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LE BERCEAU

DE

CHRISTOPHE COLOMB

"ET LA CORSE

PAR

L'ABBE CASABIANCA

2e vicaire de Si-Ferdinand des Ternes, Paris, Chanoine honoraire de Fréjus.

EXTRAIT DE LA REVUE DU MONDE CATHOLIQUE

(des 1" JUILLET ET !«■ AOUT 1889)

DEUXIEME ÉDITION

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59, RUE BONAPARTE, 59 ».

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LE BERCEAU

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ET LA COESE

PAR

L'ABBE CASABIANCA

2" vicaire de St-Fcrdinand des Ternes, Paris, Clianoine honoraire de Fréjus,

EXTRAIT DE LA REVUE DU MONDE CATHOLIQUE

(des 1" JUILLET ET l'^'" AOUT 1889) DEUXIÈME ÉDITION

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PARIS

H. ^VE'LTER, ÉDITEUR

59, RUE BONAPARTE, 59

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LE BERCEAU

DE

CHRISTOPHE COLOMB ET LA CORSE

I

Depuis un certaiu nombre d'années, il se fait autour du nom de Gtiristophe Colomb un grand bruit de plumes et de papiers, de pages de livres et de feuilles de journaux, de pétitions d'assem- blées délibérantes et de décrets présidentiels (1); le marbre et le bronze se sont mis de la partie; la chaire et le Parnasse, avec leur voix grave ou harmonieuse, se sont respectueusement inclinés vers cette grande ligure. La France et l'Italie, l'Espagne et l'An- gleterre, le Portugal et les Etats-Unis ont tour à tour élevé la voix dans ce concert d'acclamations, et les habitants des deux hé- misphères s'apprêtent à célébrer pompeusement, en 1892, le qua- trième centenaire de la découverte du Nouveau-Monde. Quel est le motif de ce mouvement d'opinion, de cette curiosité universelle si singulièrement intriguée ? C'est tout simplement, en même temps que le célèbre anniversaire, l'invention présumée du lieu qui a donné le jour au grand Navigateur.

Si Smyrne et Chios, Colophon et Salamine, Rhodes, Argos et Athènes se disputent le berceau du Chantre de Y Iliade; Nervi et Gogoletto, Brugiasco et Savone, Plaisance, Gênes et d'autres lo- caUtés d'Italie, d'Espagne et d'Angleterre se disputent celui de l'iUustre Amiral.

Piquante ironie du sort! La découverte de ce glorieux berceau, en plein siècle de lumières, rencontre plus de difficultés que n'en a rencontrées la découverte de tout un monde perdu dans leloin-

(1) Décret de M. Grévy du 6 août 1882, autorisant la viUe de Caivi ériger une statue à Christophe Colomb.

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taines régions. Tant il est vrai que les événements les plus consi- dérables et les plus éclatants sont dus parfois à des causes bien modestes et souvent inconnues.

Après avoir protesté au dix-huitième siècle contre les préten- tions de Gênes et des autres villes, la Corse vient de nouveau d'élever la voix pour réclamer Christophe Colomb comme un en- fant de Calvi.

Qu'y aurait-il d'étrange à ce que la Corse, « qui, au dire de Rousseau, devait un jour étonner l'Europe, » qu'y aurait-il d'étrange, disons-nous, à ce que cette île ajoutât, à l'étonnement d'avoir enfanté le plus grand Héros des armées, celui d'avoir donné le jour au plus intrépide Héros des mers?

Telle est la question que se sont posée deuxexcellents ecclésias- tiques, M. l'abbé Casanova (1) et M. l'abbé Peretti. Nous n'avons à nous occuper, dans cette étude, que de l'ouvrage de ce dernier, intitulé: Christophe Colomb, Français, Corse et Calvais (2).

L'auteur le divise en trois parties : Mystère y Probabilités, Lumière,

Dans la première partie, M. Tabbé Peretti nous dit qu'un voile mystérieux cache le berceau de Christophe Colomb. En effet, les historiens génois tels que Giustiniani, Foglietta, Gallo et Casoni affirment qu'il était Génois sans cependant préciser le lieu de sa naissance; le qualificatif Génois signifiant également natif de la ville Gênes et citoyen des Etats de Gènes.

Don Fernand, son fils, « qui n'osa jamais, par respect filial, l'interroger sur le lieu de son origine, se contente de nous ap- prendre « qu'autant sa personne avait été douée et enrichie de tout ce qui était nécessaire à une si grande entreprise, autant Dieu voulut que sa patrie et son origine fussent plus incertaines ei. plus inconnues ».

Barthélémy Las Casas, qui nous a conservé le journal de bord de l'illustre Navigateur, dit « qu'il plut à Dieu de le choisir Gé- nois de nation, quelle que soit la localité de cette République il est proprement ».

(1) Pour ce qui est delà thèse de M. l'abbrt Casanova, nous renvoyons le lecteur à la réfutation si autorisée et si lumineuse de M. llarrisse, dans sa brochure Cristuphe Colomb et la Corse. Nous attendons la nouvelle édition, grandement augmentée, de l'ouvrage de M, le Curé d'Olmi e Capella, pour faire connaître notre opinion personnelle.

(2) Olagnier, éditeur, Bastia.

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Gasoni paraît plus explicite, puisqu'il nous dit que les parents de Colomb habitaient le village de Terra-Rossa; mais cet historien ne mérite aucune conhance par la raison que tous les détails qu'il donne sur Christophe Colomb sont contredits par le fils de l'A- miral.

On a parlé, il est vrai, d'un testament dans lequel Christophe Colomb alfirmerait qu'il était dans la ville de Gênes; mais ce document, ne portant aucune indication de lieu, de séjour, de mois, d'année, ni de véritable signature, a été rejeté comme apo- cryphe par les historiens génois eux-mêmes.

Si nous consultons les Archives, nous [voyons que, dans celles de Gènes, il est question d'un Dominique Colomb, tisserand, qui possédait dans cette ville une maison avec jardin ; de deux iils qui répondent aux noms de Jacques et de Christophe; or, suffit-il, pour avoir le droit de proclamer qu'on a découvert la famille de Christophe Colomb, de nous montrer un cardeur de laine, appelé Dominique Colomb, ayant deux enfants répondant aux noms des deux frères du grand Amiral? « Non, répond M. Peretti, ces in- dications sont insuffisantes, d'autant 'plus qu'au témoignage des historiens, il existait dans la Ligurie plusieurs branches collaté- rales de la famille Colomb. »

Reste un mémoire sur la maison habitée, à Gênes, par Chris- tophe Colomb, dans lequel Marcel Staglieno (l'auteur du mémoire) s'efforce de déterminer remplacement de deux maisons que Domi- nique Colomb possédait dans cette ville. Il est certain, d'après des documents authentiques, qu'un Dominique Colomb payait, à Tab- baye de Saint-Étienne, une redevance annuelle de 11 sous, pour droit d'emphythéose sur une maison sise dans la rue Droite; mais est-il aussi incontestable que ce Dominique Colomb soit le père de Christophe Colomb? La tradition elle-même ignore l'emplacement, à Gênes, de la maison de Christophe Colomb, puisque ce ne fut qu'en 1812 qu'on s'est préoccupé de savoir elle se trouvait. De plus, ce n'est qu'en 1858 qu'on a placé une inscription commémo- rative dans la ruelle deMolcento; et Staglieno, rapportant ce fait, remarque que la municipalité s'était trompée et sur l'emplacement de la maison et sur la profession de Dominique Colomb. Voilà pourquoi la municipalité génoise en 1887, ne tenant compte d'au- cune tradition, car il n'en existait pas, et adoptant les conclusions de Staglieno, acheta la maison sise dans la rue Droite, comme

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élaot celle qui a être le berceau de Christophe Colomb. Comme on le voit, cette tradition n'est ni ancienne ni bien établie.

Pour ce qui est des Archives de Savooe, oii nous trouvons des actes passés en 1476 entre Dominique Colomb, habitantcette ville, et le notaire François Camagli, ne peut-on pas dire que ce Domi- nique était le même que celui qui était entré à Gênes en 1487, et qu'il vivait encore en 1491? Nous trouvons, dans les mêmes Ar- chives, un acte touchant la dot de Bianchettina Colomb, fille de Dominique Colomb; or, ni Bianchettina, ni son mari Bavarello, ni leur filsPantalino, ne se sont jamais doutés qu'un membre de leur famille avait découvert TAmérique.

ft De sorte que, dit M. Peretti, nous sommes en droit de con- clure, avec Barrisse, Washington Irving et Roselly de Lorgnes, qu'on ne sait rien de certain sur l'origine de Christophe Colomb et que le lieu de sa naissance est enveloppé d'obscurité. »

II

Nous passons sous silence les preuves données par les autres localités, et que M. Peretti trouve sans fondement, et nous arri- vons à la seconde partie de ce livre.

« Quelle est donc la vraie patrie du grand Navigateur ? se de- mande l'auteur. Calvi, continue-t-il, autrefois ville importante et capitale même de la Corse, aujourd'hui chef-lieu minuscule de l'arrondissement de ce nom, nous répond avec assurance que l'Amiral de l'Océan est dans Tenceintede ses vieux murs. »

Et sur quelles preuves la ville de Calvi établit -elle sa réclama- tion? Elle nous montre: dans ses actes paroissiaux du seizième siècle une famille Colomb ; une rue portant le nom de Colomb, appelée, au seièmezi siècle, rue du Fil, del Filo, qui rappelle le métier de tisserand exercé par le père de Tillustre Navigateur; une maison en ruines habitée, jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, par une famille Colomb, et que la tradition calvaise désigne comme le berceau de l'Amiral .

Elle trouve même une preuve en sa faveur dans le silence des historiens étrangers et insulaires sur le berceau du grand homme.

En eflet^ si les historiens génois n'ont pas dit que Christophe Colomb était à Calvi, c'est tout simplement parce qu'il leur était difficile de se renseigner à cet égard. « Calvaisde naissance,

Génois par adoption, Français politiquement, tantôt au service du roi René, tantôt au service de Gênes, tantôt même corsaires, les membres de cette famille étaient de toutes les patries et sem- blaient n'en avoir aucune. » On le savait Génois, n'était-ce pas assez?

Pour ce qui est des historiens insulaires, tels que Pietro Cirneo, Filippini, Limperani, etc., leur silence sur l'origine calvaise de Christophe Colomb s'explique: par le fait que les Corses, irrités de la fidélité de Calvi à la république de Gênes, n'avaient garde de lutter pour les illustrations de cette ville; 2^ ces historiens, n'étant pas Galvais, n'avaient point à écrire l'histoire de cette cité ;3'' enfin par la haine jalouse de Gênes contre les illustrations de la Corse indomptée, elle cherchait à anéantir toute noblesse, toute supé- riorité, et 011, pour cela, elle employait tous les moyens que sa per- fidie lui suggérait ; l'altération et la destruction des Archives corses, l'intimidation, la prison et la mort pour les historiens qui se permettaient d'écrire des choses déplaisantes pour [la République Sérénissime; or, comme elle tenait à l'honneur d'avoir donné le jour à Christophe Colomb, elle n'aurait permis à personne d'écrire qu'il était dans cette Corse asservie.

Il est juste aussi d'ajouter que les guerres et les incendies qui dévastèrent l'île aux seizième et dix-septième siècles ont presque anéanti les archives publiques et privées.

Et cependant, malgré le système d'intimidation exercé par Gênes, quelques chroniqueurs insulaires parlent à mots couverts de quelques Calvais de renoyn, dont ils sont obligés de taire les noms... et qui se sont enrichis et illustrés dans les Indes. Or, qui nous dit que Christophe Colomb ne se trouve pas compris dans ces sous-entendus?

Il existe une Elégie à la Corse que l'Académie des Inscriptions et Relies-Lettres, dans sa séance du 8 février 188G, a déclaré a croire qu'elle a été faite au seizième siècle pour appuyer une légende locale, regardant la Corse comme la patrie de Christophe Colomb » .

De plus, le baron Simon de Ruochberg affirme que le P. Denis d'Omessa avait communiqué à M. Mathieu Arrighi un manuscrit portant que Christophe Colomb était à Calvi ; et l'on sait que Napoléon, pendant son court séjour àiPorlo-Ferrajo, avait conçu le projet de prescrire des recherches historiques sur le grand

Amiral, au point de vue de soo origine corse. M. Peretti complète la série de ces témoignages, en citant des vers écrits par le général Fabiani, en 1731; par M. Parodi, en 1836; par Mgr Peretti en 1840, et par M. Tonelli en 1886, et dans lesquels on chante l'ori- gine calvaise de Christophe Colomb; enfln, il rappelle que la Re- vue de Paris, de 1841 ^ écrivait : « Ceci est vrai, Christophe Colomb est à Calvi, en Corse. »

Mais voici quatre faits qui semblent donner une nouvelle force à la tradition Calvaise. Don Fernand nous apprend que, lors de la première expédition, le navire de son père fut suivi par un grand nombre de poissons, désignés dans le journal du bord sous le nom de tonifia; or, la ionina, inconnue en Italie et en Espagne, est parfaitement connue de tous les pêcheurs de Calvi, qui lui donnent encore le nom de pala^nita; donc, Christophe Colomb a pu ap- prendre à connaître ces poissons dans les eaux de Calvi, heu de sa naissance.

M. Peretti fait remarquer que Christophe Colomb a donné aux différentes îles et aux ports qu'il avait découverts des noms de saints dont il avait voir les statues ou les tableaux dans les églises de Calvi, et de certaines dévotions fort en faveur dans cette ville. C'est ainsi qu'il a appelé la première île qu'il découvrit Saint' Sauveur, et la seconde Conception de Marie. C'est ainsi qu'il donna à un port le nom de sainte Catherine, à un autre celui de saint Nicolas, et enfin à un promontoire de l'île de Cuba celui de Sainie-Croiœ. Or, ajoute notre confrère, nous trouvons dans un vieil oratoire de Calvi une ancienne statue du Sauveur ; dans l'église de Saint-Jean-Baptiste, un autel dédié à la Conception; dans toute la population de Calvi, un culte particulier pour saint Nicolas et sainte Catherine^ et enfin une dévotion spéciale à la Saiyite-Croix.

Ce n'est pas tout": lors de l'insurrection des indigènes d'Ilispa- niola, Christophe Colomb employa pour la réprimer deux cents chrétiens, vingt chevaux et vingt chiens corses, cani corsi. Or, la présence de ces chiens suppose qu'ils avaient suivi leurs maîtres corses qui avaient accompagné leur illustre compatriote. Enfin, nous trouvons à cette époque, en Amérique, beaucoup de Corses et surtout de Çalvais tels que Antoine Torre, Jean-Antoine Vincen- telli, Barthélémy Balestriere, Michel-Ange Battaglini, Georges Minucci, etc., etc. Or, ces Galvais, accompagnant Christophe Co-

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lomb dans sa seconde expédition, constituent une grande proba- bilité en laveur de Galvi, comme étant le berceau de leur illustre chef. « Notre conclusion, dit M. Pcretti, est que, avec quelques probabilités en leur faveur, il y a de véritables impossibilités à admettre que Christophe Colomb soit à Gênes, à Gogoletto, à Savone ou à Plaisance; mais quand il s'agit 'de Calvi, toules les probabilités s'accumulent en sa faveur. »

III

Nous arrivons à la troisième partie, la plus curieuse et la plus intéressante, nous voulons dire à ce que M. l'abbé Peretti appelle la Lumière.

Puisqu'il lui a été impossible de retrouver l'acte de naissance de son héros. Fauteur va s'efforcer d'en reconstituer l'équivalent, en recherchant l'origine et les membres d^ sa famille.

