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LIBRAIRIE ACADÉMIQUE DIDIER

PERRIN ET C'% LIBRAIRES-ÉDITEURS

35, QUAI DES GRANDS-AUGCSTINS, 35

1888

Tous droits réservés

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AVANT-PROPOS

Plus les années passent, et plus la France dé- choit du rang auquel elle a droit en Europe, et marche vers la ruine. Quand s'arrêtera-t-elle sur la pente qui la conduit à sa perte? Nous avons confiance dans sa prompte délivrance, et la conviction que son avenir est personnifié dans M^*" le comte de Paris. De ce double sentiment, est ce livre.

Jusqu'à présent, on a publié quelques bro- chures, mais on n'a pas écrit un livre, se trouvent réunis tous les documents néces- saires, pour connaître, en détail, la vie déjà si bien remplie de M^"" le comte de Paris. On ne sait peut-être pas assez à quel sincère patrio- tisme M^'' le comte de Paris a obéi dans toute sa conduite, aussi bien en exil, qu'aux heures trop courtes il a vécu en France. Inattentif comme l'est notre pays, il n'a peut- être pas non plus assez remarqué ce qu'il y a de pénétrant, de net, [de précis,' dans l'intelligence

VIII AVANT-PROPOS

de ce Prince, ni aussi la fermeté de sa volonté et la droiture de son caractère qui (on Ta dit avec raison) « est parfois plus habile que Fha- bileté elle-même ».

Il nous a donc paru utile de raconter sa vie aux Tuileries, en Angleterre, en Amérique, à Eu ou à Paris, de le montrer toujours et partout, suivant son unique pensée : la France!... L'heure nous a paru propice pour publier ces pages. A dé- faut d'autres mérites, ce livre aara celui d'une rigoureuse exactitude. Notre rôle s'est borné à enregistrer des documents vrais, et nous avons conscience de l'avoir rempli fidèlement.

Quelques censeurs à l'esprit chagrin ou pré- venu, plutôt mal renseignés, nous reprocheront, peut-être, d'avoir trop cédé à un respectueux attachement. Nous ne nous en défendrons cer- tainement pas; nous ne saurions être touché par une semblable critique, convaincu que nous sommes resté en décade la vérité et de la jus- tice. Nous en appelons, au reste, au jugement de tous ceux qui ont l'honneur de connaître ce Prince. Appartenant à une famille dévouée depuis le siècle dernier à la maison d'Orléans admis à l'honneur d'approcher souvent M"' le

AVANT-PROPOS IX

comte de Paris, il est naturel que nous ne soyons pas insensible aux grandes et solides qualités qui distinguent celui qui sera Phi- lippe Vil.

Nous nous proposons, non d'imposer, mais de faire partager nos sentiments au lecteur; et cela par l'exposé sincère de faits incontestables dont il saura lui-même dégager l'enseignement. Jadis le peuple s'écriait : « Ah! si le Roi le sa- vait ! . . . » Aujourd'hui nous disons : « Ah ! si le

peuple le connaissait! »

Mais le peuple ouvrira bientôt les yeux. Il se rappellera ces Rois, dont l'histoire s'est con- fondue pendant neuf siècles avec sa propre his- toire, toujours liés à sa bonne comme à sa mau- vaise fortune : il se souviendra que la Providence garde toujours dans ses mains l'avenir, pour le distribuer aux Rois et aux peuples, tantôt en châtiments, tantôt en récompenses, selon leurs fautes ou leurs mérites. Il faut donc lui montrer est le salut, sans relâche et sans décourage- ment, jusqu'au jour tant désiré, la France, se souvenant qu'elle est maîtresse de ses desti- nées , rejettera un gouvernement oppresseur. Nous avons confiance dans son bon sens, qui, un

X AVANT-PROPOS

peu plus tôt, un peu plus tard, reconnaîtra quel prestige et quelle situation elle retrouverait en Europe, en replaçant à sa tête le petit-fils du roi Louis-Philippe, le chef de la maison de France, qui seul, en lui rendant l'ordre et la liberté, fera la pacification religieuse et mettra fin à la dis- sension des partis.

Dans l'humble mesure de nos forces, nous aurons rempli la tâche que nous nous sommes imposée, si nous avons ^^fait pénétrer chez le lecteur notre ardente conviction. Un écrivain désintéressé de nos luttes a dit : « La race royale de France a présenté ce miracle constant de toujours produire le juste Roi pour le juste mo- ment... )) Bientôt ce moment viendra, et la France se souviendra alors de la parole de M "^ le comte de Paris : « A l'heure décisive, je serai pi'ét ! . . . »

Paris, octobre 1887.

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COMTE DE PARIS

CHAPITRE P'-

1838-1858

Mariage de S. A. R. le duc d'Orléans, prince royal, avec S. A. R. la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwcrin (30 mai 1837). Fêtes à cette occasion. Le Palais de Ver- sailles. — Naissance de S. A. R. le comte de Paris (24 août 1838). Son enfance. Lettres de M™« la duchesse d'Or- léans. — La vie de famille au Palais des Tuileries. Nais- sance de M. le duc de Chartres (9 novembre 1840). Baptême de M. le comte de Paris (2 mai 1841). La mort de Ms-- le duc d'Orléans ( 13 juillet 1842). Anecdotes sur le duc d'Or- léans, d'après Alexandre Dumas. L'éducation de M. le comté de Paris et de son frère le duc de Chartres. Lettres de M'"« la duchesse d'Orléans sur les jeunes princes. Accident au Tréport (1844). La révolution du 24 Février 1848. M°i<= la duchesse d'Orléans à la Chambre des dépu- tés. — Son départ de France avec les jeunes princes. Ses paroles à Lille Au château d'Eisenach. Voyage en Ano-leterre (1849). La loi d'exil du 26 mai 1848. La première communion de M. le comte de Paris, racontée par M-^Ma duchesse d'Orléans (20 juillet 1850). Mort du roi Louis-Philippe (26 août 1850), et de la reine des Belges (10 octobre 1850). Union de la famille royale. Les jeunes princes au pont de Kehl. - Le comte de Paris et le duc de Chartres parcourent les champs de bataille de l'Europe. Voyages d'instruction. Protestation des princes contre les décrets du 22 janvier 1852 qui les dépouil-

l

C ^MARIAGE DU DUC D ORLEANS

lent de leurs biens. Voyage en Angleterre (1853). Acci- dent de M"e la duchesse d'Orléans en Suisse (1853). Les princes pendant la guerre de Crimée (1854-1855). Mort de S. A. R. M™« la duchesse d'Orléans en Angleterre (18 mai 1858).

Le 15 avril 1837, le comle Mole était charge par le roi Louis-Philippe de constituer un cabinet. Le surlendemain de la formation de son ministère, le nouveau président du Conseil annonçait aux Chambres le mariage du prince royal, le duc d'Or- léans, avec S. A. R. la princesse Hélène de Meck- lembourg-Schwerin. Le comte Bresson avait heu- reusement mené les négociations , malgré les obstacles de toutes sortes que certaines cours avaient élevés pour empêcher cette union. Le duc de Broglie avait été envoyé en ambassade extraordinaire pour conduire la princesse en France.

Le l5 mai, la princesse Hélène quittait Ludwigs- lust, pour venir trouver son royal fiancé : elle était accompagnée de la grande-duchesse de JMecklem- bourg-Scliwerin, sa seconde mère, femme d'un esprit supérieur, qui avait pour elle une mater- nelle tendresse etqui s'était consacréeàson éduca- tion, après la mort du grand-duc de Mecklcm- bourg-Schwerin.

Le 22 mai, elle rencontrait, àFulde, Tambassade d'honneur conduite par le duc de Broglie; son voyage en France fut pour elle un triomplie.

MARIAGE DU DUC D ORLEANS 3

Le 29 mai, à cinq heures du soir, elle arrivait au palais de Fontainebleau, le roi Louis-Philippe, la reine Marie-Amélie, les princes et les princesses l'attendaient. Le duc d'Orléans la reçut au bas de l'escalier et la conduisit au roi; comme elle se baissait pour lui baiser la main, celui-ci l'attira vivement et l'embrassa avec effusion. Dans cette première entrevue avec la famille royale, la sim- plicité et la grâce de ses manières, affectueuses avec dignité et modestie, lui conquirent tous les suffrages.

Le lendemain, 30 mai, le mariage civil fut célé- bré par le baron Pasquier, que le roi venait de faire chancelier de France. La bénédiction nuptiale fut ensuite donnée selon le rite catholique, dans la chapelle de Henri II, par M^''' Gallard, évoque de Meaux, et selon le rite luthérien, pour la prin- cesse, dans la salle de Louis-Philippe, par M. Cu- vier, pasteur protestant de l'Eglise luthérienne. Depuis deux siècles, de grandes fêtes à propos de mariages royaux avaient eu lieu au palais de Fon- tainebleau : César, duc de Vendôme, y épousait Gabrielle de Lorraine; Louis XIV y amenait sa jeune femme, Marie-Thérèse, après son mariage à Saint-Jean-de-Luz; le roi d'Espagne, Charles II, qui légua, en 1700, ses royaumes à Philippe V, petit-fils de Louis XIV, y épousait, par procuration, Marie-Louise d'Orléans, nièce de Louis XIV ; Louis XV y célébrait son mariage avec la bonne

4 FÊTES AU PALAIS DE VERSAILLES

et vertueuse Marie Leczinska ; enfin, Louis XYIIl y venait recevoir la duchesse de Berry.

Les fêtes qui suivirent le mariage furent magni- fiques ; le duc d'Orléans était si aimé, si populaire, que l'allégresse était générale. Le prince royal, à l'occasion de cette union, consacra cinq cent mille francs à des actes de bienfaisance et à des distri- butions de secours aux pauvres. Parmi les fêtes qui eurent lieu pendant quinze jours, il faut citer l'inauguration des galeries du palais de Versailles dont on devait la restauration à l'initiative du roi Louis-Philippe. La révolution, en 1793, avait enlevé du palais et dispersé tous les meubles et objets précieux. Napoléon V et Louis XVIII avaient re- culé devant les dépenses d'une restauration; aussi l'herbe poussait dans les cours, et certaines parties étaient dans un délabrement complet. En 1833, le roi, qui dirigeait et surveillait lui-même les tra- vaux, activa et encouragea les ouvriers et les artistes, peintres et statuaires. Enfin, le 10 juin 1837, quinze cents invités, l'élite de la France, ve- naient, à l'occasion du mariage du duc d'Orléans, recevoir une hospitalité royale dans ce palais, dont la restauration complète, à la fin du règne de Louis-Philippe, coûta la somme de 23,494,000 l'v. Cette intelligente et magnifique restauration du palais de Louis XIV restera comme un des plus nobles souvenirs du règne du grand- père de M. le comte de Paris. Les représenlanis des

MADAME LA DUCHESSE d'oRLÉANS 5

anciennes familles comme les membres de la société nouvelle étaient réunis à Versailles, « car la royauté moderne ouvre sa cour au mérite comme à la naissance, à ceux qui se sont élevés par leurs œuvres personnelles aussi bien qu'aux représentants de la vieille France, héritiers de ses grands noms et de ses grands souvenirs! Elle aime à s'entourer de tous ceux qui font honneur à la patrie ».

Le duc d'Orléans s'intéressait d'une manière toute particulière aux beaux-arts, aux sciences et à la littérature française. A l'occasion de son ma- riage il demanda au roi son père, comme cadeau de noces, le droit de disposer de quatre croix de la Légion d'honneur : une de Commandeur pour le savant Arago, une d'Officier pour Victor Hugo, et deux croix de Chevaliers, l'une pour l'historien Augustin Thierry, l'autre pour le grand et déjà célèbre romancier, Alexandre Dumas.

Les cinq années qui suivirent le mariage de Madame la duchesse d'Orléans furent les plus heureuses de sa trop courte vie. Les hommages qui lui étaient rendus s'adressaient, non seule- ment au rang élevé qu'elle occupait, mais à ses éminenles qualités, que Ton appréciait chaque jour davantage. Elle prenait un intérêt très grand à tout ce qui regardait la France. Le mouvement littéraire aussi bien que les événements politiques l'occupaient, et elle aimait à s'associer à l'intel-

b LOUIS XVIII ET LE DUC D ORLEANS

ligent accueil que le duc crOrléaiis faisait aux artistes, aux écrivains et aux esprits les plus dis- tingués de Tépoque. Elle possédait les qualités qui sont le plus indispensables à une princesse : une extrême aflabilité et un tact parfait. Le prince royal aimait tendrement cette princesse aux traits si fins, et dont toute la personne avait un charme inexprimable.

Le duc d'Orléans, à Palerme en 1810, avait vingt-sept ans lorsqu'il avait épousé la princesse Hélène. A la seconde Restauration, en 1815, présenté par son père à Louis XVIII, le roi, admirant ce bel enfant, s'écria : « ^'oilà un beau garçon ; que ferons-nous de lui? Il faut faire de moi un soldat, répondit avec vivacité le petit duc de Chartres. Mais Monsieur le militaire, que feriez-vous d'un grand sabx'e qui serait plus grand que vous ? Je le tiendrai à deux mains jusqu'à ce que je sois plus grand que lui !... » Cette repartie amusa beaucoup le roi.

A neuf ans il entrait au collège Henri IV, se sou- mettant gaiement à la discipline, et partageant avec ses camarades récompenses et punitions. Après avoir passé brillamment son examen à l'Ecole polytechnique, il était en 1830 colonel du l""" régiment de hussards. En 1832, au siège d'An- vers, il comnumdail une division de l'armée fran- çaise, el trois ans après il j)ailagcail avec l'armée les l'aligu(>s el les dangers d'une campagne en Algérie.

NAISSANCE DE M''^'" LE COMTE DE PARIS 7

Le 24 août 1838, Son Altesse Royale Madame la duchesse d'Orléans mettait au monde un fils au- quel le roi Louis-Philippe donna le titre de Comte de Paris. C'était le titre qu'avaient porté les pre- miers de sa race : Robert-le-Fort, et son fils le comte Eudes qui défendit vaillamment Paris contre les Normands en 885 : personne ne l'avait pris de- puis.

Il était environ trois heures de l'après-midi lorsque M. le comte Mole, président du Conseil des ministres, sortit de la chambre de Madame la du- chesse d'Orléans en s'écriant : « Nous avons un prince! » Ces mots sont accueillis par les cris ré- pétés de : Vive le Roi!... Cent et un coups de canon annoncent à la population parisienne la naissance d'un prince. Le jour même, l'archevêque de Paris ondoj'ait le jeune prince dans la chapelle du palais, et les diplomates accrédités à Paris se rendaient aux Tuileries pour adresser leurs féli- citations au roi.

A peine connu dans Paris, l'accouchement de la duchesse d'Orléans faisait déjà un heureux : il était trois heures et demie; un soldat, le pauvre Biscarat, Auvergnat de naissance, traduit devant le conseil de guerre de Paris pour insoumission dans le service, allait être condamné. Son avocat, qui savait que depuis le matin, huit heures, la du- chesse d'Orléans était sur le point d'accoucher, s'étendait le plus longuement possible et épuisait

O LE DL'C D ORLEANS A NEUILLY

les artifices oratoires... Tout à coup, retentit le vingt-deuxième coup de canon qui annonçait à Paris et à la France la naissance d'un prince : « Messieurs, s'écrie-t-il, ma plaidoirie est termi- née; le vingt-deuxième coup de canon est le meil- leur argument de la défense... la nation entière est trop heureuse aujourd'hui pour que vous laissiez attrister un si beau jour »... Et il s'assit. On va aux voix, et le conseil de guerre acquitte le pauvre soldat, qui, ravi, ne peut s'empêcher de crier : « Vive le Roi ! «

La joie que la naissance de ce jeune prince causait à la famille royale fut partagée par la France entière.

La vie s'écoulait pour la duchesse d'Orléans heu- reuse et tranquille. En hiver, le dimanche, le duc d'Orléans accompagnait la reina à la grand'mcsse à Saint-Roch : il accomplissait très régulièrement ce devoir de piété filiale. Le prince royal habitait souvent, l'été, le petit château de Villiers, dans le parc de Neuilly, résidaient le roi, la reine et les jeunes princes. Les belles et chaudes soirées étaient consacrées à des promenades sur Feau, souvent jusqu'à Saint-Gloud : les jeunes princes, le duc d'Aumale et le duc de Montpensier s'amu- saient à faire des feux d'artifice, et quand le roi remarquait que les pelouses et les fleurs étaient saccagées, on lui répondait que c'était pour faire j)laisir à leur sœur Hélène, et le roi acceptait Fox-

TRAIT DE BONTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE U

cuse en souriant, car il chérissait sa belle-fille. La duchesse d'Orléans aimait passionnément son mari, qui s'occupait d'elle comme l'époux le plus atten- tif, surveillant sa santé, s'intéressant à sa toilette, et allant lui-même chercher dans le jardin de Villiers ses fleurs de prédilection... La princesse était d'une modestie rare; quand on vantait son éru- dition, elle répondait : « Oui, je suis une savante, qui ne comprend pas même les rudiments de la science, le grec et le latin »... Très charitable, elle étendait tellement ses libéralités, que souvent elle avait de véritables embarras d'argent.

Le bonheur de la famille royale était à son apo- gée et le roi Louis-Philippe jouissait alors d'une grande popularité. Sa simplicité plaisait au peuple. Il saignait un postillon tombé de cheval; car, a dit Victor Hugo : « Il n'allait pas plus sans sa lancette qu'Henri III sans sonpoignard; aussi les royalistes raillaient-ils ce roi ridicule, le premier qui ait versé le sang pour guérir!» Le roi s'arrêtait souvent devant le berceau de M. le comte de Paris endormi, et quand l'enfant, se réveillant, tendait ses petits bras à son aïeul, dont il comprenait la tendresse, c'était une joie sans pareille pour le souverain... En 1839, le duc d'Orléans partit pour l'Afrique, son devoir l'appelait. Ce fut une vive émotion pour la duchesse, mais elle ne songea pas un instant à le retenir : elle vécut un peu plus dans a retraite, pendant l'absence du prince royal, le

10 PREMIÈRE ÉDUCATION DE M?"" LE COMTE DE PARIS

roi l'y avait autorisée. La reine Marie-Amélie et les princesses venaient souvent la trouver auprès (lu berceau de son fils, car elle le quittait le moins possible. Par la fermeté de ses prin- cipes, par sa piété, elle gagnait chaque jour dans l'estime publique. Le roi et la reine avaient la plus grande confiance en elle; c'est elle qui composait les premières et courtes prières de ses enfants. Pendant que le dimanche la duchesse d'Orléans se rendait au temple luthérien, la reine Marie-Amélie conduisait le jeune comte de Paris à la messe, et à son retour il lisait et apprenait par cœur les prières enfantines écrites pour lui par sa mère.

L'àme des enfants, écrivait-elle, s'ouvre phis facile- ment lorsque nous sommes seuls avec eux. Je tâche d'être, autant que possible, seule avec mon fils. Aujourd'liui je l'ai ramené de Neuilly : il s'endormit dans mes bras; je le couchai sur son lit, je lui rendis mille petits soins. Vous eussiez voir comme il était caressant et tendre ! Oh ! que hi mère bourgeoise est heureuse !

Quand le duc d'Orléans fut de retour d'Afrique, la princesse retrouva les joies de la famille qu'elle laisait passer avant tout. Elle écrit alors (juin

1840j :

.... Voilà mon protecteur, mon ami, ma vie, rentré

<laiis mon petit intérieur Son absence me semble avoir

été un long rêve. C'était une belle journée (jue celle d'Iiier; je iH' imis la comparer qu'à celle de la naissance de Paris.

NAISSANCE DU DUC DE CHARTRES 11

Mon cœur était plein de reconnaissance et palpitait de joie. 11 vint des visites, puis on nous laissa seuls quelques instants. Le petit était enfermé dans ma chambre à coucher. La porte s'entr'ouvrit ; il entra un peu intimidé ; cependant il donna la main à son père, qui le trouva grandi. La fa- mille partit, et nous dînâmes en tête-à-tête. Le petit trot- tait autour de nous, chantant, riant, et ravissant le cœur de son père, qui ne voulait pas en faire semblant. Ce fut une bonne chère soirée de causerie intime.. .

Le soir, clic quittait parfois la table à thé de la reine, et se retirait dans la chambre du petit comte de Paris, dont le babil enfantin l'amusait, jusqu'à ce qu'elle l'eût endormi par quel- que ballade. Alors, dans le salon voisin, elle écrivait à ses amis et à ses parents d'Allemagne, ou bien elle se mettait au piano et jouait des sym- phonies de Beethoven dont elle admirait beaucoup le génie.

Le 9 novembre 1840, Madame la duchesse d'Or- léans eut un second fds, Robert, duc de Chartres. Peu de temps auparavant, dans sa sollicitude à soi- gner M. le comte de Paris atteint delà rougeole, elle avait gagné la même maladie, qui avait été bénigne pour le jeune prince, mais qui avait un moment fort inquiété la famille royale pour la princesse.

Un événement vint troubler cette vie si calme : un attentai eut lieu contre la vie du roi. La du- chesse d'Orléans écrit à cette occasion :

La Providence nous a encore protégés d'une ma-

12 ATTENTATS CONTRE LE ROI LOUIS-PHILIPPE

nière bien visible. Le roi, la reine, ma tante et tons cenx qui les accompagnaient ont été épargnés, et l'on a vu pour la huitième fois que toutes ces tentatives infernales contre une vie aussi précieuse devaient être déjouées... Le senti- ment de la bonté de Dieu a dominé, au premier moment, l'horreur qu'un pareil crime doit inspirer. Sa grâce rem- plissait mon âme. Je ne pouvais assez bénir celui qui nous avait préservés d'un si affreux malheur. Nous nous som- mes tout de suite mis en route pour Saint-Gloud, alin de nous réunir à la famille. C'est surtout que j'ai senti,, en revoyant le roi, en l'embrassant du fond de mon cœur, combien Dieu avait été bon de nous le conserver. Nous avons assisté à un Te Dciim dans la chapelle du château, auquel je me suis associée de cœur, comme vous le conce- vez

Une autre fois, à la nouvelle d'un semblable évé- nement, elle entra toute troublé^ clans la chambre le comte de Paris prenait une leçon... (c Mets-loi à genoux, dit-elle, et remercie Dieu avec moi! »...

Le dimanche 2 mai 1841, à onze heures, eut lieu le baptême de S. A. R. le comte de Paris. Une salve d'artillerie annonçait rairivéc à Notre-Dame du roi Louis-Philippe et de toute la famille royale pour assister à cette cérémonie. Le roi avait auprès de lui : le roi des Belges, le duc Alexandre de Wurtemberg, le duc d'Orléans, le prince de Join- ville et le duc de ISIontpensier.

Les fonts baptismaux étaient placés entre l'autel et un dais en velours cramoisi et or sous lequel

BAPTÊME DE M^'' LE COMTE DE PARIS 13

était la famille royale. Au bas de ce dais étaient étendus de riches tapis desGobclins. Des trophées de drapeaux tricolores rappelaient les treize lé- gions de la garde nationale, et chaque pilier de l'église était orné d'un écusson de laurier doré, au chiffre et aux armoiries de M. le comte de Paris.

Sur toutes ces décorations se reflétait la lu- mière de milliers de bougies, s'étendant sur deux rangs, depuis la porte principale de la cathédrale jusqu'au maître-autel. Le portail l'archevêque de Paris et les évêques assistants reçurent le cortège royal était décoré dans le style du trei- zième siècle.

Tous les regards se portaient sur Madame la duchesse d'Orléans, tenant par la main son fils aîné, M. le comte de Paris. L'enfant habillé de blanc, à la mine éveillée, intelligente, laissait voir une légère émotion sur ses traits. Les ministres, le corps diplomatique, les maréchaux de France, la Chambre des pairs, la Chambre des députés, tous les corps de l'Etat étaient représentés à Notre- Dame. Entouré d'un nombreux clergé, de plu- sieurs évêques, l'archevêque de Paris entonna le Veni Creator. Puis eut lieu la cérémonie du bap- tême. Le roi était le parrain, et la reine la marraine.

L'archevêque et le clergé reconduisirent pro- cessionnellement le roi jusqu'au portail, et à une heure, au milieu des acclamations de la foule, le

14 l'êpée de m^'' le comte de paris

roi, M. le comte de Paris et les princes regagnèrent les Tuileries.

Le jour même, le comte de Rambuteau, préfet de la Seine, présentait le conseil municipal de Paris au jeune prince, et exprimait au roi les sentiments de joie d'une population fidèle et dévouée. 11 remit ensuite au comte de Paris l'épée qui lui était offerte par la ville de Paris i.

« Voici, dit-il, l'enfant qui sera le roi de nos enfants !

« Cette ville, dont Votre Majesté a voulu qu'il portât le nom, désire qu'il conserve un souvenir du bonheur causé par sa naissance et par le choix de ce nom. Elle lui offre celte épée. Sire. C'est la Cité qui la lui donne pour le service du pays! Quand l'âge sera venu pour lui de la ceindre, il ne man- quera pas d'exemples pour l'uscjge qu'il en devra faire. Il peut remonter haut dans sa race, mais il n'aura pas à chercher loin ses modèles. Il lui sera facile d'être juste et fort. Heureux enfant, dont la carrière aura été aplanie par tant de sagesse, et qui trouvera si près de lui de puissants et nobles enseignements!

« Sire, daignez permellre au coin le de Paris d'accepter l'épée de la ville de Paris; et que ce souvenir soit à jamais un gage d'union entre le prince et la Cité. »

1. Voir à l'appeiidico la description de l'épée offerte à ]\I. le comte de Paris.

M^'' LE COMTE DE PARIS ET LE PREFET DE LA SEINE 15

Le roi, en acceptant au nom du jeune prince cette épée que présentait le Conseil municipal, acheva ainsi sa réponse :

« Fasse le ciel que mon petit-fils ne soit pas appelé à en faire usage; mais, si jamais il doit la tirer du fourreau, ce ne sera qu'à bonnes ensei- gnes, et pour défendre Thonneur de la France et l'indépendance nationale ; mais, j'ai lieu d'es- pérer, et c'est à quoi je travaille, que le règne de mon petit-fils ne sera pas troublé par la guerre, et qu'il recueillera une gloire plus douce, celle d'assurer le repos et la prospérité de la France! »

Le roi prenant le jeune comte de Paris par la main (il avait à peine trois ans) lui dit : « Donne la main au préfet de la Seine en signe que tu la donnes à toute la ville de Paris. » Le prince s'a- vança vers le comte de Rambuteau, et les cris de « Vive le Roi! « éclatèrent avec force parmi les conseillers municipaux.

Le duc d'Orléans remit à l'archevêque 10,000 fr. pour être distribués aux parents des enfants pau- vres de Paris qui, pendant trois jours, les 2, 3 et 4 mai, seraient présentés sur les fonts baptismaux dans les difterentes paroisses de Paris. 11 offrit au prélat une mitre d'un grand prix, et le roi envoya à l'archevêque une croix et un anneau pastoral en brillants.

Le soir, un feu d'artifice fut tiré sur le ponf

16 LA MORT DU DUC d'oRLÉANS

de la Concorde, et la fête se continua toute la soirée, dans les Champs-Elysées et le long des boulevards brillamment illuminés.

Madame la duchesse d'Orléans parle ainsi de la journée du 2 mai 1841 :

Rien de plus beau que la fête d'hier. Rien de plus

touchant, de plus })ur que mon petit ange présenté à l'au- tel. Rien de plus profondément ému que mon pauvre cœur de mère en ce moment. Je ne sais si je me trompe, mais je croyais voir dans tous les yeux des assistants un regard de tendre affection pour cet enfant.

Mais les jours de bonheur étaient finis : M. le comte de Paris avait à peine quatre ans quand une de ces catastrophes, par lesquelles Dieu éprouve un peuple, lui enleva son père.

Le 13 juillet 1842, le duc d'Orléans allait partir pour inspecter des régiments au camp de Saint- Omer. Il voulut aller à Neuilly faire ses adieux au roi Louis-Philippe, son père, et à la reine Marie- Amélie, sa mère. Il quitta le palais des Tuileries vers onze heures. Dès le départ, les chevaux avaient été maîtrisés avec peine par le postillon. Mais laissons la parole à jM. Jules Janin, (pii dans un petit volume, consacré à raconter la vie du llls aine du roi Louis-Philippe, nous donne le touchant et intéressant récit de la (;atastroplie :

(( Par une de ces fatalités cruelles, dont on ne se souvient qu'après Taccident, l'écuyer de M. le

LA MORT DU DUC d'oRLÉANS 17

duc d'Orléans s'était plaint, le malin même, de son porteur, disant qu'il ne répondait pas de la vie du prince ; mais on n'avait répondu à ces plaintes qu'en lui demandant s'il avait peur. Ce sont là, du reste, de ces plaintes après coup, auxquelles on ne s'attache que pour expliquer toutes les misères inexplicables ; toujours est-il que les chevaux allèrent leur pas ordinaire jus- qu'à la barrière de l'Etoile. Plusieurs personnes reconnurent le prince et le saluèrent; il était seul, et dans les plus belles apparences de la santé et de la force. Jamais, en effet, il ne s'était senti mieux portant et plus heureux, et il le disait, le matin môme, dans cet orgueil innocent de l'homme, qui sent en lui-même la force et l'éner- gie d'une vie de trente ans. Tout d'un coup cepen- dant les chevaux s'animent, ils prennent le galop, ils s'emportent : la porte Maillot a été bientôt dépassée, et comme ils se précipitaient ardem- ment, dans l'avenue qui conduit au château de Yilliers, qui est une des dépendances de Neuilly, soudain ils se sentent arrêtés et poussés dans le chemin à côté. A ce moment, nul ne peut dire ce qui arriva, si le prince, dans la crainte d'être brisé sur les fortifications, a sauté de sa voiture, ou bien si quelque choc plus violent l'a précipité malgré lui; mais enhn, quelle qu'en ait été la cause, le choc a été mortel, le prince a été brisé sur les pavés Pas un mot, pas un cri, pas un geste.

18 LA MORT DU DUC D'ORLÉANS

rien, sinon le cadavre d'un jeune homme de trente-deux ans, que ramassent des maçons qui passent. « Quel dommage, se disaient-ils, un si « beau jeune homme ! )> Un gendarme leur annonça que c'était en effet S. A. R. le duc d'Orléans qui venait de mourir, et courut au château de Ncuilly pour y faire connaître l'aflVeux accident.

« Tel est l'admirable bon sens des hommes du peuple de France, qu'ils ont mieux aimé trans- porter le prince royal dans une humble boutique habitée par un Français que de le porter dans la maison hospitalière de lord Seymour. « Il n'est (( pas juste, disait un de ces hommes, qu'un prince « de France meure chez un Anglais. »

« Cependant, à P^euilly même, le roi se prépa- rait à venir aux Tuileries, il prenait congé de la reine, il espérait arriver assez à temps à Paris, pour embrasser son fils aine encore une fois avant son départ ; tout à coup, dans cette maison si calme, si heureuse, tombe comme la Ibudre, ce bruit, avant-coureur de toutes les sinistres nou- velles Quelle angoisse! puis enfin, quand le

roi et la reine eurent compris ce qu'on voulait leur dire, que le prince royal, leur enfant bien-aimé, élait là, à leur porte, étendu presque mort (on disait presque mort, par pitié pour eux!), les voilà qui courent au hasard, tête nue, sans pleurer, sans demander ils vont? Ils aiiiveiil ainsi, dans

LA MORT DU DUC d'orLÉAîs'S 19

ce cabaret, qu'à peine avaient-ils remarqué clans leurs beaux jours, et ils se jettent à genoux au bord de ce grabat qui contient tout leur enfant. Que ceux qui pourront l'écrire racontent cette scène de deuil et de misère; même ceux qui en ont été les bien tristes témoins ne peuvent et n'osent pas raconter ces sanglots, ces larmes, ces silences, ces étonnements, ces prières, ces an- goisses ; eux aussi, tout comme l'historien qui veut se mettre par la pensée au niveau de pareilles douleurs, ils n'ont rien vu, ils n'ont rien appris, ils ne savent lien : ne leur demandez rien, ils ne sauraient que vous répondre; mais le plus étonné de tous ceux-là, ce devait être le propriétaire de celte masure. Quand il a vu arriver chez lui tous ces fantômes de roi et de reine qui pleurent sans vouloir être consolés; quand il a entendu retentir, sous son plafond enfumé, tous les grands noms de cette monarchie aux abois, cet homme-là a se dire tout bas à lui-même : « Pourquoi donc tous « ces gens-là prennent-ils ma cabane pour le chà- <( teau de Neuilly?... )) Ce n'était pas le château de Neuilly, cette cabane, c'était désormais une cha- pelle funèbre; cette cabane était devenue un tombeau, ce grabat s'était changé en autel.

« A chaque instant accouraient à ce lit de mort les membres épars de la famille royale, M""" Adé- laïde, M""' la princesse Clémentine, M. le duc de Montpensier qui revenait de Yincennes, M. le duc

20 LA MORT DU DUC d'ORLÉANS

d'Aumale qui arrivait de Gourbevoic. Quand cette nouvelle fut apportée à M. le duc d'Aumale, il était à la salle d'armes, un ileuret à la main; cette nouvelle sembla l'abattre un instant, à force de surprise et de douleur; mais bientôt, prenant sa course à tout hasard, le jeune prince se précipite sur le chemin qui mène à Neuilly. Un cabriolet de place venait de Paris, le cheval était fatigué, le cocher refusait de revenir sur ses pas : « Va, dit le « prince, songe que tu mènes un frère vers son (( frère qui se meurt ! » Disant ces mots, il prend les rênes, le cocher bat son cheval, ils arrivent ainsi près de la maison mortuaire; mais à cet instant le cheval s'abat, le cabriolet se brise, le prince tombe à trois pas de là, sur les pavés ; il se relève et prend sa course jusqu'au lit du duc d'Orléans: «Mon frère! mon frère!... Oh! Join- (( ville, que vas-tu dire? Oh! Nemours, es-tu ! » Aux cris déchirants de ce jeune homme, les as- sistants répondaient seulement par leurs san- glots.

« M. le duc d'Orléans n'avait reconnu per- sonne, pas même sa mère; le reste de cette vie puissante et énergique qui était en lui lullait pé- niblement contre la mort : lutte horrible, achar- née, incroyable. De cette tête brisée, la pensée ne voulait pas sortir; de ce corps déchiré, la vie ne voulait pas s'enfuir. Un râle profond et sonore sorlait de celle poitrine haletante; sur ses deux

LA MORT DU DUC d'oRLÉANS 21

mains encore agissantes , la reine et les prin- cesses versaient des larmes avec des prières si ferventes ! Le roi s'était relevé, il était debout, et, la main sur la lête de son enfant, il le bénissait du fond de l'àme! Cependant, tout en désespérant de la science, les médecins ne se ralentissaient pas ; le docteur Vincent Duval le premier, homme ha- bile, dévoué, plein de science et d'énergie ; après lui, le chirurgien du prince, son ami, on peut le dire, le docteur Pasquier, ébloui et confondu, lui aussi, de tant de misères inattendues. Soins inu- tiles, prières que le ciel n'exauça pas, dernière et impuissante torture infligée à ce cadavre. Quand le roi vit qu'il n'y avait plus d'espoir, il envoya chercher la duchesse de Nemours que , dans sa prévoyance paternelle, il avait tenue éloignée de ce fatal spectacle ; en mémo temps était arrivé le clergé de Neuilly, et la reine, qui n'espérait plus qu'en Dieu , invoquant la sainte Rosalie de Pa- lerme, sa patronne, tourna un dernier regard d'es- pérance vers les consolations de là-haut. L'agonie dura quatre heures. Enfin, le ciel eut pitié, non pas de ceux qui pleuraient, mais du jeune homme étendu sur ce lit de mort; le prince royal rendit à Dieu son àme honnête et pure : les convulsions s'arrêtèrent, le râle cessa, il était mort. Dans une pièce voisine le roi entraîna la reine ; s'étaient réunis les maréchaux de France et les ministres; personne ne parla à personne, le plus profond

Z'Z LA MORT DU DUC D ORLEANS

silence pouvait seul contenir tant de douleurs...

« Sur un brancard fut placé le corps du prince expiré; des sous-officiers du 17" régiment d'infan- terie légère furent chargés de transporter ce pré- cieux fardeau dans la (diapelle de Neuilly. Par un singulier et triste concours, c'était avec les soldats du 25% les mêmes soldats des Portes-de-Fcr, des hauteurs de Mouzaïa, les mêmes qui avaient offert à leur jeune général la palme triomphale des Bi- bans. Pleurez, soldats, pleurez votre jeune capi- taine ! pleurez le chef qui vous aimait, pleurez ce hardi courage qui vous conduisait à la victoire par ses vives et impétueuses saillies! Mais que dira l'armée d'Afrique quand cette nouvelle funeste va retentir d'Alger à Constantine : « Le duc d'Orléans est mort? y>

« Un manteau blanc avait été jeté sur le corps du prince, comme on fait pour un général, mort à l'armée. Le roi et la reine, Madame la princesse Adélaïde, ^Ladame la duchesse de Nemours, Ma- dame la princesse Clémentine, M. le duc d'Au- male, j\L le duc de Montpcnsier, suivaient à pied le cortège funèbre; venaient ensuite M. le maré- chal Soull, les ministres, M. le maréchal Gérard, les officiers généraux, les officiers du roi et des ])iinces, et puis la foule silencieuse, coniristée, pleurante. A voir passer de loin cette immense douleur, ce père, cette mère, ces frères, tout ce monde l'oyal, f[ui parcourt d'un j)as lent et déses-

LA MORT DU DUC d'orLÉANS 23

péré ravenue de Sablonville, on se serait demandé si ce n'était pas une de ces visions que nous montre Dante dans son poème? Ainsi, on entra dans le parc de Neuilly, déjà la chapelle était ou- verte; heureuse chapelle! jusqu'à ce jour elle n'avait retenti que d'actions de grâces et de dpuces prières ! La princesse Marie elle-même, quand elle mourut, n'avait pas reposé sur ces dalles; c'était le sanctuaire heureux de la famille; mais aujourd'hui la chapelle est pleine de deuil, elle s'étonne du cadavre placé là, le premier-né de la maison. »

A neuf heures du soir. Madame la duchesse de Nemours et Madame la princesse Clémentine partaient pour Plombières, chargées de porter l'affreuse nouvelle à Madame la duchesse d'Or- léans. Le 14 juillet, à six heures du soir, on avait voulu préparer la princesse à ce malheur, en lui disant que le prince royal était gravement malade. A huit heures elle quittait Plombières, à minuit elle élait à Epinal ; à une heure du matin. Madame de Montesquieu , sa dame d'honneur , trem- blait qu'une démonstration publique n'instrui- sit la princesse de son malheur; lorsque le cour- rier annonça une voiture venant de Paris : « Ou- vrez, ouvrez vite, s'écria Madame la duchesse d'Orléans... A ce moment elle vit s'avancer le docteur Chomel, médecin de la famille royale. Il

24 RETOUR A NEUILLY DE LA DUCHESSE D ORLEANS

ne put lui cacher la vérité L'infortunée prin- cesse resta près d'une heure sur la grande route dans l'obscurité, sanglotant, tandis que les assis- tants s'efforçaient inutilement de contenir leur propre douleur.

A quatre heures du niali?i, le 15 juillet, Madame la duchesse de Nemours et Madame la princesse Clémentine la rejoignirent. Elles se jetèrent, sans parler, dans ses bras et prirent place en pleurant à ses côtés. Après deux nuits cruelles, on arriva à Neuilly, le 16 à neuf heures du matin. M. le comte de Paris et M. le duc de Chartres y étaient depuis la veille, venant du châ- teau d'Eu Quand Madame la duchesse d'Or- léans parut au milieu de la famille royale, Témo- tion fut telle que personne n'eut la force de lui raconter les circonstances du fatal accident : il y a des afflictions si profondes que la parole est im- puissante à les exprimer! Le roi, la reine, s'ache- minèrent vers la chapelle était déposé le corps du prince royal... Madame la duchesse d'Orléans tenant par la main ses deux enfants s'agenouilla, pria avec ferveur, puis elle se rendit dans ses appartements pour revêtir les habits de veuve qu'elle ne devait plus quitter jusqu'à sa mort. La mort de M. le duc d'Orléans remplit d'une immense douleur les dernières années du roi, qui avait vu passer sur sa tcle tant de périls de toutes sortes, et ([iii ne Cul jamais sensible ([u'à ccvix que cou-

OBSÈQUES DU DUC d'oRLÊANS 25

riirenl ses enfants. « Encore si c'était moi ! » disait-il en tenant clans ses bras le corps défaillant de son fils. Cette journée du 13 juillet ne laissa pas de traces moins profondes dans ràmc de la l'eine Marie-Amélie, dont le premier cri fut pour son pays ! « Quel affreux malheur pour la France ! » Oui le malheur était grand, et le pays devait le ressentir profondément.

On put voir, surtout pendant les obsèques, combien le prince royal était aimé dans toutes les classes de la société. Les soldats avaient les lar- mes aux yeux, en voyant étendu sans vie le corps de leur brave général du siège d'Anvers et de l'armée d'Afrique, et comprenaient que la mort leur enlevait non seulement un chef aussi habile que valeureux, mais un protecteur et un ami.

C'étaient le 2'' et le 17" léger, qui arrivaient d'Afrique, et qui en 1839 et 1840 avaient passé avec le prince les Portes-de-Fer, enlevé le col de Mou- zaïa. Ils Pavaient vu au milieu d'eux braver les balles des Arabes, et ils baissaient tristement la tôte en lui présentant les armes pour la dernière fois.

Le peuple qui se pressait aux portes de Notre- Dame rappelait qu'en mars 1832, lorsque le choléra sévissait à Paris, le prince royal ne voulut pas seulement contribuer de sa bourse au sou- lagement de tant d'infortunes, mais qu'il paya de sa personne, allant visiter rHôtel-Dicu au moment le fléau était dans toute sa force.

26 OBSÈQUES DU DUC d'oRLÉANS

La douleur était universelle ; on ne rencontrait dans Paris que des gens vêtus de noir. Toutes les têtes, dit un témoin oculaire, se découvraient sur le passage du char funèbre. Des femmes du peu- ple pleuraient, des ouvriers même portaient le deuil. Pas un cri, pas le plus léger désordre n'était venu troubler dans une si grande foule l'unani- mité de cette touchante manifestation •.

« C'est une chose remarquable, écrivait un étranger qui se trouvait en France à cette époque, que dans ce pays, oii la révolution n'a pas encore cessé de fermenter, l'amour d'un prince ait pu jeter de si profondes racines. » Puis il raconte qu'au moment Ton ajourna les fêtes de Juillet, et l'on démonta sur la place de la Concorde les grands échafaudages qui devaient servir aux illu- minations, il vit les ouvriers, assis sur les poutres et les planches renversées, déplorant la mort du duc d'Orléans, et entendit l'un d'eux dire : « Louis- Philippe peut maintenant se promener dans Paris, on ne tirera pas sur lui. »

« Dans le rang le plus humble de la société, le prince royal, a-t-on dit avec justesse ~, eût été un homme remarquable; pour de telles organisations, il n'y a pas de conditions médiocres; l'unanimité et la vivacité des regrets qu'inspira sa mort aux hommes de toutes les opinions, de tous les senti-

1. Fils de roi, brocliiii-o, à la librairie du Moniteur universel.

2. M. V. l'iond.

uxA^'I^^TÉ des kegrets 27

ments, de tous les partis, ne forment-ils pas le plus harmonieux concert d'éloges qu'on puisse décer- ner? La plus éloquente des oraisons funèbres est celle qui est ainsi prononcée par cette voix du peuple qu'on peut appeler la voix de Dieu lui- même.

{( Dans la vie de M. le duc d'Orléans, consacrée à l'accomplissement de tous les devoirs, la politi- que proprement dite a tenu peu de place. Sans affecter l'opposition banale des héritiers présomp- tifs, on entendit le duc d'Orléans dire : « Mon père « a sa mission, moi j'aurai la mienne. » A la Chambre des pairs, il prit quelquefois la parole avec convenance et dignité, le plus souvent pour des faits personnels, et il considérait aussi comme telles, les attaques contre la révolution de Juillet et les institutions qu'elle avait fondées. Il n'inter- venait dans les luttes de partis, que dans un intérêt de clémence et d'humanité, ce qui ne l'empêcha pas d'être en butte aux vils outrages de quelques pamphlétaires.

Il faisait le plus noble usage de sa dotation princière, si amèrement critiquée. Il en em- ployait une partie à des actes de bienfaisance qu'on est tenté de regarder chez les princes comme une nécessité de position, mais qui se distinguaient par la forme heureuse qu'il savait leur donner. L'autre partie était consacrée au patronage intel- ligent de tous les talents, parmi lesquels il aimait

28 STATUES DU DUC d'oRLÉANS

à choisir les plus jeunes et les plus contestés. Parmi les artistes contemporains, il en est peu, de même que parmi les hommes de lettres , qui n'aient été les obliges ou les amis du duc d'Or- léans. Les fêtes élégantes du pavillon Marsan, par le mouvement qu'elles imprimaient aux arts et à l'industrie, les courses du Champ de Mars et de Chantilly, par Tinfluence qu'elles exerçaient sur l'amélioration de la race des chevaux, témoi- gnaient que le prince royal se proposait un but d'utilité jusque dans ses plaisirs. »

« Quelques semaines après ce lamentable évé- nement, dit M. Trognon, le gouvernement décida que deux statues seraient élevées au duc d'Or- léans, l'une àParis, l'autre à Alger. On fut quelque temps incertain sur l'endroit serait placée celle qui devait perpétuer le souvenir du prince dans la capitale. Il arriva qu'un jour cette question se débattit devant la reine. On lui demanda son avis. Avec cette réserve qui lui était habituelle, elle répondit : « Dieu sait toute mon estime pour les « qualités de mon pauvre fils, mais je ne trouve « pas vraiment qu'il ait eu le temps de rendre à <f la France d'assez grands services pour ((u'on <■( lui élève une statue à Paris. A Alger, bien; car « il a rendu de véritables services sur les champs « de bataille. « N'est-il pas admirable que l'amour maternel, passionné comme il l'était chez elle, lui laissât toute cette lijjcrté , cette impariialilé de

DISCOURS DE VICTOR HUGO AU ROI 29

jugement sur le fils qu'elle pleurait ? Mort comme vivant, elle ne voulait point pour lui de la flat- terie. »

Le grand poète, Victor Hugo, en présentant au roi Louis-Philippe P'" une adresse de Tlnstitut de France, s'exprima ainsi sur M. le duc d'Or- léans :

Sire,

L'Institut de France dépose au pied du trône l'expres- sion de sa profonde douleur.

Votre royal fds est mort. C'est une perte pour la France et pour l'Europe ; c'est un vide parmi les intelligences.

La nation pleure le prince; l'armée pleure le soldat; l'Institut regrette le penseur.

Le duc d'Orléans avait compris en effet que dans le siècle laborieux et mémorable nous sommes, être l'hé- ritier du trône de France, ce n'est pas seulement occuper une haute position, c'est aussi exercer une grande fonc- tion

Ame haute, calme, sereine, ferme et douce, noble intelli- gence, au niveau de tous les talents ; fds d'Henri IV par le sang, par la bravoure, par l'aménité cordiale et charmante de sa personne ; fils de la Révolution par le respect de tout droit, et l'amour de toute liberté; entraîné vers la gloire militaire par l'instinct de sa race; ramené vers les travaux de la [)aix par les besoins de son esprit; capable et avide de grandes choses; populaire au dedans, national au dehors, rien ne lui a manqué, excepté le temps ; et l'on peut dire que tous les germes d'un grand roi se manifes- taient déjà dans ce prince, mort si jeune, hélas! qui aimait

30 ANECDOTES SUR LE DUC d'oRLÉAXS

les arts comme François P'', les lettres comme Louis XIV, la patrie connue vous-même.

Alexandre Damas, Fécrivain populaire, le bril- lant romancier, se trouvait à Florence quand il apprit brusquement la mort du duc d'Orléans. Son émouvant récit donne une juste idée de l'impres- sion douloureuse produite dans toutes les classes de la société, par la mort du Prince royal.

« Nous ordonnâmes au cocher de nous conduire aux Caséines. Les Caséines sont, à six heures, en été, le rendez-vous de tout Florence. Les attachés de l'ambassade française s'y trouveraient sans aucun doule. Nous apprendrions certaine- ment là quelque chose d'officiel. Effectivement, là, tout nous fut confirmé. La Gazette de Gènes rapportait la nouvelle telle que le télégraphe l'avait donnée, sans commentaires, sans explications, mais à sa colonne officielle; il n'y avait donc plus de doute à avoir, il n'y avait plus d'espoir à conserver.

« La sensation était profonde. Tel est le jiou- voir étrange de popularité, que cet amour caché, plein de tendresse et d'espérance, que la France portait au prince royal, avec lequel elle l'accom- pagnait dans ses voyages pacifiques en Europe, dans ses campagnes guerrières en Afrique, avec lecpiel enlin elle l'accueillait à son retour, s'était épandu au dehors, avait gagné Féti-anger, et ce

LETTRE d'aLEXAÎsDRE DUMAS A LA REINE 31

jour-là, peut-être, se manifestait à la fois en Alle- magne, en Italie, en Angleterre et en Espagne, par une sympathie universelle. On eût dit que le pauvre prince qui venait de mourir était non seu- lement l'espoir de la France, mais encore le messie du monde. Maintenant, tout était fini. Les regards ([ui le suivaient avec l'anxiété de l'attente étaient tous fixés sur un cercueil. Le monde avait quel- quefois porté le deuil du passé; cette fois il portait le deuil de l'avenir. Je laissais les promeneurs s'épuiser en conjectures. Que me faisaient les détails ? la catastrophe était vraie !

(( Je rentrai chez moi, et je retrouvai sur mon bureau cette lettre à la reine qui ne devait partir que par le courrier de l'ambassade, c'est-à-dire le lendemain 19 : cette lettre je lui disais qu'elle était heureuse entre toutes les mères.

« Un instant j'hésitais à jeter un malheur étran- ger et secondaire* au milieu d'un malheur de famille, profond, suprême, irréparable; mais je connaissais la Reine : une bonne œuvre à lui pro- poser était une consolation à lui offrir. Seulement, au lieu de lui adresser la lettre à elle, j'adressai la lettre à M. le duc d'Aumale.

« Ce que je lui écrivis, je n'en sais rien : ce sont de ces pages dont on ne garde pas copie ; de ces pages dans lesquelles le cœur déborde et que

1 Une demande de secours pour de pauvres pêcheurs.

32 PORTRAIT DU DUC d'oRLÉANS PAR ALEX. DUMAS

les yeux trempent de larmes. C'est que, après le prince royal , M^'" le duc d'Aumale était celui des (|iiatre princes que je connaissais le plus. Je lui avais été présenté aux courses de Chantilly par le prince royal lui-même.

Le prince royal avait une profonde tendresse et une haute estime pour le duc d'Aumale. C'était sous son commandement que le jeune colonel avait fait son apprentissage de guerre, et, quand il avait, au col de Mouzaïa, reçu le baptême de feu, c'était lui qui lui avait servi de parrain.

« Un jour, dans une de ces longues causeries nous parlions de toutes choses, et où, las d'être prince, il redevenait homme avec moi, le duc d'Orléans m'avait raconté une de ces anecdo- tes de cour auxquelles la narration écrite ôte tout son charme ; puis le prince rucontait admiraljle- mentbien; il avait l'éloquence de la conversation, si cela se peut dire, au plus haut degré. Enfin, il savait s'interrompre pour écouter, chose si rare chez tous les hommes, qu'elle devient merveilleuse chez un prince. Il y avait dans la voix du duc d'Or- léans, dans son sourire, dans son regard, un charme magnétique qui fascinait. Je n'ai jamais trouvé chez personne, même chez la femme la plus séduisante, rien qui se rapprochât de ce regard, de ce sourire, et de cette voix. Dans quelcpie dis- position d'esj)iil (|uY)n eût a])()r(h'' le prince, il élail iinpossiljle de le quitter sans être entièrement

LE DUC d'aUMALE EN AFRIQUE 33

subjugué par lui. Était-ce son esprit? était-ce son cœur qui vous séduisait ? C'étaient son cœur et son esprit ; car son esprit, presque toujours, était dans son cœur.

« Or, voici ce qu'il me racontait un jour :

(( C'était sur les bords de la Cliifta, la veille du jour fixé pour le passage du col de Mouzaïa. Il y avait un engagement acharné entre nous et les Arabes. Le prince royal avait envoyé successive- ment plusieurs aides de camp porter des ordres ; un nouvel ordre devenait urgent, par cela même que le combat devenait plus terrible; ilse retourna vers son état-major et demanda quel était celui dont le tour était venu de marcher.

(( Moi, répondit le duc d'Aumale en s'avan- çant.

« Le prince jeta un coup d'œil sur le champ de bataille ; il vit à quel danger il allait exposer son frère. A cette époque, qu'on se le rappelle, le duc d'Aumale avait dix-huit ans à peine. Homme par le cœur, c'était encore un enfant par l'âge.

« Tu te trompes, d'Aumale, ce n'est pas à toi, dit le duc d'Orléans.

(( Le duc d'Aumale sourit : il avait compris l'in- tention de son frère.

« faut-il aller et que faut-il dire ? répon- dit le jeune prince en rassemblant les rônes de son cheval.

a Le duc d'Orléans poussa un soupir ; mais il

3

34 UN COMBAT EN AFRIQUE

sentit qu'on ne marchandait pas avec l'honneur, et que celui des princes est plus précieux encore à ménager que celui des autres hommes. Il tendit la main à son frère, la lui serra fortement, et lui donna l'ordre qu'il attendait.

c( Le duc d'Aumale partit au galop, s'enfonça dans la fumée et disparut au milieu de la bataille. Le duc d'Orléans l'avait suivi des yeux tant que ses yeux avaient pu le suivre, puis il était resté le regard fixé sur l'endroit il avait cessé de le voir.

« Au bout d'un instant, un cheval sans cavalier reparut. Le duc d'Orléans se sentit frémir des pieds à la tête. Ce cheval était du même poil que celui du duc d'Aumale. Une idée terrible lui tra- versa l'esprit ; c'est que son frère était tué, et tué en portant un ordre donné prr lui ! Il se cram- ponna à sa selle, tandis que deux grosses larmes jaillissaient de ses yeux et roulaient sur ses joues.

« Monseigneur, dit une voix à son oreille, il a une chabraque rouge !

(( Le duc d'Orléans respira à pleine poitrine. Le cheval du duc d'Aumale avait une chabraque bleue. Il se retourna et jeta ses bras autour du cou de celui qui l'avait si bien compris. Le duc d'Orléans me le nomma alors. J'ai oublié son nom. C'était un de ses aides de camp, ou Bertin de Vaux, ou Chabaud-Lalour , ou d'Elchingen. Dix minutes après, le duc d'Aumale, sain et sauf, après

UN COMBAT EN AFRIQUE 35

s'être acquitté de son message avec le courage et le calme cFun vieux soldat, était de retour près de son frère.

(( Je vous l'ai dit, toute cette petite histoire est bien pâle, écrite par moi ; racontée par le prince lui-même, avec sa voix tremblante, avec ses yeux mal essuyés, c'était une chose adorable.

« Oh! s'il m'avait été permis d'écrire cette vie si courte et cependant si remplie ; de raconter pres- que un à un, comme depuis quatorze ans je les avais vus passer devant moi, ces jours tantôt som- bres, tantôt sereins, tantôt éclatants; si de cette existence privée j'avais eu le droit de faire une existence publique, on se serait agenouillé devant ce cœur comme devant un tabernacle. Il y avait en lui trop de choses venant de Dieu; ses vertus appauvrissaient le ciel. Dieu l'a repris avec ses vertus, et maintenant c'est la terre qui est veuve. Il sentait comme Henri lY, il voyait comme Louis XIV.

« Aussi, en môme temps qu'au duc d'Aumale, j'écrivais à la reine, non pas. Dieu merci! pour tenter de la consoler! la Bible elle-même avoue qu'il n'y a pas de consolation pour une mère qui perd son enfant. Rachel ne voulut pas être con- solée, parce que ses enfants n'étaient plus. Et iioluit consolari, quia non siint. Ma lettre avait quatre lignes, je crois; voici ce que je lui disais :

« Pleurez, pleurez. Madame ; toute la France

36 ALEXANDRE DUMAS CHEZ LE DUC d'oRLÉANS

« pleure avec vous. Pour moi, j'ai éprouve deux « grandes douleurs dans ma vie : Tune, le jour « j'ai perdu ma mère; l'autre, le jour oîi vous « avez perdu votre fils. »

« Puis, à la princesse royale, à la duchesse d'Or- léans, à cette double veuve d'un mari et d'un trône, je n'écrivis rien, je crois; je me contentai d'en- voyer cette prière pour son fils :

« O mon père! qui êtes au cieux, faites-moi tel « que vous étiez sur la terre ; et je ne demande « pas autre chose à Dieu pour ma gloire à moi, et « pour le bonheur de la France. »

(( Un mot sur le royal enfant et sur cette auguste veuve.

(c Le 2 janvier 1841, j'étais allé faire ma visite de bonne année au prince royal. Après quelques instants de causerie : Gonna'ssez-vous le comte de Paris? me demanda t-il.

« Oui, Monseigneur, répondis-je, j'ai eu l'honneur de voir Son Altesse déjà deux fois. Et je rappelai au prince dans quelles circons- tances.

(( N'imporle, me dit-il, je vais l'aller cher- cher pour que vous lui fassiez vos compliments.

« 11 sortit et rentra un instant après, tenant l'en- fant par la main; puis, s'approchant avec cette gravité qui était un des charmes de sa plaisanterie intime : Donnez la matu à monsieur, lui dil-il, c'est un ami à papa, et j)apa n'en a pas trop.

ALEXANDRE DUMAS CHEZ LE DUC d'oRLÉANS 37

a Vous VOUS trompez, Monseigneur, lui dis- je : tout au contraire des autres princes royaux, Votre Altesse a des amis et pas de parti.

« Le duc d'Orléans sourit, et, sur un signe de son père, le comte de Paris me donna sa petite main, que je baisai. « Que souhaitez-vous à mon fils ? me dit alors le prince.

« D'être roi le plus tard possible, Monsei- gneur.

« Vous avez raison, c'est un vilain métier.

« Ce n'est point pour cela. Monseigneur, re- pris-je; mais c'est qu'il ne peut être roi qu'à la mort de Votre Altesse.

« Oh! je puis mourir maintenant, dit-il avec cette expression de mélancolie qui revenait si sou- vent sur son visage et dans sa voix. Avec la mère qu'il a, il sera élevé comme si j'y étais.

« Puis, étendant la main vers la chambre de la duchesse, comme s'il eût pu deviner à travers la muraille la place elle était :

« C'est un quine que j'ai gagné à la loterie, me dit-il.

« Le fait est qu'il était impossible, je crois, d'avoir à la fois plus de respect, de tendresse, de vénération et de confiance que le duc d'Orléans n'en avait pour la duchesse. C'est qu'il avait retrouvé en elle une partie des hautes qualités qu'il avait lui-même. Quand il parlait d'elle, et il en parlait souvent, son bonheur intime débordait

38 LE DUC d'orléans jugé par m. guizot

de son cœur, comme l'eau déborde d'un vase trop ])lein. »

M. Guizot qui en 1842 était ministre écrivait

« Samedi le cercueil du duc d'Orléans quittera Neuilly pour Xotre-Dame. Dans quelques jours, quand nous aurons accompli nos tristes cérémo- nies funèbres, tout reprendra son cours régulier. Il ne restera que ce qui doit rester bien longtemps: dans la famille royale, une immense douleur ; devant nous tous, un vide immense, et le fardeau qu'il nous impose. »

a C'est qu'il avait, pendant sa vie si courte, a dit un biographe, parlé à l'àme de la nation, à ses sentiments élevés, à ses aspirations généreuses, et c'est l'honneur de la nature humaine, qu'elle garde, môme dans ses défaillances, la mémoire de ceux qui ont fait naitre en elle de nobles émotions. On sentait que ce prince était supérieur à sa destinée, et que le temps seul lui avait manqué pour accomplir de grandes choses. S'il avait vécu, deux révolutions nous auraient été épargnées; nous n'aurions vu ni les journées de Juin 1848, ni la Commune de 1871, ni les désastres d'une guerre témérairement entreprise, et follement conduite. Que de malheurs évités! que de pages douloureuses supprimées de noire his- toire!

« Le peu])lc avait raison de se découvrir triste-

LE TESTAMENT DU DUC d'oRLÉANS 39

ment devant ce cercueil : c'était la fortune de la France, qui passait ', »

Le duc d'Orléans laissa un testament admira- ble , il entrevoit avec un coup d'œil vrai- ment prophétique les révolutions qui déchireront un jour la France. Il s'exprimait ainsi :

C'est une grande et difficile tâche que de préparer le comte de Paris à la destinée qui l'attend ; car personne ne peut savoir dès à présent ce que sera cet enfant, lorsqu'il s'agira de reconstituer sur de nouvelles bases une société qui ne repose aujourd'hui que sur des débris mutilés et mal assortis de ses organisations précédentes. Mais, que le comte de Paris soit un de ces instruments brisés avant qu'ils n'aient servi, ou qu'il devienne l'un des ouvriers de cette régénération sociale, qu'on n'entrevoit encore qu'à travers de grands obstacles, et peut-être des flots de sang ; qu'il soit roi ou qu'il demeure [défenseur inconnu et obscur d'une cause à laquelle nous appartenons tous, il f^mt qu'il soit, avant tout, un homme de son temps et de la nation ; qu'il soit catholique et serviteur passionné, exclusif, de la France et de la Révolution.

Je suis certain que, tout en restant personnellement fidèle à ses convictions religieuses, Hélène élèvera scru- puleusement nos enfants dans la religion de leur père, dans cette religion qui fut de tous les temps celle que la France a professée et défendue, et dont le principe est si parfaitement d'accord avec les idées sociales nouvelles, au triomphe desquelles mon fils doit se consacrer.

1. Fils de roi, brochure, à la librairie du Moniteur universel.

40 LE TESTAMENT DU DUC d'oRLÉAXS

Un peu plus loin, en parlant de M. le comte de Paris, il ajoute :

En lui icg-iiant la défense d'un pays et d'un principe me- nacé, je dois lui léguer en même temps la foi dans leur bon droit et leur trioni[)lie final. Que ces pensées et ce dévoue- ment, morts en moi sans avoir été appliqués, germent dans le cœur de mon fils ; que, dans son affection pour la France, il sache toujours être son complice et jamais son gardien ; qu'il ne pense h ses ai eux que pour sentir com- bien la grandeur de la race ajoute encore à l'étendue de ces devoirs ; qu'il n'apprenne qu'il est de la première fa- mille du monde que pour être lier et digne de tenir un jour dans ses mains les destinées de la cause la plus belle qui, depuis le christianisme, ait été plaidée devant le genre humain ; qu'il soit l'apotre de cette cause, et au besoin son martyr.

L'esprit de parti, prompt à tout dénigrer, n'a pas compris que lorsque le duc d'Orléans re- commandait à son fils aîné d'être le « ser- vilcur exclusif et passionné de la Révolution », il entendait lui dire de rester imbu de ces idées modernes, dont le mouvement national de 1789 a fait la base des monarchies dans presque toute l'bAirope. Prétendre que le duc d'Orléans donnait ainsi une approbation publique à 1793, cette san- glante é])()que de notre histoire, c'est méconnaître ce prince, si sagement libéral : l'historien imparlial jugera ainsi ce document, digne en tous points de celui c(ui l'écrivit.

MS'' le comte de paris au musée de VERSAILLES 41

Le roi Louis-Philippe avait senti s'accroître sa tendresse pour son petit-fils depuis la catas- trophe du 13 juillet 1842. 11 aimait à visiter, en compagnie du jeune prince, le palais de Versailles qui, depuis peu d'années, avait été entièrement restauré sous sa haute direction.

