^^^i V.^- N ^•-- ^..i^ .J K '-■M ^ y ;. .• x:: ^'^- r^ ^\ . -^• LE CHEKEN DE LA CROIX P. Claudel. c ^ %Â '^^ \ ^ PQ 2fô5 L2 C48 1919 ,Yo«4ce,,, t-P4- THE LIBRARY THE UNIVERSITY OF BRITISH COLUMBIA Gifi oj II. R. MacMiUiw E Chemin de la Croix par Paul Claudel )c trouve à la Librairie de Art Catholique, six place S^ Sulpice à Paris, M.CM.XVffl. I I LE CHEMIN DE LA CROIX PAR PAVL CLAVDEL AVEC DES BOIS GRA- VÉS AV CANIF PAR JEAN MARCHAND. LAKT CAraOLIQVE 6. PLACE SAINT- SVLPICE A PARIS. Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of British Columbia Library 4 http://www.archive.org/details/lechemindelacroiOOsert PREMIÈRE STATION C'est fini. Nous avons jugé Dieu et nous l'avons con- damné à mort. Nous ne vou- lons plus de Jésus- Christ avec nous^ car il nous gêne. Nous n'avons plus d'autre roi que César 1 d'autre loi que le sang et l'or. Crucifiez-le, si vous le voulez, mais débar- rassez-nous de lui 1 qu'on l'emmène 1 Toile! toile! Tant pisi puisqu'il le faut, qu'on l'immole et qu'on nous donne Barabbas I Pilate siège au lieu qui est appelé Gabbatha. ** N'as-tu rien à dire? " dit Pilate. Et Jésus ne répond pas. ** — Je ne trouve aucun mal en cet homme ", dit Pilate ^* mais bah 1 Qu'il meure puisque vous y tenez 1 Je vous le donne, Ecce homo. " Le voici, la couronne en tête et la pourpre sur le dos. Une dernière fois vers nous ces yeux pleins de larmes et de sang ! QuV pouvons-nous ? pas moyen de le garder avec nous plus longtemps. Comme il était un scandale pour les Juifs, il est parmi nous un non-sens, La sentence d'ailleurs est rendue, rien nV manque, en langage hébraïque, grec et latin. Et Ton voit la foule qui crie et le juge qui se lave les mains* DEUXIÈME STATION On lui rend ses vê- tements et la croix lui est apportée, '* Salut ^ dit Jésus^ ** ô Croix que j'ai longtemps désirée l '^ Et toi, regarde, chrétien, et frémis l Ah, quel instant solennel ! Que celui où le Christ pour la première fois accepte la croix éternelle I O consommation en ce jour de Tarbre dans le Paradis I Regarde, pécheur, et vois à quoi ton péché a servi. Plus de crime sans un Dieu dessus et plus de croix sans le Christ I Certes le malheur de Thomme est grand, mais nous n'avons rien à dire. Car Dieu est maintenant dessus, qui est venu non pas expliquer mais remplir, Jésus reçoit la Croix comme nous recevons la Sainte Eucharistie : ** Nous lui donnons du bois pour son pain '^ , comme il est dit par le prophète Jérémie. Ah^ que la croix est longue^ et qu'elle est énorme et difficile I QuVUe est dure I qu'elle est rigide I que c'est lourde le poids du pécheur inutile 1 Que c'est long à porter pas à pas jusqu'à ce qu'on meure dessus 1 Est-ce vous qui allez porter cela tout seul, Seigneur Jésus ? Rendez-moi patient à mon tour du bois que vous voulez que je supporte. Car il nous faut porter la croix avant que la croix nous porte. TROISIÈME STATION On marche I Vic- time et bourreaux à la fois, tout s'é- branle vers le cal- vaire. Dieu qu'on tire par le cou tout à coup chancelle et tombe à terre. Qu'en dites- vous, Seigneur, de cette première chute? Et puisque, maintenant, vous savez, qu'en pensez-vous ? cette minute Où l'on tombe et où le faix mal chargé vous précipite 1 Comment la trouvez-vous, cette terre que vous fîtes ? Ahl ce n'est pas la route du bien seule- ment qui est raboteuse. Celle du mal, elle aussi, est perfide et vertigineuse 1 Il n'est pas que d'y aller tout droit, il faut s'instruire pierre à pierre, Et le pied y manque souvent, alors que le cœur persévère. Ah, Seigneur l par ces genoux sacrés, ces deux genoux qui vous ont fait faute à la fois, Par le haut-Ie-cceur soudain et la chute à l'entrée de Thorrible Voie, Par Tembûche qui a réussi, par la terre que vous avez apprise. Sauvez-nous du premier péché que Ton commet par surprise ! 