W^U',' PRESENTED BY W Mr. Samuel P. Avehy. ^ ïp^ — ^ — :7f^ 7 ^ 7 ^T^ "'^^ - -^ V li FORTHE PEOPLE FOR EDVCATION FOR SCIENCE ' LIBRARY OF THE AMERICAN MUSEUM OF NATURAL HISTORY LE CHlEiN SON HISTOIRE, SES EXPLOITS, SES AYENTUBES i822. — l'AlUS, IMPIUMMIUE A. LAllURE Rue (le Flciirix, 0 T LE CHIEfS SON HISTOIRE, SES RXPLOITS, SES AVRNTIRES ALFRED BARBOU Do la Di IjI io llu'q ne Sa i ii t o-Ge iiev iù ve OUVRAGE ILLUSTRE DE 87 COMPOSITIONS Par Emile BAYARD, COUTURIER, Ch. JACQUE, Adrien MARIE VOGEL, etc.. etc. PARIS LIBR.MKIE FURNE JOIVI-T I:T es ÉDIÏIUÎRS O, KUE PAI,.\TINE M DCCC LXXXm Tous droits réservés tM-«n'^*l'-"VT^'' A MONSIEUR XAVIER MARMIER De l'Académie Française. Monsieur et cher Maître, C'est à vous que je dois l'idée de ce liore destiné à faire aimer des animaux qui rendent à l'humanité d'immenses services. Vous m'avez encouragé et aidé dans ma tâche. Je vous prie de vouloir bien accepter la dédicace de cet ouvrage dont l'inspiration est une preuve nouvelle de la bonté de votre cœur. Veuillez agréer^ Monsieur et cher Maître, l'expression de ma gratitude, Alfred BARBOU. LE CHIEN CHAPITRE PRÉLIMINAIRE " The rich man's guardian, and the poor man's friend Theonbj créature faithful io the end." ce Gardien du riche, ami du pauvre, seule créature fidèle jusqu'à la mort », le chien tient une grande place dans les sociétés humaines ; il est intimement mêlé à notre vie : écrire son histoire, c'est en réalité ajouter un chapitre à l'histoire de l'homme. L'œuvre est difficile, les chiens n'ayant pas encore l'habitude de nous confier leurs sensa- tions. Toutefois, les « documents canins » ne font pas défaut k LE CHIEN. et peut-être est-il plus aisé de dire sur eux la vérité parce qu'ils ne parlent ni n'écrivent. « Voyez-vous, me disait un jour un savant vétérinaire qui est aussi un docteur en médecine, j'aime mieux soigner les bêtes que les gens, parce que les bêles ne me trompentpoint. Les chiens aboient suffisamment pour m'indiquer qu'ils soufTrent; ils ne parlent pas assez pour déguiser la vérité et égarer mon diagnostic avec des mensonges ; aussi je les guéris mieux. » Peut-être à notre tour peindrons-nous l'espèce canine plus aisément que la nôtre, et pour simplifier notre tâche nous éviterons autant que possible les classifications. ' Toussenel écrivant sa Zoologie passionnelle ne reconnais- sait qu'une classification logique et raisonnable, celle qui repose sur l'analogie des rapports passionnels entre l'homme et les choses créées. Il a prétendu qu'il faut envisager la bête au point de vue de sa ressemblance morale avec l'homme , parce que la bête est le miroir de l'homme ; il a été jusqu'à affirmer que le chien a exercé une influence polilique sur la constitution des sociétés anciennes et modernes, et il a établi son parallèle en notant les fourberies ingénieuses du braque Castagno et la diplomatie raffinée des chiens de poste de Sibérie. Toussenel avait raison jusqu'à un certain point et nous voulons, selon son conseil, étudier l'espèce canine dans ses ressemblances morales avec la nôtre ; mais, par bonheur, le chien n'est pas devenu le fidèle miroir de l'homme, à qui il ne ressemble guère que par ses beaux côtés. Lorsqu'on le compare à nous, l'avantage ne nous reste pas. Michel Cervantes l'a montré en prêtant à deux chiens, deve- nus célèbres grâce à lui, l'appréciation des actes des hommes. CHAPITRE PRELIMINAIRE. 5 C'est dans le volume de Nouvelles qui complète l'œuvre de l'auteur de Don Quichotte que nous avons trouvé la cu- rieuse histoire que voici : elle est intitulée : Le Colloque de Scipion et de Bergance, chiens de Vhôpilalde la Résurrection de Valladolid, appelés communément les chiens de Mahudez, qui se moquent plaisamment de toutes sortes de personnes. Ces deux chiens qui, depuis qu'ils ont eu la force de ron- ger leur premier os, c'est-à-dire depuis qu'ils ont atteint l'âge viril, sont possédés du désir de parler, se trouvent par miracle en possession de la parole; ils s'en donnent à cœur joie et font la satire de l'humanité, une douce satire tempérée par la honte des causeurs, Bergance et Scipion. Bergance, qui d'ahord a été chien de boucher, se souvient des lectures que faisait la bouchère et se moque des mau- vais livres de l'époque ; elle était toute à la bergerie, cette bouchère, et se complaisait à voir dans les romans de cheva- lerie la description des ruisseaux murmurants et des prai- ries toujours vertes. Bergance nous apprendrait ce que cela n'empêchait point à sa maîtresse de faire, si son compagnon Scipion ne l'arrêtait sur la pente de la médisance. Bergance parle alors des mœurs du boucher qui non seulement égor- geait chaque jour les animaux avec tranquillité, mais encore se servait de son couteau pour se battre avec ses sem- blables et les tuait comme ses moutons. Bergance faisait les commissions avec un cabas. Un jour on lui ravit le contenu du panier et on le remplaça par un objet sans valeur; son maître voulut l'assommer. Il s'enfuit, se réfugia près d'un troupeau, devint chien de berger et veilla sur les brebis avec le plus grand soin, heureux de gagner honnêtement sa vie. Souvent il entendait le berger 6 LE CHIEN. crier au loup pendant la nuit; alors il s'élançait, et malgré ses courses en forêt, quoiqu'il déchirât ses pattes aux cail- loux du chemin et aux ronces des buissons, il ne parvenait point à trouver la trace du ravisseur. Un soir il s'embusqua : près de lui : à sa grande surprise, des pasteurs voisins saisirent un mouton des meilleurs et le tuèrent de façon qu'on eût dit véritablement qu'un loup l'avait égorgé, puis emportèrent le meilleur de la chair. Il fut si révolté de voir des hommes à qui des brebis étaient données en garde tuer les brebis de leurs amis, qu'il s'échappa encore et s'alla mettre au service d'un riche marchand de Séville. Et comme son interlocuteur Scipion, en brave chien qui désire honnêtement s'instruire, lui demande par quel moyen il se faisait agréer d'un nouveau maître : « Bien simplement, répond Bergance, par l'humilité, qui est la base et le fondement de toutes les vertus et qui des ennemis fait des amis. « Le marchand fit un chien de garde de Bergance qui s'ac- quitta au mieux de sa mission, ne dormant jamais la nuit, aboyant au moindre bruit et gagnant vite l'affection du maî- tre de la maison, affection qui se traduisit par de bonnes pâtées. Une fois en place, Bergance observe les habitants de Sé- ville. Il s'étonne de voir les gentilshommes et les chevaliers jouer aux charlatans et danser en public pour se faire ap- plaudir. Il est surpris aussi de ce que les marchands enrichis donnent tout à leurs fils et les fassent monter en carrosse, alors qu'eux-mêmes continuent d'aller à pied et ne prennent point un moment de repos afin de pouvoir entretenir les CHAPITRE PRELIMINAIRE. 7 domestiques de leurs enfants, et travaillent jour et nuit pour payer les p(klagogues qui font l'éducation de leurs héritiers. Un fâcheux événement contraint Bergance à s'enfuir de Séville ; il se permet de dénoncer par ses aboiements une servante infidèle qui essaye de l'empoisonner. Il se place alors chez un recors, mais son honnêteté se trouve une fois de plus mise à une trop rude épreuve : le recors était l'ami de tous les voleurs de la ville. Bergance Irouve le moyen de le dénoncer, mais il prend de nouveau ses jambes à son cou et devient, au service d'an rufian, une sorte de chien savant, sautant pour tout le monde, buvant du vin, dansant et chan- tant. A la fin d'une de ses représentations il s'en va au rendez-vous que lui donne une sorcière, laquelle veut lui persuader qu'il est fils de sorcière; l'honnête Bergance indigné veut mettre la vieille en pièces et s'échappe pour ne pas être lapidé. Il tombe au milieu d'une bande d'Égyptiens avares et voleurs parmi lesquels il découvre les types les plus curieux, entre autres un jeune homme que nous lui laissons le soin de nous présenter : « Il s'occupait à écrire dans un livre et de temps en temps se frappait le front avec la main, se mordait les ongles et regardait le ciel, puis murmurait entre ses dents, et s'écriait: « Pardieu c'est la meilleure stance que j'aie faite », et se hâtait de la tracer, témoignant un extrême contentement, ce qui me fit comprendre que ce pauvre malheureux devait être un poète. Je lui prodiguai mes caresses. » Bergance devint le chien du poète, ce qui lui permit de faire connaissance de comédiens ridicules, de voir des mathéma- ticiens, des inventeurs et des philosophes. Il ne se plaint 8 LE CHIEN. que d'une chose, c'est que le poète l'ait mal nourri. Mais Sci- pion qui lui donne la réplique s'oppose à ce qu'il continue de médire, et les deux chiens, au moment oi^i le jour parais- sant les prive de la parole, concluent que la vertu est toujours rare et qu'il la faut aimer. Sous son apparente bonhomie la leçon est cruelle, mais il est certain que les hommes n'en ont point fait et n'en feront jamais leur profit. Sans médire non plus de nos sembla- bles, nous nous contenterons de dire du chien tout le bien que nous en pensons. Chacun conclura à sa guise. Bien longtemps avant M. de Buffon des écrivains ont fait l'éloge et l'apologie du chien. L'affection de l'homme pour ce fidèle compagnon à quatre pattes date certainement de l'époque où il se trouva mêlé à l'existence humaine, époque incertaine. L'être humain, dont la reconnaissance n'est cependant pas la vertu principale, n'a pu se montrer ingrat envers le serviteur dévoué qui seul ne l'abandonne pas dans la peine et dans la douleur, qui répond à ses mauvais traitements par des caresses et qui ne semble vivre que pour chercher à plaire et à rendre service. Il le faut, hélas! reconnaître: dans notre existence si pleine de désenchantements et de souffrances, les amitiés les plus certaines nous échappent parfois, les dévouements les plus sûrs se peuvent transformer en trahisons; il n'existe qu'un être incapable de nous délaisser et de nous abandon- ner : c'est le chien. On ne cite qu'un seul chien célèbre par son ingratitude, a écrit Chateaubriand. Celte exception ne fait que confirmer la règle, et l'on peut affirmer, sans rire, avec Chai'let, dont l'humour égalait le talent : ce qu'il y a de meilleur dans l'homme, c'est le chien. «Il semble, dit Voltaire dans le Dictionnaire philosophique, CHAPITRE PRELIMINAIRE. 9 que la nature ait donné le chien à l'homme pour sa défense et pour son plaisir. C'est de tous les animaux le plus fidèle, c'est le meilleur ami que puisse avoir l'homme... Ce qu'on raconte de la sagacité, de l'obéissance, de l'amitié, du courage des chiens, est prodigieux et est vrai... » l'homme et son fidèle compagnon. L'hommage rendu à cet animal est universel; les philoso- phes l'ont honoré, les romanciers ont raconté ses aventures, les fabulistes lui ont prêté la parole, et les poètes l'ont chanté. Lamartine s'est écrié : Oh! viens, dernier ami que mon pas réjouisse, Lèche mes yeux mouillés, mets Ion cœur près du mien. Et seuls pour nous aimer, aimons-nous, pauvre chien! 2 10 LE CHIEN. Byron, victime des trahisons de la vie, et qui, plus qu'un autre, a souffert dans le rude combat des passions, Byron désespéré eut un chien pour consolateur. Quand il le perdit, il pleura et écrivit cette admirable pièce qui est intitulée : Inscription sur le monument du chien de Terre-Neuve (Newoteard-abbey, octobre 1808) : « Quand un orgueilleux fils des hommes retourne à la terre, inconnu à la gloire, mais issu d'une noble race, l'art du sculpteur épuise la pompe de la douleur, et l'urne nous apprend quel est celui dont elle contient la cendre. « Quand tout est fini pour lui, on voit sur la tombe ce que le défunt aurait dû être, et non ce qu'il a été : mais le pau- vre chien, notre meilleur ami dans la vie, le premier à venir saluer notre retour, le premier à nous défendre, loyal et fidèle à son maîlre, travaillant, combattant et vivant pour lui seul, succombe sans honneur; on oublie son mérite, et l'àme qu'il avait sur la terre lui est refusée dans le ciel. L'homme, vain insecte, espère être pardonné, et réclame le droit exclusif d'habiter le céleste séjour. « Homme ! toi qui jouis d'une heure de vie, dégradé par la servrtude ou corrompu par le pouvoir, celui qui te connaît bien doit te quitter avec dégoût... Poussière animée! ton amour n'est que luxure, ton amitié, perfidie, ton sourire, hypocrisie, tes paroles, mensonges. Yil par ta nature, enno- bli par ton nom seul, il n'est pas de race d'animaux qui ne puisse te faire rougir!... 0 vous qui par hasard voyez cette urne simple, passez... Elle n'honore personne que vous voudriez pleurer : ces pierres ont été élevées sur les dépouil- les d'un ami; je n'en ai connu qu'un, c'est ici qu'il repose. « Tous les grands esprits et tous les grands cœurs ont de différentes manières manifesté une semblable admiration CHAPITRE PRELIMINAIRE. 11 pour l'espèce canine. 3Iichelet a pensé que les chiens sont des candidats à l'humanité. C'est peu. En vérité bien des hommes pourraient prendre exemple sur eux et peu d'entre nous possèdent autant do vertus cjue ces modestes ani- maux. Sont-ils véritablement doués d'intelligence? Montaigne répondait: Que sais-je? La science moderne répond oui. L'illustre docteur Broca a affirmé cjue de l'homme à l'ani- mal, dans le cerveau et dans ses fonctions, tout se réduit à une question de degré. Telle est la doctrine du darwinisme. Cette opinion est basée sur l'expérience et sur les faits; il la faut préférer certes à la formule théologique exposée par Descartes et qui n'accorde à l'animal que l'automatisme, c'est-à-dire le caractère purement machinal des mouvements auxquels la volonté ne participe pas. Non, les animaux, et particulièrement les chiens, ne sont pas seulement des machi- nes. Ils pensent, ils réfléchissent, ils raisonnent, ils se sou- viennent; ils font preuve d'initiative, ils sont susceptibles d'éducation. Sans cesse, aux yeux de l'observateur, les ani- maux prouvent leurs facultés raisonnantes. Qui oserait encore soutenir avec Malebranche que les ani- maux mangent sans plaisir, crient sans douleur, croissent sans le savoir, ne désirent rien, ne craignent rien, ne recon- naissent rien? Parlant de cette étrange affirmation, Bernardin de Saint- Pierre a écrit : « Des philosophes fameux, infidèles au témoignage de leur raison et de leur conscience, ont osé parler des animaux comme de simples machines. Ils leur attribuent des instincts aveugles, qui règlent d'une manière uniforme toutes leurs aciions, sans passion, sans volonté, sans choix et même sans 12 LE CHIEN. aucune sensibilité. J'en marquais un jour mon étonnement il Jean-Jacques Rousseau; je lui disais qu'il était bien étrange que des hommes de génie eussent soutenu une thèse aussi extravagante ; il me répondit fort sagement : « C'est que, « quand l'homme commence à raisonner, il cesse de sentir. » Nous ne développerons pas davantage cette digression philosophique. L'intelligence de l'animal est évidente. Ceux qui attribuent les qualités du chien à son odorat n'ont jamais vu vieillir près d'eux un chien dont la fidélité n'a point diminué, quoiqu'il soit devenu impropre à se servir de son odorat pour la chasse. Oui, certes, le chien raisonne, moins puissamment que l'homme, parce que le cerveau est moins puissant, mais il est ridicule de prétendre qu'il n'obéit qu'à d'aveugles ins- tincts. Il est possible c{u'il n'ait point la conception de la mort; il est évident, il est certain qu'il manque de notre esprit d'initiative, mais s'il n'a pas ce que nous nommons la con- science, en revanche il possède deux facultés indéniables, la mémoire et la comparaison, facultés à l'aide desquelles il associe ses idées. Convenir que son intelligence est susceptible de culture, c'est du reste déclarer que cette intelligence existe, et sur ce point l'illustre Flourens s'est prononcé de façon à ne laisser aucun doute. A l'aide des actions cette démonstration se fait claire, et nous entreprenons dans ce livre le récit des actions du chien, simplement. Sans doute beaucoup de volumes déjà ont été consacrés à cet animal, mais, selon nous, aucun d'eux n'est complet. Certains ouvrages sont trop sérieux; certains autres écrits au hasard de la plume sans beaucoup d'ordre et sans lien. CHAPITRE PRELIMINAIRE. 13 Profitant des matériaux amassés nous avons essayé de faire une œuvre complète, bien coordonnée, dans laquelle les compagnons des hommes sont envisagés sous leurs aspects différents, avec leurs habitudes curieuses, avec les qualités propres à chaque race, avec leurs vertus. Le champ est d'une vaste étendue, nous nous sommes efforcé de le parcourir en entier, et nous espérons n'avoir passé sous silence rien de ce qui peut intéresser ceux qui ont pour les chiens quelque estime et quelque affection. CHAPITRE PREMIER LE CHIEN DANS L'HISTOIRE Le chien a été honoré, aimé par tous les peuples de la terre; il a mérité cette affection; les services qu'il rend ont fait de lui l'ami des hommes. Ayant à étudier une espèce si intimement mêlée à la nôtre et qui depuis la formation du monde a vécu de notre vie et n'a cessé d'être utile à notre race, nous devons citer d'abord les légendes historiques auxquelles son existence a donné lieu. On ne cesse de commenter et d'expliquer les mythes et les légendes cosmogoniques des divers peuples de l'anti- quité; il n'est pas moins intéressant de rappeler le grand rôle joué dans les temps les plus reculés par les chiens. La vénération ou la crainte qu'ils ont inspirées, les super- 16 LE CHIEN. stitions dont ils ont été l'objet, les honneurs qu'on leur a rendus prouvent qu'ils occupaient une place importante dans les sociétés aujourd'hui disparues. Il n'existe point de nation qui ne se soit préoccupée de ces quadrupèdes et qui ne leur ait assigné un rôle particulier dans son histoire. De tous les animaux le chien est sans contredit celui dont il est le plus fréquemment question dans les anciens auteurs. D'après Éliézer il aurait été connu des fils d'Adam; ce fidèle serviteur d'Abraham a en effet rapporté que le corps d'Abel, abandonné par Caïn à la merci des bêtes féroces, fut défendu par le chien commis à la garde de ses troupeaux. Le Livre de Tobie et le Deutéronome s'occupent fréquem- ment des chiens. Celui de Tobie est célèbre : il fait un long- voyage pour venir annoncer au père aveugle la prochaine arrivée de son fils et la fin de ses malheurs. Déjà le chien est le symbole du dévouement. Chez les Égyptiens le chien est adoré, révéré parce qu'il avertit l'homme, parce qu'il est considéré comme un ami. On a retiré des nécropoles de l'ancienne Egypte un grand nombre de chiens embaumés. Ces animaux étaient pleures et ensevelis avec grande pompe; ils donnèrent nais- sance à une divinité. Anubis était un dieu égyptien adoré sous la forme d'un chien, ou sous la forme humaine avec une tête de chien. Si l'on en croit Plutarquc, Anubis était fils d'Osiris et de Nephthys sa sœur, unie au dieu Eyphon. Isis ayant décou- vert qu'Osiris s'était approché de Nephthys par erreur, chercha l'enfant qui était né de cet adultère et que Nephthys avait abandonné par crainte de son époux; elle le découvrit à l'aide de ses chiens et prit soin de son enfance. Lorsque plus tard Isis courut à la recherche du corps d'Isiris que Typhon avait assassiné, elle eut pour compagnon LE CHIEN DANS L'HISTOIRE. 17 ■fidèle Anuhis, qui s'était revèlu de la peau d'un chien. Regardé comme le gardien vigilant et inséparable d'Osiris aussi bien que d'Isis, Anubis était associé à ces deux divi- nités dans le culte qu'on leur rendait. Dans un nome de l'Egypte moyenne, dont la capitale fui nommée par les Grecs Cijnopolis (ville des chiens), il recevait des honneurs par- ticuliers; l'animal qui lui était consacré, comme sym- bole vivant, le chien, y était nourri aux frais du trésor. Du reste le culte du chien s'étendait sur toutes les par- ties de l'Egypte. Juvénal a écrit : oppida tota canem vene- rantur; dans toutes les villes le chien est vénéré. De son côté Hérodote a constaté que lorsqu'un chien venait à mou- rir dans une maison, tous ceux qui habitaient cette mai- son se rasaient la tète en si- gne de deuil, puis ensevelis- saient le cadavre dans des caisses sacrées. Confondu avec l'animal qui le représentait, Anubis a été en butte aux plaisanteries du satirique Lucien qui, dans un de ses dialogues, montre Momus voulant mettre cet « abo- yeur » à la porte du Conseil des Dieux. Aboyeur, latrator, telle est l'épithète que donnent à Anubis tous les poètes lalins. Properce s'est indigné contre Cléopâtre qui a osé, dit-il, opposer son Anubis aboyeur à Jupiter. 5 LE DIEU ANUBIS. 18 LE CHIEN. Ces plaisanteries n'cmpèclicrent pas le culle d'Anubis do passer en Grèce d'abord, puis à Rome, où il se maintint longtemps, môme à côté de la religion chrétienne. Plusieurs auteurs, entre autres Plutarque et Lucain, font d'Anubis le symbole de l'horizon qui sépare le monde supé- rieur du monde inférieur. Il découvre le soleil à son lever, l'introduit dans notre hémisphère, le dérobe aux regards en le renvoyant par la porte occidentale dans rhémisphèrc inférieur, puis reprend la lune qu'il suit de même dans son cours. Ces sortes de légendes prêtaient à la religion païenne leur charme et leur poésie. Anubis avait pour emblème le chien, parce que le chien a la faculté de discerner les objets la nuit comme le jour, et parce que cet animal est le compagnon fidèle de l'homme, de môme qu'Anubis était le compagnon lidèle du soleil et de la lune. Ce dieu était figuré ordinairement avec un corps d'homme et une tôte de chien. Une statue en granit noir de la villa Albani est fort remarquable : la tête, qui tient de celle du chai, du lion et du chien, est coiffée d'une espèce de mitre chargée de plis tombant sur les épaules. Derrière cette coiffure à laquelle les égyptologues donnent le nom de dafl se trouve un disque figurant le soleil ou la lune, ou peut-être une sorte de nimbe, d'auréole. Quelquefois Anubis est figuré sous la forme complète du chien; dans ce cas il a le museau pointu et le corps sveltc d'un lévrier, les oreilles dressées, la queue pendante et très fournie. Les chiens personnifiés par Anubis ont de tout temps inspiré une superstitieuse terreur aux habitants de la vallée du Nil. Ceux ci attachent de funestes présages aux aboiements entendus pendant la nuit. Et si dans les livres hébraïques, LE CHIEN DANS L'HISTOIRE. 19 dans le Léviiiqne, le chien ne figure pas sur la triple liste des animaux purs et des animaux impurs, c'est que sans doute les premiers législateurs des douze tribus avaient appris à vénérer et à redouter le chien dans le pays d'Anubis. Un dicton populaire exprime du reste la frayeur inspirée aux hommes par la voix de ces quadrupèdes. Après que le soleil s'est couché, lorsque le crépuscule succède au jour et que nous avons peine à percevoir les objets dans la lueur incertaine, quand vient la brune, beaucoup ne se peuvent défendre d'une impression craintive. C'est l'heure trouble où dans les bois on aurait peine à distinguer un chien d'un loup, cette demi-obscurité charmante, mystérieuse, inquié- tait Mme de Sévigné qui l'a avoué dans une de ses plus charmantes lettres : « Je crains Ventre chien et loup, quand on ne cause point, et je me trouve mieux dans les bois que toute seule dans ma chambre; c'est ce qui s'appelle se mettre dans l'eau de peur de la pluie. » Revenant à la vénération qu'inspirait le chien dans l'an- tiquité, nous devons rappeler qu'elle est attestée dans les livres sacrés de l'Inde et de la Perse. En sanscrit le chien est désigné par plus de cincjuanle noms, ce qui prouve suflisamment l'ancienneté de la variété des espèces. Le nom qui revient le plus souvent est celui de çvan, mot qui, si l'on en croit les étymologistes, a donné naissance à toutes les appellations des idiomes d'Europe. Dans le Zcnd-Avesla, li\rc sacré des Guèbres, monument de la civilisation aryenne, le chien, souvent cité est con- sidéré comme un des trois animaux que la religion mazdéenne ordonne aux fidèles de nourrir : « Lorsque le chien a six mois, dit un passage du livre, il faut qu'une jeune fille le nourrisse; cette fille aura le même mérite que si elle gardait le feu, fils d'Ormuzd. » Dans la vieille Egypte on nourrissait très régulièrement les chiens ; on leur affectait le produit d'une certaine étendue 20 LE CHIEN. de terrain, etDiodore de Sicile a constaté que pendant les famines qui désolaient ce pays les liabitanls, pressés par le besoin, se dévoraient entre eux plutôt que de toucher à un chien. Quand les Égyptiens avaient des plaies ou des blessures, ils se faisaient lécher par les animaux qu'ils tenaient en si grande estime et dont la salive, selon eux, était préférable aux onguents les plus estimés. Lorsqu'un chien mourait dans une maison, les habitants prenaient le deuil ; quiconque en tuait était mis à mort; quiconque les maltrailait était puni sévèrement. Pour les Égyptiens Sirius était le chien céleste, le génie familier. L'apparition de cette constellation précédait de quelques jours le débordement fécond du Nil. Cela explique le culte spécial qu'ils lui vouaient. Les chiens n'ont pas été seulement élevés au rang de di- vinités; il yen eut cpii furent rois. Dans ses Lettres sur le Nord, M. Xavier Marmier, parlant de la Norvège, rappelle qu'il a vu, dans une petite vallée de rOpland, un monument funèbre consacré à un chien, et il rapporte en ces termes l'histoire que les paysans lui ont contée : « Le roi Eystein avait été chassé de son pays par ses sujets : il y revint avec une armée nombreuse, subjugua les rebelles, et, pour les punir de l'offense commise envers lui, les condamna à reconnaître pour souverain légitime un esclave ou un chien. Les pauvres gens préférèrent le chien. On leur donna donc un dogue qui s'appelait Saur, et qui, dès son avènement au trône, prit le titre de Majesté. Le nouveau roi eut une cour, des officiers, des hommes d'ar- mes, une maison et des flatteurs. Un philosophe démontra, par les lois de la métempsy-^ cose, que l'àme d'un grand homme avait passé dans ce corps de dogue; un grammairien fit voir que ce noble LE CHIEN DANS L'HISTOIRE. 21 animal pouvait prononcer distinctement deux mots de la langue norvégienne et en aboyer un troisième. Lorsqu'il sortait pour se montrer au peuple il était tou- jours escorté d'une garde nombreuse, et, lors(iue le temps était mauvais, des valets en livrée le portaient sur leurs bras pour l'empêcher de se mouiller les pattes. Ce chien régna près de trois années. Il rendit plusieurs ordonnances, et scella, du bout de son ongle, des jugements et des édits. Au moment où les Iiabi- tants de la contrée commençaient à s'habituer à ce singulier roi et à reconnaître ses bonnes qualités de chien, il mourut victime de son dévouement et de son héroïsme. Un jour il était assis dans un pâturage auprès d'un de ces troupeaux de moulons qu'il avait gardés jadis et qu'il aimait toujours à revoir; tout à coup un loup furieux sort de la forêt et s'élance sur un agneau. Le roi, louché de commi- sération à la vue de cet attentat, veut courir au secours de l'innocente victime. Des conseillers perfides au lieu de modérer l'ardeur de son courage, l'excitent à braver le danger. Il se lève, il s'avance sur le champ de bataille, et meurt sous la dent impitoyable de son adversaire. On lui fit des obsèques ma- gnihques, et on l'enterra près d'une colline qui porte encore le nom de Colline de la Douleur. » Élicn, écrivain grec, a fait mention de quelques peuples d'Ethiopie qui par rcsi)ect choisissaient un chien pour sou- verain, et Pline a rapporté que les Toembars agissaient de la sorte. Cette peuplade allait consulter son souverain avant de se lancer dans une entreprise : elle interprétait son al- lure, ses gestes et lirait de là des pronostics. Coutume digne de peuples barbares sans doute ; mais combien de nations ont été moins bien inspirées en confiant leurs destinées à un homme ! On connut des chiens sacrés en beaucoup d'endroits, mais 22 LE CHIEN. les plus célèbres sont ceux dont parle Elien. « Au mont Etna, en Sicile, dit-il, il y a un temple de Yulcain qui a des enceintes, des bois sacrés et un feu qui brûle toujours. Il y a aussi des chiens sacrés autour du temple et du bois; ceux-ci, comme s'ils avaient de la raison, llattent de leur queue ceux qui approchent modestement, dévotement du tem})le et du bois. Au contraire, ils mordent et déchirent ceux dont les mains ne sont pas nettes , et chassent les hommes et les femmes qui y viennent pour quelque rendez- vous. » Dans l'île de Ceylan on ne donne aucun titre au roi; mais ses sujets en lui parlant se dépouillent par respect de leur qualité d'homme. Si le prince interroge et demande d'où l'on vient, on lui répond : « Ton chien x'icni de tel endroit. » S'il s'informe du nombre d'enfants que l'on possède, on doit lui dire, parlant de sa femme et de soi : « Ma chienne a donné deux enfants à votre chien. » Les sauvages de l'Amérique du Nord accordent au chien une haute origine. Ils croient ceci : « Le Grand Esprit après avoir créé le ciel, la terre et les animaux, voulut faire mieux en donnant l'être à l'homme et à la femme. Comme il te- nait dans sa puissante main la matière destinée àcclte créa- tion, il la partagea en deux parties égales, et de son souffle il anima la i)remière qui fut l'homme, mais comme il vou- lut que l'homme fût maître de tout, il retrancha un i)eu de ce qui allait devenir femme et il lit le chien qu'il mit à leurs pieds. » Cette parabole qui, au premier abord, peut paraître inju- rieuse pour les femmes, ne doit être considérée, imaginons- nous, que comme un hommage rendu à leur fidélité iné- branlable. Que si des légendes de l'Inde, de la Perse, de l'Egypte et de l'Amérique nous passons aux récits de la mythologie, nous trouvons des faits d'un éoral intérêt. LE CHIEN DANS L'HISTOIRE. 23 De tous les chiens, Cerbère fut celui qui eut le plus de réputation; il avait trois gueules. Tout allait jadis par trois, a observé Voltaire : Isis, Osiris et Orus, les trois premières divinités égyptiaqucs; les trois frères dieux du monde grec, Jupiter, Neptune et Pluton ; les trois parques; les trois furies; les trois juges d'enfer; les trois gueules du chien de là-bas. Cependant, cet incorruptible portier des enfers fut appelé aussi la hôte aux cent têtes à cause des serpents qui héris- saient son poil. Hésiode lui en accordait cinquante ; Horace avait été jusqu'à la centaine, mais d'après les monuments anciens il ne possédait que trois tètes, nombre respectable, et c'est sous cette forme que l'ont décrit presque tous les poètes, entre autres Virgile qui l'a peint de la sorte dans le sixième livre de VÉnéide : Là ce monstre à troix voix, Teffroyable Cerbère Sans cesse veille au fond de son affreux repaire. II les voit, il se lève, et, déjà courroucés, Tous ses affreux serpents sur son cou sont dressés ; La prêtresse, bravant sa gueule menaçante, Lui jette d'un gâteau l'amorce assoupissante. Le monstre, tressaillant d'un avide transport, Ouvre un triple gosier, le dévore et s'endort; Et dans son antre affreux sa masse répandue Le remplit tout entier de sa vaste étendue. Le féroce gardien à quatre pattes et à trois gueules avait, d'après la mythologie, la mission d'empêcher de sortir des enfers, empire de Pluton, les âmes condamnées aux tortures éternelles. Dans la tombe de tous ceux qui mouraient alors, on plaçait une obole et un gâteau : l'obole devait servir à payer le passage sur la barque de Caron; le gâteau, à adou- cir la férocité de Cerbère. Quel était ce gardien elï'royable? Quintus de Smyrne a en 24 LE CHIEN. ces tcrmos raconté sa naissance : « Le géant Typhon ayant trouvé Échidna dans un antre, aux portes de l'enfer, près du séjour de la nuit, lui fit violence : le fruit de ces amours fut Cerbère, qui resta toujours attaché aux sombres bords, à la garde de l'empire plutonien. » Il paraît cependant que Cerbère quitta une fois le monde souterrain dans les circonstances suivantes :' Chargé de punir Hercule qui dans un accès de folie avait tué sa femme, le frère de cette femme, Eurysthée, chargea l'assassin de douze travaux périlleux que celui-ci accomplit grâce à sa force et à sa bravoure. Eurysthée ordonna à Hercule de s'emparer de Cerbère, à la porte des enfers. Hercule, condamné à l'obéissance et confiant en son cou- rage, n'hésita pas à tenter l'aventure. Il descendit jusqu'aux bords du Styx après avoir traversé une caverne située vers le promontoire de Ténare, pénétra dans les enfers et délivra ses deux amis Thésée et Pirithoûs qui, venus pour enlever Proserpine, étaient retenus prisonniers par Pluton. Pour venir à bout de son entreprise, il eut à soutenir une lutte effroyable ; Cerbère opposa une résistance terrible, mais Hercule, après avoir lutté corps à corps, l'attacha avec des chaînes de diamant et l'entraîna. En voyant la lumière du jour, l'horrible quadrupède laissa couler de ses lèvres ensanglantées une écume noire et livide, laquelle, si l'on en croit la fable fit, naître en tombant sur le rocher l'aconit, poison foudroyant, qui, grâce à la science moderne, est devenu un remède précieux. Cerbère traîné par Hercule poussait de si effroyables hur- lements qu'un voyageur qui le rencontra sur le chemin d'Héradée à Trézène, mourut de frayeur. Eurysthée, satisfait de la façon dont Hercule s'était acquitté de sa tache, rendit la liberté à Cerbère qui, joyeux, retourna prendre sa place à la porte des enfers d'où il n'a plus bougé depuis lors. CERtiERE GAUDIEN DES ENFERS. LE CHIEN DANS L'IIISTOIKE. 27 Ce portier intraitable a donné son nom à tous les portiers mallionnêtcs, et Cerbère est devenu une des plus énergi- ques expressions de la langue française, quand il s'agit de qualifier un gardien farouche, un de ces êtres dont le gd- icau de miel parvient seul à adoucir la férocité. Un événement liistori({ue a donné lieu à la légende de Cer- bère ({ui était le chien du roi des Molosses, le ravisseur de Proserpinc. Cette légende est venue d'Egypte où les chiens étaient employés à garder les cadavres dans les hypogées, constructions souterraines où les anciens enterraient leurs morts. C'est à cause de cette coutume que Cerbère fui })lacé au rang des divinités infernales, et il exista dans la Campanie un oracle qui portait son nom. Au moyen âge. Cerbère devint un démon ; lesmonumenls en font foi. Il occupait dans la démonologie un rang des plus distingués ; il était marquis. Dix-neuf légions lui obéis- saient et, chose singulière, sa mission consistait à enseigner à ceux qui l'évoquaient l'éloquence et les beaux-arts. Yoilà un patron à qui les avocats et les artistes n'ont plus cou- tume de s'adresser, mais jadis on avait recours à sa protec- tion et on le consultait de trois heures de l'après-midi i\ la chute du jour. A la fin du dix-septième siècle le concile de Montdidier jugea la sorcière Marie Martin, de Ncuville-le-Roi, qui fut convaincue d'avoir assisté à un chapitre tenu par le démon Cerbère à Yaripon, près de Noyon. L'infortunée fut condam- née à être pendue et étranglée ; elle en appela vainement au parlement de Paris qui rejeta son pourvoi ; on l'exécuta le 25 juillet 1686. Cerbère redouté comme démon en France jusqu'au siècle dernier, c'était la continuation de la légende mythologique des Grecs ; mais ce chien a une parenté évidente avec les chiens indiens de Yama dont l'un se nommait Cerbura ou 28 LE CHIEN. Karbura qui signifie « tacheté ». L'imagination des Grecs s'élait donc emparée d'une tradition de l'épocjuc primitive. Les Indous croyaient à l'existence de deux cliiens infer- naux; ils étendaient leurs morts sur la peau d'une vache ou sur celle d'une chèvre immolée près du bûcher, et dans les mains du défunt ils plaçaient les deux rognons de la victime, morceau friand destiné à apaiser les chiens du dieu de la mort. La preuve en est dans ces vers qui se récitaient aux funérailles : « Échappe par les deux chemins aux deux chiens pâles à quatre yeux, les gardiens du chemin que suivent les hommes. 0 Yama, entoure celui que nous pleurons de ta protection et accorde lui un salut exempt de douleur. » Quand on n'avait pas d'animal à sacrifier, on remplaçait les rognons par des boulettes de riz ; c'est celte coutume qui a fait naître chez les Grecs la croyance au gâteau de miel. Chez les peuples Scandinaves on retrouve la même super- stition : un chien gardien des enfers, nommé Garmr, chien monstrueux à la poitrine tachée de sang, sans cesse aboyant et enchaîné à l'entrée des enfers. Mais, détail touchant, le mort qui pendant sa vie avait donné dii pain aux pauvres, trouvait toujours aux enfers de quoi calmer la férocité du gardien. D'autres peuples, les Scaniens par exemple, croyaient à l'existence d'un chien gardien du funeste séjour, mais ils ac- cordaient à ce chien une influence bienfaisante, le pouvoir de protéger les morts contre les mauvais esprits. Ce chien conducteur des âmes se retrouve encore actuel- lement dans les superstitions populaires de l'Amérique. Les vieux contes de ce pays disent que les âmes des morts se rendent chez le curé de Brastar et que le chien de ce curé les accompagne pouraller s'embarquer et traverser les mers. On entend alors dans les airs le grincement des roues du char de la Mort qui est tout chargé d'âmes. LE CHIEN DANS L'HISTOIRE. 29 Les Romains offraient des cliiens à la déesse Mona-Geneta quand il leur naissait un fils; ils croyaient faire protéger efficacement leurs enfants de la sorte. Partout on constate une semblable vénération. Les Siciliens entretenaient mille chiens dans les temples de leurs dieux. LE CHIEN RECONNUT ULYSSE APRES VINGT ANS D ABSENCE Pline, dans ses écrits, mentionne les noms de plusieurs peuples dont les rois avaient toujours à leurs côtés un chien pour leur inspirer la bonté et la vigilance. Les Athéniens admettaient ces animaux dans leurs palais et les faisaient assister aux repas les plus somptueux, aux cérémonies les plus graves, aux réjouissances publiques. 30 LE CHIEN. Ils les offraient à Hécate et s'imaginaient se purifier en se faisant lécher par eux. Chez les Grecs les récits concernant les chiens sont nom- breux; il en est d'émouvants qui montrent bien la tendresse que portait à ces animaux la nation jadis la plus polie et la mieux civilisée. Lorsque Ulysse revint à Ithaque après vingt ans d'absence, personne ne le reconnut sous ses haillons de mendiant. Le héros attristé se promenait pensif avec Eumée, le gardeur de troupeaux, lorsqu'un vieux chien s'approcha de lui, agita la queue et les oreilles en signe de joie et lécha la main de son maître. C'était le chien d'Ulysse qu'Homère a innnortalisé dans le dix-septième chant de VOdyssée. Ulysse touché de cette longue fidélité versa des larmes et Eumée lui dit : « C'est le chien d'un héros mort dans des terres lointaines. Ah! que n'cst-il encore pour le courage et la bonté ce qu'il était autrefois, quand Ulysse partit pour les champs troyens! Maintenant il languit sur le fumier; depuis qu'Ulysse a péri loin de sa patrie, les femmes de ce palais, négligentes et paresseuses, n'en ont plus aucun soin. 3> Argus mourut après avoir léché la main de son maître. Sans transition passons à un autre sujet. En politique, chez les Grecs, les chiens ont également leur histoire. Nous ne garantissons point qu'elle soit authentique, mais elle a été contée d'adorable manière par Alexandre Dumas. Laissons la parole à l'aimable conteur : « n n'est personne qui n'ait remarqué la façon dont les chiens s'abordent et personne qui n'ait cherché à se rendre compte de cette manière de se donner « une poignée de main ». Quelques naturalistes pensent avoir résolu la question, mais je préfère aux explications des modernes la légende des anciens. Pline prétend que les chiens de la Laconie, voyant la chute LE CHIEN DANS L'HISTOIRE/ 31 d'IIippiasct le triomphe des lois de Clisthènes, c'cst-à-dirc l'ère de la démocratie s'établir en Grèce, voulurent, eux aussi, s'établir en république. Mais pour que leur républi- que ne fût point sujette aux bouleversements dont leurs ancêtres avaient été témoins dans les différents essais qui en avaient été faits jusqu'alors, ils résolurent de s'assurer de l'appui de Jupiter, en demandant sa permission et en quelque sorte son protectorat. En conséquence ils tracèrent sur parchemin une supplique au maître du tonnerre et chargèrent un lévrier de lui porter leur pétition sur le mont Olympe. Pour faire honneurau messager qui s'en allait la supplique entre les dents, une cinquantaine de chiens choisis parmi les plus considérables résolurent de l'accompagner jusqu'à l'Eurotas... Mais en arrivant sur les rives on vit, grâce à un terrible orage qui avait éclaté la veille, le fleuve, qu'on peut passer à pied sec d'ordinaire, roulant ses eaux à pleins bords. Le messager n'était pas embarrassé pour traverser le fleuve, il nageait comme une loutre ; mais il songeait que dans la traversée un malheur pouvait arriver à la suppli- que. Où la mettre pour que l'eau n'en effaçât point les caractères ? Un des chiens de l'escorte, et qui à cause de sa finesse et de ses ruses passait pour le fils d'un renard, s'écria comme Archimède : — Eurêka ! c'est-à-dire, j'ai trouvé ! Il prit alors la supplique aux dents du lévrier, la roula comme une cigarette et la fourra... où M. Yidocq nous a appris que les forçats fourraient leurs limes faites avec des ressorts de montres. Le lévrier, rassuré sur le sort du message, sauta brave- ment à l'eau, traversa l'Eurotas sans accident, et, arrivé sur l'autre bord, fit de la patte un signe d'adieu à ses compa- 32 LE CHIEN. gnons. Puis, s'élançant à toutes jambes dans la direction du mont Olympe, il disparut. Jamais depuis on n'a revu le messager. Absence prolongée et incjuiétantc qui explique la façon dont les chiens s'abordent depuis ce temps-là. Ilsespèrent dans chaque chien inconnu qu'ils aperçoivent retrouver le messager qui leur rapporte la réponse de Ju- piter. Maintenant quelques auteurs qui se sont préoccupés de ce que pouvait être devenu le malheureux ambassadeur, prétendent qu'il obtint l'autorisation de Jupiter, mais qu'un grand brouillard l'ayant surpris en descendant de l'Olympe, il s'égara, marcha toujours devant lui, traversa l'Océan sur les glaces polaires, arriva en Amérique et fut le Washington de ces chiens des Prairies, qui, chacun le sait, vivent en république au milieu des déserts du nouveau monde, depuis deux mille ans. » Cette légende charmante a été rajeunie et de la religion païenne est passée dans la religion chrétienne. Voici la ver- sion moderne : Les chiens se rassemblèrent <\ la fin de la guerre de Trente ans dans un champ d'Allemagne et se ra- contèrent toutes leurs misères. Durant le meeting, les ora- t3urs exposèrent que les hommes, leurs obligés, ne leur don- naient que des os à ronger, les accablaient de coups; après un vote par assis et levé l'assemblée décida qu'elle enver- rait un député à Rome pour se plaindre au pape. Le pape accueillit le député avec bienveillance, l'écouta avec bonté et, faisant droit à sa juste requête, lui remit une bulle dans laquelle étaient fixés les devoirs des hommes envers les chiens. Le messager revint joyeux, tenant sa bulle à la gueule. Arrivé près des bords du Rhin, comme il ne se trouvait pas de pont à courte distance, le chien se jeta à l'eau, mais l'eau en cet endroit était si pure, si limpide, qu'il y vit son image LE CHIEN DANS L'HISTOIRE. 33 et, joyeux, voulut aboyer; la bulle s'en fut avec le courant; il voulut la rattraper et se noya. Jamais on ne revit ni lui ni la bulle. Désespérés, les cbiens envoyèrent au pape un second messager qui, aussi bien accueilli que le premier, reçut une nouvelle bulle et parvint à la rapporter au congrès, en se servant du procédé employé par le cliien grec. Grande fut la joie de ses frères qui aussilôt se demandè- rent dans quel lieu ils pourraient mettre en sûreté le pré- cieux parchemin. Un chat, admis parmi eux, proposa de l'aller cacher au haut d'une tour voisine; on accepta la pro- position; mais quelque temps après, comme les procédés des hommes ne changeaient point, on voulut ravoir la bulle et s'en servir. Hélas! le chat en arrivant au lieu où il avait honnêtement caché le dépôt n'en vit plus que des débris: les rats avaient mangé la bulle. C'est de là que vient, ajoute la légende, la haine des chiens contre les chats et celle des chats contre les rats. On ne saurait passer sous silence le chien de saint Roch que Rubcns a fait figurer sur une de ses plus belles toiles. La légende rapporte que le fidèle compagnon de ce héros de la charité apportait tous les jours à son maître, dans le désert, un pain remis par une main inconnue. Victor Hugo, qui adore les chiens et qui sait ses légendes, s'est comparé au saint et l'a rappelé en désignant les promenades qu'il fai- sait jadis à Chelles en compagnie de son caniche : Quand j'arrive avec mon caniche, Chelles, bourg dévot et coquet, Croit voir passer, fuyant leur niche, Saint Roch et son chien saint Roquet. Les grands poètes peuvent seuls se permettre de sembla- bles à peu près. 5 34 LE CHIEN. La religion chrétienne a fait jouer au chien un rôle assez effacé ; cependant il s'est tenu un concile dans lequel a été discutée très sérieusement la question de savoir si les ani- maux avaient une àme : si les bons chiens, respectueux de la propriété, iraient en paradis, et si les mauvais, ceux qui se permettent de voler des tranches de gigot, grilleraient éter- nellement en enfer. La négation de l'àme a été votée; il suffit pour l'honneur de l'espèce que la question se soit posée. On n'admit pas non plus le péché originel, quoique, disait ironiquementMalebranche, les chiens aient peut-être mangé de l'os défendu. De tout temps le chien a été considéré comme meilleur que l'homme. L'évangéliste Luc dit : « Et un homme nommé Lazare mendiait couché à sa porte et cou- vert d'ulcères; souhaitant se rassasier des miettes qui tom- baient de la table du riche, et personne ne lui donnait; mais les chiens venaient et léchaient ses ulcères. » Ainsi la tradition représente le chien comme ayant tou- jours été si bon qu'il vient au secours des hommes aban- donnés de leurs semblables. Cette constatation devrait suffire à faire chérir ces animaux qui nous sont dévoués jusqu'à la mortel que ne met en fuite ni la maladie ni la pauvreté. Il est étonnant que le chien ait été déclaré immonde dans la loi juive, comme l'ixion, le griffon, le lièvre, le pou, ranguille; il faut qu'il y ait quelque raison physique ou morale que nous n'ayons pu encore découvrir, a remarqué l'auteur du Dictionnaire philosophique. Mais on sait pourquoi le chien a perdu l'estime des Égyptiens, qui d'abord l'avaient élevé au rang de dieu. Plutarque nous apprend qu'après que Cambyse eut tué leur bœuf Apis et l'eut fait mettre à la broche, aucun animal n'osa manger les restes des con- vives, tant était profond le respect pour Apis; mais le chien ne fut pas si scrupuleux, il avala du dieu. Les Égyptiens LE CHIEN DANS L'HISTOIRE. 35 se montrèrent scandalisés, comme on le peut croire, et Anubis perdit beaucoup de son crédit. Auparavant ils professaient pour le chien un respect idolâtre et nous avons dit qu'ils pleuraient chaque fois qu'ils en perdaient un et lui rendaient de sincères honneurs. Ainsi disparaissent peu à peu les divinités, mais si la véné- ration pour le chien a diminué, l'affoclion qu'on lui porle a grandi. Pourquoi donc J-e mot de chien est-il devenu une injure? s'est encore demandé Voltaire. On dit par tendresse mon moineau, ma colanibe, ma poule; on dit même mon chat, quoique cet anin>al soit traître. Et quand on est ftlché on appelle les gens chiens! Les Turcs même, sans être en colère, disent par une horreur mêlée au mépris, les chiens de chré- tiens. La populace anglaise, en voyant passer un homme qui par son maintien, son habit, a l'air d'être né vers les | bords de la Seine ou de la Loire, l'appelle parfois encore French dog, chien de Français. Nous savons que le délicat Homère en présentant le divin Achille, lui fait dire au divin Agamemnon qu'il est impudent comme un chien. Mais cela ne justifie pas la popu- lace anglaise. Le chien sans doute n'est point parfait; il a des mœurs légères, et c'est pour cela que les Cyniques qui étaient des philosophes non sans valeur lui ont emprunté son nom sans parvenir à le déshonorer toutefois, et l'épithète de chien se peut relever comme jadis celle de gueux. Les héraldistes, qui sont, nul n'en doute, des gens d'une imagination fertile, ont inventé, pour les besoins de cer- taines g-énéalogies, l'ordre du Chien et du Coq. D'après eux, l'exemple de Glovis recevant le baptême à Reims fut imité par la plupart des seigneurs de sa cour. Lisoyo de Mont- morency, étant du nombre des convertis, aurait créé à cette occasion l'ordre du Chien, svmbole de la fidélité, puis plus 36 LE CHIEN. tard celui du Coq, destiné à récompenser et à faire recon- naître les gentilshommes qui l'avaient accompagné aux états généraux d'Orléans. Clovis aurait approuvé ces deux ordres qui bientôt n'en formèrent plus qu'un, lequel eut une courte durée. La décoration consistait, paraît-il, en un chien en or surchargeant un coq en or; ils étaient atta- chés par une chaîne en or à une barre transversale que deux têtes de cerf tenaient dans leur bouche, le tout en or. C'est une décoration sur Tauthenticité de laquelle nous ne saurions insister; nous n'avons point la preuve de son existence; mais le chien a été à ce point considéré comme un animal noble que les héraldistes en ont fait le symbole de l'intelligence et de l'affection. 11 est devenu un meuble (Tar- moii^ies fréquemment employé, et un grand nombre de familles nobles ont un ou plusieurs chiens sur leurs écus; ce sont généralement des lévriers, des braques, des bar- bets et des chiens courants. En astronomie le chien a également sa place. Les jours caniculaires (jours du chien), ou la canicule, c'est l'époque où le soleil se lève avec la constellation de ce nom. Cette époque correspondait autrefois avec les plus grandes chaleurs de l'été (22 juillet au 2î août), pour l'hé- misphère boréal. Le chien a conservé l'honneur d'être toujours dans le ciel sous le nom du grand et du petit chien. Adoré en Egypte et à Rome sous le nom d'Anubis; au Japon sous le nom d'Amida; honoré comme roi en Ethiopie et en Norvège; astre brillant dans le ciel, tantôt propice et tantôt malfaisant; portier des enfers, immolé comme vic- time; servant aux sortilèges du moyen âge, aux charlatans et aux imposteurs, aux médecins et à leurs cruelles expé- riences, gardien des temples, des citadelles et des trou- LE CHIEN DANS L'HISTOIRE. 37 peaux, soldat et ouvrier ; tour à tour symbole des vertus et des vices; porté en triomphe chez les uns, pendu et mangé chez les autres. Aujourd'hui sur le trône et demain dans la boue, le chien, notre compagnon et notre défenseur, a toujours été notre meilleur ami. ■i *ï/h' '^^^LaJ^çufceMi^ CHAPITRE II HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN Entre l'homme et les animaux il existe une grande dis- lance intellectuelle ; mais dans l'échelle des gradations nom- breuses, délicates, qui unissent les êtres, le chien occupe le degré le plus élevé; il vit sans cesse avec nous, assis à notre foyer, partageant nos repas, accoutumé à nos habi- tudes, et, au contact de notre intelligence, son instinct se développe et se transforme. 11 s'établit entre les deux com- pagnons, l'un à deux pieds, l'autre à quatre pattes, une entente parfaite, on peut aller jusqu'à dire une sorte d'égalité. Le premier commande et le second comprend, exécute sans hésitation l'ordre qui lui est donné. Ils ont des intérêts communs et il se fait entre eux un pacte d'amitié. En échange de la nourriture, de l'asile et de quel- ques caresses, le chien se montre docile, affectueux, fidèle; il ne se contente pas de suivre son maître partout, de défendre sa propriété, il expose, il sacrifie sa vie pour le HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN. 39 défendre. En vain on cherche à le séduire, à le corrompre, à le détourner de son devoir, il ne connaît, il n'ohéit qu'à l'homme auquel son destin l'a attaché. Remarque facile à faire , il est mêlé à notre existence d'une manière si intime que les types différents de l'espèce rappellent les types variés de l'espèce humaine. Nous reviendrons en détail sur ce sujet. 