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LE
CHRISTIANISME
ET
SES ORIGINES
PREMIÈRE PARTIE — L'HELLENISME
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LE
CHRISTIANISME
ET
SES ORIGINES
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ERNEST HAVET
TOME SECOND TROISIÈME ÉDITION
REVUE ET CORRIGÉS
PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUR ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÈTES
RUE AUBER, 3, KT BOULEVARD DES ITAUSMS, 15
A LA LIBRAIRIE NOUVELLE
1880 Droits de reproduction et de traduction réservés
LE
CHRISTIANISME
ET SES ORIGINES
CHAPITRE X
ENTRE ALEXANDRE ET LES ROMAINS
Deux écoles dominent de beaucoup toutes les autres pendant la grande époque philosophique qui s'étend pour la Grèce depuis Alexandre jusqu'aux Romains : celle de la Stoa ou du Portique et celle d'Épicure. Mais quoique déjà dominantes, et elles allaient l'être de plus en plus, elles ne remplissent pas à beaucoup près l'his- toire des idées morales et religieuses en ce temps-là, histoire dont je voudrais tracer ici l'esquisse générale. D'abord les grands maîtres de l'âge philosophique pré- cédent, Platon et Aristote, continuaient d'avoir leurs disciples : les premiers qu'on nommait Académiques y de la promenade d'Acadème (l'Académie) où ils étaient établis ; les autres nommés Péripatéliques, c'est-à-dire Promeneurs, qui se tenaient dans le Lycée ou le bois d'Apollon tueur de loups (Lycéos). Ces deux écoles n'é- taient pas les plus populaires; elles étaient certaine- II. 1
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ment les plus distinguées. En même temps, récole d'Aristippe d'une part, celle d'Aniisthène de l'autre, (lesGyrénaïques et les Cyniques), continuaient de sub- sister; mais la première finit par se perdre dans l'école d'Épicure ; l'autre vécut jusqu'aux derniers jours de la philosophie grecque. Les Cyniques allaient par les rues et les places publiques, dans l'équipage que la comédie nous décrit, avec leur bouteille d'huile (pour se frotter) et leur brosse, leur écuelle, leurs sandales, leur gros manteau, et leur bourse de cuir peu chargée d'argent. Pour manger leur frugal repas, ce n'était pas la peine de s'étendre sur des lits, comme on faisait alors, et ils se distinguaient en soupant assis.
En outrant le doute socratique, qui devenait une fin au lieu d'être un instrument, Pyrrhon fonda son école des Chercheurs ou Sceptiques. Peu à peu les Académi- ques, placés entre les dogmes tranchants d'Épicure et ceux de la Stoa, et comme battus par ces flots contraires, se laissèrent aussi porter vers le doute. Ils y trouvèrent un refuge contre l'empire des préjugés religieux. Ne voulant pas s'y soumettre et les servir, comme les Stoïques, ni causer de scandale en niant ce que la foule croyait, comme les disciples d'Épicure (qui d'ailleurs eux-mêmes n'osaient pas nier jusqu'au bout), ils mirent en avant la doctrine commode que l'esprit humain ne peut atteindre à la vérité. Et à la place de cette vérité, qu'ils ne laissaient pas espérer aux hommes, ils leur offraient pour consolation le vraisemblable^ où devait s'arrêter toute sagesse. Ceux qui ont combattu trop sé- rieusement cette doctrine se sont mépris, je le crois ; i!
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n'y fallait voir qu'une ressource par laquelle l'esprit humain tâchait de sauver sa liberté. Au lieu dédire : H n'y a pas de dieux, ou même, comme Épicure : Il n'y a pas de providence, on aimait mieux dire, et j'ajoute volontiers qu'on aimait mieux croire (car je n'accuse pas les Académiques de mauvaise foi) que, ni sur ce point ni sur d'autres, l'homme ne peut s'assurer d'au- cune vérité. Les Académiques parlaient et pensaient en face du polythéisme comme a fait Montaigne au milieu du monde chrétien. Ce sont eux, et non les partisans d'Épicure, qui sont les libres penseurs de l'antiquité, ou qui auraient voulu l'être; mais ils ne le pouvaient pas. Pour ne pas avouer les préjugés et les mensonges qui régnaient partout, leur raison était réduite à se désa- vouer elle-même.
Le doute systématique s'étant emparé de l'Académie, les Péripatétiques restèrent les seuls représentants d'une philosophie dogmatique sans bizarrerie de système et sans esprit de secte, faisant son profit de toutes les connaissances et donnant satisfaction à tous les bons penchants. Par la science, par la largeur des pensées et par là modération des sentiments, cette philosophie était celle qui ressemblait le moins à une Église et qui était le plus près de la sagesse. La liberté manquait là comme partout ; mais sur les points où ils ne pouvaient parler librement, ces philosophes savaient se renfermer dans le silence, et demeuraient encore de cette façon aussi indépendants qu'il était possible. Les Péripatétiques avaient recueilli, avec l'héritage d'Aristote, la part la plus sohde de celui de Platon ; il ne leur manquait que
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la passion. Leur enseignement ne troiiljlait, pas les âmes, et c'était ce que leur reprochaient les Cyniques. Qu'est-ce que c'est, disaient-ils, qu'une philosophie qui ne fait de peine à personne? Les Cyniques étaient les précurseurs de ceux qui prêchèrent que le royaume des cieux doit être emporte par violence.
Le petit livre des Vertus et des vices^ qui se trouve à ia suite de la Morale d'Arisiotc, appartient à l'Écoie péripatétique. On y recommande la piété, la sainlelê des mœurs, la sincérité, la haine du mal, l'humanité, la compassion, le pardon des injures.
Cependant l'esprit de Platon n'avait pu s'éteindre ; s'il ne régnait plus à l'Académie, il vivait certainement dans beaucoup d'âmes, et il n'est pas douteux qu'il n'y eût toujours des Platoniques, je veux dire des hommes qui alliaient à la morale ce mouvement d'ima- gination et cette onction par où les écrits de Platon nous touchent. La littérature platonique se continuait, et quelques monuments en sont arrivés jusqu'à nous, re- cueillis à la suite des livres du maitre. VEpinomis, ou supplément aux Lois, les Lettres attribuées à Platon, appartiennent à cette littérature, bien voisine de la lit- térature chrétienne.
Cet âge a porté une foule prodigieuse de philosophes, et ces philosophes ontcomposé une multitude de livres : de tout cela il n'est arrivé jusqu'à nous que des noms. Il est vrai que ces noms sont illustres ; il faut en re- cueillir quelques-uns.
Dans la Stoa, je ne nommerai, à côté de Zenon et de Cléanlhe, que Chrysippe, qui avait embrassé toute la
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doctrine de l'École dans ses volumineux écrits. Il avait réponse à toutes les questions, en physique comme en morale, et en ce qui regarde le surnaturel comme en ce qui appartient à la nature. Il était rompu à toutes les subtilités de la dialectique ; il disputait sur le destin, sur le libre arbitre et les autres problèmes inextricables; il expliquait l'essence et l'action des démons ou génies; il savait tout et ne doutait de rien : « Sans Chrysippc, disait-on, il n'y a plus d'école stoïque. » Il en était la colonne; il en avait en quelque sorte écrit la Somme; c'est une espèce de Thomas d'Aquin. La Stoa a eu sa scolastique comme l'Église; sur tous les sujets, elle argumentait à outrance. Cela rebutait bien des esprits, et quelqu'un disait à ce propos qu'il en était de la dialectique comme des écrevisses, où il y a plus à éplucher qu'à manger.
Les Cyrénaïques eurent ce Théodore dont Epicure ne fut, dit-on, que l'écolier dans ses hardiesses irréligieuses. Il faut nommer aussi Hégésias, celui qu'on appelait Conseiller-de-Mort(Pisithanate). Il s'était tellement épris de cette paix sans trouble (alaraxia) où on mettait la sa- gesse, il poursuivait avec tant d'amour le repos de l'àme,
Le repos ! le repos, trésor si précieux Qu'on en faisait jadis le partage des dieux,
qu'il voulait qu'on l'alUàt chercher dans la mort , où seulement il pouvait être assuré. Et on racontait que les jeunes gens d'Alexandrie qui venaient l'écouter se tuaient tous en effet les uns après les autres , au point que le roi d'Egypte fut obligé de faire fermer son école.
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On voit paraître dans cette histoire ce goût du suicide et delà mort sur lequel on a tant de témoignages, et qui est une des maladies les plus caractérisées du monde macédonique et romain. C'est celte répugnance qu'on avait à vivre sous le poids de la servitude et de ses mi- sères qui contribua fort dans la suite au succès de la parole chrétienne. Quand cette parole annonçait l'avé- nement d'un monde nouveau et pressait les hommes de faire bon marché de celui-ci, elle en trouvait beau- coup en effet qui en étaient assez las pour s'en détacher sans peine.
Parmi les Cyniques, je nommerai Ménippe , que nous ne connaissons que par les fictions de Lucien, et parce qu'un certain genre de composition a pris de lui le nom de ménippce ; et Monime, qui disait aux riches : « Qu'est-ce que c'est donc que votre ri- chesse ? Une indigestion de la fortune, qui a vomi snr vous. »
Le Péripatétique Dicéarque écrivit tout un livre con- tre l'immortalité de l'àmo, et un autre livre contre l'àme elle-même, et pour montrer qu'elle n'existait pas. On ne voit pas que de pareilles thèses lui aient fait courir aucun danger. C'est d'ailleurs tout ce que nous savons de ces livres ; mais c'est assez pour témoigner combien la religion des anciens, si exigeante au regard du culte, et qui tenait les hommes si assujettis par les pratiques, avait d'ailleurs peu de dogmes, et quel vaste ehamp elle laissait ouvert à des discussions qui, depuis ce temps jusqu'^ nous, sont demeurées interdites comme saciiléges.
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L'Académie nommait avec orgueil les deux premiers successeurs de Platon, Speusippe et Xénocrate. Xcno- crate avait dit une parole mémorable, qui nous a été conservée parCicéron. On lui demandait ce qu'on ap- prenait à son école; il répondit : « A faire librement ce que les lois font faire par obligation. » C'est un mot de la plus grande portée, et qui rend raison, non-seule- ment de l'organisation de la philosophie dans le monde ancien, mais de celle de la religion qui lui succède. L'une et l'autre se sont également fait honneur de gou- verner les hommes parla conscience et par la foi, tandis que les pouvoirs publics gouvernent par les législations et par la force. A la fin du siècle dernier, quelques-uns appelaient volontiers les prêtres des officiers de morale ; c'est bien ce qu'étaient les philosophes chez les Grecs, mais des officiers sans privilèges et sans moyens de contrainte. Faire faire le bien librement, il n'y a pas en effet de fonction pl-us haute, pourvu qu'on y soit fidèle. L'Église n'a pas eu le courage de s'y tenir ; elle n'a pas tardé à devenir un gouvernement comme un autre, avec des sanctions légales et des pénalités. Mais Xénocrate et ses héritiers n'avaient ni pénalités ni con- traintes, et l'empire légitime que la philosophie a exercé sur les hommes jusqu'aux usurpations du Christianisme ne s'appuyait que sur des forces morales.
L'Académie était fière d'avoir conquis Polémon, et toutes les philosophies se sont fait honneur avec elle de cette victoire. Voici ce qu'on racontait de lui. C'était un jeune homme livré au plaisir, passant la nuit parmi le vin et lesjoueuses de flûte. Au malin d'une de ces nuits.
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comme il traversait les rues en chantant, des fleurs sur la tète, il passe devant l'école de Xénocrate, et il lui prend fantaisie d'entrer. A la voix du philosophe, il est surpris d'abord, puis touché ; et enfin, tout en écou tant et sans faire semblant de rien, il déiache ses guir landes de fleurs et les jette : il fut philosophe dès ce jour-là. Scène pleine de grâce, qui fait un charmant sujet de tableau, comme la plupart des anecdotes grec- ques, et en même temps premier exemple d'une con~ version, comme on a appelé cela depuis, dont la sou- daineté est une espèce de miracle. C'est ainsi que, dans le récit de Jacques Diacre, la comédienne Pélagie de- vient une sainte tout à coup, en entendant prêcher un évêque. Les Vies des saints sont remplies d'histoires semblables à celle-là.
Un autre Académique, Crantor, était célèbre par un livre sur le Deuil, écrit pour un ami qui avait perdu ses enfants; un livre d'or, disait Cicéron ; il resta comme le modèle classique d'un genre de discours phi- losophique qui prit des développements considérables, celui des Consolations. La Consolation à Apollonios, de Plularque, nous en a conserve bien des pensées. Les phi- losophes grecs n'ont pas cessé, depuis lors, de faire ce métier de consolateurs, que les Pères et les Docteurs de l'Église ont fait comme eux et d'après eux. Nous rencontrerons plus tard des monuments de cette élo- quence; mais il faut signaler dès maintenant ce qui se présente ici à nous pour la première fois, la prédication philosophi(jue appliquée à un des accidents qui mar- quent la vie de chacun de nous, et pour ainsi dire au
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cas particulier d'un malade. La philosophie entrera de plus en plus dans le détail de ce ministère moral.
Il y avait encore des Pythagoriques en Italie, comme Aristoxène de Tarente, le musicien, qui était aussi un philosophe. Fidèle aux traditions austères de l'école, il faisait un devoir de la pureté, non pas aux filles seule- ment, mais aux garçons, et exprimait le vœu, nous dit- on, avant Jean-Jacques, que le jeune homme se con- servât chaste jusqu'à vingt ans.
Qu'on se représente maintenant l'ensemhle de ce mouvement philosophique si nouveau, si puissant, si universel. L'Académie, le Lycée, le Cynosarge, la Stoa, les jardins d'Épicure se partageaient la jeunesse dans Athènes, et envoyaient des colonies dans toute la Grèce. Elle se couvrait d'écoles comme elle se couvrit plus tard d'Églises, ou plutôt ces écoles étaient déjà des Églises. Ceux qui y présidaient exerçaient une sorte de gouver- nement spirituel, dont ils transmettaient à d'autres le titre et le siège, de façon qu'on avait la liste des succes- seurs de Platon ou d'Aristoie dans leur chaire, comme on eut depuis celle des évêques de Rome ou d'ailleurs. La plupart de ces philosophes ont écrit, mais non pas pour nous. On ne saurait trop le redire, ni trop appuyer sur une telle perte. Le riche trésor des livres de Platon ou d'Aristote, sur lequel nous jugeons la philosophie, n'est pourtant qu'un débris, quoique ce débris soit magni- fique ; tout le reste a disparu. Nous frappons pour ainsi dire, à la porte de toutes ces écoles, mais la porte est fermée et nous ne saurions entrer. Nous y collons notre oreille, et nous surprenons quelques éclats de
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voix, certains principes, certaines déductions, le mur- mure surtout d'un auditoire ému et subjugué ; rien davantage. Et nous retournons bien loin d'Athènes, sans remporter autre chose que le sentiment confus d'une vie intellectuelle et morale pleine à la fois de mouvement et de calme, charmant l'esprit et fortifiant l'àme : qui, sans être encore aussi libre qu'il aurait fallu, l'était pourtant à rendre vingt siècles jaloux, et n'avait pas à compter à chaque mot avec les erreurs ou avec les intérêts d'une autorité sacrée.
Les anciens nous ont rendu eux-mêmes par une image l'influence bienfaisante qu'a eue la parole de ces prédi- cateurs de sagesse: « Les hirondelles, disait-on, an- noncent la fin du mauvais temps, et les discours des philosophes celle du trouble dosâmes. » Si même quel- que chose a étonné les modernes, c'est la sérénité de cette philosophie et sa confiance. Elle ne conçoit point de doute sur la destinée de l'homme; elle a divers chemins pour le conduire au bonheur, mais elle se- tient sûre du but oii elle va. Le bonheur, le souverain bien, comme on disait, la fin ou les fins dernières, voilà ce qui faisait également l'objet de toutes les écoles ; mais aucune ne se demandait s'il y avait une fin et s'il pou- vait y avoir du bonheur ; toutes le supposaient intrépi- dement, quoique aucune ne recourût à la ressource commode de le mettre dans une autre vie. Ne nous hâ- tons pas de dire que les Grecs étaient trop jeunes O'.i trop légers ; qu'ils n'étaient pas mûrs pour ces tri^^- tesses, pour ce sentiment décourageant du vide et du néant de l'existence que les modernes expriment ?i
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volontiers, et qui pourtant ne les empêche pas de vivre et d'agir. Ce qu'on nous dit de l'éloquence lugubre d'Hégésias semble témoigner du contraire; et on peui. citer de Platon même des paroles pleines de trouble et d'amertume. Nous ne connaissons pas par nous-mêmes Hégésias, chez qui on peut croire que le tempérament dominait la pensée. Quant à Platon, il pouvait, quand il le voulait, s'abandonner en penseur solitaire à ses rêveries. Mais Épicure et Zenon sont des conducteurs des âmes, dont la doctrine est toute de pratique et de gouvernement. Ce sontencore, si on veut, des médecins, qui travaillent chacun à leur manière à notre santé, et qui ne vont pas s'arrêter dans leur travail pour se de- mander si la santé est quelque chose de bien réel, ou si elle vaut bien la peine qu'on s'en occupe. Ils ont assex fait si par leurs soins nous nous portons mieux ou si nous nous sentons moins malades.
La philosophie avait beau vouloir s'enfermer dans l'élude de l'homme intérieur, les philosophes ne pou- vaient s'empêcher de vivre de la vie de tous et de res- sentir ce qui se passait autour d'eux. Aussi les rencon- tre-t-on souvent dans l'histoire même extérieure de ce temps. Phocion, tel qu'on nous le représente, est un disciple de Platon qui philosophe sur l'agora et dans l'armée ; c'est un Stoïque avant la Stoa. Xénocrate, le successeur de Platon, fut député par les Athéniens à Antipatre, parce que telle était la renommée de sa sa- gesse, dit Plutarque, qu'on ne croyait pas qu'aucune brutalité put n'en être pas touchée. On ne savait pas que celle d'un lieutenant d'Alexandre pouvait aller jusque-là.
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Dénu'irios de Phalère, qui gouverriLi Ailiènes aussi bien, ce semble, qu'on pouvait le faire en ce temps-là, était aussi un philosophe. Le Stoïquc Sjjbéros était le con- seiller de Cléomènc, et lui suggéra ses plus nobles ten- tatives. Un tyran de Sicyone, Abanlidès, fut assassiné par deux philosophes, Dinias et Aristotèle. Aratos lui-même eut pour associé, dans la révolution qu'il fit à Sicyone, le philosophe Ecdélos. Ainsi les philo- sophes étaient partout, comme plus tard les gens d'Église.
Il y en avait peut-être dans tous les partis, mais on peut dire que le parti de la philosophie était celui de la liberté. Quand Démétrios, fils d'Antigone, porté par la populace et par ses soldats, entra dans Athènes pour s'y faire roi et pour s'y faire dieu, il fît rendre un décret qui chassait de la ville les philosophes. Il fut défendu de tenir école sans une autorisation du Conseil et du peuple, et cela sous peine de mort. La comédie applaudit, et donna son coup de pied aux philosophes. Bien plus cou- pable en cela que la comédie d'autrefois, puisque celle- ci clabaudait dans Athènes libre, tandis que les nouveaux Comiques se mettaient bassement au service des haines des puissants. C'est à de pareilles insultes que répondait sans doute l'auteur d'un livre attribué à Isocrate, quand il disait qu'il n'est pas moins sacrilège de hlasplièmer contre les philosophes que contre les dieux. Pour les dévots de la sagesse, lapersonnedu sage devint sacrée. Mais les philosophes, expulsés d'Athènes par Démétrios, le furent aussi de la Macédoine par Lysimaque et de la Syrie par Antiochos. Les successeurs d'Alexandre,
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comme plus tard les empereurs romains, comprirent que la pensée libre est toujours l'ennemie du maître, fût-ce même sans le savoir, et quand elle paraît le plus rési- gnée.
La philosophie d'un temps n'est pas seulement dans ses philosophes ; elle est partout, et toute la vie de ce temps la réfléchit. Mais c'est dans les poêles qu'on peut étudier la vie elle-même, et dans le théâtre plus que partout ailleurs. Je ne parlerai que du théâtre^.
1. Je veux cep'^mlant citer, au moins dans une note, lo juste hommaL'e reinlu par un maître au génie hellénique, à propos d'un passage de Théocrite où est racontée la lutte fabuleuse de PoUux, roi des Argonautes, contre un roi brigand des bords de la Propon- tide. Voici comment M. Sainte-Beuve a analysé et commenté ce pas- sage : « El quel sera le prix du combat que nous allons livrer ? demande le fier i^ollux au moment d'engager la lutte avec le géant. Celui-ci répond : Je serai à toi, si je suis vaincu; tu seras à moi, si je suis le plus fort. — Mais ce sont là, reprend Pollux, des enjeux d'oiseaux de proie à l'aigrette sanglante. — Que nous ressemblions à des oiseaux de proie ou à des lions, nous ne com- battrons qu'à cette condition-là. Le géant est vaincu par l'adroit et brillant athlète. Puissant Pollux ! s'écrie le poète, quoique vain- queur, lu n'abusas point contre lui de ta victoire ; mais tu lui fis jurer le grand serment, par le nom de Neptune son père, de ne plus être désormais inhumain et nuisible aux étrangers. Ce fut toute la vengeance du héros, et c'est ainsi que les victoires des Grecs, quels qu'en fussent les motifs ou les prétextes, étaient en définitive des conquêtes pour la civilisation elle-même. »
C'est au même temps qu'appartient la belle épigramme de Léo- nidas deTarenle, conservée dans V Anthologie, que l'auteur de Port- Royal a justement rapprocliée de Pascal :
oc Infini, ô homme, était le temps avant que tu vinsses au rivage de l'aurore ; infini aussi sera le temps après que tu auras disparu dans l'Erèbe. Quelle portion d'existence t'est laissée, si ce n'est un point, ou s'd est quelque chose encore au-dessous d'un point ? Et cette existence que tu as si petite, elle est comme écrasée ; elle n'a rien en elle-même d'agréable, mais elle est plus triste que l'odieuse mort. Dérobe-loi donc à une vie pleine d'orages, et regagne le port, comme moi-même, Phidon, fils de Critus, qui ai fui dans le Té- nare. — Celte vie humaine qui n'est qu'un point serré et comme écrasé entre les deux infinis rappelle Pascal. On ne saurait mécoD-
U LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
On sait quel fat encore, au commencement du troi- sième siècle avant notre ère,réclatdu théâtre d'Atlièncp, non plus dans la tragédie, épuisée alors, mais dans la comédie renouvelée : le nom deMénandre brille entouré de bien d'autres noms, mais les œuvres de Ménandr^î et de tous les autres sont perdues. Cependant, outre ies fragments qui se retrouvent épars de tous côté.--, la co- médie latine de Plante et de Térence, qui se réduisait si souvent à une traduction, est là pour nous représenter jusqu'à un certain point la comédie grecque de cette épo- que. Elle était évidemment toute pleine de philosophie. non qu'elle ne raillât volontiers les philosophes; la tradi- tion le voulait, et elle s'en serait encore avisée quand elle n'aurait pas eu de tradition. Plus les philosophes étaient considérables, plus on était tenté de les plaisanter. Les Stoïques aux sourcils froncés sont ceux à qui on s'en prend de préférence; on nous les montre qui courent de tous côtés après leur Sage idéal, qui leur échappe toujours comme un esclave fugitif. On assure qu'avec leur air d'austérité ils goûtent volontiers les bons mor- ceaux et qu'ils s'y connaissent. Un Comique faisait par- ler une courtisane, qui avait eu tour à tour un militaire, un médecin, puis enfln un philosophe, avec une barbe^ un capuchon et des arguments. Celui-là était le pire, car il ne payait pas ; et quand elle lui demandait de l'argent, il prononçait que l'argent n'était pas un bien. Elle disait : Mettons que c'est un mal, et débarrasse-t'en
naître ici un accent profond et d'un sincère arnertumo, un accent à la Lucrùce. On est trop prompt à refuser aux. anciens d'avoir senti tout ce que nous avons seiili nous-mêmes. »
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pour moi. Mais elle avait beau dire, — La philosophie était une mode; la comédie a toujours raillé les modes. « Tu sais, dit un père dans Térence, les jeunes gens ont toujours un goût et un engouement : ce sont les chiens, les chevaux, les philosophes. » On s'amusait aussi aux dépens de l'école d'Épicure : un cuisinier prétend qu'il en possède toute la philosophie. Mais la comédie admire plutôt qu'elle ne se moque quand elle signale ce philosophe avec sa nouvelle philosophie , c'est-à-dire Zenon : « Il enseigne à mourir de faim, et il en donne des leçons : un pain sans plus, avec une figue et de l'eau à boire ; » et qu'elle proteste que c'est là offenser les dieux et faire tort aux hommes, c'est- à-dire aux marchands de vin et d'autres bonnes choses. C'est un ivrogne qui parle. Ailleurs, voici un esclave qui veut débaucher ses camarades et à qui on tâche de faire entendre raison. — % Qu'est-ce que c'est, dit-il, que tu me rabâches ? Quand tu me cracherais par lam- beaux l'Académie, le Lycée, la Stoa, tous les radotages des philosophes, il n'y a dans tout cela rien qui vaille. Buvons, buvons encore, et réjouissons-nous. »
Comment la comédie ne serait-elle pas sympathique aux philosophes, quand elle-même philosophe à chaque instant? La comédie d'Aristophane vivait de bouffonnerie €t de poHtique ; celle-ci vit de morale, d'observation et de sentiment. Ménandre est l'héritier d'Euripide; il se plaît comme lui aux moralités et il cherche dans les ser- mons des philosophes tout autre chose qu'un sujet de risée. La comédie nouvelle médite volontiers sur la mi- sère et la fragilité de l'homme : « Pauvres humains,
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qu'est-ce que de nous ? — Les dieux jouent à m balle avec tous tant que nous sommes. » Le néant de ce qui passe, la vanité des richesses en face de la mort; la vie comparée à une fête de quelques jours qui ne laisse rien après elle, les biens d'ici-bas à une décoration de théâtre ; tout cela se prêchait à la comédie comme dans l'école. — « Ne pleurons pas tant nos morts ; ils ne sont qu'en voyage et nous les rejoindrons bientôt. » — « Si tu veux te connaître et savoir ce que tu es, regarde les tombeaux quand tu te trouves sur un grand chemin (les tombeaux chez les anciens étaient placés le long des routes) : là sont les os et la poussière légère des rois, des tyrans^ des grands esprits, de ceux qui se mon- traient fiers de leur naissance, de leur richesse, de leur renommée et de leur beauté. Et à tout cela le temps a manqué. Le lieu souterrain est le rendez-vous com- mun des mortels. Vois doiîc , et comprends par là le peu que tu es. » — « Celui qui est aimé des dieux meurt jeune. »
Ces moralités n'étaient pas faites seulement pour nous rendre plus sages, mais pour nous rendre meilleurs. Dans une scène où un pauvre se défend avec défiance des avances d'un riche dont il re- doute les mépris, celui-ci répond : « Il n'y a de riches que les dieux ; à eux seuls conviennent ces mots de fortune et de grandeur; pour nous, pauvres humains, nousportonsen nous un faiblesouffle, commedusel dans un flacon ; et dès que nous l'avons perdu , le mendiant et le richard sont taxés au même taux sur les bords de l'Achéron ; ce sont deux morts. » Voici encore un
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]i,Tuvre à qui on demande : Comment celava-t-il? Et comme il répond : Très-mal du côté delà fortune. — « Ah ! dit le sage vieillard qui lui parle, si ton àme est en bon état, tu as tout ce qu'il faut pour vivre heu- reux. » Et ailleurs : « Que manque-t-U à celui-ci de tout ce qui s'appelle bien parmi les hommes ? Il est heureux dans ses parents, dans sa patrie; il a de la nais- sance, des amis, des proches, de la fortune. Mais toutes ces choses ne valent que ce que vaut l'àme qui les possède. Ce sont des biens pour qui sait en profiter ; pour qui en use mal, ce sont des maux. »
La morale des Comiques est quelquefois bien délicate, comme dans cette leçon d'un père à son fils : « L'homme vraiment honnête est celui qui ne se trouve jamais assez honnête et assez vertueux ; celui qui est trop satisfait de soi n'est ni honnête ni vertueux. Par-dessus une bonne action il en faut mettre une autre, comme on met tuile sur tuile pour que la pluie n'entre pas. Être mécontent de soi-même est le vrai signe de la vertu. » Passage qui prouve en outre que les anciens n'ignoraient pas comme on l'a dit l'humilité et ses mérites. La comédie ne recule pas devant l'expression des plus hauts senti- ments. Un esclave et son maître, faits prisonniers en- semble, sont compagnons de captivité. Le premier se dévoue pour sauver l'autre, et il y réussit en risquant sa vie. Menacé en effet de la mort et des supplices, il fait une réponse qui est d'abord d'un homme de cœur, mais qui est aussi d'un philosophe : « Après la mort, il n'y a plus pour moi aucun mal à redouter dans la mort
IS LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
même'. Quandje resterais en vie jusqu'à l'extrême vieil- lesse, ce que tu peux me faire souffrir ne sera jamais bien long. » Et plus haut : « Périr pour la vertu, ce n'est pas mourir. » 11 est vrai que l'esclave généreux qui parle ainsi se trouvera à la fin de la pièce être né libre; mais ce dénoùment, accepté sans doute par les specta- teurs comme une juste récompense, n'ôtait rien à l'effet de cette situation et de cette vertu.
Je veux rappeler encore la pièce célèbre de Ménandre que nous connaissons par Térence, ce père qui se châlie lui-même pour avoir été dur envers son fils. Il est sans doute dans une situation toute particulière, et pré- sente une exception plutôt qu'un exemple; cependant ces scrupules, ce besoin de souffrir pour expier, et ce goût de pénitence, ne tiennent pas uniquement à la ten- dresse paternelle, mais montrent que la conscience de- venait de jour en jour plus sensible et avait plus de peine à porter le poids d'une mauvaise action.
Comme la philosophie, la comédie proclamait l'égalité des hommes : « Esclave au non, il est fait de la même chair. » — « Qui est né pour le bien est bien né, ma mère, fùt-il un nègre. C'est un Scythe, c'est un misé- rable! Est-ce qu'Anarcharsis n'était pas un Scythe? » Paul dira plus fortement, dans la Lettre à ceux de Ga- latie : « Il n'y a plus à distinguer parmi vous le Juif ni le Grec, l'esclave ni le libre, l'homme ni la femme : vous ne faites tous qu'un dans le Christ Jésus. » Et la
1. C'est le vers célèbre de Sénèquo :
Pusl morlcm nihil est ipsaquc 7nors «mu.
D'ALEXANDRE AUX ROMAINS. 19
Lettre à ceux de Colosses rappellera encore mieux les formules grecques : « Plus de Grec ni do Juif, de cir- concis ni d'incirconcis, de Barbare^ de Scythe^ d'es- clave ou de libre; mais le Christ tout en tous. » La comédie étale la misère de l'esclave de manière à le faire plaindre ; et en même temps elle ne craint pas de dire que, si l'esclave est mauvais, c'est précisément parce qu'il est esclave : « Accorde-lui un peu de liberté, et il sera excellent tout de suite. » Elle donne, sur la charité, et le précepte et l'exemple : « Tu vois un pau- vre nu et tu l'habilles; mais situ le lui reproches, c'est comme si tu le déshabillais. » Ailleurs, on voyait .sur le théâtre deux jeunes filles qui ont fait naufrage ; elles ont réussi à gagner le bord; elles demandent asile à la prê- tresse d'une pauvre chapelle de Vénus en se jetant à ses pieds. — « Donnez-moi la main, dit-elle ; relevez- vous ; il n'y a pas de femme plus compatissante que moi; mais vous ne trouverez ici que pauvreté, jeunes filles; j'ai peine à vivre moi-même ; Vénus, que je sers, me nourrit à peine. Cependant je ferai tout ce que je pourrai faire. » Et un peu plus loin, voici comme par- lent ces femmes restées seules : « Je n'ai jamais vu une vieille qui mérite mieux d'être bien traitée des dieux et des hommes. Quelle obligeance ! quelle bonne grâce! quel accueil honnête et facile? En nous voyant tremblantes , dénuées, mouillées, jetées sur la côte à demi mortes, comme elle nous a reçues! Il semblait que nous fussions ses filles. » Dans une aventure moderne, un curé de campagne ne feraitpas mieux; et peut-être qu'une prêtresse figure plus heureusement
i:o LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
ici, pour recevoir ces jeunes filles, que ne ferait la gou- vernante d'un curé.
Le fameux vers de Térence, que le théâtre de Rome saluait d'un unanime applaudissement : « Je suis homme , aucun intérêt humain ne saurait m'cire étranger », venait sans doute de Ménandre comme la pièce même où il se trouve. Quoiqu'il semble qu'un tel mot ait toujours pu sortir des entrailles de notre nature sans qu'une philosophie l'ait accouchée, comme disait Socrate, ce vers n'en marque pas moins le moment où l'humanité a acquis en philosophant une conscience plus nette d'elle-même. On lit de même ailleurs ; « Je suis un homme aussi hien que toi », et encore : « Je suis un homme, tu es un homme ; Jupiter me gardede l'outrager ! »
Enfin la comédie parle aussi religion. Elle fait d'abord à la superstition une guerre incessante, d'accord avec la philosophie. Une pièce de Ménandre s'appelait le Superslilieux ; mais ce travers de l'esprit humain re- venait souvent dans ses peintures. Voici un passage ou parait pour la première fois le lieu commun repris par Montaigne, et d'après lui par Boileau, qui oppose la bête à l'homme comme plus heureuse et plus sage ; et on voit que ce i)aradoxe se fonde avant tout sur le mi- sérable spectacle des superstitions humaines. « L'âne est un pauvre animal, mais ce n'est pas lui qui se fait du mal à lui-même; il n'a à souffrir que ce que lui fait souffrir la nature. Mais nous autres!., nous sommes consternés si on éternue ; pour un mot de mauvais augure, nous nous emportons ; pour un songe, nous
D'ALEXANDRE AUX ROMAINS. 21
voilà saisis d'épouvante; pour un liibou qui crie, nous tremblons. » Ailleurs, dans une pièce intitulée la Pré- tresse^ on voyait une femme qui s'était adonnée aux superstitions de Phrygie et s'était faite prêtresse de la Mère des dieux; quelqu'un lui disait: « Un dieu, femme, ne guérit pas un homme par le ministère d'un autre homme : si un homme, avec ses cymbales, peut faire d'un dieu ce qu'il lui plaît, celui qui a U7i tel pou- voir est plus grand que le dieu. Ce sont là, Rhodé, des expédients et des ressources inventées par des impu- dents qui se moquent du genre humain. » Un Père de l'Église, Justin, s'armait contre le paganisme de ces belles et fortes paroles, sans penser qu'elles porteraient aussi bien témoignage un jour contre d'autres super- stitions.
Le vers que j'ai souligné a un accent religieux, et il est vrai que la comédie a des maximes vraiment reli- gieuses, mais d'une religion épurée, et ce qu'il serait permis d'appeler des traits de piété : « Les dieux, sans doute, agréent un culte simple et qui coûte peu. La preuve en est que, lors même qu'on sacrifie des héca- tombes, après toutes les victimes, et pour finir, on leur offre encore de l'encens. C'est-à-dire que tout ce qui se paye si cher ne serait en soi-même qu'une dépense stérile, et c'est cet encens, qui est si peu de chose, qui plait aux dieux. » — « Il faut croire en Dieu et l'adorer sans le discuter. » — Il est impie de vouloir comprendre celui qui ne veut pas être compris. » — « H y a un Dieu, qui voit et entend ce que nous faisons : il agira avec toi selon que tu auras agi envers nous. y> — Des di-
22 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
vinités, préposées ici-bas à ce ministère par le Dieu su- prême, observent les actions des hommes, et prennent note de ce qu'ils font de bien et de mal. Les méchants se trompent quand ils croient conjurer la justice divine par des offrandes et des victimes ; ils perdent leur ar- gent et leur peine, car la 'prière des mcclianls n'est pas agréée là-haut. Que ceux donc qui vivent en hon- nêtes gens persévèrent, car ils s'en trouveront bien plus tard. — Chacun de nous a un génie qui lui est attaché dès sa naissance et qui le conduit dans la vie, comme le mystagofjiie conduit par la main l'initié. Disons, un bon génie, car il ne faut pas croire qu'il puisse en exister de mauvais. — H y a une scène où, comme un père dit à son fils, qui va se marier, d'aller prier les dieux pour qu'ils bénissent ce mariage : « Va, mon père, dit le fils, loi, va prier les dieux ; car comme tu vaux bien mieux que moi, je suis sur qu'ils t'écouteront plus volontiers. » Un des préjugés les plus accrédités aujourd'hui en- core est que si, chez les Grecs, on adorait et on craignait les dieux, on n'imaginait pas de les aimer, et que ce sentiment aurait paru trop familier à leur égard. Quand on rencontrait en propres termes Va7nour de Dieu dans Sénèque, on s'écriait qu'il avait pris cela aux Chrétiens. Un demi-vers de Piaule, pris sans doute d'un original grec, suffisait pour prévenir l'erreur. Un esclave qui voit les transports amoureux de son jeune maître pour anc courtisane s'en scandalise, parce que cet amour est encore platonique, «c Qu'est-ce que c'est que d'aimer une femme que tu n'as pas touchée? » — Et le jeune homme répond : « Et les dieux ! je les aime et je les
D'ALEXANUIiE AUX IlOMAlNS. 23
'Croins, et je ne les touche pas. » Plus ce passage est profane et plus la chose est dite en passant et avec in- diiïérence, plus aussi nous sommes assurés que l'a- mour des dieux, loin d'être un sentiment inconnu, n'é- tait pas même un sentiment rare, et qu'il n'y faut pas voir l'élan extraordinaire de quelque àme mystique, mais une sorte de banalité et de lieu commun en reli- gion. Et ainsi c'est un trait de comédie qui se trouve décider pour nous cette question de théologie antique. ^ Notre comédie classique française, qui a emprunté bien des choses à la comédie grecque et latine, ne lui arien pris de ces prédications. Tandis que celle-là était sacrée et donnait ses spectacles dans un temple, la nôtre, née et grandie parmi les anathèmes de l'Église, n'avait pas envie d'être dévote, et même elle ne l'aurait pas -osé, car on aurait dit qu'elle profanait la sainteté de la religion. Au lieu que, sur le théâtre antique, on voit si souvent des personnages parler de prières, de sacrifi- ces et de toute espèce de dévotions, notre comédie ne se permettait pas de parler des choses religieuses. Même dans le Don Juan de Molière, qui est en tout genre une pièce à part, le poète a reculé devant les termes sacrés. Là ou l'original espagnol faisait dire à la statue : On n'a pas besoin de lumière quand on est en étal de grâce^ il a dit seulement, quand on est conduit par le cieL Mais outre que cette comédie-là ne touche pas à la religion, elle s'abstient encore des moralités édi- fiantes qui ressemblent à ce qui se prêche. Il n'y a
1. Du reste il est dil dans ]a Rhétorique d'Aiislote que les puissants sont volontiers dévots et aimant les dieux.
24 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
qu'une morale chez les anciens; chez nos pères il y en avait deux, la morale mondaine et la morale religieuse; et l'une ne devait pas empiéter sur l'autre. D'où cette singularité, que la comédie de Ménandre et de Philé- mon, ou de Plante et de Térence, est plus chrétienne quelquefois , en pleines mœurs païennes, que celle du siècle de Louis XIV.
On ne profitait pas toujours de la morale du (li<'à- tre : « J'ai vu souvent, dit un personnage, les Comiques débiter de ccsbellesmoralitésauxquelles on applaudit...; mais quand on s'en est retourné chacun chez soi, per- sonne ne se conduit suivant ces leçons et ces exemples. » Mais en cela même la comédie n'était pas dans une con- dition pire que le sermon.
Il est vrai qu'à côté de ces moralités elle a aussi dos scènes et des discours tout contraires ; telle est la vie humaine qu'elle représente. D'ailleurs la nécessité d'a- mener le rire, et la tradition de certaines gaietés, font que les hommes s'y peignent quelquefois pires qu'ils ne sont. Ainsi elle abonde en sarcasmes contre le mariage; mais sur le môme théâtre Athènes entendait aussi ces vers: « Femmes, femmes! rien au monde, ni l'or, ni la royauté, ni toutes les jouissances de la fortune ne sauraient donner ce bonheur suprême qu'un homme de bien goûte auprès d'une femme vertueuse, uni avec elle par la fidélité au devoir. » De même, des licences telles que celles de la comédie de VEunuque n'empê- chaient pas qu'on ne comprit le respect dû à la virgi- nité, et la sainteté du lien nuptial ; et en voici un exemple qui me frappe. D ms le poëmc d'Apollonios,
D'ALEXANDRE AUX ROBIAINS. r,
après que Jason a enlevé Médée, il s'abstient de la pos- séder ; et il était résolu de l'amener vierge, à travers les épreuves d'une navigation longue et périlleuse, jusque dans la maison de son père, si un événement n'avait précipité cette union. Une telle délicatesse n'est pas des temps héroïques, et c'est un véritable anachro- nisme de la part du poëte alexandrin, mais qui té- moigne de ce que les mœurs de son temps exigeaient d'un prince bien élevé et de sa princesse.
Le mouvement philosophique fut accompagné pen- dant cette période d'un mouvement scientifique consi- dérable, mais qui n'a pas tenu pour la Grèce tout ce qu'il promettait. Là encore, l'esprit grec vivait sur les forces que lui avait faites la liberté ; mais il rencontra l'obstacle des servitudes religieuses, devenues plus lour- des par l'effet de la servitude politique. Déjà le Syra- cusain Hicétas, au rapport de Théophraste, avait expliqué que le ciel est immobile, et que la terre seule, tournant sur son axe avec une extrême rapidité, pro- duit le mouvement apparent du ciel. Aristarque de Samos reprit la même thèse, et il enseignait aussi le mouvement de la terre sur son orbite ; mais l'imagi- nation religieuse deCléanthe futblessée de cette hardiesse et la condamna. Sur ce point et sur plusieurs autres, la vérité fut dite ; mais elle ne put prévaloir et deve- nir populaire ; elle n'entra pas dans le trésor des con- naissances de tous. On sait quelles énormes ignorances se perpétuèrent dans l'école d'Épicure ; elles Stoïques, en revanche, maintinrent obstinément la sphère uni- que d'Ariotote. En général, la science demeura toujours
26 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
chez les anciens une curiosilé réservée à quelques es- prits, an lieu de se répandre et d'éclairer le grand nom- bre.
Le zèle passionné el exclusif de la morale était chez les philosophes comme un autre préjugé religieux, qui ne fut pas moins contraire à la Science. Elle fut culti- vée cependant par l'école péripatétique : Théophrasle, par exemple, a été un digne disciple d'Aristote. Mais les écoles agissantes, et qui avaient surtout charge d'àmes, la déprécièrent. Tel qui ne repoussait pas les études savantes, les mettait au moins fort au-dessous de sa sagesse et les abandonnait dédaigneusement à des esprits inférieurs ; pareils, disait-on, aux prétendants de Pénélope, qui firent l'amour aux servantes parce qu'ils ne pouvaient avoir la maîtresse. Je crois qu'au fond, et sans le savoir eux-mêmes, les philosophes ne méprisaient pas tant la science qu'ils ne la crai- gnaient, comme favorisant l'esprit de recherche et de doute. Ils faisaient comme firent plus tard les dévots.
La Critique cependant, qui se produisit aussi alors, étant plus accessible que la science du monde extérieur, eut, par cela môme, une action plus générale. La reli- gion ne put se soustraire entièrement à ses atteintes, ni l'empêcher d'éclairer ses origines. On les trouvait d'une part dans les mythes par lesquels l'imagination des anciens avait exprimé les divers aspects de la na- ture ; et c'est bien là, en effet, la haute et large source du polythéisme. On les cherchait aussi, et on les trou- vait quelquefois dans l'histoire, dans des souvenirs d'hommes et d'événements réels transformés en lê^t'u-
D'ALEXANDRE AUX ROMAINS. 27
•des sacrées ; explication qui n'est vraie que pour quel- ques traditions secondaires, et qui n'atteint pas au fond et à l'essence même des religions. L'interprétation éle- vée des croyances populaires parla ])hysique mythique fut, comme je l'ai dit, celle de la Stoa. L'autre, plus terre à terre, convenait au bon sens assez grossier de beaucoup des disciples d'Épicurc. C'est celle qui fut dé- veloppée par Évémère de Messine, dans un livre dont la popularité fut immense, mais qui ne s'est pas con- servé. Les dieux n'étaient, d'après lui, que des grands hommes ou des rois divinisés : tout le monde enten- dait cela sans peine, et les apothéoses d'Alexandre et de ses lieutenants rendaient la chose pour ainsi dire sensible à tous. L'esprit d'Évémère domina dans la foule des indifférents et des indévots, et contribua à faire le vide dans la parde de l'àme où logeait la foi religieuse. Cependant, en critique non plus qu'en philosophie, nulle -école n'osa aller jusqu'au bout; et, soit qu'on vît dans Zeus et les autres dieux des symboles ou des hommes, on n'en continuait pas moins d'adorer et de sacrifier dans les temples. Mais le Christianisme profita de tout cela contre le polythéisme, et s'en servit pour faire table rase. Évémère a fourni aux Pères de l'Église des arguments.
Pendant cette période de l'histoire où la philosophie €st si riche et si puissante, l'Orient achevait de s'ouvrir aux Grecs. Quand des conquêtes merveilleuses eurent reculé tout à coup dans tous les sens les bornes du monde hellénique, on connut un nouveau monde qu'on n'avait fait qu'entrevoir, et particulièrement de nouvelles reli-
28 LE CIirUSTIANISiME ET SES ORIGINES.
gions ; non plus seulement celles de l'Asie grecque, mais celle de la haute Asie. En Perse, on interrogea la religion des Mages. Théopompe, l'historien de Philippe, parlait dans son livre des deux dieux du bien et du mal (Oromaze et Arimane) qui se disputent la nature. Il expliquait com- ment ils doivent dominer chacun à son tour pendant trois mille ans; pendant trois autres mille ans, ils se livreront combat et détruiront l'œuvre l'un de l'autre. A la fin, il n'y aura plus de mortel les hommes seront heureux \ ils ne mangeront plus et n'auront plus d'ombre. Voilà la première fois, ce semble, que ces idées s'introdui- sent dans le monde grec, où elles devaient faire une si grande fortune aux temps chrétiens. Bien avant Alexan- dre, on savait déjà que les Perses n'avaient ni statues ni temples et n'adoraientpas de dieux à forme humaine ; on dut être alors plus frappé encore de cette espèce de protestation contre l'idolâtrie hellénique : <r Ils ne con- naissent, disait Dino, un autre historien de cette épo- que, d'autre manifestation des dieux que le feu et l'eau.» En même temps, l'Assyrie se révélait aussi aux Grecs: elle leur apportait de nouveaux élonnements après ceux que leur avait donnés l'Egypte, et les étonnements pou- vaient amener les réflexions.
S'il était certain qu'à cette même époque, sous An- tioclws Soter et Ptolémée Philadelphe, un prêtre de Babylone d'une part, de l'autre un prêtre d'iléliopolis en Egypte, BéroseetManéthon, eussent livréaux Grecs, dans des livres écrits en grec (et absolument perdus au- jourd'hui), toutes leurs traditions et leurs origines sa- crées, ce serait un grand événement dans l'histoire des
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idées religieuses. Mais, quoique la chose semble uni- versellement admise, je ne puis y croire. Je vois d'a- bord que ni 3Ianéthon, ni Bérose en tant qu'historien (je mets à part le livre d'astronomie ou d'astrologie qui portait ce nom), ne sont cites par aucun écrivain anté- rieur à Joseph ; et je ne puis comprendre que Diodore surtout, qui est un Grec, quia fait une Histoire univer- selle, et qui y parle longuement des antiquités de l'Egypte et de l'Assyrie, n'ait pas nommé une seule fois des maîtres d'une telle autorité. Je m'étonne que de pareilles révélations aient eu si peu de retentisse- ment. J'aimerais donc mieux croire que ces livres étaient des œuvres grecques, composées peut-être vers le temps d'Auguste ou de Néron avec des documents empruntés à Babylone et à l'Egypte, et attribuées, pour les recommander davantage, à des prêtres du pays, et à des prêtres contemporains du règne brillant du premier des Ptolémées *.
1. Quelque accréditée que soit la tradition d'après laquelle l'Égyp- tien Manélhon avait écrit, au temps de Ptolémée Philadelphe, sur les antiquités de l'Egypte, et le Chaldéen Bérose, précisément dans le même temps, sur celles de l'Assyrie; il faut bien reconnaître qu'il n'y a aucune raison suffisante de se fier à cette tradition. Rien n'em- pêche de croire, si on veut, qu'il ait existé, au temps de Philadelphe, un prêtre du nom de Manélhon, comme le dit le livre sur Isis et Osi- ris; mais ce n'est pas ce dont il s'agit: il s'agit des livres qu'on attri- buait à Manéthon ei à Bérose. Or, ces livres ne sont cités ni allégués, je le répèle, par aucun écrivain antérieur à Joseph; c'est-à-dire qu'il n'en est question qu'à une époque où les livres apocryphes se répan- daient de tous côtés. 11 est vrai quon nous dit que ces livres étaient cités dans des écrits aujourd'hui perdus, composés par des écriv'aiiis contemporains d'Auguste, comme Juba, ou même de Sulla , coinmo Alexandre de Milet, dit le Polygraphe (Polyhistor), ou par des écri- vains plus anciens encore, tels qu'Apoliodore dAtiièiies. Mais to;it indique que ces écrits eux-mêmes étaient également apocryphes. Il
30 LE CllRISTIAMSJIE ET SES ORIGINES.
La création d'Alexandrie, qui devint le siège d'une royauté grecque en Egypte, est un événement con- sidérable. Ce fut un centre nouveau de civilisation et de culture littéraire. C'est là que fut établi ce fameux
suffit de lire ce qu'on nous donne comme extrait des Judaïques d'A- lexandre le Polygrafihepour èlrc certain que l'ouvrago n'avait aucune authenlicilé; ily adoiic tout lieu de croire qu'il en était di' nièmi» do ses Assyiiaques. Ce qu'on nous rapporte comme tiré de la Chronique d'ApoUodore ne s'accorde pas avec l'idée quo Scymnos nous donne de cet ouvrage. i\I. Charles Miiller, qui, dans le premier volume de ses fragmenta hUloricorum (jrœconim, avait essayé de sauvegarder l'au- thenticité de ces extraits d'ApoUodore, y a renoncé dans le second volume, après y avoir regardé dfe plus près. Enfin ces prétendus li- vres, soit d'Apolloilore, soit d'Alexandre le Pol> graphe . soit de Juba (je' parle des Assyriaquex, où on nous dit qu'il suivait Bérosnl , ne sont eux-mêmes cités par personne avant l'époque chrétienne, pas plus que ceux de Dcrose fl de Manéthon. Pour ce qui est de la LetM-e de Manéllion au roi IMoéméc, donnée par le moine George le Syncellos, elle ne féru certainement illusion à personne. Mais rien n'est plus grave, pour qui a quoique critique dans l'esprit, que le silence absolu des auteurs classiques sur deux écrivains tels que ceux que l'on suppose. Voilà un homme né en Egypte, un autre né à Diby- lone, et tous deux prêtres, possédant toutes les traditions de leur pays, qui tout à coup ré\èlcnlau\ Grecs, en langue grecque, tout l'O- rient antique; et on veut que Cicéron et Varron, si curieux, les aient absolument ignorés, deux cents ans après 1 El si on considère qu'A- lexandre ic l^i'lygraphe, qu'on nous représente comme un ahrévia- teur de Bérose, vivait à Rome dans la maison de Lentulus, on com- prendra bien moins encore que Cicéron n'ait jamais entendu parler de ces révélaiions sur l'antique Asie et ne s'en soit jamais occupé. On ne s'explique pas davantage que Diodore ait écrit sur l'Egypte et sur l'Assyrie, dans sa Bibliothèque historique, sans tenir compte, ni de Béioso, ni de .Manéthon.
Quant aux endroits de Yiiruve, de Sénèque et de Pline où se trouve le nom de Bérose , ils ne se rapportent qu'à l'auteur d'un livre sur l'astrologie, lequel avait enseigné à Cos cette science ou cet art des Chaldéens, et il n'est fait dans aucun de ces passages aucune men- tion de l'Histoire de Babylone.
On donne ordinairement Manéthon comme étant de la ville de Se- bennylc;mLis un article du dictionnaire de Suidas le dit de Mondes. Or, il y a. un Plolémée de Mendès, sou\cnt cité, qui avait écrii trois livres A'Èijyi.liaques. Il semble que les deux personnages ont été confondus; et on pourrait tirer do là cette conjecture, que Pioléméo do Mendès était le véritable auteur dos livres altrilmés a Manéthon. L'époque où il a vécu est inconnue.
D'ALEXANDRE AUX ROMAINS. 31
Muséon, es[>èce de Collège Royal de l'antiquité. Ce- pendant les poètes illustres d'Alexandrie, Callimaque, Théocrite, Apollonius, ne paraissent pas s'être beau- coup intéressés à l'Egypte, qui les entourait; car elle n'a laissé dans les vers qui nous restent d'eux presque aucune trace. Mais la curiosité ne pouvait manquer de s'éveiller. Des Grecs établis à Thèbcs écrivirent, sans doute d'après les communications des prêtres, l'histoire ou la description de ce pays si étonnant. Hécatée d'Ab- dère, par exemple, fit connaître les symboles sacrés du scarabée et de l'épervier et les doctrines cachées sous ces symboles ; il décrivit la nécropole de Thèbes avec les peintures qui la décoraient. D'ailleurs, au-des- sous des régions intellectuelles où se forme la littéra- ture, bien des idées durent s'inûltrer dans bien des esprits, par un commerce de tous les jours avec les religions de l'Egypte. Les dieux grecs, en s'approchant des vieilles divinités égyptiennes, participèrent à la majesté redoutable dont elles étaient revêtues, et qui ne permettait pas qu'on le prît légèrement avec elles. On lit dans une Inscription grecque du milieu du se- cond siècle avant notre ère : « Chnubis, qui est aussi Ammon ; Satis, qui est aussi Héra ; Anucis, qui est aussi Hestia ; Petempamentès, qui est aussi Dionysos ; Peten- siiis, qui est aussi Cronos ; Petensenès, qui est aussi Hermès, d Ces noms égyptiens, contemporains du monde pour ainsi dire, et qui ne se lisaient que dans des hiéroglyphes solennels, relevaient les créations moins sévères de l'imagination des poètes grecs. Les âmes pieuses durent prendre de bonne heure en Egypte des
32 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
habitudes nouvelles de vénération et de soumission. Il semble que dans les Hymnes de Callimaque les dieux i^recs eux-mêmes sont devenus plus sésères et plus augustes. La royauté aussi fut plus majestueuse dans la personne de ces rois, associés dans les Inscriptions aux plus grands dieux du pays, héritiers de dynasties sacrées qui se perdaient dans la nuit des temps, et qui avaient laissé sur le sol des monuments indestructibles. L'apothéose en Egypte fut plus imposante que dans la Grèce. Callimaque s'écrie quelque part: « Il est dange- reux de lutter contre les dieux. Celui qui s'élève con- tre les dieux, qu'il s'élève contre mon roi. Celui qui s'élève contre mon roi, qu'il s'élève contre Apollon, » C'est déjà la religion monarchique du temps des Césars ou du temps de Louis XIV. Une suite d'écritures sur papyrus qu'un hasard nous a conservées, et qui sont <lu miheu du second siècle avant notre ère, nous fait pénétrer dans l'intérieur sacré du Sérapéon ou Sara- péon de Memphis. Un Macédonien, aux affaires de qui se rapportent toutes ces écritures, y vivait enfermé, comme s'il eût été Égyptien de naissancq, en qualité de servant du dieuSarapis. C'est un reclus, et cette espèce de réclusion, sur laquelle nous avons d'ailleurs d'autres témoignages, est comme une profession sainte. Ces cloîtrés ne sortaient jamais de leur cloître, et ne pou- vaient parler aux profanes (et aux rois mêmes) que par un guichet; ils pratiquaient diverses sortes de mor- tifications. Voilà un des spectacles que l'Egypte offrait aux yeux des Hellènes *. Quand des Grecs entraientainsi jus-
1. II est question dans les mêmes pièces des dépôts des pauvret confiés ao temxtle du dieu.
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qu'au fond du snnctuaire de Memphis, et s'y faisaient les serviteurs et les interprètes des dieux indigènes, comment la population hellénique n'aurait-l-ellepasiaissé pénétrer en elle quelque chose de Tcsprit de cette religion si véné- rée? Ceux que ne défendait pas l'incrédulité d'Épicurc durent se familiariser de plus en plus avec les secrets de la mortelles espérances ou les terreurs d'une autre vie. Au-dessus du culte des bêtes sacrées, qui révoltait les critiques, mais qui avait pour l'imagination l'attrait du mystère; au-dessus d'une mythologie à la fois sombre ci bizarre, les écritures saintes conservaient la tradi- tion d'une religion de la nature, éternelle, une et im- mense, laquelle s'accordait merveilleusement avec les idées que la philosophie répandait alors de plus en plus sur le dieu suprême. Quant au caractère moral de ces croyances, elles ne respiraient pas seulement l'austérité, mais la charité, deux choses qui s'associent admira- blement l'une à l'autre. Le fameux Livre des Morts fait parler ainsi le mort qui demande son salut aux dieux des enfers : « Je me suis attaché Dieu par mon amour ; j'ai donné du pain à celui qui avait faim, de l'eau à celui qui avait soif, des vêlements à celui qui était nu ; j'ai donné un lieu d'asile à l'abandonné. » Pouvons-nous douter que tout cela n'eût son action sur les âmes mêmes qui avaient le moins conscience de ces influences ^ ?
Les promenades triomphantes des Grecs à travers l'Asie les conduisirent jusque dans l'Inde. Elle leur
1. J'ai pris le passage cité dans la Notice sur le musée de Boulaq de M. Mariette.
34 LE CURISTIAKISME ET SES ORIGINES.
était toute nouvelle: Ctésias, un siècle auparavant, n'en avait parlé, pendant son séjour en Perse, que par ouï- dire. Mais Aristobule, Néarque, Onésierite y suivirent Alexandre; un peu plus tard, Mégasthène fut envoyé par Séleucos en ambassade vers un roi indien qu'il ap- pelle Sandracottos. Après lui, Daïmaque alla de même chez le fils de Sandracottos, AUitrochadès. En péné- trant dans rinde, les Grecs ne paraissent pas y avoir reconnu les sources de leur religion et de leur poésie primitive ; mais ils furent frappés du moins d'y retrou- ver les origines du culte plus récent de leur Dionysos ou Bacchos. Ils reconnurent les bacchants, leurs peaux de panthères, leurs tambours et leurs cymbales; ils al- lèrent jusqu'à remarquer que Mérou, la montagne sa- crée, par la ressemblance de son nom avec le mot grec Méros^ qui signifie cuisse, avait donné Heu à la fable qui faisait naître Bacchos de la cuisse de Zeus. Des observations semblables auraient pu les conduire bien avant dans les voies de la critique, particulièrement en ce qui touche l'histoire religieuse; mais la critique, comme toutes les autres puissances de l'esprit, n'a fait que diminuer à partir de cette époque, dans l'affaiblis- sement général qui suivit la triste grandeur d'Alexandre. La constitution du brahmanisme frappa vivement les Grecs ; ils signalèrent dans leurs relations l'existence des castes; ils firent connaître surtout la vie des Brahmes eux-mêmes, qu'ils représentent comme une famille de sophistes ou de sages. Ils décrivent leur long noviciat, leurs abstinences, leurs austérités de toute espèce, la sévère discipline à laquelle ils soumettent leurs élèves;
D'ALEXAx\DRE AUX ROMALNS. 35
1!s les montrent prêchant que cette vie n'est qu'un temps de gestation, et que la mort est l'accouchement par lequel on entre dans une vie heureuse. Les Brah- mes croyaient à l'immortalité, et imaginaient l'autre monde à peu près comme l'avait imaginé Platon, avec des jugements, des récompenses et d€s peines. Ils ado- raient un dieu suprême qui était le dieu de la Pluie; ils adoraient aussi le Gange. Mégasthène distingue d'avec les Brachmanes ceux qu'il appelle Garmanes * : ceux-là demeurent dans les montagnes, entièrement solitaires, se nourrissant d'herbes et de fruits sauvages; le roi les envoie consulter ; ils n'ont rien à eux, ils vont quêtant et demandant l'hospitalité; on les accueille partout et on leur donne du riz et du pain; on répand l'huile de sésame sur leur tête. Ils s'exercent à tous les genres d'épreuves; ils demeurent immobiles dans la même atti- tude pendant une journée entière. L'un reste couché sur le dos sous un soleil torride ou bien sous une lourde pluie; un autre demeure debout sur un pied, portant dans les mains une poutre, et sans autre repos pendant tout un jour que de changer de pied.
Onésicrite avait été envoyé par Alexandre auprès d'une espèce de collège de ces sages de l'Inde. Ils lui avaient expliqué leurs doctrines dans une conférence, autant du moins qu'ils pouvaient le faire, disaient-ils, par des interprètes incapables de comprendre d'aussi hautes pensées. « C'était une eau pure recueillie à tra- vers de la fange. » Il y avait eu aux temps antiques un
1. Du mot sanscrit chramana^ disent les Indianistes.
36 LC CUUiSTIAiMSMIi ET SES ORIGINES.
ii"-c de féliciic univcrï^elle; mais les hommes s'éUir.t corrompus, le dieu suprême les avait condamnés à la peine. Aujourd'hui, disaient-ils, il n'y a plus qu'in- solence et injustice, et le présent annonce assez que ce monde est près de disparaître. Ils faisaient également fi eu plaisir et de la douleur. Ils demandèrent si les Grecs avaient aussi une sagesse; Onésicrite leur nomma Py- thagore, qui défendait comme eux de manger la chair des animaux, puis Socrale et enfin Diogène, dont lui- même avait icçu des leçons; et ils trouvèrent qu'il no manquait à ces philosophes que de vivre comme eux selon la pure nature.
On racontait qu'un de ces Brahmanes, qu'on nomme Mandanès, comme on le pressait de se rendre auprès d'Alexandre, fils du dieu suprême, et qu'on cherchait à le déterminer, soit en lui faisant espérer de beaux pré- sents, soit en le menaçant de la colère du maître, ré- pondit que celui qui ne commandait qu'à une si petite portion de la terre ne pouvait être le fils du dieu du ciel; qu'il ne se souciait pas de ses présents, la terre de l'Inde suffisant à le nourrir, et encore moins de ses menaces, puisque la mort lui ferait échanger un corps délabré par la vieillesse contre une vie plus heureuse et plus pure. Peut-être qu'on a imaginé ces somma- tions et cette réponse, et que quelque Grec mécon- tent a prêté aux sages de l'Inde les libertés secrèUs de ses pensées. Mais il est certain que ceux-ci mani- festaient de toutes les manières le mépris de la mo:t; ils trouvaient humiliant de mourir de maladie, c(, pour échapper à cette humiliation, plusieurs se tunimi,
D'ALKXANDm: AUX ROMAINS. o7
soit en se jetant sur une arme, ou en se précipi- tant, ou par la corde, ou par le feu. L'un d'eux, que les Grecs appellent Calanos, donna un spectacle dont l'impression fut profonde. Il sortit volontairement de la vie en se faisant brûler vif, à soixante-treize ans, en présence de l'armée d'Alexandre.
Les historiens grecs n'ont pas manqué de consigner que les femmes aussi se brûlaient vives sur le bûcher de leurs maris, qu'elles le faisaient de bon cœur, et que celles qui n'avaient pas ce courage étaient déshono- rées. Quand on se souvient que près de deux siècles auparavant, en Sicile, le GrecGélon, en traitant avec les Carthaginois, avait stipulé qu'ils n'immoleraient plus à leurs dieux des victimes humaines, on voudrait trouver un traité semblable dans l'histoire d'Alexandre ou dni;s celle de Séleucos.
Il est certain que les Grecs connurent plus tard !o bouddhisme : le nom de Bouddha est dans Clément d'Alexandrie. On se demande s'ils ne l'ont pas connu déjà à l'époque même d'Alexandre, époque postérieure de deux cent cinquante ans à celle où on place la mort du Bouddha Chakiamouni; et si cette distinction qu'ils ont faite des Brachmanes et des Garmanes n'est pas an "ond celle des Brahmes et des solitaires bouddhistes. Je laisse à d'autres à décider la question.
Les Grecs n'ont pas connu la littérature de l'Inde. Mégasthène a même dit que ces peuples ne connaissaient pas l'écriture et que leurs traditions ne se transmettaient que par la mémoire. Cette erreur vient sans doute de ce que les livres sacrés étaient tenus cachés par les
38 LE CHRISTIANISME ET SES OIUGLNES.
Brahmcs, et qu'ils en dérobaient le iiijstère auxétian- gers. Mais, après tant de siècles, les écritures de l'Inde sont enfin arrivées à la connaissance de l'Occident; nous lisons aujourd'hui, outre les Yédas, témoins d'une anti- quité bien plus reculée, toute une littérature brahma- nique , dont la date demeure indéterminée, mais où nous surprenons encore vivante l'Inde telle que l'ont vue les compagnons d'Alexandre.
Voici le portrait d'un solitaire :
« Ravi en explorant cette belle forêt. Ardjouna se livra à de rudes austérités. Brillant d'une splendeur terrible, couvert d'un vêtement d'herbe, muni du bâton et de la peau de gazelle, il se nourrissait de feuilles sèches tombées à terre. De trois nuits en trois nuits, per.dant un mois, il mangea des fruits ; il passa le se- cond mois en mettant le double d'intervalle ; il passa le troisième mois en ne prenant de la nourriture que tous les quinze jours; et le quatrième mois enfin étant venu, le fils de Pandou aux grands bras avait l'air pour nourriture. Les bras levés en haut, il se tenait sans ap- pui debout sur la pointe du pouce de ses pieds «. » Et ailleurs : « Ascète énergique, il se macéra sur le mont Gaukarna dans une rigide pénitence : se tenant les bras toujours levés en l'air, se dévouant l'été aux ardeurs suffocantes de cinq feux, couchant l'hiver dans l'eau, sans abri dans la saison humide contre les nuées plu- vieuses, n'ayant que des feuilles arrachées pour seule
1. Traduction de M. Foucau^.
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nourriture, il tenait en bride son âme , il serrait le frein à sa concupiscence *. »
Voici les divers âges du monde, depuis la félicite suprême jusqu'aux misères qui annoncent la prochaine destruction :
« L'âge Krita, mon enfant, était celui où régnait la vertu éternelle... Il n'y eut, toute la durée de cette youga, ni maladie ni perte de sens; il n'y avait alors ni malédiction, ni pleurs, ni orgueil, ni aversion, ni guerre, combien moins la paresse! ni haine, ni impro- bité, ni crainte, ni même souci, ni jalousie, ni envie... » Puis vient un second, puis un troisième âge, puis enfin l'âge Kali, qui est le dernier : « Le devoir, la cérémonie, le sacrifice et la conduite suivant les Védas s'éteignent. On voit circuler dans le monde les calamités des temps, les maladies, la paresse, les péchés, la colère et sa suite, les soucis, la crainte et la famine. Ces temps arrivés, la vertu périt de nouveau. La vertu n'étant plus, le monde périt à son tour ; avec le monde expiré meurent encore les puissances divines qui donnent le mouve- ment au monde... Tel est cet âge nommé Kali, qui a commencé il n'y a pas longtemps -. »
Voici les devoirs du novice envers son maître (son gûuruu) :
« Qu'il en reçoive ou non l'ordre de son instituteur, le novice doit s'appliquer avec zèle à l'étude et cherchei à satisfaire son vénérable maîire. Maîtrisant son corps, sa voix, ses organes des sens et son esprit, qu'il se
1. Traduction de M. Fauche.
2. Traduclion de M. Fauche.
40 LE GllUlSTIAMSME ET SES ORIGINES
tienne les mains jointes, les yeux fixés sur son direc- teur. Qu'il ait toujours la main découverte, un main- tien décent, un vêtement convenable; et, lorsqu'il reçoit l'invitation de s'asseoir, qu'il s'asseye en face de son père spirituel. Que sa nourriture, ses habits et sa pa- rure soient toujours très-chétifs en présence de sou directeur ; il doit se lever avant lui et rentrer après lui. Il ne doit répondre aux ordres de son père spirituel ou s'entretenir avec lui, ni étant couché, ni étant assis, ni en mangeant, ni de loin, ni en regardant d'un aulro côté. Qu'il le fasse debout, lorsque son directeur est assis ; en l'abordant, quand il est arrêté ; en allant à sa rencontre, s'il marche; encourant derrière lui, lorsqu'il court ; en allant se placer en face de lui, s'il détourne la tète; en marchant vers lui, lorsqu'il est éloigné; en s'inclinant, s'il est couché ou arrêté près de lui,
CtC 1. ï)
La mort n'est rien, c'est une apparence : « Les sages ne pleurent ni les vivants ni les morts... Ces corps qui finissent procèdent d'une àme éternelle, indestructible, immuable... Celui qui croit qu'elle tue ou qu'on la tue se trompe : elle ne tue pas, elle n'est pas tuée; elle ne naît, elle ne meurt jamais: elle n'est pas née jadis, elle nedoit pas renaître. Sans naissance, sans fin, éternelle, antique... comme l'on quitte des vêtements usés pour en prendre de nouveaux, ainsi l'àme quitte les corjjs usés pour revêtir de nouveaux corps;... inaccessible aux coups et aux brûlures, à l'humidité et à la séche-
1. Traductiou Je A. Loisciciir Deslonchamps.
D'ALEXANDRE AUX ROMAINS. 41
resse, éternelle, répandue en tous lieux, immobile, iné- branlable, invisible, ineffable, immuable, voilà ses at- tributs. Puisque tu la sais telle, ne la pleure donc pas '. »
Tout est donc indifférent : « Voila deux bommcs. Si le premier me casse un bras et que le second m'arrose l'autre bras de santal, je ne penserai pas du bien de celui-ci, du mal de celui-là. Sans amour et sans haine pour la vie ou la mort, je ne ferai jamais rien comme si je voulais vivre ou comme si je voulais mourir. Toutes les choses quelconques pour le bien-être dans la vie, qu'un homme peut faire, n'auront à mes yeux que ia valeur d'un clin d'œil, ou moins -. »
Encore une fois, les Grecs ne lisaient pas ces paroles, mais ils en recueillaient l'impression dans les discours de ces sages de l'Inde ou dans le spectacle de leur vie ; rien de tout cela sans doute ne se perdait absolument, et quelque chose de ces sentiments et de ces idées en- trait, pour ainsi dire, dans la circulation de l'esprit humain. L'action s'en faisait sentir sur certaines âmes, mais quelle était-elle? J'imagine que, chez les uns, la pensée devenait plus haute et plus large ; cette diver- sité des opinions humaines, en les éclairant, achevait de les affranchir. D'autres, au lieu de s'éclairer, s'exal- taient davantage , et préparaient les générations dont l'esprit mystique et ascétique de l'Orient devait faire sa proie.
Mais l'événement peut-être le plus considérable de
1. Traduction de M. Emile Burnouf.
2. Traduction de M. Fauche.
42 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
ces temps dons l'ordre des pensées religieuses, c'est la découverte que les Grecs firent alors des Juifs. Ils les avaient confondus longtemps sous les noms de Phéni- ciens et Syriens de Palestine. Ce n'est qu'après Alexandre qu'ils les virent d'assez près pour les con- naître véritablement. Joseph cite un Dialogue de Clcarque, philosophe péripatélique (mais de quelle date?), où Aristoïc lui-même, en conversant avec ses amis, produit le témoignage d'un Juif demi-Grec et philosophe, avec qui il s'était entretenu. Je crois volontiers ce Dia- logue authentique^ mais je ne le prends que comme une fiction, où Cléarque met dans la bouche du maître, pour les mieux recommander, des nouveautés qui l'in- téressaient lui-même ; rien ne fait croire qu'Aristote ait connu les Juifs. C'est l'Egypte surtout qui les fit con- naître. Sujets mécontents des rois de Perse, ils avaient bien accueilli la royauté macédonienne et en avaient été d'abord bien traités. Ils avaient établi dans la ville d'Alexandrie une colonie considérable. C'est là qu'ils entrèrent en commerce avec les Grecs et qu'ils apprirent leur langue, dans le double intérêt de leurs affaires et de leur foi religieuse. Il y eut désormais une Judée hellénique à Alexandrie. Les Grecs, avant de s'occuper directement des Juifs, les rencontrèrent dans cette his- toire de l'Egypte, où les Juifs eux-mêmes retrouvaient leurs origines. Aussi, tandis que l'historien Hiéronyme deCardie, qui avait été pourtant gouverneur de la Syrie • pour le compte'd'Antigone, n'avait fait encore nulle part aucune mention des Juifs, au contraire Ilécatée d'Abdère racontait dans ses livres sur l'Egypte comment
D'ALEXAxNDHI] AUX ROMAINS. 43
IcsÉgyptiens, à l'occasion d'une épidémie qui ravageait leur pays, en ayant chassé tous les étrangers, il en sortit d'une part des colonies qui peuplèrent la Grèce, et d'autre part une émigration qui, sous la conduite de Mosès, se fixa dans la terre qui fut depuis la Judée et qui était alors déserte. Et vers la fin du III* siècle avant notre ère, Hermippe écrivait dans sa Vie de Pythagorc que celui-ci avait emprunté aux Juifs et aux Thraces une partie de ses docirines. Enfin c'est à Alexandrie, et en ce temps-là, que les Juifs eux-mêmes traduisirent en grec leurs propres livres. On rapporte encore au règne si littéraire de Ptolémée Philadelphe cette traduc- tion, qu'une fable pieuse a fait appeler la version des Soixante-dix ou des Septante. Quoi qu'il en soit, car on n'a là-dessus aucun renseignement précis , c'est par cette traduction seulement que la propagande juive est devenue possible parmi ces Grecs, chez qui elle devait être si féconde.
Mais on se tromperait beaucoup si on s'imaginait que les Grecs lettrés ont lu la Bible dès que la Bible a été traduite en grec. La vérité est au contraire que jusqu'aux temps des Pères de l'Église, il n'y a pas un écrivain profane, Grec ou Latin, qui semble avoir seulement jeté les yeux sur les livres juifs. Cela tenait à la fois aux habitudes des Juifs et à celles des Grecs.
Les Juifs avaient en même temps l'esprit de prosély- tisme et l'esprit de jalousie et d'isolement. Ils croyaient que les livres saints ne devaient pas être exposés aux profanes, et ils les cachaient. Ils ne les faisaient lire qu'à ceux qu'ils avaient déjà gagnés et initiés à leur
44 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
rroyance. La Bible grecque n'était faite que pour les Juifs qui parlaient grec. Quant aux Grecs eux-mêmes, leur esprit si curieux par d'autres côtés no l'était pas assez pour ce qui regardait les Barbares. Plu i arque, venu si longtemps après, et qui a tant écrit sur les Romains, ne s'était pas avisé d'apprendre le latin , dans un temps où le latin avait déjà une si riche lidé- raturc. Si les Grecs dédaignaient ainsi la langue des maîtres du monde, comment se seraient-ils souciés do"; autres? Ils n'apprirent jamais, bien malheureusemcii;, pour nous, ni l'égyptien, ni l'assyrien, ni le perse, ni le punique ; ils pensaient encore bien moins à apprendre l'hébreu. Quand les livres hébreux furent traduiis, il semble qu'ils ne les connurent pas davantage. Sans doute, un désir avide de savoir serait bien venu à bout de percer le mystère dont les Juifs enveloppaient leurs textes sacrés; mais c'est ce désir qui manquait. On reproche quelquefois à l'esprit français d'être ii'op pu- rement littéraire, et si sensible à l'art et au talent qu'il ne s'intéresse pas à la vérité toute sèche et à la critique exacte. L'esprit grec méritait bien autrement ce reproche; et cette disposition naturelle des Grecs était augmentée par leur état de sujétion. Quand on est ré- duit au métier de serviteur et de courtisan, on ne se met pas en peine d'aller au fond des choses ; on craint même d'être trop clairvoyant, trop net, trop précis. On emploie plutôt son temps et son esprit à trouver de:; phrases et des tours qui fassent plaisir à ceux à qui on a affaire. Pour les Grecs donc, comme aussi pour les Latins leurs élèves, ce aai n'était pas finement raisonné
D'ALEXANDRE AUX ROMAIXS. 45
OU heureusement dit était comme n'existant pas ; ils n'a- vaient de goût qu'à ia dialectique et à la rhétorique. 7a en ce genre, où auraient-ils pu trouver quelque cho3u qui entrât en comparaison avec ce qu'ils produisaient eux-mêmes? Ils ne regardaient donc pas du côté des Bar- bares; et la Bible n'aurait jamais été mise en grec s'il avait fallu attendre pour qu'elle le fût que leur curiosilo historique fût éveillée. Cette traduction fut l'œuvre du zèle religieux; elle vint des croyants et ne s'adressa qu'aux croyants. Elle fit qu'il y eut des judaïsants hors de la race israéhte, et qu'il y en eut de plus en plus. Mais pendant bien longtemps encore il ne s'en trouva que dans le vulgaire, et pendant bien longtemps encore les idées et les traditions juives ne montèrent pas jus- qu'à cette couche supérieure des esprits où elles au- raient pu s'épanouir dans des œuvres littéraires.
Avant de quitter cette période de l'histoire, je veux appeler encore une fois l'attention de ceux qui me li- sent sur la considération toujours affligeante, mais bien instructive, des vides immenses qui se rencontrent dans l'étude de l'antiquité. Des cent cinquante ans qui s'é- coulèrent entre la bataille d'Ipsos et la réduction de la Grèce en province romaine, que nous reste-t-il en fait de livres ? Quelques poètes, parmi lesquels Théocrite est le seul original, et le petit livre des Caractères de Théophraste. On a vu pourtant assez, je l'espère, com- bien ce temps a été riche d'idées nouvelles et rempli do ces événements qui sont aussi des révélations ; mais par où ai-je pu le faire voir, sinon par des témoignages et
46 LE' CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
des fragments, et sans pouvoir jamais citer un seul livi'c ? Pas un historien de cette époque ne subsiste. Nous ne savons rien de l'histoire de Philippe, de celle d'Alexandre, de celle des affaires de la Grèce sous ses successeurs, ou de l'Asie, que par les écrivains posté- rieurs qui les ont écrites de seconde ou de troisième main. Nous ne pouvons nous mettre en présence d'un contemporain, et surprendre en lui l'impression toute vive des choses qu'il a vues. Le théâtre, autre témoin, est perdu tout entier comme l'histoire. Quant à la phi- losophie, il s'est passé deux cent cinquante ans entre lu mort d'Aristote et la jeunesse de Cicéron : eh bien ! de ces deux cent cinquante ans de travail philosophique, il ne reste que quelques pages succinctes et sèches des- caté- chismes d'Épicure. Rien des livres où Épicure lui-même développait ses pensées ; rien de ceux des autres philo- sophes. Les plus grands, Théophraste, Zenon, Cléanthe, Chrysippe, Ménippe, Cranter, Dicéarque, Arcésilas, Car- néade, Panétios (j'en nomme dix, et il en faudrait nom- mer cent), ne sont pour nous que des noms. De là des méprises comme celle de madame de Staël, qui écrivait par exemple ; « Le code des devoirs est présenté par Cicéron avec plus d'ensemble, plus de clarté, plus de force que dans aucun autre ouvrage précédent. » Qu'a-t-elle voulu dire? Si eUe remonte jusqu'à Aristote, ses ouvrages n'ont rien d'analogue au livre de Cicéron et ne peuvent même être comparés à celui-ci ; mais le livre de Cicéron était fait d'après des livres grecs, qui ont entièrement disparu et que personne, par consé- quent, ne peut juger. C'est seulement parce que tant
D'ALEXAISDUE AUX ROMAINS. 47
de choses sont perdues, que rechercher les origines des idées chrétiennes est aujourd'hui un travail pour la cri- <,ique. Si tous ces livres subsistaient, on verrait la doc- irine chrétienne se faire en quelque sorte, jour par jour, et personne ne s'aviserait de demander d'où elle jst venue. Je ne veux pas dire que l'avénernent du 'hristianisme n'ait pas eu un caractère soudain, et que le monde n'ait pas alors été surpris ; mais c'est comme il l'a été par la Réforme ou parla Révolution française. Toute révolution naturelle (et il n'y en a pas d'autres) est aussi logiquement préparée dans ses causes que su- bile et surprenante dans ses effets. Nous nous rendons compte très-facilement de ce qui a amené Luther ou la République de 1792; nous nous expliquerions tout aussi aisément l'avènement du Christianisme si les deux siècles qui ont précédé celui qui aboutit à l'ère chré- tienne n'étaient si mal éclairés pour nous.
Je reprends la suite de l'histoire. Comment la Grèce, qui semblait morte sous la Macédoine trois cents ans avant notre ère, eut-elle encore à mourir, cent cin- quante ans après, sous les Romains? C'est qu'à la place des grandes cités abattues, il paraît alors sur la scène des peuples qui jusque-là restaient dans l'ombre, et qui renouvellent le specfacle. La confédération achéenne fait revivre la Grèce et sa liberté ; elle com- munique même aux cités qui restent en dehors quelque chose de la vie qui est en elle. Si elle avait pu rassem- bler dans son sein tous les Hellènes, ils auraient vécu. Mais outre que la Grèce et la Macédoine se tiennent en échec l'une l'autre, le« Grecs mêmes achèvent de s'user
.18 LE CIIRISTIANISMI': ET SES ORIGINES.
et de s'anéantir par leurs divisions. Cependant Rome approchait. Quand moui'urent Épicure et Zenon, les Romains avaient déjà mis le pied sur une terre grecque, la Grèce d'Italie. Maîtres de l'Italie, ils passèrent dans la Sicile, terre grecque encore, où Rome rencontra Car- thage ; ils l'avaient conquise avant la fin de la grande guerre d'Hannibal. Déjà, avantcettc guerre, ils s'étaient montrés aux peuples de la Grèce propre comme ils se montraient partout pour la première fois, sous la figure de protecteurs ; ils les avaient défendus et vengés des Barbares de l'illyrie. Dès ce moment, on sut qu'il fal- lait compter avec eux ; tous les yeux furent attachés, comme dit Polybe, sur le nuage qui se formait du cùlé de l'occident. Quatre ans après la défaite d'Hannibal à Zama, ils battaient le roi de Macédoine à Cynoscépha- les, et déclaraient la Grèce libre. Quarante ans plus tard, la Macédoine et la Grèce étaient réduites en même temps l'une que l'autre en provinces romaines (vers 150 avant noire ère.)
Diodore écrit, plus de cent ans après cette catastro- phe, qu'il ne peut la retracer sans pleurer. Il répète, d'après Polybe, que les Carthaginois, dont la républi- que tomba en même temps que la Grèce, ont été moins malheureux que les Grecs, parce qu'ils périrent avec Carthage, tandis que les Grecs vécurent pour sentir toutes leurs misères et pour regretter la liberté perdue sans retour. Du moins, ils avaient lutté jusqu'au bout : ils eurent encore au dernier moment des patriotes et des braves: et la ligue achéenne a mérité que, le jour où la Grèce devint une province romaine, ^^'ait été sous le nom d'Achaïe.
D'ALEXANDRE AUX ROMAINS. 49
Rien de plus désolant d'ailleurs que le tableau de l'his- toire grecque pendant le siècle qui se termine à cet évé- nement et qui l'amène. Chaque ville est en proie aux révolu'ions. De petites tyrannies poussent de tous côtés, comme autant de rejetons de la tyrannie macédonienne ; petites par le champ où elles s'exercent, mais remplis- sant ce champ étroit de toute espèce d'indignités et d'horreurs. Les cités grecques se tuent les unes aux au- tres leurs derniers soldats et leurs derniers grands hommes. Mantinée est saccagée, et tous ses habitants tués ou vendus : Philopémen boit la ciguë; ce sont des Grecs qui font tout cela. Polybe lui-même, qui sem- blerait devoir être un sage, cède quelquefois aux plus mauvaises passions. Il a par moments la dureté impi- toyable qu'ont volontiers ceux qui se sentent condam- nés à périr, et qui se vengent par le mal qu'ils font de celui qu'ils souffrent. Les Hellènes appellent chacun à leur tour le Macédonien ou le Romain contre leurs frères. La Grèce n'a plus ni armées, ni marine, ni tra- vail, ni argent, car elle n'a plus d'hommes. L'âme s'est retirée. Polybe nous peint la Béotie qui, après un dernier effort, s'abandonne et se couche en quelque sorte pour mourir. Ils ne voulurent plus, dit-il, être de rien ; ils ne pensèrent plus qu'à boire et à manger, jusqu'à ce qu'ils finissent par s'éteindre. Les dettes n'étaient plus payées ; les juges ne siégeaient même plus pour en connaître, et cela dura vingt-cinq ans. Les magistrats distribuaient aux pauvres les revenus pu- blics. Les riches sans enfants, au lieu de laisser leur fortune à leurs parents, la léguaient à tous leurs amis
II. 4
50 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
pour la dépenser entre eux en repas communs. Ceux mêmes qui avaient des enfants détournaient à cet em- ploi une grande partie de leur bien. « Il y avait ainsi quelquefois pour un mois plus de soupers dont les fonds (Paient faits, qu'il n'y avait de jours dans le mois. » Ailleurs, Polybe parle de toute la Grèce qui périt par !a dépopulation. On ne se marie plus, et on n'élève que le moins possible les enfants nés hors du mariiige, de jeur qu'ils ne soient pauvres : les maisons se vident, (.1 après les maisons, les cités.