10 QUATRIÈME STATION O mères qui avez vu mourir le pre- mier et Tunique enfant^ Rappelez -vous cette nuit, la der- nière, auprès du petit être gémissant, L^eau qu'on es- saye de faire boire, la glace, le thermo- mètre. Et la mort qui vient peu à peu et qu'on ne peut plus méconnaître. Mettez-lui ses pauvres souliers, changez-le de linge et de brassière. Quelqu'un vient qui va me le prendre et le mettre dans la terre. Adieu, mon bon petit enfant I adieu, ô chair de ma chair I La quatrième Station est Marie qui a tout accepté. Voici au coin de la rue qui attend le Trésor de toute Pauvreté. H Ses yeux n^ont point de pleurs, sa bouche n*a point de salive. Elle ne dit pas un mot et regarde Jésus qui arrive. Elle accepte. Elle accepte encore une fois. Le cri Est sévèrement réprimé dans le coeur fort et strict, Elle ne dit pas un mot et regarde Jésus- Christ. La mère regarde son Fils, FEglise son Rédempteur. Son âme violemment va vers lui comme le cri du soldat qui meurt I Elle se tient debout devant Dieu et lui offre son âme à lire, Il n'y a rien dans son cœur qui refuse ou qui retire. Pas une fibre en son cœur transpercé qui n'accepte et ne consente. Et comme Dieu lui-même qui est là, elle est présente. Elle accepte et regarde ce Fils qu'elle a conçu dans son sein. Elle ne dit pas un mot et regarde le Saint des Saints. 12 i CINQUIÈME STATION Uinstant vient où ça ne va plus et Ton ne peut plus avancer. C^est là que nous trouvons jointure et où vous permettez Qu'on nous em- ploie nous aussi, même de force, à votre Croix. Tel Simon le Cyré- néen qu'on attelle à ce morceau de bois. II Fempoigne solidement et marche der- rière Jésus, Afin que rien de la Croix ne traîne et ne soit perdu» 13 SIXIÈME STATION Tous les disciples ont fui, Pierre lui- même renie avec transport ! Une femme au plus épais de Fin- suite et au centre de la mort Se jette et trou- ve Jésus et lui prend le visage entre les mains. Enseignez-nous, Véronique, à braver le respect humain* Car celui à qui Jésus-Christ n^est pas seu- lement une image, mais vrai, Aux autres hommes aussitôt devient désagréable et suspect* Son plan de vie est à Tenvers, ses motifs ne sont plus les leurs. Il y a quelque chose en lui toujours qui échappe et qui est ailleurs. Un homme fait qui dit son chapelet et qui va impudemment à confesse. Qui fait maigre le vendredi et qu'on voit H parmi les femmes à la messe, Cela fait rire et ça choque, cVst drôle et c'est irritant aussi. Qu'il prenne garde à ce qu'il fait, car on a les yeux sur lui. Qu'il prenne garde à chacun de ses pas, car il est un signe. Car tout chrétien de son Christ est l'image vraie quoique indigne. Et le visage qu'il montre est le reflet trivial De cette Face de Dieu en son cœur, abo- minable et triomphale ! Laissez-nous la regarder encore une fois, Véronique, Sur le linge où vous l'avez recueillie, la face du Saint Viatique, Ce voile de lin pieux où Véronique a caché La face du Vendangeur au jour de son ébriété. Afin qu'éternellement son image s'y attachât. Qui est faite de son sang, de ses larmes et de nos crachats! 15 SEPTIÈME STATION Ce n'est pas la pierre sous le pied^ ni le licou Tiré trop fort^ c'est Tâme qui fait défaut tout à coup» O milieu de no- tre vie 1 ô chute que Ton fait spon- tanément 1 Quand Faimant n'a plus de pôle et la foi plus de firmament^ Parce que la route est longue et parce que le terme est loin, Parce que l'on est tout seul et que la consolation n'est point. Longueur du temps 1 dégoût en secret qui s'accroît De l'injonction inflexible et de ce compa- gnon de bois I C'est pourquoi on étend les deux bras à la fois comme quelqu'un qui nage. Ce n'est plus sur les genoux qu'on tombe, c'est sur le visage, 16 Le corps tombe, il est vrai, et Tâme en même temps a consenti. Sauvez-nous de la Seconde chute que Ton fait volontairement par ennui. 