Partant de cette donnée de droit civil que, pour établir un actede naissance, il faut un nom de famille, un nom de lieu et une date, M. Peretti interroge successivement les historiens Gasoni, Fogliet- ta, Giustiniani, Bracelli, etc., qui lui donnent chacun le lambeau qu'il détient de ces précieux documents.

Ces historiens lui apprennent, en effet, que parmi les divers capi- taines de marine génois qui s'unirent enl4o9à Jean, duc d'Anjou, pour l'aider à reconquérir le royaume de Naples se trouvait Chris- tophe Colomb, neveu d'un autre Christophe du même nom...; que ce fut avec ce second Christophe, patron de trois navires, que se mit à naviguer le jeune Christophe avec son frère Barthélémy, et qu'ils avaient un frère nommé Jacques. Voilà pour les noms. Pour ce qui est de la date, Gasoni fixe l'entrée en scène du second Christophe à l'année 1429. Le premier pourra ainsi être célèbre une trentaine d'années avant, comme le troisième l'a été une trentaine d'années après.

Voici maintena-nt comment M. Peretti trouve l'origine calvaise de cette famille. Il commence par faire observer qu'en Corse, aux quinzième et seizième siècles^ le nom de lieu d'origine tantôt géné- rique et tantôt particularisée était substitué au nom de famille; il en donne quelques exemples : ainsi, un Corse qui voyageait à l'étranger, au lieu de joindre à son nom de baptême son nom de famille qui n'existait même pas pour plusieurs^ joignait son nom

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d'origine ; il se disait simplement Corse ; et quand il voyageait dans les États de Gênes, il s'appelait Calvo-Calvais, s'il était de Calvi,

Or, les historiens Bracelli et Giustiniani nous parlent, en 1420 et en 1537, d'un Christophe Calvo ou Calvi, accompagnant comme conseiller le frère du doge de Gênes ; d'un Jacques Calvo, envoyé contre le roi d'Aragon en 1435 ; enfin, d'un Barthélémy Corso, envoyé dans une expédition contre les Turcs. Ce qui prouve que ce Barthélémy était de Calvi, c'est que seuls les Galvais parmi les Corses, par un privilège spécial de la République, pouvaient pré- tendre aux emplois d'officiers dans les armes de Gênes.

Or, le mot Calvo ou Calvi, dit M. Peretti, signifie Calvais, natif de Calvi ; il en trouve la preuve dans la personne de Jean-Luc Mon, qui, après avoir été nommé évêque de la Guardia, dans le royaume de Naples, ajouta à son nom celui de sa ville natale, Calvi, et se fit appeler Jean-Luc Moncalvo.

Il en résulte que l'inventeur de l'Amérique, appartenant à cette famille, est par même à Calvi.

Si on demande à M. Peretti la raison du silence de Christophe Colomb sur son origine, quand il s'est présenté à la cour d'Espa- gne, il répondra que ce silence s'imposait, et que c'eût été une grande imprudence de se dire Calvo -Calvais, attendu qu'ayant, lui et les siens, porté les armes contre les rois d'Aragon, il eût vu sa demande de secours repoussée par la cour d'Espagne .

Que Christophe Colomb soit Français, cela ne fait aucun doute, puisque, en 1459, au moment il prenait la mer, Gênes et ses États, Calvi par conséquent, —appartenaient depuis un an à la France ; ce fut, en effet, au mois de février de l'année 1458 que le Doge et le conseil délibérèrent de donner leur ville au roi de France, Charles VII, et, le 11 mai de la même année, le duc d'Anjou prenait possession de la ville, à titre de souverain, au nom du roi de France.

Tel est, sommairement analysé,' l'ouvrage important de M. l'abbé Peretti. Nous l'avonslu avec tout ce que nous avons de patriotisme, de vénération pour la vérité et d'affection pour l'auteur. Il n'est que justice de rendre hommage à ses longues et patientes recher- ches, à sa sincérité historique, à l'ingéniosité de son argumenta- tion et à son vif amour pour la Corse.

M. l'abbé Peretti termine son livre par ces lignes : « A la criti-

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que maintenant de dire si nous nous sommes trompé, car nous ne voulons que la vérité, et volontiers nous redirons toujours la maxime célèbre : Amicus Plato , magis arnica veritas.

Indépendamment de la joie que nous eussions éprouvée de la découverte d'une nouvelle vérité, gaudium de veritate, comme parle saint Augustin, nous aurions été heureux d'ajouter un qua- trième nom à notre trinité de grands hommes ; mais nous avons le ragret de constater qu'aucun des arguments de M, l'abbé Peretti ne prouve l'origine calvaise de Christophe Colomb. Nous voyons bien dans son ouvrage de vagues insinuations, des inductions plus ingénieuses que fondées, des conjectures sans consistance, des sous-entendus sans valeur ; mais des preuves convaincantes, des faits ou des documents authentiques, des raisons solides, seuls éléments de l'histoire, tout cela y fait complètement défaut.

Si donc nous nous permettons de lever le bouclier dans ce tour- noi historique, ce n'est pas contre notre terre natale, que nous chérissons du fond de notre cœur, mais c'est contre l'erreur qu'il est du devoir de tout homme d'arrêter, au seuil de l'histoire ; c'est aussi pour défendre la vérité, supérieure à la patrie, à la fa- mille et à l'amitié ; voilà pourquoi nous ajoutons à l'adresse de noire cher et laborieux confrère cette belle pensée d'un ancien :

Non eadem sentira bonos de rébus eisdem, Incolumi licuit semper amicitia.

Voici donc les raisons qui nous empêchent d'accepter les conclusions de M. l'abbé Peretti ; pour procéder avec ordre, nous allons reprendre un à un tous ses arguments et les étudier au flambeau de la raison et au témoignage de Thistoire.

M. Peretti commence par dire que tous les auteurs contempo- rains du grand Navigateur ne s'expliquent pas clairement sur son berceau ; ils se contentent dédire qu'il était Génois, ce qui peut s'entendre dans la ville ou dans les États de Gênes ; ainsi par lent Giustiniani. Foglietta, Gallo, Las Casas, pour ne citer que ces quatre écrivains. Nous répondrons, au contraire, qu'en exami- nant bien le texte, nous trouvons dans ces quatre auteurs et dans d'autres, que M. Peretti n'a pas cités, un témoignage bien expli- cite en faveur de la ville de Gênes et de la Ligurie.

1" Dans Giustiniani : en effet, comme dans le récit qu'il a fait des ambassadeurs, annonçant qu'un Génois nommé Christophe

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Colomb avai t découvert un nouveau monde, on pouvait croire qu'il avait voulu parler, non d'un originaire de Gênes, mais d'un citoyen de la République, il a eu soin dans ses A?inotazioni, placées à la fin de son ouvrage (1), de bien préciser sa pensée, en disant que si don Fernand osa lui reprocher plusieurs faussetés touchant l'origine de son père (reproches qu'il a réfutés dans son travail sur la Bible Polyglotte), il se garda bien de le contredire quand il le fit naître dans la ville de Gê7ies ; non si trova che egli rinfacci corne errore l'averlo fatto nascere nella citta di Genova (!) Voilà qui est bien clair.

IV

Dans la relation de Foglietta, il est dit « que les exploits de Christophe Colomb ont apportera sa ville de Gênes, civitati nostrœ, une gloire à peine inférieure à celle de Rome ». Comme on le voit, il s'agit ici d'un parallèle entre la ville de Gênes et celle de Rome, et non pas entre l'Empire romain et la République de Gênes; nous trouvons la confirmation explicite de Foglietta dans ses Éloges des Liguriens illustres, il appelle Christophe Colomb V honneur éternel des habitants de la Ligurie et de la ville de Gênes, sa patrie... Te quoque Ligurum et Genuœ pa- triœ sempiternum decus, Christophore Columbe, huic \primœ classi inferunt cœleste ingenium et Divina vii^tus tua (2).

Voici enfin des vers qui expliquent avec une clarié évidente la pensée de Foglietta.

Parmi les nombreuses pièces de poésie adressées à cet auteur, à l'occasion de son ouvrage si remarquable à tant de points de vue, et qui sont placées dans V Avant-propos, nous voyons qu'un poète, parlant de cet ouvrage, lui dit :

« Après avoir parcouru l'Océan, que vient de découvrir Colomb, qui partage avec ton maître la gloire d'avoir vu le jour dans la ville de Gênes. »

Imenso Oceanoque, obibis orbem, Quem modo reperit Columbus, ille, Ornât qui Genuam simul parentem, Gum tuo domino (3).

(1) An7iali di Genoa, t. Il, p. 716, § 19.

(2) Clarorum Ligurum Flof/ia, p. 770, ap. Muratori.

(3) Carmina R. P. Lauraitii Blanci iii honorem Ulberli Fogliett?o, in prsomio Ilis- ioriœ Genuensium.

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Et un autre :

Pervia virtuli Lisriinim sunt omnia.

'D'

Namqiie ego quid memorem seranlem ignota Columbum ^quora, et ab nostro submotos orbe recessus Oceani (i).

3<* Et maintenant, si nous arrivons à Antonio Gallo « qui, d'après M. Peretti, use d'une tournure qui prête à l'équivoque )>, nous avons le pénible étonnenient de constater que le texte cité par M. le curé de Galvi a été tronqué. Le voici en effet tel qu'il nous le donne : Christophorus et Bartholomœus Genuœ plebeis orti parentibus carminatores lanœ fuerunt. Or le voici dans son intégrité authentique, tel que nous l'avons pris dans Gallo lui- même : Christophorus et Bartholomœus Colombi fratres, na- tione LIGURES, ac Genuœ plebeis orti parentibus (2).

Gomme on le voit, les deux mots natione Ligures, qui expli- quent leur nationalité, et le sens de ville du mot Geyiuœ, ayant été supprimés, il en résulte que Gallo affirme nettement que Gh. Golomb est à Gênes.

Et si M. Peretti vient n@us objecter que le témoignage de Gallo n'a aucune valeur, nous lui répondrons, avecMuratori, « que cet historien, ayant été le contemporain de Gh. Golomb, son autorité, en pareille matière, est d'un grand poids, eodem teinpore quo floruit Colombus et Antonius Gallus; quare auctoyntas ejus, hac in re, non levé pondus habet (3) ».

Si don Fernand ne peut nous faire connaître le berceau de son père, il nous indique clairement la contrée qui renferme celui de ses grands-parents; que signifient eneffet ces paroles ? « Je dis que malgré que ses parents (de Gh. Golomb) fussent riches en vertu, ayant été réduits à la gêne et à la pauvreté par les guerres et les factions de la Lombardie, j'ignore comment ils ont vécu et ils ont demeuré (4). » Ne signifient-elles pas que les guerres et les factions qui ont fait de grands ravages en Lombar- die avaient ruiné les parents de son père qui habitaierd natu.-

(1) Pricmium Ilistoriœ Genuensium.

(2) De Rébus Genuens. et de Navigat. Columb. ap. Muratori, t. XXIII, p. 302. (3)Praefacio, tomo citato.

(4) Dico che quanlunque fossero i suoi genltovi buoni in virtU esseiido per cagione délie guerre e partialita délia Lumhardia rldotti al bisogno e pocerla, non trovo corne vivessero e habitassero, cap. U, p. 3.

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rellement cette contrée? C'est eu vain que M. l'abbc Peretti inter- prète ces paroles : guen^e et partialiia délia Lomhardia^ dans le sens de guerres et de factions de la Lombardie, dont la Ck)rse, soumise pendant dix-huitans aux ducs de Milan, s'était ressentie pendant cette domination.

Rien ne donne droit à notre honorable confrère d'émettre son interprétation. Ah î nous aurions compris cette interprétation si don Fernand avait parlé seulement une fois de la Corse ; mais jamais ce nom ne tombe de sa plume ; tandis que nous l'entendons parler de Rome et de Venise, de Gènes et de Plaisance, de Bugiasco. de Savone et d'autres villes du continent italien ; c'est qu'il cherche à découvrir l'origine de son père, le berceau et la condition de ses ancêtres ; par conséquent, quand il parle des guerres et des factions qui ont déchiré la Lombardie, il a bien l'intention de parler d'événements malheureux qui se sont déroulés dans cette contrée et pas ailleurs, et qui ont ruiné ses grands-parents qui y habitaient.

Supposons qu'un homme, écrivant en l'année 1889, des bords de la Neva ou de la Tamise, l'histoire des parents de son père, s'exprime ainsi : <l Ses parents furent réduits à la gène et à la pauvreté par la guerre et les dissensions intimes qui ravagèrent la France en 1871. »

Quel est le lecteur qui concluerait de ces paroles que les pa- rents de cet homme habitaient l'Algérie ou la Guadeloupe ? Le sens naturel et obvie de cette phrase n'est-il pas qu'ils étaient en France, et que c'est là, sur le continent français, qu'ils ont été ruinés par la guerre étrangère et la discorde civile ?

Or, la Corse se trouvant à un moment donné, vis-à-vis de la Lombardie, dans la même situation que se trouvent l'Algérie et l:i Guadeloupe vis-à-vis de la France, il en résulte que lorsqu'il est question d'une famille ruinée par les guerres et les factions de la Lombardie, on comprend que cette famille habitait cette contrée.

Ce qui vient confirmer notre interprétation et exphquer la pensée de don Fernand, c'est un contemporain de Ch. Colomb. Ramusio. qui affirme que « l'origine de ses ancêtres vient de Plaisance en Lombardie, située sur les rives du T>A'origme de suoi passati viene dalla citta di Piacenza inLomhardia che è posta su la riva del Po ii).

(1) Délie nooigationi al Nuovo-Mondo, t. AU, p. 64.

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Ainsi don Fernand affirme avec certitude que les parents de ?)0n ^hva habitaient la Lombardie, et qu'ils y ont été ruinés; il ignore seulement ce qu'ils sont devenus après leurs revers, comment ils ont vécu et ils ont habité; ces dernières paroles laissent à supposer qu'ils avaient quitté cette province, ce qui expliquerait la présence de plusieurs familles Colomb dans la Ligurie...

50 Si nous interrogeons les intimes du grand Navigateur, ils nous répondront tous qu'il est dans la Ligurie. Ainsi, Ber- naldez, curé de la ville de Los Palacios, son ami particulier, son grand protecteur, et qui avait en sa possession des manuscrits de l'Amiral, le fait naître à Gênes ; Christobal Colon nacio en Genoba donde era Gomerciante de libros impresos (1).

Pierre-Martir d'Angheria, ami mtime de Gh. Golomb, qu'il avait connu avant la conquête de Grenade, et qui c< n'affirme rien que d'après les paroles et les rapports de l'Amiral », le dit natif de la Ligurie; Christophoy us quidam Colonus oir Ligur. (Livre VP des Épîtres, 130.)

Enfin, B. Las Casas lui-même, compagnon de voyage, ami in- time de Christophe Golomb, qui n'a écrit que d'après les manu- scrits et les entretiens du grand Navigateur, ce sont les paroles de M. Peretti, affirme, on ne peut plus clairement, qu'il était dans la LiguyHe ; ici encore nous nous voyons dans l'obliga- tion de rapporter le texte authentique en regard du texte notable- ment altéré que cite notre confrère, et que voici : « Cet homme, dit Las Casas, il plut à Dieu de le choisir Génois de nation, quelle que soit la localité de cette Répubhque il est proprement (2).»

Or, voici le texte authentique, tel que nous l'avons relevé à la Bibliothèque Nationale :

Fué pues, este varon escogido de nacion Genovès, de al- gun lugar de la provingia de Genova ; quel fuere donde nacio a que nombre tuvo el tal lugar no consta la verdad dello mas de que se socia llamar antes que Ilegase al estado que Ilego Cristobal Columbo de Terra-Rubra, y lo mismo su hermano Bartolomé Colon, de quien despues se haro no poco men- cion (3).