11 nous faut d'abord étudier le chien au point de vue de l'histoire natu- relle, c'est-à-dire définir ses organes, ses fonctions; en un mot parler de physiologie. Le champ réservé aux anecdotes est très vaste et nous l'explorerons aussi complètement que possible, mais il est indispensable de nous occuper, après avoir traité la ques- tion mythologique, de la biologie de nos héros. Quelle est donc l'histoire de leur race? appartiennent-ils à une ou plusieurs espèces? Dans le langage scientifique le mot chien (en latin canis) a une signification beaucoup plus étendue que dans le lan- gage vulgaire. Le chien, d'après l'illustre Cuvier, appartient à la divi- sion des vertébrés, classe des mammifères, ordre des car- nassiers, famille des carnivores, tribu des digitigrades. Dans le genre chien, il faut ranger le loup {canis lupus), \e renard (canis vulpes), le chacal [canis aureus) et l'hyène {canis hysena). Le genre chien se divise en deux espèces : l'espèce sau- vage et l'espèce domestique. Cette dernière se subdivise en quarante- deux variétés domestiques proprement dites, en neuf variétés demi-sauvages, et en un nombre considérable de sous-variétés. Avant d'énumérer ces types si différents, décrivons les caractères principaux des chiens domestiques. Le chien domestique ne présente aucun caractère impor- tant qui puisse faire établir entre lui et le loup une difîé- kO LE CFIIEN. rence spécifique; celui-ci porte la queue recourbée, l'autre la porte basse, c'est la seule distinction que constatent la plupart des auteurs; les autres différences n'offrent rien de sérieux et Bufîon peut-être a eu raison de croire que le chien de berger est le vrai chien de la nature, celui qu'on doit regarder comme la souche et le modèle de l'espèce entière ; mais cela ne prouve pas que le chien de berger ne descend pas du loup. LOUPS DE FRANCE. Mettant en parallèle le loup, auquel il reproche sa férocité, et le chien dont il vante la générosité, Buffon s'est écrié : « Le chien se contente de la victoire, il ne dévore pas sa proie : il ne trouve pas que le corps d'un ennemi mort sent bon ! » Non seulement cette affirmation n'est pas concluante, mais encore elle est inexacte. Tous les chasseurs savent que beau- coup de chiens courants emportent à travers bois les lièvres HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN. kl blessés qu'ils parviennent à atteindre et les dévorent à belles dents. Et cependant le chien courant est bien nourri chez son maître, tandis que le loup contraint de vivre dans les forêts loin de toute habitation humaine est réduit, sous peine de mourir de faim, à se nourrir des animaux qu'il peut saisir. Le proscrit affamé ne peut qu'être féroce et rusé. LE CHIEN PRIMITIF. tandis que l'animal repu et protégé se doit aisément mon- trer doux et magnanime. Les raisons de Buffon ne sont donc que des raisons de sentiment qui ne prouvent rien contre l'hypothèse de la parenté de ces bêtes. On cite au reste un fait concluant contre son opinion. Les Espagnols introduisirent dans le nouveau monde un grand nombre de chiens domestiques qui furent bientôt abandonnés à eux-mêmes, et ces chiens d'Europe, après plu- G 42 LE CHIEN. sieurs générations, sont devenus complètement sauvages dans les vastes solitudes de l'Amérique. « Ils vivent, a raconté de Humboldt, en société, dans des antres souterrains et attaquent souvent, avec une rage sanguinaire, l'homme, pour la défense duquel combattaient leurs ancêtres. » Les chiens sauvages se conduisent donc absolument comme des loups, ce qui permet de croire qu'ils descendent, selon les espèces, et des loups et des chacals. Les savants toutefois ne sont pas d'accord sur ce point et l'origine du chien domestique a donné lieu à de longues discussions parmi eux. Malgré l'opinion généralement ad- mise qui considère l'espèce domestique comme une espèce distincte, nous croyons pour notre part qu'elle provient de quelques types primitifs et des croisements. Nous pensons en outre que nos chiens ont pu avoir pour ancêtres les loups et les chacals. Que Buffon ait eu tort ou raison sur ce point, à lui revient l'honneur d'avoir bien dépeint les diverses races de chiens en Europe, d'être parvenu à les grouper d'après leur éloi- gnement d'une souche commune et d'après la considération de la forme des oreilles. G. Guvier alla plus loin encore; il tint compte pour sa classification de l'intelligence traduite par la largeur du crâne; principalement dans la manière dont sont disposés les pariétaux. Mais ce sont là des questions incidentes. La question d'origine prime toutes les autres. Sur ce point nous n'hésitons pas à admettre les lois de la sélection na- turelle, c'est-à-dire la prédominance que la nature accorde aux espèces, aux variétés d'animaux et de plantes, grâce à une adaptation plus grande des caractères de ces animaux ou de ces plantes aux caractères des milieux dans lesquels ils se développent. Il faut envisager la sélection au point de vue de la nutrition, de la conservation et de la reproduc- tion. En termes vulgaires, le développement, le caractère et HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN. 43 la reproduction des êtres dépendent du climat, de l'alimen- tation et de l'éducation, et nécessairement la nature fait dis- paraître les espèces et les variétés qui ne peuvent lutter contre les milieux. L'homme, quand il surveille la reproduction et l'élevage des animaux, fait de la sélection; la nature fait cette sélec- tion simplement, en obéissant à des lois immuables. Celte doctrine a été vulgarisée par Darwin qui a savamment ré- sumé toutes les opinions relatives à l'origine des chiens. C'est à l'ouvrage intitulé de la Variation des animaux et des plantes à l'état domestique, que nous empruntons les faits suivants relatifs à l'origine des chiens. Il est permis d'admettre que tous les membres d'une même classe au moins descendent d'un même ancêtre, mais c'est là une opinion très combattue, et pour ce qui regarde les chiens il est peu probable que l'on parvienne jamais h déterminer avec certitude leur origine, parce que l'igno- rance du passé ne permet que des conjectures. Les nombreuses variétés du chien domestique descen- dent-elles donc d'une seule espèce ou de plusieurs ? Nous l'ignorons et nous ne pouvons qu'exposer les faits favorables à l'une et à l'autre hypothèse. Le lévrier, le chien de chasse et le basset aux formes si accentuées et si caractéristiques sont très exactement repro- duits sur des bas-reliefs et des peintures qui datent de quatre mille ans. Le matin proprement dit [canis laniarius) avait déjà des statues à Babylone et à Ninive plus de six cents ans avant Jésus-Christ. Les croisements ont fait surgir des races nouvelles et des nuances infinies, mais les types sont restés intacts. Les différences qui existent entre les diverses races sem- blent prouver d'abord qu'il y a eu plusieurs espèces sau- vages. Dès les temps historiques les plus reculés on a connu tik LE CHIEN. des chiens très dissemblables. Les Romains distinguaient des chiens courants, des chiens de garde, des bichons, des lévriers, des dogues ; et l'on retrouve de l'an 3400 à l'an 2100 avant Jésus-Christ, sur les monuments égyptiens, la plupart de ces variétés, quoique leur forme en général se rapproche de celle du lévrier. Le chien représenté par les plus anciens monuments égyptiens est des plus singuliers : il ressemble à un lévrier, mais il a les oreilles longues et pointues et la queue courte et recourbée. Cette variété existe encore. M. Yernon Har- court affirme que le chien avec lequel les Arabes chassent le sanglier est un animal hiéroglyphique et bizarre, sem- blable à celui avec lequel Chéops chassait autrefois et res- semblant un peu au chien courant écossais; il a la queue fortement enroulée autour du dos et les oreilles détachées à angle droit. Donc, il y a quatre ou cinq mille ans différentes races de chiens ; d'autre part, certitude basée sur les ossements re- trouvés que le chien était réduit à l'état domestique en Eu- rope bien longtemps avant l'époque historique, c'est-à-dire depuis une époque incomparablement plus reculée que six ou sept mille ans. Telles sont les deux affirmations scienti- fiques que l'on peut faire. Conclure de là que nos variétés descendent d'une seule forme éteinte et inconnue, c'est hasarder seulement une hypothèse; quant à la domesticité, à l'éducation du chien qui est de nature sociable, elles se sont faites aisément. Lorsque, aux époques les plus reculées, l'homme pénétra dans des contrées inhabitées, les animaux n'éprouvèrent à sa vue au- cune crainte instinctive ou héréditaire ; Darwin, dont nous résumons les travaux, nous le répétons, cite l'exemple de gros chiens loups des îles Falkland qui vinrent sans témoi- gner aucune crainte à la rencontre des matelots de Byron. L'homme fit du chien, aussitôt qu'il le connut, son plus HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN. 45 utile auxiliaire, et les sauvages l'ont toujours estimé à une haute valeur. Nous n'insistons pas sur les différentes espèces primitives; il nous faudrait consacrer tout un volume à cette étude. Elles tenaient du loup, du chacal ; on les a obtenues par des croisements avec ces animaux, et depuis le dingo jus- qu'au canis lalrans tous les chiens, toutes les espèces ont subi des modifications qui les rendent souvent méconnais- sables; les lévriers, les épagnculs, les limiers, sont le pro- duit d'une longue civilisation. Les races canines diffèrent les unes des autres sur des caractères sans nombre et le climat exerce sur elles une in- fluence directe, c'est tout ce qu'il est nécessaire de constater. Peu à peu, par suite de la sélection et des nécessités d'existence de la lutte pour la vie, la physionomie, la struc- ture des chiens s'est modifiée, et des monstruosités même sont apparues; ainsi la forme du corps et des pattes chez les bassets de l'Europe et de l'Inde, la forme de la tête et de la mâchoire inférieure du bouledogue et du carlin; les pattes à demi palmées des chiens qui ont coutume d'aller dans l'eau. Tous ces faits, toutes ces transformations ne prouvent pas que le chien descende d'un seul ancêtre. Voltaire s'est prononcé en faveur des espèces absolument différentes. Comment imaginer, a-t-il écrit, qu'un lévrier vienne originairement d'un barbet? il n'en a ni le poil, ni les jambes, ni le corsage, ni la tête, ni les oreilles, ni la voix, ni l'odorat, ni l'instinct. Un homme qui n'aurait vu, en fait de chiens, que des barbets ou des épagneuls, et qui verrait un lévrier pour la première fois, le prendrait plutôt pour un petit cheval nain que pour un animal de la race épagneule. Il est bien vraisemblable que chaque race fut toujours ce qu'elle est, sauf le mélange de quelques-unes en petit nombre. tiÇ, LE CHIEN. L'hypothèse du philosophe n'est pas exacte. Les zoolo- gistes qui ont étudié l'ostéologie des chiens ne nous ont laissé h cet égard aucun doute. Les espèces ne sont pas différentes, mais elles offrent des variétés qui établissent la distinction des genres. Les zoologistes modernes, depuis Linné à qui revient la création du genre diien, reconnaissent une division, une tribu particulière sous les dénominations diverses de ca- niens, canidés ou vulpiens. Nous résumons au point de vue de l'histoire naturelle les caractères essentiels qui distinguent cette espèce. Les chiens ont des molaires alternes à couronne tranchante ; leur sys- tème dentaire se compose de quarante à quarante-deux dents : six incisives en haut et six en bas ; deux canines à chaque mâchoire; douze molaires supérieures et douze ou quatorze molaires inférieures. Les membres des canicns sont digitigrades; leurs pieds n'ont que quatre doigts s'appuyant sur le sol. Le pouce existe souvent, principalement aux pieds de devant, mais il est toujours rudimentaire et se trouve placé plus haut que les autres doigts. Les ongles ne sont ni rétractiles ni tran- chants. La tête est allongée, les oreilles grandes et bifides vers leur base postérieure, le mufle nu, la langue douce et le pelage assez rude. Entre autres particularités remarqua- bles, l'anatomie signale chez les caniens un amoindrisse- ment considérable de la clavicule, un estomac relativement peu volumineux et un grand développement de l'os pénien. Les doigts posent seuls à terre dans la marche. La plante des pieds est munie de tubercules; celui qui se trouve à la base des doigts a trois lobes, celui qui garnit l'extrémité de chaque doigt est elliptique. La langue est lisse; la papille en forme de disque, chez les chiens proprement dits, est allongée chez les renards. Tous les chiens boivent en lapant ; mais, fait que l'on a HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN. lil observé peu souvent, ils recourbent leur langue en dessous et lancent de la sorte le liquide dans la gueule. Les femelles éprouvent le besoin du rut deux fois chaque année : généralement en février et à la fin d'août; elles portent de soixante à soixante-cinq jours, neuf semaines, et produisent depuis deux jusqu'à dix ou douze petits; les mamelles sont pectorales et ventrales. Les chiens sont des animaux diurnes ; tandis que les re- COMMENT LE CHIEN LAPE. nards, traqués sans cesse, passent la plupart des journées au fond de leurs terriers et ont besoin de leurs yeux pour chasser pendant la nuit, los chiens, comme nous, distinguent mieux les objets quand il fait jour. A l'état sauvage le chien se nourrit de chair, ce qui l'a fait classer parmi les carnivores, mais son état de domesticité lui ayant fait modifier son alimentation il est devenu, ainsi que nous, omnivore, c'est-à-dire qu'il mange de tout et qu'il s'accommode parfaitement de pain sec. 11 aime générale- y LE CHIEN. ment le sucre, le lait ; il mange de l'herbe, des fruits, des légumes cuits, des végétaux farineux. Son existence est de courte durée. On a calculé que l'exis- tence d'un animal est égale à sept fois le temps qu'il met à opérer sa croissance ; le chien mettant environ deux ans à parvenir au perfectionnement de ses formes, vit de douze à quatorze ans, rarement plus. A l'état sauvage le chien hurle, mais le chien domestique aboie. L'aboiement n'est à proprement parler que la voix du chien civilisé; cela est si vrai que le chacal et le loup sous l'influence de la domestication ont appris à imiter l'a- boiement du chien. Comment, s'est encore demandé Darwin, comment s'est produit l'aboiement du chien qui exprime tout à la fois des émotions et des désirs différenis et qui est si remar- quable en ce qu'il n'a été acquis que depuis que cet animal vit à l'état domestique, et non moins remarquable par sa transmission héréditaire à des degrés inégaux dans les différentes races ? Nous l'ignorons ; mais ne nous est-il pas permis de supposer que l'imitation entre pour quelque chose dansl'acquisition de cettefacuUé, et la longue et étroite fami- liarité du chien avec un animal aussi loquace que l'homme ne nous en rend-elle pas compte? Ils ont pris l'habitude d'émettre certains sons qui ne leur étaient pas naturels. L'aboiement de la colère et celui de la oie diffèrent assez pour qu'on les puisse distinguer l'un de l'autre; lorsqu'un chien a perdu son maître ou qu'il s'est égaré, il hurle d'une manière expressive et la superstition populaire attache à ce hurlement la signiflcation d'un lugu- bre pronostic; on dit vulgairement que les chiens hurlent à la mort. Lorsqu'ils sont impatients, ils poussent souvent par les na- rines une sorte de sifflement aigu qui nous frappe comme une plainte. HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN. 49 Quelques-uns expriment une disposition d'esprit agréable, gaie, en môme temps qu'affectueuse, par une sorte de ri- ctus. Somerville a fait celte remarque il y a longtemps dans son livre de la Chasse : « Avec un rire flatteur le chien caressant te salue... » Le fameux lévrier écossais de Walter Scott, Maïda, avait cette habitude qui est du reste commune chez les terriers. Darwin l'a constatée chez un roquet et chez un chien de berger, et M. Rivière ajustement observé qu'elle se manifeste rarement d'une manière complète, mais très communément au contraire à un faible degré. La lèvre supérieure se ré- tracte alors comme pour le grognement, de sorte que les canines se découvrent en môme temps que les oreilles se portent en arrière, mais l'aspect général de l'animal indique clairement qu'il n'est pas irrité. « Le chien, a écrit sir C. Bccl, renverse légèrement les lèvres pour exprimer la tendresse; il grimace et renifle en gambadant d'une manière qui ressemble au rire. » L'aboie- ment et la grimace se succèdent alors fréquemment. La tendance à aboyer dans cet état d'esprit a été acquise par hé- rédité ; elle est entrée dans le sang. On sait que les lévriers aboient rarement, tandis que les roquets aboient d'une fa- çon fréquente et souvent fatigante. Leur voix a des intonations différentes pour exprimer la douleur, l'attention, la terreur. Dans tarage elle change complètement, le timbre n'est plus le même; aussi les vété- rinaires expérimentés reconnaissent parfaitement cette ma- ladie incurable, sans voir l'animal, en l'entendant seule- ment aboyer. Dans les pays chauds, le Congo, ou la Guinée par exemple, a remarqué M. Benion dans son Élude sw les races canines, il se passe chez les chiens amenés des contrées tempérées un phénomène assez extraordinaire : au bout de quelque temps ils deviennent demi-sauvages et perdent complète- 50 LE CHIEN. mcnl la voix, sans qu'on puisse bien en expliquer la raison. Les chiens domestiques cVEuropc abandonnés dans des en- droits déserts du nouveau monde présentent le même phé- nomène. Ils perdent non la faculté, mais l'habitude d'a- boyer. Cela vient de ce qu'étant forcés de subvenir à leur existence par la chasse, de surprendre une proie toujours aux aguets, ils ont besoin de garder le silence. Pour se dé- rober aux animaux plus forts qu'eux qui les poursuivent, ils marchent prudemment et se taisent. Le fait contraire se produit chez les loups qu'on tient enfermés avec des chiens dans les ménageries ; on en a vu qui, au bout d'un certain temps, aboyaient et portaient la queue en trompette. En résumé le développement de la voix du chien résulte de son éducation. Nous avons vu un roquet qui, par ses in- tonations différentes, de la porte de la maison, faisait com- prendre à son maître quel genre de visiteur se présentait. M. Bénédict Révoil a rapporté des faits plus curieux en- core. Nous citons d'après lui l'anecdote suivante : Un soldat allemand du régiment de Wartensleben avait un chien d'une race très commune qui grognait quand on le touchait. Son maître, profltant de cette habitude, lui tenait d'une main la mâchoire d'en haut, et de l'autre celle d'en bas; il les remuait de différentes manières, faisant faire à la gueule diverses contorsions de façon à produire des paroles plus ou moins distinctes. Au bout de six ans d'efforts répé- tés, d'une éducation continuelle, le soldat fit prononcer pa- raît-il, au chien une soixantaine de mots, entre autres très distinctement celui (ÏÉHsabeth, mais jamais il ne put obtenir plus de quatre syllabes. Leibniz * a vu près de Zeik, dans la Misnie, un chien qui parlait naturellement, c'est-à-dire sans qu'on employât au- cun procédé pour le faire prononcer. C'était un chien de h Ilisloivcde l'Académie des sciences, 1715. HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN. 51 paysan, de race commune et de petite taille. Un enfant lui avait entendu pousser quelques sons qui selon lui ressem- blaient à des mois allemands. Il n'épargna ni son temps, ni ses peines, pour développer cette disposition particulière, et au bout de trois ans parvint h lui faire prononcer une centaine de mots. Nous citons ces faits à titre de curiosité, de semblables LE CHIEN JAPPE LORSQU IL JOUE. exceptions ne prouvant rien au point de vue scientifique; et il faut s'en tenir sur cette question de la voix des chiens à la définition de d'Orbigny : « L'aboi est moins le cri naturel du chien qu'une sorte de langage acquis. » A l'aide de sa voix, nous venons de le prouver, le chien exprime ses sensations. On dit des chiens qu'ils hurlent, qu'ils aboient, qu'ils jappent, qu'ils grognent; ces termes désignent leurs différentes manières de s'exprimer. 52 LE CHIEN. Le chien comprend-il le langage de l'homme? Oui certes, ou du moins il comprend le sens des mots qui lui sont sou- vent répétés. Cela est vrai pour toute l'espèce domestique ; mais, plus on s'occupe des animaux, plus considérahle de- vient le nombre des mots représentant pour eux des idées. Les chiens d'appartement qui, dans les grandes villes, vivent en communauté parfaite avec leurs maîtres parviennent sous ce rapport à une certaine perfection d'éducation ; nous les voyons sans cesse, même lorsqu'on prend soin de pro- noncer avec des intonations semblables les mots sucre et promenade, par exemple, exprimer de la manière la plus évidente qu'ils saisissent la signification de ces syllabes. De même ils retiennent les noms de certaines personnes et manifestent en entendant prononcer ces noms leur joie ou leur colère; chacun sait qu'on parvient aisément à les faire sauter pour les amis et aboyer contre les ennemis qu'on leur a désignés à l'aide de la voix. C'est affaire d'éducation, et le fait prouve la mémoire du chien. Sur ce chapitre Gall a déclaré que souvent il parlait à son chien d'objets qui le pouvaient intéresser en ayant bien soin de ne pas prononcer son nom, de s'abstenir de toute into- nation ou inflexion de voix, de tout geste qui pût éveiller son attention, et qu'il lui était facile de voir par l'attitude de l'animal qu'il comprenait ce dont il était question. Lord Brougham a constaté, et bien d'autres avec lui, que les chiens de chasse se rendent parfaitement compte de l'en- droit choisi pour la chasse lorsqu'on le désigne à haute voix devant eux. On trouvera dans la partie anecdotique de ce livre d'autres faits concluants ; nous n'en citerons qu'un dans ce chapitre afin de montrer le développement de l'intelli- gence du chien ; ce fait est emprunté au livre de M. Re- voit. M. Blaze s'étanl un jour égaré à la chasse, un paysan lui HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN. 53 offrit de le faire conduire par son chien jusqu'à une maison éloignée où il était attendu. « Conduis monsieur à tel endroit, dit le paysan à l'ani- mal. Tu n'entreras pas dans la maison, entends-tu? et tu re- viendras tout de suite... Voyez-vous, monsieur, ajouta-t-il, je lui dis de ne pas entrer, parce qu'il y a là d'autres chiens et qu'il se battrait. » Le guide quadrupède se conforma littéralement à l'ordre de son maître; il conduisit M. Blaze, n'entra point etrevint au galop. Le chien possède en outre la notion du temps. Il cal- cule les jours, les mois même ; il n'est pas un chasseur qui n'ait remarqué qu'à l'époque de l'ouverture de la chasse, ses chiens, résignés dans leurs niches durant de longs mois, manifestent soudain une joie et une impatience extraordi- naires. Leur cerveau subit des impressions semblables aux nôtres. Au reste les analogies des visages humains avec le chien sont fréquentes, ce qui tient surtout à cette particularité que très peu d'animaux ont au-dessus des yeux autant de front que le chien. Le caractère des figures analogues au chien comprend la sagacité et l'esprit de recherche unis à une dis- position naturelle à l'abnégation etau dévouement; ce der- nier trait est surtout saillantdans les figures d'hommes qui rappellent plus ou moins celles des chiens à oreilles pen- dantes. Ce fait constaté par Gall est relaté dans tous les traités de physiognomonie. L'intelligence n'est point d'ordinaire, nous le répétons, contestée aux chiens ; Gratiolct la leur reconnaît ainsi que le jugement; il ne leur refuse que la raison; mais de la sensi- bilité qu'ils manifestent il conclut qu'ils doivent avoir la notion du juste et de l'injuste. Quelques chiens ont un mauvais caractère et boudent aisément, mais la plupart ont un bon 54 LE CniEN. caractère; ils ont avec nous la communantc do certains ins- tincts, l'émotion, la cnriosité, l'imitation, l'attention, et en eux se produit la lutte entre les instincts contraires. Le chien est jaloux de l'affection de son maître lorsque ce dernier caresse une autre créature. Il éprouve évidemment le sentiment de l'émulation. Il aime l'approbation et la louange. Quand il porte le panier, le parapluie, quelque objet appartenant à son maître, il manifeste un haut degré d'or- gueil et de contentement de lui-môme. Il éprouve de la honte et quelque chose qui se rapproche fort de la modestie lorsqu'il mendie trop souvent sa nourriture. Il est doué d'une excellente mémoire des temps et des lieux. Voici un fait raconté i\ un de nos plus savants méde- cins par M. Bureau de la Malle : « Un chien fut amené à Paris à l'âge de huit ans. Le même jour il sort dans la rue et s'y ennuie, veut rentrer, grogne et aboie pour se faire ouvrir; on ne l'entend pas. Survient un étranger qui frappe en levant le marteau et se fait ouvrir. Mon chien l'observe et rentre avec lui : ce même jour je l'ai vu se faire ouvrir six fois, en levant le marteau avec sa patte. Notez qu'il n'y a pas de porte à marteau dans mon château où il fut élevé et dont il n'était jamais sorti. » Conrad Creilingius, dans ses principes de philosophie (m prhicipiis philosopliiœ), raconte une histoire pareille. On ne saurait contester à un grand nombre d'animaux et surtout aux chiens l'aptitude au raisonnement. On les voit constamment s'arrêter, délibérer, prendre un parti. Dans son ouvrage sur la Mer polaire ouverte, le doc- teur Haye fait à plusieurs reprises la remarque que ses chiens remorquant son traîneau, au lieu de continuer à se serrer en une masse compacte, lorsqu'ils arrivaient sur de la glace mince, s'écartaient les uns des autres pour répartir leur poids sur une surface plus grande. C'était souvent pour les voyageurs le seul avertissement, la seule indication que HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN. 55 la glace devenait moins épaisse et plus dangereuse. Pour- quoi agissent-ils ainsi? Il est permis de supposer que cet instinct leur a été transmis par les loups arctiques leurs ancêtres. Il y a à fournir mille autres preuves du raisonnement des chiens; nous les donnerons plus loin. En ce moment nous passons en revue leur puissance mentale, leurs facultés différentes, avec Darwin à qui sont empruntées un grand nombre de ces intéressantes observations. Il est certain que l'ancêtre primitif de l'hommo, quel qu'il soit, devait posséder des facultés mentales beaucoup plus développées qu'elles ne le sont chez les singes existant au- jourd'hui ; ces facultés ont permis à l'homme de se dévelop- per. Mais il ne faut point nier, parce que notre espèce est devenue supérieure aux autres, il ne faut pas nier l'intel- ligence des animaux. Un chien sans doute ne se demande nid'oi^i il vient, ni où il va; il ne pense ni à la mort ni à la vie, mais il est certain qu'il réfléchit et nous avons vu de vieux chiens de chasse qui certes, en étendant devant le foyer leurs membres en- gourdis, se rappelaient les exploits par eux accomplis jadis. Le chien est en outre doué de sociabilité; il aime les ani- maux avec lesquels il a coutume de vivre ; il reste sans se plaindre, que disons-nous? heureux, auxpicds de son maître pendant une journée entière; peu lui importe qu'on ne fasse pas attention à lui; mais qu'on s'éloigne, il se lamente. Qui plus est, il a évidemment le sens moral et observe le devoir, puisqu'il ne vole jamais ou presque jamais les ali- ments en l'absence de son maître; car il y a de bons et de mauvais chiens comme de bons et de mauvais hommes. Question d'hérédité et d'éducation. D'ordinaire il sait distinguer les bonnes et les mauvaises actions, et si parfois il succombe il témoigne toujours beau- coup de honte après sa faute. 56 LE CHIEN. Loin d'accorder aux animaux un langage, a écrit Gra- tiolet, certains auteurs leur ont refusé jusqu'au sentiment. Les animaux ont beau témoigner qu'ils sentent, on n'a pas voulu les en croire, et du fond de leur cabinet quelques philo- sophes ont décidé qu'il n'en était rien, alors même qu'ils en donnent les preuves les plus fortes. Mais, ni les arguments de Gometius Pereira, ni ceux de Descartes et de son école, n'ont pu étouffer à cet égard la voix du sens commun qui plaide la cause de ces sujets de notre empire ; sur ce point le grand Leibniz a combattu avec beaucoup de force l'idée cartésienne, et Charles Bonnet est entré si avant dans ses vues qu'il admet dans les bêtes une àme immortelle, leur prédit dans les révolutions futures des esprits et des mon- des un meilleur avenir. Solin raconte l'histoire d'un chien qui, sous le consulat d'Appius Junius et de Publius Silius, refusa de quitter son maître condamné à mort et se laissa mourir de douleur au- près de son cadavre. On a observé une foule de faits sem- blables, et Gratiolet lui-même, qui n'est point un observa- teur dont il soit permis de se méfier, a vu le chien d'un de ses parents qui pendant une longue absence de son maître ne consentit pas à s'éloigner du lieu où était suspendu un de ses habits. Ces faits ne prouvent pas, a ajouté le physiologiste, que les bêtes aient à proprement parler des idées morales, mais du moins ont-elles des affections. Qui oserait en douter? il y a quelque chose d'admirable dans la tendresse du chien pour son maître. Il devient parfois intelligent à force d'amour. Tantôt il appelle à son secours, tantôt il l'arrache à la mort. Ici il terrasse un assassin; ailleurs il veille sur des restes chéris près desquels il se laisse mourir de tristesse. Et parmi les plus prodigieux traits de dévouement qui soient connus, il faut en première ligne citer les deux faits suivants em- pruntés à Montaigne : HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN. 57 « Quand le roi Lysimachus fut mort, son chien demeura obstiné sur son lit sans vouloir boire ni manger; et le jour qu'on brusla son corps il prinst sa course et se jeta dans le feu où il fut bruslé. Comme fit aussi le chien d'un nommé Pyrrhus, car il ne bougea pas dedessus le lict de sonmaistrc depuis qu'il fut mort, et quand on l'emporta il se laissa en- lever quant et luy, et finalement se lança dans le buscher où on brusloit le corps de son maistre. » Ces traits dont l'cxaclitudc ne saurait être mise en doute %-^- SOLLICITUDE DU CHIEN POUR SON MAITRE. n'affirment pas seulement l'intelligence, mais le profond amour, c'est-à-dire la qualité la plus haute et la plus belle de l'humanité. Et on voulut que les bêtes ne fussent que des machines, et il se publia sur cette vieille querelle un nombre incalcula- ble de livres. Le système des machines fut préconisé par les théologiens surtout, à tel point qu'un homme tel que Daniel Sennert encourut le reproche d'impiété pour avoir soutenu que les bêtes ont uneàme immortelle. Cependant de l'indestruc- 58 LE CHIEN. tibilité du principe qui anime les bêtes on pourrait plus aisément qu'avec l'iiypothèse contraire conclure à l'immor- talité de l'âme humaine. Pourquoi, a écrit un des plus célèbres défenseurs des bêtes, Porphyre, pourquoi ne disons-nous pas qu'un arbre est plus docile qu'un autre arbre, comme nous disons qu'un chien est plus docile qu'un autre? La théorie de l'automatisme n'admet cependant pas la liberté des mouvements. Il paraîtdifficile de nier que les animaux soient sensibles ; dès lors ils ont une âme, et toute âme est par elle-même indestructible ; mais s'ensuit-il qu'ils aient quelque idée du juste et de l'injuste? .le n'oserais l'affirmer; peut-être en ont- ils le sentiment à un certain degré. Rorarius ne l'a point mis en doute; souvent, dit-il, ils usent de la raison mieux que l'homme. Nous citerons certains chiens qui ont vengé la mort de leur maître assassiné; d'autres ont réclamé justice contre ses meurtriers. Qui sérieusement peut soutenir, tant au point de vue scientifique qu'au point de vue moral, que les chiens sont des machines ? Ils subissent des phénomènes nerveux semblables aux nôtres. Les chiens rêvent. « Les chiens des chasseurs, a écrit le grand poète la- tin Lucrèce, au milieu des douceurs du sommeil parais- sent tout à coup faire un bond, donnent de la voix, as- pirent l'air à diverses reprises, comme s'ils tenaient la piste de la bête. Souvent même ils s'éveillent et pour- suivent encore le fantôme d'un cerf, comme s'ils voyaient l'animal fuir devant eux. Enfin l'illusion se dissipe et ils rentrent en possession de leurs sens. Le chien familier, ami de la maison, s'agite et se soulève à diverses reprises, HISTOIRE NATURELLE DU CIIlEiN. 59 comme s'il voyait paraître des visages inconnus et des figures suspectes*. » Pendant leur sommeil les chiens domestiques expriment également les sensations les plus diverses, ce qui doit nous faire voir qu'ils sont doués de quelque puissance d'imagi- nation. Mais il nous faut, avant d'étudier des manifestations que l'on peut appeler, selon nous, intellectuelles, il nous faut, dans ce court extrait d'histoire naturelle, noter les mouve- ments habituels aux chiens et leur signification. L'illustre Darwin, qui vient d'être ravi à la science, a, dans son livre sur l'expression des émotions chez l'homme et les animaux, décrit soigneusement les mouvements du chien. Selon ce savant éminent certains états d'esprit amè- nent certains mouvements habituels dont l'utilité a été réelle primitivement et peut l'être encore ; dans cet état d'esprit tout à fait inverse se produit, se manifeste une ten- dance énergique et involontaire à des mouvements éga- lement inverses bien qu'ils n'aient jamais été d'aucune utilité. Darwin cite, entre autres exemples, celui de l'espèce ca- nine. Lorsqu'un chien méchant rencontre un ennemi, il marche droit et en se tenant très raide; sa tête est légère- ment relevée ou un peu abaissée; la queue se tient droite en l'air, les poils se hérissent surtout le long du cou et de l'échiné, les oreilles dressées se dirigent en avant et les yeux regardent avec fixité. Ces particularités, faciles à com- prendre, proviennent de l'intention qu'a le chien d'attaquer son ennemi. Supposons que le chi;Mi reconnaisse au lieu d'un ennemi son maître; tout son être se transforme d'une manière complète et soudaine. Au lieu de marcher redressé, il se baisse ou même se couche en imprimant à son corps 1. Poème de la Nature. Livre IV. 60 LE CHIEN. des mouvements flexueux ; sa queue, au lieu de se tenir droite en l'air est abaissée et agitée. D'un instant à l'autre, subitement, son poil devient lisse ; ses oreilles sont ren- versées en arrière, mais sans être appliquées contre la tête, les lèvres pendent librement et les yeux perdent leur aspect arrondi et fixe. A ce moment l'animal est dans un transport de joie ; il y a production en excès de force ner- veuse ce qui produit naturellement une activité quelconque. Pas un seul des mouvements précédents, qui expriment l'affection avec tant de clarté, n'est de la moindre utilité pour l'animal. Ils s'expliquent, semble-t-il à Darwin, simplement parce qu'ils sont en opposition complète ou en antithèse avec l'attitude et les mouvements très intelli- gibles du chien qui se prépare au combat et qui expriment la colère. Le chien manifeste son attention en relevant la tète et en dressant les oreilles; il prouve généralement sa joie en portant la queue en l'air, mais avec moins de vigueur que lorsqu'il est irrité. Lorsqu'il est content ou qu'il écoute, il remue la queue. Il manifeste volontiers son affection en se frottant contre son maître, en cherchant le frottement ou les tapes de la main. Graliolet a expliqué ces mouvements : « C'est toujours, dit-il, la partie la plus sensible de leur corps qui recherche les caresses ou les donne. Lorsque toute la longueur des flancs et du corps est sensible, l'animal serpente et rampe sous les caresses et ces ondulations se propageant le long des muscles analogues des segments jusqu'aux extrémités de la colonne vertébrale, la queue se ploie et s'agite. » Ce qui semble expliquer pourquoi les chiens recherchent le frottement dans leurs manifestations amicales, c'est que pendant l'allaitement de leurs petits le contact avec un objet aimé s'est associé fortement dans leur esprit avec les émotions aflectueuscs. HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN. 61 Les chiens prouvent également leur tendresse en léchant les mains ou le visage de leurs maîtres; ils agissent parfois de la même façon entre eux ou avec les animaux près des- quels ils vivent. Nous en avons vu qui léchaient des chats et même des lapins domestiques. Ce signe expressif dérive sans nul doute de l'habitude ""^ P'^-'^r. ^^^^^^^'<::^-'^ <■""! x/^ ^^-^ LES CARESSES DU CHIEN. qu'ont les femelles de pourlécher leurs petits pour les net- toyer. Darwin ajoute que l'affection des chiens pour leurs maî- tres se mélange d'un sentiment profond de soumission qui tient un peu de la crainte. Certains chiens ne se bornent pas à abaisser leurs oreilles et à s'aplatir un peu en ap- prochant leurs maîtres, mais ils s'allongent sur le sol, le 62 LE CHIEN. ventre en l'nir. C'est là un mouvement aussi opposé que possible à toute démonstration de résistance. La douleur se manifeste chez le chien à peu près comme chez la plupart des animaux, c'est-à-dire par des hurle- ments, des contorsions et des mouvements convulsifs du corps entier. Sous l'influence d'une terreur extrême, il se roule à terre, hurle et laisse échapper ses excrétions; ou bien tous ses muscles tremblent, son cœur bat avec une rapidité extraordinaire et sa respiration devient haletante. Ces symptômes, en semblable cas, sont les mêmes chez l'homme. La moindre frayeur du chien se manifeste invariablement par la position de la queue qui se cache entre les jambes; le chien effrayé, poursuivi, ou en danger d'être frappé par derrière cherche évidemment à retirer aussi rapidement que possible tout son arrière-train. Il agit de la même ma- nière lorsqu'il est indécis ou contrarié. Presque tous ces mouvements sont communs à Ions les individus de toutes les espèces et aussi aux parents abori- gènes du chien, au loup et au chacal par exemple. Le chien, lorsqu'on lui présente un objet appétissant, de la viande ou du sucre, fixe avec ardeur ses yeux sur cet objet dont il suit tous les mouvements, et pendant que les yeux regardent, les deux oreilles se portent en avant, comme si cet objet pouvait être entendu. Cette observation, faite par Gratiolet, tend ù prouver l'existence de mouvements sympathiques, mais il est plus raisonnable d'admettre qu'il n'y a point de sympathie entre les oreilles et les yeux, que c'est là une habitude hérédi- taire des chiens ayant en principe dressé les oreilles en même temps qu'ils regardaient afin de chercher à percevoir le bruit pouvant être produit par ce qui attirait leur atten- tion. L'étude des mouvements habituels associés chez les ani- HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN. 63 maux offre le plus graud intérêt. Le rôle de riiércdité est considérable. Ainsi lorsqu'un chien veut se mettre à dormir sur un tapis ou sur une surface dure il tourne généralement en rond et gratte le sol avec ses pattes de devant d'une manière insensée, comme s'il voulait piétiner l'herbe et creuser un trou, ainsi que le faisaient sans doute ses ancê- tres sauvages lorsqu'ils vivaient dans les bois ou dans de vastes plaines couvertes d'herbe. Beaucoup d'animaux carnassiers lorsqu'ils rampent vers leur proie et se préparent à se précipiter ou à sauter dessus baissent la tête et se courbent, autant, scmble-t-il, pour se LE CHIEN EN ARRET. cacher que pour se préparer à l'assaut; c'est cette habitude poussée à l'extrême qui est devenue héréditaire chez nos chiens d'arrêt et nos chiens couchants. Ils gardent souvent une de leurs pattes de devant repliée et soulevée pendant longtemps; ils se préparent ainsi à s'avancer avec pru- dence, attitude caractéristique chez le chien d'arrêt. Les chiens, après avoir fait leurs excréments, grattent souvent le sol d'avant en arrière avec leurs quatre pattes, même lorsqu'ils sont sur un pavé tout nu; il semble qu'ils aient l'intention de recouvrir de terre leurs excréments, à peu près comme les chats. Nous ne pouvons guère douter qu'il n'y ait là un vestige sans utilité d'un mouvement 64 LE CHIEN. habituel, qui avait un tnit déterminé chez un ancêtre éloigné du genre cliien, et qui s'est conservé depuis une antiquité prodigieuse. Les chiens et les chacals prennent grand plaisir à se rou- ler et à frotter leur cou et leur échine sur la charogne; cependant les chiens n'en mangent pas, mais ils se délec- tent de son odeur. Les loups n'ont pas cette habitude et on a remarqué que les gros chiens qui descendent probable- ment des loups ne se roulent pas aussi souvent sur la cha- rogne que les petits chiens qui descendent, selon toute apparence, des chacals. Les terriers, chasseurs de rats, déchirent et tourmentent le morceau de pain qu'on leur jette comme si c'était un rat ou une autre proie vivante. Il semble, quoiqu'ils connais- sent leur erreur, qu'ils veulent donner un goùL imaginaire à un morceau peu appétissant*. Par leurs différentes attitudes, par la variété de leurs aboiements, les chiens ont le désir d'exprimer, expriment à leurs semblables et à leurs maîtres les dispositions dans lesquelles ils se trouvent; leurs pensées, leurs passions, leurs besoins, se traduisent ainsi que les nôtres par des gestes dont la signification est claire : la faim, la soif, le plaisir, l'affection, la colère, la peur, le désir, le dépit, le mépris même. Chez eux comme chez nous un lien puissant réunit les intentions aux mouvements; mais les chiens ont des atti- tudes plus caractéristiques peut-ôlre, parce que leur langage est plus imparfait. Nous n'avons pas, il en faut prendre notre parti, d'autres moyens que le chien d'exprimer nos passions par des signes extérieurs et il faut admettre avec les savants modernes que 1. Darwin. — « De l'expression des émotions chez l'homme et chez les ani- maux. » HISTOIRE NATURELLE DU ClIlEN. 65 los expressions physiques de l'espèce humaine seraient inexplicables si l'on n'admettait pas que l'homme a vécu autrefois dans une condition très inférieure et voisine de la bestialité. L'éducation seule nous a appris à nous rendre maîtres de certains mouvements considérés comme gros- siers, mouvements communs à tous les animaux d'ordre supérieur ; la preuve en est que les enfants expriment leurs émotions avec une énergie semblable à celle des bêtes. L'éducation nous a donné quelques gestes convention- nels; elle s'efforce de supprimer la manifestation brutale des sensations : l'idéal d'un homme de bonne compagnie est de ne point montrer ce qu'il éprouve, de commander à SCS organes, d'être maître de son visage et de ses mains, de dominer en publie» ses douleurs physiques et morales, ses appétits et ses joies, de vaincre en un mot, par l'effort de la volonté, les manifestations auxquelles s'abandonne l'être en proie à une passion. Mais cettepuissance, encore une fois, ne s'acquiert que par l'éducation, qui seule établit une différence entre les hommes du monde et les hommes du peuple. Livrés à nous-mêmes, nous laissons voir comme le chien tout ce que nous ressen- tons; toutefois lo chien lui-même modifie quelques-uns de ses gestes lorsqu'on se donne la peine de l'instruire. Ces considérations générales terminent ce qui a trait à l'histoire naturelle. Nous avons dit que l'odorat du chien est très développé, plus développé que chez aucune autre espèce d'animaux; cela le met à même d'accomplir des actions qui tiennent du prodige. Son ouïe est fine, sa vue excellente. Ses allures sont au nombre de trois : le pas, le trot et le galop; il passe indifféremment de l'une à l'autre, suivant son désir, son besoin, ou l'excitation qu'on lui donne. Lorsqu'il marche, il porte son corj)S ou i)lutôt son train de derrière de travers, de manière à éviter (juc ses membres postérieurs, 9 66 LE CIlIEi\. plus larges que les autres, ne heurtent ses membres anté- rieurs. Son pelage est si varié qu'il est impossible d'en entre- prendre la description. De même sa taille varie à l'infini. Il est par conséquent difficile de saisir les caractères de la race primitive; le climat, l'émigration, l'éducation ont produit des transformations sans nombre; mais le prototype est le chien sauvage. La preuve en est que l'espèce y revient quand on cesse de l'améliorer. C'est le chien de berger qui se rapproche le plus, selon toute probabilité, du chien primitif; de lui vraisemblable- ment dérivent toutes les variétés domestiques. De même que chez les hommes, le pays, les habitudes et la nourriture ont modiûé la forme et le tempérament des chiens. Ceux des pays froids, amenés dans les régions tem- pérées, ont perdu leur poil, acquis une peau fine, sont de- venus grands, forts et musculeux. Le contraire s'est produit quand d'un pays chaud ils ont été conduits dans des con- trées froides. Les organes, les facultés des êtres sont soumis à l'influence climatérique, à la forme et aux productions du sol ; ils en dépendent, ils en sont le résultat. Quand on se rapproche du pôle nord, les hommes sont chétifs, les chiens petits et poilus, les plantes rabougries. A l'autre extrémité de la terre, tout ce qui vit prend au contraire des proportions colos- sales. Tout obéit donc aux dispositions de la nature; mais ensuite l'etTort humain discipline, organise, accommode à ses besoins tout ce qui est susceptible d'être dominé par lui. Les hommes, suivant leur commodité particulière, ont fait des animaux dont ils sont maîtres d'utiles auxiliaires; ils ont par le croisement modifié la race canine et créé pour la guerre, pour la défense, pour la garde des troupeaux, pour la chasse, pour leurs plaisirs et pour leurs travaux, des in- dividus d'espèce particulière. L'homme a fait de cet animal HISTOIHE NATURELLE DU CHIEN. 67 son serviteur: il l'a approprié à ses besoins; il l'a cultivé comme il a cultivé sa propre race, trouvant en lui un com- pagnon digne de ^ ivre en sa société, capable de le charmer par la beauté et l'élégance de ses formes, capable surtout de le bien servir. Cet auxiliaire lui est devenu indispensable; le chien mérite qu'on le protège, qu'on le défende et qu'on l'aime. Il y a moins de distance, a écrit Montaigne, entre l'homme et le chien qu'entre certains hommes. On peut aller plus loin : on peut dire que les qualités du chien sont telles, qu'elles nous doivent servir d'exemple, et nous répétons avec Toussenel que plus on apprend à con- naître l'homme, plus on apprend à estimer le chien. CHAPITRE III LES CHIENS GUERRIERS La race canine est honorée par les plus nobles et les plus courageuses actions. Naturellement douée de courage, elle est arrivée, grâce à l'éducation de l'homme, au mépris absolu de la vie et jusqu'à l'héroïsme. Nous avons su inspirer à nos compagnons, à nos amis à quatre pattes, toutes nos passions depuis les plus superbes jusqu'aux plus infimes, et toute l'échelle humaine est repré- sentée dans leur espèce, depuis les preux chevaliers jus- qu'aux chevaliers d'industrie. Quelques-uns ont conquis ce qu'on pourrait appeler la noblesse d'épéc; ils se sont signalés dans les batailles, et LES CHIENS GUERRIERS. 69 Toussenel a pu dire d'eux qu'ils s'enivrent de l'odeur de la poudre. Nous sommes tentés de croire que, en France, les chiens ainsi que les hommes ont pour la carrière des armes une prédilection marquée. Chaque fois qu'un de nos régiments entre dans une de nos villes, tambours battant et clairons sonnant, cjui se précipite au-devant de nos troupiers, qui leur fait cortège et les suit d'une allure hardie? Les gamins et les chiens de la cité. Les uns et les autres s'efforcent de marquer le pas, se dandinent en cadence; ils lèvent la tête, leurs regards brillent à la pensée qu'ils peuvent être con- fondus avec les défenseurs de la patrie. Que si c'est là une supposition invraisemblable pour le chien, il est du moins hors de doute qu'il a pour les soldats une prédilection mar- quée, une affection particulière, affection qui lui est bien rendue; qu'il se plaît à la vie d'aventure, dans le tapage des camps. En temps de guerre, le rêve de chaque soldat est d'avoir un chien. Avant d'entrer dans les détails de leurs hauts faits mo- dernes, rappelons brièvement leurs actions de guerre dans l'antiquité. Les Grecs faisaient souvent garder par des chiens leurs camps et leurs forts; la citadelle de Corinthe entre autres avait une garnison de molosses, la i)lus belle race ca- nine de l'antiquité, type disparu, mais dont deux admirables statues de marbre, conservées au Vatican, donnent, à ce qu'on affirme, l'exacte représentation. Cette race dégénérée paraît être représentée par les chiens mâtins, ou par les chiens de Laconie, qui ont dû donner naissance aux chiens de bergers. Parmi les chiens célèbres de l'antiquité nous citerons le chien de Xantippe, qui à la bataille de Salamine s'élança dans la mer en aboyant contre les ennemis, et le chien vaillant qui, à Marathon, combattit avec les Crées contre les 70 LE CHIEN. Perses et fut couvert de blessures. On l'honora comme un héros. Il n'y avait point de garnison canine dans la citadelle d'Athènes, Plutarque l'a aftlrmé ; mais il s'en trouvait une, nous le répétons, dans la citadelle de Corinthe, et elle était gardée à l'extérieur par un poste avancé de cinquante chiens placés en vedette sur le bord de la mer. Une nuit que la garnison était ivre, l'ennemi débarqua; les cinquante chiens combattirent comme des lions : quarante-neuf furent tués sur la place. Le dernier, nommé Soter, courut vers la ville, donna l'alarme, éveilla les soldats et l'ennemi fut repoussé. Le Sénat ordonna que Soter porterait un collier d'argent avec cette inscription : « Soter, défenseur et sauveur de Co- rinthe.» En l'honneur des autres chiens on éleva un monu- ment en marbre oi^i leurs noms furent gravés, ainsi que celui de Soter. Cette appellation de Soter, qui en grec signifie sauveur, était dans la mythologie un surnom donné à Jupiter, à Bacchus et à Apollon. Ce surnom s'appliqua plus tard à quelques rois d'Egypte et de Syrie, et il y a dans le marly- rologe chrétien un pape nommé Soter. Un poste de chiens était également chargé de la garde du Capitule à Rome, et ces vigilantes sentinelles s'acquittaient de leur mission avec tout le zèle désirable. Une fois cepen- dant elles se trouvèrent en défaut. Lorsque les Gaulois commandés par Brennus firent le siège de Rome, tous les Romains en état de porter les armes s'enfermèrent dans le Capitole, tandis que les vieillards dé- cidés à mourir demeurèrent dans la ville abandonnée. Maîtres de la cité, les Gaulois, pendant une nuit, tentèrent l'escalade de la forteresse et, se hissant les uns les autres en gravirent les escarpements sans faire assez de bruit pour réveiller les chiens assoupis, affaiblis par une longue diète. Cependant quand les assaillants arrivèrent aux portes, les LES CHIENS GUERRIERS. 71 chiens ouvrirent les yeux; ils allaient aboyer : on leur ferma la gueule comme on fermait celle de Cerbère, en leur jetant des morceaux de pain qu'ils dévorèrent. Par bonheur pour les Romains, les oies sacrées de Junon se montrèrent plus intraitables; elles poussèrent des cris et donnèrent l'alarme. La garnison accourut aussitôt et préci- pita l'ennemi au bas des roches. Depuis lors, quand on célébrait à Rome l'anniversaire de cette délivrance, on promenait sur un char une oie à la- quelle étaient réservés les lauriers du triomphe et à côté d'elle on exposait un chien crucilié. Saint-Évremont s'est permis à ce sujet de critiquer violem- ment la tactique des soldats romains, qui s'en remettaient à des chiens du soin de leur salut; sans doute mieux vaut veiller soi-même, mais cette défaillance exceptionnelle et explicable n'enlève aux chiens rien de leur valeur habi- tuelle. Bien nourris, ils eussent fait leur devoir; tout le monde connaît cette histoire, et cependant il n'est venu à l'esprit de personne de remplacer un chien de garde par une oie. Nous ne voulons point rappeler ici tous les faits de l'an- tiquité; l'énumération en deviendrait fatigante; aussi nous contenterons-nous des traits principaux, de ceux qui servent à prouver clairement que jadis les chiens furent pour les hommes d'utiles auxiliaires en temps de guerre, de fiers lutteurs qui jamais ne désertaient leur poste et qui savaient bien mourir. On possède à ce sujet mille témoignages d'his- toire. Strabon rapporte que les Gaulois se servaient de chiens à la guerre comme de soldats étrangers; Appian, que les anciens rois gaulois « avoient pour la garde asseurée de leur personne, une escadre de chiens, lesquels hardiz et vaillants aux combats qu'ils estoient, jamais n'abandon- noient leurs maistres. » Ils luttaient h leurs côtés, et Pline a rappelé que lorsque 72 LE CHIEN. les Cimbres eurent été défaits par Marins, il fallut que les Romains recommençassent la bataille avec leurs chiens. Les chevaliers de Rhodes se servaient de ces bons com- pagnons pour les postes avancés, pour les patrouilles; on les utilisa souvent. Un bronze antique, trouvé à Hercu- lanum et placé au musée de Naples, représente des chiens cuirassés défendant une citadelle attaquée par des soldats armés de toutes pièces. On trouve dans Hérodote que Cyrus fit rassembler un grand nombre de dogues pour la guerre, leur assignant quatre villes dont les habitants devaient les nourrir. Les Celtes avaient des régiments de chiens armés d'un collier hérissé de pointes en acier et couverts d'une cuirasse. Pline, dont les récits doivent être cités, a conté que les Colophoniens et les Castabaliens possédaient des cohortes de chiens dressés à la guerre et qui combattaient au pre- mier rang sans se rebuter jamais. — Auxiliaires précieux qui pouvaient compter parmi les plus sûrs et les plus fidèles, et qui cependant ne coûtaient point de solde. Massinissa, se fiant peu aux hommes, avait une garde de chiens. Reaucoup de peuples ont dressé les chiens à éventer les embuscades, et Pline raconte encore que le roi des Gara- mantes, chassé du trône, ne parvint à le reconquérir qu'aidé par une troupe de deux cents chiens. Pline était d'ailleurs grand partisan de ces utiles auxiliaires, qui, disait-il, une fois engagés, ne lâchaient plus prise, ne fuyaient jamais devant l'ennemi et n'étaient point exigeants sur l'article des honneurs, de l'avancement et de la solde. Plus tard on employa les chiens contre la cavalerie ; on les enfermait dans une cuirasse au devant de laquelle étaient fixés une faux et un vase plein de feu. Les chevaux, harcelés par les morsures des chiens et par les brûlures, s'enfuyaient. 10 LES CHIENS GUERRIERS. 75" C'est ce qu'on appelait au Moyen âge la guerre des chiens contre les cavaliers. L'usage des chiens de guerre continua pendant le moyen dgc. L'histoire d'Angleterre est pleine de récils de grandes batailles dans lesquelles les chiens d'Ecosse jouent un rôle important. Henri YIII, envoyant une armée auxiliaire à Charles-Quint pour l'aider à combattre François I", mit à la solde du monarque espagnol quatre cents chiens an- glais. Les Finlandais pendant longtemps dressèrent leurs chiens à la chasse à l'homme. Ailleurs on les fit combattre contre les chiens des ennemis. A Granson, des chiens de montagne appartenant aux confédérés suisses entamèrent l'action contre des chiens bourguignons. Nous avons dit comment les Espagnols utilisèrent ces animaux en Amérique: le régiment de VascoNunez étrangla à lui seul plus de deux mille Indiens. Les chiens furent pour moitié dans les conquêtes des Es- pagnols au Mexique et au Pérou; on les dressait à chasser l'Indien connue nos chiens chassent le cerf ou le lièvre, et on leur donnait la curée d'Indien. D'un autre côté, les chiens du Pérou sont animés d'une juste vengeance contre les Espagnols. L'histoire a conservé le nom du fameux chien Bérésillo, qui fit autant de carnage que cent brigands de la Castille, qui recevait une haute paye, double ration, et qui obtint des grades militaires. Au combat de Caxamalca, les chiens de l'armée de Pizarre se comportèrent si vaillamment que la cour d'Espagne, recon- naissante de leurs exploits, décréta qu'il leur serait servi une solde payée régulièrement comme celle des autres troupes. Pendant les campagnes de 1769 à 1774, les Turcs et surtout les Bosniaques se faisaient accompagner d'un grand nombre 76 LE CHIEN. de chiens qui veillaient à la sûreté du camp et déchiraient les ennemis qui s'approchaient de trop près. En 1788, au siège de Dubicza, les chiens turcs d'une troupe d'avant-garde se défendirent victorieusement contre les patrouilles autrichiennes. Nos chiens de Saint-Domingue ont leur histoire, et nos chiens d'Algérie nous ont rendu pour la conquête les plus incontestables services. Partout et quelle que soit la nature du service qu'on lui demande, le chien comprend et, avec une abnégation sans pareille, un courage sans égal, il exécute la volonté de son maître. D'animaux bons et dévoués la férocité huniaino a fait des bêtes féroces se nourrissant d'hommes, et l'on a cité souvent à ce sujet le mot terrible d'un Espagnol d'Haïti à un brigand de son espèce : « Prête-moi un quartier d'Indien pour le déjeuner de mes dogues; je te le rendrai demain ou après. " Christophe Colomb mit en déroute cent mille Indiens à l'aide de cent cinquante fantassins, de trente cavaliers et d'une soixantaine de chiens. Selon la coutume arabe, les armées mahométanes étaient toujours suivies de véritables armées de chiens. A la suite de la victoire de Mahomet II, ces animaux s'acclimatèrent à Constantinople et dans les villes environnantes. Ils sont en quelque sorte les .maîtres de ces cités, y vivent à leur guise, mordent les passants si cela leur convient et aboient durant presque toutes les nuits parce que cela leur plaît. Ils vivent en un mot comme en pays conquis. Au seizième siècle encore, a rapporté un auteur normand, les chiens servaient de garde dans les villes et dans les ports, défendaient les habitants contre les surprises des pirates, et dans le combat supportaient sans jamais faiblir le premier choc des assaillants, LES CHIENS GUERRIERS. 77 La ville de Saint-Malo n'eut jamais de meilleurs défen- seurs, mais cette garnison, dont un des exploits est rappelé dans une chanson célèbre, devint à la fin si dangereuse qu'il fallut la licencier. Dans la défense ou dans l'attaque, les chiens dressés à la guerre ont toujours fait preuve d'admirable courage et par- fois même ont donné des leçons à leurs maîtres. A la bataille de Morat, au milieu du quinzième siècle, une troupe de chiens des montagnes de la Suisse rencontra une autre troupe de chiens ennemis et la défit entièrement. « C'est surtout à la guerre, c'est contre les animaux ennemis ou indépendants qu'éclate le courage du chien et que son intelligence se déploie tout entière; les talents na- turels se réunissent ici aux qualités acquises *. » A côté de la vérité, la fable parfois apparaît ; et nous vou- lons, ne fût-ce que pour mémoire, relater la présentation au roi d'Angleterre, George II, du lévrier Mustapha, héros de la bataille de Fontenoy qui, paraît-il, fut gratifié d'une pension alimentaire. La tradition afhrme que ce chien, resté seul auprès d'une pièce de canon, après la mort de son maître, s'avisa de mettre le feu à la pièce au moment le plus favorable. Nous n'oserions jurer que cela est vrai. De nos jours on ne peut plus utiliser les chiens de la sorte, mais ils rendent encore de nombreux services dans les en- treprises contre les sauvages et on trouve toujours des chiens mêlés à nos actions de guerre; toutefois ils ne jouent plus qu'un rôle épisodique. Dans la plupart de nos régiments on a conservé le sou- venir de quelque chien célèbre qui se montra bon compa- gnon d'armes et prêta aux soldats ses amis aide et assis- tance. Il suffit de faire appel à la mémoire de nos vieux trou- 1, Buffon. "/S LE CHIEN. piers pour leur entendre conter à ce sujet les anecdotes les plus vraies et les plus curieuses. Citons-en quelques- unes. On raconte encore à Milan l'histoire du caniche Mofflno, qui suivit son maître, un soldat faisant partie du corps d'ar- mée du prince Eugène Beauharnais, pendant l'expédition de Russie en 1812. Au passage de la Bérésina les deux compagnons se trou- vèrent séparés dans la débâcle, et le soldat de Milan revint seul dans son pays. Un an après son retour, un animal se présenta au seuil de sa maison, une pauvre bête maigre, efllanquéc, n'ayant plus que la peau sur les os. On voulut la chasser, elle poussa des hurlements plaintifs; c'était un squelette de chien si horrible que le soldat lui-même s'apprêtait à le renvoyer avec un coup de pied lorsque soudain, regardant avec plus d'attention, il se baissa et appela Moffino. A ce nom la pauvre bête poussa un aboi joyeux et essaya de se relever, mais retomba à terre, épuisée par la fatigue et par la faim. Ce chien, au prix de terribles souffrances, avait traversé les fleuves, franchi les montagnes, parcouru une moitié de l'Europe pour retrouver celui qu'il aimait et qui fut assez heureux pour le ranimer et lui rendre la vie. Il y a quelques années, en Afrique, des zouaves trouvè- rent une chienne qu'ils adoptèrent et baptisèrent Minette. La chienne, alors toute petite, suivit le bataillon ou plutôt le précéda, car toutes les fois que le régiment à la fin de l'étape cherchait vainement un peu d'eau, elle se chargeait de découvrir les puits cachés dans les ravins. Le brave animal suivit son drapeau en Crimée, et, au siège de Sébastopol fut blessé par un éclat d'obus qui lui laboura l'échiné. Pansée, affectueusement soignée par le chirurgien. Minette LES CHIENS GUERRIERS. 79 ne tarda pas à se rétablir, et aussitôt qu'elle eut quitté l'am- bulance, elle retourna à son poste, c'est-à-dire à la tranchée, où les bombes et les boulets ne l'inquiétaient guère, tant elle était préoccupée d'éventer et de signaler les partis russes. Plus tard elle fit la campagne d'Italie et assista aux ba- tailles de Magenta et de Solferino. Pendant l'action, courant au-devant de son régiment, elle ne cessait d'aboyer contre l'ennemi aussi longtemps que durait la bataille. Quand elle mourut, à quinze ans, on lui fit des funérailles auxquelles assista plus d'un vieux brave tortillant sa moustache d'une façon significative. Les rapports relatifs au passage du Grand Saint-Bernard par le premier Consul, a rappelé M. de la Barre-Duparcq, dans une étude historique sur les chiens de guerre, relatent quelques belles actions accomplies par des caniches. Moustache, une nuit qu'il campait avec son régiment au- dessous d'Alexandrie, évita une surprise, donna l'éveil et fit prendre les armes. Grâce à sa vigilance l'ennemi fut re- poussé. En récompense on l'inscrivit sur les contrôles du corps avec le droit de recevoir chaque jour une portion de grenadier. Le perruquier de la compagnie reçut l'ordre de le tondre et de le peigner une fois par semaine. Il fut blessé d'un coup de baïonnette et il boitait encore le jour de la ba- taille de Marengo, ce qui ne l'empêcha pas d'attaquer un dogue autrichien qu'il allait étrangler quand une balle vint abattre son ennemi. A Austerlitz, Moustache défend un porte-étendard et après la mort du soldat rapporte les lambeaux déchiquetés du dra- peau. Ce jourlti il revint la patte cassée; mais on assure que Lannes, en récompense de sa glorieuse action, lui fit attacher au cou une médaille retenue par un ruban rouge et relatant sa conduite. ^0 LE CHIEN. Napoléon, dans le Mémorial de Sainte-Hélène, raconte avoir été ému par le spectacle d'un chien qui tristement aboyait sur le champ de bataille auprès du cadavre de son maître. 'Au siège de Badajoz l'animal fut tué par un boulet. Il avait mérité de mourir ainsi. Un autre chien se conduisit plus héroïquement encore. Patte Blanche suivait un sous-lieutenant porte-drapeau du 116™« de ligne, nommé Burat. Un jour le détachement dont celui-ci faisait partie fut cerné par les Portugais à qui nous faisions la guerre. La hampe du drapeau se brisa; l'officier ressaisit l'étendard et avait mis hors de combat une partie de ses assaillants lorsqu'il reçut un coup de sabre à la tète. On lui arracha le drapeau : il eut la force de le reprendre encore, mais, percé de coups de baïonnette, il tombe, il va être achevé lorsqu'il entend les aboiements d'un chien. A moi. Patte Blanche? crie-t-il ; le chien aussitôt saute à la gorge de celui qui avait pris le drapeau et l'étrangle. Burat res- saisit son aigle et un lambeau de soie, puis il tombe évanoui au moment où les ennemis inquiétés s'éloignent. Patte Blanche lui lécha le visage et le ranima. Quand le lieutenant rouvrit les yeux sous cette caresse, il vit (jue les intestins de la pauvre bête s'échappaient à travers une large blessure; il se traîna jusqu'à une source voisine, déchira sa cravate, la trempa dans l'eau, pansa son compagnon puis retomba sur le sol. . Par bonheur, ni les blessures de l'homme ni celles de l'animal n'étaient mortelles. En Afrique, on se servit souvent de chiens comme éclai- reurs et on n'eut qu'à se louer de leur vigilance. Galimafré, chien énorme, enlevait, si on lui en donnait l'ordre, un blessé arabe et le rapportait comme un lièvre ; une. fois il mit en fuite deux Arabes qui voulaient décapiter son maître blessé, les empêcha de le dépouiller et leur ar- racha sa croix qu'ils voulaient emporter. 11 LES CHIENS GUERRIERS. 83 Magenta, chien des zouaves de la iT:ardc mérite également qu'on fasse mention de ses exploits. Il avait coutume pen- dant les batailles de porter dans un petit bat des rouleaux de bandes de toile destinés aux premiers pansements des blessés. Pendant presque toutes les expéditions dernières, chaque détachement avait son chien choyé, fêté de tous, considéré comme un camarade, peut-être comme un doux souvenir du village et des jeunes années. Chaque peloton de cavalerie avait le sien comme chaque compagnie d'infanterie, et quand la marche était trop longue le cavalier plaçait son chien sur le pommeau de la selle, le fantassin sur son sac. Bons compagnons, vous consoliez, en revanche de ces soins, nos soldats fatigués, vous étiez leur seule joie; jamais on ne vous aimera trop. Bob était un chien anglais qui aimait de toute son âme un soldat de son pays. Pendant l'expédition de Grimée, Bob suivit son maître et le régiment des gardes fusiliers de la reine Victoria; il assista à toutes les batailles qui se livrèrent autour de Sébastopol. Le soir venu, au camp, il s'asseyait à côté de ses amis blessés, les regardait d'un air doux et attendri comme pour les consoler et pour les plaindre; il leur léchait la main et apportait avec ses caresses quelque adoucissement à leur souffrance. Il se montra si vaillant, si dévoué qu'on lui décerna une médaille et qu'on l'inscrivit sur le registre du régiment; il répondait à l'appel de son nom. Lorsque les troupes, la paix signée, s'embarquèrent pour le retour. Bob manqua à l'appel. Les officiers partirent à sa recherche, et le retrouvèrent; il s'était trompé de bateau; on le ramena en triomphe, et à Londres, le jour de la grande revue. Bob eut l'honneur de défiler à la tête de sa compa- gnie devant la reine d'Angleterre. 84 LE CHIEN. Les armées étrangères ont aussi des chiens pour compa- gnons. Danemark est un chien allemand qui pénétra le pre- mier dans la place de Dïippel : ce brave animal se distinguait surtout par son attachement pour les blessés ; dès qu'un des siens tombait, il s'en approchait, étanchait le sang avec sa langue, et appelait du secours, n'abandonnant son ami que lorsqu'on l'emportait à l'ambulance. LES CHIENS GUERRIERS. 85 Puisque nous parlons dos chiens allemands, nous cilcrons l'anecdote empruntée au livre de M. de Chcrville, intitulé V Histoire naturelle en action. C'est une des plus jolies qu'on connaisse. L'aimable et charmant conteur qui est, croyons-nous, l'é- crivain moderne dont les attachants récits font le plus auto- rité en histoire naturelle, a narré, comme il le sait faire tou- jours, les relations des Prussiens avec nos chiens pendant la guerre dernière. Il dit que si la presse s'est fort égayée sur le tendre pen- chant que nos conquérants manifestaient pour nos ])cndu- les, il y a eu quelque injustice à spécialiser leurs prédilec- tions, qui s'étendaient en réalité à tout ce qui valait la peine d'être emporté. En effet, dans les villages traversés par leurs colonnes on trouvait encore parfois un coucou servant l'heure, mais on eût vainement cherché un caniche. M. de Cherville prétend ne point exagérer en affirmant que les quatre ou cinq cent mille hommes que nous avons vus, hélas ! défiler, traînaient après eux plus de trente mille chiens dont les neuf dixièmes étaient français. Dans le village habité par l'écrivain, séjourna au mois de décembre 1870 un régiment de uhlans qui, en marche, avait l'air de convoyer une meute. Le capitaine, pour sa part avait collectionné sept chiens d'arrêt. M. de Chcrville eut à loger quatre sous-officiers, qua- torze soldats, dix-huit chevaux et un chien, le seul peut- être qui n'eût pas été volé. « Son signalement, dit-il, était un certificat de la légalité de sa provenance. C'était un de ces braques gigantesques et décousus, à la tête massive, au fouet énorme, au poil blanc tiqueté de marron comme il n'en fleurit que de l'autre côté du Rhin. « Sa situation exceptionnellement honorable lui concilia 86 LE CHIEN. mes sympathies. Son maître savait tout juste autant de français que je savais d'allemand, et la pantomime jouait le principal rôle dans nos causeries. Un peu plus fort sur le langage de la race canine, je me dédommageai avec le braque : nous causions comme deux pies borgnes et cela avec tant d'épanchements réciproques qu'il n'a pas tenu à lui, j'en suis sûr, que le capitaine de son maître ne m'ait ré- quisitionné comme le huitième échantillon de nos espèces. « Je vous ai dit que le braque était un chien : son nom vous semblera donc aussi bizarre qu'il me le parut à moi-même, car il est ordinairement chez nous réservé au beau sexe de sa race ; son maître l'appelait Diane. J'avais vainement es- sayé de faire comprendre à celui-ci le contre-sens de ce bap- tême, il me répondait invariablement : « — Ya! Tiane la técssc de la chasse; lui le lieu. « Et, contemplant son animal avec une émotion véritable, les yeux brillants, la parole vibrante il ajoutait : « — 0 suplime, suplime, mon Tiane ! » « Trois semaines après le départ des uhlans mon devoir me conduisait sur un champ de bataille encore tiède. J'avais parcouru les deux tiers du théâtre de cette lutte de deux jours, lorsque le hurlement d'un chien attira mon attention. Je franchis un mamelon qui me cachait un tertre de terre fraîchement remuée, et sur cette éminence significative j'a- perçus un animal, dans lequel, quoique prodigieusement amaigri et efllanqué, je reconnus tout de suite le camarade du sous-officier de uhlans, Tiane le suplime et mon ami. « Sa présence en ce lieu funèbre était un récit : il avait creusé avec ses ongles pour se rapprocher du maître qui gisait là avec ses compagnons, et, couché dans sa fosse, la tête élevée, il jetait à l'air ses notes les plus lugubres. « La vieille légende du chien du soldat a quelque chose de si touchant qu'elle vous empoigne, même quand le regretté est un ennemi. J'allai droit ù Diane, qui me prouva en agi- LES CHIENS (lUERRIERS. 