor, que le mépris du monde,, l'amour de la piété, le zèle de la perfection? Ne sont-ce point là les richesses véritables qui se conservent en cette vie et en l'autre, et procurent l'éternel bonheur à celui qui les possède? Songez à quel péril vous vous exposez en résistant à Dieu, en contrariant ses desseins, en éteignant la flamn.e divine que lui-même allume dans les âmes.
Rappelez-vous les exemples des saints : Abraham se disposant à immoler de sa main son fds unique ; la mère de Samuel offrant elle-même son premier-né au Seigneur; la mère des Machabées exhortant ses sept fils à souffrir la mort pour l'observation de la loi; et cette noble dame ro- maine,Paule ^, qui, conduisant au cloître sa fille Eustochiuni et sa nièce encore enfant, invitait tous ses proches à se retirer du siècle et à se consacrer au Seigneur. Consultez votre foi, interrogez, non la chair et le sang aux trompeurs oracles, mais les entrailles de votre maternité chrétienne, le cœur que, dans le divin sacrement, vous avez reçu de votre Père céleste ; vous y trouverez des sentiments dignes de votre spirituelle naissance et à la hauteur de vos croyances ; vous y trouverez ces paroles, ces accents d'une mère vraiment chrétienne répondant à son fils qui lui avait annoncé sa détermination de se consacrer à Dieu dans la Compagnie de Jésus :
* S. liieron., in illius epitaphio.
A LA VOCATION RELIGIEUSE DE LEURS ENFANTS 2:J7
a Mon enfant bien-aimé , a Gloire à Dieu, béni soit le Seigneur ! Mon Dieu, mon Dieu, que vous êtes bon ! Comment veux-tu, mon enfant, monL..., chéri, que je puisse t'exprimer tout ce que je sens, tout ce cpe j'éprouve; mon cœur bat, ma main tremble, je pleure, j'embrasse ma sainte Vierge, je dis à Dieu ma joie, ma reconnaissance, j'ai l'air d'une folle; ainsi mes vœux sont exaucés ; te voilà à l'abri, l'enfant gâté, le bien-aimé du Seigneur, choisi entre beaucoup pour être son fidèle serviteur, son apôtre, le dépositaire de sa puissance ! Mon Dieu ! comment pouvez-vous m'accorder une pareille faveur?! Une misérable créature comme moi être la mère d'un fils de saint Ignace! Mon Dieu ! je vous remercie, je vous remercierai tous les jours de ma vie et pendant toute l'éternité.
« Mon L..., j'aurais des volumes à t'écrire pour faire passer dans ton âme tout ce que je sens, tout ce que j'ad- mire de la manière dont Dieu t'a conduit, a dirigé les événements, pour te garder pour lui. Aujourd'hui, il faut que je refoule tout cela. Je n'ai que quelques instants pour que ma lettre parte tout de suite et te porte les premières
impressions démon cœur Ne crois pas, mon L..., que
moi, ta mère, si heureuse de ta détermination, je n'aie pas à payer mon tribut du côté delà nature; mais là encoreje trouve de la joie, parce que je donne à Dieu un être que j'aime bien tendrement ; je me prive avec bonheur des joies, des consolations dont il aurait pu m'entourer; et plus mon sacrifice est grand, plus je suis heureuse de le faire.
« Je suis forcée dem'arrêter. J'attends ta lettre. Je t'aime plus que je ne t'ai jamais aimé, dans les saints Cœurs de Jésus et de Marie, « Ta mère. »
2o8 INJUSTICE DES PAr,E>'TS QUI S'OPPOSENT
Que si vous éprouvez les résistances de votre tendresse maternelle, si votre cœur vous semble trop faible pour un tel sacrifice, imitez, autant que vous le pourrez, l'exemple d'une noble dame allemande, veuve du comte de Kolowrat, habile général des armées impériales. Son fils unique, Vinceslas, avait conçu, dès l'enfance, le désir d'embrasser l'état religieux. Elle-même et son vertueux mari avaient favorisé de tout leur pouvoir les élans de ce jeune cœur vers la vie parfaite. Le général se plaisait à exciter lui- même en son jeune fils l'amour du sacrifice et la fermeté des résolutions généreuses. C'est dans ce dessein qu'il appuya un jour un pistolet sur sa petite poitrine, lui deman- dant, avec de feintes menaces, s'il voulait toujours être reli- gieux. L'enfant, à peine âgé de trois ans, répondit hardi- ment : Oui, je le veux. Lorsqu'après la mort de son père, le jeune Vinceslas déclara à sa mère que le moment était venu d'exécuter son dessein, celle-ci, malgré sa grande piété, sentit son cœur profondément ému ; de violents combats s'élevèrent dans son âme. Que fera-t-elle ? Sa foi la soutient et l'inspire ; elle songe au moyen de vaincre sa tendresse, et mettant aussitôt la main à l'œuvre, elle se rend, pieds nus, en pèlerinage à la célèbre église de Notre-Dame de Boleslaw, â trois lieues des frontières d'Allemagne. Là, elle fait célébrer plusieurs messes à son intention, elle communie avec ferveur, elle supplie la ti^ès-sainte Vierge de lui ins- pirer ce qui convient le mieux à son fils. Bientôt elle se sent intérieurement fortifiée et encouragée au sacrifice que Dieu lui demande ; elle se décide à laisser à son fils toute liberté de suivre sa vocation. De retour chez elle, elle se hâta d'accomplir sa résolution, et le jeune Vinceslas, avec la permission de l'empereur Ferdinand III, quitta le château
A LA VOCATION RELIGIEUSE DE LEURS ENFANTS 2b'9
de ses pères, et entra au noviciat de Brunn, le 22 octo- bre 1650. Sa courageuse mère l'accompagna pendant une partie de la route. Sur le point de lui dire adieu, elle lui présenta un anneau précieux, gage de l'alliance que l'âme de son fils allait contracter avec Jésus-Christ ; elle le féli- cita des joies qu'il devait éprouver dans le paradis de la religion. Enfin, elle lui donne sa bénédiction, elle prie Dieu de lui accorder la grâce de la persévérance, et ajoute que si jamais il devenait inconstant, elle renonçait à l'appeler son fils. Vinceslas profita des leçons de sa mère; il vécut dans une parfaite observance des règles de son ordre, et y mourut revêtu du caractère sacerdotal avec une grande réputation de vertu i.
« Elles sont si élevées, observe saint Basile 2, les récom- penses de ceux qui auront suivi la milice du Christ, que les pères et les mères doivent souffrir volontiers d'y voir accourir leurs fils et leurs filles. Ils devraient être heureux de les y conduire eux-mêmes, se réjouir des biens éternels qu'ils doivent partager avec eux, être bien aises d'avoir dans leurs enfants des protecteurs auprès de Dieu. Ah! prenons garde, fidèles, d'avoir pour ces enfants un cœur resserré, un amour mal entendu. Serions-nous effrayés des travaux auxquels nous les voyons s'engager? Réjouissons-nous plutôt de les voir acquérir une si belle couronne. Offrons à Dieu ce que nous avons reçu de lai, afin d'entrer en participation de la gloire réservée à nos fils, offrons-nous nous-mêmes avec eux. Car c'est à ceux qui montrent cette générosité envers le Seigneur, et qui persévèrent en ces
^ P. Ant. Natale, le Paradis sur la terre, c. viii. ^ Exhort. ad Parentes, cité par Lessius, de Statu vitœ deli- gendo, q. 8 , n. 106.
260 L'ENFANT EN PRÉSENCE
dispositions, que conviennent ces paroles du Psalmiste . « Vous êtes bénis du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ; « Benedicti vos a Domino , quifecit cœliimet terram '. »
La grâce de la vocation, en effet, n'est pas seulement une faveur insigne offerte aux enfants ; elle est encore pour les parents, pour la famille entière, une source de béné- dictions. L'histoire de l'Église en fait foi, et l'expérience de chaque jour le confirme. Dieu ne se laisse pas vaincre en générosité ; il se plaît à combler de biens et de grâces même temporelles les parents fidèles à lui offrir les sacrifices qu'il leur demandé. Ainsi il a béni Abraham en multipliant sa race; Anne, mère de Samuel, en réjouissant sa vieillesse; ainsi il vous bénira vous-mêmes, pères et mères qui lisez ces lignes, si vous ne mettez point d'obstacles à la vocation de vos enfants ; si, parents vraiment chrétiens, vous leur donnez vous-mêmes l'exemple d'une parfaite soumission aux ordres de Dieu, en leur déclarant à l'avance l'intention '. où vous êtes de ne point vous opposer à leur bonheur, de leur laisser, comme vous le devez, toute liberté de suivre leur vocation et de se consacrer au Seigneur.
CHAPITRE YII
L'Enfant en présence de l'injuste opposition de ses Parents
Ce fut une des erreurs de Luther de prétendre que les ^ enfants pèchent en entrant en religion sans le consente- ment de leurs parents ; il l'appuyait sur ce faux principe
ip*\, cxiii, 15.
DE L'INJUSTE OPPOSITION DES PARENTS 2G1
que les enfants sont obligés d'obéir à leurs parents en toute chose.
« Cette doctrine, répond saint Alphonse de Liguori *, est repoussée par les conciles et par les saints Pères. Le dixième concile de Tolède déclare en termes exprès qu'il est permis aux enfants de se faire religieux sans le con- sentement de leurs parents, dès qu'ils ont atteint l'âge de puberté ^. C'est aussi l'enseignement des théologiens que, dans le choix d'un état, on n'est pas obligé d'obéir à ses parents.
« Saint Thomas enseigne que, lorsqu'il est question de contracter mariage, ou de garder la virginité, ou de prendre quelqu'autre parti semblable, ni les serviteurs envers leurs maîtres, ni les enfants envers leurs parents, ne sont tenus à l'obéissance ^ »
Le seul cas où il ne serait pas permis à un enfant d'a- bandonner ses père et mère pour entr cren religion, c'est celui où ils ne pourraient se passer de son secours : il de- vrait rester dans le siècle, à moins qu'il n'y fût lui-même dans un danger prochain de se perdre *. Les désirs qu'un
* Ams SU1' la vocation religieuse, § 2.
■2 Parentibus filios suos religion! conlradere non amplius quara usque ad decimiim quartum œtatis eoriim anniim licentia poterit esse; postea vei'o, an cum voluntate parentum, an siise devotioni sit soli- tarium votum, erit filiis licituni religionis assiimere cultuni. (C. vi, cité par S. Alph., ibid.)
3 Non tenentur nec servi dominis , nec filii parentibus, obedire de matrimonio contrahendo, vei de virginitate servanda, vel aliquoalio hiijusmodi. (II ii, q. 104, a. 5.)
* Dicunt aliqiii quod si quis habeat patrem indigentem , débet ei dimittere si quid habet ad ejus siistentationem , et sic potest licite religionem intrare , parentum curam Patri cœlesti commiltens, qui ctiam aves pascit. Sed quia lucc opinio niniis videtur aspera , ideo
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262 L'ENFAINT EN PRÉSE:<CE
enfant concevrait alors donnés, non pour qu'il les mît sur-le-champ à exécution, mais afin de le maintenir dans le mépris du monde et de ses plaisirs : ils seraient une semence précieuse qu'il devrait conserver et entretenir avec soin. Dieu communique par- fois de vifs désirs de faire de grands sacrifices, de souffrir le martyre, et il ne donne pas l'occasion de les accomplir. Il en agit ainsi afin de maintenir dans l'âme une certaine disposition de générosité. D'ailleurs, à ses yeux, une vo- lonté bien déterminée tient lieu de l'exécution, quand celle-ci devient impossible '.
Quaîsd l'enfant ne se trouve pas dans ce cas, et qu'il se voit en présence de l'injuste opposition de ses parents, doit-il craindre de leur faire résistance, de les contrister en se montrant fidèle à la voie du Seigneur?
La réponse à cette question, nous la recevrons des doc- teurs de l'Église, de Jésus-Christ lui-même et des exemples des saints. '
« Entendez la proclamation de votre roi, écrivait saint Jérôme à un jeune homme qui, pour plaire à ses .amis et
nieliiis videtur dicendum quod autiste, qui habet propositum intrandi religionem, videt se in seculo non posse vivere sine peecato mortali, vel non de faciii. Si timet sibi periculum peccati mortalis, cum magis teneatur saluti animœ suœ providcre quani corporali necessitati pa- rentum, non tenetur in seculo remanere. Si autem videt se posse in seculo conversari absque peecato, distinguenduni videtur, quia, si sine ejus obsequio parentes nullo modo vivere possunt, sic tenetur eis servire , et alia opéra perfectionis prœtermittere , et peccaret eos dimittens. Si vero sine ejus obsequio possunt aliqualiter sustentari, non autem honorifice, non propter hoc tenetur opéra perfectionis dimittere. (S. Thom., in Quodlib. x, a. 9. — Pour les cas douteux, voyez ce qui a été dit au c. x du 1. II.)
* Voy. le P. L. Dupont, la Perfection cJirét., t. IIÎ, tr. III, c. m.
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DE L'IN'JUSTE OPPOSITION DES PARENTS 263
c\ ses proches, avait quitté la milice religieuse où Dieu l'avait appelé ^: Celui qui n'est point avec moi est contre moi et celui (\ui n'amasse point avec moi dissipe 2. Rap- pelez-vous le jour où vous vous êtes enrôlé sous son étendard, et où, enseveli avec lui dans le baptême, vous vous êtes obligé, par un serment solennel, à ne considérer ni votre père ni votre mère lorsqu'il s'agirait de la gloire de son nom. Voici que votre adversaire s'efforce d'arra- cher Jésus-Christ de votre cœur, l'armée ennemie cherche à vous ravir le don reçu lors de votre enrôlement. Mais, quoique votre petit neveu se suspende à votre cou, que, les cheveux épars et les vêtements déchirés, votre mère vous découvre le sein dont elle vous a nourri, et que votre père se jette à terre sur le seuil de la porte, passez par- dessus votre père, passez par-dessus votre mère, volez les yeux secs sous l'étendard de la Croix. En de semblables
rencontres, la piété consiste à être cruel
« Quels empêchements pouvez-vous alléguer? Je n'ai pas plus que vous un cœur de fer et des entrailles de bronze ; je n'ai point été enfanté par un rocher; je n'ai point sucé le lait des tigresses d'Hyrcanie, et cependant j'ai passé par de semblables difficultés. Je le sais, votre sœur, dans l'affliction de son veuvage, vous tient embrassé pour vous arrêter; les enfants de vos esclaves, élevés avec vous, vous dise;it, les larmes aux yeux : « Vous nous abandon- « nez! A quel maître nous laissez-vous?» La nourrice qui vous portait autrefois dans ses bras et que la vieillesse a courbée, celui qui veillait à votre éducation et vous tient
^ Epist. I, alias xiv, ad Heliodorum. -Luc, XI, 23.
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262 L'ENFAKT EN PRÉSENCE
enfant concevrait alors de la vie religieuse lui seraient donnés, non pour qu'il les mit sur-le-champ à exécution, mais afin de le maintenir dans le mépris du monde et de ses plaisirs : ils seraient une semence précieuse qu'il devrait conserver et entretenir avec soin. Dieu communique par- fois de vifs désirs de faire de grands sacrifices, de souffrir le martyre, et il ne donne pas l'occasion de les accomplir. Il en agit ainsi afin de maintenir dans l'âme une certaine disposition de générosité. D'ailleurs, à ses yeux, une vo- lonté bien déterminée tient lieu de l'exécution, quand celle-ci devient impossible ^
Quaad l'enfant ne se trouve pas dans ce cas, et qu'il se voit en présence de l'injuste opposition de ses parents, doit-il craindre de leur faire résistance, de les contrister en se montrant fidèle à la voie du Seigneur?
La réponse à cette question, nous la recevrons des doc- teurs de l'Église, de Jésus-Christ lui-même et des exemples des saints,
« Entendez la proclamation de votre roi, écrivait saint Jérôme à un jeune homme qui, pour plaire à ses .amis et
melius videtiir dicendum quod aiit iste, qui habet proposiUim intrandi rcligionem, videt se in seciiio non posse vivere sine peccato mortali, vel non de facili. Si timet sibi periculum peccati mortalis, cum magis teneatur saluti animœ sua3 providcre qiiam corporali necessitati pa- rentum, non tenetur in seculo remanere. Si autem videt se posse in seculo conversari absqiie peccato, distinguendiim videtur , quia, si sine ejus obsequio parentes nulio modo vivere possunt, sic tenetur eis servire, et alia opéra perfectionis prœterniittere, et peccaret eos dimittens. Si vero sine ejus obsequio possunt aliqualiter sustentavi, non autem honorifice , non propter hoc tenetur opéra perfectionisj diraittere. (S. Thom., in Quodlib. x, a. 9. — Pour les cas douteux,^ voyez ce qui a été dit au ex du 1. II.)
'■ Voy. le P. L. Dupont, la Perfection chrét., t. III, tr. III, c. iiij
DE L'INJUSTE OPPOSITION DES PARENTS 263
i\ ses proches, avait quitté la milice religieuse où Dieu l'avait appelé ^: Celui qui n'est point avec moi est contre moi et celui qui n'amasse point avec moi dissipe 2. Rap- pelez-vous le jour où vous vous êtes enrôlé sous son étendard, et où, enseveli avec lui dans le baptême, vous vous êtes obligé, par un serment solennel, à ne considérer ni votre père ni votre mère lorsqu'il s'agirait de la gloire de son nom. Voici que votre adversaire s'efforce d'arra- cher Jésus-Christ de votre cœur, l'armée ennemie cherche à vous ravir le don reçu lors de votre enrôlement. Mais, quoique votre petit neveu se suspende à votre cou, que, les cheveux épars et les vêtements déchirés, votre mère vous découvre le sein dont elle vous a nourri, et que votre père se jette à terre sur le seuil de la porte, passez par- dessus votre père, passez par-dessus votre mère, volez les yeux secs sous l'étendard de la Croix. En de semblables
rencontres, la piété consiste à être cruel
« Quels empêchements pouvez-vous alléguer? Je n'ai pas plus que vous un cœur de fer et des entrailles de bronze; je n'ai point été enfanté par un rocher; je n'ai point sucé le lait des tigresses d'Hyrcanie, et cependant j'ai passé par de semblables difficultés. Je le sais, votre sœur, dans l'affliction de son veuvage, vous tient embrassé pour vous arrêter; les enfants de vos esclaves, élevés avec vous, vous disejit, les larmes aux yeux : « Vous nous abandon- « nez! A quel maître nous laissez-vous?» La nourrice qui vous portait autrefois dans ses bras et que la vieillesse a courbée, celui qui veillait h votre éducation et vous tient
* Epist. I , alias xiv , ad Heliodorum. -Luc, XI, 23.
264 L'ENFANT EN PRÉSENCE
lieu de second père, vous disent d'une voix gémissante : « Nous voici sur le bord de la tombe. Attendez un peu, « afin de nous ensevelir. » Votre mère vous montrera son front couvert de rides, et, vous rappelant les premières pa- roles que vous bégayiez sur son sein, elle pleurera et se
lamentera avec eux L'amour de Dieu et la crainte de
l'enfer peuvent aisément rompre tous ces liens.
« Mais la sainte Écriture ne nous commande-t-elle pas d'obéir h nos parents? Oui, mais elle nous apprend aussi que l'on perd son tàme en les aimant plus que Jésus-Christ. L'ennemi tient le glaive pour me tuer et je penserais aux larmes de ma mère ? Le souvenir de mon père me fera-t-il abandonner la milice du Christ? Je ne dois pas même m'arrèter à l'ensevelir, si la cause de Jésus-Christ m'ap- pelle ailleurs, moi qui, pour l'amour du même Sauveur, ne doit refuser la sépulture à personne. »
Ainsi s'exprime saint Jérôme. Saint Augustin propose de semblables motifs à un jeune homme qui avait fait les premiers pas dans la carrière du parfait renoncement, et que les sollicitations de la chair et du sang cherchaient à faire retourner en arrière. « Voici, lui écrivait-il ^, que vous êtes attiré par l'amour de la vérité, par le désir de , connaître, de comprendre la volonté de Dieu, dans les saintes lettres; l'office de la prédication apostolique vous : réclame. Le Seigneur nous invite à veiller au camp, à construire la tour d'où nous puissions voir et repousser l'ennemi du salut. Soldats du Christ, la trompette céleste vous appelle au combat et une mère vous retient! Oh! cette mère n'est point celle des Machabées ; elle ne peut
* Epist. ccxLiii, alias x.xxviii, ad Lœium, n. G, 7, 8, 9, 10.
DE L'INJUSTE OPPOSITION DES PxVRENTS 265
même être comparée à ces mères de Lacédémone, qui exhortaient leurs fils à verser leur sang pour une patrie terrestre, et dont les généreuses paroles leur inspiraient plus d'ardeur pour le combat que la vue des étendards ! Votre môre ne vous permet point de laisser le siècle pour acquérir la véritable vie : elle montre bien par là comment, s'il en était besoin, elle vous laisserait quitter entièrement le monde pour subir la mort?
« Mais que dit-elle? Que peut-elle alléguer? Peut-être ces neuf mois pendant lesquels vous avez chargé son sein ? les douleurs de l'enfantement? les soins de votre éducation? Renversez tous ces obstacles par la parole du salut ; dé- truisez ces digues maternelles afin que vous puissiez la retrouver elle-même dans l'éternelle vie. Voilà, rappelez- vous-le, ce que vous devez haïr en elle, si vous l'aimez vé- ritablement, si vous êtes le disciple du Christ, si vous avez posé les fondements de la tour spirituelle, dans la crainte que les passants ne disent : Cet homme a commencé à bâtir et il n'a pu achever^. C'est une affection charnelle qui vous retient : elle annonce encore le vieil homme. De telles affections, la milice chrétienne nous fait un devoir de les détruire en nous et dans les nôtres ; elle ne nous com- mande point d'être ingrats envers nos parents, ni de rire des bienfaits de la vie et de l'éducation que nous en avons reçus : elle s'allie fort bien avec la piété filiale ; mais les devoirs de celle-ci doivent céder le pas à des devoirs su- périeurs.
« L'Église est notre mère ; celle qui vous retient lui doit elle-même la vie. L'Éghse vous a conçu de Jésus-
^ Luc, XIV, 30.
2G0 L'ENFANT EN PRÉSENCE
Christ; elle vous a enfanté par le sang de ses martyrs, elle vous a fait naître à la lumière éternelle, elle vous a nourri, elle vous nourrit encore du lait de la foi. Mainte- nant, sur toute la terre, cette divine mère est attaquée par mille erreurs diverses; des fils dénaturés ne craignent point de lever contre elle leurs armes sacrilèges. Par la lâcheté et la torpeur de plusieurs qu'elle porte dans son sein, elle gémit de sentir en plus d'un lieu ses membres se refroidir et devenir moins propres à réchauffer ses enfants. A qui peut-elle demander du secours, sinon à ses autres fils, à ses autres membres, dont vous faites vous-même partie? La délaisserez-vous dans ses nécessités pour ac- quiescer à des conseils charnels? Ses plaintes éloquentes ne retentissent-elles pas à vos oreilles? Ne vous montre-t-elle pas et ses entrailles de charité et ses mamelles célestes? Ajoutez à cela que le Verbe, son époux, s'est fait chair, afin de vous délivrer des plaisirs charnels : pour vous en retirer, il vous adresse les mêmes reproches qu'elle; il vous rappelle les outrages de sa Passion, les fouets, la mort et la mort de la croix.
« Conçu de tels parents, fruit d'une telle union, vous languissez, vous vous desséchez dans le vieil homme ! Votre divin Roi n'avait-il pas lui aussi une mère terrestre? Et cependant à ceux qui la lui annonçaient, au moment où il était appliqué aux choses célestes, ne répondit-il pas : Quelle est ma mère, et quels sont mes frères? et, étendant la main vers ses disciples, ne déclara-t-il pas que ceux-là seulement appartiennent h sa famille qui font la volonté de son Père ^?
^Matth., XII, iS, 50.
DE L'm'JUSTE OPPOSITION DES PARENTS 267
« Ces salutaires réflexions seront-elles interrompues par les cris de votre mère, par le souvenir de celle qui vous a porté dans son sein, qui vous a nourri de son lait, qui vous a fait naître d'Eve et d'Adam et rendu l'héritier de leur malheur? Ah! regardez plutôt, regardez le second Adam, le céleste Adam, et portez son image comme vous avez porté celle du terrestre Adam ^. Oui, je le veux, sou- venez-vous des bienfaits de votre mère, de ces bienfaits qu'elle vous énumère pour énerver votre cœur, rappelez- vous-les, ne soyez pas ingrat, rendez-lui bienfaits pour bienfaits, mais des biens spirituels pour des biens char- nels, des biens éternels pour dès biens temporels. Elle ne veut pas vous suivre? Qu'elle ne vous empêche pas d'avan- cer. Elle ne veut pas devenir meilleure? Craignez qu'elle ne vous rende pire et ne vous fasse tomber. Qu'Eve parle par la bouche d'une épouse ou par celle d'une mère, tenez- vous en garde contre elle. Elle vient à vous sous un man- teau de pitié, manteau formé de ces feuilles dont nos pre- miers parents coupables couvrirent leur nudité. Ce qu'elle vous présente dans ses discours et ses conseils comme le bon office de son amour, c'est afin de vous retirer de la pure et sincère charité de l'Évangile : regardez-le comme un fruit de l'astuce du serpent, de la duplicité de ce roi perfide qui vient à nous avec vingt mille combattants et dont nous avons appris à triompher avec dix mille, c'est- iVdire par la simplicité d'un cœur qui ne cherche que Dieu. »
Peut-être le lecteur sera-t-il tenté d'attribuer à une cer- taine austérité de vertu, à une vigueur habituelle d'expres-
*ICor., XV, 47, 49.
268 LF.NFANT EN PRÉSENCE
sion, les enseignements quil vient d'entendre? Qu'il écoute un autre docteur, celui dont les paroles coulent avec la douceur du miel ^. Ce sont les mêmes leçons, la même fermeté de direction. Saint Jérôme s'était adressé à un déserteur de la milice religieuse; saint Augustin, à un jeune aspirant déjà admis aux exercices de la vie ascé- tique. Saint Bernard écrit à un jeune gentilhomme versé dans les lettres humaines 2. Il l'exhorte à quitter le monde, oîi le retenaient ses proches, et ti répondre à la voix de Dieu.
« Je le sais, lui dit-il, c'est l'amour maternel qui vous retient et vous empêche de laisser des biens que vous mé- prisez dans votre cœur. Que vous répondrai-je? d'aban- donner votre mère ? mais cela paraît inhumain ; de rester avec elle ? mais il ne lui est pas avantageux à elle-même d'être la cause de votre perte. Vous dirai-je de combattre à la fois pour le monde et pour Jésus-Christ? mais per- sonne ne peut servir deux maîtres. Choisissez donc vous- même ce que vous voudrez : ou de satisfaire aux désirs de votre mère, ou de pourvoir à la fois à votre salut et au sien. Mais, si vous l'aimez beaucoup, vous préférerez la quitter dans la crainte que si vous abandonnez Jésus- Christ pour rester avec elle, elle ne périsse elle-même h cause de vous. Elle vous a donc fait tort en vous donnant le jour, puisqu'elle va se perdre à votre occasion? Et comment ne se perdrait- elle pas en causant elle-même la perte de son fils? Si je vous parle ainsi, c'est afin de con- descendre en quelque manière à votre amour charnel.
1 s. Bernard a été nommé doctor melU/laus. - Epist. civ , ad GaUcvum.
DE l.'I.NJUSTE OPPOSITION DES PARE^TS 2G9
Mais voici des paroles de vérité dignes de toute votre at- tention : S'il est contraire à la piété filiale de mépriser sa mère, il est glorieux ù Dieu de la quitter pour Jésus- Christ ; car celui qui a dit : Honorez votre père et votre mère ^, a dit aussi : Quico7ique aime so7i père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi 2. »
On a de saint Bernard une autre lettre écrite au nom de l'un de ses novices ^. Il le fait ainsi parler h ses parents, qui s'efforçaient de le ramener dans le siècle : « La seule cause pour laquelle il est permis de ne pas obéir à ses parents, c'est Jésus-Christ. Car il l'a dit lui-même : Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi nest point digne de moi. Si vous m'aimez comme de bons et pieux parents, si vous avez envers votre fils un véritable amour, pourquoi, lorsqu'il veut plaire à Dieu, à notre commun Père, cher- chez-vous à l'en empêcher, à le détourner de son service, à lui ravir la gloire de lui obéir? Je connais en vérité maintenant que les ennemis de l'homme sont les membres de sa famille. Mais en ce point je ne dois pas vous obéir; je trouve en vous, non des parents, mais des ennemis. Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon
Père et au vôtre ^, au Père de tout l'univers En voulant
me ravir la faveur que j'ai reçue de celui qui ne veut point la mort du pécheur, vous voulez donc faire de moi une victime de l'abmie? 0 père sans tendresse! ô mère déna- turée! ô parents cruels et sans pitié! Mais que dis-je? Parents? Ne devrais-je pas plutôt appeler meurtriers ceux
'^Exod., XX, 12. ^Matth., X, 37. ^ Epist. CXI. '^ Joan., XIV, 28.
270 L'ENFA^JT Er< PRÉSENCE
qui mettent leur douleur clans le salut de leur fils, leur consolation dans sa perte? Ils aiment mieux me voir périr avec eux que régner sans eux; ils s'efforcent dem'exposer de nouveau au naufrage auquel je viens d'échapper, de me rejeter dans les flammes dont j e suis sorti à moitié consumé, de me remettre entre les mains des meurtriers qui m'ont laissé nu et demi mort sur la route ! Soldat de Jésus- Christ, je suis sur le point de saisir la couronne, de triompher, non par mes propres forces, mais en celui qui a vaincu le monde; ils travaillent à me ramener du séjour de la gloire dans la boue du siècle. Quelle injustice cruelle! Ma maison brûle, la flamme me presse, je me hâte de fuir, ils m'en empêchent ; je veux me sauver, ils me conseillent de rester. Eux-mêmes, exposés aux mêmes flammes, par une folle obstination, refusent d'éviter le danger. 0 véri- table fureur! Si vous méprisez ainsi votre vie, pourquoi attenter à la mienne? Si, dis-je, vous négligez votre salut, quel avantage pouvez-vous avoir à causer aussi ma perte? Pourquoi ne prenez-vous pas plutôt le parti d'imiter ma fuite et d'échapper aux flammes? Trouverez-vous une sorte de soulagement à me voir ainsi périr? Craignez-vous de vous perdre seuls? Consumé avec vous dans les flanmies, quel secours pourrais-je vous donner? Quelle consolation pour des réprouvés d'avoir des compagnons de leur damnation ! Quel remède pour des mourants de voir d'autres malheu- reux expirer auprès d'eux ! Ce n'est point là l'enseignement que nous donne le riche dont parle l'Évangile : au milieu des supplices, sans espoir d'être délivré, il suppliait qu'on avertît ses frères de ne point venir en ce lieu de tourments. Il craignait sans doute que la vue de leurs souffrances n'augmentât les siennes.
DE L'Ia JUSTE OPPO^TTIO.N DES PAUKISÏS 271
« Quoi donc! j'irai pour quelque temps consoler ma mère par ma présence, et je devrai éternellement pleurer votre perte commune! J'irai apaiser la colère de mon père, irrité de mon absence, et je devrai avec lui être livré à une tristesse éternelle ! Non, mais plutôt à l'exemple de l'Apôtre, je n'acquiescerai ni au sang ni à la chair ^; j'écouterai la voix du Seigneur qui me crie : Laissez les morts ensevelir leurs morts 2. Je chanterai avec David : Mon ami a refusé les consolations de la terre 3; et avec Jérémie : Je n'ai point désiré les jours des mondains, Sei- gneur,vous le savez '*.Ehquoi! il m'est échu un lot sublime, un céleste héritage, et l'on veut, me gagner par des pro- messes terrestres, m' attirer par des consolations charnelles ! Quand on a goûté l'esprit, n'est-on pas dégoûté de la chair? A ceux qui sont épris des choses célestes , les terrestres n'offrent plus d'attrait. A ceux qui soupirent après les biens éternels, les biens passagers n'inspirent que du mépris. Cessez donc, ô mes parents! cessez de m'affliger par de vains sanglots, de faire d'inutiles instances pour me rap- peler. Craignez, en multipliant vos messages, de me forcer à m'éloigner encore plus. Je ne quitterai point cette claire vallée ^, si vous m'y laissez en paix. C'est ici ma demeure pour les siècles des siècles. J'y habiterai, parce que je l'ai choisie ^. Ici je ne cesserai de pleurer mes péchés et les vôtres. Ici, par des prières assidues, j'obtiendrai, si je le
' Galat., I, IG. niatth., VIII, 22.
^ Ps. LX.XVI, 4.
