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LE CATECHISME

ROMAIN

OU L'ENSEIGNEMENT DE LA

Doctrine Chrétienne

EXPLICATION NOUVELLE

PAR

Georges BAREILLE

Docteur en théologie et en droit canonique Chanoine honoraire de Toulouse

Instaurare omnia in Christo. Tout restaurer dans le Christ.

Eph., I, 10.

TOME PREMIER

PREMIÈRE PARTIE

Le Symbole

MONTREJEAU

(Haute-Garonne)

LIBRAIRIE J.-M. SOUBIRON, ÉDITEUR

Droits de reproduction et de traduction réservé*

LE

Catéchisme Romain

OU L'ENSEIGNEMENT DE LA

Doctrine Chrétienne

IMPRIMATUR

Tolosœ, die 2 julii 1906.

f Augustinus,

Arch. Tolosanus.

L'éditeur se réserve tous les droits de reproduction et de traduction

Ce volume a été déposé conformément aux lois en juillet 1906

LE CATECHISME

ROMAIN

OU L'ENSEIGNEMENT DE LA

Doctrine Chrétienne

EXPLICATION NOUVELLE

PAR

Georges BAREILLE

Docteur en théologie et en droit canonique Chanoine honoraire de Toulouse

Instaurare omnia in Christo. Tout restaurer dans le Christ.

Eph., I, 10.

TOME PREMIER

PREMIERE PARTIE

Le Symbole

MONTREJEAU

( Haute-Garonne)

LIBRAIRIE J.-M. SOUBIRON, ÉDITEUR

Droits il» reproduction et de traduction réservés

Encyclique « Acerbo nimis»

Lettre encyclique de S. S. Pie X

sur l'Enseignement de la Doctrine chrétienne

A nos Vénérables Frères les Patriarches,

Primats, Archevêques, Évêques

et aux autres Ordinaires en paix

et en communion avec le Siège apostolique.

PIE X PAPE

VÉNÉRABLES FRÈRES, SALUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE

I. Crise religieuse. « C'est dans un temps bien dur et difficile que le dessein secret de Dieu a élevé Notre faiblesse à la charge de pasteur suprême pour gouverner le troupeau entier du Christ. En effet, l'homme ennemi rôde depuis longtemps autour de ce troupeau et lui tend des embûches avec la ruse la plus ingénieuse, de sorte que maintenant plus que jamais semble se vérifier ce que prédisait l'Apôtre aux vieillards de l'Eglise d'Ephèse : « Je sais que des loups dévo- rants entreront che% vous, qui n'épargneront pas le troupeau » (Act., xx, 29). Quiconque est zélé pour la gloire divine cherche les causes de cette crise religieuse. Chacun apporte la sienne et

Ï.B CATÉCHISME T. I a

lj ENCYCLIQUE (( ACERBO NIMIS »

chacun aussi à son gré emploie son moyen pour défendre et restaurer le règne de Dieu sur cette terre. Pour nous, Vénérables Frères, sans nier les autres causes, Nous sommes porté à souscrire au sentiment actuel de ceux qui voient dans l'igno- rance des choses divines la cause de l'affaiblisse- ment actuel et de la débilité des âmes et des maux si graves qui s'ensuivent. Cela s'accorde pleine- ment avec ce que Dieu lui-même a dit par le Prophète Osée : « Et la science de Dieu n'est plus sur la terre. Le blasphème, le mensonge, l'homi- cide, le vol, ï adultère ont débordé et le sang a touché le sang. G est pourquoi la terre pleurera et tout homme qui l'habite sera débilité. » (Os., iv, ï.)

II. Ignorance : son étendue, sa nature.

« Et, en vérité, à notre époque tous se plaignent que parmi le peuple chrétien tant d'hommes ignorent profondément les vérités nécessaires au salut, et ces plaintes, hélas ! ne sont pas illégiti- mes. Quand Nous disons le peuple chrétien, Nous ne parlons pas seulement du peuple ou des hom- mes de classes inférieures qui trop souvent trou- vent une excuse dans ce fait que, obéissant à des maîtres durs, ils peuvent à peine penser à eux- mêmes et à leurs affaires ; mais Nous parlons aussi et surtout de ceux qui, ne manquant point d'intelligence et de . culture, sont bien pourvus d'érudition profane, et néanmoins en ce qui concerne la religion, vivent d'une existence on ne peut plus téméraire et imprudente. Il est difficile de dire les ténèbres épaisses ils sont parfois

sur l'enseignement de la doctrine chrétienne iij

plongés, et où, ce qui est plus triste, ils demeurent tranquillement enveloppés! De Dieu souverain auteur et modérateur de toutes choses, de la sagesse de la foi chétienne, ils n'ont presque aucun souci. Par suite, ils ne connaissent rien de l'incarnation du Verbe de Dieu, rien de la par- faite restauration du genre humain par lui, rien de la grâce, qui est le principal moyen pour atteindre les biens éternels, rien de l'auguste sacrifice ou des sacrements par lesquels nous obtenons et conservons la grâce. Quant au péché, on ne fait aucun cas de sa malice ni de sa honte ; conséquemment, il n'y a nul souci de l'éviter ou de le quitter ; et l'on atteint son dernier jour dans de telles dispositions que le prêtre, pour ne pas ôter l'espérance du salut, doit employer à enseigner sommairement la religion ces instants suprêmes de la vie qui devraient être consacrés surtout à provoquer des actes d'amour de Dieu, si toutefois, ce qui est presque passé en usage, le moribond n'est pas dans une telle ignorance qu'il juge superflu le ministère du prêtre et pense devoir franchir le seuil redoutable de l'éternité avec un esprit tranquille, sans avoir apaisé Dieu. C'est pourquoi Notre prédécesseur Benoît XIV a écrit avec raison : « Nous affirmons qu'une grande partie de ceux qui sont condamnés aux supplices éternels subissent toujours ce malheur à cause de leur ignorance des mystères de la foi qu'ils doivent nécessairement savoir pour être comptés parmi les élus » (Instit. xxvi, 18).

III. Ses conséquences. « S'il en est ainsi,

IV ENCYCLIQUE « ACERBO NIMIS »

Vénérables Frères, pourquoi s'étonner, je vous le demande, que la corruption des mœurs et la dé- pravation soient si grandes et croissent de jour en jour, je ne dis pas parmi les nations barbares, mais chez les peuples mêmes qui portent le nom chré- tien? C'est avec raison que l'apôtre saint Paul, écrivant aux Ephésiens, disait : « Que ni la forni- cation, ni toute autre impureté, ni V avarice ne soient nommés parmi vous, ainsi qu'il convient à des saints, ni V infamie, ni les sots discours, » (Ephes., v, 3). Mais il a posé comme fondement à cette sainteté et à cette pudeur, qui modèrent les passions, la science des choses divines. « C'est pourquoi, frères, faites en sorte de marcher avec précaution, non point comme des insensés, mais comme des sages. C'est pourquoi ne devenez pas imprudents \ mais comprenez quelle est la volonté de Dieu » (Ephes., v, i5).

« Et l'Apôtre a raison. Car la volonté de l'homme garde à peine quelque chose de cet amour de l'honnêteté et de la justice mis en lui par Dieu son créateur, et qui l'entraînait pour ainsi dire vers le bien non pas seulement apparent, mais réel. Dépravée par la corruption de la première faute et oubliant en quelque sorte Dieu son au- teur, elle tourne toute son affection vers l'amour de la vanité et la recherche du mensonge.

« A la volonté égarée et aveuglée parla concupis- cence, il est besoin d'un guide qui lui montre la route, pour qu'elle retrouve les sentiers de la jus- tice malheureusement abandonnés. Ce guide, qui n'est point étranger, mais nous est préparé par la nature, est notre esprit même ; s'il manque de sa

SUR L ENSEIGNEMENT DE LA DOCTRINE CHRETIENNE V

véritable lumière, qui est la connaissance des choses divines, il arrivera ceci, qu'un aveugle conduira un aveugle et tout deux tomberont dans le précipice. Le saint roi David, louant Dieu d'avoir donné à l'esprit des hommes la lumière de la vérité, disait : « La lumière de votre visage s1 est empreinte sur nous, Seigneur » (Ps. iv, 7). Et ce qui suit de ce don de la lumière, il le dit, en ajoutant : « Vous ave^ fait germer la joie dans mon cœur». C'est la joie qui, dilatantnotre cœur, nous fait courir dans la voie des divins comman- dements.

« Qu'il en doive être ainsi, il est facile de s'en convaincre à la réflexion. La sagesse chrétienne, en effet, nous fait connaître Dieu en ce que nous appelons ses perfections infinies bien plus profon- dément que ne le permettent les forces de la nature. Comment donc? C'est qu'elle ordonne d'honorer Dieu en prescrivant la foi, qui relève de l'esprit, l'espérance, qui relève de la volonté, et la charité, qui est la vertu du cœur; et ainsi, elle soumet l'homme tout entier à ce suprême auteur et modérateur.

IV. Instruction religieuse : sa nécessité, son utilité. « De même il n'y a que la science de Jésus-Christ qui nous fait connaître la véritable et éminente dignité de l'homme, fils du Père céleste et appelé à vivre éternellement et heureusement avec Lui. Mais, de cette dignité et de sa connais- sance, le Christ conclut que les hommes se doi- vent aimer réciproquement comme des frères et vivre ici-bas comme il convient à des saints, non

VJ ENCYCLIQUE (( ACERBO NÏMIS ))

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pas dans les festins et V ivresse, ni dans la volupté et les impuretés, ni dans les disputes et les riva- litès (Rom., 'xiii, i3); il ordonne également de mettre en Dieu toute notre sollicitude, parce qu'il s'occupe de nous; il commande de faire l'aumône aux pauvres, de faire du bien à ceux qui nous haïssent, de préférer les biens éternels de l'âme aux biens éphémères de cette vie. Pour ne pas tout passer en revue, n'est-ce pas une prescription du Christ, que l'humilité, source de la vraie gloire, est conseillée et commandée à l'orgueil- leux ? Celui qui sera humilie.... est le plus grand dans le royaume des deux (Matth., xvm, 4).

« C'est aussi la doctrine du Christ qui nous apprend la prudence de l'esprit, par laquelle nous respectons le droit de chacun; la force, qui nous prépare à tout souffrir courageusement pour Dieu et la béatitude éternelle; la tempérance enfin, par laquelle nous aimons la pauvreté même pour le règne de Dieu, et nous glorifions dans la croix elle-même, méprisant l'ignominie. Il reste donc que par la sagesse chrétienne, non seulement notre intelligence reçoit la lumière, qui nous permet d'atteindre la vérité, mais que la volonté elle- même est enflammée d'un amour qui nous porte vers Dieu et nous unit à Lui par l'exercice de la vertu.

« Certes, nous n'affirmons pas que la malîce de l'âme et la corruption des mœurs ne puissent coexister avec la science de la religion. Plût à Dieu que les faits ne le prouvassent point sura* feondamment !

« Mais Nous prétendons que l'esprit est

sur l'enseignement de la doctrine chrétienne vij

enveloppé des ténèbres d'une épaisse ignorance, une volonté droite et de bonnes mœurs ne peu- vent nullement se rencontrer; car, si quelqu'un marche les yeux ouverts, il pourra sans doute s'écarter du droit chemin; mais celui qui est atteint de cécité est menacé d'un danger certain. Ajoutez que la corruption des moeurs, si la lumière de la foi n'est pas totalement éteinte, laisse l'espoir d'un retour; si la corruption des mœurs et l'ab- sence de foi par ignorance se rencontrent, c'est à. peine s'il y aura place au remède, et la route de- là perdition est ouverte.

V. Devoirs des Pasteurs et des Curés.

«Puisque de l'ignorance de la religion dérivent tant; de maux, et que, d'autre part, la nécessité et l'uti-< lité de l'instruction religieuse sont si grandes, car en vain espère-t-on que celui qui ignore les devoirs? du chrétien pourra les remplir, il faut maintenant, rechercher à qui il appartient de garder les esprits contre cette pernicieuse ignorance et de les instruire d'une science si nécessaire.

« La question, Vénérables Frères, n'offre aucun embarras; ce soin si grave regarde tous les pas- teurs des âmes. Ceux-ci, en effet, sont tenus par le précepte du Christ de connaître et de paître les brebis à eux confiées. Paître, c'est tout d'abord enseigner. « Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur ', et ils vous nourriront de science et de doctrine. » Ainsi parlait Dieu par Jérémie. C'est pourquoi l'apôtre Paul disait : «Le Christ ne ina pas envoyé baptiser, mais prêcher » (I. Cor., i, 17), marquant ainsi que le premier rôle de ceux

Vllj ENCYCLIQUE (( ACERBO NIMIS »

qui sont chargés à un titre quelconque de gouver- ner l'Eglise est d'instruire les fidèles des choses saintes.

« Nous croyons superflu de faire l'éloge d'une telle instruction et de montrer quel est son prix devant Dieu ! Certes, l'aumône que nous faisons aux pauvres pour soulager leurs misères a un grand mérite aux yeux de Dieu. Mais qui niera la supériorité du zèle et du labeur par lequel nous procurons aux âmes, par notre enseignement et nos conseils, non pas les biens éphémères du corps, mais les biens éternels ? Rien ne saurait être plus agréable à Jésus-Christ, sauveur des âmes, qui dit de lui-même par Isaïe : « Il m'a envoyé prêcher auxpauvres » (Luc, iv, 18).

« Il importe cependant, Vénérables Frères, de mettre avec insistance ce fait en évidence : un prê- tre, quel qu'il soit, n'a aucun autre devoir plus grave et n'est tenu par aucun lien plus étroit. En effet, qui peut nier que chez le prêtre la science doive s'ajouter à la sainteté de la vie ? « Les lèvres du prêtre garderont lasciencey> Malach.,11,7). En fait, cette science, l'Eglise l'exige très sévèrement de ceux qui doivent être admis au sacerdoce.

« Pourquoi cela ? Parce que le peuple chrétien attend d'eux la connaissance de la loi divine et que Dieu les destine à communiquer celle-ci : « Et ils chercheront une loi sur ses lèvres, parce qu'il est Fange du Dieu des armées » (IbJ. C'est pourquoi l'évêque, lors de l'ordination, s'adresse en ces termes aux candidats au sacerdoce : « Que votre doctrine soit un remède spirituel pour le peuple de Dieu ; qu'ils soient les coopéra teurs de

SUR L ENSEIGNEMENT DE LA DOCTRINE CHRETIENNE IX

notre Ordre, afin que, méditant sa loi nuit et jour, ils croient ce qu'ils auront lu et enseignent ce qu'ils auront cru » (Pontif. rom.).

« S'il n'est aucun prêtre à qui ces paroles ne s'adressent, que penserons-nous de ceux qui, revêtus du nom et du pouvoir de curé, ont la charge de directeurs des âmes, en vertu de leur dignité et comme par une sorte de contrat ?

« Ces prêtres doivent être classés en quelque sorte parmi les pasteurs et les docteurs que le Christ a donnés, afin que les fidèles ne soient plus de petits enfants flottants et ballottés à tout vent de doctrine, au milieu de la méchanceté des hommes ; mais que, agissant avec vérité dans la charité, ils croissent au milieu de tout en celui qui est notre tête, le Christ (Eph., iv, 14, i5).

VI. L'homélie et le catéchisme. « C'est

pourquoi le très saint Concile de Trente, traitant des pasteurs des âmes, déclare que le premier et le plus grand de leurs devoirs est d'instruire le peu- ple chrétien (Sess., v, cap. de réf. ; Sess., xvn, cap. 8; Sess., xxiv, cap. 4 et 7 de réf.). Il leur ordonne donc de parler au peuple de la religion au moins le dimanche et les jours de fête solennels et chaque jour pendant l'Avent et le Carême, ou tout au moins trois fois par semaine. Ce n'est pas tout ; il ajoute, en effet, que les curés sont tenus, au moins les dimanches et jours de fête, soit par eux-mêmes, soit par d'autres, d'instruire les en- fants des vérités de la foi et de leur apprendre l'obéissance envers Dieu et leurs parents.

« Lorsqu'il s'agit de la réception des sacrements,

ENCYCLIQUE « ACERBO NIMIS »

il leur ordonne d'instruire de la nature de ceux-ci ceux qui doivent les recevoir et de le faire dans un langage facile et vulgaire. Notre prédécesseur Benoît XIV, dans sa constitution Etsi minime, a ainsi résumé les prescriptions de la sainte assem- blée : « Deux missions sont spécialement impo- sées par le Concile de Trente à ceux qui ont charge d âmes ; Tune est de parler au peuple des choses divines les jours de fêtes; Vautre est d'ins- truire les enfants et tous les ignorants de la loi divine et des rudiments de la foi.

« C'est à bon droit que le très sage Pontife dis- tingue ces deux devoirs : celui de l'allocution que l'on appelle vulgairement explication de l'Evangile, et celui de l'enseignement de la doctrine chré- tienne. En effet, il en est peut-être qui, désireux de diminuer leur travail, se persuadent que l'ho- mélie peut tenir lieu de catéchisme. Combien cette opinion est fausse, c'est ce qui est évident pour qui réfléchit. L'allocution qui est faite sur l'Evan- gile s'adresse, en effet, à ceux qui doivent déjà être imbus des éléments de la foi. On peut la comparer au pain qui est distribué aux adultes. L'enseigne- ment du catéchisme, au contraire, est le lait, ce lait dont l'apôtre saint Pierre voulait qu'il fût désiré sans malice par les fidèles comme par les enfants à peine nés.

« En un mot, la fonction des catéchistes consiste à prendre une vérité concernant la foi ou les mœurs chrétiennes et à la mettre en lumière sous tous les aspects. Comme, en outre, le redressement de la vie doit être le but de l'enseignement, le caté- chiste doit établir un parallèle entre les préceptes

sur l'enseignement de la doctrine chrétienne xj

de vie que Dieu a donnés et la manière dont les hommes vivent réellement ; il faut ensuite, sa servant d'exemples opportuns et sagement choisis, soit dans les saintes Ecritures, soit dans l'histoire ecclésiastique, soit dans la vie de saints person-» nages, persuader les auditeurs et leur montrer du doigt pour ainsi dire de quelle façon ils doivent ordonner leur conduite ; il faut enfin terminer par des exhortations qui portent les assistants à con«« cevoir l'horreur des vices, à s'en détourner et à pratiquer la vertu.

VII. Importance et nécessité du catéchisme.

«— « Nous savons, à la vérité, que la charge de transmettre ainsi la doctrine chrétienne déplaît à beaucoup, car elle n'est appréciée qu'à une faible valeur et semble peut-être peu susceptible de conquérir la faveur populaire. Nous pensons ce- pendant qu'une telle appréciation dénote des esprits qui se laissent conduire par la légèreté plutôt que par la vérité. Certes, Nous ne refusons pas l'éloge aux orateurs sacrés qui, dans un zèle sincère pour la gloire divine, s'attachent, soit à venger ou à défendre la foi, soit à louer les saints. Mais leur travail exige un autre travail préalable : celui des catéchistes. Si ce labeur manque, les fondements font défaut, et ceux qui édifient la maison travaillent en vain. Trop sou* f vent les discours les plus ornés, qui sont écoutés ï avec applaudissement par les assemblées les plus vi nombreuses, ont pour seul résultat de chatouiller les oreilles et n'émeuvent aucunement les cœurs. L'enseignement du catéchisme, au contraire, quoi'

XÎj ENCYCLIQUE (( ACERBO NIMIS »

que humble et simple, mérite qu'on lui applique ces paroles que Dieu prononce par l'intermédiaire d'Isaïe : « De' même que la pluie et la neige des- cendent du ciel et ri y retournent pas, mais abreuvent la terre, la pénètrent, y ) 'ont pousser les germes, procurent de la semence à celui qui sème et du pain à celui qui mange, ainsi sera ma parole qui sortira de ma bouche : elle ne revien- dra pas inutile vers moi, mais elle fera ce que fai voulu, et elle prospérera dans les choses pour lesquelles je V ai envoyée » (is., lv, io, ii).

« Nous pensons qu'il faut juger de même des prêtres qui, pour mettre en lumière les vérités de la religion, écrivent de laborieux ouvrages ; ils méritent évidemment pour cela de grands éloges. Mais combien trouve-t-on de gens qui lisent des livres de ce genre, de manière à en tirer un fruit correspondant au travail et aux désirs de l'auteur ? Au contraire, l'enseignement de la doctrine chré- tienne, s'il est bien fait, apporte toujours quelque utilité aux auditeurs.

« En effet (ils est bon de le rappeler pour enflam- mer le zèle des ministres de Dieu), immense est le nombre et il augmente de jour en jour de ceux qui ignorent tout de la religion, ou qui n'ont de la foi chrétienne qu'une connaissance telle qu'elle leur permet, au milieu de la lumière de la vérité catholique, de vivre à la manière des idolâtres. Combien nombreux, hélas ! et non seulement parmi les enfants, mais encore parmi les adultes et les vieillards, qui ne connais- sent absolument rien des principaux mystères de la foi, qui, entendant le nom du Christ, répon-

sur l'enseignement de la doctrine chrétienne xiij

dent : « Qui est-il, pour que je croie en lui ? » (Joan., ix, 36). Par suite, ils ne considèrent pas comme vice de concevoir et de nourrir des haines contre le prochain, de conclure les contrats les plus iniques, d'exercer des professions malhon- nêtes, de prêter de l'argent à usure et d'accomplir d'autres actions non moins condamnables. Par suite, ignorant la loi du Christ, qui défend non seulement de faire des choses honteuses, mais encore d'y penser et de les désirer sciemment, bien des gens, quoique peut-être, pour une cause ou pour une autre, ils s'abstiennent à peu près des honteux plaisirs, nourrissent toutefois, dans leur esprit qu'aucune notion religieuse ne défend, les plus malsaines pensées, multipliant ainsi les ini- quités plus que ne sont nombreux les cheveux de leur tête. Et ces vices, Nous tenons à le répéter, se rencontrent non seulement chez les populations des champs ou dans la portion misérable du peu- ple, mais encore, et peut-être plus fréquemment, chez les hommes d'une situation plus relevée, y compris ceux qu'enfle la science, et qui, appuyés sur une vaine érudition, prétendent pouvoir railler la religion et « blasphèment tout ce qu'ils igno- rent » (Ib., 10).

« S'il est vain d'espérer une moisson d'une terre qui n'a pas reçu de semence, comment attendre des générations ornées de bonnes mœurs si elles n'ont pas été instruites en temps voulu de la doc- trine chrétienne ? D'où Nous inférons à bon droit, puisque la foi languit de nos jours au point qu'elle est chez beaucoup presque morte, que le devoir de transmettre les vérités du catéchisme, ou n'est

XIV ENCYCLIQUE « ACERBO NIMIS »

rempli qu'avec trop de négligence, ou est omis tout à fait. C'est à tort, en effet, qu'on voudrait dire, pour s'excuser, que la foi nous est donnée à titre gratuit et que chacun la reçoit dans le saint baptême. Sans doute, quiconque est baptisé dans le Christ se trouve enrichi de la foi à l'état latent ; mais cette semence divine ne lève pas et ne produit pas de grands rameaux (Marc, iv, 32) si elle est abandonnée à elle-même et à sa vertu native. Il y a dans l'homme, dès sa naissance, une faculté de comprendre ; cette faculté a toutefois besoin de la parole maternelle, sous l'excitation de laquelle elle puisse, comme on dit, passer en acte. C'est juste- ment ce qui arrive à l'homme chrétien qui, renaissant par l'eau et l'Esprit-Saint, apporte avec lui la foi en germe. Il a cependant besoin de l'enseignement de l'Eglise, afin que cette foi puisse se nourrir, se développer et porter du fruit. C'est pourquoi PApôtre écrivait : « La foi vient de Taudition et V audition a lieu par la parole du Christ » (Rom., x, 17). Pour montrer la nécessité de l'enseignement, il ajoute : « Comment enten- dront-ils, si nul ne leur parle ? » (Ib., 14).

« Si, par ce qui a été exposé jusqu'ici, on peut voir quelle est l'importance de l'instruction reli- gieuse du peuple, Nous devons faire tout notre possible pour que l'enseignement de la doctrine sacrée, l'institution la plus utile pour la gloire de Dieu et le salut des âmes (Constit. Etsi minime i3), pour Nous servir des paroles de Notre prédéces- seur Benoît XIV, soit toujours florissante, ou, si on la néglige quelque part, y soit restaurée. Vou- lant donc, Vénérables Frères, satisfaire à ce très

SUR l'enseignement de la doctrine CHRÉTIENNE XV

grave devoir de l'apostolat suprême et faire régner partout, en une matière si importante, une même et pareille façon d'agir, Nous établissons de Notre autorité suprême, et pour tous les diocèses, les prescriptions suivantes, qui devront être étroite- ment exécutées et observées.

VIII. Prescriptions. I. « Tous les curés, et généralement tous ceux qui ont charge d'âmes, feront le catéchisme, tous les jours de dimanche et de fête de l'année, sans en excepter un seul, pen- dant une heure entière, aux enfants des deux sexes, sur les choses que chacun doit croire et faire pour se sauver.

; II. « Ils devront aussi, par une retraite con- tinue de plusieurs jours, les préparer, à des épo- ques déterminées de l'année, à la réception des sacrements de Pénitence et de Confirmation.

III. « De même, et avec un zèle tout spécial tous les jours de carême et, s'il le faut, après les fêtes de Pâques, ils prépareront les jeunes gens et ks jeunes filles pour qu'ils fassent saintement leur Première Communion.

IV. « Dans toutes les paroisses, on établira canomquement une Association de la Doctrine chrétienne les curés trouveront, surtout

e nombre des prêtres est faible, des auxiliaires laïques qui s'adonneront à ce ministère, tant par zèle pour la gloire de Dieu que pour gagner les indulgences attachées par le Souverain Pontife à cet acte de charité.

V. « Dans les grandes villes, surtout en celles pu il y a des universités, lycées, collèges, on éta- .

XVJ ENCYCLIQUE (( ACERBO NIMIS »

blira des cours de religion pour instruire des dog- mes et de la morale chrétienne la jeunesse qui fréquente les écoles publiques il n'est pas fait mention de la religion.

VI. « Mais comme, surtout de notre temps, Page mûr n'a pas moins besoin d'instruction que l'enfance, tous les curés et tous ceux qui ont charge d'âmes, outre l'homélie sur l'Evangile qui doit être donnée les jours de fête à la messe paroissiale, à l'heure la plus opportune pour que le peuple y vienne en dehors de l'heure du catéchisme des enfants feront, en un langage facile à comprendre, le catéchisme aux fidèles. Ils se serviront pour cela du « Catéchisme du Concile de Trente », de manière à traiter en quatre ou cinq ans, le Symbole, les Sacrements, le Décalo- gue, la Prière et les Commandements de l'Eglise.

« Nous établissons et ordonnons ces choses, Vénérables Frères, en vertu de notre autorité apostolique. Vous devrez faire en sorte, pour votre part, chacun dans votre diocèse, que ces prescrip^ tions soient exécutées intégralement et sans re- tard. Vous devrez veiller et prendre garde, dans la mesure de votre autorité, à ce que Nos ordres ne tombent pas dans l'oubli, ou, ce qui revient au même, ne soient obéis qu'avec négligence et relâchement. Pour éviter réellement ce défaut, vous devrez user des recommandations les plus assidues et les plus instantes, afin que les curés n'abordent pas le catéchisme sans préparation, mais au contraire s'y préparent à l'avance avec soin, afin qu'ils ne prononcent pas seulement les paroles de la sagesse humaine, mais que, « dans

sur l'enseignement de la doctrine chrétienne xvij

la simplicité du cœur et de la sincérité de Dieu » (II Cor., i, 12) ils suivent l'exemple du Christ qui, bien qu'il mît au jour des choses « cachées depuis le commencement du monde » (Matth., xm, 35) « parlait cependant toujours aux foules en para- boles » (Ib., 34). Nous savons que la même con- duite fut tenue par les Apôtres instruits par le Seigneur. C'est d'eux que Grégoire le Grand disait : « Ils ont eu le plus grand soin de prêcher les choses simples aux peuples simples, les choses compréhensibles, et non point les choses élevées et ardues » (Moral., I, xvn, cap. 26). Or, en ce qui concerne la religion, presque tous les hommes, par le temps qui court, peuvent être classés Darmi les simples.

IX. Préparer sérieusement le catéchisme.

«Nous ne voulons pas que certains, en raison même de ce goût qu'il faut avoir pour la simpli- cité, se persuadent que ce genre d'enseignement n'exige ni labeur ni méditation. Au contraire, il en exige plus que tout autre. Il est beaucoup plus facile de trouver un orateur qui parle avec abon- dance et splendeur qu'un catéchiste dont l'en- seignement soit louable en tout point. Donc, de quelque facilité pour la pensée et rélocution que l'on ait été doué par la nature, qu'on retienne bien ceci, à savoir que jamais l'on ne parlera aux en- fants ou au peuple de la doctrine chrétienne, de façon à produire du fruit dans les âmes, si ce n'est après s'être préparé et exercé par une sé- rieuse méditation. Ils se trompent ceux qui, se fiant à l'ignorance et à l'infériorité intellectuelle du

1B CATÉCHISME. 1,1, »

XVlij ENCYCLIQUE « ACERBO NIMIS »

peuple, prétendent pouvoir, en ces matières, agir avec négligence. Au contraire, plus les auditeurs sont novices, £>lus il faut de zèle et de soin pour accommoder les vérités les plus sublimes, déjà si élevées au-dessus des intelligences ordinaires, à la compréhension plus faible des ignorants qui, tout autant que les sages, ont besoin de les connaître pour arriver à l'éternelle béatitude.

« Enfin, Vénérables Frères, qu'il nous soit permis de terminer cette Lettre en vous adressant la pa- role de Moïse : « Si quelqu'un est du Seigneur, qu'il se joigne à moi» (Exode, xxxn, 26). Remar- quez, Nous vous en prions et vous en supplions, quels désastres résultent pour lésâmes de la seule ignorance des choses divines. Beaucoup de choses utiles et parfaitement louables ont peut-être été instituées, dans le diocèse de chacun de vous, pour le bien du troupeau qui vous est confié. Veuillez cependant, par dessus toute chose, consacrer tout ce que vous pourrez de vos efforts, de votre zèle, de vos soins et de vos instances assidues à ce que la connaissance de la doctrine chrétienne pénètre et imprègne complètement les esprits. « Chacun, Nous Nous servons des paroles de l'apôtre Pierre, a reçu la grâce pour V administrer à autrui, comme de bons dispensateurs de la grâce de Dieu aux formes diverses » (I. Petr., iv, 10).

a Que votre diligence et votre ingéniosité, grâce à l'intercession de la bienheureuse Vierge Imma- culée, soient heureusement excitées par la Béné- diction Apostolique que Nous vous accordons très affectueusement à vous, à votre clergé et au peuple confie à chacun de vous, comme témoi*

sur l'enseignement de la doctrine chrétienne xix

gnage de Notre affection et comme gage des dons célestes.

« Donné à Rome, près Saint-Pierre, le i5 avril 1905, la deuxième année de Notre pontificat. »

PIE X, PAPE.

mmm

PRÉFACE

La belle Encyclique du i5 avril igo5, placée en tête de cet ouvrage, dispense complètement d'insis- ter sur la nécessité actuelle de l'enseignement reli- gieux. C'est elle qui a inspiré le projet de mettre entre les mains du jeune clergé une sorte de manuel pratique, qui fût à même de lui rappeler succinc- tement les enseignements reçus au séminaire et de le tenir au courant, dans la mesure du possible, des progrès incontestables réalisés depuis quelques années.

On a cru que, pour atteindre efficacement ce but, rien ne valait comme de reprendre le texte du Catéchisme romain ; car c'est une œuvre magis- trale, admirablement bien rédigée par les théologiens les plus compétents de la seconde moitié du xvi° siè- cle, à la suite des décisions du Concile de Trente, approuvée et publiée par ordre de Pie V, toujours recommandée depuis par les Souverains Pontifes, et la seule officiellement proposée par l'Eglise aux pasteurs pour l'instruction religieuse de leurs ouailles.

Le Catéchisme romain reste un incomparable ma- nuel. Mais il a besoin d'être complété. Car, depuis sa rédaction, trois siècles se sont écoulés, un concile œcuménique s'est tenu, et une renaissance d'études

XXÎj LE CATÉCHISME ROMAIN

ecclésiastiques a eu lieu, dont nous sommes les témoins et les bénéficiaires.

Les Pères du. Concile du Vatican n'ont pas eu do peine à constater jusqu'à quel point l'esprit d'erreur s'était glissé partout. Ils l'ont signalé dans la théo- logie et l'exégèse protestantes, dans les excès du rationalisme et du naturalisme, dans les imprudences ou les hardiesses de certains catholiques. Ils ont fait mieux : après avoir condamné certaines erreurs, ils ont défini quelques vérités de foi catholique, qu'il importe de retenir comme un progrès sur le passé. Leur tâche, malheureusement, n'a pu être achevée. Mais telle qu'elle est, elle nous assure une connais- sance plus précise et plus complète sur Dieu, la création, la Providence, la révélation, les sources de la révélation, la foi, les rapports de la foi et de la raison, l'Eglise et l'autorité doctrinale du Souve- rain Pontife : autant de résultats qui demeurent définitivement acquis.

Sans doute, l'erreur n'a pas désarmé pour cela ; elle continue sa marche progressive vers la néga- tion absolue et le nihilisme religieux. Raison de plus pour la suivre pas à pas et lui opposer sans cesse, avec les affirmations de l'enseignement révélé, les preuves d'autorité et de raison qui les justifient aux yeux de tout homme de bon sens et de bonne foi.

« Personne n'ignore, dit la Constitution DeiFilius, qu'après avoir rejeté le magistère divin de l'Eglise et abandonné les questions religieuses au jugement privé de n'importe oui, les hérésies uroscrites par

PREFACE XXllj

le Concile de Trente se sont peu à peu fractionnées en une infinité de sectes, qui se sont divisées et combattues, et qu'enfin un assez grand nombre de leurs membres ont perdu toute foi en Jésus-Christ. Aussi les Livres saints eux-mêmes que le protestan- tisme prétendait d'abord la seule source et la seule règle de la doctrine chrétienne, ont-ils cessé d'être regardés comme divins ; on s'est mis à les ranger parmi les fictions mythiques (i). »

Rien de plus exact : car le rejet de l'autorité de l'Eglise et l'introduction du libre examen, c'était fatalement la porte ouverte à une série de varia- tions jusqu'à la désagrégation complète. Mais, depuis l'époque du dernier Concile, le protestantisme libéral a encore accentué ses négations. En théo- logie, ce n'est plus seulement la foi en Jésus-Christ qu'il rejette et la divinité de Notre Seigneur qu'il nie, il affiche la prétention de rester chrétien tout en niant cette divinité, et il en est même venu à mettre en doute les premiers principes de la reli- gion naturelle. En exégèse, sa critique n'est pas moins négative. Le piétisme, qui regardait comme inspiré tout ce qui contribue à l'édification ; le socinianisme, qui repoussait tout mystère ; l'armi- nianisme, qui niait toute inspiration, sont de beau- coup dépassés. On a fait table rase ; et, pour expliqueras origines de la révélation mosaïque, on n'invoque plus que la théorie du progrès indéfini de l'humanité. Bref, de la Bible, il ne reste plus

i. Const. Del Fllius, Prol., § 3

XXIV LE CATECHISME ROMAIN

rien qu'un vieux livre, en tout semblable aux autres.

Les Pères du Vatican dénonçaient aussi « le rationalisme ou le naturalisme qui, se mettant de tous points en opposition avec la religion chré- tienne, à raison de son caractère surnaturel, s'ap- plique avec les plus grands efforts à exclure Jésus- Christ, Nôtre unique Seigneur et Sauveur, de la pensée des hommes, de la vie et des mœurs des peuples, pour établir le règne de ce qu'on appelle la pure raison ou la nature. Mais, après avoir aban- donné et rejeté la religion chrétienne, après avoir renié le vrai Dieu et son Christ, plusieurs ont laissé tomber leur intelligence dans le gouffre du pan- théisme, du matérialisme, de l'athéisme, et, niant la spiritualité de l'âme et toute règle de la justice et de la vertu, ils unissent leurs efforts pour saper les fondements les plus profonds de la société humaine (i). »

Rien encore de plus exact. Jamais peut-être plus que de nos jours, l'homme n'a été infatué de lui-même, des lumières de sa raison, des progrès de la science ; il se dit et se croit autonome ; il ne veut plus ni de l'Eglise ni de Dieu, et il travaille, en France du moins, à déchristianiser le peuple.

Les Pères du Vatican déclaraient enfin que, « par le fait de cette impiété qui s'est propagée de tous côtés, il est malheureusement arrivé que plusieurs même des enfants de l'Eglise catholique se sont

I. Const. DeiFlUas., Prol., § £.

PREFACE XXV

écartés du chemin de la véritable piété, et que le sens catholique s'est émoussé en eux par suite de l'amoindrissement progressif des vérités. Entraînés par toutes sortes de doctrines étrangères et faisant un alliage mal ordonné de la nature et de la grâce, de la science humaine et de la foi divine, l'expé- rience le montre, ils dénaturent la signification véritable des dogmes admise et enseignée par notre sainte mère l'Eglise et ils mettent en péril l'inté- grité et la pureté de la foi (1). »

Ces paroles, écrites, il y a plus de trente ans, sont d'une application très actuelle. La diminution de la foi va croissant dans les masses, faute d'une ins- truction solide ; le sens catholique, c'est-à-dire l'habitude de juger de toutes choses d'après les règles de la foi, la fermeté des convictions chré- tiennes, la crainte de l'apparence même de l'erreur, cet ensemble de dispositions intellectuelles et morales, tout s'émousse. Et, d'autre part, combien qui se laissent fasciner par les théories à la mode, d'importation étrangère, et en tout cas peu con- formes à la foi ! Combien, même parmi les doctes, qui subissent le fâcheux contact du rationalisme et qui, sous prétexte d'être de leur temps et de rester en harmonie avec la pensée moderne, sont victimes d'infiltrations hétérodoxes !

Mais si, depuis le concile du Vatican, l'erreur a marché dans le sens d'une négation toujours plus radicale, est-ce à dire qu'elle ait trouvé en défaut

i. Const. Dei Filius, Prol., S 5.

XXVJ LE CATECHISME ROMAIN

renseignement catholique ou qu'elle en ait eu raison? Loin de là. Car le Concile a été le point de départ d'une renaissance religieuse et d'un mouvement scientifique considérable. Partout, en Angleterre, en Allemagne, en France, les savants catholiques se sont montrés à la hauteur de leur tâche. Chez nous, en particulier, les universités de fondation récente sont devenues des foyers de haute culture intellec- tuelle, dont les fruits, déjà sensibles, paraîtront chaque jour davantage. Et, sans entrer dans des détails, que de travaux, depuis un quart de siècle, dans les études bibliques, patristiques, théologi- ques, philosophiques ! Et que de progrès déjà réalisés ! Les livres se multiplient, marqués pour la plupart d'un caractère vraiment objectif et scien- tifique. De nombreuses revues, chacune dans un domaine à part, tiennent au courant les amis de l'étude de toutes les questions nouvelles, de tous les problèmes agités, des solutions que la science religieuse apporte pour répondre aux besoins de la pensée contemporaine. Sans doute, dans le pêle- mêle des idées, tout n'est pas or, mais il y a des parcelles d'or qu'il convient de recueillir. Et déjà des dictionnaires se composent, qui résument avec soin les précieux résultats acquis. Autant d'instru- ments de travail pour l'exégèse, la critique, l'his- toire, la controverse, l'apologétique, qui permettent d'opposer aux théories spécieuses, prématurées ou hasardées, aux mensonges et aux erreurs, des ré- ponses pleinement justifiées. N'est-ce pas l'un des meilleurs moyens d'être de son temps et de préparer

PRÉFACE XXVÎj

l'avenir? Et que désirer de mieux sinon de voir ce mouvement scientifique s'accentuer et toutes ces richesses se répandre de plus en plus dans le clergé jusqu'au fin fond des campagnes ? C'est notre clergé qui, par ses travaux d'érudition, a alimenté la science allemande ; le voilà maintenant en train de renouer la tradition de la façon la plus heureuse et de reprendre, comme il convient, la tête du mouvement. On ne peut que s'en féliciter.

En publiant ce nouvel ouvrage, on voudrait contribuer, pour une modeste part, à la diffusion des progrès accomplis depuis quelques années, en un mot faire œuvre de vulgarisation.

On tient avant tout à rester en contact nécessaire avec l'enseignement traditionnel, seule garantie possible d'une impeccable orthodoxie. Pour cela, le cadre et le texte du Catéchisme romain sont con- servés. Il ne reste plus qu'à compléter l'œuvre qui fut rédigée conformément aux prescriptions du Concile de Trente. Et c'est pourquoi, à toutes les questions qui y sont si magistralement traitées, s'ajouteront nécessairement les explications, les précisions, les décisions et les définitions survenues depuis trois siècles ; en outre, on y joindra tout ce qui regarde le surnaturel et la grâce, et on con- sacrera la dernière partie au culte et aux fêtes liturgiques.

Mais on tient aussi, dans un esprit sagement progressiste, à prendre contact avec le mouvement scientifique contemporain, à signaler les graves problèmes religieux qui sont à l'ordre du jour, les

XXviij LE CATECHISME ROMAIN

solutions qu'on leur donne et les résultats qui paraissent légitimement acquis. Et c'est pourquoi on insistera de préférence, grâce aux progrès réali- sés dans tous les domaines de la science religieuse, sur les questions actuellement débattues, par exem- ple sur les notions de la foi, du dogme, de la révé- lation, de FEcriture sainte, de la tradition, de l'Eglise, etc.

Faut-il ajouter qu'on n'a nullement la prétention de composer une Théologie ? Les sujets seront trai- tés dans l'ordre ils se présentent dans le Caté- chisme romain ; d'autres seront ajoutés ; mais une table analytique des matières de l'ouvrage entier permettra d'avoir les vues d'ensemble, de trouver les divers renseignements relatifs à la même ques- tion, et d'utiliser ainsi en peu de temps la matière éparse dans les huit volumes.

On a moins encore la prétention de dispenser le lecteur de recourir directement aux sources ; cel- les-ci, du moins, seront signalées dans des notes bibliographiques suffisamment abondantes.

Mais ce que l'on a voulu surtout, c'est d'être utile et pratique, de mettre entre les mains du jeune clergé un recueil d'informations précises et sûres, dispersées dans un trop grand nombre de brochu- res, de revues ou de livres, qu'on n'a pas toujours à sa disposition, c'est-à-dire un instrument de tra- vail aussi bien adapté que possible aux besoins de l'heure présente et au courant des derniers résul- tats de la science. La Praxis du Catéchisme romain, qui indique pour chaque dimanche et fête de l'an-

PREFACE XXIX

née des textes scripturaires pouvant servir de sujet de prône ou d'instruction, sera insérée et notable- ment augmentée pour former un petit manuel très pratique et très objectif de prédication. Et l'on espère que tout prêtre, ainsi rapidement et sûre- ment renseigné, pourra faire une œuvre très appro- priée et éminemment utile auprès de ses auditeurs, soit pour les instruire, soit pour les armer contre les objections anciennes et récentes.

L'auteur, cela va sans dire, compte sur la bienveil- lante indulgence de ses confrères ; car il reste assuré d'être loin d'avoir atteint la perfection dans un travail aussi délicat que difficile, et il est prêt à utiliser les critiques qui signaleront des défauts ou suggéreront des amendements et des progrès.

Fils soumis de la Sainte Eglise, il n'a garde d'ou- blier les prescriptions canoniques en pareille matière et se déclare prêt d'avance à accepter et à ratifier ce que l'autorité compétente jugerait bon de modifier ou de proscrire.

Toulouse, 2 juillet 1906, en la fêle de la Vin- talion.

PREMIÈRE PARTIE

Le Symbole

i

INTRODUCTION

Il n'est pas inutile, croyons-nous, de demander à l'histoire quelques renseignements précis sur le rôle enseignant de l'Eglise à travers les siècles, puisque ce rôle est l'un des plus importants qui lui ait été confié par Notre-Seigneur : « Eunies, doceie... »

Comment donc l'a-t-elle compris et rempli ? Sur quoi l'a-t-elle fait porter ? Et quelle a été sa méthode ?

Il sera facile de se convaincre que le Catéchisme, tel que nous le connaissons, c'est-à-dire le petit livre méthodique que l'on met entre les mains' des enfants, n'est que l'aboutissement d'une longue série d'efforts. C'est laisser entendre, par conséquent, que si l'Eglise possède aujour- d'hui et utilise un manuel d'instruction religieuse, résumé succinct de ce que le chrétien doit savoir et pratiquer pour être sauvé, il n'en a pas toujours été ainsi. Toutefois l'absence d'un tel instrument pédagogique n'a jamais empêché l'Eglise de travailler avec le plus grand soin à l'instruction religieuse de ses enfants, sur un cadre délimité.

Avant d'aboutir au catéchisme actuel, elle a commencé par l'enseignement de la Catéchèse. Catéchèse, xaTVjpatç du verbe xaT7j/éoj, est un mot grec qui signifie, pro- prement, retentir, faire retentir, et au figuré, enseigner de vive voix, instruire oralement, la parole du maître servant d'écho à l'interrogation du disciple, et la réponse

LE CATECHISME. T. I.

LE CATÉCHISME ROMAIN

du disciple à la question du maître. C'est dans ce dermei sens que, seuls des écrivains du Nouveau-Testament saint Luc et .saint Paul ont employé le verbe xvnativ (i. De là, chez les Pères grecs, l'emploi du mot x^yr,™. et chez les Pères latins du mot calechesis, pour designer soit l'action d'enseigner, soit l'enseignement lui-même ou son objet. Mais avec l'organisation du catechumenat, ce terme prend un sens plus précis et plus restreint : il s'applique tout particulièrement à l'enseignement oral qui sert de préparation au baptême et qui, par suite ne s'adresse qu'à des non-initiés (a;. Disons donc d abord quelques mots sur la Catéchèse.

La Catéchèse

I. Pendant les deux premiers siècles. -- IL Du commencement du 111° siècle à la fin du V\ III. De la fin du V6 siècle au IX0 (3).

I. Pendant les deux premiers

siècles

1- La Catéchèse Apostolique. Conformément aux ordres de Notre Seigneur, les apôlres commencè- rent par enseigner. Mais qu'enseignaient- ils ? Quel était l'objet de leur catéchèse ? Cela dépendait des auditeurs auxquels ils s'adressaient.

Vis à vis des Juifs, par exemple, tout le débat se bornait à savoir si Jésus était vraiment le Messie annonce, s'il était Dieu. Et c'est ce qui explique le discours prononcé par saint Pierre après la descente du Saint-

i. Luc, i, 4 ; Ad. xviii, 25 ; 1 Cor. xiv, 19 ; Gai vi 6 , - 2. Crocquct, Calechesis chrisliana, Douai, 107/t, p. b ; Wituiit, Theologia calcchelica. Munster, i656, p. 2 ; Gilbert, Clinstl. calech. hisloria, Leipzig, i836, t. 1, p. 129 ; Zcrschwitz, Syslem der Christl. Kalech. Leipzig, iS63, t. 1, p. 17, sq.

3. BIBLIOGRAPHIE: A. Crocquct, Ca/ec/ieses c/iristtana?, Douai, 175/j ; Reinboit, DisserL du caleciiesi velerum, Rostock, i645 ;

INTRODUCTION

Esprit (i). La plupart de ses auditeurs lui demandant ce qu'ils avaient à faire, Pierre leur répondit : « Faites pénitence et soyez baptisés au nom de Jésus-Christ pour obtenir la rémission de vos péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit » (2). Auprès des Juifs delà diaspora» dans la synagogue des affranchis de Rome, des Cyrénéens, des Alexandrins, des Giliciens, des Asiates, saint Etienne va plus loin : il exalte Jésus au dessus de Moïse ; il déclare sa doctrine indépendante des rites et des prescrip- tions de la loi, ce qui est le congé donné à l'ancienne alliance (3). Cela suffit à caractériser la catéchèse aposto- lique auprès des Juifs. Mais l'épître aux Hébreux est plus explicite. Son auteur distingue entre le lait qu'on ne donne qu'aux débutants et la nourriture solide qu'on réserve pour les plus avances. Or, parmi les éléments constitutifs de cet enseignement préliminaire ou de cette catéchèse, il signale, comme fondement, la pénitence,

Witfelt, Theologia catechetica, Munster, i656 ; Stark, De eatecîiizaUone veterum, Wittenberg, 1688 ; Wilisch, Hisloria catechetica, Altenbourg, 1718 ; Langemach, Historia catechetica, 1729-1740 ; Walch, De apostolorum institatione catecheticay ïéna, 1744, Miller, De catechetico veteris Ecclesiœ docendi génère, Helmstadt, 1751 ; Zacharias, De methodo catechetica veterum ïhristianoram, Gœttingue, 1765 ; Robinson, The hislory oj Baptism, Londres, 1790 ; Grùber, Des ht. Augustin Théorie des Kateclietik, Salzbourg, i83o, i844; Gilbert, Christianœ catecheseos historia, Leipzig, i836 ; Mayer, Geschichte der Katechumenats und der Katechese, Kemptcn, 1868 ; A. Weiss, Die allkirschliche Pàdagogik, Fribourg, 1869 ; Zerschwitz, System der Kristlichen Kateclietik, Leipzig, 1863-1870 ; Schôbcrl, Die nar ratio des hl. Augustin, Dingolfing, 1880 ; Gobi, Geschichte der Katechese, Kemptem, 1880 ; Probst, Geschichte der katolischen Katechese, Bresiau, 1884 ; dom Cabrol, Les églises de Jérusalem, la discipline et la liturgie au IVe siècle, Paris, 1895 ; Mgr Duchesne, Origines du culte chrétien, 2e édit., Paris, 1898; Hézard, Histoire du catéchisme, Paris, 1900 ; Kirchenlexicon, 2e édit., Fribourg- en-Brisgau, 1891, t. vu, col. 238 208 ; A. Seeberg, Der Kalechismus der Urchristenheil, Leipzig, 1903 ; U. Chevalier. Répertoire. Topo-bibliographie, t. 1, col. Gi5 ; G. Bareille, article Catéchèse dans le Dictionnaire de théologie, t. 11, col. 1877-1895, X. AcL, 11, 22-3G. 2, Ibid. 3. AcL, vi-vn.

LE CATECHISME ROMAIN

puis la foi en Dieu, la doctrine du baptême, de l'imposition des mains, de la résurrection des morts et du jugement éternel (i).

Tout autre devait être la catéchèse adressée aux Gentils; car ceux-ci n'étaient pas préparés comme les juifs ; leur paganisme offrait un premier obstacle à vaincre. Il im- portait donc de renverser cet obstacle. D'après le discours de saint Paul à l'aréopage d'Athènes (2), on voit que l'existence d'un seul Dieu, créateur du ciel, de la terre et del'humanité, estaffirmée, quele paganisme est condamné, qu'il faut faire pénitence en vue du jugement futur, auquel présidera celui qui est déjà ressuscité d'entre les morts. Ce discours, interrompu par les Athéniens, laisse entrevoir la conclusion qui était de croire en Jésus-Christ et de recevoir le baptême pour être sauvé. Le cadre s'est donc élargi ; un élément nouveau et nécessaire, la con- damnation du paganisme, s'introduit dans la catéchèse et n'en disparaîtra plus.

M. A. Seeberg a essayé, de nos jours (3), de reconstituer la catéchèse qui servait, au temps des apôtres, à l'instruc- tion des catéchumènes. Mais ses conclusions reposent en partie sur des considérations qui ne sont pas fondées, telles que, par exemple, la non-authenticité de la formule baptismale, et supposent des combinaisons de textes, qui sont fragiles et branlantes (4).

La Didaché. Ce petit livre est un témoin de l'âge qui fait suite immédiatement à celui des Apôtres. Il nous offre, dans sa première partie, un modèle de catéchèse adressé à des catéchumènes avant la collation du baptême, sous la forme d'une très courte instruction morale on dirait un manuel sur les Deux voies, la voie de la vie et la voie de la mort. La voie de la vie est celle qu'il faut suivre en pratiquant le double précepte évangélique, l'amour de Dieu et du prochain, et ce principe d'ordre général : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'il

1. Hébr., y, 12 ; vi, 1, 2. 2. Act., xvn, 24-3i. 3. Der Kateckismus der Urchristenheit, Leipzig, 1903. 4- Diction, de Théologie, t. 11, col. 1879- 1880.

INTRODUCTION

te fasse ». La voie de la mort est celle qu'il faut éviter en ne commettant pas les péchés, qui sont énumérés (i). Cette catéchèse, il est vrai, ne renferme explicitement rien de ce qu'il faut croire ; elle ne s'en tient exclusivement qu'aux préceptes de la vie morale. Mais il va de soi que ceux à qui elle est adressée ne sont pas sans avoir mani- festé le désir de renoncer à la vie païenne pour faire profession de vie chrétienne, d'après une connaissance, rudimentaire, si l'on veut, mais suffisante et déjà acquise de l'erreur du paganisme et de la vérité du christianisme. Et c'est pourquoi on ne leur indique que ce qu'ils ont à pratiquer pour recevoir le baptême, en y ajoutant les œuvres, soit de pénitence, telles que le jeûne, soit de prière, telles, en particulier, que l'action de grâce sur le woTTJpiov et le xXàsixa et surtout la prière par excellence ou oraison dominicale.

C'est tout ce qui reste comme catéchèse du- rant les deux premiers siècles. Il existe cependant d'autres œuvres qui, manifestement, reflètent la mé- thode et l'objet de l'enseignement donné aux païens à cette époque, et, par exemple, la. première Apologie de saint Jus- tin, à Rome, et Y Exhortation aux Grecs de Clément, à Alexandrie. D'une part, en effet, malgré son défaut d'ordre, l'apologie de saint Justin permet de distinguer ces points principaux de cet enseignement : condamnation de l'ido- lâtrie ou du paganisme : proclamation de l'unité de Dieu, de l'existence du Père, du Fils et du Saint-Esprit, du dogme de la création ; preuve de la divinité de Jésus- Christ, Verbe de Dieu, fils unique de Dieu, incarné pour sauver tous les hommes, crucifié, ressuscité et juge futur du genre humain : récompense éternelle des bons, châti- ment éternel des méchants. On dirait déjà une notification du symbole apostolique. Et cette exposition dogmatique, si différente de la catéchèse des Deux voies, insiste, même auprès des gentils, sur la divinité de Jésus-Christ, prouvée par l'existence et la réalisation des prophéties.

i. Funk, Doctrina duodecim aposlolorum, Tubingue, 1887, p. 3-2i ; Diction, de Théologie, t. 1. col. i;S83-i684.

6 LE CATÉCHISME ROMAIN

D'antre part, le Protreptique de Clément d'Alexandrie est une invitation pressante adressée aux païens pour leur faire abandonner leurs erreurs et prêter l'oreille à l'ensei- gnement salutaire du Verbe. Pourquoi l'abandon du paganisme? A raison de son absurdité et de ses ignominies. Pourquoi l'adhésion à l'enseignement du Christ ? Parce que le Christ est le Verbe qui a eu pitié de nous dès le commencement et est venu nous délivrer ; parce qu'il est ïe Dieu fait homme qui nous a envoyé le Paraclet pour nous exhorter à la connaissance de la vérité; parce qu'il est la voie, la vérité, la vie, le salut. Conclusion : Expiez vos péchés par une sincère pénitence, lavez-les dans les eaux du baptême, attachez-vous à Jésus-Christ, embrassez sa doctrine, obéissez à ses lois, pour avoir part à son héritage ; sinon, redoutez les châtiments qui ne doivent pas finir.

C'était également la méthode de Théophile d'Antio- che dans ses trois livres à Autolycus.

En résumé, examen du paganisme pour le flétrir et le condamner, appel à l'histoire pour y montrer l'intervention miséricordieuse de Dieu à l'égard de l'homme, évocation •des souvenirs évangéliques pour signaler le rôle du Christ sauveur, considérations morales et enseignement dogmatique pour faire embrasser la foi et les pratiques chrétiennes, seul moyen de se sauver, c'est-à-dire d'obte- nir la récompense ou d'éviter le châtiment de la vie future, tels sont les points principaux qui forment la trame de la catéchèse primitive.

IL La Catéchèse

du commencement du IIIe siècle

à la fin du Ve

Dès que le catéchuménat commence à fonctionner comme une institution régulière, la catéchèse, tout en continuant à poursuivre, par l'enseignement, l'instruc- tion religieuse et l'éducation morale des auditeurs, sa proportionne à leurs besoins, à leur degré d'avancement.

INTRODUCTION

Ceux-ci, en effet, appartiennent à diverses catégories, ne se trouvent pas au même point de préparation ; les uns ne sont que de simples postulants, les autres des catéche- mènes proprement dits, d'autres encore des compétents ou des néophytes. Dès lors le catéchiste tient un langage plus ou moins explicite, d'après la situation, et selon les besoins immédiats de ses élèves. Il va de soi que celui qui vient d'être à peine initié par le baptême sera autrement instruit que le compétent, que le compétent sera traité autrement que le catéchumène et le catéchumène autre- ment que le simple postulant, qui frappe à la porte de l'Eglise pour la première ibis. De là, dans les catéchèses de cette période, qui s'étend du me siècle à la fin du v°, diverses nuances qu'il convient de caractériser d'un mot rapide.

Admission au Catôchumat. Une catéchèse spéciale précédait l'admission d'un postulant au caté- chumenat. Bien qu'aucun modèle de ce genre ne nous ait été conservé par les documents d'alors, le fait de son existence ne saurait être révoqué en doute.

Le but de la catéchèse étant de conduire à la foi, selon le mot de Clément d'Alexandrie (i), le but particulier de la catéchèse d'admission était de préparer les voies, de tracer la marche à suivre ainsi que la conduite à tenir, soit en indiquant les obstacles qu'il fallait écarter, soit en notifiant dans leur ensemble et d'une façon sommaire les principales vérités à croire et les devoirs à pratiquer.

Saint Ambroise nous donne un renseignement précieux à ce sujet. Il écrit, en effet, qu'il faut agir à l'égard des; païens comme saint Paul avait agi envers les membres de l'aréopage. De plus, il donne le programme à remplir :' c'est d'abord d'enseigner qu'il n'y a qu'un seul Dieu, que ce Dieu est le maître de tout et que le devoir de l'homme est de l'aimer; c'est ensuite de condamner l'idolâtrie; c'est enfin de montrer que Jésus-Christ a apporté le salut, par suite qu'il faut croire en lui, parce que l'histoire seule de ce qu'il a fait sur la terre jusqu'à sa résurrection est

i. Pédagogue, i, 6 ; Pair, gr., t. vin, col. 235.

8 LE CATÉCHISME ROMAIN

'

une preuve de sa divinité (i). Si la réponse qu'il fit in modum catechismi à Frigitil, reine des Marcomans, qui lui avait demandé ut scripiis ipslas qualller credere deberet, nous était parvenue, nul doute que nous n'eus- sions là un exemple de ce genre de catéchèse (2).

En revanche nous pouvons tirer des renseignements non moins précieux soit de la Grande Catéchèse de saint Gré- goire de Nysse (3), soit du De catechizandls rudibus de saint Augustin (4).

Il est vrai que l'évêque de Nysse, malgré le titre de son discours, ne nous donne pas une catéchèse proprement dite ou une allocution à des païens ; c'est plutôt une leçon à l'usage des catéchistes sur la manière de faire la caté- chèse, et plus spécialement de prouver par le raisonne- ment les mystères de la foi à ceux qui ne défèrent pas à l'autorité de l'Eglise. En conséquence, il avertit les maî- tres chrétiens de varier leurs procédés suivant les besoins de leurs catéchisés, de se mettre toujours au point de vue particulier de l'adversaire, de le suivre pas à pas et de pro- fiter de ses concessions pour entraîner et décider son adhésion. C'est de manière différente, en effet, qu'on doit procéder selon qu'on parle à un païen qui nie l'unité de Dieu, ou à un Juif qui ne croit pas en Jésus-Christ, ou à |un hérétique, qui, en attaquant la divinité de Notre-Sei- 1 gneur, erre sur la trinité. La tactique indiquée est celle |d'un controversiste ou d'un apologiste en face des diffi- cultés qu'on oppose aux dogmes chrétiens, beaucoup plus jque celle d'un catéchiste ; sans doute parce que les habi- litants de Nysse devaient avoir l'esprit raisonneur des Grecs et non la simplicité des hommes de bonne volonté. Quoi qu'il en soit, le ton a beau différer, l'objet de la catéchèse i reste le même, c'est de signaler les principaux dogmes, tels que celui de la trinité, de l'incarnation et de la" ré- demption, les deux sacrements du baptême et de l'eucha- ristie, ainsi que la double sanction de la vie éternelle ;

1. In Lac, vi, io4-io5 ; Pair, lai., t. xv, col. 1096-1097. a. Vila Ambrosii, 36 ; Pair, lai., t. xiv, col. 39. 3. Pair, gr., t. xlv, col. 9 sq. 4- Pair, lai., t. xl, col. 309 sq.

INTRODUCTION

et le but est identique, celui d'amener à la foi les infi- dèles (i).

Combien plus explicite est saint Augustin ! Grâce à lui, nous connaissons la méthode et l'objet de la catéchèse dont nous parlons. Attitude à avoir, plan à suivre, matière à traiter, c'est toute une théorie de ce genre de catéchèse qu'il adresse à Deogratias, diacre de Carthage, avec deux exemples ou modèles à l'appui, l'un plus long, l'autre plus court, selon le temps dont on dispose.

S'agit-il d'un illettré, d'un radis et indoctus ? Il faut lui montrer tout d'abord, par un rapide exposé de l'histoire du monde, que tout ce que Dieu a fait il l'a fait par amour, afin de porter cet illettré à répondre à ces avances divines par l'amour d'un cœur pur, d'une conscience droite, d'une foi non feinte ; car est la fin du précepte et la plénitude de la loi : tel est le but à atteindre. Et pour mieux provoquer cet amour, parler de la sévérité de Dieu, car la crainte est toujours salutaire pour toucher le cœur des mortels. Mais avant d'entrer en matière, il faut bien connaître l'état d'âme de ce postulant et procéder en connaissance de cause. Faire voir ensuite l'intervention de Dieu dans l'histoire à travers les six âges du monde, l'An- cien Testament n'étant que la préparation et l'annonce du Nouveau, et le Nouveau n'étant que la réalisation ou la révélation de l'Ancien. Finalement insister sur la résur- rection future, sur le jugement dernier et sur la sanction éternelle du bien et du mal ; mettre en garde cet illettré contre les scandales du dehors et du dedans ; lui rappeler brièvement et convenablement les préceptes de la vie chrétienne. Et si alors il accepte d'entrer dans la voie du salut, qu'il n'en rapporte qu'à Dieu tout le mérite, qu'il aime Dieu et son prochain à cause de Dieu, car Dieu qui l'a aimé ennemi le justifiera ami.

S'agit-il d'un homme possédant déjà quelques notions de la Sainte-Ecriture et des lettres chrétiennes ? N'avoir

i. Cf. H. Strawley, The catechical oralion oj Gregory of Nyssa, Cambridge, 1903.

10 LE CATECHISME ROMAIN

pas l'air d'apprendre à cet homme ce qu'il sait déjà, mais énumérer, comme s'il le savait, tout ce qu'on dit en pa- reil cas à l'illettré, car cela fournit l'occasion de lui ap- prendre ce qu'il ignore. Il n'est certes pas inutile de l'in- terroger, lui aussi, pour savoir à quels livres, à quels trai- tés, il attribue son désir de conversion. Si on les connaît, les louer ; mais s'ils sont l'œuvre d'hérétiques, leur oppo- ser l'autorité de l'Eglise universelle, en faisant remarquer que même les bons peuvent parfois se tromper ou donner lieu, quand ils sont mal compris, à ce que d'autres se trompent. Par lui éviter toute présomption. Quant au reste, c'est-à-dire pour ce qui regarde les conclusions pra- tiques, en parler comme aux ignorants.

S'agit-il enfin d'esprits cultivés au point de vue litté- raire, mais ignorants au point de vue de la foi ! A ceux-là, plus encore qu'aux illettrés, recommander la retenue ou l'humilité pour les empêcher de mépriser ceux qui évitent plus facilement les fautes de conduite que l'incorrection du langage ; leur apprendre surtout à s'instruire dans les Ecritures, à ne pas les considérer à un point de vue hu- main, et comme des livres ordinaires, à adhérer plus au sens qu'aux termes, à l'esprit qu'à la lettre, à l'âme qu'au corps ; à en écouter les explications vraies plus que celles qui sont directes, sans s'arrêter au langage incorrect ou barbare de celui qui les interprète ; car, à l'église, on n'est pas au barreau. Quant au sacrement à recevoir, il suffit aux plus entendus de comprendre ce qu'il signifie ; vis-à-vis des plus lents, user d'explications et de comparai- sons pour qu'ils ne méprisent pas ce qu'ils voient.

A cette théorie saint Augustin ajoute deux modèles. Qu'il suffise d'en retenir la conclusion : Croire ferme- ment sans se laisser déconcerter ; se tenir en garde contre les démons et leurs suppôts, qu'ils soient païens, juifs ou chrétiens ; s'attacher de préférence aux bons, sans mettre son espoir en eux, car il ne faut le mettre qu'en Dieu ; et, ce faisant, persévérer dans la foi, en dépit des tribulations ; conserver l'humilité, car Dieu ne permet pas qu'on soit tenté au-dessus de ses forces.

Ce qu'il y a de remarquable dans ce modèle de caté-

INTRODUCTION 1 1

chèse, ce n'est pas seulement la manière dont l'evêque d'Hippone envisage la suite des âges comme une sorte de philosophie de l'histoire, éclatent, dans une série ininterrompue, les attentions de Dieu à l'égard de l'homme, et fait de la personne du Christ le point central de l'histoire du monde, c'est encore l'habileté avec la- quelle il y enseigne les articles du symbole, sans révéler qu'ils fassent partie de la formule de foi, et y rattache toute la morale chrétienne ; c'est surtout le but très pré- cis qu'il poursuit d'inspirer la foi* l'espérance et la cha- rité. Aussi n'hésite-t-il pas à revenir à plusieurs reprises soit sur les récompenses promises aux fidèles, soit sur les châtiments réservés aux impies et aux mauvais chrétiens ; moyen excellent d'inspirer par la crainte un commence- ment d'amour de Dieu. Et c'est bien le genre de la catéchèse, adressée pendant la période patristique à ceux qui demandaient à entrer dans le catéchuménat, en vue de la future initiation chrétienne.

La Catéchèse des Catéchumènes. Dès qu'il était admis au rang des catéchumènes, et tant que durait le premier stage de sa probation, le futoir baptisé devait apprendre à mieux connaître la doctrine et la prati- quechrétiennes.Gr l'homélie ordinaireourinstruc!;nîiqui, au commencement du service divin, servait à expliquer et à commenter le passage de l'Ecriture dont on venait de faire la lecture, était insuffisante, à raison delà réserve et de la discrétion qui étaient inspirées parla loi du secret depuis l'institution du catéchuménat. Certains sujets, en effet, étaient de parti pris passés sous silence. Dans cet enseignement public on ne traitait que des questions générales de foi ou de morale, ou bien on se bornait à de simples allusions, à des explications sommaires, que saisissaient fort bien les initiés, mais qui restaient de pures énigmes pour les non-initiés. Les catéchumènes avait donc besoin d'un supplément d'information.

D'autre part, s'ils lisaient les livres de l'Ancien Tes- tament, même les deutéro-canoniques ou certains ou- vrages tels que la Didaché eu le Pasteur d'Hermas, ils étaient loin d'en saisir la portée ou d'en comprendre la

12 LE CATECHISME ROMAIN

doctrine : de encore la nécessité d'an enseignement supplémentaire et spécial.

Mais cet enseignement lui-même, confié à des didas- cales, docteurs ou catéchistes, clercs ou laïques, prêtres ou diacres, devait naturellement se proportionner aux besoins actuels des catéchumènes. Et comme ceux-ci n'étaient initiés que peu à peu, progressivement, selon le degré de leur probatlon, il s'ensuit que l'enseignement approprié qu'ils recevaient était forcément lui-même renfermé dans certaines limites. Son objet ne pouvait guère consister que dans un développement plus détaillé, plus accentué et plus complet de la première catéchèse, telle que nous l'a fait connaître saint Augustin, ou de l'homélie telle qu'elle se pratiquait alors.

Or rien n'était plus propre à y aider que Y Ecriture. Le dogme, depuis celui de la création et de la chute jusqu'à celui de la résurrection et du jugement général, y avait sa place avec une mise en relief de la bonté et de la justice de Dieu, de l'incarnation et de la rédemption; mais surtout la morale avec l'explication des divers préceptes de dé- calogue ou du double commandement de l'amour. Mais si la catéchèse, adressée aux cathéchumènes, était une ins- truction de nature à provoquer une adhésion plus ferme de l'esprit à la foi et à fixer la confiance en Dieu, elle était aussi une thérapeutique pour guérir les âmes de la folie du paganisme et des atteintes du péché, elle était essentiellement une formation morale de la volonté, un entraînement du cœur dans la pratique du bien, c'est-à- dire une éducation. Et à ce ptfint de vue, par exemple pour faire mépriserl'iclolâtrieou la superstition, pourinspirerle dégoût d'une morale facile et corrompue ou l'amour d'une morale saine et austère, rien de mieux approprié que la lecture et l'explication du livre la Sagesse. Celui de Y Ecclésiastique n'a-t-il pas pour but, selon la remarque de la préface, d'apprendre à bien régler ses œuvres et à mettre sa vie en harmonie avec la loi de Dieu ? Et trouver, pour des âmes à peine détachées du paganisme ou en train de s'en détacher, des leçons plus touchantes et mieux appropriées de foi, de confiance en Dieu, de

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vertus morales, que celles qui se dégagent des livres de Tobie ou cVEsther? On comprend ce que la Bible et l'Evangile offraient de ressources pour une telle éducation. 11 n'y aurait plus qu'à citer un exemple d'un tel genre de catéchèse : il nous fait défaut ; d'où l'impossibilité d'en dessiner le cadre ou d'en montrer la trame, et la néces- sité de recourir à l'hypothèse. Il est certain que cette catéchèse existait. Les Constitutions apostoliques y font clairement allusion (i), et aussi saint Augustin quand il dit qu'il faut enseigner avec plus de diligence et d'insis- tance aux compétents ce qu'on leur a déjà inculqué au- paravant (2). Et que leur a-t-on inculqué si ce n'est ce qu'on leur enseignait dans cette catéchèse ?

La Catéchèse des Compétents. Lorsque approchait, pendant l'année, l'époque de la collation solennelle du baptême, le catéchumène devait se faire inscrire au nombre des compétents pour se préparer d'une manière immédiate au sacrement de la régé- nération. Pendant ce dernier temps de probation, il recevait un complément d'instruction religieuse, et l'enseignement qu'on lui donnait s'entourait d'une certaine solennité.

La catéchèse traitait alors, d'après les Constitutions apostoliques (3), de la création, de la providence, de la trinité,des lois de l'Eglise, du jugement, des fins dernières, et, d'après la Peregrinatio Silviœ (4), un témoin des usages de Jérusalem à la fin du ive siècle, de la loi, de la foi et de la résurrection de la chair. C'était le même objet que celui de la catéchèse des catéchumènes, celui d'indiquer aux compétents quelles doivent être la foi et la vie du chrétien, sauf, comme le remarque saint Augustin, qu'on

1. Const. apost., vin, 32 ; Patr. gr., t. 1, col. n32. 2. De fide et oper,, vi, 9 ; Patr. lat., t. xl, col. 2o3, Cf. Grùhcr, Des hl. Augustin Théorie der Katechetik, llatisbonnc, 1870 ; Schôbcrl, Die narratio de hl. Augustin und die Katecheliker der Neuzeit, Dingolfmg, 1880. 3. Const. apost. vu, 39 ; Patr. gr.t t. 1, col. io4o. 4. Peregr., 40, édit. Geyer. Vienne, 1898, P- 97-

l4 LE CATÉCHISME ROMAIN

y insistait davantage. Par suite la synthèse fait place à l'analyse, l'enseignement se fait plus précis et plus explicite. Notamment la règle de foi ou symbole y occupe une place à part,. C'est alors, en effet, que le symbole est notifié pour la première fois comme la règle imprescriptible et la formule sacrée de ce qu'il faut croire. Son texte est révélé ; chacun des articles qui le composent est successivement détaillé et expliqué, de manière à être facilement compris et retenu. Le symbole ne s'écrivant pas, le compétent devait l'apprendre par cœur à ce moment pour le réciter ensuite d'une manière solennelle devant l'assemblée des fidèles, avant le baptême, et pour le répéter tout le reste de la vie dans sa prière privée. C'était là, comme nous le verrons en parlant du baptême, la traciitio et la redditio symboli.

. La tradition du Paier se fait aussi solennellement. De plus le Décalogue, dont l'ensemble a fourni jusque matière à l'enseignement homélétique et catéchétique, est détaillé et donné dans sa forme scripturaire comme l'expression de la volonté de Dieu et la règle immuable de la conduite des fidèles. Enfin les trois sacrements qui font partie de l'initiation chrétienne sont à leur tour l'objet d'une explication appropriée : leur nature, leur rôle, leurs effets, ainsi que le symbolisme des cérémonies qui les encadrent sont passés en revue.

Vu l'importance de cet enseignement donné aux compétents, ce n'est plus un simple didascale ou un membre du clergé inférieur qui en est chargé, mais bien l'évêque en personne ou un prêtre de choix. Toutes les catéchèses prononcées in tradillone symbole, qui nous sont parvenues, ont été faites, en effet, par des évêques ou des prêtres spécialement délégués. C'est ainsi, par exemple, que saint Cyrille à Jérusalem, saint Chrysoslome à Antiochc. et saint Augustin à Hippone furent chargés, avant leur épiscopat. de l'instruction des compétents.

Hien ne saurait donner une idée plus précise et plus détaillée de ce genre d'instruction, de leur méthode, de leur sujet cl de leur importance que le recueil célèbre des catéchèses faites à Jérusalem, en 'ô!\§, par saint Cyrille,

INTRODUCTION 1 5

au nom de l'évêque Maxime. Ce recueil se compose d'une procatéchèse ou préface, de dix-huit'catéchèses, adressées aux compétents pendant le carême, et de cinq autres dites mystagogiques, adressées aux nouveaux baptisés, la semaine après Pâques. La méthode est simple, claire, vivante et pressante, aussi appropriée que possible aux besoins intellectuels et moraux des auditeurs, très pratique et très objective. Elle vise, en effet, à détacher d'abord les compétents du péché par le repentir et la pénitence, à les bien préparer par l'ascèse à cette purification ou illumination par excellence qu'est le baptême, à les mettre en garde contre les erreurs ambiantes des païens, juifs ou hérétiques, à leur formuler avec toute la précision désirable les vérités dogmatiques renfermées dans le symbole en les appuyant de preuves empruntées à la raison ou tirées de l'Ecriture, à leur expliquer enfin le saisissant symbolisme des diverses pratiques préparatoires au baptême (i).

La Catéchèse des Néophytes. La collation du baptême ne mettait pas un terme à l'enseignement caté- chétique. Initiés à la vie chrétienne par la réception du baptême, de la confirmation et de l'eucharistie, les néo- phytes restaient encore pendant huit jours sous la direction de leurs catéchistes avant d'être définitivement associés à la vie ordinaire des fidèles, et continuaient à recevoir quel- ques instructions particulières. A Jérusalem, les catéchèses mystagogiques de saint Cyrille traitent des cérémonies du baptême, de l'onction chrismale et de la liturgie eu- charistique. Elles représentent, au point de vue de l'instruction spéciale réservée à ceux qui viennent d'être initiés à la vie chrétienne, la catéchèse des néophytes au lendemain de leur baptême jusqu'à la veille du dimanche de Quasimodo, in aibls depositis, ils se confondaient désormais avec le reste des fidèles (2).

Semblable pratique avait lieu en Occident. C'est ainsi

1. Pair, gr., t. xxxiii ; Cf. Dictionnaire de Théologie, t. n, col. 1887, pour le détail. 2. Peregr,, loc. cit., p. 99 ; Duchesne, Origines du culte, p. 5oo.

l6 LE CATÉCHISME ROMAIN

qu'à Milan, saint Ambroise renvoyait après Pâques l'explication des mystères, parce que l'impression directe produite par la vue même de ces mystères semblait une leçon préférable à celle d'une explication préparatoire (i). Cela ne l'empêchait pas de donner dans la suite une explication détaillée des divers rites. Le De mysleriis est, en effet, composé en partie d"instructions adressées, comme à Jérusalem, à de nouveaux baptisés et relatives au baptême, à la confirmation et à l'eucharistie.

En Afrique, au contraire, et particulièrement à Hip- pone, la plupart de ces explications précédaient la colla- tion du baptême ; mais la semaine après Pâques n'en était pas moins réservée à certaines instructions dites ad infantes, ad neophytos, soit pour suppléer à l'insuiïi- sance des enseignements donnés sur la messe et la communion, soit surtout pour engager à la persévérance les nouveaux baptisés (2)»

III. La Catéchèse de la fin du Ve siècle au IXe

Pendant que l'Eglise grecque, après la chute de l'empire romain d'Occident, se mettait à la remorque du pouvoir civil et épuisait sa force dans d'interminables querelles jusqu'au schisme final, l'Eglise latine resta aux prises avec les invasions. Mais déjà très puissante en Italie, dans l'Afrique du Nord, en Espagne, en Gaule, dans une partie de la Germanie et dans les îles britanniques, l'Eglise de Rome assure sa prépondérance et reçoit dans son sein les barbares, dont elle fait des peuples chrétiens. Or, dans ce milieu les familles qui ont embrassé la foi forment la majorité delà population, l'ancienne organisation du caté- chuménatperd en partie sa raison d'être. Car le baptême des enfants tend de plus en plus à être la règle ordinaire,

1. De myst., 1, 2 ; Pair, lat., t. xvi, col. 389. 2. Saint Au- gustin, Serm., cclx, Pat. lat., t. xxxviu, col. 1202 ; Serm., cccliii, Ibid., t. xxxix, col. i56o.

INTRODUCTION 1 7

tandis que le baptême des adultes devient de plus en plus une exception. Sans doute, même pour le baptême des enfants, on pratique encore, durant le carême et jusqu'à la veille de Pâques, les cérémonies spéciales delà tradition du symbole et de l'oraison dominicale, à la- quelle on ajoute celle des saints Evangiles et de la foi ; le triple renoncement au démon, à ses pompes et à ses œuvres, la triple affirmation de la foi ont toujours lieu. Mais ce sont les parrains et les marraines qui se substi- tuent à leurs filleuls et jouent le rôle actif dans toutes ces cérémonies.

La catéchèse ancienne, préparatoire au baptême, doit être forcément remplacée par un enseignement posté- rieur au baptême. Dès qu'ils parviennent à l'âge de raison, les enfants baptisés doivent recevoir une instruction chré- tienne, de manière à connaître les vérités à croire et les devoirs à remplir pour mener une vie conforme au baptême qu'ils ont reçu. Cette instruction incombe tout d'abord aux parents et aux parrains comme une obligation étroite de leur parenté naturelle ou spirituelle ; mais, pour divers motifs, elle ne pouvait que laisser beaucoup à désirer et devait être en tout cas fort rudimentaire. Elle fut également confiée aux prêtres chargés du soin des paroisses. Mais qu'il fût donné par les parents et les parrains ou par les membres du clergé, cet enseigne- ment élémentaire était destiné à remplacer la catéchèse du catéchuménat. Devant particulièrement s'adresser à des enfants, il dut être mis à leur portée, être réduit à sa plus simple expression, de manière à être saisi et retenu. A la longue, après bien des tentatives et des essais, il aboutit à ce que n«us appelons aujourd'hui le catés/risme, comme nous le verrons plus loin.

La catéchèse ne continue pas moins d'être pratiquée, à titre exceptionnel dans les pays chrétiens auprès des adultes infidèles, et normalement en pays païens, c'est-à- dire au centre, à l'est, au nord de l'Europe, partout l'Eglise porte l'effort de son apostolat.

La Catéchèse en pays Chrétien. En Afrique, en Espagne et en Gaule, on continue à traiter les catéchu-

LB CATÉCHISME. T. I.

l8 LE CATÉCHISME ROMAIN

mènes et les compétents comme par le passé. Dans la pro- vince d'Afrique, Saint Fulgence de Ruspe (f 533) dit aux compétents que le démon a été frappé pareuxdedixplaies. Or ces dix plaies rappellent dix pratiques déjà connues du catéchuménat, entre autres la traditio symboli (i). Son correspondant Ferrand, diacre de Carthage, lui écrit pour savoir ce qu'il faut penser du sort réservé à l'un des com- pétents qu'il préparait au baptême et qui venait de mourir subitement ; il a soin de constater que ce catéchumène avait été admis au nombre des compétents, aux approches de Pâques, qu'après l'inscription de son nom, il avait reçu l'instruction propre à son rang et la notification des mystères de la vie chrétienne ; qu'il était passé par les exorcismes et avait subi le scrutin solennel ; qu'il avait pris l'engagement de renoncer au démon ; qu'il avait assisté à la tradition du symbole et de l'oraison domini- cale et qu'il avait récité la formule de foi (2).

En espagne, les ariens sont nombreux, les évêques décident, au concile d'Agde de 5oG, que l'on doit ensei- gner aux compétents partout le même jour, c'est-à-dire, le huitième avant Pâques, can. i3, et qu'il faut obliger les juifs qui veulent se convertir, à passer huit mois eu rang des catéchumènes, can. 34 (3). Plus tard, trois ans après la conversion du roi des Suèves, Ariamir, en 563, au iep concile de Braga, ils rédigent une formule de symbole pour l'opposer au priscillianisme et veulent que l'on con- tinue à administrer le baptême conformément aux indi- cations envoyées par le pape Vigile à Profuturus (4).

En 572, II9 concile de Braga : on y trace la conduite à suivre pendant le carême a l'égard des compétents, tou- chant les exorcismes et l'enseignement du symbole ; les évêques sont invités à pousser leurs diocésains, pendant la visite pastorale, à abandonner les erreurs païennes et à éviter les fautes graves (5). Après la conversion de Ré- carède, le concile de Tolède de 589 ordonne aux fidèles

1. Serm. lxxviii, Patr. lat., t. lxv, col. 95o. a. Epist., 1; Epist., xii, 1,2; Patr. lat., ibid., col. 38o. 3. Hardouin, Acla, Concil., t. 11, col. 999, 1002. 4- Capit., 5 ; Hardouin, t. m, col. 35 1. 5. Can. 1, ibid., col. 386.

INTRODUCTION

de chanter à la messe le symbole de Constantinople (i). Au siècle suivant, le catéchumène, d'après saint Isidore (2),, est celui qui rejette le culte des idoles et apprend à con- naître qu'il n'y a qu'un seul Seigneur ; quant au compé- tent, il est instruit sur ce qui regarde les sacrements, sur le symbole et la règle de foi et sur ce qui touche au baptême, à la chrismation et à l'imposition des mains (3). Saint Ildefonse, dans son De cognitione baptismi, suit d'abord la nar ratio de saint Augustin ; il distingue en- suite le compétent du catéchumène, et cite comme faisant partie de son instruction spéciale le symbole, l'oraison dominicale, les sacrements du baptême, de confirmation; et d'eucharistie (4).

En Gaule, nous savons par Gennade (5), ce qu'on en- seignait aux futurs baptisés, à la fin du ve siècle. Pour le vie, saint Avit (7 526) nous a laissé un petit poème en cinq chants, qui rappelle une partie de la narratlo augusti- nienne et qui traite de la création, du péché originel, du jugement de Dieu chassant Adam du paradis, du déluge et du passage de la mer Rouge, deux types du bap- tême (6). Saint Césaire (7 542), fidèle écho de l'évêquer d'Hippone, nous fait connaître les devoirs des parents à l'égard des enfants, des parrains vis-à-vis de leurs filleuls; il énumère les vices et les superstitions de son temps qu'il faut abandonner pour devenir chrétien, traite de l'obliga- tion qui incombe au compétent, des divers articles du symbole qui faisaient l'objet de la catéchèse préparatoire au baptême, de la foi due au symbole, de la trinité.de l'incar- nation, de la rédemption et du jugement dernier (7). Après lui, saint Grégoire de Tours (7593 ou 5g4) cite parfois quelque trait relatif à l'administration du baptême pen-

1. Capit., 2, ibid., col. 386. 2. De offic, II, xxi; Pair, lat.* t. Lxxxiu, col. 8i4- 3. De ojfic, II, xxn-xxvn, ibid., col.,. 812-824. 4. De cognit. bapt., xxxiu, cxxxu-cxlii ; Pair, lat.* t. xcvi, col. 124, 166-171. 5. De eccles. dogm., 74 ; Patr. lai.,. t. Lvui, col. 997. 6. De Mosaicœ historiœ gestis, Patr. lat., t. lix, col. 323-368. 7. Serm., vi, 6 ; clxviii, 3 ; cclxv, 5 ; cclxvii ; ccxhv-ccli; Pair. lat.t t. xxxix, col. 1751, 2071, 2239,

22^2, 2l83-2I94.

20 LE CATECHISME ROMAIN

dant le vie siècle dans son Histoire des Francs (i).

La Catéchèse en pays de missions. Com- mencées dès <le ve siècle, les missions amènent succes- sivement la conversion de l'Irlande, de l'Ecosse et de la Grande-Bretagne pendant le vie siècle. Puis, sous les Méro- vingiens d'abord, sous les Carlovingiens ensuite, des Irlan- dais viennent se mêler aux Francs pour évangéliser les Pays-Bas des rives de l'Escaut à celles de la Meuse, toute l'ancienne Germanie romaine, l'Austrasie, l'Alé- manie, la Thuringe et la Bavière. Enfin des mission- naires anglo-saxons entreprennent la conversion de la Saxe et de la Germanie, qui n'avaient pas connu le joug de Rome, et qui sont réduites par Charlemagne. Au ixe siècle, le christianisme pénètre en Moravie et en Bohême, grâce aux saints Cyrille et Méthode, en Danemark avec saint Anschaire, et, à partir de la fin du x6 siècle, en Suède et en Norvège, en Pologne, en Hongrie et en Russie. Sans dépasser ici inutilement le règne de Charlemagne, il faut rechercher la méthode sui- vie par saint Patrice (f 460) chez les Irlandais, par saint Colomban (f 573) chez les Pietés et les Scots, par saint Augustin de Cantorbéry (f 608) chez les Anglo-Saxons, par saint Amand et saint Eloi (f 658) chez les Francs aus- trasiens, par saint Gall (f c. 627) chez les Alémans de la Suisse, par saint Kilian (vers 689) en Thuringe, par saint Rupert en Bavière, par saint Wilfrid (f 700) et saint Willi- brord (f c. 739) dans la Frise, et par saint Boniface (f 755) dans la Saxe et les pays environnants.

Malheureusement il ne nous est resté aucune catéchèse de cette époque, sans doute, parce que, prêchant en lan- gue vulgaire, les missionnaires d'alors ne prirent pas soin de rédiger en latin les discours qu'ils adressaient aux païens et aux catéchumènes, comme ils le firent pour quelques homélies, adressées à des chrétiens, dans le but de les mettre entre les mains du clergé, à titre de modèle ou de manuel de prédication. Nous en sommes donc réduit aux conjectures.

x. Hist. Franc, m sq ; Pair. lat.t t. lxxi, col. 241 sq.

INTRODUCTION 21

Cependant, ce qui rend ces conjectures très vraisem- blables, c'est que ces missionnaires ont naturellement s'inspirer de l'expérience déjà acquise ailleurs ainsi que des traditions introduites dans l'Eglise par le catéchuménat. Le milieu, il est vrai, difïérait, mais l'obstacle à vaincre était toujours le paganisme et ses superstitions. De ce côté, la catéchèse ne pouvait procéder tout d'abord que par la démonstration de l'erreur païenne, sauf à ne pas trop heurter de front ces natures farouches et susceptibles. Des ménagements s'imposaient. Et si trop souvent, con- trairement aux sages prescriptions de l'Eglise, la force brutale intervint pour obliger les peuples vaincus à accepter le joug de la foi, il était facile de prévoir combien éphémères devaient être de pareilles conversions. Mieux valait incontestablement user d'une sage modération et ne recourir qu'aux procédés ordinaires de la persuasion évangélique en appuyant l'enseignement donné sur l'au- torité de l'exemple, la sainteté de la vie et l'efficacité du dévouement ; et c'est ce à quoi ne manquèrent pas, en général, la plupart-des missionnaires.

Mais ayant affaire à des caractères droits, à des natures, généreuses et enthousiastes, ils se hâtèrent parfois d'admettre les catéchumènes au baptême sans une prépa- ration intellectuelle suffisante pour des esprits aussi peu cultivés. La catéchèse préparatoire devait contenir cepen- dant le strict nécessaire des vérités à croire et des devoirs à pratiquer pour devenir chrétien ; mais elle était si promptement oubliée que quelques-uns de ses éléments essentiels n'étaient plus connus après le baptême et que, des ordres furent donnés en conséquence, à plusieurs, reprises, pour enseigner, par exemple, aux nouveaux, baptisés, l'objet du triple renoncement au démon, à ses pompes et à ses œuvres, et pour leur faire apprendre par cœur la formule du symbole des apôtres et de l'oraison dominicale.

Voici, du reste, d'après les documents contemporains,- les quelques indications sommaires qui permettent de reconstituer à peu de chose près la catéchèse d'alors, et de constater que la plupart des éléments de la catéchèse

^32 LE CATECHISME ROMAIN

-apostolique et patristique s'y retrouvent. C'est, en effet, en premier lieu, la condamnation de l'idolàlriesous toutes ses formes, et l'on sait combien elle était profondément enracinée dans ces races pietés, saxonnes, germaniques. «Saint-Eloi énumère un grand nombre de supersti- tions (i), et le concile de Leptines, 743, en compte une tren- taine dans son Indiculus super stitionum et paganariam (2). C'est ensuite la proclamation de l'existence d'un Dieu uni- <jue, créateur du ciel et de la terre, envoyant son fils pour sauver les hommes, avec un abrégé de l'histoire religieuse <Ju monde et de l'économie de la rédemption. C'est aussi le rôle du baptême, les renoncements et les engagements <jui précèdent sa collation, la liste plus ou moins détaillée des fautes à éviter et des devoirs à remplir. Et c'est enfin la question des fins dernières, du jugement général et de la sanction des récompenses ou des peines éternelles.

Saint Augustin, envoyé par saint Grégoire le Grand, prêche l'Evangile au roi anglo-saxon, Ethelbert, le con- vertit et le baptise avec une multitude des siens à Can- torbéry, le jour de Noël 597, comme Saint Rémi avait baptisé Clovis et ses Francs, à pareille fête, un siècle au- paravant (3). Le pape, félicitant son missionnaire de ce <jue la nation des Angles, dégagée des ténèbres de l'erreur et éclairée des lumières de la foi, a embrassé le christia- nisme, laisse entendre quelle fut la méthode catéchétique •de saint Augustin (4).

Quelques années plus tard, en 624, Boniface V écrit à Hdwin, roi saxon du Northumberland encore païen, pour l'engager à embrasser la foi de sa femme Edelburge et à se faire chrétien. Sa lettre est un programme de caté- chèse. Inanité des idoles, importance de croire un Dieu créateur, qui a envoyé son fils unique pour sauver le genre humain, nécessité d'embrasser l'évangile et de re-

1. Vita S. Eligii, 11, xv ; Pair, lai., t. lxxxvii, col. 524-55o. 2. Pair, lai., t. lxxxix, col. 810 sq ; Hardouin, t. ni, col. «gis ; Hefele, Histoire des Conciles, t. iv, p. 407. Cf. Ratramne, Pair, lai., t. cxxi, col. n53. 3. Bèdc, Hist. eccles.. ï, xxv; Pair, lai., t. xcv, col. 55. 4. Epist., L. xi, xxvu ; Pair, lat., $. lxxvii, col. n3g.

INTRODUCTION 23

naître par le baptême, tels sont les principaux points qu'elle traite (t). Le roi rassemble ses chefs et ses prêtres ; et le pontife des idoles, Coïf, constate franchement l'inutilité du culte païen et affirme qu'il serait sage d'accepter une religion qui enseigne d'où nous venons et nous allons (2). La question de l'origine et de la destinée humaine devait donc faire partie de la catéchèse adressée aux Anglo-saxons.

En 634, le roi Oswald, voulant convertir les provinces de son royaume restées idolâtres, s'adresse à des religieux scots. L'un de ceux-ci, Corman, avait rebuté les Angles par ses austérités. « Vous avez été trop sévère auprès de ces ignorants, lui fait remarquer un vieillard, Aedan ; vous auriez dû, selon la discipline apostolique, commen- cer par leur offrir le lait d'une doctrine plus douce jus- qu'à ce que, nourris peu à peu du Verbe divin, ils eus- sent été à même de comprendre un enseignement plus parfait et de s'élever à la pratique des commandements du Seigneur» (3). Ici, c'est la catéchèse apostolique qu'on invoque et dont on suppose l'emploi ordinaire.

Saint Eloi, au rapport de Saint-Ouen, touchait si bien le cœur des barbares que chaque année, à Pâques, il donnait le baptême à des foules de catéchumènes (4). Or, paraît-il, il détachait peu à peu le peuple bercé de labiés de ses croyances païennes et de ses pratiques supersti- tieuses, lui parlait du seul vrai Dieu, créateur, lui inspi- rait la crainte des châtiments futurs et lui montrait les récompenses éternelles, dont il n'avait pas jusqu'alors le soupçon (5). Il utilisait trop bien les œuvres de saint Gésaire pour avoir ignoré celles de saint Augustin ; son discours rappelle à la fois les Deux voies de la Didaché et et la catéchèse du De catechizandis rudibus.

Saint Gall, dans un discours prononcé sur les bords du lac de Constance, semble également faire écho à la nar- ratio de saint Augustin : c'est un résumé de l'histoire re-

i. Epist., ni ; Pair, lat., t. lxxx, col. 438. 2.Bède, II, xm, col. io4- 3. Bède, III, v, col. 124. 4. Vita S. Eligii, II, vin; Patr. lat., loc. cit. col., 5i3. 5. Vita S. Eligii, II, xv ; ibid, col. 5a4-55o.

2 4 LE CATÉCHISME ROMAIN

ligieuse du monde depuis la chute jusqu'à la rédemption par la croix de Jésus-Christ, traitant de la mission des apôtres, de la vocation des gentils et de la constitution divine de l'Eglise, arche du salut (i). Bien qu'adressé à des auditeurs, dont la plupart avaient reçu le baptême, ce discours rappelle la catéchèse d'introduction au caté- chuménat.

A en juger parles quinze homélies qui nous restent et qui sont un manuel d'instruction religieuse à l'usage des commençants, saint Boniface devait insister sur les obli- gations de la vie chrétienne, fautes à éviter et devoirs à remplir, sur l'objet du triple renoncement et des promes- ses baptismales (2). Parmi les canons qu'on lui attribue, le 27e spécifie que le prêtre qui baptise doit faire faire au catéchumène les renoncements et la profession de foi en langue vulgaire, afin qu'il sache à quoi il s'engage (3). Dans une lettre à son ancien évêque de Winchester, il demande des conseils pour mener à bien la conversion des saxons et des thuringiens. Daniel répond et, parmi les conseils que lui dicte sa vieille expérience, il indique celui d'écarter tout d'abord les superstitions de ses au- diteurs (4).

La Didaché n'était pas inconnue à saint Boniface, car il s'en est servi non seulement pour rappeler aux fidèles les engagements pris au baptême, ainsi qu'en témoigne son homélie xv, De abrenuntiatione in baptismate (5), mais aussi pour instruire les catéchumènes avant de les admet- tre au baptême. Et l'on peut en dire autant de saint Ph> minius de Reichenau, son contemporain, dont nous possédons un traité sous forme de discours, sorte de compendium catéchétique comprenant un abrégé d'his- toire sainte, des considérations relatives au baptême, à Yabrenuntiatio, à la reddilio symboli, quelques points de morale et la liste des fautes à éviter (6). Du reste la

1. Serm.; Pair, lat., t. lxxxvii, col. i3-2Ô. 2. Flomil., III, xv ; Pair, lat., t. lxxxix, col. 8^7, 870. 3. Ibid., col. 822. 4. Episl., xiii ; Pair, lat., ibid., col. 703. 5. Ibid., col. 870. - 6. Scarapsas, Patr. lat., ibid., col. 1029-1050. Cf. Schlecht. DoctrinaXII apostolorum, Fribourg-en-Brisgau, 1901, p. 83.

INTRODUCTION 25

doctrine morale des Deux voies de la Didaché avait sa place marquée dans la catéchèse des catéchumènes ; son texte servait en réalité à cet enseignement. La preuve en est, note M. Ladeuze dans la Revue d'histoire ecclésiasti- que (i), dans les deux homéliaires de Malk et de Fressing, qui nous ont rendu la version latine des Deux voies. La Didaché y est conservée parmi les homélies sur la foi, le symbole, etc., et, dans les deux manuscrits, elle fait suite à l'homélie xv, déjà citée, de saint Boniface.

Lorsqu'il fut sacré évêque à Rome par Grégoire II, en 723, l'apôtre de la Germanie connaissait déjà, pour l'avoir pratiquée, la marche à suivre dans levangélisation des païens. Au besoin, la lettre du pape qu'il emportait et qui était adressée aux saxons de vieille race, encore païens, la lui aurait rappelée. « Le royaume de Dieu est proche, écri- vait Grégoire II (2): ne cherchez pas votre salut dans les vaines idoles fabriquées de mains d'homme, d'or, d'argent, de pierre ou de bois, et décorées par les païens du nom de divinités. Elevez vos regards et vos cœurs vers le Seigneur Dieu, créateur du ciel et de la terre. N'adorez que lui et vos fronts ne rougiront plus. Dépouillez le vieil homme pour revêtir le Christ nouveau. Déposez toute malice, colère, fureur et tout blasphème... L'éveque que je vous envoie vous délivrera de l'esclavage et des fraudes du démon. Il vous arrachera au péril de la damnation éternelle pour vous introduire dans les joies du royaume du ciel. ))

A l'assemblée générale de ces redoutables Saxons, à Merklo sur le Weser, il eut le courage de se présenter, saint Lebwin, disciple de saint Boniface, condense ainsi en quelques mots sa catéchèse : « Ecoutez-moi, écoutez surtout celui qui parle par ma bouche. Je vous porte les ordres de celui à l'empire et au jugement duquel tout est soumis. Ecoutez et sachez que le Seigneur, créateur du ciel et de la terre et de la mer et de tout ce qu'ils contien- nent, est le seul vrai Dieu. Vos idoles ni ne vivent, ni ne se meuvent, ni ne sentent, car elles sont l'œuvre des hom-

1. Louvain, Avril 1903, p. 263-264. 2. Epist., vu ; Patr. lat., t. lxxxix, col. 5o4-5o5.

26 LE CATÉCHISME ROMAIN

mes ; impuissantes à se défendre elles-mêmes, elles ne sauraient vous être d'aucun secours ; c'est en vain que vous leur immolez des victimes. Le Dieu seul bon, seul juste, vous a pris en piété. Il m'a envoyé vers vous pour que vous abandonniez vos erreurs et vous vous tourniez vers lui. C'est lui qui vous a créés et c'est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes. Si donc vous le reconnaissez fidèlement, si vous faites péni- tence et recevez le baptême, si vous observez ses com- mandements, il vous conservera sur la terre et vous récompensera dans le ciel. Sinon, les peines futures vous attendent (i). » Rappelant et dépassant le discours de saint Paul à l'aréopage, saint Lebwin ajoute à la menace des châtiments de la vie future ceux de la vie présente, car il fait allusion, à la fin de son petit discours, à l'inter- vention possible et terrible du roi des Francs.

On sait qu'en 811 Charlemagne envoya une lettre cir- culaire à tous les évêques de son vaste empire pour leur demander des renseignements précis sur le baptême, tel qu'il était pratiqué dans leurs diocèses, sur ses rites et ses cérémonies (2). Or, de toutes les réponses qui durent lui être adressées quelques-unes seulement sont parvenues jusqu'à nous.

Parmi celles-ci, aucune ne provient d'évêques mission- naires ou installés en pays de mission, ce qui aurait été une source précieuse de renseignements pour le sujet qui nous occupe. Nous constatons cependant, d'après Magnus, évêque de Sens (3), et Jessé d'Amiens (4), quel était le thème général sur lequel roulait la catéchèse ; et déjà, au siècle précédent, le concile de Cloveshow, en 747, avait indiqué l'objet propre de la catéchèse, et c'était d'ensei- gner le symbole aux catéchumènes ut intelligant quid cre- dere, quid sperare debeant (5).

Et, postérieurement à la consultation de Charlemagne,

1. Vita S. Lebwini, xn, Pat. lai., t. cxxxn, col. 890. 9. Patr. lat, t. xcvm, col. g33 ; cf. Capitulai™ de 811, 11, 9; Patr. lat, t. xcvn, col. 33 1. 3. Libellus de mysterio baplisma- tis, Patr. lat., t. en, col. 981. 4- De baptismo, Patr. lat., t. cv, col. 781. 5. Can. 11 ; Hardouin, t. ni, col. 1955.

INTRODUCTION 27

un disciple d'Alcuin, Raban Maur, composa un De disci- plina ecclesiastica en trois livres, dont le premier traite des ordres sacrés, le second des divins sacrements, et le troisième dix combat chrétien, dans le but très précis d'in- diquer la marche à suivre pour l'instruction des païens qui demandaient à recevoir le baptême. Or le L. Ier (i) n'est autre chose que la reproduction à peu près intégrale du De catechizandis rudibus de saint Augustin ; nouvelle preuve de l'influence de l'évêque d'Hippone sur ce point particulier. Le II6 traite des rudiments de la foi, de l'orai- son dominicale et du symbole ; autant d'éléments que nous avons trouvés ailleurs et qui entraient, eux aussi, dans la trame de la catéchèse. Enfin le IIIe traite des ver- tus à pratiquer et des vices à éviter, ce qui nous ramène une fois de plus, par une amplification très détaillée, aux Deux voies de la Didaché.

Ainsi donc, du ve au ix9 siècle, la catéchèse préparatoire au baptême, fidèle à la tradition des premiers siècles, ne fait que continuer et reproduire ce que nous avons cons- taté, soit aux origines apostoliques, soit à l'époque de l'organisation systématique du catéchuménat. Cette en- quête pourrait se poursuivre pour l'époque ultérieure ; mais elle semble inutile, car elle amènerait à une consta- tation nouvelle de ce que nous venons de relever pour la période qui va du v9 au ix° siècle. Il ne reste plus, dans ces conditions, qu'à se rendre compte de l'état, de la forme, de l'objet de l'instruction religieuse donnée aux nouveaux baptisés, en particulier aux enfants, en la sui- vant dans sa marche progressive jusqu'à son aboutisse- ment final dans, ce que nous appelons le Catéchisme (2).

1. Patr. lai., t. cxii, col. 1193 sq. a. Voir notre article dans le Dictionnaire de Théologie, t. n ; les pages qui précèdent n'en sont que la reproduction abrégée.

28 LE CATÉCHISME ROMAIN

Le Catéchisme

avant

le Concile de Trente

I. Pendant la période patristique. IL Du Ve siècle au VIIIe. III. Sous Charlemagne, et du IX6 siècle au Xe. IV. Au XIIe et XIIIe siècles. V. Au XIVe et XVe siècles. VI. Pendant la première moitié du XVIe siè- cle (1).

I. Pendant la période patristique

Le mot Catéchisme paraît pour la première fois, chez

i. BIBLIOGRAPHIE : Eder, Methodus catechismi catholici,Lyon, 1579 ; Grotius, Baptizatorumpuerorum institutio, Londres, 1647; Schmidt. De institutione catechetica, Helmstadt, 1699 ; Schu- mann, Dissertatio historica de seminariis catecheticis veterum et recentioram, Leipzig, 1718 ; Frickius, De catechizandi ratione veterum et recentioram Ecclesise, Ulm, 1729 ; Gôbel, Geschichte der Katechese im Abendlande vom Ver faite des Katechumenats bis zum Ende des Mittelalters, Kempten, 1880 ; Schôberl, Der Kathol. Schulkatechismus in seiner Geschichte, Kempten, i885 ; Probst, Geschichte der katholischen Katechese, Paderborn, 1887 ; Ilézard, Histoire du Catéchisme, Paris 1900 ; Kirchenlexicon, t. vu, col. 288-317 ; Wicgand, Die Stellung der apost. Symbols im Kirchen-Leben des Mittelalters, Leipzig, 1899 ; Gohrs, Die evangelische Kalechismusversuche vor Luther's Enchiridion, dans les Monumenla Germaniœ pœdagogica, t. xx-xxm, Berlin, 1900- 1902 ; Kuske, Der evangelische Kalechismuslitleralur bis 1525, dans Sachssc, t. xxv ; Mangenot, article Catéchisme, dans le Dictionnaire de Théologie, t. 11, col. 1895- 1968.

INTRODUCTION 29

les Latins, dans la lettre de saint Ambroise à la reine des Marcomans, dont nous avons déjà parlé ; il y est syno- nyme de catéchèse. Ce n'est que très tard qu'il a été employé au sens actuel. Il désigna d'abord l'enseignement familier et rudiinentaire donné aux jeunes baptisés ou aux ignorants, ensuite le manuel pédagogique, méthodi- quement distribué en leçons, que les enfants doivent apprendre par cœur et dont ils doivent recevoir l'expli- cation d'un catéchiste autorisé.

Mais avant d'arriver à la rédaction de ce manuel que nous appelons catéchisme, que d'essais ! que de tâtonne- ments et d'expériences dans la suite des âges ! L'Eglise s'est préoccupée tout d'abord de déterminer la matière de l'enseignement catéchétique, d'assurer l'instruction reli- gieuse par la prédication ordinaire et de rédiger dans ce but des traités spéciaux ou des manuels à l'usage du clergé. L'idée de mettre entre les mains des enfants un abrégé delà doctrine chrétienne ne s'est réalisée qu'à la longue, peu à peu, sous des formes diverses, par de multiples essais, dûs à l'initiative privée, avant d'être officiellement adoptée et universellement imposée par l'Eglise.

Pendant la période patristique, rien ne prouve qu'il y eût un enseignement spécialement organisé en faveur des enfants baptisés en bas âge, pour le moment ils atteignaient l'âge de raison. A plus forte raison n'y eût-il rien qui ressemblât à un catéchisme, au sens nous entendons actuellement ce mot. M. A. Seeberg, dont nous avons déjà parlé, a cru pouvoir démontrer l'existence, dès l'âge apostolique, d'un catéchisme dogmatique, moral et liturgique, servant de cadre à l'enseignement des Apôtres, de règle de foi et de vie aux fidèles. Mais ce n'est qu'une catéchèse ou un catéchisme, au sens large du mot. Et c'est encore une catéchèse que la Didachê. On en peut dire autant de VExpositio symboli de Rufin (1), puisque, d'après sa préface, elle était desti- née à servir de fil conducteur aux catéchumènes, ainsi que des Competentibus ad baptismum libelli sex de Nicétas,

1. Pair, lat., t. xxi, col. 335..

30 LE CATÉCHISME ROMAIN

dont parle Gennade (i), et des quatre discours De symbolo ad catechumenos du pseudo -Augustin, comme l'indiquent clairement les titres.

L'Eglise, cependant, dut pourvoir à l'instruction reli- gieuse de ces jeunes néophytes, puisque, dès l'origine, elle n'hésita pas à baptiser les enfants. Et l'on sait qu'à partir de la fin du 11e siècle elle pratiqua largement cet usage (2). Elle assura cette instruction de deux manières. D'abord, en imposant à ceux qui présentaient ces enfants et en répondaient, l'obligation de les instruire sur les principes de la foi et les pratiques de la vie chrétienne (3). On pou- vait alors compter sur le zèle des chrétiens, dont la vie était une leçon vivante et un modèle de vertus. Ensuite, en admettant ces enfants baptisés à la prédication ordi- naire, dès qu'ils étaient à même de l'entendre. Malgré cela, il n'est point de trace de l'existence ou de l'organisa- tion d'un enseignement catéchétique spécial, postérieur au baptême et comparable à celui du catéchuménat, sans doute parce que les cas de ces baptêmes d'enfants ne furent de prime abord que des exceptions.

Du reste des inconvénients devaient résulter d'un tel état de choses. Et nul n'ignore avec quel déplaisir Tertul- lien voyait l'Eglise pratiquer ce baptême des enfants, à cause des obligations étroites qu'impose le sacrement de baptême, et dont l'enfant est incapable de connaître la nature ou de comprendre la gravité ; à raison surtout de certains faits d'expérience qui montraient que des enfants baptisés, une fois devenus adultes, rendaient trop sou- vent illusoires les promesses baptismales (l\). Or une telle répugnance n'aurait pas eu sa raison d'être si l'Eglise, pour obvier à des inconvénients toujours possibles, avait déjà pris vis-à-vis de ces enfants baptisés certaines mesu- res particulièrement appropriées ou organisé un système d'enseignement religieux qui fût pour eux ce que le

1. De vir. M., 22 ; Patr. lat.t t. lviii, col. 1073. 2. Har- nack, Doymenyeschichte, 20 édit., 1888, t. 1, p. 3g5 ; Ghoisy, Précis de l'histoire des dogmes, Paris, 1893, p. i5, 67. 3. Const. apost., IV, xi ; Patr. gr.t t. 1, col. 824. 4. De baptismo, 18; Patr. lat.t 1. 1. col. 1221.

INTRODUCTION 3l

catéchuménat était pour les catéchumènes. C'est dono qu'un tel système n'existait pas.

Néanmoins les inconvénients d'un tel état de choses se trouvaient compensés par des avantages certains, puisque le pédobaptisme tendit de plus en plus à devenir la pra- tique ordinaire dans les milieux chrétiens. Quant aux remarques, dans le genre de celles de ïertullien, elles ne purent que contribuer soit à rendre plus étroites les obli- gations des parents et des parrains, soit à provoquer de la part de l'Eglise les mesures indispensables pour sup- pléer à l'insuffisance de l'instruction reçue au foyer domestique ou à la prédication ordinaire.

IL Du Ve au VIP siècle

Dans les pays de mission. La période qui va du commencement du v6 siècle à la fin du vme ne se montra guère, tout d'abord, favorable à l'institution d'un enseignement catéchétique spécial en faveur de l'enfance chrétienne, à cause des difficultés sans nombre qu'eut à traverser l'Eglise. En Occident, en effet, l'arianisme conti- nuait ses ravages pendant que les barbares de l'est et du nord restaient encore soustraits à l'action de l'évan- gile. Mais la conversion de Clovis et de ses Francs saliens, en 490, ouvrit une ère nouvelle, magnifiquement saluée par saint Avit (1). Ce n'est qu'au vie siècle que l'Eglise se débarrasse enfin de l'hérésie et dispute victorieusement les barbares au paganisme. D'une part, en eilet, l'aria- nisine pâlit et s'éteint, d'abord chez les Burgondes en Gaule, ensuite chez les Suèves et les Wisigoths en Espa- gne, et enfin chez les Ostrogoths et les Lombards en Ita- lie. D'autre part, le prosélytisme s'accentue et marche de conquête en conquête. L'Irlande devient une pépinière démissionnaires et d'apôtres. Colomban l'ancien (f 597) évangélise le nord de la Grande Bretagne et convertit les Scots et les Pietés de l'Ecosse ; Colomban le jeune

1. Epist. xli ; Patr. lat., t. lix, col. 257-259.

32 LE CATÉCHISME ROMAIN

(f 6i5) se dirige vers le sud à travers l'Europe occiden- tale et marque chacune de ses étapes par les créations célèbres de Luxeuil en Bourgogne, de saint Gall en Suisse et de Bobbio en Italie. A leur tour, sous l'action de saint Grégoire le grand, des missionnaires romains entrent en scène dès 5o,6. Et, au siècle suivant, les divers royaumes anglo-saxons d'Angleterre embrassent la foi, les uns après les autres. De plus les Bretons et les Celtes chrétiens finissent par renoncer à leurs préjugés et à leurs tradi- tions et acceptent la discipline romaine, les Irlandais du sud dès 633, ceux du nord en 716, et l'unité religieuse triomphe en Occident.

En même temps les rives de la Meuse, de l'Escaut, du Rhin et du Danube sont parcourues par des apôtres an- glo-saxons, qui prennent leur mot d'ordre à Rome et obéissent aux directions du pape. La foi pénètre ainsi parmi les divers peuples de race germanique. Malgré les conseils de saint Grégoire le grand, qui étaient d'user avant tout de mansuétude (1), le service du Christ devant être, selon la remarque de Bède, un service volontaire et sans contrainte (2), on eut recours parfois à des moyens violents. Le plus souvent on conféra le baptême à des groupes entiers de barbares, après quelques catéchèses qui soulevaient l'enthousiasme, et sans les avoir soumis rigoureusement à la discipline antique du catéchuménat. Ces admissions hâtives n'étaient pas sans danger; car ces barbares, même après le baptême, conservaient dans l'es- prit et le cœur des préjugés et des passions qu'ils es- sayaient de concilier avec leur nouvelle foi religieuse. Baptisés, ils étaient encore loin d'être foncièrement chré- tiens. Des habitudes persistaient en eux qui étaient en opposition complète avec l'idéal du christianisme.

Sans doute l'Eglise essayera de les faire disparaître peu à peu ou de leur infuser assez de sève chrétienne pour les rendre inoffensives (3). En attendant, elle dut reprendre

1. Epist., I, xxxv ; IX, vi ; Pair, lat., t. lxxvii, col. 489,945. 2. Hist. eccles., I, xxvi ; Patr. lat., t. xcv, col. 57. 3. Cf. S. Grégoire, Epist., XI, lxxvi ; Patr. lat,, t. lxxvii, col. 12 15 ; Bcde, Hist. eccles., I, xxx ; loc. cit. col. 70-71.

INTRODUCTION 33

sur nouveaux frais, après le baptême, l'instruction de ces barbares baptisés. De l'objet si particulier de l'ensei- gnement postbaptismal dans ce milieu de missions pour détruire les préjugés de l'esprit et amortir les passions du cœur. De les instances réitérées de la prédication sur la notion capitale de l'unité de Dieu, les dangers de l'ido- lâtrie, sur la nature et les conséquences pratiques du re- noncement et des promesses du baptême, qui font res- sembler cette prédication aux catéchèses du catéchumé- nat. C'est ainsi, par exemple, que, s'adressant à des bap- tisés le jour Jean fut sacré évêque de Constance dans l'église de saint Etienne, saint Gall (f 6l\6) fait une véri- table catéchèse (i). Saint Léger (f 678), d'après le résu- mé de sa prédication rapporté par saint Ouen, parle éga- lement à des néophytes et leur rappelle le pacte baptis- mal, les renoncements, les promesses, la profession de- foi du baptême, etc. (2). Plus tard saint Boniface dut com- poser des homélies pour servir de modèle ou de manuel aux prêtres des paroisses ; ces homélies visent des bapti- sés et la xve, De abrenuntiatione in baptismale, insiste sur les étroites obligations contractées au baptême par les fidèles, sur l'objet des renoncements et sur ce qu'il faut croire et pratiquer pour être sauvé.

En pays chrétien. Pendant ce temps, que se. pàssait-il en milieu chrétien, dominait l'usage de baptiser les enfants? Ici, l'ancienne préparation pédago- gique des catéchumènes n'avait plus sa raison d'être. Seuls, les cadres du catéchuménat persistaient ; la liturgie, par- ticulièrement pendant le carême, conservait encore cer- taines cérémonies ; mdïs les enfants baptisés n'y jouaient qu'un rôle inconscient, le vrai rôle incombant aux parents ou aux parrains. La question de leur instruction religieuse restait donc. Celle-ci ne pouvant leur être donnée qu'à partir du moment ils étaient capables de la com- prendre, comment chercha-t-on à y pourvoir ?

1. Sermo, Pair. lat.t t. lxxxvii, col. i3 sq. 2. Vita Eligii, II. i5 ; Patr. lat., ibid., col. 525 sq.

LE CATHÉCHTSME. T. I.

34 LE CATÉCHISME ROMAIN

L'Eglise maintient, cela va sans dire, le devoir qui in- combe aux parents et aux parrains de donner à leurs en- fants où à leurs pupilles l'instruction chrétienne ; c'est un concours effectif' qu'elle réclame de leur part. Les évo- ques, dans leurs statuts synodaux, et plus tard, les prin- ces chrétiens dans leurs lois reviennent sans cesse sur cette obligation de la parenté naturelle ou spirituelle. Qu'il suffise de signaler parmi les canons attribués à saint Boniface le xxvie, d'après lequel personne ne peut tenir un enfant sur les fonts baptismaux s'il ne sait par cœur le symbole et l'oraison dominicale; car, est-il spé- cifié, comment enseigner aux autres ce qu'on ignorerait soi-même ? Tout fidèle, proclame le concile anglais de Galchut, en 782 ou 787, doit savoir par cœur le symbole et l'oraison dominicale ; tout parrain doit être averti de l'obligation qu'il contracte envers Dieu pour l'instruction de son filleul, auquel il doit enseigner le symbole et l'oraison dominicale (1). Gharlemagne se gardera bien d'oublier de telles prescriptions, dont on trouve la pré- sence beaucoup plus tard encore parmi les lois des rois Edgard (f 975) (2) et Canut le grand (f io36) (3).

Mais ce devoir des parents et des parrains, outre qu'il pouvait être négligé ou mal rempli, était loin de suffire pour assurer aux enfants l'instruction religieuse néces- saire. L'Eglise doit intervenir elle-même. Elle ne se con- tente pas d'obliger les parents et les parrains à savoir par cœur certaines formules, notamment le Credo et le Pater, pour l'apprendre à leurs enfants ou à leurs filleuls ; elle exige que tout baptisé sache cette double formule, soit en latin, soit en langue vulgaire ; elle exige enfin, et ceci regarde l'enseignement par la prédication, que désormais l'évêque dans son diocèse, le prêtre dans sa paroisse, insistent sur l'explication claire et simple du symbole et de l'oraison dominicale et emploient pour mieux se faire comprendre la langue maternelle. Bède écrit à Egbert, évêque d'York, que, puisqu'il ne peut parcourir en un an

1. Canon 2; Hardouin, t. in, col. 2073. 2. Canon 17; Hardouin, t. vi, col. 661. 3. Loi 22 ; Hardouin, t. vit- col. 901.

INTRODUCTION 35

son diocèse tout entier, il doit placer des prêtres dans- chaque village, sans doute pour administrer les sacre- ments, mais aussi pour expliquer aux fidèles le Credo et le Pater, les leur faire apprendre par cœur, soit en latin, soit en langue vulgaire (i). De leur côté, les conciles insis- tent sur ce même sujet. Tout évêque, dit le concile de Cloveshow, 747, doit visiter son diocèse chaque année pour y détruire les superstitions, can. 3 ; tout prêtre doit savoir par cœur le Credo, le Pater et la Trinité c'est-à-dire le Quicumque, pour les expliquer en langue vulgaire (2). Semblables prescriptions aux conciles de Calchut (3). Une homélie du vin6 siècle, en langue tudes- que (4), recommande le symbole et oblige les parrains à l'enseigner à leurs filleuls sous peine d'en rendre compte au jugement de Dieu.

Ainsi donc, durant cette période, tout parrain, tout chrétien doit savoir par cœur la formule du symbole des apôtres et de l'oraison dominicale ; tout prêtre doit insis- ter, dans sa prédication, sur l'explication du Credo, du du Pater, et du Quicumque. Tels sont les rudiments de l'enseignement catéchétique. C'est le noyau autour duquel vont peu à peu se grouper d'autres éléments nécessaires. La prédication ordinaire sert à assurer cet enseignement qui, naturellement, se complétait par la notification des devoirs à remplir et des fautes à éviter, à cause des obligations de la vie chrétienne, en particulier à cause de la confession. Mais si le clergé possède déjà un résumé de ce qu'il doit spécialement enseigner aux fidè- les, il n'y a pas encore trace d'un manuel catéchétique à l'usage des enfants ou des jgnorants.

1. EpisL, 11 ; Patr. lat., t. xciv, col. 659. a. Canon 10 ; Hardouin, t. m, col. 1954-1955. 3. Canon a ; i&id., col. 3073. 4. Wackernagel, Altdeutsches Lesebuch, p. 5i, cité par Oza- nam, La civilisation chrétienne chez les Francs, 2* édit., Paris» i855, t. il, p. 3o8.

36 LE CATÉCHISME ROMAIN

III. Sous Charlemagne et du

IXe au XIe siècle ;

Sous Charlemagne. Avec Charlemagne et sous sa forte impulsion, d'importantes améliorations se produisent dans le domaine de la prédication et de l'instruction religieuse. L'enseignement catéché tique semble avoir été l'une des grandes préoccupations de cet empereur, car il s'accuse en un puissant relief. D'un côté, la prédication continue sans doute à s'ins- pirer des modèles de l'antiquité, mais elle prend une forme populaire et traite avant tout des sujets pratiques, relatifs au baptême, à la foi et aux mœurs chrétiennes. Charlemagne, en effet, charge Paul Diacre, dès 788, d'ex- traire de l'œuvre des Pères un recueil d'homélies pour aider les prêtres peu experts et pour servir de modèle à tous (1).

En 789, il ordonne aux prêtres de prêcher avec soin, de manière à être compris, la foi catholique, c'est-à-dire le symbole, et l'oraison dominicale (2). En 802, il ouvre le congrès d'Aix-la-Chapelle par un discours est résumé ce qu'un chrétien doit croire et faire d'après les engage- ments du baptême (3) ; il y renouvelle les capitulaires de •789 (4). En 809, il prescrit aux prêtres d'avoir des Capi- tula de majoribas vel minoribus viliis pour en faire l'objet de leur instruction (5), après leur avoir recommandé de prêcher, de faire apprendre et de faire réciter le Credo et îe Pater (6). En 811, il leur prescrit encore d'examiner leurs ouailles, de les interroger sur les promesses et les renoncements du baptême, sur ce qui rend ces promesses vaines et ces renoncements nuls (7). Cette même année,

1. Epist., iv ; Pair, lat., t. xcviii, col. 1896 ;t. xcv, col. 1160. - 2. Cap. 60, 69, Pair, lat., t. xcvn, col. 171, 175. 3. Ibid., ■col. 2/10-242. 4- Cap. 28 ; ibid., col. 238. 5. De presbyle- ris, cap. i5 ; ibid., col. 326. 6. Cap. 1, 3 ; ibid., col. 323.— «7. De inlerrog, cap. 5, 6 ; ibid., col. 329.

INTRODUCTION 3j

il envoie une circulaire à tous les évoques de l'empire pour savoir qualiter tu et suffraganei tai doceatis et ins- truatis sacerdotes Del et plebem vobis commissam de bap- tisant sacramento ; nous y avons déjà fait allusion. Deux ansaprès, en8t3, nouveau capitulaire sur l'objet de la pré- dication, qui doit traiter du symbole, de l'oraison domi- nicale et des péchés (i). D'un manuscrit d'Orléans, ancien 94, actuellement 116, f. 85, L. Delisle a extrait 21 capitu- lai res dont voici le vie : Ut unusquisque sacerdos oratio- nem dominicain et symbolum populo sibi commisso curiose insinuet ac totius religionis studium et christianitatis cul- tum eorum menlibas ostendat (2).

D'autre part, Charlemagne tient à ce que les parrains sachent par cœur le symbole et l'oraison dominicale pour pouvoir les enseigner à leurs filleuls (3), et il fait défense à quiconque les ignore de tenir un enfant sur les fonts baptismaux (4); car il regarde avec raison la parenté spirituelle contractée au baptême comme la source d'obligations sacrées de la part des parrains vis-à-vis de leurs filleuls, obligations dont ils auront à rendre compte devant Dieu (5).

De plus, pour suppléer à l'insuffisance des écoles des cathédrales et des monastères, trop peu nombreuses et trop disséminées, qui, du reste, ne servaient presque exclusivement que de séminaire pour le clergé ou de noviciat pour les moines, et par n'atteignaient pas la masse du peuple, Charlemagne multiplie les foyers d'instructions. Dès 797, Théodulfe d'Orléans (f 821) avait fondé dans son diocèse des écoles populaires et gratuites : Ut scholas presbyteri habeant, in quibus fidelium parvulos gratis erudiant (6). L'idéal eût été, en effet, que chaque

1. Cap. i4 ; Patr. lat., t. xcvn, col. 363 ; Anségise, Lib. i, 76; Benoît diacre, Lib. 1, 161, 170; ibid. col. 159, 520, 72a.

2. Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Notices et ex- traits, i884, t. xxxi, p. 421. 3. An. 802, cap. i5 ; Patr. lat.% t. xcvii, col. 248. 4. Epist., xv; Patr. lat,, t. xcvm, col. 917.

5. An. 8o4, cap. 2 ; 8o5, cap. 24; ibid., col. 281, 282, 288.

6. Cap. 20; Patr. lat., t. cv, col. 196 ; Hardouin, t. iv, col. Ql3.

38 LE CATÉCHISME ROMAIN

curé possédât une école presbytérale, non pas seulement comme l'avait décidé le second concile de Vaison en 529, pour les besoins du ministère, Ut presbyteri per parochias juniores lectores domi nutriant eterudiant (1), mais encore pour y donner avec l'enseignement primaire l'instruction religieuse. C'est dans ce but que Charlemagne publia le célèbre capitulaire, Utscholœ legentiumpuerorumJîant(2). D'après le texte du capitulaire, le programme de ces écoles comprenait la lecture, l'écriture, l'étude des psaumes, le chant sacré, le comput ecclésiastique et la grammaire. Mais il englobait également les éléments de la foi chrétienne, de sorte que l'école ainsi comprise devenait un secours efficace pour l'Eglise.

Toutes ces importantes décisions, relatives à l'instruc- tion que le clergé devait répandre et que les chrétiens devaient recevoir, devinrent autant de lois ecclésiastiques, grâce aux conciles de l'époque. C'est ainsi, par exemple, que le concile de Tours, en 81 3, ordonne que, pour instruire le peuple, chaque évêque doit posséder un recueil d'homélies sur la foi, l'objet des renoncements du baptême, les fins dernières, les moyens du salut et les œuvres qui méritent soit la récompense, soit la damnation éternelles (3). Ce canon est promulgué de nouveau au «concile de Mayence de 847, sous la présidence de Raban Maur, par le canon 2, qui exige que le recueil homélétique soit traduit, selon les lieux, in rusticam romanam llnguam aut theotiscam (4). C'est ainsi encore que, d'après le concile d'Arles, 81 3, les parents doivent instruire leurs enfants et les parrains leurs filleuls : ceux-là, parce qu'ils les ont engendrés ; ceux-ci, parce qu'ils ont répondu pour -eux (5). Le concile de Mayence de 8i3 dit : a Ut unusquis-

1. Can. 1 ; Hardouin, t. 11, col. no5. 2. Cap. xxn, 72, d'après Kurth, Origines de la civilisation moderne, 2e édit., Paris, 1888, t. 11, p. 3o3 ; Anségise, Lib. 1, 68 ; Patr. lat.t t. xcvn, col. 517. 3. Can. 17, Hardouin, t. iv, col. 1025 ; cf. Concile de Reims, 8i3, can. i5 ; Hefele, Histoire des Conciles, t. v, p. 182. Hardouin, t. iv, col. 1018. 4. Can. 2 ; Hefele, ibid., p. 328 ; Hardouin, t. v, f. 8. Cf. Goebel, Geschichte der Katechese im Abendland, Kempten, 1880. 5. Can. 19 ; Hefele, t. v, p. 181 ; Hardouin, t. iv, col. 1006.

INTRODUCTION

que compater vel proximi spiritales filiolos suos catholice instruant (i). L'un des moyens d'instruire ainsi les enfants c'est de les envoyer à l'école : Dignum est ut Jilios suos douent ad scholam, sive ad monasteria, sive foras presby- teris, utfidem catholicam recte discant et orationem domi- nicain, ut domi alios edocere valeanL Et qui aliter non potuerit, vel in sua lingua hoc discat (2). La raison en est facile à saisir ; car, selon la juste remarque du concile de Paris, en 829, dans les commencements de l'Eglise on n'admettait personne à la foi et au baptême sans une instruction préalable ; mais la foi étant présentement établie partout, et les enfants des chrétiens étant admis au baptême avant l'âge de raison, il faut suppléer aux instructions qu'ils ne pouvaient recevoir lors de leur baptême (3). À Rome, en 826, on décida que, dans toutes les églises épiscopales, à la campagne et partout cela serait nécessaire, il y aurait des maîtres pour enseigner les arts libéraux et les sancta dogmata (4). Le concile. d'Aix-la-Chapelle de 836 insiste sur la nécessité de donner aux enfants baptisés l'intelligence de l'oraison dominicale, du symbole et de leurs devoirs (5).

Tel est, sous Charlemagne, l'ensemble des dispositions prises pour assurer l'enseignement catéchétique. L'objet de cet enseignement est nettement délimité. Il comprend1 avant tout l'explication du symbole des apôtres, de l'oraison dominicale et du symbole dit de saint Athanase, avec rémunération des œuvres à accomplir et des fautes à éviter, selon le Décalogue. On peut en trouver un écho dans les conseils donnés par Dhuoda à son fils, en 842 qui forment en 73 chapitres un petit manuel de la foi et de la morale chrétiennes (6). Les Documents de cette époque en langue tudesque, recueillis par Eckard, nous révèlent qu'on enseignait aussi le Gloria in excelsis, les œuvres de miséricorde et la manière de se confes-

1. Can. 47 ; Hefele, ibid., p. 186 ; Hardouin, ibid., col. 1017. a. Can. 45. 3. Cap. 6 ; Hefele, ibid., p. a55 ; Hardouin, ibid., p. i3oo. 4- Can. 34; Hefele, ibid., p. 245. 5. Hefele, ibid., p. 290 ; Hardouin, t. iv, col. 1397. 6. Pair, lat., t. evi, col. 109-118.

[\0 LE CATÉCHISME ROMAIN

ser (i). Car, outre deux explications du Pater, l'une attri- buée à Otfried de Vissembourg, disciple de Raban Maur, l'autre au moine de saint Gall, Notker, tous deux du ixe siè- cle, du Credo et du Qaicumque, il renferment une liste assez détaillée des péchés contre les commandements de Dieu et de l'Eglise : preuve évidente que ces divers points fai- saient alors partie de l'instruction religieuse. Ainsi paraît Ja matière de l'enseignement catéchétique de cette époque. Et cette matière est soigneusement consignée dans des irecueils spéciaux, que les prêtres doivent avoir sous la main (2). Il ne restait donc plus, pour en faire un manuel de catéchisme à l'usage des enfants qu'à la réduire en formules aussi précises et didactiques que possible.

Après Charlemagne. Le ixe siècle nous offre déjà une tentative de ce genre dans la Disputatio puerorum per interrogationes et responsa, que Frobenius Forster a [placée parmi les œuvres douteuses d'Alcuin (3), et Probst a voulu voir la catéchèse normale du ixe au xiue siècle (4). Ce petit livre, en effet, a les allures d'un catéchisme. Il procède par demandes et par réponses et traite successi- vement, en douze chapitres, de l'œuvre des six jours, de ;la nature de l'homme, des Anges, de Dieu, des six âges du monde et de l'homme, des livres de l'Ancien et du ^Nouveau Testament, de la hiérarchie ecclésiastique, de la i messe, du symbole et de l'oraison dominicale. Par la pen- \ sée, le style et la forme, il rappelle les ouvrages dialogues I d'Alcuin, mais rien ne prouve qu'Alcuin l'ait écrit ; car .s'il avait été son œuvre destinée à l'école palatine, il esta < croire que Charlemagne l'eût recommandé, sinon imposé; I et Raban Maur, disciple d'Alcuin, en eût fait autant au I concile de Mayence. Rien ne prouve non plus que ce ma-

V ï. Incerti monachi Weissenburgensis catechesis theotlsca, sœcuîo \ÎX conscripta, et monumenta varia theotlsca, Hanovre, 1713.

2. Voir, pour le Credo et le Pater, Wiegand, Die Stellung der \apost. Symbols im Kirchl. Leben des Mittelalters, Leipzig, 1899, ip. 33i sq. 3. Alcuini vita et opéra, Salzbourg, 1777, t. 11,

p. 4i9~44o; Patr. lat.f t. ci, col. 1099-1144. 4. Geschichte

der Catéchèse, p. 87.

INTRODUCTION 4l

nuel ait été mis entre les mains des enfants. Il ne passa pas inaperçu, cependant; car deux siècles plus tard, ses deux derniers chapitres avec leur forme dialoguée précè- dent une exposition du Qaiq unique, desaint Bruno, évêque de Wurtzbourg, (f io45), pour l'usage de son diocèse (i).

La période qui suit la renaissance carolingienne, sur- tout le xe siècle, oiïre peu de documents relatifs à l'his- toire du catéchisme. Rathier de Vérone (j 974) a laissé une Synodica qui marque à quel degré d'abaissement pétait alors tombée l'instruction religieuse. Il recommande bien d'enseigner le symbole et l'oraison dominicale, qui constituent les points principaux de l'enseignement caté- chétique, 10 ; il rappelle aux parrains l'obligation de les faire apprendre à leurs filleuls, 1 1 ; et il dit aux prêtres : Ut unusqulsque vestrum, si fieri potest, expositionem symboli et orationis dominicœ... pênes se scriplam habeat et eam plenUer intelligat, et inde, si novit, prœdicando populum sibi commissum sedulo instruat, 12 (2).

Au xie siècle, Fulbert de Chartres (f 1029), qui avant de devenir évêque avait eu la direction de l'école, indique à Adéodat la manière dont il entend que la foi soit ensei- gnée aux commençants, par l'explication des trois princi- paux mystères de la vie chrétienne, c'est-à-dire des trois premiers sacrements qui constituaient, au temps du catéchuménat, l'initiation chrétienne (3). Signalons en- core un autre traité sur ce même sujet, le Libellus de sacramentis de Bonizo de Plaisance (f 1089) (4), et une explication du Pater, In orationem Domini (5), de Théo- doric de Paderborn (f c. 1079).

Ainsi donc, comme traits caractéristiques de cette période, il faut signaler le choix des matières à enseigner, la rédaction d'un manuel catéchétique sous forme d'ho- mélie, d'explication ou de commentaire, avec l'obligation imposée aux prêtres d'avoir ce manuel et de s'en servir

1. Commentarius in orationem dominicam, symbolum apostolo- rum et fidem Athanasii; Patr. lat., t. cxlii, col. 557-568. 2. Patr. lat.t t. cxxxvi, col. 562-563. 3. Epist., v; Patr. lat., t. cxli, col. 196 sq. 4. Patr. lat., t. cl, col. 857 sq. 5. Patr. lat., t. cxlvii, col. 334 sq.

42 LE CATÉCHISME ROMAIN

pour l'instruction religieuse des fidèles, et l'un des pre- miers essais de catéchisme dialogué dans la Disputatio, dont nous avons parlé.

VI. Aux XIIe et XIIIe siècles

La forme dialogué©. La forme dialoguée, inau- gurée au ixe siècle, est reprise au commencement du xn* parHonorius d'Autun, mort vers 1120. Celui-ci, en effet, compose à la prière de ses amis un petit ouvrage en trois livres, il traite du Symbole, du mal physique et moral, de toutes les espèces de péché et des fins dernières ; c'est YElucidarius sive Dialogus de summa totius christianss theologiœ(i), sur lequel l'Histoire littéraire de la France (2) donne des renseignements erronés. Ce dialogue accuse, une main novice et n'est pas exempt d'erreurs ; il embrasse trop de matières et surtout des questions abstruses sur les problèmes les plus difficiles de la théologie. Il ne pouvait donc guère jouer le rôle d'un catéchisme, malgré le suc- cès qu'il eut dans la suite, car il fut traduit en français, au xuie siècle, par le dominicain Geoffroy de Waterford, en allemand, en italien, en anglais (3).

Le Septénaire. En matière pédagogique, un suc- cès beaucoup plus caractéristique fut réservé au nombre sept. Saint Augustin, dans son explication du discours sur la montagne, avait jeté les bases d'une théorie mystique sur ce chiffre. Expliquant les béatitudes, il avait réduit leur nombre à 7, la dernière devant se confondre avec la première. Par il trouvait qu'elles correspondent aux 7 dons du Saint-Esprit gradibus sentenliisque, avec cette différence cependant qu'elles suivent un ordre ascendant depuis la crainte jusqu'à la sagesse, tandis que les dons avaient été énumérés par Isaïe en sens contraire (4).

1. Pair, lat.y t. clxxii, col. 1109-1176. 2. T. xn, p. 167 sq. 3. Hain, Repertorium, Stuttgard, 1826 n. 88o3-8822. - 4. De Sermone Domini in monte, I, iii-iv, 10, 11.

INTRODUCTION 43

D'autre part, selon lui, le nombre des demandes de l'orai- son dominicale, également de 7, correspond à celui des béatitudes et vise l'obtention des 7 dons(i). Telle est l'ori- gine de la théorie du septénaire.

Yves de Chartres (f iii5) est le premier à la rappeler au début du xne siècle (2). Joscelin de Soissons (f ii5i), l'emprunte à Yves (3). Hugues de saint Victor (f 1142) la renforce et facilite son succès. Avec lui, ce n'est plus seu- lement trois séries de sept, mais cinq qu'il faut signaler ; car il y ajoute la liste des 7 vices et des 7 vertus, De quinque septenis seu seplenariis opusculum (4), en conser- vant à l'oraison dominicale ses rapports avec les dons du Saint-Esprit et en lui attribuant une efficacité spéciale contre les péchés capitaux (5). Mais il est à remarquer que les vertus, dont parle ici Hugues de Saint Victor, sont l'humilité, la bénignité, la componction, la justice, la miséricorde, la pureté et la paix, auxquelles on ajou- tera bientôt une nouvelle liste de sept, composée, celle-ci, des vertus théologales et cardinales. Il est à remarquer encore que le nombre des péchés capitaux subit une réduction ; car jusque-là on en comptait le plus souvent huit, en y comprenant la vaine gloire (6). Lesdrade, qui n'en admettait que sept, constate que les anciens, en par- ticulier les Pères d'Egypte, en comptaient huit (7). Depuis, le nombre des péchés capitaux est resté fixé à sept. Il est à remarquer enfin que, toujours sous l'influence de cette théorie, le nombre des articles du symbole, traditionnel- lement fixé à douze, est porté à quatorze, c'est-à-dire à. deux fois sept.

x. Ibid., II, xi, 38 ; Patr. lat., t. xxxiv, col. 287. 2. Serai. xxn. De orat. Dom. ; Patr. lat., t. clmi ; col. 599-604. B.Expositio symb. et orat. dom. ; Patr. lat., t. clxxxvi, col. 1479. 4. Patr. lat., t. clxxv, col. 4o5-4i4. 5. Allegoriœ in N. T., II, in ; Patr. lat., t. clxxv, col. 774. 6. Voir, en parti- culier, S. Golomban, Instr., 17 ; Patr. lat., t. lxxx, col. 259 ; S. Eutrope, De octo vitiis, ibid., col. 9-14 ; S. Boniface, homil., vi ; Patr, lat., t. lxxxix, col. 855; S. Pirminius, ibid. col. io36 ; Alcuin, De virt. et vit., xxvii-xxxiv ; Patr, lat., t. ci, col. 632-637» 7, Epist., 11, 19, Patr. lat., t. xcix, col. 881.

44 LE CATÉCHISME ROMAIN

Toutefois Odon de Sully, évêque de Paris (f 1208), s'en tient encore à l'usage ancien. Dans ses constitutions, il ordonne aux prêtres d'exhorter les fidèles à dire l'oraison dominicale, le symbole et la salutation angélique, et de leur expliquer, les dimanches et jours de fête, les articles du Credo, en les confirmant par des textes de l'Ecriture, à cause des hérétiques (1).

A part cette exception, la théorie du septénaire est gé- néralement adoptée. On la retrouve notamment dans les traités sur le décalogue, les sacrements et les péchés, de saint Edmond de Cantorbéry (f 1242), et dans son Spé- culum, à propos des péchés, des vertus, des dons, des ar- ticles du symbole, des sacrements, des œuvres de misé- ricorde et des demandes de l'oraison dominicale (2).

On la retrouve de même dans le docteur angélique. Saint Thomas, en effet, a laissé dans cinq opuscules dis- tincts un petit résumé de l'enseignement chrétien. Par- tant de ce principe que trois sciences sont nécessaires au salut, scientia credendorum, scientia desiderandorum, scientla operandorum, il traite de chacune de ces scien- ces (3). Le symbole y est divisé en quatorze articles. C'est une explication simple, détaillée, mais sans appareil scientifique, sans comparaisons savantes, avec des exem- ples pris dans la vie ordinaire, et par suite très accessible à l'intelligence des enfants. Aussi a-t-elle servi de manuel catéchétique (4).

Le Septénaire se retrouve encore dans la Somme-le-Roy, rédigée en français, en 1279, par Fr. Laurens, de l'ordre de saint Dominique, à la prière de Philippe le Hardi. Ce petit livre, publié en 1481, sans nom de lieu (5), et très

1. Consl. syn., vin, 10, 3a ; Pair, lai., t. ccxii, col. 57 sq. a. Max. bibllolh. Palrum, Lyon, 1677 t. xxv, p. 3i()-323. 5. Opus. m, sur les deux préceptes de la Charité et le déca- logue ; iv, sur les articles de foi et les sacrements ; v, sur Toiaison dominicale ; vi, sur la salutation angélique ; vu, sur le symbole des apôtres ; Opéra, Parme, i8G5, t. xvi, p. 97 sq ; Taris, i8-5, t. xxvii, p. i44 sq. 4- Cf. Werner, Der heilige Yhonuu ven Aquino. Ratisbonne, i858, t. 1, p. i23-i58. t>. flâ!o ftepert. n. 9950.

INTRODUCTION 45

estimé par Quiétif et Echard (i), contient presque toute la matière de nos catéchismes actuels : commandements, articles de foi, péchés mortels, vices et vertus, les sept « peticions » du Pater qui demandent les sept dons du Saint-Esprit, extirpent les sept vices capitaux et nourris- sent les sept vertus par lesquelles on vient aux sept « bo- neurtés », les sept dons, les sept vertus, la prière et enfin une méthode de confession.

Jusque les conciles du xne et xni8 siècles avaient maintenu les décisions prises depuis Charlemagne. Celui de Grau, en iii4, ne mentionne, en effet, que l'explica- tion du symbole de l'oraison dominicale (2), celui de Bé- ziers, en 1246, veut que les enfants soient instruits dès l'âge de sept ans et apprennent la formule du Pater, de VAve et du Credo, Y Ave paraît ici pour la première fois dans un document synodal ; il ordonne en outre aux curés d'expliquer chaque dimanche d'une manière claire et simple les articles du symbole (3). Mais celui de Lambeth, en 1281, plus explicite et plus complet en ma- tière d'enseignement catéchétique, adopte la théorie du septénaire. Sous le titre De Infor matio ne simpUciam, or- dre est donné au clergé d'exposer quatre fois par an au peuple les quatorze articles du symbole, le décalogue, le double commandement évangéiique de la charité, les sept œuvres de miséricorde, les sept péchés capitaux, les sept vertus principales, les sept sacrements : véritable abrégé de la doctrine chrétienne, que le concile ne se borne pas à indiquer, mais qu'il prend soin de rédiger pour l'usage du clergé (4).

On se contente donc encore, comme on le voit, de signa- ler la matière de l'enseignement. Mais on la réduit en formule, et le manuel qui la renferme doit servir aux cu- rés pour les instructions dominicales. Un progrès déplus,

1. Scriptores ord. preedicatorum, Paris, 1719, t. t, p. 0S7. 2. Can. 2 ; Hefele, t. vu, p. 128. 3. Can. 8 ; Cf. Concile d'Albi, de 1254, can. 18 ; Hefele, t. vm, p. 4oo, 403 ; Hardouin, t. vu, col. 409, 46o. 4. Can. 10; Hefele, t. ix, p. 112 ; Har- douin, t. vu, col. 855 sq.

£6 LE CATÉCHISME ROMAIN

et les manuels catéchétiques à l'usage des enfants fini- ront par devenir d'usage courant.

V. Aux XIVe et XVe siècles

Le concile de Lavaur. En i368, un concile du Languedoc réunit à Lavaur les provinces ecclésias- tiques de Narbonne, de Toulouse et d'Auch. L'œuvre de ce concile est particulièrement remarquable. Elle débute par une prescription solennelle : Tout laïque doit être informé avec soin et instruit sur les articles de foi et les choses nécessaires à l'acquisition du sa- lut éternel. Elle olfre un résumé du dogme et de la morale, un véritable catéchisme; car il y est traité tour à tour des quatorze articles du symbole, des sept sacrements, des sept vertus principales, des sept dons du Saint-Esprit, des sept demandes de l'oraison dominicale, des sept béatitudes (la huitième étant laissée de côté), des douze fruits du Saint-Esprit, d'après l'Epître aux Galates (i), des sept œuvres corporelles et spirituelles de miséricorde, des sept péchés capitaux et des dix commandements (2).

Et ici, comme à Lambeth, cette matière de l'enseigne- ment catéchétique est formulée dans une rédaction succinte et claire, didactique. De plus, afin d'aider la mémoire, on y donne, sous forme de vers latins, certains moyens mnémotechniques, dont voici quelques exemples:

Sur le symbole :

Unum crede Deum, Patrem, Filium, quoque Flamen, Qui créât et recréât homines, quos salvificabit ; Conceptus, natus, passus, descendit ad ima, Surgit et ascendil, veniet dircernere cuncta.

Sur les commandements :

Unum cote Deum, nec jures vana per ipsum ; Sabbata sanctifiées ; venerare parentes ;

1. Gai, v, 32-23. 2. Hefele, t. ix, p. 610 sq. ; Hardouin, i. vu, col. 1804-1812.

INTRODUCTION 47

Non sis occisor,fur, mœchus. lestis iniquus; Vicinique torum resque caveto suas.

Sur les œuvres de miséricorde :

Visilo, polo, cibo, redimo, tego, colligo, condo. Consule, castiya, solare, remitte, fer, ora.

Dans ce dernier vers, consule marque deux œuvres de miséricorde.

Or, d'après la décision du concile, ce manuel catéché- tique devait servir chaque dimanche aux curés pour instruire les fidèles. Naturellement il dut être adopté dans les divers diocèses de la Gascogne et du Languedoc. Il le fut en particulier par Garsias Arnaud de Navailles, au synode de Dax, en i4oi (i). Les mêmes procédés mnémo- techniques y sont employés et c'est à peine s'il y a quel- ques changements dans l'ordre des matières. En revanche certaines additions portent sur les sept dons du baptême, les sept heures canoniques, les sept jours du siècle, les sept âges du monde, les sept psaumes de la pénitence, les sept joies de la sainte Vierge, ce qui est une application plus étendue du septénaire. En tête se trouve le décalogue, résumé en cinq vers au lieu de quatre. Les sacrements sont désignés par ce vers :

Abluo, firmo, cibo, piget, uxor, ordinal et unxit.

Les sept péchés capitaux, par le mot Saligia, composé de chacune des lettres initiales de Superbia, avaricia, luxu- ria, ira, gala, invidia, acedia ; d'où ce dicton : Dat sepiem vitia dictio Saligia. Utile au clefgé, ce manuel pouvait également servir aux enfants capables d'entendre le latin.

Les Manuscrits. Mais, bien avant le synode de Dax, circulèrent pendant le xive siècle un grand nombre de manuscrits destinés à l'enseignement chrétien, quel- ques-uns à titre de manuel à l'usage du clergé des pa-

i. Degert, Constitutions synodales de Dax, Dax, 1898, p. 76-82.

£ 8 LE CATÉCHISME ROMAIN

roisses, d'autres comme des essais de catéchisme à l'usage de ceux qui n'avaient pas le temps de puiser dans plusieurs opuscules la doctrine des maîtres chrétiens, plus spécialement en faveur des enfants et des simples.

Parmi les premiers, nous citerons le Manipulas curato- rum, composé par Guy de Montrocher, vers i33o, pour Raymond, évoque de Valence, et le Doctrinal de Sapience, transcrit par ordre de Guy de Roye, alors archevêque de Sens, mort archevêque de Reims en 1409.

Le Manipulas curatorum, comme son titre l'indique, devait servir de guide à tout curé de paroisse ut simpli- ces in aliquo instruerentur. 11 est divisé en trois parties : la première traite des sacrements et de leur administra- tion ; la seconde, de la confession et des pénitences; la troisième, la seule qui nous intéresse ici, est plus particu- lièrement destinée à l'instruction des enfants et des ignorants. Cette dernière comprend l'explication des qua- torze articles du symbole, de l'oraison dominicale, du décalogue, des fêtes, des œuvres de miséricorde et des « douaires » des bienheureux (1).

Le Doctrinal de Sapience, a très utile à toute personne pour le salut de son âme », est un exposé complet et dé- taillé de la doctrine chrétienne en 93 chapitres, compre- nant le dogme, la morale, les sacrements, la prière, les péchés et les fins dernières. Son explication du symbole et du décalogue rappelle la Somme-le-Roy (2). D'après la préface du manuscrit de la bibliothèque de la ville de Toulouse (3), le clergé devait en lire aux fidèles, chaque dimanche, deux ou trois pages.

En même temps se poursuivait l'instruction populaire par la publication d'un certain nombre d'ouvrages, gros- sièrement illustrés, il est vrai, mais le texte et l'image concouraient à l'édification religieuse et morale. La col- lection d'estampes de la Bible des pauvres représentait toute l'histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament (4).

i.Hain, Repert.. n. 538-543, 8157-8215. Traduction française à Orléans en 1490; ibid. n. 8214. 2. Hain, n. i4oii, i4oi6. 3. Ms. 820. Hain, Repert., n. 3176, 3177; Camesina

INTRODUCTION

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La Danse des Morts ou les Danses macabres servaient de leçon sur les fins dernières (i). Il faut y joindre le Spécu- lum humanœ salvationis, poème ascétique en vers rimes sur des sujets bibliques en 45 chapitres et 192 figures, dont quelques manuscrits portent la date de i324 (2). Cet ouvrage reproduit ou amplifié, imité ou traduit donna lieu à un grand nombre de miroirs : le Spéculum chris- tiani, le Spéculum animx peccatricis ou Spéculum au- reum, le Spéculum artls bene moriendi, le Mirouer de la Rédemption de l'humain lignaige (3).

Parmi ces nombreux ouvrages, quelques uns se distin- guent par leurs qualités didactiques et visent plus spécia- lement l'instruction des enfants et des simples sur des matières catéchétiques (4). Qu'il suffise de citer la Summa rudium, qui traite de la Trinité, des articles de foi, etc. (5), et les Auctores octo, recueil de pièces mora- les, parmi lesquelles se trouve le F lare tas ou Floret attribué à Jean de Garlande et à saint Bernard.

Le Floret. Ce livret, in quo omnium detestationcs viciorum metrice continehiur, est très curieux (6). L'édi- tion de 1494 se termine par ces mots : « Summa admodum utilis et fructuosa, theologalis et canonica, édita super Floreium per magne littérature virum, sacre théologie doctorem parisiensem, mag. Joh. Iarson. » Cette noie atteste la portée morale, l'utilité pratique de ce livret et la profonde estime qu'en avait le célèbre chancelier Gerson.

et Heyder, Die Darslellungen der Biblia Pauperum, Vienne, i863 ; Laib et Schwarz, Biblia Pauperum, Zurich, 18C7.

1. Peignot, Recherches sur les danses des morts, Paris, 182G ; Douce, The danceof death, Londres, i833 ; Massmann, Lit. der Todtentaenze, Leipzig, i85o : Langlois, Essai sur les danses des morts, Rouen, 1862 ; Jubinal, La danse des morts, Paris, 1802 ; Brunet, Manuel, t. 11, p. i0-i3 ; Charles Nisard, Histoires des livres populaires, Paris 1864, t. 11 p. 275-33i. 2.IIain, Repert. n. 14922-14927 ; Brunet, t. iv, p. 324 ; Ch. Nisard, t. 11, p. iZ-i'A. 3. Hain, Repert., n. 14899-14928. 4. Geffcken, Die BU- derkatechismus, Leipzig, i855. 5. Hain, Repert., n. 10170- 15172. 6. Hain, Repert, n. 1913-1919.