87 tant sa queue écourtée qu'il m'avait reconnu; je le caressai, j'attachai une corde à son collier, et après quelque résis- tance je parvins à l'entraîner. Lui ayant donné l'hospitalité avec un appoint de dix-huit chevaux et de dix-huit hommes, je pouvais hien la lui offrir maintenant qu'il était seul. Deux heures après nous roulions sur la route de Chartres, Diane, mon domestique et moi.Malheureusement la voiture n'avait pas été construite pour des chiens du calibre d'un veau de trois mois ; au bout d'une demi-heure les crampes nous rendaient la présence du troisième voyageur intolérable. Je voulus voir s'il nous suivrait. Effectivement Diane, qui n'avait pas l'habitude de cheminer en porte manteau der- rière son maître, Diane, qui avait probablement réfléchi qu'il n'est point de regrets éternels ni d'ami qui ne se rem- place, se casa de lui-même sous l'américaine et commença de trotter comme s'il n'avait fait que cela toute sa vie. Sa bonne volonté m'avait ins[)iré tant de conhance que je fus dix minutes à m'apcrcevoir qu'il avait disparu. Je n'avais pas de temps à perdre, et, si contrarié que je fusse de n'a- voir pu arracher la pauvre bête à la misérable -destinée qui l'attendait, je poursuivis ma route. Au bout de quelque temps un cri du domestique m'arrachait à ma rêverie : « — Le chien, Monsieur, regardez-donc le chien ! » « Diane était, en effet, revenu à son poste, mais avec des bagages : il tenait dans sa gueule une oie du plus gros for- mat; cette oie, il était évident qu'il l'avait capturée dans une ferme devant laquelle nous venions de passer. Je lui enle- vai son butin. Au premier village que nous rencontrâmes je descendis, afin de renvoyer la victime à son propriétaire. Pendant que j'expliquais ce qui s'était passé à mon commis- sionnaire, je sentis quelque chose qui se frottait à mes jam- bes; je me retournai: c'était Diane, nanti cette fois d'une paire de bottespresque neuves et me regardant d'un air qui exprimait un vif désir de me voir sensible à cette attention. 88 LE CHIEN. « Je comprenais maintenant la qualification de sublime que le sous-officicr de uhlansaccolait au nom de sonchien. Diane pouvait être un chasseur médiocre, mais c'était à coup sûr un maraudeur de premier ordre. Gomme ce n'était pas pré- cisément pour cet emploi que je l'avais engagé, je l'attachai sous la voilure et nous arrivâmes sans encombre à une au- berge isolée oh nous devions passer la nuit. « Le cheval fut mis dans une écurie où se trouvait déjà une vache, et Diane attaché entre ces deux animaux; moi j,e gagnai ma chambre, où, comme j'étais très fatigué, je ne tardai pas à m'endormir. « Dans la nuit je fus réveillé par un bruit étrange, au mi- lieu duquel il me sembla distinguer les gémissements d'un chien; mais comme le bruit cessa tout à coup, je repris mon somme. Au jour, quand je descendis, je crus m'aperce- voir que ma présence causait quelque embarras aux gens de l'auberge et à mon domestique lui-même. Je ne revis plus Diane dans l'écurie, et comme je demandais où il était, l'au- bergiste me fit un signe et m'emmena dans sa chambre. « — Je suis désolé de ce qui s'est passé, monsieur, me dit- il, mais ce n'est pas ma faute. D'ailleurs, pour vous dédom- mager de la perte de votre chien, nous sommes prêts à vous faire une part dans la vache. « — Une part dans la vache ? dis-jc, fort étonné. • « — Oui, monsieur. Hier au soir nous avons vu arriver ici un Prussien écloppé, sans fusil, qui conduisait une vache à leur camp sous Nogent; il avait perdu son chemin. Vous com- prenez, monsieur, qu'on ne pouvait pas laisser aller une si belle occasion de lui faire son affaire ; c'était commandé par le devoir, le patriotisme.... « — Et la vache? Continuez, répondis-je avec un certain dégoût. « — Eh bien donc, monsieur, quand Jeah-CIaude a voulu serrer la vis Cette grande pensée nous est revenue à l'esprit tandis que nous réfléchissions à l'aide que nous prêtent les chiens et aux commodités de la vie qu'ils nous procurent. Non seulement ces bons animaux nous aident à conserver notre santé en nous procurant des aliments, en nous four- nissant des distractions, en nous arrachant au péril, mais 10 122 LE CHIEN. encore, dans certains pays, ils sont mieux que nos auxi- liaires, ils sont les indispensables soutiens de la vie humaine. Le chien non contaminé par la civilisation, non perverti par le bien-être, est naturellement vertueux. Victor Hugo l'a dit: .... Le chien, c'est la vertu Qui, ne pouvant se faire homme, s'est faite bête. Et il ne se contente pas d'être naturellement vertueux, il est dans certaines régions véritablement supérieur à l'homme par son labeur, par son instinct, parce qu'il fait plus pour la subsistance de l'homme que l'homme lui- même, et que l'homme étant son obligé devient son infé- rieur. Chez ces chiens sauvages, moins sauvages cependant que leurs maîtres et meilleurs qu'eux, l'hérédilé, l'instinct joue le principal rôle. Les chiens servent l'homme comme les plantes exhalent des parfums, naturellement, et l'homme ne se perfectionne pas plus qu'eux, au contraire, puisqu'il n'apporte dans les pays sauvages aucune modification à son genre de vie. Passant des régions non civilisées aux pays européens, on remarque que les animaux n'apprennent rien de leurs pareils, lorsque ceux-ci ont une intelligence supérieure et sortent des habitudes ordinaires, de celles qui ne dépendent point de l'instinct. Les bons chiens de chasse n'apprennent pas les ruses extraordinaires. Dans ce cas, la supériorité de l'homme s'affirme, quoiqu'il soit, hélas! trop rare que nous profitions des leçons de nos semblables. Nous les oublions vite et comme peuple et comme individus et, du reste, nos frères qui ont une intelligence supérieure et qu'on nomme des génies n'apprennent à la foule ni leur génie, ni leur in- LES TRAVAILLEURS. 123 telligence. L'humanité a ses saint Vincent de Paul, l'espèce canine a ses Barry, et les gros cerveaux, ou du moins les cerveaux féconds sont une rareté superbe dans toutes les espèces. Victor Hugo a eu beau nous dévoiler les secrets de son art, qui de nous est capable de s'en servir avec sa puissance ? Mais, selon que nous savons utiliser les qualités du chien, nous en tirons profit. Ces généralités exposées, passons en revue les chiens utiles et commençons par les chiens de berger. Si, dans quelques pays oii les terres ne sont point trop divisées, où les moutons ne peuvent ni s'éloigner du berger, qui les atteint aisément avec la motte de terre lancée par la houlette, ni se cacher derrière lui dans un pli de terrain; si, disons-nous, dans un pays plat, les conducteurs de trou- peaux se peuvent passer du secours des chiens, il n'en est point de môme dans la grande majorité des départements de France, et l'on peut affirmer que sans chien il serait pour ainsi dire impossible de conduire et d'élever avantageuse- ment les brebis (jui constituent une de nos productions prin- cipales, une de nos richesses nationales. Les services rendus à l'homme par les chiens pour la garde des troupeaux sont inappréciables. Autrefois il fallait deux espèces de chiens pour garder les troupeaux : les uns destinés à éloigner, à combattre le loup et l'ours, les autres à aider le berger dans la conduite des moutons. Ce chien, comme l'a remarqué justement Varron, a d'abord été autant le défenseur du berger que le gardien du troupeau. Du temps des Romains, en effet, le fidèle ani- mal veillait avec un soin égal sur l'homme et sur les bêtes, sur son maître et sur les brebis. Il avait à soutenir sans cesse de furieuses luttes contre les loups qui, pendant les temps de neige, le guettaient et le saisissaient parfois à la porte des fermes. La disparition de plus en plus complète des 124 LE CHIEN. loups dans notre pays rend presque inutiles maintenant ces chiens qui étaient des mâtins de forte taille. Le chien dont on se sert communément aujourd'hui est appelé chien de berger, chien de Brie, Labrie ou Briard, du nom de la province qui fournit la meilleure espèce. Cet animal doit être vif, alerte, intelligent et provenir de parents bien exercés. L'opinion de BufTon et celle de Daubenton, relativement à l'origine des chiens de berger, est contestable et a été fort contestée. Cette race n'est point peut-être celle qui se rap- proche le plus de la race primitive, mais elle en a conservé les caractères principaux. Selon Bufïon, le chien de berger est supérieur à tous les autres par son instinct; il a un caractère décidé auquel l'éducation n'a point de part; il est le seul qui naisse pour ainsi dire tout élevé, et, guidé par le seul naturel, il s'attache de lui-même à la garde des troupeaux, avec une assiduité, une vigilance et une fidélité singulières: il les conduit avec une intelligence admirable non communiquée; ses talents font l'étonnement et le repos de son maître, tandis qu'il faut beaucoup de temps et de peine pour instruire les autres chiens et les dresser aux usages aux- quels on les destine. Les qualités des chiens de berger sont en effet innées, et les exemples suivants, invoqués par des observateurs sa- vants, le prouvent. Nous les recueillons dans un ouvrage écrit par un méde- cin principal des armées de la Révolution, auteur d'un im- portant traité sur l'éducation des moutons. Pendant un voyage qu'il fit en 1793, ce médecin vit, sur la route d'Orléans à Blois, un troupeau de moutons qui, sans raison, cherchait à pénétrer dans la maison d'un par- ticulier. Près de cette maison était couché un petit chien de berger, LES TRAVAILLEURS. 125 si petit qu'il n'avait point encore assez de forces pour se tenir d'aplomb sur ses jambes; mais envoyant les moutons tenter une violation de domicile, il entra aussitôt dans une violente colère, et se levant, essayant de courir, retombant sans cesse et se redressant aussitôt comme animé par le sentiment du devoir, s'appuyant à la muraille lorsque ses pattes refusaient de le soutenir, s'clançant pour tomber sur LE CHIEN DE BERGER. le nez, il ne cessa d'aboyer jusqu'à ce que les moutons eussent renoncé à leur entreprise illégale. Un autre fait cité par le même auteur qui en a été témoin est plus curieux encore. Un berger habitant près de Chàtillon-sur-Loing tomba malade; son troupeau eût pu mourir de faim : il le confia aux soins de son petit garçon, âgé d'une dizaine d'années, en 126 LE CHIEN. lui recommandant expressément de ne point s'écarter des alentours de la maison, où il n'y avait que maigre pitance, mais où du moins le troupeau, sa seule fortune, ne courait aucun danger. Mais le chien n'entendit pas que les choses se passassent de la sorte, et malgré les cris de l'enfant il emmena ses moutons comme d'habitude et se chargea de les bien garder. Le malade sortit de son lit pour voir ce qui se passait, et durant toute la journée demeura fort inquiet; mais le soir le chien ramena à la bergerie tous les animaux dont il avait pris la garde, et au bout de quelques jours le berger put s'assurer que la besogne était aussi bien faite que s'il avait été présent. De cela, peut-on tirer d'autre conclusion, d'autre certitude que celle du raisonnement du chien et de son intelligence? Toutefois les qualités innées ont besoin de développement, et il faut affirmer, malgré Buffon, que l'éducation est indis- pensable pour 'obtenir du chien de berger tous les services qu'il doit rendre. « Les bêtes sont, comme les dieux, ce que les hommes les font », a écrit Toussenel. Tous les animaux subissent notre influence; seuls nous les façonnons, leurs vices et leurs vertus dépendent de nous; grande est notre responsabilité vis-à-vis d'eux. Le bon berger fait le bon chien. Il perfec- tionne les aptitudes particulières à une race qui réellement est supérieure aux autres par son instinct. Cet animal, a remarqué M. Magne, qui lui a consacré une intéressante étude, est plus utile qu'un aide. Il va, revient, fait le tour du troupeau, accélère ou ralentit la marche au moindre signe, au moindre mot; il préserve les récoltes, fait avancer les bêtes retardataires, tient le troupeau réuni, empêche les animaux de sortir des chemins et des pâtu- rages, corrige les fuyards, ramène les vagabonds. Il évite à son maître presque toute fatigue. LES TRAVAILLEURS. 127 Mais il impolie que son éducation soit parfaite ; s'il est mal dressé, il mord les moutons, les fait courir trop vite, occasionne des accidents, est cause de l'avortement des brebis. On en a vu qui, doués cependant d'une intelli- gence extraordinaire, se conduisaient comme des criminels, comme des assassins. Citons à ce sujet un ré- cit vrai et bien curieux : Un berger qui avait à garder un troupeau considérable, possédait un chien hors ligne et que l'on citait à plu- sieurs lieues à la ronde pour sa vigilance, pour l'habileté avec laquelle il s'acquittait de ses fonctions. Cependant il arrivait fréquemment qu'un agneau disparais- sait. Point de loups dans la contrée; d'autre part, le chien n'aurait pas lais- sé approcher du parc des voleurs. On se perdait en conjectures , lorsqu'un paysan s'avisa de soup- çonner le chien, qui était énorme et ressemblait à un loup. Le berger se récria : oser accuser un si fidèle animal ! « Veillez, » lui répondit le paysan. Il veilla, et la seconde ou la troisième nuit il vit un spectacle CHIEN GARDANT UN TROUPEAU. 128 LE CHIEN. étrange. Soiicliicn,qiii était attaché par un solide collier, s'en débarrassa sans l'ouvrir en le faisant glisser sur sa tête avec ses pattes; après quoi il saisit un agneau endormi, l'étrangla d'un coup de dents, sauta avec son fardeau par-dessus la palissade du parc et gagna en courant un bois voisin. Une heure plus tard, il revint et, chese stupéfiante, alla se laver soigneusement dans une mare placée près de la cabane de son maître; puis, quand il se fut assuré qu'il n'avait plus de taches de sang aux pattes, il se secoua, regagna tout douce- ment sa niche, passa non sans efforts sa tête dans son collier, et s'endormit du sommeil du juste. Il fallut mettre à mort ce misérable qui, en vérité, avait une perversité aussi grande que celle de nos grands cri- minels. D'ordinaire le chien de berger est peu caressant. Intime- ment lié à l'existence de l'homme, le chien s'est modelé sur lui. Il existe des classes canines comme il existe des classes sociales. N'est-ce point l'image du prolétaire que ce chien de berger, peu commode, mal nourri, maltraité et rendant à ceux qui ont affaire à lui les rudesses dont il est victime lui-môme, mais travaillant avec courage et ne se souciant point de la fatigue quand il a à faire sa besogne? Outre les espèces que nous avons énumérées, il faut citer encore les chiens de la Crau, originaires de la vaste plaine rocailleuse qui, dans les Bouches-du-Rhône, s'étend entre Arles et Saint-Chamas; les chiens de la Camargue qui, dans le Rhône, conduisent les troupeaux et gardent les mai- sons ; les chiens de berger de Russie et de Sibérie, qui ressemblent à des loups; les anglais et les écossais, qui res- semblent à des renards; les allemands, qui sont de petite taille et se montrent d'ordinaire doux et affectueux. Partout la nature produit à côté de l'homme le compa- gnon qui peut le bien servir et l'aider à vivre. Les chiens toucheurs sont une variété des chiens de LE BERGEli DES ABRUZZES. 17 LES TRAVAILLEURS. 131 berger. On se sert d'eux pour conduire les bœufs dans presque tous les pays d'Europe, et ils ne commettent jamais de faute dans l'accomplissement de leurs difficiles fonctions. Revoit en a suivi un, en Amérique, qui pendant douze lieues veilla seul sur un <,a'and nombre de bœufs, conduisit ces animaux jusqu'au marché, les fit ranger à biplace réservée à son maître qui, lui, avait pris une autre direction. Ces cbiens touclieurs d'Amérique naissent généralement sans queue ; il est probable, disent quelques auteurs, que pendant longtemps on a coupé cet appendice chez leurs ancêtres et que peu à pou, par une transmission héréditaire ils s'en sont trouvés dépourvus. Mais de longues expériences faites par M. A. Landrin sur plusieurs générations de chiens ne lui ont pas prouvé la vérité de cette assertion. Il n'est pas un pays où on ne retrouve le chien travaillant. Dans bs Abruzzesoù les montagnes atteignent une grande élévation, oîi les neiges ne fondent jamais entièrement, dans cette contrée superbe et terrible, sur cette terre pleine de glaciers, do cascades et de précipices, les pâturages ne durent guère et l'herbe est vite couverte par la neige. Aussi les bergers quittent les hautes et froides régions aux approches des frimas, ils poussent devant eux leurs troupeaux affamés et s'en vont à petites journées depuis les Abruzzes jusque dans la Fouille. Ces bergers, renommés pour la douceur de leurs mœurs, pour la bonté de leur caractère, ne pourraient ni conduire leurs moutons ni les protéger, s'ils n'étaient aidés par leurs chiens. Ceux-ci sont de forte race, parce que les loups abondent dans l'Apennin ; ils sont plus grands que ceux de Terre- Neuve. Jamais leur vigilance n'est en défaut; ils montent la garde autour des troupeaux avec autant de précautions que des sentinelles avancées placées à quelques pas de l'ennemi. Jamais ils ne reculent au moment du danger, mais ils se 132 LE CHIEN. montrent encore plus braves, si cela est possible, lorsque leurs maîtres courent quelque danger. La beauté de ces animaux répond à leur vaillance. Ils sont blancs comme la neige de leurs montagnes; leur four- rure est longue et soyeuse, leur regard calme, fier, intelli- gent; ils courent aussi rapidement que les chiens de chasse; ils sont, en un mot, les dignes amis de ces montagnards épris de la liberté, dont l'air est sauvage et l'aspect farouche, mais qui cachent sous cette rude écorce l'humeur la plus joyeuse et le cœur le plus tendre. Les uns et les autres sont d'honnêtes gens. Les chiens vivent en quelque sorte en famille avec leurs maîtres; pas- teurs tous deux, ils mangent à la même table... Et le chien, regardant le visage du père. Suit d'un œil confiant les miettes qu'il espère. Ainsi d'un trait Lamartine a fixé leur physionomie quasi patriarcale. Le poil du chien des Abruzzes est blanc, quelquefois mé- langé de fauve. Ces chiens ont joué, un rôle historique. Lorsque, vers le milieu du dix-huitième siècle, apparut dans la province de Gévaudan la bêle légendaire, on se servit d'eux pour en délivrer le pays. Rappelons en passant cette histoire fameuse : Sur les bords de la Lozère, en l'an 1765, un animal effroyable apparut, et soudain répandit la terreur dans toute la contrée. Bientôt il ne fut question dans toute la France que de ses exploits terribles, de ses méfaits, que l'on célébra en vers et en prose. Dans les mémoires secrets de Bachaumont on trouve cité un poème intitulé la Bête monstrueuse et cruelle de Gévaudan, dans lequel est de la sorte tracé le portrait du monstre : LES TRAVAILLEURS. 133 De certaine distance alors, à quelques toises, Par derrière, à la gorge, ou bien par le côlé, Qu'il attaque sans cesse avec rapidité, Sur sa propre victime il va, court et s'élança : Par lui couper la gorge aussitôt il commence. (Monstre indéfinissable), il est d'ailleurs poltron. De grande et forte griffe il a la patte armée; L'auteur de cette composition se faisait l'écho des supersti- tions populaires. Il racontait que la bête de Gévaudan avait été vomie par l'enfer, et il regrettait qu'elle ne fût point près d'Amiens, parce que l'évêque de cette ville Eût pu l'en délivrer avec juste raison Par le moyen du jeûne ainsi que l'oraison- , Sur le cou de la bête appliquant son étole^ 11 la rendrait plus douce à l'instant et plus molle. Par un signe de croix, qu'une simple brebis. Ces vers étaient l'œuvre d'un gentilhomme picard qui tra- duisait dans une langue jusqu'alors inconnue à la poésie française, toutes les superstitions du vulgaire. Ce... poète?... a raconté à sa manière non seulement toutes les fureurs de la bête, mais encore ses exploits galants. Fréron, dans son Année Ullérairej insista sur ce point et fut accusé d'avoir eu dessein d'appliquer ses remarques à mademoiselle Clairon, ce qui causa une grande rumeur à la cour et à la ville; l'écrivain eut grand'peine à échapper à la prison. hdibèle de Gévaudan, après avoir acquis, suivant l'expres- sion de M. Walkenaer, « presque autant de renommée qu'un conquérant », fut traquée par ordre de Louis XV. Le chevalier Anthoine, porte-arquebuse du roi, fut chargé d'organiser cette chasse et ce furent des chiens des Abruzzes amenés par lui qui l'aidèrent à remporter la victoire. L'animal terrible était tout simplement un lynx ou loup- cervier, c'est-à-dire un des plus gros chats de nos climats. Sur cette histoire, un de nos romanciers les plus justement 134 LK CHIEX. célèbres, M. Élie Berthet, a écrit un roman d'un intérêt véri- table, dans lequel on retrouve tous les détails relatifs au monstre. Dans les contrées où le climat est doux, le chien se trouve, on le sait le plus utile serviteur; mais il est des zones où, sans lui, il serait véritablement impossible à l'homme de vivre. On a dressé le chien à tourner la broche sans se préoc- cuper du rôti, à tirer de l'eau du puits, à fabriquer toutes sortes d'ustensiles, et cependant il est évident que la société actuelle n'a pas su tirer de l'intelligence du chien la moitié des profits qu'elle en pourrait. tirer. Le chien se prête à tout. Il remplace le cheval de poste dans les steppes neigeux de la Sibérie, du Kamtschatka, du Labrador. Ces régions seraient tout à fait inhabitables sans le chien. L'homme n'y végète que par la grâce et le bon plaisir du chien. Aussi a-t-on vu des femmes les nourrir de leur lait. Fait loué par l'enthousiaste Toussenel, qui toujours plaida chaleureusement la cause des chiens. Dans les pays voisins du cercle polaire la rigueur et la prolongation du froid opposent aux progrès de la végéta- tion un obstacle tel, que l'habitant de ces climats, non seu- lement ne trouve point dans les progrès végétaux de l'agricul- ture la base de sa subsistance, mais même est réduit à se nourrir uniquement d'animaux. Sur les côtes septentrio- nales de la Sibérie, on ne peut songer à cultiver la terre, qu'un été de trois mois ne dégèle ({u'à la surface; on n'en peut tirer ni herbe ni blé. La colonie de Mshne Kolmysk ne peut même avoir aucun bétail. Il lui serait impossible de vivre sans les chiens. Ces amis de l'homme dans toutes les contrées, sont « des chiens vigoureux qui résistent comme les rennes à la rigueur du froid, qui traînent comme les bœufs de lourdes LES TltAVAlLLEURS. 135 charges cl (ju'on attollo aux narta><, aux traîneaux, comme (les chevaux de poste à des calèches. C'est à l'aide de ces lidèles et vailhints auxiliaires que l'habitant de cette Sibérie 136 LE (^IIIEN. charrie ses provisions, ciiUvprend ses voyages et ses parties de chasse*. « Près du pôle nord, les rennes remplacent les brebis et le chien remplace en partie les chevaux. Il sert de bête de trait. Par bonheur pour lui sa chair n'est point excellente, on l'emploie rarement comme aliment. Je dis par bonheur; si le chien avait une chair aussi appétissante que celle du perdreau, il est, hélas! certain que la majorité de notre espèce, tout en reconnaissant, en louant les qualités de l'ami, mettrait l'ami à la broche en se contentant de verser quel- ques larmes hypocrites. Et pourtant d'après le spirituel ami des bêtes, l'écrivain ingénieux qui a écrit un livre trai- tant de leur esprit, il paraît que si on ne rencontre pas l'an- thropophagie chez les peuples pasteurs, c'est parce que le lait et la chair des troupeaux, dont le chien lit don à ces peuples, les préservèrent toujours des tentations criminelles de la faim. Il est assez aisé d'être vertueux dans ces conditions ; d'autre part les pauvres habitants du Nord ne sont point tentés de manger du chien, qui n'est pas bon à manger. Sa fourrure, \ms plus que sa chair, ne vaut grand'chose, aussi l'élève-t-on parce que ses qualités le rendent non seu- lement précieux, mais indispensable aux habitants de ces tristes climats. Là, sans le chien, l'homme en réalité ne pourrait point vivre, et cependant l'homme ne le traite pas comme un compagnon, mais comme un serviteur, comme un esclave, esclave fidèle et courageux qui sans se })laindre traîne les fardeaux, court, se fatigue, chasse; qui, plus que le renne, peut s'avancer vers le pôle, parce qu'il peut se passer entièrement de nourriture végétale. Le chien est employé comme bête de trait par des peuples d'origines très différentes : dans l'ancien monde, par les Kamtchadales, les Tungouses, les Samoïèdes, les Koriaks, I. Légendes des plantes cl des animaux, — Xavier MarmiLi-. LKS TllAVAlLLEllRS. 137 cL même quelquefois par des Russes; dans le nouveau, par les indigènes de l'Amérique, et enfin, dans les parties où les deux continents s'avancent l'un vers l'autre, par les Esquimaux, nation qui habite également l'un et l'autre littoral. Sur la côte de l'Asie, le chien est la seule hôte de LE CHIEN DES ESQUIMAUX. trait, dit Steller, il est même le seul animal domestique lUi Kamtschatka, étant là aussi indispensal)le à l'homme que, ailleurs, le bœuf et le cheval. La légende dit que ces chiens parlaient autrefois, mais (ju'un jour, apercevant des hommes en canot, ils leur de- 18 138 LE CHIEN. mandèrent où ils allaient. On ne leur répondit pas, et, froissés de ce mauvais procédé, ils jurèrent de ne plus parler à aucun homme. Ils tinrent parole, mais ils sont restés curieux, et c'est pour cela que lorsqu'un étranger approche, ils aboient pour s'informer de ses intentions. Mais ils ne se contentent pas d'aboyer, ils travaillent avec une ardeur que rien ne rebute. Les chiens des Esquimaux sont peut-être les animaux les plus malheureux de leur espèce : toujours soumis à de rudes travaux, ils ne reçoivent pendant la plus grande partie de l'année que la plus maigre pitance, et sont durement traités })ar leurs impitoyables maîtres. Aussi, alors que les chiens des Abruzzcs ressemblent aux honnêtes montagnards dont ils sont à la fois les serviteurs et les amis, les chiens des Esquimaux ont les allures des hommes infortunés auxquels le destin les a attachés. Le caractère de ces animaux s'en ressent; ils sont voleurs, voleurs incorrigibles : on a beau les battre, ils recommencent sans cesse leurs larcins, poussés par le besoin sans doute, mais excités aussi, nous le pen- sons du moins, par les mauvais exemples qu'ils ont sous les yeux. Méchants, querelleurs entre eux, ils montrent les dents et grondent aux hommes. — Les femmes les traitent avec plus de douceur, prennent soin d'eux quand ils sont petits ou malades, et se font mieux obéir; — elles seules peuvent les atteler aux traîneaux quand ils souffrent cruellement de la faim. Ainsi la douceur fém.inine vient à bout d'animaux féroces; là où le sauvage recule épouvanté, la femme s'avance tranquille avec un sourire, calme d'une caresse les grognements furieux, ferme de sa main moins rude que celle du mâle la gueule formidable, aux crocs aiguisés par la faim. La bonté apparaît victorieuse alors que la force et la brutalité sont impuissantes. C'est seulement à l'aide de leurs chiens que les Esqui- LES THAVAILLEURS. 139 maux peuvent tirer parti, pour leur subsistance, de la terre ingrate où le destin les a fait naître. Grâce à leurs chiens, les Esquimaux parviennent à tuer le renne sauvage qui les nourrit et dont la peau sert à les vêtir. Ce sont les chiens qui poursuivent le veau marin dans les retraites qu'il se ménage sous la glace, retraites qu'ils découvrent de loin avec une surprenante habileté; ce senties chiens qui bravement en face, vont combattre l'ours rôdant sur les côtes. Ils mettent à attaquer cette bêle féroce, leur ennemi, une ardeur telle que lorsqu'ils sont attelés à un tranieau il suffit de prononcer le mot de newrouk, qui signifie ours dans la langue des Esquimaux, pour que tout l'attelage aus- sitôt parte au galop, emporté par un élan furieux, ne recu- lant devant aucun obstacle, au risque de briser mille fois le char qu'ils conduisent. Cette passion pour la chasse en fait des coursiers difficiles à guider. S'ils sentent un renne, un ours ou un veau marin, tous s'emportent, méconnaissant la voix de leurs conducteurs, sourds aux menaces, menant la chasse d'un train infernal, ne songeant plus qu'à la poursuite du gi- bier. Ils sont attelés à leurs traîneaux au moyen de bretelles assez semblables à celles que portaient autrefois les por- teurs d'eau et les commissionnaires parisiens quand ils s'attelaient à de petites voitures. L'attelage se compose d'un collier formé de deux bandes de cuir de renne ou de veau marin; les bandes passent autour du cou, sur la poilrinc et entre les jambes de devant, puis viennent se réunir sur les épaules, où elles s'attachent à une forte courroie dont l'autre extrémité est fixée au traî- neau. Quand on forme un attelage dans ce pays, l'important est de choisir un bon chef de file, c'est-à-dire le chien le plus 140 LE CIIIEN. intelligent et cr'lui qui a le meilleur nez. Si avec cela l'ani- mal est le plus fort, il est sans prix. Les autres chiens sont disposés d'après le même prin- cipe, c'est-à-dire qu'ils se trouvent d'autant plus en avant qu'ils ont plus d'intelligence et meilleur odorat. Le plus inhabile se trouve à trois mèlres seulement de l'extrémité antérieure du traîneau, le chef de file en est à six mètres au moins et un peu en avant de tout l'attelage. Quant aux autres, ils ne sont pas rangés exactement en ligne et il y en a toujours plusieurs qui tirent de front. Le conducteur du traîneau s'assied à l'avant, jambe deçà, jambe delà, ses pieds touchant presque à la neige. Il porte à la main un fouet long de vingt pieds. Ce fouet est extrêmement difficile à manier, aussi s'y exerce-t-on dès l'enfance; mais quelles que soient l'habileté du conducteur et la justesse de son coup d'œil, l'usage de cette longue lanière ne produit pas toujours de bons effets; à mesure qu'arrivent les coups l'équipage se mord, les animaux furieux s'arrêtent pour se battre, le meilleur mode de conduite est la voix. Le chef de file écoute attentivement les commandements; il obéit avec une docilité parfaite. Que l'on prononce son nom, aussitôt, tournant un peu la tête du côté du conduc- teur comme pour indiquer qu'il a comi)ris, il ralentit un peu le pas, et dans la nuit la plus noire, à travers les sentiers les plus étroits et les plus escarpés, courant le nez sur la piste, il dirige l'attelage avec une étonnante sagacité; au milieu même de la tempête, lorsque la neige a recouvert le chemin, il ne s'égare pas. Il sait que de son flair, de son habileté, dépend le salut de ses maîtres, et ceux-ci se peuvent fier à lui; il évitera les précipices, il ne s'égarera pas dans la forêt, et pourvu que le démon de la chasse ne lui fasse point faire de rencontres fâcheuses, il mènera l'équipage sain et sauf juscju'au terme du voyage. LES TRAVAILLEURS. l4l Dans l'clé, les chiens ne sont pas attelés aux traîneaux; ils deviennent à la fois chasseurs et bêtes de somme; pendant la chasse même on leur fait porter un fardeau de vingt à trente livres: ils sont alors un peu mieux nourris, avec des débris de baleine, de morse et de veau marin; mais pendant loulc la dure saison le maître, ayant à i)eine le nécessaire, laisse ses serviteurs jeûner et pâlir. Pauvres hôtes et pauvres gens! L HIVER CHEZ LES ESQUIMAUX. Les chiens des Esquimaux sont à peu près de la taille de nos chiens de br^rgcrs, mais plus fortement charpentés et couverts d'un poil plus épais. Les chiens de Saint-Domingue et ceux du Mexique servent également de chevaux, et à Terre-Neuve les newfoiindlands remplacent les chevaux et les mulcls. Ces animaux ont un courage admirable et une résigna- tion sans égale. Malgré les fatigues qu'on leur impose, quoi- qu'ils ne soient guère nourris que de poissons pourris, ils ne 1^2 ll: chien. manifcslent jamais ni découragement ni lassitude, et leur attachement semble grandir avec les épreuves qu'ils sup- portent; souvent à la lin des longs hivers on en voit mourir de misère et d'épuisement. Les chiens du Labrador sont, ainsi que les chiens des Es- quimaux, attelés aux Iraîncaux. En été ils ne servent i)lus à rien; alors on leur donne la liberté : ils s'en vont chercher leur nourriture, chasser, pourvoir eux-mêmes à leurs be- soins, puis, quand les premiers froids leur indiquent qu'on va de nouveau avoir besoin de leurs services, ils reviennent d'eux-mêmes aux cabanes où on les attend : « Nous allons pouvoir servir, nous voilà! » En Islande, en Laponie les chiens sont des serviteurs bons à tous les usages. Le chien partout a été employé aux plus durs travaux ; il y a des chiens de peine, des chiens de somme, des chiens de fatigue. Longtemps (cette coutume barbare n'a été abolie chez nous qu'en 1826), longtemps on a vu à Paris des chiens attelés à des charrelles et traînant de lourds fardeaux. On en rencontre encore dans les quar- tiers pauvres. Cet usage existe dans beaucoup de pays, notamment en Hollande et en Belgique. Là, dès la pointe du jour les rues sont sillonnées de petites voitures chargées de boîtes à lait, de légumes, de pain, que fermiers, maraîchers et boulan- gers portent à leurs pratiques. Les chiens harnachés rem- placent les chevaux, mais avec une plus grande intelli- gence ; ils savent où s'arrêter et ne se trompent jamais, reconnaissant, aussi bien que leurs maîtres, les portes des maisons et repartant sans un mot, sans un signe, aussitôt qu'ils voient que la livraison est faite. Un voyageur qui les a étudiés de près a constaté chez eux un instinct presque incroyable. Attachés à des voilures pleines de légumes, ils marchaient péniblement dans une rue en réparation et à moitié dépa- LES TRAVAILLEURS. l'iS vée. Lorsque les roues rencontraient des cailloux, les chiens s'arrêtaient brusquement, mesuraient du regard l'obstacle, reculaient et l'évitaient avec autant d'adresse que l'eût pu faire un homme. Lorsqu'on est arriNc au marché ou au terme du voyage, on dételle ces pauvres animaux afin qu'ils aillent par la ville chercher leur nourriture. Ils ont un temps limité pour pourvoir à leurs besoins, et à l'heure fixée on les voit accou- rir de tous côtés et reprendre joyeusement leurs colliers de misère. Que s'ils ont quelque peu fait l'école buisson- nière , ils arrivent la queue basse, l'air triste, ainsi que des enfants qui, sachant avoir commis une faute, redoutent un châtiment. Hélas! le châ- timent se fait rarement attendre, et leurs brutaux conducteurs, au lieu d'a- voir pitié de leur mine déconfite, les accablent de coups. Triste récompense d'utiles services!... A combien d'autres travaux ne sont pas employés les chiens? Ils sont sans cesse mêlés à notre vie. Les uns gardent nos maisons, et jamais portier vigilant ne veilla aussi bien sur notre salut; ceux-là aboient jour et nuit et préviennent quand arrive un visiteur; ceux-ci éloignent, en montrant les dents, tous les importuns et tous les gens de mauvaise mine. Le dogue se précipite tête baissée au-de- vant du danger; il ne permettrait pas qu'on touchât à son maître. Quel est le meilleur chien de garde? On a beaucoup discuté sur ce point : presque tous sont excellents, mais LE GAUDIEX DU LOGIS. [kk LE CHIEN. quelques-uns valent mieux que les autres. Citons à ce sujet une anecdote que conta jadis Odilon-Barrot à M. Thiers. L'éminent avocat s'était chargé de la défense d'un voleur et l'avait fait acquitter. Son client reconnaissant le vint voir et voulut lui offrir une somme assez importante. Il refusa, mais se crut autorisé à lui demander un conseil. « J'habite à la campagne, lui dit-il, une maison isolée. LE CANICHE Quel est le meilleur moyen de me mettre en garde contre les voleurs? — Monsieur, répondit le brigand, ayez un chien, mais croyez-moi, un petit chien, pas un gros. Les gros, nous les amadouons quelquefois, mais les roquets jamais. Ils aboient si furieusement au moindre bruil, (pi'ils nous font prendre la fuite. » LES TRAVAILLEURS. 145 Une autre espèce, celle des terriers, est utilement LE CHIEN D AVEUGLE. employée à la destruction des rats, d'autres à mille usages différents. Mais le plus curieux, un des plus intclli- 19 Ikb LE CHIEN. gents de nos chiens domestiques, est sans contredit le ca- niche. Le caniche, auquel nous consacrerons une courte étude, ne doit être considéré dans ce chapitre que comme chien utile; sa mission d'animal laborieux consiste à conduire les aveugles. « Je me suys mis en garde, dit Montaigne, comme ils s'arrêtent à certaines portes d'où ils ont accoutumé de tirer l'aumône ; comme ils évitent des coches et des charrettes lors même que, pour leur regard, ils ont assez de place pour leur passage. J'en ai vu le long d'un fossé de ville, laisser un sentier plain et uni et en prendre un pire pour éloigner son maître du fossé. Tout cela se peut-il compren- dre sans ratiocination K » A Rome , les chiens d'aveugles vont promener leurs maîtres là où il y a le plus de monde; ils se dirigent d'or- dinaire vers une église, mais si en chemin ils rencontrent une maison riche parée pour des funérailles, ils s'y ar- rêtent, calculant que là il y aura bon profit. Ils ont une mine triste faite pour attendrir les passants, et jamais ils ne manquent de s'arrêter devant une porte où on leur a fait une fois l'aumône. Ils veillent avec une attention superbe sur le pauvre être qui leur confie sa vie. Qui ne les a vus graves, l'œil au guet, les mouvements inquiets, tirant la corde qui sert à guider l'homme. On s'étonne que Buffon ait oublié de parler de ce brave animal. Quelle mine engageante il fait aux passants qui don- nent les sous! Théophile Gautier se plaignant d'un air qu'on écorche a dit : 1. Essaijs, livre II, chapitre XII. LES TRAVAILLEURS. U7 L'aveugle au basson qui pleurniche L'écorche en se trompant de doigts; La sébile aux dents, son caniche Près de lui le grogne à mi-voix. Le caniche musicien qui accompag-ne son maître n'est j3oint im animal rare; d'ordinaire il se contente de te- nir fermement la sébile et de regarder avec des yeux sup- pliants les braves gens qui passent devant lui. Mais rintelligencc dont nous parlons se développe extra- ordinairement. On a vu un caniche qui, après la mort de son maître, continuait le commerce pour son compte, s'allait poster à l'encoignure habituelle, avec sa sébile, puis sitôt qu'un sou était tombé dedans, courait chez un boulanger ami, recevait un petit pain en échange de la pièce de mon- naie, et continuait le manège jusqu'à apaisement de sa faim. Un autre, moins égoïste, apportait chaque soir la recette qu'il faisait seul à une jeune fille élevée parce pauvre diable. Les chiens d'aveugles sont aimés ; les Bretons assurent même qu'ils sont vénérés, et que jamais les plus mauvais, les plus hargneux des chiens, ne leur cherchent querelle. On emploie le chien, avons-nous dit, aux usages les plus variés; les uns sont dressés à conduire les oies aux champs, les autres à empêcher les poules de venir picorer dans les champs de blé. Ceux-ci aident les laitiers, ceux-là les for- gerons. On nous en a cilé un qui, chez un maréchal, dans un petit village près de Pontarlier, tournait une roue pour la forge. Il travaillait deux heures de suite, puis était rem- placé par un camarade qui, à son tour, tournait deux heures. Un jour, le camarade s'étant amusé en route, le pauvre chien dut tourner pendant quatre heures; il venait de finir sa tâche lorsqu'il aperçut le fainéant. Il sauta aussitôt sur lui, le mena par l'oreille à son poste et veilla à ce qu'il fît quatre heures à son tour. 148 LE CHIEN. On se sert aussi du chien pour faire les commissions. Chaque jour on en rencontre qui portent des paniers, des seaux, des parapluies; quelques-uns même font payer des factures. Quelques soldats d'un régiment de ligne caserne à Paris avaient adopté un pauvre vieux barbet à cause de son air piteux surnommé Dagobert. Ce chien, qui ne payait point de mine, prouva bientôt sa remarquable intelligence; il cherchait sans cesse à se rendre utile, faisant les commis- sions des troupiers, leur rendant mille petits services. L'of- ficier chargé du règlement des fournitures le remarqua, et après quelques essais convaincants, confia à Dagobert l'argent nécessaire au payement des fournitures. Le chien partait ayant aux dents, un sac d'écus, et revenait avec la quittance. Jamais d'irrégularités dans les comptes de ce tidèle commis; Dagobert fut surnommé l'Officier payeur. Cela alla bien pendant longtemps, mais un beau jour, Da- gobert, porteur de son sac, rencontra dans la rue une troupe de chiens qui se battaient furieusement. On n'appartient pas impunément à l'armée française; l'occasion était trop belle pour qu'on y résistât. Le payeur entra dans un chan- tier où l'on construisait une maison, cacha soigneusement sa bourse sous une pierre et vint faire sa partie dans la ba- taille. La victoire gagnée, il revint en toute hâte au chantier, mais hélas! dans la chaleur du combat il avait perdu la mémoire. En vain il chercha tout le jour. Le soir, il revint triste à la caserne; on lui demanda compte de sa conduite ; il baissa la tète et fut se coucher sans souper. Le lendemain tout le régiment apprit l'aventure, et des soldats décidèrent qu'il avait cessé de mériter le grade d'officier; on le montrait au doigt en lui faisant honte, en lui reprochant « d'avoir mangé la grenouille. » Enfin après trois jours, il partit un matin à toutes jambes. La mémoire lui était revenue, il retrouva la bourse, rap- LES TRAVAILLEURS. U9 porta Iriomphalemont la quitLmce-et obtint son pardon. Le chien s'acquitte avec une proljité stricte de toutes les commissions ({u'on lui fait faire; j'en ai connu qui allaient LE CHIEN COMMISSIONNAIRE. chercher de la viande chez le boucher et de l'eau à la fontaine. Il y en a d'autres qui servent de berceuses et qui tout doucement balancent le petit lit où repose l'enfant. L'homme n'hésite point à lui confier ce qu'il a de plus précieux; il sait qu'on fera bonne garde. CHAPITRE VI LES CHIENS DE CHASSE La chasse pendant bien longtemps a été la seule occupalion des hommes ; il n'en pouvait être autrement : la nécessité de se défendre, de se nourrir et de se vêtir arma tous les hommes. Il est bien certain que les pasteurs n'ont pu en- treprendre leur œuvre qu'après que les chasseurs furent parvenus à éloigner des pâturages les bêtes fauves, plus nombreuses au début que les brebis. LES CHIENS DE CHASSE. l5l Alors qu'on ne pouvait que s'incliner devant la force, qu'on ne reconnaissait, fatalement, d'autre supériorité que la supériorité physique, faire preuve de vigueur et d'adresse, c'était se placer parmi les premiers de la nation. Aujourd'hui la civilisation a établi d'autres distinctions, mais on comprend que la chasse ait été honorée comme le plus noble des exercices, et plus d'un parmi les demi-dieux du paganisme et parmi les héros de l'antiquité ne doit sa renommée qu'à ses exploits de chasseur. Les historiens et les poètes ont chanté leurs glorieuses aventures. Dans l'Inde, dans la Perse, les princes avaient, pour la chasse, des armées entières. Cyrus, au rapport d'Hérodote, se servait d'une telle quan- tité de chiens que quatre villes étaient exemptes d'impôts à la condition de les nourrir tous. Les Romains, passionnés chasseurs, allaient au loin pour- suivre le gibier; ils passaient des mois entiers hors de leurs demeures, vivant et couchant en plein air, se souciant peu des intempéries de la saison, oubliant même la tendre épouse qui gardait le foyer : ....Maiiet siib jovo frigulo Venator, (cncrœ conjugis immcmor, dit Horace. C'est qu'il fallait alors être prêt à supporter toutes les fatigues, à affronter toutes les températures. La chasse était considérée comme l'apprentissage de la guerre; grâce à elle on acquérait la souplesse, l'agilité, la robustesse, la justesse de coup d'œil nécessaires pour bien combattre l'en- vahisseur de la patrie. Jadis les grands chasseurs étaient justement considérés comme des hommes au-dessus du vulgaire. L'histoire an- cienne est pleine de leurs exploits. Selon Platon, la chasse 152 LE CHIEN. était un exercice divin et l'école des vertus militaires. Ly- curgue la croyait si nécessaire pour aguerrir les Lacédé- moniens, qu'il voulut que, chaque jour, de grand matin, les jeunes gens fussent envoyés à la chasse. Les hommes faits et les magistrats eux-mêmes devaient aussi souvent que possible prendre part à ces exercices. Chez d'autres peuples nul citoyen n'était admis à l'hon- neur de prendre place aux soupers publics s'il n'avait fait ses preuves en tuant un sanglier. Les Romains, de même que les Grecs, honoraient ce passe- temps. Horace l'a chanté comme un plaisir, et comme l'exer- cice le mieux propre à entretenir la santé du corps et celle de l'esprit. Et l'illustre Pline a écrit : «Je suis occupé, dans ma campagne de Tusculum, à chasser et à étudier, quelque- fois alternativement, quelquefois même en même temps; mais il me serait difficile de décider dans laquelle de ces deux occupations il est le plus facile de réussir. » Nous n'avons point la prétention d'énumérer toutes les choses intéressantes que rapportent et les écrivains cy- négétiques et les encyclopédies, mais nous voulons rappeler encore quelques-uns des faits qui prouvent en quel hon- neur, chez nos ancêtres, était tenu l'exercice de la chasse. Les Francs l'honoraient. Quiconque n'était point chasseur était méprisé chez eux. Les barons ne quittaient leurs ar- mures de guerre que pour revêtir l'équipage de vénerie. Les rois de France ne cessèrent de donner l'exemple. Aux i)remiers temps, la nécessité de se défendre contre les bêtes féroces avait armé les mains de l'épieu; plus tard les hommes demandèrent aux dépouilles des animaux leur nourriture et leur vêtement. De nos jours, nous le répétons avec Buffon : « la chasse est le seul amusement qui fasse diversion entière aux alTaires, le seul délassement sans mol- lesse, le seul (pii donne un plaisir vif sans langueur, sans mélange et sans satiété. » LES CHIENS DE CHASSE. 153 Du Fouilloiix, dédiant sa Vénerie à Charles IX, lui écrivait justement : « Il m'a semblé, sire, que la meilleure science que pouvons apprendre, est se tenir joyeux, usant d'honnestes exercices, entre lesquels je n'en ai trouvé aucun plus loua- ble que l'art de vénerie. » Les Germains de même que les Gaulois étaient réputés comme chasseurs dans l'antiquité. Dans leurs immenses forets les bêtes fauves pullulent, et le plaisir de la chasse, qui en France n'est plus qu'une distraction, est de l'autre côté du Rhin une sorte de besoin impérieux, un exercice populaire. La ballade fantastique du Chasseur noir de Biir- ger, la célèbre légende du Freischiitz, sur laquelle Weber a composé le chef-d'œuvre appelé Robhi des bois, mille recils enthousiastes témoignent do l'ardent amour des Allemands pour la chasse. Les Anglais ont à toutes les époques de leur histoire })rouvé leur attachement à ce noble délassement. La passion de la chasse est certainement la plus durable "que nous éprouvions, et le temps n'a point île prise sur elle ; le jour où elle saisit un homme elle ne l'abandonne plus qu'à la (in de sa vie. Nous avons vu des aveugles, vieux, se faire conduire à une chasse au cliien courant, écouter, le visage joyeux, la voix des chiens dans les bois, se faire apporter le lièvre tué par le chasseur, tàter la bête avec une émotion que trahissaient leurs mains tremblantes, et s'écrier d'une voix retentissante, et comme prêts à s'élancer : « A un autre, maintenant! )> Nous avons vu des paralytiques se faire traîner dans leurs petites voitures sur le terrain de chasse atln d'entendre une fois encore l'aboiement des chiens courants. Beaucoup rêvent un paradis où ils trouveront la satisfac- tion complète de leurs joies humaines les plus profondes et les plus ardentes : maint chasseur imagine sans doute que des forêts peuplées de gibier l'attendent dans l'autre monde. 20 154 LE CHIKN. On croit cela du moins dans plus d'un pays sauvage. Quand le Grand Esprit rappelle à lui l'homme rouge, on place re- ligieusement à côté du défunt sa carabine et son tomahawk et l'on immole ses chiens sur sa tombe, aQn qu'il arrive là-haut bien armé, avec tout l'équipage nécessaire pour faire sans désillusions les plus belles chasses du monde. Peut-être n'est-ce point aller trop loin que prêter à plus d'un chasseur moderne le rêve de l'Indien. Ce que nous avons, nous, à signaler, c'est que pour ce plai- sir, pour cet exercice, le chien s'associe intimement à la joie de l'homme, à la poursuite du gibier; il est impossible même de ne point reconnaître qu'il se montre supérieur à nous et que, sans chien, nous rentrerions presque toujours bredouille. Il nous sert avec une intelligence, avec une habileté véri- tablement surprenantes, et ne réclame en échange de ses bons services que les os des victimes. D'où vient le chien en général et en particulier le chien de chasse? Nous avons fourni sur celte question, non encore résolue et qui probablement ne le sera jamais, les princi- paux documents connus, et énuméré les opinions des natu- ralistes, leurs hypothèses, leurs conjectures, mais nous nous sommes gardé de rien affirmer, non pas que la solution de la question nous semble inutile, mais nous pensons qu'en cette matière il n'y a qu'une probabilité et point de certitude. Longtemps on discutera afin de savoir qui a raison de M. de Buffon ou de ses adversaires; si le chien n'existe pas dans les contrées où l'homme ne l'a pas précédé, si les chiens sauvages, le Dhol du Bengale, le Waragale ou Dingo de l'Australie, le Deeb de la Nubie et de l'Abyssinie, VAguari de l'Amérique du Sud, sont ou non des descendants de chiens civilisés. Dans cet ouvrage, qui n'a point la prétention d'être savant, il nous suffit d'avoir exposé les diverses opinions des sa- LES CHIENS DE CHASSE. 156 vants, et nous nous en tiendrons maintenant, avec le marquis de Cherville, à la théorie du sentiment. Le chien, a écrit le sympathique écrivain, possède la déli- catesse exquise du sens de l'odorat, l'agilité, la grâce, la force, le courage; en outre des vertus qui n'ont pas été prodiguées à l'espèce humaine, la patience, la tempérance, la fidélité, la constance, le désintéressement, la chaleur du sentiment; il montre même quelquefois de l'esprit. De cela M. de Cherville conclut que le chien, « œuvre de recueille- ment et de combinaison profonde, fut donné à l'homme après la femme, afin de compléter, afin d'atlénucr peut-être les conséquences de cette dernière création; il fut peut-être le couronnement de l'édifice. » Nous laissons à l'auteur de Pauvres Bêtes et pauvres Gens la responsabilité de cette assertion pleine de foi et de ma- lice; mais nous reproduisons d'après lui la jolie légende des Orientaux qui explique, comme peut le faire un fabliau, l'origine du chien de chasse : — La discorde s'était mise entre les fils de Cham. Le père quitta ses enfants. Ensuite partit Chanaan, et puis Sarug et Chus se séparèrent. Chus s'établit dans le plus beau pays du monde avec ses nombreux troupeaux, mais dès le lendemain de son arrivée il vit l'herbe rouge de sang. Un chacal était venu qui avait égorgé des agneaux. Chus fit un sacrifice au Seigneur, mais Nembrod, son fils, ne s'associant pas aux prières, jura de détruire le chacal. Le lendemain un loup vint saisir une brebis, et Nembrod se promit d'exterminer la race des loups. La nuit suivante on entendit des mugissements sembla- bles au tonnerre, et les pasteurs virent, tremblants, un lion qui venait de saisir une génisse entre ses puissantes mâ- choires et s'enfuyait avec sa proie. Tandis que tous se lamentaient, Nembrod parut monté sur 156 LE CHIEN. sa légère chamelle, et brandissant un épieii, et s'indignant qu'on continuât à prier quand il fallait agir, il annonça qu'il allait poursuivTe les bêtes fauves et les exterminer. Il découvrit le lion dans un fourré et voulut le frapper de son épieu ; mais le lion, repu, d'un coup de patte brisa l'épieu comme il eût fait d'une paille de froment, montra en bail- lant ses dents formidables et s'éloigna lentement sans prendre garde à son ennemi. Nembrod revenait après s'être arraché les cheveux de dé- sespoir, lorsqu'il aperçut le loup; il s'élança à sa poursuite, CHIEN DE CHASSE. mais le ravisseur de brebis courait aussi vile que le vent, et à la fin de la journée le chasseur épuisé tomba sur la terre, le cœur gonflé de rage. Pendant la nuit, il vit le chacal qui rôdait autour de lui ; il essaya de l'assommer avec une branche d'arbre, mais l'animal rusé esquiva le coup et s'enfuit à travers les hautes herbes. Le lendemain soir, quand Nembrod revint au camp de son père, il entendit des hurlements inconnus, et en approchant il aperçut un animal semblable au loup, mais noir de pe- LES CHIENS DE CHASSE. ]b7 lage, qui lui montra les dents et gronda. Il menaça de sa massue l'animal, qui, au lieu de s'enfuir, bondit menaçant et redoubla ses cris pour avertir ceux qui dormaient. Jared parut sur le seuil de la tente et dit à son frère : « Ne frappe pas, celui-ci est notre ami. » La bète alors flaira longtemps Nembrod, et le reconnais- sant pour un de la famille, elle lui léclia la main de sa langue douce comme la main d'une femme. Jared apprit alors à son frère que le Sei- gneur, exauçant leurs prières, leur avait en- voyé en son absence ce fidèle gardien qu'il ap- pelait Nolh. Neml)rod , en man- geant pour réparer ses forces, considéra la bête d'un œil jaloux et pensa : « Celui-là m'a éventé de plus loin que ne m'éventerait le chacal ; il a comme le loup un jarret souple et ner- veux, il le devancera à la course ; il est plus vaillant (pie le lion, car il ne se retire pas devant une arme menaçante; ce serait une honte qu'il demeurât le gardien de vils troupeaux : il sera le com- pagnon de mes combats, il partagera ma gloire.» Il flatta Noth de la main et lui tendit une jatte du lait écumeux des brebis, mais le chien quitta la tente pour aller autour du parc faire bonne garde. Pendant de longs jours Nembrod essaya vainement d'em- iSEMBROD ATTAOUA LE LION. 158 LE ciin':N. mener Nolli dans les bois ou dans les montagnes ; celui-ci ne songeait qu'à la surveillance des troupeaux. Mais un matin le chasseur apporta une gazelle et un lièvre qu'il avait surpris, et le chien dressa ses oreilles soyeuses, ses yeux brillèrent, ses narines frémirent. Aussitôt Nembrod déchira la gazelle et Noth fouilla dans le flanc cntr'ouvert. Il but, et sa prunelle s'alluma comme IL MENAÇA DE SA .MASSUE L ANLMAL. s'allume la prunelle de l'homme qui a pris trop de jus de raisin. Nembrod laissa tomber le lièvre, et une fois encore Noth se gorgea de sang chaud : alors il devint autre. Il ou- blia ses maîtres et ses troupeaux, et sa gravité et sa sagesse. Il tourna autour de Nembrod en aboyant et en regardant la montagne, et bientôt tous deux partirent. A eux deux ils tuèrent le chacal, ils tuèrent le loup, ils tuèrent le lion; et le chasseur, velu de la peau du roi des animaux, revint triomphant ; son cœur orgueilleux se gonfla LES CHIENS DE CHASSE. 159 quand son père et ses frères, heureux d'avoir un protecteur de leur nonchalance, le proclamèrent le plus vaillant des hommes. Il ne dit point quelle part Noth avait eue dans ses triom- phes, et il lui sembla que les yeux de la bête le lui repro- chaient; alors, furieux, il la battit; il ne l'appela plus Noth, il l'appela chien. Celui-ci baissa humblement la tète, sachant que pour le punir de la faute qu'il avait commise en aban- donnant le troupeau, le Seigneur le condamnait à devenir l'esclave de celui dont il avait consenti à servir les passions; maltraité tous les jours, il se résigna, courba la tète sous le châtiment et lécha la main qui le frappait. Nous sommes les vrais fils de ce Nembrod ou Nemrod. On trouve dans la Vie privée des Français, de Le Grand d'Aussy, de précieux détails sur la passion qu'avaient nos ancêtres pour la chasse. Les Gaulois l'aimaient passionnément. Chaque fois qu'ils prenaient une pièce de venaison, ils mettaient, par recon- naissance, une petite somme en réserve : deux oboles pour un lièvre, quatre dragmes pour une biche, etc., et avec cet argent, le jour de la naissance de Diane, ils achetaient une brebis, une chèvre ou un veau, et immolaient cette victime dans le temple de la déesse. Après le sacrifice, il y avait un grand festin auquel assistaient les chiens couronnés de fleurs. Les chiens gaulois étaient renommés chez les Anciens pour leur vitesse et pour leur courage. Les poètes et les historiens latins en ont fait l'éloge. La Gaule en nourrissait beaucoup de différentes espèces, et, selon Gratins, un poète contemporain d'Auguste qui a laissé un poème intitulé Cyné- géticon [art de chasser avec des chiens), toutes ces espèces avaient de la réputation. La chasse, qui n'est plus aujourd'hui qu'une distraction, élait pour les Gaulois l'apprentissage de la valeur, apprcn- 160 LE CHIEN. tissage pé- rilleux, car la pre- mière chasse qu'ils per- mettaient aux jeunes gens était celle de l'urus, sor- te de tau- reau sau- vage, un peu plus petit que l'éléphant, mais d'u- ne force et d'une agi- lité in- croyables , le plus fé- roce et le plus re^ doutable des ani- maux qui peuplaient les forêts. La chas- se tenait au coura- ge de la ^EMBROU APPORTA UNE GAZELLE ET UN LIEVRE. LES CHIENS DE CHASSE. 161 nation. Nos nobles, eux, poursuivaient l'ours, le cerf et le bouc sauvage, biMe terrible qui a disparu ainsi que l'urus. On sait quels furent juscju'à la Révolution les privilèges des gentilshommes. Jadis les veneurs royaux, parcourant la France, s'étaient arrogé le droit de séjourner dans les mo- nastères (ju'ils rencontraient sur leur route et de s'y faire nourrir durant trois jours avec leur suite, leurs équipages, LE CHASSEUR, REVETU DE LA PEAU DU LION, REVINT TRIOMPHANT. leurs chevaux et leurs chiens. Partout où allaient les rois, ils se faisaient suivre de leurs équipages de chasse. Froissard admire sans restrictions le superbe cortège d'Edouard 111 traversant la France en vainqueur après la falale journée de Poitiers. « Outre plusieurs bateaux de cuir bouilli, qui lui servoient, dit l'historien, pour pescher dans les rivières lorsqu'il en rencontroit sur son passage, il avoit encore à sa suite trente fauconniers à cheval chargés d'oi- seaux, soixante couples de forts chiens et autant de lévriers, 21 162 LE CHIEN. dont il alloit cliascun jour, ou en chasse ou en rivière : et y avoit plusieurs des seigneurs et des riches hommes qui avoient leurs chiens et leurs oiseaux, comme le Roi. » A la première croisade, la plupart des grands seigneurs emmenèrent avec eux en Asie des chiens et des oiseaux dressés. Quand un gentilhomme sortait de son château pour aller dans le voisinage, il avait toujours avec lui un chien ou un oiseau, et sur leurs tombeaux les anciens nobles étaient représentés avec un lévrier sous les pieds ou un épervier sur le poing. Les ecclésiasti(pies eux-mêmes se livraient à la chasse avec tant de passion que dans différents conciles du trei- zième siècle on leur défendit d'avoir des chiens de chasse sous les peines les plus sévères. Quant aux roturiers, ils ne pouvaient avoir chez eux (prun seul chien de basse-cour pour la garde de leur maison ; et jus(iu"à la (in du dix-sep- tième siècle les braconniers étaient condamnés à mort. La chasse étant le grand plaisir de la noblesse, nos sei- gneurs témoignaient mille égards à leurs chiens; c'était le présent le plus précieux qu'on put offrir. François h' disait communément, a rapporté Brantôme, qu'il n'y avait si petit gentilhomme en France qui ne pût recevoir dignement son roi, s'il avait à lui montrer un beau chien, un beau cheval et une belle femme. L'art d'élever et de dresser les chiens devint dès le prin- cipe une chose de la plus haute imi)ortance pour les chas- seurs, et tous les anciens ouvrages de vénerie sont consacrés à l'éducation des chiens dont l'homme se ht, i)0ur ses besoins, le compagnon, l'instituteur et l'ami. « Le premier chien, a écrit Toussenel, qui chassa en com- pagnie de l'homme fut un lévrier fauve, ce chien qu'on voit encore en Syrie, en Algérie, en Egypte, et qui coiffe le sanglier. Le typa du chien primitif se retrouve quelquefois admirablement conservé dans le chien de berger européen. LES CHIENS DE CHASSE. 