17 HUITIÈME STATION Avant qu'il ne monte une derniè- re fois sur la mon- tagne, Jésus lève le doigt et se tourne vers le peuple qui raccompagne, Quelques pau- vres femmes en pleurs avec leurs en- fants dans les bras. Et nous, ne regardons pas seulement, écoutons Jésus, car il est là. Ce n'est pas un homme qui lève le doigt au milieu de cette pauvre enluminure* C'est Dieu qui pour notre salut n'a pas souffert seulement en peinture. Ainsi cet homme était le Dieu tout- puissant, il est donc vrai ! Il est un jour où Dieu a souffert cela pour nous, en effet I Quel est-il donc, le danger dont nous avons été rachetés à un tel prix ? Le salut de l'homme est-il si simple affaire 18 que le Fils Pour Taccomplir est obligé de s'arracher du sein du Père? S'il va ainsi du Paradis^ qu'est-ce donc que l'Enfer? Que fera-t-on du bois mort^ si l'on fait ainsi du bois vert ? 19 NEUVIÈME STATION Je suis tombé en- core et cette fois^ c'est la fin» Je voudrais me relever qu'il n'y a pas moyen» Car on m'a pres- sé comme un fruit et l'homme que j'ai sur le dos est trop lourd. J'ai fait le mal^ et l'homme mort avec moi est trop lourd 1 Mourons donc, car il est plus facile d'être à plat ventre que debout, Moins de vivre que de mourir, et sur la croix que dessous. Sauvez-nous du Troisième péché qui est le désespoir l Rien n'est encore perdu tant qu'il reste la mort à boire I Et j'en ai fini de ce bois, mais il me reste le ferl Jésus tombe une troisième fois, mais c'est au sommet du Calvaire. 20 DIXIÈME STATION ~(é -\J ^^3 ^ Voici Taire où le grain de froment céleste est égrugé. Le Père est nu, le voile du Taber- nacle est arraché. La main est por- tée sur Dieu , la Chair de la Chair tressaille, L^Univers, en sa source atteint, fré- mit jusqu'au fond de ses entrailles! Nous, puisqu'ils ont pris la tunique et la robe sans couture. Levons les yeux et osons regarder Jésus tout pur. Ils ne vous ont rien laissé. Seigneur, ils ont tout pris, La vêture qui tient à la chair, comme aujourd'hui On arrache sa couUe au moine et son voile à la vierge consacrée. On a tout pris, il ne lui reste plus rien pour se cacher. 21 II n'a plus aucune défense, il est nu comme un ver, II est livré à tous les hommes et décou- vert. Quoi, c'est là votre Jésus I II fait rire. II est plein de coups et d'immondices, II relève des aliénistes et de la police. Tauri pingues obséder ant me. Libéra me. Domine, de ore cânis. II n'est pas le Christ. II n'est pas le Fils de l'Homme. II n'est pas Dieu. Son évangile est menteur et son Père n'est pas aux cieux. C'est un fou I C'est un imposteur ! Qu'il parle I Qu'il se taise 1 Le valet d'Anne le soufflette et Renan le baise. Us ont tout pris. Mais il reste le sang écar- late. Ils ont tout pris. Mais il reste la plaie qui éclate I Dieu est caché. Mais il reste l'homme de douleur. Dieu est caché. II reste mon frère qui pleure I Par votre humiliation. Seigneur, par votre honte, 22 À Ayez pitié des vaincus, du faible que le fort surmonte. Par rhorreur de ce dernier vêtement qu'on vous retire, Ayez pitié de tout ceux qu'on déchire ! De Tenfant opéré trois fois que le médecin encourage, Et de ce pauvre blessé dont on renouvelle les bandages, De Tépoux humilié, du fils près de sa mère qui meurt. Et de ce terrible amour qu'il faut nous arracher du cœur 1 23 ONZIÈME STATION Voici que Dieu n'est plus avec nous^ II est par terre» La meute en tas Ta pris à la gorge comme un cerf» Vous êtes donc venu l Vous êtes vraiment avec nous^ Seigneur 1 On s'est assis sur vous, on vous tient le genou sur le cœur» Cette main que le bourreau tord, c'est la droite du Tout-Puissant. On a lié TAgneau par les pieds, on attache l'Omniprésent. On marque à la craie sur la croix sa hauteur et son envergure. Et quand il va goûter de nos clous, nous allons voir sa figure. Fils éternel, dont la borne est votre seule Infinité, La voici donc avec nous, cette place étroite que vous avez convoitée. 