(1) Hlsloire du Roi et de la Reine catholiques, ch. cxxiii.

(2) Page 56.

(3) Hisior. de las Indias, t. I", cap, ii, p. 42.

16 ~

« Cet homme fut choisi de nation génoise, d'une localité de la province de Gênes, quoiqu'on ne sache pas laquelle, localité, mais ce qui est certainement établi, c'est qu'avant de parvenir à la situation à laquelle il arriva, il se faisait appeler Christophe Colomb de Terra-Ruhra, ainsi que son frère Barthélémy Colomb, dont il a été beaucoup parlé depuis. »

Une définition exacte, avons-nous appris en philosophie, doit exprimer le genre prochain et la différence propre de la chose à définir, definitio constare débet génère proximo et differentia pro/jr/a ; or, Barthélémy Las Casas, un bon logicien, nousalaissé de l'origine de Christophe Colomb une définition qui possède ces deux propriétés; en nous disant en eifet qu'il était « de nation gé- noise», de nacion genovésy il exclut toute nationalité française, espagnole, anglaise, etc. ; et en ajoutant qu'il était dans la province de Gênes, de algun lugar de la provincia de Genova, et non pas « de la RépubUque de Gènes », comme le prétend M. Peretti, il circonscrit le lieu de sa naissance dans cette seule province, et il exclutpar même la Lombardie,la Toscane, voire même la Corse qui, tout en étant sous la dépendance de Gênes, était en dehors de la province génoise ; il va même jusqu'à lais- ser entendre que son berceau est à Terra-Rossa.

Nous avions donc bien raison de dire que B. Las Casas, contrai- rement à l'assertion de M. l'abbé Peretti, se prononce formelle- ment en faveur de l'origine Ligurienne de l'illustre Amiral.

6'' Nous trouvons la confirmation de ces divers témoignages dans le cardinal Bembo, historien du quinzième siècle, qui af- firme que C. Colomb était dans la Ligurie.

Erat Colmnbus homo Ligur ingenio peracri, qui nullas emensus regiones midtum maris, et Oceani perlustr avérât.., edocetque... quinque esse Cœli partes (1).

Dans le récit de Ramusio, contemporain de Ch. Colomb, histo- rien estimé de Venise, et qui n'avait aucun parti pris pour Gènes, et il est dit que l'opinion la plus certaine était celle qui le fai- sait naître à Cucurgo, près de Gênes, et que lorigine de ses an- cêtres venait de Plaisance, sur la rive du Pô, per piu certo si

(1) Ilist. Venelx, lib. Vi, p. «2.

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liene che gli fosse diCiœurgo^luogo pressa alla citta cli Genova ; rof'igine cli suoipassati venue dalla cilla di Piacenza in Loin- hardia che ê posla sidla riva del (1).

Enfin, clans ces vers expressifs écrits sur une mappemonde que Barthélémy Colomb, envoyé par son frère Christophe, portait, le 13 février 1488, à Henri VII, roi d'Angleterre :

Janua cui patria est, nomen cui Bartholomanis, Golimibiis de Terra rubra, opus dédit istud (2).

Ajoutons, "pour compléter notre démonstration, que M. Peretti, en citant le témoignage de Washington Irving, de Roselly de Lor- gues et de M. Barrisse, semble faire croire que ces auteurs doutent encore du berceau de Christophe Colomb; or, il est juste de dire qu'ils sont tous les trois affirmatifs.

« Il est prouvé, dit, le premier, que Christophe Colomb naquit dans l'ancienne cité de Gênes (3). »

« Il est temps, dit le second, de remplacer cette hésitation par une afïrmation précise : Christophe Colomb est à Gênes (Ji^). »

Enfin, le troisième, dont la compétence sur celte question est indiscutable et indiscutée, puisqu'il a consacré toute sa vie à Chris- tophe Colomb, affirme « que les actes notariés circonscrivent l'origine de la famille de naissance et la première résidence de Domenico, père de l'illustre Amiral, dans la vallée de Fontana- Buona (5) ».

Non seulement M. Harrisse a démontré, avec des documents notariés, que le père deCh. Colomb avait vécu à Gènes sans désem- parer (sauf un séjour àSavone), à partir de 1451) (0); mais depuis, on a trouvé à Gênes le contrat d'apprentissage dudit Dominique Colomb, lequel nous le montre résidant dans la ville même de Gênes, à dater de 1429. Or, Ch. Colomb, d'après un autre docu- ment notarié, est entre 1446 et 1451 : Christofforus de Co-

(1) Navigationi al Nuovo-Mondo, t, Ilf, p.64.

(2) Celui qui a donné cet ouvrage s'appelle Barthélémy Colomb, Génois, de ïerra- s;i. (Las Casas, t. J, lib. I, cap. cxxix, p. 22o.)

(3) Christopher Coluvibus... mas boi'ii inthecily of Genoa, abouthtlie year IWo. of poor but repulable and mérilorious parentage. (W. Irvingj Vie et voy. de Ch. Co- lomb, édition classique, ch. i.)

f4i Christophe Colotnb, p. G. Palmé.

(5) Harrisse, Histoire de C. Colomb, t. 1, p 220.

(6) Christophe Colomb, 1 vol., II. p. 402.

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lumho, filius Dominici^ maior annis decemnovem (au 30 octo- bre 1470) (1).

Voici une autre preuve biea plus convaincante encore, s'il est possible, en ce sens que le Dominique Colomb de la ville de Quiu- to, près de Gênes, est bien le père du découvreur du Nouveau- Monde; c'est un contrat par lequel Giovanni, Malteo et Ami- ghetto Colombo, tous trois de Quinto, et neveux de Dominique Colomb de Quinto, envoient à frais communs l'aîné ^d'entre eux, Giovanni, en Espagne, auprès de Christophe Colomb, le 30 octo- bre 1496, et stipulent qu'ils partageront les bénéfices de ce qu'il en rapportera; et ce qui démontre bien que le Ch. Colomb qu'il va voir, et que d'autres actes notariés montrent être son cousin germain, est incontestablement le grand iNavigateur génois, c'est que, dans ce document, il est qualifié d'amiral du roi d'Espagne : Christophorum de Coliimho. armiratum i'egis Hispaniœ (2).

Voici, entin, cequeiM. H. Ilarrisse dit au sujet des diverses prétentions : « La plus audacieuse et la moins fondée de ces pré- tentions est, assurément, celle qui fait naître Christophe Colomb à Calvi, Corse (3). »

Il résulte de tout ce que nous venons de dire que, contraire- ment à l'affirmation de M. Peretti qui dit « qu'un mystère enve- loppe le lieu de naissance de Christophe Colomb et de ses ancêtres » , il en résulte, disons-nous, que les familiers du célèbre Naviga- teur, ses historiens contemporains et postérieurs, et tous ceux qui, dans ces derniers temps, se sont occupés de cette grande ques- tion avec impartialité, intelligence et droiture, tous sont unanimes à le faire naître dans la Ligurie et, le plus grand nombre, daiis la ville de Gênes.

Nous pourrions, à la rigueur, nous arrêter ici ; car, en faisant briller la lumière M. Peretti ne voyait que l'obscurité, le doute et le mystère, nous avons sapé la base même de sa thèse.

Qu'a-t-il voulu prouver en elïet dans la première partie de son ouvrage intitulée « Mystère » ? Si ce n'est que les familiers et les auteurs contemporains de Christophe Colomb, voulant établir son origine, se sont contentés de dire qu'il était Génois, de nation génoise. Comme cette manière de désigner l'origine de son héros

(1) Archives tabellaires de Gènes, découvertes récentes du marquis Staglieno. (i) Archives tabellaires de Gênes, la Not. de 13. Pilosio, liasse o, 775. f3)T. I-", p. 159, notes du bas.

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lui a semblé très vague, il s'est dit que du moment que la Corse faisait partie de la nalion génoise, cette île se croyait suffisamment autorisée, avec quelques petites preuves qu'elle apporterait à l'ap- pui de ses prétentions, pour réclamer, comme un de ses enfants, l'inventeur de l'Amérique.

Il est certain, en effet, que si ces historiens n'avaient dit que cela, les réclamations de la Corse auraient pu avoir quelque appa- rence de légitimité. Mais, malheureusement pour notre île, tous les historiens contemporains, Génois, Lombards, Espagnols el postérieurs, affu^ment expUcitement, comme nous venons de le prouver, qu'il est non seulement génois de nation, mais origi- naire de la Ligurie, de la province de Gênes, autrement dit du co7itinent génois ; ce qui enlève la moindre probabihtéaux récla- mations de Calvi.

Mais continuons à examiner la valeur des autres raisons allé- guées par notre confrère.

M. Peretti fait remarquer que Giustiniani, Foglietta et Gallo, étant Génois, « tenaient beaucoup à la gloire de leur ville,» et que, par conséquent, leur témoignage doit être regardé comme suspect. Nous lui répondrons d'abord que Pierre-Martir d'Anghierra, Bem- bo et Ramusio n'étant pas Génois et étant, par conséquent, dé- sintéressés dans la question, affirment la même chose ; c'est donc qu'elle est vraie; [ensuite, que si on doit considérer comme sus- pect le témoignage des historiens de Gênes, on ne voit pas pour- quoi ses réclamations en faveur de Calvi paraîtraient moins sus- pectes, puisqu'il est, lui aussi, Corse et curé dans cette ville. De plus, en histoire, un témoignage positif ne se récuse que par un autre témoignage positif plus autorisé, et non pas par une fin de non-recevoir ou par un simple pi'ocès de tendances.

M. Peretti dit qu'il était difficile aux historiens de Colomb de se renseigner sur son origine « avec le caractère cosmopolite de sa famille qui était de toutes les patries ^et semblait n'en avoir au- cune ». Nous répondons qu'il leur eût été difficile d'obtenir ce renseignement si, avant la découverte du Nouveau-Monde, la fa- mille de l'illustre Navigateur fut toujours restée obscure et incon- nue; mais tel n'est pas son cas. Au dire de M. Peretti, elle devait être très connue, puisqu il prétend que Christophe Calvo, con- seiller, en 1420, du frère du doge dans une expédition contre AI- fonse V, roi d'zVragon; Antoine Oa^^o ou Calvi, chargé, on 1442,

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par le roi René, de la garde du fort Château-Neuf; Jean-Baptiste Cali'iyiticqiiQS Calvo, en 1435, patron d'un navire envoyé par Gênes au secours deGaete assiégée, et Barthélémy Cor^o, capitai- ne d'un vaisseau, en 1481, équipé à la prière du Pape contre les Turcs, formaient la famille de Colomb sous le nom de Calvo. dont nous aurons à parler plus loin. Or, comme les membres de cette famille s'étaient fait inscrire dans la marine génoise sous le nom de Calvo ou Calvi, pour se conformer à l'usage, et aussi pour avoir droit à une foule de privilègesque Calvi, la ville fidèle^ avait obtenus pour ses enfants, il eût été on ne peut plus facile de consulter les archives de la marine génoise : là, à la vue d'une famille Calvo ou Calvi, adjectif qui signifie, toujours au dire de M. Peretti, natil de Calvi, ils auraient immédiatement trouvé le berceau de l'inventeur de l'Amérique. L'historien qui avait plus de facihté que les autres, Mgr Giustiniani, évéque de Nebbio, en Corse, aurait entendre dire, dans son diocèse, au moment de la grande découverte, que l'inventeur était un de ses diocésains; mais non, il n'entend rien dire de ce genre, et alors il écrit, sans la moindre protestation des insulaires, que cet inventeur est à Gênes.

D'après don Fernand, le lieu d'origine de son père était telle- ment obscur qu'il semble que Dieu l'ait fait exprès pour qu'il vq?>- idXinconyiu. Cette indication, remarque M. Peretti, semble bien viser Calvi, chef-Ueu minuscule de Tarrondissement de ce nom.

Nous répondrons que Calvi, au quinzième siècle, n'était nulle- ment une ville obscure ; bien au contraire, elle était très impor- tante : n'était-elle pas la capitale de la Corse, le boulevard de la république de Gênes, comme l'appelle M. Peretti, et enfin, suivant l'expression deBracielli, une forteresse célèbre? Calvum célèbre oppidu7n. (De Bello hispanico^ 1. I, p. 12G8.)

VI

M. Peretti dit que la situation géographique de Calvi réalise pleinement la parole de don Fernand, qui nous montre son père appelé par Dieu « non des châteaux et des palais, mais des mey^s et CiQS> rivières ».

Franchement, nous ne voyons pas, dans les deux traits rn^r^ et rivières, des caractères qui soient propres à Calvi; toutes les lo-

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calités du littoral de la Corse ou de l'Italie ont le droit d'en dire autant; nous allons même plus loin, et nous afdrmons que si la mer baigne Galvi, aucune rivière ne lui apporte ses eaux, à moins toutefois que M. Perelti n'appelle une rivière un modeste cours d'eau qui ee jette dans le golfe de Galvi à quelques kilomètres de la ville, et dont le lit est si plein que les populations et les géo- graphes ne le désignent autrement que sous le nom expressif de fleuve à sec, fiume secco.

Tandis que si nous regardons du côté du continent génois, nous trouvons que l'ancienne République ligurienne comprenait une étroite lisière de terrain dite Rivière, entre les Apennins et la mer, et se divisait: en rivière du Levant (où se trouvaient Gènes, Lavagna, Spezzia, etc.); I"" en livière du Ponent (qui comprenait les villes de Novi, Savone, Viotimille, etc.). Or, ces deux -rivières (\w\ caractérisent le territoire génois, et la Méditer- ranée qui baigne les cotes de Gênes, concordent admirablement avec les paroles de don Fcrnand.

Déplus, nous voyons le Besagno, fleuve d'une certaine impor- tance, se jeter dans le golfe de Gênes, entre le lazaret des mar- chandises et la porta délia Cava. Enfin, nous pouvons ajouter que^Ramusio nous apprend que les ancêtres deGhristophe Colomb sont originaires de Plaisance, placée sur le bords du Pô, Vorigi- ne deisuoi passati venne dalla cittadi Piacenza in Lombardia che è posta su la riva del Po.

M. Peretti n'a trouvé dans les archives de Galvi qu'une famille portant le nom de Colomb, et dans cette ville qu'une rue del Filo, convertie plus tard en rue Colombo. Mais si nous regardons du côté de Gênes, nous y trouvons, au dire de M. lïarrisse, plus de cent familles Colomb, dont plusieurs portent le nom de Domini- que, père du grand Amiral; tout un quartier des Colomb, une tour Colomb, et jusqu'à des tombeaux aux armes des Colomb. Or, n'est-il pas plus logique et plus naturel d'admettre que ce héros sorte d'un lieu son nom est si répandu et tant d'im- portants monuments immortalisent sa mémoire, plutôt que d'une localité qui ne compte qu'une famille de ce nom?