JLE CATÉCHISME. T. I .

Bo LE CATÉCHISME ROMAIN

Le Floretus, comme tous les ouvrages du xive siècle, circula en manuscrit, soit dans sa rédaction originale en ii 68 vers latins rimes, soit dans sa traduction française en bouts rimes de huit syllabes (i). Dans l'édition de Rennes de i485, il est dit :

« Gy commence le noble liure Floret, qui le veut ensuiure Ne peut faillir d'estre deliure De tout mal et sainement uiure. »

Destiné à apprendre aux enfants, sous forme rhythmi- que, les éléments de la doctrine chrétienne, c'est un véri- table petit catéchisme divisé en six parties :

« La première part nous applique A croire la foi catholique ; Le deuxième enseignement De la loy le commandement ; La tierce part si nous enseigne Que chacun de péché se creigne ; La quatrième se nous diuise Les sacrements de sainte Eglise ; La cinquième si y comprant Les vertus et nous les apprend ; La sixième veut tout définir Qui nous enseigne à bien mourir. »

Les Calendriers. A cette époque, l'enseigne- ment catéchétique se glissait même dans les publi- cations les plus étrangères aux matières de foi ; il parvenait ainsi dans l'intérieur des fermes et les plus humbles foyers sous la forme de calendriers. Signa- lons le Compost et Kalendrler des berglers (2). Dans ce calendrier, la seconde partie renferme Y Arbre des vices et miroir des pêcheurs, c'est-à-dire une énumération des

i. Brunet, t. 1, p. 211 : t. 11, p. 394-395 ; Hain, ReperL, in. 7181-7186. a. Voir dans M. Hézard, Histoire du Catéchisme* 'Paris, 1900, un grand nombre de détails sur les productions catéchétiques durant le Moyen Age jusqu'à la Réforme.

INTRODUCTION 5 F

péchés capitaux et des fautes dont chacun est la source* suivie d'une description des peines de l'enfer, faite par Lazare ressuscité, le tout avec figures à l'appui ; la troi- sième comprend la Science salutaire et le Jardin des ver- tus. La Science salutaire, c'est la prière, notamment 1$ « Patenostre », la salutation angélique et le Credo; c'est aussi la pratique des dix commandements de Dieu et des cinq commandements de l'Eglise ; ici encore le texte est accompagné de vignettes. Quant au Jardin des vertus, il contient deux chansons, l'une celle d'un berger « qui n'était point maistre et à qui sa cognoissance ne profitoit point », l'autre celle d'une bergère « qui bien se cognois- soit et sa cognoissance lui profitoit ».

Ces opuscules, la plupart anonymes, sans caractère of- ficiel et sans garanties suffisantes, étaient cependant un indice des besoins du temps. Ils ne devaient donc pas tarder à susciter quelque œuvre importante de la part d'un maître dans la science théologique, préoccupé à bon droit de rompre le pain de la vérité aux enfants et aux ignorants. Ce maître fut le chancelier Gerson.

L'œuvre de Gerson. C'est Gerson, en effet, qui, à la fin du xive siècle et au commencement du xve, a contribué le plus à faciliter aux enfants et aux simples la connaissance des éléments de la doc- trine chrétienne. Pénétré de l'importance et de la nécessité de pourvoir efficacement à l'instruction reli- gieuse des petits « pour les conduire au Christ », selon son expression, il ne cessa d'y penser à travers les nom- breux travaux de sa vie laborieuse. Teut comme les Pères du concile de Lavaur, il estimait qu'il fallait sans doute procurer au clergé un sommaire ou manuel catéchétiquQ pour l'instruction de l'enfance. Ce manuel, il aurait pu l'emprunter au concile de Lavaur ; il préféra rédiger un Compendium theologiœ brève et utile, qui n'est du reste qu'une adaptation plus détaillée de l'œuvre de ce concile; car il comprend l'exposition des articles du symbole, des commandements, des sept sacrements, des sept vertus, des sept demandes de l'oraison dominicale, des sept

52 LE CATÉCHISME ROMAIN

dons du Saint-Esprit, des béatitudes et des vices (i).

C'est l'objet de l'enseignement religieux du peu- ple qu'il recommandait à Charles VII. La Sexta par- ticula de sa Lettre n'est, en effet, qu'un résumé de ce Cempendium, avec quelques vers mnémotechniques sur le décalogue et les œuvres de miséricorde (2).

D'autre part, dans une lettre à la faculté de théologie de Paris sur la réforme de la théologie, il exprimait le désir ut fier et per Facultatem, vel de mandata ejub, aliquis tractatulus .super punctis principallbus nostrœ religionis, et speciallter de prœceptis, ad instructionem simpli- cium (3). Et c'est lui-même qui réalisa en partie ce désir en rédigeant ce petit traité dans sonOpus tripartitum (4), si célèbre et imprimé si souvent dès la fin du xve siè- cle (5). Dupin remarque que bon nombre d'évêques fran- çais choisirent ce traité, dans leurs synodes, pour l'ins- truction des fidèles, qu'ils le firent insérer dans leurs rituels et obligèrent les curés à le lire à leurs ouailles, les dimanches et jours de fête, pour leur apprendre quid credere, quid agere, quid omittere et quemadmodum a peccato resurgere deberent. Il fut traduit et imprimé en français ; mais la traduction manuscrite circulait depuis longtemps ; elle devint Y Instruction des curés, qui ren- fermait également le Livret Jésus, « doctrine nécessaire à tous chrestiens ». La seconde et la troisième partie de ce traité, c'est-à-dire le De confessione et De arte moriendi, se trouvent avec VA B C à la suite d'un résumé du Doctri- nal de Sapience dans le Mirouer de bien vivre, de la biblio- thèque de la vile de Toulouse (6).

Mieux encore, et conformément à l'idée qu'il s'était faite depuis longtemps et qu'il exprima si éloquemment avant de mourir, à Lyon, dans son De parvulis trahendis ad Chris tum (7), il se préoccupa surtout de mettre à la portée des humbles, des ignorants et des enfants un ma- nuel capable de leur apprendre ce qui est nécessaire au 1

I 1. Opéra, Anvers, 1706, t. 1, p. 233 sq. 2. Ibid., t. ni, p. a34. 3. De reformalione theologiœ, Epist. 11, ibid.. t. 1, p.. I 124. 4. Ibid., t. 1, p. /j25-45o. 5. Hain, Repert., n. 7661- ; 7654. 6. Ms. 821. 7. Opéra, t. 111, 277-285.

INTRODUCTION 53

salut. Il ne se contenta pas seulement d'éditer le Floret, dont il a déjà été question, il composa aussi Y A B C des simples gens, qui débute ainsi : « Entendcz-cy vous, petits enfans, filz et filles et simples gens. Je vous escrip- ray votre A B C en françoys, qui contient la patenostre... le Ave Maria..., le Credo... et les douze commandemans (Décalogue et double précepte de l'amour selon l'Evan- gile) avecques plusieurs poins de nostre foy. Et quant en plus savoir, je vous envoie à l'exemplaire des petits enfans et au Mirouer de rame... à la Science de bien mourir et à YExamen de conscience et aultres petits traic- tez. » Suit le texte du Pater, de Y Ave, du Credo, des commandements, puis rénumération des sept vertus, des sept dons du Saint-Esprit, des sept béatitudes, des sept œuvres corporelles et spirituelles de miséricorde, des sept sacrements, des sept ordres, des sept péchés mortels et des sept vertus contraires. C'est, on le voit, un vrai catéchisme, qui eut le plus grand succès ; souvent trans- crit dans les manuscrits du xve siècle, il fut encore plus souvent imprimé, dès la fin' du même siècle.

Quant aux traités auxquels renvoie Gerson, celui de la Confession ou Examen de conscience avait pour but de faciliter aux enfants la pratique du sacrement de péni- tence ; celui de la Science de bien mourir, avec ses exhor- tations, ses interrogations et ses prières, devait servir aux curés dans l'assistance des mourants, mais il offrait éga- lement aux lecteurs pieux une excellente leçon morale pour se bien préparer eux-mêmes à la mort. Ces petits traités eurent une vogue immense (i).# Ils furent trans- crits, augmentés, publiés dans leur teneur originale et sous diverses formes, séparément ou avec d'autres, en latin et en français.

Le Concile de Tortose. En présence de ce grand mouvement de production catéchétique, l'Eglise n'avait

i. Ars moriendi; Ars bene moriendi ; De arte bene moriendi; Hain, ReperL, n. i83i-i835, i843-i846, 8162 ; L'art de mourir, suivi de YEguillon de crainte divine...; Y Art de bien vivre et de bien mourir etc. Ilain, ibid., n. i838-i84o, 1847, 6553.

64 LE CATÉCHISME ROMAIN

plus qu'à décider, pour chaque diocèse, la rédaction d'un manuel ou d'un catéchisme à l'usage des enfants. En atten- dant le concile de Trente, ce fut un concile provincial, celui de Tortose, en 1429, qui, sous la présidence du cardinal da Foix, délimita ainsi qu'il suit la matière d'un catéchisme sous ce titre : De modo instruendi populum circa fidem netessaria : 1 quid credere debeat, ou les articles de foi ; 2 quid peter e, ou l'oraison dominicale; 3 quœ servare, ou la décalogue.; 4 quse vitare, ou les sept péchés capitaux; 5 quid optare, ou le paradis ; 6 quid timere, ou l'enfer. En conséquence les évêques doivent « per viros litteratos et probos dictari et scribi faciant aliquod brève compen- dium, in quo prœdicta omnia... districte comprehendan- tur et clare. Quod compendium sic commode dividatur inter partes ut per sexvel per septem lectiones valeatdecl - rari et sic per totius anni decursum, repetitis vicibus, per -curâtes, diebus dominicis, taliter faciant explanarb) (1).

C'est bien la rédaction d'un vrai catéchisme, sous forme de compendium, en six ou sept leçons, qu'on devra lire et expliquer l'une après l'autre, chaque dimanche, tout le long de l'année. A ce régime, c'est-à-dire à une leçon par dimanche, les fidèles devaient entendre sept fois par an les formules catéchétiques et par suite na pouvaient guère tarder à les savoir par cœur. Le vœu du chancelier Gerson se trouvait ainsi réalisé dans le nord da l'Espagne.

Mais nous ignorons jusqu'à quel point fut appliqué ca décret du concile de Tortose. Nous ignorons aussi s'il faut en voir une application dans le petit livre qui a pour titre : Fundamentum œternœ felicitatis cum libro da miseria conditionis humanœ (2), que Kôcher proposait aux protestants (3). Toujours est-il que ce Fundamentum est un véritable catéchisme du xve siècle renfermant inté- gralement la matière de nos catéchismes actuels, mais sans la forme dialoguée de ceux-ci.

On peut en dire autant du Discipulus de éruditions

1. Hefele, t. xi, p. i63 ; Hardouin, t. vm, col. 1078. a. Cologne, i5oi ; Hain, Repert., n. 7396. 3. Bibliotheca, Iéna, 1719, 11 P, p. i46.

INTRODUCTION 55

Christi Jidelium, qu'Eder traite de catéchisme du com- mencement du xve siècle (i) ; caria matière qu'il contient est la même que celle du Fundamentum. C'était en réalité un manuel à l'usage du clergé, souvent imprimé sous des titres divers (2).

Telle est l'histoire du catéchisme jusqu'à la veille du xvi° siècle. Très certainement elle est incomplète ; car, très certainement, outre les documents, dont il a été question dans ce qui précède, il en existe d'autres, encore inconnus ou inédits, mais dont la découverte et la publi- cation ne modifiera pas sensiblement, croyons-nous, les résultats déjà acquis.

VI. Première moitié du XVIe siècle

Ce n'est pas, assurément, au moment éclate la Réforme, que le mouvement en faveur de l'enseignement catéchétique de l'enfance va se ralentir ou s'arrêter ; bien au contraire, il ne fera que se renforcer et s'étendre dans l'Eglise. Les ouvrages du 'siècle précédent, surtout ceux de Gerson, sont très répandus. Mais d'autres vont paraî- tre sur le même sujet, avec des procédés et une méthode identique pour la plupart, quelques-uns avec une mé- thode nouvelle. La forme des leçons par demandes et par réponses ^ déjà inaugurée au ix° siècle par la Disputatio puerorum, mais généralement abandonnée, reprise en passant par YElticidarius d'Honoré d'Autun, succède à peu près exclusivement à l'ancienne méthode de simple énumération ou de brève exposition.* Et naturellement l'accent des nouvelles compositions porte sur les vérités attaquées par la Réforme. Du reste les catéchismes de Luther et de Calvin sont faits pour provoquer l'émulation des catholiques.

L'œuvre de Luther. On a voulu faire à Luther

1. Methodus catechismi catholici, Epist. nuncupaloria, Lyon, 1579. 2. Liber de eruditione Christi Jidelium, Liber discipuli, Discipidus, etc. ; Hain, ReperL, n. 85i6-85aa.

56 LE CATÉCHISME ROMAIN

Un mérite exceptionnel d'avoir eu le premier l'idée du catéchisme et de l'avoir réalisée. Ce qui précède montre suffisamment le mal fondé d'une telle prétention. Le Kirchenlexicon a. souligné avec raison cette erreur histo- rique. Même parmi les réformés, en effet, le catéchisme en langue vulgaire de l'ancien moine augustin n'a pas été le premier ; il ne parut qu'en 1629. Et il avait été précédé de catéchismes, chez les vaudois et les frères bohèmes, ainsi que de nombreux essais dans l'Eglise évangélique. Un grand nombre de ces essais est reproduit par les soins de Cohrs, dans les Monumenta Germanise pœclago- gica (1).

Du reste, Luther ne prétend pas innover ; il ne fait que suivre le courant. A l'exemple de l'Eglise, il pourvoit ses adhérents d'un manuel catéché tique qui renferme les points principaux de sa doctrine. Il rédige donc un catéchisme, dans le but sans doute ut esset institutio pue- rorum alque simplicium, mais surtout pour préciser les innovations qu'il cr©it devoir introduire dans l'enseigne- ment chrétien. Commandements, symbole apostolique et oraison dominicale sont conservés dans leur teneur et suivis d'explications appropriées. Mais il réduit les sacrements au baptême et à la cène. C'est une exposition simple, intervient de temps en temps le dialogue, mais beaucoup trop longue pour des enfants et des ignorants ; car elle remplit dans l'édition de Wittemberg (2) quatre vingt huit pages in folio. Aussi dut-il en faire un résumé, le texte du décalogue, du symbole et du Pater est accompagné, sur chaque point, d'un commentaire d'à peine deux ou trois lignes, avec un peu plus de détails et en forme de dialo- gue sur le baptême et la cène (3). Il avait mis en tableaux ce qui avait fait l'objet de sa prédication populaire, les dix commandements d'abord, puis ce qui regarde la

1. Berlin, 1 900-1 903, t. xx-xxm, sous ce titre : Die evange- lischc Katechismus versuche vor Luther' s Enchiridion ; complété par Knoke, Der evangelische Katechismus litteratur bis i525, dans Halte was du hast de Sachsse, t. xxv, p. 5o6-5i8. '2. i582, t. v, p. Goi-645. 3. Ibid., p. 646-653.

INTRODUCTION 5 7

confession, le baptême et l'eucharistie : le tout, rédigé en bas allemand, forma la première édition de son Petit catéchisme, en 1629, qui reparut dans la même année avec le titre d'Enchiridion. Son Grand catéchisme parut également la même année. Il est à remarquer que la pratique de la confession et de l'absolution est conservée. « Devant Dieu, y est-il dit, nous devons nous tenir cou- pables de nos péchés cachés ; mais, à l'égard du ministre, il faut seulement confesser ceux qui nous sont connus et que nous sentons dans notre cœur. » « Ne croyez-vous pas que ma rémission est celle de Dieu, demande le ministre ? Oui, répond le pénitent. Et moi, reprend le ministre, par l'ordre de Notre-Seigneur Jésus-Christ, je vous remets vos péchés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (1).

L'œuvre de Calvin. Calvin, à son tour, compose son catéchisme en français, en i536, et le traduit en latin, deux ans après. C'est « le formulaire d'instruire les enfans en la chrestienté, fait en manière de dialogue le ministre interroge et l'enfant répond ». Calvin n'y fait pas difficulté de reconnaître que « c'a esté une chose que toujours l'Eglise a eue en singu- lière recommandation d'instruire les petits enfans en la doctrine Chrestienne. Et, pour ce faire, non seulement on avait anciennement les écoles... mais aussi l'ordre publi- que estoit par les temples d'examiner les petits enfans sur les poincts qui doivent estre communs entre tous les chrestiens. Et affin de procéder par ordre on usoit d'un formulaire qu'on nommoit catéchisme » (2). Ce catéchisme, beaucoup mieux composé que celui de Luther, était partagé en cinquante cinq leçons dominicales fort courtes. Mais, tirant logiquement les conséquences des faux prin- cipes posés par Luther, Calvin glisse dans son œuvre les trois points principaux de son enseignement sur la certitude du salut, l'inamissibilité de la justice (3), et

1. Cf. Bossuet, Histoire des variations, III ; Paris, i836, t. v, p. 566. 2. Recueil des opuscules, Genève, i566, p. 200. 3. Dim. 18, 19, 56.

58 LE CATÉCHISME ROMAIN

la justification des petits enfants indépendamment du baptême (i) ; car, à ses yeux, le baptême ne remet pas les péchés, il n'est que le sceau ou la marque de leur rémission (2). ' Relativement à l'eucharistie, il cherche à concilier la doctrine de Luther avec celle de Zwingle, et il admet qu'à la cène on ne reçoit pas seulement un signe, ni même un signe efficace, ni la vertu et le mérite de Jésus-Christ, mais Jésus-Christ lui-même, « réellement et en effet par une vraie et substantielle unité » (3).

Les travaux des catholiques, En face de la propagande protestante, les catholiques ne demeu- rèrent pas inactifs. En France, l'évêque de Sentis, Guillaume Parvi, fit paraître, en i538, deux opuscules, dont le titre indique l'objet et la méthode ; ce sont : La formation de l'homme et son excellence et ce qu'il doit accomplir pour avoir paradis, avec plusieurs bonnes doctrines et enseignemens chrétiens ; et le Viat de salut où, est comprins l'exposition du symbole, des dix commande- ments, du Pater et de Lave Maria, instructions pour soy confesser, avec oraisons et autres dévotes chansons (4).

Mais déjà en i533, Erasme avait publié à Fribourg-en- Brisgau son Explicalio in symbolum et decalogum, sous forme de dialogue entre le catéchumène et le catéchiste. Catéchumène est ici pris dans un sens large, car il s'agit d'un adulte, baptisé dès sa naissance, qui, ayant cons- cience de son état, veut libérer la responsabilité de ses parrains et prendre lui-même auprès de quelqu'un d'autorisé connaissance de ses devoirs de chrétien. En conséquence il prie son catéchiste d'en user envers lui comme avec un plane rudis ; et il pose des questions sur les articles du symbole, les commandements de Dieu et le Pater. L'ensemble forme six leçons d'étendue inégale, beaucoup trop longues et de plus complètement muettes sur des points importants, tels que la grâce et les sacre- ments, pour pouvoir servir de manuel catéché tique

1. Dim., 5o. 2. Cf. Bossuet, Hist. des variations, ix ; loc. cit., p. 655-6GG. 3. Dim., 5i, 52, 53. k- Brunct, Manuel, t. 111, p. G4i.

INTRODUCTION 59

commode et d'usage courant. Dans les œuvres complètes d'Erasme, cet opuscule porte le titre de Dilucida et pia explanatio symboll apostolorum (i).

Les années qui précédèrent et suivirent immédiatement la convocation du concile de Trente virent paraître un grand nombre de catéchismes.

En Allemagne, particulièrement, Witzel (Wicelius) em- ploya la méthode dialoguée, l'enfant interroge et le catéchiste répond. Très au courant des prétentions et des discussions de la Reforme, dans laquelle il s'était égaré un moment, Witzel prit à cœur l'instruction catéchétique des enfants : de ses nombreux opuscules. En i535, paraît son Catechismus ecclesise ; en i53q, à Berlin, ses quœstiones catechistiese ; en i54ï, à Mayence, un Cate- chisticum examen christiani pueri ad pedes catholici prœ- sulis ; en i542, encore à Mayence, un Catechismus, instructio puerorum ecclesise. Questions de théorie et de pratique, il traite tout avec soin et habileté ; ses œuvres sont bien dans le courant traditionnel et s'adaptent aux besoins de l'époque. Sous sa direction, l'enfant sait vite les vérités à croire et les devoirs à remplir ; connaît la manière de se confesser et de mener une vie chrétienne. Beaucoup plus tard cni5Go, il revint une dernière fois sur cet important sujet et publia en allemand un bon petit catéchisme, la Newer and kurtzer Catechismus, christiiche und gewisse Unterric/itung des iungen Christen.

Witzel eut des émules parmi ses compatriotes. Inutile de les énumérer tous. Qu'il suffise de citer les noms du dominicain Jean de Dietenberg (f i534) (2), de Jean évê- que de Meissen (3), et de Helding. Celui-ci, après avoir fait paraître sa Brevis intitutio ad christianam pietatem, publie, conformément aux décisions prises au concile de Mayence de 1649, YInstitutio ad pietatem christianam secundum doctrinam catholicam, complectens explication nem symboli apostolici, orationis dominicœ, angelicœ sa- lutationis, decalogi et septem sacramentorum. A Augs-

1. Opéra, Leyde, 170^, t. v, p. n3A sq. 2. Evangelischer Bericht und christiiche Unterweisung, Mayence, 1537. 3. Ein christiiche Lere, Mayence, i54i.

6o LE CATÉCHISME ROMAIN

bourg, c'est le dominicain Pierre de Soto qui, en i549, extrait de son ouvrage Inslitaiiones christianœ, paru l'année précédente, un Khurtzer Begrijf calholischer Lehr ; c'est un 'autre dominicain, Jean Fabre, dit Fabri, qui donne un catéchisme dialogué, Ain christenlicher, rainer Catechismus. A Cologne, paraissent, en i542, le chris tlicher Bericht, de Cremers ; en i543, le Catechismus catholicas, de Nausea de Weissenfeld, mort évêque de Vienne ; en i546, le Schatz der christlichen Lehre, du franciscain' Titelmann ; en i549, le Christianœ institu- tionis liber, complectens tractatam septem sacramentorum expositionem symboli apostolici, orationis dominicœ et decem mandatorum Dei, editus in concilio provinciali Treverensi a. J.-C. 15Ù9.

Le reste de l'Europe prend également part à ce mou- vement d'œuvres catéchétiques en faveur de l'enfance chrétienne, mais dans une mesure plus restreinte. En Italie, paraissent le Catéchisme du cardinal Gontarini (f 1542) ; El catecumeno 0 cristiano instruido et la Dot- trina cris tiana per modo de dialogo, de Perez, en i55a ; le Catechismus de Léonard de Port-Maurice, à Mantoue, en i555. En Espagne, le De docirina chris tiana, de Flores, à Tolède, en i552, et la Luz de la aima chris tiana, de Meneses, à Salamanque, en i556. En France, le Catéchis- me de Reims, au cardinal Charles de Lorraine, etc. Bref, on sent qu'on touche à une heure décisive dans l'histoire du catéchisme et qu'avec le concile de Trente, et grâce à lui, l'Eglise va intervenir solennellement.

INTRODUCTION 6l

Le Catéchisme

pendant et après

le Concile de Trente

L L'œuvre du bienheureux Canisius. II. Le Catéchisme romain. III. Projet d'un petit Catéchisme universel, IV. Préface du Catéchisme romain.

I. L'œuvre du Bienheureux Canisius

Parmi les efforts tentés au milieu du xvi° siècle pour arrêter et paralyser la propagande protestante, il importe de signaler ceux du Bienheureux Canisius (1621-1597). docte et pieux jésuite possédait une âme d'apôtre, très attentive aux besoins intellectuels et moraux de son épo- que troublée. D'un coup d'œil profond il vit était le mal, d'où venait le danger, et, résolument, il consacra la plus grande partie de sa vie à parer à ce danger, à com- battre ce mal. Son but était surtout de procurer par tous les moyens l'enseignement religieux à l'e/ifance chré- tienne, à l'église, à l'école, dans les collèges et les uni- versités. Et pour atteindre ce but, l'un des plus impor- tants d'alors, il composa des œuvres appropriées, d'une valeur réelle et d'une immense portée, merveilleux instru- ment de catéchisation.

Nous signalerons en particulier sa Somme de la doc- trine chrétienne, à laquelle il travailla, à Vienne, de i552 à i554, qu'il fit paraître en i555, et qui est restée l'un des plus populaires de ses ouvrages. Composée en latin, puis traduite en allemand, revue et augmentée, elle fut éditée

62 LE CATECHISME ROMAIN

à Cologne, en i566, sous ce titre Summa doctrinœ chris- tianœ per quxstiones lucuîenter conscripta. Elle repré- sente le premier et le plus considérable de ses trois caté- chismes.

Jugée avec raison comme un très bon moyen de pro- pagande antiprotestante et d'enseignement catholique, elle fut présentée au concile de Trente par Ferdinand Ier afin qu'on en prescrivît l'usage dans les écoles. Mais comme le concile lui-même, ainsi que nous allons le dire, était saisi d'un projet relatif à la rédaction d'un caté- chisme, on ne donna pas suite à la demande de l'empe- reur. Sa valeur n'en reste pas moins de premier ordre ; c'est avec justice que Pie IX, dans le bref de Béatification de Canisius, et Léon XIII, dans son Encyclique de 1897 sur le Bienheureux, en ont fait le plus grand éloge. Elle était surtout destinée aux élèves des classes supérieures, des collèges et des universités.

Ganisius rédigea un autre catéchisme pour les enfants des écoles inférieures, le Parvus catechismus catholic9- rum, paru à Cologne en i558 ; c'est le catéchisme moyen. Enfin, pour les débutants et les gens sans instruction, et comme pendant au petit catéchisme de Luther, le Bien- heureux avait rédigé et publié à Ingolstad, dès i556, un tout petit catéchisme, la Summa doctrinœ christlanœ per quœstiones tradita, et ad captum rudlorum accommodata, qui fut traduit et publié en allemand, l'année suivante.

Grâce à Canisius, les catholiques allemands pouvaient opposer un triple catéchisme à ceux du moine apostat et enrayer par l'œuvre de la Réforme. Ce triple catéchisme, en effet, mit en émoi les théologiens du parti réformé.

Le fond nous en est déjà connu ; il ne pouvait être du reste que ce qui faisait depuis si longtemps, dans l'Eglise, l'objet de l'enseignement catéchétique. Mais il est systé- matiquement rangé sous deux idées principales, la sagesse et la justice. A la sagesse Canisius rapporte la foi et le symbole, l'espérance et l'oraison dominicale, la charité et le décalogue, enfin les sacrements. A la justice, qui con- siste à fuir le mal et à faire le bien, se rattache renseigne- ment catholique sur le péché, les bonnes œuvres, les ver-

INTRODUCTION 63

tus, les dons et les fruits du Saint-Esprit, les conseils évangéliques. Et, pour couronner le tout, l'étude des fins dernières.

La méthode est la méthode vivante du dialogue, procédant par demandes et par réponses. Les deman- des sont toujours très courtes ; les réponses sont parfois un peu développées, surtout sur les points alors contro- versés et sur les dogmes rejetés par les réformés. Chaque point est nettement établi, solidement appuyé sur l'Ecri- ture sainte et les ouvrages des Pères, dans une exposition claire, sereine, sans la moindre polémique (i).

Le grand catéchisme de Canisius fut complété du temps même de l'auteur, sur ses indications, ses conseils, peut- être même avec sa collaboration, d'abord par Pierre Bu- sée qui, pour montrer l'accord du nouveau catéchisme avec la doctrine de l'Eglise primitive, inséra le texte inté- gral des témoignages invoqués (2), ensuite par Jean Hase qui enrichit encore le travail de son confrère Busée et publia une nouvelle édition avec une préface du Bienheu- reux (3). C'est YOpus cateahisticum, enrichi de tant de textes scripturaires et de tant de références patristiques, appelé parfois le catéchisme des théologiens et dont la vogue a été extraordinaire.

L'œuvre de Canisius a été traduite en plusieurs langues et n'a cessé de produire les meilleurs fruits. Léon XIII a pu écrire avec raison : « Pendant trois siècles, Canisius a été regardé comme le maître des catholiques allemands, et dans le langage populaire, connaître Canisius et conser- ver la vérité chrétienne étaient deux locutions synony- mes ». Au reste, la plupart des écrivains protestants, en présence de la valeur incontestable de l'œuvre et de l'in- fluence qu'elle exerça, ont reconnu que le catéchisme de Canisius fut son arme la plus efficace dans l'œuvre de la contre-réforme religieuse qu'il provoqua et dirigea (1). »

I. Dict. de Théologie, t. 11, col. i5i4-i5i6 ; références biblio- graphiques, ibid., col. i534. 2. Cologne, 1570. 3. Opus catechisticum, Cologne, 1577. 4. Dict. de Théol., t. 11, col. i526.

64 LE CATÉCHISME ROMAIN

II. Le Catéchisme romain

L'importante question du catéchisme fut agitée au concile de Trente. Dès le i3 avril i5/|6 un projet fut sou- mis aux Pères, d'après lequel, « pour l'instruction des enfants et des adultes ignorants, qui ont besoin de lait et non de substance solide, des hommes doctes doivent com- poser en latin et en langue vulgaire un catéchisme tiré de l'Ecriture sainte et des Pères ; cette pédagogie devant leur rappeler la profession de foi chrétienne faite au baptême et les préparer à l'étude des saintes Lettres. »

Dix-sept ans plus tard, en i563, ce projet n'avait pas encore abouti, bien que, dans l'intervalle, le Concile eût été prié de faire adopter le catéchisme du Bienheureux Canisius. Les Pères nourrissaient toujours l'espoir qu'une œuvre d'aussi grande importance pour l'Eglise universelle sortirait du sein même de l'Assemblée. Dans cette pré- vision, qui ne devait pourtant pas se réaliser, ils ordon- nèrent aux curés de prêcher sur les sacrements et de les expliquer d'après ce que fixerait le concile.

Une commission avait été nommée, en effet, pour travailler à la rédaction d'un catéchisme ; mais elle n'a- vait pas eu le temps d'aboutir quand le concile s'acheva. Aussi, avant de se séparer, les Pères s'en remirent-ils au Pape du soin de terminer les travaux de la commission et de publier le catéchisme promis.

Saint Charles Borromée fut chargé de mener à bonne fin l'œuvre entreprise, avec l'aide de Muzio Calini et de trois dominicains, François de Fureiro, Léonard Marino et Gilles Foscarini, nommés par le pape Pie IV. Dès que le travail fut terminé, le pape le soumit à une révision définitive, dont il confia les soins au cardinal Sirlet. Sur le rapport favorable du cardinal réviseur, Pie V l'ap- prouva par le Motu proprio suivant : a De notre propre mouvement, en qualité de Pasteur de l'Eglise universelle, désirant, avec la grâce de Dieu, remplir tous nos devoirs avec toute la fidélité dont nous sommes capables et mettre à exécution les décrets et ordonnances du concile de

INTRODUCTION 65

Trente, nous avons fait composer par des théologiens de choix, dans notre ville, un catéchisme, dans lequel les fidèles du Christ peuvent apprendre, grâce à la diligence de leurs curés, tout ce qu'ils doivent connaître, professer et observer. Et comme cet ouvrage, avec l'aide de Dieu, vient d'être terminé et va être publié, Nous avons voulu qu'il fût imprimé avec le plus grand soin et la plus scru- puleuse fidélité. » L'impression, en effet, en fut confiée à l'éditeur pontifical, Paul Manuce. Il parut à Rome, en i566, sous ce titre : Catechismus ex decreto concilii Tri- dentini ad parochos, Pie V jussu editus. Cest le Caté- chisme romain.

Ce catéchisme n'a rien d'un symbole ou d'une confes- sion de foi ; ce n'est ni un manuel abrégé à l'usage des fidèles ni un compendium destiné à l'enseignement de la théologie, mais un exposé doctrinal, succinct et complet, clair et sagement conduit, à l'usage des curés, comme son titre l'indique, pour leur fournir les éléments essen- tiels de la science qu'ils doivent posséder et leur faciliter surtout soit la prédication, soit l'enseignement catéchéti- que. Aussi en a-t-on écarté la méthode pédagogique habi- tuelle par demandes et par réponses. En revanche, son exposition, qui se ressent, cela va sans dire, des derniers travaux et des enseignements du concile de Trente, est au-dessus de tout éloge. Il résume admirablement la doctrine catholique et traite successivement, en quatre parties, du symbole apostolique, des sacrements, du déca- logue et de la prière.

Un ami de saint Charles Borromée, le cardinal Valère, évêque de Vérone, parle dans les termes suivants de ce catéchisme, en le recommandant aux acolytes de son église : « Le catéchisme du concile de Trente est vérita- blement un don que Dieu nous a fait en ce temps pour rétablir la discipline de l'ancienne Eglise et pour sou- tenir la république chrétienne. Cet ouvrage est si remar- quable, si profond et si clair que, depuis longtemps, il n'en a point paru de semblable, au jugement des hom- mes les plus savants. Ce n'est point un homme qui sem- ble y avoir tenu la plume ; c'est l'Eglise même, notre

LE CATÉCHISME. T. I. .5

66 LE CATÉCHISME ROMAIN

sainte mère, guidée et inspirée par le Saint-Esprit, qui y parle et qui nous y instruit. Vous qui êtes déjà avancés en âge, lisezrle sept fois et plus. Vous en retirerez les fruits les plus admirables. Démosthène, dit-on, écrivit huit fois de sa main les harangues de Thucydide, telle- ment qu'il les savait par cœur. A combien plus juste titre, vous, qui devez travailler de toutes vos forces à pro- curer la gloire de Dieu, votre salut et celui du prochain, ne devez-vous pas lire et même copier plusieurs fois un livre composé par l'ordre du concile de Trente, et, pour ainsi dire, sous la dictée du Saint-Esprit ».

Ces conseils de l'évêque de Vérone, au lendemain de l'apparition de ce catéchisme, n'ont rien perdu de leur valeur au commencement de ce vingtième siècle. La haute approbation de Pie V, renouvelée en i583 par Gré- goire XIII, fait comprendre ce mot de Léon XIII qui l'ap- pelait « un livre d'or » et qui le recommandait aux sémi- naristes d'aujourd'hui. « Remarquable, disait-il dans son Encyclique au clergé de France, du 8 septembre 1899, à la fois par la richesse et l'exactitude de la doctrine ainsi que par l'élégance du style, ce catéchisme est un précieux abrégé de toute la théologie dogmatique et morale. Qui le posséderait à fond aurait toujours à sa disposition les ressources à l'aide desquelles un prêtre peut prêcher avec fruit, s'acquitter dignement de l'important minis- tère de la confession et de la direction des âmes, être en état de réfuter victorieusement les objections des incré- dules )>.

Ainsi donc, grâce à l'initiative du concile de Trente et à l'œuvre publiée par ordre de saint Pie V, le clergé pos- sède depuis le xvie siècle, dans le Catéchisme romain, un guide sûr pour la prédication ordinaire et pour l'ensei- gnement catéchétique. Adopté et imposé dans plusieurs diocèses, ce catéchisme reste encore d'un usage facultatif ailleurs. D'autre part, les catéchismes du Bienheureux Canisius, spécialement rédigés en faveur des enfants et des élèves, sont loin d'être universellement adoptés ou imposés. De plus, depuis le concile de Trente, l'usage s'est introduit dans les divers diocèses d'avoir pour l'en-

INTRODUCTION 6^

fance un manuel catéchétique, composé ou approuvé par l'Ordinaire. M. l'abbé Hézard a eu soin de dresser le cata- logue de ces catéchismes diocésains, dans l'ordre de leur apparition successive : ce catalogue a été reproduit et complété par M. l'abbé Mangenot (i).De telle sorte qu'on peut dire qu'aujourd'hui l'Eglise compte presque autant de petits catéchismes que de diocèses. Bien mieux, n'est pas rare de constater que, dans un laps de temps peu considérable, le même diocèse se trouve successive- ment en présence de nouveaux manuels, imposés par les évêques, au gré des circonstances ou des besoins particu- liers de leurs diocésains. Or cette multiplicité et cette va— riété de catéchismes ne va pas sans de graves inconvé- nients.

Les parents, familiers avec le manuel en usage au temps de leur jeunesse, se trouvent, pour la plupart, dans l'embarras dès qu'il s'agit de surveiller de près l'instruc- tion religieuse de leurs enfants. Quelques-uns vont mêm& jusqu'à croire naïvement que les formules catéchétiques étant changées, c'est la religion elle-même qui s'est transformée. Les enfants qui changent de diocèse sont quelque peu déroutés à leur tour et souvent découragés par des formules nouvelles à apprendre. Plus on va, du reste, et plus les déplacements se multiplient soit dans l'inté- rieur d'un même pays, soit d'un pays à un autre. De tels changements de résidence ne peuvent être que préjudi- ciables pour l'instruction religieuse des enfants.

Ces inconvénients, et d'autres encore qu'il est inutile de mentionner, ne seraient-ils pas écartés nar la rédac- tion d'un catéchisme unique et universel? C'est la ques- tion qu'on s'est posée depuis longtemps. L'Eglise s'est préoccupée de faire disparaître dans l'enseignement caté- ohétique et dans la formule du catéchisme cette diversité fâcheuse. Benoît XIV, dans sa Constitution Etsi minime*. du 7 février 1742, appelle de ses vœux l'adoption d'un, manuel uniforme pour toute l'Eglise. Clément XIII, dans sa Constitution In dominico agro, du i4 juin 1761* signale et déplore les inconvénients qui résultent de tant

\ î. Diction, de Théologie, t. ir, col. 1919-19G0.

68 LE CATÉCHISME ROMAIN

die catéchismes, de rédactions si différentes. Pie IX, dans ses Lettres apostoliques au clergé autrichien, du 5 novem- bre ï855, recommande l'uniformité. Aussi des que le concile du Vatican fut réuni, le projet d'un petit caté- chisme universel fut-il mis à Tordre du jour de l'auguste assemblée.

III. Projet d'un petit Catéchisme

universel

Voici le schéma distribué aux Pères du concile du Vatican, le i4 janvier 1870. Afin de faire disparaître les abus des catéchismes multiples et d'empêcher la rédac- tion de nouveaux manuels, un décret rendrait obligatoire dans toute l'Eglise un petit catéchisme. Le pape ferait rédiger en latin un catéchisme semblable à celui que Clément VII avait fait rédiger par le cardinal Bellarmin et que les fidèles de l'Eglise universelle devraient désor- mais étudier et apprendre. Ce petit livre n'étant pas destiné aux prêtres seuls, mais devant être mis entre les mains des fidèles comme tessère de la foi et gage du bonheur éternel promis à ceux qui vivent de la foi, ce catéchisme serait traduit en chaque langue aussi littéra- lement que possible. Les évêques pourraient cependant publiera part quelques leçons catéchétiques pour donner à leurs diocésains une instruction plus large ou pour réfuter les erreurs courantes dans leurs milieux. Et le catéchisme romain resterait entre les mains du clergé comme la règle et le modèle des explications du caté- chisme.

Ce projet, soumis à la discussion, ne fut pas sans soulever quelques oppositions. Il est incontestable, en effet, que l'uniformité absolue paraît difficile en présence de la différence de capacité intellectuelle des enfants, de la diversité des besoins religieux et de la dissemblance des langues. Mais la grande majorité des Pères du concile, tenant compte des avantages immenses qui compense- raient largement de tels inconvénients, se montrèrent

INTRODUCTION 69

favorables ; d'autant plus que l'explication orale aurait à s'accommoder à la différence des situations et des âges, que la traduction, bien que littérale dans la mesure du possible, s'adapterait au génie de chaque langue, et que les évêques conserveraient le droit d'ajouter des leçons spéciales ou de rédiger des catéchismes plus complets. Néanmoins les présidents estimèrent qu'on ne pouvait approuver ce projet, mais qu'il devait être retouché pour tenir compte des arguments mis en valeur pour ou contre.

Un nouveau schéma fut donc distribué le 25 avril. Il portait, entre autres choses, que la version, au lieu d'être littérale, serait simplement fidèle, et que les évêques pourraient faire des additions, non à part, mais dans le texte lui-même, à la condition que le texte parût clairement distinct. Nouveaux débats, nouvelles corrections propo- sées. D'après ces dernières, le catéchisme ne serait pas imposé ; il serait examiné par une commision. Mais la rédaction d'un tel catéchisme 'n'étant pas chose aisée et son examen par le concile devant demander beaucoup trop de temps, le mieux serait, à l'exemple du concile de Trente, de laisser au pape le soin de faire rédiger ce petit catéchisme et à une commission d'évêques, désignés par le Souverain Pontife, le soin d'examiner le texte. La réédi- tion du catéchisme de Bellarmin ne semblait pas répondre aux besoins actuels. Le petit catéchisme ne devra contenir que les leçons élémentaires. Les autres catéchismes ne seront pas exclus absolument ; on pourra même les conserver avec l'autorisation nécessaire du pape. Ainsi délimité, le projet réunit 491 placet contre 56 non placet et 44 placet juxta modum. Les conditions formulées par ces derniers portaient sur la rédaction, l'examen et l'obligation du futur catéchisme, laissés au concile, ou à une commission, ou aux évêques. Mais « la question ne fut pas reprise au concile; le décret ne fut pas promulgué, et le saint siège, à qui l'affaire a été remise, n'a pas publié le petit catéchisme universel. On ne s'est même pas occupé d'en rédiger un, et les évêques ont continué, comme par le passé, à composer de nouveaux catéchismes

^O LE CATECHISME ROMAIN

particuliers ou à réviser leurs catéchismes diocésains. Les travaux du concile du Vatican sur ce point n'ont donc pas abouti (i). » Peut-être le pape Pie X réalisera-t-il ce projet. On pourvoirait ainsi beaucoup mieux à l'unifor- mité de l'enseignement catéchétîque, à sa stabilité, à l'unité et à la pureté de la doctrine.

Quoi qu'il en soit, et en attendant que se réalise ce projet, c'est encore au seul catéchisme officiel qu'il est bon de recourir. Le Catéchisme romain formera donc, .ainsi que nous l'avons dit, le cadre et la base de l'explica- tion nouvelle que nous offrons au clergé. Rien de mieux, avant d'entrer en matière, que de reproduire ici les observations et les conseils, qui servent de préface à l'œuvre éditée par les ordres de saint Pie V.

IV Préface du Catéchisme romain

i. « A force de travail et d'application, l'homme peut, par lui-même, rechercher et parvenir à connaître un assez grand nombre de vérités dans l'ordre religieux ; mais telle est la nature de son esprit et de son intelligence qu'il n'a pas toujours pu connaître la plupart des moyens qui con- duisent au salut éternel, à la fin principale pour laquelle il a été créé et formé à l'image et à la ressemblance de Dieu, tant qu'il n'a eu à son service que ses seules lumières naturelles.

2. w Nous connaissons bien, comme l'enseigne l'apôtre, par les choses créées de ce monde, les perfections invisibles de Dieu, son éternelle puissance et sa divinité (2), mais le grand mystère caché aux générations depuis des siècles (3), dépasse tellement l'intelligence humaine, qu'elle n'aurait jamais pu parvenir, par aucun effort, à une connaissance

1. Mangenot, Diction, de Théologie, t. 11, col. 1963. Cf. Mar» tin, Les travaux du concile du Vatican, Paris, 1873, p.n3-n5 1 Granderath, Geschichte der Vatikanischen Konzils, Fribourg-en- Brisgau, 1903, t. n, p. 202 sq. 2. Rom., i, 20. 3. Col., 1, 26.

INTRODUCTION

si haute, si Dieu lui-même ne l'eût révélé à ses saints, auxquels il a voulu faire connaître par le don de la foi les richesses de la gloire de ce mystère dans les nations, qui est le Christ.

3. « Mais comme la foi vient de l'ouïe (i), la nécessité s'impose d'avoir toujours, pour conquérir le salut éternel, le concours fidèle et le ministère d'un docteur légitime ; car il est écrit : « Comment entendront-ils sans prédica- teur ? et comment y aura-t-il des prédicateurs, si on ne les envoie (2) ? »

4. « Aussi dès l'origine du monde, Dieu qui est infini- ment bon et miséricordieux, n'a-t-il jamais manque aux siens; mais en plusieurs occasions et de diverses maniè- res, il a parlé à nos pères par les prophètes (3), et selon la diversité et les besoins des temps il leur a montré le chemin droit et sûr qui conduit au céleste bonheur. Mais, comme il avait prédit qu'il enverrait le Docteur de la jus- tice pour éclairer les nations et porter le salut jusqu'aux extrémités de la terre (4), il nous a parlé dans ces der- niers temps, par son Fils (5),à qui une voix descendue du ciel au milieu d'une gloire éclatante a ordonné que tous obéissent (6), en suivant fidèlement sa doctrine. Ensuite le Fils lui-même nous a donné des apôtres, des prophètes, des pasteurs et des docteurs (7), pour nous annoncer la parole de vie, afin que nous ne fussions pas, comme des enfants, flottants et emportés par tout vent de doctrine (8), mais que, appuyés sur l'inébranlable fon- dement de la foi, nous fussions élevés pour être la mai- son de Dieu, dans l'Esprit-Saint (9).

5. « Et pour qu'on ne prît pas la parole de Dieu, de la part de ses ministres, comme une parole humaine, mais comme la véritable parole du Christ, Notre Sauveur lui- même a donné une telle autorité au magistère de ses ministres qu'il a dit : « Celui qui vous écoute, m'écoute ; et celui qui vous méprise, me méprise (10) ; » or, dans

1. Rom., x, 17. 2. Ibid., x, i£-i5. 3. Héb., 1,1. A. Is., xlix, 6. 5. Héb., 1, 1-2. 6. 11 Pet., 1, 17. 7. Eph. iv, 11. 8. Eph., îv, 14. 9. Eph., u, 11. 10. Luc, x, 16.

72 LE CATECHISME ROMAIN

cette déclaration, il ne s'agit pas seulement de ceux auxquels il parlait alors, mais encore de tous ceux qui, par une légitime succession, reçoivent la charge d'ensei- gner. A tous, H a promis l'assistance de son Esprit, tous les jours, jusqu'à la fin du monde (i).

6. « Mais quoique l'on ne doive jamais cesser d'annon- cer dans l'Eglise la parole de Dieu, c'est pourtant aujourd'hui un devoir de travailler avec plus de zèle et de piété que jamais à nourrir les fidèles du pain de vie et à les confirmer dans une saine et incorruptible doctrine. Car il s'est élevé de faux prophètes dans le monde qui corrompent par des doctrines nouvelles et étrangères l'esprit des chrétiens, semblables à ceux, dont le Seigneur a dit :

« Je n'ai pas envoyé ces prophètes, et ils courent ! Je ne leur ai point parlé, et ils prophétisent (2) 1 »

Et certes l'impiété de ces hommes, armée de tous les artifices de Satan, a fait tant de progrès, qu'il paraît presque impossible d'en arrêter le cours. Et si nous n'étions appuyés sur cette éclatante promesse qu'a faite le Sauveur d'établir son Eglise sur un fondement si solide que les portes de l'enfer ne prévaudront jamais con- tre elle, nous pourrions craindre avec raison qu'elle ne succombât sous les assauts de tants d'ennemis qui l'at- taquent aujourd'hui par toutes sortes de machinations.

7. « Car, pour ne point parler de ces illustres provin- ces, qui jadis conservaient avec piété et sainteté la vraie foi catholique, telle qu'elles l'avaient reçue de leurs an- cêtres, et qui, maintenant, éloignées de la voie droite, prétendent hautement qu'elles sont d'autant plus près de la vraie religion qu'elles s'écartent davantage des doc- trines anciennes, y a-t-ildansle monde chrétien un coin si reculé, un lieu si inaccessible, l'on n'ait pas essayé de glisser ces funestes erreurs ? (3).

1. Matth., xxviii, 20. 2. Jerem., xxm, ai. 3. Il est à peine besoin de faire remarquer combien cette observation, juste au xvie siècle, se justifie encore de nos jours.

INTRODUCTION *]3

8. « Ceux, en effet, qui avaient conçu le dessein decor- romprc les fidèles, se sont bien aperçus qu'il serait im- possible de prêcher publiquement et défaire entendre à tout le monde leur langage empoisonné. Aussi ont-ils pris d'autres moyens pour semer leurs erreurs plus aisément et plus loin. D'abord ils ont composé d'énormes volumes contre la foi catholique afin de la renverser. Mais comme ils y exposaient ouvertement l'hérésie et qu'il n'était pas difficile de se précautionner contre leurs doctrines, ils ont répandu une infinité de petits livres, qui, sous l'apparence de la piété, ont séduit une multitude d'âmes simples et sans défiance.

9. « C'est pourquoi les Pères du concile de Trente, désirant ardemment apporter un remède salutaire à un mal si grand et si funeste, ne se sont pas contentés de définir contre les hérésies de notre temps les articles plus importants de la foi catholique, ils ont cru encore de- voir fournir aux pasteurs et docteurs légitimes, char- gés d'instruire les fidèles des éléments de la foi, une explication nette et' précise dès points principaux qu'elle renferme, afin qu'on pût la suivre dans toutes les églises.

10. u Plusieurs, il est vrai, ont déjà écrit sur ces matières avec autant de science que de piété. Néanmoins, ces Pères ont jugé très important de publier, par l'autorité du concile, un. livre, les pasteurs et tous ceux qui sont chargés d'instruire, puissent trouver des maximes cer- taines pour édifier et instruire les fidèles. Comme il n'y a qu'un seul Seigneur et une seule foi, il convenait aussi qu'il n'y eût qu'une seule et même règle, une seule et même manière, pour instruire les peuples de la foi et de tous les devoirs de la piété chrétienne.

11. « Cependant le grand nombre d'objets qu'embrasse un pareil ouvrage ne doit pas laisser croire que le concile ait eu le dessein d'expliquer, dans un un seul volume et d'une manière subtile, tous les dogmes de la foi chré- tienne. Ceci est l'affaire des théologiens, qui font pro- fession de développer et d'enseigner tout l'ensemble de la religion. Une telle entreprise eût demandé un travail considérable, et d'ailleurs cela n'entrait pas dans le but

7 4 LE CATÉCHISME ROMAIN

poursuivi, comme on le voit sans peine. L'intention des Pères a donc été uniquement de proposer aux pasteurs et aux prêtres chargés du soin des âmes, les choses qui re- gardent proprement le ministère pastoral et les vérités le plus à la portée des fidèles. C'est pour cela qu'on ne traite dans le cathéchisme des matières de la religion qu'autant qu'il est nécessaire pour seconder le zèle pieux de ceux des pasteurs qui n'auraient pas une connaissance bien approfondie de ce qu'elles renferment de plus dif- ficile.

12. « Mais avant d'exposer en particulier chacun des articles de la doctrine chrétienne, l'ordre veut que nous traitions en peu de mots de ce que les pasteurs doivent prendre en considération et avoir d'abord sous les yeux dans l'exercice de leur ministère, pour qu'ils sachent à quelle fin ils doivent rapporter leurs desseins, leurs tra- vaux et leurs efforts, et par quels moyens ils peuvent plus facilement obtenir les fruits auxquels ils aspirent.

i3. « En premier lieu, qu'ils se rappellent toujours que toute la science du chrétien est renfermée dans un seul point, suivant ce que dit le Sauveur : « La vie éternelle consiste à vous connaître, vous seul, Dieu véritable, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (i) ». En consé- quence le pasteur aura principalement en vue d'inspirer aux fidèles un sincère désir de connaître Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. Car ils doivent être intimement persuadés et croire du fond du cœur, avec une piété véri- table, qu'il n'y a pas sous le ciel un autre nom, par lequel les hommes puissent se sauver, puisque c'est lui qui est propiation pour nos péchés (2).

14. « Et comme nous savons que le connaître véritable- ment c'est observer ses commandements (3), le pasteur enseignera aux fidèles, comme une conséquence nécessaire de ce qui précède, qu'ils ne doivent point vivre dans la paresse et l'oisiveté, mais marcher comme le Sauveur lm> même a marché (4), et pratiquer avec zèle la justice, la

1. Joan, xvii, 3. a. AcL, iv, xa. 3. I Joan., 11, 3. » 4. I Joan., h, 6.

INTRODUCTION ^5

piété, la foi, la charité, la douceur. 11 s'est, en effet, donné pour nous afin de nous racheter de toute iniquité, de nous purifier, et de faire de nous un peuple consacré à son ser- vice, fervent dans la pratique des bonnes œuvres (i) ; et l'apôtre ordonne aux pasteurs de prêcher fidèlement ces vertus aux chrétiens.

i5. « Une autre chose que Notre Seigneur et Sauveur nous a non seulement apprise mais encore prouvée par son exemple, c'est que la loi et les prophètes dépendent de la charité (2). Après lui, l'apôtre enseigne encore que l'amour est la fin des commandements et la plénitude de la loi. C'est donc un devoir essentiel du pasteur d'exciter le peuple chrétien à aimer l'infinie bonté de Dieu pour nous, afin que, enflammé d'une ardeur divine, il s'élève vers ce bien souverain et très parfait, dont la jouissance fait le bonheur véritable et solide, et inspire à ceux qui l'ont obtenu ces sentiments du prophète :

« Quel autre ai-je au ciel que toi ?

Avec toi, je ne désire rien sur la terre (3). »

Telle est, en effet, cette voie plus parfaite que le même apôtre voulait nous montrer, lorsqu'il rapportait toute sa doctrine et tous ses enseignements à la charité qui ne périt point. Si donc on propose quelque chose à croire, à espérer ou à faire, que ce soit toujours en rappelant la charité de Notre Seigneur, afin que chacun connaisse bien que toutes les œuvres de la vertu et de la perfection chré- tienne ne peuvent sortir que de la charité et ne doivent se rapporter à d'autre fin que la charité.

16. « Dans tout enseignement, ce qui importe surtout c'est la méthode d'enseignement ; et cela importe plus qu'ailleurs dans l'instruction du peuple chrétien. Se pro- portionner à l'âge de ses auditeurs, se mettre à la portée de leur esprit, de leurs mœurs, de leur condition, se faire tout à tous pour les gagner tous à Jésus-Christ, se mon- trer un ministre et un dispensateur exact, semblable au

1. TU., u, i4-i5. 2. Matth., xxu, 4o. 3. Ps. lxxu, a5.

76 LE CATÉCHISME ROM VIN

serviteur bon et fidèle, digne d'être établi par le Seigneur sur beaucoup de choses, voilà ce que doit faire celui qui est chargé d'instruire.

17. u Qu'il prenne garde de ne pas croire qu'il n'a qu'une seule sorte de personne à instruire, et qu'ainsi une seule méthode uniforme et toujours la même lui suffît pour for- mer tous les fidèles à la vraie piété. Les uns sont comme des enfants nouvellement nés ; les autres ont déjà com- mencé à prendre quelque accroissement en Jésus-Christ ; d'autres sont comme parvenus à la force et à la vigueur de l'âge. Il est donc nécessaire de considérer avec soin ceux qu'il faut nourrir de lait, et ceux qui demandent une nour- riture plus solide, afin de donner à chacun celle qui sera la plus propre à augmenter ses forces spirituelles jusqu'à ce que tous parviennent à l'unité de la même foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l'homme parfait et à la mesure de l'âge complet de Jésus-Christ (1). C'est ainsi qu'en agissait l'apôtre ; et il rappelle à tous les pasteurs cette obligation par son propre exemple, lorsqu'il dit : «Je suis redevable aux grecs et aux barbares, aux savants et aux ignorants (2); » car il fait entendre par à ceux qui sont appelés au ministère de la parole, qu'ils doivent pro- portionner leurs discours à la portée de leurs auditeurs, quand ils expliquent les mystères de la foi et les règles dès mœurs ; et que, s'ils rassasient de la nourriture spiri- tuelle ceux qui sont plus avancés, ils doivent prendre gar- de de ne pas laisser mourir de faim les enfants, faute de leur rompre le pain qu'ils demandent.

18. « Personne, du reste, ne doit laisser refroidir son zèle dans l'enseignement sous prétexte qu'on est obligé de descendre, dans les instructions, à des détails légers et bas en apparence ; c'est sans doute une chose pénible pouB des esprits habituellement livrés aux méditations subli- mes. Mais si la Sagesse du Père éternel est descendue elle- même sur la terre pour nous enseigner, dans l'abaisse-» ment de notre chair, les préceptes de la vie céleste, quel est donc celui qui ne se sentirait pas entraîné par la cha*

'Tité de Jésus-Christ, à devenir petit au milieu de ses frè»

1. Ephes. , iv, i3. 2. Rom., 1, ifr.

INTROnUCTlON 77

res et semblable à une mère qui nourrit ses enfants? Qui ne désirerait le salut de son prochain avec la même ardeur que l'apôtre lorsqu'il disait qu'il aurait voulu non seulement donner la connaissance de l'Evangile, mais encore livrer sa propre vie (i) ?

19. « Or toute la doctrine dont les fidèles doivent être instruits, est renfermée dans la parole de Dieu, soit écrite, soit conservée par la tradition. En conséquence les pas- teurs s'appliqueront à méditer jour et nuit ces deux choses et jamais ils ne perdront de vue l'avertissement de saint Paul à Timothée, qui s'adresse à tous les pasteurs ayant charge d'âmes : « Applique-toi à la lecture, à l'exhorta- tion, à l'enseignement (2) ; » « Toute Ecriture est divine- ment inspirée, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour former à la justice, atin que l'homme de Dieu soit parfait, apte à toute bonne œuvre (3). »

20. « Mais comme le nombre et la variété des vérités révélées de Dieu empêche qu'on ne puisse les comprendre1 facilement toutes, ou de les retenir dans la mémoire,, même après les avoir comprises, il peut se faire que, l'oc- casion s'offrant de les enseigner, on ne les ait pas assez, présentes pour en donner l'explication. Aussi nos Pères- ont-ils très sagement réduit toute la doctrine à quatre* chefs, qui sont le symbole des apôtres, les sacrements, le» décalogue et l'oraison dominicale.

21. « En effet, le symbole renferme ce que le chrétien,' doit croire et connaître de Dieu, de la création et du gou- vernement du monde, de la rédemption du genre hu- main, de la récompense des bons et de la punition des: méchants.

22. « La doctrine des sacrements renferme les signe» de la grâce et les moyens par lesquels nous pouvons l'ob- tenir.

a-3. « Tout ce qui regarde la morale et les devoirs, donti la charité est la fin, est exprimé et contenu dans le Déca- logue.

24. « Enfin Y Oraison dominicale renferme tout ce que

1. 1. Thés., 11, 8.-2. I. Tim., iv, i3. 3. II Tim., m, iG-17^

7 8 LE CATÉCHISME ROMAIN

l'homme peut désirer, espérer et demander pour son sa- lut. Ces quatre articles, qui sont comme les lieux com- muns de toute, l'Ecriture sainte, une fois expliqués^ il ne manquera plus rien au chrétien pour être instruit de tout ce qu'il est obligé de sa\oir.

25. « 11 a donc paru bon d'avertir les pasteurs que, toutes les fois qu'ils ont à expliquer quelque passage de l'Evangile ou de l'Ecriture, ils peuvent le rapporter, quel qu'il soit, à l'un de ces quatre chefs ; c'est à l'une de ces sources qu'ils doivent recourir pour en développer le sens et la doctrine. Par exemple, s'il s'agit d'expliquer l'Evan- gile du premier dimanche de l'Avent : « Il y aura des signes dans le soleil et dans la lune, etc., » ils trouveront ce qui a rapport à cet évangile dans l'article du symbole : il viendra juger les vivants et les morts ; et prenant de ce qui aura été dit sur cet article, ils expliqueront tout en- semble aux fidèles et l'Evangile et le symbole. Dans tou- tes leurs instructions, quel qu'en soit l'objet, ils auront soin de rapporter toujours ce qu'ils diront à ces quatre points principaux de la doctrine chrétienne, auxquels re- vient toute l'Ecriture. Quant à l'ordre dans lequel ils pro- poseront l'enseignement, ils suivront celui qu'ils croiront plus convenable, eu égard aux circonstances et aux per- sonnes (i). »

i. Prœf., i-xxv.

jpg j:;^;^'^

Leçon Ière Symbole des Apôtres

I. Le mot Symbole : ètymologie et signification. II. Le Symbole des Apôtres : Son texte. Son origine. Son attribution aux Apô- tres, — Son autorité. Sa division et son contenu (1).

I. Le mot Symbole : son ètymologie, sa signification.

Symbole est un terme emprunté au grec. Au sens étymologique, il signifie soit un signe, si on le fait dériver deSu^êoXov, soit un contrat ou une contribution, si on la fait venir de SujxêoX-^.

i. BIBLIOGRAPHIE : Caspari, Quellen zur Geschichte des Tauf- symbols, Christiania, 1866-1875 ; Alten undneue Quellen, Chris- tiania, 1879 ; Kirchenhistorische Anecdota, Christiania, i883 : Harnack, Das apostolische Glaubensbekenntniss, Berlin, 1892 ; article Apostolische Symbolum dans la Realencyklopddie, Leipzig, 1896; Zahn, Das apostolische Symbolum, Leipzig, 1893; Blume, Das apostolische Glaubensbekenntniss, Fribourg, 1893 ; D. Bau- mcr, Das apostolische Glaubensbekenntniss, Mayence, i8g3 ;

80 LE CATÉCHISME ROMAIN

Mais, dans le sens dérivé et actuel de l'Eglise, symbole signifie collection, assemblage des princi- pales vérités de la foi.

Nous disons : des principales vérités, et non de toutes, parce qu'il n'est qu'un résumé et qu'il existe un grand nombre d'autres vérités, qui se trouvent soit dans la Tradition, soit dans Y Ecriture Sainte. Le symbole, en effet, ne renferme que les vérités les plus essentielles, les plus fondamentales, celles dont la foi explicite et formelle est requise pour la ré- ception du baptême. Quant aux autres, elles sont aussi objet de foi ou de croyance, dès qu'elles nous sont notifiées par l'autorité compétente en pareille matière, c'est-à-dire par l'Eglise. Ces der- nières sont implicitement acceptées par le fidèle ; car, en professant dans le symbole qu'il croit à l'Eglise catholique, il se déclare par même prêt à croire tout ce qu'enseigne l'Eglise catho- lique apostolique et romaine ; et, dès que ces vérités lui sont proposées, il les accepte par un acte de foi, l'Eglise étant à ses yeux l'organe infaillible de Dieu.

A l'époque des Pères, c'est-à-dire pendant les cinq

Kattenbusch, Das apostoliche Symbolum, Leipzig, 1 89/4-1 900 ; Hahn, Bibliothek der Symbol, avec un appendice d'A. Harnack, Mater ialen zur Geschichie und Erklarung des alten rômischen Symbol, Breslau, 1897; Burn, Introduction to the creeds, Lon- dres, 1899; Mgr Batiffol, Symbole des apôtres, dans le Diction- naire de Théologie, t. 1, col. 1GO0-167.3 ; Doesholt, Das Tauf- symbol, Padcrborn, 1898; Kunze, Glaubensregel, Heilige Schrift und Taufbekenntniss, Leipzig, 1899 ; Ehrhard, Die altchrUt. Litteratur, Fribourg-cn-Brisgau, 1900 ; Sanday, Farther rese- wch on the history of the creed, dans The journal of theological studies, vol. m, n. 9, octobre 1901 ; Vacandard, L'origine du symbole des apôtres, dans la Revue des Questions historiques, 1899, t. xxii, p. 329 sq, avec réponse de D. Ghamard et répli- que de Vacandard, ibid., 1901 ; Ermoni, Le symbole des apôtres, dans la collection Science et Religion.

DU SYMBOLE DES APOTRES 8l

premiers siècles de l'Eglise, certains auteurs ecclé- siastiques ont imaginé toutes sortes d'explications pour légitimer le sens étymologique du mot sym- bole. C'est ainsi que Nicétas, évêque de Remesiana ou Romatiana, en Dacie (vers 4oo), appelle symbole le pacte que fait avec Dieu le chrétien, au jour de son baptême (i). Fauste, évêque de Riez, en Pro- vence, dans la seconde moitié du ve siècle, croit, en souvenir des cotisations que faisaient entre eux les membres d'un même collège pour subvenir aux frais de leurs repas de corps, qu'on a pareillement réuni dans le symbole certaines vérités pour la nourriture et le festin des âmes (2). Rufin, prêtre d'Aquilée (345-4 10), y voit à la fois le sens de signe ou de mot de passe, de contribution ou d'apport (3). Le symbole, en effet, servait à distinguer les chré- tiens des païens, des juifs et des hérétiques, et l'on sait que les partisans de la même croyance avaient un mot d'ordre ou de passe pour se reconnaître entre eux. Dans ce dernier sens, le mot symbole rappellerait le fameux Schibboleth, indiqué par Jephté dans l'Histoire Sainte pour reconnaître les siens et découvrir les Ephraïmites (4).

Quoi qu'il en soit de ces diverses interprétations, le symbole était regardé surtout comme la profes- sion de foi nécessaire avant la réception du baptême et comme la règle de foi du chrétien.

II. Le Symbole des Apôtres

Il y a plusieurs symboles dans l'Eglise. L'un

1. Explanatio symboli, i3; Pair, lat., t. m, col. 873. 2. Homil. 1, dans Caspari, Anecdota, t. i, p. 3i5. 3. Comm. in symb. ; Pair, lat., t. xxi, col. 338. 4. Maxime de Turin, De tradlt. symboli ; Pair, lat., t. lyii, col. 433.

LE CATÉCHISME. T. I. 6

82

LE CATECHISME ROMAIN

d'entre eux, désigné sous le nom de Symbole des Apôtres, pour le distinguer des symboles de Nicée et de saint Àthanase, n'est autre chose que le sym- bole en usage dans l'Eglise romaine pour la colla- tion du baptême au ive siècle, complété sur quelques points dans les églises du rit gallican, spécialement en Gaule, que Rome adopta sous cette forme am- plifiée et introduisit dans sa liturgie, ainsi qu'en témoigne Y Or do romanus du temps de saint Nicolas I (808-867), 011 il se trouve reproduit.

Cette définition, pour être comprise dans toute sa teneur, a besoin de quelques explications que nous allons donner succinctement en parlant du texte, de Y origine, de Y attribution du symbole.

Texte du Symbole des Apôtres.

1. Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ;

2. Et en Jésus- Christ, son Fils unique, Notre Sei- gneur ;

3 Qui a été conçu du Saint-Esprit, est de la Vierge Marie ;

4. A souffert sous Ponce- Pikte, a été crucifié, est mort, a été enseveli ;

5. Est descendu aux en- fers, le troisième jour est iressucité des morts ;

6. Est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu

Ile Père tout-puissant ;

7. D'où il viendra juger les vivants et les morts ;

1 . Credo in Deum Patrem om'nipotentem , creatorem cœli et tcrrœ ;

2. Et inJesum Chris tum, Filium ejus unicum, Domi- num nos tram ;

3. Qai conceptas est de Spiritu Sancto, natus ex Maria Virgine ;

4. Passus sub Pontio Pi- lato, crucifixus, mortuus et sepultus ;

5. Descendit ad inferos, tertia die resurrexit a mor- tuis ;

6. Ascendit ad cœlos, se- det ad dexteram Dei Patris omnipotentis ;

7. Inde venturus estjudi* care vivos et mortaos ;

DU SYMBOLE DES APOTRES

83

8. Je crois au Saint-Es- prit ;

9. La Sainte Eglise catho- lique, la communion des saints ;

10. La rémission des pé- chés ;

1 1 . La résurrection de la chair ;

12. La vie éternelle. Ainsi soit-il.

8 . Credo in Sp iritam Sanc- tion ;

9. Sanctam Ecclesiam ca~ tholicam, Sanctorum com- munionem ;

1 o. Remissionem peccato- rum ;

11. Garnis resurrectio- nem ;

1 2 . Vitamœternam. A ment

C'est le texte actuel du symbole, appelé aussi texte gallican, à cause de son origine, et texte reçu, à cause de son adoption par l'Eglise romaine.

Or, avant d'adopter le texte actuel, l'Eglise romaine se servait du symbole, dit Symbole romain, auquel il est fait allusion pour la première fois dans une lettre du concile de Milan, rédigée par saint Ambroise (évêque de 374 à 397), et il est dit : « Que l'on croie au Symbole apostolique, que con- serve et a toujours conservé sans tache l'Eglise romaine (1). » Ce symbole en usage dans la liturgie baptismale de Rome est qualifié d'apostolique. Il se retrouve tout entier dans celui que nous récitons aujourd'hui, ainsi qu'il sera facile de s'en convain- cre par le tableau suivant.

Texte reçu ou actuel

1. Credo in DeumPatrem omnipotentem [creatorem cœli et terrœ] ;

2. Et in JesumChristum, Filium ejus unicum,Domi- num nostrum ;

3. Qui [concepius] est de

Texte ancien ou romain

1. Credo in DeumPatrem omnipotentem ;

2. Et in Christum Jesunv unicum Filium ejus, Do- minum nostrum ;

3. Qui natus est de Spi-

1. Epislola xui, 5 ; Pair, lai., t. xvi, col. na5.

84

LE CATECHISME ROMAIN

Spixitu Sancto, natus ex I ri tu Sancto ex Maria Vir- Maria Virgine ; gine ;

4. Crucifixus sub Pontio Pilato et sepultus ;

5. Tertia die resurrexit a mortuis ;

6. Ascendit in cœlos, se- det ad dexteram Patris ;

7. Inde venturus est judi- care vivos et mortuos ;

8. Et in Spiritum Sanc- tum ;

9. Sanctam Ecclesiam ;

4. [Passas] sub Pontio Pilato, crucifixus, [mortuus] et sepultus ;

5. [Descendit ad inferos ;] tertia die resurrexit a mor- tuis ;

6. Ascendit ad cœlos, se- det ad dexteram [Dei] Patris [omnipotentis ;]

7. Inde venturus est judi- care vivos et mortuos ;

8. [Credo] in Spiritum Sanctum ;

9. Sanctam Ecclesiam [catholicam,] [sanctorum communionem ;]

10. Remissionem pecca- torum ;

1 1 . Carnis resurrectio- nem ;

12. [Vitam œternam.]

Dans ce tableau, nous avons souligné et mis en- tre crochets ce que le texte reçu a ajouté au texte ancien. Mais on le voit, le texte reçu diffère peu du symbole romain. Les différences se réduisent au déplacement de natus, né, à l'article 3 ; à la substi- tution de ad à in, à l'article 6 ; et à l'addition de creatorem cœli et terrœ, créateur du ciel et de la terre, à l'article 1 ; de conceptus, conçu, à l'article 3; de passus, mortuus, a souffert, est mort, à l'article 4 î de descendit ad inferos, à l'article 5 ; de Dei omnipo- tentis, Dieu tout-puissant, à l'article 6 ; de credo, je crois, à l'article 8 ; de catholicam, catholique, et da sanctorum communionem, la communion des saints, à l'article 9 ; et de vitam œternam, la vie éternelle, à, l'article 12.

10. Remissionem pecca- torum ;

11. Garnis resurrectio- nem.

DU SYMBOLE DES APOTRES 85

Le déplacement de naius et l'addition de con- ceptus, à l'article 3, qui donne : conçu du Saint- Esprit, de la Vierge Marie, marquent plus nette- ment la personnalité du Saint-Esprit ainsi que la distinction de la nature divine et de la nature hu- maine dans l'Incarnation. La substitution de ad à in est sans importance. Quant aux additions, qui da- tent du ve ou du commencement du vie siècle, elles s'expliquent très bien ; car elles servent à préciser le sens de certains articles et à compléter les autres.

Créateur du ciel et de la terre, ajouté comme un attribut du Père tout-puissant pour écarter la théorie gnostique du Démiurge, se trouve déjà dans Nicétas, puis dans le pseudo-Augustin (i). Conçu du Saint- Esprit et de la Vierge Marie, dans le formulaire de foi des évêques latins du concile de Rimini, en 35g, tel qu'il nous a été conservé par saint Jérôme dans son Dialogue contre les * Lucifériens (2), ainsi que dans le formulaire du pape Damase (366-384) à Priscillien, hérésiarque d'Espagne (3). A souffertt dans Priscillien, en Espagne, dans saint Phébade d'Agen (vers 390), en Gaule, et dans saint Ambroise, en Italie. Est mort, dans saint Gésaire d'Arles (470- 542). Est descendu aux enfers, dans Rufin, qui signale ces mots comme une particularité du sym- bole baptismal d'Aquilée (4), et dans le formulaire arien de Sirmium, en 359. De Dieu tout-puissant, ajouté à Père à l'article 6 à titre d'explication com- plémentaire, se trouve dans Priscillien, saint Victri- cius de Rouen (f vers 407) et Fauste de Riez. Je crois, à l'article 8, n'est qu'une simple répétition. Catholique, servant à qualifier l'Eglise, la communion

1. Sermons ccxl, ccxli, ccxlii. 2. Dial, 17; Patr. lat.r t. xxiii, col. 179. 3. Fides Hieronymi ad Damasum papam. 4. Com. in Symb., 18 ; Patr. lat., t. xxi, col. 356.

86 LE CATÉCHISME ROMAIN

des saints, d'après Nicétas (i), détermine dans quel «ens il faut entendre la sainte Eglise. De même la vie éternelle est ajoutée pour expliquer la mention de la résurrection de la chair, si l'on en croit l'évê- que de Remesiana, tandis que, en Afrique, l'expli- cation de la résurrection de la chair par la vie éter- nelle avait pour but, selon saint Augustin (2), d'exclure l'erreur des Millénaires.

Il est à remarquer que le texte ancien du symbole apostoijquc se retrouve dans une lettre de Marcel d'Ancyre au pape saint Jules, en 337, (3), dans une explication du symbole attribué à saint Maxime de Turin, et qui est plus vraisemblablement de saint Ambroise (4), et dans le commentaire de Rufin (5), ce qui prouve que ce symbole était bien romain d'origine et d'usage. En Afrique, saint Augustin le commentait de préférence au symbole africain. « Or, dit M. Harnack, si l'on réduit tous les sym- boles occidentaux (d'Afrique, d'Espagne, d'Italie, d'Irlande) à un archétype, d'où l'on élimine tous les termes sur lesquels ces symboles diffèrent, on ob- tient sans difficulté le symbole romain. Le symbole romain est donc la racine de tous les symboles occidentaux (6). »

Peut-on le considérer également comme la racine de tous les symboles orientaux ?

Pour l'Orient, il faut distinguer avec soin la période qui précède les conciles de Nicée (325) et de Constantinople (38i) de celle qui les suit.

1. Explanalio symboli, 10 ; Pair, lat., t. lu, col. 871. a. Ad Catechumenos, 17; Pair, lat., t. xl. col. 636. 3. Dans S. Epiphane, Hœr., lxxii, 3 ; Pair, gr., t. xlii, col. 385. Den- xinger, Enchiridion, Wurtzbourg, 1874, 9. l\. Explan, symb.; Pair, lat., t. xvn, col. n58. 5. Com. in symb. 3 ; I*atr. lat., t. xxi, col. 339. 6. Cite dans le Dictionnaire de Théologie, t. 1, p. 1666.

DU SYMBOLE DES APOTRES 87

Avant Nicée, ce qui caractérise l'Orient, c'est la multiplicité et la variété des professions de foi, selon les temps et les lieux. Et cela suppose, évidem- ment, l'absence d'une formule arrêtée et fixe, et la liberté qu'avait chaque Eglise de donner à sa pro- fession de foi baptismale la forme la mieux appro- priée. On peut aisément s'en convaincre en com- parant, par exemple, les professions de foi de saint Grégoire le thaumaturge (210-270), d'Arius et d'Alexandre d'Alexandrie, en 32i, et de l'auteur du Dialogue De recta in Deumfide, vers 3oo. Là, point d'unité de type, rien qui rappelle le symbole romain. Cependant saint Ignace (f vers 107), saint Justin (f vers i63), saint Irénée, Aristide, Origène offrent les diverses expressions du symbole romain. Une telle coïncidence ne serait-elle pas l'indice, comme l'ont cru certains critiques récents, que l'Orient possédait un type de symbole plus ou moins apparenté avec le symbole romain? Quoiqu'il en soit de ce point de vue, il reste certain que les orientaux devaient employer pour la liturgie baptis- male une formule de foi, sorte de résumé catéché- tique qui ne pouvait que se rapprocher du symbole romain.

Après Nicée, pendant le ive siècle, on trouve plusieurs symboles en Orient. Chaque région avait le sien : il y avait la formule d'Alexandrie, con- servée chez les Coptes ; la formule palestinienne ou de Jérusalem, représentée par Eusèbe de Césarée, saint Cyrille de Jérusalem et saint Epiphane de Salamine ; la formule syrienne ou d'Antioche, représentée par les Constitutions apostoliques, saint Jean Chrysostome et Cassien ; la formule de l'Asie Mineure, représentée par Auxence de Milan, saint Grégoire de Nazianze et Marc l'ermite.

Or toutes ces formules sont rédigées, à quelques

88 LE CATÉCHISME ROMAIN

paraphrases et variantes près sur un même modèle, et, chose importante, ce modèle rappelle le symbole romain. C'est que. selon toute vraisemblance, « le symbole romain fut introduit à Nicée même comme un formulaire dans lequel tous les orientaux ne pouvaient avoir aucune difficulté à reconnaître leur foi traditionnelle, et que l'œuvre du concile consiste à ajouter aux articles du symbole romain les déve- loppements christologiques qu'appelait la question arienne (i). » Une fois que, sur ce modèle romain, est rédigé le symbole de Nicée avec les développe- ments christologiques réclamés par l'hérésie d'Arius, et dès que ce symbole de Nicée fut complété à Gonstantinople, relativement au Saint-Esprit, à cause de l'hérésie de Macédonius, tout l'Orient adopta ce symbole de Nicée-Constantinople. A dater du ve siècle, il devint la règle définitive de l'ortho- doxie grecque et il élimina toutes les variétés anté- rieures des symboles (2). Et c'est par que s'est fait sentir, même en Orient, l'influence du symbole romain.

Reste à poursuivre l'histoire du symbole romain et à rechercher sa trace du ive au ier siècle.

Origine du Symbole des Apôtres

Ce symbole romain du ive siècle se retrouve-t-il identiquement formulé au 111e ?

Pour la plus grande partie, oui ; mais non pour sa totalité. Car, au 111e siècle, si l'on tient compte des éléments du symbole que signalent Novatien, vers 260, dans son traité de ta Trinité (3), et le pape

1. Batiffol, Diction, de Théologie, t. 1, p. 1669. 2. Kunze, Das TSicânisch-KonsiantinopolUanische Symbol., Leipzig, 1898. 3. De Trinilate ; Pair, lat., t. m, coi. 885-902.

DU SYMBOLE DES APOTRES 89

saint Dcnys (259-269) dans son traité contre les Sabeliicns (1), on constate que le symbole romain se réduisait à la foi en Dieu le Père tout-puissant, en Jésus-Christ Notre Seigneur, fils de Dieu, et au Saint-Esprit ; et si l'on y ajoute la sainte Eglise, la rémission des péchés, attestés pour la première fois par saint Cyprien (2), et la résurrection de la chair, dont parle avant lui Tertullien, voici la formule du symbole vers 260 : « Je crois en Dieu le Père tout- puissant, et en Jésus-Christ, son Fils, Notre Seigneur, de la Vierge Marie, crucifié sous Ponce Pilaie, ressuscité d'entre les morts le troisième jour, monté aux deux, d'où il viendra juger les vivants et les morts ; et au Saint-Esprit, la sainte Eglise, la rémission des péchés, la résurrection de la chair. » Dans cette for- mule manquent le titre d'unique donné au Fils, l'intervention du Saint-Esprit dans l'incarnation et la place de Jésus près de son Père après l'ascension. Plus court encore au 11e siècle, le symbole, si l'on s'en tient aux œuvres de saint Ignace, de saint Justin et de saint Irénée, peut se formuler de la manière suivante : « Je crois en un seul Dieu tout- puissant, en Jésus-Christ, Fils de Dieu, Notre Sei- gneur, né de la Vierge, qui a souffert sous Ponce- Pilaie, est ressuscité des morts, est monté aux deux, d'où il viendra juger, et au Saint-Esprit. » Dans cette formule on retrancha, au commencement du 111e siè- cle, le mot unum, un, devant Dieu, à cause de l'erreur des Monarchiens, qui, en insistant mal sur l'unité de Dieu, compromettaient la trinité des per- sonnes ; puis on ajouta Pairem à Deum, Père à Dieu, pour mieux désigner la première personne de la sainte Trinité ; enfin on compléta la formule en

1. Pair, gr., t. xxv, col. 465. 2. Epist. lxx, ad Januarium, 2 ; Pair, lai., t. m, col. io^o.

LE CATECHISME ROMAIN

y ajoutant la sainte Eglise, la rémission des péchés et la résurrection de la chair.

Y avait-il donc, au temps des Apôtres, une for- mule du symbole ? Et quelle était-elle?

A défaut de données littéraires et de documents, qui sont rares et fort peu explicites sur ce point, on peut recourir au Nouveau Testament, et il est possible, sans se livrer à des conjectures hasardées, de reconstituer soit le thème de la prédication apos- tolique, soit les conditions dans lesquelles se confé- rait le baptême. Car il va de soi que les Apôtres durent exécuter a la lettre l'ordre formel de leur Maître qui était « d'enseigner toutes les nations, de* les baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint- Esprit (i). » Or, dès la descente du Saint-Esprit au jour de Pentecôte, saint Pierre entre en scène et prêche. Et à ceux de ses auditeurs de bonne volonté et qui, le cœur contrit, lui demandent ce qu'ils ont à faire, il propose cette formule de foi, très embryon- naire sans doute, mais essentielle et suffisante, puisqu'il y est question du Rédempteur. « Faites pénitence. Que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez le Saint-Esprit (2). » Pénitence d'abord, c'est la disposition intérieure et nécessaire pour assurer l'efficaci'té du rite baptismal ; foi en Jésus venu, au nom de son Père, racheter les hom- mes ; ensuite baptême ou rite extérieur ; et enfin foi au Saint-Esprit, dont l'effusion suit la collation du baptême.

Les Apôtres, en effet, nous apprennent les Actes (3), ne conféraient le baptême qu'à ceux qui connais- saient le Saint-Esprit et possédaient par conséquent quelque notion de la Trinité. Saint Paul, rencon-

1. Matlh., xxviii, 19. 2. Ad., 11, 38. 3. Ibid., xix, 3.

DU SYMBOLE DES APOTRES QI

trant des Ephésiens qui ignoraient le Saint-Esprit, en conclut parla même qu'ils n'avaient pas reçu le baptême du Christ ; en effet, ils n'avaient reçu que le baptême de Jean. Avant donc de baptiser, les Apôtres exigeaient non seulement la foi au Christ, Fils de Dieu, qu'exprimait l'eunuque de la reine Candace (i), mais encore la foi au Père et au Saint- Esprit.

Mais cette foi était-elle dès lors formulée dans un symbole fixe et arrêté ? Rien ne le prouve. Il est pourtant difficile de croire que les Apôtres, avant de se séparer, n'aient point convenu des vérités essentielles dont ils devaient exiger l'assentiment de la part de ceux qui solliciteraient le baptême ; et le moins qu'ils pussent demander c'était la foi à Dieu le Père, au Fils et au Saint-Esprit, puisque c'était même la formule que Notre Seigneur leur avait donnée pour baptiser. Et naturellement ce qu'ils avaient demandé aux juifs delà Palestine, ils ne purent que continuer à l'exiger au dehors de la part des gentils (2).

Les Apôtres, très vraisemblement, ne durent pas se borner à cette formule baptismale si réduite. Car, ainsi que le prouvent leurs œuvres, il y eut même chez eux un développement doctrinal. Le Saint- Esprit exposait peu à peu à leurs regards la foi qu'ils devaient laisser au monde, soit en achevant de leur présenter les enseignements de Jésus dans toute leur lumière, soit en leur rappelant des leçons dont ils ne gardaient qu'un vague souvenir, soit enfin en ajoutant aux doctrines annoncées par le Sauveur celles qu'il avait lui-même mission de leur

1. Ibid., vin, 37. 2. Cf. ; Burn, An introduction to th» Creeds, Londres, 1899, p. 20-26 ; Vacandard, Les Origines du Symbole des Apôtres, dans la Revue des questions historiques, 1899, p. 354.

LE CATECHISME ROMAIN

dévoiler (i). Il y a dans les écrits du Nouveau Testament le mouvement de l'histoire, une succes- sion de faits et de discours, se trahit le dévelop- pement des croyances. Par suite, il reste vraisem- blable qu'à la formule trinitaire, formule initiale et primitive, noyau central, ils ont pu ajouter tel ou tel mot, tel ou tel article, à raison du mouvement hérétique qui commençait à se dessiner autour de l'Eglise naissante. Et, par exemple, à Rome, au moment Pierre et Paul vont mourir, « l'heure semblait venue de resserrer la prédication apostoli- que en quelques dogmes essentiels, que tous pour- raient conserver de mémoire et opposer à l'héré- sie (2), » en une espèce de précis ou d'abrégé de la foi, c'est-à-dire dans un symbole. Et comme pen- dant trois siècles ce symbole apostolique est resté un secret d'initiés, uniquement confié de la bouche à l'oreille, un signe qui servait à distinguer le fidèle du faux frère, de l'hérétique et du juif, il est difficile, les renseignements faisant défaut, de pré- ciser exactement soit ce que contenait au début, soit ce que s'adjoignit, à l'âge suivant, ce formulaire baptismal.

En tout cas, ce qui paraît hors de contestation, c'est que la profession de foi au Père, au Fils et au Saint-Esprit a formé le point de départ et constitué le centre, le noyau et l'essence même du symbole baptismal. Et les formules qu'on peut relever dans les documents du 11e siècle au ive n'en ont été que le développement normal, légitime ; de telle sorte que le symbole romain doit passer pour en être l'aboutis- sement rationnel. En remontant, en effet, de ce sym- bole romain jusqu'aux origines, on peut reconnaître

1. Fouard, Saint Pierre, 3e édiL, Paris, 1893, p. 276. 2. Fouard, ibid, p. 285.

DU SYMBOLE DES APOTRES g3

en lui, sinon un plan de prédication concerté d'avance entre les Apôtres, du moins le fruit et l'abrégé de leur enseignement. Et, à ce titre, il mérite le qualificatif d'apostolique que lui décernait saint Ambroise. Son armature est faite de la profession de la foi à la Trinité, et, celle-ci, les Apôtres la tenaient directement du Christ.

Formule d'initiation baptismale, on comprend qu'on en ait respecté les termes ; mais n'ayant pas le caractère d'Ecriture au même titre que les livres du Nouveau Testament, on comprend aussi qu'on ait usé en dehors de Rome et à Rome même d'une certaine latitude pour en perfectionner l'expression.

Quant au symbole actuel, dit symbole des Apô- tres, il n'est pas autre chose que le symbole romain mis à point, complété dans le courant du ve et du vie siècle, et définitivement fixé dans une formule cristallisée, stéréotypée. Et tout comme le symbole romain, au même titre, il a droit, lui aussi, à être qualifié d'apostolique. Nous venons de voir dans quel sens.

Attribution du Symbole aux Apôtres

Il convient de reconnaître que le symbole a été attribué aux Apôtres eux-mêmes par plusieurs écrivains ecclésiastiques des premiers siècles, et aussi dans la suite. Il leur a été attribué d'abord comme toutes les autres parties qui composent la trame vivante de la tradition ; et cela, dès le 11e siècle, dans tous les textes il semble qu'on puisse reconnaître quelques-unes de ses traces. Saint Irénée, par exemple, dit que « la foi en un seul Dieu tout puissant, qui a fait le ciel et la terre, et les mers, et tout ce qui y est renfermé, et en un seul

94 DU CATÉCHISME ROMAIN

Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui s'est incarné pour notre salut, et en un seul Saint-Esprit..., a été reçue des Apôtres et de leurs disciples, et qu'elle a été gardée par l'Eglise, bien qu'elle soit répandue par tout l'univers (i). »

Tertullien parle souvent de la Règle de foi, contre laquelle personne ne peut prescrire. Il déclare qu'elle a été donnée à l'Eglise par les Apôtres, aux Apôtres par le Christ et au Christ par Dieu (2) ; or il y comprend les divers éléments du symbole (3), et il a soin de distinguer l'ensemble des vérités contenues dans cette Règle de foi du reste de l'en- seignement chrétien.

Les Constitutions apostoliques, dans la partie la plus ancienne qui est du 111e siècle, montrent les Apôtres exposant l'abrégé de leur enseignement (4).

Au ive siècle, saint Cyrille de Jérusalem appelle le symbole baptismal, qu'il expose dans ses célèbres Catéchèses, « la foi sainte et apostolique (5). » Et saint Epiphane de Salamine recommande de con- server la sainte foi, que l'Eglise a reçue en dépôt des Apôtres du Seigneur, et de l'inculquer digne- ment à tous les catéchumènes qui se préparent au baptême (6).

Nous avons déjà rapporté le mot de saint Ambroise qui qualifie d'apostolique le symbole romain. Saint Jérôme, baptisé à Rome, connut le symbole baptismal de cette église. « Or ce symbole de notre foi et de notre espérance, dit-il, qui ne s'écrit pas sur du parchemin et avec de l'encre,

!

1. Contra hsereses, I, x, 1; III, iv, 1; Pair, gr., t. vu. col. 549, 855. a. De Prœscrip. f 37 ; Patr. lat., t. 11, col. 5o. 3. De Prœscrip. , i3 ; ibid.t col. 26. 4. Const. Apost., VI, xi; tPatr. gr., t. 1, col. g36. 5. Catéchèse xvm, 3a ; Patr. gr. t. xxxiii, col. io54. 6. Ancorat, 118; Patr. gr., t. xliii, col. 2Z2.

DU SYMBOLE DES APOTRES g 5

mais seulement dans le cœur des chrétiens, nous vient des Apôtres (i). »

En Gaule, saint Hilaire de Poitiers félicite les évo- ques, ses collègues, d'avoir conservé la foi parfaite et apostolique, apprise au baptême, et de n'avoir pas eu besoin des formules écrites que les périls de la foi ont rendues nécessaires dans d'autres églises (2).

En Espagne, l'hérétique Priscillien convient que le Christ a enseigné le symbole aux Apôtres pour confondre l'erreur des Ebionites (3). En Dacie, Nicétas de Rémésiana rapporte également la profes- sion de foi baptismale à la tradition des Apôtres (4). En Afrique, saint Fulgence de Ruspe dit clairement que le symbole est d'origine apostolique (5). Vigile de Tapse admet que l'Eglise de Rome a reçu son symbole baptismal des Apôtres eux-mêmes (6).

D'après cet ensemble de témoignages, on voit que le symbole, soit dans sa forme originelle, soit dans la formule romaine ou dans d'autres appa- rentées, a été regardé comme provenant des Apô- tres, au moins dans un sens large.

Mais il y a plus encore. La rédaction elle-même de la formule du symbole a été longtemps attribuée aux Apôtres.

Déjà, à la fin du ive siècle, saint Ambroise disait aux fidèles de Milan : « Les douze Apôtres, comme des ouvriers habiles, s'entendirent pour fabriquer la clef. J'appelle clef ce symbole qui ouvre les ténèbres du démon pour que la lumière du Christ y

1. Contra Joan. Hieros., 28 ; Pair, lat., t. xxm, col. 936. a. De symbolo, 63 ; Pair, lat., t. x. col. 523. 3. Tract, ni, édit., Schepss, Vienne, 1889, p. 49- 4- De Spirit. Sanc. poten- tia, 18 ; Explanalio symboll, 8 ; Pair, lat., t. xlii, col. 862, 870. - 5. Conl. Fabianum, fragmenta, 36 ; Pair, lat., t. lxv, col. 822, 823. 6. Contr. Eutych. iv, 1 ; Pair, lat., t. lxii, col. 119,

96 LE CATÉCHISME ROMAIN

pénètre (1). » Beaucoup plus explicitement encore, Ruffin d'Aquilée écrivait dans son Commentaire du symbole : « Nos anciens rapportent qu'après l'as- cension du Seigneur, lorsque le Saint-Esprit se fut reposé sur chacun des Apôtres sous forme de lan- gue de feu afin qu'ils pussent se faire entendre en toute langue, ils reçurent du Seigneur l'ordre de se séparer et d'aller dans toutes les nations pour prêcher la parole de Dieu. Avant de se quitter, ils établirent en commun une règle de la prédication qu'ils devaient faire, afin que, une fois séparés, ils ne fassent pas exposés à enseigner urte doctrine différente à ceux qu'ils attiraient à la foi du Christ. Etant donc tous réunis et remplis de l'Esprit-Saint, ils composèrent ce bref résumé de leur future prédication, mettant en commun ce que chacun pensait, et décidant que telle devra être la règle à donner aux croyants. Pour de multiples et très justes raisons, ils voulurent que cette règle s'appelât symbole (2). »

Ruffîn appliquait cette tradition au symbole ro- main, bien qu'elle n'eût ni un témoin romain ni une attache romaine. Il l'avait empruntée, en effet, soit aux Constitutions apostoliques (3), soit à la Didas- calie des Apôtres (4), d'origine syrienne, c'est-à- dire à la littérature pseudo-apostolique du 111e siècle.

Or « cette croyance à la rédaction du symbole par les Apôtres s'est perpétuée et popularisée. Elle a été admise, au ve siècle, par Saint Maxime de Turin (5), par Gassien (6), et par Fauste de Riez (7) ; au vu*

1. Sermo xxxm, 6; Pair, lat., t. xvn, col. 671. 2. Comm. in symb., 2 ; Pair, lat., t. xxi, col. 337. 3. VI, xiv ; Pair, gr., t. 1, col. 9^5. 4- Edit. Nau, Paris, 1902, p. i34-i4a. » 5. Homil. lxxxiii ; Pair, lai., t. lvii, col. 433. 6. De incar- nai., vi, 3 ; Pair, lat., t. iv, col. 147-149. 7. De symbolo, Bibliolh. PaLrum, Lyon, t. vi, p. 627.

DU SYMBOLE DES APOTRES 97

par saint Isidore de Séville (i), et par saint Ildefonse de Tolède (2) ; et au vme, par Etherius et Beatus (3). On précisa même les données premières : chaque apôtre devint l'auteur d'un des douze articles. Le représentant le plus ancien de cette évolution est le Sermo ccxl, du pseudo-Augustin (4), ou encore le Sermo ccxli (5), et le Sermo de symbolo. On la retrouve dans saint Pirmin (6). »

Alcuin et Raban Maur l'admettent dans son pre- mier état, au vin0 et ixe siècle. Saint Thomas (7) y attache peu d'importance. Mais saint Bonaventure admet la rédaction des articles par chacun des Apôtres, pris séparément (8). Suarez (9) rapporte les deux explications.

Cette forme d'attribution apostolique du symbole a même été introduite dans le Catéchisme romain (10), Mais l'Eglise ne l'a reconnue par aucun acte officiel. Le catéchisme romain ne fit «donc, remarque Dom Baumer (11), qu'adopter un sentiment qui est celui de beaucoup de Pères. En i52Q, la Sorbonne cen- sura Erasme pour avoir dit qu'il ignorait si le sym- bole était de tradition apostolique ; elle admettait donc le sentiment déjà connu (12). Mais les critiques catholiques les plus orthodoxes, dit avec rai- son Vacant (i3), n'hésitent pas à la qualifier de légende (i4).

1. De offic. eccl., n, 23 ; Pair, lat., t. lxxxiii, col. 8i5-8i6. 2. De cognit. bapt., 32 ; Patr. lat., t. xevi, col. 126. 3. Biblioth. Patrum, Lyon, t. xm, p. 35g. 4- Pair, lat., t. xxxix, col. 2189. 5. Ibid., col. 2190. 6. Scarapsus ; Patr. lat., t. lxxxix, col. io34. 7. Comm. des Sentences, III, Dist. xxv, a. 1, ad iv. 8. Comm. des Sentences, III, Dist. xxv, a. 1, ad iv. 9. De fide, Disput. II, v, 3. 10. ire Partie, In- trod., xxvii-xxviii. 11. Das apostolische Glaubensbekenntnis, Mayence, 1893, p. 26. 12. D'Argentré, Collect. judiciorum, Paris, 1728, t. 11, p. 60. i3. Dictionnaire de Théologie, t. 1, p. 1679. i4- Cf. Baumer, Vacandard, Fouard, loc. cit.

LE CATÉCHISME. T. I. 7

9 8 LE CATÉCHISME ROMAIN

Mais il y a loin de à prétendre que le symbole ne provient d'aucune façon des Apôtres. C'est au xv° siècle que commença la discussion quand on tenta, au concile de Florence, d'unir l'Eglise latine et l'Eglise grecque. « Dès le début des négociations, en i438, pendant que les Pères siégeaient encore à Ferrare, comme les latins invoquaient l'autorité du symbole des Apôtres, les théologiens grecs, notam- ment Marcos Eugenicos, archevêque d'Ephèse, s'étonnèrent de cette référence et dirent : « Pour nous, nous n'avons pas et nous ne connaissons pas de symbole des Apôtres. » Cette déclaration fut un coup de surprise. Tombée dans le domaine public, elle fut recueillie et exploitée par le fameux scepti- que Laurent Valla, qui écrivit un libelle, d'ailleurs dépourvu de science et de critique, contre l'origine apostolique du Credo latin (i). » C'était en i444. L'éveque de Chichester, Reginald Peacock, marcha sur les traces de Valla, en 1/400. Jacques Usher inau- gura, en 16/47, la critique historique du sujet. Elle a été poussée aussi loin que posible au xixe siècle. « Des principaux faits précédemment exposés, il résulte que, la légende de la rédaction du symbole par les douze apôtres écartée, l'ancienne tradition ecclésiastique a justement rapporté aux apôtres les parties essentielles du symbole qui porte leur nom (2). »

Autorité du Symbole des Apôtres

Quelle autorité faut-il donc reconnaître au sym- bole ?

1. Vacandard, loc. cit., p. 32C)-33o. 2. Vacant, Dict. de ThéoL, p. 1679 ! Cf. Mazella, De virtutibus infusis, Rome. 1879, p. 323-324.

DU SYMBOLE DES APOTRES Ç)$

Une très grande autorité. Car, tout d'abord. « l'autorité de la profession de foi trinitaire dans la rite du baptême, profession qui a servi de cadre et de noyau au symbole et qui en contenait les élé- ments essentiels, résulte de ce qu'elle vient des apôtres et qu'elle leur est attribuée par la tradition ecclésiastique. Toutefois, comme la formule n'en était pas stéréotypée à l'origine et comme les apôtres ne l'avaient pas écrite, il est inexact de dire que si le Credo baptismal est l'œuvre des apôtres eux- mêmes, il faut le considérer comme « inspiré » et le mettre sur le même rang que l'Ecriture canoni- que (i). Suarez (2) a justement observé que, suivant la doctrine des Pères, le symbole n'a pas été écrit, mais seulement présenté par les apôtres aux fidèles pour être appris de mémoire. Eût-il même été rédigé par écrit par les apôtres qu'il ne serait pas pour cela inspiré, puisque l'Eglise ne l'a pas placé au rang des Ecritures sacrées et puisque, d'autre part, si les apôtres, clans le ministère de leur prédication, jouissaient de l'infaillibilité, ils n'avaient pas néces- sairement, en tout ce qu'ils écrivaient, le don de l'inspiration (3). Mais si la profession de foi baptis- male, que les apôtres ont instituée, n'est pas ins- pirée, elle est une de ces traditions apostoliques que, d'après le concile de Trente, session iv, l'Eglise reçoit et vénère avec la même piété et le même res- pect que les Saintes Ecritures. »

« Quant au symbole romain sous ses différentes formes (et par suite le symbole actuel), ce n'est pas seulement un témoignage historique ancien, pré- cieux, vénérable, de la foi catholique ; c'est une

1. Dom Ghamard, Les origines du symbole des Apôtres, dans Revue des Questions hist., 1901, p. 34i-343. 2. De fide, Disp. II, v, 4- 3. Franzelin, De dïvina traditione, 3e cdit., Piome,. 1882, p. 372-378.

IOO LE CATECHISME ROMAIN

règle de foi, imposée par l'Eglise aux néophytes dans la dispensation solennelle du sacrement de baptême. Les protestants, qui veulent s'en tenir strictement à la doctrine évangélique, peuvent bien chercher à démontrer que le symbole dit des Apô- tres est plus complet que la foi de l'Evangile et ne s'impose pas, dans son entier, à l'adhésion des chré- tiens. Les catholiques n'ont pas le droit de contes- ter son autorité dogmatique. Quelles que soient sa date et les phases diverses de son histoire, l'Eglise catholique l'emploie depuis des siècles dans sa litur- gie et son enseignement catéch'é tique. Elle le consi- dère donc et elle l'impose comme un document de sa foi officielle (i). Bien qu'il ne soit pas, dans sa teneur actuelle, un document synodal et théologi- que, ce monument liturgique et catéchétique est l'expression infaillible de l'enseignement quotidien de l'Eglise ; c'est un organe de son magistère exprès, et tous les points de doctrine qui y sont affirmés s'imposent comme de foi catholique et par consé- quent sous peine d'hérésie (2). »

Non seulement l'Eglise invoque le symbole des Apôtres comme une règle de foi imprescriptible à opposer aux hérétiques et l'impose comme une profession de foi absolument requise pour quiconque sollicite la grâce du baptême, ainsi que nous le verrons plus en détail dans la suite, mais encore elle Fa inséré dans la prière officielle qu'elle exige de la part de ses ministres. Le symbole apostolique, en effet, a sa place marquée dans l'office divin ; et notamment il se trouve au commencement de Matines et de Prime, ainsi qu'à la fin de la récitation du Bréviaire.

1. S. Thomas, Sam. theol., na 11* , Q. 1, a. ix. 2. Vacant, Eludes théologiques. La Constitution Dei Filius, Paris, 1895, t. 11, p. 112 ; Diction, de Théologie» 1. 1, p. 1680.

DU SYMBOLE DES APOTRES 101

Le simple chrétien est obligé de savoir le symbole des Apôtres, et il doit le réciter souvent avec foi et piété.

On ne peut être admis, en effet, au baptême que sur une attestation formelle qu'on sait par cœur le symbole des Apôtres et qu'on adhère fermement aux vérités qu'il contient. C'est le cas pour les adultes ; quant aux enfants que l'on présente aux fonts baptismaux, nous ver- rons plus tard que la récitation du symbole ou profession de foi baptismale incombe aux par- rains et marraines, qui se portent garants pour leurs filleuls.

Savoir par cœur le symbole ne suffît pas, il faut encore le réciter fréquemment comme une pro- testation de fidélité, comme un renouvellement de la profession faite au baptême, comme un acte de foi. Il constitue ainsi, dans sa formule vénérée et tant de fois séculaire, l'un des éléments princi- paux de la prière chrétienne. Il doit donc se réciter avec piété, matin et soir, au début et à la fin de la journée.

Les Pères de l'Eglise avaient soin d'en recom- mander la récitation fréquente. « Chaque jour, écrivait saint Ambroise dans son livre de la Virginité, nous devons très particulièrement réciter le symbole avant l'heure de la lumière : un soldat ne va jamais sans porter sur lui son engagement militaire, soit dans le repos sous la tente, soit dans Faction sur le champ de bataille (i). » Et saint Augustin, s'adres- sant aux compétents, leur disait : « Dès que vous saurez le symbole, récitez-le chaque jour pour ne pas l'oublier. A votre lever, au moment de prendre le repos, récitez votre symbole, récitez-le au Sei-

i. De virginitate, III, rv, 20 ; Pair, lat., t. xvi, col. 225.

102 LE CATECHISME ROMAIN

gneur, ne vous lassez pas de le redire : la répétition en est bonne, elle empêche l'oubli. Ne dites pas : Je i'ai dit hier, je l'ai dit aujourd'hui, je le dis chaque jour, je le skis fort bien. Rappelez-vous votre foi ; regardez-vous : que le symbole vous serve de mi- roir. Et constatez si vous croyez réellement tout ce que vous faites professsion de croire, et chaque jour réjouissez-vous dans votre foi. Que ce soit votre richesse et comme un vêtement dont vous revêtiez chaque jour votre âme. Dès que vous vous levez ne vous habillez-vous pas ; de même, en réci- tant le symbole, revêtez votre .âme... Ainsi serons- nous revêtus de notre foi ; et notre foi est en même temps un habit et un bouclier : un habit pour nous garantir de la confusion ; un bouclier contre l'ad- versité. Et lorsque nous serons parvenus nous devons régner, il ne sera plus nécessaire de répéter le symbole : nous verrons Dieu ; Dieu sera notre vision, et la vision de Dieu sera la récompense de cette foi (i). »

Mais savoir le symbole et le réciter fréquemment ne suffisent pas : il faut encore le comprendre. Voilà pourquoi les Pères de la primitive église, et depuis l'époque patristique jusqu'à nos jours, les évêques et les curés n'ont cessé d'expliquer le symbole soit aux catéchumènes, soit aux enfants baptisés, pour leur donner l'intelligence de cette règle de foi. Et c'est là, justement, ce qui va faire l'objet de toutes les leçons de la première partie de ce Catéchisme, celle vont passer successivement sous nos yeux tous les articles du symbole des Apôtres.

i. Sermo lviii, i3.

DU SYMBOLE DES APOTRES 103

Division et contenu du Symbole

Le symbole se divise en articles. Or ce mot article, dit saint Thomas, semble dérivé d'un mot grec apôpov, qui répond au mot latin articulas, et signifie liaison de parties distinctes. C'est pour cela qu'on appelle articulations les diverses parties du corps, qui en forment les membres en s'ajoutant les unes aux autres. Ainsi les choses qui appartiennent à la foi chrétienne sont divisées par articles, dans ce sens qu'elles se divisent en certaines parties se liant les unes aux autres. Chaque vérité a son article parti- culier. Et cette liaison réciproque des articles du symbole, l'ordre qu'ils ont entre eux, expliquent comment la foi demeure toujours une dans la division et la multiplicité des articles qu elle em- brasse (i).

Or, ajoute saint Thomas, ces divers articles sont très convenablement disposés dans le symbole. La foi, en effet, n'embrasse, comme étant son objet propre, que les choses dont nous aurons la vision dans la vie éternelle, et celles qui nous y conduisent. Or deux choses doivent faire l'objet de cette vision : ce qu'il y a de caché dans la divinité, et c'est en cela que consiste la béatitude ; et le mystère de l'huma- nité du Christ, par qui nous pouvons être introduits dans la gloire des enfants de Dieu. De ces paroles de Notre Seigneur : « La vie éternelle consiste à vous connaître, vous, le vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (2). » Les vérités de la foi offrent donc d'abord cette distinction, que les unes se rapportent à la majesté divine, les autres aux mystères de l'humanité du Christ. Touchant la

1. Sum, IheoL, na ii» , Q. 1, a. 6. - 2. Joan., xvu, 3.

I04 LE CATÉCHISME ROMAIN

majesté divine, la foi nous offre trois vérités à croire : d'abord son unité, et c'est L'objet du premier article ; ensuite la Trinité, qui fait l'objet des trois articles consacrés aux trois personnes divines ; enfin les ouvrages attribués à la divinité, dont le premier se rapporte à l'état de nature, et de l'article de la création ; le second, à l'état de grâce, et de un seul article pour tout ce qui se rattache à la sanctification des hommes ; le troisième, à l'état de gloire, et de un autre article pour la résurrection de la chair et la vie éternelle : ce qui fait sept articles se rapportant à la divinité. Il y a également sept articles touchant à l'humanité du Christ : le premier se rapporte à son incarnation ou à sa conception ; le second, à sa naissance de la Yierge ; le troisième, à sa passion, à sa mort et à sa sépulture ; le quatrième, à sa descente aux enfers ; le cinquième à sa résurrection ; le sixième, à son ascension ; le septième, à sa venue pour le jugement : ce qui fait en tout quatorze articles. Il y en a cependant qui n'en distinguent que douze, dont six se rapportent à la divinité, et six à l'humanité. Ils comprennent en un seul les trois articles sur les trois personnes, parce que la connaissance des trois personnes est la même. L'article sur l'état glorieux, ils le divisent en deux, savoir : la résurrection de la chair et la gloire de l'âme ; et ils ne font qu'un seul article de celui de la conception et de celui de la nativité (i).

Dans cette division du symbole, le nombre des articles a varié. C'est ainsi que saint Thomas, comme nous venons de le voir, en compte quatorze. Le Docteur Angélique a tenu compte ici de l'in- fluence du Septénaire, mis en vogue depuis le xn* siècle ; mais il est à remarquer qu'il n'ignore pas

i. S. Thomas, Sam. Theol, na ii®, Q. i, a. 8.

DU SYMBOLE DES APOTRES 105

et ne blâme pas la division en douze articles. Cette dernière a prévalu depuis longtemps et a été consa- crée par l'autorité qui s'attache au Catéchisme Romain ; c'est celle à laquelle nous nous tiendrons, telle que nous l'avons indiquée en transcrivant le texte du symbole.

1. Le résumé de la foi, en Palestine, au lende- main de la Pentecôte. « Jésus, rédempteur uni- versel ! Quel merveilleux résumé de la foi, et qu'il est beau de voir dès cette première heure tous les éléments caractéristiques de notre foi adulte, clairement enfer- més dans cette brève formule ! Quelle idée du Messie s'en dégage autrement profonde que celle qu'en avaient les contemporains de saint Pierre ! Les juifs attendaient un Messie plus politique que religieux et plus national qu'humain ; les premiers chrétiens venus du Judaïsme re- connaissent en Jésus le Messie, mais combien s'est trans- formé pour eux le concept du, Messianisme ! L'œuvre mes- sianique de Jésus, c'est l'affranchissement qu'il opère, non d'un esclavage matériel, mais de la servitude morale du péché; et cette œuvre, précisément parce que spirituelle, n'est pas circonscrite à un peuple, mais de plein droit s'étend à tous, même aux païens, grâce à cette formule, rappelés à la conscience d'eux-mêmes, invités à se recon- naître pécheurs et incapables de régénération morale sans un secours d'en haut, celui-là même que Jésus est venu porter. La misère morale de l'humanité, le besoin d'une morale et divine résurrection des esprits, Jésus, l'ouvrier de cette résurrection morale, et le médecin, par un tel moyen et de telle manière, de cette misère, cette suprême synthèse de Christianisme que nous retrouvons aujour- d'hui par un travail de réflexion aiguë sur notre Credo, se trouve dès ce moment affirmée avec la simplicité de l'intuition. » Semeria, Vinte Cinque anni di sloria del Crestianesimo nascente, Rome, 1900, p. 101-102 (1).

1. Cité par M. Gondal, Aux temps des Apôtres, Paris, 1904, p. 10.

I06 LE CATÉCHISME ROMAIN

2. La prédication apostolique, à l'apparition

des hérésies. a A la foi unanime des premiers jours succédaient le trouble et le partage. Des loups rapaces fondaient sur les pasteurs et ne ménageaient pas le trou- peau ; des hommes s'élevaient, proférant des discours per- vers pour attirer des disciples après eux(i).Plusencoreque la doctrine des novateurs, leur parole était à craindre, elle 'rongeait comme la « gangrène, couvrant sa corruption sous une profane nouveauté de mots (2). » Pour éviter ces embûches du langage, ces expressions incertaines, 'équivoques, convenant à l'erreur comme à la vérité (3), il fallait se munir de termes exacts et consacrés. La pré- dication apostolique n'avait tendu jusqu'alors qu'à faire connaître et aimer Jésus ; l'heure était venue de la res- serrer en quelques dogmes essentiels, que tous pourraient conserver de mémoire et opposer à l'hérésie. Saint Paul mita cette œuvre la vigueur, qui était le propre de son génie, et fonda « ce dépôt de la foi » qu'avant de mourir il recommandait si instamment à Timothée (4). Timothée avait donc reçu de Paul, outre l'enseignement commun dans toute son étendue, un abrégé, un précis de la foi. Pierre fait allusion à ce formulaire dans l'une de ses Epî- tres, et nous apprend en même temps à quel usage il fut primitivement destiné. Parlant des hommes sauvés du déluge grâce à l'eau qui les portait dans l'arche : « Cette même eau, ajoute-t-il (5), est la figure du baptême qui nous sauve ; or le baptême ne consiste pas dans la purifi- cation des impuretés de la chair, mais dans Y interroga- tion d'une bonne conscience à l'égard de Dieu. » De quelle interrogation parie ici l'apôtre?... Le Credo de la liturgie baptismale remonte donc aux temps apostoliques ; dès lors quoi de plus naturel que d'y voir Yinterrogationt dont parle saint Pierre, et le précis recommandé par saint Paul. Les paroles de celui-ci à Timothée ne permettent guère de douter qu'il ait eu quelque part à cet abrégé de la foi. De préférence, néanmoins, nous en rapportons le dessein au chef des Apôtres, parce que sa lettre, écrite de

1. Act., xx, 29, 3o. 2. 11 Tim., 11, 17. 3. 1 Tim., vi, 20. ,— 4. n Tim., 1, 13. 5. 1 Pelr., m, 20-22.

DU SYMBOLE DES APOTRES IO7

Rome, nous fait connaître le baptême tel qu'on l'admi- nistrait sous ses yeux et par ses ordres ; c'est donc à lui plus qu'à aucun autre qu'il convient d'attribuer l'idée d'un formulaire de croyances, à lui comme fondateur de l'Eglise romaine, s'inspirant des coutumes et des tradi- tions du peuple au milieu duquel il vivait. » Fouard Saint Pierre, 3e édit., Paris, 1893, p. 285-288.

3. Le Credo de l'âme humaine. « Une doctrine qui possède éternellement l'humanité doit satisfaire divi- nement l'humanité. Mais de quelle manière les dogmes du Credo sont-ils harmoniques à l'âme ? Ils ne sont pas naturels, comme nous pourrions l'imaginer. C'est leur étrangeté, leur impénétrabilité mystérieuse qui est naturelle. Elle trouve en nous je ne sais quelle impéné- trabilité mystérieuse aussi, quelle étrangeté qui lui ressemble, qui est de même ordre et qui fait que l'une ne peut pas voir l'autre sans tressaillir.

Allons au fond. Qu'est-ce que le Credo ? C'est en douze articles l'exposé de la personnalité incompréhensible, de la vie mystérieuse de Dieu. Or nous sommes faits à son image et à sa ressemblance. Par conséquent les mystères de Dieu sont en nous, guère plus pénétrables en nous qu'en lui, quoi qu'il y ait en nous l'infini de moins. De fait nous sommes une trinité, les philosophes même en conviennent. Nous sommes une incarnation. Nous som- mes une paternité qui crée et qui engendre à son image. Après avoir créé, nous devenons une providence. Quand la femme devient mère, pendant un an ou deux elle est une eucharistie. Pères et mères, nous sommes une rédemption, une passion, une solidarité dans la chute, une résurrection, une vie éternelle. Afin que nous ne puissions pas le nier, Dieu a écrit le Credo dans nos entrailles. Nous ne le voyons pas avec la raison ; nous le sentons. Ce Credo humain, qui est nous, ne peut être mis en présence du Credo divin, qui est Dieu, sans tressaillir, comme la copie devant l'image.

Yoilà pourquoi, à moins d'un mystère de perversion, ^incrédulité n'est qu'affaire de jeunesse. A cet âge, on

I08 LE CATÉCHISME ROMAIN

n'est encore qu'une trinité et une incarnation ; dogmes froids, parce qu'ils ne regardent que nous. Mais avec la paternité tous les mystères, brûlants ou poignants, com- mencent : la création, la chute, la rédemption, l'eucha- ristie. Le Credo s'incarne dans notre chair. Il devient palpable. Tout s'illumine d'une lumière qui ne vient ni de l'esprit ni de la raison, facultés auxquelles on résiste, mais qui monte du cœur et des entrailles. Voyez cette mère qui entre dans l'église, son entant sur son bras. Un jeune homme peut sourire en passant devant la croix, le tabernacle. Elle non. Elle regarde la croix et se dit : « Qu'y a-t-il de si étrange ? Est-ce que je n'en fais pas tout autant. Je nourris mon enfant de mon lait, et si, pour l'arracher à la mort, il fallait le nourrir de mon sang, me laisser souffleter, battre de verges, est-ce que j'hésiterais une minute ? » Voilà est le Credo et pour- quoi il est invincible. Dieu l'a caché dans les replis les plus intimes de la nature humaine. Il l'a tellement iden- tifié avec l'âme, qu'il faut se nier soi-même, ou du moins s'oublier, pour ne pas croire (i) ! »

i. Bougaud, Le Christianisme et les temps présents, 2e édiL, Paris, 1878, t. ni, p. a3-25.

Leçon IIe Autres Symboles

I. Le Symbole de Nicèe-Constantinople : Son origine. Son texte. Son usage. Son autorité. IL Le Symbole de Saint- Athanase : Son texte. Son origine. Son importance (1).

I. Symbole de Nicée-Constantinople

Son

Origine

Outre le symbole des Apôtres, l'Eglise compte encore le symbole de Nicée-Constantinople et celui qui est dit de saint Athanase. Le symbole de Nicée-Constantinople n'est autre

i. BIBLIOGRAPHIE : G. Vossius, De tribus symbolis, iG/ia ; Harvcy, The history and theology of the tkree creeds, Londres, i854 ; Swainson, The literary history of\the nicene and apostles creed, and that commonly called the creed of saint Athanasias, Londres, 1875 ; Lumby, History of the creeds, 3eédit., Londres, 1887 ; Hurtley, History oj the earlier jormularies of jaith, Ox- ford, 1892 ; Hort, Two dissertations on the constantinopolitan creed; Funk, article Symbole dans la Realencyklopddie, Fribourg- en-Brisgau, t. 11, p. 809 sq; Harnack, Doymengeschichte, 3e cdit.,

110 LE CATECHISME ROMAIN

que celui qui fut d'abord sommairement formulé contre Arius, au premier concile général de Nicée, en 325, et complété contre Macédonius, au se ond concile général de Gonstantinople, en 38i. Univer- sellement adopté par l'Eglise d'Orient, il fut peu à peu introduit en Occident et accepté par l'Eglise romaine avec l'addition caractéristique du Filio- que.

C'est une formule de foi, beaucoup plus explicite que le symbole des Apôtres sur la divinité du Verbe et du Saint-Esprit, sur la procession de la troisième personne de la Sainte-Trinité, provoquée, au iv° siè- cle, par la double erreur d' Arius et de Macédonius, ainsi que nous l'établirons plus en détail dans la suite. Le lybien Arius, en effet, devenu prêtre d'Alexandrie et placé à la tête de l'église de Ban- cale, s'était imbu des enseignements erronés de Lucien d'Antioche et en était venu à soutenir que, si le Père a engendré le Fils, Têtre du Fils a eu un commencement. Il fut donc un temps le Fils

Leipzig, 1893, et article Konstanlinopolilanisches Symbol dans la Realencyklopàdie fur protestant Théologie, 2e édit., Leipzig, t. vin, p. 212 sq ; Gwatkin, The arian controversy , 4e édit., Lon- dres, 1898. Quesnel, De symbolo athanaslano, 1676 ; Antel- mius, Adouci de symbolo athanasiano dlsqulsiiio, 1093 ; Muratori, De auclore symboli Quicumque, dans les Anecdota lalina, 1698 ; Waterland, Critican hislory of the athanasian creed, Cambridge, 1724 ; Brewer, The athanasian creed vindicated, Londres, 187 1 ; Ominaney, Hislory oj the athanasian creed, Londres, 1875 ; The eariy hislory of the athanasian creed, Londres, 1880 ; Burn, The athanasian creed, Cambridge, 1896 ; Dom Morin, Les ori- gines du symbole Quicumque, dans la Science catholique, juillet 1891, et le Symbole de saint Athanase et son premier témoin saint Césaire d'Arles, dans la Revue bénédictine, octobre 1901, t. xvm, p. 338-363 ; Tixcront, article Symbole de saint Atha- nase, dans le Dictionnaire de Théologie, t. 1, col. 2178-2187; Lejay, Le rôle théologique de saint Césaire d'Arles, dans la Revue d'histoire et de littérature religieuse, Paris, 1906, t. x, p. i5a sq.

SYMBOLE DE NIGEE-CONSTANTINOPLE III

n'était pas ; il a été tiré du néant. C'était assimiler Jésus-Christ à une créature, nier sa divinité, intro- duire dans le mystère de la Sainte-Trinité une no- tion fausse, qui entraînait les conséquences les plus fâcheuses, touchant l'incarnation et la rédemption.

Une telle doctrine fut jugée avec raison contraire à l'enseignement traditionnel et dénoncée par l'évê- que d'Alexandrie. Le concile de Nicée la condamna. Les Pères de ce concile, en effet, résolurent de pros- crire certaines expressions erronées ou impies et de leur opposer une formule de foi nette et irrépréhen- sible (i). Eusèbe de Césarée proposa le symbole de son église comme de nature à rallier tous les suffra- ges ; mais la majorité de l'Assemblée eut soin, tout en l'acceptant, d'y introduire des modifications, des précisions et additions significatives.

Que fallait-il entendre par Fils unique de Dieu ? Une simple adoption ? Nullement, mais une vraie génération, qui fait du Fils de Dieu un être sembla- ble au Père, de même nature et de même substance que lui. De la rédaction suivante de l'article relatif au Fils : « Et en un seul Seigneur Jésus- Christ, Fils de Dieu, unique du Père, c'est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendre, non créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait au ciel et sur la terre. »

Après cette rédaction, qui était la condamnation formelle de l'hérésie d'Arius, et pour éviter tout subterfuge, toute subtilité d'interprétation, toute équivoque, les Pères rappellent les principales expressions ariennes et les déclarent anathématisées par l'Eglise catholique et apostolique : « Ceux qui disent : a II fut un temps il n'était pas, » et

i. S. Athanase, Epist. adAfr., 5 ; Pat. gr., t. xxvi, col. io38.

112 LE CATECHISME ROMAIN

« avant de naître il n'était pas, » « il a été fait de ce qui n'était pas ; » ceux qui prétendent qu'il est d'une substance ou d'une essence différente, ou qu'il est créé,1 ou qu'il est susceptible de change- ment, l'Eglise catholique et apostolique les anathé- matise (i) ».

Ainsi donc le concile de Nicée, en proclamant le Fils con substantiel au Père, le déclarait vrai Dieu, possédant la même nature que le Père, en vertu d'une génération réelle et non métaphorique. Mais le terme grec b[j.ooûc:ioç, consubstantiel, employé par le concile pour exprimer la consubstantialité du Père et du Fils, donna lieu pendant tout le ive siècle à des discussions sans fin de la part des Ariens et des semi-ariens.

Entre temps, la divinité du Saint-Esprit avait été niée ; elle dut être proclamée un dogme de foi par un nouveau concile, qui se rassembla à Constanti- nople en 38i. Ce second concile général commença par ratifier et confirmer ce qui avait été fait à Nicée (2). « La profession de foi des trois cent dix huit Pères, réunis à Nicée en Bithynie, est-il dit dans le canon ier, ne doit pas être abrogée ; elle doit con- server toute sa force ; et toute hérésie doit être anathématisée. »

Mais ce concile rédigea-t-il une formule nouvelle de foi, un symbole nouveau, et précisément celui qui porte son nom ? La question est débattue entre les érudits. Pour les uns, le concile de Constanti- nople n'aurait simplement que confirmé le symbole que saint Epiphane a inséré dans son Ancorat (3), et dont il se servait dans l'administration du sacrement

1. Denzinger, Enchiridion, n. 17, 18. 2. S ocrât e, Hist. ecel.% V. vin ; Pair, gr., t. lxvii, col. 578 sq. 3. Ancorat, 119; Pair. gr. t. xliii, col. 232.

SYMBOLE DE NICEE-CONSTANTINOPLE

n3

de baptême (i). Pour les autres, ce symbole n'est pas l'œuvre du concile de Gonstantinople ; il ne lui a été attribué que plus tard (2).

Quoi qu'il en soit, ce symbole dit de Constanti- nople, est celui qui, après la défense portée par les conciles généraux d'Ephèse, en 43i , et de Chalcé- donie, en 45i, d'en rédiger de nouveaux, fut adopté définitivement par tout l'Orient, à la suite du second et troisième conciles de Constantinople, en 553 et 680, et passa dans l'usage liturgique. Connu et utilisé dans plusieurs Eglises d'Occident, il finit par être adopté par toute l'Eglise latine avec l'addition du Filioque : c'est le symbole qui se chante actuel- lement à la messe.

Son texte

Nous reproduisons, en face l'une de l'autre, les deux formules, pour permettre d'en voir les ressem- blances et les différences.

Formule de Nicée

Credo in unum Deum, Patrem omnipotentem, fac- torem omnium visibilium et invisibilium ;

Formule de Constantinople

(Symbole actuel)

Credo in unum Deum, Patrem omnipotentem, fac- torem [cœli et terrae], visi- bilium omnium et invisibi- lium :

1. Hefele, Histoire des Conciles, trad. franc., t. 11, p. 196-198 ; Kôlling, Geschichte der arianischen Hdresie, Gutersloh, i8S3, t. 11, p. 5o4-5o7 ; Funk, Hist. de l'Eylise, trad. franc, t. 1, p. 2i3, et art. Symbole dans la Realencyklopâdie, Fibourg-en- Brisgau, 188G, t. 11, p. 809 sq. 2. Hort, Two Dissertations, on the constantinopolitan creed, p. 73 sq.; Harnack, Dogmenges- chichte, 3eédit., t. 11, p. 2G5-266, et art. Konstantinopolitanisches Symbol dans la Realencyklopâdie fur protest. Théologie, 20 édit., t. vin, p. 212 ; Gwatkin, The arian controversy, 4e édit., Lon- dres, 1898, p. 159-161.

LH CATECHISME. T. I.

8

n4

LE CATECHISME ROMAIN

Et in unum Dominum Jesum Ghristum, Filium Dei unigenitum, et ex Pâtre natum [anteomnia sœcula] ; Deum de Deo, lumen de rumine, Deum verum de Deo vero, genitum, non factum, consubstantialem Patri ;

Per quem omnia facta sunt ;

Qui propternos hommes et propteinostramsalutemdes- cendit de cœlis, et incarna tu s estfdeSpiritu sancto ex Maria virgine], et homo factus est ; [Grucifixus etiam pro no- bis sub Pontio Pilato], pas- sus [et sepultus est] ;

Et resurrexit tertia die, [secundum Scripturas] ;

Et ascendit in cœlum, [sedet ad dexteram Patris] ; Et iterum venturus est [cum gloria] judicare vivos etmortuos ; cujus regni non erit finis.

Et in Spiritum Sanctum. Dominum et vivificantem qui ex Pâtre Filioque pro- cédât ; Qui cum Pâtre et Filio simul adora tur et conglorifica- tur ; qui locutus est per Prophetas.

[Et in unam, sanctam, catholicam et apostolicam Ec- clesiam ;

Confiteor unum baptisma in remissionem peccatorum. Et exspecto resurrectionem mortuorum ; Et vitam venturi sœculi (2).]

1. Denzinger, Enchiridion, n. 17. 2. Ibid., n. 47.

Et in unum Dominum Jesum Ghristum, Filium Dei, unigenitum a Pâtre, id est ex subslantia Patris ;

Deum de Deo, lumen de lumine, Deum verum de Deo vero, genitum, non factum, consubstantialem Patri (ôuooucriov) ;

Per quem omnia facta sunt et in cœlo et in terra ;

Qui propter nos hommes et propter nostram salutem descendit de cœlis, incar- natus est et homo factus est ;

Pas sus :

Et resurrexit tertia die ;

Et ascendit in cœlos ;

Et iterum venturus est judicare vivos et mortuos ;

Et in Spiritum Sanc- tum (1).

SYMBOLE DE NICEE-CONSTANTINOPLE Il5

Gomme on le voit, la formule de Nicée insisto surtout sur la divinité et la consubstantialité du Fils, niées par Arius, et se trouve, sur ces deux points, beaucoup plus explicite que le symbole des apôtres ; mais elle est incomplète, puisqu'elle laisse de côté la fin du symbole apostolique. Elle fait suivre, comme nous l'avons déjà dit, ses articles de la condamnation de quelques propositions ariennes (i). Or, à part deux expressions, que nous avons soulignées, l'une explicative, id est ex subs- tantiel Patris, l'autre complétive, et in cœlo et in terra, elle se retrouve tout entière dans la formule du symbole de Constantinople.

Quant à ce dernier, il n'a pas fait que reproduire la formule de Nicée, il a ajouté dans la partie commune quelques mots, que nous avons placés entre crochets, qui servent soit à expliquer, soit à préciser certaines vérités. 'Tels sont, par exemple, factorem cœli et terrse, ante omnia ssecula, de Spiritu Sancto ex Maria virgine, crucifixus etiam sub Pontio Pilato et sepultus est, secundum Scripturas, curn gloria. Mais les additions caractéristiques sont celles qui concernent le Saint-Esprit, et qui visent l'héré- sie de Macédonius.

Le symbole de Constantinople affirme que le Saint-Esprit e&t Seigneur, qu'il vivifie, qu'il procède du Père (et du Fils), qu'iï est adoré et glorifié avec le Père et le Fils, qu'il a parlé par les Prophètes ; ce qui revient à dire que le Saint-Esprit, comme le Fils, a la même nature que le Père, qu'il est Dieu au même titre et partage l'adoration et la glorification qui est due à Dieu ; mais qu'il diffère du Fils par sa procession, c'est-à-dire par le mode particulier dont il tient l'être du Père et du Fils. Son titre.

i. Ibid., n. 18.

Il6 LE CATÉCHISME ROMAIN

d'inspirateur des prophètes marque le rôle qu'il a joué dans l'Ancien Testament.

Ses derniers articles rappellent ceux du symbole des apôtres, a quelques différences près. L'Eglise y est qualifiée d'apostolique ; la descente aux enfers et fa communion des saints sont passées sous silence : le baptême est particulièrement rattaché au dogme de la rémission des péchés ; il y est question enfin de la résurrection des morts et de la vie du siècle futur, au lieu de la résurrection de la chair et de la vie éternelle.

Une seule expression, Filioque, n'appartient pas à ]a rédaction primitive. Ce fut une addition posté- rieure, dont l'auteur est resté inconnu, mais bien antérieure au ixe siècle, époque à laquelle Photius s'en fit une arme contre l'Eglise romaine et suscita pour de longs siècles les plus graves difficultés entre l'Eglise latine et l'Eglise grecque. Pourtant cette addition est fort naturelle. Que le Saint-Esprit pro- cède à la fois du Père et du Fils, c'est pour nous, catholiques, un dogme de foi, dont nous aurons à parler dans l'explication du symbole. Or ce dogme découle naturellement des principes posés par le concile de Gonstantinople. L'addition du Filioque au symbole de Gonstantinople est donc justifiée, et sa présence dans le symbole dit de saint Athanase s'explique par la foi explicite qu'on professait dans le milieu ce symbole fut rédigé.

Cette addition du Filioque au symbole de Cons- tantinople est d'origine espagnole ; elle date, au plus tard, du concile tenu en 447 (x)' e^ se retrouve dans les conciles de Tolède de 589, de 633, de 653, de 681, et de 683 (2). C'est de l'Espagne qu'elle est

1. Denzinger, Enchiridion, n. n3. 2. Denzinger, ibid., p. 16, note 1 ; Hardouin, t. iv, p. 472, 579, 957, 1718, 1738.

SYMBOLE DE NIGEECONSTANTI^OPLE II7

vraisemblablement passée en Gaule et en Germanie. On la trouve, en effet, en Gaule, au ve siècle, comme le prouve la liturgie gallicane de Mone (i). Il est certain, en outre, que, du temps de Gharlemagne, les églises franques chantaient le Filioque à la messe. En 795, le concile que présidait Paulin, patriarche d'Aquilée, l'insérait dans son symbole.

Un incident, survenu à Jérusalem entre moines latins et grecs, les premiers chantant au Credo le Filioque, les autres protestant contre une telle inno- vation, la question fut portée devant le pape Léon III. Mais déjà Gharlemagne avait réuni un grand concile à Aix-la-Chapelle, en 809, l'on déclara que le Saint-Esprit procède du Fils comme du Père ; et Théodulfe d'Orléans enseigna cette doctrine dans son livre du Saint-Esprit et produisit en sa faveur de nombreux témoignages (2). En 810, dans un concile tenu à Rome, Léon III confirma la défini lion d'Aix-la-Chapelle, mais refusa, par prudence, d'in- sérer dans le symbole romain le Filioque (3).

Plus tard, saint Henri demanda au pape Be- noît VIII (101 2-1024) que l'on chantât à Rome, pen- dant la messe, ce symbole, et c'est alors que l'addi- tion du Filioque fut admise dans le symbole de Gons- tantinople par l'Eglise romaine. Eu i2i5, leiv6 con- cile de Latran, pour enlever aux Grecs le prétexte de dire que les Latins enseignaient que le Saint-Es- prit procède du Père et du Fils comme de deux principes, proclama avec l'assentiment des Grecs qu'il procède également des deux, sans commencement ni fin (4). Puis le second concile de Lyon, en 1274,

1. Laleinisch und grieschiche Messen, Francfort, i85o ; Patr* lat., t. cxxxvm, col. 863. 2. Patr. lat., t. cv, col. 239-276. « 3. Kraus, Hist. de V Eglise, trad. franc., Paris, 1891, t. 11, p. 93-94. 4- Denzinger, Enchiridion, 355.

Il8 LE CATÉCHISME ROMAIN

précisa que le Saint-Esprit procède éternellement du Père et du Fils, non comme de deux principes, mais d'un seul, par une seule spiraiion (i). Enfin le concile de Florence (i 439-1442), rappelant que la procession du Saint-Esprit du Père et du Fils est une vérité également reconnue par les Grecs et les Latins, déclare qu'on a parfaitement eu raison d'in- sérer dans le symbole leFilioque, à titre d'explication et de précision (2).

Son usage

Dans l'Eglise grecque, ce symbole de Constanti- nople, universellement adopté, joue dans l'initia- tion baptismale le même rôle que le symbole des apôtres, chez les Latins. C'est la profession solen- nelle de foi qu'on demande préalablement à ceux qui vont recevoir le baptême ; profession que tout fidèle baptisé doit savoir par cœur et réciter souvent pendant la vie, un souvenir du baptême reçu, et comme un témoignage de la foi dans laquelle il veut vivre et mourir. En outre il est introduit dans la liturgie de la messe, vraisemblablement au ve siè- cle ou au commencement du vi°, selon Nicéphore Calliste (3), et il se trouve dans presque toutes tes liturgies d'Orient, notamment dans celle de saint Jacques, de saint Marc (4).

En Occident, dans l'Eglise latine, sa place n'est pas dans la liturgie baptismale, mais au saint sacri- fice de la messe. Dès avant Gharlemagne, on le ré- citait, nous l'avons vu, pendant la messe, en Espa-

1. Dcnzinger, ibid, 382. 2. Décret d'union, dans la Bulle, Lxtenlur cœli, d'Eugène iv; Denzinger, ibid., 586. 3. HisL ceci, xxvi, 35 ; cf. Bona, Rerum liturgie, II, vm, 2. 4. Brightman, Liturgies eastern and western, Oxford, 1896, t. 1, p. 42, 82, 124, 162, 226, 270, 32i, 383, 487.

SYMBOLE DE NICEE-CONSTANTINOPLE Iig

gne, en Gaule et à Jérusalem. C'est sous le ponti- ficat de Pelage II (578-790) et du roi d'Espagne, Ré- carède (586-6oi), que le troisième concile de Tolède ordonna de réciter à la messe le symbole de Gons- tantinople : « Ut per omnes ecclesias Hispanix et Gai- liae secundum formant orientalium ecclesiarwn concilll Conslantinopolitani, hoc est centum quinquaginta epis- coporum symbolam fidei recitetur, utpriusquam domi- nica dicatur oratio, voce clara populo decantetur (1). » Et c'est de l'Espagne que cet usage passa en Gaule, il était général vers la fin du vine siècle. C'était un acte solennel d'adhésion aux vérités que notifiait la lecture de l'apôtre et de l'évangile, une protestation de foi à l'enseignement révélé, pour bien montrer qu'on ne pactisait en aucune manière avec les erreurs ou les hérésies de l'époque. Un tel usage, activé par des circonstances exceptionnelles, s'est maintenu et généralisé, depuis surtout que l'Eglise romaine l'adopta dans sa liturgie, en ioi4- Depuis le concile de Trente, on continue à le réciter à la messe, mais à certains jours et à cer- taines fêtes seulement. Ces jours et ces fêtes sont soigneusement indiqués par les rubriques du Missel ; et les motifs de son insertion dans la liturgie du sacrifice de la messe sont empruntés, soit aux mys- tères, que rappelle la solennité, soit à ia doctrine des saints dont on célèbre la fête, soit enfin à Yéclat dont il convient d'entourer tel souvenir particulier. C'est ainsi, par exemple, qu'à raison des mystères que ce symbole renferme explicitement ou implici- tement, on le récite tous les dimanches de Tannée, en souvenir de la création, et à toutes les fêtes de Notre Seigneur et de la très sainte Vierge ; c'est ainsi encore qu'à raison de la doctrine particulièrement

1. Le Brun, De litargla hisp. sea mozarablca, Dissert, v, art. 1.

120 LE CATECHISME ROMAIN

enseignée ou défendue par certains saints, on le récite en l'honneur des apôtres et des docteurs ; c'est ainsi enfin qu'à raison de la solennité, on le récite aux jours de la fête patronale d'un lieu ou d'une église (i). Dans tous les cas, sa récitation a pour but de manifester solennellement la foi des chrétiens et la joie intime du cœur. Chanté à pleine voix, chaque dimanche et dans nos solennités religieuses, il laisse dans le souvenir des fidèles une impression ineffaçable. Combien de chrétiens, de nos jours, par ce temps de rationalisme et d'impiété, ne se rappellent plus que l'air toujours entraînant et des lambeaux de phrase de ce vieux Credo ! En dépit des tristesses de l'heure présente et des menaces de l'avenir, ce Credo retentira encore et toujours dans nos modestes églises de village comme sous le dôme de nos splendides cathédrales. Et si le malheur des temps veut qu'en France nos églises et nos cathédrales nous soient ravies, il nous restera bien une grange pour le chanter encore et toujours, et. à défaut d'une grange, l'espace libre, pour jeter à tous les échos, sous la voûte du ciel, le cri de notre foi indomptable, de notre immortelle espérance.

Son autorité

Pas plus que le symbole des apôtres, le symbole de Constantinople n'est placé au rang des Ecritures sacrées ; mais sa place dans la liturgie lui assure un égal respect, une semblable autorité. Au même titre que le symbole des apôtres, il est un témoin vénérable et précieux de la foi catholique, une règle de foi imprescriptible. Qu'il soit ou ne soit pas

i. Cf. Rabricx gen. Missalis, xi, De symbolo ; de Iïerdt, Lit. sccr.y t. i, p. ii4-n5.

SYMBOLE DE SAINT-ATHANASE

121

l'œuvre propre du second concile général, peu importe ; l'Eglise grecque et l'Eglise latine l'ont solennellement adopté. A plusieurs reprises, il est inséré intégralement daus les actes officiels, notam- ment dans la Profession de foi de Pie IV, d'après les prescriptions du concile de Trente (i). Son autorité dogmatique est donc incontestable ; elle s'impose à tout chrétien sous peine d'hérésie.

IL Symbole de saint Athanase

Un troisième symbole, adopté par l'Eglise, est le Quicumque ou le le symbole dit de saint Athanase, admirable résumé de la doctrine relative à la Sainte Trinité et à l'Incarnation. Inséré dans le Bréviaire romain, il se récite à Prime, à l'office du dimanche, et fait ainsi partie officielle de la prière publique. Après en avoir reproduit le texte, nous en rechercherons l'origine et nous en signalerons l'importance.

Texte du Quicumque

i . Quicumque vult salvus esse, ante omnia opus est ut teneat catholicam fidem.

2. Quam nisi quisque in- tegram inviolatamque ser- vaverit, absque dubio in œternum peribit.

3. Fides autem catholica hsec est ; ut unum Deumin

i. Quiconque veut être sauvé doit avant tout gar- der la foi catholique.

2. Celui qui ne la conser- vera pas dans son intégrité et sa pureté périra infailli- blement pour l'éternité.

3. Or la foi catholique, c'est d'adorer un seul Dieu

i. Constitution Injundum nobis, du 18 novembre i5G4 ; Dcn- zinger, Enchiridion, n. 863.

122

LE CATECHISME ROMAIN

Trinitate, et Trinitatem in uni ta te veneremur.

4. Neque confundentes personas, neque substan- tias séparantes. «

5. Alia est enim persona Patris, alia Filii, alia Spiri- tus Sancti.

6. Sed Patris, et Filii, et Spiritus Saneti una est di- vinités, ajqualis gloria, coae- terna majcstas.

7. Qualis Pater, talis Fi- lius, talis Spiritus Sanctus.

8. Increatus Pater, increa- tus Filius, increatus Spiri- tus Sanctus.

9. Immensus Pater, im- mensus Filius, immensus Spiritus Sanctus.

10. .^ternus Pater, ae ter- nus Filius, œternus Spiritus Sanctus.

11. Et tamen non très œterni, sed unus œternus.

12. Sicut non très incre- ati, nec très immensi, sed unus increatus, et unus immensus.

i3. Similiter omnipotens Pater, omnipotens Filius, omnipotens Spiritus Sanc- tus.

14. Et tamen non très

dans la Trinité et la Trinité dans l'uni Lé.

4- Sans confondre les per- sonnes, sans séparer les substances.

5. Car autre est la per- sonne du Père, autre celle du Fils, autre celle de l'Esprit-Saint.

6. Mais pour le Père, le Fils et l'Esprit-Saint une est la divinité, égale la gloire, coéternelle la ma- jesté.

7. Tel le Père, tel le Fils, tel l'Esprit-Saint.

8. Incréé le Père, incréé le Fils, incréé l'Esprit- Saint.

9. Immense est le Père, immense le Fils, immense l'Esprit-Saint.

10. Eternel est le Père, éternel le Fils, éternel l'Es- prit-Saint.

1 1 . Et pourtant ce ne sont pas trois éternels, mais un seul éternel.

12. Gomme aussi ce ne sont pas trois incréés, ni trois immenses, mais un seul incréé et un seul im- mense.

i3. De même tout-puis- sant est le Père, tout-puis- sant le Fils, tout-puissant l'Esprit-Saint.

14. Et pourtant ce ne

SYMBOLE DE SAINT-ATHANASE

123

omnipotentes, sedunus om- nipotens.

i5. Ita Deus Pater, Deus Filius, Deus Spiritus Sanc- tus.

16. Et tamen non très Dii, sed unus est Deus.

17. Ita Dominus Pater, Dominus Filius, Dominus Spiritus Sanctus.

18. Et tamen non très Domini, sed unus est Do- minus.

19. Quia, sicut singilla- tim unamquamque perso- nam Deum ac Dominum confiteri christiana veritate compellimur, ita très Deos ant Dominos dicere catho- lica religione prohibemur.

20. Pater a nullo est fao tus, nec créa tus, nec geni- tus.

2 1 . Filius a Pâtre solo est; non factus, non créa tus, sed genitus.

22. Spiritus Sanctus a Pâtre et Filio, non factus, nec creatus, nec genitus, sed^procedens.

23. Unus ergo Pater, non très Patres ; unus Filius, non très Filii ; unus Spiri- tus Sanctus, non très Spiri- tus Sancti.

24. Et in hac Trinitate ni-

sontpas trois tout-puissants, mais un seul tout-puissant. i5. Ainsi Dieu est le Père, Dieu le Fils, Dieu l'Esprit-Saint.

16. Et pourtant ce ne sont pas trois Dieux, mais un seul Dieu.

17. Ainsi Seigneur est le Père, Seigneur le Fils, Sei- gneur l'Esprit-Saint.

18. Et pourtant ce ne sont pas trois Seigneurs, mais un seul Seigneur.

19. Parce que, de même que la vérité chrétienne nous oblige de confesser que chaque personne séparé- ment est Dieu et Seigneur, de même la religion catho- lique nous détend de dire trois Dieux ou trois Sei- gneurs.

20. Le Père n'a été ni fait, ni créé, ni engendré.

31. Le Fils est du Père seul, ni fait, ni créé, mais engendré.

22. L'Esprit-Saint est du Père et du Fils, ni fait, ni créé, ni engendré, mais il procède de l'un et del'autre.

23. Il n'y a donc qu'un Père, et non trois Pères; qu'un Fils, et non trois Fils ; qu'un Esprit-Saint, et non trois Esprits-Saints.

24. Et, dans cette Trinité,

I2^

LE CATECHISME ROMAIN

hil prius aut posterius,nihil majus aut minus, sed totaB très persona3 coasternee sibi sunt et coajquales.

25. Ita ut per omnia, si- cut jam supra dictum est, et imitas in Trinitate et Tri- nitas in unitate veneranda sit.

26. Qui vult ergo salvus esse, ita de Trinitate sen- tiat.

27. Sed necessarium est ad aeternam sainte m ut in- carnationem <}uoque Do- mini nosdi Jesu Ghristi fideliter credat.

28. Est ergo fides recta, ut credamus et confîteamur quia Dominus noster Jésus Christus Dci Filius, Deus et homo est.

29. Deus est ex substan- tia Patris ante sœcula geni- tus ; et homo est ex subs- tantia matris in sœculo natus.

30. Perfectus Deus, per- fectus homo, ex anima rationali et humana carne Bubsistens.

3i. Aequalis Patri secun- dum divinitatem ; minor Pâtre secundum humani- tatem.

* 02. Qui licet Deus sit et

rien n'est plus ancien ou plus jeune, rien n'est plus grand ou plus petit ; mais les trois personnes sont coéternelles et coégales en- tre elles.

25. De sorte qu'en tout, comme il a déjà été dit, on doit adorer l'unité dans la Trinité et la Trinité dans l'unité.

26. Quiconque donc veut être sauvé, doit ainsi penser sur la Trinité.

27. Mais il est encore nécessaire, pour le salut éternel, de croire fidèle- ment l'incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ.

28. La foi droite c'est donc de croire et de con- fesser que Notre Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, est Dieu et homme.

29. Dieu, engendré de la substance du Père avant les siècles ; et homme, dans le temps de la subs- tance de sa mère.

30. Dieu parfait, homme parfait, composé d'une âme raisonnable et d'une ckair humaine.

3i. Egal au Père, selon la divinité ; inférieur au Père, selon l'humanité.

32. Et bien qu'à la fois

SYMBOLE DE SAINT-ATHANASE

12!

homo, non duo tamen sed unus est Christus.

33. Unus autem non conversione divinitatis in carnem, sed assumptione humanitatis in Deum.

34. Unus omnino non confusione substantiae, sed unitate personae.

35. Nam sicut anima ra- tionalis et caro unus est homo, ita Deus et homo unus est Christus.

36. Qui passus est pro salute nostra, descendit ad inferos, tertiadie resurrexit a mortuis.

37. Ascendit ad cœlos, sedet ad dexteram Dei Pa- tris omnipotentis ; inde venturus est judicare vivos et mortuos.

38. Ad cujus adventum omnes homines resurgere habent cum corporibus suis, et reddituri sunt de factis propriis rationem.

39. Et qui bona egerunt ibunt in vitam aoternam ; qui vero mala, in ignem œternum.

/•o. Haec est fîdes catho- lica, quam nisi quisque fideliter firmiterque credi-

Dieu et homme, il n'est pas deux, mais un seul Christ.

33. Un, il est vrai, non par la conversion de la di- vinité dans la chair, mais par l'assomption de l'hu- manité en Dieu.

34. Un enfm, non par la confusion de la substance, mais par l'unité de la per- sonne.

35. Car, comme l'âme raisonnable et la chair sont un seul homme, de même Dieu et l'homme sont un seul Christ.

36. Qui a souffert pour notre salut, est descendu aux enfers, et est ressuscité le troisième jour.

37. Est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant, d'où il viendra juger les vivants et les morts.

38. A l'avènement du- quel tous les hommes doi- vent ressusciter avec leurs corps et rendront compte de. leurs propres actions.

39. Et ceux qui auront fait le bien iront dans la vie éternelle ; ceux qui au- ront fait le mal, dans le feu éternel.

40. Telle est la foi catholi- que ; et quiconque ne la croira pas fidèlement et

126

LE CATECHISME ROMAIN

derit, salvus esse non po- terit (i).

fermement ne pourra être sauvé.

Ce symbole comprend deux parties distinctes : l'une, 1-26, traite de la Trinité ; l'autre, 27-40, de la Christologie. Elles sont si nettement tranchées que la critique contemporaine a voulu y voir deux morceaux, indépendants l'un de l'autre, rapprochés et soudés ensemble par un auteur inconnu, soit au ixe siècle, d'après Lumby (2), soit même dès le vie, d'après Harnack (3). Leurs arguments n'ont pas convaincu M. Tixeront (4). Du reste la question, intéressante en elle-même au point de vue histori- que, est sans importance au point de vue dogmatique, puisque l'Eglise a inséré intégralement le Quicumque, tel que nous venons de le reproduire, dans son Office.

« Le Quicumque, écrit Dom Morin, est une sorte de catéchisme élémentaire, destiné à mettre à la portée des esprits, même les moins cultivés, les formules dogmatiques élaborées à la suite des grandes hérésies des ive et ve siècles touchant la Trinité et l'Incarnation : le tout avec un certain accent pratique qui ne s'accuse pas au même degré dans la plupart des anciennes professions de foi (5). » Incontestablement c'est un document précieux et un admirable résumé de l'enseignement catholique sur deux grands mystères. La formule en est simple, facile à retenir, complète. C'est tout au plus si la comparaison du verset 35 laisse à désirer ; car s'il est vrai que l'union de l'âme et du corps fait un homme, il n'y a qu'une seule nature dans l'homme ;

1. Brev. rom., Prime; Denzinger, Enohiridion, n. i35-i38. a. History of the creeds, 3e édit., 1S&7, p. a5g sq. 3. Dogmen- geschichte, t. m, p. 270. 4. Diction, de Théologie, t. 1, goI. S180-2181. 5. Revue bénédictine, 1901, t. xvm, p. 33q.

SYMBOLE DE SAINT-ATHANASE I27

tandis qu'en Jésus-Christ l'union de Dieu et de l'homme laisse subsister les deux natures.

Dom Morin a raison de relever l'accent pratique de ce symbole ; car le Quicumque met le chrétien en face du salut, avec la double perspective de la vie éternelle, s'il est fidèle à la foi et aux bonnes œuvres, et du feu éternel, s'il ne croit pas et commet le mal. Aussi ne faut-il pas s'étonner que, pendant longtemps, ce symbole de foi ait fait partie de l'enseignement catéchétique dans l'Eglise, comme nous l'avons indiqué dans l'histoire du catéchisme : il se prêtait trop bien à faciliter la tâche du catéchiste et l'effort de mémoire du catéchisé. Gomme le sym- bole des apôtres et le symbole de Gonstantinople, il devrait être appris par cœur et fréquemment récité par les enfants et les fidèles.

Origine du Quicumque

1. Ce symbole, chose curieuse, se trouve sans titre dans les manuscrits du vin0 siècle, tandis que, dans ceux du ix°, il est désigné de différentes manières, tantôt sous le nom de Foi catholique, tantôt sous celui de Foi de saint Athanase, de Foi catholique de saint Athanase, etc. (i). C'est le nom de Tévêque d'Alexandrie qui reparaît le plus souvent, et c'est à saint Athanase que ce symbole a été long- temps attribué. On comprend, en effet, que les écrivains ecclésiastiques, pour lesquels la paternité littéraire d'une œuvre était d'importance secondaire au moyen âge, aient songé, en présence d'un document si original sur la Trinité et l'Incarnation, à l'attribuer au grand adversaire de l'arianisme auive siècle. Mais aujourd'hui la critique est plus exigeante

1. Burn, The athanasian creed, Cambridge, 1896, p. liy.

128 LE CATÉCHISME ROMAIN

et se refuse avec raison à reconnaître saint Athanase pour l'auteur du Quieumque. Elle va même plus loin et elle écarte l'Orient comme la patrie de ce symbole.