Polybe paraît s'en prendre de tout le mal à l'esprit de l'école d'Épicure ; et en effet c'es;. cet esprit qu'on reconniiit dans cet éloignemcnt de l'action, dans ces repas d'amis, institués par des morts, dans ces aumô- nes publiques, dans ce goût du célibat. Cependant, dire qu'Épicure et les siens ont perdu la Grèce serait chercher la cause dans l'effet : c'est parce (}uc la Grèce était perdue qu'ils ont senti et pensé ainsi. Mais, si on se reporte à des doctrines plus hautes et plus fières, n'est-on pas déconcerté de voir le peu qu'elles ont pro- duit? Quoi ! ce sont là les générations que ces grandes philosophies ont formées! quoi! après les leçons d'un Socrate, d'un Platon et d'un Zenon, voilà ce qu'ont été les honmies! Il faut nous accoutumer à ces surprises. Plus tard, nous serons forcés de dire aussi : Quoi ? voilà ce que le monde est devenu à la suite des leçons duChiistianisme!
En effet, quels plus tristes temps que ceux des Pères de l'Eglise ! Du moment où le Christianisme commence à compter, tout se précii)iie pai une décadence rapide,
D'ALEXANDRE AUX ROMAINS. 51
ince??an(e, irréparable. C'est de son triomphe que date l'empire byzantin, dont le seul nom représente toute es- pèce d'abjection et de misère, et dont l'hisioire est éga- lement insuporlable par la répugnance qu'inspire le fond et par la barbarie dont la forme même est em- preinte. L'empire byzantin dans l'Orient, l'invasion des Barbares dans l'Occident, ce sont les deux termes où vient aboutir la révolution chrétienne. M. Villemain a dit, en parlant du temps des Basile et des Chrysos- lome, des Jérôme et des Augustin : « Ce siècle de splen- deur théologique fui l'avant-scène de la barbarie : tant il est vrai que la religion, secours divin des âmes, n'est pas un instrument politique qui suffise à tout, et ne peut suppléer, pour les États, ni le travail, ni la liberté, ni la gloire! »
L'enseignement des philosophes, comme plus tard le Christianisme, a été un secours apporté à l'humanité . lalade: ce que celle-ci a souffert témoigne de sa mala- vlie, sans accuser précisément ses médecins. Maïs les médecins eux-mêmes étaient malades. La philosophie, 1 force de désespérer de la vie réelle, en avait fait ([uelquefois trop bon marché; la religion a péché par là bien plus gravement encore. La première, avec ses préoccupations de vertu intérieure et mystique, avait trop souvent affaibli dans l'homme la liberté de la pen- sée et la puissance de l'action : la rehgion les a étouffées.
Mais voici le moment venu où la philosophie entre à Rome, e4 ou elle commence à faire son œuvre dans la grande cité qui va être tout à l'heure la capitale du genre humain : c'est là qu'il faut maintenant la suivre.
CHAPiTKE XI
liPOQUE ROMAINE. — CICKRON.
Le nom de Rome est le centre de l'histoire du Chris- tianisme. Le Christianisme a été d'abord une révolution, puis un empire. La révolution, c'est l'élan des peuples vaincus pour s'affranchir autant qu'ils le pouvaient du joug de Rome, en s'affranchissant de ses dieux. L'em- pire, c'est ce que Rome a gardé de sa domination sur le monde, lorsqu'étant obligée de subir la religion de ses sujets, elle s'y est assuré la première place, et que, cessant de commander par la force, elle a commandé encore par l'esprit. L'Église, qui s'était élevée malgré les Romains et contre eux, est devenue l'Église romaine.
Jusqu'à la destruction de Carihage et la réduction de l'Achaïe en province, il n'y avait encore qu'une cité romaine; l'empire romain n'existait pas. Le voilà fait ; Rome est désormais souveraine de tous les peuples, du moins en perspective ; ceux qui ne sont pas encore soumis attendent leur tour. Maintenant doit-on attribuer à la domination romaine, etavant elle à celle d'Alexandre, l'honneur d'avoir fait l'unité du genre humain en i;ii
ÉPOQUE ROMAINE. - CICRRON. 53
assurant les loisirs de la paix et la communicaiion des esprits? Je veux bien que cette force de vie et cette puissance de réparation, qui, dans la nature ou dans l'humanité, luttent contre le m.il et en font sortir le bien, aient pu tirer quelque protii pour les peuples de leur assujettissement même. Mais comment méconnaître ce que l'esprit grec avait fait tout seul, longtemps avant Alexandre, sans empire, sans chemins, sans légions, à travers les barrières de toute espèce et les guerres sans cesse renaissantes sur tous les poinis de la terre? La Grèce libre avait jeté de tous côtés des colonies, parlés- quelles elle aurait peu à peu conquis le monde ; seule- ment cette conquête pacifique voulait du temps, et il man- qua à la Grèce. Elle ne put pénétrer chez les étrangers que par la mer; il semble, suivant l'expression de Cicé- ron, qu une portion détachée de ses rivages était venue former une bordure aux pays barbares. Les Macédo- niens et surtout les Romains pénétrèrent dans l'intérieur des terres et tracèrent partout des voies. Mais je ne dirai pas pour cela que l'éducation du genre humain ait été une consigne militaire. Est-ce que Rome n'aurait pas subi l'ascendant delà Grèce, quand la Grèce n'aurait pas été écrasée par Rome? Carthage elle-même ne s'en serait-elle pas laissé pénétrer? Si l'immense servitude établie parles Romains a eu quelque action bienfaisante sur la conscience humaine, c'est surtout la même que la servitude macédonienne avait pu avoir déjà : de rendre plus nécessaire aux âmes gênées la liberté inté- rieure, et de leur donner la soif de la justice absente. On sait d'ailleurs combien la conquête fut tristement
54 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
expiée plus tard par l'invasion des Barbares. Mais enfin, dans sa marche rapide et prodigieuse, elle livra plus tôt au christianisme un monde soumis à une seule loi, et prêt, à la surface du moins, pour une communion uni- verselle. Universelle, catholique, c'est le même mot : c'est ce qu'était Rome et c'est ce que fut l'Église.
Il est vrai que Rome méritait, à bien des titres, l'hon- neur de transmettre les leçons de la Grèce à l'Occident. Ces Barbares, comme les Grecs les appelaient, étaient des Italiens, c'est assez dire, véritables cousins des Hel- lènes par leur esprit comme par leur soleil, et supé- rieurs par la résolution et la patience, Rome devait être, il faut l'avouer, même dans l'ordre spirituel, une digne capitale du monde.
La philosophie grecque, en passant à Rome, n'y trouva pas de philosophie romaine; mais la religion grecque y rencontra une religion latine. Je ne m'enfoncerai pas dans l'obscurité des temps oîi se cachent les racines des deux religions aussi bien que des deux langues. Je ne chercherai pas non plus comment Rome a pu tenir tou- jours à la^ Grèce, soit par les Étrusques, soit par les Grecs de l'Italie. Il suffit de savoir que la religion ro- maine ne lit à celle de la Grèce aucun obstacle quand celle-ci se présenta comme ayant droit à la foi et au culte des Latins. La religion indigène était si simple et si nue, que l'autre la recouvrit sans peine et s'étala par-dessus. Les vieilles croyances latines n'avaient produit aucune de ces trois choses parlesquelles se développent les reli- gions : mythologie, art, métaphysique. Rien de plus qu'une foi naïve à quelques dieux très-mal délinis, avec
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des pratiques exactes et minutieuses. Et ces dieux, on avait été plus de 170 années, c'est-à-dire jusqu'aux Tarqiiins, sans se les représenter sous aucune image, il laissèrent les dieux grecs prendre leurs nom=, et mctlre sous ces noms leur figure, leur histoire, leurs inspira- tions. Jupiter ou Jove, Junon, Mars, Mercure, Diane, 5Iinerve, Gérés, Vénus, Vulcain , Neptune, Saturne furent désormais les mêmes que Zeus, Hcra, Arès- Hermès, Artémis, Athéné, Déméter , Aphrodite, Hé- pheste, Posidon, Cronos. Quelques dieux grecs, Bacchos- Apollon, Cybèle furent reçus sans même changer de nom; au contraire, Janus resta J^nus et demeura un dieu tout latin. Et derrière lui continuèrent de vivre une multitude de petits dieux, qui faisaient sans éclat leur tâche de tous les jours, dans la maison ou dans les champs. 11 n'y eut d'hellénique, dans la religion ro- maine, que l'histoire sainte, la poésie et les arts; en un mot, les dehors : au fond, elle resta latine par les pra- tiques pieuses comme par l'esprit intérieur.
Il y a dans l'esprit romain un principe moral d'une grande force, c'est le respect du droit. Droit bien im- parfait sans doute, et quelquefois même droit inique, mais qui n'en est pas moins une règle, toujours pré- sente et souverainement respectée. « Le Romain vit du droit ; là-dessus il ne plaisante pas. Ses historiens ont conservé le souvenir du scandale qui remplit la ville, quand les philosophes... offrirent de prouver qu'il n'existe aucune différence entre le juste et l'injuste, et que le droit est un préjugé, un mot '. »
1. Proudiion, de la Justice dans la RévoluUon et dans V Eglise, 1858, t. II(, p. 74.
56 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Les mœurs aussi, sans être pures, étaient réglées, et elles avaient de la dignité. Rome ne connaissait pas de gynécée, c'est-à-dire qu'elle considérait assez la femme pour l'associer franchement à la vie de l'homme. Malgré les adultères, et ces divorces qui ne valaient pas mieux que des adultères, le ma- riage y était entouré d'un grand respect. La matrone est. un caractère romain; fille comme Virginie, femme comme Lucrèce, mère comme Véturie, elle est également imposante. « Où est le Romain, dit Cornélius Nepos, chez qui la mère de famille n'occupe dans la maison l'ap- partement d'honneur et n'y tienne sa cour?» Rome n'avait donc à apprendre de personne la dignité de la femme. Les amours contre nature ne sont encore que trop répandus parmi les Romains, mais ils les mépri- sent ; ils condamnent les mariages entre frère et sœur, mémo non utérins ; ils ont pourtant leurs Hcences, sou- vent brutales (qu'on se rappelle seulement les indé- cences des Floralia) ; mais en faisant une part aux instincts grossiers, ils ne leur laissent pas franchir certaines bornes convenues ; ils aiment la règle ; ils n'ont de goût pour aucune espèce de désordre, ni au théâtre, ni au forum. Ils ont même un certain dédain pour les arts et les talents d'agrément, pour tout ce qui ne paraît pas donner à l'homme plus de force et plus de poids. Platon chassait Homère de sa liépubliqae ; les vrais Romains eussent volontiers chassé Platon de la leur. Les plus vieilles paroles que l'on ait en langue latine, les Inscriptions d'un âge qui n'était pas encore littéraire, sont pleines d'une grandeur solide dans leur simplicité
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nue, et la langue a tout d'abord la majesté ; ce mot mémo de majesté n'a pas en grec d'équivalent véritable. La religion romaine fut donc essentiellement grave et sévère; c'est celle d'un peuple de laboureurs, de soldats et de jurisconsultes, ignorants de l'industrie et des arts. Elle est toute prête à faire bon marché des immoralités de la mythologie, puisque la mythologie lui est étran- gère ; ses dieux ne sont pas des enfants de l'imagina- tion, aux aventures éclatantes et aux exemples douteux, mais plutôt des magistrats suprêmes. Et les Grecs étaient frappés les premiers de cette dignité de la reli- gion du peuple-roi.
L'esprit romain ne rêve pas volontiers; il ne semble pas qu'il se soit tourmenté pour éclairer la nuit qui cou- vre l'origine du monde et de l'homme, ou pour se re- présenter une existence à venir. Il se contente de rendre scrupuleusement des devoirs aux morts dans leurs tom- beaux; il n'a point de mystères; il ignore l'apothéose; il ne connaît pas l'enthousiasme ; il n'a ni inspirés ni oracles.
Mais il a des observances pieuses pour toute circon- stance et pour tout besoin. Il y avait des dieux bons, de qui on sollicitait les bienfaits, et des dieux méchants, dont on tâchait de conjurer le mauvais vouloir. La foi populaire, qu'il faut distinguer de la religion littéraire, attachait à chacun des actes de la vie un ou plusieurs fonctionnaires divins, avec lesquels on se mettait en rè- gle pour obtenir leurs bons offices. Il y avait le dieu Terme, le dieu des saisons, la déesse de la mois?on ou de la rouille, etc., etc. La Cité était religieuse de la même
58 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
manière que les particuliers; ses prêtres étaient d'^s em- ployés dans le service du surnaturel. Lcs;j07i^//es ne sont, comme on l'a dit, que des ingénieurs sacrés; les augures, des commissaires accrédités auprès des dieux. Les uns et les autres font les affaires de la république, sous le con- trôle du sénat. Les Vestales gardent le foyer de la Cité ; le collège des Arvales prie pour les champs {arva) ; des formules servent à vouer aux dieux ennemis une ville à laquelle on fait la guerre, ou à faire sortir de cette ville, par la vertu d'une évocation, les dieux amis qui la protègent. La foi constante de Rome a été que sa grandeur était établie sur l'excellence de ses pratiques saintes. Elle se vantait d'avoir plus de religion qu'il n'y en avait nulle part au monde; et voici les paroles que nous trouvons sur un monument par lequel elle recon- naissaità une lie grecque et sujette un privilège religieux: « La fidélité avec laquelle nous observons les devoirs de la piété envers les dieux est attestée pour tout le monde par la bienveillance que nous accorde la Divinité. » Et ailleurs : « Quand il s'agit des choses sacrées, ceux qui commandent sont les premiers à obéir, bien convaincus que l'empire des hommes appartient à ceux qui servent tidélement les dieux. » Les Romains croyaient avoir fait un pacte avec le ciel.
Rome est formaliste, et la religion était pour les Romains comme la plus haute branche du droit; ils ob- servaient un serment comme un contrat, en s'attachant surtout à la lettre. Perses, réfugié dans l'asile sacré des dieux de Samothrace, s'était livré aux Romains quand ils lui eurent juré par ces dieux inviolables de lui laisser
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la vie sauve ; ils imaginèrent, dit-on, de le faire mou- rir en l'empêchant do dormir. Tout était minulieuso- nient réglé dans le culte et plein de cas de nullité dont le zèle avait peine à se garantir. Ces règlements étaient d'une m'muùe judaïque : c'est Tertullien qui s'exprime ainsi. Les prescriptions imposées au Flamen de Jupiter le suivent dans tous les détails de sa vie : il ne peut aller, venir, manger, se coucher, s'habiller, se faire la barbe, sans avoir affaire aux plus bizarres exigences. Toutes les prières sont dictées ; ce sont quelquefois des litanies présentant dans un certain ordre de longues séries de noms sacrés et mystérieux.
Mais Rome surtout a porté dans la religion comme ailleurs son génie de gouvernement et de discipline. « Toi, Romain, occupe-toi de gouverner le monde. » Cette parole de Virgile n'est pas vraie seulement au de- hors, mais dans l'ordre intérieur même. Rome a mer- veilleusement discipliné les siens d'abord, et puis le reste des hommes. Athènes est la pairie du raisonne- ment, Rome est la cité de l'autorité et de la loi. Elle avait institué dés les premiers siècles un chef suprême de la religion, charge de régler tout ce qui était dû aux dieux, « Tout culte privé ou public était soumis à ses décisions, c'était à lui que les peuples devaient s'a- dresser pour que les choses divines fussent à l'abri de tout désordre provenant de l'oubli des traditions natio- nales ou de l'introduction de rites étrangers. Et ce n'é- tait pas seulement les devoirs envers les dieux d'en haut, mais la religion des morts et les moyens d'apaiser les mânes que devaient embrasser ses instructions. »
(.0 LE CÎIRISTIANISJIE ET SES ORIGINES.
Le nom de ce souverain pontife, summus pontifex, a fini par redevenir celui du chef de la catholicité. Les Grecs étaient frappés du grand nombre des prêtres à Kome et de leur haute situation. Et une idée de sain- ;clé morale est attachée comme chez nous au caractère Je prêtre. Rome, donc, fit de tout temps chez elle la Dolicc des religions, et tint pour suspect tout culte qui ne relevait pas de l'État ; l'aristocratie romaine enten- dait que la religion restât toujours dans sa main ; au contraire, ceux qui voulaient échapper à son pouvoir cherchaient naturellement l'indépendance dans une religion à part et non autorisée par elle. Le serviteur aime à avoir ses dieux qui ne soient pas ceux du maître. Le vieux Caton écrivait, dans son livre sur la propriété rurale (143), là où il dit les devoirs de la femme du fermier ou villica : « Qu'elle ne fasse aucune dévotion ni ne charge personne d'en faire pour elle, sans l'ordre du maitre ou de la maîtresse. Qu'elle sache que c'est l'affaire du maître de s'acquitter des dévotions pour toute la maison. » Le sénat tenait delà même manière la grande ferme de l'empire romain ; c'était être infidèle au maitre que d'être dévot sans lui. Mais un penchant perpétuel emportait les sujets de Rome vers les reli- gions étrangères. Les affilintions à ces cultes du dehors étaient des espèces de sociétés secrètes qui menaçaient l'autorité des Romains. Le sénat fit précisément comme Caton. Toute religion secrète lui paraissait une conjura- tion et l'était probablement en effet ; la seule ressource qu'eussent les vaincus pour travailler contre la domi- nation de Rome était de se révolter contre ses dieux.
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C'est ce qui rendit si menaçante, deux cents ans envi- ron avant notre ère, la fameuse conjuration des Bac- chanales et ce qui la fit frapper si durement. Dans le sénatus-consulte rendu à cette occasion, et qui sub- siste, on lit des prescriptions comme celle-ci : « Nul ne s'affiliera, ni citoyen, ni Latin, ni allié Italien, sans s'être adressé au préteur et sans que le préteur ait pris l'avis du Sénat, au nombre de cent sénateurs au moins. » Il ne se fera ni une réunion, ni un sacrifice public ou privé, même hors de Rome, sans les mêmes formalités. Elles doivent être remplies dès qu'il y a plus de cinq personnes, hommes et femmes, associées dans un de ces actes de dévotion. Et l'infraction à ces dispositions est crime capital. Rome acceptait d'ailleurs tous les dieux qui lui venaient de tous les points de la terre et ne leur demandait que d'être alliés, c'est-rà-dire sujets. Mais au contraire, ce que les peuples aimaient surtout dans ces dieux, c'était de n'être ni romains, ni soumis à Rome.
Enfin, la morale religieuse des Romains est bornée en hauteur et en largeur; elle n'embrasse pas l'idée de l'humanité ni celle d'une culture libérale des esprits : Polybe reproche à ses maîtres de n'avoir rien fait pour l'éducation des enfants. Elle contient et elle dresse plutôt qu'elle n'élève. Mais elle saisit l'homme extérieur, dans tous ses actes et dans tous les accidents de sa vie, avec une force que la religion grecque ne possédait plus, ou plutôt qu'elle n'avait jamais possédée, et qui ne peut être comparée qu'à l'empire souverain qu'cxerçu plus tard sur les peuples la foi chrétienne la plus fer-
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vente. Polybe était émerveillé de cette crainte des dieux qui se faisait sentir en toutes choses, et qui allait si loin qu'on ne pouvait, dit-il, rien imaginer au delà. L'État, la famille, le particulier, étaient partout et ton- (ours sous la main des prêtres.
Tous ces traits de la religion romaine, qui lui sont particuliers pour la plupart, ou qui ont été plus marques rhcz elle que partout ailleurs, devaient entrer un jour I ar elle dans la religion destinée à prendre possession (!(] monde romain. Un Christianisme purement helléni- (jue n'aurait pas présenté les mêmes caractères de ma- ji'Sté et de sévérité; la même application à se prévaloir de lareligion^ comme ditMontesquieu, pour le plusgrand l)ien des affaires privées ou publiques ; le même respect des formes ; le même contrôle rigoureux de l'autorité Fur tous les mouvements de la pensée, de l'imagination ( u du cœur. La Rome du Sy llabus n est plus que la paro- die de la Rome d'autrefois ; mais en la parodiant, elle la 1 appelle ; elle a hérité de son orgueil, fondé sur l'empire universel. C'est à Rome que, pour la première fois, une voix humaine a pu s'élever avec la prétention de com- mander tout ensemble « à la ville et au monde » urbt ctorbi^. C'est là qu'un consul, prenant la parole au Forum, adressait sa prière aux dieux d'abord, puis, (lisait-il, à vous, citoyens, dont la puissance vient im- niédialemenl après celle des dieux. C'est là qu'un roi ; upi)liant pouvait s'écrier en s'adressant au Sénat: « Puisse enfin votre pensée ou celle des dieux prendre
1. Iloïiianw spaliuiu est urbis et orbis idem.
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quelque souci des affaires des hommes ' » C'est-à-dire que le peuple romain, en attendant les papes, était le vicaire de la divinité ici-bas. Les fils de Rome ne sup- portaient pas l'idée que Rome pût jamais périr. L'image d'une telle destruction faisait à leur imagination le même effet que celle de la destructmi du monde. La piipauté et ses fidèles pensent encore ainsi, et le Vatican se croît éternel comme le Capitole.
Mais quand on dit, en parlant des temps païens, la religion romaine, il ne faut entendre par là autre chose que l'csprii particulier que Rome portait dans la reli- gion. Autrement il n'y a pas de religion romaine ; mais Rome a toutes les religions à la fois : latines, étrusques, grecques, asiatiques. Toutes les superstitions, indigènes ou exotiques, vinrent tomber dans ce grand réceptacle, ouvert aux idées et aux passions de l'humanité entière. Etc'estau milieu de tout cela que nous retrouvons la philosophie.
Avant que Rome fût en commerce avec la Grèce propre, la philosophie avait-elle déjà pénétré chez les Uuiiiains par la Grèce d'Ralie, comme Cicéron aimait à le croire, et l'école pyiliagorique avait-elle inspiré une sorte de Livre des Sentences composé par Appius l'aveugle? Je ne Siis; mais au commencement du troi- siè,;;e siècle avant notre ère, l'Italie grecque avait com- mencé à subir la domination romaine, et c'est de là que sortirent les premiers poêles latins. Peu à peu, ceux-ci transportèrent à Rome, avec les fables et les représentations dramati jues de la Grèce, ce que les unes et les autres contenaient de philosophie. Ce sont
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les comédies de Plante et les tragédies d'Ennius qui po- pularisèrent d'abord parmi les Latins les enseignements de la sagesse grecque, non-seulement en morale, mais même sur ce qui regardait ou la nature ou les dieux. Je puis renvoyer ici à tant de traits que j'ai recueillis ail- leurs dans le théâtre latin, quandje n'y cherchais que des témoignages sur la comédie grecque d'après Alexandre, qui lui servit de modèle. Je n'insisterai aujourd'hui que sur l'esprit critique qui perce de bonne heure dans ce théâtre, et qui en fit sans doute une des plus attrayantes nouveautés. Ce vieil Ennius, en qui nous personnifions volontiers le génie de l'ancienne Rome, et qui avait repré- senté le sage suivant les Romains, dans un portrait où nous aimons à le reconnaître lui-même : « Content du sien, avisé, parlant à propos, en peu de paroles, sachant les choses d'autrefois ensevelies dans l'oubli, connaissant les temps anciens et les nouveaux, versé dans les vieilles lois et dans la science divine et humaine » ; Ennius est le disciple des raisonneurs grecs, et il répète en latin leurs libres discours. Son Télamon parlait comme parle Épi- cure : « 11 y a des dieux au ciel, je l'ai toujours dit, et je le dirai toujours ; mais je crois aussi qu'ils ne se mettent pas en peine de ce que l'ont les hommes. Au- trement, tout irait bien pour les bons et mal pour les mauvais, ce qui n'est pas. » Le même personnage disait, sans observer le costume : « Je ne me soucie ni d'un augure Marse^ ni d'un aruspice de carrefour, ni des astrologues du Cirque^ des devins d'Isis, ni de ceux qui expliquent les songes... Ils promettent aux gens des tré- sors, et ils leur demandent une drachme. Qu'ils prcn-
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nent la drachme sur leur trésor, et qu'ils nous donnent le surplus. » On avait d'ailleurs d'Ennius un poëme qui portait le titre d'Epicharine, où il enseignait, au nom du poëtepythagoriste, qu'il n'y avait pas d'autre Jupiter que la nature. Enfin, il traduisait le livre d'Évémcre sur les dieux, monument d'incrédulité si populaire. On ne voit pas sans étonnement que la philosophie ait débuté ainsi à Rome. On peut croire que l'esprit romain fut sur- pris par ces hardiesses de façon qu'il n'eut pas même le loisir de s'en défendre. Et d'ailleurs, les Romains étaient tellement enveloppés par toutes les espèces de supersti- tions (car ils les empruntaient, comme ils empruntaient toutes choses, au monde entier), qu'ils devaient se sen- tir quelque goût à la révolte. Enfin, n'ayant d'histoire saillie, comme je l'ai dit, que celle des Grecs, ils n'avaient donc ni traditions nationales, ni monuments, ni habitudes d'imagination qui protégeassent chez eux les dieux helléniques. La mythologie à Rome était sans racines; en Grèce même, à cette époque, elle était déjà fort discréditée ; elle avait souffert autant des abstrac- tions savantes des Stoïques que.du mépris brutal des indévots. Voilà comment Rome se montre à nous, dès les premiers moments de sa vie intellectuelle, plutôt su- perstitieuse que croyante : superstitieuse, parce qu'elle pense i)eu ; mais non pas croyante, parce que, dès qu'elle pense, c'est pour se défier et se garder d'être dupe. On avait grand'peur des dieux, et on se rassurait tour à tour de deux manières : tantôt en multipliant les pratiques pieuses, tantôt par le doute et l'irréligion *.
1. «Lareligion consiste dans la crainte dos dieux et dans les devoirs qu'on leur rend. » C'est la définition romaine.
:i. 5
66 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Nous ne savons pas précisément quand les philo- sophes grecs entrèrent dans Rome; mais ils y étaient l'an 161 avant notre ère, à la fin de la guerre de Macé- doine, et ils y étaient influents^ puisqu'on les chassait. Alors fut rendu le sénatus-consulle que voici : « Sur le rapport de Marcus Pomponius, préteur, le Sénat s'élant occupé des philosophes et des rhéteurs, il a été résolu que Marcus Pomponius, préteur, prendrait des mesures, suivant ce qui lui paraîtra de l'intérêt de la république et de son devoir, pour que Rome leur soit interdite, uti Romœ ne essent. » C'est à peu près dans le même style qu'un édit des censeurs, un demi-siècle plus tard, con- damnait des écoles latines d'une autre espèce : «On nous a dénoncé des hommes qui ont établi une nouvelle sorte d'enseignement; la jeunesse vient prendre des leçons chez eux, etilssesont donné le nom de rhéteurs latins; les jeunes gens passent des journées entières à les écou- ter. Nos anciens ont réglé les choses qu'ils voulaient faire apprendre à leurs enfants, et les écoles qu'ils entendaient leur faire suivre. Les nouveautés contraires à la tradi- tion et à l'esprit des anciens ne peuvent être agréées ni approuvées. C'est pourquoi nous jugeons à propos de nous adresser à ceux qui tiennent ces écoles et à ceux qui les fréquentent, pour leur faire savoir que notre avis est que cela n'est pas bon, nohis ti on place re. » Voilà le véritable esprit de Rome à l'égard des libertés et des tentatives de la pensée. Point de colère, point d'empor- tement fanatique, mais une consigne froide et inflexible. Elle se défendit delà philosopliie comme elle devait faire plus tard du Christianisme, mais avec moins de succès
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encore. La philosophie, insaisissal)lc à la fois et iiiésis- tible, eut bientôt gagné tous ses ennemis.
Six ans après le sénatus-consulte rendu sur le rap- port du préteur Pomponius, les philosophes rentraient dans Rome en la personne de trois envoyés d'Athènes. Les Athéniens avaient choisi, pour les députer auprès du Sénat, trois philosophes, comme au moyen âge on aurait choisi trois hommes d'Église : un Përipatétique, un Sloïque, un Académique ; ils ouvrirent à Rome des conférences qui passionnèrentpour la philosophie toute la jeune noblesse. Carnéade surtout l'enlevait en lui montnint à tout mettre en question et à trouver le pour •et le contre en toutes choses. Il y avait sans doute des résistances : des jurisconsultes à longue barbe soute- naient que les célèbres Douze Tables valaient mieux à elles seules, pour conduire un peuple, que des biblio- thèques de philosophie. Telle Oraison funèbre prononcée au temps d'Annibal par un père enterrant son fils, paraissait plus fortifiante que tous les livres des Grecs sur le deuil des morts. La plupart des Romains n'avaient pas l'esprit assez délié pour se démêler des abstractions subtiles des philosophes ; ils étaient d'ailleurs trop sen- sés et trop pratiques pour n'être pas choqués du ba- vardage intempérant de ces Grecs, toujours prêts à argumenter et à discuter. Les esprits demeuraient donc partagés entre le goût et le mépris de ces nouveautés. Une scène de r/lHfîo;j6' d'Euripide, entre les deux fils d'Antiope, Zéthos et Amphion, dont le premier déclare la guerre à cette sagesse, tandis que le second la défend, transportée sur la scène latine par Pacuvius , n'y faisait
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pas moins d'effet qu'à Athènes. Ceux qui prétendaient surloutà être raisonnables s'en tenaient à un vers d'En- nius qui faisait dire à Néoptolème : « Il est bon de phi- losopher, mais sobrement ; s'y donner tout entier, c'est trop pour moi. » Et tout en reconnaissant de bonne grâce les Grecs pour leurs maîtres en fait de science, ils proclamaient bien haut qu'en fait de vertu, les maî- tres étaient les Romains. Ils disaient encore que cette belle sagesse n'avait pas profité, à ceux qui l'ensei- gnaient, poîir la vertu.
Cette vertu qui manquait aux Grecs, c'était celle qu'entretient la liberté et qui se perd avec elle. Et cette supériorité de l'esprit qu'ils avaient gardée leur ren- dait peut-être leur dignité plus difficile à défendre. Ils se sentaient faits pour gouverner leurs maîtres, mais ce- lui qui appartient à un autre ne gouverne qu'en pliant. On sait ce qu'étalent les pédagogues ou précepteurs dans le monde antique : des serviteurs chargés de con- duire ceux qu'ils servaient. On peut dire que la philo- sophie entra dans le monde romain avec l'office de pé- dagogue. Déjà, dans les cités grecques, on a vu que les rois et les grands personnages avaient des philosophes attachés à leur personne; il en fut de même chez ces Romains des hautes familles, bien plus considérables que les plus considérables d'entre les Grecs et même que les rois. Leurs philosophes les amusaient en les instrui- sant, mais ce n'est pas tout; ils leur donnaient encore des vertus nouvelles ; non pas peut-être les verlim fortes (toutes romaines comme leur nom), mais les vertus délicates. Scipion Emilien devait à l'éducation
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grecque un désintéressement et une générosité en ce qui regarde l'argent, absolument inconnus à Rome, au témoignage de Polybe, et qu'on n'y comprenait même pas. Il lui devait une sensibilité qui n'était pas chose moins nouvelle ; au spectacle de la destruction de Car- thage, il fit un retour sur sa patrie, qui pouvait jiérir de même un jour, et s'émut en répétant les vers d'Homère : « Il viendra un temps où tomberont Ilion la ville sacrée, et Priam, et le peuple du noble Priam. » La philosophie dut apprendre aux Romains non-seulement l'humanité, mais même la justice. La leçon, sans doute, ne fut pas aisément comprise ni suivie, mais elle fut donnée, et il faut ajouter que les grands événements qui se succédè- rent ajoutèrent leurs enseignements à ceux des sages. L'empire de Rome ne cessa pas un instant d'être in- quiété par les protestations des opprimés. Non qu'ils réclamassent au nom d'un droit dont personne n'avait nettement l'idée, mais un sentim.ent vague de ce droit se mêlait au cri de leurs souffrances, et il se développa et se fortifia par les tentatives mêmes qu'il suscitait. Les guerres serviles, le tribunat des Gracques, la guerre sociale, la guerre desCimbres, la courte révolution faite par Marius, la lutte obstinée de Mithridate; autant de révoltes qui échouent à peu près toutes, mais elles échouent de façon que chaque victoire affaiblit morale- ment les vainqueurs. La foi à l'esclavage, à la conquête, aux privilèges de la noblesse ou à ceux de la cité, le mépris même des Barbares, ne peuvent se soutenir dans toute leur force après ces épreuves. De telles secousses forcent les esprits à réfléchir. La philosophie, qui prêche
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îe respect de la justice et la fraternité humaine, est mieux entendue et s'entend mieux elle-même. De plus en plus, l'idée tend à passer dans les faits.
Des esprits comme celui de Scipion ou de Lélius comprenaient tout, mais d'autres restaient absolument fermés et barbares ; d'autres encore croyaient entendre ce qu'ils n'entendaient pas, et témoignaient d'une bonne volonté un peu naïve. Cicéron nous parle d'un certain Gellius, plus âgé que lui de dix à quinze ans, qui, étant proconsul en Grèce et se trouvant à Athènes, fut tout étourdi des disputes des philosophes sur la question du souverain bien. Il s'avisa de les réunir, et les pressa fortement d'en finir une bonne fois avec ces contesta- tions; il leur assura que s'ils n'y mettaient pas d'obsti- nation et s'ils n'étaient pas résolus à y passer leur vie, l'affaire pourrait s'arranger; et il leur promit de s'en- tremettre de son mieux pour rendre Tarrangement plus facile. Cicéron dit qu'on en rit beaucoup, et nous rions nous-mêmes en le lisant. Et pourtant cette histoire est plus sérieuse qu'elle ne le semble*. C'est bien là l'esprit romain et le pressentiment du rôle que Rome doit prendre un jour dans les affaires de l'esprit. Ce que Gellius voulait faire, c'est ce qu'a fait plus tard Constantin; il assembla les théologiens comme l'autre assemblait les philosophes ; et la conférence dans laquelle il les réunit s'appela synode ou concile. Ce fut le premier des con- ciles, car il ne faut pas appeler ainsi les débats obscurs et libres de quelques sectaires, à l'origine même du Christianisme, dans une synagogue de Jérusalem. Sans cette intervention de l'autorité romaine, les Grecs au-
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raient disputé éternellement; l'Empereur se chargea de tout arranger, et il y réussit mieux que le proconsul, parce qu'on peut imposer une loi à des Églises, non à des écoles.
« La nalurc a voulu qu'il n'y eût pas de plus grande . divinité dans le monde que la vérité, et n'a donné à aucune autre une plus grande puissance. » Polybe, en parlant ainsi, n'a dans l'esprit que la vérité historique; mais il m'est permis d'apptiquer cette parole à la vérité philosophique, et d'y voir la principale révélation que Rome et le monde ont due à la Grèce, et le secret de la révolution spirituelle et sociale qui va transformer le monde païen.
La philosophie n'enseigna longtemps à Rome qu'en langue grecque, sauf les emprunts que lui faisaient les poètes et le théâtre; il ne s'écrivait pas d'ouvrage phi- losophique en latin ; mais le grec était une langue vi- vante, et les livres grecs trouvaient des lecteurs de plus en plus nombreux. Il ne faut pas laisser sans la saluer d'un hommage la mémoire de ce Panétios dont il ne nous reste plus guère que le nom, mais qui a été le plus grand parmi les maîtres que les Romains ont eus en philosophie, ou plutôt qui a été un des plus grands philosophes de l'antiquité, une des lumières de l'école stoïque : Nob'dis lihros Panœtî., a dit Horace. C'était un esprit large, qui s'était affranchi des petitesses do la secte, qui dédaignait les subtilités paradoxales, et qui a eu le courage, sinon précisément de nier la divination, du moins de déclarer qu'il en doutait.
Ce sont les doctrines d'Épicurc qui, par Kmu' popu-
T2 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
lorité, forcèrent la langue latine à s'ouvrir à l'expres- sion des idées j3hilosophiques. Cette philosophie était la moins abstraite et la moins savante, mais en même temps qu'elle n'approfondissait rien, elle expliquait tout ; . et surtout elle gagnait tous les esprits en les émancipant et en les mettant à l'aise à l'égard de toute espèce d'au- torité comme de toute espèce d'obligation. Un certain Amafinius, le premier qui en écrivit, suscita une foule d'imitateurs qui remplirent de leurs livres l'Italie. C'est ce qui nous explique comment la philosophie d'Épicure enfanta bientôt le poëme de Lucrèce. Les grands poètes ne font que traduire dans leurs vers ce qui est l'àme même de leur temps.
Le savant Varron, qui savait toutes choses et possé- dait toutes les philosophies comme toutes les histoires, les répandit dans ses livres en renseignements, en ob- servations et en moralités de toute espèce, qui furent une admirable préparation à la communication com- plète de la sagesse grecque. C'est Cicéron qui la donna enfin aux Romains avec une incomparable éloquence. A partir de lui, le trésor de la philosophie fut latin au- tant que grec, et appartint désormais au monde entier.
J'avais hâte d'arriver à ce nom fameux et à la grande époque qu'il représente. Si ce n'est pas encore celle où le Christianisme est né et a pris place dans l'histoire, il est permis de dire que c'est celle où il fut conçu. Qui aura bien étudié Rome et le monde au temps de César comprendra parfaitement la révolution religieuse qui n'a éclaté que sous Néron.
Trois dispositions concouraient alors à une révolution
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religieuse : d'abord l'affaiblissement des anciennes croyances, puis la poursuite de croyances nouvelles, et enfin la soif d'une réforme morale.
Il y avait bien longtemps déjà que la critique battait en brèche le polythéisme. L'incrédulité était devenue un lieu commun parmi les lettrés. Parlant d'un jeune patricien plein d'une foi pieuse : « Il était né, dit Tite- Live , avant cette sagesse qui a enseigné le mépris des dieux. » Tout ce qui prétendait raisonner faisait bon marché des extravagances de la Fable ou de ses scandales, et se moquait des Olympiens adultères, voleurs, parricides. On détestait des dieux qui tour- mentaient la vie humaine, qui demandaient tous les jours du sang, le plus souvent le sang des bêtes, quelquefois celui des hommes : tant la religion, disait Lucrèce, peut accréditer d" horreurs ! On disait d'ailleurs comme dans Corneille :
Nous en avons beaucoup pour être de vrais dieux
Varron avait fait le dénombrement de tout ce qu'il trou- vait de divinités répandues dans le ciel et sur la terre, occupées à une infinité de petites besognes. D'un autre côté, on ne voulait plus croire à ces colères célestes qui avaient fait tant de peur, et on aimait à entendre dire aux philosophes que les dieux ne sauraient se fâcher ni faire du mal. On se piquait surtout de laisser aux bonnes femmes et aux enfants la peur des enfers avec tout leur appareil lugubre, le Styx, Charon, les Furies et tous leurs supplices. On s'accoutumait à penser que les dieux
T» LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
de la mythologie n'étaient que des symboles d'une di- vinité unique, représentée dans ses attributs et dans ses actions diverses. On se disait en particulier que les astres n'étaient qu'une matière comme une autre, ma- tière périssable et qui n'a rien de divin.
Depuis que la Grèce n'était plus libre, et que l'Apollon de Delphes et sa Pythie étaient devenus des sujets ma- cédoniens, et puis des sujets romains, les mantéons ou oracles étaient fort décrédités. La politique avait également fait tomber le respect des augures et le pres- tige des aruspices; les doutes s'élevaient de tous côtés contre la science des entrailles des victimes ou celle des foudres. On relevait impitoyablement toutes les di- vergences, les contradictions, les bizaireries de tant de croyances dont la terre était remplie. On les tenait donc comme autant de préjugés bons pour le peuple, dont les bons esprits devaient s'affranchir. On n'était pas dupe des images par lesquelles on prétendait représenter, sous des traits humains, ou même sous des ressem- blances d'animaux, la nature divine. Le nombre s'aug- mentait tous les jours de ceux qui prenaient en piiic l'idololalrie (c'est la vraie forme du mot). On était averti, enfin, de ne pas confondre les dieux véritables et les faux dieux. Car cette distinction et ces expressions ap- partiennent à la philosophie grecque ; elles ne sont pas de la Bible, oij elles ne se trouvent pas une seule fois, si ce n'est dans le livre grec, et non authentique, qui porte le nom de Baruch.
Mais ce n'étaient pas seulement les croyances popu laires, c'était l'idée religieuse elle-même que menaçait
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l'incrédulité. Les Académiques enseignaient à douter non-seulement de l'àme, mais de la divinité, comme de tout le reste. Et la doctrine d'Épicure, infiniment plus populaire, n'était moins hardie qu'en apparence; et, tout en respectant le nom des dieux, sapait toute foi dans lésâmes, puisqu'elle ne reconnaissait ni Providence, ni peines ou récompenses célestes, et rendait inutiles !e sacrifice et la prière. Une multitude d'esprits étaient dé- tachés par cette doctrine de tout ce qui faisait la vie morale du monde ancien. Il est vrai qu'on ne voit pas tout d'abord comment cela a pu profiter à une religion nouvelle; mais ces doctrines, trop fortes pour le grand nombre de ceux qui les professaient, ne faisaient que la moitié de l'effet qu'elles devaient produire ; la plupart n'approfondissaient pas les principes, mais les appli- quaient aux dépens de ce qui vivait autour d'eux; la religion survécut, mais les religions régnantes furent emportées.
Cicéron est absolument détaché des vieilles croyances. Ses dialo2;ues sur les Dieux et sur la Divinalion ne laissent rien subsister de la religion populaire. Sa cri- tique atteint jusqu'à la religion de Platon; elle s'attaque à la Providence et même à l'existence des dieux. Les ménagements avec lesquels il la présente ne doivent pas en faire méconnaître la portée. Elle ne conduisait pas seulement à la chute du paganisme : elle pouvait mener les hommes jusqu'où tant de penseurs sont arrivés aujourd'hui : à la ruine de toute illusion théo- logique et de toute loi au surnaturel. Mais une telle hardiesse, déjà difficile et rare chez les Romains libres.
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devint impossible quand les esprits furent abaissés et i)a- ralysés par l'esclavage. Ce que Cicéron n'avait fait qu'in- sinuer ne fut plus entendu ; il ne resta que ce qu'il avait dit assez haut pour qu'il n'y eût pas moyen de ne pas l'entendre : la négation des oracles, le mépris de toute mythologie, les dieux vulgaires effacés par l'idée d'un dieu abstrait et universel. Varron, de son côté, n'accep- tait aucune définition de la divinité que celle-ci : une àme qui gouverne le monde par le mouvement et l'in- telligence. Il disait que c'est ce dieu unique et invisible qu'on adore sous le nom de Jupiter. Il citait ces vers du poëte Valérius de Sora :
Jupiter tout puissant, maître des rois, du monde et des dieux mêmes ; père et mère des dieux, dieu unique et tous les dieux ensemljle,
cleus unus et omties. Il condamnait les religions qui avaient figuré la divinité par des images, comme l'expo- sant ainsi au mépris et les hommes à l'erreur. Il condam- nait même les sacrifices, dont les vrais dieux, disait-il, n'ont pas besoin, et encore moins de statues. Tout ce que la critique grecque avait amassé contre la foi éta- blie de faits ou de raisonnements décisifs était reproduit et rassemblé par ces docteurs des Romains; non plus des hommes d'école, mais un Cicéron, un Varron, les premiers personnages de la grande république, qui avaientgouverné, administré, commandé; Cicéron même était revêtu de la dignité religieuse d'augure. Il est vrai que, comme citoyens, comme sénateurs ou pontifes, ces hommes s'acquittaient envers la religion publique de tout ce qu'ils regardaient comme leur devoir. Cicéron
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n'en prépara pasmoins la ruine deces temples, à la porto desquels il montait sa garde aussi fidèlement qu'aucun autre. Sa critique théologique et celle de Varron firent l'éducation des générations qui suivirent. D'ailleurs, les bouleversements politiques, en ébranlant tout au dehors, agissaient aussi sur les idées. Quand la foi aux anciennes lois était atteinte, la foi aux anciens dieux de- vait en souffrir. L'attentat de César est la première pré- face de la révolution chrétienne.
Cependant le renversement du polythéisme fut tout autre chose qu'une négation, et il témoigne bien moins de la difficulté de croire ce qui était établi que du be- soin de croire autre chose, et souvent de croire davan- tage. On ne saurait avoir d'idée plus fausse que de se représenter la prédication juive comme tombant au mi- lieu d'esprits philosophes et libres penseurs. Ces pré- tendus incrédules n'étaient que des mécontents et des frondeurs, prêts à faire une révolution contre le gou- vernement d'en haut, mais pour en mettre un autre à sa place, auquel ils se sont livrés aveuglément. Une foi a été chassée par une autre foi, de même que les Bourbons n'ont pas fait place à la République, mais aux Bonaparte. Jamais la fièvre religieuse n'a été plus in- tense que dans le siècle de César, parce qu'en effet l'hu- manité n'a jamais plus désespéré d'elle-même, ni été plus tentée de demander au Ciel le salut qui se déro- bait partout devant elle. Par cela même qu'on n'a plus de confiance ni dans les lois, ni dans les pouvoirs, ni dans les moeurs, qu'on est sur un abime, et qu'on sent bien qu'on se noie, on tâche de s'accrocher où on
18 LE CHRIS'ÇIANISME ET SES ORIGINES.
peut, les uns à un égoïsme féroce, les autres au surna- turel. Aussi les hommes religieux se vantaient que Vempire des religions allait tous les jours arandlssant: c'est le témoignage de Cicéron.
Cicéron, qui n'est pas d'un tempérament religieux, n'en témoigne que mieux de cet empire par la grande place qu'il donne à la religion dans ses harangues et dans ses actes. Ses discours au peuple surtout sont pleins des dieux. Aux heaux temps de Pompée, célébrant à la fois en plein Forum les mérites de ce ])ersonnage et sa fortune, il prend, pour toucher ce dernier point, des pré- cautions extraordinaires. 11 craint d'offenser les dieux s'il en dit trop, et, s'il en dit trop peu, de ne pas re- connaître assez leurs bienfaits ; il tâchera , dit-il , de mesurer si religieusement ses paroles, qu'il ne se montre ni impie ni ingrat. Dans ses fameux plaidoyers contre Verres, non-seulement il met son accusation sous la protection de tous les dieux que celui-ci a offensés, les citant, pour ainsi dire, devant le tribunal l'un après l'autre, avec les formes les plus solennelles et les plus imposantes invocations; mais il trace des tableaux qui nous font assister aux transports pieux des peuples de la Sicile. Ici, c'est la Diane de Ségeste que le préteur fait enlever, parce que la statue est un chef-d'œuvre. Toutes les femmes suivent la déesse exilée jusqu'aux limites du territoire, et elles ne cessent pendant toute la roule de la couvrir de parfums et de fleurs. Là il nous montre Enna, la ville sainte des deux déesses, Gérés et Proserpine; elle lésa perdues, elles ont été enlevées •également comme une proie. Cicéron raconte son ar-
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rivée à Enna, pendant qu'il parcourt la province pour ramasser les preuves de l'accusation qu'il soutient con tre Verres; les prêtres viennent âu-devant de lui avec leurs mitres et leur verveine ; il harangue la foule et elle répond à ses discours par des gémissements et des san- glots. Enfin, dans ce grand jour de son consulat, où Catilina, tout prêta partir pour la guerre civile, avai» encore osé paraître au Sénat, et où le consul indigné le jette pour ainsi dire à la porte avec une harangue en flammée, il fait tomber sur sa tête un véritable ana- théme; il attache après lui et les siens la vengeance de Jupiter Stator, qui doit les poursuivre dans la vie et dans la mon même.
Il semble que les dévotions de toute espèce se mul- tiplient et naissent en quelque sorte sous les pas des hommes de ce temps. Chaque endroit a son dieu local ; nous dirions aujourd'hui, son saint. Dans Rome même, la Fièvre a des temples, la terrible fièvre de la campa- gne romaine. La Fortune ennemie a aussi le sien. La superstition éclate surtout dans les présages qu'on croit voir de tous côtés et qu'on s'efforce de conjurer Nous trouvons dans une Rhétorique technique cette énuméra- tion des signes par lesquels se manifeste le méconten- tement des dieux : les oracles, la voix des inspirés, les apparitions, les prodiges, les révélations ei autres choses semblables. Un météore qui vient à paraître, un bruit <lu'on ne s'explique pas, sous la terre ou dans le ciel, uri monstre, ou ce qu'on appelle ainsi ; la sueur des murs d'un temple ou de ses statues, tout remplit Rome d'épouvante, et ce qui épouvante Rome retentit partout.
80 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
On ouvre alors, par ordre du sénat, les livres de la Sibylle, ou bien on consulte les aruspices, et leurs ré- ponses sont les grandes affaires de l'État. Des prédic- tions sibyllines et des réponses d'aruspices furent pour quelque chose, suivant Salluste, dans la conjuration de Catilina. Cicéron, qui ne croit à rien de tout cela, est le premier à en faire grand bruit au proOl de ses intérêts ou de ses passions politiques. Ce sont les dieux qui lui ont révélé, par une intervention toute particulière *et mi- raculeuse, la conjui'ation de Catilina; dans son exil, les dieux le soutiennent par des songes. Le lendemain du jour où le sénat a décidé qu'on proposerait son rappel, les dieux font baisser le prix du blé par un miracle. Les dieux sont toujours entre lui et son ennemi Clodius. La vengeance la plus ingénieuse que Clodius ait ima- ginée contre lui lors de son exil, c'était de consacrer religieusement le terrain où était sa maison, qui fut rasée. Cicéron ne put le recouvrer à son retour qu'en plaidant devant les pontifes pour obtenir d'eux une dé- cision qui reconnût dans la consécration des nullités : c'est le sujet du fameux plaidoyer Pour sa maison. Lorsque Clodius est assassiné par Milon, Cicéron, plai- dant pour Milon, soutient que ce sont les dieux qui ont pré])aré cette mort et qui l'accomplissent. Mais il sub- siste de sa lutte contre Clodius un bien curieux monu- ment, c'est le discours Sur les réponses des aruspices. Il s'était répandu qu'on avait entendu dans un chanip^ aux portes de lioine^ un bruit mystérieux et un cliquetis d'armes menaçant. C'était, hélas ! que Rome, inquiète, entendait d'avance, par les oreilles de l'esprit, le bruit
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des combats de la guerre civile. Le sénat averti avait fait consulter les aruspices et tenait séance pour pren- dre un parti sur leur réponse. Elle était faite d'avance; les dieux étaient irrités ; mais de quoi ? La réponse es' conçue naturellement en termes vagues, mais dont le va gue se prête cependant à faire entendre ce que le gouver- nement d'alors prétendait qu'on entendit. Ce qui mécon- tentait les dieux, c'est ce dont le sénat était mécontent. Ils dénonçaient en paroles assez claires certains actes des meneurs populaires, notamment de Clodius ; d'autres paroles plus obscures allaient jusqu'à César même. Les aruspices recommandaient de se garder de la discorde, de ne pas mettre le sénat en danger, de faire en sorte que rempir« ne tombât pas au pouvoir d'un seul, et que les choses n'aboutissent pas à une révolution. Clodius, prenant l'offensive pour mieux se défendre, soutint bra- vement que c'était Cicéron qui avait fait tout le mal et qui avait appelé sur Rome ces menaces divines. Cicéron riposte et accable à son tour Clodius. Mais il faut voir et admirer le ton de sa réponse : « Je l'avoue, sénateurs, la grandeur de cette manifestation divine, la solennité de l'interprétation, la décision des aruspices, qui ont répondu comme d'une seule voix, me causent uneémo- lion extraordinaire. y> Il continue : Comment ne pas croire aux dieux, ou comment ne pas reconnaître que ces dieux veillent incessamment au salut de Rome? Qui ne sait que toute vérité est déposée dans les livres si- byllins et dans l'admirable science de l'Étrurie? Il lap- pelle qu'une émeute préparée par Clodius avait trou- blé les jeux de Cybèle *, il est clair que c'est Cybele (jui II. 6
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se plaint, car n'est-ce pas Cybèle qui parcourt d'ordi- naire les l)oiset les campagnes avec des bruits suinatu- rels? « Si, pendant lesjeux, un essaim d'abeilles venait seulement se poser sur la scène, nous ne manquerions pas de faire venir des aruspices de VElrurie. » Il s'agit ici d'un bien autre désordre. Et quand il arrive à la fin de sa harangue : « Eh quoi ! la voix même des dieux ne remuera-t-elie pas tous les esprits?... car c'est la voix des dieux que nous entendons; c'est une commu- nication qu'ils nous adressent, quand le monde lui- même, quand la^ terre et l'air viennent tout à coup à trembler, et qu'ils nous avertissent par des bruits inac- coutumés et inexplicables. » Certes, dans cette Rome où se sont jouées tant de comédies politiques ou religieuses, on n'a peut-être jamais porté un masque et débité un rôle plus impudemment que ne font ici les deux adver- saires. Mais des comédiens supposent un public qu'ils émeuvent et qu'ils entraînent; et d'ailleurs ces décla- mations faisaient appel à deux sentiments qui, dans les jongleries dévotes de tous les temps, sont toujours ce qu'il y a de plus sincère, la haine et la peur.
Cicéron était incrédule ; mais personne presque au- tour de lui n'était de force à s'en tenir à cette incrédu- lité, même parmi ceux qui répétaient ses raisonnements ou qui riaient de ses railleries. Il nous présente son propre frère comme soutenant contre lui la croyance à la divination. Les premiers hommes de la république ne se défendaient pas toujours contre les superstitions populaires. Pendant la guerre civile, des réponses d'arus- pices arrivaient sans cesse de Rome au camp de Pom-
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pée et entretenaient ses illusions; car Pompce cUiil sensible, dit Cicéron, à ce qu'annonçaioil les prodiges ou les eiili ailles des victimes. De grands personnages, Caton, Varron, qui attendaient avec Cicért)n, à Dyrra- cliium, révénement de la bataille qui se préparait à Phar- sale, furent très-troublés en apprenant qu'un rameur de Rhodes avait prophétise un désastre, et Cicéron même peut-être en fut ému. On racontait que César, peu de jours avant sa mort, avait sacrifié un bœuf dans lequel on ne trouva point de cœur : on lui dit que c'était là une chose menaçante. Au contraire, quand Cicéron fut exilé, un de ses amis, Cécina, qui était d'Étrurie, lui prédit un retour prochain et triomphant, d'après les principes de la science étrusque. Cette science était dépo- sée dans deslivres de plusieurs espèces, Ariispicini^Ful- gurales, Riluales. Les augures avaient aussi leurs livres, Augurales; et le seul appareil de tous ces volumes sacrés suffisait pour déterminer la foi des peuples. Pendant la guerre contre Antoine, Plancus, qui occupaitles Gaules, sans qu'on sût trop pour qui il tenait, s'étant décidé pour le sénat et lui ayant adressé un message, pres- sait Cicéron pour que celui-ci obtint pour lui du sénat une réponse favorable. Cicéron lui répond qu'après la lecture de son message, le président du sénat a été ^avisé, sur le rapport des piillarii, c'est-à-dire des officiers commis à la garde des poulets sacrés, qu'il n'avait pas pris les auspices dans les règles, et que ce rapport avait été approuvé par le collège des augures, magistrats du premier ordre, dont Cicéron lui-même faisait partie, de sorte que l'affaire dut être ajournée. Ci-
84 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGIN ES.
céron n'ajoute aucune observation à ce récit. On voit bien cependant, en y regardant de près, qu'il y avait là- dessous une manœuvre politique; mais il n'en est pas moins curieux de voir employer pour ces intrigues L't'S moyens sacrés. Il faut ajouter à ces divinations ro- maines les mystères de l'astrologie, professés par ceux qu'on appelait les Chaldéens. L'astrologie n'était pai nouvelle dans le monde hellénique, puisque déjà Eu- doxe, disciple de Platon, en combaitait le mensonge; mais elle prenait tous les jours plus d'importance. Il n'y avait pas de personnage à Rome dont on ne tirât l'ho- roscope ; on avait fait cent fois celui de Crassus, de Pompée et de César, et Cicéron s'exprime quelque part de manière à faire entendre qu'on avait aussi tiré le sien. Enfin, pour arracher les secrets des dieux, on fai- sait violence à la mort même. Les hommes les plus considérables, un Appius, par exemple, évoquaient ainsi les âmes ; et, dans ses invectives au sénat contre Vatinius, Cicéron lui impute d'égorger des enfants pour allécher par ce sang les mânes qu'il prétend interroger. Les superstitions funèbres sont celles qui dominent, surtout parmi les misérables. Lucrèce nous les fait voir, dans les souffrances et les opprobres de l'exil, qui se hâtent, là où la disgrâce les a jetés, de sacrifier aux mânes et d'immoler des brebis noires. Et ceux-là mê- mes, dit le poêle, qui jusque-là prétendaient être des esprits forts et affectaient de ne rien croire, s'abandon- nent sans réserve à toutes ces pratiques dès qu'ils oni été touchés par le malheur. Voilà les faibles racines qu'avait l'incrédulité romaine.
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La divinisation des morts était cliose reçue. Seule- ment, les simples citoyens rendaient ce culte à leurs morts en famille, dans le secret de leur maison ; les personnages en faisaient un culte public, comme Cicc- ron voulut le faire pour sa TuUie, en lui élevant un ^anum. Pour ceux qui régnaient, je veux dire pour le? magistrats qui gouvernaient les provinces, on n'atten- dait pas leur mort. Cicéron se vante d'avoir refusé les fana qu'on voulait lui consacrer en Cilicie ; mais Cicé- ron était un philosophe et un Romain fidèle aux ancien- nes mœurs. Pour l'apothéose comme pour le reste, les Césars n'ont été que les héritiers des proconsuls ; ils étaient proconsuls dans le monde entier, et ils le trai- taient comme une province.
Le cri du poëte contre les superstitions sanglantes,
Tantum religio potuit suadere malorum !
ne se justifiait pas seulement par des légendes antiques, telles que celle du sacrifice d'Iphigénie, dont Lucrèce s'inspire en cet endroit. Dans une guerre contre les Gau- lois, quelques années avant la guerre d'Annibal, deux hommes et deux femmes, des Gaulois et des Grecs, avaient été enterrés vivants à Rome pour conjurer les dieux irrités. Mais, tout récemment même, à l'entrée de h guerre sociale, quand Cicéron avait quinze ans, on ra- contait qu'un prétendu androgyne ayant été décou- vert auprès de Rome par la dénonciation de l'homme qui l'avait épousé comme femme, le sénat, sur le rap- port des aruspices, décida que ^e wonsire serait brûlé vif, son existence paraissant contre la nature et contre
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les dieux. Et on ajoute qu'un peu plus lard encoïc on în fît autant dans Athènes. C'était là, d'ailleurs, une tra- iition ; et il y a dans Livius (ou Tile-Live) plusieurs faits emblables se rapportant aux premières années du se- ond siècle avant notre ère. Quand les disciples d'Épi- îure enseignaient, comme nous le lisons dans un livre de cette école, qu'être né avec une forme étrange et in- solite n'est pas un crime ni un signe de la colère cé- leste, on comprend que cet enseignement si simple était un bienfait.
Une idée sombre, née d'un état général d'alarme et d'angoisse, était répandue alors, et contribua beaucoup à jeter les esprits hors des anciennes voies ; c'était l'idée qu'on approchait d'une grande catastrophe et d'une fin dumonde. Au moment où Marins, annonçant les Césars, s'apprêtait à bouleverser la constitution romaine, les aruspices d'Étrurie, consultés sur divers prodiges, avaient dit que ces prodiges annonçaient une révolu- tion de l'univers et l'avènement d'une nouvelle race d'hommes. Car il y avait, disaient-ils, huit âges assi- gnés à l'humanité, dont chacun devait se clore par des signes extraordinaires ; et ils annonçaient qu'on touchait à un de ces moments. Lucrèce témoigne assez que les imaginations continuaient d'être sous l'impression de cette attente. Non-seulement il rend avec une grande énergie le sentiment delà vieillesse d'une création épui- sée, où ni la nature ni l'homme n'ont plus de force; mais, après avoir proclamé que tout finira, il ajoute, en s'adrcssant aux incrédules : « Peut-être que l'événe- ment justifiera trop tôt mes paroles, et que tout à l'heure
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on va voir la terre, secouée par des mouvements terri- bles, se briser tout entière ! Puisse la fortune éloigner de nous une telle ruine, et la pensée seule plutôt que la .réalité nous convaincre que tout peut périr et s'abimer au milieu d'un épouvantable fracas ! » Mais quelle ne devait pas être la puissance du surnaturel sur des gens qui en étaient venus à désespérer de la nature !
De pareils traits éclairent pour nous certains aspects du ciel de Rome que nous ne découvririons jamais dans Cicéron, dontres|)rit est si détaché et le tempérament si tranquille. Il y a bien des choses en ce genre qu'il ne dai- gne pas dire ; et celles mêmes qu'il dit, il ne s'y intéresse pas assez pour nous les faire bien sentir. Le merveil- leux n'est pour lui qu'un objet de curiosité et de criti- que froide. Ainsi il nous parle souvent des superstitions orientales, mais ce n'est guère qu'en observateur mé- prisant et qui ne s'y arrête pas. Varron était plus cu- rieux, sinon plus ému, et nous ne saurions trop regretter la perte de ses livres. Mais où est-ce que vit pour nous, par exemple, le culte de la Mère des dieux en ces temps- là, sinon dans les tableaux de Lucrèce et de Catulle? Lucrèce nous la montre promenée à travers le- popula- tions, au milieu d'une sainte horreur. Les Galles, ses prêtres eunuques, font retentir leurs tambours, leurs cymbales, leurs cornes, leur flûte phrygienne, et des armes menaçantes résonnent aussi dans leurs mains. Elle s'avance, mueti'- ^t puissante, apportant le salut par sa seule vue; on couvre la terre devant elle de pièces d'or ou de cuivre; on répand une neige de fleurs; les prêtres dansent et se flagellent, tout dégoûtants de
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sang. Tonte la fureur qui emporte ces enthousiastes, Jes plus jeunes du moins elles plus sincèrement dévots, respire dans des vers de Catulle, d'un rhythme étrange, où on voit Alys, le favori et la victime de la déesse, qui vient de se mutiler avec un caillou tranchant, s'en- foncer tout éperdu à travers les bois, et y courir au milieu de ses compagnons, mutilés comme lui, jusqu'à ce qu'il s'endorme épuisé. En se réveillant il se recon- naît et il pleure, et il voudrait dérober ce qui reste de lui à cette servitude honteuse. Mais la déesse envoie un lion qui l'épouvante, et qui le force à rentrer dans la forêt sacrée pour n'en plus sortir* Et le poëte s'écrie en finissant : « Déesse, grande déesse Cybèle, déesse de Didyme, ô maîtresse ! écarte de ma maison toutes ces fureurs; envoie à d'autres ces transports, jette sur d'autres ce délire ! » Si on se défiait des peintures des poètes, qu'on lise dans les historiens l'aventure de ce prêtre de Cybèle qui, vers l'année 100 avant notre ère, vient tout exprès de Pessinonte, la ville sacrée de la déesse, pour effrayer les Romains de la colère de la Mère des dieux et réclamer des expiations qui l'apaisent. Il est mal reçu ; un tribun lui fait défense de porter sa robe sacerdotale ; un autre le livre aux huées et aux menaces de la foule. Mais celui-ci étant tombé malade d'une fièvre qui l'emporta en trois jours, tous les esprits se retournèrent vers le prêtre, et on le combla d'hom- mages et de respects. Le Bacchos phrygien, le dieu Sabaze, s'était également établi dans Rome.
La déesse de Syrie n'était ^)as moins redou'ée que celle de Phrygie. Le chef de la terrible guerre des es-
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claves en Sicile, Eunoos ou Eunus, était un inspiré qui se vantait qu'elle s'était révélée à lui, non-seulement par des songes, mais par des apparitions; il faisait des prodiges et ^,etait des flammes par la bouche. Tous ces dieux de l'CJrient avaient de ces inspirés attaciiés à leu/ sanctuaire ou fcmum, d'où le nom de fanaiici, qui nous a donné celui de fanatique. C'étaient de vérita- bles possédés, avec des tremblements et des convul- sions.
Dans un discours où il fait parler un incrédule qui se raille de la mythologie grecque, Cicéron lui fait dire : « Si nous reconnaissons tous ces dieux, pourquoi ne pas reconnaître aussi bien Sérapis etisis? » Et on les reconnaissait, en effet; ils étaient adorés avec tous les autres, et les femmes de Rome allaient faire leurs dé- volions dans leurs temples. Les dieux de la Perse péné- traient également dans l'empire : le culte deMithra,qui plus tard envahit tout de ses Mystères, y fut apporté par ces pirates qui tinrent si longtemps en échec 1^ puissance romaine, et dont on ne vint à bout qu'en con- férant à Pompée un commandement extraordinaire. La Gaule elle-même, à peine conquise, occupe Piome de ses druides et de leurs inspirations prophétiques. Enfin, la foi des Juifs tranchait sur toutes ces croyances. Je reviendrai à eux tout à l'heure; je les mêle ici pour un moment avec tout cet Orient dont les religions venaient tomber dans Romfe comme les fleuves dans la mer. Rome aurait bien voulu emprunter seulement aux religions étrangères ce qu'on appelait leur science^ c'est-à-dire leurs recettes en fait de merveilleux, et les plier néan-
^0 LE ClIlUSilANISME ET SES ORIGINES.
moins à son propre es])rit, à l'esprit du citoyen; mais cela était bien diflicile.
Cette invnsion des dieux barbares ne s'était pas faite sans résistance. Vers le milieu du second siècle avant notre ère, un sônatus-consulte avait ordonné de raser les temples d'Isis et de Sérapis ; en raconte, il est vrai, qu'aucun ouvrier n'osait attenter à ces murs sacrés; il fallut quePaul-Émile lui-môme donnât le premier coup. C'est quelques années après qu'un édit du préteur chasse de Rome, d'abord les astrologues chaldéens, puis les adorateurs deSabaze. Au moment presque où Cicé- ron écrivait, un édit des consuls avait défendu de placer les images des dieux d'Egypte dans le Capitole; et on avait relégué leur temple dans les faubourgs. On ne put rien contre les imaginations, entraînées par l'attrait ou par la terreur de ce surnaturel lointain, plus étonnant parce qu'il était lointain, et, en quelque sorte, plus sur- naturel.
Voilà où en étaitla raison humaine, flottant au hasard sous tous les vents, sans pouvoir échapper au naufrage. La science seule aurait pu la sauver, mais le plus grand nombre était en proie à l'ignorance.
On s'étonne d'entendre parler d'ignorance quand il s agit du siècle de Cicéron et de César. An premier coup d'œil jeté sur le monde d'alors, il semble que la civilisation n'ait jamais eu d'éjioque plus brillante. Entre le consulat de Cicéron et la guerre civile, tout îst en paix, à l'excoplion de quelques barbares; le gouvernemenl Unmain agit partout sans obstacle, faisant admirer aux peuples qui la subissent sa constitution po-
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litique comme l'organisation de ses armées ; tout est ou- vert au commerce par terre et par mer; partout sont tra- cées des voies, partout s'élèvent des ponts, des aque- ducs, des monuments de toute espèce, hàik pourdéûer le temps et pour étonner l'avenir. La plus grande partie de cet immense empire est en pays grec; le reste a reçu aussi la culture hellénique ; les œuvres des arts y abondent ; temples, théâtres, thermes . sculptures et peintures, pompes religieuses, représentations drama- tiques, tous les exercices de l'esprit et du corps. Il y a partout des orateurs et des philosophes, des écoles et des bibliothèques. La tradition littéraire remonte jus- qu'à Homère, et la tradition scientifique jusqu'à Thaïes; l'art médical est constitué depuig Hippocrate. Une cu- riosité infinie interroge la nature ; déjà les sages des premiers temps ont obtenu d'elle de grandes réponses; mais à partir d'Aristoie, c'est vers la science que se portent surtout les esprits en même temps que vers la philosophie. Les mathématiques pures et la physique mathématique, la science musicale, la mécanique, l'as- tronomie, la géographie, l'histoire naturelle, poussent très-loin leurs recherches et leurs découvertes. Les noms d'Euciide, d'Archimède, d'Aristoxène, d'Héron, d'Hérophile •, d'Hipj)arque, d'Ératosthène, sans parler d'Aristote et de Théophraste, comptent parmi les plus grands noms. On savait aussi faire quelque application de ces sciences aux besoins de la vie, aux opérations de la guerre, par exemple. L'invention d'ailleurs ne man-
U Le premier, dit-on, qui ait disséqué des corps humains.
92 LE CHRISTIAiS'ISME ET SES ORIGINES.
quait en aucun genre. De plus savants que moi sur les choses de l'industrie ont la plus haute idée de ce qu'elle pouvait faire chez les anciens. La pharmacie était de k plus grande richesse. La télégraphie, je dis la véritable, la télégraphie alphabétique, a été trouvée du temps de Polybe. D'un autre côté, les sciences historiques et philosophiques s'étaient développées avec tout le reste.
Les grammaticjues ou grammairiens d'Alexandrie fondaient la critique et l'interprétation des textes; on étudiait la langue, on approfondissait la chronologie, on abordait toutes les branches de l'histoire, et particuliè- rement l'histoire des lettres, ou des arts, ou des sciences. D'une part, la curiosité^ne reculait devant aucun détail; on écrivait, par exemple, plusieurs livres sur les dis- ciples d'Isocrate, on multipliait les biographies et les monograpliies ; de l'autre, on généralisait et on systé- matisait, et on arrivait ainsi à la conception de l'his- toire universelle.
Devant un pareil tableau, on ne peut trop admirer le génie des Grecs ; mais il y a une chose que ce génie n'avaitpu faire et qui était réservée au monde d'aujour- d'hui, c'est d'aménager, pour ainsi dire, toute cette science, pour en faire le profit de tous. La science était alors, jusqu'à un certain point, aussi personnelle que j'esprit le sera toujours. D'abord, certaines vérités très- hautes, comme le mouvement de la terre autour du soleil, ne pouvant être constatées faute d'observations et de données suffisantes, restaient à l'état d'hypothèses, que personne n'était obligé d'aceepler, et qu'un rc])0us-
ÉPOQUE ROMAINE. - CICERON. 93
sait en effet presque unniiimement. Quant aux véiilés démontrées de mathématique ou de physique , elles étaient reçues et enseignées par tous les hommes du métier, mais c'était dans des écoles à part, où qui voulait seulement allait les entendre; personne n'y était obligé, et beaucoup , en effet , s'en dispensaient. Ces leçons étaient le complément et le luxe d'une éducation dis- tinguée; mais ceux mêmes qui les recevaient à ce titre les regardaient plutôt comme des exercices recherchés de l'esprit que comme des acquisitions à conserver. Le plus souvent ils les oubliaient, Polybe a vu des chefs ef des généraux qui ne pouvaient comprendre que 3Iéga- lopolis ayant 50 stades détour etLacédémone 48, Lacé- démone fût cependant deux fois grande comme Mégalo- polis : c'est, dit-il, quils ne se souviennent plus de leur géométrie.
D'autres retenaient ce qu'on leur avait appris, mais comme des curiosités qui ne pouvaient être d'aucun usage, et dont ils ne se croyaient môme pas bien surs. Cicéron, dont l'esprit est si avide, était au courant de toutes les doctrines des astionomes et des cos- mographes ; mais sur bien des questions (comme , par exemple, celle des antipodes) il ne sait que penser, et il ne tient pas précisément à le savoir ; il est disposé à croire que ses maîtres s'aventurent beaucoup quand ils décrivent ce qui se passe dans le ciel, ou seulement dans l'autre hémisphère, comme s ils y étaient allés. Si on s'avisait aujourd'hui d'embrasser la thèse d'un scep- ticisme universel, on serait eml)arrassé de l'évidence des connaissances mathématiques et physiques, eî on
94 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
se croirait tenu de faire exception pour celles-là ; alors, au contraire, c'était sur l'incertitude prélenJue de cet ordre de spéculations que le pyrrhonisme s'appuyait de préférence.
Il résultait de tout cela qu'un faux système du monde se maintenait dans toutes les écoles-, et il s'y est main- tenu jusqu'à la fin, soutenu par les préjugés religieux. Il en résultait encore que celui qui travaillait sur une science avait toujours tout à recommencer, rien n'étant acquis, rien n'étant passé à l'état de connaissance élé- mentaire; et par cela môme, on risquait que tout restai inachevé et inexact. Pour expliquer la géographie des Alpes à ses lecteurs, Polybe se croit obligé d'abord de leur apprendre qu'il y a trois parties du monde, et quelles elles sont, particulièrement l'Europe, Les Latins, beaucoup moins ouverts et moins curieux que les Grecs, ne faisaient que traduire leurs livres sans y rien ajouter du leur. Cicéron ayant écrit quelque part que tous les peuples du Péloponèse étaient sur la mer, Atticus lui objecte que l'Arcadie tout entière est dans l'intérieur des terres. Cicéron est étonné ; il répond qu'il n'a pour- tant parlé que d'après un bon auteur, et il le cite ; il a consulté d'ailleurs un Grec qu'il a chez lui et qui est d'avis qu'il ne se trompe pas. Cependant il se rendit et il corrigea la faute. « On peut juger par ce passage cu- rieux, dit à ce sujet M. Villemain, combien les notions géographiques avaient alors peu de certitude et d'éten- due. » Il faut dire, plus généralement, les notions scien- tifiques; et cela est vrai des sciences historiques aussi bien que des sciences physiques. Là encore Cicéron se
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distingue par une curiosité qui lui fait honneur; il a souci des dates et se garde des anachronismes; il profile de son mieux des doctes recherches de Varron. Et pour- tant il accepte sans scrupule, après Polybe, et avant Tite-Live, une histoire convenue des temps primitifs de Rome, dont une véritable critique ne saurait s'accom- moder.
La science est pour nous une institution sociale, ou plutôt un des fondements de notre vie : les classes, les examens, les académies, dont elle est l'objet perpétuel; les services publics et les corps qui l'appliquent sans cesse et qui n'existent que pour l'appliquer; l'emploi, enfin, qui s'en fait de toute manière et tous les jours, ne permet à qui que ce soit de rester étranger à ses ré- sultats. On caractérisera, au contraire, l'état intellectuel des anciens en un mot, si on dit qu'il n'ont jamais eu que des sciences occultes. En dehors des adeptes, au- cune doctrine ne faisait autorité. Et ce que je dis de l'antiquité est demeuré vrai, du moins dans une certaine mesure, presque jusqu'à nous. Il n'y a pas deux cents ans que Fontenelle, inaugurant l'Académie des sciences, prononçait ces paroles, qui étonnent tant aujourd'hui : « On traite volontiers d'inutile ce qu'on ne sait point; c'est une espèce de vengeance; et comme les mathéma- tiques et la physique sont assez généralement incon- nues., elles passent assez généralement pour inutiles, v Il est donc permis de dire à la fois et que les anciens ont su bien des choses, et que la science leur a manqué; et c'a été là leur grande faiblesse. S'il y avait eu une science constituée chez les anciens, il y a longtemps, je
£6 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
le crois, que les grandes superstitions auraient disparu du monde.
Rien ne mesure mieux où en était l'antiquiic que de voir tout une école, celle d'Épicure, la plus répandue de toutes, condamner publiquement la science et la dé- mentir. Elle la considérait comme une religion, dont elle avait peur d'être dupe autant que de l'autre. Une fois seulement, cet instinct l'a bien servie. Tout en admet- tant, avec toutes les autres écoles, ce monde fermé auquel on croyait universellement, elle a supposé har- diment au delà de ce ciel d'autres cieux en nombre infini ; c'est la seule grande idée qu'elle ait eue, et elle l'avait prise à Démocrite. Mais, pour tout le reste, quelle phy- sique mesquine et puérile! Voyez le poume de Lucrèce, tout à côté de Cicéron. Il se récrie contre l'absurdité de supposer des antipodes, des hommes qui seraient par rapport à nous comme est notre image reflétée dans l'eau. Il déclare encore que le soleil ne peut être ni beaucoup plus grand ni plus petit qu'il ne parait à nos yeux. Cherchant pourquoi les nuits sont longues en hi- ver, il en donne d'abord la bonne explication, ou à peu près, qui se tire de la figure de la sphère représentant le mouvement apparent du soleil ; mais cela ne l'empêche pas d'en proposer une autre, qui est que l'air où le soleil entre, en passant sous la terre, étant épaissi et congelé par le froid, lui oppose une plus grande résistance et le retient plus longtemps. Enfin, parmi les explications qu'on peut donner des phases de la lune, il trouve celle que voici aussi plausible qu'une autre : la nature i)eut l'aire tous les jours une lune nouvelle; celle d'hier est
ÉPOQUE HUMAINE. - CICÉUON. 97
détruite et elle fait place à une autre; ces lunes de figu- res diverses peuvent se succéder dans un ordre régu- lier, comme se succèdent les saisons.
Si une école, inférieure sans doute et vulgaire, mais enfin une école, avait des vues si bornées sur la nature, que pouvaient être celles de la foule? Ces doctrines, si elles peuvent s'appeler ainsi, étaient celles du grand nombre parmi les gens qui prétendaient penser quelque cbose, et un poëte admirable les traduisait en beaux vers. Est-ce bien là ce que nous entendons quand nous parlons d'un siècle de lumières?
Ainsi, le monde ancien n'était pas suffisamment dé- fendu de la superstition par la science; il ne l'était pas non plus par la philosophie. La philosophie elle-même n'avait fait que trop de place aux croyances populaires dans ses doctrines; bien peu de philosophes étaient ce que nous appelons rationalistes. Ceux-là se comptaient, et leur influence était petite. Des deux grandes écoles qui se partageaient le monde, celle des Stoïques et celle d'Épicure, l'une protégeait et consacrait les religions, et l'autre avait transigé avec elles. Non-seulement les Stoïques conservaient, au-dessous de leur théologie philosophique, les noms et le culte des dieux, et ado- raient le ciel et les astres; mais ils autorisaient et ils parlngeaient la foi des peuples dans la divination ; ils croyaient aux songes, aux oracles et aux présages; Chrysippe avait employé des livres entiers à l'his- toire et à l'interprétation de ces prétendus signes divins. Us croyaient enfin à des esprits immortels, dont Vair ûlail rempli^ chargés des communications du ciel avec II. 7
98 LE christianisai: et ses origines.
la terre; le célèbre Posidonios, contempornin de Cicé- ron, celui qui disait à la douleur, dans un accès de goutte : « Tu ne me feras pas avouer que lu sois un mal », avait écrit un livre sur ces esprits ou démon ^i. Ainsi, la plupart de ceux que les hommes de ce temps reconnaissaient pour lours maîtres dans la pensée, n'étaient nullement des esprits forts. Ceux qui pouvaient l'être, comme les Académiques et comme Cicéron, l'étaient pour eux-mêmes et pour un petit nombre à peu près capable de les comprendre. La philosophie restait dans les livres et dans les écoles, et ni les unes ni les autres ne s'ouvraient à tous. Quoiqu'on écrivit beaucoup, ces livres manuscrits étaient loin d'avoir l'immense puissance de diffusion que l'imprimerie a donnée à la parole humaine; ils n'étaient pas, à beau- coup près, aussi répandus qu'on pourrait le croire. Ci- céron, qui était si haut placé, qui était riche, qui él lit par excellence un homme de lettres, n'avait pas chez lui tel ouvrage essentiellement classique. Il était obligé d'emprunter à la bibliothèque de Lucullus des livres d'Aristote, à celle d'Atticusles écrits de Varron. Quand on voulait augmenter sa bibliothèque, on était arrêté par une difficulté extrême de se procurer des exem- plaires corrects. D'après cela on comprend assez que le peuple ne lisait pas.
Voilà comment il se fait que Cicéron, en philosophie, a deux langages, l'un dans ses discours, l'autre dans ses livres : « Mais il est difficile de nier les dieux! — Sans doute, dans une assemblée du peuple, mais dans un entretien avec des amis qui confèrent ensemble,
ÉPOQUE ROMAINE. - CICÉRON. 99
rien n'est plus aisé. » Celte conférence, prétendue in- time et secrète, c'était un livre, le livre de Nalura dco- rum, c'est à dire sur ce qu'il faut penser des dieux.
Il dit encore, après avoir ramassé tout ce qui peut se dire contre les croyances religieuses : « Il ne faut pas soulever ouvertement ces discussions, de peur de ruiner les religions reçues. »
Cicéron s'est moqué partout, et bien haut, de ce qu'on raconte sur les enfers; cela ne l'empêche pas, dans la dernière harangue qu'il ait prononcée en plein forum, de promettre solennellement à ceux qui sont morts pour sa cause les joies de l'Elysée, et de menacer de toutes les peines du Tartare les morts ennemis. Il pensait, sans doute, ce qu'un autre a dit en ces termes : « La mythologie des enfers, quoique étabhe sur des fictions, contribue beaucoup à entretenir la religion et la justice parmi les hommes. » Les esprits étaient divisés en deux régions, et de la première la pensée ne descendait pas jusqu'à l'autre.
C'est sans doute ainsi qu'on peut s'expliquer com- ment on trouve, par exemple, au milieu des livres d'Héron d'Alexandrie sur la mécanique, des explica- tions au sujet des artifices savants par lesquels on ob- tenait que les portes d'un temple parussent s'ouvrir ou se fermer d'elles-mêmes miraculeusement à certains jours et à certaines heures. Pendant que les curieux li- saient et étudiaient ces explications, la foule continuait d'attendre le miracle avec une pieuse impatience et de l'accueillir avec vénération.
Enfin, parmi les penseurs, il ne faut compter que
100 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
des hommes; les femmes ne philosophaient pas, et on ne philosophait pas pour elles. Il y a des exceptions sans doute; certains esprits ne peuvent être tenus fer- més, quoi qu'on fasse; mais ce n'étaient que des excep- tions. Nous avons une lettre où Cicéron écrit à sa femme qu'il a été malade, mais qu'une évacuation de hile l'a soulagé tout à coup et l'a relevé d'un état d'abattement qui faisait peine, comme si un dieu s'était mêlé de le guérir. Et il ajoute : Tu t'acquitteras envers ce dieu, je veux dire Apollon ou Esculape, avec ta piété et ta dévotion accoutumées. » Quand on rapproche de telles paroles du Dialogue de Naliira deorum^ on se dit que la femme à qui elles sont adressées ne lisait pas sans doute les livres de son mari et restait entièrement étrangère à ses pensées. Ou bien il faudrait admettre que Térentia, et peut-être Cicéron lui-même, ne se souciaient pas de mettre d'accord leurs idées et leur conduite, leur façon de raisonner et leur façon d'agir; ou encore, si on veut, que les philosophes eux-mêmes n'étaient pas philosophes à toute heure ; que Cicéron faisait pour les dieux comme on fait souvent pour les médecins ; qu'il s'en moquait quand il était en bonne santé, et devenait croyant s'il était malade. J'aime mieux n'attribuer ({u'à Térentia toute seule cette foi en Esculape et en Apollon, et dire que la femme de Cicéron était tout simplement, comme bien d'autres, une bonne païenne.
Il s'en faut donc de beaucoup que la prédication juive ou chrétienne, lorsqu'elle viendra à se répandre, doivo trouver dans le monde romain des oreilles dures a la croyance et qui se délient dos voix d'en haut. Uii
ÉPOQUE ROMAINE. — GICÉRON. lOl
prend trop à la lettre une parole de l'opôtre Paul : c Les Juifs demandent des signes et les Grecs de la phi- losophie ». Il parle ainsi à cause de tant de philosophes qui allaient disputant par les lieux publics des villes grecques ; mais, outre que leur philosophie était bien mêlée, ce n'était pas de la philosophie que demandaient les multitudes. Personne ne s'étonnait du merveilleux; on l'attendait à toute heure et on était prêt à l'accueil- lir; et, loin qu'une doctrine fût suspecte si elle s'annon- çait comme surnaturelle et divine, elle répondait par là, au contraire, à tous les instincts et à tous les be- soins de ce temps.