« Quel enseignement, en effet, a dit avec raison un biographe, qu'une visite au musée de Ver- sailles, lorsque le roi Louis-Philippe conduisait par la main, dans les longues galeries, ce prince royal de huit ans , et , après lui avoir montré Henri IV à Ivry et Louis XIV dans les lignes devant Valenciennes, l'arrêtait avec complaisance dans la salle oîi Horace Vernet venait de peindre en traits immortels les campagnes de la jeune ar- mée et rhéroïsme de ses chefs. Cet officier debout dans la tranchée d'Anvers et devant la brèche de Gonstantine, c'est le duc de Nemours. Cet amiral à son banc de quart sous le feu des batteries de Tanger, c'est le prince de Joinville. Ce général de Aingt-trois ans qui se jette avec une poignée de cavaliers sur la smala d'Abd-el-Kader, aussi peu- plée qu'une grande ville et défendue par cinq mille réguliers, c'est le duc d'Aumale. Et le vieux roi le roi de la paix qui voulait faire de son petit*fils un prince patriote et non un prince belli- queux, voyant les yeux de l'enfant briller devant ces tableaux de batailles, s'empressait de lui dire : « Souviens-loi que c'est la France qu'il faut aimer

42 ÉDUCATION DE M^'"' LE COMTE DE PABIS

(( par-dessus tout; il faut l'aimer plus que la « gloire. »

« Le prince est devenu depuis lors l'aîné de la famille, le chef de la maison royale. Il est digne de la France, digne du nom qu'il porte, si grand que soit ce nom; digne des destinées qui l'atlcn- dent, si hautes qu'elles puissent être*. »

Le roi Louis-Philippe avait cherché avec un grand soin, parmi les professeurs les plus émi- nents de l'Université, celui auquel il confierait l'éducation de M. le comte de Paris et de M. le duc de Chartres, après la mort de leur père. Le roi choisit, en 1843, comme professeur des jeunes princes, le savant M. Adolphe Régnier, qui devint plus tard membre de l'Institut et mourut, âgé de quatre-vingts ans la fin d'octobre 1884), bibliothécaire du château de Fontainebleau.

M. Régnier donna à M. le comte de Paris et à M. le duc de Chartres une éducation solide. Secondé par l'aptitude merveilleuse de ses élèves, il réussit complètement dans la tâche déli- cate que lui avait confiée le roi d'élever un prince qui pouvait être appelé à gouverner la France.

^jine l^^ duchesse d'Orléans s'exprimait ainsi sur M. Régnier :

Entre des milliers d'hommes, je n'en aurais trouve aucun qui sût diriger mon petit Paris avec plus de sagesse

1. Fils de RoL brochure, à la librairie du Mo/iitcur utiiversel.

LETTRES DE M""*^ LA DUCHESSE d'oRLÉANS 43

et d'affection. Le petit marche, au reste, très bien; son cœur, son esprit, sa santé, se développent d'une manière

réjouissante Quoique pâle et maigre, Robert n'est plus

malade, mais il est plein de vivacités et de malices.

Pendant une partie de l'été de 1843, M"'" de Bon- tems qui avait élevé M™" la duchesse d'Orléans, vint passer quelque temps auprès d'elle, soit à Neuilly, soit au château d'Eu l'air de la mer fortifiait les jeunes princes. C'est à cette époque qu'elle écrivait les lettres suivantes, qui montrent bien le caractère de M. le comte de Paris enfant :

10 jiiia.

Les rapports entre M. Régnier et le petit sont excel- lents. Vous seriez réjouie de voir avec quelle douceur, et pourtant avec quelle fermeté, il sait prendre l'enfant. Paris le chérit, et n'ose lui désobéir comme à moi et à M""^ H. J'attends vraiment d'excellents résultats de ces nouveaux rapports. Quant à Robert, il est très malheureux d'être séparé de son frère. Il le demande à tout moment, car il ne le voit que peu, et il l'aime fort. Il a plus que Paris le besoin d'être avec d'autres enfants; il s'ennuie quand il joue seul. Paris se suffit à lui-même, mais il est pourtant heureux de pouvoir jouer deux heures par jour avec Robert

18 juin.

Chaque matin, Paris lit avec M. Régnier le Roblnson, qui prête à beaucoup d'entretiens instructifs. Je lui donne auparavant une petite leçon d'histoire sacrée qui com- mence par une prière. Je ne puis dire qu'il soit très atten- tif, mais il aime cependant beaucoup ces récits.

44 LETTRES DE M"'" LA UUCHESSE b'oRLÉANS

Lors du premier anniversaire de la mort du duc d'Orléans en 1843, M'"" la duchesse d'Orléans écri- vait la lettre suivante à M. le comte de Paris :

Je ne suis j)oint auprès de toi, mon cher enfaut, mais je jiense à toi, et je te demande d'être bien sage aujourd'hui. Tu sais que ce jour est bien triste pour moi, et pour nous tous; tu sais que nous sommes tous à Dreux, et que nous prions Dieu j)our papa. Prie-le aussi de hii donner hi féli- cite éternelle, et de nous réunir tous, à lui, au ciel.

Quand tu seras plus grand, tu viendras avec nous à Dreux; tu sais aussi ([u'en grandissant, qu'en devenant bien sage, tu sauras de belles et touchantes histoires de papa, qui te donneront toujours plus le désir de lui ressem- bler.

Adieu, mon cher Paris; embrasse bébé de ma part, et

pense

à TA Mère.

Le 13 juillet 1843.

Trois mois plus tard elle s'ex])rimail ainsi à pro- pos d'une visite du jeune prince à Versailles oîi les premiers peintres de l'époque reproduisaient les grandes scènes historiques de l'histoire de France :

15 oclobre 18'i3.

Je vais maintenant aussi, de temps en temps, à Versailles avec Paris, pour lui montrer les tableaux historiques et graver ainsi de bonne heure dans sa mémoire l'histoire do la pairie. Cela lui plaît fort; il s'intéresse à tout, et ne voit rien superliciellement.

ACCIDENT AU TREPORT 45

M""^ la duchesse d'Orléans raconte ainsi le pre- mier jour de l'an, en 1844 :

IPr janvier 1844.

Nous avons, comme autrefois, terminé l'année chez le roi, sous le sapin illuminé. Les enfants ont eu une grande joie de leurs cadeaux; Paris surtout, à la vue d'un petit cabinet de j)hysiciue et d'autres objets de son goût. Je le renvoyai bientôt adirés, parce qu'il était tard ; arrivé dans sa chambre, il prit tranquillement un livre, s'assit et se mit à lire sans aucune apparence de distraction ni de surex- citation. Ses joujoux arrivèrent; il n'y jeta pas un coup d'œil, et dit qu'il voulait d'abord terminer son histoire. Cela m'a plu; c'est une bonne dis[)Osition.

Un accident qui faillit coûter la vie au roi et à la famille royale presque tout entière eut lieu, à l'au- tomne de 1844, à Eu. Le roi, accompagné de la reine, de la duchesse d'Orléans, de M. le comte de Paris, du duc de Chartres, du prince de Joinville, du duc d'Aumale et des jeunes princesses, était allé, en char à bancs, visiter une batterie d'artillerie, près du Tréport. Le roi avait fait tirer un coup de canon au jeune comte de Paris, alors âgé de six ans et qui avait bravement mis le feu à la pièce. Pour revenir, il fallait traverser un pont, sur une écluse, dont les garde-fous étaient à peine visibles. La reine et la duchesse d'Orléans voulaient des- cendre ; le roi s'y refuse. Au môme moment, un coup de canon retentit; les chevaux prennent peur, trois tombent à l'eau. Heureusement le

46 LETTRES DE M"'" L.V DUCHESSE d'oRLÉAXS

postillon des timoniers parvient à retenir les chevaux avec un rare sang-froid au moment ils allaient franchir le parapet. Le roi et la famille royale étaient sauvés !

Rien ne peut mieux fiùre connaître l'enfance de M. le comte de Paris que les lettres de sa mère, M""" la duchesse d'Orléans. Peu de temps avant cet accident du Tréport, elle visitait l'exposition de l'industrie et s'exprimait ainsi :

24 juin 1844.

Je mesure le temps sur le développement des enfants; ils grandissent, Paris surtout. C'est vraiment un aimable garçon, grand, rosé, dégagé, et surtout très studieux et brave; il a nn bon cœur, de la franchise, et avant tout un zèle très soutenu. Il a été deux fois avec moi à l'Exposi- tion'; vous pouvez penser quelle résolution pour moi. Je ne l'aurais jamais fait si l'on n'avait pas tant parlé de la renfermerle dans laquelle on retient le petit. Il a eu un énorme succès; les gens l'étouffaient presque de joie; et quant à lui, il n'a été ni sot, ni timide, mais naturel, et à son affaire, c'est-à-dire |)lcin d'intérêt j^our ses chères machines, qui sont toujours sa ])assion. Par bouheiu-, la louange et l'admiration ne le disposent jias du tout à la vanité; il n'y prend pas garde. Le petit Robert, qui exami- nait plus les gens que les machines, était en revanche très heureux que les gens le regardassent aussi. Il n'a que sail- lies, bonne humeur et vivacités; parfois je ne sais comment faire cesser ses petites impertinences; il est trop amusant;

1. L'ICxposiliun s'ohïvail alors au carré ^hu-it,niy, iiil cons- Iruil plus liird, en 1855, le Palais de i'iiuluslric.

POPULARITÉ DE M""^ LA DUCHESSE d'oRLÉANS 47

mais iiialgTe son bon cœur, qui prévient en sa faveur, il faut pourtant être sévère avec lui

5 juillet 1844.

Paris et Robert ont ensemble leurs petits entretiens, dans lesquels le caractère de cliacun se produit au grand jour : l'un, plein de raison et de profondeur; l'autre, d'in- telligence et de vivacité.

En 1845, la princesse raconte avec quelle joie elle voit se développer les progrès des deux enfants; M. le comte de Paris n'avait pas encore sept ans qu'en revenant de l'ouverture des Chambres, il voulait donner à son professeur une analyse du discours du roi qu'il avait écouté avec une grande attention.

Pendant les années 1846 et 1847, le roi Louis- Philippe s'occupa beaucoup de l'éducation de M. le comte de Paris et de son frère, ainsi que M""" la duchesse d'Orléans, dont Tintelligente sollicitude faisait l'admiration de tous. On peut dire que rarement princesse a joui en France d'une aussi grande popularité dans toutes les classes de la nation, sans distinction de partis : elle en recevait la preuve à tout instant. Elever ses fils comme leur père l'aurait fait lui-môme, tel était son but; aussi donnait-elle les soins les plus minutieux à leur santé, à leurs études et même à leurs jeux : on a pu dire avec raison que « les circonstances ont servi seulement à manifes-

LA REVOLUTION DE FEVRIER

ter ses grandes qualités ; toujours ce même mé- lange de délicatesse féminine dans les sentiments, de fermeté dans l'action, d'exquise sensibilité et de force sur elle-même qu'elle a montrées en toute occasion. »

M. le comte de Paris n'avait pas encore dix ans le 24 février 1848. A onze heures du malin, le roi étant parti des Tuileries, la cour du palais avait été évacuée parles troupes, le peuple insurgé était maitre de la place, la fusillade redoublait. Quand M™*^ la duchesse d'Orléans vit que le palais des Tuileries allait être envahi, elle prit par la main ses deux enfants, traversa les longues galeries qui la séparaient de son appartement, et, s'arrêtant dans le salon sous le portrait du duc d'Orléans, s'écria : « C'est ici qu'il faut mourir!... » Elle fait ouvrir toutes les portes de ses appartements comme pour une réception ; les balles seules entraient... Deux députés viennent la presser de se rendre à la Chambre. Elle y consent, et parvient, non sans peine, au Palais-Bourl^on.

M. le duc de Nemours, dont le courage et le sang-froid ne se démentirent pas un moment, était auprès de sa belle-sœur, prêt à mouiir pour elle et pour son neveu M. le comte de Paris. Le général Bedeau, qui montia ce joui-là la plus complète incapacité, ne sut pas défendre les abords de la (Miainbie; la salle des séances fut envaliie, des coups de feu éclatèrcul. M. de Laiiiai'tine, ce génie

LE DISCOURS DE M. DE LAMARTINE 49

poétique qui, selon une heureuse expression, changea volontiers l'histoire en roman et la poli- tiqne en méditations, avait commencé un discours en faveur de M. le comte de Paris et de la réo-cnce de M"'' la duchesse d'Orléans; ce fut en fiiveur de la Répuhlique qu'il le termina, pour la République à laquelle ni lui ni ses amis ne songeaient deux heures auparavant. Il faut relire aujourd'hui cet incroyable amphigouri pour comprendre ce que l'imprévu peut donner de force à la prose la plus vulgaire. C'est parce qu'il n'était qu'un poète que M. de Lamartine a pu succéder au roi Louis-Phi- lippe, et M. Guvillier-Fleury a eu bien raison de dire que tout autre y aurait laissé son renom, peut- être sa vie : M. de Lamartine n'y engageait rien que

des phrases

La duchesse d'Orléans , obligée de quitter le Palais-Bourbon et séparée un moment de son jeune fils le duc de Chartres, sauvé par le baron de l'Espéei, se réfugia à l'hôtel des Invalides. M"'' la duchesse d'Orléans y resta deux jours, pen- dant que des amis fidèles essayaient d'organiser la résistance. Le maréchal Molitor, malade, n'était pas en état de commander ! « Qu'on donne les ordres en mon nom, «dit la princesse sans hésiter. On lui représente que les Invalides sont isolés de tout secours : « N'importe, s'écrie-t-elle; ce lieu est

1. Père du préfet de Saint-Etienne assassiné en 1871.

4

50 m""^ la duchesse d'orléans aux invalides

])on pour y inouiii-, si nous n'avons pas de lende- main ; pour y rester, si nous pouvons nous y défendre... M. le duc de Nemours, réfugié chez M. Biesta (le futur directeur du Comptoir d'Es- compte de Paris), ne quitta Paris cjue quand il lui fut démontré que la garde nationale, désorgani- sée, ne marcherait pas contre l'émeute. On pres- sait M""' la duchesse d'Orléans de fuir. Elle re- poussa toutes les instances, inspirée par le sentiment de ses devoirs, et sachant bien qu'elle défendait la cause même de la monarchie et la souveraineté nationale violentée par l'insurrec- tion : « Tant qu'il y aura, disait-elle, une seule personne, une seule, qui soit d'avis de rester, je resterai. Je liens à la vie de mon fils plus qu'à sa couronne ; mais si sa mort est nécessaire à la France, il faut qu'un roi, même un roi de neuf ans, sache mourir! » Elle refusa de changer de vête- ments : « Si je dois être arrêtée, je veux être arrêtée en princesse. » Le jeune prince, se serrant contre sa mère, répétait : « Je ne veux pas sortir de France, je ne veux pas quitter mon pays!... » L'absence devait durer vingt-trois ans!

Il fallut })artir. Paris, conquis par l'émcule, ne s'appartenait plus. M""' la duchesse d'Orléans se rendit d'abord à la maison de campagne du vicomte Léon de Montesquiou à Bligny, près d'Or- say. Le 26, on lui ramenait M. le duc de Chartres, allcinl de la grippe, (|ui heureusement n'eut au-

M™^ LA DUCHESSE d'oRLÉANS A LILLE 51

Cime suite. Le marquis de Mornay et M. Régnier accompagnaient la princesse et ses enfants.

La pluie avait chassé les passants et empêcha que la princesse fût reconnue à Versailles. Elle se rendit à Lille par Saint-Germain, Pontoise, Beau- vais, passa la nuit suivante à Amiens, et le 28 prit le chemin de fer à Lille. Il fallait y attendre quatre heures le train pour la Belgique. La voiture avait été placée sur un truc. La princesse se fît apporter les journaux qui relataient ce qui se passait à Paris. Avec cette intelligence sujjérieure qui la distinguait, la duchesse d'Orléans eut, comme dans un éclair, la perception nette, vraie, de la situa- tion à Paris. Elle vit la garde nationale stupéfaite, mécontente de la proclamation de la République, le boutiquier comme Touvrier ahuris par le spectacle ridicule qu'offrait déjà ce gouvernement républi- cain, qu'un souille populaire devait bientôt renver- ser... Aussi, dit-elle à ses amis : « La France ne veut pas de la République. Le 24 Février a été une surprise, il m'appartient à moi, la mère du prince royal, en sauvant le pays, en proie à une bande de factieux, de conserver la couronne à mon fils. Le général Négrier commande ici la garnison. Je me fierai à son honneur de soldat, et je vais immédia- tement avec mes deux fils me rendre à la citadelle. De là, je ferai un appel au pays : la veuve du duc d'Orléans sera entendue, j'en ai la confiance abso- lue ! »

52 ÉNERGIE DE M"'" LA DUCHESSE d'oRLÉANS

Pendant cette scène, M. le comte de Paris, déjà grave et sérieux, écoutait, non comme un enfant de dix ans, mais comme un homme : « Ne quittons pas Lille, » disait-il à sa mère, « allons au milieu d'un régiment ; je suis sur que les soldats m'accueilleront comme un de leurs enfants de troupe! » Mais on se jette aux pieds de la prin- cesse, on la supplie de renoncera son dessein. On lui rappelle la fuite de Louis XVI à Varennes, on évoque les souvenirs de la Terreur, on lui parle de son fils, Pliéritier du trône, dépôt sacré qu'elle devait, avant tout, préserver, et quand on lui fait entrevoir une prison du Temple, avec un autre Simon peut-être, la duchesse d'Orléans frémit, mais bientôt elle se redresse, et avec un mâle courage: « Qu'importe! Dieu nous protégera, allons ù la citadelle »

On invoque la responsabilité qu'on a assumée de la sauver, on refuse nettement de la suivre. Deux heures après, le train partait, et la duchesse d'Orléans quittait Lille sans avoir vu le général Négrier...

La France, en ententlani la voix de celte femme héroïque, aurait-elle secoué la torpeur qui lui faisait accepter un gouvernement qu'elle subis- sait, mais dont la grande majorité des Français ne voulait pas? Dieu seul le sait.

Les émeutiers, pendant la journée du 24 février, avaient pillé et saccagé le palais des Tuileries,

DÉPART DE FRANCE 53

mais avaient donné une preuve frappante, et de la grande sympathie dont jouissait M"" la duchesse d'Orléans, et du souvenir vivant laissé dans le peuple par M. le duc d'Orléans. Les appartements de la duchesse d'Orléans avaient été scrupuleuse- ment respectés an pavillon Marsan. Sa femme de chambre y pénétra quelques jours après, et, avec l'aide de quelques amis fidèles, rapporta à M™'' la duchesse d'Orléans ce qui lui appartenait. La prin- cesse put conserver ainsi intacts son mobilier, les portraits, tableaux et autres souvenirs qui étaient pour elle du plus grand prix en lui rappelant des jours plus heureux.

En traversant la frontière, Madame la duchesse d'Orléans fondit en larmes ; M. de Mornay ne pouvait retenir les siennes : « Nos larmes sont bien différentes, lui dit-elle, vous pleurez de joie de nous avoir sauvés, et moi je pleure de douleur de quitter la France, cette France sur qui j'aj:)- pelle toutes les bénédictions du ciel ! En quelque lieu que je meure, qu'elle sache bien que les der- niers battements de mon cœur seront pour elle... »

« Quand la pensée me vient, que je pourrais ne jamais revoir la France, disait-elle bien des an- nées plus tard, je sens que mon cœur éclate. »

La princesse qui avait grand besoin de repos s'arrêta une nuit à Yerviers , et le lendemain 1" mars, à Cologne. Après quelques semaines passées à Ems, Madame la duchesse d'Orléans

04 LA LOI D EXIL

se rendit au château cVEisenach, propriété de son oncle le grand duc de Saxe-Weimar. L'été suivant (1849), elle quitta rAllemagne pour conduire ses fils au roi Louis-Philippe et à la reine qui ne les avaient pas revus depuis la révolution.

Ce fut une grande joie au château de Claremonl de voir arriver les jeunes princes. On remarqua le changement qu'un an d'exil avait déjà produit chez M. le comte de Paris. Les soins intelligents et. éclairés de la duchesse d'Orléans avaient mviri l'esprit de son fils aîné, et le roi le constata avec satisfaction.

Une vive douleur avait atteint tout d'abord les illustres exilés. Dans leur excessive loyauté les princes n'avaient pu supposer un instant que la République les condamnerait au bannissement. Ils venaient cependant de donner à la France une grande preuve de désintéressement et d'abnéga- tion patriotique, en quittant l'Algérie le 3 mars 1848 sans essayer de rentrer en France à la télé de l'armée qu'ils commandaienl, pour y réialjlir la monarchie. Ils furent vile et cruellement détrom- pés. La loi du 2G mai 1848 les bannit du territoire français.

Les personnes qui composaient jadis la maison de Madame la duchesse d'Orléans avaient suivi la princesse en exil, pour la plupart, et la servirent coiniiic autrefois au [)alais des Tuileries. La mar- quise de Vins, leclrice de la |)rincesse, et M. de

LA MAISON DE M"^ LA DUCHESSE D ORLÉAIVS 55

Boismilon, ancien précepteur du duc d'Orléans, l'aidaient de leurs conseils pour l'éducation de ses fils. La duchesse d'Orléans avait fait venir à Eise- nach la femme et les deux fils de M. Régnier, qui furent les émules et les compagnons des jeunes princes. M. Etienne Allaire secondait M. Régnier, et plus tard lui succéda. D'anciennes amies de la princesse, telles que la comtesse d'IIautpoul, la comtesse Anatole de Montesquiou , la marquise de Chanaleilles, venaient chaque année passer quelques mois auprès d'elle. Plus tard, en 1853, la marquise de Beauvoir vint à Eisenach avec son mari et son fils, et resta presque constamment auprès de la princesse jusqu'à sa mort.

Au mois d'avril 1850, la duchesse d'Orléans fit voir à ses fils Nuremberg, cette ville qui avait été si chère à son enfance. Elle leur montra les églises, les belles fontaines, la maison d'Albert Diirer, comme aussi les fabriques et les usines. De elle se rendit à Wurzbourg, Francfort, et descendit le Rhin pour aller en Angleterre, M. le comte de Paris devait faire sa première commu- nion.

Le premier événement important dans l'exil fut la première communion de M. le comte de Paris. « Madame la duchesse d'Orléans avait très sagement compris combien il importait que le grand acte qui initie l'enfance à la vie catholique s'accomplit pour son fils aine avec la publicité la

56 PREMIÈRE COMMUNION DE M""" LE COMTE DE PARIS

plus solennelle. C'était en outre un rendez-vous tout naturel à donner aux nomlireux amis, qui ne cherchaient que l'occasion d'apporter le témoi- gnage de leur dévouement à la famille royale dans son exil. 11 avait donc été réglé que la cérémonie aurait lieu à Londres, dans la chapelle française, avec toute la pompe religieuse que comportaient le lieu et les circonstances. On ne s'était pas trompé en comptant sur un nombre considérable de Français pour assister à cette auguste et tou- chante solennité. Il faut bien le dire, le vieux roi, plus que son petit-fils, contribua à Témotion uni- verselle. 11 avait voulu, ce jour-là, rajeunir et, en quelque sorte, égayer son costume ordinaire, mais il n'y eut personne qui ne fût tristement frappé du contraste de ce vêtement, avec le visage et la démarche de celui qui le portait. »

Madame la duchesse d'Orléans raconte ainsi elle-même cette touchante cérémonie ;

A huit lieures, le 20 juillet 1850, nous allâmes avec le roi et la reine, suivis de toute la famille et des amis fidèles et nombreux (jui y étaient venus, à la petite chapelle française de Londres. Paris fut place au pied de l'autel, entre le roi et moi, devant un jn-ie-Dicu surmonte d'un cierge allumé. Il portait au bras gauche une écharpe blanche, emblème de hi pureté. Avant la messe, l'abbé Guelle lui adressa une l)elle et touchante exhortation; puis la messe fut dite par l'évêque de Londres, le docteur Wiseman, un prêtre très honoré par le clergé français. Avant le moment de la corn-

PREMIERE COMMUNION DE M^"^ LE COMTE DE PARIS 5/

iBunion, l'évêque lui dit également quelques paroles fort belles, puis l'abbé Guelle conduisit ce cher enfant vers l'autel. Il se mit à genoux, et reçut le corps de son Dieu avec un resj^ect et un recueillement qui étaient édifiants. En revenant à son prie-Dieu, il jiassa près du roi qui leva la main pour le bénir. Puis ce cher enfant se tourna ins- tinctivement vers moi, et me regarda d'un regard que je n'oublierai jamais et que rien ne saurait rendre. L'évêque lui adressa encore une fois la parole ; puis la messe finit, et nous quittâmes la chapelle, le cœur profondément ému. Le maintien de Paris fut surprenant pour son âge; la can- deur et la dignité régnaient dans tout son être; aussi tout le monde en fut pénétré, non seulement le roi qui lui dit que c'était l'une des plus belles journées de sa vie, non seulement la reine et mes frères qui étaient profondément émus, mais les étrangers, des indifférents, des curieux, tous étaient frappés de cet enfant si pur, si pieux, si grave et si simple. Tout le monde pleurait de sympathie et d'at- tendrissement.

Le pauvre Robert a été i)énétré pendant cette cérémonie. A deux heures, nous nous retrouvions tous à la chapelle, excepté le roi, dont la santé exige de grands ménagements. L'évêque revint encore. On chanta les vêpres ; l'abbé Guelle fit un discours touchant; puis Paris, au pied de l'autel, lut à haute voix, de l'accent le plus ferme, le renou- vellement des vœux du baptême. Enfin nous rentrâmes, le cœur rempli d'actions de grâces envers ce Dieu qui aime et bénit les enfants.

« Qui aurait pu, dit un témoin oculaire, contem- pler sans émotion cette mère, dont les yeux voilés

58 MORT DU ROI LOUIS-PHILIPPE

de larmes s'arrêtaient sur son fils, comme si elle eût voulu l'envelopper d'un regard d'amour, pen- dant qu'il était à genoux, et que tous ses traits avaient une expression d'humilité et de dévotion? L'émotion des assistants n'était môme pas étouffée par les sons de l'orgue. La nourrice du prince était venue de France tout exprès, ainsi que d'an- ciens serviteurs ^. »

Les paroles que M^"' Wiseman , alors vicaire apostolique à Londres, prononça avaient ému le roi Louis-Philippe, qui conserva de toute la céré- monie une grave et profonde impression. Le roi retourna le lendemain à Claremont

« La reine ne se faisait plus d'illusion sur l'élat du roi. A l'âge il était, elle ne croyait pas que la médecine pût rien contre le dépérissement qui s'opérait en lui chaque jour, et le docteur Gueneau de Mussy la connaissait trop bien pour l'amuser par une trompeuse espérance. Elle priait, elle pleurait devant Dieu; son cœur saignait à l'idée de ce lien de quarante ans, si fort et si doux, qui allait se rompre; et si elle ne se fût pas jugée indigne d'un miracle, elle l'eût demandé au Ciel pour la conservation de son mari- »

Mais elle eut la consolation qu'elle avait si sou- vent demandée à Dieu : le roi mourut en chrétien, le 2G août 1850. Avant d'expiré i', il avait reçu l'ex-

1. Madame la diicliesse d'Orlra/is, pat- M'"<= la mai-cjiiise d'il.

2, Ti'og-noii, Vie de Marie-.imrlic.

UNION DE LA. FAMILLE ROYALE 59

trèine-oiiclion des mains de l'abbé Guelle, eu roi digne de son nom et de sa race.

Quelques semaines après, le 10 octobre, un coup non moins douloureux, et peut-être plus inattendu encore, venait atteindre la famille royale. La sainte reine des Belges, la princesse Louise d'Orléans, fille aînée du roi Louis-Philippe, mou- rait à Ostende, pleurée par les siens et par la Bel- gique entière, qui conserve encore le souvenir de ses vertus.

L'union la plus entière avait toujours existé dans la famille royale. « Après la mort du roi, les amis de la maison d'Orléans demandèrent qu'en vue de toute éventualité, la question de régence reçût une solution immédiate qui, à un moment donné, put réunir tous les esprits et ne leur laisser nulle incertitude. M""" la duchesse d'Orléans se prononça de la façon la plus positive contre la possibilité de prendre elle-même la régence, et de crainte que ses raisons, très vivement et très nettement don- nées, ne laissassent pas une impression assez durable dans l'esprit de ceux à qui elle parlait, elle voulut les mettre par écrit et passa plusieurs heures à dicter un mémoire elle explique tous les motifs qui la rendaient impropre, selon elle, à la régence (la religion était l'un des points indi- qués). Elle conclut en disant que c'était à la reine qu'on devait la confier. Ce mémoire existe et témoigne une fois de plus de son respect pour la

60 LES JEUNES PRINCES A KEHL

reine, comme de la façon élevée dont elle envisa- geait toutes choses*. »

Rien ne pouvait faire oublier aux jeunes princes la patrie, ce cher pays de France!

Un peu avant cette époque (1850), on pouvait voir souvent sur le pont de Kehl, qui rattache l'Alsace au pays badois, une dame en deuil con- duisant par la main deux jeunes enfants. Elle fai- sait là sa promenade quotidienne, et les soldats du poste badois comme ceux du poste français la croyaient, les uns une habitante de Kehl, les autres une habitante de Strasbourg.

Les deux petits garçons couraient devant elle. Arrivés à la tête du pont, au bureau français, ils retournaient en arrière en jouant. Mais il arrivait parfois qu'en approchant de la rive française les enfants, au lieu de rebrousser chemin, empiétaient sur le territoire de la France; puis, armés d'une petite pelle, ils creusaient un trou dans le sol, emplissaient leur seau, et reportaient triomphale- ment à leur mère cette terre française. Si on les eût suivis, on les eût vus verser le contenu du petit seau dans une caisse spéciale, qui s'em- plissait peu à peu et qu'on gardait comme un trésor.

La dame en deuil était une princesse exilée, M'"" la duchesse d'Orléans. Les deux travailleurs

1. .yfadamc la duc/tcsse d'Orléans, par M""" la iiiarquiso d'il.

TERRE DE FRAXCE ! 61

étaient ses fils, M. le comte de Paris et le duc de Chartres. Quand la caisse fut pleine, les petits terrassiers devinrent horticulteurs. L'idée leur vint dV semer une graine apportée de France. Et tous les jours ils soignèrent, émondèrent, arro- sèrent soigneusement leur « plantation ». Quand ils voyaient leur mère considérer de loin, les larmes aux yeux, la rive alsacienne, ils cher- chaient à consoler sa douleur en lui montrant l'espérance, symbolisée dans la petite graine.

« Si elle pousse, ce sera d'un heureux présage, » disaient-ils. Et chaque matin, on interrogeait anxieusement la caisse, on guettait la pousse.

Mais les hasards de l'exil éloignèrent un jour la mère et les enfants. La graine demeura en terre française sur la rive allemande du Rhin.

Les années se passèrent. Les enfants devinrent soldats et se battirent bravement , sous leurs noms en Amérique, sous des noms d'emprunt pour la défense de la patrie envahie. L'épée avait rem- placé la petite pelle de bois.

Un jour, me dit-on, comme l'un des princes, M. le comte de Paris, passait à Kehl, il voulut visiter l'ancienne demeure de sa mère. L'hôte qui eut l'honneur de le recevoir lui dit :

« Croyez-vous aux présages. Monseigneur? »

Le prince sourit.

« Moi, j'y crois, continua l'hôte. Monseigneur se rappelle-l-il la graine qu'il a semée? Monsei-

62 ÉDUCATION MILITAIRE DE M^'' LE COMTE DE PARIS

gncur disait alors que les dcslinécs de cette petite graine présageaient les siennes.

Oui, je me souviens, dit le prince.

EIi bien! la graine a germe. Elle est devenue un petit arbre... et cet arbre a donné des fleurs, précisément l'année même Votre Altesse a pu rentrer en France.

Et maintenant? interrogea le prince.

Maintenant, Monseigneur va voir le nouveau présage. »

Et il conduisit le prince dans le jardin. Le petit arbre présentait son premier fruit.

« Il sera bientôt mûr, Monseigneur, croyez au présage »

]M""' la duchesse d'Orléans avait tenu à entourer ses fils, dans cet exil douloureux, de tous ceux qui pouvaient le mieux les rattacher à la patrie dont ils étaient séparés. C'étaient le général ïrczel, ancien ministre de la guerre, le colonel de Mont- guyon, ancien aide de camp du duc d'Orléans, le général Drolanvaux, vieil olUcier de Tarmée d'Afrique, le colonel Ulirich, le capitaine Moihain, qui envoya sa démission au ministre de la guerre poui' servir M. le comte de Paris dans son long exil, et ((ui chaque jour encore maintenant lui ap- porte le concours éclairé d'un dévouement abso- lu; enfin le marquis de Beauvoir (père de M. de lieauvoir, actuellement aupiès de M. le comte de Paris). Ancien diplomate, gendre du marcjuis

VOYAGES DE VACANCES 03

de Riimigny, M. de Beauvoir était un des plus sûrs amis de M""' la duchesse d'Orléans. D'un esprit élevé, il consacra sa vie, pendant tout l'exil, à la princesse et à ses augustes fils, et jusqu'à son der- nier jour (1870) leur donna les preuves du plus complet et du plus ardent dévouement.

Les vacances étaient employées à des voyages d'instruction, autant que de plaisir. On parcourait les ports, les grandes cités industrielles ou com- merçantes de l'Angleterre; on entrait dans les ateliers, on descendait dans les mines. M. le comte de Paris demandait sur toutes choses des explica- tions, que son esprit attentif et sérieux saisissait vite, et que sa mémoire gardait fidèlement.

Plus tard, les princes, accompagnés d'un des gé- néraux les plus braves de l'armée d'Afrique, visitaient les champs de bataille de l'Europe. Parfois le duc d'Aumalc se joignait à ses neveux, et leur enseignait, aux lieux mêmes de grandes actions de guerre s'étaient accomplies, l'histoire militaire de la France que personne ne sait et ne raconte mieux que lui.

Ils virent ainsi Nordlingen et Fribourg, le grand Gondé, ayant Turenne pour lieutenant, avait remporté ses plus belles victoires; Nerwinde et Fleurus, qui ont vu passer les armées de Louis XIV et les soldats de la Pvépublique ; les plaines du Palatinat et de la Bavière, illustrées par les belles campagnes de Jourdan et de Moreau. Ce que

64 M'^"" LE COMTE DE PARIS ET M. LE DUC DE CHARTRES

les exilés cherchaient surtout dans ces voyages, c'était le souvenir de la patrie. Repoussés de ses frontières, et ne pouvant vivre de sa vie, ils se réfugiaient dans son passé et dans la légende immortelle de son héroïsme et de sa grandeur.

M. le comte de Paris avait alors quatorze ans. Grand, élancé, gracieux dans ses mouvements, posé dans sa tenue, ingénieux dans ses réflexions, d'un jugement sain, il menait une existence digne de son nom et telle qu'il convenait à un jeune homme de son âge. Il aimait, avec son pro- fesseur, à gravir les montagnes des environs d'Eisenach, à cueillir et faire sécher des fleurs, qu'on envoyait ensuite à Paris, pour les faire classer par son professeur de botanique, M. Ger- main. Le duc de Chartres, plus jeune de deux ans, était d'une extrême vivacité. Il se dévelop- pait heureusement, tant au point de vue de la volonté qu'à celui de l'intelligence. Ses traits étaient fins, Tœil bleu et spirituel. Tous deux témoignaient à leur mère une affection véritable- ment touchante, et qui était pour elle un grand adoucissement à l'exil. Si dans l'éducation de M. le comte de Paris, la duchesse d'Orléans avait tou- jours devant les yeux le trône de France, il pourrait monter un jour, elle sentait aussi certains avantages de l'exil pour le jeune prince; plus rap- proché de la vie réelle, il a])prenait mieux à la con- naître en voyant de plus près des personnes de

LES DÉCRETS DU 22 JANVIER 1852 65

toutes les classes. Jamais princesse, jamais mère ne sut mieux élever un prince, qui pouvait être appelé à de hautes destinées.

Après avoir protesté contre les décrets du 22 janvier 1852, qui les dépouillaient de leur for- tune, et avoir vainement essayé de faire annuler par les tribunaux les iniques décrets de Louis- Napoléon Bonaparte, les princes se serrèrent de plus près, pour ainsi dire, autour de leur mère, comme autour du centre de leur existence. Ses vertus et ses malheurs lui mettaient au front une auréole qui rayonnait sur eux avec un éclat supé- rieur à celui de la couronne qu'elle avait perdue.

Les décrets du 22 janvier avaient trouvé Ma- dame la duchesse d'Orléans fort indifférente en ce qui la concernait elle-même, et elle écrivait à ce sujet, peu de jours avant leur publication :

Quant à ce qui nous touche, vous savez que nous

sommes, Dieu merci! au-dessus de toute atteinte. On a fait bien pis en humiliant notre pays et en persécutant nos amis. La communauté de sacrilices faits à notre chère cause sei'ait donc fort aisée à accepter, si elle ne nous enlevait pas la plus grande consolation du moment. Tant que le décret n'aura pas paru, je vous prie d'user largement des pouvoirs que je voiis ai donnés; je ne saurais renoncer tout à fait à la seule joie qui nous reste dans le malheur.

Au printemps de 1853, Madame la duchesse d'Orléans, qui avait passé Thiver dans le Devon- shirc, amena ses deux fils à Claremont, pour

5

G6 ACCIDENT EN SUISSE

préparer sous les yeux de la reine, M. le comte de Paris, au sacrement de confirmation qu'il de- vait recevoir des mains de M. le cardinal Wise- man, et jNI. le duc de Chartres, à sa première com- munion. Un grand nombre d'amis venus de France apportèrent par leur présence une douce consolation aux nobles exilés.

Cette année 1853 ne fut pas exempte d'inquié- tudes pour la famille royale. Madame la duchesse d'Orléans fit en Suisse une chute de voiture qui, un moment, mit sa vie en danger, et la reine, qui avait quitté l'Angleterre pour accourir auprès d'elle, fut elle-même très malade à Genève.

Ce terrible accident arriva à Madame la duchesse d'Orléans, au mois d'octobre 18j3. Elle venait de quitter Genève et Lausanne, se rendant à Fribourg. Le temps avait été détestable les jours précédents, et le sol était détrempé par la pluie qui ne cessait de tomber. Le fils du maître de poste, à Genève, avait réclamé l'honneur de conduire Son Altesse Royale, dans une voiture, espèce de Stage anglais, attelée de cinq chevaux. Dans cette voiture se trouvaient Madame la duchesse d'Orléans, M""^ de Vins, sa dame d'honneur, M. le comte de Paris et le duc de Chartres. Les domestiques étaient der- rière. Une seconde voiture suivait avec le comte de Montguyon, et M. Allaire, chargé a cette épo- que de l'éducation des princes.

Non loin du village d'Oron, un des chevaxu,

ACCIDENT EN SUISSE 07

attelés à la voiture de Madame la duchesse d'Or- léans, se met à faire des écarts. On crie au cocher de maintenir ses chevaux, et un vieux domestique de confiance de la duchesse d'Orléans, Conrad, monte auprès de lui, pour l'aider à les conduire. Tout à coup, et malgré les efforts du cocher, la voi- ture s'approche du torrent qui bordaitla route, s'af- faisse lentement et tombe, d'une hauteur de sept pieds environ. Déjà l'eau envahit la voiture. ]\/[mc jg Vins, tombée sur la princesse, l'écrase de son poids... M. de Montguyon et M. Allaire se précipitent, et le sauvetage est rapidement opéré, pendant qu'un cri poussé par M. le comte de Paris dominait tous les autres : «Sauvez ma mère! ne vous occupez pas de moi!... » Enfin, les augustes voya- geurs sont retirés de la voiture, mais Madame la duchesse d'Orléans a la clavicule brisée, et souffre horriblement. On la transporte au village d'Oron, un habile médecin, le docteur Pellis, lui pro- digue ses soins. La princesse, entourée de ses deux fils, qui se multiplient pour soulager ses souf- frances, se crut un moment perdue; elle s'apprê- tait à mourir avec un courage et une résignation admirables, quand Dieu la rendit à l'affection des siens et de ses fils, pour lesquels sa direction, ses conseils, étaient si précieux.

M. le comte de Paris, dont le général Trézel, ancien ministre de la guerre, avait fait l'éducation militaire, suivit avec une patriotique anxiété les

68 LES PRINCES PENDANT LA. GUERRE DE CRIMEE

phases de la guerre de Grimée (1854-1855). Beau- coup d'amis du prince étaient tombés sur ces champs de bataille. Au château d'Eisenach on faisait de la charpie pour" l'armée française. L'at- tachement des princes pour la France était tel qu'ils ne pouvaient en détacher leurs pensées. M. le comte de Paris suivit avec un ardent inté- rêt chaque scène de ce drame militaire, et avec un œil d'envie cette armée française dont il ne lui était pas permis de partager les dangers et la gloire. Il connaissait toutes les fortifications de Sébastopol, et les positions respectives des armées, comme s'il eût tout vu de ses propres yeux. La sympathie des jeunes princes pour les souffrances qui étaient la suite de celte guerre se montra en toute occasion, et jusque dans les moindres détails. Le fils du valet de chambre de M. le comte de Paris était mort devant Sébastopol, et on avait trouvé dans sa poche un louis d'or, qui avait été renvoyé à ses parents avec ses habits. La duchesse d'Orléans fit mettre un anneau à cette pièce, pour que la mère de ce jeune homme la portât en sou- venir de son fils, et elle allait souvent voir cette pauvre femme accablée par la douleur, et à qui les visites de la princesse et de ses fils apportaient quelque consolation.

Pendant l'été de l'année 1856, Madame la duchesse d'Orléans se rendit avec ses fils aux eaux de Soden, non loin de Francfort. Les médecins ne

VOYAGE EN ITALIE 69

trouvant pas sa santé améliorée, l'engagèrent à passer l'hiver en Italie. A la fin de septembre, la princesse quitta l'Allemagne, et au mois d'octobre visita les lacs de Côme, de Lugano, Majeur, les iles Borromées, elle fut reçue par le comte Giberto Borromeo, qui, avec empressement , fit visiter aux jeunes princes son superbe palais de risola-Bella et ses magnifiques terrasses. Après avoir admiré à Milan et à Gènes les richesses artis- tiques de ces deux villes, M. le comte de Paris et M. le duc de Chartres, laissant leur mère dans une villa près de Sestri, allèrent chasser pendant quel- ques jours en Sardaigne.

L'hiver se passa bien pour Madame la duchesse d'Orléans et, en mai 1857, après avoir reçu à Turin l'accueil le plus empressé, du roi et de la famille royale, elle se rendit avec ses fils à Eisenach, elle séjourna (pour la dernière fois !) quelques semaines : l'âge avancé de la reine Marie-Amélie lui faisait un devoir d'être plus habituellement auprès de Sa Majesté, et elle alla en Angleterre, elle occupa dans le bourg de Richemond une mai- son de campagne, propriété du marquis de Lands- downe. En une heure elle était à Claremont qu'ha- bitait la reine, en une demi-heure à Twickenham, chez le duc d'Aumale.

L'été de 1857 fut un des plus agréables pour la famille royale depuis 1848. Madame la duchesse d'Oi léans le sentait avec joie :

70 LETTRE DE M"« LA DUCHESSE d'oRLÉANS

Je sens un bonheur inexprimable, écrivait-elle, en voyant mes lils se développer selon mon cœur, en les voyant se fortifier dans le bien, en voyant leurs jeunes âmes dévelop])er lUie tendresse presque fraternelle, même paternelle pour moi, j^renant soin de leur mère comme si elle était confiée à leur sollicitude; et sous ce rapport, ma mauvaise santé me rend un grand service. L'âge de mon fils aîné est selon moi le plus charmant de la vie d'un houîme; il a toute la candeur de la première jeunesse, toute la droiture de principes non encore froissés, toute la fraîcheur des impressions; et il y joint cependant une fer- meté toujours croissante, la réflexion qui supplée à l'ex- périence, et le désir d'avancer, de se perfectionner tou- jours. Robert commence aussi, (juoique plus jeune, à mêler la maturité à la pureté enfantine; et sa nature vive, véhémente parfois, est modérée par la sagesse qui s'accroît de jour on jour. Vous me direz : Vous vous aveuglez sur vos fils. Je vous assure que non; ee n'est pas être aveugle que de reconnaître les bénédictions que Dieu nous accorde au milieu des souffrances. Je serai toujours fort exigeante, et je désire qu'ils atteignent un but fort élevé.

Madame la duchesse d'Orléans éprouvait une joie bien légitime de voir si bien réussir l'œuvre ù laquelle elle avait dévoué sa vie.

Je ne peux exprimer le changement qui s'est fait à

l'égard de Paris, disait-elle ; ce n'est plus moi qui le pro- tège, je me sens i)rotégée par lui; j'almfj à lui voir une conscience séparée de la mienne. Quand il n'est j)as du même avis que moi, j'en ai presque de la joie. J'ose le dire, j'ai pour lui du respect

LA VIE EN ANGLETERRE 71

L'auteur du livre Madame la duchesse d'Orléans ajoute avec raison : « Elle n'était pas seule à penser ainsi, et cette déférence qu'obtient à tout âge une nature droite, profonde et sérieuse, se mêlait déjà à l'affection si paternelle que le jeune prince inspi- rait à ses oncles. L'intimité complète des deux frères rassurait sur leur avenir, quel qu'il dût être. »

Le 24 août 1857, toute la famille royale se trouva réunie en Angleterre, et Madame la duchesse d'Orléans donna une fête à toute la jeunesse rassemblée autour de la reine, pour fêter le dix- neuvième anniversaire de la naissance du comte de Paris. Madame la duchesse de Nemours était seule en proie à une profonde mélancolie. Elle avait en quelque sorte le pressentiment du mal- heur qui la menaçait. Le 10 novembre 1857, elle mourait subitement après avoir mis au monde la princesse Blanche.

Un voile de deuil était encore une fois étendu

•sur Claremont. L'hiver y fut triste, et le mois de

mai 1858 trouva la reine souffrante et alitée, quand

une catastrophe que rien ne faisait prévoir vint

frapper de nouveau la famille royale.

Quelques amis de France étaient venus en An- gleterre; parmi eux se trouvait le comte de Mon- talembert. L'illustre écrivain fut reçu parMadame la duchesse d'Orléans dans les premiers jours de mai. Il sortit ému, ravi, et il communiquait avec expan- sion son enthousiasme pour la princesse quand

72 MORT DE M""'' LA DUCHESSE d'orLÉANS

tout à coup on apprit que Madame la duchesse d'Orléans était tombée malade. La visite du comte de Montalembert fui la dernière qu'elle reçut.

Madame la duchesse d'Orléans se mit au lit le 11 mai, et de fréquentes syncopes attestèrent bientôt l'épuisement de sa nature défaillante. Le 17, la princesse eut des étouffements qui je- tèrent une vive inquiétude autour d'elle. Le 18 au malin, quelques minutes après avoir dit d'une voix faible qu'elle voulait dormir, le docteur Guéneau de Mussy et la marquise de Beauvoir entrèrent dans sa chambre et n'y trouvèrent plus que le silence et l'immobilité de la mort.

On a pu dire avec raison que la mort de Madame la duchesse d'Orléans laissa ses enfants incon- solés, et (( le souvenir de cette vertueuse prin- cesse a toujours été, depuis, comme une lu- mière éclairant leur vie, et à la lueur de laquelle ils n'ont jamais cessé de se guider ».

Ce fut une grande épreuve pour ces jeunes princes, qui restaient orphelins. La reine sentit le surcroît des devoirs maternels qui lui incom- baient, et M. le comte de Paris, comme M. le duc de Chartres, retrouvèrent chez leur aïeule la ten- dresse et les soins d'une seconde mère.

Les obsèques de Madame la duchesse d'Orléans curent lieu à Weybridge, et beaucoup de Français vinrent en Angleterre rendre les derniers dcvoii's à celle princesse accomplie.

avoir dit d'une

toujours été, depuis, î^omiii lu-

lueur de laquelle

ou à V\

r

Lejeun. ,,, He!io|Duja

MADAME LA COMTESSE DE PARIS

P^rrip ?i r^Efiit.

CHAPITRE II

1858-1870

Voy.Tge en Orient de M. le comte de Paris. Il visite Jérusa- lem et la Syrie (1860). Publication en Angleterre du récit de son voyage. Campagne d'Amérique ( 1861-1862). M. le comte de Paris et le duc de Chartres à l'état-major du général Mac Clellan. Siège et prise de Yorktown (4 avril-4 mai). Bataille de ^Yilliamsburg (5 mai).

Bataille de Fair-Oaks (31 mai-le'' juin 1862). La retraite des sept jours vers le James River. Bataille de Malvern-Hill. Bataille de Gain's Mill (27 juin).

Rapports tendus entre le gouvernement américain et le gouvernement impérial français. Démission de M. le comte de Paris et de M. le duc de Chartres. Retour en Europe (juillet 1862). Une lettre de M. le prince de Join- ville sur les derniers combats des jeunes princes en Améri- que (fort Monroe, l""»" juillet 1862). L'opinion du général Mac Clellan sur les princes pendant la guerre d'Amérique. Travaux littéraires de INLle comte de Paris en exil : Damas et le Liban (1861), à Londres, ciiez JefFs ; Une Semaine de Noël dans le Lancashire [Revue des Deux Mondes, à Paris, numéro du 1'^'' février 1863, signé X. Raymond); L'Allemagne nou- velle [Revue des Deux Mondes du l^'' août 1867); L'Eglise d'Etat et l'Eglise libre d'Irlande (Revue des Deux Mondes du 15 mai 1868). M. le comte de Paris étudie à Manchester et dans plusieurs villes d'Angleterre les questions ouvrières. Son livre : Les Associations ouvrières en Angleterre (Trade's Unions, 1869). Publication, par M. le comte de Paris et M. le duc de Chartres, des Campagnes d'Afrique du duc d'Orléans. L'Esprit de con([uête en 1870 [Courrier de la Gironde des 25, 26, 27, 28 et 29 décembre 1870).

Mariage de I\L le comte de Paris avec la princesse Isabelle de

74 VOYAGE EN ALLEMAGNE

Montpensior (30 mai 1864). Fêtes ù cette occasion. Naissance de S. A. R. madame la princesse Amélie (28 sep- tembre 1865). Mort de la reine Marie-Amélie (24 mars 1866). Voyage de M. le comte de Paris en Espagne (1867).

Le prince se fixe à York-House. Naissance de S. A. R. le duc d'Orléans (6 février 1869). Lettre des princes d'Orléans au président de la Chambre des députés (19 juin 1870), La pétition des princes est repoussée. Lettre de M. le comte de Paris au comte de Kératry (4 juillet 1870).

Lettre de M. le comte de Paris (20 août 1870) au général comte Uumas. Les princes d'Orléans pendant la guerre. Lettre de M. le comte de Paris au général baron de Chabaud- Latour (17 janvier 1871).

L'éducation de M. le comte de Paris se continua, tantôt en Angleterre, tantôt à travers l'Allemagne qu'il parcourut toute entière et avec un rare esprit d'observation. 11 dsita aussi avec fruit tous les petits Etats de la Confédération germanique. Puis il retourna en Angleterre, pendant un an il étudia la chimie avec passion dans le laboratoire du professeur Hoffmann, à TEcole des Mines de Londres. En peu de temps, il devint un des élèves les plus distingués du savant professeur. Il était parvenu ainsi à l'âge de vingt ans, lorsqu'il eut la douleur de perdre sa mère, Madame la duchesse d'Orléans (18 mai 1858).

Il songea alors à suivre son frère à TEcole mili- taire de Turin; mais sa situation de chef de la Mai- son d'Orléans aurait pu embarrasser le roi Victor- Emmanuel (qui allait devenir le beau -père du prince Napoléon), arrêter peut-être même la cai'-

VOYAGE EN ORIENT 75

rièrc militaire de son frère. M. le comte de Paris renonça à cette idée; le sacrifice lui parut surtout pénible pendant la guerre d'Italie, lorsque le duc de Chartres eut la joie de combattre à côté de l'ar- mée française.

M. le comte de Paris demeura quelques mois en Italie, et l'année suivante entreprit avec son frère et quelques amis un voyage en Orient, visi- tant la Grèce, Constantinople, Jérusalem, le mont Sinaï. La caravane était composée des deux jeunes princes, du marquis de Beauvoir (père du marquis actuel), du comte Louis de Ségur, de M. Roger de Scitivaux, du capitaine Morliain et du docteur Leclère. Le 27 novembre 1859, on s'embarqua à Trieste pour Alexandrie, la plus grande et la plus généreuse hospitalité fut offerte par Saïd-Pacha aux petits-fils du roi Louis-Philippe, auquel la famille de Méhémet-Ali doit l'hérédité de son trône.

En traversant les eaux de la Grèce, tout impré- gné encore en quelque sorte de ses souvenirs clas- siques, M, le comte de Paris avait éprouvé une réelle émotion à la vue de ces ruines, de ces mon- tagnes et de ces plaines qu'avait chantées Homère. Il avait adressé alors à son vieux professeur, M. Régnier, la charmante lettre suivante qui montre bien son enthousiasme :

Golfo de Patras, le 30 novembre 1859.

Je ne puis, mon cher Monsieur Régnier, passer devant le royaume du vieil Ulysse sans vous en donner des nou-

76 LETTRE DE M""" LE COMTE DE PARIS

velles. Vous voyez que je vais au delà de mes promesses; mais nous avons si souvent paixouru avec le héros d'Ho- mère cet archipel qui s'étend aujourd'hui, réellement, devant moi, qu'il me semhle être pour moi un pays de con- naissance; et si je venais à rencontrer la déesse aux yeux bleus, elle ne pourrait pas, du moins, m'adresser le même reproche qu'à son protégé :

El ôri Tr.vSe yacav aveipsai.

Nous débouchons du canal de Céphalonie dans le golfe de Patras; à quelques centaines de mètres, à notre gauche, se dressent les pentes abruptes d'Ithaque; quelques arêtes irrégulières réunies par des isthmes forment cette île, à qui le surnom d'alyîêoxo; convient parfaitement; il serait impossible, je crois, d'y trouver un pouce de terre de niveau, et, comme dit Homère, aucune île ne se prête moins qu'elle à l'élève des chevaux. Partout des rochers gris, parsemés de taches rougeâtres ; çà et là, de rares oli- viers au pâle feuillage; nulle forêt, nulle verdure : tel est le rocher qu'a célébré le chantre divin.

Malgré son aspect désolé, nous l'avons salué avec plai- sir : que ne peuvent de grands souvenirs pour animer les plus tristes plages! Ici, peut-être, Ulysse endormi fut déposé par les Phéaciens ; là, peut-être, se dressait la demeure qu'il inonda du sang des prétendants. Et si rien ne rappelle à nos yeux ces souvenirs dont notre esprit est plein, du moins aucun contraste ne les blesse et n'entrave le cours de notre imagination. Si nous n'apercevons nulle part le berger Eumée, appuyé sur son long bâton, nous pouvons cependant parLoul nous atlciulrc à le rencontrer.

LETTRE DE M^''' LE COMTE DE PARIS 77

Aucune civilisation nouvelle n'est venue effacer les traces de ces mœurs primitives.

Aussi, n'est-ce pas un riant paysage que nous pouvons chercher ici. Le caractère de celui-ci et ses belles propor- tions s'adaptent parfaitement aux grandes scènes qu'il nous rappelle. La mer profonde et tranquille, découpée en mille canaux, enveloppe des îles, des rochers, des caps, dont les formes hardies et les couleurs brûlées contrastent avec son bleu d'azur. Malgré sa pureté et sa transparence, le ciel a cette teinte douce et harmonieuse qui inspira le génie des Grecs. La vaste nappe d'eau que l'on appelle le golfe de Patras est fermée, à droite, par les montagnes brumeuses de Céphalonie (àîei S'ojjLépoi; sy^zi) que prolonge au loin le profil indistinct de celles de Zante; à gauche, le continent grec, s'ouvre une large brèche, le golfe de Corinthe : c'est par qu'on va à Athènes! Au delà, nous apercevons les pics élevés du Péloponèse ; ils sont séparés de la mer par une plage large et basse : c'est l'Elide; nous y cher- chons le fleuve Alphée, nous y plaçons déjà les jeux Olym- piens.

^Lais le soleil va bientôt descendre dans les bras de Téthys, pour nous servir des expressions consacrées ; et avec lui nous dirons adieu aux côtes de Grèce. Que d'im- l)ressions durables cependant l'on peut recueillir en quel- ques heures! et les souvenirs qu'elle a réveillés ne s'éva- nouiront certainement pas aussi rapidement que cette bril- lante apparition.

Une autre fois, je vous parlerai de l'Egypte ; comme je mettrai cette lettre à la poste à Alexandrie, elle vous annon- cera que nous y sommes arrivés en bonne santé.

Tout à vous !

Louis-Philippe d'Ouléans.

78 JÉRUSALEM, D.IERASH, PALMYRE

Après un séjour de quatre mois en Egypte, les voyageurs se rendirent à Jérusalem pour y assister aux cérémonies de la semaine sainte; de ils allè- rent visiter les ruines de Djerash, de Palmyre, le très curieux couvent du mont Sinaï, le mont Horeb Moïse reçut la parole de Dieu pendant que les Israélites étaient campés au pied de la montagne, et, après avoir examiné les travaux du canal de Suez, ils revinrent par Gonstantinople, en Europe.

Un des voyageurs, M. Louis de Ségur, publia dans la Revue des Deux Mondes \ le récit de la partie du voyage consacrée aux ruines de Djerash, à Palmyre et au mont Sinaï. J'y renvoie le lecteur qui lira avec grand plaisir une narration fidèle et très intéressante de cette partie du voyage de M. le comte de Paris et de M. le duc de Chartres, mais on remarquera qu'en 1861 la liberté était telle en France, que la Revue des Deux Mondes osa'il timi- dement désigner les deux princes sans imprimer jamais ni le nom de M. le comte de Paris, ni celui de M. le duc de Chartres !...

M. de Ségur raconte ainsi leur visite aucouvcnl du mont Sinaï, construit du cinquième au sixième siècle par Justinien, qui y avait élevé une cita- delle, ce qui donna, par la suite, une certaine imporlancc à ce monastère :

1. U/ie Cara^'anc française en Syrie au pii/itr/)ii>s de 1860, par le coiiile Louis de Ségur. Revue des Deux Mondes des 1'' mai cl 1" octobre 18G1.

COUVENT DU MONT SINAÏ 79

« . . . . Ali sortir de la Ijibliolhèque, nous nous trouvâmes au milieu de Tentassement des bâtiments du monastère. On s'étonne d'y voir une mosquée; elle fut bâtie au temps de Sélim; ce subterfuge sauva le couvent de l'invasion musul- mane : à l'aspect du croissant les hordes s'arrê- tèrent. En souvenir de cet événement on ne le dé- truit pas. « Toujours, nous dirent les Pères, la pro- (( tection de Dieu s'est étendue sur le couvent « malgré les persécutions et le martyre de près « de sept mille cénobites; jamais les richesses ne « furent pillées, jamais l'église ni le sanctuaire « du buisson ardent, de Moïse , ne furent vio- « lés. ))

c( Aujourd'hui les religieux n'ont rien à craindre. Un revenu de 3 millions de piastres en Roumélie, de grandes terres en Egypte, les présents des sou- verains de religion grecque, les rendent riches et puissants, et toute la.péninsule leur appartient, au moins nominalement. Cette possession date de Mahomet. Le prophète n'avait pas encore soumis l'Arabie à sa croyance et à ses lois, lorsqu'il vint à la montagne de Moïse pour vénérer la mémoire de ce patriarche. Il y reçut des moines un accueil hospitalier, et leur témoigna sa reconnaissance. « Si vous devenez puissant, dirent-ils, que nous « donnerez-vous? » Mahomet noircit sa main, et frappa de son empreinte une peau de gazelle en s'écriant : « Je vous donne tout ce que vous de-

80 LÉGENDE DE MAHOMET AU SINAÏ

« manderez dans celte peau. » L'imposition de la main tenait lieu de signature. Les religieux tra- cèrent sur le blanc-seing ces mots : « la péninsule « du Sinaï. » Ce singulier titre de propriété est à Constantinople, et, exemple unique dans les cou- vents chrétiens, le souvenir du prophète est resté cher aux moines.

« 11 y a, au Sinaï, vingt-quatre pères et près de soixante-dix frères servants, sans compter un mil- lier de serfs musulmans, vivant à la manière des Arabes dans la montai>-ne. Ces serfs sont d'orio-ine chrétienne; ils descendent de familles valaques et égyptiennes envoyées par l'empereur Juslinien pour servir le monastère. »

M. de Ségur raconte ensuite que le moine qui les guidait leur montra la rocha que Moïse frappa de sa verge : « Voyez ces bouches béantes dans la pierre : par l'eau s'échappait. Elle ne coule plus, nos péchés en sont la cause...))

« Pour avoir quelques notions sur l'histoire de la péninsule du Sinaï, il faut comparer les travaux de l'antiquilé et ceux des savants modernes. L'é- clat de l'Exode relègue dans l'ombre les temps iintérieurs et postérieurs à cet épisode de la 13ible. 11 paraît cependant qu'avant la venue des Hébreux, le Sinaï était vénéré, et nommé la montagne de Dieu par les Amaléciles. On attribuait à ces som- bres rochers les honneurs de la présence divine;

AVANT-PROPOS DE « DAMAS ET LE LIBAN » 81

on n'osait les gravir, les nomades même, selon l'historien Josèphe, évitaient les pâturages des vallées qu'ils dominaient... »

M. le comte de Paris et M. le duc de Chartres, en parcourant la Syrie, avaient été singulièrement frappés des souvenirs et des sympathies que le nom de la France éveillait alors dans ces contrées. M. le comte de Paris consigna le résultat de ses observations dans un volume intitulé : Damas et le Liban, qui parut à Londres, chez JefTs, en 1861^.

Le hasard seul, dit l'auteur dans son avant-pro- pos (mai 1861), Pavait amené en Orient.

Ne pouvant apprendre autrement à connaître son pays, auquel il est tout dévoué, il allait chercher jusqu'au fond de l'Orient tout ce qui pouvait lui rappeler les antiques gloires de la France, lui faire apprécier son influence actuelle, et pressentir sur quelle base elle doit appuyer sa politique future. Grâce à son nom et aux souvenirs de sa famille, il a pu être reçu par les populations chrétiennes de manière à connaître toute l'étendue de la sympathie qu'elles portent à hi France et de la confiance qu'elles placent dans son appui.

En racontant son voyage, M. le comte de Paris s'exprime ainsi :

Le contraste avec la civilisation euro- péenne qui commence à envahir Damas rend encore plus frappant l'affaiblissement de la société musulmane.

1. Se trouve à Paris chez Sautoii, libraire.

a^ LES LAZARISTES EN SYRIE

Un singulier hasard a résumé pour nous ce contraste dans la personne de deux hommes qui représentent bien l'esprit de ces deux sociétés aujourd'hui en présence. Un matin, nous visitions la maison des Lazaristes, et le soir même nous recevions la visite du Grand Uléma.

Les Lazaristes ont fondé à Damas une véritable colonie, et le Père Leroy, qui en est l'âme, nous en fait les hon- neurs avec cette satisfixction simple et modeste que les hommes énergiques éprouvent lorsqu'ils ont accompli une œuvre difficile. Il a consacré sa vie entière, toutes ses fa- cultés, au succès des missions françaises d'Egypte et de Syrie, à la tête desquelles il se trouve aujourd'hui; et, dans un pays saus ressources, il a su faire tous les métiers, comme un vrai soldat français, suppléant lui seul aux né- cessités diverses de son entreprise. Il y a longtemps déjà, un pacha lui refusait la permission de bâtir une église ; loin de se décourager, il amassait aussitôt des planches dans sa maison, les faisait préparer secrètement, et, dans une nuit, dressait au milieu de sa cour la petite chapelle en bois qui sert encore à la communauté. Aujourd'hui, il en construit une plus grande et plus solide ; il est devenu ar- chitecte, maçon et tailleur de j)ierres, et déjà le cintre de sa nouvelle porte d'entrée excite l'admiration des Damas- quins, les plus mauvais constructeurs du monde. Persé- vérant dans les grandes choses comme dans les })etites, il a fini par réunir ici toutes les institutions de rOccident que l'on peut regarder comme les plus utiles à riiumaiiité, et dont l'Orient est aussi ignorant que <les ressources usuelles de la vie européenne, tandis que quelques prêtres de la mission de Damas tiennent une école de près de trois cents élèves, et loni- donnciil une éducation bien supéi'icure au

LES SŒURS DE SAINT-VINCENT DE PAUL F3

niveau général de l'instruction dans le pays, tandis qu'ils parcourent les villages catholiques pour y prêcher et y ré- pandre nos lumières, et qu'ils suppléent, en un mot, par- tout à l'ignorance du clergé indigène; les sœurs de Saint- Vincent de Paul se sont établies auprès d'eux pour établir une œuvre tout aussi grande, et partagent leur temps entre l'éducation des filles et le soin des malades. Est-il besoin de dire la popularité qu'elles se sont acquise en quelques années? Le dispensaire, elles assistent le médecin sani- taire français, ne peut plus suffire aux milliers de malades de toutes les classes qui viennent s'y faire soigner; et leurs écoles comptent près de deux cents élèves, dont la vive intelligence leur doit de ne pas rester inculte et qu'elles aiment à faire briller aux yeux de leurs compatriotes. Nous en avons eu la preuve dans le proverbe français qu'elles leur ont fait réciter devant nous; petite scène à laquelle leurs brillants costumes et leur accent encore un peu orien- tal donnaient un caractère tout particulier.