163 C'est cet animal allong'é et taillé pour la course, ;ï la poitrine haute, au ventre ovale, à la démarche obli((ue, aux oreilles fines et droites, à la mine éveillée, futée, spirituelle. La nature l'a doté d'une robe à poil rude, d'une vue perçante, d'un odorat exquis, d'une mâchoire de diamant et d'un jarret d'acier ; sa queue fourrée balaye la terre, ses yeux flam- boient dans les ténèbres ; il tient et au delà les i)romcsses de sa mine. » Tous les chiens de chasse que possède l'homme aujour- d'hui proviennent de cette espèce, à l'exception peut-être du chien de l'Esquimau ou de l'amphibie de Terre-Neuve. Le rôle, ou si l'on veut la mission assignée au chien près de l'homme était multiple : il avait à le défendre contre les bêtes féroces, à lui fournir son concours pour maintenir les animaux ralliés, enfin à l'aider à conquérir sa proie. Or (ici nous citons de nouveau M. de Cherville, le remar- quable écrivain qui fait autorité en la matière), le lévrier paraît l'auxiliaire indiqué du premier chasseur, nu et sans autre arme qu'un bâton, qui, pour s'emparer des animaux sauvages, devait les atteindre à la course. En France les lévriers sont proscrits, et depuis 1844 ne peuvent plus être employés à la cliasse ; mais ils sont encore en honneur dans les contrées où l'on peut parcourir librement de vastes -espaces. Les lévriers [vertagï] les plus recherchés des Romains venaient de la Gaule. Ovide a com- paré Apollon poursuivant Daphné à un lévrier gaulois qui chasse un lièvre. Ces beaux animaux ont atteint autrefois une taille gigantesque; une race d'Irlande, disparue aujour- d'hui, n'avait pas moins d'un mètre de hauteur. Le lévrier n'a jamais eu l'odorat développé, mais la rapi- dité de sa course suppléait à ce défaut. En grand honneur dans l'antiquité, il fut au moyen âge honoré davantage encore, et possédé par les seigneurs seuls, il devint le compagnon de toutes leurs fêles et de tous leurs plaisirs. Uk LE CHIEN: On en connaît plusieurs espèces originaires de la Bre- tagne, de l'Irlande et de l'Ecosse ; les uns chassaient à vue le loup et le sanglier cju'ils coiffaient ; les autres s'emparaient des lièvres à la course; d'autres enfin élaient admis à sommeiller sur des coussins armoriés aux pieds des indo- lentes châtelaines, et on se contentait, pour dégourdir leurs jam])es, de leur donner de temps à autre à courir quelc[uc la|)in de i)arc. Il suffit de regarder ce hel animal pour se rendre compte de la fonction à laquelle il est pro[)re et des services qu'il peut rendre. Sa tète fine et légère, l'épaisseur des muscles de son cou, ses memhres postérieurs beaucoup plus déve- loppés (jiie les extérieurs, ses jambes longues, sa (pieue LES CHIENS DE CHASSE. 165 longue et mince, montrent à l'observateur le moins attentif que l'animal est bail pour la course. Dans l'espèce canine, c'est le lévrier qui peut-être a le moins d'intelligence ; l'étroitesse de son front rindi(pie ; mais il se montre atlaché à son maître et très sensible aux caresses. Et s'il a peu de nez, en revanche l'ouïe est fine et la vue plus perçante qne chez les autres chiens. « Si, dans nos climats tempérés, ajoute M. de Cherville, ce chien rapide est réduit au rôle d'exception, il restera, en revanche, l'instrument important de toutes les chasses dans les contrées méridionales et primera toutes les espèces qne nous serions tentés d'y introduire. Dans ces régions, le sol étant trop sec pour conserver les émanations laissées par le , gibier, la chaleur du soleil dissi])ant immédiatement ce qu'il en garde, la finesse de l'odorat du chien devient inutile. D'ailleurs cet odorat lui-même ne tardant pas à s'atrophier sous l'influence de cette température excessive, la vitesse et la force constituent les mérites essentiels de ce collabora- teur. » Ainsi partout les animaux, de même que les plantes, se modifient selon les exigences des climats. Leurs organes s'accommodent en quelque sorte aux besoins. A l'appui de son dire, l'écrivain que nous consultons si volontiers sur toutes ces matières rappelle que les cheiks arabes ont continué à se servir des lévriers, des slougids, pour attaquer le sanglier ou le chacal. Ces magnifiques animaux au pelage court et fauve gagnent de vitesse les bubales et les gazelles dans les solitudes sahariennes. En Espagne, les golgos, et, en Perse et en Syrie, les lévriers au poil long et soyeux, rendent de semblables services. On continue d'employer le lévrier à la chasse au lièvre en Angleterre et en Hollande. Dans ce dernier pays, un voyageur a assisté à une chasse émouvante. Quatre lévriers lancés comme des flèches et dont les bonds éiaient si raj)ides qu'on ne distinguait pas 166 LE CHIEN. leurs mouvements, prirent un lièvre ù la course en moins de neuf minutes. L'un d'eux, sans ralentir sa course verti- gineuse, souleva le lièvre du bout de son museau, à deux ou trois pieds en l'air, et, ouvrant la gueule, le recueillit dans sa chute. Le véridique témoin de cet exploit ajoute que le maître de l'équipage, un flegmatique Hollandais, sauta aussitôt à bas de son cheval et courut embrasser son lévrier. Les races de chiens courants se sont assez promptcment multipliées en France et les variétés en sont maintenant considérables. Les plus anciens chiens de chasse connus en Gaule se nommaient vautres, et c'était une variété de lévriers. Ces chiens chassaient la grosse bête, mais ils étaient si agiles qu'ils forçaient le lièvre <\ la course. Il y avait aussi une espèce nommée Séguiens. Ce fut sans doute une meute de ces races que Charlemagne adressa au soudan de Perse, Aaroun al Raschild. La renommée des grandes actions de Charlemagne ayant pénétré en Asie, Aaroun lui envoya des ambassadeurs chargés de présents magnihciues, et l'empe- reur à son tour expédia des ambassadeurs en Perse : « Or, ceci est une anecdote rapportée par le maire de Saint-Gai, parmi les présents que portaient ceux-ci, étaient des chiens remarquables par leur force et leur agilité; car le Soudan en avait demandé (jui pussent chasser les lions et les tigres, si communs dans ses États. Quand il les vit, il demanda à quelle sorte de chasse ils étaient propres. « A toutes répondirent les ambassadeurs. — Eh bien ! nous le verrons, » reprit-il. Le lendemain on entendit du côté de la campagne un grand bruit; c'étaient des bergers qu'un lion poursuivait. Leurs cris étant parvenus jusqu'au palais, Aaroun aussitôt monte à cheval et commande aux Français d'en faire autant et de le suivre avec leurs chiens. Arrivé dans la plaine, ù la LES CHIENS DE CHASSE. 167 vue du lion, il ordonne de les lâcher sur l'animal. Ceux-ci s'élancent, ils attaquent le monstre et donnent aux ambas- sadeurs la faculté de le luer avec leurs épées. Cet événement, quehiue p?u important qu'il fût, inspira néanmoins au Soudan une grande estime pour le monarque français. « Je reconnais maintenant, dit-il, la vérité de tout ce qu'on m'a dit sur mon frère Charles; et je vois comment, par sa ma- nière de chasser, par l'ardeur infatigable qu'il met sans cesse à exercer son esprit et son corps, il a appris à dompter tout ce qui est sous le ciel. » Les lévriers de l'espèce à laquelle appartenaient ces vail- lants animaux ont été connus en France, si l'on en croit Saumaise, depuis le commencement de la monarchie; mais jusqu'à saint Louis, les meutes royales n'étaient composées que de chiens au poil noir et blanc. Ce monarque chrétien introduisit en France une nouvelle race, ainsi que nous l'a appris Charles IX dans son livre sur la Chasse : « Le roi saint Louis étant allé à la conquête de la Terre sainte, fut fait prisonnier et comme, entre autres bonnes choses, il aimait le plaisir de la chasse, étant sur le point de recou- vrer sa liberté et ayant su qu'il y avait une race de chiens de Tartarie qui étaient excellents pour la chasse au cerf, il fit tant qu'à son retour il en ramena une meute en France. » Cette variété de chiens était appelée gris; elle était privi- légiée et ne fut jamais atteinte de la rage. Les sujets, très rapides et très fougueux mais manquant un peu d'odorat, étaient hauts sur jambes et avaient de longues oreilles. Parmi les chiens du moyen âge, on citait les allants-vautre-t, pour la chasse aux ours et aux sangliers; les allants-gentils^ à la tète énorme, au corps de lévrier, qui chassaient tous les gibiers, et enfin les allants de boucherie, dont se servaient • les bouchers pour conduire leurs bœufs. Louis XII acclimata une quatrième espèce nommée baux^ 168 LE CHIEN. greffiers ou griffons, avec lesquels il chassait souvent le daim dans la forêt de Rouvray, bien connue des Parisiens aujour- d'hui qu'elle est devenue le bois de Boulogne. Cette race eut pour étalon Souillard. Les lévriers n'étaient pas seulement employés dans la chasse à courre ; on s'en servait aussi dans la chasse au vol pour prendre et saisir certains oiseaux que les faucons pou- vaient bien al)attre, mais qui étaient troj) forts pour que ceux-ci pussent les saisir eux-mêmes. Louis XII, avons-nous dit, obtint les greffiers. Ce fut grâce à l'accouplement d'une chienne braque et d'un chien de race blanche; on désigna les petits sous le nom de greffiers, parce que la lice appartenait à l'un des secrétaires du roi qu'on appelait alors des greffiers, La maison et le parc des Loges, dans la forêt de Saint-Germain, furent même bâtis pour élever et entretenir cette nouvelle race qui réunissait toutes les qualités des autres espèces de chiens courants LES CHIENS DE CHASSE. 169 sans en avoir les défauts. Ils étaient ordinairement tous blancs avec des taches fauves ou marron et joignaient la finesse d'odorat du braque à la légèreté de la race blanche. De cette race, Relais fut le chien le plus fameux. Voici sa biographie tracée par Louis XII lui -môme et citée par M. Revoit : Relais, issu de la race des chiens C[ui, dans la vénerie, appartenaient au duc de Bourgogne, avait été donné, à l'àgc de douze mois, à Louis, duc d'Orléans, alors en Bretagne. Il le servit dans ce duché jusqu'à ce que ce prince fût par- venu à la couronne. La France entière devait être le théâtre des exploits de ce fier animal. II fut dans toutes les provinces et dans toutes les forêts la terreur des bêtes qu'on abandonnait à sa pour- suite. Affranchi de la couple cpii tient les chiens sous un joug et qu'il eût trouvée indigne de son courage, il mar- chait comme un général à la tête de tous les autres, leur montrant toujours la droite voie et les y ramenant lors- qu'ils s'en étaient écartés. La nuit avait-elle dérobé un cerf à ses recherches, il cou- chait sur la place, se relevait avec le jour et des jambes neuves; il reprenait ses erres et ne revenait point qu'il n'eût remporté la victoire. On ne parlait que de lui; il était chéri de tout le monde et surtout de son roi, qui lui fit l'honneur d'être son biographe, pour animer les descendants d'un aussi brave chien à se rendre aussi bons que lui et encore meilleurs s'il se pouvait. Il était dans sa treizième année, lorsque, le jour même de sa mort, à la vue du roi et de tous ses courtisans, il attaqua et força un cerf dix cors jeunement. Le roi ne fut pas ingrat : il fit écrire et publier la dernière action d'un si fidèle serviteur. Du mélange des quatre races que nous avons nommées résulta la race de chiens courants français que nous possé- dons encore aujourd'hui. Nous n'avons pas l'intention d'é- 22 170 LE CHIEN. numércr icitoiilcs les autres racles indiquées dans les traités des chiens de chasse; il existe de nombreux ouvrages sur ce sujet dont le développement nous entraînerait trop loin et nous placerait hors de notre cadre. Ce que nous voulons surtout bien mettre en lumière, c'est le rôle joué par le chien dans l'existence de l'huma- nité, ce sont les services par lui rendus, c'est la parfaite intimité qui règne entre lui et nous, la façon dont il est associé à nos travaux et à nos joies, à nos douleurs et à nos plaisirs. Les noms des espèces différentes sont, du reste, bien connus; ce sont les chiens de Gascogne, les chiens bleus de Fondras, les chiens de Saintonge, les chiens de Bretagne, les chiens vendéens, les chiens du Poitou, les chiens nor- mands, les chiens d'Artois, les chiens de Saint-Hubert et enfin les chiens anglais, dont les qualités et les défauts ont donné lieu à des polémiques passionnées. Il faut entendre là-dessus les propos des ardents disciples de saint Hubert. « Voulez-vous chasser? s'écrie l'un. Venez voir à l'œuvre un équipage de chiens de Saintonge ou du Haut-Poitou. Ceux-là ne portent pas le stigmate d'une honteuse mulila- tion destinée à cacher des vices de nature. On ne leur coupe pas les oreilles comme aux chiens anglais. Produit d'une race i)ure de mésalliance, ils compteraient leurs quartiers par centaines s'ils avaient un d'Hozier. lis se présentent donc grands et beaux; ils sont essentiellement de haut nez et ont des voix de tonnerre. Examinez un peu trente chiens de celte espèce se rabattant sur le i)ied d'un vieux loup passé depuis huit ou dix heures. Malgré la froideur d'une pareille voie, vous les verrez tous, jeunes et vieux, se coller sur le sable d'un sentier ou prendre à la branche d'un buisson voisin, puis suivre en criant à la Ibis. Ils rapproche- ront leur aninuil par les chemins secs, les Carrefours, dé^ LES CHIENS DE CHASSE. 173 faisant exactement sa nuit, soit à la forêt, soit en plaine, et vous faisant entendre un hurlement continu auquel on ne peut rien comparer. Entendez celte gorge : Jamais marteau de forge A-t-il si bien cogné? « S'ils poursuivent un cerf, ils ne tombent pas à l'impro- viste sur lui, ils ne l'enlèvent pas par surprise. Ils lui font bonne et loyale guerre et le préviennent par leurs cris du danger qui le menace. Ces cris, cette musique qui redou- blent à l'approche du gibier forment pour nous une partie si essentielle du plaisir de la chasse, que nous ne le conce- vons pas sans eux. « Nous voulons voir nos chiens le plus souvent possible, mais nous voulons les entendre toujours. Une partie n'est belle qu'à ce prix. Une meute vendéenne en chasse ne donne pas l'idée du roulement du tonnerre ; mais les voix généralement brèves et précipitées de nos cogneurs, variant depuis la basse grave jusqu'au fausset le plus aigu forment un ensemble saisissant qui vous électrise, vous enchante et vous arrache par moments ce cri d'une juste admiration : Ah! que c'est beau ! «Et puis on sent que cela court, vole à la victoire et qu'une belle chasse sera couronnée par un magnifique hallali. «Tous les chasseurs rallient à ce concert le plus enivrant qu'on puisse entendre; ils n'ont pas besoin qu'un maigre bien-aller vienne leur apprendre que la chasse est ici ou là. Combien de fois, au contraire, ne nous est-il pas arrivé d'imposer silence aux trompes pour jouir sans trouble des accords de cent chiens bien ameutés! «Est-ce qu'on éprouve celte joie avec les chiens anglais?» « Croyez-moi, riposte cet autre, rien n'est plus beau que de voir chasser une bonne moule de chiens anglais dévorant 174 LE CHIEN. l'espace derrière un cerf; c'est une belle chasse que d'en- tendre les cris aigus, stridents, de ces chiens qui ont l'air de mordre de rage les branches qui font obstacle à leur course. Regardez-les arriver comme un flot sur une route que le cerf a longée, se reployer sur un arc en se rabattant sur cette route sans sur-aller la voie de dix pas. Mais votre cerf s'accompagne. Alors ces chiens si vigoureux, si ardents quelques instants auparavant, diminuent de train et de voix; ils sautent derrière la barde, chassant avec inquiétude et tàtant toutes les routes, tous les sentiers qu'ils traversent pour voir si leur cerf ne se sépare pas. Cette première harde va donner dans une seconde plus nombreuse qui s'éparpille de tous les côtés; vos bons chiens s'arrêtent, talent ces différentes voies qui vont dans tous les sens. Voyez-les ensuite les abandonner toutes pour courir au pre- mier cri d'un des chiens de confiance. Ils repartent alors sagement, toujours en crainte, serrés les uns contre les autres de peur de s'écarter de la bonne voie. Mais tout à coup ils redoublent de cris et de jambes; c'est que votre cerf est séparé. Ils reprennent aussitôt toute leur vitesse première et ne s'arrêteront plus qu'à la prise. « Voilà la chasse, la véritable chasse avec toutes ses jouis- sances. Pour être appréciés et préférés, il ne manque aux chiens anglais que d'être bien connus et bien menés en France. » Nous ne sommes pas assez grand veneur pour qu'il nous soit permis de nous faire arbitre de la querelle, mais nous sommes assez chasseur pour affirmer que les chiens qui chassent à pleine voix sont ceux qui procurent la joie la plus grande et qui nous font battre le cœur. Or les chiens anglais crient peu; il faut les suivre de l'œil; dans nos forêts très fournies il est presque impossible de s'en servir. Leurs cris sont rares, isolés ; sans doute leurs qualités sont grandes, mais ils semblent n'avoir ({u'une préoccupation : LES CHIENS DE CHASSE. 175 lutter de vitesse, se devancer, arriver premiers à la bête comme des chevaux de course au poteau. Leur façon de chasser est moins passionnante, moins émouvante. On a souvent remarqué que les jours de grande chasse, à Chantilly, par exemple, la foule admise sur les bords des étangs reste froide et indilTérente lorsque la trompe seule lui annonce l'arrivée du cerf chassé par des chiens anglais. Tandis qu'elle est vivement impressionnée (juand elle entend rouler dans le lointain, puis s'approcher, puis éclater l'orage terrible d'une meute vendéenne. 11 est facile de retrouver, dans la façon dont se conduisent ces deux races de chiens, les caractères des deux peuples. Nés d'un même sol, nourris des mêmes produits, grandis- sant sous le même soleil, plies aux mêmes habitudes, les honnnes et les animaux dans une nation agissent de même sorte et ont, pour ainsi dire, des physionomies et des carac- tères semblables. Nos voisins sont plus pratiques, plus utilitaires, i)lus silencieux que nous; en toute chose ils cherchent à arriver au but aussi promptemcnt (juc possible. Aux chasses au cerf de la reine d'Angleterre, les piqueurs ne prennent jamais la peine de faire relever les défauts par leurs chiens. Ce serait du temps perdu. Des gens apostés dans cinquante directions différentes guettent l'animal et avertissent de son passage les [)iqueurs (jui arrivent au triple galop, appellent avec une corne à bouquin les chiens accoutumés à se rallier à ce bruit, et les remettent sur la voie, abrégeant ainsi de moitié la durée de la chasse. Vite, vite, il faut [)rendre la bête. En France, au contraire, on aime la chasse pour elle- même, le grand tapage, le hourvari, les meutes aux voix retentissantes, et nos chiens l'aiment comme nous. Leur plaisir s'accroît avec les difficultés; ils savent déjouer les ruses du gibier, ils démêlent ses traces, ils crient leurs InciuiéUldes et leurs joies, ils seraient mécontents d'une 176 LE CHIEN. trop faible victoire. Aussi, si nous avions à choisir, les pré- férerions-nous à tous les autres. Mais les grandes chasses à courre se font rares. Elles sont, comme autrefois, le privilège de quelques seigneurs ou de quelques princes de la finance. Les favorisés de saint Hubert sont maintenant peu nom- breux ; aussi ne fête-t-on phis guère le patron des veneurs Nous le regrettons au point de vue pittoresque. Ce fut jadis une belle fête que la fête de saint Hubert. Autrefois dans la campagne, dit Lcverrier de la Conterie, la chapelle du vieux manoir, ou mieux encore en fin fond de forêt, sur l'autel en ruines, élevé par la piété d'un pèlerin à saint Hubert ou à Notre-Dame des Bois, un clerc lisant dans un missel enfumé, dépêchait la messe du bienheureux l)alron ; autour se pressaient les veneurs debout et décou- verts, la trompe au col, le couteau de chasse à la ceinture; les valets de limiers tenant les limiers à la botte, les pi- queurs contenant sous le fouet la docile impatience des chiens couplés. Plus loin, les chevaux attachés frappaient la terre en frémissant et complétaient le tableau que cou- vrait de son ombre religieuse la grande voûte de la futaie. A la consécration, les trompes faisaient entendre la Saint- Hubert. A ce bruit tant aimé, les chevaux hennissaient, les chiens s'écriaient d'ardeur, et cet éclat soudain allait trou- bler au loin la tranquille solitude de la forêt. Cependant le clerc bénissait le pain des veneurs, qui devait pendant l'an- née préserver le chenil du fléau de la rage; p,uis après, quand la dernière parole de prière s'envolait des lèvres, les veneurs étaient en selle, et le gai cortège se hâtait; car les revoirs étaient beaux, la brisée bonne, le succès certain. Bientôt la forêt s'animait d'une vie nouvelle au beau lan- gage des veneurs, aux cris plaisants des chiens Le jour de la Saint-Hubert il était d'usage, dans la véne- rie, de décorer d'une rosette rouge le plus vieux piqueur, LES CHIENS DE CHASSE. 179 le plus vieux cheval et le plus vieux chien de l'équi- page. Aujourd'hui encore, certains veneurs fidèles à la tradition assistent le matin de la fête du saint à une messe, après la- ciuelle le prêtre donne sa bénédiction aux chasseurs et aux chiens. Léon Gozlan a décrit de sa plume brillante une des der- nières messes de chiens à 'Chantilly. Les écrivains cynégé- tiques se complaisent dans les récits des grandes chasses à courre, spectacles merveilleux dont nous n'entrepren- drons pas la narration à notre tour. Sans doute l'admirable instinct du chien, son intelligence, son courage s'affirment dans ces héroïques poursuites; sans le chien, l'homme ne pourrait s'emparer que par la ruse des cerfs aux pieds agiles et des biches craintives ; mais peut-être nos lecteurs ont-ils quelque pitié pour ces jolis animaux qui pleurent au montent de mourir. Tout le monde ne les saurait consi- dérer comme ce veneur croyant qui affirmait qu'elles sont données par la Providence aux chasseurs pour la joie de l'hallali. Contentons-nous donc de constater que les chiens de chasse à courre ont accompli des exploits et que l'histoire a conservé les noms des plus célèbres d'entre eux, Bélus, Néreslan, etc. Jadis on entendit des gentilshommes s'écrier : Si je perdais mes chiens je perdrais mon honneur! Ils croyaient cela, ces robustes seigneurs. L'homme encore imparfaitement civilisé ne savait que combattre et chasser, penchant commun à tous les animaux qui aiment la chair (cette remarque est de Buiïon), lorsque ces animaux ont des armes ou la force nécessaire. On s'explique donc qu'à une époque moins civilisée l'honneur des uns se soit confondu avec l'honneur des autres. 180 LE CHIEN. Si do nos jours [il n'y a plus guère de grandes chas- ses et par conséquent de grandes meutes, à cause de la di- vision des terres, du petit nombre de forêts et de la rareté des gros animaux, la chasse au chien courant n'est cepen- dant pas abandonnée. Elle se fait sur une plus petite échelle, avec un petit nombre de chiens, quelquefois avec un seul ; mais elle offre encore un vif attrait à ceux qui la pratiquent. Le chien courant, moins fidèle, moins soumis à son maî- tre que le chien d'arrêt, donne plus de preuves de son intel- ligence, ou du moins de son esprit d'initiative. Il ne rap- porte pas le gibier, il le dévore quand il peut, il chasse en quelque sorte pour lui ; il sait que si le lièvre poursuivi n'est que blessé par le coup de fusil de son maître, il pourra l'atteindre dans le bois, et il faut pour découvrir la .piste, pour la suivre, faire preuve d'une sagacité extraordinaire et combiner des idées. Les ruses du gibier ne sont pas toujours faciles à devi- ner; aussi les jeunes chiens sont souvent en défaut : em- barrassés sur la voie, ils s'arrêtent gueule béante, incer- tains, ne sachant de quel côté se diriger. Si soudain éclate dans le bois la voix d'un vieux sachant son métier, ils n'hésitent pas à se Irallier à lui, comme des écoliers qui aiment à recevoir les leçons du maître. Quant aux chiens expérimentés, c'est merveille de les voir défaire la nuit d'un animal sauvage, et, le nez collé sur la piste, débrouiller les allées et venues du gibier comme s'il s'agissait d'un écheveau de fil entortillé; puis, lors- qu'ils ont mis la bête debout, ils s'élancent, ils aboient à pleine gorge. Parfois, emportés par leur ardeur, ils per- dent la trace ; ils reviennent alors sur leurs pas, ils font leurs retours, sagement, habilement, décrivant des cercles de plus en plus étroits autour de l'endroit où ils ont perdu; enfin, certains de leur affaire, ayant de nouveau déjoué LA MESSE DES CHIENS LE JOUR DE LA SAINT-HUBERT. LES CHIENS DE CHASSE.' 183 la ruse, le saut, la fuite du gibier, ils repartent et ne s'ar- rêtent que lorsqu'un coup de fusil leur apprend que la victime a succombé. Parmi les chiens courants, il importe de citer les bassets, qui sont d'origine très ancienne et qui, à jambes droites ou à jambes torses, rendent d'importants services dans les grandes et les pr^litcs chasses à courre. BASSETS A JAMBES TORSES. On s'imagmc quelles devaient être les qualités d'un bon chien de chasse à une époque où on n'avait pour atteindre le gibier de loin que des arbalète:» ou des aiquebuscs. Aussi l'éducation de ces animaux était une grave question, et c'est presque par centaines qu'il faut compter les traités relatifs aux chiens de chasse, livres fastidieux pour la plu- part et que nous nous garderons bien d'énumérer. Le chien couchant ou chien d'arrêt, qu'on emploie pour 18^4 .E CHIEN. la chasse à tir, est une des espèces les plus connues et les plus étendues. Leur nom vient de ce que les dresseurs du moyen âge les contraignaient à se coucher sur le ventre et à rester immohiles auprès du gibier. Parmi les variétés les plus estimées, on distingue le braque, Yépagneul, le griffon, le chien barbet et le pointer, sorte de braque d'origine assez récente et qui nous vient d'Angleterre. Le braque, léger, vigoureux, a la quête vive et brillante. C'est lui (jui con- serve le plus de nez pendant les grandes chaleurs; mais en général il ne va pas à l'eau. L'épagneul, doux, soumis, fidèle, arrête et rapporte à merveille; mais il perd en partie son odorat dans les sé- cheresses prolongées et se montre parfois trop timide. On en distingue différentes espèces qui, presque toutes, for- ment de bons chiens de plaine. Le griffon, vigoureux, robuste, au poil long et rude, tient LES CHIENS DE CHASSE. 185 de l'épagncul et du barbet, et nous vient, paraît-il, d'Ita- lie. De moins belles formes que les précédentes, il rend de grands services, surtout au bois; le braque et l'épagneul vont mal au fourré; devant un roncier d'épines, ils recu- lent, ils tâtonnent, ils hésitent, ils ont peur de se piquer; tandis que, grâce à sa rude toison, le griffon, sans hésiter, pénètre dans les plus impénétrables redoutes. Le barbet, dont le poil est frisé et touffu, et qui est pour ainsi dire vêtu de laine, n'est point un beau compagnon; il a le corps gros et court, les jambes un peu dispropor- tionnées, la tète ronde et assez mal attachée aux épaules; mais s'il ne possède pas l'élégance, il rachète ce défaut se- condaire par les plus grandes qualités; doué d'odorat au même point que les mieux favorisés, fidèle à toute épreuve, il est en môme temps le plus intelligent des chiens de chasse et propre à tous les services. Il nage naturellement, se jette à l'eau aussi volontiers qu'il se lance au bois et 24 186 LE CHIEN. cela avec tant d'aisance qne les capitaines de vaisseau les prennent souvent à bord et les envoient sans crainte à la mer pour chercher ce qui tombe du navire ou pour rap- l)orter les oiseaux de mer blessés d'un coup de fusil. Mal- heureusement, comme beaucoup d'êtres disgraciés il a une santé délicate et il faut (pi'on prenne de lui les plus grandes précautions. Quant au jjointer, il est superbe, svelte, rapide, gracieux; aucun animal ne flatte davantage l'œil du chasseur et la vanité du maître. Mais si le pointer rend des services, il ne vaut pas certes le modeste barbet; il semble, quand il chasse, plus préoccupé de l'effet (pi'il va produire que de l'accomplissement de sa tâche; il bondit par-dessus les sil- lons, elîarouchant le gibier, le faisant partir loin de portée ou bien le laissant en place, sautant par-dessus, soucieux du galop plus que de la recherche. Ce qu'on doit demander à un chien d'arrêt, c'est d'être en parfaite communication avec le chasseur, de le prévenir par ses allures, par son attitude, par son regard, de lui obéir au moindre signe, de ne point s'éloigner de lui sans en avoir reçu l'ordre, de chasser utilement, savamment, de façon à déjouer les ruses des perdrix qui piètent, à décou- vrir les gîtes des lièvres à demi enfouis dans les guérets, des lapins tapis dans les buissons. La chasse au chien d'arrêt plaît aux hommes silencieux et qui n'aiment point le bruil. Ils s'en vont avec leur compa- gnon, d'un pas tran(|uille, ne laissant pas échapper un sil- lon, une touffe d'herbe, un accident de terrain insignitiant sans les fouiller du regard, sans y mettre le pied ou le canon du fusil, tandis que, à quelques pas, attentif, con- centrant toute son intelligence, le chien, la tête haute, s'en va, éclaireur vigilant, prêt à marcher au plus petit geste, à droite, à gauche, en avant ou en arrière. Le bon chasseur fait le bon chien; non seulement il sait LES CHIENS DE CHASSE. 187 lui donner par de fréfjuents et patients enseignements l'édu- cation nécessaire, mais encore il s'associe à son plaisir et le récompense de ses peines. Mais le bon chien, une fois bien dressé, manifeste un dédain véritable jiour le mauvais chasseur. On connaît peut-être une anecdote qui maintes fois a été contée, mais c|ui du reste ne saurait être mise en doute ; bien souvent nous-même avons été témoin de faits à peu près semblables. Un Parisien se trouvait un jour d'ouverture chez un riche propriétaire de ses amis; on le veut mettre en campagne avec les chasseurs : il résiste pendant quelque temps, aftîr- mant avec franchise sa maladresse. Enfin on le décide en lui confiant le meilleur chien d'arrêt de la maison. 188 LE CHIEN. Le chien obéissant, nn braqne merveilleux, l'accompa- gne. Les voilà sur le terrain. Un arrêt d'une fermeté non équivoque. Des perdreaux se lèvent de tous côtés; deux coups de fusil les saluent, mais aucun n'est frappé. Le braque continue à parcourir la plaine; bientôt il s'arrête de nouveau : un lièvre déboule. Deux autres coups de fusil se font entendre ; le lièvre ne court que mieux. Le braque se retourne inquiet, comme mécontent. Cependant, en chien bien élevé et qui comprend les égards dus à un hôte, il se remet en campagne. Troisième arrêt; troisième salve. Môme résultat. Le chien se retourne de nouveau, semble hésiter, se de- mande s'il va fuir et rejoindre un chasseur digne de ce nom. Enfin, une quatrième fois des perdreaux partent, qui en sont quittes pour la peur. Alors, tandis que son maître d'occasion, bouche béante, les yeux écarquillés, regarde les oiseaux s'envoler, le bra- que, profondément humilié, passe derrière le chasseur et lève irrévérencieusement la patte contre la botte du maladroit. Il ne pouvait autrement témoigner son mépris. Les chiens ont le sentiment de leur dignité. Beaucoup d'entre eux sont tués chaque année par des ti- reurs maladroits, et l'on citait l'an passé un chasseur qui blessa son chien mortellement. Le pauvre animal revint couvert de sang, eut la force de se dresser encore sur ses pattes de derrière en appuyant celles de devant sur la poitrine de son maître, puis il fixa sur lui un regard dont l'approche de la mort augmentait la douloureuse expression, poussa un gémissement plaintif et tomba pour ne plus se relever. L'émotion du chasseur fut si violente qu'il fondit en larmes. Un sot voulut railler : « Diable ! fit-il, voilà une mémoire de chien plus honorée que celle de bien des chrétiens. « Silence, monsieur, répondit froidement un témoin de la LES CHIENS DE CHASSE. 189 scène. Ces larmes n'honorent pas le chien, mais celui qui les verse. » % 0 :/// oi*^^,..,-"^ MEPRIS DU CHIEN DE CHASSE POUR LE MALADROIT. Ce fut une bonne leçon. Les méchants seuls sont incapables d'affection pour les animaux qui les servent. ^^.^^ CHAPITRE VII LE CHIEN DANS LINTIMITE L'homme dit : Notre ennemi c'est notre maître. Le chien, au contraire, a son maître pour ami. Nous avons dit com- ment il le sert et comment il le chérit; voyons maintenant comment il contribue à ses plaisirs et quelle place il tient au foyer. Bon pour tous ceux qui l'approchent, toujours prêt à dé- fendre les faibles, les enfants, ami de la maison et ne con- naissant que les amis de la maison, il tient une large part dans la vie de famille; souvent il s'est montré, non seule- ment comme un soutien, mais encore comme un consola- teur, et plus d'un être humain lui doit d'avoir pu goûter, après d'affreux malheurs, quelques instants de joie. LE CIIIEN DANS L'INTIMITÉ. 191 Le plus tendre des poètes, Lamartine, a tracé du chien intime un portrait admirable c|ue beaucoup connaissent, mais qui doit être cité en entier dans ce volume. Voulant peindre dans Jocelyn l'afTection de son héros pour Laurence, il lui prête ces paroles : Mais les comparaisons manquent; je me souvien D'avoir eu pour ami, dans mon enfance, un chien, Une levrette blanche, au museau de gazelle, Au poil onde de soie, au cou de tourterelle, A l'œil profond et doux comme un regard humain ; Elle n'avait jamais mangé que dans ma main, Répondu qu'à ma voix, couru que sur ma trace. Dormi que sur mes pieds, ni flairé que ma place; Quand je sortais tout seul et qu'elle demeurait, Tout le temps que j'étais dehors, elle pleurait; Pour me voir de plus loin aller ou reparaître, Elle sautait d'un bond au bord de ma fenêtre Et, les deux pieds collés contre les froids carreaux. Regardait tout le jour à travers des vitraux; Ou, parcourant ma chambre, elle y cherchait encore La trace, l'ombre au moins du maître qu'elle adore. Le dernier vêtement dont je m'étais couvert, Ma plume, mon manteau, mon livre encore ouvert; Et l'oreille dressée au vent pour mieux m'entendre, Se couchant à côlé, passait l'heure à m'attendra. Dès que sur l'escalier mon pas retentissait, Le fidèle animal à mon bruit s'élançait, Se jetait sur mes pieds comme sur une proie, M'enfermait en courant dans des cercles do joie, Me suivait dans la chambre au pied de mon fauteuil, Paraissant endormi me surveillait de l'œil; Là, le son de ma voix, la plainte inachevée, Ma respiration plus ou moins élevée. Le moindre mouvement du pied sur le tapis. Le clignement des yeux sur le livre assoupis, Le froissement léger du doigt entre la page. Une ombre, un vague éclair passant sur mon visage. Semblaient dans son sommeil passer et rejaillir. D'un contre-coup soudain la faisaient tressaillir : Ma joie ou ma tristesse en son œil retracée N'était qu'un seul rayon d'une double pensée. ]92 LE CHIEN. Elle mourut, encor son bel œil sur le mien. Que de pleurs je versai! Je l'aimais tant! Eh bien, Quoique ma plume tremble, en glissant sur la page, De ternir dans mon cœur l'amitié par l'image, Que de l'âme à l'instinct toute comparaison Profane la nature, et mente à la raison, Ce charmant souvenir de mon heureuse enfance Me revient dans le cœur quand je songe à Laurence. Cet ami de ma race à présent m'aime autant... Ainsi le plus bel éloge que Lamartine puisse faire de l'amitié humaine, c'est de la comparer à l'amitié du chien pour son maître; il s'étonne d'avoir rencontré quelqu'un de sa race capable de lui témoigner une affection semblable. Il va plus loin encore; il appelle le chien son frère; il comprend, lui qui vécut jusqu'à ses derniers moments en- touré d'une sorte de meute de salon, il comprend qu'il ne faut pas traiter dédaigneusement l'intelligence des bêtes; il affirme qu'elles ont un cœur; et sa poésie douce et su- perbe répond victorieusement aux détracteurs des animaux. Et c'est avec les traits suivants qu'il complète l'inou- bliable portrait commencé plus haut : Le chien seul en jappant s'élança sur mes pas. Bondit autour de moi de joie et de tendresse, Se roula sur mes pieds enchaînés de caresse. Léchant mes mains, mordant mon habit, mon soulier. Sautant du seuil au lit, de la chaise au foyer. Fêlant toute la chambre, et semblant aux murs même, Par ses bonds et ses cris annoncer ce qu'il aime, Puis sur mon sac poudreux à mes pieds étendu Me couva d'un regard dans le mien suspendu. Me pardonnerez-vous, vous qui n'avez sur terre Pas môme cet ami du pauvre solitaire? Mais ce regard si doux, si triste de mon chien, Fit monter de son cœur des larmes dans le mien. J'entourai de mes bras son cou gonflé de joie; Des gouttes de mes yeux roiUèrent sur sa soie: LE CHIEN DANS L'INTIMITE. 193 0 pauvre et seul ami, viens, lui dis-je, aimons-nous! Car partout où Dieu mit deux cœurs, s'aimer est doux. N'avoir que ce seul cœur à l'unisson du vôtre, Où ce que vous sentez se reflète on un autre ; Que cet œil qui vous voit partir ou demeurer, Qui, sans savoir vos pleurs, vous regarde pleurer; Que cet œil sur la terre où votre œil se repose, A qui, si vous manquiez, manquerait quelque chose, Ah! c'est affreux peut-être ! Eh bien, c'est encor doux ! G mon chien ! Dieu seul sait la distance entre nous; Seul il sait quel degré de l'échelle de l'être Sépare ton instinct de l'âme de ton maître ; Mais seul il sait aussi par quel secret rapport Tu vis de son regard et tu meurs de sa mort. Et par quelle pitié pour nos cœurs il te donne, Pour aimer encor ceux que n'aime plus personne. Aussi, pauvre animal, quoique à terre couché. Jamais d'un sot dédain mon pied ne t'a touché; Jamais d'un mot brutal conlristant ta tendresse, Mon cœur n'a repoussé ta touchante caresse. Ah! mon pauvre Fido, quand, tes yeux sur les miens. Le silence comprend nos muets entreliens; Quand au bord de mon lit épiant si je veille, Un seul souffle inégal de mon sein le réveille; Que, lisant ma tristesse en mes yeux obscurcis, Dans les plis de mon front tu cherches mes soucis, Et que, pour la distraire, attirant ma pensée, Tu mords plus tendrement ma main vers toi baissée; Que, comme un clair miroir, ma joie ou mon chagrin Rend ton œil fraternel inquiet ou serein; Que l'àme en toi se lève avec tant d'évidence Et que l'amour encor passe l'intelligence, Non, tu n'es pas du cœur la vaine illusion, Du sentiment humain une dérision, Un corps organisé qu'anime une caresse, Automate trompeur de vie et de tendresse ! Non, quand ce sentiment s'éteindra dans tes yeux, Il se ranimera dans je ne sais quels cieux! Comment Lamartine faisait-il ses vers? s'est demandé M. de Lacretelle dans le livre de souvenirs qu'il a consacré ■23 [<^ti LE CHIEN. au poète. Il ne l'a jamais dit, mais on le devinait. Il appar- tenait à ses chiens plus que ses chiens ne lui appartenaient. Ils venaient sans cesse, et ils étaient une demi-douzaine, gratter à la porte qui donnait sur l'escalier tombant dans la cour. Lamartine n'était jamais sourd à cet appel. Il ou- vrait. Les chiens connaissaient les jours que leur esclave destinait à la poésie. Ces jours-là, ils sortaient et rentraient plus souvent qu'à l'ordinaire. Entre les allées et venues La- martine jetait un vers. C'est de la sorte que furent composés Jocelyn et la Chute d'un ange. Fido a été collaborateur. A dîner, chez lui, le poète emplissait largement ses as- siettes qu'il passait à ses chiens au grand désespoir des dames en toilettes. Le chien admis à vivre au milieu de nous est on ne peut plus intéressant à étudier. Il est bien certain que son intel- ligence se développe au contact de la nôtre et que, à force d'observations, de comparaisons, d'associations d'idées il par- vient à nous égaler sur bien des points. Mais ce qui préside à ses réflexions, ce qui en est la qua- lité dominante, c'est le désir incessant de plaire à son maître ; sa soumission vient de sa bonté, non de sa bassesse, et l'on en obtient toujours bien plus en le caressant qu'en le battant. Combien seraient malheureux et sans consolation s'ils n'avaient près d'eux un de ces tendres animaux, qui, si l'on est triste, vous regardent et semblent vous demander le secret de votre affliction ! Ils ne s'attachent point à la fortune et prodiguent leurs caresses même à ceux qui ne peuvent leur donner une nour- riture suffisante. Un vieillard en haillons venait chercher à la mairie de son village le pain que lui donnait le bureau de bienfaisance. Il était accompagné d'un chien aussi vieux, aussi maigre, aussi pauvre que lui. LE CHIEN DANS L'INTIMITÉ. 195 Le maire, gros propriétaire au teint fleuri, à la face rubi- conde, dit au mendiant : « Vous n'avez pas honte de par- tager avec celte bète ce que vous donne la charilé publique. On ne nourrit pas d'animaux quand on n'en a pas le moyen. — Hélas ! monsieur, pardonnez-moi, répondit le pauvre homme; mais quand je donne à cet animal les croûtes trop dures pour mes dents, il me regarde de telle manière que ma mie me paraît moins sèche; il me semble qu'il y a du fromage dessus. « Les manifestations de l'intelligence du chien sont, disions- nous, très curieuses et parfois fort amusantes. François I" a raconté que le chien de M. de Ruzé, con- seiller au parlement de Rennes, après avoir mangé une grappe de raisin breton « aboya dans le moment à ce cep de vigne, comme protestant de se venger de telle aigreur qui jà commençoit à lui brouiller le ventre ». Cette anecdote rapportée par M. Elzéar Blaze n'a rien qui puisse surprendre. 11 nous arrive d'exprimer de la sorte notre colère en criant lorsqu'un objet nous fait mal. Qui n'a brisé avec rage un vase maladroitement heurté? Et comme dit le vieux proverbe : « Il est plus fol que le chien qui aboyé à ses soupes, les cuidant par là refroidir. » Les chiens qui font mine de mordre quand on leur fait une mauvaise farce obéissent au même raisonnement. Qui sait les observer trouve dans cette étude un constant sujet d'inté- rêt; aussi les plus illustres personnages ont-ils souvent admis des chiens près d'eux. Citons entre autres Henri IV. Agrippa d'Aubigné, le vaillant qui toujours resta fidèle à sa foi, ayant rencontré l'épagneul dont le roi avait fait son compagnon, prit soin de cette pauvre bète abandonnée qui était venue le caresser. Voici comment il a conté le fait dans ses Mémoires. « .... Étant allé à Agen, j'y trouvai un grand épagneul qui avoit accoutumé de coucher sur les pieds du roi de Navarre, 196 LE CHIEN. et souvent dans son lit entre Frontenac et lui. Cette pauvre bête, qui étoit alors abandonnée de son maître et qui mou- roit de faim, m'ayant d'abord reconnu, vint aussitôt à moi et ne mit fin à ses caresses. a De quoi je fus si touché et si attendri que je mis ce mal- heureux chien en pension chez une femme de la ville, fai- sant oraver sur son collier ce sonnet : ti' Le ficJelle Citron, qui couchoit autrefois Sur votre lit sacré, couche ors sur la dure : C'est ce fulelle chien, qui aprit de nature A faire des amis et des traîtres le choix; C'est lui qui elïrayoit les brigands de sa voix, Des den's les assassins. D'où vient donc qu'il endure La fahii, le froid, les coups, les dédains et l'injure, Payement coutumier du service des rois? Sa fierté, sa beauté, sa jeunesse agréable Le fit chérir de vous; mais il fut redoutable A vos haineux, aux siens, pour sa dextérité. Courtisans, qui jeltez vos dédaigneuses vues Sur ce chien délaissé, mort de faim par les rues, Attendez ce loyer de la fidélité. » Le roi de Navarre passa dès le lendemain par Agen, ajoute Agrippa d'Aubigné ; le pauvre Citron lui fut mené ainsi accoutré; le Béarnais changea de couleur en lisant ces vers et resta tout confus. Les princes n'aiment pas être pris en flagrant délit d'in- gratitude. Longue serait la liste de ceux qui ont aimé les chiens. Albert le Grand se plaisait à en dresser qui, })endant tout le temps que duraient ses repas, lui servaient de chandeliers et tenaient gravement, sans faire un seul mouvement, une chandelle allumée entre leurs dents. Frédéric le Grand fut toujours très occupé de ses chiens. C'étaient des levrettes italiennes dont les historiens de sa LE CHIEN DANS L'INTIMITE. 197 vie ont conservé les noms. Biche et Alcmène étaient les fa- vorites: Phillis, Thisbé, Pan, Diana, Amoretto, Superbe, leurs compagnons de jeu. Les levrettes suivaient le prince partout, même à la guerre. Dans une de ses campagnes, Frédéric, poursuivi un jour par les Pandours, se réfugia sous un pont avec Biche C{u'il tenait serrée contre sa poitrine. Le bruit le plus léger pouvait signaler aux ennemis la présence du fuyard, le moindre mouvement pouvait le trahir et lui coûter la vie. Biche comprit le danger; au lieu d'aboyer sourdement comme font toujours les chiens à l'approche des étrangers, elle se tint coi, ne poussa pas un grognement, et retint pour ainsi dire son souffle. Quelque temps après Frédéric, allant en Silésie passer la revue annuelle de ses troupes, fut forcé de laisser Alcmène malade à Sans-Souci. Chaque jour un courrier lui apportait des nouvelles de la pauvre bète qui mourut pendant son absence. Il ordonna qu'on la déposât dans un cercueil sur une des tables de sa bibliothèque. A son retour il la con- templa pendant de longues heures et pleura amèrement, puis il la fit enterrer en grande pompe. Successivement six chiennes périrent et furent enterrées dans six terrasses de Sans-Souci; on plaça sur leurs tombes des pierres funéraires avec des inscriptions, et le monarque déclara qu'il voulait reposer au milieu de ses fidèles compagnes. « Quand on me portera en terre, se plaisait-il à répéter, je serai sans souci. » De là le nom donné à son château fa- meux. Jamais sa chienne préférée ne le quittait. La nuit elle couchait dans son lit. Les autres quittaient le soir l'appar- tement royal et y étaient ramenés à l'heure du réveil ; ils jouissaient alors de toute liberté. Ceux-ci s'étendaient à leur aise sur les canapés ou sur les fauteuils; ceux-là dé- chiraient les rideaux et les tentures. 11 était défendu de 198 LE CHIEN. s'opposer aux fantaisies de ces favoris qui tous avaient un domestique spécialement attaché à leur service et qui étaient nourris avec les mets de la table royale. Quand Frédéric allait en voyage, ses chiens le suivaient, gravement assis dans un carrosse à six chevaux; les laquais avaient l'ordre formel de leur parler avec respect, quoiqu'il leur fût permis de présenter des observations en ces termes : c Mademoiselle, je vous prie de rester tranquille et je vous conjure de ne pas aboyer si fort »^ A côté des amis des chiens il y a les maniacpies qui en vérité les aiment trop, et se transformant en misanthropes deviennent les ennemis de leurs semblables. Telle fut la princesse Anne de Wurtemberg qui vivait au dix-huilième siècle et possédait plusieurs douzaines de petits chiens. Lorsqu'un de ces animaux mourait, on l'enfermait dans un magnifique cercueil de plomb et sur la fosse on construisait exprès une superbe maison qui devait rester inhabitée. Des. pleureuses accompagnaient le convoi. Un jour une femme de chambre n'ayant pas témoigné une assez grande douleur à l'enterrement d'une favorite, la princesse de Wurtemberg se précipita sur elle armée d'une longue aiguille, avec laquelle elle lui fit des trous par tout le corps et dans ces trous elle versa de la cire fondante. Mais le conseil souverain api)ril cet acte de cruauté; il se réunit à Colmar et condamna la princesse à cinq années de bannissement. 11 est bon de témoigner de l'affection aux bêtes, mais cela ne dispense pas, croyons-nous, d'aimer quelque peu les hommes. Au reste les personnes qui témoignent une tendresse exa- gérée aux animaux ne sont pas en réalité celles qui les ai- ment davantage. 1. Memoirs of Ihc court of Prussia. LE CHIEN DANS L'INTIMITE. 199 Une jolie créole de la Havane, devenue une Parisienne accomplie, avait apporté de son pays deux petits chiens blancs gros comme le poing, de ces chiens au poil long et soyeux cjui ont détrôné les king's chartes. Elle leur prodiguait les soins les plus tendres, les acca- blait de friandises, les couvrait de baisers depuis le matin jusqu'au soir. Un matin la jeune femme poussa en s'éveillant un cri terrible. A côté d'elle gisait inanimée une des deux betes morte d'une indigestion pendant la nuit. Quand les premiers sanglots se furent apaisés, Madame donna l'ordre de consi- gner les visiteurs, comme dans un grand deuil, et fit venir un fourreur à cjui elle montra avec des gestes désespérés le cadavre de la chérie. « Je veux, dit-elle, qu'on fasse un manchon avec la peau de ma pauvre Paquita. — Je le veux bien, madame; seulement l'animal est petit; vous aurez un manchon de petite fille. » La belle créole parut un moment dépitée, mais soudain se frappant le front. « Eh bien, dit-elle au fourreur du ton le plus dégagé, en lui montrant la sœur de la défunte qui dormait sur un coussin, prenez aussi celle-là. » Puis elle s'en fut à sa toilette. Les excentriques, les originaux pullulent quand il s'agit du chien; dans celte courte peinture de leur vie privée comparée à la nôtre, il ne sera pas sans intérêt de rappeler quelques-uns des amateurs bizarres. Sir Francis Henry Egerton était un gentilhomme anglais dont la passion pour les chiens ne connaissait pas de bornes. Il entretint pendant fort longtemps une meute de quinze roquets portant un collier d'argent à double rang de gre- lots, troupe bruyante qui était admise au salon et môme dans le cabinet de travail. 200 LE CHIEN. On les promenait en grande pompe; milord Egerlon, qui avait la goutte, marchait lentement, appuyé sur deux valets de chambre; il était suivi de quinze grands laquais portant chacun un roquet dans ses bras. Deux de ces roquets, Biche et Bijou, étaient seuls admis à l'honneur de s'asseoir à la table de leur maître et sei- gneur. On les plaçait sur de hauts tabourets; ils avaient des manteaux de gala. Au commencement du repas, des valets leur attachaient une serviette au cou, et les servaient les premiers comme des invités de distinction. L'amphitryon les avait mis à la place des parasites et des pique-assiettes dont il était las et il les traitait avec les plus grands égards, prenant grand plaisir en leur compagnie. Ceux-ci, comprenant l'honneur qui leur était fait, obser- vaient les convenances et mangeaient fort i)roprement les mets exquis qu'on leur présentait. Malheureusement, un soir, il arriva à l'un d'eux une cruelle mésaventure. Le valet, qui ne l'aimait guère, lui donna une pâture Irop abondante, puis traîtreusement serra le ventre de Bijou qui poussa une légère plainte et souilla le siège sur lequel il était assis. Milord, révolté par cette infraction aux règles de la bien- séance, saisit d'abord un fouet, châtia ses deux convives, puis, après un moment de réflexion, fit venir son tailleur. Celui-ci accourut en toute hâte et demanda ce que Sa Grâce attendait de ses services. « Vous voyez ces deux insolents, répondit le gentilhomme en désignant Biche et Bijou; prenez-leur mesure et faites- leur aujourd'hui même une livrée. — Mais.... milord.... — Point de réplique. Un gentilhomme anglais qui paye doit toujours être servi. Un habit jaune, une culotte rouge, trois bandes rouges sur le dos. Je prive ces insolents drôles LE CHIEN DANS L'INTIMITÉ. 203 de riionneur de me voir. Pendant quinze jours ils porte- ront le même vêtement ({ue mes valets, seront nourris comme à la cuisine et resteront dans l'antichambre. » Le lendemain les chiens portaient la livrée. Leur peine subie, ils reconquirent leur place h table et se comportèrent alors, dit l'auteur anonyme de la Chronique indiscrète du dix-neuvième siècle, avec convenance. Il faudrait, comme dans le roman de Lesage, pouvoir soulever le couvercle de toutes les maisons pour dire toutes les choses extraordinaires qui arrivent aux chiens. Qu'il nous suffise de constater qu'ils sont devenus en quelque sorte une partie de nous-mêmes; qu'ils sont mêlés à notre société, à notre civilisation d'une façon si intime que, si on venait à les supprimer tout d'un coup, l'aspect de cette société et de cette civilisation se transformerait et serait changé sur bien des points. Il y a, n'en déplaise à notre vanité, une grande ressem- blance entre les physionomies des hommes et celles des chiens. Est-ce nous qui leur ressemblons, ou bien nous ressemblent-ils? Les Allemands écriraient là-dessus mille traités (je crois même qu'ils en ont écrit quelques-uns), et tout cela ne prouverait rien. La seule chose certaine, c'est que des faces ornées de poils, composées d'un front, de deux yeux semblablement disposés, d'un nez placé au milieu de ces yeux, d'une bouche, d'un menton, offrent de grandes analogies. L'habitude de vivre avec nous dans une communauté presque absolue a pu prêter aux chiens certaines expres- sions communes à notre espèce. Les dessins de Granville le montrent clairement. Il est bien certain, selon nous, que les gens qui vivent pendant longtemps dans une intimité complète finissent par avoir une sorte d'affinité. Selon le sol et selon les climats, avons-nous dit, les hommes, les ani- maux, les plantes, et il faut aller jusqu'à dire les rochers, 20'4 LE GIIlEiN. ont entre eux comme un air de famille. Or il est arrivé que le chien, compagnon de l'homme, qui nous ressemble parce qu'il nous observe plus que nous ne l'observons et dont la face se rapproche de la nôtre, nous ressemble davan- tage à mesure que se prolonge notre intimité. Selon que le leur a permis la diversité de leurs organes, la variété de leur conformation, ils rappellent maintenant, et d'une manière exacte (cela est le produit du travail des siècles), ils rappellent toutes les catégories de l'espèce hu- maine, et l'on peut compter parmi eux autant de castes que parmi nous. Le lévrier est l'image de l'aristocratie près de laquelle il a vécu depuis si longtemps ; peu à peu il a subi le sort de ses anciens maîtres : il est resté joli mais il est devenu de moins en moins utile. La charmante levrette que l'on pro- mène, si fièrc et si dédaigneuse qu'elle soit, ne parvient pas à cacher sa sottise. Sa suffisance indique son imbécillité. Elle se croit intéressante ; chacun la trouve ridicule et le poète Chatillon, mort récemment, s'est fait dans une ])oésie réaliste célèbre l'écho des quolibets du peuple : Y-a t'-y rien qui vous agace Comme un'levrette en pan' lot Quand y a tant d'gens sur la place, Qui ont rien à s'metr sur l'dos. Ça vous prend un p'tit air rogue, Ça vous r'garde avec mépris. Parlez-moi d'un chien boul'dogue ! En v'Ià-z-un qui vaut son prix. Il ne faut point demander h la levrette autre chose que la beauté. Le chien d'appartement personnifie la vie élégante en ses raffinements, en ses mièvreries. Les griffons, les king's chartes, les havanais, dorlotés, choyés, bourrés de frian- LE CHIEN DANS L'INTIMITE. 205 dises, sont impérieux, criards, capricieux comme de jolies femmes. Tandis que le chien plébéien a toujours le môme robuste appétit, qu'il siq)i)orte sans s'en apercevoir la pluie et le froid, le chien patricien s'enrhume dans un courant d'air et de sa petite gueule dédaigneuse repousse les friandises LES KlNG S CHARLES. dont on l'accable. Il est blasé sur tout, il ne trouve plus de saveur aux mets les plus succulents. Il a des souffrances de sentiment inconnues de ses ro- bustes camarades; une caresse faite à un rival, une parole brusque l'affectent et le chagrinent. A l'apercevoir mollement assis sur les coussins d'une voi- ture, regardant dédaigneusement les passants d'un air ennuyé tandis que sa maîtresse est entrée dans quelque 206 LE CHIEN. magasin, on est tenté de l'envier, on pense qu'il est heu- reux. «Détrompez-vous, répondrait-il s'il, pouvait prendre la parole; le chien heureux, c'est ce grand gaillard qui passe là-bas le nez au vent, la queue frétillante, allant courir des aventures qui me sont défendues à moi qui me dois à la race dont je suis sorti. » Le petit chien du grand monde souffre de tous les ma- laises de son maître; il apparlicnl « à la grande névrose », il a ses nerfs et ses migraines. Le moindre bruit l'agace, la plus petite contrariété l'abat. Il redoute les fatigues phy- siques et, comme il ne sort guère qu'en voiture, il devient obèse ou bien paralytique. Un ivrogne apprit à son chien à boire du vin et lui donna la goutte, est-il dit dans un ouvrage scientifique; les gens du monde apprennent à leurs chiens tous leurs défauts et toutes Jeurs mauvaises façons de vivre; l'hygiène étant mau- vaise, bêtes et gens souffrent des mêmes maux et ils ont beau s'en aller de compagnie passer, parce que la mode l'exige, quelques jours au bord de la mer, ils deviennent la proie des maladies nerveuses. Que l'on compare ce carlin citadin, ce produit d'une civi- lisation trop raffinée, ces petits animaux devenus minus- cules par suite de la décadence de la race, qu'on les com- pare au terre-neuve vaillant et de belle humeur, robuste sauveteur plein de santé et de courage. En général, les chiens de montagne, faits pour la vie à l'air libre et le travail indépendant, rappellent par leurs franches allures les ouvriers des campagnes; les boule- dogues à la mine revôche, à la griffe solide font songer aux sergents de ville. Les griffons, bien dressés au rapport, sont des conservateurs de race; les chiens de chasse, des bourgeois intelligents, avisés. Les mâtins querelleurs, les roquets hargneux représentent nos atrabilaires et ceux de LE CTIIEN DANS L'INTIMITE. 207 noire espèce qui ont la tète près du bonnet. Les havanaises à la mine provocante, qui ne cessent de faire des agaceries aux passants, ont bien des ressemblances avec les dames qui logent dans le quartier Breda. Les chiens anglais ont la morgue de leurs maîtres. Les caniches et les bulls sont les fidèles; le barbet, c'est le bohème qui se plaît à courir les rues et le braque, c'est le gandin élégant et coureur qui n'a point l'air trop rusé, mais qui est incapable de méchan- ceté. On retrouve parmi ces bêtes poilues à quatre pattes, a dit un écrivain d'esprit, tous les personnages de Balzac, depuis le baron Hulot jusqu'à Vautrin,* depuis la duchesse de Mau- frigneuse jusqu'à Mme Marneffe. Les ressemblances, nous le répétons, s'accentuent à me- sure que le chien tient une plus grande place dans l'inti- mité, et la passion de certaines personnes pour les chiens est parfois ridicule. L'excès en tout est un défaut; qu'on soit canophi'e, nous le désirons, mais qu'on ne devienne point canornajie. En réalité, le chien, Buffon l'a constaté, prend le ton de la maison qu'il habite; il est l'ami de nos amis. Il est, a dit récemment M. Ernest Renan, se servant d'une expression charmante, il est l'animal dans lequel la nature nous montre le mieux son sourire bienveillant. Scheitlin, qui peut-être a le mieux, depuis Buffon, étudié l'espèce canine, constate que, si les différences physiques de leur espèce sont graves, leurs différences intellectuelles le sont plus encore. Les uns n'apprennent rien, les autres ap- prennent tout; ce que ceux-ci aiment, ceux-là le détestent. Il en est ainsi chez nos semblables. Mais, ajoute le savant auteur, chez certains chiens, chez le caniche surtout, il semble que la parole seule établit une différence avec l'homme. Son intelligence est aussi parfaite. Il fait preuve d'intelligence, de mémoire, de jugement, d'ima- 208 LE CHIEN. gination, de facultés morales. Il est afTcctueiix, fidèle, recon- naissant, vigilant pour son maître et pour ses amis; il com- prend tous les signes et tous les gestes, il sait aller chercher les pantoufles et ôter les bottes comme il apprend à tourner la broche et à faire des tours. Il se montre courageux et plein de rage contre les ennemis de ceux cju'il aime; mais dans l'intimité il ne cesse d'être gai, charmant, toujours prêt à jouer comme un enfant, mais aussi toujours prêt à obéir. Il s'instruit lui-même par l'observation ; il imite l'homme, il est curieux et attentif, capricieux et distrait. S'il s'ennuie, il cherche des moyens de distraction et demande qu'on l'occupe. Il prête aide et assistance à ses semblables et se plaît à jouer avec les animaux de la maison qui, loin de s'effrayer, témoignent un vif plaisir lorsqu'ils le voient s'approcher. J'en ai connu un qui, devenu l'intime compagnon du cheval de son maître, courait à ses côtés et lui sautait aux naseaux et le léchait lorsqu'il voyait que son compagnon avait trop chaud. Ce chien, si l'on partait sans lui avec la voiture, trouvait moyen de sauter à travers un carreau de vitre et ne rejoignait ses amis que lorsqu'ils étaient trop loin pour être tentés de le ramener. Nous avons parlé de la faculté qu'ont les chiens de pro-^ noncer des mots. Gall affirme qu'un des chiens vivant dans son intimité absolue comprenait toute sa conversation. L'illustre physiologiste a fait à ce sujet les observations les plus suivies. Lorsqu'il quitta l'Allemagne pour venir s'établir à Paris, l'animal qui l'avait suivi ne comprenait plus rien à ce qui se disait. Mais peu à peu, a raconté Gall lui-même, il apprit le français et devint également fort dans les deux langues. — Je m'en suis assuré en disant devant lui des périodes en français et en allemand. M. Brehm rappelle à son tour une femme très connue à LE CHIEN DANS L'INTIMITE. 