Ce n'est pas dans l'ordre de la critique, c'est dans celui de l'action morale que la philosophie était vrai- ment grande ; là, son empire s'étendait sur tout le monde; ceux même qui la connaissaient le moins avaient été touchés de son esprit, et, jusqu'à un cer- tain point, ils vivaient sans le savoir suivant elle. L'es- prit païen, si on entend par là l'esprit de sensualité et de débauche au dedans, d'inhumanité et de violence au dehors, allait s'amoindrissant de jour en jour. Toutes les écoles, si divergentes en métaphysique, se confon- daient bien plus qu'on n'aurait pu croire dans une même morale, et tiraient une grande force de cet accord. Les textes, devenus plus abondants pour nous à celte épo- que, nous étalent de tous côtés ce que nous avons déjà entrevu, comment la philosophie était en pleine pos- session de la direction morale des hommes et exerçait un empire dont la religion n'a fait qu'hériter. Les livres des philosophes, qui se multipliaient sans cesse, em-
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brassaient toutes les questions morales qui peuvent in- téresser la vie privée ou la vîfe publique ; ils écrivaient des exhortations, des lettres d'avis et de conseil, des consolations surtout; car on les regardait comme étant chargés, par leur profession même, de ce ministère de consolateurs, ainsi que les prêtres l'ont été depuis. Il y avait des livres sur toutes les espèces de misères dont les hommes peuvent être affligés : la pauvreté, la dégra- dation, l'exil, la ruine de la patrie, la servitude, l'infir- mité, la cécité, la perte des enfants ; il y en avait aussi sur toutes les passions \ ils offraient des remèdes pour les maladies du dedans comme pour les maux du dehors. Ils entraient dans tout le détail des devoirs, et ils ont fondé cette science des difficultés morales que les Chré- tiens ont appelé la casuistique; mais elle était, chez les philosophes, bien plus sensée et plus pure que chez les casuistes, parce qu'ils n'avaient à consulter que leurrai- son et leur conscience, et non ces intérêts de gouver- nement et de politique qu'on ne peut servir que par la subtilité et le mensonge. Ces leçons déposées dans les livres étaient d'ailleurs continuellement renouvelées et développées par la parole vivante des philosophes dans leurs écoles, très-suivies à Rome comme dans la Grèce. Celles de la Grèce n'étaient pas fréquentées seulement par les Grecs ; les Romains se plaisaient à aller chercher la philosophie à sa source môme, sur la terre helléni- que, et à Athènes en particulier. L'Académie et le Lycée étaient comme des sanctuaires que tout ce qui pensait tenait pour sacrés; on y allait, pour ainsi dire, en pèle- rinage. On allait voir les endroits où avaient enseigné
ÉPOQUE ROMAINE. — CICÉRON. 103
Speusippe, Xénocratc ou Polcmon ; Cicéron, dans sa jeunesse, visitait avec respect la chaire où s'était assis Carncade, et' qui semblait veuve de ce beau génie. « Mais, disait-il, on n'a jamais fini dans celle ville, et, de quel- que côté qu'on se tourne, on y marche sur un souve- nir. » Athènes était le vrai centre de cette religion delà sagesse qui s'étendait au monde entier. Car, comme Cicéron le dit encore, « ce qui est écrit en grec est lu à peu près partout; le latin ne s'étend pas au delà de son territoire, qui est peu de chose. »
Enfin, les philosophes pénétraient jusque dans l'inté- rieur de chacun. Les grands seigneurs les attachaient à leur maison et à leur personne, ou les recevaient fré- quemment, entretenant avec eux un commerce suivi et les réunissant dans des conférences. C'était un des plus beaux luxes d'une grande existence romaine. Cicé- ron se vante de l'éclat que son intérieur a reçu de ces amitiés des sages; il nomme les plus grands, Diodote, Philon, Antiochos, Posidonios, qui l'ont formé. Il nous apprend que Diodote est mort chez lui, aveugle, après y avoir passé bien des années. De tels commerces n'étaient pas à la portée du grand nombre, mais le grand nombre n'en consultait pas moins Les philosophes quand il avait besoin de ce secours.
Comme le ministère du prêtre, celui du philosophe avait ses rigueurs ; il avaità reprendre les pécheurs et aies harceler de sévériléa salutaires; il était alors comme un médecin obligé à une opération douloureuse et qui ne peut guérir son malade sans le faire crier; et il y en avait en effet qui pleuraient, sous les reproches
10* LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
de celui qu'on peut bien appeler leur directeur. Tout naturellement, on employait volontiers les philosophes auprès des jeunes gens; nous voyons ainsi le fils de Ci- céron, son cher Marcus, qu'il a envoyé â Athènes, placé par son père sous la discipline deCralippe. Il nous reste une lettre de Marcus, écrite à Tiro, l'affranchi et le fa- vori de son père, et à l'adresse sans doute de celui-ci même, où il dit : « Tu sauras que je ne suis pas pour Cratippe un disciple, mais un fils... Je pusse avec lui des journées entières. » Et comme il était question d'un voyage que le jeune homme désirait faire en Asie, un ami de Cicéron lui écrit: « J'aurai soin que Cratippe aille avec lui. »
Il n'est donc pas étonnant que là même où Cicéron, comme on pouvait l'attendre d'un tel personnage, con- damne sévèrement le loisir de ceux qui se dérobent au service public de la cité, il respecte pourtant la retraite du philosophe, reconnaissant que lui aussi sert la patrie et l'humanité, et qu'il remplit à sa manière une espèce de fonction publique.
De même que, dans les temps religieux, le langage de la dévotion n'est pas seulement celui du prêtre, et que le monde le parle aussi aux grandes occasions, ainsi les philosophes n'étaient pas seuls à philosopher. Nous avons, dans la correspondance de Cicéron, des lettres de consolation qui lui sont adressées, d'autres qu'il adresse lui-même à des amis. Nous y voyons dé- veloppés les mômes lieux communs de morale qui rem- plissent les sermons philosophiques : « Kn revenant de l'Asie, comme je faisais voile d'Egine à Mégare, je me
Éi'OQUE ROMAINE. — GiCÉRON. 103
mis à regarder les pays (jui m'entouraient. Derrière moi était Égine; devant, Mégare; à droite, le Pirée ; à gauche, Corinlhe : toutes villes autrefois si florissantes qui étaient maintenant là, abattues et ruinées'. Je me pris à me dire à moi-même : Ah! pauvres hommes, nous sommes révoltés de ce qu'un de nous vient à mourir, ou qu'il est tué, nous dont la vie est si courte, quand nous pouvons voir ramassés ensemble sous nos yeux les corps morts de tant de cités. Ne te contien- dras-tu pas, Servius? Ne te souviendras-tu pas que tu es un homme? Crois-moi, cette pensée ne m'a pas mé- diocrement soutenu; à ton tour applique-toi à te la représenter... N'oublie pas que c'est toi qui d'ordinaire donnes aux autres des conseils et des leçons ; ne fais pas comme les mauvais médecins, qui font profession d'avoir des remèdes pour les maladies d'autrui et ne savent pas se guérir eux-mêmes 2. » Voilà ce que Ser- vius Sulpicius, un consulaire, écrivait à Cicéron au sujet de la mort de TuUia.
Ailleurs, c'est à ses souffrances de citoyen et d'homme libre tombé dans la servitude, que Cicéron applique les moralités stoïques, en écrivant à un ami politique qui avait été frappé avec lui : « Si c'est assez de penser bien et de bien faire pour vivre véritablement heureux, il me semble que celui qui peut se soutenir par la con- science de n'avoir jamais eu que les meilleures inten- tions ne saurait sans crime se tenir pour malheureux... Réglons-nous sur ce principe, qui est celui Aq la sa-
1 . Corinlhe fut restaurée plus tard par Auguste.
2. Méilecin, guéris-loi toi-même, dit l'Évangile.
106 LE GIIR1STIANISMI-: ET SES ORIGINES.
gesse et de la raison, que nous n'avons à nous nicUre en pe'me de rien que de nos fautes; et puisque nous n'en avons pas à nous reprocher, supportons avec calme et résignation des maux qui sont ceux de la con- dition humaine. » Et comme celui à qui il écrit, et qui est exilé, vit dans Athènes : « Tu es dans une ville, lui dit-il, où les murs mêmes peuvent t'en dire plus et plus éloquemment que moi. » Mais il ne garde pas tou- jours sa philosophie pour des occasions si hautes. Voici ce qu'il écrit à son ami Atticus : a J'ai deux corps de logis qui viennent de tomber, et les autres menacent ruine; si bien que non-seulement ceux qui y logeaient sont partis, mais jusqu'aux rats. D'autres appellent cela un malheur, je ne l'appellerai même pas un désagré- ment. 0 Socrate ! ô Socratiques! jamais je ne vous re- mercierai assez. Dieux immortels! que tout cela m'est peu de chose! Néanmoins,. je vais faire rebâtir de telle façon que la perte me fera du profit. » Ce dernier trait est d'une naïveté admirable, et nous voilà bien édifiés sur la grandeur d'âme de Cicéron. Mais ce n'est pas pour faire honneur à sa philosophie que j'ai cité ce pas- sage; c'est pour montrer à quel point la philosophie pouvait devenir pour les hommes d'alors une habitude de l'esprit, et comme un style qu'on parlait sans y pen- ser. Cicéron me fait ici l'effet d'un dévot, qui ne peut dire qu'il lui a fallu débourser quelque chose, même utilement, sans ajouter tout de suite avec une grimace : Je l'offre à Dieu !
Cicéron ne le i)rcnd sur ce ton qu'avec ses amis, familiers comme lui, sinon autant que lui, avec la phi—
ÉPOQUE ROJIAI.NE. — CICÉRON. 107
losophie; il ne parle pas ainsi, en général, dans î^cs dis- cours publics et pour les profanes; Caton ctaiL plus hardi. Cicéron remarque avec une sorte d'étonnement jaloux qu'il ne craignait pas, en plein sénat, de déve- lopper certaines élévations de la philosophie morale, cl qu'il réussissait même à les faire accepter. C'est que Caton avait par-dessus Cicéron, si docte et si beau par- leur, la hardiesse et la puissance que donnent une foi vive et un sentiment profond.
Après tout, la philosophie à Rome n'en était plus à demander grâce; tout le monde savait ce qu'elle vaut, et il ne se trouvait plus pour la dédaigner que les fri- voles et les grossiers. C'est un de ces hommes que Vai- ron apostrophait ainsi dans un passage de sa Sallre selon Mcnipjic : « Si toute la peine que tu t'es donnée pour que ton esclave boulanger {luus pistor) te fasse du pain excellent, tu en avais pris seulement la douzième partie pour la philosophie, c'est toi-même qui depuis longtemps serais devenu excellent. Mais aussi, ceux qui connaissent ton pistor sont prêts à le payer cent mille sesterces, et toi, on ne donnerait pas de toi seulement cent as. » Sans la philosophie, on n'était pas ce que nos pères appelaient un honnête homme. La philosophie, c'était la civilisation même, c'était la moralité.
Celte morale du temps de César, nous n'avons pas à la rechercher dans des renseignements épars çà et là, comme pour l'époque qui précède ; nous la retrouvons toute vivante dans les écrits de Cicéron. C'est la pre- mière fois, depuis que j'ai quitté Platon et son sévère disciple^ que je puis renvoyer mes leclcuis à des textes
108 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGlMilS.
suivis, OÙ les pensées et les sentiments dont se nnu - Tissaient les esprits se réfléchissent dans le fleuve lim- pide d'une belle parole. Ce n'est plus l'imagination de Platon, ce n'est pas son originalité; mais c'est un lan- gage sain et sans sophistique, plein de mouvement ora- toire, toujours noble, et souvent fin et délicat. Il nous rend, sinon tout le meilleur de Platon, du moins ce qu'il a de plus communicable et de plus universel, et aussi ce qu'ont ajouté à Platon ceux qui sont venus après lui, particulièrement les Stoïques, les interprètes les plus élevés et les plus sûrs de la philosophie morale. L'inspiration dominante de cette éloquence est l'amour de la vertu, soit dans son idée générale, soit dans les divers aspects particuliers de celte idée : justice, sa- gesse, force, tempérance; le respect de tout ce qui est grand, le mépris de tout ce qui est bas; le cuite, pour ainsi dire, de la conscience, autorité suprême, témoin et juge toujours présent, le plus grand théâtre que puisse avoir la vertu. « Tandis que Xerxès, à ce qu'on rapporte, proposait un prix pour qui inventerait un nouveau plaisir, j'aimerais mieux, dit Cicéron, en ré- server un à qui persuadera aux hommes de ne rirn mettre au-dessus de la vertu. » Il jette de tous côtés des traits semblables. Il proclame à son tour le grand prin- cipe par lequel on peut se défendre sûrement de l'injus- tice : « Dans le doute si ce que tu veux faire est juste ou injuste, abstiens-loi ». Il définit le courage : la vertu combattant four la justice. Et lui-mèmo, en effet, dans sa vie, s'il n'était pas toujours capable du grand, y as- pirait du moins toujours. C'est lui qui s'écriait, dans
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une occasion où on pouvait le soupçonner d'avoir recule devant le péril : « Étais-je si ignorant, si grossier, si dépourvu de résolution ou d'intelligence? N'avais-je rien vu, rien entendu , rien appr is par la lecture et l'étude ? Ne savais-je pas que la vie est courte et que la gloire ne meurt pas? que la mort étant un terme mar- qué à tous, il faut souhaiter que cette vie, dont on doit compte à une nécessité supérieure, soit donnée à la patrie plutôt que gardée à la nature? » Il rapporte ainsi lui-même à la philosophie et à ses leçons l'honneur des meilleurs sentiments qu'il trouve en lui. Il cherche par- tout et met en lumière, soit les belles histoires, soit les scènes de théâtre qui peuvent servir à la vertu : Oresle et Pylade, ou Damon et Phintias, la patience d'Hercule ou de Prométhée. A côté des joies d'une âme contente d'elle-même, il fait valoir encore et il recommande les salutaires tristesses du remords.
En ce qui touche ce qu'on appelle proprement les mœurs, il désavoue les licences païennes d'Athènes et de la Grèce; il les condamne jusque dans Platon, et témoigne ainsi que, par l'action du temps, par celle des Sioïques et par celles des mœurs romaines, il s'était formé un esprit nouveau, qui s'appellera bientôt l'esprit chréiien. Ce serait là pour nous une des parties les plus intéressantes de la morale cicéronicnne; mais précisé- ment les livres où elle était exposée sont perdus; c'étaient les livres de la République. Mais voici un témoignage qui vaut celui des textes eux-mêmes; c'est une lelirc d'Augustin au païen Nectaire: « Vois, lui dit- il, ces mêmes livres de la République que tu allègues
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pour montrer qu'un homme de bien n'a jamais as-^ez fait pour sa patrie et n'est jamais quitte de la servir. Considère combien y sont célébrées et prèchées la fru- galité et la continence, el la fol au lien conjugal^ et louic ■espèce de pureté et dlionnêteté. Eh bien, c'est cette pu- reté de mœurs qu'on enseigne aux peuples dans nos Églises, qui vont se multipliant par tout le monde comme autant de saintes écoles où l'on apprend la vertu. » Et il conclut que c'est donc en faisant place à ces Églises et à leur bienfaisante influence que Nectaire peut en cfict servir sa patrie. Je ne cherche pas ici ce que Nectaire aurait pu répondre; cela me jetterait à cinq cents ans de Cicéron ; je prends dans ces paroles ce qui nous per- met de juger de la morale de la République. Et, en même temps , je prie qu'on remarque que ce n'est pas nous autres modernes, c'est Augustin qui a fait une assimilation que j'ai eu à reproduire constamment dans ce travail. S'il appelle les Églises des écoles saintes, il nous est bien permis d'appeler les écoles des Églises philosophiques.
Cicéron a embrassé de tout son cœur et de toute son éloquence le grand dogme stoïque du droit qui unit tous les hommes et qui fait de l'humanité tout entière une seule famille. C'était la servitude commune sous les 3Ia- cédoniens qui avait rendu sensible cette vérité dans les premiers temps de l'école stoïque; elle devint plus évi- dente encore sous l'immense empire des Romains. Elle est, on peut le dire, au siècle de César, l'idée dominante, a Le monde est la cité commune des hommes ^et des
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•dieux ; » c'est la pure formule stoïque ; mais la voici reprise avec un accent nouveau :
« Dans toute cette doctrine de l'honnête que je dé- veloppe, il n'y a rien de plus éclatant ni de plus large que l'union des hommes avec les hommes, l'association et la communauté de leurs intérêts, et, en un mot, l'amour de l'humanité : » et ipsa 'carilas generis hiima- ni\ il fallait citer le latin pour conserver ce mot de cha- rité, consacré par la langue de l'Église. Ailleurs encore : « La plus haute des associations, je V ai souvent ditj et je ne puis le redire trop souvent^ c'est celle qui unit les hommes. » Et enfin : « Lès hommes devraient com- prendre qu'ils sont du même sang (se esse consangui- neosj, placés tous sous une seule et même tutelle. » La communauté devient ici fraternité.
A la même époque , Diodore de Sicile, en commen- çant son Histoire commune (ou universelle), marquait très-bien comment ce genre d'histoire répondait à ce sentiment de l'unité du genre humain : « Ces écrivains, voyant tous les hommes liés par la parenté qu'ils ont entre eux et séparés par les lieux et par les temps, se sont étudiés à les réunir dans un même ensemble, se faisant en cela les ministres de la Providence divine. »
La doctrine ne restait pas stérile, et cette charité portait ses fruits : Si un homme, dit Cicéron, ne sent pas qu'il agit contre la nature quand il attente contre son semblable , « comment raisonner avec celui qui anéantit dans l'homme l'humanité (hominem exhomine tollal) ? » Ailleurs il va plus loin, parlant non plus pour le vulgaire, mais pour le sage : « Il ne peut lui convc-
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nir non-seulement de faire injustice à un autre, mais de lui nuire en rien. » Mais ce n'est pas assez de ne pas nuire aux autres, la vertu doit les servir. « La nature veut qu'un homme prenne intérêt à un homme quel qu'il soit, par celte seule raison qu'il est homme. » Tout homme doit à tout homme , d'abord ce qui ne coûte rien et ce qui ne se consomme pas en se donnant, la lumière par exemple, au sens moral comme au sens propre; et, pour les secours auxquels ses ressources ne sauraient suffire, il doit encore plus ou moins, suivant ce qu'il a, et suivant ce qu'il lui reste quand il a satis- fait à ses obligations particulières.
L'homme de bien doit racheter des prisonniers, payer les dettes de ses amis accablés, doter leurs filles. C'était ainsi seulement que se faisaient accepter les grandes fortunes qui s'élevaient dans la société si inégale de ces temps. Pour les petites aumônes, Cicéron ne prend pas même la peine d'un parler, écrivant pour son fils, qui doit être un grand seigneur ; mais elles sont évidem- ment sous-entendues {De Off. II, 16).
Cicéron insiste, d'après ses maîtres, sur Vohligaliuu d'éclairer et d'instruire^ qui lui parait la première loi d'une nature faite pour la vérité, et qui est le principe tout à la fois de la prédication philosophique de l'anti- quité et de la prédication religieuse qui l'a suivie.
Plus le service s'étend, plus il a de prix. Faire en général du bien aux hommes est la formule suprême de la vertu. « La perfection de la nature, c'est celle de l'homme qui croit qu'il n'existe que pour servir ses son- hlables^ pour les protéger, pour les sauver ; c'est ainsi
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qu'Hercule est entré parmi les dieux. » Le grammairien fiellius ou Aulugelle, au siècle des Antonins, attribuait à son temps l'honneur d'avoir changé le sens du moi hii- 7ïiam7as; ce mot ne signifiait jusque-là, suivant lui, que la culture d'esprit qui distingue d'abord l'homme de la béte, et désormais il a signifié l'humanité. Gellius se trompait; ce sens d'/iimm«/<as est déjà dans Cicéron. Et cette vertu, l'homme n'a pas manqué de la transporter, comme il fait toujours, de la nature humaine, dont elle lui paraît désormais le comble, à la nature divine elle- même; dans l'idée de Dieu, il met alors avant tout la bonté; c'est Cicéron qui le remarque : « Dieu est le très-bon, dit-il, plutôt encore que le très-grand. » {Oplimus maximus: on l'appellera bientôt le bon Dieu.) Et il se plait à entourer ce nom de tous ceux qui expri- ment la même pensée: Dieu sauveur, hospitalier, con- servateur.
Une telle philosophie devait protester, et elle l'avait fait, contre les horreurs et les iniquités de la guerre et de la conquête. Dicéarquc avait écrit un livre, de la Destruclion des hommes, où il ramassait tous les fléaux par lesquels les existences humaines peuvent être em- portées : inondations, épidémies, et le reste; et il fai- sait voir qu'il n'y a pas de comparaison enire la dépo- pulation amenée par ces fléaux et celle que laissent après elles les guerres de peuple à peuple ou les sédi- tions intestines.
On ne peut attendre d'un personnage comme Cicéron qu'il condamne la domination romaine ; mais il est évi- dent que sa conscience, à ce sujet, est inquiète, et que
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la philosophie des Grecs l'a troublée. Il fait les plus grands efforts pour trouver à la conquête des jusiifica- lions ou des excuses; puis, quand il a fini là-dessus son plaidoyer, et qu'il a affaire, non plus au principe même de l'empire de Rome, mais à la manière dont elle l'exerce, alors tous ses sentiments sont à l'aise ; il demeure jusqu'au bout l'homme des Verrines, il dé- plore et flétrit ces violences des proconsuls, que le Sénat et la Republique ont expiées par la désaffection des sujets et par l'isolement où le monde les a laissés en face de la tyrannie. Il reprend comme philosophe ce qu'il avait développé si éloquemment contre Verres : « Le peuple romain ne peut plus tenir, je ne dis pas contre le soulèvement, la résistance armée, la révolte, mais contre les plaintes, les larmes, les gémissements des nations. » Mais un trait bien remarquable est le dé- saveu qu'il prononce sans hésitation de la destruction de Corinlhe. On peut le regarder comme l'amende ho- norable de Rome à la Grèce, institutrice du genre hu- main.
La justice est la vertu par excellence, parce que c'est celle par laquelle on sort de soi pour penser aux autres. Elle est une obligation envers tous, même envers les derniers des hommes, me'me envers V esclave. Sur ce point comme sur plusieurs autres, l'histoire encore avait avancé l'éducation morale des esprits. Non-seulement les guerres serviles, et, dans Rome même, surchargée d'esclaves, la part que cette classe d'hommes prenait ou menaçait de prendre dans toutes les crises, avertissait ceux qui ne sont justes que par prudence; mais cer-
Epoque romaine. - ctcéron. h:;
taines catastrophes, en touchant les cœurs, leur avaient appris que les esclaves mêmes étaient leurs semLk>bles. Mummius n'avait pas seulement détruit Corinthe, il avait mis les hommes en vente, je veux dire tout ce qu'il n'avait pas tué. Ces fils de la plus brillante des cités grecques après Athènes étaient allés servir comme es- claves chez d'autres Grec? , dans le Péloponèse ; Cicé- ron, en voyage dans sa jeunesse, en avait encore vu quelques-uns, accoutumés et peut-être déjà indifférents à cette servitude, qui ne l'en avait que plus touché, à ce qu'il semble. Mais la philosophie s'était placée, pour parler en faveur des esclaves, plus haut que la prudence, plus haut même que la pitié ; elle les mettait sous la protection du droit. Non qu'on osât contester le principe même de l'esclavage : une opinion si perturbatrice n'avait pu se faire jour que dans cette première jeunesse d'Athènes oîi ni la peur des révolutions ni la vigilance des gouvernements ne gênaient encore la liberté de l'esprit ; mais on enseignait, et Cicéron le répète, que l'esclave n'est qu'un serviteur loué à peiyéluilé , et qu'on lui doit comme à tout autre le juste prix de ses services.
Dans un passage oiî Cicéron explique le fameux para- doxe stoïque, qu'il faut dire simplement de tout ce qui est péché qu'il est péché, et qu'il n'est pas permis de dis- tinguer des fautes graves et des fautes légères, il donne cet exemple, que c'est même chose, selon les Stoiques, de battre son père ou de battre son esclave, si on le fait injustement ; il dit ailleurs : de tuer son père ou son es- clave. Et encore : que c'est même chose de déshonorer
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une tille sans nom ou riiéritière d'un noble sang. Si on réfléchit sur de tels exemples, on découvrira le côté sérieux de ces formules stoïques, dont celle-là semblait peut-être au premier abord la plus étrange. On les juge trop souvent sur les plaisanteries des adversaires, qui demandaient si c'est la même chose de tuer son père, ou de couper le cou, sans bonne raison, à un poulet. Les Stoïques ne reculaient pas devant ces conséquences extrêmes, car, après tout, il est mal de tuer un poulet sans raison ; mais, sur un pareil texte, leur morale ne touchait guères; c'est tout autre chose là où l'humanité est intéressée.
Le préjugé, toujours complaisant pour la force, ne manquait pas d'accorder à l'homme emporté par des appétits brutaux que battre un esclave c'est peu de chose, ou qu'abuser d'une fille de rien n'est pas un bien grand péché ; et on sent que celui qui avait fait le mal concluait volontiers, en sens inverse du paradoxe stoï- que : ce qui est peu de chose n'est rien ; ce qui n'est pas une faute grave n'est pas une faute. C'est là que l'école protestait et prêtait sa voix à la conscience : Ce qui est mal est mal ; laisse ces misérables distinctions du dehors, rentre au dedans; reconnais que la colère n'est jamais que la colère, et la débauche que la débau- che; tu t'es dégradé et tu as été injuste; tu es moins coupable que tel autre devant les lois des hommes, tu l'es tout autant devant la vraie loi, la loi suprême, celle en dehors de laquelle il n'y a que des insensés et des méchants. C'est ainsi que le paradoxe, qui semblait D'être qu'un tour de force de la logique, se tournait en
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protection du faible contre le fort. Qui peut douter que plus d'un jeune homme bouillant, mais honnête,
Ami de la verta plutôt que vertueux,
au moment de céder à une impatience ou à un caprice de volupté, n'ait été arrêté par cette parole si souvent entendue de ses maîtres : Cela n'est pas un petit mal, c'est le mal ; et puisque c'est le mal, c'est impossible? Quand pareille chose ne serait arrivée qu'une fois, ce serait assez pour ne relire jamais la formule de l'école qu'avec respect.
Mais combien il y avait encore à faire pour l'esclave ! Bien des passages témoignent à la fois, et de l'injustice invétérée qui l'accablait, et d'une lueur de justice qui commençait à poindre. On disputait encore, vers le temps de Cicéron, étant accordé en droit que l'usufruit d'un animal comprend la propriété de la portée, s'il en était de même de la portée d'une femme esclave pour celui à qui la femme appartenait en usufruit. La néga- tive fut adoptée, et la personne humaine fut mise à part. Mais écoutons Cicéron même, dans son traité des Z>e- voirs : « Hécaton, dit-il (c'est un disciple de Panétios), a rempli son sixième livre de questions comme celle-ci : L'homme de bien, dans une grande cherté du blé, peut- il se dispenser de nourrir ses esclaves? 11 examine le pour et le contre, mais il finit par prendre la règle du devoir dans l'intérêt plutôt que dans l'humanité. Il de- mande encore si en mer, quand il faut jeter quelque chose par-dessus bord, on jettera plutôt un cheval de prix ou un esclave sans valeur. L'intérêt parle dans un
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sens, l'humanité dans un autre. » Voilà tout, et il passe à d'autres questions. Que n'entrevoit-on pas sous ces lignes si négligemment jetées! Quelle lumière entre par là, et éclaire l'antiquité dans ses profondeurs! Nous sommes forcés de nous contenter de ce que Cicéron, sans le dire, semble incliner vers l'humanité ; et il nous faut considérer déjà comme un progrès, en fait de mo- rale, que le cas de conscience fût posé, et qu'on ne s'en rapportât pas simplement à l'instinct et à l'intérêt du maître.
Mais il y a ici à faire une observation. Nous n'avons que Cicéron pour nous représenter cette époque en phi- losophie; et pourtant je suis persuadé que, pour ce qui regarde cet ordre de devoirs, il ne représente pas, en effet, les esprits les plus éclairés et les meilleurs. C'est un Romain, un politique, le chef ou du moins l'inter- prète d'une aristocratie menacée; et les périls qu'il redoute, et contre lesquels il lutte de tous ses efforts, viennent précisément des pauvres et des obérés. Toute tentative de révolution s'annonçait par la promesse d'autoriser la banqueroute, totale ou partielle, des dé- biteurs. Quand on demande à Cicéron ce qu'il entend par les boni, les honnêtes gens, il répond nettement que ce sont les gens qui sont bien dans leurs affaires. Il reprochait aussi durement aux partisans de Catilina et de la révolte leur misère que leurs attentats. C'est Cicé- ron qui, à cinquante ans de distance, blâmait encore Philippe, un illustre personnage de l'âge précédent, d'avoir dit en plein Forum, étant tribun, fju'il nij avait pas deux mille hommes à Rome qui eussent du bien.
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'Cicéron ne dit pas que cela ne fût pas vrai, et pourtant une telle parole est à ses yeux im crime, capital^ car elle tend au soulèvement des pauvres et au boulever- sement de la république. Comment celui qui parlait ainsi, et qui peut-être ne pouvait parler autrement, aurait-il eu une grande charité pour les déshérités de ce monde? Comment se serait-il attendri sur les escla- ves, quand les esclaves, toujours prêts à se soulever, faisaient une telle peur aux honnêtes gens, que Galilina lui-même, les voyant affluer à son camp, n'avait pas osé s'en servir et avait refusé leur concours, de peur de compromettre sa cause? Appuyer sur la misère du pauvre, c'était ébranler la propriété; s'apitoyer sur l'es- clave, c'était encourager les guerres serviles. Mais les sentiments qui ne devaient pas se former dans des régions si hautes, je crois qu'on n'aurait eu, pour lesdé- couvrir, qu'à descendre des maîtres aux sujets. Les phi- losophes qui ne vivaient pas dans la maison des grands, ceux qui s'adressaient, soit à la foule des Grecs asservis, soit, dans Rome même, à tant de citoyens obscurs, aux affranchis, aux esclaves (car les esclaves de la ville étaient capables de les entendre), ne pensaient pas, sans doute, en toute chose, comme Cicéron. Il y avait ces Cyniques, que nous connaissons bien imparfaite- ment, mais dont nous savons qu'ils allaient par les rues et les places, à moitié nus, mendiant leur vie, grossiers dans leurs habitudes et dans leurs propos; ceux-là ne devaient pas avoir une philosophie aristocratique, et j'imagine que les principes d'Hécaton les auraient ré- voltés. Je ne doute pas, en un mot, que bien des esprits
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n'eussent déjà laissé pénétrer en eux, plus facilement que l'illustre consulaire, les pensées de justice et de fraternité; ce qui manque, ce sont des témoins pour nous le dire. Nous lisons les belles compositions de Cicéron; nous n'entendons pas la multitude des voix moins hautes par lesquelles la philosophie se faisait écouter et comprendre de la foule.
Cependant nous pouvons les deviner quelquefois, comme par exemple dans ce passage : « Quelques-uns estiment que le spectacle des gladiateurs est une chose cruelle et contraire à l'humanité, et peut-être en est-il ainsi dans les habitudes actuelles. Mais quand c'étaient des criminels qui combattaient, on ne pouvait adresser aux yeux (car il n'en manque pas qui s'adressent aux oreilles) des leçons mieux faites pour fortifier contre la douleur et la mort. » Ce que Cicéron accorde ici à l'hu- manité est peu de chose, et pourtant c'est quelque chose ; mais à travers ses paroles, n'entendons-nous pas les réclamations auxquelles il répond, et des voix qui par- iaient là-dessus plus éloquemment que lui-même? Et je ne veux pas dire les voix d'une plèbe méprisée et sacrifiée, les voix des Barbares, des Juifs, de ceux qui seront tout à l'heure les chrétiens; il ne les aurait pas même écoutées; mais des voix de philosophes ou de citoyens, plus touchés que lui, parce qu'ils sont moins distraits par des préoccupations de parti et moins éloi- gnés de ceux qui souffrent.
C'est dans la morale purement intérieure et qui ne touche pas à la politique, que la philosophie de Cicéron a toute son élévation ; c'est là que son éloquence rcs-
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semble à l'élocjuence de la chaire, qu'elle annonce. Elle nous la rappelle surtout par un caractère qui se marquera dans la suite de plus en plus, je veux dire un ton gé- néral de tristesse. Elle ne prend pas son parti des fai- blesses humaines, elle les suit avec une sollicitude inquiète ; elle nous traite comme des malades, et comme des malades bien difficiles à guérir; elle a une véritable terreur du péché. Si elle porte ses regards du dedans au dehors, pour considérer les conditions de la vie humaine, c'est avec un profond découragement; elle est mécontente des hommes et des choses; elle nous dégoûte de tous les biens et de l'existence même; et surtout les œuvres de Cicéron nous laissent voir com- bien dominait déjà autour de lui cet esprit ascétique qui s'est appelé plus tard par excellence l'esprit chrétien.
Non-seulement cette morale va jusqu'à faire une violence ouverte à la nature dans quelques-unes de ses prescriptions, comme quand elle nous propose pour idéal l'impassibilité absolue, ou quand elle exige que nous soyons détachés de tout, et qu'elle nous demande même de préférer la mort à la vie; mais elle porte encore dans des conseils plus raisonnables et plus légitimes une chaleur qui nous étonne aujourd'hui. Elle prêche, c'est bien le mot qui convient, contre chacun de nos vices, avec une véhémence et une passion qui est restée de tradition dans le discours ecclésiastique, mais que les moralistes philosophes ne connaissent plus. Elle fait le siège de ce péché, puis de cet autre, la co- lère, la cupidité, l'envie; elle l'enveloppe de tout un appareil de raisonnement et de doctrine, et puis elle
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livre l'assaut; elle presse sans cesse le cœur humain et ne lui laisse aucun repos dans ses erreurs, jusqu'à ce qu'elle ait réussi à le mettre dans le repos delà sagesse, le seul qu'elle croie complet et durable.
Cet esprit n'était pas nouveau : c'est celui de Platon et des Stoiques. J'en ai déjà indiqué le principe, qui ne faisait que s'accuser davantage à mesure que durait le monde ancien. C'est la triste situation de l'humanité dans des temps où le mal était partout, le mal sans espoir.
Au milieu de cette monstrueuse inégalité de la so- ciété antique, en celte absence de toute liberté et de tout droit, quand des troupeaux d'hommes étaient abandonnés dans leur existence tout entière à la brutalité de quelques- uns ; les passions des maîtres étant ainsi sou- veraines et déchaînées, il n'y avait d'autre ressource que de tâcher de leur faire peur à eux-mêmes, s'il était pos- sible, de tout le mal qu'ils pouvaient faire en s'y livrant. C'est là ce qu'essayaient les philosophes. Le Bourgeois gentilhomme de Molière, à qui on offre de lui apprendre la morale, en lui disant qnelle enseigne aux hommes à modérer leurs passions, n'en veut pas entendre parler : « Non, laissons cela, je suis bilieux comme tous les diables, et il n'y a morale qui tienne ; je me veux mettre en colère tout mon soûl, quand il m'en prend envie. » Cela est plaisant, parce que la colère de M. Jourdain ne fait pas peur; outre que c'est un bon homme, nous savons bien qu'il n'y a personne chez lui qui ne soit de force à lui tenir tête, à commencer par Nicole. Mais à la place de M. Jourdain, mettons un Verres dans sa pro- vince, ou à Rome même un de ces puissants qui te-
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naient sous leur toit des centaines d'esclaves à leur merci, avec droit de vie et de mort, droit 6^ torture et droit d'outrnge; on comprend ce que pouvait être la colère chez un tel homme, de quels attentats et de quelles souffrances elle était grosse; et on s'explique que les philosophes fissent des sermons sur la Colère, comme ils en faisaient en effet.
Le de Ira de Sénèque était encore, il y a peu de temps, le plus ancien livre qui nous restât sur ce thème; on a retrouvé sous le même titre un livre grec de Philodème dans les papyrus d'Herculanum. On y voit à l'œuvre la colère des maîtres; l'auteur nous les montre qui estropient leurs esclaves, qui leur crèvent les yeux, qui, tout au moins, les jettent dans la triste vie des fugitifs ou marrons, et se font ainsi de toute manière tort à eux- mêmes; on voit aussi les esclaves exaspérés qui tuent à leur tour; si ce n'est pas le maître qu'ils assassinent, c'est sa femme et ses enfants; ou, s'ils n'osent en faire tant, ils trouvent moyen de metttre le feu à ses maisons et se soulagent par sa ruine. Il y avait dans la 3Ié)îippée de Varron un mot terrible à propos de l'Actéon de la fable, qui, en chassant, a surpris Diane toute nue, et qu'elle change en cerf dans sa colère, de façon que ses chiens mêmes le déchirent : « Crois-moi, il y a eu plus de maîtres dévorés par leurs esclaves que par leurs chiens. SI Actéon avait pris les devants^ et s'il avait dévoré ses chiens lui-même^ il ne serait pas livré sur le théâtre aux insultes des baladins. » Quelles éducations et quelles corrections la philosophie avait à faire en face de telles mœurs ! Pauvre ressource, hélas ! du misérable contre
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le fort! Le faible est mieux défendu aujourd'hui par une constitution tout autre du monde, par l'égalité, par la loi, par la fierté même que cette protection de la loi lui a donnée. Toutes les espèces de passions mauvaises rencontrent déjà parmi nous, et rencontreront davan- tage à mesure que les temps seront meilleurs, des obstacles aussi de toute espèce dans les lois, les mœurs, l'autorité du nombre, les conditions de plus en plus égalisées de la vie. La philosophie moderne ne conjure pas tant le mal en prêchant des vertus, qu'elle ne le bat en brèche en revendiquant des droits. Mais elle ne doit pas être ingrate envers la sagesse antique, qui a été long- temps le seul recours ouvert à la justice violée, et qui, en flétrissant l'iniquité ou la corruption par la bouche du philosophe d'abord, puis par celle du prêtre, dim'- nuait les forces du mal et ajoutait à celles du bien.
On le voit, le paradoxe de l'impassibilité, comme tous les autres, ne doit pas s'expliquer par un abus de la- logique, mais plutôt par les nécessités morales du temps. Les passions avaient des jeux si terribles, ceux qui étaient maîtres de tout étaient, par cela même, si peu maîtres d'eux, que les directeurs des consciences croyaient plus sûr d'étouffer, s'ils avaient pu, les émotions ju^(lue dans leur germe.
« Quand elles sont développées, elles sont sans con- tredit des poisons; donc, aussitôt qu'elles se sont in- troduites en nous, nous sommes déjà en grande pariie empoisonnés. Elles se précipitent par leur seul mou- vement dès qu'on est sorti de la raison. Notre f;ii- blesse, complaisante pour elle-même, se laisse entraîner
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en pleine nier sans trouver où s'arrc er. De snite que, recommander la modération dans les passioiis, c'est recommander la modération dans l'injustice, la modération dans la lâcheté, la modération dans l'intem- pérance. N'arrêter le vice qu'à une certaine mesure, c'est déjà accepter le vice , ce qui n'est pas seule- ment condamnable, mais dangereux, car la pente du vice est glissante ; dès qu'on s'y jette, on sent qu'on tombe, et il n'y a plus moyen de se retenir. »
La Fontaine a résumé en deux mots cette impassibi- lité stoîque :
Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort;
Et, en effet, le dernier terme de cette morale exaltée, c'est, à force de se détacher de tout, de se détacher aussi de la vie même. Ce n'est pas assez de dire que la mort n'est pas un mal (comme on le dit de la douleur, de la pauvreté et du reste) ; on veut qu'elle soit un bien su- prême, puisqu'elle doit guérir, avec les maux du corps, ceux de l'àme, et nos passions comme nos douleurs.
On voit trop bien le secret de ce dégoût de la vie, c'est que la vie alors n'était guère vivable^ suivant l'ex- pression des Grecs. Les peuples accablés ne comptaient pas pouvoir secouer jamais la conquête. Les opprimés de toute espèce se sentaient sans recours contre l'op- pression. Les amis des lois et de la liberté n'attendaient le retour ni de la liberté ni des lois. Dans ces angoisses, beaucoup mouraient en effet par leur chuix, et le suicide gagnait tous les jours ; c'était la ressource des disciples d'Épicure aussi bien que des Gâtons; mais ceux mêmes
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qui devaient reculer, comme le Lùchcron de la fable, en face de la Mort présente, l'appelaient volontiers de loin avec le philosophe qui prêchait. Ils disaient au philosophe , comme il est dit dans les Tusculanes : « Quand je te lis, je n'ai rien plus à cœur que d'en finir avec ce monde, et ce que je viens d'entendre redouble aussi ce désir, i» Ils disaient aussi : « Il est certain qu'il faut mourir, et il est incertain si ce ne sera pas aujourd'hui même. Mais, avec la crainte de la mort suspendue sur notre tête à toute heure, comment conserver notre âme en paix? » Et tout cela a passé dans tous les sermons et dans toutes les médi- tations pieuses. J'ai déjà cité, en parlant de Platon, cette phrase qu'il a inspirée : « Toute la vie du philosophe n'est qu'un apprentissage de la mort. » A cela, nous répondons aujourd'hui ce que Montaigne répondait déjà^ en jouant sur les mots avec un grand sens : que la morl est bien le bout, non pourtant le but de la vie. Mais cette philosophie de mort et d'anéantissement est précisément ce qui s'est appelé dans la suite l'esprit chrétien.
Du premier coup de vent il me conduit au port, Et, sortant du baptême, il m'envoie à la mort.
Corneille, dans le premier de ces deux vers, ne fait que traduire une Tusculane, qui roule tout entière sur ce thème *. Le vieil ami de Cicéron, le sage et froid Atticus, après l'avoir lue, lui écrivait que celle lec- ture l'avait foilific. Tous n'étaient pas véritablement
1. Purlum jiolius paratum nobis et perfugium putcmus ; quo uti- nam relis j^a^iis percelii ticcal!
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forts contre la mort, mais tous étaient sans confiance et sans goût dans la vie. La désolation universelle inspirait celte triste philosophie, comme elle inspirera tout à l'heure une religion non moins triste.
L'Orient, pays de la servitude éternelle et des misères immuables, n'avnit pns peu contribué à répandre ces pensées, que les âmes abattues sous toute sorte de vio- lences y nourrissaient depuis longtemps. Et déjà on vantait et on proposait comme des exemples ces ascètes de l'Inde qui support;)ient sans fléchir, et sans y être obligés, les épreuves et les souffrances les plus pénibles, et jusqu'au feu, où ils se laissaient brûler vivants. Cicéron, certes, n'est pas un fanatique de l'Inde ni de l'Egypte, et on peut dire même que l'enthousiasme au- stère et l'abnégation mélancolique sont plutôt dans son imagination que dans sa nature. Sa vraie morale n'est pas celle des Entretiens de Tusculum ; elle est celle du livre sur les Devoirs de la vie^ qu'il a écrit pour son fils, et oij il n'a mis qu'une sagesse également élevée et rai- sonnable. Si son éloquence émue vient à s'écarter de cette raison, c'est qu'il est sous la contagion d'une ma- ladie générale qui l'enveloppe, celle d'où le christia- nisme est sorti.
Quand l'homme désespère de l'humanité et de la nature, il se tourne inévitablement du côté du surna- turel. C'est ainsi que la philosophie stoïque devenait de plus en plus religieuse, en dépit quelquefois de ses propres dogmes. La tradition platonique, toujours révérée sans doute, mais longtemps écartée avec res- pect, comme une poésie, par une philosophie plus
t9'à LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
sévère, prend maintenant sur les àmcs un nouvel em- pire, et cette poésie est acceptée comme une religion. A la suite des Dialogues du maître, on en écrit d'autres qui ont déjà l'accent chrétien, YAxiochos, par exemple. On voit là Socrate, appelé au lit d'un mourant qui ne peut se résigner à sa fin, et qui s'attache à la vie comme un enfant. Tout d'abord, la seule présence de Socrate le soulage, puis ses paroles le gagnent peu à peu; il lui fait espérer l'immortalité, il l'y fait entrer; le malade finit par aspirer à la mort à force de foi, et s'élance en quelque sorte vers elle. Le prêtre n'aura guère autre chose à dire au fidèle qu'il essayera d'aider à mourir.
Voilà comment Cicéron, si naturellement et si radi- calement sceptique, est entraîné cependant vers les idées religieuses par le même mouvement qui le porte, ou qui porte son éloquence, vers les idées de détachement et d'exaltation. La réserve scientifique d'Aristote et des premiers Sloïques est oubliée; on se plaît à croire à une àme toute spirituelle, séparée du corps, ou plutôt ennemie, et non pas tant servie par ses organes, suivant une définition célèbre, qu'elle n'en est gênée. « L'homme est tout ce qu'on voudra, plutôt que cette misérable chair, carimcida noslra; » c'est un fragment qui nous reste de la Ménippée, Le spiritualisme est si bien de- venu un lieu commun, qu'on le trouve jusque dans ces préambules des Histoires de Salluste, oîi l'auteur fait, comme nous dirions, sa profession de foi devant le pu- blic : « L'àme incorruptible, éternelle, souveraine de l'hu- manité, tient tout sous sa dépendance et demeure elle- même indépendante. » — « L'àme nous est commune
ÉPOQUE ROMAINE. - CICÉRON. 129
avec les dieux, le corps avec les bêtes. » — « Ceux-là ont une existence contre nature, pour qui le corps est une jouissance et l'àme un fardeau. » — On donne dans toutes les exagérations du libre arbitre : « Toutes les passions sont on notre pouvoir, toutes dépendent des décisions de notre esprit, toutes sont volontaires. » Enfin, le spiritualisme aboutit tout naturellement à ia foi dans l'immortalité. On ne peut pas dire que Cicéron y croie, mais il voudrait y croire; une si haute espé- rance l'attire tout entier; il est touché d'ailleurs de la voir partout répandue; car, en toutes choses, dit-il (c'est le grand argument des religions) « le consente- ment général doit être regardé comme la loi même de la nature ». Par la fiction d'un songe de Scipion, il s'est mis à l'aise pour rêver une autre vie; il nous fait voir les grandes âmes dans le ciel, tout environnées d'étoiles et enveloppées d'une ^/oîVe divine; elles jouissent d'une éternité bienheureuse, si elles ont pratiqué la justice et rempli tous les devoirs envers la famille et la patrie. « L'àme s'envolera d'autant plus vite vers cette de- meure d'où elle était descendue, qu'elle se sera élevée au-dessus du corps, pendant même qu'elle y était en- fermée, et qu'elle s'en sera détachée, à force de con- templer les choses célestes. Mais pour les âmes qui se sont livrées aux voluptés du corps et qui s'en sont faites les esclaves, qui, emportées par les passions, ministres de la volupté, ont violé les lois des dieux et des hommes, une fois échappées au corps, elles errent misérablement autour de la terre, et ne retournent au ciel qu'après des siècles d'épreuves. » 11 est vrai que dans ce même livre II. 9
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la sagesse aristocratique de Cicéron semble refuser au- vulgaire des hommes ces éclatantes destinées; il a l'air de se figurer le ciel comme un sénat d'en haut, oii siègent sur des chaises curules des consulaires éternels. Les imaginations de Platon sont plus familières et plus populaires. C'était à celles-là sans doute que s'en te- naient ceux qui n'étaient pas des princes de la Répu- blique romaine; et Cicéron lui-même, à la fin du livre de la Vieillesse, paraît parler sans distinction pour tous les hommes : « L'àme est tombée ici-bas des hautes régions du ciel, son véritable domicile... Mais, sans doute, les dieux l'ont jetée dans le corps de l'homme pour qu'il y eût des êtres capables de conduire les choses de ce monde, de contempler l'ordre du ciel et de le reproduire dans la régularité de leur vie... » Je passe ici toute une page, car je ne puis tout citer. « Pourquoi le sage meurt-il avec tant de calme et les autres avec tant de trouble? C'est que celui qui voit le plus distinc- tement et le plus loin sait qu'il va vers une vie meilleure ; l'autre a la vue trop courte et n'aperçoit rien au delà... J'ai mis le corps de mon fils sur le bûcher funèbre; c'était à lui d'y mettre le mien ; mais son esprit ne m'a pas abandonné; il s'est retiré seulement dans un séjour où il savait bien que je devais venir le rejoindre. Il a paru que je supportais mon malheur avec fermeté ; ce n'est pas que je n'aie été ému, mais je me consolais par la pensée que la séparation ne serait pas longue entre nous ^ » Si on lisait ces passages sans avertissement,
1. Calon, le personnage ihi i)ialogue, parle de son ûls; mais Cicé- ron, en le faisant parler, pensait à sa lilic.
ÉPOQUE ROMAI.NE. — CICÉKON. 131
on croirait entendre un Père de l'Église, et on ne se tromperait pas. L'Église doit avouer, en effet, ([ue les païens qui pensaient et parlaient ainsi sont ses véritables pères.
•Une Chrétienne de notre temps, justement célèbre par son esprit, mais qui n'avait pas toujours le temps ni l'envie d'aiiprofondir ce dont elle parlait, M™^' Swet- chine a dit hardiment, dans un écrit où elle traitait, après Cicéron, de la vieillesse : « Nous avons mieux que Cicéron !» Je ne discuterai pas cette parole ; mais il est certain que Cicéron et ses maîtres sont pour beau- coup dans les doctrines dont elle est si fière. Elle trans- crit une pensée de M. Sainte-Beuve : « Horace dit de la mort : In œlermmi exsiliiun^ Partir pour l'exil éter- nel ; et le chrétien dit : Retourner dans la patrie éternelle. Toute la différence des deux points de vue est là. » Pensée excellente, quand elle part d'un esprit large, celui d'un historien et d'un penseur, frappé de voir comment l'homme peut être emporté d'un pôle à l'autre, suivant qu'il se laisse aller à la nature toute seule ou qu'il étouffe la nature par le travail de l'imagina- tion exaltée. Mais parole trompeuse dans la bouche de l'orthodoxe qui l'interprète en ce sens que le Christ seul a pu faire cette violence à la nature. Il ap- partenait à un philosophe platonique tout aussi bien qu'à M°"= Swetchine de chercher au delà de la terre la vraie patrie et de se croire ici en exil. Et Cicéron lui-même a parlé précisément avant elle comme elle croit que parlent seulement les Chrétiens.
La morale de l'école sloïque était ce qu'on nomme
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aujourd'hui morale indépendante, et ne s'appuyait sur aucune croyance théologique ; et c'est ainsi que Cicéron nous l'a rendue dans le plus sérieux et le plus sincère de ses livres de philosophie, le Traité des Devoirs, écrit pour son fils. 11 se contente d'y donner une place aux devoirs envers les dieux, la piété, la pureté reli- gieuse : la première comprend ce qu'il appelle quelque part, caritas deoruni, c'est-à-dire l'amour de Dieu. Il ne cherche, d'ailleurs, que dans la constitution même de l'homme et dans les lois naturelles de la raison les fondements du devoir et de la vertu. Mais il lui arrive, quand il parle plutôt en orateur et qu'il exprime la pensée du plus grand nomhre, de supposer que, sans la religion, il ne peut y avoir ni justice, ni sûreté, et que la société humaine est détruite^ ou d'appeler la loi de la conscience la loi de Dieu. Les peuples, en effet, ne séparaient pas la morale de la religion; et c'est pourquoi, dans ces temps qu'on se représente si souvent comme livrés sans résistance à l'esprit d'Épicure, les disciples d'Épicure, au contraire, étaient partout odieux et décriés. Plusieurs cités grecques les avaient proscrits, et il parait que Rome en avait fait autant au milieu du second siècle avant notre ère. Cicéron n'est rien moins qu'intolérant par lui-même, et c'est l'esprit puhlic qu'il représente quand il dit que l'école d'Épicure n'a pas le droit d'avoir une morale; et, plus vivement encore : « Ce n'est pas un philosophe qu'il faut pour réfuter ce langage, c'est un censeur pour le condamner. » Ne croirait-on pas entendre un orateur d'aujourd'hui apostrophant les matérialistes ? il est vrai que ce n'est
ÉPOQUE ROMAINC. — CICi:iU).\. 133
pas à la tlu'ologic d'Kpicure que Cicéron s*en prend dans ces passages, car il était très-sceptique en théologie; mais on ne peut douter que ce ne soit comme enne- mie des dieux que l'école était suspecte au grand nombre.
Considérez maintenant l'ensemble de cette philosophie pl.itonique dont Cicéron est l'éloquent interprète, et voyez quels sont ses attraits et ses forces. Du côté de l'esprit, si elle n'a pas cette science complète et sévère qui prévient ou dissipe les illusions, elle accueille néan- moins avec complaisance toutes les études qui peuvent enrichir l'esprit d'un homme cultivé; elle aime les lettres, elle goûte les arts ; sa curiosité se promène à tra- vers l'histoire et à travers la nature ; elle est large et uni- verselle, comme l'Église, son héritière, l'a été aussi au temps où elle n'était pas menacée et inquiète. Elle se recommande surtout par la science morale; elle étudie l'homme avidement, soit dans le milieu de la cité ou de l'humanité, soit en lui-même; aucune philosophie n'a fait davantage pour l'analyse des caractères et des sentiments humains; elle fouille les replis de la con- science, elle éclaire les passions, les remords, nos désirs et nos craintes, ce qui afflige et ce qui console. Toute l'éloquence de la chaire est sortie de là; car cette phi- losophie n'est pas froidement observatrice; elle se donne tout entière à son œuvre de salut. Elle apaise l'àme, elle la fortifie, elle l'élève; elle agit sur elle de la manière la plus vive, non pas peut-être pour assez longiemj;s, mais aussi longtemps du moins qu'on l'écoute et qu'on médite avec elle. N'oublions pas un de ses plus grands
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titres : elle fait oublier à l'homme esclave la servitude qui l'accable, en le transportant dans une région où il retrouve la liberté et où il brave la tyrannie. J'ai dit bien des fois déjà que la philosophie était chez les anciens une religion, et j'ai eu beau le dire, je ne l'ai peut-être pa» encore assez fait sentir, mais Cicéron le fera pour moi. « La philosophie, dit-il, mère de tout ce qui se fait, de tout ce qui se dit de bien. » On sent déjà ce que vaut dans sa bouche un pareil éloge. Mais il a fait tout un livre, Vllortensius, pour célébrer la philosophie et pour en développer les bienfaits et les grandeurs. Ce livre est perdu, mais le témoignage d'Augustin nous rend sensible encore l'effet de ces pages que nous ne pouvons pas lire. Tandis qu'Augustin étudiait l'élo- quence, dans sa jeunesse, en vue seulement d'acquérir du talent et de la célébrité, et avec des pensées encore toutes profanes, il lut ce Dialogue pour la première fois. « Ce livre, dit-il, changea mon cœur tout à coup, tourna mes vœux vers toi, Seigneur, et transforma mes souhaits et mes pensées. Les espérances vaines ne furent plus rien à mes yeux; je me mis à désirer la sagesse, ce bien immortel, avec une ardeur inconce- vable, et je commençai dès lors à me mettre en mouve- ment pour aller à toi. » Ce n'était plus Téloquence, avec ses promesses terrestres, qu'il cherchait dans cette lecture; « ce n'était plus le bien dire de l'écrivain, c'est ce qu'il disait dont j'étais touché. » Car la philosophie, pour laquelle ce livre l'enflammait, n'est-ce pdiS l'amour de la sagesse? et la sagesse, n'est-ce pas Dieu? Il ajoute, il est vrai, qu'une seule chose refroidissait l'enthou-
ÉPOQUE UUMAINE. — CICÉIION. 135
siasme que lui inspirait ce livre, c'était de n'y pas trouver le nom du Christ. Mais quand il parle ainsi dans les Confessions^ il est depuis longtemps chrétien et évéque, et il se trompe lui-même sur ce qu'il avait éprouvé. C'est ce que nous soupçonnerions déjà en lisant dans les Confessions mêmes, un peu plus loin, que l'éloquence de Cicéron le dégoûtait alors de l'Écri- ture. 3Iais nous pouvons chercher ses vraies pensées dans son livre Contre les Académiques, qu'il écrivit à trente ans, quand il n'était pas encore baptisé. Nous y voyons qu'au lieu de contrôler la philosophie par l'Écri- ture, comme il le fit plus tard, il contrôlait, au contraire, l'Écriture par la philosophie. Sentant que les belles leçons des sages lui ôtaient le goût de lire et d'étudier les livres chrétiens, il se demandait avec inquiétude si la pour- suite de cette sagesse divine que lui promettait la phi- losophie n'allait pas l'emporter bien loin de l'humble religion de sa mère. « Je ne fis, dit-il, que jeter les yeux, je l'avoue, comme en passant, sur cette religion qui m'avait été inculquée dès mon enfance et qui était comme entrée dansmonsang; mais c'était elle qui me reprenait à mon insu. Inquiet, haletant, troublé, je saisis l'apôtre Paul : Voilà des hommes, me dis-je, qui n'auraient pas pu faire ce qu'ils ont fait, ni vivre comme il est manifeste qu'ils ont vécu, si leurs doctrines et leurs écrits étaient opposés à ce bien suprême. » De sorte que son argument est celui-ci : La philosophie me conduit à Dieu; mais le Christianisme, d'après la vie de ses saints, est évidemment de Dieu ; il ne doit donc pas être contraire à la vraie philosophie.
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Ainsi X Ilortenshis de Cicéron, à plus de quatre cents ans de distance, était dans l'Église chrétienne le premier instrument de la plus illustre des conversions. Kt qu'est- ce en effet que la conversion dans son principe? C'est l'abandon de la vie profane et des attachements terres- tres pour la vie intérieure et pour les pensées d'en haut. Et c'était cela même qui s'appelait philosophie chez 1er anciens, jusqu'au temps des Pères. Augustin se vante que, depuis longtemps, ce désir de philosopher était un feu qui couvait en lui lentement et sourdement, mais que y Hortcnshis avait fait éclater la flamme qui V avait embrasé à tout jamais.
Vllortensius a inspiré Augustin jusque dans sa théo- logie. C'est lui-même qui nous en a conservé un passage dont il se sert pour autoriser le dogme du péché ori- ginel. Cicéron y rappelait les traditions pythagoriques qui faisaient de cette vie et de ses misères l'expiation d'attentats commis dans une autre existence. Et il em- pruntait à Aristote l'image de ces brigands d'Étrurie qui, par un raffinement de cruauté, attachaient un vi- vant avec un mort face à face, pour le faire mourir ainsi : abominable supplice qui représentait, suivant un spiritualisme exalté, celui de l'àme enchaînée avec le corps.
Augustin nous a conservé aussi la péroraison de l'IIor- tensius^ où tout le Dialogue était résumé dans cette pen- sée, que la philosophie est ce que les dieux ont pu don- ner de meilleur à l'homme, soit pour vivre, soit pour mourir. Je ne citerai pas cette péroraison, parce que j'ai mieux encore à citer. Je rappellerai, par exemple, le por-
ÉPOQUE ROMAINR. — rrCl'HOX. i:;7
trait du Sage dans les Tusculancs : « Reposant iranquillc dans sa modération et sa fermeté, toujours en i)aix avec lui-même, ne se laissant ni consumer par le chagrin, ni abattre par la crainte, ni brûler par la soif des vains désirs, ni amollir et comme fondre à l'impression d'une folle joie : voilà le Sage et voilà l'homme vraiment heu- reux, qui ne connaît sur la terre rien d'assez intolérable pour l'accabler, ni d'assez délicieux pour l'enivrer... Qu'est-ce que le Sage peut trouver de grand dans les intérêts présents ou dans la durée si courte de cette vie, si son âme est toujours en garde et qu'il n'y ait pour elle rien de surprenant, rien d'inattendu, rien de nouveau; si, les yeux fixés sur le ciel, il tient pour inférieur à lui tout ce qui est de la terre; si son esprit est arrivé, suivant le précepte de Delphes, à se connaître 'li-mème et à sentir le lien qui le rattache à l'esprit divin?... Ses réflexions sur la nature divine l'enflam- ment du désir de se régler sur cette nature immortelle... Et alors, avec quelle tranquillité il considère la vie hu- maine et les intérêts d'ici-bas! » Est-ce là en effet le portrait du Sage, ou est-ce l'idéal du Chrétien? Je finis en détachant encore des Tusculancs ce développement, ou plutôt cette effusion et cette prière :
« Philosophie, lumière de la vie, toi par qui nous parvenons à la vertu et nous échappons aux vices, que scrais-je sans toi? ou plutôt que serait le genre humain tout entier?.,. C'est à toi que je recours, c'est toi que j'appelle à mon aide. Je t'ai donné, de tout temps, une grande partie de moi-même; je me donne aujour- d'hui absolument et tout entier. Un seul jour passé
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dans le bien et dans V obéissance à les lois vaut mieux que l'immorlalilé dans le mal. Et sur qui pourrais-je m'ai)l)uyer plutôt que sur toi, qui m'as donné la tran- quillité de la vie et qui m'as ôté la crainte de la mort? »
On comprend qu'Érasme, dans la préface de son édition des Tusculanes^ ait osé proposer à son siècle, à un siècle nourri par l'Église et qui se détachait à peine de sa nourrice, de reconnaître dans la philosophie de Cicéron l'inspiration de Dieu même. Il demandait s'il n'était pas permis de croire que le sage qui pen- sait ainsi avait pu trouver place dans le ciel parmi les élus. Il est vrai qu'Érasme n'avait guère que l'habit d'un homme d'église. Bossuet, au contraire, le prêtre par excellence, déclare nettement et durement qu'un Cicéron est assez payé par sa misérable gloire, et qu'il n'a rien de plus à attendre de Dieu! Pour nous, sans chercher la place de Cicéron dans le ciel, disons sim- plement qu'il doit compter dans l'histoire comme un orateur chrétien.
Et cependant, je suis convaincu que d'autres déjà, en ce temps-là même, étaient plus chrétiens que lui. Car, après tout, Cicéron n'a pas vécu de la vie philo- sophique; c'est un homme public, un politique, égale- ment considérable et brillant dans la cité et dans les lettres, fait pour se répandre au dehors, non pour s'en- fermer dans l'entretien intérieur de l'àme avec elle- même, et qui n'a écrit ses livres de philosophie qu'à soixante ans, dans les loisirs que lui a faits la servitude de la république. Mais la Grèce produisait en abondance
ÉPOQUE ROMAINE. — CICÉRON. 13!)
<Jes philosophes de profession, dont la vie entière se passait 6 iiiéditer et à prêcher; qui, sans doute, ne res< semblaient pas encore tout à fait à Épictète, car le temps d'un Épiciète n'était pas venu, mais qui devaient être moins éloignés de ce modèle que l'illustre consulaire. Ce sont ceux-là qu'il faudrait pouvoir entendre pour surprendre chez eux l'àme de leur temps.
Malheureusement il n'y a qu'un maître de cette époque dont quelques pages soient arrivées jusqu'à nous, conservées dans les cendres d'Herculanum ; et c'est ce Philodème de qui j'ai parlé plus d'une fois, c'est-à- dire un disciple d'Épicure. Ce n'est pas, ce semble, à une telle école qu'il faut demander des sentiments chré- tiens, ni, en particulier, à ce bel esprit éléi^ant et si peu sévère, que Cicéron nous représente payant l'hospitalité d'un Pison par de petits vers, et des vers galants. Et cependant, il y a plus d'un irait dans ses écrits où on voit les irréligieux se rencontrer dans un même esprit avec les saints : par exemple, la facilité à accepter la mort; la pensée que la mort du Sage dans son ht vau bien la mort éclatante du champ de bataille; l'idée que la mort par les supplices n'a rien d'ignominieux pour l'homme de bien, et que le juge inique n'est pas plus heureux que sa victime; ou encore le mépris des con- quérants, et des passions misérables qu'on appelle trop souvent chez eux forceetgrandeur ; ou bien la défiance à l'égard des orateurs, des artistes, et le dédain surtout des spectacles. Les spectacles, c'est le paganisme même. Mais si on veut voir comment le soufde religieux qui passait alors sur le monde a pu se faire sentir à
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travers les plus sèches doctrines , Lucrèce est là. Ce n'est plus un homme d'école, dépositaire exact d'une froide tradition ; il est du dehors, comme Cicéron ; mais s'il est bien moins savant et moins éclairé que Cicéron, il a l'àme plus passionnée et l'imagination plus forte; et, comme tous les poètes, ii est l'écho où la voix de la foule se réfléchit. Cet impie combat la maladie des religions avec une fureur qui témoigne qu'il se sent menacé et presque enveloppé par la contagion du mal. C'est lui qui a dit que, dans les jours de malheur, les hommes s'attachent plus forte- ment au culte des dieux; or, cette époque est de celles où l'humanité a senti le plus vivement ses souffrances. On sait si Lucrèce en a pris sa part ; sa poésie est toute pleine des misères humaines : d'une part les guerres, les révolutions et leurs sanglantes catastrophes; de l'autre les tourments des passions, ceux de la super- stition, ceux du remords, les dégoûts du plaisir et de l'amour, enlin l'inquiétude et l'ennui inexorable. Il prétend guérir tout cela, mais est-il guéri lui-même? N'oublie-t-il pas sa propre philosophie, dont l'esprit semble être un abandon confiant à la nature, quand il se lamente sur la pitoyable condition que cette nature a faite à l'homme, jeté dans la vie comme par un nau- frage, et arraché au néant pour souffrir? Ce ne sont pas seulement des larmes qui sortent pour lui des choses, comme pour Virgile ^ ; ce sont des gémissements amers et accusateurs. Il a des accents pareils à ceux d'un
i. Sunt lacriiua) rerum Eitcid^ I, 4G2.
ÉPOQUE ROMAINE. - CICÉRON. m
Pascal; et si Pascal a fait quelquefois, sans l'avoir voulu, des sceptiques et des désespérés, je ne serais pas étonne que Lucrèce eût fait, au contraire, des chrétiens, et que plus d'une àme secouée par lui et emportée loin de ses attaches, en fût venue à ne pouvoir se rasseoir que dans l'espérance d'une autre vie et d'un dieu réparateur. Pour lui, qui n'espère rien, il se fait pourtant aussi une religion. Dans ces régions sereines où il s'établit comme dans un ciel pour regarder les hommes qui s'agitent dans leurs ténèbres, il goûte une volupté divine; il éprouve le frisson du surnaturel ; il est comme un élu dans le paradis \ Ce n'est qu'un éclair, et la mélancolie est dominante, relevée seulement par l'orgueil de la pensée libre. Mais que de traits l'éloquence religieuse lui dérobe et lui dérobera sans cesse!
« Ils ont beau faire; de la source même des voluptés monte je ne sais quelle amertume, qui les serre à la gorge au milieu des fleurs du plaisir. »
« 0 misérables pensées! ô aveuglement des hommes! Dans quelle nuit profonde et parmi quelles menaces se passe ce je ne sais quoi qui est la vie! »
Il y a un vers qu'il ne faut pas oublier de recueillir, car c'est un mouvement de charité. Le poëte nous fait voir, dans le monde né d'hier, quand il commence d'y avoir des hommes sur la terre, les groupes errants qui se rapprochent peu à })eu et tâchent de s'entendre en se rencontrant. Ils se recommandent mutuellement les en-
1. Ilis ibi me rébus quccilam divina voluptas Percipit alque horror.
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faTitsetles femmes; ils se servent du geste et de fa voix; ils balbutient des sons qui signifient que celui qui est faible doit trouver grâce devant tous \ ïi est inté- ressant de voir Lucrèce, en même temps qu'il arrache la végétatfon des vieilles croyances, semer sur le sol dépouillé de nouveaux germes.
Il ne nous reste rien des purs Stoiques de cette époque. Cicéron n'appartient pas à leur école, quoi- qu'il leur emprunte ce que sa morale a de plus fort; il est plutôt , suivant son expression à lui-même, un homme de chez Platon, homo platonicus. Les Stoi- ques purs, tout entiers au salut des âmes, tendaient de plus en plus à rejeter de la philosophie tout ce qui pouvait être amusement ou luxe de l'esprit. Les Cyniques était plus intraitables encore dans leur zèle; ils méprisaient tout ce qui ne va pas à rendre l'homme plus content de lui et plus indépendant du dehors, et à lui donner plus d'autorité morale sur les autres hommes. Enfin, les Pythagoriques, un peu effacés, à ce qu'il semble, dans l'âge précédent, commençaient à repa- raître, peut-être parce que cette philosophie étant plus antique, et par là plus près des religions, se trouvait plus en rapport avec le nouvel état des âmes. La tra- dition, d'ailleurs, disait que Pythagore s'était inspiré de l'Orient; à mesure donc qu'on s'assimilait davantage les croyanf'es de l'Orient, on prétendait y retrouver Pythagore; et on pouvait tout mettre sur son compte, puisqu'il n'avait pas laissé de monument auiheniique
1. Imbecillorum esse tcquum miseierier omni.
ÉPOQUE ROMAINE. - CICÉRON. U3
de ses pensées. Pythagore est nommé dans Cicéi on au premier rang parmi les grands révélateurs.
C'est ainsi que la philosophie était arrivée aussi haut que pouvait la porter la vénération des hommes. Elle était traitée comme divine, et il se trouva que c'était précisémentlà pour elle un péril. Elle était une religion; mais tandis que, comme philosophie, elle pouvait tenir les religions au-dessous d'elle, comme religion, elle était la plus jeune de toutes et celle qui avait le moins d'autorité. Elle avait eu beau se prêter aux besoins de l'imagination, elle demeurait toujours trop raisonnable et surtout trop libre. On se souvient que déjà, au temps de Platon, l'esprit humain fatigué cherchait à qui re- mettre le gouvernement de lui-même et semblait envier l'immobile Egypte. Mais il n'est pas toujours facile de renoncer à penser, surtout pour des Grecs, et il fallut l'empire romain pour le leur apprendre. Les écoles continuèrent donc de conduire les consciences, mais ce gouvernement des écoles devint lui-même ecclésias- tique et intolérant. Leurs dogmes furent sacrés : en trahir un seul est un crime ^ « car trahir un dogme, c'est trahir la vérité et la justice, et c'est ainsi qu'on arrive à trahir aussi les particuliers et les États, i» Cette intolérance souleva des résistances et des révoltes; on releva les incertitudes des philosophes, leurs erreurs, leurs contradictions. On demanda pourquoi on s'asser- virait ainsi à une école où on n'était entré que par hasard. Car, comment se fait-il qu'on appartienne à telle secte plutôt qu'à telle autre, sinon paico que, tout jeune encore, on y a été engagé par un ami ou par la
m LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
parole du premier philosophe qu'on a entendu? Elon se cramponne ensuite à celle doctrine quon a renconlrce, comme des naufragés au rocher où la (cmpcle les a jetés. C'est l'argument fameux que Rousseau a repris contre les Églises dans la Profession de fui du vicaire savoyard^ et qui leur est si terrible, car c'est bien chez elles que l'autorité et le hasard font tout en effet; mais lorsqu'il n'y avait pas encore d'Églises, c'était aux écoles qu'on l'opposait.
On reprochait encore à la philosophie les fautes et les vices de? philosophes, comme plus tard on a re- proché à la religion ceux des prêtres. On lui reprochait aussi leurs aberrations, et on répétait qiiil ny a pas d'absurdité ou de rêve de înalade qui ne se trouve dans un philosophe, ic ne connais guère de mot qui ait fait plus de profit à l'Église que celui-là; et cependant, quand Cicéron a parlé ainsi des philosophes, c'était précisément à leur théologie qu'il en voulait, et l'esprit qui parlait en lui aurait été certainementplus dur encore à celle des Églises. La philosophie avait donc des en- nemis; les zélés s'en indignaient. « Attaquer la vraie mère de l'humanité, n'est-ce pas un parricide? Il y a une ingratitude impie à s'élever contre une sagesse qu'on doit respecter encore si on n'est pas capable d'en profiter. » Il y avait aussi V indifférence en matière de philosophie.^ et c'était le fait du grand nombre.
Mais je n'appelle pas indifférents ceux qui disaient que, tout en étudiant les préceptes de la philosophie, il faut vivre comme tout le monde, civiliter. Lactance reproche durement à Cicéron d'avoir parlé ainsi à son
ÉPOQUE ROMAliNE. — CICÉRON. 145
fils. Mais un bon chrétien du ^vw siècle aurait dit de même qu'il fautsavoir sa religion et lasuivre, mais qu'il ne faut pas vivre en capucin. Enfin, ceux-mêmes qui s'adressaient aux philosophes nelesrespectaientpas tou- jours assez, cl peut-ètrequ'ils n'étaient pas toujours assez respectables. Cette vie de commensal des grandes mai- sonsn'ôtaitpas nécessairement au philosophe sa dignité: il suffit, pour le montrer, delà manière dont Cicéron parle de Diodote le Stoïque et d'autres encore; mais elle pou- vait la mettre en péril. On entrevoit que ces seigneurs s'amusaient quelquefois de leur philosophe, à souper ou en attendant le souper , comme d'un abbé du xvnie siècle. Et j'ai déjà rappelé que Philodème, un disciple d'Épicure, il est vrai, n'avait pas précisément, auprès du noble Pison, l'attitude d'un directeur de conscience.
Enfin un reproche que les dévots font volontiers aux philosophes, celui d'employer tout l'effort d'une science ambitieuse pour n'arriver qu'à ce que la religion en- seigne simplement aux plus humbles, les dévots de l'antiquité le leur adressaient déjà : <r Entre seulement, dit Sénèque, dans l'école où on apprend à lire, et tu reconnaîtras que ce dont les philosophes font si grand bruit avec leurs sourcils froncés, n'est (jue la leçon qu'on fait aux enfants ^ ».
Les Stoïques avaient dit : Le Sage est le véritable prêtre. Mais ce n'était là qu'une figure, et, en réalité,
1 « Les plus sublimas idées des philosophes sont dans les répon- ses du calécliisnie. n Génie du C/irJs/ta/iijinic. Je prendscette cil;ilion dans la Inuluction de Sénèque de Daillard, qui n'indique pas l'rn- droit précis d'où il l'a tirée.
u. 10
146 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
dans le monde hellénique, le prêtre et le philosophe étaient deux. 11 n'en était pas de même dans certains pays de l'Orient. Là, il n'y avait pas de philosophie proprement dite, mais la religion elle-mê.'ne était une philosophie, et qui avait des nations eniicres pour dis- ciples, car les religions s'imposent à tous. On disait alors que les Babyloniens et les Egyptiens étaient des philosophes ; cela voulait dire, je pense, qu'ils avaient des dogmes également reçus de tous , enseignés par leurs prêtres et appuyés prohablement sur des textes sacrés, et que ces dogmes entretenaient en eux ce zèle dévot qui se détache de la terre pour se tourner vers le ciel. C'était la philosophie du surnaturel, deux mots qui se heurtent pour une raison libre, mais dont le rapprochement n'étonnait pas les hommes du temps de César. Voyez commment Diodore parle des Chal- déens, qui sont à Babylone, dit-il, ce que sont les prêtres en Egypte. « Chargés du culte des dieux, ils passent toute leur vie à philosopher, et ils sont très- habiles dans la connaissance des astres et surtout dans la prédiction de l'avenir... Mais ils ne se livrent pas à ces études à la façon de ceux qui les cultivent chez les Grecs. La philosophie des Chaldéens se transmet héré- ditairement : le fils la reçoit de son père, et, pour s'y adonner, il est affranchi de tout autre devoir public. Ayant ainsi leurs pères mêmes pour maîtres, on ne leur marchande pas les connaissances, et, de leur côté, ils s'attachent à l'enseignement qu'ils reçoivent avec une foi plus ferme. Appliqués d'ailleurs à ces études dès l'enfance, ils acquièrent une grande aptitude, parce
ÉPOQUE ROMAINE. - CICI'^KON. U7
-qu'on apprend facilement à cet âge, et que leur ins- truction rie continue pendant longtemps. Mais, chez les Grecs, le plus grand nombre arrive sans préparation à la philosophie et ne l'aborde qu'assez tard ; puis, après quelque travail, ils l'abandonnent, distraits par le besoin de vivre. Le peu qui pénùirenl dans la phi- losophie tout à fait avant ne persistent dans celte oc- cupation que pour y gagner leur vie ; ils innovent sans cesse dans les plus grandes questions, et ne suivent pas ceux qui sont venus avant eux. Les Barbares, toujours attachés aux mêmes doctrines, s'affermissent dans tous leurs principes, tandis que les Grecs, poursuivant les profils du métier, fondent tous les jours des sectes nou- velles. Et, comme ils se contredisent les uns les autres sur les points les plus importants, ils tirent en sens contraire la pensée de leurs disciples, dont les esprits îlottent suspendus en l'air pendant toute leur vie, et ne peuvent rien croire fortement. » Il me semble qu'il suffit de lire ce petit morceau pour reconnaître qu'au moment où il a été écrit, le monde était près de tomber sous l'empire d'une rehgion, et qu'il n'y pouvait pas échapper*.
Quelle serait cette religion? celle de Babylone? celle de l'Égypteîou quelque autre? On n'en savait rien encore, mais la pauvre raison humaine était impatiente
1. C'est ainsi que plus lard Élien aussi vante la sagesse des Bar- Lares, chez qui on n'a Jamais mis on doute ni rexistonce Je3 dieux ni leur [iroviden c. L'Inde, la Cellique, TÉgypie n'ont jamais porté un Évtinère, ni un Épicure, ni un Diagoras. Tous ces peuples croient à la divination et aux songes, et se livrent avec dévotion i toutes les pratiques du culte des dieux.
148 LE CHRlSTlANlSftlE ET SES ORIGINES.
d'abdiquer entre les mains d'un pouvoir sacré. Elle ne pouvait i)lus supporter le doute, c'est-à-dire la liberté. Elle ne comprenait pas que les hommes ne sont divisés que sur les questions théologiques, c'est-à-dire sur les choses où il n'y a réellement rien à savoir ni à appren- dre; et que plus l'esprit humain serait dégagé, par l'examen et la contradiction môme, de ces mystères stériles, plus il se trouverait à l'aise et se sentirait de force pour travailler à ce qui l'intéresse véritablement, c'est-à-dire à l'amélioration de la vie, soit pour cha- cun, soit pour tous.
On était prêt à subir le joug d'une religion, de même qu'on était disposé, dans l'ordre extérieur, à supporter le gouvernement d'un maitre. Spirituel et temporel, si on peut employer ici ces expressions, l'humanité aban- donnait tout, dans le sentiment de l'impuissance où les malheurs et les fautes accumulés l'avaient réduite.
Une seule plainte, parmi celles qu'on vient d'enten- dre, était légitime : c'était dommage, non pas que la philosophie fût payée (il était trop juste que le philoso- phe vécut de ses leçons comme le prêtre vit de l'autel), mais qu'elle dût l'être par chacun de ceux qui avaient besoin de la vérité, et qui pouvaient être pauvres. C'est à la communauté de faire en sorte que l'enseignement qui convient à tous soit donné à tous.
Ce ne fut ni la Chaldée ni l'Egypte, ce furent les Juifs qui recueillirent le gouvernement des âmes. Les Juifs, soumis depuis Alexandre aux rois de Syrie, mais tou- jours indociles à la servitude, en avaient appelé contre leurs maîtres, d'abord aux rois d'Egypte, puis aux Ro-
ÉPOQUE ROMAINE. - CICÉRON. 149
njains. Non-seulement leur colonie, à Alexandrie, avait pris une importance con?idéral)le, mais un grand-prê- tre, chassé de Jérusalem dans les dissensions intestines auxquelles cette ville était toujours en proie, avait ob- tenu de fonder à Bubaste, en terre égyptienne, un nou* veau Temple, contrairement aux prescriptions delà Loi, et par esprit de révolte contre les autorités de la ville sainte ; ce Temple subsista jusqu'au temps de Vespa- sien, qui le fit détruire. Vers la même époque, si on en croit le livre des Macchabées, Judas avait fait un traité d'alliance avec les Romains. Tant qu'il y eut des rois de Syrie, les Juifs purent conserver quelque indépendance à l'égard des redoutables protecteurs qu'ils avaient cherchés contre ces rois : mais quand les Romains furent maîtres de la Syrie, ils entendirent l'être aussi de Jérusalem. Jérusalem, ayant résisté, fut emportée par Pompée, l'année qui suivit le consulat de Gicéron. Des milliers de Juifs furent emmenés prisonniers à Rome, soit par Pompée, soit par les lieutenants qui continuèrent à guerroyer après lui en Judée; et nous savons que ces Juifs esclaves devinrent bientôt, par l'affranchissement, des citoyens romains.
3Iais il est clair que, bien avant cette date, les Juifs et le judaïsme avaient déjà dans Rome une influence considérable. Depuis longtemps ils s'étaient répandus à travers les pays grecs d'Asie et d'Europe. Il y avait partout des Juifs, Juifs d'origine ou parla circoncision, et autour d'eux des adorateurs de Dieu ou judaïsants, qui, sans être circoncis et sans s'astreindre à toutes les pratiques mosaïques, lisaient les livres saints et en-
150 LE Clir. ISTIA.MSME ET SES 01'. . ii INES.
voyaient au Temple, à Jérusalem, leur argcdt et leurs- hommygos. Si on en croit Plutarque, le judaïsme avait des amis à Rome, du temps de Cicéron, jusiue dans le Sénat romain. Dans le procès fameux conire ce préteur de Sicile dont le nom de Porc (Verres) préiaitsi bien aux sarcasmes d'un accusateur populaire, on sait que la première difficulté que rencontra Cicéron, qui s'était chargé de la plainte des Siciliens, fut de demeurer en possession du droit de soutenir l'accusation devant les juges. Car les Siciliens, les sujets, ne pouvaient porter une action devant les tribunaux romains : cela n'appar- tenait qu'aux Romains eux-mêmes. Les intéressés ne pou- vaient pas même désigner l'accusateur, et, s'il se présen- tait plusieurs Romains pour ce ministère, c'était aux juges à choisir entre eux. Les partisans secrets du préteur avf.ient un accusateur à leur convenance, contre qui Cicéron eut à combattre d'alord. C'était un ancien ques- teur de l'accusé, nommé Cécilius, sénateur, puisqu'il avaitété questeur; et Plutarque raconte que, comme il était suspect dejudaïser, Cicéron allait disant: «Qu'est- ce qu'un Juif peut avoir à démêler avec un Porc? » Je ne sais ce qu'il faut penser de ce judaïsme, que Cicéron a pu exagérer pour faire un bon mot, et dont il ne dit rien dans son plaidoyer, que nous avons. Mais ce qui est certain, c'est que le même Cicéron, dix ans plus tard, plaidant à son tour pour un préteur concussion- naire, était fort en peine d'avoir à répondre aux plaintes des Juifs.
Flaccus, préteur de la province d'Asie, parmi beau- coup de vols qu'on lui imputait comme à tant d'autres
EPOQUE ROMAINE. - GIGÉRON 151
magisfrnts romains, était accusé particulièrement d'avoir mis la main (soit pour son compte, soit pour celui du Trésor) sur de l'or que les Juifs ou judaïsants de plu- sieurs villes de sa province envoyaient au Temi)le. Arrivé à ce grief, qui semblait devoir toucher assez peu la plèbe romaine qui l'écoute, le grand avocat est ce- pendant visiblement embarrassé ; et, s'adressantà l'ac- cusateur son adversaire (il s'appelait Lélius) : « Voilà, dit-il, comment on a choisi, pour débattre la cause, cet endroit de Rome; voilà pourquoi tu as voulu être en- touré de la multitude qui peuple ce quartier. Tu sais comme ces gens-là -''ont nombreux, comme ils sont unis, tout ce qu'ils peuvent faire dans une assemblée du peu- ple. Je parlerai bas, de fnçon à n'être entendu que des juges. Car il ne manque pas d'hommes prêts à sou- lever celte foule contre moi et contre tous les bons', je ne veux pas les y aider, et leur rendre la chose plus facile. » Et plus loin : « Faire obstacle à une supersti- tion barbare était d'une sage fermeté; braver la foule des Juifs, si menaçante quelque fois dans nos assemblées, pour le service de la République, était d'un grand ca- ractère. — Mais Pompée vainqueur, quand il prit Jé- rusalem, ne loucha à rien dans le Temple. — Il a fait voir là une griu.de marque de sa sagesse accoutumée, en évitant, dans une ville si prompte aux soupçons et aux calomnies, de donner prise aux mauvais propos. Car, ce n'est pas sans doute la religion (la religion des Juifs ! la religion d'un peuple ennemi !), mais un simple ménagement, qui a arrêté ce grand capitaine. » Et enfin : « Ce n'est pas un vol que l'on établit, ce sont de
152 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
mauvaises passions qu'on veut soulever. On ne parle plus aux juges, on déclame pour l'auditoire et ])our la populace. Lclius, chaque république a sa religion ; nous avons la nôtre. Quand Jérusalem était debout et la Judée en paix, déjà un culte comme celui-là offensait îa majesté de notre empire, la grandeur de noire nom, les traditions de nos ancêtres. Mais aujourd'hui nous savons les sentiments de ces peuples à l'égard de notre autorité ; il nous les ont fait voir en prenant les armes. Et nous savons aussi le cas que les dieux font de leur race, puisqu'elle est vaincue, puisqu'elle est tributaire, puisqu'elle est esclave ! ^ »
C'est ici une de ces révélations qui éclatent par mo- ments au milieu des silences de l'histoire ancienne. Jusque-là nous voyions à peine paraître les Juifs ; et voici qu'une page, qui pouvait si bien n'avoir pas été conservée, et même n'avoir pas été écrite, nous apprend tout à coup, non-seulement qu'il y avait des Juifs à Rome en grand nombre, mais qu'ils y avaient une ac- tion politique, laquelle s'exerçait au profit du parti po- pulaire contre celui de Cicéron et du Sénat.