D'ailleurs, on peut expliquer la présence de l'unique famille de ce Colomb, que M. Peretti nous montre à Galvi, en faisant remar- quer qu'un très grand nombre de familles corses, telles que Are- na, Casanova, Colonna, Galeazzi, Grimaldi, Lomellini, Malaspina,

22 -

Marchesi, Moiitalti, Pietra-Santa, etc., etc., sont d'origine génoi- se; or, la famille dont parle notre cher confrère, loin d'élre la souche du grand Amiral, ne serait tout simplement qu'un modeste rameau du grand arbre généalogique qui recouvre de son ombre presque toutes les localités de la Ligiirie; « il y avait bien peu de localités, nous dit Gasoni, la famille Colomb ne se fût intro- duite, sans compter ceux de ses membres qui habitaient la ville de Gênes (1). »

L'argument tiré de la rue ciel Filo est absolument sans valeur; en voici les raisons : ce sont les historiens génois Gallo, Foglietta, Giustiniani et Gasoni qui nous on! appris que les parents du grand Amiral étaient des cardeurs de laine, cay^minatores lanœ: a Or, nous dit M. Peretti, étudiant la valeur de leurs assertions, notre avis est que le témoignage de ces auteurs n'a aucun poids, parce qu'ils étaient tous Génois, parce qu'ils parlaient d'un homme qu'ils n'avaient jamais connu, et qu'ils n'avaient pu se renseigner sur sa famille. » Nous sommes donc en droit, de l'avis de M. l'abbé Peretti lui-même, de ne pas accepter que les parents de Christophe Colomb fussent des cardeurs de laine. Mais voici un témoignage positif qui confirme pleinement notre opinion : Don Fernand, en qui M. Peretti a la plus entière confiance, « parce qu'il a fait tout ce qui était possible matériellement et moralement pour connaître la vérité; don Fernand, qui déclare qu'on ne trouvera pas dans son ouvrage les défauts que l'on rencontre chez la plupart des historiens, c'est-à-dire le peu de vérilé et Vincertilude de ce qu'ils écyHvent : don Fernand, dont le témoignage ne saurait être suspecté sans faire injure à sa vertu (2) »,; eh bien, don Fernand nous dit en termes formels que « son père et ses ancêtres avaient toujours trafiqué sur mer », il suo irafico e de' suoi maggiori fii sempre per mare(3). Ce qui donne un grand poids à la parole de don Fernand, c'est qu'il s'était surtout proposé de réfuter les erreurs des historiens génois ; il est certain qu'ayant vécu avec son père, il était plus à môme que personne de connaître quelle avait été la profession de ses parents.

D'ailleurs, cette rue del Filo ou Colombo ne prouverait pas plus que Christophe Colomb soit à Calvi, que la rue Bonaparte

(1) Annalidi Genova,\. l"

(2) Page 51,

(3) Ilist. de U. Fern. Colomb, ch. H, p. 5.

- '?3 ~

à Paris ne prouve que le vainqueur de Marengo soil dans la capitale de la France; et puis, qui nous dit que Galvi, la ville fidè- le, n'ait voulu faire ses grâces à la cité superbe, en donnant h l'une de ses rues le nom d'un de ses plus illustres enfants?

Or, du moment que l'histoire véridique ne nous présente pas de cardeurs de laine dans la famille de Christophe Colomb, la rue del FilOy à Galvi, n^a aucun lien avec celte famille.

Par voie de conséquence, si cette rue ne tient par aucun (il à la famille des marins, il en résulte que le nom de Colomb, qui lui a été donné, cesse d'avoir la moindre valeur en faveur de la thèse de M. l'abbé Peretti (1).

M. Peretti, à la suite de M. l'abbé Casanova, prétend que si les historiens insulaires ont gardé le silence sur les grands hommes de Calvi et par conséquent sur Christophe Colomb, c'est parce qu'ils en voulaient à celle ville, sans patriotisme, d'avoir voué à Gênes une fidélité éternelle : Cimtas Calvi semper fidelis.

Pour nous, nous trouvons au contraire que Morati et Filippini parlent, le premier^ d'un Dominique Varsi, d'un Dominique Parodi et d'une foule d'nulres Calvais Q,é\h\)VQ% par leurs richesses etleur valeur ; et le second, de dix CalvaisÛQwi il cite les noms, qui avaient acquis de grandes fortunes en Amérique ; or, il est fort étrange que ces historiens parlciit des Calvai-, qui se ?>oni enrichis, et qu'ils ne disent pas un mot de ceux qui, comme Christophe Colomb, se seraient couverts d'une gloire imynorteUe.

Il y a plus : le P. Franciscain Olivese parle du P. Jean, de Calvi, général de son ordre, et ne fait aucune mention de Christophe Colomb, qui pourtant mourut tertiaire de Saint-François et dans un couvent de Franciscains. N'est-ce pas singulier, inouï ?

Enfin, l'archidiacre Colonna,qui connaissait Calvi et ses hommes illustres par le menu, puisqu'il parle de la générosité de Giovan Antonio Vencentello qui donna deux de ses principales maisons à sa ville natale, qui y fonda un mont-de -piété, qui agrandit le fa- meux couvent des mineurs de l'Observance ; Colonna, qui parle de la vaillance des femmes de Calvi, ne dit pas un mot de Christophe Colomb, et ce nom ne se trouve même jamais sous sa plume. N'est-il pas étrange qu'un historien des Hommes illustres de la

(1) Le commandant Buochberg lui-même, que M. Peretti prend au sérieux, affirme que Christophe Colomb était fils d'un pêcheur, page 32o.

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Corse passe sous silence Tilliistre Navigateur s'il était natif cle Calvi ?

M. Perelti nous dit que les historiens insulaires ont des sous- entendus siguificalifs à l'endroit de Christophe Colomb. Pour ré- duire à néant celte conjecture, contentons-nous de citer la phrase de Filippini. « Et puisque j'ai commencé à parler de ceux (lisez, des Corses) qui ont secoué la pauvreté en Espagne, je ne me tairai pas sur le compte de quelques Calvais qui se sont enrichis dans la navigation aux Indes. » Ne voil-on pas que l'historien parlant des Corses en général, et non pas des habitants de Calvi en particu- lier, fait une mention spéciale de quelques Calvais importanis, sans avoir le moins du monde la pensée d'en laisser sous silence d'autres plus célèbres? Par conséquent ces sous-entendus ne prouvent rien en faveur de Christophe Colomb ; non, ce n'est pas avec des sous-entendus de cette nature que l'on fait l'histoire.

M. Perelti nous dit que si les historiens corses n'ont pas affir- mé l'origine calvaise de Christophe Colomb, c'était par crainle de Gênes, qui les menaçait d'emprisonnement et de mort, et qui tra- vaillait à étouffer toute illustration et à détruire toute noblesse dans l'ile.

Nous répondons que s'il est admissible que Gênes empêchât, en principe, les Corses d'arriver à la gloire, il nous est difficile d'ad- mettre ces duretés et ces rigueurs quand il s'agissait de Calvi, la ville fidèle, la seule ville en Corse dont les habitants avaient le privilège de pouvoir aspirer à tous les emplois et à toutes les chay^ges, même 7nilitaires, et de porter le iit)^e de fils de la Ré- jniblique ; la ville enfin qui ne faisait qu'un avec Gênes. Ce de- vait être, au contraire, un devoir et un honneur pour elle, que de favoriser l'élévation de ces enfants très dévoués, figli ubidien- iissimi. Nous concédons, dans une certaine mesure, que Gènes détruisît ou expurgeât les imprimés oij il était question de choses qui n'étaient pas à sa louange, et qu'elle menaçât leurs auteurs de ses sévérités. Mais comment se fait-il queGiubega, syndic de Cal- vi, n'ait pas fait mention de Christophe Colomb dans son Histoire de la Corse, restée à l'état de manuscrit ? Il pouvait et devait af- firmer l'origine calvaise de son illustre concitoyen, sans craindre les tracasseries de Gênes, son manuscrit n'ayant pas vu le jour! Mais non. Il ne l'a pas fait : c'est que l'inventeur du Nouveau- Monde n'avait pas le droit de figurer dans son Histoire de la Corse.

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On pourrait à la rigueur tirer quelque parti du silence des histo- riens corses, si, parmi les personnages de Galvi qu'ils citent, ils faisaient seulement mention d'un Colomb quelconque ; mais non : ainsi, ils nous parlent de Bartliélemy de Welayster, de Pierre Mi- gnucci, de Michel-Ange Battaglini,de Jean- Antoine Vincentello qui prêta des millions à Philippe II, et jamais d'un Colomb. Nous ajoutons qu'il répugne à notre patriotisme d'admettre ce lâche silence de la part des Corses que nous voyons constamment armés pour secouer le joug odieux de Gênes et reconquérir leur indépendance. Or, des hommes qui ne craignaient pas de ver- ser leur sang pour recouvrer leur liberté devaient avoir encore moins peur de verser quelques gouttes d'encre pour revendiquer leurs gloires insulaires. Si donc ils n'ont pas revendiqué Chris- tophe Colomb comme un des leurs, c'est qu'il ne leur appartenait pas.

VII

M. Peretti nous dit que, dans le but de ravir à la 'Corse l'hon- neur d'avoir donné le jour au grand Amiral de l'Océan, Gênes a eu recours à la mutilation, à l'enlèvement et à la destruction des archives de Calvi.

Faisons ici une distinction : ou il s'agit ici de Gênes en tant que République ; ou de Gênes en tant que ville : or, dans les deux cas, cette allégation ne tient pas debout devant la critique. S'il s'agit, en effet, de Gênes entant que République, nous répondrons que cette assertion aurait quelque valeur si, à cette époque, la Corse n'eût pas été génoise; mais du moment que cette île fai- sait partie de la République de Gênes, sa gloire était, par même, la gloire de la République; de même que la gloire acquise par la Corse en produisant Napoléon appartient à la France, puis- qu'on 1769 la Corse était française; et alors quel intérêt aurait- elle eu à faire naître Christophe Colomb sur un point plutôt que sur un autre de ses États ?

S'il s.'agit de Gênes en tant que ville, nous répondrons que, si c'était pour faire croire que Christophe Colomb était dans ses murs qu'elle avait détruit les archives de Calvi, nous sommes en droit de conclure qu'elle a pu et exercer le même vandalisme dans celles des nombreuses localités de la Ligurie qui réclamaient

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le même honneur, puisque aucune ne peut produire l'acte cîe naissance. Ov, est-il admissible que Gènes ait fait cela ? Et si elle l'a fait, peut-on admettre qu'elle l'ait fait à l'insu de ces municipa- lités ? Et si elles l'ont su, comment n'ont-elles pas protesté ? Et alors qu'on nous montre les traces de cette protestation ! Mais non; laissons décote ces mesquines histoires de clocher, pures chicanes, qui ne doivent pas trouver place dans une discussion sérieuse.

Pour ce qui est de l'Élégie qui parle de la Corse comme étant la patrie de Christophe Colomb, il faut remarquer que l'Académie des inscriptions et^ belles-lettres, en prenant comme authentiques les paroles rapportées par le journal le Soleil, n'affirme pas, mais se contente de conjecturer, de croire qu'elle a été faite au seizième siècle pour appuyer, non pas une tradition, mais une simple légende locale; or, ce n'est pas avec des légendes qu'on écrit l'histoire. Qui ne sait qu'un héros légendaire est celui auquel l'opinion populaire attribue des actions qu'il n'a jamais faites ni pu faire ?

Mais voici ce que nous lisons dans le compte rendu officiel de l'Académie des inscriptions et belles-lettres et qui amoindrit sin- guhèrement la valeur de ce document :

« M. l'abbé Giorgi adresse des vers latins attribués à Christo- phe Colomb, il est parlé de la Corse comme sa patrie.

« Le président dit que cette prétention même doit faire rece- voir cette pièce de vers avec beaucoup de défiance (1). »

Cette appréciation nous dispense de tout commentaire.

Quant aux assertions de M. Savelli, à l'Ode du général Fabiani, aux renseignements du baron'Buochberg et aux vers élégants de Ms'' Peretti et des autres poètes, nous ferons observer que leur point de départ est :

lo Un manuscrit du P. Denis de Gorte; or, quelle est la valeur historique de ce manuscrit ? Existe-t-il ? est-il ? Autant de questions qui attendent une réponse ;

L'Encyclopédie du dix-neuvième siècle, qui s'exprime ainsi : « Christophe Colomb estné dans les États de Gènes, selon la plu- pari des auteurs, et dans l'île de Corse, si l'on en croit quelques manuscrits récemment découverts. »

(i) Comptes rendus officiels des séances des Inscriptions et Belles-Lettres, ISSiî, 4* série, t. XIV, p. 5. Séance du 5 février.

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Or, quels sont ces manuscrits ? sont-ils ? Il faut qu'on puisse en examiner et en discuter la valeur ? M. Peretli lui-même n'en signale aucun qui offre des preuves convaincantes ;

Sur un article de la Revue de Pm-is, en 1841, il est dit que M. Giubega avait découvert l'acte de naissance de Christophe Colomb. Nous répondons à cette invention par les deux docu- ments suivants :

« M. Giubega, ancien sous-préfet à Bastia, m*a donné l'assu- rance que sa famille n'a jamais possédé l'acte de naissance de Christophe Colomb. Il a ajouté que feu son père, informé par un ancien commandant de la place de Gorte que Christophe Colomb, d'après le dire d'un vieux moine, était à Calvi, s'était empressé de faire toutes les recherches nécessaires, mais que ses investi gâtions n'avaient abouti à aucun résultat (1). »

(c Quant à ce que la Revue de Paris a pu dire en 1841 au sujet de la découverte à Calvi de l'acte de naissance de Christophe Colomb, ce fait est complètement inexact (2) ; »

De plus, aux beaux vers des poètes sus-nommés, Gènes et les autres localités de l'Italie peuvent opposer ceux d'autres poètes de renom; en voici quelques-uns:

Unus erat mundus ; duo sint? ait iste: fuêre.

Ce vers se trouve, au milieu d'autres inscriptions, sur une maison de Gogoletto, l'on prétend que Christophe Colomb a vu le jour.

Il naquit dans les murs de la superbe Gênes,

Dont la gloire égala les plus beaux jours d'Athènes (3).

Un uom délia Liguria avra ardimento AU'incognito corso esporsi prima : Ne'l incoguilo corso esporsi prima : l'inopislo mar,n'l dubbio clima.

Tu spiegherai, Colombo, aun novo polo Lontane si le forlunate antenne,

(1) Lettre de M. Giamarchi, président du tribunal de première instance de Calvi, à M. Harrisse, 2i août 18G7.

(2) Pièce transmise par M. de Zerbi, le sous-préfet de Calvi, à M. Santelli, le 8 septembre 1867. Cette pièce est de M. Giubega fils. Christophe Colomb et la Corse, par Harrfsse, p. 2,

(3) Christophe Colomb, poème français, dix-septième siècle, cli. i, p. 10.

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Ch'appena seguira cogli occhi il volo

La lama che ha mille occhi e mille penne (1).

Ipse ego promerilas landes irqnare canendo Si possem, non illa magis mihi maxima curœ Res fuerit, primusque labor tua dicere facta, Gui mecum patria est eadem, generose Golumbe,

Cujus avos olim praiclara Placentia misit, Antiquae florent, et ubi vesligia prolis (2).

M. Peretti déduit de la présence des chiens corses à Ilispaniola la conclusion qu'ils accompagnaient des maîtres corses : « Car, dit-il, ces animaux n'ont pu s'y rendre tout seuls, et jamais, en Europe, on n'a fait de levée de chiens destinés à des expéditions militaires. »

N'en déplaise à notre vénéré confrère, les chiens ont joué, au contraire, un grand rôle dans les guerres européennes et coloniales. L'hstoire d'Angleterre est remplie de récits de grandes batailles dans lesquelles les chiens d'Ecosse se distinguèrent. Les Finlan- dais dressaient habilement les chiens à combattre contre la cava- lerie et à sauter au nez des chevaux; Henri VIII envoya à Gharles- Quiut, en guerre avec François F', quatre cents chiens anglais; enfin, l'expédition française de Saint-Domingue a renouvelé l'essai des chiens de guerre, mais, par la faute des vendeurs, cet essai ne réussit pas. M. le heutenant Jupin, dans son intéressant ou- vrage, publié l'année dernière, sur les Chiens militaires dans Varmée française, montre les nombreux services qu'ils peuvent rendre, dans une guerre, comme gardiens, comme éc!aireurs et comme estafettes; par conséquent les chiens dont parle l'auteur ont pu avoir été transportés par d'autres que par des Corses, c'est- à-dire par des Génois ou des Espagnols, et alors la conclusion qu'il en tire n'a plus sa raison d'être.