J'ai quitté le Père Leroy tout étonné d'avoir enlin ren- contré en Syrie quelque chose qui fût en progrès, admi- rant ce qu'une volonté tenace et intelligente peut faire avec les plus modiques ressources, et tout pénétré de la puissance de notre civilisation qui trouve de tels hommes pour se dévouer à sa cause. J'étais fier de voir le nom français si bien porté, et heureux d'avoir retrouvé au milieu des sociétés dégradées de l'Orient cette belle insti- tution des Sœurs de Charité, qui rappelle l'un des plus grands bienfaits que l'humanité doive au christianisme, la réhabilitation de la femme.

Mais un spectacle bien différent nous attendait à notre retour au camj). A peine y sommes-nous rentrés qu'on

84 VISITE DU GRAND ULEMA AUX PRINCES

nous annonce l'arrivée d'Abdallah El Ilalebi, le Grand Uléma.

Comment celui qui est chargé d'expliquer les paroles du Prophète à la population fanatique de la Ville Sainte venait-il rendre visite à des infidèles ? C'est ce que nous ne pouvions comprendre. Pour résoudre ce problème, nous couimençons par faire asseoir Abdallah sous notre tente. Véritable Oriental, il est à la fois salement et riche- ment habillé : tandis que ses pieds nus sont chaussés de mauvaises babouches, il porte plusieurs robes brodées des couleurs les plus vives. Je ne j)uis comparer son vaste turban, enveloppé d'une pièce de brocart d'or serrée sur les tempes, qu'à une citrouille dans laquelle il aurait en- foncé la tête jusqu'aux oreilles. Chaque fois qu'il prononce le nom d'Allah, par respect il enlève des deux mains tout cet attirail, et découvre un crâne rasé et pointu, digne de Ho-urer chez un plirénologue, et les jirières inintelligibles dont il coupe son discours lui donnant un air insj)iré aux yeux des dévots musulmans.

Une heure se passe, la conversation est tombée, mais le saint homme ne fait pas mine de s'en aller.

« Je vous ennuie bien, j'ai eu tort, nous dit-il, de venir, de temps à autre ; » à quoi nous répondons, avec la pompe et la véracité orientales, que nous sonniies enchantés de l)asser la journée avec lui. « Moi, pauvre serviteur de Dieu, rcprcnd-il, je ne sors jamais de chez moi, mais d'autres m'ont engagé à venir vous voir. Savcz-vous pour- (pioi l'on m'a dit de venir? » Ht nous, ne comprenant rien encore à ce manège, de protester que nous ne le sa- vons pas, mais que le plaisir de le voir nous sufht bien. « Mais (pie dlrai-je aux personnes qui m'ont conseillé de

MARONITES ET DRUSES 85

venir? Les fils de roi m'ont donné de la limonade, ils m'ont donné la pipe et le café. INIais que pourrai-je mon- trer comme preuve de leur bon vouloir? que rapporte- rai-je de ma visite? Je suis allé une fois chez un milord, et il m'a donné cette belle robe. Oh ! quel bon milord !.. » Nous y sommes donc enfin, et tout maintenant s'explique aisément : sachant notre désir de voir la grande mosquée, il avait trouvé plus prudent de venir recueillir d'avance le batclnch que cette visite devait lui valoir. Inutile de dire que nous le renvoyons satisfait

En arrivant à Tripoli, M. le comlc de Paris et le duc de Chartres avaient appris que la guerre et les massacres ensanglantaient toute la Syrie. Tandis que les princes voyageaient dans le désert de Pal- myre, n'entendant parler que de l'antique querelle des Bédouins de PEuphrate et de POronte, le feu de la guerre civile éclatait de toutes parts. Ils ga- gnèrent Beyrouth néanmoins, par terre, en tra- versant une partie des montagnes du Liban habi- tées par les Maronites. Le prince fait dans son livre une description des plus intéressantes de la vie des Maronites, de leurs mœurs, et montre le rôle que ce peuple, dont toutes les sympathies sont pour l'Européen, et surtout Français, pourrait jouer un jour. M. le comte de Paris retrace ensuite l'inqualifiable apathie et souvent la connivence des autorités turques avec les Druses lors du mas- sacre des chrétiens de Syrie. 11 termine en signa- lant la grande lâche de l'Europe, et principalement

86 RETOUR EN EUROPE

de la France, pour assurer à la Syrie la paix et la sécurité.

Nous ne saurions trop engager ceux de nos lec- teurs qui voudraient avoir un aperçu de la Syrie au moment des massacres de 1860, à lire ces pages écrites avec la verve et l'entrain d'un jeune prince de vingt-deux ans. On y trouve un esprit avide de tout voir, de tout connaître, et qui laisse percer volontiers sa joie lorsque la sympathie des populations de ces lointaines contrées se mani- feste envers la France.

De retour en Europe, c'est à Vienne que les princes quittèrent presque tous les amis qui les avaient accompagnés dans ce long et intéressant voyage de dix mois, qui n'avait pas été sans émo- tions, car aux ruines de Palmyre les soins assidus et dévoués du docteur Leclère avaient préservé la vie de M. le comte de Paris, un moment en dan- ger, presque sans secours et sans médicaments au milieu du désert... « Pour les princes, hélas! dit M. de Ségur, aux jours de voyage allaient succé- der les jours d'exil !... » pour leurs amis en France, de nouvelles persécutions.

Après leur voyagé en Orient, les jeunes princes s'étaient donc rendus en Amérique avec leur oncle le prince de Joinville. Le 30 août 1861, ils s'étaient embarqués pour New-York. Les Etats- Unis étaient alors dans tout le l'eu de la guerre de sécession.

DÉPART POUR l'aMÈRIQUE 87

Une lutte terriJDle avait éclaté en Amérique, après l'élection d'Abraham Lincoln à la présidence des États-Unis (9 novembre 1860). Un certain nombre d'États des provinces du Sud demandèrent à se retirer de la Confédération. La majorité étant assurée à ceux qui voulaient l'abolition de l'escla- vage, et sur le refus du président et de la législa- ture réunie à Washington, de les laisser accom- plir leur séparation, ils attaquèrent le fort Summer. Lincoln répondit à cette déclarai ion de guerre par un premier appel de 75,000 hommes de milices, par le blocus des ports de la Caroline du Nord et de la Virginie (27 avril 1861), enfin le 4 mai par un nouvel appel de 42,000 volontaires, 22,000 régu- liers et 18,000 marins. Toutefois on ne tarda pas à reconnaître que ces forces seraient bien insuffi- santes pour venir à bout des rebelles, et, par un message du 5 juillet 1861, le président Lincoln demanda au Congrès de Washington, réuni dans une session extraordinaire, qu'on résistât énergi- quement aux prétentions des États du Sud, et qu'on mit sur pied une armée de400, 000 hommes. Le 10 du même mois, le Congrès vota la mise sur pied d'une armée de 500,000 hommes, ainsi qu'un emprunt de 500 millions de dollars, pour soutenir la lutte contre les Élals séparatistes.

Le commandement des troupes unionistes au- tour de la capitale fédérée fut confié au général Mac Clellan, dont l'armée prit le nom d'armée du

88 LES JEUNES PRINCES AUX ETATS-UNIS

Potomac. La guerre commença pour les fédéraux par une suite de revers, et, le 16 août, le prési- dent Lincoln publiait une proclamation par la- quelle il déclarait les habitants de la Géorgie, de la Caroline du Sud, de la Virginie, à l'exception de la partie située à l'ouest des Aléghanys, de la Caroline du Nord, du Tennessee, de l'Alabama, de la Louisiane, du Texas, de l'Arkansas, du Mis- sissipi et de la Floride, en état d'insurrection contre les Etats-Unis ; il interdisait toute relation de commerce avec eux, et ordonnait la confisca- tion de toutes les marchandises et effets qui passe- raient de l'un de ces Etats dans les autres parties de l'Union. C'est à ce moment critique que les deux jeunes princes d'Orléans mirent leur épée au ser- vice des États-Unis.

En venant en Amérique, M. le comte de Paris et le duc de Chartres ne comptaient y rester que quel- ques mois; mais ces jeunes princes, remplis d'ar- deur et de courage, brûlaient du désir de prendre part à cette guerre. Pour M. le comte de Paris sur- tout, l'occasion était séduisante. Il reo^rettait vive- ment de n'avoir pu, comme son frère, faire la cam- pagne d'Italie. Il trouvait en Amérique une occasion d'apprendre le métier des armes, en même temps c'était une grande joie pour les deux frères (|ue de servir ensemble dans l'armée fédérale.

« Leur démarche, a dit un biographe, élaitinspi- rée surtout par le désir de ne pas laisser échapper

M'"" LE COMTE DE PARIS AIDE DE CAMP DE MAC CLELLAN 89

une occasion d'aller au feu ; mais comme elle était en même temps une marque de sympathie pour la grande République américaine, elle ne pouvait être que bien accueillie par le président Lincoln et par le secrétaire d'Etat, M. Seward. L'entrée des deux princes dans l'armée améri- caine fut rendue facile par M. Seward, qui eut soin de leur dire qu'aucun serment ne leur serait de- mandé, et qu'ils seraient toujours -libres de re- tourner en Europe quand ils le voudraient. Ceci élait fort important : les complications de la politique pouvaient amener telle situation dans laquelle les intérêts de la République américaine seraient ou paraîtraient en opposition avec ceux de la France. Dans cette éventualité les deux princes n'auraient pu rester sous le drapeau fédéral. »

Le 28 septembre 1861, ils entrèrent l'un et l'autre dans les troupes fédérales comme capitaines d'état-major, et aides de camp du général Mac Glellan, commandant en chef Tarmée du Potomac. Lorsque le l"'" novembre ce général remplaça le général Scott dans le commandement en chef de l'armée des Etats-Unis, ils restèrent auprès de lui pendant qu'il s'occupait de l'organisation de ses forces et exerçait ses troupes par de fréquen- tes manœuvres. M. le comte de Paris et le duc de Chartres étudièrent le grand art de la guerre sous ce général qui avait la réputation d'être un des militaires les plus instruits de l'Amérique.

00 SIÈGE ET PRISE DE YORKTOAVN

Les premières opérations militaires du nouveau généralissime ne commencèrent qu'en avril 1862, par le débarquement de l'armée du Potomac au fort de Monroë, dans la péninsule de la Virginie, en vue de l'attaque de Richmond, la capitale ennemie ; Yorktown, jadis célèbre par la capitu- lation de Gornwallis, fut la première place attaquée, et l'ouverture de la tranchée y eut lieu le 4 avril. Les communications de la place avec l'intérieur étaient assurées par des retran- chements établis sur la péninsule qui la sépa- rait de la terre ferme, et qu'on ne put empor- ter pour asseoir l'investissement complet. Il fallut se borner à l'attaque régulière de l'un des fronts, et le siège auquel M. le comte de Paris prit une part active dura un mois'. Le 4 mai, la garnison éva- cuait la place et rejoignait l'armée confédérée, qui, dès le 6, était attaquée, battue près de Williiuns- burg après un combat acharné , et poursuivie vigoureusement par la cavalerie du général Sto- neman, auprès duquel le prince avait été détaché. Le général Mac Glellan entrait le même jour en vainqueur dans Williamsburg et arrivait quinze jours après devant Richmond.

AL le comte de Paris et le duc de Chartres avaient pris part le 31 nuii et le l""" juin à la sanglante bataille de Fair-Oaks et aux principales opé-

1. Voir Appendice IV : LeLLie de Mb'"- le comte de l'aris siir le rôle de l'arLillerie au siège de Yorklowii (18G2).

BATAILLES DE FAIR-OAKS ET DE GAIn"'s MILL 91

râlions qui marquèrent pendant ce dernier mois la campagne de Mac Clellan contre Rich- mond, particulièrement à la grande bataille de Gain's Mill le 27 juin, l'aile droite de Mac Clellan fut écrasée par le général Lee, après avoir soutenu une lutte obstinée et éprouvé des pertes considérables.

A cette bataille, le régiment au milieu duquel se trouvait M. le comte de Paris était décimé par la mitraille, qui pleuvait de tous côtés. Les sol- dats du Nord pliaient et commençaient une retraite qui, quelques minutes plus tard, allait se trans- former en déroute. Avec un calme et un sang-froid digne de sa race, M. le comte de Paris rallie ses hommes, leur parle, relève leur courage, et fina- lement les ramène au feu : cette fermeté, cette mâle assurance devant le danger, avait causé la plus vive impression à l'état-major du général Mac Clellan, qui suivait avec anxiété les péripé- ties de la lutte.

Un peu plus tard, dans des combats épisodi- ques dont on ne parla même pas dans les jour- naux, M. le comte de Paris et le duc de Chartres durent se jeter le sabre à la main dans la mêlée, et les régiments au milieu desquels ils étaient purent, par des charges heureuses, maintenir leurs positions.

Les travaux d'investissement de Richmond n'étaient pas terminés vers la droite, lorsque le

92 RETRAITE DES SEPT JOURS

15 juin les confédérés, ayant concentré toutes leurs forces sous les ordres du général Lee, entrepri- rent une attaque tournante qui avait pour but de cerner les troupes fédérales. Afin d'éviter ce danger, le général Mac Clellan résolut de battre en retraite vers le James River. Cette retraite ne pouvait être effectuée que par une longue marche de flanc en face d'un ennemi que les avantages de sa position rendaient plus fort. C'est ce qu'on appelle dans l'histoire de la guerre de sécession les sept journées de Richmond, parce que cette magnifique et habile retraite, commencée le 25 juin, ne se termina que le P'" juillet par la bataille de Malvern-Hill , après laquelle les Unionistes, commandés par Mac Clellan, prirent position à Harrison's Landing, sur le James River.

Pendant toute cette campagne et surtout pendant la retraite de Chickahominy jusqu'au James River, les deux jeunes princes d'Orléans se firent remar- quer par leur courage et par leur intelligence des choses de la guerre. C'est ce que constate une correspondance adressée de New- York au Times^ et répétée par V Indépendance belge'-.

(( Traversant au galop le pont d'Albemarle jeté sur le Chickahominy, dit le correspondant du journal anglais, je gagnai le sommet des collines

1. Numéro du 22 juillet 1862.

2. Numéro du 24 juillet 1862.

M'"" LE COMTE DE PARIS AU COMBAT 93

qui lui font face. Au-dessous de moi, et au fond de la vallée, j'aperçus la ligne de bataille, forte de 35,000 hommes, et qui s'étendait sur un mille et demi de longueur. 11 me fut facile de me rendre compte de tous les mouvements du corps d'armée, et de distinguer aussi ceux des officiers qui m'étaient particulièrement connus, entre autres le jeune comte de Paris, et son frère le duc de Chartres. Un chapeau de forme particulière, semblable à celui que portait jadis un de ses ancêtres, Henri JV, faisait reconnaître le comte de Paris. Pendant toute la durée de l'action, ces jeunes princes firent preuve d'un courage admirable qui ne se dé- mentit pas dans les eflorts surhumains faits ensuite par eux pour conjurer le désordre de la retraite. Le comte de Paris était attaché à l'état-major du général Porter. Pendant plus de quatre heures, il demeura exposé au feule plus meurtrier, et c'est un vrai miracle qu'il n'ait pas été atteint. Le duc de Chartres avait marché aux premières lignes avec une division que Mac Clellan avait envoyée pourrenfort dans l'après-midi, et prit la plus grande part à l'action.

« La fermeté que déployèrent ces jeunes prin- ces au moment le plus critique de la bataille, lorsque la retraite commença à devenir presque une déroute, excita l'admiration de l'armée entière et leur valut de la part du général en chef des félicitations publiques. Il est heureux que leur

94 RETOUR EN EUROPE

retour en Europe, rendu nécessaire par des rai- sons toutes particulières, n'eût pas eu lieu avant cette bataille, car, à 1 heure d'un très grand dan- ger, ils ont pu rendre d'immenses services à la cause qu'ils avaient embrassée. »

Les raisons particulières dont parle ici le cor- respondant du Times étaient d'un grand poids aux yeux des deux jeunes princes d'Orléans. Depuis le mois d'avril 1862, les rapports étaient très tendus entre le gouvernement de Washington et le gouvernement français qui entreprenait cette fatale expédition du Mexique, le sang et l'argent de la France devaient être si inutilement gaspillés. L'expédition du Mexique était considérée de très mauvais œil par le gouvernement américain, et une rupture semblait imminente entre la France et les Etats-Unis. La situation des princes dans l'armée fédérale eût semblé trop équivoque, et leur sen- timent national eût été vivement froissé.

M. le comte de Paris, qui déclare que de toute sa vie d'exil le temps le plus heureux qu'il ait connu est celui qu'il passa comme capitaine d'état-major dans l'armée du général Mac Clellan, se vit donc forcé, ainsi que son frère, le duc de Chartres, de quitter leservicedcs Etals-Unis ("ijuillct 1862). Leur démission fut acceptée à regret par le général en chef, ainsi que parle président Lincoln; et ils s'em- barquèrent pour IKuropc en laissant parmi leurs compagnons d'armes une réputation de capacité

LETTRE DE M. LE PRINCE DE JOINVILLE 95

et d'intrépidité militaires dont les historiens de cette guerre se sont tous fait Técho.

A la suite de ces échecs des Américains du Nord, personne en France ne doutait alors du succès final pour les Américains du Sud. M. le comte de Paris avait une opinion toute contraire. Avec la pénétration de son grand esprit politique, il croyait tout à fait au triomphe définitif des armées de l'Union sur celles de la Sécession. Nous avons sous les yeux plusieurs lettres du prince à cette époque, dont pas une ne varie à ce sujet, et qui montrent bien avec quelle sûreté de coup d'œil il avait jugé la situation aux Etats- Unis.

Nous sommes certain qu'on lira avec intérêt la lettre suivante de M. le prince de Joinville à son frère le duc d'Aumale, sur les derniers com- bats auxquels avaient pris part leurs neveux M. le comte de Paris et le duc de Chartres, qu'il avait accompagnés pendant toute la guerre d'Amérique.

Voici comment s'exprimait le prince de Join- ville :

Fort Monroë, 1er juillet 1802.

La journée d'hier restera fortement gravée dans mes souvenirs : d'abord à cause des scènes émouvantes dont j'ai été témoin, et ensuite à cause du danger auquel nos deux neveux ont échappé par miracle. Pendant quatre heures, Paris, et pendant deux heures, Piobert, ont été

96 LETTRE DE M. LE PRINCE DE JOINVILLE

sans discontinuer sous le feu de mousqueterie et d'artille- rie le plus violent. Leur conduite y a été, comme de raison, excellente. Ils ont été des plus actifs et des plus utiles, et enfin, au moment de la crise, ils ont montré une fermeté ([ui a fait l'admiration de tous, et leur a valu des remercie- ments publics. Mais venons au récit.

Nous savions donc les forces de Porter situées sur la rive gauche du Ghickahominy, attaquée depuis le matin. L'action s'est engagée vers une heure. Paris a été envoyé de suite, et est resté aux ordres du général Porter. L'af- faire devenant de plus en plus chaude, les ballons faisant rapport que de grands renforts étaient envoyés de Rich- mond, et tout étant comparativement tranquille sur la rive droite, le général a donné l'ordre à cinq brigades d'aller rejoindre Porter. Robert a été envoyé en ce moment, et nos deux neveux se trouvant tous les deux dans le pétrin, je m'y suis envoyé moi-même, pour tâcher de voir ce qui adviendrait d'eux. J'ai passé au galop le pont de Ghicka- hominy, et montant sur les collines en face, j'ai trouvé nos troupes dans un pays ondulé, composé de grands champs et de bois, sur une ligne de bataille d'un mille et demi.

De j'ai traversé une batterie il faisait assez chaud, et j'ai rejoint mes neveux qui étaient à la première ligne avec le général Porter. Lui et eux ne s'apercevaient pas que les balles pleuvaient comme grêle autour d'eux. Après un moment de conversation, des ordres à donner ont envoyé les neveux dans toutes les directions; nous nous sommes séparés, et je suis allé sur une colline en arrière, d'où j'ai eu une vue assez généi-ale du champ de bataille, et d'où je jjouvais suivre les mouvements des neveux, de Paris surtout, visible par uu chapeau caractéristique.

LETTRE DE M. LE PRINCE DE JOINVILLE 07

J'étais là, admirant la grandeur du spectacle; nous avions environ 35,000 hommes engagés, une nombreuse artillerie dans la vallée, notre cavalerie en réserve, des lanciers aux fanions flottants ; tout cela au milieu d'un pays très pittoresque, aux derniers rayons d'un soleil couchant, couleur de sang, lorsque précisément à l'endroit se trouvait Porter la fusillade prend une intensité inusitée; on excite par des hourras nos réserves, et on les fait entrer les unes après les autres dans les bois. La fusillade devient de ])lus en plus violente, et s'étend sur notre gauche. Plus de doute, l'ennemi tente de ce côté un dernier effort. Nos réserves sont engagées, nous n'avons plus personne sous la main. Le jour s'en va rapidement : si nous tenons encore une heure, nous avons bataille gagnée^ car partout ail- leurs nous avons repoussé l'ennemi, et les efforts de Jack- son, Lee, Witt et Longstreet, dont nous avons les troupes devant nous, seront inutiles ; mais les nôtres sont fatiguées, elles se battent depuis le matin; elles n'ont presque plus de cartouches.

L'ennemi amène des réserves que depuis midi il a amas- sées. Ces troupes fraîches se jettent en bon ordre sur notre gauche qui s'ébranle, prend la fuite, et passant à travers notre artillerie, entraîne dans son désordre des troupes de notre centre. L'ennemi s'avance rapidement. Les états-majors, nos deux neveux en tête, mettent le sabre à la main, et se jettent dans la mêlée pour arrêter les fuyards. On prend les drapeaux qu'on plante en terre, et autour desquels les plus braves se rallient par petits grou- pes. La fusillade et la canonnade sont telles, que la grêle des projectiles qui frappe le sol y soulève une poussière permanente. A ce moment, le général Gook fait une charge

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98 LETTRE DE M. LE PRINCE DE JOINVJLI.E

de cavalerie, mais elle ne réussit })as, et ses cavaliers, à leur retour, ne font qu'augmenter le désordre. Je fais de vaius efforts avec tous ceux qui se sentaient un j)eu de cœur pour arrêter la panique.

J'ai rejoint quelques officiers qui s'efforçaient de retenir l'artillerie, et nous sommes parvenus à l'arrêter en lui bar- rant absolument le passage et en saisissant les chevaux par la bride. Deux ou trois pièces sont mises en batterie sur le versant d'une colline. Avec elles, aux dernières lueurs du jour, nous avons travaillé l'ennemi. A ce moment est arri- vée la brigade irlandaise de Magher, qui a poussé quel- ques cris sauvages en se mettant en bataille, et l'ennemi s'est arrêté. A ce moment aussi j'ai été rejoint par mes neveux, qui, chacun de leur côté, et agissant sous leur seule inspiration, en gens de cœur et d'intelligence, avaient fait ce qu'ils avaient pu })0ur arrêter le désastre, Dieu soit loué! sans accident. No*is nous sommes secoué les mains cordialement. Chacun a eu ses aventures. Robert, envoyé pour porter un ordre et revenant, a échappé à un régiment ennemi, croyant que c'était un des nôtres. Il n'a été détrompé que par la décharge du régiment sur lui.

Paris a dirigé jusqu'au dernier moment le feu d'une batterie d'artillerie. Nos pertes sont très considérables. La brigade Sykes a perdu la moitié de son elfectif, mais l'ennemi dut être abîmé de midi à six heures ; tous ses elfoi'ts ont échoué, et en lin de comj)te, si une panicjue dé- plorable nous a (ait perdre un demi-mille de terrain avec les canons et les blessés que nous avons laissés depuis, c'est le seul avantage qu'il ait obtenu. Deux régiments, une brigade fraîche arrivant à proj)os, eussent tout changé en brillant succès, mais c'est la chance de la guerre !

LETTRE DE M. LK PRINCE DE JOINVILLE 99

Je ne me réjouis que d'une chose, c'est que nous ayons retardé un départ obligé pour ne pas abandonner l'armée dans sa situation critique, et que les neveux s'y soient conduits comme ils l'ont fait.

Après la bataille du 27 juin, la concentration des forces des confédérés était devenue évidente. Il fallait se décider à faire retraite. On se décida à passer le White-Oak-Swam, derrière lequel on ferait une halte pendant que les bagages fileraient sur James-River, on établirait une nouvelle base d'opération sous la protection des canonnières.

Cinq ou six mille voitures furent engagées sur une seule route, entre le York-River et le James-River. Le 30 au matin, tout était au delà du White-Oak-Swam. Nous avons quitté New-Savage-Station, le 29 au matin, par un brouil- lard épais, suivi cette route encombrée, avec une masse énorme de blessés. Nous avons passé leWhite-Oak-Swamp, espèce de marécage boisé. Mais quand nous arrivons, la tête de la colonne seule a passé, et nous entendons de la mousqueterie en avant ; nous y courons et je rencontre K... qui me dit que nous avons repoussé la cavalerie ennemie qui voulait gêner notre marche.

Bientôt nous entendons une vive canonnade à l'arrière- garde. C'est l'ennemi qui attaque Sumraer, qui n'avait pas quitté ses positions ; à la nuit nous campons, et au jîoint du jour, j'apprends que tous nos wagons et toutes nos troupes ont passé le White-Oak-Swamp. Le lendemain, on se dirige par une chaleur accablante vers le James- River. Le général en chef confère avec le commandant des canonnières, qui repart au galop avec les neveux. On en- tend bientôt le canon de l'ennemi qui attaque Smith (c'est lui qui tient le White-Oak-Swamp). Une autre attaque se

100 LETTRE DE M. LE PRINCE DE .TOINVILLE

fait sur le centre de notre ligne. Ces attaques mettent les convois dans une sorte de déroute. Le général retourne avec nous aux canonnières pour conférer avec le capitaine Rodgers.

Nous nous embarcpuuues sur le Galena. Pendant que nous y sommes, on fait rapport qu'une grande masse d'en- nemis se dirige vers la position qu'occupe Porter. Par suite nous remontons la rivière pour apporter le poids de nos boulets de 100 dans la balance. Nous ouvrons un feu violent.

Le lieutenant est au haut du mât, avec un officier du Signal-Corps, qui télégraphie avec les hommes, aux si- gnaux de Porter, placés en haut d'une maison pour diriger notre feu. Je grimpe aussi là-haut, malgré mes grandes bottes et mes éperons. Dans le feu de l'affaire, on oublie de gouverner, et le Galena s'échoue, chose désagréable, car dès que le cas se présente, l'ennemi remplit le voisi- nage de tireurs. Nous nous décrochons enfin, et le feu de Porter diminue. On en conclut que l'ennemi est repoussé, et il y a fraternisation de jaquettes bleues, à laquelle je prends part.

Le général retourne à son quartier général, nous nous séparons de lui, et nous nous rendons au fort Monroé, sur une canonnière, IcJacob-Brll, qui allait porter des dépêches.

Fr. d'Orléans.

Tous les journaux d'Europe raconlèrcnt la bril- lante conduite des princes d'Orléans, pendant cette campagne d'Amérique. Mais le gouverne- ment impérial arrêta impiloyablcment à la fion-

PERSÉCUTIONS EN FRANCE 101

lière ceux qui faisaient la moindre allusion aux exilés. Une feuille anglaise ayant critiqué le départ d'Amérique des princes, l'article fut répété avec empressement à Paris par les feuilles bona- partistes. V Indépendance belge avait publié la très intéressante lettre du prince de Joinville à son frère le duc d'Aumale, que nous venons de citer. Non seulement le journal fut arrêté à la frontière, mais le gouvernement impérial fit pour- suivre et condamner à 200 francs d'amende M. Viallet, l'imprimeur, pour avoir livré, sans autorisation et dépôt préalable au ministère de l'intérieur, cent exemplaires de cette lettre du prince de Joinville, que M. Bocher, mandataire des princes d'Orléans, comptait donner aux amis de la famille royale.

Mais il ne s'en tint pas là. Après avoir tout d'abord interdit la parole aux exilés et à leurs défenseurs, il fit insinuer par certains journaux à sa solde, que les princes d'Orléans avaient « dé- serté la cause des Etats-Unis, le jour elle avait cessé d'être victorieuse ». Ces journaux, et ceux qui les inspiraient auraient avoir la bonne foi de dire la vérité, surtout en parlant d'exilés aux- quels le silence était imposé, car quel est le jour- nal, à Paris, qui aurait osé insérer une lettre d'un prince d'Orléans ?

Les princes d'Orléans avaient fait leurs adieux au général Mac Clellan, et devaient partir le

102 LA PRESSE AMÉRICAINE ET LES PRINCES

24 juin; leurs préparatifs étaient terminés lorsqu'ayant appris qu'une rencontre était im- minente, ils restèrent, et prirent part à toutes les opérations de l'armée fédérale jusqu'à la fin de la lutte, d'une façon si distinguée qu'ils furent pu- bliquement félicités par leurs chefs. Toute la presse américaine, entre autres le New-York Tri- bune^ un des organes les plus importants des Etats-Unis, en retraçant les derniers combats aux- quels prirent part M. le comte de Paris et M. le duc de Chartres, fit le plus grand éloge des prin- ces, de leur hardiesse et des importants services qu'ils avaient rendus en ralliant et reformant les bataillons fédéraux qui pliaient, accablés par le nombre toujours croissant de leurs adversaires.

Ce silence rigoureux imposé à la presse fran- çaise sur le nom des princes d'Orléans montre à quel point le gouvernement bonapartiste redou- tait le souvenir de ces noms si populaires.

Nous trouvons dans le troisième volume d'un ouvrage dont le succès a été considérable -.Voyage autour du Monde, du comte de Beauvoir : Pé- kin, Yeddo, San Francisco , la preuve des bons souvenirs des compagnons d'armes des jeunes princes.

M. de Beauvoir s'exprime ainsi :

18 juin 18f.7.

Le général Mac Dowell, qui a le coiiiinandonicnt de toute la côte du Paeilique, est venu voir !p duc de Penthièvre;

LE GÉNÉRAL MAC DOWELL ET LES PRINCES 103

c'est un ancien compagnon d'armes du comte de Paris et du duc de Chartres; et nous étions tous émus en l'enten- dant parler de ses souvenirs de batailles et de son dévoue- ment pour les princes. « Ah ! votre père et vos cousins, disait-il, sont si sincèrement aimés par tous les Américains, que nous voulons venir vous dire toute notre reconnais- sance et notre attachement pour votre famille. L'Améri- cain n'a pas les formes du langage, mais il a le cœur haut placé, et il n'en est pas un qui ne veuille se souvenir de ce que les vôtres ont fait pour nous. Quand on nous mépri- sait en Europe, quand on disait que nous allions « to the devil » (au diable), quand toutes les nations nous cri- blaient d'injures, nous, les démocrates, des princes de race royale sont venus franchement donner leur sang pour notre cause, combattre en simples capitaines dans nos rangs, pour la liberté. Dites-leur bien que nous leur en serons éternellement reconnaissants, car nous les avons vus pendant onze mois les premiers au feu, les plus infati- gables, les plus avides des corvées du service militaire, et es meilleurs camarades comme les plus braves* »

Il sera certainement intéressant pour le lecteur de connaître aussi l'appréciation du commandant en chef de l'armée américaine, le général Mac Clellan, sur les jeunes princes d'Orléans pendant cette guerre.

1. Voir, pour les détails de la campagne d'Amérique des princes, le très curieux et intéressant article publié dans la Revue des Deux Mondes du 15 octobre 1862, Campagne du Potoniac, par M. le prince de Joinville (signé Trognon, dans la

Revue).

104 LE GÉNÉRAL MAC CLELLAN ET LES PRINCES

Une revue américaine, le Centiiry Magazine, publia au commencement de 1884 un long arlicle du général Mac Clcllan.

Le général Mac Clellan était, on le sait, un des plus distingués parmi les généraux que la grande guerre de la sécession a mis en lumière. Nous re- grettons de ne pouvoir reproduire dans son entier le jugement de ce militaire éminent sur des princes qui sont eux-mêmes des soldats aussi vail- lants que capables. Nous nous bornerons à déta- cher des pages du général Mac Clellan le por- trait de M. le comte de Paris, tout en laissant dans Tombre les parties de la vie du prince déjà con- nues du public français. Après un récit des évé- nements qui avaient conduit les princes d'Orléans en Angleterre, le général Mac Clellan apprécie de la manière suivante l'éducation qui fut donnée à Claremont à M. le comte de Paris :

« C'était un des plus agréables tableaux de la vie de famille quon puisse imaginer que l'exis- tence qu'on menait à Claremont pendant les der- nières années de la vie de la reine Amélie. Ses enfants se réunissaient autour d'elle, et, si pas- sionnés qu'ils fussent pour les voyages, ils reve- naient toujours auprès d'elle. Eloignés de la patrie, qu'ils aimaient tant, ils semblaient trouver une compensation dans les tendres soins et l'af- fection qu'ils prodiguaient à cette femme distin- guée, qui, tout en gardant sa dignité de reine, ne

LE GÉNÉRAL MAC CLELLAN ET LES PBINCES 105

laissait jamais oublier à ceux qui l'entouraient qu'elle était en même temps une femme affec- tueuse et des plus dignes d'affection. Sous la direction de leur mère et de leurs oncles, assistés des professeurs les plus capables, les deux en- fants de la duchesse d'Orléans passèrent leur enfance et reçurent une éducation dans laquelle on ne perdait jamais de vue la position que leur famille avait occupée et la possibilité de leur retour en France avec les responsabilités du pou- voir. Leur corps et leur intelligence furent égale- ment l'objet d'une éducation des plus fortes.

« Les différences de caractère entre les deux frères se manifestèrent de bonne heure : l'aîné, calme, réfléchi et maître de lui-même; le plus jeune, impétueux et plein de feu; l'un montrant peu à peu les qualités d'un homme politique et d'un chef d'Etat; l'autre, celles d'un soldat : tous deux pleins de capacités, chacun dans son sens.

« Ceux qui les ont vus sur le champ de bataille ont remarqué ces différences de caractère. Un de leurs camarades pendant notre guerre représente le comte de Paris comme « un gentleman, au sens « du mot tel que nous l'entendons, imbu du vrai « sentiment du devoir, pour qui la devise : No- te blesse oblige, était une chose sérieuse et non « un vain mot. »

« A la bataille de Gaine's Mill, je l'ai vu au feu, il s'est conduit en homme parfaitement maître

106 LE GÉNÉRAL MAC CLELLAN ET LES PRINCES

de lui-même, et a montré un courage si plein de simplicité que je me rappelle avoir été fortement impressionné par son altitude. C'était celle d'un homme sérieux, vaillant et religieux, dans un mo- ment d'épreuve. Le jeune duc de Chartres était alors un sabreur impétueux, cherchant le danger pour l'amour du danger, et jamais aussi heureux que lorsqu'il était au feu.

« Au mois d'août 1861, les deux frères, accom- pagnés du prince de Joinville, partirent pour New^-York. Ils arrivèrent à Washington vers la fin de septembre, et les jeunes princes reçurent aus- sitôt du président l'autorisation d'entrer dans l'ar- mée comme aides de camp, avec dispense de prê- ter le serment de fidélité, et sans toucher de solde ; il était entendu, en outre, qu'il leur serait permis de quitter le service si des événements de famille ou des événements politiques leur en fai- saient une nécessité. Ils figuraient sur les regis- tres de l'armée sous les noms de Louis-Philippe d'Orléans et Robert d'Orléans, aides de camp supplémentaires dans l'armée régulière, avec le rang de capitaine, et étaient attachés à l'état-ma- jor du major général, commandant l'armée du Potomac. Le prince de Joinville n'accepta aucun rang et se borna à accompagner le quartier géné- ral, sur Tinvitation du général commandant en chef, en amateur et comme ami.

« La position de ces jeunes gens ne laissait pas

LE GÉNÉRAL MAC CLELLAN ET LES PRINCES 107

que d'être enlourée de difficultés. Dans leur situa tion de princes susceptibles d'être à chaque ins- tant appelés à prendre leur rang dans le gouver- nement d'une grande nation, et servant néan- moins dans l'armée d'une république dont la cause n'était pas vue d'un œil très amical par le gouvernement qui dirigeait alors leur propre pays, ils avaient beaucoup de contradictions à concilier, beaucoup d'obstacles à surmonter. Atta- chés par des liens de famille à tant de familles royales d'Europe, toujours accueillis par elles comme des personnages de rang royal, l'aîné considéré en France par beaucoup de personnes comme le légitime héritier du trône, ils ne pou- vaient jamais perdre de vue la dignité de leur posi- tion, tandis qu'il leur fallait en môme temps rem- plir leurs fonctions dans un rang subordonné et gagner la confiance et l'amitié de leurs nouveaux camarades, qui devaient forcément les juger d'après leurs qualités et leurs capacités person- nelles, et non d'après la position sociale qu'ils occupaient de l'autre côté de l'Atlantique. Ils s'ac- quittèrent de cette tâche avec un succès complet; car ils gagnèrent entièrement la confiance, le res- pect et la considération de leur général et de leurs camarades. Du jour ils entrèrent au service, ils eurent à remplir exactement les mêmes devoirs que leurs camarades dans l'état-major personnel de leur général.

108 LE GÉNÉRAL MAC CLELLAN ET LES PRINCES

« Soit dans le service monotone des bureaux ou dans l'analyse intelligente des rapports relatifs au nombre et à la position des ennemis, ou bien dans les travaux d'organisation de l'armée de Po- tomac; soit qu'il fallût suivre leur général dans de longues et pénibles courses à travers les camps très étendus qui entouraient Washington ou d'une colonne à l'autre , en campagne ; qu'ils eussent à porter des ordres jour et nuit, sous l'orage et la pluie, ou à remplir leurs fonctions dans de grandes batailles, ils ne le cédaient à per- sonne pour l'entrain, le tact, le courage et l'intel- ligence qu'ils apportaient dans l'accomplissement de leur tâche. Loin de témoigner aucun désir d'éviter les services ennuyeux, fatigants ou dan- gereux, ils les recherchaient toujours; ils n'é- taient jamais aussi heureux que lorsqu'un service de ce genre leur était confié, et ne manquaient jamais d'y déployer les grandes qualités d'une race de soldats.

« Leur conduite était caractérisée par un amour inné de la vie de soldat, par un désir ardent de se perfectionner dans la profession des armes par la pratique réelle de la guerre sur unegrande échelle et par un dévouement absolu au service. En outre de cela, ils étaient avec nous de tète et de cœur à l'heure de nos épreuves, et je crois qu'après leur propre patrie le pays qu'ils aiment le plus est le nôlre, celui [)our lequel ils ont si généreusement

LE GÉNÉRAL MAC CLELLAN ET LES PRINCES 1.09

et si souvent exposé leur vie sur les champs de bataille.

« Peu de temps après le commencement de la campagne de la péninsule, les princes furent for- tement pressés par leurs amis de France de reve- nir immédiatement en Angleterre, tant pour recevoir les nombreux membres de leur parti qui devaient visiter l'exposition de 1862, que parce que l'expédition du Mexique avait fortement tendu les relations entre notre pays et la France. Ils tinrent absolument à rester avec l'armée jus- qu'à la fin de la bataille des sept jours, et ne se décidèrent à partir que lorsqu'ils furent convain- cus qu'il élait improbable qu'on reprit les opéra- tions contre Richmond.

« Dans une lettre jointe au document qui conte- nait sa démission, le comte de Paris écrivait :

« J'ai l'honneur de vous remettre ci-inclus ma démission dans la forme que vous m'avez indiquée. Vous savez quels motifs impérieux nous rappellent en Euro[)e, mon frère et moi. C'est avec une profonde émotion que nous nous sépa- rons d'une armée dont nous avons si longtemps partagé le sort, et dans les rangs de laquelle nous avons rencontré un accueil si cordial. Nous sommes heureux d'avoir pu du moins retarder assez notre départ pour assister avec vous aux grands événements de ces derniers jours

« Depuis leur retour en Europe jusqu'à l'époque de la guerre entre la France et l'Allemagne, les

liO LE GÉNÉRAL MAC CLELLAN ET LES PRINCES

jeunes princes s'occupèrent de voyages et de tra- vaux littéraires. Peu de temps après la fin de notre guerre civile, le comte de Paris entreprit la tâche difficile d'écrire une histoire détaillée de cette lutte remarquable. Il apporta à cette œuvre une somme de talent littéraire, d'impartialité, de juge- ment sûr et de travail patient qui Tont placé, dans l'opinion de beaucoup de juges compétents, au premier rang des historiens de la guerre civile.

« 11 n'a épargné ni travail ni dépenses pour re- cueillir les données nécessaires. L'arrangement des matériaux, les opinions exprimées, la compo- sition littéraire, sont entièrement de lui, et l'ou- vrage est, dans le sens le plus absolu du mot, son œuvre et non celle d'un autre mise sous son nom. Le premier volume a été publié en 1874 ; le sixième, qui a paru cette année, comprend Gettysburg et Mine-Run. Tout en préparant cet ouvrage impor- tant, il s'engageait dans d'autres travaux littéraires d'un caractère entièrement différent.

« A son retour d'Amérique, il trouva la « disette « de coton » dans son plein, et il alla à Manchester étudier soigneusement le vaste système organisé pour venir en aide à la population souffrante du Lancashire.

« Dans le but de donner les renseignements né- cessaires pour organiser un système analogue en France, il écrivit un ailiclc inlilulé : Une semaine de Noël dans le Lancashire. (domine le gouverne-

LE C4ÉXÉRAL MAC CLELLAX ET LES PRINCES 111

ment impérial ne permettait de publier en France aucun article sous le nom d'un prince d'Orléans, l'article parut dans la Revue des Deux Mondes du j^er février 1863 sous la signature d'Eugène For- cade.

« Son intérêt ayant été éveillé par cette étude préliminaire sur l'état des classes laborieuses, il poursuivit ce sujet avec beaucoup d'ardeur, et pu- blia en 1869 un ouvrage étendu sur les Trade's Unions en Angleterre. Ce livre obtint un grand succès, et il est remarc{uable par le grand nombre et la précision des renseignements qu'il contient, par la sagesse de ses conclusions, son impartialité, son libéralisme et l'élévation des sentiments.

(( Le chapitre final sur l'avenir des Trade's Unions et la liberté politique est en réalité un ré- sumé des idées de l'écrivain sur une des plus im- portantes fonctions du gouvernement.

« Il se fait l'avocat de la liberté politique la plus étendue, de l'entière liberté de la presse et du droit absolu de former des associations, de se réu- nir et de discuter au grand jour toutes les ques- tions politiques, sociales et économiques, comme étant le meilleur et l'unique moyen de prévenir ces explosions de violence populaire qui, favori- sées par la répression et la tendance naturelle à chercher un refuge dans les sociétés secrètes, ont si souvent eu en Europe des résultats funestes. Il croit que ce n'est que par la liberté de discussion

112 LE GÉXÉRAL :MAG Cr,ELLAN ET LES PRINCES

qu'on peut rectifier les opinions extrêmes et arri- ver à des conclusions sérieuses et solides. Ce chapitre, et aussi l'ouvrage tout entier, récompen- sera largement du temps qu'ils consacreront à le lire tous ceux qui s'intéressent à cette grande question du présent et de l'avenir, les relations du capital et du travail. Dans ce livre il soutient aussi la thèse qu'il serait bon d'appliquer, partout cela est possible, le système de la participation aux bénéfices. »

Le général Mac Clellan énumère ensuite les travaux publiés par M. le comte de Paris dans la Revue des Deux Mondes. Toutes ces publications sont faites pour donner une haute idée du talent littéraire du prince et de la portée de son esprit'.

De retour en Europe, M. le comte de Paris, comme délassement à l'activité et aux fatigues du soldat, se donna tout entier à ces travaux sérieux de l'es- prit auxquels Pavaient préparé les fortes études de son adolescence. Il fit paraître plusieurs publi- cations importantes dont les sujets divers attestent une généralité de connaissances et une profondeur de vues qu'on rencontre rarement chez les hommes d'un âge mûr, en même temps qu'elles témoignent

1. \u' United Service Magazine de New- York, ayant demandé à M. le comte de Paris quelques pages sur le général Mac Clellan qui venait de mourir, le prince lui adressa un opus- cule des plus intéressants, que publia la licvue militaire suisse et ['Avenir militaire, à Paris, dans ses numéros des 13, 17, 20, 24 et 27 mai 1887.

M^'" LE COMTE DE PARIS ET LES QUESTIONS OUVRIÈRES 113

de l'intention vraiment philanthropique de l'écri- vain et du penseur, La seide nomenclature de ses ouvrages (qui, pour la plupart, dans La France im- périale, durent paraître sous d'autres noms que le sien, ainsi qu'on l'a déjà vu) suffirait pour attester chez le prince les souples facultés d'un esprit for- tifié et agrandi par une instruction aussi solide que variée. Quelques-uns de ces travaux d'histoire, de philosophie et de politique, à l'époque de leur publication, produisirent en France une sensation marquée; malgré le pseudonyme adopté et parfois changé, le nom de l'écrivain circula dans les salons et même dans les journaux.

C'était à la fin de 1862, le prince revenu d'Amé- rique au mois de juillet, après avoir bravement pris part à cette grande guerre, qui se termina par l'affranchissement de quatre millions d'esclaves, voulut étudier par lui-môme, et dans les plus petits détails, les questions ouvrières. Il visita les dis- tricts du nord de l'Angleterre et principalement le comté de Lancastre qui traversait alors une crise très pénible. La guerre d'Amérique avait inter- rompu la production du coton dans l'Amérique du Nord, et par contre-coup les filatures anglaises avaient se fermer. La misère était extrême ; près de 500,000 individus, hommes, femmes, enfants, étaient sans ouvrage, et de sans ressources. L'Angleterre s'était émue, des comités se formaient de tous côtés, pour venir en aide aux malheureux

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114 M^'"' LE COMTE DE PARIS A MANCHESTER

ouvriers. C'est à étudier cette organisation de la charité que M. le comte de Paris consacra la se- maine de Noël en 1862. La Recrue des Deujc Mondes^ du l*^'' février 1863, publiait un très intéressant tra- vail que le prince terminait par ces lignes :

Un des plus beaux progrès de notre siècle est d'avoir élevé la charité au rang d'un devoir social et d'un droit

politique Pour se rendre un compte précis et complet

du phénomène de misère et de charité qui se produit en ce moment en Angleterre, il faut aller en quelque sorte de la charité à la misère.

Puis il décrivait la distribution des secours à l'Hôtel de Ville de Manchester, les hommes les plus riches, et ayant la situation la plus élevée, venaient passer plusieurs heures, chaque jour, dans une petite salle basse, obscure, éclairée au gaz en plein jour, pour distribuer les secours aux malheureux.

Après s'être bien rendu compte de la manière dont fonctionnait ce comité, le prince allait visiter les magasins étaient classés les dons en nature, puis il assistait aux distributions de vivres et aux repas servis aux enfants dans les écoles.

On sait qu'en Angleterre le jour de Noël est le grand jour de fête. Les comités de secours avaient voulu célébrer la fête avec « la grande famille des ])auvrcs ». La plus importante salle de la mairie de la grande ville industrielle de Blackburn reçut

UNE FÊTE DE NOËL EN ANGLETERRE 115

pendant plusieurs jours, successivement, tous les pauvres de la ville. Chaque prêtre ou ministre devait amener son école.

A midi et demi, dit M. le comte de Paris, la ville, si morne tout à l'heure, prenait un air de fête inusité. Les écoles sortaient, précédées des ministres en robe, et quel- quefois aussi de tambours; toutes sortes de bannières ornaient la procession. Il y a trente ans, de pareilles dé- monstrations dans un moment de crise comme celui-ci auraient infailliblement amené des troubles; mais depuis lors, les esprits ont fait bien des progrès! Les bannières ne portent d'autre inscription que God sape the qiicen, et chacun ne songe qu'à oublier un moment des souffrances dont personne n'est coupable. En suivant la procession, j'entrai dans la salle qui se remplissait rapidement; les ouvriers prenaient place en rangs, devant de longues tables serrées les unes contre les autres. Une estrade était dres- sée pour les visiteurs, mais les ministres avaient leur table dressée au milieu de celles des ouvriers, dont ils tenaient à partager le dîner. Après une espèce d'hymne, chantée debout, par tous les ouvriers, le dîner commence joyeuse- ment et se continue bruyamment. En ayant pris ma part, je puis certifier qu'il était fort bon. Et quand je quittai la salle, pressé par l'heure du chemin de fer, je rencontrai encore une longue file de roast-beefs fumants qui mon- taient l'escalier de l'IIAtel de Ville. Il n'y avait pas besoin de souhaiter bon appétit à ces braves gens, qui terminaient dans lajoie une année si fertile en souffrances! Et quelque menaçantes que soient les perspectives de l'année nouvelle, la satisfaction peinte sur tous ces honnêtes visages me

116 OUVRAGES DE M^' LE COMTE DE PARIS

donnait bon espoir pour l'avenir. Je n'y voyais pas seule- ment le signe d'une grande crise, victorieusement traversée, grâce à la charité spontanée de tous les rangs delà société, mais surtout le gage d'une union })lus intime entre les classes propriétaires et les classes ouvrières ; union fondée sur une confiance et une estime réciproques, et sur la saine connaissance des intérêts communs, qui les rendent soli- daires; garantie la plus sûre de l'ordre public chez les peuples libres, et base nécessaire de toute liberté dans nos sociétés modernes.

M. le comte de Paris aurait pu passer cette semaine de Noël dans l'opulente demeure de quelque grand personnage anglais qui l'aurait accueilli avec le plus vif empressement. 11 avait préféré consacrer son temps à cette étude de la misère pour voir de près comment on peut la secourir et la soulager.

Deux écrits de M. le comte de Paris, Une Semaine dans le Lancashire (1" février 1863) et V Allemagne nouvelle [i''^ août 1867), coup d'œil prophétique en quelque sorte sur les développements de la puissance militaire de la Prusse et la constitution de l'Allemagne après Sadowa, parurent dans la Bévue des Deux Mondes, sous la signature d'Eugène Forcade.

L'article du prince sur l'Allemagne nouvelle n'a plus qu'un intérêt rétrospectif, cependant il est intéressant de voir M. le comte de Paris montrer l'Allemagne, après être devenue la première puis-

OUVRAGES DE M°'' LE COMTE DE PARIS 117

sance militaire d'Europe, chercher à devenir une puissance militaire et coloniale.

Sous la signature de M. X. Raymond paraissait aussi, dans la Revue des Deux-Mondes, le 15 mai 1868, un article qui fut fort remarqué : L'Église d'Etat et l'Église libre en Irlande.

M. le comte de Paris, en étudiant à Manchester les questions ouvrières, } fit la connaissance d'un vieillard, ancien ouvrier, M. Mandley, un de ces réformateurs honnêtes, hélas ! trop rares en France, un de ces hommes qui demandent à la raison, et non à la violence, l'amélioration du sort des ouvriers. C'est à la suite de cette excursion que M. le comte de Paris écrivit son livre sur les Associations ouvrières en Angleterre (Traders unions). L'ouvrage publié en 1869, d'abord sans nom d'auteur, obtint un très réel succès. On remarqua l'exactitude des informations, les idées élevées et libérales d'un auteur bien pénétré de son sujet.

En homme qui a conservé dans le cœur le sou- venir de la première éducation de son enfance, M. le comte de Paris termine son livre des Asso- ciations ouvrières en Angleterre^ par ces lignes qui témoignent d'un esprit vraiment libéral :

En inoatrant l'influence de la liberté politique sur les questions sociales en Angleterre, croyons-nous avoir cité

1. Paris, Gernier-Baillière, 1869.

118 OUVRAGES DE M^"" LE COMTE DE PARIS

un exemple encourageant pour ceux qui se préoccupent de l'avenir de ces mêmes questions en France. Faudrait-il né- gliger un pareil enseignement, sous prétexte que les carac- tères particuliers de la Constitution britannique ne nous permettent pas de profiter des expériences faites sous son égide ? Nous ne le cro3ons pas, car ce serait exagérer l'im- portance des rouages anciens et compliqués qui la com- posent. En effet, malgré tous les artifices de rédaction, les constitutions n'obéissent jamais qu'à un seul moteur ; celle se balanceraient des pouvoirs réellement indépendants serait brisée par leur choc, comme une machine soumise à des forces contraires. Ce n'est pas telle ou telle pièce, inconnue ailleurs, qui a soutenu la Constitution anglaise au milieu de toutes les transformations politiques et sociales de notre siècle : c'est ce moteur destiné à exercer dans tous les pays libres la même autorité souveraine, et qui s'ap- pelle l'opinion publique. Quelque diverses que soient dans tous ces pays les institutions j)ar lesquelles agit la puissance de l'opinion, elles peuvei^.t toujours se comparer aux traductions en langages variés d'une seule et même pensée. Comment serions-nous condamnés, nous seuls, à n'avoir pas un langage à nous pour la rendre?

Pas plus que d'autres, nous ne sommes exclus de cette liberté politique à laquelle ont droit toute race et toute con- trée. Le remède (jue la liberté [)oliti(iue apporte aux dan- gers soulevés par les questions sociales est également effi- cace chez tous les peuples qui le savent applitpier ; et il n'est plus maintenant une seule nation jalouse de conser- ver son rang dans le monde, qui i)uisse traiter celle liberté, attribut suprême de l'homme civilisé, comme un simple objet de luxe dont on se pare un jour, et que le lendemain on dédaigne inq)un(Muent.

OUVRAGES DE M^''' LE COMTE DE PARIS 119

« De telles opinions, dit avec justesse, M. Vic- torien Jusserand, dans un curieux et intéressant travail*, trouvent plus d'écho dans le cœur d'un peuple que les apologies illustrées et intéressées de la vie de ces conquérants qui n'ont pas fait faire un pas à l'humanité, qui torturaient, massacraient les otages et qui furent les bourreaux de Vercin- gétorix. De telles existences ainsi employées dans l'exil n'ont certes rien à envier à d'autres desti- nées, qui se sont accomplies en même temps dans la patrie! Et pendant ces vingt-trois années de la jeunesse de ces fils et petit-fils du roi Louis-Phi- lippe, ajoute M. Jusserand, pas une démarche, pas un mot ne sont venus, je ne dis pas repro- cher, mais même rappeler à la France que ces princes en avaient été éloignés « sans avoir violé «aucune loi, sans avoir mérité leur sort par aucune « faute, et après l'avoir fidèlement servie ».

A la fin de 1870, le Courrier de la Gironde publiait des articles de M. le comte de Paris : V Esprit de conquête e/i 1870, qui montraient chez leur auteur des idées sagement libérales. Enlisant ces lignes il était impossible de ne pas remarquer que le prince avait beaucoup lu, beaucoup vu, et savait apprécier pour une nation les bienfaits d'un gouvernement libre . Ce fut la dernière des publications faites par le prince pendantles longues heures de l'exil.

1. Le salut est là, page 27, par M. Victoria Jusserand, maire de Montpensier (Puy-de-Dôme).

120 MARIAGE DE M^"" LE COMTE DE PARIS

En 1863, M. le duc de Chartres prenait pour femme sa cousine la princesse Françoise de Join- ville, et on parlait tout bas déjà du mariage de son frère. Il eut lieu l'année suivante.

Le 30 mai 1864, M. le comte de Paris épousait sa cousine la princesse Isabelle, fille aînée du duc de Montpensier, née à Séville le 21 septembre 1848. La bénédiction nuptiale fut donnée aux jeunes époux dans la chapelle catholique de Kingston, petite ville du comté de Surrey (Angleterre) \

Les jours qui précédèrent le 30 mai furent consacrés à de brillantes réceptions, d'abord chez la reine Marie-Amélie, au palais de Glaremont, puis à Twickcnham, chez M. le duc d'Aumale.

1. Voici dans quels termes, au moins singuliers, le gouver- nement impéi'ial publia et fit afficher à la porte de la mairie du premier arrondissement, à Paris, en avril 1864, les bans pour le mariage du petit-fils du roi Louis-Pliilippe :

« Louis-Philippe-Albert d'Orléans, comte de Paiùs, sans pro- fession, demeurant avec son aïeule paternelle, Marie-Amélie de Boui'bon, veuve de Louis-Philippe d'Orléans, comte de Neuilly, au palais de Glaremont, comté de Surrey (Angleterre), et dont le dernier domicile en France était au palais des Tuileries, pre- mier arrondissement, fila majeur de Ferdinand-Philippe-Louis- Charles-llenri d'Orléans, duc d'Orléans, et de Iléiène-Louise- Elisabeth de Mecklembourg-Sclnverin, son épouse, tous deux décédés;

« Et Marie-Isabelle-Françoise d'Orléans, inlante d'Espagne, sans profession, demeurant avec ses père et mère, au palais de San-Telmo, à Séville (Espagne), fille mineure de Anloine- Marie-Philippe-Louis d'Orléans, duc de IMontj)ensier, et de Marie-Louise-Ferdinande de Bourbon, inlaiiLe d'Espagne, son épouse. »

MARIAGE DE M^"" LE COMTE DE PARIS 121

Reaucoup de Français avaient passé le détroit, et chaque jour on voyait augmenter le nomljre de ceux qui, sans vouloir donner à cette démarche un caractère politique, étaient venus apporter à d'augustes exilés l'hommage d'une respectueuse sympathie. Pour enlever à ces réceptions ce qu'el- les pouvaient avoir de trop sérieux, Madame la duchesse d'Aumale eut l'idée de les transformer en petits bals, à la grande joie des jeunes princes- ses et de tous les assistants. Parmi les princesses, on remarquait particulièrement les deux jeunes infantes, sœurs de la future comtesse de Paris, dont la beauté fine et distinguée attirait tous les regards. La gracieuse princesse Marguerite de Nemours et la belle princesse Amélie de Cobourg, fille de la princesse Clémentine, étaient également fort admirées. Ces soirées dansantes à Orléans- House donnèrent une grande animation à ces réceptions, dont les honneurs étaient faits avec une affabilité parfaite par M. le duc et M"*" la du- chesse d'Aumale.

Nous voici maintenant au 30 mai. Depuis une semaine il règne au palais de Claremont une acti- vité qui ne lui est pas habituelle; le palais semble devenu comme par enchantement le siège d'une colonie française, qui a envahi les villages et les bourgs voisins: Esher, Kingston, Twickenham. Le parc est sillonné de Français appartenant à toutes les provinces de la France, car on y entend parler

122 MARIAGE DE M'^'' LE COMTE DE PARIS

la langue de noire pays avec tous les accents pos- sibles : parisien, provençal, flamand, lorrain, etc.

Le parc de Glaremont est adossé au village d'Esher ; toute la population de ce village et des hameaux voisins est sur pied, dans ses plus beaux habits de fête ; grands et petits tressent des guir- landes de fleurs, mettent la dernière main à des arcs de verdure, décorent les fenêtres de drapeaux aux couleurs françaises.

En suivantla Tamise, d'Esher on arrive à Kings- ton (la ville du Roi), qui n'a conservé de ses splendeurs antiques que le siège en pierre sur lequel on couronnait les rois au temps de Thep- tarchie. Sur tout le parcours, hommes, femmes, enfants, sont parés de rubans tricolores. Aux portes de cette petite ville, se presse une foule immense qui se dirige vers la chapelle catholique perdue dans de magnifiques ombrages auprès du fleuve, en cet endroit, pur comme du cristal. C'est dans ce temple modeste que va être célébré le mariaofe de M. le comte de Paris.

Il est dix heures, la cérémonie ne commence que dans une demi-heure, et cependant l'église est pleine. Il en est de même de la grande lente élevée à la droite du porche, pour suppléer, autant que possible, au manque de places. Le chemin, à droite et à gauche, est occupé sur une grande étendue par ceux qui n'ont pu être admis ni dans la chapelle ni dans la lente.

MARIAGE DE M^'' LE COMTE DE PARIS 123

Parmi l'assistance on remarque presque tous les membres du corps diplomatique, l'élite de la société britannique et un grande nombre de notabilités françaises.

A dix heures et demie, une immense acclama- tion se fait entendre au dehors. Après un moment d'attente, on voit apparaître, appuyée sur le bras du jeune prince, la reine à l'aspect vénérable et qui s'avance lentement vers l'église. Chacun se lève et salue profondément cette femme aux traits marqués par la douleur, la reine Marie-Amélie. C'est avec une vive émotion et avec un religieux respect que l'on regardait l'auguste veuve du roi Louis - Philippe. Le jeune prince, attentif à la soutenir, répondait avec une tranquille dignité aux salutations de ceux qui se trouvaient sur son passage. Presque sur ses pas arriva la princesse Isabelle ; sa démarche était d'une dignité simple, et sa beauté avait un charme inexprimable. Les deux fiancés prirent place devant leurs illustres parents, et avant de commencer la messe, le doc- teur Grant, évéque catholique de Southwark, qui s'était rendu sous le porche pour recevoir la famille royale, revint à l'autel, et adressa une courte et touchante allocution aux jeunes mariés. La messe fut célébrée au milieu du plus profond recueillement. En quittant la chapelle, la reine Marie-Amélie, appuyée sur le comte d'Eu, fut saluée par des acclamations enthousiastes.

124 MARIAGE DE M"'' LE COMTE DE PARIS

Madame la comtesse de Paris, donnant le bras à son mari, vit s'avancer vers elle un groupe déjeunes personnes, filles des principaux négociants fran- çais de Londres, qui lui offrirent un bouquet accompagné d'une adresse contenant leurs félici- tations et leurs vœux. Madame la comtesse de Paris remercia la jeune fille qui avait parlé au nom de ses compagnes et l'embrassa au front, tandis que M. le comte de Paris lui disait quel- ques mots affectueux.

Le retour à Claremont se fit à travers une foule de spectateurs venus des villages voisins pour saluer les mariés à leur passage. Des arcs de triomphe ornés de couronnes de fleurs et d'écus- sons fleurdelisés, pavoises de drapeaux tricolores, avaient été dressés de distance en distance. L'en- trée des augustes mariés dans le parc de Claremont fut saluée par une salve d'artillerie et par les fanfares d'une musique de volontaires.

Une députation du village d'Esher s'avança au devant du jeune prince, et un paysan prononça, au nom de ses camarades, un court discours. M. le comte de Paris lui répondit en les remerciant lous de leurs témoignages de sympathie, qui étaient pour lui et sa famille une grande conso- lation pendant les épreuves de l'exil.

On annonça l'arrivée du prince cl de la princesse de Galles ainsi que de la famille royale d'Angle- terre. Alors on passa dans la salle du ban(|iiel

MARIAGE DE M"'' LE COMTE DE PARIS 125

servi sous une tente, ou plutôt sous un magnifique pavillon de 140 pieds de long. Une douce émotion s'empara des invités, lorsque la reine se leva, en- tourée d'amis dévoués, embrassant d'un coup d'œil les visages aimés de ses fils et petits-fils, dont les uns étaient déjà des hommes, tandis que les plus jeunes, dans l'heureuse insouciance de leur âge, se pressaient autour d'elle ; au milieu d'un pro- fond silence et d'une respectueuse attention, elle but à la santé et au bonheur de M. le comte et de Madame la comtesse de Paris. Ce toast fut accueilli avec enthousiasme, et suivi des cris de : Vive la Reine !

A huit heures commença le bal chez M. le duc de Chartres. Il fut interrompu à onze heures par un souper splendide, dressé sous une tente disposée de façon à recevoir deux cent cinquante convives, qui trouvèrent place autour d'une table magnifiquement servie. A minuit, on retournait dans la salle de bal, et les danses recommen- cèrent. Cette salle, qui n'était autre qu'une tente semblable à celle du souper, ornée de fleurs et de drapeaux tricolores, remplie d'une foule dont les riches toilettes luttaient d'élégance, offrait un coup d'œil vraiment éblouissant. Le cotillon, con- duit avec beaucoup d'entrain par M. le duc de Chartres dansant avec M"'' d'Harcourt (aujourd'hui la comtesse dllaussonville), se prolongea jus- qu'à deux heures du matin. Telle fut cette fête du

126 NAISSANCE DU DUC D ORLEANS

30 mai 1864, rayon de joie au milieu des tris- tesses et des amertumes de l'exil.

De tristes jours approchaient pour la famille royale. La sainte reine Marie -Amélie s'éteignit doucement le 24 mars 1866 au palais de Glaremont, après c|uatre-vingt-trois années d'une existence les jours de douleur pieusement supportés avaient tenu une si grande place.

Six mois auparavant, la reine avait eu la joie de voir naitre son arrière petite-fille, le 28 septembre 1865, M™" la princesse Amélie.

Quelques semaines après cette journée de deuil du 24 mars, un grand malheur allait accabler le duc d'Aumale : son fils aîné, le prince de Gondé, mourait à Sidney (Australie), frappé par une fièvre typhoïde (24 mai 1866).