24 Voici Elie sur le mort qui se couche de son long, Voici le trône de David et la gloire de Salomon, Voici le lit de notre amour avec vous, puissant et dur 1 II est difficile à un Dieu de se faire à notre mesure. On tire et le corps à demi disloqué craque et crie. II est bandé comme un pressoir, il est affreusement équarri. Afin que le Prophète soit justifié qui Ta prédit en ces mots : ''Ils ont percé mes mains et mes pieds. Ils ont énuméré tous mes os. '^ Vous êtes pris, Seigneur, et ne pouvez plus échapper. Vous êtes cloué sur la croix par les mains et par les pieds. Je n'ai plus rien à chercher au ciel avec Fhérétique et le fou. Ce Dieu est assez pour moi qui tient entre quatre clous. 25 DOUZIÈME STATION ^^S^ y^^v^*-^ ^r |mi' ^ II souffrait tout à l'heure, cVst vrai, mais maintenant il va mourir» La grande croix dans la nuit faible- ment remue avec le Dieu qui respire. Tout y est. II nV a plus qu'à laisser faire l'Ins- trument Qui du joint de la Double nature iné- puisablement De la source du corps et de l'âme et de l'hypostase, exprime et tire Toute la possibilité qui est en lui de souffrir. II est tout seul comme Adam quand il était seul dans l'Eden. II est pour trois heures seul et savoure le Vin, L'ignorance invincible de l'homme dans le retrait de Dieu I Notre hôte est appesanti et son front 26 fléchit peu à peu. II ne voit plus sa Mère et son Père l'aban- donne. II savoure la coupe et la mort lentement qui Tempoisonne. NVn avez-vous donc pas assez de ce vin aigre et mêlé d'eau, Pour que vous vous redressiez tout à coup et criiez : Sitio ? Vous avez soif, Seigneur? Est-ce à moi que vous parlez ? Est-ce moi dont vous avez besoin encore et de mes péchés ? Est-ce moi qui manque avant que tout soit consommé ? 27 TREIZIEME STATION jê^jp^^^U 1^ ili *■ - -y JT^ KsI ^ ^^^2m^^f^nVV\ ^^ K r^w^^ ^^Ss^ Ici la Passion prend fin et la Compassion conti- nue. Le Christ n^est plus sur la Croix, il est avec Marie qui Fa reçu: Comme elle ^accepta, promis, elle le reçoit, con- sommé. Le Christ qui a souffert aux yeux de tous de nouveau au sein de sa mère est caché. L'Église entre ses bras à jamais prend charge de son bien-aimé. Ce qui est de Dieu, et ce qui est de la mère, et ce que Thomme a fait. Tout cela sous son manteau est avec elle à jamais. Elle Ta pris, elle voit, elle touche, elle prie, elle pleure, elle admire! Elle est le suaire et Tonguent, elle est la sépulture et la myrrhe, 28 Elle est le prêtre et Tautel et le vase et le Cénacle» Ici finit la Croix et commence le Ta- bernacle. 29 QUATORZIEME STATION Le tombeau où le Christ qui est mort ayant souf- fert est mis, Le trou à la hâte descellé pour qu'il y dorme sa nuit, Avant que le transpercé ressus- cite et monte au Père^ Ce n^est pas seu- lement ce sépulcre neuf, c'est ma chair, C'est rhomme, votre créature, qui est plus profond que la terre 1 Maintenant que son cœur est ouvert et maintenant que ses mains sont percées, II n'est plus de croix avec nous où son corps ne soit adapté. Il n'est plus de péché en nous où la plaie ne corresponde I Venez donc de Tautel où vous êtes caché vers nous. Sauveur du monde ! Seigneur que votre créature est ouverte et quelle est profonde I 30 NIHIL OBSTAT Parisiis, die tO'' Sept. 19 13, O. ROLAND GOSSELIN, C H. IMPRIMATUR Pârisiis, die 10'' Sept. t9t3. G. LEFEBVRE, Vie. Generalis. IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE EN JANVIER M CM XIX PAR L'ART CATHOLIQUE VINGT CINQ EXEMPLAIRES SUR PAPIER A LA FORME DU JAPON NUMÉROTÉS DE I A XXV ET SOIXANTE QUINZE EXEMPLAIRES SUR PAPIER VERGÉ D'ARCHES NUMÉROTÉS DE l A 75. Francs iA Hm