'' Jer., xvii, 16. ^ Clairvaux, 6 Ps. cxxxi, 14.
27-2 L'ENFANT E:N PRÉSENCE
puis (et vous le désirez sans doute), que celui dont l'amour nous a séparés pour un temps, nous unisse en ce même amour dans l'autre vie, par d'éternels liens. »
1
CHAPITRE YIII
Suite du même sujet
Nous avons entendu les éloquentes paroles que saint Ambroise adressait aux vierges chrétiennes, afin de les porter à se consacrer au Seigneur. Voici comment il les presse de briser les liens par lesquels leurs parents cher- . chent à les retenir dans le siècle :
« Il est sans doute avantageux à une vierge, dit-il \ que le zèle des parents lui inspire l'amour de la pudeur ; mais il lui sera plus glorieux si, dès l'âge le plus tendre, sans le secours de l'éducation maternelle, elle se jette dans le foyer même de la chasteté. Ses parents lui refusent sa dot? Mais elle a en Jésus-Christ, son époux, de riches trésors qui lui tiendront lieu de l'héritage paternel. La chaste pau- vreté ne vaut-elle pas mille fois mieux pour elle que la dot qu'on ne compterait qu'à regret ?
« Avez-vous jamais vu une fille privée d'un légitime héri- tage à cause de son amour pour la virginité? Si les parents font de l'opposition, c'est qu'ils veulent être forcés ; s'ils résistent d'abord, c'est qu'ils ne croient pas à une résolu- tion ferme; s'ils s'indignent fréquemment, c'est pour vous
1 De Virginiliiis, 1. I , c. xxi.
DE LIINJUSTE OPPOSIilON DES PAUENTS 273
apprendre à vaincre ; s'ils menacent de vous déshériter, c'est afin d'éprouver si vous aurez le courage de supporter la privation des biens du siècle. Ils tâchent de vous gagner par mille caresses, afin de savoir si les attraits des plaisirs pourront vous amollir. En cherchant à vous faire violence, ils exercent votre fermeté. Ce sont là vos premiers combats : ils vous viennent des vœux inquiets de vos proches. Jeune vierge, triomphez donc d'abord de l'amour de vos parents; si vous résistez aux sollicitations de la chair et du sang, vous serez victorieuse du siècle lui-même.
« Mais soit : vous perdrez votre patrimoine. Est-ce que la perte de biens si fragiles n'est pas compensée par l'espé- rance de la royauté céleste? Et d'ailleurs, si nous ajoutons foi aux divines paroles, il n'est personne qui, ayant laissé pour le Seigneur sa maison ou ses parents, ou ses frères, ou son épouse, ou ses enfants, ne reçoive sept fois autant en ce mojide, et dans le siècle futur ne possède la vie éternelle ■•. Croyez donc à la parole du Seigneur. Vous contiez vos biens à un homme : prêtez-les à Jésus-Christ; gardien fidèle de votre dépôt, il vous le rendra avec usure. Sa vérité ne trompe point, sa justice n'est point resserrée, et sa vertu ne vous manquera pas. »
Cette fermeté de direction, ces salutaires enseignements, les saints docteurs les ont reçus à l'école de Jésus-Christ, le Maître par excellence. Ils les ont trouvés dans les oracles tombés de ses lèvres divines. Ces paroles recueillies par saint Matthieu : Quiconque aime son père ou sa mère plus que moi n'est point digne de moi "^. Saint Bernard les
1 Marc, X, 20,30.
^ Qui aniat patrem, aiit matrem, plus qi-am me, non csl me di-
274 L ENFAJNl EN PRÉSENCE
applique ù celui qui résiste à une vocation religieuse par tendresse pour ses parents ' ; et il le fait avec raison, car en négligeant de répondre à cette grâce dans la crainte de contrister un père ou une mère, on les préfère en quelque manière à Jésus-Christ.
Et quand le Sauveur profère ces autres paroles, rappor- tées par saint Luc : « Si quelqu'un vient à moi et ne hait son père et sa mère, et son épouse, et ses enfants, et ses frères, et ses sœurs, et son âme encore, il ne peut être mon disciple 2. » Que nous commande-t-il de haïr , sinon toutes les affections humaines et charnelles, qui mettent obstacle au salut et à la perfection de notre âme, et se dressent en ennemies devant nous, cpiand le Seigneur nous appelle à sa suite 2. Mais comment pouvons-nous les combattre et les haïr? « Par cela même, répond saint Augustin s, que l'on renonce à tout ce que l'on possède, on accomplit le pré- cepte de haïr son père, sa mère, son épouse, ses enfants, ses frères , ses sœurs et son âme encore. Ces affections sont temporelles et restreintes, elles ne s'étendent quà quelques- uns ; elles mettent le plus souvent mille obstacles à l'acqui- sition des biens éternels offerts à tous les hommes Ces
affections privées, puisées dans le sein d'une mère mortelle, prenons garde de les mettre au-dessus des affections universelles conçues dans le sein de la mère de nos âmes ; sachons, au besoin, les combattre et les réprimer, quand
gnus; et qui amat filium aut filiani super me, non est me dignus. (.Matth., X, 37.)
' Epist. civ, ad Galternm.
2 Si quis venit ad me, et non odit natrem suiim, et matrem, et iixorem , et filios , et fratres , et sorores , adliuc autem et animam suam, non potest meus esse discipulus. (Luc, xiv, 20.)
3 Epist. cc.XLiii, alias xxxviii, ad Lœttim, n. 3, 4, 5'.
DK L'INJUSTE OPPOSLTION DES PAUEM'S 275
elles deviennent un obstacle aux divines affections ; elles sont temporelles et transitoires, les autres sont éternelles, le temps ne saurait les détruire
« Et que les parents ne s'étonnent point d'entendre Notre- Seigneur demander cette haine, puisqu'il nous ordonne de haïr encore notre àme même. Il nous faut même savoir sacrifier ces atïections charnelles, car si Jésus-Christ nous demande ici la haine de nous-mêmes et de nos proches, ailleurs, quand il nous dit de perdre en ce monde notre vie pour la retrouver, pouvons-nous douter qu'il ne faille aussi l'entendre de nos proches? Nous devons les perdre, si nous les aimons véritablement. Qu'est-ce à dire, les perdre? Non point leur ôter la vie du corps par un fer parricide; mais nous devons les perdre comme nous devons perdre notre àme avec le glaive spirituel de la divine parole : nous devons frapper et détruire cet amour charnel par lequel ils s'efforcent de nous enchaîner au monde avec eux ; nous devons faire vivre en eux ce qui les rend nos frères, ce qui leur donne, ainsi qu'à nous, Dieu pour père et l'Église pour mère. »
Ces divins enseignements, les saints docteurs les ont vus dans la réponse faite par le Sauveur au jeune homme qui, appelé à sa suite, lui demandait la permission d'aller aupa- ravant ensevelir son père, a Vous vous étonnez, dit saint Jean Chrysostome ^, de voir ce jeune homme demander à Jésus une chose si importante? Admirez plutôt que, n'ayant pas obtenu ce qu'il désirait, il soit demeuré avec le Seigneur. N'était-ce pas, direz-vous, une ingratitude de la part de ce fils, de ne pas assister aux obsèques de son
' Hom. .\xvii , alias .xxvin , in Matth., n. 3i
27G L'F.NFANT EN Pr.ÉSE:-C!-:
père? Oui, sans doute, s'il avait manqué d'affection et de reconnaissance ; mais un devoir plus nécessaire le retenait; il eût été coupable de le sacrifier. Jésus l'en empêche : est- ce afin de nous faire négliger les devoirs de la piété filiale? Il veut nous apprendre qu'il n'est rien d'aussi nécessaire que le salut de notre âme et le service de Dieu, que nous devons nous y appliquer en toute diligence et n'y mettre ni retard ni obstacle.
« Admirons aussi la sagesse de cette réponse du Sauveur. Elle arrachait ce jeune homme à de nombreux périls, car, après la sépulture de son père, il lui aurait fallu examiner le testament, partager l'héritage, vaquer à mille autres occupations de ce genre ; les flots des affaires, se succédant sans cesse, l'auraient entraîné loin du port. Voilà pourquoi le Seigneur l'attire à lui et l'attache à sa suite. »
Ces divines leçons, Jésus-Christ nous les a laissées dans les exemples de sa vie mortelle. A l'âge de douze ans, il était resté à Jérusalem à l'insude ses parents. Lorsqu' après trois jours ils le trouvent dans le Temple et l'interrogent sur son absence, il leur répond : « Pourquoi me cherchiez- vous? ignoriez-vous que mon devoir est de vaquer aux affaires de mon Père ^ ? » Aux noces de Cana, sa sainte mère paraît demander la manifestation de sa divine puis- sance. Il lui dit : « Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? Mon heure n'est pas encore venue 2. » Plus tard, il était occupé à instruire la foule; on lui annonce que sa mère et ses frères demandent à lui parler; il répond :
^ Quid est quod me quœrebatisZ Nesciebatis quia in his quaî Patris mei siint, oportet me esse. (Luc., 11, 49.) 2 Quid miliicl tibi est, millier? Nondum venit hora mea.(Joan.,ii,4,) \
DE L'INJUSTE OPPOSITION DES PARENTS 277
« Quelle est ma mère et quels sont mes frères ? » Et éten- dant la main vers ses disciples, il ajoute : « Voici ma mère et voici mes frères. Car quiconque accomplit la volonté de mon Père qui est dans le ciel, celui-là est mon frère, et ma sœur, et ma mère ^ . »
(( Il faut, dit à ce sujet le savant Corneille de la Pierre 2, distinguer en Jésus-Christ, outre les opérations purement divines,comme la création, la conservation des êtres, l'inspi- ratioii de l'Esprit-Saint, deux sortes d'actions humaines. Les unes lui conviennent comme homme et lui sont com- munes avec nous : tels sont le boire, le manger, le travail du corps et autres semblables. Les autres lui appartiennent comme Homme-Dieu ou comme Rédempteur; elles sont, pour cette raison, appelées par saint Denis actions théaii- driques ; telles furent l'opération des miracles, la vocation des apôtres, la fondation de l'Église, la prédication de l'Évan- gile. Dans celles-là, Jésus-Christ a voulu obéir à ses parents, il s'est laissé diriger par eux; dans celles-ci, il n'a voulu obéir qu'à son divin Père; il s'est montré toujours indépen- dant de la direction de sa sainte mère et de saint Joseph, et il a eu soin de nous faire entendre qu'i 1 agissait, non pour leur plaire, mais afin d'accomplir la volonté de son Père céleste. Il voulait nous apprendre par sa propre con-
' Adhuc eo loquente ad turbas , ecce mater ejus et fratres stabaut foris, quœrentes loqui ei. Dixit autem ci quidam : Ecce mater tua et fratres lui foris stant quœrentes te. At ipse respondens dicenli sibi , ait : Qucc est mater mea, et qui sunt fratres mei? Et exteudeus manum in discipulos suos, dixit: Ecce maler mea et fratres mei. Quicumque enim fecerit voluntatem Patris mei qui in cœlis est, ipse meus frater, et soror, et mater est. (Mattli., xii, 4G-50.)
- In Luc. , II , 49.
VOCATION. IG
■278 LENFAM E>" PRÉSliKCt;
duite et par se^ divines leçons, que, lorsqu'il nous appelle à une certaine participation de ses opérations théaudriques, à la vie religieuse, à l'apostolat, au martyre, nous ne devons écouter que sa voix, nous rendre indépendants des récla- mations et des conseils de la chair et du sang. Il le fit com- prendre lui-même à un jeune Italien, en triomphant de ses résistances. Ce jeune homme, appelé de Dieu à la vie religieuse, aimait sa mère avec tendresse et ne pouvait se résoudre à la quitter. La divine bonté rompit les liens qui le retenaient. Un jour, pendant qu'il priait avec dévotion devant une image du Sauveur attaché à la colonne et battu de verges, une voix venant de cette image le pressa de correspondre à sa vocation. « Je la suivrais de tout mon « cœur, répondit-il, mais comment vivre sans ma mère? » La voix lui repartit: «Etmoi,n'ai-je pas quitté la mienne? » Et elle ajouta en latin : Faciam te in amorem magnum. Ces douces paroles percèrent l'âme du jeune homme : il quitta sa mère et le monde, et se fit religieux ^ . »
Les membres se sont conformés au chef, les disciples fidèles ont imité le maître. Voyez les saints : ils s'abs- tiennent, à son exemple, de communiquer à leurs parents les desseins de Dieu sur eux ; ils quittent le monde sans les en avertir d'avance, et préviennent ainsi, par un légitime usage de la prudence du serpent, les obstacles cpie la chair et le sang pourraient susciter à leur fidélité 2.
' Trait rapporté par le P. Ant. îS'atale., dans le Paradis sur la terre , c. VI.
- Quand il arrive, comme en France, que les lois civiles ne recon- naissent aux enfants, qu'à Tàge de vingt et un ans accomplis, la liberté de disposer d'eux-mêmes , ils ne peuvent guère user du droit que ; les saints canons leur donnent, sans l'agrément de leurs parents
DE L't^'JUSTE OPPOSITION DES PARENTS 279
L'histoire de l'Église nous montre saint Benoît, à l'âge de treize ou quatorze ans, quittant le siècle sans consulter ses parents, et se consacrant au service de Dieu. Saint Alexis laisse son épouse la première nuit de ses noces, et, sans communiquer son dessein à personne de sa famille, va vivre en pauvre mendiant en pays étranger. Saint Jean Calybite, à la fleur de l'âge, quitte la maison de son père et se retire dans un lointain monastère. Saint Thomas d'Aquin, âgé de douze ans, entre dans l'ordre de Saint-Dominique sans le consentement de ses parents. A la nouvelle que sa mère venait à Naples pour lui faire changer de résolution, il s'enfuit à Rome. Elle vient l'y chercher. Thomas essaye de se retirer en France. Arrêté par ses frères et enfermé dans un château de sa famille, il y résiste aux larmes, aux caresses, aux menaces, aux artifices de tout genre mis en oeuvre pour le faire renoncer à son dessein. Ses sœurs avaient essayé de le vaincre : il leur persuada à elles-mêmes de quitter le monde.
Voici un trait de constance non moins remarquable et couronné par un semblable succès. Un jeune Napolitain, Jules-César Recupito, avait donné les preuves d'une intel- ligence peu commune et fort précoce. A l'âge de treize ans, il avait soutenu avec éclat des thèses de philosophie au collège de la Compagnie de Jésus à Naples. Sa mère, déjà veuve, l'aimait avec tendresse ou plutôt avec passion. Soup- çonnant en ceiils unique quelques désirs de vie religieuse, elle le rappela du Séminaire romain où il était entré, lui interdit toute communication avec les Pères dé la Compa-
ils doivent alors s'inspirer des exemples des saints pour se main- tenir fermes et rester fidèles à leur vocation.
280 LENFAKT EN PnÉSENCE
gnie de Jésus, et le força à assister aux spectacles profanes, à de brillantes soirées, au milieu des séductions mondaines. Un religieux, parent du jeune homme, avertit cette mère aveugle : il cherche à lui ouvrir les yeux sur sa conduite coupable ; il lui rappelle l'obligation où elle est de ne pas s'opposer k la vocation de son fils. Celle-ci n'en devient que plus obstinée. Elle ne souffre plus que son fds s'éloigne de ses côtés. De son côté, le jeune Jules se maintenait dans le dessein de quitter le monde; il redoublait de vigilance, mul- tipliait ses oraisons : les obstacles augmentaient sa ferveur. Mais, sentant le danger où il se trouvait, il résolut de s'y soustraire. Un jour qu'il accompagnait sa mère à l'égUse, et se tenait derrière elle pendant le sermon, il sort sans qu'elle s'en aperçoive, et s'en va solliciter du R. P. Bellar- min, provincial, son admission dansla Compagnie. lU'obtient et retourne à l'église auprès de sa mère. Le lendemain, re- venu avec elle pour un autre sermon, il la quitte de nouveau sans en être aperçu, et se rend au noviciat, d'où il est résolu de ne plus sortir. Sa mère l'apprend ; elle écrit aussitôt au P. Claudius Aquaviva, alors général de la Compagnie, une lettre dictée par la colère autant que par la douleur; elle le somme de lui faire rendre son fils. Le P. Claudius lui répond avec douceur qu'elle peut faire examiner la vocation de son fils par qui de droit, et ajoute ce qui lui semble propre à la calmer. Avec le secours d'amis puissants, elle obtient un décret de Rome, donnant pouvoir au nonce apostolique à Naples de prendre à sa cour le jeune Jules-César. Le nonce cède aux désirs de la mère, et se fait amener son fils ; mais il refuse de le lui remettre à elle-même, et le garde en son palais. Dans cette nouvelle demeure, le novice eut à lutter à la fois contre les attraits de la cour, contre les dis-
DE L'INJUSTE OPPOSITION DES PARENTS 281
cours et les railleries des employés du palais, contre les assauts réitérés de la tendresse maternelle. Ce combat dura six mois. Non -seulement le courageux Jules en sortit vainqueur, mais il emmena avec lui, dans la maison du noviciat, ceux mêmes qui avaient la mission de l'éprouver. Le secrétaire du nonce, Pierre de Albicis, avait reçu l'ordre d'examiner avec attention sa conduite. Il l'avait vu, durant tout son séjour au palais, assidu à la prière et à la lecture des livres de piété, Mêle à éviter les occupations inutiles et les vains délassements, d'une parfaite modestie dans ses regards et dans toute sa personne, mortifiant son corps par de rudes disciplines et une sévère abstinence. Frappé de ce spectacle, il s'en ouvrit à un de ses amis. « Voilà, lui dit-il, un enfant d'une grande piété ; il goûte la douceur des choses célestes, et nous, nous restons attachés à la terre; nous perdons ainsi les meilleures années de notre vie. » Touchés par la grâce, tous deux sollicitent et obtiennent la permission de suivre au noviciat le jeune rehgieux dont la conduite les avait tant édifiés. Des lettres venues de Rome avaient averti le nonce de rendre le novice à ses frères. Mais celui-ci n'en avait pas fini avec les persécutions maternelles. Quelque temps après sa rentrée au noviciat, son aïeul étant tombé malade, sa mère demanda pour son fils la permission d'aller recevoir la bénédiction de son vieux père mourant. Elle l'obtint sans peine : on la croyait apaisée. Il n'en était rien. Un Père avait été donné au jeune homme pour l'accom- pagner chez son aïeul. Après avoir reçu la bénédiction du vieillard et salué toute sa famille, il se retire avec son com- pagnon. Tout à coup sa mère paraît avec deux robustes serviteurs. D'un poignard dont elle est armée elle menace et effraye le Père; les deux serviteurs saisissent son fils et
16.
282 L'ENFANT EN PRÉSENCE
l'entraînent violemment dans mie voiture préparée à cet effet et qui part aussitôt. Le Père rentra seul au noviciat. Le bruit de cet événement se répand dans toute la ville et arrive aux oreilles du vice-roi. Celui-ci prend la défense du jeune honmie ainsi lésé dans ses droits les plus chers. Il fait exa- miner l'affaire devant les juges : la mère est déclarée cou- pable et punie ; les deux serviteurs sont mis en prison, et le fils rendu à sa liberté. 11 rentra au no\iciat après ce nouveau triomphe. Ses vêtements, encore déchirés par suite de la violence qu'on lui avait faite, rendaient témoignage de sa constance ^ .
« Et nous savons, observe ii ce sujet saint Alphonse de Liguori 2, que le Seigneur a témoigné par des miracles qu'il approuve ces glorieuses fuites.
« Lorsque saint Pierre d'Alcantara se rendait au monas- tère où il allait se faire rehgieux, fuyant la maison de sa mère, sous l'autorité de laquelle il était resté après la mort de son père, il se trouva arrêté par un grand fleuve qui lui barrait le chemin ; il se recommanda à Dieu, et se vit tout à coup transporté sur la rive opposée.
« Saint Stanislas Kostka s'échappa de même sans la permission de son père. Son frère apprend son départ et se met aussitôt à sa poursuite; il était près de l'atteindre quand les chevaux s'arrêtèrent tout à coup ; quelque violence qu'on leur fit, ils refusèrent d'avancer, jusqu't\ ce que, se retour- nant en arrière, ils reprirent au grand galop leur course vers la ville.
« Nous avons encore l'exemple de la bienheureuse Oringa
^ Juvoncii , Hist. soc. Jcsu, p. V, 1. XXV, n. Lil. - Avis sur la vocation religieuse , § 2.
DE L'INJUSTE OPPOSITION DES PARENTS 283
de Valclarno, en Toscane. Fiancée malgré elle à un jeune homme, elle quitta furtivement le toit paternel pour aller se consacrer à Dieu. Arrivée sur le bord de l'Arno, qui lui coupait la route, elle fit une courte prière, el vit aussitôt le fleuve ouvrir ses eaux ; celles-ci s'élevèrent de chaque côté comme deux murs de cristal, et lui offrirent un passage à pied sec.
« iVinsi, mon cher frère, si Dieu vous inspire le dessein de renoncer au monde, ayez bien soin de ne pas en donner connaissance à vos parents ; contentez-vous de la bénédic- tion du Seigneur, et tâchez de réaliser votre vocation le plus tôt possible et à leur insu, si vous ne voulez pas vous mettre en grand danger de la perdre ; car, pour l'ordinaire, comme nous l'avons dit, les parents, surtout le père et la mère, s'opposent à l'exécution de semblables projets ; lors même qu'ils sont animés de sentiments pieux, l'intérêt et la passion les égarent tellement, que, sous divers prétextes, ils ne se font pas scrupule d'entraver par tous les moyens ja vocation de leurs enfants. »
Dieu se sert souvent du ministère des anges pour protéger les âmes résolues d'imiter leur vie. Ces esprits bienheureux sont les amis et les défenseurs de ceux qui désirent consacrer h Dieu leur virginité ; ils se plaisent à leur venir en aide contre les obstacles qui s'opposent à l'exécution de leur dessein. Lorsque le jeune saint Stanislas fuyait la Pologne, sa patrie, et se rendait à Dillingue en Allemagne, pour y soUiciter son admission du B. P. Canisius, nous le voyons sur la route visité par les anges et recevant de leur main le corps du Seigneur. Voici un autre trait où se manifeste à la fois la pro\identielle protection du Seigneur et la sollici- tude des saints anges envers une vierge des Gaules, que ses
284 L'ENFANT EN PRÉSENCE DE L'INJUSTE OPPOSITION, ETC.
parents voulaient empêcher de prendre Jésus-Christ pour époux :
« Sainte Glossinde appartenait à une famille des plus illustres. Son père était duc de Champagne, et, la troisième année du règne de Théodebert, en 598, il fut mis à mort parles intrigues de Brunehaut. Glodésinde, ou Glossinde, pratiqua la vertu dès son enfance dans la maison paternelle, où elle fut élevée avec le plus grand soin. Elle se consacra dès lors à Dieu, ne désirant d'autre épou.s. que celui des vierges.
« Deux fois ses parents essayèrent de la marier contre sa volonté expresse. La première fois, l'époux qu'on lui des- tinait se trouva, le jour même de ses noces, impliqué dans une conspiration qui lui coûta la vie; la seconde fois, elle se réfugia, suivant la coutume du temps, dans le sanctuaire inviolable de la cathédrale de Saint-Étienne de Metz. Ses parents ayant fait garder toutes les portes, Glossinde demeura dans l'église six jours de suite, non-seulement sans sortir, mais encore sans boire ni manger. Dieu la soutenait par la nourriture des anges.
c( Le seplèmc jour, qui était le jour du Seigneur, un personnage d'une beauté angéUque, suivi de deux beaux enfants, arrive à la vue de tout le monde, marche droit au cùté de l'autel où s'était réfugiée Glossinde, et, sous les yeux de tous les assistants, lui pose le voile de religion sur la tète ; puis, avec ses deux suivants, il disparaît soudain aux regards des spectateurs, qui restent muets de surprise, de crainte et d'admiration, en présence de la vierge couverte de son voile. Tous reconnaissent qu'un ange de Dieu vient d'apparaître ; les gardes eux-mêmes se prosternent aux pieds de Glossinde et lui demandent pardon de la violence qu'ils avaient pensé lu itaire.
PRINCIPALES TENTATIONS CONTRE LA VOCATION 28S
« Elle leur pardonna de grand cœur, et ses parents, vaincus par ce prodige, lui donnèrent un terrain qu'ils avaient dans l'enceinte des murs de Metz ; elle y fonda un monastère, où elle réunit bientôt jusqu'à cent religieuses. Elle les gouverna six ans, et y mourut à l'âge de trente ans 1. »
CHAPITRE IX
Principales tentations contre la Vocation religieuse
Celui que le Seigneur appelle à la vie religieuse doit se préparer à la tentation ; l'auteur de V Ecclésiastique l'en avertit en ces termes : « Mon fils, vous allez vous consacrer au service de Dieu ; maintenez-vous dans la justice et la crainte du Seigneur, et préparez votre âme à la tentation 2. » Saint Paul le lui rappelle quand il dit : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ souffriront persé- cution 3. » Celui donc qui a résolu de quitter le siècle et de se consacrer à Dieu dans la religion, doit s'attendre h ren- contrer mille barrières sur la route, mille résistances à sa marche ; le démon et le monde, ses mortels ennemis, s'uni-
^ Les Anges de Dieu amis des hommes, c. xviii.
^Fili, accédons ad servitiitem Dei, sta in justitia et timoré, et prœpara animam tiiam ad tentationeni. {Eccli., 11, 1.)
2 Et oranes qui pie voluut vivere in Christo Jesii , persecuiionem lationtur. (II Tim., m, 12.
28Û PRINCIPALES TENTATIONS
ront à la chair et au sang pour multiplier les obstacles ; tout sera mis en œuvre pour lui faire abandonner son dessein, pour l'empêcher d'être fidèle à l'appel divin.
« On trouve, observe un pieux auteur que nous avons souvent cité S les perfides efforts de l'ennemi dépeints avec toute leur vérité dans ceux que fit le roi Pharaon pour em- pêcher les Hébreux de sortir de l'Egypte.
« Dieu voulait délivrer son peuple de la servitude à laquelle il était réduit ; il avait résolu de le conduire dans la terre promise aux patriarches ; il avait donc ordonné k Moïse et à Aaron de faire connaître à Pharaon l'ordre qui leur avait été donné d'aller avec tout le peuple offrir à Dieu des sacri- fices dans le désert 2. Suivant la prédiction du Seigneur, ce roi impie mit tout en œuvre pour les empêcher d'exécuter ce dessein. Il employa toutes les raisons que put lui sug- gérer son esprit plein de ruse ; il usa de violence et aggrava le joug qui pesait sur le peuple élu ; enfin, il ne céda qu'aux coups redoublés de la divine justice.
« Cette délivrance du peuple hébreu , ces sacrifices au désert, cette terre promise où couleront pour lui le lait et le miel 3, sont de vives images de la fuite du monde, de l'im- molation religieuse, et des biens que trouve, dans la terre de la religion, l'âme qui a répondu fidèlement à l'appel du Seigneur.
« Le démon, dont Pharaon est ici la figure, sait que Dieu ne fait aux âmes la grâce de la vocation religieuse, qu'afin de les soustraire à son empire, de se faire lui-même leur guide,
^ Le P. L. Dupont, La Perfection chrétienne, t. III, tr. V, c. 11. 2 Exod., m. ' Exod,, XIII, S.
CONTRE LA VOCATION RELIGIEUSE 287
leur ami, leur père, leur époux, de les mener par une voie plus sûre à l'éternelle patrie ; de les mettre, dès ici-bas, en possession d'une terre fertile en fruits de salut. A l'exemple de Pharaon, cet ennemi mortel des âmes met tout en œuvre pour les empêcher de répondre aux desseins de Dieu. Les moyens perfides employés par le roi d'Egypte contre les Hébreux, les raisons captieuses qu'ilfit valoir auprès deMoïse, Satan les met en usage contre les âmes ; les partisans du monde, les parents, sont, en cette entreprise, les instruments de sa malice. Il ne sera pas inutile d'attirer sur ce sujet l'attention du lecteur.
a  l'annonce des desseins de Dieu sur son peuple et de la disposition où était Moïse de les mettre à exécution, Pharaon traite d'illusions les ordres du Scignem-, et cherche à en con- vaincre tout le peuple parles artifices de ses enchanteurs *.
« N'est-ce point ce que lé prince de ce monde suggère à la plupart des pM'ents, quand ils apprennent la résolution de leurs enfants? N'altribuent-ils pas les desseins, dont Dieu même est l'auteur, à leur imagination exaltée, à un excès de ferveur, à l'excitation d'une piété trop ardente? N'en voit-on pas employer, pour les faire renoncer à ces pensées, de pei-fides et coupables artifices ; les engager avec adresse ou les jeter avec violence au milieu des fêtes et des plaisirs du siècle, au risque de leur faire perdre le plus précieux de tous les biens : le trésor de l'iimocence ?
K — Désormais, dit Pharaon aux officiers chargés de pré- sider aux travaux des Hébreux et d'exiger la tâche imposée à chacun d'eux, vous ne leur donnerez plus, comme aupa- ravant, de paille pour faire leurs briques, mais ilsenrecueil-
1 Exod., V[I;
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288 PRI.NCiPALES TENTATIO^ÎS
leront eux-mêmes, et vous ne laisserez pas d'exiger d'eux la même quantité de travail sans en rien diminuer. Ils n'ont pas assez d'occupation, voilà pourquoi ils crient et se disent l'un à l'autre : « Allons sacritler à notre Dieu dans le désert. » Qu'on les accable de travaux, qu'ils fournissent tout ce qu'on exige d'eux, afin qu'ils n'acquiescent plus à des pa- roles mensongères ' ,
« Ainsi, aux âmes qu'il voit appelées à la vie religieuse, l'ennemi de tout bien suscite des embarras, des affaires, mille soucis divers : c'est un mariage à conclure ou auquel il convient d'assister, un procès à terminer, un voyage à entreprendre, certains intérêts àînettre en sûreté, des suscep- tibilités qu'il est besoin de ménager, des visites dont il faut s'acquitter. Il remplit tellement l'esprit de préoccupations de ce genre, qu'il parvient à détourner l'attention de l'âme, à l'empêcher de prêter l'oreille à la voix intérieure qui l'appelle au désert de la vie religieuse ^. Il étouffe, dans le tumulte des affaires et dans le mouvement des sollicitudes terrestres, la semence précieuse déposée en l'âme par le Seigneur 3. On oublie que cette divine semonce doit être conservée avec soin, que le Seigneur n'a point promis de la renouveler chaque fois que nous l'aurons laissé ravir par Tes oiseaux du ciel ou étouffer dans les épines. C'est un talent que Dieu nous a confié : si nous négligeons de le faire valoir, si nous le laissons enfoui dans la terre d'un cœur paresseux et ingrat, nous nous exposoHS à la disgrâce du Seigneur, nous méri-
1 Exod., V, 6-9. «Ps. xuv, il.
5 lii sunt qui audiorunt, et a sollicittidiniLus, et diviliis, et voiiif-- tatibus vitœ émîtes, suiTocantur. (Luc, viii, 14.
CONÏUK LA VOrAi I(K-« nELIGlEUSE 289
Ions que ce talent nous soit enlevé et qu'il soit donné à un autre '.
L'âme appelée à la vie religieuse doit donc estimer beau- coup la grâce qui lui est offerte ; elle doit la conserver avec le plus grand soin, se mettre aussitôt en mesure d'y répondre, et, reconnaissant l'action de son perfide ennemi dans toutes les affaires qu'on lui suscite, s'en dégager au plus tôt, et se hâter de répondre à l'appel de son Dieu.
Pharaon n'avait rien gagné par les enchantements de ses magiciens ni parles rudes travaux auxquels il avait soumis les Hébreux : Moïse insistait. Aaron étendait sa verge, et les plaies, succédant aux plaies, désolaient tonte l'E- gypte. Pharaon alors s'efforce de leur persuader d'offrir en Egypte môme les sacrifices exigés par leur Dieu. « Allez, leur dit-il, et sacrifiez à votre Dieu en cette terre où vous êtes 2. »
0 vous à qui Dieu a fait entendre sa voix, reconnaissez ici le langage de l'esprit de ténèbres, transformé en ange de 'umière : « Vous désirez, vous dit-il par la bouche de vos amis et de vos proche s mener une vie plus parfaite? Rien de plus louable qu'un tel dessein, et nous n'avons garde de vouloir nous y opposer ; mais est-il besom pour cela de quitter les personnes qui vous sont chères, de vous ensevelir dans un monastère, de priver du secours de votre présence ceux à qui vous devez tant? Qui, dans votre famille ou parmi vos connaissances, vous empêchera de vous donner à la
^MuUh., X.w, -24-29.