Trois années s'écoulèrent, pendant lesquelles M. le comte de Paris fit quelques courts voyages sur le continent, Mais il revenait fréquemment en Angleterre il s'occupait de travaux littéraires qui étaient pour lui une précieuse ressource dans son exil. Une grande joie pour M. le comte de Paris et tous les Français restés fidèlement atta- chés à la famille royale fut la naissance du duc d'Orléans. Le 6 février 1869, Madame la comtesse de Paris donnait le jour à un fils.

En 1867, M. le comte de Paris fit un troisième voyage en Espagne, afin de ne pas séparer trop

RÉSIDENCE FIXÉE A TAVICKENHAM 127

longtemps Madame la comtesse de Paris de ses parents. Jusque-là il n'avait pas encore de résidence fixe. Il se décida pour York-House, à quelques pas deTwickenham, près de ses oncles le duc d'Aumale et le prince de Joinville. Il se livra, dans cette calme retraite , à l'étude des questions écono- miques qui l'obligeaient de temps en temps à faire des voyages dans l'intérieur de l'Angleterre ou en Allemagne.

Un nouveau malheur devait frapper la famille royale sur la terre d'exil : Madame la duchesse d'Aumale succombait, le 6 décembre 1869, à la maladie dont elle souffrait depuis longtemps.

L'année 1870, qui commençait à peine, laissa un instant espérer aux princes que leur exil allait cesser.

M. le comte de Paris se joignit à ses oncles pour réclamer du Corps législatif, en juin 1870, la restitution de ses droits de citoyen français. La pétition fut repoussée. Peu après, la France était précipitée par la volonté d'un seul homme dans la guerre contre la Prusse : nous raconterons ailleurs quelle fut la conduite des princes pen- dant l'invasion.

Les princes d'Orléans, dont la conscience était pure de tout attentat contre les lois de leur pays, crurent devoir adresser la lettre suivante au Corps législatif :

128 LETTRE DES PRINCES AU CORPS LÉGISLATIF

Messieurs les Députés,

Vous êtes saisis de la demande d'abroger les mesures d'exception qui nous frappent. En présence de cette pro- position, nous ne devons pas garder le silence. Dès 1848, sous le gouvernement de la République, nous avons pro- testé contre la loi qui nous exile, loi de défiance que rien ne justifiait alors. Rien ne l'a justifié depuis, et nous venons renouveler nos protestations devant les représentants du pays.

Ce n'est pas une grâce que nous réclamons, c'est notre droit, le droit qui appartient à tous les Français, et dont nous sommes seuls dépouillés !

C'est notre pays que nous redemandons, notre pays que nous aimons, que notre famille a toujours loyalement servi, notre paj^s dont aucune de nos traditions ne nous sépare, et dont le seul nom fait toujours battre nos cœurs; car, pour les exilés, rien ne remplace la patrie absente.

Louis-Philippe d'Orléans , comte de Paius ; François d'Orléans, prince de Joinville; Henri d'Orléans, duc d'Aumale ; Robert d'Orléans, duc de Chartres.

Twickenham, 1!) juin 1870.

Le comte de Kératry, au début de Li séance du 2 juillet, avait adjuré le ministre de la justice, M. Emile OUivicr, de déclarer s'il y avait dans les archives de son ministère une seule pièce, prouvant que les princes eussent jamais conspiré ou essayé de conspirerMepuis 1848.

LETTRE A M. DE KÉRATRY 129

Le ministre avait répondu que le gouvernement n'avait absolument rien à dire.

La majorité bonapartiste vota l'ordre du jour qui repoussait la pétition des princes d'Orléans par 173 voix contre 31.

A la suite de ce vote, M. le comte de Paris écri- vit la lettre suivante à M. de Kératry, qu'il n'avait jamais vu.

Twickenham, le 4 juillet 1870.

Monsieur,

Puisque les portes de la France demeurent encore fer- mées pour nous, c'est de plus loin qu'il faut vous exprimer l'émotion avec laquelle j'ai lu vos paroles à la séance du samedi.

Vous avez agi en honnête homme, en député fidèle à son pays, en demandant s'il existait une seule preuve qui pût justifier la peine qui nous frappe.

Vous avez fait éclater la vérité et montré d'un seul mot tout ce qu'il y a d'odieux et de contraire aux principes mo- dernes de légalité et de souveraineté nationale, dans ces mesures qui condamnent toute une famille de citoyens à cette situation privilégiée , comme on l'a dit avec une cruelle ironie, de l'exil.

Je suis heureux de pouvoir remercier, de la manière dont il nous a défendu, un membre de cette jeune généra- tion qui a foi dans l'avenir libéral de la France, et qui, regardant en avant plutôt qu'en arrière, ne cherche dans les souvenirs du passé que des enseignements et non des motifs de rancune ou de division. Aucune barrière ne sau- rait nous séparer d'elle, car nous partageons son ardent

9

130 LA DÉCLARATION DE GUERRE

dévouement pour les arrêts de la volonté nationale, seul e souverain arbitre des destinées de la France,

La décision qui écarte notre demande nous aurait péné- trés d'une immense douleur si nous avions la considérer comme définitive, car notre intention n'était pas d'exciter un stérile débat; mais nous croyons qu'en posant la ques- tion des lois d'exil devant la Chambre et la France, nous avons hâté le jour ces lois tomberont sous la réprobation publique.

Vous avez plaidé la cause du droit, du droit commun pour tous, car le droit à l'exil ne peut pas subsister en présence du suffrage universel et de la souveraineté qui lui appartient. Le sentiment public s'est prononcé de telle sorte que la décision prise par la Chambre, pour se con- former à une puissante volonté, ne pourra, j'en suis sûr, être longtemps maintenue.

Je termine. Monsieur, en vous adressant encore les re- merciements de ceux qui vous ont vu combattre de loin et qui n'ont pu se mêler à la lutte.

Croyez, je vous i)rie, aux sentiments bien sincères de

votre affectionné,

Louis-Philippe d'Orléans

Mais les événements se précipilcnl: la guerre est déclarée, l'armée française est battue. Les princes avaient demandé à servir dans Tannée à la nouvelle de nos désastres, ce qui leur avait été refusé par le gouvernement impérial d'abord, par le gouvernement provisoire républicain ensuite.

Nous raconterons en détail, dans un volume dont la publication suivra de près ce livre, Fadmi-

LETTRE AU GENERAL COMTE DUMAS 131

rable conduite du duc de Chartres qui, plus heu- reux que son oncle le prince de Joinville, fit la campagne de France sous le nom de Robert le Fort.

A ce moment, M. le comte de Paris écrit cette lettre au général comte Dumas :

Twickenham, 20 août 1870.

Que d'événements depuis treize jours ! Quels coups pour tous les cœurs français ! Vous devez comprendre tout ce que nous souffrons devant ce désastre national, dont, pour aggraver nos souffrances, nous sommes condamnés à être les spectateurs inactifs. Le refus opposé à la de- mande de mes oncles et de mon frère est, à ce point de vue, un coup bien cruel. C'est ce refus qui m'a empêché de faire remettre une lettre analogue aux leurs qui étaient arrivées à Paris un peu après celle-ci. Et dire que les Prussiens vont peut-être assiéger Paris, et que sur ces fortifications, dernier boulevard de la France, élevé il y a trente ans par le roi Louis-Philippe et le duc d'Orléans, il n'y aura pas un d'Orléans pour se mêler aux défenseurs de la patrie! Et ce qu'il y a peut-être de plus dur, c'est que, dans notre insistance désintéressée, on ne verrait peut-être que les calculs d'une ambition inquiète. Mais ne songeons pas à nous, ne songeons qu'à cette admirable armée qui soutient l'honneur de la France, et à tous les nouveaux combattants qui, devant Paris, sauveront notre pays de la dernière des humiliations.

Tout à vous,

Louis-pHiLippE d'Orléans.

132 LETTRE AU GÉNÉRAL B°° DE CHABAUD-LATOUR

Les désastres s'accumulent; l'armée française, accablée par le nombre, est écrasée, malgré des prodiges d'héroïsme. Les princes d'Orléans de- mandent vainement au gouvernement français le droit de défendre leur pays envahi par l'ennemi.

Le gouvernement de la Défense nationale, ou- blieux de son devoir non moins que de son titre, refuse leurs valeureux services.

M. le comte de Paris ne peut voir sans une pro- fonde douleur l'ennemi arriver sous les murs de Paris. 11 se souvient que c'est sa ville natale, et que ces murailles derrière lesquelles s'abritait la France même, c'était le roi Louis-Philippe, son grand-père, qui les avait élevées.

11 voulut donc faire un effort suprême pour flé- chir le gouvernement de la Défense nationale. Il adressa au général de Chabaud-Latour une lettre dans laquelle il sollicitait l'honneur de s'associer aux défenseurs de Paris. Il offrait de reprendre le chemin de Pexil aussitôt que le dernier coup de fusil aurait été tiré.

Le général Trochu, à qui cette lettre fut portée par le général de Chabaud-Latour, y répondit par un nouveau refus.

Voici le texte de la lettre M. le comte de Paris exprima au général de Chabaud-Latour la tristesse patriotique qu'il ressentait dans l'inaction à laquelle ce mauvais vouloir du gouvernement de la Défense nationale le réduisait si cruellement:

LETTRE AU GÉNÉRAL B°° DE CHABAUD-LATOUR 133

17 janvier 1871.

Vous devez bien sentir ce que je souffre, en me voyant condamné à rester spectateur inactifde la lutte héroïque de mes compatriotes. J'avoue que de telles prévisions n'étaient jamais entrées dans mon esprit; que je n'aurais pas ci'u celui qui m'eût prédit que, l'Empire renversé, la Répu- blique établie et l'étranger assiégeant notre capitale, je ne trouverais pas une place quelconque parmi les défenseurs de la cause nationale. Il me semblait que les traditions de toute ma famille, que le souvenir de mon père, qui était exclusivement Français, et l'était bien avant de songer à aucun intérêt dynastique, me donnaient le droit de récla- mer l'honneur de combattre dans l'armée française, le tes- tament de mon père à la main... et que personne n'aurait pu défendre à un d'Orléans de prendre un poste sur ces fortifications de Paris, qui sont l'œuvre de son grand-père, du soldat de Jemmapes

A défaut de Paris, nous aurions tons voulu trouver notice place de citoyens dans les armées de province. Il semblait que rien ne dût s'opposer à la réalisation de ce désir bien désintéressé. En effet, lorsque mes oncles et mon frère sont allés le 6 septembre à Paris, on n'allégua pour refu- ser leurs services que la crainte de voir leurs noms, au lendemain de la révolution, servir, dans la capitale, de pré- texte à la guerre civile. Cette raison, bien faible en elle- même, ne pouvait être alléguée pour nous empêcher de servir dans les armées de province, et, si notre présence en France avait eu quelque retentissement, le seul résultat eût été de rallier à la République, loyalement acceptée et servie par nous, ces libéraux que le nom de la Ré])ublique

134 LETTRE AU GÉNÉRAL B°" DE CHABAUD-LATOUR

effraye, mais que notre proj)re adhésion eût réconciliés avec cette forme de gouvernement.

hd délégation de Tours-Bordeaux n'a pas cru pouvoir revenir sur la décision prise par le gouvernement tout en- tier, ne comprenant pas combien la situation était chan- gée, ou plutôt cédant à la crainte de s'aliéner les fanatiques qui abusent du nom de la République et prétendent tou- jours imposer leurs fantaisies et leurs passions aux répu- blicains libéraux et modérés.

Dans ces circonstances, je me suis adressé directement au général Trochu, lui demandant de vouloir bien, en sa qualité de président du gouvernement de la Défense na- tionale, faire cesser l'interdit qui m'empêche, jusqu'à pré- sent, de porter les armes pour la France. Je n'ai pas encore sa réponse. Si elle était favorable, je serais prêt à servir sous un nom d'emprunt, de manière à ménager les suscep- tibilités les plus extrêmes. Tout ce que je demande, c'est une recommandation d'un ministre du gouvernement, [)er- mettant à M. X... de se présenter à telle armée active qui lui sera désignée pour y obtenir l'emploi qu'il pourra. Le gouvernement ou son président saurait seul que M. X..., c'est moi, car je ne veux pas tenter de m'insinuer dans l'armée française à son insu

11 me semble que vous devez comprendre combien l'inac- tion me ronge en ce moment, et je tenais à vous prouver que je faisais tout ce qu'il m'est matériellement possible de faire pour en sortir

Quand on a achevé le récit de ccl exil supporté avec tant de courage cl un patriotisme si constant, on ne peut que répéter avec M. Hervé :

ÉLOGE DE LA FAMILLE ROYALE 135

« Quelle plus belle famille royale la France pour- rait-elle trouver, pour réparer ses ruines, panser ses plaies, la relever à ses propres yeux et à ceux de l'Europe? »

CHAPITRE III

1871-1873

Abrogation des lois d'exil (juin 1871). Naissance de S. A. R. M™8 la princesse Hélène (8 juin 1871). Rentrée des princes en France. Le manifeste de Chambord(5 juillet 1871). Les princes d'Orléans dans l'armée française. Projet de loi présenté par le gouvernement pour la restitution des biens des jirinces. La vérité sur cette loi. Générosité des princes envers la France, à laquelle ils abandonnent la moitié de leur fortune. M. le comte de Paris s'installe à Paris, faubourg Saint-Honoré, chez son oncle le duc d'Au- male. Réceptions de M. le comte de Paris. Sa vie à Paris. Excursions de M. le comte de Paris en France. Yisite à Bourges, aux mines de la Grand'Combe, d'Anzin, en Touraine, etc. Première visite du prince à Eu et aux usines Packam. Excursions en Bretagne, en Normandie, à Aix. Publication par M. le comte de Paris de son ouvrage : La situation des ouvriers en Angleterre (mars 1873). Voyage de M. le comte de Paris en Afrique (mai 1873). Chute de ^L Thiers et présidence du maréchal de I\Ltc Mahon.

RL le comte de Paris se rend à Vienne (lin juillet 1873). L'entrevue de Frohsdorf du 5 août 1873. Fusion des deux branches de la maison de Bourbon. La fusion souhaitée par le roi Louis-Philippe, et annoncée par M. Guizot en 1850. Les princes d'Orléans chez AL le comte de Chani- bord (septembre-octobre 1873). Grande émotion dans toute la France. Manœuvres des républicains pour lutter contre le courant royaliste. M. le comte de Paris jugé par M. le comte de Chambord. M. le comte de Chambord et les députés royalistes. Anecdotes : M. le comte de Chambord on Bavière. Mot du prince Napoléon sur la restau-

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(tuilet ISJi ). '. Projet de restitution des

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de Paris de son ouvrage :

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SA.R, PHILIPPE DUC D'ORLEANS

Imp.Ch.CKardon

LES PRINCES DÉPUTÉS 137

ration de la monarchie. La lettre de M. le comte de Cham- bord du 27 octobre 1873. Echec certain de la loipour le ré- tablissement de la monarchie. M. le comte de Chambord à Versailles (novembre 1873). Prorogation des pouvoirs du maréchal de Mac Mahon. Mort du prince Ferdinand, frère de Madame la comtesse de Paris (décembre 1873).

La guerre est finie, la paix est faite, les événe- ments se précipitent, et à la douleur de la défaite vont venir se joindre les tristesses d'une épou- vantable guerre civile. La seule consolation que l'on éprouve, au milieu de tous ces malheurs, est de se dire que l'honneur est resté sauf, grâce à l'immortelle résistance de Paris et aux héroïques efforts de la province et de fillustre général Ghanzy,

Les départements de la Haute-Marne, de la Manche et de l'Oise avaient envoyé à l'As- semblée nationale le prince de Joinville et le duc d'Aumale. Le pays s'était souvenu de ces princes si sincères patriotes.

Le prince de Joinville, affable, enjoué, même à son bord, autant que décidé ou réfléchi suivant les circonstances, toujours soucieux du bien- être matériel et moral des équipages, avide de les employer à de grandes actions, était resté très populaire dans la marine, et la nation elle- même n'avait oublié ni son nom, ni celui de son frère, le duc d'Aumale, le héros de la Smalah, le général intrépide, savant organisateur de

138 ABROGATION DES LOIS d'eXIL

l'armée et excellent gouverneur de IWlgérie son souvenir était resté si vivant

La chute du gouvernement impérial, et l'abro- gation des lois de bannissement et d'exil votée par l'Assemblée nationale le 8 juin 1871, rame- nèrent M. le comte de Paris sur le sol français.

11 y rentra, décidé à la fusion entre les deux branches de la maison de Bourbon. En mars 1871, à Dreux, ses oncles le duc d'Aumale et le prince de Joinville avaient déclaré aux députés légiti- mistes les plus influents, qu'il n'existait aucun prétendant dans la famille d'Orléans, et que si la France souhaitait la restauration de la monarchie, le comte de Ghambord ne trouverait aucun compétiteur au trône chez les princes de leur maison. Cette entrevue de Dreux avait décidé la droite à voter, sans hésiter, malgré M. Thiers, l'abrogation des lois d'exil.

Le prince de Joinville et le duc d'Aumale des- cendirent à Versailles, rue de Satory, 48, chez un de leurs fidèles serviteurs, député du Calvados, M. Bochcr.

M. le duc de Chartres, M. le duc de Nemours, M. le duc d'Alençon et M. le duc de Penthièvre arrivaient à Paris quelques jours plus tard, rue de Castiglione, à Thotel de Londres, leur première visite fut pour le vieil ami du roi, l'historien im- partial et consciencieux de la monarchie de Juillet, le comte de Montalivet.

M^'"' LE COMTE DE PARIS EN FRANCE J39

M. le comte de Paris était retenu à Twickenham auprès de Madame la comtesse de Paris, qui, le 12 juin, donnait le jour à une fille, son troisième enfant, la princesse Hélène. Au mois de juillet, il arriva à Paris, et après être resté plusieurs jours chez le comte de Ségur, il alla demeurer quelques mois chez le gendre de M. de Montalivet, M. G. de Vil- leneuve, dans son bel hôtel de l'avenue de Messine.

La Commission des grades, présidée par le général Changarnier, avait, à l'unanimité, proposé au gouvernement de maintenir dans les rangs de l'armée M. le duc de Chartres, avec le grade de chef d'escadron qu'il avait si bien gagné. Il en fut ainsi, et à la fin d'août M. le duc de Chartres partait pour rejoindre le 3" chasseurs d'Afrique, qui était alors dans la province de Constantine, se préparant à faire une rude campagne qui dura tout l'hiver.

M. le duc de Chartres venait d'être nommé che- valier de la Légion d'honneur, en récompense de sa belle conduite pendant la campagne de France.

Peu de temps avant son départ pour l'Afrique, en août 1871, il avait été question qu'il accom- pagnât son frère M. le comte de Paris dans une visite à M. le comte de Chambord. Les princes avaient toujours dit bien haut que le rétablis- sement de la monarchie en France ne pourrait avoir lieu que par l'union de lous les partisans de la monarchie. Mais au moment M. le comte

140 LE MANIFESTE DU 5 JUILLET 1871

de Paris et M. le duc de Chartres allaient partir pour Chambord, leur cousin envoya à Paris une note ainsi conçue :

Le comte de Chambord a été heureux d'apprendre les bonnes dispositions de ses cousins ; il recevra à Chambord avec le plus grand plaisir la visite du comte de Paris. Tou- tefois il croit devoir le prévenir qu'il compte dater de Chambord un document oii seront résolues des questions réservées jusqu'à ce jour, puis il partira pour la Belgique et se rendra à Bruges.

Avec cette parfaite loyauté qu'il a toujours montrée, le comte de Chambord ne voulait pas qu'on put le soupçonner d'avoir attendu la visite des princes d'Orléans pour publier son manifeste, et en quelque sorte leur avoir tendu un piège.

C'est alors que parut le fameux manifeste du 5 juillet 1871.

Les princes d'Orléans ne se rendirent pas chez M. le comte de Chambord, mais M. le comte de Paris, en lui faisant exprimer ses regrets de ne pas aller le voir en ce moment, lui fit dire qu'il ne renonçait nullement à l'espoir d'aller lui faire une visite, qui n'était que reculée.

Le chef de la maison de Bourbon apprécia cette démarche, au moment oîi, foulant pour la première fois, le sol français depuis quarante et un ans, il allait accomplir un acte aussi grave (jue la publi- cation d'un pareil manifeste.

LES JEUNES PRINCES DANS l'aRMÉE FRANÇAISE 141

« Concilier les drapeaux, après avoir con- cilié les causes et les personnes, était-il donc impossible? Le plus fort était fait; n'avoir pu faire le moins semble une dérision de la desti- née '. »

La fin de 1871 se passa heureusement pour les princes d'Orléans. M. le duc de Chartres avait réalisé le vœu de toute sa vie : il servait dans l'armée française. M. le duc d'Alençon et ^L le duc de Penthièvre faisaient aussi partie de l'ar- mée, le premier, dans le 12" régiment d'artillerie, le second comme lieutenant de vaisseau à bord de VOcéaii, qui passa l'hiver à faire une croi- sière dans la Méditerranée. M. le duc de Guise (dernier enfant de M. le duc d'Aumale), âgé de dix-huit ans à peine, suivait depuis le mois d'oc- tobre 1871 les cours du lycée Condorcet, pour se préparer à l'Ecole polytechnique.

Ce fut à cette époque, que la question de la restitution des biens, dont la famille d'Orléans avait été si odieusement dépouillée en 1852, fut portée à la Chambre. L'exécuteur testamentaire du roi Louis-Philippe, l'ami des princes, le comte de Montalivet, écrivit dans la Revue des Deux Mondes - un récit des plus curieux et des plus inté- ressants, oîi il racontait la confiscation de cette fortune par Louis-Napoléon en 1852. Le succès

1. Hi'tiri de France, par H. de Pêne, p. 378.

2. Revue des Deux Mondes, l*"" décembre 1872.

142 RESTITUTION DES BIENS DES PRINCES

de cette brochure fut très grand et prépara l'As- semblée nationale à cette œuvre de justice et de réparation.

Mais ce que l'on ignore et ce qu'il est bon de rappeler, c'est la générosité des princes d'Or- léans. « En vain, dit M. de Montalivet, les avo- cats intéressés du césarisme, unis aux derniers représentants de haines invétérées qui se meurent, cherchent à égarer les esprits, par d'étranges exagérations, et à entourer d'obstacles une solu- tion qui touche à la fois aux droits des victimes de la spoliation, à la sécurité des acheteurs des biens indûment vendus, et aux finances de l'Etat, débiteur de sommes considérables. Que les hom- mes de bonne foi se rassurent, l'équité corrigera tout ce que le droit strict aurait de trop rigoureux. Les princes dépouillés n'ont jamais élevé la voix qu'au nom du droit et de la piété filiale. Dès le premier jour, devançant toutes les préoccupations, ils se sont expliqués formellement à cet égard, sans y avoir été provoqués. Ils demandent que la sécurité des acheteurs soit entièrement garantie par la loi, et en moine temj)s ils déclarent qu'au moment ils rentreront dans la possession des débris de leur fortune, ils seront prêts à ne point se prévaloir contre l'Etat de la créance en argent j)rovenant du fait des décrets do confiscation. Ils })articiperonl de la sorte, dans la mesure que ré([uité aura suggérée à l'Assemblée nationale.

GÉNÉROSITÉ DES PRINCES ENVERS LA FRANCE 143

aux sacrifices que les malheurs de la patrie doi- vent imposer à tout bon citoyen.

« Ainsi se trouvera clos ce compte du passé, qu'on ne se rappellera que pour flétrir l'acte anti- social qui en est l'origine, pour honorer les deux gouvernements de la République qui, à vingt-trois ans de distance, se seront entendus pour mainte- nir avec fermeté le droit sacré de la propriété. »

En même temps que l'Assemblée accomplissait cet acte de justice, de rouvrir les portes de la France aux princes d'Orléans, elle se trouvait for- cément amenée à traiter une grave question. Le 22 janvier 1852, Louis-Napoléon Bonaparte avait arbitrairement confisqué la fortune privée des princes d'Orléans, respectée par la République de 1848. L'État, moins scrupuleux en 1852, s'em- para de terres, de bois, d'actions, appartenant à titre purement privé à la famille d'Orléans , estimés par le ministre des finances 80 millions. La moitié de ces biens avait été vendue, l'Etat admi- nistrait l'autre moitié et par conséquent touchait les revenus de cette fortune. Les ministres de la République demandèrent spontanément à l'Assem- blée de rendre aux princes ce qui restait de leur fortune, les princes d'Orléans offrant avec un désintéressement et une abnégation très grands de renoncer à revendiquer leurs droits sur les biens déjà vendus. C'était donc la moitié àQ leur fortune qu'ils donnaient ta la France.

144 LA VÉRITÉ SUR LA QUESTION DES BIENS

Cette loi de 1872 a-t-elle imposé un sacrifice quelconque à l'Etat? Non. Elle a fait rentrer les princes en possession de biens que l'Etat détenait, sans que le trésor public ait eu à donner pour cela un centime.

Leurs ennemis ont fort exploité cette restitution et n'ont pas manqué de critiquer les princes d'Orléans.

En somme, la fortune totale de tous les mem- bres de la famille royale pouvait être évaluée lors de la confiscation en 1852 à 80 millions en chiffres ronds. Le gouvernement de l'Empire en réalisa la moitié, soit quarante ///illlons, qui entrèrent dans les coffres de l'État, sans aucun droit, et en viola- tion de toutes les lois.

Le gouvernement alors aurait bien voulu vendre tous les biens des princes et réaliser 80 millions, mais il n'avait pas trouvé d'acquéreurs pour ces biens mal acquis. La conscience publique est hon- nête en France. Aussi en 1871, lorsque les princes rentrèrent dans leur patrie, l'Etat, nous le répé- tons, administrait et touchait les revenus de ce qui restait de leur fortune. Que firent les princes d'Or- léans? Simplement, spontanément, ils abandon- nèrent à l'Étal, non seulement la créance de 40 mil- lions sur leurs biens vendus, mais encore décla- rèrent ne vouloir formuler aucune réclamation sur les revenus de ces 80 millions, si injuste- ment louches par TEtat depuis plus de vingt ans.

DISCOURS DE M. BOCHER 145

La France a souffert, dirent-ils, le pays est accablé de charges produites par cette néfaste guerre avec l'Allemagne, nous en supporterons notre part. Nous ne voulons pas que les acqué- reurs de nos biens puissent jamais être inquiétés : nous abandonnons à la France ces 40 millions. L'Assemblée reconnut ce généreux sacrifice, et les ministres des finances et de la justice ne firent que demander la restitution à leurs légitimes propriétaires des biens non vendus encore. Les princes rentrèrent dans 40 millions environ qui furent partagés en seize parts.

M. Bocher, député du Calvados, ancien préfet de Gaen en 1848, qui consacra, depuis cette époque, sa vie entière à défendre la mémoire du roi Louis-Philippe, et la cause de ses fils et petits-fils, avec un dévouement que ni les persécutions du second Empire, ni les fatigues ne lassèrent jamais, prononça deux admirables discours, dans les séances des 23 et 24 novembre 1872.

Orateur de premier ordre, respecté et consi- déré, même par ses adversaires politiques, M. Bo- cher est l'honneur de la tribune française. Au- jourd'hui sénateur du Calvados, ses conseils sont toujours très appréciés par M. le comte de Paris, et sa modestie est aussi grande que son talent. Doué des qualités qui font les hommes d'Etat, il ne voulut jamais accepter un portefeuille que lui offrit, à plusieurs reprises, le maréchal de Mac

10

146 LE CHATEAU d'aMBOISE

Mahoii. Certain d'être élu, sans concurrent, à l'Académie française, sa place était marquée, M. Bocher, malgré de pressantes instances, refusa

de se présenter En deux mots, c'est un grand

caractère, et un homme politique éminent.

Voilà toute la vérité sur cette question des biens des princes d'Orléans. Aussi sommes- nous certain que le lecteur impartial dira avec nous : Qui est-ce qui reçoit quelque chose ? sont-ce les princes ? est-ce la France ? Avant de jeter la pierre aux princes d'Orléans, que ceux qui les critiquent commencent par les imiter, et fassent cadeau à la France de la moitié de leur fortune !

Dans le partage que les princes firent de ces biens, M. le comte de Paris eut le château et le domaine d'Eu ainsi que le château historique d'Amboise. De grands travaux étaient nécessaires pour le château d'Amboise. Les restaurations furent habilement dirigées par Viollet-le-Duc. La plus grosse tour fut reconstruite entièrement. Tous les ans, M. le comte de Paris venait passer quelques heures à Amboise, examinant tout par lui-même. Il consacrait chaque année une somme considérable à ce château d'Amboise, aux sou- venirs historiques des Valois, et jusqu'en 1886 il s'assura par lui-même que ses ordres élaienl fidèlement exécutés.

C'est au château d'Eu que M. le comte de Paris

LE CHATEAU d'eU 147

habitait pendant la plus grande partie de l'année. La principale façade du château est du côté de la ville d'Eu, en face de l'église qui contient encore les tombes des comtes d'Eu aux treizième et quator- zième siècles. L'autre façade donne sur des jardins et des prairies, au delà desquels la vue embrasse le Tréport et la mer. A gauche du château se trouve un massif de vieux et magnifiques arbres, formant un rond-point, planté, dit-on, par le duc François de Guise, qui construisit le château. Ce fut ce célèbre guerrier qui défendit avec succès Metz contre Charles-Quint, et reprit Calais aux Anglais. La grande Mademoiselle, petite-fille de Henri IV, devint la propriétaire de cette belle demeure qu'elle légua au comte de Toulouse. C'est de ce chef qu'Eu devint la propriété de la maison d'Orléans. Le roi Louis-Philippe s'y plaisait beau- coup. Il y reçut la reine d'Angleterre, qui en parle avec admiration dans ses Mémoires. M. le comte de Paris, aidé des conseils de Madame la comtesse de Paris, dont le goût est sûr et délicat, rendit à ce beau domaine sa splendeur passée, et en fit sa principale résidence.

A la fin de l'année 1871, M, le duc d'Aumale reçut la récompense des importants travaux litté- raires auxquels il avait consacré les loisirs forcés de l'exil. Il fut nommé, à la presque unanimité des voix, et sans concurrent, membre de l'Aca- démie française, le 30 décembre 1871, au fauteuil

148 M^''' LE COMTE DE PARIS CHEZ LE DUC DAUMALE

laissé vacant par la mort du comte de Monta- lembert.

Peu de temps après, une joie tout intime était réservée aux princes d'Orléans, M. le duc de Ne- mours, entouré de ses frères et de la famille royale, à l'exception des ducs de Chartres et de Penthièvre, retenus par leur service, mariait sa fille aînée, la princesse Marguerite, au prince Czartoryski. Le mariage eut lieu au château de Chantilly, le 15 janvier 1872, et la bénédiction nuptiale fut donnée par M^*" Dupanloup, évoque d'Orléans.

Les princes passèrent le reste de l'hiver de 1 872 à Paris. M. le duc d'Aumale avait acheté, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 129, l'hôtel Fould, et il avait donné tout le premier étage de cette habi- tation à son neveu, M. le comte de Paris. Pendant trois mois le duc d'Aumale reçut le dimanche soir, et ses réceptions très recherchées montrèrent aux Français qui n'étaient pas allés à Twickcn- ham, combien M. le duc d'Aumale savait accueillir avec affabilité tous ceux qui lui étaient présentés.

M. le comte de Paris ouvrit aussi ses salons faubourg Saint-IIonoré. Comme son père, le duc d'Orléans, il est mince, élancé et a l'air réfléchi. Les yeux ont une grande expression de bonté et de douceur; la parole, |)arfois un peu lente, indique quecclui qui parle ne livre pas volontiers un mot à l'aventure. L'accueil est bienveillant et très sym-

PORTRAIT DE M"'' LE COMTE DE PARIS 149

patlîique à ceux qui le voient pour la première fois. M. le comte de Paris a l'extrême amabilité de sa mère, la duchesse d'Orléans, la princesse qui de toute la famille royale savait le mieux dire à chacun un mot gracieux.

M. le comte de Paris a le don de plaire; k quel- que classe de la société qu'on appartienne, plus on le voit, plus on se sent attiré vers lui, plus on l'aime. Tous ceux qui ont Phonneur de Papprocher déclarent que c'est un esprit supérieur. Il a une grande instruction, et quand il veut travailler sur une question quelconque, il cherche, il étudie, et ne recule devantaucune recherche, aucun voyage pour apprendre à connaître ce qu'il veut savoir. D'une grande modération de langage, il a le tact, le sens politique d'un fin diplomate. M. le comte de Paris possède une autre qualité bien précieuse pour un prince : il sait écouter les avis opposés aux siens, et cherche toujours à s'éclairer et à connaître la vérité. Il est à la fois ferme et résolu : il sait prendre une décision sans hésitation, et sans faiblesse comme sans entêtement, il fait exécuter ce qu'il veut. Grande qualité pour un prince appelé lin jour à régner !... On a dit de lui avec raison :

(c Comme tous les tempéraments mesurés qui peu à peu acquièrent de la force et, butinant pour ainsi dire chaque jour, augmentent leur patri- moine intellectuel et s'assimilent pour jamais les

150 PORTRAIT DE M^"^ LE COMTE DE PARIS

choses qu'ils ont étudiées elles connaissances que la pralique leur a acquises, M. le comte de Paris a fondé peu à peu son autoi'ité personnelle. 11 n\a pas atteint ce but tout d'un coup, par ces éclats brillants qui percent comme des rayons, mais par la persuasion lente et par d'incessantes manifes- tations. On a constaté de jour en jour avec plus de certitude la force de son jugement, la sûreté de son coup d'oeil et la portée de son intelligence. Le fils aîné du duc d'Orléans compte donc par lui- même, et toujours poussé par un insatiable besoin de voir et de savoir, il comptera certainement chaque jour de plus en plus'. »

M. Edouard Hervé traçait le portrait de M. le comte de Paris en 1872. Après avoir parlé des princes, il ajoutait alors :

« La situation de M. le comte de Paris est plus déli- cate, et son rôle est plus difficile. La Providence, heureusement, en le plaçant au milieu de tant de dangers, lui a donné ce qu'il faut pour les éviter : un jugement infaillible, un inébranlable sang- froid, et enfin, cette droiture de caractère qui est parfois plus habile que l'habileté elle-même. La France l'ignore, et peut-être l'ignorera-t-elle tou- jours, mais depuis longtemps, elle n'a pas eu un politique aussi précoce et aussi complet. C'est l'espiitmédilalifct profond de Guillaume d'Orange,

1. Cliarles Yriailc, /as Primes d'Orléans.

PORTRAIT DE M^"' LE COMTE DE PARIS 151

avec la bonne grâce et le charme qui manquaient au mélancolique fondateur de la monarchie cons- titutionnelle en Angleterre. »

Tous ceux qui connaissent le chef de la maison de France reconnaîtront avec nous la justesse de ces appréciations. Nous avons entendu un diplo- mate, représentant une des grandes puissances de l'Europe auprès du gouvernement français, appli- quer à M. le comte de Paris le mot de Metternich sur le duc d'Orléans et le duc de Nemours après leur voyage à Vienne, en 1836 : « M. le comte de Paris, disait cet homme d'Etat, était, je l'avoue en toute franchise, complètement inconnu de moi et de mes collègues à Paris ; mais aujourd'hui nous le connaissons et l'apprécions tous, car c'est un jeune homme comme on n'en voit guère, et un prince comme on n'en voit pas. »

M. le comte de Paris aime le monde, sans doute, mais rien ne lui est plus agréable que la vie simple de la famille auprès de Madame la comtesse de Paris, entouré de ses filles, les princesses Hélène, Isabelle et Louise, du jeune duc d'Orléans, qui rappelle les traits de Louis XIV, et enfin de son dernier enfant le prince Ferdinand. A ce portrait du nouveau chef de la maison de France, j'ajouterai les lignes écrites par un ami sans doute, mais un ami ({ui a porté un sur jugement sur l'homme comme sur le prince.

152 PORTRAIT DE M'"' LE COMTE DE PARIS

« M. le comte de Paris est de haute taille. La tournure est élégante et jeune; l'allure, vive et décidée ; le front, large et découvert. Les yeux très bleus brillent d'intelligence et de bonté. Il y a un portrait de lui peint par Winterhalter en 1845, portrait que la gravure a reproduit. Le petit prince est debout, tenant à la main un grand cha- peau dont il laisse traîner à terre les plumes blanches. Ce qui frappe dans ce portrait, ce sont les yeux encore ressemblants aujourd'hui. Le visage mâle et sérieux de l'homme a gardé le re- gard honnête et souriant de l'enfant.

« Fidèle aux souvenirs de sa jeunesse, M. le comte de Paris vit au milieu des portraits de famille, des tableaux qui reproduisent les principaux épisodes des campagnes de son père et de ses oncles en Algérie. Deux miniatures, représentant le duc et la duchesse d'Orléans, sont constamment devant ses yeux, sur sa table de travail. Non moins fidèle à ses amitiés, il n'a perdu de vue aucun de ceux qui, pendant les lourdes années de l'exil, venaient le trouver en Angleterre. Il n'en est pas un seul qui, dans une heure de joie ou de tristesse, n'ait reçu quelque marque d'intérêt, quelque attention délicate et touchante de ce cœur qui n'oublie jamais.

« Si le prince, sur les champs de bataille de la guerre d'Amérique, a fait preuve d'une intrépi- dité que rien n'étonne, il montra à Vienne autant

PORTRAIT DE M^'"' LE COMTE DE PARIS 153

de tact que de décision au milieu des incidents qui ont suivi la mort de M. le comte de Cham- bord. Esprit d'une haute portée, tout à la fois très énergique et très réfléchi, il ne néglige rien pour se renseigner et s'éclairer avant de s'arrêter à un parti. Sa résolution, une fois for- mée, est inébranlable. Il ne sera influencé ni do- miné par personne. Il écoute avec une égale at- tention l'avis des personnages les plus considé- rables et Topinion de ses plus humbles amis, puis il prend sa détermination avec un sens droit et juste, et une remarquable liberté de jugement. Dès qu'il entrevoit un devoir à remplir, il y court ainsi qu'il courait à la charge dans les plaines de la Virginie. On peut dire de lui comme de son aïeul Henri IV qu'il est « le dernier dans le con- « seil et le premier dans l'action ».

(( Tel est ce prince, qui aurait été remarqué et se serait mis hors de pair, dans quelque condition que le sort l'eut placé. Tel l'ont fait aussi les évé- nements au milieu desquels il a vécu, le sang qui coule dans ses veines, les exemples de ceux qui ont entouré son berceau, formé et guidé sa jeunesse, et dont les noms sont une de nos gloires nationales.

«Descendant de ces rois qui, à la pointe de leur épée, ont fait la France, et qui avaient attachéàleur couronne ces deux perles sans prix, l'Alsace et la Lorraine, que d'autres ont perdues, il sait que les

154 MADAME LA COMTESSE DE PARTS

princes de sa race n'ont cherché leur illiisl ration que dans la grandeur du pays, et c'est en épelant l'histoire de sa famille qu'il a appris le dévouement à la patrie. »

Madame la comtesse de Paris, dont les traits rappellent le type des Bourbons, est une grande et belle princesse, blonde et d'une taille élégante. Soit dans son salon, soit dans celui de M. le duc d'Aumale, dont elle fit leshonneurs à sa rentrée en France avec sa tante, M'"" la princesse Clémentine de Saxe-Cobourg et Gotha, cette princesse dont la vie s'écoula loin de sa pairie, mais dont le cœur est toujours resté français'. Madame la comtesse de Paris reçoit avec une grâce parfaite, et a en même temps un grand air qui indique qu'elle est bien la fille de nos rois. Montant admirablement à cheval, elle se plaisait à suivre les chasses de Chantilly. Comme son mari, elle aime la France avec

1. Une certaine presse publia une absurde calomnie contre le mari de M™^ la princesse Clémenline, M. le duc de Saxe- Cobourg ot Gotiia, son fils, cl son neveu le prince Philippe de Wurtemberg. Certains journalistes ont eu l'impudence d'écrire, sachant parfaitement que ce qu'ils disaient était faux, que ces princes avaient aervi dans l'armée prussienne et combattu les Français dans la dernière guerre. Non seulement le fait est erroné, mais, en 1866, M. le duc de Saxe-Cobourg et Gotha et son fils se trouvaient à la bataille de Sadowa, contre l'armée prussienne, dans l'armée autrichienne. Quant au prince Philijipe de \N'urleml)crg, il s'efforça pendant ce toriùble hiver de 1870- 1871 d'adoucir les souffrances des malheureux soldats français pi-isonniers dans des casemates lmiiii<les.

MADAME LA COMTESSE DE PARIS 155

passion. A Twickenhain, comme aujourd'hui en Angleterre, elle s'entourait de tout ce qui pou- vait rappeler son pays. Excellente musicienne, ayant une voix superbe, elle aime à jouer et à chanter dans l'intimité les mélodies de Gounod, son auteur de prédilection. Par sa mise à la fois simple et de bon goût, elle montre qu'il n'est pas besoin pour paraître belle de ce luxe exagéré qui régnait sous le second Empire.

Nous tenons à dire un mot sur les prétendues divisions qui auraient existé entre M. le comte de Paris et son oncle, M. le duc d'Aumale. Ja- mais elles n'ont eu lieu un seul jour^ et ce bruit ridicule, que M. le duc d'Aumale avait ses partisans comme M. le comte de Paris les siens, a été inventé par les adversaires des princes d'Or- léans, qui cherchent vainement à persuader au pays qu'il y a plusieurs partis d'Orléans. Les répu- blicains ne peuvent se consoler de voir la famille royale aussi unie, et la France disposée tous les jours davantage à trouver en elle sa suprême res- source contre « ces deux grands ennemis de l'ordre et de la dignité humaine (a dit, si juste- ment, M. de Montalivet), qui se tiennent, s'allient souvent, et se succèdent toujours : le césarisme et la démao^offie ».

Un grand malheur allait frapper la famille royale. Le seul fils qui fut resté au duc d'Aumale, celui qui, depuis la mort du prince de Gondé, consolait

156 MORT DU DUC DE GUISE

sa tristesse et peuplait son isolement, selon l'ex- pression de M. Edouard Hervé, le duc de Guise mourut le 25 juillet 1872, après cinq ou six jours de maladie, emporté par une fièvre scarlatine, contre laquelle les secours de l'habile et dévoué docteur Guéneau de Mussy furent impuissants. Il allait passer, à la Sorbonne, son examen de bachelier es sciences ; pendant sa maladie, il ne parlait que de cet examen que son état l'empê- chait de subir, et il se désolait de ne pas se trou- ver, au jour fixé, à ce qu'il appelait son poste d'honneur.

La marche du mal fut si rapide, qu'une partie de sa famille ne put revenir à temps pour être auprès de lui à ses derniers moments. M. le comte de Paris cependant, qui avait pour lui une profonde affec- tion, était arrivé quelques heures avant le fatal événement. Les secours de la religion lui furent donnés par Fabbé Guelle, qui avait déjà rendu ce douloureux office à un grand nombre de membres de la famille d'Orléans. Le jeune prince mourut avec un grand courage , conservant sa connais- sance presque jusqu'à la dernière minute, moins ému que ceux qui l'entouraient, et surtout que son malheureux père.

La mort, si prompte, si imprévue, du duc de Guise avait surpris M. le comte de Paris, occupé à parcourir la France depuis le commencement du printemps.

EXCURSIONS EN FRANCE 157

Le prince avait utilement occupé ses loisirs. Au mois d'avril il s'était rendu à Bourges pour visiter les établissements militaires. Pendant les mois de mai et juin, il avait étudié en France la question ouvrière, qu'il ne lui avait été permis jusqu'alors d'étudier de près qu'en Angleterre.

Déjà, au mois d'avril 1872, il était allé à Paris, dans les usines de Belleville et de la Villette, s'en- quérir de la condition des ouvriers, de leur sa- laire, de leur bien-être, prenant de nombreuses notes; presque toujours reconnu à la fin de la visite, il avait été accueilli partout avec respect, et dans ces quartiers de Paris, considérés comme animés d'un très mauvais esprit, jamais aucun cri, aucune parole blessante pour ses oreilles ne fut prononcée devant lui.

M. le comte de Paris visita dans le département du Gard, Nimes, Bessèges, Alais, et surtout les mines de houille de la Grand'Combe, qui l'inté- ressèrent particulièrement.

La compagnie des mines de la Grand' Combe, sous l'influence intelligente de MM. de Roths- child, fournit un exemple frappant du bien que l'on peut faire aux ouvriers, qui savent reconnaître les soins dont ils sont entourés : caisse de retraite pour la vieillesse, pensions aux veuves, secours aux enfants. L'administrateur- directeur et l'ingé- nieur en chef expliquèrent à M. le comte de Paris à quel point était bon l'esprit de la population, et

158 EXCURSIONS EN FRANCE

lui firent remarquer que presque toujours dans les élections, sur 3,000 votants environ, le candidat conservateur, quelle que fût son opinion politique, avait près de 2,400 voix.

M. le comte de Paris se rendit ensuite aux usines de Fourchambault, près de Nevers, et de alla voir M. le comte de Montalivet dans son beau château de Lagrange, non loin de Sancerre. Après quelques jours de repos, il parcourut, dans le Nord, les mines d'Anzin, qui fixèrent vivement son attention, et dont M. Casimir Périer et le général de Chabaud- Latour lui firent les honneurs. Peu après, accompagné de M. le duc de îiroglie, il partit pour Saint-Gobain, cette importante manu- focture de glaces que l'Europe admire et nous envie. La Touraine eut aussi sa visite. Dans ces excursions, il conservait toujours l'incognito, dé- sirant tout voir, tout connaître, s'instruire en un mot, mais ne recherchant nullement les brillantes réceptions. A la fin de juin 1872 , l'auteur de ce livre avait l'honneur de faire visiter les châteaux de Blois, Chaumont, Chenonccaux, Chinon, à M. le comte de Paris, à Madame la comtesse de Paris et à M. le duc de Montpensier, salués partout avec respect dès que leur incognito était découvert. Désireux de se reposer de ces excursions, M. le comte de Paris alla avec Madame la comtesse de Paris et ses enfants passer quelque temps au bord de la mer, en Bretagne, à Dinard, d'où il

PREMIÈRE VISITE DU PRINCE A EU 159

devait être rappelé par la fin prématurée de l'in- fortuné duc de Guise.

Peu après il arriva à Eu. C'était sa première excursion à Eu depuis son retour de l'exil. Après avoir fait avec M. Estancelin une promenade à cheval aux environs de la ville d'Eu, M. le comte de Paris se rendit à l'église, qu'il visita en détail, admirant la beauté de la vieille abbatiale. Puis il descendit, accompagné par le curé, dans l'église souterraine, sont les tombeaux des comtes d'Eu. Le prince se rendit ensuite aux usines Packam. Tous les ouvriers, attendant M. le comte de Paris, étaient rangés dans la cour. Un bou- quet lui fut offert en leur nom par la fille du gérant, M. Marc. Un des contremaîtres, M. Des- jardins, lut ensuite à M. le comte de Paris, au nom des ouvriers de la ville d'Eu, l'adresse suivante :

Monseigneur,

Autrefois, tout enfant encore, Votre Altesse Royale se plaisait à visiter ces vastes usines fondées par le roi Louis- Philippe, irrécusables monuments de la haute sollicitude de votre auguste aïeul pour la classe ouvrière, pour l'agri- culture et pour l'industrie.

Depuis plus de quarante années, ces usines servent en effet à manufacturer les produits de la contrée au milieu de laquelle elles sont situées, en même temps qu'elles pro- curent, avec le travail, les ressources nécessaires pour élever nos familles.

160 PREMIÈRE VISITE BU PRINCE A EU

Fidèle aux sages et fécondes traditions du fondateur de ces usines, Votre Altesse Royale, en les visitant aujour- d'hui, témoigne de la même bienveillante sollicitude pour les véritables intérêts du })ays ; nous vous en remercions pour notre part. Monseigneur, avec d'autant plus d'effusion et de reconnaissance que nous connaissons, par vos ou- vrais, les études sérieuses que vous avez faites sur la classe ouvrière et sur les moyens d'améliorer son sort. Aussi c'est du fond de notre cœur, il est resté trop longtemps contenu, que nous poussons ce cri : Vive le comte de Paris !

Le prince répondit que pendant son long exil les souvenirs affectueux qui lui étaient transmis de la part des habitants d'Eu, au milieu desquels il était heureux de se retrouver, avaient été une consolation pour lui. Ses paroles furent chaleu- reusement acclamées.

M. le comte de Paris se rendit ensuite dans l'éta- blissement de M. Fluttre, qui venait de recevoir une médaille de l'Association normande pour la perfection de son travail. Là, comme aux usines Packam, il reçut des ouvriers cl de la foule, qui se pressait sur son passage, l'accueil le plus em- pressé. De M. Eslancelin accompagna le prince à la verrerie de la Grande-Yalléc, dans la foret d'Eu.

M. le comte de Paris, après son excursion en Normandie, partit pour Aix-les-Bains, il alla rejoindre M. le duc d'.Aumale. M. le comte de

« LA SITUATION DES OUVRIERS EN ANGLETERRE » i<31

Paris tenait ainsi à adoucir la solitude de son oncle, si malheureux depuis la mort du duc de Guise.

Avant de revenir à Paris, M. le comte et Madame la comtesse de Paris , après s'être rendus chez M. Casimir Périer, dans l'Isère, s'arrêtaient quel- ques jours au château de la Grave, près de Li- bourne, chez M. le duc Decazes, puis h Bordeaux, ils étaient accueillis avec le plus vif empresse- ment. C'est ainsi que s'écoula la première année du retour en France de M. le comte de Paris.

Au mois de mars 1873, M. le comte de Paris publia en un volume le travail sur la Situation des Ouvriers en Angleterre^ qu'il venait d'adresser à la commission d'enquête sur les classes ouvrières instituée par l'Assemblée nationale. En lisant ce livre, qui obtint un brillant succès, on sent qu'en étudiant la situation des ouvriers en Angleterre, le prince pense sans cesse à la situation des ouvriers en France. Dans cet exil tout et tous lui parlaient de cette patrie dont il avait été banni si jeune, le but unique de toutes ses études était de se rendre capable, à quelque position que la Providence l'appelât, de faire du bien à son pays.

Cet ouvrage est divisé en trois parties princi- pales : le salaire, l'association, la protection; c'est- à-dire la vie matérielle, la vie morale et la vie sociale de l'ouvrier. On a pu, dans une certaine

11

162 \"OYAGE KX Al'RIoi-'K

presse, critiquer systémaliquemeiit ce livre et refuser d'y voir Texposé réel et sincère de la vie de l'ouvrier anglais. On a voulu oublier que M. le comte de Paris ne nous propose pas, et avec raison, pour la France tout ce qu'il loue en Angle- terre; toujours est-il que tout esprit impartial lira ce volume avec intérêt et profit.

Pour nous servir des éloquentes expressions par lesquelles, en terminant son livre, M. le comte de Paris dépeint l'Angleterre, nous ne désespé- rons pas de voir un jour la France,

forte de ses institutions, respectant le passé, scrutant

le présent, aller virilement au-devant des problèmes de l'avenir. Dans ces questions graves et délicates, elle don- nera l'exemple d'une politique vraiment réformatrice, c'est- à-dire ni révolutionnaire ni routinière, qui cherche à aug- menter avec la liberté la responsabilité de l'individu, qui efiace autant que possible de ses codes les mesures préven- tives, en même qu'elle apprend au plus humble citoyen que le respect religieux de la loi par tous est la seule garantie de la liberté de chacun.

Dans les premiers jours de nuii 1873, M. lecomte de Paris, désireux de connaître cette terre d'Afri- que, illustrée jadis par son père et ses oncles, accompagna M. le duc de Chartres qui allait rejoindre son régiment à Gonslantine. Le prince parcourut rapidement les principales villes de notre colonie. 11 visila successivement Bône, Gonstanline, Blidah, Oran et Alger, accueilli par-

VISITK AU MARÉCHAL DE MAC MAHON 163

tout avec sympathie, siirlout par les autorités mili' taire s.

Les graves événemenls qui se préparaient à la suite des élections du 27 avril et du 11 mai 1873 hâtèrent le retour en France de M. le comte de Paris. L'Assemblée nationale, dontles vacances se terminaient le 19 mai, reprit ses séances ce môme jour à Versailles. Le 20, M. le comte de Paris arrivait à Chantilly. Gomme toute la France, les princes d'Orléans accueillirent avec satisfaction le nouveau gouvernement du 24 mai.

Quelques jours après que le glorieux vaincu de Reichshoffen, le maréchal de Mac Mahon,eut cons- titué un ministère résolu à une politique éncrgi- quement conservatrice, M. le comte de Paris se rendit à Versailles, chez M. le président de la République. Le maréchal était absent ; mais le lendemain, dimanche l*"" juin, il alla à Paris pour rendre au prince sa visite. Reçu immédiatement, le maréchal de Mac Mahon s'entretint avec M. le comte de Paris, lui parlant de l'Afrique, il avait fait ses premières armes, et du discours que venait de prononcer, à Langres, M. le prince de Joinville.

Peu de jours après la revue du 12 juillet 1873 pas- sée en l'honneur du shah de Perse, l'Assemblée nationale se séparait et s'ajournait au 5 novembre.

Ce fut alors, à la fin de juillet, que M. le comte de Paris réunit chez lui ses oncles et son frère le duc de Chartres, pour leur faire part de son

104 M "^ LE COMTE DE PARIS A VIENNE

intention d'aller à Vienne, voir M. le comte de Chambord. Tous l'approuvèrent. Depuis deux ans, M. le comte de Paris attendait avec impa- tience le moment il pourrait faire cette visite. « Comme on l'a dit avec justesse, le trait dis- tinctif du caractère de M. le comte de Paris, c'est un patriotique désintéressement. L'acte poli- tique du 5 août en est la preuve. L'entrevue de Frohsdorfa pu causer, en France et en Europe, une vive surprise. Elle n'a étonné aucun de ceux qui ont l'honneur de connaître M. le comte de Paris. Cette démarche, libre et volontaire, il l'a faite comme la chose la plus simple et la plus naturelle, en vue de reconstituer en France l'unité de la grande cause royaliste; sans cette unité, au- cune possibilité, aucune espérance de relier en un faisceau les forces éparses du parti conservateur. était la nécessité, le prince s'est dit que était le devoir, et il n'a pas hésité. »

Ce qu'il avait résolu de faire, il l'a fait à l'heure qu'il s'était choisie avec l'à-propos et le tact d'un sage et profond politique. Ceux qui le persécu- taient (le mot est juste) pour qu'il avançât son voyage à Frohsdorf , ne songeaient point que , l'accomplir avant le 24 mai, c'eut été s'exposer à en compromettre à tout jamais les résultats au- jourd'hui acquis. Au pouvoir alors, dominant la situation et les partis, M. Thiers avec sa merveil- leuse et nuisible habileté, n'eût pas manqué de

M"'" LE COMTE DE PARIS A VIENNE 165

ruiner, au profit de l'idée républicaine, l'union monarchique en la dénonçant, et au besoin, en la châtiant comme un complot. La lettre de M. Thiers au maire de Nancy, le 29 septembre, montra que M. le comte de Paris avait vu juste. On accusait partout depuis deux ans les princes d'Orléans d'être les seuls obstacles au rétablisse- ment de la monarchie. Rien n'était plus injuste. Mais cette idée faisait de tels progrès dans le public, qu'elle entrait dans l'esprit des hommes les plus modérés.

Selon la parole célèbre : « En révolution il est plus difficile de connaître son devoir que de le faire, » M. le comte de Paris avait compris quel acte important pour la France il allait accomplir, et il n'hésita pas.

La nuit du 24 mai avait heureusement donné le pouvoir au maréchal de Mac Mahon. Mais la France subissait encore l'occupation étrangère, l'Assem- blée était réunie, et la visite de M. le comte de Paris au chef de la maison de Bourbon aurait pu créer de sérieux embarras au ministère nouveau. On aurait pu aussi reprocher aux princes de préparer le retour de la monarchie sous la protection des baïonnettes prussiennes ; il fallait attendre encore.

Les députés en vacances, le moment était pro- pice. M. le comte de Paris alla installer Madame la comtesse de Paris et ses enfants à Villers-sur- Mer, près de Trouville, puis il partit pour la Suisse,

166 M^' LE COMTE DE PARIS A VIENNE

avec son oncle, le jîiince de Joinville. Il préférait éviter le bruit qu'aurait causé sa visite, et dési- rait surtout que M. le comte de Chambord n'en fût informé qu'après son arrivée à Vienne. En Suisse, il fut reconnu par un ami du prince Louis Bonaparte, qui alla immédiatement dire au fils de Napoléon III qu'il venait de rencon- trer M. le comte de Paris. M. Thiers fit insérer le départ du comte de Paris pour Vienne, dans le National. Cette nouvelle avait été annoncée si souvent depuis deux ans, que personne n'y attacha la moindre attention. On n'y ajouta foi que lorsque toute la presse publia des dépêches de Vienne, annonçant l'arrivée du prince, dans cette ville, le samedi soir 2 août.

Le lendemain 3, M. le comte de Paris envoya une dépêche à M. le comte de Chambord, lui de- mandant quel jour et en quel lieu il voudrait bien le recevoir. Le comte de Chambord sortait de la messe, lorsque cette dépêche lui fut remise, en présence de madame la comtesse de Chambord, de M. le comte de Vanssay et de M. le comte de Blacas. On nous a assuré que l'augusle chef de la maison de Bourbon lut avec émotion la dépêche, et que son visage respirait à la ibis la joie et la surprise.

M. le comte de Chambord télégraphia immédia- tement à M. le comte de Paris que le lendemain, danslajournée, il reccvraitla réponse qu'il désirait.

M'"" LE COMTE DE CHAMBORD ET M'"' LE COMTE DE PARIS 167

Le 4, M. le comte de Vanssay se rendait à Vienne, et à une note qu'il remit au nom de M. le comte de Ghambord à M. le comte de Paris, celui-ci 'répondit immédiatement, de sa main, ce qui suit :

Vienne, 4 août 1873.

M. le comte de Paris pense comme M. le comte de Chambord qu'il faut que la visite projetée ne donne lieu à aucune interprétation erronée.

Il est prêt, en abordant M. le comte de Chambord, à lui déclarer que son intention n'est pas seulement de saluer le chef de la maison de Bourbon, mais bien de reconnaître le principe dont M. le comte de Ghambord est le représentant.

Il souhaite que la France cherche son salut dans le retour à ce principe, et il vient auprès de M. le comte de Chambord pour lui donner l'assurance qu'il ne rencontrera aucun compétiteur parmi les membres de sa famille.

M. le comte de Paris pria seulement M. de Vans- say de vouloir bien faire part à M. le comte de Chambord de l'intention étaient ses oncles et lui-même de servir dans l'armée française.

A cette loyale déclaration, M. le comte de Gham- bord répondit cette phrase significative : «... Je trouve très naturel le désir de mes cousins de rester dans l'armée, tant que la France est en République, je ne le comprendrais pas si c'était sous une monarchie, autre que la monarchie légitime »

Le mardi 5 aoiit, à neuf heures du matin, M. le

168 ENTREVUE DE FROIISDORF

comte de Paris arrivait au château de Frolisdorf, situé à une heure de Vienne, en chemin de fer. Introduit dans le salon le comte de Ghambord l'attendait. M. le comte de Paris, après avoir serré la main que lui tendait son cousin, s'exprima ainsi : (( Mon cousin, en saluant aujourd'hui le chef de notre maison, en mon nom, comme au nom de [ouïe ma famille, je viens reconnaître en môme temps le principe monarchique dont vous êtes le seul représentant en France. Le jour notre pays comprendra que son salut est dans la res- tauration de la monarchie, soyez persuadé que vous ne trouverez de compétiteur au trône, ni en moi, ni en aucun membre de ma famille. » A ces paroles, le comte de Ghambord, fort ému, se leva, et les deux princes s'embrassèrent. Leur conver- sation continua sur le ton de lu plus grande cor- dialité. M. le comte de Paris s'entretint surtout de la France, de l'état des esprits, et, sans parler spé- cialement du drapeau tricolore, laissa comprendre à son cousin que l'Assemblée nationale, par l'or- gane de ses représentants, aurait à régler bientôt avec lui, espérait-il, les moyens de rétablir la mo- narchie. A la fin de leur conversation, M. le comte

de Ghambord lui dit ces mots : « Groyez que

je (rouve tout naturel que vous conserviez les opinions politiques dans lesquelles vous avez élé élevé; l'héritier du liône peut avoir ses idées, comme le Roi les siennes »

ENTREVUE DE FROHSDORF 169

Il présenta ensuite M , le comte de Paris à Madame la comtesse de Chambord qui lui fit le plus aima- ble accueil. M. le comte de Paris resta plusieurs heures à Frohsdorf, après le déjeuner. Il repartit pour Vienne vers quatre heures, car le soir il devait diner chez l'empereur d'Autriche, et se rendre avec lui à l'Opéra à une représentation de gala en l'honneur du Shah de Perse.

Telle fut cette première entrevue entre le petit- fils du roi Louis-Philippe P'" et le petit-fils du roi Charles X. Les journaux républicains pous- sèrent des cris de rage et insultèrent à l'envi les princes d'Orléans et le comte de Chambord. On voit combien cette réconciliation des deux branches de la maison de Bourbon avait été spontanée, loyale et franche. On remarquera le noble langage du comte de Chambord, comprenant et appréciant l'abnégation et le désintéressement de M. le comte de Paris. Aussi ne nous arrête- rons-nous pas plus longtemps aux commentaires des ennemis des princes, furieux et dépités de voir leurs espérances ajournées indéfiniment par l'union des deux branches de la maison de Bourbon.

Mais il faut le reconnaître ! Le parti républicain eut alors une singulière prétention. Il poursuivit avec acharnement le dessein d'établir, pièces en main, àla lumière de l'histoire, que l'union du parti monarchique, et le parfait accord qui régnait entre

170 LA FUSION

les légitimistes et les orléanistes, constituaient une atteinte aux droits, une infraction aux devoirs des uns et des autres; et, pour préciser, que ce qui se passa le 5 août .1873 était une injure à la mé- moire du comte de Chambord et du roi Louis- Philippe. Des chefs de l'opportunisme ont osé dire : « M. le comte de Paris, en acceptant l'héritage politique de M. le comte de Chambord, a trahi la mémoire et les enseigne- ments de sa famille. Les légitimistes, en recon- naissant, comme ils l'ont fait, M. le comte de Paris pour le chef indiscutable de la maison de France , ont brisé la tradition de leur parti et manqué de respect à M. le comte de Chambord. » On remplirait des volumes avec les articles dans lesquels ce double thème a été développé à sa- tiété.

Eh bien! un témoin surgit qui détruit ces erreurs, et ce témoin, nous ne pensons pas que les républicains récusent ni son auto- rité ni sa compétence. Il s'agit, en effet, de l'homme d'Etat le plus considérable de la monar- chie de Juillet. Grand orateur, grand historien, écrivain de premier ordre : nous avons nommé M. Guizot. Sa fille. M"' de Witt, a recueilli pieu- sement quelques-unes des lettres de M. Guizot à sa famille et à ses amis ; elles forment un seul volume, mais le volume est de choix. On y re- trouve, ("ommc en un fragment de iniroii- brisé,

LE ROI LOUIS-PHILIPPE ET LA FUSION 171

les meilleures qualités de ce puissant esprit, ses vues larges et profondes sur les hommes et sur les choses de son temps, dans un style merveil- leusement adapté aux généralisations, et habile à exprimer la vérité tout entière en deux phrases, en de courts fragments, pour la plupart impro- visés.

Or, il résulte des lettres de M. Guizot, qu'après la révolution de 1848, dans l'intervalle qui s'é- coula entre l'avènement du prince Louis-Napoléon à la présidence de la République et le coup d'Etat du 2 décembre 1851, les partisans de la monarchie traditionnelle et les serviteurs de la royauté de Juillet étaient unanimes sur la nécessité et Tur- gence d'une réconciliation sincère et d'une fusion définitive entre toutes les forces monarchiques de ce pays. Non seulement M. Guizot, pour sa part, était entré dans ces idées sans aucune espèce de réserve, mais sa correspondance nous révèle que le roi Louis-Philippe les favorisait de tout son pouvoir, les appuyait de toute son autorité. Le roi disait à M. Guizot, en juillet 1850 :

« Mon petit-fils ne peut régner au môme titre et aux mêmes conditions que moi, qui ai fini par échouer. Il ne peut être que roi légitime, soit par la mort, soit par l'abdication de M. le duc de Bordeaux, soit à son tour. Mais je n'ai, quant à présent, ni résolution à prendre, ni démarche à faire. Je n'ai qu'à attendre. C'est un grand mal

1/2 LE ROI LOUIS-PHILIPPE ET LA FUSION

que la désunion de la maison de Bourbon : je n'y ajouterai pas le scandale de la désunion de la maison d'Orléans. Il faut que tous les miens soient de mon avis. Tous mes fils en sont. Mais ce n'est pas tout. Il faut du temps : il me faut du temps ^ »

Toutefois ni le roi Louis-Philippe ni M. Guizot n'estimèrent que ce fût assez, dans les circons- tances où se trouvait alors le pays, de former des vœux platoniques en faveur de la fusion. Avec les conseils, avec les encouragements du premier, le second se mit en mesure de faire parvenir à M. le comte de Chambord l'expression des idées qui avaient cours à Claremont, et de préparer le terrain à une solution qui, dès cette époque, était chère aux meilleurs esprits. M. Guizot rédigea donc à la fin de Tannée 1850 une note développée sur les conditions dans lesquelles pouvait s'ac- complir la réconciliation des partis monarchiques.