Qui nous dit enfin que ces chiens corses ne se trouvaient pas à

(1) Du sein de la Ligurie s'élèvera un mortel qui o^era le premier affronter le courroux de ces mers inconnues... Ce sera loi, généreux Colomb, qui vers un pôle nouveau dirigera tes voiles fortunées ; à peine les mille voix de la renommée pourront chanter tes aventures, etc. » (Le Tasse, Jérusalem délivrée, ch. xv, pp. 31-32.)

(2) « Si je pouvais, en chantant, exprimer dignement tes louanges, ô généreux Co- lomb, mon plus grand soiu et mon premier travail seraient de proclamer tes hauts faits, ô toi, dont je partage la patrie; toi, dont Tillustre Plaisance a j.idis envoyé les aïeux partout fleurissent les rejetons d'une antique lignée! » Poème héroïque de liarth. Marinoni, imprimé à Viterbe en 1583. (Vo/r Campi, ll/.slohr rrclc.'fia.^(if/vr 'le Plai- sance, t. III, p. 239.)

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Ilispaiiiola, avant sa découverte par Christophe Colomb, au même titre que « les chevaux d'Espagne qu'il avait remarqués lors de sa visite au Cacique deTile de Noël , et dont les habitants de la colo- nie lui avaient souvent parlé (I)? »

VIII

Pour donner plus de force à son argument, M. Peretti semble dire que la Corse a le monopole de l'amour des chiens : « En Corse, dit-il, un chien fait partie de la famille; c'est un de ses membres obligés ; quand il meurt, on le remplace. )>

Mais ne savons-nous pas que, chez tous les peuples, le chien est considéré comme un animal noble et précieux, comme l'ami dé- voué de l'homme? En France, il tourne la broche; en Sibérie, il tire le traîneau, et partout il conduit l'aveugle ; ici, c'est le chien du vieux Tobie qu'il couvre de joyeuses caresses à son retour de Rages ; là, c'est celui de Lamartine, qui

Bondit autour de lui, de joie et de tendresse, Se roule sur ses pieds enchaînés de caresses, Léchant ses mains, mordant son habit, son soulier, Sautant du seuil au lit, de la chaise au foyer (2).

Pour ce qui est de la présence des Corses sur les divers points de l'Amérique, cela ne prouve rien, par la raison que tous les peuples maritimes, Italiens, Espagnols, Français, Anglais, etc., sont entrés, avec un avide empressement, dans la voie ouverte par Christophe Colomb, pour aller chercher fortune dans le Nou- veau-Monde; or, les Corses dont parle M. l'abbé Peretti n'ont fait que suivre ce grand mouvement d'émigration, sans qu'il soit nécessaire pour cela de faire de Christophe Colomb leur compatriote.

M. Peretti prétend que le Tonina, dont il est question dans le journal de bord du grand Navigateur, inconnu en Italie et en Espagne, est seulement connu des pêcheurs de Calvi, qui lui donnent encore le nom de Palamila.

Pour réduire à néant cette prétention, contentons-nous deprier M. Tabbé Peretti de vouloir bien ouvrir le Grand Dictionnaire de

(1) Don Fernand,c. xliii, p. 201.

(2) II résulte d'une statistique faite en 188.> que la Corse est le clépaitement fran- çais qui ait le moins de chiens; il n'y eu a que 7,u22, tandis que, dans les autres, la

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rAcadéinie espagnole, et il y trouvera Tonina aticn nooo, thon nouveau; qu'il veuille bien encore consulter le Dictionnaire italien de Tomaseo, 8 volumes in-folio, et il y il trouvera Tonina, jeune thon que l'on met en salaison ; qu'il consulte le premier Diction- naire portugais venu, qui lui apprendra que Tonina veut dire atun de un ano, thon d'un an ; le Tonina est aussi connu sous le nom de Palamita, du latin Pelamis, jeune thon.

Enfin, voici ce que nous lisons dans le tome II, page 20, en note au bas de la page, de l'ouvrage de M. de Navarettc, auquel fait allusion notre confrère : « Guvier dit que le Tonine est une espèce de poisson particulier du genre des thons, qui est plus petit que le thon ordinaire et qui^ au lieu d'être, comme lui, d'un bleu d'acier uniforme, a le dos couvert de petites taches et ver- miculations noires (1). »

En somme, Tonina n'est qu'un diminutif de tonno, thon. D'oii il résulte que si Christophe Colomb a pu connaître le Toyiina ail- leurs que dans les eaux de Calvi, la conclusion que l'auteur tire de cette circonstance desinit inpiscem.

Pour ce qui est des noms de saints et de dévolions qu'on retrouve à Calvi et qui ont été donnés par Christophe Colomb aux îles, aux ports et aux caps qu'il avait découverts, nous ferons observer que cette remarque aurait quelque valeur si les statues, les tableaux et les dévotions en question étaient propres à Calvi et n'existaient que dans cette ville.

Or, il n'est pas nécessaire d'être bien ferré en iconographie sacrée et en histoire ecclésiastique pour savoir :

lo Qu'on trouve, dans presque toutes les églises du monde catholique, soit des statues, soit des tableaux du Sauveur et de la Conception, ainsi que la dévotion à la Sainte-Croix :

2o Qu'il existait à Gênes, du temps de Christophe Colomb (1447- 1510), une Catherine de la famille de Fieschi , mariée à Adrien Adorno, seigneur de la célèbre famille de ce nom, qui se consacra, à la mort de son mari, au soin des malades, dans le grand hôpital de la ville ; que sa piété était si éclatante et si connue qu'au dire de son biographe « des personnes de grande vertu et fort éclairées dans les voies de Dieu venaient exprès de bien loin pour lui rendre visite, et ne la quittaient qu'avec étonnement en louant

(i) Note ajoutée par M. de la Roquette, traducteur.

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Dieu des merveilles qu'il opérait eu cette dame ». Elle est cooQue daus le Martyrologe sous le nom de Saiute Catherine de Gêues, l'OQ voit encore le magnilique tombeau qui contient ses restes vénérés (1) ;

3'* Qu'on trouve, dès le quinzième siècle, au centre de Gênes, l'église ciel Gesit, entre le couvent de Saint-Barnabe, appartenant aux Pères Capucins, et la villa de l'illustre famille des iMoneglia, et une église dédiée à saint Nicolas de Tolenlino ;

4" Qu'on voit, donnant sur le port de la ville, une église de Sainte-Croiœ, ainsi qu'une chapelle dédiée à smni Jean BaptiséOy située près de l'église de Saint-Laurent, qui renferme une plaque en bronze, trouvée, en 150G, aux environs de Gênes, et sur laquelle se trouve une longueetfort curieuse inscription (2).

Par conséquent si Christophe Colomb a pu connaître ces statues, ces tableaux, ces dévotions et ces églises ailleurs que dans la ville de Calvi, la conclusion que M. Peretti tire de ces circonstances demeure sans fondement.

Mais à quoi bon chercher des raisons imaginaires pour expliquer ces diverses dénominations, du moment que son historien a bien voulu nous faire connaître lui-même les motifs qui lui ont inspiré ces religieuses et touchantes attentions?

Écoutons son fils nous dire les contidences de son père : « Il appela, dit-il, la première île Saini-Sauceury pour remercier Dieu de la lui avoir uidiquée, et de l'avoir délivré de beaucoup de dan- gers (3); il appela la seconde A^am^e-il/aHe cfe la Conception, à cause de sa dévotion pour Marie et de la plus grande confiance que les chrétiens ont en elle (4). » (Ch. xxv, p. 109.)

Pour ce qui est de Saint-Nicolas, nous savons également par don Fernand que son père avait découvert un porta Cuba le 6 dé- cembre, jour dédié au patron de l'enfance; ce fut donc tout sim- plement pour mettre sa nouvelle découverte sous la protection de ce saint qu'il lui a donné son nom: Intro nel porlo di S. Nicolo,

(1) On célèbre sa fête le 14 septembre, quoique Benoît XIV ait inséré son nom dans le xMartyrologe, sous le 22 mars.

CijBrâcelii, De Bello int. Gen. et Ilisp. in fine, 7iota ad Calcem. Vlatt delà ville de Gênes au quinzième siècle, apud Foglietam, lib. 1, p. 205.

(3) La prima... a gloria di Dia chegli e la avea manifestala e salialolo du molli pericoli, chiamo San-Salvalore. [Uist. del. S. D. Fern. Colomb, cap. xxv, ,p. 109.)

(4) E la seconda par la devolione che avea nella Concetlion dclla Madonna, e perché il siio favoreèil principale che Imnno i chrisliani, chiamo Sanla Maria délia Conceitione . (Id...)

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e nomalo cosi da lui in memoria délia sua solennità la quate correa in quel giorno. fCh. xxx, p. 63.)

Pour ce qui est du port de SaJDtc-Galherine, nous savons qu'il le découvrit le 24 novembre, veille delà fête delà patronne d'Alexan- drie, ce qui explique amplement cette dénomination (1).

Il appela une grande ile Sainte-Marie de Guadeloupe par dévotion personnelle, et aussi pour récompenser les bonnes prières des religieux du couvent de ce nom, auxquels il avait promis de donner à quelque île le nom de leur monastère (2).

M. Peretti nous laisse entendre que Gênes rejeta les propo- sitions de Christophe Colomb, parce qu'elles venaient d'un Corse.

Avant d'émettre une pareille assertion, il serait sage de s'assu- rer si réellement le futur héros des mers a fait cette démarche; or, aucun historien contemporain n'en fait mention. Don Fernand lui-même n'en dit mot; il n'en existe aucune trace dans aucun do- cument génois; il faut descendre, suivant la juste remarque de M. Harrisse, jusqu'à Casini, écrivain du siècle dernier, pour ren- contrer, chez un auteur lirjurien^ la première allusion à cette offre con trouvée.

Or, cet historien, d'après M. Peretti lui-même, sacrifie aux préjugés, manque d'exactitude et se contredit en plusieurs en- droits; nous sommes, sur ce point, d'accord avec notre confrère, et nous récusons le témoignage d'un historien si peu digne de foi.

Non seulement les historiens liguriens ne font pas mention de cette démarche, mais Bembo, contemporain du grand Navigateur, donne à entendre qu'il ne l'a pas faite. Parlant, en effet, de l'inven- teur de l'Amérique, le savant cardinal dit qu'étant Génois il alla proposer ses projets aux rois d'Espagne, Ferdinand et Isabelle, Chnstophoriis Colomhiis, homo ligur.Ferdinando et Isahellœ, Hispaniaru7n regibus, proposuit (3). Comme on le voit, à peine a-t-il dit qu'il était Génois, sans s'arrêter au Sénat de Gênes ni à aucune proposition faite à cette assemblée, il le fait partir pour l'Espagne (4).

(1) Lune5, 24 de novembre, manda ahzar las anclas y dm las vêlas, y snlio de aquel piierto de Santa Catalina. ( Las Casas, Ilist. de las Indias, t. I, 1. xlviii, p. 348.)

(2) Il liinedi 4 novembre, Vamiraglio si parti... per venire ad un altra grand Isola che chiamo S. Maria Guadalupe per devotione e preghi Frafi délia Casa di quella vocatione, à quali haveva promesso dimetlere ad alcuva Isola, il nome, del sua monastero .

(S) Hisiori.-B Venetw, lib. VI, p. 73.

(4) Don Fernand lui-même « rous apprend que son père, se trouvant en Portugal

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Par conséquent, si Gênes n'a pas eu à examiner les propositions de Christophe Colomb, il serait aussi impossible qu'injuste d'ar- guer de sa haine imaginaire contre la Corse; et alors la conclusion de M. Tabbé Peretti se dissipe comme une vaine fumée.

IX

Mais nous avons hâte d'arriver au point capital qui est, aux yeux de M. le curé de Calvi, le flambeau qui éclaire le berceau de Christophe Colomb ; nous voulons parler du mot Calvo ou Calvi.

Nous avons vu, en effet, que les historiens Giustiniani, Foglietta et Casoni parlent d'un Christophe Calvo ou Calvi, d'un Jacques Calvo, d'un Antoine Calvo ou d'un Barthélémy Corso, qui ont joué un certain rôle dans les expéditions de Gênes contre les rois d'Aragon et contre les Turcs. Or, M. Peretti, après avoir essayé de prouver que les Corses qui, aux quinzième et seizième siècles, voyageaient en Italie et dans les autres pays, avaient l'habitude (ceux surtout qui n'avaient pas de nom de famille) de joindre à leur nom de baptême celui du lieu de leur naissance ou de leur patrie, croit et affirme que les personnages que nous venons de nommer, portant le nom de Calvo ou Calvi, qualificatif qu'il traduit par ville de Calvi en Corse, composent la famille du Héros des mers dont il cherche le berceau. M. l'abbé Peretti dit que les suffixes anw^, inus, ensis, marquent l'idée d'origme ; par conséquent un homme qui, 'au quinzième et au seizième siècle, s'appelait Antonius Calvus, cela voulait dire que cet Antoine était de Calvi ; il cite, à l'appui de son affirmation, l'exemple de Jean Calvus, général des Franciscains, et celui de Jean-Luc Moncalvo, évêque de la Guardia et^tous deux de Calvi.

Nous répondons que les suffixes cités marquent l'idée d'origine lorsqu'ils sonl employés selon les règles de la grammaire; il est certain que Romanus veut dire Romain, et P^irm^n^w, Parisien ; mais la grammaire veut aussi que les noms neutres de lieu for- ment leur masculin en ensis. C'est ainsi que Lugdimum formera Lugdunensis, pour désigner un Lyonnais, et Adjacium formera

coMMKNÇA à conjecturer que de même que les Portugais naviguaient si loin au raidi, on pourrait naviguer vers l'Occident et trouver terre dans ce voyage ». (Gh. v, p. o. ) Or. si Christophe Colomb était en Portugal lorsqu'il commença à formuler ses conjectures, il ne put proposer son projet aux Génois, avant de se rendre dans ce royaume.

3

34

Adjacensis pour désigûer un Ajaccien; or, si nous appliquons cette règle à Galvi, soit qu'on l'appelle en latin Calvum ou Cal- vium, elle nous obligera à designer un de ses habitants sous le nom de Calvensis, Calviensis ou a Calvio, et nullement sous celui de Calvus ou de Çalviiis.

C'est ainsi d'ailleurs que les historiens désignent les habitants de cette ville ; en voici la preuve tirée de trois auteurs différents.

Ex conveniibus Corsicanis... era^ calvensis dequoid solum celehratur quod 'produxerit. .. Generalem 'ïninistrum Fratrem Joannem a Calvio... (1)

Cum autem Corsi omnes, prœter Bonifacienses et Galvenses, Vincentello Istriœ obtemperarent, etc. (2).

Et Ristorucius et Antoniiis Guilïielmus miserunt nuntium ad Galvenses (3).

Galvenses enim injuriis et contumeliis Catalonorum et Ara- gonensium siibacti... prœsidio regio expulsa, sub antiquum Geniiensium imperiutn sponte redierunt (4).

Mais alors que faites- vous, nous dira-t-on, de Joannes Calvus ou Calvius ? Eh bien, nous répondrons tout simplement que Cal- vus ou Calvius pourrait être un nom de famille qui est le même que celui de sa ville natale (5).

Ce qui nous autoriserait à le croire, c'est : 1" le lémoignage du cardinal Pallavicini qui, parlant des Pères décédés pendant la durée du concile de Trente, relate la mort de Jean Calvi, général des Mineurs observants et originaire de la Corse, etc. Tra prhni fil Giovanni Calvi, générale di Minori Osservanti, Corso di patria , esemplare di vita, elc. (6).