C'était depuis trois ans seulement que Jérusalem avait été prise par Pompée; ceux qu'il en avait ramenés captifs n'avaient guère eu le temps de devenir citoyens. C'étaient donc des citoyens de plus ancienne date, Latin? ou étrangers d'origine, ingénus ou affranchis, qui. comme Juifs ou judaïsants, constituaient déjà dans la cité une classe à part, avec laquelle il fallait compter.
1. Dans un autre Discours encore, il appelle les Juifs wu iieuple \ail pour sùrvir.
EPOQUE ROMAINE. — CIGERON. 153
Et ceux qui n'étaient pas citoyens n'en formaient pas moins dans la grande ville une population considérable, dont lesaffections et les démonstrations avaient leur im- portance. Quinze ans après, lors du meurtre de César, parmi les groupes d'étrangers de toute espèce qui vin- rent faire le deuil de ce grand mort autourde son corps, chaque peuple célébrant ce deuil à sa manière, on re- marqua surtout les Juifs {prœcipueque Judœi^ dit Sué- tone), qui veillèrent plusieurs nuits de suite auprès du bûcher.
La religion des Juifs avait de bonne heure frappé les esprits par ces deux traits : qu'ils n'adoraient qu'un dieu unique, et que ce dieu n'avait pas d'images. Le docte Yarron, en protestant avec les philosophes contre l'idolâtrie, s'était appuyé, entre autres exemples, de celui des Juifs. Les esprits avaient reçu une vive im- pression, c'est Tacite qui en témoigne, lorsque Pompée, à la prise de Jérusalem, étant entré dans le Temple, jusque-là inaccessible , avait reconnu qu'il ne s'y trouvait, en effet, aucune effigie divine, cl que celle myAérieme enceinte ne cachait rien. Ils furent saisis p'ir cette religion de l'invisible, si conforme à la pensée ^ie tous ceux qui étaient capables de philosophie à quel- que degré.
Il est bien étrange que dans les nombreux écrits qui nous restent de Cicéron, et principalement dans ses trois livres sur les Dieux, il ne soit pas dit un seul mot de la religion juive ; et il n'y a guère d'exemple qui puisse mieux nous apprendre combien nous devons nous défier de ce que nous croyons savoir de l'antiquité.
154 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Il se trouve i\ne Cicéron n'aurait pas même prononcé le nom de ces Juifs, qui tenaient déjà dans Home une si grande place d'après son propre témoignage, s'il n( les avait rencontrés une fois par hasard sur son chemin
Je ne dois i)as étudier ici l'histoire des Juifs et leuri Écritures pour développer les raisons de la fortune de leur religion ; ce serait empiéter sur la seconde partie de mon travail, à laquelle je dois renvoyer cette étude. Mais on reconnaît à première vue par comhien de côtés le judaïsme répondait alors aux dispositions des esprits. Il les débarrassait d'une mythologie décréditée, dont tous ceux qui raisonnaient un peu voyaient le ri- dicule et le scandale. Il les délivrait des superstitions attachées au culte des images. Et ce dieu un et sans figure, ce dieu tout particulier qu'il proposait, étant l'ennemi de tous les autres, semblait fait par cela même pour être le dieu des mécontents.
D'un autre côté, aux imaginations avides du merveil- leux, le judaïsme offrait une histoire sainte qui en était remplie. D'ailleurs ce n'était pas seulement dans le passé que les Juifs avaient foi aux miracles; le miracle leur paraissait l'ét it normal, le régime naturel et nécessaire du peuple choisi, et ils avaient toujours des prodiges, ou à raconter, ou à promettre.
Ils attendaient l'avènement prochain d'un Messie et la fin du monde présent. Sur ce dernier point encore, on a vu qu'ils se rencontraient avec l'inquiétude générale des peuples.
A ceux qui étaient las de la philosophie, le judaïsme présentait une doctrine où il n'y avait ombre ni de phi-
EPOQUE ROMAINE. - CICÉRON. is:;.
losophie, ni de science; une doctrine où rien n'oiaii libre, où tout étailimmuable, arrêté et fixé à jamais dans une parole divine, que l'homme n'avait qu'à répéter et à méditer.
En morale, enfin, les Juifs opposaient aux orgies cl aux duretés de la société romaine des vertus qui leur étaient propres. Je ne puis que répéter ici ce que j'ai écrit ailleurs : « C'est un grand peuple que celui qui a souffert perpétuellement l'oppression sans jamais l'ac- cepter. La nature humaine s'élève à souffrir ainsi. C'est cet'e oppression, toujours pesante, mais toujours se- couée, qui rendait le Juif plus dévot à son dieu, plus tendre et plus miséricordieux aux siens (c'est le mot même de Tacite), plus dura lui-même, plus indomptable à la brutalité du puissant, plus dédaigneux des folles joies des heureux et de leurs vices.
Pour moi, que tu retiens parmi ces infidèles, Tu sais combien je hais l^-urs fêtes criminelles. Et que je mets au rang dis profanations Leurs tables, leurs festins et leurs libations.
La communauté juive était au milieu du monde comme Esther dans le sérail d'Assuérus, et dans ce farouche isolement elle s'emparait insensiblement de ceux qu'elle étonnait. »
En effet, l'étrangeté même de leurs mœurs et de leurs pratiques, qui les tenait aussi isolés moralement, aussi à part, au milieu de l'univers soumis, que les Bre- tons dans leur lie, comme Virgile a représenté ceux-ci dans un vers fameux, devait attirer certaines âmes-
136 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
autant qu'elle pouvait en repousser d'autres. Gomme plus tard les Chrétiens, ils semblent au premier abord détestés de tous ; mais comme les Chrétiens, ils gros- sissent cependant tous les jours et font des recrues dans l'ombre. La révolution qui a été appelée le Chris- tianisme ne date pas de celui qu'on a nommé le Christ; elle a commencé dès que le judaïsme a commencé de se répandre. Seulement tout se passe d'abord dans des régions obscures où l'histoire ne peut pénétrer.
Entre la mort de César et le moment où l'on voit les Chrétiens paraître pour la première fois à Rome, sous Néron, il s'est écoulé encore environ cent ans. Il me reste à poursuivre, pour ces cent années, l'exposé de i'état moral et religieux du monde païen; je serai libre ensuite de passer à l'étude directe du judaïsme.
CHAPITRE XII
^A RELIGION AU TEMPS D' AUGUSTE. — VIRGILE.
l'astrologie et MAMLIUS.
Ceux qui avaient assassiné César ne jouirent pas longtemps de l'affranchissement des ides de mars. Ils se trouvèrent plus faibles contre son ombre que contre lui-même. Cicéron combattit par la parole, et mourut; Brutus combattit par l'épée, et mourut. La terre fut pour quelques jours à deux maîtres, et demeura bientôt à un seul : le césarisme resta définitivement établi ; il devait durer plus de quatre cents ans, autant que la puissance romaine elle-même. Ce malheur était inévi- table ; on l'a assez dit, et je ne crois pas qu'on puisse le contester; mais, pour être inévitable, il n'en était pas moins triste. La maladie inévitable est toujours la ma- ladie ; la mort inévitable est toujours la mort. On est allé plus loin : on a soutenu que les provinces, c'est- à-dire les peuples sujets, avaient trouvé dans l'ordre nouveau la sécurité et la justice. On fait dire cela à Tacite : il dit seulement qu'elles avaient espéré ce bien- fait, et que cette espérance leur avait fait accueillir nvec faveur le pouvoir d'un seul ; mais ce pouvoir a-t-ii
•158 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
tenu ses promesses? Tacite encore semble le reconnaî- tre pour ce qui regarde Auguste lui-même •, il lui ac- corde d'avoir montré « le respect des droits des citoyens et des ménagements pour les alliés, » jus apud cives^ modestiam apud socios. Et on ne peut guères douter qu'à partir du moment où le pouvoir d'Auguste s'est éta- bli, après d'affreuses guerres et à la suite de tant de dé- sordres, certaines tyrannieslocales n'aient été contenues par la pensée qu'on aurait désormais des comptes à ren- dre. Mais il nefautpas s'exagérer ce bienfait du pouvoir suprême. Une phrase de Sénèque nous apprend que "^sous Auguste nnême, un Volésus, proconsul d'Asie, avait fait décapiter trois cents hommes en un jour, et qu'il se promenait fièrement, content de son œuvre, au mi- lieu de ces trois cents corps décapités. D'autre part une phrase de Tacite nous fait savoir que ce Volésus, pour sa conduite dans sa province, fut accusé comme Verres et condamné comme lui à l'exil ; l'empereur lui-même avait appuyé la plainte. Cette justice d'Auguste n'a pas déliassé celle qu'avait obtenue Cicéron. Sous Trajan encore, on voit un préteur d'Afrique qui se conduit comme un brigand dans sa province ; il volait de toutes manières .et on l'accusait de s'être fait payer pour tuer des innocents. Condamné, il mangea volup- tueusement dans l'exil le fruit de ses rapines, tandis que la pauvre province, avec sa cause gagnée, demeu- rait dans le deuil.
Ce que les provinces accueillaient avec plaisir dans l'avènement des Césars, c'était un fjouvernement à la place de l'anarchie. Un gouvernement, c'est ce qui a
LA RELIGION AU TEMPS D'AUCLSTE 159
presque toujours manqué aux cités du monde antique, mais ce qui manquait plus que jamais à Rome depuis le temps de 3Iarius. On eut cela sous l'empire, et ce fut un bien. Il y faut ajouter le bienfait des réformes ou des soulagements que l'expérience seule et le travail du temps durent amener, aidés de l'effort des bons esprits et des honnêtes gens : cela s'est fiit sous les Césai'S plutôt que par eux. Mais il s'est produit, ])ar le fait du despotisme, une triste compensation à t^ut ce qu'on a pu gagner d'ailleurs ; c'est qu'il n'y a eu sans doute alors de grand et de puissant que des courtisans, c'est à-dire des caractères médiocres et bas; ou, si les em- pereurs ont été forcés de laisser arriver aux honneurs quelques têtes plus nobles , ces hommes distingués furent évidemment ceux qui eurent le moins de pouvoir et de liberté. Ceux-là seulement étaient sur- veillés de très-près ; ceux qui plaisaient a César et aux amis de César demeuraient aisément impunis. Les intrigues du Palatium remplacèrent celles des factions. Ce qui est clair, c'est qu'un Cicéron ne pouvait plus faire entendre sous les Césars ses protestations élo- quentes. Il ne pouvait plus y avoir de Verrines ; il ne s'ensuit pas de là qu'il n'y eût plus de Verres. Je crains en un mot qu'il ne se mêle beDiicoup d'illu- sion dans la pensée que l'avènement des Césars a été saluiaire aux opprimés, au dedans ou au dehors. Le tableau le plus vif qui ait jamais été f;ut des misères dela;)fl/x romaine [et iibi solitudinem faciunl, pacem appellant)^ les dévastations, les massac. es, les coups de fouet, le viol des femmes, est de ces temps mêmes;
160 LE CUUISTIANISjIE ET SES ORIGINES.
c'est celui que Tacite a mis dans la harangue du chef breton Galgacus. Quant aux peuples non soumis, ils n'étaient qu'une matière pour exercer les armes des foldats romains, et pour faire ensuite le plaisir du peu- ple dans les carnages de l'amphithéâtre. Certes, ni Lt Fontaine, ni Byron, quand ils faisaient parler le paysan du Danube ou le Gladiateur mourant, n'avaient songé que les peuples eussent tant à se louer du césarisme. En Italie même, dans les campagnes, nous voyons le riche qui dépouille le pauvre de son patrimoine, et qui va le chassant devant lui : « Ils s'en vont, emportant avec eux leurs dieux domestiques, le mari et la femme elles enfants déguenillés. » Dans un petit roman, qui faisait le thème d'un exercice d'école au temps d'Au- guste, nous apercevons déjà le château féodal du moyen âge, perché sur la montagne, d'où le riche guette ses aubaines, les proies que lui jette la mer •. A Rome, la plèbe des citoyens était ménagée et llattée ; mais dans les persécutions contre les Juifs, les chrétiens, les sec- tateurs des religions égyptiennes, on voit comment étaient traitées ces populations inférieures, de sang d'affranchi, c'est-à-dire servile, qu'on déportait ou qu'on proscrivait en masse.
Je ne dirai qu'un mot pour ce qui regarde les es- claves, et je le prends dans cette espèce de testament (l'Auguste, dans cet Exposé de la situation de l'empire, que le maître du monde avait écrit, quelques années seulement avant sa mort, pour le faire lire à tous ses
1. Erat in summis moiUium jugis aitliia divilis spécula; iilic iste naufragiorum reli(iuias compulaljat.
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE 161
sujets, et que le monument d'Ancyrc nous a conservé. L'empereur parle ainsi, dans ce compte rendu solennel adressé au monde : « J'ai débarrassé la mer des bri- gands (ces brigands étaient les auxiliaires dont s'était servi Sextus, fils de Pompée, pour essayer de tenir tête aux trois héritiers de Césaret de leur arracher renipire). Dans cette guerre, beaucoup d'esclaves, échappés do chez leurs niaîti-es, avaient pris les armes contre la ré- publique. J'en ai fait i)risonniers environ 30,000, et je les ai rendus à leurs maîtres, pour qu'ils subissent la peine de leur crime (ad supplicium sumcndum). » Voilà comment le règne des Césars fut inauguré pour la population servile. Les esclaves furent plus que jamais des ennemis publics, hosles, au dedans comme au dehors. C'est sous Auguste aussi qu'on décide que si un maître est assassiné, tous les esclaves vivant sous son toit seront mis à mort sans distinction de sexe ni d'âge; la décision est confirmée sous Néron, et bientôt elle est apphquée; il y eut un jour où quatre conis esclaves, hommes, femmes et enfants, furent égorgés à la fois, tous peut-être innocents de la mort qu'ils expiaient, et la plupart reconnus pour tels. Une moi- tié de la population esclave se compose de forçats en- chaînés dans des bagnes , ergastida, où ils vivent et où ils meurent. Revenons aux citoyens : au moin- dre signe, ils ont à subir la mort, l'exil', la confis- cation. Ovide, pour avoir déplu, va mourir seul au bord du Danube. Tout le monde n'était pas assez en vue pour être exposé à de si grands coups ; mais la tyrannie descend naturellement d'éloge en ct-ige, II. 11
1C2 LE CliUlSTIANlSME ET SES ORIGINES.
et, à sa nianioie, se fail toute à tous. Au lieu des horreurs éclatantes des proscrij)lions^ il règne une terreur permanente, froide et sourde, où le sang coule goutte à goutte ; et encore se l'ait-il de temps en temps de grandes tueries, comme à la mort de Séjan.
Il est vrai qu'avec la servitude, Auguste avait apporté la paix; je ne parle pas du temple de Janus fermé, car il fut rouvert prescpie aussitôt, mais de la paix dans l'étendue de l'empire. C'était surtout ce dont on lui avait su gré , au sortir des longues convulsions des guerres civiles : les jjoëies chantaient cette paix, qui n'clail pas bornée aux murailles de Hume, luais répan- dait ses bienfaits par tout l'univers. Elle dura jus- qu'à la mort de Néron, paix inquiète et pénible, où on sentait toujours sur sa poitrine le pied d'un maître. Quels maîtres, d'ailleurs, que ceux d'alors ! les meilleurs sont ceux qui ne sont qu'odieux, sans être des fous ou des brutes : de la boue détrempée avec du sang^ c'est le mot d'un Grec sur Tibère : ceux qui se voyaient à la merci d'un Caiigula, d'un Claude, d'un Néron, ne pouvaient échapper au désespoir que par l'anéantisse- ment. On n'était plus déchiré, mais on étouffait; la paix elle-même finit par devenir intolérable, et on en sortit par de nouvelles crises. Déjà, sous Néron, tandis qu'elle durait encore, certains esprits ne la pouvaient plus supporter. Us enviaient la génération qui n'avait perdu la liberté qu'après l'avoir défendue sur les champs de bataille; ils reprochaient au destin, s'il les condam- uail à la servitude, de no pas leur donner aussi les cum-
LA RELIGION AU TKMPS D AUCIISTE 163
bals*. Il ost diflicile, après (oui, de mesuiei d'où nous sommes ce qu'avaient été les souffrances des liommcs sous Rome libre, et ce qu'elles furent sous lu Rome des empereurs; mais, ce qui est certain, c'est qu'en ces derniers temps ceux qui souffraient avaient perdu ce qui ne se perd que dans le tombeau, l'espérance.
On aperçoit d'ailleurs, dès l'ouverture même du ré- gime nouveau, un signe sûr de l'ahaissemcnl de l'iiu- nianité, c'est que la pensée pbilosopliique s'arrête et recule. Tant qu'on a eu quelques forces pour sedébadre contre le despotisme, on s'est débattu aussi contre le sur- naturel. Maintenanton se sentvaineu,etons'abandonne; les dieux triomphent en même temps que les soldats; et on se résigne à croire et à adorer comme à servir.
Je ne prétends pas dire qu'il ne reste rien du travail critique fait par plusieurs siècles de philosophie, et qu'il ail été perdu absolument. Certainement Épicure n'est pas venu en vain, ni l'école plus savante de la nouvelle Académie. Beaucoup se mêlent encore de rai- sonner et de douter. Beaucoup se piquent de ne pas croire aux fables des enfers et à l'autre vie. La renom- mée de Lucrèce, le poëte sans religion, va grandissant tous les jours; et Virgile admire et envie la hardiesse de ses doctrines : Félix qui potuil '^... — Il n'y a rien après la mort, et la mort elle-même n'est rien ; ce vers fameux est de Sénèque. On se flatte de vivre dans un siècle avisé, et qui a secoue la crédulité antique. La
1. Si dominum, forUina, dabas, et bella dédisses!
2. Du savant critique ne veut pas croiro que r<^^ vers de Virgile s'appliquciu à Lacri'L-i' : j'ai peine à m'associer à ces doutes.
IGi LE CllRISTlANIS.Mi: ET SRS ORIGINES.
science se vante avec orgueil d'avoir supprimé lc>i mi- racles et arraché à Jupiter son tonnerre * (hélas ! notre Boileau croyait encore que c'est Dieu qui tonne). Quel- ques-uns osaient dire : « Ce que je sais, c'est que ce qui est impossible n'arrive pas, et que ce qui est possi- ble n'est point miracle. » On mettait en doute la Pro- vidence, à plus forte raison la divination et les songe?. On se moquait des expiations des prêtres, qui effaçaient un crime avec une cérémonie; on attaquait la foi des prodiges. « Je sais, disait Tite-Live, (jue par suite de la même indifférence qui refuse de croire à des menaces des dieux, on ne notifie plus au peuple les prodfgcs et on ne les inscrit plus dans nos annales. » Enfin, et par-dessus tout, on désavouait la mythologie. Les poètes mêmes de l'amour se moquaient de ces amours de Jupi- ter, par lesquelles il déshonore sa personne et sa mai- son -. Et un poêle plus grave condamnait tous ceux dont les vers nous ont fait un ciel qui nest que fable ; pour qui c'est la terre qui a fait le ciel^ tandis que c'est de lui quelle tient son être s.
Mais si de pareils traits témoignent de l'action inévi- table du temps et de la réflexion, cependant l'esprit d'incrédulité ne prévalait pas, et le passage même de Tite-Live le prouve; par cela seul qu'il se fait du pro- grès de la raison publique un sujet de plainte, il montre
. . . Solvitque animis miracula rerum, Kripuilque Jovi fulmen viresque tonandi.
Jupiliu- infamat sequo suamquiî (lomum.
Quorum carmiaibus iiihil est iiisi fabula cd'Iuiii; '1 L'rraquo cou)pusuil ca;luiii, (ju:e pciidel ub illo.
LA RKLIGION AU TI'.'H'S DAUGUSTK 165
assez qu'on s'apprùle à reloiirmr en arrière. Après tout, le grand nombre croit autant que jamais, et les esprits plus avancés qui croient ne plus croire sont très- mal assurés dans leur critique. Il n'y a guère que la mytliuldgie qui soit véritablement décréditée, et j'en ai donné les raisons. Cela est grave pour la religion éta- blie, et la menace, mais cela n'atteint pas jusqu'aux racines d'où une autre religion peut sortir.
Le siècle d'Auguste est donc un siècle dévot. On apprend en même temps l'obéissance aux maîtres de la terre et la soumission aux puissances du ciel; l'huma- nité a perdu toute foi en elle-même et se jette aux pieds des dieux. Auguste, en rétablissant l'ordre, rétablit aussi la religion. Il attacha pour toujours au titre de prince celui de souverain pontife et le gouvernement des choses saintes ^. Il était membre en outre de cinq collèges sacerdotaux. Il releva les édifices sacrés tombés en ruines-. Il rétablit les fêtes oubliées et en institua de nouvelles; il grossit par des présents magnifiques le tré- sor des dieux; il augmenta le nombre des prêtres, et ajouta à leur dignité comme à leurs avantages; il affecta
1. « Les fiuv L-lerncIs sont sous la, garde de César, divinité éternelle- là résident à la fois los deux garanties de notre empire. »
Igiiibus œtcriiis ajleriii (lumiiia pr^esunt Cx'saris ; imperii pignora juncla vides.
2. C'est ce qu'Horace célèbre dans l'ode : Delicta majorum ; et Ovide s'écrie : « Saint fondateur, saint restaaraleur des temples ! «
Templorum positor, templorum sancte repostor.
Auguste se vanle, dans l'Inscription d'Ancyre, d'avoir bàli dix-neuf temples, qu'il énumèrc, ul d.'en avoir réparé quatre-vingt-deux.
166 LE CUIUSTIANISME ET SES ORIGINES.
le regret de n'avoir pas dans sa famille une fille d'un âge convenable pour la consacrer comme Vestale. Aussi fut-il ordonné que désormais les prêtres et les prétres- ses, aux prières qu'ils adressaient aux dieux pour le sénat et pour le peuple, ajouteraient des prières pour l'empereur. L'Église a trouvé cette règle établie. Il fut déclaré sacrosanctus', son nom fut placé dans le chant des prêtres Saliens. Dion a très-bien exprimé, dans le discours qu'il fait tenir à Agrippa au conseil d'Auguste, l'esprit du gouvernement des Césars dans les choses religieuses : « Tu ne souffriras ni athéisme ni magie », c'est-à-dire ni irréligion, ni religion secrète et indis- ciplinée; c'est le principe des Concordats. César déjà avait régné suivant cet esprit, qui est celui de quicon- que veut assujettir les peuples. Il est curieux de voir dans ses Mémoires comme il invoque la Providence, ou comme il se vante d'avoir protégé à deux fois le tem- ple de la grande Artémis d'Éphèse. Mais César n'eut pas le loisir, comme Auguste, de commander à l'opi- nion de son temps.
A côté de César, Lucrèce composait son poème; Cicé- ron préparait ses deux Dialogues sur les Dieux et sur la Divination, dont l'un était franchement impie, et l'au- tre, avec plus de ménagements, ne l'était guère moins. Sous Auguste, on sent que de telles hardiesses n'étaient plus possibles. Virgile, je l'ai dit, admire Lucrèce et il l'envie; mais il se refuse respectueusement à tant oser. Horace n'était pas dévot dans sa jeunesse : < adorateur peu assidu et peu prodigue » ,
Parcus (leorum cnltor et infrequens.
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE 167
Dans une pièce de ce lemps, écrite avant que tout fùi bien i-assis dans l'empire, il avait professé, au sujet d(! prélendues manifestations des dieux, rincréd'dilé d'É- picure : il n'y revint pas, et ne toucha pins à la religion que pour l'honorer. Ovide lui-même, en plein Arl d' Ai- mer, enseigne à se soumettre à la foi et désavoue à son (our l'incrédulité d'Épicure : « Il est bon qu'il y ait des dieux, et, puisque cela est bon, nous devons le croire et porter sur les autels antiques le vin et l'encens. Non, ils ne s'abandonnent pas à un repos indolent et tout semblable au sommeil; vivez bien, la divinité est là présente *, » On ne peut se dissimuler que toute la brillante poésie de ce règne est aussi religieuse que monarchique. Les poètes erotiques ne sontpaslesmoins dévols; Tibulic se plaît h étaler comme autant de titres à la faveur des dieux tous les devoirs qu'il leur rend sans cesse, et, quand son imagination se représente le bonheur de vivre aux champs avec Délie, il ne manque pas de l'associer en idée à ces démonstrations de sa piété 2; toutes ses élégies sont pleines de prières, de sacrifices, d'expiations, et ces choses se retrouvent dans Properce. Tout un poëme d'Ovide, les Fastes, est con- sacré à célébrer les croyances et les pratiques de la religion romaine, et, de temps en temps, il mêle à ses descriptions ses prières. Une partie considérable des
1. Expedit esse deos, et ut exixMJit, esse putemus, etc.
2. « Ellf offrira au dieu des champs un raisin pour prix Je ses vendanges, dos épis pour ses moissons, un sacrifice pour les trou- peaux qu'il nous donne. »
Illa deo sciet agricolte pro vitibus uvam, Pro segete spicas, pro grege ferre dapem.
168 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
œuvres d'Horace sont des chants religieux, de vrais hymnes à Jupiter et à tous les dieux, qu'il invoque pour le salut de l'empire. On sait qu'il fut chargé de composer le cantique qui fut chanté par des chœurs de jeunes garçons et de jeunes filles en l'honneur de l'Apollon Palatin, pour la célébration du grand Jubilé romain institué par Auguste; c'est le Carmen sœculare. Il a consacré par une autre pièce le souvenir de cette commission sacrée ; et, s'adressant aux jeunes filles dont la bouche a répété ses chants : « Plus tard, dit-il, quand tu seras mariée, tu pourras dire : C'est moi qui, au jour où revenait la fête du siècle, ai fait entendre le cantique aimé des dieux, docile aux mètres du poëte Horace. » Il y a encore dans ses carm'ma un autre chant du même genre, qui s'adresse aussi à Apol- lon et à sa sœur. Quelquefois, c'est une prédication solennelle, qui rappelle Rome à la piété et à la vertu pour la rappeler à sa grandeur. Mais, quoi que puisse chanter le poëte dans les caprices de sa muse, qu'il s'inspire de la campagne, ou de ses amours, ou de ses amis, toujours il fait la part des Dieux, et il a toujours à la bouche leurs noms sacrés, ainsi que les mots d'au- tels, de libations ou de sacrifices. Et dans son Épitre à Auguste, pour recommander la poésie à l'homme qui gouveï-ne la cité elle-même, il présente le poëte comme chargé d'un ministère moral et religieux. Le poëte, dit-'il, fait l'éducation de l'enfant; il avertit l'homme, il l'instruit, il le console dans ses chagrins; et puis : « Où est-ce que les jeunes girrons et les jeunes filles ap|)rendraient les prières à adresser aux dieux, si la
LA HELIC.ION AU TEMPS D'AUGUSTE 1C9
Muse ne leur eût donné le poêle? Il dresse le chœur (jui demande le secours des dieux, et que les dieux écoutent; ses doctes cantiques les touchent et font descendre l'eau du ciel, détournent les maladies, écartent les dangers, obtiennent la paix bienfaisante et les riches moissons. C'est par les vers qu'on fléchit également les dieux d'en haut et les mânes. » Enfin c'est la religion de Rome, autant que sa fortune, car ces deux choses n'en font qu'une aux yeux des Romains, qui est la grande inspiration de Virgile : il est par excellence le poète pieux. Déjà, dans les GéorgiqueSj quand il dit les joies et les félicités des champs, il s'ar- rête sur ce dernier trait : C'est ici qu'on révère les dieux, sacra deum sanclique patres. Et quel accent dans la prière solennelle par laquelle il appelle toutes les divinités nationales au secours de Piome abattue!
Di patrii indigetes et Romule Vcstaque mater...
Mais r£weirfe surtout est un poëme sacré, et je dirai? presque un poëme chrétien. Malgré l'épisode des amours de Didon, qui contraste avec tout le reste, le héros y est l'idéal du roi-pontife, pins /Eneas, toujours occupé d'hommages aux dieux et de fonctions saintes. Et les dieux, à leur tour, le conduisent continuellement par la main *. Enée, d'ailleurs, est l'image d'Auguste ; il y
i. a Des oracles propices m'ont tracé toute ma carrière, et tous les dieu\ m'ont assisté de leurs conseils. »
Namque oinnem cursum milii prospéra dixit Relligio, et cuncli suaseruiit nuiniiie Uivi.
170 LE CHIUSTIANISME ET SES ORIGINES.
a un moment où il laisse voir lout à coup Auguste lui-même, non pas l'homme, hélas ! mais le person- nage, le père commun des peuples et le vicaire des dieux. Car aux époques où quehiue grande illusion s'est emparée des hommes, les poètes en sont les premiers et le plus gravement atteints; nous en avons eu dans noire temps même d'illustres exemples : Virgile et Horace ont eu la foi de la religion d'Auguste. Sur ce bouclier d'Enée, où un dieu a tracé d'avance les grandes destinées de Rome, le poëte nous fait voir le Capitole, les danses sacrées des Salii et des Luperques, la mitre de laine des flamines, les anclles tombés du ciel, les matrones promenant lentement par la ville, sur des chariots, les objets sacrés. Il termine en nous montrant Auguste à Actium ; avec lui sont le sénat et le peuple^ les dieux domestiques et les grands dieux^
Cum palribus populoque, penalibus et niagnis dis ;
coiilre lui les dieux monstrueux de l'Egypte;
Omnigenumque deum raonstra et latrator Aniibis i ;
puis le voilà vainqueur, rentrant dans Rome en grande pompe ; trois cents édi lices sacrés s'élèvent majestueu- sement dans la ville sainte; partout des chœurs, de3 autels, des victimes qui tombent égorgées. Lui-même, siégeant sur le seuil du temple d'Apollon, reçoit les offrandes des peuples et les suspend aux portes su- perbes; les nations soumises défilent devant lui dans
1. « Ses monstrueuses divinités de toute espèce, et son Antiliis aboyant. »
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE ni
la variété de leurs costumes elde leur langage, car il en vient de tous les points de l'univers. — Saint Jean de Latran ou Saint Pierre ont vu, dans des conditions différentes, d'aussi grands triomphes et des scènes qui ressemblaient à celles-là.
La mythologie tient peu de place dans \' Enéide^ et, pour y paraître, elle a dû se faire, s'il se pouvait, digne et sévère. En nous racontant, d'après la tradition, les rancunes d'une déesse irritée, le poète ne peut s'em- pêcher de protester lui-même contre ce qu'il raconte :
. . . tantacne animis cœlestibus irae « !
Point d'indécence, point de libertinage dans son Olympe : Jupiter n'y parle à son épouse auguste qu'avec une respectueuse tendresse :
0 gormana niilii atque eadem gratissima conjux ».
La séduction même, si vivement dépeinte, que Vénus exerce sur Vulcain est une séduction légitime ^. Enfin, dans son tableau de l'autre vie, il remplace les imagi- nations naïves d'Homère par les symboles de Platon et par l'appareil d'une théologie moins poétique qu'impo- sante, mais (fui a fait de ces enfers le modèle des enfers chrétiens. Il y parle en hiérophante, à ({ui les dieux infernaux ont permis de révéler leurs secrets :
su mihî fas aiulita loqui, sit nnmine veslro Paiidere res alla terra et caligine mersas *.
1. a Quoi! de telles colères dans des âmes divines! »
2. « 0 ma sœur, et tout à la fois ma tendre épouse ! »
3. Justa venus ; c'est une expression de Lucain.
4. « Qu'il me soit permis de dire ce qui m'a été révélé, et de
172 LE rjllUSTlANlSME ET SES ORIGINES.
Los enfors, à la porte desquels habitent les mauvaises joies, mala meniis gaiidia^ où Minos lient ses assises sévères, vilasque et crimina discit^ où le coupable, au milieu même du supplice, fait amende honorable à la justice violée :
Discite justitiam moniti et non temnere divos i ;
les voyages de ces âmes à travers plusieurs existences, et les épreuves qu'elles ont à subir; la Sibylle qui pro- mène Enée parmi ces mystères, la même Sibylle que Virgile avait déjà prise à témoin dans ses Églogues • celui qui a chanté tout cela est bien l'initiateur du grand poëte chrétien du moyen âge ; on comprend que Dante ait voulu marcher derrière lui pour descendre aux lieux d'en bas. Mais Virgile n'aurait pas consenti à l'y con- duire; en vrai disciple d'Athènes, il détournait ses regards de ces horreurs : a II n'est pas permis, disait- il, à qui est pur, de franchir ce seuil abominable. »
Nulli fas casto sceleralum insistcre limen;
et tandis (pic le fils de l'Église, dans son étroite et dure intolérance, exclut son maitrc, comme ])aïen, du spec- tacle des béatitudes célestes, le maître, au contraire, dans une»ponsée plus haute et plus sainte, fermait ses yeux à des tourments dont il n'aurait pas été permis d'avoir pitié. Aujourd'hui notre imagination est devenue trop juste et trop humaine pour supporter même, avec
découvrir sous vos auspices des mystères cachés au fond do la tcrro et de la nuit. » 1. a Apprenez par cet exemple la justice et le respect dos dieux. »
LA RELIGION AU TEMPS DAUtiUSTE 173
Virgile, l'idée de pareilles souffrances; et j'ose dire que s'il se trouvait encore un poëte pour peindre l'enfer, il ne viendrait pas à bout de se faire lire deux fois.
Si j'ai rai)pelé tout d'abord le chœur des poêles d'Auguste, et Virgile à leur tèlCj c'est que, dès qu'on se remet en mémoire ces beaux vers, on se convainc que l'esprit religieux qui y respire est bien jusqu'à un cer- tnin point celui du temps, et non pas seulement l'œuvre de la politique d'un homme. Cette politique a suivi un mouvement qu'elle n'a pas fait ; de même que le Con- cordat est l'œuvre de la réaction religieuse qui a suc- cédé à la Révolution française, et non pas cette réaction l'œuvre du Concordat. Quand les hommes n'attendent plus rien de leurs j)ropre3 forces, ils se rejettent du côté des dieux, et les habiles les conduisent aux autels pour se consacrer eux-mêmes. Leur foi s'évanouirait comme une fumée, du moment qu'ils reprendraient con- fiance et courage ; mais ce ne peut être avant ce jour- là. C'est un jour qui n'est jamais venu pour le monde romain. La riche littérature de l'époque d'Auguste nous éclaire à merveille sur l'état des âmes, et nous montre qu'elles étaient livrées à toutes les croyances comme à toutes les pratiques religieuses ou superstitieuses qui se sont perpétuées pendant tant de siècles dans le monde chrétien. Ueligion ou superstition, il n'y a pas de dis- tinction entre ces deux choses pour une raison ferme- ment critique : ces mots expriment des idées toutes relatives; la superstition de celui-ci est toujours la re- ligion de celui-là, comme la religion des uns est la suiicrsiilion des autres. Mais euliu cet âge vivait en
174 LE CHRISTIANISME ET SES OHIGiNES.
plein surnatuiel aussi bien que les âges suivant?, ei à peu près de la même manière.
Commençons par les croyances, et d'abord par les plus hautes et les plus pures, qui sont de la philosophie autant presque que de la religion. On n'avait plus la force, même parmi les meilleurs esjirits, de ne voir dans la nature que la nature même; Lucrèce l'avait en vain proclamée libre, on lui rend un maître; là aussi, on met une royauté, in regnonali sumus. On croit plus que jamais à un gouvernement du monde, gouverne- ment qui réside dans un dieu suprême, sinon um'que, qui est bien celui que les chrétiens nomment simj)le- mentDieu. Qu'on l'appelle en effet Deus^ ou Divinilas, on Jupiter, c'est toujours le même. « Tout est plein de Jupiter. »
Ab Jovc principium, Musœ, Jovis omnia plena.
— « Que chanterais-je avant le Père du monde, qui règne sur les hommes et sur les dieux?... // n'engen- dre rien qui soit plus grand que lui-inémc ; rien ne subsiste qui lui soit égal ?n qui approche de lui ^ t> On enseigne , même en vers, que les déliés diverses ne ■sont que desvertus divines cachées sous des figuresqui frappent davantage l'imagmalion -. Ce dieu est démon-
1, Undo nil majus {renoralur ipso,
Nec vigel (luiihiuani siiuile aiil socundiim.
2. Pour que les clios :s, rovêlues d'un corps, iniposonl ainsi davan- taj;e «,
l'oiidus uti rébus pursonu impoaere possit.
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE 175
tré par l'ordre universel du monde, où iln'y a rien qui soit fait en vain ni au hasard :
Nec quidquam rationis eget frustrave creatum est •.
Tout a été ordonné pour le service des dieux et des hommes. La création est un bienfait. Et quand je dis la création, je puis prendre ce mot au sens moderne saris aucune inexactitude. C'est une erreur de croire que lo christianisme seul ait fait faire à la raison l'étrange tour de force d'imaginer le monde né de rien. On disputait déjà dans les écoles antiques si Dieu avait trouve la matière toute faite, ou s'il se l'èlail (aile à lui-même. La divinité est, d'ailleurs, dans l'ordre moral, tout ce qu'elle doit être i)our satisfaire la conscience. « Les dieux condamnent la force qui s'emporte, et grandis- sent celle qui se modère. » — « Home n'est si haut que parce qu'elle s'abaisse devant les dieux. »
Dis te minorem quod geris, imperas.
— « Plus on s'est refusé à soi-même, plus on ob(ient d'en haut. » — Les dieux demandent le cœur, non le sacrifice. — L'éloquence continue aussi d'employer tous les lieux communs spiritualistes : Uicn ne meurt que le corps. — L'homme, c'est Ovide qui le proclame, lliomme est fait à Vimarje des dieux; et un autre poëte ajoute que la divinilé est descendue en nous et y réside^
1. « Ce n'est pas une o?uvre du Iiasard, mais lo pian d'une intelli- gence supérieure. »
Non casus opus est, niagui scd nuoiinis uiju.
17G LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
et que, quand nous cherchons Dieu, cesl Dieu même qui se cherche,
Quem (Ionique in unum
Descendit deus alque habitat, scque ipse requirit.
Mais au-dessous de ces belles spéculation?, une reli- gion plus vulgaire chercliait et trouvait le surnaturel dans tous les coins de la nature. Le temps dont parle Musset n'était pas passé,
Où quatre mille dieux n'avaient pas un athéo.
Les dieux grecs cependant, les dieux de la mythologie, ne vivaient plus guère que dans les œuvres des arts ou dans les vers des poètes. Mais le soleil, la lune, les astres étaient des dieux ; et puis tout un peuple d'êtres surnaturels, sous le nom de démons ou de génies, était répandu dans l'air entre le ciel et la terre, sortes d'in- termédiaires entre la nature divine et l'humaine; c'é- taient eux qui se manifestaient par les prodiges et les miracles. Les philosophes y croyaient. On racontait que Brutus, à la veille de sa dernière campagne, couché sous sa tente et ne dormant pas, vit une figure qui se tenait debout j)rès de son lit sans lui rien dire, et que, lui ayant demandé : « Qui es-tu ?» il entendit cette réponse : < Je suis ton mauvais génie, et tu me verras bientôt à Philippes. j> Les dieux se révélaient quelque- fois par leur protection, plus souvent par leur colère. Denys d'IIalicarnasse raconte que les fournies romaines ayant fait l'aire une statue à la Korliinc loiiiinin<», cette statue parla devant tous pour honorer leur piété, et il
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. 177
ajoute que son récit pourra servir à redresser ceux qui pensent que les dieux ne se soucient pas des honneurs que les hommes leur rendent, et ne s'irritent pas des impiétés et des injustices. « Cette manifestation de la déesse, qui n'eut pas lieu une fois seulement, mais deux fois, comme le portent les annales des pontifes, doit faire que ceux qui sont scrupuleux à conserver les opinions que leur pères leur ont transmises sur les dieux , s'attachent plus fermement et sans trouble à ces croyances; et quant à ceux qui méprisent les antiques traditions, ne donnant à la divinité aucune espèce d'au- torité sur les pensées humaines, ils pourront abjurer cette opinion malheureuse; ou, s'ils sont incurables, ils en seront plus détestés de tous et plus maudits. » — Denys,. sans doute, est un esprit médiocre; M. Michelet l'a jugé d'un mot, en relevant chez lui un avanl-goût de l'imbécillité byzajiline ; mais un esprit de cet ordre nous donne mieux que les beaux génies la mesure où s'arrêtait la raison du commun des hommes. Il repré- sente la foule, et c'est dans la foule que s'est opéré le mouvement religieux dont je cherche le secret dans cette histoire.
D'ailleurs, il n'y a pas si loin de la foi de Tite-Live à celle de Denys, et les histoires de Tite-Live sont pleines de ce qu'on appelait des prodiges. Il est vrai qu'il s'en excuse; il sait, je le rappelais tout à l'heure, que les prodiges ne sont plus reconnus d'une manière publique et officielle. « Mais, dit-il, en écrivant sur ces faits an- tiques, je prends moi-même, comme malgré moi, un esprit d'un autre temps, et je me ferais un scrupule, IL is
178 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
quand les sages d'auirefois ont fait pour ces événemenls des expiations publiques, de ne pas daigner les insérer dans mon récit. » Et, ainsi rassuré contre les railleries des incrédules, il remplit des pages de ces manifesta- tions divines; il rapporte qu'un bœuf est monté jus- qu'au troisième étage d'une maison ; il assure même qu'un autre bœuf a prononcé ces propres paroles : a Rome, prends garde à toi ; » il raconte que des rats ont rongé l'or consacré dans un temple, ajoutant seu- lement cette fois que c'est ainsi qu'une religion égarée fait intervenir les dieux jusque dans les plus miséra- bles accidents. Qu'est-ce que cela veut dire? Que croit- il au juste? Qu'a-t-il gardé précisément de cette foi qu'il regrette? On ne sait, mais on ne peut douter qu'elle ne subsistât encore tout entière dans des esprits moins cultivés et moins choisis.
Pour n'être plus reconnus par l'État, les prodiges n'occupaient guère moins les esprits des peuples. Tous les événements de cette époque ne sont entrés dans l'hisioire qu'avec le cortège d'une multitude de signes qui passaient pour les avoir annoncés. Tous les livres, ceux des prosateurs comme ceux des poètes, sont rem- plis des présages sinis.tres dont on entourait la mort de César. On en trouve aussi pour celle d'Auguste et de tous les autres ; il y avait eu des présages de la victoire de Pharsale; il y eut ceux du désastre de Varus. Les biographies des Césars, de Suétone, écho de tout ce que les Romains se racontaient les uns aux autres, sont semées de toute espèce de miracles. On y lit que Livie, étant grosse de Tibère, prit un œuf de poule qu'elle
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. 179
-couva pour tirer de ce qui naîtrait un présage ; il vint lin poulet qui portail déjà une crête, signe de la gran- deur promise à l'enfant attendu. 11 y est dit encore que Tibère ayant voulu faire taire les oracles de la Fortune de Préneste, qui se rendaient par des sorls, avait fait emporter les sorts à Rome dans un coffret bien scellé : quand on ouvrit le coffret, il était vide, et les sorts ne s'y retrouvèrent que lorsqu'on l'eut rapporté à Préneste. Mois je ne finirais pas de transcrire ces contes. Je ne veux pas oublier pourtant l'histoire du coup de foudre qui emporta le C, première lettre du nom de Cœsar^ c'est-à-dire d'Auguste , gravé sur le piédestal de sa statue. Comme le C vaut cent en chiffres, et que tpsar, dit-on, en étrusque, signifiait dieu, cela voulait dire que dans cent jours il serait dieu, ou, en d'autres termes, qu'il serait mort.
Bien des espèces de divinations étaient florissantes : les augures d'abord (rien ne s'est jamais fait à Rome, dit Tite-Live , que sous la garantie des auspices , c'est-à-dire des signes donnés par les oiseaux); les livres sibyllins; l'aruspicine, qui comprenait la science des signes écrits dans les entrailles des victimes, et la science des foudres; les sorts; les oracles, quoi- que fort déchus ; l'évocation des morts, et enfin l'as- trologie. Il faut y ajouter la divination libre et capri- cieuse des Inspirés. Auguste voua aux dieux une célébration extraordinaire des Grands Jeux , parce qu'une femme, qui s'était gravé des signes mystérieux sur le bras, s'était mise à prophétiser et à menacer Home de la colère des dieux ; il crut devoir obéir à l'é-
180 LE Clin ISTIAMSME ET SES ORIGINES.
motion que ce spectacle avait excitée dons la foule. Du temps doCaligiila, la première fois que s'ouvrit sous ses ausj)icesune nouvelle année, on raconte qu'un esclave monta sur le lit sacré {pulvmar)du Jupiter du Capitole, et fit entendre toutes sortes de prédictions sinistres, après quoi il tua un chien qu'il avait apporté et s'égorgea lui- même. Mais la première illusion et la première passion du temps est l'astrologie. Elle règne surtout au temps des Césars ; les poètes témoignent de son empire. Horace dit à Leuconoé : <t Ne va pas chercher quelle fin les dieux nous ont marquée à tous deux, c'est un mystère: ne sonde pas les calculs de la science de Babylone, nec babtjlonios tentaris numéros. » Et à Mécène : « Quel que soit l'astre, dit-il, dont les influences redoutables menacent ma vie, oui, mon horoscope s'accorde d'une mianière merveilleuse avec le tien. » — « Mortels , dit Properce , vous vous efforcez de connaître l'heure incertaine de la mort, et par où elle doit venir vous surprendre ; vous étudiez l'art décou- vert BOUS le ciel pur des Phéniciens, pour savoir quelle étoile est propice ou ennemie. » Et, à côté des poètes, voici l'histoire qui témoigne que, sous les Césars, qui- conque était mécontent ou inquiet demandait à l'astro- logie des espérances; ce qu'on cherchait surtout dans le ciel, c'était la mort de l'empereur, ou celle des gens dont on devait hériter. Auguste, dit-on, défendit de consulter les astrologues autrement que devant té- moins ; et, même devant témoins, de les consulter sur la mort de personne. Et on ajoute que, pour défier les horoscopes clandestins, il fit tirer le sien lui-même et le
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. î8l
fit afficher partout: je veux dire le thème de sa nativité, sur lequel chacun pouvait faire ensuite ses calculs. C'est à la fin du règne d'Auguste que l'astrologie prend, pour ainsi dire, solennellement possession des esprits dans Rome par le poome de Manilius. C'est une œuvre animée d'une foi profonde, et le poëte est l'interprète convaincu d'une religion. Écolier de Lucrèce en tant qu'il fait de la poésie philosophique, trouvant même çà ei là quelques vers dignes de son maître, comme ceux que j'ai rappelés sur la science qui tue les miracles, ou comme cette expression si souvent citée de l'inquié- uide perpétuelle de l'àme humaine : On se dispose tou- j(,iirs à vivre, mais on ne vit jamais ^ ;M^n\\iui est hicii loin, d'ailleurs, de la liberté d'esprit d'Épicure, et il accepte la doctrine des Stoïques tout entière, y com- pris les superstitions. Il ne doute ni que l'avenir ne soit écrit dans les figures que les astres tracent sur la sphère céleste, ni que l'homme ne soit appelé à le déchiffrer. L'homme peut se tromper, mais V ordre des étoiles ne se trompe ni ne le trompe :
Nam neque decipitar ratio nec decipit nnqaam.
L'àme étant originaire du ciel, comment ne compren- drait-elle pas la langue du ciel? L'humanité fait des dieux par l'apothéose ; commentn'entendrait-elle pas les dieux? Il ne recule devant aucune subtilité, si bizarre qu'elle soit, pour venir à bout des difficultés, des objections, des contradictions, qui sont terribles. Après tout, si le ciel est obscur, c'est qu'il veut l'être. Ainsi se défendent toutes
1. Viclurosque agimus sempcr nei*. \iviinus iii.qii;;m.
1R^> LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
les révélations. Quand Pascal trouvait des prophétie» qui lui semblaient un peu tirées par les cheveux, il disait que Dieu n'avait pas voulu qu'elles fussent en- tendues. Les dieux de Manilius sont aussi des dieux ca- chés :
Dissimulant, non se oslentant mortalibus astra<.
Ils ne se communiquent qu'à ceux qui achètent cette faveur tout son prix. Mais on ne saurait la payer trop cher ; si on fait tant pour les biens périssables, que ne fera-t-on pas pour le ciel ? L'homme peut bien se donner tout entier, quand il veut que Dieu se donne :
Impendendus homo est, dens esse ut possit in ipso.
Quelle ferveur d'enthousiasme et quel langage ! On ne lit pas assez ce curieux poëme ; on ne trouverait certes aucun profit a y étudier le grimoire que Manilius a mis en vers ; mais on y peut faire la plus intéressante de toutes les études, celle des mystères de l'esprit humain. Le poëme, commencé quand Auguste régnait encore, fut achevé sous Tibère ; celui-ci était digne que l'ou- vrage lui fût offert. On connaît son application à l'as- trologie et l'histoire de Thrnsylle son maître. Un autre Thrasylle, fils du premier, passait pour avoir prédit à Agrippine que Néron serait empereur, et aussi comment il la payerait du don de l'empire. L'astrologie est dé- sormais souveraine. Mais, puissante comme les reli- gions, elle est persécutée comme elles. De temps en
Oui, c'dst un diou caché qao le dieo qu'il faut croire.
LA KELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. 183
temps, on bannissait de Rome les maîtres de ces calculs, laalhcmaùci \ mais ils y rentraient toujours.
Eh bien ! cette maladie de l'esprit humain, poursui- vant le secret de l'avenir et croyant toujours l'atteindre, la société chrétienne en a hérité comme de tant d'autres. Certaines formes de la divination ont passé; la divination elle-même a subsisté. Les oracles attachés aux temples des dieux ont disparu avec ces temples et leur sacerdoce» Les auspices étaient par excellence une divination d'état. Exercée par des augures choisis entre les premiers per- sonnages, cette divination ne faisait qu'un, pour ainsi dire, avec l'empire même, et n'avait plus de raison d'être dès que l'empire était détruit Enfin, l'inspec- tion des entrailles des victimes cessa naturellement quand les sacrifices eux-mêmes eurent cessé par une révolution dont j'aurai plus tard à rendre compte. D'un autre côté, certaines pratiques de divination persis- tèrent sans être reconnues pour légitimes; l'Église les condamnait comme coupables, non comme illu- soires ; elles tombaient dans la sorcellerie, la reli- gion suspecte et souterraine des dieux du mal. Parmi ces pratiques, il y en a une qui resta longtemps au- torisée et publiquCj celle des sorls\ elle finit par être proscrite. Mais d'autres illusions continuèrent de vivre au grand jour et en grand honneur.
D'abord, l'exaltaiion prophétique des Inspirés régna pendant toute la durée de la crise religieuse au milieu de laquelle s'accomplit la révolution chrétienne. C'était» en quelque sorte, l'état normal des hommes remués par CCS orages. L'Apocalypse est sortie de là, et chacun
184 LE CIIIUSTIANISME ET SES ORIGINES.
prétendait avoir ses apocalypses. Gela s'apaisa, quand l'Église fut définilivement assise : l'inspiration fut sur- tout alors à l'usage des dissidents et des persécutés; mais elle reparut à ce titre dans tous les moments d'a- gitation et de trouble ; et, dans tous les temps, l'Église a reconnu ce don chez quelques-uns de ses saints.
Les sibylles, ou celle qu'on appelait par excellence la Sibylle, celle de Cumes, celle dont Virgile avait con- fessé la doctrine; les sibylles, dis-je, et les livres qu'on mettait sous leur nom, furent des autorités pour l'Église aussi bien que pour l'empire. Elles figurent, peintes par Michel-Ange et par Raphaël, sur les voûtes de ses temples ; et le premier verset de la prose des Morts {Dies irœ) proclame encore tous les jours, par toute la chrétienté, que le monde sera réduit en cendres, suivant la parole de David et de la Sibylle :
Teste David cum Sibylla •.
Enfin l'astrologie a vécu jusqu'au temps bien récent encore où l'esprit philosophique et scientifique a déci- dément prévalu. Sans avoir été consacrée par la religion, elle n'a jamais été non plus contredite par elle, et les papes aussi bien que les rois avaient auprès d'eux leurs astrologues, comme les Césars. Ainsi toutes ces choses
1. Ce dernier vers a été retranché en France et remplacé par un autre, au xyii» siècle, je crois, sous l'influenco de la critique nais- sante. Aujourd'hui encore, dans le diocèse de Paris, on chante le verset ainsi corrigé, sans le nom de la Sibylle. Mais celle dernière marque de l'osiirii gallican disparaîtra bientôt sans doute, et la leçon primitive, conservée dan< le riie romain et déjà reçue dans beaucoup de diocèses de France, prévaudra partout.
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. 185
caractérisent les siècles où a régné l'Église aussi bien que les temps où régnaient les dieux.
Les dieux conseillaient les hommes par la divination; ils faisaient plus par la magie ; ils les aidaient et tra- vaillaient avec eux. La magie est le paroxysme de la maladie des religions ; elle sévit avec fureur au temps des Césars et dès le règne d'Auguste. Elle paraît dans Virgile, dans Horace, dans les élégiaques. La Canidie d'Horace, avec Sagana et Véia, ses compagnes, pour préparer un philtre amoureux, fait mourir de faim un enfant, enterré jusqu'au menton, entouré de mets qu'il ne peut toucher et qu'on renouvelle sans cesse pour le consumer par la fureur du désir; nous suivons l'horri- ble scène, nous entendons les dernières paroles de l'en- fant, qui jette sur la tête de ces femmes, avant de mou- rir, une malédiction terrible. Canidie sait animer des figures de cire, décrocher la lune du ciel, ressusciter Jes morts dont le bûcher a fait des cendres. C'est une Médée de tous les jours, et, d'autre part, Médée, sujet favori alors pour les poètes, n'est qu'une Canidie repor- tée dans le lointain grandiose des temps mythiques.
La critique raisonneuse qui niait les enfers était loin d'avoir prévalu dans la vie des hommes d'alors. Au contraire, les terreurs sacrées qui remplissaient leur existence redoublaient à la pensée de ce qui était ûU- delà, et c'est après la mort que la colère des dieux pa- raissait le plus redoutable. C'est en vain que la philosophie proteste ; la foule croit ; les philoso- phes eux-mêmes trouvent bon qu'elle croie. Un dis- ciple de l'école sloique, vers le lenjps de la mort d'Au-
1^6 LECIIUISTIANISME ET SES Oinr.iNES.
gustc, écrit qu'il faut traiter les hommes comme le? en- fant?, qu'on rend sages en les effrayant avec les noms de Lamia, Gorgo, Ephialte et Mormolycé, les ogres et les croquemitaines des anciens. On les détournera du. mal en leur présentant des châtiments divins, des me- naces, des épouvantes, qu'on fait entrer en eux par le discours ou par des images, ou dont on leur dit (juc tel ou tel a été réellement frappé. « Car le grand iroiipeau des femmes et tout le vulgaire des hommes ne sau- raient être conduits par des raisons philosophiques et amenés ainsi à la piété, à la pureté, à la probité; il y faut aussi la crainte des dieux, qui ne va pas sans mer- veilleux et sans fables. j> Un vers de Properce nous a conservé pourtant la belle protestation d'une àme pure, qui n'a que faire pour être bonne de la crainte du juge. Mais l'imagination se plaît à avoir peur et à faire peur. De là tous ces supplices décrits brièvement dans Vir- gile, m lis complaisamment étalés dans une pièce d'O- vide, VIbis, qui est une malédiction jetée à un ennemi. 11 y a dans ces tableaux un raffinement de cruauté qui n'atteint pas, je l'avoue, jusqu'aux horreurs que l'esprit du moyen âge inspirait à Dante, mais qui en approche; des peines atroces et qui ne doivent jamais finir, une mort en quelque sorte éternelle, c'est bien là l'enfer cniétien :
Nec morlis pœnas mors altéra finicl hnjus, Uoraquc cril tautis ullima iiuUa malis i.
1. a Point de seconde mort pour mettre un terme au\ tourment» de cette mort; point d'Iiouro qui soit la dernière pour ces souf- frances. >
LA UKLIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. i87
Entre l'enfer et le paradis, il n'y a point encore de lieu qui s'appelle le purgatoire ; c'est un nom qui manque à la géographie de l'autre monde, mais il ne manque que le nom. La purification elle-même, par les supplices et en particulier par le feu, est dans Virgile : aut exuri- tur ifjni\ et, plus tard, Sénèque s'exprimera là-dessus en des termes qui pourraient être dans le catéchisme : l'âme se nettoie, expurgalur^ se débarrasse des souil- lures qui restent en elle et de la corruption attachée à toute existence mortelle, puis, s'élevant aux régions d'en haut, court prendre sa place parmi les âmes heureuses. A la religion des enfers tient celle des mânes; en eux, l'homme se survit, pour ainsi dire, sur cette terre même, et quelquefois y poursuit son œuvre. Les mânes de la victime s'attachent à ceiui par qui elle a souffert, et le poursuivent sans relâche jusqu'à ce qu'ils aient obicnu satisfaction. Tite-Live termine ainsi l'histoire du fameux Appius Claudius et des Dix qui régnèrent avec lui dans Rome : « Ainsi les mânes de Virginie, plus heureuse dans sa mort que dans sa vie, après s'être promenés si longtemps de maison en maison pour pour- suivre sa vengeance, ne laissèrent pas debout un seul des coupables et purent enfin se reposer. » Je n'ai pas besoin d'insister sur la croyance aux revenants, qui apparaissaient surtout dans les songes, particulièrement pour réclamer la sépulture :
Ipsa sed in somnis iahumâti venit imago Conjugis '
1. «Lui-môme, le fantôme Je sou époux sans sépulture lui apparut dans son sommeiL »
!88 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Enliii, l'idée d'une résurrection, sans être généralement reçue et populaire, se répandait en ce temps-là et s'au- torisait des traditions pythagoriques qui recommen- çaient à être en honneur. On plaisantait là-dessus les Pythagoriques : « Que vous importe que votre ami soit mort, vous qui comptez qu'il ressuscitera? » Mais, tout en plaisantant sur cette doctrine, on s'accoutumait à l'entendre professer. Ovide chantait la métempsychose : Morte carcnt animœ % et l'auteur du poëme à Messala donnait rendez-vous à son héros, pour continuer son éloge, au jour lointain où lui-même se retrouverait homme une seconde fois.
On croyait de plus en plus à la fin prochaine du monde ; on mêlait à l'idée de cette destruction prochaine celle d'une régénération, et celle-là dominait chez les esprits qui avaient besoin d'espérances. On appelait et on attendait un sauveur. C'est ce sauveur que salue la fameuse quatrième Églogue où Virgile promet un renouvellement du monde ;
Magnus ab integro sœclorum nascitur ordo
Jam nova progenies cœlo demiltilur alto *.
L'humanité, sous la conduite d'un guide qui va naître et qui ramènera l'âge d'or après l'âge de fer, dépouillera à lafois ses iniquités et les misères qui en sont lapeine ;
Te duce, si qua manent sceleris vesligia noslri. Irrita perpétua solvent formidine terras =.
4. « Les âmes ne meurent pas. »
2. a Je vois se rouvrir une grande période de siècles... Une race nou\ellc descend sur la terre du haut du ciel. »
3. a Sous toi les traces qui restent encore de nos crimes seront effacées, et le monde affranchi enfin de ses terreurs. »
LA RELIGION AU TEMPS DAUGUSTE. 189
Qui serait ce sauveur? On ne savait. Au temps des Églogues, c'était le premier enfant venu, de noble race, à qui il plaisait à un poète de prédire en termes écla- tants de belles destinées. Au temps des Géorgiques, Octave étant devenu le maître du monde, c'était Oc- tave :
Hune saltem everso juvenem succurrerc sœclo Ne prollibete « !
Pour les Juifs, ce fut leur Messie. Car l'antique tradi- tion juive d'un Oint ou Messie, qui ne se rapportait d'abord qu'à un roi, à un chef guerrier, dont l'avéne- ment devait rendre à Juda sa grandeur passée, se trans- forma vers ce temps, sous l'influence de cette attente universelle. On prit à la lettre les figures d'une terre renouvelée, où il n'y a plus ni violence ni souffrance, figures qui n'étaient dans les vieux livres de la Bible que des traits d'une hyperbole orientale pour exprimer la prospérité et la paix; et on crut à un monde nouveau où le Messie régnerait avec les élus ressuscites.
Je n'ai pas fini de recueilhr toutes les croyances du temps. Il y en avait de bassement superstitieuses; d'au- tres plus élevées, qui s'inspiraient d'une pensée morale. Aux premières appartient une illusion aussi vieille que les religions elles-mêmes ou que la faiblesse humaine d'où elles sont nées ; celle de croire que les fautes on les crimes peuvent être effacés par des offrandes, des céré- monies, des ablutions. Les historiens et les poêles du siècle d'Auguste témoignent comme ceux d'avant eux de
1. tt Ah ! que ce noble jeune homme vienne enfin au secours du monde détruit ! Ne lui refusez pas cette gloire. »
•190 LE CUUISTIANISME ET SES ORIGINES.
cet état des esprits. Ovide nous parle de la fontaine de Mercure, où le marchand, après s'être purifié, va puiser de l'eau dans un vase purifié également avec le soufre. Il trempe dans cette eau une branche de lau- rier avec laquelle il arrose les objets de son commerce. Il en répmd aussi sur ses cheveux, et il prie. « Efface, dit- il au dieu, efface avec cette eau mes mensonges et mes parjures. » Ovideencore s'écrie ailleurs : « Esprits trop faciles à croire, si vous imaginez que l'eau d'une ri- vière peut laver des meurtres odieux *. » Vaines étaient ces réclamations des sages ; une religion nouvelle était près de s'établir, et elle allait avoir pour sacrement pre- mier et essentiel le baptême !
On croyait encore alors, comme aux anciens temps, à la réversibilité des fautes, à la peine du crime retom- bant sur un héritier innocent :
Delicla majorum immeritus lues».
Et ailleurs :
Neglig^is immeritis nocilnram Poslmodo te natis fraudem commiiteres?
On recueille avec plus de respect les preuves qui abondent, au milieu de cette époque si dissolue, de ce qu'on pouriait appeler la religion de la chasteté. Les poètes de l'amour sont les premiers à le dire, la chas-
1. Ali I iiiiniiirn faciles qui tristia crimina caedis
Fluiiiinea lolli posi5e pulelis aqua.
2. « Tu expieras innocent les crimes de les aïeux. »
3. tt Te .<ou ierais-lu peu de cumiiiettre un crime qui ne serait puni qu'après lui, sur les enfouis iuuoceuls? s
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. 191
télé est aimée des dieux, casla placent superis ; elle est imposée à quiconque veut approcher de l'autel. L'abs- tinence de la volupté est une dévotion habituelle à ceux et à celles mêmes dont la vie est toute à la volupté. L'ins- titution des Vestales avait d'ailleurs placé la virginité aussi haut que possible dans la société romaine , et l'a- vait revêtue de majesté. Les devoirs de leur état sont si rigoureux qu'un thème proposé pour un exercice oratoire était celui-ci : Une Vestale est accusée de les avoir violés, seulement parce qu'on a trouvé un vers écrit de sa main qui exprime un regret pour les joies du ma- riage*. Parmi ces sujets fictifs traités dans les écoles par les rhéteurs, on rencontre un petit roman où figure aussi une vierge. Prise par des pirates, elle a été Uvrée à un proslitueur^ ; mais à mesure que des hommes approchaient d'elle, elle obtenait d'eux de l'épargner. Un jour, elle rencontre un soldat plus brutal, de qui elle ne peut obtenir grâce : elle le tue en lui arrachant son épée. On l'absout de ce meurtre; on la renvoie dans son pays ; là, elle ne craint pas de se présenter pour être prêtresse, mais quelques-uns la repoussent à la fois comme impure et comme homicide. Sa défense était le thème proposé aux orateurs. Un d'entre eux lui faisait dire que ce n'était pas elle qui avait pu tuer ce soldat ; un être plus qu'humain, paraissant à côté d'elle^
1. Felices nuplael moriar nisi nuJiere dulce est,
<t Heureuses les mariées ! je veux mourir si le mariage n'est pas un bonheur. »
2. C'est le mot par lequel M Naudet a traduit constamment leno cUlûs son Piaule. 11 m'a paru par là suffisamment autorisé.
192 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
l'avait assistée et avait donné des forces à son faible bras. Et l'orateur s'écriait : « Qui que vous soyez, dieux immortels, qui avez fait un miracle pour la tirer de ce lieu infâme, vous n'avez pas protégé une ingrate; elle vous consacre la virginité qu'elle vous doit. >
On voit assez qu'il y a là une variante de la même histoire que les chrétiens ont reproduite dans la lé- gende de quelques vierges martyres. Sainte Agnès, sainte Théodure (l'héroïne d'une tragédie de Corneille), ont été aussi livrées au proslitueur pour être enfer- mées dans la maison de débauche. Théodore en est lirée par le dévouement d'un jeune chrétien; Agnès n'y entre même pas; un jeune homme, au moment qu'on l'y conduit, ayant oser jeter sur elle des regards insolents, une flamme ailée vient frapper ses yeux, l'aveugle et le terrasse ; ses amis l'emportent à demi mort. Ce feu du ciel {ignis aies) est l'équivalent de Valtior humana species du rhéteur du temps d'Au- guste ; c'est toujours le miracle protégeant une virgi- nité sacrée.
Si on veut descendre, en fait de superstitions, jus- qu'aux plus grossières et aux plus puériles, on trouve dans la littérature d'alors le loup-garou (Virgile même en parle) ; les stryges ou vampires, qui sucent le sang elles entrailles des enfants au berccLiu. En un mot ce que nous appelons volontiers l'esprit du moyen âge était déjà celui de cette brillante époque, prise dans son fond ; ce fond est recouvert pour nous par l'éclat d'une élilc (|iii fait l'histoire et qui la remplit, mais il s'étend profondément au-dessous d'elle, et elle-même
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. 193
n'en est pas absolument dégagée. C'est sur ce fond que le christianisme a poussé.
Le siècle d'Auguste n'était pas moins religieux par les pratiques que par les croyances, et sa littérature est également pleine des démonstrations de la religion publique et des dévotions des particuliers.
L'ancienne Rome était déjà une ville sainte : <r Nous avuns, dit un personnage de Tite-Live, une ville fondée en vertu des auspices et des augures ; une ville où il n'y a pas un coin qui ne sait consacré et plein des dieux-, des sacrifices solennels sont attachés à tel emplacement comme à tel jour. > Il y avait dans Rome jusqu'à mille endroits où on honorait l'image des dieux Lares, auxquels était associé le Génie de l'empereur. Les Vestales offraient sans cesse des priè- res pour le salut de la cité, et elles en faisaient de par- ticulières pour tel ou tel danger public, par exemple pour conjurer la désertion des esclaves qui de tous côtés s'en allaient rejoindre Sextus Pompée dans sa guerre contre les héritiers de César. J'ai déjà parlé du cantique d'Horace , composé pour la grande fête ordonnée, disait-on, par la Sibylle, en l'honneur des dieux qui aiment les sept collines,
Di quibus septem placuere colles.
Des pratiques religieuses étaient attachées à tous les actes de la vie publique. Le magistrat qui convoquait l'assemblée du peuple faisait une prière aux dieux avant de commencer son discours, prœfatus divos. Le sénat leur offrait l'encens avant d'entrer en séance. Au
II. 13
I9i LE CIIUISTIANISMK ET SES ORIGINES.
début d'une guerre *, ou à la suite d'un désastre, tel que celui de Varus, on faisait vœu de leur élever un temple ou de célébrer une fête extraordinaire. Le vœu était fait à la condition du succès, si respublîca in mcliorem slalmn verlisset. Dans les épidémies, on leur servait des festins dans leurs temples; les images divines étaient placées sur des lits de table ; c'est le lectisler- nium\ Denys avait vu cette cérémonie, qu'il a décrite. Dans les sécheresses, les dames s'en allaient pieds nus, les cheveux tombant, l'àme purifiée [menlibus puris), et montaient au temple de Jupiter pour demander de l'eau aux dieux, comme depuis on a suivi en proces- sion les châsses des saints. Quand un consul entrait en charge, au renouvellement de l'année, il allait d'abord sacrifier en grande pompe au Capitole. Le triompha- teur en faisait autant, et, en arrivant au pied du temple, il descendait de son char pour en monter les degrés sur ses genoux. C'est ce qu'on nous marque expressé- ment pour César, et aussi pour Claude. Mais, plus gé- néralement, toute fête est religieuse, et l'idée même d'une fête ne peut se séparer de celle des hommages rendus aux dieux, des victimes égorgées , des pro- cessions à travers les rues tendues de tapisseries^
It pcr velatas annua pompa vias ;
des costumes des prêtres, parmi lesquels il faut se représenter ceux des Salii, que Denys nous a décrits,
1. Civilas religiosa, in principio maxime novorum bcllorum. «La cité scrupuleuse sur les devoirs de la religion, surloulà l'eulréo d'une guerre nouvelle. »
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. i9:>
aussi bizarres que leurs danses, et témoignant par leur bizarrerie môme d'une antiquité qui les consacie-, car rien n'est vraiment sacré que ce qui semble être perpétuel. Le calendrier est déjà dans l'ancienne Rome ce qu'il doit être dans l'Église, la marque que la reli- gion a mise sur la vie des peuples, et comme son titre de possession. La distinction même des jours fastes et néfastes est une distinction religieuse.
La religion publique, si grande par la grandeur même de Rome, descendait en même temps aux plus petites cho«es à force de scrupules : scrupule est un terme métaphorique que la langue religieuse doit aux Romains *. Il a pris depuis un sens tout à foit relevé et spirituel ; il ne s'appliquait d'abord qu'à la minutie des observances, et une phrase de Valérius l'éclairé parfaitement : « Il n'est pas étonnant que la bonté des dieux ait veillé avec tant de persévérance sur l'agran- dissement et la conservation d'un empire qui pèse avec une conscience si vétilleuse jusqu'aux plus minces scru- pules de religion; car il faut reconnaître que notre répu- blique n'a jamais cessé d'avoir les yeux sur l'observa- tion la plus rigoureuse de tous les rites. » Et Tite-Live : « Ce sont de petites choses, mais c'est en ne dédaignant pas ces petites choses que nos pères ont fait Rome si grande. » On voit bien par là que Rome s'adore elle- même dans ses dieux. Il en est sans doute ainsi, jus- qu'à un certain point, de tous les peuples; mais le nom de Rome surtout est associé à ceux de Jupiter et
1. Le scrupule au sens propre, est on petit c:iillon.
196 LE CHRISTIANISME ET SES OUICI.NES.
du Capitule, comme celui d'Israël au nom de lehova et de Sion; car je ne crains pas d'opposer la force qui résiste sans fléchir à la force qui triomphe. Israël ré- siste avec lehova , Rome triomphe avec Jupiter. Elle est éternelle comme lui. Quand ses poètes veulent dire loujourSy ils disent : Tant que subsistera le Capitole, tant que le ponlife en montera les degrés, et à côté de lui la Vestale silencieuse '. — « Quoi ! dit Horace, au souvenir des soldats de Crassus, quoi ! ils ont servi sous le Parthe, quand Rome était debout et Jupiter- ! > Elle doit être universelle aussi bien qu'éternelle, et em- brasser l'espace comme le temps :
Ilis ego nec mêlas rerum nec tempora pono, Impcrium sine fine dedi 5
— Son empire est grand comme la terre et ses pensées comme le ciel * ; sa piété la met plus haut, non-seule- ment que les hommes, mais que les dieux :
Supra homines, supra ire deos pietate videbis.
1. Dum Capitolium Scandet cnm tacita virgine poiUilex.
Et encore :
Dum domus JEnetË Capitoli immobile saxum Accolet, imperiumque pater romanus Iiabebit.
« Tant que la race d'Enée s'appuiera au roc immobile du Capilole, et que les pères de Rome garderont l'empire du monde. »
2. Incolumini Jove et urbe Roma.
3. « Je n'ai fixé do bornes ni à leur conquête ni à sa durée ; l'em- pire que je leur ai donné sera sans fin. >
i. Imperium terri», animos xquabit Olympe.
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. 197
Elle est transfigurée à ses propres yeux; elle se con- fond avec son idéal ; elle est le domicile môme de la vertu et de la justice.
Famam, Roma, tase non padet historiae, etc. ».
On comprend que la lutte ait été longue et terrible entre ce Jupiter orgueilleux et le Seujneur des Juifs, opiniâtre et indomptable. C'est le nom du Seigneur qui a prévalu, mais sous ce nom on retrouve encore Jupi- ter. Le nouveau Dieu se fait Romain, Jérusalem est déshéritée, et Rome demeure la capitale spirituelle du monde, reine dans tous les lieux et dans tous les temps. Cette horreur d'innover, qui était le fond de l'esprit romain, a été d'abord, pour la prédication juive, un obstacle formidable; mais quand l'obstacle a été sur- monté à l'aide du temps (il y a fallu trois et quatre siècles), ce même esprit est devenu une force, une force telle que quinze siècles n'en sont pas encore venus à bouta l'heure qu'il est.
L'apothéose, telle qu'elle s'est produite au temps des Césars, n'est, à la bien prendre, qu'une des formes de cette adoration que Rome exigeait pour elle. La divinité de Rome se personnifiait dans le César. Les temples qu'on élevait dans les provinces étaient consa-
£t Manilius :
Italia in summa, quam rerura maxima Roma Iinposuit terris, cœloque adjungilur ipsa.
« L'Italie est au-dessus de tout ; Rome, souveraine du monde, l'a faite la. première sur la terre, tandis qu'elle-même tient au ciel. ■ 1. • Rome, la Renommée n'a pas à rougir de ton histoire. >
198 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
crcs à l empereur el à Home; et on n'en élevait aux empereurs vivants ni dans Kome même ni dans l'Italie. Là, ils devenaient dieux seulement après leur mort; c'était à peu près la canonisation chrétienne, avec cette différence que les divi d'alors (on disait divus Julius^ divus Augaslus) étaient les grands hommes de l'Etat, tandis que les saints sont les grands hommes de l'Église, et satisfont à une autre espèce d'idéal '.
C'étaient d'étranges dieux pourtant qu'un Auguste, et surtout un Claude, mais c'ét;iient les héritiers du dieu César et ses fils suivant la loi. Ils représentaient d'ail- leurs Rome devant le monde ; ils la représentaient aussi devant les dieux, car ils étaient souverains potitifes, ils exerçaient ou ils conféraient tous les sacerdoces, et ils tenaient dans leurs mains la religion tout entière. Les évéques de Rome, jusqu'à l'an oÛO, furent tous saints, comme les Césars étaient dieux. Si la papauté
1. Ce rapprochement enire l'apothéosi» et la canonisation est in- diqué'par Bourdaloue lui-même, dans le Panégyrique de saint Louis: € Car dans les principes de la vraie religion , nous pouvons dire en quelque sort.; de saint Louis ce que les Romains idolâtres disaient de leurs empereurs, qui avaient été mis au nombre des dieux : Re- liquus dcos accepinius : Cœsares dedimus. Pour les autres dieux de l'empire, disaient-ils, nous les avons reçus du ciel: mais, pour ceux-ci, qui étaient nos princes, le ciel les a reçus de cous. Et moi, je dis : Pour les autres saints que nous honorons dans le monde chrétien, l'fplise nous les a donnés; mais pour saint Louis, c'est la France qui l'a donné à l'Eglise. »
Avant les Ct'sars, K'S |)ro\iiicos élevaient di'jà des temples aux grands personnages de la République; c'est ainsi que l'Asie voua un temple à Cicéron, au lendemain de son illustre consulat , son frère Quinlus étant préleur de la province , comme on le v-^it dans la Lettre célèbre qui ouvre le recueil des Lettres de Cicéron à Quintus. En général on ne peut trop redire que les empereurs ne furent que des proconsuls agrandis, sous qui Rome fut traitée elle-même ea province.
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. 19!)
€Ùt été héréditaire, comme l'empire a toujours tâché de l'être, l'usage se serait jDerpétué sans doute que la piété de chaque héritier consacrât la même ire de son prédécesseur ; et personne ne se serait étonné d'entendre appeler sam^ après sa mort celui qui s'appelle Sa Sain- teté pendant sa vie. Un poêle du temps d'Auguste, par- . lant de simples pontifes qui n'étaient pas des princes et qui n'avaient de dignité que celle de leur saint ministère, disait déjà qu'ils étaient presque des dieux, fcne deos. 11 est vrai que les empereurs vivants eux-mêmes, avant d'être dieux officiellement, étaient déjà divinisés par une sorte de culte populaire. Les Romains, au des- sert^ faisaient des libations à Auguste, et associaient sa d^inité à celle des Lares\ Mais dès qu'il y avnit d'autres dieux que le dieu suprême, comment n'aurail- on pas été tenté d'appeler de ce nom les maîtres du monde? Le poète des Métamorphoses nous représente Niobéqui dispute à Latone ses autels et qui dit aux peu- ples : 0 Quelle folie de mettre des dieux dont vous en- tendez seulement parler au-dessus de ceux que vous voyez de vos yeux mêmes ! » Ce langage était compris à Rome: les hommes d'un temps où la puissance était sans mesure, et n'avait rien qui la limitât ni pour le bien ni pour le mal, jugeaient que les princes étaient les vrais dieux. C'est encore une expression d'Ovide K
1. El aliei'is
Te mensis adhibet deum, etc.
S. Turaque Csesaribus com conjuge Césure (ligna , Dis veris !
* Quand pourrais-je donner de l'encens aux. Césars et à la digoe •épouse de Gesar; ils sont vraiment des dieux! *
200 LE CHIUSÏIAMSME ET SES ORIGINES.
Mais la Bible elle-même ne dit-elle pas aux rois : Vous êtes des dieux ! Il est vrai qu'elle ajoute qu'ils mourront comme des hommes; mais on savait bien aussi à Rome que les dieux du Palatin devaient mourir. Je ne sais si quelques-uns de ces dieux, ceux qui étaient fous , croyaient par hasard en eux-mêmes; mais nul autre certainement n'a cru en leur divinité de leur vivant. Lorsque Pline disait à Trajan, dans un discours public et solennel : « Tu sais que tu es un homme, quoique tu sois le premier des hommes », il parlait précisé- ment comme pouvaient parlera Louis XIV ses évèqucs, et ni Pline ni Trajan n'avaient besoin pour cela d'être chrétiens. Telle Inscription même du temps d'Auguste distingue fort bien entre les dieux, et ceux qui sont seu- lement sur le pied de dieux (isothées.) Au fond, ces en- fants de dieux, pères de dieux, n'étaient pas plus con- sacrés par l'apothéose que les rois chrétiens par les noms de cJirisls ou oints du Seigneur. Les odes d'Horace en l'honneur du dieu Auguste ne sont guère que des Domine salvum. Quand il dit que Jupiter règne avec César pour second, lu secundo Cœsare règnes, se ré- servant le ciel et lui abandonnant la terre, il ne dit que ce que Grégoire de Nazianze disait également aux em- pereurs : « Respectez votre pourpre, reconnaissez le grand mystère de Dieu dans vos personnes; il gouverne par lui-même les clioses cclestes, il partage celles de la terre avec vous. Soyez donc des dieux à vos sujets '. » Jupiter est le même que ie dieu des Oraisons funèbres : celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous
1. Traduction de Bossuet : Polilique tirée de tEcrilure,
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. 201
les em^nres ; celui qui communique sa puissance aux princes et qui leur commande d'en user, comme il fait lui-même, pour le bien du monde ; celui qui leur fait voiV, en la reiiranl^que toute leur majesté est empruntée <f et que, pour être assis sur le trône, ils n'en sojit pas moins sous sa main et sous son autorité suprême :
Regam timendorum in proprios gregos, Reges in ipsos imperium est Jovis '.
L'attentat à la vie céleste des Césars était un sacrilège : il attirait sur les meurtriers, qu'on appelait des parri- cides, toutes les vengeances d'en haut. Eh bien ! les mêmes anathèmes, dans le monde chrétien, ont pesé sur la tète des régicides.
Descendons maintenant de la majesté de la religion publique à ces habitudes de la vie privée où se marque encore mieux la sincérité des croyances et l'empire qu'elles exercent sur l'homme tout entier. La littéra- ture de cette époque nous éclaire très-bien à ce sujet, parce qu'elle se compose surtout des œuvres des poètes. Les historiens ne nous donnent que les faits nouveaux ; les philosophes (j'entends ceux qui comptent), les idées nouvelles; les poètes disent la vie tout entière, le fond de la vie et non pas seulement les accidents.
La religion entre alors aussi avant que jamais elle l'a pu faire dans toutes les joies, dans toutes les dou- leurs, dans toutes les occupations des hommes. Le ma- riage a ses divinités protectrices, di conjugales. La
1 . « La puissance des rois est redoutable anx troupeaux qu'ils mà> nent, et aux rois celle d« Jupiter. »
202 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
mort a ses offices de toute espèce : funérailles, anniver- saires, culte des morts aimés, culte de tous les morts. Il y a plus d'une cérémonie funèbre dans le poëme de Virgile ; et voici le discours qu'Énéc tient à ses compa- gnons, en se retrouvant sur cette terre de Sicile où est mort son père : « L'année dans son cours a parcouru le cercle entier des mois, depuis que nous avons confié à la terre la cendre du divin Anchisc et que nous avons dressé pour lui les autels des morts. Voici le jour, oui, c'est bien le jour qui sera à jamais pour moi un jour de deuil, et aussi de solennels hommages, puisqu'ainsi l'ont voulu les dieux. Quand je serais exilé parmi les sables de Gétulie, ou surpris dans les mers de la Grèce, dans les murs mênîes de Mycènes, je n'en renouvellerais pas moins tous les ans les mêmes vœux, conduisant en son honneur la pompe funèbre, et chargeant les autels des offrandes voulues. » Ce sont déjà les services des morts et les fondations perpétuelles. Une fondation d'une autre espèce est celle que plusieurs pères de famille firent par testament sous Auguste, ordonnant que leurs héri- tiers feraient conduire au Capitole des victimes avec une inscription portant que c'était l'accomplissement d'un vœu qu'ils avaient fait, pour le cas où l'empereur leur survivrait.
Ovide nous fait voir chez Didon, veuve, une chapelle consacrée à Sichée :
Est niihi marmorea sacralus in œde Sicliœus.
Et dans son poëme des F;istes, il décrit les FcraHa, c'est-à-dire notre Fête des Morts, dontladatc seulement
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. 203
a été changée ; elle se célébrait alors à la fin de février, c'est-à-dire à la fin de l'ancienne année romaine, dont on donnait ainsi aux morts les derniers jours.
Voici, dans Ovide encore, une autre sorte d'anniver- saire. Écrivant de l'exil le jour même de sa naissance, il dit qu'il n'a pas le courage d'en faire la fête, de s'habiller de blanc, de faire fumer l'autel ceint de fleurs, d'y brûler l'encens, et d'y offrir les gâteaux sacrés avec des prières.
Quelquefois, en élevant une statue et une chapelle à un dieu , on instituait aussi des espèces d'offices que des chœurs chantants y célébraient à des heures réglées. Des sacrifices et des chœurs dans les grandes occasions, des Hbations au moins et de l'encens dans les petites : les dieux ont leur part dans tout. On sacrifie quand on s'embarque, et on jette dans la mer les entrailles des victimes. Les navires ont des dieux pour patrons; plus tard, ce seront des saints. En débarquant, on fait des dévotions aux divinités particulières du lieu qu'on aborde. On sacrifie pour le retour d'un ami :
Pascitnr in vestrum reditum votiva juvenca «.
Sacrifier, sans doute, peut se traduire, si l'on veut , en ces termes, qu'on donne un repas en son honneur; mais tout repas de fête est sacré ; les dieux y interviennent, et les prêtres. On sacrifie à Vénus quand on est amou- reux :
Mactata veniet lenior hostia». -,
1. « Je nourris nne génisse, vouée aux dieux pour votre retoxxT. ■
2. a. Une victime la rendra plus clémente. »
204 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Toutes les époques des travaux de la campagne ou de ses plaisirs sont marquées par des sacriGces :
Nunc ( t in umbrosis Fauno decet immolare lucis Seu poscat agiia, sive malit bœdo '.
« Avant tout, dit Virgile dans son poëme, rends hom- mage aux dieux et sacrifie à Cérès, » Et il décrit la solennité qui se célébrait au moment où l'hiver fait place au printemps. Les processions qu'on faisait dans les champs sont l'origine de nos Rogations. Il y a les fêtes du dieu Terme, ou terminalia\ les fêtes de Paies, pa- lilitty à la fin d'avril ; les fornacalia, fête de la déesse du four, et bien d'autres, dans lesquelles chômait lepay- san^ et le bœuf lui-même :
Festus in pratis vacal olioso Cum bove pagus 2.
Plus tard Columelle, dans son livre sur l'Agriculture, faisait la promesse (que nous ne voyons pas qu'il ait tenue), de donner, avec la liste des fêtes de la campagne, le détail de toutes les lustrations et de tous les sacrifices qui se font pour les fruits de la terre, suivant les an- ciennes traditions. C'est dans ce même livre que l'auteur, à l'endroit où il parle des devoirs du i)ro])riétairc ou du
1. « C'est maintenant qu'il convient de sacrilier ;'i Faune à l'ombre des bois sacrés, soii qu'il demande qu'on lui immole un agneau ou qu'il préfère une jeune chèvre. »
2. On pourrait appeler le dieu Terme le dieu du droit romain . « C'est toi qui maniues la borne des populations, des cités, des em pires ; sans toi toute terre serait un objet de querelles.