Cette note est une des pages les plus judicieu- ses et les plus élevées qui soient sorties de la plume de M. Guizot. Après avoir défini ce qui doit appartenir en propre aux légitimistes et aux orléanistes dans l'exercice du gouvernement royal, fauteur posait ainsi ses conclusions :

« En 1830, une grande, une très grande partie de la nation s'est sentie attaquée et mise en péril

1. M. Gui/.ot à M. de Baraiile, 9 juillet 1850.

UNE NOTE DE M. GUIZOT 173

dans ses droits, dans ses intérêts, dans son hon- neur. Elle a fait ou approuvé, contre le droit mo- narchique, une révolution. A lort ou à raison, elle n'a pas cru pouvoir défendre par un autre moyen ses intérêts, son honneur, ses droits. La révolu- tion faite, le pays et son gouvernement nouveau se sont efforcés de l'arrêter, de la régler, d'en faire sortir, sous un prince de la maison de Bourbon, une monarchie constitutionnelle. Cette monarchie a duré dix-huit ans. Pendant dix-huit ans, elle a maintenu l'ordre légal en France et la paix en Europe. Pendant dix-huit ans, la France a vécu libre et prospère. Nul autre gouvernement, de- puis soixante ans, n'a duré davantage et n'a plus sincèrement et plus libéralement gouverné. En 1848, ce gouvernement a été soudainement ren- versé. Sans regarder plus avant, sans rechercher les causes secondaires de sa chute, on est en droit de dire qu'il ne possédait pas toutes les con- ditions vitales de la durée.

« Ce sont deux grands faits qui planent maintenant sur tous les partis, et qui, pour M. le comte de Chambord et pour la France, doivent présider à toute politique. On peut dire que Dieu a parlé. La France doit reconnaître que le respect du droit monarchique et l'union des partis monar- chiques sont indispensables à la monarchie. M. le comte de Chambord doit reconnaître que la mo- narchie de 1830 a été nationale et légale, et qu'elle

174 UNE NOTE DE M. C4UIZ0T

a sauvé la France de l'anarchie. Par cette altitude simultanée, ni M. le comte de Ghambord ni la France n'abandonnent leur dignité et leur droit. Ils se rapprochent sans se renier. Ils rendent ensemble hommage à la vérité et à la néces- sité'. »

La note de M. Guizot avait été mise sous les yeux de M. le comte de Ghambord par l'intermé- diaire de M. le duc de Noailles. Le prince l'exa- mina avec l'attenlion qui lui était due, et y répon dit, comme on sait, par une des plus magnifiques lettres de sa correspondance. M. le comte de Ghambord, après avoir rendu hommage à la supé- riorité d'esprit, à la haute capacité el à la longue expérience de M. Guizot, ajoutait : « Je les ai lues (ces pages) avec d'autant plus d'intérêt et de satisfaction que, sur la plupart des points et à quelques différences près, je partage les pensées et les vues qu'elles expriment. »

G'est donc le programme tracé par M. Guizot d'une main si magistrale en 1850 qui s'est exé- cuté en 1873. Libre au parti républicain de traiter de haut l'évolution si patriotique et si nationale que les conservateurs accomplirent, mais ce que nous contestons à nos adversaires, c'est de pouvoir prétendre qu'elle a eu lieu en opposition avec les traditions respectives des deux partis monar-

1, Lettres fie M. Guizot. Note sur la fusion, novonibre 1850, elle/. IliuheUe.

m""' le comte de chambord chez m^'' le comte de rAHI.S 175

chiques. En réalité, leur union, désormais indis- soluble, est au même degré l'œuvre du roi Louis- Philippe et de M. le comte de Chambord.

Le 5 août 1873, M. le comte de Chambord reçut aussi visite de M. le prince de Joinville, qui lui exprima des sentiments en parfait accord avec ceux de son neveu. Le lendemain, M. le comte de Cham- bord rendait, à Vienne, à M. le comte de Paris, la visite qui lui avait été faite. Dans cette seconde entrevue, le comte de Chambord parla beaucoup à M. le comte de Paris de ses enfants, et lui demanda leurs photographies. Pour le chef de la maison de Bourbon, en effet, la fusion des deux branches de sa famille ne consistait pas seulement à oublier des deux côtés la politique passée, mais aussi à retrouver toutes les joies de la famille, dont il avait été sevré depuis tant d'années. Une fatale désunion l'avait empêché de connaître, même de vue, ceux qui étaient comme lui du sang de Bourbon.

Un journal a dit à propos de l'entrevue de Frohsdorf :

« C'est alors que par l'initiative généreuse et hardie de M. le comte de Paris, le chef de la maison de Bourbon voit arriver chez lui des hommes qui témoignèrent une émotion que peuvent seuls éprouver des gens de cœur. Autour d'eux des fem- mes, des enfants de tous âges, de brillants officiers comme le duc de Chartres, de ravissantes jeunes filles comme la princesse Blanche de Nemours, se

176 M-'"" LE COMTE DE PARIS A VILLERS-SUR MER

tiennent dans une respectueuse et afFectueuse atti- tude. Les mains se tendent, les yeux s'emplissent de larmes, et l'homme qui semblait destiné à pas- ser sa vie près d'un foyer désert reçoit dans ses bras toute une famille, des frères, des sœurs, et jusqu'à des bébés comme le petit duc d'Orléans, qui grimpent sur ses genoux et commencent à Taimer, en même temps qu'à le connaître. Une seule idée reste au fond de tous ces cœurs : le re- gret du temps perdu dans l'isolement, le désir de le réparer.

« Quant au prince vers qui on est venu, cette jeunesse lui rend sa jeunesse, son cœur a trouvé à qui parler, il possède enfin une famille, et les basses jalousies ou les haines aveugles auront beau s'agiter au dehors, elles ne désuniront pas ce qui a été si bien cimenté. Qu'on le comprenne bien : la réunion des deux branches de Li maison de Bour- bon fut d'autant plus solide qu'il s'agissait pour elles non seulement de rapprocher leurs familles, mais encore de sauver la France qui sans la mo- narchie ne tarderait pas à périr. »

M. le comte de Paris revint à Paris au milieu d'août. Il ne fit qu'y passer, et rejoignit sa famille à Villers-sur-Mer. La visite du 5 août avait eu un immense retentissement en France. Partout on approuvait M. le comte de Paris qui, dès son retour à Villers le 18 août, écrivait à un ami :

I^TTRE DE M^'"" LE COMTE DE PARIS 177

Je vous remercie d'avoir si bien compris et apprécié ma récente démarche au])rès de M. le comte de Chaïubord. J'ai été inspiré par une pensée d'union. J'ai voulu écarter tout ce qui pouvait faire obstacle à cette union des conserva- teurs, fondée sur des intérêts communs, et sur un respect des opinions de chacun, partout il peut y avoir diver- gence. Cette union peut seule nous sauver des ennemis so- ciaux.

Toute la presse conservatrice saluait avec joie la réconciliation de la famille royale, et l'histoire enregistrait avec une admiration, mêlée d'étonne- ment, le plus grand acte de la vie politique de M. le comte de Paris. Cet acte déliait sans effort le nœud inextricable d'un malentendu de quarante années; le pays tout entier, témoin ému de la patriotique ab- négation de M. le comte de Paris, s'écriait avec joie: « La France est sauvée, la monarchie est faite ! »

La presse étrangère, môme la plus hostile, ne pouvait s'empêcher de s'écrier comme le Times:

« Peut-on concevoir rien de plus étrange ? Par suite d'événements, auxquels il n'a pris aucune part, le comte de Ghambordpeut, pour la première fois depuis quarante-trois ans, voir en perspective son arrivée prochaine et légale au trône de France. Pour la première fois, depuis la mort de Louis XVI, voici un prince français, appelé au trône par sa naissance, qui succédera à la dignité de ses ancêtres, sans avoir sollicité cette succes- sion, et sans avoir eu recours, pour l'oblenir, à

12

178 UN ARTICLE DU « TIMES »

l'intrigue ou à la violence. Voici également (fait étrange !) un prince qui renonce à sa compétition au pouvoir, et qui, du plus formidable des préten- dants, devient le plus loyal des sujets. En outre, tout cela arrive au moment le plus inattendu, alors que les plus ardents partisans de la fusion avaient perdu tout espoir de succès. Le seul obstacle, en vérité, qui semble se trouver sur la voie de la res- tauration de la monarchie française est le prince lui-même, qui depuis quarante ans a déclaré sans cesse que la monarchie est le seul salut du pays. Tout cela est incroyable, et cependant cela est. »

Dans toutes les classes de la société on avait la plus grande confiance dans les intentions du comte de Ghambord. Quelques personnes auraient désiré que l'on hàtàt la convocation de l'Assemblée. On attribuait à un haut personnage la réponse sui- vante à ce sujet :

« Nous ne voulons pas replâtrer une monarchie ; nous voulons l'établir sur une base solide. Quel- ques mois de plus ou de moins n'ont d'importance ni pour le pays ni })our le comte de Ghambord; l'un et l'autre pourront réfléchir : la France sur ce qu'elle se doit k elle-même, et le prince sur ce qu'il lui doit »

Geux qui, jusqu'alors, avaient été les plus scep- tiques, commençaient à croire à la restauration de la monarchie, et on citait cette parole d'un de nos plus spirituels conseillers d'État : « M. le

CALOMNIES RÉPUBLICAINES 179

comte de Chambord n'a jamais eu la couronne si près de sa main, jamais il n'a été aussi sûr de s'en- lever toute chance future, s'il laisse échapper l'oc- casion actuelle. Cette situation nouvelle peut agir sur lui, et, comme il est homme de devoir, l'éclai- rer sur ses devoirs envers la France et envers la royale maison dont il est redevenu le chef. Il y a des prodigues qui se ruinent jusqu'au bout, il y en a qui se rangent quand ils ont un enfant.»

Les républicains, remis de leur premier trouble, ne perdirent pas leur temps. Pendant les mois de septembre et d'octobre ils parcoururent les cam- pagnes répétant toutes les absurdités sur l'ancien régime, la dime,les billets de confession, etc., etc. Dans certains villages, les paysans demandaient s'il était vrai que les curés allaient remplacer les maires, dans d'autres ils se hâtaient de vendre leurs denrées pour éviter la dijue qui allait être rétablie par Henri V ! Avec une perfide habileté, les républicains exploitaient cette crédulité, et les pèlerinages leur servaient de prétexte pour dire que le clergé agitait le pays par des manifestations politiques.

Pendant que les républicains répandaient leurs calomnies contre les royalistes, le gouvernement s'appliquait à conserver la plus stricte neutralité. L'attitude des ministres était irréprochable, et cela était d'autant plus méritoire que plusieurs étaient ouvertement royalistes.

180 UNE LETTRE DE M^'' LE COMTE DE CHAMBORD

On était arrivé au 20 septembre. Beaucoup de Français s'étaient rendus à Frohsdorf, et avaient été parfaitement accueillis par le comte de Cham- bord. L'un d'eux, ancien député orléaniste, M. le vicomte D., oncle d'un député du centre gauche, nous racontait qu'il n'avait pu s'empêcher de dire au chef de la maison de Bourbon combien il était heureux que la Providence eût donné à l'héritier du trône, M. le comte de Paris, toutes les qualités qui le distinguent

{( Certainement, répliqua le comte de

Chambord, j'ai été bien heureux d'apprécier, comme il le mérite, M. le comte de Paris : c'est une nature droite, honnête, et son intelligence, son esprit, m'ont paru, comme à vous, tout à fait remarquables »

En quittant le vicomte D., le prince lui serra

la main en lui disant : « A bientôt, au revoir, en France. »

La veillede cette visite (19 septembre), M. le comte de Chambord avait écrit la lettre suivante à M. le vicomte de Rodez-Bénavent, député de l'Hérault :

Froshdorf, 19 septembi-o 1873.

Le sentiment qu'on éprouve, mon cher vicomte, en lisant les détails que vous me donnez sur la propagande révolu- tionnaire dans votre province, est un senlinicnt de tris- tesse; on ne saurait descendre |)lus bas pour trouver des armes contre nous, et rien n'est moins digne de l'esprit français.

UNE LETTRE DE M'"' LE COMTE DE CHAMi;ORD iSl

En être réduit, en 1873, à évoquer le fantôme de la dîme, des droits féodaux, de l'intolérance religieuse, de la [)er- sécution contre nos frères séparés; que vous dirai-je en- core ? de la guerre follement entreprise dans des conditions impossibles, du gouvernement des prêtres, de la prédo- minance des classes privilégiées ! Vous avouerez qu'on ne peut pas répondre sérieusement à des choses si peu sé- rieuses. A quels mensonges la mauvaise foi n'a-t-elle pas recours lorsqu'il s'agit d'exploiter la crédulité publique? Je sais bien qu'il n'est pas toujours facile, en face de ces indignes manœuvres, de conserver son sang-froid ; mais comj)tez sur le bon sens de vos intelligentes populations pour faire justice de pareilles sottises. Appliquez-vous sur- tout à faire appel à tous les honnêtes gens sur le terrain de la reconstitution sociale. Vous savez que je ne suis point un parti, et que je ne veux pas revenir pour régner par un parti : j'ai besoin du concours de tous, et tous ont besoin de moi. Quant à la réconciliation si loyalement accomplie dans la maison de France, dites à ceux qui cherchent à dénaturer ce grand acte, que tout ce qui a été fait le 5 août a été bien fait dans l'unique but de rendre à la France son rang, et dans les plus chers intérêts de sa prospérité, de sa gloire et de sa grandeur.

Comptez, mon cher Rodez, sur toute ma gratitude et ma constante affection .

Henri.

Cette lettre réfutait admirablement les men- songes de la propagande révolutionnaire, mais ne donnait pas encore la satisfaction si attendue quant à la constitution et au drapeau. Car le prince

182 ANECDOTE SUR M^'"' LE COMTE DE CHAMBORD

ne tranchait aucune question, et laissait ainsi l'es- pérance aux partisans de la fusion.

Voici une curieuse anecdote qui nous fut ra- contée, à celte époque, par un des amis les plus intimes de M. le comte de Chambord, atta- ché vingt ans à sa personne, et qui fut conseiller d'Etat sous la présidence du maréchal de Mac Mahon :

Il y a une vingtaine d'années, le comte de Cham- bord se trouvait à Munich, et assistait à un grand bal donné par le roi de Bavière. La soirée était des plus brillantes; diplomates ou grands sei- gneurs, presque tous portaient un costume mili- taire. Le roi de Bavière en causant avec le comte de Chambord lui demanda pourquoi il ne lui avait jamais vu porter un costume militaire.

« Vous allez le comprendra d'un mot, Sire, répondit le prince : un uniforme m'entraînerait à mettre une cocarde, et ce serait préjuger la ques- tion qui ne peut être résolue que lorsque je serai en France. »

Je m'abstiens de tout commentaire, et ferai re- marquer seulement la sagesse de cette réponse d'un prince qui prévoyait la possibilité pour lui d'accepter le drapeau tricolore.

Beaucoup de députés se rendirent à Frohsdorf. M. de Sugny, député de la Loire, et M. Mervcil- leux-f)uvignaux, député de la Vienne, n'hésitèrent pas à exposer au prince la situation telle qu'elle

M. CHESNELONCt a salzbourg 183

ressortait des réunions tenues à Versailles, tout en déclarant qu'ils n'avaient pas mission de lui poser un ultimatum.

Après une importante réunion de la droite, le 25 septembre, il fut décidé que M. Combler par- tirait pour Frohsdorf, Ce député s'y rendit et constata que les hésitations de M. le comte de Chambord sur le drapeau tricolore duraient tou- jours. M. Combler se sencontra à Frohsdorf avec M. le duc de Chartres. Ce prince, retenu par son devoir de chef d'escadron au chasseurs, avait profité d'un congé pour aller saluer le chef de la maison de Bourbon, auprès duquel il se trouva le 29 septembre, jour anniversaire de sa naissance.

A cette occasion, M. le comte de Paris avait adressé un télégramme à M. le comte de Cham- bord, contenant ses félicitations, et en avait reçu une dépêche des plus cordiales.

M. Chesnelong, député, se rendit, au nom de la droite, à Salzbourg, le 12 octobre, et il vit longue- ment le prince. Sa mission paraissait avoir réussi, et à son retour, la joie la plus vive était mani- festée par les feuilles conservatrices.

Cependant, à mesure que l'heure décisive ap- prochait, l'anxiété était plus grande dans le parti royaliste, surtout en présence du silence gardé par M. le comte de Chambord.

Les feuilles anglaises et allemandes racontaient que les chevaux et les voitures du roi étaient

184 UN MOT DU PRINCE NAPOLÉON

achetés, les piqueurs arrêtés par M. le comte de Damas, qui serait allé visiter les écuries du Louvre, et, ajoutait-on même, avait pris des ren- seignements, auprès du général Fleury, sur d'anciens serviteurs de l'empereur qui deman- daient à entrer dans la maison du roi. Enfin, der- nier détail, la couturière de Madame la comtesse de Chambord avait reçu l'ordre de suspendre l'envoi de plusieurs robes destinées à la princesse, qui devait incessamment arriver à Paris.

Les ennemis de la monarchie ne restaient pas inaclifs. Un journal radical offrait au prince Napo- léon de s'unira lui contre les royalistes. Le prince acceptait l'alliance dans une lettre rendue pu- blique, qu'il faisait adresser à tous les maires de France. Alors que l'émotion des partis s'ac- centuait chaquejour, le « César déclassé » se ren- contra à table, chez M. Emile de Girardin, qui défendait avec éclat dans la Presse, avec M. Ro- bert Mitchell, la cause de la monarchie constitu- tionnelle.

« A quelles folies, lui dit-il, ne vous con- duiront pas vos doctrines parlementaires? Voilà ([ue, pour en assurer le triomphe, vous allez à la monarchie. Vous voulez donc revoir les anciens droits, le clergé tout-puissant, les billets de con- fession ! Oh ! .Monseigneur, comment pouvez- vous alléguer de telles sottises. Laissez cela aux imbéciles?... Je vous dis, s'écria le prince, que

SUKEXCITATION DE l/oPINION PUIiLIQUE 185

VOUS prendrez des bains d'eau bénite ! Ma foi, répliqua M. de la Guéronnière , j'aime encore mieux un bain d'eau bénite qu'un bain de pétrole. Vous avez tort. »

« Ce trait authentique n'est-il pas un éloquent commentaire de la lettre du prince Napoléon ^ ! »

On était arrivé au 27 octobre. Toute la polé- mique qui, depuis quelques jours, agitait Paris, mettait le comte de Chambord dans l'obligation de faire connaître sa pensée. L'opinion publique était très surexcitée. On faisait courir le bruit du départ de M. le duc de Nemours, mandé par le prince à Salzbourg, puis celui de M. de Falloux et de M. Lucien Brun, pour obtenir la confir- mation du langage tenu par M. Chesnelong. Le Figaro écrivait à l'ex-impératrice Eugénie pour la prier d'engager ses partisans à se dégager de leur alliance avec les radicaux et de voter le rétablis- sement de la monarchie.

Dans tous les salons on pointait les noms des députés sur lesquels on pouvait compter et les noms des douteux. Nous-même nous nous sommes livré à un calcul scrupuleusement fait, et nous croyons être au-dessous de la vérité en affirmant que la monarchie aurait été volée par une majorité de 30 à 40 voix.

Le 28 octobre, le Journal officiel publia un

1. La vérité sur fessai de restauration monarchique, attribué à M. Ernest Daudet, page 134. Dcntu, éditeur.

186 UN COMPLOT ANARCHISTE

ordre du jour à l'armée, signé du maréchal de Mac Mahon, et recommandant à l'armée de main- tenir la discipline qui venait d'être violée par le général Carrcy de Bellemare. Ce général, qui com- mandait à Périgueux, avait écrit au ministre de la guerre qu'il ne pouvait reconnaître la souve- raineté de l'Assemblée nationale. Le ministre de la guerre le mit immédiatement en non-activité par retrait d'emploi, et cet acte de vigueur causa dans l'armée, et dans toute la France, la meilleure impression.

En même temps, la Gazette des Tribunaux an- nonçait qu'un complot contre la sûreté publique venait d'être découvert à Autun. M"^ la marquise de Mac Mahon, nièce du maréchal, vivait au châ- teau de Sully, veuve, entourée de ses enfants, dans un village qu'elle comblait de ses bienfaits. Des individus, affiliés à une société secrète, avaient projeté de l'enlever comme otage. Plu- sieurs des conjurés prirent la fuite, d'autres furent arrêtés, avouèrent leur crime et furent sévère- ment condamnés. On assurait que ce plan d'enle- ver des otages existait dans plusieurs départe- ments.

La journée du vendredi 30 octobre commença sous les meilleurs auspices. A la Bourse, la con- fiance était revenue, et on ne doutait pas de l'ad- hésion du comte de Chambord aux sages proposi- tions de la droite. Tout à coup, vers six heures du

LA LETTRE DU 27 OCTOBRE 1873 187

soir, V Union parut avec la lettre suivante de M. le comte de Ghambord à M, Chesnelong :

Salzbourg, 27 octobre 1873.

J'ai conservé, Monsieur, de votre visite à Salzbourg, un si bon souvenir, j'ai conçu pour votre noble caractère une si profonde estime, que je n'hésite pas à ra'adresser loya- lement à vous, comme vous êtes venu vous-même loyalement vers moi.

Vous m'avez entretenu, pendant de longues heures, des destinées de notre chère et bien-aimée patrie, et je sais qu'au retour vous avez prononcé, au milieu de vos collè- gues, des paroles qui vous vaudront mon éternelle recon- naissance. Je vous remercie d'avoir si bien compris les angoisses de mon âme, et de n'avoir rien caché de l'iné- branlable fermeté de mes résolutions.

Aussi ne me suis-je point ému quand l'opinion publique, emportée par un courant que je déplore, a prétendu que je consentais enfin à devenir le roi légitime de la Révo- lution. J'avais pour garant le témoignage d'un homme de cœur, et j'étais résolu à garder le silence, tant qu'on ne me forcerait pas à faire appel à votre loyauté.

Mais puisque, malgré vos efforts, les malentendus s'ac- cumulent, cherchant à rendre obscure ma politique à ciel ouvert, je dois toute la vérité à ce pays dont je puis être méconnu, mais qui rend hommage à ma sincérité, parce qu'il sait que je ne l'ai jamais trompé, et que je ne le trom- perai jamais.

On me demande aujourd'hui le sacrifice de mon hon- neur. Que puis-je répondre ? Sinon que je ne rétracte rien, que je ne retranche rien de mes précédentes déclarations.

188 LA LETTRE DU 27 OCTOBRE 1873

Les [jrétentions de la veille me donnent la mesure des exi- gences du lendemain, et je ne puis consentir à inaugurer un règne réparateur et fort par un acte de faiblesse.

Il est de mode, vous le savez, d'opposer à la fermeté d'Henri V l'Iiabileté d'Henri IV. « La violente amour que je porte à mes sujets, disait-il souvent, me rend tout pos- sible et honorable. »

Je prétends, sur ce point, ne lui céder en rien ; mais je voudrais bien savoir quelle leçon se fût attirée rim])ru- dent assez osé pour lui persuader de renier l'étendard d'Arqués et d'Ivry.

Vous appartenez, Monsieur, à la province qui l'a vu naître, et vous serez, comme moi, d'avis qu'il eût prompte- ment désarmé son interlocuteur, en lui disant avec sa verve béarnaise : Mon ami, prenez mon drapeau blanc; il vous conduira toujours au clicmia de l'honneur et de la victoire.

On m'accuse de ne })as tenir en assez haute estime la va- leur de nos soldats, et cela au moment je n'aspire qu'à leur confier tout ce que j'ai de plus cher. On oublie donc que l'honneur est le patrimoine commun de la maison de Bourbon et de l'armée française, et que, sur ce terrain-li\, on ne peut manquer de s'entendre.

Non, je ne méconnais aucune des gloires de ma patrie, et Dieu seul, au fond de mon exil, a vu couler mes larmes de reconnaissance toutes les (ois que, dans la bonne ou dans la mauvaise fortune, les enfants de la France se sont montrés dignes d'elle.

Mais nous avons ensemble une grande œuvre à accom- plir. Je suis prêt, tout prêt à l'entreprendre (juand on le voudra, dès demain, dès ce soir, dès ce moment. C'est

LA LETTRE DU 27 OCTOBRE 1873 189

pourquoi je veux rester tout entier ce que je suis. Amoindri aujourd'hui, je serais impuissant demain.

Il ne s'agit de rien moins que de reconstituer sur ses bases naturelles une société profondément troublée, d'as- surer avec énergie le règne de la loi, de faire renaître la prospérité au dedans, de contracter au dehors des alliances durables, et surtout ne pas craindre d'employer la force au service de l'ordre et de la justice.

On parle de conditions ; m'en a-t-il posé, ce jeune prince, dont j'ai ressenti avec tant de bonheur la loyale étreinte, et qui, n'écoutant que son patriotisme, venait spontané- ment à moi, m'apportant au nom de tous les siens des assurances de paix, de dévouement et de réconciliation ?

On veut des garanties; en a-t-on demandé à ce Bayard des temps modernes, dans cette nuit mémorable du 24 mai, l'on imposait à sa modestie la glorieuse mission de calmer son pays par une de ces paroles d'honnête homme et de soldat, qui rassurent les bons et font trembler les mé- chants ?

Je n'ai pas, c'est vrai, porté comme lui l'épée de la France sur vingt champs de bataille, mais j'ai conservé in- tact, pendant quarante-trois ans, le dépôt sacré de nos tra- ditions et de nos libertés. J'ai donc le droit de compter sur la même confiance, et je dois inspirer la même sécurité.

Ma personne n'est rien : mon principe est tout. La France verra la fin de ses épreuves quand elle voudra le comprendre. Je suis le pilote nécessaire, le seul capable de conduire le navire au port, parce que j'ai mission et au- torité pour cela.

Vous pouvez beaucoup. Monsieur, pour dissiper les malentendus et arrêter les défaillances à l'heure de la lutte.

190 CONSTERNATION A PARIS

Vos consolantes paroles, en quittant Salzbourg, sont sans

cesse présentes à ma pensée ; la France ne peut pas périr,

car le Christ aime encore ses Francs ; et lorsque Dieu a

résolu de sauver un peuple, il veille à ce que le sceptre de

la justice soit remis en des mains assez fermes pour le

porter. tt

' Henri.

« Il n'y eut jamais rien de plus beau et de plus

désespérant que cette lettre , mais ce

qui nous échappe encore à l'heure qu'il est, ce sont les considérants de celte sentence terrible qui éclata sur nos têtes ^ »

Reprenons notre récit :

La consternation fut grande à Paris, et les fonds baissèrent de 2 francs à la petite Bourse du boule- vard. Les cafés regorgeaient de monde, on s'arra- chait les journaux. Quelques personnes disaient : « C'est une fausse lettre, c'est encore un tour de M. Thiers, nous ne nous y laisserons pas pren- dre ». De la Madeleine au faubourg Poissonnière, on se disputait les journaux aux kiosques. Hélas! cette lettre n'était que trop exacte.

M. le comte deChambord avait chargé le marquis de Dreux-Brézé de la remettre à M. Chesnelong, ce qui fut fait vers midi. En même temps, M. de Dreux-Brézé avait l'ordre d'en envoyer une copie au journal VUnion. M. Chesnelong supplia M. de Dreux-Brézé d'attendre un jour , il ajouta qu'il

1 . Henri de France, par M. II. de Pêne, page 398.

PROROGATION DES POUVOIRS DU MARÉCHAL 191

allait télégraphier à Frohsdorf, pour rappeler au prince ses paroles et les réponses qu'il avait faites ; il s'offrit môme à partir immédiatement. Le mandataire du comte de Chambord répondit que tout était inutile, qu'il devait exécuter des ordres formels, et que ni télégrammes ni visites ne changeraient rien à une détermination irrévo- cable. M. Ghesnelong envoya une copie de sa lettre au vice-président du conseil des ministres et partit pour Paris.

Les ministres s'étaient réunis : tous furent una- nimes à reconnaître que le maréchal de Mac Mahon n'était pas atteint par l'échec de la solution mo- narchique, et le président de la République insista auprès de ses ministres, pour qu'ils attendissent la convocation de l'Assemblée, avant de lui remet- tre leurs démissions. On mit en avant, successi- vement, la solution de la proclamation de la mo- narchie avec M. le comte de Paris, ouïe duc d'Au- male régent. Quant à la lieutenance générale, le maréchal répondit qu'il ne pouvait l'accepter, car c'eût été implicitement renier le titre de président de la République, porté par lui depuis le 24 mai. Il déclara qu'il ne se séparerait pas des conserva- teurs, mais à la condition que rien ne serait changé aux conditions existantes. La prorogation des pou- voirs du maréchal était donc admise en principe, et cette saofe solution devait rallier bientôt tous les esprits raisonnables.

192 RÉUMONS DE LA DROITE

Les membres de la droite de l'Assemblée nationale examinèrent la situation et cher- chèrent une combinaison qui laissât intacte la majorité monarchique et son programme.

La Régence, avec M. le comte de Paris, fut posée en termes nets. On fit valoir qu'il fallait, avant tout, sauver le principe monarchique et l'on fut bientôt certain de l'adhésion de la plus grande partie de la droite. On calcula avec justesse, que l'on perdrait quarante ou cinquante voix à l'extrême droite, mais qu'on les regagnerait, et au delà, dans le centre gauche qui n'avait aucune répugnance contre M. le comte de Paris, dont elle appréciait tous les jours, depuis deux ans, la haute capacité. Cette résolu- tion de la régence fut adoptée, mais on ne fut pas d'accord sur le nom du régent. Des légitimistes préféraient voir l'héritier du trône conserver son rang, et les noms de M. le duc de Nemours, du prince de Joinville, du duc d'Aumale, furent pro- noncés. Mais déjà certains organes de l'exlrôme droite accusaient les princes d'intrigues orléa- nistes, et les journaux républicains déclaraient que M. le comte de Paris, en allant à Vienne, savait bien d'avance que le comie de Chanl])ord ne céderait sur au(-un point, et qu'il avait voulu le compromettre aux yeux de son parti. Aussi, le 1"'' novembre, lorsque la réunion des tlioilos tenue chez M. le duc de Larochcfoucaiild-Hisaccia

M. DE VILLEMESSANT A FROHSDORF 193

songea à offrir la lieiitenance générale du royaume à M. le comte de Paris, celui-ci refusa de se prêter à «tout ce qui, de près comme de loin, ressem- blerait à une compétition royale, et pourrait trou- bler l'union du parti monarchique ».

Le duc de Nemours, le prince de Joinville, et surtout le duc d'Aumale, s'exprimèrent comme leur neveu, et furent inébranlables, ne voulant pas que le chef de la maison de Bourbon pût soupçonner, une minute, la loyauté de l'entrevue du 5 août.

Il est incontestable que M. le comte de Chambord ne connaissait pas alors la véritable situation de la France. Ses illusions étaient si grandes, que M. de Villemessant reçu par lui à Vienne, le 31 octobre, nous racontait ceci, le lendemain de son retour à Paris: « A peine entré chez mon roi, dont j'atten- dais l'avènement depuis quarante-trois ans, et qui venait, selon moi, de signer son exil par sa lettre du 27 octobre, je ne pus dire un mot, arti- culer une phrase, je me laissai tomber sur le fauteuil qu'il m'offrait, et je sanglotai. Le prince étonné me serra la main avec émotion en me

disant : Calmez-vous calmez-vous, mon cher

ami, T'ieii n'est perdu!

Je dis alors au roi toute ma pensée, je lui expo- sai la vérité, même assez vivement; je ne sais

s'il me crut, mais j'appris plus tard que mes pa- roles lui avaient causé une douloureuse impres-

13

194 ABNÉGATION DE MS'' LE COMTE DE PARIS

sion et peut-être l'avaient déterminé à se rendre à Versailles »

Il fallait cependant prendre une résolution, car la gauche, voulant profiter du désarroi causé dans les rangs des royalistes par la lettre du 27 octobre, songeait à proclamer la République, dès l'ouver- ture de la session. Les divers groupes de la droite se réunirent, et il fut décidé que la majorité reste- rait unie et compacte, pour demander la proroga- tion des pouvoirs du maréchal de Mac Mahon.M.le général Changarnier fut chargé de déposer sur le bureau de l'Assemblée un projet de loi dans ce sens, et de demander l'urgence.

Telles avaient été l'entrevue du 5 août, ses con- séquences et l'impression générale ressentie en France. lien ressortira pour tou"^ homme impartial deux points saillants : le premier, l'abnégation pa- triotique de M. le comte de Paris et de tous les prin- ces d'Orléans, s'efFaçant devant l'ainé de leur race, laissant dénaturer une démarche si noble par des commentaires injurieux et blessants, sans daigner répondre, forts de la conscience du devoir accompli, et dont la France se souviendra un jour.

Le second point, c'est la confiance de tous ceux qui tentaient la restauration de la monarchie dans la personnedu maréchal deMac Malion, qui restera dans l'histoire un des plus braves et des plus hon- nêtes serviteurs du pays. Lorsque tant d'hommes devenus chefs d'Etat ou ministres cherchent à se

VOTE DU SEPTENNAT 195

maintenir au pouvoir, par tous les moyens, la France diit-elle en périr, il nous aura été donné de voir un homme prêt à se retirer si le salut de la patrie l'avait exigé. Tous le savaient, et personne ne songea à se demander pendant cette crise, non seulement si le maréchal de Mac Mahon ne chercherait pas à prolonger son pouvoir, mais môme s'il hésiterait à l'abandonner. La France avait confiance dans ce loyal soldat. Le septennat du maréchal fut un bonheur pour le pays conservateur dans une pareille crise, et ainsi que je le disais alors à un de mes amis légitimistes qui se lamentait de voir la monarchie échouée, quand on remonte sain et sauf du fond de la rivière, il serait malséant de se plaindre parce qu'on est mouillé. Le 5 novembre, s'ouvrit la session; la proroga- tion des pouvoirs du maréchal de Mac Mahon pour sept ans fut votée à une grande majorité. La France accueillit avec joie la nouvelle de la victoire du parti conservateur. La majorité s'était formée sous le coup des dangers que courait l'ordre public, en dehors d'une dizaine de membres de Tcxtrême droite et de plusieurs bonapartistes, qui s'abstinrent. On espérait que le gouvernement du maréchal de Mac Mahon ainsi établi pour sept ans relèverait la France au dedans et au dehors, sau- verait Tordre social, et rendrait la sécurité et la confiance aux honnêtes gens, aux hommes d'ordre et de travail.

196 m"'' le comte de chambord a Versailles

Avant de terminer ce chapitre, je crois devoir parler d'un fait qui aurait pu modifier les votes de l'assemblée. M. le comte de Chambord, stupéfait du résultat de sa lettre du 27 octobre (puisqu'il avait cru en l'écrivant qu'elle ne changerait rien aux projets des royalistes), voulut se rendre compte par lui même de la situation de la France. Plût au Ciel qu'il eût eu cette idée quelques semaines au- paravant ! Il se rendit donc à Versailles dans le plus strict incognito.

M. le comte de Chambord y arriva le 11 ou le 12, par un train de nuit, et demeura, pendant quinze jours environ, chez le comte Henri de Vanssay, un de ses secrétaires, rue Saint-Louis, 25. Là, il se tint prêt à tout événement, pendant qu'à son pro- fond étonnement la droite de l'Assemblée natio- nale négociait et allait voter la prorogation des pouvoirs de M. le maréchal de Mac Mahon. 11 ne vit personne et ne fit exception que pour quatre députés, légitimistes ardents auxquels il reprocha leur conduite avec une certaine vivacité. Ceux-ci cherclicrent vainement à expliquer au prince la situation; il leur imposa silence d'un ton qui ne soutirait pas de réplique.

Absolument trompé sur les dispositions de l'As- som])léc nationale, le comte de Chambord avait cru la monarchie faite, malgré sa lettre du 27 oc- tobre. Désabusé, il avait jugé opportun de se rendre à Versailles, de convoquer ses amis s'il en

M?"" LE COMTE DE CHAMBORD A VERSAILLES 197

était temps encore, de leur parler en roi en leur prescrivant de poser quand même la question de la monarchie devant l'Assemblée. Pour cela, le concours du maréchal de Mac Mahon et celui de son gouvernement étaient nécessaires. Une démarche indirecte fut faite en son nom auprès du maréchal avec lequel, m'a-t-on assuré, il voulait avoir un entretien. Dans les termes les plus respectueux le maréchal déclina l'honneur de voir le comte de Chambord, mais il fit savoir au chef de la maison de Bourbon que, tant qu'il lui plairait de rester en France, le gouvernement garantissait sa sûreté. Très attristé et commençant seulement à entre- voir la vérité, le prince songea alors à se présenter à l'Assemblée, entouré de députés de la droite, à demander la parole pour expliquer sa pensée tout entière afin que tout malentendu fût dissipé... Que serait-il advenu de cette démarche? Evidem- ment le comte de Chambord aurait été autorisé à parler par la grande majorité de la Chambre. Peut- être, s'il avait dit nettement qu'il avait entendu garder pour lui le drapeau blanc, tout en laissant le drapeau tricolore à l'armée; peut-être si, dans le magnifique langage qui lui était familier, il avait trouvé des accents émus pour parler de son pays qu'il aimait si tendrement, peut-être la mo- narchie aurait-elle été proclamée? Mais l'infor- tuné prince, qui avait été tellement trompé par les renseignements de ses fidèles, n'était pas en-

198 UN ARTICLE DU « TIMES ))

core complètement éclairé, et sa mauvaise humeur à l'égard des amis qu'il reçut le démontrait trop bien. Autour de lui, on le sentit et on le dissuada de cette démarche. Le prince attendit que cette prorogation des pouvoirs du maréchal , qu'il n'avait pu empêcher, fût votée , et il quitta la France, emportant dans son nouvel exil une triste déception et une grande douleur de plus.

A ces curieux détails nous ajouterons ceux que publia une correspondance parisienne du Times. Ils corroborent absolument ce que nous avons toujours affirmé, c'est-à-dire que M. le comte de Ghambord ne s'est pas douté un instant des ol)- stacles apportés à la restauration monarchique par la lettre du 27 octobre.

Le Times s'exprime ainsi :

« Le comte de Ghambord semble ne s'être pas bien rendu compte, avant son voyage à Paris, de l'effet produit par sa lettre. Après que ses amis le lui eurent expliqué, il déclara qu'il y avait un malentendu à éclaircir, et il résolut de se rendre à l'Assemblée nationale et de monter à la tribune pour y donner des explications. On lui fit com- prendre que ce projet était impraticable, qu'on ne lui donnerait pas la parole, et que cette démarche entraînerait des conséquences déplorables. A la fin, il se rendit.

« Plus lard, dans la nuit se termina le débat, il était à Versailles. Son intention déclarée était de

M'' LE COMTE DE CHAMBOBD A PARIS 199

risquer un coup hasardeux et décisif, si le maré- chal de Mac Mahon n'obtenait pas la majorité. Il comptait, disait-il, monter à cheval, réunir autour de lui les princes de sa maison, et se présenter lui-même à la nation.

« Le rejet de la prorogation plaçait la France au bout de l'abîme. Et c'était son devoir à lui, le re- présentant d'une longue race de rois, de faire face au danger. On lui représenta le péril. On lui dit qu'il serait infailliblement assassiné ; « Qu'im- « porte! répondit-il; mon principe survivra; ma « personne importe peu, maintenant que j'ai des « successeurs. »

Un dernier détail, rapporté par un journal con- servateur à propos du passage du comte de Gham- bord à Paris, il passa quelques heures : le jour des funérailles de l'amiral Tréhouart, près de l'es- planade des Invalides stationnait une voiture de place dans laquelle on aurait pu remarquer un voyageur très attentif à la manœuvre et au défilé des troupes. Le cocher, à qui le voyageur avait dit de le placer de façon à bien voir, s'évertuait à vouloir le convaincre qu'il verrait mieux s'il regardait comme tout le monde, au lieu de se tenir dans le fond de la voiture. Le voyageur n'écoutait rien, mais, tout en se dissimulant de son mieux, suivait avec une émotion visible un régiment de cuirassiers qui passait. Quand ce fut fini, le voya- geur donna un ordre, et la voiture partit.

200 MORT DU PRINCE FERDINAND

C'était le comte de Chambord qui venait enfin de réaliser un de ses plus grands désirs : voir sous les armes un régiment français

L'année 1873 se termina bien tristement : Madame la comtesse de Paris eut la douleur de perdre son frère, le prince Ferdinand. Le duc de Montpensier avait mis son fils aîné au petit séminaire de la Ghapelle-Saint-Mesmin, près d'Orléans. Atteint d'un transport au cerveau, le jeune prince expira dans les bras de son père désolé, qui, accouru en toute hâte, ne put que recueillir son dernier soupir.

CHAPITRE IV

1874-1882

EntreATie de JM. le comte de Paris avec le czar Alexandre II, en Angleterre (1874). Naissance du prince Charles, fils de M. le comte de Paris. Il meurt à l'âge de six mois (7 juin 1875). Translation à Dreux des restes du roi Louis-Phi- lippe, de la reine Marie-Amélie, de M™^ la duchesse d'Or- léans, de M"* la duchesse d'Aumale, de Ms"" le prince de Condé (8 juin 1876). M. le comte de Paris accompagne son frère et ses oncles aux grandes manœuvres à Dreux (1876). Mariage de la princesse Mercedes, sœur de Ma- dame la comtesse de Paris, avec Alphonse XII, roi d'Espagne (23 janvier 1878). Mort de la jeune reine (26 juin 1878).— Lettres de M. le comte de Paris (3 et 21 mars 1878) à M. le comte Sérurier, vice-président du comité de l'Union franco- américaine. Naissance à Eu de S. A R. M^^ la princesse Isabelle, troisième fille de M. le comte de Paris (7 mai 1878). Naissance à Eu du prince Jacques, deuxième fils de M. le comte de Paris (11 juillet 1880) et mort du jeune prince (22 janvier 1881). Naissance à Cannes de S. A. R. M™" la prin- cesse Louise, quatrième fille de M. le comte de Paris (24 fé- vrier 1882). Visite de M. le comte de Paris à M. Victor de Laprade mourant (Cannes, avril 1882). Le jeune duc d'Orléans au collège Stanislas. M. le comte de Paris aux grandes manœuvres. Voyage, incognito, à Rome, de M. le comte de Paris. Son entrevue avec le pape Léon XIII (septembre 1882). Générosités et bienfaisance de M. le comte de Paris et de Madame la comtesse de Paris à Eu et au Tréport. La vie de M. le comte de Paris au château d'Eu.

Au mois de juillet 1874, M. le comte de Paris se trouvait en Angleterre quand le czar

Alexandre II s'y rendit.

202. ENTREVUE AVEC LE CZAR ALEXANDRE 11

Alexandre II fut un des meilleurs souverains qu'ait eus la Russie. Son règne fut avant tout un règne de féconde et pacifique rénovation. L'émancipation de 23 millions de serfs sera pour le czar Alexandre II un titre éternel de gloire devant l'humanité et devant l'histoire. Cette réforme gigantesque ne fit couler ni une larme ni une goutte de sang, et s'accomplit paci- fiquement. L'œuvre de son règne fut immense, et plus le temps marche, mieux on en apprécie les résultats. Esprit large , caractère élevé , Alexandre II avait une conscience droite, et mon- trait une inébranlable fermeté quand il s'agissait des intérêts de son peuple et de l'honneur de l'Empire. Son nom, dont le souvenir est encore vivant dans toutes les chaumières russes, luira d'un vif éclat dans les annales du dix-neuvième siècle.

Ce prince aimait la France et tout ce qui était français : après l'échec de la restauration en 1873, il s'était exprimé en termes élogieux sur l'acte politique accompli par M. le comte de Paris, et il souhaitait le connaître.

M. le comte de Paris vit le czar; nous croyons savoir que cette entrevue très cordiale laissa la meilleure impression au souverain russe. Peut- être ce souvenir du prince français ne fut-il pas étranger à l'intervention personnelle du czar l'an- née suivante, quand, informé et sollicité à temps par notre éminent ministre des affaires élran-

TRANSLATION DES RESTES DU ROI LOUIS-PHILIPPE 203

gères, le duc Decazes, Alexandre II s'opposa à la nouvelle invasion de la France que méditait alors M. de Bismarck. Le frère du czar, le grand-duc Constantin, se rendant à Biarritz, peu après cette entrevue traversa Paris, et invita M. le comte de Paris à un grand diner donné à l'ambassade de Russie. Après le repas, on remarqua qu'il eut une longue conversation avec le petit-fils du roi Louis-Philippe *.

Le dernier vœu du roi Louis-Philippe fut ac- compli le 8 juin 1876. Ses restes, ceux de la reine, de Madame la duchesse d'Orléans, de Madame la duchesse d'Aumale, de M. le prince de Gondé et de cinq jeunes enfants du duc d'Aumale furent transportés de la chapelle catholique de Wey- bridge en France. M. le comte de Perthuis, pré- fet du Calvados, et le comte de Fiers, sous-préfet de Dreux, avaient tenu à honneur de présider à cette pieuse cérémonie.

En cette année 1876 , de grandes manœuvres curent lieu en septembre, à Dreux. Elles furent suivies par M. le comte de Paris avec le vif inté- rêt que le prince porte à tout ce qui touche l'ar- mée.

1. Ce fut au commencement de l'année 1875 que Madame la com- tesse de Paris donna le jour à un fils (25 janvier 1875), qui reçut le nom de Charles. Mais la santé du jeune prince était si frèh;, qu'atteint de convulsions au retour d'une promenade au Bois de Boulogne, le 7 juin, il expira malgré les soins les plus empressés.

204 MORT DE LA REINE MERCEDES

Pendant tout le temps que dura le gouverne- ment dit du 16 mai (1877), l'attitude des princes d'Orléans qui s'abstinrent, plus que jamais, de se mêler aux luttes politique du moment fut des plus réservées.

L'année 1878 semblait commencer sous d'heu- reux auspices. La sœur de Madame la comtesse de Paris, la princesse Mercedes de Montpensier épousait à Madrid, le 23 janvier, son cousin le roi d'Espagne, Alphonse XII. Jeune et belle, adorée de son mari et éprouvant pour lui la même ten- dresse, la reine Mercedes pouvait avoir confiance dans l'avenir. Dans ses impénétrables décrets, la Providence trancha brusquement une si belle vie. La reine expira le 26 juin, frappée par une fièvre typhoïde. La douleur fut immense, ce fut un deuil et une lamentation générale; les affaires furent suspendues, les théâtres fermés : toute l'Espagne pleura et pria. Le duc et la duchesse de Montpensier, admirables de résignation chré- tienne , devaient encore subir une cruelle épreuve : un an après, en mai 1879, la dernière sœur de Madame la comtesse de Paris, l'infante Christine, succombait aux atteintes d'une maladie de poitrine, dans le palais de son père, à Séville'.

1. Quelques semaines avant la maladie el la mort de la jeune reine Mercedes, Madame la comtessedeParismcttait auuionde, à Eu, sa troisième fille, la princesse Isabelle (7 mai 1878).

Une joie, liélas ! de courte durée marqua pour M. le comte

LA STATUE DE LA LIBERTE EN AMERIQUE 205

C'est à cette époque que M. le comte Sérurier, vice-président du comité de l'Union franco-améri- caine pour l'érection de la statue de « la Liberté éclairant le Monde », ayant proposé à M. le comte de Paris de visiter l'atelier de construction de la statue et de prendre part à la souscription, en reçut la lettre suivante :

de Paris le mois d'avril 1880. Madame la comtesse de Paris donna le jour à son second fils, qui reçut le prénom de Jacques, en souvenir d'un de ses aïeux, Jacques de Bourbon, comte de la Marche, connétable de France, blessé grièvement à la bataille de Crécy (1346), en arrachantle roi de France, Philippe VI, des mains des Anglais, et surnommé « la Fleur des Chevaliers ». Le portrait de ce héros est au château d'Eu, au haut du grand escalier, et l'on ne peut passer sans remarquer sa martiale figure.

Le 11 juillet, le jeune prince Jacques avait été baptisé, ayant pour marraine M""® la princesse Clémentine, et pour parrain le prince Antoine d'Orléans, fils du duc de Montpensier, et frère de Madame la comtesse de Paris. Ce n'étaient qu'espérances, sourires et joies autour du berceau

Neuf mois après sa naissance, le 22 janvier, le prince Jacques qui venait d'être sevré fut pris par des convulsions, et, malgré les soins assidus et éclairés des médecins appelés en toute hâte, il ne tarda pas à expirer. Il est impossible de dépeindre le déses- poir de M. le comte de Paris et de Madame la comtessede Paris, qui nevivent que pour leurs enfants, etauxquels leprince Charles avait été ravi presque delà même manière. Beaucoup de Français exprimèrent leur respectueuse et douloureuse sympathie, si tant est qu'à pareille douleur on puisse trouver des consolations humaines. Le 26 janvier 1881 , les princes d'Orléans conduisaient à Dreux le cercueil du pauvre petit prince.

Madame la comtesse de Paris mettait au monde, à Cannes, le 24 février 1882, la princesse Louise, qui, baptisée à Eu, le 28 mai, eut pour parrain M. le duc de Nemours et pour mar- raine M"'' la princesse de Joinville.

206 LETTRES AU COMTE SERURIER

Eu, 3 mars 1878.

Mon cher comte,

Je serai doublement heureux de visiter avec vous le monument destiné à New-York et de faire en même temps la connaissance du marquis de Rochambeau.

Vous savez combien je m'intéresse à l'union de la France et de l'Amérique. Dans un temps il était de mode de dénigrer la grande république transatlantique, de renier la politique du roi Louis XVI, j'ai voulu prouver aux répu- blicains d'outre-mer que les sympathies pour leur nation et leurs institutions se perpétuaient dans la maison de Bour- bon. Je serai donc heureux de m'associer de toutes les manières à l'œuvre dont vous me parlez, et, si je ne l'ai pas (ait plus tôt, c'est que je n'en ai pas eu l'occasion.

Je suis établi pour plusieurs mois au chàteaud'Eu; mais je ne manquerai pas d'aller de temps en temps à Paris, et je me ferai un plaisir de vous avertir de ma prochaine vi- site, pour prendre rendez-vous en ,'ue de la course que vous me proposez.

En attendant, je vous prie de me croire votre affectionné,

Louis-Philippe d'Orléans.

Le 21 mars, après avoir visité les travaux et témoigné au sculpteur Bartholdi Pintérêt qu'il prenait à son œuvre. M. le comte de Paris adres- sait sa souscription à M. le comte Sérurier dans les termes suivants :

Eu, 21 mars 1878.

Mon cher comte. Je vous prie de me porter comme souscripteur sur votre liste pour la somme de cinq mille francs.

PREMIÈRE COMMUNION DU DUC d'oRLÉANS 207

Je suis heureux de pouvoir m'associer à l'œuvre natio- nale qui doit rappeler à l'Amérique la grande date du 4 juillet 1776, et unir les deux peuples dans le même souve- nir ; souvenir d'autant plus précieux qu'il est absolument étranger à nos querelles actuelles.

Veuillez me croire votre affectionné,

Louis-Philippe d'Orléans.

A l'époque M. le comte de Paris écrivait ces deux lettres, il ne prévoyait guère qu'il serait un jour exilé de son pays, sous ce prétexte que sa présence constituerait un danger pour l'existence de la République française. En témoignant de ses sympathies pour les républicains d'Amérique, il ne pouvait pas supposer que d'autres républicains songeraient un jour à le proscrire.

Ses lettres n'en subsistent pas moins comme une preuve de son libéralisme et de son attache- ment aux traditions nationales. En les lisant, les Américains ne se rappelleront que mieux que le prince qui les a écrites, et qui a voulu contribuer par sa souscription à une œuvre d'entente et de fraternité internationales, est celui-là même qui vint spontanément, lors de la guerre de séces- sion, mettre son épée au service de l'Amérique, qui luttait alors pour l'abolition de l'esclavage, comme elle avait lutté, au siècle dernier, pour sa liberté et pour son indépendance.

Le 16 juin 1881, une cérémonie touchante par sa simplicité avait lieu : le jeune duc d'Orléans

208 VISITE A M. DE LAPRADE MOURANT

faisait sa première communion dans l'église Notre- Dame d'Eu, au milieu de tous les enfants de la paroisse.

Au mois de mars 1882, S. M. l'impératrice d'Au- triche honora de sa présence le château de Chan- tilly, où une brillante réception lui fut faite par M. le duc d'Aumale et les princes d'Orléans. Une chasse superbe eut lieu en l'honneur de l'impéra- trice Elisabeth.

M. le comte de Paris n'avait pu y assister. Il se trouvait alors à Cannes. Dans cette petite ville du midi de la France se mourait le poète royaliste et chrétien Victor de Laprade, membre de l'Acadé- mie française. M. le comte de Paris alla plusieurs fois le voir. M. de Laprade fut profondément tou- ché de l'honneur que lui faisait le prince : v Vieux bourbonnien que je suis, disait-il, il me semble que c'est la royauté qui est venue me dire adieu, dans la personne du petit-fils de saint Louis et de Henri IV. »

A la dernière de ces visites, c'était pendant les va- cances de Pâques, en avril 1882, M. lecomte de Paris était accompagné de son fils, lejeune duc d'Orléans. « Je vous amène mon fils. Monsieur de La- prade, dit le prince en entrant; il sail tout l'intérêt que vous lui portez. » Le poète avait les larmes aux yeux. « En ma qualité de vieillard et de mourant permettez moi. Monseigneur, de bénir votre fils! » Et il étendit ses mains trem-

LE DUC d'oRLÉANS AU COLLÈGE STANISLAS 209

blantes sur la tête inclinée du jeune prince.

Quelques jours plus tard, comme on parlait au- tour de lui de l'attention délicate du prince, M. de

Laprade reprit : « Cette visite m'a fait grand

plaisir, et puis j'aime à penser, moi qui cherche le sens caché des choses, que si Dieu me montre ainsi cet enfant à mon lit de mort, à moi qui ai tant aimé la France et la royauté, c'est que cet enfant régnera. »

Au mois d'août, M. le comte de Paris se rendit à Paris, à la distribution des prix du collège Sta- nislas, dont les cours étaient suivis par le jeune duc d'Orléans, qui obtint le premier prix de ver- sion latine, dans la classe de cinquième. Le prince, après être resté quelques mois seulement dans la classe de quatrième, suivit son père à Cannes.

Très intelligent, esprit très ouvert, aussi adroit qu'ardent au jeu, il se plaisait dans la compagnie de ses camarades, dont il avait immédiatement gagné les sympathies. Quand il revint à Paris, accompagné de M. Laurent, professeur du col- lège Stanislas, qui dirigeait son éducation, il prit seulement quelques leçons particulières au col- lège, résidant à Eu une grande partie de l'année*.

Quelques jours après la distribution des prix du collège Stanislas, ayant appris la mort de

1. M. Laurent, ancien élève de l'Ecole normale, agrégé de l'Université, officier d'Académie, fut pendant six ans, de 1877 à 1883, précepteur du jeune duc d'Orléans.

14

210 LETTRE A M. RIFFAUD

M. Griigy, directeur à Bordeaux du Courrier de la Gironde, un des hommes qui dans la presse dé- partementale avaient vaillamment servi le parti or- léaniste pendant de longues années, M. le comte de Paris adressa à M. Emile Riffaud, parent de M. Crugy, la lettre suivante :

Eu, 20 août 1882.

Monsieur,

Je m'empresse de vous remercier des sentiments qui ont inspiré votre lettre. Vous avez eu raison de compter sur la part que je prendrais à la perte que vous venez de faire dans la personne de M. Emile Crugy. J'avais déjà été pé- niblement impressionné par les tristes nouvelles que notre ami commun, AI. Méran, avocat à Bordeaux , m'avait don- nées de sa santé. Pour lui, la mort a certainement été une délivrance. Mais, pour ses parents et ses amis, c'est la rupture irrévocable du dernier lien auquel on s'attachait, même lorsque tout espoir était perdu.

C'est au moment de cette cruelle rupture qu'on se rap- pelle toute la vie de celui qui n'est plus, ses années bril- lantes, son courage, son dévouement passionné aux idées qu'il avait faites siennes.

Après l'avoir vu dès mon enfance souffrir {)Our sa cause et partager quelque temps notre exil, cela avait été une bien grande satisfaction pour moi de le retrouver à Bor- deaux, après que les portes de la France s'étaient rou- vertes pour moi, et de pouvoir l'assurer que je n'avais ou- blié ni ses longues luttes pour la cause libérale sous l'Em- pire, ni l'hospitalité qu'il m'avait donnée dans les colonnes de son journal, à une époque si émouvante et si doulou- reuse de notre histoire.

VOYAGE A ROME 211

Sa belle figure, si originale, qui exprimait à la fois la sin- cérité et la fermeté, restera toujours gravée dans ma mé- moire. Vous pouvez compter sur l'intérêt sympathique que je reporterai sur ceux qui, comme vous, ont hérité de ses sentiments pour ma famille, et je saisis cette occasion pour vous prier de me croire

Votre affectionné,

Louis-Philippe d'Orléans.

Au commencement de septembre de grandes manœuvres eurent lieu en Seine-et-Oise à Septeuil, Curgent, Dammartin. M. le comte de Paris, lieute- nant-colonel de l'armée territoriale, y assista et prit particulièrement un vif intérêt aux manœuvres de la division qui défila devant lui à Septeuil.

C'est à cette époque que M. le comte de Paris se rendit incognito à Rome, il fut reçu par le pape Léon XIII, qui avait plusieurs fois et récemment encore manifesté le regret de ne pas le connaître.

On devinera facilement pourquoi je ne cite pas ici les termes mômes dont se servit le saint Père, en parlant du prince. M. le comte de Paris, respec- tueux pour la religion, est très modéré pour les personnes, très croyant, et a dans l'esprit beau- coup d'indulgence.

Profondément, sincèrement religieux, M. le comte de Paris sait que « l'Eglise, comme l'Etat, est une société parfaite en son genre, et auto- nome ; que les dépositaires du pouvoir ne doi- vent, à aucun degré, travailler à l'abaisser et à

212 VISITE AU PAPE LÉON XIII

l'assujettir)), que l'Eglise doit vivre dans l'État non séparée, mais cii rapports de concorde et d'harmonie. Comme le Pape, M. le comte de Paris sait, enfin, que « l'usage de la liberté ne doit pas franchir les limites posées par la loi naturelle et par la loi de Dieu* )). Le Pape, pas plus que M. le comte de Paris ne veut que « personne soit forcé d'embrasser la foi catholique )) Car a la con- trainte peut tout obtenir de l'homme, a dit saint Augustin, cité par Léon XIII dans son encj'clique, tout, sauf la foi »!

•••••••• ••• ••

Ennemis l'un et l'autre de la licence, amis de la liberté vraie et légitime, indispensable au dix- neuvième siècle à la société démocratique dans laquelle nous vivons, Léon XIII et M. le comte de Paris étaient sûrs de se comprendre dès leur pre- mière entrevue. Ils se séparèrent très satisfaits l'un de l'autre.

11 ne m'appartient pas de répéter ce qui m'a été raconté de cette entrevue ; mais ce que je puis écrire avec certitude, c'est que la hauteur de vues, la sagesse politique de M. le comte de Paris, frap- pèrent au plus haut degré le saint Père. Léon XIII, ému et charmé des pieux sentiments manifestés par le prince, affirme-t-on, s'écria, quelques jours après sa visite : « Ce serait un grand bonlieur

1. Extraits de l'encyclique de Léon XIll Immortalc Dci.

UN BANQUET ROYALISTE 213

pour la France d'être gouvernée un jour par ce prince !...» Du reste, dans tous les rangs de la société, on sait rendre justice au chef de la maison de France et aux princes de la famille royale. En oc- tobre 1882, à un banquet royaliste, à Lyon, les toasts suivants étaient portés par M. de la Rochetaillée :

Messieurs, permettez-moi, après avoir salué le roi, de porter un toast à son auguste famille :

A Son Altesse royale Monseigneur le comte de Paris, qui a passé sa jeunesse dans l'exil, étudiant les constitu- tions des peuples, l'art de la guerre et toutes les grandes questions sociales. A la santé de ce jeune prince que l'in- telligence, le travail et le cœur rendent digne de marcher le premier dans la maison de France, à la suite de Monsei- gneur le comte de Chambord ;

A Monseigneur le duc de Nemours, ce portrait vivant d'Henri IV, ce brillant officier dont la cavalerie française conserve le souvenir et les traditions ;

A la santé du prince de Joinville, de cet amiral de France qui, s'étant vu refuser par les hommes de la Dé- fense nationale le droit de combattre pour son pays en simple volontaire, suivit l'armée de la Loire sous le nom d'un officier étranger. Nous le voyons le jour de la bataille d'Orléans, dans une batterie de la marine; personne ne le connaît, mais instinctivement officiers et soldats, tous lui obéissent. Il est heureux, en retardant la marche de l'en- nemi et en protégeant la retraite de l'armée française, d'apporter l'obscurité de sa bravoure dans la ville de J eanne d'Arc ;

A Monseigneur le duc d'Aumale, qui manie la plume

214 M'"" LE COMTE DE PARIS AU CHATEAU d'eU

comme l'épée. A la santé de ce général, dans lequel l'ar- mée a reconnu un chef;

A Monseigneur le duc de Chartres, qui, à l'encontre du mauvais vouloir des hommes du Quatre Septembre, a com- battu dans les rangs de l'armée française, rappelant par sa vaillance les légendes des temps chevaleresques de Ro- bert le Fort, dont il s'est montré digne de porter le nom ;

A Monseigneur le duc d'Alençon, officier remarquable de notre artillerie ;

Au duc de Penthièvre, qui promet de déployer dans la marine les talents de son illustre père le pxnnce de Join- ville.

A la santé, Messieurs, de tous les princes et de toutes les princesses de la Maison de France, ainsi nommée, parce qu'elle est la personnification vivante de la patrie, et qu'a- près avoir fondé, à travers les siècles, de concert avec la nation, l'unité française, elle nous apparaît aujourd'hui, au milieu de nos douleurs et de nos revers, comme la seule et suprême espérance...

La Décentralisation note que ce toast fut inter- rompu par de fréquents applaudissements.

De Rome, M, le comte de Paris était revenu à son château d'Eu, il passa l'automne, multipliant ses bienfaits, à Eu, au Tréport, à Dieppe, oii il envoya sa souscription pour une école libre qu'il s'agissait d'établir. A la fin d'octobre, une tem- pête causa de grands malheurs au Tréport. Sur trente canots de poche, dix disparurent, quinze hommes périrent presque sous les yeux de leurs femmes et en vue de leurs propres maisons.

BIENFAIS.VNCE BE M""" LE COMTE DE PARIS 215

Jamais pareil sinistre n'avait frappé le Tréport. M. le comte de Paris se rendit immédiatement dans cette ville, et s'entendit avec le maire sur les moyens de venir en aide aux familles des victimes. Toutes les fois qu'il s'agissait de soulager une souffrance ou une infortune, le prince et la prin- cesse étaient là, et, non seulement avec quelques pièces d'or, mais par de bonnes et affectueuses paroles, relevaient le courage des malheureux.