2. Les Grecs, en effet, ne l'ont connu que fort tard. Les divers textes qu'ils en possèdent ne con- cordent pas entre eux et portent tous les caractères d'une traduction (i). Au reste, la procession du Saint-Esprit du Père et du Fils, l'égalité parfaite des trois personnes divines affirmée à plusieurs re- prises, et la saveur augustinienne de toute cette théologie sont autant d'indices que l'œuvre n'est pas d'un auteur grec (2). Elle est donc d'un auteur latin. Mais lequel? Et de quel pays? C'est ce qu'exa- mine minutieusement M. Tixeront (3).

3. La date de sa composition reste un peu flot- tante. Vraisemblablement il n'a pas été composé avant le ve siècle ; du moins on n'en possède pas de preuve positive. Mais l'examen de son contenu et ses formules révèlent quelques points de contact avec les procédés et les expressions de saint Augus- tin, particulièrement les versets 8-18. C'est Augus- tin, en effet, qui, le premier, a formulé nettement la procession du Saint-Esprit du Père et du Fils. En outre l'Apollinarisme est visé et condamné au ver- set 3o. Ce symbole daterait donc au plus tôt de 420 à 43o. Et si l'hérésie de Nestorius, condamnée au concile d'Ephèse, en 43 1, et celle d'Eutychès, ana- thématisée au concile de Chalcédoine, en 45i, sem- blent avoir motivé l'insertion des versets 32-35, il ne faut pas oublier que cette double erreur se trouve réfutée par avance dans les œuvres de l'évêque d'Hippone ; il est également vrai qu'on pourrait re-

1. Montfaucon, Diatrib. in symb. Quieumque : Patr. gr., t. xxviii, col. 1567 SCL' 2- Diction, de Théologie, loc. cit., col. 2182. 3. Ibid.

SYMBOLE DE SAINT-ATHANASE I29

trouver dans la doctrine augustinienne le fond et la forme du développement christologique du Quicum- que. Mais les principes épars dans les divers traités de saint Augustin ne suffisent pas à expliquer l'existence de ce développement christologique lui- même ni surtout sa rédaction dans une formule aussi précise.

L'auteur, quel qu'il soit, a évidemment obéir à quelque grave raison pour proclamer la nécessité, pour le salut éternel, de croire fidèlement à l'Incar- nation de Notre-Seigneur comme au mystère de la Sainte-Trinité. Etait-ce pour répondre au Monophy- sisme, déjà latent dans l'Apollinarisme, ainsi qu'au Nestorianisme, déjà en germe dans Leporius et Ju- lien d'Eclane ? C'est possible. Mais, quoi qu'il en soit, la formule du Quicumque semble devoir être postérieure aux débats théologiques provoqués par Nestorius etEutychès, ce qui nous reporte après 45i.

D'autre part, ce n'est qu'à partir du vu6 siècle qu'on trouve des allusions à notre symbole ; et les premières en date sont celles qu'on peut relever dans certains passages du ive concile de Tolède, en 633, étroitement apparentés avec certaines formules du Quicumque (i). Saint Isidore de Séville,qui présidait ce concile, fait mention de ce formulaire de foi dans deux lettres adressées, l'une au duc Claudius, l'au- tre à l'évêque Eugène (2). En Gaule, saint Léger, présidant le concile d'Autun, vers 670, recommande, ce symbole sous le nom de Fides Athanasii (3).

C'est donc avant le vnc siècle que le Quicumque a, être rédigé. Or, au vie siècle, rien ne le rappellQ mieux que le sermon ccxliv, inséré parmi les œu- vres apocryphes de saint Augustin (4). Et si, comme

1. Hardouin, t. m, col. 579. 2. Epist. vi, 4 ; vin, 3 ; Pair, iat., t. Lxxxiu, col. go3, 908. 3. Hardouin, t. iu, col. 1016. 4- Pair. lat.t t. xxxix, col. 2194.

LE CATÉCH1SMB. T. I £

l30 LE CATÉCHISME ROMAIN

tout porte à le croire, ce sermon est de saint Césaire- d'Arles (f 5^2), on peut fixer approximativement la date de sa rédaction vers 537-5/|o. Sans doute la comparaison de l'union de Dieu et de l'homme dans la personne du Christ avec l'union de l'âme et du corps dans la personne de l'homme est tombée en défaveur après Eutychès ; mais ce n'est pas une rai- son suffisante pour reporter la date du Quicumque, se trouve cette comparaison, avant l'Eutychia- nisme ; car l'auteur de notre formulaire a fort bien pu négliger ce détail pour conserver une comparai- son qui paraissait lui offrir, sans blesser l'ortho- doxie, une rédaction facile à être retenue.

4- La date étant ainsi approximativement déter- minée, la question du lieu d'origine du Quicumque offre moins de difficultés à résoudre ; car tout indi- que la Gaule du sud-ouest, particulièrement le voi- sinage d'Arles et de Lérins. En effet, en dehors du ive concile de Tolède et de saint Isidore de Séville, c'est surtout en Gaule que ce symbole est mentionné et cité jusqu'au siècle. Il suffit de rappeler, pour le ixe siècle, les noms célèbres de Théodulfe d'Or- léans, de saint Benoît d'Aniane, de Florus et d'Ago- bard de Lyon, d'Adalbert de Thérouane, de Réginon de Prum, de Ratramne de Corbie, d'Enée de Paris, de Riculfe de Soissons et d'Hincmar de Reims. C'est en Gaule qu'ont été composés les premiers, commentaires de notre symbole, car ils se retrou- vent dans des manuscrits gallicans ; et c'est dans la Gaule du sud-ouest, dans la région voisine de l'éve- ché d'Arles et du monastère de Lérins.

A ce centre intellectuel, en effet, se rattache un groupe d'écrivains ecclésiastiques très actifs pendant le ve siècle et le commencement du vie, tous fami- liers avec les ouvrages de saint Augustin, imbus de sa doctrine, bien qu'ils n'acceptassent pas dans son

SYMBOLE DE SAliVJ>ATHANASE l3r

intégrité son enseignement sur le péché originel: saint Honorât (f 429), saint Hilaire d'Arles (f 449), saint Vincent de Lérins (f 45o), saint Eucher de Lyon (f 45o), Fauste de Riez (j 493) et saint Césaire d'Arles. Tous ces écrivains sont largement tributaires de la théologie et de la terminologie de l'évêque d'Hippone ; et entre le Quicumque, d'une part, et les œuvres de saint Vincent, de saint Eu- cher, de Fauste et de saint Césaire, d'autre part, les rapprochements sont si curieux et si suggestifs que c'est, à n'en pas douler, parmi ces écrivains qu'on a chance de trouver le rédacteur anonyme du Qui- cumque (1). Ne serait ce pas saint Césaire ?

5. C'est l'opinion, qui paraît justifiée, de M. Le- jay. Dans une étude documentée sur le Rôle théolo- gique de saint Césaire <X Arles (2), M. Lejay remarque dans l'évêque d'Arles la tendance à condenser les idées et à les fixer en formules brèves, l'habitude de se répéter, qualités de l'instituteur qui cherche à inculquer la doctrine dans la mémoire de ses au- diteurs et à la faire retenir aussi facilement que pos- sible. Il relève ensuite les caractères de son acti- vité théoiogique. Examinant d'abord les Staiuta ec- clesise antiqua (3), sorte de constitution ecclésiasti- que, qui n'est pas à proprement parler un symbole, c'est-à-dire une somme portative des dogmes, mais plutôt une caution que l'Eglise prend vis-à-vis de ceux qui aspirent à la gouverner, il étudie ensuite le sermon ccxliv de l'appendice augustinien. Or ce sermon « débute par des formules semblables à cel- les du symbole qui porte le nom de saint Athanase

1. Cf. Tixeront, loc. cit., col. 2 182-21 85; D. Morin, Le sym- bole d' Athanase et son premier lérnoin: S. Césaire d'Arles, dans la Revue bénédictine d'octobre 1901, p. 347-363. 2. Revue d'histoire et de littérature religieuses, 1905, t. x, p. i52 sq. ■»- 3. Pair. lat. t. lvi, col. 879-880.

l32 LE CATÉCHISME ROMAIN

et a pour caractères généraux la brièveté et la préci- sion du style, l'énergie pressante, l'autorité du ton, l'affirmation de la nécessité de la foi pour le salut, l'union de la foi et des œuvres. »

Comparant ce sermon avec la recension qu'en ont donnée Caspari (i) et Burn (2), M. Lejay écrit: « Ces homélies n'ont pas un symbole fixe pour point de départ, mais elles tendent vers la rédaction d'un symbole. Elles sont des essais successifs d'un chef d'Eglise qui cherche, dans un esprit pratique, à four- nir aux fidèles un abrégé du christianisme moins sommaire que l'ancien symbole, pins compréhensif et moins spécialisé que les formules conciliaires. » Dans ce cas, les recensions de Caspari et de Burn seraient les ébauches successives qui aboutissent au sermon précité. Les trois documents s'emparent des formules symboliques préexistantes, non pour les expliquer, mais pour les incorporer et les complé- ter, pour constituer une sorte de précis de la doc- trine chrétienne, court à lire et facile à apprendre ; ils forment comme les étapes, parcourues par saint Gésaire, à la recherche d'un symbole. « Y aurait-il une dernière étape qui serait le symbole mis sous le nom d'Athanase ? Les recherches de Dom Morin donnent à le penser... Les formules dogmatiques qui ont été fixées pour des siècles dans le symbole d'Athanase se retrouvent dans les homélies de Cé- saire... Même insistance autoritaire, même relief donné à la nécessité de la foi, même attention à dé- finir la nature et les rapports des personnes divines, la composition du Christ, la propriété de la chair des hommes ressuscites, la certitude de la rétribu- tion finale. Ces ressemblances n'auraient pas grande

1. Anccdota, Christiana, i883, t. 1, p. 283 sq. 2. Zeitschrifl far Kirchengeschichle, 1898, t. xix, p. 180 sq.

SYMBOLE DE SAINT-ATHANASE l33

valeur, si elles se rencontraient séparément ; réu- nies, elles valent une signature. Ajoutez à ces don- nées internes la présence du Quicumque parmi les œuvres de Césaire dans plusieurs recueils de prove- nance artésienne. »

Quant au titre de notre document, il paraît bien avoir été, dès l'origine : Fides cathollca sancti Atha- nasii episcopi. Mais il ne saurait faire difficulté ; car c'était l'habitude de Pévêque d'Arles de mettre en tête de ses compilations le nom d'un Père (i). Aussi M. Lejay croit-il pouvoir conclure par ces mots : « La question me paraît résolue ; si les documents représentent des états successifs d'une composition de Césaire, on sera bientôt tenté de placer ÏAtha- nasianum à la fin de la série (2). » Ainsi le fameux symbole dit de saint Athanase serait l'œuvre de saint Césaire d'Arles. Ce n'est qu'une hypothèse, sans doute, mais il faut bien reconnaître qu'elle a pour elle toutes les apparences de la réalité.

Son importance et son autorité

Ce symbole a vite acquis une importance excep- tionnelle dans l'Eglise. Connu, cité, commenté tour à tour, à partir du vne siècle, il a été imposé comme un objet d'études aux membres du clergé, qui étaient chargés de l'apprendre et de l'expliquer en langue vulgaire aux fidèles. Il est devenu l'un des éléments de l'enseignement catéchétique. Le concile d'Autun, dont nous avons parlé, le recommandait au clergé de la Gaule ; le concile de Cloveshow, en 747, prescrivait à tout prêtre d'Angleterre de savoir par cœur, outre le Credo et le Pater, la Trinité,

1. Cf. D. Morin, ioc. cit., p. 362. 2. Revue d'histoire, loc, cit., p. 182.

l34 LE CATÉCHISME ROMAIN

c'est-à-dire le Quicumque pour l'expliquer dans la langue du peuple (i).

Au ixe siècle, les prescriptions se multiplient qui imposent aux clercs l'obligation de le savoir par cœur, de le comprendre et de l'expliquer. Voir, en particulier, le concile de Reims de 852 (2). On en trouve même une explication en langue tudesque (3). Vers le commencement du xe siècle, Réginon de Prum, dans son Manuel des visites pastorales pour les évêques, prescrit l'interrogation suivante : <c Connaissez-vous le sermon d'Athanase sur la foi de la sainte Trinité, qui commence par ces mots : Quiconque veut être sauvé? Le savez-vous par cœur? En comprenez-vous le sens? Pouvez-vons l'expliquer en langue vulgaire (4) ? » Au siècle sui- vant, saint Brunon, évêque de Wurtzbourg (f 1040), publie pour son diocèse un commentaire catéchéti- que du Pater, du Credo et de la Fides Athanasii (5). Puis ce sont Abélard, saint Bernard, Alexandre de Halès, Pierre d'Osma, qui en font de nouveaux commentaires. Les théologiens l'utilisent, notam- ment saint Thomas d'Aquin, dans sa Somme. C'est dire la haute estime que tout le moyen âge a pro- fessée pour ce symbole.

Mais il y a plus et mieux : l'Eglise l'a adopté officiellement et en a fait une pièce liturgique, en l'insérant dans son bréviaire. Déjà, au ixe siècle, Hayton (f 836), d'abord abbé de Reichenau, puis évêque de Baie, en imposait la récitation, chaque dimanche, à l'heure de prime (6). Jean d'Avranches,

1. Can. 10; concile de Calchut, can. 2; Hardouin, t. m, col. 1955, 2073. 2. Patr. lat. t. cxxv, col. 773. 3. Incerti monachi Weissenburgensis Catechesis theoiisca sœculo IX0 cons- ■cripla, Hanovre, 1703. 4- De eccles. discipl., 1, 85 ; Patr. lat., A. cxxxn, col. 191, 5. Patr. lat., t. cxlii, col, 557-568. ^. Patr. lat.. t. cxv. col. 11.

SYMBOLE DE SAINTATHANASE l35

archevêque de Rouen, mort en 1079 (1), et Ulrich de Cluny (f 1087) (2), sont des témoins de cet usage pour le xie siècle (3) ; c'est même tous les jours qu'il se récite alors, à l'office de prime, dans les églises ultramontaines, tandis qu'à Rome, d'après Amalaire, diacre de Metz, on se contentait encore d'y réciter le symbole des apôtres (4).

Or, dès la fin du xn° siècle ou dès le commence- ment du xiii6, sous Innocent III, le Quicumque se trouve dans le bréviaire de la cour romaine. Ce bréviaire, adopté par les Frères-Mineurs et corrigé pour leur usage avec l'approbation de Grégoire IX, en 12/ii, fut vite populaire et fut à son tour adopté par la cour romaine sous Nicolas III. « Le bréviaire de la Curie, ou bréviaire d'Innocent III, écrit Mgr Batiffol, était devenu le bréviaire des Mineurs ou bréviaire de Grégoire IX. Le bréviaire de Grégoire IX avait été popularisé dans toute la chrétienté par les Mineurs. Avec Nicolas III, le bréviaire des Mineurs devenait, non plus seulement le bréviaire de la Curie, mais bien le bréviaire de l'Eglise romaine (5). »

Actuellement encore, malgré les diverses modifi- cations qu'il a subies dans la suite des temps, notre bréviaire renferme le Quicumque ; et ce symbole se récite chaque dimanche, à prime, quand l'office est du dimanche, à l'exception des dimanches de Pâques, de la Pentecôte et de ceux qui se trouvent dans l'octave de la Noël, de l'Epiphanie, de l'Ascension et de la Fête-Dieu.

Ainsi donc le Quicumque, tour à tour objet d'é- tude pour le clergé, thème catéchétique pour l'ins-

1. De ojf. eccles. 5. ; Patr. lat., t. cxlvii, col. 29. 2. Co/i- suet., 1, 3 ; Patr. lat., t. cxux, col. 646. 3. M»* Batiffol, Histoire du Bréviaire romain, Paris, i8g3, p. i83. 4. De offlc. eccles, iv, 2 ; Patr. lat.t t. cv, col. 1168. 5. Loc. cit., p. ao3.

l36 LE CATÉCHISME ROMAIN

truction des fidèles, partie officielle de la prière pu- blique, a l'autorité d'un chant d'Eglise, d'une œu- vre liturgique, d'un symbole proprement dit : c'est une règle de' foi. Luther s'est demandé si, depuis les Apôtres, rien de plus important et de plus ma- gistral a jamais été écrit. Et les anglicans l'ont in- séré dans leur livre de la prière commune.

Leçon Iir Les Professions de foi

I. Les professions de foi : d'Hormisdas. de Léon IX. de Clément IV.— d'Eu- gène IV. de Grégoire XIII. d'Urbain VIII et de Benoît XIV. d'Innocent III. II. La profession de foi de Pie IV : Date. Texte. Usage.

I. Les Professions de foi

Outre les symboles, dont il vient d'être ques- tion, celui des apôtres, dont on se sert dans la liturgie baptismale, celui de Nicée-Cons- tantinople, que l'on chante à la messe, et celui de saint Athanase, qui se récite à prime, à l'office du Dimanche, l'Eglise, aux premiers siècles, en a compté d'autres. Chaque grande Eglise, en efïet, usait d'une formule abrégée de la foi pour la collation du bap- tême. Rome, Aquilée,Ravenne, l'Afrique, l'Espagne, la Gaule, en Occident; Césarée, Antioche, Jérusalem, en Orient, avaient une profession de foi baptismale, dont les termes n'étaient pas identiques (i). Toutes

i. Denzingcr,n. i-i3; cf. ïlahn, Bibliothek der Symbol, S 33-47-

l38 LE CATÉCHISME ROMAIN

ces formules particulières sont tombées en désué- tude et ont été remplacées par le symbole des apô- tres et le symbole de Nicée-Gonstantinople.

Or, concurremment avec les trois symboles défi- nitivement consacrés par l'usage, diverses profes- sions de foi ont été utilisées dans des cas particuliers. Dans la suite de son histoire, en effet, l'Eglise s'est trouvée plus d'une fois en face du schisme et de l'hérésie. Elle ne s'est pas simplement bornée à les combattre, soit pour maintenir son principe d'auto- rité et sa constitution divine, soit pour sauvegarder dans son intégrité et sa pureté le dépôt de la foi, elle a encore prendre des dispositions d'ordre pratique pour admettre de nouveau les schismatiques ou les hérétiques qui, convaincus de leurs torts ou de leur erreurs, demandaient à rentrer dans son sein. De des cérémonies d'abjuration et de récon- ciliation ; de aussi certaines professions de foi, imposées aux convertis : nous ne signalerons que les principales.

Profession de foi d'Hormisdas

La première en date est celle que le pape Hormis- das (5 1 4-5 2 3) imposa, en 519, aux évêques orientaux qui avaient pris part au schisme d'Acace (1). Déjà, au concile de Constantinople de 38 1, on avait rédigé un canon, le troisième, pour attribuer au siège de Constantinople un rang à part, immédiatement après celui du siège de Rome et avant ceux des sièges patriarcaux ; Gontantinople, en effet, était devenue Tune des capitales de l'empire et passait pour une Rome nouvelle, qui devait posséder au point de vue religieux des privilèges exceptionnels»

1. Denzinger, n. i£i.

PROFESSION DE FOI D IIORMISDAS IjQ

Mais ce canon, bien qu'il n'accordât au siège de Constantinople qu'une distinction d'honneur sans juridiction, était gros de conséquences; aussi ne fut-il reconnu ni par le pape saint Damase ni par ses successeurs immédiats. Il n'en demeura pas moins chez les Grecs l'expression de cette idée que l'évêque de la résidence impériale devait être, sinon l'égal de l'évêque de Rome, du moins le supérieur des grands sièges d'Alexandrie et d'Antioche dont les droits de primatie avaient déjà été officiellement proclamés au concile de Nicée. Or, cette simple dis- tinction d'honneur n'était point pour satisfaire l'ambition de la plupart des successeurs de saint Grégoire de Nazianze et de saint Jean Chrysostome sur le siège de Constantinople. De leur part quelques empiétements de juridiction eurent lieu tant sur le territoire des patriarcats voisins que sur les dépen- dances du siège de Rome, notamment en Illyrie ; et Théodose le jeune eut le tort de les consacrer par des lois, qu'il dut abroger dans la suite sur les réclamations du pape (i).

Mais la question était posée, l'honneur n'allant pas sans une juridiction correspondante, et l'on sait dans quel sens elle fut résolue au concile de Chalcédoine, en 45 1. A la session xv°, en effet, en l'absence des légats du Souverain Pontife et d'un grand nombre de Pères, cent quatre vingt quatre évêques rédigèrent un nouveau canon, le vingt- huitième, pour confirmer celui du concile de Cons- ; tantinople et reconnaître à l'évêque de Constanti- \ nople le premier rang après l'évêque de Rome et | une juridiction patriarcale effective. Les légats pro- testent ; le pape saint Léon le Grand (44o-46i) con- damne expressément ce canon ; l'empereur et l'évê-

i. Cod. theod., XVI, tit. n, 1. 45.

i/io LE CATÉCHISME ROMAIN

que de Constantinople cèdent aussitôt. Mais, peu après, Acace, étant monté sur le siège de la cité impériale, invoque le canon condamné par le pape, le fait confirmer par un édit de l'empereur et, fort d'un tel droit usurpé, en use au détriment des au- tres patriarches d'Orient ; malgré le pape, il provo- que l'édit d'union avec les Monophysites et finale- ment se révolte contre l'autorité du Saint-Siège. Ce ne fut là, il est vrai, qu'un schisme éphémère, puis- que les successeurs immédiats de l'évêque révolté sollicitèrent leur reconnaissance de Rome ; mais Rome n'intervint que sur des instances réitérées, en 519, sous l'empereur Justin. C'est alors que le pape Hormisdas proposa aux orientaux une profes- sion de foi, qui proclamait la nécessité de la com- munion avec le siège de Pierre ; cette profession fut acceptée en Orient, signée par les évêques et re- çue par les conciles ; elle resta même la formule officielle pour la condamnation des diverses héré- sies jusqu'au huitième concile œcuménique inclu- sivement, c'est-à-dire jusqu'au quatrième concile de Constantinople de 869, elle fut souscrite par tous les membres de l'assemblée, qui condamna Photius.

Profession de foi de Léon IX

Le schisme grec, finalement consommé par Pho- tius, au ixe siècle, trouve des patriarches complai- sants et intéressés pour entretenir la discorde et élargir le fossé de séparation entre l'Eglise grecque et l'Eglise latine, entre autres Nicolas Chysoberges, en g3o, Sisinnius, en 995, Sergius, en 999, et sur- tout Michel Cérulaire, en io43. Les griefs contre l'Eglise latine s'accumulèrent comme à plaisir ; la question de juridiction ne masquait plus les diver-

PROFESSION DE FOI DE CLEMENT IV 1^1

gences liturgiques et doctrinales : consécration du pain azyme, jeûne du samedi, baptême par une seule immersion, célibat imposé au prêtres, etc. L'ancien évêque de Tout, Brunon, devenu pape sous le nom de Léon IX (io48-io54), réfuta les princi- pales de ces objections dans une lettre au patriarche de Gonstantinople (i) ; et il indiqua à Pierre d'An- tioche le symbole de foi que devaient souscrire ceux qui voudraient rentrer en communion avec l'Eglise latine. Ce symbole contient une profession de foi ex- plicite sur chacun des articles déjà définis, particu- lièrement sur la procession du Saint-Esprit a Pâtre et Filio, une reconnaissance formelle de l'Eglise ca- tholique, et l'acceptation pleine et entière des sept premiers conciles œcuméniques. Ce symbole de foi est celui qui, aujourd'hui encore, sert, sous forme de questions, à l'examen des évêques, avant leur consécration épiscopale (2).

Profession de foi de Clément IV

Lorsque, plus tard, se manifestèrent, chez les Grecs, des velléités de retour à l'unité, la formule à sous- crire était toute prête. Toutefois, en 1267, le pape Clément IV (1265-1268) jugea bon de la compléter. Il ajouta, en effet, au symbole de Léon IX ce que l'Eglise latine croit relativement au purgatoire, aux suffrages des fidèles, au sacrifice de la messe, aux bonnes œuvres, aux sept sacrements, à la souve- raine autorité et à la primatie de l'Eglise romaine, aux appels en cours de Rome (3). Michel Paléologue finit par souscrire ce document au concile généra! de Lyon, en 1274 ; mais il n'entraîna pas l'Orienl à sa suite.

1. Denzinger, 289-291. 2. Denzinger, 292-297. < 3. Denzinger, 383-389.

I/J2 LE CATÉCHISME ROMAIN

Profession de foi d'Eugène IV

Les Grecs s'entêtèrent encore dans leur schisme pendant près> de deux siècles. Mais, à l'époque du concile de Florence, un grand mouvement de re- tour vers l'unité se prononça. Ce furent d'abord le patriarche de Gonstantinople, les délégués des trois patriarches, plusieurs métropolitains et l'empereur Jean Paléologue qui se présentèrent pour traiter de l'union des deux Eglises. On discuta les points con- troversés. Les Latins admirent les prétentions des Grecs au sujet du siège de Constantinople et lui re- connurent le premier rang après celui de Rome ; de leur côté, les Grecs se soumirent sur toutes les autres questions. Alors Eugène IV (i43 1-1^47) pu- blia la bulle célèbre Lœtentur cœli et exultel terra (1), sont consignés tous les points réglés d'un com- mun accord, notamment celui de la pleine puis- sance du Pontife romain ; cette pièce fut signée le 6 juillet 1 439.

La même année survinrent des députés arméniens, un peu plus tard des députés jacobites, puis des députés syriens, représentant des Eglises séparées depuis les querelles du Monophysisme. Tous acceptèrent les vues de Rome, et le pape rédigea trois décrets d'union, qui précisaient les solutions admises et l'exposition de la foi orthodoxe que devaient désormais professer ces schismatiques. C'étaient, en faveur des Arméniens, la bulle Exultate Deo, du 22 novembre i63g (2) ; en faveur des Jaco- biles, la bulle Cantate Domino, du 4 février i442 (3); en faveur des Syriens, la bulle Multa et admirabilia, du 3o septembre i444-

1 . Denzinger, 586-589- a. Ibid., n. 590-597. 3. Ibid,9 n. U98-60G.

PROFESSION DE FOI DE GREGOIRE XIII l43

En même temps étaient admis, par le décret Benedictus sitDeus, du mois d'août i445, des chré- tiens de l'île de Chypre, groupe de Chaldéens nés- to riens et de Maronites monothélites. Moment vrai- ment solennel dans l'histoire de l'Eglise que celui de ce retour général et officiel de l'Orient à l'unité, mais trop beau pour pouvoir durer. On comprend les expressions d'allégresse dont le Pape se servit pour célébrer ce triomphe de l'orthodoxie et de l'union. L'expérience d'un passé déjà long ne sem- blait pourtant pas autoriser de longs espoirs. Et, en fait, à part quelques Eglises isolées qui restèrent fidèles à leur serment, l'Orient, en grande partie, retomba dans le schisme.

Profession de foi de Grégoire XIII

Depuis lors, cependant, l'Eglise grecque a essayé encore à trois reprises de secouer sa torpeur et de re- prendre, à l'exemple du prodigue, le chemin vers la maison dupère de famille. Ce fut, au xvie siècle, sous le pontificat de Grégoire XIII (i572-i585). Ce pape, par la constitution 5i Sanctissimus Deus noster (i), mit pour condition l'acceptation d'une profession de foi, dans laquelle, outre le symbole de Nicée- Constantinople et les décrets d'union du concile de Florence, se trouve l'enseignement formulé par le concile de Trente, tel que Pie IV l'a résumé.

Profession de foi d'Urbain VIII et de Benoît XIV

Au début du pontificat d'Urbain YIII (i623-i644), i. Ibid. n. 868-872.

I A4 LE CATÉCHISME ROMAIN

nouvelle tentative d'union, nouvelle obligation imposée aux schismatiques grecs d'accepter la formule de foi prescrite par le pape ; au xvme siècle, dernier essai, sans lendemain comme les autres. Benoît XIV '(17/10-1758) reprend les formulaires de Grégoire XIII et d'Urbain VIII. Sa profession de foi, publiée par la constitution Nuper ad nos, insère la liste détaillée des huit premiers conciles œcuméni- ques et des erreurs qui y furent condamnées, et ajoute à ce qui est emprunté aux conciles de Flo- rence et de Trente une formule accentuée de soumission et d'obéissance « au Pontife romain, successeur du bienheureux Pierre, prince des Apô- tres et Vicaire de Jésus-Christ (1). »

Autres professions de foi

Indépendamment de ces diverses professions de foi, motivées par les circonstances et de plus en plus détaillées chaque fois qu'il s'est agi de la réunion de l'Eglise grecque à l'Eglise latine, d'autres ont visé plus particulièrement les cas de certains chrétiens suspectés d'hérésie ou formellement hérétiques. Durant les controverses qui ont rempli le ive et le ve siècles, combien de formulaires de foi ne vit-on pas paraître, soit de la part des orthodoxes, soit surtout de la part des partisans d'Àrius et de Macé- donius, de Nestorius et d'Eutychès. D'autre part, dans la discipline ecclésiastique s'introduisit l'usage de n'admettre à la communion les divers hérétiques qu'après une abjuration formelle de leurs erreurs.

Quelques personnages, en particulier, tels qu'Abélard et Bérenger, furent mis en demeure, sous peine d'excommunication, d'émettre une pro-

l, Denzinger, n, 873-879,

PROFESSION DE FOI DE PIE IV l/j5

fession de foi qui, condamnant expressément les idées hétérodoxes dont ils étaient accusés, leur permit de rester dans l'Eglise. De telles précautions n'étaient prises que dans le but de sauvegarder la foi des fidèles et de maintenir la paix et l'union.

Or ce que l'on avait fait pendant les premiers siècles vis-à-vis des sectes si nombreuses à cette époque de luttes doctrinales, on continua de le faire pendant le moyen âge. Innocent III (n 98-1 216) imposa ainsi une profession de foi aux Vaudois qui sollicitaient leur admission dans l'Eglise (2). Dans la suite, quand il s'agit de réconcilier les partisans de Wiclef, de Jean Hus, de Luther et de Calvin, une abjuration préalable de l'erreur et une acceptation formelle de la foi catholique furent exigées. Et de nos jours encore, c'est ce qui a lieu pour la récon- ciliation et l'admission des hérétiques. En pareil cas, le Rituel indique, soit la profession de foi de Pie IV, dont nous allons parler, soit une formule plus courte, mais essentielle, celle du Saint Office.

IL La profession de foi de Pie IV

L'Eglise a fait autre chose encore, mais cette fois vis-à-vis de ses enfants légitimes, laïques ou ecclé- siastiques, dès qu'il s'est agi de leur confier un rôle important, une charge, une fonction, un office, ou même de leur conférer simplement quelques hon- neurs particuliers : elle a cru utile et nécessaire de s'assurer d'avance de leur parfaite orthodoxie, et, pour cela, de leur faire faire une profession de foi

1. Ibid., n. 366-373.

M CATHÊCHISME. T. I. \Q

l46 LE CATÉCHISME ROMAIN

détaillée portant sur l'ensemble de la doctrine chrétienne. Depuis le concile de Trente, c'est la profession de foi de Pie IV qui, d'après le Droit canonique, doit être faite solennellement par tous ceux qui sont revêtus d'une dignité ou d'une charge ecclésiastique.

Date et objet

Rédigée par ordre de Pie IV (i55g-i565), à la suite des décrets du concile de Trente, et pu- bliée par la constitution Injwicliim nobis de i564, cette profession de foi est beaucoup plus explicite et plus détaillée que les divers symboles. Elle exige une adhésion ferme au symbole, à la tradition, aux règlements et constitutions de l'Eglise, à l'Ecriture sainte interprétée par l'Eglise, aux sept sacrements et à leurs rites, aux définitions et aux déclarations du concile de Trente sur le péché originel et la jus- tification, sur le sacrifice de la messe et la trans- substantiation, sur l'existence du purgatoire et les suffrages des fidèles, sur l'invocation des saints, le culte des reliques et des images, les indulgences ; soumission formelle à l'Eglise et au Pontife ro- main, aux décrets des conciles, avec promesse et serment de rester fidèle à la foi catholique, de la faire observer et de l'enseigner. Après le concile du i Vatican, sur un décret de la Congrégation du Con- cile, du 20 janvier 1877, on y a inséré vers la fin quelques mots relatifs au primat et à l'infaillibilité du Pape. La voici dans sa teneur.

20 Texte de la profession de foi de Pie IV

Ego N. firma fide credo et profitcor omnia et singula quae continentur in Symbolo fidei, quo sancta Romana Eccle-

PROFESSION DE FOI DE PIE IV 1/^J

sia utitur, videlicet : Credo in unum Deum Patrem om- nipotentem... (Suit tout le symbole de Nicée-Constantinople) .

Apostolicas et ecclesiasticas traditiones, reliquasque ejusdem Ecclesiae observationes et constitutiones firmis- sime admitto et amplector.

Item sacram Scripturam juxta eum sensum, quem tenuit et tenet sancta mater Ecclesia, cujus est judicare de vero sensu et interpréta tione sacrarum Scripturarum, admitto ; nec eam unquam nisi juxta unanimem consen- sum Patrum accipiam et interpretabor.

Profiteor quoque septem esse vere et proprie Sacra— mentanovselegis, a Jesu-Christo Domino nostro instituta atque ad salutem humani generis, licet non omnia sin- guiis necessaria, silicet : Baptismum, Confîrmationem, Eucharisiiam, Paenitentiam, Exlremam Unctionem, Or- dinem et Matrimonium ; illaque gratiam conferre, et ex his Baptismum, Confîrmationem et Ordinem sine sacrile- gio reiterari non posse. Receptos quoque et approbatos Ecclesiae Catholicœ ri tus, in supradictorum omnium sacra- mentorum solemni administratione, recipio et admitto.

Omnia et singula quse de peccato briginali et de justifi- catione in sacrosancta Tridentina Synodo definita et de- clarata fuerunt amplector et recipio.

Profiteor pariter in Missa ofîerri Deo verum, proprium t\f propitiatorium sacrifîcium, pro vivis et defunctis ; at- que in sanctissimo Eucharistiae Sacramento esse vere, realiter et substantialiter Corpus et Sanguinem una cum anima et divinitate Domini nostri Jesu Christi, fieriquô conversionem totius substantiœ panis in Corpus et totius substantiœ vini in Sanguinem, quam conversionenii Çatholica Ecclesia Transsubstantiationem appellat. Fateor etiam sub altéra tantum specie totum atque integrum Christum, verumque Sacramentum sumi.

Gonstanter teneo Purgatorium esse, animasque ibi detentas fidelium suffragiis juvari ; similiter et Sanctos una cum Christo régnantes venerandos atque invocandos- esse ; eosque orationes Deo pro nobis offerre ; atqu& eorum reliquias esse venerandas. Firmissime assero ima- gines Christi ac Deiparœ semper Yirginis, nec non alio-

l/|8 LE CATÉCHISME ROMAIN

rum sanctorum habendas et retinendas esse, atque eis debitum honorem ac venerationem impartiendam. Indul- gentiarum eliarn potes ta tem a Christo in Ecclesia relio tam fuisse; illarumque usum christiano populo maxime salutarem esse" affirmo.

Sanctam, Catholicam et Apostolicam Romanam Eccle- siam, omnium Ecclesiarum matrem et magistram agnosco. Rornano Pontifici, beati Pétri apostolorum principis successori ac Jesu Ghristi vicario, veram obedien- tiam spondeo ac juro.

Caetera autem omnia a sacris canonibus et œcumenicis conciliis, ac prœcipue a sacrosancta Tridentina Synodo, et ab œcumenico concilio Yaticano tradita, definita, et declarata, prausertim de Romani Pontificis Primatu et infallibili Magisterio, indubitanter accipio atque profiteor; simulque contraria omnia, atque haereses quascumque ab Ecclesia damnatas, rejectas, et anathematizatas, ego pari- ter damno, rejicio et anathematizo.

Hanc veram Catholicam fidem, extra quam nemo salvus esse potest, quam in praesenti sponte profiteor et veraci- ter teneo, eamdem integram et inviolatam usque ad extre- mum vitaB spiritum, constantissime, Deo adjuvante, reti- nere, et confiteri, atque a meis subditis, vel illis quorum cura ad me in munere meo spectabit, teneri, doceri et praedicari, quantum in me erit, curaturum. Ego idem N. spondeo, voveo, ac juro. Sic me Deus adjuvet, et haeo sancta Dei Evangelia. »

Son Usage

D'après la jurisprudence canonique, sont tenus de réciter publiquement et solennellement cette profession de foi :

i. Les patriarches, les primats, les archevêques et les évêques, au premier synode provincial auquel ils assistent, sous peine d'être dénoncés à Rome, s'ils s'y refusent (i).

i. Conc. Trid, sess. xxv, cap. n, de réf.; Const. Quos aposto- licis de Grégoire xiv (i 590-1 591), du i3 mars 1591.

PROFESSION DE FOI DE PIE IV ity

2. Tous ceux qui sont pourvus d'un bénéfice avec charge d'âmes, d'un canonicat ou d'une dignité dans une église cathédrale, et cela dans les deux mois après la prise de possession (i) ; ceux qui sont pourvus d'un bénéfice avec charge d'âmes doivent la faire devant l'évêque ou son vicaire général ; les chanoines et dignitaires, également devant l'évêque ou son vicaire général, et de plus devant le Chapitre, mais cette dernière suffît, si l'évêque ou son vicaire général assiste au Chapitre (2).

3. Les prélats régulièrement préposés au gouver- nement des monastères, des couvents, des maisons et autres lieux qui appartiennent à des ordres reli- gieux et militaires (3).

[\. Les Docteurs, maîtres d'école, lecteurs, profes- seurs d'arts libéraux et de grammaire, qu'ils soient laïques ou ecclésiastiques (/j).

5. A Rome, d'après le concile romain de 1825, et dans quelques diocèses, sont également tenus à faire cette profession de foi tous ceux qui sont pour- vus d'un bénéfice quelconque, même simple ; par exemple, les vicaires généraux, les vicaires forains, les procurateurs et promoteurs du fisc épiscopal, le chancelier, les prédicateurs nouveaux, même régu- liers, les nouveaux confesseurs ; ceux qui ensei- gnent la théologie, la philosophie, le droit canon ou le droit civil, les arts libéraux, la grammaire, et ceux qui exercent la médecine et la chirurgie.

Telle quelle, cette profession de foi de Pie IV est actuellement, dans l'Eglise, la profession de foi la plus détaillée qui existe. Elle constitue un docu- ment de première importance, sommaire abrégé des principaux points de l'enseignement catholique.

1. Conc. Trid.. sess. xxiv, cap. xn de réf. 2. Gangr. Conc., 25 janvier et 9 février 1726- 3. Injunctam nobis, de Pie IV. 4- In sacrosancta, de Pie IV.

Leçon IVe Immutabilité et Progrès

I, Immutabilité : La révélation est complète depuis les apôtres. La règle de foi dans les premiers siècles. La doctrine de saint Vincent de Lèrins. L'enseignement du Vatican. II. Progrès : Son objet. '- Ses caractères. Sa marche. Ses limites.

I. Immutabilité

Un simple coup d'œil jeté sur le texte de nos symboles et de la profession de foi de Pie IV suffit pour constater la différence sensible qui existe entre eux. Les vérités, qui leur sont commu- nes, y sont exprimées d'une manière de plus en plus claire, précise et complète ; et d'autres vérités s'y trouvent explicitement formulées. Les articles de foi, en effet, y ont subi un accroissement notable. Mais qu'est-ce à dire? L'objet de la foi ne se serait-il pas étendu, avec la marche du temps et les progrès scientifiques, dans des proportions imprévues ? Et, dans ce cas, est-ce bien l'enseignement donné aux apôtres par Jésus Christ? Ne serait-ce pas plutôt unei doctrine nouvelle, cadrant, si l'on veut, avec la foi primitive, mais surajoutée du dehors, soit à l'aide

IMMUTABILITÉ l5l

du travail humain, soit au moyen de révélations récentes, comme cela s'était produit depuis Adam jusqu'à Notre Seigneur ?

La question vaut la peine d'être examinée de près pour dissiper bien des équivoques dans l'esprit de nos contemporains (i) ; d'autant plus que, parmi les incrédules, s'il en est qui accusent l'Eglise d'être complètement immobilisée et comme figée dans sa foi, en dehors de tout progrès, sinon en contradic- tion formelle avec l'épanouissement nécessaire et constant de la raison, d'autres, au contraire, lui font le reproche d'innover en matière de doctrine et de mettre sur le compte de la révélation divine des vérités d'ordre purement humain, de telle sorte que l'enseignement catholique ne ressemblerait ni plus ni moins qu'à une doctrine, qui sans doute peut avoir pour base et pour point de départ l'enseigne- ment apostolique, mais qui est toujours en train de se modifier, d'évoluer, de s'adapter aux progrès de la science et aux exigences de la pensée humaine, o'est-à-dire de changer.

Les uns nous reprochent de rester immobiles.

i. S. Vincent de Lérins, Commonitorium ; Patr. lai., t. l; S. Thomas, Sum. theol, JIa IIœ , Q. i, a. 7 ; Bossuet, Avertisse- ments aux protestants ; Moehler, La symbolique, trad. franc., Paris, i853 ; Newman, Essay on the développement of Christian doctrine, trad. franc., Paris, i848 ; Franzelin, De divina traditione et Scriptara, Rome, 1870 ; 3* édit., Rome, 1882 ; Prunier, Evolution et immutabilité, Paris, 1898 ; De la Barre, La vie du dogme, Paris, 1898 ; Bainvel, Le dogme et la pensée catholiques, dans les Etudes, Paris, 1900, t. lxxxii, p. 3o sq ; Vacant, La constitution Dei Filius, Paris, 1895 ; L. de Grandmaison, L'élasticité des formules dogmatiques, dans les Etudes, 1898, t. lxxvi, p. 3£o sq ; E. Portalié, Le dogme et l'histoire, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 190^ p. G2-143 ; Pcrriot, Développement du dogme catholique, dans le Dictionnaire de Jaugey, Paris, 1888 ; Didiot, Cours de théologie caUwl'que, 1891-18^2.

102 LE CATECHISME ROMAIN

Nous leur répondons : constatez nos progrès ; la parole divine est reçue par des intelligences humai- nes, mais elle y devient une vérité de mieux en mieux connue, une pensée qui vit ; nous avons une idée de la vérité révélée de plus en plus nette ; nous l'entendons, nous la connaissons, nous l'expliquons d'une manière de moins en moins imparfaite ; il y a du mouvement dans les propositions dogmatiques, qui font passer certaines vérités de l'état implicite à l'état explicite ; il y en a dans la science théologi- que, qui ne cesse de s'élaborer et de se perfection- ner ; il y en a dans la vie catholique, qui s'épa- nouit pratiquement en œuvres toujours plus fé- condes.

Soit, répliquent les autres ; mais alors vous violez votre principe de l'immutabilité doctrinale ; vous innovez, et votre catholicisme n'a guère plus rien qui ressemble au christianisme primitif. Nous répon- dons à ces derniers : notre progrès n'est pas une innovation d'importation étrangère ; il est conforme à tout principe vivant ; il suit sa propre loi, qui est une loi de vie ; il est normal.

D'autre part, il se rencontre quelques catholiques de bonne foi qui, sans tomber dans ces extrêmes, n'entendent pas d'une façon satisfaisante l'ensei- gnement de l'Eglise sur ce point et, faute d'avoir une idée exacte de la révélation, du développement doctrinal ou de la nature des définitions dogmati- ques, s'imaginent à tort que l'objet de la foi ne va sans cesse s'élargissant que par des additions oppor- tunes ou nécessaires, dues à de nouvelles révélations divines, de sorte que si la foi du xxe siècle se trouve plus riche que la foi des premiers siècles, c'est grâce à des vérités nouvelles, étrangères à la révé- lation évangélique, mais légitimement notifiées par l'Eglise sous la direction du Saint-Esprit.

IMMUTABILITÉ l53

Il convient donc de répondre aux uns et aux au- tres, car tout autre est la réalité.

La révélation est complète depuis les Apôtres

Sans doute, conformément à la vérité historique, l'Eglise admet qu'avant l'ère chrétienne, il y a eu un progrès réel dans la notification de la doctrine religieuse et un accroissement numérique des véri- tés révélées. Elle constate, en effet, que des origines du monde à l'avènement du Messie, il y a eu des révélations partielles, successives, de plus en plus développées; car Dieu n'a jamais laissé l'humanité sans lui communiquer, selon les desseins de sa pro- vidence, les vérités religieuses. Au sein même du paradis terrestre, Dieu instruisit notre premier père ; et quand Adam eût prévariqué, il lui parla encore pour lui faire entrevoir, 'dans un lointain mystérieux, le pardon, le rachat, le relèvement. Il déposa ainsi dans le cœur de l'homme un germe précieux de foi et d'espérance, qui devait se déve- lopper jusqu'à la plénitude des temps. Et de peur qu'au contact de l'idolâtrie, le souvenir n'en vînt à s'effacer ou à se corrompre, il eut soin de le ravi- ver, de le rappeler, de l'accentuer en termes de moins en moins voilés, de plus en plus précis. Pour conserver toujours intact, toujours vivant, ce germe précieux, Dieu se choisit un peuple et, par une ad- mirable progression, il multiplia en sa faveur, dans la suite des temps, les oracles, les prophéties, les prodiges. Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, les juges, les prophètes, furent tour à tour ses porte-paroles et concentrèrent de plus en plus les rayons lumineux sur le personnage promis, qui devait un jour réali- ser les promesses divines, en devenant la lumière,

l54 LE CATÉCHISME ROMAIN

la voie, la vérité, la vie, le centre du monde moral et religieux. Et pour que cet enseignement précieux et salutaire fût connu par d'autres que par les Juifs, Dieu prit soin de mettre son peuple choisi en con- tact avec tous les peuples de l'antiquité, dans une série d'événements extraordinaires, qui devaient fa- ciliter la diffusion et la connaissance des promesses divines.

Mais, comme le fait observer avec juste raison saint Paul, Dieu, après avoir parlé si souvent et de tant de manières par ses prophètes, parla enfin par son Fils, le Verbe fait chair, venu non pour dé- truire la loi, mais pour l'accomplir, non pour être lui aussi un intermédiaire passager entre son Père et nous, mais pour clore la série des révélations que Dieu jugeait à propos de nous faire et pour communiquer définitivement à l'humanité, par l'Eglise, la somme des vérités nécessaires au salut.

Or, cette somme de vérités, Notre-Seigneur ne l'a pas notifiée lui-même dans son intégralité à ses apôtres ; c'est un soin qui était réservé au Saint- Esprit. S'adressant aux douze, Jésus disait : « J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent. Quand le Consola- teur, l'Esprit de vérité, sera venu, il vous guidera dans toute la vérité (i). Il vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que je vous ai dit (2). )) Au Saint-Esprit donc le rôle de rappeler aux apôtres tout l'enseignement de Jésus-Christ et de le parachever.

C'est pourquoi les apôtres, dépositaires officiels de cette révélation, cette fois complète et définitive, conscients de leur rôle de témoins, disent à leurs disciples: a Restez fidèles à ce que vous avez ap-

1. Joan., xyi, i2-i3. 2. Joan., xiv, 2G.

IMMUTABILITÉ l55

pris, et dont vous avez la certitude, sachant de qui vous le tenez (i). » « Gardez le dépôt, en évitant les discours vains et profanes, et tout ce qu'oppose une science qui n'en mérite pas le nom (2). » « Evitez ceux... qui toujours apprennent sans pou- voir jamais arriver à la connaissance de la vé- rité (3). » Et saint Jean termine son Apocalypse par ces mots : « Je déclare à quiconque entend les paro- les de la prophétie de ce livre que, si quelqu'un y ajoute, Dieu le frappera des fléaux décrits dans ce livre. » a Ainsi s'achève la Bible, le livre des révélations. Moïse en a posé l'alpha, saint Jean en écrit l'oméga. Dieu est au commencement pour l'ouvrir, il est à la fin pour le sceller. C'est fini à jamais... Telle fut la marche de la doctrine reli- gieuse : au commencement Dieu révèle sa divinité, son existence, son aséité, et la rédemption qui doit être accomplie par son Christ. Ecrite sans formules spéciales, et d'une façon globale' dans la conscience humaine, la loi naturelle est détaillée, précepte par précepte, et gravée en des tables de pierre. La vie du Christ rédempteur se dessine de jour en jour avec des traits plus particuliers, jusqu'à ce qu'il paraisse avec sa divine physionomie, dépassant l'es- pérance immense du monde par sa doctrine et ses actions. Les apôtres, ses livres vivants et sa loi agis- sante, mettent le sceau à ses révélations. Et la vérité intégrale qu'ils confient à leurs successeurs se ra- jeunit toujours dans l'organe qui la porte (4). »

Ainsi donc, dès les débuts de l'âge apostolique, le cycle de la révélation est fermée pour toujours ; Dieu n'a plus parlé à l'Eglise, et, par là, dans la vérité rc vélée, tout est fixe, immuable ; ni l'histoire,

1. II Tint., m, i4. a. I Tïm.% vi, 20. 3. II 7ïm., m, 7. 4. Prunier, Evolution et immutabilité, Paris, 1904, p. 17.

l56 LE CATÉCHISME ROMAIN

ni la philologie, ni aucune science ne sauraient rien y changer. Le dépôt de cette révélation est confié aux apôtres et par les apôtres à l'Eglise. Il renferme essentiellement tout ce que Dieu veut que l'homme sache pour se sauver. Mais ce dépôt n'est pas en- fermé dans un vase hermétiquement clos ; il n'est pas figé dans une formule stéréotypée. La vérité ré- vélée n'a rien qui ressemble à une lettre morte, rien qui rappelle la rigidité d'un cadavre ou l'im- mobilité silencieuse de la tombe ; elle est vivante, au contraire, et vivifiante, toujours en acte dans l'Eglise, toujours se développant en vertu du prin- cipe intime de vie qui l'anime et toujours identique à elle-même, toujours entourée d'un respect fidèle et scrupuleux, toujours pensée vivante et vérité vécue.

La règle de foi dans les premiers

siècles.

C'est là, dès les origines chrétiennes, un aspect de la vérité révélée, qui est de capitale importance, qui s'impose tout d'abord à la conscience de l'Egli- se, qui s'affirme et se formule de la manière la plus pressante, la plus obvie, la plus ferme et la plus ex- presse. C'est de cette vérité révélée qu'on est curieux et qu'on recherche avant tout ; témoin, le vieux Papias, évoque d'Hiérapolis, qui voyage pour re- cueillir avec un soin pieux « les dires des anciens » afin de posséder la tradition autorisée (i) ; témoin, Hégésippe, qui voyage pour étudier la foi des di- verses églises et pour opposer à la gnose menteuse « la grande voix de la prédication vraie (2). » Et

1. Fragm., 11 ; Pair, gr., t. vi, col. i25G. 2. Fragm., m; ibid., col. i320.

IMMUTABILITÉ l5y

saint Irénée, le grand évêque de Lyon, en qui l'on entend l'Orient et l'Occident au 11e siècle, oppose énergiquement aux gnostiques de son temps les té- moignages de l'Eglise d'Ephèse, fondée par saint Paul, puis dirigée par saint Jean, de l'église de Smyrne, il avait entendu saint Polycarpe, disci- ple de l'apôtre bien-aimé, et de celle de Rome, fon- dée par saint Pierre, « avec laquelle toutes les égli- ses doivent s'accorder à cause de sa principauté principale (i). »

Aussi, dans les diverses églises de l'empire ro- main, regarde- t-on comme une règle de foi qu'en dehors de la tradition apostolique, il n'y a pas de vérité, qu'on ne doit rien y ajouter, rien en re-* trancher, qu'aller contre cette tradition vivante c'est innover dans la foi et ne plus appartenir à l'Eglise. Tertullien, qui donne parfois à sa pensée un tour original et un puissant relief, s'écrie : « Il n'est besoin ni de curiosité après le Christ, ni de recherches après l'Evangile. La première règle de notre foi c'est de ne rien croire au-delà de ce qu'elle enseigne... On peut chercher, oui, avant le Christ, mais pour croire ; après avoir trouvé le Christ, c'est contraire à la notion même de la doc- trine révélée, de la foi. Dès qu'on a donné son adhésion, on peut chercher encore, sed in nostro, et a nostris, et de nostro, salva régula fidei... Ne rien savoir contre la règle, c'est tout savoir (2). » Ainsi donc, respect avant tout de la règle de foi; re- cherche intellectuelle libre pour trouver la vérité ; recherche encore, après l'avoir trouvée, mais cette fois limitée à l'objet propre de l'enseignement ré- vélé. Il suffit dès lors qu'une doctrine soit nouvelle

1. Adv. hœr., III, m, a ; Pair, gr., t. vu, col. 8^9. a. De prœscript., vm, ix, xn, xiv; Patr. lat.t t. n, col. 34-27.

l58 LE CATÉCHISME ROMAIN

pour être taxée d'hétérodoxe . la tradition d'abord et rien que la tradition. C'est la réponse célèbre du pape saint Etienne à saint Cyprien de Carthage, au sujet de, la réitération du baptême : Nil innove- tur nisi quod traditum est (i).

Et voici qu'avec le ive siècle commence l'action doctrinale des conciles œcuméniques. Des erreurs sont dénoncées et condamnées ; certaines vérités révélées, jusque dans l'ombre, sont mises en pleine lumière ; d'autres, révoquées en doute ou audacieusement niées, son définies; et le nombre de ces vérités augmente encore pendant le ve siè- cle, à Ephèse et à Chalcédoine, comme il avait augmenté à Nicée et à Gonstantinople ; et il ne cessera de croître dans les siècles suivants, grâce à l'intervention de conciles nouveaux, qui continue- ront l'œuvre de leurs devanciers. Par progresse manifestement la science religieuse des fidèles dans la manière d'entendre la vérité révélée et de l'expli- quer : ils apprennent à connaître chaque jour davantage l'objet de leur croyance. Mais ne se- rait-ce pas en même temps l'oubli ou la méconnais- sance de cette règle si fortement proclamée et si jalousement appliquée contre les innovations héré- tiques? Non, certes. Car les définitions conciliaires ne puisent que dans le dépôt révélé.

La Doctrine de saint Vincent de Lérins

Yoici, en effet, comment s'en explique, au lende- main du ni0 concile général, le champion le plus résolu de la tradition catholique, saint Vincent de Lérins (f vers 45o). Il rappelle d'abord la règle

i. Epist., lxxiv, i ; Patr. lat., t. m, col. 1128.

IMMUTABILITÉ 169

imprescriptible de la foi catholique dans cette cé- lèbre formule que les siècles n'ont cessé de répéter; « Il faut s'attacher à ce qui a été cru en tout temps, en tout lieu, par tous ; c'est cela qui est vraiment et proprement catholique ; il nous faut suivre l'universalité, l'antiquité, l'accord général ; quod ubique, quod semper, quod ab omnibus. » Il s'étonne de la passion qui agite certains esprits, du besoin de nouveau qu'ils éprouvent, de ce prurit qui les pousse à ajouter, à retrancher, à chan- ger quelque chose à la foi, et cela malgré saint Paul qui commande de « garder le dépôt, » « d'éviter les profanes nouveautés de mots, l'oppo- sition d'une science menteuse ; » et il explique ce qu'il faut entendre par ces deux mots : Depositum custodi.

Il s'agit de mettre le dépôt révélé à l'abri des vo- leurs et des ennemis ; et ce dépôt, quel est-il ? Quod tibi creditum est, non quod a te invention ; quod acce- pisti, non quod excogitasti ; rem non ingenii, sed doc- trinœ ; non usurpationis privatœ , sedpublicœ traditionis ; rem ad te perductam, non a te prolatam : in qua non auctor debes esse, sed custos ; non inslitutor, sed sec- tator ; non ducens, sed sequens. C'est de l'or reçu, c'est de l'or à faire passer ; et sans doute on peut l'orner de pierres précieuses, lui donner de l'éclat, de la grâce, du poli ; et qu'ainsi intelligatur, quod ante obscurius credebatur ; per te posteritas inlellectum gratuletur quod ante vetustas non intetlectum venera- batur. Eadem tamen qux didicisti doce, ut cum dicas nove non dicas nova (i).

Mais alors, se demande-t-il, il n'y aurait donc pas de progrès de la religion dans l'Eglise du Christ ? Au contraire, répond-il, il y en a, il faut qu'il y en

I, Common., xxi, xxii; Pair. lat.t t. l, col. 606-667.

IÔO LE CATÉCHISME ROMAIN

ait, mais pas de changement, car le progrès consiste dans le développement intime et propre d'une chose, non dans la transformation de cette chose en une autre. Ainsi, entendu, crescai igitur oportet et multum vehementerque proficiat tara dngulorum quam omnium, iam unius hominis quam totius Ecclesise, aetatum ac sœculorum gradlbas, intelligentia, scientia, sapientia, sed in sao duntaxat génère, in eodem scilicet dogmate, eodem sensu, eadamque sententia (i).

Immutabilité, oui, car il ne faut pas sortir de l'enseignement et des idées reçus ; et ceci rappelle la restriction signalée par Tertullien ; progrès, oui en- core, mais à la condition que ce ne soit pas un changement; et il l'explique : « Que la foi des âmes imite la loi des corps qui, dans le cours des années, acquièrent le développement harmonieux de toutes leurs parties, sans pourtant cesser d'être ce qu'ils étaient. Car, de la fleur de l'enfance à la maturité de la vieillesse, la différence est grande ! Et cepen- dant les vieillards sont ceux-là même qui furent enfants. La nature et l'extérieur de l'homme ont beau changer, c'est toujours la même nature et la même personne... Telle est la règle légitime et par- faite du développement; tel est l'ordre fixe et mer- veilleusement beau de l'accroissement. L'âge, en faisant grandir l'homme, ne montrera en lui que le perfectionnement de l'œuvre du Créateur dans le petit enfant... C'est cette loi de progrès que doit suivre la vérité religieuse, qui, avec les années, se renforce, s'épanouit et s'élève, mais sans jamais perdre son inviolable pureté... C'est du froment pur que nos pères ont semé dans le champ de l'Eglise ; quelle iniquité à nous de mettre à la place du bon grain l'ivraie de l'erreur 1 C'est notre devoir de re-

i. Common., xxi, xxn; Pair, lat., t. i., col. 666-667.

IMMUTABILITÉ l6l

cueillir à la moisson un froment excellent, puisque c'est du froment qui fut jeté dans les sillons. La tige s'élèvera joyeuse, nous verrons l'épi se dessiner sous sa forme définitive, mais ce sera toujours un épi de blé...

« Il est certes bien permis de creuser avec le temps les enseignements de notre céleste philoso- phie, de les limer, de les polir ; mais c'est un crime de les changer, de les tronquer, de les mu- tiler. Qu'on les fasse briller de toute la clarté de l'évidence, qu'on les mette en pleine lumière, qu'on distingue, à la bonne heure ! Mais qu'on n'aille pas leur ôter leur plénitude de vérité et leur inviolable intégrité. Car si la fraude sacrilège pouvait se glis- ser une seule fois au sein de nos dogmes, je ver- rais avec terreur la religion prête à s'écrouler et à disparaître pour toujours. Laissez tomber une par- celle du dogme catholique, bientôt une autre et puis une autre encore sera jetée -au vent, comme par une pente toute naturelle. Et, en le jetant ainsi pièce à pièce, il arrivera qu'il n'en restera plus rien. Mais, par contre, si les nouveautés trouvent libre accès dans le domaine du dogme antique, si l'élé- ment étranger se mêle à nos biens de famille, si le profane est confondu avec le sacré, cet alliage aura bientôt tout envahi. Et, dès lors, dans l'Eglise, plus de dogme intact, pur, immaculé. Un mauvais lieu de honteuses et sacrilèges erreurs se sera élevé à la place du sanctuaire de la chaste et incorruptible vérité...

u L'Eglise du Christ, vigilante et prudente gar- dienne des dogmes qu'elle reçut en dépôt, n'y change jamais rien, n'y ajoute rien, n'en retran- che rien. Elle ne touche pas à ce qu'ils ont d'essen- tiel; elle ne les embarrasse pas de superfétations.Elle garde son bien et ne porte pas la main sur la pro-

LB CATÉCHISME. T. I. II

It>2 LE CATÉCHISME ROMAIN

priété d'autrui; toutes les ressources de son génie visent une seule fin: étudier l'antique doctrine avec fidélité et sagesse ; s'il s'y rencontre des germes, des ébauches, en provoquer le développement ; s'il s'y trouve des vérités déjà exprimées et com- plètement développées, ies consolider, les affermir ; ce qui est affermis pour toujours par une définition, le conserver (i). »

Immutabilité et progrès, nous venons de voir dans quel sens les entendait, au ve siècle, saint Vin- cent de Lérins. M. Bninetière a pu dire, après lui et comme lui, qu'évoluer n'est pas changer : « l'épanouis- sement de la frondaison de l'arbre n'est pas une varia- tion du germe, et ce n'es! pas changer, ce n'est pas devenir autre que de développer le contenu de sa loi, puisque, au contraire, c'est achever de devenir soi- même (2). » Cet enseignement n'a rien perdu de sa force, même après les travaux du cardinal Newman et du cardinal Franzelin ; il a reçu, du reste, une consécration unique au sein du concile du Vati- can (3).

L'enseignement du Concile du Vatican

Les Pères du concile du Vatican eurent à traiter cette question du progrès doctrinal et de l'immu-

1. Common. xxm ; Pair, lat., t. l, col. 668-669. 2. La science et la religion, Paris, 1890, p. 42-43. 3. Sabatier, dans son Esquisse a" mie philosophie de la religion, 3e édit., Paris 1897, p. 63, dit qu'avec Mochler et Newman, « l'idée mo- derne d'une évolution du dogme entre dans la dogmatique du catholicisme. » Il a sans doute oublié Saint Vincent de Lérins, et les Avertissements aux protestants, le premier, le se- cond et le sixième, de Bossuet ; et sans doute encore il ne con- naissait pas le De traditione et scriptura, Rome, 1870, de Fran- zelin.

IMMUTABILITÉ 1 63

tabilité, à cause de l'assimilation fâcheuse que le rationalisme prétendait établir entre la révélation et la philosophie, à cause aussi des conséquences erronées qu'il en tirait. La philosophie, étant tou- jours d'ordre humain, reste sujette, comme ta rai- son elle-même, aux variations, aux incertitudes, aux écarts, aux erreurs, aux progrès; et il en serait ainsi de l'enseignement révété. Cette assimilation fautive provient d'une fausse notion de la révélation; ce fut, en particulier, l'erreur du prêtre allemand Guntlier (f i863). En tant que manifestation de la vérité, la révélation n'est pas absolument nécessaire, et cela, prétend Guntlier, parce que la raison humaine est capable de comprendre toutes les vérités révélées ; elle pénètre chaque jour davantage dans la connais- sance des dogmes et les transforme à mesure qu'elle les pénétre.1 La raison part de la foi aveugle, qui adhère à la vérité révélée uniquement à cause de l'autorité du témoignage divin ; mais, avec le pro- grès des sciences et de la philosophie, elle progresse elle-même dans la connaissance des mystères jus- qu'à ce qu'elle arrive à leur pleine intelligence.. L'Eglise, sans doute, procède par définitions, qui formulent, à telle date et dans de telles circonstan- ces, l'idée qu'elle se fait de la révélation ; mais ce sont des formules relatives, provisoires, destinées à être remplacées par des formules plus compréhen- sives et plus rapprochées de la vérité totale, dès que les progrès scientifiques l'exigeront.

Cette théorie du relativisme et du progrès indé- fini de la connaissance religieuse, fausse et dange- reuse, fixa l'attention du concile et provoqua l'ex- position de la théorie catholique, relative à l'immu- tabilité et au progrès. Rcproduisons-la, avant de l'étudier : « La doctrine de la foi révélée de Dieu n'a pas été proposée à l'esprit humain comme une

l64 LE CATÉCHISME ROMAIN

découverte philosophique qu'il avait à perfection- ner ; mais elle a été confiée à l'épouse du Christ comme un dépôt divin qu'elle devait garder fidèle- ment et déclarer infailliblement. C'est pourquoi on doit aussi conserver perpétuellement aux dogmes sacrés le sens fixé par une première déclaration de notre sainte mère l'Eglise, et il n'est jamais permis de s'écarter de ce sens sous l'apparence et le pré- texte d'une intelligence plus élevée (i). »

Que la doctrine catholique ne puisse pas se rame- ner aux principes de la raison naturelle sans en alté- rer le sens et le corrompre ; que le progrès des sciences ne puisse pas permettre d'attribuer au dogme défini un sens différent de celui de l'Eglise, c'est une double erreur déjà réprouvée par Pie IX dans sa lettre à l'archevêque de Cologne du i5 juin 1857 (2)' ou il affirmait la perpétuelle immu- tabilité de la foi, et dans son allocution du 9 juin 1862, il disait : les rationalistes « n'hésitent pas à soutenir avec une souveraine impudence que la révélation divine est imparfaite et par conséquent soumise à un progrès continu et indéfini, qui répond au progrès de la raison humaine (3). » Le concile du Vatican a renouvelé ces condamnations.

Il est donc de foi catholique que l'enseignement de l'Eglise ne saurait changer ni dans son fonds révélé, ni même dans l'exposition qu'eu donne le Magistère enseignant.

Du reste, cela se comprend, car la nature de la vérité est d'être l'expression de la réalité des choses, de ne point varier suivant les temps et les lieux, de n'avoir pas un caractère relatif mais immuable et

1. Const. Dei Filius, c. iv, S 5. 2. Denzinger, n. 15of)-i5i2. 3. Cette phrase est devenue la ve proposition du Syllabus ; Denzinger, n. i55a.

IMMUTABILITÉ l65

absolu ; cela se comprend aussi à raison de l'infail- libilité de l'autorité qui la proclame, garantie par celle même de Dieu, comme nous le verrons.

Quant à la question de savoir si cette doctrine peut se perdre en partie ou tomber dans l'oubli, si elle peut s'enrichir d'éléments étrangers dans la suite des siècles, le concile l'a résolue négativement; car, à la différence des doctrines philosophiques qui se développent et s'accroissent par les seuls efforts de l'esprit humain, la révélation a été confiée à l'Eglise comme « un dépôt qu'elle doit garder fidè- lement et déclarer infailliblement. »

L'Eglise, en effet, a reçu des apôtres, qui l'ont reçu de Dieu, ce dépôt révélé ; elle en est le déposi- taire officiel ; non pas seulement pour le garder avec fidélité, mais encore pour l'exposer avec certi- tude. Gardienne jalouse, elle le conserve intact, à l'abri de toute soustraction frauduleuse et de toute immixtion étrangère, dans sa pure intégrité ; inter- prète autorisé, elle intervient, quand elle le juge nécessaire ou opportun, pour certifier sans erreur que telle ou telle vérité fait partie de ce dépôt sacré. Dans les deux cas elle est assurée d'une assistance spé- ciale du Saint-Esprit, qui l'empêche d'être infidèle à son rôle de gardienne et de se tromper dans son rôle d'interprète. Par suite, elle ne peut rien en re- trancher ni rien y ajouter d'étranger. Ses définitions dogmatiques, intervenues dans la suite des âges, sont simplement déclaratoires : elles spécifient que telle vérité doit être objet de foi catholique parce qu'elle est du nombre de celles qui ont été révélées par Dieu et qui lui ont été confiées en dépôt. Aussi, dès qu'elle s'est officiellement prononcée, ces vérités définies se trouvent définitivement fixées et restent acquises à jamais ; leur sens ne peut en aucune façon être modifié.

î66 LE CATÉCHISME ROMAIN

Sans doute, des révélations particulières peuvent se produire, et en fait il s'en est produit dans l'Eglise. L'Eglise a le droit de les examiner ; en les approu- vant, en les déclarant authentiques, elle se pro- nonce sur leur origine divine, elle garantit leur or- thodoxie en ce qu'elles ne renferment rien d'opposé à la foi. On peut les croire sans y être obligé ; car, étant d'ordre privé, elles n'entrent pas dans le dépôt révélé et confié aux apôtres, et l'Eglise se garde bien de les introduire dans ce dépôt, de les incorporer dans son enseignement dogmatique.

A plus forte raison l'Eglise se garde-t-elle de mêler ou d'incorporer dans le dépôt révélé les simples données de l'esprit humain, quelques belles et pro- fondes qu'elles soient ; elle a également le droit de les soumettre à son contrôle ; elle peut même les utiliser, mais toujours sans les mêler aux données de la révélation. Dans tous les cas, elle n'accepte pas qu'elles puissent introduire la moindre modification au sens des vérités déjà définies qui, loin d'être changeantes ou relatives, revêtent un caractère ab- solu et immuable. « C'est pourquoi, dit le concile, on doit conserver perpétuellement aux dogmes le sens fixé par une première déclaration de notre sainte mère l'Eglise et il n'est jamais permis de s'écarter de ce sens sous l'apparence et le prétexte d'une intelligence plus élevée. » Aussi, déclare-t-il anathème a à qui dirait que la révélation divine ne renferme à proprement parler aucun mystère véri- table, mais qu'une raison convenablement cultivée peut par ses principes naturels comprendre et dé- montrer tous les dogmes de la foi ; à qui dirait que les enseignements humains doivent être donnés avec une telle liberté que leurs assertions pourraient être maintenues comme vraies et ne sauraient être pros- crites par l'Eglise, alors même qu'elles iraient con-

IMMUTABILITÉ 167

tre la doctrine révélée ; à qui dirait enfin qu'il peut se faire qu'eu égard au progrès de la science, on doive quelquefois attribuer aux dogmes proposés par l'Eglise un autre sens que celui qui a été et qui est compris par l'Eglise (i). »

Ainsi donc le dépôt confié à l'Eglise par les apô- tres — nous dirons plus tard en quoi il consiste et il se trouve contient les vérités qu'il a plu à Dieu de révéler pour permettre à l'homme de faire son salut. Reste la question de savoir quelles sont ces vérités ; c'est à l'Eglise soûle de la résoudre dans sa sagesse et sous la garantie de son infaillibilité. Il suffit qu'elle déclare officiellement quelles sont cek- les que le fidèle doit croire explicitement, tout en exigeant la foi implicite vis à vis des autres. Car toutes les vérités contenues dans ce dépôt ne sont pas également apparentes, également précises, éga- lement développées ; quelques unes ne s'y trouvent qu'à l'état implicite ou de germe.

Mais cette immutabilité n'empêche nullement le progrès. Qui ne sait, en eilet, que, dans un germe vivant, on n'aperçoit pas tout d'abord les divers éléments qui doivent constituer à un moment donné et grâce à la force intime de développement progressif qu'il possède, l'être parfait, plante ou animal. Le gland ne montre ni les racines, ni le tronc, ni la puissante ramure du chêne, et le chêne lui-même ne cesse d'ajouter à ce qu'il possède déjà jusqu'à ce qu'il ait atteint son plein épanouisse- ment. Il en est de même de l'embryon dans le sein maternel et de l'animal qui passe successivement par toutes les phases de la croissance jusqu'à son entière maturité. Mais la* plante et l'animal ne dépas- sent pas un certain terme ; car, pour l'une comme

1. Const. DeiFilius, c. iv, can. 1, 2, 3.

l6S LE CATÉCHISME ROMAIN

pour l'autre, arrive un moment les forces dé- clinent et s'accuse une irrémédiable décrépitude.

Tout au contraire, si le dépôt révélé peut, en partie, se comparer à un germe vivant, cette com- paraison ne saurait se justifier jusqu'au bout. Car s'il est vrai que la vérité révélée se développe en vertu de la vie qui lui est propre et d'après les lois que Dieu lui a données, en restant toujours identi- quement la même et immuable, dans son essence, il n'est pas moins vrai que, à la différence de ce qui se passe dans la nature organisée et vivante, son progrès est continu, qu'elle ne perd jamais rien de ce qui est une fois acquis, sans jamais pouvoir attein- dre un point culminant au delà duquel elle n'aurait plus qu'à décliner et à disparaître.

Dès l'âge apostolique, le dépôt révélé appartient donc intégralement à l'Eglise et contient explicite- ment ou implicitement toutes les vérités qui peu- vent être objet de foi catholique. Le chrétien des pre- miers siècles adhérait par son acte de foi à l'ensei- gnement de l'Eglise, tel qu'il lui était notifié alors ; le chrétien d'aujourd'hui adhère de même à cet en- seignement, tel qu'il lui est notifié de nos jours, et le chrétien de demain adhérera à l'enseignement de l'Eglise, tel qu'il lui sera proposé demain. La seule différence entre les fidèles des premiers siècles et ceux du vingtième, c'est que ces derniers croient d'une manière explicite un plus grand nombre de vérités révélées qui, jusque-là, n'étaient l'objet, de la part de leurs prédécesseurs, que d'une foi impli- cite ; mais dans les deux cas, l'objet de la foi reste toujours le môme, identique à lui-même, parfaite- ment un. C'est laisser entendre, par conséquent, qu'à côté de l'immutabilité de la foi religieuse ainsi comprise il y a place pour le progrès. Reste à dire en quoi consiste ce progrès, quelle est sa nature, son

PROGRÈS 169

caractère, dans quelles conditions il s'opère, par qui il se réalise, quelles étapes il suit et dans quelles li- mites il se maintient.

II. Progrès

Ce progrès de l'enseignement doctrinal est signalé par le concile du Vatican dans les termes mêmes dont s'était servi saint Vincent de Lérins : « Qu'il y ait donc accroissement, qu'il y ait progrès large et intense dans l'intelligence, la science et la sagesse de chacun et de tous, de l'homme pris individuelle- ment et de l'Eglise tout entière, suivant le dévelop- pement des âges et des siècles ; mais que ce soit exclusivement dans son genre, c'est-à-dire dans l'unité de dogme, de sens et de sentiment (1). »

Ces quelques lignes renferment toute l'économie du progrès religieux : son objet,* ses caractères, ses étapes, ses limites.

Son Objet

La connaissance de la vérité révélée progresse en étendue, en clarté et en certitude. Le progrès se fait, en effet, soit par la connaissance explicite de ce qui n'était connu qu'implicitement, soit par Y éclaircisse- ment de certains points obscurs, soit enfin par plus de probabilité ou par une entière certitude sur les points douteux.

Une vérité révélée est crue et connue implicite- ment lorsqu'elle est logiquement contenue ou impli- quée dans d'autres vérités crues et connues explici- tement. C'est ainsi, par exemple, que l'antique

1. Const. Dei Filius. c. iv, S 5.

I-yO LE CATECHISME ROMAIN

croyance explicite à la parfaite sainteté de la sainte Vierge était une croyance implicite au dogme de l'immaculée conception, parce que la sainteté par- faite suppose ' la sainteté dans la conception. Or chaque l'ois qu'une vérité, à laquelle on ne pensait pas auparavant, devient l'objet d'une définition dogmatique, il est incontestable que le domaine de la foi explicite s'étend, que l'enseignement catholique s'augmente d'un chapitre ou même d'un traité nouveau.

D'autres fois, le progrès consiste simplement dans une pleine lumière répandue sur une vérité révélée, mais encore plus ou moins entourée de pénombre et d'obscurité, dans plus de probabilité ou dans une entière certitude sur une vérité également révélée, mais objet jusque de discussions et de doutes. Les idées se précisent, les preuves se fortifient, les con- clusions finissent par s'imposer, et par s'étend de plus en plus la connaissance de la révélation. Car, ne l'oublions pas, toute vérité explicite en contient d'autres logiquement ; et, grâce à sa vie intime et féconde, telle vérité se manifeste de mieux en mieux à la foi du croyant, comme la plante, l'animal ou l'homme révèlent de mieux en mieux, aux yeux de l'observateur, grâce à leur développement organique, tout ce qui n'était qu'en puissance et à l'état latent dans le germe ou l'embryon.

Or, de toute évidence, certaines vérités révélées ont être, dès l'âge apostolique, enseignées et professées d'une manière explicite, suffisamment claire et certaine, par exemple celles dont la foi explicite est nécessaire, soit de nécessité de moyen, comme l'existence de Dieu, la rétribution finale, la trinité et l'incarnation, soit de nécessité de précepte, comme les articles de la profession de foi baptismale, les préceptes du décalogue, la nature des sacrements

PROGRES I7I

qu'on doit recevoir, les biens qu'on doit demander à Dieu par l'oraison dominicale. Et naturellement, pour ces vérités-là, le progrès ne saurait consister dans la substitution de la foi explicite à la foi impli- cite, mais simplement dans une augmentation de lumière, dans une manifestation plus nette de leur nature intime, de leurs rapports avec les autres vérités et des conséquences qu'elles entraînent. C'est, précisément, ce dernier genre de progrès qu'on peut constater, en particulier, dans la connaissance du plus profond de nos mystères, le mystère de la trinité.

Ce dogme, en effet, explicitement proposé, dès l'âge apostolique, à la foi de quiconque demandait à recevoir le baptême, et brièvement énoncé dans la formule baptismale, n'a pas été entouré tout d'abord de la lumière beaucoup plus vive qu'il reçut après la condamnation des Sabelliens et des Ariens, des Modalistes ou des Subordinatiens,*et dont les sym- boles de Nicée-Gonstantinople et de saint Athanase portent si expressément le témoignage.

Quant aux autres vérités, découvertes peu à peu dans le dépôt de la révélation, dégagées, précisées, formulées et définies comme de foi catholique dans la suite des âges, le progrès a tout d'abord consisté dans leur passage de l'état de foi implicite à l'état de foi explicite. Puis, à leur tour, elles ont pu encore progresser de l'autre façon, et ont effectivement progressé en clarté, dans l'esprit et dans la vie des fidèles, par une assimilation de plus en plus féconde ; c'est ce que le concile du Vatican appelle le progrès dans Y intelligence, la science et la sagesse.

Ses caractères Qu'entendre par ces termes du concile ? de quelle

I72 LE CATECHISME ROMAIN

intelligence, de quelle science, de quelle sagesse est-il question ? Essayons de le dire.

S'agit-il d'une vérité non encore définie, et dont la présence dans le dépôt révélé n'est pas manifeste ? S'agit-il d'une question religieuse, non encore trai- tée, mais qui se pose devant l'esprit d'un investiga- teur studieux ou que des circonstances fortuites mettent en quelque sorte à l'ordre du jour ? En pareil cas, le chrétien instruit, le théologien de profession use de son intelligence pour examiner si cette vérité ne serait pas comprise dans les vérités révélées déjà connues ; si cette question, intéressant la foi, a lieu d'être posée et dans quel sens il convient de la résoudre. Un travail scientifique doit donc intervenir nécessairement, et ainsi le chrétien, le théologien fait acte de science pour se rendre compte par l'examen attentif, par l'étude approfondie de l'Ecriture et de la tradition, du crédit qu'il convient d'accorder ou de refuser à cette vérité ou à cette question. Et il va sans dire que la sagesse des con- clusions sera en raison directe de la prudence, du sentiment religieux, du sens traditionnel et de la fidélité scrupuleuse aux règles prescrites en pareilles matières, qui accompagneront l'effort intellectuel et le travail d'érudition.

Il se pourra que les résultats en restent précaires ou même ne soient pas dignes d'être retenus ; c'est à la discussion libre d'en juger. Il se pourra même qu'ils ne cadrent pas rigoureusement avec l'ortho- doxie ; c'est au magistère infaillible d'en décider. Mais il se pourra aussi qu'ils méritent de fixer l'atten- tion à raison de leur pleine harmonie avec l'ensemble de la vérité révélée et de l'enseignement traditionnel. Et alors c'est un véritable progrès, susceptible, le cas échéant, non seulement d'être approuvé et loué, mais encore d'être utilisé et consacré par l'Eglise.

PROGRÈS 173

N'est-ce pas, en effet, un progrès de ce genre qui est à cette science de la foi qui s'appelle la théo- logie ? Car, comme le remarque justement M. Va- cant, la théologie, entendue dans son sens strict, a pour objet les conclusions théologiques, c'est-à-dire, non point les vérités révélées, mais les conséquences qui sont virtuellement contenues dans ces vérités et qui s'en tirent par déduction. Mais, pour arriver à la plupart de ces conclusions, il faut que le théolo- gien se rende parfaitement compte du contenu de la révélation, qu'il s'assimile les vérités révélées, et donc qu'il les distingue, les éclaircisse et en établisse solidement le caractère révélé. D'ailleurs les conclu- sions théologiques l'aideront, à leur tour, à mieux distinguer les vérités révélées, à les mettre en lu- mière et à en saisir toute l'harmonie et la con- nexion. Et c'est ainsi que le théologien est un arti- san du développement des dogmes, aidé dans ce travail d'ordre privé du controversiste, de l'apolo- giste, de l'exégète, de tous ceux qui étudient les symboles, les conciles, les actes pontificaux, les écrits des saints Pères et les autres documents de la foi (I).

Questions souleA^es, aperçus nouveaux, dénoncia- tions de l'erreur, recherche minutieuse et approfon- die de la vraie doctrine, essais pour la dégager, pour l'expliquer, pour la formuler en termes aussi précis que possible, autant de travaux d'intelligence, de science et de sagesse qui s'ajoutent à d'autres travaux semblables, et dont les résultats se contrô- lent, se discutent, s'éliminent ou restent acquis. Cela dure des années, parfois des siècles ; du moins, pendant ce temps, la lumière se fait et un certain progrès se réalise, progrès éloigné mais prépara-

1. Const. Dei Filius, t. 11, p. 3o2.

17^ LE CATÉCHISME ROMAIN

toire, s'il y a lieu, à l'intervention décisive du ma- gistère infaillible, au jugement solennel de l'Eglise. Or, dès que l'Eglise s'est officiellement pronon- cée, la définition d'un dogme n'arrête pas pour cela le progrès de sa connaissance, et c'est encore un progrès d 'intelligence, de science et de sagesse, mais dans un autre sens que tout à l'heure. Car alors, en possession certaine de la vérité, à laquelle il adhère d'une foi explicite, le chrétien peut en acquérir une connaissance plus pleine. L'intelligence du dogme défini permet d'en pénétrer mieux le sens intime, de l'approfondir en lui-même, d'analyser ses élé- ments constitutifs, de se rendre un compte exact des textes scripturaires ou traditionnels qui l'ap- puient et des formules qui l'expriment. La science vient ensuite ; elle en note les conséquences prati- ques au point de vue de la liturgie, de la discipline et de la morale ; elle en saisit les rapports éloignés ou prochains avec les autres vérités de l'ordre natu- rel ou surnaturel ; elle en marque la place dans une synthèse de la vérité connue. Après quoi il ne reste plus, par une synthèse finale qu'à ramener à Dieu lui-même tous les résultats de l'intelligence et de la science de ce dogme, ce qui est le propre de la sa- gesse. Et lorsque ce travail s'opère, non plus sur un dogme, mais sur l'ensemble des dogmes, on en ar- rive, quand on s'appelle saint Thomas d'Aquin, à écrire ce chef-d'œuvre de la Somme théologique.

Sa marche

La marche de ce progrès dans la connaissance' des vérités révélées suit, selon l'expression du con- cile du Vatican, la marche des âges et des siècles ; mais de plus et dans une certaine mesure, ce pro- grès obéit aux circonstances historiques ; et enfin,

PROGRÈS 175

par une disposition particulière de la Providence, il se réalise selon la nature des dogmes et dans leur succession logique.

Notons-le cependant, les circonstances historiques ne constituent pas la cause efficiente de ce progrès, elles n'en sont que l'occasion, tantôt favorable, tan- tôt défavorable, qui l'accélère ou le ralentit. Il va de soi que lorsque l'Eglise est aux prises avec de graves difficultés, comme par exemple à l'époque des persécutions ou de l'invasion des barbares, elle se trouve par trop absorbée. Le temps n'est guère propice alors pour le travail intellectuel qui réclame le calme et la paix. Mais vienne une période de tranquillité, toutes ses forces vives entrent en jeu. On le vit très bien, au lendemain des persécutions, après Constantin, dans l'efflorescence merveilleuse de la théologie patristique du ive et du ve siècles : on le vit encore, à la suite des invasions, lors de la renaissance carlovingienne, qui prépara de loin le magnifique essor intellectuel du xine siècle et per- mit de créer une langue nouvelle, rude parfois, mais expressive dans sa terminologie, d'organiser et d'ordonner en un vaste système fortement lié et pleinement homogène tout l'enseignement du passé. On le vit aussi, à l'époque de la Réforme et au xviie siècle, dans cette pléiade de théologiens et d'écrivains, qui scrutèrent tous les problèmes soulevés et interrogèrent avec tant de soins les documents de la tradition. On le voit enfin de nos jours où, malgré les malheurs des temps, nos universités catholiques impriment un mouvement si intense aux études ecclésiastiques, ont déjà donné de bons résultats et en préparent d'au- tres.

Or, parmi ces circonstances qui sont la cause oc- casionnelle du progrès, il faut ranger les hérésies.

I76 LE CATÉCHISME ROMAIN

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Car, comme Dieu sait tirer le bien du mal, ainsi l'Eglise, gardienne fidèle et infaillible interprète du dépôt révélé, a toujours profité des excès de l'erreur pour proclamer la vérité. Du reste, l'hérésie, dans ses attaques successives, a suivi une marche descen- dante, il est vrai, mais assez logique et régulière. C'est à Dieu qu'elle s'en prit tout d'abord avec la pé- riode gnostique des deux premiers siècles ; c'est à la trinité ensuite avec les Monarchiens et les Sabel- liens ; c'est au Verbe, à sa divinité, à son incarna- tion, à sa double nature dans l'unité de personnes, avec Arius, Nestorius et Eutychès ; c'est au Saint- Esprit avec Macédonius ; c'est au don de Dieu, au fruit de l'incarnation et de la rédemption, c'est-à- dire la grâce, avec Pelage et les semipélagiens ; c'est ensuite aux instruments de la grâce, aux sacre- ments ; et finalement c'est à l'autorité du Vicaire de Jésus-Christ, à l'Eglise. Après avoir parcouru ce cy- cle, la voilà en train de le recommencer : plus de surnaturel, plus de révélation, plus de foi, le natu- ralisme et le rationalisme leur ont signifié un congé définitif. Par surcroit, voici la critique contempo- raine qui passe au laminoir tous les documents de notre passé, et l'histoire des religions qui étudie le fait religieux à un point de vue purement scientifi- que, comme l'histoire naturelle s'occupe de géolo- gie, de paléontologie ou de tout autre chose, c'est-à- dire sans y engager le cœur et la vie morale de l'homme.

Mais, en dépit des menaces du présent et malgré cette levée en masse de boucliers contre l'Eglise, la foi ne saurait rien craindre, elle sortira plus vivante de l'épreuve : elle a progressé jusqu'ici, elle pro- gressera encore, tout en restant substantiellement la même. Sur la trame vivante des événements de l'histoire, elle continuera à écrire ses pages à elle,

PROGRES I77

toujours plus lumineuses. Les attaques récentes ont déjà provoqué et ne pourront que provoquer encore des études plus approfondies, plus minutieu- ses, plus exactes, de tous les éléments qui constituent notre patrimoine religieux et catholique. Des ques- tions nouvelles, auxquelles on ne songeait pas jadis, se posent parmi nos contemporains : elles ne resteront pas sans réponse et seront résolues. La vérité révélée ne pourra qu'y gagner en éclat, en solidité, en fécondité, et ce sera encore et toujours un progrès de plus.

Quoi qu'il en soit du présent et de l'avenir, tou- jours est-il que jusqu'ici la connaissance des dogmes a progressé, comme nous l'indiquions, suivant leur nature et leur ordre logique. « L'infaillibilité du pape est, en effet, un corollaire de sa souveraine autorité et de sa supériorité sur les conciles. L'intel- ligence de cette supériorité, discutée au temps du grand schisme, supposait une connaissance tr> s distincte du pouvoir d'ordre et de celui de juridic- tion. La distinction très nette de ce double pouvoir avait été le fruit des travaux concomitants des théo- logiens et des canonistes du moyen âge sur les sacrements et la législation ecclésiastique. La théorie des sept sacrements qui fut élaborée après la renais- sance des études inaugurée par Charlemagne, était elle-même un corollaire de la théorie de la grâce développée par saint Augustin. Cette théorie de la grâce, qui justifie chacun de nous, ne pouvait être approfondie qu'après la doctrine de l'incarnation, qui est la source de la grâce. La doctrine de l'incar- nation ne pouvait se préciser qu'après celle de la consubstantialité du Père et du Fils dans la trinité. Enfin la distinction des trois personnes en une même nature avait besoin de s'appuyer sur le monothéisme enseigné dans l'Ancien Testament et proclamé au

LE CATÉCHISME. T. I. 12

1^8 LE CATÉCHISME ROMAIN

milieu du monde polythéiste par les premiers pré- dicateurs de l'Evangile » (i).

Ses Limites

Ce progrès n'est pas livré au hasard. Soumis au contrôle de l'autorité compétente, il a ses règles ou, comme s'exprime le concile du Vatican, ses limites. Il ne peut, en effet, s'effectuer que dans le domaine qui lui est propre, celui de l'enseignement révélé, in eodem dogmate, eodem sensu, eademque sententia. Gela revient à dire qu'il doit essentiellement respecter la substance immuable du dépôt révélé, sans la cor- rompre, sans la détruire, sans en rien soustraire, sans y ajouter le moindre élément hétérogène.

Or, pour rester dans de telles limites, pour obser- ver de pareilles règles, il faut de toute nécessité tenir un compte scrupuleux non seulement de toutes les vérités de foi catholique déjà connues et renfermées soit dans les symboles, les professions de foi, soit dans les définitions dogmatiques, et cela sous peine d'hétérodoxie, mais encore de l'enseignement una- nime professé dans l'Eglise et de l'interprétation donnée au texte de l'Ecriture ou aux documents de la tradition.

A ces conditions, on ne court pas le risque d'inno- ver en matière doctrinale, d'aller contre le courant traditionnel, de méconnaître ou de froisser le senti- ment catholique . Et c'est ici surtout que la plus grande prudence s'impose, et que l'intelligence, la science et la sagesse, dont parle le concile du Vatican, trouvent à s'appliquer. Finalement on doit être prêt, dès qu'intervient le magistère infaillible, à se soumettre en acceptant pleinement ses directions et ses déci-

i. Vacant, La Const. Dei FUius, t. n, p. 3o8.

PROGRES 17^

sions. L'obéissance, en pareil cas, s'impose : elle est un principe de sécurité, elle est aussi une condition de progrès.

1. L'immutabilité de l'enseignement catholi- que. — « Ce que l'Eglise a dit au commencement, elle l'a toujours dit. Pendant qu'autour d'elle l'esprit philoso- phique tourne dans un cercle fatal de systèmes contra- dictoires, pendant que les sectes religieuses modifient leur Credo, elle reste fidèle à la doctrine traditionnelle qu'elle a reçue des apôtres. Ses dogmes s'éclaircissent, sa législation se perfectionne, mais aucun mouvement progressif ne modifie les vérités essentielles qu'elle a toujours enseignées, ni les règles fondamentales de sa vie religieuse. Cependant l'Eglise n'est pas une seule per- sonne, dont l'obstination orgueilleuse pourrait expliquer l'immobilité ; c'est une longue suite de générations, un mélange de races, que les temps, les milieux, les cir- constances, les événements différencient à l'infini, et que sollicite au changement une armée de forces ennemies de l'immutabilité : les tracasseries des pouvoirs jaloux, les défections de l'hérésie, la mobilité de l'esprit humain, si variable dans ses vues, interprétations et appréciations, les évolutions de la science, les exigences de la critique, le besoin du progrès manifesté par les travaux des théolo- giens et les opinions d'école. » Monsabré, Conf. lv, ii\ P.

2. Le développement progressif. « Il en va bien autrement d'une doctrine : son progrès s'opère par voie d'assimilation définitive. Ceux des éléments intellec- tuels qu'elle élimine sont des intrus, qui n'ont jamais eu droit de pénétrer dans son sein, et qu'une révision atten- tive reconnaît pour étrangers. Il est vrai que, parmi les vérités destinées à former son patrimoine inaliénable, quelques-unes ont été accueillies d'abord avec défiance ou acceptées sous une forme incompatible avec l'immu- tabilité des concepts. Cependant, l'approbation définitive une fois donnée, le vêtement de facture humaine une fois percé, la vérité authentiquement reconnue sera admise

l80 LE CATÉCHISME ROMAIN

sans repentance. La science changera sa place dans les classifications, elle l'emploiera à des constructions éphé- mères ou stables, elle ne la rejettera pas. Ces vérités sont sa moelle, sa substance, ce sans quoi elle se ravalerait au rang de collection arbitraire de phéno- mènes... Au cours des âges les formules se pré- ciseront, des énonciations équivoques seront ballottées de l'approbation au rejet, les points de foi se déga- geront de la gangue systématique certains les ont enfermées. L'universel progrès des sciences découvrira entre les éléments doctrinaux des rapports inaperçus, fait trouver des points de vue ignorés des temps anciens. Mais, à travers ces vicissitudes, le trésor sacré reste en- tier : pas une notion n'en sortira pour s'en aller, pièce dépréciée, fausse monnaie, rejoindre au musée des an- tiques les débris des systèmes faits de main d'homme. Au contraire, les vérités certaines, élargissant leur domaine jusqu'aux bornes, encore inconnues, que leur trace l'étendue de la révélation chrétienne, hiérarchisant leurs aspects dans une harmonie définitive, s'édifieront en un corps de doctrine qui sera la vérité religieuse intégrale. Sans doute les apôtres et les premières générations chré- tiennes avaient possédé, par une intuition plus directe, par une appropriation plus sentie, tout ce qu'il y a de substance dans cette doctrine ; mais l'Eglise des derniers temps en possédera une connaissance scientifique plus approfondie, une vue d'ensemble aux perspectives plus assurées, une science du détail plus précise. » De Grand- maison, L'élasticité des formules dogmatiques, dans les Etudes, 1898, t. lxxvi, p, 497-498.

3. Du rôle de l'hérésie dans l'évolution dog- matique. — « L'assertion hérétique appelle l'affirmation catholique, et ceux dont la pensée est mauvaise ont donné lieu de se produire à la pensée des fidèles. Parce qu'ils étaient hérétiques, les méchants ont troublé l'Eglise de Dieu ; et la vérité couverte d'un voile a été mise au jour, et la volonté divine s'est manifestée... Beaucoup d'hom- mes, capables d'étudier et d'établir les vérités de l'Ecri- ture, restaient silencieux et cachés au milieu du peuple de

PROGRÈS l8l

Dieu, et ils ne se mettaient pas en peine de résoudre les questions difficiles tant que l'imposteur ne parlait pas. Avait-il été fait un exposé vraiment achevé de dogme de la trinité avant que les ariens fissent entendre leurs cris provocateurs ? Le dogme catholique de la pénitence avait- il été parfaitement expliqué avant les attaques des No- vatiens ? La théorie du baptême avait-elle été pleinement exposée avant l'hérésie des rebaptisants ? La théologie de l'unité du Christ avait-elle reçu son entier développement et sa perfection avant que le schisme ne vînt troubler les faibles ? Ce fut le moment pour ceux qui possédaient le moyen de traiter et de résoudre ces questions, de ré- pondre aux discours des impies et de mettre en lumière les obscurités du dogme pour sauver la foi des âmes chancelantes. » S. Augustin, In PsaL, ltv, 22.

« La divine Providence permet donc à l'hérésie de ré- pandre sa doctrine, pour que ses insultes et ses orgueil- leuses provocations remuent notre indolence et nous poussent à l'étude des Ecritures. L'apôtre n'a-t-il pas dit : « Il faut qu'il y ait des hérésies pour que les fidèles de Dieu aient occasion de s'affirmer. » Il y a. des hommes qui ont reçu du ciel les dons qui les rendent capables d'enseigner; mais ils n'agissent pas, ils ne communi- quent pas leur science si on ne leur fait la demande. D'autres n'ont pas d'énergie pour la recherche de la vé- rité, si leur sommeil n'est secoué par les importunités et les insultes de l'hérésie qui les fait rougir de leur faiblesse et leur en montre le danger. » S. Augustin, De Gen. cont. Manie h., I, 1, 2.

Leçon Ve Du Dogme

I. Notion catholique du Dogme : Sens éty- mologique. — Objet. Formule. Caractères. IL Théorie de M. A. Sabatier: Ses objections. Sa théorie.

I. Notion catholique du Dogme

Le progrès dans la connaissance de la vérité révé- lée n'enlevant rien à son immutabilité essen- tielle et consistant, en partie, dans les défini- tions dogmatiques, la question se pose naturellement de savoir ce qu'il faut entendre par un dogme. Pour y répondre, nous allons rappeler succintement la signi- fication étymologique de ce mot, son objet, les élé- ments qui entrent dans sa formule, ses caractères (i).

i. De Broglie, Religion et critique, Paris, 1896; Mgr Mignot, VEvolulionnisme religieux, dans le Correspondant, 1897, t. cli de la nouvelle série, p. 3 sq. ; De la Barre, La vie du dogme. Autorité. Evolution, Paris, 1898 ; De Grandmaison, L'élasticité des formules dogmatiques, dans les Etudes, 1898, t. lxxvi; D. Renaudin, La définibilité d'un dogme, dans Revue thomiste, 1900, 1901 ; Brunelière, La fâcheuse équivoque, dans la Revue des Deux Mondes, i5 novembre 1903 ; Portalié, Le dogme et l'histoire, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 1904;

NOTION CATHOLIQUE DU DOGME l83

Le mot Dogme : son étymologie

Le mot dogme est un terme grec, 8^*, antérieur au catholicisme, et dont le sens précis, dans la vie publique était celui de décision, de prescription, de commandement, de loi, pour désigner les actes de l'autorité en matière de gouvernement.

C'est ce sens que saint Luc lui reconnaît, quand il appelle un dogme le recensement prescrit par César- Auguste (i). Saint Paul s'en sert de même deux fois pour indiquer le rôle impératif de la loi juive (2). Trois fois de suite, les Actes emploient le verbe ISoÇev pour caractériser les décisions des apô- tres, dans leur réunion de Jérusalem, au sujet de la circoncision, des idolothytes et autres usages juifs (3). Saint Ignace d'Antioche emploie égale- ment ce mot dans le sens pratique, quand il recom- mande aux Magnésiens de s'en tenir aux dogmes du Christ et des apôtres pour tout bien faire (4).

Chez les grecs, ce mot servait encore à désigner soit les principes de raisonnement, soit les règles de conduite propres à telle ou telle école philosophi- que. C'est dans ce sens d'enseignement, de doctrine, que les apologistes, notamment Tatien (5), l'utilisè- rent pour désigner l'objet de la foi ou de l'enseigne- ment évangélique.

Qu'est-ce qu'un dogme, dans les Etudes, 20 juillet et 5 août 1905, p. 145-173, 3i8-342; Wehrlé, dans la Revue biblique, 1905, p. 323-35o ; De Grandmaison, Qu'est-ce qu'un dogme, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, igo5, p. i85 sq. ; Allô, A la recherche d'une définition du dogme, dans la Quinzaine, août 1905, p. 4o3-424-

1. Luc, ii, 1. 2. Eph., 11, i5; Col. 11, i4« 3. Ad., xv, 22, 25, 28. 4. Epist. ad Magn., xm, 1 ; dans Funk, Ope. Pair, apost., Tubingue, 1881, t. 1, p. 200. 5. Oral, ad Grœc, 1, 3i, 35.

l84 LE CATÉCHISME ROMAIN

Mais peu à peu on a distingué, dans le catholi- cisme, l'élément intellectuel ou ce qui est la doctrine proprement dite, et l'élément moral ou le comman- dement pratique. A partir du ive siècle, ce mot dogme prend définitivement et conserve depuis le sens restreint et précis réservé aux décisions doctri- nales de l'Eglise ; il désigne les vérités de foi qui requièrent une adhésion intellectuelle ; c'est le sens désormais traditionnel.

Son objet

Un dogme se définit : Une vérité révélée par Dieu et proposée comme telle par l'Eglise à la foi de ses enfants.

Cette brève définition implique plusieurs notions et soulève un certain nombre de questions délicates, qui seront examinées et traitées à leur place. En effet, si le dogme est une vérité révélée, cela suppose le fait d'une révélation divine et aussi l'existence de documents elle se trouve consignée : c'est à l'histoire d'établir le fait et à la critique d'examiner les documents. Si le dogme est une vérité révélée proposée comme telle par l'Eglise, cela suppose également que l'Eglise peut s'assurer sans crainte d'erreur du fait que telle vérité est du nombre de celles que Dieu a révélées, et qu'elle a le droit de l'imposer à la foi des fidèles.

Sa formule

L'Eglise ne définit un dogme que sous forme de proposition doctrinale, soit en condamnant toute erreur opposée, soit en proclamant officiellement ce qui est de foi. Mais si la vérité qu'elle exprime

NOTION CATHOLIQUE DU DOGME l85

appartient au dépôt révélé, les termes dont elle se sert pour la formuler appartiennent au langage humain : elle les emprunte à la langue courante ou à la terminologie des théologiens et des philosophes ; au besoin, elle les crée.

La tâche n'est pas toujours aisée d'adapter les mots connus à l'expression de la vérité révélée. Celle-ci, en effet, est transcendante et échappe par plus d'un côté aux prises de l'intelligence. D'où la nécessité de bien choisir les vocables. Mais il arrive souvent qu'avant d'être définitivement adoptés ou rejetés, les mots passent par d'étranges vicissitudes: attaqués par les uns comme impropres ou dange- reux, revendiqués par d'autres comme excellents et à l'abri de toute suspicion, de tout reproche, tour à tour employés, abandonnés ou repris, ils n'échap- pent à toute discussion que lorsque l'Eglise se pro- nonce sur leur compte, en les condamnant ou en les adoptant dans l'expression officielle de sa foi.

L'histoire nous apprend, par exemple, que le mot de monarchie, d'usage courant à la fin du 11e siècle et au me pour exprimer l'unité divine, était dénoncé comme suspect et de nature à porter atteinte à la trinité des personnes par Tertullien (i). Gela n'em- pêcha p s le pape saint Denys (269-268) de le re- prendre et d'en montrer le sens parfaitement ortho- doxe (2). Celui de 7rpo<j(t>7rov, chez les grecs, de persona, chez les latins, évoquait l'idée d'un per- sonnage sur la scène, d'un auteur qui joue succes- sivement plusieurs rôles ; mais pour servir à dési- gner ce que la foi chrétienne entend par personne divine, il devait perdre son sens strictement étymo- logique. Celui de ôjxooùctoç, appelé à un si grand

1. Adv. Prax., m ; Pair, lat., t. 11, col. i58. 2. Eplst. adv. Sa'âd.

l86 LE CATÉCHISME ROMAIN

retentissement au iv° siècle, commença par être proscrit au synode d'Antioche, en 269 ou 271, à cause du sens hérétique que lui donnait Paul de Samosate ; mais il fut repris au concile de Nicée dans un sens nettement arrêté et devint, comme l'on sait, la tessère de l'orthodoxie.

D'autres expressions, telles que Y union hypostati- que, la communication des idiomes, la circuminses- sion, etc., se sont conservées dans leur forme native et sont simplement employées dans l'usage actuel dans leur sens primitif, aujourd'hui encore suffi- samment accessible à l'intelligence sans qu'il soit nécessaire, pour les expliquer, de recourir à un grand appareil scientifique.

Mais si, parfois, l'Église crée des mots nouveaux, trinité, transsubstantiation, etc., elle se contente le plus souvent de prendre les termes de la philosophie régnante avec les images, les principes et les for- mules qui s'harmonisent avec la doctrine qu'elle enseigne et l'expriment au mieux. Mais un tel emprunt n'implique ni l'infiltration d'une philo- sophie particulière dans son enseignement dogma- tique, ni l'inféodation de la doctrine évangélique à un système hétérogène quelconque, ni la solu- tion des problèmes divers que soulève, parmi les philosophes, la nature intime des réalités qui se cachent sous ces vocables.

Il est à remarquer, en effet, que dans les défini- tions de foi proprement dites, les mots empruntés à telle ou telle philosophie n'ont nullement le sens particulier et spécifique du système auquel, ils sont empruntés, mais seulement la signification ordi-

NOTION CATHOLIQUE DU DOGME IO7

dinaire qu'ils ont dans l'usage courant, ils s'af- franchissent de leur sens technique et systématique et se démarquent. « Ils ne désignent plus alors, remarque le P. Allô, que les postulats de la philoso- phie rudimen taire nécessaire à tout homme réfléchi, ce que tout le monde constate ou présuppose, ce dont toutle monde aune connaissance distincte (i). » « Le dogme, en tant que dogme, n'est jamais expri- mé qu'en termes très distincts, qui sont de la lan- gue commune ou y ont du moins leurs équivalents. » Il n'implique pas du toutle détail d'une philosophie spéciale ; « il n'implique, en fait de philoso- phie, que les idées courantes d'une philosophie déiste... Il fait ahstraction de toutes les moda- lités philosophiques qui enveloppent ou déter- minent leur contenu dans l'esprit des savants ; mais il lui reste le sens empiriquement clair et intellectuellement obscur, qui est perceptible à tous (2). ))

« La foi, dit à son tour le P. Portalié, n'emprunte à la philosophie ni ses systèmes particuliers, ni les théories plus ou moins fondées sur la nature des êtres ; elle lui prend seulement ces vérités primor- diales et ces principes essentiels qui constituent la philosophia perennis de l'humanité. . . De même, quand l'Eglise emprunte à la philosophie des images, des métaphores, des expressions ou même des théories, elle ne définit nullement pour cela le système lui- même auquel ces formules sont empruntées... Ainsi en adoptant les expressions dogmatiques nature, personne, transsubstantiation, tout en définissant l'idée générale et distincte que ces mots expriment, l'Eglise ne prétend nullement trancher toutes les

1. Quinzaine, ier août 1905, p. frig. 2. Quinzaine, ier août igo5, p. 420-421.

l88 LE CATÉCHISME ROMAIN

questions soulevées parles philosophes sur la nature intime de ces réalités (1). »

Parmi ces termes, il en est deux notamment, matière et forme qui semblent gros d'une philoso- phie spéciale. Ils appartiennent, en effet, à l'école péripatéticienne, ils sont liés à une conception cosmologique particulière , celle de l'hylémorphisme , tandis que, dans la théorie des sacrements, ils ser- vent à désigner, par une simple analogie, le rôle que joue dans le baptême, par exemple, la parole par rapport à l'eau, rôle déterminateur semblable à ce- lui de la forme aristotélicienne vis-à-vis de la ma- tière. Cette théorie sacramentaire, élaborée par les scolastiques, consacrée par Eugène IV et le concile de Trente, montre bien, dit le P. de Grandmaison, que « le ciment philosophique n'a introduit dans l'édifice, désonnais consacré, de la dogmatique or- thodoxe, pour relier des concepts réellement, spé- cifiquement chrétiens, que des notions de métaphy- sique universelle... Mais on ne peut ramener à cette métaphysique générale toutes les notions de philo- sophie impliquées par les énonciations dogmatiques. . . L'Eglise suppose, par quelques-unes de ses formules de foi, des notions philosophiques, dont on est im- puissant à établir directement le caractère général... soit l'union de l'âme et du corps. L'Eglise nous dé- clare, dans le concile de Vienne (i3i2), que l'on ne peut sans errer dans la foi nier ou simplement révoquer en doute que l'âme raisonnable soit par elle-même, essentiellement, véritablement, la forme du corps humain. Or, ce concept scolas tique de forme substantielle, qui emporte une philosophie assez développée doit être tenu pour vrai, au moins par rapport à l'âme humaine. L'intervention des

i. Bulletin de littérature ecclésiastique, 1905, p. 137.

NOTION CATHOLIQUE DU DOGME l8g

théologiens de Vienne sur le terrain philosophique était, en fait, provoquée parle devoir qu'ils avaient de maintenir dans son intégralité le dépôt des vérités révélées (i). »

On n'est donc nullement autorisé à dire qu'une formule dogmatique est l'expression d'une idée étrangère, hétérogène : elle est l'expression d'une vérité révélée, spécifiquement chrétienne. Des simi- litudes verbales ou métaphoriques n'impliquent pas l'identité des concepts qu'elles recouvrent : vocables et métaphores sont extérieurs à la connaissance et restent accessoires. C'est l'idée qu'ils revêtent qui importe avant tout. Or, encore une fois, l'idée exprimée par les formules dogmatiques est exclusi- vement chrétienne.

Loin donc de canoniser Platon ou Aristote, l'Eglise a soin de tenir à l'écart de son enseignement tout dogme étranger; elle ne confond pas la philosophie ni même la théologie avec la foi ; elle, se sert sim- plement de la philosophie et de la théologie dans la mesure elles peuvent lui être utiles pour formuler sa foi sans la trahir. Saint Thomas, observe avec raison le P. Portalié, corrige Aristote, comme saint Augustin corrige les platoniciens (2). Et de tous les docteurs de l'Eglise on peut dire ce que M. Grand- george proclamait de l'évêque d'Hippone : « Tout ce qui, dans le néo-platonisme, peut s'accorder avec les mystères chrétiens, ou qui trouve dans ces mys- tères une explication, saint Augustin le conserve et le conservera toujours ; mais ce qui était exclusi- vement néo-platonicien, il le repoussera de plus en plus. Donc tant que sa philosophie concorde avec ses doctrines religieuses, saint Augustin est fran-

1. Eludes, 1898, t. lxxvi, loc. cit., p. 485-^90. 2. Bulletin, 1905, loc. cit., p. i35.

190 LE CATECHISME ROMAIN

chement néo-platonicien ; dès qu'une contradiction se présente, saint Augustin n'hésite jamais à subor- donner la philosophie à la religion, la raison à la foi (1). »

Ses caractères

Que l'Eglise emprunte ses termes au langage ordinaire ou à la philosophie, ou même qu'elle les crée, en tout état de cause, quand elle définit une vérité révélée comme de foi catholique, elle puise dans le dépôt qui lui a été confié, elle tire de ce fond et affirme que telle ou telle vérité en fait partie ; elle est dans son rôle de gardienne et d'interprète ; les fidèles n'ont qu'à se soumettre.

Du reste, en définissant une vérité comme de foi catholique, l'Eglise estime tenir un langage suffisamment clair et intelligible pour l'esprit humain, sans prétendre aucunement faire cesser le mystère, car l'incompréhensible n'est ni l'inintelli- gible, ni l'inconnaissable absolu. Elle n'ignore pas l'impuissance se trouve la raison humaine d'épuiser l'absolu et de représenter la réalité divine tout entière. Obligée de recourir au procédé analo- gique, nécessairement inadéquat et imparfait, elle en use au mieux de la vérité révélée, à titre de moyen d'exposition ou d'instrument de connaissance, comme ayant une valeur représentative légitime et suffisante. Or, en imposant une vérité définie à la foi de ses fidèles, c'est à leur esprit tout d'abord qu'elle s'adresse, puisque c'est une vérité qu'elle propose et que la vérité appartient à l'ordre intellectuel ; ce faisant, elle reste assurée du retentissement profond

1. Grandgeorge, Saint- Augustin et le néo-platonisme, Paris, 1896, p. i55-i56.

NOTION CATHOLIQUE DU DOGME IÇ)I

que la vérité définie ne peut manquer d'avoir, au point de vue pratique, dans toute l'économie de la vie chrétienne.

Loin donc de regarder ses formules dogmatiques comme de purs symboles, de simples métaphores ou des notations algébriques, elle estime, au con- traire, qu'elles répondent à une réalité vivante, sinon dans sa totalité, du moins à l'un de ses aspects, et que, si elles ne l'expriment pas adéquate- ment, c'est sans doute à cause de la transcendance de cette réalité, qui nous reste par ailleurs inconnue et insaisissable dans une large mesure, et aussi à cause de la nature limitée de notre esprit et de l'insuffisance native des moyens dont il dispose. Mais, à moins de réserver, comme on le fait trop souvent dans certains milieux scientifiques, le mot de connaissance à la seule connaissance d'un objet dont on fait complètement le tour, qu'on pénètre à fond, ou dont on finit par acquérir une notion compréhensive et adéquate, propre et directe, il est juste de reconnaître qu'on peut avoir aussi d'un objet une connaissance partielle, qui n'est ni moins réelle, ni moins positive, bien qu'indirecte et pure- ment analogique.

Le symbole n'est que conventionnel ; il ne fait que remplacer un objet, sans en révéler la nature. L'analogie, au contraire, part d'une réalité positive, découvre une certaine ressemblance entre l'objet et notre concept, représente par suite cet objet sous un rapport déterminé ; et, bien qu'elle ne nous le manifeste pas intégralement, elle nous en apprend du moins quelque chose de positif et de vrai. Or c'est justement l'espèce de connaissance que nous procure la formule dogmatique : elle n'épuise pas l'objet révélé, mais elle en fait connaître quelque «hose, et ce qu'elle nous en manifeste est vrai, d'une

192 LE CATECHISME ROMAIN

vérité absolue, définitivement acquise, irréformable et immuable.

Sans nul doute, la vérité ainsi proposée avec toutes les garanties dont elle est susceptible, res- semble à un joug; mais c'est le joug divin qui honore la créature raisonnable sans compromettre en rien sa dignité ou son autonomie, ainsi que nous l'expliquerons plus au long en répondant à l'objec- tion, aujourd'hui si répandue, que le dogme apparaît comme un asservissement, comme une limite aux droits delà pensée, comme une menace de tyrannie intellectuelle, comme une entrave et une restriction imposées du dehors à la liberté de la recherche, toutes choses, dit-on, radicalement contraires à la \ie même de l'esprit, à son besoin d'autonomie et de sincérité.

Cette notion du dogme est loin de rallier aujour- d'hui tous les suffrages. Méconnue par quelques uns, travestie par d'autres, elle est résolument reje- tée par certains. Sous prétexte qu'elle est absolument incompatible avec l'état actuel des esprits, qu'elle crée une airtinomie irréductible dans l'âme entre les conquêtes toujours progressives de la science et les affirmations du Credo, les uns la vident de son sens catholique et traditionnel et lui substituent une signification qu'ils jugent plus en harmonie avec le progrès scientifique, plus acceptable pour la pensée contemporaine, mais qui est la négation radicale du dogme. D'autres, sans aller aussi loin, se mon- trent tout disposés à ne plus lui reconnaître le moindre caractère intellectuel pour n'y voir qu'une direction morale d'ordre pratique.

Sans parler de M. Harnack, professeur à l'univer- sité de Berlin, dont la thèse bien connue consiste à prouver que les dogmes, dans leur conception et leur structure, sont l'œuvre de l'esprit humain et

NOTION CATHOLIQUE DU DOGME igo

non le pur exposé de l'Evangile, une espèce d'esca*- motage (i) ; et pour ne nous en tenir qu'à des au- teurs français, n'est-ce pas M. A. Sabatier, mort depuis peu doyen de la faculté de théologie protes- tante de Paris, qui réduit le dogme à n'être que la manifestation extérieure d'une expérience religieuse subjective, individuelle, avec toutes les conséquen- ces qui en découlent (2) ?

N'est-ce-pas M. Loisy, écho à peine voilé, sur un très grand nombre de points, de M. Harnack et de M. Sabatier, qui estime que la vérité est quelque chose de « nécessairement conditionné, relatif, tou- jours perfectible, » a évoluant avec l'homme, en l'homme et par l'homme ; » que la révélation c'est « la conscience acquise par l'homme de son rapport avec Dieu, » « Dieu agissant dans l'homme, Dieu connu par l'homme ; » et que le dogme est la for- mule de « l'expérience religieuse, » conditionné lui aussi par le développement de la science, par suite relatif, variable, perfectible tout comme* la vérité elle-même (3) ?

Et n'est-ce pas M. Le Roy qui, devant l'impuis- sance de la pensée catholique à se faire entendre de nos contemporains, et constatant qu'on ne discute pas si telle ou telle proposition est un dogme, mais que c'est l'idée du dogme elle-même qui répugne, s'est demandé et a demandé si la vraie solution aux difficultés d'ordre divers qu'on fait valoir, ne serait

1. A. Harnack, Dogmengeschichte, Fribourg-en-Brisgaii, 189^-1897 ; Précis de l'histoire des dogmes, trad. franc., Paris, i853 ; Das Wesen des Christentums, Leipzig, 1900; trad. franc., Paris, 1902. 2. A. Sabatier, Esquisse d'une philosophie de la religion d'après la psychologie et l'histoire, Paris, 1897 ; La religion d'autorité et la religion de l'esprit, Paris, 190/i. 3. Loisy, l'Evangile et l'Eglise, Paris, 1903 ; Autour d'un petit' livre, Paris, 1903.

l.p ta TH'SME. T. I. J3

194 LE CATÉCHISME ROMAIN

pas d'établir que la notion de dogme, condamnée et réprouvée par la pensée moderne, n'est pas la notion catholique, et s'il n'y a pas lieu dès lors de la changer, en déterminant la modalité du juge- ment dogmatique et la qualification qui lui con- vient (i) ?

Sous la plume de ces auteurs se trouvent les prin- cipales objections qu'on oppose à la notion catholi- que du dogme, et aussi les essais de théories, les solutions proposées pour rendre le dogme accepta- ble. Que valent ces objections ? Que penser de ces théories ? C'est ce qu'il importe de savoir.

IL Théorie de M. A. Sabatier

La théorie de M. A. Sabatier est intéressante à* connaître à plus d'un titre. Elle ne représente pas seulement ce que le protestantisme libéral conserva de préjugés contre le dogme catholique, les griefs qu'il fait valoir contre lui et la condamnation qu'il en porte ; mais elle se donne encore comme un essai, comme « l'esquisse d'une philosophie de la religion d'après la psychologie et l'histoire, » pour faire cesser toute antinomie entre le sentiment reli- gieux et l'esprit moderne, pour écarter toute cause de conflit entre la foi et la science.

La tâche, assurément, est assez malaisée ; mais, grâce à une méconnaissance radicale du grand fait de la révélation divine et de la notion du dogme catholique, grâce à une interprétation de l'histoire, tendancieuse et systématique, dont on s'autorise après M. Harnack pour déclarer que l'enseignement

i. Le Roy, Qu'est-ce qu'an dogme ? dans la Quinzaine, 16 avril 1905.

THÉORIE DE M. A. SABATIER igS

chrétien n'est qu'une adaptation religieuse de la philosophie grecque ou scolastique, grâce surtout à l'influence décisive du subjectivisme de Kant, qu'on, revendique hautement comme la seule solution pos- sible et rationnelle de toutes les difficultés du pro- blème religieux, on en est arrivé, en France comme en Allemagne, à vider de leur sens traditionnel les concepts de révélation et de dogme et à réduire la religion à une affaire d'ordre privé, à un subjecti- visme absolu. Mais ce n'est pas seulement la néga- tion du catholicisme qui est au bout de tels efforts, c'est encore l'idée religieuse elle-même qui sombre pour ne plus laisser place qu'à un vague sentimen- talisme. De telle sorte que cette critique destructive et cette tentative de systématisation, loin d'être jus- tifiées en soi, ouvrent la porte aux conséquences les plus fâcheuses (i).

Objections de M. Sabatier

M. Sabatier reconnaît que la « notion d'un dogme immuable ne se trouve rigoureuse et achevée que dans le catholicisme, » qu'elle dérive du principe

i. L'apparition de l'Esquisse fut saluée comme « un événe- ment théologique » par un collègue de M. Sabatier, profes- seur à la faculté de théologie protestante de Paris, M. Méné- goz, dans la Revue chrétienne, 1897, n. 2 ; cet article est repro- duit dans le Fidéisme, Paris, 1900, p. 227-238, du même au- teur. Mais tous les coreligionnaires de M. Sabatier sont loin de partager ses idées. M. H. Bois, en particulier, professeur à la faculté de théologie protestante de Montauban, a vivement et fortement critiqué la plupart des points de la théorie du doyen de Paris ; son livre de la Connaissance religieuse, Paris» 1894, contenait la réfutation de la plupart des vues de M. Sa- batier, déjà connues par des publications précédentes et insé- rées dans l'Esquisse sans un mot de réponse.

I96 LE CATÉCHISME ROMAIN

même du catholicisme. « Dans une institution exté- rieure, dans une Eglise infaillible, dit-il, le dogme ne peut que prendre la forme d'une loi absolue (i). » Mais il se refuse à accepter une telle notion, et cela pour plusieurs motifs.

i. Il trouve d'abord que la doctrine catholique est étrangère au christianisme : c'est la thèse de M. Harnack.

Parlant, en effet, de la doctrine des conciles et des Pères, il dit : « Qui ne voit que cette étoffe est grecque de forme, de couleur et par tous les fils de son tissu? D'où viennentces termes et ces notions... que l'hébraïsme n'a pas connus, ces concepts abs- traits de substance ou d'hypostase, de nature et de personne, d'essence et d'accident, de matière et de forme? D'où provient la science des Pères de l'Eglise, leur exégèse, leur histoire, leur logique, leur psy- chologie et cette haute métaphysique qui a si com- plètement transformé le ciel des prophètes en un ciel platonicien ? Tout cela dérive d'Athènes, d'Ephèse, de Samos, de Milet, en passant par Alexandrie et Rome. Les Justin et les Athénagore, les Clément et les Basile, Athanase plus encore qu'Arius, Jérôme comme Augustin ont été nourris, dès leur enfance, aux lettres grecques et latines. Ils ont lu Platon, Heraclite, Zenon, Philon, et, plus tard, Ci- céron, Possidonius et Sénèque, autant et plus peut- être que l'Ancien Testament. Quoi d'étonnant dès lors que leur théologie suive pas à pas celle du néo- platonisme, au point que celui-ci deviendra, pour Augustin, la véritable introduction à l'Evangile et qu'au moyen âge les noms de Platon et d'Aris- tote ne seront pas revêtus d'une autorité moin-

i. Esquisse d'une philosophie de la religion d'après la psychO' logie et Vhistoiref Paris, 1897, p. 277, a8i«

THEORIE DE M. A. SABATIER I97

dre que ceux d'Esaïe, de saint Paul et de saint Jean (r) ? »

Dans un autre passage, il demande : « Comment expliquer cette formation étonnante des grands dog- mes catholiques, autrement que par l'aliiage du principe de l'Evangile avec la pensée hellénique ? Examinez de plus près la construction de ce chris- tianisme doctrinal. Avec quels matériaux l'édifice a-t-il été bâti ? De quelles carrières viennent les moellons employés ? Quel architecte en a tracé le dessin ? A quel style convient-il de le rapporter ? L'Eglise affirme que tout cela vient de la Bible. C'est une grande illusion... La substructure philo- sophique des dogmes est restée grecque, de même que la langue dans laquelle ils furent tout d'abord rédigés (2) ».

Il y a dans cette objection des assertions gratuites, de regrettables confusions, des erreurs. M. Sabatier confond trop à son aise la philosophie des Pères avec leur théologie, et la théologie en général avec le dogme strictement dit. Les Pères, sans doute, ont pu embrasser tel ou tel système de philosophie ; mais leur philosophie particulière n'engage pas la théologie ; et la théologie elle-même, œuvre humaine, effort intellectuel de l'homme pour expliquer ou exposer scientifiquement le dogme, n'est pas le dogme et n'a pas, comme lui, l'autorité d'un credo. Nous n'insisterons pas davantage, ayant déjà dit ce qu'il convient de penser soit de l'autorité des philosophes, soit de l'influence de la philosophie ; celle-ci, en tant que système particulier, reste à la porte, à raison même de son hétérogénéité ; en tant que possédant des notions d'ordre général et qui appartiennent par

1. Esquisse, p. a32-a33. a. Esquisse, p. 3i4-3i5.

I98 LE CATÉCHISME ROMAIN

même au domaine ordinaire de la connaissance, elle est utilisable et, de fait, elle a été utilisée, rien -de plus légitime.

2. M. Sabatier accuse le dogme, entendu au sens catholique, de créer un conflit dans la conscience. « Il est bien évident, écrit-il, qu'une doctrine impo- sée ainsi du dehors par l'autorité sacerdotale, entrera nécessairement en conflit avec le développement orga- nique de la science et la culture libre de l'esprit. Il ne saurait y avoir ni contact ni fusion entre les don- nées surnaturelles du dogme et les acquisitions pro- gressives de la raison naturelle, puisqu'il n'y a iden- tité ni de principe, ni de méthode, ni de contrôle. Les idées catholiques et les idées modernes resteront extérieures les unes aux autres. Cette juxtaposition inorganique se transformera vite en antagonisme flagrant.. Dans la formule qui l'a constitué, il y a un millier d'années, sont entrés des éléments de la science de l'époque. Les Pères de l'Eglise et les doc- teurs du moyen âge l'ont construit nécessairement avec la cosmologie, la physique, la médecine, l'his- toire, la jurisprudence et la morale de leur temps. En revêtant d'une autorité divine cette science rudi- mentaire du passé, vous en opposez les erreurs aux concepts d'une science plus vaste et plus sûre, et le conflit éclate inévitablement (1). »

Nous retrouvons ici l'hypothèse injustifiée et fausse, déjà signalée, celle de la substitution d'une philosophie humaine à l'enseignement évangélique et celle d'une prétendue canonisation par l'Eglise d'anciennes doctrines scientifiques, complètement périmées et condamnées par les progrès actuels. Mais M. Sabatier y en ajoute une autre, celle de Tincompatibilité irréductible entre les données dog-

1. Esquisse, p. 281-282.

THEORIE DE M. A. SABATIER I99

matiques et les acquisitions scientifiques. Nous avons déjà dit qu'il n'y a pas eu d'hellénisation de l'Evangile, ni d'inféodation platonicienne, aristotéli- cienne ou autre. Dans l'enseignement dogmatique, il n'y a pas succession de doctrines, mais perma- nence et transmission développée d'une même et seule doctrine, la doctrine révélée, avec notification officielle par des définitions que telle ou telle vérité fait partie authentique du dépôt révélé.

Quant à l'incompatibilité qu'on allègue, elle n'est pas et ne saurait être dans l'opposition et le conflit de la vérité révélée et de la vérité scientifique, par la raison bien simple que la vérité ne peut pas aller contre la vérité. Ces vérités, assurément, sont d'un, ordre différent : chacune d'elle a son principe, sa mé- thode, propres ; mais cette différence ne suffit pas, à elle seule, pour soutenir qu'elles créent nécessai- rement dans la pensée contemporaine un état d'an- tagonisme et de conflit, qui condamne le dogme au profit de la science intangible : ce serait décréter ce principe faux qu'il n'y a pour toutes sortes de véri- tés qu'un principe, qu'une méthode, qu'un contrôle identiques. Qui ne sait, en effet, qu'à côté des expé- riences de laboratoire, il existe d'autres procédés d'investigation ? Les balances, les cornues, les réac- tifs, ont leur utilité dans le domaine des sciences expérimentales. Mais, d'autre part, et dans d'au- tres domaines, n'y a t-il pas l'induction, l'analo- gie, etc. ?

N'existerait-il par hasard qu'une espèce de certi- tude, la certitude mathémathique ou expérimen- tale ? N'y a-t-il pas aussi une certitude morale ? Et l'autorité, le témoignage d'autrui qui, du reste, s'imposent à chaque pas dans la xie pratique, et jouent un rôle utile sinon nécessaire dans l'ordre scientifique, de quel droit les frapper d'ostracisme

200 LE CATECHISME ROMAIN

et les rejeter par cela seul qu'ils servent à trans- mettre la vérité révélée ?

Il est à constater, en tout cas, que, chez les vrais savants, la foi et la science vivent en parfaite intel- ligence sans l'ombre d'un conflit. Mais nous aurons à revenir sur ce point.

3. Dans sa critique négative et destructive, M. Sa- batier va plus loin encore. Car, à ses yeux, le dogme tenu pour absolu et immuable n'est pas seulement une source de conflits, la cause d'un antagonisme irréductible, il est de plus scientifiquement stérile, sans action sur la pensée humaine et même sans valeur religieuse.

A vrai dire, « depuis la fin du moyen âge, le dogme, au sens catholique, a cessé de vivre. Il a cessé de vivre dans la conscience philosophique et scientifique moderne, absolument émancipée de toute autorité autre que celle de la raison ; il a cessé de vivre dans la conscience religieuse protestante, qui a introduit l'idée de critique et l'idée de réforme continue dans la vie même de l'Eglise ; il a cessé de vivre enfin dans la conscience catholique elle-même qui, l'ayant réduit à celui de l'autorité toute nue, représentée par le Pape, ne le conserve plus qu'em- baumé. Donc si l'usage, qui est toujours la source et la règle du langage, doit être fixé d'après la tra- dition catholique, on peut dire qu'il n'y a plus de dogme (i). »

Constater que le dogme, entendu au sens catholi- que , a cessé de vivre dans la conscience philosophique et scientifique moderne ainsi que dans la conscience religieuse protestante, c'est un fait que l'on ne saurait oontester, du moins pour la plupart des philosophes et des protestants. Mais ce fait, qui est loin d'être

i. Esquisse, p. 291.

THEORIE DE M. A. SABAT1ER 201

général, que prouve- t-il contre le dogme lui-même? Rien, absolument rien. Ce qu'il prouve c'est que, chez plusieurs de nos contemporains, l'esprit op- pose systématiquement mais irrationnellemcnt sa prétendue autonomie à l'autorité divine, alors que cette autonomie, tant prônée, n'est qu'un leurre, car elle n'existe dans aucun ordre de connaissance. Partout et toujours, l'homme, quoi qu'il en ait, se trouve, dans l'ordre de la connaissance, dépendant et conditionné. En refusant d'accepter l'enseigne- ment dogmatique de l'Eglise, il fait acte de liberté ; mais ce n'est plus alors une question d'ordre intel- lectuel, c'est une question d'ordre moral.

Quanta prétendre, comme le fait M. Sabalier, que le dogme a également cessé de vivre dans la cons- cience catholique, et le comparer à une momie rou- lée dans ses bandelettes, c'est une assertion quelque peu osée. Car, à moins de fermer délibérément les yeux à tout un côté, etnon le moindre, de l'histoire moderne et contemporaine, et pour peu qu'on veuille user d'impartialité, on est bien obligé de constater que le mouvement scientifique n'a cessé de produire, grâce aux théologiens catholiques, des travaux de premier ordre, la morale a sans doute sa part, mais oùfle dogme occupe une place hors de pair. Et qu'est-ce donc que le progrès dans l'apolo- gie de la foi, dans son explication rationnelle, dans l'étude des textes bibliques, dans les définitions dogmatiques nouvelles ? L'immutabilité n'est pas l'immobilité ; les définitions ne sont pas des cristal- lisations de la foi. Dans les sciences ordinaires, on se garde bien de répudier les résultats acquis, on s'en sert au contraire, on s'y appuie pour des tra- vaux et des progrès nouveaux. De même dans la science théologique, on étudie le dogme défini, on l'explique, on le compare, on part de lui pour de

202 LE CATECHISME ROMAIN

nouvelles études. Et, d'autre part, le dogme ainsi étudie, compris, exposé, de plus en plus, de mieux en mieux, loin d'être une lettre morte, devient, en dehors de l'école et dans la société chrétienne, un principe fécond de vie intense. C'est lui qui ali- mente la piété et qui s'épanouit en tant d'œuvres admirables ; il n'est pas seulement un foyer de lu- mière, il est aussi un principe de chaleur et de mouvement. C'est ce qu'a fort bien montré le P. Bainvel, dans Un siècle, sous ce titre : Le dogme et la pensée catholique pendant le XIXe siècle, en étu- diant successivement le mouvement de la théologie dans le traitement scientifique du dogme et le mou- vement de la pensée catholique sous l'influence du dogme et de la théologie (i).

Théorie de M. Sabatier

Apparemment, pour remplacer la notion catho- lique du dogme, M. Sabatier tient en réserve une théorie toute prête : quelle est-elle ? que vaut-elle ?

Nous ne pouvons que l'esquisser à grands traits.

C'est au nom de la psychologie et de l'histoire qu'il la formule. Il prend pour point de départ une conception nouvelle de la religion, il conserve les mots de révélation et de dogme, mais après les avoir complètement vidés de leur sens tradi- tionnel.

i . A ses yeux, en effet, la révélation n'est pas la notification de certaines vérités faite par Dieu et communiquée aux hommes par des intermédiaires autorisés, avec d'expresses garanties ; car ce n'est là, estime-t-il, qu'une notion scolas tique « anti- psychologique » et « toute païenne. » « En entrant

i. Dans les Etudes, 1900, t. lxxxii, p. 3o-64<

THÉORIE DE M. A. SABATIER 2o3

dans l'entendemain humain, ces connaissances sur- naturelles y introduisent un dualisme irréductible (toujours la même objection). Les sciences sacrées se dressent à côté des sciences profanes, sans qu'il soit possible de les organiser ensemble en un corps cohérent et harmonique... Concluons donc hardi- ment contre toutes les orthodoxies traditionnelles que l'objet de la révélation de Dieu ne saurait être que Dieu lui-même, c'est-à-dire le sentiment de sa présence en nous, éveillant notre âme à la vie de la justice et de l'amour (i). »

Voilà ce qu'est pour M. Sabatier la révélation : un sentiment de la présence de Dieu en nous, autre- ment dit l'action de Dieu sur chaque conscience individuelle, quelque chose de purement subjectif comme la religion de M. Sabatier, qui se compose d'une âme et d'un corps, et dans laquelle le rôle de l'âme est dévolu à la piété intime et le rôle du corps à la forme extérieure, au rite, au dogme. Sans doute, dit-il, la piété humaine et l'éveil du sentiment religieux doivent avoir une cause objective, et cette cause ne saurait être que la révélation ntême de Dieu. Mais cette révélation qui s'opère au dehors dans les événements de la nature et de l'histoire n'est connue cependant qu'à l'intérieur, dans et par la conscience humaine... Le phénomène religieux n'a pas donc que deux moments : la révélation objective comme cause et la piété subjective comme effet ; il en a trois qui se succèdent toujours dans le même ordre : la révélation intérieure de Dieu, laquelle produit la piété subjective, laquelle à son tour engendre les formes religieuses historiques, rites, for* mules de foi... Toute révélation religieuse de Dieu

i. Esquisse, p. 44.

204 LE CATÉCHISME ROMAIN

doit nécessairement traverser la subjectivité humaine avant d'arriver à l'objectivité historique (i).

2. Or, c'est dans cette objectivité, dans cette extériorisation ou manifestation de l'expérience religieuse intime et privée, et par elle, que se for- mule le dogme. Le dogme, dès lors, n'est plus une vérité révélée par Dieu à d'autres que nous, dûment confiée à des dépositaires fidèles, authentiquement proposée par un organe choisi et sous la garantie d'une assistance divine positive et indéfectible ; c'est tout simplement l'expression externe d'un état d'âme, d'une expérience religieuse privée ; car cha- que individu, recevant personnellement la révélation divine, en fait l'objet, dans l'intimité de son âme, de la piété, et, en traduisant au dehors, dans la réalité historique, le fruit de son expérience, il for- mule le dogme.

Donc plus de révélation, plus de dogme au sens entendu jusqu'ici depuis tant de siècles. Entre Dieu et nous, tout intermédiaire est supprimé : aucune autorité ni église n'a sa raison d'être ; et s'il est encore question, malgré cela, de société religieuse, ce ne peut être, comme pour la religion, la révéla- tion et le dogme, que d'une façon impropre : c'est la simple juxtaposition d'individualités multiples sans aucun lien qui les relie entre elles et les orga- nise en un corps constitué. L'évangile, avec ses textes formels sur la constitution d'un corps orga- nique, d'un magistère enseignant, est mis de côté : on n'en tient plus compte. Ce n'est plus Dieu qui confie sa vérité à qui il lui plaît, qui crée l'organe qu'il juge utile à sa conservation et à sa transmis- sion, c'est l'homme, pris individuellement, de son autorité privée, et sur le seul témoignage de la

i. Esquisse, p. 268.

THÉORIE DE M. A. SABATIER 205

conscience qu'il dit avoir de ses relations avec Dieu, qui formule ce que l'on s'obstine à appeler le dogme.

3. Le dogme, étant ainsi l'expression de l'expé- rience religieuse propre à chaque individu, est nécessairement variable comme cette expérience elle-même dans le temps et dans l'espace. Il y aura donc, pour le même individu, autant de dogmes différents que de différentes expériences tout le long de son existence. Et cette multiplicité de dogmes individuels n'implique nullement une manifestation successive d'états d'âme ou de conscience cohérents entre eux ; ils pourront être dissemblables et même contradictoires. Et cela se répétant d'un individu à l'autre, dans la même génération, et d'une généra- tion à l'autre, dans la suite des temps, on est en droit de se demander ce que sera cette dogmatique vraiment déconcertante, la variété ne sera pas le moindre défaut, mais la contradiction la plus for- melle pourra éclater sans difficulté.

D'aussi peu rassurantes perspectives et un abou- tissement si peu harmonique ne sont pas pour décourager l'intrépidité de M. Sabatier. Il tient à nous faire savoir, en effet, que « les Eglises auront toujours des symboles, c'est-à-dire des règles et des signes d'une foi commune, et par suite des dogmes. Mais ces dogmes, au lieu d'une valeur absolue, n'auront plus qu'une valeur disciplinaire et péda- gogique (i). » o Leur existence s'impose, observe-t-il ailleurs, car en supprimant le dogme chrétien, on supprime le christianisme (2). » Mais leur carac- tère de relativité et de transformation incessante ne s'impose pas moins. C'est pourquoi, nous dit-il, « c'est à cette idée d'an dogme nécessaire, mais nécessairement historique et changeant, qu'il convient

1. Esquisse, p. 291. 2. Esquisse, p. 3o8.

20Ô LE CATÉCHISME ROMAIN

de s'habituer désormais (i). » Car les dogmes ont une histoire ; « comme toutes les autres manifes- tations de la vie, ils ont une évolution aussi naturelle qu'inévitable ,(2). »

4. Point de dogmes, point de christianisme. Or M. Sabatier n'entend pas sacrifier le christianisme ; il ne sacrifie donc pas davantage les dogmes, et nous venons d'entendre dans quel sens. Ceux de l'Eglise catholique, ou du moins les dogmes enten- dus au sens traditionnel, ne sauraient être admissi- bles, prétend M. Sabatier. Et c'est pourquoi, tout en conservant le mot, il leur donne un sens nouveau. Mais la psychologie est là, et aussi l'histoire, qui nécessitent l'acceptation de la relativité et de l'évo- lution. Qu'à cela ne tienne. M. Sabatier revendique pour ses dogmes et la relativité et l'évolution. Moyennant quoi, « ce sera rassurer les philosophes que de les leur présenter, non comme une formule absolue et immuable, mais, dans leur puissance évolu- tive, comme l'effort soutenu et progressif de la cons- cience religieuse se rendant raison à elle-même de son propre contenu (3). » Les dogmes d'une Eglise « for- ment un organisme vivant, sorte de langue théolo- gique par laquelle la conscience de cette Eglise ou la piété de ses membres se révèle au dehors et s'affermit en se révélant... Ce que les mots et les phrases sont à la pensée, les formules dogmatiques le sont à l'expérience religieuse de la conscience », et par suite « le principe de la vie. des dogmes n'est à chercher ni dans la logique ni dans la justesse plus ou moins grande des formules théoriques, mais avant tout dans la vie religieuse elle même, c'est-à-dire dans la piété pratique de V Eglise qui les professe (4). »

1. Esquisse, p. 295. 2. Esquisse, p. 299. 3. Esquisse, p. 3oo. 4* Esquisse, p. 3oi.

THEORIE DE M. A. SABATIER 207

On le voit, pour rendre le dogme acceptable aux philosophes contemporains, M. Sabatier en sacrifie résolument le sens traditionnel. Réduit ainsi à n'être qu'une expression variable, essentiellement chan- geante, et point tyrannique, il est à croire qu'aucun philosophe ne fera plus d'opposition à l'acceptation du dogme, et que chacun se contentera du sien sans se mettre en peine de celui du voisin ; moyen excellent pour avoir autant de sentiments que d'individus, mais moyen radical pour supprimer tout christianisme et même toute religion, car la religion est, par essence, sociale et nullement indi- viduelle. Et c'est fatalement qu'aboutit M. Saba- tier : son système, en cela, ne diffère pas du protestantisme.

5. N'importe, M. Sabatier insiste et cherche à se donner raison. Cette vie intime, « mystique et pra- tique » varie de l'un à l'autre et d'une époque à l'autre, conditionnée qu'elle est pa? l'ambiance scientifique ; et, dès lors, le jugement intelle», uel ou la proposition philosophique qui lui sert « d'en- veloppe et d'expression, » c'est-à-dire le dogme, varie dans la même mesure ; étant essentiellement subordonné à l'expérience religieuse d'un chacun, il est essentiellement relatif et subit nécessairement les modifications imposées par les circonstances de temps et de lieu. Voilà qui est acquis. Mais cela doit l'être d'autant plus que, depuis le moyen âge, trois révolutions ont achevé de faire sentir la caducité du dogme gréco-romain.

Ce fut d'abord la Réforme qui, rompant la tradi- tion et rejetant l'autorité, substitua le principe intérieur de l'expérience personnelle au principe extérieur de l'autorité et fit du christianisme une vie morale et non plus métaphysique.

Ce fut ensuite la science qui, en déplaçant le

2o8 LE CATÉCHISME ROMAIN

centre de l'univers comme la Réforme avait déplacé le centre de la conscience humaine, introduisit l'idée de succession, de relativité, dans tout ordre de connaissances.

Et c'est enfin la méthode historique ou la critique et l'exégèse qui ont bouleversé les perspectives de l'histoire et de l'humanité et ont fait triompher par- tout le point de vue de l'évolution.

Par conséquent l'idée de l'immutabilité dogmati- que doit être abandonnée, sous peine de réduire le dogme à l'état de momie, de lettre morte, qui ne dit plus rien à l'esprit contemporain. Et c'est l'idée de relativité, de changement, qui s'impose pour mar- cher de concert avec la science qui évolue et pro- gresse sans cesse. « Il suffit de raconter la genèse et l'évolution de chacun des dogmes, persiste à dire M. Sabatier, pour que cette histoire fasse apparaître les éléments contingents et caducs qui y sont entrés avec le temps (toujours la même erreur) et qui, avec le temps, doivent nécessairement en sortir. Le christianisme est un organisme dont l'âme (la piété) est immortelle, mais dont le corps (le dogme) se renouvelle incessamment par le fait d'une matière toujours en mouvement et toujours empruntée aux milieux divers qu'il traverse. Les notions philosophiques qui lui ont servi un moment d'expression et qui sont doublement mortes aujour- d'hui, soit parce que la civilisation a marché, soit parce qu'elles étaient sans lien vivant avec l'expé- rience chrétienne initiale, tombent de l'arbre séculaire comme des branches ou des feuilles des- séchées (i). »

Telle est la théorie de M. Sabatier : impérieuse- ment commandée par le kantisme et par un oppor-

i. Esquisse, p. 345.

THEORIE DE M. A. SABATIER 209

tunisme intellectuel, qui entend marcher enharmo- nie complète avec le mouvement scientifique con- temporain, nous voyons bien ce qu'elle sacrifie du passé, et ce n'est rien moins que le dogme lui-même et la révélation, et le christianisme, et toute reli- gion au sens formel du mot ; nous comprenons moins bien ce qu'elle met à la place. Partie du sub- jectivisme, elle s'y cantonne et est obligée d'en su- bir les conséquences : plus de vérités absolues, rien que des idées relatives ; plus d'enseignement ou de doctrine immuable, mais un perpétuel devenir, une irrémédiable inconsistance, une incessante variation, une évolution conditionnée psychologiquement et historiquement. Par là, nous affirme-t-on, elle échappe aux théories périmées de la connaissance, ce qui est un congé radical et définitif à tout le passé chrétien, et elle s'adapte harmonieusement avec la marche progressive de la science, ce qui en fait une science précaire, instable, humaine sans doute, mais qui n'a plus le droit de s'appeler divine. Et pour n'avoir pas voulu du dogme traditionnel à cause des infiltrations qu'il a subies ou de l'inféodation qu'il a souscrite, la théorie de M. Sabatier, par une incon- séquence qui ne manque pas d'ironie, se trouve n'être à son tour qu'une inféodation avouée au kan- tisme, dont l'infiltration subtile la pénètre de part en part.

A-t-on du moins réussi à faire disparaître l'anti- nomie qu'on prétendait exister entre le dogme et la science, entre la foi et la raison? C'est une question, dont l'examen nous entraînerait trop loin. Mais si l'on croit effectivement y avoir réussi, comme on s'en flattait, c'est au prix d'une abdication et d'une déchéance, puisque finalement tout sombre, jus- qu'à la religion elle-même, réduite qu'elle est à l'in- dividualisme, à l'atomisme, principe le plus puis-

1E CATÉCHISME. T. I. 14

210 LE CATECHISME ROMAIN

sant qui existe pour empêcher l'unité, pour briser l'union des intelligences et des cœurs, pour réduire toute société religieuse à, ne plus être qu'un simple agrégat, qu'un amas de poussière sans nom.

1. Un dogme nouveau. « Qu'entend-on par dogme nouveau ? Est-ce un dogme si complètement étranger à la foi, qu'il n'a jamais été et qu'il n'a jamais pu en être question ? Un dogme qui affaiblit ou dénature une vérité établie et universellement reçue ? De ces dogmes-là nous n'en avons pas. Qu'est-ce donc alors ? Un dogme qui n'était pas défini hier, et que l'on définit aujourd'hui pour le proposer à la foi du peuple chrétien ? Mais si ce dogme est contenu dans l'Ecriture légitimement inter- prétée, s'il a toujours été cru explicitement par une partie de l'Eglise, implicitement par le reste ; si, au lieu de contredire aux vérités fondamentales, il est poussé en avant par leur force logique, comme le rameau de l'arbre par la sève ; si, au lieu de corrompre et d'altérer ces vé- rités, il les confirme, les protège, les développe et les grandit ; si, au lieu d'interrompre la continuité de la foi, en la détournant de son chemin historique, il en assure la marche directe et progressive, qui pourra dire que c'est un dogme nouveau ? Or je défie qui que ce soit de trouver un seul dogme solennellement défini et proposé à cette foi, en dehors des conditions que je viens d'énumérer. L'Eglise travaille la matière sacrée de ses croyances et en fait jaillir des explosions de lumière, mais ses défini- tions n'y changent rien. Elles enfantent une merveille, qui confond tous ses détracteurs, ceux qui l'accusent de varier, comme ceux qui l'accusent d'immobiliser l'esprit humain. Cette merveille, c'est le progrès dans l'im- muable. » Monsabré, Conf. lu, à la fin.

2. L'équivoque. M. Brunetière, à propos du livre de M. Sabatier : Les religions d'autorité et la religion de l 'esprit, Paris, 1904, a écrit, dans la Revue des Deux Mondes du i5 novembre 1903, un article il relève quelques-unes des équivoques, qui consistent à employer

THEORIE DE M. A. SABATIER 211

les mots de religion, de piété, de foi, de dogme, etc., dans un sens arbitraire et de nature à donner le change à des lecteurs peu avertis. Cet article est à lire dans son entier ; en voici la fin. « Après tant d'autres, et comme tant autres, dont Edmon Schérer, son maître, A. Saba- tier, s'étant aperçu que la « morale n'était rien si elle n'était religieuse, » s'est trouvé fort embarrassé quand il a eu, si je puis ainsi dire, vidé le ^concept de religion de son contenu positif. Renan s'était tiré de la même aven- ture par des pantalonnades... Mais A. Sabatier, qui n'écrivait pas comme Renan, ne pensait pas non plus comme lui. 11 eût voulu, il a vraiment voulu sauver la morale du désastre des religions ; et, finalement, il n'en a trouvé d'autre moyen que de se faire de l'équivoque une espèce de dogme, ou, à tout le moins une méthode, en conservant du nom de religion (et de dogme) ce qu'il a cru qu'on en pouvait garder sans retenir la chose. Mais la logique et l'histoire nous apprennent qu'en ce cas on ne garde rien. Une religion c'est un dogme et une au- torité, et, quand elle ne sera plus ni une autorité, ni un dogme, elle ne sera plus une religion. Il faut choisir ! Il ne faut pas vous servir du mot de religion (et de dogme) comme d'un moyen d'attirer à vous, je veux dire à vos doctrines, des âmes simples qui en auraient l'horreur, si vous les leur présentiez telles qu'elles sont... Il ne faut pas, quand on a nié l'autorité de l'Eglise, de toute Eglise, la valeur objective du dogme, l'authenticité des Evan- giles, et la divinité de Jésus-Christ, il ne faut pas venir nous dire que « l'expérience chrétienne est pour toutes les consciences qui l'ont faite quelque chose de morale- ment très clair, de fortement déterminé, que chacune d'elles retrouve non seulement en soi, mais encore dans toutes les consciences éveillées à la même vie, dans la vie intime de tous les chrétiens, grands ou petits, illustres ou obscurs, dans tous les âges, dans l'âme collective de la chrétienté tout entière. » Il ne faut pas le dire parce que cela n'est pas vrai. Un chrétien n'est pas un homme qui juge Jésus plus grand que Socrate, ou qui préfère les Evangiles au Coran, les Pères de l'Eglise aux erotiques

212 LE CATECHISME ROMAIN

latins, les Sermons de Bonrdaloue aux romans de Zola. S'il est vrai que beaucoup de gens inclineraient de nos jours aie croire, il faut les avertir qu'ils se trompent. Il faut leur répéter que le religion n'a jamais consisté, ne consistera jamais à enguirlander ses négations de fleurs de rhétorique, à prier sur les acropoles, ou à pousser des soupirs éloquents vers la « catégorie de l'idéal. » Il faut les éveiller d'une complaisance qui ressemble à de la torpeur. Et si l'on ne réussit pas tout de suite à les con- vaincre, on aura toujours fait quelque chose pour la vérité, pour le bon sens, et pour la clarté de la langue, en dénonçant la plus fâcheuse, la plus dangereuse, et la plus odieuse équivoque. » Revue des Deux Mondes, i5 novembre 1903, p. 4o5-4o6.

3. Argument ad hominem. « Comment pourrions- nous connaître les expériences de nos semblables ?... Les expériences d'un individu, comme expériences, restent emprisonnées dans cet individu. Ce qui transpire au dehors, c'est la traduction intellectuelle de son expérience, la forme actuelle de son expérience. Or, outre que cette formule varie incessamment dans une irrémédiable incon- sistance, lorsqu'elle est détachée du sentiment qui l'a produite et lorsqu'elle se fixe dans la mémoire, elle devient par même une idée morte, c'est-à-dire fausse. A supposer qu'on puisse la connaître, cette formule, nous ne sommes pas bien avancés, c'est une erreur que nous connaissons. A supposer qu'on puisse connaître les for- mules de ce genre, il peut bien y avoir un intérêt d'éru- dition à les étudier, mais on ne voit pas quel profit reli- gieux et dogmatique on peut en retirer... Il faut donc que l'homme considère sous .certaines conditions l'expé- rience d'autrui comme équivalente à la sienne propre. Il faut donc qu'il ajoute foi au témoignage d'autrui..., qu'il se soumette à l'autorité de ceux qui ont fait les expérien- ces ou même les raisonnements qu'il n'a pas pu faire... Nous acceptons tous, sur la foi des savants spéciaux, les propositions les plus importantes, nous observons les ordonnances des médecins, nous confions nos vies aux chemins de fer sans avoir éprouvé nous-mêmes la valeur

THÉORIE DE M. A. SABATIER 2l3

des médicaments, la solidité des locomotives ou le bon entretien des voies. Cela ne veut pas dire qu'il faille accepter en aveugle tout témoignage et se ranger sans aucun motif à l'avis de tous ceux qui prétendent jouer le rôle d'autorités. Il ne faut accorder ce rôle qu'à ceux qui le méritent véritablement ou du moins qui paraissent le mériter. Et, sans doute, malgré toutes nos précautions, le témoignage, l'autorité peuvent nous tromper, les remè- des peuvent nous tuer, et les locomotives peuvent éclater. Mais la raison et l'expérience aussi peuvent nous induire en erreur. Il n'y a donc pas lieu de récuser de ce chef le témoignage et l'autorité. Nous arrivons ainsi à poser à côté de l'expérience, la croyance, le témoignage, l'auto- rité. » H. Bois, professeur à la faculté de théologie pro- testante de Montauban, La connaissance religieuse, Paris, 1894, p. 39-40,

Leçon VIe Du Dogme

I. Le Dogme d'après M. Loisy : Dans l'Evangile et l'Eglise. Dans Autour d'un petit livre. II. La question de M. Le Roy : Qu'est-ce qu'un Dogme ? Motifs allégués pour ne pas admettre la notion traditionnelle, Solution proposée.