209 Chaillot, il y a peu d'années, sous le nom de la mère aux chiens. Cette femme a prouvé que son chien, un caniche, comprenait tout ce qu'elle disait. Un jour, sans élever la voix, sans le regarder, elle feignit d'entrer en marché avec quel- qu'un, lui demandant combien il voulait acheter son caniche ; celui-ci vint aussitôt se rouler à ses pieds, la suppliant de ne pas donner suite à ce projet. Lentz a vu des chiens qui comprenaient toutes les paroles de leur maître et exécutaient tous ses ordres ; sans qu'un geste fût fait ils ouvraient ou fermaient les portes, et choisis- saient un chapeau désigné. C'est plaisir, dit cet auteur, de voir la joie du chien et sa fierté lorsqu'il a bien fait ce qu'il devait faire, sa honte lorsqu'il a commis quelque action répréhensible. Si dans ce cas il croit que son maître ne s'en est pas aperçu, il bâille, fait l'indifférent, l'endormi, de manière à écarter tout soupçon, mais son regard inquiet et furtif dément cette tran- quillité affectée. C'est dans la maison qu'il faut l'observer pour se rendre bien compte de son intelligence. Son ingéniosité le rend fécond en ressources. Plutarque, dont la sincérité ne saurait être mise en doute, a vu un chien qui jetait des petits cailloux dans une cruche à demi pleine d'huile pour en faire monter le liquide et le laper ensuite. Le fait suivant, raconté par un officier, prouve que quel- quefois le chien, peut cependant être victime de la malice d'animaux plus rusés. Des corneilles perchées près d'unjeune chien le regardaient ronger un os. Ayant selon toute apparence concerté un plan, une d'elles descend, tourne quelque temps autour de l'animal occupé, puis enfin prend son parti résolument et donne un coup de bec sur la queue du mangeur; celui-ci irrité se re- tourne pour mordre et laisse tomber son os; au même 27 210 LE CH[Ex\. moment une autre corneille apostée se précipite sur le mor- ceau friand et s'envole avec sa prise, tandis que le pauvre affamé aboyant lève le nez en l'air. On pourrait intituler ce fait la revanche du corbeau. Mais devenus un peu expérimentés les chiens ne se laissent plus prendre à de semblables ruses. Nous en avons vu qui, n'ayant plus faim, au lieu de prendre le pain qu'on leur présentait, faisaient semblant de ne pas voir et baillaient afin de ne pas être corrigés; ou bien ils emportaient ce pain dans la cour et le cachaient sous un petit monceau de sable, afin de le retrouver le lende- main. — Un, entre autres, avait établi son garde-manger dans le poulailler; parfois les poules découvraient sa ca- chette, et lui, à la chaîne, voyait ce rapt. Il aboyait aus- sitôt pour signaler le vol et donnait les signes de la joie la plus vive lorsqu'on gourmandait les pillards. Un chien blessé ayant eu la patte soignée et guérie par un homme qui n'était point son maître, lui amena et lui pré- senta quelque temps après un autre cliien dont la patte venait d'être cassée. Un autre faisait semblant de boiter lorsqu'on l'appelait pour le châtier. Celui-là, étant d'ordinaire constipé, avait compris le bien que lui faisaient les lavements et venait les solliciter avec une mimique expressive. Cet autre, à l'heure des repas, demandait les clefs, ouvrait les armoires et mettait le couvert. Le chien de Ninon de Lenclos, le célèbre Raton, assistait à tous les repas de sa maîtresse et l'empêchait de toucher à aucun des mets défendus par le médecin. Celui-ci, sachant qu'à certains jours il allait avoir en ville une bonne nourriture, dédaignait sa pâtée du matin. Le fait qui suit est authentique, et prouve que nos héros sont économes. LE CHIEN DANS L'INTIMITE. 211 Un chien est laissé seul à la garde d'une maison. Chaque année maîtres et domestiques s'en vont pour un mois et confient à l'animal le soin de veiller. On lui laisse trente biscuits de mer, pour trente jours; et il y a à sa disposition une pièce d'eau. Chaque jour ce chien mange un biscuit, jamais deux; on peut revenir au bout de dix, de quinze, de vingt jours, le compte est toujours exact; il ne manque que dix, quinze ou vingt biscuits et le brave chien n'abandonne jamais son poste. Un autre, mécontent d'un domestique (pii ne le choyait pas, hurlait lorsque cet homme plaçait le pied à côté de sa patte, afin de laisser croire qu'on lui faisait mal et d'attirer une réprimande. Ils possèdent nos qualités et aussi quelques-uns de nos défauts; on en voit qui sont gourmands, jaloux. Aucun animal n'est jaloux au même degré que le chien. Tout lui porte ombrage lorsqu'il s'agit de l'amitié de son maître; il ne permet pas qu'en sa présence on témoigne des marques d'affection à quelque autre animal ou, s'il ne peut s'y opposer, il s'en montre fortement affecté; il témoigne sa douleur par des jappements plaintifs ; son œil se mouille de pleurs, il détourne la tête et tout en lui indique la douleur. Quelquefois même il n'est pas maître de lui, il s'élance, il mord l'objet de sa colère; sa passion l'élève au-dessus de ses appétits et de ses instincts, le transforme de doux et d'obéissant qu'il se montre d'ordinaire en un animal presque féroce et il manifeste des colères humaines. Mais ils obéissent à des sentiments plus généreux. Non seulement ils compatissent à nos peines, mais encore ils éprouvent un violent chagrin lorsqu'ils perdent des amis de leur race. Dernièrement, dans une rue de Paris, nous vîmes un rassemblement. Sur l'angle d'un trottoir gisait un ca- niche mort; les pattes raides, le ventre ballonné, les yeux vitreux, le pelage souillé de boue et de sang. 212 LE CHIEN. Près de lui, un autre caniche de même taille et de même poil qui flairait son camarade, essayait de le ranimer, le poussait tantôt du museau et tantôt de la patte, et, à chaque tentative inutile, regardait tristement les spectateurs qui l'entouraient, comme pour leur demander assistance. Personne, en vérité, n'eut envie de plaisanter. UN COMPAGNON DE JEU. « Ce doit être son frère, » disait-on en s'éloignant avec un soupir. On a remarqué des chiens qui, dans les grandes villes, s'établissaient en quelque sorte commissaires de police, et qui, lorsque des chiens hargneux battaient des chiens plus faibles, s'en allaient protéger l'innocence comme fait la garde, avec cette différence qu'ils n'arrivaient jamais trop tard. LE CHIEN DANS L'INTIMITÉ. 213 Les chiens sont faibles avec les enfants; un bébé blond et rose leur fera subir mille tortures sans qu'ils se plaignent; ils lui obéiront volontiers et nous résisteront. M. de Gherville, que nous avons déjà cité plusieurs fois, a conté l'histoire d'une petite chienne à laquelle un enfant était parvenu à faire allaiter un lapin de garenne; jamais une chienne n'avait de la sorte laissé profaner sa dignité; elle n'eût point nourri cet ennemi de sa race, si l'en- fant de la maison ne le lui avait ordonné, et, après avoir soupiré, murmuré, protesté, elle se soumit et devint l'amie, la compagne des jeux de Jeannot lapin. Dans un des plus charmants livres de sa jeunesse, les Mémoires d'un orphelin, M. Xavier Marmier, avec l'exquise sensibilité, avec la simplicité émue qui caractérisent son talent, a dit l'aventure du chien Tambour qui protège un petit enfant contre les mauvais traitements d'une marâtre. Plein d'enthousiasme pour ce brave et honnête chien, l'aimable académicien songeant au sort réservé à l'espèce canine, s'est écrié : « N'y a-t-il pas dans un autre monde, des champs Élysées pour ces nobles animaux? Je ne parle point des coquettes Yucas, soignées par de charmantes comtesses; des jolis King's Charles, des soyeux havanais couchés sur un moelleux duvet, promenés en calèche, nourris de bis- cotes. Dans leur heureux destin ceux-ci n'ont qu'à se laisser choyer et dorloter. Mais les pauvres, braves, souffreteux ouvriers de la race canine! Mais le chien du pâtre et le chien de l'aveugle, les chiens des Esquimaux et les chiens du nord de la Sibérie, sans lesquels les habitants de ces froides contrées ne pour- raient subsister; ce chien qui se fait tuer pour défendre la vie ou le bien de son maître; mais tous ces doux, humbles et bienfaisants compagnons de l'homme, qui nous donnent de si admirables exemples de courage, de patience, de rési- 214 LE CHIEN. gnation. de dévouement, est-il possible qu'ils ne soient, selon l'expression d'un poète anglais, qu'une poussière animée : animated dust. Non, pour ceux qui les aiment, il n'est pas aisé de le croire. Quant à moi, je me les représente volontiers revivant après leur mort dans une heureuse et éternelle retraite, dans un immense jardin plein de fleurs et de fruits, par- semé de pelouses vertes et d'herbes toufîues, ombragé par de beaux bois, arrosé par des eaux limpides et tout entier peuplé d'animaux vertueux. A la porte de ce jardin sur un sol aride, nu, rocailleux, le charretier qui a maltraité ses chevaux; l'avare qui n'accordait aux siens qu'une nourriture insuffisante; le chasseur qui pour un vain plaisir a fait égorger ses chiens; tous ceux enfin qui ont abusé de leur pouvoir sur les bonnes botes, condamnés maintenant à re- garder, sans qu'il leur soit permis d'y entrer, ce paradis des bêtes, à souffrir la faim et la soif, la chaleur et le froid, à implorer en vain quelques gouttes de ses eaux transpa- rentes ou quelques fruits savoureux. » L'idée est jolie, mais nous sommes convaincu que si les chiens voyaient leurs pauvres maîtres dans un si terrible état, ils demanderaient à abandonner leur paradis, quitte à recevoir de nouveau des coups, pour revenir accabler de caresses ceux qu'ils aimaient tant durant leur vie. CHAPITRE VIII LES IRRËGULIÊRS Nous entendons par irrégiiliers tous les chiens qui, comme certains hommes, se tiennent en dehors de la société et ne manifestent vis-à-vis de la loi qu'un respect relatif. Les uns sont demeurés sauvages et n'ont pu apprécier les avantages de la civilisation. Les autres, quoique élevés dans les villes, manifestent de mauvais instincts, s'abandonnent à leurs passions, ou bien, jouets de la destinée, deviennent des cabotins, des saltimbanques, des lutteurs. Ils ne sont pas moins intelligents que les autres, au con- traire; il faut mille fois plus de finesse pour échapper aux 216 LE CHIEN. lois et aux règlements de police que pour marcher dans le droit chemin. Mais ces drôles ou ces irréguliers ne sont pas les moins curieux do l'espèce canine. Nous avons dit qu'on trouve des chiens partout, dans les contrées habitées et dans celles où l'homme ne pénètre que rarement. 11 y a quelques années encore on trouvait des chiens devenus sauvages dans les pampas de Buenos-Ayres. Ces chiens vivaient dans des cavernes; ce sont, non pas des irréguliers si l'on veut, mais des indépendants. Ils vivent indisciplinés n'obéissant à aucune loi, se nour- rissant de rapines. Les voyageurs ont maintes fois rencontré de ces tribus à demi féroces et au milieu desquelles il ne ferait pas bon se trouver seul et sans armes une nuit d'appétit. Ils sont, en un mot, de ces chiens que l'on n'aime point à rencontrer au coin des bois. Dans les prairies américaines où paissent par centaines, les troupeaux de buffles et les chevaux sauvages, on trouve par milliers les chiens connus sous le nom de chiens des prairies. Ils vivent en tribus, et possèdent des maisons, ou du moins des terriers qui leur servent d'habitation. En creusant ces terriers ils soulèvent sur plusieurs lignes parallèles, régulières, des tertres qui donnent à leurs demeures l'apparence d'une masse de tentes, d'un campe- ment en miniature. En arrivant, a écrit un voyageur, M. Gregg, cité par M. Mar- mier dans les Voyageurs nouveaux, en arrivant près d'un de leurs villages, on voit des chiens errants dans la rue, s'en allant en société d'une demeure à l'autre, quelques-uns broutant l'herbe fraîche, d'autres réunis sur la place publique comme pour tenir conseil, d'autres rêvant comme des philo- sophes sur le seuil de leur habitation. Mais dès que l'un d'eux aperçoit une caravane, il donne par des glapissements LES IRRÉGULIERS. âl7 aigus le signal du danger, et toute la colonie se précipite aussitôt dans ses réduits souterrains, qui sont creusés à une telle profondeur qu'on ne peut y pénétrer. Ces troupeaux rappellent les timides tribus de doux sau- vages que l'on trouve ici ou là dans les différentes parties UM VILLAGE DE CHIENS DES PRAIRIES. du monde. Les uns et les autres ont peur de rai)proche des Européens, et peut-être ont-ils raison de se méfier. Les conquérants n'ont pas toujours apporté avec eux les bien- faits de la paix. M. Brehm a étudié les mœurs des chiens marrons d'Egypte dont la forme se rapproche de celle des chiens de berger, 28 218 LE CHIEN. dont le pelage d'un brun roux sale est raide et hérissé. Ces animaux d'un aspect repoussant sont pour ainsi dire les véri- tables maîtres des cités d'Egypte. Ils y régnent, dit M. Brehm, y dorment la plus grande partie du jour et rôdent la nuit. Chacun a ses trous creusés avec beaucoup de soin, l'un à l'est, l'autre à l'ouest, et ils s'y abritent selon que souffle le vent. Si le temps est trop incommode, ils se creusent une troisième demeure sur l'autre côté de la colline et s'y réfu- gient momentanément. Le matin jusqu'à dix heures on les trouve sur le versant oriental ; ils attendent là que le soleil vienne les réchauffer; à peine fait-il trop chaud qu'ils se retirent les uns après les autres, se traînent paresseusement sur le versant opposé et vont y dormir à l'ombre. Au coucher du soleil la colline s'anime. On voit se former des groupes plus ou moins considérables et même de véri- tables meutes. On entend des aboiements, des cris, des hurlements. Les chiens se réunissent en masse autour d'une bête morte; dans une nuit ils dévorent complètement le cadavre d'un âne ou d'un mulet. Sont-ils tous affamés, ils se repaissent de charogne, même le jour, et quelque troublés qu'ils puissent être par les vautours. On peut voir encore les chiens guetter, comme des chats, les rats du désert à l'entrée de leurs retraites, ou, comme les renards et les chacals, chercher à attraper les oiseaux. Ne trouvent-ils pas de charognes, ils se mettent en route, pénètrent même dans l'intérieur des villes et en parcourent les rues. Ils y sont supportés, car ils mangent les immon- dices ; il arrive même quelquefois que des fervents mahomé- tans ne les oublient pas dans leurs testaments, et instituent des legs pour leur entretien. Souvent, une chienne, près de mettre bas, se creuse une caverne dans l'intérieur de la ville, dans un coin plus ou moins caché, et c'est là qu'elle fait ses petits. On dirait LES IRRÉGULIERS. 219 qu'elle sait pouvoir compter sur la protection des habitants. Il est curieux en effet de voir des Turcs et des Arabes, passant à cheval dans les rues, détourner avec soin leur monture pour ne pas blesser la chienne et sa progéniture. C'est d'ailleurs un péché pour les mahométans de tuer ou blesser une hôte sans nécessité. Souvent les chiens sauvages se multiplient d'une manière effrayante et deviennent une véritable plaie pour le pays. Chose fort surprenante, ces chiens ne sont que peu sujets à l'hydrophobie, on n'a pas d'exemple de morsure faite à l'homme par un chien enragé. La ville de Constantinople en renferme des bandes innombrables, ce qui est un véri- table fléau pour ses habitants ; toutes les rues, toutes les places en sont couvertes. Ils se tiennent devant les maisons, attendant qu'on leur jette un peu de nourriture. Chaque nie a ses chiens, tout comme chez nous les mendiants ont leurs quartiers, et malheur au chien qui s'égare sur le domaine d'un voisin 1 « H n'y a qu'une seule circonstance, dit M. X. Marmier, où toutes ces peuplades de chiens sortent sans crainte de leurs différents domaines et se réunissent en un commun accord : c'est lorsqu'ils sont attirés par un ban- quet extraordinaire, lorsque leurs naseaux aspirent l'odeur de quelque cheval qui vient de périr. La bonne nouvelle se répand de district en district. On les voit alors se rassembler près de la maison qui leur promet cette riche pâture. Ils se groupent deux à deux derrière l'animal que l'on conduit à la voirie, le suivent en silence pas à pas, avec une sorte de tristesse hypocrite, puis, dès que le cadavre est abandonné, ils se précipitent sur lui et demeurent attachés à cette curée tant qu'il reste un os à ronger; après quoi chacun d'eux re- tourne dans son quartier. « Nous n'avions qu'à acheter quelques comestibles dans un bazar pour être suivis de tous les chiens que nous ren- contrions ; nous en étions abandonnés à l'angle de la rue, 220 l.E CHIEN. mais pour être suivis d'une nouvelle escorte. Le jour cela est peu inquiétant, mais de nuit, les chiens deviennent dangereux pour celui qui traverse, isolé et sans lanterne, les rues de Stamboul. « Souvent j'ai entendu parler d'étrangers qu'ils avaient attaqués, et qui n'ont été sauvés que par des musulmans, que des cris « Au secours ! » attiraient. Nous-mêmes, qui ne sortions jamais de nuit que nombreux et munis de lanternes, nous n'avons dû bien des fois qu'à nos bâtons de ne pas rentrer, nos habits en lambeaux». « C'est un fait positif, dit encore M. Marmier qu'il y a dans cette innombrable quantité de chiens dispersés de tous côtés une certaine classe de chiens plus redoutable encore que les autres, ce qu'on appelle les vieux Turcs. Ceux-ci ont juré une haine éternelle aux Européens : ils les flairent de loin, les reconnaissent dans les ténèbres, et s'élancent sur eux avec l'ardeur de leur antipathie musulmane. Dans un temps où les sectateurs de Mahomet dédaignent peu à peu les préceptes du maître et ne craignent plus de hanter les infidèles, on dirait que ces chiens sont chargés de maintenir jusqu'à la dernière extrémité les prohibitions du Coran. » Malgré les tentatives faites par les empereurs pour se délivrer de cette race hideuse, ils sont restés plus nom- breux que jamais, les Turcs n'ayant point voulu sacrifier leurs chiens. 11 faut ajouter du reste que ces animaux si incommodes sont un mal presque nécessaire à Constanti- nople. Ils remédient à l'insuffisance de la police et purgent les rues d'une grande quantité de matières dont la corrup- tion répandrait des germes pestilentiels. Quoique dispersés dans les rues et indépendants, dit M. Gayot dans sa remarquable étude sur le chien, quoique libres dans leurs allures autant que le seraient des conqué- rants, les chiens de Constantinople ont compris que dans cette cité, aussi bien que dans les bois, l'isolement avait ses LES IRREGULIEHS. 221 périls. Ils se sont donc réunis en tribus et chacune d'elles a son domaine, son quartier qu'elle a déclaré inviolable. M. Gayot raconte à ce sujet le fait suivant : Un pauvre chien nouvellement arrivé et n'appartenant à aucune des tribus fuyait à travers la ville ayant à ses trousses les sentinelles du territoire envahi. Bientôt blessé, meurtri, haletant, il est entouré et fait prisonnier. Il se LE CIIIEX DE BRACONNIER. courba, résigné, attendant son sort. Les principaux chiens de la tribu, les chefs sans doute, se groupèrent près de lui, le questionnèrent et se mirent à délibérer. Au bout de quelque temps ils rendirent un verdict favo- rable : un aboi l'en avertit. Il était adopté. Il prit alors une autre attitude, se leva et se mêla à ses nouveaux compa- gnons. Si de ces grandes tribus constituées en gouvernements 222 LE CHIEN. nous passons à nos chiens de France, nous trouverons aisé- ment bien des catégories d'irréguliers. Il n'y a point que les honnêtes gens qui élèvent des chiens et qui s'en servent. Les voleurs les dressent à leur usage. On fait du chien ce que l'on veut. Son affection pour son maître étant son seul guide, on ne saurait le rendre res- ponsable de la mauvaise éducation qui lui est donnée. Par- fois cependant on peut constater chez lui des instincts assez pervers, une intelligence dépravée; en ce cas on a affaire à de grands criminels, aux Troppmann de la race, mais la majeure partie des chiens coupables n'est qu'un fidèle reflet du maître coquin. Le chien du braconnier ne saurait être classé dans une espèce; il n'a pas d'état civil. C'est un irrégulier de par la naissance et de par l'éducation. Il ne chasse point comme un chien de race, il chasse comme un braconnier. Jamais on ne l'entend aboyer; il se contente de grogner sourdement, je pourrais dire à voix basse, lorsqu'il veut indiquer à son maître l'approche d'un ennemi, d'un garde ou d'un gen- darme. Il se dissimule, il se cache le long des haies, il devient rusé comme l'homme dont il partage le sort aventureux; il est en méfiance contre la société. Accoutumé à sortir la nuit, il sait mieux qu'un autre se guider dans les ténèbres et prend mille précautions, fuit les grandes routes, évite même les sentiers fréquentés et marche silencieusement dans les fourrés épais. Au moindre bruit, il s'arrête, écoute, se tapit dans un buisson, retient son souffle et ne se remet en marche que lorsque tout bruit menaçant a cessé. Avec un bon chien le braconnier ne craint rien, et nous pourrions citer mille faits à l'appui de ce dire. Nous avons retrouvé dans maint procès de chasse la preuve de l'incroyable intelligence de ce rusé compère. Un bra- connier faisait le désespoir de toute la maréchaussée de sa LES IRREGULIERS. 223 contrée; enfin après plusieurs années de déprédations on parvint à saisir le malfaiteur pendant la nuit, au moment où il furetait une garenne. « Je m'y attendais, répondit-il. — Pourquoi? lui demanda le garde. — Eh bien, il y a huit jours, lorsque vous étiez embus- qué vers une heure du niLitin au grand carrefour de la forêt, vous avez tué, d'un coup de fusil, un chien qui sans crier poursuivait un lapin. — En effet. — C'était mon chien. Si je l'avais encore je ne serais pas entre vos mains. » Le garde en convint volontiers. Beaucoup de chiens de berger sont également dressés au braconnage, et nous en avons vu nous-mème en Normandie. Ceux-là possèdent toute l'astuce du brave homme qui leur a appris à mal faire. Le troupeau broute paisiblement la bruyère à la lisière d'un bois. Le pasteur est mollement étendu sur son man- teau, et près de lui son chien semble sommeiller. Soudain l'homme se lève, regarde, écoute, s'en va en rampant cher- cher dans un buisson un vieux fusil rouillé, en vérifie les amorces, puis fait un geste au chien qui, s'aplatissant contre terre, gagne le bois. Au bout de quelques instants un coup de feu retentit et le berger marchant sur ses mains et sur ses genoux s'en va ramasser quelque lièvre ou quelque lapin que son compagnon muet a fait sortir du bois. Il court cacher la bête sous une broussaille, le fusil d'un autre côté, puis revient s'étendre comme auparavant, et le chien reprend aussitôt sa place à ses pieds. Peu de temps après la détonation le garde arrive, ou bien le propriétaire. « Berger, on a tiré près d'ici. — Je sais pas, monsieur, je dormais. 52i LE CHIEN. — Vous avez dû entendre, cependant; le coup n'est pas parti à cent pas. — Ah! peut-être bien! J'ai cru que c'était vous; je dor- mais, mon chien aussi. Les moulons ne peuvent pas faire de mal, là, sur la bruyère. » El le chien sommeille béatement, tandis que continue le colloque. Les chiens de contrebandiers ne sont pas moins rusés. On sait comment on les élève dans l'horreur des douaniers. Un contrebandier inconnu d'eux revêt l'uniforme redoutable et, vêtu de la sorte, leur administre une volée de coups de fouet, une de ces corrections qui font époque dans la vie d'un animal. Le chien ainsi fustigé garde le souvenir du châtiment immérité et pendant toute sa vie évite quiconque ressemble à un douanier. A la vue d'un uniforme il s'enfuit comme s'il craignait une casserole à la queue et, serré de trop près, il est capable de faire mauvais parti au repré- sentant de la loi. Le fisc n'a jamais [)U apprécier les cifroyables fraudes commises à l'aide de chiens de contrebandiers, sur les fron- tières. Ses agents ont découvert toutes les ruses, les voi- tures à double fond, les crinolines garnies à l'intérieur de boîtes pleines d'cau-de-vie ou de paquets de dentelles soi- gneusement roulées, mais rarement ils ont pu saisir les chiens bien dressés à la fraude. 11 y a peu d'années encore lorsque la fabrication des mon- tres en Suisse, jouissait à cause de son bon marché, d'une réputation méritée, passer des montres en fraude à la fron- tière française était un métier lucratif. Les contrebandiers se servaient pour cela de gros chiens barbets. Ils suspendaient solidement à l'aide de ficelles au- tant do montres que possible aux poils de l'animal. Ainsi chargé des précieux objets cachés dans son épaisse toison, le chien bijoutier ambulant traversait le Doubs qui, à l'est, LES IRRÉGULIERS. 225 sert de frontière entre la France et la Suisse, gravissait la montagne du côlé de Besancon, marchait rapidement, mais l'oreille au guet, faisait un long détour si quelque bruit ou quelque objet lui semblait suspect dans la nuit, puis s'arrêtait dans quelque maisonnette isolée où on le débar- rassait de son chargement. Après quoi l'intelligent fraudeur revenait en Suisse et recommençait son expédition. En vain les douaniers cherchaient à les arrêter. Aussi, lorsqu'un de ces chiens passait par hasard à portée de leur fusil, ils n'hésitaient pas à faire feu. UX MARTYR. Plus d'un de ces contrebandiers à quatre pattes périt vic- time de sa fraude désintéressée. En revanche la police a parfois utilement employé des chiens, et les journaux d'Ecosse ont rapporté jadis l'histoire de Peeler, surnommé le « chien de la police ». Ce reconnais- sant animal, de l'espèce du Labrador, protégé, sauvé par un policeman, avait depuis ce temps voué sa fortune à celle de la police; il faisait ses enquêtes et ses tournées, montait seul en wagon pour se rendre d'un poste à un autre, nourri par ses amis, recevant d'eux ici une croûte, là un 29 226 LE CHIEN. OS, ne recherchant que les caresses des gens de la police, et les aidant de son mieux quand il s'agissait d'arrêter les malfaiteurs. Il suivit le convoi de son sauveur. A côté des chiens de braconniers et des chiens de contre- bandiers il existe une espèce fameuse pour sa mauvaise humeur batailleuse et son peu de sociabilité, nous voulons parler des bouledogues et des terriers. Ceux-là s'en vont chercher querelle à tout le monde et reviennent souvent couverts de sang : Chien hargneux a toujours Voreille déchirée, a dit la Fontaine. Aussi leur coupe-t-on les oreilles, parce que Le moins qu'oïl peut laisser de prise aux dents d'autrui, Cest te mieux. Il était autrefois d'usage de faire lutter les bouledogues contre des animaux féroces; les Romains mêlaient les chiens aux jeux sanglants du cirque; il y avait dans la Grande- Bretagne des fonctionnaires chargés d'élever ces chiens, et cette habitude s'est conservée, comme on sait, en Angleterre. AValter Scott, dans le Château de Kcmlworth, a rapporté les plaintes comiques d'un propriétaire de bouledogues. Ce brave homme, dans une pétition adressée à la reine Elisabeth, se désole du tort que font à ses spectacles les pièces de théâtre d'un certain Shakspcarc qui corrompt l'esprit de la jeunesse par toutes sortes de billevesées et d'inventions romanesques. Il s'étend longuement sur celle déplorable décadence du peuple anglais, sur son mauvais goût qui lui fait abandon- ner ce plaisir foncièrement britanni(iue pour des distractions indignes de son caractère. Gageons qu'un grand nombre d'Anglais partagent l'avis de cet original et sacrifieraient volontiers Shakspeare à ces dresseurs de bouledogues. LES IRREGULIEHS. 227 Les meilleures races de chiens de combat sont celles des bulls et des terriers. Ces animaux sont de véritables mâ- choires vivantes. En Angleterre les combats de chiens sont devenus une institution nationale. En France ils ont joui de quelque faveur; on les a justement supprimés; mais voici comment autrefois on entraînait les combattants. Pendant quinze jours on les tenait enfermés ; on ne leur donnait à manger que du pain rôti, mais on suspendait hors de leur portée un morceau de viande saignante après lequel ils sautaient, ce qui donnait à leurs membres la vigueur et l'élasticité désirables. Ensuite pendant une dizaine de jours on leur faisait faire des exercices violents; on les attachait sous des voitures qu'un cheval entraînait au grand trot. La veille du combat, le champion jeûnait. Le grand jour venu, on lui faisait avaler quatre œufs crus et on le frottait avec de l'alun. On l'amenait à l'arène préparé de la sorte et le combat commençait, combat terrible, que M.Tony Revillon a décrit de la sorte : « Le public, calme d'abord, s'anime par degré; on se presse, on se pousse, la foule fait un mouvement en avant, puis un mouvement en arrière, puis elle reprend son équilibre. Les regards brillent, les visages ont des expres- sions de colère et de défi. Les propriétaires des dogues frappent des poings contre les parois et s'enrouent à exciter les combattants. Les parieurs crient avec eux. Les chiens de l'assemblée, immobiles, effarés, flairent la bataille, peu à peu ils s'animent, ils aboient, ils vont pour s'élancer : « A bas! à bas! » crient les maîtres. C'est un tumulte étrange, indes- criptible. Dans l'arène le sang a rougi le sable. Les boule- dogues s'acculent, s'élancent, attaquent tour h tour. La magie du mouvement met en relief, tantôt une patte qui se lève, tantôt une mâchoire qui s'ouvre. Les reins se creusent, les arrière-trains se tordent, les têtes se jettent de côté en 228 LE CHIEN. montrant les dents. Enfin un des chiens vaincu halette sur la poussière; son flanc bat, son œil est éleint. 11 s'agit de faire lâcher prise au vainqueur; le maître de ce dernier se penche et lui saisit la queue entre ses dents. Le chien grogne, il remue, mais il ne recule pas. Le maître alors de serrer les dents, de les serrer jusqu'à ce qu'un morceau de la queue lui reste à la bouche. Le dogue lâche prise alors et se met à hurler. Le public applaudit des mains, des pieds et de la voix. Parfois les deux chiens tombent morts en même temps. » • Cette espèce a comme toutes les autres ses héros et ses célébrités. Alexandre Dumas a raconté dans ses Impressions de voi/age l'histoire de Milord, (jui naquit en 1828, à Londres, d'un terrier et d'une bull-dog. Milord appartenait à un gentilhomme; il était de pure race et s:>s parents avaient fait gagner bien des paris à son maître. Dès sa plus tendre enfance Milord faisait déjà des prises charmantes sur son père et sur sa mère ; à six mois il étranglait huit rais en trente secondes et trois chats en cinq minutes. Ces qualités ne firent que se développer avec l'âge, de sorte qu'à deux ans, quoique au commencement de sa carrière à poine, il avait déjà une réputation qui allait de pair avec les plus grandes, les plus vieilles et les plus nobles réputations de Londres. Milord vint en France et son maître le conduisait do temps à autre à la barrière du Coml)at, où c'était fête ce jour-là. L'assemblée, pleine d'admiration pour ses exploits et voyant que rien ne pouvait lui résister, demanda qu'on le fît com- battre contre un ours célèbre, Corpolin. Le défi fut accepté; mais avant même que Carpolin, idole de la multitude, eût songé à se mettre en défense, Milord s'était élancé sur lui et l'avait coiffé. L'ours poussa un rugissement terrible et se dressa sur ses pattes de derrière; Milord serra les dents de ^, MUMiiMi-'/r'W\U^' ^ AM\ikf Uh 1 ■\1T/JI \ï\ \W h. M m LES IRRKGULIERS. 231 plus belle, se laissa enlever de terre et resta pendu près d'un quart d'heure à l'oreille de son antagoniste. L'enthou- siasme fut à son comble; un boucher lui jeta une couronne. Milord passa à Paris les années les plus triomphantes de sa vie, se battant journellement avec les premières réputa- tions de la barrière, et pelotant dans ses moments perdus avec le singe de Fiers, à qui il enleva la mâchoire gauche, et avec l'ours de Decamps, à qui il coupa l'oreille droite. Il y a à peine trente ans, a rapporté M. Révoil, tous les bouchers de Paris se donnaient le plaisir d'avoir un boule- dogue qu'ils conduisaient le dimanche en champ clos, afin de lui faire coiffer un malheureux baudet qui n'en pouvait mais, et (juclquefois un ours pelé à moitié épuisé par les chaînes, les coups de bâton et la mauvaise nourriture. A cette époque, on voyait encore de grands combats de chiens aux moulins de Montmartre; les chiens les plus célèbres étaient ceux d'un gentilhomme, surnommé le Squelette. Ils se nommaient Loubet I" ci Loiibet II. Un jour le Squelette paria que Loubet I" tiendrait plus longtemps que n'importe quel autre. M. Tony Revillon a conté cette anec- dote : lord Seymour tint le pari, et vint à iMontmartre avec Kitig, le plus beau bull du Royaume-Uni. Il raccrocha à l'une des ailes du moulin. « King, lui dit-il gravement, garde-toi bien de lâcher prise ! » King obéit. « Mon Loubet, dit à son tour le Squelette, tu ne souffriras pas que la France soit battue par l'Angleterre? Ya donc et tiens bon! » Loubet prit une autre aile entre ses crocs. Il faisait du vent : les ailes se mirent à tourner; les chiens balancés dans l'espace tournaient avec les ailes. Au bout de quarante-deux mi- nutes, King tomba; Loubet tint bon une heure dix minutes, une heure et quart... Loubet tenait toujours , seulement on le vit se débattre. Après quatre-vingts minutes il ne bougeait plus. « Ici, Loubet! » lui cria le Squelette. Loubet resta suspendu; on s'approcha, il était mort! On 232 LE CHIEN. voulut le détacher, ses crocs étaient plantés dans le bois. Théophile Gautier a pris soin à son tour do décrire, dans son livre intitulé Caprices et zigzags, une de ces batailles qui se livraient à la barrière du Combat entre Bcllevillc et la Yil- lette. DOGUE. « Le théâtre, dit-il, représente une cour carrée assez vaste; le milieu est sablé, ratissé à peu près comme le cirque de Franconi; une bordure dépavage encadre cette arène, dont le point central est marqué par un anneau où on attache les bêtes fauves conirc (|ui les chiens doivent se mesurer, LES IRREGULIERS. 233 car les ours, les taureaux et les loups ne combattent pas entièrement libres, et la longueur de leur corde est cal- culée de manière à laisser tout autour un espace d'environ trois mètres. A l'ang-le de la cour on voit une petite porte basse; c'est par là que messieurs les chiens Ibnt leur en- trée d'une façon assez pittoresque ; un valet les apporte tout brandis par la queue, comme des bassinoires ou des casseroles. « Le combat est ouvert par deux jeunes bull-dogs d'une férocité extraordinaire et d'une laideur monstrueuse. Dès qu'on les eut posés l'un en face de l'autre, ils partirent comme deux llèches, en poussant un hurlement furieux et plaintif et s'accrochèrent sans hésiler; ils se colletèrent assez longtemps, engloutissant tour à tour leurs grosses têtes 50 23i LE CHIEN. dans leurs énormes gueules et se déchirant le mufle à belles dents; de nombreux filets de sang rose rayaient leurs corps, et il ne serait probablement resté sur le champ de bataille que la dernière vertèbre de la queue des combat- tants, si la galerie, touchée du courage des héroïques boule- dogues, ne fût intervenue et n'eût crié « Assez! assez! » Tous les efforts qu'on fit pour les séparer furent superflus, et l'on fut obligé de leur brûler la queue avec un fer chaud, moyen extrême et efficace. « On fit alors sorlir un loup, qui se mit à tourner en rond connue dans un manège ; à peine le chien désigné pour ce combat fut-il en présence du loup qu'il se précipita dessus avec rage. La lutte fut sérieuse et la fortune allait incertaine du loup au chien et du chien au loup; les deux bêtes se renversaient, se foulaient aux pieds, et se mordaient con- sciencieusement; tous deux étaient souillés de sang, d'écume, de poussière et de bave. Le loup avait pris le chien sous la gorge, mais le chien lui rongeait le dessus de la tête; le loup, outré de douleur et aveuglé par son sang, lâcha prise un instant; le chien, dégagé, fit un saut en arrière, et, s'élan- çant de nouveau, emporta un grand lambeau de chair de la cuisse de son adversaire. Ce qui ajoutait encore à l'intérêt de ce combat, c'étaient les cris et les gestes frénétiques du propriétaire du chien; il l'exhorlait et lui adressait des con- seils : » Saute-lui au cou, mords-le, ce gredin, ce brigand de loup! 0 le brave chien! Prends-le à l'oreille, mon petit, c'est plus sensible. Comment! oh, tu te laisserais battre par un mauvais loup pelé, un loup galeux, éreinté, qui n'a que le souffle? tune devrais faire qu'une bouchée d'une rosse pa- reille ! Allons, un bon coup de mâchoire et casse-lui les reins, bravo! >> C'était un homme de vingt-huit à trente ans, que le propriétaire du chien, et des plus curieux à examiner pendant cette lutte ; il trépignait, il se démenait, il hurlait, il écumait, il aboyait, il aurait lui-même sauté à la gorge LES IRRKGULIERS. 235 (lu loup ci l'aurail déchire à belles deiils comme un chien naturel. « On fut forcé cependant de séparer les combattants, car l'avantage ne se déclarait pour aucun et le crépuscule commençait à tomber. » Des batailleurs passons aux acteurs. On s'étonnera peut- être de nous voir classer des artistes parmi les irréguliers; aujourd'hui qu'on décore les interprètes des pièces de théâtre, et que nos artistes s'embourgeoisent de plus en plus il serait peut-être difficile de classer les hommes de théâtre parmi les irréguliers. Mais en vérité où voulez-vous que nous mettions les chiens de saltimbanques? Il nous semble qu'ils sont à leur place dans ce chapitre. Les chiens acteurs ont été connus dès la plus haute anti- quité. Plutarque parle d'un chien, nommé Zopicus, qui du temps de Vespasien jouait avec un grand succès des pantomimes devant le peuple romain. Son rôle exigeait parfois qu'il aboyât ou qu'il hurlât, et il était à la réplique comme un acteur consommé. Ce n'est pas lui qui obtenait le moins de bravos. Nous supposons même que plus d'un de ses confrères â deux jambes s'en montra jaloux. En tout cas il est passé à la postérité comme Talma, comme Rachel et comme M"° Mars. Qu'on dise après cela que la gloire que donnent les planches n'est pas une gloire durable. Nos théâtres modernes ont souvent employé des chiens. Emile, chien des Pyrénées, raconte M. Elzéar Blaze, a fait l'admiration des spectateurs du Cirque Olympique. Il lais- sait loin derrière lui les autres acteurs ses confrères. Son maître étant garrotté par le tyran de la pièce, Emile, enchaîné près de lui, se dégageait de son collier pour venir le secou- rir et couper ses liens: mais, entendant le geôlier revenir, il 236 LE CHIEN. courait remeilre sa t(Mc dans son collier afin de ne donner aucun soupçon. Redemandé à la fin du spectacle, Einile saluait le public avec gravité. Il était, paraît-il, vaniteux. Un véritable cabotin. A côté de ces artistes sérieux il y a les nomades, les coureurs de rues. On rencontrait, il y a quelques années, dans les rues de Paris, a raconté Bénédict Révoil, un homme (jui jouait du galoubet et du tambourin et qui conduisait par la bride un petit âne accompagné d'une douzaine de chiens traînés dans un chariot par un gros dogue et habillés les uns en arle- quins, d'autres en pierrots, en marquis, en commissaires. Ces artistes se tenaient droits, sautaient sur leurs pattes de derrière, dansaient le menuet, la gavotte, et faisaient ensuite le tour de la société, un cha})eau à la gueule, pour la quête. Un jour cette troupe vint donner une représentation dans un salon. Los assistants virent entrer une petite comtesse haute de quinze ù dix-huit pouces, vêtue d'une robe de soie et faisant mille révérences. Soudain la dame de la maison, se levant, s'écrie : " Mais c'est ma chienne! c'est Finette! » En entendant son nom, la petite bête perdue depuis plu- sieurs mois bondit dans les bras de sa maîtresse. Et comme son directeur faisait mine de la réclamer, elle se dépouilla de sa toilette et la déposa ù ses pieds ayant air de lui dire : « Cela t'appartient; emporte-le, mais laisse-moi. » L'affaire s'arrangea moyennant une indemnité. Le même auteur rappelle l'histoire d'un caniche savant nommé Tampon, qui appartenait à un soldat. Tampon était admirablement dressé : « Tampon, qu'est-ce que fait ton maître à l'exercice ? » lui demandait-on. LES IHREGULIERS. 237 Et le chien ])àillaU à so décrocher la mâchoire. *c Tampon, quand on marche à l'ennemi, comment fait- on? » L'animal faisait un hond, saisissait le premier ohjet venu, et le déchirait à helles dents. « Que fait l'ennemi? » Aussitôt Tampon baissait la queue et les oreilles, pre- nait un air piteux, rampait et s'allait cacher dans un coin. On a vu des chiens savants jouer aux dominos, à l'écarté, aux échecs, faire des additions, des sous- tractions, des multiplications. Il y a quelques années, sur un théâtre de genre, on entendait un quatuor dont les exécutants appartenaient ù la race canine; ces musiciens, à qui l'on avait appris le chant d'après la méthode du Conservatoire, aboyaient différents morceaux avec une gra- vité digne de ténors de concerts. On entendit aussi des orchestres de chiens, mais la vérité nous oblige à avouer que les sons qu'ils tiraient de leurs instruments étaient peu mélodieux. Selon nous, le chien ne chante que parce que la musique l'agace; on en cite qui sont morts dans des attaques nerveuses parce que l'on s'obstinait à leur jouer un air désagréable. M. de Tarade, dans son Traité sur Véducation du chien, a parlé d'un des plus célèbres parmi les chiens savants, de Munilo, qui jouait aux dominos, assemblait des lettres et des chiffres. M. de Tarade ne tarda pas à s'apercevoir que Munito avait l'ouïe excessivement fine et qu'il saisissait avec les dents la lettre ou le domino aussitôt que son maître, un Italien, TAMPON. 238 LE CHIEN. produisait, en faisant craquer un ongle, un briùL imperce- ptible pour le spectateur. Quelques auteurs, entre autres M. Brehm, clans son Histoire de l'homme et des animaux, ont protesté contre ce mode de dressage qu'ils appellent une jonglerie, et lo docteur Jonathan Franklin soutient qu'on peut obtenir mieux de l'intelligence du chien. Il affirme qu'un naturaliste distingué et de bonne foi engagea une partie avec un chien dressé par un amateur, et que les choses se passèrent comme il suit : Les deux partenaires s'assirent l'un en face de l'autre, et on choisit pour eux six dominos qu'on releva. Le chien, ayant le plus gros double, le prit dans sa gueule et le posa au milieu de la table; les deux joueurs prirent alternative- ment leurs dominos dans l'ordre. La partie continua, et l'homme, à dessein, plaça un domino contrairement à la règle. Le chien, surpris, fit un mouvement d'impatience, aboya, et voyant qu'on ne tenait point compte de ses obser- tions, repoussa avec son museau le nombre faux et à la place en mit un juste qu'il tira de son jeu. Son adversaire, contraint de jouer correctement, perdit la partie. L'observateur que nous avons cité tire de ce fait la preuve de l'intelligence du chien. Nous ne saurions aller aussi loin que lui, et, malgré celle affirmation sérieuse, nous croyons le chien incapable d'un raisonnement aussi complet. Pour arriver à un bon dressage il n'y a ni sortilège, ni secret. Le mode d'éducation se résume en ces trois mots: de la patience, de la douceur et de la fermeté. Cela peut s'appliquer à l'éducation des humains. Quiconque, pour élever des hommes, n'emploie pas ce mode d'action, n'obtient que des résultats insignifiants. Il existe certes des cerveaux exceptionnels qui, chez nous et chez le chien, se développent seuls et n'ont besoin que de notions élémentaires, tant est puissante chez eux la LES IRREGULIERS. 239 faculté de comprendre, La moindre graine qui tombe sur ce terrain produit dos fleurs superbes; mais l'éducateur trouve rarement des sujets aussi bien disposés et son principal talent consiste à choisir ceux qui sont susceptibles d'édu- cation. Ainsi agissent d'ordinaire les directeurs d'institution ; ils étudient leur petite troupe d'écoliers, marquent au front ceux qui peuvent obtenir quelque succès dans les concours, et puis s'occupent uniquement de ceux-là afm d'en tirer honneur et profit. Ils n'ont pas tort. A quoi bon cultiver des plantes qui, par leur naissance même, par leur conformation, ne peuvent produire que des fruits secs? Les Spartiates, qui jetaient au gouffre les enfants contrefaits, avaient peut-être raison. Ainsi donc beaucoup de douceur, beaucoup de persévé- rance et apporter dans le choix des sujets une grande saga- cité, n'hésiter jamais à sacrifier ceux qui sont trop rebelles et qui n'ont ni les forces physiques ni les forces morales nécessaires pour obtenir ce qu'on leur demande. Albert le Grand prétendait que pour avoir un bon cliien de saltimbanques il fallait choisir un animal issu d'une chienne et d'un renard, ou bien élever un chien roux en compagnie d'une jeune guenon qui lui apprendrait ses singeries; et si par hasard, ajoutait cet auteur, le chien s'accouplait avec elle, on obtiendrait un prodige de grâce et d'agilité. C'est là une assertion absolument fausse. Un semblable accouplement est reconnu impossible depuis longtemps ; en outre il est également impossible de dresser les chiens en compagnie des singes. Le mode d'éducation est absolument différent. Nous tenons ces renseignements de bonne source. Nous avons voulu voir de nos yeux les chiens savants, et pour cela nous sonnnes allé trouver un directeur de théâtre 240 LE CHIEN. c{iii est connu dans toute la France, sur les places de foire. C'est de Corvi qu'il s'agil. Rendez-vous fut pris avec cet imprésario, qui fait exécuter à sa troupe de quadrupèdes un grand nombre de tours véri- tablement prodigieux. « Un soir, un peu avant la représen- tation, venez dans les coulisses, « m'avait dit le dresseur célèbre. A l'heure fixée nous étions au rendez -vous. Bien primitives et bien singulières ces coulisses. Imaginez un étroit couloir formé par les planches du petit théâtre et les toiles encadrant la scène. Dans ce couloir, d'un côté les singes attachés, les singes grimaçant, toujours prêts à la révolte et dont il ne faut pas s'approcher de trop près. De l'autre côté, les chiens rangés à leur poste, mais libres de leurs mouvements. A vrai dire ils n'abusaient point de cette liberté. Tandis que retentissaient près d'eux les fan- fares de l'orchestre appelant les spectateurs et les boniments du pitre ameutant les passants, ils dormaient leur bon sommeil. De sorte que j'éprouvai tout d'abord la désillusion que subit, lorsqu'il pénètre dans les coulisses d'un véritable théâtre, un jeune provincial habitué à considérer, du fond du parterre, les artistes comme des divinités. A mesure qu'approchait l'heure de la représentation mon désenchantement augmentait; mais bientôt l'habilleur s'en vint remplir son office. Alors, sans qu'il eût besoin d'appeler les acteurs par leur nom, ceux-ci se levèrent, non i)as tous à la fois, mais un à un, sans avoir l'air de cesser de dormir. Mollement ils se dressèrent sur leurs pattes de derrière, appuyant leurs pattes de devant sur un banc fixe, et s'éti- rant un peu comme les danseuses de l'Opéra avant d'entrer en scène. L'habilleur passait la culotte et la veste d'un arlequin à celui-ci, la jupe et le corsage d'une marquise à cet autre, et, aussitôt vêtu, l'artiste de nouveau se couchait en rond et recommençait son somme interrompu. LES CHIENS ARTISTES. 31 LES IRREGULIERS. 243 Dans ItT, demi-obscurité du couloir, ces chiens ensom- meillés semblaient en vérité incapables de passionner la foule; leurs accoutrements paraissaient grotesques; leur morne attitude ne laissait prévoir aucun talent ex:eptionnel. Dans les coulisses des grands théâtres, les artistes maquil- lés ne se distinguent pas les uns des autres; parmi le cou- doiement qui précède l'entrée en scène on confond les premiers sujets et les figurants, ou bien, si l'on pénètre dans les loges, on se demande par quel prodige les visages blancs de fard vont s'animer au feu de la rampe et, le rideau levé, jeter la terreur dans l'àme des spectateurs ou bien provoquer leurs éclats de rire. Soudain la musique se lit entendre et une marquise se leva. Personne ne l'avait appelée; elle avait reconnu l'air sur lequel elle devait entrer en scène et simplement elle s'avança près de la rampe. Cette marquise était un superbe caniche noir; il se dressa sur ses pattes de derrière, fit à la foule un gracieux salut, puis, sur une invilalion de l'or- chestre, il se mit à valser avec un sentiment de la mesure, avec une perfection capable de faire rougir bien des dan- seurs de salon. Les applaudissements éclatèrent, et le chien, heureux de son triomphe, recommença la valse avec un semblant de frénésie, comme si réellement il eût subi l'enivrement de la danse. Il salua de nouveau, sortit d'un pied léger, et tandis que les applaudissements s'éteignaient il se coucha de nou- veau à sa place avec tranquillité. C'était le tour d'un autre, un saltimbanque accoutumé à se promener sur un tonneau, à franchir des cercles, à marcher à quatre pattes sur des boules de bois. Le saltim- banque, ainsi que la marquise, s'était levé au moment précis où l'orchestre jouait les premières mesures de l'air qui accompagnait ses exercices. Ensuite plusieurs artistes se secouèrent en même temps. 244 LE CHIEN. Il s'agissait d'une pièce à plusieurs personnages, d'un dé- serteur jugé par un conseil de guerre et condamné à mort. Un incident me prouva alors la puissance de raisonnement du chien. Lorsqu'on fusilla le déserteur, le coup de pistolet qu'un domestique tire d'ordinaire dans la coulisse ne se fit point entendre; les amorces étaient mouillées, paraît-il. Corvi commanda : « Recommencez le feu », et l'on n'entendit rien encore. La situation était grave; le fusillé avait les yeux bandés avec un mouchoir, nulle possibilité de lui faire un geste, et le bon animal, n'entendant pas la détona- tion, demeurait debout fermement. Une troisième fois, en commandant « Feu! » Corvi com- manda : «Mort! » et le fusillé tomba comme foudroyé. Il avait compris que, malgré la leçon qui lui avait appris à mourir au coup de feu, il devait mourir sans coup de feu. 11 avait sauvé la situation connue font les acteurs maîtres d'eux- mêmes si un incident inattendu se produit au cours de la représentation. Frederick Lemaître avait au plus haut degré celle présence d'esprit. . La scène fmale était un combat. Certains chiens, malgré l'horreur instinctive qu'ils ont du feu, en étaient arrivés par l'éducation à un degré de bravoure tel qu'ils saisissaient avec la gueule des pétards enflammés et les secouaient pour produire plus de flamme. Ces chiens savants sont d'une fidélité égale sinon supé- rieure h celle des autres. Corvi nous raconta en avoir connu un qui pendant une expédition en province, expédition sou- vent faite et dont les étapes étaient connues de toute la troupe, s'échappa un beau soir après une représentation. Il était vêtu en gendarme et jouait dans une comédie un rôle important. Trois jours après, la troupe était installée dans une petite ville et la représentation allait commencer, lorsque soudain on vit apparaître le gendarme, couvert de boue, éreinté, n'en pouvant plus; il avait fait l'école buis- LES IRH OULIERS. 245 sonnière sans doute, mais il était à son poste à l'iieure où il était utile qu'il y fût. Corvi ne bat jamais ses chiens. 11 nous a aftirmé qu'ils lisent dans ses yeux s'il est content ou mécontent et que dans le premier cas ils jouent beaucoup mieux que dans l'autre. Ils sont, dit-il, sensibles aux applaudissements et montrent plus de zèle quand la salle est pleine que lors- qu'elle est à moitié vide. Il les fait travailler avec un mor- ceau de sucre ou de viande dans la main; c'est la récom- pense à mériter. Jamais de coups. Il met environ ({uatre mois à les dresser et ne se décou- rage jamais. Point n'agissait de même Grébillon le tragique, qui ramassait dans son manteau tous les chiens qu'il trou- vait dans la rue et les emportait chez lui ; mais qui exigeait d'eux eerlains exercices et au bout de peu de jours les met- tait à la porte s'ils ne répondaient pas à ses espérances. Corvi, par les mêmes moyens, a dressé plusieurs chiens pour le théâtre; on lui a confié l'éducation d'un animal destiné à enthousiasmer les spectateurs du Chàtelet dans la pièce d'Erckmann-Chatrian intitulée Madame Thérèse. De même que Walter Scott, Alexandre Dumas a confessé qu'il avait la manie de mettre des chiens dans ses romans; un de ses ouvrages porte même le nom d'un chien, Black. Dans le Chevalier -cl' Harmental on trouve Mirza ; dans les Mohicans, Brésil; dans la San Felice, Jupiter. Un jour qu'il s'agissait de monter les Mohicans sur le théâtre de Marseille, il fallut trouver un chien capable de bien jouer le rôle. A ce sujet il se i)roduisit mille incidents qu'il faut lire dans les Mémoires du maître conteur. Enfin on trouva le héros et la pièce eut un immense succès. On ne trouve pas les chiens artistes sur les planches seulement; on en voit aussi dans les cages des animaux féroces. Dans sa ménagerie Charles Biliin avait donné pour com- 246 LE CHIEN. pag'iion à son lion favori un chien bassel; ces deux cama- rades de prison s'entendaient à merveille et é'.aient devenus inséparables. Ils ne se lassaient point de se faire les dé- monstrations les plus sympathiques, et jouaient ensemble toute la journée. Lorscjne le lion se mettait sur le dos, ren- trant ses énormes griffes, le chien sautait sur lui, le mor- dait et allait se cacher dans son épaisse crinière. Mais le lion avait pour ennemi, dans la ménagerie, le tigre royal : un soir ciue tous les animaux se trouvaient réunis dans la môme cage, le tigre, lâchement, par derrière le dos du lion, étrangla le pauvre basset. Un combat ef- froyable se serait engagé si le dompteur n'était intervenu. Mais depuis ce jour il ne fut i)as possible de réunir les deux fauves, et peu de temps après ce premier drame, un matin, les gardiens, en faisant leur première visite, restèrent stupéfiés. Pendant la nuit les deux énormes fauves avaient détruit la clôture qui les séparait et s'étaient précipités l'un sur l'autre. Le tigre gisait inanimé, couvert de blessures et de sang; le lion avait vengé la mort de son ami. Certains chiens sont mêlés aux grandes entreprises hu- maines. Récemment est arrivée à Paris une chienne célèbre, celle de Livingstone. Mabel suivit le célèbre voyageur dans toutes ses pérégrinations dans le centre de l'Afrique, et elle eut les aventures les plus extraordinaires qui jamais soient arrivées à un chien. Un journal a rapporté en ces temps-ci trois de ces aven- tures choisies entre cent. En 1870, le docteur Livingstone, se trouvant aux envi- rons du lac Nyanza, fut attaqué par une tribu de nègres. Au plus fort de la mêlée le voyageur fut blessé d'un coup de massue; quand il revint de son évanouissement, il vit Mabel qui à ses côtés mangeait tranquillement une épaule du sauvage qui avait frappé son maître et qu'elle avait étranfflé. LES IRHEGULIERS. 2^7 Quelque temps après, Mabel, apercevant une autruche, s'élança sur son dos et s'y cramponna. L'autruche épouvantée s'enfuit dans le désert; on lui donna la chasse avec des chevaux : il fallut deux heures pour l'atteindre. Quand elle tomba, la chienne n'avait pas lâché prise. Une autre fois, un chef de sauvages voulut faire cuire la pauvre béte toute vivante dans un four. Livingstone arriva à temps pour la sauver. Tout cela n'empêche point Mabel de rapporter et de faire la belle ; elle appartient actuellement à un riche né- gociant de Bombay qui, venu à Paris pour ses atTaires, l'a initiée à notre civilisation. 3Iabel mourra vraisemblablement comme une bonne l)Ourgeoise. Un autre genre d'irréguliers. Quelques chiens ont servi, sous le règne de Louis-Philippe, à éviter à leurs maîtres le service terrible de la garde na- tionale. On les choisissait de haute taille et les réfractaircs les élevaient dans la haine de l'uniforme du soldat-citoyen. « Ne venez pas m'apporter mon billet de garde, disaient- ils aux tambours, vous seriez dévorés. — On vous l'enverra par la poste. — Soit, mais il m'est impossible de sortir avec mon uni- forme, je serais mangé moi-même ! ^^ Et chaque fois qu'un tambour hardi tentait de forcer la porte, il ne lui prenait pas envie de recommencer. Nous ne croyons pas que le moyen ait été employé bien souvent, mais on peut compter jusqu'cà deux gardes natio- naux de cette force. Dans les irréguliers il resterait divers autres chiens à classer, et en général on y peut mettre tous les chiens de rue. Mais nous allons étudier leurs mœurs curieuses dans le suivant chapitre. 248 LE CHIEN. Nous ne signalons ici que pour mémoire les liions, les voleurs, ceux qui apportent à leurs maîtres tout ce qu'ils peuvent dérober. LE VOLEUR PUNI. Ceux-là ne sont i)as des irréguliers; ce sont des miséra- bles. Nous les abandonnons aux rigueurs de la gendar- merie. CHAPITRE IX LE CHIEN A PARIS Nulle part on ne témoigne au chien autant d'affection qu'à Paris. Il y est, à cause de l'exiguïté des logements, une cause perpétuelle de gêne. On ne sait où le coucher; on ne sait comment faire lorsque l'on veut sortir. Si on le laisse à la maison, il pleure, il se lamente. Si on l'emmène on court risque de l'égarer dans la rue, de se le faire voler ; on ne peut entrer ni dans un musée, si c'est le jour, ni dans une salle de spectacle, si c'est le soir. Mais précisément à cause de ces difficultés on chérit les chiens. Un type original le chien de Paris. — Est-ce qu'il diffère des autres? — Eh oui, je vous assure, comme un hahitant de la pro- vince diffère d'un hahitué du houlevard. 32 250 LE CHIEN. La différence éclate aux yeux. Cela ne veut point dire qu'un Parisien vaut mieux qu'un provincial ou qu'un provincial est naturellement supérieur à un Parisien. Nous sommes tous citoyens du même pays, nos chiens et nous, mais nous avons des habitudes con- traires. Le Parisien à la campagne est assez volontiers bafoué; s'il ne distingue pas aisément le blé du seigle, s'il n'appelle pas familièrement par leur nom les fleurs que produisent les plantes de la contrée, s'il se lève tard, s'il met des escar- pins pour marcher dans l'herbe humide, si, à la chasse, il manque cinq ou six perdrix de suite, les quolibets ne lui font pas défaut. Peut-être, dans la capitale de la France qui appartient à tous les Français, se montre-t-on plus généreux pour les em- barras des habitants de nos communes, mais là n'est point la question. Sur le boulevard des Italiens, ou bien dans n'importe quelle rue de la grande ville, il est facile de distinguer au premier coup d'œil un chien provincial d'un chien pari- sien. Le premier a l'air effaré; il craint les voitures; il ne sait comment traverser la chaussée et, si son maître l'aban- donne un instant, il perd tout à fait la tête. L'autre marche avec une désinvolture spéciale ; il se sent chez lui et ne s'inquiète de rien. Il a même une façon de saluer ses amis qui n'appartient (pi'à lui; il est mûri i)ar la civilisation, difficile à étonner. Il se plaît dans les rues. Il affecte, au milieu de l'assourdissant tapage, des allures tranquilles. Il sait comment il faut traverser les rues; il évite les embarras de voitures, attendant, sur le trottoir, de cet air à la fois affairé et résigné qu'ont tous les Pa- risiens lorsqu'ils se trouvent dans un carrefour encombré, LE CHIEN A PARIS. 25t obstrué, en lace d'un obstacle impossible à francbir vite. Et puis quand le carrefour devient libre, soit que les voi- tures pour un moment circulent plus rares, soit que les gardiens de la paix, imitant l'exemple des policemen à Lon- dres, commandent au flot roulant de s'arrêter pendant quel- ques instants pour permettre aux citadins de traverser à pied tranquille ; quand la cbaussée est devenue fugitivement abordable, bommes et cbiens s'élancent, se précipitent; de l'autre côté du torrent les uns continuent leur course effré- née, les autres, cbose bizarre, se mettent à flâner; et presque toujours ce sont ceux qui un instant auparavant avaient l'air de ne pouvoir endurer l'attente. Le chien de Paris a toutes les allures du Parisien. Il ne sait jamais où donner de la tête, tant il est pressé, mais il trouve moyen de perdre, tout en gémissant, la moitié de sa journée en futilités. Sans doute, quand le tenq)s le presse trop, il tîle avec pres- tesse, avec une agilité extraordinaire, se faufilant à travers les passants, comme une équille à travers les grains de sable; mais si Ton a le temps, on s'arrête le long des devan- tures, on regarde les spectacles variés de la rue, on dit bonjour aux amis inconnus qu'on rencontre, on flirte quelque peu dans les angles formés par les murailles, on écoute les commérages et parfois l'on se laisse attarder, si bien que l'on rentre l'oreille basse et certain d'être grondé. Si l'on est en promenade avec son maître, on connaît ses habitudes et l'on ne court point. Si celui-ci prend l'omnibus, on regarde attentivement lequel; on le reconnaît d'un coup d'œil et l'on s'en va au petit trot en se contentant de regarder de temps à autre si le maître ne descend point. A mesure que les véhicules se transforment, les chiens changent leurs habitudes. On voit en ce moment à Paris, sur les quais, un petit chien terrier qui, chaque jour, suit àpied un bateau mouche. 