- Vocavitquc Pharao Moyscn et Aaron, et ait cis : Itc et sacri- lieatc Deo vcstro 4n terra hac. {Ejcod., viii, "lo.)
vocvriO.N. 17
-90 PIUXCIPALES ÏE.MATIO.^S
piété, de vous livrer aux bonnes œuvres? Est-il impossible de se sauver dans le monde? Ne peut-on pas y servir Dieu en esprit et en vérité, y arriver à la perfection? Beaucoup de saints s'y sont sanctifiés : prétendriez-vous faire mieux qu'ils n'ont fait ? N'y trouve-t-on pas mille occasions de confesser le nom de Jésus-Christ, de lui faire le sacri- fice de soi-même, d'y exercer la charité, cette reine des vertus sans laquelle nul renoncement n'est agréable à Dieu. En vous renfermant dans un monastère, vous vous mettez dans l'impossibilité d'accomplir mille œuvres de miséricorde et de zèle, auxquelles il vous serait facile de vous livrer dans le monde; vous vous condamnez ainsi à une vie inutile à la société, et votre liberté, ce beau présent de la nature, talent précieux, qu'il est si glo- rieux de faire valoir pour le bien, vous allez l'enfouir dans un cloître !
« Non, répondit Moïse à Pharaon, ce que vous nous pro- posez ne peut se faire , car nous devons sacrifier à notre Dieu les abominations des Egyptiens. Si nous allions immoler sous leurs yeux les animaux qu'ils adorent, ils nous acca- bleraient sous une grêle de pierres. D'ailleurs, le Seigneur l'a ainsi ordonné, nous irons dans le désert et nous y sacri- fierons à notre Dieu • . )>
C'est ainsi qu'il faut répondre au pernicieux raisonnemeul de l'ennemi : « Alléguer l'ordre du Ciel qui nous appelle au désert et veut v recevoir nos holocaustes. Nos sacrifices.
* Et ait Moyses : Non polest ita fieri : abominatioiies enim ^gyp- tioruni imiuolabinnis Domino Deo nostro : quod si niactaverimus ea qu;c colunt .Egyptii corum eis, lapidibus nos obnient. Viam triuni dieriim pergemiis in tolitiidinoiu : et sacrilicabimiis Domino Deo nostro, sicut pra.'cepit nobis. Œ.cod.. vi:i, "20, '27. )
COMKE LA VOCATIOxN KF.LIGIEUSE 291
pour lui être agréables, doivent lui être ofterts là où il les demande et de la manière que lui-même le désire. 11 n'est point vrai, d'ailleurs, que l'on puisse également servir Dieu dans le monde ; on y rencontre mille obstacles à l'accom- plissement des devoirs les plus essentiels, mille dangers de perdre son âme. Non, non, le monde ne me laissera pas en paix immoler ce qu'il adore et fouler aux pieds ce qu'il admire. Il mettra tout en œuvre pour empêcher les sacrifices que je dois offrir à mon Dieu ; il fera tous ses efforts pour m'inspirer ses maximes , pour me conmiuniquer ses faux jugements et ses affections terrestres. Les saints ont pu résister à son action corruptrice ; ce serait présomp- tion de mapart et témérité de m'y opposer. Loin de la voie où le Seigneur m'appelle, je ne puis être en sûreté. J'ai besoin de grâces toutes spéciales; le Seigneur me les offre avec la vocation religieuse : je n'ai garde de les refuser.
C'est la doctrine du père du mensonge de dire qu'il serait plus parfait de vaquer dans le siècle à mille œuvres de cha- rité que de se mettre, par l'entrée en rehgion, dans l'impos- sibilité de les accomplir, et de se condamner à une sorte d'inutilité.
Répondez que vous avez été créé et mis au monde pour connaîti'e, aimer et servir Dieu ; que c'est là toute la perfec- tion ; qu'une vie employée à connaître, à aimer, à servir Dieu, comme il veut lui-même être connu, aimé et servi par nous, ne saurait être inutile, et qu'en entrant en religion, où Dieu vous appelle, c'est celte vie même qu(.' vous em- brassez.
Répondez, avec l'Ange de l'école , ([ue c'a été une des erreurs de l'hérétique Vigilance de prétendre qu'il vaut mieux
292 PRINCIPALES TENTATIONS
retenir ses biens et en donner peu à peu le fruit aux pauvres que de les vendre et de les donner tout à la fois. Saint Jérôme, en effet, exposant cette fausse doctrine, la range parmi les venins delà perfidie. Il déclare que Notre-Seigneur lui-même l'a condamnée en disant : « Si vous voulez être parfait ; allez, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, en- suite venez et suivez-moi ' ; » et que nous devons mettre au second rang l'état auquel Vigilance prétend attribuer le premier '.
^Matlh., xi.\, 21. —Coll. Luc, xviii, 18.
- Dicendum quod illa ratio continet hîeresim damiiatani , scilicet, qiiûd melius sit in sœculo renianere , et operibus pietatis vacare , qiiam religionem intrare. Continetur eniin intcr errores Vigilantii, contra quem llicronynuis scribens, dicit : « Suœ vcnena perfidia; ca- tholicte fidoi sociare conatur, impugnare virginitatem , odisse pudi- citiani, in convivio sœciilariura contra sanctonimjejunia dcclamare*.» El postmodiun contra singulos articules a Vigilantio propositos dispu- taus, venit ad istum articuluui , dicens : « Quod autem asscrit eos melius facere qui utuntur rébus suis, et paulatim IVuctus possessio- num paupcribus dividunt, quam illos qui possessionibus venumdatis semel omnia largiuntur ,'non a me ci, sed a Dec respondebitur : Si vis esse perfectus, vade, vende omnia qiae habes, etda pauperihus, et veni , sequcre me... Iste quem tu laudas secundus , aut terlius gradus est, quem et nos recipinuis; dummodo scianuis prima secundis et lertiis prœferenda**. » Et ideo in lib. de Ecd. doçjin., cum aliis erroribus etiam iste damnatur , cum dicitur : Eonum est facuitates cum dispensatione paupcribus erogare, melius est pro intentione se- quendi Deum omnia simul donare , et absolutum sollicitudine egere cum Christo. Nec solum status religionis pricfertur elecmosynis , quas quis facit in sœculo, sed etiam virginitati in sceculo observatœ: dicit enim Aug. in lib. de Virgin.: Nemo, quantum puto, ausus fuit virginitatem prieferre monasterio. (S. Tliom., in Quodlib. Ilf, a. 12 ad 2.)
* llicroii., Contra Viyilanl., n. I.
** l'jid.. II. !j.
<:ONTnE L\ VOCATION RELIGIEUSE 293
Quant à votre liberté, quel plus noble usage pouvez-vous en faire que de la consacrer, par l'obéissance, à celui qui vous l'a donnée? Ce n'est point la perdre, c'est la rendre plus excellente que de la soumettre par des vœux à la règle de tout bien ; elle devient d'autant plus parfaite qu'elle est plus éloignée du péché, moins exposée aux attraits du vice, plus attachée au bien, plus dégagée des obstacles au parfait service de Dieu. Le Seigneur le ht comprendre d'une manière toute spéciale à un jeune gentilhomme, Louis de Gusman, et le délivra ainsi d'une tentation semblable à ceUe dont nous parlons. Ce noble Espagnol, après une longue hésitation et de grands combats intérieurs, avait soUicité son admission au noviciat de la Compagnie de Jésus. A peine était-il reçu, qu'il regrettait le sacrifice de sa hberté . La tentation de quitter la vie religieuse le prenait violemment ; il alla se promener dans le jardin, afin de se distraire. Là, son attention est attirée par le chant d'un petit oiseau. Il regarde, il le voit heureux et libre, voltigeant de branche en branche et multi- phant ses chants joyeux. La tentation redouble dans son cœur. Mais voici qu'un oiseau de proie fond tout à coup sur h' charmant volatile et l'emporte dans ses serres. A cette vue un trait de lumière divine pénètre l'âme du novice. Celui-ci comprend que , s'il quitte le saint asile de la vie religieuse, dans le monde, où il prétend jouir de sa hberté. Une trou- vera qu'un dur esclavage, deviendra la proie du démon, et perdra, avec l'héritage céleste, la véritable liberté des enfants de Dieu.
Pharaon, voyant la constance de Moïse et sa résolution inébranlable d'accomplir les ordres de Dieu, paraît enfin y consentir, mais à la condition que les Hébreux se tiendront à l'entrée du désert. « Je vous laisserai aller, dit-il, pour que
294 PRINCIPALES TENTATIONS
VOUS sacrifiiez au Seigneur votre Dieu dans le désert ; mais n'allez pas loin dans la solitude ^. »
C'est encore la figure d'une des tentations que Satan em- ploie contre ceux que Dieu appelle en religion, quand il les voit résolus d'obéir. Il cherche à leur persuader de demeurer comme aux confins du monde, dans l'espérance de les y ramener, ou de leur en faire conserver l'esprit. Pour cela, il suggère aux uns de se contenter de l'étal de prêtre sécu- lier, état qui est une sorte de milieu entre la vie commune et la vie religieuse ; il leur fait entendre qu'ils pourront y ottVir leurs sacrifices à Dieu et s'y dévouer au bien des âmes. Aux autres, il conseille d'entrer en quelque ordre moins sévère, où il leur soit permis de voir fréquemment leurs parents et amis , de les consoler par leur présence, de les secourir même des fruits de leur ministère. Ceux que l'esprit de Dieu i)Ousse à quitter leur patrie elle-même, il s'efforce de les en détourner sous mille prétextes spécieux ; son dessein est de susciter aux uns et aux autres mille relafions, dont il espère se servir, soit pour les empêcher d'avancer dans la perfection, soit même pour les faire retourner ii la vie sé- culière. Il cherche à obtenir de tous qu'ils quittent le monde plutôt de corps que d'esprit ; car il n'est pas sans espoir, s'il y parvient, qu'en restant ainsi attachés à ce qu'ils ont quitté, ils finissent parle regretter.
Moïse ne répond rien à la recommandation que lui fait Pharaon de ne pas pénétrer dans le désert , mais il se dispose h obéir ponctuellement aux ordres du Ciel 2. C'est ce que
^ Ego dimittain vos. ut sacrifîcetis Domino Deo vestro in deserto: verunitamen ne longius abeatis. {Exod., vin, 28.) 2 Ibid.
CONTRE LA VOCATIOr< RELIGIEUSE 291J
doit faire toute âme que Dieu appelle à la vie religieuse. Au lieu de prêter l'oreille au serpent qui lui dit de ne pas trop s'éloigner : Ne longius abeatis, elle doit se rappeler la recom- mandation faite à Loth par les anges, lorsque, lui donnant de la part de Dieu l'ordre de fuir de Sodome, ils lui dirent : « Ayez soin de ne pas regarder en arrière, et ne vous arrêtez pas dans toute la région voisine de la ville condamnée ; mais retirez-vous sur la montagne, dans la crainte que vous ne périssiez avec ses habitants ^ , »
CHAPITRE X
Suite du même sujet.
Pharaon n'avait paru consentir au départ des Hébreux qu'afm d'obtenir, par les prières de Moïse, la cessation des fléaux dont le Seigneur châtiait son peuple. Délivré de ces châtiments, il se montrait aussi endurci 2, Ne voulant point laisser partir le peuple d'Israël et frappé de nouvelles plaies 3, il propose à Moïse d'emmener seulement les hommes au désert, et délaisser en Egypte les femmes et les enfants ^.
* Gen., XIX, 17. '-Exod., VIII, 28-32. "' Ibid., IX.
* Quoraodo ego dimittam vos, et parviilos veslros. Ciii dubium est qiiod pessime cogitetis? Non liet ita, sed itelantiiin, viri, et sacrili- cate Domino. {Exod., x, 10, 11.)
200 PRINCIPALES TENTATIONS
Telles sont encore les suggestions de Satan ù l'égard de ceux qui sont appelés à fétat religieux dans un âge encore tendre et avec une faible santé. Par lui-môme, ou par les conseils d'une sagesse tout humaine qu'il inspire à leurs proches et à leurs amis, il cherche à leur persuader qu'ils sont trop jeunes pour un pareil dessein, que leur santé a besoin d'être fortifiée; il exagère les difficultés et les travaux de la vie religieuse; il leur fait remarquer qu'ils ont déjà bien de la peine à observer les simples commandements, que ce serait présomption de prétendre à la pratique des conseils, et, empruntant les paroles du prophète : « Si en courant avec des hommes à pied, leur dit-il, vous vous êtes fatigués, comment poun-ez-vous lutter avec des cavaUers * ? »
Moïse répondait à Pharaon que le Seigneuries appelait tous, avec les vieillards et les petits enfants, les garçons et les filles, pour ce sacrifice solennel 2. A son exemple , il faut répondre aux. suggestions de l'ange des ténèbres que, quand Dieu appelle, on doit obéir et compter sur sa grâce pour l'exécution de sa volonté sainte. Sans doute l'entreprise à laquelle il nous convie est au-dessus des forces de l'homme, aussi ne doit-elle pas être embrassée parce qu'on est d'un âge viril, ni laissée parce qu'on est jeune ou d'un sexe plus faible ; mais on en commence, on en poursuit l'exécution avec le secours de celui « qui donne de la vertu â ceux qui sont épuisés, qui multiplie la force et la vigueur en ceux qui
^ Si ciim pcditibus currens laborasti , quomodo contendere poteris ciim equis? (Jerem., xii, U.)
2 Ciim panulis nostris et senioribiis pergemur, cum filiis et filiabus, ciim ovibiis et armentis : est enini solemnitas Doniini Dei nostri. [Exod., X, 9.)
CONTRE LA VOCATION RELIGIEUSE 297
OU sont dépourvus ^ ; de celui dont la grâce renouvelle les forces de ceux qui espèrent en lui, leur donne des ailes comme ii l'aigle, et les fait courir sans fatigue, marcher sans défaillance 2. »
Pharaon, ne pouvant obtenir de Moïse ce qu'il demandait et pressé par les plaies dont le Seigneur ne cessait de frapper son peuple, consent au départ des femmes et des enfants ; mais il propose à Moïse de laisser tous les troupeaux ^ : il voulait un gage du retour des Hébreux, un appât qui pût les attirer de nouveau en Egypte.
Satan emploie la même astuce : il s'efforce de persuader à ceux que Dieu appelle en religion de ne pas briser d'un seul coup tous les liens ;qui les retiennent au monde, de ne point perdre, par un départ précipité, toute espérance de retour. 11 leur suggère de retarder le plus possible toute démarche qui les engagerait. Il leur conseille de remet- tre à plus tard l'abandon de leurs biens, et, lorsqu'il faudra s'en défaire, de les distribuer à des parents, à des amis qui pourront les secourir, si jamais ils se trouvent dans le besoin.
A tous ces sophismes de l'ennemi, on doit répondre comme Moïse à Pharaon : <c II nous faut aussi des hosties et des holocaustes pour les offrir au Seigneur. Tous nos troupeaux viendront avec nous, et il ne restera pas en Egypte une corne
' Qui dat lasso virtutem, et his qui non sunt fortituilineni et robiir nniltiplicat. (Isa., xl, 29.)
- Qui auteni sperant in Domino mutabunt fortitudinem , assument pennas ut aquilœ, current et non iaborabunt, ambulabunt et non déficient. (Ihid., 31.)
^ Ite, sacrificate Domino : oves tantum vestne et armentaremaneant, parvuli vestri eant vobiscum. {Exod,, x, 24.)
17.
298 PRINCIPALES TENTATIONS
de leurs pieds : nous en avons besoin pour le culte de notre Dieu ^ . »
Ne convient-il pas, en effet, de faire au Seigneur un sacri- fice parfait et d'abandonner toute espérance terrestre ? Ne faut-il pas lui offrir, par la \\e religieuse à laquelle il invite, un véritable holocauste, sans rien réserver de la victime qu'il demande? On ne doit point, en lui accordant le principal, lui refuser l'accessoire. Si l'on sort du monde, il faut en sortir tout entier et n'y laisser aucune partie de soi-même : non remaneat ex eis ungula, c'est-à-dire rien h quoi se puisse attacher encore notre cœur. Il faut vouloir accomplir dans tous ses points te conseil de .lésus-Christ : « Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres... ensuite venez et suivez-moi 2. »
Pharaon se montrant toujours endurci. Dieu avait frappé de mort tous les premiers-nés des Égyptiens, depuis le pre- mier-né du roi assis sur son trône, jusqu'au premier-né de l'esclave enfermé dans une prison, et jusqu'aux premiers-nés des animaux ^. Pharaon alors, frappé du coup qui l'attei- gnait et pressé par les plaintes de son peujjle, permet à Moïse de se retirer au désert avec tous les Hébreux. Mais à peine sont-ils partis, qu'il se repent d'avoir laissé échapper ses victimes. « A quoi avons-nous pensé, dit-il à ses gens, de laisser ainsi aller Israël, et de nous priver de ses services *?»
^ Hostias quoque et holocausta dabis nobis , qua; offeramus Do- mino Dec nostro. Cuncti grèges pergent nobiscum : non remanebit ex eis ungula: quœ necessaria sunt in cultura Domini Doi nostii. (Exod., X, 2o, 20.)
2 Matth., .\ix, 21. — Coll. Luc, xtiii, 22.
^ Exod., xii, 29.
* Quid voluinius facere, ul dimittereraiis Israël , ne seniret nobis. {Exod. y .Mv, li.)
CONTRE LA VOCATION RELIGIEUSE 290
Aussitôt il rassemble ses soldats, ses charriots de guerre et ses officiers, et se met, à leur tête, à la poursuite des Hébreux ^ .
Telle est aussi la conduite de Satan à l'égard des âmes qu'il n'a pu retenir dans le siècle, et qui, échappant à tous ses pièges, se sont retirées dans la terre de la religion. Dieu le permettant ainsi, afin de les éprouver et de les fortifier dans l'épreuve, Satan assemble contre elles ses suppôts, les démons de toutes les passions, il fond avec eux sur ces âmes fidèles, il excite en elles la plus violente tempête de ten- tation. La tristesse, les ennuis, les dégoûts de la vie nouvelle qu'elles ont embrassée, le souvenir et le regret du bonheur goûté dans la famille, de nouveaux attraits pour tout ce qu'elles ont quitté, les révoltes de la concupiscence, tout est mis en œuvre. C'est un assaut général. Au milieu de cette détresse, de ces alarmes, il est facile de se laisser abattre. On se surprend parfois à se plaindre à Dieu, à se demander, comme les Hébreux à Moïse, s'il n'eût pas mieux valu servir en Egypte que de venir mourir dans le désert "^.
Dans ces ténèbres, dans ces angoisses, l'âme doit, sur toutes choses, se garder de rien changera sa détermination, de remettre en question faftaire de sa vocation. C'est le jour de la désolation, c'est l'heure donnée à la puissance des té- nèbres ; l'âme se trouve sous l'action de l'esprit d'erreur ; ce n'est point le moment de délibérer, mais de combattre, de résister à l'ennemi, d'agir en sens contraire de ses sugges-
' Junxit ergo currum , et omnem populum sinim assumpsit seciim. Tulitque sexcentos currus eîectos, et quidquid in ^îgypto curruum fuit : et duces totius exercitus. Induravitque Dominus cor Pliaraonis régis jEgypti, et persecutus est filios Israël. (Exod. , xiv, 6, 7, 8.)
■^ Exod., XIV, 1^2.
300 PRINCIPALES TENTATIONS
lions, de rester, coûte que coûte, fidèle à Dieu. Revenir alors sur une résolution arrêtée dans un temps de calme et de lumière divine, ce serait s'exposer indubitablement à tomber dans les pièges de l'ennemi '.
Il faut lutter sans crainte, sans pusillanimité, l'edoubler d'énergie, multiplier les actes de vertu pour lesquels la dé- solation inspire de la répugnance. « Notre ennemi, dit saint Ignace de Loyola 2, ressemble à une femme querelleuse et faible en dispute avec un homme. Cette femme baisse le ton et perd son audace quand celui-ci lui montre un visage ferme et lui parle avec autorité ; mais vient-il à montrer de la timidité, la voilà d'une audace extrême, sa colère se dé- chaîne avec fracas. Il en est ainsi du démon à l'égard des âmes: il perd courage, il prend la fuite, quand il voit l'athlète spirituel résister à ses tentations avec un cœur intrépide, et faire tout le contraire de ce qu'il suggère; mais si l'on tremble, si l'on hésite, si, dès les premiers assauts, on se laisse aller au découragement, il n'est point de bête féroce sur la terre qui l'égale en fureur et en cruauté. »
A l'énergie de la résistance, on doit unir l'ardeur de la prière. C'est par elle qu'on obtiendra le courage de la lutte, la persévérance dans le combat et la victoire.
Lorsque les enfants d'Israël aperçurent Pharaon et les Égyptiens, ils furent saisis de crainte et crièrent vers le Sei- gneur 3. Il faut, à leur exemple, implorer le secours du Ciel
* S.Ignat., in libr. Exercit. spirit., reg. ad Motus animœ dis- cernendos, reg. v.
- S. Ignat., ibid., reg. xii.
^ Cumque appropinqiiasset Pharao, levantes filii Israël oculos , videnint iEgyptios : linnieruat valde, clamaveruntque ad Dominuni. {Exod., XIV, 10.)
CUISTRE LA VOCATION RELIGIEUSE 301
par de ferventes prières, par ces cris de l'âme dont la puis- sance est si grande sur le cœur de Dieu.
Le plus souvent, au milieu de cette tempête, il est impos- sible de recourir à la lumière du raisonnement, car, dans l'obscurité où l'on se trouve, on ne voit que contusion. Alors on doit se contenter de dire à Dieu : « Seigneur, secourez- moi. Seigneur, venez à mon aide, » et d'adresser aussi de fréquentes invocations à Marie, mère de persévérance, en comptant sur la divine promesse : « Demandez et vous recevrez * »
« En recourant ainsi à la prière, on parvient infaillible- ment à vaincre la tentation ; mais sans son appui il est im- possible de n'y pas succomber 2. »
Enfin, l'âme ainsi attaquée doit s'ouvrir â celui qui fait auprès d'elle l'office de Moïse. « C'est, dit saint Alphonse de Liguori ^, un remède également essentiel et nécessaire, en de semblables tentations, de communiquer ce qu'on éprouve à ses supérieurs ou à son père spirituel, et cela sans tarder, avant que la tentation ait acquis de la force. Quand la ten- tation est dévoilée, disait saint Philippe de Néri, elle est à moitié vaincue. Au contraire, il n'y a pas de plus grand danger, en pareil cas, que de cacher sa tentation à ses guides. Alors, en effet, Dieu retire sa lumière à cause du peu de confiance qu'on lui témoigne en refusant de mani- fester son mal ; la tentation elle-même se fortifie tant que la mine n'est point éventée. Ainsi, on n'en peut douter, celui qui est tenté contre sa vocation et ne le révèle pas ne peut manquer de la perdre. »
* Joan., x\i, 24.
^ S. Alph. de Liguori , Avis sur la vocation religieuse , § 2. Ihid.
302 PRINCIPALES TENTATIONS
C'est aussi l'avertissement de saint Ignace de Loyola, dans CCS règles du discernement des esprits. « L'ennemi de nos àme^, dit-il ', dans les assauts qu'il nous livre, imite la conuuite d'un séducteur perfide : celui-ci met le plus grand soin à tenir ses manœuvres secrètes ; il ne craint rien tant que de les voir arriver à la connaissance de ceux qui peuvent les déjouer. Ainsi le démon s'efforce de lier la langue des personnes qu'il cherche à tromper, afin que ses perfides suggestions ne soient point connues. Mais on est sûr de lui causer le plus violent dépit et le chagrin le plus amer, quand on découvre ses pièges soit à un confesseur, soit à un directeur expérimenté ; il voit dès lors que ses efforts seront sans succès. »
Si l'âme ainsi tentée est fidèle à prendre ces moyens, elle n'aura rien à craindre des assauts de son ennemi. Le Sei- gneur la soutiendra par sa grâce. Le guide qui la dirige lui dira comme Moïse aux Hébreux alarmés : « Ne craignez point, demeurez fermes, et vous verrez les merveilles que Dieu fera en votre faveur ; de tous les ennemis qui vous pressent, il n'en restera bientôt plus un seul. Le Ciel même combattra pour vous, et vous garderez le silence ^. »
Bientôt, en effet, Dieu fit sentir aux Hébreux la puissance de son secours, et aux. Égyptiens les coups de ses ven- geances. A son ordre. Moïse étend sa verge sur la mer Rouge : les flots se séparent, et les Hébreux passent à pied secs. Pharaon suit avec son armée, il pénètre avec elle dans
^ In libr. Exercit., reg. ad Motus animœ discerncndos, reg. xiii.
- Nolile timere : state et videte niagnalia Domini quœ facturus est liodie : jEgyptios eniiu, quos nunc videtis, nequaquani ultra vide- bitis iisque in sempiteinum. Dominas pugnabit pro vobis, et vos tacebitis. {Exod., xiv, t3, 14.)
COATllE LA VOCVfiO-N RELIGIEUSE 303
ce miraculeux passage. Sur un nouvel ordre de Dieu, Moïse étend la main sur la mer : aussitôt les eaux se précipitent et submergent tous les Égyptiens.
Ainsi agira le Seigneur envers l'âme fidèle à écouter sa voix et à répondre à son appel. Ce que la nuée mystérieuse était pour les Hébreux ^, il le sera pour elle; il la conduira lui-même à travers les pièges semés sur sa route, il éclairera ses pas et la mettra à couvert des traits de Satan et de ses anges. Il divisera les flots qui semblent devoir arrêter sa marche ; il la fera passer au milieu d'une mer d'amertume, entre ses eaux suspendues ; il tournera contre ses ennemis l'orage qu'ils ont excité en elle ; il y fera périr l'orgueil, la luxure, l'avarice, et il assurera ainsi sa victoire et son salut 2.
L'càme ainsi délivrée n'aura pas moins de sujet que Moïse et les Hébreux de chanter un hymne de louanges au Seigneur. Dieu n'aura pas foit de moindres merveilles en sa faveur; il en aura fait de plus admirables, des merveilles dont les prodiges opérés en faveur d'Israël n'étaient que la figure, u N'est-il pas, en effet, plus glorieux de vaincre Satan que Pharaon? de triompher des puissances aériennes que de renverser les chariots de l'Egypte? D'un côté, on résiste h la chair et au sang; de l'autre, on lutte contre les princes de ce monde, contre les puissances des ténèbres, contre les esprits de malice. Là on sort de la terre d'ÉgyjDte, ici on s'éloigne du siècle ; là sont renversés les chars d'un roi delà terre, ici, on triomphe des désirs mondains et terrestres, cause de la perte des âmes ; là on obtient la victoire par
' Exod., xni, 21 ; .\iv, 20.
^ s. Bern., Serm. xxxix in Cant., n. 0-10.
304 ÉPREU\ES DE LA VOCATION RELIGIEUSE
les flots de la mer, ici on l'acquiert par les larmes de la prière; dans ce triomphe de l'âme fidèle, la terreur des dé- mons n'est pas moindre que celle des Égyptiens submergés dans les eaux; comme eux ils s'écrient : Fuyons Israël, parce que le Seigneur combat pour lui '. »
CHAPITRE XI
Épr-euves de la Vocation religieuse.
On ne doit point confondre les épreuves de la vocation avec les tentations dont il a été question au chapitre pré- cédent.
La tentation provient, soit de notre nature corrompue, soit du monde et du démon, et nous porte directement au mal. Elle est proprement une incUnation ou une impulsion à mal faire. Les épreuves peuvent nous venir de ceux qui veulent notre salut et notre perfection ; c'est la divine Providence qui nous les ménage. Elles ne sont autre chose que les peines, les difficultés, les obstacles, les travaux que l'on rencontre dans l'accomphssement de ses devoirs, dans la pratique des vertus ; elles ont pour fin d'exercer les âmes, d'éprouver leur constance, de les former, de les fortifier dans le bien.
Les tentations deviennent aussi, dans les desseins de Dieu, des épreuves; il permet que nous y soyons sujets, parce
* S. Bern., Serm. xxix m Cant., n. G-10. — Conf. L. Dupont, la Perfection c/trèf., t. IFI, tr. V, en.
ÉPREUVES BE I- V YOCVTION UELIGIEUSE ^Oa
qu'il sait tirer le bien du mal, et faire servir au salut des âmes les manœuvresmême de leurs ennemis ; mais elles ne laissent pas d'être par eUes-mômes des tentations.
La vocation à l'état religieux doit être éprouvée. Pour elle, comme pour toutes les œuvres de Dieu, l'épreuve est une condition de durée, une garantie de succès.
Mais, si la vocation doit être éprouvée, elle ne doit point être exposée. Or ce serait l'exposer aux plus grands périls que de prétendre l'éprouver dans le commerce du monde. On ne saurait donner à une âme que l'on voit appelée à la vie religieuse un plus funeste conseil que celui de rester dans le siècle afin d'y éprouver sa vocation. « Ce serait vouloir éteindre l'esprit sous le spécieux prétexte de l'éprouver; rejeter au milieu d'une mer orageuse celui qui serait sur le point d'entrer dans le port. Il serait aussi sage de conseiller à un homme sans expérience, qui veut apprendre à conduire LUI navire, à se jeter avec une frêle barque sur des flots en fureur, ou de dire, à celui qui veut se livrer au commerce, d'exposer toute sa fortune dans un jeu de hasard. Quoi de moins conforme à la droite raison, de plus éloigné de la vraie prudence, que de chercher au milieu de tels périls ce que l'on peut trouver à l'abri de tout danger? Si un habile jardinier reçoit de l'Orient quelque rare semence, dont la culture exige les plus grands soins, va-t-il, dans le but de reconnaître si elle peut croître et germer, la jeter dans un terrain pierreux, couvert de ronces, exposé à toutes les in- tempéries de l'air? L'inspiration divine et la vocation reU- gieuse sont une semence céleste confiée à la terre de notre cœur pour y produire des fruits de vie et de sanctification. Mais il faut une grande vigilance pour que celte semence précieuse ne soit point enlevée parles oiseaux du ciel, ni
306 ÉPREUVES DE LA VOCATIOJS RELIGIELSE
foulée aux. pieds des passants, ni étouffée par ies épines ^. Il fautdonc éloigner du commerce du monde et des sollicitudes terrestresle cœur auquel elle est confiée, et le mettre en quel- que lieu retiré où il soit moins exposé à ses périls divers '^. »
Les vocations ù l'état religieux ont besoin d'être éprouvées. Or l'Église a elle-même pourvu au lieu, au temps, au mode de ces épreuves. C'est dans les maisons religieuses, dans les noviciats qu'elles doivent se faire ; le temps et la manière en sont déterminés par des règles que l'Église a aprouvées. Les aspirants h la vie religieuse y sont à l'abri des périls et des occasions qui pourraient leur faire perdre la précieuse semence qu'ils ont reçue du Ciel. Là, cette divine semence trouve tous les éléments propres à la développer, ;i la faire croître, à la fortifier. Là, le soldat nouvellement enrôlé est soumis à la discipline religieuse ; il apprend, par sa propre expérience, s'il en pourra porter le joug 2. Là, enfin, les âmes justes trouvent ce creuset où elles doivent être éprou- vées, comme l'or par le feu. Les épreuves qui les y attenden sont voulues du Dieu qui les appelle ; elles sont préparées par sa miséricordieuse sagesse ; elles font partie de la vocation elle-même. Prétendre leur en substituer d'autres, c'est être injuste envers les âmes ; c'est usurper le droit môme de Dieu et de son Église.
Au noviciat, l'aspirant à la vie religieuse doit s'attendre à trois sortes d'épreuves : celles qu'il rencontrera dans la pratique de la règle; celles qui lui seront imposées parles supérieurs, et celles que Dieu même lui enverra.
' Matth., XIII, 1-8.
- Lessiiis, de Statu vitœ delif/endo, q. 7, u. SI.
■^ Lessius, ibid., n. 84.
ÉPREUVES DE LA VOCATION RELIGIEUSE 307
Il trouvera, dans l'observation de la règle, la réalité des sacrifices qu'il a désiré offi'ir au Seigneur. Il se verra apjielé à la pratique d'un continuel renoncement à s'es goûts, à ses idées, à sa volonté propre, à des exercices non interrompus d'humilité, d'obéissance, de charité. C'est alors que son amour-propre se trouvant à chaque instant humilié, sacrifié, sa vocation etsafidéhté seront véritablement éprouvées.
Les supérieurs des maisons religieuses où se présentent les candidats les éprouveront, afin de s'assurer de la pureté de leurs intentions, afin de reconnaître le caractère, les quahtés, les défauts, les inchnations diverses de chaque can- didat , le degré de bonne volonté dont chacun d'eux est pourvu. Ahisi que l'Écriture le raconte de Gédéon, faisant })ar l'ordre de Dieu le choix des guerriers qu'il devait con- duire à l'ennemi ^, ils verront les uns se retirer d'eux-mêmes, faute de courage et de générosité; ils en trouveront d'autres trop attachés à eux-mêmes et aux choses terrestres pour être admis dans la milice du détachement et de l'abnéga- tion 2.