Tu populos urbesque et régna ingeutia finis Ouinis eril sine te liiigiosus agcr. »
LA P. I.LICION AU TKMl'S D' Al' G USTC. 2Jo
maître, lui recommande expressément, chaque fois qu'il rentre aux champs en revenant de la ville, de rendre d'abord ses hommages aux dieux de la maison, deos ptmatesadorare.
On consacrait un arbre à un dieu, et on sacrifiait tous les ans au pied de cet arbre. On sacrifiait au bord d'une source sacrée, comme la Bandusie d'Horace. Il y avait partout des pierres sacrées aussi, ou des troncs qu'on entourait de fleurs et auxquels on rendait hom- mage :
Nam veneror, seu stipes liabet desertus in agris, Seu Yctus in Irivio ilorea serta lapis i.
Mais je transcrirai la prière à Paies, qu'Ovide a placée dans le poëme des Fastes, à l'occasion des palilia : € Protège à la fois le troupeau et les conducteurs du troupeau. Si je me suis couché sous un arbre sacré, ou si j'y ai conduit mes bètes ; si mes moutons ont brouté imprudemment l'herbe des tombeaux ; sî je suis entré dans un bois interdit, et que mes regards y aient mis en fuite les Nymphes ou le dieu au pied de bouc ; si ma serpe y a dépouillé les arbres de leur ombre, pour offrir des feuilles fraîches à une brebis malade, fais grâce à ma faute ; qu'il me soit pardonné d'avoir mis le troupeau à l'abri pendant la grêle sous le toit d'une chapelle rustique; pardonnez aussi, Nym- phes, si j'ai profané vos eaux sacrées, si le pied de mes bétes en a troublé la limpidité. Déesse, fléchis pour
1. « Car je ne manque pas de faire mes dévotions quand j'aperçois, couronné de fleurs, un tronc isolé dans un champ, ou une vieille pierre à l'endroit où se croisent les routes. »
906 LE CHRISTIANIS.^IR ET SES ORIGINES.
nous les ilivinités des sources et des fontaines, et celles qui sont répandues partout dans les bois. Garde-nous de surprendre les Dryades ou Diane au bain, ou le sommeil de Faune couché à midi dans les champs. » Un seul texte comme celui-là donne, ce me semble, une impression plus vive que tous les faits, détachés des textes mêmes. On y sent, à travers un certain luxe d'i- magination qui est du poëte, combien croyantes étaient les populations des campagnes, et combien naïvement elles se figuraient le surnaturel comme présent en tout lieu et à toute heure *.
Voici des dévotions plus sérieuses. Ovide exilé nous peint la triste nuit de son départ. Il adresse sa prière aux dieux du Capitole (sa maison était tout près du tem- ple) ; sa femme prie à côté de lui, avec plus d'effusion encore ; puis il nous la montre, prosternée devant les images des Lares, les cheveux dénoués, et baisant reli- gieusement le foyer éteint, en même temps qu'elle re- double ses piières. Plus tard, comme elle est restée à Rome, et qu'il lui demande, dans une autre pièce, d'al- ler solliciter sa grâce de Livie, il recommande qu'avant de faire cette démarche elle n'oublie pas de brûler l'en- cens et de répandre des libations de vin devant les dieux. De même que la femme d'Ovide baise son foyer, les navigateurs, échappés aux dangers de la mer, baisaient dévotement la terre du rivage; et l'armée d'Antoine, après avoir fui péniblement devant les Parthes pendant plusieurs journées, ayant enfin réussi à traverser l'A-
1. Luiîrèco nous ilit que les paysans croyaient enleiulre dans l'écho la voix lies Nympiius et des Faunes.
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. iOT
raxe, derrière lequel elle se sent sauvée, baise aussi ia terre amie en la touchant.
Si l'Église a placé une de ses fêtes au l*"" janvier, la Circoncision de Jésus-Christ, c'est probablement parce que ce premier jour de l'année était marqué déjà dans l'ancienne Rome, comme toutes les fêtes, par tomes sortes de devoirs religieux.
Une des pièces écrites par Ovide dans l'exil exprime ses regrets de voir revenir la fête de Bacchus sans pou- voir la célébrer avec tous les poètes. Bacchus était leur patron, et à Rome sans doute comme en Grèce, chaque métier, j'allais dire chaque confrérie {coUecjium), avait le sien. Nulle part enfln, dès que les hommes prenaient intérêt à quelque chose, ils n'imaginaient qu'ils pussent se passer des dieux et de leur présence. Il en était de même aux temps vériiablement chrétiens ; en effet, une religion ne mérite le nom de religion qu'autant qu'elle remplit ainsi l'existence. Elle n'est plus qu'une tradition, non une foi vivante, si elle ne s'étend pas à tout, et s'il y a des choses dans la vie qui ne la regardent pas.
J'ai parlé des vœux publics ; ceux des particuliers étaient de tous les jours et à propos de toutes circons- tances : vœux dans le travail de l'accouchement ; vuux à l'occasion d'un accident ; vœux dans la mêlée. On sait la bonne Vierge que Louis XI portait à son bonnet et qu'il invoquait dans les moments critiques ; Sulla por- tait de même sur lui une petite figure d'Apollon. Voici, dit Horace, un enfant que la fièvre tient au lit depuis plus de quatre mois. La mère fait vœu, s'il guérit, qu'au premierjeùne solennel, elle le plongera au point du jour
208 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGlNEi:.
tout nu dans le Tibre. Il y retrouvera la fièvre, en cas que la fièvre l'ait quitté. Les ex-volo étaient une prati- que universelle; ils couvraient les murailles des temples païens comme ils couvrent les murailles de nos églises, particulièrement ceux des naufragés. Enfin, on vouait un enfant aux dieux, par exemple l'enfant qui n'était ar- rivé au monde que par l'opération césarienne. Une petite fille sauvée d'un danger de mort par une espèce de mi- racle est vouée à Diane, et destinée, au nom de la déesse, à une perpéluelle viryinilé.
Ce qui ne valait pas un vœu valait au moins une cx- pialion', l'expiation était la réponse à tout ce qui pou- vait paraître une menace divine, comme un mauvais présage, et en particulier un songe. Et qu'est-ce qui n'était pas un présage? C'en est un si, en sortant, on est rappelé par un cri, par une voix ; si on se heurte le pied au seuil : le présage peut être également ou un accident extérieur ou une imprudence. C'eût été un malheur d'en- trer du pied gauche dans un temple : pour prévenir ce malheur, on avait soin que les marches fussent en nom- bre impair, afin qu'on n'eût qu'à commencer à monter du pied droit pour être assuré de poser d'abord le même pied sur le saint parvis. Si on est en route, le cri de l'oi- seau nommé parra ; la rencontre d'une louve ou d'une femelle de renard, quand elle est pleine ; un serpent qui traverse la voie, sont choses redoutables. Au contraire, une lampe qui crache est un présage heureux : stcrniiil et lumen. Mais on s'inquiétait surtout des songes. On avait vu en rêve une personne aimée sous un aspect qui faisait peine, un s était réveillé en sursaut, un se
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. 209
hdlail d'adorer les dieux des visions noclurnes '.
Excutior sonino, simulacraquo noctis adoro.
On avait revu des parenls morts; au réveil, on s'em* pressait de ranimer le feu du foyer et d'offrir aux Lares l'encens et la farine sacrée. En vertu d'un songe, on consacrait une statue, une chapelle ; on pratiquait quelque acte pieux. Le vulgaire, et dans la passion touf le monde était du vulgaire, par exemple en amour, allait se faire rassurer par des devineresses qui se char- geaient d'expliquer les songes. Quand le songeur était un empereur, le songe pouvait avoir des suites terri- bles : Tibère vit un jour une apparition qui lui ordonna de donner de l'argent à un homme qui lui était désigné; il comprit, nous dit-on, que cette vision avait été sus- citée par la magie, et il fit tuer l'homme.
Une pieuse grand'mère ne manquait pas de prendre son petit-fils au berceau pour lui mettre au front et aux lèvres de la salive avec le doigt du miHeu ; cela préser- vait du mauvais œil. Quand une personne était malade, on purifiait la chambre à trois fois avec du soufre, en accompagnant cette cérémonie d'une incantation magi- que; ou bien, vêtu d'une robe de lin sans ceinture, on faisait la nuit neuf invocations à Hécate, la déesse des carrefours. Un amant qui avait fait cela pour sa niai- tresse se vantait de l'avoir guérie.
Ce qu'il fallait expier surtout, c'étaient les offenses commises contre les dieux mêmes : si on avait blas- phémé, si on s'était présenté devant eux sans être pur,
II. u
210 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
si on avait dérobé des (leurs à leurs autels ou dévoilé le secret de leurs mysières. Alors, il fallait se prosterner à l'cntiéc des temples et en baiser le seuil, en monter à genoux les degrés, frapper même de sa tète coupable contre les portes sacrées.
Une autre terreur était celle des sortilèges : ils ren- daient malade; ils faisaient tomber les cheveux d'une femme ; ils frappaient un homme d'impuissance. La force des malédictions n'était pas moins redoutable. Unpoëme d'Ovide, dont j'ai parlé déjà, imité d'un poëme grec de Callirnacpic , nous développe tout l'appareil religieux avec lequel on dévouait une tète ennemie, et les im- précations effrayantes dont on l'enveloppait pour ainsi dire ; ce sont des anathèmes privés, pareils sans doute à ceux que lançait dans les grandes occasions la religion publique des anciens, suivie en cela encore par la reli- gion nouvelle. Les mêmes formules ont servi depuis aux excommunications chrétiennes.
« Qui que vous soyez, qui assistez à cet office de ma vengeance, prononcez des paroles de deuil, présentez au maudit un visage trempé de larmes. Abordez-le du pied gauche avec de sinistres augures; couvrez-vous devant lui de vêtements noirs. Mais toi-même , qu'at- tends-tu pour ceindre ton front des bandelettes funé- raires? Voici, voici l'autel dressé pour ta mort. La pompe funèbre est toute prête; il est temps de pro- noncer les imprécations homicides ; allons, tends lu gorge au couteau, victime abominable. Q\ie le soleil ne luise plus pour toi, ni les rayons de Phébé ; que tous les asires manquent à la fois à tes yeux ! Que le feu se re-
LA RELIGION AU TEMPS D'AUGUSTE. 211
fuse à tes besoins, et l'air lai-mcme ; que ni la terre ni la mer n'aient de voie ouverte pour toi ! Puis^es-tu errer, exilé et misérable, implorant de porte en porie le secours d'autrui et sollicitant un peu de pain d'une voix tremblante !... » Et cela continue pendant plus do cinq cents vers.
On vouait encore un homme à la mort en gravant son nom sur une lame de plomb avec des imprécations me- naçantes. Tacite raconte que les ennemis de Germa- nicus employaient contre lui, entre autres maléfices, ces formules homicides ; et Burnouf a justement ra,)pro- ché de ce passage le sacrifice des ligueurs au chant V de la Henriade. Quelquefois un mort, par une exécration de ce genre, placée sur son tombeau d'après son ordre ou en son nom, appelait sur la tête de ceux par qui il avait souffert la vengeance des dieux souterrains. Ainsi dans une Inscription d'Athènes : « J'attache à ce plomb Satyros, Sunias, Démétrios, et les autres ennemis que je puis avoir ; je te les remets tous, dieusecourable! Je te les donne à garder comme un dépôt, et eux, et le mal qu'ils m'ont fait : Hermès détenteur, détiens fidè- lement ces noms et ces hommes. Hermès, Terre, je vous supplie de garder ces plaintes et de punir ceux ([ue j'ac- cuse. Je remercie celui qui a travaillé ce plomb. »
Je n'ai pas parlé des sorts qu'on allait consulter, non plus au temple de Préneste, mais chez la première vieille armée de son urne fatidique, d'où elle tirait les réponses des dieux, ou les faisait tirer par un enfant; mais comment n'oublierais-je pas quelque chose, ou plu- tôt, comment n'oublierais je pas une foule de choses?
212 LE CHKISTIANISME ET SES ORIGINES.
Je m'arrcte pourtant : des lecteurs trouveront peut- être qu'il est grand temps ; ils demanderont à quoi bop ce recueil de faits cent fois cités et qu'on peut lire à toutes les pages des classiques, et à qui est-ce qu'on pense apprendre ces choses. Je répondrai que, sans jjrétendrc les apprendre à personne, j'avais besoin de les rappeler et de les rassembler. Il ne s'agit pas seu- lement de savoir, mais de sentir quelle place tenait alors la religion dans la vie des hommes ; il faut, à l'aide des textes, traverser, pour ainsi dire, Rome en tout sens, et coup sur coup prendre sur le fait les croyances et les dévotions de toute espèce! Quelques- uns de ces témoignages sont fournis parles satiriques, qui s'attachent surtout aux excès et aux aberrations ; mais la plupart appartiennent à des poètes qui rendent simplement ce que tout le monde éprouve et ce que tout le monde fait, à commencer par eux-mêmes. Parmi les poètes, ceux qui développent une fable dans leurs poèmes ne prêtent eux-mêmes à leurs personnages que les sentiments et les actes qu'ils trouvent autour d'eux; mais pour les lyriques et les élégiaques, ils expriment franchement leurs propres pensées et leurs habitudes. Et si, en contraste avec la poésie du siècle d'Auguste, où tout ce qui tient aux dieux reparait si souvent, on con- sidère à quel point se montre peu, dans les poèmes ou les romans de« temps modernes, le détail des croyances et des prati(jues chrétiennes, on sentira combien le cli- mat des esi)rits est changé, pour ainsi dire, et combien il est devenu moins favorable soit à l'épanouissement, soit à l'éclosion des religions.
CniPITRE XIII
LA PHILOSOPHIE SOUS AUGUSTE ET TIBÈRE.
HORACE. — LES DÉGL A M ATEURS. VALÉRIUS. —
LE JUDAÏSME.
Étudions maintenant l'époque des Césars sous un autre aspect, celui de la philosophie et de la science. La science d'abord est évidemment peu de chose là où il y a tant de superstition. Le poëme de Manilius, in- spiré par l'école savante des Stoïques, et qui semble consacré à ce que la science a de plus haut, témoigne également de l'ignorance générale par les grands efforts que fait l'auteur pour foire entendre les vérités les plus simples, comme la sphéricité de la terre et du ciel ap- parent, et par les étranges doctrines que lui-même pro- fesse en plus d'un endroit. Ainsi, pour s'expliquer la voie lactée, il suppose que c'est une lézarde dans le ciel, et il se montre naturellement fort inquiet de voir un pareil bâtiment menacer ruine. Il pense, ou il ré- pète, que certains coquillages grossissent à mesure que la lune croît et perdent leur substance à mesure qu'elle décroit. Il trace sur la voùle céleste des arcs de cercle qu'il croit réels et solides; ces cercles, en enserrant le monde, l'empêchent de se désagréger et de tomber, etc.
211 LE CIlRISTIAMSMi: KT SES ORIGINES.
Quant au grand nombre des hommes, ils continuaient d'ignorer même ce qui pouvait se savoir de la manière la plus sûre, comme la cause des éclipses. Sônèque témoigne que de son temps encore elles causaient aux populations une terreur profonde; les comètes épou- vantaient encore bien plus. Au commencement du règne de Tibère, un soulèvement des soldats fut au été par une éclipse qui les effiaya. Suétone nous assure qu'Auguste, qui avait grand'peur du tonnerre, et qui se sauvait dans une cave quand il tonnait, portait sur lui, pour se préserver, une peau de veau marin.
Encore une fois, la science chez les anciens ne sortait pas des écoles, et ceux qui vivaient hors des écoles ne croyaient pas en avoir affaire, même les lettrés et les beaux-esprits. En tout sens, dans ces jours de décou- ragement, l'humanité s'abandonne ; ce qu'elle surprend en elle de curiosité ou de hardiesse, elle le désavoue ; elle a honte de l'industrie comme de la science ; elle maudit le travail des métaux, elle condamne enfin la navigation comme une audace sacrilège :
Audax oninia porpeli Gens humana mit per velitum nefas *.
C'est ce qui fait que la philosophie de cette époque, car il est temps d'en parler, a de plus en plus le caractère d'une religion, et qu'elle est surtout pratique et édi- fiante.
1. o Ilarilio à tout braviT, la race luiniaine se jcito téiiuTairement dans des voies interdites. » Apres qu'il venait de dire : a Nos na- vires sacrilégi's traversent des parages uu'il notait pas permis d'a- border. »
LA PHILOSOPHIE SOUS AUGUSTE ET TIBÈUE. 215
Il ne subsiste pas un seul écrit philosophique du siècle d'Auguste, et cependant on n'avait jamais tant philosophé à Rome. Il ne se produisit alors ni un Cicé- ron, ni un Brutus, ni un Sénèque ; mais la philosophie n'avait pas besoin de trouver un de ces grands inter- prètes, pour être maîtresse des esprits. Des hommes d'ailleurs éminents, Asinius Pollion, Tite-Live, avaient écrit des livres de philosophie. Ils sont perdus, ainsi queles livres des Sextius père et fils, qui philosophaient en grec, quoique Romains. Mais toute la httéralure du temps témoigne de l'empire qu'exerçait alors la philo- sophie. Si un poëte adresse à un aini une lettre de con- solation, il lui dira : « Je ne vais pas te redire les dis- cours des sages, que tu sais par cœur. » Quand Livie, la femme d'Auguste, perd son fils Drusus, elle se remet pour être consolée, nous dit Sénèque, entre les mains d'Aréos, le philosophe de son mari. En effet, Auguste avait constamment auprès de lui Aréos et ses deux fils, Denys et Nicanor. Auguste lui-même avait écrit une Exhortation à la philosophie, Horlaliones ad philosophiam. Et il ne faut pas croire que la philoso- phie ne fût qu'à l'usage des grands et des personnages. Nous voyons dans Horace un philosophe, Stertinius, qui se trouve à point nommé sur le bord de la rivière au moment où un homme qui s'est ruiné à faire des spéculations va s'y jeter. Il le ranime et lui fait repren- dre goût à la vie; le malheureux laisse pousser sa barbe, et le voilà philosophe; car on faisait profession, pour ainsi dire, en philosophie comme en religion, et on se séparait du monde par l'extérieur même.
216 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Ces sages, en se promenant ainsi parles rues, étaient exposés aux insultes des polissons de Rome (un autre poëte dit, des filles publiques), qui tiraient en passant cette barbe vénérable : ils n'avaient pas trop, pour se défendre, du bâton qu'ils portaient toujours à la main. La milice philosophique n'est pas imposante dans ces passages; mais les puissances po])ulaires ont tout à la fois des côtés vulgaires et de grands aspects. On voit ailleurs la sagesse paraître dans toute sa majesté, et les sages présentés comme appartenant plutôt au ciel qu'à ce monde :
Credibilo est illos pariter vitiisque locisque Altius humanis exseruissc capuH.
Au défaut des prédications et des entretiens des philo- sophes, qu'on entendait alors tous les jours, mais qui sont maintenant évanouis, il me suffit du petit volume que composent les œuvres d'Horace pour retrouver vivant cet esprit de moralité édifiante et même reli- gieuse qui gouvernait la vie intérieure des hommes de ce temps. Je ])rie qu'on veuille bien s'arrêter un peu à faire avec moi cette étude.
Et d'abord , c'est à la plus haute vertu stoique qu'Horace demande ses inspirations , toutes les fois qu'il fait de la grande poésie ; ses plus beaux vers célèbrent sous toutes les formes ce Sage de l'École qui est un saint, le bioihcureux vérilable^ « celui qui passe devant les tas d'or sans détourner les yeux, » — celui
1. a On doit croire que leur loto s'cièvo cgaicmeul au-dessus do la terre et dt<3 vices de la terre. »
LA PHILOSOPHIE SOUS AUGUSTE ET TIIîI-.Ui:. 217
qui, le jour où la Fortune s'envole, « rend sans peine ce qu'elle avait donné, et, s'enveloppant de sa vertu, épouse volontiers, sans dot, la pauvreté honnête » ; — - <c celui qui craint l'opprolfre plus que la mort, et qui n'hésite pas à mourir pour ceux qu'il aime ou pour la patrie. > Les strophes célèhres sur le Juste obsliné :
Jusium et tenacom propositi virum,
qui ne fléchit ni devant une populace, ni devant un tyran, et qui ne tremblerait pas quand le monde crou- lerait sur lui, ont paru dignes d'être appliquées au Christ lui-même, ce chef des martyrs, et je les ai vues gravées sur le piédestal d'une tétedeChrist^ Ceux qui se défîeraievit de l'Horace des Odes, et qui craindraient de prendre trop au sérieux ces élans lyriques, auraient tort à mon avis; car ces images expriment au moins son idéal ; mais l'Horace de tous les jours, celui des Satires et des Épîtres, n'a pas des pensées moins sé- rieuses sous des formes plus familières. Dès qu'il a un moment de libre, « sur le lit de repos, ou se promenant sous le portique, il pense à lui » ; il s'occupe de se cor- riger et de mieux vivre. Et dans la pièce où il peint avec tant de charme la douce vie qu'il mène aux champs : e On cause à table, dit-il, non pas de la terre du voisin ou de sa maison, ou d'un mime qui danse bien ou mal, mais de sujets qui nous touchent davantage, et sur lesquels il est plus fâcheux d'être ignorant : si c'est la
1. Elait-ce un pur philosophe qui avait fait cette application ? N'est-ce pas plutôt un clirélien philosophe, comme il y en avait chez DOS pères des derniers siècles ?
«18 Li; ClIIUSTIANISME ET SES ORIGINES.
furiiii'o (|iii fait le bonheur, ou la vertu ', si c'est l'utile ou riioiméte qui est le principe de l'amitié; enlin quelle est res.-cnce du bien, et qu'est-ce qu'il fautappoler bien suprême? » Nous ne causons guère aujourd'hui de ce? choses-là au dessert ni au snlon. C'est ainsi (luc les eo • scignemenls philosophiques se mêlaient à la vie entière d'un honnête homme, à peu près comme la Bible se mêle à l'existence d'un vrai protestant. Mais environ dix ans après cette pièce, à l'âge de quarante-cinq ans, (il mourut à cinquante-sept), il écrivait sa première Épitre, où il philosophe plus que jamais. Nos pères du xvn'' siècle, arrivés à un certain âge, se tournaient vers la dévotion ; il en fait autant à sa manière : « Je laisse là les vers et les bagatelles ; je m'inquiète du vrai et du bien, et me donne à cela tout entier... Je trouve le temps long et pénible à supporter, tant qu'il me faut ajourner l'espoir et la résolution de m'appliquer de tout cœur à la seule affaire qui profile également au pauvre et au riche, qu'on souffre également d'avoir négligée, jeune homme ou vieillard... Ton âme est tourmentée de l'amour de l'argent, ou de tout autre désir dange- reux : eh bien ! il y a des paroles qui peuvent soulager ton mal, et t'en délivrer en grande partie. L'amour de la louange te monte au cerveau : il est telle pratique salutaire, il est tel livre qui, lu par trois fois suivant les rites, accomplira ta guérison. » C'est ainsi qu'il apprenait à se retrancher dans une conscience pure <'omme dans une forteresse :
Hic munis aheneus esto, Nil coQscire sibi, iiulla pallescere culpa « ;
1. <t Que ce si)it là pour toi un mur d'airain, de n'avoir rien sur la conscience, pas de remords qui te fasse pâlir. »
LA PMILOSOPIIIE SOUS AUGUSTE ET TIBÈRE. 219
et il adressait à ses amis les mêmes conseils : « Les brigands se lèvent bien dans la nuit pour égorger un homme. Quand il .''agit de ton salut, ne te décideras-tu pas à t'éveiller? Écoute : pour n'avoir pas voulu te donner un peu de peine en santé, il faudra t'évertuer étant malade. Si tu ne demandes pas avant le jour un livre et une lampe, si tu n'appliques pas ton esprit à la sagesse et à l'honnête, ce sera l'amour ou la jalousie qui t'ôtera le sommeil en te faisant souffrir. Quand quelque chose te blesse l'œil, tu l'enlèves tout de suite; et le mal qui te ronge l'àme, tu remets à long terme à le traiter ! Si tu commençais seulement, la chose serait à moitié faite \ décide-toi à être sage; mets-toi à l'œu- vre. Qui recule l'heure de bien vivre ressemble au paysan qui attend que la rivière ait fini de couler ; la rivière coule et coulera sans s'arrêter, à tout jamais. » C'est le thème, souvent traité par nos sermonnaires, des Délais de la Conversion, ou du Retardement de la Pénitence, Et il conclut : « Jeune homme, c'est aujour- d'hui même qu'il faut que ton cœur tout neuf boive les paroles salutaires; qu'il faut aller chercher ceux qui valent mieux que toi. » Les hommes du siècle d'Au- guste travaillaient donc à leur salut tout comme ceux du siècle de Louis XIV, et par les mêmes moyens : médi- tations, lectures, conversations édiûantes ; et ce mol même de salut, pour le dire en passant, vient de la philosophie et non de la Bible. Mais au temps da Louis XIV, ces moralités constituaient une langue à part, réservée aux prêtres et aux dévots, et que les gens du monde ne pouvaient guère parler sans affec-
220 Li: CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
talion ; tandis qu'Horace prêchait sa morale librement et sur le ton naturel, et c'est ce qui fait qu'on se plait tant à ses sermons.
Je ne joue pas ici sur le mot latin sermones, par lequel Horace désigne ses Entretiens de morale, mais il est certain qu'au sens même du mot français, la plupart de ses Satires et de ses Épitres sont des sermons familiers. Dans les Satires, il est prédicateur et parle à la foule; dans les Épîlres, il est plutôt direc- teur de conscience et occupé de tel ou tel de ses amis ; non que ce qu'il adresse à cet ami ne puisse profiter à tous , mais il n'en a pas moins particulièrement en vue celui-ci ou celui-là. Quand il parle à 3Ié- cène, il évite sans doute avec soin d'avoir l'air de lui faire la leçon ; et la morale qui remplit son Épître, il affecte de se l'adresser à lui-même. Mais il est plus libre avec Tibulle ou avec de jeunes amis qui sont des disciples, comme les Lollius, les Florus, les Iccius et d'autres encore. Quelques-uns parmi eux faisaient avec éclat profession de la vie philosophique, comme Iccius, par exemple, adepte de l'école pylhogorique, qui vivait au besoin de poissons et de légumes avec de l'eau pure. Cela ne l'avait pas empêché d'aller guerroyer en Asie pour faire fortune ; mais Horace lui disait alors dans une ode légère : « Tu ne philosophe- ras donc plus? Que vas-tu faire de toute ta biblio- thèque d*^ philosophes ? » Horace écrit à Tibulle : « Te promènes-tu doucement à l'ombre fraîche de tes bois, occupé des pensées qui conviennent au sage et à l'honnête homme?... Préserve-toi également des vaincs
LA PHILOSOPHIE SOUS AUGUSTE ET TIBÈRE. 221
espérances et des inquiétudes, des emportements et des faiblesses; et persuade-toi que chaque jour qui te luit est le dernier de tes jours, »
C'est à Lollius qu'il adressait la belle Épître phi- losophique dont je citais tout à l'heure un passage si vif et si pressant. C'est à lui qu'il écrit encore : « A travers toutes tes occupations, tu liras, tu interrogeras les sages; ils te diront le moyen de couler doucement ta vie..., de te préserver des soucis et d'être content de toi-même {(juid te tibireddat amicum). t> Il dit de même àFlorus : « Si tu pouvais renoncer à tout ce qui nourrit tes soucis et engourdit ton âme, tu atteindrais au but où Cap- pelle îtne sagesse vraiment divine :
Quo le cœlestis sapientia duceret ires. »
II lui écrivait encore, cachant le conseil sous la forme d'une confession : « Il est à propos de devenir sage, de dire adieu aux frivolités, d'abandonner à ceux qui sont jeunes les amusements de leur âge... Je me dis donc, ruminant tout bas ces pensées : Si tu le sentais pris du mal qui donne toujours soif, tu consulterais les méde- cins; et quand tu vois que plus tu as, plus tu désires, tu n'iras pas aussi consulter ! » Puis il ajoute que la cupidité n'est pas tout, qu'il y a d'autres maladies dont il faut se guérir encore : la vaine gloire, la colère, la peur de la mort, les superstitions ; il faut surtout se faire doux et bon à l'approche de la vieillesse :
Lenior et melior fis accedenle senecta?
J'ai dit qu'Horace se confesse; car lui, qui prêche si
5W2 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
bien, n'est pas toujours cont<^nt do lui-même, et ii écrit à un autre ami qu'il ne se sent pas bon^ et que, par conséquent, il n'est pas heureux {vivere nec recte nec suaviler) ; l'àme est ce qu'il y a en lui de moins bien portant. Quand, après cela, il souhaite à Celsus la santé, Ceisus comprendra ce qu'il lui souhaite.
Dans ces prédications familières, Horace ne recule pas devant les pensées les plus fortes. En recomman- dant à Quinctius d'être honnête homme, il définit en philosophe, et cette fois en Stoïque, l'honnête homme ou le Sage, et couronne tout nalurellementsa définition par cette grande idée de l'affranchissement de la vertu par la mort, la plus haute de celles où se complaisait l'école. Il emprunte à la tragédie grecque la scène où Bacchos, sous la figure d'un homme, est amené devant Penihée, le roi des Thébains. Penthée menace et ne réussit pas à l'effrayer. « Jeté tiendrai dans les chaînes. » L'inconnu répond : « Un Dieu me délivrera dès que je voudrai. » Et Horace ajoute, en oubliant la fable antique : « H veut dire : Je puis mourir. » — Comme on sent bien que c'était là , depuis le grand exemple de Caton, célébré par Horace lui-même , un lieu commun à l'usage de tous les nc)blcs esprits ! Cet exemple et cette philosophie semblaient autoriser le suicide, mais con- sacraient encore mieux, pour qui savait les entendre, une espèce de suicide plus pur, celui qui consiste à confesser sa foi par sa mort même. Il n'y a pas loin du personnage qu'Horace amène devant Penthée, à un martyr devant le tribunal d'un proconsul.
Horace a tant besoin de philosopher qu'il philosophe
LA PHILOSOPHIE SOUS AUGUSTE ET TIBÈRE. 2Î3
même avec son villicus, l'esclave régisseur de son do- maine : « Voyons, dit-il, qui fera le mieux de nous deux, loi sarclant mon chnmi) et moi mwn âme, et qui sera en meilleur éiat, d'Horace ou de son hien. » Ail- leurs, il met en scène un esclave de la ville, plus ou- vert d'esprit et plu- raffiné; et celui-là, il le fait philo- sopher lui-même. Dave prouve à son maitre, d'après les Stoïques, qu'il n'est pas plus libre que son esclave, n'étant pas plus maître de ses passions; il débite tout ce qu'il a appris, dit-il, chez le portier d'un philosophe. Sans croire que Dave, même avec les instructions de ce portier, raisonnât aussi bien tous les jours, il est à croire qu'en effet dans Rome , à tous les étages , on pouvait attraper quelque chose de la morale qui sor- tait de la bouche des philosophes de profession.
Maintenant considérons que c'est un poëte chez qui je recueille tous ces témoignages, un poëte qui chantait le vin et la volupté, dont les mœurs étaient bien loin d'être austères, et qui se nommait lui-même spirituel- lement un pourceau du troupeau d'Epicure. C'est lui qui travaille ainsi à s'édifier et à édifier les autres ; qui nous montre ceux avec qui il est en commerce occupés des mêmes pensées que lui; et qui n'a pas, pouraiisi dire, d'autre sujet que la morale : qui ne parle que de mé- ditations, de bonnes lectures, de conversion et de gué- rison ; qui nous dit de songer que chaque jour peut être le dernier, de ne pas étouffer sous les jouissa?}ces du corps l'étincelle divine^ d'affranchir l'âme enfin par tous les moyens, fût-ce par la mort. Nous pouvons imaginer par là ce que prêchaient des voix plus impo-
22i LE CIIR1STIANIS3IE ET SES ORIGINES
santés et plus sévères; et nous ne craindrons pns de ])arle!', (luelijue paradoxale que soit l'expression , du christianisme d'Horace, en ce sens qu'il existe déjà au- tour de lui, au-dessus de lui si l'on veut, un esprit chrétien.
On en surj)rend les inspirations jusque dans les poêles erotiques. C'est un Properce qui condamne si sé- vèrement les peintures licencieuses qui apprennent le mal aux yeux encore innocents. C'est un Ovide qui dé- clare que le péché est dans la volonté, et que là même où le corps est gardé, l'àme peut-être adultère. Mais si on sort des poésies d'amour, on trouve dans Properce lui- même la belle Élégie où Cornélia morte s'adresse pour la dernière fois à son Paulus ; elle veut qu'on grave sur 5a tombe qu'elle a été la femme d'un seul mari. Elle se présente avec confiance devant les juges des morts : fai vécu sans tache, dit-elle, entre les deux torches (la torche du mariage et celle des funérailles) :
Viximus insignes inter ulramqiie faccm.
Elle ri a pas eiibesoin, d'ailleurs, t/e la crainte d'un juge pour être pure ; j'ai déjà rappelé ces belles paroles :
No possim mtîlior judicis esse melu.
Elle se promet, ou plutôt le poëte se promet pour elle, ({u'outre les hommages des hommes qui la pleurent, la terre où elle entre lui fera un bon accueil, et peut-être le ciel même, car le ciel s'est ouvert plus d'une fois à la vertu. Rien de plus imposant que cette noble profession de foi conjugale \ mais plus attachante encore est l'image
LA PHILOSOPHIE SOlS AUGUSTE ET TIBÈUE. 225
de cette numblc mère de famille que Virgile nous a re- présentée en passant, qui se lève avant la lumière, et ral- lume le feu couvert sous la cendre })our travailler avec ses femmes jusque dans la nuit, afin d'assurer la pu- reté du lit nuptial et d'élever ses enfants en bas âge. C'eslV homièlc fciniiie (ou femme forte) du livre des Pro- verbes, avec je ne sais quoi de plus recueilli et de plus touchant.
La prière que fait Cornélia , qu'on écrive sur sa pieic:; que l'époux chez qui elle meurt a été son seul époux, n'est pas un trait isolé. Femme d'un seul mari était un titre d'honneur, d'autant plus consacré par la conscience publique que la facilité des divorces donnait de plus grands scandales ^ ; univîra ou univiria se lit encore dans plusieurs Inscriptions funéraires. Parmi les enfants que Cornélia laisse à Paulus, il y a une fille : « Imite-moi, lui dit-elle, et ne sois non plus qu'à un seul. y> Didon s'écrie dans Virgile, au moment où elle se sent gagnée par un nouvel amour, qui trouble en elle le souvenir de Sichée : « Mais que le père des dieux me frappe de sa foudre pour me jeter parmi les pâles ombres de l'Érèbe et dans leur profonde nuit, avant que je t'offense, ô pudeur sainte! et que je viole tes lois. Celui qui le premier s'unit à moi a emporté mon amour; qu'il le garde enfermé avec lui dans son tom- beau ! » Didon, il est vrai, a peut-être la conscience secrète qu'elle ne peut appartenir à Énée par un ma-
1. Quœ uno coiUentœ malrimonio fuerant corona pudicilia; lionora- bantur. « Les femmes qui s'en élaiont tenues à un seul mariage recevaient la couronne de la cliasieté. a
II. 15
226 LE CIIIUSTIANISME ET SES ORIGI>'ES.
riage légitime; mais certainement il y a aussi dans ses paroles le même sentiment qui inspire la Cornélia de l'Élégie. Ainsi l'effronterie même des désordres, en ré- voltant l'imagination, avait suscité une délicatesse qui regardait le second mariage d'une femme veuve comme une profanation. Et, au contraire, on honorait presque comme une Vestale la femme qui, étant demeurée veuve dans la fleur de l'âge et de la beauté, restait allachêe et comme mariée à la chambre où sa belle-mère la lenaii som sa garde. Quand nous verrons plus tard tout un parti dans l'Église condamner les secondes noces, et Tertullien se faire l'interprète et le champion ardent de ces idées, reconnaissons que, pour en trouver la source, qui certes n'est pas juive, on doit pourtant remonter plus haut que les temps chrétiens. Je me complais à citer des poètes; car les sentiments qui paraissent dans leurs vers sont ceux de tous les esprits délicats, et n'ont pas la marque d'une école ni d'un système.
Cependant nous voudrions bien entendre les philo- sophes eux-mêmes, et jusqu'à un certain point nous le pouvons encore, du moins pour lafin du règned'Auguste. C'est alors que florissaient ces écoles d'éloquence où des maîtres, qui n'étaient souvent orateurs que pour l'école même, prononçaient des discours appelés déclamalions (c'étaient le plus souvent des plaidoyers), sur des sujets fictifs et bizarres, imaginés pour ces exercices. Sénèque, père du philosophe, avait fait un recueil, qui subsiste, des traits qui l'avaient surtout frappé dans ces décla- mations. Beaucoup de ces traits sont empruntés à l'en- seignement des philosophes; car les déclamalcurs étaient
LA PHILOSOPHIE SOUS AUGUSTE ET TIBÈRE, i'27
leurs élèves et tout pleins de leurs leçons; et les philo- sophes eux-mêmes avnicnt été quelquefois déclama^ leurs. Quoiqu'il y ait là de temps en temps des traits de philosophie critique, c'est n.iturellemeiit la philoso- phie religieuse et morale qui donn'ne dans les déclama- tions. On y trouve de vives expressions du spiritualisme: la foi à la divinilè [divinilas); c'est peut-être la première fois que se rencontre en latin ce mot, qui dcb. masse l'esprit en quelque sorte du polythéisme. On y lit sur la charité les choses les plus vives : « C'est un homme : je ne donnerais pas du pain à un homme?... Il est des devoirs qui ne sont pas dans la loi, et qui sont plus impérieux que les droits écrits...; donner l'aumône à un mendiant, la sépulture à un cadavre. On est coupable de ne pas tendre la main à qui est à terre ; c'est là une loi aussi, la loi de l'humanité *. » — On n'y parle de l'exposition des enfants que comme d'une cruauté] et à ce propos il est remarquable qu'Ovide, ayant à raconter un de ces romans où un père ordonne que l'enfant qui naîtra soit sacriOé si c'est une fille, nous montre ce père lui-même embarrassé de son arrêt, et demandant pardon à cette religion de la nature, qu'il outrage : invilus mando ; pielas, ignosce -.
>"ou3 lisons encore dans le recueil deSénèque le père une invective éloquente outre toutes les insultes à la dignité humaine qu'on se permettait alors sur des créa-
1. Ovide condamnait celui qui avait refusé à des niallteureux une misérable nourriture,
Vilia qui quondam miseris alimeiila negarat.
2. « Je ne doune cet ordre qu'à contro-cœur : [ ardonna, ô natura sainte ! >
228 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
tures placées en dehors de la cité et de la loi : des trou- peaux d'eunuques remplissant les grandes maisons, au service du luxe et de l'impudicité ; les hommes libres eux-mêmes victimes d'un brigandage organisé pour rem- plir ces bagnesoùétaitcngloutie toute une population de forçais qu'on employait à la culture des grands domai- nes; d'autres embauchés par surprise et enrôlés dans des bandes de gladiateurs. Ce sont à peu près les mêmes mœurs que les évêques chréiiens flétriront plus tard avec la môme éloquence. Le déclamaleur romain fait celte sortie à l'occasion d'un de ces thèmes proposés dans les écoles, où on s'attachait à trouver quelque chose d'outré et d'extraordinaire ^pour pousser jusc/uà l'excès l'hyperbole des orateurs : on met en cause un homme qui élève des enfants-trouvés pour les faire mendier, et qui les estropie afin qu'ils mendient plus fructueusement. Voilà un beau sujet pour l'indignation ; mais l'auteur de ce tableau répondait à cette indigna- tion par une amère ironie, en demandant si les hoiuicles gens^ coupables eux-mêmes de tant d'attentats, avaient bien le droit de condamner ce misérable. Et un autre s'écriait, avec un sarcasme tout semblable : « Eh Ijien ! il y aura moins de pères pour exposer leurs enfants. » On voit donc qu'en même temps que ces iniquités s'é- talaient au dehors dans la vie, la conscience prolestait au dedans et prenait la philosophie et l'éloquence pour interprèles.. Ovide aussi, élève de ces mêmes écoles, maudit quelque part, à ])ropos d'un eunuque, celui qui, le premier, mutila ainsi des enfants. Un autre scandale, celui des avorlements, est flétri également par le poëte
LA PHILOSOPHIE SOUS AUGUSTE ET TIBÈRE. ^29
et l'était par tout le monde. Si une femme qui a arraché le fruit de ses entrailles meurt victime elle-même de ses manœuvres, tous ceux qui la voient poi'ter sur le lit funèbre s' écrient qu'elle a bien mérité soi sort.
Le sentiment de l'éi^alité des hommes, déjà si vif au siècle qui a suivi Alexandre, l'était devenu de jour en jour davantage. La distinction des races, qui a tant favorisé chez les modernes le préjugé de l'esclavage, manquait à la servitude antique. Les esclaves étant de ia même espèce que les hommes libres, le passage en était plus facile de l'une de ces conditions à l'autre; et en effet on voyait tous les jours des esclaves entrer, par la porte de l'affranchissement, dans la condition des citoyens. Il y avait en Grèce une espèce d'affranchisse- ment qui appartient à l'histoire religieuse, c'est celui qui s'accomplissait sous la forme de vente de l'esclave à un dieu (particulièrement l'Apollon de Delphes^ pour être libre (c'est la formule) sous cette garantie sai^rée ; en réalité ce n'était pas une vente, mais un rachat. Un grand nombre d'Inscriptions nous ont conservé des actes de ce genre; tout récemment encore MM. Foucart et Wescher en ont trouvé à Delphes plus de quatre cents ; elles sont toutes du second siècle avant notre ère. ^ui payait la somme pour laquelle le dieu était censé i!cquérir l'esclave? Si c'était l'esclave lui-même, l'es- clavage était donc assez doux et laissait au serviteur assez de droits pour que celui-ci pût amasser la somme nécessaire à sa liberté. Si c'était un bienfaiteur, l'esclave en trouvait donc, môme en mettant cà part les affran- chissements dus à l'amour. Mais il y a lieu de croire
230 LE CIiniSTIANlSME ET Si:S ORIGINES.
que dans bien des cas, ceux par exemple où le prix n'est pas marqué dans l'acte, le marché n'était qu'une fiction, une simple forme ayant pour objet de créer des gn- ranlies, et qu'il n'y avait en réalité qu'un affranchis- sement. On en vint même à se dispenser de cette fiction, en parlant dans l'acte, non plus d'une vente, mais d'une consccralion au dieu ; certaines Inscriptions ne portent pas autre chose. Même quand le prix est indiqué, ce prix, fixé le plus souvent assez bas, semble être nota- blement au-dessous du prix réel. C'étaient donc là des actes de bienfaisance domestique, et l'habitude de les accomplir sous la sanction d'un dieu a dû en faire peu à peu une e.-pèce de dévotion, elles multiplier par cela même. Il est certain que ce dieu qui ne reçoit un es- clave que pour le rendre libre, à ainsi un caractère dont on ne peut méconnaître la sainteté.
Quant à ce qui est de Rome, nous savons que l'af- franchissement pur et simple, surtout l'affranchisse- ment testamentaire, s'y était multiplié au temps des Césars à tel point, que les partisans jaloux des anciennes institutions ne le pouvaient plus supporter et deman- daient (]ue la loi y mit obstacle. Nous ne sommes donc pas éloniés de lire dans le recueil de Sénèque le père : c La nature n'a fait ni homme libre ni esclave; ce sont des noms que le caprice de la fortune a donnés à cha- cun ». Paul dira bientôt qu'il n'y a pas de distinction d'homme libre et d'esclave dans le Christ ; il est encore mieux de dire qu'il n'y en a pas dans la nature.
Voyez encore ces maximes : « Un père ne peut se permettre envers son fils (pic ce qui est juste. » — Il
LA PHILOSOPllIE SOUS AUGUSTE ET TiDfiRE. 231
n*y a pas de loi qui puisse ordonner un crime. » Ce sont là autant de pierres d'attente sur lesquelles le inonde chrétien bâtira. Voilà pour la charité ei l'humn- nité ; voici pour ce qui regarde la femme et le mariage : « La femme mariée qui veut être protégée contre deâ sollicitations libertines, doit se montrer sans avoir jjris soin d'elle qu'autant qu'il le faut pour la propreté ; elle aura avec elle des femmes d'un âge qui suffise, à dé- faut d'antres choses, pour repousser les séducteurs par le respect dû à leurs années ; elle tiendra ses yeux baissés vers la terre ; provoquée par un salut trop en- gageant, elle aimera mieux manquer à la civilité qu'à la pudeur; s'il faut absolument qu'elle le rende, tout son visage se couvrira d'une rougeur qui sera un enga- gemen! de chasteté, de manière que son air, bien avant sa parole, refuse de pécher. » Voilà certes une sévérité que n'avouera pas une sagesse plus raisonnable, plus confiante dans l'honnêteté naturelle, et qui ne croit pas que la vertu doive être gardée par une duègne, ni qu'une femme, ou même une fille, doive avoir les yeux baissés pour les avoir purs. Nous laissons cette morale- là à l'Arnolphe de 3Iolière. Mais Arnolphe parlait comme les écrivains ecclésiastiques, et ceux-ci comme les Pères ; et les Pères eux-mêmes parlaient comme avait parlé avant eux la sagesse du monde ancien. On voit qu'elle ne péchait pas pour être trop reiàchée, mais que la mo- rale était au contraire d'autant plus exigeante et plus austère qu'il y avait des mœurs plus corrompues, et en raison même de cette corruption.
On lit avec plus de satisfaction ces réflesions s'jr la
232 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
femino (ju'il faut désirer : « Si elle aime son engage- ment, si elle ne met rien avant son mari, si elle est charitable {misericors)^ si elle est courageuse et capa- ble de porter avec lui le mal qui peut l'atleindre : si elle a tout cela, elle est assez riche. » Les dèclamateurs ré- pétaient volontiers les prédications des philosophes con- tre la richesse. <t Je ne demande pas de biens ; la pros- périté est chose fragile et périssable; les caresses de la fortune ne nous apportent qu'un éclat plein de dangers, qui se répand sur nous sans raison et qui nous aban- donne de même. » Mais la richesse n'est pas seulement vaine, elle est coupable : c'est elle qui détruit toute honnêteté, toute piété ; c'est elle qui fait les mauvais pères et les mauvais fils. — « Voici des armées en pré- sence ; des concitoyens, des parents se font face, prêts a en venir aux mains; des deux côtés les collines se couvrent de cavalerie, et au-dessous tout le terrain se jonche de corps morts, et disparaît sous la muhitude des cadavres et des gens qui les dépouillent. Si on de- mande quelle cause est-ce qui porte ainsi l'homme à attenter contre l'homme (car les bêtes ne se font pas la guerre ; et quand elles se la feraient, ce ne sont pas les mœurs qui conviennent à l'espèce humaine, faite pour la paix, et qui approche autant que possible de la nature divine), et quelle maladie cruelle, quelle fureur et quel égarement, quand vous n'êtes qu'une mcmc famille et un même sang^ vous pousse à verser le sang les uns des autres ; quelle fatalité ou quel hasard funeste a mis er nous ce délire; faudra-t-il dire que c'est pour dres- ser des tables où s'asseoient des populations entières?
LA PHILOSOPHIE SOUS AUGUSTE ET TIBKUE. 233
pour qu'une maison resplendisse de l'éclat de l'or ? cela vaut-il donc ces fratricides ?» — Et plus loin : « 0 pau- vreté! que tu es un bien peu compris ! » On aime à voir dans ce passage, à côlé de l'aversion qu'inspirait l'opu- lence extravagante de quelques puissants, maiires et fléaux du reste des hommes, la sainte horreur de la guerre impie et l'appel à la fraternité du genre humain.
C'est encore un sentiment qu'on a souvent appelé chrétien que celui de notre faiblesse morale, et de la fa- cilité avec laquelle elle cède à la contagion du péché. Le voici exprimé, toujours à propos du mal que font les richesses : « Les riches ont bien des vices, et le plus grand est de ne pas aimer. Il ne faut pas que personne se croie assez fort pour se défendre du mal : il suffit d'en approcher pour en être atteint et pour qu'il se gagne : j'ai peur de devenir mauvais à mon tour. » Plusieurs fois, nous voyons reparaître cette expression : Il s'éleva contre les richesses (m divilias dixit^ qimm in divilias inveherelur)'^ c'est le même thème qui re- viendra sans cesse, soit dans les textes saints, soit dans les livres de piété des chrétiens. Mais ces souve- nirs des écoles, recueillis par Sénèque le père dans un livre achevé probablement sous Caligula, remontent à des temps tout païens, jusqu'au règne d'Auguste et aux premières années deTibère, puisque l'auteur n'écrit que pour faire connaître à ses fils des déclamalions qu'ils n'ont pas pu entendre eux-mêmes.
Au principat de Tibère appartiennent les dernières années d'Ovide et de Manilius, et le compilateur mora- liste Valérius (Valère-3Iaxime). J'ai assez parlé de Mani-
23i LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
liu?, et la philosophie religieuse tient bien peu de place dans Ovide. Cependant il faut remarquer la brillante exposition qu'il a faite, au dernier livre des Mèlamor-- phases, de la doctrine pythagorique ; elle est un témoi- gnage de la renaissance de cette doctrine à iiome sous l'influence de l'enseignement des deux Sextius, et cette renaissance elle-même est un des signes de la crise religieuse de cette époque, puisqu'aucune philosophie ne ressemble autant que celle-là à une religion. Beau- coup d'enthousiastes adoptèrent une pratique qui était d'ailleurs celle de certains prêtres ou de certains dévots de l'Orient, l'abstinence de la chair des animaux; soit qu'ils flssent profession de croire à la métempsychose, soit simplement par un pieux dégoût du sang versé et de ces saveurs achetées par des meurtres. Sénèque le fils (le grand Sénèque) nous a apj-ris que, dans sa jeu- nesse, l'éloquence d'un philosophe d'Égypfe, Sotion, l'entraîna à vivre pendant quelque temps de ce régime. Il n'y a pas d'enthousiasme qui puisse prévaloir contre la force des choses, et cette abstinence ne pouvait deve- nir la règle du genre humain ; les repas restèrent et devaient rester ce qu'ils étaient; mais on ne peut dou- ter que ces prédications n'aient contribué à décréditer les sacrifices. Car ce n'est pas le judaïsme a})paremment qui a appris aux chrétiens à ne pas faire d'un temple une boucherie. Mais qu'on relise seulement ces vers d'Ovide : « Ils ont associé les dieux à leur crime ; ils ont cru que la divinité qui réside au ciel pouvait pren- dre plaisir au sang du bœuf laborieux. Une victime sans tache, et d'une beauté irréprochable, car c'est son
LA PHILOSOPHIE SOUS AUGUSTE ET TIDÈUE. ^3a
malheur d'être trouvée belle, parée de baiidL'letiesd'or, est amenée devant l'autel ; elle entend, sans la com- prendre, la prière fatale; on place sur sa tète, entre ses cornes, les grains qu'elle-même a fait sortir de la terre, et, frappée du coup mortel, elle (eini de son sang les couteaux qu'elle voit peut-être se réfléchir dans l'eau lustrale. Vivante encore, on arrache de sa poitrine ses entrailles, on les interroge et on y cherche les secrets d'en haut. » Il y a trop d'esprit là-dedans; Ovide n'est jamais un écrivain sérieux; mais sous ces paroles on sent la pensée plus simple et plus grave de ses maîtres. Leurs leçons n'ont évidemment pas été perdues; et si les Pythagoriqucs n'ont pas déshabitué les hommes de la chair des bêles, on peut dire qu'ils en ont dégoûté les dieux.
Valérius a un esprit cU une àme médiocres. Son re- cueil (ï Exemples mémorables est rempli de témoi- gnages de superstition et de contes puérils. C'est un excellent sujet de Tibère, platement adulateur, non- seulement de son maître, mais du nom même de César. Il ne parle du divin Julius qu'en se prosiernanl ; il dé- clare que Brutus, en 1 assassinant, a répandu à jamais sur sa propre mémoire une malédiction que rien ne peut conjurer. Il a fait un chapitre des propos et des actions abominables, tout exprès pour y placer Séjan, et pour accabler le pariicide de ses plus lourdes déclamations; il termine en assurant qu'à l'heure qu'il est, Séjan subit aux enfers les peines qu'il mérite, si toutefois il a été reçu même aux enfers. Sa conscience d'ailleurs n'est pas moins large que celle de la foule : il trouve admirable
236 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
que les forces du peuple romain aient écrasé Séjnn avec loulesa race, et aucun scrupule ne se môle à son admi- ration pour le dévouement d'un esclave qui, afin de sau- ver son maître proscrit en lefaisant passer pour mort, tue un vieux mendiant qu'il rencontre^ et met ce corps à la place de l'autre sur le bûcher. Nous n'avons donc af- faire ici ni à un sage ni à un grand homme, dont le cœur ou la pensée monte plus haut que le vulgaire de son époque ; c'est un Romain ordinaire, qui a lu les Grecs, sans doute, comme tous les lettrés, mais qui s'en tient avant tout aux traditions et aux doctrines de son pays. Eh bien ! la morale de Valérius n'esibien souvent que celle que tout le monde appelle morale chrétienne. Il a un livre sur V austérité {continentia), un autre sur la pauvreté, un autre sur la patience, un autre sur la chasteté ; ces deux derniers titres se retrouvent dans la liste des livres de Tertullien. Il compare le Sage, comme plus lard on comparera le chrétien, à un soldat qui fait campagjie, plein d'ardeur à la fois et de fermeté ; et il nous représente la philosophie (on dira bientôt la re- ligion) « chassant du cœur où elle est reçue toute affec- tion vaine et déshonnête, et l'assurant dans le retran- chement d'une vertu inébranlable où il est plus fort que la crainte et que la douleur. » Cette àme qu'il nous figure « toujours sous les armes, faisant la faction de la vie , établie, non dans ce corps qui doit mourir, mais dans le ciel même comme dans un fort, d'où elle repousse, invincible, les attaques du vice, et préserve en soi toutes les délicatesses de la vertu, les tenant comme à l'abri de sa grandeur » ; est-ce l'àme d'un philosophe ou celle
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d'un saint ? Il parle comme un dévot des biens du monde, « biens fragiles et périssables, pareils à des jouets d'en- fant... qu'il ne faut ni estimer ni appeler des biens, qui ne font que doubler l'amertume des maux qui nous frap- pent par les regrets qu'ils nous laissent i>. Il sait que la vertu ne fait pas acception des personnes, qu'elle est accessible au petit comme au grand , et à l'esclave comme à l'homme libre, et qu'elle ne mesure pas l'homme à sa dignité, mais à l'empire qu'il a sur soi. Il adresse enfin à la chasteté (puclicUia) le plus solennel hommage. C'est elle qui veille sur le feu sacré de Vesta, qui repose sur le lit de Junon au Gapitole; c'est elle qui protège l'enfant, qui est l'honneur de l'adolescence, qui fait respecter la mère de famille. 11 l'invoque : « Écoute, dit-il, le récit des traits que toi-même as ins- pirés. y> Et parmi ces grands exemples d'une vertu qu'on a si souvent refusée au monde antique, à côté de Lu- crèce, de Virginie et d'autres Romaines ou Grecques, il cite les femmes de ces Teutons arrêtés et exterminés par Marius, qui demandèrent à être attachées au service des Vestales pour vivre comme ces vierges sans aucun commerce avec les hommes; et, comme on le leur re- fusa, s'étranglèrent pour ne pas être souillées. Il rap- porte l'histoire plus étonnante encore du jeune Étrusque Spurinna, dont l'extraordinaire beauté troublait les femmes et alarmait les maris et les pères ; il se déchira le visage et se défigura. Quand on ne verrait là qu'une fiction et un étrange idéal, on sera encore frappé des idées dont cette fiction témoigne ; le trait serait fort bien placé parmi les légendes des saints.
518 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Valérius, comme les déclamateurs du recueil d^ Sé- nèque le père, appartient au principal de Tibère, c'est- à-dire à un temps où il n'y avait pas encore et où il ne pouvait y avoir de chrétiens.
Cependant, toutes les religions étrangères prenaient de plus en plus d'importance ; les idées et les mœurs du monde entier entraient de toutes parts dans la ville reine, et c'est par le côté religieux qu'elles saisissaient surtout l'imagination. Toutes les superstitions du dehors se donnent en spectacle dans Rome; prêtres eunuques, flagellants et flagellantes, déesse-poisson de la Syrie, fêtes d'Adonis, fête d'Isis et d'Osiris , sacrifices de 3Ii- thra, sabbat juif, tout se rassemble et s'étale entre les sept collines. Il en est dont la renommée seulement arrive jusqu'aux Romains, comme celles des druides, celles des Perses avec leurs feux sacrés et leur sacrifice du cheval; mais quelquefois les plus lointaines viennent se montrer à l'Occident et l'étonner, comme le jour où l'Indien Zarmaros se mit lui-même sur le bûcher de- vant Auguste, à Athènes. Les religions se pénètrent les unes les autres et se confondent; Osiris et Bacchos ne font qu'un, et le culte do Bacchos est partout sous di- verses formes, avec les Mystères qui semblent être l'es- sence de ce culte. A l'endroit de son histoire où Tite- Live raconte comment le Sénat romain, au commence- ment du second siècle avant notre ère, surprit tout à coup en Italie l'affiliation des Bacchanales, jusque-]» ignorée, et ses pratiques occultes, il fait j)arlcrau Forum un consul et lui met dans la bouche ces ])aroK>s: « Si vous n'y prenez garde, citoyens, à cette assemblée du peuple
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tenue en plein jour, sur l'appel légitime du magistrat, succédera pendant la nuit une autre assemblée , tout nus i remplie, où les affiliés conspireront contre le sa- lut de lu Républiijue. » On serait tenté de croire que Tile-Live pensait ici à son. propre temps, et qu'il enten- dait sous ses pieds bruire une Rome souterraine com- posée de Juifs, d'Égyptiens, d'Orientaux, et prête à sortir du sol pour remplacer la Rome de Ju]iilcr et de Quirinus.
Car les défiances qui avaient dicté le fameux sénatus- consulte contre les Bacchanales vivaient toujours dans le cœur des magistrats et des vrais Romains. La sage et docile littérature du temps d'Auguste est fidèle à ces pensées. Denys développe avec admiration la sagesse et la fermeté que Rome mit toujours à se défendre des religions mal disciplinées. C'est le vieil esprit de la ré- publique qui parle dans ce vers de Virgile :
Vana superstitio veterumque i^nara deorum i.
Rome couvrait sans doute de sa protection les reli- gions sujettes comme les peuples mêmes ; elle les respectait et les faisait respecter là oià elles étaient éta- blies ; l'empereur (ou le Sénat) intervenait pour consa- crer les droits dont ces dieux étaient en possession chez eux, leurs immunités, leurs asiles ; Rome allait jus- qu'à abandonner, en faveur de ces droits, quelques- uns des intérêts de ses finances ou de sa police. Mais elle ne se livrait pas pour cela, et tenait toujours ces dieux à leur place.
1. « Une vaiae superstition, et qui méconnaît les anciens dieux. »
210 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGliN'ES.
Suélone dit qu'Auguste, en fait de religions étran- gères, ne respectait que celles qui étaient consacrées et pour ainsi dire classiques, comme celle d'Eleusis, et qu'il affectait de mépriser toutes les autres. Quand il visita l'Egypte, il refusa d'aller voir Apis, et il approuva son petit-fils Caïus d'avoir passé devant Jéru- salem sans être allé adorer au Temple. A Rome, il ne permit pas qu'on bâtit des temples aux dieux d'Egypte dans l'enceinte du poinœrluin^ limite religieuse de la ville de Romulus, mais à une certaine distance seule- ment de cette enceinte. Mais cette sévérité même n'é- tait qu'un effort pour résister au mouvement qui emportait le monde vers les religions asiatiques. Un moment, elles avaient comme pris possession, sous la protection d'Antoine, de la moitié du monde romain. Il faisait régner à ses côtés Isis avec Cléopàtre ; lui-même représentait Osiris ou Bacchos. On racontait que la nuit qui précéda la bataille d'Actium, on entendit le dieu et son chœur, confus et long cortège *, qui tra- versaient invisibles Alexandrie avec un grand bruit de voix et d'instruments, au milieu du silence de la ville consternée ; le bruit redoubla vers la porte qui regar- dait du côté du camp ennemi ; la Bacchanale, en s'é- vanouissant, semblait emporter avec elle la fortune du vieux soldat. Comme l'a compris M. Michelet, An- toine et Cléopàtre figuraient dans leur union le futur hymen de l'Occident avec la mysticité orientale. Ce jour-là, celle-ci fut vaincue , mais non pour long- temps.
1. C'est ua hcuiisliclie de La Fonlaiiio.
LA PHILOSOPHIE SOUS AUGUSTE ET TIBÈRE. 241
Ce ne fut pas la religion de l'Egypte qui prévalut, quoiqu'elle ])ar;iissc alors très-répandue et qu'elle i^emble le disputer à celle des Juifs. Les noms d'Isis et d'Osiris reviennent souvent dans les poètes du temps d'Auguste, ainsi que les dévotions dont on s'acquitte envers eux. (lermanicus visite avec une curiosité res- pectueuse les ruines de Thèbes, et interroge les prêtres sur leurs antiquités sacrées. Un grand nombre d'Ins- criptions sont des monuments des pèlerinages pieux qu'on allait faire en Egypte. Enfin la religion égyp- tienne partage avec le judaïsme, sous Tibère, l'hon- neur de la persécution, et cela suffit pour en attester l'influence croissante'. Comme le judaïsme, elle frap- pait les esprit par l'austérité de ses pratiques et par la pureté de sa morale. Les prêtres égyptiens sont cir- concis; ils s'al^stiennent de la chair du porc ; ils vivent dans des cloîtres peu accessibles aux profanes, obser- vant des rites antiques et mystérieux, imposant par la gravité de leur maintien et de leur physionomie. Ils ont des carêmes qui varient d'une à six semaines, où ils s'astreignent à toute espèce d'abstinences; ils cou- chent sur des nattes; ils s'éveillent la nuit pour célé- brer les offices sacrés. Les Égyptiens élèvent tout ce qu'ils ont d'enfants, et se font honneur de ne pas suivre en cela les mœurs grecques et romaines. Le monde les respectait et les admirait, les imitait même quelque- fois; mais le monde ne s'est pas fait égyptien ; plus d'une raison y a mis obstacle. D'abord, depuis que
î. Aclum est et Je saoïU .Tgypliis juclaï isque pellonilis. <t II fat rébOlu auisi qu'on bannirait kg religions d'Egypte et deJudéii.»
11. iÔ
24^2 LE CnniSTlANlSME ET SES ORIGINES.
l'Egypte de Cléopâtrc avait tenu la fortune de Rome en suspens, se faire Égyptien eût été, ce semble, trop ouvertement se faire l'ennemi de la patrie. Mais surtout la religion égyptienne se mêlait assez aisément avec la religion grecque-romaine, pour qu'on ne fût pas forcé de choisir entre l'une et l'autre. Les dieux égyp- tiens frayaient avec tous les autres dieux, et même avec la divinité des rois ou des Césars. La religion de l'Egypte avait eu la même fortune que l'Egypte même. Celle-ci avait perdu l'indépendance dès le jour qu'elle avait perdu la puissance. Précisément parce qu'elle était trop grande pour se conserver inaperçue dans un coin d'un vaste empire, elle fut subjuguée d'un seul coup tout entière, et ses temples, comme le reste, s'ouvrirent aux vainqueurs. La Judée demeura indépendante sous les Perses, sous les Macédoniens, et jusqu'à un certain point sous les Romains mêmes. Son acropole^ quelquefois violée, n'en subsistait pas moins , protégeant de ses murailles saintes un dieu indompté et intraitable comme son peuple. Il y avait là une force; il n'y en avait pas ailleurs.
Et puis, les Juifs étaient partout, tandis que les Égyptiens n'étaient qu'en Egypte. Je veux dire que les Égyptiens qui se trouvaient dispersés ailleurs, tout sn restant fidèles à leurs croyances, ne pouvaient ce- )endant emporter avec eux leur patrie; car qu'était-ce pour eux que la patrie, sinon ce sol même qu'ils avaient quitté? Leur culte, ils pouvaient le pratiquer en Grèce ou à Rome comme en Egypte; partout on élevait des temples à leurs dieux. Mais le dieu des Juifs n'accep-
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lait pas l'hospitalité étrangère; il n'avait d'autre temple que celui de sa montagne, à l'exception d'un temple en Egypte, exception curieuse, mais unique, qui n'empê- chait pas que, partout ailleurs dans le monde, les Juifs ne relevaient absolument que de Jérusalem. Il y avait là des autorités juives, gardiennes et ministres de la loi juive; la vie des Juifs sur toute la surface de la terre se rapportait à ce centre. Les Égyptiens n'avaient ni centre, ni autorité publique, ni loi, ni dieu qui fussent à eux seuls. C'est précisément parce que le judaïsme se rattachait à un foyer étroit et jaloux qu'il rayon- nait de là avec tant de chaleur et de puissance, et en- trainoit tout ce qu'il avait une fois touché. On restait Grec ou Romain en adorant Isis et Sérapis; on ne l'é- tait plus qu'à moitié dès qu'on s'adressait au dieu des Juifs, même si on hésitait à se faire Juif tout à fait et qu'on se bornai h jiidaïse}\ suivant l'expression reçue. Quant à ceux qui devenaient Juifs, ils étaient enlevés absolument à leur cité.
Il y avait huit mille Juifs à Rome au temps d'Au- guste : qu'on juge quel pouvait être le nombre des uidaïsants. Des colonies juives florissaient à Alexan- drie, à Antioche, à Éphèse, en Crète, à Pouzzoles, on peut dire dans toutes les villes grecques de l'empire, sans compter Rome même. Le judaïsme était à la mode à Rome dès le temps d'Horace. Dans la jolie pièce où il se représente en proie à un fâcheux qui s'est emparé de lui, il fait appel, pour s'en débarrasser, à un ami qu'il rencontre. « Tn avais, dit-il, à me parler d'une affaire. » Mais l'autre s'amuse à le laisser dans la peine :
tu LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
« Je sais ce que c'est; ce sera pour un meilleur mo- ment; aujourd'hui, c'est le trentième sabbat ; voudrais- tu insulter aux circoncis*? — Je n'ai pas, reprend Horace, de ces scrupules. — J'en ai, moi, je ne suis pas un esprit fort; je suis du vulgaire ; tu ne m'en vou- dras pas. » C'est à peu près le temps où Auguste écri- vait à Tibère : « Il n'y a pas de Juif qui jeune plus scrupuleusement un jour de sabbat, que je n'ai fait au- jourd'hui. » Le simple sabbat même i)assait pour un mauvais jour, quoique Ovide assure qu'il n'est pas mauvais en amour, et quoiqu'il conseille aux jeunes gens d'aller ce jour-là à la synagogue pour y trouver des maîtresses. Mais un autre passage d'Horace est bien remarquable : « Nous sommes en nombre, et nous fe- rons comme les Juifs, nous te forcerons à te mettre avec nous :
Âc veluli te
Judœi, cogcmus in hanc discedere tuibam ».
Telle était déjà la force de la propagande juive, qu'elle frappait et étonnait Horace, si indifférent lui-même et si peu accessible à de tels effets.
Du reste, il n'y a pas là-dessus de plus éloquent té- moignage que le sénatus-consulte rendu sous Tibère en l'an 22 contre les superstitions cgijpliennes et ju- daïques^ suivant l'expression de Tacite. Le récit déve- loppé de Joseph montre bien que le fort de la persécu- tion porta sur les Juifs. Ce qui louche dans ce récit la
1, 0:1 croit que ce Iroiilièmo sabbat esU a grande lèlf du Pardott.
LA PHILOSOPHIE SOUS AUGUSTE ET TIBÈRE. 2i5
religion égyptienne se réduit aux manœuvres de quel- ques prêtres d'Isis, qui livrèrent à l'amour d'un cheva- lier romain une dame de grande famille, en invitant celle-ci à passer une nuit dans le sanctuaire d'Anubis. Ces prêtres furent mis en croix, leur temple détruit, et leur statue d'Isis jetée dans le Tibre. Voici maintenant, d'après Joseph, ce qui regarde les Juifs : n'oublions pas que Joseph lui-même est un Juif, qui tâche de présen- ter les choses de la manière la moins compromettante pour les siens.
« Il y avait un Juif qui s'était sauvé de son pays sous l'accusation d'avoir transgressé la Loi, et pour échapper au châtiment ; c'était en tous sens un misé- rable. Il vivait à Rome, où il faisait profession d'expli- quer la sagesse des lois de 3Ioïse, et il s'était associé trois de ses pareils. Ceux-ci avaient pour disciple Fulvie^ femme des plus distinguées, qui s'était attachée au ju- daïsme. Ils l'engagèrent à envoyer au temple de Jéru- salem des offrandes d'or et de pourpre, mais ils appli- quèrent ce qu'elle leur remit à leur propre dépense, et ce n'était que pour cela qu'ils lui avaient fait cette de- mande. Tibère comptait parmi ses amis Saturninus, mari de Fulvie, qui lui dénonça le fait sur la plainte de sa femme. Tibère fit chasser de Rome tout ce qui était Juif K Les consuls levèrent parmi cette population quatre mille hommes qu'ils envoyèrent dans l'Ile de Sardaigne ; mais un grand nombre furent suppHciés, n'ayant pas voulu servir par fidélité à leur loi. Voilà
1 . S'ils n'abjuraient dans un temps donné (Tacite),
246 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
commenl (juatre misérables firent chasser de Rome tous les autres. »
Il est difficile de croire que la décision de l'empereur H celle du Sénat, car c'est le Sénat qui prononça daii'. ,'ette affaire, n'ait pas eu des motifs plus graves; mai . quand on })rendrait le récit de Joseph sans le discuter il en résulterait encore les faits suivants : Qu'il y avait à Rome des Juifs qui faisaient profession d'enseigner la sagesse des lois de Moïse, en d'autres termes, qui prêchaient le judaïsme et entreprenaient la conversion des païens; qu'ils formaient entre eux des associations pour poursuivre cette entreprise ; qu'ils gagnaient par- ticulièrement les femmes, et des femmes mêmes de la première distinction ; qu'enfin leur propagande était déjà à cette époque assez active et assez efficace pour que le Sénat s'en soit alarmé et irrité au point de dé- porter en masse ces ennemis de l'esprit romain. Tacite nous dit franchement ce que signifiait cette transpor- tation en Sardaigne; ces quatre mille hommes devaient être employés à réprimer le brigandage dont l'île était infestée; « et s'ils succombaient à l'insalubrité du cli- mat, la perte n'était pas grande, vile dammiin. » Cette proscription devrait figurer dans l'histoire de l'Église comme la première en date de ce qu'on appelle les persécutions ; ce sont là des martyrs et des confesseurs au même titre que ceux qui remplirent plus tard la Légende. Mais l'Église ingrate s'est tellement détachée du judaïsme dont elle est sortie, qu'elle n'a pas su re- connailre les siens dans ces chrétiens d'avant le Christ. On aura remarqué dans le récit de Jose])h l'opiniâtreté
LA PHILOSOPHIE SOUS AUGUSTE ET TIBÈKE. 247
(les zélés qui se font tuer plutôt que de se soumettre au service miliiaire, sans doute parce que, pour servir, il fallait prêter un serment, et que la Loi dit : « Tu ne craindras que le Seigneur ton Dieu, tu ne serviras que lui, lu ne t'attacheras qu'à lui, et tu ne jureras qu'en son nom. ï> Ce scrupule se perpétua longtemps parmi les chrétiens; et Tertullien développe encore, dans un chapitre du livre intitulé de la Couronne^ toutes les raisons qui doivent rendre le service militaire odieux et insupportable au vrai disciple du Christ.
De même qu'on n'a pas reconnu des martyrs dans ceux qui mouraient alors à Rome pour la foi juive, on ne veut pas reconnaître non plus dans Philon un Père de l'Église, et c'est cependant le titre que la véritable histoire doit lui donner. C'est à cette même époque que Philon composait tant de livres où, pour la première fois, nous trouvons la sagesse grecque associée à la tra- dition et aux Écritures d'Israël. Il transformait le ju- daïsme, sous prétexte de l'interpréter, et il le présen- tait, je ne dis pas précisément aux Gentils, mais aux lettrés judaïsants ou disposés à judaïser, de la manière qui pouvait le leur rendre le plus acceptable. Les Justin, les Clément d'Alexandrie, les Origène n'ont fait que poursuivre l'œuvre de Philon.
Si donc on voulait n'entendre sous cette expression, l'avènement du christianisme, que la conquête du monde grec et romain par le dieu des Juifs, on peut dire que cet avènement avait eu lieu dès le temps d'Auguste et de Tibère, et que cette conquête était en train de s'accomplir avant même qu'il fût question de celui qui a été nommé
218 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
le Christ. Jiidaïser, c'était la même chose que ce qui s'est appelé un peu plus tard chrisliaiiiscr^ et cela est si vrai que, dès qu'on a commencé de christianiser, on a cessé de judaïser par cela même; car se faire chré- tien, c'était se faire Juif, précisément dans la mesure où il convenait au monde de l'être , c'est-à-dire en de- meurant Grec et Romain. Cependant voici que j'arrive enfin à l'époque où cette révolution s'est achevée au nom du Christ : l'époque de Claude et de Néron, celle où le césarisme a été le plus excessif et le plus insup- portable, époque de fermentation morale et religieuse, où la philosophie prend un accent tout nouveau dans Sénèque, et où la foi juive, après l'ébranlement qui suit le passage de Jésus en Galilée, prend aussi un accent tout nouveau dans saint Paul.
CHAPITRE XIV
LES STOIQUES ROMAINS. — SENEQUE
On ne comprend bien Sénèque etl'école stoïque d'alors qu'en se représentant ce que Rome a éprouvé sous Ca- ligula, Claude et Néron. L'obéissance sous Auguste avait paru d'abord à des générations fatiguées un soulage- ment et un repos; à la fin du règne, ce repos était de- venu lourd et accablant; c'était engourdissement et léthargie. La même prostration de forces dura sous Tibère, malgré une crise violente et mal connue au moment de la chute de Séjan. On sert sans même avoir l'air d'en souffrir -, l'esprit de ce temps est représente dans les lettres par Velléius et Valérius. Un seul homme, Crémutius Cordus, avait écrit avec quelque liberté, et on l'avait tué pour cela. Tibère ne se montre même pas, et, de sa retraite, tient tout en respect et en silence. Ni le maître ni les sujets ne font de bruit et n'ont l'air de vivre. Mais à Tibère succède un Jeune homme qui est fou, ou qui le devient à régner. Il n'extra vague pas longtemps; un coup de poignard en fait justice. Il y eut ce jour-là une grande secousse; on crut la liberté et la
250 LE CIlRlSTlANlSMi: ET SES ORIGINES.
république rétablies. L'illusion ne dura pas deux jours; on redevint esclave, mais il resta quelque chose de cette révolution avortée. On ne fut pas obligé d'adorer Cali- gula ; on put maudire et condamner le tyran tombé, c'est-à-dire qu'on put maudire et condamner la tyran- nie ; il fut entendu que la conscience publique avait le droit de protester contre l'iniquité et' la déraison, et elle exerça surtout ce droit par la voix des philosophes. Déjà auparavant, il arrivait, par cela seul qu'ils faisaient delà morale, qu'ils exerçaient comme une magistrature qui condamnait les puissants {censuram agere regnan- iium)] mais à partir de ce règne odieux et absurde et de la révolte universelle qu'il excita, cette censure devint plus vive et plus hardie. La chaire des écoles fut une espèce de tribune, à la condition, bien entendu, qu'on n'y dit quedes généralités; etplus la morale stoïque se faisait austère, plus elle était populaire, comme la mo- rale janséniste sous Louis XIV; déclamer contre le vice, c'était déclamer contre les scandales du Palatium. La ré- volution d'intérieur qui fut l'œuvre d'Agrippine ne prolita pas moins à l'éloquence philosophique que celle qu'avait faite le poignard de Chérca. Pour substituer son fils au fils de Messaline, Agrippine appela à son aide l'opinion publique; elle tira Sénèque de l'exil et le fil précepteur du jeune Néron ; puis, quand on se fut débarrassé de Claude et que Néron fut empereur, il sembla que la philosophie allait gouverner avec lui, et son rè^ne fut comme inauguré par le livre de la Clé- mence. La philosophie est alors une sorte de j)ouvoir, comme on l'a dit dans d'autres temps de la Presse ; elle
LES STOIQUES ROMAINS. 251
est vaincue à la mort de Burrhus, quand Tigellin lui succède et que Sénèque est en disgrâce ; mais elle semble toujours près de prendre sa revanche ; et, à la fin du règne, ceux qui conspirent contre Néron pensent pré- cisément à Sénèque pour le remplacer, ou jugent au moins politique de donner à croire qu'ils y pensent.
Mais à mesure que la morale réagissait contre les folies des gouvernements, celles-ci à leur tour sem- blaient défier de plus en plus la morale et le bon sens même. Poussés en avant tout à la fois par l'absence de tout obstacle réel et par l'irritation que leur cause l'obstacle vain des protestations philosophiques, les puis- sants se précipitent dans les excès et les violences les plus étranges. Plus les prédications des philosophes sont véhémentes, plus la force brutale insulte à la raison et à la justice; les puissants bravent les prê- cheurs , mais les prêcheurs aussi bravent les puissants, dans une certaine mesure; de sorte que les uns et les autres, s'exaspérant par la lutte même, étalent en même temps les monstruosités les plus révoltantes et la morale la plus emportée. Les actes et les paroles sont également hyperboliques. 11 est vrai que Sénèque et Lucain ont fini par payer leurs déclamations de leur vie; mais, tant qu'ils ont vécu, ils ont déclamé, et leur élo- quence a chauffé la colère publique.
Voilà comment cette éloquence a la fièvre^ suivant l'expression d'un ancien; et on la juge mal quand on la juge d'après la règle d'une sagesse tranquille. Les 'para- doxes de l'école stoïque semblaient faits surtout pour une telle époque. Plus la servitude était intolérable, plus on
2Ô2 LE CHRlSTlArilSME ET SET» ORIGINES.
avait besoin de crier que le Sage est iibre,etquerien ne peut contraindre la volonté. Plus on se sentait à la merci du maître etdes favoris, deleurspassions, de leurs intérêts, de leurs caprices, et menacé, à chaque instant, de la confiscation, de l'exil, des tortures et de la mort ; plus on s'efforçait de dire et de croire que rien de tout cela n'est un mal et ne vaut seulement qu'on s'en soucie. Les uns ont condamné cet orgueil comme insolent et menteur ; d'autres, moins sévères, l'ont raillé seulement comme impuissant et stérile. M, Taine, dans une Étude sur Macaulay, a cité de lui un curieux passage contre les Stoïques :
« Un disciple deSénèque (il y a dans le texte, d'Épic- iète, mais c'est la même chose), un disciple de Sénèque et un disciple de Bacon, compagnons de route, arrivent ensemble dans un village où la petite vérole vient de se déclarer; ils trouvent les maisons fermées, les commu- nications suspendues, les malades abandonnés, les mères saisies de terreur et pleurant sur leurs enfants. Le stoïcien assure à la population désolée qu'il n'y a rien de mauvais dans la petite vérole et que pour un homme sage la maladie, la difformité, la mort, la perte des amis ne sont point des maux. Le baconien tire sa lancette et commence à vacciner. — Ils trouvent une troupe de mineurs en grand effroi. Une explosion de vapeurs délétères a tué plusieurs de ceux qui étaient à l'ouvrage, et les survivants n'osent entrer dans la caverne. Le stoïcien leur assure qu'un tel accident n'est rien qu'un simple apoproefjménon.Le baconien, qui n'a pas de si beaux mots à sa disposition, se contente de
LES STOlQUES HUMAINS. 253
fabriquer une lampe de sûreté..., etc. Telle est la diffé- rence entre la philosophie des mots et la philosophie des effets. »
On s'apercevra, et il est difficile que l'auteur ne s'en soit pas aperçu lui-même, que sa raillerie porte tout autant contre la religion que contre la philosophie. Mais l'une ot l'autre peuvent se défendre contre ces sarcasmes. En effet, il y a, au physique comme au moral, des maux incurables auxquels nous ne pouvons rien; et il est permis à l'âme qu'ils assaillent de se réfugier dans des pensées qui ne l'empêchent pas de souffrir, mais qui peut-être lui donnent le courage de souffrir avec plus d'énergie et de fierté. Ces pensées mêmes sont plus pra- tiques qu'il ne semble; car, si excellents que puissent être les instruments que le travail nous fournit, le pre- mier instrument est l'homme même, et c'est celui-là qu'il importe de mettre avant tout en bon état. Les ré- llexions morales ne guérissent pas une épidémie, mais elles peuvent nous disposera y rester, et il faut d'abord y rester pour la guérir. Mais ce qu'on doit bien remar- quer, c'est que Macaulay ne met l'homme aux prises qu'avec la nature ; et il est vrai qu'en face de la nature il n'y a guère que deux choses possibles, agir ou se taire : on ne peut songer à protester. Il n'en est pas de même en face de l'iniquité des hommes; c'est un mérite lie la défier . Qu'aurait |)u faire le baconien de Macaulay dans la situation de Sénèque ? Quelle était l'opération à faire au monde pour le guérir de Néron ? On dira : C'était le soulèvement de Vindex. Cela est vrai, mais Vindcx n'a pas agi et ne pouvait pas agir tout de suite. Il
iri4 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
fallait quo le monde fût enfin las, comme a dit Suétone, du maître qu'il avait si longtemps souffert. Les maux physiques se sentent et se reconnaissent à première vue; il n'en est pas de même de cet empoisonnement moral par lequel les peuples dépérissent; il faut les faire aviser qu'ils sont malades, et c'est le commencement de la guérison. C'est précisément ce qu'a fait Sénèque, et SCS déclamations, comme on les appelle, ont été cer- tainement pour quelque chose dans l'impatience uni- verselle qui a amené une délivrance.
Ainsi, dans ces grands principes, qui le prennent de si haut avec ce qui épouvante les hommes, avccl'altjec- tion, ou le dénuement, ou la mort, disons qu'il y a d'abord quelque chose de tout à fait sérieux et de sim- p'cment vrai : c'est qu'aucun mal ni aucune meiiace ne feront fléchir certaines âmes jusqu'à leur faire trahir leur devoir et leur dignité. Puis, si l'imagination va au delà, et qu'elle affecte de ne tenir aucun compte de ces maux et de n'en être pas émue, je lui pardonne cet emportement; je sens que ce dédain ne s'adresse pas aux choses elles-mêmes, que la nature a faites pénibles; mais aux misérables qui s'en servent pour tourmenter l'honnête homme et qui se croient par là grands et forts, quoiqu'ils ne soient que petits ei pitoyables. Ce n'est pas la mort que méprise le Stoïque romain, quoiqu'il la brave; c'est le tyran qui le tue, et qui ne peut l'em- pêcher, en le tuant, de le mépriser. De plus forts que Sénèque se nourrissaient de la même morale; elle a été celle de Thraséa, et c'étaient encore des sentiments à peu |)réssL'.mblabli'squi soutenaient l'opiniàireiédes martyrs.
LES STOIQUES R051AINS. r,5
Mais ce n'est pas assez de dire que les sentiments .Jont violents, dans Scnèque et les siens, parce que la situation est violente; il faut reconnaître que la vio- lence des expressions va encore au delà de celle des sen- timents, et que cela aussi est naturel et légitime. Nous lisons dans ces philosophes que la pauvreté n'est rien, ni l'exil, ni les tortures mêmes, ni la mort, et nous di- sons qu'ils déclament ; mais ils ne déclament que pour braver. Ils ont affaire à une force brutale qui dispose (le toutes ces façons de faire souffrir, et qui par là tient la dignité humaine accablée sous elle. Ils veulent (jue l'homme porte la tète haute, qu'il défie la tyrannie et la convainque d'impuissance, qu'il lui dise : Tu ne m'at- teins pas. Si nous le croyons en le disant, c'est admi- rable, et la liberté est sauvée; mais quand nous ne le croirions qu'à moitié, c'est quelque chose de le dire et de refuser de s'avouer vaincu. C'est encore défendre la liberté, ou la venger du moins, que d'obliger le despo- tisme à douter de lui-même et de ses ressources. Quand le Joueur de la comédie a perdu , et qu'on lui lit dans Sénèque que l'argent est peu de chose, cela fait rire; mais quand l'honnête homme est menacé d'être dépouillé de son bien par un Tigellin et par son mailre, qui veulent le voir plier sous le coup et demander grâce, s'il répond qu'il ne s'en soucie pas et qu'il est prêt à se passer encore de la vie , nous applaudissons, et nous nous sentons fortifiés et relevés,
51a faiblesse superbe insulte à leur puissance;
ce vers célèbre de Delille explique le sentiment général
256 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES,
qui domine dans cette éloquence. Or, plus on crie haut, plus on insulte. Le philosophe, qui est l'orateur de l'hu- manité humiliée, ne peut donc prendre un ton trop vé- hément; son emphase, ses redoublements d'idées, le geste saccadé qui semble accompagner sa parole, sont autant de protestations d'une conscience que la force voudrait faire taire, et qui ne se tait pas, et qui se fait écouter.