C'est la 7iomenclalure biographique des pères et des théo- logiens de ce concile, dans laquelle nous lisoQs ce qui suit : Jean Galvi, de la terre de Galvi, en Corse, général des Mineurs de l'Ob- servance ; il était de la famille Maltei, s'il faut en croire Ange-

Ci Olivesi, Sera/ici raf/f/ucif/li délia proiiiiciadi Corsica. p. 248, cité par iM. Pcretli.

(2) Petrus Cyrneus lib.' Wi, p. 464.

(3) Petrus Cyrneus, p. 467.

(4) Foglietta, lib. X, p. 554.

(5) Sans sortir de l'arrondissement de Calvi, nous trouvons des familles Antonini dans la commune de San- Antonino; Belf/odore, dans celle de Belgodere; Coslciy dans celle de Costa; Murall, dans celle de Muro.

(0) Pallavicini, Ulst. du Conc. de Trente, t. II, lib. IX, cap. iii, p. 3, 17.

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François Golonna, dans son manuscrit intitulé : Hommes ilhis- t7'es de la Corse (1).

Pour prouver que Cahn peut bien être ici un nom de famille, nous nous contenterons de citer quelques autres Pères de ce con- cile, qui étaient égaloment des Mineurs de l'Observance, et dont le nom de religion est suivi de leur nom de famille. Nous trouvons, en effet, sur cette même table, les noms de François Quinonhis, général des Mineurs ; Vincent Lunello, Espagnol ; Auge Guisti- niani, de Gènes; Antoine Pagani,^Q Venise ; Jacques Allain, Français, etc. (2).

Enfin, la Table générale des généraux de l'Ordre Séra- phique, dressée en 1884, dans laquelle nous voyons que sur les 101 généraux qui ont succédé à saint François, 33 seulement portent leur nom de religion avec celui de leur pays natal, et 68 leur nom de religion, suivi des noms de famille et de leur pays natal; en voici d'ailleurs quelques-uns qui mettront nos lecteurs à même de juger de visu.

En 1500 Egidius Delphinus de Amelia, Italus.

1506 Romualdus Gratianus^ à Gotinila, Italus.

1510 Philippus Porcacius, à Baguacavallo, Italus.

1523 Franciscus Quinoniiis de Luna, Hispanus, etc.

1529 Paulus Pizotus, à Parma^ Italus, etc.

1535 Vincentius Lunelliis, Hispanus, etc.

1541 Joannes Calvus, Italus Provinciœ Corsicœ»

1792 Joachim Campany, Hispanus, etc.

1814 Gaudentius Petrignani, à Goziano. Que si on nous objecte les constitutions franciscaines, qui obli- gent les religieux' de cet ordre à faire suivre leur nom de religion du nom de \t.\xv pays natal, nous répondrons que cette obligation ne vise que la signature des lettres ou des titres, nello scrivere lettere e iitoli, écrits par eux, et nullement les historiens et les chroniqueurs qui écrivent la vie d'un des religieux ou qui compo- sent une éiâtaphe pour son tombeau ; nous voyons, en effet, les historiens joindre le nom de famille au nom de religion des mem- i>res tant soit peu célèbres de cet ordre. Sans aller bien loin, nous nous contenterons d'en trouver la preuve dans le Catalogue bio- graphique des Eoêques connus d'Ajaccio, que nous trouvons

(]) Hist. du Conc. de Trente, Edition Migae, t. III, p, 1027.

(2J Manuscrits du Concile de TreQte, liiii, p. S'y). Bibliothèque Mazariue.

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dans VOrdo de ce cher diocèse, et dans lequel nous voyons un certain nombre d'évêqucs observaniins inscrits sous leur nom de religion, accompagné de leur nom de famille:

1420, Paul A^^^erh"; 1598, Philippe Pa/^awmz; 1498, Pierre S^nnola; 1772, Mathieu Guasco.

Nos lecteurs ont pu remarquer que nous avons dit, au com- mencement de cette digression grammaticale, que Calvo pourrait être un nom de famille; nous nous garderons bien, par pure sa- gesse, de l'affirmer: les variations des noms de lieu en latin étant si fréquentes, surtout si défectueuses à cette époque, nous pré- férons nous tenir sur la réserve ; mais même en admettant que, dans le cas présent, Calvus veuille signifier un habitant de Calvi, il ne s'ensuit pas que tous les Calvo et les Cahn que nous trou- vons dans l'histoire ne désignent que des habitants de cette ville et qu'ils n'aient pas une autre signification ; sans quoi il faudrait dire queBénévent, Ghevreuse et Aumale n'éveillent que l'idée des villes de ce nom, sans faire songer aux personnages illustres qui les portent comme leur glorieux nom de famille.

Par conséquent, en concédant que Calvo ici signifie un habitant de Calvi, nous maintenons que, dans les autres cas cités par M. Peretti, il signifie un nom de famille. Nous en donnons des preuves plus loin.

Pour prouver que le mot Calvo ou Calvi est ici un nom de lieu, M. Peretti cite les noms de trois capitaines qui se trouvaient |dans une expédition aux côtés de Christophe Calvo: ce sont Jacques Correto, Antoine Ceva et François Carmagnola; or, dit-il, Ceva, Correto et Carmagnola étant des noms de localités,, Ca/t;o ou Calvi doit l'être aussi.

Nous répondrons que ces exemples ne prouvent rien par la raison bien simple que, dans ces trois noms, nous nous trouvons en présence de terres qui étaient des fiefs de dignité donnant droit à des titres nobiliaires; c'étaient en efiet le marquis de Correto, le marquis de Ceva et le comte Carmagnola ; c'est ainsi que nous avons, en France, le duc de Broglie qui tire son nom de son domaine de Broghe, dans l'Eure; le marquis d'Espeuilles, qui tire le sien de sa terre d'Espeuilles, dans la Nièvre, et le baronde Goulaioe, du nom de sou château dans l'Indre-et-Loire.

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Tandis que Christophe Colomb, n'étant pas noble et n'ayant pas le nom patronymique de C.alvo, ne pouvait pas s'appeler du nom de sa ville natale, mais seulement de son nom de famille puis- qu'il en avait un. Pour ce qui est de l'exemple qu'il nous cite de Mgr Jean-Luc Moncalvo, il est facile de constater que la compa- raison manque de parité et que par conséquent elle ne prouve rien.

Ainsi, du côté deGiovan Luca MoJicalvo, nous trouvons d'abord qu'il avait gardé en Italie son nom de famille Mon, tout court ; qu'il avait ensuite ajouté à ce nom celui de Calvo, sa ville natale, lors de son élévation à l'épiscopat, et en cela nous trouvons qu'il a eu plus de goût que le prélat dont parle Boileau

, . . Qui fit au dos d'un carrosse

A côté d'une mitre armorier sa crosse ;

et qu'il avait enfin gardé, le restant de sa vie, son nom ainsi agré- menté.

Du côté de Christophe, au [contraire, nous ne voyons que son Dom de Ibaptême accompagné du qualificatif Calvo: de plus, il aurait ajouté ce qualificatif, dès qu'il aurait pris du service dans la marine génoise; et bref, il l'aurait perdu à une époque inconnue de sa vie. Au lieu de prouver la thèse de M. Peretti, cet argument serait plutôt de nature à l'infirmer, puisqu'il nous montre un habitant de Galvi conservant, en Italie, son nom de famille, Mon, contrairement à l'usage de ses concitoyens et à la théorie préconi- sée par l'auteur, et ne l'agrémentant du nom|de sa patrie, que le jour il reçut la mitre épiscopale.

Si xM. Peretti insiste en nous citant des Corses voyageant à l'é- tranger aux quinzième et seizième siècles, qui ne portaient que leur nom de baptême suivi de leur nom d'origine, tels que Sampier di Bastelica, Pietro Cirneo (de Cyrnos, ancien nom de la Corse) et les seigneurs de Felge, nous lui ferons respectueusement remar- quer que ces personnages ont conservé dans l'histoire leur nom d'origine ; Christophe Colomb et les membres de sa famille font seuls exception à la règle, puisque depuis son retour d'Amérique ni lui, ni son fils, ni ses frères, ni ses historiens ne font jamais mention du nom de Calvo, sous lequel, d'après M. Peretti, il se serait fait inscrire, à l'exemple de ses frères et de son oncle, dans la marine génoise, sous lequel aussi ils étaient connus de 1420 à 1477. Pourquoi cette exception? n'est-elle pas étrange?

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Aurait-il, à un moment donné, dédaigné de conserver le nom de sa patrie ? Il semble au contraire que son vieux nom de guerre Calvo, ayant été à la peine, méritait, comme l'oriflamme de Jearme d'Arc, de se trouver aussi à l'honneur. Pourrait-on nous dire, au moins, à quel endroit de ses voyages, à quelle époque de sa vie il a perdu son nom, comme un accessoire inutile, à l'instar du fleuve dont parle le Dante ?

Laddove il nome suo diventa vano.

Mais non: disons tout simplement que Calvo ou Calvi est ici un nom de famille ; en voici plusieurs preuves : la première, nous la trouvons dans Foglietta; cet historien en effet, nous parlant d'une escadre destinée, en 1477, à faire la poursuite aux Catalans qui infestaient les côtes de Gènes, nous donne les noms de baptê- me et de famille des trois capitaines qui la commandaient : c'étaient Benoît Spinola, Grégoire Ceniurione et Jean-Baptiste Calvo ou Calvi; or, quel est le lecteur qui oserait prétendre que Spinola, Centuynone et Calvo ou Calvi sont ici des noms de lieu et non pas des noms de famille ?

La seconde, nous la trouvons dans Gallo, qui'nous apprend que le commandement de cette flotte était confié par rang de classe, aux nobles d'abord et aux plébéiens ensuite; nous trouvons J.-B. Calvo parmi les nobles; mais la famille de Gh. Colomb était tout à fait roturière !

Trirèmes per ordines civibus aitrihidœ : Nobiles Benedictus Spinola^ GregoriusCeniu7'io, Johannes Bapiista Calvus fuere.

Plebeji, Fransciscus Montaltus, Andréas Albanus (1).

La troisième, nous la trouvons dans les Archives italiennes; ainsi nous trouvons, dans celles de Gênes (1502), Lazare 6'a^f2, peintre de talent; dans celles de Venise (1405), Antoine Çalvo; dans cel- les de Ravenne (1527), Maxime-Fabien Calvo; dans celles de Bergame (1576), Donat Calvi; dans celles de Crémone (1664), Jean Calvi, etc. (2;. Nous passons sons silence leurs professions et leurs titres, pour ne pas fatiguer nos lecteurs. Nous trouvons la confirmation de notre explication dans Giustiniaoi; après avoir raconté le retour d'Espagne des ambassadeurs génois qui apportè-

{l)Gallo, de Rehus Gen.. p. 281.

{t) Trésor des ilores rares et précieux, par Graesse, t. II, p. 22-23; et Biographie universelle, par Michaud, t. XVl.

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reot la nouvelle de la découverte du Nouveau-Monde par Christophe Colomb, l'auteur dit que le roi de France avait conçu le projet de reconquérir le royaume de Naples qu'il croyait lui appartenir, par suite d'un testament de la reine Jeanne qui l'avait donné à Carlo Eliajio Calvo, genovese.

Enfin, actuellement encore, il existe plusieurs familles Calvo et 6'a/^^■ dans diverses villes d'Italie, à Gènes et à Vicence, à Pise et à Milan, à Florence, à Ber^anie, à Fort-Maurice, etc., etc. (1).

Indépendamment de ce que nous venons de dire, pour nous convaincre que ces deux noms Colomb et Calvo forment deux familles parfaitement distinctes, nous n'avons qu'à ;nous reporLei aux dates auxquelles elles apparaissent dans l'histoire.

Nous trouvons d'un côté, en 1420, un Christophe Calvi, déli- vrant Bonifacio ; en 1435, un Jacques Calvo, ravitaillant Gaëte ; en 1442, un Antonio Calvo, allant au secours du roi René; en 1477, un Jean-Baptiste Calvo ou Cakn, faisant la chasse aux Catalans; enfin, en 1481, un Barthélémy Corso, en guerre contre les Turcs.

D'un autre côté, en 1459, nous trouvons un Christophe Co- lomb, un Barthélémy Colomb et un Jacques Colomb en guerre, au service de Gênes, pour aider Jeaa, duc d'Anjou, à reconqué- rir le royaume paternel de Naples, contre les Mahométans et les Vénitiens. Or, si ces deux noms constituent la même famille, il en résulte une conséquence qui bat en brèche la théorie de M. l'abbé Peretti, à savoir : que sa famille calvaise, tout en voyageant hors de la Corse, tout en combattant dans la marine génoise, ^tout en ayant des capitaines inscrits sur les registres de cette ma- ynne, et cela depuis l'année 1457 jusqu'à l'année 1481, aurait bel et bien conservé son nom de famille, Colomb.

Par conséquent, il est impossible à M. Peretti d'échapper au di- lemme suivant : il est obligé, ou de convenir que la famille Calvo

(1) Nous trouvons, dès J'année de Rome 072, un Licinius Calvo, orateur et poète distingué, qu'on a opposéà Gicéron et à Catulle. H y a plus; parmi les quatre cents membres qui composaient le Grand Conseil de Gênes en 1377, nous voyons figurer un Jean-Baptiste Calvo et un Barthélémy Calvo, fils de Jérôme; Q. Iliéroivjmi ; et tous ces magistrats étaient choisis dans la noblesse, « e.r unèverso Nobiidalis ordiiie eli- gimus. »

Thésaurus ant. A. Histor. Ital, t. I, pars posterior, p. 1498.

«Ce fut Elien Calvo, un Génois, qui découvrit le testament de la reine Jeanne, resté caché depuis plusieurs années. » lieyinœ lesiamentum, quod pcv multos annos la- t lierai, Elianus Calvus Genuensis delevit. (Muratori, K. ital. Script., t. XXIV. p. 538.)

~ 40

el la famille Colomb sont deux familles distinctes, ou de renoncer à dire que la famille Colomb avait changé son nom contre celui d'un nom de pays.

Or, dans l'un comme dans l'autre cas, Christophe Colomb, n'appartenant pas à la famille Calvo et n'ayant jamais troqué son nom de famille contre un nom quelconque de lieu, rien ne prouve qu'il soit originaire de Calvi.

Pour ce qui est de Barthélémy Corso, dont M. Peretti veut à tout prix faire un Galvais, nous lui ferons observer que s'il avait été de Calvi, il lui eût été plus naturel de prendre le nom de Calvo ou Calvi, à l'exemple des membres de sa famille, d'autant plus que ce titre lui donnait droit aux privilèges dont il a été question plus haut; or. s'il s'est contenté de s'appeler Corso, c'est qu'il était tout simplement de la Corse sans pour cela être de Calvi; par conséquent, n'ayant aucun hen de parenté avec la famille Calvo sus-nommée, il en résulte que Christophe Colomb n'était pas son frère et conséquemment pas de Calvi.

XI

Et puis, avouOQS-le, il en coûte à notre religieuse admiration pour le grand caractère' du héros chrétien, qui, nous l'espérons, recevra les honneurs des autels (1), d'en faire un caméléon qui change de nom en changeant de milieu : qui s'appelle Christophe à Calvi, Calvo à Gènes, Colon en Espagne, Colomb aux Indes, et de le voir ainsi tomber dans la catégorie des personnes « qui por- tent trois noms, de peur d'en manquer ; un pour la campagne et pour la ville, pour les lieux de leur service ou de leur emploi (2)».

En fait de changement de nom nous n'acceptons que celui qu'il jugea à propos de faire en Espagne, ainsi que nous l'apprend don Fernand.