252 LE CHIEN. Les bateaux, comme on sait, ne prennent de chiens qu'au pont d'Austerlitz, et ils abordent tantôt à la rive droite, tantôt à la rive gauche. Le chien, lui, ne quitte pas le même quai; il arrive au pont en même temps que le bateau où se trouve son maître, et on le prend à bord. Un chroniqueur rapportait il y a quelque temps le fait suivant : Un enfant, un apprenti, portait sur ses épaules un de ces chiens en terre cuite de grandeur naturelle, comme on en voit dans les magasins de faïences. Depuis quelque temps on en fait qui sont de véritables trompe-l'œil, tant ils sont parfaitement imités de couleurs, de forme, d'attitude et surlout de regard. Arrivé derrière l'Opéra, l'apprenti fa- tigué posa son chien sur le trottoir, au pied de la balus- trade sur laquelle il s'assit. Le chien en terre était placé la tête tournée vers l'enfant. Alors arrivèrent des jeunes chiens qui jouaient plus loin. Croyant trouver un camarade vivant, ils accouraient près du chien de terre en gambadant, comme pour l'engager à venir partager leurs jeux. Mais à mesure qu'ils approchaient, la surprise se peignait sur leurs visages de chiens et se manifestait de diverses façons. L'un fit un détour pour passer par derrière, l'autre finit par s'arrêter, un troisième se mit à aboyer, puis à fuir, etc., etc. A ce moment passa un de ces chiens qui filent droit devant eux, qui marchent vite, quoique seuls, enfin de ceux qui paraissent aller à leur bureau ; tout le monde en ren- contre à Paris. Celui-là suivait le milieu de la chaussée. Arrivé à la hauteur du point de la scène, il s'arrêta. Le spectacle était certainement nouveau pour lui. Mais il n'avança pas d'une semelle... d'une patte, vers le trompe-l'œil. D'un regard sérieux, il examina la cause de l'émoi et, en un clin d'œil, parut se rendre compte de la chose, car ans- LE CHIEN A PARIS. 253 sitôt il reprit sa route en regardant avec mépris les autres chiens ({ui s'étaient laissé tromper. Il sembla même à l'ob- servateur qu'il haussait les épaules!! Quand on les regarde vaquant à leurs afTaires, on a tou- jours quelque sujet de surprise. Le chien de Paris est mêlé à toutes les industries pari- siennes; on en cite, dans les recueils d'anecdotes, qui salissent les chaussures des passants pour permettre aux décrotteurs leurs maîtres de gagner quelques sous. D'autres vident le matin le seau aux ordures dans le ruisseau. Il y en a même qui prennent l'habitude des spectacles. On m'a conté l'histoire d'un chien qui, vivant sans cesse sur la scène d'un de nos grands théâtres, veillait avec un soin sans pareil aux incendies. Son flair aidant, il signalait, avant que les pompiers eux- mêmes se fussent aperçus de quelque chose, la moindre flammèche. A son aboiement particulier on accourait aussitôt, et grâce à lui on évita plus de dix sinistres. Le directeur de ce théâtre, un des avares les plus curieux de notre époque, vit, lorstju'on lui présenta l'état de ses dépenses, cette mention: nourriture du chien, 15 francs. « Qu'est-ce que cela? fit-il en colère. — Monsieur, lui répondit le régisseur, vous le savez bien : c'est le chien qui sent le feu, c'est le chien du théâtre qui vous a protégé, vous et nous,, contre maint désastre. « Le farouche directeur trouva qu'un semblable animal était payé trop cher, et il fallut que les machinistes se cotisassent pour le nourrir. A Paris comme ailleurs le chien prend le ton de la maison ; s'il est recueilli par un homme charitable, il se fait humble au début, il se dissimule dans un coin, il indique par son attitude qu'il ne sera pas gênant, qu'il ne demande qu'une toute petite place. A force de cajoleries, peu à peu il con- 254 LE CMILIN. quiert l'afTection de tous, et jamais il ne trahit ses bien- faiteurs. Le chien parisien connaît les boutiques, sait où demeurent les fournisseurs, il sait même parfois où se trouve placé le commissariat de police. Une vieille mendiante, à demi folle, vêtue d'un accoutre- ment ridicule, servait, il y a peu d'années, de jouet aux mauvais plaisants. Lorsque la troupe des gamins hurlant après ses guenilles devenait trop bruyante et trop nom- breuse, la malheureuse vieille se réfugiait un moment chez le commissaire de police. Son chien, qui la défendait de son mieux, sortit seul un jour et fut reconnu par les polissons du quartier, qui lui attachèrent une casserole à la queue. Le chien comprit aussitôt ce qu'il avait à faire ; il se ren- dit tout droit, comme sa maîtresse, chez le commissaire de police, où il trouva asile. Beaucoup de chiens à Paris ont un amour ardent de la liberté; est-ce aux Parisiens qu'ils l'empruntent? nous l'igno- rons, mais on connaît mille faits authentiques qui prouvent leur indépendance. Nous en empruntons un aux Mémoires sur di If crenis sujets de Dupont. Yers le commencement de ce siècle vivait à Paris un ori- ginal bien connu des habitués du Luxembourg, l'abbé Trente mille hommes, ainsi surnommé parce que dans le jardin où il pérorait chaque jour, il aflirmait (d'après Turenne, disait-il) pouvoir mettre toute l'Europe à la raison avec un corps d'armée de trente mille hommes. L'abbé Trente mille hommes mourut, laissant seul son compagnon, un chien-loup nommé Sultan. Sultan dédaigna de prendre un autre maître; il refusa toutes les propositions d'adoption qui lui furent faites et élut domicile dans le jardin du Luxembourg, couchant sur une chaise quand il faisait beau, dessous quand il pleuvait. LE CHIEN A PARIS. 255 Durant la journée il se promenait avec ceux qu'il con- naissait, acceptant de l'un un morceau de sucre, de l'autre, un échaudé. Le soir, lorsque les promeneurs quittaient le jardin. Sul- tan acceptait volontiers une invitation ù souper. On lui disait : « Sultan, veux-tu me faire l'honneur de venir dîner chez moi? » Et, s'il n'était pas engagé, il témoi- gnait, par ses caresses et par ses jappements, le plaisir que cela lui causait. Sans jamais se tromper, il accompagnait, en bondissant, celui qui le premier l'avait invité. Bon convive, il mangeait de grand appétit, se montrant d'une amabilité, d'une gentillesse parfaite tant que durait le repas, et la nappe enlevée, restait assez longtemps pour qu'on ne pût l'accuser d'impolitesse. Mais le temps convenable écoulé, il demandait à sortir et se mettait en colère si on essayait de le retenir contre son gré. Un amphitryon malappris voulut l'attacher un jour; Sul- tan le mordit, rongea sa corde, s'enfuit et depuis lors lui témoigna en toute occasion son ressentiment. « Sultan, dit Dupont, me fit plusieurs fois l'honneur de venir dîner avec moi, et restait même en ma compagnie jus- qu'à une heure assez avancée de la soirée; c'est parce qu'il savait que je respectais scrupuleusement sa liberté et que je lui ouvrirais la porte aussitôt qu'il en manifesterait le désir. M Quelle que soit la conduite du chien, elle est semblable à celle de l'homme. Dans les deux espèces, les uns s'accou- tument à la chaîne, s'accommodent de la servitude, ou du moins de l'obéissance passive; les autres, qui ne sont pas toujours les plus mauvais, ne peuvent travailler et ne sa- vent rendre des services que s'ils jouissent d'une complète indépendance. Résultat de l'hérédité, du tempérament et de l'éducation. 256 LE CHIEN. De même qu'aucun homme, aucun chien n'est exactement semblable à un autre. Chaque sujet a ses qualités et ses dé- auts, et dans tous on remarque les plus frappantes dis- semblances. Il existe à Paris des chiens bohèmes, de véritables bo- hèmes, qui ne se plaisent dans aucune situation régulière, qui ne veulent subir aucun frein, supporter aucun joug, qui, en un mot, ont une conduite déploral)le. Ils courent les cafés, quémandant un morceau de sucre ; TERRIER GRIFFON. ils noctambulent, ils n'ont pas de domicile connu, ils mènent une véritable vie de chien ; mais les malheureux ne tardent pas à payer cher leur inconduite. La fourrière les guette. Les chiens à Paris sont de toutes les espèces ; on y voit même des variétés inconnues ailleurs. Il est bien difficile de ûxer l'époque précise oij, par exemple, telle race de chiens de dames a été spécialement de mode à Paris. Le chien aristocratique par excellence, de temps immémorial, c'est sans contredit le lévrier. Sur les plus anciennes tombes, l'effigie d'une haute et puissante dame a LE CHIEN A PARIS. 257 presque toujours un lévrier aux pieds, emblème de la fidé- lité. Vers les quinzième et seizième siècles on commence à trouver dans les tableaux religieux des petits cbiens, qui posent avec dignité au milieu de saints personnages. Sous Louis XIV, l'épagneul nain fut en grande vogue, et sur les portraits de dames de qualité de ce règne on voit assez souvent ressortir sur une robe de satin ou de velours un petit chien à longues oreilles soyeuses, en train de dor- mir avec calme, ou d'aboyer avec fureur : c'est l'épagneul en question. Au siècle dernier, le carlin fut le chien à la mode, et fit les délices de nos grand'mères. La révolution de 89 semble l'avoir emporté dans son ouragan avec tant d'autres souvenirs du passé, et le carlin de l'impératrice Jo- séphine est peut-être le dernier cité dans les Mémoires anec- dotiques. Vers 1845, on voyait encore dans la boutique du feu père Tabary, bouquinisle de la rue Guénégaud, un chien qui avait la prétention d'appartenir à cette race. Au- jourd'hui la race carline a une telle réputation de non-exis- tence, (pie souvent nos journalistes, pour désigner un objet introuvable, disent rare comme le carlin. Ces anecdotes sont rapportées par Bonnardot, qui a fait une étude sur les petits chiens de dames. Les chiens élégants, les chiens du monde ont de nos jours des costumes d'une certaine richesse, de jolis manteaux brodés, des vestes de soie, des vêtements chauds pour l'hiver et légers pour l'été. On donne à quelques-uns des colliers qui sont de véri- tables œuvres d'art, des colliers d'or ou d'argent. Les col- liers de fantaisie sont également fort bien portés; on y re- trouve l'originalité et la grâce parisiennes ; ils affectent des formes bizarres; quelques-uns sont de petits cols cassés en cuir avec une cravate de couleur. Quelques chiens de l'aristocratie portent à leurs colliers de cuir un pendant d'or ou d'argent sur lequel sont gravées 33 258 LE CHIEN. OU émaillées aux couleurs de l'écusson les armes de leurs maîtres. Des expositions de chiens ont lieu à Paris presque tous les ans; elles se tiennent d'ordinaire sur la grande terrasse des Tuileries qui longe la Seine, entre le pont de Solférino et la place de la Concorde. Ces expositions sont extrêmement suivies. Les pauvres chiens ne s'y amusent guère et se moquent bien des prix BARBET. qu'on leur décerne, mais la réunion qu'on en fait est utile, la comparaison précieuse. Elles peuvent servir à perpétuer certaines grandes races dans toute leur pureté. Le jardin d'acclimatation de son côté fait de louables ef- forts pour obtenir de beaux et bons chiens de tout genre, et il faut reconnaître que ses efforts sont couronnés de succès. Malheureusement le nombre de ses élèves est fort res- treint, et les amateurs qui se présentent à l'administration I.E CHIEN A r.VUIS. 259 doivent attendre pendant un laps de temps indéterminé la livraison d'un chien âgé de quelques semaines. Cela décou- rage beaucoup de gens. Mais l'admirable collection qu'on trouve au Jardin d'accli- matation n'est pas un des moindres attraits de ce beau lieu de promenade; elle excite l'enthousiasme des visiteurs. Deux petits industriels s'occupent des soins à donner aux chiens de Paris. L'un est le tondeur, l'autre est le baigneur. Le tondeur, qui possède aussi l'art de couper les chais, n'est pas bien vu de la gent canine. Quand il passe dans un quartier tous les chiens hurlent après ses chausses, et les caniches, qui ont plus souvent affaire à lui, se montrent parliculièrement acharnés. A quoi attribuer cette hostilité? Tout simplement à ce que les chiens n'aiment pas à être tondus. Le baigneur, lui, est accueilli avec une certaine joie. En été il se tient au pied des ponts, sur la berge de la Seine. L'endroit le plus fréquenté est îe pont des Arts. Le dimanche principalement, les Parisiens viennent avec leurs chiens qu'ils confient au baigneur. Celui-ci les sa- vonne, les brosse, les trempe dans l'eau, puis les plonge dans un baquet plein d'eau sulfureuse afm de détruire les puces, et leur jette au loin un bâton qu'ils vont chercher à la nage. Ils reviennent propres à faire plaisir; mais les malappris, à peine se sont-ils secoués, se roulent dans la poussière et perdent tout le bénéfice de la baignade. Voilà pour les chiens bien portants ; quant aux chiens malades, ils ont leurs hôpitaux. Nous citerons entre au- tres celui de M. Bourrel; il est fort intéressant à visiter. Imaginez dans une cour divisée par des grillages les com- partiments affectés aux malades; le long des murailles, sur deux rangées superposées, des boxes de différentes gran- 260 LE CHIEN. deurs tenus avec une propreté extrême, qui est du reste la condition principale de la guérison. Dans la première chambrée, les petits chiens d'apparte- ment, emmitouflés dans du coton, entourés de duvet. Là comme partout la ressemblance avec l'homme s'affirme. Ces chiens-là ont les maladies des viveurs, de ceux qui vivent dans le luxe, dans l'opulence; la plupart sont paralysés. Ils de- meurent inertes; leurs petites pattes si agiles ont perdu le IIAVANAI; mouvement et la sensibilité; ils regardent d'un œil éteint et triste. A côté d'eux sont les fiévreux, tremblant, frisson- nant de tous leurs membres. Un gros poêle, toujours allumé au milieu de la pièce, leur donne la douce chaleur qui les guérira. Plus loin sont les blessés, les écloppés; celui-ci a été mordu, celui-là a la patte cassée; cet autre, l'épaule déchirée. Ils se plaignent doucement, ils souffrent. Mais quand vient l'heure du pansement qui les doit soulager, ils présentent LE CHIEN A PARIS. 251 ileux-mèmes le membre malade et lèchent la main de leur médecin. Dans un chenil spécial sont confinés les pauvres diables atteints de maladies de la peau. Et enfin, dans un vaste compartiment, et dans une vaste cour, ceux qui peu à peu renaissent à la vie, les convales- cents qui viennent à vous déjà joyeux, encore un peu chan- celants, mais savourant l'immense joie qu'on éprouve lorsqu'on ressaisit peu à peu ses forces perdues. Il semble qu'une vie nouvelle commence et l'on comprend le prix de la santé. Tout ce petit monde d'infirmes est dorloté, surveillé; il y a des gardiens de jour et des gardiens de nuit, et l'ordre le plus parfait règne parmi les pensionnaires. On peut juger par tout ce qui précède, écrivait dernière- ment un de nos confrères en journalisme, quels soins et quel dévouement M. Bourrel apporte à l'accomplissement de ses fonctions de « médecin des chiens «. C'est un spectacle touchant que de le voir, au milieu de ces pauvres malades, caressant l'un, consolant l'autre de la voix, les appelant chacun par son nom et veillant toujours à ce qu'il ne leur manque rien. D'ailleurs il faut avoir un « cœur d'or » comme M. Bour- rel pour avoir consacré sa vie à l'étude aride de « l'art de soigner les animaux ». C'est au mépris du lucre et des moindres satisfactions d'amour-propre que M. Bourrel a entrepris cette noble tâche, à laquelle il a tout sacrifié. Mais qu'importe? Son bonheur est là. Il lui suffit. Ancien vétérinaire militaire, M. Bourrel fait partie de la Société protectrice des animaux, dont il est le trésorier. Membre de la commission d'hygiène du onzième arrondis- sement, il est inscrit sur les listes de plusieurs sociétés sa- vantes. 262 LE CHIEN. Tel est ce praticien modeste, instruit, tout entier à son arl, dont la carrière a été remplie de services honorable- ment rendus à la science en général et aux meilleurs amis de l'homme en particulier. M. de Cherville, dans un des remarquables articles qu'il publie chaque semaine dans le journal le Temps^, a établi la statistique des chiens à Paris en 1879. A cette époque le fisc en comptait 65,782 dans la capitale de la France; ce qui porte leur nombre réel à plus de 70,000, car il y en a toujours un certain nombre qui échappent à l'imposition. Les arrondissements les mieux peuplés sont ceux de Cli- gnancourt, La Chapelle, de Saint-Ambroise, La Roquette, des Portes Saint-Denis et Saint-Martin, du quartier Saint- Georges et de la Chaussée-d'Antin. Naturellement les quar- tiers ouvriers possèdent les chiens de garde en plus grand nombre, et les quartiers riches les chiens de luxe ou les chiens de chasse. Les chiens d'utilité prédominent à Belleville, à Charonne et aux environs du Père-Lachaise. Cette meute formidable doit dévorer chaque année près de trois millions de kilogrammes de pain. Les chiens sont des contribuables, mais ils ne sont pas plus fiers pour cela. L'idée de la taxe des chiens date de plus d'un siècle. En 1770, le nombre de ces animaux était devenu si considérable dans le royaume de France qu'une statistique faite par ordre en avait compté quatre millions. Cette année-là il y avait presque disette, et l'on remarqua que deux chiens absorbant autant de nourriture qu'une personne, l'espèce consommait par consécjuent autant que le sixième de la population, estimée à celte époque à 24 mil- lions d'habitants environ. La première taxe fut proposée au chiffre énorme de LE CHIEN A PARIS. 263 six livres dans le but de diminuer le nombre des chiens, mais on renonça à cette idée. Citons à propos de la taxe un héros qui faillit en èlre vic- time. Bobby est aujourd'hui légendaire en Europe. En 1858, on enterrait à Edimbourg, dans le vieux cime- tière de Greyfriars, un pauvre homme du nom de Gray. Parmi les amis peu nombreux qui suivirent le cortège mar- chait au premier rang le chien du défunt, dont l'attitude indiquait la profonde douleur. Le lendemain le gardien du cimetière trouva le chien cou- ché sur la fosse; il le chassa, mais les jours suivants il le retrouva à la même place. Le gardien eut à la hn pitié de la pauvre bête et lui donna à manger. Bobby ayant conquis le droit d'asile, ne quitta plus son poste. Un sergent du génie, puis un restaurateur, pourvurent à sa subsistance. A midi, quand on tirait le canon à la cita- delle, Bobby courait à la soupe. Cela dura plus de dix ans. Au bout de ce temps survint la taxe des chiens. Le lîdèlc animal ne pouvait la payer, mais vingt personnes, témoins de sa conduite, se proposèrent pour acquitter la redevance. Le lord prévôt, mis au courant des faits, exempta de l'impôt la noble bête, et voulant lui témoigner son estime, lui fit cadeau d'un magnifique collier dont l'inscription était expli- cative. Pendant quatorze ans le chien resta sur la tombe. 11 y mourut, sans avoir jamais consenti à suivre personne. Un monument a été érigé à sa mémoire par les soins de la baronne Burdett-Coutts. C'est une fontaine placée à l'une des extrémités du pont George IV, dans le quartier le plus fréquenté d'Edimbourg. Ce monument a sept pieds de hauteur; il est surmonté de la statue de Bobby en bronze^ et sur le piédestal on lit rinscription suivante : 264 LE CHIEN. « Ceci est un tribut offert à l'affectueuse fidélité de Grey- friarsBobby. » Parmi les animaux domestiques, les chiens ont fixé par- ticulièrement l'attention de l'autorité. Une maladie ter- rible, la rage, qui se développe chez ces animaux, impo- sait le devoir de prendre de sévères mesures de police. Partout on a fait des règlements pour garantir la sécurité publique. Les plus complets sont ceux du département de la Seine. L'ordonnance du 27 mai 1845, qui en est le résumé, interdit d'élever et d'entretenir dans les maisons d'habita- tion un nombre de chiens tel, que la sûreté et la salubrité des habitations voisines puissent être compromises. En aucun temps, il n'était alors permis de laisser vaquer ou de conduire môme en laisse, sur la voie publique, des chiens non muselés. Ces chiens doivent, en outre, avoir un collier soit en métal, soit en cuir, garni d'une plaque où sont gravés les noms et l'indication de la demeure de leurs maî- tres. L'obligation de tenir les chiens muselés s'appliquait môme aux chiens dressés pour la garde des troupeaux. Dans l'intérieur des magasins, boutiques, ateliers ouverts au public, les chiens, même ;\ l'attache, devaient être tenus muselés. Les entrepreneurs et conducteurs de voitures publiques ne pouvaient point conduire de chiens non muse- lés; les marchands forains, industriels et autres voituriers qui ont coutume d'avoir des chiens avec eux, devaient les museler et les tenir attachés très courts avec une chaîne de fer, à l'essieu de leur voiture. Défense est faite d'attacher des chiens aux voitures traînées à bras. Les chiens, autres que ceux des conducteurs de bestiaux, ne sont pas admis dans les abattoirs, même muselés. Les chiens bouledogues, ou bouledogues métis, étant particulièrement dangereux, il était interdit de les conduire sur la voie publique, même en laisse et muselés; il éXmi également interdit d'en tenir dans les endroits ouvcrls au public. Dans l'intérieur des LE CHIEN A PARIS. 265 habitations et dans les lieux non ouverts au public, ordre de tenir les bouledogues toujours à l'attache et muselés. En cas de morsure d'un chien présumé enragé, un avis du con- seil de salubrité, affiché dans tous les postes de police, indique les moyens préservatifs auxquels il est urgent de recourir : l" presser à l'instant même la blessure dans tous les sens, afin d'en faire sortir le sang et la bave; 2° laver ensuite cette blessure soit avec de l'alcali volatil étendu d'eau, soit avec de l'eau de lessive, soit avec de l'eau de savon, de l'eau de chaux ou de l'eau salée, et à défaut avec de l'eau pure, et même de l'urine; 3" faire chauffer ensuite à blanc un morceau de fer qne l'on applique profondément sur la bles- sure. En même temps que la loi impose aux propriétaires de chiens des obligations assez étendues, elle protège en cer- tains cas ces animaux par des dispositions spéciales. La loi (lu 28 septembre 1791 prononce l'amende et la prison contre certains individus qui, de dessein prémédité, ont tué ou blessé les chiens de garde. L'emprisonnement peut être de six mois, si l'animal est mort de sa blessure ou s'il en reste estropié. Le code pénal prononce également la peine de l'emprisonnement pouvant s'élever à six mois, contre la destruction volontaire des animaux appartenant à autrui. Enfin la loi du 2 juillet 1850, punissant les individus qui exercent publiquement et abusivement de mauvais trai- tements contre les animaux domestiques, est venue appor- ter un surplus de protection légale à ces animaux. La loi du 2 mai 1855, afin d'ouvrir aux communes une source de recettes de nature à les aider dans l'exécution de travaux municipaux, a établi sur les chiens une taxe dont le produit entre tout entier dans la caisse communale. Cette taxe ne peut excéder 10 francs ni être inférieure à 1 franc. Chaque conseil municipal dresse un tarif, qui, après avoir clé soumis à l'approbation du Conseil général, est réglé en 34 266 LE CHIEN. vertu d'un décret rendu en Conseil d'État. Les tarifs ne comprennent que deux taxes : la plus élevée porte sur les chiens d'agrément ou servant à la chasse; la moins élevée porte sur les chiens de garde, et en général sur tous ceux qui ne sont pas compris dans la première catégorie. Du !"■ octobre de chaque année au 15 janvier de l'année suivante, tous ceux qui possèdent des chiens sont tenus de faire à la mairie une déclaration, indiquant le nombre de leurs chiens, et les usages auxquels ils sont destinés. Ces déclarations sont inscrites sur un registre spécial tenu par les soins du maire; il en est donné aux déclarants un reçu détaché de la souche. Ceux qui ont fait une déclaration antérieurement au 1" janvier sont obligés d'en faire une seconde, si avant le 15 janvier, dernier délai des déclara- tions, il est survenu quelque changement dans le nombre et la destination de leurs chiens. Du 15 au 31 janvier, le maire et les répartiteurs, assistés du percepteur en tant que receveur municipal, rédigent un état-matrice des per- sonnes imposables. Du P' au 15 février le percepteur adresse au directeur des contributions directes les états-matrice, qui doivent servir de base à la confection des rôles. Cette confection, leur mise à exécution et leur publication, la distribution des avertissemenls et le recouvrement des taxes ont lieu comme en matière de contribution directe. Les personnes imposées doivent acquitter la taxe par por* tions égales, en autant de termes qu'il reste de mois à courir à dater de la publication des rôles. Les frais d'im- pression relatifs à l'assiette de la taxe* ceux de la confec- tion des rôles, de la confection et de la distribution des avertissements sont à la charge des communes* La taxe est due pour tous les chiens possédés au 1" janvier, excepté pour ceux qui. a cette époque, sont encore nourris par la mère. Sont passibles d'un accroissement de taxe • 1" celui qui, T,E CIIIEX A PAUIS. 267 possédant un ou plusieurs chiens, n'a pas fait de déclaration dans les délais prescrits; 2° celui qui a fait une déclaration incomplète ou inexacte. Dans le premier cas, la taxe est triplée, et dans le second elle est doublée sur les chiens non déclarés ou qui ont été l'objet d'une fausse déclaration. Lorsqu'un contribuable a été soumis à un accroissement de taxe, et que, pour l'année suivante, il ne fait pas la décla- ration, ou fait une déclaration incomplète ou inexacte, la taxe est quadruplée dans le premier cas et triplée dans le second. Divers arrêtés du conseil d'État ont établi la distinction existant entre les chiens d'agrément et les chiens de garde. D'après sa jurisprudence, il n'est pas nécessaire qu'un chien, pour être considéré comme étant de garde, soit constam- ment attaché; il suffit que sa destination apparaisse d'une façon évidente, et qu'elle s'explique soit par la profession de l'individu qui le possède, soit par les conditions d'habi- tation où le contribuable se trouve placé. Les réclamations en matière de taxe municipale sont pré- sentées, instruites et jugées dans les mêmes formes que les réclamations en matière de contribution directe. Elles peu- vent être faites sur papier libre, à moins que la taxe dont il s'agit ne dépasse la somme de 30 francs; dans ce cas, elles doivent être rédigées sur une feuille de papier timbré de 60 centimes. Les chiens servant à conduire les aveugles sont exempts de tout impôt. La loi du 2 mai 1855 a été votée et conçue dans un excellent but. 11 est évident que le législateur s'est proposé de réaliser une mesure d'ordre tout autant qu'une mesure fiscale, et si les administrations municipales apportaient à l'exécution de cette loi une attention sérieuse, on verrait disparaître un grand nombre de chiens errants qui sont pour la sécurité publique un danger permanent, danger que les ordonnances de police ne peuvent pas toujours prévenir. 268 LE CHIEN. quoiqu'elles aient été parfois d'une sévérité ridicule. Ainsi, celles ayant soi-disant pour but d'empêcher les chiens de mordre, et de prévenir de la sorte le terrible accident de la rage, ont été cause qu'on a fabriqué des muselières de toute sorte, en osier, en fer, en cuir ; qu'on a donné toutes les formes à ce véritable instrument de torture. Mais la manière dont on employait la muselière en rendait l'emploi inefficace; les propriétaires de chiens se servaient d'ordinaire d'une simple courroie de cuir assez lâche pour ne point empêcher la morsure, de sorte qu'ils éludaient la loi en ayant l'air de l'observer. Ou bien, ainsi que l'a con- staté M. Bouley, le savant professeur d'Alfort, dans un rapport remarquable, on mettait autour de la tète du chien un appareil de coercition qui s'opposait à l'écartement des mâchoires, et l'animal étouffait. Le chien en effet a les cavités nasales trop étroites pour respirer uniquement par le nez comme fait le cheval; il faut qu'il respire par sa gueule béante, qu'il transpire par sa langue et toute sa muqueuse buccale. Pour résoudre le problème, pour permettre au chien d'ouvrir les mâchoires et de ne pas périr asphyxié, on inventa de petits paniers à salade. Mais en fin de compte on comprit qu'il fallait abolir cette horrible machine, dont on avait reconnu l'inutilité et même le danger en Allemagne et en Angleterre. La muselière était bien loin d'atténuer les effets de la rage; on prétendit même qu'elle pouvait aider au développement de la terrible maladie; on fit contre elle une campagne qui aboutit. Les dernières ordonnances de la préfecture de police con- cernant les chiens datent de 1878, et rappellent les lois de 1790 et les arrêtés de l'an VIII et de l'an IX. Ces ordonnances visent les chiens errants. Il n'y est plus question de muselière. Il y est dit que tout LE CHIEN A PARIS. 269 chien circulant sur la voie publique doit être muni d'un collier portant, gravés sur une plaque de métal, le nom et le domicile du propriétaire. Les chiens abandonnés ou perdus, quand ils sont trouvés sans collier, doivent être saisis et abattus sans délai, et ne peuvent être vendus dans aucun cas. C'est sous ce régime que vivent actuellement les chiens à Paris. Ceux qui sont arrêtés comme vagabonds sont conduits à la fourrière, établissement d'une incontestable utilité. Il a été considéré comme étant du droit et du devoir de la police locale de faire mettre en fourrière les animaux égarés, perdus ou abandonnés sur la voie publique ou dans la campagne, et qui pourraient ou encombrer, ou causer des accidents, ou être perdus par leurs propriétaires, si l'auto- rité ne veillait dans l'intérêt de ces derniers. C'est d'un arrêté du Conseil d'État de 1784 que date l'éta- blissement de la fourrière, qui fut l'objet d'une loi en août 1790. Depuis cette époque difïérents arrêtés ont fixé les règle- ments à Paris, mais celui de 1839 les résume tous. Il indique les soins qui doivent être donnés aux animaux recueillis. Dans aucune circonstance et sous quelque prétexte que ce soit le directeur de la fourrière ne doit payer d'indemnité aux inspecteurs ou agents qui amènent un animal quel- conque. Mais dans le cas où ces agents se trouvaient dans l'obli- gation de faire amener les animaux par un commission- naire, celui-ci recevait récemment encore pour sa peine une indemnité fixée à 1 fr. 50. Cette disposition a donné lieu, paraît-il, à quelques abus; car M. Camescasse, en 1882, l'a modifiée. Un certain nombre d'individus trouvant moyen d'éluder le règlement, se fai- 270 LE CHIEN. saient voleurs de chiens, saisissaient ceux qui passaient seuls, leur enlevaient leur collier, — ce qui constituait un premier bénéfice, — puis trouvaient moyen de toucher les trente sous destinés au seul commissionnaire. Cette industrie a maintenant disparu. La fourrière était autrefois située rue Guénégaud, n" 31; elle a été transportée, il y a plus de trente ans, rue de Pon- toise, n" 19, où elle est encore. Toutes les réclamations la concernant doivent être adressées à la préfecture de police. Les chiens qu'on y amène sont au nombre de 3500 environ chaque année, et sont principalement fournis par les com- munes suburbaines. Après leur entrée on les divise en deux groupes: d'un côté ceux qui ont des colliers, de l'autre ceux qui n'en ont pas. Ces derniers n'étant pas en règle avec la loi, sont som- mairement condamnés par cet article de la loi de la fourrière : AtiTicLE UMQLE. « Tous Ics chicns qui sont arrêtés sur la voie publique et qui ne portent point de colliers sont immé- diatement abattus. « Ceux qui portent un collier prouvant leur état civil, jus- tifiant leur identité, sont conservés pendant une semaine, et, d'après le règlement, on les nourrit chaque jour avec 250 grammes de pain bis et 250 grammes de débris de viande. Si pendant le sursis qui leur est accordé les proprié- taires viennent les réclamer, on les prie de payer les frais, qui sont comptés à raison de 30 centimes par jour pour les deux repas et de 15 centimes pour indemnité de logement. Quant au mode d'exécution, il était horrible, puisqu'en ces derniers temps on procédait comme en Angleterre, par pendaison. Les condamnés à mort, petits et grands, sont rangés sur une même ligne; l'exécuteur des hautes-œuvres attache au cou des innocents qui tremblent et pressentent la mort LE CHIEN A PARIS. 271 un collier de chanvre, une corde quelconque; tous ces colliers sont eux-mêmes fixés à un câble dont une extrémité est fixée à la muraille de la prison. Quand tout est prêt on tend brusquement ce câble et les chiens, enlevés à une hauteur d'un mètre environ, s'agitent efïroyablement dans le vide durant deux ou trois minutes, puis se tordent dans les convulsions suprêmes, et la police des hommes est satisfaite. Les exécutions ont lieu souvent, mais les plus nombreuses sont fixées au mardi et au jeudi. On raconte qu'un malheureux diable de caniche est par- venu à échapper au supplice. Il en avait vu les apprêts, était parvenu à rompre son collier et à se cacher dans un coin inconnu, d'où il sortait après chaque exécution; cela dura pendant quelques semaines. Un le rattrapait, mais il savait se dissimuler. A la fin les employés de la fourrière lui accordèrent sa grâce, et le surnommèrent Corde-au-cou. Eh bien, fait effroyable, Corde-au-cou devint aussi cruel que ses maîtres d'adoption. Il se fit valet de bourreau; il aboyait joyeusement tandis que ses frères gigotaient pour passer dans l'autre monde. Hélas! à qui la faute? Les bourreaux eux-mêmes ont des chiens qui les aiment et les imitent. Il est question en ce moment de supprimer l'abominable corde et l'on prête à la préfecture de police l'idée d'adoucir les derniers moments des chiens. Pour cela on a construit de grandes boîtes à comparti- ments dans lesquels on place des écuelles remplies d'une pâtée appétissante, et puis quand les pauvres bêteSj joyeuses, déjeunent de bon appétit, on emplit les boîtes d'un gaz asphyxiant, foudroyant. Souhaitons que ce procédé soit mis régulièrement à exécution. De la maison de détention passons ù la halle, et décri-^ 272 LE CHIEN. vons brièvement le lieu où se font à Paris les spéculations relatives aux chiens. Le marché aux chiens se tient sur l'emplacement du mar- ché aux chevaux» Il longe le boulevard Arago et l'entrée en est située aux numéros 50et52 du boulevard de l'Hôpital. Ce marché fut, sous Henri III, établi sur une partie de l'emplacement de l'hôtel des Tournelles et, sous Henri IV, placé sur celui du boulevard des Capucines. Par lettres patentes de juillet 1642, le roi permit à François Barajon, l'un de ses apothicaires et valets de chambre, de faire établir au faubourg Saint-Victor, sur un emplacement anciennement nommé la folie Eschalart, un nouveau marché aux che- vaux, qui est maintenant celui du boulevard de l'Hôpital. En 1760, on fit bâtir à une de ses extrémités^un pavillon qui sert de bureau et de logement à l'inspecteur du marché. En 1818, on y a exécuté de grandes réparations; on a nivelé le terrain et planté de nouveaux arbres et des poteaux sur un plan plus convenablement disposé que celui de l'an- cienne plantation. De 1870 à 1879 ce marché fut provisoirement transféré près du cimetière Montparnasse sur un emplacement donnant boulevard d'Enfer et boulevard Montparnasse. Les travaux du boulevard Arago qu'on perça à cette époque avaioit né- cessité ce déplacement. Les habitants du quartier Montparnasse ont fait une péti- tion pour qu'on leur laissât ce marché qui amenait un grand nombre de visiteurs; mais on n'a pu tenir compte de leur demande et l'on a rendu le marché du boulevard de l'Hôpi- tal à sa première destination. II s'est trouvé un peu diminué par les constructions. Les chevaux se vendent là le mercredi et le samedi, et les chiens tous les dimanches, à partir de midi. L'emplacement n'a rien de séduisant. Un vaste terrain LE CIIÎEN A PARIS. 275 entouré de murs ; des barrières à l'entrée. Les marchands payent en entrant dix centimes par chien qu'ils amè- nent. Les jours où le marché est nombreux et bien fréquenté, il a une physionomie pittoresque. On retrouve là toutes les espèces de chiens, excepté les très belles espèces. Le chien de rue domine. Toutes ces bonnes bêtes, ou bien aboient ou bien dorment, à côté de leur marchand. Les uns semblent dire aux acheteurs qui se promènent devant eux : « Adopte-moi, je mettrai à ton service toutes mes qualités, je t'aimerai et ne t'abandonnerai jamais. Prends-moi, je suis malheureux ici et je ne puis m'attacher au grossier personnage qui n'a qu'un souci, se débarrasser de moi pour de l'argent. » Tout en eux indique leur désir; ils font les beaux, ils cher- chent à plaire, ils agitent joyeusement la queue, leurs yeux brillent. Les autres manifestent la plus profonde indifférence; on comprend qu'il leur est arrivé déjà tant d'aventures qu'ils sont blasés, que la vie ne leur réserve plus ni illusions ni surprises. D'autres encore, les petits chiens d'appartement, sont tenus dans les bras de vieilles femmes qui vantent leur beauté; ils ont au cou des rubans de toutes les couleurs et font de gentilles mines aux passants. Il ne se passe guère de dimanche sans que de violentes disputes s'élèvent, et le marché déjà si bruyant devient un lieu infernal. Les chiens prennent part à la querelle et leurs hurlements se mêlent aux éclats de la voix humaine. D'oi^i viennent ces clameurs? Un visiteur soutient à un marchand que le chien qu'il veut vendre est un chien qu'on lui a volé, et le visiteur a presque toujours raison. Il faut toujours chercher à qui peut profiter le larcin; or à qui profite le vol d'un chien? à celui qui le veut vendre. 276 LE CIIlExN. En raison de cet axiome de droit tout propriétaire dé- pouillé, après avoir fait une visite à la fourrière, s'en va le dimanche suivant faire le tour du marché. S'il reconnaît son bien, il le réclame. D'oîi les contestations, qui, hélas ! sont presque continuelles. 11 existe des marchands de chiens fort honorables ; mais il en est aussi, nous devons le confesser, qui jouissent d'une réputation aussi mauvaise que possible et bien méritée d'ailleurs. Il ne faut les aborder qu'avec une méfiance absolue ; nous avons pris sur le fait un de ces industriels qui, ayant vendu un griffon à un de nos amis, trouvait moyen de le voler tous les quinze jours et le ramenait fidèlement, mais en deman- dant sa petite récompense. Les voleurs de chiens sont à Paris très nombreux et leur industrie est, paraît-il, assez productive. Au marché aux chiens on trouve un marchand de rats,. qui est un phénomène; il tue, quand on veut, un rat d'un coup de dent. Cet homme vend les rongeurs à ceux qui veu- lent essayer la valeur des chiens ratiers. Telle est à grands traits la vie publique du chien à Paris : nous y ajoutons un chapitre dans lequel sont examinées l'action de la Société prolectrice des animaux, et les tor- tures de la visisection. CHAPITRE X LE CHIEN ET SES PROTECTEURS Nous venons de dire quels sont les immenses services rendus à l'homme par les chiens, qui quelquefois ont véri- tablement aidé à la civilisation de nos semblables. Nous avons ])assé en revue les exploits, les travaux, les aventures de celte espèce tendre et dévouée qui ne semble vivre que pour nous aimer et pour nous êlre utile. Afin de compléter le tableau, cherchons maintenant les preuves de notre reconnaissance et de notre afîection. Ce qui apparaît tout d'abord, ce sont les tortures inutiles 278 LE CHIEN. infligées aux chiens; les humains ne se con tentent pas d'être ingrats, ils se font aisément bourreaux. Jusqu'à la promulgation de la loi du 2 juillet 1850, il n'existait, dans notre législation française, aucune pénalité contre les cruautés commises envers les animaux tant qu'elles ne portaient point atteinte à la propriété d'autrui. Tout homme avait le droit de torture sur l'animal à lui appartenant. La loi Grammont, ainsi (pie l'a justement fait remarquer le docteur H. Blatin, a consacré un principe éminemment civilisateur; elle a flétri la cruauté en constatant que l'im- moralité, la culpabilité de l'acte, se doivent apprécier en dehors de la considération du dommage et de la posses- sion. Mais, ajoute l'auteur du touchant plaidoyer en faveur des animaux martyrs, cette loi ne suffit pas. Elle est trop laco- nique, elle n'établit pas de classification pour les délits, qu'elle désigne simplement sous le nom de contraventions, elle ne les définit pas assez clairement. Aussi des pétitions nombreuses ont été faites pour reviser cette loi et la Société protectrice des animaux a signalé, vers 1867, dans un remarquable mémoire rédigé par M. Dehais, les modifications qu'après une expérience de seize années, elle réclamait dans l'intérêt public, modifications comprenant à la fois la définition, la classification des faits punissables et les pénalités. Sages mesures préventives, répression plus active et plus étendue des délits envers les animaux, voilà ce qui carac- térise le projet de revision étudié parla Société et qui, hélas ! n'est encore qu'un projet. Si on l'appliquait cependant, la pénalité française resterait encore bien au-dessous de celle en vigueur à Londres pour les délits de même nature. Mais il faut espérer que ce but sera atteint. LE CHIEN ET SES PROTECTEURS. 279 « La crainte salutaire du châtiment, conclut 31. Blatin, le progrès de l'instruction, l'action persuasive de la Société protectrice des animaux, finiront par adoucir nos mœurs, par nous rendre miséricordieux envers toutes les créatures, reconnaissants surtout envers ces serviteurs, sans gage et sans salaire, qui nous aiment et veillent à notre sécurité, qui nous donnent leurs produits et leur travail, qui nous nourrissent de leur chair, et nous vêtissent de leurs dé- pouilles. » Ce sont là de belles et généreuses espérances. Oui, il faut croire que le chien qui a si réellement contri- bué à la civilisation, qui souvent a rendu l'homme meilleur, sera désormais apprécié, aimé. Nous n'allons pas jusqu'à soutenir qu'il faut lui donner une place différente de celle qu'il occupe ; nous ne sommes pas de ceux qui prétendent qu'on doit sacrifier les hommes aux chiens, mais nous affirmons qu'on doit par tous les moyens possibles empêcher nos semblables d'infliger sans raison de cruels traitements aux chiens. Aussi nous associons-nous de tout cœur à la noble tâche entreprise par la Société protectrice des animaux, dont nous voulons résumer l'histoire. L'an X de la République (1800), on avait donné pour sujet d'un prix à décerner en Vendémiaire an XII (septem- bre 1803), cette question : « Jusqu'à quel point les traitements barbares exercés sur les animaux intéressent-ils la morale publique, et conviendrait-il de faire des lois à cet égard? » Un semblable programme ne pouvait manquer de raviver des sentiments et des dispositions inspirés par nos mœurs, et édictés par d'anciennes lois françaises. Mais un besoin si généreux de s'occuper du sort des animaux domestiques se trouvait absorbé par tant d'événements politiques, que l'opinion tarda longtemps à s'exprimer catégoriquement à ce sujet. 280 LE CHIEN. Diverses tentatives eurent lieu plus tard: mais en 1839, M. le comte de Laborde et le duc de Larochefoucault- Liancourt ne purent organiser la défense d'un principe économique et moral si évidemment d'accord avec notre caractère national. Quelques sociétés étrangères furent plus heureuses. Celle de Londres et celle de Munich prirent le premier rang dans une voie ouverte par la France. M. de Valmer, en 1842, Paganel, en 1844, s'élevaient en termes énergiques contre les abus de la force sur les plus utiles auxiliaires de l'homme. Leur initiative amena la réu- nion de personnes généreuses qui, sous la présidence de M. le docteur Pariset, fondèrent, le 2 décembre 1845, la Société qui fonctionne encore aujourd'hui. Définitivement constituée le 3 avril 1846, avec l'autorisa- tion officielle du gouvernement, elle inaugura, le 8 mai, en présence de deux cents membres, l'ouverture de ses travaux. De prime abord, elle entrait dans les vrais principes de sa haute mission. Le mémoire qu'elle adressa, le 23 octobre 1846, au minis- tre de l'intérieur, est tout un programme à rappeler. La Société ne cesse de le suivre dans l'application des moyens moraux et physiques susceptibles de faire triompher ces principes. Mais il fallait une loi. Pour certains individus, quand la loi répressive n'a pas parlé, la loi naturelle n'a pas d'em- pire contre les mauvais penchants. Le général de Grammont s'associa aux efforts de la Société et la loi du 2 juillet 1850, obtenue sur sa présentation et par son énergique insis- tance, vint, quoique trop douce, donner une arme h l'appui des efforts tentés jusque-là. Voici le texte de cette loi : « Seront punis d'une amende de cinq à quinze francs, et pour- ront Vètre d'un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiqueme7it et abusivement de mauvais traitements envers les LE CHIEN ET SES PROTECTEURS. 281 animaux domestiques. La peine de la prison sera toujours appliquée au cas de récidive, n La tâche de la Société est encore assez grande pour que de premiers succès ne lui fassent pas ralentir ses efforts. Loin de se tenir pour satisfaite, elle appelle à elle le con- cours de tous. Ses statuts démontrent qu'elle cherche à faire pénétrer partout ses sentiments au moyen de publications, et qu'elle étend son action bienfaisante à l'aide de récom- penses sur tous ceux qui secondent le but qu'elle se propose. Sous son inspiration, des sociétés se sont formées dans les départements, et lui sont d'un précieux secours; des liens de fraternité se resserrent, par son action internationale, avec les sociétés étrangères qui l'ont devancée, et qui la sui- vent dans son action humanitaire. Le principe et le but de la Société protectrice des ani- maux sont résumés dans les quatre mots de sa devise : JUSTICE, COMPASSION, HYGIÈNE, MORALE. Elle provoque, encourage et tente de réaliser toutes les mesures capables de soustraire les animaux à de mauvais traitements, en même temps elle rappelle à l'homme qu'il ne doit exercer qu'avec douceur l'emploi que sa supériorité intellectuelle lui donne sur toute la création. Ces doctrines ne sont point l'expression d'une sensibilité exagérée, mais une extension de l'esprit de justice à l'égard des animaux. Elles obtiennent aujourd'hui dans le monde entier un succès toujours croissant, qui témoigne incon- testablement d'un nouveau progrès de la civilisation. Plaider, au nom de la justice et de la compassion, la cause des animaux, inférieurs à l'homme sans doute, mais qui jouissent comme nous de la sensibilité et de la vie; rappeler que la loi du 2 juillet 1850, dite loi Grammont, punit de l'amende et de la prison ceux qui la mécon- naissent en maltraitant publiquement les animaux domes- 50 è82 LE CHIEN. tiques; enseigner le rôle et l'utilité de chaque espèce animale dans l'ordre de la nature; démontrer qu'il n'en faut faire souffrir aucune inutilement, même celles dont la mort est jugée nécessaire ; telle est la mission des sociétés protectrices des animaux. Donc, répression des mauvais traitements. Les membres de la Société, munis de leur carte, sont invités à intervenir personnellement pour faire cesser les sévices exercés sur les animaux, lorsqu'ils en seront témoins ou seulement informés. A cet effet, ils peuvent : P Inviter un agent de l'autorité à dresser un procès-ver- bal, s'il s'en trouve un sur les lieux; 2° Ou signaler le fait, par écrit, à M. le préfet de police; par écrit ou en personne, au commissaire de police du quartier. Outre la dénonciation pour fait d'infraction à la loi Gram- mont émanant d'un témoin, tout propriétaire d'un animal blessé ou tué par un tiers pourra se constituer partie civile contre le délinquant, c'est-à-dire demander des dommages- intérêts pour le tort qui lui a été causé. Par décret du 22 décembre 1860, — la Société protectrice des animaux, dont le siège est à Paris, — a été reconnue comme établissement d'utilité publique, et ses statuts approuvés. Dans un concours annuel, la Société protectrice des ani- maux récompense par des médailles, des diplômes ou des primes en argent, les personnes qui, par leurs actes directs ou leur propagande, ont contribué à la pratique ou à la vulgarisation de ses doctrines. Tels sont: les auteurs d'œuvres scientifiques, littéraires ou artistiques; lesinventeurs, les instituteurs et les institutrices; les élèves des écoles primaires; les cavaliers de l'armée; les sapeurs-pompiers; les bergers, aides agricoles de tout genre, LE CHIEN ET SES PROTECTEURS. 283 gardes et conducteurs de bestiaux, cochers, palefreniers, charretiers, voituriers, marécliaux-ferrants, garçons bou- chers, agents des abattoirs, agents de l'autorité, et toute personne, enfin, ayant fait preuve à un haut degré de bienveillance, de compassion et de soins intelligents en- vers les animaux. Un grand nombre de personnages connus figurent parmi les membres de la Société protectrice des animaux; nous ci- terons au hasard quelques noms que nous avons trouvés dans une longue liste : MM. Gustave Aimard, Auguste Bar- bier, le docteur Blanche, le commandant Borsary, Aristide Boucicaut, Claretie, Dalloz, Alexandre Dumas fils, Mme la baronne Erlanger, MmeFaustin-Hélie, M. Fourcaud, sénateur, le prince Galitzin, Germer Baillière, Gautier, Godillot, Gue- neau de Mussy, Alphonse Guérin,Hérold, Hovelacque, Hubert, Edouard Laboulaye, Henri de Lapommeraye, le baron Lar- rey, Léonide Leblanc, Lévy, Marne, Michel Masson, Al- phonse Millaud, A. de Neuville, Jules Noriac, Eugène Paz, Pereire, Bandon, Mme Baoul de Navery, Bénédict-Henry Bévoil, le docteur Bicord, Schœlcher, Jules Simon, Pierre Yé- ron, sir Bichard Wallace, etc., etc. Lamartine fut en 1858 le lauréat de la Société protectrice des animaux. L'auteur des Méditations reçut une médaille de vermeil, la seule dont pût alors disposer la Société. La- martine adressa au comité une lettre de remerciements re- produite en partie dans le rapport de M. Paul Viguier. « Tout ce qui a un sentiment, disait le poète, tout ce qui aime a le droit d'être aimé; tout ce qui souffre a un droit à la pitié, il ne manque aucun échelon à l'échelle des créa- tures sensibles qui s'élève dans son ascension graduée de la brute à l'homme. «... La justice n'est pas seulement un rapport divin de l'homme à l'homme, elle est un rapport de l'homme avec toute la création... La tyrannie pervertit le tyran. De la bru- 28^1 LE CHIEN. talité envers l'animal à la férocité envers l'homme, il n'y a que la différence de la victime. » C'est ainsi que devait s'exprimer le grand poète dont l'àme était faite de douceur, et qui, hélas ! est aujourd'hui trop oublié. Depuis 1858, un seul homme de lettres a obtenu une grande récompense de la Société protectrice des animaux; c'est Aurélien Scholl, le chroniqueur merveilleux, qui à me- sure qu'il écrit trouve une verve nouvelle. Malgré son apparence légère, malgré sa forme badine ou du moins toujours spirituelle, sous ses facettes écla- tantes, ce Parisien montre toute la générosité de son cœur. Il ne cesse point de s'intéresser à quiconque souffre et pour lui la question sociale s'étend à tous les êtres vivants. La Société protectrice des animaux remplit un rôle essen- tiellement humanitaire et civilisateur, a écrit Aurélien Scholl. On ne peut refuser à ceux qui la composent une sorte d'admiration, si l'on considère qu'ils ne briguent ni les hon- neurs, ni les avantages que cueillent les membres de beau- coup de sociétés. Parmi les nombreux legs faits à la Société protectrice des animaux, il faut citer celui de M. le commandeur da Gama Machado, montant à la somme de 20,500 francs. Le revenu de 1000 francs prélevé sur ce legs a pour objet spécial l'en- tretien, à l'angle du pont des Saint-Pères, à Paris, d'un pré- posé chargé de prévenir les infractions à la loi Grainmont. L'exécution de cette; clause a commencé le 11 mars 1872, avec l'agrément de M. le Préfet de police. Les membres de la société s'imposent des sacrifices d'ar- gent qui, chez quelques-uns, sont considérables. Aurélien Scholl, qui a consacré aux animaux torturés par l'homme un grand nombre d'articles émus a écrit sur le chien un petit roman de quelques pages, intitulé Follette, qui est un véritable chef-d'œuvre plein de grâce, de délica- LE CHIEN ET SES PROTECTEURS. 285 tesse et de sentiment. Ce récit quoique datant de peu, a été si souvent reproduit que nous n'osons point le reproduire à noire tour; c'est en ({uelques pages une chose aussi exquise que Chien-Caillou tant loué par Victor Hugo. Mieux que Chaniptleury selon nous, et mieux que Théo- phile Gautier qui, dans sa Ménagerie intime, a sacrifié la ten- dresse au pittoresque, Aurélien Scholl a trouvé moyen d'émouvoir en contant simplement les misères d'une petite chienne qui, heureuse et gâtée durant les premières années de sa vie, finit sur une table de vivisection. Les aventures de la pauvre bête sont émouvantes et l'on peut assurer qu'elles sont vraies; elles sont arrivées ;\ bien des chiens. Cependant on tente vainement d'arracher ces animaux au couteau des vivisecteurs. La Société protectrice de France se trouve pour ainsi dire désarmée, et le Parlement chez nous ne daigne pas s'occuper de CCS questions. Sous le seul règne de la reine Victoria, le Parlement an- glais n'a pas voté moins de dix-huit lois, comprenant quatre-vingt-dix-neuf articles, dans l'intérêt de la protec- tion. 11 n'est pas sans intérêt de connaître la loi anglaise de 1876. « Art. 1". — Il est interdit de faire des expériences doulou- reuses sur les animaux, en dehors des conditions prescrites, sous peine de 1250 à 2500 francs d'amende. «Art. 2. — Nul ne pourra faire d'expériences douloureuses sur les animaux sans une autorisation spéciale du ministre de l'intérieur. Four oblenir celte autorisation, il faut d'abord indiquer l'objet de l'expérience projetée, lequel ne peut être qu'une découverte à faire, et non l'éducation d'élèves aux- quels on voudrait donner de la dextérité. L'animai devra être rendu complètement insensible avant l'opération et être tué 286 LE CHIEN. avant le retour de la sensibilité... Une permission particu- lière, et soumise à d'autres restrictions, devra être demandée au ministre quand, dans des cas extraordinaires, une expé- rience douloureuse pourra résoudre un doute scientifique. « Art. 3. — Le chien, le chat, le cheval, l'àne et le mulet ne serviront jamais aux expériences lorsqu'un autre animal pourra les remplacer. » Le professeur Yirchow a prétendu que, depuis le vote de cette loi, aucune découverte importante en biologie ou en physiologie n'a été faite en Angleterre. L'argument est sin- gulier; les découvertes scientifiques importantes se font une ou deux fois par siècle, et en cinq ou six années, l'interdic- tion de vivisection n'a en vérité pas dû retarder le pro- grès. Nous voulons bien, d'accord avec un groupe nombreux de la Société protectrice des animaux, qu'on sacrifie quelques animaux à un savant digne de ce nom, à un Claude Bernard, à un homme qui ne consentira à torturer un être qu'avec la presque certitude de soulager d'autres êtres; mais nous croyons avec Robert Lowe qu'il faut « une charte de misé- ricorde ». On doit ménager la souffrance. Il ne saurait être permis, comme cela s'est fait et se fait peut-être encore à Paris, de laisser un étudiant martyriser un chien, le découper en plusieurs jours à petits coups de scalpel, pourvu qu'il ait payé la bête 2 fr. 50. Autant la dissection, l'étude du cadavre, nous apparais- sent utiles pour ceux qui veulent apprendre et se faire la main, autant la vivisection inconsciente, mal comprise, nous apparaît monstrueuse. On ne donne à un ai)prenli, dans n'importe quel métier, que des pièces inutiles; on ne lui confie que des morceaux sur lesquels il peut impunément s'exercer et apprendre. Laisser jouer un gamin avec les épouvantables douleurs d'un animal vivant qu'il découpe LE CHIEN ET SES PROTECTEURS. 287 au hasard, c'est là en vérité un abus à la fois bête et horrible. Cependant, nous le répétons, il ne faut pas aller trop loin dans la répression. On vient d'annoncer que Wilkie Collins, l'auteur anglais bien connu, va publier un roman où il traite la thèse plus controversée que jamais de la vivisection; où il cherche à indiquer l'effet que la cruauté professionnelle envers les bêtes produit sur le caractère et l'esprit des vivisecteurs. Quel que soit le talent de l'auteur, il ne parviendra jamais à convaincre les gens raisonnables que certaines expériences faites sur le chien vivant par un Claude Bernard (nous redisons ce nom à dessein) ne puissent pas être profitables à l'espèce canine elle-même. La vérité est qu'il faut se montrer avare du sang versé, avare de la douleur, mais qu'il faut savoir tenter d'utiles expérien- ces. Il n'est pas impossible de faire régler ce point par une loi. Les peuples, pour leur gloire, pour leur honneur et surtout pour leur vitalité, n'hésitent pas à sacrilier la vie d'un grand nombre de leurs enfants. Ils ne sauraient hésiter davantage à permettre aux savants de sacrifier quelques animaux, si l'utilité du sacrifice apparaît. Au sein même de la Société protectrice des animaux, les avis sont fort partagés sur la vivisection. Certains membres voudraient la voir supprimer complètement; quelques-uns même ne craignent pas d'affirmer qu'ils ne sacrifieraient point la vie d'un chien pour sauver leur enfant. D'autres au contraire, qui en reconnaissent l'utilité, voudraient voir supprimer seulement les atrocités inutiles. Le docteur H. Blatin, auteur d'un livre fort remarquable, intitulé Nos cruautés envers les aniinaux, a consacré un chapitre à la vivisection, où nous trouvons des détails fort intéressants. Et d'abord, la vivisection est-elle réellement utile à la science, indispensable à l'humanité? 288 LE CHIEN. Parmi les savants, les uns l'affirment, les autres le con- testent, plusieurs en sont au doute. Selon M. Béclard, c'est aux expérimentations sur les animaux que la physiologie doit ses plus importants progrès ; le docteur Roche, membre aussi de l'Académie de médecine, disait à ses collègues : « Ne voyons-nous pas tous les jours les résultats de vivi- sections, certains la veille, démentis par les résultats incon- testables du lendemain? » Un poëte a dit : La torture interroge et la douleur répond. La poésie aurait-elle raison de la science en cette circon- stance? Non certainement, mais elle répond d'une façon fort vraie aux anti-vivisecteurs, et résume leur opinion. Le docteur Blatin ajoute : L'opinion publique a raison de s'émouvoir des abus de la vivisection. Le moyen peut être utile, dans certains cas; mais il sert l'erreur aussi bien que la vérité scientifique. Son utilité a été gravement compromise par ses propres excès. La chirurgie vétérinaire, ainsi que l'a dit le regretté Par- chappe, avec un bon sens. qui est le génie des causes hon- nêtes, peut se contenter de ce qui suffit à la chirurgie humaine. Les expériences sur les animaux vivants ne sont en aucune sorte indispensables à un enseignement efficace de la physiologie. Cependant on continuera pendant longtemps encore à torturer les chiens. Soit. Mais du moins, lorsqu'on n'a pas besoin d'eux pour des expériences scientifiques, leur donne-t-on quelque assistance ? Les faits vont répondre à cette question. L'histoire de l'établissement des refuges pour les chiens à Paris est un véritable roman; nous ne voulons pas entrer LE CHIEN ET SES PROTECTEURS. 