Ceux qui, dans les maisons religieuses, sont chargés de l'admission et de la formation des sujets, les font passer en temps opportun, par les expériments de Vinstitut, On appelle ainsi certains exercices d'humihté et d'obéissance déterminés par la règle, et dont le but est, en mortifiant son amour-propre, de former le novice à la pratique des vertus rehgieuses. Ceux auxquels les candidats sont confiés y ajoutent les épreuves qu'ils jugent nécessaires à la formation
* Judic, vu.
- On peut lire dans Cassien, De cœnob. instit., l.IV, c. m, les diverses épreuves auxquelles les ancieiis religieux soumettaient les candidats.
308 ÉPREUVI'S DE LA YOC.VTIUN RELIGIEUSE
de chacun d'eux. « Leur principale sollicitude doit être, dit Cassien, d'introduire le jeune religieux dans la pratique de la vie parfaite ; de le disposer à en atteindre les sommets les plus élevés; toute leur science, de lui enseigner tout d'abord à vaincre sa volonté ; ils l'y exerceront avec diligence ; ils auront soin de lui commander à dessein ce qui est contraire à ses goûts. Les commençants ne peuvent, en effet, espérer de mettre un treiu à leurs passions, s'ils ne s'appliquent d'abord à mortitler leur volonté par l'obéissance '. »
Dans ces sahuaires épreuves imposées aux candidats on reconnaîtra, à la fermeté et à la constance de sa volonté, s'il a réellement toutes les ressources nécessaires pour l'édifi- cation de la tour spirituelle qu'il a entreprise 2. En rapport avec la fm de chaque institut, avec les sacrifices plus ou moins grands quil exige, avec les ministères plus ou moins difficiles auxquels il applique chacun de ses membres, elles donnent du sujet qui y est soumis toute la connaissance né- cessaire 3.
• Cassien., De cœiiob. hiittit. , 1. IV, c. viii.
- Luc, Mv, 28.
^ Au rapport de Cassien(Z)e monach. institut., 1. IV, e. m, vu) , chez les anciens moines, après dix jours au moins passés à la porte du mon?,stère, après diverses humiliations, l'aspirant était employé pendant une année entière au service des étrangers et des voyageurs, sous la direction d'un ancien. Ensuite on ie confiait à un autre reli- gieux chargé de la formation d'une dizaine de novices , et dont le soin principal était de les exercer au renoncement de leur propre volonté. Il n'y avait point de temps fixé pour la durée de cette for- mation.
Dans l'oidre de Saint-Benoît, le postulant doit rester quatre ou cinq jours à la porte du monastère. Reçu ensuite en qualité d'hôte, il est éprouvé pendant deux mois par un ancien religieux, qui examine de quelle manière il s'acquitte de ce qu'on lui commande , avec quelle
ÉPREUVES DE LA VOCATION HELIGIEUSE 309
Dieu ne laisse pas à ses représentants tout le soin d'é- prouver les âmes qu'il appelle à sa suite. 11 met lui-même
promptiUide il obéit, et quelle est sa constance à supporter les con- trariétés et les mépris. Quand il a satisfait à ces épreuves, il est admis parmi les novices, pour être formé avec eux.
Il y a des épreuves à peu près semblables dans les autres ordres monastiques. Celles en usage dans les ordres des clercs réguliers en diffèrent davantage , à cause du caractère propre de leur institut.
Saint Ignace de Loyola a établi dans sa Compagnie trois probations. La première est de douze à vingt jours ou même plus , si on le juge nécessaire. L'aspirant, après des renseignements qui donnent de lui une connaissance suffisante, est admis dans la maison de pro- bation en qualité d'hôte : il est examiné, et lui-même considère à loisir les principales obligations de l'institut. Admis ensuite à la deuxième probation, il y est formé à la pratique des vertus religieuses, conjointement avec 'es autres novices. Le noviciat se compose de ces deux probations, et doit durer deux années entières , après lesquelles seulement le novice peut être admis à faire ses premiers vœux. C'est pendant la première année de ce bieimium que le novice doit subir les expériments exigés par la règle. Ces expériments sont au nombre de six et durent chacun un mois. Le premier est le mois des exer- cices spirituels : le novice y puise avec l'esprit d'abnégation un amour ardent pour Jésus crucifié. Le second consiste à servir les malades dans les hôpitaux. Pendant le troisième, le novice , devenu pèlerin et allant à pied et demandant l'aumône , s'habitue à l'intempérie des saisons et à la conduite de la Providence. Le quatrième le met dans les emplois les plus bas , au service de la cuisine, afin de l'exercer à la pratique de l'abnégation et de l'obéissance. II est appliqué pen- dant le cinquième à faire le catéchisme aux enfants et aux gens grossiers. Durant le sixième, les prêtres sont employés aux minis- tères de la confession et de la prédication. C'est dans ces expéri- ments que se forme l'enfant de Saint-Ignace , en môme temps que sa vocation y est éprouvée. C'est Ik qu'il puise l'esprit d'abnégation et de dévouement qui fait le caractère propre de son institut.
Après les études et la régence, vient la troisième année de proba- tion. Le religieux y est de nouveau appliqué, in schola affcctus, à tout ce qui peut le renouveler , l'affermir et le faire avancer dans une humilité sincère, dans une abnégation entière de la vo'onté et
310 El'UELVES DE LA VOCATION RELIGIEUSE
la main à leur formation par des épreuves spéciales. « Dieu a éprouvé les justes, dit l'auteur de la Sagesse, et il les a trouvés dignes de lui. Il les a éprouvés comme l'or dans la fournaise, il les a reçus comme une hostie d'holocauste '. »
Il éprouve les religieux dès leur entrée dans la carrière, afin de les rendre constants dans leur vocation et plus fermes dans la vertu. Tantôt il les visite par des maladies et des infirmités, ainsi qu'il l'a fait pour le juste Tobie 2. Tantôt il leur ôte l'abondance des lumières et des consolations par lesquelles il les avait attirés d'abord. Il les laisse, par cette soustraction, tomber dans un état de ténèbres, d'aridité et de désolation spirituelle, dans un certain dégoût de la vie qu'ils ont embrassée. Ce sont quelques gouttes de l'amer calice que lui-même a voulu boire au jardin des Olives, alors qu'il permit à sa sainte âme d'éprouver la tristesse et l'ennui, une sorte de répulsion pour les ignominies qui l'attendaient.
Ces épreuves, dans les premiers jours du noviciat, ont aussi leur cause naturelle dans le changemement de vie. Le
(lu jugement, dans le dépouillement des penchants inférieurs de la nature, dans un amour de Dieu plus ardent. De cette sorte , après avoir fortifié dans son âme , après y avoir fait pénétrer plus avant encore ceUe vie véritablement spirituelle, il pourra mieux aider les autres à s'aVancer dans les mêmes voies , pour la gloire de Dieu et de Noire-Seigneur.
On pardonnera sans peine à l'auteur de s'être un peu étendu dans ceUe note, sur les expériments en usage dans une Société h laquelle il a le bonheur d'appartenir, et qui a été si souvent calomniée dans la formation de ses enfants.
1 Deus tenlavit justes et invenit illos dignes se. Tanquam aurum jn l'ornace probavit illos , et quasi holocausti hostiam accepit illos. (Sap., m, 5, G.)
2Tob.,n, U.
EPUEUVEb DE LA YOCATIO?; UELIGIELSE 311
novice se trouve comme un étranger dans un pays qu'il ne connaît pas encore ; il n'est plus du monde dont il s'est séparé; il n'est pas encore incorporé à la religion, ni lié à la nouvelle patrie dont il connaît à peine les habitants ; il se trouve dans un certain isolement qui resserre son cœur et attriste son âme. Telle une jeune plante nouvellement trans- portée dans un terrain plus propre à son développement : ses racines brisées n'ont pas encore, dans ce terrain nouveau, trouvé les sucs qui lui conviennent ; on la voit tristement inclinée vers la terre. Mais vienne la rosée céleste, elle reprendra sa fermeté et son élan vers le ciel. Ainsi viennent, pour le nouvel habitant de la cité religieuse, au milieu de ses premières tristesses, les rayons du divin soleil : il sentira son cœur s'affermir, se dilater et s'attacher à sa nouvelle patrie. Comme ù, Jacob, seul et pauvre au sein de la soli- tude, lagrâce lui montre, dans le lieu où il se trouve, la terre que Dieu même lui a promise et où il le comblera de ses dons K
Les épreuves ménagées par le Seigneur à ceux ({ui ont répondu à son appel sont le creuset où leur âme doit se dépouiller de toutes ses grossières attaches ; elles sont le feu de l'holocauste où la victime doit être conswiiée. L'àme y trouve une précieuse occasion d'exercer sa fidélité et sa reconnaissance envers Dieu ; de manifester, en les supportant avec courage, l'estime qu'elle fait de la grâce de sa vo- cation.
Celui donc que Dieu a appelé et qui a déjà eu le bonheur de répondre à sa voix et d'entrer dans la carrière ne doit pas s'étonner de ces épreuves, ni s'en laisser abattre. Il doit.
* Gencs., wvill, 13.
312 ÉPKEUVES DE LA VOCATION RELIGIEUSE
au contraire, mettre tous ses soins à en profiter; les estimer, les aimer, les accepter avec le désir d'en recueillir les fruits de formation qu'elles sont destinées à produire. Par elles, il arrivera'à rendre certaine et assurée sa vocation et l'élec- tion divine '. Quelle que soit la durée de ces épreuves, il ne doit point s'en alarmer ; mais, suivant la parole du pro- phète, attendre le Seigneur et agir avec force -, attendre avec confiance le retour de la lumière, et lutter avec fidé- lité par l'emploi des moyens que nous ont suggérés les saints ^.
Que l'càmc considère ces épreuves comme la route qui conduit aux grands biens auquels elle aspire, à l'héritage que le Seigneur lui a montré dans sa lumière. Pour arriver à la terre promise, à cette terre où coulaient le lait et le miel ''■. les Hébreux ont dû traverser le désert, passer par de longues privations ; de rudes épreuves sont venues exercer leur pa- tience et éprouver leur fidélité. Ils ont eu à combattre mille ennemis conjurés contre eux. Ainsi en est-il de l'àme que Dieu appelle à la terre de la reUgion. Elle doit y arriver par la route du désert, par une voie hérissée de difficultés ; il lui faut passer à travers mille dangers, triompher de nom- breux ennemis. Mais elle doit se rappeler que les plus grands obstacles deviennent, entre les mains de Dieu, d'efficaces moyens de salut ; que les choses qui nous pa- raissent les plus contraires à notre bonheur, il les fait
' Quapropter, fratres, niagis satagile, ut per bona opcra certani vestram vocationeni et clectionem faciatis. (Il Petr., i, 10.)
^ Exspecta Dominum, viriliter âge : et confortelur cor tiuim, et sustine Doniiniini. {Ps., xxvi , 14.)
^ Yoy. à la fin du chapitre précédent.
^ Eccli., XLVi, 10.
CAUSES DE L'IiNFIDÉLlTÉ A LA VOCATION 313
tourner fi notre bien. Qu'elle se rappelle Joseph haï et vendu par ses frères, jeté par la calomnie dans une prison, et conduit par ces vicissitudes môme à l'élévation qui lui avait été montrée et que ses frères jaloux voulaient l'empêcher d'atteindre. Qu'elle imite la constance de Jacob, obtenant, au prix de rudes travaux, après une longue attente, la main de Rachel son épouse. Qu'elle s'encourage par le souvenir du saint roi David. Bien que choisi de Dieu à la place de l'infidèle SaOl et sacré par le prophète, il n'obtint cepen- dant la paisible possession de son royaume qu'après de longues épreuves. « Qu'elle entende enfin ce que l'Esprit dit aux Éghses : «A celui qui triomphera, je donnerai ime « manne cachée, la gloire céleste et un nom que personne « ne connaît, si ce n'est celui qui l'a reçu K »
CHAPITRE XII
Causes de l'infidélité à la Vocation.
MOYENS DE PERSÉVÉRANCE.
On est infidèle à la vocation rehgieuse par là même qu'on néglige de répondre à l'appel du Seigneur. On devient in- fidèle quand, après avoir fait les premiers pas dans la car- rière, on refuse d'avancer et que l'on retourne en arrière.
^ Audiat quid Spiritus dicat Ecclesiis : Vincenti dabo maiina abs- conditum, et dabo illi calciilum candidum, et in caiculo nomen scrip- luiii, qiiod neiuo scit; ni;i qui accipit. {Apoc. ii, 17.)
VOCATIO.N. Ici
314 CAUSES DE L'INFIDÉLITÉ A LA VOCATION
La première sorte d'infidélité a sa cause ordinaire dans le défaut d'oraison et de recueillement, dans un éloignement prolongé des Sacrements, dans des rapports trop fréquents et trop intimes avec le monde.
« Qu'on en soit bien persuadé, dit à ce sujet saint Alphonse de Liguori ', on ne peut conserver la vocation religieuse sans le secours de l'oraison. Si on abandonne l'o- raison, on perdra certainement sa vocation. Que celui donc qui se sent appelé de Dieu à l'état religieux ait soin de faire, le matin à son lever, une heure ou au moins une demi- heure d'oraison, dans sa maison, s'il le peut librement, ou bien à l'église-; que le soir il consacre une demi-heure au même exercice.
« Qu'il fasse aussi chaque jour, sans y manquer, une visite au Saint Sacrement et à la Sainte Vierge, afin d'ob- tenir la grâce de persévérer dans sa vocation, et que, dans le même but, il communie trois fois ou au moins deux fois la semaine.
« Le sujet de ses méditations doit être presque toujours la vocation même; il considérera combien est grande cette faveur divine, combien on assure son salut lorsqu'on y correspond fidèlement ; et, au contraire, à quel danger on s'expose quand on la néglige. 11 lui sera surtout utile de se représenter le moment de sa mort; de considérer quel con- tentement il éprouvera alors, s'il obéit à Dieu ; à quelle peine, au contraire, à quels remords il sera en proie s'il meurt dans le siècle 2, »
^ Avis sur la vocation religieuse <, § 2.
- Saiut Alphonse de Liguori a composé dans ce but une série de considérations sur l'état religieux. Elles ont été réimprimées avec les
à
MOYENS DE PERSÉVÉRANCE 315
Que toutes les prières à Jésus et à Marie, particulièrement après la sainte communion et dans les visites, aient pour objet d'obtenir la persévérance.
Que dans toutes ses oraisons et ses communions il ait soin de renouveler à Dieu l'offrande de soi-même, en lui disant : « Me voici. Seigneur! Je ne suis plus i\ moi, je suis à vous; je me suis déjà donné et je me donne de nouveau tout à vous, daignez agréer mon offrande en m'accordant la force de vous être fidèle et de me retirer le plus tôt qu'il me sera possible dans votre sainte maison.
« Il est nécessaire aussi de vivre dans le recueillement, et on ne le peut qu'en s'éloignant des sociétés et des diver- tissements du siècle. Que faut-il pour perdre la vocation en restant dans le monde? Un rien, une journée de dissipation, un mot d'un ami, une passion mal réprimée, une attache, une crainte, un ennui non surmonté, cela suftit pour dé- truire toutes les résolutions de se retirer et de se donner entièrement à Dieu.
« On doit donc se tenir dans un recueillement complet, en renonçant à tout ce qui est du monde ; il faut que la vie entière soit, pendant ce temps, concentrée dans l'oraison, la fréquentation des Sacrements, la maison et rÉgiise. Qui- conque n'agira pas ainsi et se dissipera dans les amusements mondains doit être persuadé qu'il perdra indubitablement sa vocation ; il sentira le remords d'y avoir manqué, mais certainement il ne la suivra point. Ah! combien n'en est-il pas qui, faute de ce soin, ont perdu leur vocation et par suite leur âme! »
Avis sur lu vocation religieuse, dans un gr. in-32, sous le titre : Avis à la jeunesse chrétienne sur le choix d'un état et sur la vocation.
316 CAUSES DE LINFIDÉLITÉ A LA VOCATIO??
La grâce de la vocation, en effet, nest tout d'abord qu'une semence délicate. C'est, il est vrai, une semence précieuse, qui contient en germe une vie pleine de mérites et des fruits excellents de gloire céleste. Mais cette semence est exposée à la rapacité des oiseaux du ciel. Les distractions et les plaisirs du siècle, les préocupations terrestres, peuvent faci- lement Tétouffer. C'est un germe qui a besoin de se déve- lopper, une plante qui doit croître et se fortifier sous l'action d'une féconde rosée et d'un soleil vivifiant. Tout cela ne peut se faire que dans l'éloignement des joies mondaines et le recueillement de l'àme, à l'aide de ferventes oraisons et par la réception fréquente des Sacrements.
Ces moyens sont nécessaires à la conservation et aux accroissements de cette plante salutaire, soit que, retenue encore dans le désert du siècle, elle commence à germer, soit que, transportée dans la terre de la religion, elle s'y développe et y donne des fruits. Car ici, nous l'avons vu déjà, elle n'est pointa l'abri de tout danger ; elle peut périr encore. On est exposé, après avoir goûté le lait et le miel de la terre promise, au malheur de regretter les viandes et les oignons d'Egypte. Il peut arriver qu'après s'être donné tout entier au Seigneur par l'entrée en religion, on veuille reprendre ce qu'on a donné. Considérons les causes spé- ciales d'un tel malheur ^ .
La première cause qui porte les âmes déjà entrées dans la carrière à retourner en arrière est le peu de fermeté de leur détermination. Cette détermination manque de consis- tance, parce qu'elle est appuyée sur des motifs humains et
^ lYous suivrons , dans le développement de ces considérations, le P. L. Dupont , la Perfection chrétienne, t. III, tr. V, c. vn.
MOYENS DE PERSÉVÉRANCE 317
terrestres. La foi donne à nos résolutions une base solide, immuable ; la nature ne leur offre qu'un faible et mobile appui. Toutes celles qui procèdent ou du respect humain, ou d'une secrète vanité, ou d'une certaine légèreté d'esprit, ou de quelque principe semblable, ne sauraient être de longue durée. Ainsi, la Moabite Orpha avait quitté sa patrie et avait suivi Noémi sa belle-mère, pour ne pas paraître lui être moins affectionnée que Ruth, sa sœur; mais, apprenant de la bouche de Noémi, qu'elle n'avait rien h espérer en s'atta- chant ainsi à une infortunée que le ciel accablait d'épreuves, elle se retira ^ . C'est que, en effet, les motifs humains et terrestres n'offrent à l'àme qu'un appui fragile et changeant. Celui qui s'y confie conserve toute sa faiblesse, il se fatigue dans sa marche, il s'épuise dans les efforts qu'il fait pour se soutenir, il finit par tomber en défaillance et regarde en arrière.
Il est aussi très-important de se faire, dès le princi})e, une idée juste de la vie religieuse. On doit se la représenter telle qu'elle est en réalité, une vie de renoncement à soi-même, à ses aises et à ses goûts, à sa volonté et à son jugement, à sa liberté et à son indépendance. Il faut se rappeler que, dans les desseins de Dieu, le religieux doit être une victime immolée, par le conthmel sacrifice de lui-même, à la gloire du Seigneur et au salut des âmes. C'est donc l'immolation et le renoncement qu'il faut se proposer dans la vie religieuse. Toute autre idée qu'on s'en ferait serait une illusion dange- reuse, et exposerait au malheur de regretter le siècle,
ce II en est qui, entrant dans une communauté fervente, ne prennent pas le vrai moyen d'y trouver la paix et de s'y
1 Riitli., I.
18.
SIS CAUSES DE L'I>TIDÉLITÉ A LA VOCATION
banclitier ; ils n'y cherchent que certains avantages temporels dont ils veulent jouir, comme la sohtude, le repos, l'affran- chissement des embarras de famille, des querelles, des sujé- tions et des soins relatifs aux besoins de la vie, au logement, à lanouriture, aux vêtements.
« Celui qui embrasse la vie religieuse doit sans doute beaucoup de reconnaissance à Tinstitut qui le déhvre de tant de soucis et de contrariétés, lui procure la facilité de servir Dieu parfaitement et lui donne mille secours pour son avancement spirituel... Tout cela est vrai, mais aussi faut- il, pour ne pas perdre de tels avantages, se résoudre à em- brasser toutes les souffrances que l'on rencontre dans la vie reUgieuse; celui qui ne les recevra pas avec amour ne pourra obtenir cette paix pleine et entière, cette mannecachée que le Seigneur ne fait goûter, selon sa promesse, qu'à ceux qui se sont vaincus pour lui plaire '
<i Quiconque veut embrasser l'état religieux doit prendre la résolution de se sanctifier, de souffi'h' toutes les peines intérieures et extérieures qu'il trouvera, et de ne jamais aban- donner sa vocation ; si cette résolution lui manque, je l'en- gage à ne point tromper les supérieurs en se trompant lui-même, et, par conséquent, à ne pas entrer en reUgion, car c'est un signe qu'il n'y est point appelé, ou qu'il ne veut point correspondre à sa vocation, comme il le dit, ce qui est un plus grand mal. Le plus sûr pour lui est d'attendre, d'acquérir les dispositions qui lui manquent, ens'armantdu ferme propos de se donner tout à Dieu et de souffrir tout poui- Dieu. En agissant autrement il se fera tort à lui-même et à l'instilut qu'il veut embrasser, car il se met en grand danger
' Apor.. II, 17.
MOYENS DE PERSE VÉllAlNGE 319
de le quitter, et s'il le fait, outre le discrédit dans lequel il tombera aux yeux du monde, il se rendra coupable devant Dieu d'une plus grande infidélité à sa vocation ; il perdra la confiance d'avancer dans la vie du bien. Or Dieu sait quels dommages et quelles chutes doivent suivre cette première disgrâce ^. »
Certaines inclinations vicieuses qu'on néglige de mor- tifier, que l'on ne craint pas d'entretenir, sont une seconde source de l'infidélité à la vocation. 11 est écrit de Raclicl que, fuyant la maison paternelle avec Jacob, son époux, elle emporta secrètement avec elle les idoles de son père. Elle le fit, suivant plusieurs interprètes , parce que, attachée elle-même à ces idoles, elle voulait les adorer en secret. Ainsi agissent plusieurs de ceux qui quittent le monde pour entrer en religion. Ils emportent de secrètes attaches, cer- taines inclinations qui ont grandi avec eux et que souvent ils se dissimulent à eux-mêmes. Ce sont autant d'idoles auxquelles ils continueront à sacrifier en secret. Mais ces idoles, comme celles de Rachel, attireront sur eux les pour- suites de Laban, c'est-à-dire du monde et du démon.
Satan est habile à se transformer en ange de lumière. Quand il voit qu'un religieux a conservé quelque estime secrète de ce que le monde admire, une affection toute char- nelle pour ses amis et ses proches, il met tout en œuvre pour faire croître et fortifier ses attaches ; par elles, il arrive bientôt à faire naître dans l'âme du religieux des doutes sur sa vocation, certains regrets d'avoir quitté ses parents, de les avoir privés de sa présence 2.
* s. Alph. (le Liguori , Avis sur la vocation, rdigieuse, § 2. - Les tentations de ce genre ne sont pas rares dans les religieux qui n'ont pas eu soin de nioHitier leurs afîeclions et d« s'appliquer
3-20 CAUSES DE L'INFIDÉLITÉ A LA VOCATION
De là, ces regards jetés en arrière, qui rendent impropres au royaume de Dieu, et dont nous trouvons le châtiment si vivement représenté dans les saints livres.
Les anges envoyés de Dieu pour sauver de l'embrasement de Sodome Loth et sa famille les avaient conduits hors de la ville et leur avaient dit : « Ayez soin de ne pas regarder en arrière, ne vous ari'ètez pas dans la contrée voisine; mais retirez-vous sur la montagne, afin de ne point périr sous le coup du fléau céleste i. » Seule, la femme de Loth fut infidèle à cette recommandation. Elle avait laissé dans Sodome des amis, des connaissances, une maison, et peut- être des biens considérables, auxquels son cœur demeurait attaché. Le Seigneur, en lui défendant de regarder en
(lès le principe à les transformer en les élevant. Ce sont des ten- tJtions pleines de périls , où il est facile de perdre la grâce de la vocation.
Un moyen excellent d'éviter alors les pièges de l'ennemi, et de ne point se laisser tromper par ses sophismes pervers, c'est, dans !e cas où il semblerait qu'on a quelque obligation à remplir à l'égard de ses proches , de suivre la règle donnée par saint Ignace de Loyola à ses disciples {Exam. yen., c. m, n. 3) : « de renoncer sur ce point à son propre jugement et de s'en remettre pleinement à celui de ses supérieurs, d
Voici sur le même objet l'enseignement de l'Ange de l'école: « Post- quam aliquis est jam in religione professus , est mortuus mundo : unde per spiritualem mortem deobligatur a cura impendenda paren- tibus, sicut deobligatur per mortem corporalem , et ideo non peccat, nec contra prœceptum Dei agit, si in claustro remaneat sub praî- cepto prailati sui , parentum ministratione prcetermissa. Est enim factus impotens ad reddendura debitum ministerium absque propria culpa. Débet tamcn, quantum potest salva ordinis obedieutia , sata- gere ut per se, vel per alium suis parentibus subveniatur, si in ne- cessitate fuerint constituti. >' (S. Thomas, in Quodlibeto lll, c.\i, a. IG.)
* Gcn., XIX, 17.
MOYENS DE PERSÉVÉnANCE 321
arrière, voulait sans doute éloigner d'elle la tentation et le danger de retourner à la ville. Mais, lorsque déjà elle se trouvait près de Ségor, le bruit du feu descendu du ciel, celui des flammes qui consumaient la cité, augmentant le regret qu'elle éprouvait d'avoir quitté ces objets de son aftection, elle oublia ou méprisa la parole des anges. La divine justice la changea en statue de sel * : elle punit sa coupable tendresse par la dureté perpétuelle qu'elle infligea à son corps.
Un ancien interprète ^ voit en Loth et et en sa femme la figure de deux sortes de personnes qui quittent le siècle pour se consacrer au Seigneur. Les unes l'abandonnent parfaite- ment; elles le laissent d'esprit et de cœur, aussi bien que de corps. Les autres ne le quittent qu'à regret et pour ainsi dire à demi ; leurs regards se reportent souvent vers ce qu'ils ont laissé. Ce sont ces âmes que Dieu a voulu avertir par le châtiment de cette femme infortunée ; il leur apprend à ne point conserver pour ce qu'elles ont quitté d'aussi dange- reuses attaches.
C'est aussi le sens mystique que saint Augustin et saint Ambroise attribuent à l'avertissement donné parle Sauveur, quand il dit, en parlant de l'approche du dernier jour : « Alors, que ceux qui sont dans la Judée fuient sur les mon- tagnes ; que celui qui est sur son toit se garde d'en descendre pour prendre quelque objet dans sa maison; que celui qui travaille aux champs n'aille pas chercher sa tunique. Sou- venez-vous de la femme de Loth 3. » — a Quel est, dit saint
1 Gc7i., XIX, 26.
- L'auteur du xxxive serm. , Ad fnUres in crcmo, attribué à saint Augustin ; vide edit. Migne, t. V, in fine. ' Luc. , xvii, 32.
322 CAUSES DE L'INFiDÉLlTL A LA VOCATION
Augustin, celui qui se trouve sur le toit, sinon le chrétien élevé au-dessus des désirs charnels, et respirant librement Tair de la vie spirituelle ? Et celui qui travaille aux champs ne nous indique-t-il pas l'ouvrier qui, semblable à Paul et ù Apollon, plante et arrose dans l'Église de Dieu? Que le premier se garde donc de revenir aux satisfactions des sens, figurées par les vases vides de sa maison, et que le second ne reprenne plus les espérances terrestres auxquelles il a renoncé. Que l'un et l'autre se souviennent de la femme de Loth, et évitent, au temps de la tribution, de l'imi- ter en jetant des regards de regret sur ce qu'ils ont quitté. »
« Le toit dont parle le Sauveur, dità son tour saint Am- broise, c'est l'occupation de l'àme élevée au-dessus des choses terrestres ; c'est le sommet de l'esprit, où elle est comme à l'abri de Tintlrmité du corps. Si donc quelqu'un se trouve placé sur ce toit, s'il habite dans la partie supérieure de lui-même, s'il monte au sommet des vertus, qu'il se garde de redescendre aux occupations terrestres de ce siècle ; c'est sur ce toit que l'Église, figurée par Raab, au livre de Josué ^, met les envoyés de Jésus à couvert de la fureur de leurs ennemis,. . »
(( Et ce champ d'oîi il ne faut pas sortir pour retourner à sa maison, quel est-il, sinon celui dont parle Jésus-Christ quand il dit ; « Quiconque met la main à la charrue et regarde « en arrière est impropre au royaume de Dieu -. » Si donc on vous défend de regarder en arrière, à plus forte raison vous est-il interdit de retourner à ce que vous avez
'■ JûS., II.
- Luc. , ix, 02.
.MOVEMS DU. PKUSi:VÉr.A:^CE 'o2'3
quitté. En marche vers le royaume de Dieu, ne cherchez plus ni richesses ni patrimoine... C'est donc avec raison que Notre-Seigneur nous avertit do nous souvenir de la femme de Loth, car c'est pour avoir regardé en arrière qu'elle perdit la vie et que son corps tut changé en statue de sel *. »
« La femme de Loth, observe saint Cyprien 2, était déjà délivrée, mais, contre l'ordre de Dieu, elle regarda en ar- rière : elle perd aussitôt ce qu'elle avait gagné jusque-là. Considérons, non point ce qui est derrière nous, où le démon cherche à nous ramener, mais ce qui est devant nous, là où le Christ nous appelle. Levons les yeux au Ciel, de peur que la terre ne nous séduise par ses plaisirs et ses attraits. »
« Que faisons-nous dans ce monde, s'écrie saint Ber- nard 3? Si nous voulons nous sauver de ce siècle pervers, pourquoi y restons-nous attachés ? Si nous voulons en sor- tir, pourquoi emporter ses chaînes avec nous ? Ce sont des chames dorées, dites-vous ; soit, mais il vaut mieux être libre sans elles que d'être esclave avec elles. Ce n'est point leur prix qu'il faut considérer, mais les embarras et les obs- tacles qu'elles nous créent. Car, outre la dure condition où elles nous mettent, elles sont une sorte de glu qui at- tache notre C(Our, et l'engage en des hens d'inutiles solli- citudes.
Il faut donc briser ces liens, mortifier ces affections char- nelles, les changer en aftections spirhuelles, oubber en
1 S. Amltros., in Luc, 1. YIiI, n. 40, 41.
' Epist. VII, n. 8.
^ Serai, in illud : Beutus liuiiio qtù invcni: sitpicn'irim
32i CAUSES DE LIM'IDÉLITÉ A LA VOCATION
quelque sorte ce qu'on a laissé dans Sodome de peur de le regretter. N'est-ce pas, d'ailleurs, la recommandation faite par le Seigneur à l'âme qu'il appelle à la vie religieuse, quand il lui dit : « Écoute, ma fille, regarde et prête-moi « une oreille attentive, oublie ton peuple et la maison de « ton père, et le Roi du ciel sera épris de ta beauté, parce « qu'il est le Seigneur ton Dieu '. »
CHÂP'ITRE XIII
Suite du même sujet.
Une troisième source d'infidélité à la vocation religieuse, c'est la faiblesse avec laquelle on résiste aux tentations qui tendent à nous la faire perdre. Nous avons exposé précé- demment 2 les sophismes divers qu'emploie l'ennemi des âmes pour arriver à cette fin, nous avons décrit les assauts qu'il livre aux âmes déjà entrées dans la carrière. Il nous reste à montrer la nécessité d'une prompte et énergique résistance, comme le moyen de conserver la grâce pré- cieuse de la vocation et d'éviter le malheur d'y être infi- dèle.
^ Audi, iilia, et vide, inclina aureiil tuam : et ubliviscere populiuil tuum, et doraum palris tui. Et conciipiscet Rex décorera tuiini : quo- niam ipse est Doniinus Deus tiuis. [Ps., \u\. I i. 12.)
-' Vo\ . L'i-dcvanl. (.'liap. x el xi.