I. Le Dogme d'après M. Loisy

ous venons de parcourir aussi brièvement que possible la théorie de M. Sabatier : nous devons maintenant examiner ce que devient le dogme sous la plume de M. Loisy. Son premier ouvrage, l'Evangile et l'Eglise, rappelle sur plusieurs points l'Esquisse d'une philosophie de la religion d'a- près la psychologie et l'histoire de M. Sabatier. Son second ouvrage, Autour d'un petit livre, paru en même temps que l'œuvre posthume de M. Sabatier, Les religions d'autorité et la religion de l'esprit, montre une fois de plus que M. Loisy, sur la question du dogme, en est au même point que M. Sabatier. Cette question : Existe-t-il un dogme qui s'appuie sur l'autorité de Dieu et ait droit de s'imposer à nous comme une règle extérieure et immuable de

LE DOGME D'APRÈS M. LOIS Y 2l5

notre foi ? Tous les deux, au nom de la psychologie et de l'histoire, la résolvent négativement (i).

Dans l'Evangile et l'Eglise

Les célèbres conférences de M. Harnack sur l'Essence du Christianisme venaient à peine de pa- raître en volume (2), que M. Loisy en entreprit la critique. Et de même que le professeur de Berlin avait condensé sa pensée dans des Conférences, de même l'auteur français profite de l'occasion pour glisser dans son ouvrage les principes divers, parus jusque-là dans plusieurs articles. Nous n'avons pas à juger ici, dans son ensemble, l'œuvre de M. Loisy, mais seulement la manière très particulière dont il entend le dogme, et à dire si son opinion est accep- table ou non. Dans V Evangile et l'Eglise, il l'esquisse plutôt qu'il ne la traite à fond et surtout clairement. Mais il l'a reprise et suffisamment accentuée dans Autour d'un petit livre.

1. À l'objection que l'Evangile a perdu de sa valeur et n'a plus de signification pour plusieurs contemporains, parce qu'il est lié à une conception

1. A. Loisy, /' Evangile et V Eglise, Paris, 1902 ; 3e édit. 1904; c'est cette dernière édition que nous citerons ; Autour d'un petit livre, Pans 1903, p. 187-219 ; sous le pseudonyme de Fir- min, dans la Revue du Clergé, janvier 1899, Théorie sur la re- ligion ; janvier et mars 1900. La révélation et ses preuves ; octobre 1900, V Histoire de la religion dans V Ancien Testament ; Bulletin de littérature ecclésiastique, mars et juillet 1903 ; dans ce mcnie Bulletin, en 1904, E. Portalié, Le dogme et V histoire, p. 62-i43 ; P. Lagrange, V Evangile et V Eglise, dans Isa Revue bi- blique, 1903, p. 292-313 ; T. Pègues, Le livre de M. Loisy etLes explications de M. Loisy, dans la Revue thomiste, 1903, t. xi, p. 70-88, 593-612 ; F. Prat, Au fond d'un petit livre, le manifeste de M. Loisy, dans les Etudes, 1903, t. xcvn, p. 3o5-324. 2. Das Wesen des Christeniums, Leipzig, 1900; trad. franc., Paris, 1902.

2l6 LE CATÉCHISME ROMAIN

du monde et de l'histoire depuis trop longtemps abandonnée, M. Harnack répond que cette concep- tion n'y est pas liée inséparablement, que ses élé- ments sont'sans époque et que l'homme auquel il s'adresse est aussi sans époque. Car l'Evangile, dit-il, n'est pas un enseignement théorique, c'est un message de vie ; il n'est pas une doctrine sur le Christ et sur le monde, c'est une règle de conduite- Il faut le vivre d'abord, et ce n'est que dans la mesure on l'a vécu qu'on peut connaître le Christ. Quant à l'effort séculaire pour définir la vérité de l'Evangile, il reste étranger à l'Evangile même, se trouve commandé par les circonstances de temps et de lieu et n'est qu'une tentative d'interprétation et d'accommodation au moyen d'éléments humains. M. Loisy estime que, sans doule, le développement du dogme n'est pas dans l'Evangile ; « mais, dit-il, il ne s'ensuit pas que le dogme ne procède pas de l'Evangile, ni que l'Evangile n'ait pas vécu et ne vive encore dans le dogme, aussi bien que dans l'Eglise. L'enseignement et l'apparition même de Jésus ont être interprétés. Toute la question est de savoir si le commentaire est homogène ou hété- rogène au texte (2). »

2. Cette question précise, comment M. Loisy l'a-t-il résolue ? Il passe successivement en revue les divers points de la théorie de M. Harnack sur le dogme christologique, sur celui de la grâce et de l'Eglise. Mais au fur et à mesure qu'il avance, on passe de surprise en surprise ; sa pensée manque de netteté et semble parfois se confondre avec celle de son adversaire ; tantôt elle est osée jusqu'à l'hété- rodoxie ; tantôt elle fait entendre un son orthodoxe ; mais, l'instant d'après, la phrase reprend sa marche

a. L'Evangile et VEglise, p. 171-172.

LE DOGME D APRES M. LOISY 217

fuyante et sa nuance insaisissable, et l'esprit du lecteur catholique éprouve une impression pénible et troublante.

Ce que l'on voit bien, cependant, c'est qu'il regarde comme un fait, ou plutôt comme une loi, la transformation de la pensée chrétienne initiale et son adaptation nécessaire aux conditions de la culture intellectuelle des diverses époques qu'elle a traversées. Changement tout d'abord par l'abroga- tion de la Loi, malgré les judaïsants, par le triom- phe de la théorie du Logos, malgré les aloges, et l'acceptation après amendement de la théologie d'Origène.

Changement ensuite dans le milieu gréco-romain. « Tout le développement du dogme trinitaire et christologique qui, d'après M. Harnack et d'autres cri tiques, pèserait lourdement sur toutes les ortho- doxies chrétiennes, en les rivant à une doctrine surannée, à la science de Platon et d'Àristote depuis longtemps dépassée par la science moderne, fut, à son origine, une manifestation vitale, un grand effort de foi et d'intelligence, qui permit à l'Eglise d'associer ensemble sa propre tradition et la science du temps (i). » Cette association peut paraître étrange, mais non ; car « la philosophie pouvait se faire chrétienne sans être obligée de se renier elle-même, et pourtant le christianisme n'avait pas cessé d'être une religion, la religion du Christ (2). »

Mais, c'est bien là, semble-t-il, une hellénisation du christianisme, qui nous ramène à la thèse de M. Harnack? Oui et non. Non, puisque M. Loisy a soin de faire remarquer contrairement à M. Harnack, qu'elle ne fut pas préméditée par des philosophes de profession ni par d'habiles politiques ; oui,

1. L'Evangile et l'Eglise, p. 181. 2. Ibid., p. 181.

2l8 LE CATÉCHISME ROMAIN

puisqu'il eut une cause nécessitante, à savoir l'état d'esprit et de culture des premiers convertis venus de la gentilité.qui « eurent besoin de s'interpréter à eux-mêmes leur nouvelle foi ; » et « c'est ainsi que progressivement, mais de très bonne heure, par l'effort spontané de la foi pour se définir elle-même, par les exigences naturelles de la propagande, l'in- terprétation grecque du messianisme chrétien se fit jour, et que le Christ, Fils de Dieu et fils de l'homme, sauveur prédestiné, devint le Verbe fait chair, le révélateur de Dieu à l'humanité (i). » C'est ainsi que, grâce à l'adaptation au monothéisme juif delà méta- physique de Platon et de Philon (thèse de M. Har- nack), « la divinité du Christ, l'incarnation du Verbe fut la seule manière convenable de traduire à l'intelligence grecque l'idée du Messie (2). » Et M. Loisy ajoute : « Chaque progrès du dogme accen- tue Y introduction de la philosophie grecque dans le christianisme, et un compromis entre cette philoso- phie et la tradition chrétienne (3). »

3. Qu'est-ce alors qu'un dogme ? Ne serait-il que de la philosophie introduite dans la pensée chré- tienne et prenant plus ou moins sa place ? Non, certes, car a la philosophie n'a pas été introduite comme telle ni telle quelle dans la foi, mais en tant qu'on lui empruntait, ou plutôt qu'on lui dérobait une explication ou une formule savante pour faire valoir la tradition. La tradition du christianisme primitif n'a pas été échangée contre la philosophie, ni la science grecque substituée à l'Evangile, ni Platon pris pour maître au lieu du Christ et des apôtres (4). »

Voilà qui paraît orthodoxe ; mais le doute renaît à

r. lbid., p. i83. 2. Ibld., p. 184. 3. Ibid., p. i84 ; les mois ou phrases soulignés, ont été soulignés par nous. Il en sera de même dans les citations suivantes. 4. Ibid., p. i85.

LE DOGME D APRES M. LOISY 2 I 9

la phrase suivante, qu'on dirait de M. Harnack. : « On peut soutenir, au point de vue de l'histoire, que la Trinité, l'Incarnation sont des dogmes grecs, puisqu'ils sont inconnus au judaïsme et au judéo-chris- tianisme, et que la philosophie grecque, qui contribue à les former, aide aussi à les entendre (i). » Suit aussitôt cette restriction : « Ce ne sont pourtant point des dogmes scientifiques, transportés de la philosophie païenne dans la théologie chrétienne ; ce sont des dogmes religieux, qui ne doivent à la philosophie que certains éléments théoriques et leur formulaire, non l'esprit qui pénètre éléments et for- mules, ni la combinaison spéciale des notions qui les constiuent (2). »

Aussi M. Loisy est-il obligé d'avouer qu' «il n'est pas étonnant que le résultat d'un travail si particu- lier semble manquer de logique et de consistance rationnelle, a Mais il ajoute : « Cependant il se trouve que ce défaut, qui serait mortel à un système philosophique, est, en théologie, un principe de du- rée et de solidité (3). » Est-ce sérieux ? Mieux vaut cette dernière observation : « La définition systéma- tique du dogme trini taire est en rapport avec la dé- finition systématique de la rédemption ; mais, avant ces définitions, les idées qui les supportent existaient dans la tradition chrétienne, et leur évolution a son point de départ dans l'Evangile de Jésus et la tradi- tion apostolique (4). » Seulement, on voudrait bien savoir comment ces dogmes qu'on nous a dit plus haut être des dogmes grecs, inconnus au judaïsme et au judéo-christianisme, sont soutenus par des idées traditionnelles, et s'ils servent à les traduire ou à les subtiliser.

1. Ibid., p. i85-i86. 2. Ibid., p. 186. 3. L'Evangile et V Eglise, p. 187. 4. Ibid., p. 19a.

2 20 LE CATECHISME ROMAIN

4- Le dogme de la grâce est, nous dit-on, d'ori- gine africaine. « Il ne se rattache ni plus ni moins que le dogme théologique à renseignement de Jésus. Il procède directement de Paul (1). » Et c'est saint Augustin qui a systématisé la pensée de l'apôtre. Or, de même que le dogme christologique, le dogme de la grâce est une interprétation du salut messianique et de la théologie du royaume céleste, et cette inter- prétation aussi a été nécessitée par les circonstances dans lesquelles l'Evangile s'est perpétué, par lespro- blènies que posait la conversion des païens, et qu'il a fallu résoudre en s'inspirant bien plus de l'esprit que des déclarations formelles de Jésus (2). »

Quant au dogme de l'Eglise, il a surtout été for- mulé depuis la Réforme. Entre protestants et catho- liques tout peut se ramener à ce problème fonda- mental : L'Evangile de Jésus est-il, en principe, individualiste ou collectiviste ? « Le christianisme catholique a pris une conscience plus claire de lui- même, il s'est déclaré d'institution divine en tant que société extérieure et visible, avec un seul chef qui possède la plénitude des pouvoirs d'enseigne- ment, de juridiction, de sanctification, c'est-à-dire tous les pouvoirs qui sont dans l'Eglise et que les siècles antérieurs avaient placés dans l'épisco- pat universel sous l'hégémonie du pape, sans spéci- fier si le pape seul les possédait tout entiers par lui- même (3). »

5. En répondant ainsi à M. Harnack, M. Loisy estimait sans doute avoir démontré que le dogme n'est pas étranger à l'Evangile, et que la part que prend la philosophie à le formuler, sinon à le for- mer, est parfaitement légitime. Mais il regarde son immutabilité comme impossible et son évolution comme

1. Jbid., p. ig>7. 2. Ibid., p. 200. 3. Ibid., p. 201.

LE DOGME D APRES M. LOISY 221

inéluctablement nécessaire. En effet, nous dit-il, les dogmes, dont il vient de parler, ne sont pas à pren- dre «pour des sommets de doctrine, au-delà desquels ne s'ouvre et ne s'ouvrira jamais pour le croyant que la perspective aveuglante du mystère, qui demeure- raient plus fermes que le roc, inaccessibles à tout changement même accidentel, et cependant intelli- gibles pour toutes les générations, également appli- cables, sans traduction ni explication nouvelles, à tous les états, à tous les progrès de la science, de la vie, de la société humaines. Les con- ceptions que FEglise présente comme des dogmes révélés ne sont pas des vérités tombées du ciel et gar- dées par la tradition religieuse dans la forme précise ou elles ont paru d'abord. L'historien y voit l'inter- prétation de faits religieux, acquise par un laborieux effort de la pensée théologique. Que les dogmes soient divins par Forigineet la substance, ils sont humains de structure et de composition. Il est inconcevable que leur avenir ne réponde pas à leur passé. La rai- son ne cesse de poser des questions à la foi et les formules traditionnelles sont soumises à un travail per- pétuel d'interprétation « la lettre qui tue » est effi- cacement contrôlée par « l'esprit qui vivifie (i). »

6. Donc développement doctrinal nécessaire endroit, légitime en fait, et adaptation toujours nouvelle. Déve- loppement dont l'Eglise, affirme-t-on, n'a pas pris conscience, car « elle n'a pas de théorie officielle touchant la philosophie de sa propre histoire (,2). » Nous avons vu cependant, dans une leçon précé- dente, que le concile du Vatican avait proclamé l'immutabilité des formules dogmatiques et leur intangibilité, qu'il a reconnu une loi de progrès dans la connaissance des dogmes, en a indiqué le

1. L'Evangile et l'Eglise, p. 202-203. 2. Ibid., p. 2o5.

222 LE CATECHISME ROMAIN

sens et tracé les limites. Mais M. Loisy n'en a cure, et, dès lors, sa théorie reste suspecte en face de ren- seignement officiel de l'Eglise.

7. Il n'y a plus donc, continue M. Loisy, qu'un dogme à définir, celui du développement dogmati- que : il ne pourra être que l'expression de la loi du progrès. Car « jusqu'à présent les théologiens ca- tholiques ont été surtout préoccupés du caractère absolu que le dogme tient de sa source, la révéla- tion, et les critiques n'ont guère vu que son caractère relatif, manifesté dans l'histoire... L'effort de la saine théologie devrait tendre à la solution de l'antinomie que présentent l'autorité indiscutable que la foi ré- clame pour le dogme, et la variabilité, la relativité, que la critique ne peut s'empêcher de remarquer dans l'histoire des dogmes et dans les formules dogmatiques (1). »

8. En résumé, le dogme, aux yeux de M. Loisy, a sa racine dans la prédication de Jésus, son déve- loppement nécessaire et changeant dans l'histoire et dans la pensée théologique, sa définition dans le rapport avec l'état général des connaissances selon les temps et les milieux. Mais ce n'est qu'un état précaire, accidentel, transitoire, transformable. Car « un changement considérable dans l'état de la science peut rendre nécessaire une interprétation nouvelle des anciennes formules qui, conçues dans une autre sphère intellectuelle, ne se trouvent plus dire tout ce qu'il fau- drait, ou ne le disent pas comme U conviendrait (2). »

Le concile du Vatican a eu beau décréter que, « dans l'interprétation des dogmes sacrés, il faut perpétuellement, perpetuo, retenir le sens que notre mère la Sainte-Eglise a une fois déclaré et que ja- mais, sous prétexte d'une intelligence plus profonde,

1. Ibid., p. 207. 2. Ibid., p. 208.

LE DOGME D'APRÈS M. LOISY 2 23

il n'est permis de s'écarter de ce sens (i) ; » il a eu beau déclarer « anathcme à qui dirait qu'il peut se faire qu'eu égard au progrès de la science, on doive un jour attribuer aux dogmes proposés par l'Eglise un autre sens que celui qui a été et qui est compris par l'Eglise (2). » M. Loisy néglige décret et anathème, bien que sa doctrine semble tomber sous le coup de l'un et de l'autre. En fait, dit-il, « il est bien vrai que l'Eglise corrige ses énoncés dogmatiques au moyen de distinction parfois sub- tiles. Mais, en agissant ainsi, elle continue ce qu'elle a fait depuis le commencement, elle adapte l'Evan- gile à la condition perpétuellement changeante de l'intelligence et de la vie humaine (3). » En droit, ajouta-t-il, « il n'est pas indispensable à £ autorité de la croyance quelle soit rigoureusement immuable dans sa représentation intellectuelle et dans son expression verbale... La vérité seule est immuable, mais non son image dans notre esprit. La foi s'adresse à la vérité immuable à travers la formule nécessairement inadé- quate, susceptible d'amélioration, conséquemment de changement (4). »

D'après ces propositions, la vérité est une chose, sa formule dogmatique en est une autre ; la pre- mière seule est immuable, non la seconde ; c'est la première qui est objet de la croyance, non la for- mule qui l'exprime. Car, paraît-il, « l'Eglise n'exige pas la foi à ses formules comme à l'expression adé- quate de la vérité- absolue, mais elle les présente comme l'expression la moins imparfaite qui soit moralement possible (5) ». Ce qui est vrai dans un sens et faux dans un autre. Il est vrai que l'Eglise

1. Const. Dei Filins, ch. iv, § 5. 2. Ibid,, ch. iv, can. 3. 3. L'Evanyite et V Eglise, p. 209-210. 4- Ibid., p. 210. 5. Ibid., p. 218.

2 24 LE CATÉCHISME ROMAIN

ne donne pas ses formules dogmatiques comme l'expression adéquate de la vérité absolue, mais comme une expression partielle de cette vérité ; car aucune formule dogmatique n'épuise toute la réalité de la vérité, dont elle n'atteint que Fun des côtés, Tune des faces. Mais il est faux de laisser croire que parce que la formule dogmatique n'exprime pas adéquatement la vérité absolue, elle ne nous en fasse pas connaître et saisir quelque chose de positif et de réel. Il y a une équivoque. La formule dog- matique, sans épuiser la vérité totale de l'objet, n'en exprime pas moins très positivement une par- tie, et ce qu'elle en exprime est une vérité, partielle sans doute, mais réelle, qui reste définitivement ac- quise et absolument irréfor niable. Prétendre que la foi ne s'adresse qu'à la vérité immuable à travers la f jrmule nécessairement inadéquate est encore une équivoque. La foi s'adresse à la vérité exprimée par la formule, à la formule elle-même en tant qu'ex- primant telle ou telle partie de la vérité absolue, qui reste inaccessible par d'autres côtés.

Au fond, la raison de toutes les difficultés que soulève dans l'esprit du catholique la théorie de M. Loisy, et des équivoques qu'on y découvre, c'est que, sous les termes usuels de vérité, de révélation, de formule dogmatique, il met un sens particulier qui n'est pas le sens traditionnel. On l'a justement reproché à l'auteur de l'Evangile et l'Eglise, et son second ouvrage Autour d'un petit livre n'est pas fait, comme nous allons le voir, pour dissiper ces légiti- mes appréhensions ; au contraire, il les accentue et les renforce.

Dans Autour d'un petit Livre

i. M. Loisy connaît les objections qu'on lui a

LE DOGME D'APRÈS M. LOISY 2 25

faites et ii les formule ainsi : « N'est-ce pas nier que le dogme soit vrai, qu'il soit révélé, qu'il soit immua- ble, qu'il soit autorisé de Dieu dans l'enseignement de l'Eglise, puisqu'il a été formulé par des hommes, qu'il a besoin constamment d'être interprété, qu'il est dans un ilux perpétuel, et qu'il ne peut pas être bien garanti pour aujourd'hui, s'il a toute chance d'être changé demain (1) ? »

Ces objections sont justes aux yeux de ceux qui conservent la notion traditionnelle de vérité, de révélation, de dogme. Mais c'est justement cette notion traditionnelle que M. Loisy repousse parce qu'il estime qu'elle ne répond ni aux faits de l'his- toire ni à notre état psychologique ; car, dans le domaine de la philosophie comme sur le terrain de l'histoire, elle crée un conflit irréductible entre la foi et la science, entre l'esprit théologique et l'esprit scientifique, conflit qui n'a d'autre solution ration- nelle que la faillite ou la banqueroute de l'ancienne conception chrétienne sur la vérité, sur la révélation, sur l'immutabilité et l'autorité du dogme.

Cette conception traditionnelle, M. Loisy la con- naît et il l'expose ainsi : « Le mot dogme éveille dans l'esprit du catholique l'idée d'une vérité révélée, immuable, divinement autorisée. Tout le monde croit savoir ce que c'est qu'une vérité. Tout théologien croit savoir ce que c'est que la révélation. La vérité, c'est la chose conçue et représentée comme elle est. La révélation, c'est une communi- cation de vérité qui est faite directement par Dieu aux hommes, sur des choses qu'ils ne sauraient connaître par eux-mêmes ou qu'ils connaîtraient difficilement par le seul exercice de leur raison.

i. Autour d'un petit Livre, p. 189 ; nous citons la a* édition, Paris, 1903.

LB CATÉCHISMB. I. X. l'y

2 26 LE CATÉCHISME ROMAIN

Ces notions simples se complètent par celle de l'immutabilité et cle l'autorité absolue : une vérité dite par Dieu ne saurait changer ; elle doit être immuable comme Dieu même ; et elle ne peut être discutée, elle est à prendre comme elle est donnée, puisqu'elle vient de Dieu et que l'homme ne peut se flatter de corriger les leçons d'un tel maitre (i).» A cette conception traditionnelle qu'oppose M. Loisy ? Une notion à lui de la vérité, de la révé- lation, du dogme et de l'autorité. Mais laquelle? La voici, formulée par M. Loisy lui-même.

2. Notion de la vérité d'abord. « La vérité est en nous quelque chose de nécessairement conditionné, relatif, toujours perfectible, et susceptible aussi de diminution... Nos perceptions n'atteignent pas le fond de la réalité. Les notions l'expriment encore moins... La vérité n'entre pas toute faite dans notre cerveau : elle se fait lentement et l'on ne peut pas dire qu'elle soit jamais achevée... La vérité, en tant que bien de l'homme, n'est pas plus immuable que l'homme lui-même. Elle évolue avec lui, en lui, par lui (2). » Donc, dans l'homme, point de vérité absolue, rien que la vérité conditionnée, relative, changeante, toujours infinie.

3. Notion de la révélation. « Même la théologie savante en retient une idée extrêmement anthropo- morphique, tout à fait déconcertante pour la science et la philosophie contemporaine (3). » Il s'agit donc de l'écarter. Or, « la théologie distingue deux for- mes de la connaissance religieuse, la connaissance naturelle, ou de raison, et la connaissance surna- turelle, ou de révélation. » Mais « cette distinction correspond originairement à celle des vérités que

1. Autour d'un petit livre, p. 188. a. Ibid., p. 191-192. 3. Ibid., p. 19a.

LE DOGME D'APRES M. LOISY 2 2J

l'Eglise reconnaissait dans la philosophie grecque, et des vérités proprement chrétiennes qui appar- tenaient à la révélation biblique. Elle n'a guère d'application dans la réalité de l'histoire (i). » Ceci revient à dire qu'il n'y a qu'une seule sorte de connaissance religieuse, et si M. Loisy s'obsline à l'appeler surnaturelle, ce n'est que par un abus de mots, car il va nous montrer qu'elle est purement naturelle.

« Dieu fait son œuvre dans l'humanité. Il se révèle à celle-ci selon la capacité de la nature humaine, l'évolution de la foi ne pouvant manquer d'être coordonnée à l'évolution intellectuelle et morale de l'homme. » Mais, « quelles que soient les circonstances extérieures auxquelles se sont rattachés réveil et le progrès de la connaissance religieuse dans ïhomme, ce qu'on appelle révélation n'a pu être que la conscience acquise par l'homme de son rapport avec Dieu (2). » Ainsi en est-il de la révélation chrétienne. « Qu'est-ce que la révélation chrétienne, dans son principe et son point de départ, sinon la perception, dans l'âme du Christ, du rapport qui unissait à Dieu le Christ lui-même, et de celui qui relie tous les hom- mes à leur Père céleste. La perception de ces rapports avait forme de connaissance humaine, et c'est en cette forme seulement qu'elle pouvait être commu- niquée aux hommes (3). » Pourquoi ? Parce que a toute connaissance réfléchie naît de notions anté- rieures, et le progrès résulte d'une combinaison nouvelle d'idées acquises. » Par suite il doit en être ainsi de la connaissance religieuse. Et en effet, « les vérités fécondes dans l'ordre religieux, celles qui constituent, en style théologique, la substance delà

1. Ibid., p. 194. a. Autour d'un petit livre, p. 195. 3. Ibid. t p. 196.

2 28 LE CATÉCHISME ROMAIN

révélation, se sont formées par la conjonction d'idées ou d'images qui préexistaient à ces vérités dans l'esprit de ceux qui les ont d'abord conçues. Ce qui fut, à un moment donné, le commencement de la révélation, a été la perception, si rudimentaire qu'on la suppose, du rapport qui doit exister entre l'homme, conscient de lui-même, et Dieu présent derrière le monde phénoménal. Le développement de la religion révélée s'est effectuée par la perception de nouveaux rapports, ou plutôt par une détermination plus précise et plus distincte du rapport essentiel, entrevu dès l'origine (i). » Et ainsi « la révélation, dans sa définition intellectuelle et son expression verbale, consiste en idées qui ont pris naissance dans l'humanité, en idées telles qu'une intelli- gence humaine a pu les percevoir, telles quelles ne peuvent exister ailleurs que dans une intelligence humaine, telles que le langage humain est capable de les représenter. Par rapport à leur objet, ce sont des symboles imparfaits, qui seraient insuffisants pour des intelligences plus hautes que les nôtres, et qui, même pour nous, sont susceptibles d'explications, c'est-à-dire de modification et d'amélioration relati- ves (2). » Ainsi entendue, la révélation n'est immua- ble que u parce qu'elle demeure toujours, pour la foi, substantiellement identique à elle-même. Quant aux symboles, ils sont essentiellement muables.

Voilà ce qu'est, pour M. Loisy, la révélation : la conscience acquise par l'homme de son rapport avec Dieu ! Elle commence par une « perception » de ce rapport ; elle progresse par une « perception » de nouveaux rapports ; elle consiste « en idées qui ont pris naissance dans l'humanité. » Qu'est-elle donc autre chose qu'une connaissance naturelle, qui naît, se développe dans l'homme, et n'est perceptible

1. Ibid., p. 196-197. 2. Ibid., p. 198.

LE DOGME D APRES M. LOISY 22Q

qu'à la conscience individuelle ? Une telle notion ne dépasse pas la sphère du naturalisme et du sub- jectivisme ; elle a droit de se réclamer du système qui de Schleiermacher aboutit à M. Sabatier en passant par Ritscbl ; elle n'est pas catholique.

4. Notion et caractères du dogme. La révélation se distingue du dogme. « La révélation a pour objet propre et direct les vérités simples contenues dans les assertions de la foi, non la doctrine et le dogme comme tels (1). » Quelles sont ces vérités simples et en quoi consistent ces assertions de la foi ? C'est ce que M. Loisy a négligé de nous dire. Quoi qu'il en soit, « doctrine et dogme sont dits révélés parce que les assertions primitives de la foi subsistent dans les explications autorisées qui sont le dogme de l'Eglise. Les vérités de la révélation sont vivantes dans les assertions de la foi avant d'être analysées dans les spéculations de la doctrine. Leur forme native est une intuition surnaturelle (une simple perception) et une expérience religieuse, non une considération abstraite ou une définition systémati- que de leur objet. Et c'est toujours comme asser- tions de foi que la doctrine et le dogme servent de base à la vie chrétienne. En tant que théorie doctri- nale ou théologie dogmatique, interprétation de la foi au moyen de la philosophie, ils servent plutôt à maintenir l'harmonie de la croyance religieuse avec le développement scientifique de l'humanité (2). »

Ces deux passages sont passablement confus. Essayons d'y voir clair : la révélation a pour objet des vérités simples ; ces vérités simples (que nous ne connaissons pas et qu'on ne nous a pas fait connaî- tre) sont contenues dans les assertions de la foi (que nous ne connaissons pas davantage, et pour le même

x. Autour d'un petit livre, p. 200. a. Ibid., p. 200-201.

23o LE CATÉCHISME ROMAIN

motif) ; ces assertions de la foi subsistent dans le dogme : donc, grâce aux assertions de foi, ces vé- rités simples subsistent dans le dogme ; et comme elles sont vivantes dans les assertions de foi, elles doivent Fêtre par même dans le dogme, puisque le dogme ne sert de base à la vie chrétienne que par les assertions de foi. Le dogme contenant ainsi les vérités simples, qui sont l'objet de la révéla- tion, doit donc contenir également la révélation ; celle-ci, comme nous l'avons vu, étant naturelle, subjective, le dogme n'est donc en définitive que l'expression d'une vérité naturelle et subjective, ce qui revient à dire qu'il n'y a plus de dogme au sens catholique.

Mais par même, et forcément, le dogme doit varier comme la révélation dont il est l'expression ; il y aura autant de dogmes différents que de per- ceptions individuelles différentes, lesquelles peuvent se succéder dans le même individu sans la moindre cohésion jusqu'à devenir contradictoires ; il y aura de plus autant de dogmes que d'individus percevant leur rapport avec Dieu ; et comme les individus diffèrent dans le même temps d'un endroit à l'autre, «t dans le même lieu d'une époque à une autre, on voit les conséquences inévitables de cette variation Indéfinie des dogmes.

Cette variation inévitable de par la nature même du dogme, s'accroît encore de ce que les dogmes sont « une interprétation de la foi au moyen de la philosophie, h parce que « le commentaire scienti- fique de la foi est plus ou moins conditionné par le développement de la science (i). » Mais sous cette variation incessante et forcée, il y a un sens qui ne change pas, et ce n'est ni celui de la formule ni ce-

i. Ibid., p. 201.

LE DOGME D'APRÈS M. LOISY 23 1

lui de l'interprétation, mais celui « du fond com- mun, impossible à exprimer en langage humain, par une définition adéquate à son objet et suffisante pour les siècles des siècles (i). » Ici encore, M. Loisy a oublié de nous dire ce qu'il entend par ce fond commun. En revanche, il insiste sur « l'insuffisance et la perfectibilité relatives des formules dogmati- ques attestées par Fhistoire » aussi bien que sur « leur relativité ou imperfection essentielle. »

5. Notion de Y autorité. « La formule ecclésiasti- que n'est pas vraie absolument, puisqu'elle ne défi- nit pas la pleine réalité de l'objet qu'elle représente (toujours la môme équivoque) ; elle n'en est pas moins le symbole d'une vérité absolue... elle est la meilleure et la plus sûre expression delà vérité dont il s'agit, jusqu'à ce que l'Eglise juge à propos de la modifier en l'expliquant. Le fidèle adhère d'inten- tion à la vérité pleine et absolue que figure la for- mule imparfaite et relative... Le catholique peut donc croire à l'autorité de l'Eglise et à ce que l'Eglise enseigne (2). »

Assurément « le catholique peut croire à l'auto- rité de l'Eglise et à ce que l'Eglise enseigne. » C'est la seule phrase à retenir de toute la discussion de- M. Loisy. Mais le catholique ne saurait à aucun degré partager les idées particulières de M. Loisy sur la na- ture de la vérité, sur la notion de la révélation, pur phénomène interne, sur la notion du dogme, con- damnée par définition à n'être qu'une expression passagère, imparfaite, perfectible et incessante d'une vérité qui nous échappe et que rien ne nous garantit.

Qu'après cela M. Loisy estime que l'incompatibi- lité entre la connaissance générale du monde et de l'homme d'une part et la doctrine catholique d'au- tre part doive cesser, rien de mieux. Mais qu'il se

1. lbld.y p. 201-202. 2. Ibid., p. 206-207.

'202 LE CATECHISME ROMAIN

i

flatte de faire cesser le conflit par les moyens qu'il propose, c'est étrangement s'abuser. Car ces moyens, sous prétexte d'imposer « un changement d'esprit et d'attitude à l'égard du mouvement intellectuel de notre temps (i), » ne constituent rien moins que la négation de la révélation, du dogme et de l'Eglise elle-même. Un catholique ne saurait sous- crire une pareille abdication.

IL La Question de M. Le Roy : Qu'est-ce qu'un dogme ?

Après M. Sabatier, professeur de théologie pro- testante, et M. Loisy, ancien professeur d'Ecriture sainte, c'est un catholique laïque, M. Le Roy, agrégé et docteur es sciences, qui pose la question : Qu'est-ce qu'an Dogme ? C'est la question du philosophe au théologien, appelant la réponse du théologien au philosophe (2). Il la pose, parce qu'elle est posée autour de lui par des hommes de science, et parce qu'il connaît l'état d'esprit des philosophes con- temporains qui leur fait repousser la vérité. Son intervention n'est qu'un a effort vers la lumière, au sein de la vérité catholique fidèlement acceptée. »

Les démonstrations traditionnelles, dit-il, ne

1. Autour d'un petit livre, p. 210. 2. Le Roy, Qu'est-ce qu'un Dogme ? dans la Quinzaine du 16 avril 1905, p. ^95 sq. ; E. Portalié, V Explication morale des dogmes, dans les Etudes, 20 juillet et 5 août igo5, p. 145-173, 3i8-342 ; J. Wehrlé, De la nature du dogme, dans la Revue biblique, igo5, p. 32 3-349 ; L. de Grandmaison, Qu'est-ce qu'un dogme ? dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 1905, p. 187- 221, et 1906, p. 21-27 » B. Allô, A la recherche d'une défini- tion du dogme, dans la Quinzaine du ier août 1906, p. 4o3- 424 ; Réponse de M. Le Roy et réplique du P. de Grandmai- son, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, Janvier 1906.

LA QUESTION DE M. LE ROY 233

mordent pas sur les intelligences habituées aux dis- ciplines de la science et de la philosophie. L'an- cienne apologétique suppose résolus par avance des problèmes que les modernes jugent essentiels et pri- mordiaux. La pensée catholique est impuissante à se faire entendre et ne parait capable ni de diriger nos contemporains ni de les promouvoir ; car ceux- ci opposent une fin de non recevoir globale. On ne discute pas si telle proposition est un dogme, c'est l'idée même du dogme qui répugne. Pourquoi ? C'est ce qu'il va nous dire tout d'abord.

Motifs allégués pour ne pas admettre la notion traditionnelle du dogme

M. Le Roy signale quatre motifs principaux qu'on allègue pour ne pas admettre la notion tradition- nelle du dogme.

i. Un dogme est une proposition qui se donne elle-même comme n'étant ni prouvée ni prouvable intrinsèquement. Or, d'après Descartes, le premier principe de la méthode n'est-il pas qu'il ne faut tenir pour vrai que ce que l'on voit clairement être tel ?

2. Les propositions dogmatiques ne sont pas affirmées sans preuves, mais ce sont des preuves extrinsèques. Il faudrait avoir prouvé directement que Dieu existe, qu'il a parlé, qu'il a dit ceci ou cela, que nous possédons aujourd'hui son enseigne- ment authentique ; ce qui revient à dire qu'il faudrait avoir résolu par une analyse directe le pro- blème de Dieu, de la révélation, de l'inspiration, de l'autorité de l'Eglise. C'est de l'extérieur que la démonstration prétend introduire en nous la vérité, à la façon d'une chose toute faite qui entrerait en

234 LE CATÉCHISME ROMAIN

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nous par violence. Un dogme apparaît ainsi comme un asservissement, comme une limite aux droits de la pensée, comme une menace de tyrannie intel- lectuelle, comme une entrave et une restriction imposées du dehors à la liberté de la recherche : toutes choses radicalement contraires à la vie même de l'esprit, à son besoin d'autonomie et de sincérité, à son principe générateur et fondamental, qui est le principe d'immanence.

3. Le dogme est une affirmation par voie d'au- torité doctrinale. Mais, pour devenir acceptable, faut-il au moins qu'il soit intelligible dans son énoncé, ne demnant lieu à aucune ambiguïté d'in- terprétation, à aucune possibilité d'erreur sur son sens réel. Or, il n'en va pas ainsi. D'abord les formules appartiennent souvent au langage d'un système philosophique particulier, qui ne se laisse pas toujours facilement entendre, et qui en tout cas est dépassé depuis longtemps et délaissé par les contemporains. Et puis c'est le mélange de plusieurs philosophies hétérogènes. Et puis ces formules empruntent des métaphores au sens commun, dont il est impossible de donner une interprétation intellectuelle précise, de fixer la valeur théorique exacte, images inconvertibles en concepts qu'il y aurait anthropomorphisme à prendre au pied de la lettre. Et ainsi on est arrêté parce qu'on ne découvre pas au dogme un sens pensable. Ces énoncés ne disent rien ou plutôt paraissent indissolublement liés à un état d'esprit qu'on n'a plus et auquel on estime ne pouvoir revenir sans déchoir.

4. Les dogmes forment un groupe incommen- surable avec l'ensemble du savoir positif. Ni par leur contenu, ni par leur nature, ils n'appartiennent au même plan de connaissance que les autres pro- positions. Ils ne sauraient donc se composer avec

LA QUESTION DE M. LE ROY 235

celles-ci de manière à constituer un système cohérent; d'où, si on les accepte, rupture inévitable d'unité dans l'esprit, nécessité désastreuse de vivre en partie double. Immuables, ils apparaissent étran- gers au progrès, qui est l'essence même de la pensée. Transcendants, ils demeurent sans rapports avec la vie intellectuelle effective ; ils sont sans usage, inutiles, inféconds ; car, de nos jours, la valeur d'une vérité se mesure avant tout aux services qu'elle rend, aux résultats nouveaux qu'elle suggère, aux conséquences dont elle est grosse, bref à l'influence vivifiante qu'elle exerce sur le corps entier du savoir.

5. Ces motifs étant valables et irréfutables, ainsi que le croit M. Le Roy, la seule solution ne serait-ce pas d'établir que la notion de dogme, condamnée et réprouvée par la pensée moderne, nest pas la notion catholique du dogme? N'y aurait-il donc pas lieu de changer la manière dont l'idée de dogme est pré- sentée, c'est-à-dire de déterminer la modalité du jugement dogmatique et la qualification qui lui convient ?

La grande difficulté provient de ce que la concep- tion du dogme est intellectualiste et tient pour secondaire et dérivé son sens pratique et moral. Elle fait d'un dogme comme l'énoncé d'un théorème : énoncé intangible d'un théorème indémontrable, ayant un caractère spéculatif et théorique, se rapportant avant tout à la connaissance. Or, affirme M. Le Roy, cette prétention de concevoir les dogmes comme des énoncés intellectuels se heurte partout à des impossibilités et aboutit fatalement à faire des dogmes de purs non-sens.

Que penser d'abord des objections dont M. Le Roy se fait l'écho et qu'il estime irréfutables?

6. Le dogme se donnant comme une préposition

236 LE CATÉCHISME ROMAIN

qui n'est ni prouvée ni prouvable intrinsèquement, M. Le Roy fait intervenir le principe cartésien qui veut qu'on ne cède qu'à V autorité de l'évidence. C'est oublier qu'il est des cas il faut également céder à l'évidence de l'autorité. Réclamer, pour le dogme, une preuve directe intrinsèque, est un excès injus- tifiable. Dans la vie ordinaire, à tout instant, l'homme sensé se décide d'emblée, sans vérification préalable et personnelle, et pour les choses les plus graves, par un acte de foi qui repose sur l'autorité d'autrui. A table, il rompt avec confiance le pain du boulanger, il goûte aux mets du cuisinier ; malade, il fait appeler le médecin ; lésé dans ses droits, il s'adresse à un homme d'affaires ; plaideur, il confie sa cause à un avocat ; voyageur, il prend le train, etc. De même, toute proportion gardée, dans la vie intellectuelle et scientifique ; il ne recommence pas personnellement les expériences déjà faites, les travaux déjà réalisés : il les accepte sur l'autorité de savants spécialistes ; il en profite comme d'un point de départ. La raison, malgré son autonomie, cède ainsi à l'autorité humaine : pourquoi donc ne cèderait-elle pas à l'autorité divine ?

Sans doute, le dogme, tout le monde en convient, échappe à une démonstration directe, intrinsèque ; mais est-ce le genre de preuve qui lui convient? Exiger pour lui une preuve rigoureuse, mathé- matique, n'est-ce pas l'assimiler à tort à une proposition de géométrie? A chaque science sa démonstration propre, sa preuve spécifique. Le dogme n'est pas une vérité de l'ordre scientifique naturel, mais l'affirmation d'une vérité révélée : il a son genre spécial de preuves ; il est l'objet de science à un titre particulier : l'accepter n'est pas faire acte d'agnosticisme.

LA QUESTION DE M. LE ROY iS^

7. Les preuves qui autorisent le dogme sont indirectes. Mais s'il est vrai que Dieu existe, qu'il a parlé, qu'il a dit telle ou telle chose, qu'il a chargé l'Eglise de garder et de faire connaître son enseigne- ment authentique, et tout cela est vrai, ainsi que nous le verrons, la proposition dogmatique se trouve entourée de garanties suffisantes pour s'im- poser à l'esprit de tout homme raisonnable.

Mais, dit-on, cette preuve testimoniale extrinsèque est irrecevable, parce qu'elle nest pas de même nature que le contenu auquel elle prétend servir de garantie. C'est ici que réside et se dissimule l'équivoque. On a pris l'habitude de réserver le mot de connaissance aux seules notions adéquates ou compréhensives, ou du moins propres et directes d'un objet ; et par là, très indûment, on écarte tout autre connaissance, et par exemple la connaissance analogique, la seule justement que nous puissions avoir de Dieu et des vérités révélées.

On suspecte toute métaphysique, on en nie la valeur, mais au nom de quoi P Au nom d'une nouvelle métaphysique, dont on proclame la valeur absolue ; on nie tout dogme immuable au nom d'un dogme nouveau, intangible, indiscutable. C'est toujours, observe le P. Portalié, la mésaven- ture du Kantisme : au nom de la raison, proclamée impuissante à nous donner autre chose qu'une certitude subjective, on proclame la certitude très objective de ce subjectivisme incurable (1). On n'épuise pas le fond des choses, c'est évident. Et dès lors toute formule, nécessairement inadéquate, est susceptible d'amélioration par l'addition de vérités nouvelles, et non d'altération substantielle comme on ne cesse de le répéter. Mais de ce que nous

1. Etudes, 5 août 1905, p. 32^.

238 LE CATÉCHISME ROMAIN

ne savons le tout de rien, continue le P. Portalié, est-il légitime de conclure avec les relativistes que nous ne savons rien du tout? C'est l'agnos- ticisme qui, est irrecevable.

Quant à prétendre que le dogme est une intro- duction violente dans l'esprit, un asservissement, une limite, une tyrannie, etc., c'est, à proprement parler, un malentendu. Car, ainsi que le l'ait re- marquer le P. de Grandmaison, « toute vérité cer- tainement connue comme telle s'impose à nous, et cette vérité vient, dans une certaine mesure, du dehors. Connaître c'est être informé, c'est-à-dire à un assentiment. Bon gré mal gré il faut céder à l'évidence, et l'autonomie de notre pensée n'est pas finalement moins atteinte dans le cas d'évidence directe que dans celui l'évidence nous arrive comme tamisée à travers un témoignage certain. Le résultat, dans les deux cas, n'est pas une abdica- tion, mais une conquête. Seulement, quand l'évi- dence directe est absente, ce qui la supplée laisse une place plus large à la bonne volonté, à la liberté, au mérite (i). » L'intelligence, dans son adhésion au dogme, n'est nullement violentée ; elle voit qu'il est raisonnable de croire et que les garanties exté- rieures dont s'entoure le dogme autorisent et légi- timent raisonnablement son adhésion. Ces garanties ne nécessitent pas l'acte de foi ; il suffit qu'elles le fondent en raison.

8. Autre difficulté : les dogmes sont inintelligibles dans leur énoncé, n'ont pas un sens pensable, et cela à raison d'emprunts à des systèmes philosophiques surannés, ou de concepts anthropomorphiques irrecevables : ce sont des formules purement verba- les. Nous n'avons pas à revenir sur ces prétendus

i. Bulletin de litt. ecclés., igo5, p. ao4.

LA QUESTION DE M. LE ROY 23g

emprunts ; nous avons dit en quoi ils consistent et ce qu'ils impliquent ; nous ne reviendrons pas davantage sur la nécessité nous sommes de parler de Dieu en hommes.

Retenons seulement que si le dogme ne dit pas le tout de Dieu, il en dit du moins quelque chose ; que s'il se formule nécessairement au moyen d'analogies, ces analogies ne sont pas vides de sens, à la manière d'une notation algébrique; l'effort delà pensée et delà vie religieuses, en pénétrant de plus en plus et de mieux en mieux dans le dogme, peut « réussir à en éclairer progressivement le con- tenu^). » Et dans tous les cas ledogme reste intelli- gible, bien qu'il ne nous découvre pas son comment et laisse persister le mystère : il est pensable ; il nous apprend quelque chose de Dieu. « Faites toutes les réserves qu'il vous plaira, écrit M. Franon, sur l'incompréhensibilité de la nature divine..., il restera toujours que, lorsque nous affirmons la personnalité de Dieu, sa liberté, sa justice, son immutabilité, ces affirmations, encore que conçues et pensées humano modo, sont vraies, en elles-mêmes et absolument, d'une vérité métaphysique qui s'impose à toute intelligence (2). »

9. Enfin, dernière objection, les dogmes forment un groupe incommensurable avec l'ensemble du savoir positif : n'appartenant pas au même plan de connaissance, il ne sauraient se composer avec les autres propositions de manière à former un système cohérent, harmonique ; ils rompent l'unité de l'esprit ; par leur immutabilité, ils apparaissent étrangers au progrès ; par leur transcendance, ils restent sans rapports avec la vie intellectuelle

1. Wehrlé, dans la Revue biblique» 1905, p. 334. a. Bulle- tin de litt. ecclés., 1905, p. 167.

2 4o LE CATÉCHISME ROMAIN

réelle ; ils sont sans usage, inutiles et infé- conds.

« On reste stupéfait, de ces étranges difficultés, remarque le, P. Portalié. Sans doute, la chimie, l'histoire naturelle, l'astronomie sont étrangères à la sphère des connaissances religieuses, Mais en quoi y a-t-il rupture dans notre esprit, incohérence, à compléter le savoir de la nature par la connais- sance de l'Auteur de la nature ? Connaissance inutile, ose-ton dire. Comment 1 on ose mépriser ainsi la science, sublime entre toutes, de Dieu, cause première du plan providentiel sur l'humanité, de la rédemption, des destinées finales qui nous attendent ! Mais alors quelle science sera utile ? Qu'on nous réponde. Savoir infécond \ ajoute-t-on. Il semble pourtant que depuis assez longtemps, l'expérience a prouvé quel triste sort est réservé à la morale, dès qu'elle se sépare des affirmations intellectuelles du dogme. L'histoire de tous les piétismes, anciens et modernes, est pour nous montrer que l'abandon du dogme prépare à bref délai la ruine de la morale. Dogmes immuables, étrangers au progrès 1 dit-on encore. Etrange illu- sion. Mais on n'a donc jamais comparé la dog- matique, condensée et comme embryonnaire, des écrits apostoliques avec un des grands monuments de la théologie catholique, qu'ils s'appellent VEnchi- ridion de saint Augustin, la Somme théologique de saint Thomas, ou Y Exposition de la doctrine catholi- que de Bossuet (i). »

D'autre part, M. Wehrlé fait observer que déclarer le dogme incommensurable avec les autres éléments du savoir, incapable par suite d'apporter son con- cours au progrès général de la vie intellectuelle,

i. Etudes, 5 août igo5, p. 331-33a.

LA QUESTION DE M. LE ROY l!\ I

n'est pas bien consistant. « Autant vaudrait dire que Dieu ne peut pas être pris comme objet de connais- sance sans devenir un obstacle au progrès. D'ailleurs on néglige totalement ici la relation complexe et la solidarité réciproque qui permettent d'unir, dans la synthèse vitale opérée par l'action, des données intellectuelles appartenant en effet à des plans différents. Ce dernier point de vue manifeste mieux encore l'injustice du reproche qu'on nous adresse. Car, d'une part, le croyant ne trouve dans son adhésion au dogme aucun obstacle à la libre recherche scientifique, qui est par hypothèse d'un autre ordre : il peut donc concourir de tout son effort au propres du savoir humain, et il peut contribuer pour sa part au développement du dogme lui-même, dont il vit le contenu sans en épuiser jamais le sens et en y découvrant toujours de nouvelles richesses. D'autre part, comme le dogme n'est principe de connaissance que pour être principe d'action, comme la science transcendante qu'il représente doit normalement se traduire en vertu surhumaine, il est source de fécondité morale : le croyant qui réalise sa foi rend donc-un service appréciable à une société qui n'existe pas seulement pour connaître les secrets de la nature... Enfin, il importe d'écarter tout ce qui ressemblerait à une équivoque sur la raison d'être spécifique de la religion dont le dogme est partie intégrante. La religion a comme destination propre, directe et principale de préparer les hommes à l'éternité et de les conduire au ciel. Rien de surprenant dès lors à ce que le dogme, en tant qu'il est une connais- sance, soit orienté vers la monde invisible qui ne saurait coïncider de tout point avec le monde nous vivons. Il faut donc ou désavouer la religion comme illégitime ou accepter que le dogme ne

LE CATÉCHISME. T. I. l6

2 42 LE CATÉCHISME ROMAIN

rende à « la vie intellectuelle » terrestre que de» services indirects (i). »

Solution proposée par M. Le Roy

Se croyant autorisé par ces objections, qu'il estime valables, M. Le Roy a donc posé la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu à abandonner la notion traditionnelle du dogme et à lui en substituer une autre plus en harmonie avec l'état actuel des esprits. Et c'est cette signification nouvelle qu'il cherche à faire valoir, d'abord parce que le dogme a un sens négatif, ensuite et surtout parce qu'il a un sens pratique .

i. Le dogme a d'abord un sens négatif : il exclut et condamne certaines erreurs plutôt qu'il ne dé- termine positivement la vérité. Et M. Le Roy cite des exemples. Après quoi il conclut : au point de vue intellectuel, les dogmes n'ont qu'un sens néga- tif, prohibitif. Ils ne font que fermer de fausses voies. S'ils formulaient la vérité absolue en termes adéquats, ils seiaient inintelligibles pour tous. S'ils ne donnaient qu'une vérité imparfaite, relative et changeante, ils ne pourraient pas légitimement s'imposer.

2. Mais le dogme a surtout un sens pratique : il énonce avant tout une prescription d'ordre prati- que ; il est la formule d'une règle de conduite pra- tique. Là est sa valeur ou sa signification positive. La religion est moins une adhésion intellectuelle à un système de propositions spéculatives qu'une par- ticipation vécue à de mystérieuses réalités. Le chris- tianisme n'est point un système de philosophie spé- culative, mais une source et une règle de vie, une

i. Revue biblique, juillet 1905, p. 334-335.

LA QUESTION DE M. LE ROY 2/|3

discipline d'action morale et religieuse, un ensem- ble de moyens pratiques pour obtenir le salut. Les dogmes concernent donc premièrement la conduite plutôt que la pure connaissance réfléchie.

3. Le dogme étant ainsi entendu, les difficultés disparaissent : il n'y a plus qu'un problème relatif aux rapports entre la pensée et l'action, problème difficile, mais abordable. Le recours à l'autorité est ici moins choquant. La soumission aux dogmes est alors, à un certain point de vue, pour le croyant, ce qu'est pour le savant la soumission aux faits.

4- Les raisons de croire, les motifs de crédibilité ne sont pas d'une force invincible, d'une évidence mathématique : il faut un coup d'état de la volonté. Ou bien les preuves apologétiques sont certaines et rigoureuses, et alors que devient la liberté de l'acte de foi ? Ou bien, on les avouera insuffisantes et plus ou moins probables, et alors la foi manquera de base. Une attitude intellectualiste laisse désarmé en face de ce dilemme. Mais avec l'autre attitude, le dilemme peut se résoudre parce que, cette fois, la dialectique en cause est action et vie, non simple raisonnement, et que la liberté relève de la vie et de l'action.

5. De même tombe l'objection relative à l'intelli- gibilité des formules dogmatiques. Celles-ci, obscu- res et inconcevables au point de vue spéculatif, sont capables de clarté au point de vue pratique. Le langage du sens commun est alors à sa place, ainsi que l'emploi des symboles anthropomorphiques et l'usage des analogies ou métaphores, et ni l'un ni l'autre n'engendrent d'insolubles complications, puisqu'il s'agit uniquement, cette fois, de proposi- tions relatives à l'homme et à ses attitudes.

6. Il y aune relation nécessaire entre les dogmes- et la pensée. Il ne faut pas se contenter de croire

l!\t\ LE CATÉCHISME ROMAIN

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aveuglement les dogmes, mais travailler à les pen- ser. Le régime de la séparation, de la cloison étan- che. de la comptabilité de conscience en partie double, n'est ni désirable ni possible : c'est contraire aux exigences de la foi, qui veut saisir tout l'hom- me ; aux exigences de la philosophie, qui veut l'unité spirituelle ; aux exigences de la moralité, qui ne peut approuver une action systématiquement irréfléchie.

7. Mais la pensée, dans son application aux dogmes, doit reconnaître le sens premièrement pra- tique de ceux-ci : épreuve d'expérience vécue et non dialectique intellectuelle. Traduites ainsi en termes d'action, les méthodes traditionnelles d'ana- logie et d'éminence prennent une signification très précise.

8. Reste à préciser la relation des dogmes, ainsi entendus, avec la pensée théorique ou spéculative, avec la connaissance pure. Le catholique, obligé de les admettre, n'est astreint par eux qu'à des règles de conduite, non pas à des conceptions particulières. Il garde toute liberté pour se faire des objets cor- respondants telle théorie, telle représentation intel- lectuelle qu'il voudra, à la seule condition que sa théorie justifie les règles pratiques énoncées par le dogme. Tant que la théorie respecte la signification pratique du dogme, celui-ci laisse carte blanche. Juger des théories est alors affaire de pure spécula- tion humaine, et aucune autorité extérieure à la pensée elle-même n'a droit ni pouvoir d'intervenir.

Finalement, M. Le Roy termine son exposé par ces deux propositions :

1. La conception intellectualiste, courante aujour- d'hui, rend insolubles la plupart des objections que soulève ridée de dogme.

2. Une doctrine du primat de Faction permet, au

LA QUESTION DE M. LE ROY 2^5

contraire, de résoudre le problème sans rien abandon- ner ni des droits de la pensée, ni des exigences du dogme.

On le voit, c'est par un autre chemin que M. Le Roy arrive au même but qui est d'écarter la notion traditionnelle du dogme. les uns font appel à l'évolutionisme et d'autres au symbolisme, il préconise le moralisme, c'est-à-dire le caractère purement pratique du dogme.

Que penser de la solution proposée ? Est-il vrai que les dogmes n'aient que le sens négatif qu'on leur prête ? Le primat de l'action doit-il l'emporter sur la conception intellectualiste? Supprime-t-il les difficultés ? Et laisse-t-il la liberté de se représenter comme on veut la représentation intellectuelle du dogme pourvu qu'on en respecte la signification pratique ?

i . Les formules dogmatiques ont un sens négatif, nous dit-on, et ne font que fermer de fausses voies, parce que leurs termes en ont été choisis en fonction de certaines erreurs à exclure. Or, remarque M. Wehrlé, on ne peut pas, sans un grand péril pour la raison, dire que l'être se conçoit en fonction de néant et que l'affirmation tire sa valeur de la négation à laquelle elle s'oppose : ce serait le renversement total de la métaphysique et de la logique. Que, dans tous les ordres de savoir, l'erreur soit souvent la cause occasionnelle qui détermine une manifestation plus décisive ou plus explicite de la vérité, c'est incontestable. Mais cette conces- sion ne saurait s'étendre au fond même des choses ni s'appliquer au mouvement réel de la pensée. La révélation n'est pas un aérolithe, mais une pensée vivante, et les explications en sont de plus en plus positives. On pose toujours une affirmation plus forte d'une réalité plus riche. Ainsi les dogmes

*2'/i6 LE CATÉCHISME ROMAIN

n'ont-ils pas seulement un sens pour nous, mais $e plus ce sens est formellement positif, et ce sens fournit un renseignement intellectuel précieux (i).

D'autre part, M. Le Roy est bien obligé de recon- naître que si une théorie vient à surgir qui porte atteinte au dogme en altérant sa signification pra- tique, le dogme se dresse contre elle et la condamne, devenant ainsi an énoncé intellectael négatif. Restric- tion fort importante, mais que son système lui interdit ëe faire, cap il y a contradiction entre les principes d'autonomie qu'il a proclamés et cette restriction imposée. Cette dernière, en effet, vient du dehors et constitue par suite un « asservissement, » une « menace de tyrannie intellectuelle, » une « entrave à la liberté de la recherche. » Et ainsi l'objection qu'il faisait contre le dogme intellectualiste se retourne contre le dogme tel qu'il l'entend. « Et le voilà mis en demeure, ou bien, pour sauver l'au- tonomie de l'esprit, de retirer toutes les restrictions qu'il mettait à la liberté de penser, et alors c'est ton ta foi qui sombre ; ou bien, pour sarwer le dogme, même entendu dans le sens de précepte, de répudier cette indépendance absolue de l'esprit, et alors tout l'échafaudage du système croule par la base (2). »

2. Que les formules dogmatiques aient une utilité d'ordre pratique et tendent à se traduire en actes dans la vie religieuse, à commander des attitudes morales, tout le monde en tombe d'accord. Carie dogme vise à la direction de la vie morale, l'inspire «et la soutient, parce qu'il est le fondement de la moralité chrétienne et reste sa norme objective. Mais à qui appartient l'hégémonie ? Qui commence, l'action ou la doctrine ?

1. Op. cit., p. 342-343. a. E. Portalié, op. cit., p. 173.

LA QUESTION DE M. LE ROY 2/47

Peut-on soutenir le primat de l'action ? Nous ne le pensons pas, et voici pourquoi d'après M. Wehrlé : « On admet, en effet, que les attitudes morales ou les démarches cultuelles doivent être obligatoire- ment adoptées par nous. Mais quel est donc le fondement de cette obligation ? C'est la connaissance d'un énoncé dogmatique édicté par l'Eglise et derrière lequel on avoue qu'il existe une réalité capable d'en justifier les exigences pratiques. C'est déjà une étrange relation que celle de la réalité visée par la formule avec la formule qui la promul- gue sans la manifester, qui l'exprime dans des mots sans que ces mots présentent un sens précis et intelligible. Ce qui est plus étonnant encore, c'est qu'une formule devenue impuissante à saisir et à traduire son objet divin garde le pouvoir régalien de soumettre le sujet humain à la loi d'une obéis- sance aveugle. Mais le pire de tout, c'est le naufrage du primat de l'action qui sombre malgré tout dans cette aventure. Car c'est cette connaissance du dogme, dont la qualification amoindrie ne peut empêcher qu'elle reste une connaissance, qui met en branle toute notre vie religieuse. Elle demeure le a primum movens » de notre moralité et de notre ritualisme. Par une perte désormais sans profit, on a donc laissé subsister une priorité et une supré- matie de la connaissance sur l'action. On a éliminé du dogme toute donnée intelligible, retiré de la connaissance toute valeur intellectuelle, sans avoir réussi à empêcher que le dogme détermine la mo- rale et commande la pratique. est donc en tout cela le primat de l'action ? Cependant il importe de respecter et de défendre, sinon le primat, du moins les droits légitimes de l'action qui protègent les intérêts de la connaissance, car l'action est le creuset s'élabore la vraie connaissance humaine, la

2A8 LE CATÉCHISME ROMAIN

connaissance vivante et vivifiante parce qu'elle est expérimentale et vécue (i). »

3. L'explication morale des dogmes donnée par M. Le Roy, loin de sauver l'existence du dogme chrétien, en serait plutôt la fin. C'est ce que démon- tre fortement le P. Portalié : « Répudier cette théo- rie moraliste du dogme, c'est pour le catholicisme un devoir élémentaire de sincérité... Que M. Le Roy le veuille ou non, il demande à l'Eglise déjouer misérablement sur les mots et d'essayer de sauver son empire sur les âmes au prix d'une équivoque déshonorante. » Durant dix-huit siècles, l'Eglise « a constamment défendu en son entier ce dépôt de vérités, disant ana thème à quiconque battait en brèche un seul de ces dogmes. Et, comme en ces derniers temps, au nom des progrès de la science, plusieurs de ses fils, égarés par une fausse philoso- phie, Hermès, Gùnther et d'autres, avaient voulu changer, modifier le sens de ces affirmations dog- matiques, elle en a proclamé solennellement l'im- mutabilité ; in eodem sensu eademque sententia. Et aujourd'hui vous venez demander à cette même Eglise de déclarer à ses fils qu'elle n'a jamais prétendu imposer un credo intellectuel ni donner des lois à l'esprit humain ; qu'elle n'a aucune autorité pour régenter l'intelligence et que jamais elle ne songea à revendiquer pour elle-même une infaillibilité intellectuelle et théorique ; qu'elle n'a point en dépôt des vérités immuables reçues du ciel, et que l'idée antique d'une révélation par laquelle Dieu aurait parlé à l'homme, est un anthropomorphisme grossier, inacceptable à notre philosophie mo- derne ; que tout dogme entendu comme une affirma- tion intellectuelle sur l'autorité d'un maître quel-

i. Op. cit., p. 347-348.

LA QUESTION DE M. LE ROY 2/19

conque, est « un asservissement, une limite aux droits de la pensée, etc., toutes choses radicalement contraires à la vie même de l'esprit, à son besoin d'autonomie et de sincérité ; » que « nulle autorité ne peut faire ou empêcher que l'homme trouve un raisonnement fragile ou solide, ni surtout que telle notion ait ou n'ait pas de sens pour lui ; » que l'Eglise n'a jamais voulu imposer à ses fidèles ni affirmation, ni raisonnement, ni notion quelconque; que lorsqu'elle définissait dans ses conciles la con- substantialitéduFils, la maternité divine de Marie, ou encore clans le Christ une seule personne divine, et deux natures avec deux volontés et deux intelligen- ces, elle ne prétendait rien affirmer, mais seulement donner des ordres pratiques à la volonté ; enfin que l'on peut être chrétien et catholique en décla- rant qu'admettre un seul dogme comme assertion doctrinale, c'est se condamner « à ne plus penser. » Eh bien, c'est demander à l'Eglise, non seule- ment une déloyauté à l'égard de ses enfants, mais un mensonge (i). »

Aussi exiger « de l'Eglise catholique qu'elle renonce à toute signification intellectuelle de sa foi, et qu'elle adopte, avec les nouvelles doctrines de l'évolution, le sens purement pratique des dogmes, c'est se heurter à cet effrayant dilemme :

« Ou bien vous lui demandez de déclarer qu'elle n'a jamais cru à cette signification théorique, même quand elleanathématisait quiconque refusait l'adhé- sion intellectuelle; et elle devrait pour cela déchirer les pages les plus éclatantes de son histoire ;

« Ou bien vous entendez qu'elle proclamera son erreur dix-neuf fois séculaire, et l'égarement elle était d'exiger une adhésion de l'esprit à des dog-

1. Op. cit., p. 159-161.

2UO LE CATECHISME ROMAIN

mes dont elle reconnaît l'inconsistance absolue, mais en ajoutant qu'elle reste toujours l'interprète infaillible du vrai christianisme ; et alors c'est exiger qu'elle proclame elle-même sa déchéance et sa propre folie ;

u Dans ces deux cas, c'est la fin du catholi- cisme (i). »

[\. Enfin l'explication morale des dogmes ne résout aucune des difficultés opposées à la concep- tion intellectualiste ; elle est impuissante à légiti- mer le précepte qu'on met en relief dans le dogme, comme aussi à en déterminer le sens et la portée ; elle impliquer intellectualisme le plus formel.

Y a-t-il un précepte qui nous oblige à agir? Quel en est le sens, quelle en est la portée ? La réponse à cette question suppose bien des vérités théoriques pour démontrer l'origine de la loi, l'autorité d'où elle émane, son efficacité. M. Le Roy a raison de parler « des exigences de la moralité qui ne peut approuver une action systématiquement irréflé- chie, » mais en vertu de son système, continue le P. Portalié, il impose au croyant non seulement une action, mais toute une vie systématiquement irréfléchie, systématiquement déraisonnable. Et pour prétendre que le recours à l'autorité semble moins choquant dans le domaine de l'action, il faut au moins qu'il y ait une autorité ayant droit de commander. est-elle ? Sur quoi s'appuie le droit de l'Eglise? Pour y répondre, et il le faut bien, c'est aussitôt une théorie intellectualiste qu'il faudra édifier.

Et c'est encore à l'intellectualisme qu'il faut recou- rir, dans le système de M. Le Roy, dès que Ton s'avise de déterminer les attitudes à prendre, à pro-

i, lbid.t p. 162.

LA QUESTION DE M. LE ROY 25 1

pos de formules dogmatiques, qu'on dit ne répon- dre à aucun concept précis. Pourquoi telle attitude et non pas telle autre ? Qui le décidera et pourquoi ? Il faut donc choisir : ou maintenir que les dogmes n'ont aucun sens théologique, et alors il est interdit de fixer telle attitude plutôt que telle autre relati- vement à l'Eucharistie, à l'Incarnation, etc. ; ou bien avouer que Jésus, dans l'Eucharistie par exemple, exclut les attitudes irrespectueuses de Calvin, et par on rétablit l'intellectualisme le plus formel.

Au fond, c'est au nom d'un dogmatisme parti- culier, étroit et intransigeant, que M. Le Roy combat la conception intellectualiste du dogme. Ses difficultés se résolvent, nous l'avons vu, et sa théorie est injustifiée, nous venons de le voir.

Le P. Allô a raison de conclure son étude par ces deux propositions : « Les dogmes sont des propo- sitions, soit purement spéculatives, soit en rapport essentiel avec l'histoire, que l'autorité doctrinale impose à la foi des chrétiens, comme exprimant les vérités dont l'objectivité est requise pour la per- manence et le développement de la vie spirituelle apportée par le Christ sur la terre. Ces proposi- tions, si elles expriment des faits du monde visible (conception virginale, résurrection) sont à prendre au pied de la lettre, non pas toujours suivant le sens technique et secondaire, mais suivant le sens obvie et primitif des termes ; si elles expriment des faits de l'éternité ou du monde invisible, elles ont un sens intellectuel positif, analogue, non univoque, au sens courant de ces mêmes termes (i).

1. La logique et M. Loisy. « Pauvre logique, comme on la méprise I mais aussi comme elle se venge

i. Op. cit., p. 4 a 3-4 a 4.

252 LE CATÉCHISME ROMAIN

cruellement ! Voilà ses contempteurs réduits à nous pro- poser comme apologie adaptée aux progrès du siècle : croire d'abord, puis l'on verra pourquoi. Voit-on bien M. Loisy, l'apologiste des temps nouveaux, s'adresser aux libres penseurs du jour : « Je n'ai point de preuves à vous donner de la vérité du christianisme. Je ne puis même vous dire s'il y a un Dieu ou si l'évolution suffit à tout. Mais croyez, donnez-vous à l'Eglise catholique. Elle est une société tout humaine à laquelle Jésus n'a jamais songé, et qui à cette heure même compromet terriblement son avenir par son entêtement dogmatique et une soif insatiable d'autocratie ; elle a fabriqué elle-même ses dogmes, en les attribuant toujours à Jésus pour sauver le christianisme de la ruine ; elle transforme ces dogmes à chaque génération, tout en proclamant son immuable infaillibilité. N'importe ! Croyez et vous éprouverez « l'étonnante puissance, à travers les siècles, de Vidée du règne de Dieu et l'efficacité actuelle, l'expérience person- nelle de cette idée, toujours vivante, nonobstant les limitations de son origine et les modifications qu'elle n'a pas cessé de subir. » Sans être prophète, on prévoit les résultats de cette harangue. C'est sans doute que nous sommes trop intellectualistes ! Mais le genre humain est intellectualiste, lui aussi : sa raison veut voir des garan- ties, avant de croire, et la simple honnêteté morale, au défaut de la raison, l'oblige de juger toute vie, même la vie chrétienne, avant de l'accepter et de la vivre. » E. Portalié, Le dogme et l'histoire, dans le Bulletin de litlér. ecclés., 1904, p. 88-89.

2. Au fond d'un petit livre. « En résumé, si nous comprenons bien M. Loisy, après une lecture plusieurs fois répétée de son livre, l'exégèse est autonome vis-à-vis de l'Eglise, du pape et des conciles, parce que l'Eglise ne définit point les faits, même religieux, ni le vrai sens des textes bibliques ; et, si elle se mêlait de les définir, elle risquerait fort de se tromper. La raison dernière en est qu'il n'y a pas de dogmes fixes ; il n'y a que des formules symboliques changeantes. Or, l'évolution des dogmes est réglée, non par une révélation extérieure de Dieu à

LA QUESTION DE M. LE ROY 2 53

omme et par le magistère infaillible de FEgh'se, mais parle progrès de la révélation interne, toujours en action dans l'humanité, et qui s'appelle d'un autre nom expé- rience ou conscience religieuse. L'orthodoxie d'aujourd'hui peut devenir l'erreur de demain : il est sage néanmoins de s'en tenir aux formules reçues, en adhérant d'intention à leur véritable objet, inconnu et inconnaissable...

Tel est ce livre, dont la lecture ne donne ni paix ni lumière. Il y a des pages qui étonnent, d'autres qui inquiètent, quelques-unes qui effrayent. L'obscurité l'on marche accroît le malaise ; les ténèbres font peur. L'impression dominante est un sentiment de tris- tesse-profonde... Il faut que les jeunes qui suivent M. Loisy à l'aveugle... sachent enfin on les mène. La plupart des lecteurs, satisfaits d'une lecture rapide et superficielle, ont pu ne voir dans les derniers ouvrages du docte abbé que des erreurs de détail, des propositions suspectes et des affirmations hasardées : l'existence de contradictions dans les Livres saints érigée en axiome, l'authenticité et l'historicité du quatrième Evangile hardiment niées, la fondation de l'Eglise par le Christ et l'institution des sacrements maintenus seulement de nom, en vertu d'une explication qui semble dérisoire, la personne de Notre Seigneur rabaissée au niveau d'un homme ordinaire, un peu plus sage, mais pas beaucoup plus éclairé que les autres, tous les faits sur lesquels notre foi repose rélégués dans une sphère extra-historique, la démonstration rationnelle ne les atteint pas. Il est bon qu'ils apprennent, ces lecteurs distraits ou naïfs, qu'il y a au fond quelque chose de plus radical : une sorte de nihilisme théologique et de subjectivisme absolu qui, poussé à ses conséquences logiques, ne laisserait subsister ni l'Eglise, ni Jésus-Christ, ni la révélation, ni la certitude, ni même un Dieu personnel. » F. Prat, Le manifeste de M. Loisy, dans les Etudes, 1903, t. xcvn, p. 317, 323-32/j.

3. Le problème de M. Le Roy. « Défendre la foi contre les attaques de nos ennemis déclarés, qu'ils s'appellent Voltaire, Renan ou Séailles, c'est un devoir relativement doux et consolant. Mais avoir en face de soi

2 54 LE CATÉCHISME ROMAIN

des esprits éminemment sympathiques par leur savoir, par leur sincérité, par leur courage à se dire et à être chrétiens, par les souffrances mêmes de leur foi, souf- frances qui se dévoilent à nu dans ces pages vibrantes de l'émotion poignante d'un doute contre lequel on s'efforce de lutter ; être condamné à entendre de la bouche de ces amis les accusations d'absurdité irrémédiable de tous nos dogmes, d'opposition absolue et radicale entre ces affir- mations dogmatiques, entendues comme tous, sans exception, amis et ennemis, les ont comprises, on l'avoue, pendant dix-neuf siècles, et tout ce qui est bon sens, raison, philosophie vraie et rationnelle ; et puis se sentir obligé de déclarer nettement à ces écrivains, pour lesquels on n'éprouve que des sentiments de sincère estime et de sympathie, que non seulement ils ne défen- dent pas la foi chrétienne, comme ils l'espèrent, mais qu'ils la renversent totalement et radicalement par la base même, de façon qu'il n'en reste pas un seul débris intact ; bien plus, se voir forcé d'ajouter que non seule- ment leur système est, en soi, destructif de toute croyance chrétienne, mais que la publication de ces pages dans des revues destinées au grand public, loin d'être de la discus- sion inoffensive, est en réalité un manifeste contre tout dogme et toute foi, dont le résultat immédiat est de jeter dans nombre d'âmes un trouble profond et parfois irrémédiable (car ces âmes, malheureusement, ne liront point les réfutations mêmes publiées dans la Quinzaine) : c'est un devoir amer et douloureux entre tous. Mais c'est un devoir. » E. Portalié, L'explication morale des | dogmes, dans les Etudes, 1905, t. civ, p. i45-i46.

Article Premier

Je crois en Dieu le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre.

Je crois

Leçon VII De la Foi

I. L'enseignement du Cathèchisme romain.

II. L enseignement du Concile du Vatican.

III. Définition de la Foi. IV. Le motif de la Foi ou son objet formel. V. Les motifs de crédibilité.

I. L'enseignement du Catéchisme romain

L

a question de la foi, de nos jours surtout le rationalisme prétend s'imposer au nom de l'autonomie de la raison et de la libre

recherche, est l'une des plus délicates et des plus

difficiles à traiter (i).

I. BIBLIOGRAPHIE: Saint Thomas, Sum.theol.,ii\iiae,Q.i-\; Deveritate, Q. xiv ; Voir le traité De fide dans les Théologies paru es après le concile du Vatican ; A. Vacant, La Constitution Dei Filius, Paris, 1895, t. n, p. 15-179 ; Didiot, Logique surna-

256 LE CATÉCHISME ROMAIN

Le concile de Trente l'avait déjà abordée, parti- culièrement à cause de l'erreur protestante sur la justification. Et le Ca'téchisme romain en a donné un résumé succint, substantiel, surtout pratique. Il traite, en effet, de la notion de la foi, de sa néces- sité, de son objet, de ses caractères et du devoir qui incombe à tout chrétien de la professer.

i. «Le mot de foi, dit-il, a plusieurs significa- tions dans l'Ecriture, mais ici nous le prenons pour l'assentiment total que nous donnons aux vérités révélées de Dieu.

2. «Il n'y a personne qui puisse raisonnablement douter que cette foi ne soit nécessaire pour le salut ; car il est écrit : « Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu (i). » En effet, le bonheur auquel l'homme est destiné comme à sa fin dernière, est beaucoup trop élevé pour qu'il puisse le découvrir par ses propres lumières : il était donc nécessaire que Dieu lui-même lui en donnât connaissance. Or cette connaissance n'est autre chose que la foi, qui nous fait recevoir sans hésiter tout ce que l'autorité de la sainte Eglise notre mère nous pro- pose comme révélé de Dieu ; car il est impossible de concevoir aucun doute sur les choses que Dieu

turelle subjective et objective, Lille, 1891 ; J. Payot, De la croyance, Paris, 1896; Ollé-Laprune, La certitude morale, 3 e édit., Paris, 1898 ; D. Mercier, Théorie générale de la certitude, Paris, 1899 ; Mérit, La foi, sa nature, ses principaux caractères et sa nécessité ; V. Bainvel, La joi et Vacte de foi, Paris, 1898 ; P. Shwalm, V 'acte de joi est-il raisonnable? dans la Revue thomiste, t. iv, p. 36-63 ; P. Schwalm, Le dogmatisme du cœur et celui de l'esprit, Paris, 1899 '•> E- Hugon, La notion de la foi, dans la Revue thomiste, 1902, p. i58sq. ; L'analyse de l'acte de foi, mémo Revue, 1904, p. 546-563; La lumière et la foi, Paris, 1904; L. Maisonneuve, L'acte de foi, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, de Toulouse, 1904, p. i63-i84.

1. Hebr., xi, 6.

l'enseignement du catéchisme romain 257

révèle, puisqu'il est la vérité même. De là, il est facile de comprendre combien il y a de différence entre la foi que nous avons en Dieu et celle que nous accordons au témoignage des hommes pour les faits naturels. Cependant, quoique la foi admette divers degrés d'étendue et d'excellence, comme on le voit par ces passages de l'Ecriture : « Hommes de peu de foi, pourquoi avez-vous douté (1)? »

a Votre foi est grande (2) ; » « Augmentez en nous la foi (3) ; » « La foi sans les œuvres est morte (4) ; » « La foi qui opère par la charité (5), » elle n'admet aucune diversité d'espèces, et la même définition convient pleinement à tous les degrés qu'elle peut comprendre. Quant aux fruits qu'elle produit et aux avantages qu'elle procure, nous en parlerons dans l'explication des articles...

3. ((Je crois en Dieu le Père tout puissant, créa- teur du ciel et de la terre. Voici le sens de ces paroles : Je crois fermement et je confesse sans le moindre doute Dieu le Père, première personne de la Trinité, qui, par sa vertu toute puissante, a créé de rien le ciel, la terre et tout ce qui est contenu dans l'univers ; qui conserve et gouverne toutes choses. Et non seulement je le crois de cœur et je le confesse de bouche, mais encore je tends à lui de toute l'affection et de toute la force de mon âme, comme au bien parfait et souverain.

l\. a Croire, en cet endroit, n'est pas la même chose que penser, s'imaginer, former une opinion. C'est, suivant l'enseignement des saintes Lettres, un acquiescement inébranlable, ferme et constant, da notre esprit, aux mystères que Dieu a révélés. Ainsi, pour ce qui regarde la question présente, celui-là

1. Matth., xiv, 3i. 2. Matth.y xv, 28. 3. Luc, rvu, §♦

4- Jac., 11, 17. 5. Gai., v, 6.

LH CATECHISME. T. I 17

258 LE CATÉCHISME ROMAIN

croit qui est tellement persuadé d'une chose qu'il la tient pour absolument certaine sans la moindre hésitation.

5. « Et qu'on ne s'imagine pas que les connais- sances de la foi soient moins certaines, parce que nous ne voyons pas les choses qu'elle nous propose de croire. Si la lumière divine, qui nous les fait connaître, n'en donne pas l'évidence, elle ne nous permet cependant pas d'en douter ; car le même Dieu qui a fait sortir la lumière des ténèbres (i), a fait briller sa lumière dans nos cœurs (2), afin que l'Evangile ne fût point caché pour nous comme pour ceux qui périssent (3).

6. « 11 suit de que celui qui possède cette connaissance céleste de la foi n'a plus besoin d'aucune recherche curieuse. Car lorsque Dieu nous a commandé de croire, il ne nous a pas proposé de scruter ses jugements, ni d'en rechercher les raisons et les motifs ; mais il a voulu que notre foi fût immuable et que notre esprit se reposât entièrement dans la connaissance qu'elle lui donne ide la vérité éternelle. En effet, dit l'apôtre, Dieu est véritable et tout homme est menteur (4). Si donc on ne peut, sans arrogance et sans témérité, non seulement repousser ce qu'un homme sage et prudent affirme être vrai, mais encore lui demander de prouver par des raisons ou par des témoins les choses qu'il avance, quelle ne sera pas la témérité ou plutôt la folie de celui qui, entendant la voix de Dieu même, cherche encore des raisons pour croire la céleste doctrine du salut ?

« Il faut donc croire, non seulement sans aucun doute, mais encore sans rechercher aucune démons- tration.

1. 11, Cor., iv, 6. a. 11 Cor., iv, 6. 3. u Cor., iv, 3. 4. Rom., ni, 4*

l'enseignement du catéchisme romain 25o>

7. « Le pasteur enseignera ensuite que celui qui dit : je crois, exprimant par ces mots l'assentiment intime de son esprit, qui est l'acte intérieur de la foi, est obligé de professer hautement et de mani- fester avec joie devant tout le monde la foi qu'il a dans le cœur. Tous les fidèles doivent être animés de cet esprit qui a fail dire au prophète : « J'ai cru, et c'est pourquoi j'ai parlé (1). » Tous doivent imiter les apôtres, lorsqu'ils répondaient aux prin- ces du peuple : « Sur des choses que nous avons vues et entendues, nous ne pouvons point garder le silence (2). » Tous doivent s'encourager par ces paroles de saint Paul : « Je ne rougis pas de l'Evangile, car c'est une force de salut pour tout homme qui croit (3) ; » soit par celles-ci : « C'est en croyant de cœur qu'on parvient à la justice, et c'est en confessant de bouche qu'on parvient an salut (4). »

Cet enseignement du Cathéchisme romain reste précieux ; mais, en face des besoins de l'heure présente, ou plutôt à cause des prétentions soulevées par le rationalisme, des questions et des pro- blèmes agités en sens divers, il est notoirement insuffisant. C'est pourquoi les Pères du concile du Vatican ont tenu, en le complétant, à préciser ls* nature de la foi, à indiquer les motifs de crédibilité, à déterminer le caractère surnaturel et la liberté de foi. à définir la nature et le caractère des vérités de la foi catholique, à marquer la nécessité et la dis- cernibilité de la foi véritable et à condamner les principales erreurs sur tous ces points délicats. Ils l'ont fait avec un à propos, une mesure et une concision des plus remarquables.

1. Ps. cxv, 1. 2. Act.t iv, 20. 3. Rom., 1, 16. k.Rom.,. x, 10; Catech> rom., Praef. 26; P. I, ch. i-v.

260 LE CATÉCHISME ROMAIN

IL L'enseignement du Concile du Vatican

Avant de rapporter, sur la question de la Foi, le texte môme du concile du Vatican, il convient do citer les paroles du rapporteur de la foi, Mgr Martin, évêque de Paderborn. Rien de mieux, en effet, pour connaître la pensée, le but, les matières traitées par le concile. On saisit aussitôt le lien intime qui unit les diverses parties et les divers paragraphes de ce chapitre si substantiel dans sa brièveté.

« La Députation de la foi s'est proposée, dit le Rapporteur, d'exposer dans ce troisième chapitre la doctrine catholique sur la foi ; non pas, il faut le bien remarquer, cette doctrine complète et tout entière, comme il faudrait le faire dans un traité de la foi, mais cette doctrine réduite aux points que contre- disent les erreurs modernes...

« Voici le canevas de tout le chapitre et l'enchaî- nement logique de ses propositions.

« La première partie du premier paragraphe relie ce chapitre au chapitre précédent qui traitait de la révélation ; car cette partie affirme qu'à la révélation qui vient de Dieu doit répondre la foi qui vient de l'homme. Notre intention n'était donc point d'ex- pliquer dans cette première partie du chapitre tous les motifs de la foi ; il nous suffisait d'y indiquer la racine ou la raison fondamentale de l'obligation de croire à Dieu qui révèle. Nous avons placé cette racine, ou raison fondamentale, en ce que Dieu est notre premier auteur, notre créateur, le suprême seigneur de qui nous dépendons en entier avec toutes nos forces. Tel est l'objet de la première partie de ce premier paragraphe.

L'ENSEIGNEMENT DU CONCILE DU VATICAN 26 1

« La seconde partie du même paragraphe pré- sente la véritable définition de la foi considérée en elle-même, et appuie cette définition sur l'autorité de saint Paul aux Hébreux. Comme nous le savons tous, la nature propre de la foi vient de son motif ou objet formel, qui est l'autorité de Dieu qui nous parle, motif qui distingue essentiellement la foi de la science naturelle. Cette définition de la foi écarte donc l'erreur capitale des rationalistes, qui rejettent la foi proprement dite, alors même qu'ils parlent de lafoi. Ils rejettent, en effet, entièrement le motif de la foi considérée en elle-même, ils suppriment l'autorité de Dieu qui révèle, et, s'ils parlent de foi religieuse, ils appellent foi une persuation née de la science naturelle ou de l'évidence intrinsèque de la vérité. Ils suppriment donc en réalité la foi proprement dite, en supprimant le motif ou l'objet formel de la foi. Cette foi proprement dite, qui s'appuie sur l'autorité de Dieu, étant rejetée par les rationalistes comme contraire à la raison, le para- graphe second enseigne que c'est à bon droit et conformément à la raison que l'on croit à la parole de Dieu, parce que celle-ci est prouvée par des signes évidents de crédibilité.

« Le second paragraphe enseigne donc que c'est conformément à la raison que l'on croit à la parole divine qui se présente avec des signes évidents de sa révélation. Ce second paragraphe écarte par conséquent une double erreur, d'une part l'erreur des rationalistes, d'autre part l'erreur de ce faux piétisme, qui en appelle exclusivement à l'expérience interne, au témoignage intérieur du Saint-Esprit, ou à la certitude immédiate. Bien que les motifs de cré- dibilité soient évidents par eux-mêmes et que l'assentiment de la foi soit tout à fait conforme à la raison, la foi n'en est pas moins inspirée par la

3Ô2 LE CATÉCHISME ROMAIN

»— ^ ' —— ^-^— - «

volonté, et elle demeure toujours un acte libre; de telle sorte qu'il faut pour la foi une grâce prévenante et adjuvante, et que la foi considérée en elle-même €st un don de Dieu : déclaration qui écarte une erreur d'Hermès, sur laquelle je reviendrai plus tard.

« La nature et la vraie notion de la foi étant déterminées, le paragraphe quatrième fait connaître $ objet matériel de la foi, en déclarant qu'on doit croire tout ce que Dieu a révélé et que l'Eglise nous propose de croire ; car le motif de la foi, c'est-à-dire l'autorité de Dieu qui révèle, et notre obligation de croire s'étendent à toutes les vérités dont le magis- tère de l'Eglise nous manifeste clairement la ré- vélation. Cet enseignement exclut l'erreur qui restreint l'objet de la foi aux seuls articles qui sont formellement définis, et tend à réduire en quelque sorte au minimum la somme des vérités à croire.

« Après l'explication de la nature de la foi et la détermination de son objet tant formel que matériel, vient, au paragraphe cinquième, la doctrine de la nécessité de la foi et de Y obligation pour V homme de £ embrasser et d'y persévérer. Dans la seconde partie de ce cinquième paragraphe, on explique comment Dieu nous aide à remplir ce devoir de la foi par l'Eglise qu'il a instituée ; car cette Eglise est comme une révélation concrète et divine, qui nous présente les motifs de crédibilité avec les vérités à croire.

« Suivant le sixième paragraphe, à cette grande manifestation de la révélation se joint le secours do la grâce intérieure, qui excite les incrédules à croire et confirme les croyants dans la foi. Cet en- seignement écarte une erreur capitale qui est très répandue ; c'est l'erreur qui attribue aux fidèles le droit de mettre la foi en doute et de suspendre leur assentiment jusqu'à ce qu'ils se soient formé une persuasion scientifique de la vérité delà foi...

l'enseignement DU CONCILE DU VATICAN 2 63

« Les canons appliquent expressément aux erreurs de notre temps la doctrine exposée dans le chapitre. Or, la première et la principale de ces erreurs con- siste à dire que la raison humaine est autonome et qu'elle se suffit pleinement. C'est contre cette erreur qu'est dirigé le premier canon.

« Une autre erreur qui dérive de la première con- siste à n'admettre pour vrai que ce que la raison tire d'elle-même. Le second canon est dirigé contre cette erreur ; car il distingue entre la foi et la science humaine, et il statue que l'objet formel ou motif de la foi est l'autorité de Dieu qui révèle.

« Une autre erreur consiste à désespérer de la rai- son, à ne lui attribuer aucune valeur, et à tout rame- ner à une sentimentalité vague. C'est contre cette erreur qu'est dirigé le troisième canon qui défend les droits de la raison dans la foi elle-même.

« La quatrième erreur nie la possibilité de démon- trer le fait de la révélation, ou les miracles ; elle rejette donc la possibilité des miracles. Le qua- trième canon est dirigé contre cette erreur.

« Le cinquième canon revendique la liberté de la /bî, et cela contre Hermès, dont on rejette une dou- ble erreur : la première c'était que la foi est produite par une démonstration scientifique et par des argu- ments qui nécessitent l'assentiment, de telle sorte que l'acte de foi ne serait pas libre, mais nécessaire. De cette erreur découlait la suivante, c'est que la grâce intérieure de Dieu n'est pas requise pour la foi considérée en elle-même ; car si la foi n'est pas un acte libre, mais nécessaire, il s'ensuit que la foi se produit sans le secours de la grâce divine. Cette double erreur d'Hermès est condamnée par le cin- quième canon, qui affirme d'abord la liberté de la foi et ensuite la nécessité de la grâce pour la foi.

a Enfin le sixième canon écarte une autre erreur

2C4 LE CATÉCHISME ROMAIN

du même Hermès, qui voulait que toute recherche théologique commençât par un doute, et même par un doute positif qui suspend véritablement l'adhé- sion à la religion et à la foi chrétiennes. Une erreur si énorme et si dangereuse devait être condamnée, et elle Test par le sixième canon (i). »

Il était difficile d'offrir un commentaire plus lumineux et plus autorisé du troisième chapitre de la constitution Dei Filius, et des canons qui s'y rapportent. On comprendra par plus aisément le texte même du concile que nous allons transcrire.

i. « Puisque l'homme dépend tout entier de Dieu, comme de son créateur et seigneur, et que la raison créée est complètement subordonnée à la Vérité incréée, lorsque Dieu révèle, nous sommes tenus de lui soumettre pleinement notre intelligence et notre volonté par la foi. Or, cette foi, qui est le commencement du salut de l'homme, l'Eglise catho- lique professe que c'est une vertu surnaturelle, par laquelle, prévenus et aidés de la grâce de Dieu, nous croyons vraies les choses qu'il a révélées, non pas à cause de leur vérité intrinsèque perçue à la lumière naturelle de la raison, mais à cause de l'autorité de Dieu même qui révèle et qui ne saurait ni être trompé ni tromper. La foi est, en effet, au témoignage de l'apôtre, « la substance de ce que nous espérons et la conviction de ce que nous ne voyons pas (2). »

2. « Néanmoins, afin que l'hommage de notre foi fût d'accord avec la raison, aux secours intérieurs du Saint-Esprit Dieu a voulu joindre des preuves extérieures de sa révélation, savoir des faits divins et surtout des miracles et des prophéties, qui, en

1 . Voir le Document xx reproduit in extenso par Vacant, La conslitution Dei Filius, t. 11, p. 370-396. 2. Hebr., xi, 1.

L'ENSEIGNEMENT DU CONCILE DU VATICAN 2Ô5

montrant abondamment la toute-puissance et la science infinie de Dieu, font reconnaître la révéla- tion divine, dont ils sont des signes très certains et appropriés à l'intelligence de tous. C'est pourquoi soit Moïse et les prophètes, soit surtout le Christ Nôtre-Seigneur lui-même ont fait de nombreux et très manifestes miracles et prophéties ; et nous lisons des apôtres : « Etant partis, ils prêchèrent en tous lieux, le Seigneur travaillant avec eux, et confirmant leur parole par les miracles qui l'accom- pagnaient (i). » Il est également écrit : « Ainsi a été confirmée pour nous l'Ecriture prophétique, à laquelle vous faites bien de prêter attention, comme à une lampe qui brille dans un lieu obscur (2). »

3. Bien que l'assentiment de la foi ne soit point du tout un mouvement aveugle de l'esprit, personne pourtant ne peut adhérer à l'enseignement de l'Evangile, comme il le faut, pour arriver au salut, sans une illumination et une inspiration du Saint- Esprit, qui donne à tous la suavité de l'adhésion et de la croyance à la vérité (3). C'est pourquoi la foi en elle-même est un don de Dieu, alors même qu'elle n'opère point par la charité, et son acte est une œuvre se rapportant au salut, par laquelle l'homme se soumet librement à Dieu lui-même, en consentant et en coopérant à sa grâce à laquelle il pourrait résister.

4- « Or, on doit croire de foi divine et catholi- que toutes les vérités qui se trouvent contenues dans la parole de Dieu écrite ou traditionnelle et que l'Eglise propose comme devant être crues, en tant que divinement révélées, qu'elle fasse cette propo- sition par un jugement solennel ou par son magis- tère ordinaire et universel.

1. Marc, xvi, 20. 2. 11 Petr., 1, 19. 3. Syn. Araus., n, can. 7, dans Hardouin, Ad. Concil., t. n, col. 1099.

266 LE CATÉCHISME ROMAIN

5. « Comme il est impossible sans la foi de plaire à Dieu et d'entrer en partage avec ses enfants, jamais personne n'a été justifié sans elle, et à moins d'avoir persévéré dans la foi jusqu'à la fin, aucun homme n'obtiendra la vie éternelle. Or, pour que nous puissions satisfaire au devoir d'embrasser la foi véritable et d'y persévérer constamment, Dieu par son Fils unique a institué l'Eglise et il l'a revêtue de signes manifestes de son institution, afin qu'elle puisse être reconnue de tous comme la gardienne et la maîtresse de la parole révélée. Car c'est à l'Eglise catholique seule qu'appartiennent toutes ces notes si nombreuses et si frappantes par lesquel- les Dieu a rendu évidente la crédibilité de la foi chrétienne. Bien plus, à cause de son admirable propagation, de sa sainteté éminente et de son iné- puisable fécondité en toute espèce de biens, à cause de son unité catholique et de son invincible stabi- lité, l'Eglise est par elle-même un grand et perpé- tuel motif de crédibilité, en même temps qu'un témoignage irréfragable de sa mission divine.

6. Il en résulte que, comme un étendard levé sous les yeux des nations, elle appelle à elle ceux qui n'ont pas encore cru et elle donne à ses enfants une assurance plus certaine que la foi qu'ils profes- sent repose sur un très ferme fondement. A ce témoignage s'ajoute le secours efficace de la vertu d'en haut. Car par sa grâce le Seigneur très miséri- cordieux excite ceux qui sont dans l'erreur et les aide à parvenir à la connaissance de la vérité ; il donne aussi sa grâce à ceux qu'il a fait passer des ténèbres dans son admirable lumière pour les con- firmer dans une persévérante fidélité à cette lumière, n'abandonnant que ceux qui l'abandonnent. C'est pourquoi tout autre est la condition de ceux qui, par le don céleste de la foi, ont adhéré à la vérité

L'ENSEIGNEMENT DU CONCILE DU VATICAN 267

catholique et de ceux qui, conduits par des données tout humaines, professent une fausse religion ; car ceux qui ont reçu la foi par les enseignements de l'Eglise, ne peuvent jamais avoir aucune cause juste de changer cette foi ou de la révoquer en doute. C'est pourquoi, rendant grâce à Dieu le Père, qui nous a faits dignes de partager le sort des saints dans la lumière, ne négligeons pas un si grand bonheur ; mais les yeux fixés sur Jésus l'auteur et le consommateur de la foi, gardons le témoignage inébranlable de notre espérance. »

Canons de la foi. Canon i . Anathème à qui dirait que la raison humaine est indépendante de telle sorte que Dieu ne peut lui commander la foi.

Canon 2. Anathème à qui dirait que la foi divine ne se distingue pas de la science naturelle de Dieu et des choses morales, et par conséquent qu'il n'est pas besoin pour la foi divine qu'une vérité révélée soit crue à cause de l'autorité de Dieu qui révèle.

Canon 3. Anathème à qui dirait que la révélation divine ne peut être rendue croyable par des signes extérieurs, et par conséquent que les hommes ne doivent être amenés à la foi que par une expérience interne et personnelle ou par une inspiration privée.

Canon 4. Anathème à qui dirait qu'il n'y a point de miracles possibles, et que par conséquent tous les récits des miracles, même ceux de la sainte' Ecriture, doivent être rejetés comme des fables ou des mythes ; ou bien que les miracles ne peuvent jamais être connus avec certitude et qu'ils ne four- nissent pas une preuve véritable de l'origine divine de la religion chrétienne.

Canon 5. Anathème à qui dirait que l'assentiment de la foi chrétienne n'est pas libre, mais qu'il est produit nécessairement par des preuves de raison

268 LE CATÉCHISME ROMAIN

humaine ; ou qu'il n'y a que pour la foi vivante, qui opère par la charité, que la grâce de Dieu soit néces- saire.

Canon 6.' Anathème à qui dirait que les fidèles sont dans la même condition que ceux qui ne sont pas encore parvenus à la seule foi véritable, de telle sorte que les catholiques peuvent avoir une juste cause de suspendre leur assentiment pour mettre en doute la foi qu'ils ont déjà reçue par les ensei- gnements de l'Eglise, jusqu'à ce qu'ils aient ter- miné la démonstration scientifique de la crédibilité et de la vérité de leur foi (i).

Comme onlevoit, ce remarquable chapitre répon- dait de la manière la plus heureuse et la plus obvi§ à certaines erreurs du dernier siècle concernant la foi. Son enseignement complétait très opportuné- ment celui du concile de Trente et du Catéchisme romain. Or, il n'a rien perdu de son actualité. Car aux erreurs anciennes, qui n'ont pas désarmé, sa sont ajoutés des problèmes, nouvellement posés avec franchise et discutés à fond, qui expriment, aux yeux des uns, les légitimes exigences de la pensée contemporaine, tandis qu'ils passent, aux yeux des autres, pour une imprudence sinon poui? une témérité et sont une cause de trouble et d'in^ quiétude au point de vue de l'orthodoxie. Le pria* cipe de leur solution ne se trouverait4i point dani l'enseignement du concile du Vatican ?

D'après le rationalisme, il n'y a de vrai qu© que la raison peut comprendre par ses seules lumiè^ res. La raison est la règle suprême de toub vérité ; absolument indépendante et autonome, elle n'a quç faire de la révélation divine et regarde comme unj

i. GousEilutioa Dei FilisiSf cap, ni, De fuk; et Qanon49 âé

- fide.

DÉFINITION DE LA FOI 269

vérité acquise que Dieu ne peut lui imposer la foi.

Aussi est-ce cette erreur fondamentale que le concile écarte tout d'abord en tête de ce chapitre troisième. Il lui oppose le motif fondamental qui oblige l'homme à croire à Dieu ; et, ce motif, il le tire du rapport de nécessaire et totale dépendance de l'homme vis-à-vis de Dieu, son Créateur et Sei- gneur, notamment du rapport de subordination complète de la raison créée vis-à-vis de la Vérité incréée. Il conclut que lorsque Dieu révèle, l'homme est tenu par même de lui soumettre par la foi son intelligence et sa volonté ; il déclare « ana- thème quiconque dirait que la raison humaine est indépendante de telle sorte que Dieu ne peut lui commander la foi. »

Le terrain ainsi déblayé, le concile aborde la question si débattue de la foi. Il définit la foi et oppose sa définition aux explications qu'on n'a cessé d'en donner depuis trois siècles, et qui toutes méconnaissent complètement ou partiellement la nature de la vraie foi. C'est cette définition qu'il s'agit de bien connaître.

III. Définition de la Foi

1. La foi ou, comme on dit souvent, la croyance, qu'est-elle? Les uns en font « un sentiment, » « la conscience du divin, » « un sens divin » distinct de l'intelligence, « un idéal conçu en harmonie avec la nature des choses et traduisant le sentiment de notre dépendance à l'égard de Dieu, » une connaissance inférieure purement subjective, l'affirmation d'un objet insaisissable et illusoire, quelque chose qui ne répond à aucune réalité.

Kant distingue dans la croyance l'opinion, la foi

27O LE CATECHISME ROMAIN

et la science ; l'opinion n'offre ni évidence objective ni certitude subjective ; la foi n'est qu'une certitude subjective sans une évidence objective, et la science est constituée par l'union de l'évidence objective à la certitude subjective. En conséquence il regarde la foi comme la règle efficace de l'action morale, nous introduisant sans doute dans le monde des noumènes ou des choses en soi, mais sans nous assurer aucunement qu'elle atteint la réalité.

Pour les positivistes anglais, la foi est une adhé- sion à l'inconcevable et même au contradictoire. H. Spencer lui donne pour objet le mystère par excellence, l'inconnaissable. Stuart Mill et Bain la réduisent à une pure illusion.

En France, on essaie de la définir. « J'entends par croyance, dit P. Janet, toute forme de conviction qui ne dépend pas exclusivement de la raison et de l'examen, et qui est l'œuvre commune de la raison, du sentiment et de la volonté (1). » La croyance, dit à son tour M. Bertrand, est l'adhésion à une propo- sition dont on affirme la certitude sans pouvoir en donner une rigoureuse démonstration (2). » Pour les néo-critiques, « la foi est un état moral de la raison dans l'adhésion qu'elle donne aux choses inaccessibles à la connaissance (3). »

Quelques-uns, sans oublier complètement le rôle de l'esprit dans la foi, en exagèrent l'élément affectif et la ramènent à une sorte d'instinct supé- rieur, spontané mais aveugle. Beaucoup trouvent que la foi ne raisonne pas ou même qu'elle n'est pas raisonnable. On l'oppose à l'expérience qui constate, vérifie et contrôle, à l'intelligence qui voit ou décou-

1. Principes de métaphy. et de psych., 1. 1, p. 7a. a. Lexique de philosophie. 3. Renouyier, Essais de critiq. gêner., t. 11, p, i53.

DEFINITION DE LA FOI 27!

vre, à la raison qui démontre, c'est à-dire à la science. Entre la foi et la science il y aurait une antinomie irréductible, et Guyau a écrit : « L'esprit spéculatif est le contraire de l'esprit de foi (i). »

2. Pour les protestants orthodoxes, la foi est encore regardée comme une adhésion de l'esprit à la vérité révélée ; mais pour les protestants libé- raux, elle est tout autre chose. Nous avons déjà vu comment Sabatier entend la révélation et le dogme et à quel subjectivisme il condamne la vie reli- gieuse. Ecoutons M. Lobstein, professeur à la faculté de théologie de Strasbourg : « La foi, selon le protestantisme, n'est pas une simple croyance ; croire, ce n'est pas adhérer à une autorité extérieure, sur le fondement d'un témoignage étranger à la conscience des fidèles... Croire, c'est avoir confiance dans la grâce de Dieu révélée en Jésus-Christ... La foi véritable, la foi vivante, c'est Dieu sensible à la conscience et au cœur, c'est l'Esprit divin rendant témoignage à notre esprit, c'est le Seigneur immanent à l'âme des fidèles... S'il est vrai que croire c'est se donner à Dieu, croire, c'est aussi vivre pour Dieu et en Dieu... Si la foi est un acte individuel, une décision intérieure de la volonté, une affirmation de notre caractère de personnalité morale et reli- gieuse, elle est inconciliable avec une doctrine qui fait de la foi une croyance théorique et une soumis- sion passive : partant, elle ne saurait s'accorder avec une conception suivant laquelle le dogme ne serait qu'un décret infaillible, exigeant le sacrifice de l'intelligence et s'imposant du dehors à la raison asservie (2). »

1. Guyau, Virreligion de Vavenir, p. 3a5. a. Lobstein, Essai d'une introduction à la dogmatique protestante, Paris, 1896, p. 3o-3i.

272 LE CATÉCHISME ROMAIN

Ecoutons également M. Ménégoz, professeur à la faculté de théologie protestante de Paris ; il pose en thèse le salut par la 'foi, indépendamment des croyan- ces ; il trouve que l'on confond la foi et les croyances et qu'on en arrive ainsi à substituer au dogme du salut par la foi seule le dogme du salut par la foi et les croyances. Il distingue donc la foi des croyances. Mais, pour lui, la foi c'est « la consécration de l'âme à Dieu (1). » « Donner notre cœur à Dieu, lui consacrer notre vie, lui offrir en sacrifice ce que nous avons de plus précieux, lui rester fidèles jusqu'à la mort, nous en remettre entièrement, pour le pardon des péchés et le salut éternel, à la divine miséricorde : voilà la foi religieuse, la foi qui nous sauve (2). » Qu'entend-il par croyances? Rien autre chose que ce que l'on entend d'ordinaire parle mot foi. Grâce à ces sens particuliers, qui pourraient don- ner le change, si l'on n'y prenait garde, il en arrive à de singulières conclusions : « Ce qui sauve, dit-il, c'est la foi et non l'acceptation de tel ou tel dogme, quelque vrai qu'il soit (3). » « Celui qui consacre son âme à Dieu est sauvé indépendam- ment de ses croyances (4). » « Qu'il trouve la vérité ou qu'il la manque, le salut de son âme est assuré (5). » « Nous devons admettre qu'il est pos- sible de consacrer son âme à Dieu et d'être sauvé sans croire à Jésus-Christ (6). » C'est la justification par la foi, « indépendamment des croyances, même indépendamment de la foi en Jésus-Christ (7). »

3. Loin de tomber dans des écarts aussi considé- rables, loin même de voir comme certains dans l'acte de foi une opération absurde qui s'accomplit

1. Ménégoz, Le Fidéisme, Paris, 1900, p. i5. a. Ibid., p. m. 3. Ibid, p. 34. 4. Ibid., p. 36. 5. Ibid., p. 3g. Ç. Ibid., p. 47- 7. Ibid., p. 47.

DÉFINITION DE LA FOI 2^3

dans les ténèbres non seulement de l'incompréhen- sible mais encore de l'inintelligible, il est des catho- liques qui penchent soit du côté de l'agnosticisme, soit du côté du mysticisme. Pour M. Brunetière, « les raisons de croire ne sont pas de l'ordre intel- lectuel, mais de l'ordre moral ; on croit parce que l'on veut croire (i). » M. Faguet pense de même : « L'idéal ne se prouve en aucune façon : on ne l'aime qu'en y croyant, sans aucune raison d'y croire, ce qui est proprement un acte de foi. » « L'acte de foi consiste à dire : je crois parce que j'aime (2). » D'autres ne cessent de répéter avec Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point... C'est le cœur qui sent Dieu, et non la raison. Yoilà ce que c'est que la foi : Dieu sen- sible au cœur, non à la raison (3). »

Parmi nos contemporains, quelques catholiques ont porté les efforts d'une analyse psychologique pénétrante et minutieuse sur la foi pour en mieux déterminer et préciser les divers éléments. Mais les uns, fidèles aux données scolastiques, accentuent peut-être un peu trop le caractère intellectuel de l'acte de foi, et cela, semble-t-il, au détriment de la volonté ; et c'est ainsi que Ton accuse la définition scolastique de la foi d'être insuffisante, « parce qu'elle n'implique pas un élément psychologique essentiel, sans lequel la foi reste philosophiquement inexplicable et la synthèse de l'ordre naturel et de l'or- dre surnaturel absolument incompréhensible (4). » Les autres, au contraire, mettent en un puissant relief l'intervention de la volonté, et, sans nier

1. Brunetière, La science et la religion, p. 62, note. 2. Fa- guet, La religion de nos contemporains, dans la Revue bleue, îanvier 1896. 3. Pensées, édit. Havet, xxiv, 5. 4. Péche- gut, Une définition de la foi, dans la Revue du clergé, i902> t. xxix, p. 72.

LB CATÉCHISME. T. I. T8

274 LE CATÉCHISME ROMAIN

le caractère intellectuel de l'acte de foi, le rejettent au second plan, ce qui semble dénaturer la vraie notion de la foi.

En quoi consiste donc véritablement la foi ? Quelle est sa nature ? Et quel est le rôle qui revient dans cet acte mystérieux soit à la raison soit à la volonté ? C'est ce que nous allons demander à l'enseignement formulé par le concile du Vatican.

4. Voici d'abord la définition de la foi donnée par le concile : « Cette foi, qui est le commencement du salut de l'homme, l'Eglise catholique professe que c'est une vertu surnaturelle par laquelle, prévenus et aidés de la grâce de Dieu, nous croyons vraies les choses qu'il a révélées, non pas à cause de leur vérité intrinsèque perçue à la lumière naturelle de la raison, mais à cause de ï autorité de Dieu même qui révèle et qui ne saurait être ni trompé ni trompeur. La foi est, en effet, au témoignage de l'apôtre, la substance de ce que nous espérons et la conviction de ce que nous ne voyons pas (1). »

Cette définition dogmatique est de capitale im- portance. Chacun de ses termes porte. Contentons- nous d'en indiquer ici les principaux éléments, sauf à insister ensuite sur quelques-uns d'entre eux, ce qui nous permettra par une précision plus grande de répondre à certaines difficultés.

le concile de Trente ne parle que de l'acte de foi préparatoire à la justification, le concile du Vatican considère la foi comme une vertu, comme une habitude, comme une disposition permanente de Tâme, mais comme une vertu surnaturelle, c'est- à-dire dépassant les exigences et les ressources de

1. Voir dans la Somme théologique, na nœ, Q. iv, a. 1, l'expli- cation de ce texte, saint Thomas montre tous les éléments constitutifs d'une définition de la foi.

DÉFINITION DE LA FOI 2 7 S

notre nature, ne pouvant être en nous que par une infusion divine, par un don gratuit de Dieu. Nous aurons à revenir sur ce sujet quand nous traiterons des vertus théologales.

Gomme le concile de Trente, le concile du Vati- can signale le rôle nécessaire que joue dans l'acte de foi la grâce prévenante et adjuvante. Il caractérise ensuite Ja nature spéciale de cet acte en disant qu'il nous fait croire vraies les choses que Dieu a révélées. Et du même coup il nous fait connaître le sujet et Y objet matériel de la foi. Le sujet d'abord ; car, du moment qu'il s'agit d'une adhésion à la vérité des choses révélées ou, comme s'exprime le Catéchisme romain, d'un « assentiment total, » d'un a acquiescement, » d'une « connaissance, » il ne peut être question que de l'intelligence, c'est-à- dire de la faculté spéciale de l'âme sur laquelle s'insère et se greffe la vertu de la foi. L' objet maté- riel ensuite, c'est-à-dire les vérités révélées par Dieu,

Mais le concile du Vatican, tout comme le Caté- chisme romain et d'une manière plus précise, indi- que le motif de notre adhésion à la vérité révélée, ce que les théologiens appellent Y objet formel de la foi. Pourquoi croyons-nous à la vérité révélée ? Ce n'est pas à cause de sa vérité intrinsèque perçue à la lumière naturelle de la raison, parce que dans ce cas la foi se confondrait avec la science, mais c'est à cause de H autorité de Dieu même qui ne peut ni être trompé ni tromper. Et c'est justement par que la foi se distingue de toutes les autres espèces d'adhé- sion.

IV. Le motif de la Foi ou son objet formel

Quel est le motif propre de la foi, la raison dé-

276 LE CATÉCHISME ROMAIN

terminante de notre adhésion à la vérité révélée, ce qui la fonde et constitue sa raison dernière et suprême, ce qui fait que la foi est foi et la distingue des autres connaissances, ou, comme disent les théologiens, son objet formel ?

1. Faut-il le placer avec les rationalistes dans la perception claire ou l'évidence de la vérité ? Faut-il le mettre dans l'habitude infuse de la foi, qui jouerait ainsi par rapport aux vérités révélées le rôle de l'évidence pour les vérités naturelles? Serait-ce la perfection souveraine de l'être de Dieu, source première de sa véracité ? Serait-ce ce que l'on désigne d'ordinaire sous le nom de motifs de cré- dibilité, ou bien l'autorité de l'Eglise, ou enfin le fait même de la révélation ?

Rappelons tout d'abord que l'homme a deux manières de connaître : par la science et par la foi. Par la science, à l'aide des seules lumières de la raison, il voit, il se rend compte, il s'explique le pourquoi et le comment des choses, il en pénètre la vérité intrinsèque. Par la. foi, il adhère à la vérité sur le témoignage d'autrui, témoignage préalable- ment jugé certain et véridique. Or, ce qu'il importe de remarquer, c'est que ce témoignage provient originairement de quelqu'un qui sait de science certaine la vérité de ce qu'il affirme. Et de la sorte, croire c'est participer à la science positive de celui qui sait et qui dit ce qu'il sait. Ce qu'il sait, le témoin originaire le sait par lui-même, de science immédiate, par l'évidence intrinsèque de la vérité. Au contraire, celui qui croit ne possède pas cette connaissance intrinsèque de la vérité, mais il admet quand même la vérité sur le témoignage de celui qu'il estime savoir ce qu'il dit et dire ce qu'il sait. Légitimement garanti, il en possède du moins une connaissance ferme et certaine, bien que médiate

LE MOTIF DE LA FOI 277

et extrinsèque, qui se distingue du doute, du soupçon, de l'opinion. Car le doute existe quand l'esprit ne se prononce pas ; le soupçon, quand il penche d'un côté, mais sans oser se prononcer; l'opinion, quand il embrasse un sentiment, tout en craignant que le sentiment contraire ne soit pré- férable. Or, remarque saint Thomas (i), l'acte de foi implique une adhésion ferme, exclusive de toute crainte d'erreur, et celui qui croit a cela de commun avec celui qui sait et qui connaît. Toute- fois celui qui croit n'a pas comme celui qui sait la connaissance parfaite qui résulte de l'évidence intrinsèque, et en cela il ressemble à celui qui doute, qui soupçonne, qui a une opinion, mais il connaît.

2. Ainsi en est-il pour l'acte de foi chrétienne. Le motif qui le détermine n'est pas, et c'est l'enseignement formel du concile du Vatican (2), « la vérité intrinsèque de la chose révélée perçue à la lumière naturelle de la raison, » puisque d'or- dinaire cette chose échappe aux prises de notre intelligence et reste enveloppée d'ombre et de mys- tère. La foi, en effet, n'est pas la science ; son motif, et c'est encore le concile du Vatican qui le dit, diffère du fondement de la science. Ne pas distinguer la foi divine de la science naturelle de Dieu et des choses morales, serait encourir i'anathème porté par le canon 2 (3). L'apôtre saint Paul écrivait aux Corinthiens : « C'est dans la faiblesse, dans la crainte et dans un grand trem- blement que je me suis présenté chez vous ; et ma parole et ma prédication n'avaient rien du langage persuasif de la sagesse, mais l'Esprit (Saint) et la

1. Snm. theolog., na 11*, Q. 11, a. 1 ; Q. iv, a. 1. 2. Const. Dei Filius, c. m, $ 1. 3. Ibid., c. ni, can. 2.

278 LE CATÉCHISME ROMAIN

force de Dieu en démontraient la vérité, afin que votre foi repose, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu (1). » Il leur disait encore : « Nous renversons les raisonnements et toute hauteur qui s'élève contre la science de Dieu, et nous assujettissons toute pensée à l'obéissance du Christ (2). » C'est la foi qui ne se fonde pas sur les moyens et les raisonnements humains, sur l'évidence de la vérité qu'elle croit.

3. Le motif propre, l'objet formel de la foi, ce qui fait croire aux choses révélées de Dieu, c'est, d'après le texte du concile, a l'autorité de Dieu révélateur, qui ne peut ni se tromper ni nous tromper. » Cette autorité implique, comme on le voit, deux éléments : la science infaillible de Dieu et sa véracité absolue, tous deux également néces- saires et essentiels. En dernière analyse, c'est à cause de cette autorité divine que je donne mon assenti- ment à la vérité révélée, que je fais l'acte de foi. INotre Seigneur disait : « Celui qui m'a envoyé est véridique, et ce que j'ai entendu, je le dis au monde (3). » a Nous disons ce que nous savons, et nous attestons ce que nous avons vu, mais vous ne recevez pas notre témoignage,». Celui qui vient du eiel est au dessus de tous, et ce qu'il a vu et entendu, il l'atteste,,, Celui qui reçoit son témoignage cer- tifie que Dieu est véridique (4). »

4. Bans doute, l'Eglise sert d'intermédiaire entre Dieu et nous. Son autorité est divine ; elle a reçu de Dieu le droit de proposer et d'imposer les vérités à croire; mais son rôle consiste à certifier et k garantir sans crainte d'erreur la réalité et le contenu, de la révélation, Dans l'état actuel de l'humanité,

f , I Cor,, u, 4-5. df IJ Gor,, x, 5, 3, Joan,f viu, 26, * à- Juan., m, iif 33,

LES MOTIFS DE CREDIBILITE 279

ce rôle est le moyen ordinaire, la règle commune, dont Dieu se sert pour nous faire arriver à la foi ; mais il n'est pas absolument indispensable et il n'est pas exclusivement le seul. Dans la formule de l'acte de foi, que récitent les fidèles, il est dit qu'on croit tout ce que la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine ordonne de croire, mais on ne le croit pas simplement parce qu'elle l'ordonne, on le croit parce que Dieu l'a révélé et qu'il est la vérité même. C'est toujours sur l'autorité de Dieu qu'on s'appuie, et c'est uniquement cette autorité qui est le motif propre ou l'objet formel de la foi.

5. Mais faut-il pourtant, pour qu'il y ait acte de foi, que Dieu ait révélé ? Car, même dans l'hypo- thèse où Dieu n'aurait rien révélé, son autorité n'en existerait pas moins et il aurait toujours droit à notre hommage à raison de sa science infaillible et de sa véracité absolue ; mais il ne saurait y avoir acte de foi, car un témoin muet n'apprend rien. Pour être cru, il faut qu'il parle, qu'ilrévèle quelque chose. Par suite la révélation est indispensable pour qu'il puisse y avoir acte de foi ; c'est une condition requise, et c'est pourquoi le concile du Vatican, dans la question présente, ajoute à Dieu le qualifi- catif de révélateur. Il dit, en effet, propter auctori- tatem Dei revelantis ; mais il n'a pas dit : propter auctoritatem Dei et propter revelationem, ce qui laisse libre par conséquent la question de savoir si la révélation, en tant que fait, entre pour une part dans le motif propre ou l'objet formel de la foi.

V. Les motifs de crédibilité

L'acte de foi doit être un acte humain : il requiert par conséquent le concours de nos facultés, celui

,^8o LE CATÉCHISME ROMAIN

de l'intelligence pour être vraiment rationnel, celui de la volonté pour être vraiment libre. Gomme, d'autre part, il est salutaire au sens théologique du mot, et constitue le commencement de la justifica- tion, il doit être inspiré et informé par la grâce, ainsi que nous le verrons. Toutefois il n'est pas une improvisation.

i. Chez le simple fidèle, déjà en possession de la vertu de foi reçue au baptême et vivant dans un milieu chrétien, l'actedefoi est l'exercice normal de son habitude infuse ; il se trouve justifié en soi par l'autorité du témoignage de l'Eglise, qui lui est notifié par ses parents, ses maîtres ou ses pasteurs. Sans doute les chrétiens, pour le plus grand nombre, sont incapables par eux-mêmes de justifier la valeur du motif qui les pousse à faire l'acte de foi ; mais, en le faisant, ils sont suffisamment garantis par l'auto- rité de l'Eglise à laquelle ils appartiennent. Car, ainsi que l'enseigne le concile du Vatican, « c'est à l'Eglise catholique seule qu'appartiennent toutes ces notes si nombreuses et si frappantes par lesquel- les Dieu a rendu évidente la crédibilité de la foi chrétienne. Bien plus elle est par elle-même un grand et perpétuel motif de crédibilité, en même temps qu'un témoignage irréfragable de sa mission divine... Elle donne à ses enfants une assurance plus certaine que la foi qu'ils professent repose sur un très ferme fondement (i). »

2. Chez l'incrédule, au contraire, l'acte de foi ne se produit qu'après un travail préparatoire, parfois assez long, toujours délicat à cause de tant de mo- biles d'ordre divers qui entrent en jeu, réalisable pourtant pour toute âme de bonne volonté. En effet, à l'aide de la raison et sur des preuves d'or-

i* Const. Dei Filius, c. ni, § 5 et 6.

LES MOTIFS DE CREDIBILITE 28 1

dre philosophique, l'incrédule peut se convaincre tout d'abord que Dieu existe, et c'est une pre- mière vérité dont il ne saurait raisonnablement dou- ter, — qu'il possède une science infinie à l'abri de toute erreur et une véracité qui le rend absolument incapable de tromper, c'est-à-dire une autorité au-dessus de tout soupçon. Que Dieu, dans sa bonté et sa condescendance, puisse communiquer à l'homme un enseignement divin, c'est encore une vérité dont la certitude métaphysique ne peut être légitimement révoquée en doute. Que Dieu ait s'adresser à l'homme, ou, en d'autres termes, qu'une révélation divine ait été moralement néces- saire, c'est ce que justifie amplement une étude psychologique de la nature humaine.

3. Mais Dieu a-t-il parlé? Existe- t-il une révéla- tion ? Et s'il a parlé, peut-on le savoir pertinem- ment sur des preuves certaines, indubitables ? Quelles sont ces preuves ? Autant de questions à résoudre au moyen de l'histoire par l'examen de la valeur des témoignages, car les faits se prouvent par des témoins, et le fait de la révélation doit être entouré des garanties testimoniales les plus irrécu- sables.

C'est ici qu'interviennent les motifs de crédibilité. Aussi est-ce avec raison, que le concile du Vatican les signale pour montrer que l'acte de foi, loin d'être un assentiment aveugle et un saut dans l'inconnu, se trouve pleinement justifié aux yeux de la raison. Ces motifs de crédibilité, en effet, préparent l'acte de foi, mais ne sont pas l'acte de foi. Ils aident à faire voir qu'il y a une vérité révélée par Dieu, qu'elle doit donc être acceptée comme telle ; ils aident à constater d'une part le fait de la révélation, et, d'autre part, l'obligation qui s'impose de l'accepter.

282 LE CATÉCHISME ROMAIN

La raison doit se convaincre, non de la vérité intime des affirmations du témoin, chose qui peut avoir lieu dans la suite, mais avant tout du droit du témoin à être cru sur parole, de la valeur de son témoignage. Mais une fois bien établies l'autorité et l'existence du témoignage divin, l'hésitation n'est plus de mise. Ce serait folie, dit saint Augustin, d'attendre alors pour croire qu'on ait résolu toutes les questions, « quœ non sunt finiendae antefidem, ne finiatur vlta sinefide (1). » Rien de plus juste : Dieu a parlé, il n'y a plus qu'à s'incliner. En faisant alors l'acte de foi, on est certain d'avoir agi raisonnable- ment.

4. Quels sont donc ces motifs de crédibilité qui amènent ainsi à l'acte de foi ? Il y en a d'internes, il y en a d'externes. Les uns, inspirés du Saint- Esprit ou jaillissant des profondeurs mystérieuses de la conscience, peuvent se nuancer indéfiniment et échappent même le plus souvent au contrôle de celui qui leur obéit ; les autres s'imposent du de- hors. Le concile y fait allusion en ces termes : « Afin que l'hommage de notre foi fût d'accord avec la raison, aux secours internes du Saint-Esprit Dieu a voulu joindre des preuves extérieures de sa révé- lation. » Le concile ne prétend pas que les motifs internes soient jamais insuffisants, car Dieu peut très bien éclairer surnaturellement une âme et lui donner l'assurance indubitable qu'il est l'auteur de telle ou telle révélation ; c'est ainsi notamment qu'il en a agi avec les prophètes, et c'est ainsi qu'il en agit encore avec quelques rares privilégiés ; mais tel n'est pas l'ordre ordinaire de la Providence.

5. L'erreur des protestants a été précisément de n'accorder de valeur pour la foi qu'aux motifs inter-

1. Saint Augustin, Epist. en, 38, Pat. lat.t t. xxxni, col. 386,

LES MOTIFS DE CREDIBILITE 283

tÊUÊiimmm i »

nés de crédibilité à l'exclusion de tout motif externe. D'après les anciens réformateurs, chaque chrétien possède une lumière surnaturelle qui lui permet de découvrir dans l'Ecriture la vraie parole de Dieu et sa signification véritable. Mais, depuis le xvie siècle, on a marché dans le sens de plus en plus accentué du rationalisme et de l'individualisme : à la lumière surnaturelle on a substitué, comme critérium de la révélation, la lumière naturelle de la raison. L'Ecri- ture elle-même ne compte guère plus, et, depuis Schleiermacher, tout se réduit de plus en plus, chez les protestants libéraux, à un vague sentimentalisme religieux, la révélation n'est pas un témoignage externe de Dieu, mais la conscience intime des rapports de l'âme avec Dieu. Ainsi, tandis que les uns repoussent absolument la valeur ou la nécessité des motifs externes de crédibilité, d'autres, moins radicaux, n'y voient pour le croyant qu'un secours qui vient aider la foi et la suppose déjà, et pour l'incroyant que des faits inadmissibles et sans portée. Car c'est aujourd'hui la tendance générale, parmi les protestants, d'en appeler exclusivement au sentiment religieux, à l'expérience interne, à une action directe du Saint-Esprit, à une certitude immédiate et subjective de la foi. Or cette négation de l'efficacité des signes externes pour rendre croyable la révélation, et cette prétention de ne s'en tenir qu'à une expérience personnelle interne ont été condamnés par le concile du Vatican : « Ana- thème à qui dirait que la révélation divine ne peut être rendue croyable par des signes extérieurs, et par conséquent que les hommes ne doivent être amenés à la foi que par une expérience interne et personnelle ou par une inspiration privée (i). »

i. Const. Dei Filius, c. m, can. 3.

284 LE CATÉCHISME ROMAIN

6. Le concile détermine clairement la part qui revient aux motifs externes de crédibilité dans la préparation à la' foi ; il estime que ce sont des preuves sojides et suffisantes pour légitimer l'accep- tation de la révélation ; car, dit-il, aux secours intérieurs du Saint-Esprit, Dieu a voulu joindre des preuves extérieures de sa révélation, savoir des faits divins, et surtout des miracles et des prophéties, qui, en montrant abondamment la toute-puissance et la science infinie de Dieu, font reconnaître la révélation divine, dont ils sont les signes très cer- tains et appropriés à l'intelligence de tous (i). » Parmi ces faits divins qui sont des arguments externes, des signes très certains de la révélation divine, des preuves du témoignage de Dieu, le concile ne cite ici exceptionnellement que les miracles et les prophéties ; mais il n'oublie pas, deux paragraphes après, de signaler l'existence de l'Eglise catholique comme une preuve évidente de la crédibilité de la foi chrétienne.

7. Ces motifs de crédibilité, ces signes très certains et appropriés à l'intelligence de tous, constituent une solide et véritable démonstration de la foi, non pas assurément une démonstration mathématique, mais une démonstration capable de légitimer l'adhésion de l'esprit, à l'exclusion de tout doute sérieux et motivé, et de produire une certitude suffisante pour justifier l'acte de foi. Les qualifier de simples probabilités, c'est trop peu dire. Et sans doute c'est le terme qu'employait ISewman dans le récit de sa conversion, quand il disait : Dieu a voulu que, « dans la recherche de la religion, nous arrivions à la certitude par des probabilités accumulées... 11 nous conduit, si seu-

1. Ibid., c. m, S 2.

LES MOTIFS DE CREDIBILITE 285

lement notre volonté coopère avec la sienne, à "ne certitude qui s'élève plus haut que la puissance logique de nos conclusions (i). » Non, ce ne sont pas de simples probabilités, ce sont des preuves certaines ; ils constituent une certitude réelle. Plus loin, au delà de la raison logique, après l'acte de foi, dans la réalité de la foi possédée et vécue, la certitude est œuvre plus haute, comme dit Newman, mais cette certitude résultant de la vie même de la foi n'exclut pas la certitude qu'apportent les motifs de crédibilité et qui précède l'acte de foi.

8. Est-ce à dire que cette démonstration par les motifs de crédibilité soit d'une efficacité universelle et invincible ? « Certes, non, répond M. Gayraud. L'homme y échappe par inattention, mépris, mau- vaise volonté, endurcissement du cœur, et aussi par déviation ou par anémie de l'esprit. Je passe outre aux causes morales. Mais l'affaiblissement de la raison, sous l'influence débilitante et toxique du positivisme, du sensualisme et du criticisme kantien, doit être signalé. La démonstration traditionnelle s'adresse à une raison saine et vigoureuse, confiante dans ses facultés de perception et de déduction, sûre d'atteindre, à la lumière des premiers principes imprimés en elle par les choses mêmes, la réalité substantielle des êtres, et de s'élever par les créatures jusqu'à Dieu. Un pareil travail dépasse assurément les forces de la raison positiviste ou kantienne. Celle-ci doit être abordée par un autre point. Que si la philosophie de l'action, du pragmatisme, du dogmatisme moral, de l'immanence ou de quelque autre nom qu'on l'appelle, peut saisir cette raison anémiée, et, en éveillant chez elle le sentiment d'une hétéronomie nécessaire, en lui faisant perce-

i. Newman, Apologia, p. aoo.

286 LE CATÉCHISME ROMAIN

voir dans sa vie consciente les « postulats » de la révélation surnaturelle et chrétienne, la préparer à l'intelligence et' au don divin de la foi, cette philosophie apportera un concours précieux et opportun à l'apologétique traditionnelle. Elle tour- nera la pensée moderne vers les clartés sereines de la foi, et suscitera chez quelques-uns ces bons désirs et cette bonne volonté que la grâce de Dieu prévient, accompagne, parachève et récompense. Mais il n'en resté pas moins vrai que la solide démonstration de la vérité de cette foi, celle qui motive et justifie la certitude de nos croyances, en face de la raison incrédule et superbe comme dans l'esprit du fidèle convaincu, c'est la preuve par les facta divina, dont parle le concile du Vatican, qui sont les externa argumenta et les signa certissima omnium intelligentiœ accommodata de la révélation divine (i). »

1. La foi, principe de connaissance. « S'il n'y avait que deux parties dans l'œuvre universelle (et il en pouvait manifestement être ainsi, puisque l'institution surnaturelle est un acte libre et une pure grâce), comme il n'y aurait alors que deux objets à connaître, il n'y aurait non plus en nous que deux principes de connais- sance. En effet, si Dieu ne manque jamais de procurer ce qui est nécessaire, on ne le voit jamais non plus rien faire d'inutile ni de vain. Supposé donc que, comme l'impiété l'affirme avec audace parce qu'elle le désire avec passion, il n'y ait point de surnaturel, il est parfaitement clair que le sens et la raison suffiraient à l'humanité, à ses devoirs, à ses besoins ; et non seulement pour la vie de ce monde, mais encore pour la vie future. Oui, dans cette hypothèse, à la seule condition d'user toujours de ses sens et de sa raison en toute vérité, sagesse et justice, l'homme atteindrait sa fin. Mais si, comme il est bien

i. Gayraud, Le problème de la certitude religieuse» dans la Revue du clergé, 1902, t. xxx, p. ia3-ia4.

LES MOTIFS DE CREDIBILITE 287

certain, il y a un ordre surnaturel ; si, comme on n'en saurait ni chrétiennement ni raisonnablement douter, Dieu a voulu qu'entre cet ordre et nous des rapports existassent ; s'il y a établi notre fin dernière, s'il en a fait par suite découler notre loi, s'il y rattache toute notre vie morale, il doit indispensablement ouvrir en nos âmes une nouvelle source de connaissance, un principe supérieur de perception et d'entendement, qui soit précisément à son sublime objet, ce que sont les sens et la raison aux objets qui leur correspondent. Or, cette source et ce principe, c'est ce qu'on nomme la foi.

« Sans doute, cet ordre qui, en lui-même, est tout surnaturel, ne l'est pas dans son expression. Sans cela, il serait pour nous comme n'existant pas ; ou il nous faudrait, pour l'atteindre, non plus seulement dépasser notre nature, ce qui est une perfection, mais la changer de fond en comble, c'est-à-dire la détruire, ce qui serait Un désordre. Dès qu'en disant extérieurement le mot vivant de sa vie intime, c'est à nous que Dieu s'adresse, il parle nécessairement une langue que nous pouvons entendre. Ses pensées infinies, pour ne considérer ici que ses communications intellectuelles, il les met dans des mots finis, dans des mots connus, usuels, et dont le sens est parfaitement déterminé d'avance. A ce titre, quand Dieu s'en sert, chacun de nous peut les percevoir et en saisir le sens humain. Dieu fait plus, et il devait faire plus : car ce n'est point assez que nous sachions qu'on parle ; il faut surtout savoir qui parle, et que celui qui parle est Dieu. Il parle donc en Dieu, c'est-à-dire qu'il revêt ses paroles de caractères inimitables. Il ne se con- tente pas d'y répandre cette beauté intrinsèque qui ne leur peut manquer, mais que son excellence même tient au dessus de la portée du grand nombre ; il les illustre, les confirme et les accrédite, aux yeux de tous, par toutes sortes d'oeuvres de sa droite, et principalement par d'incontestables miracles ; de telle sorte que, non seule- ment on les peut raisonnablement tenir pour divines, mais que, sans mentir au bon sens et trahir sa propre raison, on ne peut les confondre avec celles qui ne le sont

288 LE CATÉCHISME ROMAIN

point. Il les inonde ainsi des clartés qui lui sont person- nelles, et, en se montrant, il les démontre. » Mgr Gay, De la vie et des vertus chrétiennes, 6e édit. , Paris, 187^, t. 1, p. i57-i5q.

2. Le fait de la révélation. « Le motif suprême de la foi, c'est la véracité de Dieu ; mais nous ne savons que la véracité de Dieu est intéressée qu'autant que nous sommes certains que Dieu a parlé... a-t-il parlé ? quand a-t-il parlé ? à qui a-t-il parlé ? comment a-t-il parlé ? Quatre questions auxquelles il est nécessaire de répondre, si l'on veut obtenir l'assentiment légitime de la raison : question de lieu, question de temps, question de personne, question de moyen. Qui répondra à ces questions ? La parole de Dieu elle-même ? mais il y aurait pétition de principe, puisque c'est précisément le fait de cette parole qu'il s'agit de démontrer, afin de créer une certitude à son endroit. Il faut donc qu'intervienne une autre puissance, et je n'en connais pas d'autre que la puissance rationnelle. Je n'en connais pas d'autre, parce que, en réalité, il n'y en a pas d'autre. C'est ce que disait ïe chef de l'Eglise, dans une encyclique mémorable, dont je cite les termes : « Il faut que la raison s'informe dili- gemment du fait de la révélation, afin qu'elle soit certaine que Dieu a parlé, et qu'ainsi elle puisse lui offrir une soumission raisonnable, comme l'enseigne très sagement l'apôtre (1). » Leibnitz appelait cela : « faire les établis- sements du christianisme. »

m II appartient donc à la raison d'établir, par une démonstration, je ne dis pas les vérités de la foi, car il y en a qu'elle ne comprend pas, et qui, par conséquent, sont indémontrables, mais ce qu'on appelle, en théologie, la vérité de la foi. C'est la raison qui répond aux ques- tions de la raison, alors qu'elle s'approche pour s'unir à la parole de Dieu, par l'assentiment. » Monsabré,

1. Encyclique Noscitis du 9 novembre 1846 ; Denzinger, n. 1498.

LES MOTIFS DE CREDIBILITE 289

»

Introduction au dogme catholique, Paris, 1866, t. 1, p. 58-59.

3. La foi et la vision béatifique. « Dieu est venu à l'homme ; Dieu lui a parlé par son Fils. Dieu a pris cette frêle créature par la main, et la faisant sortir de toute limite créée, l'a mise en face d'un nouveau monde, d'une terre nouvelle et de cieux nouveaux. Et comme le regard humain demeurait fermé à ces splendeurs surhu- maines, Dieu lui a dit : Ephphetha ! « ouvre-toi. » Au regard naturel de l'homme Dieu a ajouté un autre regard vaste et perçant comme le monde qu'il lui était donné d'explorer ; et l'homme, ainsi divinement pourvu d'un organe proportionné aux immensités offertes à son regard, l'homme spirituel apprécie tout. Jouissant à travers un voile d'une première vue du ciel, par la foi nous comprenons, nous pénétrons dans l'intérieur. « Notre raison, aidée et soutenue par la grâce, dérobe alors en quelque sorte par anticipation au séjour de la gloire quelque ébauche, quelque commencement de la vision intuitive... Quand il est parvenu à la cime de ces monta- gnes, si le penseur chrétien, absorbé dans sa méditation divine, touche encore la terre du bout de ses pieds, on peut dire qu'il a le front déjà dans le ciel : encore un effort, une secousse qui détache l'esprit de la matière, l'âme du corps, et il sera en possession du face-à-face de la vérité (1). » 0 prérogative merveilleuse de la foi ! Si la grâce est la gloire en germe, la foi est, en germe, la vision béatifique. Sans doute, elle ne perce pas à jour le mystère, mais elle voit en énigme, à travers un voile. Par la foi, les choses que nous espérons prennent un corps, une réalité palpable : nous les touchons pour ainsi parler, tellement la foi nous les rend présentes. La foi c'est la démonstration des choses invisibles ; car, par la foi, nous nous rendons déjà compte de ces inscru tables richesses du Christ, dont est dotée notre patrie future. Nous con- naissons en partie ; or, quand viendra l'état parfait, ce

I. Mgr Pie, Œuvres, t. m, p. 184.

LF C Y THOMISME. T. I. IO

2 Q0 LE CATECHISME ROMAIN

qui n'est que partiel disparaîtra ; les rudiments de la foi, premières leçons d'un Dieu à un Dieu enfant, feront place aux illuminations de la claire vue du ciel, où, devenus hommes parfaits, nous aurons atteint la pléni- tude de l'âge du Christ. » Doublet, Saint Paul, Paris, 1876, t. 11, p. 247-248.

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Leçon VIII De la foi

I. Rôle de l'intelligence et de la volonté dans l'acte de foi. II. De la nécessité de la grâce. III. Les propriétés de la foi. IV. Concep- tion nouvelle de la foi.

I. Rôle de l'intelligence et de la volonté dans l'acte de foi

i .

Les partisans delà philosophie de l'action ou du pragmatisme moral reprochent à la définition scolastique de la foi d'être trop intellectualiste, de trop insister sur l'efficacité des preuves de la révé- lation, et par là, prétendent-ils, de compromettre la liberté de l'acte de foi, expressément définie par l'Eglise. Ils se plaignent de ce qu'on néglige ou de ce qu'on méconnaît l'intervention des dispositions morales, le rôle important et nécessaire de la volonté dans cet acte vital qu'est l'acte de foi (i). Mais, a leur tour, ils encourent le reproche de sacrifier le caractère essentiellement rationnel de la foi et de donner à celle-ci comme base dernière,

i. Pour la bibliographie, voir la leçon précédente.

2Q2 LE CATECHISME ROMAIN

non pas des raisons et des faits externes, mais l'im- pression subjectiye du croyant. Certains même prétendent qu'ils faussent la notion traditionnelle de la foi.

Il y a des malentendus qu'il semble possible de dissiper en précisant le rôle respectif de l'intelli- gence et de la volonté. Avec le concile du Vatican, il faut mettre en relief tout d'abord la parfaite ralionabilité de l'acte de foi, fondée sur la parole révélatrice de Dieu et sur les motifs de crédibilité qui garantissent le fait de la révélation ; ensuite la pleine liberté du croyant, dont l'adhésion reste volontaire et méritoire, malgré les preuves positi- ves de la révélation. Après quoi il n'y a plus qu'à déterminer la faculté spéciale de l'âme à laquelle appartient proprement l'acte de foi, soit qu'elle soit aidée transi toirement par la grâce, soit qu'elle ait été surélevée par une habitude infuse surnaturelle.

2. L'acte de foi, on ne saurait le contester, appar- tient à l'ordre intellectuel, puisqu'il est une adhé- sion de l'esprit à la vérité révélée. Simple en lui-même, il est pourtant entouré de circonstances, l'analyse permet de distinguer la part des facultés qui concourent à le préparer, la part spéciale de celle qui le décide et de celle qui Y accomplit.

Saint Thomas qui, dans cet acte, accorde le primat à l'intelligence, ne cesse pourtant pas de faire allu- sion à la volonté. Il dit que l'objet de la vérité à croire ne suffît pas à entraîner l'intelligence, que celle-ci ne se détermine que par un choix volon- taire. Or, quand ce choix exclut le doute et la crainte de se tromper, c'est l'acte de foi (1). Il dit encore : « L'intellect de celui qui croit est déterminé dans sa foi, non par la raison, mais par la volonté ; c'est

1. Sum. theol. na , Q. 1, a. 4.

ROLE DE L'INTELLIGENCE ET DE LA VOLONTÉ 2C)3

pourquoi l'assentiment se prend ici pour un acte de l'intellect, en tant que celui-ci est déterminé par la volonté (i). » Il dit enfin : « Croire, c'est l'acte de l'intellect, en tant qu'il est par la volonté à donner son assentiment; cet acte procède donc de deux puissances... Mais croire est l'acte immédiat de l'intellect, parce que l'objet de cet acte est le vrai, qui est lui-même l'objet propre de l'intellect. Par conséquent, il faut que la foi, par cela seul qu'elle est le principe de cet acte, réside dans l'intellect comme dans son sujet (2). »

3. La préparation à l'acte de foi peut bien appar- tenir en partie à la volonté et à des motifs d'ordre moral; car il y a lieu de tenir compte des prédispo- sitions, des aptitudes, des attraits, des aspirations et des besoins de l'âme qui ne trouvent leur pleine satisfaction que dans la foi. Mais elle appartient sur- tout à l'intelligence qui, assurée par ses propres lumières de la science infaillible et de la véracité absolue de Dieu, comprend clairement que si Dieu parle, il a droit à notre audience. L'esprit s'applique donc à savoir si, réellement, Dieu a parlé ; il exa- mine en conséquence les preuves historiques qu'on donne de la révélation ; il pèse les témoignages qui déposent en sa faveur ; il parvient à se convaincre de sa réalité sur des raisons, non pas probables, mais certaines, d'une certitude morale qui ne laisse pas de place à un doute motivé et qui est à la fois nécessaire et suffisante. Une simple connaissance probable de la révélation, en effet, ne saurait ici suffire : il faut une connaissance certaine ; car Inno- cent XI (1676-1689) a condamné la proposition sui- vante : « L'assentiment de foi surnaturelle et utile au salut est compatible avec la connaissance pure-

1. Ibid.y Q. 11, a. 1, ad. 3. 2. Ibid., Q. iv, a. 2.

294 LE CATÉCHISME ROMAIN

ment probable de la révélation et même avec la crainte que Dieu .n'aît pas parlé (1). »

L'intelligence est ainsi amenée à prononcer deux jngements : un jugement théorique ou spéculatif : « Il y a des raisons évidentes de croire ; je puis croire ; » et un jugement pratique : « Je dois croire. » Mais elle ne va pas jusqu'à la conclusion dernière pour faire vraiment l'acte de foi et dire : « Je crois. » Car lïnévidence du fait ou de la vérité à croire suf- fit le plus souvent à l'arrêter.

[\. C'est ici, nécessairement, que la volonté doit intervenir d'une façon décisive. J'entends bien M. Rabier, écho d'un bon nombre de contempo- rains, proposer ce dilemme : « Ou nos raisons intel- lectuelles de croire nous semblent suffisantes, ou elles nous semblent insuffisantes. Si elles nous semblent suffisantes, il n'est que faire de la volonté pour produire la croyance. Si elle nous semblent insuffisantes, qu'on explique comment la volonté pourrait dissimuler le manque de raison ou se pren- dre elle-même pour une raison (2). »

Mais ce dilemme ne tient pas. Oui, nos raisons intellectuelles de croire sont suffisantes : elles pré- parent l'acte de foi, elles le rendent possible, elles en garantissent la rationabilité, elles justifient le bien fondé de cette conclusion spéculative : il y a des raisons de croire, et de cette obligation morale : il faut croire ; mais elles ne nécessitent pas l'acte même de croire, car on ne croit que si Ton veut. L'acte de foi est essentiellement libre ; l'homme peut s'y refuser efci dépit de la raison. « Croire, disait saint Augustin, on ne le peut que de bon

1. Proposition 21 condamnée le a mars 1679; Denzinger, n. io38. 2. Rabier, Leçons de philosophie. Psychologie, 5e édit., p. 271.

ROLE DE L'INTELLIGENCE ET DE LA VOLONTÉ 2q5

gré (i). » C'est l'enseignement formel du concile de Trente (2), comme aussi celui du concile du Vatican (3). L'acte de foi reste libre, même après l'acquisition des preuves de crédibilité, même après la constatation des « faits divins, » de « ces signes très certains et accommodés à l'intelligence de tous, » que Dieu a donnés pour preuves de sa révé- lation. Et prétendre que « l'assentiment de la foi chrétienne n'est pas libre, qu'il est produit néces- sairement par des preuves de raison humaine, » ce serait tomber sous les coups de l'anathème porté par le canon 5 (4).

5. Et c'est parce qu'il est libre que l'acte de foi est méritoire. Ecoutons saint Thomas : « Nos actes sont méritoires selon qu'ils procèdent du libre arbi- tre mû par Dieu au moyen de la grâce. Il s'ensuit que tout acte humain qui est soumis au libre arbi- tre, s'il se rapporte à Dieu, peut être méritoire. Or, l'acte même de la foi est un acte de l'entendement, qui adhère à la vérité divine sous l'empire de la volonté mue par Dieu au moyen de la grâce. Cet acte est dès lors soumis au libre arbitre, et, de plus, il se rapporte à Dieu. Donc l'acte de foi peut être méritoire (5). » Et dans la science que se passe-t-il? Saint Thomas répond : « On peut considérer deux choses dans la science, l'assentiment de l'esprit à la chose que l'on connait, et la considération actuelle de cette même chose. L'assentiment à la science n'est pas soumis au libre arbitre, parce qu'il est le résul- tat forcé de la démonstration ; ce qui fait qu'il n'est

1. In Joan., tract, xxvi, a ; Patr. lat., t. xxxv, col. 1607.— 2. Sess. vi, cap. vi. 3. Const. Dei Filius, cap. ni, S 3. ^ 4. Const. Dei Filius, cap. m, can. 5 : « Si quis dixerit assen- sum fidei christianse non esse liberum, sed argumentis huma- nae rationis necessario produci... anathema sit. » 5. Sum. theol, na nœ, Q. 11, a. 9.

296 LE CATÉCHISME ROMAIN

pas méritoire. Au contraire, la considération de la chose que l'on connaît dépend du libre arbitre, parce qu'il est au pouvoir de l'homme d'appliquer ou de ne pas appliquer son esprit à une chose ; et c'est pour- quoi la considération de la science peut être méritoire, si on la rapporte à la fin de la charité, c'est-à-dire à la gloire de Dieu ou à l'utilité du prochain. Mais, en matière de foi, ces deux choses que nous venons de distinguer sont également soumises au libre arbitre, ce qui fait que, par rapport à l'une et à l'autre, l'acte de foi peut être méritoire (1). »

6. Donc, même en face de la certitude des preu- ves de la révélation et de l'obligation de croire qui en résulte, l'homme conserve la liberté de croire ou de refuser son assentiment. Mais, après les opé- rations intellectuelles qui préparent, protègent et justifient l'acte de foi, cet acte de foi reste à faire. La liberté qu'il requiert est à chercher dans une déter- mination de la volonté, qui suit la connaissance des motifs de crédibilité, et qui précède l'acte de foi. Une fois que l'intelligence à porté un jugement spécula- tif sur les raisons de croire et un jugement prati- que sur l'obligation de croire, c'est à la volonté de se décider et de décider l'intelligence à faire l'acte de foi par un commandement exprès. Elle doit se décider à intervenir, parce que, sous la vérité à croire que lui présente l'intelligence, elle découvre une obligation morale à remplir, un besoin du cœur à satisfaire, un bien à poursuivre et à attein- dre ; mais, pour se décider, elle doit écarter les obstacles d'ordre pratique ; car il y a des consé- quences morales : passions à réprimer, devoirs et vertus à pratiquer, attitude austère à prendre, vie à orienter. Reste alors à décider l'intelligence elle-

»'

1. Ibid., Q. 11, a. q, ad 2.

NECESSITE DE LA GRACE POUR LACTE DE FOI 297

même, à la mouvoir, et par suite à exiger d'elle l'acte même d'adhésion à la vérité révélée, c'est-à- dire l'acte de foi, malgré les difficultés d'ordre spé- culatif qui peuvent surgir soit de l'histoire, soit des objections scientifiques, soit de l'inévidence et de l'impénétrabilité du mystère. Elle commande donc à l'intelligence de donner son assentiment à la vérité proposée, et ainsi, sous l'impulsion impé- rieuse de la volonté, l'intelligence finit par dire: Je crois. C'est l'acte de foi.

IL Nécessité de la grâce pour l'acte de foi surnaturel

1 . Les sens et la raison sont incapables par eux- mêmes d'assurer et de réaliser l'assentiment surna- turel de l'intelligence à la vérité révélée, de faire que l'acte de foi soit vraiment salutaire et constitue le commencement du salut. Ils le préparent, comme nous venons de le voir, par la connaissance physi- que ou historique des « faits divins » surnaturels qu'ils nous procurent ; mais ils ne vont pas jus- qu'à nous faire adhérer, comme il convient, à la réalité intime de la révélation. La volonté elle-même, pour se décider et pour décider l'intelligence à l'acte de foi, est impuissante tant qu'elle reste avec ses seules forces naturelles. De toute nécessité il faut l'intervention de la grâce, et comme une double touche du Saint-Esprit, comme une double grâce : une grâce d'illumination qui éclaire, dirige, sou- tienne et fortifie l'intelligence dans sa marche, dans le jugement pratique qu'elle porte ; une grâce d'inspi- ration qui touche, dégage, incline et meuve la vo- lonté pour commander l'assentiment ; une grâce, en un mot, qui pénètre et informe l'acte de foi dans sa

298 LE CATÉCHISME ROMAIN

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préparation, dans son évolution et dans sa réalisation.

2. Faut-il, en outre, pour qu'il soit salutaire et méritoire, que l'acte de foi soit informé par la cha- rité ? Ce fut la pensée et aussi l'erreur d'Hermès au dernier siècle. Plaçant le motif de la foi, non dans l'autorité du Dieu révélateur, mais dans les argu- ments qui prouvent à la raison les vérités des dog- mes révélés, Hermès niait la liberté de la foi et son caractère surnaturel. Il distinguait, en effet, l'assen- timent à la vérité révélée, assentiment qu'il regar- dait comme l'aboutissement logique et nécessaire de la raison sans aucun rapport avec le salut, et la foi qui agit par la charité, la foi du cœur, la seule qu'il estimât vraiment libre et vraiment surnaturelle. C'était donc, à ses yeux, uniquementpar la charité que l'acte de foi devenait libre et surnaturel. Par là, ii allait plus loin que le semi-pélagianisme ; les semi- pélagiens ne niaient la nécessité de la grâce que pour le commencement de l'acte de foi ; Hermès le niait pour l'acte de foi lui-même, tant que cet acte n'était pas informé par la charité.

3. Et pourtant le second concile d'Orange, en 529, avait dit : « Si quelqu'un affirme que par la force de la nature humaine, on peut penser comme il faut à quelque bien qui touche au salut de la vie éternelle, ou qu'on peut le choisir, ou qu'on peut adhérer à l'enseignement du salut ou de l'Evangile, sans une illumination et une inspiration du Saint- Esprit, qui donne à tous la suavité de l'adhésion et de la croyance à la vérité, il est trompé par l'es- prit d'hérésie (1). » Ce n'est là, il est vrai, que la décision d'un concile particulier ; mais il ne faut point oublier que cette décision a été ratifiée par Boniface II (53o-532).

1. Gonc. Araus., 11, can. 7 ; Denzinger, i5o.

NECESSITE DE LA GRACE POUR L ACTE DE FOI 299

Du reste, d'après l'enseignement traditionnel de l'Eglise, l'acte de foi a toujours été regardé comme la base nécessaire de toute justification et de toute œuvre surnaturelle, et tout acte qui se rapporte au salut comme un produit de la grâce. Voici com- ment l'a formulé le concile de Trente : « Les adultes sont disposés à la justification lorsque, excités et aidés par la grâce divine, ils conçoivent la foi par ce qu'ils entendent et se portent librement vers Dieu, en croyant à la vérité de ce que Dieu a révélé et promis (i). » « Lorsque l'apôtre dit que l'homme est justifié parla foi et gratuitement, il faut com- prendre ces paroles dans le sens que l'Eglise catho- lique a admis et enseigne avec un accord constant, c'est-à— dire en ce sens que nous sommes justifiés par la foi, parce que la foi est le commencement du salut de l'homme, le fondement et la racine de toute justification (2). » Gela montre que la foi qui pré- cède la justification et qui, par suite, n'opère point par la charité, prépare à l'infusion de la grâce sanc- tifiante, constitue le commencement du salut et est surnaturelle. Or, cette foi surnaturelle et salutaire, toujours d'après le concile de Trente, continue d'exister même chez ceux qui ont perdu la charité par le péché (3).

Or, ces trois points : nécessité de la grâce pour V assentiment de la foi, caractère surnaturel de la foi même quand elle n'opère point par la charité, et relation étroite entre cet acte et le salut, ont été de nouveau précisés et formulés par le concile du Vatican. « Bien que l'assentiment de la foi, est-il dit dans la Constitution Dei Filius, ne soit pas un mouvement aveugle de l'esprit, personne pourtant

x. Conc. Trid., sess. vi, cap. vi. ^2. Conc. Trid., sess. vi, cap. vin. 3. Conc. Trid., sess. vi, can. 28.