Ce fut à la fin de 1882 que M. le comte de Paris fit choix, pour précepteur de son fils, le duc d'Or- léans, de M. Théodore Froment, un des membres les plus distingués de l'Université. Professeur de littérature latine à Bordeaux, M. Froment aban- donna ses fonctions pour se consacrer tout entier à l'éducation du jeune prince, dont il dirigeait de loin les études depuis plusieurs années. En 1868, Napoléon III^ à qui on avait signalé le mérite du jeune professeur, lui avait fait offrir les fonctions de précepteur du prince impérial. M. Froment refusa. Attaché à la famille d'Orléans par les liens d'une reconnaissance héréditaire, il ne pouvait accepter. Ce refus n'était pas sans danger alors, et on ne supposait guère qu'un jour M. Fro- ment deviendrait, en France, le professeur du duc d'Orléans. Poète couronné par l'Académie fran- çaise en 1871, M. Froment avait publié un in- téressant volume sur l'éloquence judiciaire en France avant le dix-septième siècle. Ses ouvrages

216 M. FROMENT PRECEPTEUR DU DUC D ORLÉANS

attestent des sentiments élevés, qui, aux yeux de ceux qui pensent à l'avenir de la patrie, justifient le choix de M. le comte de Paris. L'éducation du jeune prince, confiée à cet excellent maître, fut achevée en 1887. M. Froment devint, à la rentrée d'octobre 1887, directeur du collège Sainte-Barbe.

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CHAPITRE V

1883

Discussion en 1883, à la Chambre des députés et au Sénat, de la proposition Floquet, tendant à exiler les princes d'Orléans et les Bonaparte. Le Sénat rejette la loi d'exil, à cinq voix de majorité. Les princes privés de leurs grades dans l'ar- mée française (février 1883). Voyage de M. le comte de Paris en Sicile, avec M. le duc d'Aumale : visite aux temples de Pœstum , de Segeste, aux ruines de Sélinonte, à l'église de Montréal près Palerme, Naples et Ponipéi (avril 1883). Première communion, à Eu, de S. A. P». M"^" la princesse Hélène, deuxième fille de M. le comte de Paris.

Maladie' de M. le comte de Chambord. Départ pour Vienne de M. le comte de Paris (lundi soir 2 juillet), accompagné de M. le duc de Nemours et de M. le duc d'Alençon. Entre- vue des princes avec M. le comte de Cliambord (7 juillet). Lettre de M. le duc de Nemours sur cette entrevue. Légère amélioration dans l'état de M. le comte de Chambord. Rentrée des princes en France. Succès de M. le duc d'Or- léans au collège Stanislas. Mort de M. le comte de Cliam- bord (24 août 1883). Départ des princes d'Orléans pour Frohsdorf. La cérémonie funèbre à Frohsdorf. Notifi- cation aux souverains, par M. le comte de Paris, de la mort de M. le comte de Chambord. Retour en France de M. le comte de Paris. Obsèques de M. le comte de Chambord à Goritz (3 septembre 1883). Récit exact de ce qui s'y passa. Unité dans le parti royaliste. Réceptions de M. le comte de Paris à Eu. Publication des tomes V et VI de l'Histoire de la guerre civile en Amérique, par M. le comte de Paris.

Le 16 janvier 1883, à la suite de l'arrestation illégale du prince Napoléon, qu'on ftit vite obligé

218 LE SÉNAT REJETTE UNE LOI d'eXIL

de mettre en liberté, le gouvernement était abso- lument affolé. Le cabinet présidé par M. Duclerc (malade), comptait parmi ses membres le général Billot, à la guerre; M. Devès, à la justice, et M. Fallières, à l'intérieur. M. Floquet, député, déposa sur le bureau de la Chambre une pro- position d'exil pour tous les membres des familles ayant régné sur la France. L'urgence fut votée et la discussion eut lieu dans la seconde quinzaine de janvier. Mais M. Duclerc, président du conseil; le général Billot, ministre de la guerre; l'amiral Jauréguiberry, ministre de la marine, préférèrent se retirer que de soutenir une loi d'exil qui n'é- tait nullement motivée, et de demander l'expul- sion de l'armée, de princes qui avaient toiijours servi fidèlement leur pays. M. Fallières cons- titua un nouveau cabinet et, après de nombreux refus, finit par s'adjoindre le général Thibaudin pour achever la honteuse besogne votée à la Chambre par 353 voix contre 163. On n'avait pu trouver aucun marin pour le département de la marine !

En février, le Sénat discuta la loi d'exil, et à la majorité de 5 voix la rejeta. C'est alors que, con- trairemenl aux lois et usages qui régissent l'armée française, le général Thibaudin mit par décret, sans aucun prétexte, en non-activité par retrait d'emploi, le général duc d'Aumalc, le colonel duc de Chartres, le capitaine duc d'Alençon.

VOYAGE EX SICILE 219

Nous racontons ailleurs comment s'accomplit cette iniquité.

Au commencement d'avril 1883, M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris acceptèrent l'invitation de leur oncle, le duc d'Aumale, et se rendirent en Sicile, dans son palais de Palerme. Le duc d'Aumale habite le palais qu'il tient de son père, le roi Louis-Philippe, et qui est situé en dehors des murs, à l'extrémité de la place de l'Indépendance, vis-à-vis de l'ancien Palais royal. C'est plutôt une vaste maison qu'un véritable palais, car aucune décoration architecturale ne le signale à l'exté- rieur, et les appartements sont meublés avec une grande simplicité.

Dès que l'on apprit à Palerme l'arrivée des princes d'Orléans, toute l'aristocratie vint s'ins- crire au palais, le général Palavicini en tête, suivi de toutes les autorités militaires. Le duc d'Aumale est très aimé en Sicile, il a séjourné souvent, en laissant les meilleurs souvenirs. Les jardins qui entourent sa résidence sont superbes. En dehors des arbres exotiques les plus rares, 80 hec- tares, uniquement plantés de citronniers et d'oran- gers, embaument Pair. Il y a peu de jardins aussi beaux en Italie et même en Europe. De la terrasse qui le domine, l'œil s'étend au loin, embrassant le magnifique panorama qui va du mont Pelle- grino au mont Catalfano, à droite duquel, quand le ciel est pur, on découvre le sommet de PEtna.

220 EXCURSION A zucco

Païenne est, du reste, la ville des jardins par excellence, et le dattier, le bananier, le cocotier, y poussent partout; on y trouve, mieux qu'à Na- ples, la végétation luxuriante de l'Orient.

C'est dans ce séjour enchanteur que le duc d'Aumale reçut M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris, et leur fit visiter sa célèbre propriété de Zucco.

Zucco, dont le vin a rendu le nom célèbre, est situé à 43 kilomètres de Palerme, sur la ligne qui va de cette ville à Trapani. Le trajet se fait en deux heures, mais le voyage demande une journée entière, par suite du très petit nombre de trains de retour, et de l'incommodité des trains de départ. La propriété compte 4^000 hectares et elle fournit annuellement de 6 à 7,000 hectolitres de vin blanc et rouge. De loin, Zucco ressemble à une forteresse. C'est une immense ferme, com- posée de plusieurs corps de bâtiments et flanquée d'une tourelle à chacun des quatre angles.

Mais il n'y a pas que des vignes à Zucco, il y a aussi 27,000 oliviers, dont la légende fait remonter l'origine aux Sarrasins. Quelques-uns sont d'une telle grosseur, qu'il ne faut pas moins de trois per- sonnes se tenant par la main pour en faire le tour.

M. le comte de Paris visita cette belle propriélé avec un vif intérêt, montrant môme une compé- tence qui surprit plus d'une fois ceux qui l'cn- louraient.

s. A. R. LA PRINCESSE HÉLÈNE 221

M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris, continuantleur voyage,visitèrent tour àtour les magnifiques ruines de Segeste et de Selinonte. Un des monuments qui excita le plus l'admiration des augustes voyageurs fut la cathédrale de Mont- réal, près de Palerme. Après s'être arrêtés quel- ques jours à Naples, les ruines de Pompéi et de Pœstum les attiraient, le retour à Eu fut décidé, car Madame la comtesse de Paris tenaità être auprès de sa seconde fille, la princesse Hélène, pendant les quelques semaines qui précédèrent sa pre- mière communion.

Cette touchante cérémonie eut lieu à Eu, à la fin de juin. La princesse Hélène (née le 16 juin 1871) est très belle. 11 y a trois ans, encore enfant, elle avait un type de fraîcheur et de grâce qui, sous le chapeau relevé à la mode du jour, rappelait les délicieux portraits de M"° Yigée-Lebrun. Au- jourd'hui, l'enûint est devenue jeune fille. Par sa bonté parfaite et son exquise affabilité, elle rap- pelle sa sœur. Madame la duchesse de Bragance. Sa grande distinction fait promptement reconnaître chez cette charmante princesse qu'elle appartient à la première race royale du monde. Lajeune prin- cesse avait été préparée à sa première communion dans la chapelle du château d'Eu, restaurée par le roi Louis-Philippe et à laquelle de beaux vitraux, tamisant la lumière, donnent l'aspect recueilli d'un oratoire itiifime : sur les boiseries sculptées se dé-

222 PREMIÈRE COMMUNION DE LA PRINCESSE HÉLÈNE

tache l'écusson de la maison de France aux trois fleurs de lis; quatre grandes verrières exécutées à Sèvres, sur les dessins de Chenavard, montrent saint Louis avec le manteau fleurdelisé, saint Phi- lippe, sainte Victoire et sainte Adélaïde; deux statues semblent garder l'autel : d'un côté, celle de saint Ferdinand, en mémoire du regretté duc d'Orléans ; de l'autre, celle de saint Laurent, patron d'Eu. Au-dessus de l'autel, se dresse un tableau symbolique sainte Amélie, en prière, ofl're des gerbes d'héliotropes, fleur favorite de la reine Marie-Amélie. La princesse Hélène aurait pu faire sa première communion dans ce milieu tout im- prégné de souvenirs; mais, par une pensée élevée, M. le comte de Paris tint en celte circonstance, comme en plusieurs autres, à ne pas séparer ses enfants des enfants du peuple, et à les associer, dans une cérémonie commune, aux mômes pieuses impressions, comme aux mêmes devoirs. C'est donc à l'église d'Eu, et avec une égalité chrétienne autrement sincère que celle de la devise étalée sur nos murailles, qu'eut lieu la solennité. La jeune princesse était confondue parmi ses compagnes, comme il en avail élé naguère pour son frère le duc d'Orléans; et tous les membres de la famille royale, mêlés à la population, étaient les témoins attendris de ce pieux speclacle. A l'élévation. Madame la comtesse de Paris, profondément émue, chanta un 0 Salutaris ! de cette voix harmonieuse

NOTE DE L « UNION » 223

et sympathique qu'ont souvent admirée, dans les petites réunions de Cannes et du château d'Eu, les amis intimes de la princesse. La princesse Amélie quêta pour les pauvres. Cette fête de fa- mille, avec son caractère simple et patriarcal, laissa dans le cœur de chacun un touchant sou- venir.

Peu de jours après, avait lieu un événement considérable.

Le dimanche soir, 1*'" juillet, VU/iion, organe officiel de M. le comte de Chambord, publiait la note suivante, qui causait dans toute la France la plus vive émotion :

Nous apprenons à l'instant, avec une inexprimable dou- leur, par un télégramme ofliciel de Frohsdorf, que M. le comte de Chambord, atteint d'une maladie aussi grave qu'imprévue, est dans un état qui inspire de sérieuses in- quiétudes à ceux qui l'entourent.

Par son ordre, nous demandons à la France d'unir ses ardentes prières aux nôtres.

Que Dieu daigne conserver à la patrie le glorieux et le bien-aimé héritier de nos rois !

Le marquis de Dreux-Brézé (représentant à Pa- ris de M. le comte de Chambord) avait envoyé cette note à tous les journaux royalistes, en même temps qu'il avertissait M. Bocher. Celui-ci télé- graphia la triste nouvelle à Eu.

Le lendemain matin, 2 juillet, une réunion de

DEPART POUR L AUTRICHE

famille était tenue à Paris, par les princes d'Or- léans, sous la présidence de M. le comte de Paris. 11 était décidé que le pelit-fils du roi Louis-Phi- lippe partirait le soir même pour Vienne. Des avis officieux étaient envoyés à M. le comte de Paris pour Pavcrtir que, dans les circonstances actuelles, son voyage à Frohsdorf pourrait être considéré comme un acte de prétendant, et suivi d'une expulsion.

« Que m'importe! répondit le prince; mon

devoir est de partir, je partirai ce soir. »

Le même soir, à la gare du chemin de fer de l'Est, M. le comte de Paris, M. le duc de Nemours et M. le duc d'Alençon montaient en sleeping-car, accompagnés parle comte B. d'Harcourt et le capi- taine Morhain. Le marquis de Beauvoir et le vicomte de Bondy devaient les rejoindre le lendemain. Quelques amis, le comte de Riancey et le marquis de Fiers étaient venus saluer les princes et comp- taient les suivre à Vienne, selon les nouvelles que Ton recevrait de l'auguste malade. Deux dépêches arrivées au moment du départ annonçaient une léaère amélioration, tout en déclarant que la situation restait très grave. Le train s'ébranle, toutes les personnes présentes sur le quai de la gare saluent respectueusement les princes. A huit heures du matin, ils arrivent à Strasbourg. Les princes descendent au buffet de la gare, dont les propiiétaires, de braves Alsaciens, les recon- naissent et les signalent à plusieurs de leurs

ARRIVEE A VIENNE 225

compatriotes. Tous, au moment les princes regagnent leur wagon, se découvrent et forment la haie sur leur passage. Du reste, dans toutes les gares ils sont l'objet de la plus vive et de la plus sympathique curiosité du public. Le len- demain, 4 juillet, les princes arrivaient à Vienne, à six heures vingt minutes du matin.

Tant de commentaires différents ont été faits sur les incidents qui ont marqué les deux voyages à Vienne de M. le comte de Paris, que, dans l'inté- rêt de la vérité, je crois utile de répéter ici deux récits, l'un du Français^, l'autre du Moniteur uni- versel^ que je compléterai, dans quelques passages, par des notes personnelles dont je garantis la parfaite exactitude.

Le 4 juillet, dès que M. le comte de Paris était arrivé à Vienne avec M. le duc de Nemours et M. le duc d'Alençon, il avait envoyé M. le comte Bernard d'Harcourt au château de Frohsdorf. M. d'Harcourt y venait prendre des nouvelles de M. le comte de Ghambord, annoncer que les prin- ces étaient à Vienne et offrir tous leurs vœux à l'auguste malade ; il y venait aussi demander, avec la plus délicate discrétion, si M. le comte de

1. Le Français était alors rédigé par un de ses meilleurs collaborateurs, M. Auguste Boucher, dont la plume élégante et facile rapporta avec la plus scrupuleuse exactitude ce qui se passa dans ce premier voyage à Vienne de M. le comte de Paris.

15

226 MALADIE DE M"'' LE COMTE DE CHAMBOIiD

Ghambord voudrait bien les recevoir, le jour son douloureux état le lui permettrait.

A leur tour, M. le marquis de Beauvoir et M. le vicomte de Bondy étaient allés, le lende- main, à Frohsdorf, sur l'ordre de M. le comte de Paris, pour s'informer de l'état de M. le comte de Ghambord,

Le 6, M. le baron de Raincourt, de service alors auprès du prince, apporta à M. le comte de Paris les compliments de M. le comte de Ghambord, au nom duquel il le remerciait de cette démarche, ainsi que les princes qui l'accompagnaient. M""® la com- tesse de Ghambord leur faisait savoir par M. de Raincourt qu'elle serait heureuse de les recevoir, sans assurer, toutefois, qu'ils pourraient voir M. le comte de Ghambord. M. de Raincourt pensait même exactement interprétei le sentiment de M'"" la comtesse de Ghambord en disant qu'elle jugeait nécessaire d'ajourner Tentrevue du malade et des princes. Que cette entrevue fut immédiate, selon leur respectueux et affectueux désir, ou qu'il fallût la retarder, il n'en était pas moins certain que le devoir qui avait amené les princes à Vienne leur commandait de se rendre à Frohs- dorf, surtout maintenant que M""*" la comtesse de Ghambord leur annonçait qu'elle pourrait elle- même les recevoir, tout accablée de fatigue et de tristesse qu'elle était depuis quelques jours.

Un ami, qui connaissait bien l'âme généreuse

LES PRINCES VONT A FROHSDORF 227

de M. le comte de Ghambord, disait à l'un des princes, quelques minutes avant qu'ils prissent le chemin de Frohsdorf : « Aussitôt que Monsei- gneur saura que vous êtes sous son toit, il n'est pas de souffrance que sa volonté ne domine ; il vous appellera à son chevet... » Cet ami ne se trompait pas.

Dans la matinée du 7, M. le comte de Paris, M. le duc de Nemours et M. le duc d'Alençon par- tirent avec MM. Bernard d'Harcourt, Emmanuel Bocher, de Beauvoir et de Bondy. A la gare de Vienne, ils trouvèrent M. le comte de Blacas, son neveu M. le duc de Blacas, M. de Charette et MM. de Ghampeaux et du Puget. Les princes prièrent M, de Blacas et M. de Gharette de monter dans leur wagon. Les voitures de M. le comte de Ghambord les attendaient à la gare de Wiener-Neustadt. Elles les conduisirent au châ- teau, sous un soleil brûlant, à travers un tourbil- lon de poussière. Devant la porte du château, les secrétaires de M. le comte de Ghambord et toutes les personnes qui composaient son entourage étaient assemblés et rendirent aux princes les hon- neurs traditionnels.

Dans la matinée, le docteur Mayr, de nouveau consulte, avait déclaré que M. le comte de Gham- bord ne pouvait pas, sans un grave danger, rece- voir ses cousins. 11 avait donc été décidé que les princes ne verraient pas le malade.

228 JOIE DE m"' le comte be chambord

Cependant, M. le comte de Chambord, à peine averti que ses cousins étaient en route, avait ma- nifesté très vivement l'intention de les admettre auprès de lui. En vain lui avait-on objecté Tavis si net du docteur Mayr. (c Peu importe ! Je le veux...», avait-il répondu avec un accent vibrant. Et, devant celte ferme volonté qui ne comptait pour rien le mal, le péril, peut-être même le sa- crifice de la vie, on s'était incliné. Les princes d'Orléans faisaient noblement leur devoir; M. le comte de Chambord faisait le sien héroïquement ; le chrétien, l'homme et le prince avaient parlé aussi haut l'un que l'autre dans ce mot non moins doux qu'énergique sur ses lèvres : « Je le veux. »

Après avoir été accueillis par M™° la comtesse de Chambord, les princes, au bout de dix minutes, furent introduits dans la chambre M. le comte de Chambord reposait si péniblement.

La scène était certes grande. Dans cette cham- Ijre la mort avait semblé un instant prête à frapper le chef de la maison de France, le dernier petit-fils de Louis XIV, si loin des Tuileries, si loin de la ])atrie, les princes d'Orléans étaient là, seuls en face de M. le comte de Chambord, brisé par la souffrance, et représentant avec lui toute la famille royale des Bourbons dans un entretien qui pouvait être le dernier. Ce n'était plus la France qui réunissait M. le comte de Chambord et M. le comte de Paris, comme lors du ;"> août 1873 ; c'était,

ENTRETIEN AVEC M^''' LE COMTE DE PARIS 229

après dix ans, Dieu lui-même avec ses décrets mystérieux...

Mais cette scène, déjà si belle en elle-même, M. le comte de Chambord la rehaussait encore de toute la grandeur de ses sentiments.

A la vue de M. le comte de Paris, M. le comte de Chambord se soulève sur son séant ; il l'appelle à lui ; d'un mouvement tout paternel, il le prend dans ses bras et, en pleurant, il le tient longtemps sur sa poitrine. Puis il embrasse cordialement M. le duc de Nemours et M. le duc d'Alençon. Il saisit ensuite la main de M, le comte de Paris ; il le force à s'asseoir à son chevet en lui faisant, de toute la vigueur qui lui reste, une sorte de violence affectueuse. Il cause alors avec chacun des princes, et la conversation dure un quart d'heure. M. le comte de Chambord semble avoir oublié son mal ; son cœur est plus fort que la souffrance. Il affirme même en souriant qu'il se sent mieux. Avec une tendresse touchante, avec une abnégation absolue de lui-même, avec une vivacité et une lucidité d'es- prit extraordinaires, il les entretient de tout ce qui les intéresse personnellement : il n'y avait rien qu'il ne sût et qu'il n'eût l'aimable soin de leur remémorer ou de leur demander. Au moment les princes, qui craignaient de le fatiguer en pro- longeant cette visite, allaient se retirer, M. le comte de Chambord, encore une fois, embrassa avec effusion M. le comte de Paris, et sa main

230 CONSULTATION DES MÉDECINS

eut de la peine à se détacher de celle qu'elle serrait.

En rentrant au salon leurs amis les atten- daient, les princes avaient tous trois des larmes dans les yeux, et c'est d'une voix altérée par l'émo- tion qu'ils leur racontèrent cette douloureuse entrevue.

En sortant, encore tout ému, de la chambre de M. le comte de Ghambord, M. le comte de Paris s'écria : « Ah ! on nous avait trompés sur la gravité de l'état de Monseigneur, et nous en sommes bien heureux ! »

M. le comte de Monti sortit alors de sa poche la première consultation des trois médecins vien- nois, qui déclaraient l'état du prince si alarmant, qu'ils n'osaient pas affirmer qu'il passerait la nuit...

M. le comte de Ghambord avait ordonné que, pendant le déjeuner, M. le comte de Paris occupât à table sa place môme : attention plus que cour- toise, qui rendait bien visible et sensible sa sou- veraine pensée. Après le déjeuner, qui fut suivi d'une courte promenade dans le parc, les princes présentaient à M"" la comtesse de Ghambord leurs respects, leurs consolations, leurs souhaits, et reprenaient la route de Vienne.

Voilà, dans loule sa simplicité comme dans toute sa vérité, le récit qui nous a été fait de cette louchanle entrevue. Le speclacle qui a été donné

l'union des deux princes 231

là, le 7 juillet, à la France monarchique et à l'Eu- rope elle-même, n'a pas besoin de commentaires pour marquer tout ce qu'il a eu de beau et de bon. C'était l'union de la famille royale attestée de nouveau, comme en 1873, et consacrée cette fois avec une solennité suprême. Ce n'était pas seule- ment M. le comte de Paris saluant le représentant du droit dynastique dans la personne de M, le comte de Chambord, comme dix ans auparavant ; c'était M, le comte de Chambord, ne pensant qu'à la France sur son lit de douleur et lui montrant la monarchie de l'avenir dans la personne de M. le comte de Paris, qui devait après lui représenter ce même droit héréditaire.

Un journal a dit à ce sujet ^ :

« Personne ne put l'empêcher, malgré ses souf- frances, de terminer sa noble carrière par le grand acte qui est son véritable testament. Il reçut, comme il l'entendait, sur son lit de mort, son héritier; et ceux qui ont vu dans cette magni- fique étreinte quelque chose comme un sacrifice se sont singulièrement trompés.

« Non seulement, M. le comte de Chambord con- naissait mieux que personne l'histoire et les lois de sa patrie, mais il savait qu'il remettait entre les mains les plus sures le dépôt sacré gardé pour la France. Il avait dit avec joie à un ami, le soir

1. Figaro du 24 août 1887 : Un anniversaire.

232 RETOUR A EU

du 5 août 1873 : « Le comte de Paris est un bien « honnête homme, » et il s'endormit tranquille dans l'éternité. »

Quant à nous, en rappelant cette scène si digne de notre vieille histoire, nous ne venons que ren- dre à M. le comte de Ghambord l'hommage à sa haute volonté, à sa courageuse sollicitude, à sa prévoyance royale et nationale ; et avec nous toute la France monarchique, nous en sommes sûr, mê- lera dans cet hommage la gratitude à l'admira- tion.

L'amélioration dans la santé de M. le comte de Ghambord se maintenant, M. le comte de Paris quitta Vienne le samedi soir 14 juillet, et arriva à Paris le lendemain soir, dimanche, à 6 heures. Le prince dîna chez M. Bocher, et dans la soirée alla chez le marquis de Dreux-Brézé lui exprimer sa satisfaction des meilleures nouvelles qu'il apportait de la santé du chef de la maison de Bourbon. Puis le 17, le prince retourna à Eu auprès de Madame la comtesse de Paris.

L'entrevue du 7 juillet 1883 avait produit un effet considérable en France. Elle montrait que ce n'était plus, comme au 5 août 1873, une union de raison, mais une union de cœur qui réunissait le comte de Ghambord et le comte de Paris. Nous en trouvons la preuve dans la touchante lettre sui- vante que M. le duc de Nemours adressa de Vienne à sa fille M'"'' la princesse Blanche :

LETTRE DE M^"" LE DUC DE NEMOURS 233

C'est Madame qui nous a ouvert la porte de l'auguste malade.

Nous sommes restés seuls, personne que nous trois. Monseigneur, en nous voyant, s'est soulevé avec énergie. Il a étendu ses deux bras, a i)ris Paris par la tête, l'a em- brassé avec effusion plusieurs fois ; il a placé la tête de Paris sur son cœur, puis il m'a tendu la main et m'a dit : a Embrassons-nous ; nous nous aimons depuis bien long- temps. » Il a embrassé le duc d'Alençon.

Il nous a fait asseoir et nous a parlé avec sa belle voix que vous connaissez. Il nous a demandé en détail des nou- velles de toute la famille ; femmes, enfants, il n'a oublié personne.

Pendant qu'il causait ainsi, il prenait la main de Paris, la mienne. Il a répété plusieurs fois : « Je savais bien que vous viendriez, et j'étais sûr que votre visite me ferait du bien. Je sens que cela va mieux; car mon cœur n'est j)as malade, et il vous aime tendrement. »

L'entrevue a duré dix-sept minutes.

C'est moi qui ai dit : « Nous craignons de nous faire gronder ; nous nous retirons. Avec l'aide de Dieu que nous invoquons tous, avec votre énergique constitution, vous triompherez du mal. »

Alors, prenant la main de Paris, Monseigneur répliqua :

« Quand vous rentrerez en France, dites bien à tous que c'est pour ma chère France qu'il faut prier et non pour moi. Mon seul regret est de n'avoir pu la sei"vir et mourir pour elle, comme l'a toujours désiré mon cœur. Soyez plus heureux que moi : c'est tout ce que je désire. »

M. le comte de Chambord avait signifié sa ferme

234 AGONIE DE M^'^ LE COMTE DE CHAMBORD

volonté, non seulement en recevant M. le conile de Paris avec une joie des plus expressives, en le pressant sur son cœur, mais encore en refusant de recevoir aucun autre prince, même les fds et filles de sa sœur qu'il avait élevés et qu'il consi- dérait comme ses propres enfants. Il avait fait taire ses sentiments pour remplir son devoir de roi, et bien montrer aux royalistes quel était son succes- seur.

Mais M. le comte de Paris, en se rendant sans hésitation à Frohsdorf, avait pu, lui aussi, envisager la responsabilité qui [lui incomberait un jour. En accomplissant cet acte, le prince montrait de la netteté, de la décision, de la volonté. Ceux qui ne le connaissaient pas commencèrent déjà à pres- sentir en lui un chef intelligent et ferme, digne du grand nom qu'il portait.

Pendant un mois, on put espérer, sinon le réta- blissement complet de M. le comte de Ghambord, au moins un long temps d'arrêt dans la maladie. La Providence en avait décidé autrement. Le 16 août, tout espoir sembla abandonné : les forces déclinaient rapidement; le comte de Ghambord ne pouvait plus suppoi'ter au(uin aliment. Le 21, les médecins, réunis en consultation, annoncèrent que le comte de Ghambord était perdu. Le prince con- servait toute sa lucidité, et se rendait compte de son état. A midi, il fit ses adieux à ses neveux, à ses nièces, et reçut les derniers sacrements. Pen-

LA MORT 235

dant quarante-huit heures, il y eut une sorte d'ac- calmie dans le mal. Enfin le 23, à 8 heures du soir, le professeur Drasche et le docteur Mayr durent prévenir la famille que l'agonie commençait. Lorsqu'il ne fut plus possible de douter de l'ap- proche de la mort, M™*^ la comtesse de Chambord, malgré tout son courage, sentit ses forces faiblir. Elle faillit s'évanouir dans les bras de M™*^ la grande-duchesse de Toscane, de la comtesse de Bardi et de la duchesse de Madrid. Les princesses lui prodiguèrent leurs soins aflectueux, et M"*" la comtesse de Chambord, maîtrisant sa douleur, ne quitta plus le lit de son époux expirant. Les prières des agonisants furent dites deux fois dans le cou- rant de la nuit. Le silence n'était interrompu que par la voix de la princesse, ou par celle de M. le comte de Chambord, prononçant encore quelques paroles, parmi lesquelles on distinguait surtout ce mot : « France ! » Toute la nuit se passa ainsi. Vers 7 heures, le docteur Mayr reconnut que les der- niers moments approchaient. L'abbé Curé pro- nonça, d'une voix grave et tremblante d'émotion : « Montez au Ciel, fils de saint Louis I... » Le prince

poussa un léger soupir tout était fini. Il était

7 heures 27 minutes du matin

Le corps du prince, épuisé, émacié par la souf- france, était d'une excessive maigreur. La barbe blanche, très longue, descendait sur la poitrine, et les traits de son visage, calme et reposé,

236 ARRIVÉE A VIENNE DE M'''' LE COMTE DE PARIS

étaient empreints d'une incomparable majesté.

La première dépêche annonçant la triste nou- velle fut adressée à M. le comte de Paris. Tous les princes d'Orléans firent savoir qu'ils se ren- draient aux obsèques.

Dès le début de son voyage, M. le comte de Paris avait été dominé par le désir de témoigner, jusque dans les moindres détails, une profonde déférence pour M'"^ la comtesse de Chambord. Dans les huit jours de poignante angoisse qui précédèrent l'a- gonie de M. le comte de Chambord, on conseilla à M. le comte de Paris de se tenir prêt à partir aux premières nouvelles de la mort, de façon à pou- voir prendre de suite à Frohsdorf la direction des funérailles. Ce conseil, le prince ne le suivit pas. Il était avant tout préoccupé, dans sa délicatesse, d'éviter de troubler la douleur de Tauguste veuve dans les premiers jours de son deuil. Il souhaitait d'ailleurs uniquement d'arriver à Frohsdorf de façon à pouvoir contempler une dernière fois les traits du prince avec lequel il avait eu récemment une entrevue si touchante, avant qu'ils eussent pour jamais disparu aux yeux des hommes.

Le comte de Chambord mourut le 24 août au matin. Le 28, M. le comte de Paris arriva à Vienne, après avoir télégraphié au comte de Blacas, à Frohsdorf, pour lui demander à quelle heure il pourrait venir le même jour s'agenouiller près du lit funèbre.

AU CHATEAU DE FROHSDORP 237

Dans ce voyage, M. le comte de Paris était ac- compagné de son fils le duc d'Orléans, du duc de Nemours, du prince de Joinville et du ducd'Alen- çon. Il avait, de plus, appelé pour le suivre à Frohs- dorf des amis personnels , anciens compagnons d'enfance et d'exil, qui tous avaient eu l'honneur d'avoir été présentés, depuis 1873, au comte de Chambord. C'étaient MM. le comte B. d'Har- court, ancien officier de cavalerie; le marquis de Beauvoir, ancien secrétaire d'ambassade ; le vi- comte de Bondy et le vicomte Olivier de Bondy; Emmanuel Bocher, ancien officier d'élat-major, et le capitaine de chasseurs à pied Morhain, attaché personnellement, depuis vingt-huit ans, à la per- sonne de M. le comte de Paris.

Auprès de lui, le prince avait encore l'ancien et très respecté conseil de sa famille, M. Edouard Bocher, sénateur; le duc de la Trémoille ; le duc de Fitz-James, beau-frère du général de Gha- rette.

Le 28 août, à une heure trente minutes, les princes quittaient Vienne, et arrivaient à trois heures à Viener-Neustadt. Les voitures de M. le comte de Chambord les attendaient à la gare et les conduisirent au château de Frohsdorf. Les gen- tilshommes de service auprès du corps firent éva- cuer la chambre mortuaire, et le chef nouveau de la maison de France, ayant son fils auprès de lui, s'agenouilla pieusement devant la dépouille de

238 LA. CHAMBRE MORTUAIRE

celui qui l'avait étreint dans ses bras, avec toute la chaleur de son cœur, en 1873 et en 1883. 11 y eut à ce moment un long et solennel silence. M. le comte de Paris priait, et nul doute qu'avant de s'adresser à Celui de qui dépend le sort des nations, il ne se fut souvenu de la dernière parole qu'il avait entendue sortir de la bouche du des- cendant de nos rois : « C'est pour la France qu'il faut prier. »

Au-dessus du lit mortuaire flottait la bannière de Patay, avec les taches encore visibles du sang répandu par ceux qui, le 2 décembre 1870, l'a- vaient si intrépidement portée. La Providence avait fait que l'un de ces héros, dont le bras est encore en écharpe, M. Cazenove de Pradines, était de service auprès du corps. Le religieux silence de la chambre mortuaire ne fut rompu que par les paroles émues adressées par M. le comte de Paris au glorieux blessé de 1870, debout lui-même au chevet de son roi, en quelque sorte comme une image de la France héroïque et mutilée. Le jeune duc d'Orléans, très pâle et profondément impres- sionné, assistait à ce spectacle émouvant.

Dans celte môme journée, INI. Bocher s'était en- tretenu avec M. de Blacas au sujet du cérémonial qui serait adopté pour la cérémonie de Goritz. Plein de respect pour la douleur de M"*" la com- tesse de Chambord, ainsi que pour rafTcclion qu'elle portait aux neveux de son mari, M. le

POURPARLERS POUR LES OBSÈQUES 239

comte de Paris avait pensé que, dans la chapelle du château, sous le toit de l'auguste veuve, il ne lui convenait pas de réclamer la préséance. Quoi- qu'il eût pu, dès la première heure, comme c'était son droit, faire connaître ses ordres pour le règle- ment des funérailles, il avait tenu au contraire à donner une marque particulière de son respect pour la douleur de Madame, en se réservant de réclamer seulement pour la cérémonie officielle et française de Goritz les prérogatives dues à son titre de chef de la maison de France.

M. de Blacas, dans une lettre à M. Bocher, se bornait à accuser la prétention du duc de Parme, du comte de Bardi et même du duc de Madrid à passer au premier rang, comme propres neveux ou même tout simplement comme neveux par alliance. Il fut convenu que, le jeudi 30, une ré- ponse catégorique serait donnée à M. Bocher.

Est-il besoin de dire qu'avec son éloquence or- dinaire M. Bocher, l'ami expérimenté des princes d'Orléans développa, tant au point de vue incon- testable de l'histoire qu'au nom du patriotisme, les motifs qui devaient faire écarter un programme qui ne pouvait s'appuyer sur aucun précédent, et qui était en contradiction absolue avec l'attitude de M. le comte de Chambord depuis 1873, aussi bien qu'avec sa volonté présumée ?

M. le comte de Paris revint à Vienne le même mardi soir, et le lendemain, à la première heure,

240 NOTIFICATION AUX SOUVERAINS

il expédiait à tous les souverains d'Europe le télégramme suivant :

Sire,

J'ai la douleur de vous faire part de la perte cruelle que la Maison de France vient d'éprouver dans la personne de son chef, Monseigneur Henri-Charles-Ferdinand-INlarie Dieudonné d'Artois, duc de Bordeaux, comte de Cluim- bord, décédé à Frohsdorf, le 24 août 1883.

Je prie Votre Majesté de vouloir bien accorder dans cette circonstance, à la Maison de France, sa haute sym- pathie.

Philippe, comte de Paris.

Dans la même journée , tous les souverains répondaient à cette notification. En prenant cette initiative, M. le comte de Paris n'avait fait que continuer, comme chef de la maison de France, ce qu'il avait toujours fait comme chef de la maison d'Orléans.

Aussitôt ce devoir accompli, M. le comte de Paris faisait demander au grand chambellan de S. M. l'empereur d'Autriche, le comte de Grenne- ville, quel jour et à quelle heure il pourrait se rendre chez Sa Majesté. La réponse fut donnée presque immédiatement, et l'heure de deux heures fut indiquée pour le surlendemain vendredi.

Dans cet intervalle, un grand nombre de Fran- çais, amis plus spécialement fidèles et intimes du château de Frohsdorf, arrivaient de France à Vienne, et ne cachaient point leur stupéfaction en

DÉCISION DE M""*^ L.V COMTESSE DE CHAMBORD 241

apprenant quelles étaient les décisions qui sem- blaient prévaloir, dans l'entourage immédiat de M"® la comtesse de Ghambord, relativement aux obsèques, et l'insistance avec laquelle les chefs des branches espagnole et italienne réclamaient le droit de conduire le deuil d'un prince aussi émi- nemment et aussi profondément français que M, le comte de Ghambord.

Plusieurs Français parlaient tout haut de pro- poser à M. le comte de Paris de « prendre son prie-Dieu à Goritz et de le placer à dix mètres en avant de tous les autres ». Le prince fit savoir qu'il ne pouvait consentir, par égard pour Gelui que la France monarchique pleurait, à ce que ses amis engageassent cette sorte de lutte avec ceux qui lui disputaient indûment la préséance.

Les hommes politiques expérimentés espé- raient que le langage tenu à Frohsdorf par MM. le duc de Bisaccia, le comte Albert de Mun, le comte Maxence de Damas, MM. Benoist d'Azy, de Ca- rayon-Latour, triompherait de résistances qui ne pouvaient être inspirées que par des personnes étrangères à la France.

Un des motifs invoqués par l'entourage immé- diat de M*, le comte de Ghambord était que l'em- pereur d'Autriche voulait éviter que la cérémonie prit le caractère d'une démonstration politique. Gette assertion devait recevoir le lendemain, ven- dredi 31, un démenti formel, éclatant.

lu

242 VISITE DE l'empereur d'Autriche

Deux heures, en eftet, avant que M. le comte de Paris dût se rendre au palais impérial, l'empereur, en uniforme, arrivait inopinément à la demeure de M. le comte de Paris; il s'entretenait seul avec lui pendant plus d'une demi-heure, se faisant présen- ter le jeune duc d'Orléans, et lorsque le prince français voulut le reconduire du salon au bas du perron, l'empereur, insistant par deux fois, l'em- pêcha de descendre une seule marche. Le duc d'Alençon accompagna seul Sa Majesté jusqu'à la voiture.

Puisque le nom de l'empereur d'Autriche est mêlé à ce récit, qu'on nous permette de consacrer quelques lignes à ce souverain.

On se souvient encore à Paris de l'excellente impression laissée partout par l'empereur Fran- çois-Joseph lorsqu'il vint visiter l'Exposition de 1867, L'empereur a une figure remarquablement intelligente, l'œil est vif, l'aspect militaire. L'ex- quise distinction de ses manières et sa grande aftabilité frappent tous ceux qui ont l'honneur d'être reçus par lui.

L'empereur est bien le premier gentilhomme de son empire. Avec un tact et une abnégation admi- rables, François-Joseph se dessaisit du pouvoir absolu qu'il tenait de ses aïeux; il n'hésita pas à se dépouiller de ses plus importantes préroga- tives dans l'intérêt de la patrie; il est devenu le

LES PRINCES AU PALAIS niPERIAL 243

modèle des souverains constitutionnels, et l'afFec- tion de ses peuples l'en a largement récompensé. Dans cet excellent pays, le peuple n'a cessé de conserver un attachement réel, profond, pour la famille impériale. Les questions militaires pas- sionnent l'empereur; il s'en occupe avec la plus grande et la plus intelligente sollicitude, et son règne laissera un souvenir heureux dans l'empire d'Autriche-Hongrie. 11 sut, avec une habileté par- faite, opérer la réconciliation avec la Hongrie, si jalouse de ses antiques privilèges.

François-Joseph est bon, charitable, et peu de souverains en Europe jouissent d'une aussi grande et aussi méritée popularité.

A deuxheures, jM. le comte de Paris se rendait, à son tour, au palais impérial, dans la voiture de gala de son cousin, le duc de Saxe-Gobourg. Lors- qu'il entra dans la cour, la garde sortit, présenta les armes, pendant que les officiers saluaient de l'épée et que l'étendard s'inclinait. A l'intérieur, les officiers gardes du corps, autrichiens et hon- grois, en resplendissants uniformes, faisaient la haie. Une demi-heure plus tard, l'empereur rece- vait le duc de Nemours, le prince de Joinville, le duc de Chartres et le duc d'Alençon. H n'est pas besoin de commentaires pour faire ressortir l'im- portance de la visite faite, le premier, par l'empe- reur d'Autriche au chef de la maison de France.

244 DECISION DE M''' LE COMTE DE PARIS

Pendant que s'échangeaient ces visites, M. Ro- cher retournait à Frohsdorf pour savoir comment avait été réglé définitivement l'ordre du céré- monial à Goritz, et pour déclarer que si M. le comte de Paris n'avait pas le premier rang, im- médiatement après l'archiduc représentant l'em- pereur d'Autriche, il n'irait pas à Goritz : le chef actuel de la maison de France ne pouvant accepter un autre rang sans méconnaître ses devoirs et ses droits.

Le samedi l*"" septembre, M. le comte de Paris, accompagné du duc d'Orléans, du duc de Char- tres, du duc de Nemours, du prince de Joinville, du duc d'Aumale et du duc d'Alençon, quittait Vienne à sept heures vingt minutes du matin, et arrivait à neuf heures au château de Frohsdorf. Le roi de Naples et huit archiducs arrivaient en môme temps. On distinguait parmi les Français : MM. les ducs de Sabran, des Cars, de la Tré- moïlle, de Fitz-James, de Bisaccia ; MM. de la Ro- chejaquelein, de Damas, de Blacas, etc., etc. La cérémonie célébrée en présence d'une pareille assistance fut véritablement touchante, et em- preinte tout à la fois d'un caractère de simplicité et de grandeur.

Ici se place une scène caractéristique. Lorsque M. le comte de Paris sortit du château pour rega- gner sa voiture, toutes les tètes se découvrirent, et un groupe, se détachant de la masse des assis-

DÉMARCHE DES FRANÇAIS 245

tants, s'avança vers le prince. Une vive émotion se peignait sur tous les visages. Le duc de Bisac- cia, le général de Charette, M. de Mun, le duc de Filz-James, étaient en tête de ce groupe. Quand ces messieurs furent arrivés près de M. le comte de Paris, M. le duc de Bisaccia, faisant un pas en avant, s'adressa au prince en ces termes :

Monseigneur,

Nous venons, le général de Charette et moi, au nom de la France, au nom de tous les Français qui sont ici, vous demander avec instance d'aller à Goritz, comme vous en aviez l'intention, et d'y prendre la place qui vous est due. En agissant ainsi. Monseigneur remplira les intentions de Celui que nous pleurons.

En prononçant ces paroles, M. le duc de Bisac- cia, très ému, avait la voix vibrante, le geste plein d'expression et d'ampleur.

Le prince répondit qu'il remerciait ces mes- sieurs de leurs nobles paroles, et qu'il les consi- dérait comme un gage pour l'avenir.

MM. de Charette, de Mun, de Monti, appuyèrent avec beaucoup de vivacité et d'énergie le langage de M. le duc de Bisaccia. Tl n'est pas de spectateur qui puisse oublier cette scène émouvante après l'avoir contemplée. Ces messieurs cédaient à l'élan de leurs cœurs, à un élan tout français et d'autant plus significatif, qu'ils avaient été toute leur vie les amis intimes, les serviteurs dévoués du prince

246 LE PRINCE RETARDE SON DEPART

défunt, qu'ils l'avaient défendu à la tribune, qu'ils avaient été considérés comme ses soldats sur les champs de bataille de 1870. En les entendant, on sentait bien que ceux-là parlaient au nom du mort, et que ce qui se préparait à Goritz n'aurait jamais été dicté par le comte de Ghambord, s'il avait lui- même réglé ses funérailles.

Les vœux de ces ardents patriotes, de ces loyaux Français, ne devaient point être exaucés. Toute- fois, par égard pour la démarche de ces mes- sieurs, le prince, qui avait résolu de partir le jour même pour la France, voulut bien différer son départ jusqu'au lendemain soir.

Quelques heures plus tard, M. le comte de Bla- cas apportait à Vienne les volontés écrites par M™^ la comtesse de Ghambord , et de sa main même, déclarant qu'elle « voulait que chacun fût placé selon son degré de parenté ». C'était faire conduire le deuil d'Henri de France par deux princes italiens et un prince espagnol. G'était mettre au quatrième rang le chef de la maison de France, dont le premier acte, en cette qualité, eût été, s'il eût accepté ce rang, d'abaisser devant des maisons étrangères la maison royale à laquelle la France a son unité et sa grandeur.

M. le comte de Paris n'hésita pas une seconde et déclara qu'il n'irait pas à Gorilz ; il laissa voir la douleur qu'il en éprouvait; mais c'était pour lui un devoir de s'abstenir; ce devoir, il l'accomplit.

IMPRESSION EN FRANCE 247

Il est à noter que cette décision fut prise dans la soirée du samedi P"", et que le lendemain, diman- che, dès huit heures du matin, l'empereur modi- fiant les ordres donnés officiellement par lui, au sujet du service de Goritz, s'y faisait représenter, non plus par son frère, l'archiduc Louis-Victor, mais par son grand-écuyer.

Certains organes de la presse démocratique ont interprété ce changement dans les ordres du sou- verain comme une concession faite à une demande qu'aurait formulée le gouvernement français. Cette allégation a été reconnue de tous points inexacte. A Goritz, les Français nombreux qui étaient venus rendre les derniers devoirs à Henri de France ressentirent une profonde douleur en apprenant que des princes étrangers avaient été chargés de conduire le deuil ; un sentiment natio- nal et patriotique avait gagné vite tous les cœurs et avait fait explosion à l'issue de la cérémonie, dans l'allocution émouvante de M. le ducdeBisaccia.

En ce qui concerne l'impression produite en France par ces incidents, nous avons été heureux de constater que l'attitude si digne et si française de M. le comte de Paris avait provoqué un senti- ment unanime d'approbation. La fierté nationale s'émut en voyant comment le représentant de nos rois savait défendre, à la fois, la dignité de sa mai- son et celle de la France, qui s'y trouve indissolu- blement liée. Enfin, M. le comte de Paris fit

248 LE TESTAMENT DE M^"' LE COMTE DE CHAMBORD

preuve de cette résolution qui est la qualité maî- tresse de son puissant esprit, et qui n'a chez lui tant de force que parce qu'elle s'unit, par une association bien rare, à la réflexion. Toutes ces particularités expliquent comment M. le comte de Paris, parti pour Frohsdorf pour y remplir un devoir, y trouva, sans la chercher, l'occasion d'un grand succès personnel.

Dans son testament, daté de Frohsdorf, le 5 juil- let 1883, M. le comte de Chambord avait ainsi distribué sa fortune. M. le duc de Parme, son neveu, était légataire universel, avec réserve, pour la comtesse de Chambord, de la jouissance ; le comte de Bardi, frère du duc de Parme, avait un quart de la fortune ; leurs sœurs, S. A. I. et R. ]yjme ]jj grande-duchesse de Toscane et M"" la du- chesse de Madrid, héritaient de 500,000 francs chacune ; ensuite venait la liste des souvenirs à ses amis intimes, et des pensions aux gens de sa maison.

« On dit qu'il a existé un autre testament qui avait, au contraire, un caractère tout politique, dont le prince avait lu des passages admirables à deux ou trois élus de sa confiance. Qu'est devenu ce testament ? A-t-il été brûlé, déchiré ? ou bien M'°" la comtesse de Chambord a-t-clle pieusement conservé ce souvenir qu'annulait un acte posté- rieur i?» C'est une question que M"' la comtesse

1. I/riiri de France, par M. II. de l'ène, p. 'l'iO.

LES ORSÈQUES A GORITZ 249

de Ghambord seule aurait pu résoudre. On ne le saura probablement jamais.

Après avoir raconté ce qui eut lieu à Frohsdorf, il est utile d'exposer ce qui se passa à Goritz. Je m'y étais rendu pour rejoindre M. le comte de Paris, et je puis affirmer la plus scrupuleuse exactitude de mon récit, que trois des amis particuliers des princes qui se trouvèrent en même temps que moi à Goritz, le jour des obsèques, pourraient au besoin confirmer : c'étaient MM. le comte de Montai- gnac, le marquis de Mornay, et Armand de Mas.

Voici ce que je trouve dans mes notes écrites le jour même :

J'étais arrivé à Goritz le dimanche matin 2 sep- tembre : c'est à midi qu'éclata, comme un coup de foudre, la nouvelle que M. le comte de Paris n'as- sisterait pas aux obsèques. Je me rendis à l'hô- tel des Trois-Gouronnes, tout le monde était dans une extrême agitation. On venait de connaître la décision de M"® la comtesse de Ghambord, qui tenait à ce que le deuil du chef de la maison de France fut conduit par des princes étrangers.

Il n'y eut bientôt qu'un cri : Nous, Français, nous refusons de conduire à sa dernière de- meure le corps du roi de France en suivant des princes espagnols et italiens. Que l'on fasse sa- voir à M. le comte de Paris l'unanimité des sen- timents qui agitent le cœur de tous les Français,

?50 DÉPÈCHE ADRESSÉE A M^"" LE COMTE DE PARIS

et, en présence d'une démarche si spontanée, peut- Hre Monseigneur daignera-t-il se rendre à nos i^œux et marcher à la tête des Français?

Une vingtaine de présidents des anciens comi- tés royalistes se réunissent dans une chambre de l'hôtel des Trois-Couronnes, et rédigent une dé- pêche. Par qui la faire signer, se demande-t-on ; la plupart des noms sont inconnus du prince ? Y a-t-il à Goritz des amis particuliers des princes d'Orléans? Le baron de Roux-Larcy désigne M. le marquis de Fiers. On vient me trouver à l'hôtel de la Poste, et, cédant aux instances dont j'étais l'objet, j'expédie en double, à Vienne et à Trieste (où l'on disait que M. le comte de Paris se trouvait pour rentrer en France par Venise), la dépêche suivante :

A Monseigneur le Comte de Pains.

Le bruit court, et il |)roduit partout une extrême émo- tion, que Monseigneur ne vient pas à Goritz. Je suis très instamment et très vivement prié, par un grand nombre de présidents de comités royalistes, réunis à l'Hôtel de la Poste, et dont j'ai les noms, de supplier Monseigneur de se rendre à Goritz.

Je suis avec le plus profond respect, de Monseigneur, le très humble, très obéissant et très lidèlo serviteur,

Le marquis de Flers.

Celte dépêche ne parvenait au prince que le surlendemain, cai- il avait déjà quille Vienne, et il me répondait par la dépêche suivante :

RÉPONSE DE MONSEIGNEUR 251

Ginimden, 4 septembre 1883, 9 h. 30 matin. Marquis de Fiers, Hôtel de la Poste, Gnritz. Je reçois ici votre dépêche, dont je regrette le retard.; vous savez comment le souci de ma dignité m'a empêché

d'aller à Goritz.

Comte de Paris.

L'agitation ne faisait qu'augmenter, et il n'y avait qu'une voix pour admirer la fermeté, la di- gnité du nouveau chef de la maison de France : (c Nous acceptions M. le comte de Paris, nous l'acclamerons maintenant, » s'écriaient de tous côtés les légitimistes les plus ardents.

Dans la soirée du dimanche, beaucoup de roya- listes étaient arrivés à Goritz. Une importante réu- nion eut lieu à l'hôtel de la Poste, sous la pré- sidence du baron de Lareinty, sénateur de la Loire-Inférieure, qui montra en cette occasion une intelligence, un esprit de décision et une activité qui rendirent les plus grands services. Assistaient à cette réunion : le vicomte de Kerdrel, sénateur; le prince de Léon, vicomte Blin de Bourbon, députés; le prince d'Arenberg, le marquis de Vogué, le comte de Maillé, marquis de Pontevès- Sabran, marquis d'Imécourt, baron de Roux-Larcy, M. de Staplande, baron de Vaufreland, baron Jules de Lareinty, marquis et comte de Paris, baron de Rochetaillée, Jules Auffray^, Remacle, Seguin,

1. 'SI. Jules Auffray est l'auteur d'une très intéressante bro- chure, Le 3 septembre 188.3 à Goritz.

252 RÉDACTION D UNE ADRESSE AU PRINCE

baron d'Huarl, marquis de Puyvert, Fernand An- diize et Elie Durand, ces deux derniers, royalistes actifs de Montpellier, qui, après avoir rendu à M. le comte de Chambord les plus précieux ser- vices dans l'Hérault, mettent aujourd'hui leur zèle et leur ardeur féconde au service de M. le comte de Paris.

Après un discours très ferme et très applaudi de M. le baron de Lareinty, qui sut trouver des pa- roles éloquentes et émues pour exposer la situa- tion, l'adresse suivante fut votée par acclamation:

Les Français réunis à Goritz pour rendre au roi un suprême et douloureux devoir, n'ayant pu exprimer à M. le comte de Paris leur inaltérable attachement au principe traditionnel de la monarchie française représenté par sa personne, le prient d'agréer l'hommage de leur respec- tueuse fidélité.

Gomme on espérait encore l'arrivée des princes d'Orléans, on ajourna au lendemain, deux heures, la signature de cette adresse.

Le lundi 3 septembre 1883, à sept heures et demie du matin, le cercueil contenant le corps de M. le comte de Chambord arrivait en gare à Goritz. L'émotion était vive, les larmes dans tous les yeux. On attendit à la gare l'arrivée du prince de Tour- et-Taxis, représentant l'empereur d'Autriche, et qui arriva à neuf heures : le cortège se mil en marche pour la cathédrale entre deux haies de

OBSÈQUES DE M^'*^ LE COMTE DE CHAMBORD 253

soldats, avec l'immense concours d'une popula- tion à l'attitude respectueuse et recueillie.

Le deuil était conduit par don Juan d'Espagne (père du prétendant don Carlos) ; le duc de Parme, don Carlos, don Alphonse de Bourbon, son frère ; don Jaime (fils de don Carlos); don Miguel de Bragance, enfin S. A. I. et R. l'archiduc Ferdi- nand IV, grand-duc de Toscane ; le grand-duc Ferdinand était fils de Léopold II, cet excellent souverain qui gouverna avec tant de sagesse la Toscane, et dont le souvenir est resté si vivant à Florence. Derrière eux, un groupe d'officiers autrichiens en grande tenue. Le grand-duc de Toscane, tout en se rendant aux obsèques de son oncle, avait vivement blâmé que la première place ne fût pas donnée à M. le comte de de Paris. Le roi de Naples, qui, à Frohsdorf, le sa- medi matin, s'était effacé en disant : « Je ne pas- serai jamais avant le roi de France, » s'était abstenu de venir à Goritz.

La messe s'acheva au milieu du recueillement général, et la fin de la cérémonie fut ajournée à cinq heures après midi. Enfin, à six heures et de- mie, le couvent des Franciscains de Goritz recueil- lait la dépouille mortelle de l'auguste prince, dont on a pu dire que, s'il n'a pas été roi, nul n'a été plus digne de l'être. Le comte de Chambord, en effet, sut rendre plus grand encore, dans l'efface- ment de l'exil, l'éclat du principe de la monarchie

254 LES ROYALISTES A GORITZ

traditionnelle et de la dignité royale. Son incom- parable majesté força au respect jusqu'à ses adver- saires, et dans toute la France, amis ou ennemis, ont pu dire de lui : C'était u.n honnête homme!

Pour nous, nous conserverons toujours le sou- venir de l'accueil qui nous fut fait, en octobre 1879, par ce prince spirituel, au caractère si fran- çais, chez lequel nous étions introduits par son neveu, le grand-duc de Toscane. Nous n'oublie- rons jamais l'extrême bienveillance avec laquelle M. le comte de Chambord reçut un des fidèles du roi Louis-Philippe et des princes d'Orléans, et la profonde impression que nous en ressentîmes. Pourquoi la France a-t-elle été privée de cette joie de le voir monter sur un trône, il eût été si vite aimé de tous les Français!.... Il ne nous appar- tient pas de le dire.

Revenons un peu en arrière, et racontons briè- vement ce qui se passait à Goritz aux deux hôtels, entre la cérémonie du matin, à l'église, et celle du soir. A l'issue de la messe, le duc de Larochefou- cauld-Bisaccia, président de la droite royaliste à la Chambre des députés, considérant qu'il y avait urgence à faire connaître à la France la parfaite union du parti royaliste et son unanime adhésion aux droits de M. le comte de Paris, envoyait à Paris le texte d'une adresse qui alïirmait l'iné- branlable fidélité des royalistes au nouveau chef de la nuiison de France. Celte déclaration, jetée

LE DUC DE BISACCIA ET LE BARON DE LAREINTY 255

immédiatement par tous lesjournaux, au pays dans l'attente, produisit une excellente impression par- tout, et démentit, dès la première heure, les bruits de dislocation et de désunion du parti mo- narchique, que la presse républicaine s'efforçait de propager dans l'opinion publique.

Si par l'initiative du duc de Bisaccia l'union était affirmée au dehors, il restait à la consommer au dedans. Grâce à l'esprit de clairvoyance du baron de Lareinty, on ne laissa pas avorter en regrets stériles des sentiments que tous parta- geaient. Le baron de Lareinty avait mieux que personne qualité pour agir. Sénateur et président du conseil général de la Loire-Inférieure, il avait constitué, dans le plus grand nombre des com- munes de ce département, une majorité royaliste. Par son habileté, il était parvenu à battre en brèche tous les préfets républicains et à contre-balancer, même à Nantes, au milieu d'une population ou- vrière, accessible à tous les mensonges révolu- tionnaires, l'influence du parti républicain.

Pendant que le comte de Monli réunissait les délégués de six départements de la Bretagne et de la Vendée, qui signaient une adresse de fidé- lité à M. le comte de Paris, trois ou quatre légiti- mistes (qui devaient un jour faire partie des quel- ques douzaines d'hommes en France qui recon- naissent un Espagnol comme prétendant au trône de France) firent les plus grands efforts pour empê-

256 l'adresse du baron de lareinty

cher de signer l'adresse Lareinty. Tous les pré- textes étaient bons! Le podestat de Goritz s'oppo- sait à toute réunion ; on insinuait qu'il y avait inconvenance à signer le jour même des obsè- ques!... (le soir môme et le lendemain les roya- listes se dispersaient). Le baron de Lareinty parla haut et ferme, imposa silence par son attitude décidée, et le maître de l'hôtel, circonvenu par les quatre intransigeants, ayant refusé une salle Ton pût discuter les termes de l'adresse, on alla en masse la signer dans la chambre du vicomte Blin de Bourdon, député.

En résumé, le pénible incident qui avait éloi- gné M. le comte de Paris eut un résultat important. Le parti royaliste se trouva en un instant uni, confondu dans un même sentiment tout français : le roi de France doit passer avant tous !

Les royalistes présents à Goritz, les plus vieux, les plus fidèles , étaient unanimes à qualifier sévèrement l'acte arraché à la faiblesse dé- solée de M""^ la comtesse de Chambord. Tous louaient M. le comte de Paris; le comte de Bla- cas lui-même déclarait hautement à quel point cette conduite était correcte, digne, et méritait l'approbation. Le comte de Blacas , le comte René de Monti, le baron de Raincourt, le comte A. de Chevigné, le comte de Damas d'Haulefort, prolestèrent contre l'attitude que certains jour- naux leur prêtaicnl, en écrivant (juils reconnais-

LES TROIS ACTES DE M"' LE COMTE DE PARIS 257

saient hautement « les droits de M. le comte de Paris à la succession de M. le comte de Cliam- bord ». Ces loyaux serviteurs du comte de Gliam- bord étaient bien les organes de tous les royalistes français, plus unis, plus serrés que jamais contre l'ennemi commun, et ils savaient bien que ces belles paroles de M. le comte de Ghambord : « le droit pour base, l'honnêteté pour moyen, la gran- deur morale pour but, » resteraient la devise de M. le comte de Paris.

M. le comte de Paris était à peu près inconnu des légitimistes. Trois actes accomplis par lui, en juillet et août 1883, montrèrent à tous qu'il était un homme de cœur, un prince ferme, énergique, qui ne laisserait jamais entamer le patrimoine d'honneur qui appartient au roi de France:

Le 1'^'' juillet 1883, le prince apprend la grave maladie dont M. le comte de Ghambord est at- teint. Il part le 2, s'attendant à ne pas rentrer en France et à rester en exil. Mais en agissant ainsi, il accomplissait son devoir sans hésitation.

Dieu rappelle à lui, le 24 août, l'auguste chef de la maison de Bourbon. On ignorait encore quel nom porterait désormais celui qui sera un jour le roi de France. M. le comte de Paris notifie aux souverains la mort de son cousin, et signe Phi- lippe, comte de Paris.

Enfin, si le jour des obsèques, à Frohsdorf, le samedi i'^' septembre, il s'efface devant la douleur

17

258 RETOUR AU CHATEAU D^EU

de M™* la comtesse de Chambord et considère alors le service funèbre comme une solennité pri- vée, le surlendemain, il s'abstient de paraître à Goritz. On lui refusait la première place qui lui était due, et il ne voulait pas, sur le cercueil de M. le comte de Chambord, se prêter à une manifes- tation des Français qui, en proie à une émotion mêlée de colère, avaient le dessein, bien arrêté, de le mettre, quand même, au premier rang.

Ces trois actes seuls constituaient le meilleur des manifestes, en attendant l'éloquente protesta- tion du 24 juin 1886, et surtout les admirables et si complètes « Instructions aux représentants du parti monarchiste en France ». La France entière savait maintenant qu'elle pouvait compter sur l'énergie et la décision d'un prince jeune, intelli- gent, et rompu depuis longtemps aux affaires, à la dure école de l'exil.

A son retour de Vienne, M. le comte de Paris rentra dans son château d'Eu, oii un grand nombre d'anciennes et fidèles notabilités légitimistes sol- licitèrent l'honneur de lui présenter leurs hom- maoes. Le nouveau chef de la maison de France

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fit à tous l'accueil le plus bienveillant.

Les présidents de la Ligue populaire royaliste présentèrent le 20 septembre, à Eu, à M. le comte de Paris, l'adresse suivante, revêtue de quinze cents signatures et de celles des présidents des comités royalistes des arrondissements de Paris :

ADRESSE DES COMITÉS ROYALISTES 259

Les l'oyalistes de Paris, membres de la ligue jiopulaire, réunis aujourd'hui, 10 septembre 1883, dans leurs comités respectifs, remercient M. le comte de Paris de son attitude toute française aux obsèques de M. le comte de Chambord, et, comptant sur lui pour rendre à la France son prestige perdu, sa liberté violée, sa magistrature désorganisée, déposent à ses pieds et aux pieds de Madame l'hommage de leur respectueuse fidélité.

Au milieu d'octobre, M. le comte de Paris se rendit au château de Saiiit-Eusoge, chez la mar- quise douairière d'Harcourt,à laquelle il avait tenu à présenter lui-même ses compliments de condo- léance sur le deuil qui venait de la frapper, dans la personne du marquis d'Harcourt, un des servi- teurs dévoués des princes d'Orléans. A la même époque, le prince ayant appris qu'une souscrip- tion était ouverte en Bretagne, à Auray, pour éle- ver un monument à la mémoire de M. le comte de Chambord, souscrivit pour 50,000 francs, et, plein de sollicitude pour le Tréport, donna 30,000 francs pour les travaux du port et des jetées, qui devaient coûter plus de 3 millions et demi, et avaient une importance capitale pour la ville.

En 1874, M. le comte de Paris avait publié les premiers volumes de V Histoire de la guerre civile en Amérique; au mois d'octobre 1883, paraissaient les cinquième et sixième volumes de l'ouvrage, qui en aura probablement dix. L'œuvre est consi-

260 « HISTOIRE DE LA GUERRE CIVILE EN AMERIQUE »

dérable, et elle fut appréciée avec de grands éloges par la presse française et européenne. La Revue d'Edimbourg, notamment, rendit à l'auteur la jus- tice que mérite ce vaste travail, le prince mon- tre une connaissance de l'art de la guerre mo- derne qui lui assure une place au premier rang parmi les historiens militaires de notre époque.

A l'automne de 1883, M. le comte de Paris choi- sit comme secrétaire particulier M. Camille Du- puy, avocat général à Aix. M. Dupuy, magistrat distingué, encore jeune, avait donné sa démission, avec tant d'autres magistrats, lors de l'exécution des décrets de 1880 contre les congrégations reli- gieuses. Au moment un Bonaparte, dans une lettre tristement célèbre, approuvait cette illéga- lité criminelle, le choix de M. le comte de Paris était significatif.

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CHAPITRE VI

1884-1885

Voyage en Espagne de M. le comte de Paris (janvier 1884). Attentat découvert à Lyon contre M. le comte de Paris (jan- vier 1884). M. le comte de Paris et M™° la comtesse de Paris aux obsèques du duc d'Albany à Cannes (2 avril 1884).