MUVEiNS DE l'ERSÉVÉRANCE 325
« Comprenons bien, dit à ce sujet saint Alphonse de Liguori ', quen religion, les tentations contre la vocation sont les plas pernicieuses que l'enfer puisse susciter ; car, s'il parvient à réussir, il remporte à la fois plusieurs victoires. En effet, dès qu'un religieux perd sa vocation et abandonne son état, quel bien peut-il encore faire dans les voies de Dieu? L'ennemi lui suggère, sans doute, qu'après sa sortio il sera plus libre et plus tranquille pour faire le bien ; mais il est certain, au contraire, que son cœur sera aussitôt saisi de remords qui ne lui laisseront aucun repos, et plaise à Dieu que ces remords n'aillent point jusqu'à le tourmenter, durant toute l'éternité, dans l'enfer, oîi il est si facile de tom- ber quand on a abandonné sa vocation ! Il sera, en outre, si tiède et si découragé, relativement au bien encore possible pour lui, qu'il n'aura même plus la force de lever les yeux vers le ciel. Rien d'étonnant si alors il abandonne tout àf>iit l'oraison ; car il y sentira, chaque fois qu'il voudra s'y livrer, un enfer de remords ; il entendra les reproches de sa cons- cience, qui lui criera au fond du cœur : Malheureux, qu'as- tu fait? tu as abandonné Dieu! tu as perdu ta vocation! Et pourquoi? Poursuivre tes idées, pour plaire à tes parents. Ce reproche de la conscience, il le sentira toute sa vie, surtout à l'heure de la mort, à la vue de Féternité, quand, au lieu de mourir dans la maison de Dieu, entouré de ses bons frères en religion, il se trouvera expirant hors de sa voca- tion, peut-être dans sa propre maison, et au milieu de ses parents dont il aura préféré la vaine satisfaction au bon plaisir de Dieu.
« Que les religieux ne cessent jamais de supplier le Seigneur
' Avis sur la vocation religieuse, S ^•
VOCATION. 19
326 CAUSES DE L'INFIDÉLITÉ A LA VOCATION
de les faire plutôt mouiii" que de les laisser tomber dans un pareil malheur. Ils le sentiraient d'autant plus douloureuse- ment à l'article de la mort, qu'ils le connaîtraient mieux et ne pourraient plus le réi)arer ; c'est le meilleur sujet de méditation que l'on puisse conseiller au religieux tenté sur sa vocation. Tant que dure l'assaut de l'ennemi, qu'il pense au tourment que lui causera, à l'article de la mort, le regret d'avoir perdu sa vocation, et de mourir, par sa propre faute, hors des voies de Dieu. »
Ces graves réflexions montrent assez avec quelle vigueur il importe de résister aux tentations qui peuvent mettre la vocation en péril. Les négligences sur ce point peuvcul amener les plus funestes conséquences ; les forces de l'âme s'affaiblissent, celles de l'ennemi augmentent ; on aurait pu le vaincre sans peine, il sera difficile de lu; résister, on tombera dans le découragement, on abandonnera un com- bat devenu trop pénible.
On s'expose aussi à ce malheur en commençant la vie religieuse avec tiédeur. Quand, à peine sorti du noviciat, on selaisse aller au défaut d'ouverture, au mépris des petites choses, à l'examen, à la critique des ordres des supérieurs, à la lâcheté, à la négligence dans les exercices spirituels, ù l'infraction des règles, il est à craindre qu'on en vienne bientôt à trouver pesant le joug du Seigneur, à regretter de l'avoir pris.
Loth et ses filles parvinrent sans fâcheux accident jusqu'à la ville de Ségor, parce qu'ils pressèrent le pas. Ils se hâtèrent d'arriver au lieu que les anges leur avaient dési- gné ; ils ne donnèrent point ù la tentation le temps de les séduire. Il est à croire que la femme de Loth, s'éloignant à regret, ne s'empressait pas de la même sorte ; sa lenteur et
MOYENS DE PEUSÉVKUANCE 327
sa négligence à exécuter les ordres du Ciel, donnèrent ainsi des armes à sa curiosité ; l'infortunée succomba à la tenta- tion. Si elle n'avait songé qu'à être fidèle à la recommanda- tion des anges, à marcher jusqu'à Ségor, elle n'eût pas môme été tentée de regarder derrière elle ; car rien n'est plus propre à éloigner la tentation que l'application de l'àme à exécuter les ordres de l'obéissance. Les fdles de Loth n'ont garde de rester en arrière avec leur mère, tiède et infidèle ; elles suivent leur père, fidèle et fervent. C'est la conduite que le jeune religieux doit tenir dans la carrière où il est entré ; et il verra les uns se traîner languissamment sur la route, les autres marcher d'un pas ferme et généreux. Qu'il s'efforce de suivre ceux-ci, de doubler le pas avec eux ; qu'il ne se laisse point retarder par ceux-là, ni retenir par les liens d'une aveugle sympathie ou d'une imprudente tendresse.
« 0 vous, s'écrie saint Basile ', ô vous, qui aspirez à la vie céleste et au commerce des anges, et qui désirez com- battre avec les disciples du Christ, affermissez votre cœur et préparez-vous à la tribulation ; entrez avec courage dans l'assemblée des hommes consacrés à Dieu , et dès le commencement de votre séparation d'avec le siècle, agissez avec énergie, ne vous laissez point détourner de votre but par l'affection de vos proches ; mais dans cet échange des biens périssables contre les biens immortels, soyez plein de force et de vigueur. »
Celui qui, au début de la vie religieuse, néglige la disci- pline, s'y soumet très-difficilement ensuite. La forme de vie que l'on prend dès le commencement, on a de la peine
' Sonil, de Abdkal.i(:::c rcrwi;
328 CAUSES DE L'INFIDÉLITÉ A LA VOCATION
à s'en défaire dans la suite •. « Le jeune homme, est-il dit dans les saintes Lettres, marchera selon sa voie, et, lors- qu'il sera avancé en âge, il ne s'en retirera pas 2. « Les premières années de la vie religieuse sont comme l'enfance de la vie spirituelle. Les impressions reçues en cette enfance se gravent avec facilité ; les actes passent aisément en habi- tude. Le Seigneur a coutume de venir alors en aide à ces bonnes dispositions naturelles, non-seulement parles grâces de formation, mais par des visites plus fréquentes, par des consolations plus abondantes, qui rendent facile l'acquisi- tion des vertus. Ces jours de bénédiction et de première ferveur ressemlîlent à ceux que Job, en les regrettant, appelle « les jours de son adolescence, où il marchait sous la garde du Seigneur et à l'éclat resplendissant de sa lumière, alors que Dieu était dans le secret de sa tente, que le Tout-Puissant habitait avec lui, quand il lavait ses pieds avec le lait, et que l'huile coulait pour lui en ruisseaux de la pierre '5. »
« Dieu, en effet, visite fréquemment les âmes qui viennent de se donner à lui; il se fait sentir dans le secret de leurs cœurs, il leur parle par ses divines inspirations, il les sou- tient dans l'exercice des vertus, et, par l'onction de sa grâce, il guérit leurs affections déréglées. De la pierre
' s. Bonav., in prolog. Speculi discipl.
2 Adolescens jiixta viam suam, etiam cuin senuerit, non reccdel ab ea. {Prov., xxu, G.)
* Quis niihi tribuat, ut sim juxta menses pristinos , secundum die^ qiiibus Deiis custodiebat me? Qiiando splendebat kicerna ejus super caput nieura, et ad lumen ejus ambulabani in tenebris? Sicut fui in diebus adolescentiœ meaî , quando secreto Deus erat in taberuaculo nieo? Quando erat omnipotens mecum... Quando lavabam pedes meos butyro, et iictra fundebat mihi rivos olei? (Job, xxix, 2-G.)
MOYENS DE PERSÉVÉRANCE 329
vivante, qui est Jésus-Christ, ils reçoivent dans l'oraison et dans la participation aux divins mystères l'huile de la dévotion et l'abondance des consolations célestes ^ . »
De plus, quand on a commencé avec ferveur, s'il arrive ensuite qu'on se relâche, le souvenir de sa première ardeur aide puissamment à relever le courage, à reprendre la marche. Le souvenir des victoires qu'on a remportées sur soi-même anime à de nouveaux combats. Ainsi David, sur le point d'entrer en lutte contre Goliath, s'enhardissait par le souvenir des lions et des ours qu'il avait terrassés.
Enfin, une insigne victoire remportée sur soi-même, au commencement de la carrière, suffit souvent à allumer dans Tàme une ferveur qui ne se dément plus. C'est l'effet des grâces abondantes dont elle est le principe.
Indiquons une cinc[uième source de l'infidélité à la voca- tion : l'affaiblissement de l'esprit de foi.
Pourquoi la femme de Loth méprisa-t-elle la recomman- dation des anges ? L'auteur de la Sagesse nous montre en cette femme malheureuse, changée en statue de sel, le sou- venir d'une âme incrédule 2. C'est donc son défaut de foi qui a causé son malheur, ou bien elle ne croyait pas à l'im- portance de l'ordre qu'elle avait reçu, ni au châtiment qui en devait être la sanction ; ou peut-être jugeait-elle trop sévères les jugements de Dieu sur Sodome. C'est par une semblable incrédulité que nos premiers parents furent amenés à manger du fruit défendu, et méritèrent d'être chassés du paradis terrestre. S'ils étaient restés sur les hauteurs de la foi, ils seraient demeurés fidèles et heureux.
' L. Dupont, In Perfection chrétienne , t. III, tr. V, c. ix. ='5rtjj.,x,7.
330 CAUSES DE LINFIDELIÏÉ A LA YOCATIO-N
Ils descendirent de ces régions célestes, ils demandèrent une vaine pâture à la curiosité, à l'ambition, aux raisonne- ments terrestres; ils perdirent le goût du souverain bien.
La détermination de quitter le monde et de vivre en reli- gion a été prise sous l'action des lumières de la foi; elle a été conçue, elle est née dans l'atmosphère delà foi. Ce n'est que dans l'atmosphère de la foi qu'elle peut se conserver. Voyez le patriarche Abraham: c'est dans la foi qu'il trouve la force d'obéir à l'ordre qui lui est donné de quitter son pays et d'aller dans la terre qu'il doit recevoir en héritage ; c'est dans la foi qu'il puise le courage de demeurer comme étranger dans les lieux promis à sa race, et d'y habiter avec Isaacet Jacob, les héritiers de la promesse K La foi est l'aliment des âmes fidèles : Justiis autern meus ex fide vivit 2; elle est la lumière dans laquelle elles sont nées, l'élément où elles vivent ; ce qui les fait appeler par rx\pôtre les fils de la lumière, les enfants du jour : vos filii lucis estis et filii diei ^. Le religieux, encore plus que le simple fidèle, en dehors de cet élément, est comme le poisson hors de l'eau : ses forces l'abandonnent, sa vie diminue et s'é- teint. Dans l'atmosphère de la foi, au contraire, il respire à pleins poumons l'air céleste qui entretient la vie spirituelle ; son âme s'y fortifie, sa détermination d'être à Dieu, de se sacrifier pour sa gloire, s'y affermit de jour en jour.
En vivant dans cette divine atmosphère, on se maintiendra dans sa ferveur première ; on évitera un malheur semblable à celui de la femme de Loth, qui, déjà hors de la ville con-
' ffebr.,xi, 8, 9. - Rom., I, 17. ^ I Thess., V, b'.
MOYENS DE PERSÉVÉRANCE 331
damnée à périr, s'en vint aux portes mêmes de Ségor, son refuge, perdre tout le fruit des sacrifices et des eiforts qu'elle avait faits jusque-là.
« On en voit beaucoup, dit saint Basile *, qui osent em- brasser la carrière religieuse ; mais en est-il beaucoup qui s'efforcent de la parcourir comme il convient? Ce n'est point dans le seul désir de la lin proposée, c'est dans la fin même des travaux accomplis que se trouvent le fruit et la récom- pense. Quel profit y a-t-il pour ceux qui ne s'efforcent pas d'arriver au terme , qui exposent leur dessein à la risée pu- blique, et méritent que des étrangers leur reprochent leur lâcheté ou leur imprudence? C'est à eux que Jésus-Christ fait allusion quand il dit : « Quel est celui qui, voulant « bâtir une maison, ne commence par faire le calcul des « dépenses, afin de savoir s'il a de quoi achever son entre- ce prise ? Il en agit ainsi dans la crainte qu'après avoir « posé les fondements, il ne puisse achever, et ne devienne « l'objet des railleries des passants, lesquels diraient de lui: « Cet honnne a commencé un édifice et il n'a pu en venir à « bout -. » Il faut donc, après être entré avec courage dans la carrière, s'efforcer d'y faire des progrès. Imitons saint Paul ; comme ce généreux athlète, gardons-nous de nous reposer sur les succès obtenus, mais avançons de jour en jour, et disons avec lui : « J'oublie ce qui est derrière moi « pour m'élancer en avant , et je m'efforce d'arriver au but « fixé et d'atteindre la palme de ma céleste vocation 3. »
* Epist., ad Chilonem discip.
2 Luc, XIV, 28.
^ Quœ quidem rétro sunt obliviscens, ad ea vero, quœ priora sunt, extendens meipsum , ad destinatiim persequor, ad bravium supcrnse vocationis Dei in Christo Jesu. {Phil, m, 13, 14.)
LIVRE QUATRIÈME
LA RÉCOMPENSE PROMISE AU RELIGIEUX
CHAPITRE PREMIER
Le Centuple
Pierre, ainsi que les autres Apôtres, avait quitté sa barque, ses filets, et tout ce qu'il possédait en ce monde, pour suivre Jésus-Christ. Il demande avec confiance <\ son maître : « Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre : quelle sera notre récompense ^ ? » Alors Jésus leur dit à tous : a En vévité, je vous le dis, à vous, qui m'avez suivi : au jour de la résurrection, quand le Fils de l'homme sera assis sur le trône de sa majesté, vous siégerez sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d'Israël 2. » Et Jésus ajouta . « Je vous le dis en vérité, quiconque aura laissé sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou ses champs, pour moi et pour l'Évangile, recevra cent fois autant en ce monde, en maisons, et en
1 Matth., XIX, 27.
2 Ibîd., 28.
LF, CENTUPLE PROMIS 333
frî'res, et en sœurs, et en mères, et en enfants, et en terres, avec la grâce des persécutions, et dans le monde futu.r, la vie éternelle ' . »
Pourquoi celte interrogation de Pierre? Et pourquoi cette double réponse de Jésus ?
« Le Seigneur, répond saint Jean Chrysostome ^, avait dit à un riche : « Si vous voulez être parfait, vendez ce que « vous avez, donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor a dans le ciel ^ . » Mais le pauvre pouvait dire : « Quoi (c donc ! et moi qui n'ai point de possession, je ne pourrai « pas être parfait! » Pierre interroge, ô pauvre, afin de t'apprendre que tu recevras la même récompense ; Pierre interroge pour toi, atin que, instruit par le Maître lui-même, et non par le disciple encore imparfait, non encore enrichi de l'Esprit divin, tu aies pleine confiance; Pierre interroge pour toi, car il n'ignore pas ce qu'il peut espérer lui-même : ayant reçu la promesse des clefs du royaume céleste, il peut compter sur les biens que le ciel renferme. »
Et que répond le Signeur en faveur de ce pauvre, qui, par l'abandon du peu qu'il possède, aura quitté autant que le riche?
« Il promet à ses Apôtres des biens à venir, parce que, déjà plus avancés en vertus, ils ne désiraient point les biens
' Respondens Jésus , ait : Amen, dico vobis : Nemo est , qui reiiquerit domum , aut fratres , aut sorores, aut patrem , aut niatrem, aut lilios, aut agros, propter me et propter Evangelium, qui non accipiat cenlies tanlum, nune in tempore hoc-, domos, et fratres, et sorores, et maires, et iiiios, et agros, cum persecutio- nibus, et in sœculo futuro vitam œternam. (.\Iarc.,x, 29, 30.)
- Hom. Lxiv, alias lxv, InMatth.
^Matth., XIX, 21.
19.
334- LE CENTUPLE PROMIS
présents. Mais à tous les autres, avec les récompenses de la vie future, il promet des biens présents, quand il dit : c( Quiconque laissera ses frères, ou ses sœurs, ou son père, « ou sa mère, ou son épouse, ou ses enfants, ou ses champs, (' à cause de moi, recevra le centuple en ce monde, et pos- te sédera la vie éternelle ' . » C'est à tous qu'il adresse ces paroles; la promesse qu'elles renferment, il l'offre au monde entier, et non aux seuls Apôtres 5. »
Suivant plusieurs interprètes, dans les paroles rappor- tées par saint Marc, Notre-Seigneur promet pour cette vie à ceux qui, à cause de lui, quittent ce qu'ils ont dans le monde, cent fois autant que ce qu'ils laissent, et cela en maisons, en frères, en sœurs, en mères, en enfants, en terre ^. Ils en concluent que, d'après la promesse formelle du Sauveur, le religieux, comme l'Apôtre, trouve, même sous le rajiport des affections et des avantages temporels, le centuple dans la vie qu'il a embrassée *. Ils voient ce
iMatth., XIX, 29.
-S. Joan. Chrys., loc. cit.
^ Centies tantum, mine in tempore hoc : donios , et fratres, etc. (.Marc, X, 30.)
'■■ Dicendum eos qui omnia relinquiint propter Christiim centii- pluni in hac vita recipere, non tantum propter spiritualia charismata, et internas consolationes, quœ centuplo plus valent quam bona ler- rena. Sed quia ita disposuit Deus , ut qui omnia reliquit, omnium usura etiam in hoc sscuio inveniat. Apostolis enira omnium chris- tianorum domus patebant ; omnes lis tanquam fratres et sorores nii- nistrabant, et de quibus suis necess;iria suppeditabant, ut vere in eos corapeteret illud Apostoli : Tanquam nihll habcntes et omnia possidentes. Habebant autem hajc cum persecutionibus quia co tem- pore quando ab hostibus fidei persecutionem sustinebant. (Estius, in Marc, X, 29, 30.)
Centuplam namque fratrum parentumve recipiet quantitatem quis-
LE CENTUPLE PROMIS 338
centuple dans les liens spirituels qui l'unissent aux membres de la famille religieuse à laquelle ils appartiennent, biens fondés sur la divine charité, et qui, à ce titre, ne le cèdent ni en douceur ni en solidité à ceux de la nature, liens formés par l'Esprit-Saint, et qui l'emportent en excel- lence sur ceux de la chair et du sang *.
On peut donc reconnaître le centuple promis dans la communion des biens spirituels qui existent entre les reli- gieux d'un même ordre. Membres d'un même corps, ils s'emploient tous au bien de chacun, chacun reçoit quelque avantage du bien de tous, et le bien qu'il reçoit est cent fois plus considérable que celui qu'il donne. Au ciel, la gloire de tous les bienheureux augmente le bonheur acci- dentel de chacun d'eux, parce que chacun se réjouit autant de la gloire des autres que de la sienne propre. Il en est de
quis patris unius, vel matris, seu filii, pro Christi nomine, charitate contempla , in omnium qui Christo deserviunt dilectionem sinceris- simam transit , pro uno scilicet lot invenies patres , fratresve , fer- ventiore ac prestantiore sibi affectione devinctos. Multiplicata etiam domorum atque agrorum possessione ditabilur , quisquis una domo pro Christi dilectione rejecta, innumera monachonim habitacula tan- quam propria possidebit, in quacuuique orbis parte velut ia suae domus jure succedens. Quomodo enira non centuplura, et, si Domini sententicC superadjici aliquid fas est, plusquam centuplum recipit, qui deeem vel viginti servorum ministeria intida et coactitia dere- liiiquens, tôt ingenuorum ac nobiliorum spontaiieo fulcilur obsequio? Quod ita esse etiam vestris experimentis probare potuislis , qui , singulis patribus matribusque ac domibus derelictis , quamlibet mundi partem fuerilis ingressi , ] atres , matres fratresque innu- meros, domos quoque et agros, servosque lidelissimos , absque uiio sollicitudinis labore conquisitis , qui vos ut proprios dominos sub- misse suscipiunt, amplectuntur, fovent, venerantur otliciis. (Cassian., Coll. ult., c. ult.)
^ Cassian., CoUnt. ult., c. idt.
336 LE CENTUPLE PROMIS
même en religion : par l'effet de la charité, qui unit les membres d'un même institut, les grâces, les dons, les talents de chacun augmentent le bien, le profit et la joie de tous ; chacun, tout en jouissant de son propre bien, participe aussi à celui de ses frères, et ce qu'il n'a pas en lui-môme, il le possède dans les autres, l'amour faisant sien ce qui est à ses frères. C'est pour chacun, d'ailleurs, que le Seigneur a accordé aux uns le don du gouvernement, aux autres le don du conseil; que celui-ci possède le don de consoler et d'encourager, celui-là le talent de la parole et le don de persuader. On peut ajouter à cela les prières continuelles par lesquelles ils se secourent les uns les autres pendant la vie, les nombreux suffrages par lesquels ils s'entr'aident après la mort. Ce sont ces secours mutuels qui donnent aux religieux, selon l'expression de l'auteur des Proverbes, la force d'une place de guerre K Grâce à cette communica- tion de biens, il peut redire avec le Psalmiste : « Voici combien il est avantageux et doux d'habiter ensemble comme des frères -. »
« Voyez, dit le vénérable Bède, quelles grâces le Sei- gneur promet à ceux qui le suivent. Ce ne sont pas seule- ment des biens pour l'autre vie, ce sont des faveurs insignes qu'il leur offre dans celle-ci : « Quiconque, dit-il, aura « quitté sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son a père, ou sa mère, ou son épouse, ou ses enfants, ou ses « champs à cause de moi, recevra le centuple et possédera « la vie éternelle. » 11 faut donc dire de celui qui, pour
* Frater qui adjuvatur a fratre , quasi civitas nniiiita. {Prov. XVIII, 19.)
2 Ecce quam boiium et quam jucundum habitare fratres in unum. {Ps. cxx.xii, 1.)
LE CENTUPLE PROMIS 337
suivre Jésus-Christ, renonce aux affections mondaines et aux possessions terrestres, que plus il fera de progrès en l'amour divin, plus il trouvera d'amis véritables qui l'ai- meront de cœur et se réjouiront de lui faire part de leurs biens. Ces amis dévoués seront les compagnons de sa pro- fession et de sa vie ; le voyant devenir comme eux pauvre pour Jésus-Christ, ils seront heureux de le recevoir dans leurs demeures, ils l'aimeront d'un amour plus parfait qu'une épouse, qu'un père, qu'un frère, qu'un enfant. Car le cen- tuple dont parle le Seigneur désigne moins le nombre de ceux qui nous aiment et nous servent en Jésus-Christ, que la grandeur et la perfection elle-même de la charité qu'ils ont pour nous '. »
Nous n'insisterons point sur cette première interprétation donnée au centuple promis, pour la raison que donne saint Bernard : « La communication mutuelle des biens et des volontés enti'e des frères habitant ensemble est sans doute une grande consolation pour le religieux ; mais elle ne peut convenir généralement à tous ceux qui ont mérité le cen- tuple. Combien de saints nous connaissons, qui y ont volontairement renoncé, comme les anachorètes, ou qui en ont été privés par la violence de la persécution, comme les martyrs et les confesseurs exilés pour la foi 2. »
D'autres saints docteurs placent le centuple promis, non dans les choses sensibles et terrestres, mais dans les biens de la grâce, dans les dons surnaturels, dont se trouve bientôt enrichi celui qui a fidèlement renoncé aux choses
1 Vcn. Beda, hom. de Nativit. S. Denedicti. ^S.Bern., declam. in verba : Ecce nos rdiquimm omnia, etc., alias de Contemplu miiiidi, c. xxn.
33S LE CKMTPLE PRO.MIS
de ce monde '. Ils le voient en ce bonheur intime de l'âme qui a choisi le Seigneur pour son partage, en ce don divin, qui lui fait trouver plus de goût et de plaisir dans la pau- vreté que les riches de la terre n'en trouvent dans la pos- session de leurs richesses. « Les Saints, dit saint Grégoire le Grand, n'abandonnent pas les choses terrestres afin de les retrouver plus nombreuses en ce monde ; car laisser ainsi la terre par un motif terrestre, ce n'est point la quitter, mais la rechercher; et si l'on quitte une épouse, ce n'est pas afin d'en recevoir plusieurs. Mais Notre-Seigneur, par le mot cent, désigne une certaine perfection : il promet à celui qui méprise, à cause de lui, les choses temporelles et terrestres, en ce monde, une perfection intérieure qui l'empêchera de désirer avec passion ce qu'il a méprisé par vertu, et, dans l'autre vie, la possession de l'éternelle féli- cité. 11 reçoit donc cent fois autant qu'il a quitté, celui qui, recevant l'esprit de perfection, n'a plus besoin des biens de la terre, même quand il en est privé ; car celui-là est réellement pauvre qui a besoin de ce qu'il n'a pas, et celui- là est véritablement riche qui ne désire point ce qu'il ne possède pas 2. »
C'est aussi la pensée de Cassien. Parlant des joies spiri- tuelles de l'âme détachée des choses terrestres ^, il dit qu'en faisant profession de la continence, elle goûtera, même dès ce monde, cent fois plus de bonheur qu'elle n'en trouverait dans le mariage. Au lieu du plaisir que
^ Qui carnalia pro Salvatore diniiserit, spiritualia recipiet : quœ comparatione et merito siii erunt quasi si parvo numéro centenarius numenis compareUir. (S. Hier., 1. III, m Matth., c. xix.)
- S. Greg. Magn.jùiEzech., honi. xviii, alias 1. II, hom. vi, n. 10.
^ Collât, ult., c. ult.
LE CENTUPLE PROMIS 339
pourrait lui procurer la possession de quelque terre, elle j ouira d'une félicité cent fois plus grande ; car, devenue enfant de Dieu par une nouvelle adoption, elle pourra regarder comme lui appartenant tous les biens de son divin Père, et redire avec l'affectueuse confiance des en- fants, à l'exemple du Fils bien-aimé : Tous les biens qu'a mon Père sont à moi ' ; il lui sera donné d'entendre chaque jour, avec autant d'assurance que de joie, de la bouche de l'Apôtre : Tout vous appartient, soit les choses présentes, soit les futures ^; ou encore : Toutes les richesses du monde sont à V homme juste et fidèle.
Mais comment peut-il en être ainsi ? Comment ce qui contriste la nature peut-il être une source de joie? Peut-elle être enrichie par ce qui la dépouille?
« Il n'est pas difficile, répond saint Bernard ^, de donner le centuple en ce inonde à celui qui donne la vie éternelle en l'autre. Il donnera ce que l'œil n'a point vu, ce que l'oreille n'a point entendu, ce que le cœur de l'homme n'a point goûté; ne peut-il donner maintenant le centuple? C'est l'œuvre du Maître qui fait trouver agréable le joug de sa loi et léger le fardeau qu'il impose; de Celui qui a dit : Prenez mon joug sur vous,... et vous trouverez le repos *. Merveilleuse nouveauté ! Ouvrage de Dieu qui renouvelle toutes choses; en portant son joug, on trouve le repos; en se dépouillant de tout, on possède le centuple. David, cet homme suivant le cœur de Dieu, en avait fait l'expé-
^ Joan., XVII, 10. nCor., m, 22.
^ Declam. in verba : Ecce nos reliquimus omnla , etc. , alias de Contempla mundi , c. xvii. niattli., XI, 29.
340 LE CENTUPLE PROMIS
rience, quand il dit dans les Psaumes : Seigneur, vous si- mulez la peine dafis l'accomplissement de vos préceptes ^ . N'est-ce pas une difficulté simulée que celle d'un fardeau léger, d'un joug agréable, d'une croix adoucie par l'onction de la grâce? Quand le Seigneur disait à Abraham : Prenez votre fils bien-aimé, Isaac, et me l'offrez en holocauste, il ne lui demandait, dansl'accomplissement d'mitel précepte, qu"un sacrifice simulé; car Isaac fut offert, il fut sanctifié, il ne fut pas immolé. Ainsi en sera-t-il de vous. Si vous entendez intérieurement la voix de Dieu parlant à votre âme, et lui disant : « Offre-moi Isaac, cet objet de « ton amour, -cette source de tes joies, » ne craignez pas d'obéir avec une constante fidélité. Quelque grand que vous apparaisse le sacrifice, vous ne devez pas hésiterais faire. Quelles que soient les appréhensions et les alarmes de votre cœur, demeurez confiant : ce n'est point votre Isaac, c'est le bélier qui sera frappé de mort; vous ne perdrez pas votre joie, mais votre orgueil, dont les audacieuses prétentions vous jettent à travers mille poignantes épines. C'est votre Dieu qui veut épurer votre vertu. Non, Isaac ne sera pas immolé, comme vous le pensez; il vivra d'une vie nouvelle, il sera élevé sur le bois du sacrifice, afin que vous appre- niez à mettre vos joies dans les hauteurs, à vous glorifier, non en votre chair, mais dans la croix du Seigneur, par qui vous êtes crucifié au monde, comme le monde vous est crucifié. »
« C'est là, poursuit saint Bernard 2, la conversation des parfaits et la vie des saints ; une vie spirituelle et divine.
1 Ps. xciii , 20.
- In loc. cit. Slip., c. xviii.
LE CENTUPLE PROMIS 341
OÙ ils paraissent tristes et sont toujours dans la joie; où, l'ayant rien, ils possèdent toutes choses; où ils semblent lorts et sont pleins de santé. Quand l'Épouse des Can- iL|Ues rappelle auprès d'elle les jeunes filles de Sion, qui paraissaient effrayées de son extérieur en désordre, elle leur parle ainsi : « Je suis noire, mais belle, ô filles de « Jérusalem, ainsi que les tentes de Cédar et les pavillons (c du roi Salomon. Ne considérez point la couleur de mon « visage: c'est le soleil qui m'a décolorée ■•. » Ainsi les hommes vraiment spirituels peuvent dire aux âmes tendres et infirmes : « Pourquoi énumérez-vous avec tant de soin les « choses qui vous paraissent humiliantes et laborieuses « dans notre genre de vie ? Une laine grossière, des peaux « de mouton de couleur rougeâtre, forment nos vêtement « et cachent, sous ces sombres dehors, l'éclat de la gloire « de l'intérieur; ils la préservent des injures de la pous- « sière et de la pluie. Cette couleur, ces apparences, ne « doivent ni vous éloigner ni vous surprendre ; elles ne a sont point les signes de la tristesse et de la souffrance , « mais un voile qui couvre les beautés de l'âme et les joies « du cœur. »
CHAPITRE II
Suite du même svijet.
Le centuple promis, c'est Dieu même , Dieu se commu- niquant à l'âme vraiment détachée, d'une manière qur
' Cnnt., 1,4, U.
342 LE CENTUPLE PROMIS
celui-là seul comprend qui l'a éprouvé ; c'est une pré- sence plus intime, une jouissance plus parfaite de Dieu habitant en elle. A celui qui quitte tout pour Dieu, le Seigneur lui-même tient lieu de père, de mère, de frères, de sœurs et de toutes choses ^ ; et toute âme qui met généreusement la main à l'œuvre d'un parfait renonce- ment peut dire en vérité avec le Psalmiste : « Seigneur, (( vous êtes ma portion d'héritage et la part qui m'est a conférée : c'est vous-même qui me rendrez les biens que « j'ai quittés '^. »
« Quels sont, dit saint Ambroise ^, ceux qui peuvent s'écrier : Le Seigneur est mon partage ? Ceux dont on peut dire comme des fds de Lévi : Il ne leur sera assigné aucun lot, aucun héritage parmi leurs frères, parce que Dieu lui-même est leur lier itage '^ »Ils sont par là beaucoup plus riches que les plus opulents possesseurs des biens de ce monde. Leur héritage s'étend au delà de la terre; il n'est point limité par la mer. Celui dont Dieu est le partage est maître de toute la nature. Il ne désire point de terres : il a en lui-même des fruits qui ne sauraient périr. Il ne convoite aucune maison : il est lui-même la demeure, le temple de Dieu C'est donc avec raison que le Sau- veur, venant nous apprendre à recevoir Dieu en héritage, et voulant nous rendre ses imitateurs, nous recommande, dans la personne de ses disciples, de ne posséder ni or, ni
1 s. Ignat., Constit. Soc. Jesu, Exam. gêner., c. iv, §7.
- Doniimis pars hrereditatis meœ et calicis mei; tu es qui restitues iKereditatem raeum mihi. {Ps. xv, 5.)
' InPs. cxviii, serm. vui, litt. Helh., n. 3, 5, 6, 7, 10, 11 .
''Filiis Levi non erit portio, neque sors ia medio fratrum suoruni; quia Dominus Deus pars eorum est. {Deut., x , 9.)