3oo

LE CATECHISME ROMAIN

ne peut adhérer à renseignement de l'Evangile comme il le faut pour arriver au salut sans une illumination et une inspiration du Saint-Esprit, qui donne la, suavité de l'adhésion et de la croyance à la vérité (ceci est pris au second concile d'Orange). C'est pourquoi la foi, en elle-même, est un don de Dieu, alors même qu'elle n'opère point par la cha- rité, et son acte est une œuvre se rapportant au salut, par laquelle l'homme se soumet librement à Dieu, en consentant et en coopérant à sa grâce à laquelle il pourrait résister (i). » Le concile déclare anathème non seulement à celui qui prétendrait que l'assentiment de la foi chrétienne n'est pas libre, mais encore à celui qui dirait qu'il n'y a que pour la foi vivante, qui opère par la charité, que la grâce de Dieu soit nécessaire (i).

4- On peut distinguer trois sortes d'adhésion à l'enseignement révélé : l'une purement naturelle, et qui dès lors ne mène pas au salut ; l'autre sur- naturelle, la foi proprement dite. Mais cette foi est dite vivante, quand elle est jointe à la charité, et morte, quand elle en est séparée ; foi vivante et foi morte ne constituent pas deux fois d'espèce diffé- rente ; elles sont une seule et même foi et ne se distinguent que par leurs effets. La foi vivante existe dans l'état de grâce et mérite en justice ou de con- digno, comme disent les théologiens, une augmen- tation de grâce ici bas et de gloire dans le ciel, quand se trouvent remplies les conditions requises. La foi morte, au contraire, existe en dehors de l'état de grâce, n'a pas comme l'autre pour effet un mérite de condigno, mais un simple mérite de -convenance, ou de congruo ; elle est quand même un don surnaturel.

1 Gonstit. DeiFilius, cap. ni, S 3. 2. Ibid.. can. 5.

NÉCESSITÉ DE LA GRACE POUR l'aCTE DE FOI 3oi

C'est de cette foi morte que parle le concile du Vatican. IL enseigne, tout comme le concile de Trente, qu'elle peut exister sans la grâce sancti- fiante et la charité ; car elle n'est effectivement détruite que par un acte positif, volontaire, grave- ment coupable d'infidélité, par un péché formelle- ment opposé à la foi. ïl enseigne encore que lés actes de cette foi morte sont des œuvres qui se rapportent au salut. L'acte de foi, en effet, même quand il n'est pas vivifié par la charité, tend vers la fin dernière : il a Dieu pour objet. S'il n'est pas encore le salut, il en est du moins le germe, la préparation, le commencement ou, comme dit le concile de Trente, le « fondement » et la « racine. » Le concile du Vatican enseigne enfin que non seulement cette foi mais encore ses actes sont pro- duits avec le concours de la grâce ; et, en tant que vertu, elle est un don de Dieu.

Quant à l'acte de foi salutaire, il peut être fait même par celui qui n'a jamais eu ou qui a p^rdu la vertu de foi ; dans ce cas, la vertu absente est suppléée par un secours transitoire de Dieu. Mais qu'il soit produit à l'aide de la vertu de foi ou d'un s cours momentané, cet acte de foi salutaire a tjujours pour cause des grâces actuelles qui le pré- viennent et l'accompagnent, aspirante et adjuvante gratta, comme s'exprime le concile du Vatican, iiiconsentiendo et credendo, consentiendoet cooj>erando; grâces prévenantes d'illumination pour l'esprit, grâces adjuvantes d'inspiration pour la volonté, grâces qui par leur suavité entraînent la volonté pour lui faire commander à l'intelligence l'assenti- ment qui constitue proprement l'acte de foi.

5. On voit ainsi, à la lumière de l'enseignement dogmatique du concile du Vatican, les divers éléments qui entrent dans l'acte de foi. C'est un

302 LE CATÉCHISME ROMAIN

assentiment certain et ferme de cette intelligence, ayant pour dernier motif ou pour objet formel, non pas la vérité intrinsèque des choses perçue à la lumière naturelle de la raison, mais l'autorité même de la parole de Dieu ; c'est un assentiment d'ordre intellectuel, une véritable connaissance ; c'est un assentiment qui n'est nullement provoqué par un mouvement aveugle, mais rationnellement fondé sur un des motifs certains de crédibilité, et pour- tant libre, car il n'est pas et ne peut pas être l'effet nécessaire du raisonnement humain ; c'est un assentiment la grâce de Dieu intervient pour prêter son concours nécessaire et efficace à l'intel- ligence et à la volonté. Par il devient ce rationa- bile obsequium, dont parle saint Paul, cet obsequium rationi consentaneum, dont parle le concile du Vatican, ce plein hommage de l'esprit et de la volonté, par la créature à son Créateur et Sei- gneur, mais librement rendu par l'âme qui accepte docilement, avec la grâce de Dieu, et très raison- nablement, en pleine connaissance de cause, l'en- seignement qu'il a plu à Dieu de communiquer à l'homme.

6. Et si tel est l'acte de foi, que doit donc être la vertu infuse qui permet de le faire normalement et comme sans effort ? « Elle est, dit Mgr Gay, le couronnement divin de notre intelligence ; un diadème de lumière céleste, dont la main tout aimante de Dieu ceint notre front invisible ; un supplément merveilleux à nos insuffisances men- tales ; une immense extension de nos frontières spirituelles ; une énergie surhumaine ajoutée à nos énergies premières, et comme le prolongement en Dieu de notre être moral. Elle est notre proportion intellectuelle avec la vie intime de l'infini, notre participation réelle à la connaissance essentielle que

LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3o3

Dieu a de lui-même, la clé des idiomes ineffables, le lieu et le moyen de nos entretiens immédiats avec la très sainte Trinité (i). »

III. Les propriétés de la foi

Les propriétés logiques et morales de la foi se ramènent au nombre de quatre, d'après les théolo- giens : la foi est vraie, certaine, obscure et ferme. M. Maisonneuve résume ainsi cette doctrine dans cette thèse : « L'acte de foi divin, essentiellement vrai en son objet matériel et en son objet formel, est nécessairement certain, d'une certitude souve- raine impliquant l'infaillibilité objective et la fermeté subjective de l'adhésion. Il ne peut exister de juste cause de rétracter ou de suspendre l'assentiment une fois donné, malgré Vobscurité inhérente au témoi- gnage et la liberté de l'adhésion, conciliables, en certains cas, avec l'évidence de l'objet matériel et de l'objet formel (2). »

1. La foi est vraie, qu'on la considère soit dans son objet formel, soit dans son objet matériel. Son objet formel est l'autorité de Dieu, sa science infail- lible et sa véracité absolue ; Dieu ne peut enseigner que la vérité. Son objet matériel est la révélation même de Dieu qui ne peut contenir que la vérité. Et dès lors le faux ne saurait entrer à aucun titre dans la foi. Voici comment le prouve saint Thomas. Aucune des vertus, ayant pour effet de perfectionner l'intelligence, ne peut se rapporter à Terreur qui est le mal de l'intelligence. Or, la foi est une de ces

1 . Mgr Gay, De la vie et des vertus chrétiennes, 6' édit. , Paris, 1878, 1. 1, p, i63. a. L'acte de foi, dans le Bulletin de littéra- ture ecclésiastique, 1904, p. 173.

3o4 LE CATÉCHISME ROMAIN

vertus. Donc la foi ne peut être fausse dans son objet. Pour arriver à sa fin, toute puissance, toute vertu, tout acte a besoin comme intermédiaire de son objet formel. C'est ainsi que la couleur ne peut être vue sans le secours de la lumière, et on ne peut atteindre la conclusion que par la démonstra- tion. Or, Dieu, vérité première, est l'objet formel de la foi. Donc rien ne peut entrer dans le domaine de la foi sans relever de cette vérité première, qui ne saurait pas plus comporter l'erreur que l'être n'est compatible avec le néant, le bien avec le mal (i).

Le croyant sait que ce qui est révélé ne peut être que vrai ; il sait aussi que Dieu a révélé. Assuré ainsi du contenu et du fait de la révélation, il ne se trompe pas. Il peut se faire néanmoins qu'il regarde comme appartenant à la révélation quelque chose qui lui est réellement étranger ; il se trompe alors sur l'objet matériel de la foi ; il se trompe égale- ment en estimant que l'objet formel l'autorise à y adhérer ; mais, dans ce cas, l'assentiment qu'il donne ne saurait être un acte de foi divine, c'est un acte de pure crédulité. Sa volonté peut être droite, honnête, animée d'un sentiment pieux ; mais le jugement est erroné. Et tant que l'erreur persiste, il est obligé, sur les injonctions de sa conscience, de croire révélé ce qui pourtant ne l'est pas, sous peine de manquer au respect et à l'obéissance qu'il croit devoir à Dieu. Heureusement, en pratique, ce cas est fort rare.

2. La foi est certaine. La certitude naît de l'évi- dence ; mais l'évidence est dans les choses et la certitude est dans l'esprit. Il ne s'agit pas ici de l'évidence intrinsèque, immédiate ou médiate, et de la certitude qui en résulte et qui fonde la science,

i. Sum. theol, n" n," Q. i, a. 3.

LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3o5

mais de l'évidence et de la certitude qui convien- nent à la foi. Or, dans la foi, l'évidence ne se trouve pas dans la chose ou le fait qui est l'objet matériel de la croyance, mais dans l'autorité extérieure qui en témoigne, dans les qualités de science et de véracité du témoin, dans la clarté et la netteté du témoignage, dans les preuves de la révélation ; d'où la certitude en nous que ce que Dieu a dit ne peut être que l'expression de la vérité. Le motif de notre assentiment, la cause de notre adhésion, étant In science infaillible, la véracité absolue de Dieu, Die^i lui même, la vérité par essence, la certitude de notre foi l'emporte de ce côté sur toute certitude scienti- fique, expérimentale ou rationnelle.

Subjectivement en est-il ainsi ? L'affirmation ne semble-t-elle pas contraire au sens intime ? A cette question, M. Maisonneuve répond très succincte- ment : « Je ne puis mettre en doute certains théorèmes géométriques ou certaines opérations arithmétiques, tandis que le fait de l'Incarnation ou l'efficacité de la Rédemption peuvent laisser le champ libre à des doutes, non coupables, involon- taires, mais réels. Pour résoudre cette difficulté, il a fallu étudier la question logique des degrés de la certitude, la théorie de la connaissance et instituer une critique des moyens d'arriver au vrai. On peut en conclure qu'il y a certainement une harmonie plus naturelle entre les faits d'expérience, les vérités d'intuition et notre intelligence qu'entre celle-ci et les objets de nos croyances. Raisonnable, l'homme sera plus satisfait par une démonstration géométri- que que par l'affirmation d'un témoin ; le lien de l'intelligible et de l'intelligence lui apparaît plus clair dans ce principe de contradiction que dans la réalité du sacrement de l'Eucharistie. Mais, d'autre part, puisque c'est en vertu d'un jugement propre

LE CAr'-'' ,,r!. T. I. 20

3o6 LE CATÉCHISME ROMAIN

qu'il admet le principe, tandis que c'est par un jugement de Dieu, devenu le sien, qu'il croit à la présence réelle, la certitude surnaturelle l'emporte, à raison même du motif, sur toute assurance hu- maine et créée de posséder la vérité (i). »

Saint Thomas se pose la question de savoir si la certitude de la foi est plus grande que celle de la science et des autres vertus intellectuelles ; il la résout ainsi. Parmi les vertus intellectuelles, deux ont pour objet les choses contingentes : la prudence et l'art. La foi l'emporte sur elles en certitude par la nature de son objet, puisqu'elle se rapporte aux choses éternelles, qui ne peuvent être autrement qu'elles ne sont. Les trois autres vertus intellec- tuelles, la sagesse, la science et l'intelligence ont pour objet les choses nécessaires ; mais ces trois vertus peuvent se prendre ou pour des vertus intellectuelles, comme les entend Aristote, ou pour des dons du Saint-Esprit. Dans le premier cas, la certitude peut-être considérée de deux manières : d'abord, relativement à la cause de la certitude même ; sous ce rapport, ce qui a une cause plus certaine est également plus certain ; et, par là, la foi, reposant sur la vérité première, est plus cer- taine que ces trois vertus, qui reposent sur la raison humaine. En second lieu, relativement à son sujet, et alors ce qu'il y a de plus certain est ce que l'in- telligence de l'homme perçoit plus pleinement. Dans ce sens, la foi est moins certaine que la sagesse, la science et l'intelligence, qui n'ont pas pour objet, comme elle, des choses supérieures à l'entendement humain. Mais, comme pour apprécier une chose d'une manière absolue, il faut la considérer dans sa cause, et que l'appréciation n'est que relative, si l'on

i. L'acte dejoi, loc. cit., p. 175.

LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3oj

considère seulement la disposition du sujet par .rapport à cette même chose, il s'ensuit que la foi est plus certaine absolument, tandis que les trois autres vertus sont plus certaines relativement, c'est-à-dire par rapport à nous. De même, si l'on prend ces trois vertus pour des dons de la vie présente, elles se rapportent, comme à leur principe, à la foi, qu'elles présupposent ; et par conséquent, dans ce sens encore, la foi est plus certaine que ces autres vertus (i).

L'homme, observe encore saint Thomas, est beau- coup plus certain de ce qu'il apprend de Dieu, qui est infaillible, que de ce qu'il voit par sa propre raison, laquelle est sujette à l'erreur. La perfection de l'in- telligence et de la science est supérieure à la con- naissance de la foi sous le rapport de l'évidence, mais non sous le rapport de l'adhésion de l'esprit parce que l'intelligence et la science, considérées comme des dons, tirent toute leur certitude de la certitude de la foi, de même que la certitude des conclusions procède de la certitude des principes. Si l'on prend la science, la sagesse et l'intelligence pour des vertus intellectuelles, elles reposent sur les lumières naturelles de la raison, qui n'a pas la certitude absolue, ni celle de la parole de Dieu, sur laquelle repose la foi (2).

3. La foi est obscure. Vraie et certaine, la foi ne donne pas sur la vérité de son objet matériel une connaissance parfaite ; celle-ci reste entourée d'om- bres et ne nous offre pas en elle-même l'évidence que nous rencontrons dans les données expérimentales ou les déductions scientifiques. Dieu, en daignant nous manifester l'existence de certains faits et de

1. Sam. theol, 11* na, Q. it, a. 8. a. Ibid., Q. it, a. 8. ad a et 3.

3o8 LE CATÉCHISME ROMAIN

certaines vérités, qui nous dépassent, ne nous fait pas connaître leur nature intime ; et par le fait ou la vérité, qu'il nous propose de croire, n'entraîne pas et ne détermine pas notre assentiment ; nous y adhérons pour un motif distinct de ces faits ou de ces vérités, extérieur, voilé d'ombres.

Mais certains faits, certaines vérités, qui font l'objet de la révélation, sont d'ordre naturel et peu- vent être connus parles seules lumières de la raison. Dans ce cas, peuvent-ils également faire l'objet de la foi ? Sans aucun doute, comme l'enseigne le con- cile du Vatican, parce qu'ils ont été révélés par Dieu; et du moment que Dieu les a révélés, quiconque les ignorerait, bien qu'ils soient accessibles à la raison, peut faire à leur sujet un acte de foi.

Une autre question se pose, celle de savoir si on peut faire un acte de foi surnaturelle à une vérité révélée qu'on se serait déjà démontrée à soi-même par la raison. Est-il possible qu'un homme fasse un acte de foi à une vérité qu'il connaît par des preu- ves naturelles ? En d'autres termes, un objet de science peut-il être en même temps un objet de foi ?

Cette question est fort controversée parmi les théologiens. Saint Thomas a dit : « Non est possible quod idem ab eodem sit scitum et creditum (i). » Et l'école thomiste a soutenu en conséquence qu'on ne saurait croire ce que l'on sait. Quiconque donc s'est démontré rationnellement certains dogmes ne sau- rait y croire par un véritable acte de foi, car son assentiment ne provient pas de leur révélation, mais de leur démonstration. Dans ce cas, la révélation ne fait que corroborer l'assentiment fondé sur la raison. Par suite, le domaine de la foi, chez les savants, serait moins étendu que chez les ignorants.

i. Ibid., Q. i, a. 5,

LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3og

Mais, après le concile de Trente, la plupart des théologiens se sont rangés à un avis opposé. Piien n'empêche, disent-ils, de croire par un véritable acte de foi des vérités rationnellement démontrées. Et dès lors la seule différence entre le savant et l'ignorant par rapport à ces vérités, c'est que le pre- mier leur donne une adhésion naturelle de raison et un assentiment surnaturel de foi, tandis que le second ne les admet que par la foi.

La plupart des thomistes admettent cependant qu'un savant peut faire un acte de foi à une vérité déjà acquise par lui, quand il ne pense pas actuel- lement à la démonstration qui la lui a fait connaî- tre. D'autre part, Suarez regarde l'acte de foi et l'acte de connaissance naturelle, qui portent sur la même vérité, comme deux actes distincts et successifs (i).

Reste un point particulier sur lequel le désaccord persiste, celui-ci : peut-on faire un acte de foi à une vérité en même temps que la démonstration natu- relle de cette vérité est au moins vaguement pré- sente à l'esprit ? C'est ce que nient les thomistes.

Mazella (2) et Didiot (3) invoquent les enseigne- ments du concile du Vatican contre l'opinion tho- miste. Ils estiment que la controverse n'est plus libre désormais. Mais c'est justement ce que se refu- sent à admettre les thomistes ; ils maintiennent leurs distinctions, ils précisent le point litigieux, ils montrent que la constitution Dei Fillus n'enseigne pas du tout que ces vérités révélées peuvent être l'objet d'un véritable acte de foi de la part du savant qui se les démontre naturellement.

Quoi qu'il en soit, d'après le concile du Vatican, l'acte de foi ne requiert qu'une adhésion de notre

1. De fide, Disp. ni, sect. 9, n. 7 et 10. 2. De virtutibus infusis, n. 464. 3. Logique surnaturelle subjective, n. 477 sq.

3lO LE CATÉCHISME ROMAIN

esprit à cause de l'autorité de Dieu révélateur ; il n'est donc pas nécessaire que telle vérité révélée n'ait pas été démontrée rationnellement à celui qui la croit. Connues par la science ou acceptées par la foi, des vérités identiques n'ont pas le même motif de connaissance ou d'adhésion. Le savant peut donc dire : je connais telle et telle vérité, puisque ma rai- son la démontre. Il peut dire aussi, car il ne faitpas toujours acte de savant : je crois telle ou telle vérité parce que Dieu a daigné la révéler.

4. La foi est ferme. Malgré son obscurité, mais parce qu'elle est vraie et certaine, la foi doit persé- vérer fermement chez ceux qui la possèdent, quels que soient d'ailleurs les épreuves et les déceptions de la vie, les progrès de la culture intellectuelle et tout ce qui peut naître d'objections dans l'ordre moral, historique ou scientifique. N'étant pas la con- clusion naturelle et nécessaire d'un syllogisme, elle ne saurait dépendre de la rectitude de notre logique; elle est un assentiment de l'intelligence à la vérité révélée sous la motion de la volonté. Or, la volonté qui ne commande pas en aveugle, mais par une sage mesure de prudence, continue son rôle et raf- fermit la foi, en dépit des difficultés et des obstacles. Pour remplir cette tâche protectrice, elle trouve dans l'Eglise des mobiles qui portent à maintenir toujours et quand même la foi vivante dans l'esprit.

L'Eglise, en effet, possède un éclat apologétique incomparable et unique, qui permet de discerner la foi véritable et aussi d'y persévérer constamment; elle le doit aux signes manifestes de son institution, aux notes nombreuses et frappantes dont Dieu l'a revêtue, à son admirable propagation, à son invin- cible stabilité, à son unité, et elle constitue ainsi un grand et perpétuel motif de crédibilité. D'où a il résulte, ainsi que s'exprime la Constitution

LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3ll

Dei Filius, que comme un étendard levé sous les yeux des nations, elle appelle à elle ceux qui n'ont pas encore cru et elle donne à ses enfants une assurance plus certaine que la foi qu'ils professent repose sur un très ferme fondement. A ce témoi- gnage s'ajoute le secours efficace de la vertu d'en haut. Car, par sa grâce, le Seigneur très miséricor- dieux excite ceux qui sont dans l'erreur et les aide à parvenir à la connaissance de la vérité. Il donne aussi sa grâce à ceux qu'il a fait passer des ténèbres dans son admirable lumière, n'abandonnant que ceux qui l'abandonnent. C'est pourquoi toute autre est la condition de ceux qui, par le don céleste de la foi, ont adhéré à la vérité catholique et de ceux qui, conduits par des vues tout humaines, professent une fausse religion. Car ceux qui ont reçu la foi par les enseignements de l'Eglise, ne peuvent jamais avoir aucune juste cause de changer cette foi ou de la révoquer en doute (i). »

Le concile distingue avec raison les catholiques de ceux du dehors : leurs droits et leurs devoirs ne sauraient être les mêmes. Celui du dehors a besoin d'examiner l'autorité qui légitime la croyance, l'obligation qui l'impose, la formule dogmatique qui la lui propose ; il doit nécessairement peser les motifs de crédibilité ; et s'il est de bonne volonté, sincère et droit, nul doute que Dieu ne l'amène à la foi qui sauve. Quant au catholique, il connaît l'autorité doctrinale de l'Eglise, il accepte l'obligation de croire et de combattre le doute ; et s'il étudie sa religion, ce n'est pas pour établir, mais pour confirmer sa croyance. Or, le concile définit qu'il ne saurait avoir de juste cause de changer sa foi ou de la révoquer en doute : qu'est-ce à dire ? Le canon

i. Const. Dei Filius, c. m, S 6.

3l2 LE CATÉCHISME ROMAIN

6 dit « anathème à qui dirait que les fidèles sont dans la même condition que ceux qui ne sont pas encore parvenus à- la foi seule véritable, de telle sorte que les catholiques peuvent avoir une juste cause de suspendre leur assentiment pour mettre en doute la foi qu'ils ont déjà reçue par les enseigne- ments de l'Eglise, jusqu'à ce qu'ils aient terminé la démonstration scientifique de la crédibilité et de la vérité de leur foi. »

Ce texte du chapitre et du canon porte qu'un catholique ne peut avoir de juste cause de mettre sa foi en doute. Ces mots juste cause peuvent signifier une persuasion subjective ou une raison objective. Le concile a-t-il donc défini qu'un catholique ne saurait révoquer sa foi en doute sans pécher formellement, ou bien a-t-il entendu dire seulement qu'il ne peut y avoir de raison en soi légitime de douter de la foi chrétienne ? La différence est notable.

M. Vacant, qui a étudié de près cette question, ne connaît qu'un seul théologien qui ait soutenu ex professo le premier sentiment ; il cite, au contraire, Franzelin (i), Mgr Martin, évêque de Paderborn, rapporteur au concile de la Députation de la foi (2), Mgr Ciasca (3), M. Didiot (4), et le P. Granderath (5), qui embrassent le second senti- ment, et il pense comme eux, d'après le texte même de la constitution et d'après les actes du concile.

Mettre en doute sa foi est toujours, de la part d'un catholique, une faute au moins matérielle, mais ce n'est pas toujours et nécessairement une

1. De traditione divina, Rome, 1875, 2e édit., p. 687.

2. Les travaux du concile du Vatican, trad., 1873, p. it\-

3. Examen saper constitutionem dogmaticam de jide catholica, 1872, p. 228. 4- Logique surnaturelle objective, 1892, th. xci. 5. ConstitiUiones dogmaticœ Conc. Vallcani explicatœ, 1892, p. 61 .

LES PROPRIÉTÉS DE LA FCI 3l3

faute formelle. Mais, objectivement parlant, et c'est que porte la définition, il ne saurait y avoir de raison vraie qui autorise un catholique à douter de sa foi.

Au point de vue des preuves de la vraie foi et des grâces accordées pour croire, catholiques et incré- dules ne sont pas dans une condition différente : preuves et grâces sont données aux uns et aux autres, aux premiers pour persévérer, aux seconds pour se convertir. Mais au point de vue de la reli- gion qu'ils professent, leur condition n'est pas du tout la môme : au catholique incombe l'obligation de persévérer, parce qu'il ne peut avoir aucune cause juste ou objectivement vraie de douter de sa foi ; à l'incrédule incombe le devoir d'abandonner son erreur.

Le texte du troisième chapitre et le canon 6 qui y correspond ont le même sens : ils ne définissent pas que douter de sa foi, pour un catholique, soit en tout état de cause et toujours un péché mortel ; mais ils définissent qu'un catholique n'a pas le droit d'abandonner sa foi ou que l'abandon de la foi véritable est en soi une faute. Quelle faute? très certainement une faute matérielle ; mais ils ne s'expliquent pas sur la question de savoir si elle peut être quelquefois purement matérielle ou si elle est toujours formelle.

Reste la question suivante : Peut-on perdre la foi sans pécher ?

La perte de la foi peut s'entendre de trois maniè- res : ou bien c'est l'acte par lequel, après avoir cru, le fidèle rejette ou met en doute un ou plusieurs dogmes révélés ; ou bien la perte de la vertu surnaturelle de la foi ; ou bien enfin cet état d'esprit si fréquent de nos jours, qui fait que des baptisés tombent dans une ignorance et des préjugés

3l4 LE CATÉCHISME ROMAIN

qui les mettent das l'impossibilité de croire actuel- lement certaines vérités révélées ou même la révéla- tion dans son ensemble. Un fidèle peut-il sans péché matériel ou sans péché formel, rejeter ou mettre en doute une vérité de foi, perdre la vertu de foi, tomber dans un état d'ignorance et de préjugés qui le rende incapable de croire ?

Disons d'abord un mot de la perte de la foi, entendue dans le premier sens. Du moment qu'il y a obligation de croire à toutes les vérités que l'Eglise nous propose comme révélées, il y a toujours péché matériel à rejeter ou à mettre en doute un dogme de foi catholique. Le cas peut se présenter pourtant d'un fidèle qui, par une ignorance invin- cible, rejette ou révoque en doute un dogme de foi parce qu'il ne le croit pas révélé ; il n'y a alors qu'une faute matérielle. Cette ignorance invincible peut elle s'étendre à tous les dogmes ? Dans un milieu chrétien, cela semble impossible, et dès lors il y aurait faute formelle. Dans un milieu païen, et particulièrement pour des enfants baptisés, mais élevés parmi des infidèles, cela semble possible, et dès lors, faute de responsabilité, l'infidélité ne peut être imputée comme une faute formelle (1).

Quant à la vertu de foi, peut-on la perdre sans pécher? Cette vertu, d'après le concile de Trente (2), ne disparait que par un péché formel et gravement coupable d'infidélité. Par suite tout autre péché, même contre la foi, la laisse subsister. Cette vertu ne serait donc détruite ni chez celui qui, par une ignorance même vincible, rejetterait un ou plusieurs dogmes, ni chez celui qui s'exposerait d'un façon coupable à tomber dans l'hérésie (3).

1. De Lugo, Defide, Disp. xix, sect. 1, n. 10, sq. 2. Sess» vi, c. xv. 3. De Lugo, Defide, Disp. xvn, sect. 5 ; cf. Suarez, De fide, Disp. xvn, sect. 2, n.

LES PROPRIÉTÉS DE LA FOI 3l5

Que penser enfin de la perte de la foi chez ceux dont les dispositions intellectuelles et morales rendent actuellement impossible l'acte de foi ? u Aujourd'hui, dit Vacant, ce cas se réalise surtout chez cette foule d'hommes, qui, après avoir cru pendant leur enfance et fait une première commu- nion vraiment chrétienne, perdent ensuite peu à peu leurs convictions religieuses et en viennent à mettre en doute ou à nier tous les dogmes qu'ils admettaient autrefois. Beaucoup d'entre eux ne sauraient dire le moment précis ce changement s'est opéré. Ils ont vécu dans un milieu, leur esprit s'est rempli de préjugés contre la religion, et peu à peu ces préjugés ont remplacé les croyances de leur enfance. Quelques-uns assurent qu'ils seraient heureux de croire comme au jour de leur première communion, mais qu'ils ne le peuvent plus. Un très grand nombre disent et pensent que leur incrédulité n'est aucunement coupable. Est-ce illusion de leur part, ou bien est-il possible qu'ils aient perdu leurs anciennes convictions sans pécher (i).

Tout d'abord leur incrédulité constitue une faute matérielle. Gonstitue-t-elle une faute formelle? Sans soupçonner d'illusion ou de mensonge leurs affir- mations, on peut croire qu'après avoir commis la faute de se laisser dominer par les préjugés, il en est qui arrivent à ce point leur incrédulité, cou- pable dans sa cause, n'est pas un péché formel par elle-même.

Mais il en est qui prétendent qu'ils sont irrespon- sables même de leur transformation première, et qu'ils sont devenus incrédules sans pécher formel- lement. Gela paraît assez difficile à admettre. Il faut

i. La constit. Dei Filius, t. u, p. 176.

3l6 LE CATÉCHISME ROMAIN

remarquer cependant, avec M. Vacant, que certains catholiques, trop peu instruits de leur religion, se trouvent, au sortir de l'enfance, jetés dans un milieu ils sont assaillis d'objections de toutes sortes, contre lesquelles les enseignements reçus à l'Eglise ne leur fournissent pas de réponse. Si ces hommes sont coupables, et ils le sont, leur péché formel sera de s'être trop peu instruits et de n'avoir pas évité le danger.

Poussant plus loin, serait-il permis de supposer que, parmi ces fidèles ignorants, qui ont été jetés dans un milieu leur médiocre instruction était impuissante à les préserver de l'erreur, il en est quelques-uns qui n'auraient pu s'instruire davan- tage, ni éviter ces objections, et qui par conséquent ont perdu les convictions religieuses de leur enfance, non seulement sans perdre la vertu de foi, mais en- core sans commettre aucune faute formelle contre la foi ? Cette hypothèse n'a que trop lieu de se faire de nos jours. Et, sur ce point spécial et délicat, le concile du Vatican ne s'est pas prononcé, et la question ne paraît pas jusqu'ici avoir été résolue d'une façon indiscutable. Aussi disons-nous avec M. Vacant qu'en cette matière d'incrédulité contempo- raine, il n'y a que Fœil de Dieu qui puisse scruter complètement le fond des consciences et faire la juste et entière part des responsabilités (i).

IV. Conception nouvelle de la Foi

La question des rapports de l'histoire et du dogme, au sujet de la valeur historique des dogmes, n'a pas été sans soulever, ces derniers temps, de passion-

i. Vacant, La constit. Del Filius, t. n, p. 164-179.

CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI Sl'J

nantes controverses. D'un côté, se dessine une théo- rie nouvelle de la foi ; de l'autre, on se refuse à Faccepter. En quoi consiste-t-elle ? Quels sont ses caractères ? Quelle en est la clef ?

1. L'analyse de cette théorie nouvelle et Fattribu-. tion qui en rend solidaire l'école de l'immanence sont le fait d'un correspondant anonyme du Bulle- tin de littérature ecclésiastique (i). Ce correspondant, fort sympathique, du reste, aux idées nouvelles, a découvert et formulé l'idée maîtresse qui forme la base, parfois latente, il est vrai, mais très réelle d'un grand nombre de théories modernes de la révélation. Il a observé d'un regard pénétrant que tous les pen- seurs, dont il comparait les doctrines, M. Loisy, M. de Hugel, M. Blondel, M. Laberthonnière, le P. Tyrrel, s'accordent à modifier la notion tradition- nelle de la foi. « Tandis que la théologie classique, dit-il, considère la foi comme une adhésion de l'es- prit à une vérité spéculative énoncée dans une for- mule abstraite, ou à un fait connu par voie 'de témoignage, vérité ou fait dont l'autorité de Dieu même est le garant, on trouve, sinon explicitement exprimée, du moins supposée, chez M. Loisy, comme chez M. Blondel, M. Laberthonnière, et le P. Tyrrel, une conception de la foi, qui met l'accent sur son élément moral plutôt que sur son élément intellectuel, et marque plus fortement la différence entre Facte de foi et la connaissance scientifique (2). »

2. Or, dans cette notion nouvelle, il signale deux caractères. D'abord l'élément moral domine Félé-

1. La valeur historique du dogme, dans le Bulletin de litt. ecct., 1904, p. 338-357. Contre cet article ont protesté M. Blondel et M. Laberthonnière. Le critique du Bulletin a répondu dans le Bulletin de igo5, p. i3i-i38. Avec son autorisation, nous ne faisons que résumer sa réponse, en employant autant que pos- sible ses propres expressions. 2. Bulletin, 1904, p. 343.

3l8 LE CATÉCHISME ROMAIN

ment intellectuel. « L'acte de foi implique avant tout une altitude morale, et c'est ainsi la volonté, non l'intelligence, qui y a la part principale (i). » Puis, le rôle de l'intelligence, déjà si restreint, mais non anéanti, est conçu comme une perception, une sorte d'intuition des réalités divines dans les phéno- mènes de ce monde, et spécialement dans les faits religieux. « On a reconnu que les faits sont la base de la foi, que la foi n'est autre chose que la percep- tion dans leur réalité sensible de la présence et de l'action de Dieu (2). » « Si les faits, dans leur réalité matérielle, ne sont pas objets de foi, ils servent de base à la foi, en tant qu'ils sont révélateurs des réalités divines. Dieu parle à l'âme religieuse par les faits, qui manifestent son action dans l'histoire, non moins que par l'enseignement direct. Les faits de l'histoire religieuse par leur contenu suprasensible, constituent donc une part de ce qu'on pourrait appeler la révélation objective. Mise en face de ces faits, l'âme religieuse, éclairée par Faction intérieure de l'esprit de Dieu, saisit à travers eux, par une sorte d'intuition, la réalité surnaturelle dont ils sont l'expression, tout comme la raison saisit son objet, l'universel, dans le particulier ; et cette réaction du sens religieux, sous l'action extérieure des faits, est cela même qui constitue l'acte de foi (3). ))

3. Enfin il donne la clef de cette théorie de la foi, en attirant l'attention sur le principe fondamental supposé par les diverses écoles modernes. Dans tout événement de ce monde, et spécialement dans la vie de l'humanité, il faut distinguer un double côté des choses : d'abord l'aspect phénoménal, sen- sible, extérieur, qui constitue le domaine exclusif

1. Ibid., p. 343. a. Ibid., p. 354. 3. Ibid., p. 347.

CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 3l9

de la science et de l'histoire ; et puis le côté intime, suprasensible, de tous les êtres, inaccessible au pur savant et au pur historien, sphère réservée « les investigations du philosophe et les intuitions du croyant sont seules capables de pénétrer (i). »

[\. Dans l'exposition de cette foi moderne, M. La- berthonnière prétend trouver des contradictions, mais à tort. Les deux éléments qu'il essaye de con- fondre sont : la foi, dans ce système, est surtout un acte de volonté. Or s'appuyer sur le Christ, sur Dieu, pour en faire le centre de sa vie, c'est le fait non de la pure foi, mais de la foi vivifiée par la charité. L'intelligence y a aussi son rôle, et c'est l'élément intellectuel de la foi, qui nous est repré- senté comme étant la perception des réalités divines dans les phénomènes de ce monde ; mais c'est trop peu : une telle intuition sera peut-être une philo- sophie, jamais un acte de foi.

5. Dans les déclarations de M. Blondel et de M. Laberthonnière, il y a une lacune regrettable. Au lieu d'un simple désaveu de la théorie nouvelle, ils ont négligé de profiter de l'occasion pour for- muler en quelques mots nets et précis leur pensée sur la nature et l'objet de la foi. M. Blondel, il est vrai, prépare un exposé doctrinal, qui donnera de sa pensée sur la foi une explication décisive. Mais M. Laberthonnière, qui vient de publier un second ouvrage, le Réalisme chrétien et V idéalisme grec, est-il autorisé à se plaindre des idées que le correspondant anonyme lui attribuait? Sans doute, ces idées, il les réprouve aujourd'hui. Mais, sans le vouloir, n'a-t-il pas, dans plus d'une page, prêté à cette pré- tendue substitution de sa pensée ? L'interprétation de son système est précisément celle qu'ont puisée

I. lbid., p. 34a.

320 LE CATÉCHISME ROMAIN

dans ses livres les esprits les plus dégagés de préoc- cupations théologiques.

Voici en effet, ce qu'écrivait, à propos de ses Essais de philosophie religieuse, un critique indépen- dant : « M. Laberthoimière essaie d'une façon originale de retrouver le catholicisme par le libre effort de sa pensée intérieure : je ne dis pas la morale évangélique ou la théologie chrétienne, mais le catholicisme, l'Eglise, la révélation, l'au- torité. Il a bien marqué l'analogie de sa tentative avec celle de Pascal. J'ai peine à ne pas donner raison aux théologiens qui lui ont reproché que « c'était par le fait même se passer des miracles, de la révélation, de l'autorité de l'Eglise. » Cette au- tonomie active par laquelle nous faisons jaillir la vérité de nous-mêmes, et le christianisme qui en résulte, fait de M. Laberthonnière un protestant (i). Non pas un luthérien, ni un calviniste, mais un pro- testant d'une secte nouvelle. Il a beau être catholi- que à la fin, au point de départ et pendant tout le chemin, c'est un protestant, même un penseur libre. Et il est impossible qu'à l'arrivée, l'autorité de la Révélation et de l'Eglise ne soit pas transformée en une autorité qui ne liera qu'autant que l'être autonome consentira à être lié (2). »

Le Réalisme chrétien et l'idéalisme grec, venant après ces critiques, aura-t-il dissipé toutes les obs- curités? Une paraît pas, à en juger par l'appréciation d'un autre juge également sympathique et indépen- dant. M. A. Lilley, en effet, organe encore jeune de l'anglicanisme libéral, résumant avec bienveillance les vues de M. Laberthonnière dans ses deux ou- vrages, retrace le dogmatisme moral et la foi de la

1. Ce qualificatif appelle d'expresses réserves. a. Lanson dans la Revue universitaire, 1903, p. 428.

CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 321

philosophie de l'immanence en ces formules peu rassurantes : « Les affirmations dogmatiques du christianisme sont révélées seulement en ce sens qu'elles sont l'expression la plus satisfaisante qu'on ait pu trouver de cette vie (morale), et qu'elles peu- vent constituer le stimulant le plus puissant à ses progrès ultérieurs. » Puis, parlant de l'esprit du christianisme auquel seul peut s'appliquer la con- ception du dogme immuable, il dit : « Et cet esprit est l'assertion de foi, cette énergie morale de l'homme qui peut seule affirmer la réalité. Comme nous l'avons vu, cette foi est rationnelle dans le sens le plus élevé de ce mot. L'affirmation immédiate de la réalité est une affirmation qui implique la raison. Mais l'explication logique de son contenu peut tou- jours dépendre de ce fait que nous saisissons la réalité à travers les phénomènes. Ainsi le dogme chrétien par son côté intellectuel est provisoire et relatif. Tout terme employé pour l'exprimer est susceptible de profondes modifications; il les a en réalité subies dans le passé, et il est exposé à les subir continuellement dans l'avenir... La tradition chrétienne est ce que M. Laberthonnière appelle la vérité du Christ... Ni aujourd'hui, ni jamais dans le passé la vérité (de Jésus-Christ) n'a pu être reconnue ou établie par les faits de l'histoire, bien que na- turellement, comme tout autre vérité concrète, elle ait été donnée dans les faits de l'histoire... La vérité du Christ est une affirmation de cette foi rationnelle qui est l'expression nécessaire de l'esprit de l'homme dans la plénitude de son activité. Les événements du monde phénoménal par lesquels elle nous est révélée sont entièrement enfermés dans la sphère du criticisme historique (i). »

i. A.Lilley.dans The Hibbert journal, octobre 1904, p. 179, i83.

LB CATÉCHISMB. T. I. 21

32 2 LE CATÉCHISME ROMAIN

Il va de soi qu'on ne saurait rendre M. Laber- thonnière responsable des interprétations de ses lecteurs. Mais enfin, si telle est l'impression pro- duite à la fois sur les théologiens dont il s'est plaint si souvent, sur des critiques sympathiques comme le correspondant anonyme du Bulletin, sur des penseurs totalement étrangers à nos querelles d'écoles, comme M. Lanson, sur des esprits saturés de la philosophie moderne, comme M. Lilley, il faut bien qu'il y ait de grandes obscurités dans son exposé pour que, venus des points les plus éloignés de l'horizon intellectuel, tous ou à peu près s'accordent à trouver dans son système une théorie de la foi si éloignée de la doctrine classique.

6. Dans cette conception nouvelle, au lieu du témoignage divin, on met dans la foi l'intuition des réalités surnaturelles par le sens religieux. M. Laberthonnière s'en défend. Et pourtant ses propres textes, dans leur ensemble, et en particulier le principe fondamental de V autonomie de la pensée, tel qu'il est développé dans l'introduction des Essais, justifie cette interprétation. « L'idée fondamentale qui, malgré toutes les divergences, s'est affirmée plus énergiquement que jamais à travers la philo- sophie moderne, à savoir qu'il n'y a pas de vérité pour l'homme qu'il ait à subir, parce que cette vérité alors serait pour lui une compression au lieu d'un épanouissement, l'esclavage au lieu de la liberté, la mort au lieu de la vie, cette idée nous l'acceptons en pleine connaissance de cause. Et nous ne pen- sons pas que personne ose explicitement la rejeter. Du reste, n'est-elle pas aussi, en définitive, l'idée fondamentale qui anime toute tentative d'apologéti- que sous quelque forme qu'elle se produise (i). »

i. Laberthonnière, Essai de philosophie religieuse, p. xvi.

CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 3 23

Nullement, toute tentative d'apologétique n'a point pour but de prouver la vérité intrinsèque des dogmes révélés, mais seulement d'établir la réalité de la révélation et l'autorité du témoignage divin. Aussi est-on surpris de lire les lignes suivantes : « Quand donc les philosophes, pour rester philo- sophes, pour sauvegarder cette autonomie qui constitue notre personnalité morale, réclament une vérité qui ait pour caractère d'être immanente, c'est-à-dire qui se rattache à eux, qu'ils puissent trouver en eux dans ce qu'ils sont et dans ce qu'ils doivent être, nous ne saurions faire autrement que d'abonder dans leur sens, puisque toute vérité qui n'aurait pas ce caractère serait inévitablement opprimante en s'imposant du dehors (i). »

Si l'on voulait dire seulement que l'esprit humain ne peut rien affirmer qu'il n'en voie ou du moins qu'il ne croie en voir la vérité, soit dans l'objet lui- même, soit dans un témoignage autorisé, rien de plus exact ; jamais philosophie n'a pu nier cette impossibilité ; car c'est une loi essentielle de notre esprit de ne pouvoir adhérer qu'au vrai, c'est-à-dire au moins à ce qui lui est présenté comme vrai. Mais la grande conquête de la philosophie moderne, proclamée ici, a un tout autre sens : c'est la néces- sité de trouver toute vérité en soi-même, dans ce que nous sommes ou dans ce que nous devons être, à l'exclusion de tout témoignage même divin qui nous l'apporterait du dehors.

Or, l'autonomie ainsi formulée, même si on accepte pour l'esprit un secours et comme une collaboration de Dieu, est à rejeter comme égale- ment contraire à l'expérience, à la raison, et à la foi. Car il y a des vérités que l'homme ne

' i. Ibid.t p. xyii-xviii.

324 LE CATÉCHISME ROMAIN

trouve pas en lui-même, dans ce qu'il est et dans ce qu'il doit être, des /vérités qu'il doit subir, sans être pour cela condamné à l'esclavage, ni à la mort. Quand vous me confiez le secret de vos pensées intimes, je subis cette vérité que vous me révélez, je la subis, je ne la trouve pas en moi, ni dans ce que je suis, ni dans ce que je dois être. Je subis également toutes les vérités scientifiques ou histori- ques dont je n'ai aucune expérience personnelle ; je n'ai point le loisir d'expérimenter la télégraphie sans fil, et cependant je ne doute point des affirma- tions des physiciens. Et je ne me sens ni comprimé, rii esclave, ni mort, mais plus Avivant à mesure qu'une vérité de plus m'arrive de l'extérieur. Et cela reste vrai, quand même je ne saisirais aucune raison intime de ces lois ni la portée des expériences ou des calculs qui en ont préparé la découverte. Je reçois ces vérités du dehors, du témoignage, de l'autorité intellectuelle des hommes de science.

Et combien cela est plus profondément vrai dans l'ordre des vérités révélées ? Je subis le dogme de la Trinité. Je sais que Dieu un jour daigna révéler par Jésus ce grand mystère de son être et de sa vie intime, et je proteste que je l'admets uniquement sur l'autorité de sa parole, sans même découvrir en mon âme ces images de la Trinité dans lesquelles se jouait l'esprit ingénieux d'Augustin, tout en se gardant bien d'en faire le motif de son adhésion. J'ajoute que, pour moi, la Trinité ainsi reçue du dehors par une confidence divine, même transmise de génération en génération jusqu'à moi, n'est nullement une compression, ni un esclavage, ni surtout une mort : c'est bien plutôt une nouvelle vie, puisque je sais une nouvelle vérité, quelque imparfaite qu'en soit la représentation, et une vérité que les plus longs siècles de méditation psychologi-

CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 325

que n'eussent jamais fait jaillir en mon esprit. L'auteur des paroles qui précèdent termine ainsi : « Nier qu'on puisse recevoir du dehors des vérités que nous n'avons pu tirer de nous-même, n'est-ce point faire de la foi un acte irréalisable, ou du moins changer totalement le sens des mots (i). » On ne saurait mieux dire.

1. A propos de la genèse de la foi. « La foi, étant une vertu surnaturelle, doit nécessairement pro- céder, chez les adultes, de la grâce de Dieu et de la bonne volonté de l'homme... Que fait l'homme pour préparer et entretenir en lui, avec le concours de la grâce divine, cette volonté bonne qui ouvre l'âme aux clartés de la foi ? Car je ne parle pas ici de ces illuminations soudaines, de ces irradia Lions miraculeuses par' le moyen desquelles un saint Paul, par exemple, a passé subitement de l'impiété la plus violente à la foi la plus humble et la plus géné- reuse. Il s'agit des conversions ordinaires, les choses se passent humainement, l'homme a sa grande part dans l'œuvre divine. Que fait-il alors pour concourir avec Dieu ? Il n'est pas possible,* dans ce mystère, de découvrir les secrets que la conscience du converti ignore sans doute elle-même. Mais l'on peut dire en général que la bonne volonté procède de certains motifs qui l'inspirent, qui l'animent, qui l'encouragent, qui la remplissent de bons désirs et la rendent souple et docile aux appels de l'Esprit divin. Eh bien, parmi ces motifs du bon vouloir coopérateur de la grâce, s'il en est de si intimes et per- sonnels qu'ils échappent par lenr variété même à toute classification et à toute analyse psychologique, on en trouve cependant qui sont susceptibles d'être analysés et classés, et qui peuvent servir à formuler presque scienti- fiquement une sorte de préparation de l'âme à la foi, une propédeutique de l'Evangile.

C'est à cela peut-être, je le reconnais volontiers, que vient concourir la philosophie de l'action par la méthode

. i. Bulletin de littérature ecclésiastique, 1905, p. i38.

32Ô LE CATÉCHISME ROMAIN

de l'immanence. En nous montrant, à l'aide de leurs analyses subtiles, que l'activité tout entière de l'âme humaine, que le fond le plus intime, le ressort le plus secret de notre vie, demande, exige, réclame et, pour employer le terme à la mode, « postule» la foi catholique; «n rendant plus sensibles, en faisant mieux connaître ce •qu'ils appellent les « harmonies vivantes, coïncidences vitales et finalités transcendantes » de notre nature et du surnaturel chrétien, les philosophes de l'immanence nous donneront un riche commentaire de la parole du vieux Tertullien sur l'âme naturellement chrétienne, et nous fourniront les motifs les plus délicats, les plus touchants et les plus pressants peut-être, pour exciter, chez les incrédules et les indifférents de ce siècle, les bons désirs et la bonne volonté qui, par la grâce de Dieu, attirent la divine lumière de la foi.

Mais ces philosophes auraient tort de penser qu'il n'y a pas d'autres motifs efïicaces que ceux qui sont fournis par leur analyse immanente. Beaucoup d'esprits sont accessibles à des considérations d'un tout autre ordre, telle que l'influence morale et sociale du christianisme ou la sublimité de l'Evangile. De même ces philosophes seraient dans l'erreur s'ils prétendaient avoir inventé une nouvelle méthode de préparation à la foi. Leur méthode a toujours été connue et pratiquée dans l'Eglise par les défenseurs et les prédicateurs du christianisme. Je ne sais même pas s'ils ont rien découvert qui ne soit au moins signalé par quelqu'un des anciens. Quoi qu'il en soit, l'originalité de leur mérite consiste à mieux distinguer et formuler cette méthode, à rendre son emploi plus usuel et plus facile, et à combattre ainsi l'incrédulité moderne, qui échappe, dans le scepticisme et le criticisme, aux prises de la démonstration évangélique traditionnelle. » Gayraud, Le problème de la certitude religieuse, dans la Revue du clergé, 1902, t. xxx, p. 116-118.

2. L'acte de foi. « Appuyés sur les données dogmatiques qui jalonnent notre route et nous ôtent, selon le beau mot de saint Jérôme, « la liberté de l'erreur, » nous pouvons, non pas saisir l'acte et le présenter dans

CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 327

sa réalité vivante et concrète, non pas même peut-être en démonter toutes les pièces et en montrer le mécanisme dans les derniers détails, mais bien en expliquer dans l'ensemble le jeu et les mouvements, assez au moins pour voir comment s'y concilient des propriétés en apparence inconciliables, et pour soupçonner, sinon pour entrevoir, combien beau dans sa réalité psychologique et surnatu- relle, combien beau dans son ordre moral, doit être cet acte la nature et le surnaturel se rencontrent et s'em- brassent ; l'homme, écoutant dans le respect, dans l'adoration, dans la soumission absolue, Dieu qui parle de la nuée, accepte librement sous la motion et la lumière divine la main que Dieu lui tend ; se nouent, dans l'obscurité, entre le Créateur et la créature, des relations intellectuelles et morales qui doivent mener l'homme, s'il est fidèle, aux splendeurs de la vision béatifîque ; les biens invisibles et les secrets de Dieu sont mis à notre portée ; commence enfin pour nous, dans une union ineffable, quoique imparfaite encore, d'esprit et de volonté avec Dieu, cette vie divine que nous sommes destinés à mener éternellement dans le ciel, le connaissant face à face comme il se connaît, l'aimant comme il s'aime, tout transformés en lui par la connaissance et l'amour, divinisés sans cesser d'être nous, un avec lui dans une communion qui ne supprime rien de la distinction essen- tielle et de la distance infinie entre « Celui qui est » et « celui qui n'est pas. » Bainvel, La foi et l'acte de foi, Paris, 1898, p. 98-99.

3. La liberté dans l'acte de foi. « Il paraît difficile de déterminer de quelle façon la liberté et la certitude se concilient dans l'acte de foi considéré en lui-même et pour ainsi dire in abstracto, il est d'ordinaire aisé de constater, surtout à notre époque d'incrédulité, d'où vient que les uns croient, pendant que les autres doutent ou refusent de croire. Les hommes qui doutent et ne croient pas aux vérités révélées sont ceux qui ne sont pas convaincus du fait de la révélation. Les hommes qui croient sont au contraire ceux qui sont convaincus de ce fait. On serait tenté de conclure de que la liberté

0 28 LE CATÉCHISME ROMAIN

de l'acte de foi vient exclusivement de la liberté d'étudier et de considérer ou non les preuves de la révélation, et qu'elle ne vient point, comme l'enseigne le concile du Vatican, d'une détermination qui reste maîtresse d'elle- même, malgré la science la plus complète de ces preuves. Mais on change d'avis, lorsqu'on remarque qu'avec une connaissance égale des motifs de crédibilité, les uns croient pendant que les autres doutent. On s'accorde à le reconnaître, la foi tient aux dispositions qu'on apporte dans la considération des preuves de la religion. Ce sont ces dispositions qui décident de la valeur que chacun accorde aux preuves qui lui sont proposées. Or, que sont ces dispositions, sinon le résultat et le signe des libres déterminations de la volonté sollicitée par la grâce ? Ces déterminations libres, que les théologiens n'envisagent qu'au moment de l'acte de foi, se produisent très souvent, chez les adultes, dans la conduite qui préc^Je et prépare l'acte de foi ou l'acte d'incrédulité. Cette conduite peut avoir mis celui à qui la foi est proposée dans un état d'esprit tel qu'il est facile de conjecturer à l'avance à quoi il va se décider. C'est en raison des dispositions à peu près permanentes dans lesquelles ils se sont mis, que la plupart des hommes, qui connaissent suffisamment les preuves de la religion, sont d'une manière à peu près constante croyants ou incrédules.

Obéissant, d'ailleurs, à une tendance naturelle qui fait que nous cherchons toujours à justifier notre conduite à nos propres yeux, ceux qui ne croient pas s'habituent à considérer les objections faites contre la révélation ; car ils sentent qu'il serait déraisonnable de ne pas croire ce que Dieu a révélé. Ils se forment ainsi à eux-mêmes des préjugés, qui peuvent à la longue devenir si puissants, qu'il faudrait un vrai miracle de la grâce pour les sur- monter. Réciproquement, ceux qui croient s'habituent à considérer la faiblesse des objections faites contre la religion et la force des preuves du christianisme. C'est pourquoi la foi leur est facile. » Vacant, La constitution DeiFilias, Paris, 1895, t. 11, p. 81-82.

4. La Volonté et l'Intelligence dans l'acte de

CONCEPTION NOUVELLE DE LA FOI 329

foi. « Un objet révélé se présente à notre intelligence de la part de Dieu, souvent même de la part de l'Eglise qui le définit, l'interprète ou l'enseigne. Qu'il soit essen- tiellement mystérieux, ou qu'il soit naturellement con- naissable avant que d'être affirmé par Dieu, nous disons qu'il ne saurait nécessiter, comme les vérités intuitive- ment ou démonstrativement évidentes, l'assentiment de notre esprit. Non, certes, qu'il ne soit pas évidemment croyable, que l'autorité divine dont il est revêtu ne soit évidemment démontrée, que le devoir d'y adhérer ne nous soit évidemment imposé. Bien au contraire, nous admettons que les preuves de la crédibilité, le motif de la croyance, l'obligation de la foi, sont tels dans le christianisme que, sous peine de révoquer témérairement en doute les bases mêmes de la certitude humaine, notre raison doit croire tout objet divinement affirmé. Mais ce qu'elle doit faire, elle n'est pas toujours nécessitée à le faire ; et comme nos autres facultés, elle n'est fatalement entraînée que vers son objet propre. Or, l'objet propre de l'intelligence humaine ici-bas est la vérité évidente, soit que son évi- dence apparaisse d'elle-même et que nous la percevions par intuition directe, soit qu'elle apparaisse à l'aide d'autres évidences et que nous ayons besoin de démons- tration pour la discerner. Que l'intelligence dispose ou non de grâces surnaturelles dans ses rapports avec l'objet à connaître, son fonctionnement reste essentiellement le même : elle est invinciblement attirée par lui s'il est évident ; elle ne l'est pas s'il est seulement certain sans évidence. L'objet révélé n'étant jamais évident comme tel, il ne saurait jamais nécessiter l'adhésion intellectuelle qu'il sollicite et à laquelle il a d'ailleurs un droit incon- testable. » Didiot, Vertus théologales, Paris, 1897, n. 217, p. 162.

Leçon IXe De la Foi et de la Raison

I. Deux ordres de connaissance, Les Mys- ter es de la foi. IL Rôle de la raison dans la connaissance des mystères de la foi. III. Ni opposition ni désaccord entre la foi et la raison. IV. La foi et la raison se prêtent une aide mutuelle.

Sur cette question si importante et si débattue au siècle dernier, relative aux rapports qui doivent exister entre la foi et la raison, entre la science et la révélation, le concile du Vatican, dans le chapitre ive de la Constitution Dei Filius, a donné une solution remarquable par sa précision et sa clarté. Aussi est-ce à ce chapitre et aux canons qui le suivent que nous emprunterons les éléments de cette leçon, en prenant pour guide celui qui les a si bien mis en relief (i).

» i. BIBLIOGRAPHIE : A. Vacant, La Constitution Dei Filius, Paris, 1895, t. 11, p. 181-281 ; Monsabré, Introduction audoyme catholique, Paris, 1866, t. 1, p. 16-71 ; tous les traités De fide des théologies postérieures au concile du Vatican ; dans la collec- tion Science et Religion, on peut lire avec intérêt et avec fruit Du doute à la foi, de P. Tournebize ; V altitude du catholique de- vant la science, de Fonsegrive; surtout Les relations entre la foi et la raison, et Les conditions modernes de V accord entre la Jot et la raison, de M. de Broglie.

DEUX ORDRES DE CONNAISSANCE 33 1

Dans le premier paragraphe, le concile, d'accord avec la doctrine constante de l'Eglise, affirme l'existence, pour l'homme, de deux ordres de con- naissance, l'un naturel, l'autre surnaturel, et il indique les mystères de la foi comme l'objet spécial de la révélation divine.

Dans le second, il expose ce qui revient à la raison et ce qui n'est point de son ressort, dans l'étude de la vérité surnaturelle.

Dans le troisième, il déclare qu'entre la raison et la foi, entre la science et la révélation, il ne saurait jamais exister aucune opposition ni désaccord ; d'où il résulte que toute assertion, certainement con- traire à une vérité révélée, doit être regardée comme n'étant pas une conclusion légitime de la science, et qu'elle peut à bon droit être réprouvée par l'Eglise.

Dans le quatrième enfin, il enseigne que non seulement la raison et la foi ne s'opposent pas l'une à l'autre, mais qu'elles s'entr' aident mutuellement, et, tout en revendiquant une juste liberté pour la science, il met en garde contre ses abus et ses excès.

I. Deux ordres de connaissance.

Le mystère,

objet spécial de la révélation

i Le chapitre iv* de la Constitution Dei Filius débute l ainsi : « L'Eglise catholique s'est toujours accordée < à admettre qu'il y a deux ordres de connaissance distincts, non seulement par leur principe, mais encore par leur objet : par leur principe, parce que nous connaissons dans l'un, au moyen de la raison

r

332 LE CATÉCHISME ROMAIN

naturelle, dans l'autre au moyen de la foi divine ; par leur ohjet, parce que, outre les vérités auxquelles la raison naturelle peut atteindre, l'Eglise propose à notre foi des mystères cachés en Dieu, qui ne peuvent être connus que par la révélation divine. C'est pour- quoi l'apôtre, qui rend témoignage à la connaissance que les nations ont eue de Dieu, au moyen des choses créées, dit néanmoins en parlant de la grâce ct.de la vérité données par Jésus-Christ : « Nous prêchons la sagesse de Dieu renfermée dans son mystère, cette sagesse cachée, que Dieu a prédes- tinée avant tous les siècles pour notre gloire, qu'au- cun des princes de ce siècle n'a connue ; mais pour nous, Dieu nous l'a révélée par son Esprit ; car cet Esprit pénètre tout jusqu'aux secrets les plus pro- fonds de Dieu. » Et le Fils unique lui-même rend gloire à son Père de ce qu'il a caché ces choses aux sages et aux prudents et le* a révélées aux petits. »

Canon i : « Anathème à qui dirait que la révé- lation divine ne renferme à proprement parler aucun mystère véritable, mais qu'une raison con- venablement cultivée peut par ses principes natu- rels comprendre et démontrer tous les dogmes de la foi. »

Nous ne nous arrêterons pas sur la distinction des deux ordres de connaissance, mais nous insis- terons sur l'objet spécial de la révélation, à savoir les mystères, dont l'existence est affirmée et définie ; nous répondrons à ces trois questions : Quelle est la nature des mystères de la foi? En existe-t-il? Quels sont-ils ?

i . Nature des mystères de la foi. La nature des mystères la foi ressort clairement soit de la lettre de Pie IX à l'archevêque de Munich, du ii décembre 1862, portant condamnation des

DEUX ORDRES DE CONNAISSANCE 333

erreurs de Frohschammer (i), soit du premier paragraphe du chapitre ive de la Constitution Dei Filius, transcrit plus haut.

Trois propriétés caractérisent les mystères de la foi : ce sont des vérités cachées en Dieu ; elles ne peuvent être connues que si Dieu les révèle ; les fidèles ne peuvent en avoir une claire connaissance que dans la vision intuitive.

Ce sont d'abord des vérités cachées en Dieu. Dieu dépasse toute créature intelligente ; il a une science infinie qu'aucune créature créée ou créable ne sau- rait embrasser dans sa totalité ; il possède donc des secrets absolument impénétrables, des vérités sur- naturelles en elles-mêmes, et c'est à ces secrets qu'appartiennent les mystères de la foi : ils sont donc cachés en Dieu, au-dessus de toute nature créée, dépassant la portée de la raison humaine et de l'intelligence angélique, inaccessibles par con- séquent à toute raison naturelle, à tout principe naturel.

Pour être connus, iljaul donc que Dieu les révèle. Dieu peut les montrer, les faire voir, comme il les voit lui-même, mais ce mode de connaissance appartient à la vision intuitive ; il peut aussi nous les révéler ici-bas, en entourant son témoignage des preuves les plus authentiques et les plus irrécusables. Ces mystères de la foi diffèrent essentiellement de ce qu'on appelle les mystères de la nature. Ceux-ci sont des vérités dont la raison ne s'explique ni le pourquoi ni le comment, mais dont elle constate ou prouve l'existence ; ceux-là, au contraire, échap- pent complètement aux prises de notre raison, non seulement dans leur nature intime, mais même dans

i. Denzinger, n. i5a4-i5a8.

334 LE CATÉCHISME ROMAIN

leur existence : nous ne connaissons cette existence que si Dieu veut bien nous en faire part.

Enfin ces mystères de la foi sont tels que, même lorsque leur existence nous est révélée, l'intelligence et la connaissance parfaite de leur nature nous sont refusées ici-bas. Ils restent pour nous, comme ledit Pie IX, « couverts du voile sacré de la foi elle-même et enveloppés d'une ombre obscure. » et, comme le dit le concile du Vatican, « la raison n'est jamais rendue capable de les pénétrer comme les vérités qui constituent son objet propre. »

Les mystères de la foi sont donc des vérités, dont Dieu seul possède une connaissance naturelle et adéquate, qui ne peuvent nous être connus que par une révélation divine, et que nous ne saurions comprendre ni démontrer par des principes d'ordre naturel, même après que Dieu nous les a révélés.

2. Existence des mystères de la foi. En frappant d'anathème quiconque dirait que la révélation divine ne renferme à proprement parler aucun mystère véritable, le concile du Vatican a défini qu'il existe des mystères dans la religion chrétienne. C'est donc un dogme de foi ; constatation officielle d'un point de doctrine toujours enseigné par l'Eglise et basé sur l'Ecriture et la tradition, ainsi que le faisait déjà remarquer Pie IX dans sa lettre à l'archevêque de Munich. Pie IX empruntait ses preuves scripturaires à l'épître aux Colossiens, aux Hébreux, au quatrième Evangile et à la première épître aux Corinthiens. C'est ce dernier texte que reproduit le concile en y ajoutant un passage de saint Matthieu.

L'apôtre saint Paul, en parlant de ce que l'œil n'a pas vu, ni l'oreille entendu, ni le cœur de l'homme conçu, n'en faisait pas une explication

DEUX ORDRES DE CONNAISSANCE 333

exclusive au bonheur céleste, il l'entendait aussi des vérités qu'il prêchait et qui sont l'objet de la foi. Or ces vérités sont des mystères proprement dits, ainsi que cela ressort clairement de son langage. Il prêche la sagesse, dit-il, non la sagesse du siècle, mais la sagesse même de Dieu, et, bien qu'il s'adresse aux parfaits, il la dit mystérieuse et cachée par sa nature ; aucun prince de ce siècle ne l'a connue, mais c'est Dieu lui-même qui l'a révélée aux apôtres par son Esprit, lequel pénètre tout, même les profondeurs de Dieu (i). De môme dans le texte évangélique, ce que Jésus entend par les choses que Dieu a cachées aux sages et aux prudents et qu'il a révélées aux petits (2), ce sont bien des mystères connus seulement des personnes divines et de ceux à qui Dieu veut les révéler, puisqu'il ajoute : « Toutes choses m'ont été données par mon Père ; personne ne connaît le Fils si ce n'est le Père, et personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils a voulu le révéler (3). » Cet enseignement scripturaire n'ayant jamais été révoqué en doute même par les hérétiques qui attaquèrent les dogmes de la Trinité et de l'Incarna- tion, les Pères de l'Eglise se contentèrent de signaler en passant les passages de l'Ecriture relatifs au caractère mystérieux des vérités révélées (4). Mais ce caractère frappa surtout les scolastiques ; nul ne l'a mieux fait ressortir que Saint Thomas (5). Pour-

1. I Cor. 11, 7-9. 2. Matth., xi, a5. 3. Matlh. xi, 27. 4. S. Ambroise, De fide ad Grat., 1, 10 ; Pair. lat.s t. xvi, col. 54i-543 ; S. Jérôme, In Galat., ni, 2 ; Pair, lat., t. xxvi, col. 374-375 ; S. Léon le Grand, De nat. Dom., serm. ix ; Pair, lai. y t. liv, col. 160; S. Chrysostome, In I Cor., homil. vu; Pair, gr., t. lxi ; S. Cyrille d'Alexandrie, In Joan., 1, 9 ; Pair, gr., t. lxxiii, col. i2 4-i34 ; S. Jean Damascène, In I Cor., n ; Pair* gr., t. xcv, col. 582-590. - 5. Cont.gent., iv, proœmium.

336 LE CATÉCHISME ROMAIN

tant quelques partisans de Raymond Lulle le mécon- nurent et s'attirèrent les rigueurs de l'Eglise, une première fois sous Alexandre IV, en 1260, une seconde fois sous Grégoire XI, en 1376. Ce dernier pape condamna notamment ces deux propositions : « Tous les articles de foi, les sacrements de l'Eglise et le pouvoir du pape peuvent être prouvés et sont prouvés par des raisons nécessaires, démonstrati- ves, évidentes (Prop. 96). » « La foi est nécessaire aux gens rustiques, ignorants, mercenaires, de basse intelligence, qui ne savent point connaître par la raison et aiment à connaître par la foi ; mais un homme subtil est plus facilement attiré à la vie chrétienne par la raison que par la foi (Prop. 97) (1). Au dernier siècle, quelques prêtres allemands, professeurs dans les universités, Hermès, Gunther, Frohschammer, entre autres, reprirent la thèse du prétendu pouvoir qu'a la raison de démontrer les dogmes, une fois qu'ils sont révélés. Ils furent condamnés à leur tour. Pie IX, notamment, écrivait à ce sujet : « Jamais la raison ne peut arriver par les principes naturels à la science de ces dogmes (les mystères). Que ceux qui ont la témérité de soutenir le contraire, sachent qu'ils abandonnent certainement, non pas l'opinion de certains doc- teurs, mais la doctrine commune et constante de l'Earlise. Les saintes Lettres et la tradition des saints Pères témoignent, en effet, que si l'existence de Dieu et plusieurs autres vérités sont connues à la lumière naturelle de la raison, par ceux mêmes qui n'ont pas encore reçu la foi, Dieu seul a manifesté ces dogmes plus cachés (2). » Et il stigmatise, comme étranger à l'enseignement catholique, le sentiment contenu dans cette proposition, devenue

1. Denzinger, n. 474. 470. 2. Denzinger, n. 1527.

DEUX ORDRES DE RECONNAISSANCE 337

la neuvième du Syllabus : « Tous les dogmes de la religion chrétienne sans distinction sont l'objet de la science naturelle ou philosophie ; et avec une culture purement historique, la raison humaine peut, d'après ses principes et ses forces naturelles, parvenir à une vraie connaissance de tous les dogmes, même des plus cachés, pourvu que ces dogmes aient été proposés à la raison comme objet (1). »

Aussi le concile du Vatican, en définissant comme une vérité de foi catholique l'existence des mystères dans la révélation, n'a fait que proclamer une vérité clairement contenue dans l'Ecriture, constamment crue dans l'Eglise et plusieurs fois formulée par les Souverains Pontifes.

3. Quels sont, parmi les dogmes de la foi, ceux qui ont le caractère de mystère ? Tous ceux qui n'appartiennent pas en même temps à l'ordre naturel, car il est des vérités révélées qui sont accessibles à la raison ; par conséquent tous ceux qui regardent l'élévation de l'homme à l'état surnaturel, son commerce surnaturel avec Dieu, sa fin surnaturellle et les moyens d'y parvenir ; et cela pour deux raisons : d'abord parce que ce sont des vérités qui ont les trois propriétés qui carac- térisent les mystères de la foi ; ensuite parce que l'ordre surnaturel a été librement établi par Dieu. Or, ce qui dépend de la libre détermination de Dieu ne saurait être connu des créatures qu'autant que Dieu leur en fait part. Telle est l'élévation de l'homme à l'ordre surnaturel, et telles sont les vérités qui se rapportent à la fin surnaturelle de l'homme et aux moyens surnaturels d'y parvenir.

i. Denzinger, n. i556.

i LE CATÉCHISME. T. I. 23

338 LE CATÉCHISME ROMAIN

Ces moyens sont la vie surnaturelle elle-même et tout ce qui sert à la produire, à l'entretenir, à la développer. Il est clair que la vie surnaturelle échappe à nos investigations, même quand elle est en nous ; le caractère surnaturel de ses opérations nous échappe de même. Nous n'avons conscience en effet, ni de notre élévation à l'ordre surnaturel, ni de notre état de grâce, ni de ce qu'a de surnatu- rel notre acte de foi. Sont donc à ranger parmi les mystères l'Incarnation, qui est la source de l'ordre surnaturel, la Rédemption, qui en est l'application. Tout cela dépend de la volonté libre de Dieu. En est-il de même de ce qui constitue nécessairement l'essence divine, et, par exemple, la Trinité ? Est-ce un mystère ? Ni Pie IX ni le concile du Vatican ne citent la Trinité parmi les mystères ; c'était inutile, car d'autres documents la regardent comme un mys- tère et comme plus le grand des mystères, absolument ineffable et incompréhensible. Le Saint Office con- damnait en 1887, avec l'approbation de Léon XIII, une proposition de Rosmini qui déniait à la Tri- nité le caractère de mystère de la foi ; c'est le mys- tère des mystères ; tous les autres le supposent et rien, dans l'ordre créé, ne saurait le manifester.

IL Rôle de la raison dans la connaissance des mystères de la foi

Le rôle de la raison vis-à-vis des mystères chré- tiens, ne se réduit pas à l'étude des motifs de crédi- bilité, à l'examen du fait de la révélation, à tout ce qui sert de préparation à l'acte de foi et à la pro- duction de l'acte de foi lui-même, il est beaucoup plus étendu ; car, sans les pénétrer à fond, elle peut

ROLE DE LA RAISON VIS-A-VIS DES MYSTÈRES 33g

en acquérir une « certaine intelligence. » Le con- cile du Vatican signale, en effet, les conditions dans lesquelles elle peut agir, les qualités qu'elle doit apporter dans son étude, les procédés qu'elle doit employer, les résultats qu'elle peut obtenir et aussi les limites qu'elle ne saurait franchir.

a Lorsque la raison, éclairée par la foi, cherche avec soin, piété et modération, elle acquiert, il est vrai, par le don de Dieu, quelque intelligence très fructueuse des mystères, tant par l'analogie des cho- ses qu'elle connaît naturellement, que par la liaison des mystères entre eux et avec la fin dernière de l'homme ; cependant jamais elle n'est rendue capa- ble de les pénétrer comme les vérités qui constituent son objet propre. En effet, par leur nature, les mys- tères divins dépassent tellement l'entendement créé qu'après avoir été communiqués par la révélation et reçus par la foi, ils restent néanmoins couverts du voile de la foi elle-même et enveloppés comme d'une sorte de nuage, tant que nous restons éloi- gnés de Dieu par cette vie mortelle ; car nous mar- chons dans le chemin de la foi et non dans celui de la vision (i). »

i. La raison éclairée par la foi, doit observer quelques règles dans ses recherches : elle doit agir, dit le concile, avec soin, piété et discrétion. C'est avec soin et attention tout d'abord, qu'elle doit étu- dier l'Ecriture et la tradition, c'est-à-dire les docu- ments où sont contenus les mystères révélés, pour se rendre compte autant que possible de la manière dont ils sont révélés, sous quelles images ils sont présentés etquelles analogies ils suggèrent. G'esten- suite avec piété, c'est-à-dire sous l'influence d'une inspiration vraiment religieuse et avec un respect

i. Const, Dei FUius, c. iv, S a.

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profond pour l'enseignement divin, sous lequel se cachent des vérités, dont nous n'apercevons ici bas que le dehors, et" nullement avec la suffisance du rationalisme qui se flatte, à l'aide de la seule raison, d'en avoir le dernier mot. La piété ne pousse pas aussi loin ses prétentions et se garde d'aussi chimé- riques espoirs. Et c'est enfin avec réserve ou discré- tion, c'est-à-dire en s'en tenant aux seules données de la révélation, sans essayer de leur appliquer des vues ou des théories étrangères sinon contraires à renseignement traditionnel. Ces conditions requi- ses étant remplies, la raison peut découvrir des ana- logies entre les mystères et les vérités naturelles, étudier les rapports qu'ils ont soit entre eux, soit avec la fin surnaturelle de l'homme, et cela consti- tue un vaste champ d'opération pour elle.

2. Analogies des mystères avec les vérités naturelles. Dieu, en parlant à l'homme, a né- cessairement, pour se faire comprendre, se mettre à la portée de son intelligence. Et puisqu'il lui a plu de réserver pour la vision intuitive la claire notion de ses mystères, il n'a pu nous en donner quelque notion qu'en les rapprochant, qu'en les comparant avec ce que notre raison connaît par elle-même, c'est-à-dire par des analogies. En effet, entre les mystères et les vérités naturelles il n'y a point d'identité, ni par suite de res- semblance parfaite ; mais il peut y avoir et il y a des rapprochements, des comparaisons, tirés soit du rapport que ces mystères et ces vérités naturelles ont avec un même objet, soit de l'effet qu'ils pro- duisent, c'est-à-dire des analogies.

Dieu nous proposant donc la notion de ses mys- tères à l'aide de l'analogie qu'ils ont avec les choses naturelles, plus les analogies seront nombreuses et

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plus la notion des mystères nous sera facile, plus au contraire elles seront rares et plus la notion des mystères nous sera difficile. C'est ainsi que les ver- tus surnaturelles, à cause de leurs multiples rapports d'analogie qu'elles ont avec nos vertus naturelles, sont facilement accessibles à notre intelligence. La vie surnaturelle, au contraire, offre moins d'analo- gies ou des analogies moins saisissantes avec la vie naturelle ; il en est de même entre l'efficacité sur- naturelle des sacrements et les effets physiques de la matière qu'ils emploient ; et dès lors moins grande est notre facilité à les connaître. Quant à l'Incarnation et surtout à la Trinité, les points de comparaison que la nature fournit sont plus restreints encore, moins clairs, plus difficiles à saisir.

Mais que ces analogies, indiquées par Dieu dans sa révélation soient rares ou nombreuses, saisissan- tes ou peu aisées à saisir, elles permettent toujours d'avoir une notion suffisante des mystères révélés. Or il appartient à la raison de les scruter, de les approfondir, de les rapprocher, de les combiner pour leur demander le plus de lumière possible, car elles offrent un solide point d'appui et des données authentiques. Il lui appartient aussi de relever celles que les Pères de l'Eglise, les conciles et les papes ont signalées dans la suite des âges, car elles entrent dans la trame vivante de la tradition. Il lui appartient enfin d'y joindre celles qu'elle pourrait découvrir elle-même dans l'étude comparative du dogme et de la nature, à la condition bien entendu qu'elles cadrent avec l'enseignement officiel de l'Eglise. Et c'est ainsi que la raison arrive à se faire des mystères révélés une notion de moins en moins imparfaite, de plus en plus claire et précise.

C'est, du reste, ce qu'ont fait tous les docteurs»

3^2 LE CATÉCHISME ROMAIN

saint Augustin et saint Thomas en tête. Platon et Aristote leur ont servi, comme on sait, non certes pour substituer les données rationnelles aux mys- tères révélés1, ni pour démontrer les mystères au moyen de principes rationnels, mais pour mettre en plein relief ce que certaines vérités de l'ordre naturel, que renferme leur philosophie, ont d'ana- logie avec les mystères de la foi. La psychologie des néoplatoniciens, note M. Vacant, a fourni à saint Augustin des images de la Trinité ; l'éthique d' Aristote a fourni à saint Thomas une partie des cadres de la seconde partie de sa Somme, il étudie les principes de la morale chrétienne et les diverses vertus surnaturelles.

3. Intelligence des mystères par leurs rap- ports mutuels. C'est encore un vaste champ d'action qu'offre à notre raison l'examen des rapports qui enchaînent les uns aux autres, dans un tout harmonique, les mystères de la foi.

On ne saurait douter, en effet, qu'il y ait moins d'ordre et d'unité dans les mystères de la foi que dans le monde de la nature, notre raison décou- vre un plan si harmonieusement établi. Cet ordre et cette unité du monde surnaturel, Dieu, sans les dévoiler à nos yeux autant qu'il les connaît lui- même, nous les laisse suffisamment entrevoir pour que nous y découvrions un lien logique : le péché ; ses suites ; sa réparation ; application des effets de la Rédemption à chacun de nous ; moyens d'arriver au salut ; rôle du Verbe fait chair et du Saint- Esprit, etc. Ce lien logique permet à notre raison de pousser plus avant ses connaissances et de s'assimi- ler dans la mesure du possible la révélation. Assurément, Dieu ne nous a pas proposé ses vérités sous la forme d'un catalogue abstrait ou comme

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une table de matières ; des philosophes seuls auraient pu s'en contenter, c'est-à-dire le petit nombre. La grande masse réclamait un autre mode d'enseigne- ment. Et c'est pourquoi Dieu leur a donné une forme concrète et vivante, en les mêlant d'ordinaire à des récits historiques ou à des leçons de morale.

Il en est un peu de la vérité révélée comme des lois naturelles ; celles-ci, notre raison les découvre peu à peu sous la variété des phénomènes qui s'en- chevêtrent dans le règne minéral, végétal et animal, dans le domaine de la conscience et dans l'activité sociale, elle les dégage et les formule. Les vérités révélées se trouvent dans les pages de la Bible et les documents de la tradition ; depuis la mort des apôtres, toutes sont promulguées. Le dépôt en est confié à l'Eglise. Mais, pour la plupart, il reste à les découvrir, à les dégager, à les formuler ; et c'est à quoi travaille la raison, à la lueur de la foi, sous la direction de l'Eglise et avec l'assistance du Saint- Esprit. Elle a beaucoup fait jusqu'ici ; il lui reste toujours à faire, car la révélation n'a pas encore livré tous les secrets qu'elle renferme. Plus les travaux s'accumulent, plus aussi s'affirment et se précisent explicitement les vérités révélées dans des formules dogmatiques.

D'autre part, la foi désire et cherche toujours à mieux connaître ce qu'elle croit, à posséder une intelligence plus parfaite des mystères par l'étude de leurs rapports et de leur enchaînement logique. Ici encore la raison prête son concours. Elle n'a pas encore fini de classer les données surnaturelles, de déterminer les principes surnaturels qui s'appliquent à chaque espèce de vérité révélée, de déduire les conséquences qui découlent de ces principes. Et pourtant quelle œuvre considérable déjà réalisée ! Et n'est-ce pas à cette œuvre que nous devons cette

344 LE CATÉCHISME ROMAIN

u certaine intelligence, » encore imparfaite assuré- ment, mais du moins « très fructueuse des mystères, tant par l'analogie des choses que la raison connaît naturellement, que par la liaison des mystères entre eux, » comme s'exprime le concile du Vatican ?

4. Intelligence des mystères par leurs rap- ports avec la fin de l'homme. Autre source de connaissances pour la raison que l'étude des mystères dans leurs rapports avec la fin de l'homme.

Tous les mystères en effet, se rapportent à la fin de l'homme, et c'est en vue de cette fin que Dieu les a révélés ; car ils ont pour objet soit cette fin surnaturelle, soit les moyens de l'atteindre, soit les obstacles à écarter. Leur étude ne peut donc que contribuer à nous faire mieux comprendre l'ensem- ble et l'enchaînement des vérités révélées ; et c'est par que cette étude est vraiment salutaire et constitue la science du salut. D'autant plus que, dans ces rapports des mystères avec notre fin surnaturelle, se découvrent des analogies plus nom- breuses, plus justes, plus saisissantes. Dieu, en effet, n'a pas détruit notre nature, il l'a élevée et a élevé ses facultés : nature et facultés naturelles servent de point d'appui se greffent la vie et les vertus surnaturelles. La grâce se superposant ainsi à la nature sans la détruire, la fin et les moyens de l'ordre naturel présentent beaucoup d'analogies avec la fin et les moyens de l'ordre surnaturel. Et c'est ainsi, dit M. Vacant, qu'avec les réserves de droit, on applique légitimement à la foi surnaturelle ce qu'une saine philosophie enseigne de la fin dernière; à la grâce sanctifiante et aux vertus surnaturelles, ce qu'elle établit de notre vie, de nos facultés et vertus naturelles ; à la grâce actuelle, ce qu'elle démontre du concours divin ; à la manière dont

ROLE DE LA RAISON VIS-A-VIS DES MYSTERES 3^5

les sacrements produisent et entretiennent la grâce en notre âme, la manière dont la vie ordinaire est communiquée, fortifiée et entretenue. La lumière divine de la foi est rapprochée de la lumière physique du soleil et de la lumière intellectuelle de la raison ; l'Eglise, société parfaite, est comparée à la société civile. Adam et Jésus-Christ représen- tent l'humanité devant Dieu ; le premier, par sa faute, l'a réduite en esclavage ; le second, par la rédemption, l'a délivrée et lui a rendu ses droits. Combien d'autres rapprochements encore ne pour- rait-on pas faire ? Ceux-ci, à peine indiqués, suffisent du moins à prouver combien vaste est le champ d'action de la raison dans les mystères de la foi.

5. Limites de la raison dans la connaissance des mystères de la foi. Sans révélation, nous venons de le voir, la raison ne saurait soupçonner les mystères de la foi ; après la révélation, elle peut en acquérir « une intelligence très fructueuses ; » mais, ajoute le concile, «jamais elle n'est rendue capable de les pénétrer comme les vérités qui cons- tituent son objet propre. »

Frohschammer prétendait que la raison, par ses propres forces, peut acquérir de tous les mystères révélés sans exception une certitude naturelle et scientifique. D'autres semi-rationalistes accordaient que les mystères qui dépendent de la libre détermi- nation de Dieu sont indémontrables, mais ils soutenaient que ceux qui sont fondés sur l'essence nécessaire des choses, comme la Trinité, sont démontrables.

Pie IX, en condamnant Frohschammer, lui re- prochait de ranger les mystères révélés dans le domaine de la science et de la philosophie, d'accor-

346 LE CATÉCHISME ROMAIN

der à la raison vis-à-vis d'eux le pouvoir naturel de Les connaître avec certitude sans s'appuyer sur l'autorité de Dieu qui les révèle. Et le concile du Vatican a défini qu'il y a des dogmes de foi que la raison la mieux développée ne saurait comprendre ni démontrer par elle seule. Cette impuissance de ta raison, il la tire de la nature même de ces mystères et cite en témoignage un passage de saint Paul : a En effet, dit-il, par leur nature, les divins mystères dépassent tellement l'entendement créé, qu'après avoir été communiqués par la révélation et reçus par la foi, ils restent néanmoins couverts du voile de la foi elle-même et enveloppés comme d'une sorte de nuage, tant que nous restons éloignés de Dieu par cette vie mortelle ; car nous marchons dans le chemin de la foi et non dans celui de la vision. »

La nature des mystères limite la puissance de la raison. On comprend qu'il en soit ainsi pour les mystères qui dépendent de la libre volonté de Dieu ; car, en dehors de leur révélation, on n'en soupçon- nerait pas l'existence et rien de créé ne saurait les manifester. En est-il de même vis-à-vis des mystères fondés sur une nécessité absolue, comme la Trinité? Une fois révélée, la raison n'est-elle pas à même d'en saisir la nécessité logique ? Nullement, car aucune créature n'en peut saisir la nécessité ni le rapport logique avec aucun principe naturellement connu. Et lorsque saint Paul dit : « Nous marchons dans le chemin de la foi, et non dans celui de la vision (i), » il oppose la connaissance que nous avons de ces mystères ici-bas à celle que nous aurons dans le ciel; ici-bas, c'est une connaissance de foi, motivée par le témoignage de Dieu : au ciel,

i. II Cor., v, 7.

ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 3^7

ce sera la vision du face à face ; la foi disparaîtra, et chacun, selon ses mérites, verra la volonté de Dieu avec les mystères qui en dépendent, et l'intel- ligence divine avec les mystères fondés sur une nécessité absolue ; il les verra, non par les seules forces de sa raison, mais parla lumière de gloire que Dieu lui donnera ; sa connaissance sera alors, non une connaissance de raison ni une connaissance de foi, mais une connaissance de vision intellectuelle surnaturelle.

III. Entre la raison et la foi pas d'opposition possible

Le concile du Vatican traite trois questions très importantes : d'abord il affirme et démontre L'im- possibilité d'une opposition entre la science et la foi ; ensuite il proclame les droits de l'Eglise vis-à-vis de la fausse science ; enfin il rappelle aux chrétiens les devoirs qui lui incombent en vertu de ces principes. « Bien que la foi, dit-il, soit au-dessus de la raison, il ne saurait pourtant y. avoir jamais de véritable désaccord entre la foi et la raison, attendu que le Dieu qui révèle les mystères et répand la foi en nous, est le même qui a mis la raison dans l'esprit de l'homme, et qu'il est impossible que Dieu se renie lui-même ou qu'une vérité soit jamais contraire à une autre vérité. L'apparence imagi- naire d'une contradiction semblable vient surtout, ou bien de ce que les dogmes de la foi n'ont pas été compris et exposés conformément à la pensée de l'Eglise, ou bien de ce que des opinions fausses sont prises pour des conclusions de la raison. Nous déclarons donc que toute assertion contraire à une

0\S LE CATÉCHISME ROMAIN

vérité crue par une foi éclairée, est absolument fausse. » Voilà pour la première question.

« Or l'Eglise, continue le concile, qui a reçu, avec la charge apostolique d'enseigner, le comman- dement de garder le dépôt de la foi, tient aussi de Dieu le droit et le devoir de proscrire la fausse science, afin que nul ne soit trompé par la philo- sophie et la vaine sophistique. » Voilà pour la seconde question.

« C'est pourquoi tous les chrétiens fidèles ne sont pas seulement tenus de s'abstenir de défendre comme des conclusions légitimes de la science, ces opinions qu'on sait contraires à la doctrine de la foi, surtout lorsqu'elles ont été réprouvées par l'Eglise, ils sont encore absolument obligés de les regarder comme des erreurs qui se couvrent de l'apparence trompeuse de la vérité. » Voilà pour la troisième question.

Suit le canon 2 : « Anathème à qui dirait que les enseignements humains doivent être donnés avec une telle liberté, que leurs assertions pourraient être maintenues pour vraies et ne sauraient être proscrites par l'Eglise, alors même qu'elles iraient contre la doctrine révélée (i). »

1. Pas de désaccord possible

Le concile affirme d'abord l'impossibilité d'un désaccord entre la raison et la foi.

Déjà, au xine siècle sous Jean XXI (i 276-1 277), et plus tard, au commencement du xvie, quelques phi- losophes distinguaient ce qui est vrai philosophi- quement et ce qui est vrai théologiquement, de telle sorte qu'ils estimaient pouvoir soutenir une chose philosophiquement vraie, quoiqu'elle fût en

1. Const. Dei Filius, c. iv, S 3.

ACCORD DE LA. RAISON ET DE LA FOI 3 41)

T— '

contradiction avec la vérité révélée. Le cinquième concile de Latran condamna une prétention si erro- née : « Gomme le vrai, dit-il, ne contredit en rien le vrai, nous définissons que toute assertion con- traire à une vérité attestée par une foi éclairée, est absolument fausse (i). »

Au xixe siècle, les rationalistes ont exalté outre mesure le pouvoir de la raison jusqu'à rejeter la révélation et la foi ; les fidéistes, au contraire, ont exalté la foi au détriment de la raison. Les uns et les autres péchaient par excès. Pie IX parlait ainsi des premiers : « Par un renversement fallacieux de la logique, ils ne cessent d'en appeler à la force et à l'excellence de la raison humaine, l'exaltent con- tre la sainte foi du Christ et débitent audacieuse- ment que cette foi est contraire à la raison humaine. On ne saurait à coup sûr rien imaginer ni supposer de plus insensé, de plus impie et de plus contraire à la raison que cette assertion ; car, quoique la foi soit au-dessus de la raison, il ne peut jamais exister entre elles aucune contradiction (2). » Les fidéistes de leur côté, furent également rappelés à la vérité et à l'orthodoxie. Mais, d'autre part, sous l'influence de quelques professeurs d'Allemagne, on en était venu à soutenir que la raison peut démontrer les mystères de la foi et les expliquer beaucoup mieux que l'Eglise.

Or, c'est contre les rationalistes, qui rejettent la certitude de la révélation, et contre les fidéistes, qui rejettent la certitude de la raison, et aussi contre les semi-rationalistes, qui prétendent qu'une vérité de raison peut se trouver en opposition avec une vérité révélée, que le concile du Vatican affirme l'impos- sibilité d'un désaccord entre la foi et la raison.

1. Dcnzinger, n. 621. 2. Dcnzingcr, n. 1^06.

350 LE CATÉCHISME ROMAIN

Il va plus loin : Il démontre l'impossibilié d'un désaccord quelconque et en donne deux rai- sons. Déjà Pie IX avait dit : « Il ne peutjamais exis- ter entre elles (la raison et la foi) aucune contradic- tion, puisque toutes deux viennent d'une seule et même source de l'immuable et éternelle vérité, de Dieu très bon et très grand (i). » Et le cinquième concile de Latran avait dit que « le vrai ne saurait contredire en rien le vrai. » Ces deux raisons, le concile du Vatican les joint ensemble. La foi, vertu surnaturelle, et la raison, don naturel, viennent également de Dieu. L'objet de la foi est la vérité révélée, l'objet de la raison la vérité naturelle. De vérité à vérité pas d'opposition possible ; cela répu- gne à la notion même de vérité ; cela répugne aussi à la source de toute vérité, Dieu. Dieu se contredi- rait, a se renierait lui-même, » si le mensonge pou- vait se glisser dans ses œuvres, si les lumières de la foi se trouvaient en opposition avec les lumières de la raison. Il n'y a point de relativité dans la vérité : la vérité est absolument ce qu'elle est et ne peut pas être autre chose ; le vrai ne peut pas s'opposer au vrai. Tel est l'enseignement dogmatique.

Gela est vrai en droit ; est-ce également vrai en fait? Et n'y a t-il pas de véritables oppositions ou contradictions entre l'enseignement révélé et les données rationnelles ? Non, répond le concile ; ce qu'il y a parfois ce sont des apparences de contra- diction, purement imaginaires, qui proviennent, ou de ce que les dogmes ne sont pas compris et expo- sés conformément à la pensée de l'Eglise et à l'en- seignement traditionnel, ou de ce que des opinions fausses sont prises pour des conclusions certaines de la raison. Le cas n'est nullement chimérique, car

i. Denzinger,n. 1496.

ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 35 1

trop souvent on prête à la doctrine catholique un enseignement qui n'est pas le sien, et plus souvent encore on se hâte de prendre pour des résultats définitivement acquis à la science ce qui n'est qu'une hypothèse plus ou moins séduisante, plus ou moins vraisemblable ; de de regrettables con- flits, mais qui n'ont pas de raison d'être. Une con- clusion certaine, scientifiquement vraie, est chose réelle, mais assez rare ; seule, la témérité de l'esprit va jusqu'à regarder comme une certitude scientifi- que des hypothèses en vogue qui, dépourvues d'une autorité suffisante, ne sauraient entrer en ligne de compte avec des données positives* Opposer ces hypothèses aux vérités de la foi, c'est créer des con- tradictions apparentes dont la science ne saurait être rendue responsable. Et du moment qu'elles heurtent réellement l'enseignement révélé, l'Eglise déclare qu'elles ne peuvent être qu'une opinion fausse. En a-t-elle le droit ? Et son intervention, en pareil cas, ne constitue-t-elle pas une intrusion abusive dans un domaine qui n'est pas le sien ? C'est la seconde question que tranche le concile du Vatican.

2. Droits de l'Eglise vis-à-vis de la fausse science

Incontestablement, comme l'Eglise du reste se plaît à le reconnaître, les sciences humaines ont le droit, chacune dans sa sphère, de s'appuyer sur leurs propres principes et d'employer des méthodes appropriées. C'est le droit de la philosophie, de l'histoire, de toutes les sciences naturelles. Tant qu'elles restent fidèles à leur méthode, tant qu'elles ne tentent pas d'incursion dans un domaine qui n'est pas le leur, le danger semble problématique

352 LE CATÉCHISME ROMAIN

qu'elles en puissent venir un jour ou l'autre à heurter de front la révélation. Mais il est des ques- tions qui intéressent la révélation au premier chef ou qui ont avec elle d'étroits rapports ; ici, la ré- serve s'impose à elles comme un devoir, et l'Eglise a le droit de contrôler et déjuger leurs affirmations. C'est un droit que revendique le concile du Vatican. Il est des philosophes qui prétendent que l'Eglise n'a aucun droit dans le domaine scientifi- que ; il est des rationalistes qui ne lui accordent aucune autorité doctrinale ; il est des semi-rationa- listes de l'école de Gunther et de Frohschammer qui prétendent que, si les philosophes chrétiens sont tenus de respecter son autorité, la philosophie du moins échappe à son contrôle et que par suite l'Eglise n'a pas le droit de redresser les erreurs de la philosophie. Pie IX a condamné ces derniers (i), et le Syllabus a inséré parmi les propositions con- damnées les deux suivantes : « Gomme autre chose est le philosophe et autre chose la philosophie, le philosophe a le droit et le devoir de se soumettre à une autorité dont il s'est démontré à lui-même la légitimité ; mais la philosophie ne peut ni ne doit se soumettre à aucune autorité. » « L'Eglise non seulement ne doit, dans aucun cas, sévir contre la philosophie, mais elle doit tolérer les erreurs de la philosophie et lui laisser le soin de se corriger elle- même (2). » Or, le concile du Vatican a condamné à son tour cette double erreur et a défini que l'Eglise peut proscrire les assertions des sciences humaines, sans distinction, qui seraient contraires à la doctrine révélée ; car il a dit « anathème à qui dirait que les enseignements humains doivent être donnés avec

1. Denzinger, n. i528, i535. 2. Syllabus, prop. 10, zi ; Denzinger, n. 1557, i558.

ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 353

une telle liberté, que leurs assertions pourraient être maintenues pour vraies et ne sauraient être proscrites par l'Eglise, alors même qu'elles iraient contre la doctrine révélée (i). » Le droit de l'Eglise de proscrire toute opinion scientifique contraire aux données de la révélation est donc désormais une vérité de foi catholique. Et ce n'est pas seulement un droit, ajoute le concile, c'est encore un devoir.

Ce droit et ce devoir, le concile les fonde sur l'autorité divine : ils font partie de la mission que l'Eglise a reçue de Jésus-Christ d'enseigner et de garder le dépôt de la foi. Pour garder intégralement le dépôt confié, pour le transmettre dans sa pureté, l'Eglise, en effet, doit signaler et proscrire tout sophisme, toute erreur qu'une fausse science serait tentée de mettre en opposition avec la foi. Gomme le dit l'apôtre saint Paul,« il faut que nul ne soit trompé par la philosophie et une vaine sophisti- que (2). » Les chrétiens doivent être mis en garde contre les séductions d'une philosophie trompeuse, toute mondaine et non conforme à la doctrine de Jésus-Christ ; car c'est un danger pour la foi, d'autant plus grand de nos jours que la philosophie est plus cultivée. Il est des points, en effet, dont traite la philosophie et qui font en même temps partie de l'enseignement révélé ; il en est d'autres qui ont des rapports avec la doctrine chrétienne, et sur les- quels se prononcent les philosophes sans se préoccu- per si les solutions qu'ils proposent s'accordent avec la révélation. A l'Eglise de veiller sur le dépôt de la foi, non pour repousser systématiquement toute donnée philosophique, puisqu'il en est de parfaitement légitimes et de très acceptables, mais pour empêcher toute immixtion étrangère, dange-

1. Const. Dei Filius., c. iv, can. 2. a. Col, 11, 8.

LE CATÉCHISME. T. I. 2}

354 LE CATÉCHISME ROMAIN

reuse ou erronée, intéressant directement la foi. Et si un tel cas se présente, c'est le droit et le devoir de l'Eglise, à raison de sa mission divine, de signa- ler le danger et de condamner l'erreur, pour main- tenir intact et inviolé l'enseignement divin. C'est un droit qu'elle a toujours revendiqué, un devoir qu'elle n'a cessé de remplir depuis son origine, droit et devoir, que le concile du Vatican a reven- diqués de la manière la plus expresse.

La véritable science n'a pas à s'offusquer d'une pareille intervention de l'Eglise ; c'est la fausse science seule qui est en cause, et uniquement dans ce qui touche à la foi ; car l'Eglise n'a pas pour mission de faire de la science pour de la science ; elle ne s'occupe de la science que dans la mesure celle- ci aborde et tranche témérairement des questions, qui intéressent trop intimement la révélation, et dans lesquelles elle n'a ni compétence ni garantie.

3. Il arrive parfois que des opinions contraires aux conclusions théologiques se manifestent et sont par même erronées ou téméraires. Vis-à-vis d'elles, l'Eglise a le droit et le devoir de se prononcer comme vis-à-vis des opinions hérétiques, et pour les mêmes raisons. Mais il n'est pas de foi catholique que l'Eglise possède ce droit ; ce point n'a pas été tranché par le concile ; le seul point défini, c'est le droit de l'Eglise pour les cas la fausse science, directement opposée à l'enseignement révélé, est hérétique. Mais les principes invoqués ont toute leur force vis-à-vis des opinions qui, sans être hérétiques, sont erronées ou téméraires, parce que, virtuellement, elles sont contraires à la révélation. Et tout porte à croire que si le concile avait pu achever ses travaux, ce point particulier eût été défini comme l'autre. Quoi qu'il en soit, l'autorité de l'Eglise s'étend à tout ce qui touche directement

ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 355

ou indirectement à la foi, et ce n'est pas seulement une autorité disciplinaire, c'est aussi une autorité doctrinale : elle peut proscrire toute opinion con- traire à une conclusion théologique.

3. Devoirs des catholiques

dans les questions scientifiques

qui appartiennent à la foi

Pas de contradiction possible entre la foi et la raison, entre la révélation et la science. Toute asser- tion contraire aux données révélées est fausse : l'Eglise a le droit et le devoir de les proscrire, même quand elles se présentent sous le couvert de la science. De découlent des conséquences pratiques, lorsqu'on se croit en présence d'une opposition; elles sont indiquées par le concile du Vatican.

Quelle conduite tenir ? Il faut d'abord penser que la contradiction signalée n'est qu'apparente. S'il ne s'agit pas d'une vérité nécessaire de nécessité de moyen, la plupart des chrétiens peuvent s'en tenir à un simple acte de foi sans chercher d'où peut venir cette contradiction apparente. L'obliga- tion de rechercher à quoi tient cette apparence de contradiction incombe à ceux qui ont mission d'eu- seigner les autres. Se garder alors de dire en chaire ou d'écrire qu'on croit voir une opposition entre les données de la science et de la foi ; car ce serait pratiquement mettre les chrétiens en demeure, ou de rejeter la foi, ou d'abandonner une hypothèse libre, ou même peut-être une donnée scientifique vraie ; ce serait une faute de justice et de charité contre les fidèles faibles ou déjà incrédules, qui seraient ainsi exposés à de graves tentations ou confirmés dans leur incrédulité ; ce serait aussi une faute vis-à-vis des fidèles croyants, qu'on obligerait

356 LE CATÉCHISME ROMAIN

d'abandonner des sentiments que Dieu et l'Eglise leur laissent la liberté de garder ; ce serait enfin une faute d'ordre social, soit contre l'Eglise et la religion chrétienne,, qu'on ferait passer devant l'opinion publique pour hostiles à la science, soit contre l'es- prit humain dont on entraverait le progrès légitime. Ces réflexions de M. Vacant (i) sont fort justes.

Quelles sont les causes de ces apparentes opposi- jions ? Le concile en signale surtout deux : une altération des données de la foi ou une altération des données de la science.

L'altération des données de la foi peut être le fait de ceux qui les comprennent ou les exposent mal, c'est-à-dire qui ne les comprennent ni ne les expo- sent suivant la pensée de l'Eglise.» Cela peut avoir lieu de bonne foi et avec une ignorance invincible, mais cela peut aussi être imputable soit à l'igno- rance et aux exagérations de ceux qui exposent la doctrine chrétienne et à qui on est en droit de se fier, soit à l'ignorance et à la mauvaise foi des ennemis de la religion, qui ne prennent pas la peine de l'étudier ou qui l'altèrent de parti pris. Le public, évidemment, sera excusable s'il est trompé par l'enseignement de ses pasteurs ; mais il sera facile- ment coupable s'il prête une oreille complaisante aux adversaires de la foi (2).

L'altération des données de la science provient d'ordinaire de ce que l'on regarde comme une vérité acquise ce qui n'est qu'une opinion fausse ou hasardée. C'est le fait d'ennemis résolus de la reli- gion ou de demi-savants, d'ignorants présomp- tueux ou même de vrais savants, qui se laissent séduire par de faux systèmes.

Devoirs pour Vapologiste. L'apologiste doit évi-

x. Const. Dei Fllius, t. 11, p. 200. a. V. Ibid., 1. 11, p. a5i.

ACCORD DE LA RAISON ET DE LA FOI 35y

ter deux exagérations contraires. Il doit d'abord présenter les dogmes de la foi sans les augmenter ni les diminuer, donner comme certain et obliga- toire ce qui est certain et obligatoire, et ne point imposer les opinions librement discutées. En ajou- tant aux obligations, il forgerait des armes qui pourraient se retourner contre la religion; en amoindrissant l'enseignement, il livrerait la doc- trine, fortifierait la fausse science et discréditerait ceux qui soutiennent les vrais enseignements de l'Eglise. Il doit ensuite exposer les données scienti- fiques sans en exagérer la valeur ou l'importance, alors même qu'il les estimerait favorables à la doc- trine catholique ; il ne doit pas s'appuyer sur une fausse science pour prouver les vérités de la foi ou pour interpréter l'Ecriture et la tradition, car ce se- rait altérer les principes de la religion ; il ne doit pas amoindrir la science et par suite ne pas mé- priser les véritables découvertes scientifiques, ne pas rendre responsable surtout la vraie science des conclusions prématurées et parfois insensées qu'on lui prête (i).

Devoirs pour ceux qui étudient les questions scientifiques qui touchent à la révélation. Dans ces ques- tions qui touchent de près à la révélation, il y a, pour ceux qui s'en occupent, un double devoir : un devoir négatif, qui est de ne pas soutenir des opi- pinions contraires à la foi ; un devoir positif, qui est de regarder ces opinions comme fausses.

Le devoir négatif s'applique à toutes les asser- tions contraires à la doctrine révélée, dit le canon 2; aux fausses opinions, qu'on sait être contraires à la foi divine, dit le chapitre IV de la constitution Dei Filius ; et cela même de la part de ceux qui les

i. Ibid., p. a5a.

358 LE CATÉCHISME ROMAIN

croiraient scientifiquement fondées. Le devoir posi- tif, c'est de les tenir pour des erreurs qui se cou- vrent vainement des apparences de la vérité. Il ne suffit pas de s'abstenir de les défendre extérieure- ment et de' garder le silence, il faut les rejeter inté- rieurement. Faut-il de plus les rejeter et les com- battre extérieurement ? Le concile ne le dit pas ; ce serait pourtant un devoir si le silence était suscepti- ble de passer pour une approbation.

IV. La Foi et la raison se prêtent une aide mutuelle

Le concile du Vatican complète heureusement son enseignement sur les relations de la foi et de la raison, en montrant les services mutuels qu'elles se rendent et l'attitude que prend l'Eglise vis-à-vis de la science. Rien de plus instructif et de plus opportun qu'une telle doctrine, en face des imputa- tions calomnieuses qu'on ne cesse d'adresser à l'Eglise et des erreurs qu'on s'obstine à répandre contre l'enseignement catholique.

« Non seulement, dit le concile, la foi et la rai- son ne sauraient être en désaccord l'une avec l'au- tre, mais elles se prêtent encore un secours mutuel. Car la droite raison démontre les fondements de la foi, et, éclairée de sa lumière, elle cultive la science des choses divines ; tandis que la foi délivre et préserve la raison des erreurs et l'instruit de con- naissances multiples (i). »

Disons d'abord un mot des services que la raison, rend à la foi et de ceux que la foi rend à la raison.

x. Const. Dei Filius, c. iv, S 4.

AIDE MUTUETLE DE LA FOI ET DE LA RAISON 35g

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1. Services que la raison rend à la foi. Ce n'est pas sans un motif légitime que le concile du Vatican a jugé nécessaire de proclamer la valeur et les droits de la raison. D'une part, en effet, parmi les incrédules et les protestants, on im- putait à l'enseignement catholique la prétention de se substituer à la raison et de se passer complète- ment d'elle, en imposant la foi au nom de l'auto- rité. L'imputation est calomnieuse. D'autre part, les traditionalistes de l'école de Lamennais et les fidéis- tes de l'école de Bautain réduisaient tellement le rôle de la raison qu'ils fournirent des arguments aux enne- mis de l'Eglise ; mais leurs opinions furent prises à tort comme l'expression de l'enseignement catho- lique. Traditionalistes et fidéistes accordaient aux incrédules que la raison ne fournit aucune preuve certaine, soit des vérités de la religion naturelle, soit du fait de la révélation ; ils accordaient aux protestants qu'à la suite du péché originel, la nature humaine est corrompue dans son fond et qu'elle a nécessairement besoin du secours de la grâce pour les actes naturels ; double concession, qui n'était pas seulement dangereuse, mais qui constituait une double erreur. C'est pourquoi le concile a proclamé la valeur et les droits de la raison.

La raison, en effet, rend d'importants services à la foi, soit avant l'acte de foi, en le préparant, soit après l'acte de foi par la culture des sciences sacrées. Le premier service rendu, c'est la démonstration des fondements de la foi, comme nous l'avons déjà indi- qué dans une leçon précédente ; démonstration pro- prement dite, partant de principes vrais et abou- tissant à une conclusion certaine; démonstration faite par la raison seule, par ses propres lumières. Et ceci condamne le fidéisme et le traditionalisme. Parmi ces fondements de la foi, il y a, nous l'avons

36o LE CATÉCHISME ROMAIN

Vu, les vérités de la religion naturelle, notamment celles qui se rapportent à l'existence de Dieu et à ses attributs; il y a aussi le fait de la révélation.: véri- tés et fait que la raison suffit à démontrer ; nous n'y reviendrons pas. Le concile avait d'abord ensei- gné que l'existence de la révélation se démontre avec certitude ; il déclare ici que cette démonstra- tion certaine est l'œuvre de la raison ; il ne fait que confirmer l'enseignement déjà formulé contre les fi- déistes et les traditionalistes par Grégoire XYI et par Pie IX. Tel est le premier service rendu par la rai- son à la foi.

Voici le second : la raison étudie les vérités révélées et en fait l'objet d'une science. Cette étude de la vérité révélée, la raison, il est vrai, ne peut l'entreprendre, comme le note le concile, que si elle est éclairée par la lumière de la foi. Après que ces vérités révélées lui sont connues, la raison fait sur elles un travail semblable à celui, dont nous avons parlé plus haut, touchant les mystères ; elle appli- que la méthode scientifique aux dogmes de la foi. Le concile ne signale aucun des avantages que cette étude procure à la raison elle-même, il ne parle que de ceux que la foi en retire : d'abord celui de mettre plus complètement les vérités de la foi à la portée de notre intelligence, ensuite celui de préparer les définitions dogmatiques, qui éclaircissent, distin- guent et précisent les données de la révélation. Nous avons déjà parlé de ces divers services que la raison rend à la foi dans les leçons précédentes ; nous ne faisons donc que les signaler ici.

[\° Troisième service : la raison défend la foi. Elle répond aux difficultés que suscite l'erreur pour obscurcir la clarté ou infirmer la valeur des vérités révélées ; elle s'arme pour la lutte et lutte vigoureu- sement. « La raison ennemie de la foi s'attaque à

AIDE MUTUELLE DE LA FOI ET DE LA RAISON 36 I

ses établissements ; la raison amie de la foi les sou- tient et les fortifie par de continuels travaux. La raison ennemie de la foi cherche à convaincre les dogmes d'absurdité ; la raison amie de la foi démontre qu'aucun principe emprunté à l'ordre physique, moral ou métaphysique, ne peut entamer la forte structure des propositions révélées. La raison ennemie de la foi voudrait se donner le plaisir d'immoler au moins quelque vérité particu- lière ; la raison amie de la foi démontre que cette vérité est tellement soudée à toutes les autres, que, la détruire, c'est compromettre la solidité de l'en- semble. Ainsi, de tous côtés, la raison est la gar- dienne, l'homme d'armes, le chevalier défenseur de la foi (i). »

Démonstration des motifs de crédibilité, étude scientifique de la vérité révélée ou théologie, défense éclairée du dogme et de la religion ou apologétique, tels sont les services rendus à la foi par la raison, tel est le rôle de l'intelligence humaine auprès de la foi.

2. Services que la foi rend à la raison.

Les services que la foi rend à la raison sont beau- coup plus grands que ceux que la raison rend à la foi. La foi rend à la raison d'inappréciables services même dans l'ordre naturel ; quant à ceux de l'ordre surnaturel, ils dépassent tout ce que l'on peut con- cevoir.

i°Pie IX, dans son encyclique du 9 novembre i846, envisageant les services que la foi rend à la raison dans les matières qui leurs sont communes, c'est à- dire par rapport aux vérités de la religion na-

1. Monsabré, Introduction au dogme catholiçue, Paris. 1SG6, t. 1, p. 70.

3Ô2 LE CATÉCHISME ROMAIN

turelle, dit que « la foi délivre la raison de toutes les erreurs, qu'elle l'éclairé, la confirme et la per- fectionne merveilleusement par la connaissance des choses divines (i). » Double secours : un secours négatif, qui est de la préserver de toutes les erreurs ; un secours positif, qui est de l'éclairer, de la con- firmer et de la perfectionner. Cette préservation de l'erreur n'a lieu que dans les matières formellement enseignées par la foi, car, dans les autres questions, la raison peut errer, la foi ne l'en empêche point. La raison donc, ainsi secourue par la foi, connaît, sans crainte d'erreur, tout ce qui touche à la reli- gion naturelle ; elle le connaît d'emblée, ce qui est un avantage unique. Réduite à ses seules forces elle arrive à le connaître, mais au prix de combien d'efforts et avec quelles craintes d'erreur ! L'histoire de la philosophie est pour montrer ses défaillances et ses aberrations ; l'expérience quotidienne est pour montrer combien petit est le nombre de ceux qui ont le temps, le loisir, l'intelligence et la volonté pour mener à bien une telle étude. C'est une des raisons que saint Thomas fait valoir de la manière la plus heureuse pour démontrer la nécessité relative de la révélation, même pour la connaissance com- plète et sûre des vérités de la religion naturelle. Avec l'aide de la foi, rien de plus facile, rien de plus rapide, rien de plus certain ; la raison sait ce qu'elle doit savoir, sans crainte d'erreur. Eclairée, elle est confirmée et perfectionnée par la connaissance des choses divines. « C'est donc salutairement, dit saint Thomas, que la divine clémence a pourvu aux besoins de l'humanité, en nous ordonnant de tenir par la foi ce que la raison peut connaître naturelle- ment, afin que tous pussent participer facilement à

i. Denzinger, n. 1^96.

AIDE MUTUELLE DE LA FOI ET DE LA RAISON 363

la connaissance des choses divines, et cela sans doute ni erreur (i). »

Ce double secours négatif et positif est proclamé par le concile du Vatican. Mais, au lieu de dire comme Pie IX que la foi délivre de toutes les erreurs, il dit simplement qu'elle la préserve des erreurs ; et au lieu de dire qu'elle perfectionne la raison par la connaissance des choses divines, il dit qu elle l'ins- truit de connaissances multiples, sans restreindre cette connaissance aux seules choses divines. Or, parmi les erreurs dont la foi préserve la raison, il faut signaler, dans la science du monde matériel, celles qui ont trait à la création ; dans la science du monde humain, celles qui ont trait à la spiritualité et à la liberté de Fhomme ; et dans la science du monde métahysique, celles qui ont trait à Fexistence et aux attributs de Dieu.

D'autre part, la foi enrichit la raison de connais- sances multiples, tout d'abord dans le domaine des vérités mixtes, qui sont communes à la religion et à la science. Et, bien que la foi n'ait pas pour objet les sciences profanes, en dehors de ces vérités mix- tes, il en est d'autres encore dont elle enrichit la raison indirectement. Elle l'aide en confirmant les principes dont la science a besoin pour ses déduc- tions, notamment dans les questions morales, socia- les et métaphysiques ; elle l'aide en l'empêchant de tomber dans Terreur et en l'engageant ainsi dans le chemin de la vérité ; c'est dire qu'elle la met à même de multiplier ses propres connaissances et de s'enri- chir de découvertes nouvelles.

Ainsi donc si la foi est redevable à la raison des secours qu'elle en reçoit, la raison n'est pas moins redevable à la foi des avantages qu'elle lui procure ;

x. Contr. Gent., I, iv, 3.

364 LE CATÉCHISME ROMAIN

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entre elles pas d'antinomie, point de désaccord, mais l'entente la plus fructueuse et un concours des plus précieux, des plus utiles, des plus nécessaires.

3. Attitude de l'Eglise en face des sciences. Le concile du Vatican complète son enseigne- ment sur les relations entre la foi et la raison, la révélation et la science, par une déclaration des plus importantes sur l'attitude de l'Eglise en face des sciences. On a si souvent méconnu et travesti cette attitude, on la méconnait encore et on la tra- vestit d'une manière si odieuse qu'il importe, puisque l'occasion toute naturelle s'en offre, de faire connaître celle que l'Eglise a toujours tenue et entend tenir : rien de plus net que la doctrine du concile sur ce point délicat.

« Bien loin, dit-il, de mettre obstacle à la culture des arts et des sciences humaines, l'Eglise la favorise et la fait progresser de plusieurs manières. Car elle n'ignore ni ne méprise les avantages qui en résul- tent pour la vie d'ici-bas. Bien plus elle reconnaît que, venant de Dieu, le maître des sciences, ces sciences et ces arts conduisent de même à Dieu, avec l'aide de sa grâce, si on les cultive comme il convient. L'Eglise ne défend pas assurément que chacune de ces sciences se serve, dans sa sphère, de ses propres principes et de sa propre méthode ; mais, en reconnaissant cette légitime liberté, elle veille attentivement à ce qu'elles n'adoptent point d'erreurs, qui les mettent en opposition avec la doctrine divine, et à ce qu'elles n'envahissent ni ne troublent ce qui est du domaine de la foi, après être sorties des limites de leur propre empire (i), »

Ces quelques lignes justifient pleinement la

i. Const. Dei Filius, c. iv, S 4.

ATTITUDE DE i/eGLISE EN FACE DES SCIENCES 365

conduite de l'Eglise vis-à-vis des arts et de la science ; c'est une conduite imposée par son rôle di- vin auprès des âmes. Elle ne met point d'obstacle à l'épanouissement des arts et des sciences, elle apporte au contraire à leur légitime exercice un concours sympathique et efficace. Elle ne professe pas le moindre mépris à leur endroit, elle estime au contraire leur utilité pratique, tant au point de vue temporel qu'au point de vue spirituel. Toute- fois, en reconnaissant leur légitimité et le droit qu'ils ont de se servir de leurs principes et de leurs méthodes propres, elle revendique le droit néces- saire, en ce qui touche au domaine de la foi, qui est le sien, de sauvegarder le dépôt de la vérité qui lui a été confié, de signaler et de condamner toute erreur contraire à l'enseignement divin, d'empê- cher toute tentative étrangère à leur objet, toute intrusion illégitime dans le domaine religieux. Ces divers points de vue demanderaient d'amples dé- veloppements : nous ne pouvons que les indiquer d'un mot rapide et bref.

Point d'obstacle mais concours sympathi- que et efficace. L'Eglise, comme en témoigne l'histoire, loin de mettre un obstacle quelconque à la culture des arts et des sciences, la favorise de la façon la plus efficace. Par la foi qu'elle fait régner, elle ne cessede pénétrer l'opinion, les mœurs et les institu- tions des principes salutaires et féconds de la révéla- tion, elle sert ainsi d'auxiliaire à la science, en la préservant d'erreurs funestes, en lui assurant un milieu favorable. Les individus, la société, les géné- rations qui se succèdent bénéficient de cette action salutaire de l'Eglise. En l'affirmant, le concile du Vatican ne fait que constater un fait historique indé- niable. Léon XIII, dans son Encyclique Libertas

366 LE CATÉCHISME ROMAIN

du 20 juin 1888, a lumineusement exposé ce fait d'histoire et démontré l'heureuse influence de l'Eglise dans toutes les branches du savoir.

L'Eglise ne se contente pas de favoriser les arts et les sciences', elle leur apporte son concours efficace, elle contribue directement à leur progrès. Léon XIII en donne trois preuves : a En fait, dit-il, on doit à l'Eglise ces bienfaits assurément considérables, qu'elle a glorieusement conservé les monuments de la sagesse antique ; qu'elle a ouvert en divers lieux des résidences à la science ; qu'elle a toujours excité la marche des intelligences, en entretenant avec le plus grand zèle les arts qui donnent le plus de relief à la civilisation moderne. » Yoilà trois grands services : l'Eglise a conservé les monuments du passé ; l'Eglise a fondé des institutions destinées à l'étude ; l'Eglise a été l'inspiratrice zélée des arts. On peut en ajouter une quatrième ; l'Eglise a produit une pléiade de savants et d'érudits. Chacun de ces points demanderait des volumes pour être illustré comme il convient.

Ce rôle si important s'explique aisément par deux raisons, c'est que l'Eglise regarde les sciences comme bonnes, louables et désirables en soi, comme très utiles et fort avantageuses, soit pour réaliser sa mission divine auprès des hommes, soit pour défendre et développer son propre enseignement. Même vis-à-vis des sciences qui n'ont pas de rapport immédiat avec la révélation, l'Eglise désire qu'on les cultive et les fait cultiver, parce que toute science, née de la droite raison et conforme à la vérité, peut concourir à la glorification de la vérité révélée, comme s'exprime Léon XIII. Elle s'intéresse surtout à celles qui ont des points de contact avec l'enseignement chrétien, comme les sciences philo- sophiques, morales, historiques, philologiques, etc.

ATTITUDE DE L'EGLISE EN FACE DES SCIENCES 36 7

Elle en impose l'étude à ses prêtres pour les armer contre les objections de la sophistique.

Point de mépris, mais estime de leur utilité. C'est l'objection sans cesse mise en avant contre l'Eglise : on l'accuse d'enseigner et de professer le mépris des choses de ce monde, de se désintéresser du mouvement scientifique qui s'accuse avec tant de vigueur et compte tant de succès. Elle a tort, assure-t-on, de prêcher le renoncement, de regarder la terre comme un lieu d'exil et de passage, de placer au delà de la tombe le seul bonheur qui puisse satisfaire le cœur de l'homme, de ne point marcher avec le siècle. C'est le reproche bien connu de l'obscurantisme. L'Eglise, ennemie du progrès I Tel est le dernier mot des ennemis du Catholicisme. Nous venons de voir ce qu'il faut en penser. Mais il convient d'y répondre avec le concile du Vatican.

Que déclare donc le concile ? Deux choses : la première, c'est que l'Eglise ne méprise nullement les avantages temporels qui résultent de la culture des arts et des sciences pour la vie terrestre ; la seconde, c'est qu'elle estime que les arts et les sciences, venant de Dieu, peuvent conduire à Dieu.

Il n'y a guère que la mauvaise foi et le parti pris pour soutenir que le renoncement chrétien soit un mépris et un désintéressement absolu de ce qui se passe ici-bas. La vie chrétienne n'anéantit pas la vie naturelle ; elle la suppose, au contraire, elle s'y appuie, non pour s'y renfermer, mais pour la dépasser, car elle y ajoute la pratique des comman- dements divins et souvent celle des conseils évangé- liques. Loin donc de paralyser l'activité naturelle, elle la stimule de la façon la plus heureuse ; et Ton a pu dire avec raison qu'il n'y a de véritablement homme que le chrétien, de véritablement chrétien

368 LE CATÉCHISME ROMAIN

que le catholique, tant la foi pousse à son dévelop- pement parfait tout ce qui constitue la nature humaine.

De plus si les sciences viennent de Dieu, comme tous les dons naturels, puisque c'est de Dieu que l'homme tient son intelligence, sa lumière et sa force, elles conduisent aussi à Dieu. Dieu, le maître des sciences, est leur source première et leur fin dernière. Il se peut que les sciences méconnaissent leur origine et leur destinée ; il se peut aussi qu'elles s'en souviennent. En tout cas, elles sont à même de conduire à Dieu celui qui les cultive. Et elles y conduisent effectivement, comme dit le concile du Vatican, si elles sont cultivées comme il convient, c'est-à-dire sans préjugés antireligieux, sans parti pris, loyalement, logiquement, et non avecledédain de l'indifférence religieuse, avec l'obstination du rationalisme à courte vue, avec le fanatisme de l'hérésie ou de l'impiété. Elles y conduisent avec le secours de la grâce, comme l'enseigne le concile. Et c'est par que leur utilité temporelle se double d'un avantage spirituel, ce qui justifie amplement l'estime qu'en professe l'Eglise catholique.

Point d'hostilités, mais surveillance néces- saire. — Par l'estime qu'elle professe pour l'utilité des sciences, comme aussi par le concours sympathi- que et efficace qu'elle leur porte, l'Eglise montre bien qu'elle n'est pas l'ennemie qu'on imagine dans certains milieux, toujours prête à fulminer l'ana- thème. Rationalistes et semi-rationalistes ont raison de réclamer pour la science le droit d'agir en toute liberté dans son domaine, avec des principes et des méthodes propres ; c'est, du reste, un droit légitime que l'Eglise se plaît à reconnaître et à procla- mer la première ; mais ils ont tort, après avoir

ATTITUDE DE L'ÉGLISE EN FACE DES SCIENCES 869

réclamé leur indépendance ou leur autonomie, de se refuser à admettre toute vérité qu'ils ne se seraient pas démontrée ou qui leur serait imposée du dehors, parce qu'ils n'ont pas le monopole de la vérité. Et Dieu a bien quelque droit à l'audience de l'homme. Ils ont tort également, en franchissant leur sphère propre, de tenter quelque excursion dans le domaine de la foi, dont les principes et la méthode diffèrent des principes et de la méthode des sciences natu- relles. Ils ont tort surtout, dans les questions mixtes qui appartiennent à la fois au domaine naturel et à la révélation, d'adopter des opinions ou de soutenir des thèses en contradiction avec les données révélées. Les sciences ont droit à la liberté, chez elles et entre elles : l'Eglise n'intervient pas. Qu'elles fassent d'heureuses découvertes ou qu'elles commettent des erreurs, l'Eglise loue les premières, mais ne se prononce pas sur les secondes, parce qu'elles sont étrangères à son enseignement. L'Eglise n'o- blige pas les sciences à user des principes révélés et de sa propre méthode dans leur domaine respec- tif, mais elle ne saurait tolérer de leur part ni des affirmations contraires aux siennes sur le terrain de la foi, ni une intrusion illégitime dans son propre domaine. Par suite, aux yeux de l'Eglise, la liberté des sciences se trouve limitée par rapport à la foi. Dans les questions mixtes, telles par exemple que l'existence de Dieu, la spiritualité de l'âme, la liberté humaine et tout ce qui constitue la religion natu- relle, la science n'a pas le droit d'affirmer ou de souten> quelque chose qui heurte l'enseignement révélé. Encore moins a-t-elle celui de sortir de son domaine pour envahir celui de la foi : c'est un abus, une violation de territoire, toujours un danger, presque toujours une source de troubles et d'er- reurs : l'Eglise ne saurait le tolérer ; et c'est pour

iE CATÉCHISME. X. X, 24 l

37O LE CATECHISME ROMAIN

quoi si elle veille attentivement, ainsi que s'exprime le concile du Vatican, à ce que la science n'adopte point d'erreurs, qui la mettent en opposition avec la doctrine révélée, elle ne veille pas moins attenti- vement à ce que la science ne sorte des limites de son propre empire pour envahir et troubler ce qui est du domaine de la foi.

1. Y a-t-il incompatibilité entre le chrétien et le savant ? « S'il est vrai que la méthode scientifique moderne est basée sur le principe de la libre recherche, il est vrai aussi que ce n'est pas d'une absurde licence mais d'une liberté rationnelle qu'elle entend jouir. Ne doit-elle pas respecter les lois éternelles du bon sens et de la logique ? Est-ce que c'est dans le monde de l'imagina- tion et des rêves, aussi bien que dans celui de la réalité et de la vérité, qu'elle entend diriger ses investigations ? Sa liberté de recherche est donc évidemment limitée, sans qu'elle cesse pour cela d'être vraiment scientifique au sens moderne du mot. Et par quoi est-elle limitée ? Il faut bien le reconnaître, par l'œuvre de Dieu, par cette première révélation qu'il a faite de lui-même par la création du monde et de l'homme. Mais si le respect de cette première révélation n'empêche nullement la mé- thode moderne d'être libre et scientifique, comment la seconde révélation divine, conservée et expliquée par l'Eglise, ruinerait-elle davantage son caractère de science et de liberté ? Dieu, quand il parle, est-il moins le Dieu des sciences que lorsqu'il crée ? Le respect de la religion positive n'est donc pas plus antiscientifîque que le respect delà religion naturelle. Jamais, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, on ne pourra ébranler ce droit que Dieu, la vérité, la réalité, ont au respect de toute science qui veut se respecter elle-même.

« Quand donc la foi prévient le savant qu'il existe, sur le sujet de ses études, des dogmes révélés, des définitions ou des condamnations portées par l'Eglise, il doit s'en préoccuper comme le pilote se préoccupe des signaux que lui donne le phare allumé au milieu des écueils. La

ATTITUDE DE l'ÉGLISE EN FACE DES SCIENCES 3^1

liberté de la science et de la recherche scientifique en est-elle diminuée ? Aucunement, à moins qu'on ne sou- tienne, ce qui est absolument insoutenable, qu'il est essentiel à la science de pouvoir errer à l'occasion, et qu'il est antiscientifique de l'en empêcher ; autant vaudrait dire qu'il est inhumain d'empêcher un homme de se jeter dans un abîme, en entourant celui-ci d'un garde- fou. Ainsi se trouve résolue la question de la liberté des philosophes et des historiens, relativement à la foi : ils ne peuvent jamais s'arroger le droit d'y contredire, et de philosopher ou d'écrire l'histoire sans égards pour l'en- seignement de l'Eglise. La condition des savants propre- ment dits, de ceux qui cultivent les sciences expérimen- tales ou exactes, est plus favorable encore, si l'on peut s'exprimer ainsi, à cause du manque ou de la rareté des documents surnaturels relatifs à leurs travaux. Il est très peu de points de contact, en effet, entre ces sciences et la foi, tant que celles-là se confinent dans leur domaine et n'essaient pas d'empiéter sur celle-ci. Un algébriste, par exemple, ou un botaniste, sait d'avance qu'il ne rencon- trera dans ses études aucune question théologique, à ^moins qu'il ne s'aventure dans]certaines questions philoso- phiques qui ne sont pas précisément de son ressort. Il a donc toute liberté, toute indépendance dans ses recher- ches.» J. Didiot, La Foi, dans le Dictionnaire apologéti- que deJaugey, Paris, 1889, col. 1191-1293.

2. Les relations entre la foi et la raison. Sous ce titre, M. de Broglie se posait la question suivante : Faut-il abdiquer sa raison pour croire ? L'ignorance ou l'absence de logique sont-elles des conditions nécessaires ipour posséder des convictions fondées sur la foi ? Il in- diquait les deux préjugés, les deux opinions considérées comme des axiomes incontestables et incontestés dans tune grande partie du public éclairé. | L'un de ces préjugés consiste à soutenir qu'il y a ^opposition complète, contradiction absolue entre la science, œuvre de la raison, et les doctrines enseignées par l'Eglise au nom de la Foi. C'est Taine, en particulier, qui a pré- tendu qu'une telle opposition empêche qu'on puisse être

3-2 LE CATÉCHISME ROMAIN

à la fois croyant et savant. Si, en fait, l'union de la science et de la foi existe chez quelques savants, c'est, prétend-il, ou une illusion ou un manque de loyauté, parce que, pour réaliser un tel accord, il faut ou « construire entre des doctrines opposées des ponts fragiles, » ou établir dans le cerveau, entre les courants contraires de la science et de la foi « une sorte de cloison étanche. » Ce qui revient à dire que tout homme, à la foisjcroyant et savant, porterait en lui-même une contradiction irréductible.

Le second préjugé, aussi radical dans ses conséquen- ces, consiste à prétendre que la science et la foi sont, non pas opposées, mais absolument étrangères l'une à l'autre, se mouvant dans des plans différents sans jamais pouvoir se rencontrer, différant d'objet, de prin- cipes, de méthode.

La conséquence du premier préjugé est la destruction de toute croyance religieuse : la foi, étant contraire à la raison, doit périr. La conséquence du second, c'est l'in- différence religieuse et la relativité de toutes les croyan- ces ; tout ce qui regarde la destinée de l'homme, tous les principes de la morale, n'étant pas fixés par la science, qui n'atteint que le monde expérimental, se trouvent livrés au hasard de la tradition, aux élans incertains et contradictoires de l'enthousiasme, à l'influence variable des passions ou au caprice de la volonté.

A ce double préjugé, M. de Broglie oppose la vraie doctrine sur les relations entre la raison et la foi, telle que nous l'avons donnée, en résumant les enseigne- ments du concile du Vatican.

Mais, en dehors de ce double préjugé, il existe une double erreur : l'une, qui règne en France et dans les pays catholiques, qu'il appelle rationalisme par négation ou par séparation, parce qu'elle prétend exclure de la connaissance humaine le principe de la foi et les doctri- nes qui en découlent ; l'autre, qui règne surtout dans les pays protestants, mais qui a été importée en France, et qu'il appelle rationalisme par absorption on par extension du domaine de la raison au delà de ses limites. Par contre, le fidéisme met en question l'autorité de la raison,

ATTITUDE DE L'ÉGLISE EN FACE DES SCIENCES Z^

lui refuse le droit et le pouvoir de prouver l'existence de Dieu et d'éclairer aucunement l'homme sur sa destinée. Rationalisme et fidéisme sont également condamnés, comme nous venons de le dire clans cette leçon.

M. de Broglie étudie par l'histoire les relations de la foi et de la raison. Dans l'antiquité la question ne se posait pas au sens nous sommes accoutumés à l'en- tendre, dit le P. Largent, dans la préface. « Elle ne surgit tout entière que le jour où, en présence de doctrines et de cultes rivaux, le christianisme affirma son droit sou- verain à la possession de la vérité religieuse et à la direc- tion des âmes. Les apologistes s'attachèrent à établir ce droit... Des conflits entre la raison et la religion seront provoqués jusqu'à la fin par les préventions, par l'igno- rance, par l'orgueil ; ils l'ont été quelquefois par les insuffisances d'une théologie étroite, par les intempé- rances d'une apologétique qui imposait à la pensée et à la science humaine plus qu'on n'avait droit d'exiger. 11 n'en demeure pas moins que l'accord entre la raison et la foi est possible, qu'il est nécessaire, qu'il tient à la nature même des choses, et que le contester, c'est s'inscrire contre la leçon des faits, consciencieusement interrogés, et contre le formel enseignement de l'Eglise. » C'est la démonstration érudite qu'en donne M. de Broglie dans les conférences de 1894, parues d'abord dans les Annales de philosophie chrétienne, avril, juin, août 1894 et janvier 1895, et publiées par le P. Largent dans la collection (( Science et religion », sous ce titre : Les relations entre la foi et la raison, exposé historique, édit., Paris, 1904.

Article Premier Je crois en Dieu

En Dieu

Leçon Xe Existence de Dieu

Peut-elle se prouver par la raison ? I. Erreurs» IL Enseignement du Catéchisme romain,

III. Définition du Concile du Vatican,

IV. Puissance de la raison,

I. Erreurs

Au seuil même de ces études (i), et en face de la première et de la plus importante des vérités, nous sommes obligés de constater combien la marche de l'homme est incertaine et

i. BIBLIOGRAPHIE : Saint Thomas, Sum. theol, I, Q. n, a. i, 2 ; Q. xn ; Franzelin, De Deo uno, 2e édit., Rome, 1876; Vacant, La Constitution Dei Filius, Paris, 1895, t. 1 ; de Mar- gerie, Théodicée, 3e édit., Paris, 1874, t. 1, ch. 1-111; Farges, L'idée de Dieu, Paris, 1894 ; Janssens, De Deo uno, Rome, 1899; Pesch, De Deo uno, Fribourg-en-Brisgau, 1890; Tepe, De Deo uno, Paris, 1895 ; Billot, De Deo uno, Rome, 1897 ; Scheeben,

ERREURS SUR INEXISTENCE DE DIEU 375

m* ' »

combien sa pensée est hésitante. Il semble cepen- dant que c'est surtout à propos de l'existence de Dieu que la certitude devrait régner et l'accord être universel. Mais il n'en est rien, et les esprits se partagent en deux camps opposés. Pour les uns, l'existence de Dieu ne saurait faire l'objet d'un doute, c'est une vérité en quelque sorte évidente, immédiate, innée, nécessaire et indéniable ; pour les autres, elle est inaccessible aux lumières de la raison, elle ne peut pas se démontrer, elle est un objet de foi. Que penser d'une telle discordance?

i. Bien que, selon la parole de saint Paul, nous ayons en Dieu la vie, le mouvement et l'être, l'exis- tence de Dieu ne tombe pas directement sous nos sens ; notre raison ne la saisit pas d'une manière immédiate. Nous avons, il est vrai, naturellement gravée dans notre âme, une certaine connaissance de Dieu, en tant qu'il est la félicité de l'homme ; car nous désirons naturellement le bonheur, et tout ce que nous désirons naturellement, fait obser- ver saint Thomas, nous le connaissons de même. Mais ce n'est qu'une connaissance vague et confuse, non une connaissance vraie, puisque les hommes s'abusent jusqu'au point de placer le bonheur, pour lequel ils sont faits, il n'est pas, par exemple dans les richesses ou dans la volupté.

2. Gela n'a pas empêché pourtant certains philo- sophes de regarder l'idée de Dieu comme une idée innée, résultant de la vue que Dieu nous donnerait de sa propre essence ; Vonlologisme n'est autre chose, en effet, que la théorie de la vision naturelle de

La Dogmatique, trad., Paris, 1880; J. Souben, Nouvelle théolo- gie dogmatique. 1. Dieu dans l'histoire et la Révélation, Paris, 1902»

376 LE CATÉCHISME ROMAIN

l'Etre divin ; il dérive directement de la théorie de Descartes sur les idées innées, mais il a pris quatre formes principales, la forme de Y ontologisme pan- théiste avec Spinoza, de V ontologisme absolu avec Malebranche et Gioberti, de Yontologisme modéré avec Ubaghs, de Yontologisme idéaliste avec Rosmini.

Plus près de nous, mais sans être inféodés à l'on- tologisme proprement dit, quelques philosophes français ont prétendu posséder une notion expéri- mentale de l'Infini. Pour Saisset (f i863), Dieu est une vérité d'intuition (1). Secrétan (f i8g5) disait: « Suivant mon intime conviction, Dieu est un objet d'expérience. Je n'entends pas d'une expérience que chacun ait faite, je parle seulement d'une expérience que chacun peut faire s'il le veut. »

Sans entrer dans l'examen d'une telle manière de voir, disons seulement qu'une telle expérience ne peut servir de preuve valable pour ceux qui ne l'ont pas faite ou qui nient de bonne foi l'avoir faite ; et ajoutons que l'Eglise a condamné le principe même de l'ontologisme (2), l'ontologisme absolu (3), et que l'ontologisme modéré reste suspect et dange- reux (4).

3. Se plaçant à un point de vue bien différent, les fidéistes estiment que nous connaissons Dieu, mais ils soutiennent que ce n'est pas à la raison, mais à la foi, que nous sommes redevables d'une telle connaissance. Car, à leurs yeux, la raison, par ses seules lumières, est incapable de nous faire connaître les vérités religieuses ou morales de l'ordre naturel, elle a nécessairement besoin de la révélation qui lui manifeste ces vérités et lui en garantit la certitude. Si donc l'homme possède une certitude

1. Philosophie religieuse, t. 11, p. 2o5, sq. 2. Denzinger, n. 4o3. 3. Ibid.,n. i5i6-i522. 4. Kleutgen, L'ontologisme ; Lepidi, Examen philsophico-theologicum de ontologismo.

ERREURS SUR L'EXISTENCE DE DIEU 877

vraie des principes rationnels, c'est à la foi qu'il le doit. Théorie erronée, qui ne méconnaît pas seule- ment le pouvoir de la raison, mais qui déclare absolument nécessaire la révélation et qui confond la science avec la foi. Déjà, au xive siècle, Nicolas d'Oultricourt professait qu'en dehors de la certitude de la foi il n'y en a pas d'autre, sauf celle de ce premier principe : S'il y a quelque chose, il y a quelque chose. Ses propositions furent condamnées par le Saint-Siège et révoquées, en i438, devant la faculté de Paris (i). Les théories protestantes sur la justification impliquent l'erreur fidéiste. Baïus n'y est pas étranger. Au xvue siècle, Huet a eu le tort de croire que la foi divine seule permet d'arriver à la vérité avec une entière certitude. Et tout récemment encore, sous l'influence avouée de Pascal et de Kant, mais aussi par un reste de fidéisme subtil, M. Bru- netière écrivait : « Je persiste à penser que l'on ne démontre ni l'immortalité de lame ni l'existence de Dieu. C'était l'opinion de Pascal, c'était égale- ment l'opinion de Kant ; et j'ai bien le droit de me « tromper » avec eux !... Je ne tiens pour preuves de l'existence de Dieu ni celles que l'on tire de l'arrangement et de l'ordre du monde ; ni celles que l'on tire de l'idée du parfait ou de l'infini, dont l'essence impliquerait l'existence ; ni celles enfin que l'on tire de la présence en nous de la loi mo- rale... Ceux qui les trouvent démonstratives ne font pas attention qu'elles impliquent toutes un Dieu « sensible au cœur » et affirmé par lui avant que d'être, je ne dis pas démontré par le raisonnement, mais seulement conçu par la raison. Ou, en d'autres termes, on connaît déjà Dieu quand on essaie de mettre son existence en preuve, et j'estime, pour

1. Denzinger, n. 457-463.

378 LE CATÉCHISME ROMAIN

ma part, qu'aucune preuve ne le crée dans les cœurs qui ne le sentent pas (1). »

[\. A la suite de certaines théories philosophiques» telles que celle des idées innées de Descartes, de la table rase 'des sensualistes, des rapports du langage et de la pensée de Locke, et en partie sous leur influence, se formula, en France, la doctrine tradi- ' tionaliste. De Maistre, dans ses Soirées, avait sou- tenu que certaines idées, surtout de l'ordre moral, renferment un élément nécessaire qui ne saurait provenir d'une source bornée et contingente et que le langage n'a pu être inventé par l'homme. De Bonald, partant de ce principe que l'homme pense sa parole avant de parler sa pensée et que les mots engendrent les idées, réclamait comme absolument indispensable l'intervention de la révélation primi- tive pour assurer à l'homme la somme des vérités nécessaires et la garantie divine de leur certitude. De Lamennais faisait dériver, lui aussi, d'une révé- lation primitive la certitude des vérités rationnelles. Il regardait la raison individuelle comme incapa- ble d'atteindre seule à la vérité avec certitude. En revanche, le privilège de notifier et de certifier à l'homme les vérités indispensables de la croyance» il l'attribuait au sens commun, dûment appuyé sur une tradition qui remontait jusqu'à Dieu tout comme le langage. Moins systématique, mais non moins traditionaliste, Bonetty écrivait : « Dieu et ses attri- buts, l'homme, son origine, sa fin, ses devoirs, les règles de la société civile et de la société domesti- que : voilà les vérités que nous ne croyons pas que la philosophie ait trouvées ou inventées sans le se- cours de la tradition et de l'enseignement (2). » Le

1 . La science et la religion, 12e mille, Paris, 1895, p. 60-61. 2. Annales de Philos, chrét., i853, iv9 série, t. vin, p. 374.

ERREURS SUR INEXISTENCE DE DIEU $7$

P. Ventura mitigea le système. Il admettait bien que c'est à une révélation primitive, transmise au genre humain par la parole, que l'homme doit la connaissance de Dieu, de l'immortalité de l'âme et des principes de la morale, mais il soutenait que cette connaissance une fois acquise, notre esprit est à même de la démontrer, de la défendre et de la (, développer. Ubaghs unit le traditionalisme à l'onto- logisme, et Bautain, tout en accordant moins d'im- portance au langage et à la tradition, se crut autorisé par des considérations psychologiques à mettre le fon- dement de la certitude dans la foi ou la parole de Dieu. De telles théories, quelque séduisantes qu'elles aient pu paraître, n'en constituaient pas moins des erreurs aussi graves que dangereuses. C'était insis- ter outre mesure sur l'incapacité de la raison, réduite presque à une impuissance radicale ; c'était méconnaître la nature de la révélation primitive et confondre sa nécessité morale avec sa nécessité ab- solue ; c'était enfin exagérer le rôle de la tradition, du langage et de l'enseignement qui servent bien à communiquer la connaissance de Dieu, à la faciliter et à la généraliser, mais qui, en définitive, ne sont pas des moyens absolument indispensables. Rien d'étonnant dès lors que l'Eglise, jalouse des droits de la raison comme des intérêts de la foi, soit in- tervenue. Ses avertissements d'abord, ses condam- nations ensuite ont faire justice de pareilles erreurs qui méconnaissaient la puissance de la rai- son humaine et qui mettaient en péril l'intégrité et la pureté de la foi (i).

i. Voir dans Denzinger : les propositions de Nicolas d'Oulti- court, n. 457-467 ; la condamnation de Lamennais par Gré- goire XVI, en i834, n. 1476 ; les propositions souscrites par l'abbé Bautain, en i835 et 1860, n. i488-i4g3 ; les quatre thè- ses imposées à Bonnetty, en i855, n. i5o5-i5o8.

380 LE CATÉCHISME ROMAIN

5. Un prêtre allemand, mort en i83i, Hermès, s'était flatté de ruiner le crédit de la philosoplie de Kant et subit la secrète influence de ce philosophe. Ses idées eurent un certain succès en Allemagne. Il n'admettait pas d'autre preuve de l'existence de Dieu que l'argument tiré par la raison spéculative de la nécessité d'une cause première, seule capable d'expliquer l'existence des êtres contingents ; il repoussait la preuve tirée de l'ordre du monde, parce que cet ordre pourrait être à la rigueur l'effet du hasard ; il repoussait également celle qui est fondée sur l'idée du devoir, parce que la raison du devoir étant la dignité de l'homme, il n'est pas nécessaire que Dieu existe pour que l'homme soit tenu de se respecter et de remplir ses obli- gations. Etendant sa théorie, Hermès prétendait que la raison ne peut démontrer que Dieu diffère d'une substance immuable, qui ferait partie du monde, tout en restant séparée des phénomènes dont le monde est le théâtre ; ni que Dieu est un esprit pur, ni que ses attributs sont infinis, ni que sa science s'étend à d'autres objets que les créatu- res, ni que sa sainteté est sans limites ; ce sont là, estimait-il, autant de vérités que la Révéla- tion seule nous fait connaître. L'Hermésianisme, légitimement suspect d'hétérodoxie, fut condamné par l'Eglise (i).

6. En dehors de l'Eglise, parmi les incrédules, une théorie s'est fait jour peu à peu, qui dénie à la raison le droit de s'occuper de l'existence de Dieu et le pouvoir de la démontrer. En effet, au regard des positivistes, Dieu ne saurait être objet de connais- sance positive. Par sa définition même il est transcendant, et, dès lors, inaccessible à la raison, en

i. Denzinger, n. i486, 1^87.

ERREURS SUR INEXISTENCE DE DIEU 38 1

dehors ou au-dessus des prises de la science, de la méthode expérimentale et du contrôle rigoureux qui s'impose désormais en matière scientifique. Aussi traitent-ils les preuves de l'existence de Dieu de chimériques, de caduques, d'incapables d'engen- drer la certitude. Ils partent d'hypothèses fausses, à savoir qu'il n'y a que ce qui tombe sous les sens qui puisse être matière de science, que la seule mé- thode rationnelle qui convienne à l'esprit c'est la méthode expérimentale, et que Dieu, si tant est qu'il existe, appartient en tout cas au domaine de l'incon- naissable. Ce congé donné à Dieu est impertinent ; la réduction de toute connaissance à une connais- sance d'ordre purement sensible méconnaît de parti pris la puissance de la raison et mutile l'intelligence humaine.

C'était déjà la pensée de Hume (f 1716) (1). Ce fut aussi celle de Comte et de Stuart Mill (f 1873) (2). Mais les disciples de Comte se sont séparés sur le terrain de la théologie naturelle. Dans l'école fran- çaise, Littré (j* 1881) disait : « Il ne faut pas consi- dérer le philosophe positif comme si, traitant uni- quement des causes secondes, il laissait libre de penser ce qu'on veut des causes premières. Non, il ne laisse là-dessus aucune liberté. »

7. Dans l'école anglaise, H. Spencer (f 1903) enseigna qu'au delà de la sphère du connaissable s'étend la région de Y inconnaissable, région inac- cesible et mystérieuse, avec laquelle on ne peut entrer en contact que par le sentiment religieux, sans prétendre le comprendre ou le définir : c'est Y agnosticisme (3). Mais cet inconnaissable existe.

1. Essai sur V entendement humain, vu" Essai. 2. Logique, liv. m, en. 5. 3. Les premiers principes, trad. Guymiot, Paris, 1902.

382 LE CATÉCHISME ROMAIN

« Par derrière toutes les apparences matérielles qui frappent nos sens et que les sciences étudient, ap- parences fugitives et contradictoires qui posent à notre raison de plus difficiles problèmes qu'elle n'en peut résoudre, il existe une réalité profonde, plus proche de l'esprit que de la matière, mais, dans son essence ultime, inconnue et inconnaissable. C'est cette réalité substantielle que les religions nom- ment Dieu. Les religions ont le droit d'affirmer son existence, et les sciences ont le tort de la nier. Mais les religions ont tort de prétendre connaître et défi- nir les attributs de Dieu ; tout ce que nous pouvons dire de lui, c'est qu'il existe et non quel il existe. La religion et la science seront d'accord le jour où, chacune se renfermant dans son domaine propre, la science cessera d'expliquer les faits positifs par des entités métaphysiques inconnaissables, et lareli- gion cessera de donner à l'essence métaphysique de Dieu des attributs physiques contradictoires : adorer et se taire est le tout de l'âme religieuse (i). »

IL L'enseignement du Catéchisme

romain

Voici en quels termes s'exprime le Catéchisme romain sur l'existence de Dieu (2) :

« Ces paroles (en Dieu), font connaître quelle est l'excellence et la dignité de la sagesse chrétienne, et combien nous sommes redevables à la bonté divine, qui nous a élevés par les vérités de la foi, comme par autant de degrés, à la connaissance de l'objet le plus parfait et le plus désirable. Il y a, en effet,

1. Thouverez, H. Spencer, Paris, 1905, p. 3a, dans la collec- tion Science et Religion. 2. Cat. rom.t I. a. 1, vi-ix.

l'existence de dieu d'après le catéchisme 383

une différence considérable entre la philosophie chrétienne et la sagesse du siècle. L'une, guidée seulement par la lumière naturelle, s'élève peu à peu, à l'aide des effets et des choses sensibles, et ne parvient enfin qu'après de longs travaux à con- templer les choses invisibles de Dieu, à reconnaître et à comprendre la cause et l'auteur de ce qui existe. L'autre, au contraire, perfectionne tellement la pénétration naturelle de l'esprit humain, qu'il peut aisément s'élever jusqu'au ciel où, environné d'une splendeur céleste, il contemple d'abord la source éternelle de toute lumière, et ensuite toutes les choses créées. C'est alors que nous connaissons par expérience et avec une joie infinie de notre âme que nous avons élé appelés des ténèbres à une lumière admirable, comme dit le prince des apôtres (i), et que notre foi nous cause un ravissement ineffable (2).

u C'est donc avec raison que les fidèles professent d'abord qu'ils croient en Dieu, dont la majesté ', suivant Jérémie, est incompréhensible (3) ; qui habite, dit l'apôtre, une lumière inaccessible, qu'aucun des hommes na vue ni ne peut voir (4), que nul homme ne pourra voir sans mourir, comme il le dit lui-même à Moïse (5). En effet, pour aller jusqu'à Dieu, qui est au-dessus de toutes choses, notre esprit aurait besoin d'être entièremenl dégagé des choses sensibles ; mais cela ne lui est naturellement pas possible dans cette vie.

« Cependant Dieu ne s'est pas laissé lui-même sans témoignage, dit l'apôtre, car c'est lui qui fait le bien aux hommes ; il dispense les pluies et les saisons favo- rables ; il nous donne la nourriture avec abondance et il remplit nos cœurs de joie (6). Aussi les philosophes

1. I Petr., 11, 9. 2. I Petr., 1, 8. 3. Jerem., xxxn, 19. 4. I Tim.t vi, 16. 5. Exod., xxxm, 20. 6. Ad., xiv, 16.

384 LE CATÉCHISME ROMAIN

n'ont-ils pu concevoir en lui rien d'imparfait ; ils ont rejeté comme indigne de lui tout ce qui est corporel, toute composition et tout mélange. Ils L'ont regardé comme possédant en lui-même la plé- nitude de tous les biens, et ils ont enseigné que tout ce qu'il y a de bon et de parfait dans toutes les créatures vient de lui comme d'une source inépui- sable et perpétuelle de bonté et de charité. Ils l'ont appelé sage, auteur et amateur de la vérité, juste et bienfaisant, et ils lui ont donné plusieurs noms, qui expriment la perfection souveraine et absolue. Enfin ils ont reconnu en lui un pouvoir immense et infini, qui s'étend à toutes les choses et à tous les lieux.

« Mais ces vérités sont bien plus certaines et bien plus clairement exprimées dans l'Ecriture. Ici, elle nous dit : Dieu est esprit (i) ; soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait (2) ; tout est nu et à découvert à ses yeux (3) ; là, elle s'écrie : 0 profon- deur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu (4) I Ailleurs : Dieu est véritable (5) ; il est la voie, la vérité et la vie (6) ; sa droite est pleine de sa justice (7) ; il ouvre la main et répand sa bénédiction sur tout ce qui respire (8) ; Enfin David s'écrie :

a irai- je devant votre esprit?

fuirai-je devant votre face ?