M. le duc de Chartres se rend à Marseille distribuer 50,000 francs aux cholériques, au nom de M. le comte de Paris. M. le comte de Paris et son grade de lieutenant- colonel dans l'armée territoriale. Visite au château d'Eu de LL. AA. RR. le comte et la comtesse de Flandre (22 juillet 1884). M. le comte de Paris et M. le duc d'Orléans à un incendie au Tréport (août 1884). Service commémoratif à Eu pour M. le comte de Chambord (24 août 1884). Une lettre de M. le comte de Paris à M. le comte de Laubespin, sur la mort de son neveu, le baron de Lespérut. Nais- sance à Eu de S. A, R. le prince Ferdinand, deuxième fils de M. le comte de Paris (9 septembre 1884). Le pape Léon XIII envoie sa bénédiction au nouveau-né et à Ma- dame la comtesse de Paris. M. le comte de Paris envoie 10,000 francs au denier de Saint-Pierre.

Souscription de M. le comte de Paris pour la quête en faveur des aumôniers des hôpitaux de Paris (16 février 1885).

Bénédiction de la statue de Notre-Dame du Tréport (23 août 1885). L'archevêque de Rouen au château d'Eu. Mariage au château d'Eu de S. A. R. la prin- cesse Marie de Chartres avec S. A. R. le prince Walde- mar, dernier fîls du roi de Danemark (22 octobre 1885). Le service pour le roi d'Espagne, Alphonse XII, à l'église Saint-François-Xavier, à Paris (6 décembre 1885). M. le

comte de Paris et M"« la comtesse de Paris parrain et mar- raine, à Cannes, du dixième enfant de S. A. R. le comte de Caserte, frère de S, M. le roi de Naples (20 décembre 18851.

262 VOYAGE EN ESPAGNE

LelOjanvier 1884,M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris se rendaient en Espagne. Leur départ avait été annoncé; aussi de nombreux groupes stationnaient-ils à la gare du chemin de fer d'Orléans. La préfecture de police avait pris des mesures de précaution exagérées. La consigne de ne laisser personne entrer dans la gare est ri- goureusement exécutée. Le prince et les prin- cesses arrivent au quai du départ par une entrée réservée : une centaine de personnes avaient réussi cependant à entrer par le passage de ser- vice qui donne accès sur la voie, et au moment le train part, poussent les cris de : Vive le roi ! vive le comte de Paris ! En sortant de la gare, quelques-uns des manifestants crient de nouveau : Vive le roi ! les agents arrêtent trois personnes ; à neuf heures, la gare a repris son aspect habi- tuel.

En arrivant àMadrid, M. lecomte de Paris et Ma- dame la comtesse de Paris furent reçus avec la plus vive cordialité, à la gare, parle roi Alphonse XII. Des appartements avaient été préparés au palais de Oriente. Les jours suivants, le prince et la prin- cesse visitèrent les monuments de Madrid, puis les domaines royaux de l'Escurial, Aranjucz e! la Granja.

Une (grande chasse fut orofanisce à la Casa del Campo. Los journaux de Madrid se nionlréi-cnt très sympathiques à M. le comte de Paris, et sa

LE ROI ALPHONSE XII 263

fille aillée, M'"" la princesse Amélie, fit raclmira- tion de tout Madrid, autant par sa grâce et sa beauté que par son esprit. Des journaux, comme la Epoca, rappelèrent sa ressemblance avec la reine Mercedes, sa tante, qui avait laissé en Espa- o-ne une véritable léo-ende de charme et de vertu.

L'accueil fait par le roi Alphonse et l'Espagne fut si empressé, si cordial, que l'on fut unanime pour y reconnaître, non seulement la preuve des sentiments personnels du roi pour la maison royale de France, mais encore le témoignage de la sympathie que la nation espagnole et son chef conservent pour la France. Ils la séparent avec raison de son gouvernement, qui ne sut pas em- pêcher les tristes incidents qui marquèrent le passage du roi Alphonse à Paris. Le cabinet de Paris dissimula mal sa mauvaise humeur de la réception royale faite par Alphonse XII à M. le comte de Paris : car à l'étranger, partout se rend le chef de la maison de France, que ce soit à Vienne ou à Madrid ; il est traité en roi. C'est à cette épo- que que le roi Alphonse XII, voulant donner au frère de Madame la comtesse de Paris, don Antoine, un témoignage tout particulier d'estime et d'affec- tion, le nomma grand chancelier de l'ordre mili- taire de Notre-Dame de Montesa, dont le siège est k Valence.

De Madrid, M. le comte de Paris se rendit au

264 SAN LUCAR DI BARRAMEDA

château de San Liicar cli Barrameda, auprès de son oncle et beau-père, M. le duc de Montpensier. San Lucar di Barrameda est une des plus jolies villes de l'Andalousie ; elle s'étage sur la rive gau- che du Guadalquivir. La résidence du prince est bâtie à l'une des extrémités de la ville, au milieu d'un parc admirable, les palmiers poussent en pleine terre. Rien de plus merveilleux que ces pelouses de pervenches, ces massifs d'orangers, au milieu desquels s'enchevêtrent les fleurs les plus rares, tandis qu'à l'horizon, le Guadalquivir et son embouchure sablonneuse sont encadrés par d'épaisses forets de pins. Non loin de est la demeure de Fernand Cortcz, le hardi capitaine qui conquit le Mexique. Sa maison, avec tous les souvenirs historiques qui s'y rattachent, fut long- temps la propriété du duc de Montpensier, à qui l'on en doit une intelligente et artistique restaura- tion. Il la donna à sa fille Mercedes, qui la légua à son mari, le roi Alphonse XII.

Le palais du duc de Montpensier, construit en partie dans le goût mauresque, rappelle des mo- tifs de l'Alhambra de Grenade, et de l'Alcazar de Séville. L'intérieur est meublé et disposé avec le goût d'un véritable artiste. C'est dans celte ravis- sante retraite, sous ce climat délicieux, que M. le comte de Paris séjourna quelques semaines, pas- sant SCS journées à la chasse sur le (juadalquivir. Un bateau à vapeur, appartenant au duc de Mont-

VOYAGE A CANNES 265

pensier, servait aux promenades sur le fleuve, dont les rives sont couvertes d'oiseaux de mer. Vers le 15 février, M. le comte de Paris était de retour au château d'Eu.

Avant de quitter l'Espagne, le prince écrivit à M. Lacave-Laplagne, sénateur du Gers, pour le charger d'ofFrir en son nom ses condoléances à la famille du comte Armand de Gontaut, qui venait de mourir. La lettre du prince témoignait de sa constante sollicitude pour les intérêts du pays et de sa parfaite connaissance des hommes qui, comme le comte Armand de Gontaut, ont consacré leur vie au service de la France.

Au commencement de mars, M. le comte de Paris se rendit avec sa famille à Cannes, la santé de sa quatrième fille, la jeune princesse Louise, âgée de deux ans, donna un moment quelques inquié- tudes ; elle avait eu le faux croup. Tout à coup, le dimanche matin 9 mars, le Figaro et le Gaulois annoncèrent à leurs lecteurs que la police venait de découvrir, à Lyon, un attentat dirigé contre M. le comte de Paris. Voici comment le Nouvelliste de Lyon^ feuille connue pour la sûreté de ses infor- mations, raconta l'événement :

« Les nihilistes de France, à l'instar de leurs frè- res de Russie, viennent de se révéler à nouveau par une tentative audacieuse dont le retentisse- ment produira un grand étonnement et excitera un sentiment général d'indignation.

266 ATTENTAT DÉCOUVERT A LYON

« Cette tentative visait haut : elle était dirigée

o

contre le chef de la maison de France.

« C'est M. le comte de Paris qui était désigné cette fois à la haine farouche des révolutionnaires, c'est à sa vie qu'on en voulait. Pour accomplir ce funeste dessein, les dispositions, comme on va le voir, étaient bien prises, et les conséquences qui devaient en résulter eussent été meurtrières et in- calculables :

« Vendredi soir, un commissionnaire, portant une boite sous le bras, se présentait au bureau de ville de la Compagnie P.-L.-M., situé rue Constan- tine. Il était 7 heures; à ce moment, les guichets sont toujours envahis par de nombreuses person- nes qui veulent profiter des trains de nuit pour expédier leurs marchandises. Le commissionnaire présenta son colis au préposé à la reconnaissance; celui-ci, après l'avoir pesé, visa la déclaration d'expédition et la remit à l'employé chargé d'éta- blir la taxe de l'envoi qui devait être effectué /;o/'^ payé. Ce dernier perçut la somme de 1 fr. 25, prix du transport, et le commissionnaire se retira. Un instant après, un autre agent, chargé d'enregistrer la déclaration de l'expéditeur sur un registre ad hoc^ fut frappé de la manière dont elle était lil)cl- lée. Ce document portait en effet, soigneusement tracées en caractères d'imprimerie, les indicalions suivantes : l^]xpédileur : M. Bcvker, nie des Feuil- lants, à Lijon. Destinataire : J/(>/M"(?/i,'//<:7//' le comte

CO>rTRE M-'' LE COMTE DE PARIS 267

de Paris, en son hôtel de la rue de Varennes, 57, à Paris. Port payé. La marchandise était ainsi désignée : Une caisse soierie, quincaillerie et échan- tillons, 1 k. 600. Signature de l'expéditeur : Bêc- her. La rue des Feuillants n'existe pas à Lyon ; il y a, en revanche, la petite et la grand'rue des Feuillants. L'employé consulta V Annuaire de Lyon et ne trouva pas le nom de Becker. Il communiqua les doutes qu'il éprouvait sur la nature de l'envoi à son chef de bureau, qui les partagea complè- tement ; on examina la boîte, dont voici la des- cription : elle est en bois blanc et soigneusement confectionnée; elle a vingt-cinq centimètres de lon- gueur, onze de largeur, cinq de hauteur ; elle était enveloppée d'un papier bleu tendre, très fin, atta- ché avec une ficelle et portant la suscription ci- après, écrite par la môme main qui avait rédigé la déclaration d'expédition : Monseigneur le comte de Paris, en son hôtel de la rue de Varennes, 57, Paris. Le chef de bureau, plus que jamais intrigué, résolut d'ouvrir la boîte mystérieuse ; il retira la première enveloppe qui recouvrait le colis et s'a- perçut que le couvercle, au lieu d'être cloué, se composait d'une simple coulisse, que contenait solidement une double ficelle. Les employés tirè- rent le couvercle avec de grandes précautions ; mais à peine avaient-ils mis à découvert la moitié du contenu de la boîte, qu'ils s'arrêtèrent, étonnés. Il y avait de quoi : une cartouche métallique de

268 ATTENTAT DÉCOUVERT A LYON

forte dimension, enlourée de projectiles de toute sorte et relié à un appareil invisible par des fils de fulmi-coton, devait immédiatement faire explo- sion si le couvercle avait été entièrement retiré.

« Le mystérieux colis a été envoyé à l'arsenal de Perrache, et de au parc d'artillerie de la Mouche, pour y être ouvert. Cette opération a été pratiquée avec beaucoup de soin. Il paraîtrait que l'explosion résultant du seul fait de l'ouverture de la boite aurait produit des ravages considéra- bles.

« Dans ce pays généreux, qui repousse toutes les lâchetés, cet attentat, Aille Nouvelliste de Lyon, excitera, nous le répétons, un douloureux étonne- ment et un sentiment général d'indignation. »

Dans un numéro suivant, ce journal ajoutait :

« C'est M. Pierre Denis, commis principal à la Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée, ancien sous- officier d'artillerie, qui, le premier, a eu de sérieux soupçons sur le contenu de la boite. En prescri- vant à son subordonné Riboulet de rechercher le colis qui allait être dirigé sur la gare de Perrache, son intention était de s'assurer au préalable qu'il ne contenait rien de suspect. M. Riboulet ne parut nullement surpris des doutes exprimés par le chef de buicau ; mais il manifesta quelques a])préhen- sions quand celui-ci lui dit d'ouvrir la mystérieuse cassette. Alors M. Denis, avec de très grandes

CONTRE M'^ LE COMTE DE PARIS 269

précautions, tira doucement de sa rainure une partie du couvercle et put juger immédiatement de son contenu. Il fit part immédiatement de sa découverte à son chef, M. Roch, qui chercha vai- nement sur VAiinuaire le nom de l'expéditeur, M. Bêcher. Plus de doute, on se trouvait en pré- sence d'une tentative abominable ayant pour but, cela est certain, de supprimer le chef de la maison de France.

« M. Denis envoya immédiatement prévenir M. le commissaire de police Duplaquet, qui se transporta sur les lieux. On sait le reste ; le péril était conjuré. »

La police chercha, mais elle ne trouva rien, et on ne connut jamais l'auteur de cette criminelle tentative : les assassins auraient d'ailleurs manqué leur but, car il est plus que probable que les do- mestiques du prince, seuls, auraient été victimes de cet odieux complot. M. le comte de Paris, avec sa générosité habituelle, envoya une royale récom- pense aux employés de la Compagnie qui avaient déjoué ce complot.

A la fin de son séjour à Cannes, M. le comte de Paris assista aux obsèques d'un des frères du prince de Galles, le duc d'Albany, mort presque subitement. Le prince de Galles, qui s'était rendu en toute hâte à Cannes, fit donner au chef de la maison de France la première place devant les invités, et il fut traité pendant toute la cérémonie

270 M-'' LE DUC DE CHARTRES A MARSEILLE

comme tenant un rang royal. Les journaux minis- tériels laissèrent percer l'irritation du cabinet et demandèrent que des mesures fussent enfin prises

contre le comte de Paris! Mais l'heure le

plus inique exil devait être décrété ne devait pas encore sonner. Le 2 avril, M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris rentraient à Paris par le même train qui ramenait en Angleterre la dé- pouille mortelle du duc d'Albany.

Le 30 mai, M, le comte de Paris se rendait à l'église Sainte-Glotilde, pour assister aux obsè- quesde l'unde ses plus anciens etplus fidèles amis, le comte d'Haussonville, de l'Académie française.

Un terrible fléau, le choléra, s'était abattu sur Marseille, pendant l'été de 1884. M. le comte de Paris, par un extrême sentiment de délicatesse, ne se rendit pas lui-même à Marseille, distribuer des secours, accompagnés de bonnes paroles qui vont au cœur des malades, à tous les malheureux qui souffraient et mouraient. On aurait peut-être vu un prétendant allant quêter des suffrages !... Mais il envoya son frère, M. le duc de Chartres, porter 50,000 francs aux cholériques de Marseille. Nous raconterons ailleurs, en détail, cette visite et la colère qu'elle souleva chez les républicains ; avec une naïveté ridicule, un journal qualifiait de hriUe (sic) celte excursion du duc de Chartres allant porter lai-niènie cet argent, quand « la poste est pour transporter les valeurs » !

M''' LE COMTE DE PARIS LIEUTENANT-COLONEL 271

Y a-t-il rien de plus comique que cette phrase ? A un pareil argument, il n'y a pas un mot à ré- pondre...

Mais les républicains, plus que jamais préoc- cupés du terrain gagné chaque jour, en France, par le parti royaliste, ne savaient qu'imaginer pour attaquer les princes d'Orléans. Un jour, une feuille annonça que le général Gampenon, alors ministre de la guerre, avait rayé du nouvel An- nuaire militaire M. le comte de Paris, il fiffu- rait comme lieutenant-colonel du service d'état- major de l'armée territoriale. Le fait était faux. Tout officier de l'armée territoriale rentre dans la vie civile dès qu'il a atteint la limite d'âge, fixée à quarante ans ; mais il peut, d'après la loi, être maintenu dans son grade, s'il en fait la demande.

Lors des décrets du général Thibaudin qui pla- cèrent les princes d'Orléans en non-activité, M. le comte de Paris fut mis à la suite, c'est-à-dire dans une position équivalente à celle de la non-activité. Par une bizarre anomalie, les officiers de l'armée active en position de non-activité ne figurent pas à VAnnuaire, tandis que les officiers de l'armée territoriale placés à la suite y figurent. M, le comte de Paris resta donc comme l'année précé- dente en non-activité, et rien ne fut changé à sa position militaire.

Les réceptions continuèrent au château d'Eu, où, le 22 juillet, S. A. R. le comte de Flandre, frère

UN INCENDIE AU TREPORT

du roi des Belges, accompagné de la comtesse de Flandre, rendit visite à son cousin M. le comte de Paris. Quelques jours après son départ, au com- mencement d'août, un incendie considérable éclata au Tréport, M. le comte de Paris, aussitôt averti, arriva d'Eu avec une pompe à vapeur qui rendit les plus grands services. L'incendie s'était déclaré chez M. Romain, brasseur, dans la ville haute du Tréport. Vers six heures et demie du soir, une épaisse et noire fumée avait mis la ville en émoi. Quelques instants après, les flammes avaient en- vahi tous les bâtiments comprenant la brasserie et un hangar rempli de paille. Les premiers se- cours furent difficiles à organiser : les pompes du Tréport et de Mers, faiblement alimentées d'eau, produisaient peu d'effet, et les maisons voisines étaient menacées, lorsqu'arriva la pompe à vapeur du château d'Eu.

Sous la direction de M. le comte de Paris, accom- pagné de sonfils, leducd'Orléans, de M. Emmanuel Bocher et du marquis de Breteuil, la pompe fut placée en batterie sur le quai. En peu d'instants, les tuyaux, d'une longueur de 200 mètres, furent déroulés, et bientôt les pompiers de la ville d'Eu, habitués à Texercice d'une pompe d'une grande puissance, jetèrent des torients d'eau de mer sur le foyer de l'incendie, qui fui rapidement éteint. Le maire remercia vivement M. le comte de Paris de son concours, qui avait peut-être préservé un

SERVICE ANNIVERSAIRE DU COMTE DE CHAMBORD 273

quartier de la ville d'une ruine complète. Cer- tains journaux républicains, naturellement, trou- vèrent là matière à raillerie. Quand les princes d'Orléans, coutumiers du fait, vont les premiers à un devoir qui peut être un péril, ils suivent l'ins- piration de leur cœur et ce que leur nom leur commande plus impérieusement encore qu'aux autres hommes. En trouvant dans leur conduite prétexte à plaisanterie, les républicains ne font tort qu'à eux-mêmes.

C'est à ce moment que M. le comte de Paris fit remettre 1 ,000 francs à un comité qui s'était orga- nisé pour venir en aide aux victimes d'une grêle terrible qui, le 12 juillet, avait fait de grands ra- vages dans le département de la Seine-Inférieure : des secours importants furent également portés en son nom à de pauvres cultivateurs atteints par l'ouragan.

La date anniversaire de la mort de M. le comte de Chambord approchait.

Le prince avait donné l'ordre qu'un service fût, à cette occasion, célébré à Paris à la paroisse de Saint-François-Xavier ; un service solennel eut également lieu à Eu le 24 août 1884. L'église était entièrement tendue de noir, et les draperies re- haussées d'écussons aux armes de France, placés de distance en distance.

M.lecomtedeParis, Madame la comtesse de Paris, malgré son état de grossesse avancée, occupaient

18

274 LETTRE A M. DE LAUBESPIN

des fauteuils en avant du chœur. Derrière eux avaient pris place S. A. R. le duc d'Orléans et sa sœur M"" la princesse Amélie, les princesses de la famille royale et toute la maison de M. le comte de Paris. Derrière les princes une foule énorme d'habitants de la ville et de royalistes des environs remplissait l'église, qui fut ce jour-là trop petite.

A la fin de ce mois d'août parut dans les jour- naux la lettre suivante, que M. le comte de Paris avait adressée à M. le comte de Laubespin, con- seiller général de la Nièvre, à l'occasion de la mort de son neveu, le baron Lespérut, ancien secré- taire d'ambassade :

Mon cher Monsieur de Laubespin,

M. de Beauvoir, sachant tous les sentiments que je por- tais à votre neveu, m'a annoncé sa mort par le télégraphe et je me suis empressé d'exprimer par la même voie, à Ma- dame votre sœur, ma profonde svmj^athie. Je viens aujour- d'hui A'ous remercier de la pensée qui a inspiré votre lettre et vous dire, mieux ({ue je n'ai pu le faire dans une dé- pêche, combien je ressens la perte de M. de Lespérut. Je l'ai assez connu pour pouvoir apprécier les rares qualités de son cœur et de son intelligence.

Sa mauvaise santé, qui lui imposait des é[)reuYes si cou- rageusement supportées, lui avait été l'occasion de se livrer, plus complètement que d'autres, à l'étude, et de donner à son esprit une culture exceptionnelle. J'espérais qu'il pourrait mettre toutes ses brillantes facultés au ser-

QUETE POUR LES AUMOXJERS DES HOPITAUX 275

vice de la France et de la cause à laquelle il était, jiar tradition et par conviction, si passionnément attaché.

Dieu en a disposé autrement. 11 lui a peut-être épargné bien des souffrances, mais il nous a enlevé un ami dont la perte sera vivement sentie.

La comtesse de Paris et moi, nous nous associons à l'immense douleur de M'"* de Lespérut.

Veuillez être notre interprète auprès d'elle dans ces douloureuses circonstances et me croire Votre bien affectionné,

Philippe, comte de Paris.

P. -S. Je vous remercie de ce que vous me dites à l'oc- casion du triste anniversaire du 13 juillet. Je sais combien vous avez fidèlement conservé le souvenir de mon père. C'est un lien entre nous que les années ne font que for- tifier !

Quelques jours après, une quêle eut lieu dans toutes les églises de Paris pour les aumôniers des hôpitaux de Paris, dont le traitement avait été supprimé. M. le comte de Paris fit remettre pour cette quête 1,000 francs à S. E. le cardinal Guibert'.

1. Le 9 septembre 1884, Madamela comtesse de Paris mettait au monde unprinee, qui reçutle nom de Ferdinand, en mémoire de son grand-père, le duc d'Orléans. Le pape Léon XIII, informé par le chef de la maison de France de la naissance du jeune prince, envoya, par l'entremise du cardinal Jacobini, sa bénédiction au nouveau-né, à sa mère, àM. le comte deParis età toute la famille royale. A l'occasion de cet heureux événement, M. le comte de Paris fit remettre au nonce apostolique, Mg"" di Rende, la somme de 10,000 francs pour le denier de Saint-Pierre. Le

276 UN ARTICLE DE M. DE CASSAGNAC

Cette vie simple, cette attitude correcte du chef de la maison de France et, en même temps, em- preinte d'un si réel patriotisme, commençait à être connue même des adversaires politiques du parti royaliste. M. Paul de Cassagnac, député du Gers, ancien adversaire des princes d'Orléans, mais qui sait être impartial, s'était entretenu delà situation politique en France avec le correspondant du journal anglais le Daily ISews.

Voici le résumé de sa curieuse conversation, que toute la presse répéta (avril 1885) : « Je suis un impérialiste, chacun le sait ; mais avant tout je suis, dans la plus large acception de ce mot, un monarchiste. Je respecte le principe monarchique, et j'ai le plus profond respect pour le comte de Paris. Je dois môme avouer, en toute sincérité, que dans la situation actuelle des choses, c'est lui qui a les plus grandes chances de remplacer la Répu- blique, lorsque celle-ci atteindra l'inévitable catas- trophe. Son parti est le mieux organisé, et il a l'incomparable avantage d'avoir un chef. Le comte

26 octobre avait lieu, dans la chapelle d'Eu, le baptême du jeune prince, qui eut pour parrain S. M. le roi François II de Naples, représenté par M^'' le duc d'Alençon, et S. A. R. la comtesse de Girgenti, sœur aînée du roi d'Espagne Alphonse XII, représentée par M"» la princesse Hélène d'Or- léans. Le jeune prince, auquel son grand-père maternel, S. A. R. le duc de Montpcnsier, a assuré, dit-on, le domaine de Randan, est appelé à porter un jour le titre de duc de Mont- pensier.

FETE RELIGIEUSE AU TREPORT 277

de Paris est un homme vraiment supérieur, con- sciencieux, laborieux, bien informé, un homme d'étude et un homme du monde. Il connaît la vie et les hommes, et il a appris tout ce qu'on doit ap- prendre pour être digne de gouverner. Nous autres bonapartistes, nous ne sommes pas dans de si heureuses conditions. Le prince Jérôme est impos- sible! il est trop vieux pour désavouer tout ce qu'il a dit, pour défaire tout ce qu'il a fait; nous ne pouvons rien faire, avec le pays et pour le pays, avec son nom. C'est un homme dépourvu de sens

moral. »

Le23aoùt, une très belle fête religieuse était cé- lébrée au Tréportjdont toute la population vit des produits de la pêche, et a le culte de la sainte Vierge. Le temps avait détruit la statue de Notre- Dame duTréport, qui depuisdessièclesétaitplacée au pied de la montagne que surmonte aujourd'hui l'église, l'ancienne chapelle d'un couvent de Gé- novéfains. Les pêcheurs avaient ouvert entre eux une souscription pour remplacer cette statue en ruine. La somme réunie ne suffisant pas. M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris don- nèrent ce qui manquait, et l'archevêque de Rouen se rendit au Tréport pour bénir la statue. Le matin, à la grand'messe, l'abbé Vallet, aumônier du lycée Henri IV de Paris, prononça un remar- quable discours sur la charité, en présence de M. le comte de Paris placé dans le banc d'œuvre

278 MARIAGE DE S. A. R. LA PRINCESSE MARIE

avec M'"" les princesses Amélie et Hélène et M. le duc et M"*" la duchesse de Montpensier. Madame la comtesse de Paris chanta, dans le chœur, le Sanctus de Beethoven, un OSalutarisl le Crucifix., de Faure, et enfin pendant la quête, faite par M""^ la princesse Amélie, VAve Maria., deGounod. La quête fut très abondante, et, à la sortie, la foule se pressa et se découvrit respectueusement sur le passage des princes et des princesses. A trois heures, une procession de plusieurs milliers de personnes parcourut les quais et les rues. M^*" Thomas, arche- vêque de Rouen, prit la parole en plein air pour célébrer la patronne des marins et de la France, et se rendit ensuite au château d'Eu, dont M. le comte de Paris fat heureux de lui faire les hon- neurs.

Quelques jours après, M. le comte de Paris rece- vait de Rome un bref du Saint-Père. Léon XIII accordait la dispense nécessaire pour la célé- bration du mariage de S. A. R. le prince Walde- mar, fils du roi de Danemark, avec M""" la princesse Marie, fille ainée de M**'" le duc de Chartres, selon le rite des mariages mixtes, entre catholiques et protestants.

Ce fut le 22 octobre 1885 que fut célébrée cette union au château d'Eu. La bénédiction nuptiale fut d'abord donnée aux époux par jM«'" d'Iliilst, giand vicaire de Paris, assisté du doyen d'Eu et de l'abbé de Beauvoir. Le grand-vicaire adressa une éinou-

AVEC LE PRINCE WALDEMAR DE DANEMARK 279

vante allocution sur les devoirs du mariage, parla de la vieille amitié qui existe entre la France et le Danemark, amitié que l'union des jeunes époux ne pouvait que cimenter. Il salua la race royale dont le prince Waldemar est un digne rejeton, race qui compte aujourd'hui en Europe cinq sou- verains ou souveraines. Se tournant vers les princes d'Orléans, il rendit hommage à cette antique maison de Bourbon, que les vicissitudes politiques n'ont pu faire déchoir de la place que lui assigne la grandeur de son passé.

Après la cérémonie catholique, la princesse Marie, tenant à la main un superbe bouquet blanc qui lui avait été envoyé par les officiers du 12" ré- giment de chasseurs à Rouen, dont le duc de Chartres fut quatre ans le colonel, traversa la grande galerie du rez-de-chaussée au bras du prince Waldemar. Venaient ensuite la reine de Danemark, le prince et la princesee de Galles, le grand-duc Alexis de Russie, la duchesse de Cum- berland, les princes et princesses de la maison royale d'Angleterre, le prince Philippe et le prince Ferdinand de Saxe-Cobourg et Gotha, et tous les princes de la maison de France.

Le pasteur Jentzen, chapelain de la reine de Danemark, unit, selon le rite protestant, le fils de sa souveraine à la princesse Marie, et prononça en langue danoise quelques paroles de sympathie pour la France et pour l'illustre maison d'Orléans.

280 MORT DU ROI d'eSPAGNE

A trois heures, on servit dans la galerie des Guises un splendide déjeuner. A la table d'honneur s'as- seyait la reine de Danemark, avec les trente-cinq princes ou princesses qui avaient assisté au ma- riage, ainsi que les deux témoins, M. le duc Decazes et de Glucksberg (titre danois donné à son père) et le comte de Moltke, ministre de Dane- mark en France. Les personnes de la suite occu- paient la grande salle à manger, était dressée une table en fer à cheval. Pendant le repas, la fanfare du Tréport jouait sous les fenêtres du château. A sept heures, le prince et la princesse Waldemar partaient pour Chantilly. Le lendemain, M. le comte de Paris oflVait à Eu une grande chasse à courre à ses augustes botes.

L'hiver se termina tristement. Ce fut avec une vive douleur que M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris apprirent la mort prématurée du jeune roi d'Espagne, Alphonse XII, si brus- quement ravi à l'affection de tout son peuple. Le roi Alphonse, prince intelligent et énergique, était de ces rois qui aiment le peuple, s'idcntilîent avec la nation dont ils sont le chef, et sont toujours préoccupés du bien public. La consternation fut grande en Espagne, et toute l'Europe conservatrice etmonarchique pleura cejeune souverain. Au com- mencement de 1884, M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris avaient été accueillis à Madrid avec une cordialité aff'eclueuse qui avait resserré

LA REINE RÉGENTE d'eSPAGNE 281

encore plus les liens qui depuis longtemps les unis- saientau roi Alphonse XII. Ce nefut donc pas seule- ment un deuil officiel, mais surtout un deuil de cœur que portèrent les princes d'Orléans et leurs amis. En transmettant à la reine régente d'Espagne, Christine d'Autriche, leurs sentiments de condo- léances, M. le comte de Paris etMadame la comtesse de Paris étaient les interprètes d'un très grand nom- bre de Français. On put le constater à l'affluence des assistants qui se rendirent, le 4 décembre, à l'église Saint-François-Xavier, paroisse de M. le comte de Paris, qui y fit célébrer un service pour le repos de l'àme de S. M. Alphonse XII. L'église était toute tendue de noir aux écussons d'Espagne. M. le comte et Madame la comtesse de Paris, tous les princes d'Orléans présents à Paris, étaient aux premiers rangs ; une foule immense avait tenu à donner à l'Espagne, à la reine régente, ce témoi- gnage de douloureuse sympathie. L'aristocratie française, la bourgeoisie, le monde des lettres et des sciences, comme le monde politique, étaient brillamment représentés. On pria pour le roi, et aussi pour la reine régente, grosse alors de quel- ques mois, afin que Dieu lui facilitât la redou- table tâche qui allait lui incomber. Au mois de mai suivant lui naissait un fils, le roi Alphonse XIII. L'habileté de la reine régente, qui sut triompher des obstacles et des difficultés de la situation poli- tique, témoigna que, dans cette grande et noble

282 HIVER A CANNES

maison de Habsbourg, la vertu et la sagesse poli- tique se retrouvaient chez la petite-fille de la grande Marie-Thérèse. On l'a dit avec raison : « Les Espagnols sont plus heureux que nous ; le principe monarchique est représenté chez eux de la façon la plus touchante : ils ont une reine à aimer, une femme à défendre. «

Peu après, M. le comte de Paris et Madame la com- tesse de Paris se rendaient à Cannes, dans leur simple villa Saint-Jean ils passèrent les mois les plus rudes de l'hiver. Le samedi 19 décembre, M. le comte de Paris et sa fille aînée. M™* la prin- cesse Amélie, étaient parrain et marraine du dixième enfant de leur cousin S. A. R. le comte de Gaserte, frère du roi François II de Naples.

Ainsi se termina cette année 1885, qui devait précéder de quelques mois l'inique exil qu'une République, effrayée par le flot grossissant de l'op- position conservatrice, allait prononcer contre le chef de la maison de France et son fils aîné, S. A. R. le duc d'Orléans.

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S.A. R, LA PRINCESSE AMELIE

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1885

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CHAPITRE VII

Ja>'vier-Juin 1886

Dépêche télégraphique de M. le comte de Paris à M. le comte de Blois, neveu du comte de Falloux, sur la mort de son oncle (10 janvier 1886). M. le comte de Paris et le duc de Bragance à l'Académie française. Le roi et la reine de Por- tugal demandent officiellement la main de S. A. R. M'"'^ la prin- cesse Amélie de France, à M. le comte de Paris, pour S. A. R. Je duc de Bragance. Madame la comtessede Paris se rend à Madrid, pour le mariage de son frère, le prince Antoine, avec la princesse Eulalie, sœur d'Alphonse XII (février-mars 1886). Visite de M. le comte de Paris au Concours agri- cole du Palais de l'Industrie. Départ du prince pour Can- nes (mars 1886).

Dépèche de M. le comte de Paris à l'occasion de la mort de M™e la comtesse de Chambord (Cannes, 25 mars 1886). Retour à Paris : l'incident de la rue Vivienne (mai 1886). Grande réception de M. le comte de Paris, rue de Varenne, à l'occasion du mariage de S. A. R. M™® la jîrincesse Amélie (15 mai 1886). Colère des jouriiau.x républicains. Campagne pour l'expulsion des princes. Embarras du gouvernement.

Adieux de M™" la princesse Amélie à Eu. Cadeaux donnés à la princesse à Eu et à Paris. Départ pour le Portugal (17 mai). Acclamations et empressement de la foule à chaque station de France, d'Espagne et de Portugal.

Accueil enthousiaste fait aux princes en Espagne et en Portugal. Mariage à Lisbonne de M™" la princesse Amé- lie (22 mai 1886). Les fêtes à Lisbonne.

Le parti royaliste fit une grande perte an com- mencement de l'année 1886. Le comte de Falloux, membre de l'Académie française, ancien ministre

284 MORT DU COMTE DE FALLOUX

de l'instruction publique, et auteur de la célèbre loi de 1850 sur l'enseignement, mourut le 6 jan- vier. Pendant les obsèques, le neveu de M. de Falloux, le comte de Blois, reçut la dépêche télégraphique suivante de M. le comte de Paris :

J'apprends que le service funèbre pour le comte de Falloux sera célébré aujourd'luii à Angers. Je tiens à vous dire que je m'associe de tout cœur aux hommages que de nombreux amis vont rendre à la mémoire de votre illustre oncle. Personne ne ressent plus vivement que moi la perte de cet homme d'Etat si éminent, dont le cœur était si fran- çais, le jugement si juste, le conseil si éclairé, le com- merce si séduisant et si instructif. Je partage votre dou- leur et me joins à vos prières.

Philippe, comte de Paris.

Ce fut, pour la famille de M. de Falloux, une douce consolation que ce témoignage de haute sympathie donné par le chef de la maison de France, qui quelques jours plus tard appréciait plus complètement, dans une lettre adressée à M. de Blois, les grandes qualités de M. de Falloux et les services rendus par lui à la France.

Vers la fin de janvier, M. le comte de Paris et Ma- dame la comtesse de Paris se rendirent à Chan- tilly, où M^"" leducd'AumalerecevaitS. A. R. le duc de Bragance, prince royal de Portugal. Cette vi- site du jeune prince avait surtout pour but de se faire agréer par M. le comte de Paris comme pré-

M"'' LE COMTE DE PARIS A l' ACADÉMIE FRANÇAISE 285

tendant à la main de S. A. R. M"" la princesse Amélie. De magnifiques chasses eurent lieu en son honneur à Chantilly, et quelques jours plus tard la jeune princesse donnait son consentement à cette union.

Le duc de Bragance, quoique la demande offi- cielle de la main de la princesse n'eût pas encore été faite parle roi son père, vit fréquemment M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris. Le jeudi 4 février, il les accompagna à l'Académie française, qui tenait séance pour recevoir un de ses membres, M. Ludovic Halévy.

Devant le public d'élite qui se pressait sous la coupole de l'Institut, et qui applaudit chaleureuse- ment le jeune académicien, M. Halévy retraça à grands traits la vie de son prédécesseur, le comte d'Haussonville, le type le plus accompli du grand seigneur lettré, bienfaisant, libéral et patriote. Il rappela ses débuts, dans la diplomatie, sous la monarchie constitutionnelle, « ce gouvernement quiassuraitàla France ces deux grands biemfaits :

la paix etla liberté » La vie politique avait alors

une extraordinaire animation, et, à cette époque, il ne déplaisait aucunement à la France de pouvoir admirer ceux qui la gouvernaient. Les ministres d'alors n'avaient jamais négligé, jamais compro- mis, jamais trahi les grands intérêts qui leur étaient confiés, et la France, très sagement, très patriotiquement gouvernée, avait pu goûter à

280 LE DUC DE BRAGANCE A PARIS

cette époque le plaisir de vivre, tout en étant un grand peuple, aimée et respectée par l'Europe en- tière

« Vous êtes, ce me semble, dit spirituellement M. Halévy à ses collègues, vous êtes obligés, Messieurs, ne fût-ce que par esprit de corps, de penser, avec M. d'Haussonville, que la France se trouvait en effet, alors, en très bonnes mains, car elle était entre les mains de vos prédécesseurs. Le roi réenait et l'Académie française eouvernait. »

«... De là, entre la littérature et la politique, une très étroite alliance, qui n'a pas été sans jeter quelque éclat sur cette période de notre histoire, à laquelle ne se rattachent que d'heureux et bril- lants souvenirs. Hélas! ce n'est plus de l'Acadé- mie que sortent aujourd'hui nos ministres. »

Cette séance valut un nouveau succès à M. Ha- lévy, et à M. Pailleron qui le recevait. La faveur quiaccueillitleurs discours, les applaudissements, auxquels se joignirent ceux de M. le comte de Paris, de Madame la comtesse de Paris et du duc de Bra- gancc, étaient bien justifiés, car ces deux acadé- miciens y avaient prodigué talent et esprit.

Deux jours après cette brillante réception, le samedi 6 février, M. le comte d'Andrade Corvo, ministre de Portugal en France, remettait à M. le comte de Paris des lettres autographes du roi et de la reine de Portugal demandant oflicicllcmcnt la main de S. A. R. la princesse Amélie de France

FIANÇAILLES DE LA PRINCESSE AMELIE 287

pour S. A, R. le duc de Bragance, prince royal, héritier de la couronne de Portugal. M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris donnèrent immédiatement leur consentement. A deux heures, le duc de Bragance, accompagné de ses aides de camp, faisait officiellement à la princesse Amélie sa première visite.

Le lendemain, dimanche 7 février, avait lieu rue de Varennes, chez M. le comte de Paris, le diner des fiançailles, auquel assistaient les princes de la maison de France, le roi François II de Naples et la légation de Portugal à Paris. Vers la fin du re- pas, M. le comte de Paris se leva et porta la santé du roi et de la reine de Portugal, en exprimant toute la satisfaction que lui causait l'union des deux maisons. Le duc de Bragance remercia etpor- ta, à son tour, la santé de M. le comte de Paris et de Madame la comtesse deParis. Le mardi 9, le duc et la duchesse de Chartres donnaient un dîner en son honneur, en leur hôtel de la rue Jean-Goujon. Le lendemain, le prince de Portugal partait pour Eu, de grandes chasses allaient avoir lieu en son honneur.

Tous ceux qui approchèrent le duc de Bra- gance, pendant son séjour en France, s'ac- cordent à déclarer que ce prince n'est pas seulement ce qu'on appelait jadis un parfait gentilhomme, mais en même temps un prince moderne, comme le roi son père, aux idées larges

288 LE DUC DE BRAGANCE

et aux goûts artistiques. Il est né, jour pour jour, deux ans avant la princesse Amélie, le 28 sep- tembre 1863. Bien fait de sa personne, la tête fine, le duc de Bragance a l'air ouvert, décidé, intelligent et énergique. Excellent musicien, aquarelliste distingué, lettré délicat, ce jeune prince (qui parle huit langues) n'ignore rien de ce qui touche aux arts et aux lettres de son pays et des pays voisins. Habitué dès son enfance à tous les exercices du corps, cavalier accompli, tireur émérite, il possède un tempérament de fer.

Le roi son père, se souvenant de ce qui avait fait jadis la grandeur de la maison de Bragance, a tenu à en faire un excellent marin.

La princesseAmélie est née le 28 septembre 1865. Par sa grâce, son tact, son intelligence, elle rappelle sa grand'mère Madame la duchesse d'Orléans, cette femme exceptionnelle, si préma- turément ravie à l'affection et des siens et de tous ceux qui ont pu la connaître.

« Ce mariage avec le duc de Bragance, a dit alors M. Hervé, n'unit pas seulement un prince jeune et brillant, une princesse accomplie et char- mante, il rapproche deux familles et deux nations, qui ont eu à plus d'un moment de leur histoire des points de contact C'est un descendant de Ro- bert le Fort et de Hugues-Gapet c|ui a fondé en Portugal la plus ancienne souche royale, et l'on voit dans riiistoirc que les Ijonncs relations de la

RÉCEPTION DE LA DUCHESSE DE CHARTRES 289

France avec le Portugal ont été moins souvent troublées qu'avec les autres États de l'Europe... Le mariage de l'héritier du roi de Portugal avec une princesse française ne peut que resserrer ces liens. La France profite encore de la situation qu'a conservée en Europe l'antique famille de ses rois, des alliances qu'elle y contracte et de l'influence qu'elle y exerce. «

Le 20 février, S. A. R. M'°<' la duchesse de Chartres donna, en l'honneur du duc de Bragance, une brillante réception, à laquelle assistaient M. le comte de Paris, Madame la comtesse de Paris et la princesse Amélie. Près de six cents personnes, appartenant aux différentes classes de la société, étaient venues pour saluer les princes.

Le lendemain, Madame la comtesse deParis par- tait pour Madrid, afin d'y assister au mariage de son frère, le prince Antoine d'Orléans (dernier enfant survivant du duc de Montpensier), avec la prin- cesse Eulalie, sœur du feu roi d'Espagne, Al- phonse XII, qui avait connu et approuvé ce pro- jet d'union quelques semaines avant sa mort. Retardé de quelques jours, par suite d'une maladie de la jeune princesse, le mariage fut célébré, à Madrid, dans la chapelle du Palais-Royal, le sa- medi 6 mars.

La veille au soir, vers neuf heures, il avait été procédé d'une manière intime aux fiançailles, dont le cérémonial est réglé par l'étiquette de la cour

19

290 MARIAGE DU PRINCE ANTOINE d'orLÉANS

d'Espagne, mais que le deuil de la famille royale obligeait à restreindre aux indispensables for- malités. La reine régente Christine occupait le trône, ayant auprès d'elle Madame la comtesse de Paris, la reine Isabelle, le duc et la duchesse de Montpensier, le duc de Chartres, les infants et infantes d'Espagne. Tout le monde était en noir ; seule, la princesse Eulalie portait sur la poitrine un nœud de violettes et de fleurs d'oranger, et les dames de la cour le ruban rouge d'ordonnance. En sa qualité de notaire royal, le ministre de la justice, M. Alonso Martinez, donna lecture du contrat, qui fut signé par toute la famille royale.

Le lendemain matin, à onze heures, le cardinal patriarche des Indes célébrait l'union des jeunes princes. Après la lecture de l'épitre de saint Paul, crosse en main, mitre en tète, il bénissait les an- neaux et les treize pièces de monnaie que l'époux, suivant l'usage espagnol, doit donner à l'épouse : c'étaient treize onces d'or, dont huit à l'effigie du roi Philippe V et cinq à celle du roi Ferdinand YI. Sous l'éclatant uniforme de lieutenant des hus- sards de la princesse, le prince Antoine, qui por- tait les insignes de la Toison d'or et le grand- cordon de Charles III, avait grand air, tandis que la princesse Eulalie, charmante avec sa robe blan- che et ses blonds cheveux, attirait les regards. A quatre heures, un tiain spécial emportait vers Aranjuez les jeunes mariés, qui arrivèrent une

MORT DE M™" LA COMTESSE DE CHAMBORD 291

heure après dans cette magnifique résidence royale, que Philippe II avait fait construire à huit lieues de Madrid, dans la délicieuse vallée au mi- lieu de laquelle le Jarama apporte au Tage le tribut de ses eaux. C'est sous les beaux ombrages de cette retraite que le couple princier abrita les premiers jours d'une union attendue depuis longtemps.

M. le comte de Paris, resté à Paris, se rendait, accompagné du duc d'Orléans et du marquis de Dampierre,présidentdelaSociétédes Agriculteurs de France, au concours général agricole du palais de l'Industrie, qu'il visitait en détail pendant deux jours. Puis il partait avec la princesse Amélie et son fiancé, le duc de Bragance, pour Cannes, Madame la comtesse de Paris devait le retrouver à son retour d'Espagne.

C'est à Cannes que M. le comte de Paris reçut la nouvelle de la mort de l'auguste veuve de M. le comte de Chambord. Le prince répondit immédia- tement par la dépêche suivante :

Cannes, 25 mars 1886, 7 h. 32.

Je vous remercie de votre dépêche, qui m'a vivement attristé. Je ferai dire samedi, à midi, une messe à ma paroisse, à Cannes. Nous prenons le deuil.

Philippe, comte de Paris.

Le prince assista à cette messe, ainsi que tous les membres de la famille royale présents à Can- nes, et prescrivit un deuil de trois mois.

292 l'incident de la rue vi vienne

Le jour du départ de M'"* la princesse Amélie approchait. M. le comte deParis et Madame la com- tesse de Paris étaient revenus à Paris. Le mercredi 5 mai, ils s'étaient rendus en voiture, à une heure et demie, chez M. Ghalot, photographe, 18, rue Vivienne. La voiture ayant été reconnue, un ras- semblement se forma rue Vivienne; le cocher fit alors entrer la voiture dans la cour de la maison ; mais peu après il reçut l'ordre de se rendre sur la place du Palais-Royal, afin de laisser disperser la foule.

M. le comte de Parissortit à troisheures et demie de chez le photographe, donnant le bras à Madame la comtesse de Paris. La foule s'était encore accrue ; plusieurs personnes se découvrirent ; le prince rendit les saluts qui lui étaient adressés, suivit à pied la rue Vivienne et la galerie Mont- pensier pour entrer chez M. Leroy, bijoutier, tou- jours accompagné par un grand nombre de per- sonnes. Salué avec empressement, le prince, pour ne pas provoquer de rassemblement, sortit par la rue Montpensier et rejoignit sa voiture, place du Palais-Royal, reconnu et salué sans qu'aucun cri eut été poussé. Tout se borna donc à de nom- breuses marques de respectueuse symj)athie ; cependant les feuilles républicaines, avec la j)lus insigne mauvaise foi, dénaturèrent ce très simple incident, et imaginèrent de dire que, pour échap- per aux silïlets, le prince avait prendre, en

ADIEUX AUX HABITANTS d'kU 293

toute hâte, un fiacre. Autant de mots, autant d'erreurs; mais peut-on demander un récit véri- dique à l'esprit de parti ?

M. lecomte de ParisetMadamelacomtessedePa- ris retournèrent à Eu. Les habitants s'empressèrent de se rendre auprès de la princesse Amélie pour lui faire leurs adieux. Les manifestations les plus touchantes se produisirent pendant les derniers jours que la jeune princesse passa à Eu.

Au moment du départ de la princesse, un maître tonnelier fit demander l'autorisation de lui pré- senter ses respects. Il fut admis aussitôt près de la famille royale : « Monseigneur, dit-il à M. le comte de Paris, il y a quarante ans. Madame votre mère, de passage à Orléans, fut informée qu'un pauvre ouvrier tonnelier venait d'être légèrement blessé dans la cour de la maison elle était des- cendue. Elle voulut le voir, et lui remit un double louis. Cet ouvrier, c'était moi ; le double louis, le voici : J'ai eu bien de la misère, et cependant ja- mais je n'ai voulu m'en séparer. En fin de compte, il m'a porté la chance.... Je suis patron aujour- d'hui, et à mon aise. Voulez-vous me permettre d'offrir à votre fille le porte-bonheur qui me vient de sa grand'mère ? »

M. le comte de Paris, très touché, serra

vigoureusement la main du brave homme, tandis que la jeune princesse, prenant la petite boite que le visiteur tendait, lui dit, les larmes aux yeux :

294 LA SOIRÉE DU 15 MAI

« Je vous remercie beaucoup, Monsieur, c'est un des souvenirs les plus chers que j'emporterai de mes amis de France. »

Le samedi 15 mai, M. le comte de Paris ouvrait les portes de son hôtel do la rue de Varennes, 57. Cet hôtel avait été commencé en 1721, sous la Régence. M. de Gourtonne, architecte du roi, en fit le plan et la construction pour M. le prince de Tingry, plus connu sous le titre de maréchal de Montmorency. Deux ans après, l'hôtel, inachevé, fut vendu à M. de Matignon, comte de Thorigny. Pendant tout le dix-huitième siècle, l'hôtel appartint successivement au duc de Valentinois, au prince de Monaco, puis à un An- glais, M. Crawford.

Après la Révolution, le prince de Talleyrand,alor s ministre des affaires étrangères, en fit l'acquisition et y donna des fêtes. Napoléon I" se le fit céder par son ministre (qui acheta alors un hôtel rue Saint- Florentin , aujourd'hui au baron Alphonse de Rothschild), et c'est ainsi que l'hôtel de la rue de Varennes passa dans le Domaine.

A l'époque du mariage de M. le duc de Bcrry, Louis XVIII, désirant établir son neveu au pa- lais de l'Elysée, propriété de M™" la duchesse de Bourl)on, l'échangea avec cette princesse. Celle- ci l'habita et y mourut, le léguant à sa nièce S. A. R. M'"'' Adélaïde, sœur du roi Louis- Philippe, qui, a son tour, le laissa à S. A. R. le

l'hôtel galliera 295

duc de Montpensier. En 1848, le général Cavai- gnac, président de la République, l'habita jusqu'à l'élection de Louis-Napoléon à la présidence. Enfin, en 1853, le duc de Galliera acquit cet hôtel, un des plus grands et des plus beaux du faubourg Saint-Germain. A sa mort, il de- vint la propriété de M™^ la duchesse de Galliera. Celle-ci mit tout le rez-de-chaussée et le jardin, un véritable parc, à la disposition de M. le comle de Paris, qui y descendait chaque fois qu'il se ren- dait à Paris.

Quatre mille invités environ, de neuf heures du soir à une heure du matin, se présentèrent à l'hô- tel Galliera pour offrir leurs hommages à M. le comte de Paris et à M""* la princesse Amélie. Dans le cœur de tous ceux qui s'associaient avec un respectueux empressement à la joie causée par ce mariage à la famille royale , il y avait un sentiment de fierté nationale, que seuls sont incapables de comprendre ceux qui ignorent le passé de la France. La maison de Bourbon, dont les destinées furent confondues pendant tant de siècles avec celles de la nation, garde et gardera toujours dans le monde la glorieuse place que l'histoire lui a donnée. Le 15 mai, les ambassa- deurs des puissances étrangères étaient pour en témoigner. C'est le souvenir du noble pays que ses aïeux avaient fait si puissant, si prospère, que M"^ la princesse Amélie allait faire revivre

296 s. A. R. LA PRINCESSE AMELIE

chez un peuple ami. La France ne pouvait y être représentée avec plus de vertu et de distinction souveraine. Dans cette soirée du 15 mai, au moment la princesse Amélie allait quitter le sol de la vieille patrie française, tous se réjouissaient à cette pensée que c'était la France que le Portugal allait saluer et aimer en elle.

Grâce à une sage prévoyance, la fête se passa dans le plus grand ordre. L'attitude calme et sym- pathique de la foule, qui se pressait aux abords de l'hôtel, rendait la tâche facile aux agents. Le mar- quis de Beauvoir était chargé de présenter les in- vités à Madame la comtesse de Paris, auprès de qui se tenait la jeune princesse, vêtue d'une robe de tulle blanc très simple, et ravissante de grâce et de beauté. Madame la comtesse de Paris accueil- lait tous ceux qui avaient l'horneur de la saluer avec la plus parfaite aftabilité, pendant qu'un peu plus loin M. le comte de Paris tendait la main aux arrivants, trouvant pour chacun un mot ai- mable ou un remerciement délicat.

Dans les autres salons se trouvaient S. A. L le grand-duc et la grande-duchesse Wladimir de Russie, entourés de LL. AA. RR. le duc de Ne- mours, le duc d'Aumale, le prince et la princesse de Joinville, le duc et la duchesse de Chartres, le prince et la princesse Gzartoryski, la princesse Blan- che de Nemours, la princesse Hélène, deuxième fille de M. le comte de Paris; la princesse Margue-

CADEAUX FAITS A LA PRINCESSE 297

rite de Chartres, et son frère le prince Henri. On remarquait beaucoup un jeune homme au type bourbonnien, à la figure intelligente, à l'œil vif et spirituel, M^"" le duc d'Orléans, auprès de sa grande- tante M™® la princesse Clémentine de Saxe-Cobourg et Gotha, accompagnée de l'un de ses fils, le prince Ferdinand. Presque tous les membres du corps diplomatique étaient pré- sents, ainsi que les représentants de la plus ancienne noblesse de France, mêlés à l'élite du monde des sciences, des lettres, des arts, de la magistrature. Par un sentiment de déli- catesse facile à comprendre, aucun militaire en activité de service n'avait été invité.

Dans une vaste pièce avait été installé un buffet somptueusement servi et décoré de verdure et de fleurs à profusion. Mais la principale attraction était le grand salon du milieu, l'on avait exposé les cadeaux faits à la princesse. On admirait beaucoup les dentelles du trousseau, sorties de la fabrique de MM. Lefébure : M. le comte de Paris avait tenu à ce qu'elles fussent toutes ache- tées en France. Le chef-d'œuvre d'orfèvrerie de M. Froment-Meurice, la Nef de la ville de Paris, en argent, supportée par une sirène, magnifique souvenir offert par une souscription parisienne, attirait tous les regards *.

1. Le lecteur sera sans doute curieux d'avoir la nomenclature

298 ADRESSE DES CATHOLIQUES DE TWICKENHAM

Vers une heure du matin, un souper de quatre- vingts couverts réunissait les princes de la mai- son de France , le grand-duc et la grande-du- chesse Wladimir de Russie, le comte d'Azevedo, premier secrétaire de la légation du Portugal, et quelques personnes de la maison des princes. A la fin du souper, S. A. R. le duc de Chartres porta le toast suivant :

« Avec la permission de mon frère, et comme le plus proche parent de la future duchesse de Bra- gance, je porte un toast à son bonheur, me faisant l'interprète des vœux et des regrets de tous les Français ici présents. »

Nul mieux que celui qui fut Robert le Fort ne pouvait être l'interprète de la France monar- chique auprès de M"' la princesse Amélie.

Les habitants catholiques de Twickenham, est née M""" la princesse Amélie, avaient fait re- mettre à M. le comte de Paris, à l'occasion du pro- chain mariage de la ])rincesse, une adresse ils lui exprimaient leurs sentiments de joie et le sou- venir de respectueuse gratitude qu'ils gardaient du séjour de la famille royale dans leur ville.

Avant de partir pour Lisbonne, M. le comie de Paris adressa au R. P. Ryan, curé de la paroisse catholique de Twickenham, la lettre suivante :

complète des cadeaux, splendides (avec le nom des donateurs), offerts à M™" la princesse Amélie. 11 trouvera cette liste à l'Ap- pendico.

DÉPART POUR LE PORTUGAL 299

17 mai 1886.

Mon Révérend Père,

J'ai reçu l'adresse de félicitations à l'occasion du mariage de ma fille Amélie avec le prince royal de Portugal, signée par les membres les plus éminents de la communauté ca- tholique de Twickenham. La comtesse de Paris, et moi- même, sommes très sensibles à ce témoignage de sympathie des habitants de la ville nous avons passé les six premières annés de notre vie conjugale, et nos premiers enfants ont vu le jour. Notre fille Amélie n'a pas oublié que, par naissance, elle est un enfant de Twickenham, et elle est très heureuse du souvenir qui lui est gardé, en par- ticulier par nos frères catholiques. Vos vœux de bonheur et de prospérité dans sa nouvelle patrie appelleront sur elle, je l'espère, la bénédiction de Dieu. Veuillez trans- mettre nos meilleurs remerciements à tous les signataires de l'adresse, et croyez moi votre sincère,

Philippe, comte de Paris.

Le lundi 17 mai, à six heures du soir, un train spécial, composé de plusieurs wagons-salons, par- tait de la gare d'Orléans pour conduire à Lisbonne M, le comte de Paris, Madame la comtesse de Paris, S. A. R. la princesse Amélie; son frère, le duc d'Orléans; sa sœur, la princesse Hélène; le duc de Chartres ; le duc d'Aumale ; la princesse de Joinville, la princesse Clémentine de Saxe- Cobourg et Gotha, et son fils le prince Ferdinand.

M. le comte de Paris était accompagné par un de ses plus anciens serviteurs, le marquis de

300 LA SUITE DES PRINCES

Beauvoir, A un dévouement, qui est de tradition dans sa famille, ainsi qu'on l'a vu plus haut, le marquis de Beauvoir joint une grande facilité de travail, et des qualités qui justifient l'amitié dont M. le comte de Paris l'honore depuis son enfance.

Sous la présidence du maréchal de Mac Mahon, il était sous-chef du cabinet de M. le duc Decazes, ce remarquable ministre des afl'aires étrangères, ce fin diplomate, qui rendit à la France de si émi- nents services, et dont le parti royaliste déplore tous les jours la perte.

M. le comte de Paris apprécie, au plus haut point, les services du marquis de Beauvoir, et sa rare activité. Son caractère aimable, sympathique, son aménité , lui ont fait de nombreux amis. Homme d'action, toujours sur la brèche depuis plus de vingt ans, il est un de ces fidèles, ardem- ment dévoués au Prince, et qui, sans se lasser jamais, travaillent au succès d'une cause pour laquelle il saurait donner sa vie.

Venaient ensuite : le comte d'Haussonville, le capitaine Morhain, M. Camille Uupuy, secré- taire particulier de Monseigneur, le docteur Gué- neaude Mussy;le marquis de Bouille accompagnait le duc de Chartres; le vicomte de Chazelle, M. le duc d'Aumale; la comtesse de Barrai et son fils, le comte de Barrai, M'"'" la princesse de Joinvillc; puis enfin M. Froment, précepteur du duc d'Or- léans; M™" la vicomtesse de Butler, dame d'hon-

DE PARIS A LA FRONTIÈRE 301

neur de Madame la comtesse de Paris, et M"" Le- vavasseiir, institutrice des princesses. Deux per- sonnes, seulement, invitées par le prince : le duc de Noailles et le duc de la Trémoïlle. M. le comte de Paris ayant exprimé le désir que personne, en dehors de sa famille, ne vînt à la gare du chemin de fer d'Orléans, quelques anciens amis avaient demandé la permission de venir dire adieu à M"® la princesse Amélie et furent reçus rue de Varennes, de une heure à trois heures.

A six heures précises, le train quittait la gare d'Orléans. Aux principales villes de France, l'on s'arrêtait, de fidèles amis venaient saluer les princes, et apporter des fleurs à la princesse. Sur toute la ligne, de Paris à la frontière espagnole, grande affluence. Cette union avait fait grand bruit dans toute la France, et le peuple, l'ouvrier comme le paysan, cherchait à voir M. le comte de Paris et la jeune princesse; les journaux illustrés qui re- produisaient son portrait étaient achetés en grand nombre par la foule. A Blois, le train cependant ne s'arrêtait pas et ne faisait que ralentir un peu sa marche, une foule, que l'on peut évaluer à cinq ou six cents personnes, se pressait aux barrières. A Tours, à Poitiers, à Bordeaux, même sympa- thique affluence.

Le matin, on arriva à la frontière espagnole, à Irun; M. le comte de Paris y reçut une dépêche de la reine régente d'Espagne, lui apprenant qu'elle

302 ENTHOUSIASME EN ESPAGNE ET EN PORTUGAL

venait de mettre au monde un fils, le roi Alphonse XIII. Les voyageurs déjeunèrent à Miranda, et dînèrent à Mcdina ; les repas avaient été com- mandés par le roi de Portugal. Avant d'arriver à Salamanque un curieux incident se produisit : le train fut obligé de s'arrêter, plusieurs milliers de personnes s'étaient mis en travers des rails, vou- lant absolument saluer et acclamer les augustes représentants de la dynastie qui a donné les Bour- bons à PEspagne. Au milieu de la nuit, les étu- diants de l'Université de Salamanque donnèrent une sérénade à la princesse.

C'est à neuf heures et demie du matin que le train fitson entrée dans le royaume de Portugal, à lagare de Villar-Formoso. Il tombe une pluie torren- tielle; la foule ne s'en émeut pas, et les Portugais considèrent, selon l'adage populaire : noces mouil- lées, noces bénies. Ce temps est donc de bon augure. Les feux d'artifice tirés pendant la nuit, sur le passage du train, les sérénades malgré la pluie, les cris de joie des paysans, l'empresse- ment de tous à venir acclamer les voyageurs, im- pressionnent la princesse Amélie, et lui prouvent qu'avant môme d'être connue, elle a gagné le cœur du peuple portugais. Que sera-ce quand la princesse aura pu montrer les qualités morales et intellectuelles qui font de la fille aînée de M. le comte de Paris une des princesses les plus accom- plies de notre temps ?

OVATIONS FAITES A LA PRINCESSE 303

Jadis l'ancien cérémonial monarchique prescri- vait qu'à la frontière des Etats de son futur époux la princesse revêtit une toilette complètement nou- velle, et ne gardât sur elle aucun vêtement venant de son pays natal. Ainsi fut-il fait pour Marie- Thérèse quand elle épousa Louis XIV, pour Marie Leczinska et Marie-Antoinette, quand elles épou- sèrent Louis XV et Louis XVI. Aujourd'hui, cet usage est abandonné. Cependant, à Santa-Gomba- Daô, S. A. R. la princesse Amélie revêt une toilette nouvelle, bleue et blanche, aux couleurs portu- gaises. La princesse est sur la terrasse du wagon : le train s'arrête, et à peine a-t-elle aperçu le jeune prince qu'elle saute du wagon, et sans songer à l'étiquette, elle embrasse, devant la foule, son fiancé le duc de Bragance. Cette simplicité, cette bonne grâce, ravissent les spectateurs ; les mou- choirs et les éventails s'agitent, ce n'est qu'un long cri : Vivent les princes ! Les députations se succèdent, à chaque station les ovations se renou- vellent, même foule, l'enthousiasme tient du délire. Les gerbes de fleurs s'amoncellent : on joue Phymne national portugais. A Coimbre, Pombal, Santarem, Alhandra, Sacavem, le convoi est ac- clamé. A Pampilhosa, trois petites filles apportent des fleurs à la princesse, en efTeuillant des roses sur son passage. On les hisse, une à une, dans le wagon, la princesse tient à les remercier toutes trois en les baisant au front. Pour tous ceux qui

304 ARRIVEE A LISBONNE

l'approche-nt elle a un mot gracieux, A Goïmbre, une femme du peuple, tenant sur son épaule un en- fant, lui disait, pendant que laprincesse regagnait son wagon : « Regarde bien notre belle princesse et envoie-lui des baisers. » L'enfant obéit. Aussitôt la princesse Amélie, quittant le bras de son fiancé, s'approche de la balustrade du chemin de fer, embrasse sur les deux joues le « menino » portu- gais. Lanière se met à pleurer de joie et d'orgueil, etla foule redouble d'enthousiasme et d'applaudis- sements. Enfin, vers cinq heures un quart, le train entre en gare de Lisbonne : les murs sont couverts de fleurs et de feuillage, et pavoises des écussons de Bourbon et de Bragance, les trois fleurs de lis de France alternent avec les tours de Bragance, et le drapeau tricolore français avec le drapeau blanc et bleu de Portugal. Le roi et la reine de Portu- gal, le duc d'Aoste, frère de la reine, toute la cour et le corps diplomatique, attendent le convoi.

A peine descendue, la princesse Amélie baise la main de la reine Maria-Pia, qui la serre dans ses bras. D'aff'ectueux compliments sont échangés entre le roi, M. le comte de Paris et les princes; les présentations faites, on quitte la gare. Les habitants de Lisbonne passent pour être froids; mais leur flegme ne peut tenir devant le charmant visage de la princesse Amélie. La réputation de grâce et de beauté de la princesse l'avait précédée en Portugal, cependant la réalité dépasse telle-

DE LA GARE AU PALAIS 305

ment l'attente des Portugais, qu'ils sont, en dépit de leurs habitudes, entraînés à des démonstrations inattendues.

Lisbonne est une ville de 250,000 habitants, bâtie en amphithéâtre sur plusieurs collines, domi- nant la rive droite du Tage. Son développement le longde la baie, à l'embouchure du fleuve couvre une étendue d'une dizaine de kilomètres. La baie était toute remplie de navires pavoises.

Sur les deux rives du Tage, de vastes édifices, des palais, des églises, des milliers de villas, sont aussi pavoises, des guirlandes de fleurs partout, et à travers la verdure et les roses, un ciel bleu, et un soleil d'or baigne le paysage d'une lumière éclatante.