LE CENTUPLE PROMIS ;y,^3
argent, ni monnaie K Ainsi Pierre, comme lui-même Ta- voue dans les Actes , n'a ni or ni argent , mais il possède Jésus-Christ ; et avec ce bien il est riche, il est puissant, il répand autour de lui le salut et la vie ; avec ce patri- moine qu'il s'est choisi, il parle à un boiteux de nais- sance, et ce boiteux est aussitôt guéri ^ 0 Pierre,
quand vous disiez à votre Maître: Voici que nous avons tout quitté pour vous suiinx '^, vous ne cherchiez ni les biens du siècle ni les possessions terrestres , vous choisissiez le Seigneur lui-même pour votre héritage.... Le Christ est votre lot, le Christ est votre possession. Son nom est pour vous un trésor, une source de biens : il vous rapporte de riches tributs, non d'argent, mais de grâces. L'héritage qui vous est échu ne sera ni brûlé par la sécheresse, ni ravagé par les pluies, ni détruit par les fi-imats, ni saccagé par la tempête. Le soleil ne vous nuira point durant le jour, ni la lune pendant la nuit. Conservez l'héritage que vous avez choisi: c'est un héritage que les biens terrestres ne sau- raient égaler.
« Qu'y a-t-il que l'on puisse comparer à ceux dont le Seigneur a dit : f habiterai en eux , Et inhabitabo in
mis ^ Ainsi en est-il de quiconque laisse son père, ou
sa mère, ou sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs pour
^ Nolite possidere aurura, neque argentuni, neque pecuiiiam in zonis vesti'is. (.Matth., x, 9.)
2 Argentum et aiivum non habeo , sed quod habeo hoc tibi do : In nomine Jesu Cbristi Nazareni surge et ambula. Et appreliensa manu ejus dextera, allevavit eum : et protinus consolidât^ sunt bases ejus et plantae. Et exiliens stetit, et ambulabat. [Ad., m, G, 7.)
^ Matth., XIX, TI.
* Lcv., XXVI, 12.
344 l'E CE.^TUPLE PROMIS
le nom de Jésus : il recevra le centuple en ce monde et la vie éternelle en l'autre ; en quittant ses biens et ses parents pour suivre le Seigneur, il devient l'héritage du Seigneur, et le Seigneur devient son héritage. Oui, Dieu est la part de ceux qui ont tout quitté pour lui : il est cette parfaite récom- pense dês vertus qui se mesure, non au centuple, mais à une parfaite plénitude. Il est dès maintenant leur récom- pense : Moi, dit-il, je suis ton Dieu. Il ne dit pas : Je le serai; mais: Dès maintenant je le suis, j'habite en vous, vus ome possédez ^ . »
« Ne possède-t-il pas le centuple, dit à son tour saint Bernard 2, celui qui est rempli du Saint-Esprit, dont le cœur est la demeure du Christ? Ne valent-elles pas bien plus que le centuple, cette visite du divin Paraclet et cette présence de Jésus-Christ? Écoutez le Psalmiste : «Oh! « qu'elle est grande. Seigneur, l'abondance de la douceur c; réservée à ceux qui vous craignent, et à ceux qui espèrent « en vous ! » Voyez comment son àme répand le souvenir de l'abondance de cette douceur, et comme il s'efforce de l'exprimer en multipliant les paroles ^ !
1 lis qui oninia reiiquerint, Deus portio est. Ipse est utiqiie merces perfecta virtutum, qui, non centupli enumeratione, sed perfectse ple- nitudinis sestimatione censetur. Ego, inquit, Deus tuus sum [Gen., XVII, 1). Non dixit: Ero, sed : Jam sum, jam inhabito, jam possideo. (S. Ambr., loc. cit., n. 11.)
- Declam. in verba : Ecce nos reliquimus omnia , etc. , alias de Coiitcmptu muncli, c. xxii.
^ An non centuplum habet omnium, qui impletur Spiritu sancto, qui Christum babet in pectore? Nisi quod longe plus quam centuplum est visitatio Paracleti Spiritus, et prœsentia Christi. Quam magna, inquit, multitudo dulcedinis tuse. Domine, quam abscondisti timen- tibus te : perfecisti eis qui sperant in te {Ps. x.\x, 20, 21). Vides
Lli Cli.ML'i LE IROMIS 34-^
« Tel est donc le centuple promis : c'est l'adoption des entants, la liberté et Ico prémices de l'Esprit, les délices de la charité, la gloire de la bonne conscience, le règne de Dieu en nous, règne qui ne consiste pas dans la nourriture et la boisson, mais dans la justice, la paix et cette joie de l'Esprit-Saint que l'on goûte jusqu'au sein des tribulations. C'est le feu que Jésus-Christ désirait si ardemment allumer dans les cœurs. C'est cette vertu d'en haut qui portait André à embrasser la croix, Laurent à se moquer du persécuteur, Etienne à prier pour ses bourreaux. C'est la paix que Jé- sus-Christ nous a laissée, paix qui surpasse tout sentiment, et à laquelle ne saurait être comparé rien de ce qui plaît sous le soleil, rien de ce qu'on désire dans le monde. C'est la grâce de la dévotion, l'onction divine qui enseigne toute chose. On la connaît après l'avoir goûtée, on l'ignore quand on ne l'a point éprouvée; elle n'est connue que de celui qui la reçoit. Puissent les enfants des hommes le désirer, ce centuple ! Puisse la curiosité les porter à le chercher, à ex- périmenter si cette parole est d'invention humaine, elle à qui toutes les Écritures rendent un unanime témoignage. Ils peuvent goûter cette manne cachée, expérimenter quel est ce centuple, quelle est cette joie dans l'Esprit-Saint. Ils ne tarderont pas à trouver, s'ils cherchent avec soin, et bientôt ils sauront combien le Seigneur est doux, combien il est bon à ceux qui le possèdent, et à ceux qui le cherchent, à toute âme qui espère en lui. « Venez et accusez-moi, dit le Seigneur, s'il n'est pas vrai que quiconque laisse son père,
(jUomodo memoriara abundantiie siiavifatis luijiit; enictet anima sancUi, quomodo exprimere gesliens verba multiplicet? Quam mcnjua, iii- quit , multitudo. (S. Bern., loco supra citât.)
340 LE CENTUPLE PPxOMIS
OU sa mère, ou sa maison, ou son champ à cause de moi, reçoit le centuple en ce monde *. )>
« Cette promesse, le Sauveur la fait à tous les hommes, il n'excepte personne. Ne sont-ils pas malheureux, ceux qui s'en excluent eux-mêmes et refusent d'avoir part au bien- fait offert à tous? Le Dieu qui promet est la vérité même; l'homme qui refuse est menteur. « Et quiconque laissera « son i)ère, ou sa mère, ou sa maison, ou ses champs à <c cause de moi, recevra le centuple et possédera la vie « éternelle. » Celui qui s'exprime ainsi est celui-là même dont les paroles nepasserontpoint. Mais, dira l'homme cher- chant une occasion de se perdre, n"en a-t-on pas vu plusieurs retourner à leur vomissement après avoir tout quitté pour Dieu? Comment ceux-là avaient-ils reçu le centuple?
« Ah! levez-vous, Seigneur, et jugez votre cause, con- fondez la calomnie de ces hommes ; faites taire les mur- mures de ceux qui ont peut-être paru tout quitter et n'ont pas reçu le centuple. Ce n'est pas contre nous, mais contre vous que sont portées ces accusations ; car c'est vous qui avez dit: « Celui qui laissera ses frères, ou ses sœurs, ou (c son père, ou sa mère, ou son épouse, ou ses enfants, ou f( ses champs à cause de moi, recevra le centuple. » Que répondrons-nous cependant, après avoir vu dans le collège apostolique celui-là seul réprouvé auquel était confiée la bourse, et sachant qu'il y a la bourse de la volonté propre connne la bourse de l'argent? Qu'il examine attentivement ses voies et ses intentions, celui qui se plaint de n'avoir pas reçu la grâce du centuple }»romis. Il trouvera assurémen! dans son intérieur quelque angle caché, quelque lieu secret
' s. Dorn., lac. cl.
LE CENTUPLE PROMLS 347
qui ne sert point de demeure au Fils de l'homme, mais de tannière aux renards, ou de nid aux oiseaux du ciel. Qu'il s'applique donc, je l'en conjure, à un renoncement plus par- tait; qu'il suive seulement Jésus-Christ; qu'il place toute sa sollicitude dans le Dieu qui doit prendre soin de lui, et, à coup sûr, il recevra le centuple , les paroles de l'Écriture le lui promettent ; appuyées sur une vérité certaine, elles ne peuvent faillir. Qu'il ne se réserve donc rien pour lui- même ni pour les siens ; car il suffit d'un peu de ferment pour corrompre toute la masse. Plusieurs, en effet, oublient la parole de celui qui n'est pas venu faire sa volonté en ce monde; on les voit jusque dans l'assemblée des saints at- tachés à leurs désirs et à leurs propres pensées : ils veu- lent passer pour habiles, et retiennent quelque chose d'eux- mêmes, au lieu de se renoncer totalement et de s'en re- mettre entièrement à la conduite de la Providence, à la direction de l'obéissance et aux conseils des hommes ver- tueux. Il en est d'autres qui retiennent pour leurs proches ce qu'ils ont quitté eux-mêmes : ils s'agitent ainsi dans les vaines sollicitudes du siècle, afin de leur procurer quelque prospérité présente ^ .
« Ainsi donc que nul d'entre eux ne s'étonne de n'avoir pas reçu le centuple. Cette divine consolation est un bien précieux, elle ne se donne pas à Ceux cjui recherchent les consolations terrestres. Infortunés, vous dites comme autre- fois Esaii: I^'avez-vous, u mon père, qii'une seule bénédic- tion '^. Il vaut mieux dire avec le prophète : Je ne demande
' S. Bern. , Declani. in verba : Ecce nos rcUquimiis omniu, aliut de Conlcmptu mundi , c. xx. ^ Gcn., xxvti, 36.
348 L1-: CE.MLl'LE l'UOJHS
qu'une chose, au Seigneur, et je la rechercherai unique- ment '. Celui-là est indigne de la bénédiction céleste qui la cherche avec un cœur double, avec une double intention, et qui se prépare un refuge dans les consolations terrestres
pour le cas où il lui arriverait de ne pas l'obtenir
De tout temps, celui dont l'âme soupire après les consola- tions humaines et ne renonce pas entièrement à ces joies caduques, se prive lui-même des joies du centuple promis. On reçoit celles-ci, quand on les demande avec une vraie dévotion ; on les trouve, quand on les cherche avec un cœur détaché ; ce trésor divin est ouvert, quand on frappe avec d'ardents désirs.
« Que faut-il donc penser de celui qui a eu le malheur de faire lo saut honteux de l'apostasie? Soyez-en bien con- vaincu, ou il n'avait pas tout quitté, ou plus tard il a renoncé lui-même au centuple : car il y en a qui, après avoir com- mencé par l'esprit, finissent, hélas ! par la chair. Mais, si c'est folie de refuser le centuple, c'est plus que folie de vou- loir l'abandonner. Il faut pleurer sur le sort de cehii qui, entraîné par ses passions, l'abandonne de lui-même, le rejette de plein gré, le laisse volontairement, et après avoir vécu dans les parfums, embrasse le fumier; mais on ne peut trouver en loi sujet d'accuser le Seigneurdc n'avoir pas réa- lisé sa parole, d'avoir manqué à ses promesses; si jamais cet homme a réellement tout quitté, il a, à coup sûr, reçu les bénédictions promises par le centuple -. »
« Si après cela, poursuit saint Bernard s, les âmes se-
' Ps. XXVI, 4.
- S. Hern., loc. cit., c. xxi.
'• Ibid., c. xxif.
LA VIE ETERNELLE Si[)
culières demandent encore qu'on leur montre le centuple promis, et assurent que pour l'avoir elles laisseront volon- tiers toute chose, il faut leur répondre : Pourquoi, ô incré- dules, faites-vous une telle demande? Ignorez-vous que la foi n'a point de mérites quand la raison humaine expéri- mente ce qu'elle propose? Croiriez-vous plutôt à l'expé- rience de l'homme qu'aux promesses de la vérité même ? Cessez donc ces recherches curieuses : Croyez d'abord afin d'avoir l'intelligence : c'est la manne cachée promise au vainqueur ; c'est le nom nouveau que personne ne con- naît, sinon celui qui le reçoit ^. »
CHAPITRE lil
La Vie éternelle.
« Quiconque laissera ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses champs à cause de moi, recevra le centuple en ce monde, et possédera la vie éternelle 2. » — « Le centuple est pour le temps du pèlerinage, observe saint Bernard ^, et la vie
* Apoc, II, 77.
^ Et omnis qui reliquerit doraum , vel fratres , aut sorores , aut patrem, aut matrem, aut uxoreni, aut filios, aut agros propter nomen nieum, ceutuplum accipiet, et \itam œternam possidebit. (I\Fatth., XIX, 29.)
^Déclamât, in verba : Eccc nos rellquimiis omnia , etc., vel de C^ iitemptu mundi , c. xxi.
VOCATION. -lO
ooO L V VIE ÉTEUNELLE
éternelle pour la patrie : celui-là est un soulagement dans le travail, celle-ci la jouissance de la félicité future. Ainsi aux ouvriers de ce siècle on donne la nourriture durant leurs travaux, et on réserve pour la fin leur salaire. x\insi encorelc soldat reçoit sa paye de chaque jour pour pourvoir à ses besoins présents ; ensuite on lui accorde une récom- pense proportionnée à ses services. Enfin, la manne ne fit jamais défaut aux Israélites dans le désert, jusqu'à leur entrée dans la terre promise; et l'Église, depuis l'arrivée du royaume de Dieu si longtemps attendu, demande par ses prières le pain quotidien institué par le Sauveur. Et vous voyez aussi celte double promesse clairement exprimée par le prophète, quand il dit : « Dieu donnera à ses Saints « la récompense de leurs travaux, il les conduira par une « voie admirable *. »
« Quiconque laissera ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses champs à cause de moi, recevra le centuple en ce monde, et possédera la vie éternelle. » C'est une sorte de contrat que le Seigneur nous j)roi)Ose ; il s'engage, si nous quittons tout pour le suivre, à nous donner le centuple en cette vie et son éternel royaume.
Déjà il avaitpromisla vie éternelle à ceux qui croiraient en lui. « En vérité, en vérité, avait-il dit 2, celui qui croit en moi a la vie éternelle. » 11 l'avait promise aussi à tous ceux qui, avec les dispositions requises, mangeraient sa chair et boiraient son sang 3. Il l'avait annoncée à tous ceux qui
' Reddet Deus mercedem labonim sanctoruui suoriua, et deduccl illos in via mirabili. {Sap., x, 17.) - Joann., vi, 47. '"Ihid., V, S4.
LA VIE ÉTERNELLF. P.al
garderaient sa parole K C'est à un nouveau titre qu'il s'en- gage à la donner à tous ceux qui laisseront pour lui ce qu'ils ont dans le monde. Ceux-ci auront un nouveau droit, droit fondé, comme tous les autres, sur la parole de celui qui est la vérité même, et qui ne peut manquer à ses pro- messes; « car celui qui parle ainsi, dit saint Bernard 2, est celui dont les paroles ne passeront point, alors même que le ciel et la terre auront passé. »
Consolante promesse ! Elle donne à ceux qui en sont l'objet une assurance plus expresse de leur éternel bonheur. Car, s'il est vrai que le Seigneur â promis la même récom- pense à d'autres vertus, il est vrai aussi que ces vertus sont cachées aux regards de l'àme, et qu'il lui est difficile de se rendre le témoignage qu'elle les possède. Mais ici la pro- messe est faite à des actes dont il est facile de se rendre compte ; le religieux, pour avoir droit aux biens qui lui sont offerts, n'a qu'à persévérer dans les sacrifices qu'il a faits, et ne pas regretter ce qu'il a quitté ; il aura rempli la condition posée par le Seigneur, il pourra compter sur l'accomplissement de ses divines promesses.
De là la joie intime, la vive allégresse de tant de jeunes religieux que le Seigneur retire de ce monde dès leurs pre- miers pas dans la voie du renoncement. Ils sont heureux de mourir après avoir tout quitté pour Dieu ; ils attendent avec confiance la récompense promise ; ils se reposent sur la parole de celui qui les a appelés, du Dieu souveraine- ment fidèle 3.
* Joann., viii, [il. - In loc. supra cit., c. xx.
3 Si le lecteur désire connaître plus en détail les sentiments de joie toute céleste au milieu desquels un jeune religieux voit appro-
3b2 LA VIE ÉTERNELLE
Si, à l'heure de la mort, le souvenir de cette promesse du Seigneur est si consolant pour ceux qui ont à peine accom- pli le premier renoncement , quelle source d'ineffable bonheur ne doit point y trouver celui qui, à ce parfait renoncement aux choses du monde, a uni, pendant de longues années, le sacrifice d'une quotidienne abnégation? x\vec quelle confiance il attend la venue du Seigneur, après avoir usé à son service ses forces et sa vie !
Nous avons connu un religieux de notre Compagnie, qui, après une longue vie fidèlement employée au service de Dieu, dans l'humble degré de coadjuteur temporel, sm' le point d'expirer^ chantait d'une voix presque éteinte : Le ciel en est le prix!
Il n'y a pas encore deux ans, dans la maison où nous écrivons ces lignes, nous avons vu sur son lit de mort un vénérable vieillard, qui, pendant tout le cours de sa longue vie religieuse, avait travaillé à la gloire du divin Maître. Nous l'avons vu plein de cette joie du bon et fidèle servi- teur, sur le point dt recevoir la récompense. Au moment où la communauté entrait dans sa chambre, afin d'assister le malade dans la réception de l'onction sainte, nous l'avons entendu s'écrier, au milieu des transports d'une vive allé- gresse : « Entrez, entrez, je suis content ; c'est un beau jour pour moi; je jubile.» J^es jours qui suivirent, on l'en- tendait appeler de tous ses vœux le divin Maître ; il se ser- vait des paroles du Cantique sacré : Ubi est quem diligit anima mea? Où est celui que mon cœur aime i? Il répétait
cher la mort, il peut lire l'opuscule publié récemment sous le titre: Derniers Souvenirs d'un religieux mourant. 1 Cant., 1,6.
LA VIE ÉTERNELLF. 353
ce cri des enfants de Dieu : Abba, Abba; parole doublement vraie dans la bouche du religieux qui a laissé pour Dieu son père, sa mère, et tous ses proches. « J'attends, j'attends, disait-il encore, au moment de recevoir une seconde fois le viatique; vite,Notre-Seigneur! » Et aussitôt après l'avoir reçu, il s'endormait paisiblement dans le baiser de son Dieu. On peut donc le dire, car l'expérience de chaque jour, comme les annales de tous les ordres religieux, le démontre pleinement, le religieux meurt sans frayeur, comme sans regret, et avec un certaine assurance de son éternel bonheur. Il semble, comme on le rapporte de saint Nicolas de Tolen- tino, ouir la voix du Maître qu'il a servi l'inviter à sortir de ce lieu de travail pour entrer dans la joie de son Sei- gneur K Ou bien, c'est la voix de l'Époux qui se fait entendre aux oreilles de l'épouse fidèle, et lui annonce que l'hiver est passé avec les jours de l'épreuve; que Theure des noces éternelles est arrivée 2. L'un embrasse avec recon- naissance celui qui vient lui apprendre la nouvelle de sa mort prochaine. Un autre, à cette annonce, témoigne sa joie par les premières paroles de l'hymne ambrosien, ou par celles du prophète : « Je me suis réjoui en apprenant que nous allions à la maison du Seigneur ^. » Celui-ci déclare qu'il n'aurait jamais cru qu'il fût si doux de mourir en religion, que la réalité dépassait tout ce qu'il avait espéré. Celui-là répète, en montrant d'un œil joyeux sa pauvre ceUule : « 0 cellule de Jésus, tu es plus précieuse
iMatth., XXV, 21. ^ Catit. ,11, 10,11.
^ Lsetatus sum in his. qiiae dicta siint niihi : in domuni Domini ibinius. {Ps. cxxi, 1.)
20.
384- LA VIE ÉTERNELLE
pour moi que le palais d'un roi. » Un autre s'écrie qu'ayant, selon la parole de Jésus-Christ, reçu le centuple promis en ce monde à ceux qui ont tout quitté pour le suivre, il attend avec confiance la vie éternelle également promise ' .
Dans le discours où saint Bernard dépeint à ses religieux la perte qu'il vient de faire par la mort de son frère Gérard 2, le saint docteur décrit en ces termes la joie avec laquelle ce frère bien-aimé, dans la nuit qui précéda son trépas, invitait les esprit célestes à louer le Seigneur, ci II n'est pas permis d'en douter, s'écrie-t-il en s'adressant à son frère, vous avez rejoint ceux qu'au milieu de votre suprême nuit vous invitiez à la louange. Alors, avec un visage rayonnant de joie et d'une voix pleine d'allégresse, vous vous êtes mis fi chanter ce verset de David : Laudate Bominum de cœlis, laudate eum in excelsis 3. Pour vous, ô mon frère, cette nuit sombre devenait lumineuse ; elle brillait comme un beau jour. Oh! oui, cette nuit est devenue pour vous une source de clartés et de délices.
« On m'appela pour me rendre témoin de cette mer- . veille : je vis un homme tressaillant de joie en face du tré- pas et insuhant ù la mort. Où est donc, ô mort, ta puis- sance? Où est ton aiguillon? Au lieu de l'affliction qu'il cause, je n'aperçois que les tressaillements de l'allégresse. Un homme meurt en chantant, et il chante en mourant. 0 mère de la tristesse, tu deviens pour lui une source de joie! Eimemie de la gloire, il se gloritie dans tes bras ! Tu es pour un si grand nombre la porte des enfers : il a passé par
' fn Aunal. Soc. Jesii. - Serai, xwi in Cnntic.
' Pi. CXI.VI.I, 1.
LA VIE ÉTER^ELLE 35^
toi pour arriver au triomphe ! Abîme de perdition, il a trouvé en toi le salut ! . . Gérard n'a point redouté ton effrayant aspect; à travers tes gorges redoutables, il est allô dans la patrie; il y est allé non-seulement en toute sécmité, mais avec joie et en louant le Seigneur.
« Lorsque j'arrivai auprès de lui, il achevait le chant du Psalmiste, et disait en regardant le ciel: «Mon Père, je « remets mon âme entre vos mains '. »Et répétant ces douces paroles : « Mon Père, mon Père, « il ajouta, tourné vers moi, et le visage rayonnnant de joie : « Quel insigne honneur « le Seigneur nous fait de vouloir être notre Père ! Quelle (( gloire pour nous d'être les enfants de Dieu et ses héritiers ! « Car si nous sommes ses enfants, nous sommes aussi les « héritiers de son royaume. » Ainsi chantait celui que nous pleurons, et, je vous l'avoue, ses chants changent mon deuil en allégresse. Attentif à sa gloire, j'oublie presque entière- ment mon propre malheur. »
Telle est la sainte assurance, la joie céleste du religieux qui meurt fidèle à sa vocation. Ce suprême bonheur de la vie, saint Jérôme le proposait à un jeune homme riche, qu'il voulait attirer à la vie reUgieuse. « Il est heureux, hii disait- il, il est digne de toute féhcité, celui que la vieillesse trouve au service de .Jésus-Christ, et que la mort surprend daus la lutte pour le Sauveur; il ne sera pas confondu lorsque, aux portes de Féternité, il parlera à ses ennemis; sur le seuil du paradis, il entendra ces paroles : « Vous avez souffert dans la vie, venez vous réjouir au ciel 2. »
' In mamis tuas conimendo spiritum meura. {Ps. xxx, 6.) - Félix et omni dignus beatitudine,quem senectus Christo occupet servienteni, qiiem extrema dies Salvatori invcniet militantem, qui
356 LA VIK KTERNELLE
Saint Jean Chysostome, dans une de ses homélies ', dépeint avec complaisance les divers exercices de la car- rière religieuse. Il les compare aux actes d'une vie passée dans le siècle; il en montre l'excellence, et, arrivé au trépas des religieux : « Ils meurent, il est wai, dit-il, car ils ne sont pas immortels ; mais ils ne regardent leur mort que comme un sommeil ou un passage à la vie. Aussi, quand ils accompagnent leurs défunts au tombeau, ce n'est point pour eux un convoi funèbre, mais une pompe solennelle. Quand on leur annonce qu'un de leurs frères est décédé, c'est une sorte de joie, c'est un bonheur pour tous ; ils ne disent même pas qu'il est mort, mais qu'il est arrivé à 1 fin de sa course et de son voyage, au Heu de l'éternel repos. Ils remercient le Seigneur de toutes les grâces accordées à ce frère bien-aimé, et de la gloire dont elles sont couronnées. Chacun désire pour soi-même une fin semblable, sortir ainsi de la mêlée, trouver le même repos après le travail et le combat, et jouir de la vue du Seigneur. Quand ils sont malades, il n'y a autour d'eux ni larmes ni tristesse, mais un redoublement de prières... On ne voit à leur chevet ni une femme échevelée pleurant d'avance sa viduité, ni des enfants menacés d'être laissés orpheUns, ni des serviteurs qui supphent leur maître expirant de reconnaître leurs ser- vices; mais, libre de toutes ces soUicitudes, leur âme n'est occupée que d'une chose, de sortir de ce monde dans l'amour de son Dieu 2, ;>
non confundetiir, mm loquetur inimicis suis in porta (Ps. cxxvi, 3), cui in introitu paradis! dicitur: Recepisti mala in vita tua,nuncautem hic lœtare. (S. Hieron.,ep. cxvii, alias xxxiv, adJulianum,n. 6.)
1 In I Tim., hom., xiv. n. 3 et seq.
- S. Joan. Chrys., in I Tim. lioni. xiv, h. ti.
LA VIE ÉTERNELLE 387
Cette paix divine, cette joie toute céleste qui accompagne le religieux sur son lit de mort et jusque dans la tombe, font partie du centuple promis ; c'est l'avant-goût de la cou- ronne qui lui est réservée.
Un riche seigneur,'touché des prédications de saint Ber- nard, avait quitté le siècle et avait embrassé la vie reli- gieuse dans l'ordre de Citeaux, Il y vécut dans le parfait renoncement qu'il avait voué au Seigneur. Dans sa dernière maladie, il eut à souffrir des douleurs si aiguës, qu'il en tomba en défaillance. Revenu à lui-même, il s'écria, la joie et l'allégresse peintes sur ses traits et dans son regard : « Toutesvos promesses s'accomplissent, ô Seigneur Jésus, et toutes vos paroles sont véritables, » Comme il répétait souvent les mêmes paroles, les religieux lui en demandèrent la cause. Il leur répondit : « Notre-Seigneur a annoncé, dans l'Évangile, que quiconque aura quitté pour l'amour de lui ses parents et ses biens, recevra le centuple en ce monde et la vie éternelle en l'autre. Or, j'éprouve maintenant la vérité de cette promesse : je reçois le centuple en cette vie ; je souffi'e beaucoup, il est ^Tai, mais ces douleurs me semblent douces à cause de l'assurance que j'ai de mon éternel bonheur, et je ne les changerais pas contre cent fois autant de biens que j'en ai laissé dans le monde. » Puis il ajouta : « Je ne suis qu'un pauvre pécheur, et néanmoins je me trouve comblé de joie au miheu de mes peines ! Que doivent donc éprouver les parfaits re- ligieux, ceux qui se sont montrés plus empressés que moi à quitter le siècle et à servir Dieu? De quelles déli- ces spirituelles ne doivent-ils pas être rempUs à toute heure? Car, en vérité, la joie que mon cœur goûte par la seule espérance de l'étemelle vie, est incomparablement
3S8 LA VIE ETERNELLE
plus grande que toutes celles que le monde donne à ceux qui le suivent • . »
Mais quelle sera, pour le religieux fidèle, cette vie bien- heureuse dont l'approche et Favant-goût le réjouissent tant au milieu des plus grandes douleurs, et éloignent pour lui toutes les horreurs de la mort? « Si, répond saint Bernard 2, les paroles nous ont fait défaut dans l'exposition du centuple promis; si l'abondance du cœur a été arrêtée par la pénurie du langage, comment ne pas avouer l'impuissance de nos pensées elles-mêmes à l'égard de la promesse de l'éternelle vie? Si, après l'avoir éprouvée, on ne peut parler dignement de la récompense partielle, comment essayer de balbutier sur le parfait bonheur qu'on n'a point goûté? L'œil n'a point vu. Seigneur, ce que vous préparez à ceux qui vous aiment. C'est une paix qui surpasse tout sentiment, une paix au- dessus de toute paix, une jubilation sans fin, un torrent de voluptés divines, un fleuve de joies, une pleine allégresse. Prenez tout ce que vous voudrez, désirez tout ce que vous pourrez; cette féUcité, cette éternité, cette béatitude sur- passe toute pensée et tout désir. Daigne Notre-Seigneur Jésus-Christ nous y conduire, en nous prévenant par les bénédictions de sa douceur !... Qu'il nous accorde ici-bas la grâce du centuple promis, comme une consolation et un soulagement dans le travail de la vie, pour nous empêcher de défaillir sur la route et nous donner une douce assurance des biens futurs ! »
' In Chron. cisterc, trait cité par Plains : Du Bonheur de la vie q religieuse, 111^ part., c. xiii.
-Déclamât, in verba : Ecce nos reliquimus ovmia , etc., vel de Contemptu mundi , in fine.
APPENDICE
I
Réponse de saint Alphonse de Liguori
à un jeune homme demandant conseil s\ir l'état
de vie qu'il doit suivre.
Je lis dans votre lettre que, depuis longtemps, vous vous sentez inspiré de Dieu à embrasser l'état religieux, mais qu'il s'est élevé dans votre esprit plusieurs doutes, particu- lièrement celui-ci, que, sans vous faire religieux, vous pourriez bien vous sanctifier dans le monde.
Je vous répondrai brièvement: Si vous désirez plus
1 Cet appendice renferme deux lettres et deux instructions de saint Alphonse de Liguori. Le lecteur y verra l'application qu'y l'ait ce saint direcieur des enseignements exposés dans notre ouvrage; il y trou- vera comme une confirmation de tout ce qui précède et de précieuses leçons de vie spirituelle.
Nous avons emprunté les deux lettres à la nouvelle traduction qu'en a faite M. l'abbé Dujardin. Pour les deux instructions aux novices, nous nous sommes servis de l'ancienne traduction en y faisant les corrections convenables.
360 SAINT ALPHONSE DE LIGUORI A LiN JEUNE IIOAIME
d'explication, VOUS pourrez lire un opuscule que j'ai livré à l'impression, sous ce titre : Avis sur la vocation religieuse; j'y ai traité au long cette matière.
Je me contenterai donc de dire ici, en peu de mots, que le choix, d'un état est une affaire de la dernière importance, parce que de là dépend le salut éternel. Celui qui embrasse l'état auquel Dieu l'appelle se sauvera facilement ; mais, pour celui qui n'obéit point à la vocation divine, il lui sera difficile,' et même moralement impossible, de se sauver. La plus grande partie de ceux qui se sont damnés se sont damnés pour n'avoir pas correspondu à leur vocation.
Si donc vous voulez choisir l'état le plus sûr pour arriver au salut, ce qui est tout pour nous, considérez que votre àme est immortche, et que la fin pour laquelle Dieu vous a mis en ce monde n'est certainement pas d'y acquérir des richesses et des honneurs, ou d'y mener une vie commode et agréable; mais c'est uniquement pour mériter la vie éternelle par la pratique des vertus : Finem vero vitam œternam ^. Au jour du jugement, il ne vous servira de rien d'avoir élevé votre maison, ni d'avoir figuré avantageuse- ment dans le monde, mais seulement d'avoir aimé et servi Jésus-Christ, qui doit vous juger.
Vous pensez que vous pourriez vous sanctifier même en restant dans le siècle. — (3ui, monsieur, vous le pourriez, mais difficilement, et si vous avez été vraiment appelé de Dieu à la vie religieuse, et que vous vouhez néanmoins rester dans le siècle, votre sanctification, comme je l'ai dit, sera moralement impossible ; la raison en est que vous y manquerez des grâces que Dieu vous avait préparées dans
^ Rom., M , "2:2.
SUR LE CHOIX D'UN ÉTAT DE VIE 361
l'état religieux, et, privé de ces secours, vous ne vous sauverez point. Pour se sanctitîer, il faut en prendre les moyens tels que la fuite des occasions dangereuses, le détachement des biens terrestres, la vie recueillie en Dieu; de plus, pour se soutenir, il faut la fréquentation des Sacre- ments, et l'usage quotidien de l'oraison mentale, de la lecture spirituelle, et d'autres exercices de piété, sans quoi l'on ne peut conserver la ferveur. Or, il est fort difficile, pour ne pas dire impossible, de pratiquer toutes ces choses au miheu du tumulte et des embarras du monde. Les soins de la famille, les besoins de la maison, les plaintes des parents, les querelles, les persécutions, choses qui abondent dans le siècle, y tiennent l'esprit tellement préoccupé de pensées et de craintes, qu'on peut à peine se recommander à Dieu le soir, d'une manière distraite. Vous voudrez pra- tiquer l'oraison, lire un livre spirituel, communier souvent, visiter chaque jour le Sacrement de l'autel; mais vous serez empêché par les affaires du monde, et le peu que vous ferez sera plein d'inperfection, parce que cela sera fait au miheu de mille distractions, et avec un cœur froid. Ainsi votre vie sera toujours inquiète, et plus inquiète encore sera votre mort.