Si je monte au ciel, vous y êtes :

Si je descends dans le scheol, vous êtes présent

Si je prends les ailes de V aurore

Et que je me transporte au-delà des mers,

C'est votre main qui m'y conduira,

Votre droite qui me soutiendra (9). »

1. Joan., iv, 2/i- 2. Matlh., v, 48. 3. Hebr., iv, 13.

6. Rom., xi, 33. 5. Rom., m, l\. 6. Joan., xiv, 6.

7. Psal., xlvii, n. 8. Psal, cxliv, 16. 9. PsaL, cxxxvin, 7-10.

l'existence de dieu d'après le catéchisme 385

Et Dieu nous dit lui-même : « Est-ce que je ne remplis pas le ciel et la terre (i) ? »

« Telles sont les grandes idées que les philosophes eux-mêmes se sont formées de la nature divine, en considérant les effets sensibles de ce monde, et qui sont conformes à l'autorité des Livres saints. Et cependant pour sentir combien nous avions besoin, même à cet égard, de l'enseignement céleste, il suffît de remarquer que la foi n'a pas seulement pour effet de faire connaître promptement et sans peine aux plus ignorants et aux plus grossiers ce que des philosophes si savants n'ont connu qu'après de longues éludes, mais encore la connaissance qu'elle nous donne des choses est beaucoup plus certaine, plus pure et plus exempte d'erreur, que si elle venait des raisonnements delà science humaine. Et d'ailleurs quelle différence entre la contempla- tion de la nature, qui ne peut pas faire connaître Dieu à tout le monde, et la lumière de la foi qui le révèle infailliblement à tous ceux qui croient.

« Or tout ce que nous connaissons de Dieu par la foi est renfermé dans le symbole. Nous y trouvons l'unité de l'essence divine et la distinction des trois personnes. Il nous apprend que Dieu est la fin der- nière de l'homme, et que nous devons attendre de lui un bonheur céleste et éternel, suivant ce qu'en- seigne saint Paul, que Dieu récompense ceux qui le cherchent (2) ; et comme l'avait dit longtemps avant lui le prophète Isaïe, depuis l'origine des siècles, les hommes n'ont point conçu, l'oreille n'a point entendu, aucun œil n'a vu, excepté vous, Seigneur, ce que vous avez préparé pour ceux qui vous aiment (3) ; paroles qui nous montrent non seulement la grandeur des biens qui nous attendent, mais qui font voir encore

1. Jerem., xxm, 24. 2. Hebr., xi, 6. 3. Isaï., lxiv, 4*

LB CATÉCHISME. T. I. S S

386 LE CATÉCHISME ROMAIN

que l'homme est incapable de les connaître parla seule lumière naturelle.

« De ce que nous venons de dire, il suit qu'il n'y a qu'un seul, Dieu, et non plusieurs. Car nous avons vu que Dieu possède une bonté et une perfection souveraines. Or il est impossible que la perfection souveraine et absolue convienne à plusieurs ; car celui qui manque de la moindre chose est par même imparfait, il ne saurait être Dieu. Cette vérité se trouve dans une multitude d'endroits de l'Ecri- ture. Il est écrit : Ecoule, Israël; le Seigneur notre jji^u est le seul Dieu (i). De plus c'est un précepte du Seigneur : Tu n auras point d'autres dieux devant moi (2). Il nous dit par le prophète : Je suis le premier et le dernier ; en dehors de moi il n'est pas d'autre Dieu (3). Enfin l'apôtre l'atteste clairement : Un seigneur, une foi, un baptême (4).

« Que si l'Ecriture donne quelquefois le nom de dieux à des êtres créés, cela ne doit pas nous sur- prendre. Car lorsqu'elle appelle dieux les juges et les prophètes, ce n'est pas dans le sens impie et absurde des païens qui se sont forgé plusieurs divi- nités ; c'est pour exprimer, selon une manière ordinaire de parler, ou quelque perfection particu- lière, ou quelque fonction à laquelle Dieu les avait élevés. La foi chrétienne professe donc qu'il n'y a qu'un seul Dieu par nature et par essence, comme il a été défini par le concile de Nicée, qui a confirmé cette vérité dans son symbole. Mais, remontant encore plus haut, elle reconnaît l'unité de Dieu, tout en adorant en même temps la trinité dans son unité et l'unité dans sa trinité. »

Ce passage du Catéchisme romain résume admi-

1. DeuL, vi, 4. a. Exod., xx, 3. 3. Isaï., xu, 4. 4. Ephes., iv, 5.

DÉFINITION DU CONCILE DU VATICAN SS't

rablement l'enseignement de l'Eglise sur la question de l'existence de Dieu. Que Dieu existe, c'est une vérité d'ordre naturel, accessible par conséquent à la raison de l'homme. L'homme, en effet, quelques privilégiés du moins, à l'aide de leurs seules lu- mières, arrivent à l'acquérir par l'étude du monde créé, par le raisonnement, mais ce n'est ni sans efforts, ni sans travaux, ni surtout sans danger d'erreurs, efforts et travaux dont tout le monde n'est pas capable, erreurs auxquelles n'échappent pas toujours même les plus sages. D'où la nécessité morale de la révélation divine qui, de prime abord et sans nulle peine, met en possession de cette vérité primordiale les simples d'esprit et les ignorants, la leur communique dans sa pureté native, sans le moindre mélange d'erreur et avec pleine sécurité.

III. Définition du Concile du Vatican

Le dernier concile œcuménique avait une im- mense tâche à remplir, qu'il ne put mener à bon terme à cause des circonstances politiques, qui vinrent interrompre ses travaux ; quelques résultats doctrinaux, et non des moins importants, ont été atteints, notamment sur les forces qu'on doit recon- naître à la raison humaine.

Pie IX légitimait de la manière suivante la réunion du concile ; il disait entre autres choses : « Alors est née et s'est malheureusement trop répandue dans tout l'univers, cette doctrine du rationalisme ou du naturalisme, qui, se mettant de tous points en opposition avec la religion chrétienne, à raison du caractère surnaturel de cette institution, s'applique

388 LE CATÉCHISME ROMAIN

avec les plus grands efforts à exclure Jésus-Christ, notre unique Seigneur et Sauveur, de la pensée des hommes, de la vie et des mœurs des peuples, pour établir le règne de ce qu'on appelle la pure raison ou la nature. Mais après avoir abandonné et rejeté la religion chrétienne, après avoir renié le vrai Dieu et son Christ, plusieurs ont laissé tomber leur intelligence dans le gouffre du panthéisme, du matérialisme, de l'athéisme, et niant la spiritualité de la raison et toute règle de la justice et de la vertu, ils unissent leurs efforts pour saper les fon- dements les plus profonds de la société humaine.

« Par le fait de cette impiété qui s'est propagée de tous côtés, il est malheureusement arrivé que plusieurs même des enfants de l'Eglise catholique se sont écartés du chemin de la véritable piété, et que le sens catholique s'est émoussé en eux par suite de l'amoindrissement progressif des vérités. Entraînés par toutes sortes de doctrines étrangères et faisant un alliage mal ordonné de la nature et de la grâce, de la science et de la foi divine, l'expérience le montre, ils dénaturent la signification véritable des dogmes admis et enseignés, et ils mettent en péril l'intégrité et la pureté de la foi.

« Au spectacle de toutes ces erreurs, comment se pourrait-il faire que l'Eglise ne fût émue au plus profond de ses entrailles ? Car, comme Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à la connaissance de la vérité, comme le Christ est venu afin de sauver ce qui était perdu et de réunir dans l'unité les enfants de Dieu qui étaient dispersés, ainsi l'Eglise, constituée par Dieu la mère et la maî- tresse des peuples, a le sentiment de ses devoirs vis-à-vis de tous les hommes ; elle est toujours prêta et attentive à relever ceux qui sont tombés, à soute- nir ceux qui chancellent, à recevoir dans ses braa

DÉFINITION DU CONCILE DU VATICAN 38g

ceux qui reviennent à elle, à confirmer ceux qui sont dans le bien, et à les poussera un© plus grande perfection. Aussi ne peut-elle s'abstenir à aucun moment d'affirmer et de prêcher la vérité divine qui guérit tout ; car elle n'ignore pas que c'est à elle qu'il a été dit : « Mon esprit qui est en toi et mes paroles que j'ai mises en ta bouche ne cesseront d'être sur tes lèvres maintenant et à jamais (i). »

C'est au concile du Vatican, en effet, que l'Eglise, cette prétendue ennemie de la raison, a défendu les droits de la raison et a solennellement proclamé et défini son pouvoir d'arriver, par ses seules forces, à la connaissance de l'existence de Dieu. « La même sainte Eglise, lisons-nous, tient et enseigne que, par la lainière naturelle de la raison humaine, Dieu, prin- cipe et fin de toutes choses, peut être connu avec cer- titude, au moyen des choses créées ; car, depuis la création du monde, ses invisibles perfections sont vues par V intelligence des hommes, au moyen des êtres qu'il a faits ; que, néanmoins, il a plu à la sagesse et à la bonté de Dieu de se révéler lui-même et les éternels décrets de sa volonté par une autre voie, et cela par une voie surnaturelle. C'est ce que dit l'apôtre : « Après avoir parlé autrefois à nos pères et à plusieurs reprises et de plusieurs manières par les prophètes, pour la dernière fois, Dieu nous a parlé de nos jours par son Fils (2). » Après cet exposé de doctrine, le concile a porté le canon suivant : « Anathème à qui dirait que le Dieu unique et véritable, notre Créateur et Seigneur, ne peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine, au moyen des êtres créés (3). »

1. Constitution Dei Filius, 546 ; le texte est pris dans Isaïe, lix, ai. 2. Ibid., ch. n, S 1 ; le texte cité est de l'Epître aux Hébreux, 1, 1-2. 3. Ibid., De révélât., canon 1.

3oo le catéchisme romain

Que désirer de plus clair, de plus formel et de plus autorisé ? C'est donc un dogme de foi catholi- que que Dieu peut être connu avec certitude, à la lumière naturelle de la raison, par le moyen des créatures. Un tel langage, un tel enseignement, s'ils étaient plus connus, ne seraient pas sans étonner tous ceux qui, parmi nos contemporains, ne cessent de dire, de répéter et d'écrire que l'Eglise méconnaît la valeur de la raison humaine. Du reste, à pour- suivre l'étude des décisions du concile, cet étonne- ment ne pourra que croître. Remarquons ici avec quelle sagesse l'Eglise formule et le pouvoir radical de la raison, et la méthode qu'elle doit employer, et la certitude des conclusions qu'elle tire, et la connaissance qu'elle acquiert. Oui, l'homme peut arriver à la connaissance de Dieu. Il a pour cela en lui-même la lumière naturelle de la raison et il se sert des créatures. Sa connaissance n'est pas vaine ou discutable : elle a une valeur logique et certaine. Et sa connaissance atteint Dieu, principe et fin de toutes choses, le Dieu unique et véritable, notre Créateur et Seigneur. Tout cet enseignement trouve sa justification dans le texte célèbre de l'Epître aux Hébreux. Disons donc quelques mots sur ces divers points, pour mettre en lumière autant que possible et pour caractériser nettement la pensée et la doc- trine des Pères du concile.

Abstraction faite de toute considération historique, sans tenir compte des divers états dans lesquels l'homme a vécu ou aurait pu vivre, et rien qu'à envisager la nature humaine avec son pouvoir pro- pre, les Pères du concile estiment que la manifes- tation objective de Dieu par les créatures s'adapte à l'organisation de la raison humaine et que la raison humaine possède ce qu'il faut pour se con- vaincre, par cette manifestation, de la réalité de

DEFINITION DU CONCILE DU VATICAN 3g I

l'existence de Dieu. La connaissance de Dieu par la raison est donc chose possible.

Ce qui la rend possible, c'est la lumière naturelle de la raison humaine. Il est question de lumière par comparaison avec la lumière physique qui permet à la vue de saisir les objets sensibles ; mais il s'agit ici d'une lumière intellectuelle qui permet à la raison de connaître les vérités d'ordre naturel. Cette lui mère intellectuelle est qualifiée de naturelle parce qu'elle répond à la nature de l'homme, qu'elle est de même ordre, de même qualité, par opposition avec la lumière surnaturelle qui, infusée par la grâce, fait accepter par la foi les vérités révélées. Et il s'agit de la raison humaine, c'est-à-dire de la faculté que possède l'homme de connaître les premiers principes et d'en déduire des conséquences. Au moyen donc de cette lumière, la raison peut arriver à se convaincre de l'existence de Dieu, sans avoir à s'appuyer soit sur la révélation, soit sur la tradition ou l'enseignement.

Le concile indique en outre le moyen extérieur qui manifeste l'existence de Dieu ; ce sont les créa- tures, les êtres contingents. Au lieu donc d'admettre avec les ontologistes que la notion de Dieu est en nous à l'état habituel et inconscient et que les créatures ne sont qu'une cause occasionnelle qui rend cette notion distincte et consciente, les Pères du Vatican, en indiquant ce moyen externe, favo- risent la manière de voir de saint Thomas et de presque tous les théologiens, d'après laquelle la connaissance de Dieu est une vérité acquise et médiate, les créatures servant de moyen nécessaire pour l'acquérir.

De plus, à rencontre des positivistes français et des agnostiques anglais, qui prétendent que l'exis- tence de Dieu ne peut être prouvée avec une entière

3g 2 LE CATÉCHISME ROMAIN

certitude et que les arguments qu'on en donne ne sont pas au-dessus de toute discussion ; à l'encontre également des .traditionalistes, d'après lesquels la raison seule ne peut donner sur les vérités religieuses que des probabilités, le concile déclare certaine cette connaissance rationnelle de Dieu.

Mais jusqu'où s'étend cette connaissance ration- nelle ? Le concile l'a déjà insinué dans le premier chapitre de sa constitution, par la condamnation de l'athéisme et du panthéisme ; il y traite de l'exis- tence et des attributs de Dieu, dont la foi suppose la connaissance rationnelle déjà acquise ; car il y aurait cercle vicieux à exiger comme condition de la foi une connaissance de Dieu que la foi seule pourrait donner. Mais, ici, au chapitre second, le concile indique formellement, en quelques mots, la notion de Dieu que la raison peut avoir et il la résume dans ces deux formules : Dieu, principe et fin de toute choses ; Dieu unique et véritable, notre Créateur et Seigneur. Dieu, principe et fin de toute choses, voilà une donnée intellectuelle, qui renferme d'autres vérités et les suppose logiquement. Dieu, unique et véritable, Créateur et Seigneur, voilà encore quelques attributs caractéristiques de Dieu, que la raison peut connaître. Sans doute le concile n'a pas entendu définir que la raison peut connaître avec certitude l'unité de Dieu, la vraie nature de Dieu, le mystère de la création ex nihilo', sa défini- tion, plus restreinte, ne porte que sur la possibilité de la connaissance certaine de l'existence de Dieu par les lumières de la raison, au moyen des créatu- res. Là est le dogme de foi. Mais il n'en reste pas moins certain, d'après le concile, qu'à la lumière de la raison Dieu peut être connu comme principe et fin. En fait la plupart des vérités, qui entrent dans la notion complète de Dieu, se démontrent

DÉFINITION DU CONCILE DU VATICAN 3^3

rationnellement. Mais qui ne sait, par l'histoire des religions et de la philosophie, combien d'erreurs se sont mêlées à l'idée de Dieu, et combien sont rares ceux qui ont pu parvenir à une connaissance satis- faisante de Dieu. Aussi la constatation de ces faits sera-t-elle invoquée comme un argument pour démontrer la nécessité morale d'une révélation.

Le concile appuie sa doctrine sur ce texte de saint Paul, ponctué de la manière suivante : « Invi- sibilia enim ipsius, a creatura mundi, per ea quae facta sunt, intellecta, conspiciuntur (i). » La virgule, pla- cée après intellecta, fixe authentiquement la lecture de ce verset et détermine, semble-t-il, la significa- tion de ces mots : a creatura mundi, dans lesquels, parmi les interprètes, les uns voyaient la créature raisonnable par qui Dieu est connu, les autres celle au moyen de laquelle on connaît Dieu, d'autres encore la date depuis laquelle Dieu est connu natu- rellement, c'est-à-dire depuis la création. C'est ce dernier sens qui paraît le plus naturel.

Or ce verset se trouve encadré dans la preuve que donne saint Paul que la justification par l'évan- gile a été un don gratuit pour les gentils et pour les juifs. L'apôtre rappelle que, suivant l'enseignement de la révélation, c'est la foi en l'évangile qui sauve. Il l'établit notamment pour les gentils, en montrant qu'ils avaient besoin de cette foi, sans y avoir le moindre droit, attendu que leur idolâtrie et leurs fautes appelaient sur leur tête la colère de Dieu. u II est révélé, dit-il, que la colère de Dieu menace du ciel la souveraine impiété (l'idolâtrie) et l'injus- tice (les autres fautes) de ces hommes qui retiennent la vérité de Dieu cachée dans leur injustice. En effet, ce que l'on sait (naturellement) de Dieu se

x. Rom., i, 20.

3g4 LE CATÉCHISME ROMAIN

manifeste en eux (comme la loi naturelle, par exemple), vu que Dieu l'a manifesté en eux. Car depuis la création da monde, ses invisibles perfections sont vues par notre intelligence au moyen des êtres qu'il a faits) ainsi que son éternelle puissance et sa divinité. De sorte qu'ils sont inexcusables parce que, ayant connaissance de Dieu, ils ne l'ont pas glorifié ni remercié comme Dieu, mais ils se sont perdus dans leurs raisonnements, et leur cœur irréfléchi s'est rempli d'obscurité (i). » De tout ce passage, le concile n'a retenu que les mots souli- gnés ; et c'est qu'il a vu un témoignage révélé en faveur de son enseignement sur la possibilité de la connaissance rationnelle de l'existence de Dieu. Mais saint Paul va plus loin ; avant et après ce verset 20, il affirme le fait que les païens ont réellement connu Dieu, et c'est précisément cette connaissance réelle, dont ils ne tenaient pratiquement aucun compte, qui les rendait « inexcusables. »

IV. Puissance de la raison

1. La raison, par ses seules forces, est capable de se démontrer l'existence de Dieu : telle est la vérité définie par le concile du Vatican ; et nous venons de voir par quels moyens et dans quelle mesure elle peut s'élever à la connaissance de Dieu.

La raison, en effet, est naturellement faite pour la conquête et la possession du vrai ; mais elle n'y parvient pas toujours du premier coup ; sa marcha est parfois lente, et tel est le cas pour l'existence da Dieu. Car, cette vérité ne ressort pas de Févidence immédiate des termes qui servent à la formuler ;

1. Rom., h 18-21.

PUISSANCE DE LA RAISON 3o,5

elle se démontre logiquement, non pas a priori, c'est-à-dire par la cause, mais a posteriori par les effets. Dieu, étant sans cause, échappe par même à une démonstration a priori ; étant la cause des causes, son existence peut être démontrée a posteriori. Sans doute, l'effet, n'étant pas proportionné à la cause, ne saurait en donner une connaissance adé- quate, parfaite ; il sert du moins et il suffit à en prouver rigoureusement l'existence. Par suite, les créatures, bien qu'impuissantes à nous faire connaî- tre Dieu dans son essence complète, démontrent ce- pendant son existence d'une manière irréfutable. Et ce procédé de démonstration s'impose ; car, si Dieu est le premier dans l'ordre de l'être au point de vue ontologique, il n'est pas le premier dans l'ordre de notre connaissance. Aussi la seule voie qui s'offre à nous c'est de nous élever jusqu'à lui en partant des créatures, en remontant des effets à leur cause première.

2. Nous constatons, tant par l'expérience interne que par l'expérience externe, qu'il y a des. substances et des causes : des substances, c'est-à-dire des entités qui servent de support aux divers phénomènes sen- sibles ; des causes, c'est-à-dire de véritables agents d'action ; d'autre part, nous possédons l'idée claire de certains principes nécessaires et absolus, par exemple, celui-ci : Le tout est plus grand que la partie. Or, parmi ces principes, se trouve le prin- cipe général de raison suffisante, qui s'applique à tous les êtres sans exception et qui se formule ainsi: Tout ce qui est a sa raison d'être en soi ou dans un autre. Ce principe, appliqué aux êtres qui naissent ou commencent d'exister pour disparaître ensuite, est proprement le principe de causalité: Tout ce qui commence a une cause. Aristote disait et saint Tho- mas a répété : Tout ce qui passe de la puissance à

396 LE CATÉCHISME ROMAIN

l'acte est par un autre. Rien de plus exact, déplus certain. Equdvalemment on peut dire : Tout chan- gement est produit par une cause ; tout phénomène a une cause ; rien n'arrive sans une raison suffi- sante.

3. C'est justement l'application de ce principe de causalité, de raison suffisante, qui permet à notre raison de conclure légitimement à l'existence de Dieu ; mais c'est aussi ce principe qu'on a essayé de battre en brèche, pour interdire à la raison le droit de conclure à l'existence de Dieu. Hume, Stuart Mill et la plupart des positivistes suppri- ment donc le principe de causalité et se contentent de dire : tout phénomène a un antécédent. Mais c'est déclarer simplement qu'entre les phénomènes il n'y a pas d'autre rapport que celui de succession, sans aucun lien de causalité, et méconnaître abusi- vement ce rapport très particulier qui fait que tel phénomène n'existe que parce qu'il a sa raison d'être dans une cause antérieure ; la causalité im- plique succession, mais elle n'est pas qu'un pur phénomène antécédent, elle produit en réalité le phénomène qui suit, elle est vraiment cause, ce qui est fort différent.

4. Kant, de son côté, dans sa Critique.de la raison pure, a essayé de ruiner le principe de causalité. Il n'a voulu y voir qu'une manière habituelle de juger, tenant à la nature de notre esprit, d'ordre par conséquent purement subjectif, indiquant bien ce qui se passe en nous au point de vue intellectuel, mais ne garantissant pas le moins du monde que cela se passe de même hors de nous dans la réalité objec- tive, et que, par suite, les phénomènes constatés aient' une cause réelle. Aussi rejette^t-il les preuves de l'existence de Dieu qui s'appuient sur ce principe de causalité. Après avoir nié que la raison pure

PUISSANCE DE LA RAISON 3 97

pût atteindre sous le phénomène le noumène, la réalité, c'est-à-dire les substances et les causes, et par conséquent Dieu et le monde, il a essayé d'un expédient pour sauvegarder quand même la vérité objective de l'existence de Dieu ; il a donc recouru a la raison pratique qui lui a montré la loi du devoir, inconditionnelle et absolue, s'imposant à nous comme un impératif catégorique, et prouvant par même l'existence réelle d'un législateur, de Dieu. Mais ce n'est qu'une inconséquence, condamnée d'avance par la critique de la raison pure, car il n'y a pas deux raisons en nous, l'une spéculative, l'autre pratique ; il n'y en a qu'une, et c'est la même rai- son qui découvre les lois de la pensée pure et celles de la volonté, les règles de la logique et celles de la morale, qui tantôt s'exerce dans le domaine de la spéculation et tantôt dans celui de la pratique.

5. Kant s'est donc abusé; son subjectivisme doit être résolument écarté. Il a eu tort de prendre le prin- cipe de causalité au sens purement empirique ; car ce principe n'est pas la simple constation de faits sensibles ou d'une succession de phénomènes sans lien intime et réel entre eux. Il implique nécessai- rement une relation d'ordre particulier qui fait que tel phénomène n'existe que parce qu'il dépend d'un autre comme l'effet dépend de sa cause. Car, pour être, tout phénomène exige une force proportion- née qui le fasse être et être ce qu'il est ; pour passer de la puissance à l'acte, il lui faut une cause qui l'actue. Ce principe s'entend de la causalité méta- physique, dans laquelle il ne s'agit plus de phéno- mènes qui ne font que se succéder, mais d'une cause supérieure aux phénomènes. Or, cette causa- lité-là, nous l'atteignons et la connaissons en nous par la conscience. Car nous nous connaissons comme une cause réelle et vraie, antérieure aux

398 LE CATÉCHISME ROMAIN

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effets que nous produisons, et leur survivant, c'est- à-dire comme un être identique et permanent. Dire en ce sens qu'il n'y a pas d'effet sans cause, c'est faire entendre qu'il y a hors de nous des causes semblables à celles que nous trouvons en nous, des êtres identiques et permanents comme nous, c'est- à-dire des causes métaphysiques. Et cela suffit pour conclure légitimement, au nom de ce principe de causalité, de la constatation de certains faits à l'existence d'une cause, que celle-ci soit ou non accessible en elle-même, sous peine de tomber dans le scepticisme et de douter de tout, même de l'évi- dence. Cela étant, l'emploi judicieux du principe de causalité et de raison suffisante nous autorise à chercher la raison dernière, la cause première de tout ce qui est. et à les trouver en Dieu.

6. Des lors de quel droit les positivistes rigoureux dénient-ils à la raison le pouvoir de s'exercer dans le domaine qu'ils appellent l'inconnaissable ? d'au- tant que la raison n'y pénètre pas sans partir de données positives. C'est décréter a priori qu'il n'y a de connaissances que les connaissances expérimen- tales et tout ramener de parti pris à la méthode des sciences. Moins inconséquent, l'un d'entre eux, Herbert Spencer, proclame du moins l'existence de l'Inconnaissable ; et si, après avoir proclamé son existence, il se refuse à chercher à le connaître, libre à lui ; il n'a pas le droit d'interdire aux autres cette recherche, ni surtout celui de la frapper de suspicion, de la déclarer illogique et vaine, car c'est mutiler la raison.

Ce n'est pas, évidemment, à une époque comme la nôtre, qu'on peut refuser à la raison une force d'investigation et une action couronnée de succès éclatants dans tous les domaines de l'expérience : les progrès merveilleux des sciences sont pour

PUISSANCE DE LA RAISON 3()C)

prouver, clair comme le jour, le bonheur de ses initiatives et de ses travaux ; mais ce n'est pas un motif suffisant pour lui interdire, dans des domaines différents, d'autres initiatives et d'autres travaux. Il n'y a pas, en effet, que des vérités d'ordre pure- ment expérimental ; il en est d'un autre ordre qui ne sont ni moins utiles ni moins fécondes ; et la philosophie a quelque droit sans aucun doute à utiliser la raison dans son domaine propre, et au moyen d'une méthode à elle, pour poursuivre les plus beaux travaux de la pensée humaine ; et la religion, à son tour, loin de méconnaître la valeur de la raison, la suppose avant tout, s'appuie sur elle, travaille avec elle, requiert sans cesse son con- cours nécessaire, même clans les questions le dernier mot doit rester à la foi. Encore une fois de quel droit interdire à la raison l'emploi de ses facultés ailleurs que dans les sciences naturelles ?

7. La raison est faite pour la vérité dans tous les ordres ; la vérité est son objet propre, connaturel. Qu'elle arrive, par son libre jeu, à la connaissance des vérités naturelles ; qu'elle découvre les lois du monde physique et les rapports des substances matérielles entre elles ; qu'elle fasse de ces connais- sances, de ces lois et de ces rapports, une science, les principes conduisent à des conclusions, et les progrès enfantent de nouveaux progrès, rien de mieux. Mais ne peut-elle également pénétrer dans le monde métaphysique et moral ? Qui donc pourrait l'en empêcher ? Insister serait vraiment trop faire injure au bon sens et plaider une cause évidente et incontestable ; car, depuis que l'homme existe, il n'a jamais cessé un seul instant de philo- sopher, c'est-à-dire de chercher à se rendre compte de la raison de tout ce qu'il voit autour de lui, de tout ce qu'il constate en lui-même.

4ûO LE CATÉCHISME ROMAIN

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Et c'est pourquoi, en face des phénomènes de conscience dont il est le théâtre et le témoin, en présence des phénomènes variés qui Tentourent et dans lesquels il se meut, l'homme raisonnable entend dégager l'inconnue qui s'y cache et déchiffrer le mot de l'énigme. Les questions se pressent dans son esprit. Il existe ; mais qu'est-il ? d'où vient-il ? va t-il ? D'autres êtres existent à côté de lui, qui pourraient ne pas exister ; il y a, dans le monde, de la vie, du mouvement, de l'ordre. Y a-t-il une cause à tout cela ? Et cette cause peut-il en affirmer l'existence ? peut il parvenir à dire un peu ce qu'elle est ? Oui, pense-t-il, et il estime ne pas s'abuser. C'est plus qu'il ne lui en faut pour légitimer ses recherches et l'assurer de n'avoir pas travaillé en pure perte.

1. Le pouvoir de la raison. « Au fond, les erreurs, les extravagances, les fluctuations, les contradictions des systèmes philosophiques qui, en dehors du christia- nisme, se sont élevés sur les ruines les uns des autres, voilà le grand argument de Montaigne, de Pascal et du P. Ventura, et de tous ceux qui ont cru bien servir la religion en attaquant la philosophie. Or, cet argument ne prouve rien, parce qu'il prouverait trop ; s'il vaut con- tre la métaphysique, il vaudra contre toutes les sciences humaines ; car en toutes on s'est battu, en toutes on s'est trompé, en toutes les systèmes ont succédé aux systèmes. Mais, pour ne considérer que la philosophie, est-ce à dire que, dans cette mêlée, rien ne surnage, qu'aucune vérité stable et définitivement établie ne se dégage des contro- verses, et qu'il n'y ait, pour le spectateur de la lutte, aucun moyen de discerner de quel côté est le bon droit ? Quand Socrate combat les sophistes avec son bon sens et donne, le premier, une forme régulière à la preuve de l'existence de Dieu tirée de l'ordre de la nature, quand Platon ouvre à la raison qui cherche Dieu le chemin de la dialectique, quand Aristote conclut du fait du mouve-

PUISSANCE DE LA RAISON 4oi

ment la nécessité d'un premier moteur, quand les stoï- ciens défendent l'idée de l'honnête contre la volupté épicurienne, est-ce que ces hautes vérités périssent dans la décadence de leurs écoles ? est-ce que ces patriciens de la philosophie, comme on les a heureusement appelés, n'ont pas légué aux âges suivants quelques-uns des maté- riaux et quelques-uns des procédés d'une métaphysique indestructible ? La vérité, je l'avoue, n'était chez eux ni complète, ni pure ; mais elle y était, et l'étude de leurs doctrines établit du même coup les deux thèses fonda- mentales de la philosophie chrétienne : premièrement, que la raison est capable de trouver Dieu ; secondement, qu'elle est exposée à se tromper dans sa recherche, et qu'en devenant chrétienne, elle acquiert tout à la fois une portée et une sûreté qu'elle n'a pas en dehors du christia- nisme. Mais, qu'on me permette de le dire, ce serait une pusillanimité misérable de n'oser suivre la raison dans une voie qui est la sienne à cause des chutes qu'elle peut y faire, et des mauvaises routes elle peut s'engager par sa faute. J'aimerais autant dire qu'il faut renoncer à agir et se croiser les bras, parce qu'en agissant, on s'exposerait à mal user de sa liberté. Non, le serviteur qui enfouit son talent en terre n'est pas un bon serviteur, et c'est mal répondre aux vues de la Providence que de ne point exer- cer, dans leur sphère légitime, les facultés dont elle nous a pourvus. Gomme elle nous a donné la volonté pour l'appliquer à son objet, qui est la pratique du bien, elle nous a donné aussi la raison pour l'appliquer au sien, à la recherche de la vérité et à l'acquisition de la sagesse, laquelle dit Bossuet, consiste à connaître Dieu et à se connaître soi-même. « De Margerie, Théodicée, 3" édit., Paris, 1874, t. 1, p. i32-i33.

2. Procédé de la raison. « De quoi sommes-nous en- tourés ? de quoi, étant donnée notre organisation intellec- tuelle, pouvons-nous partir ? De Dieu, pour descendre à ses œuvres ? Non, mais des œuvres de Dieu pour remonter à leur auteur. Notre point de départ, c'est d'abord le monde extérieur ; puis, c'est notre âme nous trouvons ces idées absolues, dont on peut bien dire qu'elles ont leur

LE CATÉCHISME. T. I. â6

£o2 LE CATÉCHISME ROMAIN

fondement et leur substance en Dieu, mais non pas qu'elles sont Dieu. Découvrir en soi-même ces idées, ce n'est pas avoir l'intuition de Dieu, c'est apercevoir le signe visible et certain d'une réalité cachée, argumentum non apparentïum. Nous les apercevons sans doute dans la lumière de notre raison, qui est une participation de la lumière divine ; et les rayons de cette lumière nous con- duisent, si nous savons les suivre, jusqu'à leur éternel et vivant foyer. Mais à quelles conditions ? A condition que nous les prendrons pour ce qu'ils sont, pour des rayons, pour des intermédiaires, pour des degrés, pour des routes qui mènent à Dieu, itinera in Deum ; à condition aussi qu'il y aura en nous une force, un ressort, qui nous pous- seront jusqu'à la réalité suprême, je veux dire à condi- tion que notre raison possédera des principes évidents et premiers, qui nous obligeront à remonter de l'effet à la cause, et de l'imparfaite copie au modèle divin. Tel est, en effet, le procédé de la raison ; tel est le caractère de cette ascension dialectique qu'ont opérée, depuis Platon, tous les grands esprits qui se sont occupés de théodicée. Nous arrivons à Dieu par des échelons, per scalam, per gradus, en suivant ses traces, en passant par ce qui le représente, par la nature extérieure, par l'âme humaine, par les idées absolues, et en dépassant ces représentations incomplètes à l'aide des principes nécessaires delà raison. Or, que faisons-nous quand nous prenons pour point de départ un fait réel, le monde, ou le moi, ou les idées réellement présentes à la conscience ? nous posons une mineure. Et que faisons-nous quand nous prenons pour point d'appui une vérité universelle ? nous posons une majeure. Que faisons-nous enfin, quand, à l'aide du point d'appui, nous dépassons le point de départ, quand nous nous fondons sur le principe de causalité pour deviner l'ouvrier derrière son ouvrage, le modèle derrière sa copie, la réalité substantielle de l'infini derrière ce fait psychologique qui est l'idée de l'infini ? nous tirons une conclusion. Car nous accomplissons ces trois opérations avec une rigueur syllogistique, latine et informis, ou en français, tantôt par un développement oratoire, tantôt par

PUISSANCE DE LA RAISON ^0$

un rapide élan qui transforme le syllogisme en un enthy- mème ou l'argument en une prière ; que nous suivions lentement chacun des pas de la démonstration, ou que nous les traversions d'un bond, le procédé au fond reste le même, il s'appelle le raisonnement ; le résultat est le même aussi, il s'appelle la démonstration.

« Je ne sais pourquoi on s'effraye, et pourquoi on s'imagine qu'en se résignant à raisonner, on se condamne ànepoint sortir des abstractions. Quand on raisonne sur des prémisses abstraites, comme sont, par exemple, les défi- nitions de la géométrie, c'est à des conclusions abstraites qu'on arrive. Mais quand on résonne sur le réel, c'est au réel aussi qu'on aboutit. Tel sera le caractère des preuves sur lesquelles nous établirons l'existence de Dieu : con- formes aux règles les plus rigoureuses de la logique, elles atteindront la réalité créatrice, parce qu'elles s'appuient sur la réalité créée, non pour s'y enfermer, mais pour la dépasser. » Ibid., p. i43-i44-

3. Aller à Dieu de toute son âme. « Il y a dans l'âme qui cherche Dieu autre chose qu'un mouvement de la pensée qui conçoit l'infini et raisonne sur cette idée ; il y a un mouvement de l'amour. Et l'amour, s'ajoutant au raisonnement, produit en nous, outre la conviction scienti- fique de l'existence de Dieu, l'impression sensible de sa présence. Oui, il y a en nous plus qu'une puissance de raisonner spéculativement sur la nature de Dieu, comme sur la notion du cercle ou du triangle ; il y a une voix du sang qui nous crie de chercher notre père, et un tact du cœur qui nous le fait deviner. Nous ne le voyons pas, car c'est la condition de la vie présente et l'épreuve de notre fidélité qu'il faille l'aimer à travers un voile ; mais nous sentons qu'il nous enveloppe et nous soutient, nous entendons sa voix, nous reconnaissons sa main aux bien- faits qu'elle répand, sa sagesse et sa puissance à la beauté de son ouvrage, sa sainteté à la sainteté même de la loi qu'il a gravée dans nos consciences. Ainsi le cœur s'ajoute à la raison, non plus, comme il arrive trop souvent, pour la troubler et l'obscurcir, mais pour lui imprimer un élan plus rapide vers la vérité, pour lui donner un senti-

4o4 LE CATÉCHISME ROMAIN

ment plus vif des réalités divines. Ce n'est plus seulement l'esprit qui raisonne, c'est l'âme tout entière qui monte 'sur l'aile de la pensée et sur l'aile de l'amour. La pensée "va au vrai et l'amour va au bien ; et puisque le vrai et le bien ne sont' que deux aspects divers d'une même réalité qui est Dieu, la pensée et l'amour ne doivent pas être ici séparés l'une de l'autre. Leur objet est le même, et, pour l'atteindre, ce n'est pas trop de leur commun effort. » Ibid., p. 1 44-i 45.

4. Conséquences du scepticisme. « Des tentatives malheureuses de Kant, des traditionalistes et des fîdéistes, nous devons conclure que le scepticisme, soit idéaliste, soit empirique, en niant les premiers principes de la raison humaine, aboutit à la négation de Dieu, fatale- ment et sans espoir d'y revenir par un autre chemin, et que réciproquement on ne peut refuser à la raison la puissance de s'élever à Dieu et de prouver son existence, sans attaquer la raison elle-même jusque dans ses fon- dements. En ruinant la théodicée par la base, on ruine en même temps toute connaissance par les causes, et toute certitude scientifique. Et comment s'étonner de cette alternative, se trouve l'esprit humain, ou de croire que la raison est capable de connaître l'existence des causes et de la cause première qui est Dieu, ou bien qu'elle est incapable de rien connaître scientifiquement, pas même sa propre existence substantielle, lorsqu'on se rappelle que ces idées d'être, de substance, de cause en général, de cause première, d'être nécessaire, et par conséquent le désir inné et le besoin de les connaître, sont comme le fond indestructible de la raison humaine et le patrimoine commun de toutes les intelligences. Impossible de n'ac- cepter qu'une partie de la raison humaine, et d'en répu- dier l'autre partie; de rejeter la nécessité d'une cause première, raison dernière de toute chose, et de croire encore aux principes de causalité ou de raison suffisante ; impossible de faire un choix parmi les évidences ; il faut les admettre ou les rejeter toutes. Tant est grande la dépendance absolue de la raison à l'égard de l'Intelli- gence divine : elle ne peut la nier sans se renier elle-

PUISSANCE DE LA RAISON 4o5

même ; elle ne peut fermer les yeux à cette lumière d'en haut « qui illumine tout homme venant en ce monde, » sans s'égarer en pleines ténèbres, ou sans se condamner à une contradiction perpétuelle ! » Farges, Lidée de Dieu, Paris, 1894, p. 57-58.

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Leçon XI De Dieu

L'existence de Dieu est un dogme de la raison : Ses preuves. I. Preuves psychologiques. II. Preuves morales. III. Preuves de saint Thomas.

Pour arriver à prouver l'existence de Dieu, l'es- prit humain n'a qu'à constater des faits et à en chercher l'explication dernière par l'applica- tion du principe de causalité et de raison suffisante : cette solution ne se trouve que dans l'existence de Dieu. Que l'homme s'interroge lui-même, au fond du sanctuaire mystérieux de sa conscience, ou qu'il jette un regard sur le monde qui l'entoure, dès qu'il voudra posséder le dernier mot de ce qu'il voit, il devra toujours remonter plus haut jusqu'à la cause première, jusqu'à Dieu. S'il emprunte les éléments de sa démonstration aux phénomènes de conscience, il formulera les preuves psychologiques ou morales de l'existence de Dieu ; s'il les emprunte aux phé- nomènes à travers lesquels il se meut, il formulera les preuves cosmologiques. Disons quelques mots des uns et des autres (i).

i. BIBLIOGRAPHIE : Saint Thomas, Sum. Theol. ; Sum. conl. qenl. ; Franzelin, De Deo: Gratry, De la connaissance de

PREUVES PSYCHOLOGIQUES IxO']

I. Preuves psychologiques

C'est l'austère Tertullien qui invoquait, en faveur de l'existence de Dieu, le témoignage de Mme. « Viens donc, ô âme humaine, comparais devant nous, soit qu'il faille avec plusieurs philosophes te reconnaître pour une substance éternelle et divine, et par même plus incapable de mentir ; soit qu'étrangère à la divinité, tu n'aies rien que de mortel, comme l'a professé le seul Epicure, ce qui fera paraître ton témoignage d'autant moins suspect; soit que tu descendes du ciel ou que la terre te con- çoive ; que tu naisses avec le corps ou que tu iui sois ajoutée après coup ; d'où que tu viennes, et de quelque manière que tu rendes l'homme un animal raisonnable, doué d'intelligence et de sentiment, réponds-moi ! Mais ce n'est pas toi que j'appelle, ô âme qui, formée dans les écoles, exercée dans les bibliothèques et nourrie dans les académies ou sous les portiques de la Grèce, débites d'orgueilleu- ses maximes. Non, viens ici dans toute ta rudesse, dans toute la simplicité de ton ignorance primitive, telle que te possèdent ceux qui n'ont que toi ; ac- cours de la voie publique, du carrefour, de l'atelier. 11 me faut ton expérience, puisque personne n'ajoute plus foi à ton habileté, si petite qu'elle soit. Je ne te demande que ce que tu apportes avec toi dans l'homme, soit que tu le tires de ton propre fonds, ou que tu le reçoives de ton auteur, n'importe lequel. Tu n'es pas chrétienne, que je sache, car tu as cou- tume de devenir et non de naître chrétienne.

Dieu, Paris i856; ajouter aux ouvrages déjà signalés dans la leçon précédente : Janct, Les causes finales, Paris, i876;Blon- del, V Action, Paris, 1893 ; Monsabré, Conférences de Notre DaniQ.

£o8 LE CATÉCHISME ROMAIN

Toutefois les chrétiens requièrent aujourd'hui ton témoignage. Etrangère, dépose contre les tiens, afin que nos persécuteurs rougissent devant toi de leur mépris pour une doctrine, dont tu es complice... On ne veut pas nous écouter quand nous prêchons un Dieu unique, de qui tout vient, sous qui tout subsiste. Eh bien, parle, ô âme : n'est-ce point ta croyance à toi même ?... Ces témoignages de l'âme sont d'autant plus simples qu'ils sont plus vrais, d'autant plus populaires qu'ils sont plus simples, d'autant plus communs qu'ils sont plus populaires, d'autant plus naturels qu'ils sont plus communs, d'autant plus divins qu'ils sont plus naturels (i). » C'est saint Augustin qui donnait ses préféren- ces à la preuve basée sur la constatation d'une vérité éternelle et immuable, supérieure à l'homme. La rai- son de l'homme occupe le plus haut degré de la hiérarchie des êtres de ce monde visible ; mais si elle découvre un être plus parfait, cet être sera Dieu. Or, la raison humaine constate qu'au-dessns d'elle, il y a la vérité éternelle et immuable, qu'elle ne crée pas, mais qu'elle contemple, qui n'est ni sienne ni en elle, puisque tout homme la contemple sem- blablement. Cette vérité est donc Dieu lui-même ou, si l'on suppose un être encore plus élevé, nous con- duit à cet être, source de vérité (2). Ce n'est point là, remarquons-le, l'édition anticipée de l'argument de saint Anselme, car l'évêque d'Hippone ne con- clut pas de l'idée de Dieu à son existence ; analysant les caractères de la vérité, il les trouve inexplicables si au-dessus d'elle il n'y a un être immuable, source de l'immuable vérité.

1. De test, am., i-v ; Patr. lat., t. 1, col. 610 sq. 2. De lib. arb., 11, 7-33 ; Patr. lat., t. xxxu, col. I243-I263; ConJ., VII, x, 16; ibid., col. 7^2; De Div. quœst. lxxxiii, q. liv ; Patr. lat., t. xl, col. 38.

PREUVES PSYCHOLOGIQUES ^OC)

Notre Bossuet a repris cette preuve avec son tour inimitable : « Toutes ces vérités... subsistent indé- pendamment de tous les temps : en quelque temps que je mette un entendement humain, il les con- naîtra ; mais, en les connaissant, il les trouvera vérité, il ne les fera pas telles ; car ce ne sont pas nos connaissances qui font leurs objets, elles les supposent. Aussi ces vérités subsistent devant tous les siècles, et devant qu'il y ait un entendement humain... et je verrais clairement qu'elles seraient toujours bonnes, toujours véritables, quand moi même je serais détruit avec le reste. Si je cherche maintenant, où, et en quel sujet, elles subsistent éternelles ou immuables, comme elles le sont, je suis obligé d'avouer un Être, la vérité est éternellement subsistante et elle est toujours entendue ; et cet Etre doit être la Vérité même et doit être toute vérité ; et c'est de lui que la vérité dérive dans tout ce qui est et entend hors de lui... Ces vérités éternelles, que tout entendement aper- çoit toujours les mêmes, par lesquelles tout enten- dement est réglé, sont quelque chose de Dieu, ou plutôt sont Dieu même. Car toutes ces vérités éter- nelles ne sont au fond qu'une seule vérité. En effet, je m'aperçois en raisonnant que ces vérités sont suivies... La vérité est une de soi. Qui la connaît en partie, en voit plusieurs ; qui les verrait parfaite- ment, n'en verrait qn'une (i). »

D'autres sont partis des aspirations de rame vers Vinfini. Voici comment en parle de Margerie : u Notre raison, si faible et si fragile, possède un ressort qui, par sa force naturelle, la lance jusque dans l'infini ; du sein de mes ténèbres et de mon

i. Connaissance de Dieu et de soi-même, ch. iv ; cf. Cousin, Du vrai, p. 72.

4 10 LE CATÉCHISME ROMAIN

ignorance se dégage une idée qui déborde de toutes parts l'étroite intelligence elle fait son apparition, l'idée du parfait, de l'absolu, du nécessaire, de l'éternel, l'idée de l'infini, l'idée de Dieu. S'il est vrai que je possède cette idée, sa présence est un fait psychologique d'une immense portée métaphy- sique ; par lui et en lui l'expérience nous fournit une idée qui la dépasse, et cette donnée constitue, pour la théodicée une mineure incomparablement plus riche et plus féconde que toutes les magnifi- cences du monde matériel... Que suis-je ? Un fini qui, par un mouvement naturel, tend à l'infini dans toutes les directions de son activité. Qu'est-ce que mon intelligence ? Une ignorance qui tend à la science, à la lumière sans ombre, et qui, si haut qu'elle s'élève et si avant qu'elle pénètre, veut tou^ jours monter et creuser davantage, parce que ce qu'elle sait est infiniment distant de ce qui lui reste à apprendre. Qu'est-ce que ma volonté, sinon une force qui, partant de l'extrême imperfection et de l'extrême faiblesse, se sent appelée à un perfection- nement continu, c'est-à-dire à un mouvement au- quel l'idée de la perfection absolue peut seule tracer sa route. Qu'est-ce que mon cœur, sinon un amour borné dans sa puissance, infini dans ses vœux, cher- chant partout cet infini, inépuisable aliment de sa faim insatiable, le rêvant dans les choses créées, par une illusion qui dure autant que leur poursuite et s'évanouit avec leur conquête, se désabusant parla jouissance elle-même, et condamné à n'être pas sa- tisfait tant qu'il demande au fini ce que le fini ne contient pas ? Quest-ce que ma vie, sinon un flot qui s'écoule, et qui, en s'écoulant, invoque obsti- nément la stabilité, le repos et la béatitude ? Je ne fais qu'indiquer ; si je voulais approfondir, il fau- drait reprendre toute la psychologie, toute la morale,

PREUVES PSYCHOLOGIQUES 4 II

toute l'esthétique, sciences vaines ou plutôt mots vi- des de sens, si l'idée d'infini qui les remplit, qui est leur centre et leur terme commun, n'a pas de place dans la raison (i). » « Quelle est la cause objective dont l'idée d'infini est l'effet psychologique, le mo- dèle dont elle est la représentation de l'image ? Le bon sens répond à cette question d'une manière tellement rapide et positive, le principe de causa- lité, s'ajoutant au fait psychologique, produit un rai- sonnement si simple, il y a une absurdité si visible et une contradiction si énorme à expliquer l'idée d'infini autrement que par l'existence de l'être infini, que la démonstration de l'existence de Dieu semble ici prendre le caractère d'une intuition im- médiate... Il faut concevoir l'humanité comme un tout vivant, comme une personne, et puisque l'idée d'infini est en elle, il faut lui demander d'où elle la tient. Elle ne Ta pas créée, elle ne l'a pas construite, elle n'en a rencontré le modèle ni en elle-même, ni dans le monde, ni dans quelque réalité finie que ce puisse être, elle ne l'a trouvée que dans un être qui est réellement tout ce que cette idée représente, en Dieu (2). »

Quelques esprits supérieurs, aux envolées superbes, se sont laissé séduire au mirage trompeur de leur propre pensée et ont cru pouvoir conclure de Vidée de l'être parfait à l'existence réelle de cet être. Ce fat le cas de saint Anselme (f 1109). Gaunilon, moine de Noirmoutiers, fit la critique ingénieuse et profonde de l'argument de saint An- selme, dans son Liber pro insipiente ; et saint Thomas l'a justement écarté à cause du passage injustifié de l'ordre logique de l'idée d'existence à l'ordre onto-

1. Théodicée, t. 1, p. ai 220-22 1, a. Ibid., t. I,

323-226.

4 I 2 LE CATÉCHISME ROMAIN

logique de l'existence réelle (i). Repris par Descartes, puis par Leibnilz, cet argument a été soumis par Kant à une critique minutieuse et impitoyablement condamné, parce que partir de l'idée de l'être parfait et Vouloir que cette idée renferme comme attribut l'existence réelle de Dieu est une contradic- tion, une impossibilité. Le Dieu réel, concret, vivant, ne se trouve pas dans une pure conception de l'esprit.

IL Preuves morales

A côté des lois de la logique qui règlent la pensée, il y a les lois morales qui régissent les actes de la volonté. Toute âme droite, sincère et loyale constate sans peine l'existence de ces derniè- res au fond de sa conscience. Faire le bien, éditer le mal; être fidèle, probe, honnête, juste, c'est un bien ; pratiquer la fraude, l'improbité, la perfidie, l'injustice, c'est un mal ; mieux vaut rester pauvre mais honnêle que d'acquérir la richesse au prix du déshonneur et d'une lâcheté : autant de vérités d'ordre pratique, partout et toujours les mêmes, partout et toujours impérieuses, s'imposant bon gré mal gré à la conscience de l'homme. D'où viennent-elles ? Ce n'est pas de l'homme : elles s'imposent à lui ; elles aussi impliquent nécessaire- ment l'existence de Dieu.

Par une inconséquence heureuse avec ses principes de la raison pure, Kant a demandé à la raison pratique un argument irrésistible en faveur de l'existence de Dieu. « Le ciel au-dessus de ma tête, la morale dans mon cœur, » disait-il, c'est tout ce qu'il faut pour établir la réalité de l'exis-

i. Sam. theol., I, Q., n, a. i, ad. 2.

PREUVES MORALES 4l3

tence de Dieu. Car chacun reconnaît avoir des de- voirs à remplir et se regarde comme obligé de les remplir. donc trouver le principe du devoir et de son obligation? On ne peut le chercher, ni avec les moralistes de l'intérêt au-dessous de la volonté, dans les conséquences agréables ou désagréables de nos actes, ni avec les moralistes du sentiment dans les penchants sympathiques de notre nature, ni avec les moralistes indépendants dans la volonté même, mais bien dans un principe supérieur à la volonté 1 Car le devoir est un impératif catégori- que, sans condition, absolu, qui s'impose à nous, malgré nous. Il nous dit : Fais ce que dois, advienne que pourra. Lui reconnaître ce caractère, et il le faut bien, sans quoi il se confondrait, comme l'observe Kant, avec les conseils de l'hygiène ou de la prudence, c'est lui reconnaître une valeur absolue. Mais d'où peut lui venir ce caractère de valeur absolue? Pas de ce monde, car la conscience crie : Pereat mandas, fiatjastitial Le monde n'est rien au prix de la justice. C'est donc en dehors de ce monde, et au dessus, en Dieu. Car Dieu seul peut rendre compte du devoir qui nous incombe et de l'obligation qui nous lie.

Voici, d'après Kant, la preuve tirée de la nécessité d'âne sanction. La raison pratique affirme la nécessité du souverain bien, c'est-à-dire l'accord de la vertu et du bonheur. Or cet accord n'existe pas et ne peut pas même exister dans le monde tel qu'il est, puis- que la nature des choses est constituée de telle sorte qu'elle impose les plus rudes sacrifices à qui veut faire son devoir. Faire son devoir en ce monde, c'est infailliblement se heurtera la nature et souffrir. La vertu elle-même, par les efforts qu'elle demande et les sacrifices qu'elle exige dans le monde tel qu'il est, est souvent la source des plus profondes dou-

4l4 LE CATÉCHISME ROMAIN

leurs. Sans doute, il y a des compensations, mais combien insuffisantes ! De sorte que si l'homme de bien a, en ce nionde, quelques privilèges, ce n'est pas tant celui du bonheur que celui de la souffrance. Ce désaccord existant, en fait, qui pourra réaliser l'accord nécessaire, réclamé par la raison au nom de la justice ? Qui pourra modifier la nature de façon à ce que les lois physiques ne soient plus en conflit avec les lois morales, que la loi morale devienne en quelque façon la loi unique, souveraine, et qu'elle s'assujettisse le monde entier? Qui pourra faire un monde tel que la volonté vertueuse y soit toujours heureuse, et seule heureuse? Ce n'est point l'agent moral lui-même, car notre volonté en est évidemment incapable. Ce n'est point la nature qui, d'elle-même, pourra se modifier dans ce sens. Il faut donc admettre un être supérieur à la nature, tout puissant et tout bon, un Dieu en un mot qui, prenant en main la cause de la moralité, produira cet accord nécessaire entre l'intention morale et la nature pour que le souverain bien soit enfin réalisé. Avec beaucoup plus d'autorité, de Margerie a tiré de l'idée du devoir la preuve de l'existence de Dieu. Analysant les faits moraux de la conscience et trouvant qu'ils impliquent l'idée d'une loi éter- nelle absolue, parfaite, universelle, il constate que cette loi n'a pas sa source dans l'expérience. Sans doute on peut se tromper, et l'on se trompe sur l'idée du devoir, car on pèche contre la morale comme on pèche contre la logique ; on se trompe surtout si le sens moral est malade et lorsque l'ha- bitude de mal faire en a émoussé la clairvoyance. L'idée alors peut être obscurcie, méconnue, oblité- rée même, chez les individus et dans les peuples. Car « le grand moyen de discerner le devoir, ce i n'est pas d'avoir une raison puissante, c'est d'avoir

PREUVES MORALES 4l5

une volonté droite et un cœur pur. A mesure qu'on devient meilleur, les vérités morales apparaissent avec une plus irrésistible évidence ; et, tout au con- traire, l'habitude de violer le devoir et d'en détourner nos regards nous fait désirer, puis trouver des raisons contre lui, et ne réussit que trop aisément à nous le rendre obscur. Aussi pouvons-nous remar- quer que bien des consciences, fort saines et fort délicates en ce qui concerne certaines vertus aux- quelles on a su rester fidèle, sont étrangement élargies dès qu'il s'agit d'autres devoirs dont le chemin est oublié. »

De même pour les actions : à raison de l'éducation et des préjugés, les idées morales se faussent dans la conscience publique. L'abandon du devoir con- duit à son oubli, et la perversion va s'accen tuant. « C'est ainsi que des peuples entiers arrivent, non seulement à tolérer des actions criminelles, non seulement à les croire innocentes, mais encore à les imposer au nom des lois et au nom des dieux. »

« La loi morale est. Elle a toute la réalité qu'elle peut avoir ; elle commande à ses sujets ; elle se fait reconnaître par ceux mêmes qui la violent ; elle a dans la conscience l'organe qui la promulgue, le tribunal qui l'applique, premier exécuteur de ses jugements. Et elle a de plus une réalité privilégiée et souveraine, qui lui subordonne les lois faites par les hommes aussi bien que leurs actions. Gomme parfaite, elle les juge et les annule toutes les fois qu'elles viennent à la contredire. Comme éternelle, elle est à l'abri de leurs vicissitudes. Comme uni- verselle, elle s'étend à tout et donne la décision des cas que les lois écrites n'ont pu prévoir... Si elle est tout cela, ne voyons-nous pas que la conclusion saute aux yeux du bon sens, et que nous arrivons

4lG LE CATÉCHISME ROMAIN

droit à Dieu ? Et n'est-ce pas une chose manifeste que la loi éternelle et parfaite a sa source et son fondement dans un législateur éternel et parfait, lequel, étant le principe du devoir parce qu'il a droit de nous commander, est aussi la dernière fin de notre activité et la réalité suprême de cet idéal moral qu'ici-bas nous concevons toujours et n'attei- gnons jamais (i) ? »

En 1891, dans ses Conférences de Notre Dame, Mgr d'IIulst a examiné tour à tour la morale et la liberté, la morale et l'obligation, la morale et la sanction. En passant, il montre que « du devoir à Dieu, il n'y a qu'un pas à faire, » et il s'écrie : « Le Bien parfait c'est le premier Etre, c'est le type de tout ce qui peut être, la cause de tout ce qui est, le terme de tout ce qui devient. Demandez à Platon sa voix enchanteresse pour exalter sa grandeur et glorifier sa beauté. Demandez à Àristote son regard pénétrant pour découvrir dans chaque créature l'anneau qui la rattache à cette fin suprême. Deman- dez aux docteurs chrétiens leur dialectique trans- cendante pour vous transporter, à travers les abstractions de la pensée imparfaite, jusqu'à la radieuse réalité de l'idéal, jusqu'à l'activité créatrice de la cause première, jusqu'aux pieds du Dieu vivant. Non, ce n'est pas un Dieu rêvé, un Dieu d'illusion et de mirage, c'est un Dieu substantiel que nous adorons. Nous ne voyons pas sa face, mais nous sentons sa main dans toutes ses œuvres, nous entendons sa voix dans notre conscience. Pour remonter jusqu'à lui, mille chemins sont ouverts. Pourrions-nous l'atteindre en partant seulement du commandement intérieur qui retentit au fond de nous-mêmes ? Oui, sans doute, car un impératif

1. Théodicée, t. 1, p. 239, 240, i!\\-i!\i.

PREUVES MORALES kl*]

absolu suppose un maître qui ne dépend de per- sonne (i). »

Cette preuve, il la donne, l'année suivante, quand il montre par quel chemin on remonte du devoir à Dieu. Il constate d'abord que le devoir se révèle à la conscience de trois manières : d'abord par le sentiment de la liberté ; ensuite par la claire vue de l'obligation ; et enfin par l'idée de responsabilité ; après quoi, il prouve que ce triple témoignage démontre l'existence de Dieu. Dieu, en effet, se place comme un anneau nécessaire entre les trois chaînons dont se compose la trame de la morale. Entre la liberté et l'obligation, il intervient comme support du commandement moral. Qui dit com- mandement dit opposition de maître à sujet. est ce maître ? en dehors de nous. Il nous est supérieur, puisqu'il nous commande ; il nous est antérieur, puisque toute conscience humaine, à peine éveillée, entend son commandement. Ce commandement est-il une abstraction ou émane-t-il d'un être réel ? Il ne peut être une simple abstraction ; car Fabstrait dépend d'une intelligence ; l'abstraction est une opération de l'esprit. Le vice radical de la philoso- phie qu'un rêveur allemand a inoculée à notre siècle, c'est de renverser l'ordre des priorités en mettant l'abstrait à l'origine du concret. Ce qui est antérieur à tout existe en soi, et ce qui existe en soi est une réalité vivante ; l'abstrait n'est que le résidu de la pensée d'un vivant. Ce quelque chose de réel et de concret qui précède tout, qui domine tout et que rien ne renferme, c'est Dieu. Le vrai Dieu seul peut fournir un support à l'impératif absolu du devoir.

Mais Dieu intervient une seconde fois entre l'obli- gation et la responsabilité. Il y a un témoin tou-

j. Conférences de Notre Dame, 189 1, iw9 conf.

2.1 CATÉCHISME. T. I. »J

Z|l8 LE CATÉCHISME ROMAIN

jours présent, toujours clairvoyant, toujours équi- table et incorruptible, dont le regard fouille les plus secrets replis de notre cœur et voit à découvert ces derniers dessous que je voudrais me cacher à moi-même ", c'est celui que l'espace n'emprisonne pas, que le temps n'emporte pas ; celui qui atteint l'être dans son fond parce que c'est lui qui l'a fait.

Et Dieu intervient une troisième fois entre la responsabilité et la sanction. Si je me sens débiteur pour mes fautes, est le créancier du châtiment ? Si je suis créancier au titre de mes vertus, est le débiteur de la récompense? Otez Dieu, et le pécheur pourra se vanter jusqu'au bout d'avoir bravé l'ordre. Otez Dieu, et le juste aura vainement souffert ; et l'appel qu'il a interjeté au-delà de ce monde contre le scandale de l'iniquité victorieuse, se sera perdu dans le désert des abstractions mortes, dans le vide des formules impuissantes. Si la justice est plus qu'un mot, il faut que le juge soit vivant. Ma cons- cience crie : je crois en Dieu qui viendra juger les vivants et les morts.

Pour conclusion : « Il est donc vrai, le sentiment moral appelle la réalité et l'amabilité de Dieu. Delà cette émotion de joie ou de tristesse qui, en dehors de tout espoir et de toute frayeur, accompagne en nous la rectitude ou les égarements de la conduite. La tentation est venue secouer mon âme ; l'appât du plaisir défendu a sollicité mon libre vouloir. Ai- je cédé à cette séduction que ma conscience réprouve ? Sans attendre le châtiment que ma pré- varication appelle, avant même que la crainte de l'expiation future soit venue inquiéter mon égoïsme, un nuage a passé sur mon ciel intérieur, une amer- tume a empoisonné ma jouissance, une mélancolie a pris la place de la joie coupable à laquelle j'ai sacrifié le devoir. Mais, si j'ai vaincu le mai ; si,

PREUVES MORALES friy

aux instances pressantes de la tentation, j'ai répondu fièrement : Non licet, il n'est pas permis ; si, pour soutenir jusqu'au bout cette résistance, j'ai en- sanglanter mes mains et mes pieds aux épines du devoir, ah ! je n'ai pas besoin d'attendre que le prix longtemps retardé de la vertu me soit payé avec usure ; non, dès maintenant, et parmi les âpretési< du sacrifice, une félicité intérieure m'envahit, une paix délicieuse me pénètre et me console. Ne niez; pas cela, vous vous feriez tort à vous-même, et quel- que chose de meilleur en vous que vos paroles pro- testerait contre un démenti qui déshonore. Me niez pas cela, car c'est le cri de nature et, par consé- quent, l'écho de Dieu (i). »

Avant de passer aux preuves cosmologiques,, signalons particulièrement celle qui est tirée de la foi du genre humain. Il s'agit d'abord de savoir si l'humanité, dans son ensemble et non dans chacun, des individus qui la compose, considérée dans la suite des âges et à l'heure actuelle, a possédé et pos- sède, non pas la notion vraie et pure de la nature divine, mais simplement si elle a eu, si elle a l'idée de Dieu, si elle a cru, si elle croit à l'existence d'un être supérieur et transcendant. Or, la réponse à cette question, ainsi délimitée et précisée, ne saurait être- douteuse. Les sciences historiques et ethnographi- ques, notamment la science des religions, si en faveur depuis quelques années, les multiples voya- ges à travers notre planète, auprès de tous les peu- ples qui l'habitent, permettent de constater que, partout et toujours, dans toutes les races, chez lest barbares et les sauvages comme chez les peuples policés, se rencontrent l'idée de Dieu et la foi en son existence. Sans doute, à parcourir les docu-

i. Conférences de Notre-Dame, 1892, 11e Conf.

^20 LE CATÉCHISME ROMAIN

ments, on ne peut qu'être affligé au spectacle de certaines altérations, de grossiers abaissements de la raison humaine en face du divin ; mais, sous les emblèmes superstitieux ou horribles des races les plus dégradées, dans les cultes les plus absurdes, les plus licencieux et les plus cruels, gît l'idée de Dieu ; idée de plus en plus déformée, de plus en plus corrompue, à mesure que baisse l'étiage moral de ces races, mais idée reconnaissable quand même qui permet de conclure qu'il n'y a pas de peuples athées.

Nous n'avons pas, pour le moment, à rechercher comment les peuples sont arrivés des religions pri- mitives aux religions actuelles, ni comment ils avaient la religion qui se manifeste chez eux, dès que l'histoire les saisit ; nous n'avons pas davan- tage à résoudre la question de savoir si l'évolution religieuse dans l'humanité s'est faite dans le sens du monothéisme vers le polythéisme ou en sens con- traire, ces questions viendront à leur heure et seront traitées à leur place, mais nous devons constater le fait qu'il n'y a pas, qu'il n'y a jamais eu de race ou de peuple sans religion. Si bien que l'on a pu dire que l'une des caractéristiques de l'espèce humaine, et la principale, c'est la religiosité. L'homme n'est pas seulement « l'animal politique » au sens d'Aris- tote, il est surtout l'être religieux. « Sa définition, sa caractéristique, dirait-on en zoologie, est donc celle-ci : l'homme est un corps, ou mieux un être organisé vivant, sentant, se mouvant spontanément, doué de moralité et de religiosité (i). » De sorte que, dans l'espèce humaine, au sens des naturalis- tes comme au sens des moralistes, l'athéisme cons- titue une anomalie, une monstruosité. Au terme de

i. De Quatrefages, Unité de l'espèce humaine, p. 3a.

PREUVES MORALES 421

l'enquête, assurée par les découvertes modernes de la géographie, de l'histoire, de la linguistique et des autres sciences relatives à l'espèce humaine, M. de Quatrefages a pu écrire ces lignes : « Obligé par mon enseignement de passer en revue toutes les races humaines, j'ai cherché l'athéisme chez les plus inférieures comme chez les plus élevées. Je ne l'ai rencontré nulle part, si ce n'est à l'état individuel ou à celui d'écoles plus ou moins restreintes... L'athéisme n'est nulle part qu'à l'état erratique. Partout et toujours la masse des populations lui a échappé; nulle part, ni une des grandes races, ni même une division quelque peu importante de ces races n'est athée (i). »

Tel est le fait. Mais que prouve-t il ? Pour le croyant qui adhère à l'enseignement de la Bible et de l'Eglise catholique, la réponse est facile ; mais pour celui qui ne croit ni à l'inspiration biblique, ni à la révélation, la solution est à chercher. On Ta cherchée, soit au moyen d'hypothèses, soit par l'in- duction tirée de faits déjà contrôlés, soit par l'étude psychologique du sentiment religieux. L'a-t-on trouvée ? C'est ce que nous n'avons pas à dire ici ; mais ce que nous devons dire c'est que l'homme n'a pas changé de nature, et par suite qu'il a toujours été à même, par sa raison, de s'élever à la connais- sance de Dieu, comme nous l'avons prouvé dans la leçon précédente ; et ce que nous devons ajouter, c'est que cette connaissance ou cette foi au divin, étant si universelle, a une force qui mérite d'être prise en considération.

Ce fait démontre-t-il donc l'existence de Dieu, demande M. Vacant ? « Oui, car il confirme la valeur des preuves déjà rapportées. Comment expli-

i. De Quatrefages, V espèce humaine, c.xxxv, 4.

#2 2 LE CATÉCHISME ROMAIN

q»cr, en effet, l'universalité de cette croyance, sinon par la force persuasive des arguments invoqués ? La foi de tous les peuples au divin peut venir de la révélation primitive, faite aux premiers ancêtres du genre humain ; alors elle confirme les enseigne- ments de la Genèse à ce sujet. Mais cette foi se serait iSâns doute évanouie à la longue, si elle n'avait été constamment soutenue par ce magnifique témoi- gnage que l'âme humaine et l'univers tout entier rendent à l'existence de la divinité. Certains auteurs ont prétendu que la foi au divin est l'effet d'une crainte déraisonnable, ou qu'elle a été inspirée aux peuples par des législateurs qui voulaient revêtir leurs lois d'une autorité sacrée. S'il en était ainsi, cette foi aurait disparu au milieu des hommes, avec les causes qui lui auraient donné naissance. Elle s'est, au contraire maintenue partout avec une ténacité que rien n'a pu vaincre (i). »

III. Les preuves de saint Thomas

On comprend combien l'âme, avec ses facultés et «es opérations, avec les phénomènes intimes de la pensée et de l'acte libre, peut servir de base solide à une démonstration de l'existence de Dieu. Car, du moment que l'intelligence et la volonté sont ce qu'il y a de plus parfait dans Tordre naturel, elles sont par même plus aptes à nous faire connaître l'existence et la nature de Dieu. Preuves psycholo- giques et preuves morales, elles intéressent et ont les préférences de certains esprits cultivés de nos jours ; c'est, en effet, à l'intelligence et à la volonté humaines qu'on demande la preuve irrécusable de

i. La Constitution Dei Films, t. i, p. 3a.3.

PREUVES DE SAINT THOMAS k^'S

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l'existence d'une intelligence et d'une volonté divi- nes qui les explique et en donne la raison suffisante. « L'identité absolue du réel et de l'idéal, de la puissance et de la sagesse, de l'être et de la perfec- tion, voilà ce qu'il est (Dieu) pour que je sois ce que je suis. Pensée et volonté, sans lesquelles il n'y aurait ni pensée ni volonté en moi, et qu'en même temps ni ma pensée ni ma volonté ne peuvent comprendre, tels sont les termes solidaires du mys- tère qui s'impose à ma conscience. Je n'ai de raison de l'affirmer que parce qu'il m'est à la fois néces- saire et inaccessible : il est ce qui ne peut être fait ou pensé par moi, quoique je ne puisse rien faire ou penser que par lui. Et s'il me demeure inaccessible, ce n'est pas faute d'être ou de clarté en lui, mais en moi. Il est donc ce que je ne puis être : toute pensée et toute action (i). »

Mais, à côté de ces preuves, il en est d'autres, dites cosmologiques, l'expérience sert de point de départ à l'application rigoureuse du grand principe de causalité et de raison suffisante, et aboutit légiti- mement à la démonstration de l'existence de Dieu. [De nos jours, il est vrai, on a essayé de dénier à l'expérience le droit d'aller par delà le phénomène jusqu'au noumène, jusqu'à la substance, jusqu'à la cause, jusqu'à Dieu. Dieu ne s'expérimentant pas, on a écarté son idée comme inutile et étrangère à la science, ou bien on l'a rangée dans la catégorie des vérités inconnaissables et qui n'importent pas à l'homme. De la théorie à la pratique, la distance a été vite franchie ; le malheur est qu'on a voulu en faire un système d'enseignement ; et, malheur plus grand encore, c'est qu'on y a procédé à coups de lois : c'est ce que la langue nouvelle appelle de ce

I. Blondel, L'action, Paris, i8g3, p. 347.

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mot barbare, la laïcisation. Il est donc plus que jamais urgent de proclamer les résultats assurés de ]a méthode expérimentale et de la raison ; et rien ne vaut, pour le plus grand nombre, dans la ques- tion de l'existence de Dieu, comme les preuves cosmologiques : ce sont celles que saint Thomas a insérées dans sa Somme théologique.

L'ange de l'école les a groupées intentionnellement au nombre de cinq. Partant toujours de données empiriques, puis, leur appliquant d'une manière uniforme le principe de causalité, il a conclu en toute rigueur de logique à l'existence de Dieu. Dans le monde phénoménal extérieur, en effet, il com- mence par relever certains faits. Il y a, dans le monde, des mouvements ou du mouvement : quel en est le principe ? Ce ne peut être qu'un premier moteur immobile. Il y a, dans le monde, des êtres qui apparaissent, se succèdent et disparaissent : quelle est leur origine ? Ce ne peut être qu'une cause sans cause, possédant en elle-même toute la raison suffisante de cause, et appelée pour cela la cause première. Il y a, dans le monde, des êtres qui existent mais pourraient tout aussi bien ne pas exister : qui explique leur contingence ? Ce ne peut être que l'existence d'un être absolument nécessaire. Il y a, dans le monde, gradation et pro- grès dans l'échelle des êtres : d'où viennent-ils ? Ce ne peut être que de l'existence d'un être souverai- nement parfait. Il y a, dans le monde, de l'ordre et de la finalité : qui donc a produit cet ordre et mar- qué cette finalité ? Ce ne peut être qu'un suprême ordonnateur.

Tel est, en raccourci, l'admirable question traitée par saint Thomas, au commencement de sa Somme. Cinq preuves, qui toutes ne sont que l'application dune même méthode, et qui toutes, par leur choix,

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vont non seulement à prouver que Dieu existe, mais encore à insinuer quelque chose de ce qu'il est. Cinq preuves, qui prêtent aux plus beaux et aux plus riches développements. Dieu seul, cause du mouvement ; Dieu seul, source et origine de l'être ; Dieu seul, cause de la subsistance des créatu- res ; Dieu seul, idéal d'où procède et tend toute perfection créée ; Dieu seul, intelligence qui a fait, un système d'harmonie et de beauté de ce qu'on appelle le Cosmos. Devant renoncer, faute de place,! à donner à ces cinq preuves le développement qu'elles comportent, contentons-nous de les repro- duire dans leur austère simplicité, sans trahir la pensée du grand Maître.

Première preuve. « Il est certain et nous consta- tons qu'il y a du mouvement dans le monde. Or, tout objet en mouvement est poussé par un autre. Une chose ne peut se mouvoir, si elle n'était en puissance par rapport au mouvement qui lui est imprimé ; une chose ne saurait mouvoir que si elle est en acte, car mouvoir, c'est pousser de la puissance à l'acte. Evidemment, une chose ne peut être portée de la puissance à l'acte que par ce qui est déjà en acte, comme le feu, actuellement brû- lant, rend actuellement brûlant le bois, qui aupara- vant était brûlant en puissance, et ainsi le meut et le change. Or, il est impossible qu'une même chose soit en même temps et sous le même rapport en acte et en puissance ; ceci ne se produit que sous des rapports différents. Ce qui est maintenant chaud en acte n'est pas chaud en puissance sur le même point ; mais est sur ce point froid en puis- sance. Il est donc impossible qu'un même objet, sous le même rapport, soit à la fois et moteur, c'est-à dire qu'il se meuve lui-même. Donc tout ce qui est en mouvement est par autre chose. Donc

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ce moteur, s'il est lui-même en mouvement, est à son tour par un autre. Mais il faut s'arrêter ; on ne saurait aller ainsi à l'infini, car alors il n'y aurait pas de premier moteur; et s'il n'y avait pas de premier moteur, il n'y aurait aucun moteur, puisque les moteurs secondaires ne meuvent que par le premier, comme un bâton ne meut que par la main. Il faut donc de toute nécessité en arriver à un premier moteur que nul autre ne meut. Chacun comprend qu'un tel moteur c'est Dieu. »

Seconde preuve. La seconde preuve est celle de la cause efficiente. « Nous trouvons dans les choses sensibles une série de causes efficientes ; mais on ne trouve pas et il n'est pas possible qu'une chose soit sa propre cause efficiente, puisqu'une telle cause serait avant d'être, ce qui est impossible. Or il n'est pas possible dans les causes efficientes de remonter à l'infini ; car dans l'ensemble de la série des causes efficientes, le commencement est la cause du milieu, et le milieu est la cause du dernier, qu'il y ait plusieurs termes intermédiaires ou qu'il n'y en ait qu'un. Mais si on supprime la cause, on supprime l'effet. Donc s'il n'y avait pas une pre- mière cause efficiente, il n'y aurait ni milieu ni fin. Et si l'on procède à l'infini dans la série des causes efficientes, il n'y aurait pas une cause pre- mière efficiente, ni dernier effet, ni causes efficientes intermédiaires, ce qui est manifestement faux. Il faut donc de toute nécessité une cause première efficiente, que tout le monde nomme Dieu. »

Troisième preuve. La troisième preuve est tirée du possible et du nécessaire. La voici : « Nous voyons des êtres qui peuvent être ou ne pas être, puisqu'il y a des corruptions et des générations. Or, il ne se peut pas que ce qui est tel soit toujours, car ce qui peut ne pas être, parfois n'est pas. Si donc tout

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pouvait ne pas être, il s'ensuivrait qu'il y a eu un temps rien n'était. Mais, dans ce cas, il n'y aurait rien encore aujourd'hui, car ce qui n'existe pas ne commence pas à être sans l'intervention d'un être préexistant. Si rien n'était, il est impossi- ble que quelque chose ait commencé à être ; donc il n'y aurait rien, ce qui est manifestement faux. Donc tous les êtres ne sont pas seulement possibles, il en faut un qui soit nécessaire. Or ce qui est né- cessaire a la cause de sa nécessité en soi ou hors de soi. Mais il ne peut y avoir une série sans fin d'êtres nécessaires, nécessités par le dehors, pas plus qu'il n'y a une série sans fin de causes efficientes. Il faut donc poser qu'il y a quelque chose de nécessaire en soi, n'ayant pas d'autre cause de sa nécessité, mais étant cause de tout ce qui est nécessaire. Et cet être nécessaire par soi-même c'est Dieu. »

Quatrième preuve. La quatrième preuve se tire des degrés de perfections qui sont dans les êtres. « On trouve du plus et du moins, des degrés dans la bonté, la vérité, la noblesse et toutes les autres qualités des choses. Mais le plus et le moins ne s'appliquent qu'à des êtres divers qui se rapprochent diversement d'un type souverain, comme, par exemple, le chaud est ce qui participe plus ou moins de la chaleur absolue. Il y a donc aussi un être qui est souverainement bon, souverainement vrai, souverainement noble, et qui, dès lors, est souve- rainement l'être ; car, comme le dit Aristote, ce qui est souverainement vrai est ce qui est souveraine- ment. Or, ce qui est souverainement doué de perfection, en quelque genre que ce soit, est cause de tous les degrés de perfection du même genre, comme le feu est cause de toute chaleur. Il y a donc un être, cause de l'être, de la bonté, de la per- fection de tout être, et cet être nous l'appelons Dieu. »

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Cinquième preuve. La cinquième preuve est tirée du gouvernement du monde. « Nous voyons certains êtres inintelligents, tels que les corps, tendre à une fin, puisqu'ils font ordinairement ou toujours, et de la même manière, ce qui les mène à un but très bon. Ce n'est donc pas par hasard, mais bien par suite d'une intention, qu'ils arrivent à cette fin. Mais, n'ayant pas de connaissance, ils n'ont pas eux-mêmes d'intention et ne vont à leur fin que dirigés par une intelligence qui possède l'intention, comme la flèche quand elle est dirigée par le chas- seur. Il y a donc un être intellif ent qui ordonne la nature et la pousse à sa fin. Nous l'appelons Dieu. »

Telles sont les preuves de saint Thomas (i). Il était difficile, on en conviendra, de condenser en moins de mots plus de force probante. Et n'était la rudesse de ce langage scolastique, auquel il faut être initié pour en saisir toute la portée, et qui déconcerte quelque peu un lecteur moderne, elles mériteraient d'être apprises par cœur. Elles renferment la substance de tout un traité.

1. L'argument des causes finales. Voici com- ment en parle Kant et comment il l'expose. « Le monde, tel qu'il se révèle à nous, présente un théâtre si étendu de diversité, de finalité et de beauté, que tout est im- puissant pour rendre de si nombreuses et si inépuisables merveilles et l'impression qu'elles produisent dans nos âmes. Partout nous voyons un enchaînement d'effets et de causes, de fins et de moyens, une régularité dans la vie et dans la mort. Et comme rien n'est parvenu de soi-même à l'état il se trouve, l'universalité des choses irait s'abîmer dans le néant, si on ne lui donnait pour principe et pour cause une réalité supérieure qui la soutient après l'avoir produite. Cet argument, le plus

i. Sum. theol, I, Q. n, a. 3.

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ancien et le plus clair de tous, mérite toujours d'être rappelé avec respect, et ce serait non seulement nous priver d'une consolation, mais encore vouloir l'impossible que de prétendre enlever quelque chose à son autorité. La raison, incessamment élevée par des arguments si forts, et qui vont toujours se multipliant sous sa main, n'offre plus de prise au doute d'une spéculation stérile et abstraite ; elle s'affranchit de toute irrésolution sophisti- que ; et en présence de la majesté qui éclate dans la structure du monde, de grandeur en grandeur elle s'élève jusqu'à la grandeur absolue. » Kant, Dialectique trans- cendantale. Critique de la raison pure.

« Dans mon système (l'hypothèse de la nébuleuse pri- mitive), je trouve la matière soumise à des lois certaines et nécessaires. Je vois cette matière, décomposée en ses derniers éléments, se façonner successivement et sous l'empire de ces lois naturelles, en un tout admirablement ordonné. Ce n'est point l'effet du hasard, c'est la con- séquence nécessaire des propriétés naturelles de la matière. Et alors n'est-on pas forcé de se demander pourquoi la matière obéit précisément à des lois qui ont pour but une si merveilleuse ordonnance ? Serait-il possi- ble que tant d'éléments, dont chacun a sa nature propre et indépendante, pussent d'eux-mêmes se prêter un concours tel qu'il en sortît un tout bien ordonné ; et s'ils agissent ainsi, n'y a-t-il pas une preuve indéniable de la communauté de leur origine première, qui ne peut être qu'une Intelligence souveraine et toute-puissante, par laquelle les caractères divers des éléments ont été dessinés en vue de leurs combinaisons futures ? La matière, élément primitif de toutes choses, est donc astreinte à des lois déterminées, et, librement abandonnée à ces lois, elle engendre nécessairement d'admirables combinaisons. Elie n'est point libre de s'écarter du plan tracé par son Créateur. Puisqu'elle est ainsi soumise à des vues sou- verainement sages, il faut nécessairement qu'elle ait reçu des propriétés si bien concertées d'une Cause première supérieure. Il existe un Dieu, précisément parce que le chaos lui-même ne peut engendrer que l'ordre de la

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régularité. » Kant, Histoire générale de la nature et théorie da ciel, préf . , traduction de Wolf.

2. Comme l'argument cosmologique, la preuve téléologicjue est renouvelée et confirmée par son un ion avec les autres. . . « Il ne suffit pas d'établir, par un syllogisme, l'harmonie des moyens, la grandeur des fins, et la nécessité d'une cause sage et intelligente pour ordon- ner l'univers et la pensée. La vraie preuve téléologique va plus avant. Elle montre que la sagesse des choses n'est pas dans les choses ; que la sagesse de l'homme n'est pas dans l'homme... Elle ne mesure pas la Cause qu'elle affirme à la taille des effets ; mais en la reconnaissant en eux, elle la met hors d'eux et trouve dans la beauté relative des choses le principe même de toute beauté. Sous sa forme abstraite, voici donc comment cet argument, si riche en aspects variés, s'offre à la réflexion, Ni ma pensée ne peut égaler mon action, ni mon action ne peut égaler ma pensée. Il y a, en moi, des proportions entre la cause efficiente et la cause finale; et pourtant ni l'une ni l'autre ne peuvent être en moi ce qu'elles sont déjà, sans la médiation permanente d'une pensée et d'une action par- faites. Tout ce qu'il y a de beauté et de vie dans les choses, tout ce qu'il y a de lumière et de puissance en l'homme enveloppe, dans son imperfection et son infir- mité même, une perfection souveraine : ainsi va se déter- miner cette triple relation. C'est en nous, c'est dans le réel que nous découvrons, comme en un miroir impar- fait, cette inaccessible perfection. Et pourtant, ni nous ne pouvons nous confondre avec elle, ni nous ne pouvons la confondre avec nous. La force de cette preuve, c'est de prendre son point d'appui dans notre expérience la plus intime. » Blondel, L'Action, Paris, 1893, p. 345-346,

3. Toute la nature montre l'art infini de son au- teur. — « Quand je parle d'un art, je veux dire un assem- blage de moyens choisis tout exprès pour parvenir à une fin précise; c'est un ordre, un arrangement, une industrie, un dessein suivi. Le hasard est, tout au contraire, une cause

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aveugle et nécessaire, qui ne prépare, qui n'arrange, qui ne choisit rien, et qui n'a ni volonté ni intelligence. Or je soutiens que l'univers porte le caractère d'une cause infiniment puissante et industrieuse. Je soutiens que le hasard, c'est-à-dire le concours aveugle et fortuit de cau- ses nécessaires et privées de raison, ne peut avoir formé ce tout. C'est ici qu'il est bon de rappeler les célèbres comparaisons des anciens. Qui croira que l'Iliade d'Ho- mère, ce poème si parfait, n'ait jamais été composé par un effort du génie d'un grand poète, et que les caractères de l'alphabet, ayant été jetés en confusion, un coup du pur hasard, comme un coup de dés, ait rassemblé toutes les lettres, précisément dans l'arrangement nécessaire pour décrire dans des vers pleins d'harmonie et de variété, tant de grands événements pour les placer et les lier si bien tous ensemble, pour peindre chaque objet avec ce qu'il a de plus gracieux, de plus noble et de plus touchant, enfin pour faire parler chaque personne selon son caractère, d'une manière si naïve et si passionnée ? Qu'on raisonne et qu'on subtilise tant qu'on voudra, jamais on ne persuadera à un homme sensé que l'Iliade n'ait point d'autre auteur que le hasard... Pourquoi donc cet homme sensé croirait-il de l'univers, sans doute encore plus merveilleux que l'Iliade, ce que son bon sens ne lui permettra jamais de croire de ce poème ? » Fé- nelon, Traité de l'existence de Dieu, P. i, ch. i.

4. L'unique nécessaire. « En se déployant dans l'univers, la volonté prend plus clairement conscience d'elle-même et de ses exigences : la nature, la science, la conscience, la vie sociale, le domaine métaphysique, le monde moral n'ont été, pour elle, qu'une série de moyens; elle ne peut ni y renoncer ni s'en contenter ; elle s'en sert donc comme de tremplin pour prendre son élan. La preuve de « l'unique nécessaire » emprunte ainsi sa force et sa valeur à l'ordre entier des phénomènes. Sans lui, tout n'est rien, et rien ne peut pas être. Tout ce que nous voulons suppose qu'il est ; tout ce que nous sommes exige qu'il soit. C'est donc de mille façons qu'on peut formuler l'argument tiré de l'universelle contingence. Cet

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unique nécessaire se tient à l'entrée ou au terme de toutes les avenues l'homme peut entrer; au bout de la science et de la curiosité de l'esprit, au bout de la passion sincère et meurtrie, au bout de la souffrance et du dégoût, au bout de la joie et de la reconnaissance, partout, qu'on descende en soi ou qu'on monte aux limites de la spécu- lation métaphysique, le même besoin renaît. Rien de ce qui est connu, possédé, fait, ne se suffit ni ne s'annihile. Impossible de s'y tenir ; impossible d'y renoncer.

« Ainsi compris, l'argument a contingentia a un tout autre caractère, un ressort plus puissant qu'on ne l'a cru d'ordinaire. Au lieu de chercher le nécessaire hors du contingent, comme un terme ultérieur, il le montre dans le contingent même, comme une réalité déjà présente. Au lieu d'en faire un support transcendant mais extérieur, il découvre qu'il est immanent au centre même de ce qui est. Au lieu de prouver simplement l'impossibilité d'affirmer le contingent seul, il prouve l'impossibilité de nier le nécessaire qui le fonde. Au lieu de dire : « Qu'à un moment rien ne soit, éternellement rien ne sera, » il conclut : « Du moment quelque chose a été, éternel- lement l'unique nécessaire est. » Au lieu de s'appuyer sur la fiction d'un idéal nécessaire, il s'appuie sur la nécessité même du réel... Ainsi donc l'ordre entier de la nature nous est forcément un garant de ce qui le dépasse. La nécessité relative du contingent nous révèle la nécessité absolue du nécessaire... Le contingent participe à la nécessité du réel, sans en partager le privilège. Ce qui est existe nécessairement pendant qu'il est, quoique, par nature, il n'ait rien de nécessaire.

a Voilà pourquoi les choses visibles, les sciences humai- nes, les phénomènes de la conscience, les arts et les œuvres, tout en nous et hors de nous exige « l'unique nécessaire. » Et si, pour le porter, ces ombres d'être sont un fondement solide, c'est qu'il en fait lui-même l'invi- sible appui. » Blondel, L'Action, Paris, 1893, p. 343-344.

5. L'argument tiré de l'existence de la loi mo- rale et de la nécessité de sa sanction. « Sans doute, faire le bien et fuir le mal exclusivement par

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crainte du châtiment ou par espoir de la récompense, c'est un sentiment peu noble ; c'est le signe d'une mora- lité inférieure. Mais il est nécessaire qu'aux heures de crise la bête humaine se réveille, quand ses rugisse- ments étouffent le langage de la raison, la crainte de Dieu se dresse comme une barrière entre le mal et nous. Pour dompter un fauve, on oppose à sa fureur une barre de fer rougie au feu. Combien d'hommes portent en eux une bête féroce ou une bête obscène, quelquefois l'une et l'autre ! Alors, aux moments de troubles profonds, la pensée d'un suprême Justicier dompte les révoltes de la chair ou de l'esprit. Et d'ailleurs, si l'ordre moral a été violé, il faut une réparation ; la justice doit avoir son tour, puisque l'injustice a eu le sien. Si l'homme a fait effort pour garder toute la loi, une récompense propor- tionnée lui est due dans la vie future ; ici bas, trop sou- vent elle lui échappe, et du reste un bonheur purement terrestre ne peut balancer la valeur transcendante des actions vertueuses. Supposons un moment qu'un homme, victime volontaire de sa fidélité à la loi morale, n'ait rien à espérer d'un Dieu illusoire pour rétablir l'équilibre entre le bien et le bonheur ; il s'ensuit qu'ayant sacrifié la félicité terrestre, il se trouve le plus malheureux des êtres pour avoir écouté le dictamen de sa conscience et suivi librement l'impulsion de sa nature raisonnable. Il y aurait donc des cas l'infidélité à la loi naturelle serait pru- dence et sagesse. Quelle conclusion ! et qui croira que ce soit le dernier mot de la philosophie ? Son dernier mot, c'est qu'il faut à la morale une sanction rigoureusement exacte, et pour que cette sanction existe, il faut un légis- lateur qui la détermine, un juge qui l'applique, c'est-à- dire il faut un Dieu pour graver la loi naturelle dans notre cœur, pour maintenir ou réparer l'ordre moral, comme il en faut un pour façonner et soutenir l'ordre physique. » Souben, Nouvelle théologie, Paris, 1902, t. 1, p. 54,

LE CATÉCHISME. T. I. ^ * »8

Leçon XII' De Dieu

ï. L'existence de Dieu est une vérité révélée. II. C'est un dogme de foi catholique, III. Y a-t-il des athées ?

I. C'est une vérité révélée

Le Catéchisme romain rappelle le témoignage que Dieu a donné de lui-même dans l'Ecriture ; et cette connaissance ainsi obtenue, il la carac- térise comme une vérité beaucoup plus explicitement formulée que par les philosophes, absolument certaine et à l'abri de toute erreur. Les Pères du concile du Vatican n'ont pas parlé d'une manière différente. Après avoir affirmé, comme nous venons de le voir, le pouvoir naturel qu'a la raison de connaître Dieu, ils ajoutent : « Il a plu néanmoins à la sagesse et à la bonté de Dieu de se révéler lui- même et les éternels décrets de sa volonté, par une autre voie, et cela par une voie surnaturelle. C'est ce que dit l'Apôtre : « Après avoir parlé autrefois à nos pères, à plusieurs reprises et de plusieurs manières, par les prophètes ; pour la dernière fois,

l'existence de dieu : vérité révélée 43&

Dieu nous a parlé de nos jours par son Fils (i). » La révélation constitue donc un autre moyen d'arriver à la connaissance de Dieu. Et ce moyen offre des avantages et des garanties qu'on ne saurait attendre de la raison laissée à elle seule. Les Pères disent en effet : « C'est à cette divine révélation qu'il faut attribuer que les points qui, dans les choses divines, ne sont pas par eux-mêmes inacces- sibles à la raison humaine, puissent aussi être connus de tous, sans difficulté, avec une ferme certitude et à l'exclusion de toute erreur (2). » C'est, en d'autres termes, proclamer l'utilité de la révélation, d'une manière générale pour toutes les vérités de la religion naturelle, mais en particulier pour la première de toutes, pour la connaissance de l'existence de Dieu.

Ainsi donc, grâce à la révélation, tout homme, dans les conditions de la vie présente, peut facile- ment arriver à la connaissance de Dieu, sans retard et sans labeur, avec une ferme certitude et sans mé- lange d'erreur. C'est là, du reste, un fait d'expérience quotidienne. Pour le passé, l'histoire prouve avec surabondance de combien d'erreurs, non seulement dans le peuple mais encore chez les esprits les plus- cultivés, s'enveloppait l'idée de Dieu. Livrée à ses seules forces, la raison se heurte à des difficultés avant d'arriver effectivement à la connaissance de Dieu. Saint Thomas signale trois inconvénients qui résulteraient pour l'homme de l'absence d'un ensei- gnement révélé. C'est que d'abord le nombre serait fort restreint de ceux qui pourraient parvenir à cette connaissance, faute soit d'intelligence suffisante,- soit de loisirs et de goûts, soit de courage ; c'est ensuite que ce petit nombre n'y parviendrait

1. Constitution Dei Filius, c. 11, Si. a. Ibid., c. 11, S a.

Q

6 LE CATÉCHISME ROMAIN

qu'après un temps assez long, la jeunesse ne possé- dant pas le calme et la sagesse requis, la maturité se trouvant aux prises avec des questions d'ordre matériel; et c'est enfin que ceux qui y parviendraient ne sauraient être complètement à l'abri de toute erreur et de tout doute. Ainsi le meilleur moyen d'assurer à chacun une connaissance facile, prompte, certaine et indubitable de Dieu, est-ce la foi. Et cela est vrai non seulement pour ceux qui sont insensibles à une démonstration philosophique ou qui en sont incapables, mais encore pour les esprits plus élevés qui par sont assurés contre toute erreur. « 11 était nécessaire, dit saint Thomas, que l'homme apprit par l'enseignement de la foi, non seulement les choses inaccessibles à la raison natu- relle, mais aussi celles qui peuvent êtres connues par elle ; et cela pour trois motifs. D'abord pour que l'homme arrive plus promptement à la connais- sance de Dieu. En effet, ce n'est qu'en dernier lieu, et après avoir acquis préalablement des connaissan- ces nombreuses, que les hommes peuvent se livrer à l'étude de l'Ecriture sainte, à laquelle il appartient de démontrer l'existence de Dieu et plusieurs autres de ses attributs qui se rattachent à cette première vérité. L'homme, en suivant cette marche, ne par- viendrait donc à connaître Dieu qu'après avoir passé déjà une grande partie de sa vie. En second lieu, pour que la connaissance de Dieu fût plus générale. Combien n'y en a-t-il pas, en effet, qui ne peuvent faire de progrès clans la science, soit par défaut d'intelligence, soit à cause des préoccupations et des nécessités de la vie matérielle, soit parce qu'ils ont peu de désir d'apprendre. Or, tous ceux-là seraient privés de la connaissance de Dieu, s'ils ne la recevaient par l'enseignement divin. En troisième lieu, à cause de la certitude de cette connaissance

l'existence de dieu : vérité révélée 437

même : la raison humaine est si défectueuse quand il s'agit de choses divines I la preuve en est dans les nombreuses erreurs l'investigation ration- nelle sur la nature a conduit les philosophes anciens, et dans les contradictions ils sont tombés. Il a donc fallu, pour avoir de Dieu une connaissance certaine et indubitable, que les hom- mes la trouvassent dans l'enseignement de la foi, manifestée par la parole de Dieu lui-même, qui ne peut tromper (1). »

Ces paroles restent toujours vraies ; et nul doute que si le Docteur angélique vivait dans ce commen- cement du xxe siècle, il ne les eût appuyées sur le témoignage des erreurs et des contradictions de la plupart des philosophes contemporains. C'est grâce à la révélation, en effet, qu'on échappe au désordre, à l'anarchie, au chaos, aux aberrations de l'intel- ligence, pour entrer de plein pied et se reposer en pleine sécurité sur le terrain ferme et harmonieuse- ment ordonné de la foi, terrain d'où la raison est loin d'être exclue, mais au contraire elle est appelée à exercer ses droits dans toute leur plénitude.

L'existence de Dieu, en même temps qu'elle appartient au domaine de la raison, est donc une vérité révélée ; elle peut se lire à chacune des pages de la sainte Ecriture.

La Bible, en effet, est remplie des affirmations que Dieu lui-même donne de son existence, des paroles qu'il prononce, des actes qu'il accomplit, de ses interventions fréquentes dans l'histoire. Il s'y nomme et son nom propre est Iahveh ou Jehovah. Celai qui est ; c'est ainsi qu'il dit à Moïse : « Je suis Celui qui suis. Voici ce que tu diras au fils d'Israël:

1. Sam. theol., ii'ii», Q. n, a. Cf. Cont. Gent., I, iv; QuœsU ie Verit., Q. xiv, a. 10. ,

£38 LE CATÉCHISME ROMAIN

Celui qui est m'a envoyé vers vous (i). » A la der- nière page du saint Livre, il s'appelle « l'alpha el l'oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin, celui qui est, qui était et qui doit venir (2).» D'autres noms sont encore donnés à Dieu : Adonaï, « mon Seigneur» ; El-Shaddaï, « le Tout-puissant : » Elion, le Dieu très-haut. « Sa personnalité ressort de toutes les narrations de style populaire, d'au- dacieux anthropomorphismes sont employés pour caractériser l'acte divin à l'égard des créatures ; un être abstrait ou impersonnel n'ordonne pas, ne défend pas, ne menace pas, n'est pas saisi de dou- leur, ni touché de repentir, ne veille pas sur les hommes, ne leur apparaît pas sous des formes visi- bles. Son caractère moral se manifeste par la sévé* rite dont il use à l'égard des pécheurs, par les récompenses qu'il promet à ceux qui observeront sa Loi ; et cette Loi, c'est sans doute le rituel mo- saïque, mais c'est aussi et avant tout le Décalogue, c'est-à-dire l'énoncé ferme et précis de la loi natu- relle. Ce caractère moral du Dieu de la révélation achève de se dessiner dans les Evangiles ; la notion de paternité divine à l'égard des hommes n'avait pas été inconnue aux Juifs ; mais l'histoire évangé- lique a dégagé cette notion dans toute son intégrité, l'a fait connaître aux Gentils (3). »

La sainte Ecriture, œuvre inspirée de Dieu, mais «'adressant aux hommes, est obligée de recourir à. des expressions anthropomorphiques, à cause de l'imperfection de notre intelligence et de l'infirmité de notre langage ; et il a fallu la naïveté de quel- ques chrétiens (4) ou le manque de bonne foi de

1. Exod., m, i4. 2. Apoc, 1, 8. 3. Souben, Dieu dans l'histoire, Paris, 1902, p. 55. 4- voir notre article Anthropo~ morphites dans le Dict. de théol, t. 1, col. 1370-1872.

l'existence de dieu : vérité révélée ^39

certains esprits pour voir dans l'anthropomor- phisme une doctrine littérale. Ce n'est pourtant pas le cas. Et s'il y est question si souvent des théopha- nies, la tradition n'a pas eu de peine à en dégager la haute portée religieuse. Car, comme le signale Thomassin (1), il découle de l'enseignement des Pères que Dieu n'a pu apparaître sous forme humaine que pour s'accoutumer lui-même en quel- que sorte à l'humanité qu'il devait revêtir un jour : pour apaiser l'impatience de son amour et, tandis que, par un conseil de sa sagesse, ilretardait l'heure de l'Incarnation, il prenait comme un avant goût de ce grand mystère ; pour habituer peu à peu les hommes à l'éclat trop vif de sa divinité et, par la demi-lumière de ses apparitions, fortifier leur regard et le préparer au grand jour ; pour dissiper graduel- lement leur incrédulité (2).

Dieu s'est choisi un peuple pour lui communi- quer ses enseignements progressifs et il n'a cessé de le mettre en contact avec les races diverses dans un dessein très arrêté de sa providence, comme l'a si admirablement montré Bossuet dans son Histoire universelle ; il lui a sans cesse envoyé des prophè- tes, toujours en vue du grand avènement du Messie. Bref, à chaque page, Dieu se montre, parle et agit.

Son existence se manifeste encore par tant d'œuvres surnaturelles, qui constituent de si puis- sants motifs de crédibilité et servent en même temps de preuve à la révélation. Ces œuvres, mani- festement au-dessus des puissances de la nature, impliquent une cause transcendante, surnaturelle, Dieu. Mais certains groupes de ces œuvres merveil-

1. De Incarn. Verbi. I, vi, n. 10, Venise, 1730, p. 3o. a. Cf. De Régnon, Etudes de Théologie positive* 3* série. Etude xiv, Paris 1898, t. 1, p. &4.

44o LE CATÉCHISME ROMAIN

leuses attestent encore mieux, si c'est possible, l'existence de Dieu.

Si l'on considère, en effet, l'histoire du peuple juif, dit Franzelin (i), on voit comment la vie religieuse et politique de toute cette nation reste pendant deux mille ans absolument différente de la religion, de la vie et des mœurs de tous les peuples. Or cette vie si singulière se relie à des faits surna- turels, à des prophéties faites et accomplies, à des théophanies continues qui, depuis la grande appa- rition du Sinaï, s'offrent sans cesse aux regards de toute la nation. Et ce n'est pas seulement par hasard que cette suite de faits surnaturels est liée à cette histoire religieuse et politique, mais au contraire elle en forme le fond et l'élément essentiel, de telle sorte que, sans ces faits surnaturels, la trame de l'histoire du peuple juif ne saurait ni se comprendre, ni s'expliquer.

Et n'est-ce pas une preuve évidente de l'existence de Dieu, que la vie, les œuvres, l'enseignement de Jésus-Christ ? Yie, œuvres et enseignements, inexplicables par les seules ressources humaines, et qui proclament l'action surnaturelle de Dieu. Parmi ces œuvres, que dire de la fondation de l'Eglise, de son existence à travers les siècles, de sa force de résistance à tant d'assauts, de sa marche progres- sive à travers tant de peuples qui occupent tour à tour le premier plan de l'histoire ? Si le divin est quelque part, il est là. Et ce n'est certes pas l'un des moin- dres motifs de crédibilité que ce phénomène vrai- ment déconcertant de la persistance de l'Eglise : à qui sait voir, ce n'est que Dieu qui soutient son Eglise.

Mais, pour le croyant, si le monde de la nature

i. De Deo uno, 3e édit., p. 117-118.

l'existence de dieu : DOGME de foi 44 1

« I '

est un livre admirable se lit, en caractères indélébiles, le nom du Créateur, le monde de la grâce avec son harmonie, son éclat, sa prodigieuse fécondité, avec les perspectives qu'il ouvre devant la foi étonnée et ravie, ne proclame-t-il pas l'exis- tence de l'auteur de l'ordre surnaturel ? Il est donc superflu d'insister.

IL C'est un dogme de foi catholique

Rien d'étonnant, puisque l'existence de Dieu est une vérité révélée, que l'Eglise en ait pu faire un dogme de foi catholique ; et c'est, en effet, ce qu'a proclamé le concile du Vatican une fois de plus. Car tous les symboles, nous l'avons vu, débutent par un acte de foi à l'existence d'un seul Dieu. Mais c'est parce que, dans le dernier siècle, cette vérité capitale était méconnue ou défigurée par certains philosophes et certaines écoles de philosophie, que les Pères du Vatican ont tenu à en faire une pro- fession solennelle de foi.

Nous lisons dans la Constitution Dei Filius : « La sainte Eglise catholique, apostolique, romaine, croit et professe qu'il y a un seul Dieu, vrai et vivant, créateur et seigneur du ciel et de la terre, tout- puissant (i). » Cette profession solennelle de foi en l'existence de Dieu fait de cette vérité révélée un dogme de foi catholique, puisqu'il y est dit que « l'Eglise la croit et la professe. »

Remarquons, toutefois, que les titres donnés à Dieu dans cette profession de foi ne sont pas de foi en vertu de cette profession même, car ils ont été

i. Const. Dei Filius, c. i, § i.

l\l\1 LE CATÉCHISME ROMAIN

déjà définis en d'autres circonstances. Que Dieu soit un et vivant, créateur et seigneur du ciel et de la terret tout-puissant, ces vérités sont déjà acquises par d'autres définitions ; elle servent ici à mieux dis- tinguer le Dieu, dont l'existence est définie, et à préciser la profession de foi par quelques traits dis- tinctifs, tels que ceux qu'on rencontre dans l'Ancien et le Nouveau Testament, l'on oppose aux idoles la notion du Dieu véritable : ce Dieu n'est autre que le Dieu des patriarches, des juifs et des chré- tiens, auteur tout à la fois de la nature et de la grâce. La croyance à l'existence de Dieu est néces- saire de nécessité de moyen pour être sauvé ; mais le concile n'a pas spécifié si l'acte de foi doit s'appliquer à Dieu considéré et comme auteur de l'ordre naturel et comme auteur de l'ordre surna- turel. Quelques thomistes, sous prétexte qu'on ne peut faire un véritable acte de foi à une vérité qu'on s'est démontrée par la raison, soutiennent que la foi en l'existence de Dieu, nécessaire de nécessité de moyen pour le salut, n'est autre que la foi en l'existence de Dieu, considéré comme l'auteur de l'ordre surnaturel (i). C'est peut-être beaucoup trop dire ; mais, quoi qu'il en soit de ce point particulier, à débattre entre théologiens de profession, il con- vient de retenir que l'acte de foi nécessaire de nécessité de moyen pour le salut est au moins l'acte de foi en l'existence de Dieu, considéré comme auteur de l'ordre naturel.

De cette définition du concile du Vatican décou- lent quelques conséquences, dont l'une est d'exclure du corps de l'Eglise quiconque se refuse à admettre l'existence de Dieu, sur l'autorité de la révélation, par suite les athées formels, les matérialistes qui

i. Cf. Vacant, loc. cit., 1. 1, p. 169.

l'existence de dieu : DOGME de foi 443

n'admettent rien en dehors de la matière, les rationalistes qui, repoussant toute révélation, n'ad- mettent l'existence de Dieu qu'à cause des preuves qu'en donne la raison, et certains protestants contemporains qui, par un tour de force comparable à une gageure, estiment pouvoir rester chrétiens sans croire à l'existence de Dieu, si hautement affirmée par Notre Seigneur.

Les matérialistes, cela va de soi, en vertu de leurs propres principes, ne peuvent reconnaître rien en dehors et au dessus de la matière : ils ne vont pas seulement contre la foi, ils sont en révolte contre la raison. Le concile du Vatican les frappe d'ana- thème : « Anathème à qui ne rougirait pas d'affirmer qu'il n'existe rien en dehors de la matière I » Sans être des matérialistes déterminés, les positivistes ofîrent-ils prise à cette condamnation ? Car ils éliminent résolument de leurs recherches l'absolu, sous prétexte qu'il échappe aux prises de l'expé- rience, qu'il ne peut être connu ; ils renoncent par conséquent à la recherche des causes, surtout des causes premières et des causes finales, parce que c'est là, à leur sens, une enquête qui ne put pas aboutir ; c'est dire qu'ils suppriment le problème de l'origine du monde et celui de sa destination, parce que « le travail de la science a eu pour résul- tat de démontrer que nulle part il n'y a place pour l'intervention des dieux d'aucune théologie. » Dieu a donc pu être une hypothèse, utile sinon nécessaire, pendant le premier stage de l'esprit humain, dans Vétat théologique, et même pendant le second, dans létal métaphysique ; mais, dans l'état actuel, dans Vétat positif, c'est une hypothèse démodée, complè- tement inutile : l'homme n'a qu'à prendre congé de Dieu; il s'en passe, il l'ignore, il explique sans lui tout ce qui est explicable. Une telle manière de voir

444 LE CATÉCHISME ROMAIN

est fausse, philosophiquement parlant, et pour bien des raisons que nous n'avons pas à signaler ici ; mais il ne suffit pas qu'elle soit fausse pour que les positivistes soient englobés dans l'anathème que nous venons de rapporter et qui vise d'une façon nette et précise les purs matérialistes.

Des idéalistes exagérés sont tombés dans une autre erreur pareillement condamnable et pareille- ment condamnée. Il y a tant de manières de repousser l'idée de Dieu 1 Les athées, nous verrons tout à Fheure ce qu'il convient d'en penser, la rejettent formellement, explicitement ; certains idéalistes, tout en se défendant de lui porter la moindre atteinte, l'écartent implicitement et en quelque sorte d'une manière subreptice. C'est ce que nous avons vu dans la seconde moitié du dernier siècle. Certains esprits raffinés affichaient pour Dieu un respect profond ; mais, outre le sens ordinaire attaché à ce nom, ils en avaient imaginé un autre tout différent.

Vacherot, par exemple, était très affirmatif en cosmologie et très négatif en théologie. En cosmo- logie, il admettait fort bien l'existence de Dieu ; mais ce Dieu vivant, concret, c'est « l'être universel, infini, sujet et cause de tous les phénomènes dont il paraît n'être que le théâtre, se suffisant à lui- même et n'ayant nul besoin d'un principe hyper- cosmique ; » il se confond avec le monde, ce qui, pour nous, revient à dire qu'il n'est vraiment pas Dieu. En théologie, au contraire, Yacherot admet- tait aussi l'idée d'un Dieu, immuable, immobile, parfait, de celui que la foi du genre humain et le cri de toute conscience religieuse saluent du nom de Dieu ; mais ce Dieu n'existe pas ; ce n'est qu'un être de raison dont la perfection est toute idéale ; ce n'est qu'une idée, qu'une abstraction, parce que

l'existence de dieu : dogme de foi /i/j5

l'existence et la perfection ne marchent pas de pair. Et vouloir que le Dieu parfait de la théologie fût réel, ce serait le mutiler, le faire déchoir de sa perfection. D'où ce dilemme: ou Dieu est parfait, mais alors il n'existe pas, et c'est l'athéisme ; ou Dieu existe, mais alors il n'est pas parfait, il so confond avec le Cosmos, et c'est le panthéisme.

Renan, de son côté, a une théorie quelque peu semblable, sous des formules plus subtiles et plus nuancées. Il rejette l'idée d'un Dieu créateur, d'une Providence intervenant à un degré quelconque dans les affaires de ce monde, il regarde la vraie théolo- gie comme « la science du monde et de l'humanité, aboutissant, comme culte, à la poésie et à l'art, '-et par dessus tout à la morale. » Quant à savoir si Dieu existe, il répond oui et non. Oui, il existe, si on le considère comme la collection des êtres, nature et humanité, qui sont l'objet de la vraie théologie; non, si on le regarde comme l'absolu, l'éternel, l'immuable, sans progrès et sans devenir. Et ainsi le Dieu, dont il affirme la réelle existence, n'est autre chose que le monde, ce qui est du panthéisme ; et le Dieu dont il affirme la perfection, n'est aulre que le résumé de nos besoins suprasensibles, un concept sans objet réel, la « catégorie de l'idéal, » et ceci est de l'athéisme. « Dieu, providence, im- mortalité, autant de bons vieux mots ; un peu lourds peut-être, que la philosophie interprétera dans des sens de plus en plus raffinés, mais qu'elle ne rem- placera jamais avec avantage. Sous une forme ou sous une autre, Dieu sera toujours le résumé de nos besoins suprasensibles, la catégorie de Vidéal (c'est- à-dire, la forme sous laquelle nous concevons l'idéal), comme l'espace et le temps sont les catégories des corps (c'est-à-dire les formes sous lesquelles nous concevons les corps). »

446 LE CATÉCHISME ROMAIN

« m

Cet athéisme subtil et plus ou moins raffiné est condamné, croyons-nous, tout comme l'athéisme brutal et formel, par le concile du Vatican, qui dit « anathème à qui nierait le seul vrai Dieu, créateur et seigneur des choses visibles et invisibles (i). »

Mais, avons-nous dit, la définition du concile du Vatican exclut du corps de l'Eglise certains protes- tants qui en sont arrivés à ne plus croire en Dieu, tout en se disant chrétiens. C'est que, en effet, le protestantisme, suivant fatalement la voie de son évolution, qui est commandée par son principe de libre examen, est en train de toucher au terme dernier, la négation pure et simple de l'existence personnelle de Dieu. Qui voudrait en connaître, non pas la genèse primitive, mais les manifestations les plus récentes, en trouverait l'explication dans l'article Dogmatique, publié par M. le pasteur Bouvier, dans Y Encyclopédie des sciences religieuses, de Lichtem- berger (2) ; il y verrait que la dogmatique protes- tante a subi, au xixe siècle, deux influences, celle de la philosophie de l'absolu et celle de la théologie du sentiment ; que peu à peu elle en est venue non pas seulement à rejeter, comme l'a dit la Constitu- tion Dei Filius, toute foi surnaturelle en Jésus- Christ, mais encore à mettre en doute ce premier principe de la religion naturelle, l'existence d'un Dieu distinct du monde. Et dès lors on ne s'étonne- rait plus de cet état d'individualisme et de sub- jectivisme, dont M. Sabatier, en France, dans son Esquisse d'une philosophie de la religion, et M. Harnack, en Allemagne, dans son Histoire des dogmes et surtout dans son Essence du Christianisme, sont une preuve toute récente. Dans leur pensée et

1. Const. Dei Filius, 1 can. de Deo, can. 1 et 2. 2. T. iv,

p. i4 sq.

Y A-T-IL DES ATHEES 4^7

sous leur plume, Dieu, chassé du domaine de la nature et de celui de l'histoire, n'a guère pour refuge que la conscience humaine. Dans quel état ? Dans un état fort précaire, assurément ; car il finira par ressembler, s'il ne lui ressemble pas déjà, à la catégorie de l'idéal, dont nous venons de parler, ou « à l'activité imparfaite aspirant au parfait, » autant dire à un fantôme de divinité, à un athéisme latent.

III. Y a-t-il des athées ?

Les preuves de l'existence de Dieu sont si nom- breuses, toutes accessibles à la raison, quelques- unes si faciles et si obvies, que la question se pose s'il peut y avoir, s'il y a réellement des athées.

L'athéisme est la négation ou l'ignorance de Dieu. On peut distinguer deux sortes d'athéisme: V athéisme négatif, simple ignorance de Dieu, chez ceux qui n'auraient jamais pensé à lui, ou qui ne se seraient jamais demandé s'il existe ; l'athéisme positif, néga- tion de Dieu. Ce dernier, à son tour, peut se se subdiviser en deux : il est spéculatif ou théorique, chez ceux qui se croient persuadés de la non-exis- tence de Dieu ; il est pratique, chez ceux qui agissent comme si Dieu n'existait pas.

i. Or, qu'il y ait des athées pratiques, c'est-à-dire des êtres humains pensant, parlant, vivant comme s'il n'y avait pas de Dieu, c'est un fait d'expérience: il y en a beaucoup trop et le nombre, avec les mœurs actuelles, ne peut aller, hélas ! qu'en aug- mentant. Combien d'hommes, en effet, qui lais- sent prédominer en eux les bas instincts, qui n'obéissent qu'au gré de leurs intérêts matériels et au caprice de leurs passions, avides de jouir avant tout, immédiatement, le plus possible, qui étouffent

fl/\8 LE CATÉCHISME ROMAIN

la voix de leur conscience, témoin ou juge impor- tun, qui écartent comme un joug intolérable toute loi morale, qui bannissent de leur vie pratique l'idée d'un Dieu rémunérateur et justicier, et qui nient l'existence future et les sanctions d'outre tombe 1 Depuis l'époque Lamennais écrivait son Essai sur l'indifférence, l'impiété n'a cessé de faire des progrès ; elle tend de plus en plus à ramener les âmes en plein paganisme. Et, d'autre part, le rationalisme contemporain a essayé d'ériger en sys- tème une règle de vie, d'où Dieu est délibérément exclu. Plus de dogmes ni de croyances religieuses 1 Ce ne sont que des hypothèses inadmissibles, dont la science fait bon marché, parce qu'elles échappent à tout contrôle scientifique. L'homme est autonome : il doit organiser sa vie scientifique- ment, sans se préoccuper de Dieu, sans rattacher la morale à une théologie ou métaphysique quelcon- ques. C'est la « laïcisation » de la morale, et cette « laïcisation » gagne de proche en proche. L'Etat, sous prétexte de « neutralité, » s'est soustrait à toute idée religieuse. Il efface Dieu de ses lois, de son code, de ses prétoires, de ses constitutions, de ses monu- ments, de ses fêtes, de ses discours, de son ensei- gnement et de ses écoles.

Ajoutez à cela la vogue du matérialisme, tel que Moleschott, Buchner, Cari Vogt et Yirchow l'ont formulé en Allemagne, et vous comprendrez com- ment Buchner a pu écrire dans Science et Nature : « En regard des courants spiritualistes de l'époque, on peut considérer la philosophie positive comme étant athée, matérialiste et sensualiste. Ce que l'on désigne, à l'époque actuelle, sous le nom de Dieu, de Créateur, de Providence, d'Eternel, etc., ne représente, suivant la philosophie positive, que des figures de théologie métaphysique, des artifices de

Y A-T-IL DES ATHÉES 4^9

logique, des hypothèses qui, à l'origine, pouvaient bien être nécessaires. Ce qui doit remplacer le Dieu d'autrefois, c'est actuellement l'humanité ou, à un point de vue général, l'amour de l'humanité. Dits exstinctis, Deoque successif humanitas (i). » Tel est le dernier mot du dogmatisme scientifique, le credo de quelques savants contemporains. Et la doctrine, dans les masses, se traduit par le sensualisme le plus effréné. Que faut-il de plus pour expliquer l'existence des athées pratiques ?

2. Y a-t-il semblablement des athées spéculatifs ? Nous venons d'entendre Buchner, et le doute n'est pas possible en ce qui regarde les matérialistes, qui prétendent expliquer le monde en se passant de l'hypothèse-Dieu. On peut en dire autant pour les partisans du panthéisme qui, bien qu'ils s'en dé- fendent, par leur système incohérent de l'unité absolue, aboutissent ou bien à réduire l'idée de Dieu à une pure abstraction, à une idéal métaphy- sique, à la catégorie de l'idéal, ou bien à sacrifier l'existence des choses visibles en faveur d'une divi- nité vaporeuse, indistincte, sans personnalité. Pan- théisme naturaliste ou panthéisme mystique, peu importe, l'un comme l'autre, passant du domaine philosophique dans l'exploitation littéraire, finissent par vider l'esprit et le cœur de toute idée vraie de Dieu, et acheminent l'homme, sur le chemin du rêve et de la chimère, jusqu'à la négation de Dieu.

Les positivistes n'échappent pas davantage au même reproche. Sans doute, ils raillent l'athée et le déiste comme des esprits non émancipés, théolo- giens dogmatiques à leur manière. L'intelligence a évolué, disent-ils ; elle n'en est plus au stage théo-

i. Wissen und Natur, trad. franc., Paris, 1866, t. I, p. 24.

LE CATÉCHISME. T. I. 39

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logique, ni même au stage métaphysique, elle expliquait l'origine du monde par l'intervention d'agents surnaturels ou de forces abstraites ; elle est au stage scientifique ou positif, et elle doit renoncer de parti pris à chercher une cause introu- vable, inaccessible, inconnaissable, du monde, pour se confiner exclusivement dans le domaine de l'expérience sensible. Gela n'a pas empêché, par une inconséquence assez piquante, Comte lui-même d'essayer à son tour d'établir dogmatiquement une religion, dans laquelle, il est vrai, ne paraissent ni Dieu, ni l'âme.

Mais, au fond, l'athée spéculatif est-il réellement, logiquement, scientifiquement convaincu de la non- existence de Dieu ? Il en est qui l'affirment, et plu- sieurs sur un ton blasphématoire tel qu'ils en de- viennent suspects, et avouent ainsi implicitement leur croyance intime à l'existence d'un Dieu, qui les fait baver de colère. Il en est d'autres, moins exaltés, plus maîtres d'eux-mêmes, plus froids, qui l'affirment sur un ton de sincérité, qu'il serait impertinent de mettre en doute, bien qu'il paraisse impossible que l'homme raisonnable puisse arriver à se faire une telle conviction . On s'explique assez aisément qu'une intelligence, continuellement assail- lie par des doutes, finisse par être victime de leur travail de destruction. Elle lutte parfois, et doulou- reusement, mais parfois aussi elle va à la dérive, se laisse complètement désemparer et glisse dans l'abîme de l'athéisme spéculatif. Mais, manifestement, ce ne peut être qu'une crise passagère, exception- nelle, aiguë. Car, la raison reste la raison, et, à un moment donné, elle peut secouer ses chaînes, repren- dre son élan, revenir à la lumière et se convaincre de son aberration pour adorer le Dieu inconnu. Car, selon l'Ecriture, « l'insensé dit dans son cœur : il

Y A-T-IL DES ATHEES £5l

n'y a pas de Dieu (i). » C'est un langage intéressé ; il vient du cœur et non de l'intelligence.

3. Reste maintenant à savoir si un homme, qui jouit de l'usage de sa raison, qui distingue le bien du mal, qui sait qu'il fait mal quand il enfreint les prescriptions de sa conscience, peut passer sa vie dans l'ignorance totale de Dieu et être de bonne foi. En d'autres termes, y a-t-il des athées négatifs? Il ne s'agit pas, cela va de soi, de l'enfant ou du dément, mais de l'homme sain d'esprit. Sur ce point, la réponse ne saurait être douteuse, si l'on tient compte, et il le faut bien, de l'enseignement de l'Ecriture et de la tradition. Car, d'après cet enseignement, l'ignorance invincible de l'existence de Dieu doit être rangée au rang des chimères.

Saint Paul ne nous apprend-il pas, en effet, que l'ignorance de Dieu, dans laquelle vivaient prati- quement les païens, était déraisonnable et coupable ? Et saint Paul ne répétait il pas renseignement déjà consigné au livre de la Sagesse (2) ? La connaissance de Dieu était donc moralement possible aux païens ; elle l'est encore de nos jours à tout homme raison- nable et de bonne foi. Du reste, d'après saint Paul, la loi naturelle nous est connue par les lumières de la raison. Et Franzelin (3) fait observer que nul ne saurait se croire obligé par la loi naturelle sans avoir, par même, au moins une idée vague de l'existence d'un législateur, qui a droit de comman- der, et auquel l'homme a le devoir d'obéir. Les Pères (4) sont unanimes à regarder comme coupable la méconnaissance de l'existence de Dieu. Leurs témoignages explicites sont trop nombreux pour

1. Psal., lxxvi, 1. 2. Sap., xm. 3. De Deo, thes. m. 4. Voir dans Petau, De Deo, L. 1, ch. 1 et 2, et dans Thomassin, De Deo, Lib. 1, de nombreux textes patristiques.

/j52 LE CATÉCHISME ROMAIN

être rappelés ici. Ajoutons encore que c'est l'opinion des théologiens en grande majorité.

Cela se comprend. Car l'homme raisonnable ne peut point passer toute sa vie sans se sentir poussé, un jour ou l'autre, à se poser la question de savoir ce qu'il est, d'où il vient, il va, s'il y a par delà les phénomènes qui l'entourent autre chose que le néant, un être qui explique l'énigme du monde. La question posée appelle une solution. Et alors, avec son intelligence, il la résoudra, bien ou mal, mais il la résoudra. Ce qui revient à dire qu'un homme sensé et de bonne foi ne saurait vivre dans Y athéisme négatif. C'est un des motifs, dit Vacant, pour quoi il ne saurait y avoir de Jaute parement philosophique, c'est-à-dire de péché qui violerait gravement une loi morale bien connue, et qui ne serait pas en même temps une offense de Dieu. Certains théolo- giens avaient avancé que le péché philosophique peut exister chez ceux qui ignoreraient Dieu ou ne penseraient pas à lui. Mais, le i[\ août 1690, Alexan- dre VIII condamna cette proposition comme scan- daleuse et erronée (1). Cette condamnation implique que quiconque peut commettre une faute grave, est à même de connaître Dieu (2).

1. Causes de doute. « De nos jours, la vérité de l'existence de Dieu a subi une éclipse qui a profondément troublé les consciences. Au premier rang des causes qui l'ont produite, il faut mettre cette myopie intellectuelle qui résulte d'une demi-science vaniteuse, fréquente aux époques d'instruction générale, et aussi cette myopie morale qui frappe les adorateurs de la chair et du veau d'or. Mais peut-être existe-t-il une cause plus profonde qu'il serait injuste d'oublier : Le changement radical qui

1. Denzinger, n. 1157. 2. La Constitution Dei Films, t. 1, p. 329.

Y A-T-IL DES ATHÉES 453

s'est opéré dans la conception de l'univers sous Vinfluence du progrès scientifique.

« La création s'est démesurément agrandie aux yeux de l'intelligence. Les contemporains de Galilée s'effrayèrent d'apprendre que le savant n'avait pu mesurer la distance de la terre aux étoiles, en prenant pour base du triangle le diamètre de l'ellipse de révolution de la terre autour du soleil; cette base immense était donc insignifiante par rapport aux éloignements stellaires. Puis la voie lactée, qui leur avait semblé jusqu'alors un amas de poussière lumineuse, se révélait comme une prodigieuse agglomé- ration d'étoiles. Plus tard, ces mondes, qui avaient reculé dans les lointains de l'espace, furent rejetés hors des étroites limites du temps d'anciens calculs voulaient les enserrer. Tous les vieux cadres éclataient. Les forces physiques se manifestaient dans toute leur puissance aux savants étonnés : pesanteur, électricité, attraction, affi- nité chimique, mouvement et chaleur. A l'idée simple et populaire d'une création instantanée se substituait l'idée complexe d'une création lentement progressive. Jusque effacées, les causes secondes vinrent occuper désormais le devant du tableau ; par la multiplicité et l'énergie de leurs effets sensibles, elles accaparaient l'attention, tandis que l'action de la Cause première, autrefois prédominante, se trouvait ainsi reportée à l'arri ère-plan. 11 était donc conforme à la logique de la faiblesse humaine que la Cause première subît une éclipse. » Souben, Nouvelle Théologie, Paris, 1902, t. 1, p. 44-45.

2. Myopie intellectuelle et morale. « La myopie intellectuelle peut se guérir par des études plus appro- fondies, sincères et loyales. Le mot de Bacon reste tou- jours vrai : « Un peu de science éloigne de Dieu ; beau- coup de science ramène à Dieu. » Qu'on leur fasse comprendre qu'il ne sauraient se croire supérieurs à des savants tels que Leibnitz et Newton, Leverrier et Faye, Cuvier et Albert Gaudry, et qu'on peut reconnaître, sans s'abaisser, le Dieu devant qui de tels hommes se sont abaissés. Leur exemple est pour prouver que la con- ception nouvelle de l'univers ne conduit pas le moins du

454 LE CATÉCHISME ROMAIN

monde à l'athéisme, qu'elle ouvre au contraire des pers- pectives inattendues sur la grandeur, la toute-puissance et la bonté de l'Etre qui a tout créé.

a Si l'athée est atteint de myopie morale, il faut lui faire suivre un traitement différent. Chateaubriand avait vu juste, lorsqu'il écrivait : « Rien ne trouble le compas du géomètre, et tout trouble le cœur du philosophe. » L'existence de Dieu n'est pas une vérité stérile, c'est une vérité féconde dont les contrecoups se font sentir d'une manière parfois redoutable dans notre vie intérieure et morale. On est porté à la nier, non pour elle-même, non à cause des contradictions et des impossibilités internes qu'on y a reconnues, mais à cause des conséquences irrésistibles qui en découlent pour nous-mêmes. On vou- drait bien se persuader que Dieu n'existe pas, parce qu'il est trop gênant pour nous qu'il existe, et comme on croit volontiers ce qu'on désire, on en vient à préférer le sophisme au raisonnement, l'erreur commode à la vérité désagréable. En un mot, la licence de la vie engendre la licence de la pensée, pour se créer une excuse à ses pro- pres yeux, excuse misérable qui aggrave la faute et qui est impuissante à détruire l'immortel objet de sa né- gation, Ici, le vrai remède, c'est le retour à l'observation sérieuse et persévérante delà loi morale. » Ibid., p. 57-58.

3. Perte de la foi pour raisons d'ordre intellec- tuel. — « Il faut tenir compte d'abord de l'atmosphère intellectuelle, des idées courantes et des préoccupations ordinaires, du milieu l'on vit. Quoi d'étonnant qu'un enfant grandisse, vive et meure sans la foi, qui n'a jamais entendu parler de Dieu, de la religion, de l'Eglise, que pour blasphémer, pour en rire, pour en dire du mal ?

« D'autres ont eu la foi dans leur enfance. Mais le pre- mier usage qu'ils font de leur raison et de leur liberté, c'est de tout rejeter avec une légèreté et une présomption inexcusables, sans étude sérieuse, pour des objections futiles, pour ne s'en rapporter qu'à soi, pour faire comme tel ou tel, pour secouer le joug. Ainsi fit Taine à i5 ans. « L'orgueil et l'amour de la liberté m'ont affranchi, » écrivait-il lui-même quelques années plus tard. Eman-

Y A-T-IL DES ATHÉES 455

cipation folle et prématurée, dont beaucoup porteront la peine toute leur vie. Du plus au moins, il y a de cela chez la plupart des jeunes gens qui perdent la foi, depuis Taine jusqu'à Jouffroy ou à Renan.

«Cette présomption se complique, chez un grand nom- bre, d études sérieuses et d'effort intellectuel puissant. On veut juger de tout, sans avoir acquis encore les ma- tériaux suffisants ; on se met en face des objections les plus subtiles, sans avoir l'esprit assez préparé pour voir la valeur de la réponse ; on veut entrer en lutte, et tout seul, sans être encore armé ou exercé... Beaucoup d'hom- mes, grâce en partie aux défauts de la première forma- tion, sont frappés de cette incurable faiblesse en face de l'objection. Ils devraient le savoir et ne pas s'exposer à une lutte inégale. Ils n'en tiennent pas compte : ils s'exposent et ils tombent. L'imprudence et la présomp- tion ne sont pas moins funestes à la foi qu'aux mœurs.

«Il peut arriver que l'esprit même soit faussé, déformé, par une culture trop étroite, trop exclusive. Un tel en viendra à ne plus admettre que la démonstration ma- thématique, et il est clair qu'il ne l'aura pas en matière religieuse et morale.

« Un autre est d'un scepticisme incurable en fait de métaphysique : il ne pourra être logiquement que scepti- que sur Dieu ou sur l'âme.

«Quelquefois on se fait une mauvaise méthode ou une fausse idée de la vraie méthode. Ne vouloir rien admettre dont on n'ait l'idée claire et distincte, c'est s'exposer à rejeter bien des idées précieuses ; car ni l'idée n'atteint tout le réel, ni l'idée claire n'est le seul mode de posséder la vérité. S'arrêter à ne regarder que les difficultés em- pêche de voir la réalité substantielle et solide. Une difficulté insoluble ne peut rien contre une vérité acquise ; mais en s'attardant autour de la difficulté, on peut perdre le sens de la vérité possédée et la sécurité de la possession. Ainsi trop de critique peut éloigner du vrai.

« Il en est qui veulent refaire à eux seuls tout le travail de l'humanité. Ils n'admettent rien sur la parole d'un autre ; ils veulent tout voir par eux-mêmes. C'estts'ex-

456 LE CATÉCHISME ROMAIN

poser à rester pauvre : nous ne pouvons guère être riches que de l'acquis des autres. En voulant se suffire et ne rien devoir qu'à soi on mourra de faim.

« Il en est qui font de tout pure matière d'observation et de critique : dilettantisme intellectuel qui se complait à voir, à étudier, à comprendre ; qui ne cherche pas le vrai, mais le plaisir de la recherche et de l'étude. A ceux- le vrai se dérobe, du moins le vrai qu'il importe d'avoir. La religion est affaire sérieuse.

. « D'autres ont fait leur siège à l'avance. Il est entendu qu'il n'y a pas de miracles. Pourquoi se gêner a décou- vrir une imposture dont on est sûr avant examen ? Il est entendu que la foi ne saurait aller avec la critique et avec la science: à quoi bon examiner les raisons des croyants?

(dl faut tenir compte surtout de notre faiblesse d'esprit, de notre multiple insuffisance, et de notre dépendance nécessaire; tenir compte aussi du développement normal et progressif de notre vie intellectuelle ; en voulant aller seuls, en voulant aller trop vite, en voulant braver les obstacles, en voulant aller par nos voies à nous, nous risquons de nous perdre ou de ne pas arriver. » Bainvel, Nature et Surnaturel, Paris, 1903, p. 332-336.

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Leçon XIII De Dieu

De la nature de Dieu. I. Méthode à suivre, IL Division des attributs. III. De quelques attributs. IV. Enseignement du concile du Vatican : Condamnation du Panthéisme,

I. Méthode à suivre

Dieu est ; mais qu'est-il ? Après la question de son existence, celle de sa nature. Dieu est-il Y inconnaissable , comme le prétendait Spencer? ou, comme le prétendait Littré, est-il « un océan qui vient battre notre rive, mais pour lequel nous n'avons ni barque, ni voile ? » Nullement, et nous allons indiquer brièvement la marche à suivre (i).

Notre raison démontre l'existence de Dieu ; nous savons donc que Dieu est et par même un peu ce qu'il est. Mais cela ne suffit pas à notre légitime curiosité. Nous désirons connaître aussi bien que possible cette cause première, cet être nécessaire, parfait, infini. Malheureusement, d'une part, Dieu nous reste inaccessible en lui-même, nous ne

i. Saint Thomas, Sam. theol., I, Q. m sq. Pour la bibliogra- phie, voir les leçons précédentes.

£58 LE CATÉCHISME ROMAIN

pouvons arriver jusqu'à lui que par les créatures ; et, d'autre part, notre raison est bornée; elle est donc incapable de comprendre Dieu tel qu'il est, d'en avoir une notion adéquate, le fini ne pouvant se flatter d'étreindre l'infini. Lui faut-il donc renon- cer à pénétrer un peu le mystère de la nature divine, tout assurée qu'elle est d'avance de n'en pouvoir soulever tous les voiles ? Loin de là. Dans la mesure des moyens dont elle dispose et des forces qui lui sont propres, elle s'y essaie, et elle y réussit d'autant mieux que sa méthode est plus rigoureuse et plus sagement appliquée. Sa connaissance de Dieu grandit ainsi sans cesse, sans qu'elle puisse jamais épuiser son sujet et le comprendre totalement, car la dis lance qui sépare Dieu de nous est incom- mensurable. Elle atteint du moins quelques résul- tats positifs et certains, et voici comment.

A l'aide de Y analogie, grâce aux données de l'expérience sensible et de l'étude psychologique, elle se sert du principe de causalité, qui lui permet de conclure que Dieu est l'Etre nécessaire, l'Etre par soi, infini et unique ; elle procède par voie d'élimi- nation ou de négation, ce qui lui permet de connaître la simplicité, l'immutabilité, l'éternité et l'immen- sité de Dieu ; et par voie d'affirmation et de sure- minence, ce qui lui permet d'attribuer à Dieu, mais à un degré infini, les perfections des créatures. Par là, elle se forme un concept qui ne peut s'appliquer qu'à l'être infini. Elle nie d'abord de Dieu tout ce qui ressemble à une imperfection, à une limite, comme absolument incompatible avec la nature de l'être parfait ; elle affirme de Dieu toute perfection qu'elle constate dans la créature. Mais ces perfections des créatures sont toujours courtes par quelque endroit, comme les êtres qui les possèdent ; la raison les applique à Dieu d'une manière surémi-

NATURE DE DIEU 45o,

nente, dans toute leur plénitude. Ainsi, par exemple, toute créature est limitée dans sa nature, bornée par le temps et l'espace : la raison nie de Dieu ces limites, ces bornes ; elle le met au-dessus du fini, du temps et de l'espace ; elle le proclame infini, éternel, immense. 11 se rencontre dans les créatures certaines perfections ; il est des êtres qui sont bons, sages, justes : la raison proclame aussitôt Dieu bon, sage, juste, infiniment bon, infiniment sage, infi- niment juste ; elle déclare même qu'il est la bonté, la sagesse, la justice, en gardant toujours devers elle la conviction assurée de ne pas égaler sa pensée et son expression à celui qui en est l'objet, parce que, comme le remarque saint Augustin, Dieu est plus grand que la grandeur, plus beau que la beauté, plus juste que la justice.

Or cette limite de notre connaissance de Dieu, cette impuissance nous sommes de le compren- dre et de l'exprimer, cette impossibilité d'épuiser la notion de l'infini, justement reconnues par la raison, sont un bommage à ce Dieu qui reste, en dépit de tout, absolument ineffable. « Tout peut être dit de Dieu, remarque l'évêque d'Hippone, mais rien n'est dit dignement de Dieu (i). » Et c'est pourquoi, d'après saint Grégoire le Grand, quand il veut parler de Dieu, l'homme, fut-il un génie transcendant, en est réduit à « balbutier (2). »

La raison humaine ne pouvant donc parler de Dieu d'une manière digne de Dieu, essaie du moins d'en parler de la manière la moins indigne de Dieu et la plus digne de l'homme. La marge est large avant que Dieu lui apparaisse, au bout de ses efforts, comme l'être par excellence, l'être dans

1. Inevang.Joan., tract., xm, 5; Patr. lat., t. xxxv, col. i4g5. a. Moral., y, 26.

460 LE CATÉCHISME ROMAIN

la plénitude de la perfection, l'être au-dessus duquel, en dehors duquel et sans lequel rien n'existe ici-bas.

Est-elle assurée du moins de marcher sur un terrain ferme, de ne pas divaguer et d'atteindre des résultats vrais ? Oui, certes. Car elle procède ici comme pour arriver à la connaissance de l'existence de Dieu. Elle part des créatures et applique le prin- cipe de causalité. Elle constate des perfections et elle les attribue à Dieu, comme nous venons de le dire. Ces perfections sont diverses, multiples ; les idées que nous en acquérons sont dans notre esprit comme dans le sujet qui les reçoit, mais elles sont en Dieu comme dans la source qui les rend vraies. Ces idées, légitimes et objectives, ne supposent pas deux concepts différents, mais un seul et même concept qui, appliqué à Dieu, en reste l'expression imparfaite, tandis que, appliqué à la créature, il en est l'expression adéquate, Par suite les noms de ces concepts ne se disent pas de Dieu et de la créature au même titre ; ce qu'ils expriment est épuisé par rapport à la créature ; tandis qu'en Dieu, ce qu'ils expriment les déborde et les dépasse.

Dieu dépassant infiniment la portée de notre intelligence, il nous est impossible, par une seule idée et dans un seul concept, de saisir toute sa perfection. Nous ne pouvons procéder que succes- sivement, fragmentairement, pour détailler cette plénitude de perfection qui est en Dieu ; cette plé- nitude même en est la cause, et aussi l'imperfection de notre raison. Force nous est donc de détailler les perfections que nous trouvons dans les créatures pour les appliquer à Dieu ; chacune l'exprime à sa manière, sous un aspect différent, tout en laissant indivise l'absolue perfection de Dieu ; chacune n'ajoute pas une réalité nouvelle en Dieu, mais seulement en nous. Notre raison raisonnante est

ATTRIBUTS DIVINS 46 I

obligée, pour se rendre compte de la nature de Dieu, d'énumérer divers attributs, de les distinguer les uns des autres, de les étudier, de les approfondir les uns après les autres, mais toujours sans prétendre que ce qu'elle voi't ainsi, d'une manière discursive et par voie d'analyse, soit réellement distinct en Dieu, qui est la simplicité même, et en prenant toujours les expressions anthropomorpbiques de l'Ecriture, qui s'adresse à l'homme en parlant de Dieu, comme une nécessité de s'accommoder à la manière de comprendre et de parler de l'homme.

II. Principales divisions des attributs divins

Sous le bénéfice des observations précédentes, on s'explique comment la raison a étudié les attributs de Dieu et les a divisés.

D'après la manière de les connaître, les uns sont appelés négatifs, les autres positifs. Les attributs négatifs sont ceux dont le concept implique une négation ; les attributs positifs, ceux dont le concept implique une affirmation. Qui dit créature désigne un être créé, dépendant, contingent, composé, fini, changeant, mesuré par le temps et par l'es- pace, etc. La négation de ces imperfections constitue un attribut négatif. Et c'est ainsi que l'on dit de Dieu qu'il est incréé, indépendant, nécessaire, sim- ple, infini, immuable, immense, éternel, etc. La forme étymologique de ces termes ne doit pas don- ner le change, c'est leur sens qui importe, et quel- ques-uns, en effet, ont une forme positive, mais ils sont la négation d'une imperfection. D'autre part, affirmant de Dieu les perfections que nous trouvons

462 LE CATÉCHISME ROMAIN

dans les créatures, nous disons qu'il est être, subs- tance, vie, vérité, intelligence, volonté, puissance : ce sont des attributs positifs.

D'après V analogie, qui existe entre certaines per- fections de Dieu et celles dos créatures, on dit des attributs divins que les uns sont communicables, les autres incommunicables . Les premiers sont en Dieu à l'état absolu, et dans les créatures à l'état relatif, participé ; ce sont les attributs positifs déjà signalés. Les autres restent la propriété exclusive de Dieu ; ce sont les attributs négatifs.

Parmi les perfections divines, les unes ne suppo- sent aucun rapport entre Dieu et d'autres êtres ; ce sont les attributs absolus ; les autres, au contraire, supposent un rapport entre Dieu et des êtres exté- rieurs à Dieu ; ce sont les attributs relatifs.

Il existe encore d'autres divisions : nous ne nous y arrêterons pas, nous contentant de signaler, à la suite de saint Tbomas (i), les principaux attributs relatifs à la substance de Dieu ; ce sont : la simpli- cité, la perfection et la boni, l'infinité et l'ubiquité, l'immutabilité, l'éternité, l'unité.

III. De quelques attributs de Dieu

i. La simplicité. Dieu est simple, plus simple que la pensée, que l'âme, que l'ange. Il écbappe à toute composition soit physique, soit métaphysique, soit logique. On entend par composition physique l'union de parties substantielles réellement distinc- tes ; par composition métaphysique, celle de la puissance et de l'acte, de l'essence et de l'existence, de l'essence et des attributs, du sujet et des accidents ; par composition logique, l'union dans un être d'élé-

i. Sam. theol., I, Q. m-xi.

DIEU EST SIMPLE 463

ments qui lui sont communs avec d'autres êtres du même genre et d'éléments qui lui sont propres ; c'est la composition du genre et de la différence spécifique.

En Dieu, pas de composition matérielle : il est un esprit ; pas de composition de matière et de forme : il est un pur esprit ; pas de composition de puissance et d'acte : il est tout en acte, un acte pur ; pas de composition logique : il n'entre dans aucun genre, dans aucune espèce ; pas de composition d'essence et d'existence : il est son essence, son existence, sa vie. En Dieu l'être, la substance, l'essence et l'existence ne sont qu'une seule et même chose. Dieu, c'est la simplicité souveraine, la sim- plicité absolue. Et de même qu'il est sans composi- tion d'aucune sorte, il n'entre dans la composition d'aucune créature, bien que pourtant la créature ne puisse être que par lui. Il est l'être de l'être, l'être des êtres, non par son essence, qui est incommuni- cable, mais par la cause exemplaire qu'il en a et par la cause efficiente qui les produit.

2. La perfection. Un être étant plus ou moins parfait selon qu'il est plus ou moins en acte, il s'ensuit que Dieu, qui est le premier principe actif, la première cause efficiente, toujours et totalement en acte, un acte pur, est absolument parfait : il possède la perfection absolue, toutes les perfections de tous les êtres, dune manière suréminente, et toute la perfection de l'être. A ce titre, la bonté lui convient excellemment.

D'autre part, tandis que les créatures sont limitées par le nombre, par l'espace, par la durée, et sont sujettes au changement, Dieu ne saurait ni avoir ces limites ni subir ces changements : de les attributs suivants. Point de limites en lui, quant

46 4 LE CATÉCHISME ROMAIN

aux nombres : étant l'être subsistant en soi, il est Vinflni. Point de limites clans l'espace : il domine l'espace, il est' immense. Point de limites dans la durée : il domine le temps, il est éternel. Pas le moindre changement : il est immuable. Et ce Dieu d'une simplicité si absolue, d'une perfection si com- plète, à la fois infini, immense, éternel, immuable, est unique, est un, il est l'unique, Vun par excellence. Mais qu'est-ce à dire ? La raison est opprimée par tant de majesté ; elle ne peut que balbutier, et même, aidée par la foi, elle se heurte de tous côtés à d'in- sondables mystères.

3. L'immensité. Par son immensité, Dieu domine l'espace. Il est partout, en tous lieux, non pas qu'il les occupe à la manière des corps qui excluent la présence des autres corps, puisqu'il est simple, non qu'il y remplisse le rôle de l'âme dans le corps, ceci serait du panthéisme ; mais parce qu'il fait que l'espace est ce qu'il est, parce qu'il lui donne la capacité de contenir des êtres et parce que tous les êtres qui l'occupent, c'est lui qui les a faits. Il est présent à toute créature et clans toute créature, non comme partie de son essence ou l'un de ses accidents, mais comme la cause est présente à son effet, comme l'agent est présent à son œuvre. En tout et partout par sa puissance, rien n'échappe à son pouvoir, depuis les infiniment petits qui s'abritent sous un brin d'herbe ou de mousse ou s'agitent dans une goutte de rosée jusqu'aux sphères géantes qui gravitent dans l'espace. En tout et partout par sa présence, rien n'est soustrait ou caché à ses yeux, le fond des cœurs, le secret des conscien- ces, tout comme l'abîme insondable du firmament étoile. En tout et partout par son essence, tout ce qui est, tout ce qui vit, tout ce qui pense a sa raison

DIEU EST ÉTERNEL 465

d'être, de vivre et de penser dans cette cause efficiente souveraine.

Rappelons-nous le passage du psalmiste, déjà cité par le Catéchisme romain :

« irai-je devant votre esprit ? Oàfuirai-je devant votre face?.,. »

Ajoutons-y celui de Job (i) :

« // est plus haut que le ciel. Que feras-tu? Plus profond que le scheol : doù le connaîtras-tu? Sa mesure est plus longue que la terre, Elle est plus large que la mer. »

Et celui-ci de saint Paul : « Le Seigneur est bien près de nous, puisque c'est en lui que nous trouvons Vêtre, le mouvement et la vie (2). » L'homme, par la pensée, peut franchir les espaces en un clin d'œil, mais il reste localisé ; Dieu, au contraire, les remplit sans être localisé. Mystère? Oui, sans doute. Si l'explication nous échappe, nous en voyons du moins la nécessité.

[\. L'éternité. De même qu'il domine l'espace Dieu domine le temps. Il n'a ni commencement ni fin ; il n'est pas mesuré par la durée. Rien de suc- cessif en lui ; tout est actuel dans son essence ; toul ce qui s'y trouve s'y est toujours trouvé, s'y trou- vera toujours. Point de passé ni d'avenir en Dieu, mais un présent toujours le même. Passé, futur, formules nécessaires pour notre usage, car nous sommes des êtres successifs et changeants, dont les sourires et les tristesses, les joies et les larmes s'écoulent sans cesse dans un passé qui n'est plus,

1. Job, xi, 8. 2. Ad. xx, 27-28.

LB CATÉCHISME. T. I. 30

466 LE CATÉCHISME ROMAIN

dont les espérances et les craintes, chimériques ou fondées, se perdent dans un avenir qui n'est pas encore, mais formules absolument impropres et inapplicables, dès qu'il s'agit de Dieu, et dont pourtant il faut bien que nous usions, puisque nous parlons de Dieu en créatures, et dont la Bible elle- même est obligée de se servir pour se faire entendre en parlant de Dieu à des hommes. L'Ecriture du moins prend soin de nous avertir à maintes reprises que Dieu est éternel.

« Avant la création des montagnes,

La formation de la terre et de V univers,

Vous êtes, Seigneur, et vous serez toujours.,.

Mille années sont devant vos yeux

Comme la journée d'hier déjà passée,

Comme la veille d'une nuit (i). »

« Au commencement, vous avez fondé la terre,

Et les deux sont l'ouvrage de vos mains.

Ils passeront et vous durerez;

Ils s'useront tous comme un vêtement,

Et vous les changerez comme on change un habit,

Et ils passeront ; mais vous restez le même

Et les années ne vous manqueront pas (2). »

On a dit du temps qu'il était « l'image mobile de l'immobile éternité. » Mais qu'est-ce que l'éter- nité ? Impossible de le comprendre et de l'expliquer. Dire que c'est un jour sans matin ni soir, un présent immuable sans succession ; la définir avec Boèce : « la possession entière, simultanée et parfaite d'une vie sans terme (3), » ce n'est pas en donner une idée adéquate ; et le mystère reste toujours de savoir comment Dieu la possède. Saint Augustin, saint

1. Psaî.t lxxxix, a, &. 2. Psal., ci, 26 sq. 3. Cons., ni, 2.

DIEU EST IMMUABLE 46 7

Anselme, saint Thomas déclaraient le problème difficile à résoudre : on peut les en croire. L'homme, mesuré par le temps, tâche bien de rendre présent le passé, qui n'est plus, par le souvenir, et devance l'avenir, qui n'est pas encore, par la prévision, et c'est à peine s'il jouit d'un moment présent fort précaire en vérité, tant il est prompt à se transformer en passé, tant il est vite remplacé par le moment qui suit. En Dieu, rien de semblable : l'éternel est son nom.

5. L'immutabilité. Dieu est enfin au dessus de tout changement. Parce qu'il est un acte pm\ il ne peut point passer de la puissance à l'acte ; parce qu'il est absolument simple, il exclut toute espèce de composition, comme nous l'avons vu; parce qu'il est infiniment parfait, il ne peut rien perdre, rien gagner. Donc, en lui, ni contingence, ni possibilité de changement, comme dans les êtres contingents et changeants. Il ne change ni dans sa nature, ni dans sa volonté. « Dieu n'est pas comme V homme qui ment, ou comme le fils de l'homme qui change (i). » « Je suis le Seigneur, dit-il, et je ne change pas (2). » « Vous restez toujours le même, Seigneur (3). » « Nombreuses sont les pensées de l'homme, mais la volonté de Dieu est permanente (4). » « En Dieu point de changement ni d'ombre de vicissi- tudes (5). »

Que de fois pourtant la Bible nous montre Dieu pardonnant après avoir menacé ou puni, exau- çant la prière après avoir refusé de l'entendre ! Mais ce changement n'est pas en Dieu, il est en* nous. C'est nous qui sommes pardonnes, après avoir

1. Num.f xxiii, 19. a. Malach., ni, 6. 3. Psal., ci, 27.. *— 4- Prov., xix, 21. 5. Jac, 1, 17.

468 LE CATÉCHISME ROMAIN

mérité ou subi le châtiment ; c'est nous qui som- mes exaucés, après avoir mal prié ; et l'Ecriture, ici comme toujours, ne fait que parler notre lan- gage pour se mettre à notre portée, et montre le Dieu immuable s'accommodant à notre manière d'être.

Voilà donc quelques attributs de Dieu, et telle est, grâce à eux, la notion que nous pouvons nous faire de la nature divine. Mais cette notion est loin d'avoir épuisé le sujet ; et fût-elle encore plus complète, elle ne nous donnerait pas pour cela une idée adé- quate de Dieu. Elle nous permet du moins de savoir quelque chose de vrai sur l'être infini, que notre intelligence est toujours incapable de comprendre dans toute sa réalité vivante ; du même coup elle permet de nommer Dieu d'une manière approxima tive, c'est-à-dire de lui donner des noms qui n'expri- ment pas, il est vrai, adéquatement son essence infiniment parfaite, mais qui répondent aussi bien que possible à notre manière limitée de la con- naître.

6. Les noms de Dieu. De tels noms, quand ils ont un sens négatif, comme infini, immense, éternel, immuable, ou quand ils impliquent une idée de relations des créatures avec Dieu, comme créateur, seigneur, n'expriment pas la substance di- vine; mais quand ils ont un sens affirmatifet absolu, comme bon, sage, vivant, ils la désignent, ils en sont les vrais attributs, quoique toujours d'une ma- nière imparfaite, puisque ils dépendent de la ma- nière imparfaite dont nous connaissons Dieu. Or, parmi les noms que nous donnons à Dieu, tous ne sont pas de pures métaphores ; quelques-uns dési- gnent à n'en pas douter les propriétés de l'essence divine, et bien qu'empruntés aux perfections des

LES NOMS DE DIEU 469

créatures, ils s'appliquent beaucoup mieux à Dieu qu'aux êtres créés. Et ces noms propres de Dieu, quoique se rapportant à un seul et même être, qui est la simplicité absolue, n'offrent pas cependant une synonymie complète, rigoureuse. Ils renferment des significations multiples, différentes les unes des autres, parce que les perfections, d'où la raison les lire, sont diverses dans les créatures ; mais cette di- versité de signification n'est que dans notre esprit, et nullement en Dieu (i).