Et maintenant, qu'il nous soit permis de faire deux remarques d'un ordre purement intime, mais dont la délicatesse et la gravité trouveront, nous en sommes sûr, un écho dans les cœurs nobles et généreux.

Eh quoi! Le vieux Jacob, mourant sur la terre d'Egypte, de-

(1) La Scma//?/^ r<?/(7i>//se de Paris, du 29juin dernier, annonçait que M. le comte Roselly de Lorgues a reçu, eu cour de Home, la mission officielle de « postulateur m pour la cause de Béatification du grand Amiral.

(2) La Bray ète, De (juelf/ lies iisagex.

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mande à être enterré dans le pays de ses pères, sepelite me ciim patribus meis. Le héros de Virgile, percé d'un trait mortel dans les champs des Latins, se souvient amoureusement de sa douce patrie :

...Et dulces moriens reminiscitur Argos.

Napoléon, sur son rocher de Sainte-Hélène, tourne son regard ému vers c<sa chère Corse, qu'il reconnaît à ses sites agrestes et à l'odeur de ses parfums ».

Christophe Colomb seul, s'éteignant en Espagne, n'a ni une parole, ni un souvenir, ni un regard pour Calvi. Non, non ; nous ne comprenons pas un héros qui meurt sans patriotisme, et ce héros ne saurait être un Corse.

Ah! c'est que, suivant la pensée de l'Évangile : Vbi thésaurus vester est, ibi et cor vestrum erit, le trésor de Christophe Co- lomb, — lisez son berceau, se trouvait ailleurs qu'à Calvi, nous voulons dire sur le continent génois, puisque les derniers batte- ments de son cœur ont été pour Gênes, ainsi qu'il résulte de son testament et de sa lettre aux seigneurs de la Banque de Saint- Georges, quoique l'authenticité de ces documents ait été contes- tée (1).

' (1) M. l'abbé Perelti nous ayant habitué à de trop graves inexactitudes, parlafaute- de ses sources, comme nous voulons bien le croire, nous avons tenu, pendant la cor- rection de nos épreuves, à nous assurer de la valeur des objections qu'il a soule- vées contre le testament de G. Colomb ; or, ces objections sont sans fondement et le codicille du grand navigateur est partaitement authentique.

Et d'abord, faisons remarquer ici à -M. Peretli et à nos lecteurs que ce n'est pas dans son le<'tament que C. Colomb a déclaré « être dans la ville de (Jênes », mais dans Vacie par lequel il instUua un majorai, le 22 février 1498, en vertu d'une autorisa- tion des rois catholiques, du !23 avril 1497.

L'acte instituant le majorât est resté comme tous les actes notariés passés, présents et futurs, aux mains du notaire ; on ne pourrait en avoir que des expéditions ou copies.

La première expédition de cet acte important et des actes ^des dernières volontés de C. Colomb par lui exprimées dans le codicille de Ségovie, le ?o 'août 1505, a été de- mandée et obtenue par dom Diego, son lils, le 22'avril 1524 , et Pedro de Azcoylia, notaire royal et successeur immédiat de celui qui avait reçu les dernières volontés du grand amiral, en lui remettant cette expédition, ajouta que les pièces attribuées à C. Colomb étaient écrites de la propre main de ce dernier : Estaba escrlpta de la le- ira propria del dlclio D. Cristobal.

L'une de ces copies a de tout temps été conservée aux archives des Indes, à Séville (Est. I. G I. L. P.). L'autre copie se trouve à Gênes, aux archives d'Etat. {Filza poti- ticornm, marzo 3, n" 19.)

Et maintenant voici une preuve évidenle en faveur de l'authenticité de ce document. Nous la trouvons dans ce fait qu'aux seizième et dix-septième siècles, époque per- sonne n'avait intérêt à la contester, cette ^authenticité était juridiquement reconnue.-

En effet, quelques prétendants ayant contesté l'authenticité de l'Institution dumajo

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On sait combien les hommes en général et les Corses en parti- culier, après s'être enrichis ou illustrés à l'étranger, ont à cœur de retourner dans leur patrie, d'y séjourner, au moins un certain temps, et d'y laisser quelque souvenir important. Or, nous ne

rat, le grand conseil des Indes repoussa leur dire et reconnut la validité de cette pièce.

De plus, comme on objectait que G. Colomb, en 1S02, avait exécuté, par-devant notaire, une autre disposition du majorât, acte qui primait celui de d498, et que l'exemplaire del'institution de 1498 portait une notule abrogeantce dernier acte et quel- ques lignes batonnées ; le conseil des Indes, sans même s'arrêter à considérer que cette interpellation n'était pas de la maiu de G. Golomb, et que les ratures avaient clé faites récemment, en l'absence même de l'Institution de 1502, se reporta forcément aux actes de 1498, 1505 et 1506.

« Ge sont ces trois derniers documents, remarque M. llarrisse, qui servirent de base aux arrêts des l" avril 1605, 22 décembre 1608 et 16 juin 1790, arrêts qui fixèrent, d'abord dans la maison de Portugal, puis dans celle de Larreategui, l'héritage de Christophe Golomb. ^^{Christophe Colomb, t. Il, p. loT.)

Les originaux, les expéditions légalisées, les minutes simples et Vlnsfitutlon du majorât, se trouvent actuellement entre les mains de dom Colon, de la Gerda, duc de Veragua et de la Vega, à Madrid.

Gomme on le voit, l'authenticité de ce document de G. Golomb a été parfaitement reconnue et établie au seizième siècle.

Arrivons maintenant aux objections formulées par M. l'abbé Peretti.

Ge document, dit il, doit être considéré comme faux : parce qu'il n'est ni daté, ni véritablement signé; parce que D. Fernand n'en parla en aucune façon ; 3" parce que la Banque de St-Georges n'a jamais demandé l'exécution de la clause qui lui ac- cordait un dixième des revenus du grand amiral; parce qu'il n'a été montré et connu que plus de soixante-dix ans après la mort du héros.

Nous répondons à la première objection en disant que l'absence de date et de signa- ture en règle peut bien entacher un testament de nullité légale, mais qu'elle ne sau- rait détruire son authenticité au point de vue historique.

11 y a quelques mois, nous avons été institué exécuteur testamentaire'; quelle n'a pas été noire surprise, en ouvrant le testament olographe, de constater que le testateur avait oublié de le dater; eh bien! quoiqu'il y eût une cause de nullité, les héritiers, reconnaissant l'écriture du défunt, passèrent outre et procédèrent à la liquidation de la succession sans la moindre contestation.

Pour ce qui est de la signature, nous pouvons répondre que G. Golomb signait de différentes manières : tantôt Chrislophorus, tantôt XpoferefiS, taniàt el Almirante^ c'est cette dernière qu'il a mise au bas de son majorât. Et puis, en admettant la falsifi- cation de cet acte, pourrait-on supposer que celui qui l'aurait fabriqué eût été assez naïf pour employer un nom dont la nouveauté seule aurait servi à en déceler [la faus- seté? Non, cette objection ne mérite aucune considération : disons-le une fois pour toutes, ce testament a puêtre regardé par quelques-uns comme nul, mais jamais per- sonne de sérieux ne l'a supposé aprocryphe.

Nous répondons à la seconde en disant que du moment que D. Fernand affirme avoir puisé la matière de ses histoires dans les écrits laissés par son père, nous avons le droit de comprendre l'institution du majorât au nombre de ces écrits. Il n'avait pas besoin de citer par le menu tous les écrits de ^son père dans lesquels il avait puisé ses renseignements.

Nous répondons à la troisième que la Banque de Saint-Georges a parfaitement ré- clamé l'exécution de la clause testamentaire, par une lettre adressée à Diego Colon, le 8 décembre 1511, lettre reproduite par Bordoni, dans l'introduction qu'il a faite à la nouvelle édition des Historié.

Nous répondons enfin à la quatrième en disant que si ce document n'a paru devant un tribunal que soixante-dix ans après la mort de G. Golomb, pour les besoins d'un procès, il n'en est pas moins vrai qu'en 1524 il a été vu, connu et délivré copie au-

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trouvons rien de ce genre à Galvi, de la part de la famille de Chris- tophe Colomb; cette famille, pourtant, ayant reçu de lui tout son lustre, avait l'impérieux devoir d'entourer de respect et d'honneur son glorieux berceau :

In te omnis domus inclinata recumbit.

thentique, en présence de l'alcade Juan de Avila, parle notaire Pedro de Azcoytia, au chambellan de Diego Colon, ainsi que nous l'avons dit plus haut.

Et puis, le fait qu'un testament ne paraît en public que plusieurs années aprèslà mort duteslateurn'est pas une preuve contre son authenticité: un testaraentétant desa nature destiné à demeurer soigneusement renfermé, soit dans les archives tabellionnaires. soit dans les papiers de famille, on ne le produit un public qu'à propos d'une action judiciaire pour attester ou pour défendre des droits méconnus : c'est ce qui est arrivé pour celui de C. Colomb; il est resté pour ainsi dire inconnu, tant que personne ne l'a invoqué pour l'attaquer ou pour s'en prévaloir, mais il a été produit au grand jour, à l'occasion d'un procès qui n'a fait que reconnaître et confirmer son authenti- cité.

D'ailleurs, si ce document avait été apocryphe, le duc de Veragua ne serait pas universellement reconnu comme l'héritier légitime du grand amiral. Donc il est par- faitement authentique, donc quand il y est dit que le grand emiral est à Gênes, cela est parfaitement vrai; donc il n'est pasnéà_,Caivi. (Voir pour de plus amples éclair- cissements H. Harrisse: C. Colomb, son origine, sa vie, etc., t. 11, p. 148 à 163.)

Puisque nous avons occasion de parler ici du majorât de G. Colomb, faisons aussi remarquer que le testament de son fils ne fait aucnne mention de la Corse.

En etï?t dans le testament de don Fernand Colomb, quel'éminent critique et l'infa- tigable chercheur américain, Harrisse, a publié, nous lisons que le testateur fait des legs à des Génois connus, à la ville de Gènes, aux religieux de l'Observance de Rome, à des Français, etc., etc.; il demande qu'on mette à la disposition des marchands gé- nois. Génoveses mercacleres, les livres de la bibliothèque colombine qu'il avait fondée lui, D. Fernand Colon, fils de D. Christophe Colon, Génois, de lihraria Fernandina que insiituyo D. Fernando Coton, hojo de D Xpval, Colon, Genovès , tandis que nous avons cherché en vain un souvenir, un mot pour la Corse.

iNous ferons remarquer, à propos de l'expression génois, que ce qualificatif n'était donné, à cette époque, qu'aux citoyens natifs du continent, et nullement aux habitants des colonies, comme la Corse ; actuellement encore, on appellera Français et Anglais deux citoyens originaires des ces deux nations, tandis qu'on dira simplement un Al- gérien, un Irlandais, de deux individus natifs de l'Algérie et de l'Irlande, quoique ces deux provinces soient sous la domination de la France et de l'Angleterre, l'ar consé- quent, lorsque Ch. Colomb et son fils se disent Génois, ils ont bien la pensée d'indi- quer leur pays d'origine et non de politique.

D'ailleurs, ayant conservé une pénible impression du Sénat de Gènes qui, d'après Me Peretti, l'avait traité de visionnaire, Christophe Colomb, s'il avait été réellement Corse, n'aurait pas manqué de se dire tel et de procurer ainsi à son île natale une gloire qui n'aurait pu lui être disputée par la dédaigneuse république.

Disons en terminant cette trop longue note (nous n'en finirions pas si nous voulions opposer toutes les objections qui se pressent dans notre esprit) qu'en rappelant le procès retentissant qui eut lieu au sujet de ce testament, en i578, M. l'abbé Peretti nous fournit, sans s'en douter, une arme terrible contre lui. Ce procès, en effet, que nous avons étudié attentivement dans le Mémorial del pleylo (mémoire du procès), nous révèle les prétentions de plusieurs familles du continent italien qui, se disant parentes ou alliées de l'illustre défunt, réclamaient leur part dans son héritage ; or, il nous a été impossible de découvrir dans ce précieux document aucune réclamation venant de la Corse, la raison en est bien simple; c'est que cette île, n'ayant aucun lien de parenté avecC. Colomb, n'avait rien à réclamer dans sa succession.

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Mais non, elle n'en fait jamais mention; aucun document, du moins, ne le prouve.

Donc, si nous ne lui faisons pas l'injure de croire qu'elle avait oublié

Que la patrie est chère à tous les cœurs bien nés,

nous sommes obligé de conclure qu'elle n'est pas originaire de Calvi.

Loin de nous la pensée de dire de notre vénéré confrère ce que Tauteurde la Henriade disait d'un certain ecclésiastique de son temps :

Monsieur l'abbé vous entame une histoire, Qu'il ne croit point, mais qu'il veut faire croire.

Nous avons une trop grande opinion de sa sincérité pour en douter un seul instant; seulement il nous semble:

l** Que, du moment qu'il n'attache aucune foi au testament de Christophe Colomb, parce qu'il n'est ni daté ni signé, la logique aurait l'obliger à traiter de même un autre document, qui n'est ni daté ni signé, qu'il attribue, a d'après la qualité du papier fl), au commandant Buochberg, et dans lequel il découvre un témoi- gnage de la tradition corse et calvaise (2) » ;

i2o Que, du moment qu'il n'a aucune confiance dans les récits de Gallo, Foglietta et Giustiniani, il devrait, au moins, se garder bien d'emprunter à ces chroniqueurs certains témoignages favorables à sa thèse comme, par exemple, la profession de cardeur de laine des parents de l'Amiral, profession niée formellement par don Fernand ;

S'' Que du moment qu'il savait par [les pièces produites par M. H. Barrisse, dans son Chynstophe Colomb et la Corse, que ja- mais la famille Giubega n'a eu en sa possession ni vu l'acte de naissance de l'Inventeur des Indes, il aurait s'abstenir de citer la Revue de Paris de 1841, dont l'article puisait toute sa force dans la soi-disant découverte de ce document. Ce sont assuré- ment de regrettables distractions qui seraient de nature à nuire à la véracité de l'histoire, sans compromettre pour cela la loyauté de l'historien.

(i) Pages 126, 331. (2) Page 334.

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Nous nous résumons : si le fils, les amis intimes et les auteurs contemporains de Christophe Colomb et ceux qui, dans la suite, ont parlé de lui en prose ou en vers, s'accordent à le faire naître sur le continent génois ; si l'unique famille que nous trouvons à Calvi n'est qu'un simple rameau du grand arbre généalogique qui recouvre presque toutes les localités de la Ligurie ; si la rue del Filo n'a aucun rapport avec la famille de l'Amiral, et si la rue Colombo n'est qu'un tribut d'hommage payé à un citoyen de la métropole ; si les deux traits caractéristiques, mers et rivières n'appartiennent pas en propre à cette ville, et si le mot rivières lui est même complètement étranger ; si le silence et les sous-en- tendus des historiens, corses ou étrangers demeurent sans valeur; si l'Élégie à la Corse et les vers de quelques poètes ne sont que le produit d'imaginations qui ont pris leurs désirs pour des réa- lités; si le Tonina existe ailleurs que dans les eaux de Calvi, 'et si les chiens que l'on trouve en Amérique, à la suite de Christo- phe Colomb, ont pu y avoir été transportés par d'autres que par des Corses , si les quelques Calvais que nous voyons aux Indes n'ont fait qu'imiter l'émigration de tous les peuples des côtes ; si rien ne prouve que le Sénat de Gènes ait rejeté les propositions du futur navigateur parce qu'il était Corse; si les mots Calvo ou Calvi sont ici, non pas des noms de lieu, mais des noms de fa- mille, ainsi que cela a été démontré par des arguments irréfutables, il s'ensuit qu'il ne reste plus, en Corse, de Christophe Colomb, que

Magni nominis umbra,

et deux vaillants champions qui ont fait, en pure perte, des efforts héroïques pour transformer cette ombre insaissisable en une pa- triotique réalité.