D'un côté, les amis du monde ne manqueront point de vous faire redouter la vie religieuse comme une vie dure •et pleine de tourments ; de l'autre, le siècle ne vous offrira que plaisirs, richesses, et une vie heureuse. Mais réflé- chissez bien, et ne vous faites point illusion. Soyez per- suadé que le monde est un traître, qui promet et ne tient pas. Il vous offre les biens terrestres ; mais, quand même il vous les procurerait tous, pourra-t-il jamais vous donner la paix de l'âme? Non, Dieu seul peut vous donner la véri-
VOCATION. 21
302 SAINT ALPHONSE DE LIGUORI A UN JEUNE HOMME
table paix. Notre âme est créée uniquement pour Dieu, pour l'aimer en cette vie et le posséder dans l'autre ; c'est pourquoi Dieu seul peut la contenter. Toutes les richesses et toutes les jouissances de la terre ne sauraient nous pro- curer la véritable paix ; au contraire, plus on abonde en de pareils biens en cette vie, plus on est agité et affligé, ainsi que le confessait Salomon au sein d'une semblable abondance : Universa vanitas et afflictio spiiitiis ^. Si les Ijiens terrestres pouvaient donner le contentement, les riches, les grands, les monarques, à qui il ne manque ni argent, ni honneurs, ni divertissements, seraient pleinement satisfaits ; cependant, l'expérience fait voir que, plus ils sont élevés dans leur grandeur et leur prospérité, plus ils éprouvent de peines, de craintes et de tribulations. Un simple frère capucin, n'ayant qu'une corde pour ceinture sur un habit grossier, se nourrissant de quelques fèves et dormant sur la paille dans une pauvre cellule, vivra bien j)lus content qu'un prince couvert de vêtements d'or et dans toute son opulence : celui-ci aura chaque jour une table magnifiquement servie, et pourra, le soir, se coucher mollement sous un pavillon somptueux ; mais il ne pourra dormir à cause des soucis qui lui déroberont le sommeil. — Insensé, qui aime le monde et n'aime point Dieu ! disait saint Philippe de Néri. — Et si les mondains mènent une vie si agitée, ils seront encore plus troublés au moment de la mort, lorsque le ministre de Dieu leur annoncera qu'il est temps de prendre congé de ce monde, en leur disant : Proficiscere, anima ChrisUana, de hoc mimdo; Unissez- vous à Jésus crucifié, âme (^hrétienno, le monde n'est plus
SUR LE CHOIX D'UN ÉTAT DE VIE 363
pour vous. — Le mal est que, dans le siècle, on pense peu ù Dieu et peu aussi à l'autre monde, où nous devons de- meurer éternellement. Toutes les pensées, ou presque toutes, s'appliquent aux choses de la terre ; de là vient que la vie est malheureuse, et plus malheureuse encore la mort.
Si donc vous voulez être sur de bien choisir votre état de vie, représentez-vous à l'article de la mort, et choisissez l'état que vous souhaiterez alors d'avoir choisi. Alors, il ne sera plus temps.de réparer votre faute, si vous commettez celle de négliger votre divine vocation, pour suivre le penchant naturel, qui vous porte à vivre avec plus de liberté. Considérez que toutes les choses d'ici-bas ont une fin: Prœterit enim figura hujus mundi ' ; la scène de ce monde doit finir un jour pour chacun de nous. — Tout passe, et la mort s'avance vers nous, et nous, à chaque pas que nous faisons, nous avançons vers la mort et vers l'éternité. C'est pour cela que nous sommes nés : Quoniam ibit homo in domum œternitatis suce 2. Au moment que nous y pense- rons le moins, la mort arrivera sur nous. Eh ! lorsque nous serons près de mourir, que trouverons-nous dans les biens terrestres? Y verrons-nous autre chose qu'illusion, vanité, mensonge, folie? Que nous servira-t-il donc alors, comme le Seigneur nous en avertit, d'avoir gagné le monde entier, si nous avons perdu notre âme : Quid prodest homini, si mundumnniversum lucretur, animœ vero suce detrimentum patiatur ^ ? Cela ne servira qu'à nous faire terminer une malheureuse vie par une mort malheureuse.
M Cor., VII, 31. -Matth.,xvi, 20. ^ EccL, XII, y.
3Gi SAINT ALPHONSE DE LIGUORI A LN JEUNE HOMilE
Quel n'est pas, au contraire, le bonheur d'un jeune homme qui a renoncé au siècle pour se donner sans réserve à Jésus- Christ, de passer ses jours dans une cellule solitaire, loin du tumulte et des dangers de perdre Dieu, dangers si fré- quents dans le monde ! Il ne trouve au couvent ni concerts, ni comédies, ni bals, ni autres divertissements de ce genre ; mais il y trouve Dieu qui le console et le fait jouir de la paix ; je parle de la paix qu'on peut obtenir dans cette vallée de larmes, où nous sommes tous pour souffrir et pour mériter, par la patience, cette paix parfaite qui nous est réservée en paradis. Quand on vit éloigné des plaisirs du monde, un regard tendre jeté de temps en temps sur le crucifix, un Deus meus, et omnia! prononcé affectueusement, un Mon Dieu! dit avec mi soupir d'amour, procure plus de vraie joie que tous les amusements et toutes les pompes du siècle, quilaissent un arrière-goût plein d'amertume.
Et sice jeune homme est heureux, pendant sa vie, d'avoir embrassé l'état religieux, il l'est bien plus encore dans ses derniers moments. Quelle n'est pas alors sa consolation d'avoir sanctifié ses années par la pratique de l'oraison, de la lecture spirituelle, de la mortification, et par d'autres exercices de piété, surtout si, dans la religion, il s'est employé au salut des âmes en prêchant et en entendant les confessions ! Toutes ces choses, à la mort, sont autant de motifs de confiance en Jésus-Christ, qui sait reconnaître et récompenser généreusement ce qu'on fait pour sa gloire.
Venons-en à la conclusion concernant le choix que vous avez à faire. Puisque le Seigneur vous a appelé à quitter le monde et à vous donner tout à lui dans l'état religieux, je J vous dirai : Réjouissez- vous, et en même temps tremblez. — 1 Réjouissez-vous, dis-je, d'une part, remerciez sans cesse le
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Seigneur, parce que, être appelé de Dieu à une vie parfaite, c'est une grâce qu'il n'accorde pas à tous : Non fecit taliter omni nationi *. — D'un autre côté, tremblez, parce que, sivous n'obéissez point à la voix de Dieu, vous mettez en grand danger votre salut éternel. Je ne puis vous rapporter iciles nombreux exemples de jeunes gens qui, pour n'avoir pas tenu compte de leur vocation, ont mené une vie mal- heureuse suivie d'une mort horrible ; mais tenez pour certain que, vu la vocation que vous avez eue, si vous restez dans le monde, vous n'y aurez plus de paix, et votre mort sera fort troublée par le remords que vous éprouverez alors de n'avoir point obéi à Dieu, quand il vous appelait à l'état religieux.
A la fin de votre lettre, vous désirez savoir de moi si, dans le cas où vous n'auriez pas le courage d'entrer en reli- gion, il serait mieux de vous marier, conmie le veulent vos parents, ou de vous faire prêtre séculier. — Voici ma réponse.
Quant à l'état conjugal, je ne puis vous le conseiller, puisque saint Paul ne le conseille à personne, à moins qu'il n'y eût nécessité, par suite d'une incontinence habituelle, nécessité qui, j'en suis sûr, n'existe pas pour vous.
Et quant à l'état de prêtre séculier 2, faites attention que le prêtre séculier a tout à la fois et les obligations du sa- cerdoce et les distractions avec les dangers des gens du monde ; car, vivant au miheu de la société, il ne peut éviter les dérangements qui surviennent dans sa maison et
^ Ps. CXLVII, 20.
- En Italie , on voit souvent des prêtres qui restent dans leurs familles. {Note du traducteur.)
36G SAINT ALPHONSE r>E LTGUORÏ A TN JEUNE HOMME
dans sa famille, ni être à l'abri de tout danger pour son âme ; il est exposé aux tentations dans sa maison même, ne pouvant empêcher qu'il ne s'y trouve des femmes, soit des parentes, soit des servantes, et qu'il n'y vienne aussi des personnes étrangères. Il faudrait vous y tenir tout à "fait retiré dans une chambre à part, et uniquement occupé aux choses de Dieu ; mais cela est fort difficile à mettre en pra- tique ; aussi est-il extrêmement rare que des prêtres qui demeurent dans leur famille s'appliquent à la perfection.
D'un autre côté, si vous entriez dans un couvent où règne l'observance, vous ne seriez plus obligé de penser à ce qui regarde la nourriture et le vêtement, puisque vous y seriez pourvu de tout ; vous n'y trouveriez pas de per- sonnes dont la présence vous troublerait l'esprit. En un mot, ainsi éloigné du tumulte du monde, vous n'auriez plus rien qui pût vous empêcher devons livrer au recueille- ment et à l'oraison.
J'ai parlé d'un couvent où règne l'observance, parce que, s'il s'agissait de tout autre où l'on vit d'une manière relâ- chée, il vaudrait mieux rester dans votre maison, et tâcher d'y sauver votre âme comme vous pourriez; car, en entrant dans une communauté tombée dans le relâchement, vous vous mettriez en danger de vous perdre; fussiez-vous sin- cèrement résolu de vous y donner à l'oraison et de ne vous y occuper que de Dieu, néanmoins, entraîné peu à peu par les mauvais exemples de vos co»frôres, vous voyant en outre tourné en dérision et môme persécuté, si vous refusiez devons conduire à leur manière, vous finiriez par négliger toutes vos dévotions, et par faire comme font les autres, ainsi que Texpérience le prouve.
Enfin, si Dieu daigne vous accorder la grâce de la voca-
SLR LE CnOlX DIX ÉTAT DE VIE 307
lion, soyez attentif à la conserver en vous recommandant souvent à Jésus et à Marie par de saintes prières, et sachez que, si vous vous décidez à vous donner entièrement à Dieu, le démon redoublera d'efforts pour vous entraîner au péché, et surtout pour vous faire perdre votre vocation.
Je termine en vous offrant l'assurance de mes sentiments respectueux, et je prie le Seigneur de vous faire la grâce d'être tout à lui.
II
Avis à une jeune Personne qui est en doute SUR l'état qu'elle doit choisir '
Vous délibérez sur l'état de vie que vous devez em- brasser. Je vois que vous avez peine à vous décider : d'un côté, le monde vous réclame et vous invite au mariage ; de l'autre, Jésus-Christ vous engage aussi à vous donner à lui en vous faisant religieuse dans quelque communauté fervente. Sachez que du choix que vous allez faire dépend votre salut éternel. C'est pourquoi je vous recommande
^ Le saint auteur suppose, comme dans la réponse qui précode , que la personne à laquelle il adresse ces avis est appelée ou a du moins un commencement de vocation à l'état religieux, mais que le monde la retient et qu'elle hésite. {Note du traducteur.)
368 SAINT ALPHOINSE DE LIGUORI A UNE JEUNE PERSONNE
de prier chaque jour le Seigneur, et commencez à le faire dès à présent que vous lisez cet écrit, afm qu'il vous donne la lumière et la force dont vous avez besoin pour choisir l'état le plus utile à votie salut, et que vous n'ayez pointa vous repentir du choix que vous aurez fait pendant toute votre vie et toute l'éternité, quand il ne sera plus temps de remédier à votre mécompte.
Examinez ce qu'il y a de plus avantageux pour vous, ce qui peut mieux vous rendre heureuse : si c'est d'avoir pour époux un homme terrestre, ou d'être l'épouse de Jé- sus-Christ, Fils de Dieu et Roi du ciel ; voyez lequel de ces deux partis vous paraît le meilleur, et prenez-le. — Sainte Agnès, dès l'âge de treize ans, était fort recherchée à cause de sa grande beauté. Il se présenta entre autres, pour l'é- pouser, le fils du préfet de Rome; mais, jetant les yeux sur Jésus-Christ, qui la voulait pour lui, elle répondit au jeune homme: « J'ai trouvé un époux qui vaut mieux que vous et que tous les rois de la terre ; je ne puis le quitter pour en suivre un autre. » Et, en effet, cette hé- roïque vierge préféra de perdre la vie dans un âge si ten- dre, et elle subit le martyre avec joie pour Jésus- Christ. — Une autre vierge, sainte Domitille, fit une réponse semblable au comte Aurélien, qui était un grand seigneur ; elle mourut aussi martyre, aimant mieux être brûlée vive que de renoncer à Jésus-Christ. — Oh ! quel doit être aujourd'hui dans le ciel le bonheur de ces ver- tueuses vierges pour avoir fait un si bon choix, bonheur qui durera toute l'éternité ! La même félicité est et sera le partage de toutes les jeunes personnes qui renoncent au monde pour se consacrer h Jésus-Christ.
Considérez donc aussi quelles seront les conséquences
SU!; LE CH(31X DT'N ÉTAT DE VIE 369
de Tétat que vous choisirez, soit en vous donnant au monde, soit en vous donnant à Jésus-Christ. Le monde vous offre les biens de la terre : des richesses, des hon- neurs, des amusements et des plaisirs. Jésus-Christ, au contraire, vous présente des fouets, des épines, des op- probres et des croix ; c'est ce qu'il a préféré pour lui-même durant tout le temps qu'il a vécu ici-bas; mais il joint à cela deux avantages immenses que le monde ne saurait vous domier: la paix du cœur en cette vie, elle paradis en l'autre.
En outre, avant de décider à quel état vous vous atta- cherez, il est nécessaire que vous vous remettiez devant les yeux que votre âme est immortelle ; c'est-à-dire qu'après la vie présente, qui finira bientôt, vous devez passer par la mort à l'éternité, où vous vous trouverez, dès votre entrée, au séjour des peines ou des récompenses, selon ce que vous aurez mérité par vos œuvres sur la terre. Ainsi, après votre dernier soupir, en quelque lieu que vous alliez habi- ter, soit au séjour de la vie, soit au séjour de la mort, c'est là que vous devrez demeurer toute l'éternité, ou sauvée et heureuse pour toujours au milieu des joies du Ciel, ou per- due et désespérée àjamaisaumiheu des tourments de l'enfer. Réfléchissez conséquemment que toutes les choses de ce monde n'ont qu'une courte durée. Heureux qui se sauve! malheur à qui se damne! Rappelez- vous toujours cette grande maxime de Jésus-Christ: « Que sert à l'homme de « gagner le monde, s'il perd son âme? » maxime qui a dé- terminé tant de chrétiens à se renfermer dans les cloîtres ou à se retirer dans les déserts, et tant de jeunes personnes à quitter le monde pour se consacrer à Dieu, et s'assurer une bonne mort !
21.
370 SAINT ALPHONSE DE LIGUORI A UNE JEUNE PERSONNE
D'un autre côté, voyez ce que sont devenues tant de grandes dames, tant de princesses, tant de reines, qui, dans le monde, ont été servies, louées, honorées et pres- que adorées : si elles ont eu le malheur de se damner, que leur reste-t-il de toutes leurs richesses, de tous leurs plai- sirs, de tous leurs honneurs, sinon des peines et des re- mords qui les tourmenteront à jamais, tant que Dieu sera Dieu, sans qu'elles puissent jamais espérer aucun remède à leur ruine éternelle ?
Mais jetons maintenant un regard sur les biens que donne le monde en cette vie à ceux qui le suivent, et sur les avantages que Dieu procure à ceux qui l'aiment et qui pour son amour renoncent au monde.
Le monde promet de grandes choses à ses partisans ; mais qui ne voit que le monde est un traître, qui promet et ne tient pas ses promesses? Et fùt-il fidèle à les accom- plir, quels sont les biens qu'on en peut espérer? Ce ne sont que des biens terrestres. Donne-t-il la paix, le bon- heur, comme il le promet? Non; car tous ses biens flattent les sens et la chair, mais ne sauraient contenter le cœur et rame. Notre âme est créée de Dieu uniquement pour l'ai- mer en cette vie et le posséder en l'autre ; c'est pourquoi tous les biens de la terre, toutes les jouissances et toutes les grandeurs d'ici-bas passent autour de notre cœur et n'y entrent point ; Dieu seul peut le contenter. Aussi Salomon reconnaissait-il que toutes les choses de ce monde ne sont que vanité et mensonge; que, loin de contenter notre âme, elles sont plutôt propres à l'affliger : Universel vanitas et afflictio spiritus. Et en eff'et, l'expérience prouve que ceux qui sont le plus abondamment pourvus de ;ces biens mènent une vie d'autant plus tourmentée et plus triste. Silo
SUR LE CHOIX DUN ÉT.VT DE VIE 371
bonheur consistait dans les avantages de la fortune, les princesses, les reines, à qui ne manquent ni les divertisse- ments, ni les spectacles, ni les fêtes, ni les banquets, ni les superbes palais, ni les brillants équipages, ni les riches vêtements, ni les joyaux précieux, ni les gens toujours prêts à les servir et à leur faire la cour, seraient toutes parfaitement heureuses. Cependant il en est autrement; ceux qui les croient satisfaites sont dans l'erreur. Deman- dez-leur si elles jouissent d'une paix entière, si elles vivent tout à fait contentes: que vous répondront-elles? Chacune d'elles vous dira qu'elle mène une vie malheureuse, et qu'elle ne sait même pas ce que c'est que la paix. Les mau- vais traitements qu'elles reçoivent de leurs maris, les cha- grins que leur causent leurs enfants, les jalousies, les crain- tes, les embarras de leurs maisons, remplissent leurs jours d'angoisses et d'amertumes.
Toute femme mariée peut être appelée martyre de pa- tience, quand toutefois elle a de la patience ; sans quoi elle souffre un martyre en ce monde, et un autre martyre bien plus douloureux dans l'éternité. N'eût-elle pas d'au- tre peine, les remords de sa conscience suffiraient pour la tourmenter continuellement : car, en vivant attachée aux biens terrestres, elle pense peu à son âme, fréquente peu les sacrements, et n'est guère attentive à se recommander à Dieu. Privée de ces secours, nécessaires pour tenir une bonne conduite, elle ne peut se préserver du péché ni échapper aux reproches continuels de sa conscience. Voilà comment les joies que le monde promet se changent en amertumes, et deviennent des sujets do crainte relative- ment au salut. — Malheureuse que je suis! se dit-elle, qu'en sera-t-il de moi à la mort, après cette vie que je
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mène, éloignée de Dieu, pleine de péchés, et allant toujours de mal en pis? Je voudrais me retirer pour faire un peu d'oraison ; mais les soins que réclame ma famille et le tracas incessant de la maison ne me le permettent pas. Je voudrais entendre les sermons, me confesser et communier souvent; je voudrais fréquenter l'église; mais mon mari s'y oppose ; souvent je ne puis être accompagnée comme il convient ; puis des occupations continuelles, le soin des enfants, les visites et tant d'autres embarras qui ne man- quent jamais, me tiennent comme enfermée à la maison ; à peine les jours de fête m'est-il permis d'aller entendre la messe k la dernière heure. J'ai fait une folie en voulant me marier ; je pouvais si aisément me sanctifier dans un couvent ! — Mais toutes ces lamentations, à quoi servent- elles sinon à augmenter encore la douleur qu'on éprouve en voyant qu'il n'est plus temps de revenir sur la résolution qu'on a prise de se donner au monde ? Et si la vie est ainsi pleine d'amertume, que sera la mort ? Alors la femme du monde verra pleurer autour de son lit ses servantes, son mari, ses enfants ; mais, loin de lui apporter du soulage- ment, tout cela ne fera qu'ajouter à sa peine; et ainsi affligée, pauvre de mérites et pleine de craintes pour son salut éternel, elle devra aller se présenter à Jésus-Christ qui doit la juger.
Quel n'est pas, au contraire, le bonheur d'une rehgieuse qui a renoncé au monde pour Jésus-Christ, de vivre au miheu de tant de saintes épouses du Seigneur et dans une cellule solitaire, loin des embarras du siècle et des dan- gers prochains de perdre Dieu, dangers qu'on rencontre à chaque pas dans le monde ! Et quelle consolation plus grande encore ne goùtêra-t-elle pas au moment de la mort,
SUR LE CHOIX D'UN ÉTAT DE VIE 373
d'avoir passé ses années dans la pratique de l'oraison, de la mortification, et de tant d'autres exercices de piété : la visite au Saint Sacrement, la confession, la communion, les actes d'humilité, d'espérance, d'amour envers Jésus-Christ! Il est vrai que le démon ne laissera pas de chercher à l'in- quiéter par le souvenir des fautes qu'elle a commises dans son enfance; mais son divin Époux, pour qui elle a quitté le monde, saura bien la rassurer ; et ainsi consolée, elle expirera dans une entière confiance, amoureusement unie à Jésus-Christ crucifié, qui la conduira avec lui dans le Ciel pour y jouir d'une félicité éternelle.
Ainsi, ma chère fille, puisque vous avez à choisir l'état dans lequel vous devrez passer votre vie, prenez celui que vous voudriez avoir choisi si vous étiez près de mourir. A la mort toute personne qui a vécu selon le siècle, voyant que le monde finit pour elle, se dit avec regret : Oh ! si j'avais travaillé à me sanctitier ! que ii'ai-je quitté le monde pour me consacrer à Dieu ! — Mais alors, ce qui est fait est fait ; \\ ne reste plus qu'à rendre le dernier soupir et à se présenter au tribunal de Jésus-Christ, qui dira : Viens, àme bénie, viens te réjouir avec moi pour toujours; — ou bien : Retire-toi de moi, et va-t'en pour toujours en enfer.
Il nous reste donc à choisir entre le monde et Jésus- Christ.
Si vous choisissez le monde, sachez que tôt ou tard, vous aurez à vous en repentir; ainsi, pensez-y bien. Dans le monde, il y a un grand nombre de femmes qui se perdent; dans les couvents, celles qui se perdent sont rares. Recom- mandez-vous à Jésus crucifié et à sa Très-Sainte Mère, afin qu'ils vous fassent la grâce de choisir ce qu'il y a de mieux pour votre salut éternel.
374 SAINT ALPHONSE DE LIGUORl AUX NOVICES
Si vous voulez vous faire religieuse, que ce soit avec la résolution de vous sanctifier ; car, si vous pensiez vivre au couvent d'une manière tiède et imparfaite, comme font quelques religieuses peu ferventes, il ne vous servirait de rien d'y entrer ; loin de là, vous y trouveriez une vie mal- heureuse, et ensuite une mort funeste.
Si, entin, vous avez trop de répugnance pour vous en- fermer dans un cloître, je ne puis vous conseiller d'em- brasser l'état conjugal ; car saint Paul ne le conseille à personne, hors le cas de pure nécessité, lequel, j'en ai la confiance, n'existe pas pour vous ; restez donc au moins dans votre maison, et tâchez de vous y sanctifier.
Je vous engage à faire, pendant neuf jours, la prière sui- vante : Mon Seigneur Jésus-Christ, qui êtes mort pour mon salut, je vous supplie, par les mérites de votre sang, de me donner la lumière et la force dont j'ai besoin pour choisir l'état qui doit être le.meilleur pour me sauver. — Et vous, ma tendre Mère, Marie, obtenez-moi cette grâce par votre puissante intercession.
III
Aux Novices sur les tentations contre la Vocation.
11 y a pour les religieux deux gracias bien distinctes : la grâce de la vocation et la grâce de la persévéï'ance dans la
SUR LES TENTATIONS CONTRE L V VOCATION 375
vocation. Plusieurs reçoivent de Dieu la première, et se rendent ensuite, par leur faute, indignes de la seconde. Celui-là seul sera couronné qui aura combattu comme il faut K Ainsi donc, nul ne recevra la grâce de la persévé- rance et la couronne qui en doit être le prix, s'il ne s'ap- plique à combattre et à vaincre l'ennemi du salut. Mon jeune ami, vous que le Seigneur, par une faveur spéciale, a appelé à sa suite, écoutez comme il vous exhorte lui- même et vous encourage : « Soyez attentif, mon fils, h conserver la grâce que vous avez reçue de moi, et craignez qu'un autre ne reçoive votre couronne 2. »
Celui qui entre au noviciat se met au service du roi du Ciel. Ce divin roi a coutume d'éprouver la fidélité de ses serviteurs par les croix et les tentations , dont il permet à l'enfer de s'armer contre eux. « Parce que vous étiez agréable au Seigneur, disait l'ange Raphaël à Tobie, il fallait que vous fussiez soumis à l'épreuve de la tentation 3.» De même, le Saint-Esprit dit à celui qui quitte le monde pour se donner à Die« ; « Mon fils, admis au service d(> Dieu, préparez votre âme à la tentation *. » Le novice, en entrant dans la maison du Seigneur, doit donc se tenir prêt non pas aux joies et aux consolations, mais aux tentations et aux combats que livre l'enfer à quiconque se donne tout à Dieu. Satan laissera en paix mille séculiers, et s'atta-
' Nam et qui certat in agone, non coronabiUir nisi légitime cer- taverit. (llTim., u, 5".)
- Tene quod habes, ut nemo accipiat coronam tuam. (Apoc, ni, 11 .)
'^ Et quia acceptus eras Deo, necesse fuit ut tentatio probaret te. {Tob., \ii, 13.)
^ Fili, accedens ad servitutem Dei, .., prépara auiniani tuam ad tentationem. {EcclL, 11, 1.)
376 SAINT ALPHONSE DE LIGUORI AUX NOVICES
chera de préférence à tenter ce novice, surtout s'il le voit aspirant à un institut dont le but est de travailler au salut des âmes. 11 fera tous ses efforts pour lui faire abandonner sa vocation, et avoir ainsi le gage le plus assuré de sa perte éternelle. Il sait, en effet, que ce jeune novice, s'il persévère et s'il est fidèle à Dieu, lui arrachera à lui-même des milliers de pécheurs, et deviendra l'instrument de leur salut. Aussi cet ennemi des âmes dresse-t-il contre lui toutes ses batteries ; il met tout en œuvre pour le tromper et le perdre.
Voici les principales tentations par lesquelles il s'efforce de l'abattre, et ce que le novice doit faire pour en triom- pher.
Satan emploie en premier lieu la tendresse des parents. Il faut résister à cette tentation en se rappelant ces paroles de Jésus-Christ : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est point digne de moi ' . Je ne suis pas venu apporter la paix , mais le glaive ; je suis venu séparer l'homme de son père, et la fille de sa mère 2.» Pourquoi le Sauveur vient-il opérer cette division? C'est qu'il n'ignorait pas le torique les parents se causent les uns aux autres; il savait que, lorsqu'il s'agit du salut éternel, et en particulier de la vocation religieuse, nous n'avons pas de plus grands ennemis que nos proches : aussi ajoute-t-il que les enne- mis de r homme sont dans sa propre maison ^. Oh ! combien
' Qui amat patrem aut matrem plus quam me non est me digniis. (Matth., X, 37.)
^ Non veni mittere pacem, sed gladium : veni enim separare homi- neni adversiis patrem suum et filiam adversus matrem suam. (Jlatth , y., 34, 3o.)
^ Et inimici cjiis domestici ejus. (Ibid., 3G.)
SLR LES TENTATIONS CONTRE LA VOCATION 377
de pauvre jeunes gens, par une affection trop grande pour leurs parents, ont perdu leur vocation, et par suite leur âme elle-même! L'histoire est pleine de récits des ces fu- nestes chutes. J'en citerai quelques-unes.
Le père Jérôme Piatti rapporte que le parent d'un novice alla le voir et lui parla ainsi : « Écoutez-moi, c'est mon affection pour vous qui dicte mes paroles. Votre santé, croyez-le bien, ne vous permet pas de supporter les fati- gues et les travaux de la vie religieuse. Dans le siècle, au contraire, vous pourrez mieux, servir Dieu ; vous lui plai- rez davantage en faisant anx pauvres une grande part des richesses qu'il vous a données. Si vous vous obstinez à rester en religion, vous aurez à vous en repentir; on vous y emploiera aux plus bas offices, à cause de votre peu de talent et de votre mauvaise santé, et vous vous verrez sous peu obligé d'en sortir avec la honte d'avoir été jugé inutile à la communauté. Ne vaut-il pas mieux vous retirer dès maintenant? » Le pauvre jeune homme fut ébranlé et il se retira. Peu de jours se passèrent, et le malheureux était déjà livré à toute sorte de vices. Il en vint aux mains avec quelques rivaux, et fut blessé dans cette querelle, ainsi que celui dont il avait suivi les perfides conseils. Ils moururent tous deux peu après le même jour, et le malheureux novice expira sans avoir fait sa confession.
Le père Mancinelli raconte d'un jeune noble qu'après avoir résisté aux larmes et aux sollicitations de sa mère, et être entré en rebgion, il se relâcha de sa première ferveur, et, cédant à de nouvelles instances, il sortit du noviciat. 'La mère chercha dès lors à lui procurer les divertissements du siècle. Elle lui fit prendre des leçons d'escrime. Un jour qu'il s'y exerçait ave un de seâ amis, celui-ci lui porta
378 SAINT ALPHONSE DE LIGUORI AUX NOVICES
dans l'œil un coup si violent, que l'inforluné resta mort sur la place sans pouvoir se confesser.
On lit dans la Vie de saint Camille de Lellis qu'un jeune homme était entré à Naples dans l'ordre que ce saint avait fondé. Persécuté par son frère, il avait d'abord résisté avec courage. Ensuite, étant allé à Rome, il s'y aboucha de nouveau avec son père et succomba à la tentation. En le congédiant, le saint lui prédit qu'il ferait une mauvaise fin et mourrait des mains delà justice. La prédiction se vérifia. Le jeune homme, s'étant marié depuis, s'emporta dans un accès de jalousie jusqu'à tuer sa femme et deux serviteurs. Il fut saisi par la justice, et ce fut en vain que son père sacrifia sa fortune pour lui sauver la vie. Neuf ans après sa sortie du monastère, il eut la tête tranchée sur la place du marché de Naples. Il est raconté dans la Vie du même saint qu'un autre novice voulant rentrer dans le monde, saint Camille de Lellis lui annonça aussi le châtiment de Dieu. Et, en effet, de retour à Messine, il y mourut subitement, six mois après, sans sacrement.
Soyez donc vigilant sur ce point, mon cher frère, si le démon cherche par cette voie à vous faire perdre la grcàce de votre vocation. Le Seigneur, en vous invitant à quitter le siècle, vous presse non-seulement d'abandonner, mais encore d'oublier votre patrie et vos parents : Audi, filia, et vide et inclina aurem iuam ; et obliviscere populum tuum et domum patris tut ^. Écoutez et voyez : écoutez ce qu'il vous dit ; voyez, si vous venez à l'abandonner lui-même par affection pour vos proches, quels seront vos remords et votre douleur au moment de votre mort? Alors vous vous
' Ps. xuv, II.
SUR LES TEXTATIONS CONTRE LA VOCATION 379
rappellerez la maison de Dieu que vous avez abandonnée, vous vous verrez mourant, entouré de vos frères et de vos neveux ; ils vous accableront de leurs doléances, de leurs sup])lications intéressées. Dans un moment où les leçons spirituelles vous seront si nécessaires, ils penseront à peine à vous les procurer en retour des biens que vous leur lais- serez, et ils ne sauront point vous parler de Dieu. Bien plus, ils chercheront à vous étourdir, afin de diminuer la crainte que vous aurez de la mort, ils vous flatteront de vaines espérances de guérison, et seront ainsi cause que vous mourrez sans vous y être préparé.
Considérez, au contraire, quel contentement vous aurez à la mort, si, fidèle à Dieu, vous avez le bonheur de finir votre vie au milieu de vos frères en rehgion. Ceux-ci vous prêteront le secours de leurs prières, ils vous soutiendront, sans vous tromper, par l'espérance du paradis, et vous ani- meront à mourir avec tranquillité et avec joie. Si vos parents vous ont aimé pendant plusieurs années avec quelque ten- dresse. Dieu vous a aimé bien longtemps avant, et avec une tendresse bien plus grande. Vous aurez peut-être une trentaine ou une quarantaine d'années à être aimé d'eux. Mais Dieu vous aimera pendant toute l'éternité : Je vous ai aimé, vous dit-il, crun amour perpétuel. Vos parents, il est vrai, auront fait quelques dépenses et supporté quelques incommodités pour vous ; mais Jésus n'a-t-il pas donné pour vous son sang et sa vie? Si donc vous sentez de la tendresse pour vos parents, si la reconnaissance semble vous engager à ne pas leur déplaire, combien plus devez- vous être reconnaissant envers Dieu, qui vous a tant aimé,
* In charitate perpétua dilexi te. (.Ter., xxxr, ".)