Parmi les critiques qui se sont occupés de Sénèque, Garai est peut-être le premier, à ma connaissance, qui l'ait bien compris; parce qu'il y avait eu un moment, et pourtant ce n'avait été qu'un moment, où on avait éprouvé en France quelque chose de pareil à ce qu'on éprouvait sousNéron. Sénèque vivait dans une Terreur, non pas démagogique et prête à se détruire elle-même, mais régulière, établie, armée de toutes les forces per- manentes de l'empire romain, et sans espoir comme sans frontières. Garât nous dit comment ce fut avec la guillotine en perspective qu'il se mit à réimprimer Sé- nèque et à le relire. « Il ne nous restait plus alors qu'une seule chose à apprendre, à mourir. C'est là pres- que toute la philosophie de Sénèque. » Plus loin, il la compare aux prières de la religion pour les agonisants : « Sénèque, pour ainsi dire, a fait une philosophie pour ces longues agonies auxquelles les tyrans condamnent quelquefois les nations. » Il avait lu Sénèque étant plus jeune, dans ces années pleines de vie et d'espé- rance qui précédèrent la Révolution ; il le relut dans l'abattement des jours mauvais et le vit tout autre. « La première fois, j'avais peine à continuer la lecture ^
LES STOIQUES ROJIAINS. 257
cette dernière fois, j'avais peine à m'en détacher. La morale de Sénèque m'avait paru outre nature dans sa hauteur; elle ne me paraissait plus qu'au niveau des circonstances et des besoins. » Et encore : « On avait besoin d'une philosophie qui apprend à renoncer à tous les biens avant qu'on vous les arrache...; qui vous sépare du genre humain qui ne peut plus rien pour vous, et pour lequel vous ne pouvez plus vous-même ni rien faire ni rien espérer ; qui vous crée enfin une grandeur et une force personnelle que les tyrans et les bourreaux pourront briser, mais qu'ils ne pourront faire trembler. Telle est la philosophie de Sénèque, > Garât dit encore très-bien : « Sénèque, il est vrai, s'ar- rête longtemps sur la même vérité, mais songez qu'avec lui il n'est pas question seulement de savoir ce qu'il faut penser de la mort; il faut se préparer pour le mo- ment où Silvanus viendra vous dire, de la part de Néron: Mourez. »
Voyez, en effet, la manière dont parle Sénèque, dans une de ces Consolations comme les philosophes étaient accoutumés à en écrire : il assure que la mort est le plus grand bienfait de la nature. « C'est elle qui affranchit l'esclave malgré son maître, qui rompt les chaînes des captifs et tire de prison ceux qu'y retenait la tyrannie' ; qui montre à l'exilé, dont les pensées et les regards sont toujours tournés vers sa patrie, qu'il importe peu qu'il soit enseveli parmi ceux-ci ou ceux- là. Quand le sort répartit si injustement des biens com-
1. Comparez le livre dcJub,ui, 17.
II. 17
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muns et soumet l'un à l'autre des hommes nés avec les mêmes droits, c'est elle qui rend tout égal. C'est elle qui n'a jamais plié sous la volonté d'autrui, avec qui on ne sent pas la bassesse de sa condition, à qui personne ne commande... Oui, c'est elle qui fait qu'exis- ter n'est pas subir une peine, qui fait que je puis con- server mon àme hors d'atteinte et maîtresse de soi. J'ai un refuge dans le naufrage. Je vois devant moi des ins- truments de torture de toute espèce..., mais je vois aussi la mort. Voici des ennemis barbares, ou, parmi les ci- toyens, des tyrans ; mais à côté d'eux, voici la mort. La servitude n'est plus fâcheuse si , dès qu*on est las d'un maître, on peut d'un seul pas atteindre à la liberté; contre les injures delà vie, j'ai la ressource de la mort.» Et dans un autre endroit : « Persuade-toi bien que celui qui n'est plus n'a pas à souffrir, que toutes ces terreurs des enfers ne sont que fables ; qu'il n'y a pour les morts ni ténèbres, ni cachots, ni rivières de feu, ni fleuve d'oubli, ni tribunaux, ni accusations, et que dans cette liberté suprême, on ne retrouve pas de tyrans *. » En attendant cet affranchissement de la mort, à qui pouvait-on recourir, qu'à cette philosophie qui, à force de détacher l'homme de la vie, semblait une anticipation de la mort? On s'y réfugiait comme on aurait fait entre les bras des dieux.
La philosophie a plus que jamais charge d'âmes, les âmes ne trouvant qu'en elle un appui et une protection. La
1. Infernis hilares sine regibus unibra; (juvénal). « Les morts étaieni en joie dans des enfers où il n'y avait pas do rois. » C'est uii des traits d'une peinture do l'âge d'or.
LES STOIQUES ROMAINS. 25a
prédication devient tous les jours plus véhémente, plus populaire, plus puissante. La direction de conscience s'empare de la vie privée plus étroitement et plus im- périeusement qu'elle n'a jamais fait. Elle conduit les bons ; elle soudent les faibles ; elle ramène les pécheurs. Elle prêche la retraite, les saints entretiens et les saintes pratiques, la séparation d'avec ce qui s'appellera bientôt le siècle ou le monde. Si on ne connaît pas encore le mot de dévot ou de dévotion, la chose existe; elle naît du dégoût de la vie commune, pleine de souillures, de tristesses et de périls.
Enfln,ces temps mauvais, qui exaltent la force et l'au- stérité au dedans de l'àme, la rendent au dehors meil- leure et plus humaine. Sous ce despotisme implacable, tous se sentent frères ; les grands apprennent à ne plus mépriser les misères des petits, ni les hommes libres celles des esclaves. Un mot de Sénèque éclaire cet en- seignement de l'histoire : « V^ous les appelez des esclaves; dites, des compagnons d'esclavage. » Servi sunl, inio conservi. Et ailleurs : « Tu te plains que la liberté soit morte dans la république, toi qui l'as tuée dans ta maison ! » Et enfin : « Tous sont esclaves, celui-ci de la débauche, celui-là de l'intérêt, cet autre de l'ambi- tion, tous de la peur. » C'est ainsi que la société du temps des Césars était mûre pour comprendre les le- çons des philosophes. De même, quand ceux-ci s'éle- vaient contre les tueries de l'arène, ils pouvaient dire : « Ne comprenez-vous donc pas que les mauvais exem- ples retombent sur ceux qui les donnent ? Rendez grâces aux dieux de ce que celui à qui vous enseignez ainsi la
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cruauté n'est pas capable de l'apprendre. » C'est Néron de qui Séncque parle ainsi ! il savait bien ce qu'il voulait dire, et on l'entendait. Les Césars avaient assez fait sentir à Rome tout entière le prix du sang humain ; les livres de la Colère, de la Douceur (rfe C lementia) étment inspirés par leurs fureurs sanguinaires. L'auteur du de Ira avait vu de près ces colères de Claude qui, toutes grotesques qu'elles étaient, ne donnaient pas envie de rire, car il tombait une tête à chacun de ses accès.
Bonté et humanité envers les esclaves, condamnation des combats de gladiateurs et du plaisir pris à verser le sang; aversion de la guerre même; appel pressant, non- seulement à la justice, mais à l'amour ; voilà ce qui se développait alors sous forme philosophique de la même manière et pour les mêmes raisons que cela se produi- sait en même temps sous forme chrétienne. Austérité et charité, cette double vertu n'est pas sortie d'une révéla- tion soudaine, mais des leçons de la vie et des épreuves de l'humanité. Les orgies immondes faisaient bien des âmes plus pures, les violences brutales les faisaient plus douces. Rien ne s'associe mieux, d'ailleurs, que la force et la tendresse ; l'école des Stoïques l'a fait voir comme l'Église primitive. Elle a eu le droit de dire d'elle-même qu aucune secte n'a plus aimé les hommes^ nulla amantior hominum.
La philosophie qui régnait au temps des Césars et la religio'vqui se répandit tout à coup au-dessous d'elle doivent à ces temps leurs communes faiblesses aussi bien que leurs communes grandeurs. Elles protestent contre le mal et l'iniquité, et c'est par où elles sont
LES STOIQUES ROMAINS. 2G1
grandes ; mais elles sont faibles en ce qu'elles se sen- tent impuissantes et qu'elles se jettent et se perdent dans le désespoir. L'une etl'autre, pour épurer l'homme, le détachent de tout; l'une et l'autre s'efforcent de dé- mentir la nature, condamnant non-seulement le plaisir et la richesse, mais jusqu'à l'action etjusqu'à la science; elles tendent à isoler celui qu'elles inspirent, et elles l'enlèvent '^quoique les meilleurs Stoïques s'en défen- dent) à la famille et à la cité ; elles lui font pousser l'abnégation et la résignation jusqu'à accepter le mal comme envoyé d'en haut, etjusqu'à trouver tout bon, pourvu que lui-même ne pèche pas. Elles lui conseil- lent d'être un saint , ne pouvant faire qu'il soit un homme. L'une dit : Ne te soucie que du dedans; l'autre : Ne te soucie que de la vie d'au delà ; et ainsi elles sacrifient toutes deux l'humanité et la vraie vie.
On sait que l'homme qui a tant illustré la philoso- phie d'alors par son éloquence, ne l'a pas assez honorée par sa conduite, et qu'il n'a été malheureusement ni un saint ni un sage. Aussi longtemps presque qu'il a vécu, Sénèque s'est laissé entraîner à toutes les faiblesses du caractère et à toutes les intempérances de l'esprit. Exilé par Messaline, il adressait de l'exil à Claude vivant les plus basses flatteries, qui ne lui rapportaient rien. Rap- pelé par Agrippine, et devenu l'homme d'Agrippine et de Néron, il lançait à Claude mort les sarcasmes d'une espèce de ménippée. Quand la mère et le fils se brouil- lèrent, il fut du côté du plus fort, et suivit Néron jus- qu'au meurtre de sa mère; ce fut lui qui écrivit le mes-
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sage officiel par lequel César annonçait au Sénat qu'A- grippinc avait conspiré la perte de l'empereur et de l'empire, et que ses complots ayant échoué, elle s'était tuée; que l'empire était sauvé, mais que l'empereur était affligé. Voilà à quel prix il fut puissant et posséda soixante millions. Mais c'est au moment où il est le plus bas qu'il se relève. Néron l'avait ménagé jusque-là comme une force de plus contre Agrippine ; Agrippine morte, il ne le supporta pas plus longtemps. C'est un philosophe, c'est un écrivain éloquent, et le plus bril- lant esprit de Rome ; c'est assez pour qu'il ne puisse descendre , quelque complaisant qu'il soit, jusqu'où descend Néron quand Néron s'est débarrassé de sa mère. Sa renommée même et l'admiration qui s'attache à ses écrits le préservent jusqu'à un certain point; il ne peut lutter de bassesse et d'extravagance avec les Tigellin ; il devient par sa supériorité seule le représentant des honnêtes gens; sa situation ne change pas en apparence, mais au fond tout est changé, et cet éclat recouvre une disgrâce secrète qui doit aboutir infailliblement à la confiscation et à la mort, car l'une ne va pas sans l'autre. C'est alors qu'il s'épure en se préparant à mourir ; sa philosophie devient plus sincère et plus profonde, et il entre de plus en plus en communion avec la conscience publique jusqu'au jour où il meurt de manière à la contenter; il semble ce jour-là que Néron a tué avec lui la sagesse et la vertu elles-mêmes.
Sénèque n'a donc pas laissé l'exemple d'une grande vie, et son talent même ne s'est que trop ressenti des défaillances de son caractère. Fils d'un déclamateur et
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«levé par son père dans les cris de Cêcole, il n'aurait pu échapper aux influences fâcheuses de la rhétorique que par une grande élévation morale et une constante dignité. Sa légèreté le livrait au contraire au mauvais goût. Les affectations de toute espèce et le bavardage stérile se mêlent trop souvent à son éloquence, surtout dans les écrits antérieurs à sa disgrâce. Mais je n'ai pas hesuin, pour mon o])jet, de trouver Sénèque égal à sa philusophie; c'est cette philosophie même que j'étudie; je cherche comme on pensait, comme on sentait au temps de Sénèque, et plutôt encore ce à quoi on aspi- rait que ce dont on était capable.
Cependant, lorsque j'ouvre le trésor de ses livres et de ses Lettres pour y chercher la philosophie du temps, je suis embarrassé et effrayé de trouver ce trésor si plein et si riche, et je ne sais quel choix faire parmi tant de beaux développements et d'expressions éclatantes de cette sagesse religieuse. Je ne puis transcrire tout Sénè- que, et cependant presque tout Sénèque est chrétien ; je veux dire que le christianisme est fait en grande partie des idées que Sénèque a si bien rendues. Terlullien a dit : « Sénèque, qui est souvent des nôtres. » Il fallait dire : Sénèque, à qui les nôtres ont tant emprunté. Je vais ramasser, en les distribuant sous certains chefs, les thèmes principaux ou les traits les plus saillants de cette prédication philosophique. Je commencerai par la doctrine de la vie intérieure, comme on dit dans la lan- gue de la dévotion.
Mépris des biens de la vie, des richesses, des hon- neurs, des plaisirs. « Il faut aimer la pauvreté. — Ce
2G4 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
n'est pas assez de ne pas la craindre, on doit y aspi- rer. — La richesse est une décoration, non une posses- sion , elle éblouit et elle passe. Tourne-toi vers les ri- chesses véritables. — Les heureux et les riches sont les plus troublés, les moins capables de se reconnaître, embarrassés dans leur bagage qui les noie. — Il n'y a rien de si malheureux que les heureux *. » — Dédai- gnons les voluptés, dédaignons le rire : « C'est chose sérieuse que la vraie joie. » Il semble que c'est d'un cloître qu'on entend sortir ce discours. La formule, Sou- tiens et VabstienSy n'est pas encore dans Sénèque, mais il n'y manque que la formule. Le Sage de Sénèque, tout comme celui d'Epictète, se passe de tout ce qu'on appelle des biens et supporte tout ce qu'on appelle des maux. Le Sage est prêt à perdre ses enfants, à se voir arracher les membres. Le Sage se laisse souffleter sans s'émou- voir ; ainsi l'avait enseigné Socrate, et ainsi Caton l'avait pratiqué. « Quand je serais sur le chevalet, quand on mettrait le feu sous chacun de mes membres et qu'il m'envelopperait tout vivant; quand ce corps, où ha- bite une bonne conscience, fondrait tout entier, j'ai- merais encore ce feu, dont la flamme ferait éclater ma fidélité. » C'est l'exaltation des martyrs.
Mépris de la vie même et goût de la mort : « La mort termine toutes les querelles, elle efface toutes les inéga- lités. — Qu'est-ce que l'homme? Un vase fêlé qui se brise au moindre choc. — Tout ce qui est de l'homme est court et périssable et ne compte pas dans l'infini de
1. Comparez l'évangile de Luc, vi, 24.
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la durée... Notre vie, comparée au temps, n'en occupe pas même un point... A quoi bon étendre une existence qui, si avant qu'on la prolonge, sera toujours si prés du néant...? Quand tu me nommerais les Sibylles et quelques hommes d'une vieillesse fameuse, et que lu compterais des vies de cent dix années, rcporle-toi à l'ensemble des temps, et tu ne trouveras nulle diffé- rence entre une si longue vie et la plus courte, si tu compares au temps que chacun a pu vivre celui qu'il n'a pas vécu *. » Et cette vie si courte, que vaut-elle? « La vie n'est qu'une peine que nous subissons, {vita supplicium est). » Bien plus, la vie est un péril et un obstacle. Elle expose l'àme à mille souillures ; celui qui meurt et que nous pleurons n'aurait vécu que pour pécher. « La route du ciel est plus facile aux âmes enle- vées de bonne heure à la société des hommes... L'àme ici-bas , étouffée par le corps , obscurcie , infectée, écartée de la vérité qui est son domaine et plongée dans l'erreur, ne fait que se débattre contre cette chair qui pèse sur elle ; elle fait effort vers les hauteurs dont elle est descendue et où l'attend un repos éternel. j> Aussi, loin que sa vigueur diminue avec celle du corps, elle s'accroît plutôt, comme le joyeux élan du conduc- teur du char qui fournit son dernier tour et louche à la palme. — L'àme, quand elle quitte sa dépouille, n'en tient pas plus de compte que nous ne faisons d'une barbe coupée. » La science de la mort est celle delà vie. « On vivra mal, si on ne sait pas bien mourir. —
1. Comparez la péroraison do VOraison funèbre de Le Tcllier.
^66 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Toute la vie, il faut apprendre à vivre, et ce qui t'é- tonnera davantage, toute la vie il faut apprendre à mourir, i> Et encore, à propos de la mort : « Pour ne jamais la craindre, penses-y toujours. — Le jour de la mort est celui qui juge tous les autres. — Ce jour, que tu redoutes comme le dernier, c'est celui de ta nais- sance à l'éternité, d
C'est en enfonçant, comme on l'a fait à cette époque, dans ces magnifiques paradoxes platoniques ou sioïques qu'on en a fait sortir ce que j'appellerai la doctrine du péché. Cette morale, qui fait fi des choses de la vie et de la vie même, étant en dehors de la nature, la nature à son tour restera toujours, quoi qu'elle fasse, en de- hors de cette morale. Tous, tant que nous sommes, nous sommes donc en faute ; nous sommes tous des pécheurs, des méchants, omnes mali sumus. Envelop- pés dans le péché par mille liens invétérés, nous ne pou- vons en sortir : « Il est difficile de nous laver; nous n'en sommes pas tachés seulement, mais imprégnés. » — « Non-seulement nous péchons , mais nous pécherons jusqu'au terme de notre vie. Celui qui a le mieux pu- rifié son àme et que rien ne peut plus troubler ni sur- prendre, celui-là même n'est arrivé à l'innocence qu'en passant par le péché. » — Le péché est un ulcère qui nous ronge. Nous sommes des malades; cherchons avant tout la guérison {salutem). C'est ainsi que le salut est entré dans le langage de la dévotion. Voilà un homme gui songe au salul {ad salutem spécial). — « C'est le commencement du salut que de reconnaître son péché. » Sénèque cite celte pensée comme d'Épi-
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cure. — Mnis qu'il est malaisé de guérir! C'est beau- coup si, en se confessant à son médecin^ on peut lui dire : Je ne suis ni malade ni bien portant. Le médecin est malade lui-même et couché dans la même infirme- rie. — La cure de l'àme est donc le grand objet de la vie, la grande œuvre de la pbilosophie ; quand elle est bien faite, « elle n'amende pas seulement, elle trans- forme. » C'est ce qui s'est appelé depuis une conver- sion. La doctrine des coups de la Grâce, de la Grâce inamissible, est déjà dans les Stoïques : « Le Sage ne peut ni retomber dans son mal , ni tomber dans un autre...; l'âme guérit tout à fait d'un seul coup. » Mal- heureusement, le Sage n'existe nulle part qu'en idée. Bien des conversions ne sont qu'illusion et mensonge. Rien de plus difflcile que la 'persévérance : « La grande affaire n'est pas de prendre une bonne résolution, mais d'y rester fidèle. — Sache-le bien, il n'y a pas de moyen assez sûr pour conserver ce bien fragile {rem imheciU lêni servanlibus), si un énergique et perpétuel effort ne soutient l'àme toujours chancelante. — Chacun de nous est un soldat en campagne, toujours sous les armes, ^t quin'aura jamais son congé *. »
En attendant la mort, le meilleur moyen pour échap- per ou péché est la retraite, par laquelle on se sépare du moins du commun des hommes. Un livre tout en- tier , de Otio aut secessu Sapietitis ^, n'a pas d'autre objet que d'établir le droit et le privilège de la vie con- templative en faveur du Sage. Si on objecte que le
1. Comparez 11 Corinth, x, 4. *
2. De l'inaction ou de la retraite du Sage.
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contemplatif est inutile, on répond que, comme celui qui se déprave nuit à l'humanité tout entière, celui qui travaille à s'améliorer lui-même la sert. D'ailleurs, les méditations dont il remplit sa solitude profitent plus aux hommes que la part qu'il pourrait prendre à leurs affaires; s'il ne travaille pas pour la petite sociétéqui l'entoure, il travaille au profit de la république univer- selle qui comprend les hommes et les dieux. — Il faut surtout fuir la foule, elle est essentiellement corrup- trice; il ne s'y trouve pas un homme qui ne nous communique quelque vice, par l'autorité ou simple- ment par la contagion de l'exemple. Au milieu des hommes, on apprend à aimer le vice, ou on apprend à haïr les hommes. Rentre en toi-même autant que lu peux. — « Là où est la foule, là est le mal. » — Mais ailleurs, avee un accent plus farouche : « Fuis les grandes compagnies, fuis les petites, fuis même celle d'un seul. » — Mais les affaires ? Mais les intérêts ? — On doit tout quitter pour le salut : « Si quelque chose l'empêche de bien vivre, rien ne t'empêche de bien mourir. » — Il ne faut pourtant pas mettre d'éclat ni d'affectation dans la retraite ; le philosophe donne ici les mêmes conseils que répétera Bourdaloue dans ce fameux sermon sur la Sévérité évangélique, que ma- dame de Sévigné appelait un sermon sur la relraile de Tréville. — Il y a des hommes, d'ailleurs, qui sont condamnés au monde et qui doivent subir avec résigna- tion leur fortune. Enfin, la solitude elle-même a ses dangers; elle ne vaut rien pour l'âme qui n a pas deja quelque force ; celui qui se sent mauvais fera bien de
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se rejeter dans la foule pour échapper à lui-mèinc, cl ne pas vivre trop près d'un méchant. — N'cntend-on pas Hiéronyme ou Jérôme au désert quand il ajoute : « Bien des misères nous enveloppent au dehors..., et il y en a bien d'autres au dedans qui font rage en pleine solitude. » Il faut donc entremêler la solitude et la foule, et passer de celle-ci à celle-là. Mais qu'heureux est celui qui peut oublier le monde ! « Oh ! quand vien- dra le temps où nous saurons que le temps ne nous re- garde plus ! »
La vie spirituelle, dont ce sont là les règles, ne sau- rait être heureusement menée sans certains secours : ces secours sont la prédication et la direction. Sénèque, dans sa jeunesse, avait trouvé la prédication philosophique florissante, et il avait été des plus touchés. Il avait en- tendu Aitale, Sotion, Fabianus : Sotion l'avait entraîné à pratiquer l'abstinence pythagorique ; il resta fidèle plus d'un an à ce régime; il s'en lassait peut-être quand il fut pressé d'y renoncer par son père, qui n aimait pas la philosophie, et qui, d'ailleurs, craignait que ces pratiques ne rendissent son fils suspect d'atta- chement aux superstitions étrangères^ ce qui était alors une mauvaise note ; c'était précisément le moment où Tibère sévissait contre le judaïsme. Ailale parlait si haut et si fort contre le vice, qu'il semblait faire leur procès aux maîtres eux-mêmes, et nous savons qu'il fut banni de Rome par Séjan ; ainsi, plus tard, des évêques seront proscrits à leur tour pour avoir cen- suré les favoris ou les femmes des empereurs byzan- tins. Il faisait sur la pauvreté des sermons dont Sénèque
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se souvenait encore après quarante ans, des sermons qui donnaicnl l'envie d'élre pauvre. Quelques-unes des Lettres à Lucilius sont une espèce de traité de l'éloquence de la chaire; les philosophes parlent déjà là-dessus comme parleront plus tard les grands orateurs chré- tiens. Cette éloquence ne doit pas chercher l'applaudis- sement, car quoi de plus misérahie ! « Est-ce que le malade applaudit le médecin qui l'opère? Taisez-vous, recueillez-vous, livrez- vous à la cure ; s'il vous échappe un cri, je ne veux y reconnaître que le gémissement qu'on vous arrache en sondant vos plaies. j> C'est que les philosophes commençaient à cette époque à ne plus parler seulement pour les disciples qui suivaient et qui payaient leurs leçons; à certains jours, on ouvrait les portes de l'école, et on prêchait pour la foule, comme on fera dans l'église. « La philosophie peut se laisser voir dans son sanctuaire, pourvu que ce soit un prêtre qui le desserve et non un marchand. » — La prédica- tion chrétienne, héritière de la prédication philosophi- que, hérita aussi des acclamations et des battements de mains ; on applaudissait à grand bruit Jean d'Antioche (Chrysostom.e) dans l'église de Constantinople, comme nous le voyons par ses sermons. — « Il est incroyable, dit encore Sénèque, à quel point profite une parole qui ne s'applique qu'à guérir et n'a d'autre objet que le bien de ceux qui l'entendent. »
La prédication ne suffit pas à la conduite de tous les jours; on éprouvait de plus en plus le besoin de se sou- tenir à chaque instant par les conseils d'un sage, d'un maitre dans la vie spirituelle, disons en un mot, d'un
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directeur. On a vu que cela ne date pas du temps de Sénèque, mais cela n'a fait que se déveloi)per', et c'est dans Sénèque que se trouve le passage célèbre où il est dit d'un homme que Caligula fait tuer et que l'on conduit à la mort : « Son philosophe marchait avec lui ; prosequebalur eum pliilosophus suus. » — « Vous voulez aller à la foi, dit Pascal, et vous n'en savez pas le chemin... ; apprenez de ceux..., etc.; ce sont gpns qui savent ce chemin que vous voudriez suivre , et guéris d'un mal dont vous voulez guérir. » Pascal ne fait guère, sans le savoir, que traduire Sénèque'. Dans toutes les situations, en face de toutes les épreuves, qu'un directeur soit à nos côtés, stet ad latus monitor. Il nous gardera des dangers que le monde présente ; il nous défendra, par exemple, des séductions de la for- tune ou de la grandeur. C'est le métier que fait Sénè- que à l'égard de Lucilius, et ses Lettres à cet ami ne sont que des lettres de direction ; il conduit, d'ailleurs, d'autres amis encore, et Lucilius lui-même en a qu'il dirige à son tour. Plusieurs de ces Lettres montrent combien était avancée cette science de la conduite des âmes. Voici un pécheur qu'il faut ramener peu à peu, un autre qu'il faut brusquer; celui-là rougit encore, et c'est assez pour bien augurer de lui ; l'autre est en danger de désespérer de lui-même. En voici un dont il semble qu'il n'y a plus rien à attendre, tant il est enfoncé dans le mal ; <r en lui tendant la main, on risque d'être en-
1. Decernatur itaqne et qno tendamns et qaa, non sine perilo ali- quo cui explorala sint ea in quae procedimus.
272 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES
traîné. j> C'est un esprit fort, c'est un railleur; il ne tarit pas sur les scandales que donnent les philosophes, et avec cela il repond à tout (comme en d'autres temps on a fait des histoires sur les prêtres) ; il ferait rire des gens qui pleurent un mort : « Soit, je supporterai ses sarcasmes; qu'il me fasse rire, peut-être quà mon tour je le ferai pleurer. S'il s'obstine à rire, je me ré- jouirai, dans son malheur, qu'il ait du moins une folie gaie. Mais cette gaieté ne tient guère. Observe les hommes de cette espèce, tu les verras passer en quel- ques moments d'un accès de rire à un accès de rage. » — Un autre est trop léger pour qu'on le fixe. « Je te disais que tu ne le tenais pas par le pied, mais par l'aile ; je me trompais, tu ne tenais qu'une plume; il te l'a laissée dans la main et s'est envolé. » — Cet autre enfin se croit converti parce qu'il est dégoûté : « Voilà les hommes, la vie qu'ils mènent leur plaît et leur dé- plaît à la fois. Nous prononcerons sur celui-ci quand il nous aura convaincu qu'il est vraiment brouillé avec le vice ; pour le moment, il ne fait que le bouder. »
Il y avait longtemps que les philosophes étaient des consolateurs. Sénèque a fait trois écrits sur ce thème ; ce sont les plus anciennes Consolations qui nous restent, celle de Cicéron étant perdue comme celles des Grecs. La Consolation à Marcia (une mère qui avait perdu un lils dans la fleur de la jeunesse) est un modèle du genre. Le fond en est pris dans les idées que i'ai rap- pelées, sur le néant de la vie et sur les bienfaits de la mort. Le coup fatal n'a pas tué celui que l'on pleure, il l'a sauvé ; son âme a rejoint les nobles âmes d'un père
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et d'un aïeul dont il était digne, et jouit maintenant avec elles des joies du ciel.
La vie spirituelle avait ses pratiques, par lesquelles on marquait, même au dehors, qu'on avait renoncé aux vices et aux affections du monde. Les zélés, je dirais volontiers les dévots, « laissaient pousser leurs cheveux et négligeaient leur barbe; ils étaient mal tenus; ils abjuraient l'argenterie ; ils couchaient par terre ; ils s'attachaient à tourmenter le corps, repoussant la pro- preté la plus simple, recherchant la saleté et mangeant des mets, non pas seulement communs, mais dégoû- tants. » Ainsi vivaient du moins ces Cyniques que Sénèque désavoue quelquefois, mais que souvent aussi il admire, et entre tou"- Démétrius : « Quand je le vois nu, dit-il, couché, ou peu s'en faut, sur la paille, il me semble que la vérité a en lui, non plus un interprète, mais un témoin. » Le mot de témoin prend presque ici le sens que le christianisme lui donnera sous la forme grecque de martyr . C'est lui qui disait : « Jene vois pas de plus grande misère que de n'avoir eu aucun mal- heur. » Il se distinguait des autres Cyniques en ce qu'il ne mendiait pas : il attendait les aumônes. « La Providence avait mis dans Rome cet homme et cette éloquence pour donner au siècle tout à la fois un cen- seur et un modèle. » Sénèque conseille au Sage, sans rompre ainsi avec la vie commune, de s'imposer ce- pendant de temps à autre, pour un jour, et même plu- sieurs, ces austérités et ces abstinences; ce ne sont pas dans sa pensée des pénitences, mais des exercices salutaires. Une autre pratique, plus raisonnable et plus
II. io
274 LE (Iir.lSTIANISME ET SES ORIGINES.
simple, est celle de l'examen de conscience; c'étaient lesPylhagoriques qui l'avaient mise en honneur : « Ainsi faisait Sextius, ditSénèque : la journée terminée, retiré dans sa chambre pour le repos de la nuu, il interrogeait son àme. Dequelle maladie t'es-tuguérie aujourd'hui?Quel viceas-tu combattu ? En quoi es-tu devenue meilleure? . . . Moi aussi, j'exerce cette magistrature et me cite chaque jour à mon tribunal. Quand on a enlevé la lumière, et que ma femme, qui sait mon usage, s'est renfermée dans le silence, je repasse ma journée entière et reviens sur toutes mes actions et toutes mes paroles. » On recom- mandait aussi la médiialion habituelle, et on conseillait de choisir pour chaque jour une pensée, à laquelle on s'arrêtait ce jour-là.
Une morale si religieuse ne pouvait se passer de théo- logie ; et je dirai même que la morale stoïque, à elle toute seule, est déjà une théologie, en ce sens qu'elle repose sur des croyances qu'on peut appeler surnatu- relles, puisqu'elles contredisent la nature. C'est être dans le surnaturel que de croire que la douleur n'est pas un mal, ou que rien au monde n'a d'intérêt pour l'homme que la vertu. Il n'est donc pas étonnant que le mot de duymes, qui ne signifie proprement qu'opi- nions ou pruicipes, ait pris peu à peu dans l'école stoï- que le sens théologique que nous lui donnons et qui marque que ces principes sont objets de foi. Quelques moralistes rout pratiques voulaient qu'on lai^sàt dormir les dogmes, qui étonnaient ou rebutaient les simples, et qu'on s'en tint à donner de sages leçons sur tous les devoirs de la vie ; mais les fervents se récriaient, disant
LES STOIQUES ROMAINS. 275
que la morale ne pouvait subsister sans le? dogmes et sans l'ardeur de la foi; et ils avaient raison, dès que leur morale faisait violence à la nature. Pour résister à la nature, ce n'est pas trop de toute la vertu des for- mules et des mots sacrés et d'une sorte de fanatisme.
Mais ces dogmes abstraits sur le bien et sur la veitu ne suffisaient plus aux âmes; les Stoïques eux-mêmes avaient besoin des dieux. Il leur fallait une religion; ils la faisaient seulement aussi haute et aussi épu- rée qu'il était possible. « Pour obtenir les grâces de la divinité, il n'est pas besoin que tu gagnes le gardien du temple afin d'approcher de l'oreille de sa statue, comme si, de la sorte, elle pouvait mieux t'entendre; elle est près de toi, elle est avec toi, elle est en toi...; nul n'est vertueux sans cette assistance divine. En tout homme de bien, il y a ce que dit Virgile :
Quis deusiucertum est, habitat deus. »
Écartons du culte des dieux toute pratique supersti- tieuse. « La religion, c'est d'abord de croire aux dieux, puis de leur rendre ce qui leur appartient, la grandeur et ensuite la bonté, sans laquelle il n'y a pas de gran- deur... Veux-tu te rendre les dieux propices? sois bon ; c'est les honorer assez que de les imiter. » Et ailleurs encore ; « Ne voulez-vous pas vous représenter Dieu tel qu'il est? grand, bienveillant, avec une majesté douce et vénérable, comme un ami qui n'est jamais bien loin^ qu'il faut honorer, non à force de sang versé et de victimes égorgées, car quel plaisir peut-il trouver à ces massacres de vies innocentes? mais par un cœur
27G LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
puk a une bonne resolution. Il ne s'agit pas de lui bùlir des temples en entassant pierres sur pierres ; c'est à chacun à le consacrer dans son cœur. » — La critique négative d'Épicure est repoussée avec dédain ; on lui oppose, comme Platon faisait déjà aux incrédules de son temps, « ces prières qui s'élèvent de toutes parts et toutes ces mains tendues vers le ciel. » Dieu est créa- teur, cette opinion plus religieuse est déjà celle de quel- ques-uns en attendant qu'elle soit la foi de tous *. — Dieu est présent partout : « il faut vivre comme si nous vi- vions devant un témoin ; il ne faut avoir de pensées que celles que nous aurions si on pouvait pénétrer au fond de notre cœur, et il y a' quelqu'un qui le peut. Qu'im- porte que quelque chose échappe aux hommes? rien n'est fermé pour Dieu. Il est présent dans nos consciences, il intervient dans nos pensées; que dis-je, il intervient? comme s'il était jamais absent - ! » — Dieu est une Providence; et il y a un livre de Sénèque sur la ques- tion de savoir comment cette Providence permet le malheur de l'homme de bien. Dieu exerce précisément ainsi ceux dont il est content, ceux qu'il aime; c'est un père qui éprouve son fils, et qui le fortifie et l'appro- che de lui *. Ceux qui souffrent sont ses élus : « les Vestales, ces nobles vierges, s'éveillent la nuit pour l'office sacré, tandis que des femmes impures dorment d'un profond sommeil. » — C'est pourquoi, que la vo- lonté de Dieu soit faite : placeat homini quidquid Deo
i. Maieriam ipse sibi formel.
2. Conii)uiTZ l'Evangile de iMallhiiu, vi, i,
3. Comparez l'rvverbcs, m, 12.
LES STOIQUES ROMAINS. 277
placuil '. — « Dieu est un maître suprême; la li- berté, c'est de lui obéir. » — En même temps, Dieu ne veut pas d'une crainte servile ; il ne nous demande que de l'honorer cl de l'aimer.
Cependant Sénèque n'est pas un esprit théologique, et on trouvera plutôt chez lui de la religiosité qu'une religion. Il semble croire à l'immortalité de l'àme dans cette Consolation à Marcia, qui paraît être son premier ouvrage; mais en définitive, il n'y croit pas. Quand il développe, dans ses Recherches sur la Nature^ la science des présages et celle des foudres, il semble moins persuadé de ce qu'il enseigne que jaloux de montrer qu'il peut tout enseigner, ayant tout appris. Il croit sans doute à la divinité, mais c'est d'une foi très-vague et dont l'objet e^t bien confus et bien flottant dans sa pensée. La seule religion dont il soit vraiment pénétré est celle de la philosophie, et celle-là, il n'est pas embarrassé de la prêcher, car elle est alors uni- versellement acceptée. Non-seulement ceux qui souf- frent et que la philosophie console la consacrent par leur respect, mais ce respect et cette foi s'imposent jus- qu'à un certain point aux esprits mêmes les moins faits pour la sentir. Le philosophe a un caractère sacré : c'est un prêtre 2. [j est le véritable prophète et le véri- table inspiré. — Les ancien? sages doivent être hono-
1. Déjà Socrate, dans Platon : « S'il plaît ainsi aux dieux, qu'il soit ainsi. » On vient de lui dire que c'est ce jour mùme qu'il doit mourir,
2. Ha; lilterae, non dicam apud honos, sed apud mediocriter malos, infularum loco sunt. a Cette éloquence est un sacerdoce, je ne dis pas aux yeux des bons, mais même aux yeux de ceux qui ne sont pas lou' à fait mauvais. »
278 LE CIlUlSTIANISMi: ET SES OIUGLNES.
r es comme des dieux] on fait bien d'avoir leur images de célébrer leur anniversaire, de ne prononcer leur nom qu'avec vénération ; ce sont les précepteurs du gonre humain. On s'édifiait aloi s en lisant les Vies des philosophes comme on a fait depuis en lisant les Vies des Saints.
Mais à mesure que la philosophie se fait religion, elle devient en même temps, je l'ai dit, moins curieuse et moins savante. C'est un très-vif esprit que celui de Sénèque, et naturellement avide de lumières. Il a fait un livre de Recherches sur la Nature qui est un des plus considérables parmi ses écrits ; et, à la fin de ce li- vre, il a écrit les plus belles choses sur la grandeur de la science et sur le champ indéfini qu'elle ouvre au tra- vail de l'esprit humain. Il ne s'est pas effrayé de l'idée que c'est peut-être la terre qui tourne au milieu du ciel, et non le ciel qui tourne autour de la terre. Il a eu le mérite de rejeter l'opinion vulgaire sur les co- mètes, qu'on prenait pour des météores qui s'en- flamment et meurent dans l'atmosphère, et de com- prendre qu'elles sont des astres véritables, et qu'un jour on parviendrait à déterminer la loi encore incon- nue de leur course. Il a pressenti, et par cela même il a préparé, dans des vers célèbres, la découverte d'un nouveau continent par les navigateurs à venir. Eh bien ! le même Sénèque a accueilli dans son livre des erreurs et des préjugés qui sont autant de témoignages d'igno- rance. C'est que la science se composait alors, non pas d'observations constatées, mais de tous les on dit qu'on avait pu recueillir et qu'on se croyait tenu de trans-
LES STOIQUES ROMAINS. 279
mettre. C'est ainsi qu'à la nn'-me épo.'jue le géographe Pompoiiius Mêla répétait dans son livre que certains hommes d'Afrique, les Blemmyes, n'avaient pas de tête et qu'ils avaient le visage au milieu de la poitrine ; ou que chez les Neures, en Scythie, chacun avait son mo- ment où il pouvait se changer en loup pour reprendre ensuite sa figure d'homme. Cette dernière tradition vient d'Hérodote ; mais Hérodote écrit seulement que c'est là ce que disent les gens du pays, et que, pour lui, il ne le croit pas ; tandis que le géographe romain, probable- ment après bien d'autres, redit la chose comme un fait. Enfin le grand livre de Pline, ses Études de la Naliirej écrites peu de temps après l'époque où je m'arrête, se composeront en grande partie de contes de ce genre, pris dans tout ce qu'il aura lu. Mais ce qui est plus grave encore que l'ignorance, ou plutô' ce qui est le symptôme d'ignorance le plus fâcheux, c'est le mépris de la science, qui se répandait de plus en plus. L'incré- dulité vulgaire s'accordait avec la superstition vulgaire dans cette faiblesse. En terminant son livre, Sénèquese plaint qu'on ne se soucie plus d'apprendre ni de savoir, que les écoles meurent sans héritiers , qu'on ne voit plus d'Académiques ni de sectateurs de Pyrrhon, que les Pythagoriques mêmes n'avaient paru revivre un moment sous les Sextius que pour s'éteindre avec eux : « aussi, loin de faire des découvertes sur ce qui avait échapjjé aux anciens, on laisse se perdre bien des vérités qu'ils avaient trouvées. » Mais Sénèque à son tour, oubliant ces nol)les plaintes, a écrit ailleurs, en l'adressant au mcinc Lucilius, une Lettre (pii est un
280 LE CIiniSTIANlSMI': ET SES ORIGINES.
discours, contre les études libérales. 11 respecte ju?(ju'â un certain point les hautes spéculations mathématiques, comme une dépendance de la philosophie, et encore n'y voit-il que des préparations accessoires à la seule, science qui acliève l'homme^ la science morale '. Mais il fait très-bon marché de la philologie, de l'histoire, de la géométrie môme et de l'astronomie prises dans le détail. Il y a surtout une science (ju'il ne comprend même pas, c'est la critique; il relègue parmi les curio- sités frivoles, bonnes seulement à nourrir le bavardage des Grecs, des questions dont il n'aperçoit pas l'impor- tance. « Savoir, dit-il, quel est le plus ancien d" Homère ou d'Hésiode n'est pas plus intéressant que de savoir si Hécube ne se trouvait pas être plus jeune qu'Hélène et pourquoi elle portait si mal son âge. » Il ne se soucie pas plus de savoir ce qu'il faut croire d'Orphée. Il dit de même ailleurs : « C'est une maladie des Grecs de chercher combien il y avait de rameurs au vaisseau d'Ulysse ; si l'Iliade est antérieure ou non à l'Odyssée^ et si toutes deux sont du même auteur. » Tout ce quon peut supposer pour l'excuser est que ceux-mêmes (jui soulevaient ces questions dans ce temps-là ne les trai- taient peut-être pas d'une manière sérieuse, et ne pré- sentaient que des arguments puérils ; ce serait dire qu'il n'y avait de critique nulle part. Voilà des pas- sages qu'il faut avoir toujours présents, si on veut comprendre comment le monde gréco-romain s'en est rapporté à la tradition avec tant de simplicité au sujet
1. Una re consammatur animas, scientia bonoratn et malorum.
LES STOIQUES ROMAINS. 281
des textes juifs. Examiner si les livres qui por- tent le nom de Moïse n'ont pas été écrits plus de mille ans après l'époque où l'on fait vivre Moïse; si telle prétendue prophétie d'Isaïe n'est pas du temps de Cyrus, et telle autre, de Daniel, du temps d'Antioclios Épiphane; rechercher de même si les plus anciens Évangiles n'ont pas été composés un demi-siècle après la date oîi on place la mort de Jésus, et postérieurement à la ruine de Jérusalem, ce sont des questions qui nous semblent aujourd'hui fondamentales, tnais dont on voit bien que pas un des disciples de la prédication juive ou chrétienne n'a dû s'aviser. Le petit nombre des Grecs curieux qui auraient pu les traiter n'avaient aucune raison de s'en occuper, puisqu'ils ne regardaient même pas du côté des Juifs et des chrétiens ; et la foule, sur qui ceux-ci agissaient, était incapable de soupçonner des difficultés prises dans un ordre d'idées auquel un Sénèque lui-même restait si parfaitement étranger.
Ainsi on méprise la science, on méprise les beaux- arts, on méprise même l'industrie, et cette puissance par laquelle l'esprit humain conquiert la nature, et qui fait aujourd'hui son plus grand orgueil. On reproche à l'homme de se hasarder sur la mer et d'ouvrir des che- mins que la nature avait sagement fermés. On le blâme de descendre dans les mines pour en tirer les métaux. Tout ce qu'il fait étant matière de péché, le moins qu'il fera sera le mieux, et la vraie sagesse est de vivre et d'agir le moins possible.
Mais j'arrive à la meilleure partie de la morale de ce temps, celle qui regarde les rapports de l'homme
282 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
avec ses semblables ; je compterai comme appartenant à cette morale ce qui touche à la pureté des mœurs ; car le plus grand crime de l'impureté est d'attenter à autrui, et le respect de la personne humaine est ce qui préserve le mieux les peuples des grandes corrup- tions. Les Stoïques prêchent également les deux sortes de pudeur : et illa cui alieni corporis ahslineniia et hœc cui sui cura. Ils vont jusqu'à féliciter une mère de ce que son fils est mort jeune, avant de s'être souillé. Ils trouvent, pour condamner les ardeurs des sens, les paroles les plus énergiques : « Celui qui ne se seia pas laissé infecter par ce poison secret que nous portons dans nos entrailles, aucune autre convoitise ne mordra sur lui. » Sénèque avait écrit sur le Mariage un livre que nous n'avons plus; il y réclamait pour l'amour conjugal une telle pureté, qu'il prononçait : « Rien de plus honteux que d'aimer sa femme comme une maî- tresse. » — Que sera-ce donc d'aimer une maîtresse au mépris de l'épouse? Et en effet il écrit ailleurs : « Il est d'un malhonnête homme d'exiger de ta fenmie qu'elle soit chaste, tandis que tu vas corrompre les femmes des autres. Il ne t'est pas plus permis d'avoir une maîtresse qu'à elle d'avoir un amant. » Il est vrai qu'il ajoute : « Tu sais ton devoir, et tu ne le fais pas. » C'est l'histoire de bien des temps et de bien des hommes. Mais on voit assez qu'il ne faut pas juger les mœurs, et encore moins les doctrines morales de cette époque, par l'éclat de certaines débauches de la cour de Claude ou de Néron. De même, et plus généralement, les attentats de toute
LES STOI»:H't:S UOMAI.NS. 28a
espèce (le l'honime fonire4'li()mnie, les cruautés envers les faibles, ne faisaient que provoquer les réclamations les plus vives des amis de la justice et de l'humanité. La philosophie prend surtout Tesclave sous son patro- nage : « Cesontdes esclaves? non, ce soni deshommes...; des esclaves? non, mais des amis d'une humble condi- tion. » Toute la Lettre où se trouvent ces paroles est une protestation, non-seulement contre les duretés, mais surtout contre l'insolence et l'outrage. — « Ne veux-tu pas te dire que celui que tu appelles un esclave est formé des mêmes éléments, qu'il voit le même ciel, qu'il respire le même air, qu'il vit comme toi, qu'il meurt comme toi? » — « Quoi ! les maîtres ne se contenteront pas de ce dont Dieu se contente, d'être respecté et d'être aimé !» — « Je ne puis trop te louer de ne vouloir pas être craint, de ne châtier qu'en paroles: les coups ne sont faits que pour l'animal sans raison. » — Et ail- leurs : « Tout est permis contre un esclave ! mais tout n'est pas permis contre un homme : la loi de la nature s'y oppose. » — « Qu'il est triste d'être servis par des gens qui pleurent et qui nous détestent !» — Ce n'est pas assez d'être justes, nous devons être bienfaisants pour tous, libres ou esclaves : « Partout où il y a un homme, il y a place pour le bienfait. » L'ancienne philosophie allait déjà jusque-là; mais elle hésitait à croire que l'esclave lui-même pût être un bienfaiteur, qu'on put être l'obligé d'un esclave; la philosophie nouvelle le soutient bien haut : <r La vertu n'est inter- dite à personne, elle est accessible à tous ; fous sont accueillis, tous sont appelés, libres, affranchis, esclaves,
28* LE GIIRISTI.V.MSMK KT SES ORIGIN ES.
puissants et proscrits ;elle ne regarde ni à la naissance, ni à la fortune; c'est assez pour elle de l'homme toul seul. » — « C'est une erreur de croire que l'esclava^iç prenne l'homme tout entier ; la meilleure partie de son être échappe. Tout ce qui tient à l'àme est libre ; nous n'avons pas toujours le droit d'ordonner, et ils n'ont pas toujours l'obligation d'obéir. » — « Notre père à tous est le même, c'est-à-dire le Ciel. »
Les tueries de l'arène soulevaient l'indignation des philosophes. « L'homme, chose sacrée pour l'homme, on le tue par manière de jeu et d'amusement. « — « La mort! le feu! les fouets ! Pourquoi est-ce que celui-ci va si mollement à la rencontre du fer? qu'il tue sans élan ? qu'il meurt de mauvaise grâce ? Le fouet les renvoie aux blessures, et des deux côtés ils retournent offrii' aux coups leurs poitrines nues. » — On se rappelle que Cicéron approuve et loue les combats de gladia- teurs, pourvu que des criminels seulement y figurent. Sénèque s'inspire d'une justice plus humaine «t plus haute: « Cet homme a fait le métier de brigand : eh bien ! il a mérité d'être pendu. II a tué : celui qui tue mérite de souffrir ce qu'il a fait. Mais toi, malheureux, fjîi as-tu fait, pour être condamné à ce spectacle ? » Il me semble que ce cri est digne de la morale et de l'humanité de notre temps. La philosophie condamnait toutes les cruautés et prenait la défense de toutes les victimes; elle réclamait pour les enfants battus par leurs pères ou leurs précepteurs. Elle protégeait tous les faibles contre la colère des forts, et les misérables contre l'insolence des heureux : « Le malheureux est
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chose sacrée {res est sacra miser ^). » — Un homme doit être sacré pour un homme, car ils sont des mem- bres d'un même corps : « Est-ce que la main peut vouloir du mal au pied, ou l'œil à la main ?» — Ceitc colère, qui fait tant de malheureux, fait aussi le mal- heur de celui qui s'y livre; tout irrite l'homme qui se laisse aller à s'irriter; il passe d'emportement en em- portement, c'est une fureur non interrompue. Eh ! malheureux, quel temps te restera-t-il pour aimer? » — Mais la colère en grand, c'est la guerre; la philo- sophie l'a en horreur et la poursuit de ses anathèmei. Elle se vante elle-même de tenir pour la paix, d'in- viter le genre humain à la concorde, a Si l'huma- nité écoute la voix du sage, elle comprendra qu'elle n'a que faire de soldats. » — « Ce ne sont plus les particuliers, ce sont les peuples qui sont en démence... ; c'est en vertu des sénatus-consultes et des plébiscites qu'on commet toutes les horreurs; et on ordonne à tous ce qu'on défend à chacun... Une fureur si domi- nante et si universellement répandue donne beaucoup à faire à la sagesse et l'oblige à ramasser toutes ses forces... Au milieu d'une telle perversité, et pour gué- rir des maux invétérés, il faut des remèdes énergi- ques ; il n'y a que l'autorité des dogmes qui puisse extirper des erreurs si profondément enracinées. » A l'autorité des dogmes s'ajoutait l'exemple des saints. L'épée dont Caton se frappe pour mourir, il l'avait ardée jusqu'à ce jour pure de sang humain. La phi-
1. Je ne sais comuieiit traduire ailleurs: ipsas iniserias infuhinim lûco habel.
280 LE CHRISTIANISME ET SES ORIG!>ES.
losophio maudissait Alexandre, pris dans les écolos pour le génie même de la conquête et de la force des- tructive, et elle lui opposait Hercule, l'idéal stoïquo, le dieu de la force qui fait le bien.
Au commencement d'une Lettre écrite dans la villa du premier Africain, Sénèque, en adorant les mœurs et le tombeau de ce grand Jiommc, dit qu'il le croit dans le Ciel, non imiir avoir commandé de grandes armées, mais pour son respect et sa piété envers sa patrie. M. Martha a justement relevé ce passage, en faisant remarquer que Sénèque parle ici comme Bos- suet aurait pu parler dans une Oraison funèbre.
Enfin la philosophie prêchait l'aumône avec chaleur, un palliatif qu'elle prenait pour un remède; mais ce n'est pas alors qu'on pouvait aller plus loin. L'obligation de l'aumône était une doctrine rebattue : « Est-ce la peine de dire qu'il faut tendre la main à qui se noie, montrer le chemin à qui l'a perdu, partager son pain avec celui qui a faim ? y> — Au jour de la mort, on n'a j)lus à soi que ce qu'on a donné. « Voilà la richessoassu- rée, celle qui ne s'enfuira pas, quelle que soit l'instabilité de la condition humaine... Pourquoi épargner cet ar- gent, comme s'il était à toi? tu n'en es que l'économe*. » Mais voici en quelques lignes toute la doctrine de la charité. Le Sage des Stoïques ne pleure pas, il esi vrai; on sait qu'il se doit d'être impassible; mais il fera d'ail- leurs tout ce que peuvent faire les plus touchés : « Il essuiera les larmes d'aulrui...; il recueillera le nau-
1. Comparez l'Eviingile do Luc, xvi, 9.
LES STOIQUES ROMAINS. 287
fragé ; il abritera l'exilé; il donnera l'aumône au misé- rable ; non pas cette aumône insultante, avec laquelle la plupart de ceux qui se prétendent charitables humi- lient et dégradent ceux qu'ils secourent, redoutant jusqu'à leur contact ; il donnera comme un homme doit donner à un homme: il lui fera sa part du patri- moine commun. Il accordera un fils aux pleurs de sa mère en brisant ses fers ou en le rachetant de l'arène; il ensevelira le corps même du criminel. » Nulle mo- rale ne peut aller plus loin, ni pour la délicatesse du sentiment, ni pour la hardiesse d'une conception de la propriété qu'on peut appeler communiste, aussi bien ici que chez les grands orateurs de l'antiquité chrétienne. Ce n'est certainement pas là ce Sage placé en de- hors de l'humanité, sorte d'abstraction impassible et froide, auquel on prétend réduire l'idéal stoïque, pour l'opposer à un autre idéal qu'on appelle chrétien.
Enfin on résumait toute la sagesse dans cette for- mule : « Elle enseigne à honorer les dieux, et à aimer les hommes : colère divina, humana diligere *. b
Il y a dans la tragédie de Thyesle un trait qui me frappe. Tandis que, selon la foi chrétienne, la charité n'est pas faile pour les démons ni pour les damnés, et qu'ils ne peuvent ni en être l'objet ni la ressentir eux- mêmes, le poète au contraire nous fait voir Tantale, le grand sacrilège, résistant à l'ordre des divinités in- fernales qui l'amènent sur la terre pour jeter une fureur impie dans l'àme de ses petits-fils. Il est humain,
1. Comparez l'ËvaDgile de Marc, xii, 31.
288 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
il est père jusque dans le Tarlare; il s'écrie noble- ment : <r J'ai mérité d'être supplicié, mais non d'être un instrument de supplice : vie pâli pœtias decel, non esse pœnam. » Il veut parler, mais ce sera pour leur épargner le crime, slabo et arcebo scelus. Belles paroles, qui condamnent à l'avance les doctrines odieuses dont s'inspirent encore les tristes déclamations de Bossuet sur les Démons-. Pour le philosophe, même quand il était poëte en passant, la loi de la justice et de l'huma- nité était absolument universelle.
En étudiant l'éqoque de Cicéron, j'ai averti que les femmes alors ne philosophaient pas; Sénèque est un de ceux qui en témoignent; mais il témoigne aussi qu'il n'en était plus ainsi de son temps , et que la philosophie les appelait tout comme les hommes. Et comment ne l'aurait-elle pas fait, quand elle deve- nait une religion? Le père des Sénèques, fidèle aux vieilles mœurs romaines, n'avait pas voulu (jue leur mère philosophât ; son fils le désavoue là-dessus avec respect dans un écrit adressé à cette mère elle-même ; un autre de ses livres est adressé à une autre femme. Vers le même temps un philosophe un peu plus jeune, Musonius, traitait cette question ex professo-, on nous a conservé le discours où il montrait que les femmes ont droit à la vérité, puisqu'elles ont droit à la vertu. Lactance dit des Stoïques, d'une manière générale, qu'ils pensaient que la philosophie était
1. Voir le Sermon sur ce sujet, com]iris dans rt'xccllent Choix de Sermons de la jeunesse de JJussuel, [iuhiiù pur Eugène GanJar.
LES STOIQUES ROMAINS. 2S9
faite aussi pour les femmes et pour les esclaves '. La politique des Stoïques, comme celle des Chré- tiens, était condamnée par le malheur des temps à des doctrines contradictoires. Elle est à la fois soumise et révoltée. D'une part, elle ne peut même concevoir la pensée de secouer une servitude qui semble devenue pour le monde la condition de son existence, et elle s'y résigne, comme à tout mal qui ne dépend pas de la volonté. La résignation même se tourne en indiffé- rence, en vertu des dogmes de la secte : pourvu que le sage demeure libre au dedans, qu'importe qu'il soit esclave au dehors? Enfin, qui sait, hélas î si la philo- sophie ne lui fournira pas des raisons pour être non- seulement indifférent, mais satisfait? Confondant la servitude avec l'ordre et la paix, il en viendra à re- mercier le maître qui lui permet de philosopher à l'aise et sans trouble, et qui ne lui laisse d'autres intérêts ni d'autres devoirs que ceux de la vie spirituelle. Grâce à César, Rome et l'empire étaient tranquilles, et le phi- losophe était sûr de n'être pas appelé à monter la garde en face de l'ennemi sur les remparts de sa cité. Et quant à la guerre lointaine, chez les Barbares, elle ne regardait que les soldats ; mais les philosophes de pro- fession n'étaient pas soldats ; ils constituaient déjà alors un véritable clergé, dont les membres étaient dis- pensés des services publics. On le sait pertinemment pour le temps de Trajan -, et on ne peut guère douter
1. Anlisthène avait dit déjà que la vertu est la même pour l'homme et pour la femme.
2. Quum citarem judices... Flavius Arckippus vacationein pétera
II. 19
290 LE CnniSTIANISME ET SES ORIGINES
que cela ne remontât plus haut. Ce clergé payait sa dette par sa propre soumission et par celle qu'il con- seillait aux peuples ; ils avaient appris de Platon à faire du gouvernement d'un homme leur idéal politique, pourvu que cet homme gouvernât suivant la sagesse (l'Église dira : la religion)^ Le prince est le représentant des dieux sur la terre. En même temps, il est assujetti par sa grandeur même, et cette grandeur est réelle- ment une servitude : c'est déjà presque la formule qu'adopteront les papes, servus servorum Dei. Il n'en est pas moins le maître suprême ; tous les biens lui ap- partiennent , quoique chacun ait son possesseur : jure civili omnia régis sunt. Toute la doctrine politique que Bossuet a cru tirer de l'Écriture, il l'a prise réellement dans des spéculations grecques mêlées de droit romain et césarien.
Mais la philosophie avait beau faire ; quelques avan, ces qu'elle fit aux puissants, elle était suspecte, et elle devait l'être, puisqu'elle formait l'homme à penser et à vouloir. Elle trouvait de belles raisons pour l'obéis- sance, mais le pouvoir n'aime que l'obéissance qui se passe de raisons. Elle condamnait les injustices et les scandales, elle condamnait donc ceux qui régnaient, et c'est ce qui faisait sa popularité et sa force. L'école stoïque était une école d'opposition ; les Césariens di- saient que cette secte insolente ne formait que des per- turbateurs et des brouillons. Les efforts que fait Sénè-
cœpil, ut philosophas. «< A l'appel dos justes. ., Flavius Archippus a demandé une dispense en qiialilé de iiliilosoplie » 1. (2uum optimus civilatis stulus sub regejusto sit.
LES STOIQUES ROMAINS. Wi
que pour écarter ce reproche montrent assez combien il était mérité ; et la mort de Tliraséa, de Sénèque lui- même et de tant d'autres le montre encore mieux; les Stoïques, comme les Chrétiens, ont eu leurs martyrs. Le cri de liberté, la liberté étant achetée, s'il le faut, par la souffrance et même par la mort, retentit dans tout ce qui nous reste de l'éloquence de l'École.
Voilà une revue bien incomplète de la morale reli- gieuse du temps de Néron ; la voilà telle que j'ai pu la faire en quelques pages, et en m' efforçant de ne pas transcrire Sénèque tout entier dans mon livre. C'est là que la philosophie chrétienne a puisé ; ou plutôt il n'y a pas de philosophie chrétienne , et le christianisme n'a fait qu'hériter de la philosophie de l'antiquité. Ceux qui ont fait violence aux textes ou à la chronologie afin de rapporter les idées de Sénèque aux sources chrétiennes ont pris une peine bien inutile : pour croire en effet que Sénèque était allé chercher ces idées dans l'ancien ou dans le nouveau Testament plutôt qu'ailleurs, il faudrait d'abord qu'elles y fus- sent ; mais elles n'y sont pas. Si on prend la peine de repasser sur tous les sentiments et tous les prin- cipes dont je viens de recueillir l'expression dans ses ouvrages, on verra que la plupart ne se trouvent pas dans les livres d'origine juive et ne sauraient s'y trouver. Ils supposent une étude du cœur humain^ une expérience de la vie, une habitude de la médi- tation, une largeur et une délicatesse de l'esprit tout ensemble, une métaphysique même, qui ne s'accordent en aucune manière avec la simplicité de ces hvres et
292 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
(le leurs auteurs. Ces choses ne sont devenues chré- tiennes qu'en passant des philosophes dans les Pères chrétiens, et les Pères ne datent que du milieu du se- cond siècle après notre ère. Les Terlullicn, les Am- broise, les Augustin, pour ne parler que des Latins seuls, sont les disciples des philosophes, et c'est à eux qu'ils doivent leur science de la vie spirituelle, et non pas à leurs Livres saints.
Quant aux idées qui peuvent être communes en effet au judaïsme et à la philosophie, et qui ne sont que les plus unies et les plus simples, il est bien aisé de voir encore que Sénèque ne les a pas prises dans les livres des Juifs. Il faut écarter d'abord les quatre Évangiles, dont pas un n'était encore écrit quand Sénèque est mort. Pour les Êpitres ou Lettres de Paul, si jamais Sénèque avait pu avoir l'idée de les lire, il est certain qu'il n'y aurait rien compris, et qu'il n'aurait pu y prendre aucun inté- rêt. Dans notre pays catholique, où presque personne ne Ut l'Écriture, beaucouj) de gens croient volontiers, sur la foi des titres de Lettre aux Romains ^ aux Corin- thienSy etc., que l'apùtre, Y apôtre des Gentils^ comme on l'appelle, écrivait en effet pour des païens, Grecs ou Romains.Mais non ; ses Lettres ne sont réellement adres- sées qu'à ceux de Rome, à ceux de Corinthe, c'est-à-dire aux communautés de judaïsants qui, à Rome, àCorinthe et ailleurs, suivaient les doctrines et les pratiques jui- ves, et connaissaient les Écritures juives. Pour ceux qui n'étaient pas famiHers avec ces Écritures, elles demeu- raient inintelligibles, et on peut dire qu'elles ne les regardaient pas. Il est vrai qu'on nous représente Paul
LES STOIQUES ROMAINS. 293
à Athènes comme conférant avec des philosophes, et parlant même dans l'Aréopage; mais outre que ce ne serait là qu'un accident, cette histoire d'ailleurs ne se trouve que dans le livre des Aclcs^ qui n'a pas l'au- thenticité des Epîtres, et dont le témoignage n'a pas à beaucoup près la même valeur.
Resterait donc V Ancien Testament^ c'est-à«dire la Bible hébraïque, outre quelques livres plus modernes écrits par des Juifs hellénistes, comme la Sagesse de Sirach, appelée chez nous VEcelcsiaslique. Il y a en effet dans la Bible, surtout dans les Psaumes, des sen- timents qui, d'une part, tiennent dans le christianisme une grande place, et de l'autre s'accordent avec ceux dont se nourrissait la sagesse antique par un commun esprit de piété et d'austérité. Mais on reconnaît tout d'abord que la forme sous laquelle ces sentiments pa- raissent dans la Bible est infiniment plus éloignée de celle sous laquelle Sénèque les présente que ne l'étaient les discours de Platon ou des maîtres de l'École stoï- que, et qu'ainsi il ne faut pas supposer qu'il soit allé demander à ces sources hébraïques ce qu'il pouvait puiser tout à son aise dans le large fleuve de la tradi- tion grecque. Et comment Sénèque pouvait-il se faire le disciple des Juifs ou le disciple de Paul, quand il es certain qu'il n'avait pour les Juifs et le judaïsme que de la haine et du mépris ? Il était en toutes choses, dans les conseils de Néron, du parti de la tradition ro- maine ; il était contraire aux provinces, aux affranchis, à l'influence des femmes, et en particulier de Poppée, en un mot à tout ce qui pouvait judaïser. Dans son livre
294 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
sur les Superstitions, qui est perdu, mais qu'Augustin uous fait connaître, il se taisait absolument àur les Chrétiens, sans doute parce qu'il ne distinguait pas encore bien nettement cette secte nouvelle (c'est le mot des Actes) d'avec la religion dont elle s'était détachée ; mais, sur le judaïsme, il s'exprimait en ces termes : c Et cependant cette nation abominable a si bien fait, que ses pratiques sont maintenant établies par touie la terre; les vaincus ont fait la loi aux vainqueurs.» Voilà l'homme dont on a voulu faire un prosélyte.
CHAPITRE XV
JLUCAIN, PETRONE, PERSE. — LE MONDE PAÏEN A LA MORT DE NERON.
Lucain n'est qu'un écho de Sénèque, et la morale de Sénèque retentit avec plus d'éclat encore dans ses vers. Son Caton est l'idéal du saint suivant les Stoïques : il 7ie vil pas pour lui, mais pour l'humanilé,
Nec sibi, sed toti genitum se credere mundo.
Il est la chasteté même. Désintéressé entre les ambitions rivales, il subit la guerre avec une tristesse profonde; depuis qu'elle a éclaté, il s'est interdit toutes les joies, et porte le deuil du genre humain'^ il voudrait pou- voir mourir pour tous, el racheter de son sang tous les crimes. Après tout, il lui a fallu prendre parti; la cause qu'il a embrassée est la cause sainte; c'est en vain que l'autre a eu pour elle les dieux. Déjà Virgile avait donné à Caton la première place parmi les justes dans i'Élysée :
Secretosqae pios, his dantem jura Catonem ;
mais on peut dire que Lucain a opposé la canonisation
290 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
de Caton à l'apothéose des Césars. Tandis que, d'une part, il trouve les hommes bien vengés des dieux qui ont trahi la liberté à Pharsale, puisque Pharsale a fait des dieux avec des morts, de l'autre, il salue Caton de cet hommage : «: Voilà le vrai père de la patrie ; celui-là, 6 Rome, mérite tes autels. C'est un nom par lecjuel en tous temps on peut jurer sans rougir, et si jamais tu te relèves hbre du joug, c'est celui-là que lu feras dieu. » Il ouvre ici, pour ainsi dire, le panthéon de l'Église chrétienne; elle a fait ou elle devait faire précisément ce que demandait le poëte, mettre à la place des dieux de la tyrannie ceux de la liberté et de la conscience, les dieux des persécutés. Caton est le premier des martyrs.
C'est Caton encore qui est dans Lucain l'interprète de la conscience, et prescrit d'écouter sa voix plutôt que la voix des dieux. C'est par les vers que Lucain a mis dans la bouche de Caton que la philosophie a im- posé silence aux oracles.
Je ne veux plus relever dans Lucain que ses hymnes à la paix, à la fraternité humaine, à l'amour uni- versel :
Inque vicem gens omnis amet.
El sacer orbis amor.
IIou! miseri qui Lella gcrunt i.
Voici maintenant Pétrone, le bel esprit libertin, le
1. a Que lous les peuples s'aiment d'un égal amour... Le saint amour qui unil lo moiido... Ah! malheureux ceux qui font la guerre. »
LUCAIN, PETRONE, PERSE. 297
camarade des plaisirs da prince, le disciple complai- sant, sinon insouciant, d'Épicurc : il est néanmoins le frère des Sloïques par la justice et la charité. Non- seulement il est un témoin du succès des leçons des philosophes, répétées par les bouches les moins phi- losophiques (Mes amis, dit son Trimalchion, les es- claves sont des hommes et ils ont bu le même lait que nous *); mais lui-même, dans son Fragment poétique sur la Guerre civile, ramassant les vices elles iniquités par lesquels Rome a mérité de périr, il flétrit avec force et le pillage du monde, et les mutilations des jeunes esclaves, et celte arène où on apportait dans des cages dorées les bêles de l'Afrique et de l'Asie, pour leur faire boire le sang des hommes aux applaudissements des spectateurs.
Mais il y a un écrivain dans la littérature du temps de Néron auquel on doit s'arrêter avec respect ; c'est Perse, ce poêle qui a si peu vécu et si peu écrit, et qui, pour quelque six cents vers qu'il a bissés, avait mé- rité, à vingt-huit ans, une belle renommée : multum et verœ gloriœ, quamvis uno libro., Persius meruit. Nulle part la morale sloïque n'a été plus haute, ni plus sincère, ni plus louchante. Quelle dévotion fer- vente pour la sagesse, et quel noble mépris pour les misérables qui la méprisent ! Quel étonnement en face de ces existences attachées à la terre^ et vides des ehoses du ciel !
1.11 faudrait traduire, Us avont bu, si on voulait rendre la langue grossière que l'auteur fait parier à son personnage : et eumdein lactem biberunt.
Î98 Li: CURlSriANISME ET SES ORIGINES. 0 curvœ in terris animae et cœlestium iiianes i.
Comme il comprend largement la philosophie ! c'est la maîtresse qui nous enseigne ce que nous sommes et pourquoi nous sommes au monde , et quelle place Dieu a assiqnée à chacun de nous dans le service de Vhumanilè. Elle est si essentiellement charitable, que les héritiers du riche se plaignent qu'elle lui fasse dissiper en bienfaits ce dont ils comptaient hériter : « Voilà ce que c'est que ces maîtres grecs, et cette sagesse qui nous est venue d'outre-mer avec le poivre et les dattes. » Elle a, d'un autre côté, une haine du mal qui a inspiré au poète les plus beaux vers peut-être de son livre : « Père des dieux, pour les plus affreux tyrans, je ne te demande pas d'autre sup- plice...; qu'ils voient une fois la vertu, et qu'ils sèchent de douleur de l'avoir perdue :
Virtutem videant intabescantque relicta. »
Vaine protestation, je l'avoue, d'une morale impuis- sante ; ce n'est pas ce châtiment mystique qui fera jus- tice à l'humanité des grands coupables, et c'est là une faible ressource contre un Néron. Mais à défaut de la délivrance impossible, il y avait du moins un soulage- ment et une vengeance dans cette fière joie de l'honnête homme et dans ce cri de mépris et d'horreur pour le méchant.
1. Remarquer jusqu'à ce féminin anima, comme dans lo latin de l'Église.
LUCAIN, PÉTRONE, PERSE. 299
Mais je ne veux pas dire adieu à Perse sans relire la page mémorable où il a épanché sa jeune àme devant son cher Cornutus : « C'est la coutume des poètes, de demander cent bouches, et cent langue?, et cent voix, soit pour composer un drame qu'un sombre tragédien va hurler, soit pour décrire la blessure du Parthe qui retire le fer de la plaie... Pour moi je n'ai pas ces am- bitions...; je ne parle pas pour la foule ; c'est à toi seul, Cornutus, que ma muse veut que je m'adresse, pour te donner mon cœur à fouiller; c'est à toi, tendre ami, que je me plais à montrer quelle place tu tiens dans ma vie. Ecoute le son que rend mon amitié ; ton oreille expérimentée reconnaîtra qu'elle est solide, et que tu n'as pas affaire au vernis menteur d'une parole fardée. Voilà pourquoi, moi aussi, je voudrais avoir cent bou- ches : je voudrais pouvoir chanter d'une voix assez sonore quelle grande image de toi est gravée aux der- niers replis de mon cœur, et trouver des mots qui dévoilent pleinement ce qui jusqu'ici est resté caché et intraduisible dans mes fibres les plus secrètes.
» Le jour où je dépouillai la robe prétexte, gardienne de ma timidité..., à l'heure que le chemin de la vie devient douteux, et que l'inexpérience d'une âme encore neuve la jette dans un carrefour où des voies s'ouvrent en tous sens, je me suis mis sous ta conduite, ô Cornu- tus ! Tu as accueilli mes jeunes ans dans le sein de ta sagesse socratique. C'est alors qu'une règle adroite redressa en les trompant mes mauvais instincts; que l'âme domptée par la raison, et travaillant elle-même à sa défaite, prit, sous ta main habile, la forme que tn
300 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
lui voulus donner. Je me souviens comment je consu- mai? avec toi les longues journées, et comment je don- nais au repas avec toi les premiers moments de la nuit. Nous travaillions ensemble, ensemble nous arrivions au repos, et nous délassions notre esprit fatigué à une table frugale. N'en doute pas, nos destinées à tous deux sont associées d'une manière indissoluble, et s'accomplis- sent sous l'influence d'un même astre... Il est une étoile, quelle qu'elle puisse être, il en est une , qui m'attache pour jamais à toi. »
Il n'y a pas longtemps que je lisais, dans les Lettres d'Alexis de Tocqueville, les témoignages de son atta- chement fidèle pour le vieux prêtre qui avait été son précepteur; et maintenant je me demande, en rappro- chant et en comparant mes lectures , s'il y a une si grande différence, que dis-je? s'il y a vraiment une dif- férence qui vaille d'être comptée entre les sentiments et les idées qui m'intéressent d'une part et de l'autre, entre ces deux nobles et touchants fils de famille , le stoïque et le chrétien.
J'ai dit tout à l'heure qu'il n'y a pas véritablement de philosophie chrétienne. Quant à la religion chré- tienne, elle n'est ni méconnue de personne, ni mécon- naissable, et j'arriverai bientôt enfin à l'histoire de la révolution par laquelle elle s'est établie; mais elle n'a pas cependant non plus tout renouvelé dans l'ancien monde, et il s'en faut de beaucoup. Elle a mis le Christ dansleciel à la place des anciens dieux; voilà ce qui était nouveau; mais presque tout l'héritage des anciens dieux, en fait de croyances comme de pratiques, lui est resté,
LUCAIN, PÉTRONE, PERSE. 301
on l'a vu déjà, et elle l'a accepté au nom du Christ. Un certain nombre de superstitions helléniques, décréditées àla fois par la critique des philosophes et parl'antipathie des Juifs, ont paru d'abord céder la place, mais la plu- part sont rentrées en grâce peu à peu, et sont définiti- vement restées chrétiennes. Le christianisme surtout a profité de cette passion religieuse, de cette fureur du surnaturel et du miracle dont aucun siècle n'a été plus violemment possédé. Il ne faut pas être dupe de quel- ques témoignages d'incrédulité que quelques raison- neurs laissaient encore échapper çà et là. Par exemple on affectait dans les écoles et chez les lettrés de nier les enfers ; mais les peuples, d'un consentement universel, les redoutaient et les conjuraient : consensus hominum aut timentium inferos aut colentium *. Il ne faut pas non plus s'en rapporter à ces plaintes banales, que les ba- dauds répètent dans tous les temps : Tout va mal, parce qu'il n'y a plus de religion. « On ne croit plus que Dieu est Dieu {nemo cœlum cœliim piilat) ; on n'observe plus de jeûne ; on ne donnerait pas ça de Jupiter ; chacun n'a d'yeux que pour son argent et pour faire son compte. j> Ainsi devisent, dans Pétrone, avec bien d'autres bavar- dages encore, les personnages du souper de Trimalchion. Tout cela ne signifie rien, et le même Pétrone témoi- gne assez ailleurs de la superstition universelle. Il y a un endroit dans son livre où une prêtresse se vante, pour tâcher de faire peur à des gens ([\ù l'ont volée, qu'il y a tant de dieux dans le pays, qu'il y est plus
1. Un grand nomlire d'Inscripiions sépulcrales expriment celte foi, que le corps est dans le ciel ou dans le Champ des Bienheureux.
302 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
facile de mettre la main sur un dieu que sur un homme. Une autre prêtresse, à qui on a tué son oie sacrée, se console moyennant deux pièces d'or, avec lesquelle on lui dit qu'elle aura de quoi acheter des dieux et des oies. La superstition en effet n'a contre elle alors que d'être si vulgaire et de descendre si bas, qu'il faut bien qu'elle donne quelquefois envie de rire ou de se défen- dre ; mais en général elle n'en régne pas moins sur les esprits.
Les écrivains partagent trop souvent eux-mêmes les croyances populaires. En pk sieurs endroits, Sénèque semble croire à l'astrologie; il ^^arle même de la recon- naissance qu'on doit au soleil et à la lune. Il admet en général la doctrine des présages, tout en s'efforçant d'en donner une explication rationnelle, ou qui prétend l'être; il prononce « qu'il est également difficile de s'expliquer l'influence des astres et d'en douter ». A ceux qui objectent que, si la foudre qui tombe est un signe des destins, ces destins ne sauraient être conjurés par les expialions des aruspices, il répond que l'expiation elle-même est comprise dans le destin. Il parait croire à une grande catastrophe qui amènera la fin du monde présent, et d'où un monde nouveau doit sortir. J'imagine qu'il ne se tenait pas pour bien sur de tout cela, mais il n'objecte rien aux idées reçues autour de lui, et il ne se fait aucun scrupule de parler à son tour comme tout le monde. A plus forte raison, les poètes acceptent sans difficulté la foi commune. Lucain, après avoir raconté la mort de Pompée, nous représente son àme qui abandonne son corps sur le bûcher pour s'élever au
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ciel, où elle prend place parmi les âmes saintPi; de là elle contemple avec mépris noire monde misé.able et la dépouille quelle a laissée; puis, prenant son vol vers Pliarsale, elle entre dans le cœur de Calon et de Brulm. Est-ce un poëme païen, ou est-ce une Vie des saints que nous lisons ? Et ce tombeau de Pompée, ce tertre obscur renfermant un esprit divin, que viendra prier celui qui refuse son encens aux dieux du Capitale, n'annonce-l-il pas déjà le culte des tombeaux des martyrs?
Mais prenons simplement Sénèque, Lucain et les autres comme des témoins de l'état général des esprits, La magie triomphe déjà presque comme au temps où Pline écrira que l'empire du monde lui appartient : qu'on voie la Médée de Sénèque, et surtout la Thessalienne de Lucain. Néron se livrait avec passion à ces prati- ques ; là comme ailleurs, il prétendait pousser à bout la nature. La magie était regardée comme employant particulièrement à ses œuvres une nouvelle espèce de personnages divins, appelés du nom de démolis, que le christianisme a empruntés au monde païen et non à la Bible, où ils ne sont pas connus. Et c'est la magie qui a fait que ce nom de démonSy qui s'appliquait d'abord éga- lement aux bons génies, a pris exclusivement la signi- fication odieuse qu'il a gardée. Les dieux de la magie étaient les dieux infernaux, car c'est à la mort qu'elle s'adresse de préférence. Ces morts, qui vivaient hier, et que chacun retrouve dans ses imaginations et dans ces songes, elle ne croyait pas si difficile de communi- quer avec eux. C'est d'ailleurs pour conjurer la mort
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qu'on emploie surtout les arts magiques; ou au con- traire, et peut-être encore plus souvent, pour la faire tomber sur d'autres têtes; de sorte que les initiés dans ces mystères pourraient être appelés des thaumaturges de la mort. Mais les dieux infernaux, qui dans la haute antiquité étaient aussi augustes et aussi saints que les autres, se transformèrent. Comme la magie, dans ses prétentions aux miracles, réussissait bien mieux à tuer ou à faire le mal qu'à autre chose, les dieux infernaux étaient donc des dieux malfaisants ; ou plutôt ce n'étaient plus des dieux, car la conscience, devenue plus délicate, ne supportait pas l'idée que des dieux fussent méchants. Les maîtres des enfers en vinrent donc à n'être que les démons, maudits depuis par l'Église. La magie fut déclarée odieuse aux divinités du ciel (supcris detestanda diis) ; la magicienne n'entrera jamais dans les Cliamps- Élysies; en termes chrétiens, elle est damnée {quos nulla meretur Thessalis elysios) ; elle est souillée et abo- minable; en un mot, ce&i h sorcière du moyen âge, celle dont M. Michelet a fait l'histoire.
Dans les vers de Lucain où je recueille tous ces traits, on entrevoit même, au delà des Furies, d'Hé- cate, de Proserpine, au delà de Pluton, je ne sais quel dieu du mal mystérieux, caché au dernier étage du Tartare comme au fond de la spirale de Dante, le Diable^ pour l'appeler par son nom *.
!• Indespecta tenet vobis qui tartara, cujus
Vos estis superi.
« Celui qui occupe ce Tarlarc que vous n'avez jamais aperçu, celui pour qui vous éles les dieux d'en haut. »
LUCAIR, PÉTRONE, PERSE. 305
A la magie se rattache l'Évocation des morts. D'au- tres divinations fleurissent autant que jamais, cl sur- tout l'inspection des entrailles des victimes, ou liarus- jncine. Une scène de VŒclipe montre combien c'était un art compliqué, et de quelle infinité d'observations minutieuses se composait ce savant mensonge. Une autre science étrusque, celle de la foudre, est longue- ment développée dans les Bccliercltes sur la Naluicde Sénèque. Enfin l'astrologie régne à côté de la magie, et plus universellement encore. Il importe peu que les Oracles proprement dits aient perdu de leur influence, et que les puissants, comme dit le poëte, les aient fait taire : et superos veliiere loqin\ le monde est en proie aux inspirés et aux prophètes. « Si une femme, dit Sé- nèque, se traîne sur les genoux dans les rues, en pous- sant des hurlements ; si un vieil homme en robe de lin, tenant d'une main une branche de laurier, de l'autre une lanterne allumée en plein jour, va criant que telle ou telle divinité est en colère, vous accourez, vous écou- tez, et vous dites, vous entretenant les uns les autres dans vos terreurs : C'est un homme de dieu. » Ces scènes se produisaient surtout dans les épidémies et les alarmes de toute espèce ; dans ces calamités où les hommes éperdus s'emportaient à des violences contre les dieux mêmes : et dl'is Ipsis manus intentantur. Sé- nèque dit encore : « On ne voit jamais tant de gens qui prophétisent, que si les esprits sont frappés de quel- que crainte où se mêle la superstition. » — « Les Galles, fciisant tournoyer leurs têtes , d'où pendent leurs cheveux ensanglantés, annoncent aux peuples
II. 20
306 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
par leurs hurlements des catastrophes sinistres :
Crinniuqiie rotantes
Sangnineum, populis ulularunt Irislia Galli. »
On n'est donc pas étonné que le règne de Néron ait enfanté V Apocalypse ; elle est née chez ceux qui souf- fraient le plus, dans un temps où tout souffrait.
L'idée de la fin prochaine du monde occupait sur- tout l'imagination des hommes, et c'était un thème sur lequel les écrivains s'exerçaient volontiers. Lucain s'en inspirait dans son poëme comme Sénéque dans ses tra- «jédies; et celui-ci la développait avec complaisance aans ses Recherches sur la Nature. Cette grande des- truction, d'après les Stoïques, devait s'accomplir par le feu, comme le proclame encore le premier verset du Lies irœ ^ Cependant d'autres traditions voulaient que le monde finît par un déluge, pareil à celui dans lequel déjà une première génération d'hommes avait péri : la vieille histoire de ce premier déluge, et d'un couple unique de justes échappant seul dans un navire qui vient s'arrêter sur une montagne, tenait sa place dans le grand poëme d'Ovide. 11 se mêlait aussi à l'idée de la destruction prochaine celle d'une régénération : j'en ai déjà montré le témoignage au temps de Sulla 2. —
1 El aussi cette formule dans la messe des Morts : Per eum qui venlurus est judicare vivos et mortuos, et seculum per ignem. «Par celui qui doit venir juger les vivants et les morts, et le monde par le feu. »
2. Je citerai ici textuellement le passage de PlutarPaC; dont je D'avals donné précédemment que le sens: « Les habiiris dans la stieiice des Etrusques déclarèrent que ces prodiges annonçaient l'avènement d'une autre race d'iicniraes et le renouvellement du
LUCAIN. PÉTRONE, PERSE. JOT
« Toute race vivante sera renouvelée, et le ciel doa- nera à la terre une humanité née sous de meilleurs auspices, et qui ignorera le crime. Mais celle-là non plus ne conservera pas longtemps son innocence, et elle doit la perdre en vieillissant. » Ces idées étaient tristes pour l'avenir, et pour le présent plus encore ; elles expliquent peut-être le redoublement de frayeur que les éclipses causaient alors aux hommes, au témoignage de Sénèque : il leur semblait qu'elles marquaient la fin. Sénèque avait écrit contre les SiiperstUions un livre qui est perdu, et qui est bien regrettable. Si nous l'a- vions, il suffirait peut-être seul à l'histoire pour donner l'idée complète de la grande fièvre religieuse du temps, dont l'avènement du christianisme n'a été, pour ainsi dire, que la crise. Augustin nous en a conservé environ deux pages, dans lesquelles Sénèque relevait les pra- tiques scandaleuses ou barbares , les incisions san- glantes, les mutilations; on tiendrait, dit-il, à coup sûr ces gens-là pour fous, s'ils étaient en moins nombreuse compagnie; il faut les tenir pour raisonnables, du mo- ment qu'ils sont en foule pour déraisonner. — « Me voici au Capitole ; j'ai honte de dire l'extravagance des devoirs que des cerveaux troublés ont imaginé de ren-
monde. Car il y a en tout, disent-ils, huit générations d'hommes, de vie et de mœurs toutes différentes , à ciiacune desquelles est assignée une durée que la divinité détermine par la révolution d'une Grande année. Quand l'une prend fin et que l'autre va commencer, il se produit quelque signe merveilleux sur la terre et dans le ciel, montrant clairement à ceux qui ont étudié et pé- nétré ces mystères, qu'il est né une humaniié toute différente de celle qui la précède, et moins aimée, ou au contraire plus aimée des dieux. » Ce passage se rapporte à l'année du premier consulat de SuUa (88 avant notre ère).