Dans quel sens les mêmes noms peuvent-ils donc si dire de Dieu et des créatures ? Ne parle-ton pas, en effet, de la sagesse de l'homme, de la sagesse de Dieu ? Quelques explications sont nécessaires. Les choses sont désignées d'une manière univoque quand, sous ces mêmes noms, elles ont la même essence. Ainsi le mot homme se dit univoquement de Pierre et de Paul, parce que Pierre et Paul possèdent la même nature humaine. Elles sont désignées d'une manière équivoque lorsque, sous un même nom, elles ont une nature différente. Ainsi le mot lion se dit d'une manière équivoque du roi des animaux et du signe du zodiaque. Elles sont, enfin désiguées d'une manière analogue lorsque, sous le même nom, elles ont des ressemblances accidentelles, des analogies.

Cela dit, il est évident que les mêmes noms don- nés à Dieu et aux créatures ne peuvent avoir un sens univoque, puisque la nature de Dieu diffère de celle des créatures. Ils ne peuvent pas davantage avoir un sens purement équivoque, parce que si la nature de l'être souverain et celle de l'être contin- gent diffèrent essentiellement, elles offrent du moins certains traits de ressemblance. Ces noms ne peu-

1. Sam. theol., I, Q. xni.

47° LE CATÉCHISME ROMAIN

« '

vent donc s'employer que dans un sens analogue, qu'il importe de préciser. Car il y a deux sortes d'analogie, l'une qui n'éveille qu'une simple idée de rapprochement, par exemple, entre la cause et son signe, l'autre qui indique au contraire un rap- port déterminé de cause et d'effet, et c'est de cette dernière analogie qu'il est question ici. Les termes analogues n'expriment pas la même idée comme les univoques, ni une idée totalement différente comme les équivoques, mais sous des significations diver- ses un véritable rapport. Or, le rapport d'analo- gie qui existe entre Dieu et les créatures est préci- sément celui de la cause et de l'effet. Par suite, quand on emploie les mêmes noms pour parler de Dieu et des créatures, c'est par analogie : dans les créatures, ils servent à désigner l'effet ; en Dieu, ils indiquent la cause de cet effet.

Or, parmi les termes dont on se sert pour dési- gner la cause première, est le nom universellement connu de Dieu. Celui-ci, dans son sens propre, ne convient qu'à l'être absolu, il est donc incommuni- cable ; mais, dans un sens restreint, il peut être parfois appliqué aux créatures par analogie. Le nom propre par excellence de Dieu est le nom ré- véré entre tous, le tétragramme sacré de la Bible : Iahveh, ou Jéhovah, celai qui est. Ce nom-là exprime d'abord l'être même ; il a une signification plus .générale que tout autre ; c'est « l'être tout entier, l'océan sans bornes et sans rivages de la substance, » comme dit saint Jean Damascène (i) ; et il signifie l'être toujours actuel, toujours présent, sens qui convient admirablement à Dieu, puisqu'en Dieu il n'y a ni passé ni futur.

i. Defid. orth , i, ia.

DIEU EST INCOMPRÉHENSIBLE fa*]!

IV. Enseignement du concile du Vatican

Le concile du Vatican, placé en face des erreurs modernes, s'est appliqué à les combattre et à les condamner directement. Aussi, sur la question de savoir ce qu'est Dieu en lui-même, tout en restant l'écho fidèle du symbole de saint Athanase (i) et du ive concile de Latran (i2i5) (2), a-t-il expressément voulu, par un choix déterminé, opposer l'enseigne- ment catholique aux erreurs des derniers siècles. €'est pourquoi de tous les attributs de Dieu n'a-t-il retenu, ce qui n'est pas pour exclure les autres, que l'éternité, l'immensité, l'incompréhensibilité et l'infinité en intelligence, en volonté et en toute per- fection. Voici comment il s'exprime : « La sainte Eglise catholique, apostolique, romaine, croit et professe qu'il y a un seul Dieu vrai et vivant, créa- teur et seigneur du ciel et de la terre, tout puissant, éternel, immense, incompréhensible, infini en intelli- gence, en volonté et en toute perfection (3). »

Ayant déjà parlé de l'éternité et de l'immensité, nous n'y reviendrons pas ; nous traiterons seule- ment des autres attributs.

1. Incompréhensibilité. Dieu est incom- préhensible, déclare le concile du Vatican dans cette profession de foi. Qu'entendre par là? Car les mots latins et français, bien qu'identiques quant à la forme, ont un sens différent. En français, les mots comprendre, incompréhensible, n'ont pas un sens

1. Denzinger, n. i36. a. Ibid., n. 355. & Const. Dei Filius, c. 1, S

472 LE CATÉCHISME ROMAIN

- *

correspondant aux mots latins comprehendere, incom- prehensibilis. Comprendre signifie, pour nous, se rendre compte d'une chose, en avoir l'intelligence, et répond ainsi au sens du verbe latin intelligere ; incompréhensible signifie une chose dont on ne peut pas se rendre compte, dont on ne peut pas avoir l'intelligence. En latin, comprehendere exprime la prise de possession, la possession d'un objet ; c'est ainsi que la possession de la béatitude est une comprehensio . Mais appliqué à l'intelligence, ce terme signifie connaître parfaite- ment. Or connaître parfaitement une chose, c'est la connaître autant qu'elle est connaissable. Dieu seul peut se comprendre ainsi et avoir de lui-même une connaissance absolument adéquate. Mais vis-à-vis de la créature raisonnable, même surélevée par la grâce, même jouissant de la vision béatifique, Dieu reste incomprehensibilis , incompréhensible, au sens des conciles de Latran et du Vatican. La créature le connaît par la raison, par la foi ici-bas, par la vision au ciel, mais toujours d'une manière créée, jamais d'une manière compréhensive . Elle ne peut donc comprendre Dieu au sens théologique du mot comprendre ; c'est-à-dire elle ne peut pas connaî- tre Dieu autant que Dieu est connaissable. La vision intuitive elle-même, qui est pour la créature le mode le plus parfait de connaissance de Dieu, donne bien une véritable connaissance de l'essence divine, mais pas la connaissance parfaite et com- préhensive que Dieu a de lui-même ; car elle ne lui fait pas connaître tout ce que Dieu y voit (1).

1. Les théologiens discutent pour savoir quelle est la raison fondamentale des limites de la vision intuitive, vision qui n'a ni l'étendue ni l'intensité de la compréhension que Dieu a de lui-même. Cf. Franzelin, De Deo, th. xviu ; Gasajoana, De Dtot 77-85.

DIEU EST DISTINCT DU MONDE 473

2. Infini en intelligence, en volonté, en toute perfection. Trois déterminatifs du mot infini ; ils n'ont pas été choisis sans motif, et chacun d'eux porte contre les erreurs visées par le concile.

Dieu est dit infini en intelligence et en volonté. Pourquoi ? Pour condamner explicitement le pan- théisme matérialiste, d'après lequel la divinité n'est qu'une nécessité aveugle, impersonnelle, une loi fatale, sans intelligence ni volonté.

Infini en perfection. Pourquoi ? Parce que, en Dieu, nous l'avons dit plus haut, la perfection ne peut être relative, elle est absolue. Mais le concile a mis : en toute perfection, au singulier. Serait-ce qu'en Dieu, l'être absolument simple, les perfections seraient réellement multiples, diverses, distinctes, chose que nous avons déjà déclarée impossible ? Nullement. Mais, définissant pour des hommes, le concile a s'accommoder à la manière humaine de concevoir, de comprendre et d'exprimer Dieu. De plus, en déclarant Dieu infini en intelligence, en volonté et en toute perfection, on écarte le sens ancien du mot infini, chose inachevée ou incomplètement déterminée, et le sens de Hegel qui n'y voyait qu'un être idéal, collection de toutes les perfections possibles, mais toujours en formation ou en train de se réaliser.

3. Dieu distinct du monde. Pour ne donner lieu à aucune méprise, le concile poursuit ses précisions dogmatiques en ces termes : « Ce Dieu éternel, immense, incompréhensible et infini, étant une substance spirituelle unique par nature, tout à fait simple et immuable, doit être déclaré distinct du monde en réalité et par son essence (i). » Encore un choix

l. Const. Dei Filius, c. I, S i.

k^k LE CATÉCHISME ROMAIN

d'expressions en vue du panthéisme qui confond Dieu avec le mpnde. Déjà réprouvé par le iv° concile de Latran, plutôt comme une folie que comme une hérésie, le panthéisme n'en avait pas moins reparu dans les siècles suivants. Sous ses métamorphoses incessantes, variant au gré des esprits audacieux I qui ont cherché à le réduire en système, le pan- I théisme repose sur cette erreur capitale, que Dieu ^ et le monde sont con substantiels, soit qu'on absorbe Dieu dans le monde, soit qu'on fasse de Dieu le sujet unique de tous les phénomènes. De plus il aboutit fatalement à des conséquences désastreuses et immorales qui révoltent la conscience, le bon sens, et détruisent de fond en comble toute moralité.

Déjà, au xvne siècle, le juif Spinoza (f 1677) avait fait reposer le panthéisme sur un axiome, d'appa- rence vraie, et sur une définition absolument fausse de la substance. L'axiome était ainsi formulé : « Tout ce qui est et tout ce qui peut être conçu comme existant, se ramène à Tune des trois catégories de substance, d'attribut ou de mode. » Cet axiome serait vrai si les termes qu'il emploie gardaient leur accep- tion ordinaire. Mais il n'en est pas ainsi. Car, pour Spinoza, la substance est ce qui est en soi et est conçu par sol, c'est-à-dire, ce dont le concept peut être formé sans avoir besoin du concept d'une autre chose. Au sens ordinaire du mot substance, Spinoza ajoute l'idée d'être conçu par soi, qui n'est applicable qu'à Dieu ; grâce à ce subterfuge, il est en droit de rayer de la catégorie des substances et de reléguer dans celle des attributs ou des modes tout ce qui n'est pas Dieu ; il proclame l'unité absolue de subs- tance, ce qui ouvre la porte au panthéisme. Mais le subterfuge doit être signalé, et il faut refuser à Spi- noza le droit de supprimer les substances, entendues au sens ordinaire. Ce point de départ étant faux,

DIEU EST DISTINCT DU MONDE ^5

tout son édifice croule en dépit de la rigueur géomé- trique dont il a su l'envelopper.

Au xvme siècle, Kant, par la rigueur de sa Critique de la raison pure, avait créé le subjeciivisme et interdit à l'esprit humain le droit de pénétrer dans Fabsolu ; l'absolu, il est possible qu'on le conçoive, disait-il, mais il est impossible de savoir s'il existe.

Fichte (f i8i4), sans sortir du subjectif, résolut de créer l'absolu, de créer Dieu, rien qu'avec son moi. En disant je suis moi, on prend conscience de soi ; or, en disant je suis, le moi « se pose, » c'est- à-dire se crée, est cause de lui-même, c'est l'absolu, l'infini. Mais, en même temps qu'il se « pose, » il « s'oppose, » c'est-à-dire qu'en même temps qu'il se connaît comme actif, il se connaît comme passif, comme limité, comme déterminé par le non-moi, ou par les choses extérieures ; et par le moi crée le monde tout comme il s'est créé lui-même. Donc, pas de Dieu, et c'est l'athéisme ; ou bien, au fond, c'est l'homme qui est Dieu, et c'est de l'anthropolâ- trie ou du panthéisme subjectif.

Son disciple Schelling (y i854) allait servir d'inter- médiaire entre lui et Hegel. Il part comme Fichte du moi absolu, mais il admet que la nature est quel- que chose de plus qu'une simple création du moit une réalité objective ; réalité qui s'ajoute à la réalité subjective comme une manière différente de consi- dérer les objets, mais qui n'empêche pas la réalité d'être unique et de constituer l'absolu. Or cet absolu n'est pas le parfait ; ce n'est qu'un germe, indéter- miné et inconscient, capable de se développer, de se réaliser ; et il se réalise, soit dans le monde d'une manière inconsciente, soit dans l'homme il prend conscience de lui-même, par un progrès indéfini dans l'histoire de la civilisation. S'il est la principe, tel que nous venons de le dire, il est aussi

4 7 6 LE CATÉCHISME ROMAIN

la fin, l'idéal toujours poursuivi, jamais atteint, toujours en train de se faire, à travers le temps et l'espace, dans le monde et l'humanité, par la nature et l'humanité. Cette théorie est du panthéisme, si l'on veut, mais c'est aussi de l'athéisme.

Hegel (f i83i) a précisé la méthode du panthéisme idéaliste et il a formulé la théorie du processus ou progrès, dont Schelling n'avait qu'affirmé l'existence. La contradiction étant à la base et faisant le fond du système, Hegel, par un audacieux défi au bon sens et à la raison, a proclamé le principe de V identité des contradictoires, dont voici la formule à couleur scientifique. Dans la nature, toute chose traverse trois phases successives : le moment d'enveloppe- ment ou de la chose en soi, c'est la thèse ; le moment la chose sort de soi, en se niant elle-même, c'est Yantithèse ; le moment elle se replie sur elle-même et ramène à l'unité les deux premiers moments, c'est la synthèse. En partant donc de cette idée fondamen- tale que tout ce qui est est un développement de l'absolu, on a dans cette triple formule : affirmation, négation, conciliation, la loi même de la vie (i). L'absolu, c'est l'idée ; l'idée, en se développant, acquiert la conscience d'elle-même, c'est l'esprit ; et l'absolu, c'est Dieu. Mais Dieu est identique au néant, puisque, d'après le principe fondamental posé au début du système, les contradictoires sont identiques.

Telle est la systématisation du panthéisme au xviii* et au xixe siècles. On ne saurait aller au delà. Malheureusement le panthéisme ne s'est pas con- tenté de faire des victimes en Allemagne ; il en a fait aussi en France ; et nous signalions plus haut, dans les doctrines de Yacherot et de Renan, des

i. De Margerie, Théodicée, t. n, p. i36 sq.

DIEU EST DISTINCT DU MONDE ^77

«

infiltrations caractéristiques des théories panthéis- tiques.

L'Eglise, gardienne de la vérité, n'a pas pu laisser, sans protester, de telles doctrines ravager les âmes. Pie IX, dans son allocution Maxima quidem du 9 juin 1862 (1), avait condamné le panthéisme. A son tour, le concile du Vatican a repris la question pour formuler, sur ce point, aussi nettement que possible, la foi catholique. De le choix si judicieux, des termes pour couper court à toute échappatoire.

Qu'enseigne, en effet, le concile?

Le panthéisme regarde Dieu comme une substance immanente au monde, et la seule, puisque toute chose finie et contingente n'est qu'un accident de cette substance ; ou bien encore il regarde Dieu comme Vâme du monde. Et le concile dit : pas de substance unique. Dieu et le monde ne forment pas un com- posé substantiel, Dieu jouerait le rôle de forme ou de principe vital. Quelle que soit la substance du monde, et il y en a une très certainement, elle ne saurait être ni la substance de Dieu, ni un mode accidentel de cette substance divine. C'est pourquoi le concile caractérise la substance de Dieu, en l'appelant spirituelle par opposition avec la substance du monde et les substances des êtres composés. Mais cela ne suffît pas ; car, en dehors de Dieu, il existe d'autres substances spirituelles comme celle des anges ; le concile précise donc en disant que la substance divine spirituelle est unique par nature, tout à fait simple et immuable. Or, nous avons vu ce qu'il faut entendre par ces attributs d'unité, de simplicité et d'immutabilité ; appartenant en propre à Dieu, selon la déclaration du concile, il faut que

1. Cette condamnation devint la première proposition du Syllabus ; Denzinger, n. i548.

k^S LE CATÉCHISME ROMAIN

^ ^— ^— ^— »

Dieu se distingue de toute substance spirituelle autre que lui. Et pour couper court à toute équivo- que, le concile a soin d'ajouter que cette substance spirituelle de Dieu, unique par nature, tout à fait simple et immuable, n'est pas immanente, mais transcendante, car Dieu doit être déclaré distinct du monde en idéalité et par son essence. Enfin, pour compléter son enseignement dogmatique sur la nature de Dieu, il termine par un dernier trait : Dieu, dit-il, est « bienheureux en lui-même et par lui-même, et élevé indiciblement au-dessus de tout ce qui est et peut se concevoir en dehors de lui (i). »

A cette exposition doctrinale s'ajoute, sous forme d'anathèmes, la condamnation des systèmes pan- théistiques, dont nous venons de parler. Qu'on en remarque la propriété et la précision des termes. Sont condamnés et le panthéisme substantiel, celui qui conçoit Dieu et le monde comme consubstan- tiels ; et le panthéisme essentiel de Schelling, celui qui fait du moi et du non-moi, de l'esprit et de la matière, du fini et de Finfini, du réel et de l'idéal, la réalisation progressive d'une seule et même essence ; et le panthéisme de Vêtre universel de Hegel.

Canon 3 : « Anathème à qui dirait que la subs- tance ou l'essence de Dieu et de toutes choses est une et la même. »

Canon 4 : « Anathème à qui dirait que les choses finies, soit corporelles, soit spirituelles, ou que du moins les spirituelles sont émanées de la substance divine ;

« Ou que l'essence divine, par la manifestation ou l'évolution d'elle-même, devient toutes choses ;

« Ou enfin que Dieu est l'être universel et indéfini qui, en se déterminant, constitue l'ensemble des

i. Const. Dei Filius, c. i, S i.

DIEU EST DISTINCT DU MONDE [\ 79

choses et leur distinction en genres, en espèces et en individus (i). »

1. Le Positivisme et l'idée de Dieu. L'idée, la notion de Dieu, sa nature ont été singulièrement défigu- rées en France pendant le xixe siècle, soit par l'école positiviste, soit par la critique idéaliste : elles aboutissent au panthéisme ou à l'athéisme. Sans vouloir en raconter toutes les phases, il semble utile d'en dire quelque chose, ne serait-ce que pour montrer jusqu'où peut aller, chez les intelligences les plus hautes et les plus cultivées, la décroissance de la foi philosophique et religieuse.

Le positivisme, emprisonné par sa méthode, renonce non seulement à définir Dieu mais encore à se poser la moindre question sur son existence ou sa nature. La méthode positive, en effet, condamne absolument toute recherche concernant les principes, parce qu'elle ne peut aboutir ; elle bannit de ses études, comme inaccessibles à l'expérience, aussi bien les causes finales que les causes premières ; elle supprime le problème de l'origine et de la distinction du monde ; elle se passe de l'hypothèse Dieu. Réduite aux phénomènes sensibles, elle s'y appli- que exclusivement et se contente d'expliquer ce qui est par un mécanisme aveugle et inconscient, ou par un proces- sus immanent à la matière, nécessaire et fatal, mais d'une prodigieuse habileté pour profiter des moindres cir- constances, pour s'adapter aux divers milieux, pour choisir les meilleurs moyens dans le but d'atteindre une fin déterminée. Et ainsi positivistes, évolutionistes, se passent de Dieu comme d'une hypothèse inutile, ou réconduisent, « en le remerciant de ses services provisoi- res, » comme disait Auguste Comte. Finalement, c'est l'agnosticisme érigé en système. Herbert Spencer proclama l'existence de Y Inconnaissable, mais le déclara inacces- sible à notre raison. C'est donc comme si Dieu n'existait pas, c'est-à-dire de l'athéisme pratique.

Mais, comme malgré tout, l'esprit humain tient essen-

1. Const. Dei Filas, c. 1, can. 3 et 4.

48o LE CATECHISME ROMAIN

tiellement à se rendre compte des choses, l'obligation s'est Imposée d'expliquer le monde sans l'intervention exté- rieure d'un Dieu créateur, organisateur et providence. Et l'on s'y est essayé, non sans efforts ni sans peines, mais à coup d'hypothèses plus déconcertantes les unes que les autres. La genèse du monde à s'expliquer par le monde lui-même, par une action incessante, qui, peu à peu et avec le temps, ne cesse d'évoluer, de se détermi- ner, de progresser. L'être s'élève ainsi, par une métamor- phose lente et inconsciente, du pur mécanisme des origi- nes jusqu'à la région sereine de l'idéal. De forme en forme, de règne en règne, de la matière primitive, en passant par l'état de minéral, puis de végétal, puis d'animal, il arrive à prendre conscience de lui-même dans l'être intel- ligent qu'est l'homme. Parti depuis longtemps, et tou- jours en marche, il est loin encore d'être arrivé à son dernier terme. Et comme il n'y a que cet être qui existe, toujours en train de se faire, de prendre conscience de lui- même, c'est en somme du pur panthéisme. D'un côté comme de l'autre, le positivisme est condamné.

2. Le Dieu de l'Idéalisme. Vacherot, au siècle dernier, imagina la théorie du Dieu réel, mais imparfait, et du Dieu idéal, mais non existant. Il aboutissait à ce résultat par trois propositions qu'il liait étroitement l'une à l'autre. Dieu, disait-il, est l'être pur ; et en cela il avait raison, caries théologiens proclament son absolue simpli- cité et le définissent un acte pur. Or, ajoutait-il, l'être pur c'est l'être indéterminé ; et il appliquait ici le faux principe de Spinoza, que toute détermination est une négation et une limitation. Donc, concluait-il, l'être indé- terminé c'est l'être non réel, Dieu ; conclusion fausse.

« La première conception théologique, dit Garo en résumant la théorie de Vacherot (i), est celle de l'être, de l'Etre en soi, un, parce qu'il est tout ; infini, parce qu'il est sans borne dans le temps et l'espace ; absolu, parce qu'il n'a besoin d'aucune condition, soit pour exister, soit

i. Garo, L'idée de Dieu, 5e édit. , Paris, 1873, p. 225-226.

LE DIEU DE L'IDÉALISME /j8l

pour agir ; nécessaire, parce qu'il est tel que son essence implique son existence ; universel, parce qu'il comprend la totalité des phénomènes. Cette conception, nous la tirons, par une opposition forcée des notions empiriques de phénomène, de multiplicité, de relation, de contin- gence, d'individualité. Dieu, à ce premier degré, ou ce premier Dieu de la métaphysique, est la synthèse, l'unité rationnelle de ces conceptions de l'Etre en soi, de l'Infini, de l'Universel. Toute détermination empirique répugne à son essence. Ame ou corps, esprit ou nature, personne ou chose, nul être individuel, si grand, si pur, si parfait qu'il soit, ne peut contenir sa réalité infinie. Il n'est aucune des réalités finies, mais il les contient toutes, non pas en puissance seulement, mais en acte. En ce sens il est Esprit, mais comme il est Nature. Il est intelligence et volonté, mais comme il est instinct et nécessité. La loi de sa relation au monde n'est pas celle de cause à effet.

Il n'y a pas de relation de ce genre-là il y a identité substantielle des deux termes. Son vrai nom est la Vie universelle. C'est en lui et par lui que tout se meut, existe et vit, non dans le sens plus ou moins figuré saint Paul le dit, mais dans un sens exact et littéral. L'Etre infini n'est pas seulement réel, il est tout le réel ; il est le Dieu vivant (i).

Or, cet Etre universel, envisagé dans sa réalité, c'est le monde ou le cosmos ; envisagé dans son idée, c'est Dieu. Sous le premier aspect, c'est-à-dire dans son existence à travers le temps et l'espace, Dieu vit réellement, mais il est imparfait. Pour être parfait, il doit nécessairement passer à l'état idéal, mais alors sa divinité parfaite lui coûte la réalité : il n'existe pas.

La réalité, en effet, et la vérité on perfection s'opposent : ce sont des termes contradictoires. La réalité est vivante, concrète, déterminée ; la vérité, c'est l'idée pure, la per- fection absolue. La réalité peut aspirer à la vérité, mais ne l'atteindra pas ; la vérité, en tout cas, ne peut tomber dans la réalité. L'essence s'oppose à l'existence ; celle-ci

i. Vacherot, La métaphysique et la science, i" édit., Paris» t. ii, p. 5oo, 537.

LE CATÉCHISMB. T. I. )X

482 LE CATÉCHISME ROMAIN

se développe dans la réalité des phénomènes, des formes, à travers le temps ,et l'espace, dans la nature et l'histoire, tandis que l'essence n'a son siège que dans la pensée pure. Essence, type, vérité, idée pure, idéal suprême, perfection, ce sont les vrais noms de Dieu. Mais si Dieu est conçu comme réel, il ne les mérite plus. Il faut donc choisir entre l'Infini réel et vivant, qui n'est pas parfait, ou l'Etre parfait qui n'est pas vivant.

C'est l'être pariait que choisit Vacherot. « C'est le Dieu abstrait de la pensée pure, en dehors du temps, de- l'espace, du mouvement, de la vie, de toutes les condi- tions de la réalité. C'est le Dieu que, dans leur élan de- spéculation, Platon, Plotin, Maleb ranch e, Fénelon pour- suivent en vain comme un être réel ; le Dieu dont l'acti- vité est sans mouvement, la pensée sans développement, la volonté sans choix, l'éternité sans durée, l'immensité sans étendue. Ce Dieu-là qu'une philosophie contempo- raine nous représente relégué sur le trône désert de son éternité silencieuse et vide, n'a pas d'autre trône que l'esprit, ni d'autre réalité que l'idée (i) ».

Ainsi, dans le système de Vacherot, deux sciences, la théologie et la cosmologie, ont le même objet, mais elles l'envisagent à deux points de vue différents ; la théologie étudie le Dieu idéal, mais non existant ; la cosmologie étudie le Dieu réel, mais non parfait ; la théologie est une cosmologie idéale ; la cosmologie, une théologie posi- tive. Leur objet, c'est Dieu, vu par l'une dans son état de perfection, vu par l'autre dans son existence réelle. Dieu est l'idée du monde ; le monde est la réalité de Dieu (2). Point d'autre démonstration que cette incessante opposi- tion entre sa forme concrète et le type, l'existence et l'essence, la réalité et la vérité, et toujours même conclu- sion : Dieu parfait n'est pas un être vivant; autrement dit, il n'existe pas, ce qui est de l'athéisme.

Mais Vacherot tenait à ne point passer pour athée. Aux accusations d'athéisme, il répondait par des professions de foi, dont quelques-unes sont fort éloquentes, mais qui

1. Vacherot, lac, cit., t. u, p. 5oo, 53g. a. Ibid., p. 5oi» $98,

LE DIEU DE L'IDÉALISME 4 83

s'adressaient au Dieu abstrait. Quant à son Dieu réel, il devenait l'occasion d'une accusation de panthéisme, à laquelle il lui était impossible d'échapper. Nous ne pou- vons que la signaler. M. Caro écrivait (i) : « Je suis obligé de convenir que je vois le panthéisme sortir de chaque point de celte doctrine. Que la conscience de M. "Vacherot ne soit pas panthéiste, je l'accorde de grand cœur ; mais que son système ne le soit pas, c'est ce que toute la subtilité du monde ne pourrait obtenir. Ce carac- tère du système de M. Vacherot est si évident pour ceux qui ont ouvert son livre, que toute démonstration leur semblera inutile. »

Déjà, en i85i, à la fin de la publication de son Histoire de l école d'Alexandrie, Vacherot, alors directeur de l'Ecole normale supérieure, s'était attiré de la part de Gratry, aumônier de l'Ecole, l'accusation formelle d'a- théisme : « Vous n'avez pas l'athéisme dans le cœur, lui disait l'aumônier ; mais votre philosophie, c'est l'athéis- me, inévitable résultat de votre méthode, la sophistique. Votre doctrine, c'est l'athéisme. Qu'on me comprenne. Je ne dis pas le panthéisme, mais je dis l'athéisme (2). »

3. L'idée de Dieu dans Renan. Renan a eu deux conceptions de Dieu dans sa vie, l'une au début, comme cela ressort de ses Etudes d'histoire religieuse, l'autre à la fin. Pour la première, c'est un symbole, le symbole des nobles instincts de l'âme ; pour la seconde, c'est l'Infini vague, l'Absolu de Hegel, en train de se réaliser dans la nature et dans l'humanité, servant à la fois de substance et de trame aux choses. Examinons-les l'une après l'autre, d'un trait rapide.

Le Dieu subjectif. Renan partage l'humanité en deux portions : les parties simples et les parties cultivées. Aux simples, qui ne sont pas arrivés à la vie réfléchie et qui sont frappés d'une sorte d'incapacité scientifique, con- vient et appartient la religion; aux cultivés, qui sont gens de réflexion et de savoir, revient la culture propre

1. Vidée de Dieu, p. 261 . 2. Gratry, Etude sar la sophis* tique contemporaine, Parif , i85i, p. 52-53, i3o-i3i, 224.

484 LE CATÉCHISME ROMAIN

de la science et de l'art. Or, la religion est d'origine humaine, mais dans sa partie simple. Voici comment. Renan nie que le miracle ou le surnaturel pénètre dans la trame de l'histoire ou de la vie humaine, et par suite donne à entendre que tout, dans le monde moral comme dans le monde physique, s'explique naturellement. Car toute religion est l'œuvre spontanée de la conscience ; et spontanéité, sous la plume de Renan, est synonyme d'ignorance. Or, la spontanéité se manifeste soit par la crédulité timide, qui crée la légende, c'est-à-dire un mélange de réel et d'idéal, soit par Yhallu- cinaiion, qui crée le mythe, c'est-à-dire une pure fic- tion. Par le mythe, la spontanéité a créé les religions de l'antiquité ; par la légende, elle a créé le christianisme. Vient la réflexion, la culture, le savoir, et les fantômes du mythe ou de la légende disparaissent et la religion disparaît avec eux pour laisser place à l'art. C'est la con- clusion dernière et suprême des Etudes d'histoire reli- gieuse.

L'influence de Kant se fait sentir ici. Renan conçoit Dieu comme l'auteur de la Critique de la raison pure: c'est quelque chose de subjectif, sans réalité objective. Ainsi que le résume Caro, l'homme fait Dieu. L'homme crée Dieu en pensant. Il appelle de ce nom sublime le mobile secret et intérieur de toutes ses grandes aspira- tions. Dieu, c'est pour lui le type le plus élevé de la science, de l'art. C'est le vrai qu'il conçoit, c'est le beau qu'il imagine. C'est tout cela, mais ce n'est pas un être. C'est t@ut cela, mais ce n'est pas une réalité distincte de ce que nous pensons ; c'est l'esprit de l'homme réfléchi dans ce qu'il u a de plus grand ; c'est le cœur de l'homme réfléchi dans ce qu'il y a de plus pur. C'est toujours l'esprit et le cœur de l'homme. C'est toujours l'homme(i). Renan a dit, en effet, que l'humanité « ne se trompe pas sur l'objet même de son culte : ce qu'elle adore est réel- lement adorable ; car ce qu'elle adore dans les caractères qu'elle a idéalisés, c'est la bonté et la beauté qu'elle y a unies. » « Les symboles ne signifient que ce qu'on leur

i. Caro, L'idée de Dieu, p. 63.

LE DIEU DE L'IDÉALISME ^85

ordonne de signifier ; l'homme fait la sainteté de ce qu'il croit comme la beauté de ce qu'il aime (i). » Pour l'homme réfléchi, Dieu c'est la catégorie de Vidêal. « Le mot Dieu étant en possession des respects de l'humanité, ce mot ayant pour lui-même une longue prescription, et ayant été employé dans les belles poésies, ce serait ren- verser toutes les habitudes du langage que de l'aban- donner. Dites aux simples de vivre d'aspiration à la vérité, à la beauté, à la bonté morale, ces mots n'auraient pour eux aucun sens. Dites-leur d'aimer Dieu, de ne pas offenser Dieu, il vous comprendront à merveille. Dieu, Providence, immortalité, autant de bons vieux mots, un peu lourds peut-être, que la philosophie interprétera dans des sens de plus en plus raffinés, mais qu'elle ne rem- placera jamais avec avantage. Sous une forme ou sous une autre, Dieu sera toujours le résumé de nos besoins supra-sensibles, la catégorie de l'idéal, c'est-à-dire la forme sous laquelle nous concevons l'idéal, comme l'espace et le temps sont les catégories des corps, c'est-à- dire les formes sous lesquelles nous concevons les corps (2). »

Tel est le Dieu subjectif de Renan, la catégorie de l'idéal, une pure forme de la raison. Et par suite le sen- timent religieux se confond ici avec l'émotion esthétique. C'est un Dieu qui n'habite plus le ciel, mais seulement les hautes régions de l'esprit, objet intime et immanent du culte que lui offre le cœur ; c'est un Dieu, dont le nom et dont le culte ne parviennent pas à masquer l'athéisme subtil.

Le Dieu devenir. Renan, à ses débuts, a écarté le pro- duit de la spontanéité, du aux parties simples de l'huma- nité, en faveur de la réflexion, du savoir et de l'art, et a abouti à un Dieu abstrait tel qu'on peut dire qu'il n'existe pas réellement. Plus tard, écartant de même les résultats de la théodicée expérimentale, parce que ni la nature ni l'histoire ne prouvent Dieu, ainsi que les affirmations de la théodicée spéculative, parce que l'abstraction est aussi

1. Renan, Ekides d'histoire religieuse, préf., p. 334- 2. Ibid., p. 419.

486 LE CATÉCHISME ROMAIN

inefficace à prouver Dieu que l'expérience, Renan s'est jeté dans le mysticisme. « Dieu, disait-il, est le produit de la conscience, non de la science et de la métaphysique. Ce n'est pas la raison, c'est le sentiment qui détermine Dieu. » Voilà un Dieu à la taille de l'homme et au niveau de son esprit, un Dieu que chacun se fait à sa guise.

Quel sera ce Dieu ? et est-il autre chose qu'un nom ? Henan répudie toutes les formules des systèmes mé- taphysiques ; comme Vacherot, il reprend à son compte, à. la suite d'Hamilton, l'axiome de Spinoza que toute dé- termination est une négation, pour rejeter toute idée de Dieu religieuse ou philosophique, par le seul fait qu'elle fausse l'idée de Dieu, en le déterminant. Il se gardera donc, par respect, de limiter Dieu par une formule quel- conque, il préférera garder le silence ou il se contentera de dire simplement que Dieu est, sans rien impliquer de positif dans cette affirmation vague.

Mais Renan sait se contredire. Et voilà pourquoi on retrouve sous sa plume des formules hégéliennes. « La vraie théologie, dit-il, est la science du monde et de l'humanité, science de l'universel devenir, aboutissant comme culte à la poésie et à l'art, et par-dessus tout à la morale. » « Dans la nature et dans l'histoire, je vois bien mieux le divin que dans les formules abstraites d'une théodicée artificielle et d'une ontologie sans rap- port avec les faits. L'absolu de la justice et de la raison .ne se manifeste que dans l'humanité : envisagé hors de l'humanité, cet absolu n'est qu'une abstraction; envisagé dans l'humanité, il est une réalité. Et ne dites pas que la forme qu'il revêt entre les mains de l'homme le souille et l'abaisse. Non, non ; l'infini n'existe que quand il revêt une forme finie. » Voilà bien des contradictions, et des contradictions formelles avec ce que Renan prétendait ; il subit maintenant, malgré ses protestations, l'influence de Hegel.

Tout à l'heure, sous l'influence de Kant, il disait que Dieu est la catégorie de l'idéal, par horreur pour la méta- physique. Spinoza et Hamilton lui inspirent l'horreur des formules qui chercheraient à déterminer Dieu. Hegel enfin

LE DIEU DE L'IDÉALISME ^87

l'introduit dans la théorie du devenir. Et Renan écrit, dans l'Avenir des sciences naturelles, cette phrase suggestive, à propos du développement du monde depuis l'atome jusqu'à l'homme : « Dieu alors sera complet, si l'on fait du mot Dieu le synonyme de la totale expérience ; en ce sens, Dieu sera plutôt qu'il n'est : il est infieri, il est en voie de se faire. » Mais Dieu est plus que le total de l'ex- périence, il est encore l'absolu. Et voilà deux Dieu, l'un éternel et immobile, l'autre en voie de se faire ; mais le: premier ressemble à celui de Vacherot et il n'existe pas ; quant au second, c'est celui de Hegel, et il implique le panthéisme.

« Sur les traces de Hegel, dit Caro, comme sur les tra- ces de Kant, c'est toujours le divin, sa foi au divin, que nous rencontrons à la place de Dieu et de la foi en Dieu. Le divin n'est probablement pas un Etre, mais c'est assu- rément ce qu'il y a de plus noble et de plus élevé dans tous les êtres. Le rechercher, le contempler partout il a laissé sa trace et son reflet, dans les formes et les cou- leurs de la beauté physique, dans la pensée et dans l'ac- tion, dans le génie et l'héroïsme, dans les inspirations de la science et de l'art, dans la grandeur morale surtout, la plus divine de toutes les grandeurs, voilà ce qui donne du prix à la vie et ce qui doit consoler l'humanité de perdre son Dieu (1). » a Que la poésie, que l'art, que la morale nous désintéressent de nous-mêmes et nous arrachent aux pensées vulgaires ; qu'il y ait une affinité naturelle entre tous les grands instincts de la nature humaine, et que toute émotion noble, portée à son plus haut degré, s'achève et s'absorbe dans le sentiment de l'infini, qui songerait à le nier ? Mais tout cela n'est pas la religion. L'objet de l'art, c'est le beau, l'objet de la morale, c'est le bien ; l'art et la morale aboutissent au culte de l'idéal qui ne se confond pas avec la religion. Ou la religion n'est rien par soi et fait double emploi avec la morale et l'art, ou il faut bien reconnaître qu'elle a son objet propre, par lequel elle se définit, en vue duquel elle existe, et qui n'est, ne peut être que Dieu, non pas ce Dieu vague et

1. Caro, L'idée de Dieu, p. 83.

àS8

LE CATECHISME ROMAIN

abstrait, résumé des idées de la raison, ni même cet infini des hégéliens qui s'engendre et se révèle dans le monde, mais un' Dieu qui soit la plus haute et la plus sainte des réalités au lieu d'être la négation ironique ou sentimentale de Dieu (i). »

i. L'idée de Dieu, p. 85-86. Cf. de Margerie, Théodicée, 39 édit., Paris, i874, t. i, p. 393-4oi ; t. h, p. i59-2a3 ; Farges, Vidée de Dieu, Paris, 1894, p. 409-442.

Leçon XIV De Dieu

I. Science de Dieu. II. Volonté de Dieu. III. Difficultés.

près avoir étudié l'être divin dans sa nature, nous devons l'étudier dans ses opérations : les unes sont immanentes, comme V intelli- gence et la volonté ; les autres se manifestent au dehors et sont le principe de ses actes extérieurs, comme la toute-puissance (i).

Pour arriver à la connaissance de ces nouveaux attributs, le procédé rationnel ne varie pas. Par A^oie d'analogie, la raison attribue à Dieu ce qu'elle trouve de meilleur dans la meilleure des créatures, l'intelligence, la volonté, le pouvoir. Par voie de négation, elle écarte de cette intelligence, de cette volonté, de ce pouvoir, tout ce qui implique une imperfection, un défaut, une limite, dans la créa- ture. Et enfin, par application de principe de suréminence, elle leur attribue tout ce qu'elle peut concevoir de plus parfait.

i. Saint Thomas, Sam. iheol., I, Q. xiv-xix ; de Margerie, Thêodicée, 3*édit., Paris, 1876, t. 1, 283-335; Farges, Vidée de Dieu, Paris, 1894, p. 346-399.

^9° LE CATÉCHISME ROMAIN

I. Science de Dieu

i. Ses caractères. La raison humaine con- naît, comprend, sait bien des choses, mais son objet est limité. La science qu'elle possède, elle ne parvient à l'acquérir qu'en passant successivement d'un objet à un autre, ou d'une manière discursive en tirant des conclusions des principes qu'elle con- naît. En tout état de cause, elle reste fort impar- faite.

En Dieu, il n'en saurait aller de même. Dieu est intelligent: il connaît, il comprend, il sait. Mais étant le premier en tout ordre, il est l'intelligence suprême, il possède la connaissance parfaite, il a une science infinie, l'omniscience ; il connaît tout, il comprend tout, il sait tout. « 0 profondeur, disait saint Paul, des trésors de la sagesse et de la scinnce de Dieu ! »

On. comprend qu'en Dieu, la science soit à son plus haut degré de perfection ; car la connaissance est en raison directe de l'immatérialité. Les plantes ne connaissent pas, parce qu'elles sont matière ; les sens connaissent, parce qu'ils reçoivent des objets les espèces sensibles, sans la matière; l'in- telligence connaît, parce qu'elle reçoit les espèces intelligibles et qu'elle se distingue de la matière, tout en y étant impliquée. Mais Dieu, étant sou- verainement simple, a par même une connais- sance et une science aussi parfaites que possible.

La science, dans l'homme, constitue une habi- tude, une qualité ; en Dieu, elle s'identifie avec son essence, elle est un acte pur. Dans l'homme, elle est multiple, divisée ; en Dieu, une et simple. Dans l'homme, elle est successive ou discursive ; en Dieu, pas de succession ni de raisonnement : il

LA SCIENCE DE DIEU [\ 91

voit tout, d'un seul regard, dans son essence. L'homme a besoin des sens et des facultés ; Dieu, n'étant pas en puissance mais en acte, n'a besoin d'aucun intermédiaire : l'intelligence, l'intelligible, les idées ne font en lui qu'une seule et même chose. A ces différences dans le mode de connaissance s'ajoutent d'autres différences dans l'objet de la science.

2. Son Objet. i°. Le premier objet de la connaissance de Dieu c'est Dieu lui-même ; il se connaît. La science, en effet, est la connaissance des êtres dans leur cause ; or le premier principe, la cause première, c'est Dieu. Dieu est donc souve- rainement intelligible. Et étant souverainement intelligent, il se connaît lui-même, directement, immédiatement, par un acte de simple vision : il se voit tel qu'il est, il voit tout ce qu'il fait. De plus il se connaît autant qu'il est connaissable, infini- ment, c'est-à-dire qu'il se comprend ou que la con- naissance qu'il a de lui-même va jusqu'à la com- préhension totale et adéquate de lui-même, sans qu'il puisse y avoir rien de lui-même qu'il ne con- naisse. En lui, à raison de sa merveilleuse simpli- cité, intelligible et intelligence, vérité connue et savoir ne sont qu'une seule et même chose, qui est sa propre essence.

20. Dieu connaît toutes choses. Dieu, se connais- sant et se comprenant adéquatement, connaît sa propre vertu et tout ce à quoi elle s'étend. Or sa ; vertu s'étend à tout ce qui est, et puisqu'il en est j la cause efficiente, il connaît tout ce qui est. Mais les choses qui sont, c'est en lui-même qu'il les con- naît, parce que son essence contient leur image. H les connaît non seulement d'une manière générale, mais encore séparément d'une manière distincte, et

[\Ç)1 LE CATÉCHISME ROMAIN

dans ce qu'elles ont de commun par l'être, et dans ce qui les distingue les unes des autres, dans leurs essences et dans l'actualisation de leurs essences. Il les voit toutes en même temps, d'un seul regard, sans succession, sans raisonnement. Il les connaît toutes dans leur individualité propre ; car sa science égale sa causalité, et sa causalité s'étend à chaque être en particulier, « II atteint jusqu'à la division de l'âme et de V esprit ; il discerne les pensées et les mouvements des cœurs, et aucune créature n'est invisible à ses yeux (i). » « // est grand, le Seigneur, et il regarde les choses les plus humbles (2) ».

3°. Dieu connaît les choses possibles. Dieu, en effet, ne connaît pas seulement ce qui est en acte, mais encore tout ce qui est en puissance par lui ou par ses créatures ; car, outre les choses qui sont, son essence infinie représente celles qui peuvent être, et dans leurs principes généraux, et dans leurs principes particuliers. Il connaît donc tous les possibles, quel qu'en soit le nombre, par un seul acte égal à cette possibilité infinie d'imiter son essence divine.

4°. Dieu connaît les futurs contingents. Il ne les connaît pas seulement dans leurs causes, mais encore dans leur réalisation, dans leur existence contingente et future. Ils ont beau se succéder dans le temps, Dieu est au-dessus de la durée, il les con- naît simultanément. Car tout ce qui s'agite dans le temps est éternellement présent à Dieu, non seule- ment parce que Dieu a présentes en lui-même les raisons des choses, mais encore parce que son regard embrasse dans les siècles tous les êtres futurs, comme existant devant lui, comme consti- tués dans leur existence actuelle, bien qu'ils soient

1. Hebr., iv, 12. a. Psal., cxxxvii, 6.

LA SCIENCE DE DIEU /jg3

futurs relativement aux causes qui doivent les actuer.

Dieu connaît les futurs libres. Ces futurs libres préexistent bien dans leurs causes, mais à l'état vague et indéterminé ; car un futur libre n'est qu'un effet possible que la cause peut à son gré produire ou ne pas produire : il n'y a point de lien nécessaire entre une cause libre et son effet libre. Par suite la connaissance de la cause libre ne sau- rait donner de l'effet libre qu'une connaissance conjecturale, qui ne saurait convenir à Dieu. Expli- quer la prescience divine par la connaissance parfaite que Dieu a de la liberté humaine en général ou de la liberté de chaque homme en particulier, serait précisément réduire la science de Dieu à une science conjecturale. C'est pourquoi les thomistes purs écartent cette solution. Ils placent la science de Dieu des futurs libres dans la connaissance de la cause première ou du décret divin, qui détermine les futurs libres. Mais, dans ce cas, une telle pré- détermination de la part de Dieu ne rend-elle pas nécessaires les futurs libres ? Et alors que devient la liberté ? C'est une grave difficulté qui se compli- que, ainsi que nous le verrons à la fin de cette leçon, d'une autre non moins grave difficulté, celle des rapports du concours divin avec la liberté.

La plupart des thomistes parlent, à propos des futurs libres, de vision actuelle plutôt que de pré- vision. En Dieu, en effet, il n'y a qu'un présent éternel. Si donc, de toute éternité, il voit comme actuels les futurs libres, il n'est qu'un simple témoin, dont le regard ne change rien à la nature des faits : il voit comme nécessaires les faits nécessaires ; il voit comme libres les actes libres. Cette solution est indiquée par saint Thomas, qui dit entre autre choses : Nous, nous voyons succès-

4 9^ LE CATÉCHISME ROMAIN

sivement dans le temps les choses qui se réalisent dans le temps ; mais Dieu les voit dans l'éternité, qui est au-dessus du temps. Aussi, comme nous ne concevons les futurs contingents qu'en tant que contingents, ne pouvons-nous les connaître avec certitude. Dieu, au contraire les connaît d'une ma- nière infaillible, comme actués devant lui. Le voyageur, qui chemine dans la vallée, ne voit qu'une partie de ceux qui cheminent après lui; l'observateur qui découvre toute la route du haut d'une montagne voit seul tous ceux qui la sui- vent (i).

Que Dieu connaisse les futurs libres, c'est une vérité qui se trouve clairement exprimée dans l'Ecriture. Citons seulement quelques textes. « Je sais, dit le Seigneur, les dispositions qui raniment dès aujourd'hui (le peuple d'Israël) avant même que je les aie fait entrer dans le pays que je leur ai promis par serment (2). » « Tu découvres mes pensées de loin (3). » « Dieu éternel, qui connaissez ce qui est caché et qui savez toutes choses avant quelles n'arri- vent (4). »

« // sonde les profondeurs de l'océan et le cœur de l'homme,

Et il connaît leurs desseins les plus subtils ;

Car le Seigneur possède toute science,

Et il voit les signes du temps.

Il annonce le passé et l'avenir,

Et il dévoile les traces des choses cachées.

Aucune pensée ne lui échappe,

Aucune parole n'est cachée pour lui (5). »

C'est cette science de l'avenir qui rend possible

1. Sam. theol, I, Q. xiv, a. i3, ad 3. 2. Dent., xxxi, ai. 3. Psal., cxxxvm, 2. 4- Daniel, xm, 42. 5. Eccli., xlii, 18-22.

LA SCIENCE DE DIEU 4<)5

la prophétie et qui a permis de dire à Tertullien que « la prescience divine a autant de témoins qu'elle a formé de prophètes (i). »

Dieu connaît les futurs conditionnels. Entre le possible, ce qui peut être, et le futur, ce qui sera réalisé, se place le futur conditionnel, ce dont la condition, qui le ferait se produire, ne se réalisera pas ; c'est moins qu'un futur, puisqu'il ne sera jamais; c'est plus qu'un possible, puisqu'il existe- rait si telle condition était posée.

Il y a le futur conditionnel nécessaire, c'est celui qui fait l'objet des sciences humaines. Ainsi, dit Farges, le chimiste prévoit sûrement que ce grain de poudre fera explosion si on l'allume, et cela est certain alors même qu'on ne l'allumerait jamais. De son côté l'astronome peut prévoir avec certitude les déviations qu'occasionneraient dans la marche des astres telle et telle hypothèse qui ne se réalise- ront probablement jamais. Or, ces futurs que les savants connaissent, il est clair que Dieu les con- naît aussi dans les causes nécessaires qui les contiennent, c'est-à-dire dans les lois de la nature. Aucune difficulté sur ce point (2).

Mais il est des futurs conditionnels libres, et leur connaissance ne peut pas échapper davantage à la science infinie de celui qui prévoit sûrement les futurs libres absolus. Mais comment Dieu les con- naît-il? Toute la difficulté et là. Il ne les voit pas comme présents, puisqu'ils ne seront jamais pré- sents ; il ne les voit ni en eux-mêmes ni dans l'actuation qu'ils n'auront jamais ; il les voit dans la cause qui les contient et qui aurait pu les pro- duire.

1. Cont. Marc, 11, 5 ; Patr. lat.t t. 11, col. 290. a. Farges, Vidée de Dieu, p. 36g.

4C)6 LE CATÉCHISME ROMAIN

Pour les thomistes, Dieu les voit dans la sou- veraine efficacité de la cause première, source de tout ce qui existe ou aurait pu exister, dans le décret divin. Sa connaissance de vision embrasse toutes les réalités contingentes, voulues ou permises dans les décrets éternels, y compris les futurs libres et les futurs conditionnels libres. Dieu voit dans ses décrets éternels non seulement tout ce qui arrive, mais encore tout ce qui peut arriver, dans des con- ditions données, qui en fait ne seront pas posées ; c'est qu'il voit les solutions implicitement conte- nues par chacun des cas qui peuvent s'offrir.

Les molinistes recourent à une autre explication, celle de la Science moyenne. Dieu verrait les futurs conditionnels libres, indépendamment de tout dé- cret et antérieurement à tout décret, dans les causes libres elles-mêmes, qui sont capables de produire tel effet si telle ou telle condition est posée. Nous n'entrerons pas dans l'examen et la discussion de cette science moyenne, différemment expliquée par Molina, par Suarez et Mazzella (i). Le P. de Régnon a même pour elle un mot dur : « C'est le mys- tère, l'insondable mystère, écrivait l'un de ses dé- fenseurs découragés ; de toutes les explications pro - posées aucune n'est satisfaisante... Il faut renoncer à expliquer le comment de cette science divine que nous appelons la science des conditionnels.... Expli- quer cette science, c'est œuvre de dilettantisme phi- losophique (2). » M. Farges rapporte ce mot sans y souscrire et dit : « Après avoir reconnu l'ineffica- cité complète du mystère de la Science moyenne à remplacer le mystère des décrets divins, nous nous résignons humblement à celui-ci, persuadé que

1. Mazzella, De gratia, Disp. ni, a. 7. a. De Régnon,

Bannes et Molina, p. ii3-ii5.

LA SCIENCE DE DIEU 497

l'efficacité de la causalité première, bien différente en cela des causes secondes, peut nous mouvoir sans violenter notre nature, et tout causer en nous très efficacement, même notre liberté, que nous ne saurions soustraire, sans privilège, à la causalité universelle de Dieu (i). »

Quel que soit le mode d'explication, toujours est- il que cette connaissance des futurs conditionnels existe en Dieu. Dieu connaît assurément les actes que la créature libre accomplirait, si telle condition qui, du reste, ne se produira pas, venait à se réaliser. En voici un exemple, pris dans l'Ancien Testament. David, réfugié àCéïla, dit: « Seigneur, Dieu d'Israël, votre serviteur a appris que Saiïl se dispose à venir à Céïla, pour détruire la ville à cause de moi. Les habi- tants de Céïla me livreront-ils entre ses mains ? Saiïl descendra-t-il comme votre serviteur Va entendu dire ? Jéhovah, Dieu d'Israël, daignez le révéler à votre serviteur. » Jéhovah répondit : « // descendra. » Et David dit : « Les habitants de Céïla me livreront-ils, moi et mes hommes, entre les mains de Saiïl ? » Jéhovah répondit : « Ils te livreront (2). » Le sort de David et de sa troupe dépendait ainsi d'une condi- tion. En restant à Céïla, il eût été livré ; il quitta la ville. Yoici un autre exemple, donné par Notre Seigneur dans l'Evangile, quand il dit : « Malheur à toi, Corozaïn ! malheur à toi, Bethsaïda ! parce que si Tyr et Sidon avaient été les témoins des prodiges qui s'accomplissent en vous, elles auraient fait péni- tence sous le cilice et dans la cendre (3). » Tyr et Sidon n'ont pas fait pénitence parce que la condi- tion, qui devait la leur faire faire, n'a pas eu lieu.

1. Farges, L'idée de Dieu, p. 377. Cf. Gayraud, Thomisme et Molinisme, Paris, 1889, p. 116. a. I Reg., xxm, 10-12. 3. Malth., xi, 21.

LE CATÉCHISME. T. I. }2

4q8 le catéchisme romain

3. Ses divers noms. Cette science divine, si parfaite dans son mode, si pleine dans son objet, a reçu des théologiens plusieurs noms qui servent à la préciser.

On la distingue en science nécessaire ou libre, suivant qu'elle précède tout décret divin et qu'elle a pour objet l'être souverain ou les choses pure- ment possibles, ou selon qu'elle est consécutive à un décret divin et qu'elle a pour objet ce qui dépend de la toute-puissance divine, toutes les choses qui sont ou seront.

Elle est dite spéculative, si elle se borne à la con- naissance des choses sans les effectuer ou les réali- ser, ou pratique, quand elle les connaît et les fait passer à l'existence.

Elle s'appelle science de simple intelligence, quand elle s'applique aux possibles, c'est-à-dire aux choses qui n'ont pas été, qui ne sont pas et qui ne seront jamais, et science de vision, quand elle a pour objet ce qui est ou sera.

Si son objet est le bien et suppose un décret divin,, c'est la science d'approbation ; si, au contraire, son objet est le mal, que Dieu ne saurait vouloir, à raison même de sa perfection, c'est la science de permission. Sur ces paroles, que David prête au Seigneur : « Je ne connaissais pas le cœur dépravé et méchant, qui s'éloignait de moi, (i) » saint Augus- tin écrit : « Je ne connaissais pas, qu'est-ce à dire ? Je n'approuvais pas, je ne louais pas, je n'aimais pas, car le mot connaître, clans l'Ecriture, signifie quelquefois voir avec complaisance (2). »

Les molinistes, nous l'avons vu, ont donné à la science des futurs conditionnels le nom de science moyenne, de science intermédiaire entre la science

1. Psal., c, t\. 2. In psal., c, 7.

LA VOLONTÉ DE DIEU l\()$

de simple intelligence et la science de vision. Mais les thomistes jugent inutile ce terme nouveau, parce que, si la condition se réalise, le futur condi- tionnel est alors connu par la science de vision, et si elle ne se réalise pas, le futur conditionnel reste Fobjet de la science de simple intelligence (i).

IL Volonté de Dieu

Ses caractères. La tendance au bien,, perfection de l'être, est universelle ; on la trouve partout, en effet, dans le monde créé. Mais ce qui n'est qu'une tendance aveugle ou un instinct chez les êtres dépourvus de raison, est une faculté chez les êtres conscients. Chez ceux-ci, l'intelligence perçoit le bien ; elle y tend en vertu de sa propre nature, quand elle ne l'a pas ; elle le cherche jus- qu'à ce qu'elle le trouve et s'y repose dès qu'elle le possède. Or, ce sont des actes de volonté. Tout être doué d'intelligence est par même un être doué de volonté ; car la volonté suit toujours l'intelligence et est toujours en proportion avec elle. C'est précisément le cas de l'homme raisonna- ble : il comprend et il veut.

Mais l'homme veut nécessairement le bonheur parce qu'il est fait pour lui ; c'est une nécessité de nature. Pourtant il est libre dans le choix des moyens pour se le procurer, pour l'atteindre et en jouir. Sa liberté, qui est une prérogative remarquable^ est entourée d'imperfections : elle est mêlée de passivité, mobile, changeante, faillible, limitée au dedans et au dehors.

i. Cf. Cardinal Pecci, La prèdélerminalion physique et la science moyenne» p. 5o sq.

500 LE CATÉCHISME ROMAIN

Dès qu'il agit, l'homme subit une réaction ; il ne peut pas modifier les êtres qui l'entourent sans se modifier lui-même ; sa puissance est indéterminée ; chaque objet voulu la détermine et la modifie. Sous l'influence d'agents extérieurs ou sous la poussée de passions mal réglées, il se laisse décon- certer et abuser. Il prend le mal pour le bien ou préfère un bien accidentel, que lui procure le mal, à la place du bien véritable. Sa volonté n'est pas que faillible ; elle est mobile, changeante, comme l'intelligence qui l'éclairé. Elle passe capricieuse- ment d'un motif à un autre, d'une décision à une décision contraire ; parfois elle ne sait à quoi se résoudre, elle hésite, incertaine ; parfois aussi elle se décide en aveugle. Déplus, si elle ne veut pas tout ce qu'elle peut, elle ne peut pas toujours tout ce qu'elle veut. Et trop souvent elle fait le mal qu'elle ne veut pas et ne fait pas le bien qu'elle veut. Qui- conque a tant soit peu l'expérience des phénomènes psychologiques ou moraux, qui se passent dans le domaine de sa conscience, sait combien infirme, et par tant de côtés, et de tant de manières, est sa propre volonté.

Si donc la volonté, puissance de faire le bien, est une noble faculté, une perfection des êtres intel- ligents, nul doute) qu'elle ne se trouve en Dieu, puisque Dieu est un être intelligent. Mais comme Dieu est l'intelligence parfaite, il doit donc être et dans la même mesure la volonté parfaite ; et de même qu'en Dieu l'intelligence est son être, de même la volonté est son essence divine ; nous ne l'en pouvons distinguer que par un procédé d'ordre logique. Par conséquent nous ne pourrons trouver en Dieu aucune des imperfections qui se trouvent dans la volonté de l'homme.

Tandis que l'homme est mû, dans la recherche*

LA VOLONTÉ DE DIEU 5oi

nécessaire du bien, qui lui est extérieur, par une cause étrangère, Dieu, qui est son propre bien à lui-même, ne peut être vers ce bien que par lui- même : sa volonté part de lui et aboutit à lui ; sa volonté, c'est lui, c'est un acte immanent.

La volonté divine, est à la fois nécessaire et libre, mais sous des rapports différents ; nécessaire vis-à-vis de lui-même, comme nous allons le voir en parlant de son objet ; mais libre vis-à-vis de tout ce qui n'est pas lui, par rapport à ses actes extérieurs. Dans ceux-ci, en effet, il n'y a ni nécessité de nature, ni coaction : Dieu est libre. La nécessité de nature résulte de la constitution intime, de l'essence même de l'être ; elle est absolue, quand elle est indépen- dante de toute conjoncture et s'impose partout et toujours. Or, dit saint Thomas, il est nécessaire d'une nécessité absolue que Dieu veuille quelque chose, mais il ne l'est pas de même qu'il veuille tout ce qu'il veut. Sa volonté a des rapports nécessaires avec sa bonté, qui est son objet propre : il veut donc nécessairement, par une nécessité de nature, sa bonté. Mais il aurait pu ne pas vouloir les créatures. Vis-à-vis d'elles, il est libre ; si donc il les veut, c'est en pleine liberté ; et s'il les veut de toute éternité, il ne S'ensuit pas qu'il les veuille nécessairement ; il ne les veut que selon son bon plaisir, d'une manière toute relative. « Tous les habitants de la terre ne comptent pour rien devant lai ; il agit comme il lai plaît avec V armée des cieax et avec les habitants de la terre (i). » « II opère toutes choses d'après le conseil de sa volonté (2). » Il est libre.

Mais sa liberté n'a aucun mélange de passivité comme celle de l'homme. L'homme, incapable de

1. Daniel, iv, 3a a. Ephes., 1, 11.

5o2 LE CATÉCHISME ROMAIN

se suffire à lui-même, cherche dans les biens créés un complément à son indigence, un aliment à sa faim et à sa soif de bonheur. Il aime les choses parce qu'elles sont bonnes ou lui paraissent bonnes. Dieu, au contraire les aime pour les faire bonnes, pour leur donner avec l'être cette bonté qu'elles ne sauraient avoir sans lui ; il répand le bien. Si donc les choses ont l'être et quelque bien, c'est parce que Dieu l'a voulu librement. Mais Dieu n'aime pas de la même manière que nous aimons. Comme notre volonté, loin de donner l'existence aux êtres, en reçoit plutôt l'impulsion qui la porte à l'acte, l'amour par lequel nous leur voulons du bien n'est pas la cause de leur bonté ; c'est leur bonté qui fait naître l'amour. Il n'en est pas ainsi de Dieu : son amour répand et crée la bonté dans les choses (i). D'où l'indépendance de Dieu vis-à-vis des créatures, et sa souveraine liberté. Il donne sans recevoir ; il pro- duit sans avoir besoin de s'enrichir ; il modifie sans être modifié lui-même ; il reste l'acte pur, unique, éternel et nécessaire.

C'est une difficulté de concilier en Dieu ces deux attributs : la liberté et la nécessité. Si l'être divin est nécessaire, comment le vouloir divin est-il libre ? Sans doute le vouloir divin est nécessaire, mais il est nécessaire, dit M. Farges, qu'il soit avec toutes ses perfections, dont la plus importante est son Indépendance absolue des créatnres et sa parfaite liberté à leur égard. Il est donc nécessaire que le vouloir divin soit libre de ce chef. La conception d'un être parfait, nécessité ad intra et libre ad extra, n'a donc rien de contradictoire, puisque la nécessilj et la liberté n'existent qu'à deux points de vue diffé- rents, et qu'elles découlent l'une et l'autre également

i. Sam. theol., I, Q. xx, a. a

LA VOLONTÉ DE DIEU 5o3

•de l'infinie perfection de Dieu, qui ne peut souffrir, ni l'indifférence de la liberté envers le bien infini, ni sa nécessité et sa dépendance envers les biens finis (i). C'est là, du reste^ ce qui a lieu dans l'homme, qui est à la fois nécessité pour le bonheur et libre pour les moyens non indispensables qui y conduisent.

La volonté de Dieu ne change pas : elle est immua- ble, comme sa science, comme son être. Infiniment parfait, infiniment sage, Dieu sait ce qu'il veut, et il le veut sans revenir sur ses décisions, sans les modifier, comme l'homme, au gré du caprice ou des circonstances imprévues. Ayant tout vu, tout prévu, à raison de sa science infinie et infaillible, il a voulu en conséquence par une délibération com- plètement libre ; et cette délibération libre de sa volonté demeure perpétuellement inébranlable.

Elle est de plus efficace : elle s'accomplit toujours parce qu'elle est la cause universelle de tout ce qui est. Dans le domaine créé, tel ou tel événement peut nous sembler s'écarter de ses lois par un côté ; mais très certainement il reste sous son empire par un autre. C'est ainsi que le pécheur croit se soustraire à l'action divine en refusant sa miséricorde, mais il tombe alors sous les coups de sa justice. Il semble pourtant, d'après l'Ecriture, que cette efficacité de la volonté divine soit limitée. N'est-il pas écrit, en effet, que la volonté de Dieu c'est notre sanctifica- tion (2), et que Dieu veut le salut de tous (3)P Et combien hélas ! qui ne se sanctifient pas et qui ne se sauvent pas ! Mais c'est qu'il faut distinguer ici, car cela s'impose à notre esprit, entre la volonté absolue, qui infailliblement atteint et réalise son

1. Farges, loc. cit., p. 387. a. I Thés., iv, 3. 3. I Tim.p

41, 4-

5o4 LE CATÉCHISME ROMAIN

but, et la volonté hypothétique, qui permet aux causes secondes intelligentes et libres d'aller à ren- contre de ses commandements. C'est une difficulté sur laquelle nous aurons à revenir.

Elle est enfin Impeccable, incapable par conséquent de pouvoir faire le mal. C'est le triste privilège de l'homme de pouvoir faire le mal et de ne pas faire le bien. Mais la liberté ne consiste nullement dans le choix entre deux contraires, le bien ou le mal ; il lui suffit de pouvoir choisir entre deux contradic- toires, comme agir ou ne pas agir. Et comme le dit saint Thomas, la vraie liberté consiste à choisir parmi les divers moyens qui respectent l'harmonie des fins et non parmi ceux qui la détruisent, ce qui serait un défaut de liberté (i). Or, Dieu qui est par essence le bien souverain et la perfection absolue ne saurait vouloir ou faire le mal. INous verrons comment le mal existe pourtant dans le monde créé.

2. Son objet. En parlant des principaux caractères de la volonté divine, nous avons indiquer quelques-uns de ses objets. Ajoutons quel- ques mots.

Dieu se veut d'abord lui-même, et par consé- quent s'aime lui-même, absolument, par nécessité de nature. L'objet premier, seul nécessaire et adéquat de sa volonté, ne peut être que lui. C'est en lui, et non hors de lui, qu'il trouve sa béatitude, et sa béatitude consiste à se connaître et à s'aimer tel qu'il est, infiniment.

Mais D'eu veut autre chose que lui. Ecoutons saint Thomas : les choses naturelles ont une double inclination relativement à leur propre bien ; d'abord elles le cherchent quand elles ne l'ont pas et sq

i. Swri. tJicol, I, Q. lxii, a. 8, ad 3. '

LA VOLONTÉ DE DIEU 5o5

reposent en lui quand elles l'ont ; puis elles s'efforcent de le répandre, selon les lois du possible, dans les autres êtres ; c'est pourquoi l'agent, qui est en acte et parfait, produit son semblable. C'est le propre de la bonté, dans l'homme, de se commu- niquer ; cela convient surtout à la bonté de Dieu. Dieu aime à répandre sa bonté. Et c'est ainsi qu'il se veut lui-même et qu'il veut les autres choses : il se veut comme fin, et il veut les autres choses par rapport à sa fin (i). « De même que Dieu, dit-il ailleurs, en connaissant son essence, connaît tous les êtres qu'il crée, en tant qu'ils sont une certaine image de sa vérité ; de même, en voulant ou aimant Bon essence, il aime tous les êtres qu'il crée, en tant qu'ils ont une ressemblance de sa bonté. D'où il faut conclure que ce qui est d'abord voulu par lui, c'est ca bonté ; mais il veut le reste par rapport à sa bonté (2). ))

Gomme nous l'avons dit plus haut, si Dieu veut par nécessité son propre bien et sa béatitude, il veut librement le bien et le bonheur de ses créatures. Il aime les créatures, qui sont l'œuvre de son amour ; il les aime toutes, parce que toutes sont une mani- festation de sa bonté. Mais l'amour qu'il leur porte se reporte finalement sur lui-même ; c'est sa gloire qu'il aime en elles. « Jéhovah a tout fait pour son but (3). )) Tel n'est pas, on le sait, le Dieu des déistes. Celui-ci n'aime que lui ; il est sans sympathie, sans bienveillance, sans amour pour les autres ; il ne voit pas la souffrance, il n'entend pas la prière, il ne soulage pas l'indigence, il ne sèche pas les lar- mes, il ne panse pas les plaies et ne guérit pas les maux. Dieu sans cœur, sans entrailles, sans pitié,

1. Sam. theol., I, Q. xix, a. a. a. DisL, xlv, Q. i, a. a. 3. Prov., xvi, 4-

5o3 LE CATÉCHISME ROMAIN

sans miséricorde, relégué dans un égoïsmc inacces- sible, complètement indifférent ou désintéressé à l'égard du monde qu'il s'est contenté de créer et d'abandonner à ses lois. Le vrai Dieu, le Dieu des chrétiens, est au contraire la bonté, l'amour, dans ce qu'ils ont de plus exquis et de plus efficace vis-à-vis des créatures. « Il sème Vaumône, il donne aux pauvres (i), est-il écrit ; « Tu ouvres ta main, chante le prophète, et tu rassasies de tes biens tout ce qui respire (2). »

Dieu ne voulant que le bien, comment s'expli- que la présence du mal dans son œuvre ? Dieu ne saurait vouloir le mal, ni le faire, puisqu'il est par- fait, saint et bon ; mais il le tolère, le pardonne ou le punit, et le tourne vers un bien. Ainsi, dans le monde des êtres purement sensibles, certains faits qui nous paraissent mauvais, contribuent, d'après la volonté de Dieu, à l'ordre général et au but qu'il s'est proposé ; dans le monde des êtres intelligents et libres, il défend et condamne le péché ; il le tolère cependant parce qu'il provient de la volonté libre qu'il a créée ; il le pardonne dès qu'on s'en repent ; il le châtie dans ceux qui s'y obstinent et y meurent. C'est un des grands mystères qui scan- dalisent la sagesse toujours courte de l'homme, et que nous retrouverons en parlant de la Providence.

3. Ses divers noms. Ici encore, comme pour l'intelligence, afin de pouvoir parler d'une manière aussi exacte que possible, les théologiens recourent à divers noms pour qualifier la volonté divine.

Saint Thomas distingue la volonté de bon plaisir et la volonté de signe. La volonté de bon plaisir est la volonté de Dieu proprement dite ; c'est celle qui

1. Psal.t exi, 8. a. Psal, cxliv, 16.

LA VOLONTÉ DE DIEU 507

est l'expression de son être, qu'il possède en vertu de sa nature et par laquelle il fait toute chose. Son nom a été emprunté à saint Paul, dans ce passage : « Transformez-vous par un esprit nouveau afin que vous reconnaissiez ce qui est sa volonté de bon plai- sir, bonne et parfaite(i) ». La volonté de signe ne porte le nom de volonté que dans un sens figuré, métaphorique ; elle sert à manifester extérieure- ment, aux yeux des créatures, par divers signes, ce que les créatures, en constatant leur expérience, croient pouvoir appliquer à la volonté de Dieu par voie d'analogie. L'homme, en effet, manifeste qu'il veut une chose par lui-même ou par un autre. Il le manifeste par lui-même lorsqu'il agit directement ou indirectement : directement, en produisant l'acte lui-même, et c'est le signe d'opération ; indirecte- ment, en n'empêchant pas l'acte, et c'est le signe de permission. Il le manifeste par un autre, quand il le porte à une action, soit en ordonnant une chose par un précepte obligatoire, et c'est le signe de commandement, soit en prohibant le contraire, et c'est le signe de défense, soit enfin en gagnant l'as- sentiment par la persuasion, c'est le signe de con- seil. Or, comme ces signes révèlent et manifestent la volonté de l'homme, on les appelle tout simple- ment, quand on les attribue à Dieu, la volonté de signe. Tel est, en effet, le nom que le commande- ment, la défense et le conseil portent dans ces mots du Pater : « Que voire volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel (2) » Telle est aussi la dénomi- nation qui représente l'opération et la permission dans ce passage de saint Augustin : « Le Tout-Puis- sant fait toutes choses par sa volonté, soit qu'il per- mette de les faire, soit qu'il les fasse lui-même (3).»

1. Rom., xii, a. 2. Matth., vi, 10. 3. Enchir., xcv.

5o8 LE CATÉCHISME ROMAIN

La permission et l'opération regardent le présent ; le commandement, la défense et le conseil se rap- portent à l'avenir ; la défense et la permission con- cernent le mal ; l'opération, le bien en général ; le commandement, le bien obligatoire ; le conseil, le bien surabondant.

La volonté de bon plaisir ne va pas toujours avec la volonté de signe, par exemple, quand Dieu, par sa permission, laisse à l'homme le pouvoir de faire le mal ; elle ne s'en sépare pas, au contraire, dans l'opération. Sur ces deux points pas de difficulté. Il n'en est pas de même du commandement, de la dé- fense et du conseil. Ces trois signes peuvent, il est vrai, impliquer une volonté réelle de la part de Dieu. Est-ce toujours ? N'est-ce que dans quelques cas ? Et quand ? C'est une question débattue entre théologiens.

L'Ecriture est pleine d'exemples de ces signes de la volonté divine. Dieu commande à Abraham d'im- moler son fils Isaac, non qu'il veuille dans sa réa- lité cette immolation sanglante, puisqu'il l'empêche de se consommer, mais uniquement pour éprouver l'obéissance de son serviteur. Lorsque le démon propose d'aller tromper le roi Achab par la bouche des faux prophètes, Dieu lui dit : « Va et fais (i). » C'est une simple permission. Il en est de même, lorsque Notre Seigneur dit à Judas : « Ce que tu fais , fais-le vite (2) Ailleurs, le divin Maître dit à un jeune homme : « Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres (3).» Ce n'était pas un ordre, mais un conseil.

La volonté de bon plaisir est dite antécédente, lorsqu'elle veut une chose en elle-même, considérée dans sa nature, abstraction faite des circonstances

1. III Reg. xxii, 22. 2. Joan., xm, 27. 3. Matth., xix, 21.

LA VOLONTÉ DE DIEU 5oQ

qui l'entourent ; ainsi Dieu veut la sanctification, le salut de tous. Elle est dite conséquente, lorsqu'elle tient compte de toutes les circonstances et de tous les accidents qui se rattachent à une chose ; ainsi Dieu veut la punition du coupable, la damnation du pécheur impénitent. Les partisans de la science moyenne entendent différemment ces deux sortes de volonté. Selon eux, Dieu voit les futurs contin- gents, non pas dans son essence infinie, mais dans ces contingents mêmes. Pour eux, la volonté divine relative à la liberté humaine, est antécédente quand elle précède la prévision du consentement de l'homme à la grâce ; elle est conséquente quand elle la suit.

On distingue encore la volonté absolue et la volonté conditionnelle. La première ne dépend d'aucune con- dition ; telle est la volonté, en Dieu, de créer le monde ; la seconde, au contraire, dépend d'une condition ; telle est la volonté de sauver tous les hommes, c'est-à-dire pourvu qu'ils le veuillent. On trouve dans l'Ecriture des exemples nombreux de cette volonté conditionnelle, u Dieu avait résolu de les perdre (les Israélites), si Moïse, qu'il avait choisi, ne s'y fût opposé en se présentant devant lui (i) ». Le Seigneur, dit à Salomon : « Si lu marches en ma présence, comme ton père, dans la droiture et la sim- plicité du cœur, f établirai ton trône et ton règne sur Israël pour toujours (2) ».

La volonté divine est efficace ou inefficace selon qu'elle produit infailliblement son effet ou qu'elle 1q laisse paralyser par l'intervention de la liberté humaine. Ainsi Dieu dit : « Mon dessein subsistera et je ferai toute ma volonté (3) » ; mais il a dit aussi « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois n'ai-je pat

1. Psal., cv, 23. 2. III Reg., ix, 4. 3. Is., xlvi, ro.

5lO LE CATÉCHISME ROMAIN

voulu rassembler les fils, comme la poule rassemble ses petils sous ses ailes, et tu ne Vas pas voulu (i) / »

III. Difficultés

La question de la science et de la volonté divine n'est pas sans soulever de graves difficultés. Com- ment accorder, en effet, la prescience divine avec la liberté humaine ? Gomment accorder également cette même liberté humaine avec la volonté divine, qui est d'une efficaci souveraine ? G 'est un problème qui, sous deux aspects différents, a toujours préoc- cupé le sage, et qui se complique du problème plus délicat encore de la prédestination et de la réproba- tion. Nous ne pouvons que le signaler ici aussi suc- cinctement que possible (2).

1. La Prescience de Dieu et la liberté hu- maine. — Partout, dans les relations de l'infini avec le fini, de Dieu avec la créature, notre esprit se heurte en dernière analyse à un mystère impénétrable. Nous ne voyons pas comment se concilient entre elles des vérités certaines ; leur lien intime nous échappe. Qu'il existe, qu'il doive exister, c'est ce dont nous ne saurions raisonnablement douter. Si nous ne l'apercevons pas, la faute en est à notre intelligence, qui n'est pas assez pénétrante ; notre raison peut s'essayer du moins à faire un peu de lumière sans se flatter de dissiper totalement l'obscurité. Assurée qu'aucune vérité ne saurait aller contre une autre vérité, le parti le plus sage

1. Malth., xxiii, 37. 2. Cf. De Régnon, Bannes et Molina, Paris, i883. Dummermuth, S. Thomas et doctrina prœmotionis physicœ, Paris, 1886 ; Gayraud, Thomisme et Molinisme, Paris, 1889 ; Providence et libre arbitre, Paris, 1892.

PRESCIENCE DE DIEU ET LIBERTÉ HUMAINE 5ll

qu'elle ait à prendre, c'est d'accepter l'une et l'au- tre, tout en avouant son impuissance à voir leur mode de conciliation.

Ainsi en est-il, en particulier, pour la liberté humaine d'une part et pour la prescience et la volonté divines d'autre part. Si Dieu prévoit les futurs libres et si sa volonté est infailliblement efficace, vérités dont nous ne saurions douter, comment l'homme est-il libre ?

Les fatalistes, estimant la conciliation impossible, sacrifient résolument la liberté humaine et intro- duisent ainsi dans le monde le règne d'une aveugle nécessité, qui fait de l'homme un jouet inconscient et irresponsable. Ils ont tort. Ils estiment ainsi, par une hypothèse gratuite et injustifiée, que l'homme ne peut pas agir autrement que Dieu ne Ta prévu, qu'il agit nécessairement comme Dieu Ta prévu et parce qu'il l'a prévu. Ils font donc dépendre l'acte humain de la science divine et confondent ainsi ce qui se fera certainement avec ce qui se fera nécessairement. Rien n'est pourtant plus distinct. Car le caractère d'un acte est intrinsèque à cet acte lui-même ; la certitude, au contraire, est dans celui qui voit cet acte tel qu'il est ou qui le prévoit tel qu'il sera. En quoi donc cette certitude est-elle incompatible avec la nature de l'acte ? L'acte demeure ce qu'il est en lui-même, ou libre si sa nature est d'être libre, ou nécessaire si sa nature est d'être nécessaire. Il suffit donc, semble- t-il, de bien déterminer la nature de l'acte pour reconnaître avec certitude que le fait de sa prévi- sion ne détruit point son essence. Il suffit égale- ment de bien déterminer la nature de la science divine, relative aux futurs libres, pour reconnaître avec certitude que les termes de prévision ou de prescience ne s'appliquent que très improprement

5l2 LE CATÉCHISME ROMAIN

à l'acte de la science divine. Dieu, comme nous l'avons dit avec saint Thomas, ne prévoit pas, il voit ; point de passé ni d'avenir en lui, mais un présent immuable ; point de prévision, dès lors, ni de prescience, mais un acte de simple vision, une pure constatation (i).

Est-ce dire que le mystère soit élucidé ? Nul- lement. Mais ce qu'il faut dire c'est que la prétendue incompatibilité n'existe pas, ou qu'en tout cas elle n'autorise pas à sacrifier une vérité certaine, celle de l'existence de notre liberté, sous prétexte que nous ne saisissons pas le rapport intime qui l'unit avec cette autre vérité, que nous désignons, selon notre mode de connaissance qui est conditionné par le temps, sous le nom de pré- vision ou de prescience divine. Elle y autorise d'autant moins que, pour échapper à une difficulté réelle, le fatalisme se heurte à une absurdité, celle d'admettre que la vérité détruit la vérité, et à de désastreuses conséquences, absolument inaccepta- bles pour l'expérience et la raison, qui témoignent hautement en faveur de l'existence de notre liberté.

La nécessité s'impose à nous, en effet, d'accepter sagement les limites de notre raison pour ne pas sombrer dans le scepticisme. Yoici comment s'en explique Bossuet : « Quiconque connaît Dieu ne peut douter que sa prescience ne s'étende à tout ; et quiconque fera un peu de réflexion sur lui-même connaîtra sa liberté avec une telle évidence que rien ne pourra obscurcir l'idée et le sentiment qu'il

i. Cf. Sum. iheol., I, Q. xiv. a. i3; Cont. Gent., I 66, 67 ; De Verit., Q. 11. a 12. Entre nos actes futurs et la science de Dieu, il n'y a aucune priorité de temps ou de durée, mais simultanéité parfaite ; la science de Dieu est une vision du présent; les actes qui, pour nous, sont futurs, sont toujours actuellement présents à l'éternité divine.

PRESCIENCE DE DIEU ET LIBERTE HUMAINE 01 0

en a : et on verra clairement que deux choses qui sont établies sur des raisons si nécessaires ne peu- vent se détruire l'une l'autre. Car la vérité ne détruit point la vérité ; et quoiqu'il se pût bien faire que nous ne sussions pas trouver les moyens d'ac- corder ces choses, ce que nous ne connaîtrions pas, dans une matière si haute, ne devrait point affaiblir en nous ce que nous connaissons si certainement.

« En effet, si nous avions à détruire la liberté par la Providence ou la Providence par la liberté, nous ne saurions par commencer, tant ces deux choses sont nécessaires, et tant sont évidentes et indubi- tables les idées que nous en avons. Car il semble que la raison nous fasse paraître plus nécessaire ce que nous avons attribué à Dieu, nous avons plus d'expérience de ce que nous avons attribué à l'homme ; de sorte que, toutes choses bien con- sidérées, ces deux vérités doivent passer pour également incontestables.

« Donc, au lieu de les détruire l'une par l'autre, nous devons si bien conduire nos pensées que rien n'obscurcisse l'idée très distincte que nous avons de chacune d'elles. Et il ne faudrait pas s'étonner que nous ne sussions peut-être pas si bien les concilier ensemble. Car cela viendrait de ce que nous ne saurions pas le moyen par lequel Dieu conduit notre liberté, chose qui le regarde et non pas nous, et dont il a pu se réserver le secret sans nous faire tort...

« Quand donc nous nous mettons à raisonner, nous devons d'abord poser comme indubitable que nous pouvons connaître très certainement beau- coup de choses, dont toutefois nous n'entendons pas toutes les dépendances ni toutes les suites. C'est pourquoi la première règle de notre logique, c'est qu'il ne faut jamais abandonner les vérités

IE CATÉCHISME. T. I. 3)

5l4 LE CATÉCHISME ROMAIN

une fois connues, quelque difficulté qui survienne quand on veut les concilier ; mais qu'il faut au contraire, pour ainsi parler, tenir fortement comme les deux bouts de la chaîne, quoi qu'on ne voie pas toujours le milieu par l'enchaînement se continue (i). »

Cette sage observation de Bossuet trouvera son application dans toutes les difficultés du même genre, et notamment dans celle qui naît des relations de la liberté humaine avec la volonté souveraine- ment efficace de Dieu.

2. La volonté souveraine de Dieu et la liberté le l'homme. - La volonté de Dieu est souveraine- nent efficace ; non seulement elle accomplit tout qu'elle veut, mais elle fait encore que tout s'ac- complit comme elle le veut. Tout ce que Dieu veut se réalise et tout se réalise comme il le veut. En conséquence de cette efficacité souveraine de la volonté et du concours de Dieu, la liberté humaine parait fort compromise. En réalité, il n'en est rien. Mais la difficulté subsiste, beaucoup plus grave i ore que dans le cas précédent.

Incontestablement, Dieu meut la volonté de l'homme, parce qu'il est le bien suprême auquel <ule aspire, et parce qu'il est la cause de sa puissance . i vouloir. Ecoutons saint Thomas : « De même que l'entendement, dit-il, est par l'objet qu'il nprend et par l'être qui lui a donné la faculté de comprendre, de même la volonté est mue par son objet qui est le bien, et par l'être qui lui a donné la faculté de vouloir. Tout bien, quel qu'il soit, peut mouvoir la volonté ; mais il n'y a que Dieu qui la meuve d'une manière suffisante et efficace. En effet,

i. Bossuet, Traité du libre arbitre, c. iv.

VOLONTÉ DE DIEU ET LIBERTÉ HUMAINE 5l5

un moteur ne peut mouvoir un mobile que quand sa puissance active surpasse ou du moins égale la puissance passive de l'objet qu'il meut. La puissance passive de la volonté s'étend au bien général, car son objet est le bien universel, de même que l'objet de l'intelligence est l'être universel. Tout bien créé est un bien particulier ; Dieu seul est le bien uni- versel ; donc Dieu est le seul objet qui remplisse la volonté et qui lui donne une impulsion suffisante. Pareillement, il n'y a que Dieu qui puisse produira la faculté de vouloir. Car que signifie ce mot de vouloir, sinon l'inclination de la volonté au bien universel ? Or, il appartient au premier moteur de porter la volonté vers le bien universel, de même que, dans les choses humaines, il appartient au chef de la nation de diriger tout en vue du bien la communauté (i). »

a Dieu, dit-il ailleurs, gouverne les êtres avec un art toujours égal, par des moyens divers, selon la diversité de leur nature (2). » C'est dire que Dieu dirige différemment les êtres intelligents et libres, qui sont maîtres de leurs actes, et les êtres dénués de raison. Mais que devient alors la liberté ? N'est- elle pas une illusion,? Non certes. Dieu a fait des créatures libres, et ces créatures conservent leur liberté, même en présence de la volonté et de l'action souveraine de Dieu, ou plutôt en vertu même de la volonté et du décret de Dieu. Et voici comment, selon saint Thomas : « La volonté divine étant sou- verainement efficace, il suit de que non seulement ce que Dieu veut arrive, mais encore que toutes choses se font de la manière dont il veut qu'elles soient faites. Or il veut l'existence nécessaire de

1. Sum. theol., I, Q. cv, a. 4- a. Sam. theol., \, Q. cm, a. 5.

5l6 LE CATÉCHISME ROMAIN

telles choses et l'existence contingente de telles autres, en vue de Tordre général, et afin que l'univers présente un ensemble complet. Dans ce but, il a rattaché certains effets à des causes nécessaires qui ne peuvent pas faillir, et par lesquelles ces effets sont nécessairement produits ; il en a rattaché d'autres à des causes contingentes, faillibles et qui peuvent ne pas les produire.* Gonséquemment, les effets voulus de Dieu ne tirent pas leur contingence de la contingence des causes prochaines qui les déterminent ; mais comme Dieu les voulait contin- gents, il a préparé dans ce dessein des causes de même nature... Rien ne résiste à la volonté de Dieu ; d'où il résulte que non seulement il fait ce qu'il veut, mais encore que, selon qu'il le veut, les choses sont contingentes ou nécessaires (i). »

« Il appartient à la Providence, non pas de corrompre la nature des êtres, mais de la conserver. Ainsi elle meut tous les êtres conformément à leur nature, de telle sorte que l'opération divine fait produire aux causes nécessaires des effets nécessai- res et aux causes contingentes des effets contingents. Or, la volonté étant un principe d'action qui n'est pas déterminé à un acte unique, mais qui peut en accomplir plusieurs indifféremment, Dieu la meut de manière à ne pas la déterminer nécessairement pour un seul objet, mais à maintenir la contingence et la liberté de son mouvement, si ce n'est à l'égard des choses vers lesquelles elle est naturellement portée... Il répugnerait à l'opération divine que l'impulsion qu'elle donne à la volonté fût nécessaire, contrairement à l'essence de la faculté de vouloir; il ne répugne pas qu'elle fasse mouvoir librement

i. Sum. iheol., I, Q. xix, a. 8, et ad a.

VOLONTÉ DE DIEU ET LIBERTE HUMAINE SlJ

la volonté, comme sa nature le demande (i). » « Dieu est la cause première qui meut à la fois et les causes naturelles et les causes volontaires. Et comme, lorsqu'il meut les causes naturelles, il n'empêche pas que leurs actes ne soient naturels ; de même, lorsqu'il agit sur les causes volontaires, il n'empêche pas leurs actions d'être volontaires ; même il leur donne plutôt ce caractère, car il agit dans chaque être d'une manière conforme à sa nature propre (2). »

Pas plus dans la question présente que dans celle des rapports de la science divine avec la liberté humaine, l'explication qu'en donne saint Thomas ne réussit à dissiper toutes les difficultés ; le mys- tère reste. Deux vérités sont acquises : d'une part, l'action souverainement efficace de la volonté divi- ne, d'autre part l'existence de la liberté de l'homme. Comment se concilient-elles ? Nous venons d'en- tendre saint Thomas nous dire que Dieu ne s'im- pose pas à l'homme par violence ou coaction, qu'il respecte sa nature d'être libre et qu'il agit par le dedans conformément à cette nature. Les molinis- tes ont essayé, de leur côté, de donner une expli- cation différente. On sait avec quelle puissance d'esprit, avec quelle profondeur de pénétration, avec quelle ardeur surtout, thomistes et molinistes ont travaillé à faire prévaloir leur manière de voir. Ils se sont accusés mutuellement, les uns de détruire l'action divine, les autres de supprimer la liberté humaine. Qui a tort ? qui a raison ? La Congréga- tion de Auxiliis a été longtemps saisie de leurs griefs réciproques. Mais le pape Paul V (1605-1621), en autorisant, en 1607, les uns et les autres à défendre

1. Sum. theol, Ia II®, Q. x, a. 4. 2. Sam. theol, I, Q. LX-xxiii, a. 1.

Ï)l8 LE CATÉCHISME ROMAIN

leur sentiment jusqu'à décision ultérieure du Saint- Siège, leur a interdit de se taxer réciproquement d'hérésie. Cette sage sentence a été confirmée encore par Urbain VIII (i623-i644) et Clément XII (i73o- 17/io). Et à l'heure qu'il est, aucune décision offi- cielle n'est encore intervenue. On est donc libre d'embrasser l'une ou l'autre des deux opinions ; nous aurons l'occasion d'y revenir plus longuement.

1. La Science de Dieu. « Dieu voit tout ; mais son intelligence sans rivages s'étend au-delà de la sphère sont contenues les choses actuellement présentes à son regard. Il ne se connaîtrait pas s'il ne savait, avec ce qu'il a fait, avec ce qu'il veut faire, ce qu'il peut faire. Il sait donc tout ce qui ne sera jamais, tout ce qui cependant pourrait être s'il le voulait ; et cette science du possible n'a pas d'autre mesure que l'iniini pouvoir qu'a son essence d'être participée à l'infini, d'une infinité de manières. Y a-t-il encore quelque chose que Dieu puisse -connaître ? Je ne vois plus rien... 0 science de mon Dieu, quelle menace effroyable vous êtes pour les pêcheurs ! Un sommeil perfide appesantit leur conscience ; ils croient avoir enseveli dans le tombeau de l'oubli leurs crimes passés parce que personne ne les inquiète, personne ne vient leur dire : Souvenez-vous. Enhardis par l'impunité, ils poursuivent en cachette la trame de leurs œuvres per- verses ; leur âme est un abîme qui vomit l'iniquité dégui- sée par des habiletés et des protestations hypocrites auxquelles notre simplicité se laisse tromper. Ils poussent l'audace à cet excès qu'ils comptent prendre Dieu lui-même en leurs filets et renverser ses desseins. Alors ils seront maîtres de l'avenir et leur corruption triomphante devien- dra la loi des peuples qu'ils auront pervertis. Mais on veille haut. Un jour vous viendrez au devant de ces misérables, ô Dieu terrible, et vous leur direz : « C'est moi. J'ai tout vu, je sais tout, j'ai déjoué vos complots et sauvé les peuples que vous vouliez perdre. Le mal que vous avez oublié, le mal que vous avez caché, le mal que vous avez espéré, le voilà ! Voyez vous-mêmes et jugez. »

VOLONTÉ DE DIEU ET LIBERTÉ HUMAINE 5 10,

Et le pécheur verra, et il entrera en fureur, et il grincera des dents, et il défaillira sur les raines de ses désirs écroulés. » Monsabré, Conférences de Notre-Dame, Gonf. viu% Paris, 1874, p. 69-70.

2. La volonté de Dieu. « Cette efficace (de la cau- salité première), est si grande que non seulement les choses sont absolument dès que Dieu veut qu'elles joient, mais encore qu'elles soient telles dès que Dieu veut qu'elles soient telles...; car il ne veut pas que les choses soient en général seulement, mais il les veut dans tout leur état, dans toutes leurs propriétés, dans tout leur ordre. Gomme donc un homme est, dès que Dieu veut qu'il soit ; il est libre dès que Dieu veut qu'il soit libre ; et il agit librement, dès que Dieu veut qu'il agisse librement ; et il fait librement telle action dès que Dieu le veut ainsi. Car toutes les volontés et des hommes et des anges sont comprises dans la volonté de Dieu comme dans leur cause première et universelle ; et elles ne sont libres que parce qu'elles y sont comprises comme libres... Dieu veut donc le premier, parce qu'il est le premier être et le premier libre ; et tout le reste veut après lui, et veut à la manière que Dieu veut qu'il veuille... Et il ne faut pas objecter que le propre de l'exercice de la liberté, c'est de venir seulement de la liberté même ; car cela serait véritable, si la liberté de l'homme était une liberté première et indépendante, et non une liberté découlée d'ailleurs. » Bossuet, Traité cla libre arbitre, cil. S,

Je crois en Dieu... tout-puissant

Leçon XVe

De Dieu

Toute-Puissance

et Attributs Moraux

I. Texte du Catéchisme romain. IL Toute- Puissance de Dieu. III. Attributs moraux.

I. Texte du Catéchisme romain

es saintes Lettres expriment de plusieurs ma- nières la puissance souveraine et l'immense majesté de Dieu, afin de faire comprendre de quel respect religieux on doit entourer son très saint nom. Au pasteur d'enseigner avant tout aux fidèles qu'elles lui donnent le plus souvent le nom de Tout-puissant (i). En effet, en parlant de lui-même, Jéhovah dit : « Je suis le Dieu tout- puissant (2); » et Jacob, envoyant ses fils à Joseph, faisait cette prière : « Que le Dieu tout-puissant

1. Sum. theol., I, Q. xxv. 2. Gènes., xvn, 1.

TEXTE DU CATÉCHISME ROMAIN 521

vous fasse trouver grâce devant lui (i). » Il est écrit dans L'Apocalypse : « Le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-puissant (2) ; » ail- leurs, le jugement est appelé « le grand jour du. Seigneur tout-puissant (3). » D'autres fois aussi nous voyons plusieurs mots employés pour dire la même chose, comme dans ces endroits : « // n'y a rien qui soit impossible à Dieu (4). » « Le bras de Jéhovah est-il trop court (5) ? » « Vous pouvez faire, Seigneur, tout ce que vous voulez (6). » L'Ecriture est ainsi remplie d'une foule d'expressions, qui, pour le sens, sont équivalentes à celle de Tout- puissant.

u Or nous entendons par ce terme qu'il n'y a rien, qu'il est impossible de rien concevoir, de rien imaginer qui surpasse la puissance de Dieu. Car non seulement il peut faire toutes ces choses qui, toutes grandes qu'elles sont, nous sont cepen- dant plus ou moins connues, comme de faire ren- trer l'univers dans le néant, ou de créer de rien, en un instant, plusieurs autres mondes; mais son pouvoir s'étend aussi à des choses infiniment plus relevées, dont la raison humaine ne saurait même soupçonner la possibilité.

« Cependant, bien qu'il soit tout-puissant, Dieu ne saurait mentir, ni tromper, ni être trompé, ni pécher, ni cesser d'être, ni rien ignorer. Ce sont des choses qui n'appartiennent qu'aux êtres impar- faits. Pour Dieu, dont l'action est toujours d'une perfection infinie, il ne peut les faire, parce qu'elles sont des effets de la faiblesse, et non d'un pouvoir souverain sur toutes choses, tel qu'il le possède. Ainsi donc, tout en reconnaissant en Dieu

1. Gènes., xliii, i4- 2. Apoc., 1, 8. 3. Apoc., vi, 17. £. Luc., 1, 37. 5. Num., xi, 23. 6. Sap., xn, 18.

52 2 LE CATÉCHISME ROMAIN

la toute-puissance, nous croyons cependant qu'il est parfaitement exempt de tout ce qui ne serait pas en harmonie et en rapport avec sa nature infini- ment parfaite.

« Que si le Symbole omettant les autres perfec- tions de Dieu, ne propose à notre croyance que la toute-puissance, le pasteur aura soin de montrer que ce n'est pas sans des raisons très sages. En effet, dès que nous croyons qu'il est tout-puissant, nous avouons par même qu'il a la connaissance de toutes choses, et que tout est soumis à sa volonté et à son empire ; et nous reconnaissons en lui tout ce qui est lié avec sa souveraine puissance et qui est nécessaire pour nous le faire comprendre.

« D'ailleurs, rien n'est plus propre à affermir notre foi et notre espérance que la conviction profondé- ment gravée dans nos esprits que rien n'est impos- sible à Dieu. Quoi que l'on nous propose ensuite de croire, quelque grand et quelque incompréhen- sible que cela soit, quelque élevé que cela se trouve au-dessus de l'ordre accoutumé de la nature, la rai- son humaine y donnera facilement son assentiment dès qu'elle aura compris la toute-puissance de Dieu; et même plus les divins oracles annonceront des choses étonnantes, plus elle y ajoutera foi avec em- pressement. Que s'il s'agit des biens à espérer, jamais la grandeur de l'objet promis n'ébranlera la confiance de l'esprit, qui affermira au contraire ses désirs et ses espérances par cette pensée, souvent présente à son souvenir, que rien n'est impossible à un Dieu tout-puissant.

« Ayons donc soin de nous fortifier par la foi de cette vérité, surtout lorsque nous aurons à faire pour l'utilité du prochain quelque chose de difficile, ou que nous voudrons obtenir quelque chose de Dieu par la prière. Jésus-Christ nous enseigne lui-même

TEXTE DU CATÉCHISME ROMAIN 52 3

ce devoir lorsque, reprochant à ses apôtres leur in- crédulité, il leur dit : « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette mon- tagne: Passe d'ici là-bas, et elle y passera, et rien ne vous sera impossible (i). » Et l'apôtre saint Jac- ques, pour exciter la confiance du fidèle dans la prière, l'exhorte à « demander avec foi, sans hésiter ; car celui qui hésite est semblable au flot de la mer qui est poussé par le vent de tous les côtés ; que cet homme-là ne s'imagine donc pas qu'il recevra quelque chose du Seigneur (2). »

a Au reste, cette croyance nous est très utile et très avantageuse sous d'autres rapports. D'abord elle nous porte à la modestie et à l'humilité de l'esprit, suivant ces mots de saint Pierre : « Humi- liez-vous sous la main puissante de Dieu (3). » De plus, elle nous apprend à ne pas craindre « ou il n'existe aucun sujet de crainte (4) » , et à « ne crain- dre que Dieu seul (5) », qui «nous tient en son pouvoir, nous et tous nos biens (6). » Et le Seigneur lui-même a dit : « Je vous montrerai celui que vous devez craindre. Craignez celui qui, après avoir tué le corps, peut vous précipiter dans l'enfer (7). » Cette même foi sert encore à nous rappeler les grands bienfaits de Dieu à notre égard et à exciter notre reconnaissance. Quiconque pense, en effet, à la toute -puissance de Dieu, serait d'une trop grande ingratitude, s'il ne s'écriait souvent : « Celui qui est tout-puissant a fait pour moi de grandes choses (8).)) « Mais de ce que, dans cet article, nous disons que le Père est tout-puissant, il ne faudrait pas croire ; que la même perfection ne soit commune au Fils et v.i

1. Matth., xvii, 20. 2. Jac, 1, 6-7. 3. I, Petr.t v, 6. 4. Psal., lu, 6. 5. Psal., xxxn, 8. 6. Sap., vu, 16. 7. Luc, xii, 5. 8. Luc, 1, 49.

524 LE CATÉCHISME ROMAIN

au Saint-Esprit. De même que nous disons que le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu, sans dire pour cela qu'il y a trois Dieux, mais en confessant réellement un seul Dieu ; ainsi, en confessant que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont tout-puissants, nous ne reconnaissons pas trois tout-puissants, mais un seul. Il y a pourtant une raison particulière de donner cette qualité au Père, c'est qu'il est la source de tout ce qui existe. Ainsi, nous disons du Fils qu'il est la sagesse, parce qu'il est le Verbe du Père ; et du Saint-Esprit, qu'il possède la bonté, parce qu'il est l'amour du Père et du Fils ; et cependant ces qualités ainsi que les autres con- viennent également aux trois personnes suivant la règle de la foi catholique (i) ».

II. Toute-puissance de Dieu

1. Sa corrélation étroite avec l'Intelligence et la Volonté. La Toute-puissance divine est le corollaire logique et nécessaire de la science et de la volonté de Dieu. La science et la volonté, en effet, concourent à la création et sont la cause des êtres créés.

i. La science d'abord, car elle est aux choses créées, dit saint Thomas (2), ce que la science de Partisan est à ses ouvrages. Or, la science de l'artisan est la cause de ses ouvrages, puisqu'il opère par son intelligence. La forme intellectuelle est ainsi le principe de toute opération. Toutefois la forme intelligible n'est pas principe d'action par cela seul qu'elle est dans l'intelligence, il faut qu'elle soit inclinée vers tel effet par la volonté. Placée

i.Cat. rom., I, art. 1, xv-xix. 2. Sumtheol., I, Q. xvi, a 8

TOUTE-PUISSANCE DE DIEU 525

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entre deux pôles opposés, elle se porte vers l'un ou vers l'autre sous l'impulsion de la volonté. Jointe ainsi à la volonté, elle procède à l'opération et constitue la science d'approbation. Cette science diffère de celle de l'homme. Car, dit saint Augustin, « Dieu ne connaît pas les créatures spirituelles et corporelles parce qu'elles sont, mais ces créatures existent parce que Dieu les connaît (i). » Dans l'homme, au contraire, ce sont les créatures qui sont la cause de sa science; en lui, la nature pré- cède et mesure sa science ; tandis que la science de Dieu précède et mesure la nature elle-même. Et bien que la science de Dieu soit éternelle, il ne s'ensuit pas que les créatures soient aussi éternelles ; éternellement elles sont dans la science divine, mais elles ne passent à l'existence qu'au moment fixé par Dieu.

2. A la science s'ajoute la volonté. Celle-ci aussi est la cause des choses (2). Puisque la nature agit pour une fin, tout aussi bien que l'intelligence, il faut qu'une intelligence supérieure prescrive à la nature la lin qu'elle doit atteindre et les moyens propres à y parvenir. Or Dieu est la pre- mière des causes : Il agit donc par l'intelligence et parla volonté. De plus, une cause naturelle produit toujours le même effet, parce qu'elle agit toujours, à moins d'obstacle, d'une manière uniforme, d'une manière conforme à sa nature qui est déterminée, circonscrite, limitée. Ce ne peut être le cas de Dieu; vis-à-vis des créatures, il n'agit pas par nécessité, mais uniquement selon la détermination de sa volonté et de son intelligence. Enfin, la cause pro- duit son effet conformément à la manière dont elle le contient, c'est-à-dire selon son mode d'être. Or,

1. De Triait., xv, i3. 2. Sum. theol., I, Q. xix, a.

526 LE CATÉCHISME ROMAIN

en Dieu, l'être est son intelligence. Il contient ses effets d'une manière intelligible, c'est-à-dire par l'intervention de la volonté qui seule détermine Dieu a réaliser ce qu'il a conçu dans son intelli- gence. N'oublions pas qu'intelligence et volonté ne se distinguent entre elles et avec l'essence divine que par un effet de notre esprit, car en Dieu c'est tout un.

2. Son existence et son objet. i. Nous avons vu sur quels textes scripturaires le Caté- chisme romain s'appuie pour prouver l'existence de la toute-puissance. On en peut signaler d'autres, et, par exemple, les suivants : « Tu es puissant^ Jéhovah (i). » a Je sais que tu peux tout (2). »

Tout ce que veut Jéhovah, il le fait,

Dans les cieux et sur la terre,

Dans la mer et dans tous les abîmes (3).

Nous avons vu aussi l'objet qu'il assigne à cette toute-puissance.

Dieu, étant l'être même, exclut de son essence tout mélange de potentialité ; car la puissance est un devenir et le devenir est en opposition formelle avec Têtre. Mais la puissance peut s'entendre ou comme une pure réceptivité soumise à l'influence causale d'un agent extrinsèque, ou comme une force capable de produire certains effets ; dans le premier cas, on l'appelle puissance passive, dans le second puissance active. Considérée dans sa signifi- cation formelle, la puissance passive implique une imperfection, un défaut d'être ; tandis que la puis- sance active ne contient dans son concept aucune

1. PsaL, lxxxviii, 9. a. Job., xlii, 2. 3. Psal., cxxxiv, 6.

TOUTE-PUISSANCE DE DIEU 52 7

imperfection ; on ne peut agir, en effet, que parce qu'on est et dans la mesure on est. La puissance active étant faite pour l'opération, elle sera d'autant plus parfaite qu'elle s'identifiera mieux avec cette opération ; et si elle se confond essentiellement avec elle, elle sera un acte pur ; l'acte pur et fêtre pur ne seront qu'une seule réalité. Mais si la puissance active se distingue de son opération, elle conservera sans cloute sa perfection naturelle, mais elle sera par le fait même une puissance mêlée de passivité, capable de recevoir, par son exercice, un accroisse- ment d'être, ce qui est le caractère formel de la puissance passive. Ce dernier cas regarde les créa- tures ; le premier ne s'applique qu'à Dieu.

Dieu, en effet, parce qu'il est l'être infini, est l'acte pur, sans aucun mélange de potentialité. Il est déterminé par son essence à la plénitude de l'être et à la plénitude de l'opération. Mais cette opération, au lieu de survenir à sa vertu active comme une perfection nouvelle, n'est que l'acte infiniment subsistant d'une essence qui s'identifie avec sa propre existence : être et agir ne sont en Dieu qu'une seule et même chose. Mais il y a une différence entre l'opération divine ad intra, qui se termine tout entière dans l'essence subsistante d'où elle procède et dont nous parlerons en traitant de la trinité, et l'opération ad extra qui, sans sortir formellement de cette essence, s'extériorise pourtant virtuellement, en tant qu'elle aboutit à la production d'un être distinct de l'être divin. Cette dernière opération, la seule à envisager ici, s'étend aussi loin que le champ des essences réalisables ; la puissance divine est aussi illimitée que son essence.

La puissance se mesurant à l'être qui la possède, il va de soi que la puissance de Dieu comme son être est infinie, sans bornes, sans limites. Et c'est

528 LE CATÉCHISME ROMAIN

pourquoi on l'appelle la toute-puissance. C'est le seul des attributs divins que mentionne le Symbole des apôtres ; et e Catéchisme romain fait observer avec raison qu'il n'exclut pas les autres, puisqu'il im- plique notamment celui d'intelligence et de vo- lonté.

2. Dieu est tout-puissant, qu'est-ce à dire? qu'il peut tout ? Oui, sans doute, il peut tout ce qui est possible. Car il est des choses absolument impossi- bles, et, par exemple, les choses contradictoires. Une chose, en effet, est absolument possible lorsque, dans les deux termes de la proposition qui l'expri- ment, l'attribut ne répugne pas au sujet. Or tout ce qui peut avoir la nature de l'être rentre dans les possibles absolus et tombe sous le domaine de la toute-puissance divine. Mais comme rien n'est con- traire à la nature de l'être que le non-être, il ne se trouve hors de ces possibles absolus que ce qui implique en même temps l'être et le non-être, c'est- à-dire ce qui est contradictoire. L'intelligence divine ne saurait concevoir le contradictoire. On ne peut donc pas dire que Dieu ne peut pas le faire ; on parle plus correctement en disant que cela est impossible de soi.

Le péché étant un défaut de perfection dans l'acte, Dieu, qui est la perfection même, ne peut se con- cevoir avec ce défaut. Et c'est parce qu'il est tout- puissant qu'il ne peut absolument pas pécher.

De même Dieu ne peut pas faire que les choses passées n'aient été, cela implique contradiction.

Mais Dieu peut faire bien des choses qu'il ne fait pas. « Pensez-vous, disait Notre Seigneur, que je ne puisse pas prier mon Père, et il ni enverrait aussitôt douze légions d 'anges (i). » Saint Augustin fait les

i. Matth. xxvi, 53,

TOUTE-PUISSANCE DE DIEU 529

remarques suivantes : Dieu aurait pu d'un seul coup exterminer les idolâtres (i), et il ne l'a pas fait; infliger aux impies de nouveaux tourments (2), et il ne l'a pas fait ; susciter de la pierre des en- fants d'Abraham (3), et il ne l'a pas fait ; jeter les montagnes dans la mer (4), et il ne l'a pas fait ; opérer mille autres merveilles, et il ne l'a pas fait. « On voit donc que Dieu ne fait pas tout ce qu'il peut faire. L'Ecriture aussi bien que la raison con- damne l'opinion contraire (5). »

Dieu peut-il faire des choses meilleures que celles qui existent? Sans aucun doute. « Dieu, dit saint Paul, peut faire infiniment plus que tout ce que nous demandons ou concevons (6). » Il y a deux sortes de bonté, observe saint Thomas ; celle qui tient à l'essence des choses, et, sous ce rapport, Dieu peut bien faire une chose meilleure qu'une autre. Mais il ne peut pas faire que la même chose soit meilleure dans son essence qu'elle n'est. Car de même qu'il ne saurait rendre le nombre quatre plus grand, parce qu'il en changerait l'espèce en y ajoutant, de même il ne saurait, sans la chan- ger, rendre une chose meilleure dans son essence, parce que l'addition d'une qualité substantielle changerait la nature des choses. Mais outre la bonté essentielle des êtres, il y a une bonté accidentelle, par exemple la sagesse et la justice dans la nature raisonnable de l'homme. Celle-ci, Dieu peut incon- testablement l'améliorer et l'accroître (7).

Mais Dieu pourrait-il faire mieux qu'il ne fait, en entendant mieux au sens d'adverbe ? Dieu ne peut pas faire mieux qu'il ne fait, si on le considère en lui-même, car en faisant ce qu'il fait, il ne saurait

1. Jos., xxiw, 9. 2. Sap., xvi, 6. 3. Luc, m, 8. 4. Matth., xi, 23. 5. De spirit. et litt., xxxiv. 6. Eph., in, 20. 7. Sum. theol, I, Q. xxv, a. 6.

LE CATÉCHISME. T. I. 5

53o LE CATÉCHISME ROMAIN

opérer ni avec plus de sagesse ni avec plus de puis- sance ; mais si l'on regarde les choses faites, oui il pourrait faire mieux, puisqu'il est en sa puissance d'améliorer les choses qui existent, non dans leur essence, mais dans leurs accidents.

3. Puissance limitée de l'homme. L'homme étant intelligence et volonté possède, dans la même mesure, la puissance. Mais quelle puis- sance que la sienne, à côté de la toute-puissance divine 1 Que de limites, comme, du reste, dans sa science et sa volition ! Et pourtant jusqu'à quel point ne s'est-elle pas élevée de nos jours ! que de travaux I que de recherches ! que de progrès déjà réalisés, insoupçonnés hier encore ! Dans tous les champs de l'activité humaine, en histoire, en géo-* graphie, en archéologie, en philologie, dans les sciences surtout, qui transforment de jour en jour le commerce, l'industrie, et apportent plus de bien-être physique, plus de civilisation ! Et que de progrès futurs, qu'on ne soupçonne pas aujourd'hui, mais qui, demain peut-être, seront des réalités I La marge est grande dans l'œuvre divine, et le savoir, et la volonté, et la puissance de l'homme peuvent y évoluer à leur aise, sans qu'on puisse jamais se flatter d'en avoir découvert tous les trésors, et d'en tarir les merveilles. Et l'espoir, au cœur de l'homme, s'est élevé jusqu'à l'enthousiasme, jusqu'à l'enivre- ment de lui-même. Que de rêves en perspective, dans un avenir qu'on dit plus ou moins prochain I Plus de misères dans les masses, rien que du bonheur ! Plus de guerres entre peuples, rien que la paix ! Plus de maux, plus de mort, si c'était possible ! Et ne serait-ce pas possible ? Qui sait ? Mais non, par l'homme est rappelé au peu qu'il est, au peu qu'il peut. Ce serait sagesse que de le reconnaître ; c'est

ATTRIBUTS MORAUX : LA BONTE 53 1

folie de le méconnaître, et folie plus grande encore de penser, de parler, d'agir, comme si par delà le monde phénoménal Dieu n'existait pas, de rayer du domaine rationnel son existence et d'en venir à cette monstruosité de croire que Dieu est en train de se faire dans le monde grâce au progrès, en train de prendre conscience de lui-même dans l'homme et par l'homme. L'homme ne serait-il pas, n'est-il pas en définitive le Dieu nouveau ? Une telle aberration intellectuelle et morale n'est pas rare de nos jours* Impertinente comme l'orgueil, dont elle est l'ex- pression, il pourrait bien se faire qu'elle fût châtiée tôt ou tard. Car s'il est vrai que la foudre frappe les cimes altières, il est encore plus vrai que a Dieu résiste aux superbes (i). » Et Dieu n'a guère qu'à abandonner l'homme à ses propres forces ; et tout autonome qu'il se proclame, l'homme se suffît à lui-même pour montrer une fois de plus que, sans Dieu, il n'est rien et ne peut rien, malgré ses pré- tentions. La Providence a parfois de ces leçons de choses.

III. Attributs moraux

i. La Bonté et l'amour. Dieu est le bien, le souverain bien ; il est la bonté, la bonté souve- raine ; c'est dire qu'il est souverainement aimable* Il est en même temps souverainement amour.

L'amour va au bien, naturellement ; tous les actes de la volonté le supposent comme leur première racine, comme leur principe générateur. Nul être Intelligent ne désire que le bien aimé, nul ne se délecte que dans le bien aimé, nul ne hait que ce

x. Jac, iv, 6.

532 LE CATÉCHISME ROMAIN

qui s'oppose au bien aimé (i). Partout se trouve la volonté se trouve donc l'amour. Par suite l'amour doit se retrouver en Dieu, à l'état parfait, puisqu'en Dieu la volonté est parfaite.

Dieu étant le bien, la bonté, la sagesse et la volonté, dans leur perfection absolue, s'aime lui- même nécessairement, en vertu même de sa nature, ainsi que nous l'avons déjà dit.

Il aime aussi les créatures, toutes les créatures, par le seul fait qu'il leur a donné l'être, ou la vie, ou l'intelligence et la volonté, parce que tout cela est un bien qu'il leur a libéralement départi. Mais il ne les aime pas toutes de la même manière. Celles qui sont privées de raison, incapables par suite de lui rendre amour pour amour et de participer à sa béatitude, il les aime sans doute, mais ce n'est pas à rigoureusement parler d'un amour d'amiiié, c'est plutôt d'un amour de quasi concupiscence, non qu'il les désire ou qu'il en ait besoin, mais parce que, en les créant et les conservant, c'est le bien des créa- tures raisonnables qu'il a en vue, pour leur mani- fester sa bonté et leur faire du bien. Quant aux. créatures raisonnables, celles-ci, par un mouvement de leur intelligence et de leur volonté, pouvant répondre à son amour, Dieu les aime d'un amour d'amitié, de bienveillance, et il les aime en proportion du bien qu'il communique à chacune d'elles et du bien que chacune d'elles accomplit. Mais si, par le péché, elles viennent à se détourner de lui, il les aime encore, non pas en tant que coupables, mais, quoi qu'elles soient coupables, en tant qu'êtres qui sont et qui sont par lui.

L'Ecriture renferme d'innombrables témoignages de la bonté et de l'amour de Dieu envers les hom-

t. Sum. theol, I, Q. xx, a. i.

LA BONTÉ DE DIEU 533

mes ; elle nous représente Dieu sous les traits d'un père, d'une mère, d'un ami, d'un époux. Dieu nous traite, en effet, comme des êtres de prédilection ; il nous couvre de bienfaits ; et saint Jean l'a défini avec raison, quand il a dit : « Dieu est charité (i). »

« Une femme oublier a-t-elle son nourrisson,

Qu'elle n'ait pas pitié du fruit de ses entrailles ?

Quand les mères oublieraient,

Moi, je ne t'oublierai point (2). »

« // l'a entouré (le peuple juif), il a pris soin de lui,

Il l'a gardé comme la prunelle de son œil.

Pareil à l'aigle qui excite sa couvée,

Et voltige au-dessus de ses petits,

Jehovah a déployé ses ailes, il a pris Israël,

// l'a porté sur ses plumes (3). »

« Comme un homme que sa mère console, ainsi je vous consolerai (4). »

C'est à l'âme chrétienne que peuvent s'appliquer ces paroles d'Ezéchiei : « Tu fus renommée parmi les nations pour ta beauté, car elle était parfaite, grâce à ma splendeur que f avais répandue sur toi, dit le seigneur Jéhovah (5). » L'âme chrétienne, en effet, objet de la tendre sollicitude de Dieu est sa fille adopfcive, destinée à jouir de sa propre gloire dans le ciel. De combien de bienfaits n'est-elle pas redevable ici bas à ce Dieu bon et généreux? Et de combien de gloire ne sera-t-elle pas un jour récompensée? En possession delà grâce présente et dans l'espérance de la gloire future, dont l'homme ne saurait se faire une idée, combien ne doit-elle pas s'efforcer de rép ndre par son amour recon- naissant à l'amour inlini ?

1. ÏJoan., iv, 16. 2. haï., xlix, i5. 3. Deut., xxxii, io-ii. 4. Isaï., lvi, i3. 5. Ezech., xvi, i4.

534 LE CATÉCHISME ROMAIN

2. La Miséricorde. C'est particulièrement à l'égard des malheureux, et de la manière la plus tou- chante, qu'éclate la bonté divine, ou la Miséricorde. Ce mot, dit saint Augustin, vient de « miserum cor facere condolentis alieno malo (i). » Il s'applique à l'âme qui compatit aux peines des autres.

Dieu, évidemment, ne possède pas cette attribut comme une passion affective (2), car il ne saurait être atteint dans sa béatitude infinie par la misère d'autrui ; mais il lui convient éminemment de la soulager, de la faire disparaître, parce que toute misère est un défaut. Or, qui est plus malheureux que le pécheur, puisqu'en lui cette misère morale qu'est le péché constitue un défaut dont il est res- ponsable ? Et qui plus que le pécheur, surtout quand il est pénitent, attire les bienfaits de la misé- ricorde divine ?

« Reviens, infidèle Israël, dit Jéhovah ;

Je ne veux pas vous montrer un visage sévère,

Car je suis miséricordieux, dit Jéhovah,

Et je ne garde pas ma colère à toujours.

Seulement reconnais ta faute,

Car tu as été infidèle à Jéhovah, ton Dieu...

Revenez, fils infidèles, dit Jéhovah,

Car je suis votre maître (3). »

« Prendrai-je plaisir à la mort du méchant, dit le Sei- gneur Jéhovah ? N'est-ce pas plutôt à ce qu'il se détourne de ses voies et qu'il vive ?... Détournez-vous et conver- tissez-vous de tous vos péchés, et l'iniquité ne deviendra .pas votre ruine. Rejetez loin de vous toutes les transgres- sions que vous avez commises, faites-vous un cœur nou- veau et un esprit nouveau. Pourquoi mourriez-vous, mai- son d'Israël ? Car je ne prends point plaisir à la mort de

1. De mor. Eccles., I, xxvii, 53. 2. Sum. theol, I, Q. xxi, & 2, 3. 3. Jcrera., in, 12-14.

LA MISÉRICORDE DE DIEU 535

celui qui meurt, dit le Seigneur Jéhovah ; convertissez- vous donc et vivez (i). »

a Cest moi, moi seul, qui efface tes prévarications pour l'amour de moi (2). »

« SoUviens-toi de ces choses, 6 Jacob,

0 Israël, car tu es mon serviteur ;

Je t'ai formé, tu es mon serviteur,

0 Israël, tu ne seras pas oublié de moi !

J'ai effacé tes transgressions comme un nuage,

Et tes péchés comme une nuée ;

Reviens à moi, car je t'ai racheté.

deux, poussez des cris de joie, car Jéhovah a fait cela F

Retentissez d'allégresse, profondeurs de la terre !

Eclatez de joie, montagnes,

Forêts, avec tous vos arbres,

Car Jéhovah a racheté Jacob

Et manifesté sa gloire en Israël (3). »

Qui n'a présents à la mémoire les accents de David pour remercier Dieu de ses bienfaits (4) ? Qui ne se rappelle ce psaume cxxxve, sous forme de litanie, à chaque verset revient comme un relrain, le quoniam in œlernum misericordia ejus, sa miséricorde est. éternelle ? Et n'est-ce pas sous le nom de Pèie que Notre Seigneur nous a appris à, prier Dieu : « Noire Père, qui êtes aux deux!)) Saint Paul a raison d'appeler Dieu « le père des miséri- cordes et le Dieu de toute consolation (5). » La miséricorde ! quel attribut plus consolant pour- nôtre humaine misère ! En quels traits inoubliables le divin Maître l'a marqué dans ces paraboles si touchantes de la brebis perdue et de l'enfant prodi- gue ! Et quel thème fécond sous la plume et sur les

1. Ezech., xvin, 3o-32. 2. haï., xliii, 25. 3. haï., xlïv, 21-23. (\. Psal., en ; on le trouvera à la fin de cette leçon. 5. II Cor., 1, 3.

536 LE CATÉCHISME ROMAIN

lèvres des Pères de l'Eglise ! Mais, par contre, de la part du pécheur, quelle folie de rester sourd aux appels de la miséricorde divine, de s'attarder dans le péché, de s'y endurcir 1 Et quel malheur d'y mourir ! Car si Dieu est bon et miséricordieux au- delà de tout ce qu'on peut dire, il est juste égale- ment ; sa bonté ne saurait entraver sa justice.

3. La justice. Dieu est bon, miséricordieux, patient, d'une longanimité à toute épreuve ; mais il est juste. Il n'a pas, il ne peut pas avoir la justice commutative , celle qui règle les échanges, les tran- sactions, les achats ou les ventes ; car, comme l'a dit saint Paul, « qui lui a donné le premier, pour qu'il ail à recevoir en retour (i) ? » Mais il a la jus- tice distributive, qui consiste dans une répartition équitable des biens et des maux, et qui s'impose comme une règle à tout souverain, à tout adminis- trateur, à tout juge. N'est-il pas le Maître, le Sou- verain, le Législateur, le Juge par excellence ?

Il est tenu sans aucun doute, dès qu'il se décide à faire quelque acte extérieur, d'accomplir les des- seins de sa sagesse et de manifester la munificence de sa bonté (a). Ayant donc créé les êtres, il est tenu de plus d'accorder à chacun ce qui lui est selon sa nature et sa condition. Nulle difficulté pour les êtres sans raison. Mais vis-à-vis de l'homme ? L'homme peut mal user de sa liberté, il désobéit et il pèche ; il peut aussi en faire un excellent usage, s'en servir pour vaincre ses passions, pratiquer la vertu et accumuler de bonnes œuvres. En présence de cette alternative, Dieu se doit à lui-même et il doit à l'homme de traiter l'homme selon le bon ou mau- vais usage de sa liberté. Nécessairement, il doit

i. Rom., xi, 35. 2. Sam. iheol, I, Q. xxi, a. i, 2.

LA JUSTICE DE DIEU 53y

récompenser le bien et punir le mal. Dans quelle mesure et de quelle manière, c'est ce que nous ver- rons plus tard.

Cet attribut divin se retrouve, cela va sans dire, à toutes les pages de nos saints Livres. Tobie disait dans sa prière : « Vous êtes juste, Seigneur ; justes sont tous vos jugements, et toutes vos voies sont miséricorde, vérité et justice (i). » Le psalmiste, dans son éloge de la loi de Dieu, s'écriait :

« Tu es juste, Jéhovah,

Et tes jugements sont équitables (2). »

Saint Mathieu (3) et saint Paul (4) répètent : « Dieu rendra à chacun selon ses œuvres. » L'Apôtre raisonnait de la sorte : « Ainsi, qui que tu sois, ô homme, toi qui juges, tu es inexcusable : car en jugeant les autres, tu te condamnes toi-même, puisque tu fais les mêmes choses, toi qui juges. Car nous savons que le jugement de Dieu est selon la vérité contre ceux qui commettent de telles (fautes). Et tu penses, ô homme, toi qui juges ceux qui les commettent, et qui les fais toi-même, que tu échapperas au jugement de Dieu ? Ou méprises-tu les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longanimité ? Et ne sais-tu pas que la bonté de Dieu t'invite à la pénitence ? Par ton endur- cissement et ton cœur impénitent, tu t'amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres : la vie éternelle à ceux qui, par la persévérance dans le bien, cherchent la gloire, l'honneur et l'immortalité ; mais la colère et l'indigna- tion aux enfants de contention, indociles à la vérité, dociles à l'iniquité (5). » C'est en quelques mots,

1. Tob., m, a. 2. Psal., cxvm, 187. 3. Matth., xvi, 27% 4. Rom., 11, 6. 5. Rom., 11, 1-8.

538 LE CATÉCHISME ROMAIN

l'indication de la rétribution finale. Et si, d'une part, on comprend, devant cette alternative formi- dable, la vérité de celte sentence . « II est effroyable de tomber dans tes mains du Dieu vivant (i), » car la justice de Dieu n'est redoutable qu'aux pécheurs, on comprend aussi, d'autre part, la confiance, la sérénité, le calme et la paix du serviteur bon et fidèle, qui faisaient dire à saint Paul : « J'ai com- battu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi; il ne me reste plus qu'à recevoir la couronne de justice, que me donnera en ce jour-là le Seigneur, le juste juge, et non seulement à moi, mais à tous ceux qui auront aimé son avènement (2). »

4. La Sainteté. La Sainteté est l'abrégé et comme un précis des perfections divines. C'est elle qu'exaltait en particulier Moïse, après le passage miraculeux de la Mer Rouge.

« Je chanterai à Jéhovah, car il a fait éclater sa gloire : Il a précipité dans la mer cheval et cavalier.

Qui est comme toi parmi les Dieux, ô Jéhovah ? Qui est comme toi auguste en sainteté (3) ? »

Dieu se manifeste à ses prophètes comme le saint, le très saint, le trois fois saint. Isaïe raconte ainsi l'une de ses visions « Je vis le Seigneur assis sur un trône haut et élevé, et les pans de sa robe remplissaient le temple. Des séraphins se tenaient au- dessus de lui ; ils avaient chacun six ailes... Et ils criaient l'un à l'autre et disaient :

Saint, saint, saint est Jéhovah des armées ! Toute la terre est pleine de sa gloire (4). »

1. Heb., x, 3i. 2. II Tim., iv, 7-8. 3. Exod., xv, 1, n# 4. Isaï, vi, i-3.

LA SAINTETÉ DE DIEU 53g

Dans la vision de saint Jean, ce sont les quatre animaux symboliques, recouverts eux aussi de six ailes, qui ne cessent de dire jour et nuit : « Saint, saint, saint est le Dieu tout-puissant, qui était, qui est et qui vient (i). »

Saint, tel est le titre que Notre Seigneur donne à son Père avec celui de juste, dans sa dernière prière : Pater sancte (2), Pater juste (3); ces deux titres n'en font qu'un, ils résument toutes les per- fections morales de Dieu.

La sainteté de Dieu est incompatible avec tout péché, avec toute imperfection d'entendement et de volonté, avec tout défaut; car Dieu est bon par essence ; il n'entend et ne veut que ce qu'il faut ; son intelligence et sa volonté sont sa nature même qui est excellente. En lui se confondent sa perfec- tion morale et sa perfection naturelle.

A raison de cette sainteté, Dieu veut que les créa- tures raisonnables s'appliquent de tous leurs efforts à lui ressembler. « Je suis Jéhovah, votre Dieu ; vous vous sanctifierez, et vous serez saints, car je suis saint (4). » Et c'est pourquoi il entoure de tant d'égards prodigieux ceux qui travaillent à se sanctifier sur la terre. Il les encourage, il les engage à redoubler d'efforts, à progresser sans cesse. « Que le juste pratique encore la justice : et que le saint se sanctifie encore (5). »

Jéhovah aime la justice,

Et il n abandonne pas ses fidèles (6). »

Les abandonner n'est pas assez. C'est en eux qu'il établit sa demeure. « Si quelqu'un m'aime, dit Notre Seigneur, il gardera ma parole, et mon Père

i. Apoc, iv, 8. 2. Joan., xvn, 11. 3. Joan., xvn, a5. 4. Levit., xi, 44 ; xix, 2 ; 1 Petr., 1, 16. 5. Apoc, xxn, 11. 6. PsaL, xxxvi, *8.

54 O LE CATÉCHISME ROMAIN

l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure (i). » L'âme du saint, en effet, est, selon l'enseignement de saint Paul, le temple particulièrement choisi de Dieu (2). De ce temple béni s'élèvent des prières, justement compa- rées aux parfums de l'encens (3). Voici comment la Sagesse dépeint la vie des saints :

« Les âmes des justes sont dans la main de Dieu,

Et les tourments ne les atteindront pas.

Aux yeux des insensés ils paraissent être morts,

Et leur sortie de ce monde semble être un malheur.

Et leur départ du milieu de nous un anéantissement ;

Mais ils sont dans la paix.

Alors même que, devant les hommes, ils ont subi des châ-

Leur espérance est pleine d'immortalité. [timents,

Après une légère peine, ils recevront une grande récompense.

Car Dieu les a éprouves

Et il les a trouvés dignes de lui,

Il les a essayés comme l'or dans la fournaise,

Et les a agréés comme un parfait, holaucausle.

Au jour de leur récompense, les justes brilleront,

Semblables à la flamme qui court à travers les roseaux.

Ils jugeront les nations et domineront les peuples,

Et le Seigneur régnera sur eux à jamais (4). »

Le psalmiste a raison de dire :

« Elle a du prix aux yeux de Jéhovah,

La mort de ses fidèles (5). »

« Les fidèles triomphent dans la gloire

Et tressaillent de joie sur leur couche (6). »

La récompense assurée aux élus dépasse tout ce que l'on peut concevoir. Car, dit saint Paul, « notre

1. Joan., xrv, a3. 2. T Cor., in, 17 ; vi, 19 ; II Cor., vi, 16. 3. Apoc, v. 8. 4- Sap., m, 1-8. 5. l'&al., cxv, i5. 6. PsaL, cxLix, 5.

LA SAINTETÉ DE DIEU 54 1

légère affliction du moment présent produit pour nous, au-delà de toute mesure, un poids éternel de gloire (i). »

Le pécheur ne saurait aspirer à une telle récom- pense ; sa vie répugne à la sainteté de Dieu : c'est le sentiment de David, dans sa prière matinale :

« Jéhovah, dès le matin, tu entendras ma voix;

Car tu n'es pas un Dieu qui prenne plaisir au mal;

Avec toi le méchant ne saurait habiter.

Les insensés ne subsistent pas devant tes yeux ;

Tu hais tous les artisans d'iniquité.

Tu fais périr les menteurs ;

Jéhovah abhorre l'homme de sang et de fraude (2). »

« Les pécheurs attaquent Dieu inutilement par leur rébellion, dit Bossuet; et sa sainteté demeure inviolable au milieu des impiétés, des blasphèmes, des impuretés, dont tout l'univers est rempli par la malice des hommes et des démons. Il demeure saint, quoique pour punir les pécheurs il les livre à leurs mauvais désirs, parce que les y livrer n'est pas les produire. Dieu ne fait que se soustraire lui- même à un cœur ingrat ; et cette soustraction est sainte, parce que Dieu se soustrait justement lui- même à ceux qui le quittent, et punit leur égare- ment volontaire en les frappant d'aveuglement. Il fait tout dans l'homme, excepté le seul péché, son action ne se mêle point. Celui qu'il permet ne le souille point, parce que lui seul il en peut tirer un bien infini, et plus grand que n'est la malice de tous les péchés ensemble (3). »

Dieu, par bonté, par miséricorde, est toujours prêt à pardonner au pécheur repentant, à purifier

1. II Cor., iv, 17. 2. Psal, v, 4-7. 3. Elévations sur les mystères, Ie Sem., élév. xi.

54^ LE CATÉCHISME ROMAIN

sa conscience, à laver ses souillures, à le recevoir dans ses bras et sur son cœur, à le revêtir de la robe nuptiale et à' se réjouir de sa conversion. Car, au ciel, « il y aura plus de joie pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de se repentir (i). » Mais si, .malgré tout, le pécheur s'obstine et meurt dans son péché, Dieu lui dira : « Je ne vous ai jamais connus. Retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité (2). » Et la sentence du souverain juge, condamnant les maudits au feu éternel, sera l'expression de sa sainteté méconnue et de sa justice suprême.

En présence de la question de la nature de Dieu, l'homme, même avec les secours de la révélation, est impuissant à la résoudre d'une manière adéquate, il ne peut que « balbutier, » disions-nous en rappe- lant le mot de saint Grégoire. Et nous ne pouvons pas mieux terminer que par ces paroles de Fénelon : « Je ne puis m'accoutumer à vous voir, ô Infini simple, au dessus de toutes les mesures par lesquel- les mon faible esprit est toujours tenté de vous mesurer. J'oublie toujours le point essentiel de votre grandeur, et par je retombe à contre-temps dans l'étroite enceinte des choses finies. Pardonnez ces erreurs, ô bonté qui n'est pas moins infinie que toutes les autres perfections de mon Dieu ; par- donnez les bégayements d'une langue qui ne peut s'abstenir de vous louer, et les défaillances d'un esprit que vous n'avez fait que pour admirer votre perfection (3). »

1. Luc., xv, 7. 2. Matth., vu, a3. 3. Traité de Vexistence de Dieu, à la fin.

LA SAINTETÉ DE DIEU 543

1. Louange à Dieu pour sa bonté.

« Mon âme, bénis Jéhovah,

Et que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom 1

Mon âme, bénis Jéhovah,

Et n'oublie pas ses nombreux bienfaits.

C'est lui qui pardonne toutes les iniquités,

Qui guérit toutes les maladies ;

C'est lui qui délivre ta vie de la fosse,

Qui te couronne de bonté et de miséricorde ;

C'est lui qui comble de biens tes désirs ;

Et ta jeunesse renouvelée a la vigueur de l'aigle.

t( Jéhovah exerce la justice,

Il fait droit à tous les opprimés.

Il a manifesté ses voies à Moïse,

Ses grandes œuvres aux enfants d'Israël.

Jéhovah est miséricordieux et compatissant,

Lent à la colère et riche en bonté.

Ce n'est pas pour toujours qu'il réprimande,

Il ne garde pas à jamais sa colère.

Il ne nous traite pas selon nos péchés,

Et ne nous châtie pas selon nos iniquités.

<c Car autant les ci eux sont élevés au-dessus de la terre, Autant sa bonté est grande envers ceux qui le craignent. Autant l'Orient est loin de l'Occident, Autant il éloigne de nous nos transgressions. Comme un père a compassion de ses enfants Jéhovah a compassion de ceux qui le craignent. Car il sait de quoi nous sommes formés, Il se souvient que nous sommes poussière.

« L'homme ! Ses jours sont comme l'herbe,

11 fleurit comme la fleur des champs.

Qu'un souffle passe sur lui, il n'est plus,

Et le lieu qu'il occupait ne le connaît plus. [craignent,

Mais la bonté de Jéhovah dure à jamais pour ceux qui le

Et sa justice pour les enfants de leurs enfants,

Pour ceux qui gardent son alliance, [ver.

Et se souviennent de ses commandements pour les obser-

544 LE CATÉCHISME ROMAIN

<( Jéhovah a établi son trône dans les cieux,

Et son empire s'étend sur toutes choses.

Bénissez Jéhovah, vous, ses anges,

Qui êtes puissants et forts, et qui exécutez ses ordres,

En obéissant à la voix de sa parole.

Bénissez Jéhovah, vous toutes, ses armées,

Qui êtes ses serviteurs et exécutez sa volonté !

Bénissez Jéhovah, vous toutes, ses œuvres,

Dans tous les lieux de sa domination !

Mon âme, bénis Jéhovah ! » (Psaume en.)

2. En l'honneur du Créateur et du Bienfaiteur d'Israël.

« Rendez hommage à Jéhovah, car il est bon,

Car sa miséricorde est éternelle.

Rendez hommage au Dieu des dieux,

Car sa miséricorde est éternelle.

Rendez hommage au Seigneur des seigneurs,

Car sa miséricorde est éternelle.

A celui qui seul opère de grands prodiges,

Car sa miséricorde est éternelle ;

Oui a fait les cieux avec sagesse,

Car sa miséricorde est éternelle ;

Oui a étendu la terre sur les eaux,

Car sa miséricorde est éternelle ;

Qui a fait les grands luminaires,

Car sa miséricorde est éternelle ;

Le soleil pour présider au jour,

Car sa miséricorde est éternelle ;

La lune et les étoiles pour présider la nuit,

Car sa miséricorde est éternelle ;

A celui qui frappa les Egyptiens dans leurs premiers-nés,

Car sa miséricorde est éternelle ;

Il fit sortir Israël du milieu d'eux,

Car sa miséricorde est éternelle,

D'une main forte et d'un bras étendu,

Car sa miséricorde est éternelle ;

A celui qui divisa en deux la mer rouge,

Car sa miséricorde est éternelle,

LA SAINTETÉ DE DIEU 5^5

Qui fit passer Israël au travers,

Car sa miséricorde est éternelle,

Et précipita Pharaon et son armée dans la mer rouge

Car sa miséricorde est éternelle ;

A celui qui conduisit son peuple dans le désert,

Car sa miséricorde est éternelle,

Qui frappa de grands rois,

Car sa miséricorde est éternelle,

Et fit périr des rois puissants,

Car sa miséricorde est éternelle,

Séhon, roi des Amorrhéens,

Car sa miséricorde est éternelle,

Et Og, roi de Basan,

Car sa miséricorde est éternelle ;

Qui donna leur pas en héritage,

Car sa miséricorde est éternelle,

En héritage à Israël, son serviteur,

Car sa miséricorde est éternelle ;

A celui qui se souvint de nous quand nous étions humiliés,

Car sa miséricorde est éternelle,

Et nous délivra de nos oppresseurs,

Car sa miséricorde est éternelle ;

A celui qui donne à tout ce qui vit la nourriture,

Car sa miséricorde est éternelle.

Rendez hommage au Dieu des cieux,

Car sa miséricorde est éternelle. »

(Psaume cxxxv.)

3. Toute-puissance de Dieu. Chant de Moïse après le passage de la mer Rouge.

« Je chanterai à Jéhovah, car il a fait éclater sa gloire :

Il a précipité dans la mer cheval et cavalier.

Jéhovah est ma force et l'objet de mes chants ;

C'est lui qui m'a sauvé ;

C'est lui qui est mon Dieu : je le célébrerai ;

Le Dieu de mon père : je l'exalterai.

Jéhovah est un vaillant guerrier ;

Jéhovah est son nom !

Il a jeté dans la mer les chars de Pharaon et son armée ;

LH CATÉCHISMB. T. I. 33

546 LE CATÉCHISME ROMAIN

L'élite de ses capitaines a été engloutie dans la mer rouge.

Les flots les couvrent.

Ils sont descendus au fond des eaux comme une pierre,

Ta droite, ô Jéhovah, s'est signalée par sa force :

Ta droite, ô Jéhovah, a écrasé l'ennemi.

Dans la plénitude de ta majesté,

Tu renverses tes adversaires ;

Tu jéchaînes ta colère :

Elle les consume comme du chaume.

Au souffle de tes narines, les eaux se sont amoncelées,

Les flots se sont dressés comme une muraille,

Les vagues se sont durcies au sein de la mer.

L'ennemi disait : « Je les poursuivrai, je les atteindrai, Je partagerai les dépouilles,

Ma vengeance sera assouvie ;

Je tirerai l'épée, ma main les exterminera. »

Tu as soufflé de ton haleine :

La mer les a couverts,

Ils se sont enfoncés comme du plomb

Dans les vastes eaux.

Qui est comme toi parmi les dieux, ô Jéhovah ?

Qui est comme toi auguste en sainteté ?

Redoutable à la louange même,

Opérant des prodiges ?

Tu as étendu ta droite,

La mer les a engloutis...

Les peuples l'ont appris, ils tremblent ;

La terreur s'empare des Philistins ;

Déjà les princes d'Edom sont dans l'épouvante ;

L'angoisse s'empare des forts de Moab ;

Tous les habitants de Chanaan ont perdu courage ;

La terreur et la détresse tomberont sur eux.

Par la force de ton bras

Ils deviendront immobiles comme une pierre,

Jusqu'à ce que ton peuple ait passé, ô Jéhovah...

Jéhovah régnera à jamais et toujours. »

(Exode, xv, 1-18.)

Article Premier

Je crois en Dieu le Père... en Jésus-Christ... au Saint-Esprit.

Leçon XVIe De la Sainte Trinité

I. Les formules, IL La preuve scripturaire r i* Dans l'Ancien Testament a°. Dans le Nou- veau.

I. Les Formules

Le mystère de la Sainte Trinité se trouve formulé succintement dans ces paroles de Notre Seigneur à ses apôtres, avant l'ascension : « Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (i). »

i . Il y a loin de cette formule si concise à celle du sym- bole de saint Athanase, si explicite et si détaillée, comme nous l'avons vu : « La foi catholique c'est d'adorer un seul Dieu dans la Trinité et la Trinité dans l'unité, sans confondre les personnes, sans séparer les substances. Car autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autr© celle de l'Esprit-Saint. Mais pour le Père, le Fils et l'Es- prit-Saint, une est la divinité, égale la gloire, coéternelle

i. Matth., xxviii, 19.

548 LE CATÉCHISME ROMAIN

la majesté. Tel le Père, tel le Fils, tel l'Esprit-Saint. Incréé est le Père, incréé est le Fils, incréé est l'Esprit- Saint. Immense est le Père, immense le Fils, immense l'Esprit-Saint. Eternel est le Père, éternel est le Fils, éternel l'Esprit-Saint ; et pourtant ce ne sont point trois éternels, mais un seul éternel ; ni trois incréés, ni trois immenses, mais un seul incréé et un seul immense. De même tout-puissant est le Père, tout-puissant est le Fils, tout-puissant est l'Esprit-Saint ; et pourtant ce ne sont pas trois tout-puissants, mais un seul tout-puissant. Ainsi Dieu est le Père, Dieu le Fils, Dieu l'Esprit-Saint ; et pourtant ce ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu... De même que la vérité chrétienne nous oblige de confesser que chaque personne, séparément, est Dieu et Seigneur, de même la religion catholique nous défend de dire trois Dieux ou trois Seigneurs. Le Père n'a été ni fait, ni créé, ni engendré. Le Fils est du Père seul, ni fait, ni créé, mais engendré. L'Esprit-saint est du Père et du Fils, ni fait, ni créé, ni engendré, mais procédant de l'un et de l'autre. Il n'y a donc qu'un Père, et non trois Pères ; qu'un Fils, et non trois Fils, qu'un Esprit-Saint, et non trois Esprits-Saints. Et, dans cette Trinité, rien n'est plus ancien ou plus jeune, rien n'est plus grand ou plus petit, mais les trois personnes sont coéternelles et coégales entre elles. »

2. Tous les éléments essentiels du dogme de la Trinité se trouvent réunis dans le symbole de foi du xie Concile de Tolède, tenu en 675 : « Nous confessons et croyons que la sainte et ineffable Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit est essentiellement un seul Dieu d'une seule substance, d'une seule nature, d'une seule majesté et puissance. Noua professons que le Père n'est ni engendré, ni créé, mais inengendré, ne tenant de personne son origine..., que le Fils est de la substance du Père sans commencement avant tous les siècles..., de la même substance que la Père, et c'est pourquoi on le dit consubstantiel au Père... Nous croyons également que l'Esprit-Saint, la troisième personne de la Trinité, est un seul et même Dieu avec Dieu le Père et le Fils, d'une seule et

LA SAINTE TRINITÉ 5^9

même substance, d'une seule et même nature ; ni engen- dré, ni créé, mais procédant de l'un et de l'autre... Les noms des personnes marquent leurs relations récir proques, celui de Père par rapport au Fils, celui de Fils par rapport au Père, celui de Saint-Esprit par rapport à l'un et à l'autre... Nous ne professons pas trois substan- ces comme nous professons trois personnes, mais une seule substance et trois personnes... A chacune des trois appartient une seule et indivise et égale divinité... Nous distinguons les personnes, nous ne scindons pas la divi- nité. Nous reconnaissons la Trinité dans la distinction des personnes, mais nous professons l'unité à cause de la nature ou delà substance... Bien qu'ils soient trois en un et un en trois, chaque personne cependant possède ses propriétés personnelles (i). »

3. Au commencement du xin6 siècle, le rve Concile de Latran de 12 15 condamne les erreurs de Joachim de Flore, de la manière suivante : « Le saint Concile approu- vant, nous croyons et confessons avec Pierre Lombard qu'il existe une chose unique et suprême, incompréhensi- ble et ineffable, qui est véritablement Père, Fils et Saint- Esprit, trois personnes ensemble et chacune d'elles à part. Et ainsi en Dieu la Trinité seulement existe, non la quaternité, parce que chacune de ces trois personnes est cette chose, c'est-à-dire la substance, l'essence ou la nature divine, qui seule est le principe de toutes choses en dehors duquel on ne peut en découvrir quelque autre. Et cette chose n'est ni génératrice, ni engendrée, ni pro- cédante, mais elle est le Père qui engendre, et le Fils qui est engendré, et le Saint-Esprit qui procède, pour que les distinctions soient dans les personnes et l'unité dans la nature. Donc, bien que le Père soit un autre, le Fils un autre, le Saint-Esprit un autre, ils ne sont pourtant pas autre chose, mais cette chose, qui est le Père, est le Fils et le Saint-Esprit, la même chose tout-à-fait ; de sorte que, conformément à la foi orthodoxe et catholique, nous croyons qu'il sont consubstantiels. En effet, le Père, en

1. Denzinger, n, 232-234.

550 LE CATÉCHISME ROMAIN

«ngendrant éternellement le Fils, lui a donné sa subs- tance, comme il (le Fils) en témoigne : « Ce que le Père m'a donné est plus grand que toutes choses. » Et on ne peut pas dire qu'il lui ait donné une partie de sa subs- tance et qu'il en ait retenu une partie pour lui-même, puisque, étant absolument simple, la substance du Père «st indivisible. Mais l'on ne peut pas dire davantage que 'le Père, en engendrant, ait transféré sa substance au Fils, comme s'il l'avait donnée au Fils de manière à ne pas la retenir pour lui-même : autrement il aurait cessé d'être uane substance. 11 est donc clair qu'en naissant le Fils a reçu la substance du Père sans aucune diminution, et ainsi le Père et le Fils ont même substance. Par consé- quent une même chose est à la fois le Père et le Fils, et aussi le Saint-Esprit, qui procède de l'un et de l'au- tre (i). »

4. Le Catéchisme romain commence par légitimer le nom de Père qu'on donne à Dieu dans le Symbole. « Quel- ques-uns, dit-il, même de ceux dont la foi n'éclairait pas les ténèbres, ont compris que Dieu est une substance -éternelle, qu'il est le principe de toutes choses, qu'il gou- verne et conserve, par sa providence, l'ordre et l'état de tout ce qui est ; et de là, voyant que les hommes don- nent le nom de père à celui qui est le chef d'une famille, qui la gouverne par son autorité et ses conseils, ils ont attribué aussi, par comparaison, le même nom à Dieu, qu'ils reconnaissent pour créateur et gouverneur de toutes choses. C'est du même nom que se servent les Ecritures lorsqu'elles rappellent que Dieu est le créateur de toutes choses, que son pouvoir et sa providence admirable s'é- tendent sur tout.

« îf est-il pas ton père, ton créateur ? Celui qui Va jait et qui Va établi (a) ?

« N'avons-nous pas tous un même père? Un même ,&ieu ne nous a-i-ilpas tous créés (3) ? » Mais il est appelé

i. Denzinger, n. 358. a. Deut., xxxii, 6. 3. Malach., II, io.

LA. SAINTE TRINITÉ 55 1

bien plus souvent et d'une manière toute particulière le père des chrétiens, surtout dans le Nouveau Testament. C'est des chrétiens que l'apôtre dit : a Vous n'avez pas reçu un esprit de servitude pour être encore dans la crainte, mais un Esprit d'adoption, en qui nous crions : Abba ! Père (i). » « le Père nous a témoigné tant d'amour, dit saint Jean, que nous sommes appelés et que nous sommes réellement les enfants de Dieu (2) ; » « or si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ (3), » « qui est le premier-né d'un grand nombre de frères (4), » « et qui ne rougit pas de nous appeler ses frères (5). » Ainsi, soit que l'on regarde Dieu du côté de la création et de sa pro- vidence universelle, soit qu'on considère spécialement l'adoption spirituelle qu'il a faite des chrétiens, c'est avec raison que les fidèles le reconnaissent pour leur père.

« Mais, outre ces significations, le pasteur avertira les fidèles qu'en entendant le nom de Père, ils doivent élever leur esprit à des mystères plus sublimes encore. Tout ce qu'il y a, en effet, et de plus caché et de plus impénétra- ble dans a cette lumière inaccessible que Dieu habite (6), » ce que la raison humaine ne pouvait ni atteindre ni soup- çonner, se trouve exprimé par ce nom de Père, comme nous l'apprennent les oracles sacrés. Il nous avertit donc qu'il y a dans l'essence divine, non une seule personne mais plusieurs réellement distinctes. Nous croyons, en effet, qu'il y en a trois dans la même nature : celle du Père, qui n'est engendrée d'aucune autre ; celle du Fils, qui est engendrée du Père avant tous les siècles ; celle du Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, de toute éternité. Le Père est, dans l'unité de la nature divine, la première personne, faisant avec son Fils unique et le Saint-Esprit un seul Dieu, un seul Seigneur : non point une seule personne, mais une seule nature en trois per- sonnes. Et on ne doit pas s'imaginer qu'il y ait entre elles aucune différence, ni aucune inégalité. Toute la

1. Rom., vin, i5. 2. 1 Joan.t m, 1. 3. Rom., vin, 17. 4. Rom., vin, 39. 5. Heb., 11, 11. 6. 1 Tim., vi, 16.

552 LE CATÉCHISME ROMAIN

distinction que l'on conçoit en elles, vient de leurs pro- priétés respectives. Le Père n'est point engendré ; le Fils est engendré du Père ; le Saint-Esprit procède de l'un et de l'autre. Et ainsi, pour ces trois personnes, nous con- fessons la même essence, la même substance, et, dans la confession de cette vraie et éternelle divinité, nous ado- rons avec piété et respect la distinction dans les person- nes, l'unité dans l'essence, et l'égalité dans la Trinité.

u Ainsi lorsque nous disons que le Père est la première personne, il ne faut pas croire que nous reconnaissions dans la Trinité quelque chose de premier et de dernier, de plus grand et de plus petit. A Dieu ne plaise qu'une telle impiété entre dans l'esprit des fidèles. La religion chrétienne enseigne que la même éternité, la même gloire et la même majesté conviennent aux trois person- nes. Mais parce qu'il est le principe sans principe, nous affirmons avec vérité et sans hésiter que le Père est la première personne ; et parce qu'il est distingué des autres personnes par la propriété de Père, c'est par que de toute éternité il a engendrer son Fils. Et de vient que dans cet article nous joignons ensemble le nom de Dieu et de Père pour nous faire souvenir que la première personne a toujours été Dieu et Père.

« Mais comme il n'y a rien de plus périlleux que de chercher à pénétrer des choses si sublimes et si difficiles, ni rien de plus grave que de se tromper en voulant les expliquer, les pasteurs feront entendre aux fidèles qu'ils doivent retenir soigneusement les mots d'essence et de personne, consacrés à l'expression propre de ce mystère, et se souvenir que l'unité est dans l'essence et la distinc- tion dans les personnes. Qu'ils se gardent de faire là-des- sus des recherches subtiles et curieuses, conformément à cette sentence : « Celui qui veut sonder la majesté (divine) sera accablé par sa gloire (i). » C'est assez pour nous de connaître certainement par la foi que Dieu lui- même nous a enseigné cette vérité ; car ne pas croire à ses oracles serait le comble de la folie et du malheur.

i. Prov., xxv, 27.