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380 SAINT ALPHONSE DE LIGUORI AUX NOVICES
qui vous a comblé de si grands bienfaits. Dites-leur donc en votre cœur : « 0 mes parents, si je vous quitte, je le fais pour Celui qui plus que vous mérite mon amour. « Vous vaincrez ainsi cette dangereuse tentation, cause du malheur d'un grand nombre d'âmes en cette vie et dans l'autre.
La seconde tentation par laquelle le démon a coutume d'attaquer un novice, c'est la crainte de perdre la santé. Il lui suggère la pensée qu'en menant une vie aussi pénible, il épuisera ses forces, et ne sera plus bon ni pour Dieu ni pour le monde. Le novice doit repousser ces suggestions par mie entière confiance au Seigneur ; qu'il en ait l'assurance, celui qui lui a donné la grâce de la vocation lui donnera également la santé et les forces nécessaires. Et s'il est venu dans la maison de Dieu dans le seul dessein de lui plaire, comme il faut le supposer, il devra se dire : « Je n'ai point caché, et je ne cache point encore à mes supérieurs l'état de ma santé. Ils m'ont pourtant accepté, et ils ne me congé- dient point. C'est donc la volonté de Dieu que je continue à demeurer ici. S'il en est ainsi, dussé-je y souffrir, y mourir même, je dois être sans inquiétude. Combien d'anachorètes s'en sont allés se dévouer aux souffrances dans les grottes et dans les forêts ! Que de martyrs ont couru au-devant des supphces, et ont donné leur vie pour Jésus-Christ! S'il lui est agréable que je perde pour son amour la santé et la vie même, j'en suis content ; je ne désire pas autre chose, et ne puis rien souhaiter de meilleur. » Ainsi doit parler un novice fervent qui a un véritable désir de se sanctifier. Si quelqu'un, dans le temps de son noviciat, n'a point cette ferveur, qu'il tienne pour certain qu'il ne l'aura dans aucun autre temps de la vie. Une troisième tentation est la crainte de ne pouvoir sup-
SUR LES TENTATIONS CONTRE LA VOCATION 381
porter les incommodités de la vie de communauté, telles que l'insuffisance et la mauvaise préparation des aliments, un lit dur, un sommeil très-court, la clôture, le silence, et partout le sacrifice continuel de la volonté propre. Quand le novice se verra en butte à cette tentation, il devra répéter ce que Saint -Bernard se disait à lui'-même : « Bernard, pour- quoi es-tu venu ici? Bemarde, ad quid venisti?» Il devra penser qu'il n'est point venu dans la maison de Dieu pour y mener une vie agréable, mais afin de travailler à sa per- fection . Et comment parviendra-t-il à se sanctifier ? Sera-ce en cherchant les commodités, les déhces de la vie? Non; c'est en souffrant, c'est en mourant aux satisfactions des sens. « Penser que Dieu admette à son amour ceux quire- cc cherchent leurs aises, disait sainteTérèse, c'est une er- (c reur. — Les âmes qui aiment vraiment Dieu ne peuvent « plus demander du repos. » Ainsi donc celui qui n'est pas parfaitement résolu à souffrir, à souffrir tout pour Dieu, ne deviendra jamais un Saint.
Non, il n'arrivera pas à la perfection, il n'aura jamais la paix de l'âme. Cette paix ne se trouve pas dans la jouis- sance des biens de ce monde ni dans les plaisirs des sens ; l'abondance de ces biens et de ces plaisirs ne sauraient la procurer aux âmes. Toutes ces choses, au contraire, ne sont que vanité et affliction d'esprit ^ . Ainsi les nomme Salomon après les avoir goûtées. Quand on met ses affec- tions en ces biens fragiles, plus on en possède, plus on en désire de nouveaux : le cœur demeure toujours inquiet. Au contraire, celui qui met tout son bonheur en Dieu trouve en lui une joie et une paix parfaites. « Délectez-vous en
^ Vanitas vanitalum et afflictio spiritus. (Eccl., i, 14.}
382 SAIiST ALPHONSE DE LIGUORI AUX NOVKES
Dieu, dit David, et il contentera tons les désirs de votre cœur ^» Charles de Lorraine, frère du duc de ce nom, de- venu religieux, ressentait dans sa pauvre cellule une joie intérieure si vive, qu'il ne pouvait s'empêcher de la mani- fester en dansant. — Le bienheureux Séraphin, capucin, répétait qu'il ne changerait pas un bout de son cordon contre toutes les richesses et les dignités de la terre. « Quand une àrae est entièrement résolue à souffi'ir, disait « sainte Térèse, elle ne sent plus la peine. »
Mais voici un autre piège dans lequel Satan s'efforce de faire tomber un novice, quand il le voit dans le trouble ou l'affliction. « Ne voyez-vous pas, lui dit-il, que vous ne trouverez pas ici la paix? Vous avez perdu la dévotion, tout vous cause de l'ennui, l'oraison, la lecture, la com- munion, et même la recréation. C'est un signe que Dieu ne vous veut pas dans cet état. » Tentation périlleuse pour des novices récemment admis et encore peu expérimentés ! Pour la vaincre, il faut d'abord considérer en quoi consiste la véritable paix de l'âme sur cette terre d'épreuves et de lutte. Cette paix ne consiste pas, nous l'avons vu, dans la jouissance des biens du monde. Elle n'est pas non plus dans les déUces spirituelles : celles-ci ne nous apportent par elles-mêmes aucun mérite ; elles ne nous rendent pas meilleurs aux yeux de Dieu. La véritable paix de l'âme consiste uniquement dans la conformité de notre volonté à la volonté divine. Nous devons donc regarder comme notre meilleure paix celle qui nous rend le plus soumis à cette vo- lonté sainte, lorsqu'elle nous met dans l'humiliation et les
' Delectare in Domino , et dabit tibi petitiones cordis lui. {Ps. .K.xxvi , 4.)
SUR LES TENTATIONS CONTRE LA VOCATION 383
épreuves. Oh ! combien est chère ù Dieu une âme fidèle, qui fait la lecture, la communion et tout autre exercice, sans aucune consolation et dans la seule vue de lui plaire ! qu'il est grand le mérite des œuvres saintes, faites sans récom- pense actuelle ! « Quand une âme porte sa croix avec Jésus sans consolation, écrivait le V. P. J. Antoine Torrès à une personne affligée, elle court, elle vole à la perfection. »
Dans un semblable état de sécheresse, le novice devra donc se tourner vers Dieu et lui dire : « Seigneur, puisque vous voulez me tenir affligé et privé de consolation, je veux moi-même rester dans cette, épreuve autant qu'il vous plaira. Je suis résolu à vous rester fidèle ; me voilà prêt à souffiùr de même toute la vie, et même pendant l'éternité, si telle est votre volonté : c'est assez pour moi de savoir que vous le voulez ainsi. »
Ainsi doit parler un novice qui a véritablement le désir d'aimer Dieu. — Mais qu'il sache d'ailleurs que ce qu'il re- doute ne lui arrivera pas. C'est le démon qui produit en lui ces terreurs : afin de lui faire perdre confiance, il lui re- présente que cette pénible épreuve durera toujours et qu'enfin elle le réduira au désespoir et à l'impuissance de la supporter davantage. Ces fantômes d'horreur, apparais- sant au milieu des ténèbres de son esprit, sont l'œuvre de l'ennemi des âmes. Non certes, tel ne sera pas l'avenir. Je donnerai aux vainqueurs une manne cachée, dit le Sei- gneur : Vincenti dabo manna absconditum ^ . Ceux qui auront souffert avec patience cette tempête d'aridité et de désolation, et qui auront triomphé des tentations que l'en- fer leur aura alors suscitées, ceux-là recevront les conso-
' Apoc, II, 17.
384 SAINT ALPHONSE DE LIGUORI AUX NOVICES
lations du Seigneur; il leur fera goûter la manne cachée, cette paix intérieure qui surpasse tout sentiment ^ ! Cette seule pensée : « Je fais la volonté de Dieu, je plais ainsi à Dieu, » donne un contentement bien supérieur à toutes les joies du monde, à des divertissements, à des festins, à des spectacles, à des honneurs. D'ailleurs Jésus-Christ ne peut faillir dans la promesse qu'il a faite à ceux qui aban- donnent tout pour son amour. « Quiconque, dit-il, laissera sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, sa mère, ou son épouse, ou ses enfants, ou ses champs, à cause de mon nom, recevra le centuple et possédera la vie éternelle 2. » Il leur promet le paradis dans l'autre vie et le centuple en ceUe-ci. Or quel est ce centuple ? le témoi- gnage d'une bonne conscience, bien infiniment préférable à toutes les déUces de la terre.
Les tentations dont nous avons parlé jusqu'ici sont les plus grossières ; il est facile de reconnaître qu'elles viennent du démon, et, avec l'aide de la grâce, on peut aisément en triompher. Mais il en est de plus dangereuses : ce sont celles qui prennent la marque de la piété et de la perfection; elles sont plus cachées : il est plus facile, par conséquent, d'en être surpris et de s'y laisser vaincre.
La première de ce genre est d'ordinaire le doute de la vocation. Satan le suggère à l'esprit du novice, en lui disant : « Qui sait si telle est en réalité votre vocation, ou seulement un effet de votre propre imagination ? Si vous n'avez pas été appelé de Dieu, vous n'aurez point les secours nécessaires à votre persévérance, et peut-être arri-
'' Pax Dei quœ exsuperat omnem sensuia. {Phil., iv, 7.) niatth.,xix, 29.
SUR LES TENTATIONS CONTRE LA VOCATION 38o
vera-t-il qu'après avoir prononcé vos vœux, vous vous en repentirez et vous apostasierez. Vous vous seriez sauvé dans le monde, mais ici vous vous perdrez. »
Pour surmonter cette tentation, il faut examiner comment et quand on peut être sûr de sa vocation. La vocation est véritable lorsque ces trois conditions s'y trouvent réunies :
Premièrement, une bonne intention; c'est le désir de s'é- loigner des dangers du monde, de mieux assurer son salut éternel, de se lier plus étroitement à Dieu.
Deuxièmement, l'absence de tout empêchement positif, tel que le défaut de santé ou de talent, des nécessités de fa- mille. Mais ^m toutes ces choses le novice doit être parfai- tement tranquille, quand il s'en est remis au jugement de ses supérieurs, après leur avoir sincèrement exposé la vérité.
Troisièmement, l'acceptation des supérieurs.
Lorsque ces trois conditions se rencontrent, le novice ne peut être en doute sur sa vocation : il doit mépriser tous les sophismes de l'ennemi.
L'esprit maUn emploie d'autres arguments contre ceux qui, avant leur entrée au noviciat, étaient adonnés à la pra- tique de la piété. «Hors de cette communauté, leur dira-t-il, vous donniez plus de temps à l'oraison, vos mortifications étaient plus nombreuses, vous meniez une vie plus recueil- lie, vous pouviez faire l'aumône. Maintenant vous ne pouvez vaquer à ces bonnes œuvres ; vous le pourrez moins encore après le noviciat, parce qu'alors vos supérieurs vous appli- queront aux études, aux offices de la communauté et à d'au- tres exercices qui vous en distrairont. »
Si un novice prête l'oreille à ces raisonnements, s'il se laisse prendre à ce piège de l'ennemi, c'est un signe qu'il ignore le grand mérite de l'obéissance. Lorsque, dans la
VOCATION. 22
386 SAINT ALPHONSE DE LIGUORI AUX NOVICES
vvie d'honorer Dieu, de lui plaire, on s'adonne à la prati- que de l'oraison, de l'aumône, du jeûne, de la pénitence, on lui donne, il est vrai, quelque chose des biens que l'on possède, mais on ne lui donne pas le tout ; on lui donne ses actions, on ne se donne pas soi-même. Mais celui qui re- nonce à sa propre volonté par le vœu d'obéissance, se donne lui-même tout entier à Dieu: il peut lui dire: « Seigneur, je vous ai consacré complétementma volonté, je n'ai plus rien que je puisse vous offrir. » Le libre arbitre est la chose dont l'homme se dépouille avec le plus de difficulté, mais c'est le don le plus agréable que nous puissions faire à Dieu ; Dieu le demande plus spécialement de nous. « Mon fils, nous dit-il, donne-moi ton cœur, c'est-à-dire ta volonté •. » Aussi nous assure-t-il que l'obéissance lui plaît davantage que tous les autres sacrifices : melior est obedientia quam victimœ ^. De plus, celuiq ui se donne à Dieu par une pleme obéissance, remporte, non pas une victoire, mais tou- tes lesvictoires sur les sens, les honneurs, les richesses et les joies de ce monde ^.
Le chrétien qui vit dans le monde acquiert du mérite sans doute, par les jeûnes, les disciplines, les oraisons, et autres œu\Tes de piété ; mais, faisant tout de son propre mouvement, il mérite moins qu'un rehgieux, lequel en tou- tes choses agit par obéissance. Le mérite de ce dernier est plus grand ; de plus, il est continuel, puisque tout ce qui se fait dans une communauté se fait par obéissance. Ainsi le rehgieux fait œuvre méritoire, non-seulement quand il
1 Prffbe, fili mi, cur tuum mihi. {Prov., xxiii, 26.)
- IBeg., XV, 22.
■^ Vir obodieiis loquetur victorias. {Prov., xxi, IS.)
SUR LES TENTATIONS CONTRE LA VOCATION 387
prie, quand il jeûne, quand il se mortifie ; mais aussi quand il étudie, quand il est occupé au dehors, quand il est à table ou à la récréation, quand il va se reposer. « Dans le vais- seau de la religion, disaitsaint Louis de Gonzague, on avance toujours alors même qu'on ne remue pas. » Aussi voyons- nous un grand nombre de personnes dévotes qui, après avoir mené dans le siècle une vie sainte, cherchent à se soumettre à la règle de l'obéissance en entrant en religion : elles comprennent que, si les bonnes œuvres d'une volonté indépendante sont méritoires, celles d'une volonté soumise au joug de l'obéissance le sont bien davantage.
Voici une tentation du même genre que la précédente, mais encore plus dangereuse, c'est celle par laquelle le dé- mon insinue que l'on aurait pu, dans le monde, faire plus de bien au prochain. « Vous êtes entré, dit-il, dans une com- munauté, où déjà se trouve un grand nombre de personnes employées au salut des âmes; vous pouviez opérer un plus grand bien dans le siècle, en portant secours à vos compatriotes ; ils en ont un besoin si pressant et il y a parmi eux si peu d'ouvriers spirituels. »
Le novice ainsi tenté doit se rappeler que le plus grand bien que nous puissions faire est celui que Dieu réclame de nous. Dieu n'a besoin de personne, et s'il veut que des secours plus abondants soient donnés à votre pays, il peut les lui procurer par d'autres. Pour vous, mon cher frère, il vous a appelé à travailler dans sa maison : là est le bien cpi'il attend de vous ; ce bien consiste à obéir à la règle et aux ordres de vos supérieurs. Si l'obéissance exige que vous y soyez inactif, ou seulement employé à balayer la maison, ou à laver la vaisselle, c'est là, n'en doutez point, le plus grand bien que vous puissiez faire.
388 S.VINT ALPHONSE DE HGUORT AUX AOVICES
D'ailleurs , quel bien un homme peut-il faire en son propre pays. Jésus-Christ même, invité à aller prêcher dans le sien, répondit : Nul prophète n'est bien reçu dans son pays 1 , Cela et si vrai que, pour le ministère des confessions, les prêtre^ du pays même sont ordinairement appelés les confesseurs des péchés véniels. Les habitants répugnent, en effet, à dire leurs fautes graves à un prêtre qui est leur parent, ou qui habite le même lieu, et avec lequel ils peuvent avoir de continuels rapports. Aussi préfèrent-ils se confesser à des étrangers. Quant aux prédications, celles d'un com- patriote, on le sait, profitent peu ; le prédicateur est du pays, et puis c'est toujours la même voix que l'on entend. Qu'un saint Paul vienne prêcher, il produira d'abord beau- coup d'effet, si vous voulez, mais lorsqu'on l'aura entendu pendant six mois ou un an au plus, il cessera de plaire et de gagner les cœurs. Les missionnaires font beaucoup de bien dans les pays qu'ils évangélisent : c'est parce qu'ils y sont étrangers et qu'on n'est pas habitué à leur voix. On n'en peut douter, un prêtre d'une congrégation, un missionnaire surtout convertira plus d'âmes en un seul mois et dans une seule mission que s'il était resté dix ans dans sa paroisse, dans l'exercice des pénibles fonctions du saint ministère. De plus, attaché à ce même heu, il ne sauvera que ceux qui l'habitent; s'il s'emploie au travail des missions, il en sau- vera de cent, de mille endroits différents. Enfin, s'il reste dans le siècle, il sera souvent incertain, ignorant ce que Dieu demande de lui pour telle ou telle œuvre ; en religion, agissant toujours ])ar la direction de l'obéissance, il est assuré que tout ce qu'il fait est conforme à la volonté de
^ Nemo propheta acceptus in patria sua. (Luc, iv, 24.)
SUR LES TENTATIONS CONTRE LA VOCATION 389
Dieu. Ainsi donc, c'est au religieux qu'il appartient de dire en toute vérité : « Nous sommes heureux, ô Israël! parce que le bon plaisir de Dieu nous est clairement manifesté *. »
Il est une autre tentation non moins subtile. Satan l'em- ploie contre ceux qui reçoivent de Dieu quelques grâces spéciales de dévotion, des consolations spirituelles, le don des larmes, les ardeurs du divin amour. « Ne voyez-vous pas, leur dit-il, que vous n'êtes point appelé à une vie active, mais à la vie contemplative, peut-être à vivre dans un simple ermitage. C'est là votre véritable vocation. » Si le démon me tenait ce discours, je lui répondrais: « Puisque tu me parles de vocation, tu avoueras que mon devoir est de sui^Te celle de Dieu, et non ma propre incli- nation, ou les idées que tu me suggères. Or, Dieu m'ayant d'abord appelé dans cette communauté consacrée à l'exercice du saint ministère, la pensée de la quitter n'est-elle pas une tentation plutôt qu'une inspiration ? »
Je vous dirai la même chose à vous, mon cher frère. Dieu, on n'en saurait douter, appelle les uns à la vie active, les autres à la vie contemplative. Il vous a appelé dans ime communauté agissante, vous devez donc attribuer toute autre idée de vocation, non pas à Dieu, mais à l'enfer, qui prétend, par là, vous faire perdre la vôtre. « On ne doit pas, disait saint Philippe de Néri, quitter un état ])ori pour un meilleur, sans être certain que telle est la volonté de Dieu. » Ainsi, pour ne pas risquer de vous égarer, il faudrait que vous fussiez plus que moralement sûr que Dieu vous veut dans un autre état. Mais quelle certitude en aurez-vous,
^ Beati sumiis, Israël; quia quœ Deo placent manifesta sunt in nobis. (Bar., iv, i.)
22.
3[!() s\mr MAnvK-i^i: de Lioruia aux novices
surtout si votre supérieur et votre père spirituel vous disent
que c'est une tentation?
Considérez, en outre, que, selon renseignement de saint Thomas, bien que la vie contemplative, prise en elle-même, soit plus parfaite que la vie active, toutefois une vie mixte, où l'oraison est unie à l'action, est la plus parfaite de toutes, parce qu'elle ressemble davantage à celle de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Telle est la vie des communautés où les œuvres du zèle sont bien ordonnées : on y consacre plusieurs heures à l'oraison et au silence. Les religieux, hors de la maison, y mènent une vie active ; dans l'intérieur, leurs exercices sont ceux de la vie contemplative.
Ainsi, mon frère, ne vous laissez point tromper par tous ces faux raisonnements de l'ennemi de votre âme. Soyez certain que, si vous quittiez la conmiunauté, vous vous en repentiriez, comme il est arrivé à plusieurs ; vous reconnaî- triez votre erreur lorsqu'il ne vous serait plus possible d'y remédier ; car celui qui abandonne une fois la vie rehgieuse peut difficilement y rentrer ensuite.
IV
Aux Novices sur les moyens de conserver levir Vocation.
Le premier moyen est d'éviter avec soin toute faute vo- lontaire. Qu'on le sache bien, Satan sollicite le novice au péché moins pour lui faire commettre ce mal que dans la
SUR LES MOYENS DE CONSBRYEIl LEUR VOCATION 391
vue de lui faire perdre sa vocation. Celui, en effet, qui commet des fautes avec délibération perd la ferveur dans Toraison, dans les communions et dans tous les autres exercices spirituels. De son côté, le Seigneur, justement irrité, ferme d'autant la main qui répandait sur lui l'abon- dance des grâces. C'est la règle tracée par saint Paul : Celui qui sème peu moissonnera peu ; Qui parce s&minat, parce et metet K Ce sera surtout le fruit des péchés d'orgueil; car Dieu résiste aux superbes, et Satan prend un plus grand empire sur eux. Ainsi, la tiédeur du novice augmen- tera, la lumière , divine diminuera; il sera bientôt facile à l'enfer d'arriver à ses fins, de lui faire perdre sa vocation.
Le second moyen consiste à éventer la mine creusée par l'ennemi, c'est-à-dire à découvrir la tentation aux supé- rieurs. « Une tentation manifestée, disait saint Philippe de Néri, esta moitié vaincue. » Au contraire, de môme qu'un apostème fermé devient sans remède, ainsi la tentation cachée est la cause de notre ruine. Combien de novices, devenus hésitants, incertains, ont perdu leur vocation pour n'avoir point manifesté leur intérieur! Ainsi donc le novice, en ces circonstances, doit se faire violence et tout découvrir aux supérieurs. Dieu agréera cet acte d'humilité, cette vic- toire remportée sur lui-même ; des rayons de la divine lumière, il dissipera les ténèbres et les doutes de sonesprit.
Le troisième moyen est l'oraison. Par le recours à Dieu on obtiendra la persévérance, qui, au témoignage de saint Augustin, ne s'accorde point sans la prière. Mais le novice tenté d'être infidèle à la grâce de la vocation doit se garder dans la prière de dire à Dieu : Seigneur, faites-moi
^ II Cor., IX, 0.
392 SAINT ALPHONSE DE LIGUORI AUX NOVICES
connaîtrela voie que je dois suivre. Cette connaissance, Dieu lalui a donnée en l'appelant àlui ; s'il ne]demande autre chose, il sera facile à Satan, travesti en ange de lumière, de l'induire en erreur, de lui faire accroire que la pensée de quitter le noviciat et la vie religieuse est un effet de la lumière divine. Il dira donc : « Seigneur, puisque vous m'avez donné la vocation, donnez-moi aussi la force de persévérer. »
Un jeune homme avait été appelé deDieu à l'état religieux. Sa vocation reconnue divine ^ar son directeur, après plu- sievu'S épreuves, il était entré dans une maison religieuse. Les parents se mirent en mouvement. Ils firent tant qu'ils le déterminèrent à. aller en un autre lieu, pour y examiner plus mûrement sa vocation. De là, malheureusement, au heu de retourner dans la communauté qu'il avait quittée , il rentra dans sa famille, bien reçu de ses parents, mais infidèle à Dieu. Lui ayant demandé moi-même comment il était tombé en une pareille erreur, il me répondit ; «J'ai auparavant prié Dieu, en lui disant : Parlez, Seigneur, car votre serviteur vous écoute : Loquere, Domine, quia audit servus tuiis ^ . Cela fait, j'ai pris le parti de retourner à la maison. — 0 mon fils, lui dis-je alors, vous vous êtes trompé de prière. Votre vocation était certaine : tant de signes évidents l'avaient confirmée. Vousnedeviezpasdire :P«?'/c:;, Sei(j7ieur, puisque Dieu vous avait déjà parlé ; mais il fallait dire : « Seigneur , vous m'avez fait connaître votre volonté, donnez-moi la force de l'ac- complir -. Vous avez négli^jé de faire cette piière, voilà pourquoi vous avez perdu votre vocation. » Puisse le mal- heur de ce jeune homme servir d'exemple aux autres !
^ IBecj., m, 10.
-Confirma hoc, Deiis, qiiod operatiis es in nobis. (Ps. lxvii, 29.)
SUR LES MOYENS DE (^.ONSERVER LEUR YOCATIOM 393
Tant que dure la tentation, l'âme est dans les ténèbres et dans le trouble. Que le novice se garde alors de demander le repos aux fausses lumières de sa raison obscurcie. Son unique soin doit être de s'offrir de nouveau à Dieu, de lui (lire : « 0 mon Dieu, je me suis do'imé à vous, je ne veux point vous abandonner; aidez-moi, et ne permettez pas que je vous sois infidèle. » S'il prie ainsi, s'il répète cette prière avec d'autant plus de ferveur que la tentation l'assail- lira avec plus de force, s'il découvre son âme à ses supé- rieurs, assurément il triomphera.
11 faut, en ces assauts, recourir à la protection de Marie, Mère de persévérance. Un novice, vaincu par la tentation, se disposait déjà à quitter le monastère. Il s'arrêta un ins- tant et se mit à genoux pour dire un Ave Maria devant une image de la Mère de Dieu. Soudain il se sentit comme cloué à la place où il était, au point de ne pouvoir plus se relever. Changeant alors de résolution, il fit vœu de persé- vérer dans la vie religieuse, et aussitôt il put se lever librement. Il alla demander pardon au maître des novices, et resta fidèle à sa vocation.
Je m'arrête, mon frère, et vous demande une chose en finissant. Quand vous serez tenté contre votre vocation, de quelque manière que ce soit, je vous en conjure, réfléchissez principalement à deux choses : la première , que cette grâce de la vocation que Dieu vous a accordée, il l'a refusée à bien d'autres, peut-être moins indignes que vous; il n'a pas agi envers tout le monde comme il l'a fait envers vous : non fecit taliter omni nationiK Craignez donc de vous montrer ingrat au point de hii tourner le dos ; en agissant
1 Ps. CXLVII,20.
oOi SAirvT ALPHONSE DE LIGIOKI AUX NOVICES
ainsi, vous mettriez dans le plus grand péril votre salut éternel. Soyez certain aussi que, dans cette vie même, vous ne retrouveriez plus la paix de l'âme, et que vous seriez tourmenté jusqu'à la mort du remords de votre infidélité.
En second lieu, quand la tentation se présentera, lorsqu'il vous semblera que vous ne pouvez vivre en religion qu'avec le repentir et le désespoir d'y être entré, et qu'avec cela vous devrez en rendre également compte à Dieu, alors mettez-vous devant les yeux l'image de votre mort, consi- dérez que s'il vous fallait mourir à l'instant même, loin- de vous repentir d'avoir suivi votre vocation, vous en éprou- veriez une grande joie et une parfaite tranquillité ; au con- traire, vous ressentiriez mille angoisses, mille remords, si vous l'aviez abandonnée. Ayez toujours cette pensée pré- sente, et vous ne perdrez pas votre vocation, mais vous recevrez pendant la vie et au moment de la mort le don précieux de la paix, et cette couronne que Dieu prépare à ses fidèles serviteurs.
Offrande et Prière
que le Novice doit renouveler fréquemment
afin d'obtenir
la persévérance dans sa Vocation.
0 mon Dieu, comment pourrai-j(; jamais vous rendi'e d'assez dignes actions de grâce de ce que vous m'avez appelé avec tant d'amour au sein de votre famille ? Et d'où méritais-je cette faveur, après tant d'offenses commises envers vous ? Combien de mes amis sont restés dans le
SUR LES 5I0YENS DE CONSERVER LEUfl VOCATION 395
monde, au milieu des occasions du péché, exposés sans cesse au danger de perdre leur salut ! Et moi, vous m'avez admis dans votre maison, en compagnie d'un grand nombre de vos tidèles et chéris serviteurs, dans l'abondance de tous les secours nécessaires à ma sanctification. Je l'espère, ô mon Seigneur, un jour, dans le ciel, je pourrai vous témoigner plus dignement ma reconnaissance pendant une éternité, je pourrai, pendant cette éternité, chanter vos miséricordes. En attendant, je suis à vous et veux être toujours à vous. Je vous ai déjà fait le don de moi-même.; je le renouvelle aujourd'hui, je veux vous rester fidèle, et ne jamais vous abandonner, fallût-il pour cela perdre la vie et mille vies. Me voilà, je m'offre tout entier, sans aucune réserve, à l'accomplissement de votre volonté sainte. Faites de moi ce qu'il vous plaira. Faites-moi vivre comme vous voudrez, dans la désolation, dans les infirmités, dans le mépris ; Iraitez-moi comme il vous sera agréable. Il me suffira tou- jours de pouvoir vous obéir et vous complaire. Je ne vous demande pas autre chose, je n'implore de vous que la grâce de vous aimer de toute mon âme, et de vous rester fidèle jusqu'à la mort.
Très-Sainte Vierge Marie, ma Mère bien-aimée, vous m'avez déjà obtenu de Dieu les précieuses faveurs que j'en ai reçues, le pardon de mes fautes, ma vocation, le courage delà suivre; achevez votre ouvrage, obtenez-moi d'y persé- vérer jusqu'àla mort. Je l'espère de votre maternelle bonté. Ainsi soit-il.
FIN
TABLE DES MATIERES
DÉDICACE V
Avertissement vu
LIVRE PREMIER
La Perfection chrétienne, le Sialnt de l'état reli§fieux
Chapitre I. En quoi consiste la perfection chrétienne. . . 1
II. Obligation de tendre à la perfection chrétienne. 9
III. Suite du même sujet 16
— IV. Les préceptes elles conseils considérés par rap-
port à la perfection chrétienne 23
— V. Les conseils considérés par rapport au salut. . 30
— VI. Les états de perfection et Tétat religieux. . . 40
— vn. L'état religieux considéré par rapport au salut. 52
— VIII. Suite du même sujet 66
— IX. Excellence de l'état religieux 77
— X. Suite du même sujet 83
LIVRE DEUXIÈME La Yocation à l'état de perfection
Chapitre I. La Vocation générale h la pratique des conseils: Existence de cette vocation. — Les invita- tions de Jésus-Christ dans l'Évangile ... 98
VOCATiCN 23
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XIII. Suite du même sujet . . . . ;<-2i
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II. Suite du m^me sujt ; 341
III. La Vie éternelle 340
V'.M.i.t I Réponse de saint Alphonse de Liguori a un
Jeune homme demandant conseil sur l'état de
«ie qu'il doit suivre 359
Il Avisi une jeune personne sur le même sujet. . 30K m Avis au( novices sur tes tentations contre la
Vocation 374
IV. Avis aux novices sur les moyens de conserver
la Vocation. . 300
FIN DE LA TABLE
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398 TABLE DES MATIÈRES
Chapitre If. Suite du même sujet: Les conseils de l'Apôtre. 108
— m. Suite du même sujet : Les Exhortations des
saints Pères il7
— IV. Suite du même sujet : Effet des exiiortations des
saints Pères 12o
— V. La Vocation spéciale à la pratique des conseils
et à l'état religieux 132
VI. Les Signes d'une Vocation divine 141
VIL Suite du même sujet 153
'-- VIII. Les Moyens providentiels 163
IX. Examen de la Vocation à l'état religieux : Son
objet 173
X, Suite du même sujet: Qui l'on doit consulter . 182
— XI. Suite du même sujet: La prière et la retraite. 190
— XII. Suite du même sujet : Les Méthodes de saint
Ignace 198
LIVRE TROISIEME La Fidélité à la Vocation
Chapitre I. Dangers auxquels on s'expose en- ne correspon- dant pas à une Vocation religieuse. . . . 210
— II. Suite du même sujet 217
— III. Promptitude avec laquelle on doit répondre à
l'appel du Seigneur '223
— IV. S'il est permis et s'il convient d'entrer jeune
dans l'état religieux 233
V. Injustice des parents qui s'opiiosent à la Voca- tion religieuse de leurs enfants 244.
~ VI. Suite du même sujet. ' 2S1
— VII. L'enfant en présence de l'injuste opposition de
ses parents. 260
— VIII. Suite du même sujet 272
— IX. Principales tentations contre la Vocation reli-
gieuse 28o
— X. Suite du même sujet 295
TADLE DES MATIÈRES 399
Chapitre XI. Épreuves de la Vocation religieuse 304
— XII. Causes de l'infidélité à la Vocation religieuse et
les moyens de persévérance. . . ... . 313
— XIII. Suite du même sujet 324
LIVRE OUATRIEME La Récompense promise au Religieux
Chapitre I. Le Centuple 332
— II. Suite du même sujet 341
— III. La Vie éternelle 349
Appendice I. Réponse de saint Alphonse de Liguori à un
jeune homme demandant conseil sur l'état de
vie qu'il doit suivre 359
— II. Avisa une jeune personne sur le même sujet. . 368
— ni. Avis aux novices sur les tentations contre la
Vocation 374
— IV. Avis aux novices sur les moyens de conserver
la Vocation 390
FIN DE LA TABLE
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