308 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
dre aux dieux. Celui-là sert de nomenclateur à Jupiter, cet autre lui dit l'heure qu'il est ; un autre se fait son lecteur, un autre se charge de le frotter d'huile, et le mouvement de son bras imite cette action. Des femmes coiffent Junon ou Minerve; elles se tiennent à distance, non-seulement de la statue, mais de la chapelle, et font le geste de coiffer avec leurs doigts ; d'autres leur pré- sentent le miroir. Ceux-ci prient les dieux de leur servir de caution en justice; ceux-là leur remettent des mé- moires et leur expliquent leurs procès. Un mime habile, un chef de troupe, vieux et décrépit, donnait tous les jours une représentation au Capitole, comme si les dieux avaient pu prendre plaisir à le voir jouer quand les hommes ne s'en souciaient plus. Des gens de tous les métiers passent là leur temps à travailler pour les im- mortels. » — El plus loin : « Après tout, les services qu'ils offrent ainsi aux dieux, s'ils sont inutiles, n'ont rien de honteux ni d'indécent. Mais voici des femmes qui s'établissent au Capitole avec l'idée qu'elles sont les maîtresses de Jupiter \ et la pensée de Junon, que les poètes font si jalouse, ne leur fait pas peur. » Quelque précieuse que soit cette page, j'imagine qu'il y avait dans Sénèque des observations plus profondes et d'une plus haute portée ; Augustin ne nous a donné que des détails choisis de telle façon que le ridicule ne tombât pas sur les pratiques dévotes des chrétiens. Il n'a pas recueilli ce qui pouvait porter contre les superstitions de toute origine; un temps même a dû venir où, l'Église triomphante n'ayant plus besoin de ces armes contre le paganisme, lo livre fut jugé impie et disparut comme
LUCAIN, PETRONE, PERSE. 309
disparaissait aussi la dernière partie du livre de Cicé- ron sur les Dieux. Quoi qu'il en soit, une description aussi vivante nous en apprend déjà plus que des dis- sertations philosophiques sur l'état d'enfance spirituelle où se trouvait, au temps de Sénéque, la plus grande partie de l'humanité.
Sénéque se moquait en particulier, dans ce livre, de la religion du sabbat juif, qui avait gagné, non-seule- ment les judaïsanls, mais la foule même des païens*, tout le monde allumait ce jour-là des cierges ou des lampions; « et cependant ni les dieux n'ont besoin de lumière, ni les hommes ne se trouvent bien de s'en- fumer. » Perse nous peint ces mêmes illuminations, et les prières qu'on marmotte; et, pèle-méle avecces pra- tiques juives, les momeries des Galles ou des prêtresses d'Isis, menaçant les gens de leur faire enfler le corps s'ils ne mangent dévotement trois têtes d'ail tous les matins; enfin les terreurs causées parles revenants, ou par le présage fatal d'un œuf cassé. Lucain proteste à son tour contre ces dieux d'Egypte qui se sont emparés de Rome ; contre cet Osiris dont les dévots font le deuil : voire deuil même, dit le poëte , atteste que votre dieu n'est quim homme. On peut voir enfin dans le roman de Pétrone les superstitions du dernier étage: les loups-garous, les stryges, dévorant la substance des morts, et ne laissant à la place d'un corps qu'une gue- nille bourrée de paille. — Voici la Sibylle de Gumes: elle est condamnée par un vœu imprudent à une vieil- lesse plusieurs fois séculaire, qui dessèche et réduit son corps à rien sans que la vie soit éteinte; on la voit, dit-
310 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
on, dans un bocal, où se conserve sa triste existence •, les petits garçons lui disent en grec, car c'est sa langue : Que veiix-tu, Sibylle? et elle répond : Je veux mourir. — Voici un homme qui est devenu riche tout à coup; c'est qu'il a attrapé son bonnet à un lutin [incuhoni), et il a trouvé un trésor.
Enfin, dans un livre qui ne fut publié qu'après Né- ron, mais qui était déjà écrit en grande partie sous son règne, Pline décrit les superstitions de son temps en témoin d'autant plus intéressant à entendre, qu'il n'est lui-même ni plus ni moins superstitieux que le grand nombre ; toutes les pratiques dont il parle, il en parle à la fois sans engouement et sans mépris. « Tout le monde craint , nous dit-il , d'être l'objet de vœux et d'imprécations funestes. » — Après avoir avalé un œuf, on en brisait la coquille, pour conjurer le mauvais sort. — On racontait que César, le grand César, en montant dans une voiture, ne manquait pas de répéter trois fois une formule qui devait le pré- server de tout accident , et cela devint plus tard d'un usage universel. — On choisissait des gens portant des noms heureux pour figurer dans les purifications pu- bliques. — On ne nommait pas les morts sans prendre des précautions pour se garantir de leur colère. — On croyait généralement à la vertu des nombres im- pairs, etc. « Voilà, dit Pline, les traditions que nous ont laissées des générations qui croyaient que les dieux interviennent dans tout et à toute heure, et qui ont mérité ainsi que ces dieux voient avec indulgence la corruption de notre temps. »
LUCAIN, PlÎTRONE, PERSE. 311
Peu après avoir fait inouiir Sénèque, Lucain et Pé- trone, Néron lui-même meurt, réduit à se tuer de sa main ; c'est à cette date que je m'arrête, parce que c'est celle où l'histoire profane reconnaît pour la pre- mière fois l'existence des Chrétiens *. Cependant la sa- gesse hellénique suivra encore sa voie bien longtemps sans rencontrer le Christianisme. De longtemps il n'y aura pas de littérature chrétienne, et ni Ëpictète, ni Plutarque, ni Marc-Auréle n'ont certainement rien em- prunté aux livres chrétiens. Mais le christianisme a pu cependant agir peu à peu, par une infiltration secrète, sur ceux-mémes qui en étaient le plus séparés; et il est prudent de ne pas aller plus loin que Sénèque, si on veut mesurer exactement ce que la religion et la philosophie avaient fait, sans le Christ, du monde ancien. Pour qui a quelque peu de sens critique, il est clair que les Chré- tiens n'ont pas donné à Sénèque une parcelle de sa doc- trine; ils paraissent alors à peine, et il est probable qu'il ne distinguait même pas leur religion de celle des Juifs, et ne voyait en eux qu'une secte juive très-fanatique et très-révolutionnaire. Quant aux Juifs eux-mêmes, tout ce qu'on peut conjecturer est que le judaïsme, qui gagnait déplus en plus dans l'empire, avait répandu dans l'air des sentiments plulôtque des idées, dont l'influence a dû se faire sentir jusque sur la sagesse des gentilSy comme aussi cette sagesse agissait à son tour sur le jo-
l.On croit l'entrevoir avant cette date dans ce que iHt Saétono. qne Claude fit cliasser les Juifs de la ville à cause des troubles conliuuels sascités par un Chrestos. On suppose que Suétone a pris le nom du Christ pour celui d'un Juif qui faisait du désordre dans Rome.
312 LE CIIIUSTiANIS.ME ET SES ORIGINES.
daïsme. Sénèque pour sti part n'est en aucune façon un judaïsant; mais sa philosophie est celle d'un temps où beaucoup judaïsaient au-dessous de lui ; et il n'est pas impossible que cela ait contribué en quelque chose, sans qu'il s'en doutât lui-même, à donner à cette philo- sophie un accent plus vif de piété mystique, ou d'austé- rité, ou d'humanité. Mais le travail qui s'était fait ainsi dans lésâmes, et dont ses écrits peuvent témoigner, est indépendant de la prédication de Jésus et de celle de ses apôtres, qui n'avait pas eu le temps de se faire sentir jusqu'à lui. Il ne faut pas oublier qu'à la date où on place la Lettre de Paul à ceux de Rome, Sénèque tou- chait à soixante ans. Ce que nous surprenons dans ses livres, c'est donc bien l'état moral et religieux du monde romain avant le Christ. Il n'y avait rien du Christ ni de Paul dans Sénèque; mais le mouvement spirituel qui depuis un demi-siècle agitait le monde, avait abouti d'une part à Sénèque et de l'autre à Paul. Établissons- nous donc à cette date, qui sépare les deux âges de l'his- toire religicuse,et demandons-nous, en récapitulant tout ce qui précède, ce qu'un païen pouvait déjà croire et sentir, ce qu'il pouvait pratiquer avant d'avoir entendu prêcher le christianisme.
Il croyait à un dieu suprême, créateur du monde et du genre humain, très-bon et très-grand, gouvernant tou- tes choses, et de qui relève toute puissance comme toute loi; dont la Providence veille particulièrement sur les bons et ne les éprouve que pour leur bien. Ce dieu est présent partout, et témoin même de nos pensées. Sa volonté doit toujours être faite, et la liberté est de lui
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obéir. Et ce n'est pas assez de lui obéir, il faut l'aimer.
Il est vrai ({u'au-dessous de ce dieu il en reconnais- sait d'autres, mais ces dieux inférieurs n'entraient pas en comparaison avec leur père et leur maiire; ils n'étaient que des ministres ou plutôt des manifestations de ce (|ue l'on appehiit d'un nom unique, la divinilé. En un mot, c'étaient des anges. Ce n'est pas moi qui parle ainsi, c'est un Père de TEglise, Augustin, qui nous dit en propres termes : « Les dieux, que nous, nous appelons les anges, d'un nom moins haut [deos quos nos familianus angelos dicimus). » Les païens^ à cette époque, n'étaient pas réellement plus polythéistes que les Chrétiens *.
On croyait à de bons démons, gardiens de la vie de chaque homme et de sa conscience. On croyait aussi à des démons mauvais, artisans de malice et d'iniquité, et même à un dieu suprême du mal, auquel il ne man- quait que le nom du Diable.
On croyait à l'intervention des puissances surnatu- relles dans la nature et dans la vie. On se persuadait que le ciel écoutait les prières des hommes; que, d'au- tre part, les démons du mal obéissaient aux conjura- tions. On croyait aux miracles, aux apparitions, aux présages, aux avertissements d'en haut, à tous lespro-
1. Oa lit déjà dans Terlullien : « La fonction de faire tomber dans le ventre de la mi-re le germe de l'homme, de le façonner, do l'éla- borer, est accomplie certainement par une puissance ministre de la volonté divine, quelles que soient les lois suivant lesquelles ello l'exerce. C'est d après cetio pensée que la superstition romaine a imaginé une déesse Nourrice {Alemona) pour nourrir l'embryon..., une Partula..., une Lucina... Nous, nous chargeons les anges do ces offices divins {nos officia divina angelis credimus). »
314 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
diges; le vulgaire descendait, en fait de surnaturel, aussi bas que peut descendre l'ignorance et la grossiè- reté des esprits, jusqu'aux lutins, aux vampires et aux croquemitaines. On était particulièrement sous l'empire du merveilleux malfaisant qui constitue la magie et la sorcellerie. On reconnaissait des possédés.
On pensait que le Ciel pouvait révéler l'avenir aux hommes et qu'il leur accordait en effet des révélations. On croyait aux prophètes, aux inspirés, aux visions apocalyptiques.
Les païens croyaient aux prédictions de la Sibylle. On a vu que l'Église les invoque encore.
Les païens croyaient à l'astrologie : il y a tout au plus deux cents ans que la chrétienté n'y croit plus.
On croyait à l'àme, substance indivisible, spirituelle et céleste; on faisait de cette âme l'essence même de l'homme. On lui accordait l'immortalité. On croyait à un enfer avec ses supplices éternels, à un paradis, à un purgatoire. On se représentait les âmes des morts comme s'intéressant aux choses de cette vie, et reve- nant par fois sur la terre. On imaginait que les âmes d'élite montaient au ciel et prenaient place parmi les êtres supérieurs ou les dieux. On faisait des divi, en attendant qu'on fit des saints.
Quelques-uns croyaient à une résurrection des morts.
On supposait que les dieux étaient offensés par les fautes des bommes, et on redoutait leur colère. On craignait de les blesser, non-seulement par l'immora- hté ou le crime, mais par la négligence dans \ accom-
LUCAIN, PETRONE, PERSE. 3tr,
plissement des devoirs religieux. On se ligurait une réversibilité des fautes qui faisait retomber jusque sur l'enfant le péché du père. Mais on avait, pour conjurer la peine, les expiations de toute espèce, et en particu- liers les ablutions, par lesquelles on lavait les taches de l'âme.
On s'attendait à la fin prochaine du monde, con- damné par les iniquités des hommes, et à l'avènement d'un monde nouveau.
Enfin on avait un goût particulier pour les religions secrètes; on se tournait de préférence vers les dieux lointains et mystérieux de l'Orient.
Quant aux pratiques du culte, que de choses qui sont également païennes et chrétienne? (je parle du chris- tianisme catholique) ! Les temples, les chapelles, les autels, les im;iges, les prêtres, avec leur vêtement théâtral, les chants sacrés, les processions, l'eau lus- trale, les arbres ou les pierres chargées de fleurs et d'offrandes, les ex-voto. Il y avait des prières publiques pour l'empire et pour le chef de l'empire, des jubilés, des pèlerinages, des démonstrations solennelles pour conjurer les calamités; il y avait des fêtes pour toutes les dates, et pour toutes les occasions de la vie pu- blique et de la vie privée; le calendrier était tout religieux : fêtes du printemps ou de l'hiver, fête de la nouvelle année, fête des morts, etc. Le paganisme avait ses confréries sacrées , ses dieux patrons des navires, et, pour tout dire, ses dévotions à propos de tout ; c-ar tous les actes, tous les sentiments, tous les intérêts devaient un compte aux dieux, et ce compte
316 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
était tenu avec une exactitude que la piété du moyen àgc n'a pu non-seulement dépasser, mais égaler. Toutes les formes de la superstition florissaient aussi comme au moyen âge autour de la religion, si toutefois on peut distinguer ces deux choses.
En même temps, il est vrai, un courant d'idées parti de plus haut portait les âmes à croire que la divinité n'a que faire de sacrifices, de cérémonies, ni de temples même; qu'elle ne veut d'autre temple que le cœur de l'homme de bien et d'autre culte que la vertu. C'est de ces pensées que va se nourrir le Christianisme des pre- miers temps; mais l'Église reprendra bientôt la tradition des religions qu'elle a remplacées.
Enfin la morale grecque et romaine s'inspirait déjà de l'esprit de tristesse et d'abnégation qui devait être celui de la religion nouvelle. Elle faisait dédaigner les richesses, les honneurs, les voluptés, le bonheur même; supporter l'insulte, souffrir la douleur et triompher dans les tortures. Elle inspirait le mépris de cette misé- rable existence, le sentiment profond du néant de tout ce qui la remplit ; la résignation à mourir, et quelque- fois même l'envie de mourir; la pensée de la mort do- minant toute la vie; l'horreur du péché, la conscience de notre infirmité morale, une aspiration passionnée au salut, à la conversion, à la persévérance; l'éloignement du monde et l'amour de la retraite; l'abandon de l'âme à la prédication qui l'entraîne, à la direction qui la con- duit et qui l'enveloppe; le recours à la philosophie comme à une force bienfaisante qui gouverne et qui console; — des pratiques d'austérité et de pauvreté
LUCAI.X, PtTIlONE. PERSE. 317
qu'on peut appeler monastiques; la méditation journa- lière, l'examen de conscience ; le besoin d'appuyer la morale non-seulement sur des pratiques, mais sur des dogmes et des articles de foi; la disposition à la piété, le dédain et l'antipathie pour les incrédules, la transfor- mation de la sagesse en une religion ; l'indifférence pour la science, l'art et l'industrie, toutes choses pro- fanes. Enfin cette morale présentait à l'imagination comme idéal la figure d'un sage, véritable enfant de Dieu, vera progenieSy \mr jusqu à être impeccable, prêt à souffrir toutes les tortures, à avaler des charbons ar- dents ou à clouer ses bras sur une croix, et, dans sa force, essentiellement doux et pacifique, placidus et lenis 1 ; ne se plaignant ni des hommes ni du ciel ; pa- raissant au milieu des méchants comme la lumière parmi les ténèbres, non aliter quam in tenebris lumen efful- sit'- ; n'usant des choses de ce monde que comme un étranger et un passant, sed ut commodatis utetur pere- fjrinus et properans ^ ; — portant Dieu en lui; — triste et comme en deuil du genre humain.
Uni quippe vacat. . . . Ilumanum lugcre genus.
Heureux s'il pouvait mourir pour tous et racheter de son sang tous les crimes !
Hic redimat sangois populos , hac caede luatur Quidquid romani merueruntpendere mores.
1* Comparez l'Évangile de Matthieu, xi, 29.
2. Comparez l'Evantrile de Joan, i, 5.
3. Comparez I Cor., vu, 31 .
318 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Cette morale ordonne la chasteté, celle de l'homme aussi bien que celle de la femme; — le respect de l'esclave, notre égal et notre frère, du moins devant Dieu, et, dans la servitude du corps, libre par l'àme; elle condamne les tueries de l'arène ; elle veut que le mal- heur soit sacré; — elle prescrit la charité, car nous sommes les membres d'un même corps; l'aumône, dé- hcate et vraiment humaine, l'horreur de la guerre; la soumission loyale au commandement légitime, et, en face du commandement injuste, la désobéissance et la liberté. -— Je ne reviens pas ici sur les illusions et les défaillances de cette sagesse ; j'aime mieux ne la pré- senter qu'avec ses mérites et ses bienfaits.
Mais si ce résumé est fidèle (et chacun des chefs dont il se compose a été longuement établi) ; si le Christia- nisme, en arrivant dans le monde grec et romain, y a trouvé cette morale et ces croyances, et si l'état des esprits et des âmes à cette époque n'est que le der- nier terme d'un travail quej'ai suivi depuis les premiers monuments de la pensée grecque, et qui était déjà bien avancé au temps de Platon, quelle place reste-t- il pour ce qu'on appelle une révélation divine, et pour une transformation soudaine et miraculeuse de l'homme ou de la société?
La plus grande nouveauté du christianisme, c'est l'adoration du Crucifié. Et pourtant ce n'est pas à dire que, de ce côté-là même, rien n'eut préparé le monde à la religion nouvelle. Le Juste de Platon, fouetté, torturé, et mourant sur le pieu du supplice, ce Juste que je retrouvais tout à l'heure dans Sénèqiie clouant
LUCAIN, Pl'TRONK, PERSE. 319
ses bras sur la croix, a paru naturellement aux Pères chrétiens une ligure du Christ lui-même. D'un autre côté, l'honime-dieu Héraclès ou Hercule, tel qu'on le concevait depuis les Stoïques, et tel que Cicéron le représente, bienfaiteur de rhumaniié, secourant et sauvant les malheureux, et cela au prix de ses souf- frances, qui le font monter au ciel, consacrait l'idée d'une passion ayant pour objet le salut du monde '. Il ne restait qu'à associer l'idée du libérateur avec celle du Juste persécuté; à se représenter le sauveur luttant, non plus contre des monstres, mais contre des crimes; triomphant encore, mais moralement, par son martyre même; et on arrivait ainsi à prendre pour idéal Caton plutôt qu'Hercule, et à voir en Caton, comme le mon- trent les vers de Lucain que je citais tout à l'heure, non- seulement un saint, mais un Rédempteur,
Néanmoins il y a évidemment, dans la foi au Christ crucifié, quelque chose qui n'est pas hellénique et qui vient des Juifs et de la Galilée; mais cedr foi elle-même n'a pas tant changé le monde qu'on l'imagine.
On dit souvent que la morale antique, dans ses plus beaux efforts, était frappée d'impuissance; qu'elle ne vivait que dans la conscience ou dans l'école, et que le Christianisme seul l'a fait passer dans la loi et dans les faits. C'est une erreur qui vient de ce que nous ne con- naissons guère l'histoire du droit et des lois romaines
1. Qaum de omnibus gentibus opliine mererere, quum opcni in- digenlibus salulemque ferres, ve! Herculis perpcii aeruninas. a D'olre le bienfaiteur de tous les peuples, de secourir et de sauver les mal- heureux, au prix même des souffrances d'Hercule. »
320 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
qu'à partir de l'époque chrétienne. Mais quell'^ que soit notre ignorance de ce qui précède, nous en savons cependant encore assez pour reconnaître que la philo- sophie exerçait déjà avant l'ère chrétienne la même espèce d'influence qu'elle continua d'avoir ensuite, e( qu'eut après elle la religion. Ainsi, tandis qu'une an- cienne jurisprudence assimilait les enfants d'une femme esclave, laquelle était en la possession d'un usufruitier, à la portée des animaux domestiques, il s'était formé, au temps de la jeunesse de Cicéron, une jurisprudence nouvelle qui se refusait à cette assimilation et mettait à part la personne humaine. Sous Auguste, il y eut une véritcible rénovation du droit romain par l'illustre Antis- tius Labéo * ; or Labéo était un philosophe [qui et in cœteris operibus sapientiœ operam dederal -), un Stoïque sans doute, puisque son inlraitable indépendance faisait que l'empereur était assez mal disposé pour lui. Il avait accompli apparemment, autant qu'il était en lui, le vœu si éloquemment exprimé par Cicéron, que la loi du de- hors se modèle sur la loi du dedans et sur la véritable justice. C'est l'œuvre qui se continua après lui et qui ne fut jamais interrompue. Sous Claude, il fut décidé que, si un maître, pour ne pas soigner son esclave malade, l'exposait, à la grâce d'Esculape, dans l'île du Tibre où était le temple de ce dieu, l'esclave serait libre dans
1. LaLco ingenii qualitate et fiducia doclrina; plurima inno-
vare instituit. « LaLco, appuyé sur la disliucliori de son esprit et la sûreté de sa science..., introduisit de grands changements. »
2. « Dans tous ses travaux, il 'wait donné une pari à la philo- soplàe. 9
LUCAIN, PÉTRONE. PERSE. 321
le cas où il reviendrait à la santé. Et si le maitro tuait l'esclave au lieu de l'exposer, il devait être poursuivi pour meurtre. Sous Néron, ou peut-être même avant lui, une magistrature avait été établie pour connaître des torts des maîtres envers leurs esclaves, et punir les cruautés, les débauches, et enfin l'avarice qui ne four- nissait pas à leurs besoins. C'est le même Néron qui, à son avènement, au moment où il était encore l'écolier docile de Sénèque, désavoua le premier peut-être par un acte public la tradition des carnages de l'amphithéâ- tre, en donnant un combat de gladiateurs où il ne laissa périr personne, pas même les condamnés.
D'autres réformes furent faites sous les empereurs suivants, à côté, mais en dehors du Christianisme; d'au- tres attendirent jusqu'au premier empereur chrétien, d'autres jusqu'à Théodose ; d'autres jusqu'à l'invasion des Barbares; d'autres jusqu'aux temps modernes. Il est enfin des satisfactions que la conscience du genre humain n'a pas encore obtenues à l'heure où nous som- mes. Car il y a une étrange illusion dans l'esprit de ceux qui, persuadés que la raison humaine ne peut rien pour le bien, et que la foi peut tout, vont jusqu'à faire honneur à celle-ci de labolition de l'esclavage; tandis qu'ils voient que l'esclavage subsiste encore, sous leurs yeux, dans deux pays catholiques, après quinze cents ans de règne du Christ, et ne menace ruine que depuis cent ans, c'est-à-dire depuis les combats et les victoires de la libre pensée.
Si on cède à la fantaisiedese placer par l'imagination en dehors de l'histoire, et de se demander ce qui serait
II Si
322 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
advenu dans le cas où il n'y aurait pas eu de propa- gande juive et chrétienne, et où la religion grecque et romaine aurait continué d'exister, il faudra répondre, je crois, que le monde d'aujourd'hui ne serait pas pour cela aussi différent de ce qu'il est qu'on veut bien le dire. Il y aurait pour les esprits naïfs des dieux et des dées- ses, comme il y a des saints et des saintes, la madone et le bambino ; pour les esprits plus forts, il n'y aurait que Dieu ou la nature. Un biographe d'Alexandre Sé- vère a écrit que cet empereur pensait à recevoir le Christ au nombre des dieux et qu'on prétend qu'Ha- drien avait la même pensée. Pour ce dernier point, on n'en peut rien croire ; mais voici comment le biographe s'explique : « Hadrien avait fait faire des temples sans images dans toutes les villes ; ce sont ceux qu'on appelle aujourd'hui temples d'Hadrien, parce qu'ils n'appartien- nent à aucun dieu. Il les destinait à l'usage que j'ai dit, mais on l'empêcha de suivre sa pensée, parce qu'on lut dans les entrailles des victimes que si son vœu était accompli, tout le monde se ferait chrétien et abandon- nerait les autres temples. » Le compilateur qui par- lait ainsi, sous Constantin, en plein triomphe du Chris- tianisme, s'est trompé certainement sur les intentions d'Hadrien ; mais il n'a pas dû se tromper sur les faits, je veux dire sur l'existence de ces temples sans images, qui n'étaient consacrés à aucun dieu en particulier. l\ y a là une tentative de théologie philosophique sur laquelle on en voudrait savoir davantage. Mais quand cette espèce de protestantisme païen n'eût pas prévalu, et quand la religion vulgaire eût continué de vivre,
LUCAIN, PÉTRONE, PERSE. SM
plus indulgente à l'imagination et aux sens, alors les ligures auraient subsisté, mais la foi s'en serait néan- moins retirée à la longue. La mythologie durait fini par n'être guère que ce qu'elle était aux xvi' et xvii* siècles dans le monde chrétien, une langue savante et une belle décoration. Les sacrifices auraient dis- paru d'eux-mêmes, parce qu'ils coûtaient cher, comme il est dit dans une satire de Perse, et qu'ils ne rappor- taient pas ce qu'ils coûtaient. En un mot, la chrétienté s'appellerait d'un autre nom, mais elle serait ce qu'elle est, ou à peu près, et nous vivrions comme nous vi- vons. Tout ce qui devait changer aurait changé, mais par une transformation insensible.
On voit bien que ce n'est là qu'une idée; car s'il est vrai que, dans l'histoire, tout se tient et tout s'enchaîne, il est vrai aussi qu'il ne se fait pas de mouvement con- sidérable sans secousses. Les hommes souffrent, la souf- france fait la passion, et la passion fait les révolutions, la révolution chrétienne est sortie des misères et des ressentiments des peuples opprimés, qui se sont mis à la suite des Juifs par la raison que j'ai déjà dite, que les Juifs étaient les plus irréconciliables et les plus in- domptables des vaincus.
Les Juifs trouvaient moyen de demeurer étrangers à l'empire romain dans Uome même; ils maintinrent d'ailleurs l'indépendance de leur cité plus que ne lit aucun peuple. Ils conservaient la même indépendance h l'égard de leurs propres rois, ne supportant en eux qu'avec peine les créatures des empereurs. La religion qui faisait le fond de leur résistance devait trouver à
3»* LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
ce titre seul bien des sympatliies cliez leurs frères en servitude; elle mettait les peuples plus à l'aise pour détester les Romains avec les dieux des Romains. D'ail- leurs, les Juifs, en se serrant derrière leur dieu pour résister à leurs ennemis, et cela de})uis des siècles, avaient appris à s'aimer entre eux davantage. Ils se secouraient les uns les autres , ils savaient le prix d'une personne humaine. Ils enseignaient par l'exem- ple le respect du mariage et celui de la vie des enfants. L'esclavage, lel qu'ils le connaissaient, restait loin de l'épouvantable esclavage de Rome, avec ses bagnes et avec ses lupanars, qui étaient les bagnes des fem- mes. Ils maudissaient les carnages de l'amphithéâtre, et aussi ceux de la guerre que Rome portait à travers le monde; ils allaient jusqu'à refuser, quoi qu'il en coû- tât, de servir sous l'aigle romaine. Ils condamnaient, comme haï de Dieu, tout ce dont souffrait la plus grande partie du genre humain.
Il y a un personnage, dans les comédies d'Aristo- phane, qui, étant las de la guerre à laquelle Athènes est en proie, s'avise de faire la paix pour lui tout seul. Cette imagination fantastique devenait jusqu'à un cer- tain point une réalité pour le malheureux qui s'afliliaità la communauté juive ; il sortait d'un monde et entrait, pour ainsi dire, dans un autre ; il échappait, dans une certaine mesure aux misères de la vie romaine ; il y échappait d'autant plus que la propagande juive allait s'étendant et se fortifiant davantage.
Quant à la morale et a la philosophie profane, s'il est vrai que, de son côte, elle reprouvait également les iniqui-
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tes et les scandales, il est vrai aussi que les moralistes, en les censurant, n'en souffraient pas. Ils les condamnaient par cela même avec d'autant plus d'autoriLé, mais ils les combattaient avec moins d'emportement et d'énergie. Ils ciaient trop bien établis dans la société telle qu'elle é(uit faite pour la trouver insupportable et pour ne pen- ser qu'à la détruire. Considérons, dans la maison d'un maitre romain, ces deux serviteurs^ le Grec et le Juif. Le Grec est plein de génie; il est ouvert à loules les idées, et habile à les communiquer; il va tout de suite de pairavec le vainqueur; ill'endoctrine, il le persuade; il se fait aimer, admirer, respecter même; car je ne parle pas ici de cette grécaille, si méprisée des Latins, bonne à tous les métiers, et qui excellait dans les pires; je parle des Grecs qui faisaient honneur à leur nom. Ceux-là devenaient, non les complaisants du maître, mais ses précepteurs et ses modèles. Ils lui faisaient parler leur langue ; ils transformaient sa vie et celle de tous autour de lui, en répandant la vérité ; mais cela tranquillement , patiemment , trop patiemment peut-être ; et en effet, pourquoi auraient-ils été impa- tients ou irrités?
Cependant le Juif, esclave dans cette maison , reste enfermé et farouche; il ne communique, s'il n'y est forcé, avec personne qu'avec d'autres Juifs; s'ils lui manquent, il n'ouvre la bouche que pour prier son dieu barbare dans sa langue barbare. Un jour , il murmure quelque chose à l'oreille d'un compagnon qui se plaint et dont il est sûr. Peu à peu, celui-là est atteint, comme par une espèce de contagion ; les voilà
826 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
deux, puis trois bientôt, et puis davantage. Cela se fait sans bruit; ceux qui s'entendent demeurent par- faitement isolés des autres, et semblent ne se soucier de personne. On les remarque pourtant, car ils ont des pratiques singulières, une austérité de vie plus singulière encore; ils semblent posséder des secrets pour les maladies du corps et pour celles de l'àme : personne ne les comprend ni ne les aime, mais tout le monde s'occupe d'eux. La maîtresse , dans une heure d'ennui et de découragement, se sent attirée par ce mystère; elle interroge une servante avec une curiosité qui est déjà de la faveur : Tu es donc Juive ! Elle lui demande des consolations, et elle les trouve. Pour le maitre, on ne pense pas d'abord à rien essayer sur lui; on n'en a pas même envie; on aime mieux se faire une vie à part, qui lui est fermée, et où son autorité ne pénètre pas. Il finit cependant par enten- dre parler de quelque chose; il se moque, car il a bien d'autres affaires dans l'esprit; il laisse aux femmes ces fantaisies. Néanmoins le changement qui paraît chez lui l'étonné : et si par hasard il se fait un vide dans son existence, et qu'il n'ait d'ailleurs ni doc- trines arrêtées ni puissance de réflexion pour remplir ce vide, il en vient à subir la fascination de l'étran- geté, et le voilà à son tour qui judaïse. Il s'est fait ainsi une révolution dans l'ombre. Tandis que la sa- gesse grecque entrait dans la maison par en haut comme le soleil, et la remplissait de sa lumière, sans atteindre pourtant et sans pénétrer partout , le zèle juif remontait d'en bas comme une vapeur et s'infil-
LUCAIN, PÉTRONE, PERSE. 3i7
(rait dans les âmes d'une manière à la fois sourde et violente. L'esclave insociable et méprisé vient à bout de tous, parce que, dans son isolement m('me,il a senti plus fortement et voulu plus énergiquement. Voilà ce que fut la propagande du judaïsme.
En même temps, cette religion, toute religion qu'elle était, allait, comme je l'ai montré déjà, à la rencontre de la philosophie qui se séparait de l'ancienne foi. Non-seulement les Juifs n'avaient qu'un dieu, mais partout ailleurs (ju'à Jérusalem (et Jérusalem n'était qu'un point, tandis qu'il y avait des Juifs par toute la terre), ce dieu n'avait ni temples, ni autels, ni sa- crifices, ni prêtres, et on ne l'adorait que par la parole et par la pensée. A Jérusalem même, ce dieu n'avait pas d'images et demeurait invisible. Il avait un nom propre, comme tons les dieux de l'antiquité; mais à force d'être sacré, ce nom était devenu ineffable ; on ne le prononçait plus , on ne l'écrivait plus , et , dans les traductions de la Bible, on n'appelait plus lehova que le Seigneur, d'un nom qui convenait au dieu de tout le monde*. C'est ce qu'il devenait en effet de plus en plus. Horace a dit : « La Grèce conquise conquit son vainqueur farouche » ; ce qu'il avait dit avec gra- titude, Senèque le répétait avec indignation en parlant des Juifs. Au commencement du règne de Néron, lorsque, dans une alarme, on massacrait les Juifs de tous côtés dans les villes grecques de la Syrie, Joseph dit que ces
1. On a remarqat^ que Diodoro emploie ce mot, le Seigneur, en l'appliquant au dieu qu'on adorait à Thébes en Egypte.
328 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
massacres ne délivraient pas les Grecs de leurs inquié- tudes, parce qu'il restait les judaïsants, qu'ils avaient toujours au milieu d'eux sans les bien connaître et sans oser les frapper. A Damas en particulier, quand on massacra ainsi les Juifs, la principale difficulté fut de dérober ce complot à la connaissance des femmes, qui presque toutes étaient attachées au judaïsme. Outre l'esprit d'indépendance qui , dans un temps où les femmes étaient des sujettes, leur faisait fuir la religion do leurs m.aîtres, elles n'étaient pas d'ailleurs arrêtées, comme les hommes, par l'obstacle de la circoncision. Il est vrai que ce que je viens de dire se passait à côté de la Judée , mais le mouvement se propageait partout, jusque dans Rome même, jusque chez les princes de la cité. En l'an 57, une femme de la première no- blesse, Pomponia Graecina, était citée devant un tribu- nal de famille, présidé par son mari consulaire, comme accusée de judaïsme, superstilionis exlernœ rea; le mari prononça l'absolution. La fameuse Poppée, la maîtresse, puis l'épouse de Néron , protégeait les Juifs dans les moments difficiles ; car, dit Joseph, elle était du nom- bre des adorateurs de Dieu.
Cependant les âmes ne se livraient pas tout en- tières, parce que beaucoup de Judaïsants ne pouvaient se décider à se faire Juifs; quand tout à coup cette nouvelle se répandit, vers le temps de Claude, qu'il s'était élevé en Galilée une secte d'après laquelle Dieu acceptait désormais l' incirconcis comme le circoncis, et les viandes ou les pratiques des Hellènes comme celles des Juifs. C'était assez qu'on crût à un libérateur,
LUCAIN, PÉTRONE, PERSE. 329
à un Clirist, qui devait enlever s.s élus aux misères de cette vie et les faire entrer au royaume de Dieu. Dés lors toutes les barrières tombèrent , et l'élan qui em- portait l'Occident vers une foi nouvelle fut irrésistible. Les Gentils passent au Seigneur , mais le Seigneur à son tour passe aux Gentils. Le judaïsme triomphe et s'arrête tout à la fois; on ne judaïsera plus dorénavant, on christianise. Le dieu des Juifs s'achemine à grands pas vers la conquête du monde; mais il ne se fait plus de Juifs dans le monde, tandis que, la veille encore, il s'en faisait tous les jours. Certes, la religion juive n'est pas morte en produisant le Christianisme, puisqu'elle vit encore ; mais à partir de cet enfantement extraordi- naire , elle a à peu près cessé d'enfanter.
Aussi les chrétiens furent tout d'abord aussi odieux aux Juifs qu'aux païens fidèles. Et quand l'affreux in- cendie qui dévora Rome sous Néron eut exaspéré les peuples, les Juifs contribuèrent sans doute à détourner sur les chrétiens la fureur publique, qui autrement se serait attachée à eux-mêmes. C'est alors que les chrétiens prennent place pour la première fois dans l'histoire pro- fane; ils y entrent par le martyre: « Pour faire tomber, dit Tacite, les rumeurs qui l'accusaient, Néron offrit en pâ- ture d'autres coupables, et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d'hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chré- tiens. Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus. Réprimée ainsi un instant, cette exécrable superstition débordait de nouveau, non-seulement dans la Judée,
330 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
OÙ elle avait sa source, mais dans Rome môme, où tout ce que le monde renferme d'infamies et d'horreurs afflue et trouve des partisans. On saisit d'abord ceux qui avouaient leur secte, et, sur leurs révélations, une infinité d'autres, qui furent bien moins convaincusd'in- cendie que de haine pour le genre humain. On fit d(3 leurs supplices un divertissement : les uns, couverts de peaux de bétes, périssaient dévorés par des chiens ; d'autres mouraient sur des croix, ou bien ils étaient enduits de matières inflammables, et, quand le jour ces- sait de luire , on les brûlait en place de flambeaux. Néron prêtait ses jardins pour ce spectacle et donnait en même temps des jeux au Cirque, où tantôt il se mêlait au peuple en habit de cocher , et tantôt conduisait un char. Aussi, quoique ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, les cœurs s'ou- vraient à la compassion, en pensant que ce n'était pas au bien public, mais à la cruauté d'un seul qu'ils étaient immolés. » (Traduction de Burnouf.)
Quel étonnement et quel malaise on éprouve aujour- d'hui en entendant ce langage! Ainsi le grand juge comme le grand peintre de la tyrannie, l'homme qui a mérité par la fierté de son esprit et de son àme d'être l'interprète de ce qu'il appelle la conscience de l'huma- nité, ne condamne dans ces supplices que la débauche de cruauté d'une nature perverse, et ne trouve d'ailleurs pour les victimes que des paroles d'indignation et de mépris. Hélas! ces tristes sentiments sont ceux d'un Romain fidèle; il no connaît que Rome, et il sent qu'elle est menacée par ceux dont il parle dans sa grandeur et
LUCAIN, PÉTRONE. PERSi:. 331
dans son existence même. Il les appelle les ennemis du genre humain, parce qu'il voit bien qu'ils sont ceux de Rome et de son empire. Il sent qu'elle est sapée dans ses fondements par ces misérables, qui ne sont rien, et qu'on ne vient pourtant pas à bout d'extirper. En un mot, il est inique, mais non pas aveugle; car l'avènement du Christianisme peut être déiini, en effet :
LA PREMIÈRE INVASION DES BARBARES.
Celle-là est venue de l'Orient ; elle est toute morale et ne détache de l'empire que desr âmes, non des terri- toires ; mais ellele dissout par là moralement et en pré- pare la ruine, comme elle prépare aussi le monde nou- veau qui doit s'élever sur cette ruine, et qui est le nôtre. Il y avait déjà trois cents ans qu'Ératosthène avait dé- savoué ceux qui, avant lui, divisaient les hommes en Grecs et en Barbares, et qui conseillaient à Alexandre de traiter les Grecs comme des amis et les Barbares comme des ennemis. Il disait qu'il y avait parmi les Barbares non-seulement des hommes, mais des peuples véritablement civilisés, et il apportait en exemple la ci- vilisation de l'Inde. Depuis cette époque, le monde grec et romain avait fait bien du chemin vers l'Orient; mais il fallait que l'Orient, de son côté, marchât aussi vers le monde grec et romain; et c'est par les Juifs que ce mouvement s'est accompli. Il est donc temps d'étudier les Juifs. Je suis arrivé au moment où le ruisseau tou- jours grossissant du judaïsme vient tomber dans le grand fleuve hellénique et s'y absorber, tout en don- nant aux eaux qui le reçoivent une teinte nouvelle. Je dois remonter maintenant à la source même d'où il
332 LE CUUISTIANISME ET SES ORIGINES.
est sorti, et le suivre dans son cours jusqu'au con- fluent, je veux dire jusqu'au Christianisme. Ce sera le sujet d'un second et dernier travail.
Je dirai encore en finissant qu'on ne déshonore pas le Christianisme en l'appelant une invasion des Bar- bares. Et ces mots n'expliquent pas seulement le passé du Christianisme, ils en annoncent aussi l'avenir.
L'invasion des Barbares a amené bien des souffran- ces et des désastres; elle a emporté, avec l'ancien monde, des merveilles de civilisation. Et pourtant il est permis de croire qu'à tout prendre elle a profité à l'humanité, et que les nations ont bien fait d'échanger la domination romaine contre une anarchie d'où est sortie leur indépendance; car tous tant que nous sommes, peuples d'aujourd'hui, nous n'existons que par la dissolution du monde romain.
Le Christianisme aussi a fait, dans l'ordre intérieur, bien des ruines. L'Église, en se constituant, a con- damné l'esprit humain à des servitudes et à des dé- faillances de toute espèce. Elle a fait de plus beaucoup de mal même au dehors ; elle a produit les guerres re- ligieuses; elle a eu ses cachots et ses bûchers. Et cependant il n'est pas défendu de penser que le gros du genre humain, en passant du paganisme au Chris- tianisme, a gagné quelque chose en moralité et en li- berté.
Mais les révolutions qui se sont accomplies alors n'ont pu être réellement un bienfait qu'à la condition ({u'elles ne s'arrêteraient pas et qu'elles conduiraient les hommes à un é(at meilleur.
LUCAIN. PÉÏUJNE, PERSE. 333
Le méiile du moyen âge est d'avoir enfanté le monde moderne; en d'aulres termes, le mérite de l'in- vasion des Barbares a été d'aboutir à ce qu'il n'y ait plus de Barbares,
De même le mérite et le bienfait de l'avènoment du Christianisme est qu'il aboutisse à ci' qu'il n'y ait plus ni païens ni Chrétiens, mais des esprits libres , défi- nitivement affranchis de tous les dieux.
NOTES
QUI RENVOIENT AUX TEXTES SUR LESQUELS s'aPPUIENT MES ASSERTIONS* .
Page 2. Que la comédie nous décrit. — Piaule, le Perse, 125.
— En soupant assis. — Piaule, Stichus, 684.
Page 3. A se désavouer elle-même. — Voir le Minos (at- tribué à Platon), p. 303, et une Dissertation anonyme publiée par Henri Eslienne dans son édition de Diogène de Laerle, p, 473.
Page 4. Qu'est-ce que c'est, disaient-ils. — Pluiarque. de la Vertu morale^ p. 452. Comparez l'Évangile de Mat- thieu, XI, 12.
— Une foule prodigieuse de philosophes. — Slrabon, p. 15.
Page 5. Sans Chrysippe, disait-on. — La pensée qu'exprime celle phrase se trouve partout, mais notamment dans Cicéron^ Academica, II, 24. Voir aussi de Finibus, I, 2
— A éplucher qu'à manger. — Ariston,dans Stobée, An- thologie, LXXXII, 7.
— Le repos, le repos ! — La Fontaine, Fables, VII, 12.
— Et on racontait que les jeunes gens. — Valérius, VIII, 9, externa, 3.
P. ge 6. Et Monime qui disait aux riches. — Dans Slobéc, Anthologie, XCIV, 36.
— Et pour montrer quelle n'existait pas. — Cicéion, Tusculancs, I, 31, et 1, 10, etc.
Page 7. Qui nous a été conservée par Cicéron. — De Rcpu- blica, I, 2. El Valérius, II, 10, externa, 2.
1. Voir la note au bas do la page 359 du lome I"'.
336 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Page 7. Voici ce qu'on racontait de lui. — Horace, Satires, II, III, 253, etc.
Page 8. La comédienne Pélagie, — J'ai pris cela, sans re- courir au texte, clans les Vies des Saints-Pères d'Ar- nauld d'Andilly, tome premier.
— Etait célèbre jmr un Hure sur le Deuil. — Plutarque, Consolation à Apollonios, p. 104 , et Gicéron, Acade^ mica, II, 44, etc.
Page 9. Se conservât chaste jusqu'à vingt a7is. — Dans Sto- bée, Anthologie, CI, 4.
— De façon qu'on avait la liste. — M. Bûclieler a publié récemment à Greifswalde une de ces Listes, celle des phi- losophes Académiques, trouvée dans les papyrus d'Her- culanum.
Page 10. Les hirondelles, disait-on. — C'est une des Com- paraisons pythagoriques de Démophile, publiées par Orelli dans ses Opuscula veterxun grœcorum sententiosa et mom/ia, Leipzig, 1819 et 1821. — A ce que j'ai dit au chapitre IX (p. 310 du tome l^'') sur ce qu'étaient les phi- losophes dans le monde grec, j'ajouterai ici, qu'on disait de tel peintre dans l'antiquité, qu'il peignait volontiers des philosophes (Pline, XXXIV, xix, 36), comme plus tard on a peint des moines. Chez les modernes, les philosophes ne sont pas pour la peinture des sujets particuliers.
Paf'C 11. Fut députe' par les Athéniens à Antipiatre. — Plu- tarque, Vie de Phocion, 27.
Page 12. Le stoïque Sphéros. — Plutarque, Vie de Cléomène, 2. — Abantidès. .. Aratos. — Plutarque, Vie d''Aratos, 3 et 5.
— La comédie applaudit. — Athénée, XIII, p. 610. »— L' auteur d'un livre attribué à I soc rate. — Nicoclès^
9. Voir aussi le Minos, p. 318.
— Par Lysimaque et de la Syrie par Antiochos. — Athénée, XIII, p. 610, et XII, p. 347.
Page 13 (En note). Le juste hommage rcnïu par un maitre.
— Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, t. V, p. 369, et t. VII, p. 21. Voir Théocrite, 22, et AnthoL, Vif, 472.
P<ig" 14. Mais les œuvres de Mdnandrc sont perdues. — Tous les fragments de Ménandre qui offrent quelque intérêt au
iNOTF.S. 337
point de vue moral oui été recueillis el traduits dans VEssai historique et littéraire sur la comédie de Me'nan- dre, par Cli. Bonoil, i854. Page 14. Les Stoiques aux sourcils froncés. — Ménandrc, {l'Andrienne), cité par Donat, dans son commentaire sur VAndria de Térence, II, iv, 3.
— Comme un esclave fugitif. — liaton, cité par Athénée, III, p. 103 (el IV, p. 163). La phrase qui suit dans mon texte se rapporte aussi à ce morceau.
— Un comique faisait parler une courtisane. — l'héni- cide, dans Stobée, Antholo(iie,\l, 30.
Page 15. Tu sais, dit un père dans Térence. — Au début de YAndria.
— Un cuisinier prétend qu'il en possède. — Pris de Damoxène, cité dans Athénée, III, p. 102.
— // enseigne à mourir de faim. — Philémon, cité par Diogène, VII, 27, et par Clément d'Alexandrie, Stro- mates, II, p. 177.
— Et qu'elle proteste que c'est là offenser les dieux. — Voir encore Athénée, III, p. 163.
— Qu est-ce que c'est, dit-il. — Sotion, dans Athénée, VII, p. 336.
Page 16. Qucst-ce que de nous? — Plante, Captivi, pro- logue.
— Les dieux jouent à la balle. — Ibidem,
— Tout cela se prêchait à la comédie. — Voir Piaule, le Perse, 628; Trinumus, 648; Alexis, dans Athénée, XI, p. 463; Ménandre, dans Stobée, Anthologie, CXXI, 7.
— Ne pleurons pas tant nos morts. — Anliphane, dans Stobée, Anthologie, CXXIV, 27; et Philémon, ibidem, CVIII, 39.
— Si tu veux te connaître. — Ménandre, Fragment cité par l'auteur anonyme de l'écril intitulé : Parallèle de Ménandre et de Philémon, et reproduit dans les di- verses coMections des Fragments de Ménandre.
— Celui qui est aimé des dieux meurt jeune. — Stobée, Anthologie, CXX, 8. A l'occasion de ce vers, M. Chas- sang, dans son livre sur le Spiritualisme chez les Grecs,
II. 'H
338 LE CHRISTIAXISUE ET SES ORIGINES.
page 61, renvoie ses lecteurs à l'ouvrage de M. Guillaume Guizot : Ménandre, Étude historique sur la comédie ei la société grecques, 1855, el en particulier au chapitre de la Tristesse dans Ménandre.
Page 16. Dans une scène où un pauvre. — Plaute, Trinumus, 247.
Page 17. Si ton âme est en bon état. — Plaute, Auluîaria^ 143.
— Que manque-t-il à celui-ci. — Térence, Heautonti- morumenos, 193.
— L'homme vraiment honnête. — Piaule, Trinumus 277.
— Après la mort, il n'y a plus pour moi. — Piaule, Captivi, 674 (et 623). Le vers cité en note, page 18, est dans les Troyennes, 401.
Page 18. Qui se châtie lui-même. — C'est le sens du titre grec que Térence n'a fait que transcrire en latin, Heau- tontimorumenos.
— Il est fait de la même chair. — Philémon, dans l'Anonyme déjà indiqué.
— Est bien né, ma mère, fût-il un nègre. — Ménandre, dans Slobée, Anthologie, LXXXVI, 6. Comparez la Lettre aux Galates, m, 28, eildi Lettre aux Colossiens, m, 11.
Page 19. La comédie étale la misère de l'esclave. — Ménan- dre, dans Slobée, Anthologie, LXII, 34.
— Accorde-lui un peu de liberté. — Ménandre, ibidem, 24.
— Ta vois un pauvre nu. — Philémon, dans l'Anonyme déjà indiqué.
— Ailleurs on voyait sur le théâtre. — Piaule, Ru- densy 199 et 322.
Page 20. Je suis homme. — HeautonlimorumenoSy 77; Plaute, Asinaria, 472, et Trinumus, 404.
— L'ait accouchée, comme disait Socraie. — Théctète, p. 149.
— Lâne est un pauvre animal. — Ménandre, dans Sto- bée. Anthologie, XCVIII, 8.
Page 21. Un dieu, femme, ne guérit pas. — Ménandre dans Justin, de la Monarchie, p. 29.
NOTES. 339
Page 21. Les diniT, sat.s doute. — Antiphane ''^t Ménan- dre), dans Porphyre, de l'Abstinence. II, 17.
— Et Vadorer sans le discuter. — Pliiléraon, dans Slo- b-^e, ytorceaux choisis sur la nature. 11, i, 5.
— // est impie de vouloir comprendre. — Philémon. dans l'auteur anonyme déj^ indiqu(?.
— Il \i a un dieu qui voit et entend. — Piaule, Cap- tivi, 247.
page 22. Préposées ici-bas à ce ministère. — Piaule, Rudens, prologue.
— Chacun de nous a un Génie. — Ménandre, dans Ck- ment d'Alexandrie, Stromates^ V, p. 260.
— Ta, mon père, dit le fils. — Térence, Adelphi, 707.
— Un demi-vers de Plaute. — Pcenuius , 279. Pour la noie, page 23, voir la Rhétorique, IL, xvii, 2.
Page 23. Là où Foriginal espagnol. — Tirso de Molina,
III« Journée, scène xi. Page 24. J'ai vu souvent, dit un personnage. — Plante, Ru-
dens, 1133.
— Femmes, femmes! — ApoUonide, dans Slobée, An- thologie, LXVII, 3.
Page 23. Il s'abstient de la posséder. — ApoUonios, IV, 1161.
— Déjà le Syracusaitt Hicétas. — Cicéron, Academica, U, S9.
— Fut blessée de cette hardiesse et la condamna. — Plularque, de la Figure de la lune, p. 223.
Page 26. Aux prétendants de Pénélope. — Arislon de Chio,
dans Slobée, Anthologie, IV, 110. Page 27. Par Étémère de Messine. — Cicéron, de Natura
deorum, I. 42.
— Èvémère a fourni aux Pères de P Église. — Lac- tance, I, U.
Page 28. Théopompe, l'histonen de Philippe. — Dans le livre attribué à Plularque, sur Isis et O^iris, p. 370.
— Ils ne connaissent, dirait Dino. — Dans Clément d'Alexandrie, Exhortation aux Gtnlils, I, 5, p. 19.
Page 29. (En .lole). Quelque accréditée que soit. — Voir le livre sur Isis et Osiris, dans les œuvres de PluUrqae, p. 361 ; et les Fragmenta historicorum grœcorum^
3i0 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
dans la Bibliothèque grecque de Didot, t. I, p. xliii, seconde colonne, et t. II, p. 512, première colonne. Page 31. Espèce'de Collège Royal de l'antiquité. — Stra- bon, XVII, p. 794.
— Presque aucune trace. — Voir Apollon ios, IV, 260-276.
— Hécatée d'Abdère, par exemple. — Diodore, I, 10 et 46.
— On lit dans une Inscription. — Corpus, 4893 (voir aussi 5073), inscription tirée de Letronne, Recherches sur les Inscriptions grecques de VÉgypte, t. I, p. 390.
Page 32. QuHl s'élève contre mon roi. — Hymne à Apol- lon, 26.
— Une suite d'écritures sur papyrus. — Voir les Papy- rus grecs du Musée du Louvre et de la Bibliothèque Im- périale, publication pr(^parée par Letronne, exécuté'e pa- MM. W. Brunel de Presle et E. Egger, 1866, n^' 22 et suivants, et le Mémoire de M. Brunet de Presles sur le S6- rap(^on.
— Sur laquelle nous avons d'autres témoignages. — Celui d'un poëme aliribué à Manétlion.
Page 33. (En note) Notice sur le Musée de Boulaq. — Se- conde édition, p. 88 ; voir aussi p. 313.
— Les conduisirent jusque dans l'Inde. — Sur tout ce qui suit, voir Diodore, II, 38; Arrien, Inde, v, 4, et les Extraits de Mégaslhène, d'Onésicrite et d'Arislobule qui se trouvent dans Strabon, XV, p. 711 et suivantes, et dans Clément d'Alexandrie, Stromates, I, p. 132. Voir aussi sur ces Extraits les notes de M. Mûller dans ses Fragmenta histoncorum grœcorum.
Page 37. Le Grec Gélon en traitant avec les Carthaginois. — Voir le Sclioliaste de Pindare sur la seconde Pythique.
— Le nom de Bouddha est dans Clément, — Stromates^ I, 15.»
— Mégaslhène a même dit. — Strabon, p. 709.
Page 38. (En note) Traduction de M. Foucaux. — Dans le volume intitulé le Mahabharata : onze épisodes, 1862, p. 142. Je cite plus loin le Ramayana traduit par M. Fauche, t. I, p. 254 (1854); puis le Mahabharata^
NOTES. 541
parle même, t. IV, p. 42 (ISGIi) et l. I, p. 491 (1863). Pour les Lois de Manou, voir II, 191-197 (la traduclioa est de 1833). Enfin la traduction citée de M. Emile Bur- nouf est celle de la Bhagavad-GUa, 1861 (avec le texte en caractères latins), p. 23. Page 42. Ils les avaient confondus longtemps. — Hérodote, II, 104.
— Joseph cite un Dialogue de Cléarque. — Réponse à Apion, I, 22. Voir ce passage pour tout l'alinéa, et aussi Diodore, dans les Fragments du livre XL, conservés par Photios.
Page 46. Des méprises comme celle de Madame de Staël. — De la Littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales, 1800, I'^ partie, chapitre iv.
Page 48. Comme dit Polvbe, sur le nuage. — Au livre V, 104.
Page 49. Pendant le siècle qui se termine. — Voir les cha- pitres XXXIII et suivants de l'Histoire de la Grèce aii' cienne de M. Duruy.
— Mantinée est saccagée. — Polybe, II, 56.
— Pohjbe nous peint la Béotie. — Au livre XX, 6. Page 50. Qui périt par la dépopulation. — Livre XXXVII,
IV, 4.
Page 53. Il semble, suivant l'expression de Cicéron. — De Republica, II, 4.
Page 55. Plus de 170 ans. — Au dire de Varron, cité par Au- gustin, de Civitate Dei, IV, 31. Pour ce qui suit, voir la Rômischc Mythologie de M. L. Preller, 1838. Elle a été traduite, ou plutôt réduite en français par M. L. Diclz, 1865, avec une préface de M. Alfred Maury.
Page 56. Où est le Romain, dit Cornélius Népos. — Dans sa Préface.
— Les amours contre nature. — Horace, au second livre des Satires, m, 325 : Mille puellarum, pucrorum mille furorcs.
Page 57. Et les Grecs étaient frappés les premiers. — Dionysios ou Denys d'Halicarnasse, II, 19-20.
342 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Page 58. Par la vertu d'une évocation. — Macrobe, Satuv' nalia, III, 9.
— Elle se vantait d'avoir plus de religion. — Cicéron, De Ilaruspicum responsis, 9.
— Que nous trouvons sur un monument. — Inscription de Tl'os (Corpus, 3045), transcrite par M. Egger dans l'Appendice de ses Latini sermonis vetustioris reliquiœ selectœ, 1843, p. 373.
— Quand il s'agit des choses sacrées. — Dcnys, II, 72.
— Perses réfugié dans l'asile. — SallusLe, Lettre de Mithridate.
Page 59. Les prescri^Hions imposées au Flamen. — Polybe, XXI, 10, et Gellius,X, 15. Tertullien, Prescr. 40.
— Toutes les prières sont dictées. — Athénée, VI, p, 274.
— Cette parole de Virgile. — Enéide, VI, 850.
— Tout culte privé ou public. — Tite-Live, I, 20. Page 60. Des prêtres à Rome. — Denys, VII, 38.
— Au caractère de prêtre. — Tite-Live, XXVII, S.
— Dans son livre sur la propriété rurale. — De Rt rustica, 143.
Page 61. On lit des prescriptions comme celle-ci. — Voir le texte dans le livre de M. Egger cit<1 tout à l'heure.
— Ni romains ni soiunis à Rome. — Cette étude sur l'époque de Cicéron ayant paru dans la Revue contem- poraine en août 1868, M. Félix Robiou, qui tient un des premiers rangs parmi les érudits de l'école catholi- que, publia dans la môme Revue, en avril 1869, un article où il combattit mes idées, en me traitant d'ailleurs per- sonnellement avec toute la courtoisie, et môme la faveur d'un ami de trente années. Il ne me contredisait pas sur tel ou tel fait particulier, mais sur ce qu'on peut appeler les faits généraux; et il n'y a rien, il faut l'avouer, qu prêle davantage à la dispute. Les faits généraux sont des ensembles, oîi se trouvent réunies les diversités et même les contradictions apparentes. Ainsi il est vrai, comme le lit M'i Robioi;, et je l'avais dit aussi, que Rome n'impo- sait pas sa religion à ses sujets étrangers, et qu'ils pou- \aient tous adorer librement leurs dieux, que les Romains
NOTES. 34i
rcspcclaiont eux-mènics. Mais il est (?galcmenl vrai que Rome, je veux dire l'auioriliî romaine, n'aimail pas, au milieu des siens, ce qu'elle appelait les siiperslilions étran- gères; et qu'au contraire les opprimés de toute espèce, plèbe, affranchis, esclaves, femmes, embrassaient voloiiliors ces superstitions, précisément parce qu'elles les séparaienl de leurs maîtres, et qu'ils trouvaient là une sorte d'indé- pendance. C'est par des antinomies de cette espèce qu'il faut expliquer, en général, le désaccord qui parait entre le tableau de M. Robiou et le mien. — M. Robiou avait déjà traité ces questions, en 1832, dans un travail intitulé, de l'' Influence du Stmcisme à V époque des Flaviens et des Antonins.
Page 61. Polybe reproche à ses maîtres. — Dans Cicéron,de Republiea, IV, 9.
Page 62. Se prévaloir de la religion, comme dit Montesquieu. — De rEsprit des lois, XX, 7.
— Urbi et orbi. — Le vers cité en note est d'Ovide, Fastes, II, 684. Quand nous disons, le monde romain, c'est une expression des Romains eux-mêmes (Dion, LUI, 26, etc.)
— A vous, citoyens, dont la puissance. — Cicéron, pro C. Rabirio, 2.
— C'est là qu'un roi suppliant. — Salluste, Jugurtha^ 14.
Page 63. Que celle de la destruction du monde. — Cicéron, dans Augustin, de Ciuitate Dei, XXII, 6.
— Comme Cicéron aimait à le croire. — Tusculanes, VI, 2 ; de Oratore, II, 37.
Page 64. Dans un portrait où nous aimons. — Cité parGellius, XU, 4.
— Son Télamon parlait. — Cilé par Cicéron, de Divv- natione, II, 50.
— Je ne me soucie ni d'un augure Marse. — Ibidem, I, 58. ♦
Page 65. Un poëme qui portait le titre d^Èpicharme. — Cité par Varron, de Lingua latina, V, 6o.
— // traduisait le livre d^Évémère. — Voir Lactance, I, H.
344 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Page 65. (En note). La religion consiste. — Cicéron, Rheto-
rica (ou, de Inventione), II, 22; Polybe, III, H2, et
VI, 56. Page 66. Sur U rapport de Marcus Pomponius. — Gellius,
XV, n. Page 67. Les Athe'niens avaient choisi. — Gicéron, de Ora^
tore, II, 37, etc.
— Que les célèbres Douze Tables. — Cicdron, de Ora~ tore, I, 44.
— Telle oraison funèbre. — Cicéron, de Senectute, 4.
— Pour n'être pas choqués du bavardage. — Cicéron, de Oratore, II, 14, et 4.
— Une scène de VAntiope d'Euripide. — Cicéron, de Oratore, II, 37, et Rhetorica ad Herennium (livre attri- bué à Cicéron), II, 27.
Page 68. Les maîtres étaient les Romains. — Cicéron, de Oratore, III, 34.
— Que cette belle sagesse n'avait pas profité. — Sallustc, Jugurtha, 85.
Page 69. Au témoignage de Polybe. — Livre XXXII, 13. Page 70. Cicéron nous parle d'un certain Gellius. — De
Legibus, I, 20. Page 71. Polybe, en parlant ainsi. — Livre XIII, 5.
— Nobilis libros Panœti, a dit Horace. — Carmina^ I, 29.
Page 72. U71 certain Amafinius. — Cicéron, TusculaneSy IV, 3.
— Le savant Varron. — Voir sur Varron l'excellent livre de M. Boissier, Étude sur la vie et les ouvrages de Varron, 1861.
— A partir de lui, le trésor de la philosophie. — Avant lui, la philosophie était si peu populaire à Rome, qu'on a remarqué que les mots de philosophie et de phi- losophe ne sont pas employés dans les Discours publics de Cicéron, pas même dans ce passage du pm Murcna où il plaisante assez longuement sur la docirine des Sloï- ques. Le nom de philosophe se trouve une seule fois, dans le Discours in Pisonem, qu'il prononça quand il
NOTES. 345
avait déjà cinquante ans, et où il met en scène un phi- losophe de profession. Page 73. Tant la religion. — Tanlum religio potuil suadcre malorum. I, 102. Le vers de Corneille (qu'il faut lire : Nous t'n avons beaucoup pour cire de vrais dieux) est dans Polycucte, acte IV, scène vi.
— Varron avait fait le dénombrement. — Voir saint Augustin, de Civitate Dei, VI, 9.
— On ne voulait plus croire. — Gic(5ron, Acadcmica, II, 38.
— Ni faire du mal. — Cic(?ron, de Officiis, II, 3.
— La peur des enfers. — Cicéron, pro Roscio, 24; pro Cluentio, 61 ; de Natura deorum, II, 2 ; Tuscu- lancs, I, 6; Lucrèce, III, 991.
— Que des symboles d'une divinité unique. — Cicé- ron, de Natura deorum, II, 24.
Pa^e 74. Que les astres n'étaient qu'une matière. — Ci- céron, de Natura deorum, III, 4; Lucrèce, V, 117.
— Les doutes s'élevaient de tous côtés. — Lucrèce, VI", 85 et 280.
— On relevait impitoyablement. — Cicéron, de Rc- publica, III, 6.
— De préjugés bons pour le peuple. — Cicéron, de Natura deorum, I, 22.
— On n'était pas dupe des images. — Varron, dans Augustin, de Civitate Dei, IV, 31 , et Cicèron, de Na- tura deorum, III, 15.
— Prenaient en pitié Vidololatrie. — Le pocle Luci- lius avait donné l'exemple de ce mépris dans des ver» qu'un Père de l'Église nous a conservés (Lactance, I, 22).
— Les dieux véritables et les faux dieux. — Cicé- ron, de Natura deorum, II, 1; voir aussi Baruch, vi, 58. Le mol hébreu que l'on traduit par non dieux [Deu. téronome, xxxii, 17), est tout autre chose; j'y revien- drai en parlant des Juifs. Quand M. Bréal a dit : t Pour l'antiquité, il n'y eut jamais de faux dieux (Hercule et Cacus, p. 37) », il entendait parler du peuple, non des philosophes.
346 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Page 76. Varron de son côté. — Dans Augustin, de Cicitaîe Dei, VII, 9.
— Il condamnait même les sacrifices. Je ne retrouve pas le passage que j'ai eu en vue.
Page 78. Cest le témoignage de Cicéron. — De Xatura deorum, II, 2.
— Célébrant à la fois en plein Forum — Pro Lcge manilia, 16.
— Ici, c'est la Diane de Ségeste. — Verrines, IV, 35.
— Là il nous montre Enna. — Ibidem, 49.
Page 79. La vengeance de Jupiter Stator. — Première Catilinaire, 13.
— Il semble que les dévotions de toute espèce. — Cicéron, de Finibus^ H, 20.
— La Fièvre a des temples. — Cicéron, de Legi- bus, II, il.
— Nous trouvons dans une rhétorique. — Cicéron Rhetorica, I, 53.
Page 80. Les livres de la Sibylle. — Cicéron, de Divina- tione, I, 43.
— Suivant Salluste. — CatUina^ 47.
— Les dieux font baisser le prix du blé. — Cicéron, pro Domo, 6. Voir aussi Troisième Cafj/t/iajre, 8. Quant aux songes de son exil, il n'en parlait qu'en vers : voir le de Divinatione, I, 28 et H, 66.
Page 81. Je l'avoue, sénateurs. — Au chapitre ix. Page 83. Car Pompée était sensible. — De Divina- tione, II, 24.
— Qu'un rameur de Rhodes avait prophétisé. — Ibidem, I, 32.
— On racontait que César. — Ibidem, I, 52.
— Un de ses amis, Cécina. — Lettres ad diversos, VI, 6.
— Cette science était déposée. — De Divinatione, I, 33. '
Page 84. Aucune observation à ce récit. — Lettres ad di- versos, X, 12,
— Puisque déjà Eudoxe. — De Divinatione, II, 42.
NOTES. 347
Élail-ce de l'asirologin que ce que pratiquaient les Égyp- tiens, d'après Hérodote, II, 82? Page Si. Dont on ne tirât l'horoscope. — De Divinatione, U, 47.
— Qu'on avait aussi tire le sien. — Tusculanes, I, 40.
— évoquaient ainsi les âmes. — Tusculanes, l, 16, etc., et cliipilre vi da Discours in Vatinium. Celte su- perstition rcmoniail, comme les autres, aux temps antiques: voir Hérodote, V, 92, et Aristophane, Oiseaux, iliiO.
— Lucrèce jious les fait voir. — Livre III, 48. Page 8o. Cicéron se vante. — Ad Atticum, V, 21.
— Avaient été enterrés vivants, — Plutarque, Vie de Marcellus, 3.
— Que le monstre serait brûlé vif. — Diodore, Frag- ments du livre XXXII.
Page 86. Et il y a dans Livius ou Tite-Live. — Livre XXYII, 37; XXXI, 12; XXXIX, 22.
— Dans un livre de cette école. — Celui de Philo- dùme sur la Piété (papyrus d'Herculanum).
— Les aruspices d'Etrurie. — Piutarque, Vie de Sulla, 7.
— D'une création épuisée. — Fin du livre II.
— Peut-être que V événement. — Livre V, 105. Page 87. Lucrèce nous la montre. — Livre II, 610.
Page 88. Dans des vers de Catulle. — La pièce qui com- mence par, Super alla vectus Atys céleri rate maria.
— L'aventure de ce prêtre de Cybèle. — Diodore, Fragment du livre XXXYI.
Page 89. Eunoos ou Euîius. — Diodore , Fragment du livre XXXIV.
— C'étaient de véritablcspossédés. — Tite-Live,XXXIX 13.
— Cicéron lui fait dire. — De Natura deorum III, 19.
— Et les femmes de Rome allaient faire. — Catulle X, 26.
— Le culte de Miihra. — Piutarque, Vie de Pom- pée, 24.
348 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES
Page 89. Occupe Rome de ses druides. — Cicéron, de Di-
vinatione, I, 41. Page 90. A son propre esprit. — Cicéron, pro Balbo, 24.
— Le premier coup de hache. — Valérius, I, 3 ainsi que pour le fait suivant.
— 17/1 édit des consuls avait défendu. — Ttrtullien, Apologeticum, 6.
Page 91. On savait faire aussi quelque application. —
Polybe, IX, 12-21. Page 92. La télégraphie. — Polybe, X, 45.
— Sur les Disciples d'Isocrate. — Athénée, VIII, p. 342.
Page 93. Ils ne se souviennent plus de leur géométrie. — Polybe, IX, 21.
— Comme s'î7s y étaient allés. — De Republica, I, 10, et Academica, II, 39.
Page 94. Ne faisaient que traduire leurs livres. — Slra- bon, III, p. 166.
— Cicéron ayant écrit quelque part. — Be Repu- blica, II, 4.
— Cicéron est étonné. — Ad Atticum^ YI, 2.
— M. Villemain — Dans sa traduction du de Re- publica.
Page 96. De supposer des Antipodes. — Livre I, 1056.
— // déclare encore que le soleil. — Livre V, 565. Voir aussi le livre de Philodème sur les Signes (pa- pyrus d'Herculanum).
— Cherchant pourquoi les nuits sont longues. — Livre V, 694.
— Des phases de la lune. — Ibidem, 730.
Page 97. Chrysippe avait employé. — Cicéron, de Divi- natione^ I, 19.
— Dont Vair était rempli. — Ibidem, 30.
Page 98. Avait écrit un livre sur ces esprits. — Macrobe, Saturnalia, I, 23 .
— Il était obligé d'emprunter. — De Finibus, III, 3; ad Atticum, IV, 14.
— Des exemplaires corrects. — Ad Atlicum, XI, 3^ 4 et 5, et Sénèque, de Ira, II, 26.
NOTES. 349
Page 99. Rien n'est plus aisr. — De Xatiirn deorum, II, 22.
— Il ne faut pas soulecer. — Dans Laclance, II, 3.
— La mythologie des enfers. — Diodore, I, 2. * Page 100. Les femmes ne philosophaient pas. — Strabon, I,
p. 19, et Sénôque, ad Hclviam^ \vi, 10.
— Mais ce n'étaient que des exceptions. — Comme Cérellia : voir Cicéron, ad Atticum, XIII, 21.
— Nous avons une Lettre. — Lettres ad divcrsos, XIV, 7.
Page 101. Une parole de l'apôtre Paul. — Première Lettre k
ceux de Corinthe, i, 22. Page 102. Toutes les questions morales. — Cicéron, de Finibus,
IV, 3.
— Car on les regardait comme étant chargés. — Cicéron, de Legibus, III, 11.
— Il y avait des livres. — Cicéron, Tusculanes, III, 34.
— Sur toutes les passions. — Ibidem, VI, 10.
— Cette science des difficultés morales. — Cicéron, de Officiis, III, 2.
— L'Académie et le Lycée. — Cicéron, de Divinatione, I, 13.
Page 103. On y marche sur un souvenir. — De Fini- bus, V, 2.
— Comme Cicéron le dit encore. — Pro Archia, 10.
— Il nomme les plus grands. — De Natura deorum, I, 3.
— Que Diodote est mort chez lui. — Tusculanes, V, 9.
— Il y en avait en effet qui pleuraient. — Pliiiodùme, sur la Liberté philosophique [psipyvns d'Herculanum).
Page 104. Le fils de Cicéron. — Lettres ad diverses, XVI, 21, et XII, 16.
— Une espèce de fonction publique. — Cicéron, de liepublica, I, 7, el de Officiis^ I, 44.
— Des lettres de consolation. — Lettres ad diverses, IV, 5; V, 13 el 16. Pour la noie de la pige 105, voir l'Évangile de Luc, iv, 23.
3oO LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Page 105. En écrivant à un ami politique. — Lettres aJ
diverses, VI, 1 et 3. Page 4 06. A son ami Atticus. — Livre XIV, 9. Page 107. Cicéron remarque. — Préface des Paradoxa.
— Bans un passage de sa Satire. — Cité par Gel- lius, XV, 19.
Page 108. Le culte, pour ainsi dire, de la conscience. — Cicéron, de Officiis, III, 10.
— Que puisse avoir la vertu. — Cicéron, Tusculanes,
II, 26.
— Tandis que Xerxès. — Ibidem, V, 7o
— Dans le doute si. — De Officiis, I, 9.
— Combattant pour la justice. — Ibidem, I, 19, Page 109. Étais-je si ignorant — Pro Sesiio, 21.
— Les salutaires tristesses du remords. — Tuscu- lanes, IV, 20.
— Où elle était exposée sont perdus. — Nous ne de vons pas moins regretter la Morale de la famille qui était exposée dans les Livres de Brutus, au témoignage de Sénèque, Lettre xcv.
— Une Lettre d'Augustin. — La Lettre xci (d'après l'édition des Bénédictins).
Page HO. Le monde est la cité. — Cicéron, de Finibus,
III, 19.
Page 111. Caritas generis humani. — Ibidem, V, 23.
— Ailleurs encore : La j^lus haute. — De Offlciis,lU, 17.
— Qu'ils sont du même sang. — Dans Lactance, V, 8.
— Si un homme, dit Cicéron. — De Officiis, Ht, 5.
— Ailleurs il va plus loin. — De Finibus, III, 21. Page 112. La nature veut qu''un homme. — De Officiis, \ll,
6.
— Tout homme doit à tout homme. — Ibidem, I, 16.
— D'éclairer et d'instruire. — De Finibus, III, 20.
— Faire en général du bien aux hommes. — De Officiis, III, 5; de Amicitia, 14.
Page 113. Est entré 'parmi les dieux. — Tuscxdanes^l, 14.
NOTES. 35!
Page 113. Le grammairien Gellius. — Noctcs alticœ, XIH 1G.
— Ce sens d'humanitas. — De Officiis, III, 23.
— Dieu est le très-bon — De Natufa deorum II, 2ii.
— Dieu sauveur, hospitalier — De Finibus, III, 20.
— Dice'arque avait écrit. — De Officiis, II, o. Page 114. Des justifications ou des excuses. — « C'est
pour proléger ses alliés que le peujile romain est de- venu maître du monde. » Fragment du De Republica cité par Nonius, IX; voir aussi de Officiis, II, 8.
— // déplore et flétrit. — De Republica, III, 19 ; de Officiis, II, 21.
— Si éloquemment contre Verres. — Troisième Ver- rine, 89.
— De la destruction de Corinlhe. — De Officiis, I, 11, et III, 11.
— On sort de soi pour penser aux autres. — De Officiis, I, 43.
— Même envers Vesclave. — Ibidem, I, 13. Page lio. Cicéron en voyage. — Tusculanes, III, 22.
— Loué à perpétuité. — De Officiis, I, 13, et Sénèque, de Beneficiis, III, 22.
— Ou de battre son esclave. — De Finibus, IV, 20, et Paradoxa, m, 2 (et 1 ).
Page 117. Ami de la vertu. — Vers de Boiieau, Épitre X, 92.
— De la portée d^une femme esclave. — De Fini- bus, I, 4. Digeste, Vil, I, 68.
— Hécaton, dit-il. — De Officiis, III, 23.
Page 118. Qui sont bien dans leurs affaires. — Pro Scs- tio, 45.
— Leur misère que leurs attentats. — Seconde Catih- naire.
— Blâmait encore Philippe. — De Officiis, II, 21. Page 119. Que Catilina lui-même. — Sallusle, Catilina^
56.
— Il y avait ces Cyniques. — Voir le livre de Phi-
352 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
lodème sur les Philosophes (papyrus d'Herculanum), et
Cicéron, de Officiis, I, 35 et 41. Page 120. Par rxicemple dans ce passage. — Tusculanes^
II, 17. Page 121. A l'e'loquence de la chaire. — Surtout dans lefe
Tusculanes. Page 123. Que par leurs chiens. — Cité par Nonius, p. 355. Page 124. Quand elles sont développées. — TusculaneSy
IV, 18. Page 125. Ils font cesser de vivre. — Fables, XII, 20. Page 126. Dans les Tusculanes. — Au livre I, 31.
— [l est certain qu'il faut mourir. — De Scnec- tute, 20.
— Ce que Montaigne répondait déjà. — Essais^ III, XII, tome V, p. 98 de l'édition de J. V. Le Clerc, 1826.
— Du premier coup de vent. — Corneille, Polyeuctc, acte IV, scène m , et Tusculanes^ I, 49.
— Que cette lecture Vavait fortifié, — Lettres à Aiticus, XV, 2.
Page 127. Ces ascètes de VInde. — Tusculanes, V, 27. Pr.ge 128. Et qui s'attache à la vie comme un enfant. — Page 365.
— De la Ménippée. — Cité par Priscien, VI, 8.
— Dans ces préambules des Histoires. — Jugurtha, 2; Catilina,i et 2.
Page 129. Toutes sont volontaires. — Tusculanes, IV, 31 et 37.
— Le consentement général. — Tusculanes, I, 13.
— D'un songe de Scipion. — Fragment du livre VI de Republica, conservé par Macrobe.
?age 131. Horace dit de la mort. — Carmina, II, m, 27. Tage 132. Aux devoirs envers les dieux. — Livre II, 3.
— Caritas dcorum. — Partitioncs oratoriœ, 24.
— Que la société humaine est détruite. — De No' tura deorum, I, 2.
— La loi de Dieu. — Cité par Laclance, VI, 24.
— Rome en avait fait autant. — Alliénée, VII, p. 547.
NOTES. 353
Page 132. C'est un censeur pour le condamner. — De Fini- bus, II, 10. Page 134. La philosophie, dit-il. — Dans le Brutus, 93.
— Ce livre, dit-il. — Confessions, III, 4.
Page 135. Je ne fis, dit-il. — Contra Academicos, début
du livre II. Page 136. Du péché oriyinel. — Au IV* livre contre Pelage.
— Augustin nous a conserve. — De Trinitate , XIV, fin.
Page 137. Dans les Tusculanes. — Au livre IV, 17.
— Philosophie, lumière de la vie. — Tusculanes, V, 2.
Page 138. On comprend qu'Érasme. — Cité dans le Cicéron de M. Le Clerc, Préface de la traduction des Tuscu- lanes, page 7 du tome XXVIII (dans la seconde édition). Je vois dans le livre de M. Alfred Mézières sur Pe'- trarque, 1868 (pages 345, 414, 416), que Pétrarque pen- sait à peu prc's déjà comme Érasme.
— Bossuet au contraire. — Dans le traité posthume de la Concupiscence.
Page 139. Que Cicéron nous représente. — In Pisonem, 29.
— Plus d''un trait dans ses écrits. — Voir ce qui reste des livres sur la Mort, sur la Colère, sur la Rhé- torique, sur la Musique (papyrus d'Herculanum).
Page 140. Comme par un naufrage. — Livre V, 223.
— Comme pour Virgile — Enéide, l, 462.
Page 141. Le frisson du surnaturel. — Livre III, 28.
— Ils ont beau faire. — Livre V, 1129.
— 0 misérables pensées. — Livre II, 14.
P.ige 142. Doit trouver grâce devant tous. — Livre V, 1022.
— Un homme de chez Platon. — De Petitione con- sulatus, 12.
— Commençaient à reparaître. — Cicéron, Timée ou de Universo, 1.
Paç;? 143. En trahir un seul est un crime. — Cicéron,
Academica, II, U et 43. Page 144. Et on se cramponne ensuite. — Ibidem, H, 3.
II. 23
3:;i Ll^ CHIUSTIANISjIC et ses OUIGINKS.
Page 144. QuHl n'y a pas d'absurdité, — Ynrron dans Nonius, p. 56 (au mol Infans), et Cicéron, de Divina- tione, II, 58.
— A ttaquer la vraie mère. — Cicéren , Tusculanes^ V, 2. C'est là aussi qu'il est parlé des indifférents.
— Laclance reproche durement. — Au livre III, 14. Pao^e 145. De Diodote le stoïque. — Academica, II, 36,
— Entre seulement, dit Sénèque. — Lettre xciv, 9. Page 146. Ou en attendant le souper. — Cicéron, Lettres
ad diverses, IX, 26.
— Étaient des peuples philosophes. — Strabon , II, p. 103.
— Voyez comment Diodore. — Livre II, 29.
Page 147. Toujours attachés aux mêmes doctrines. — Stra- bon dit au contraire (XVI, p. "739), qu'il y a beaucoup de sectes diverses chez les Chaldéens. Pour la noie, voir les Histoires diverses, II, 31.
Page 149. Un nouveau temple. — Jo-eph, Antiquités, XIII, in, 1, et Guerre de Judée, VII, x, 2. Voir aussi le pre- mier livre des Macchabées, chapitre vr.
— Des milliers de Juifs. — Joseph, Guerre de Judée, I, VIII, 3.
— Des citoyens romains. — Philon , V Ambassade à Caligula, 23, p. 568.
Il y avait partout des Juifs. — Philon, contre
Flaccus, 6, p. 523 ; V Ambassade, 31 et 36, p. 577 et 587. Voir aussi les Actes des apôtres, ii, 9. Page 150, Si on en croit Plutarque. — Vie de Cicéron, 7, Page 151, Voilà, dit-il. — Au chapitre 8; pour la note de kl page suivante, voir le Discours de Provinciis con- sularibus, 5. Page 153. Prœcipueque Judœi, dit Suétone. — Vie de Cé- sar, 84.
— Le docte Varron. — Dans Augustin , de Civitate Dei, IV, 31.
— C'est Tacite qui en témoigne. — Histoires, V, 9. Page 155. C'est le mot même de Tacite. — Ibidem, V, 5.
— Pour moi que tu reliens. — llacine, Esther, acte 1°'', scène iv.
NOTES 355
Page 155. Dans un vers fameux. — Bucoliques^ i, 67.
Page 157. Le ccsarisme resta définitivement, établi. — Un ^ exposé rapide , mais irùs-plciii cl supérieuremeni ir.icé, de l'étal moral du monde romain au l«mps des*Césa's, renij)lil le chap tre xvii du livre de M. Ronan, les Apôtres, 1866. — L'ouvra^^» de M. Franz de Chaiiipa;,fny, les Cé- sars, histoire des Césars jusqu^ à Néron, i vol. 1843, osl plus utile à lire pour l'histoire profane que pour l'histoire religieuse. L'auteur n'a rien oublié de co que fournisseni les livres grecs el latins. Il expose l'histoire de l'Empire d'une manière trcs-iniéressante, et aussi très-judicieuî.-? en tout ce qui ne touche pas aux choses sacr(?es. Mais toute critique l'abandonne dès que le Christianisme est en cause, ou même une certaine foi politique qui est encore pour lui une espèce de religion.
— // dit seulement. — Annales, I, 2. Page 158. Tacite encore. — Ibidem, I, 9.
— Une phrase de Sénèque. — De Ira, II, 5 , et Tacite, Annales, III, 68.
— Sous Trajan encore. — Pline le jeune, Lettres, II, H, el Juvénal, i, 50.
— Demeurait dans le deuil. — Je citerai ici M. Duruy, État dumonde romain vers le temps de la fondation de VEmpire, 1853, p. 238 : « Je vois l'arislocratio s'en aller, mais je ne vois pas la démocralio venir. Auguste passera son règne à mettre des distinctions dans la suciélé ro- maine, à parquer chacun dans une classe et à imposer à chaque classe un costume. Le droil romain sous l'Empire ira se rapprochant chaque jour davantage de la loi naturelle ; mais il gardera des peines différentes pour les riches et pour les pauvres. Les empereurs s'appelleront la loi vi- vante, lex animata, et ils fouleront aux pieds le pairiciat romain ; mais ils pousseront toutes les municipalités à une organisation arislocraliquc, el cet Empire, qui inau- gure, dit-on, la démocratie, l'égalité, finira par l'immense hiérarchie de Constantin. »
Page 160. Du chef breton Galgacus. — Aijricola, 30.
— Ils s en vont emportant. — Horace , Carmina ,
II, Will.
336 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Page 160. D'où le riche guette ses aubaines. — Sénèque le père, Controversiœ, Extraits, VllI, vi, p. 430 de l'éditioa de Bursian.
Page 161. Et que le monument d'Ancyre. — Le texte le plus complet de l'Inscription d'Ancyre est celui qu'on doit aux découvertes de M. Georges Perrot, et qui a été établi et publié par M. Mommsen. M. Perrot lui-môme a donné le fac-similé de l'Inscription dans les planches de son Exploration archéologique de la Galatie et de la Bithynie, 1862. 11 a donné aussi (dans le texte de cet ouvrage) la première traduction française qui ait été faite de ce monument.
— C'est sous Auguste aussi qu'on décide. — Par un séna- tus-consulte. Voir le juriconsulte Julius Paulus, Sen- tentiœ, livre III, v.
— Est confirmée sous Néron. — Tacite, Anna- les, XIV, 32.
— Dans des bagnes, ergastula. — Voir Columelle, 1,6.