LA SAINTE TRINITÉ 553

a Allez, dit Jésus-Christ à ses apôtres, enseignez toutes tes nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et »Ui Saint-Esprit. » Et nous lisons dans saint Jean : « Il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Verbe et l'Esprit, et les trois ne font qu'une chose (i). » - Que celui donc qui, par la grâce de Dieu, croit ces vérités, adresse sans cesse ses prières au Père qui a créé toutes choses de rien, qui les a ordonnées par sa bonté, qui « nous a donné le pouvoir de devenir ses enfants (2), » qui a révélé à l'esprit humain le mystère de la sainte Trinité, afin qu'il le rende digne d'entrer dans les taber- nacles éternels et d'y contempler cette infinie fécondité de Dieu le Père qui, en se contemplant et en se connais- sant lui-même, engendre un Fils qui lui est égal et sem-

1. I Joan., v, 7. Ce verset dit des trois témoins célestes cadre avec l'enseignement de saint Jean. Est-il vraiment de l'apôtre ? C'est ce que la critique révoque en doute, parce qu'il ne se trouve pas dans les anciens manuscrits. En fait, pendant toute la controverse trinitaire, au 111e et iv° siècles, il n'est jamais cité ; c'eût été pourtant le cas. Tout au plus croit-on trouver quelques allusions dans Tertullien et saint Cyprien. Ni saint Hilaire, ni saint Athanase, ni les Pères cappadociens, ni même saint Augustin n'en font mention ; mais il paraît à partir de la seconde moitié du ve siècle, et depuis il a été souvent utilisé. La Vulgate latine le renferme. La question s'est donc posée de savoir s'il faut le regarder comme authentiqne ou comme interpolé. Sa présence dans la Bible officielle lui confère au moins l'autorité d'un témoignage traditionnel de vérité doc- trinale, sans qu'on en puisse conclure que ce soit vraiment un témoignage biblique. Le Saint-Office, il est vrai, a répondu négativement, le i3 janvier 1897, à cette question : Utrum tuto negari aut saltem in dubium revocari possit, esse authen- ticum textum sancti Joannis epistola? prima?, v, 7, et a dit de l'opinion contraire : tuto doceri non potest. Interrogée par le cardinal Vaughan, la Congrégation a répondu qu'elle n'avait pas prétendu trancher la question de critique ni d'authenti- cité proprement dite, mais que l'authenticité doit s'entendre relativement à la Vulgate, en ce sens que le texte doit être respecté comme partie de la Bible ecclésiastique et comme document traditionnel. Voir sur ce verset l'étude de Le Hir, Etudes bibliques, Paris, 1869, 1. 1. a. Joan., 1, 12.

554 LE CATÉCHISME ROMAIN

blable, ce lien éternel et indissoluble par lequel le Saint- Esprit, amour parfaitement égal du Père et du Fils, pro- cédant de l'un et de l'autre, unit ensemble à jamais celui qui engendre et celui qui est engendré ; enfin l'unité d'essence dans la sainte Trinité et la parfaite distinction des trois personnes (i). »

IL La preuve scripturaire

Dans l'Ancien Testament. Le mys- tère de la sainte Trinité ne se trouve pas formel- lement exprimé dans l'Ancien Testament ; il n'y est qu'insinué ; et ce n'est que grâce à la révé- lation évangélique qu'on peut en relever les traces. Nulle difficulté en ce qui regarde la divinité et la personnalité de Dieu le Père : ces vérités s'y trou- vent nettement enseignées. On n'en saurait dire au- tant en ce qui concerne la personne du Fils et du Saint-Esprit.

i. Toutefois, dans la Genèse et dans l'histoire des patriarches, paraît souvent un personnage qui s'appelle l'Ange ou l'Envoyé de Jéhovah, qui est traité comme Jéhovah lui-même, qui parle comme s'il était Jéhovah, se révèle à Moïse comme Jéhovah El Schaddaï, sauve les Israélites, apparaît à Gédéon, annonce aux parents de Samson la naissance du futur libérateur des Hébreux, qui doit se montrer dans le temple de Jérusalem.

N'est-ce pas une hyposthase, une personne divine, ayant pour rôle de manifester et de révéler la providence de Dieu, rôle qui deviendra plus visible dès qu'il paraîtra au milieu d'Israël? Ce per- sonnage mystérieux est dépeint à plusieurs reprises sous les traits de la Sagesse. C'est ainsi, par exemple, que nous lisons dans les Proverbes (2) :

1. Cat. rom., I, art. 1, x-xiv. 2. Prov., vin, aa-3i.

LA TRINITÉ : PREUVE SCRIPTURAIRE 555

« Jéhovah m'a possédée au commencement de ses voies,

Avant ses œuvres les plus anciennes.

J'ai été fondée dès l 'éternité,

Dès le commencement, avant l'origine de la terre.

Il n'y avait point d'abîmes quand je fus formée,

Point de sources chargées d'eaux.

Avant que les montagnes fussent affermies,

Avant les collines, fêtais enfantée,

Lorsqu'il n'avait encore fait ni la terre, ni les plaines,

Ni les premiers éléments de la poussière du globe.

Lorsqu'il disposa les deux, j'étais ;

Lorsqu'il traça un cercle à la surface de l'abîme,

Lorsqu'il affermit les nuages en haut,

El qu'il dompta les sources de l'abîme,

Lorsqu'il fixa une limite à la mer,

Pour que les eaux n'en franchissent pas les bords,

Lorsqu'il posa les fondements de la terre,

J'étais à l'œuvre auprès de lui,

Me réjouissant chaque jour,

Et jouant sans cesse en sa présence,

Jouant sur le globe de la terre,

Et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes, »

L'Ecclésiastique (i) reprend à son tour le portrait de la Sagesse :

« Je suis sortie de la bouche du Très-Haut,

Et comme une nuée je couvris la terre.

J'habitai sur les hauteurs les plus élevées,

Et m&n trône était sur une colonne de nuée.

Seule j'ai parcouru le cercle du ciel,

Et je me suis promenée dans les prof ondeurs de l'abîme.

Dans les flots de la mer et sur toute la terre,

Dans tout le peuple et toute nation j'ai exercé l'empire.

Parmi tous les peuples j'ai cherché un lieu de repos,

Et dans quel domaine je devais habiter. »

« J'ai poussé mes racines au milieu du peuple glorifié,

Dans la portion du Seigneur, dans son héritage.

i, Eccl.. xxiv, 3-7, ia-i4, 18-21, 26-27.

556 LE CATÉCHISME ROMAIN

Je me suis élevée comme le cèdre dans le Liban,

Et comme le cyprès sur la montagne d'Hermon.

Je me suis élevée comme le palmier des rivages,

Et comme les roses de Jéricho ;

Comme un bel olivier dans la plaine,

Et j'ai grandi comme un platane. »

« Venez à moi, vous tous qui me désirez,

Et rassasiez-vous de mes fruits.

Car mon souvenir est plus doux que le miel,

Et ma possession plus douce que le rayon de miel.

Ceux qui me mangent auront encore faim,

Et ceux qui me boivent auront encore soif.

Celui qui m'écoute n'aura jamais de confusion,

Et ceux qui agissent par moi ne pécheront pas. »

« Le premier (qui l'a étudiée) n'a pas achevé de la connaître,

Et le dernier ne l'a pas pénétrée.

Car ses pensées sont plus vastes que la mer,

Et ses conseils plus profonds que le grand abîme. »

Le livre de la Sagesse (i) ajoute encore de nou- veaux traits :

(( En elle il y a un esprit intelligent, saint,

Unique, multiple, immatériel,

Actif, pénétrant, sans souillure,

Infaillible, impassible, aimant le bien, sagace,

Ne connaissant pas d'obstacle, bienfaisant,

Bon pour les hommes, immuable, assuré,

Tout-puissant, surveillant tout,

Pénétrant tous les esprits,

Les intelligents, les purs et les subtils,

Car la Sagesse est plus agile que tout mouvement ;

Elle pénètre tout à cause de sa pureté.

Elle est le souffle de la puissance de Dieu,

Une pure émanation de la gloire du Dieu tout-puissant ;

Aussi rien de souillé ne peut tomber sur elle.

Elle est le resplendissement de la lumière éternelle,

Le miroir sans tache de l'activité de Dieu

i. Sap.t vu, aa-a8.

LA TRINITÉ ! PREUVE SCRIPTURAIRE 55y

Et l'image de sa honte. Etant l'unique, elle peut tout ; Restant la mêm.e, elle renouvelle toutes choses, Et à travers les âges elle se répand dans toutes âmes saintes; Elle en fait des amis de Dieu et des prophètes. Dieu, en effet, n'aime que celui qui habite avec la Sagesse.» « C'est elle qui initie à la science de Dieu (i). » « L'immortalité est le fruit de l'union intime avec la

[Sagesse (2). » « Avec vous (Seigneur) est la Sagesse qui connaît vos œuvres, Qui était quand vous faisiez l'univers, Et qui sait ce qui est agréable à vos yeux Et ce qui est juste selon vos commandements (3). » « Qui a connu votre volonté si vous ne lui avez pas donné la

[Sagesse Et si vous n'avez pas envoyé du ciel votre Saint-Esprit (4) ? »

« La source de la Sagesse, dit encore l'Ecclésiasti- que (5), c'est la Parole de Dieu au plus haut des deux » ; et le livre de la Sagesse (6) représente « cette Parole toute-puissante s1 élançant du haut da ciel. » La Parole ! Le Logos I

Malgré tant de traits et de titres, cette Sagesse restait assez énigmatique aux yeux des Juifs mono- théistes. Son portrait ne pouvait pourtant point passer inaperçu auprès des rabbins qui méditaient sur l'Ecriture. Mais comment concilier avec l'unité de Dieu l'idée d'un personnage distinct, d'une hypostase divine autre que Jéhovah ? On s'arrêta à l'idée de sagesse et puis, probablement sous l'in- fluence alexandrine, on aboutit au concept de la Memra ou Parole (7).

1. Sap., vin, l\. 2. Ibid,, vin, 17. 3. Ibid., ix, 9. A. Ibid., ix, 17. 5. Eccl., 1, 5. 6. Sap., xvm, i5. 7. Cf. Hackspill, Etude sur le milieu religieux et intellectuel contemporain du Nouveau Testament, dans la Revue biblique , janvier 1902.

558 LE CATÉCHISME ROMAIN

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Dans l'école judéo-hellénique d'Alexandrie, plus libre d'allures et plus audacieuse dans ses spécula- tions, Philon se garda bien de négliger ces données scripturaires que lui fournissaient les livres sapien- tiaux ; mais il y mêla des éléments hétérogènes empruntés à la philosophie grecque, notamment à Heraclite, à Platon et au stoïcisme, et aboutit ainsi à un concept du Logos assez déconcertant. Au regard de Platon, le Logos est le monde intelligible, le monde est le fils de Dieu, et le Verbe le premier- de Dieu. Pour Heraclite, le Logos n'est autre chose que la force intelligente et créatrice du monde. Pour les stoïciens, le Logos est l'âme du monde. Et pour l'éclectique Philon, heureux de trouver dans la Sagesse et l' Ecclésiastique ce terme grec de Logos à signification si imprécise, il fait sans doute du Logos l'image de Dieu, le monde intelligible, mais il en fait aussi le premier-né de Dieu, l'architecte du monde, le démiurge, un Dieu secondaire, un vice- roi de l'univers chargé du gouvernement des hom- mes et des créatures. Ceux qui sont incapables, dit-il, de s'élever à l'unité se représentent comme un groupe Dieu et ses deux premières puissances, celle par laquelle il crée et organise l'univers, à laquelle on donne le nom de Dieu, et celle par laquelle il le gouverne et qu'on appelle Seigneur : ce sont les trois hommes qui apparurent à Abraham (i). Grâce à cet éclectisme, Philon ouvrait la voie au gnosticisme et à l'arianisme (2).

L'apôtre saint Jean dut rétablir et fixer la vraie théorie du Logos, en la dépouillant tout d'abord de ses éléments hétérogènes, en la mettant ensuite en pleine lumière, dans le sens de la véritable tradition

1. De Abraham., p. 287. a. Cf. Souben, Les personnet divines, Paris, 1903, p. i3 sq.

LA TRINITE : PREUVE SCRIPTURAIRE 55 Q

juive, et grâce aux données de l'Evangile. Il fallait donc renoncer à voir dans le Logos une puissance intermédiaire, une force nécessaire ou l'âme du monde ; il fallait y voir le Verbe de Dieu, existant éternellement en Dieu, et Dieu lui-même, créateur, descendu sur terre par son incarnation.

D'autre part, les données partielles et insuffisantes sur la Sagesse sont développées, précisées et fixées par le Nouveau Testament, au point que l'identifi- cation du Verbe, du Fils de Dieu avec la Sagesse ne saurait plus faire doute. Car si la Sagesse est le rayonnement de la gloire de Dieu, si elle est le miroir sans tâche de l'énergie divine et une image de sa bonté, le Fils de Dieu est « le rayonnement de sa gloire, l'empreinte de sa substance (i) » ; ce mot rayonnement exprime l'identité de nature entre le Père et le Fils ; et le mot empreinte marque que le Fils porte tous les traits de la nature du Père, qu'il en est la manifestation ou révélation extérieure. Si la Sagesse a collaboré à la création, si elle peut tout et renouvelle tout sans sortir d'elle-même, le Fils n'a-t-il pas créé le monde (2) ? « Tout a été fait par lui, dit saint Jean, et sans lui rien na été fait de ce qui existe (3). » « Il soutient toutes choses par la parole de sa puissance (4). » Et c'est ainsi que, grâce à la révélation évangélique, nous savons à quel personnage s'appliquaient, dans l'Ancien Tes- tament, les traits donnés à la Sagesse.

2. Il est également question, dans l'Ancien Tes- tament, de l'Esprit de Jéhovah. La Genèse nous le représente planant sur les eaux (5). Isaïe reproche à Israël d'avoir contristé l'Esprit-Saint (6). Et Joël écrit :

x. Hebr., 1, 3, a. Ibid., 1,3. 3. Joan., 1, 3, 4. Hebr., 1, 3. 5. Gen., 1, a. 6. Is., lxxiii, 10.

66o LE CATÉCHISME ROMAIN

(( Et il arrivera après cela

Que je répandrai mon Esprit sur toute chair ;

Vos fils et' vos filles prophétiseront..

Même sur les serviteurs et les servantes

Je répandrai mon Esprit en ces jours-là (i). »

Cet Esprit est ainsi mis en scène dans la Bible ; son rôle est nettement indiqué dans le passé et prédit pour l'avenir ; cela n'éveille-t-il pas l'idée d'un personnage à part, d'une hypostase divine ? Certes, il n'est nulle part décrit comme la Sagesse, avec l'abondance de détails et les traits caractéristi- ques que nous venons de voir, de sorte, dit M. Hacks- pill, que le développement de la doctrine de l'Es- prit de Dieu, dans l'Ancien Testament, s'arrête à une simple personnification sans jamais aboutir clairement à l'hypostase (2).

Mais avec le Nouveau Testament, toute hésitation cesse. Le Saint-Esprit est bien une personne divine. Sa personnalité s'accuse dans la théophanie du bap- tême de Notre Seigneur, dans la déclaration de Jésus que le blasphème contre le Saint-Esprit ne sera pas remis (3), dans la fonction de consolateur qui lui est attribuée (4), dans le parallélisme cons- tant entre l'œuvre du Christ et la sienne, dans les paroles qu'il prononce et les ordres qu'il donne (5), dans les prières et les inexprimables gémissements dont il est l'auteur (6), dans le témoignage qu'il nous rend que nous sommes enfants de Dieu (7). Nulle part, il est vrai, le Saint-Esprit n'est expres- sément appelé Dieu dans le Nouveau Testament, mais il l'est en termes équivalents ; sa divinité res- sort clairement de plusieurs passages. Saint Paul lui

1. Joël., 11, 28-29. 2* Loc. cit.t p. 68. S.Matth., xn, 3i. 4. Joan., xv, 26. 5. AcL, vin, 29 ; x, 19 ; xm, a. G.Rom.p vin, 26. 7. Rom., vin, 16.

LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE SCRIPTURAIRE 56 1

attribue, en particulier, l'œuvre essentiellement divine de la justification, de la régénération du pécheur. Il dit aussi : « Dieu nous a révélé par son Esprit, car l'Esprit scrute toutes choses, même les profondeurs de Dieu. Qui, parmi les hommes, sait ce qui se passe en lai, sinon l'esprit de r homme qui est en lui ? De même nul ne connaît ce qui est de Dieu, sinon l'Esprit de Dieu (i). » Comparer de la sorte l'Es- prit-Saint par rapport à Dieu à l'esprit de l'homme par rapport à l'homme, n'est-ce pas dire qu'il existe dans l'essence divine comme la conscience est en nous, qu'il est Dieu comme la conscience c'est nous ?

Il y a donc eu dans la révélation de ce profond mystère une gradation progressive, un développe- ment accentué, dont le terme final se trouve dans le Nouveau Testament. Saint Grégoire de Nazianze a donné quelques raisons de cette Economie, soit dans l'Ancien, soit même dans le Nouveau Testa- ment : « Voici, dit-il, comment cela s'est passé : l'Ancien Testament prêchait ostensiblement le Père, plus obscurément le Fils. Le Nouveau nous a mon- tré très clairement le Fils, mais n'a indiqué la divi- nité de l'Esprit que d'une manière obscure. Mais maintenant l'Esprit vit avec nous et se déclare à nous plus ouvertement. C'est qu'il n'était pas prudent de nous prêcher clairement le Fils, tant que la divi- nité du Père n'était pas reconnue, ni de nous impo- ser l'Esprit-Saint comme un fardeau plus lourd, s'il est permis de s'exprimer ainsi, avant que la divinité du Fils n'eût été admise ; sans cela, à l'exemple d'hommes trop chargés de nourriture ou présen- tant aux rayons du soleil des yeux éblouis, nous aurions couru un danger pour les révélations même

i. I Cor., ii, ii. À

LE CATÉCHISMB. T. I. 36

5Ô2 LE CATÉCHISME ROMAIN

qui nous étaient faites. C'est par degrés ou, comme dit David, par des ascensions, par une progression croissante de clarté en clarté, que la lumière de la Trinité devait briller d'une manière splendide. C'est pour cela, je crois, que (le Saint-Esprit) se fait con- naître progressivement aux disciples, selon leur degré de capacité. Au début de l'Evangile, il opère des prodiges ; après la passion du Christ, il leur est insufflé ; après l'ascension, il paraît sous forme de langues de feu (i). »

Dans le Nouveau Testament. « Après avoir , à plusieurs reprises et en diverses manières, parlé autrefois à nos pères par les Prophètes, Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils, qu'il a établi héritier de toutes choses, et par lequel il a aussi créé le monde (2). » Le Fils a donc parlé et l'un des mystères qu'il a révélés, c'est le mystère de la Tri- nité ; lui seul pouvait en parler pertinemment, car si « si nul ne connaît le Fils sinon le Père, nul ne con- naît le Père sinon le Fils et celui à qui le Fils aura voulu le révéler (3). »

Ce n'est pas de prime abord que Notre Seigneur révèle l'existence de ce mystère. Il fallait que les apôtres y fussent préparés, et ils y furent préparés peu à peu par les diverses manifestations, dont ils furent les témoins au cours de la vie publique de leur Maître. La scène du baptême de Notre Seigneur au Jourdain était faite pour frapper les esprits et soulever un coin du voile. Telle qu'elle est racontée par les Synoptiques, que nous montre-t-elle ? Au moment Jésus sort de l'eau, le Saint-Esprit descend sur lui sous forme d'une colombe, et une

1. Orat.t xxxi, 26, Patr. gr., t. xxxvi, col. 161-164. 3. Hebr., 1, 1-2. 3. Matth., xi, 27.

LA SAINTE TRINITÉ I PREUVE SCRIPTURAIRE 56^

voix du ciel se fait entendre, qui dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu (i). » Dans cette théophanie, le Père révèle la qualité de celui qui vient de recevoir le baptême de Jean ; ce baptisé n'est autre que le Fils de Dieu ; et l'Esprit de Dieu, comme dit saint Matthieu, l'Esprit-Saint, comme dit saint Luc, se communique au Verbe fait chair pour le rôle de Messie et de Rédempteur. Ils sont donc trois : le Père, celui que Notre Seigneur appelle de ce nom ; le Fils, celui qui est descendu du ciel pour remplir sa mission ; et le Saint-Esprit, dont le rôle sera caractérisé tout par- ticulièrement, au moment voulu. Ils sont trois, mais ne font qu'une seule et même chose ; c'est ce que Jésus affirme de lui et de son Père. Il le dit aux Juifs étonnés : « Le Père et moi nous sommes une même chose (2). » Il le répète à ses apôtres : « Père saint, gardez dans votre nom ceux que vous m'avez donnés, afin qu'ils soient un comme nous sommes un (3). » Cette unité mystérieuse n'empêche pas la distinction ; c'est ce que Notre Seigneur donne clairement à entendre dans ses discours : « Je prierai le Père, et il vous donnera un autre Con- solateur pour qu'il demeure toujours avec vous ; c'est V Esprit de .vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce qu'il ne le voit point et ne le connaît point ; mais vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure au milieu de vous, et Usera en vous (4). » Il insiste de nouveau : « Je vous le dis en vérité : il vous est bon que je m'en aille , car, si je ne m'en vais pas, le Consolateur ne viendra pas en vous; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai... Celui-ci me glorifiera, parce qu'il recevra de ce qui est à moi, et il vous l'annoncera. Tout ce que

1. Matth., in, i6-i7« 2. Joan., x, 3o. 3. Joan., xvn, 11. «— 4. Joan., xiv, 16-17.

564 LE CATÉCHISME ROMAIN

le Père a est à moi. C'est pourquoi j'ai dit qu'il recevra de ce qui est à moi et vous V annoncera (i). » Enfin, dans ce discours qui suivit la dernière Cène, il ajoute : « Lorsque le Paraclet, que je vous enverrai d'auprès du Père, sera venu, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il vous rendra témoignage de moi (2).»

Unité et distinction, voilà ce qui constitue l'éco- nomie mystérieuse du dogme révélé par Notre Seigneur: unité d'essence, de nature; distinction des personnes ; personnes qui portent chacune un nom propre, mais personnes égales entre elles, a Le Fils priera le Père, et le fruit de sa prière sera la mission du Saint-Esprit, à laquelle il collaborera. Le Fils est égal au Père, parce que tout ce que possède le Père est à lui ; le Père lui a tout remis comme à son propre Fils, à son héritier nécessaire; par conséquent, il lui a communiqué ce qu'il possède essentiellement, la nature divine, et dans ce don souverain il ne s'est rien réservé. D'autre part, l'Esprit n'est pas inférieur au Fils, puisqu'il procède du Père ; il participe au don que le Fils a reçu et tiendra la place du Fils près des apôtres que le Père lui avait confiés (3). »

Aussi, au moment de son ascension, dans le dernier ordre qu'il donne à ses apôtres, Notre Seigneur formule-t-il le mystère de la manière la plus brève : Yous baptiserez au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Au nom! Voilà un singulier qui caractérise l'unité de nature qui appartient également aux trois personnes ; et ces trois person- nes sont désignées nominativement, l'une après l'autre; elles sont unies par un lien, et ce lien est indiqué pour les deux premières, le Père et le Fils,

1. Joan., xvi, 7, i4-i5. 2. Joan., xv, 26. 3 Souben» Les personnes divines, Paris, 1903, p. 9.

LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE SCRIPTURAIRE 565

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c'est celui de la génération ; le lien qui rattache le Saint-Esprit au Père et au Fils n'est pas aussi formellement indiqué, mais il n'en existe pas moins et peut être déterminé par renseignement déjà donné aux apôtres par Notre Seigneur.

D'autre part, cette formule trinitaire doit être employée dans l'administration du baptême, c'est- à-dire dans le sacrement de la régénération chré- tienne ; ce qui revient à dire que de même que les trois Personnes divines ont agi de concert pour la création de l'homme, de même elles interviennent ensemble pour sa régénération, œuvre essentielle- ment divine.

Ainsi instruits, les apôtres ne font que se faire l'écho de l'enseignement de leur Maitre dans l'en- seignement qu'ils donnent à leurs disciples, et dans cet enseignement ils insistent naturellement sur le dogme de la Trinité. Très nombreux sont les passages du Nouveau Testament sont expressé- ment nommées deux des trois personnes de la Trinité ; mais il en est quelques-uns les trois sont rappelées à la fois. Bornons-nous à quelques cita- tions.

Le chef du collège apostolique commence sa première épître par ces mots : « Pierre, apôtre de Jésus-Christ, aux étus, étrangers et dispersés dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l'Asie et la Bithynie, choisis selon la prescience de Dieu le Père, par la sanctification de l'Esprit, pour obéir à la foi et pour avoir part à l 'aspersion du sang de Jésus-Christ : à vous grâce et peux de plus en plus(i). » Dans cette adresse se trouvent réunies les trois personnes de la Trinité ; l'une y est nommée Dieu le Père, et ce terme de Père implique nécessairement le terme

i. I Petr., i, 1-2.

566 LE CATÉCHISME ROMAIN

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correspondant de Fils ; l'autre est nommé Jésus- Christ et la troisième l'Esprit; toutes les trois sont mises en rapport avec la justification de l'homme ; mais cette manière dénoncer le mystère de la Trinité suppose évidemment la connaissance de son existence tant de la part de saint Pierre que de celle des chrétiens à qui il écrit.

Saint Paul, instruit directement par Notre Sei- gneur lui-même, connaît lui aussi l'existence de la Trinité ; il sait que le Père et le Fils sont égaux, car, dit-il, bien que le Christ Jésus fut dans la condition du Père, il n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu (i); il sait aussi, par sa connais- sance de l'Ecriture que le titre de Seigneur est exclusivement donné à Dieu dans l'Ancien Tes- tament ; mais quand il parle des trois personnes divines, il nomme Dieu la première, Seigneur la seconde, Esprit la troisième, pour les mieux dis- tinguer. De là, sous sa plume, des formules dans le genre des suivantes, qui marquent neltement les trois personnes divines : a II y a des divisions de grâces, mais c'est le même Esprit : diversité de ministères, mais c'est le même Seigneur : diversité d'opérations, mais ce- le même Dieu qui opère tout en tous (2). » « Que la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ, et la charité de Dieu, et la communi- cation de l'Esprit- Saint soit avec vous tous (3). » La pensée de saint Paul est claire pour qui veut se rendre compte du but qu'il vise en écrivant aux Corinthiens . Les païens avaient l'habitude d'attri- buer à divers dieux les différentes qualités des hommes ; les chrétiens auraient tort de les imiter. Et la différence des charismes dont ils sont l'objet 11e doit pas leur faire oublier qu'ils découlent d'une

1. Philipp., 11, 6. 2 I Cor., xii, 4-6. 3. II Cor., xm, i3.

LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE SCRIPTURAIRE 567

source unique, de Dieu, qui seul produit toutes ces merveilles. Dans rémunération de ces dons sur- naturels, l'Esprit, le Seigneur et Dieu sont nommes séparément parce qu'ils sont distincts réellement, mais ils constituent le principe unique de ces grâces, ils possèdent la même nature divine. Ils sont trois, mais ne forment qu'un seul Dieu.

Impossible, par conséquent, de se refuser à voir dans ces textes du Nouveau Testament le fait de la révélation historique du dogme de la Trinité. Mais une telle révélation doit correspondre à une réalité en Dieu, sans quoi elle serait futile et ne mériterait à aucun titre le nom de révélation. Si donc Dieu, d'après l'enseignement de Notre Seigneur et des apôtres, s'est révélé sous la forme d'une trimté de personnes dans l'unité d'essence ou de nature, l'esprit chrétien peut accepter un tel dogme en toute sécurité ; et, pour se conformer aux prescrip- tions de l'Eglise, notamment à ses symboles, il doit la regarder comme un dogme de foi catholique. L'étude des Pères et des travaux des théologiens l'aidera, dans la mesure du possible, non seulement à savoir comment la tradition chrétienne a envisage un si profond mystère, mais encore à connaître les raisons de convenance qui en rendent l'acceptation raisonnable.

Comparaisons. i. « Pourquoi se trouve-t-il, par exemple, que la physique, ayant décomposé le rayon so- laire, découvre justement qu'il se réduit à trois rayons que l'on peut obtenir isolément, savoir : un rayon de forme chimique, sans lumière ni chaleur ; un rayon de lumière sans chaleur ni action chimique ; un rayon de chaleur sans action chimique ni lumière ? De sorte que la physique doit dire de la lumière ce que la théologie dit de Dieu : Trinité de forces, radicalement distinctes, dans

568

LE CATECHISME ROMAIN

l'unité de lumière. Pourquoi toutes les forces de la nature se ramènent-elles à ces trois forces qui, au fond, n'en sont qu'une ? Pourquoi les sept nuances du rayon* de la lumière décomposée se réduisent-elles à trois couleurs, la première, la troisième, la cinquième, qui produisent toutes les autres ? Pourquoi les sept notes delà gamme s'appuient-elles aussi sur trois notes fondamentales, qui, en rentrant dans la première, forment l'accord parfait, et sont aussi, comme pour les couleurs, la première, la tierce et la quinte ? Pourquoi le syllogisme, analysé par Aristote, se compose-t-il précisément de trois proposi- tions, qui ne font qu'un, si le raisonnement est vrai ? Et pourquoi la proposition se compose-f-elïe précisément de trois termes qui ne font qu'un, si la proposition est vraie? Pourquoi la vie organique a-t-elle justement trois fonc- tions essentielles dont la sympathie et l'union constituent la santé ? Pourquoi cette loi universelle de l'unité dans la variété, et de la variété dans l'unité, est-elle le propre caractère du vrai, du beau, dans le discours, la musique, le drame, l'architecture, la vie sociale et la vie organique? Pourquoi enfin la plus grande découverte qu'ait laite l'esprit humain, celle de la forme exacte du monde astro- nomique et de ses lois, dérive-t-elle, historiquement du moins, de cette idée de Kepler que les cieux etleurs mou- vements devaient porter quelque vestige et quelque trace du mystère de la Trinité, trace que Kepler recherche dans un petit chapitre intitulé : De adumbratione Trinitatis in cir- culo? » [A. Gratry, La philosophie du Credo, Paris 1861 p. 99-100.]

2. « Il n'y a qu'un infini et cependant ils sont trois, le Père,^ le Fils et l'Esprit-Saint, trois qui subsistent dans la même essence, existent dans la même existence, trois personnes Dieu et pourtant un seul Dieu. Voilà le dogme des dogmes et le mystère des mystères. L'expliquer, je ne puis pas, j'ose à peine raconter ce que j'admire. Le Père innascible est le principe du mouvement vital, la racine de la famille divine. 11 se voit, il se dit à lui-même sa perfection, et l'acte par lequel il se voit et se parle est si parfait qu'il subsiste par cela seul qu'il est produit. Le

LA SAINTE TRINITÉ '. PREUVE SCRIPTURAIRE ' D6q

fils est engendré. Il s'appelle Verbe, image du Père, splendeur de sa gloire, figure de sa substance; car il représente avec toute la perfection possible son principe. Ils sont deux, ils se contemplent, ils s'admirent, ils s'aiment, ces deux amours en se donnant l'un à l'autre se rencontrent ; par le fait même de leur rencontre, ils subsistent en un seul amour ; c'est l'Esprit-Saint. Il s'appelle don, charité, bonté, bénignité, suavité, onction divine. Ils sont trois : le Père, le Fils et l'Esprit-Saint. Autres, par les relations, la subsistance, les propriétés personnelles; mêmes, parl'essence, la substance, la nature. Distincts cependant l'un de l'autre, dépendants par ['ori- gine, car le Fils est engendré par le Père, l'Esprit-Saint procède du Père et du Fils ; dépendants par la mission, car le Père envoie le Fils, le Père et le Fils envoient l'Es- prit-Saint ; mais ils gardent avec cela une parfaite égalité. 0 vie ! ô processions admirables ! On ne peut pas dire qu'elles commencent, car elles sont nécessaires et éternel- les ; on ne peut pas dire qu'elles sortent de Dieu, car elles sont immanentes, on ne peut pas dire qu'elles tourmentent la nature divine, car elles sont paisibles et immaculées ; on ne peut pas dire qu'elles diminuent ou partagent les perfections, car elles sont intègres. » (Monsabré, Confé- rences de Notre-Dame, Gonf. Ire).

3. « Ces trois personnes ne font-elles pas trois dieux ? Non pas plus que la longueur, la largeur, la profondeur d'un corps ne font trois corps ; pas plus que le mouvement, la limpidité, la lluidité des eaux ne font trois fleuves ; pas plus que la force propulsive, la lumière et la chaleur du soleil ne font trois soleils ; pas plus que la racine, le tronc et les rameaux d'un arbre ne font trois arbres : pas plus que la forme gracieuse, le coloris et le parfum d'une fleur ne font trois fleurs ; pas plus que la conscience, le connaître et le vouloir d'une Ame ne font trois âmes ; pas plus que la mémoire, l'intelligence, la volonté d'une substance spirituelle ne font trois substances. Considérées en elles-mêmes et dans le fond de l'être, dit saint Augus- tin, la mémoire, l'intelligence, la volonté sont âme, vie et substance, ce sont leurs relations qui les déterminent

570

LE CATECHISME ROMAIN

e} les, distingucrlt (0- Portez en Dieu la distinction et l'unité jusqu'à, l'infinie perfection, et vous verrez que trois peuvent être Dieu sans qu'il y ait plus d'un seul Dieu. » (Ibid., conf. Xe).

1. De Trinitate, X, xi.

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Leçon XVIIe De la Sainte Trinité

La preuve patristique : I. Aux deux premiers siècles. II. Fin du IIe et IIP siècle. III. IVe siècle, IV. L'œuvre de saint Augustin.

I. Aux deux premiers siècles

Es les temps apostoliques, les écrivains ecclésiastiques et les Pères possèdent la con- naissance explicite de l'existence du mys- tère de la Trinité. Ils en emploient du reste la for- mule dans la récitation du symbole et la liturgie baptismale. Mais bientôt, en face de l'hérésie, il faudra défendre ce mystère. Or, les concepts d'es- sence, de nature, de substance, de personne, sont loin d'être déterminés d'une façon précise ; la lan- gue théologique n'en est qu'à ses débuts. De une terminologie indécise, des impropriétés de termes, des tâtonnements inévitables, des essais d'explica- tion notoirement insuffisants, et parfois aussi des vues erronées. Le progrès ne se fera que peu à peu et la vérité ne sera mise dans tout son jour qu'après bien des luttes (1).

1. BIBLIOGRAPHIE: Franzelhi, De Deo trino, 2ecdit., Rome, 1874 î Schwane, Histoire des Dogmes, trad. franc., 2e cdit., Fribourg-en-Brisgau, 189/i, t. 11 ; Scheeben, La Dogma- tique, trad. franc., Paris, 1877, t. u ; Pesch, De Deo irino

b^'2 LE CATÉCHISME ROMAIN

Quoi qu'il en soit, ce qui ressort tout d'abord avec une indéniable évidence, c'est que, dès le dé- but du Christianisme, le mystère de la Trinité, est connu.

A la fin du Ier siècle, l'auteur de la Didaché donne la formule baptismale : « Baptisez, dit-il, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (i). »

Le pape saint Clément écrit : « N'avons-nous pas un seul Dieu, et un seul Christ, et un seul Esprit d'amour répandu sur nous (2). »

Au commencement du 11e siècle, c'est saint Ignace d'Antioche (f c. 107) qui dans sa Lettre aux Ephésiens, félicite les fidèles d'Ephèse d'avoir fermé l'oreille à toute doctrine perverse et étrangère. Il les compare à des pierres vivantes, destinées à l'édifice de Dieu le Père, et mises à leur place res- pective par la puissante machine de la croix du Christ, grâce au Saint-Esprit (3). Aux Magnésiens il écrit que « Jésus-Christ était auprès de son Père avant tous les siècles (4) ; » que « Dieu s'est mani- festé par son Fils, le Verbe sortant du silence (5). » « Appliquez-vous, ajoute-t-il, à vous affermir dans les enseignements du Seigneur et des apôtres pour

secundum personas, Fribourg-en- Brîsgau, 1890 ; Tepe, De Deo trino, Paris, 1895 ; Billot, De Deo uno et trino, Rome, 1897 ; de Régnon, Etudes de théologie positive sur la sainte Trinité, t. iv ; Harnack, Dogmengeschichte, 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, t. ni ; Précis de l'histoire des dogmes, trad. franc., Paris, 1893 ; Loofs, Leitfaden zum Studiam der Dogmengeschichte, 3e édit., Halle, i8g3 ; Seeberg, Dogmengeschichte, Erlangen, 1895 ; Duchesne, Les origines chrétiennes, ae édit. litb., Paris, 1886; Petau, De Trinitate ; Bull, Defensio Jîdei Nicenœ.

1. Funk, Doclrina duodecim apostolorum, Tubingue, 1887, vu, p. 20. 2. Funk, Opéra Palrum apostolicorum, Tubingue, 1881, I Clem.j xlvi, 6, p. 118. 3. Ephes., ix, 1 ; ibid., p. 180. 4- Mag., vi, 1 ; ibid., p. 194. 5. Magn., vin; ibid., p. 196.

LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATRISTIQUE 5^3

que tout ce que vous faites vous réussisse... dans le Fils et le Père et l'Esprit (i). »

Un ami de saint Ignace, mort longtemps après lui, l'évêque de Smyrne, saint Polycarpe (f i55), qui avait connu dans son enfance l'apôtre saint Jean prie ainsi au moment de subir le martyre : a Sei- gneur Dieu tout-puissant, Père de Jésus-Christ, votre Fils aimé et béni, par qui nous avons appris à vous connaître, Dieu des anges et des vertus, de toute créature, de tous les justes qui vivent en votre présence, je vous bénis d'avoir daigné, aujourd'hui et à cette heure, m'admettre au nombre de vos martyrs, à la participation du calice et de votre Christ, pour la résurrection à la vie éternelle de l'âme et du corps, dans l'incorruptibilité de l'Esprit- Saint, je vous loue de toutes choses, je vous bénis, je vous glorifie avec Jésus-Christ, votre fils bien- aimé, éternel et céleste, avec qui gloire soit à vous et au Saint-Esprit, maintenant et dans les siècles futurs (2). »

D'après l'auteur de VEpître à Diognète, « c'est le Fils, le créateur, que Dieu a envoyé, de préférence à toute créature, ange ou prince, gouverneur de la terre ou gouverneur des cieux (3) ; » a c'est par ce Fils que Dieu a révélé tout ce qui avait été préparé dès le commencement (4). »

A l'accusation d'athéisme, portée contre les chré- tiens, saint Justin (f i63) faisait cette réponse : « Oui, s'il s'agit de vos dieux, nous sommes athées ; mais nous ne le sommes pas à l'égard du Dieu très vrai, sans mélange de mal, père de la justice, de la tempérance et des autres vertus. Aussi nous l'hono- rons et adorons le Fils, qui est venu de lui et nous

i. Magn., xm ; ibid., p. 200. 2. Martyr Polyc, xiv, ibid., p. 298. 3. Epist. adDiogn., vu, 2 ; ibid., p. 320. 4- Ibid., vin, 11 ; ibid., p. 324.

574 LE CATÉCHISME ROMAIN

a enseigné ces choses... et l'Esprit prophétique (1).» Dans son Dialogue avec Tryphon, le philosophe mar- tyr proclame le Fils Dieu, engendré du Père de toutes choses, Verbe, Sagesse, Puissance et Gloire de celui qui l'engendre (2), mais distinct du Père puisque, dans les Ecritures, le Père lui adresse la parole (3), émanant du Père sans se détacher de lui comme la lumière sort du soleil (4).

Voici, à cette même accusation, la réponse d'un autre apologiste, Athénagore : a J'ai suffisamment démontré que nous ne sommes pas athées, nous qui croyons en un seul Dieu non engendré, éternel, invisible, impassible, incompréhensible, immense, connu de l'esprit seul et de la raison, environné de lumière, de beauté, d'esprit, de puissance indicible, qui enfin a créé et orné et conserve toutes choses par son Verbe, car nous reconnaissons aussi un Fils de Dieu. Que personne ne pense qu'il est risi- ble de ma part (de soutenir) que Dieu a un Fils. En effet, notre conception de Dieu le Père ou du Fils ne ressemble pas aux imaginations des poètes qui nous montrent les dieux aussi mauvais que les hom- mes. Mais le Fils de Dieu est le Verbe du Père en idée et efficacité ; car, d'après lui et par lui tout a été fait, le Père et le Fils n'étant qu'un. Gomme le Fils est dans le Père et le Père est dans le Fils par l'unité et la puissance de l'Esprit, le Fils de Dieu est l'intelligence et le Verbe du Père. Si, pour mieux comprendre, vous désirez savoir ce que signifie ce mot Fils, je répondrai brièvement qu'il est le pre- mier-né de Dieu, non qu'il ait été fait, car, dès le commencement, Dieu, intelligence éternelle, avait le Verbe en lui, étant éternellement raisonnable,

1. Apol. I ; Pat. gr., t. vi. col. 336. a. Dial. cam Tryph., txi. 3. Ibid., lxii. 4. Ibid., cxxvm ; Pat. gr., t. vi, ;col. 616.

LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATRISTIQUE 5^5

mais parce qu'il s'est avancé pour être l'idée et l'énergie formatrice de toutes les choses matériel- les... L'Esprit prophétique est aussi conforme avec le Verbe... Or, ce Saint-Esprit, agissant dans les prophètes, nous disons qu'il est une émanation de Dieu, qu'il sort (de lui) et qu'il revient lui) comme un rayon de soleil. Qui donc ne s'étonne- rait d'entendre appeler athées ceux qui affirment Dieu le Père, Dieu le Fils et TEsprit-Saint, qui mon- trent leur puissance dans l'unité et leur différence dans l'ordre (i).

Saint Théophile d'Antioche donne aux trois per- sonnes divines le nom de Triade (2).

L'évêque de Lyon, saint Irénée, écrivait contre les gnostiques : « Pour faire ce qu'il avait résolu de créer, Dieu n'avait pas besoin des anges, comme s'il n'eût pas eu ses mains. En effet, le Verbe et la Sagesse, le Fils et l'Esprit, lui sont toujours présents ; par eux et en eux il a fait toutes les choses librement et spontanément, et c'est à eux qu'il parle lorsqu'il dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre res- semblance (3). » « Nous avons démontré par beau- coup de preuves que le Verbe, c'est-à-dire le Fils, était toujours avec le Père. Mais comme la Sagesse, qui est l'Esprit, était en lui avant toute création, elle dit par Salomon : « Dieu m'a créée principe de ses voies pour ses œuvres, il m'a établie avant les siècles, au commencement avant qu'il fit la terre (4). »

Saint Irénée insiste sur l'éternelle génération du Verbe, mais renonce à dire ce qu'est cette généra- tion : « Que si l'on nous demande comment le Fils est produit par le Père, nous répondrons que cette

1. Légat, pro Christ, 10 ; Pair. gr.9 t. vi, col. 908-909. 9. Ad. Anlol.y 1. 11, i5 ; ibid., col. 1077. 3. Adv. hœr., IV, tx, 1 ; Pair, gr., t. vu, col. io3a. 4. Ibid., 3, col. io33.

5 76 LE CATÉCHISME ROMAIN

production, de quelque nom qu'on la désigne, géné- ration ou autre, personne ne la connaît... si ce n'est le Père qui engendre et le Fils qui est engendré. Et puisque cette génération est indicible, ce n'est pas avoir la pleine possession de soi-même que d'entre- prendre de raconter génération, émanation (1). »

Jusqu'ici ce point de concept de substance, d'hy- postase ou de personne nettement défini ; pas d'au- tre relation caractérisée que celle de génération. C'est que les Pères s'occupent alors beaucoup moins de la vie intime de Dieu que de sa manifestation extérieure, beaucoup moins du Verbe dans ses rela- tions avec le Père que dans ses rapports avec la création et l'œuvre rédemptrice, beaucoup moins du Saint-Esprit que du Verbe. Certaines de leurs expressions ne cadreraient pas aujourd'hui avec la pure orthodoxie. Après avoir proclamé l'éternité du Verbe, les apologistes semblent ne le faire sortir du sein du Père par voie de prolation ou de génération qu'au moment et dans le but de créer, ce qui impli- querait une génération purement temporelle, le Verbe passant ainsi de son état caché dans le sein de Dieu, èvotàôero;, à l'état de icpocpoptxoç ou d'être manifesté, selon les expressions de Théophile (2). Cette idée, moins les termes, se trouve pareillement dans saint Justin, Tatien et Athénagore. Enfin, tout en parlant de Puni divine et en distinguant dans cette unité les trois personnes, ils accusent trop leur subordination

1. Adv. hœr., II, xxviii, 6. 2. Ad Autol., 11, 10, 22 ; Pair, gr., t. vi, col. 1064, 1088 ; voir notre article Les Pères apolo- gistes dans le Diction, de théol., t. 11, col. 1696-1597.

LA SAINTE TRINITÉ ! PREUVE PATRISTIQUE 577

II. Fin du IIe siècle et IIIe siècle

Vers la fin du 11e siècle éclate un conflit doctrinal entre deux écoles rivales, l'école des unitaires, qui exagère l'unité sous le nom de monarchie, pour couper court à l'erreur polythéiste, mais qui en même temps compromet la Trinité, formulée dans le symbole et la liturgie baptismale, et l'école des trinilaires, qui entend avant tout sauvegarder la Trinité des personnes, mais qui donne prise à l'accusation de dithéisme ou de trithéisme.

i. Un byzantin ambitieux, réfugié à R.ome. Théo- dote le corroyeur, se mêla de questions religieuses. Rejetant la métaphysique folle des gnostiques et l'illuminisme des montanistes, il tomba dans un rationalisme intempérant. Contrairement aux don- nées les plus formelles de la tradition, il en vint à nier la divinité de Jésus-Christ, sous prétexte de sauvegarder l'unité de Dieu, la monarchie. Suivi, à quelques nuances près, par son homonyme le banquier et par Artémon, il fut finalement condamné par le pape Victor (i).

2. Un asiate, Noët de Smyrne, déjà condamné pour ses opinions hétérodoxes par sa propre Eglise, vint également à Rome avec son compatriote Epigone et eut pour disciple Cléomène. A tout prix, disait-il, il faut maintenir la monarchie divine contre le poly- théisme païen, le plérome gnostique et le dualisme de Marcion. Le Père est père en tant qu'il n'a pas été engendré ; une fois engendré, il est son propre fils. Par suite ces termes de père et de fils, dans la Trinité, s'appliquent à une seule et même personne, considérée dans deux états successifs différents.

i. Eusèbe, Hist. eccl., v, 28 ; Pair, gr., t. xx, col. 5i3.

LE CATÉCHISMB. T. I. J7

578 LE CATÉCHISME ROMAIN

Epigone précisait que c'est le Père qui a souffert sur la croix, en tant que fils incarné (1).

3. De la Lybie survient Sabellius qui, systémati- sant ces idées nouvelles, professe le Modalisme. Il n'admet qu'une seule personne en Dieu, laquelle, il est vrai, porte trois noms différents, mais d'après le rôle joué dans le monde soit pour le créer, soit pour le racheter, soit pour le sanctifier, et se mani- feste tour à tour, comme Père dans l'Ancien Testament, comme Fils dans l'incarnation et la rédemption et comme Saint-Esprit dans la justi- fication de l'homme. C'est la monade qui, en se développant, devient triade. Saint Grégoire de Nazianze accusera plus tard les Sabelliens d'athéisme, tandis que saint Hilaire de Poitiers et saint Athanase les accuseront de panthéisme (2).

[\. Pris énergiquement à partie par Caïus, saint Hippolyte et Tertullien, la plupart de ces unitaires furent condamnés par l'autorité romaine. Le pape Zéphirin condamna Artémon (3) ; Praxéas fut obligé de rétracter par écrit son erreur (4) ; et Sabellius fut excommunié par Calliste (5). Tertullien écrivait avec sa verve mordante : « Les simples, pour ne pas dire les pauvres d'esprit et les imbéciles, qui forment toujours la majorité des croyants, une fois tirés de leur polythéisme et amenés à croire au seul vrai Dieu, ne comprennent pas que ce Dieu est unique sans doute, mais avec une certaine économie ; c'est celte économie qui épouvante leur foi. Ce qui est nombre et distribution dans la divinité, dans la trinité, ils le prennent pour une division de l'unité. Or l'unité, produisant d'elle-même la trinité, n'est

1. Voir Philosophumena, ix. 2. Voir Eusèbe, loc. cit. 3. Eusèbe, Hist. eccl., v, 28 ; Patr. gr., t. xx, col. 5i3. U. Tertullien, Adv. Prax., 1 ; Patr. lat., t. 11, col. i56. 5. Philosophumena, ix, 12 ; édit. Cruice, Paris, 1860, p. 44i.

LA SAINTE TRINITÉ '. PREUVE PATRISTIQUE' 5 7 9

pas pour cela divisée, mais organisée. Ils disent que nous prêchons deux ou trois dieux, se vantent eux- mêmes de n'adorer qu'un seul Dieu ; comme si, en resserrant outre mesure l'unité divine, on n'était pas hérétique ; comme si la trinité, raisonnablement expliquée, n'était pas la vérité même. Nous tenons, disent-ils, à la monarchie ! Et l'on entend nos latins, même ces bons opiques, répéter ce mot grec avec leur agréable accent ; on voit de suite qu'ils comprennent aussi bien qu'ils pronon- cent (1). »

5. Mais d'autre part, les trinitaires n'étaient-ils pas à l'abri de tout reproche doctrinal, dans leur manière d'entendre et d'expliquer a raisonnable- ment » « l'économie » de la trinité ? L'accusation de dithéisme n'était-elle pas justifiée ?

Le prêtre romain Hippolyte composa une réfuta- tion de Noët, il disait entre autres choses : « Il est bien obligé de confesser le Père, Dieu tout-puis- sant, et Jésus-Christ, Fils de Dieu, Dieu fait homme, à qui le Père a tout soumis en dehors de lui, et l'Esprit-Saint, et d'avouer qu'ils sont vraiment trois... En ce qui est de sa puissance, Dieu est un, mais trine quant à l'économie (2). » D'autre part, à la suite des apologistes, il insistait trop sur la dis- tinction du Verbe intérieur et du Verbe proféré et donnait prise au subordinatianisme. Le pape Calliste accusa de dithéisme une telle doctrine. C'était le point de vue également adopté à Carthage.

6. Dans son traité Contre Praxéas, Ter tuilier* expose le dogme à sa manière. Il défend la trinité, mot qui paraît pour la première fois chez les Latins, et son traité est le premier en date sur cette matière ;

1. Adv. Prax., 3 ; Pair, lai., t. 11, col. i58. 2. Homel. conL hœres.

58o LE CATÉCHISME ROMAIN

au nom de la tradition, dit-il, il veut concilier « ï économie » avec la « monarchie » : « Custodiatur œconomiœ sacramentum, quœ unilalem in trinitatem disponit, très dirigeas, Patrem, et Filium, et Spiritum Sanctum. Très autem non statu, sed grada ; nec subs- tantia, sed forma ; nec potestate, sed specie : unius autem substantiœ, et unius status, et unius proiesiatis ; quia unus Deus, ex quo et gradus isti et formée et species, in nomine Patris et Fitii et Spiritus Sancti deputantur (ï). »

A côté d'expressions et de formules nouvelles, qui accusent un progrès sensible dans la manière de concevoir et d'exposer le mystère, Tertullien a des imprécisions de termes, des incorrections de langage et des idées erronées. On le sent, quand il s'exprime avec justesse, sur le terrain ferme de la tradition. Et c'est bien comme un écho fidèle de l'enseignement traditionnel qu'il soutient la distinc- tion des personnes divines, qu'il affirme que le Père est Dieu, que le Fils est Dieu, que le Saint-Esprit est Dieu, et que pourtant ce ne sont pas trois dieux. Mais la notion de pleine consubstantialité n'est pas suffisamment mise en relief ; elle semble même parfois compromise. C'est dire que Tertullien, et ceux qui, comme lui, attaquaient les monarchiens, en sont au même point que leurs prédécesseurs sur les deux états successifs du Verbe, d'abord caché en Dieu, puis proféré ou engendré. Caché en Dieu, le Verbe est éternel. L'est-il également comme Fils par sa génération ? Qu'on en juge : « Tune igitur etiam ipse Sermo speciem et ornatum sumit, sonum et vocem, cum dicit Deus : Fiat lux. Haec est nativitas perfecta Sermonis, dum ex Deo procedit ; conditus ab eo primum ob cogitatum in nomine Sophiae,

ï. Adv. Prax., 2 ; ibid., col. 157.

LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATRISTIQUE- 58 1

dehinc generatus ad ejfeclum (i). » Et ceci ne sem- ble-t-il pas compromettre la parfaite consubstantia- li . « Pater, tota substantia est ; Filius vero derivatio tollus et porlio (2) ? » Du reste il explique que le Fils était plus apte à l'incarnation à cause de son infé- riorité (3).

7. C'est justement cette consubstantialité qu'il fallait sauvegarder à tout prix pour maintenir intacte l'unité divine, tout en professant la trinité des personnes. Et c'est elle qu'a défendue Calliste, quoi qu'en disent les Philosophwnena. Calliste, de l'aveu même des Philosophumena, a condamné Sabellius et le modalisme ; s'il n'en a pas fait autant pour les trinitaires, qui compromettaient la con- substantialité, ce n'est pas à dire qu'il partageât de tous points leurs manière de voir ; il la partageait même si peu qu'il fut de leur part l'objet d'accusa- tions injustifiées ; d'autant plus, et ce sont toujours les Philosophumena qui nous renseignent, que son enseignement resta celui de l'Eglise de Rome. Or cet enseignement nous est connu par l'attitude de l'un des successeurs de saint Calliste, le pape saint Denys (259-268), vis-à-vis de l'évêque d'Alexandrie. Sa lettre est un document de la foi romaine, nette- ment consubstantialiste et anti-sabellienne, égale- ment éloignée de l'erreur, qui prétend que le Fils est le même que le Père, et de celle qui divise l'unité en trois substances séparées. Comme Calliste, Denys condamne le sabellianisme ; comme Calliste, Denys accuse de dithéisme les adversaires exagérés du Sabellius. De part et d'autre, même langage théolo- gique montrant que les deux papes, à un demi-siè- cle de distance, ont sur la légitimité de certaines

i. Adv. Prax., tu ; Pair, lat., 1. 11, col. 161. 2. lbid.t ix; ibid.t col. 164. 3. Ibid,, xvi ; ibid., col. ij4«

582 LE CATÉCHISME ROMAIN

formules et sur le sens de certains textes de l'Ecri- ture les mêmes idées contraires à celles des anti- sabelliens. Ils sont pour l'identité substantielle du Père et du Fils en môme temps que pour la trinité et pour la distinction personnelle des hypostases ^divines (i).

8. Peu après le milieu du 111e siècle parut un traité spécial sur la Trinité, au schismatique Novatien ; mais il ne constitue pas le moindre pro- grès sur la question. Le Christ promis dans l'Ancien Testament est celui de l'Evangile : il est homme et Dieu, il est l'Homme-Dieu. Fils de Dieu, de Dieu, engendré de Dieu, mais quand ? Novatien répète plusieurs fois que la génération du Fils a précédé la création, sans jamais affirmer qu'elle fut éternelle, mais laissant entendre au contraire qu'elle a été motivée et datée par la création (2). De ce côté, point de progrès. D'autre part, tout en combattant le di théisme, il lui prête le flanc parce qu'il pousse trop loin la distinction du Père et du Fils. Confor- mément à la Règle de foi, il proclame l'unité divine et la divinité de Jésus-Christ ; il affirme que le Christ reste un avec le Père, auquel il doit son ori- gine, sa génération, sa naissance, son "titre de Fils. Ne dirait-on pas la consubstantialité ? Il n'en est rien ; car cette unité, sur laquelle appuie tant Novatien, c'est, dit-il, une unité de « concorde, d'amour, de dilection », unité purement morale (3). Relativement au Saint-Esprit, il ne l'appelle nulle part Dieu ou personne divine, mais il le donne clai- rement à entendre En revanche, il passe complète- ment sous silence le mode de relation du Saint-

1. Voir notre article Calliste, dans le Dictionnaire de théologie* i,. 11, col. i337~i338. 2. De Trinit., 3i ; Pair, lat t in, col. 4)5o. 3. Ibid. 27 ; ïïid., col. 938.

LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATRISTIQUE 583

Esprit avec le Père et le Fils. Il est vrai que jusque là, Tertullien avait été le seul à dire que le Saint- Esprit procède du Père par le Fils. Et enfin Novatien a le tort d'expliquer l'ordre hiérarchique des per- sonnes de la trinité par une sorte d'amoindrissement de la troisième sur la seconde (i), et de la seconde sur la première (2), ce qui laisse la porte ouverte au subordinatianisme.

8. Aurons-nous du moins plus de chance de trouver une doctrine plus ferme dans le célèbre Didascalée d'Alexandrie ? Il n'y paraît guère, en ce qui regarde le successeur de Pantène. Sans doute Clément croit à la « sainte Triade, » à la divinité du Fils et du Saint-Esprit (3). « 0 miracle mysti- que s'écria-t-il ! Un seul Père de toute chose ! Un seul Verbe de toute chose ! Un seul Esprit, et lui- même partout (4) I » « Faites, ô Dieu, qu'après avoir vécu dans la paix nous soyons introduits dans la cité, qu'après avoir franchi sans encombre les flots du péché nous soyons transportés paisibles avec F Esprit-Saint et que, vous louant nuit et jour avec l'ineffable Sagesse jusqu'au jour parfait, nous vous rendions grâces, et, en rendant grâces, que nous louions Père et Fils, Fils et Père, le Fils notre pédagogue et maître, avec le Saint-Esprit (5) I » « Les aveugles comprennent quel grand trésor nous portons dans un vase d'argile par la vertu de Dieu le Père, par le sang de Dieu le Fils, et par la rosée du Saint-Esprit (6). » Mais, d'autre part, Clément ne serre pas d'assez près la question trinitaire et ne surveille pas suffisamment son langage. Tantôt il désigne les personnes divines par des expressions

1. De TriniL, 16 ; ibid., col. 91 5. 2. Ibid., 3i ; ibid., coJ. $49. 3. Sirom., v, i4 ; Patr. gr., t. ix, col. i58. 4- Pedag., 1,6; Patr. gr., t. vm, col. 3oo. 5. Pedag., ni, 12 ; ibid., col. 680. 6. Quis dives salv., 34 ; Pat. gr., t. ix, col. 64o.

584 LE CATÉCHISME ROMAIN

que ne désavouerait pas un modaliste ; tantôt il leur attribue des aptitudes si tranchées qu'on croirait entendre un subordinatianiste, ainsi que l'a remar- qué Petau.

9. Tout autre est le cas d'Origène, bien qu'il n'ait pas échappé à la critique de saint Jérôme. Voulant réfuter ceux qui ne regardaient le Logos en Dieu que comme un simple phénomène sans exis- tence propre, il dit que le Fils de Dieu est appelé Logos pour deux motifs; car Logos signifie à la fois raison et parole. Le Fils étant la raison du Père, fait participer tous les hommes à cette raison éter- nelle ou à la vérité. On peut l'appeler également la parole qui révèle les secrets de Dieu, de même que la parole, chez les hommes, est le signe révélateur de la pensée. Mais cette parole ne se réduit pas à un pur accident, à un son passager : elle est substan- tielle, et cette substance est celle du Père (1). Donc consubstantialité du Verbe et de Dieu.

Mais de plus existence éternelle du Verbe. « Relativement à Dieu, le Verbe ne devient pas... Le Verbe n'a point passé du non-être dans le prin- cipe à l'être dans le principe, du non-être en Dieu à l'être en Dieu ; mais avant tous les temps et tous Ses siècles, le Verbe était dans le principe, et le Verbe était Dieu (2). » D'où co-éternité du Verbe et de Dieu, co-éternité aussi du Fils et du Père : « Dieu n'a pas commencé d'être Père à la façon des hommes... Car si le pouvoir d'être père ne lui a jamais manqué, si c'est pour lui une perfection d'être Père d'un tel Fils, quel motif aurait-il eu de différer son acte et de se priver d'une perfection ? Pourquoi ne serait-il pas devenu Père aussitôt qu'il

1. In Joan., 1, 4a ; Pair, gr., |t. xiv, col. 96-104. 2. In Joan., 11, 1 ; ibid., col. io5.

LA SAINTE TRINITÉ I PREUVE PATRISTIQUE 5S5

le pouvait. On doit raisonner de même touchant le Saint-Esprit (i). » Il est difficile, on l'avouera, de se prononcer plus formellement contre la gêné- ration temporelle, et ceci est un progrès incontes- table. Qu'Origène ait enseigné la consubstantialité et la co-éternité du Verbe et du Père, c'est ce qu'affirme saint Athanase, en le citant contre les Ariens (2). Cette consubstantialité, Origène l'accuse énergiquement contre les modalistes et sabelliens. « Quant à nous, dit-il, nous croyons qu'il y trois hypostases, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et que le Père seul ne tire son origine d'aucun autre. » Mais il insiste trop sur le rang que déterminent leurs relations naturelles, sur la hiérarchie fondée sur leurs rapports d'origine, et par les subordonne tellement l'une à l'autre qu'il semble les diviser et par suite compromettre leur absolue égalité !

10. Ainsi donc, au nr9 siècle, le dogme de la Trinité se trouvait battu en brèche, d'un côté par les modalistes sabelliens, qui n'admettaient en Dieu qu'une seule personne avec trois noms diffé- rents servant à caractériser ses différents rôles, et d'un autre côté par les trinitaires trop tranchants qui introduisaient un subordinatianisme exagéré parmi les hypostases. L/autorité romaine condam- nait formellement les premiers et tenait en légitime suspicion les derniers. Le mérite d'avoir dégagé le véritable enseignement de l'Eglise revient au pape saint Denys, bien qu'il ne l'ait pas formulé avec la netteté et la précision des Pères du ive siècle. Son homonyme, l'évêque d'Alexandrie, saint Denys, n'avait pas su éviter, dans sa réfutation du sabel- lianisme, le danger du subordinatianisme. C'est

1. Pamphile, Apolog., 111 ; Pair, gr., t. xvn, col. 56 1. U. In Joan.t 11, 6 ; Pair. gr.t t. xiv, col. 128.

586 LE CATÉCHISME ROMAIN

pourquoi le pape lui écrivait : « Il serait juste de discuter contre ceux qui détruisent la monarchie, dogme très auguste de la prédication ecclésiastique, la divisant et la scindant en trois puissances et personnes séparées, en trois divinités. J'ai appris, en effet, que, parmi vous, certains qui prêchent et enseignent la parole de Dieu, soutiennent cette opinion, s'opposant ainsi diamétralement, si je puis dire, à l'erreur de Sabellius. Celui-ci blasphème en affirmant que le Fils même est le Père et récipro- quement; ceux-là prêchent d'une certaine manière trois dieux, lorsqu'ils divisent Funité sainte en trois hypostases étrangères l'une à l'autre, tout à fait séparées l'une de l'autre. Il est nécessaire, en effet, que le Verbe divin soit uni au Dieu de toutes choses, que l'Esprit-Saint demeure et inhabite en Dieu, et qu'ainsi la divine Trinité se ramène, se réduise en un point culminant, c'est-à-dire au seul Dieu tout-puissant de l'univers... 11 ne faut pas moins blâmer ceux qui pensent que le Fils est une créature et que le Seigneur a été créé comme l'une des choses qui ont été réellement faites, alors que la parole divine atteste qu'il a été engendré ainsi qu'il convient, mais non créé ou produit... Ne séparons donc pas en trois divinités l'admirable et divine unité; ne diminuons pas par ce terme de créa- tion la dignité et la suprême grandeur du Seigneur ; mais croyons en Dieu le Père tout-puissant, et en Jésus-Christ son Fils, et en l'Esprit-Saint ; croyons que le Verbe est uni au Dieu de l'univers. En effet, « le Père et moi, dit-il, nous sommes une même chose ; » et encore : « Je suis dans le Père, et le Père est en moi. » Ainsi seront conservées et la divine Trinité et l'affirmation delà sainte unité (i). »

i. Saint Athanase, De ctecr. Nie. syn., a6 ; Pair, yr., t. xxvi, col. 46 1 sq.

LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATRISTIQUE b8j

il. Cette lettre du pape saint Dcnys n'enraye pas le mouvement de l'erreur. Celle-ci allait s'affirmer avec force et susciter des luttes et des troubles fort graves pendant le iv° siècle. L'un des foyers fut la capitale de la Syrie, Antioche, Paul de Samosate, en 269, fut condamné par un Synode pour avoir professé sur la Trinité des opinions erronées qui rappelaient celles des antitrinitaires ; opinions, que Lucien d'Antioche colporta et répandit à Nicomédie avant de subir le martyre. C'est du prêtre Lucien, en effet, que se réclament deux « conlucianistes* » Eusèbe et Arius.

III. IVe siècle

1. Originaire de la Lybie, Arius, devenu prêtre d'Alexandrie et chargé de l'église paroissiale de Baucale, renforça l'erreur, malgré son évêque, soutenu qu'il était par des personnages étrangers, particulièrement par son ami Eusèbe. Pour lui, le Fils est inférieur au Père ; il est créé par Dieu et créé pour créer tout le reste ; il n'a donc pas la substance du Père, mais une nature dissemblable. Par suite les substances du Père, du Fils et du Saint- Esprit diffèrent, sont étrangères l'une à l'autre, sans rapport Tune avec l'autre. Et le Saint-Esprit est l'œuvre du Christ comme le Christ est l'œuvre du Père. D'où la doxologie habituelle se trouve remplacée par celle-ci : « Gloire au Père par le Fils dans le Saint-Esprit (1). »

Condamné à Alexandrie, Arius le fut de nouveau au concile de Nicée, en 325. De là, dans le symbole de Nicée, ces expressions caractéristiques : a Et en.

1. Théodoret, Hœret. fab., iv, 1 ; Patr.gr», t. lxxxiii, col. 4<4*

588 LE CATECHISME ROMAIN

un seul Jésus-Christ, l'unique engendré du Père, c'est-à-dire de la substance du Père ; Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ; en- gendré, non créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre (i). » De encore la condamnation expresse des formules favorites d'Arius, placée à la fin du symbole de Nicée.

L'expression qui tranchait dans la racine l'erreur arienne, celle qui allait servir de tessère à l'ortho- doxie, c'est le consubstantiel, Yb\i.ooû<sio<;. Bien qu'é- trangère à l'Ecriture, elle répondait trop bien à l'idée maîtresse pour qu'on la négligeât. Les Pères de Nicée, en déclarant le Fils consubstantiel au Père, le proclamaient vrai Dieu, possédant comme le Père la nature divine, en vertu d'une génération propre et naturelle, et non métaphorique. C'est ce que remarque fort justement saint Athanase (2). Sans doute, ce terme avait été rejeté au ni0 siècle, parce que, sur les lèvres et dans la pensée de Paul de Samosate,il masquait sous l'identité de substance l'identité numérique du Père et du Fils et servait ainsi de véhicule au sabellianisme. Mais repris cette fois dans un sens orthodoxe, nettement défini, il acquérait droit de cité dans l'Eglise et servait à exprimer convenablement le dogme. Les semi-ariens essayèrent de l'escamoter en y introduisant une voyelle, qui ne le défigurait pas trop, mais qui en changeait complètement la signification. L'ô;xoiou<yioç n'est pas l'ôtxûous'.oç ; il signifie semblable et non consubstantiel ; les défenseurs de l'orthodoxie ne prirent pas le change et dénoncèrent le subter- fuge.

1. Voir plus haut ; Denzinger, n. 17. 3. De decr. Nie, syn., 20 ; Pair. gr.t t. xxvi, col. 45a.

LA SAINTE TRINITÉ .* PREUVE PATRISTTQUE 58 9

2. Mais, dans le courant du siècle, l'erreur s'en prit à la troisième personne de la Trinité. On avait nié la divinité de Jésus-Christ, on nia la divinité du Saint-Esprit. Jusque-là, il est vrai, la spéculation ne s'était pas portée sur cette troisième personne ; mais tôt ou tard la question devait se poser de savoir si le Saint-Esprit possède lui aussi la consubs- tantialité et à quel titre. Pour le Fils, la génération explique sa consubstantialité. Si donc le Saint-Esprit est consubstantiel au Père, c'est qu'il serait engen- dré, hypothèse inadmissible, le Fils seul procédant du Père par voie de génération. Reste alors que le Saint-Esprit a été créé par le Fils, et dès lors il n'est pas consubstantiel, il n'est pas Dieu. Ce fut en particulier l'erreur de l'évêque semi-arien de Cons- tantinople, Macédonius, qui avait été déposé en 36o par le parti d'Acace ; et c'était une difficulté de plus qui s'ajoutait à celle de faire triompher le consubstantiel de Nicée.

3. La décision doctrinale de Nicée avait déchaîné bien des colères et suscita des luttes acharnées, de violentes persécutions. Elle rencontra une vive opposition de la part d'adversaires qui ne craigni- rent pas de faire appel à la force impériale pour appuyer leurs revendications ; ils opposèrent des évoques aux évéques, des synodes aux synodes, des professions de foi aux professions de foi. Mais ni les subtilités de la logique, ni les menaces du pouvoir, ni les arrêts d'exil ne firent taire les cham- pions de la foi de Nicée. A la tête de ces derniers marchaient vaillamment le glorieux Athanase d'Alexandrie et l'illustre Hilaire «le Poitiers. Tous deux, par la plume et par la parole, durent mener le bon combat et tenir tête à l'hérésie. L'un repré- senta l'Orient de 325 à 373 et fut, selon l'expression de saint Basile, le a porte- drapeau de l'ortho-

5 gO LE CATÉCHISME ROMAIN

doxie (i) ; » l'autre, représentant l'Occident, n'entra en scène qu'en 355 et mourut en 366.

[\. Saint Athanase commence par défendre le consubstantiel contre les arguties d'Arius. Oui, disait-il, Dieu est un, mais dans cette unité il y a une trinité ; une seule nature, mais trois personnes distinctes (2). Les termes de Père et de Fils sont corrélatifs (3). Le Fils n'a pas été tiré du néant ni produit par un acte libre de la volonté divine ; il est engendré de la substance du Père (/[), et cette substance il la possède tout entière par son carac- tère propre (5). Il possède la divinité dans sa pléni- tude (6) ; il est éternel comme son Père (7). Ils sont deux cependant, le Père et le Fils, distincts l'un de l'autre ; mais il n'y a qu'une seule nature, et dans cette nature divine unique pas l'ombre d'une divi- sion (8).

De même le grand évêque prend la défense de la troisième personne. Le Saint-Esprit participe lui aussi à la divinité et à la puissance de Dieu (9). Il a pour principe le Fils qui est avec le Père (10), et il est inséparable du Père et du Fils (n). Il forme avec le Père et le Fils une seule et même substance (12). Il n'y a par conséquent qu'une seule nature divine et un seul Dieu en trois personnes (i3).

5. De son côté, Févêque de Poitiers compose un traité en douze livres sur la Trinité. Partant de la

1. Epist., lxvi ; Patr. gr., t. xxxn, col. ^24- 2. Orat. cont. arian., 1, 18; Pair, gr., t. xxvi, col. 48. 3. Ibid., m, 6; ibid., col. 333. 4- Ibid., in, 62 ; ibid., col. 453. 5. Ibid.t 1, 16; ibid., col. 45. 6. Ibid., m, 6; ibid., col. 33a. - 7. Ibid., 1, i4; ibid., col. 4i. 8. Ibid., in, 4; ibid., t. xxvi, col. 328. 9. De inc. et cont. arian., ix ; ibid., col. 997. 10. Ibid., col. 1000. 11. Tom. ad Ant., 5; ibid., col. 801. 12. Epist. ad Serap., 1, 27; ibid., col. 5y3. i3. De inc. et cont. arian., x ; ibid., col. 1000.

LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE PATRISTIQUE - 5g I

formule baptismale, il traite d'abord de la généra- tion du Verbe et prouve la consubstantialité du Père et du Fils. Et après avoir réfuté les objections arien- nes contre la divinité du Christ, il venge la doctrine de la génération éternelle du Verbe dans le sein du Père de toutes les calomnies d'Arius ; il s'applique à saisir cette génération éternelle en elle même, dans son absolue distinction de toute procréation ou production temporelle, enfin il défend la divinité du Saint-Esprit (i). Grâce à lui, remarque Schwane, la terminologie se trouva mieux fixée dans la langue latine que dans la grecque. Unité de substance : u Dieu le Père et Dieu le Fils ne font absolument qu'un, non par l'union de personne, mais par l'unité de substance (2). » Identité de nature, le Père et le Fils « se compénètrent réciproquement, parce que tout est parfait dans le Fils unique, comme tout est parfait dans le Père inengendré (3). » Mais distinction personnelle. La génération n'est « ni un partage, ni une diminution, ni une émanation, ni une extension, mais la production d'un être vivant par un être vivant (4). » « A la différence de plu- sieurs de ses devanciers, dit Largent, Hilaîre parle du dogme trini taire avec une justesse irrépréhen- sible ; il se garde des paradoxes de langage et de pensée Tertullien s'était quelquefois emporté (5). » 6. Bientôt, du sein même de la Cappadoce, jusque l'un des foyers et l'une des forteresses de l'hérésie, Dieu suscite de vaillants émules et de puissants auxiliaires à saint Athanase et à saint Hilaîre : ce sont les célèbres cappadociens, saint Basile le grand, son frère saint Grégoire de Nysse, son ami saint Grégoire de Nazianze et son corres-

1. De Trinitate, Pat. lat.t t. x, col. 25-472. 2. De Trw., iv, 42 ; ibld., col. 128. 3. Ibid., 111, 4; ibid., col. 78. A. laid., iv, 35 ; ibid., col. i85. 5. Largent, saint Hilaire, p. 45.

5()2 LE CATÉCHISME ROMAIN

pondant saint Amphilochius d'Inconium. Ceux-ci apportent plus de précision dans la terminologie grecque et trouvent une formule équivalente à la formule latine. Ils conservent les termes dt oùc(% pour désigner la substance et de uTrôaTacj'.ç pour désigner la personne; ils accentuent la réalité de l'unité d'essence en ramenant les trois hypostases, expression d'Origène, à l'unité de substance : Tpeïç u7ro<7T7.(T£t; Èv t/Ya oiWot, qui répond au très personse unius substantise des latins ; ils distinguent nette- ment en Dieu l'essence ou la nature, la substance et toutes les perfections absolues des propriétés relatives et personnelles ; ils marquent enfin avec précision que ces noms de Père, de Fils et de Saint- Esprit se rapportent aux relations d'origine. Et par ils font faire un progrès notable à la notion et à l'exposition du mystère de la Trinité.

7. Pendant la période qui précéda le concile de Nicée, la question trinitaire avait surtout porté sur le Fils, sur sa divinité et ses relations avec le Père. Le concile de Nicée s'était borné à mentionner le Saint-Esprit. Mais l'arianisme regardant le Fils comme une créature créant les autres, tôt ou tard on devait en conclure logiquement que le Saint- Esprit est une œuvre du Fils. L'erreur allait ainsi s'étendre de la seconde à la troisième personne de la Trinité. Les anoméens firent d'abord du Saint- Esprit un intermédiaire du Verbe. Pour Eunomius, « le Saint-Esprit a été, quant à l'ordre et quant à l'essence, créé le troisième, sur l'ordre du Père, par l'action du Fils ; honoré du troisième rang comme la première et la plus élevée des créatures du Fils unique, seul de son espèce, mais dépourvu de divi- nité et de puissance créatrice (1). » Saint Athanase

1. Saint Basile, Adv. Eunom., ni, 5.

LA SAINTE TRINITÉ *. PREUVE PATRISTIQÛE 5û,3

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avait combattu aussitôt une telle erreur. Mais Ter- reur prit un élan nouveau avec Macédonius, succes- seur d'Eusèbe sur le siège de Constantinople en 3^2. Saint Athanase écrivit dans ses Lettres à Sérapion de Thmuis pour défendre de nouveau la divinité du Saint-Esprit. Mais les pneumatomaques, comme on désignait les adversaires de la divinité du Saint-Es- prit, partaient de ce dilemme et raisonnaient ainsi : «Le Saint-Esprit est engendré ou non. S'il ne l'est pas il est un nouveau Dieu, et c'est du polythéisme. S'il l'est, de deux choses l'une : ou il est engendré par le Père et alors le Père a deux fils, ou il est engen- dré par le Fils et alors il est petit-fils du Père. Tout cela ne pouvant s'accorder avec l'Ecriture, il faut en conclure que le Saint-Esprit n'est pas Dieu.

A Rome, le pape saint Damase (366-384) con- damna cette nouvelle erreur. En Orient, les Pères cappadociens la combattirent à leur tour ; saint Basile, avec une certaine circonspection de langage, qui ne permettait pas, affirme son ami saint Gré- goire de Nazianze, de suspecter l'orthodoxie de sa pensée mais qui le poussa, dans la suite, à écrire son Traité du Saint-Esprit, il enseigne la consubstan- tialité du Saint-Esprit et sa divinité ; saint Gré- goire de Nazianze, dans ses Discours ; et saint Gré- goire de Nysse, dans son Traité contre Eunomius.

Le concile de Constantinople, en condamnant Macédonius et Maréthonius, qui regardaient le Saint-Esprit comme le serviteur et la créature du Fils, comme un être intermédiaire entre le Fils et le monde des esprits finis, et en proclamant la con- substantialité et la divinité de la troisième personne, mit un terme aux controverses trinitaires du ive siè- cle. Complétant le symbole de Nicée, il dit, relati- vement au Saint-Esprit : «Nous croyons... à l'Es- prit-Saint, le Seigneur, le Vivifiant, qui procède du

LE CATÉCHISME. T. I. }8

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Père, qui conjointement avec le Père et le Fils est adoré et glorifié, et qui a parlé parles prophètes (i).» D'après le concile de 38i, le Saint-Esprit, personne distincte, procède du Père, est consubstantiel à Dieu, est Dieu au même titre que le Père et le Fils. C'est la doctrine que répéteront, en Orient, les con- ciles d'Ephèse en 43 1, de Ghalcédoine en 45 1, de Constantinople en 553 et en 68o. Reste un point à trancher, celui des relations du Fils et du Saint- Esprit, qui fera plus tard l'objet de nouveaux débats et de nouvelles décisions dogmatiques, comme nous aurons soin de le remarquer dans la suite.

Les stades parcourus jusqu'ici sont les suivants : en face du polythéisme, proclamation de l'unité de Dieu ; en face des modalistes et des ^subordinations, proclamation de la génération éternelle du Verbe, de sa divinité et de sa consubstantialité avec le Père; en face des pneumatomaques, proclamation de la divinité et de la consubstantialité du Saint-Esprit. Reste, après tant de luttes et tant d'écrits, à déga- ger les principes implicitement sous-entendus ou explicitement formulés, à grouper les vérités acquit ses en un tout ordonné et harmonieux, en un mot à faire œuvre de science théologique : ce fut la gloire de saint Augustin d'y travailler et d'y réussir dans une large mesure, car il orienta l'Eglise latine dans un concept et une exposition du mystère de la trinité que les scolastiques ont fait triompher.

IV. L'œuvre de saint Augustin

Aux prises avec l'hérésie d'Arius et de Macédo-

i. Voir plus haut le symbole de Nicée-Constantinople ; Denzinger, n. 47.

LA SAINTE TRINITÉ I PREUVE DE SAINT AUGUSTIN 5ç)J>

nius. les Pères durent essayer de formuler une interprétation rationnelle du dogme de la trinité ; grecs et latins rivalisèrent. Mais, chose curieuse, la spéculation fut moins profonde chez les premiers, beaucoup plus hardie chez les seconds.

Les Pères grecs, en effet, dans l'étude de ce mys- tère, se placèrent surtout au point de vue des per- sonnes divines, n'atteignant la nature de Dieu qu'à travers ces personnes. A leurs yeux, la personne du Père est la source de la divinité ; la personne du Fils est la perfection physique du Père; lapersonne du Saint-Esprit est sa perfection morale. Ainsi que le remarque le P. de Régnon, « les perfections divi- nes identifiées au Fils, ou personnifiées dans le Fils, ce sont en général les perfections physiques, comme si l'opération physique, qu'on appelle géné- ration et qui a pour terme un fils de même nature que son père avait pour résultat propre et formel de produire des perfections physiques (i). » On l'appelle la Raison, la Sagesse, et ce sont des per- fections de l'intelligence ; on l'appelle la Volonté, la Puissance, et ce sont des perfections de la volonté divine ; et comme la production des créatures est une œuvre de sagesse, de volonté et de puissance, c'est au Fils que les Pères grecs l'attribuent spécia- lement. La troisième personne, le Saint-Esprit, est la perfection morale du Père, sa Sainteté person- nelle, et principe de sanctification des créatures. Dans cet épanchement de la divinité, une différence existe sans nul doute entre la génération du Fils et la procession du Saint-Esprit; c'étaient deux don- nées de la Révélation, deux termes consacrés par l'Ecriture ; mais les grecs ne cherchèrent pas à pré- ciser davantage. Leur concept de la trinité peut se

i, De Régnon, Etudes de théologie positive, t. rv, p. 35o.

596 LE CATECHISME ROMAIN

formuler ainsi : « Trois personnes participant plei- nement et également à une même nature divine. »

1. Saint Augustin, qui est justement appelé le Docteur de la grâce, et qui mériterait tout aussi bien d'être appelé le Docteur de la trinité, selon la remarque de Schwane (1), ne se contente pas, dans son traité De Trinitate (2), de résumer et de com- pléter tout ce qui a été dit de plus profond, il ren- verse complètement le point de vue. Au lieu d'aller, comme les grecs, des personnes divines à la nature de Dieu, il commence par l'étude directe de la nature divine avant de passer aux personnes pour atteindre la réalité complète.

Dieu, c'est la divinité, non pas abstraite, mais concrète et personnelle, s'épanouissant sans suc- cession, mais non sans ordre d'origine, en trois personnes. Jusque tous les symboles, formulés d'après le concept ancien, posent d'abord la foi au Dieu unique qui est le Père, passent ensuite à la foi en Jésus-Christ, son Fils unique, et nomment enfin le Saint-Esprit : c'est leur seule manière de formuler la trinité. Le Qalcamque, au contraire, d'inspiration manifestement augustinienne, con- sacre le nouveau point de vue et débute par la foi à l'unité de Dieu dans la trinité et à la trinité dans l'unité.

Augustin met donc l'accent sur l'unité divine en face des trois personnes ; c'était éviter le danger de toute accusation de trithéisme qui obligeait les grecs à récapituler la trinité dans sa source pre- mière, le Père. En mettant en plein relief l'égalité des trois personnes, il évitait également le danger de laisser croire à la supériorité du Père et à la

1. Schwane, Histoire des dogmes, trad. franc., t. il, p. a65. 2. Pair, lat., t. xlii.

LA SAINTE TRINITÉ : PREUVE DE SAINT AUGUSTIN b$J

subordination du Fils et du Saint-Esprit. Mais ce double avantage n'offrait-il pas un inconvénient grave, celui de considérer la divinité comme un Dieu personnel avant d'être Père, Fils et Saint- Esprit? Saint Augustin a prévu la difficulté ; aussi, a-t-il soin de refuser à la divinité ainsi considérée toute réalité distincte de la réalité des trois per- sonnes divines (i).

2. En outre, saint Augustin insiste pour faire de toute opération divine ad extra l'œuvre indistincte des trois personnes : création, théophanics, incarna- tion, sanctification. Et s'il est d'usage d'attribuer à chacune, dans ces opérations, un rôle particulier à raison de son origine, c'est, dit-il, uile simple appropriation. Les grecs, au contraire, insistaient sur le rôle distinct de chacune des personnes dans l'œuvre commune au point de laisser croire que chaque personne avait exclusivement une opération propre. Pour l'évêque d'Hippone et pour les scolas- tiques à sa suite, l'appropriation consiste à attri- buer spécialement à l'une des personnes l'un ou l'autre des attributs essentiels, l'une ou l'autre des opérations communes, lorsque cet attribut ou cette opération est particulièrement apte à mettre en relief le caractère propre d'une personne, lorsque celte aptitude repose sur une analogie véritable, sur un rapport avec la propriété de la personne. De la sorte le Père est dit tout-puissant, parce que, dans la famille créée, le père a naturellement l'autorité ; la création est attribuée au Fils, parce qu'elle est l'œuvre de la science divine et qu'elle se rapporte à l'intelligence d'où procède le Verbe ; et la sancti- fication est attribuée au Saint-Esprit, parce qu'il est l'amour incréé. Et ainsi l'appropriation se fonde

i. Epist. cxx ; Pair, lat., t. xxxm, col. 452-46a.

698 LE CATÉCHISME ROMAIN

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sur une relation de similitude entre la propriété d'une des trois personnes et Fattribut essentiel ou l'opération commune.

3. Enfin, saint Augustin a fondé la théorie psychologique des processions sur l'étude de l'âme humaine, qui existe, pense et veut ; théorie systé- matisée plus tard par saint Anselme et achevée par saint Thomas. Cette théorie explique en quoi et comment différent la génération et la procession, pourquoi il y a deux processions en Dieu et rien que deux, pourquoi le Verbe est Fils et mérite per- sonnellement le nom d'Image du Père, et pourquoi le Saint-Esprit, amour du Père pour le Fils et du Fils pour le Père, procède de l'un et de l'autre sans que sa procession ressemble le moins du monde à la génération (1).

C'est donc dans les actes d'intelligence et de volonté que saint Augustin trouve l'explication des processions divines. Dans l'homme, l'intelligence et la volonté sont des facultés naturelles ; leur existence relève de la nature et non de la personne. Comment donc ces actes peuvent-ils être en Dieu la source des processions, puisqu'ils relèvent de la nature et que ce n'est pas la nature qui engendre, mais la personne du Père ? C'est qu'il ne faut pas oublier que si nous distinguons en Dieu l'essence divine et les personnes, c'est sans doute parce que <cette distinction de raison est fondée sur la réalité, mais ce n'est pas une distinction réelle. Car l'essence n'existe pas avant ou en dehors des per- sonnes. Ce n'est donc pas à l'acte d'intelligence de la nature divine qu'on doit attribuer la géné- ration du Fils, mais à l'acte d'intelligence de cette

1. E. Portalié, saint Augustin, dans le Dictionnaire de théo- 4ogie, t. 1, col. 2346-2349.

L'AME, IMAGE DE LA TRINITÉ 500,

nature en tant qu'elle est possédée. Car c'est un acte naturel sans doute, mais c'est aussi un acte personnel, ou, comme diront les scolastiques, un acte notionneU c'est-à-dire un acte envisagé formel- lement sous le concept de personne.

C'est ainsi que le génie de saint Augustin a apporté sa large et décisive contribution à l'étude du mystère de la sainte trinité. Sur le chemin tracé par lui et dans la direction fixée par lui, la scolas- tique n'aura qu'à marcher. Et saint Thomas pourra d'une main sûre dresser et remplir le plan d'un traité de la trinité, qui est un monument d'érudi- tion, de clairvoyance et de profondeur.

L'âme, image de la Trinité. a Nous sommes quelque chose d'intelligent, quelque chose qui s'entend et s'aime soi-même ; qui n'aime que ce qu'il entend, mais qui peut connaître et entendre ce qu'il n'aime pas... Ainsi entendre et aimer sont choses distinctes, mais tellement inséparables qu'il n'y a point de connaissance sans quel- que volonté. Et si l'homme semblable à l'ange connaissait tout ce qu'il est, sa connaissance serait égale à son être ; et s'aimant à proportion de sa connaissance, son amour serait égal à l'un et à l'autre. Et si tout cela était bien réglé, tout cela ne ferait ensemble qu'un seul et même bonheur de la même âme, et à vrai dire la même âme heureuse, en ce que par la droiture de sa volonté conforme à la vérité de sa connaissance, elle serait juste. Ainsi ces trois choses : être, connaître et vouloir, font une seule âme heureuse et juste...

« Ainsi, à notre manière imparfaite et défectueuse, nous représentons un mystère incompréhensible. Une trinité créée que Dieu fait dans nos âmes nous représente la Trinité incrééc, que lui seul peut nous révéler; et pour nous la faire mieux représenter, il a mêlé dans nos âmes, qui la représentent, quelque chose d'incompréhensible.

« Entendre et vouloir, connaître et aimer sont actes très distingués ; mais le sont-ils tellement que ce soient choses entièrement et substantiellement dillérenlcs ? Cela ne

600 LE CATÉCHISME ROMAIN

peut être ; la connaissance n'est autre chose que la subs- tance de l'âme affectée d'une certaine façon ; et la volonté n'est autre chose que la substance de l'âme affectée d'une autre. Quand je change de pensée et de volonté, ai-je cette volonté et cette pensée sans que ma substance y entre ? Sans doute elle y entre ; et tout cela, au fond, n'est autre chose que ma substance affectée, diversifiée, modifiée de différentes manières, mais dans son fond toujours le même : car, en changeant de pensée, je ne change pas de substance, et ma substance demeure une pendant que mes pensées vont et viennent...

« Je ne sais qui peut se vanter d'entendre cela parfai- tement, ni qui pourra se bien expliquer à soi-même ce que les manières d'être ajoutent à l'être, ni d'où leur vient leur distinction dans l'unité et identité qu'elles ont avec l'être même, ni comment elles sont des choses, ni com- ment elles n'en sont pas. Ce sont des choses, puisque si c'était un pur néant, on ne pourrait véritablement ni le? assurer, ni les nier ; ce n'en sont point, puisqu'en elles- mêmes elles ne subsistent pas. Tout cela ne s'entend pas bien; tout cela est pourtant chose véritable et tout cela nous est une preuve que, même dans les choses natu- relles, l'unité est un principe de multiplicité en elle-même, et que l'unité et la multiplicité ne sont pas autant incom- patibles qu'on le pense...

« Si j'étais une nature incapable de tout accident sur- venu à sa substance, et en qui il fallût que tout fût subs- tantiel, ma connaissance et mon amour seraient quelque chose de substantiel et de subsistant : et je serais trois personnes subsistantes dans une seule substance, c'est-à- dire je serais Dieu. Mais comme il n'en est pas ainsi, je suis seulement fait à l'image et à la ressemblance de Dieu, et un crayon imparfait de cette unique substance qui est tout ensemble Père, Fils et Saint-Esprit : substance incom- préhensible dans sa trine divinité, qui n'est au fond qu'une même chose, souveraine, immense, éternelle, par- faitement une en trois personnes distinctement subsistan- tes, égales, consubstantielles. » Bossuet, Elévations sur les Mystères, ne Sem., élév. vi,

Leçon XVIII

De la Sainte Trinité

I. Exposé du mystère. IL Enseignement de saint Thomas. III. Notions erronées et objections.

I. Exposé du mystère

Ur ne seule essence divine ; clans cette essence unique, trois personnes distinctes, s'identi- fiant dans l'unité d'une même et indivisible substance, portant le nom commun de Dieu, lequel désigne la communauté de nature, et les noms propres et personnels de Père, de Fils et de Saint- Esprit, lesquels répondent aux relations subsistantes, qui, seules, fondent les distinctions hypo statiques : tel est le dogme de-la Trinité.

i. Cet énoncé suppose un grand nombre de notions, dont le sens doit être précisé avec rigueur, pour parler correctement en un sujet aussi délicat et ne pas donner prise à d'inextricables difficultés : un langage sans précision, une terminologie impro- pre frisent facilement l'hérésie.

On donne le nom d'essence au principe constitutif d'un être, qui fait que cet être est ce qu'il est ; le nom de nature au principe d'opération intrinsèque et permanent de tel être actuellement existant ; le nom de substance à ce qui sert de support aux acci-

6o2 lTï catéchisme romain

dents et aux modifications d'un être, à ce qui désigne les propriétés constitutives et immuables d'un indi- vidu, par opposition aux modes transitoires dont ces propriétés sont le sujet ou le principe.

Dieu, étant l'être nécessaire, Y essence et la nature désignent un principe d'opération toujours en acte ; mais échappant par sa nature même à toute modi- fication accidentelle et transitoire, la substance désigne en lui l'essence par opposition aux modes d'être permanents, qui constituent les trois per- sonnes.

2. L'unité la plus haute et la plus générale est celle de l'être ; mais elle enveloppe d'autres unités secondaires, car les êtres s'échelonnent suivant un ordre de continuité ontologique, ils se distinguent d'après leurs perfections. Les uns existent ou sont capables d'exister sans avoir besoin pour recevoir l'être ou pour s'y maintenir du concours d'aucune autre cause seconde, par exemple les substances ; les autres requièrent naturellement comme une condi- tion de leur réalisation l'appui d'une cause seconde extérieure à eux-mêmes, par exemple les accidents. Or, la substance n'existe pas à l'état indéterminé que comporte son concept générique ; elle est en vérité telle ou telle. Une ligne de démarcation par- tage le genre suprême de la substance en genres subalternes, lesquels par des déterminations spéci- fiques se ramifient jusqu'à la dernière espèce, l'espèce infime. Or, Y espèce elle-même, considérée objectivement dans la réalité métaphysique, est essentiellement un universel, qui requiert pour recevoir son actuation totale d'être déterminé dans son être substantiel par des caractères individuants» Et ainsi Yindividu est dans l'ordre de la substance l^ dernière unité à laquelle on arrive.

3. L1 individu , par rapport aux autres, est dans

EXPOSÉ DU MYSTÈRE DE LA TRINITE 6o3

une certaine mesure absolu ; non seulement il existe, mais il subsiste, parce que à lui se relient comme à leur point d'attache, se ramènent comme à leur raison commune, en lui se concentrent comme dans un tout qui fait leur unité sans être lui-même une fraction d'une unité plus haute, les degrés d'être substantiels et accidentels, par lesquels l'individu est déterminé soit spécifiquement, soit singulièrement.

Cette substance individuelle, complète, autonome, s'appelle un suppôt, s'il s'agit d'êtres dénués de rai- son, une hypostase, une personne, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus parfait dans toute la nature, s'il s'agit d'êtres intelligents et libres.

Une personne, c'est donc une substance indivi- duelle, complète, autonome, intelligente et libre ; parce qu'elle est une substance, elle sert de point d'appui aux réalités accidentelles qui la déterminent ; parce qu'elle est une nature, c'est-à-dire une énergie, une puissance active, elle peut se modifier elle-même et modifier tous les êtres susceptibles de recevoir son action.

4. Nous trouvons dans notre expérience intime la matière des idées de substance et de cause, de mode et de phénomène, et notre esprit est amené sans effort par le travail analytique le plus élémentaire à en dégager a priori ces deux principes universels : Tout mode requiert une substance ; tout phénomène requiert une cause. Il est facile dès lors de découvrir hors de soi, avec certitude, des réalités invisibles aux sens, mais accessibles à l'entendement, dont elles sont l'objet propre, et qui ont pour fonction de soutenir dans l'existence des qualités sensibles et de poser dans l'existence des faits nouveaux, perceptibles à l'expérience externe. Ces réalités sont les substances et les causes, ainsi appelées par

Co4 LE CATÉCHISME ROMAIN

analogie avec la réalité de même ordre révélée par notre conscience. Et comme le moi est le dernier sujet d'attribution de tout ce qu'il contient, supporte ou produit, ainsi, dans le monde extérieur, il est des individus qui, sans pouvoir être ramenés à une individualité supérieure, se possèdent eux-mêmes et sont le sujet de tout ce qui est en eux, le principe de tout ce qui est par eux. Cette fonction nouvelle qui complète la substance en lui conférant, dans son espèce, tout le degré d'être et d'autonomie dont elle est capable, s'appelle subsistance, qui désigne la forme constitutive de l'hypostase et de la personne. Enfin notre intelligence arrive à connaître la subs- tance infinie, sujet de la perfection absolue, et cause infinie, raison suffisante du monde et du moi, substance et cause qui est la personne par excel- lence.

Notre raison, il est vrai, ne peut parvenir à com- prendre la raison adéquate de substance ; elle affirme du moins l'identité physique et l'union indissoluble des deux formes de substance et d'hypostase. Or, dans la matière de sa connaissance naturelle, elle ne peut puiser l'idée de plusieurs personnes subsis- tant en une seule nature, ni l'idée d'une même hypostase subsistant en deux ou plusieurs natures. Mais ici intervient la révélation pour fournir une notion complète de la personnalité dans ses rapports avec la nature. Et c'est à sa lumière que nous apprenons que Dieu est une essence numériquement une et indivisible, subsistant en trois personnes réellement distinctes, et que l'une de ces trois per- sonnes subsiste, sans perdre son unité hypostatique dans deux natures numériquement distinctes.

5. Il s'agit donc d'expliquer, dans la mesure la raison peut s'y engager, et d'étudier la vie intérieure de la Trinité soit absolument, soit

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comparativement aux caractères essentiels de la personnalité créée.

Dieu, l'être infini, est aussi l'acte pur sans mé- lange de potentialité. IL est déterminé par son essence à la plénitude de l'être et à la plénitude de l'opération. Mais cette opération, au lieu de survenir à sa vertu active comme une perfection nouvelle, n'est que l'acte subsistant d'une essence qui s'iden- tifie avec sa propre existence : être et agir ne sont en Dieu qu'une seule et même chose, qu'un seul et même Dieu.

Mais il y a une différence entre l'opération divine ad intra, qui se termine tout entière dans l'essence subsistante d'où elle procède, et l'opération divine ad extra qui, sans sortir formellement de cette essence, s'extériorise pourtant virtuellement en tant qu'elle se termine à la production d'un être distinct de Dieu. Dans ses opérations ad extra, Dieu n'épuise pas son essence et ne saurait recevoir le moindre accroissement des natures qu'il crée, quelle que puisse être d'ailleurs leur perfection. L'activité divine doit cependant s'exercer dans toute sa pléni- tude, et elle s'exerce dans ses opérations ad intra : cet acte infini demeure tout entier dans le principe essentiel d'où il émane et avec lequel il se confond.

Or, toute action aboutit à un terme distinct d'elle-même et qui se rapporte, soit à l'agent comme à son principe, soit à l'opération comme au lien de l'un et de l'autre. L'action divine ad intra produit donc un terme, et la perfection de ce terme répond à la perfection de l'opération et à la perfection de la nature ; la nature enveloppe l'opération et son terme et se développe pleinement par eux ; ce terme ad intra sera donc infini.

6. .Mais, tandis que dans les créatures le principe et la fin sont distincts, en Dieu ils se confondent

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et l'identification est complète. Sans doute, Dieu a un comment et un pourquoi ; ce comment est son principe, ce pourquoi est sa fin, principe et fin immanents. Le comment de son être est dans l'ex- cellence métaphysique de l'essence infinie, et le pourquoi dans cette excellence souveraine, qui n'étant susceptible d'aucune augmentation, est à elle-même sa fin, son complément. Aussi les actes immanents de Dieu ad intra s'accomplissent-ils d'une manière nécessaire, non point que cette nécessité s'impose à l'activité infinie comme une violence subie, car la nécessité est très compatible avec la volonté ; si elle s'oppose à la liberté, elle s'allie avec la spontanéité réfléchie et consciente ; si elle exclut le choisir, elle n'exclut pas le vouloir et le consentir. Dieu a dans son essence la loi de tout son être et de son agir, non que cette loi le cons- titue dans un état de dépendance par rapport à autrui, puisque, étant à lui-même sa raison d'être totale, il ne relève que de lui-même ; non que cette loi soit en lui la régularisatrice d'un mouvement véritable qui le porterait d'un point de son être à un autre point de son être ; mais comme la loi contient le rapport essentiel de ce qu'un être est à ce qu'il doit être, il faut aussi que Dieu, qui est nécessairement, ait un rapport à l'être qu'il possède et qui lui est essentiellement. La loi de son être se confond donc avec cet être lui-même ; elle n'a pas d'autre formule que la nécessité de l'être divin et son absolue autonomie.

La puissance incréée, pure de toute potentialité, se confond donc avec son acte propre, et puisqu'elle est l'acte subsistant, s'identifie pareillement avec la substance : nature, puissance, opération ne sont donc en Dieu qu'une seule et même chose. Cepen- dant nous concevons la nature ou, plus proprement

EXPOSÉ DU MYSTÈRE DE LA TRINITE 607

l'essence comme la forme de la divinité à l'état purement statique ; au contraire, en tant que cette essence est le principe virtuellement dynamique de sa perfection et atteint de toute éternité, sans mou- vement véritable, la plénitude de son développement, on lui donne le nom plus spécial de vertu opérative ou d'opération. Et l'on conçoit en Dieu son opération comme un mouvement virtuel dans la nature divine, formellement identique à cette nature, et par lequel celle-ci se porte en quelque sorte vers elle-même, considérée comme terme et fin imma- nents de l'essence subsistanie. Et ainsi l'action ad intra est nécessaire au même titre que l'être de Dieu.

7. Gela nous mène à une conclusion qui nous rapproche de l'explication formelle de la trinité des hypostases dans l'unité de sa nature.

En effet : puisque la raison immanente de fin détermine nécessairement en Dieu une opération immanente, elle déterminera aussi le caractère de cette opération. Or, toute fin, en tant que fin, exige, pour provoquer le mouvement d'un être, d'être connue par cet être. À son tour, cette connaissance engendre un mouvement de la volonté qui, com- muniquant son impulsion à l'être tout entier, le fera tendre à la possession de la fin. Or, en Dieu, pas de bien à acquérir, puisqu'il est sa propre fin. L'action immanente de Dieu ne saurait donc consister que dans un acte de connaissance et un acte de volonté, par lesquels il atteindra adéquatement la vérité de son essence et aimera par un acte non moins compréhensif la bonté de cette même essence. Dieu, étant l'être infini, possède dans son essence toutes les raisons de vérité et de bonté : il est l'universel intelligible et l'universelle boulé, ou plutôt il est la vérité et la bonté subsistantes. Il lui suffit d'un seul acte de connaissance pour atteindre le vrai dans

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toute sa plénitude ; il lui suffît d'un seul acte de volonté pour , embrasser le bien dans toute sa plénitude.

Or, tout acte a un terme ; les opérations divines ad inlra ont donc aussi un point d'arrivée. L'acte par lequel Dieu se connaît a donc un terme qui est sa propre représentation, sa Parole intérieure, son Verbe ; et le terme d'une activité infinie devant être lui aussi infini, il en résulte que, puisque l'essence divine répugne à toute multiplication, ce terme infini se confond réellement avec cette essence. De même pour l'acte par lequel Dieu se veut et s'aime.

8. Mais chacun de ces deux termes des opérations divines ad intra se distingue de son principe par une opposition qui les rend irréductibles. Le prin- cipe et le terme de l'acte de connaissance sont dès lors, comme tels, formellement incommunicables ; de même le principe et le terme de l'acte de volonté. Il faut donc distinguer, dans l'unité d'une même essence, un principe infini avec deux termes infinis. Et la distinction n'est pas seulement entre ce prin- cipe unique et les deux termes, mais encore entre les deux termes eux-mêmes. Car si Dieu se connaît et s'aime par un seul acte qui est son essence, autre est le point sous lequel il se connaît, autre celui sous lequel il s'aime ; car il se connaît en tant que vérité infiniment intelligible, et il s'aime en tant que bonté infiniment aimable. La simplicité de l'être divin n'empêche donc pas que la diversité des objets formels, sous lesquels Dieu atteint son essence, n'engendre une dualité de même ordre dans l'opération divine et dans le terme de cette opération.

Or, les actes immanents ne se distinguent pas de leur principe ni entre eux, au même titre que les termes de ces actes. Les actions ad inlva, considérées

EXPOSÉ DU MYSTÈRE DE LA TRINITÉ ' 609

abstraction faite de leurs termes, ne posent en Dieu rien de nouveau, mais se confondent avec le principe agissant ; mais si on les envisage in sensu, composito termini, c'est-à-dire comme posant en dehors du principe le terme vers lequel Celui-ci tend par son opération, elles se subjectent dans deux réalités distinctes, soit du principe, soit l'une de l'autre. L'essence divine, principe de l'acte d'intelligence, se distingue d'elle-même considérée comme objet de connaissance, mais seulement sous le rapport elle s'exprime elle-même par son Verbe; elle ne se distingue de ce chef que du terme de son opération, lequel est son Verbe ou sa Parole. De même Dieu se distingue de son essence, objet de son amour, par le côté cette essence pénètre pour ainsi dire dans le principe aimant et termine son opération. D'où il suit que la dualité seulement virtuelle de l'opération par laquelle l'essence divine se connaît et s'aime elle-même comme le vrai et le bien substantiels, aboutit à la dualité de deux termes réellement distincts.

9. Cette mutuelle distinction est fondée autant sur leur opposition réciproque que sur leur opposition respective à leur commun principe. Car si le terme formel de l'acte de connaissance est en corrélation de procession avec le principe de cet acte, il faut affirmer le même rapport entre le Verbe et le terme de l'acte de volonté. Le Verbe éternel manifestant à son principe la bonté de la nature divine, c'est en communion avec ce Verbe, et c'est par ce Verbe que le principe de l'acte intellectif produit le terme de l'acte d'amour. Ce dernier se distingue donc par une commune opposition et du principe du Verbe et du Verbe lui-même.

Il y a donc en Dieu trois sujets irréductibles l'un à l'autre et s'opposant comme des termes que de

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mutuelles relations rendent incommunicables ; mais, par ailleurs, chacun de ces sujets s'identifie avec la nature divine. Chacun d'eux subsiste donc, puisque cette nature est une subsistance ; et il subsiste pleinement, c'est-à-dire ajoute à l'indépen- dance substantielle de l'être divin, considéré abso- lument, l'indépendance hypostatique ou l'incom- municabilité. Et chacun d'eux est une personne, puisque leur distinction est fondée sur des relations de procession ou d'origine, qui sont comme les points extrêmes d'un acte de connaissance intellec- tuelle et d'un acte d'amour spirituel. Il y a donc en Dieu trois personnes, qu'il convient de désigner par des noms personnels.

10. Reste à déterminer la nature de ces processions. L'acte d'intelligence, ayant pour objet direct et formel de produire un terme qui est la représen- tation de l'objet connu, on peut et on doit dire que l'acte par lequel Dieu produit son Verbe, c'est-à- dire la Parole vivante, qui, en vertu de la proces- sion même dont il est le terme, l'exprime et le représente tout entier, est une génération, puisque la génération se définit : Origo viventis a vivente, principio conjuncto, in similiiudinem naturœ, vi pro- cessionis formaliter .

Or la génération est le fondement d'une double relation de paternité et de fdiation : au principe de la génération du Verbe, au sujet de la relation de paternité, correspond donc le nom de Père ; au terme de cette génération, au sujet de la relation de filiation, celui de Fils.

ii. Quant au terme de l'acte d'amour, l'acte qui le produit lui communique l'essence infinie, et. par ce côté, sa procession ressemble à la précédente ; mais, parce que le terme formel de cet acte n'est pas la production d'une représentation de l'objet

EXPOSÉ DU MYSTÈRE DE LA TRINITE ' 6ll

aimé, cet acte n'a pas le caractère d'une génération proprement dite. Dès lors, si la troisième personne reçoit avec sa personnalité la nature divine, ce n'est pas formellement en raison de l'opération d'amour dont elle dérive, mais en tant qu'elle terminé une opération divine. Par suite, la génération étant, pour nous, le seul mode naturellement connu par lequel un être communique à un autre son essence spécifique, il nous est impossible de concevoir directement entre les deux premières personnes et la troisième une relation dont l'idée soit distincte de celle de la procession qui la fonde. Or cette der- nière est une opération d'amour que nous appelons Spiration. Considéré dans son principe, l'acte de volonté constitue la relation de Spiration active ; considéré dans son terme, il fonde la relation de Spiration passive, à laquelle répond le nom person- nel de Saint-Esprit.

12. Mais comme en Dieu l'abstrait s'identifie avec le concret, la Paternité sera le Père, la Filiation le Fils, et la Spiration passive le Saint-Esprit. C'est dire que les personnes divines sont des relations subsistantes , lesquelles, à leur tour, ne sont que la nature divine subsistant en trois hypostases, par lesquelles elle s'oppose à elle-même, et dont cha- cune, l'embrassant dans sa plénitude, se distingue d'elle par une pure distinction de raison.

En outre, il n'y a en Dieu qu'un Père, qu'un Fils» qu'un Saint-Esprit. Les trois personnes, il est vrai, connaissent et aiment ; mais ce n'est pas par le côté- elles se distinguent et s'opposent mutuellement, c'est par celui elles s'identifient dans l'unité d'une même et indivisible essence. Leur distinction vient tout entière de ce que cette unique essence ou nature, par elle-même subsistante, s'oppose réelle- ment à elle-même, considérée comme principe et

6l2 LE CATÉCHISME ROMAIN

terme formellement irrréductible d'une double opération. De la distinction réelle du principe et des termes naît la trinité des subsistances incom- municables, c'est-à-dire la trinité des hypostases ou personnes.

i3. La personnalité divine a donc une double racine ; car la raison de la subsistance est tout entière dans la nature considérée absolument, tan- dis que la raison de son incommunicabilité est uniquement dans l'opposition des relations subsis- tantes. Cette opposition, du reste, est le seul fonde- ment de la multiplication des hypostases ; car la personne est un tout fermé, une unité distincte et indépendante des autres unités. Or ce sont les effets formels de l'incommunicabilité. Il est donc vrai de dire que les relations réelles sont la raison pour laquelle la subsistance de la nature divine, ail lieu de s'arrêter et de se terminer dans cette nature considérée absolument, se multiplie avec la raison d'incommunicabilité, essentielle à la subsistance hypostatique ou personnelle. Mais arrivée, en vertu de sa loi interne, à cette perfection de développement immanent, la substance divine atteint le suprême degré d'incommunicabilité personnelle, en sorte que non seulement le caractère absolu de cette substance lui assure une transcendance inaliénable, mais encore les personnes qui se constituent dans l'unité de son essence ferment la série des opérations intérieures et possèdent, de ce chef, avec la nature divine dans laquelle elles subsistent, une perfection hypostatique infinie comme cette nature que cha- cune d'elles embrasse adéquatement.

II. Enseignement de saint Thomas

! i. Avant de s'occuper de chacune des personnes

PROCESSIONS ET RELATIONS 6l3

_i i -

de la Trinité, saint Thomas commence par établir le nombre de processions et de relations qui existent en Dieu (i).

La procession n'est autre chose que l'origine d'un être venant d'un autre être. Si cet être sort de son principe pour former un être distinct, extérieur, séparé, la procession est dite transitive ; si, au con- traire, l'être reste dans son principe, elle est dite immanente. C'est de cette dernière qu'il s'agit ici. Il y a autant de relations en Dieu que d'actes imma- nents. Or, dans toute nature intellectuelle, les actes immanents ne sont qu'au nombre de deux, savoir l'acte de l'intelligence et l'acte de la volonté. Il y à donc deux processions en Dieu et il ne peut y en avoir que deux : l'une, celle de l'intelligence divine, par laquelle Dieu comprend la vérité totale de son essence ; l'autre, celle de la volonté divine, par laquelle il veut et aime la bonté totale de son essence. La première n'est autre que la procession du Verbe et porte le nom propre de génération, parce qu'elle exprime l'origine d'un être vivant, qui tient d'un être vivant comme lui, la même nature spécifique ; la seconde est celle de l'Amour et s'appelle la Spira- tion, parce qu'elle exprime le mouvement de la volonté vers l'objet aimé.

2. Cette double procession pose en Dieu, non pas des relations purement logiques ou de simples moda- lités, mais des relations réelles, de vraies réalités. Sans doute, parce que, en Dieu, rien n'existe à la manière des accidents et que tout est substantiel, ces relations ne font qu'un avec l'essence divine et ne s'en distinguent que dans notre manière de les con- cevoir, mais, entre elles, elles se distinguent réelle- ment les unes des autres. Or cette distinction réelle

i. Sum. theol., I, Q. xxvn.

tôl4 LE CATÉCHISME ROMAIN

ne pouvant être dans l'essence, dans l'être absolu, règne l'unité souveraine, la suprême simplicité, se trouve dans l'être relatif, c'est-à-dire dans les personnes.

Le nombre de ces relations est de quatre, ni plus ni moins ; car toute relation est fondée, ou sur la quantité et celle-ci ne saurait exister en Dieu qui est un pur esprit, ou sur l'action et la passion, comme cause et effet, père et fils, maître et serviteur. En Dieu, la relation a pour fondement l'action, non pas l'action transitive, mais l'action immanente, qui détermine les processions intimes dans le sein de l'Etre infini. Or deux actions de cette nature, et deux seulement, nous venons de le dire, se consom- ment dans l'essence divine : l'action de l'intelligence, qui donne lieu à la génération du Verbe, et l'action de la volonté, qui est le principe de la procession de l'Amour. Mais de chacune de ces processions naissent, par opposition l'une à l'autre, deux rela- tions : la relation du principe au terme, et la relation du terme au principe. La procession du Verbe étant une génération, il y a la relation active de paternité, propre au principe générateur, et la relation passive de filiation, propre au Verbe engendré. Quant à la procession de l'Amour, elle constitue la relation active de spiration dans le principe et la relation passive de procession dans le terme.

3. Ces deux processions et ces quatre relations impliquent l'existence, en Dieu, de trois personnes et rien que de trois. Mais qu'entendre par ce mot personne? Il sert à désigner le parti "'dier ou V individu, dans la catégorie de substance, et plus spécialement ou proprement dans la catégorie de substance rai- sonnable. La personne est donc une substance particulière, individuelle, de nature raisonnable ; elle exprime ce qu'il y a de plus parfait dans toute

LES PERSONNES DIVINES 6l5

la nature, l'être subsistant et raisonnable. Ce terme convient donc à Dieu, non comme il convient aux créatures, mais dans un sens beaucoup plus élevé» Il ne se trouve pas, il est vrai, textuellement dans la sainte Ecriture, mais il y est d'une manière équivalente.

Ce qui rend difficile de circonscrire son sens dans la Trinité, c'est, d'une part, qu'il se dit au pluriel, contrairement aux noms qui désignent l'essence, et c'est, d'autre part, qu'il n'exprime rien de relatif, à l'inverse des noms qui expriment les rapports des êtres. Il signifie la substance individuelle d'une nature raisonnable. Or, l'individu se distingue de tout autre individu. Et la distinction, en Dieu, ne provient que des relations d'origine. Mais ces rela- tions ne sont pas, en Dieu, des entités modales, des accidents inhérents au sujet, elles sont l'essence divine elle-même, et par suite elles subsistent comme elle et constituent des relations subsistantes. Or, ces relations subsistantes se distinguent entre elles par leur opposition relative. Donc deux rela- tions opposées doivent nécessairement appartenir à deux personnes. Dès lors, la paternité et la filiation, formant deux relations qui s'opposent, appartien- nent à deux personnes : la paternité subsistante est la personne du Père, la filiation subsistante est la personne du Fils.

Quant aux deux autres relations, la spiration active et la spiration passive, elles ne sont pas opposées aux précédentes, c'est-à-dire à la paternité et à la filiation, mais elles forment opposition à l'égard l'une de l'autre, et par suite ne peuvent convenir toutes les deux à une seule et même per- sonne. Mais à qui convient la spiration active ? Est-ce au Père ou au Fils? Est-ce à l'un et à l'autre en même temps ? C'est à tous les deux à la fois,

6l6 LE CATÉCHISME ROMAIN

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d'autant plus que cette spiration active ne renferme aucune opposition ni vis-à-vis de la paternité, ni vis-à-vis de la filiation. Et quant à la spiration passive, elle appartient en propre à la troisième personne, à la personne du Saint-Esprit. D'où il suit qu'il y a trois personnes en Dieu.

k. Il y a trois personnes en Dieu et il ne peut y en avoir que trois, ce qui est proprement le mystère de la sainte Trinité, l'unité de trois, trima wiitas, une essence et trois personnes, mystère qui demeure inaccessible aux seules lumières de la raison. La raison naturelle, en effet, ne peut connaître Dieu que par les créatures. Or, les créatures conduisent à la connaissance de Dieu comme l'effet conduit à la connaissance de la cause. La raison peut donc découvrir uniquement les attributs que Dieu pos- sède comme principe des êtres, comme créateur. Mais comme la puissance créatrice est commune à toute la Trinité, elle appartient à l'unité de l'essence divine, et non à la pluralité des personnes, et ne peut dès lors rien nous apprendre sur les personnes, en tant que personnes.

Du reste, vouloir établir la trinité des personnes sur des preuves tirées de la raison pure, serait déro- ger doublement à la foi, dit saint Thomas. D'abord, en blessant sa dignité ; car elle a pour objet les choses invisibles. Ensuite, en éloignant autrui de la foi ; car lorsqu'on apporte en faveur de la foi des preuves irrésistibles, on tombe sous la dérision des impies, qui s'imaginent que nous croyons en nous appuyant sur ce genre de preuves. A ceux qui ad- mettent l'autorité, prouvons notre doctrine par l'autorité ; à ceux qui la repoussent, contentons- j nous de montrer que les choses de la foi ne renfer- i ment rien d'impossible, rien de contraire à la raison. Relativement à l'existence de Dieu, les raisonnements

LES PERSONNES DIVINES - 617

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sont démonstratifs ; relativement à la Trinité, ce ne sont que des raisonnements de convenance. Les analogies elles-mêmes que nous trouvons dans notre âme ne fournissent pas de preuve démonstrative de la Trinité, parce que l'intelligence humaine diffère essentiellement de l'intelligence divine. Et, comme le dit saint Augustin, ce n'est pas la science qui mène à la foi, « c'est la foi qui mène à la science. »

5. Un pas de plus, et l'on aura les notions suffi- santes pour désigner les trois personnes de la Tri- nité. La notion est la raison propre, l'idée particu- lière, le signe caractéristique, la marque distinctive, l'attribut spécial qui dénonce, révèle, notifie et fait connaître distinctement les personnes divines. Jusqu'ici nous avons trouvé quatre notions ; il en est une cinquième à faire connaître. Les personnes divines, en effet, se multiplient et se révèlent par l'origine, ou comme principe ou comme terme. Or, le Père ne procède de personne, et, sous ce rapport, la notion qui lui confient est celle d'innascibililé; mais, en tant que principe, il se caractérise double- ment, par la paternité à l'égard du Fils, par la spi- ration commune à l'égard du Saint-Esprit. Le Fils, procédant de son Père par la génération est notifié par la filiation. Le Saint-Esprit a pour unique note caractéristique la procession, car il n'est le principe d'aucune autre personne. Il y a donc cinq notions en Dieu : Yinnascibililé, la paternité, la filiation, la spira- tion active et la spiration passive de procession. De ces cinq notes, quatre constituent des relations, car l'innascibilité à vrai dire n'est pas une relation ; quatre sont des propriétés, car la spiration active commune au Père et au Fils n'appartient pas exclu- sivement à une seule personne ; et trois enfin sont des notions personnelles, savoir : la paternité, la filia- tion et la procession.

6l8 LE CATÉCHISME ROMAIN

6. Certains attributs sont communs à l'essence divine; d'autres sont propres à chaque personne en particulier. Et c'est ainsi qu'on peut appeler la pre- mière personne : Principe, Père non-engendré. Prin- cipe signifie l'origine, la source, la souche d'où vient, sort ou découle une chose. Appliqué à Dieu, ce mot peut s'entendre des attributs communs, et dans ce cas, il implique des actes extrinsèques dont le terme est en dehors de Dieu, dans les créatures ; il peut s'entendre aussi des attributs propres, et, dans ce cas, il vise les actes intrinsèques, imma- nents, dont le terme est Dieu même ; mais comme en Dieu il y a deux processions, il y a aussi deux principes, l'un qui est exclusif au Père, comme source de toute la divinité, l'autre qui appartient au Père et au Fils vis-à-vis du Saint-Esprit. La pre- mière personne est encore désignée sous le nom de Père, car la paternité est sa propriété personnelle, et sous le nom à'innascïble ou de non-engendré, parce qu'elle n'a pas de principe d'où elle dérive, étant elle-même le principe de tout.

La seconde personne porte le nom propre de Fils, parce qu'elle est engendrée par le Père ; de Verbe, parce qu'elle est le concept intérieur qui pro- cède de l'intelligence divine et l'exprime totalement; et d'Image, parce qu'elle représente pleinement son modèle et est sa parfaite image.

La troisième personne porte le nom d'Esprit, consacré par l'Ecriture, car ce mot signifie souffle, impulsion, et représente le mouvement de la volonté ; d'Amour, parce que, personnellement, elle procède par amour et est l'amour subsistant ; de Don, parce que le propre de l'amour est de donner ; de sa plénitude et que le Saint-Esprit procède aussi comme don de Dieu.

7. Comparées avec l'essence divine, ces personnes

LES PERSONNES DIVINES 6 IQ

ne nuisent-elles pas à l'unité de Dieu? Non, répond saint Thomas. Car, en Dieu, les relations sont L'essence divine elle-même. Il n'y a donc entre les personnes et la nature divine qu'une distinction de raison, virtuelle, purement logique. Considérée absolument, en soi, ou dans ses rapports avec les personnes, l'essence divine est une ; elle se com- munique totalement et identiquement aux trois per- sonnes, qui, elles, se distinguent réellement entre elles à cause de leurs relations d'origine. Il n'y a donc qu'une seule essence divine en trois person- nes ; ces trois personnes sont Dieu, elles ne for- ment pas trois Dieux.

8. Considérées dans leurs rapports avec les relations ou les propriétés, les personnes et les relations sont identiques ; car, d'une part, les relations, entités réelles dans l'Etre nécessaire, sont l'essence divine, et d'autre part, l'essence divine est la même chose que la personne. Mais les personnes se distinguent entre elles par les relations.

9. Comparées entre elles, les trois personnes sont parfaitement égales en toutes choses, aussi ancien- nes, aussi puissantes, aussi parfaites l'une que l'autre; la moindre inégalité romprait l'unité de l'essence divine. On peut donc prendre tous les attributs communs et les appliquer à chaque per- sonne, ainsi que l'a fait le symbole de saint Athanase. Toutefois cette absence de succession ou f d'inégalité n'empêche pas qu'il y ait clans la Trinité ! un ordre d origine entre les personnes, non que Tune précède l'autre, puisqu'elles sont éternelle- ment ce qu'elles sont, mais simplement parce que l'une procède de l'autre. La procession est éternelle : le Père est Père, le Fils est Fils, le Saint-Esprit est Saint-Esprit, de toute éternité. Donc égalité parfaite, mais avec subordination d origine.

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La procession qui est nécessaire et éternelle est aussi immanente : d'où l'idée de la 7rspi-//opv|(Tiç, comme disaient les grecs, ou de la circuminsessio, comme disent les scolastiques. Ce terme latin, remarque Petau, est loin de rendre toute la valeur du mot grec, introduit dans la théologie par saint Jean Damascène. La cir cumins es sion signifie i'inhabitalion des personnes divines l'une dans l'autre ; car, par l'unité d'essence, les trois personnes divines se compénètrent mutuellement. Notre Seigneur disait: « Ne croyez-vous pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? » Et saint Jérôme a pu dire que « le Fils est le lieu du Père, comme le Père est le lieu du Fils. » La périchorêsis signifie en plus une circulation vivante, incessante, l'épanchement sans fin du Père dans le Fils et le retour du Fils vers sa source, double mouvement qui part de l'unité et revient à l'unité.

10. L'exposition de ce mystère est si délicate et si difficile que saint Thomas a tracé quelques règles précises pour permettre d'en parler correctement. Parmi les noms essentiels, dit-il, les uns désignent l'essence divine substantivement, les autres adjective- ment. Les premiers se disent au singulier, les autres se disent au pluriel des trois personnes. Dans la Trinité, l'essence est souverainement une, infini- ment simple ; aussi les noms qui l'expriment doivent-ils se dire des trois personnes au singulier ; Platon, Socrate et Gicéron s'appellent trois hommes, parce qu'il y a dans trois suppôts de la nature humaine trois humanités ; au lieu que nous appelons le Père, le Fils et le Saint-Esprit, non pas trois dieux, mais un seul Dieu, parce qu'il n'y a qu'une divinité dans les trois hypostases de la nature divine. Quant aux noms qui expriment l'essence adjectivement, nous les affirmons des

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trois personnes au pluriel, à cause de la multipli- cité des suppôts, et nous disons trois éternels, trois incréés, trois immenses ; tandis que nous devons dire un incréé, un immense, un éternel, quand nous prenons ces mots comme des substantife.

Les noms essentiels concrets se disent tantôt de l'essence, tantôt d'une ou des trois personnes, selon qu'ils sont accompagnés de mots qui se rapportent à l'essence ou à la personne. Mais les noms essentiels abstraits ne peuvent pas se dire de la personne, ils ne s'appliquent qu'à l'essence. Les Pères de l'Eglise, dans leur langage, approprient certains attributs essentiels aux personnes de la Trinité, et saint Thomas légitime leur manière de dire.

11. Saint Thomas termine son traité de la Trinité, en parlant de la mission des personnes divines. Il se demande si les personnes divines peuvent être envoyées, et il répond : la mission implique deux choses dans l'envoyé : un rapport avec celui qui l'envoie et un rapport avec le terme il est envoyé. Le premier rapport forme toujours, dans le délégué, une procession qui peut avoir trois causes : le commandement, le conseil, l'origine. Le second rapport, avec le terme, fait que le délégué commence d'être dans un lieu, soit qu'il n'y fût d'aucune sorte auparavant, soit qu'il y paraisse d'une manière nouvelle. On voit par que la mission convient aux personnes divines sous deux rapports, comme impliquant une procession d'ori- gine, et comme créant une nouvelle manière d'être dans un autre : ainsi le Fils a été envoyé par le Père dans le monde ; car, bien qu'il y fût déjà, il a commencé d'y être d'une nouvelle manière par l'incarnation.

Auprès des créatures, la mission des personnes

62 2 LE CATÉCHISME ROMAIN

divines est temporelle. Ainsi la mission du Fils visible pour être homme, invisible pour être dans l'homme, est temporelle, s'accomplit dans le temps. Cette mission invisible se consomme uniquement par la grâce sanctifiante ; car elles sont envoyées pour être dans un lieu d'une nouvelle manière et pour être possédées par la créature. Or, cette présence et cette possession s'accomplissent uniquement par le don de la grâce justifiante. La sanctification de l'homme, tel est le but de la mission des personnes divines.

Mais qui, parmi les personnes divines, peut être envoyé ? La mission divine impliquant une proces- sion d'origine, seuls le Fils et le Saint-Esprit peuvent être envoyés. Le Père, ne procédant pas, ne peut avoir de mission, bien qu'il habite, lui aussi, l'âme des justes, selon cette parole de saint Jean : « Nous viendrons en lai et nous ferons en lai notre demeure ». Le Fils et le Saint-Esprit sont envoyés invisiblement à tous ceux qui ont la grâce.

D'autre part, Dieu pourvoit aux besoins des êtres selon leur nature. Or, la nature de l'homme est telle qu'il va des choses visibles aux invisibles ; il fallait donc que les mystères cachés dans le monde spiri-; tuel lui fussent révélés par le monde sensible. De même donc que Dieu s'est manifesté lui-même et a manifesté les processions divines par certains traits, de même il convenait qu'il manifestât les missions ; invisibles des personnes adorables par certaines réalités visibles. Mais la mission du Fils devait se révéler autrement que celle du Saint-Esprit. Le Fils est principe de procession, tandis que FEsprit-Saint procède, le Fils est la source de la sainteté, le Saint- Esprit en est le don ; et c'est pourquoi ils ont été envoyés, l'un comme l'auteur, l'autre comme le signe de la sanctification.

NOTIONS ERRONÉES ET OBJECTIONS . 623,

Dans ces quelques mots, saint Thomas indique le rôle du Verbe incarné et du Saint-Esprit pour la rédemption et la sanctification des âmes ; et c'est ce , rôle que nous aurons à étudier avec plus de détail dans la suite.

>

III. Notions erronées et objections

La raison, en présence de ce mystère de la sainte Trinité, est absolument impuissante à le deviner, parce que rien en elle ou autour d'elle ne saurait lui en suggérer l'idée. Eclairée par la révélation, elle en connaît du moins l'existence, et elle cherche alors à s'en rendre compte, sans toutefois pouvoir se flatter de le pénétrer à fond. Le mystère reste le mystère : c'est un mystère qui appartient exclu- sivement à l'enseignement révélé, et dont la révélation expresse date des origines du christia- nisme.

On a cru toutefois que l'esprit humain en avait possédé quelque idée vague avant la révélation, messianique ; mais ni l'histoire des religions ni l'histoire de la philosophie n'autorisent une telle conjecture.

i. Quelques symboles religieux, antérieurs au christianisme, offrent, il est vrai, de fugitives res- semblances ; mais elles sont purement superficielles ; elles répondent à des conceptions absolument diffé- rentes et complètement irréductibles au dogme chrétien. >

L'histoire des religions signale, en particulier, la triade égyptienne et la trimoûrti hindoue. En Egypte, la triade n'est, en général, qu'une allégorie de la société domestique : un dieu père, une déesse.

6^4 LE CATÉCHISME ROMAIN

mère, un dieu fils ; c'est tout au plus la même divinité sous .trois aspects différents, quelque chose qui ressemble à une espèce de sabellianisme anticipé. M. Robiou (i), qui a spécialement étudié la ques- tion, dit, à propos de la triade thébaine et d'autres encore, que la présence d'une déesse à côté de deux personnages masculins « implique une opposition absolue avec l'idée de la trinité chrétienne. » Il ajoute « que, dans tous les cas, l'Esprit ne figure dans aucune des triades égyptiennes, » et que « cette partie de la doctrine égyptienne n'est point un écho, même indirect, d'une révélation primitive touchant les trois personnes divines (2). »

2. Quant à la tvlmoûrti hindoue, ce n'est que la fusion de trois cultes distincts, celui de Brahma, celui de Vishnou et celui de Ci va : « Brahma, Vishnou, Çiva sont et ils ont été dès l'origine trois divinités distinctes, dit M. de Harlez (3). Vishnou est cité dans les Védas, alors que Brahma n'existait pas encore, c'est-à-dire n'avait point encore été imaginé. Mais Vishnou n'est qu'un Dieu secon- daire, personnification accessoire de la force géné- ratrice et conservatrice du soleil. Dans la plupart des Brahmanas et dans les Lois de Manou, c'est-à-dire dans les livres des brahmanites, Vishnou est encore un Dieu inférieur, placé bien au-dessous de Brahma; dans le Bhagavad-gîta le Harivansa et les autres livres vishnouites, il est, au contraire, le Dieu suprême, l'être universel. Çiva est inconnu aux

1. Théologie de V ancienne Egypte, dans le Compte rendu du Congrès scientifique de 1891, Paris, 1891, IIe sect., p. 2/14-245.

2. Sur les triades égyptiennes, cf. de Rougé, Etude sur le rituel funéraire, p. 45, 75-78 ; Grébaut, Mélanges d'arche, égypt. et assyr., p. 247-254; Pierret, Essai sur la myth. égypt., p. 46-52.

3. Art. Trinité dans le Diction, apologétique de Jaugey, Paris, 1889, p. 3ii9-3i2o.

NOTIONS ERRONÉES ET OBJECTIONS . 625

Védas ; dans les livres postérieurs il apparaît et semble se confondre avec le Dieu des tempêtes Rudra, puis il s'en sépare et devient à son tour, dans cer- tains livres, la divinité principale. Ces trois dieux restèrent donc séparés jusqu'à ce que les Brahmanes, longtemps après la diffusion de l'Evangile, voulant rallier toutes les sectes, eussent formé des trois principales divinités une triade suprême, dans laquelle chacun pouvait choisir son Dieu favori pour le mettre à la tête des autres. Mais pour con- server auprès de leurs initiés la notion du panthéisme, il imaginèrent de dire que ces trois dieux n'étaient que des manifestations diverses de l'être absolu. Ils désignèrent le groupe par le nom de Trimoûrti, c'est-à-dire « triple forme. »

3. Platon a passé longtemps pour avoir eu quelque soupçon de la Trinité. S'il l'a voilé, c'est par peur des accusateurs de Socrate, affime saint Cyrille d'Alexandrie (i). Etl'on sait que saint Augus- tin estimait avoir trouvé dans les livres platoniciens de frappantes analogies avec la doctrine chrétienne du Verbe (2). Dans Platon, il est vrai, on rencontre à plusieurs reprises une triade, mais assez vague, inconsistante, jamais la même (3). Ce grand génie reconnaît l'existence d'un Dieu éternel, intelligent, tout-puissant et bon en face d'une matière éternelle et confuse. Ce Dieu possède un Logos, raison de toute chose, mais un Logos semblable au verbe humain, plus parfait, mais qui n'est pas un être subsistant. Ce qui subsiste, aux yeux de Platon, c'est le plan de l'univers, l'archétype du monde, l'idée exemplaire, mais qui n'est pas à confondre avec le Logos. Ce Dieu est père, et le monde, distinct

1. Cont. Jal, t. 2. Confes., VII, ix ; Patr. lat., t. xxxn, col. 740. 3. Tmée, xxxvn ; Répub., vu.

LE CATÉCHISME. T. I. 4O

628 LE CATECHÏSME ROMAIN

du Logos et de l'archétype, est son fils. Enfin une âme universelle, dont on ne saurait dire si elle est une émanation de Dieu ou un produit de la matière, est répandue dans tous les êtres. voir dans tout cela une image même lointaine de la Trinité chré- tienne ?

4. Le juif Philon, contemporain de Notre-Sei- gneur, essaya d'élaborer une théorie de Verbe, en mêlant les idées platoniciennes aux données bibliques. Selon lui, Dieu, être transcendant, abstrait, indéterminé, ne peut entrer en contact direct avec la matière éternelle. Il n'agit sur elle que par des intermédiaires émanés de lui, les Idées, Verbes intérieurs se manifestant extérieurement dans le monde matériel. Le plus parfait de ces intermédiaires, le Logos, l'Idée suprême, éternel, qu'est-il ? On ne réussit pas à savoir si Philon le regarde comme une simple puissance divine, comme un attribut, ou s'il y voit une personne distincte. Bien qu'il l'appelle parfois le fils premier-né, il semble n'être qu'un Dieu subalterne, une sorte de démiurge. Nous sommes encore loin de la Trinité chrétienne.

Mais l'influence du platonisme alexandrin, grâce à Philon, se fit sentir chez les Pères apologistes, notamment sur la double conception du Verbe intérieur et proféré (1). Dans la suite, nous avons vu aux prises les unitaires ou monarchiens avec les trinitaires qu'ils accusaient de dithéisme ; puis la lutte des Pères grecs et latins contre l'arianisme,. l'intervention des conciles dans la définition des dogmes de la Trinité ; nous avons passé sous silence» nous réservant d'y revenir plus tard en traitant du

1. Voir notre article Pères apologistes, dans le Dictionnaire de théologie, 1, col. i58o-i6oa. j

NOTIONS ERRONÉES ET OBJECTIONS . 627

Saint-Esprit, la querelle suscitée par le Jilioque, 5. Au moyen âge, pendant que les uns, comme Roscelin (xie s.), Gilbert de la Porrée, évêque de Poitiers de 1142 à n54, et le calabrais Joachim, abbé de Flore (1130-1202), versaient dans, le tri- théisme, et que les autres, comme Abélard (1079-1142), tombaient dans le modalisme ou le subordinatia- nisme, l'orthodoxie était défendue par saint Anselme (io33-iiog), saint Bernard (1091-1153) et les grands scolastiques. L'erreur pourtant reparut, au xvie siècle, avec les sociniens, qui renouvelèrent le modalisme ou sabellianisme, et au xvme avec les anglais Whiston et Glarke, qui, en 1711 et 1712, reproduisi- rent la théorie subordinatienne des semi-ariens.

Avec le xixe siècle, le rationalisme repousse la trinité chrétienne comme un dogme inacceptable pour la raison et essaie, concurremment avec le panthéisme, d'en donner une explication ration- nelle. Pour les panthéistes allemands, à la suite de Hegel, la trinité c'est l'idée qui évolue, l'idée qui devient le monde, et le rapport du monde à l'idée, du devenu au devenir. Pour les panthéistes français, les mots changent, mais la théorie ne varie pas. La. trinité c'est l'infini, le fini et le rapport du fini à l'infini ; ou encore l'unité, la variété et le rapport de la variété à l'unité ; ou comme dit Cousin, « une triplicité qui se résout en unité et une unité qui se résout en triplicité. » Cousin ajoute que c'est « le Dieu trois fois saint que reconnaît et adore le genre humain, le fond même du Chritianisme (1). »

6. Même après le concile du Vatican, qui a condamné le rationalisme et le panthéisme, et qui, dans les doctrines de Gûnther, a frappé une nouvelle conception de la trinité sous forme de trithéisme,

1. Cousin, Introduction à l'histoire de la philosophie, leç. v%

628 LE CATECHISME ROMAIN

l'erreur n'a pas désarmé ; elle recourt à des expli- cations subtiles, dont la parenté avec le panthéisme ne saurait faire doute. Ne lisons-nous pas, en effet, en 1902, sous la plume de M. Marcel Hébert, les lignes suivantes : « La Réalité, en tant qu'elle se manifeste comme une puissance active, ne représente ni une toute puissance, ni une toute science, ni une toute bonté, bien plutôt une gigantesque, une incom- mensurable force qui, à tâtons, sans jamais se lasser, poursuit, à travers d'innombrables essais, son incessant effort vers le mieux, vers V Idéal. Cet Idéal, loi vivante, vraie vie de toute vie et non loi abstraite comme celles d'un manuel de physique ou de chimie, la Réalité le porte en elle-même comme la loi propre de son évolu- tion; voilà pourquoi, en définitive, la résultante des forces du monde est orientée dans le sens dubien (1).»

7. Et voici enfin ce qu'un esprit très cultivé a pu écrire, sans s'apercevoir de la confusion grossière qu'il faisait, au sujet du mystère de la Trinité : « Dire qu'il y a trois personnes en Dieu, c'est dire qu'il y a en Dieu trois individualités distinctes. D'autre part, cependant, la formule du mystère déclare qu'il n'y en a qu'une, celle de Dieu même : le Père est Dieu ; le Fils également ; le Saint-Esprit également ; les trois personnes divines ne sont qu'un seul et même être individuel (2). »

M. Sully Prudhomme n'est pas le seul à prêter à la formule du dogme trinitaire un sens qu'elle n'a pas et à l'accuser par suite d'être incompréhensible ou absurde. Combien, en effet, de la meilleure foi sans doute, mais peu conformément à la logique, s'appuyant sur l'identité que le dogme reconnaît

1. La dernière idole, dans la Revue de métaphysique et de morale, juillet 1902, p. A02. 2. Sully Prudhomme, La vraie religion selon Pascal, Paris, 1905, p. 393.

NOTIONS ERRONÉES ET OBJECTIONS 629

entre l'essence divine et chacune des personnes, concluent à l'identité des personnes entre elles !

On invoque le principe d'identité; mais on oublie que ce principe n'a son application rigoureuse que s'il s'agit d'une identité absolue ; car la moindre dif- férence, ne serait-ce qu'une différence de raison, suffît à l'infirmer. Or, il y a longtemps que saint Thomas^ et tous les théologiens avec lui ont fait observer que, dans la Trinité, l'identité n'est pas absolue. Que le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient la même essence, la même réalité divine, le dogme l'affirme. Mais le dogme affirme, en outre, que ce qui fait que le Père est Père, et que le Fils est Fils et que le Saint-Esprit est Saint-Esprit est quelque chose de distinct. Et, dès lors, l'application du principe va simplement à dire ceci : toutes réalités identiques à une troisième sont identiques entre elles uniquement sous le rapport formel qui les fait identiques à cette troisième, mais non pas dans leur totalité. Or, dans la Trinité, s'il est vrai que les personnes sont identiques à l'essence divine, c'est-à-dire selon l'être divin et les attributs abso- lus, il n'est pas moins vrai que les personnes divi- nes restent distinctes entre elles précisément par ce qui les fait être telle ou telle personne ; car la notion spécifique qui répond à Père n'est point celle qui répond à Fils ou à Saint Esprit; et la notion spéci- fique qui répond à personne n'est pas la même qui répond à essence. Le point de vue diffère ainsi que la réalité. Les personnes divines s'opposent l'une à l'au- tre par leurs relations d'origine. En conséquence, le dogme catholique n'enseigne nullement que trois ne font qu'un, ni qu'un c'est trois ; il enseigne que les trois personnes sont réduites à l'unité par la possession de la même et unique essence ; et il en- seigne également que cette même et unique essence

630 LE CATÉCHISME ROMAIN

n'est pas possédée par les trois de la même manière ni sous le même rapport : la première, la possède de plein droit; la seconde, par communication génératrice; la troisième, par procession d'amour.

Après le principe d'identité qui porte sur l'être, on invoque le principe de contradiction qui porte sur l'opération de notre esprit. La difficulté se résout de la même manière. L'affirmation et la néga- tion ne peuvent être vraies toutes les deux simulta- nément d'un même objet; rien de plus exact, s'il s'agit d'un objet qui soit tout à fait le même et abso- lument sous tous les rapports ; mais il n'en est pas ainsi s'il s'agit d'un objet qui, quoique matérielle- ment et réellement le même, n'est pas le même formellement ; et c'est ce dernier cas qui se réalise dans la formule trinitaire (i).

Avec le catéchisme il faut dire : En Dieu, ni unité de personne, ni multiplicité de natures, mais une seule nature et trois personnes, ou un seul Dieu en trois personnes.

i. La Sainte Trinité, d'après saint Grégoire de Nazianze. « Avant toutes choses, dit-il en s'adres- sant aux catéchumènes, gardez-moi ce bon dépôt, pour lequel je vis et je combats, avec lequel je veux mourir, qui me fait supporter tous les maux et mépriser tous les plaisirs de la vie : je veux dire la profession de foi en le Père et le Fils et le Saint-Esprit. Je vous la confie aujour- d'hui. C'est pour elle que je vais tout-à-1'heure vous plon- ger dans l'eau et vous en élever. Je vous la donne pour compagne et patronne de toute votre vie. Je vous donne une seule Divinité et Puissance, Une dans les Trois, et contenant les Trois d'une manière distincte. Divinité sans disparate de substance ou de nature, sans degré supérieur

i. Voir, à ce sujet, un article de P. Pcgues dans la Revue thomiste, 1901, p. 694-715.

LA SAINTE TRINITE

63

qui élève ou degré inférieur qui abaisse, de toute façon égale, de toute façon la même, comme dans le ciel beauté et grandeur ne sont qu'un. C'est de trois infinis l'infinie connaturalité, Dieu tout entier, chacun considéré en soi- même, aussi bien le Fils que le Père, aussi bien le Saint- Esprit que le Fils, chacun pourtant conservant son caractère personnel ; Dieu les Trois considérés ensemble. Chacun est Dieu à cause de la consubstantialité ; les Trois son Dieu à cause de la monarchie. Je n'ai pas commencé de penser à l'Unité, que la Trinité me baigne de sa splen- ' deur. Je n'ai pas commencé de penser à la Trinité, que l'Unité me ressaisit. Lorsqu'un des Trois se présente à moi, je pense que c'est le tout, tant mon œil est rempli, tant le surplus m'échappe ; car dans mon esprit trop borné pour comprendre un seul, il ne reste plus de place à donner au surplus. Lorsque j'unis les Trois dans un même concept, je vois un seul flambeau sans pouvoir diviser ou analyser la lumière unifiée. » Orat. xl, 4i (i)î trad. du P. de Régnon.

2 . Difficulté et attrait du mystère de la Trinité. « Que reste-t-il des objections contre le mystère de la sainte Trinité ? Il reste que la possession de la même nature par trois personnes est une chose qui dépasse la portée de l'expérience humaine et dont nous accroissons d'ailleurs comme à plaisir l'obscurité par les images sen- sibles que nous sommes tentés d'introduire dans l'ex- position du dogme ; ces images sont des analogies qui aident notre intelligence à concevoir le sens du mystère, mais on aurait tort d'y chercher des explications. Arrivés à ce point, nous sommes obligés de nous arrêter, il est vrai, parce que le mystère est en face de nous et que notre vue est trop faible pour sonder ses profondeurs. Peut-être même paraît-il plus obscur quand on a essayé de le regarder d'un œil respectueux. Mais ceci ne doit point surprendre : lorsqu'on a gravi la cime du Gauri- sankar, on s'est rapproché des limites extrêmes de l'atmosphère terrestre ; mais l'homme n'en est averti que

i. Pair. gr.f xxxvi, col. 4 17»

632 LE CATÉCHISME ROMAIN

par la teinte toujours plus sombre qui succède au bleu du ciel, le froid qui devient plus vif, l'air qui manque à la respiration.

« Est-il possible, cependant, d'ajouter quelque chose aux réponses ordinaires des théologiens ? Doit-on se tenir exclusivement sur la défensive, et la splendeur du mys- tère n'a-t-elle donc aucun attrait ?

« On a remarqué souvent que le mystère de la sainte Tri- nité, bien qu'inaccessible à l'esprit humain, complétait ad- mirablement ce que la raison nous apprend de Dieu. Quand le spectacle des créatures et de nous-mêmes nous a fait connaître l'existence de Dieu et ses attributs, nous con- cevons l'idée de l'Etre infini et parfait ; mais nous ne savons rien encore de sa vie intérieure. Si l'esprit de l'homme est seul capable de savoir ce qui se passe en lui, à plus forte raison Dieu seul doit-il contempler le secret de sa vie. Mais, d'autre part, nous ne pouvons douter que cette vie intime ne soit la plus profonde des réalités : Dieu, source inépuisable de vie pour tous les vivants, doit vivre pour soi avant de vivre pour les autres. Cette ignorance de la vie mystérieuse de Dieu est sans doute l'une des raisons pour lesquelles la religion naturelle est frappée de stérilité : elle conçoit Dieu en dessus des créatures comme une unité solitaire, abstraite et froide. L'homme s'intéresse peu à un Dieu dont l'action paraît toute extérieure, dont on n'aperçoit pas le mouvement vital interne ; c'est qu'en effet son expérience et sa cons- cience lui montrent la vie comme un acte intime à l'être vivant. Qu'il apprenne donc à estimer à sa juste valeur la révélation qui a déchiré pour lui ce nuage opaque sous lequel la vie divine se cache. Dieu a daigné manifester aux hommes le mystère de sa vie ; et voilà que les hommes se récrient et qu'ils déclarent impossible ou absurde ce qu'il ne comprennent pas. Attendent-ils donc pour fléchir les genoux et pour adorer qu'ils aient compris Dieu en lui-même ? Mais alors le rêve insensé des panthéistes serait devenu une réalité : Dieu aurait pris conscience de lui-même en l'esprit humain, et l'homme n'adorerait plus que l'humanité.

LA SAINTE TRINITÉ , 633

« Quand l'Absolu lève un coin du voile sous lequel il se dérobait à nos yeux, le mystère non seulement ne doit pas effrayer la raison, mais il s'impose à elle comme le signe nécessaire de la vérité. La vie divine ne saurait être à ce point accessible que toute obscurité en soit bannie pour nous, et si elle se laissait pénétrer de part en part au regard de l'homme, j'oserais dire qu'elle ne valait pas la peine d'être regardée, car nous jetons un coup d'oeil fugitif sur les idées trop claires et les choses trop faciles à comprendre, mais nous contemplons longuement ce qui retient une part de mystère. A mesure que nous descendons plus profondément dans les problèmes de la métaphysique, le mystère croît avec la profondeur ; pour- quoi voudrait-on que la vie intime de Dieu se présentât à nos regards comme une surface plane, et non comme un abîme que l'œil ne peut sonder ? Ces exigences dénotent en ceux qui les prennent au sérieux une ignorance totale des conditions du problème divin et une recherche exagérée des clartés superficielles ; les vrais métaphysi- ciens ne redoutent pas tant certaines obscurités néces- saires.» J. Souben, Nouvelle théologie dogmatique, h, Les personnes divines, 2* édit., Paris, 1903, p. 95-97.

FIN DU PREMIER VOLUME

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Table des Matières

CONTENUES DANS CE PREMIER VOLUME

Encyclique Acerbo nimis i

Préface xn

Introduction %

La Catéchèse : I. La catéchèse pendant les deux premiers siècles. II. La catéchèse du commencement du ni8 siècle à la fin du v*. III. La Catéchèse de la fin du ve siècle au ix*.

Le Catéchisme avant le Concile de Trente. I. Pendant la période Patristique. II. Du v* au vu8 siècle. III. Sous Charlemagne et du rx* au xi8 siècle. IV. Au xn8 et xin8 siècles. V. Au xiv8 et xv8 siècles. VI. Première moitié du xvi8 siècle.

Le Catéchisme pendant et après le Concilb de Trente : I. L'œuvre du Bienheureux Canisius. II. Le Catéchisme Romain. III. Projet d'un petit Catéchisme universel. IV. Préface du Catéchisme romain.

Leçon Première : Symbole des Apôtres 79

I. Le mot Symbole : Etymologie et significa- tion. — II. Le Symbole des Apôtres : Son texte, 20 Son origine, 3* Son attribution aux Apôtres, Son autorité, 59 Sa division et son contenu.

Leçon Deuxième : Autres Symboles 109

I. Le Symbole de Nicée-Constantinople : i* Son origine, 20 Son texte, Son usage, Son auto- rité. — IL Le Symbole de Saint-Athanase : i* Son texte, 20 Son origine, 3* Son importance.

Leçon Troisième : Les professions de foi, ....... i37

636 LE CATÉCHISE ROMAIN

I. Les professions de foi: d'Hormisdas, de Léon IX, de Clément IV, d'Eugène IV, de Grégoire XIII, d'Urbain VJ1I et de Benoit XIV, d'Innocent III. II. La profession de foi de Pie IV : Date, texte, 3<> usage.

Leçon Quatrième : Immutabilité et, progrès i5o

I. Immutabilité : i°La révélation est complète depuis les apôtres ; La règle de foi dans les premiers siècles ; 3<> La doctrine de saint Vincent de Lérins ; L'enseignement du Vatican. II. Progrès : i<> Son objet; Ses caractères; Sa marche; Ses limites.

"Leçon Cinquième : Du Dogme i8a

I. Notion catholique du dogme : Sens éty- mologique : Objet ; Formule ; Carac- tères. — II. Théorie de M. A. Sabatier : Ses objections ; Sa théorie.

Leçon Sixième : Du Dogme 2 14

I. Le dogme d'après [M. Loisy : Dans « l'É- vangile et l'Église » ; Dans « Autour d'un petit livre. » II. La question de M. Le Roy : Qu'est-ce qu'un dogme ? Motifs allégués pour ne pas admettre la notion traditionnelle ; So- lution proposée.

Leçon Septième : De la Foi 255

I. L'enseignement du Catéchisme romain. II. L'enseignement du Concile du Vatican.

III. Définition de la Foi. IV. Le motif de la Foi ou son objet formel. V. Les motifs de crédibilité.

Leçon Huitième : De la Foi 291

I. Rôle de l'intelligence et de la volonté dans l'acte de Foi. II. De la nécessité de la Grâce.

III. Les propriétés de la Foi. IV. Concep- tion nouvelle de la Foi.

Leçon Neuvième : De la Foi et de la Raison 33o

I. Deux ordres de connaissance. Les mystères de la Foi. IL Rôle de la raison dans la con-

TABLE DES MATIÈRES , 637

naissance des mystères de la Foi. III. Ni opposition ni désaccord entre la foi et la raison.

IV. La foi et la raison se prêtent une aide mutuelle.

Leçon Dixième : Existence de Dieu 374

Peut-elle se prouver par la raison ? I. Erreurs.

II. Enseignement du Catéchisme romain.

III. Définition du Concile du Vatican. IV. Puissance de la raison.

Leçon Onzième : De Dieu 4o6

L'existence de Dieu est un dogme de la rai- son : Ses preuves. I. Preuves psychologiques.

II. Preuves morales. III. Preuves de saint Thomas.

Leçon Douzième : De Dieu ♦.,»«, 434

L'existence de Dieu est une vérité révélée.

II. C'est un dogme de foi catholique. III. Y a-t-il des athées ?

Leçon Treizième : De Dieu 457

De la nature de Dieu. I. Méthode à suivre.

II. Division des attributs. III. De quelques attributs. IV. Enseignement du Concile du Vatican : Condamnation du Panthéisme.

Leçon Quatorzième : De Dieu 489

I. Science de Dieu. II. Volonté de Dieu. III. Difficultés.

Leçon Quinzième : De Dieu. Toute-Puissance et

attributs moraux 520

I. Texte du Catéchisme romain. II. Toute- puissance de Dieu. III. Attributs moraux.

Leçon Seizième : De la Sainte Trinité 547

I, Les formules. II. La preuve scripturaire ; Dans l'Ancien Testament, 20 Dans le Nouveau.

Leçon Dix-septième : De la Sainte Trinité 571

La preuve patristique : I. Aux deux pre- miers siècles. II. Fin du 11e et m8 siècle. III. ive siècle. IV. L'œuvre de saint Augustin.

638

LE CATECHISME ROMAIN

Leçon Dix-huitième : De la Sainte Trinité 601

I. Exposé du Mystère. II. Enseignement de Saint Thomas. III. Notions erronées et ob- jections.

FIN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME

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