289 dans des détails qui appartiennent à la chronique, mais nous résumerons les pérégrinations sans nombre de ceux qui ont lente de fonder ces asiles. Un groupe de membres de la Société protectrice des animaux, voulant faire ce qui se fait en Amérique et en Angleterre, fonda il y a très peu d'années un refuge à Ménilmontant. Cet asile s'installa bien simplement; on y recueillit quel- ques abandonnés, et tout allait marcher à souhait, lors- qu'une dénonciation fit congédier et le locataire de l'im- meuble et les pauvres bêtes accusées de troubler par leurs aboiements la tranquillité publique. L'administration, il est important de le constater, n'hésita pas à manifester son mauvais vouloir, comme elle le fait toujours en France lorsqu'il s'agit d'institutions créées par l'initialive privée. La tradition, la forme administrative nous enserrent, bêles et gens, dans des liens inextricables, et nous attendrons pendant longtemps encore, élernellement peut-être, le par- lemenl qui tranchera ce nœud gordien. Donc, avec l'appui de l'administration, on dispersa le refuge de Ménilmontant, dont la directrice, une femme de cœur et de courage, fut condamnée à cinq francs d'amende. Les organisateurs du refuge de Ménilmontant cherchèrent à échapper à ces rigueurs invraisemblables quoique admi- nistratives. Ils ne se firent pas conspirateurs, ils n'achetèrent point de masques et ne se cachèrent pas sous des manteaux couleur de muraille, mais ils se divisèj'ent en deux groupes, dont l'un installa à Suresne, et l'autre à Grenelle, un éta- blissement hospitalier. La municipalité de Suresne tint à se montrei' digne de l'administration parisienne. Elle interdit le lieu d'asile; quant au groupe de Grenelle il ne tarda pas à être dispersé à son tour, et la directrice fut de nouveau condamnée à cinq francs d'amende; mais comme il y avait récidive, on y 57 290 LE lllIIEN. ajouta un jour de prison. La pauvre femme est au déses- poir, elle s'imagine que, si elle subit sa peine, elle sera déshonorée; nous pensons qu'on lui en fera remise. Ce fait prouve que la protection n'est pas sans danger. Cependant les amis zélés des chiens ne se sont pas dé- couragés; ils ont transporté leur asile à Montrouge, en dehors des fortifications, et, jusqu'à présent, on a toléré la présence d'environ quatre-vingts chiens qui sont nourris là, grâce à des cotisations de membres de la société. En Angleterre, grâce à l'esprit de décentralisation qui per- met de faire, en dehors du gouvernement, toutes les entre- prises utiles, il existe des refuges privés dans ditTérenls quartiers. En Amérique les choses se passent mieux encore. Nous en trouvons la preuve dans les comptes rendus du Congrès international des sociétés protectrices des animaux, tenu à Bruxelles en juin et juillet 1880. La commission émit le vœu que toutes les sociétés ten- tassent d'obtenir des autorités urbaines la direction des fourrières destinées à recevoir des chiens. Cette direction appartient, à Philadelphie, aux membres de la Section des Dames de la Société de Pensylvanie pour prévenir la cruauté envers les animaux. Une femme d'un grand cœur et d'un grand esprit, Mme Caroline E. Wliite, a résumé, dans une notice traduite en trois langues et que nous reproduisons, les moyens qu'elle avait employés pour atteindre son but. Peu de temps après la création de la Section des Dames, laquelle remonte à onze ans, le comité executif de cette Société constata que la capture et la mise à mort des chiens errant sans muselière dans la ville était faite par les pré- posés de la ville avec une révoltante cruauté; c'étaient des nègres brutaux qui, chargés de ce soin, ramassaient les chiens avec une pelle de fer et les jetaient pêle-mêle dans un tombereau. LE CHIEN ET SES PROTECTEURS. 291 On s'efforça de mettre un terme à ces cruautés inutiles. Dans cette intention, le comité s'adressa au conseil muni- cipal de Philadelphie; il le sollicita de s'en remettre à lui pour la capture des chiens, prenant l'engagement de rem- plir cette tâche, si elle lui était confiée, avec conscience et loyauté. Toutes choses ayant été pesées, la proposition de la Sec- tion des Dames fut acceptée, et la ville de Philadelphie lui accorda une allocation annuelle de trois mille dollars (16 230 fr.), équivalente à la somme déjà inscrite au budget de la ville pour l'entretien de la fourrière municipale. En outre, la Municipalité concédait à la Section des Dames un vaste terrain dans un des faubourgs de la ville pour y bàlir une fourrière. Aussitôt un bâtiment peu coûteux fut élevé, comprenant, outre les emplacements destinés aux chiens, un logement spacieux pour le Directeur de la fourrière, ou plutôt du Refuge pour les chiens, car c'est ainsi qu'on le désigne, et enfin les locaux indispensables à l'établissement de deux appareils pour asphyxier les chiens. Quant au reste, la four- rière fut divisée en deux vastes cours, l'une pour les chiens, l'autre pour les chiennes. Ces cours, bordées de hautes pa- lissades, sont partagées en nombreux chenils, afin que chaque chien puisse, s'il est nécessaire, être isolé des autres. L'ombrage est assuré pendant les fortes chaleurs de l'été, au moyen d'une plantation de vignes, dont les rameaux s'étendent le long des treillages aménagés à cet effet. Des auges, installées dans les ditférentes parties des cours, fournissent aux chiens une eau abondante. La nourriture leur est donnée sur des sortes d'étagères ou tables très basses, surmontées d'un toit. Les procédés pour la capture, la garde ou la mise à mort des chiens, subirent une modification totale sous la direc- 292 I.K CHIEN. tion de la Section des Dames. Jusqu'alors on s'était servi pour la capture d'un lasso d'un système barbare, qui étran- glait le chien en le saisissant, et souvent le traînait à une distance assez longue. Au lasso on a substitué des filets, lesquels généralement ne causent aucune souffrance à l'animal. La charrette destinée au transport des chiens jusqu'à la fourrière a été aussi modifiée; munie de ressorts, elle est maintenant divisée en deux compartiments, afin de pouvoir séparer les gros chiens des plus petits, car ceux-ci étaient d'ordinaire fort malmenés, durant le trajet, par ceux de forte taille. Le séjour de chaque chien au refuge est d'une semaine, du moins toutes les fois que la chose est praticable, afin de donner au propriétaire la facilité de racheter le chien si celui-ci se trouve n'être que perdu. Pendant cet intervalle, le chien est traité sans brutalité et reçoit la nourriture deux fois par jour; cette nourriture se compose ordinairement de basses viandes peu coûteuses, bouillies avec de la farine de maïs dans la proportion de moitié. Lorsque le chien n'est pas racheté à la fin de la semaine, il est mis à mort par asphyxie au moyen du gaz acide car- bonique. Cette méthode, adoptée dès l'origine, a été conti- nuée depuis, mais on a substitué l'oxyde carboneux au gaz acide carbonique sur l'avis des physiologistes qui ont re- connu que la mort est moins douloureuse par ce gaz. La méthode suivie pour l'emploi du gaz acide carboneux est exposée dans le Rapport annuel de la Section des Dames avec une description de la chambre d'asphyxie ; cette bro- chure est envoyée à toute personne qui en fait la de- mande. Il est à remarquer que, en choisissant l'asphyxie pour la mise à mort des chiens, on ne diminue pas seulement, autant que possible, les souffrances physiques, mais aussi LE CHIEN ET SES PROTECTEURS. 293 l'inquiétude mentale que l'appréhension de la mort ne peut manquer de causer à un animal aussi intelligent qu'est le chien. Le chien ne sait évidemment pas ce que c'est que la mort, mais lorsqu'il se trouve dans une circonstance inquié- tante, en dehors du courant ordinaire de ses habitudes, comme, par exemple, lorsqu'il est enfermé dans un lieu inconnu, il devient anxieux, et paraît pressentir quelque chose de funeste dont il ne comprend pas la nature. Aussi, pour éviter cette angoisse dernière, les membres de la Section des Dames ont voulu que l'on cherchât à familiariser les chiens avec la chambre d'asphyxie, en les invitant à y entrer dès les premiers jours, et en y plaçant de la nourri- ture, de manière que lorsqu'ils y sont finalement renfermés pour y être asphyxiés ils n'éprouvent aucune appréhen- sion. Si les chiens sont malades au moment de leur capture, ou s'ils ont des petits, on sul)stitue autant que faire se peut le lait au régime ordinaire do la fourrière. Les sommes perçues i)Our le rachat des chiens sont resti- tuées en totalité à la ville. Elles s'élèvent quelquefois à plus de 2,000 dollars par an :10,000 francs). Tous les chiens qui ne sont pas rachetés par leurs pro- priétaires ne sont pas mis à mort. Lorsque la direction du refuge fut remise aux mains de la Section des Dames, l'au- torisation fut accordée à la Présidente de garder quelques- uns des chiens qui paraîtraient devoir être conservés, soit à cause de leur grande intelligence, soit à cause de qualités précieuses, tels que les chiens de garde ou les chiens de chasse. Tous les animaux de cette catégorie sont conservés et sont généralement vendus, mais on ne les cède cju'après s'être assuré que l'acheteur sera un bon maître. Dans ces cas le prix de rachat, deux dollars (11 francs), est reversé à 294 LE CHIEN. la ville. Mais lorsque le propriétaire est pauvre et qu'il témoigne d'un attachement sincère à son chien, qu'il se montre désireux de le racheter tout en n'en ayant pas les moyens, la Section des Dames vient toujours au secours de l'indigent en payant en partie ou en totalité le prix du rachat sur ses propres fonds. Le chien est rendu gratuite- ment à son maître, lorsque les circonstances paraissent jus- tifier une telle concession, comme par exemple lorsqu'un chien est le gagne-pain de son maître, ou lorsque c'est un chien d'aveugle. Mais alors même les Dames consultent toujours les intérêts de la ville, afin de ne point faillir au devoir qu'elles ont accepté en faisant contrat avec l'admi- nistration municipale. Le nomhre des chiens amenés à la fourrière est en moyenne de trois mille par an; on en tue deux mille trois cents, dont la dépouille est livrée au commerce; six ou sept cents chiens sont rachetés. Les hommes qui capturent les chiens sont accompagnés du directeur et de quatre sergents de ville pour maintenir l'ordre. La fourrière est sous la direction absolue du comité de la Section des Dames. Voilà un résultat acquis, un procédé pratique; on a essayé de l'employer à Paris : on a demandé au préfet qu'il con- sentît à abandonner la direction de la fourrière; on lui a offert mille avantages; c'est pour lui bien plus une gêne qu'un avantage. A Philadelphie, l'administration s'est hâtée de se débarrasser de ce fardeau, mais bien entendu, à Paris, on a opposé une fin de non-recevoir. On s'est contenté d'éta- blir une chambre d'asphyxie, qui fonctionne mal et rare- ment. Si, comme nous le disions au commencement d3 ce cha- pitre, nous regardons ce que la société a fait pour le chien, nous sommes contraint de nous arrêter là. Il n'y a pas autre chose. LE CHTE?^ ET SES PROTECTEURS. 295 Il faut tout attendre de l'avenir, dans lequel, nous l'espé- rons, on fera comprendre aux nations civilisées que l'homme qui inflige à des êtres vivants des tortures inutiles se dégrade et se démoralise lui-même par l'abus égoïste et brutal de la force. CONCLUSION Nous aurions pu donner à ce livre un développement con- sidérable : il nous eût été facile de multiplier les citations et les anecdotes; mais, si nous ne nous sommes trompé, l'œuvre gagne en clarté ce quelle aurait pu perdre en digres- sions. Sans doute nous avons laissé mille faits de côté; il nous a fallu faire un choix dans l'amas de documents recueillis depuis les commencements de l'espèce humaine par les his- toriens de l'espèce canine. Ces historiens portent les noms les plus illustres et nous ne les avons même pas énumérés tous; après Zoroastre, qui, nous le répétons, a été jusqu'à dire : « Le monde ne subsiste que par l'intelligence des chiens »; après Bufîon, Darwin, et aussi après Lamartine, les philosophes, les savants et les poètes contemporains ont affirmé et chanté l'utilité, les mérites et les vertus du chien. La liste de ces écrivains formerait à elle seule un volume, et s'il fallait rappeler tout CONCLUSION. 297 ce qui a été écrit sur notre sujet, on entreprendrait une encyclopédie. Cependant nous voulons invoquer encore un témoignage à l'appui de notre thèse, celui de l'immortel Pétrarque, dont les Lettres familières, écrites en latin et tout à fait inconnues, sont actuellement traduites pour la première fois en français par un savant de nos amis, M. Victor Develay. Pétrarque s'est donné la peine d'écrire une épître des plus jolies et des plus émues, à l'archidiacre de Liège, Mathieu Longo, qui avait perdu son chien, « plus noir que la poix, plus léger que le vent ». — ... « Que ferait dans sa tristesse votre chien égaré? écrit à son ami l'amant de Laure. Irait-il dans les bois chercher sa nourriture? 11 le pourrait aisément si la nature même ne s'y opposait en voulant que cet animal ne vive pas éloigné de l'homme Nous avons ouï dire que certains peuples entretinrent pour la guerre des armées de chiens qui, chaque fois qu'il le fallut, ne refusèrent jamais le combat. Nous lisons que des chiens se sont exposés à la mort pour leurs maîtres, les ont défendus jusqu'à ce qu'ils fussent eux-mêmes percés de coups, en sorte que tant que le chien ne fut pas tué le maître fut à l'abri de l'offense. «... D'autres, n'ayant pu défendre contre les agresseurs le corps qu'ils chérissaient, l'ont du moins protégé contre les outragés des bêtes fauves et des oiseaux... D'autres se sont privés de nourriture jusqu'à ce qu'ils en meurent. « C'est ce qu'a fait un chien que j'ai bien connu... « ... Pline et Solin rapportent un trait merveilleux. Le roi des Garamantes, disent-ils, revint de l'exil, grâce à deux cents chiens qui combattirent pour lui contre ses adversaires. " Ils racontent un fait plus touchant qui s'est passé à Rome. Un chien ne pouvant être séparé de son maître, condamné 58 298 LE CHIEN. à mort, le suivit dans sa prison. Quand le condamné eut la tête tranchée, le chien témoigna sa douleur par des hurle- ments affreux. Le peuple, ému de pitié, l'ayant invité à manger, il porta à la bouche de son maître la nourriture qu'on lui offrait. Enfin, quand le cadavre du supplicié fut jeté dans le Tibre, on vit le chien le soutenir en nageant et en se plaçant sous ce cher fardeau... «... Les exemples de la fidélité canine sont innombrables.» Et Pétrarque laissant voir dans ses Lettres intimes que la France littéraire connaîtra bientôt, grâce à M. Develay, toutes les délicatesses de son grand cœur, Pétrarque avoue à son ami qu'il a mieux compris, en recueillant son chien égaré, la douleur que lui causait son absence. Ainsi chez tous, chez les meilleurs d'entre nous et par le talent et par les vertus, on trouve, à quelque endroit de leurs écrits, un éloge sincère du chien, un hommage à lui rendu. Si nous voulions développer cette affirmation, la tâche nous serait aisée; il nous suffirait de feuilleter par exemple le recueil d'Amédée Pichot, intitulé Paris- Londres, dans lequel le remarquable écrivain a étudié les chiens des romans de NN'alter Scott. Le rôle joué par notre compagnon dans la société humaine apparaît là plein de grâce et de mérite. Mais, encore une fois, il nous faut nous borner. Et nous ne rappellerons que pour mémoire les peuples incomplètement civilisés, les Chinois par exemple, à qui le chien sert d'aliment, pour qui la chair de la pauvre bête, vendue dans les boucheries, est un mets estimé. A la vérité les chiens chinois dont on voit des spécimens dans nos expositions ressemblent à de véritables saucissons à pattes. Mais ce goût nous semble aussi discutable que l'anthropo- phagie; nous n'admettons pas qu'on mange les chiens à moins qu'on n'y soit contraint par des événements aussi ter- ribles que le siège de Paris par exemple. La vie d'un homme CONCLUSION. 299 vaut mieux sans nul doute que celle d'un chien, mais, c'est là tout ce que nous voulons conclure, le chien doit être protégé à cause des immenses services qu'il nous rend. Le commerce des chiens ne nous a pas dégoûté du com- merce des hommes; au reste, les misanthropes n'aiment pas plus les hêtes que les gens, et nous pensons que ceux qui sont cruels envers les animaux sont en général méchants envers leurs semblables. Plus l'homme s'élève, plus il s'éloigne de ses instincts cruels; protéger les animaux, c'est protéger l'espèce humaine. L'animal qui nous aide, qui nous sert et qui nous défend a droit, dans notre civilisation moderne, à la pitié désormais acquise aux esclaves et aux serfs, aux ignorants et aux faibles, aux enfants et aux femmes, dont les revendications étaient méprisées par les sociétés anciennes. Nous nous répétons volontiers que nous sommes la plus douce et la plus généreuse des nations, et cependant nous l'avons prouvé, nous sommes en retard sur les pays qui nous environnent si nous considérons notre conduite envers les chiens. O nv"''i'>> ^.^as-^^^ ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN PAR m- ALEXANDRE LANDRIN Médociii-W'trrinaire à l^aris K\--Vf''léi'iiiaii'o niililaii'o, Mi'mbro de; la Soriélé iiatirmalc irariliiiiatatioii, clc, fitc. CAPACIERES GENERIQUES. ORIGINE. CHIEN FOSSILE. ETYMOLOGIES. § 1. Le chien [canis fmniliaris) appartient à la division des Vertébrés, classe des Mammifères, tainille des Carnassiers, tribu des Carnassiers digitigrades et au genre Chien {canis). Ce genre, créé par Linné en 1755, dans son Sijsiema naturœ^ est caractérisé de la fac^on suivante : 0 Système dentaire : incisives -> canines 7- — j- : molaires ■= zr •" 6 1 — 1 ' 7 — 7 , en tota- lité quarante-deux dents; incisives à trois lobes lorsqu'elles ne sont pas encore usées, et toutes placées sur une même ligne; canines coniques, 302 LE CHIEN. aiguës, lisses; molaires : les supérieures se subdivisant en trois petites dents aiguës ou fausses molaires tranchantes, à un seul lobe, une car- nassière à deux pointes et deux petites dents à couronnes plates ; les inférieures comprenant quatre fausses molaires disposées comme celles d'en haut, une carnassière dont la pointe postérieure est mousse et deux dents tuberculeuses. Museau pointu, avec un mufle ou partie nue, assez considérable, arrondie. Tête allongée, surtout dans la partie maxillaire, et à arcade zygoma- tique, médiocrement arquée en dehors. Yeux à pupille en forme de disque dans les chiens proprement dits et allongée dans les renards. Oreilles médiocres ou grandes, dents pointues, mais seulement dans l'état de nature, car la domesticité modilie considérablement ces organes. Mamelles pectorales et ventrales. Pieds de devant à cinq doigts, les deux du milieu égaux et les plus longs ; ceux de derrière à quatre doigts seulement, avec le rudiment d'un cinquième os du métatarse qui ne se montre par aucune trace à l'exté- rieur; ces doigts étant entre eux dans les mêmes rapports que les quatre plus longs des pieds de devant. Ongles allongés, assez obtus, non rétractiles; les doigts posant seuls à terre dans la marche. Queue de moyenne longueur. Pas de poche onde folhcules près de l'anus ou des parties de la géné- ration. Pelage généralement très fourni, assez rude, composé de deux sortes de poils. Moustaches assez petites. Plante du pied garnie de tubercules : celui qui se trouve à la base des doigts, ayant trois lobes et avec la même forme à tous les pieds ; celui qui garnit l'extrémité de chaque doigt, elliptique ; de plus il y en a un autre sous l'articulation du poignet. Corps de taille généralement moyenne, mais pouvant assez notable- ment varier sous ce rapport. §2. L'origine du chien a été l'objet d'opinions bien différentes ; il est au reste bien inutile, après ce qui a été dit dans les chapitres précédents, de ZOOTECHNIE ET HYGIENE DU CHIEN. 303 revenir sur ce sujet. Disons cependant que l'idée émise par Buffon nous paraît indiscutable. Le chien formait dès l'ori^-ine du monde une espèce, un genre parti- culier. Ce qui, au reste, peut, il me semble, rallier les plus difficiles à convain- cre à cette opinion, c'est l'existence du chien fossile. Elle fut signalée pour la première fois en 1772 par Espar, qui a indiqué la découverte faite, dans les cavernes de Franconie, des crânes de chiens, mélangés à des crânes de loups et d'ours. Dubreuil, Marcel de Senco et Jean Jean ont aussi annoncé la présence de fragments de maxillaires découverts dans les cavernes des environs de Montpellier. En 1855, M. Schmerling, en rencontrant dans les cavernes des envi- rons de Liège une (ète et des os des membres, démontra l'existence du chien domestique à l'état fossile. Il faut aussi signaler les crânes trouvés par M. Pentland cà Antémina et un autre par M. Boblaye, paraissant appar- tenir à la race actuelle du Doguin, extrait des tourbières d'Isgogne, près de Château-Thierry. Ajoutons à cela les découvertes faites par l'abbé Croizet dans les alluvions volcaniques d'Auvergne; de M. Bravad et d'un grand nom- bre de savants modernes de (ous pays. Peut-on répéter malicieuse- ment avec LasceUes {On sporliiig) que le chien était probablement le pre- mier animal ayant, après la femme, partagé l'attention et l'affection de l'homme. Avant de nous occuper de l'organisme, de l'hygiène, de la reproduction, de l'élève, de la description des races, en un mot de la zootechnie du chien, voyons quelle signification peut avoir ce nom de chien. On a souvent répété que, dans les langues orientales, le nom de chien était un terme de mépris et que le mot manquait de noblesse. Si l'on consulte les étymologies que l'abbé Maupied a données de ce nom, on peut changer un peu d'opinion à cet égard. Ce mot, en hébreu kabel, de la particule ka (comme) ou de lud (tout) et de leb (cœur), signifie « très affectueux, très caressant ». En grec, il aurait la même signification, puisque le mot xûwv n'est que le participe du verbe «uu (caresser, embrasser) ; le nom du chien signifie donc (( caressant ». En latin, canis, venant du verbe caiieo (vieillir, être prudent), indique donc que le mot signifie « fidèle, prudent ». Chien, en français, venant du grec xûuv, a la même signification. Comme l'a écrit de Blainville, ces étymologies ne prouvent-elles pas 304 LE CHIEN. que le cliiea a été de loiit temps un animal fidèle, caressant, prudent, attaché à l'homme, et créé avec lui et pour lui ? EXTERIEUR. ANATOMIE . PHYSIOLOGIE. Le chien est de taille variable suivant les races, les espèces et les variétés. Son corps est couvert de poils variant de longueur, de finesse et de couleur, ainsi que nous aurons l'occasion de le signaler. Disons de suite qu'il y a des chiens à poils longs, épais et rudes : griffons, briquets, etc. Des chiens à poils soyeux : épagneuls, bichons, barbets. Des chiens à poils ras : braques, mâtins, dogues, lévriers, levrons,etc. Des chiens sans poils : turcs, chinois. Sa tète est oblongue, i)lus ou moins allongée, se rétrécissant en avant, pour se terminer à l'exl réalité du museau par une partie nue chagrinée, toujours humide dans l'état de santé, que quelques amateurs appellent trulTe et qui n'est en réalité autre chose que le nez. Le crâne est plus ou moins sphérique et présente dans son milieu une arête se terminant à la partie postérieure de la région par une protu- bérance dont la saillie varie de volume. La lèvre supérieure recouvre de chaque côté finrérieure; leurs commis- sures présentent des excroissances mamelonnées et striées recouvertes par la muqueuse; elles sont dépourvues de poils. Les muscles de la mâchoire sont d'une puissance considérable. Les dents, au nombre de quarante-deux, sont disposées de la fa(;on sui- vante : vingt à la mâchoire supérieure et vingt-deux à finférieure, à cause de deux molaires supplémentaires, les incisives étant au nombre de six à chaque maxillaire et les carnassières au nombre de deux. Le palais, dont la muqueuse est de couleur noire, rose, ou parsemée de taches plus ou moins étendues de couleur noire, présente des sillons transversaux assez profonds. La langue, douce, longue, effilée, à extrémité d'une grande flexibilité, est partagée en deux par un long sillon longitudinal. L'oreille est droite, mobile et de grandeur médiocre (chien de berger, ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 305 chien-loup) ; elle s'allonge, quelquefois au point de tomber tout à fait, de chaque côté de la tête, qu'elle dépasse d'une façon sensible, comme on le remarque chez les races les plus domestiquées (chiens de chasse, épa- gneuls, bassets, etc., etc.). La pupille des yeux est ronde. Les doigts sont au nombre de cinq, aux pieds de devant ; les deux du milieu, de même longueur, sont les plus longs, et l'interne, le plus petit, se trouve sur un plan plus élevé. Ils sont au nombre de quatre aux pieds de derrière; il en existe parfois un cinquième rudinientaire qui très souvent manque et (lui parfois atteint cependant un développement complet. Ces doigts sont garnis d'ongles non rétractiles, creusés eu forme de gouttières et à extrémité mousse. Sous le pied, on trouve un nombre de tubercules arrondis et charnus correspondant aux ongles ; il se trouve complété par un gros tubercule en forme de trèfle qui termine la surface plantaire. ' La colonne vertébrale est composée de quarante-sept vertèbres dont sept cervicales, treize dorsales, sept lombaires et vingt coccygiennes ou caudales. La poitrine est formée de chaque cùté par treize côtes, dont quatre asternales, et complétée par un sternum plus ou moins saillant suivant les races. La queue du chien est haute et redressée, ce qui le distingue du loup qui la porte basse et du renard qui la tient droite. Les mamelles sont pectorales et abdominales, les premières au nom- bre de quatre et les secondes de six ; chez le chien, où elles se montrent à l'état rudimentaire, elles sont au nombre de six. L'estomac du chien est relativement d'un grand volume et présente la forme d'une poire ; son ouverture œsophagienne en entonnoir est très dilatée, ce qui rend le vomissement très facile. Chez le chien, l'intestin, comme au reste chez tous les carnivores, est relativement très court; il mesure au pins quatre mètres et demi, dont soixante à soixante-dix centimètres pour le gros intestin. L'intestin grêle a les parois très épaisses et sa muqueuse est remarquable par le nombre et la longueur de ses villosités. Le côlon à peine i)his gros (|ue l'intestin grêle rappelle celui de l'homme comme aspect. Le caecum ne forme qu'un petit appeiulice tordu en spirale dont la muqueuse est très folliculeuse. Le recliun présente près de l'anus deux ouvertures, une de chaque 39 306 LE CHIEN. côté, communiquant avec deux poches glanduleuses qui sécrètent une matière liquide noire répandant une odeur fétide. Le foie est très volumineux et divisé en cinq lobes très échancrés. La vésicule biliaire se trouve logée dans le lobe moyen. Le poumon enveloppe complètement le cœur; le gauche est divisé en trois lobes et le droit est divisé en quatre. Le tissu pulmonaire du chien est très compact. Le pénis renferme un os, os pénien, qui donne passage au canal de l'urètre. Le chien répand une odeur suigeneris qui ne peut être confondue avec celle d'aucun autre animal. Il se nourrit, à l'état sauvage, de chair, mais la domesticité ou plutôt la civilisation a changé son mode d'alimentation. Bien que la nature ait fourni à cet animal des dents coupantes et aiguës pour trancher et déchirer la viande, elle l'a gratifié de dents dont la surface permet le broiement des végétaux et des aliments farineux. Son appareil intestinal, en rapport avec la complexité de l'appareil de la mastication, permet évidemment au chien de vivre de l'un des deux régi- mes, mais, ainsi que nous l'expliquerons plusloin, il est préférable de sou- mettre cet animal au régime des omnivores. Le chien boit en lapant, c'est-à-dire qu'il plonge sa langue dans le liquide en recourbant la pointe en dessous et projette ainsi l'eau dans l'intérieur de la bouche. Sa voix, qui est désignée sous le nom d'aboiement, varie suivant l'im- pression qu'il ressent, son timbre change sous l'influence des passions, des maladies et va de la plainte au hurlement. Il fait même entendre des sons intermédiaires exprimant certains désirs, la joie, le mécontentement, le remerciement, la sollicitation et la colère. Ces différentes intonations sont généralement comprises de leurs maîtres. Dans la rage, le chien a un timbre particulier qui peut faire recon- naître par une oreille exercée l'existence de cette maladie, même à une assez grande distance. En voici, au reste musicalement écrite la reproduction : f|T"r=g=E3=^E^gEggife^^Ë^^ ZOOTECHNIE ET HYGIENE DU CHIEN. 307 Le chien à l'état sauvage n'aboie pas et, chose remarquable observée et signalée, les chiens domestiques abandonnés et réduits à l'état demi-sau vage, perdent cette voix. On s'accorde généralement à répéter que le chien n'éprouve pas de transpiration cutanée; ceci n'est pas complètement exact, seulement ce phénomène est loin d'être aussi apparent que chez les autres animaux. En revanche, la langue est le siège d'une salivation abondante qui explique la rareté de la sécrétion des glandes sudoriliques. Quand le chien s'est livré à une course plus ou moins rapide, sa langue sort de sa bouche et laisse écouler une plus ou moins abondante sécrétion de liquide. Son odorat est très développé ; on sait par expérience combien cette faculté est remarquable chez la plupart des sujets de cette espèce. Cette propriété est due au développement considérable de la mem- brane muqueuse qui tapisse les cavités olfactives de cet animal. Lorsque le chien est jeune, il urine en abaissant sa croupe et fléchis- sant ses membres postérieurs ; mais vers l'âge de neuf ou dix mois, les mâles commencent à lever la patte. Le chien a trois allures distinctes : le pas, le trot et le galop. Il peut passer de l'une à l'autre de ces allures suivant sa volonté ou celle de son maître quand il y est invité. Le chien marche en portant toujours son corps un peu de travers. Quant il veut se coucher il fait, avant de prendre la position du décu- bitus, plusieurs tours sur lui-mèrne ; on n'en sait pas bien la raison. On suppose que c'est pour l'aider à contourner progressivement et insensi- blement sa colonne vertébrale, alîn d'éviter la douleur qu'il pourrait éprouver en se tournant trop brusquement. La durée de la vie du chien est de douze à quinze ans, bien que l'on en ait vu atteindre l'âge de dix-huit et même de vingt-cinq ans, mais ces faits de longévité ne sont que l'exception. 308 LE CHIEN. III MOYENS PE RECOS>AlTr,E L AGE DU CHIEN Avant de nous occuper de la reproduction, de l'élevage et de l'hygiène du chien, nous allons exposer rapidement les caractères qui peuvent ser- vir à reconnaître son âge. La connaissance de l'âge du chien, comme chez les autres animaux do- mestiques, est fournie par les changements qui surviennent dans la forme des dents. Nous n'avons pas à revenir sur ce que nous avons dit, sur le nombre et les divisions des dents de l'animal qui nous occupe. Ajoutons simple- ment que les incisives du nulieu sont désignées sous le nom de pinces et que leurs voisines sont nommées mitoyennes, que l'on réserve le nom de coins aux suivantes et que les canines sont les crochets. Les jeunes chiens viennent au monde avec toutes leurs dents de lait et, dans le cas où cela n'a pas lieu, elles apparaissent à coup sûr au plus tard- dans la première quinzaine de la naissance. Vers l'âge de deux à quatre mois, les pinces et parfois les mitoyennes des deux mâchoires tombent pour laisser apparaître les dents de remplace- ment ou d'adultes qui sont toutes sorties, suivant les races, de cinq à huit mois. A cette époque on dit que la gueule du chien est faite, c'est-à-dire que toutes les dents d'adultes sont sorties. Les incisives de remplacement sont d'un beau blanc, leur bord anté- rieur est divisé en trois lobes dont celui du milieu fait saillie, les deux autres ont l'apparence de petites entailles creusées sur les côtés du lobe médian. Cette découpure forme ce que l'on nonnne la lleur de lis dont l'u- sure progressive indique le rasement de la dent et fournit différents caractères mis à profit pour la détermination de l'âge. A un an. Incisives et crochets sont blancs et intacts, la membrane muqueuse de la bouched'un beau rose. A Ih mois. Les pinces inférieures connnencent à s'user, mais toutes les dents conservent leur blancheur et la gueule est toujours rosée. De 18 mois à 2 ans. Les pinces inférieures sont rasées, les mitoyennes inférieures connnencent à s'user. De 2 ans 1/2 à 5 ans. ha fleur de lis des mitoyennes inférieures est elTacée. ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 309 Les pinces supérieures commencent à présenter de l'usure, la gueule est moins fraîche, moins rosée, la blancheur des dents disparaît, elles deviennent plus ternes. De 3 ans 1/2 à 4 ans. Les pinces supérieures sont rasées, les dents de- viennent d'uu blanc sale et les crochets commencent à jaunir. De A à 5 ans. Les mitoyennes delà mâchoire supérieure sont rasées, les dents deviennent d'un jaune plus foncé. Dans cet âge on remarque qu'à six ans les coins deviennent jaunes ainsi que les crochets et qu'ils s'usent sur leurs points de contact. Plus tard les dents s'écartent, deviennent noires, se couvrent détartre et s'usent de plus en plus. Ces caractères peuvent varier d'après le mode d'alimeutation des chiens, c'est-à-dire que les animaux qui rongentbeau- coup d'os paraissent, à l'inspection des dents, plus vieux que ceux qui sont nourris de soupes et de pcàtées. En dehors de ces caractères et arrivés à un certain âge on peut remar- quer que les vieux chiens grisonnent, que leurs formes changent d'aspect jusqu'au moment où l'on voit apparaître progressivement les caractères de la vieillesse et de la décrépitude. Les animaux en vieillissant sont moins vifs, ils entendent et voient moins bien, certaines parties de leur corps se dépilent, ils se déplacent difficilement et l'on ne tarde pas à voir survenir toute la cohorte des maladies propres à la vieillesse : affeclions chroniques de la peau, ca- tarrhes, rhumatismes, asthme, etc. IV REPRODUCTIOX. Dès l'âge de neuf à dix mois les chiens commencent à être en état de se reproduire, mais chaque fois que l'ou voudra perpétuer une race ou chercher à en former une, il faudra bien se garder de permettre l'accou- plement aux chiens et aux chiennes avant qu'ils n'aient atteint l'âge parfaitement adulte, c'est-à-dire avant qu'ils ne soient arrivés au moins à deux ans. Les mâles et les femelles trop âgés devront aussi être rejetés de la reproduction. 310 LE CHIEN. On devra aussi ne jamais unir deux animaux ayant entre eux dis- proportion de taille : il en résulte souvent des accidents pendant l'accou- plement, la parturition est aussi quelquefois rendue plus difficile, sinon impossible et, dans tous les cas, les sujets qui en résultent sont toujours mal conformés. Il va sans dire que les reproducteurs que l'on veut marier seront tou- jours vigoureux, exempts de maladies, bien conformés et de qualités su- périeures, même chez les ascendants. On a prétendu que le premier accouplement a une influence remar- quable sur les produits des autres gestations. Tous les auteurs ne sont pas bien d'accord sur ce point.. Gobin, dans son Traité de Véconomie du bétail a dit, à propos du chien : (( 11 a été reconnu qu'une chienne de race pure, une fois qu'elle a été accouplée avec un chien d'une race croisée, donne encore, dans les por- tées qui suivent, des chiens dont les caractères de race sont pervertis, alors même (|ue le père était un chien de la même race pure que la femelle. » jNous ne voulons rien affirmer sur ce sujet. Un seul accouplement suffit pour que la chienne conc,'oive un assez grand nombre de petits. DES REGLES QUI DOIVENT PRESIDER A LA REPRODUCTIO.V. Nous avons de belles et vieilles races qui répondent à tous nos besoins et à tous nos désirs et nous devons faire tous nos efforts pour arriver à les conserver telles que nous les connaissons. Pour remplir ce but, il faut se pénétrer de l'existence de certaines lois en dehors desquelles toutes tentatives risquées par l'homme ne donnent que des résultats problématiques, souvent négatifs, véritables mécomptes. Rappelons avant toute chose ce qu'en histoire naturelle on nomme espèce et race. L'espèce, disent la plupart des naturalistes, est une collection d'indi- vidus capables d'accouplements féconds et transmettant à leurs produits une ressemblance d'une fixité parfaite. Le nom de races a été donné à des variétés de l'espèce qui, sous l'in- ZOOTECHNIE ET IIYGlEiNE DU CHIEN. 311 IlueRce de conditions déterminées, sont capables de se reproduire par la génération et avec des caractères constants et fixes. Les caractères qui constituent la diiïérence de races ne portent que sur des détails particuliers, sans qu'il y ait modification radicale de l'es- pèce. C'est ainsi que ces différences se font remarquer dans le change - ment de la robe, les qualités du système pileux, certaines transformations d'une ou plusieurs régions, des aptitudes toutes spéciales. Mais toujours, pour qu'il y ait race bien avérée, il faut (pie ces modifi- cations devenues des caractères se reproduisent infailliblement par la génération. Disons qu'en pareille circonstance les parents transmettent à leurs descendants leurs qualités et leurs défauts, ainsi que leur conformation. La loi qui régit ce pliénomème a reçu en physiologie le nom d'hérédité. On nomme hérédité le phénomène en vertu duquel les ascendants trans- mettent à leurs descendants, sous l'intluence de ce que l'on appelle la puissance héréditaire, leurs caractères zoologiques ou zootechniques, de même que certaines aptitudes physiologiques. Pour bien se rendre compte de cette puissance héréditaire, il faut l'en- visager sous toutes ses formes. 11 faut savoir tenir compte de l'influence de l'individu ou de l'hérédité individuelle, de celle du sexe, hérédité sexuelle, de celle delà parenté des sujets accouplés, que l'on désigne sous le nom de consanguinité, et enfin de Vatavisme, qui n'est autre que l'hérédité de race. 11 ne faut pas oublier que ce qui prime tout au point de vue de l'héré- dité c'est la loi des semblables : Simile seniper parit siii similc, le sembla- ble engendre toujours son semblable. Il ne faut pas s'attendre à autre chose et ne pas compter sur ce que tant d'auteurs, qui se sont occupés de l'économie du bétail, appellent l'appareillement. Dans l'esprit de ces auteurs, il existerait une méthode de compensation qui permettrait d'obtenir, par hérédité, la correction d'imperfections de formes ou d'aptitudes par l'accouplement d'un des sujets jouissant de formes ou d'aptitudes opposées aux défectuosités et imperfections de l'autre. Il ne faut compter en pareille circonstance sur autre chose que des éditions nouvelles de l'un ou de l'autre des individus accouplés. 312 LE CHIEN. VI GESTATION. — PARTLRITIOX. — SOINS A DONNER A LA MÈRE PENDANT CES ÉPOQUES. Dès que la lice aura été couverte, on devra la tenir enfermée jusqu'à disparition complète des signes de chaleur, A partir de ce moment si l'accouplement a été suivi de fécondation, la chienne entre en état de gestation. A cette époque l'abdomen a acquis plus de développement et il com- mence à descendre. La durée de la gestation varie de soixante à soixante-trois jours (envi- ron neuf semaines); dans tous les cas eUe ne dure jamais moins de soixante jours et fort rarement plus de soixante-trois jours. Pendant toute la durée delà gestation, la lice devra recevoir une nour- riture substantielle et abondante, elle devra être soumise à un exercice journaber fourni par la promenade; mais dans tous les cas il faudra éviter la fatigue. On devra lui affecter un local propre, bien aéré, éloigné du bruit et inaccessible aux autres animaux. On ne tarde pas à remarquer le développement progressif des ma- melles qui dans les derniers moments sécrètent déjà du lait. A cette époque le développement du ventre s'accentue de plus en plus, la chienne devient lourde, elle marche avec une certaine difliculté et reste souvent et longtemps couchée ; pendant toute cette période l'appétit se développe de plus en plus. Une quinzaine de jours avant la mise bas, il faut redoubler d'attention, laisser l'animal en liberté dans une cour tenant à son logis ou continuer les promenades. Dès qu'on s'aperçoit que le terme approche, il faut préparer à celle qui va devenir mère un bon ht de paille dans un endroit un peu obscur et dès que l'on voit les coHques survenir la laisser tranquille tout en l'observant cependant, mais sans attirer son attention, afin de savoir si tout se passe normalement. La chienne met au monde, suivant sa race, de deux à douze et même seize petits. Les grosses espèces sont plus prolifiques que les petites. Les petits viennent les uns après les autres et ont chacun une enveloppe parti- culière. ZOOTECHNIE ET HYGIENE DU CHIEN. 313 A peine si les petits sont an monde qn'ils cherchent à téter, opération dont ils se tirent généralement à merveille et qu'ils n'interrompent dans les premiers jours que pour crier et dormir. Lorsque les jeunes chiens naissent, ils ont presque toujours toutes leurs dents de lait, mais leurs yeux sont fermés. Les paupières sont réunies par une membrane qui se déchire lorsque le muscle releveur de la paupière supérieure est assez fort pour la rompre, ce qui a lieu vers le dixième ou douzième jour. Ces petits nouveau-nés ont le corps arrondi, les formes empâtées et ne peuvent que difficilement faire quelques pas sans rouler sur eux- mêmes. Nous croyons devoir signaler k cette place un fait très curieux qui n'est pas bien connu, paraît-il, des propriétaires de chiens, car nous sommes souvent consulté à ce sujet par des personnes inquiètes au su- jet de leurs chiennes. Un assez grand nombre de cliiennes ont du lait sans avoir été en état de gestation, et par conséquent sans avoir mis bas. Elles en ont parfois une si grande quantité qu'il est difficile de con- vaincre les propriétaires de ces animaux que la mise bas n'a pas eu lieu à leur insu. Certaines chiennes en donnent en effet une assez grande quantité pour pouvoir allaiter plusieurs petits. Il arrive parfois que les choses ne se passent pas aussi normalement que je viens de l'indiquer et que des complications surviennent. Ces complications peuvent provenir d'une faiblesse organique de la mère, de l'inertie ou des contractions trop violentes de l'utérus. Un empêchement contre lequel il faut aussi savoir s'armer provient d'une maladie venant frapper brusquement la mère, elle apparaît sou- vent sans cause apj)réciable et est connue sous le nom d'éclampsie. Le mieux en toutes ces circonstances est de recourir aux lumières et à l'expérience du vétérinaire qui seul se trouve toujours armé contre ces obstacles ou accidents. Il ne faut en pareil cas jamais temporiser. 40 ',lk Ui CHIEN. SOINS A DONNER AUX JEUNES CHIENS ET A LA MÈRE Dos (juft tous les petits sont venus au monde ou les laisse téter la mère pendant quelques heures afin de débarrasser les mamelles du premier lait. On procède ensuite au choix des jeunes chiens que l'on veut élever, leur nombre ne devra jamais, quelle que soit la force de la mère et ses qualités de bonne nourrice, dépasser six. Le choix des reproducteurs à conserver n'est pas toujours (res eoni- niode à faire, il faut une assez grande habitude pour bien pronostiquer des qualités et des formes futures. Si l'on tenait pour une raison quelconque à élever toute la portée, il faudrait, si le nombre des petits était trop considérable, choisir une lice bonne mère, à laquelle on ferait substitution des enfants. Cette opération doit se faire de façon que la mère ne se doute pas du remplacement, car on sait combien l'attachement des lices pour leurs petits est développé. Si l'on n'avait pas à sa disposition une lice convenable, il faudrait avoir recours à l'allaitement artificiel. Les biberons, par le temps qui court, ne sont pas rares ; on n'a que l'embarras du choix. Au bout de quinze jours, trois semaines au plus, le jeune chien com- mence à marcher et peut déjà boire de lui-même le lait qui lui est présenté. A partir de ce moment on devra le laisser moins téter et commencer vers l'âge de un mois, à lui donner la soupe, de façon que vers six se- maines on puisse le ]>river du lait de sa mère. Le sevrage devra se faire progressivement en séparant la mère et les petits pendant le jour et leur accordant encore la nuit pour se retrouver, jusqu'au moment de la séparation complète. A cette époque commence en réalité pour les jeunes chiens la vie extérieure. On sait du reste avec quelle exubérance de joyeuseté, de sauts, d'exer* cices incessants, cette existence se manifeste. ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 315 A l'àge de trois ou (jiiatre mois, les jeunes chiens seront nourris comme les adultes, mais à la condition, cependant, d'avoir un nombre de repas plus considérable. Quand ils auront atteint six mois, la nourriture leur sera distribuée trois fois par jour et plus tard vers l'jige de huit mois à un an, sui- vant les races, ils auront assez de deux repas : un le matin et un le soir. Quant à la mère, tant qu'elle sera nourrice, elle ne cessera d'être l'ob- jet de soins particuliers. Elle devra recevoir une très bonne alimentation, avou- des repas assez fréquents composés de bonnes soupes, avec un peu de viande et des lé- gumes (choux et pommes de terre). De l'eau très limpide sera toujours à sa disposition. Son lit sera main- tenu dans un état de propreté constant et fourni de paille fraîche re- nouvelée tous les jours. La promenade quotidienne à. laquelle, ainsi que nous l'avons recom- mandé, on n'aura jamais dû manquer dans la période de gestation, doit être continuée pendant environ une demi-heure, deux fois par jour. Dès qu'elle aura cessé de nourrir il faudra songer à tarir la sécrétion lactée; pour obtenir rapidement ce résultat on lui administrera une ou deux purgations, de préférence, l'huile de ricin, et on lui fera plusieurs applications d'acétate de chaux sur les mamelles pendant deux ou trois jours. Les jeunes chiens, une fois sevrés, recevant comme nous venons de le dire leur nourriture, doivent être laissés le plus possible en liberté. S'ils sont tenus au chenil on les sortira avant chaque repas, pendant une heure ou deux. La promenade constitue pour eux une véritable gymnasti- que indispensable, en même temps que l'air qu'ils respirent contribue à leur développement et au maintien de leur bonne santé. Les jeunes chiens élevés dans les villes sont sous ce rapport moins favorisés que ceux qui vivent à la campagne. (ihaque fois que l'on tient à ('lever des chiens de i-ace, il faut de tonte nécessité leur préférer ce séjour. La mortalité sur les jeunes chiens, en ville, est au moins de cinquante pour cent. Tout le monde sait, en effet, que c'est dans le jeune âge, depuis 5 ou G mois, que la maladie dite des jeunes chiens commence à les attaquer. Ainsi je ne saurais trop recommander aux propriétaires de faire vacciner un peu avant cet âge leurs chiens. C'est aussi vers cette époque que l'on a coutume de pratiquer l'amputation des oreilles et de la queue, 316 LE CHIEN ainsi (jue la marque sur les chiens chez lesquels il est de coutume, de mode ou de nécessité de le faire. Pendant le jeune âge, contrairement au préjugé trop répandu, il est bon de faire entrer une certaine quantité de viande dans la ration jour- nalière. Les animaux sous l'influence de ce mode d'alimentation alibile et toni- que sont moins disposés à la maladie du jeune âge et, dans tous les cas, y résistent beaucoup mieux. C'est pendant cette époque de l'existence qu'il faut habituer les jeunes chiens à se familiariser avec l'homme, les animaux et les objets extérieurs. 11 faut profiter de ce moment pour leur apprendre à obéir, à répondre à leur nom, à rapporter, à aller à l'eau, etc., etc. Le dressage réel ne doit commencer que vers l'âge d'un an, quand la période de la maladie est traversée. Il ne doit être fait que pour les ani- maux choisis d'une façon délinitive, d'après leur conformation, leurs aptitudes commençantes, c'est-à-dire après une sélection sévère. HYGIÈiNE DES CHIENS ADULTES Que le chien soit isolé ou enfermé au chenil, en compagnie plus ou moins nombreuse, il devra toujours être soumis à des soins journaliers qu'il ne faut sous aucun prétexte oublier ni négliger, sous peine de com- promettre sa santé. Comme on fait son lit, on se couche, tlit un vieux proverbe; ajoutons que, pour qu'un animal puisse se reposer, pour (pi'il soit dispos quand on aura besoin de lui, il faut qu'il soit bien couché. La première chose à faire sera donc de toujours tenir la litière ou mieux le lit du chien propre, de le dél)arrasser de toutes les souillures et de toutes les vermines, parasites plus ou moins redoutables, mais toujours incommodes. Le pansage si utile pour tous les animaux ne doit jamais être négligé pour le digne compagnon de nos travaux et de nos plaisirs. ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 317 Le chien doit être régulièrement bouchonné, peigné, brossé sur toute la surface du corps. Chaque région pendant cette opération doit être examinée afin de s'as- surer qu'elle n'a pas été atteinte par les coups de dents ou autres bles- sures. On est certain de cette façon de se rendre comple quela peau n'est pas le siège d'un commencement de maladie ou le séjour de certains in- sectes parasites. Les ouvertures naturelles, yeux, oreilles, etc., seront épongées à l'eau froide en été et à l'eau tiède l'hiver. Grâce à ces soins, la peau se trouve débarrassée de la crasse, de la poussière, des souillures extérieures, qui peuvent gêner la fonction de la respiration cutanée, qui joue un si grand rôle physiologique. De cette façon on évite nombre d'accidents de répercussion sur l'intestin, les in- llammations catarrhales des muqueuses et certaines maladies de la peau si fréquentes chez les chiens mal soignés. En examinant chaque sujet on devra, dans les chenils, séparer les chiennes chez lesquelles les signes de chaleur apparaissent. Le proprié- taire dans ce cas devra toujours en être informé par son piqueur auquel il donnera ses instructions. Dès que cette toilette quotidienne est terminée, on doit songer à la promenade. On profitera de cet instant pour procéder au nettoyage du chenil. Les bancs et les niches des chiens isolés doivent être lessivés assez sou- vent pour empêcher la crasse d'y faire élection de domicile. Une couche de sable sera répandue sur le sol à l'endroit où les animaux ont coutume de déposer leurs ordures. On peut même, ainsi que beau- coup d'auteurs l'ont recommandé, ficher en terre des bâtons entourés de paille, qui servent d'urinoirs, afin de localiser les endroits où s'accu- mulent les déjections, ce qui facilite singulièrement leur enlèvement. L'usage du sable rend moins fréquents les lavages qui entretiennent une certaine humidité, toujours nuisible. Enfin pour enlever les mauvaises odeurs et neutraliser les déplorables effets des effluves, il faut mettre dans des vases placés sur une plan- chette une solution d'acide phénique ou mieux une préparation toujours bien dosée de phénate de soude (phénol Bobœuf) dont les effets sont constants, ou arroser le sol avec ces mêmes produits. Ces préparations sont de véritables désinfectants qui offrent plus de sécurité que toutes les fumigations imaginables, voire même celles de chlore qui ne font que masquer ou substituer une odeur à une autre. Pour les ciiiens travailleurs, les chiens d'agrément, de luxe propre- 318 LE CHIEN. ment dit et les chiens d'arrêt, la promenade est tout hygiénique. L'ani- mal n'a qu'à suivre le maître ou le conducteur. Pour le chien de meute, cela doit en même temps servir de leçon. Les chiens sont couplés, un jeune et un vieux qui lui sert de maître d'é- cole et l'habitue à se calmer, à se tenir en repos, à obéir au commande- ment ou au son de la trompe. Les promenades doivent avoir lieu deux fois par jour. En été à six heures du matin et à cinq heures du soir, et en hiver le matin à huit heures et l'après-midi à trois heures. La durée de ces promenades sera au moins d'une heure en été et d'une demi-heure en hiver. Si les chiens se sont échaufiés à cette promenade il faudra les rentrer au pas, les bouchonner à leur arrivée alîn de les bien essuyer s'ils sont mouillés. Il serait même fort utile de les faire rapidement sécher devant un bon feu. Outre tous les soins et précautions que je viens d'indiquer, il ne faut jamais négliger, pendant la belle saison, l'usage des bains froids. Ces bains d'un effet très salutaire devront avoir lieu toujours au moins trois heures après le repas. Au sortir du bain, il faut avoir la précaution de donner aux chiens le loisir de s'ébattre pendant assez de temps pour qu'ils rentrent en leur logis parfaitement bien séchés. RRGIME ALIMENTAIRE DES CHIENS ADULTES Le chien, avons-nous déjà dit, a des dents tranchantes et pointues pour couper et déchire la chair, et d'autres propres à broyer les végétaux. Son intestin a subi aussi certaines modifications qui font supposer qu'il n'est pas essentiellement Carnivore. Il est donc logique que son régime soit mixte, c'est-à-dire celui des omnivores. Cela est surtout vrai pour les chiens dont les dépenses produites par le ZOOTECHNIE ET HYGIENE DU CHIEN. 319 Iravail demandent, ponr ((ne la réparation se fasse rapidement, des ali- ments alibiles, de laeile digestion, ne snrchargeant pas trop l'es- tomae. Il faut donc an chien de la viande, des farineux et des légumes. L'homme en vivant avec le cliien l'a habitué à son propre régime. En nourrissant le chien, il faut chercher à développer son système musculaire, il faut éviter maigres. 10 — 17 — Viande de cheval ) 10 — lô Lièvre et lapin 10 — 2 à 5 — Farine de froment 10 — 46 — Farine d'avoine. 10 — 50 — Farine d'orge . 10 — 57 — Pomme de terre 10 - 86 à 115 — ■ Riz 10 — 153 — Tous les auteurs qui se sont occupés de la question de l'alimentation du chien sont à peu près d'accord sur ce point que la meilleure ration doit être celle qui se rapproche le plus de la composition du lait, ali- ment essentiellement complet. Or le mélange de viande (celle de cheval de préférence à cause de son bas prix relatif) et de pain pur froment, ou mélange de froment et de seigle, même d'orge, remplit parfaitement cette condition. Avec la viande on devra faire un bouillon légèrement salé, qui servira à confectionner avec le pain, une bonne soupe dans laquelle on mélan- gera la viande cuite, et même pour certains chiens cette dernière pourra être distribuée en nature après que la soupe aura été absorbée. Nous avons déjà dit combien de repas on devra distribuer aux chiens. Quand ces animaux consomment une certaine quantité de viande, un 320 LE CHIEN. seul repas peut être suffisant toutes les vingt-quatre heures, mais nous croyons qu'il est bien préférable de donner deux repas par jour. La viande employée devra toujours être fraîche et provenir d'animaux bien sains. Il sera bon de temps à autre d'ajouter à la soupe quelques légumes : choux, pommes de terre, fèves, betteraves, etc. La soupe doit toujours être distribuée simplement tiède, trop chaude elle brûle la bouche et l'estomac, et, parait-il, tous les chasseurs le répètent, elle abolit l'odorat. Souvent par raison d'économie on la confec- tionne avec des issues de boucherie, des intestins et des estomacs de l'uminants qui, ayant fourni par la cuisson le bouillon nécessaire à trem- per le pain, y sont mélangés après avoir été coupés en morceaux. Ces soupes sont désignées sous le nom de mouées. Dans certains chenils on se sert pour pré])arer les soupes de i)ain de suif connu sous le nom de crolon. Cette préparation culinaire laisse beaucoup à désirer et nous ne la recommandons pas. C'est une triste économie qui se paye souvent fort cher. Le chien mérite qu'on le traite mieux que cela; nous lui devons un certain confort. Dans les chenils de quelque importance, le piqueur doit présider à la distribution du repas. Lorsque les chiens ont une tendance k s'engraisser on a coutume de les isoler dans une portion particulière du chenil, pendant une partie de la durée du repas, afin qu'ils supportent une certaine abstinence. Ils sont ditsm/s au gras. Cette locution ironique s'applique à une mesure qui n'est pas toujours très sage; il vaudrait mieux soumettre ces animaux à un exercice plus actif. On pourrait par le premier procédé tomber dans un excès contraire et cela ne se ferait qu'au détriment de la santé de l'animal. A cet égard : « Enregistrons (dit le Chasseur rustique, à propos du chien d'arrêt)... qu'une nourriture saine, régulière, qu'un exercice jour- nalier, sont les meilleurs auxiliaires de la santé; qu'un chien dans la force de l'âge doit avoir une ration de pain sec le malin, et une bonne soupe grasse le soir ; qu'on peut sans inconvénient, surtout lorsqu'il fatigue, y ajouter un peu de bonne viande, des os même; les plus gros sont les moins dangereux, ceux qui présentent des inconvénients sont les petits os creux des ailes et des pattes de volailles, qui, en se cassant sous la dent forment autant d'aiguilles aiguës qui l'égorgent ou lui déchi- rent l'estomac et les intestins ; que la pomme de terre employée sans mélange est une mauvaise nourriture, et que la mauvaise nourriture est la source de toutes les maladies )> ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 321 Pour le chien isolé, le choyé, le gâté, le familier par excellence, que de fois au lieu de s'en tenir aux soupes réglementaires et quotidiennes qui devraient toujours l'entretenir dans un parfait état de santé, ne fait- on pas le contraire d'une façon exagérée! On leur offre nombre de frian- dises qui constituent un régime trop succulent et trop échauffant : viande, sucre, café, gâteaux, etc., etc., transforment le chien en phénomène graisseux et en font au moins un malheureux dyspepsique. Plaignez ces pauvres sybarites et modifiez leur régime si vous les aimez réellement. HABITATIONS Pour le chien d'appartement, le chien d'arrêt, le chien de garde ou de berger le logement varie. Les uns habitent la chambre du maître, quand ils ne partagent pas sa couche ; ils trouvent toujours un lit douillet dissimulé dans une coquette niche plus ou moins richement ornée où le velours et la soie mollement capitonnés font de ces logements de véritables bijoux. Pour les autres une bonne niche en bois, un peu élevée au-dessus du sol, bien garnie de paille fraîche et toujours propre. La litière souvent renouvelée dans un coin de l'écurie ou près du berger; enfin le rustique et traditionnel tonneau qui malheureusement repose parfois trop directement sur le sol, ce qui est une détestable pra- tique, telles sont les habitations qu'on leur ménage. Pour qu'un chien de taille ordinaire soit bien à l'aise, il faut lui réserver en niche 1 mètre à 1°',50 centimètres de profondeur, 1 mètre à l^SO centimètres de hauteur et au moins de 70 à 90 centimètres de largeur. L'annexe obligée de la niche ou du lieu de repos est une petite auge ou un vaisseau quelconque toujours abondamment approvisionné d'eau fraîche. Chaque fois que l'on a plusieurs chiens à entretenir, il faut les loger 41 322 LE CHIEN. dans un local spécial dont l'étendue [peut varier, depuis la simple cham- bre jusqu'à la construction particulière que l'on désigne sous le nom de chenil, suivant l'importance et la valeur de la meute. Autant que possible, il faut placer le chenil au midi, bien abrité au nord et ménager des ouvertures au levant et au couchant qui doivent aider à la ventilation rendue plus complète par un ou deux ventilateurs. RACES Laissant de côté les auteurs de l'antiquité déjà énumérésdans ce livre, nous citerons depuis l'époque de la Renaissance quelques auteurs de vénerie qui se sont occupés de la description des races de chiens, entre autres Bélisaire, Michel-Ange, Guillaume Tardif et surtout Cay, qui a donné une description très complète des principale races. Arrivé à 1755, nous voyons Buffon nous fournir la description de toutes les races de chiens connues en Europe et en donner une classifi- fication basée sur la forme des oreilles. 1° Les oreilles droites, dans la famille des chiens de berger, dans laquelle il fait rentrer les chiens-loups, les chiens de Sibérie, deLaponie, du Canada et des llottentots. 2° Les oreilles en partie droites, dans la famille des mâtins, à laquelle il rattache le grand danois, le lévrier. 3° Les oreilles molles et tombantes : chiens de chasse, courant, braque, basset, épagneul et barbet. Il reconnaît trente variétés du chien domestique, dont dix-sept produites par le climat; il considère le reste comme des métis et il conclut que le chien est une espèce distincte. Zimmermann croit au contraire qu'il faut faire remonter le chien au loup, tandis que Guldenstaed affirme que le chacal est l'origine du chien» Nous avons déjà dit que nous donnions la préférence à l'idée de Buffon que nous considérons comme la vérité. ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 323 Plus tard, en 1817, Cuvier, prenant la question à un autre point de vue, fait intervenir une nouvelle considération : l'intelligence, traduite par la grandeur du crâne et surtout la disposition des pariétaux. Il affirme que le chien n'existe plus à l'état sauvage ; il considère les chiens réputés tels comme des chiens marrons et conclut que ces der- niers, aussi bien que les chiens domestiques, ne constituent qu'une espèce. S'appuyant sur la grandeur relative du crâne, il admet trois races : 1° Les mâtins, dont les pariétaux tendent à se rapprocher en s'élevant au-dessus des temporaux, les condyles étant placés sur la même ligne que les molaires. Tels le mâtin, le chien de la Nouvelle-Hollande, le lévrier, le grand danois. 2° Les épagneuls dont les pariétaux s'écartent en dehors, à partir de la section temporale, ce qui augmente la capacité crânienne ; les condyles situés en dessus du niveau de la ligne dentaire. Épagneul, barbet, chien courant, chien de berger, chien-loup, basset, braque. 