Page 162. Par tout Vunivers. — Ovide, Nux, 145.
— Détrempée avec du sang. — Suétone, Vie de Tibère, 57.
Page 163. (En note) Si dominum. — Lucain, VII, 646.
— Et à adorer comme à servir. — Je citerai ici une belle Élude de M. Gustave d'Eichthal , de l'Invasion du mysticisme dans les sociétés antiques. Elle forme le n» 2 du paragraphe vi du chapitre V dans l'Introduction au livre intitulé, les Évangiles, 2 vol in-8°, 1863 (chez Ilachelle).
— Va grandissant tous les jours. — Voir à ce sujet le témoignage de Vitruve, IX, vi, 2. Levers de Virgile est bien connu {Géorgiques, II, 490). Le critique cité en note est M. Charles Thurot.
— Il n'y a rien après la mort. — Les Troyennes, 401. La crédulité antique. — Sénèque, de Constantia, 2.
Page 164. Ei arraché à Jupiter son tonnerre. — Mani- lius, I, 101. Le vers de Boileau est dans sa première Satire, 102
NOTi:S. 357
Page 164. Ce que je sais. — Sénèque le père, Controver- siœ, I, III, p. 79.
— On mettait en doute. — Ibidem, p. 81.
— A plus forte raison la divination. — Ibidem^ Suasoriœ, m, 4, p. 20 et 22.
— Et les songes. — Pétrone, 104.
— Avec une cérémonie. — Ovide, Fastes, II, 33.
— Je sais, disait Tite-Live. — Livre XLIII, 13.
— Sa personne et sa maison. — l'roperce, III, xi (IX dans d'autres éditions. )Voiraussi Ovide, rrii^eA',11,287.
— Et un poëte plus grave. — Manilius, III, 36.
Page 165. Et le gouvernement des choses saintes. — Dion, LUI, 17. Et pour la noie, Ovide, Fastes, III, 421. Voir aussi, pour tout cet alinéa, l'Inscription d'Ancyre.
— // releva les édifices sacrés. — Horace, Carmina, III, VI, et Ovide, Fastes, II, 63.
Page 166. Pour la consacrer comme Vestale. — Suétone, Vie d'Auguste, 30 et 31.
— Des prières pour V Empereur. — Cela se faisait déjà pour les rois de Perse (Hérodote, I, 132).
— Dion a très-bien exprimé. — Au livre LU, 36.
— Dans ses Mémoires. — Guerre des Gaules, I, 12 et 15, et Guerre civile, III, 33 et 105.
— Horace n'était pas dévot. — Carmina, l, 34, et Sa- tires, I, V, 19.
Page 167. En plein Art d'aimer. — Livre I, G37.
— Tibulle se plaît à étaler. — Livre I, i et v.
Page 168. // a consacré par une autre pièce, etc. — Car- mina, IV, VI ; I, xxr, III, vi.
Page 169. Déjà dans les Géorgiques. — Voir II, 473 et I, 498.
— Continuellement par la main. — Livre III, 262. Page 170. Sur ce bouclier d'Énée. — Livre VIII, 679,
698, 714. Pour les citations de l'alinéa suivant, voir I, il; X, 607; VI, 266, 278, 433, 620, 563. Pour justa Venus, voir la Pharsale, V, 728. Page 174. Jnregno nati sumus. — Sénèque, de Vita beata, lo, et Lucrèce, II, 1091.
338 LE Cîir.ISTIANlS?.îE ET SES ORIGINES.
Pago 174. Divinitus. — Sn'ncque le père, Confrouers icp, VII, XVI, p. 187, ligne 25, ol p. 193, 22.
— Tout est plein de Jupiter. — Virgile, Bucoli- ques, III, 60.
— Que chantcrais-je ? — Horace , Carmina, I, xii.
— Cachées sous des figures. — Manilius, II, 428. Page 175. Vordre universel du monde. — Manilius, I, 519,
el II, 80.
— Ou s'il se l'était faite à lui-même. — Sénèquc, Quœstiones naturales, I, Préface, 14. Un passage de Cicéron (cilé par Lactance, II, 8) montre qu'il n'adop- tait pas cette idée, mais témoigne aussi qu'on s'en élait avisé déjà, et qu'elle avait des partisans.
— Non le sacrifice. — Ces quatre citations sont d'Horace : Carmina, III, iv, vi, xvi, xxiii.
— Rien ne meurt que le corps. — Sénèque le père, Suasoriœ, vi, p. 23.
— A rimage des dieux. — Ovide, Métamorphoses , I, 89.
Page 176. Dieu même qui se cherche. — Manilius, II, 106.
— Le temps dont parle Musset. — Au commen- cement de Rolla.
— Par les prodiges et les miracles. — Denys, I, 77 et VIII, 36, et Plutarque, Vie de Brutus, 36.
Page 177. M. Michclet l'a jugé d'un mot. — Dans son Histoire romaine, mais je ne me rappelle plus en quel endroit.
Pago 178. Il remplit des pages. — Voir XXI, 62 ; XXXV, 21; XX VU, 33.
Page 179. L'histoire du coup de foudre. — Suétone, Vie d^ Auguste, 97.
— Bien des espèces de divination. — Virgile, Enéide^ X, 176; Properce, IV, i; Manilius, I, 89.
— Auguste voua aux dieux. — Dion, LV, 31 Page 180. Du temps de Caligula. — Dion, LIX, 9.
— Horace dit a Leuconoé. — Carmina, \, xi ; II,
XVII.
— Mortels, dit Properce. — Livre II, xx, 59.
NOTES. 359
Page 180, Di mandait h V astrologie des espérances. — Sénèque, de Morte Claudii, 3.
— Auguste, dit-on, défendit. — Dion, LVI, 25.
Page 181. Par le poëme de Mavilius. — Voir parliculiôrc- nicnl IV, 3; II, 127; IV, 823, 924, 363, 184. Voir aussi Pascal, Pensées^ xvi, 1 (p. 439 du manuscrit autographe) , et, pour la noto, Louis Racine, au début de son poëme de la Religion.
Page 182. Et niistoirc de Thrasylle. —Tache, Annales.Yl, 21-22, et II, 32.
Page 185. La Canidie d'' Horace. — Épodes, v.
Page 186. Car le grand troupeau des femmes. — Strabon, I, p. 19.
— Un vers de Properce. — Livre IV, xi, 18.
— Nec mortis pœnas. — Ibis, 186.
Page 187. Par le feu, est dans Virgile. — Enéide, Y], 742 et Sénèque, ad Marciam, 26.
— Ainsi les mânes de Virginie. — Tite-Live, III, 58, et Virgile, Enéide, I, 354.
Page i88. On plaisantait là-dessus. — Sénèque, de Dc- neficiis, VII, 21.
— Ovide chantait la métempsy chose. — Métamor- phoses, XV, 58. Le poëme à Messala se trouve parmi les poésies de Tibulle, IV, i.
Page 189. Au temps des Géorgiques. — Livre I, 300.
— Dans les vieux livres de la Bible. — Isa'ie,L\\, 17.
— Des cérémonies, des ablutions. — Titc-Live, XL, 13, et Ovide, Fastes, V, 192 et 681, et II, 45.
Page 190. Sur un héritier innocent. — Horace, Carmina,
III, II, et I, XXVIII. Page 191. Casta placent superis. — Tibulle, H, i, 13.
— Une Veatale est accusée. — Sénèque le père, Con- troversiœ. Extraits, VI, vin, p. 408. Voir ensuite Con- troversiœ, I, ii, p. 76. J'ai pris les légendes des s,ainles Agnès et Théodore dans les Acta martyrum de Ruinart, p. 505 et 427.
Page 192. Le loup-garou, les stryges. — Voir Virgile, Duco^
liqucs, VIII, 97; Ovide, Fastes, VI, 133; Pline, VIII, 34. Page 193. Et plein des dieux. — Titc-Live, V, 32.
360 LR (JllUISTlAMSME ET SES ORIGINES.
Page 193. L'image des dieux lares. — Ovide, Fastes, V, 45.
— Les Vestales offraient. — Horace, Carmina, I, II, 26; el Dion, XLVIII, 19.
— Prœfatus divos. — Enéide, XI, 301, et Pline le jeune, Panégyrique, 1.
— Le sénat leur offrait V encens. — Dion, LIV, 30. Page 194. (En noie) Civitasreligiosa. — Tite-Live, XXXI, 9
(et XXXVI, 36).
— A la condition du succès. — Suétone, Vie d'.iur- guste, 23.
— Cette cérémonie^ qu'il a décrite. — Livre II, 23.
— S'en allaient pieds nus. — Pétrone, 44.
— En grande pompe au Capitale. — Ovide, ex Ponto^ IV, IV.
— Et aussi pour Claude. — Dion, XLIII, 21, et LXXX, 23.
— It per velatas. — Ovide, Amorcs, III, xiii, 12.
— Que Denys nous a décrite. — Livre II, 70.
^age 195. Une phrase de Valérius. — Livre I, i, 8, et Tite-Live, VI, 41.
Page 196. Ils disent : Tant que subsistera. — Horace, Car- mina, III, XXX ; Virgile, Enéide, IX, 448.
— Quoi ! dit Horace. — Carmina, III, v.
— His ego nec metas. — Enéide, I, 278, et Manilius, IV, 691.
— Supra homines, supra ire deos. — Enéide, XII, 838. Page 197. Famam, Roma^ tuœ. — Properce, III, xxi, 20,
et Enéide, VII, 202. Page 197. Qui était le fond de Vesprit romain. — Tite-Live, IX, 29.
— Le personnifiait dans le César. — L'apothéose avait commencé par César lui-même (Suétone, Vie de Césarj 76).
Page 198. Ni dans l'Italie. — Tacite, Annales, IV , 37, et Dion, LI, 20. Lé texte cité par Bourdaloue est dans la préface de Valérius. — On trouve au numéro 2489 du Recueil d'Orelli une Inscription par laquelle la ville de Narbonne consacre un autel à Auguste vivant, et règle les sacrifices qui seront faits sur cet autel. Dans
NOTES. 3ei
celle Iiiscriplion, Aiigusle n'est jamais appelé dieu; or; invoque seulement ce qu'on appelle numen Augusti, expression qui doit se traduire plutôt par celle d'une influence divine qui se manifesle dans Auguste que par celle de divinilé. Maijna vis est, dit Cic(jron , maf/num numen,unum et idem sentientis scnatu8{Pliilii)piques, lll, 13). Numen a pris plus de force au icinps de l'Iine le jeune (Panégyrique^ 2). Page 199. Presque des dieux, penc deos. — Manilius, V, 347.
— A celle des lares. — Horace, Carmina, IV, v.
— Le poëte des Métamorphoses. — Au livre VI, 170. Voir aussi ex Ponte, I, i, 55, et Corpus, 4240 d.
Page 200. Du Palatin devaient mourir. — Pline le jeune. Panégyrique, 78. Voir le psaume Lxxxi. — Lorsque Pline disait à Trajan — Panégyrique, 2.
— Telle Inscription même. — Corpus, 3524.
— Avec César pour second. — Horace, Carmina, I, XII, et Pline le jeune, Panégyrique, 80 ; voir aussi la Po- litique de Bossuet, III, ii, 4.
Page 201. Regum timendorum. — Horace, Carmina, III, i.
— Qu'on appelait des parricides. — Valérius, VI, iv, 5.
— Di conjugales. — Sénèquc, premier vers de la Médée, et Ovide, Héroïdes, ii, 41.
Page 202. Et voici le discours. — Enéide, V, 46.
— Firent par testament sous Auguste. — Suétone, Vie d'Auguste, 59.
— Ovide nous fait voir. — Hérotdei, vu, 99, et Fastes, II, 533.
Page 203. V'ot'ci dans Ovide encore. — Tristes, III, xiu.
— A des heures réglées. — Horace, Carmina, IV, i, 25.
— On sacrifie quand on s^embarque. — Enéide, V, 776.
— Ont des dieux pour patrons. — Horace, Carmina, I, XIV, 10, et Pétrone, 105.
— Du lieu qu'on aborde. — Enéide, III, 697.
•— Pour U retour d^un ami. — Horace, Épitres, I, III, 36.
— Quandon estamoureux. — Horace, Carmina, I, xix, 16.
362 L'^ CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Page 204. Sont marquées par des sacrifices. — Horace^ Carmina, I, iv.
— Et il décrit la solennité, — Géorgiques, 1, 338. Voir Ovide, Fastes, I, 663. Voir encore, pour ce qui suil, Fastes, II, 659, et VI, 311.
— Et le bœuf lui-même. — Horace, Carmina, HT, xviii. En note, Ovide, Fastes, II, 659.
— Plus tard Columelle. — Livre II, 22, et I, 8, Page 205. Comme la Bandusie d'Horace. — Carmina, III,
XIII.
— Nam veneror. — TibuIIe,I, i, H,
— La prière à Paies. — Au livre IV, 747. Et, pour la note de la pnge suivante, Lncrêce, IV, 582.
Pagp 206. Ovide exilé nous peint. — Tristes, î, m, 43,
ei ex Ponto, III, i, 1§1. Page 207. La terre amie en la touchant. — Plutarque, Vie
d'Antoine, 49.
— Une des pièces écrites par Ovide. — Tristes, V, m.
— Et à propos de toutes circonstances. — Ovide, Bé- rotdes, XX, 195; Suétone, Vie d'Auguste, 29; Enéide, IX, 623.
— Sulla portait de même. — Valérius,, I, u, 3.
— Voici, dit Horace. — Satires, II, m, 288, et Carmina, I, v, 13.
Page 208. Enfin on vouait un enfant. — Enéide, X, 315, et XI, 583.
— Le pied au seuil. — Ovide, Héroïdes, xiii, 86.
— Fussent en nombre impair. — Vitruve, III, iv, 4.
— Si on est en route. — Horace, Carmina, III,
XXVII,
— Au contraire une lampe qui crache. — Ovide, Hé- roïdes, XIX, 151.
Page 209. Les dieux des visions nocturnes. — Ibidem, m, dll, et Tibulle, I, v, 13. Voir aussi Enéide, V, 743.
— Quelque acte pieux. — Corpus, 2907, 3668, 4331.
— Qui se chargeaient d'expliquer les songes. — Pro- peree, II, m, 8, cl Ovide, Amorcs, I, v.
— Tibère vit un jour. — Dion, LVH, 15.
— Avec le doigt du milieu. — Perse, ii, 31.
NOTES. 3(3
Page 209. Se vantait de l'avoir jucrie. — Tibullo, I, v, 1 1 .
— Contre les dieux mêmes. — Tibulle, I, ii, 79, ri III,
V, 7. >
Page 210. Ils rendaient malade. — Ovide, Amores^ I, xiv; III, VII, etc.
— Un poëme d'Ovide. — Ibis, 97.
Page 211. Sur une lame de plomb. — Tacilr", Annales, II, 69; Dion, LVII, 18, et Cor;;ws, 487. — Ajoutez la curieuse Insciiplion d'Arc zzo, donnée rccemmeut i)ar M. Momiuson dans V Hermès, tome IV, 2» cahier, p. 282; c'est une invo- cation adressée à des Eaux minérales, aquœ ferventes, contre un certain Lalinius Lu|)iis : <t Je le remets à votre divinité; je vous adresse contre lui mon appel, mes vœux, mes consécrations [demanda, devoveo, dcsacrifico); je vous demande, Eaux brûlante?, vous invoquant sous le nom de Nymphes, ou sous tel autre que vous prélérez, de lo détruire, de le faire périr dans l'intervalle d'une année. Je m'acquitterai ensuite de ce service envers vous. »
— Mais chez la première vieille . — Horace, Satires, I, IX, 29; Tibullo, I, m, 11; Properce, II, xxxit, 3.
Page 213. Le poëme de Manilius. — Voir I, 166, et 694 ;
II, 92 et 792. Page 214. Séneque témoigne. — Quœstiones naturales,
VI, 3 cl VII, 1 ; Tacite, Annales, I, 28, et Suétone, Vie d'Auguste, 90; Vie de Tibère, 69.
— Comme une audace sacrilège. — Horace, Carmina, I, m, 25.
Page 215. Pollion, Tite-Live. — Si'nôque, Lettre iOO. L'his- toire de la philosophie à Rome au temps des premiers Césars, a été le sujet d'une Thèse latine de M. Aubertin (1857), transformée depuis en un chapitre de son livre sur Sénèque et saint Paul (1869).
— Il lui dira. — Ovide, ex Ponto, IV, xi, 12.
— Le philosophe de son mari. — Sénèque, ad Marciam, 4.
— Auguste lui-même. — Suétone, Vie d'Auguste, s4-8o.
— Nous voyons dans Horace. — Satires, 11, i;i, 3i.
36i LE CllRISTIAISISME ET SES ORIGINES
Page 216. Cette barbe vénérable. — Horace, Satires^ I, m, 133 ; et Perse, i, 133.
— Au »iel qu'à ce monde. — Ovide, Fastes, I, 299.
— Ses plus beaux vers. — Carmina, II, ii; III, xxix; IV, IX ; III, m.
Page 217. // pense à lui. — Satires, I, iv, 133.
— On cause à table. — Satires., II, vi, 70.
Page 218. Comme dans une forteresse. — Épîtres, I, i, 58. Page 219. Les brigands se lèvent. — Épîtres, I, ii, 32. Page 220. Avec de Veau pure. — Épîtres^ I, xii, 7 et 21. Voir Carmina, I, xix.
— Écrit à Tibulle. — Epîtres, I, iv.
Page 221. C'est à lui quHl écrit encore. — Épîtres, I, XVIII, 96. Et pour ce qui suit, I, m, 23; II, ii, 141, 145, 205 ; I, VIII, 4.
Page 222. Penthée menace. — Épîtres, I, xvi, 73.
Page 223. Avec son villicus. — Épîtres, I, xiv, 4. Puis, Satires, II, vu, 45.
— Bu troupeau d'Épicure. — Épîtres, I, iv, 16.
— L'étincelle divine. — Satires, II, ii, 78.
Page 224. Les peintures licencieuses. — Livre II, vi, 27, et Ovide, Amores, III, iv, 4.
— Où Cornélia morte. — Livre IV, xi, 46, 48, 101. Pour ce dernier vers, comparez Horace, Carmina, IH, II, 21.
Page 225. Cette humble mère de famille. — Enéide, VIII, 408, et Proverbes, xxxi, 10,
— Femme d'uti seul mari. — ValiVius, II, i, 3; Orelli (Inscriptionum latinarum... coUcctio], 2742, 4530. Voir aussi Properce, IV, xi, 36, 68 ; Enéide, IV, 25 , et Valérius, IV, m, 3.
Page 227. Et tout pleins de leurs leçons. — Séncque le père, Controversiœ, VII, Préface, p. 180, 21; I, m, p. 81, 13; I, vil, p. 105, 22-23; H, Préface, p. 114, 6; Suasoriœ, u, p. 14, 4-7.
— Des traits de philosophie critique. — Ibidem, Stia- soriœ, III, p. 20, 16 ; iv, p. 22, 20 ; Controversiœ, I, lU, p. 81, 9.
NOTES. 36^
Page 227. A la divinité. — Controvcrsiœ ^ VII, xvi, p. 187, 25.
— C'est un homme. — Conlroversiœ, I, i, p. 60, 10; 62, 28. (Pour la noie, voir Tristes, V, viii, 13.) Si je je n'ai pas cité ici l'Épilapiic d'Èvhodus (voir M. Egger, Mémoires d^ histoire ancienne, 1863, p. 3o4) : Hominis boni, misericordis, amantis pauperes, c'est que je ne suis pas assez assuré qu'elle appartienne au siècle d'Au- guste.
— Que comme d'une cruauté . — Ibidem, IX, xwi, p. 264, 23.
— Nous montre ce père. — Métamorphoses, IX, 678.
— Une invective éloquente. — Conlroversiœ, X, XXXIII, p. 322, 22 ; et môme page, 6.
Page 228. Ovide aussi. — Amores, II, m, et II, 14.
Page 229. Vente de l'esclave à un dieu. — Corpus, 1607, 1699. Voir aussi l'Histoire de Vesclavage dans l'antiquité, de M. Wallon (1847), premirro partie, chapitre x, et un Mémoire de M. Foucarl dans les Archires des missions scientifiques et littéraires, seconde série, t. III, 1867.
Page 230. Que la loi y mit obstacle. — Denys, IV, 25.
— Dans le Recueil de Sénèque le père. — Controversiœ, VII, XXI, p. 225, 28. Comparer r^pUrc aux Ga/afes, m, 28.
— Voyez encore ces maximes. — Conlroversiœ, Extraits, IV, V, p. 385, 13 ; ibidem. Extraits, VI, ii, p. 402, 1 ; ibidem, II, xv, p. 174, 6 , et I, vi, p. 95, 1.
Page 232. Les prédications des philosophes contre la richesse.
— Controversiœ, II, ix, p. 117, 17, 119; p. 128, 23; p. 120, 21 ; p. 121, 26, p. 125, 19, 127.
Page 234. D'un philosophe d'Egypte, Sotion. — Lettre cviii, 17. a La vogue de l'enseignement de Solion, dit M. Au- berlin, est attestée par ces mots significatifs de la Chro- nique d'Eusèbe, vers l'an 12 de notre ère : .S'ofio, prœceptor Senecœ, clarus habetur. w
— Ils ont associé les dieux. — Métamorphoses, XV, 128. Page 235. Une malédiction que ne» ne peut conjurer. —
Valérius, VI, iv, 5, cl IX, xi. Page 236. Tue un vieux mendiant. — Livre VI, vm, 7.
— Et aux doctrines de son pays. — Livre II, i, 10.
366 LE ClIKISTIANISME ET SES ORIGINES.
Page 236. Chassant du cœur où elle estreçue. — Livre III, m, externa, i.
— Toujours sous les armes. — Livre IV, i, externa, 2. Page 237. Biens fragiles et périssables. — Livre VI, ix,
externa, 7.
— Il adresse enfin à la chasteté. — Livre VI, i, \ ; ibi- dem, externa, 3.
pige 238. Entraient de toutes parts dans la ville reine. — Ovide, Fastes, IV, 270 : Dignus Roma locus quo deus omiiis eat.
— Celles des Perses avec leurs feux sacrés. — Strabon, XV, p. 732.
— Et leur sacrifice du cheval. — Ovide, Fastes, I, 385.
— Où r Indien Zarmaros. — C'est la forme grecque que Dion donne à son nom, LIV, 9.
— Il fait parler au Forum un consul. — Tile-Live, XXXIX, 16.
Page 239. Demjs développe avec admiration . — Livre II, 19.
— Qui parle dans ce vers de Virgile. — Livre VIII, 186.
— Intervenait pour consacrer les droits. — Tacite, An- nales, III, 62 ; Corpus, 2715, 2954, elc.
Page 240. De mépriser toutes les autres. — Vie d' Auguste, 9i.
— Qu'on bâtit des temples aux dieux d'Egypte. — Dion, LU!, 2; LIV, 6.
— Osiris ou Bacchos. — Déjà César avait établi dans Rome le culte de Bacchos. Voir le Commentaire de Ser- vius sur ce texte de Virgile {Bucoliques, v, 29) ; Daphnis thiasos inducere Bacchi.
— On racontait que la nuit. — Pluiarquo, Vie d'An- toine, 76. L'hémistiche auquel renvoie la note est dans les Filles de Minée.
Page 241. Un grand nombre d'Inscriptions. — Corpus, 4719, etc.
— Vhonneur de lapersécution. — Tacite, Annales, II, 85.
— Les prêtres égyptiens sont circoncis. — D'après Ché- rémon, cité dans Porphyre, de l'Abstinence, IV, 6.
— Tout ce qu'ils ont d'enfants. — Sirabon, XVII. p. S24. En Grèce même, Élieu dit que les lois de Thèbos dofen-
NOTES. 367
daient rexposUioQ des cnfaïUs {Histoires diverses, II, 7}. Page 242. Frayaient avec tous les autres dieux. — Voir les
inscriptions de l'f'lgyiJin, à commencer par la fameuse
Iiiscriplion de Roscllo : Corpus, 4007, o04i, 6006. Page 243. Et qu'on se bornât à judiuser. — Joseph, Réponse
àApion, II, 100.
— Il y avait huit mille Juifs. — Joseph, Guerre de Judée, II, vi, 1.
— Des colonies juives. — Ibidem, II, vu, 1, et Réponse à Apion, II, 4; Actes des Apôtres, ii, 9.
— Dans la jolie pièce. — Satires, I, ix, 69.
Page 244. Où Auguste écrivait à Tibère. — Suélone, Vie d'Auguste, 76.
— Passait pour un mauvais jour. — Ovide, Remèdes d'amour, 2i9 , et VArt de faire l'amour, I, 416 et I, 76.
— Mais un autre passage d'Horace. — Satires, I, iv, 142.
— Le récit développé de Joseph. — Antiquités, XVIII, m, et Tacite, Annales, FI, 85.
Page 247. Et que la Loi dit. — Deutéronome, x, 20.
— Du livre intitulé, de la Couronne. — Au chapitre 11. Page 230. Qu''ils exerçaient comme une magistrature. — Sé-
nèque, Lettre cviii, 13.
Page 2-51. Cette éloquence a la fièvre. — Fronton, Lettres, p. 239 (de l'éJilion d'Arigelo Mai).
Page 252. Dans une Étude sur Macaulaij. — Essais de criti- que et d''histoire, 1838. Reproduit dans l'Histoire de la Littérature anglaise, 186 i (chez Hachette), tome iv, page 158.
Pago 253. Quand le joueur de la comédie a perdu. — Re- gnard, le Joueur^ acte IV, scène xiii.
— Ce vers célèbre de Delille. — Dithyrambe sur Tlm- mortaUlé.
Page 236. Carat est peut-être le premier. — J'ai pris k morceau de Garât dans le Scnèque de la collection Lomairev tome V.
Page 257. Cest elle qui affranchit. — Ad Marciam, 20 vi 19). La note de la page 238 renvoie i Juvénal, XIII, 52.
368 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Page 259. Un mot de Sénèque. — Lettre xlvii ; voir aussi le de Ira, III, 35.
— Ne comprenez-vous donc pas. — Lettre vu
Page 260. N'a plus aimé les hommes. — De Clementia, II, S. Page 263. Sénèque qui est souvent des nôtres. — De Anima, 20.
— Il faut aimer la pauvreté. — Lettre xx. Page 264. On doit y aspirer, — Lettre xvii.
— La richesse est une décoration. — Lettre ex, 17.
— Les heureux et les riches. — De Beneficiis, V, 12.
— Il ny a rien de si malheureux. — Lettre cxxiv, 24.
— C'est chose sérieuse que la vraie joie. — Lettre xxiii, 4.
— Soutiens et f abstiens. — Épictète, dans Gellius, XVII, 19. Voir aussi les Entretiens recueillis par Arrien, IV, 8.
— Le sage est prêt. — De Providentia, 5.
— Le Sage se laisse souffleter. — De Constantia, 14.
— Quand je serais sur le chevalet. — De Beneficiis, IV, 22, et Lettre lxvi, 21.
— La mort termine. — De Ira, III, 42-43.
— Qu'est-ce que l'homme ? — Ad Marciam, 11.
— Tout ce qui est de l'homme. — Ibidem, 20.
Page 265. La vie n'est qu'une peine. — Ad Polybium, 28. On a vu déjà celte idée dans Empédocle (à la fin de mon chapitre IV). Voir aussi Cranter dans Plutarque, ConsO' lation à Apollonios , p. 115. — La vie est un péril et un obstacle. — Lettre xcix, 12, et ad Marciam, 22-24.
— Comme le joyeux élan. — Lettre xxx, 13.
— Que nous ne faisons d'une barbe coupée. — Lettre xcii, 34.
— On vivra mal. — De Tranquillitate, 11.
Page 266. Il faut apprendre à mo^irir. — De Brevitate vilœ, 7.
— Pcnses-y toujours. — Lettre xxx, 18.
— ()i(i juge tous les autres. — Lettre xxvi, 4.
— De ta naissance à l'éternité. — Lettre cii, 26.
NOTES. 309
Page 266, Nous sommes tous des pécheurs. — De Ira, ill, 26, et Corpus, 6035.
— Pas tachés seulement mais imprégnés. — Lettre lix,9
— Qu'en passant par le péché. — De Clejuentia, I, 6,
— Le péché est «u xilcèrc. — Lettre \cviu, 15.
— Qui songe au salut, — Lettre x, 3.
— C'est le commencement du salut. — Lettre xxviii, 9.
Page 2G7. En se confessant à son médecin. — De Tranquû- litate, 1.
— Dans la même infirmerie. — Lettre xxvh, 1,
— Elle n'amende pas seulement. — Lettre vi, 1.
— Le sage ne peut ni retomber. — Lettre Lxxii, 6.
— Mais d'y rester fidèle. — Lettre xvi, i.
— Pour conserver ce bien fragile. — De TranquiUi- late, 16.
— Qui fi'aiira jamais son congé. — Lettre xxxvii, 2. Page 268. Au profit de la république universelle. — Lettre
VIII, 1.
— Essentiellement corruptrice. — Lettre vu, 2.
— Là où est la foule. — De Vita beata, 2.
— Fuis les grandes compagnies. — Lettre x, 1.
— Si quelque chose fempêche. — Lettre xvii, 5.
— Le philosophe donne ici. — Lettre xix, 2.
— Qui sont condamnés au monde. — De Tranquilli- tate, 10.
Page 2'd9. Trop près d'un méchant. — Lettre xxv, 7.
— En pleine solitude. — Lettre lxxxii, 4.
— Et passer de celle-ci à celle-là. — De TranquiUi' late, 15.
— Oh! quand viendra le temps. — Lettre xxxii, 4.
— Aux sujjerstitions étrangères. — Lettre cviii, 22. — Ou lit en effet dans VÉjntrc aux Romains (xiv, 21) : « Il est bon de ne pas manger do viande, ei de ne pas boire de vin. »
— Aux maîtres eux-mêmes. — Lettre cviii, 13.
— lianni de Rome par Séjan. — Sénctpie le père, Sun- soriœ, II, p. 14, o.
370 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Page 270. Qui donnaient Venvie d'être pauvre. — Lettre cviii, 14 (et ex, 14).
— Est-ce que le malade applaudit. — Lettre lu, 9 (etLKXv, 6).
— Il est incroyable. — Lettre cviii, 12.
Page 271. Son philosophe marchait avec lui. — De Tran- quillitate, 14. Pour Pascal, voir Pensées, x, 1, p. 4 du manuscrit autographe.
— Que traduire Sénèque. — De Vita beata, i.
— Qu'un directeur soit à nos côtés. — Lettre xciv, 73.
— Qu^ il dirige à son tour. — Lettre xxxvi, 1, etc.
— Voici un pécheur. — Lettre xxv, 1- 2.
Page 272. Je supporlerai ses sarcasmes. — Lettre xxix, 7.
— Par le pied, mais par l'aile. — Lettre xlii, 5.
— Voilà les hommes. — Lettre cxii, 4. Page 273. Mais dégoûtants. — Lettre v, 4.
■ — Mais un témoin. — Lettre xx, 9 ; Lettres lxii,
3 et Lxvii, 14. — M. H. Joly vient de donner en 1869 une thèse de Cynica institutione.
— Que de n avoir eu aucun malheur. — De Provi- dentia, 3.
— Il est d'un malhonnête homme. — Lettre xciv, 26.
— Il attendait les aumônes. — De Vita beata, 18. Page 274. Ainsi faisait Sextius. — De Ira, III, 36. Cette
prescription se trouve dans les fameux Vers d'or où on avait résume la doctrine pythagorique.
— Pour chaque jour une pensée. — Lettre n, 10. Page 275. Ne pouvait subsister sans les dogmes. — Lettre
xcv, 59.
— Pour obtenir les grâces. — Lettre xli, 2; Lettre Lxxin, 16; Enéide, VIII, 46.
— La religion, c'est. — Lettre xcv, 50.
— Ne voulez-vous pas. — Cité par Lactance, VI, 25. Page 276. Est repoùssée avec dédain. — Préface des Quœs-
tiones naturales.
— Ces prières qui s^éVevcnt. — De Beneficiis^ IV,
4 (et VU, 31).
— Dieu est créateur. — Quœstiones naturales. Préface.
— Il faut vivre comme si. — Lettre lxxxiii, 1.
NOTES 371
Page 276. Ceux dont il est content, ceux qu'il aime. — De Pro- videntia, 4.
— Qui éprouve son fils. — Ibidem, 1.
— Les Vestales, ces nobles vierges. — Ibidem, 5.
— Que la volonté de Dieu soit faite. — Lettre Lxxiv, 20 (et cvii, 10).
Page 277. La liberté, c'est de lui obéir. — De Vita beata, 15.
— Et de l'aimer. — Lettre xlvii, 18, et de Benehciis, IV, 19.
— // n'y croit pas. — Lettre cii, 2, et les Troyennes, iOl .
— Mais c'est d'une foi très-vague. — Lettre xvi, 5, ei ad Belviam, 16.
— Cest un prêtre. — Lettre xiv, 11.
— Et le véritable inspiré. — De Vita beata, 27. Page 278. Comme des dieux. — Lettre lxiv, 9.
— Les Vies des philosophes. — Lettre xxxiv, 2.
— Que c'est peut-être la terre qui tourne. — Quœstinries naturales, VII, 2.
— Qu'elles sont des astres véritables. — Ibidem, VII, 22.
— Dans des vers célèbres. — Médée, 376.
Page 279. Le géographe Pomponius Mêla. — Livre I, 8, et
livre II, 1; HL'rodote, IV, 105. Page 280. Contre les études libérales. — Lettre lxxxvih
(voir particulièrement 28, 6, 39), et Lucain, I, 417.
— Cest une maladie des Grecs. — De Brevitate vitœ, 13. Page 281. De se hasarder sur la mer. — Quœstiones natura- les, V, 18.
— Pour en tirer les métaux. — Ibidem, 15; de Beneficiis, VII, 10, et Lettre xciv, 57.
Page 282. Les deux sortes de pudeur. — Lettre XLix, 12
— Avant de s'être souillé. — Ad Marciam, 2 et 24.
— Par ce poison secret. — Ad Ilelviam, 13.
— D'aimer sa femme comme xme maîtresse. — Cité par E'i^ronyme [Sérdme), adversus Jocinianum, 1,30, p. 191.
Page 283. Des amis d'une humble condition. — Lettre xlvii, • . Voir aussi 10, 18, 19.
— Tout est permis contre un esclave. — De Clementia, I, 18.
— Qu'il est triste d'être servis. — De TranquHlitate,9.
372 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Page 283. Partout où il y a un homme. — De Vita beata, i-i.
— La vertu n'est interdite à personne. — De Beneficiis, III, 18, 20, 28.
Page 284. Uhomme^ chose sacrée. — Lettre xcv, 33.
— La mort ! le feu ! les fouets ! — Lettre vu, 5.
— Pour les enfants battus. — De Clementia^ 1, 16. Page 283. Res est sacra miser. — Epigramme iv. Pour
la note, voir ad Helviam, 13.
— Est-ce que la main. — De Lra, II, 31.
— Te restera-t-il pour aimer. — Ibidem^ 15.
— Elle se vante elle-même. — Lettre \c, 27.
— Quelle n'a que faire de soldats. — Ibidem, lo.
— Ce ne sont plus les particuliers. — Lettre xcv, 30.
— Pure de sang humain. — Lettre xxiv, 7.
Page 286. Et elle lui opposait Hercule. — De Beneficiis, I, 13, et Lucain, X, 20.
— Écrite dans la villa. — Lettre lxxxvi.
— Est-ce la peine de dire. — Lettre xcv, 51.
— Tu n'en es que Véconome. — De Beneficiis, VI, 3.
— // essuiera les larmes d'autrui. — De Clementia., II, 6. Page 287. Et à aimer les hommes. — Lettre xcv, 2. Page 288. Stabo et arcebo scelus. — Au vers 96. Le livre
cité dans la note a été publié en 1867 (librairie Didier); l'endroit indiqué est à la page 189.
— On nous a conservé le Discours. — Jean de Damas, Parallèles, II, xiii, 126 (à la suite de Stobéc). Pour la piemière noie de la page 289, voir Diogène, VI, 12.
Page 289. A monter la garde. ■ — Lettre lxxiii, 9.
— Pour le temps de Trajan. — Pline le jeune. Lettres^ X, 66.
Page 290. Leur idéal politique . — De Beneficiis, H, 20.
— Le prince est le représentant des dieux. — De Cle* mentia, I, i.
— Est réellement une servitude. — Ibidem, 8.
— Tous les biens lui appartiennent. — De Benefciis YII, 4.
— Des perturbateurs et des brouillons. — Tacite, An- nales, XIV, 57.
Page 291 . Ont^iris une peine bien inutile. — Ils oui été réfutés,
NOTES. 373
d'une manièro complèic et pérenipioire, dans l'excellent
livre de M. Auberlin, Séncquc et saint Paul. Page 292. Beaucoup de gens croient volontiers. — Ils le
croyaient du moins avant d'avoir lu le Saint Paul de
M. Renan, 1869. Page 294. Cette nation abominable. — Cilc par Aiignslin,
de Civitate Dei, VI, 11. Page 293. Son Caton est l'idéal du saint. — Voir II, 383,
387, 378, 312, 128; VIII, 670 ; Vil, 457; IX, 603 et
562. Pour les oracles, voir aussi Sénôijuc, OEdipc, 765, Page 296. Ses hymnes à la paix. — Voir I, 61 ; IV, 191,
et 382. Page 297. Mes amis, dit son Trimalchion. — Au chapitre 71.
— Pour leur faire boire le sang des hoinmes. — Aux vers 14-18.
— Une belle renommée. — Quintilicn, X, i, 94. Les passages de Perse cités dans cet alinéa sont les suivants : 111,77 cl 86; v, 189 ; ii, 61; m, 71; vi, 38 et m, 38.
Page 299. Devant son cher Cornutus. — Au début de la
satire v. Page 301. Mais les peuples, d'un consentement universel. —
Sénèque, Lettre cxvii, 6. Pour la noie, voir le Corpus,
1907 bb, 1999, 2161, 3019, etc.
— Ainsi devisent dans Pétrone. — Voir les chapitres 44, 17, 137.
Page 302. Semble croire à l'astrologie. — Lettre Lxxxviii, 14 ; ad Marciam^ 18; Quœstiones naturales, II, 11.
— Au soleil et à la lune. — De Beneficiis, VI, 20.
— Qu'il est également difficile. — Quœstiones natura- les, II, 32.
— Est comprise dans le destin. — Ibidem, 37.
— A une grande catastrophe. — Ibidem, III, 27, etc.
— Lucain, après avoir raconté. — Voir IX, i ; VIII, 863. Page 303. Néron se lierait avec passion. — Pline, XXX, ij. Page 304. — Le Diable, pour l'appeler par son nom. — Je
retrouverai le Diable dans la seconde partie de ces Études. Je signalerai dès à présent un article de .M. Albert Réville sur l'Histoire du Diable (Revue des Deux Mondes du
374 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
l^i^janvier 1870). Qu'il me permette de dire qu'il a oublié, parmi les champions de la raison humainf, un des pen- seurs les plus fermes el les plus libres de notre temps, M. J. Tissot, qui fait la guerre au Diable depuis près de quarante ans déjà. Voir son livre de l'Imagination : ses bienfaits et ses égarements, etc. 1868.
Page 303. Où Pline écrira. — Naturalis historia, XXX, i.
Page 304. Odieuse aux divinités du ciel. — Lucain, YI, 430, 698, 748.
Page 305. Une scène de V Œdipe. — A partir du vers 314.
— Les aient fait taire. — Lucain, V, 114.
— Si une femme. — De Vita heata, 27.
— Contre les dieux mêmes. — De Clementia, I, 25.
— On ne voit jamais. — Quœstiones naturalcs,
VI, 29.
— Les Galles, faisant tournoyer. — Lucain, I, 567. Page 306. Lucain s'en inspirait. — Livre I, 72.
— Comme Sénèque dans ses tragédies. — Thyeste, 884.
— Dans ses Recherches sur la nature. — Au livre III, 27.
— Du Dies irœ. — Voir aussi la seconde Épître attribuée à Pierre, m, 7.
— Au temps de Sulla. — Plutarque, Vie de Sulla^ 7.PIutarque avait-il puisé cela dans le livre de Varron sur les Ages, de Seculis, comme lo suppose d'une manière plausible M. Chappuis, dans son édiiiou des Fragments des livres de Varron intitulés Logistorici, parmi lesquels il comprend celui-là? Voir page 52 de cette édition (1868).
Page 307. Toute race vivante. — Quœstiones naturales,
m, 30.
— Au témoignage de Sénèque. — Ibidem, VI, 3;
VII, I.
— Nous en a conservé environ deux pages. — De Civi' late Dei, VI, 10.
Page 309. A''e se trouvent bien de s'enfumer. -— Sénèque, Lettre xcv, 47.
— Perse nous peint. — Satire v, 179.
— Lucain proteste à son tour. — Livre VIII, 833.
— Dans le roman de Pétrone. — Chapitres 63, 48, 38.
NOTES. 373
Page 310, Enfin dans un livre. — Pline, XXVIII, 4-5.
— Ala vertu des nombres impairs, elc. — Le lableau des superstitions romaines est l'objet de la Lettre LU (inti- tulée, les Superstitieux) dans Rome an siècle d'Auguste de M. Dezobry, au tome II. Il vient de paraître une troi- sième édition, revue et augmentée (chez Garnier frères), de ce livre devenu classique, auquel tant d'osprils en France doivenlcequ'ilssavent de l'aniiquité romaine;, non pas seule- ment sous Auguste, mais dans une étendue de temps beau- coup plus vaste, une foule de choses demeurant les mômes pendant plusieurs siècles. Ce livre n'a pas seulement rendu ces études plus faciles, mais il en a répandu le goût cl en a fait sentir à tous l'intérêt.
Page 311. L'existence des chrétiens. — Pour la Note, voir Suétone, Vie de Claude , 25.
— Avaient fait, sans le Christ, du monde ancien. — Je ne puis m'empècher d'inviter dès à présent mes lecteurs à relire les Entretiens d'Épictcte, recueillis par Arrien. La dernière traduction de ce livre est celle de M. Courda- veaux, 18G2 (chez Didier). JÉpictète y est traduit très-spi- rituellement, et le traducteur, dans une vive et intéres- sante Préface, s'est montré en complète sympathie avec son auteur, à qui il ne reproche guères que de n'avoir pas sur rimmorlalilé de l'âme les idées chrétiennes.
Page 313. Les dieux que nous. — De Civitatc dei, XIX, 3.
Pour la note, voir le de Anima, 37. Page 317. Vera progenies. — De Prcvidentia, i.
— Jusqu'à être impeccable. — Lettre cxx, 10.
— A clouer ses bras sur une croix. — Cité par Lactance, M, 17.
— i'iacidus et lenis. — Lettre cxx, 13.
— Xon aliter quam in tenebris lumeii. — Ibidem
— Peregrinus et properans. — Ibidem, 18.
— Portant Dieu en lui. — Lettre xli, 1.
— En deuil du genre humain. — Lucain, II, 378.
— Mourir pour tous. — Ibidem, 312.
Pa;.o 319. Le salut du monde. — Cicéron, de Finibus, II, 3o (ot Tusculanes,l, 14). Ou entrevoit les mêmes idées dans V Hercules furens de Sénôque ; mais elles soal surtout
373 LE CliniSTIAKlSME ET SES ORIGINES.
développcîes dans une trngédio de dalc iiiccrlaine qui se trouve ;\ la suilc de celles de Sônèque, Hercules œlœus. Voir particulièremenl les vers il71 el suivants, et 1702. Page 320. Une jurisprudence nouvelle. — Cicéron, d-e Fini- bus, I, 4, et les Institutioncs de Juslinien, H, i, 37.
— Une véritable rénovation. — Pomponius, de Ori- gine Juris.
— So7i intraitable îndé]:iendance, — Tacite, Annales, III, 75.
— Exprimé par Cicéron. — De Officiis., III, 17.
— Sous Claude il fut décidé. — Suélone, Vie de Claude, 25.
Page 321. Une magistrature. — SénèquC; de Bcncfuiis, III, 22.
— C est le même Néron. — Su(îlone, Vie de Néron, 12. Page 327. Horace a dit. — Èpîtres, II, i, 156.
Page 328. Parce qu'' il restait lesjudaïsants, — Guerre de Ju- dée, II, XVIII, 2.
— A la connaissance des femmes. — Ibidem, II, XX, 2.
— Pompcnia Grœcina. — Tacite, Annales, XY- 32.
— Car, dit Joseph. — Antiquités, XX, viii. 11, et Vie de Joseph, 3.
Page 329. Pour faire tomber, dit Tacite. — Annales, XV, 44.
Page 331. Qu'Eratosthène avait désavoué. — Cité par Slra- bon, I, p. 66. — J'ai parlé dans ma Préface du livre de PrOLidhon; j'en veux détacher en finissant un ou deux passages :
Tome ler, page 128 : « Produit fatal du polythéisme, l'empire, tout le monde en convient, accéléra la dissolu- tion d'autant mieux qu'il chercha son appui dans la res- tauration des idées religieuses La situation réclamait
un remède qui, dépassant la mythologie et la politique, s'adressant à la conscience du genre humain, saisirait le mal dans sa source. La philosophie se présenta la pre- mière... Sloïcions, pythagoriciens et cyniques furent les vrais précurseurs du Christ (a). »
(ci) Il aurait fallu dire, du Christianisme, ou, des Chrulien»,
NOTES. 377
Môme loino.pngfc 130 : «Coqui caractérise IcsSloiciciis.c'csl qu'ils prêchent sans cesse la probitcSIa frugulité, l'emjiirc sur soi- même, les bonnes œuvres, l'humanité, la philanthropir, et, malgré leur durelcS plus apparente que réelle, la misé- ricorde. Ce sont eux qui ont t'ait entrer dans la lanj:;uo vulgaire ces mots sacramentels, reçus tie ranliquiti-, cl que le christianisme re\endiquc aujourj'liui comme son idée propre. »
Note additionnelle sur la page 41.— Dans ces quelques pa- ges sur l'Orient, je n'ai pas pnrlé de la Chine, parce que le monde grec paraît avoir ignoré profondément la pensée des Ciiinois et n'en avoir re^'U aucune intluence. Cepen- dant, à voirie livre de morale que M. Stanislas Julien a traduit et qu'il rapporte à Lao-Tseu et au sixième siècle avant notre ère, il semble que si les Grecs avaient abordé les Chinois au même temps où ils se sont trouvés en présence des Indiens, ils n'auraient pas été moins frappés de la sa- gesse (les uns que de celle des autres, et qu'ils y auraient aussi reconnu les aspirations de leurs propres sages. C" livre, d'une égale élévation morale et poétique, est tout rempli du mépris du corps, de la vie, de l'action; de l'in- différence à l'égard des objets et des hommes; de cette espèce d'égoïsme qui met le moi au-dessous de tout le reste pour qu'il soit en effet au-dessus. 11 ne reconnaît d'autre distinction dans les choses que celle du bien et du mal ; il condamne les passions, il professe l'horreur de la guerre ; il proclame la folie de la sagesse, etc. Voyez Lao- seuTd) tekhij, le Livre de la Voie et de la Vertu, tra- duit par Stanislas Julien, Paris, Imprimerie royale» 1842.
NOTES SUPPLÉMENTAIRES
Page 13 (en note). — La liclle épi'jramme de Léonidas. — Il est bon d'avenir que Sainte-Beuve la donne d'après le texte du recueil de Planude, adopté aussi par M. Dehôque
378 NOTES
dans sa traduction de l'Anthologie. Dnns le recueil de Céphalas, dont celui de Planude n'est qu'un extrait, après le sixième vers, qui finit sur ces mots, jjïiis triste que l'odieuse inort, suivent dix vers des plus obscurs. La dernière phrase, Dérobe-toi..., qui forme deux vers, est donnée dans Céphalas comme un Epigramma distinct, appartenant d'ailleurs au même poëte. Voyez, dans la collection des auteurs grecs de M. Didot, l'édition de V Anthologie donnée par Dûbner et ses notes sur cette pièce à la page 475 du tome !«"' (a).
Page 37. Après avoir rappelé que Mégasthène a dit que les peuples de l'Inde ne connaissaient pas l'écriture, j'ajoutais: R Cette erreur vient sans doute... etc. » On a demandé s'il est bien sûr que ce soit une erreur, et si on ne peut pas admettre que les poèmes religieux se conservaient dans l'Inde par la seule mémoire et sans le secours de l'écriture, comme César l'a dit de ceux des Gaulois {Guerre des Gaules, VI, 14). Ce n'est pas d'aillears que le passage de Mégasthène ait en lui-même une grande importance : il n'y est pas parlé de poèmes ni de récils sacrés, il y est dit seulement que les peuples de l'Inde, qu'on représente comme vivant d'une vie simple et innocente, ne connaissent que de petits vols, et que ces vols sont jugés d'après des lois non écrites ; car ils ne savent pas écrire et ne recourent en toutes choses quà la mémoire. Uïi pareil témoignage, qui ne s'applique peut- être qu'à quelques populations à demi sauvages, ne paraît pas avoir beaucoup d'autorité.
Page 56. Platon chassait Homère de sa république : les vrais Romains eussent volontiers chassé Platon de la leur. — Cicéron disait, ou plutôt sans doute il faisait dire à
(o) Le tome second de cette édition n'a paru qu'en 1872 ; on peui dire qu'il est doublement posthume. La mort de Liibner en avait mterrompu rimprcssion, et celui qui s'clait ciiargé de revoir el d'achever le travail ue Diibner, et qui s'est si bien acquitté de celte tâche, Octave Delzons, est mort, le 6 janvier 1872, à la veille de la publication.
LE CHRISTIANISME ET SI-S ORIGINES 379 un de ses personnages dans le dialogue de la République: « Pour moi, je le renvoie où lui-même renvoie Homère quand il le chasse de la ville qu'il se bâiit, en le cliari^ant de parfums el de couronnes. » Nonius, au mot fmjcre, page 308 de Mercier.
Page GO. Rome fit de tout temps chez elle la police des re- ligions. — Cicéron, Lois, II, 8 ; Tile-Live, XXXIX, 16. Voir le livre de M. Bouché-Leclercq, les Pontifes de l'ancienne Rome, 1871, livre IV, chapitre 3 (intitulé, la Religion et VEtat).
Page 9o. Il est donc permis de dire à la fats, et que les anciens ont su bien des choses, et que la science leur a manqué. — M. Babinet avait dit déjà : e C'est que la Grèce et l'antiquité ont tout dit, mais qu'elles n'ont riea démontré. y> Cité par M. Martha, le Poème de Lucrèce^ page 322.
Page 171. Point d'indécence^ point de libertinage dans son Olympe. Je n'ai parlé que de Virgile ; mais il en était déjà de même , à ce qu'il semble, des dieux d'Ennius :
Respondit Juno Satarnia sancla dearum. Et ailleurs,
Optima cœlicolum Saturnia magna dearum.
Page 177. On disputait encore, vers le temps de Cicéron, étant accordé en droit que Vusufruit d'un animal comprend la propriété de la jjortée, s'il en était de même de la portée d'une femme esclave, etc. — Voir les textes cités page 351. Les raisons données par les jurisconsultes rom;^ins étaient cellos-ci : « Il est absurde (jue l'homme soit compté comme fruit, quand tous les fruits n'ont été faits par la nature que pour l'homme. » {Instit. II, I, 37, el Digeste, XXII, i, 28). — Le produit d'une femme esclave ne peut être un fruit, parce qu'il n'arrive guère qu'on acquière des femmes esclaves pour les faire produire (Digeste, V, m, 27). — Je m'en liens à la pensée générale qui se montre ici sous des formes diverses, sans m'arrôter à l'objection de M. Accarias {Précis du Droit romain, 1872, page GOa. note 1^.
380 NOTES
Page 180. Quiconque était mécontent ou inquiet demandait à l'astrologie des espérances. — On faisait encore ia même chose en France, ou à peu près, vers la fin du règne de Louis XIV. Voyez ce que Saint-Simon raconte ' du duc d'Orléans, depuis régent, à l'année 1706 (tome V des Mémoires, pages 209-212, dans l'édiiion de M. Chéruel).
Page 266. J'ai ici, à l'occasion du mot salut, une rectification à faire (voir aussi tome I^"", page xvm). Je crois toujours que dans le langage de la dévotion, dans les sermons par exemple, le mot salut est pris souvent au sens des phi- losophes, et probablement d'après eux (la sanlé de l'âme, la guérison); mais souvent aussi, et toujours dans le Nouveau Testament, comme me l'a justement objecté un critique (o), le mot salut est pris dans un sens tout autre, et signifie la délivrance, h rachat ; c'est alors une idée biblique. Voir Luc, I, 71, etc.
Page 330. D'être l'interprète de ce qu^il appelle la conscience de l'humanité. J'ai fait comme tout le monde en fian- cisanl ainsi l'expression célèbre do Tacite, conscientiani gcncris humani [Agric. 2); mais il faut avouer que cette traduction n'est pas tout à fait exacte. Tacite veut dire que le genre humain tout entier avait la conscience de ces attentats des empereurs qu'on croyait effacer de l'his- toire en brûlant les livres : Scilicet illo igné vocem jtopuli romani et libertatem senatus et conscientiam- gcncris humani aboleri arbitrabantur. 11 parle du témoignage que les hommes pouvaient rendre de ce qu'avait été la tyrannie, et non du sentiment moral par lequel ils la jugeaient et la condamnaient. Mais il n'y a pas loin de celui-là à celui-ci, et on comprend que le mot conscientia ait facilement passé de l'un de ces sens à l'autre.
(a) M. C.-J. Monro, dans un article du journal anglais The AcU' demy (du l^r octobre 1872), article plein d'observations excellentes, dont j'ai tâché de proiiler.
Fm W DEUXIÈME VOLUME.
TABLE
ALPHABÉTIQUE*
Ablutions, I, 315; II, 18U-190.
Académiques. Les philosophes académiques, II, 2.
Adouis, I, 54-00 ; 339.
Adrien. Voyez Hadrien.
Age d'or, 1,25; 11,39.
Alceste (1') d'Euripide, I, 106.
Ame. Crovances ou doctrines sur l'âme ou sur rimmortalitô de l'âme : I, 34-36, H6, 145-146, 2:îl-227, 233, 279, 283, 324, 332; II, 6, 128-131, 277.
Amnisties, I, 190 (en note).
Amour. Amour de soi, condamné, I, 211. — Amours contre na- ture, I, 246-247, 279. — L'amour est compris dans la justice, I, 281. — Dieu meut par l'amour, 1, 2S0. — Amour de Dieu. Voyez Dieu.
Analhèmc, I, 70-71; II, 210-211.
Anaxogore, I, 95-99.
Ancyre. L'Inscription d'Ancyre, II, 161, 105.
Ange. Anges déchus, I, 25. —Anges gardiens, I, 225; II, 21-22. — Équivalent aux dieux païens, II, 313.
Anthologie, I, 353; II, 13.
Antigone (1') de Sophocle. Voyez Sophocle.
Antislhène, I, 212, 313-314.
Apothéose, I, 53, 08, 126-127, 308, 340-351 ; U, 85, 197- 201, 29G.
1. Cette table ne se rapporte ([u'au texte même de l'ouvra^'c; clic aurait été trop étendue si elle avait embrassé tout ce qui se truu\c daoi les Notcj '~'lacéesà la (iu des deux volumes.
382 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGir^ES.
Arimane II, 28.
Aristippe, l, 830.
AriPtophane, l, 92 et IGS.
Aristole, l, 276-304.
Asile (droit d'), l, 71.
Assollant ;M. Ernest), l, 191 (annote).
Astres. Étaient des dieux : l, 95, 148, 293-296 ( au contraire, 333).
Astrologie, II, 84 et 180-184.
Athènes au ve siècle, I, 49-76. — Esprit d'Athènes, I, 186-192.
Voyez Histoire. Attale le philosophe, II, 269. Auguste. La religion au temps d'Auguste, II, 157-212. — Son
Exhortation à la philosophie, 215. — Son testament. Voyez
Anctre (Inscription d'). Aulugelle. Voyez Gellius.
Aumône, I, 17-18, 108, 112; II, 19, 33, 227, 286-287. Avortement, autorisé, I, 278. — Condamné, II, 228. Axiochos (l'j, dialogue platonique sur la mort, II, 128.
B
Bacchantes (les), tragédie d'Euripide, I, 128-136.
Bacchos. Voyez Dionysos.
Baptême, II, 190,
Bérose et Manéthon, II, 28-29. Leurs livres ne sont pas authen- tiques.
Bête. L'homme n'est ni dieu ni bête, I, 286.
Beulé (M.), cité à propos de la Pallas de l'Acropole, I, 61 (en note).
Bible. N'a pu rien fournir aux Hellènes, I, 255-259; II, 43-45 et 291-294.
Bien. Question du souverain bien, I, 313; II, 10 et 70.
Bossuet. Rapproché d'Isocrate, I, 201. — D'Horace, II, 200.
Bouddhisme, II, 37.
Bourdaloue, rapproche la canonisation de l'apothéose, II, 198 (en note).
Brachmanes, II, 33-41, 127.
Brutus : son Génie, II, 176.
Burnouf (M. Emile). Sa traduction de la Bhagavad-Gila, 11,4047.
Calathos, ou corbeille sacrée, I, 2%.
Calendrier, est chose religieuse, II, ICj.
Callimaque, ses Hymnes, I, 339.
Callixènc de Rhodes : pompe ou procession qu'il décrit, ï, 3'iOL
Canonisation, dans Platon, 1, 238. Voyez Apothéose.
Casuistique, es* duc aux philosophes, II, 102.
TABLE ALPHABÉTIQUE. 883
Catéchisme, I, 327 et II, 145 (ea note).
Caton, II, 107. 295.
Catulle, son poëme sur la grande Déesse, II, 88.
Cènocomméiiiorative des Mystères, I, 66.— De l'école d'Epicure, Sôr.
Chai-ilé, I, 105, 108; II, 19, 260, 284-288, 298. Voyez Amour, Aumône, Humanité.
Chassang (M.l, cité sur Pindare, I, 80 (en note).
Chasteté. Vœux de chasteté, I, 67 et II, 208. — La chasteté dans Euripide, I, 109, 139. — Dans Platon, 2.J5. — Dans .Vristoxinc, II, 9. — Dans Cicéron, 109-110. — Légendes de vierges, 191-1VI2.
— Au temps d'Auguste, 190-191. — Dans les Déclauialours, 2J1.
— Dans Valérius, 237. — Dans Sénèque, 282. — Condamnation des secondes noces, 224-226.
Chénier (André). Vers traduit de Lucrèce,!, 334, 350 (en note).
Christ : idée hellénique d'un Christ, I, 219 et II, 317-319. Voyez Messies.
Christianisme : idée générale du christianisme I, 1-6. — Avénemen. du christianisme, II, 328-333.
Chrysippe, le Thomas d'Aquin des Stolques, II, 4-5 et 97.
Cicéron, II. 72-139.
Cierges, I, 07.
Cité de Dieu : idée platonique et stoïque, I, 207, 320-323.
Cléanthe, son Hymme au Verbe, I, 325.
Clergé philosophique, dans Platon, I, 237-239. — .\ux temps macé- doniens, II, 9. — . Au temps des Césars, 289.
Clytemnestre : poète chargé de veiller sur elle, I, 20.
Comédie. Comédie antique, I, 92 et 163. — Macédonienne et ro- maine, II, 14-24.
Communion d'Eleusis, I, 66. — La communion des Saints, S23
Concile. Première idée d'un concile, II, 70.
Confession, I, C6 et 243.
Confréries religieuses, I, 69 ; II, 207.
Conscience. Nommée pour la première fois dans Euripide, I, 115.
Consolations philosophiques : II, 8, 102, 272.
Contemplation. Voyez Retraite.
Conversion : II, 8, 269, 272.
Cornulus, directeur de Perse, II, 299.
Crantor : Son livre du Deuil, II, 8.
Cratippe, directeur du jeune Cicéron, II, 104.
Création. Création de l'homme, I, 65,150. — Du Monde, 213. — Créa- tion, au sens absolu, II, 175, 276.
Critias, l'un des Trente : fragment de lui contre les dieux, I, 120.
Critique. La critique en général; elle manquait aux anciens, I, 301 ; II, 26, 92-94, 280-28r. — Critique en ma'ière de religion, ou incrédulité : I, 43, 95, 116-121; II, 64-05, 73-77, 163-1C>5, 301.
Culte. Le vrai culte. Voyez Sacrifices. — Cultes obscènes. Voye» Obscènes.
Cycéon, breuvage de la communion d'Eleusis, I, C6.
Cyniques, I, 314-316; II, 2, 4, 119, 216, 273.
381 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
D
Dante, rapproché d'Arislote, I, 278-279.
Décadence. Voyez Progrès.
Déclamateurs ; leur témoignasse sur la religion et la philosophie de leur temps, II, 191, 226-233.
Delille : vers stoïque de lui, II, 255.
Délos, île sacrée, I, 126, 339.
Delphes. L'oracle de Delphes exerce comme une papauté, I, 72,240.
Déluge : tradition du déluge chez les Hellènes, I, 80, 254.
Déméter. Voyez MysTÎ;RES.
Démocratie d'Athènes, I, 49, 157-160, 263.
Démocrite, I, 95 et II, 96, 118.
Démons. Croyance aux démons, I, 231-233 (voir aussi 141), 258, 327; II, 97-98, 176 et 303-304. Il n'y en a pas de mauvais, I, 232; II, 22.
Démosthène, cité, I, 186-270.
Denis (M. Jacques), I, 352 (voir la Préface).
Denys d'Halicarnasse, sa crédulité, II, 176-177.
Dcschanel (M. Emile), I, 16i (en note). (Voir aussi la Préface).
Détachement. L'esprit de détachement, 1, 113, 205-211, 319, 329,355; II, 41, 106, 261, 263-264.
Dévotions païennes : I, 67 ; II, 201-212.
Diable. Le diable, II, 304 (voir aussi I, 225 et 233).
Diagoras, appelé le premier du nom d'athée, I, 119 et 136.
Dicéarque : ses doctrines sur l'âme et sur la guerre, II, 6 et 113.
Diderot, son témoignage sur les pompes religieuses, I, 58-59.
Dies irai. La Sibylle reconnue dans le Dies irse, II, 184.
Dieu. Ce qu'étaient les dieux des temps primitifs, I, 9. — Avantage de plusieurs dieux, 51. — Le mot Dieu, pris absolument, est mo- derne, I, 214. — Croyance en deux dieux, du bien et du mal,
I, 232 et II, 28. — L'homme ni dieu ni bête, I, 286. — Dieux admis par les Juifs, I, 257. — Dieu suprême ou unique : I, 14, 43, 141, 151, 212-215, 280, 324; II, 174. — Idée des faux dieux,
II, 74. — Les dieux païens, au temps où s'est produit le christia- nisme, n'étaient que des anges, II, 313. — Définilion de Dieu, I, 327. — Amour de Dieu, I, 221 ; II, 22, 132, 275-277. — Bonté de Dieu, II, 113 (comparer le Thnée de Platon, p. 29). — Faire la volonté de Dieu I, 176 ; II, 276.
Diogcne, I, 315.
Dionysos: I, 37, 81,128-136, 339-340; II, 34.
Direction de conscience : I, 21 ; II, 8, 68, 103, 215, 220, 270-272.
Divination, pratiquée ou reconnue, I, 15, 57, 123, 179, 193, 240.
283, 299, 328 ; II, 79-84. Dogme. Ce que c'est qu'un dogme, I, 310 (et 223); II, 274. Dolifus (M. Charles), cité à propos de la divinité des astres,
I, 148 (en note). Douleur. Mépris de la douleur, I, 316; II, 264. Droit (Action de la philosophie sur le), II, 117, 220 (et I, 186).
TABLE ALPHABÉTIQUE. 38:^
E
Eau bénite, I, 67.
Écriture. Voyez Bible. — L'Ecriture sainte des Hellènes est
^ Homère, I, 23. Éducation publique, I, 282. É. E. (M'""), citée au sujet des idiies dejXénophon sur la Femme,
I. 19"- ' • . , . V.
Égalité des fautes, I, 318 ; H, 115-117. - Egalité des hommes,
'l, 109, 320-321 ; II, 18. Voyez Esclaves. Eeqer (M. Emile), cité (en note), I, 71, 97, 334. Église. Les ùcoles philosophiques étaient des églises, I, 31, 178 _;
Il 9, 110. — Idée du gouvernement de l'Eglise, I,_237. — Tri- bunaux religieux analogues à ceux de l'Eglise, I, 70 É<-vpte. InHucnce de la religion de l'Egypte, I, 37, 117, Wl-W^,
Î8Ô, 228, 231 ; H, 30-33, 89-90, 240-243. Élus. Petit nombre des élus, I, 225. Empédoclc : I, 140-142. Empire romain. Voyez Histoire. Enfants. Abandon des enfants, autorisé, I, 278. - bondamné, II,
oo7.<9-^S '*41 324. Enfer-^Croyance à l'enfer, I, 37, 80, 225-230; II, 172, 185-187. -
Charité dans l'enfer, II, 287-288. Ennius, II, 64. Épicharme : I, 92 et H, G5. Épicurc : I, 330-357. - Son école à Rome : II, 71-72, 9i), 132, Wà,
^ 177, 297. Épiménide : I, 28. Épiphanics : I, 336.
Érasme : son témoignage sur Cicéron, II, 138.
Eschyle : I, 88-90.
Esclaves. Sentiments et doctrines sur les esclaves .1, -0, HJJ, 113 186-183, 197-198, 277-278, 281, 323-324, 3o3-3o4; II, 13, 114^120, 123, 100-161, 229-230, 259, 283-281, 320-321.
E=prit. L'Esprit, dans Anaxagore, I, 97.
Eunuques : I, 195-196 ; H, 228.
Euripide : I, 103-116, 119-120, 128-13b, 139.
Évan-iles. Les Évangiles n'existaient pas du temps de Séncque, _ II, 292.
Évémère, II, 27 et 65.
Examen de conscience : II, 274.^
Excommunication. Voyez Anatuème,
Famille (la Sainte), n'est pas une famille, I, 22. II.
386 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Fanatique : origine de ce mot, II, 89.
Fauclie, passages cités de ses traductions, II, 39, 41.
Femmes. Sentiments et doctrines des anciens sur les femmes, I, 187, 19G-197, 246-247, 278 ; II, 24, 56, 231-232, 282, 288-289. — Sentiments des femmes, I, 265; II, 100, 328. — C'est la femme qui introduit le mal dans le monde, I, 25.
Fénelon : prédication dramatique qu'il demande, I, 83-84.
Fin du monde (croyance à la), II, 86, 18S-189, 306.
Foi : la Foi, I, 32, 142. Voyez Religion et Superstitions. — Suivre la foi de son pays, I, 117, 147. — Guerre entre la foi et la rai- son : I, 132-136, 185 ; II, 177.
Fondations pieuses, I, 67 ; II, 202-203.
Fontenelle, I, 76; 11,95.
Foucaux (M.), cité comme traducteur, II, 38.
Fustel de Goulanges (M.), sa Cité antique, l, 56 (en note).
G
Carat, son témoignage sur Sénèque, II, 250-257.
Gellius ou Aulugelle, ce qu'il dit du mot humanitas, II, US.
Gcilius le proconsul, prétend accorder les philosophes, II, 70.
Girard (M. Jules), I, 93 (en note).
Gladiateurs. Combats de gladiateurs jugés par les philosophes :
II, 120, 284 (et 321). Gnomique. Poètes gnomiques, I, 39-42. Grâce. La grâce gratuite, I, 125. Grec. Voyez Hellénique. Grégoire de Nazianze, II, 200. Guerre. Condamnée par les philosophes : 1,321 (voir aussi 102);
II, 113-114, 232-233, 285-286, 295 et 296. Gymnastique, suspecte aux philosophes : I, 45-46.
H
Hadrien. Ses temples sans images, II, 322.
Hécaton. Ses cas de conscience, II, 117.
Hégésias, prêcheur de mort, II, 5, 11.
Heine (Henri), I, 190 (en note).
Hellénique. L'esprit hellénique, I, 21, 27, 103, 189; II, 53 et
102-103. Héraclès ou Hercule, I, 53, 102, 315, 320 ; H, 319. Heraclite, I, 99, 155 (en note), 294 (en note), Hermès. Affaire des Hermès, I, 125. Voyez IIipparque. Hérodote, I, 117-118, 122-123. Héron d'Alexandrie, II, 99. '
TABLE ALPHABÉTIttUE. 387
Hésiode, I, 24-2G.
Hipparque. Ses Hermès, I, 40.
Hippocrate, I, 90, 12'i.
HisloircJ. Ilisloirc i,'6n6rale, rapprochée de l'histoire de la religion et do la philosophie. Temps liéroiques, I, 13. — D'HomlM-e au vie siècle, 2G-27. — Athcncs, 48-50. — Sa démociatie, 157-1G4. — L'Athènes de Platon, 178, 183-184, 191-192,204-200.— Révolution macédonienne, 262-275. — Les rois macédoniens, 305-310 (voir aussi 321). — Fin de l'indépendance hellénique, II, 47-51. — Rome, 51-54 et 69-70. — Le césarisme, 157-163 et 249-251. — Histoire sainte : Rome n'en a pas, II, 55. — Celle des chrétiens leur est étraniiçère, I, 53.
Homère, I, 12-24 (et 34-35).
Horace. Sa religion, II, lOS, 174, 200-201, etc. — Sa philosophie, 215-224. — C'ûé sur les Juifs, 244.
Humilité, I, 234; II, 17.
Hypéridc, I, 271.
I
Idololatrie, II, 55, 74,
Image. L'homme fait à l'image des dieux, II, 175.
Imitation de Dieu, 1,233.
Immortalité de l'àmc. Voyez Ame.
Incarnations divines, I, 52.
Incrédulité. Voyez Critique.
Inde. Inde primitive, I, 8-12. — Inde brahmanique, II, 33-il.
Initiation, avant la mort : I, 66.
Inspirés, II, 179-305 (et I, 54).
Intérêt de l'argent, condamné, I, 277.
Intolérance religieuse, I, 137 et 241. II, 132, 143, 177.
Ion, personnage d'Euripide, I, 113-114.
Iphigénie. Le sacrifice d'Iphigénie. Voyez Eschtlb.
Isocrate, I, 199-202 (et 182).
Jéhovah, opposé à Jupiter, II, 197. — Ce nom remplacé par celui
du Seigneur, 327. Jésus, comparé a Socrate, I, 154-156, 166-168. Joseph, l'historien ; son récit sur l'aventure d'un Juif au temps
de Tibère, II, 245. Josué. La fable de Josué, I, 45. Jugement des morts, I, 225. Juifs, opposés aux Hellènes, I, 171-172 et II, 325-327. — Leur
grandeur, I, 259-2G0. — Les Juifs dans le monde grec, II, 42-45.
— Les Juifs à Rome, II, 148-156. — Les Juifs sous l'empire,
j8s le christianisme et ses origines.
243-2'48, 311, 323-329. — La philosophie n'a rien pris dans
leurs livres. Voyez Bidle. Justice. La justice suprême est amour, I, 281 et 304'. Justin (Saint), I, 172; II, 21.
Labéo, a renouvelé le droit par la philosophie, II, 320.
Langues. Les Hellènes ne les étudiaient pas, II, 44-43.
Langlois, sa traduction du Rig-Véda, I, 11-12.
Léonidas de Tarente, II, 13 (en note).
Limbes. Les limbes dans Platon, I, 226.
Livius. Voyez Tite-Live.
Livres. Livres sacrés de Déméter, I, 64.
Lois. Lois sacrées ou lois non écrites, I, 64. — Les Lois de
Platon, I, 236 et 241. Loiselcur-Deslonchamps, sa traduction des Lois de Manou, II,
39-40. Louis (Sainl), rapi»roclié de deux personnages d'Euripide, 1,104,103. Lucain, II, 295-290 et 304. Lucrèce, II, 86, 87, 140-142.
M
Macaulay : passage contre les Stoïques, II, 232. Macédoniens. Voyez Histoire. Magie, I, 127-128, 335 ; II, 185 et 303-304. ^laislre (Joseph de), I, 07-08 el 300. Mal. Ne pas rendre le mal pour le mal, I, 235. Manéthon. Voyez Bérose.
Manilius, son poème astrologique, II, 181-182 et 213. Mariage, I, 20. Voyez Femmes, Noces, Polygamie. 'Marlha(M.),I. 403; H. 286.
Martyrs philosophiques, II, 222,264 (voir aussi I, 219). Mégasthène, son témoignage sur l'Inde, II, 35,37. Ménandre. Voyez Comkdie. Ménard(M. Louis), I, 4i-45. Voyez la Préface. Monippe, II, 6. Mères. Les Mères, I, 336-337. Messies. Les Messies païens, II, 188-189.
1. ,1'ai en tort d'employer cette formule, qui ne traduit pas bien la pnrase d'.\ristolo. V.We n'est pas conforme au mot A mot et oUe a une espèce d'emplinse qui n'est nullement aristotélique. 11 fallait traduire plus simplement (et cette •implicite n'a pas moins de force) : « Et c'est encore, ce semble, do la justice que de bien aimer » ; c'est-à-dire, en langage moderne, que l'amour est essin- (icllcmcnt compris dans la justice.
TABLE ALPHABÉTIQUE. 389
Mélempsychose ou transanimalion, I, 31 ; H, 234,
Michelel (M.). I, 4. Voyez la Préface.
Miracles, L 1-2-123; H, 170- 179, elc.
Monarchie. S'établit à la fois sur la terre et dans le ciel, I, 290-291 ;
II, 174. Voyez IIiSTOinE et Politique. Monastiques (habitudes):!, lG-i7, 32, 139-liO, 144, 315-31GÎ
II, 32, 2il, 273. Montaigne, II, 3 et 12G.
Morale. Elle est à la fois obligatoire et relative, I, 2ô0. Mort. Moralités sur la mort,"^!, 79, 116, 209-210, 2S4 ; II, 5, 10, 40,
125-128, 257-258, 2G5. — Fête des morts, II, 202. Musonius, II, 88.
Mystères d'Eleusis, I, 36-37 et 60-66. Mysticisme, I, 140, 221, 284-289, 348. Mythologie. Ce qu'elle est au fond, I, 6-8, 43-47. — Condamnée par
les philosophes, I, 44, 79, 119, 146-147, 180,220; I, 164-105, 171.
N Noces. Condamnation des secondes noces, II, 224-2Ù3.
o
Obscènes (les cultes), 1,52.
Onésicrite, son témoignage sur l'Inde, II, 35-33.
Oracles. Voyez Delphes et Divination.
Oromaze, II. 28.
Orphiques (poèmes), I, 38.
Ovide : II, 107, 205-207, 234-235, etc.
Paganisme. Sainteté du paganisme, I, 51-54 et 73-76. — Que so-
rait-il arrivé s'il eût vécu? II, 321-323. Pallas. La Pallas d'Athènes, I, 54 et 60-61 (en note). Panétios, II, 71. Paradoxes des Stoïques, I, 316-318; II, 124. Voyez Eg.\lité des
fautes. Pascal, son témoignage sur Platon, I, 260. Passion. La Passion d' .adonis et celle de Bacchos, I, 54-55. —
Colle d'Osiris, II, 309. Patin (M.), cité sur la tragédie antique, I, 86. Patrie. Détachement de la patrie, I, 113, 355. Paul. Saint Paul rapproché des Stoïques, I, 329.
890 LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Pauvres. Dieu est avec eux et en eux, I, 17-18. — Religion des
pauvres, 115. Pauvreté. Amour de la pauvreté, I, 144. Voyez Richesses. Péché. Péché originel, I, 141. — Le péché en général, II, 266-267. Pénitence. Doctrine de la pénitence, I, 242. Voir aussi II, 18. Péripalétiques. Leur morale, II, 3-4. Perse, le poëte, II, 297-300.
Perses. Leur influence sur l'esprit hellénique, I, 117; II, 28. Persévérance (doctrine de la), II, 267. Pétrone, II, 296-297. Phérécyde de Syros, I, 29.
Philippe, roi de Macédoine : sa dévotion, I, 274-275. Philodème : I, 344-346; II, 123, 139. Philolaos : I, 203, 234.
Philon, est un véritable Père de l'Eglise, II, 247. Philosophie. Epoque oii ce mot paraît pour la première fois,
I, 144. — La philosophie règne dans le monde ancien comme une religion, 261, 301-04, 310-313; II, 9-10, 101-107, 133-138, 258-259, 277-278. — Voyez Athènes ( Esprit d' ). — Elle est le remède des temps mauvais, II, 50-51. — L'âge le plus riche de la philosophie grecque est perdu pour nous, II, 46. — Les en- nemis de la philosophie : I, 102, 132, 139, 184-185 ; II, 12-13. 143-147, 272. — Il n'y a pas de philosophie chrétienne. II, 291.
Pindare, I, 77-81.
Platon, I, 203-261. — L'école de Platon, II, 4, 7, 127- 12S. 142.
Poésie. La poésie maîtresse de sagesse : I, 21. 78, 88, 129, 189;
II, 226.
Polémon : sa conversion, II, 7-8,
Politique des philosophes. De Pythagore, I, 33-34. — De Socrate,
157-165. — Des Socratiques, 183. — De Platon, 204-205, 245-246.
— Des Stoïques et d'Épicure, 349, 355 (et 11,12). — Des Stoiques
de Rome, II, 289-291. Polygamie, répudiée par la Grèce, I, 20 et 109. Polythéisme. Voyez Dieu.
Pontife (souverain), II, 60, 165, 170, 198-199. Voyez Delphes. Posidonios, II, 98.
Possédés, I, 128-131 ; II, 89. Voyez Inspirés. Prédication (la). Delà poésie et du théâtre, I, 79-84. —De Socrafe,
152-153, 174. —Des philosophes en général, 251 ; II, 9-10, 269-270. Présages. Les présages à Rome, II, 178, 208. Prêtres. Leur dignité, I, 69; II, 60 et 199. Processions, I, 58-59, 340-342; II, 194. Prodicos, I, 102. Progrès. Loi de progrès, I, 48; II, 278. — Idée contraire, I, 229,
3(X). J'aurais pu citer Horace, Canuina, III, vi, 44-48. Propcrcc, II, 224. Prolagoras, I, 137. Proudiion, II, 55, Providence divine : I, 199, 21G, 326,333; II, 75, 276.
TABLE ALPHABÉTIQUE. 391
Puissance. Doctrine des deux puissances, I, 237.
Purgatoire, II, 187.
Pythagore, I, SO-^i. Son école, 92, 130-140; II, 9, 63, 142, 234-23&.
Q
Question, appliquée aux esclaves, I, 110-111. Quinet (M.), I, 4 (en note).
R
Rédempteur. Idée d'un rédempteur, II, 317-319.
Religion. Reliiiion d'Athènes au vc siècle, I, 50-76. — Religion ro- maine, II, 54-63, 163-212. — Religions orientales : I, 28-29, 54-55. 128-129; II, 27-29, 89, 127, 146-147, 238-240. Voyez Egypte, Inde, Juifs, Perses. — La religion philosophique, I, 310. — Se pré- valoir de la religion, mot de Montesquieu, II, 02. Voyez Foi et Superstitions.
Remords : II, 109, 298.
Rémusat (M. de) , I, 224.
Renan (M.), I, 210 et 251 (en note). Voir aussi la Préface.
Résurrection, I, 36, 258 ; II, 188. Vovez Métempsycose.
Retraite, I, M4, 205-209, 285; II, 207-269.
Révélation. Appel à une révélation, I, 228.
Réversibilité des fautes, I, 41 ; II, 190. — Combattue, I, 42.
Réville (M. Albert), I, 257 (en note).
Richesses. Moralités sur les richesses, I, 113, 235 ; I, 6, 16, 232-233. Voyez Pauvreté.
Rig-Véda (ie), I, 8 et 34.
Robert d'Arbrissel, I, 194.
Rogations (les), II, 204.
Roilin, I, 19 et 76.
Roman. Le roman est né de la philosophie, I, 184.
Rome. Voyez Histoire et Religion. — La philos- phie à Rome, II, 63-72, 215-216, 2.'i0-261. — Les religions orientales à Rome . Voyez Religions Orientales, Egypte et Juifs.
Rougé (M. de), I, 230-231.
Rousseau (Jean-Jacques), I, 165-166.
Sabbat (le), I, 188; II, 244, 309.
Sacrifices. Contre les sacrifices, I, 115, 120, 200 (voir aussi 2ô7 ot
200) ; II, 21, 76, 23i-235, 275, 323, 327. Sacrilège (loi du), I, 244,
392 Li: CHRISTIANISME ET SES ORIGINES.
Sainte-Beuve (G. A,), H, 13 (en note), et 131.
Science. La science chez les anciens, I, 29, 94-95; II, 91-92, 278. — Condamnée par les philosophes, I, 148-149, 292-300, 348-349; II, 25-26, 92-97, 213-214, 279-280. Voyez Critique.
Scrupules (les), II, 195.
Seigneur (le) , II, 327.
Selles (les), prrlres de Dodone, I, 16.
Sénèque le père, II, 226.
Sénèque le philosophe, II, 249-294.
Sérapéon (le), II, 32.
Serment (le), I, 70, 221 ; II, 58.
Servius Sulpicius, II, 105.
Shakespeare, I, 351.
Sibylle (la), reconnue par l'Église, II, 184. Voir aussi 309.
Socrate, I, 14o-177, 184. — Est le pore du Christianisme, 138.
Solon, I, 40-41.
Songes. Croyance aux songes : I, 125, 240, 283; II, 208-209.
Sophistes (les), I, 100-103.
Sophocle, I, 90-92. — Passage de son Antigone, 87.
Soufflet. Le sage se laisse souffleter, I, 206 ; II, 264.
Soutiens et t'abstiens, formule stoïque, II, 264.
Spiritualisme, dans Anaxagore, I, 97. — Dans Socrate, 145-146. — Dans Platon, 207. — Dans Cicéron, II, 128. — Le faible du spiritualisme, I, 151.
Stoïques : I, 314-330, 345; II, 14-15. — Stoïques romains, II, 251-261.
Suicide. Pratique du suicide, II, 5-6, 222. — Condamnation du sui- cide, I, 64-65, 234, 279.
Superstitions. Au v^ siècle, I, 122-128. — Au temps de Platon, 179. — Au temps de Philippe, 274. — Après Alexandre, 334- 337 et II, 20-21. — Au temps de Cicéron, II, 77-101. — Au temps d'Auguste, 192, 207-211. — De Néron, 301-310. — Bonnes pour la foule, II, 186. — Difficulté de distinguer la superstition de la religion, II, 173. Voyez Religion.
Swetchine (Mm<;), H, 131.
Taine (M.), I, 59, (en note); II, 252.
Temples. Les dieux n'en ont pas besoin : I, 120, 325. Voir aussi
257 et 260 et II, 327. Tertullien, I, 355-356; II, 226, Thaïes, I, 29 et 30. Théâtre. Le théâtre à Athènes, I, 81-93. Voyez Comédie.—
Guerre des philosophes contre le théâtre, 234 (et 104 en note). Théocrite, II, 13, en note. Théodore de Cyrènc, I, 337; II, 5. Théognis, I, 40. Théologie, I, 212, 28S.
TABLE ALPIIAIÎÉTIQUE. 393
Théophra?tc, I, 187-188, \]:l'i-^^. Tlincydide, I, 95-9G, 118, 131). Tibullc, II, 167.
Tite-Live, II, 177-178. Voir aussi Kî'j. TocqueviUc (Alexis de), II, 300. Torture. Voyez Question. Trêves sacrées, I, 71. Trinité (la), I, 51, 289.
Varron, II, 72, 76.
Vengeance. Voyez Mal.
Verbe (le), I, 97, 99, 172, 321, 325. Voir aussi, page 374, la note
sur les mots : Qui fait marcher saas bruit. Veuvage. Voyez Noces (secondes ). Viïuier (É.), I, 266. Viïlemain, II, 51, 94. Villon, I, 81.
Virgile . II , 169-173, 224-225. — Voir dans la licvue des Deux Mondes (le- mars oL le' Juin 1873} les éludes dâ M. Boistier sur la religion do \ irgile. Virginité. Voyez Chasteté. Vœux : I, 67; II, 194, 207-208. Voyez Anatiième. Voltaire, I, IGl.
Xénocralc, II, 7 et H. Xénophane, I, 43-47. Xénophon, I, 156, 176, 193-199.
z
Zenon, î, 313, 316, 321-332.
FIN DU TOME SECOND ET DE L 'lIEL L É N I SUE ,
TABLE DES CHAPITRES
DU TOME DEUXIEME
Pages
Chapitre X. Entre Alexandre et les Romains 1
— XI. Époque romaine. — Gicûron Jil
— XII. La religion au temps d'Auguste. — Virgile.
— L'astrologie et Manilius 157
— XIII. La philosophie sous Auguste et Tibère. —
Horace. — Les déclamaleurs. — Vaîérius.
'— Le judaïsme 213
— XIV. Les stoïques romains. — Sénèque 249
— XV. Lucain, Pétrone, Perse. — Le monde païen à
la mort de Néron -20i
Notes et renvois 235
Table alphabétique 379
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Under Pat. " Réf. Index Kilc." Made by LIBEAKY BUREAU