Nous terminons cette étude sur l'ouvrage de M. l'abbé Peretti, en répétant qu'il témoigne d'un sérieux travail de patience et de patriotiques efforts, ce dont nous devons lui savoir gré ; mais nous avons le regret d'avouer, dans notre sincérité, que, malgré tout notre désir û*y trouver des arguments convaincants en faveur de l'origine calvaise de Christophe Colomb, nous sommes forcé de reconnaître que ceux qui nous ont été présentés ne sont guère de nature à dissiper nos doutes et à entraîner notre adhésion.

« L'histoire, dit M. Guizot, repose sur deux bases : les docu-

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ments positifs sur les faits et les personnes ; les vraisemblances morales sur reochaînement des faits et l'action des personnes (1). » Or, dans la tentative que M. Peretti vient de faire pour prouver Torigine calvaise de Christophe Colomb, nous ne trouvons ni un document positif ni une vraisemblance morale en faveur de celte origine ; nous voyons au contraire que tous les documents positifs et toutes les vraisemblances morales protestent énergiquement contre une pareille prétention. De sorte que, après comme avant la lecture de ce livre, assurément bien curieux, nous nous trou- vons à 'endroit du berceau de l'illustre navigateur, du moins pour ce qui concerne la Corse, dans la même disposition d'esprit que le patriarche de la Bible qui espérait la lumière après les ténèbres,

Post tenebras spero lucem.

Les anciens avaient divinisé l'Histoire : ils en faisaient une muse sous le nom de Glio, et la présentaient couronnée de lauriers, une trompette dans la main droite, un manuscrit dans la main gauche.

Plus modeste que cette pompeuse fiction, M. l'abbé Peretti se contente d'avoir

Un fil dans une main et dans l'antre un flambeau (2).

Malheureusement, son filo est bien trop court pour coudre la gé- néalogie de C . Colomb, et son flambeau ne jette aucune Lumière sur le berceau du grand Amiral.

Il nous 1 reste donc à souhaiter que notre infatigable confrère poursuive ses recherches afin de découvrir, ce qui nous semble bien difficile, des documents plus probants.

Ajoutons cependant, en finissant, que la Corse possède assez de gloires, solides comme le granit de ses montagnes, éclatantes comme le soleil qui fait fleurir ses orangers, notoires comme la bravoure de ses enfants, pour ne pas en disputer une nouvelle aux probantes, au doute et au mystère. Elle n'a, d'ailleurs, qu'à s'arra- cher aux factions politiques qui la déchirent, l'énervent et la corrompent ; qu'à éteindre ses discordes, ses haines et ses vengeances; qu'à se recueillir, travailler et prier, afin d'enfanter de nouvelles illustrations et de prouver ainsi que, si elle n'a pas produit Christophe Colomb, elle serait capable d'un si sublime effort et digne de lui avoir donné le jour.

(1) Méditalio7i sur r essence de la relif/iun, p. 3:24.

(2) Deliste.

APPENDICE

En écrivant à la page 77 de notre seconde brochure « que les mots CaniCoïsi signifient bien des chiens courageux et féroces », nous n'avons pas prétendu que corsi ne veut pas dire, corses, de la Corse, mais seule- ment qu'en Italien, quand on ditcaui corsi, on entend des chiens féroces, qui ont les instincts des chiens de race corse. Or comme cette race est aussi répandue en Italie que la race des chiens des Alpes ou des Pyré- nées l'est dans les diverses contrées de la France, Christophe Colomb aurait pu s'en procurer dans la péninsule Italique sans les faire venir directement de la Corse et sans pour cela être en Corse. D'ailleurs los perros bravissimos de Las Casas tranchent définitivement la question.

On nous a objecté que dans notre ouvrage Trente jours à la campagne , page 68, nous avons admis l'origine calvaise de C. Colomb ; donc, nous dit-on, vous êtes en contradiction avec vous-même!

Nous répondons qu'il n'y aurait rien d'étonnant à ce que nous nous soyons trompé, surtout quand on entend la Sagesse des Nations nous dire: Errare humanum est ; quand on entend le Prophète royal s'écrier: Erravi slcut ovis quœ periit, et quand on voit saint Augustin mettre sa gloire à écrire le livre des Rétractations.

Nous répondons que n'ayant pas encore lu l'ouvrage de M. l'abbé Casanova (celui de M. Peretti n'étant pas encore paru), nous avons été trompé, comme bien d'autres, par les comptes-rendus erronés qu'en a donnés le journal le Conservateur ; c'est à la suite de ces comptes- rendus que nous écrivions en 1885 : «Il résulte des récentes découvertes de M. l'abbé Casanova que Christophe Colomb est à Calvi.

Par conséquent, s'il y a eu contradiction matérielle sous notre plume, il n'y a pas eu contradiction morale dans notre pensée. Dès que nous avons vu clair par nous-môme, nous n'avons pas hésité à sacrifier l'ombre à la réalité.

Poitiers. Imp. Bi.ais, Roy et Gic, rue Victor-Hugo, 7.

Lettre de M. le comte Roselly de L.or^ues

CHOISI PAR PIE IX POUR ÉGUIRE LA VIE DE CHRISTOPHE COLOMB

Paris, 20 juillet 1889.

Monsieur l'Abbé,

Tandis qu'en Corse, à la suite des recherches bibUographiques de MM. les curés Casanova et Peretti, décernant à Calvi l'honneur d'avoir vu naître Christophe Colomb, les populations restent émues, et qu'une patriotique exaltation organise des comités, prépare de souscriptions pour mieux solenniser cette nouveauté, l'accréditer au loin, la transfor- mer finalement en réalité historique, il est consolant de rencontrer un esprit droit et ferme, sachant résister à l'enthousiasme irréfléchi des foules, et qui, sans autre souci que l'amour de la vérité, lui sacrifie résolument ses affinités, l'affection du sol natal et ses propensions naturelles.

Il faut une rare vigueur morale pour demeurer inébranlable dans son sentiment, malgré le courant de l'opinion, la puissance du nombre. Je viens. Monsieur l'Abbé, de lire avec le plus grand intérêt votre écrit non moins lucide qu'érudit, intitulé : le Berceau de Christophe Colomb et la Corse.

Avant d'entrer dans aucun détail sur les mérites de cette docte dis- sertation, qu'on peut dire un modèle de discussion courtoise, permettez- moi de vous féUciter d'abord de votre courage, de votre intrépide dé- fense du vrai, de saluer cette noble droiture d'esprit qui, s'élevant au-dessus des ambitions locales, des suffrages, ^des considérations de personnes, ne voit premièrement et par-dessus tout que la vérité pure, la vérité, lumière inséparable de nos destinées immortelles, qui est aussi le flambeau de l'histoire et sans laquelle il ne reste aux mains que la torche du mensonge éclairant la chute de nos pas dans l'erreur.

Vous avez certainement mesuré la violence de l'opposition qu'allait soulever votre franchise ; mais un intérêt supérieur aux exigences d'un patriotisme aveugle a guidé votre plume, et vous avez très judicieuse- ment élucidé la question du berceau de Christophe Colomb, en recon- naissant que malgré les inductions présentées, les documents nouveaux exhumés, les textes anciens torturés ou tronqués, aucune preuve n'éta- blissait péremptoirement que le Révélateur du globe fût à Calvi.

Pour mon compte, si je ne puis être d'accord avec M. l'abbé Peretti,

II

je ne saurais pourtant lui refuser mes sympathies; j'ai loué ses inten- tions, ses laborieuses recherches, sa généreuse persévérance. J'honore son caractère et ne serais pas surpris, au fond, qu'en son for intérieur, il ne s'agitât quelque doute sur la valeur de son objectif. Ce n'est point vainement qu'il a intitulé Mystère la première partie de son livre, et je ne pense pas que la dernière l'ait totalement éclairci.

Au demeurant, Monsieur l'Abbé, votre travail est un service véritable rendu à la Corse, car il tend à modérer les emportements d'un zèle imprudent, à prévenir des manifestations prématurées qui pourraient tourner à la confusion de leurs auteurs et à épargner ainsi aux Galvais une déception humiliante.

Véritablement, en dehors de l'île de Corse, personne n'a cru Christo- phe Colomb à Calvi. On a beau faire du bruit, illuminer, tirer des pé- tards, se parer du décret présidentiel, nul bibliographe, nul archiviste ne concède à la {.Corse le berceau du Héros des mers. La prétention de Calvi n'ajoute qu'un numéro de plus à la série des villes et des villages qui revendiquent Christophe Colomb.

En résumé, votre écrit, remarquable d'érudition, de clarté, de logique, est, à mon sens, mieux qu'une simple œuvre littéraire : il constitue un acte de courage et d'un patriotisme supérieur.

Recevez-en mes félicitations sincères, et veuillez agréer, Monsieur l'Abbé, les sentiments respectueux de votre obéissant et dévoué serviteur,

Comte RosELLY de Lorgues.

Wiettve de 31. Pletri, a^iicieu sénateur.

Villa Nointet, par Presles (Seine-et-Oise), le 16 juillet 1889.

Monsieur le ViCAmE et cher Compatriote,

On me transmet à la campagne la brochure sur le Berceau de Chris- tophe Colomb, que vous avez bien voulu m'adresser h Paris.

J'ai lu de suite votre travail, et j'ajoute que je l'ai lu avec le plus vif intérêt.

Après vous avoir lu, il n'est plus possible de se faire la moindre illu- sion sur la véritable patrie du grand Navigateur.

Vous avez démontré da le manière la plus irrécusable que Christophe Colomb n*est pas à Calvi.

Je vous félicite cordialement de ne pas avoir sacrifié la vérité à un faux patriotisme.

Croyez, mon cher Compatriote, à tous mes sentiments d'affectueuse estime,

J.-M. PlETRI.

Lettre du docteur «le Pîetra-Santa

LAURÉAT DE L'INSTITUT SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE d'hYGIÈNB

Paris, 15 juillet 1889, Mon cuer Abbé,

Je viens de passer ma soirée en tête à tête avec votre brochure : le Berceau de Christophe Colomb et la Corse, et ceÏR agréablement et utile- ment. C'est un vrai travail de bénédictin auquel vous vous êtes livré. Il est difficile de résumer et d'analyser mieux que vous ne l'avez fait, dans la première partie, l'ouvrage de l'abbé Peretti, dans lequel je n'ai pas trouvé la preuve de l'origine calvaise du grand Navigateur.

Pour la second partie, vos objections et réserves sont des plus sérieu- ses, et je partage entièrement votre opinion.

Je vous avouerai, du reste, que je n'ai jamais eu de goût pour ce mode d'écrire l'histoire.

C'est déjà assez difficile d'étudier les faits dans leur grand ensemble, en cherchant à déterminer leur enchaînement, leur philosophie et leur morale. Mais si Ton veut se perdre dans les détails en cherchant à dé- couvrir les contradictions, en supputant les sentiments elles mobiles des chroniqueurs, en se faisant des arguments même de leur silence ou de leurs arrière-pensées, on verse nécessairement dans le dialectique d'un autre âge.

Du reste, comme votre exposition est toujours impartiale et correc- te, comme votre polémique est sans cesse des plus courtoises, M. l'abbé Peretti ne pourra que vous savoir gré de votre étude.

Mille amitiés,

D' DE Pietra-Santa.

\Yiî>\. Poitiers, Imprimerie Bîais, Roy et Cie, 7, rue Victoi-Hugc

A LA LIliRAllUE PALME

OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

Écrin de Notre-Dame de Lourdes, par l'abbé L.-M. Casabianca, du clergé de Paris. Ouvrage approuvé par LL. EEm. les cardinaux Donnet et Pie, par NN. SS. les Archevêques et Évèques de Chaml)éry, Toulouse, Brindisi, Ajaccio, Vannes, devers, etc. Un joli vol. elzévirien. 2" édition.

Prix 2

Bordeaux, 24 janvier 1877 Monsieur l'Abbé, J'ai reçu votre Écrin deNofre-Dame de Lourdes. Je vous félicite d'avoir recueilli dans ce livre les émotions par vous éprouvées lors de la consécration de la basilique et du couronnement de la Vierge immaculée. En retraçant votre liis- toire, vous avez retracé celle de près de cent mille personnes présentes a la cé- rémonie et qui, comme vous, se sont crues un moment à la porte du ciel.

Votre Manuel aura l'avantage de rappeler aux heureux pèlerins du 3 juillet 18x5 le bonheur qu'ils ont ressenti sans le pouvoir exprimer et, de plus, il le tera passer dans l'àme de ceux qui n'y sont allés que d'esprit et de cœur.

Chacun en aura donc sa part ; n'est-ce pas ce qui se fait au ciel ? Cujus parti- cipatio ejus in idipswn. Le croyant et l'incrédule liront avec fruit votre opuscule; l'un se sentira fortifié dans sa foi, l'autre éclairé surtout, par ce chel-d œuvre d'exposition doctrinale de notre vénérable et bien-aimé sutiïagant de Poitiers.

Avec votre Manuel, tout pèlerin de Lourdes passera des Ijeuresde bonheur dans la prière et les chants, dans la méditation des vertus de Marie et de la lecture des guérisons miraculeuses dans les âmes encore plus que dans les corps. Quant à ceux qui ne pourront pas visiter le sanctuaire vénérable, ils y trouveront Lourdes avec sa grotte de Massabielle, Bernadette en extase en présence de la Vierge immaculée; ils entendront le bruit du Gave et le murmure de la source intarissable, image de la douce voix de Marie; ils graviront la montagne et, en contemplant dans la basilique la Vierge couronnée, ils croiront, eux aussi, la voir dans les splendeurs du ciel. ^• ?. e »

Je bénis donc votre livre. Puisse-t-il faire tout le bien qu'il est appelé à taire i

Votre tout dévoué :

f F. Cardinal Donnet Archevêque de Bordeaux.

Trente jours à la campagne ou le Salut par la nature, par l'abbé L.-M.

5-^ édition ^ ^^

irs à la campagne, et celte lecture nous a charmé. M. l'abbè Casablanca a "déployé une grande habileté dans Papphcation de sa méthode ; de plus, il a tiré un excellent parti des Saintes Ecritures ; son livre a de brillantes qualités et réunit à une gravité toute chrétienne les cUarmes de la saine poésie... (L'Univers.) . , x o^ir^r.

... M. l'abbé Casabianca a étudié sous ses divers aspects la nature qui, se on son expression, n'esl. que l'alphabet du grand livre écrit dans les cieux. 11 a lail remarauer que toutes les créatures subalternes deviennent, entre les mains de Uieu, tantôt des canaux de grâce, tantôt des trophées de gloire, tantôt des instruments deiustice et de vengeance. Comme on le voit, l'idée est aussi élevée, aussi pro- fonde qu'originale ; il fallait un grand talent d'analyse, beaucoup d érudition pour lui donner tout son développement. M. Casabianca s'est montre a la nau- teur de la tâche entreprise. (Le Monde.)

Plusieurs Semaines religieuses, la Revue critique, l'Ami des Livres en ont parlé avec éloges.

Casabianca.

... Nous venons de lire Trente jours à la

Le Prêtre en voyage, par l'abbé L.-M. Casabianca. Ce livre dispense MM. les Ecclésiastiques en voyage d'en emporter plusieurs autres, puisqu'il renferme tout ce qui leur est nécessaire pour leurs divers exer- cices de piété : Méditations, Lectures spirituelles. Preces ante et post missam. Extraits du Nouveau Testament, de V Imitation de Jêsus-Christ, etc., etc. ^^ joli volume in-18 de 350 pages " "

922,1. POI

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