5° Les dogues, dont le rapprochement de la courbe pariétale est très marqué, les sinus frontaux très grands, la capacité cérébrale petite et le museau court : dogue, doguin. De Blainville conclut dans son Ostéographie que le chien domestique, appelé par Linné Canis familiaris, provient d'une espèce particulière bien distincte. « Le chien, dit-il, redevenu sauvage depuis plus de deux cents ans en Amérique, reste chien, et ne devient pas loup, comme cela a Leu pour le cochon et le chat qui redeviennent sanglier et chat sauvage. » La vie du chien devenue commune avec celle de l'homme lui ayant imposé l'obligation de suivre ce dernier sur les différentes parties du globe a nécessairement dû ressentir les influences des divers climats et des dif- férents milieux dans lesquels il a été transporté. Les différentes affectations qu'il a eu à subir dans l'état complet de domesticité dans lequel il a été amené ont eu comme conséquence la formation de races nombreuses bien caractérisées et constantes. Mais le nombre en est actuellement si grand que l'on est souvent in- décis pour la classification. Le cadre restreint qui nous est réservé pour traiter cette question ne peut nous permettre qu'une énumération. 324 LE CHIEN. CHIENS SAUVAGES OU DEVENUS SAUVAGES Les chiens sauvages hurlent, mais n'aboient point ; leur voix se rap- proche de celle du renard. Ils se rencontrent dans toutes les parties du monde. Parmi les races propres à l'Asie nous citerons : Le Coisun ou Dole [Canis familiaris indicus) ou {Canis du khunensis). — Ce chien rapproche par ses dimensions et ses formes générales d'un lévrier de moyenne taille. Son poil est brun roussâtre, plus pâle sous le ventre, mais plus foncé aux extrémités des pattes, du nez et de la queue; cette dernière est pendante et touffue. Il vit enmeutes dans les jungles, sur la côte deCoromandel, le Dekhan, Balaghad, Hyderabad. Ainsi réunis les chiens Dhole ou Dole chassent le sanglier, la gazelle, le léopard ; ils ne craignent même pas d'attaquer le tigre et l'ours. Ils s'enfuient à l'approche de l'homme, à moins cependant qu'ils ne soient l'objet d'agression de sa part. Chien de l'Himalaya. Le Buansu [Canis familiaris himalayensis) ou [Canis primœvus). — Ce chien vit de la chasse qu'il fait avec une grande activité. Il poursuit le lièvre, le buffle, les antilopes et attaque même les carnassiers les plus redoutables. 11 ressemble beaucoup au Dole, mais il est plus poilu et n'a que six molaires à la mâchoire inférieure. L'Adjack [Canis rulilans). — A la plus grande analogie comme expres- sion avec le loup; c'est à coup sûr le chien le plus farouche. Le chien de Sumatra [Canis sumalrcnsis). — Se rencontre dans les forêts de Sumatra. Le chien de ;Java ou >'ippon [Canis javanicus). — L'Afrique possède aussi deux races de chiens sauvages. Le Dihb [Canis aiilhns). — D'origine fort ancienne, ainsi que le prouvent les têtes que l'on a trouvées dans l'ancienne Egypte, il a été con- sidéré par beaucoup de naturalistes comme la souche du chien domes- tique. Le chien Gabéru [Canis simensis). — Sa tête rappelle celle du renard, ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 325 il est de h taille d'un gros chien de berger, il a une queue touffue noire à sa terminaison; son dos et les cùlés de son corps sont d'un brun rous- sàtre, la poitrine et le ventre sont blancs. Il se rencontre en assez grand nombre en Abyssinie, surtout dans le Kolta où il est très redouté des indigènes à cause des déprédations qu'il commet sur leurs troupeaux. Il chasse au besoin l'antilope, et à défaut d'autres aliments il se con- tente de charognes. II n'est pas dangereux pour l'homme. L'Australie offre deux chiens sauvages très analogues. Le Dingo ou chien de la Nouvelle-Hollande {Canis familiaris Ali&~ tralipe). — Découvert pour la première fois aux environs du port Jackson par Peron et Lesueur. Il a la taille du chien de berger, la télé du mâtin avec le pelage du renard, c'est-à-dire roux pâle mélangé de poils noirs. Il attaque le kanguroo, mais c'est un voleur de bestiaux, ce qui le rend redoutable et fait qu'il est traqué par tous les moyens possibles; mais c'est surtout à l'aide des pièges et de la strychnine que l'on arrive à le détruire. 11 est très méfiant et se laisse difficilement assez approcher pour qu'on puisse l'atteindre avec le fusil. Le Kararahe de la Nouvelle-Zélande. — Diffère peu du Dingo, dont il possède au reste les mœurs. Dans l'Amérique du Sud on trouve le Chien du Dampas ou Agiiara. — Ce chien de couleur grise, plus foncée sur le dos, a l'habitude de vivre en terrier. Malgré l'opinion de quelques auteurs il ne descend pas du chien domestique abandonné par les Espagnols. Il a été assez longuement question dans la première partie de cet ouvrage des chiens marrons de l'Europe méridionale pour que nous puissions nous dispenser d'en parler de nouveau. Du reste ce qui a été dit sur eux se rapporte complètement aux mœurs des chiens tartares. 1° Chiens mâtins. Les chiens mâtins dont nous avons donné en tête de ce chapitre les caractères zoologiques distinctifs comprennent les races suivantes : Mâtin proprement dit (Canis laniarius). — C'est le chien de garde par 326 LE CHIEN. excellence, quoiqu'il ait été autrefois employé pour la chasse à la grosse bête. Ses formes sont trapues, sa taille haute ; il a le poil court de couleur ordinairement fauve, souvent bronzé, c'est-à-dire marqué de rayures noirâtres. Certains sujets sont d'un blanc gris, plus ou moins foncé, et d'autres sont noirs. Grand danois {Canis familiaris danicus major). — Plus grand de taille, les formes plus épaisses que le mâtin, le danois est un véritable géant de la race canine. Sa robe est grise, souvent de couleur souris et parfois mélangée de brun, de gris et de noir; ses oreilles sont étroites, courtes, légèrement pendantes ; ses yeux sont souvent vairons. Il se rencontre surtout en Danemark et en Russie, il commence à être de nouveau recherché en France par certains amateurs, il est fort à la mode en Angleterre où on l'estime à cause de sa vigilance comme gardien et de son excellent caractère. Le danois moucheté (Canis familiaris danicus). — Chien purement de luxe dont les formes sont plus déUcates ; se caractérise par une robe blanche marquée de nombreuses taches noires rondes. 11 était autrefois le complément obligé et accessoire des attelages élégants. On le ren- contre encore très souvent en Angleterre. 11 est souvent désigné sous le nom de Chien de Dalmatie. Les Lévriers (Canis familiaris (jraius). — Les lévriers sont tellement connus de tout le monde qu'une description trop détaillée en semble complètement superflue. Le lévrier se reconnaît à son museau allongé, son front bas, ses lon- gues jambes minces, son ventre relevé, typique, la hauteur et le volume de sa poitrine, ses oreilles demi-pendantes, l'aspect soyeux de son poil et par-dessus tout ses formes sveltes et élégantes qui ne permettent la confusion avec aucune autre race. Tout dans sa conformation fait pressentir une aptitude rare, excep- tionnelle pour la course et explique sa supériorité pour la chasse à courre, surtout pour celle du lièvre ou de la gazelle. Il a la vue et l'ouïe très développées, l'intelligence assez bornée; il adore les caresses, mais en égoïste ; peu lui importe qui les lui pro- digue, il ne fait pas un cas particuher de celles de son maître ; pourvu qu'il n'en soit pas privé, il est heureux et le témoigne. Il jouit d'une grande estime parmi certains peuples tels que les Arabes, les Kabyles, les Persans, les Syriens, les Indiens, les Tartares. ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 327 Parmi les lévriers, les uns sont à poils ras et les autres à longs poils. Nous devons ici nous borner à les nommer. Le Lévrier d'Afrique ou chien nu {Ca7iis africamis). — Dont la peau est d'un noir sale, gris par endroit et présentant des taches couleur chair. Sa hauteur au garrot est de 33 centimètres, la longueur de son corps de 66 centimètres et sa queue de 28 centimètres. On le suppose origi- naire de l'Afrique centrale; ce fait explique pourquoi il vit difficilement sous notre climat. Le Lévrier de Kordofan. — D'un courage remarquable les lévriers de Kordofan protègent, la nuit, les villages contre les attaques des fauves, même du lion. Ils grimpent d'une façon merveilleuse sur les murs et les toits des habitations où ils se tiennent en observation. Au moindre signal de l'un d'eux, tous les chiens quittent leurs postes pour se réunir et combattre l'ennemi commun. Le Lévrier de Grèce {Canis grains). — Xénophon l'a signalé comme existant de son temps à Athènes. 11 a un aspect sauvage et sa taille est de 75 centimètres. Le Slougui ou lévrier d'Arabie. — Remarquable par sa haute taille et sa couleur fauve. Il n'a jamais dépassé le Sahara. C'est le seul chien qui jouisse de la considération, de l'amitié et de l'estime de l'Arabe. Aussi sa reproduction est-elle surveillée avec autant de soins que celle des chevaux du plus haut prix. C'est le compagnon inséparable de son maître, dont le plus grand plaisir est la chasse de la gazelle. « La mort d'un slougui, a écrit le général Daumas, est un deuil pour toute la tente : femmes et enfants le pleurent comme une personne de la famille. C'était quelquefois lui qui suffisait à la nourriture de tous. Aussi, celui qui nourrit une famille ne se vend jamais, il s'accorde quelquefois aux supplications des femmes, des parents ou des mara- bouts vénérés... « Le slougui du Sahara est de beaucoup supérieur à celui du Tell. Les lévriers les plus renommés dans le Sahara sont ceux des Hamianc, du Oulad-sidi-chikh, des Harar, des Arhâa, des Oulad-naïl. » Le Lévrier de Perse.— Généralement fauve ou isabelle, parfois blanc, 328 LE CHIEN. est un magnifique animal, employé de concert avec le faucon à la chasse de l'antilope. On s'en sert aussi pour la chasse du sanglier et de l'hé- mione ainsi que celle du chacal. Le Lévron ou Lévrier d'Italie. [Canis d'Italie). — Le plus gracieux et le plus minuscule des lévriers ; blanc ou isabelle clair, très recherché comme chien d'appartement. Chien nu de la Chine et lévrier chien turc. — Dont !a peau est com- plètement dépourvue de poils, la nuque, l'extrémité des oreilles et de la queue présentant seules des soies raides plus ou moins longues. Lévrier russe. — Dont le corpsest recouvert de poils longs, grossiers et dont la queue très longue est enroulée en spirale. Lévrier d'Ecosse. — De grande taille, à poils rougeâtres et blancs mé- langés recouvrant sa figure ; oreilles longues et pendantes. Le lévrier d'Irlande. — A robe blanche ou cannelle. Le Lévrier de Tartarie et celui du Kurdistan à pelages longs, fourrés et rudes. Chien de berger {Canis famiîiaris domesticus). — L'Europe, l'Asie, l'Afrique, l'Amérique, offrent de nombreuses variétés de chiens destinés à la conduite et à la garde des troupeaux. Il en existe de toutes tailles, de toutes couleurs : mais toutes sont semblables au mâtin, à poils longs hérissés, le plus souvent noirs ou bruns. Ils ont l'oreille courte et droite, la queue horizontale ou pendante. Les races les plus remarquables de France sont les chiens de Brie, les chiens toucheurs de bœufs. La Grande-Bretagne offre deux variétés : le Colley d'Ecosse et le chien de berger anglais. Il nous faut citer le chien des Grisons, le chien loup italien désigné sous les noms de Chien de Calabre ou chien de berger des Abruzzes. Le chien des Alpes ou chien du mont Saint-Bernard. — Cette va- riété qui se rapproche beaucoup du chien de berger est le résultat du croisement de la femelle du matin avec le mâle du chien de berger. Il a pris du père son intelhgence et son pelage et il a conservé de lanière la taille. ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 329 Le chîen-loup de Poméranie, dif Chien Loulou. — Caractérisé par SOn museau pointu, ses oreilles droites, sa queue touffue; a le poillong et fin, d'un blanc pur, bien que certaines variétés l'aient noir, gris ou fauve. Il est, à cause de son excessive fidélité et de son grand attachement, employé à la garde des voitures et des habitations. Chacun sait comme il s'en acquitte, mais à la condition d'être toujours tenu en liberté. 11 est incorruptible, mais ne peut supporter l'esclavage. Il a conscience de son devoir et de sa valeur, cela le rend fier. 2° Chiens épacjneuh. Nous ne reviendrons pas sur les caractères zoologiques des races épa- gneules. Ces chiens, les premiers qui aient été employés comme chiens dits cou- chants, se distinguent par leurs larges et longues oreilles pendantes, leurs poils longs, soyeux et lisses, laineux ou frisés, surtout abondants aux pattes, au cou, aux oreilles et à la queue. Ils sont surtout employés à la chasse, mais quelques-uns sont pure- ment des chiens d'agrément. Il faut les diviser: 1° en grands épagneuls de chasse; 2° en petits épa- gneuls de chasse; 3° en épagneuls d'agrément. En France on élevait jadis deux races d'épagneuls, devenus assez rares de nos jours : celui dit de Pont-Audemer, dont la robe marron uni- forme ou blanc tacheté est très rustique, et l'épagneul à nez double qui a conservé une grande réputation. C'est surtout en Angleterre que l'élève de ces chiens a été cultivée et que nous trouvons les plus jolies races. L'Ëpagneul soyeux ou Grand Ëpagneul [Canis exlrarius). — Dont le pelage soyeux varie de couleur, a une hauteur de 40 a 50 centimètres, est originaire de l'Italie. ' Ce chien est très vite, mais se fatigue aisément. Il est d'une grande in- telligence. Excellent pour arrêter le faisan et la perdrix. L'Épagneul d'eau [canis crispus) très élégant, à poils frisés sur tout le corps à l'exception du museau où ils sont courts, ras, d'un brun très franc, parfois noir. Les Romains le connaissaient déjà. Cet animal semble former la transition entre l'épagneul soyeux et le terre-neuve. 42 330 LE CHIEN. Il est précieux pour la chasse au gibier aquatique à cause de la facilité avec laquelle il va à l'eau. Il est excellent nageur, et même plongeur. PETITS EPAGNEULS DE CHASSE Les petits épagneuls de chasse se divisent en Springers et en Cockers. Les Springers. — Employés surtout pour la chasse du faisan et de la bécasse, sont robustes et infatigables; ils ne se laissent arréterni lasser par les épines ou par les bruyères. Les plus remarquables sont: L'ÉpagneuI de Glumber. — Dont le pelage est blanc et orange et frisé.  été pendant longtemps la propriété de la famille de Newcastle. L'ÉpagneuI de Sussex. — Beaucoup plus court de corps que le précé- dent. Il a la même couleur, le poil soyeux, mais jamais frisé. Les Cockers. — Sont beaucoup plus petits et beaucoup moins rustiques que les springers. Les plus remarquables sont le Cocker anglais dont le pelage ondulé et soyeux passe du blanc pur au noir; il est parfois orange. Le Cocker du pays de Galles. — Excellent chasseur dont la couleur est marron et souvent noire. LES EPAGNEULS D'AGREMENT Ce sont des chiens qui depuis fort longtemps sont très estimés comme chiens de luxe. Ils sont très affectueux pour leurs maîtres et de bonne garde. Ils sont généralement très connus et il suffît de les nommer pour retracer, à l'esprit du lecteur, leurs "caractères. Le King-Charles. — Ainsi nommé à cause de la grande préférence que Charles II d'Angleterre avait pour eux. Il était autrefois connu en France sous le nom de Gredin (Canis faniiliaris brevipulus) ou de Pyramc quand il présentait des marques feu aux yeux, sur le front et sur les pattes. Il a le museau court, la tête très arrondie et les yeux saillants, les ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 331 oreilles tellement longues et soyeuses qu'elles tombent jusqu'à terre. Son poids varie de deux à trois kilogrammes au plus. Ce chien a été tenu à l'état de grande pureté de race grâce aux soins du duc de Norfolk dans son château d'Arundel. L'ËpagneuI de Blenheim. — De même forme que le précédent, mais en- core plus petit de taille. 11 est blanc, marqué de taches orange; il a été l'objet de soins particuliers et d'attention soutenue pour sa reproduction dans le château de Blenheim près de Woodstock. Le chien de Malte ou Bichon (Cam/s melilacus). — D'origine fort ancienne, puisque Strabon l'a signalé ; un gentil et gracieux animal dont le poil est soyeux et blanc, parfois un peu jaunâtre et très abon- dant. Il est de fort petite taille et ne pèse guère plus d'un kilogramme et demi. Il a un avantage qui le fait préférer aux deux précédents : c'est de ne pas posséder une mauvaise haleine. Il se vend, lorsqu'il est bien pur, des prix excessifs. Le Bichon havanais. — Ce chien comme l'indique son nom est origi- naire de la Havane, il est encore plus petit que le chien de Malte. Il pos- sède un poil soyeux blanc fort épais. Le chien Terre-Neuve (Cfl/us tcrrx Hoyc-e). — L'origine de ce chien, véritable géant auprès des nains qui viennent de nous occuper, est assez obscure. Les opinions les plus diverses ont été émises à ce sujet. Il est certain que, en 1622, les premiers colons anglais qui vinrent s'éta- blir à Terre-Neuve ne le rencontrèrent sur aucun point de l'île. D'après Fitzenger, il serait le produit du croisement du chien de bou- cher français avec le grand caniche ou l'épagneul. « C'est un grand et beau chien, de forte stature; il a la tête longue et large, le museau épais, les oreilles moyennes, pendantes, les poils longs et abondants, la poitrine large, le cou épais, les pattes hautes, fortes, recouvertes d'un poil long, serré, presque soyeux. » Il porte la queue, qui est toujours touffue, à la façon des loups. Sa taille est de 80 à 85 centimètres, sa couleur varie : tantôt noir, mé- langé de rouille aux yeux, au menton et aux pattes, d'autres fois blanc et noir, blanc et brun et même parfois tout blanc. On rencontre à Terre-Neuve un autre chien qu'il ne faut pas confondre avec lui. Ce dernier a le poil court et est très bon plongeur. 332 LE CHIEN. Chien du Labrador ou chien de Saint-Jean. — Ce chien, plus grand et plus fort que le terre-neuve, est un magnifique animal qui comme aspect tient du terre-neuve et de l'épagneul terrestre. 11 est employé dans le Labrador comme animal de trait, c'est un plon- geur fort remarquable. Chien Barbet {Canis familiavis aqualicus). — Ce chien était autrefois très employé pour la chasse au marais. Son crâne est relativement plus développé que chez aucune autre race de chiens, aussi est-il très facile de développer son intelligence. Il est de forte taille et a le poil laineux. Le barbet présente plusieurs espèces très connues, très recherchées et très estimées, comme chiens de garde, d'agrément, comme chiens artistes et saltimbanques et surtout comme chiens d'aveugle. Nommons : Le Caniche {Canis genuinus). Ce chien originaire du Danemark, disent les uns, d'origine piémontaise, disent les autres, si connu avec son gros corps, sa grosse tête ronde et ses poils laineux frisés en tire- bouchon. Sa couleur est le blanc pur et le noir franc. Ceux qui ont des poils mélangés sont peu estimés des amateurs. Le chien caniche est un excellent nageur, d'une intelligence et d'une affection à toute épreuve. Cette race a aussi ses nains, mignons êtres que l'on choie à l'apparte- ment; ces pygmées sont de vrais joujoux possédant toutes les qualités du chien ; ce sont : Le Caniche nain blanc, à poils tins et laineux, admirable chien de luxe; le Bichon des Baléares, le chien Lion {Canis familiavis leoninus) et le chien de Bologne qui résulte du croisement du caniche avec le petit épagneul ou le loulou. Griffons. — Les formes extérieures, les qualités et les mœurs des griffons les rapprochent des caniches, mais leur structure anatomique en fait une race à part. Ils ont un pelage soyeux ou dur. Les premiers sont les griffons raliers. Les seconds à poils hérissés et durs sont dits griffons singes. Griffon vulgaire ou ratier. — Généralement de couleur foncée, ce chien a le corps élancé à la façon du basset : il a la tête forte, la queue lisse et les oreilles dressées à pointe un peu recourbée. ZOOTECHNIE ET HYGIENE DU CHIEN. 333 La mode veut que l'amputation des oreilles et de la queue lui soit faite dans le jeune âge. Ce chien est gai, vif, intelligent, remuant à l'excès; il chasse avec beaucoup d'adresse les rats et les souris. Le Griffon terrier ou de renard, blanc OU fauve, était autrefois fort employé pour chasser les renards dans leurs terriers. Il est d'une remarquable intelligence. On prétend, et les exemples le prouvent, que son jugement, sa réflexion, son habileté, peuvent l'amener jusqu'à com- prendre la valeur de l'argent et il ne recule pas devant le larcin pour s'en assurer la possession afin de se procurer des aliments. Le chien griffon de Bresse, déjà connu des Gaulois qui, à cause de son cri lamentable pendant la chasse, quand il est sur la piste d'un gibier, l'avaient comparé à un mendiant implorant la générosité publique. 11 a été décrit par Assien au troisième siècle de l'ère chrétienne. Le Grifibn de Bretagne, fort rare de nos jours, formait les meutes des ducs de Bretagne; il est d'un rouge vif, quoique certains sujets moins estimés présentent des marques de noir, de gris ou de blanc. 11 est excel- lent pour la chasse du loup et du sanglier. Le Bouffe, a le poil laineux et offre sur ses épaules un épi très marqué. Le Griffon singe, est un cliien dont le corps est très allongé, il est de petite taille et a l'apparence d'un basset. Son nom indique de suite quel est son faciès; ses poils longs, raides et pendants recouvrent une grande partie de sa figure et ses pattes. C'est un chien d'une rare intelligence, très caressant cl très brave. Il chasse admirablement le rat, on s'en sert aussi pour le lapin et la caille. Le Dandy Dinmont. — Race particulière à l'Ecosse. Son poil gris poivre et sel, parfois marqué de fauve, est long et raide. Elle est de petite taille et basse de membres. 334 LE CHIEN. CHIENS DE CHASSE Les chiens de chasse, doués d'une grande vélocité, ont l'odorat très fin, très développé et sont tous chasseurs d'instinct. Ce sont de magnifiques chiens de grande et de moyenne taille, à poi- trine ample, à corps relativement allongé ; ils ont le museau un peu effilé, les oreilles longues et tombantes; la queue forte à son origine s'amincit vers sa terminaison. Us ont les poils fins et courts ou grossiers et longs. Leur robe varie du noir au blanc maculé. Ils se divisent : en chiens courants, chiens limiers, chiens bassets et chiens braques et épagneuls. Chien courant {Catiis familiaris (jallicus). — Le chien courant s'em- ploie à la chasse en en réunissant un certain nombre en meute composée de huit à quarante ou cinquante sujets pour poursuivre le même gibier. Ce chien doit être obéissant à la voix ou à l'appel de la trompe et aussi doux que possible. C'est surtout en Angleterre que l'élève de ces chiens a été et est l'objet de soins et d'améliorations remarquables, à ce point que ces races ont servi de point de départ à la formation d'une foule de races composant actuellement nos meutes et formées pour la plupart de races anglo-françaises. Heureusement quelques propriétaires ont su conserver pures quelques-unes de nos anciennes races françaises, qui ont bien aussi, elles, leurs mérites et leurs qualités. Chien courant du Sud. Chien courant du Nord Talbot. — Ces races qui n'existent plus qu'à l'état de souvenir étaient représentées par des chiens très lents. Ils étaient, pense-t-on, très gros et à oreilles fortement tombantes. Chien de Saintonge. — Très rare de nos jour?, il est blanc marqué de noir, a les oreilles longues, la poitrine profonde, le rein droit, la cuisse plate et la queue basse, la patte sèche. Il a vraisemblablement joué un rôle dans l'origine des chiens hlancs du Roi. Le chien de Gascogne. — Plein d'entrain, excellent pour la chasse au loup et au lièvre, il est de grande taille, a la tête forte, parfois peut-être ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 335 un peu longue; blanc ou bleu marqué de noir, délie de vin, taché de feu aux yeux et aux pattes ; il a la paupière inférieure tellement tom- bante qu'on lui aperçoit toute la muqueuse de l'œil. Chien de l'Ariège. — Ce chien a de la vigueur, une voix remarquable, beaucoup de fond pour chasser le loup, à son défaut le lièvre. On le fait remonter aux chiens de Gaston Phœbus, comte de Foix. Disparue après 1789, la race a été reconstituée par un noble veneur, dont j'ignore le nom. Chien du Poitou. — Il existe dans le Bas-Poitou un chien à robe blanche et noire très analogue au chien de Saintonge et dans le Haut- Poitou un chien à tête busquée, tricolore, de moyenne taille. Ces deux chiens sont très bons comme chiens de loup. Parmi les chiens du Haut-Poitou, il faut signaler les chiens de Larye que l'on croit avoir été amenés de l'Ecosse dans ce pays. Chien d'Artois. Chien de Normandie. — Deux races qui avaient de grandes qualités. La première était originaire de Picardie, et la seconde, d'après d'Yanville, descendait du chien de Saint-Hubert. Tous deux avaient de belles gorges, la voix haute, ils chassaient admirablement le lièvre. Chien de Vendée. — Le chien de Vendée descendrait, parait-il du croisement du chien Souillard de Louis XI qui fut croisé avec la lice Baude du sénéchal Gaston et dont les produits formèrent la souche des chiens de la couronne. Ils étaient encore connus, sous Louis XIV, sous le nom de grands chiens blancs du Roi. Ce chien offre de nos jours une taille de 60 à 70 centimètres, il est vigoureux, a la tête riche, l'oreille mince, longue et tombante, le fouet effilé, le poil fin et court. H est très intelligent, a un excellent odorat et tient merveilleusement la voie du loup. H chasse bien aussi le sanglier et le blaireau. Chien de cerf ou Staghound. — Grand chien courant métis du chien de sang et du lévrier, il atteint la taille de 55 à 40 centunètres. 11 est remarquable entre tous par la rapidité de ses allures et par son odorat. Chien de Renard. Foxhound. — Ce chien, qui était inconnu il y a moins de 200 ans, a une origine très incertaine; il offre toutes les 336 LE CHIEN. qualités réunies du chien : l'odorat, la prudence, le courage, la docilité et la rapidité. Il a la poitrine large, le train postérieur bien ramassé, les jambes droites, l'oreille petite et plantée très haut. Le chien de lièvre anglais ou Harrier. — Plus anciennement connu que le foxhound, il se distinguait de ce dernier par de longues oreilles. 11 est remplacé dans beaucoup d'équipages par un foxhound de petite taille ayant un peu plus de gorge. On désigne sous le nom de Beagles, de petits chiens courants destinés à la chasse à courre du lièvre. Ils sont de couleur blanche, mouchetés de gris ou de noir, marqués de taches feu, oranges ou noires et sont coiffés en avant. On en signale h poils rudes et à poils fins lisses. Les Beagles du Sud, les Beagles du Nord ou Cat beagles et les petits Beagles OU Beagles à lapin très petits. Ils ont tous la voix très sonore. Le Beagle Kerry d'Irlande de grande taille est employé à la chasse du daim. Il ressemble beaucoup au limier ordinaire. Le briquet ou chien de lièvre. — Il se rencontre eu France, un peu partout : en Champagne, dans le Morvan, en Normandie, en Gascogne, dans les Vosges, en Artois et jusqu'en Corse. Il a été désigné tour à tour sous les noms de braquet, petit braque, brachel et enfin briquet. Sa taille est pelite, il est de couleurs diverses. Il chasse isolément, son indiscipline empêche de le mettre en meute. Excellent pour la chasse du lièvre au fusil, mais il se fatigue facilement. Le plus petit de tous les chiens courants, à voix sonore et à odorat très fin, est le Chien poursuivant (Canis irrilans). Il est employé, quoique bien rarement de nos jours, en meute pour chasser le lièvre. Le limier. Chien de sang. Chien de Saint-Hubert. Bloodhound. — Tayo'.TayoîTayo!!... C'est pour lui qu'il faut emboucher toutes les trompes, même celle de la renommée, car il est de haute lignée et de grand mérite ! C'est le plus grand des chiens courants; il remonterait à la fin du septième siècle. 11 aurait été, dit-on, introduit dans les Ardennes par saint Hubert où il aurait été religieusement conservé par les abbés du même nom. ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 337 Il serait passé en Angleterre lors de la conquête des Normands. Au reste Henri IV en fit parvenir un grand nombre à Jacques I". Cette race de chiens formait exclusivement les meutes royales jusqu'à l'époque de 'saint Louis. Le chien de sang ou Limier, ainsi que son nom l'indique, est destiné à indiquer au veneur la voie de l'animal. C'est aujourd'luii le seul rôle qu'il a à remplir. Il ne sert plus comme auxiliaire des armées, ou pour la poursuite des maraudeurs, voleurs, routiers et autres brigands de même confrérie, comme au temps des Edouard, d'Elisabeth, de Henri \'11I, etc. Le chien de Saint-Hubert vrai est brun à poil lin et court, marqué de feu aux pattes et au-dessus des yeux. Il mesure jusqu'à 76 centimètres et parfois davantage. Son crâne est busqué, ses babouines tombantes ainsi que ses oreilles, qui sont très larges, ses membres vigoureux, sa poitrine développée et son rein court. En Angleterre, on estime beaucoup les Bloodhound fauves à manteau noir. Il est peu de chasseurs plus intrépides que le Saint-Hubert, jamais il ne lâche la proie que lorsqu'elle a succombé. H a une voix grave et traînante spéciale. La soif du sang qui le caractérise doit faire tenir constamment en garde ceux qui l'approchent. Il faut toujours pouvoir le dominer. LES BASSETS L'origine des Bassets est fort ancienne ; ils étaient déjà employés et très estimés chez les Romains. Ils ont été décrits par Assien sous le nom d'Agasse et désignés tour à tour ensuite sous les appellations de Boihunt et de Chien de terre. Ils ont les jambes fort courtes, tantôt droites, d'autres fois torses. Leur corps est long, la tête grosse ornée de grandes oreilles pendantes, leur taille est petite et leur poil court et Jisse varie beaucoup de teinte. Le Basset [Canis verlagus) réunit toutes les qualités d'un bon chien de chasse. II se rencontre en France et en Allemagne, bien qu'on le suppose originaire d'Espagne. En vieillissant, il devient fripon, grognon, il prend mauvais caractère et devient même méchant; il chasserait volontiers pour son propre compte. 43 338 LE CHIEN. Le Basset à jambes torses se fatigue beaucoup plus vite que celui à jambes droites. D'après Le Vernier de la Conlerie, les Bassets à jambes droites vien- draient de Flandre et ceux à jambes torses de l'Artois. L'Angleterre possède aussi un Basset, véritable terrier, très long de corps, à petites oreilles et dont les jambes sont torses : c'est le Basset Tournchrochc [Turnspilt) vànû nommé parce qu'il a eu longtemps pour mission de tourner la broche dans les cuisines. Le Basset de Loutre. — Chien nageant et plongeant avec une très grande habileté ; a les pafles courtes, la tête longue, couverte de poils ras tandis que le reste de son corps est garni de poils durs et longs de teinte rouge ou jaune tachée de noir. Ce chien très rustique supporte les transitions de température les plus extrêmes sans en ressentir d'inconvénient. Le Skye terrier, que l'on frouve beaucoup dans l'île de Skye, est employé pour la chasse au lapin. Il est de très petite taille, d'extérieur bizarre à cause de son long poil et de ses grandes oreilles. CHIENS D'ARRET OU CHIENS COUCHANTS Toussenel, dans son remarquable ouvrage, YEsprit des Bétes, dit : « Le chien d'arrêt n'est qu'un produit de l'art, comme la prune de reine- Claude, comme la rose double; c'est un chien muet greffé sur un chien courant, et qui retourne au sauvageon comme la rose double, quand la greffe est mal conduite. Le chien d'arrêt est sans contredit la plus magnifique de toutes les créations de l'esprit humain. C'est ici que l'homme a vraiment créé après Dieu. Le chien d'arrêt a pour lui l'élé' gance des formes, la vigueur des muscles et la puissance de la pensée. Il est une création des temps modernes dont la date n'est pas bien fixée. Elle est née en Europe à la suite de la fauconnerie, le courre à Vair, institution qui date de la plus haute antiquité. Comme il fallait des chiens pour faire lever le gibier plume et le gibier poil devant les oiseaux de vol, on en a rencontré qui pohiiaienl naturellement la pièce de gibier avant de la faire partir; on a cultivé cette disposition en prolongeant le pointage jusqu'à Yarrêt solide. On a obtenu par ce moyen le chien cou- chant, c'est-à-dire qui se couche contre le gibier qu'il arrête pour se laisser couvrir avec celui-ci sous le filet {épervier). Le fusil venu, qui ZOOTECHNIE ET HYGIENE DU CHIEN. 339 permettait de tirer au vol, le chien couchant s'est transformé de lui- même en simple chien d'arrêt. » Le nomhre des races de chiens d'arrêt est considérable ; on a de plus, surtout en Angleterre, créé une quantité de variétés qui viennent en augmenter la liste. Nous n'avons pas à revenir ici sur les différentes races d'épagneuls dont nous nous sommes déjà occupés, parce qu'ils formaient le type de cette grande division désignée sous l'appellation générique iVÊpaçiiieuls. Outre ces précieuses races, il en existe d'autres désignées sous le nom de Braque. Le Braque français {Canis familiaris aincularius). — Le Braque, dont l'origine ne paraît pas remonter au delà du quinzième siècle, a une têle forte, à extrémité carrée, les lèvres pendantes, la poitrine ample, la croupe arrondie, le cou allongé, les pattes fortes et le pied large. Sa hau- teur varie de 50 à 65 et même 80 centimètres. Il a le poil ras, sa couleur est variable. Mais l'ancien Braque avait sur- tout le pelage blanc, souvent mélangé de taches brunes, noires ou fauves. Il a le caractère gai, vif, arrête haut le nez; il est parfait pour la chasse en plaine, où il arrête lièvre et gibier à plume. Il jouit d'un odorat remarquable. On connaît la variété du Braque dit à deux nez, qui jouissait autrefois d'une grande réputation qu'elle semble avoir perdue ; on la croit origi- naire d'Espagne. Parmi les variétés les plus connues nous citerons : Le Braque Dupuy. — Créé en Poitou par M. Dupuy, il y a environ une cinquantaine d'années, blanc et marron, il est plus élancé que le Braque ordinaire français. Le Braque sans queue du Bourbonnais. Le Braque Picard. — Bruu OU lie-de-vîn. Le Braque de Navarre. — Blanc maculé de lie-de-vin ; a souvent les yeux vairons. Le Braque d'Anjou. — Blanc et orange ou gris souris. Braque anglais ou Pointer. — Le Braque obtenu par suite de croise- 340 LE CHIEN. ments est un Leau chien, mais il est un peu haut sur jambes et un peu grêle. 11 arrête en galopant et haut le nez, ce qui le différencie au reste complètement du braque français. Il est blanc et orange; il se trouve bien représenté par notre race désignée sous le nom de Saint-Germain qui n'est au reste que la descendance de chiens braques anglais introduits en France vers 1820 par M. de Girardin. Les Anglais, depuis quelques années, ont donné à leurs pointers des formes plus trapues, plus accentuées, analogues à celles qui caractéri- sent notre braque français à poitrine plus large et à tête plus carrée. Ils ont de plus donné la préférence aux robes foncées, en particulier au marron tout en conservant à leurs chiens leur mode particulier de quêter. Nous ne voulons pas terminer ce qui est relatif aux braques sans donner une bonne mention aux races suivantes : Le Braque bleu d'Italie. — De grande taille, rappelant par ses formes notre chien de Saintonge. Braque d'Espagne. — Marqué de feu, devenu très rare. Braque d'Allemagne. — Épais, lourd et sans distinction. Un chien qui semble marquer une sorte de transition entre le chien d'ar- rêt et l'épagneul est le Chien docile [Canis sequax) désigné par les Anglais sous le nom de Setter. Il a un poil fin, soyeux, dont la couleur est très variable; une variété dite de lord Gordon, noire et feu, est très estimée. Il arrête bien et va facilement et avec plaisir à l'eau. L'Ecosse et l'Irlande possèdent aussi de belles races de Setters dont le pelage est couleur brique. Elles sont presque aussi estimées que celle de Russie, qui a cependant joui pendant longtemps et ajuste titre d'une grande réputation. Pour clore la liste des chiens de chasse et en particulier celle des chiens d'arrêt, nous devons dire un mot du Chien d'eau ou Rdriever, qui, dit-on, résulte du croisement du chien d'arrêt avec le terre-neuve, selon les uns ou avec l'épagneul d'eau et le griffon, selon les autres. Son pelage long et frisé est noir et blanc, parfois marron ou brun et blanc. Sa tête est ronde et grosse, ses oreilles longues sont garnies de nombreux et longs poils. Il est employé à la chasse du gibier d'eau et a pour mission spéciale de rapporter le gibier, qu'il ne respecte pas toujours d'une façon satisfai- sante. ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 341 3° Dogues. Nous avons donné les caractères zoologiqiies distinctifs de la race des Dogues en son lieu. Molosse ou grand Dogue [Caràs Molossus). — Le Molosse dont l'Irlande parait être la patrie a une grosse têle, le front large et bombé, un mu- seau gros, court et plat, le nez retroussé et les lèvres développées et pendantes, les oreilles longues dont l'extrémité est rabattue. Son poil est ras, de couleur fauve ou jaune brun; le museau, les lèvres et le bout des oreilles noirs. Sa hauteur est d'environ 65 centimètres et la longueur de son corps de 80 centimètres. Il est d'une force remarquable et d'un courage à toute épreuve; il ne craint pas et ne refuse jamais le combat avec les animaux féroces les plus terribles. Il est cependant susceptible d'une grande affection pour son maître et est beaucoup plus intelligent que sa réputation le dit. Il était autrefois très employé dans les combats d'animaux et pour la chasse du gros gibier. C'est un des meilleurs chiens de garde de l'habi- tation. Une race de dogues élevée en Angleterre pour la chasse de la grosse bête est connue sous le nom de Chien de Corps, Bouledogue (Canis familiaris fricator). — C'est un des chiens les plus anciens de l'Angleterre. Il est caractérisé (dit Brehm, qui en a donné une description tellement exacte, que nous ne pouvons résister à l'envie de la reproduire) par sa tête ronde, le crâne élevé, les yeux séparés par un creux très marqué, les lèvres pendantes ornées de verrues, recouvrant une mâchoire aux crocs acérés et terribles, la gueule large et bien fen- due, les oreilles droites, petites et bien placées des deux côtés de la fête, mais presque au sommet, de telle sorte qu'on croirait qu'elles tendent à se rejoindre ; il a le museau noir et court, le nez complètement rejeté en arrière, de façon que l'animal, tenant sa proie, peut respirer à son aise sans la lâcher, la mâchoire inférieure projetée en avant, les reins écourtés et bien cambrés ; un certain nombre de bouledogues ont la queue tor- due, on dirait que les vertèbres de cet appendice ont été brisées. Un bouledogue de race pure doit avoir la poitrine large, les jambes fines, les pieds étroits et bien fendus. 342 LE CHIEN. Son poil très lin et très serré est blanc, noir, bronzé, jaune fauve ; le museau, les oreilles et le bout des pattes sont toujours de couleur plus foncée que le fond de la robe. Quoi qu'on ait dit de lui, il vaut mieux que sa réputation, qui du reste laisse beaucoup à désirer. Il est caressant et attaché à son maître et ne manque pas d'une cer- taine intelligence. C'est avant tout un animal de combat par excellence, et une fois excité, il ne connaît plus rien; sa colère n'a plus de bornes. C'est un excellent gardien, et un grand destructeur d'animaux nui- sibles. Le Doguin. — Se rencontre surtout en Allemagne, résulte de l'al- liance du Dogue avec le petit Danois. Il a les oreilles plus longues et les lèvres plus pendantes que le Dogue et est généralement isabelle clair. Le Mastif anglais. — Introduit en Angleterre par les Celtes et les Ro- mains, semble, si l'on en croit la plupart des auteurs, résulter du croise- ment du Dogue breton avec le chien Talbot. Il est généralement fauve rayé de noir. Le Dogue de Bordeaux. — De grande taille, généralement à robe blanche parfois mélangée de noir. On en rencontre de fauves foncés. Le Dogue espagnol. — Employé à la chasse au sanglier et dans les combats de taïu^aux pour les exciter et aider à l'œuvre des picadores et des banderilleros. Le Chien Turc [Canis œgyplius). — De la taille d'un grand roquet ; origi- naire, ainsi que l'indique son nom, de la Tunpiie et de l'Afrique. 11 a le museau plus allongé que le dogue et les oreilles horizontales, la peau noire et presque complètement dénudée. Une variété de Chien Turc porte une rangée de poils se dirigeant de la tête à la queue et qui a valu à cet animal le nom de Chien Turc à crinière. Le Terrier-Bull. — Un des métis du Bouledogue qui a eu le plus de vogue et qui en somme rend de véritables services pour la destruction des rongeurs est le Terrier-Bull, qui résulte du croisement du Bouledogue avec le Terrier et qui, par le fait de divers croisements, présente de nom- ZOOTECHNIE ET HYGIENE DU CHIEN. S^tS breuses variétés se rapprochant tantôt davantage du Doguin et d'autres fois du Terrier. Il est relativement de petite taille, court de corps ; il a la tête ronde et le poil ras ; il porte la queue en l'air. Ce chien est très gai, très vif et fort intelligent, affectueux et de bonne garde. Une variété, résultant du croisement du Bouledogue avec le petit Griffon, et qui offre des poils plus longs et raides, est excellente aussi pour la destruction des rats et souris, et se fait volontiers le compagnon du cheval à l'écurie. Carlin ou Mopse [Canis familiaris mopsus). — Chien de très petite taille, véritable caricature du bouledogue ; très trapu, court, il a la tête complè- tement ronde, le museau à peine apparent; sa face représente complète- ment le masque d'Arlequin, dont il offre au reste jusqu'à la couleur noire (ce qui, entre parenthèses, lui a valu son nom, à cause de Carlino, qui avait coutume de se couvrir la figure dans ses rôles d'Arlequin du masque que nous voyons de nos jours sur le visage de ses successeurs). Ce chien a les jambes courtes et porte la queue eu trompette. Cet animal autrefois fort à la mode a perdu les sympathies du public. Il est du reste criard, peu intelligent et possède une haleine forte, très dé- sagréable, qui l'a fait bannir de l'appartement, où il a longtemps régné en despote. Un métis dégénéré du Dogue est cet affreux cliien minuscule à tête ronde, à yeux saillants et ronds, à oreilles pendantes et à poils ras, dont la couleur est fort variable, que l'on connaît sous le nom de Roquet. 11 est effronté, criard et hargneux. Chîen du Mexique. — Grand Bouledogue employé par les Espagnols à la chasse de l'homme. Us s'en servaient contre les Indiens. 11 les aida dans la conquête du Mexique et de la Nouvelle-Grenade. Le Chien de Cuba. — A été employé par les Anglais aux mêmes usages que le précédent. Pour clore cette nomenclature déjà bien longue, quoique incomplète, des différentes races, sous-races ou variétés de chiens, il nous faut dire un mot de celui que l'on désigne sous le nom de Cliien de rue {Canis \v, familiaris hybridus). Quels caractères assigner à ce chienî quelles quali- tés, quels défauts ou quels vices lui attribuer ? Rien de plus difficile. 3kti LE CHIEN. Ce chien, né de l'accouplement hasard, a les caractères de toutes les races et d'aucune. Aptitudes, qualités, attachement, fidélité, intelligence et vices : tout cela se rencontre chez lui. Dans les villes, en véritable gavroche, il peut faire le bien ou le mal, A la campagne, il peut être capable de tous les dévouements ou de toutes les peccadilles, il devient volontiers maraudeur et braconnier. ÉTAT DE SANTÉ ET DE MALADIE DU CHIEN Nous avons donné toutes les règles de cette science de la santé, que l'on nomme Y Hygiène. , L'oubli, la négligence, l'inobservation complète des règles que nous avons tracées, en traitant ces questions, peut faire cesser l'équilibre des fonctions physiologiques et laisser apparaître la maladie. Le chien en santé doit être gai, vif, libre dans ses mouvements, jouir d'un excellent appétit. « Tout chien qui refuse de manger, ou le fait sans appétit, ne tarde pas à tomber malade. » Toutes les phases de la digestion doivent s'accomplir régulièrement. Son poil doit être luisant, sa peau souple, l'extrémité du nez fraîche et humide. L'œil doit être vif et brillant et la teinte des muqueuses de l'œil, de la bouche d'un beau rose bien vif. L'oreille aura toujours une tempé- rature moyenne, ni chaude, ni froide. La respiration doit être calme, régulière et égale. Enfin le chien ne doit être nî trop gras, ni trop maigre ; ces deux points extrêmes ne dénotent jamais une santé parfaite : le mal de l'o- pulence et celui de la misère. Ce n'est point le lieu de passer en revue les innombrables maladies du chien; leur traitement appartient au médecin-vétérinaire ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 3^15 Contentons-nous de dire quelques mots sur les deux affections con- nues de tout le monde sous les noms de Ra^e et de Maladie des chiens. RAGE La rage est une maladie spécifique, virulente, fransmissible par inocu- lation et par contact d'un animal malade à un animal sain et à l'homme, caractérisée par une vive exaltatiou des organes des sens, l'envie de mordre, les accès de fureur. Tous nos animaux domestiques, sans exception des oiseaux de basse- cour, peuvent contracter la rage et la transmettre par la salive aux autres animaux. Cette maladie est, bien à tort, très souvent désignée sous le nom d'hydrophobie. Jamais dénomination n'a été plus faussement employée, et il est bien certain que jamais le chien enragé n'a horreur de l'eau. Si le fait de l'impossibilité de la déglutition des liquides se fait remarquer vers la période de terminaison de la maladie, il est dû à une névrose des organes de la déglutition qui, en somme, n'est que le résultat de l'impossibilité de l'accomplissement de la fonction. Mais le chien, même à cette période, loin de manifester la crainte de l'eau, se jette au contraire avec avidité sur elle, mais sans pouvoir arriver à calmer la soif qui le dévore. La rage peut-elle se développer spontanément chez le chien ? Beaucoup de médecins et de vétérinaires admettent que la rage est fréquemment spontanée. Pour ceux-là, les causes invoquées pour le développement delà maladie sont tellement nombreuses qu'on pourrait sans difficulté, en les réunis- sant, en faire une longue monographie. Ils ont invoqué la privation des aliments ou leur mauvais choix et surtout la privation des boissons. Les extrêmes de la température supportée par les victimes. La privation de la satisfaction des appétits naturels. D'autres observateurs, parmi lesquels nous citerons deux grandes autorités, M. Renault et M. Henri Bouley, croient les cas de rage spon- tanée très rares. Enfm il existe aussi bon nombre de praticiens et d'écrivains qui nient complètement la spontanéité de cette affection ; nous sommes de l'avis de ces derniers. C'est dire que nous ne reconnaissons qu'une cause de transmission de la rage, la contagion. U 346 LE CHIKN. Toutes les observations et les nombreuses expériences faites dans le but d'éclairer la question de la contagion ont prouvé que la salive seule des animaux atteints de la rage renferme le virus; aussi est-ce l'inocu- lation de ce produit de sécrétion qui par la morsure du chien enragé communique la maladie. Heureusement beaucoup d'animaux et d'hommes mordus sont réfrac- taires à la contagion. Les expériences faites par M.Renault etMM. Lafosse et llatwig ont prouvé que sur un grand nombre de chiens mordus par des sujets atteints de la rage, la maladie ne s'est déclarée que dans la proportion de trois sur huit. MM. Tardieu, d'Auteny etBarthey ont remarqué que chez l'homme cette proportion est de quatre sur dix. Cette immunité remarquée sur un grand nombre de sujets inoculés explique parfaitement les succès des nombreux charlatans qui exploitent la crédulité publique par la vente de médicaments préventifs de la rage. Il ne faut accorder crédit et confiance qu'à un seul procédé : le lavage à grande eau de la région mordue après application préalable d'une ligature, et la cautérisation au fer rouge de la plaie, qui au besoin aura été débridée au bistouri s'il y a nécessité, afin que toutes les })arties que l'on suppose avoir pu avoir contact avec le virus soient bien cautérisées. Pour les lecteurs qui voudraient lire une fidèle et saisissante mono- graphie sur la rage, nous les engageons à faire choix parmi la nom- breuse collection qui existe, de celle de notre grande illustration vétéri- naire, M. Henri Bouley, le savant et sympathique inspecteur des écoles vétérinaires. Nous avons dit que nous admettons qu'un animal, pour devenir enragé, doit être contaminé par un autre animal atteint de la rage; cette décla- ration de principe nous oblige à recommander comme préservatif de la rage l'émoussement des dents, système préservatif préconisé par M. Bourrel. Jusqu'à présent la rage a défié tous les traitements préconisés et employés. J'appartiens à un comité, dit de la Rage, qui a toujours consciencieu- sement expérimenté tous les agents thérapeutiques, tous les remèdes plus ou moins empiriques proposés, sans jamais avoir eu à enregistrer un seul cas de guérison. II serait donc fastidieux d'exposer la nomenclature de tous ces remèdes et la relation des expériences faites, puisque le résultat obtenu a toujours été négatif. ZOOTECHNIE ET HYGIÈNE DU CHIEN. 3kl LA MALADIE DES CHIENS La maladie des chiens est une affection générale infectieuse attaquant les jeunes animaux depuis l'âge de cinq à six mois, jusqu'à un an ou quinze mois, rarement au delà. Elle est une dans son essence, quoique se présentant sous diverses formes. Cette maladie, qui a toujours dii sévir avec une certaine inten- sité sur les jeunes chiens, ne paraît pas avoir frappé les amateurs et les éleveurs anciens. C'est surtout aux changements de constitution qu'éprouve le jeune chien, en passant à l'élat adulte, qu'il faut attribuer la cause du déve- loppement de cette maladie. A cette époque de l'existence, l'économie clierche à se débarrasser des leucocytes qui se rencontrent en grande quantité dans le sang des jeunes animaux, et la nature opère celte éli- mination par voie catarrhale. Les animaux mal nourris, dans une atmo- sphère plus ou moins impure, comme cela a lieu dans les grandes villes, sont les plus sujets à contracter l'affection qui nous occupe. Une nourriture insuffisante, peu animalisée, prédispose les chiens à cette maladie. Sous l'influence de ces dispositions, le moindre froid, ou tout au moins un changement brusque dans l'état de l'atmosphère, fait éclater le fléau. Enfin, il est une cause qui joue un grand rôle, c'est la contagion, qui, malgré les dénégations de certains auteurs ou praticiens, me parait des plus évidentes. De nombreux faits ont affirmé ma conviction sur ce sujet. Aussi, je crois devoir de suite recommander de ne jamais laisser des chiens sains en contact avec des animaux atteints de la maladie. Je pense qu'il serait même imprudent de les laisser séjourner dans des locaux qui auraient été récemment habités par ces derniers, avant d'avoir pris la précaution de les désinfecter. La maladie ne revêt pas toujours, au moins d'emblée, un caractère sérieux; il est, au reste, des cas de peu de gravité que l'on peut appeler bénins; ils se révèlent par la perte delà gaieté, la diminution de l'appétit et par les caractères rappelant le simple catari-iie bronchique ; la toux et l'éternuement, ainsi que l'écoulement d'un nuicus plus ou moins abon- dant s'échappantpar les naseaux. Un écoulement semblable se remarque aussi aux yeux, dont il agglutine les paupières.. Cet éclat maladif ne dé- passe guère dix à douze jours. Malheureusement, dans la plupart des cas. 3^8 LE CHIEN. la gravité de la maladie s'accentue, une lièvre plus ou moins intense éclate, la toux est sèche et les éternuements deviennent plus fréquents, le nez devient sec et chaud, la constipation survient. L'animal, devenu plus triste, ne s'occupe plus de ce qui se passe autour de lui. Les soins du vétérinaire deviennent alors indispensables, quoique chaque propriétaire d'un chien s'imagine qu'il possède un remède cer- tain; si l'on voulait croire les éleveurs, les cliasseurs et les gardes, les amateurs ne manqueraient pas de moyens tous plus certains les uns que les autres. Poudres, pilules, potions, breuvages, feraient une nomenclature inter- minable; inutile d'ajouter que chaque moyen indiqué constitue pour ce- lui qui le préconise la panacée par excellence. Malheureusement, la plupart de ces recettes et procédés doivent être considérés comme incendiaires et sont tout au plus propres à hâter et à faire naître des complications graves de cette maladie. On doit, quand on veut prévenir cette maladie, prendre quelques pré- cautions pour l'hygiène et le régime alimentaire des jeunes chiens. Il faut leur laisser de la liberté en bon air, entretenir le ventre libre, donner l'huile de ricin, le sulfate de magnésie ou le podophyllin, chaque fois que l'on voit survenir de la constipation, Faire entrer la viande dans l'alimentation joui'ualière, afin d'empêcher les animaux de devenir moins anémiques. Enfin, malgré ce qui a été dit par beaucoup d'auteurs spéciaux, je conseille d'avoir recours à un moyen préconisé par l'immortel Jenner. Je veux parler de l'inoculation du virus vaccin, indiqué par ce célèbre médecin, comme propre à préserver les chiens de la maladie du jeune âge. Ce moyen n'eut pas grand succès près des écoles, qui l'ont abandonné après l'avoir peu ou point expérimenté et ont fini par en nier l'ei'fica- cité. Je puis affirmer que je pratique cette inoculation depuis plus de vingt ans, avec une réussite absolue. A. La.\d:;i.\. TABLE DES MATIÈRES CHAPITRE PRELIMINAIRE Si les « documents canins » sont plus précis cjue les « documents iiumains ». — La théorie de Toussenel. — Le colloque deScipion et de Bergance, chiens de Valladolid, nouvelle de Michel Cervantes. — Quelquesjugements d'iiommcs illustres. — Épitaphe composée par lord Byron 'jour son cliien — De l'in- telligence et de l'instinct 3 [CHAPITRE PREMIER LE CHIEN DANS l'hISTOIRE Différents honneurs rendus aux chiens par les peuples dans l'antiquité. — Vénération des Égyptiens. — Le dieu Anubis. — Symboles et légendes. — Omission du Lévilique. — Entre chien et loup. — Le chien dans les livres sacrés de l'Inde et de la Perse. — Les chiens rois. — La naissance du chien d'après une légende de l'Amérique du Nord. — Cerbère. — Le combat d'Hercule contre le féroce gardien des enfers. — Cerbère marquis dans la démonologie. — Une sorcière brûlée en son nom au Moyen âge. — On retrouve en Amérique et chez les Scandinaves la superstition du chien gardien des enfers. — Les récits des Crées. — Argus, le chien d'Ulysse. — Pourquoi les chiens ont-ils une si singulière façon de se donner des poignées de mains. — Cette histoire contée par Alexandre Dumas. — Saint Roch et Saint Roquet. — Pourquoi le chien a-t-il été déclaré immonde dans la loi juive et pourquoi son nom est-il devenu une injure? — Le chien dans le bla- son et dans les conslellalions 15 350 LE CHIEN. CHAPITRE II HISTOIRE NATURELLE DU CHIEN Quelques mots de physiologie. — Des espèces et des genres. — Caractères principaux de la race canine. — Conformation, description des organes. — Le langage des chiens. — Développement de leurs voix par l'édu- cation. — De leurs différentes manières de s'exprimer. — Du rire. — Le chien comprend-il le langage humain? — Mémoire et intelligence. — Facultés cérébrales semblables aux nôtres. — Les mouvements familiers aux chiens d'après les éludes de Darwin. — Expressions de la colère et de la joie, de l'affection et de la douleur. — Explication de ces mouvements et de ces expres- sions. — Pourquoi les chiens tournent-ils sur eux-mêmes avant de s'endormir. — L'espèce prototype. — Modifications de cette espèce. — Influences clima- tériques. — Rôle joué par l'homme dans l'éducation du chien 37 CHAPITRE m LES CHIENS GUERRIEr.S La noblesse d'épde. — Les chiens mêlés aux actions de guerre depuis Tan- tiquilé. — La citadelle de Corinlhc et !e célèbre Solcr. — Garnisons canines. — Les chiens et les oies du Capitoie. — Témoignages historiques. — Régiments de chiens armés et cuirassés. — Les chiens transformés par l'homme en bêtes féroces. — Garnisons héroïques. — Mustapha à la ba- taille de Fontenoy. • — Les compagnons de nos troupiers. — Minette suit les zouaves en Crimée et en Italie. — Moustache à Marengo et à Austerlilz. — Patte blanche cl la défense du drapeau. — Le chien d'Afrique. — Magenta, le chien des zouaves. — Le chien de Duppel. — Le chien du uhian ; ses exploits contés par M. de Chcrville. — Le chien du Louvre chanté par Casimir Delavigne GS CHAPITRE IV LES CHIENS DÉFENSEURS ET SAUVEURS DE l'hOMME Les sauveteurs. — Les chiens de Terre-Neuve. — Leurs coutumes. — Leur af- fection et leur dévouement pour Thumanité. — Leurs hauts-faits dans les naufrages. — Le chien du mont Saint-Bernard. — Leur héroïsme. — Le célèbre Barry. — Anecdotes touchantes. — Fidélité du chien d'après les monuments historiques. — Le chien d'Aubry de Montdidier. — Combat en champ clos. — Le chien et le serpent, d'après le recueil des contes et fabliaux du xii^ et du xiii° siècle, par Legrand d'Aussy. — La légende indienne de Bandjara. — Le monument de Koukarri Gaon. — Témoignages universels de reconnaissance envers le chien 93 TABLE DES MATIÈRES. 351 CHAPITRE V LES TRAVAILLEURS Les chiens de berger. -^ Origine et éducation. — Les services qu'ils rendent. — Un gardien criminel. — Différentes espèces. — Chiens tou- clieurs. — Les chiens des Abruzzes. — La bêle du Gévaudan. — Les pays où l'homme ne pourrait vivre sans le chien. — Les compagnons des Esqui- maux. — Douceur féminine. — Passion des chiens des Esquimaux pour la chasse. — Les traîneaux. — Les contrées oii les chiens remplacent les che- vaux. — Le chien de Terre-Neuve et le chien du Labrador. — Le gardien de nos maisons. — M. Odilon-Iiarrot, le voleur et le chien de garde. — Les destructeurs de rats. — Les conducteurs d'aveugles. — Les commissionnaires. — Un chien qui mange la grenouille ]21 CHAPITRE VI LES CHIENS DE CHASSE Passion de l'homme pour la chasse. — Un mot des grands veneurs d'autre- fois. — Origine du chien de chasse. — La légende de Noth et de Nem- brod. — Les Gaulois nos pères couronnaient de roses le front de leurs chiens. — Qui chassa le premier en compagnie de l'homme? — Le lévrier décrit par M. de Chervilie. — Anciennes races connues de nos aïeux. — Les chiens courants. — Meutes de Saintonge et du Haut-Poitou. — Chasse à la française. — Laisser-courre. — La messe de Saint-Hubert. — Les chiens d'arrêt. — Leurs différentes espèces et leurs difl'érentes qualités. . . lôO CHAPITRE VII LES CHIENS DANS l'iNTIMITÉ La place qu'il lient au foyer domestique. — Portrait du chien par Lamar- tine. — Quelques anecdotes historiques. — François L"' et le chien qui n'aime pas le raisin. — Agrippa d'Aubigné et Citron, chien d'Henri IV. — Les chiens de Frédéric le Grand. — Trait de cruauté de la princesse Anne de Wurtemberg. — Amour d'une créole de la Havane pour ses king's Charles. — Les invités à quatre pattes de sir Egcrton. — Ressemblance entre nos visages et ceux des chiens. — Semblables coutumes et semblables manies. — Traits d'intelligence du chien intime. — Le paradis qu'a rêvé pour eux M. Xavier iMarmier , 190 CHAPITRE VIH LES IRRÉGULIERS Une ville de chiens dans les prairies américaines. — Coutumes des chiens de Constantinople. — Une adoption. — Le chien du braconnier. — Le 352 LE CHIEN. chien du contrebandier. — Les chier.s de combat. — Bouledogues et ter- riers. — Dans Tarène. — Deux mâchoires solides. — Les exploits de la bar- rière du Combat. — Une description de Tliéophile Gautier. — E)eu\ chiens suspendus aux ailes du moulin de Montmartre. — Milord. — l,es artistes et les saltimbanques. — Tampon. — MuniUi. — Si le chien est un véritable joueur de dominos. — La troupe savante de .M. Corvi. — Promenade dans les coulisses. — Exercices extraordinaires. — Bataille d'un lion contre un tigre àpropos d'un chien. — De quelques animaux par trop indépendants. 213 CHAPITRE L\ LE CHIEN A PAlllS Ce qui dislingue le parisien du provincial. — Le chien de Paris chez lui. — Ses habitudes de citadin. — L'amour de la liberté. — Le chien de l'abbé Trois-Étoiles. — Croquis parisien. — Le chien du déjrotteur et le chien du commissaire. — Les tondeurs. — Les baigneurs. — Articles de toilette. — Colliers et bijoux. — Les chiens contribuables. — Questions de taxe. — Le marché du boulevard de l'Hôpital. — Voleurs et volés. — La Fourrière. — Les hôpitaux. — Quelques mots sur la vivisection. — Les expositions. 249 CHAPITRE X LE CHIEN ET SES PROTECTEUUS Les cruautés commises envers les animaux. — Ce que la société humaine doit au chien. — Ce qu'elle lui donne. — ElTorts tentés par la Société protectrice. — Historique de cette société. — Ses principes et son but. — La loi Grum- mont. — llépression des mauvais traitements. — Principaux membres de la Société. — Récompenses décernées à Lamartine et à Aurélien Scholl. — Plaidoyers de cet écrivain en faveur des chiens. — Le roman de Follette. — La vivisection. — Ce qu'on fait en Angleterre et ce qu'on fait en France pour la combaltre. — L'opinion du docteur Blalin. — Les refuges de chiens à Philadelphie. — Administration américaine et administration fran- çaise 277 Conclusion 293 Zootechnie et Hygiène du chien, par A. Landrin 301 G822 — Imprimerie A. Lahure, rue de Flcurus, 9, à Paris. 3 tu o f"*'^'^ ^^h,C