Le cortège royal quitte la gare, les voitures vont au pas, au milieu d'une foule immense : le peuple est partout, sur les arbres, les monuments, les toits; chaque fenêtre est occupée, tous crient: Vive le roi; vive la princesse! vivent les princes !...

La princesse Amélie avait pris place à côté de la reine Maria Pia dans une calèche découverte à quatre chevaux, conduits à la d'Aumont, Devant les deux princesses, se tenaient le duc de Bra- gance et M. le comte de Paris. Dans une seconde voiture, également à quatre chevaux, venaient Madame la comtesse de Paris, S. A. R. la princesse de Joinville, le duc d'Aoste, et le roi dom Luiz. Un peloton de cavalerie fermait la marche. Sur

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306 BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE AUX FIANCÉS

tout le parcours du cortège, la population se dé- couvrait avec respect, et contemplait avec une vive sympathie la future princesse royale. De toutes les fenêtres, on jette des bouquets. Enfin, à sept heures, on arrivait au palais des Necessi- dades , qui avait été préparé pour les princes d'Orléans. De ce palais, dont les jardins sont su- perbes, on a, sur le Tage et la baie, une vue admirable.

Les princes et princesses d'Orléans purent pren- dre alors le repos nécessaire après un long et fatigant voyage. Les Français, témoins des ova- tions spontanées du peuple espagnol d'abord, puis des Portugais, se disaient non sans un certain orgueil, que l'Espagne et le Portugal, comme toute l'Europe, reconnaissent dans les princes de la maison de Bourbon les représentants les plus illustres de la nation française.

Sur la demande du roi dom Luiz, l'ambassadeur du Portugal auprès du Saint-Siège avait prié le Saint-Père d'accorder la bénédiction apostolique aux fiancés. Le Souverain-Pontife s'était empressé de déférer à ce désir. Léon XIII professe une vive affection pour les deux jeunes princes: il connaît leurs sentiments de piété et se félicite d'une al- liance qui est pour le Portugal un gage de bon- heur.

La princesse Amélie, élevée par une mère pleine de foi, ne pouvait que justifier les espérances du

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AVANT LE MARIAGE 307

Saint-Père. Son Altesse avait manifesté l'intention de communier à la messe de mariage, bien que la cérémonie dût se clore très tard. Elle envisa2:eait avec une gravité chrétienne les devoirs que sa nouvelle situation allait lui imposer, et elle passa dans une sorte de retraite les heures qui la sépa- raient de la solennité du lendemain. La princesse Amélie n'a rien de la frivolité de ces trop nom- breuses jeunes filles qui regardent le mariage comme une émancipation de la tutelle maternelle : elle a l'esprit sérieux et refléchi de son aïeule, la reine Marie-Amélie. Après avoir été la jeune fille la plus docile, elle sera la femme la plus attachée à ses devoirs, et la princesse royale la plus digne de son rang.

M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris accordèrent très peu d'audiences. Ils vou- lurent réserver, à l'enfant dont ils allaientse sépa- rer, tout le temps que n'accaparaient pas les exi- gences de l'étiquette. Les Français comme les Por- tugais s'inclinèrent avec respect devant un désir si légitime.

Pendant les deux jours qui précédèrent le ma- riage, les 20 et 21 mai, il y eut réception intime au palais. Tout ce que Lisbonne compte de considé- rable dans la société, l'armée, l'administration, les arts, les lettres, alla s'inscrire au palais des Necessidades chez les princes d'Orléans.

Le samedi 22 mai, il faisait un temps superbe.

308 LE JOUR DU MARIAGE

et comme on n'en voit que dans le midi de l'Eu- rope*; un peuple enthousiaste et respectueux se pressait dans les rues, avide de contempler un splendide cérémonial qu'il lui est donné si rare- ment d'admirer.

Le matin, dès les premières heures du jour, une foule immense encombre les rues de Lisbonne par lesquelles doivent passer les cortèges pour se rendre à l'église de Santa Justa et Rufina, le mariage doit être célébré à une heure de l'après- midi. Cette église, connue plutôt sous le nom d'église de San Domingo, est située à l'angle de la grande place du Rocio, se trouve la statue du roi Pedro. Ainsi que tous les monuments de Lis- bonne, il a été construit après le terrible tremble- ment de terre de 1755, qui détruisit entièrement la ville. La tradition rapporte qu'il ne resta de- bout de l'ancien édifice que l'autel en marbre blanc et noir qui subsiste encore aujourd'hui.

Toutes les places et les rues principales de Lisbonne sont décorées de mâts garnis d'étoffe rouge, surmontés de la couronne royale et pavoi- ses de trophées de drapeaux.

L'aspect général de l'église, avec les tentures de velours et de soie multicolores dont les bro- deries d'or étinccllcnt sous les lumières de cen-

1, Nous trouvons les détails de cette belle cérémonie dans le Moniteur universel, très exactement renseigné, et dans une bro- chure : Voyage en Portugal, par le comte de lîarral.

l'église SAN DOMINGO 309

taines de lustres de cristal, est des plus chauds et des plus colorés. Tout au fond, on aperçoit l'au- tel avec ses hautes colonnes torses, ses gradins ont pris place les évêques , aux costumes éclatants. A gauche, le dais royal dont les ten- tures de velours nacarat fleurdelisées d'or sont relevées sur deux hautes colonnes surmon- tées de sphères pour rappeler la découverte des Indes par les Portugais. A droite, l'estrade des princes d'Orléans, en velours bleu fleur- delisé d'or, surmontée de la couronne royale. Entre ces deux estrades, au centre du chœur, les fauteuils et les prie-Dieu de velours bleu doivent se tenir les deux fiancés pendant la béné- diction nuptiale. Une couronne ducale, que suppor- tent deux anges et qui par une touchante allégorie est décorée des torches de l'Hymen, descend de la voûte en forme de baldaquin, au-dessus de la tète du duc de Bragance et de la princesse Amélie. A gauche, les dames de la cour et du corps diplo- matique, toutes en robes décolletées de soie bleu clair, la mantille de dentelles blanches, retenue au chignon par un haut peigne d'écaillé blonde. Partout étincelle l'or des uniformes : fonction- naires civils à l'habit brodé, chambellans à la haute canne d'ivoire, généraux et officiers à l'uni- forme noir galonné d'or et de rouge, suivant le grade, le casque à la main, officiers italiens au court veston bleu et argent, officiers de marine espa-

310 ARRIVÉE DU CORTÈGE ROYAL

gnols à l'habit à revers écarlates, officiers de la marine italienne, le ruban bleu en sautoir, etc... Dans l'intérieur de l'église, encombré de verdure et de palmiers verts, ces uniformes font un effet magique.

A une heure, le canon tonne au loin. Le cortège royal vient de quitter le palais d'Ajuda. Arrivent successivement la comtesse de Ficalho , dame d'honneur de la reine ; l'ambassadeur d'Espagne avec les deux fils du duc de Fernan-Nunez, le marquis de Valada dans son superbe carrosse tout doré et orné de peintures dans le genre de nos anciens vernis Martin : les harnais de ces atte- lages sont couverts d'ornements en acier ciselé ; les domestiques portent, sans exception, la perru- que poudrée à canons.

Deux heures : les clairons sonnent, les trou- pes laissent tomber la crosse à terre avec un bruit retentissant. Le cortège royal approche. Bientôt apparaissent les flammes blanches et rou- ges du peloton de lanciers d'avant-garde. Toute cette cavalerie, la crinière noire flottant au chapska rouge, défile au grand trot et va se placer dans une rue voisine de l'église. Vient ensuite une troupe de piqueurs de la maison royale à la livrée de Bragance, écarlate avec les galons de soie multico- lore, frappés de la grenade de velours nacarat. Ils vont se ranger devant réglisc, et saluent, portant haut leur cravache. Après les piqueurs,

LES ÉQUIPAGES ROYAUX 311

arrivent des cavaliers à l'uniforme typique, véri- table évocation du seizième siècle. Ce sont les rois d'armes de Bragance. Leur chapeau de velours noir de la Sainte-Hermandade est surmonté d'un haut panache de plumes blanches et bleues, le tabar de soie cerise broché d'or est chargé de sept énormes tours d'argent doré et d'un large collier d'or aux armes royales. Ils portent le bas de soie noire. Les chevaux ont la selle du siè- cle dernier, capitonnée de velours vert et galonnée d'or, la crinière nattée et enrubannée, et sur la têtière un panache de plumes d'autruches.

A leur suite, arrivent de magnifiques voitures dorées, véritables merveilles, traînées chacune par dix mules, les deux premières conduites à la d'Aumont. Ces lourds carrosses sont surchargés d'ornements dorés, couverts de peintures ; les caisses sont suspendues par de larges courroies en cuir rouge. Les roues colossales mesurent deux mètres environ de diamètre.

Ces carrosses sont tous du dix-septième et du dix-huitième siècle et ont servi à dom Joào V, à l'infant dom Francisco, à dom José 1"% à dom Pedro II, à Alphonse VI, etc.

De ces équipages descendent la comtesse de Bertiandos en satin bleu et blanc, avec tablier brodé de jais blanc, la marquise de Funchal, cama- reira mor de la reine; les officiers d'ordonnance du duc d'Aoste, dom Augusto, frère du roi; en uni-

312 LES PRINCES ÉTRANGERS A LISBONNE

forme italien le duc d'Aoste ; le prince Georges en uniforme de commodore anglais, avec le grand cordon du Christ ; le duc de Saxe-Cobourg et Go- tha, en hussard autrichien, le shako rouge à haute aigrette, la pelisse bleue à tresse d'or sur les épaules. Tous s'arrêtent à l'entrée de l'église.

La musique du régiment du génie joue la mar- che royale. Un énorme carrosse doré, conduit par huit chevaux gris pommelé, débouche au petit trot, les valets de pied tenant en main les attelages. Ce carrosse, surmonté de huit couronnes royales et orné de palmes d'or, est appelé carrosse de la couronne. Il fut construit par ordre de dom Joào V pour les fêtes du mariage de son fils, le prince dom José, avec l'infante d'Espagne dona Maria Anna.

De ce carrosse descendent le duc de Bragance portant l'uniforme de capitaine de lanciers, le roi dom Luiz celui de général de division, et la reine dona Maria-Pia dans un superbe costume copié sur un tableau de Rubens : Le triomphe de Marie de Médicis ; la robe est en velours bleu de ciel, brodée, dans le style Louis XllI, ornée de casca- des de perles et de gerbes de diamants. Le manteau de souveraine, attaché aux épaules, est en velours bleu de roi, brodé au bas de guirlandes pâles se détachant sur un fond azur. Un semis de fleurs de grenades en soie blanche remplace seul les Heurs de lis de France. Sur ses beaux cheveux blonds

ENTRÉE DU ROI ET DE LA REINE A L'ÉGLISE 313

brille un diadème de dianianls d'une eau et d'une pureté merveilleuses. Les gants, très longs et re- montant sur des bras magnifiques, sont marqués au chiffre M. P., et la couronne royale est brodée en couleur sur la manchette du gant.

A leur arrivée, Leurs Majestés sont reçues par tous les grands dignitaires de la couronne et les princes étrangers. Après s'être placées sous un dais de soie jaune brodée d'or, que supportent les six plus anciens marquis de la noblesse portu- gaise. Leurs Majestés se dirigent vers le trône royal, la camarera mayor portant l'extrémité de la longue traîne de la reine. L'orgue joue la marche desBragance. Le cardinal-patriarche, accompagné de tout son clergé, avec les parasols de satin, les croix d'or, les larges éventails de plume, reçoit Leurs Majestés et les conduit à leurs places, en marchant au milieu d'une haie formée par les ar- chers de la garde royale, qui se tiennent immobiles et la tète découverte, la hallebarde au port d'armes.

A deux heures et quart de nouvelles sonneries retentissent. Un escadron de cavalerie, précédé de ses batedores, arrive au grand trot par la place Rocio. Cette fois ce sont des chas- seurs, la crinière noire flottant sur le casque, la giberne à baudrier de cuir blanc, le sabre de Tolède à garde d'acier, le mousqueton porté à la botte. C'est Pavant-garde du cortège des princes d'Orléans.

314 LES PRINCES FRANÇAIS A l'ÉGLISE

Ce cortège est également composé de superbes carrosses de gala de la couronne. On en voit des- cendre successivement :1e duc de la Trémoïlle, le duc de Noailles, le comte d'IIaussonville, le marquis de Beauvoir; la marquise de Rio-Mayor, dame d'hon- neur de la reine; le comte de Ficalho;dom Alphonse, frère du ducdeBragance; la princesse de Joinville, en toilette de jaisnoir etde soie violette, portant le cordon violet et blanc de l'ordre espagnol de Marie- Louise en sautoir ; la princesse Hélène, charmante de grâce dans sa robe rose au corsage garni de perles, le cordon rose et blanc de l'ordre portu- gais d'Isabelle en sautoir; le duc d'Aumale et le duc de Chartres, tous deux portant le cordon bleu foncé de l'ordre militaire portugais de la Tour et de l'Epée ; le duc d'Orléans avec le cordon de la Conception.

Un dernier carrosse à pans coupés apparaît. C'est le carrosse de dom Fernando, qui fut cons- truit à Rome et offert par le pape Clément XI au roi dom Joào. La royale fiancée en descend, elle est en toilette de mariée : robe de soie blanche montante et voile de dentelles. La princesse tient à la main le livre d'heures offert par les dames de la Seine-Inférieure ; sur la reliure en ivoire sont émaillées les armes de France et de Bragancc.

La princesse Amélie estaccompagnéedesonpère et de sa mère, M. le comte de Paris ayant le cordon rouge et vert dos ordres réunis de Portugal.

ENTRÉE DE S. A. R. LA PRINCESSE AMELIE 315

Madame la comtesse de Paris porte un costume d'une suprême élégance en velours frappé ibis d'un rose très doux et doré. La traîne est en ve- lours de Gênes. Les côtés également en ve- lours d'un dessin plus petit, le devant ruisselant de jais blanc. Corsage décolleté en velours ibis. Parure diadème, boucles d'oreilles et rivière en diamants et saphirs, d'un prix inestimable. En sautoir le cordon portugais de l'ordre d'Isa- belle.

Après un instant d'arrêt, ce second cortège se forme avant de pénétrer dans l'église. Le duc de Bragance, présenté par le grand-maître des céré- monies, et précédé du capitaine de la garde royale, va au-devant de son auguste fiancée.

Celle-ci entre alors dans l'église, au bras de son père, la traîne de sa robe portée par M"* Le- vavasseur. Madame la comtesse de Paris donne le bras au prince royal. Les deux fiancés prennent place devant leurs prie-Dieu. La cérémonie du mariage commence. Le cardinal-patriarche pro- nonce une allocution touchante sur les devoirs qu'imposera aux nouveaux époux leur haute situa- tion. L'église illuminée de 166 lustres, les riches costumes, les brillants uniformes, offrent un as- pect magnifique. La plupart des évêques du royaume sont venus à Lisbonne et assistent à la cérémonie en habits pontificaux.

La bénédiction nuptiale est précédée d'une céré-

316 LA CÉRÉMONIE

monie touchante. M. le duc de Bragance, sur l'in- vitation du cardinal-patriarche, se dirige vers le Irône sont assis le roi et la reine ; il baise leurs mains, et s'agenouillant il leur demande de consentir à son mariage. M""* la princesse Amélie à son tour, très émue, demande de la môme ma- nière leur consentement à M. le comte de Paris et à Madame la comtesse de Paris, qui l'embrassent avec effusion.

Le cardinal-archevêque descend alors les de- grés de l'autel et, prenant les anneaux nuptiaux que lui présente, sur un plat d'or, un jeune page en habit de velours bleu, les remet aux jeunes époux et prononce la formule de la bénédiction. Pendant que les témoins signaient l'acte de ma- riage, le duc et la duchesse de Bragance allaient prendre place près du roi et do la reine.

La traîne de la robe de la princesse Amélie de France n'était plus portée par M"" Levavasseur, mais par une de ses dames d'honneur. Ce fut, pour les Français présents, un moment de vive émotion de voir la princesse passer à sa nouvelle famille. Un Te Deum fait alors retentir les voûtes de l'église. La cérémonie est terminée.

Le défilé commence. Cette fois, les deux cor- tèges sont réunis en un seul. Il est quatre heures un quart. Les cloches sonnent à toute volée. Le canon tonne au loin, sur la place du Commerce. Les navires ancrés sur le Tage se couvrent de

RETOUR AU PALAIS 317

flammes et de fumée. En même temps, d'une es- trade placée au centre de la place du Rocio, éclate un véritable feu d'artifice, qui, chose curieuse est tiré en plein jour. Les fusées s'élèvent et en éclatant effrayent les chevaux et les mules des car- rosses, qui piaffent et qu'on a peine à maintenir.

A quatre heures et demie, la marche royale qui se faisait entendre dans l'intérieur de l'église est reprise au dehors par la musique militaire.

La nouvelle duchesse de Bragance, toute pâlie par l'émotion, paraît au bras de son époux. Les acclamations éclatent de tous côtés. Le carrosse de dom Fernando s'avance. La portière ornée de velours rouge est ouverte. Le duc de Bragance monte le premier afin de tendre la main à sa jeune épouse et de l'aider à franchir les trois hautes marches du carrosse.

Les deux jeunes mariés sont seuls dans la voi- ture qui se met lentement en marche.

Leurs parents, la reine dona Maria, Madame la comtesse de Paris, le roi domLuiz etM. le comte de Paris, les suivent dans le carrosse de la couronne, et sont acclamés par la foule. La cavalerie ferme le défilé, les flammes des lances flottant au vent, les timbales drapées de rouge, battant la marche antique des chevaliers portugais. Ce cortège, sa- lué par les feux d'artifice et les cris joyeux de la foule, traverse la grande place du Rocio, et, après avoir suivi la rue de l'Or, arrive sur la place du

318 ENTHOUSIASME DE LA POPULATION

Commerce, Bientôt le cortège sort de Lisbonne et se dirige, en suivant les quais, vers le palais de Belem, doivent habiter les jeunes époux.

Partout la foule se presse sur le passage du cortège, faisant retentir l'air de ses joyeuses acclamations. Dans des pavillons construits de distance en distance des fanfares saluent le cor- tège par les sons de la marche royale. D'une es- trade élevée quai di Sodré, contre la statue du duc de Terceira, une véritable pluie de fleurs s'abat sur le carrosse de la nouvelle duchesse de Bragance. Les paquebots, les navires de com- merce, les fragatas (bateaux-dépêches), sont char- gés de milliers de spectateurs. La vue est splen- dide. Les maisons de Lisbonne, dont les façades d'azulejos brillent sous les rayons du soleil, s'éta- gent en terrasses sur les coUines. On aperçoit plus loin les dômes de la cathédrale gothique di la Se ou basilique Santa-Maria; à droite, les mu- railles rougeâlres du palais des Necessidades et les sombres ombrages du grand cimetière qui rap- pellent les noirs cyprès des nécropoles de Stam- boul. Toujours salué par les salves d'artillerie, le cortège longe le Tage en traversant les faubourgs d'Alcantara et de Junqueira. De l'autre côté du Tage se détachent, sur les collines verdàtres, le point blanc du phare de Cacilhas.

A six heures, le cortège arrive devant le palais de Belem. Ce palais, bàli vers le milieu du dix-

LE PALAIS DE BELEM 319

septième siècle, se compose d'un seul rez-de- chaussée, élevé sur un sous-sol. C'est bien la demeure intime qui convient à deux nouveaux mariés. Des terrasses qui s'élèvent en gradins sur le Tage, on jouit d'une vue superbe. L'œil em- brasse au loin l'immensité de l'Océan, la tour de Belem, l'église de San Jeronymo, élevée en sou- venir de la découverte des Indes, et se trouvent les tombes de Vasco de Gama et du Gamoëns.

Le cortège gravit une montée resserrée entre deux hautes murailles peintes en rose et s'arrête devant la façade du palais, que surmonte un toit à l'italienne, aux tuiles plates et fortement ci- mentées. Les jeunes époux et leurs augustes parents pénètrent dans le vestibule, la pièce la plus ancienne du palais, construite par les soins de Jean V, et de dans leurs appartements parti- culiers.

La princesse, après avoir changé de toilette, alla avec le duc de Bragance diner chez son beau- père, le roi dom Luiz, au palais d'Ajuda. Ce palais est situé en amphithéâtre au-dessus de Belem. De cet endroit on découvre tout le mouvement de la rade. C'est un édifice imposant par sa masse.

Là, la princesse Amélie reçut les cadeaux de mariage qui lui étaient offerts par sa nouvelle famille.

C'étaient :

Un diadème de diamants offert i)ar S. M. le roi dom Luiz :

320 CADEAUX OFFERTS A LA DUCHESSE DE BRAGANCE

pièce magnifique, composée de plusieurs rangs de brillants, et d'où pendent deux énormes perles ;

Un collier de diamants, du même style que le diadème, offert par S. M. la reine doua Maria;

Une jumelle de théâtre, offerte par S A. R. le prince Alphonse, avec deux rangées de diamants et le chiffre en brillants ;

Un magnifique bracelet de brillants, offert par S. A. R. le duc d'Aoste ;

Un aigle de brillants, offert par S. A. R. le prince dom Alphonse;

Un collier de saphirs et de brillants, offert par LL. MM. le roi et la reine d'Italie;

Une bague de saphirs et brillants, offerte par S. A. I. la princesse Clotilde Bonaparte;

Une aigrette de diamants, offerte par S. A. le prince de Carignan.

Le dîner, qui eut lieu à hu't heures au palais d'Ajuda, fut seulement un diner de famille. Ami- nuit, le duc et la duchesse de Bragance pre- naient congé de leurs parents et rentraient à leur palais de Belem, tout illuminé par les reflets des globes électriques installés sur les bords du Tage.

Le lendemain 23, à deux heures, le duc et la du- chesse de Bragance recevaient, dans leur palais de Belem, les grands dignitaires du royaume, les officiers du palais et les hauts fon(;lionnaires. La grâce, l'affabilité de M™* la duchesse de Bragance, produisaient sur lous la plus vive el la plus heu-

RÉCEPTIONS, ET REVUE DE l' ARMEE 321

reuse impression. « Bien que devenue princesse portugaise, dit-elle alors, je n'oublierai jamais ma première patrie et demeurerai toujours française

par le cœur » Dans les jardins du palais, on

jouait l'hymne national, et, le soir, avait lieu au théâtre de San Carlos une grande représentation de gala. Le spectacle se composait de deux actes de Sémirajuis, de deux actes à'' Aida et d'un ballet. Vers une heure du malin, la cour se retirait, et au moment la princesse Amélie se levait, elle était l'objet d'une ovation toute spontanée et des plus chaleureuses. Tout émue de ces marques de sym- pathie de sa nouvelle patrie, la princesse salua par deux fois le public, debout et criant : « Vive le roi ! Vivent les princes d'Orléans ! »

Le 24 mai, il y eut une grande réception dans l'après-midi, au palais d'Ajuda, Leurs Majes- tés portugaises reçurent les félicitations du corps diplomatique, et les hommages des grands corps de l'Etat, du Conseil municipal de Lisbonne, de la Cour, et de la haute société.

Le 25, le roi passa une grande revue des trou- pes composées des détachements de toutes armes, et des élèves de l'École militaire.

Le roi, suivi d'un brillant état-major, du duc de Bragance, du prince Amédéc d'Italie, du prince Georges d'Angleterre, passe devant le front des troupes : le roi, la reine, le duc et la duchesse de Bragance, M. le comte de Paris et Madame la com-

21

322 l' « INSTITUT DE LA PRINCESSE AMELIE »

tesse de Paris, M. le duc de Chartres, sont salués de nombreux vivats ; après le défilé, l'enthousiasme devient du délire, de toutes parts on crie : « Vive la princesse Amélie ! » à toutes les fenêtres, on agite des mouchoirs et on applaudit frénéti- quement. A chaque salut de M'"^ la duchesse de Bragance répondent des acclamations nou- velles. C'est un spectacle inoubliable, et qui restera dans la mémoire de la jeune et gracieuse princesse, qui, en si peu de jours, a su conquérir toutes les classes de la société portugaise.

La manifestation fut aussi belle le soir, où, sur l'avenue de la Liberté, eut lieu une fête de nuit, avec des illuminations féeriques et un splendide feu d'artifice. Le soir, comme dans la journée, l'enthousiasme populaire fit au duc et à la du- chesse de Bragance et aux princes français les plus joyeuses ovations. Comment les Portugais n'aimeraient-ils pas une jeune princesse dont la première pensée en touchant le sol de sa nouvelle patrie avait été la création de toute une série d'œuvres de bienfaisance? Sous son inspiration s'était organisé un comité « d'association protec- trice des intérêts de la classe ouvrière». Huit jours après le mariage de la princesse, on inaugurait le premier établissement de charité sous le nom à'' Institut delà princesse Amélie. Ce constant souci des pauvres, cette inépuisable charité, dont le prix est doublé par la grâce avec laquelle elle

LE BAL A LA COUR 323

s'exerce, suffiraient à expliquer l'enthousiasme inouï de l'accueil fait par le peuple à la duchesse de Bragance.

Le 26, après des courses de chevaux dans la journée, avait lieu, le soir, un grand bal au palais d'Ajuda. A onze heures s'ouvrent les portes des appartements privés de Leurs Majestés; les cham- bellans de service s'avancent, frappant le plancher de leur canne d'ivoire; la musique de l'orchestre joue l'hymne national : le roi, la reine, le duc, la duchesse de Bragance, les princes et princesses de la maison de France, font leur entrée au milieu des invités qui forment la haie et saluent profon- dément sur leur passage. Le bal commence dans la galerie principale donnant sur la salle du trône; la reine Maria-Pia, toujours d'une extrême élé- gance, est entourée de dames aux costumes éblouissants, qui font de la cour de Portugal une des plus brillantes d'Europe. Le bal se prolongea jusqu'à quatre heures du matin. A plusieurs re- prises, le roi quitta la grande galerie réservée à ses hôtes princiers et aux dignitaires du royaume, pour se mêler à la foule des invités. Sa Majesté est très aimée à cause de son affabilité, et les Portugais lui savent grand gré de se laisser ainsi facilement approcher.

Le roi dom Luiz a quarante-neuf ans. Il est blond, pâle, a des yeux fort doux. C'est un roi sincèrement constitutionnel. Passionné pour les

324 LE ROI DOM LUIZ I*'"

arts, il joue de presque tous les instruments, peint avec goût et compte parmi les meilleurs litté- rateurs du Portugal. Il a traduit deux drames de Shakespeare, Othello et Hamlet^ avec autant de fidélité que d'élégance. Il se tient au courant de tout ce qui touche à la littérature dramatique fran- çaise, et est en correspondance avec un de nos premiers auteurs dramatiques, Victorien Sardou.

Dom Luiz P"" règne depuis 1861. Il succéda à son frère dom Pedro V, qui avait été subitement frappé par la fièvre jaune. Son caractère expansif formait un contraste frappantavec la mélancolique figure de dom Pedro. Destiné dès son enfance à la vie de marin, le roi doit à son éducation cette fran- chise d'allures qui séduit la foule.

Pendant que ses ministres lui cherchaient une princesse et négociaient avec l'Autriche pour as- surer au plus vite, par un mariage, l'avenir de la monarchie, il fixa son choix lui-môme sur la prin- cesse Maria-Pia, dernière fille du roi d'ilalic Victor-Emmanuel.

Maria-Pia, descendant d'une des i)lus antiques et des plus nobles maisons souveraines de l'Europe, est très distinguée et charme tous ceux auxquels elle veut plaire. Avec sa phy- sionomie un peu impérieuse, elle est très séduisante. Nulle femme n'a un air plus royal et plus imposant. Mère pleine de sollicitude, elle fit donner à ses deux lils une excellente éducation, et

LA REINE MARIA-PIA 325

leur inspira les meilleurs et les plus pieux sen- timents. Un jour que le duc de Bragance et son frère le duc d'Oporto, encore très jeunes, pre- naient un bain de mer sur la plage de Mexilhoeiro, près de Cascaes, ils perdirent pied tout à coup. Ils couraient le danger de se noyer : la reine n'hésita pas, se jeta à l'eau et eut le bonheur de sauver ses deux enfants.

Lorsque le bal touchait à sa fin, l'air national, joué par l'orchestre, annonça le départ de Leurs Majestés, qui, pour se retirer, traversèrent de nouveau la haie respectueuse des invités.

Les fêtes pour le mariage de la duchesse de Bra- gance se terminèrent le 27 par une grande course de taureaux, avec feu d'artifice sur le Tage. En Portugal, ces courses ne sont pas sanglantes comme en Espagne. Ni le taureau ni les hommes ne courent grand danger : le toréador ne tue pas le taureau, dont la léte est garnie de boules rem- bourrées de ouate, solidement fixées à l'extrémité des cornes; il se borne à lui planter dans la peau un certain nombre de handerillas. Si le taureau sait se défendre contre six assauts et évite ces handerillas, il est déclaré vainqueur. La Corrida portugaise est donc exclusivement un exercice d'adresse. Le cirque du Campo de Santa- Anna peut contenir 20,000 spectateurs : la journée fut très bril- lante, car sans être sanglante une Co/viV/â; passionne ici les masses presque autant qu'en Espagne.

326 FÊTES EN PORTUGAL

Le 28, courses de chevaux à l'hippodrome de Belem. Le soir, spectacle de gala au Théâtre Doua Maria^ et seconde soirée d'illuminations à la Ta- pada^ grand bois situé près du palais d'Ajuda; le 29, kermesse au Jardin zoologique et soirée donnée ^av \e Real gymnasio club portugais. Les provinces voulurent rivaliser avec la capitale : partout, et en particulier à Porto, eurent lieu des fêtes superbes. Le Portugal entier tint à célébrer brillamment l'union de l'héritier du trône avec la fille aînée du chef de la maison de France.

M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris, les princes et princesses de leur famille, quittèrent Lisbonne le 27 mai, et, suivant le désir formellement exprimé par M. le comte de Paris, le départ eut lieu sans aucun cérémonial.

Au moment oii le mariage de M""" la princesse Amélie se célébrait à Lisbonne, l'église d'Eu voyait accourir toute la population, qui venait as- sister à une messe demandée par M. le comte de Paris. Cette messe fut dite par M. l'abbé Mil- liard, vicaire général honoraire, curé de Bon- Secours. Toute la maison de M. le comte de Paris, les serviteurs, les gardes, les employés du château en grande tenue, y assista, ayant à sa tête M. Gilliot, administrateur du domaine d'Eu.

A la suite de celte cérémonie, plusieurs amis des princes adressèrent la dépêche suivante à la du-

SOUVENIRS d'eu ET DU TRÉPORT 327

chesse de Bragance en témoignage de la respec- tueuse affection de la ville d'Eu :

Interprètes fidèles du sentiment de la population qui remplissait tout à l'heure l'église, pour prier pour le duc et la duchesse de Bragance, nous adressons à Votre Altesse Royale le respectueux hommage de nos vœux et de notre éternel souvenir.

Sl^né : ESTANCELIN, LeCOMTE, BARON DE ChAU- VENET, DE GrOMARD, DuMESNIL-AdELÉE,

Varrall.

En réponse à cette dépêche, M. Estancelin reçut ce télégramme :

Palais de Beletn, 3 h. 15.

Le duc de Bragance et moi nous vous remercions de votre affectueuse sympathie, et nous vous prions de vous faire notre interprète auprès de tous ceux qui se sont sou- venus de moi. Ma pensée est souvent auprès de ceux que je ne saurais jamais ouhlier.

Amélie, duchesse de Bragance.

La population maritime du Tréport voulut, comme celle de la ville d'Eu, manifester une fois de plus son affection et sa reconnaissance pour les bienfaits reçus depuis tant d'années... Répondant à son désir, le curé du Tréport fit célébrer, dans son église, une messe solennelle, le samedi 22 mai, jour du mariage de la jeune princesse.

A l'occasion duTmariage de la princesse Amélie, quelques dames du département des Ardennes

328 UNE LETTRE DE LA DUCHESSE DE BRAGANCE

avaient offert un éventail à Son Altesse Royale. Cet éventail n'ayant pu être remis à la duchesse de Bragance, avant son départ, lui fut envoyé par les soins de la légation de Portugal. La princesse adressa à M""" la baronne de Montagnac la lettre suivante :

Madame,

Je viens vous offrir mes remerciements et vous j)rier d'être mon interprète auprès des dames ardennaises qui se sont réunies pour me donner un témoignage de sympa- thie à l'occasion de mon mariage.

L'éventail cpie je viens de recevoir est un petit chef- d'œuvre ; il me sera un précieux souvenir de la France que j'ai quittée sans l'oublier, et des nombreux amis de ma famille qui veulent bien m'accompagner de leur affection et de leurs vœux dans ma nouvelle patrie.

Je suis profondément touchée de la pensée qui vous a inspirée ; veuillez le dire à M™* la baronne Evain, à M'"* la baronne de Ladoucette et à toutes ces dames.

J'étais assurée de la part que vous preniez à toutes les épreuves que nous venons de traverser, elles sont dures, mais il faut ne regarder que l'avenir avec foi et conliance.

Je vous prie, Madame, de me croire toujours Votre affectionnée

Amélie, duchesse de Bbagance.

Lisbonne, ITy ;ioùt 188(i.

CHAPITRE VIII

Juin-Décembre 1886

Retour de M. le comte de Paris et de M™^ la comtesse de Paris au château d'Eu. Le gouvernement se décide à demander aux Chambres l'expulsion des aînés des familles ayant régné sur la France. Une lettre de M. le comte de Paris à un éditeur de Philadelphie à propos de son Histoire de la guerre civile en Amérique (8 juin 1886). Une conversation avec M. de Blowitz, correspondant du Times. Une lettre de M. le comte de ParisàM. Mercié, sculpteur (15 juin 1886). Dépêche sympathique d'officiers américains à M. le comte de Paris (juin 1886). Discussion et vote de la loi d'exil à la Chambre et au Sénat. Mesures prises par le gouvernement à Eu et au Tréport. Les dépèches du sous-préfet de Dieppe à la gendarmerie du Tréport. Dernières réceptions au château d'Eu. Grave maladie de M™" la princesse Louise à Eu. Adieux touchants de la population, le jeudi matin 24 juin 1886. Départ de M. le comte de Paris et de S. A. R. le duc d'Orléans. Immense affluence et vive émotion de la foule à Eu et au Tréport. Le prince s'em- barque à bord du Victoria; il salue le dra^jcau tricolore... Au revoir à la France ! Arrivée à Douvres. Madame la com- tesse de Paris revient, la nuit même, auprès de S. A. R. la princesse Louise. Protestation de M. le comte de Paris, distribuée le vendredi matin, 25 juin, en même temps dans toute la France. Instructions de M. le comte de Paris aux représentants du parti monarchiste en France. Enthou- siasme qu'elles provoquent. Appréciation de ce docu- ment. — Conclusion.

Tandis que M. le comte de Paris assistait à Lis- bonne au mariage de sa fille aînée, les républi-

330 EMBARRAS DU CABINET FRANÇAIS

cains à Paris, vérilablementépcrdus, sommaient le ministère d'expulser de France les princes d'Or- léans.

Pourquoi tout ce bruit? Pourquoi tout ce tapage? A l'occasion du mariage de M"^^ la princesse Amé- lie, M. le comte de Paris avait reçu chez lui les notabilités du parti conservateur et plusieurs diplomates. L'empressement de tous à accepter cette invitation, le respect et les hommages rendus au chef de la maison de France, exaspérèrent les républicains, et Ton vit des journaux, comme le Temps, s'exprimer ainsi :

La réception qui a eu lieu samedi à l'hôtel Galliera a été une véritable revue officielle du parti royaliste. Avec une audace et une inconvenance auxquelles M. de Freyci- net et ses collègues ne s'attendaient peut-être pas, le comte de Paris a invité les membres du corps diplomatique , comme osent seuls le faire les chefs d'Etat. Le prétendant, agissant ouvertement en roi, a constitué autour de lui une véritable cour. Il est parti pour l'Espagne avec toute une escorte de chambellans et de dames d'honneur; le train qu'il a pris a été qualifié de « royal », et de hauts em- ployés de la compagnie d'Orléans ont cru devoir l'accom- pagner de Paris à la frontière, honneurs réservés jusqu'ici uniquement au chef de l'Etat ou à des membres de familles étrangères régnantes.

La France aurait-elle aujourd'hui deux gouvernements, l'un {{ui siège au palais de l'Elysée et l'autre à l'hôtel Ral- liera? Si la Républi(jue laissait se prolonger cette situa- tion, il faudrait nous attendre demain à voir les e:ouverne-

COLÈRE DES RÉPUBLICAINS 331

ments étrangers considérer le comte de Paris comme le second souverain de la France, une sorte d'héritier pré- somptif ayant droit à tous les honneurs régaliens.

Cet article n'était réellement pas digne d'unjour- nal sérieux. Il y a une chose que ne peuvent com- prendre les républicains, c'est qu'en Europe le nom dePhilippe, comte de Paris, a un éclat, un prestige, que n'aura jamais celui d'un président de républi- que. Des républicains naïfs s'étonnentdevoirlesfa- milles royales del'Europe témoigner les plus grands égards à des princes de la maison de Bourbon et rechercher leur alliance. Voudraient-ils donc que nos gouvernants d'aujourd'hui fassent traités de pair par les Habsbourg, les Romanow ou les autres maisons royales? Quand la monarchie sera rétablie dans notre pays, l'isolement de la France cessera. Comment un gouvernement con- servateur pourrait-il songer à entamer seulement des négociations avec un pays tantôt gouverné par des opportunistes, tantôt par des radi- caux? Les républicains ne s'en rendent pas compte. De une colère mal dissimulée le jour les diplomates étrangers vinrent, avec toutes les classes delà société française, rendre un public hommage à la haute personnalité du [chef de la maison de France.

Ce qu'il y eut de plus étrange, c'est [que l'affo- lement gagna le ministère qui discuta sérieuse-

332 UN RÉPUBLICAIN DE BON SENS

ment la question d'expulsion. Mais les ministres étaient embarrassés et différaient d'avis sur la ma- nière de procéder. Fallait-il ne bannir de France que les héritiers de la monarchie et de l'empire ? Fallait-il exiler tous les princes? Convenait-il de se borner à obtenir des Chambres une loi et de n'en faire usage que si certaines éventualités ve- naient à se produire ? Tels étaient les points que discutait le conseil des ministres, mais sans s'ar- rêter à aucune solution.

M. Henri Maret, dont le républicanisme est bien connu, nommé à la fois, en octobre 1885, député de Paris et du Cher, s'exprimait dans le Radical avec beaucoup de verve et de causticité :

L'expulsion des princes, dit-il, c'est le Courrier de- Lyon de la politique. Autrefois, quand on voulait apaiser les revendications populaires, on faisait chanter la Afr/z-^e//- laise et l'on courait sus l\ l'étranger. Sous le régime gam- betto-ferryste , on embêtait un curé ou l'on expulsait un moine. Et quand quelque pauvre diable osait se plaindre, on lui répondait :

« Comment! vous ne rougissez pas de faire encore de l'opposition? En vérité, il est impossible de vous satis- faire! Comment pouvez-vous douter du républicanisme d'un gouvernement qui, il n'y a pas trois jours, remportait une victoire éclatante sur le Père Barnabe et mettait en fuite trois vieilles dévotes armées de chapelets miraculeux ? »

Il n'y avait rien à répliquer. Le plaignant rentrait dans sa honte et se sentait le plus heureux des hommes.

A force de faire résonner cette corde, on l'a poui'tant

UN RAISONNEMENT INTELLIGENT 333

usée. A Loyola ont succédé les princes. Aujourd'hui, toutes les fois qu'on a fait trop de sottises et qu'on s'ingénie pour retrouver la popularité perdue, la question des prin- ces revient sur l'eau. On essaye de soulever une agitation. Et l'on espère que, le jour l'on en aura mis un à la porte (un seul, car il faut en garder pour de nouveaux besoins), les acclamations remplaceront les sifflets; que le peuple sera en proie à un enthousiasme sans bornes; qu'il ne sentira plus ni la faim, ni la soif, et qu'inondant les rues de palmes vertes, il criera partout : « Honneur à ceux qui ont sauvé la République ! »

Puis déduisant la conclusion qui découle natu- rellement de ces réflexions, M. Henri Maret ter- minait en ces termes :

Les prétendants sont redoutables, non parce qu'ils sont sur le territoire, mais parce que les Républicains gouvernent mal la République. Ils ne peuvent revenir que d'une façon, après des émeutes réprimées qui, faisant peur à la nation, la jetteront dans les bras du premier venu. Et que ce premier venu soit à Spa ou aux Bâti- gnolles, ce sera tout un. Il y a un moyen beaucoup plus simple de préserver la République : c'est de la faire aimer.

Comment les industriels, les négociants, les agriculteurs, pourraient-ils aimer une répu- blique qui tarit les sources du commerce, de l'industrie et de l'agriculture ? Comment pour- raient-ils avoir confiance dans des députés qui per- dent leur temps en interpellations oiseuses, au

334 HÉSITATIONS DE M. DE FREYCINET

lieu de discuter le budget qu'ils bâclent, chaque année, en quelques semaines? On ne peut se faire aimer d'un pays que par des actes utiles à ce pays. Mais les ministres et les députés républicains ne songent qu'à exploiter la France et non à la gou- verner.

Au milieu de ces tiraillements, le gouvernement agissait avec de singulières contradictions, qu'il est bon de signaler.

« Au mois de mars 1886 \ M. de Freycinet, pré- sident du conseil, s'opposait à l'adoption d'un pro- jet qui expulsait du territoire les membres des familles ayant régné sur la France. Au mois de mai suivant, le même M. de Freycinet, qui décla- rait, quelques semaines auparavant, que rien ne pouvait justifier une semblable mesure, déposait un projet de loi tendant à interdire aux princes le séjour en France, en alléguant que leur présence était devenue un embarras, un danger pour le gouvernement de la République.

« Cependant aucun fait ne s'était passé qui pût motiver une telle contradiction. Mais les passions révolutionnaires de la majorité s'étaient affirmées de nouveau, cette fois avec plus de force, et le mi- nistère, au lieu de résister, avait préféré sacrifier les princes aux basses rancunes, aux haines vio-

1. La discussion devant les Chambres de la loi d'exil est en grande partie extraite d'une petite brochure parue alors à la Librairie nationale, inllUilée : L'Expulsion des Princes.

UN PROJET DE LOI d'eXIL 335

lentes des radicaux, afin de sauver son existence menacée. La conduite de M. de Freycinet n'a pas eu d'autre mobile. L'opinion publique ne sera pas dupe des subtilités invoquées pour excuser cette iniquité.

« En votant cette mesure d'exception, les répu- blicains ont ouvert la porte aux mesures de vio- lence les plus arbitraires. Ils ont montré ce que l'avenir réserve à la France. En proscrivant les princes, ils ont porté la première atteinte à la sé- curité des personnes; en réclamant la confiscation de leurs biens, comme l'a fait M. Basly, ils ont rendu inévitables les revendications les plus révo- lutionnaires contre les biens et les fortunes de tous les citoyens.

« Les républicains, et le gouvernement qu'ils conduisent à leur fantaisie, se sont engagés sur la pente la plus dangereuse. Ils y glissent avec une rapidité effrayante; il suffit, pour s'en convaincre, de voir le chemin qu'ils ont parcouru en trois mois.

« Lors de la première discussion, comme le rap- pelle M. Déranger dans le rapport qu'il avait ré- digé au nom de la commission sénatoriale chargée d'examiner le projet d'expulsion, un certain nom- bre de « mesures de précaution « avaient déjà été prises contre les princes :

« C'est ainsi, a-t-il écrit, qu'en 1883 le gouvernement a

336 CONTRADICTIONS DU GOUVERNEMENT

pris sur lui de retirer aux membres des anciennes familles régnantes les emplois dont ils jouissaient dans l'armée;

« Que le congrès de 1884 les a déclarés inéligibles à la présidence de la République ;

« Que pareille inéligibilité a été prononcée par des lois plus récentes en ce qui concerne le Sénat et la Cbambre des députés; qu'enfin l'ordre du jour voté le 4 mars der- nier par l'autre Chambre a invité la vigilance du gouver- nement à prendre, le cas échéant, les mesures que pourrait nécessiter l'intérêt supérieur de la République.

« Gomment intervint ce dernier vote ?

« Ce futà la séance du 4 février 1886 que MM. Du- ché, Crozet-Fourneyron et quelques-uns de leurs collègues de la Chambre déposèrent une proposi- tion de loin tendant à l'abrogation de la loi de 1871, qui avait autorisé les princes d'Orléans à rentrer en France. M. Rivet, auteur d'une autre proposi- tion demandant que les princes fussent expulsés par décret du président de la République, fut chargé de présenter un rapport sur ces deux pro- positions. Il le déposa le 27 février, et la discussion s'engagea le 4 mars.

(( MM. Lefèvre-Pontalis et Kcller combattirent vaillamment les demandes de proscription défen- dues à leur tour par MM. Ballue, Rivet, Duché et Clemenceau. Le président du conseil, M. de Frey- cinet, s'opposa, au nom du gouvernement, à l'adop- tion du projet de loi. 11 afiirma que le gouverne- ment était suffisamment armé pour se défendre si

LANGAGE DE M. DE FREYCIXET EN FÉVRIER 387

quelque danger surgissait, qu'il ne se laisserait pas prendre au dépourvu.

« D'une part, il n'admettait pas que la présence des princes en France fut « une cause de trouble « et de péril » ; il niait même qu'elle put constituer un danger, « car, ajoutait-il, depuis un siècle «nous assistons à cet étrange spectacle, qu'au « moment des changements de régime se sont « produits en France, les princes qui en ont pro- « fité n'habitaient pas sur le territoire de la Répu- « blique. »

« D'autre part, M. de Freycinet montrait à la majorité combien étaient graves les questions sol- licitant réellement son attention. Il disait :

« Nous traversons en ce moment une période dont je ne dirai pas précisément qu'elle est une période difficile, mais qui exige toute l'attention des pouvoirs publics. Nous tra- versons une période dans laquelle les événements ont accu- mulé des difficultés qui, sans être un danger, méritent néanmoins de notre part la vigilance la plus grande : les classes ouvrières souffrent autour de nous, le travail a l'alenti son œuvre, nous sommes sous le coup d'une crise économique, commerciale, qui sévit sur le monde entier et sur certains points de la France : est-ce que vous croyez que des mesures d'exception seront de nature à diminuer cette crise ?

« En conséquence, il demanda à la Chambre de

repousser une mesure qui n'était en rien justifiée.

« La proposition Duché fut rejetée par 345 voix

22

338 PROPOSITION RIVET EN FEVRIER

contre 195. La proposition Rivet, qui élablissait qu'en cas « d'actes ou de manifestations de leur « part, un décret du président de la République « pourrait enjoindre à tout membre d'une famille « ayant régné sur la France de sortir du territoire», fut également écartée par 333 voix contre 188.

« La Chambre adopta seulement par 353 voix contre 112 un ordre du jour, présenté par M. de Lanessan, conforme aux déclarations du gouverne- ment. Il était ainsi conçu : «La Chambre, confiante « dans l'énergie et dans la vigilance du gouverne- « ment, et convaincue qu'il prendra contre les « membres des familles ayant régné sur la France « les mesures nécessitées par l'intérêt supérieur « de la République, passe à l'ordre du jour.

« Le gouvernement n'eût certainement pas soneré de lui-môme à faire mortre de son « éner- « gie », mais il fut mis en demeure par les radi- caux, au mois de mai suivant, de sévir contre les princes.

« En mars, on avait pris pour prétexte de la pre- mière proposition quelques paroles prononcées en séance par un membre de la droite, cl dans les- quelles celui-ci témoignait de son peu de con- fiance dans la durée du gouvernement républicain.

« En mai, on prit pour argument principal un ar- ticle de journal qui commentait à sa façon la soirée donnée à l'hôtel (jalliera par M. le comte de Paris à l'occasion du mariage de sa fille, M"'® la prin-

DEPOT d''uN projet DE LOI d'eXIL 339

cesse Amélie avec le prince héritier du Portugal.

« L'agitation factice créée autour de cette récep- tion de famille avait un but unique. Il fallait un prétexte pour renverser le ministère qui déplai- sait également aux gauches avancées et aux oppor- tunistes. Se rappelant les précédentes déclarations de M. de Freycinet, on pensait qu'il se refuserait à prendre contre les princes, sans motif sérieux, la mesure réclamée de lui, de lui qui chargeait notre ambassadeur à Lisbonne de féliciter le roi de Portugal de l'union du prince, son fils, avec une princesse française.

« C'était mal le connaître.

« Dès la rentré des Chambres, le 27 mai, le mi- nistre de la justice déposait, au nom du gouver- nement, le projet de loi suivant :

« Art. l*"". Le gouvernement est autorisé à interdire le territoire de la République aux membres des familles ayant régné en France.

« L'interdiction est prononcée par un arrêté du ministre de l'intérieur pris en conseil des ministres.

« Art. 2. Celui qui, en violation de l'arrêté d'inter- diction, sera trouvé en France, en Algérie ou dans les colonies, sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans.

« A l'expiration de sa peine, il sera reconduit à la fron- tière.

« L'urgence, réclamée par le ministre, pour la discussion de la loi d'exil, fut prononcée, et

340 NOMINATION DES COMMISSAIRES

M. Basly proposa aussitôt une seconde proposi- tion tendant « à faire restituer à la nation les « biens des familles ayant régné sur la France ». C'était la conséquence naturelle de la proposition du gouvernement.

« Deux jours après, la Chambre nommait la commission chargée d'examiner ces deux projets de loi.

« Sur les onze commissaires élus, cinq étaient opposés à toute loi d'expulsion : deux membres de la droite, MM. le comte de Mun, de Jolibois, et trois républicains, MM. Henri Maret, Anatole de la Forge et Michou.

« Les six autres, MM. Madier de Montjau, Ca- mille Pelletan, Brousse, Burdeau, Tony Révillon et Desmons, ne se contentaient pas de l'expulsion facultative et limitée telle que la portait le projet du gouvernement, ils exigeaient l'expulsion im- médiate de tous les princes.

« Le gouvernement, on le voit, n'avait contenté personne et on pouvait être sûr, dès lors, que sa proposition ne serait pas votée.

« Elle ne fut même pas discutée et, à la pre- mière réunion de la commission, dont M. Madier de Montjau avait été nommé président, M. Brousse déposa un contre-projet transactionnel que com- pléta M. Burdeau, et qui ne réussit pas cependant à rallier la majorité.

« 11 serait trop long de décrire par quelles élran-

l'expulsion des princes limitée 341

ges péripéties passa, dans la commission, le débat des diverses propositions qui lui étaient soumises, les concessions successives de la part du gouver- nement, l'opposition persistante de la part des ra- dicaux, les atténuations, adjonctions de toute sorte, faites au texte primitif. Ce fut une misérable comédie jouée entre ceux qui voulaient garder leur portefeuille et ceux qui voulaient le leur en- lever.

« Le gouvernement avait déclaré accepter le projet de M. Brousse qui limitait l'expulsion im- médiate aux chefs des familles ayant régné sur la France et à leurs héritiers directs par ordre de primogéniture, c'est-à-dire à M. le comte de Paris et à son fils le duc d'Orléans, au prince Napoléon et à son fils le prince Victor Napoléon. Mais les radicaux résistaient toujours. M. Maret, nommé d'abord rapporteur, fut remplacé par M. Pelletan qui, le 8 juin, déposa son rapport. Celui ci pré- senta, au nom de la majorité delà commission, un contre-projet portant expulsion totale des mem- bres des familles ayant régné en France.

« A cette même date du 8 juin, en 1871, avaient été abrogées les lois d'exil. Cette seule coïnci- dence de dates a quelque chose de douloureux.

« Le 10 juin, la discussion s'engagea devant la Chambre. Elle dura deux jours et fut marquée par des scènes d'une violence inimaginable, dans les- quelles les radicaux firent maintes fois preuve de

342 DÉCLARATION BARODET

rintolérance la plus écœurante. Les dates du iO et du 11 juin 1886 resteront des dates historiques.

« Le droit, la justice, on pourrait dire la raison, furent hautement et vaillamment défendus par M. le comte de Mun, par M. Piou, par M Dugué de la Fauconnerie, par M. Jolibois, et par quel- ques républicains soucieux de sauvegarder l'inté- grité de leurs principes, MM. Henri Maret, Ana- tole de la Forge, Frédéric Passy et Michou.

« M. de Freycinet, président du conseil et mi- nistre des affaires étrangères, fut seul à soutenir le projet d'expulsion limitée, tandis que MM. Ma- dier de Montjau, Camille Pelletan, maintenaient la nécessité de l'expulsion totale.

« Chacun sentait l'importance de ce débat dont le retentissement portait jusqu'au cœur du pays. Les tribunes du public étaient envahies, assiégées par une foule avide d'assister à cette grave dis- cussion. Dans la Chambre, l'émotion était des plus vives ; les députés, nerveux, agités, étaient tous à leurs bancs, et, de leur tribune, les membres du corps diplomatique suivaient attentivement cette lutte dans laquelle s'affirmaient avec tant d'impu- deur les passions violentes des partis républi- cains.

« Avant la fin de la discussion générale, M. Ba- rodet lut au nom de vingt membres de l'extrême gauche une déclaration hostile à toute expulsion, à laquelle se rallia M. Pesson, député républicain

LA. DISCUSSION DES ARTICLES 343

d'Indre-ct-Loire, quand M. Michelin, au contraire, se disait converti aux mesures d'exception.

« Par 310 voix contre 233, la Chambre décida de passer à la discussion des articles.

« M. Camille Pelletan défendit alors le projet de la commission : « Le territoire de la Répu- « blique française reste et demeure interdit à « tous les membres des familles ayant régné sur « la France. »

« Dans un scrulin à la tribune il fut repoussé par 314 voix contre 220.

« Il ne fut pas même question du projet primitif du gouvernement, M. de Freycinet ayant déclaré se rallier au contre-projet de M. Brousse ainsi conçu :

a Art. l'*". Le territoire de la République est et demeure

interdit aux chefs des familles ayant régné en France et à leurs héritiers directs, dans l'ordre de primogéniture.

« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à interdire le

territoire de la République aux autres membres de ces familles. L'interdiction est prononcée par un décret du Président de la République, rendu en conseil des ministres.

Art. 3. Celui qui, en violation de l'interdiction, sera trouvé en France, en Algérie ou dans les colonies, sera puni d'un emprisonnement de deux k cinq ans. A l'ex- piration de sa peine, il sera reconduit à la frontière.

« Art. 4. Les membres des familles ayant régné en France ne pourront entrer dans les armées de terre et de mer, ni exercer aucune fonction publique, ni aucun mandat électif.

344 UN ARTICLE DU « SOLEIL »

« L'article l"fut adopté par 315 voix contre 232, et l'article 2 fut également voté par 316 voix contre 219.

« Les articles 3 et 4 furent ensuite adoptés à mains levées, ainsi que le projet dans son ensem- ble. Il était neuf heures un quart, quand ce der- nier vote fut rendu.

« L'iniquité était consommée. »

Le lendemain, les journaux conservateurs flé- trissaient ce vote honteux, et M. Edouard Hervé disait dans le Soleil :

La loi d'exil a été votée hier par la Chambre des députés. Elle a été votée dans les conditions que réchiraait le gou- vernement. L'expulsion obligatoire frappe le comte de Paris et son fds aîné, le prince Napoléon et son lils aîné. L'expulsion facultative reste suspendue comme une menace sur la tête des autres princes.

Avant-hier, pour justifier l'expulsion totale, M. INIadier de Montjau, président de la commission, disait que les princes devaient être exilés uniquement parce cpi'ils étaient princes; il disait que si l'on faisait abstraction de leur qualité de princes, il n'y avait aucune raison pour les frapper.

Hier, pour justifier l'expulsion partielle, M. de Freycinet, président du Conseil des ministres, ne reprochait au comte de Paris aucun acte criminel, délictueux ou factieux. Il disait seulement que depuis la mort du prince impérial et du comte de Chambord, M. le comte de Paris était le seul compétiteur sérieux de la République. Il montrait l'op- jiositioa se groupant autourduchef de la famille d'Orléans,

UN ARTICLE DU « SOLEIL » 345

prenant de jour un jour plus de force et plus de confiance. Il montrait le pays s'habituant à penser cpi'il y avait en face l'un de l'autre deux gouvernements rivaux, le gouver- nement de la République et le gouvernement du comte de Paris. Il montrait les ambassadeurs eux-mêmes, les représentants des puissances étrangères faisant tour à tour visite à ces deux gouvernements. Il concluait que cette situation était intolérable et que l'un des deux gouver- nements devait de toute nécessité quitter le sol de la France, pour que l'autre y pût vivre en paix.

Nous ne remercions pas M. de Freycinet de la loi d'exil; mais nous le remercions du commentaire dont il a fait pré- céder le vote de cette loi. Jamais un bommage plus éclatant n'a été rendu à la cause que nous défendons.

En effet, suivant l'expression même de M. le président du Conseil, deux gouvernements sont en présence. L'un de ces deux gouvernements dispose de l'armée, de l'admi- nistration, de la police, du budget. Il nomme aux emplois ; il dirige la politique du pays ; il met en mouvement l'action de la justice. L'autre gouvernement, pour lutter contre tous ces moyens d'action, n'a que la force morale. Il ne peut que faire appel à l'opinion par la presse, les réunions et les élections. Ce second gouvernement, cependant, fait assez de progrès en trois ans pour que l'autre gouver- nement, celui qui dispose de la force matérielle, se sente menacé et pour qu'il dise : « Je ne peux pas en tolérer davantage, je ne peux pas laisser grandir encore ce pouvoir rival; déjà il m'inquiète; bientôt il me mettrait en échec. »

La Chambre écoutait, attentive, surprise et comprenant que quelque chose de grave se passait. Elle avait fait trêve pour un moment à l'agitation bruyante dont elle ne donne

346 UN ARTICLE DU « SOLEIL »

que trop souvent le spectacle. Au milieu d'un silence pro- fond, la petite voix claire de M. de Freycinet laissait tomber lentement des paroles dont aucune ne sera oubliée. Sans le vouloir peut-être, mais sous l'empire d'une nécessité qui s'imposait à son esprit, il refaisait, dans un autre lan- gage moins solennel et moins éloquent, mais non pas moins net ni significatif, le célèbre discours de M. Ber- ryer déclarant que le chef de la plus ancienne, de la plus illustre maison qui existe, que le descendant, l'héritier, le représentant de ces princes, de ces soldats, de ces poli- tiques, qui ont défendu, agrandi, amplifié le territoire national, ne pouvait être en France que le premier de tous les Français, le Roi.

Dégagée des incidents qui l'ont traversée, et sur lesquels nous reviendrons, dégagée de la scène de tumulte qui l'a terminée, cette séance mémorable peut donc se résumer de la manière suivante :

Hier, 11 juin 1886, M. de Saulces de Freycinet, prési- dent du Conseil des ministres de la République française, a proclamé roi de France Louis-Philippe-Albert d'Orléans, comte de Paris.

Au môme moment paraissait, dans le Tl/nes, l'article suivant dans lequel son correspondant, M. de Blowitz, racontait une excursion qu'il venait de faire au chàleau d'I^Ai, et l'entrevue qu'il avait eu l'honneur d'avoir avec M. le comte de Paris :

Je reviens d'Eu j'ai eu l'honneur d'être reçu par le comte de Paris. Ce n'est ni la curiosité, ni ma [)rofession

UN ARTICLE DU « TIMES » 847

de journaliste qui m'ont engagé à demander un entretien au prince.

Au moment où, au nom de la liberté, un acte de tyrannie va s'accomplir, c'était un devoir pour moi de tracer un portrait de cette famille princière qui va partir pour l'exil, de redresser quelques erreurs qui ont été propagées et de montrer combien sont élevés ces esprits que vont frapper l'adversité et la persécution.

Passant la nuit dernière au Tréport, j'ai trouvé cette po- pulation d'honnêtes pêcheurs, épouvantée de la menace d'expulsion lancée contre la famille du comte de Paris. Aussitôt que l'on sut que je venais de Paris et que je me rendais à Eu, je fus entouré et questionné sur les chances d'adoption des lois d'exil. J'opinais pour l'affirmative, et je vis ces faces hàlées devenir tristes, tandis que les femmes, aussi rudes que les hommes, étant accoutumées aux plus rudes travaux, versaient des larmes sur le sort de « cette belle famille. »

Le comte de Paris m'avait fait savoir qu'il me recevrait à dix heures du matin ; je fus reçu par le comte Othenin d'Haussonville, de service auprès du prince. Je pénétrai dans une petite bibliothèque très simple attenant au cabi- net de travail du comte de Paris, qui entra quelques mi- nutes après.

Je le remerciai d'avoir bien voulu me recevoir et je lui expliquai que je ne venais pas pour Vinterviewer, mais sim- plement pour lui exprimer mes sympathies sincères devant les menaces d'exil qui pèsent sur lui.

« Oh! répliqua le prince, je n'ai pas besoin de vous recommander le secret en cette circonstance pas plus qu'en une autre. Je n'ai pas à me cacher de vous avoir reçu ;

348 UN ARTICLE DU « TIMES »

je ne vous demande pas non plus de tenir secret notre entretien.

« Quand j'appris à la station de Talavayra cpi'un ])rojet de loi d'expulsion allait être soumis à la Chambre, je songeai non à moi ou à ma famille, mais à mon pays. Je fus pro- fondément affligé en songeant qu'après cent ans de conflits et de discordes, l'ère des proscriptions n'était pas passée et qu'on verrait de nouveau des fils de la France errer sans patine sur le sol étranger.

avez-vous l'intention de vous rendre, IMonsei- gneur, si, comme on s'y attend, la Chambre adopte la loi qui vous vise personnellement, ainsi que le duc d'Orléans.

Je n'ai pas encore décidé j'irai; mais je penche pour l'Angleterre. Je reçois de ce pays des témoignages si nombreux d'une sympathie générale, des inconnus mêmes m'envoient des lettres si touchantes, qu'il me serait difficile de choisir un autre refuge. Je ne puis pas aller en Alle- magne, L'Autriche m'éloignerait trop de ma chère Finance. J'ai pensé à la Suisse, mais je puis y aller dans la suite, car je n'ai pas l'intention de m'établir quelque part à demeure.

« Je ne compte pas acheter une maison et me fixer quelque part. Autrefois, pendant mon précédent exil, j'avais une résidence fixe, mais alors ma position était différente. Je n'étais pas alors le chef incontesté de la maison de France et je pouvais attendre le cours des événements sans, du reste, négliger aucun de mes devoirs. Je ne renonce pas entièrement à l'espoir de retourner dans mon pays, car même sous sa forme actuelle de gouvernement, je ne puis croire que cette persécution durera toujours, et que la France ne rouvrira j)as ses j)ortes à tous ses enfants. Pour

UN ARTICLE DU « TIMES » 349

cette raison, je ne compte m'établit- nulle part en perma- nence. J'irai çà et là. Nous nous imaginerons que nous voyageons et nous changerons de séjour sans changer d'espérance.

Est-il vrai, Monseigneur, qu'un général vous ait dit à la réception du 15 mai : Ce ne sont pas seulement des soldats que vous avez, c'est une véritable armée.

On ne m'a jamais fait une remarque de ce genre. Il n'y avait chez moi, que deux généraux en retraite, et aucun des deux n'a parlé avec moi. On a fait courir une quantité de bruits inexacts sur cette soirée, et on en a tiré une foule de conclusions. On m'a dit que le premier ministre a pris ombrage de ce que j'ai invité chez moi des ambassadeurs. Je ne pouvais cependant notifier cela à M. de Freycinet. Gela aurait donné à mes invitations un caractère politique, ce qu'elles n'avaient pas. Je n'ai pas invité le corps diplo- matique. J'ai invité à une soirée de famille des diplomates avec qui j'étais en relations personnelles. C'était ainsi que je connaissais lord Lyons depuis vingt-cinq ans et j'étais en excellents termes avec lui. J'eusse manqué à la politesse otj'aurais donné à mes invitations un caractère politique, si j'avais négligé de l'inviter, parce qu'il est ambassadeur d'Angleterre.

« On m'a également reproché certains articles de jour- naux. Cela prouve seulement combien mes adversaires sont à court d'arguments. Je n'ai pas inspiré ces articles, je n'en ai pas eu connaissance. Si j'avais été en communication avec ces écrivains, je leur aurais dit ce que j'ai dit à tous mes amis : « Faites qu'on ne dénature pas le caractère de « cette soirée; c'est un père de famille qui invite ses amis, tt Cette réunion n'a pas d'autre but. »

350 UN ARTICLE DU « TIMES «

Comme il est probable que la Chaml)re adoptera une loi de bannissement dirigée uniquement contre vous et le duc d'Orléans, mais permettant aux autres princes de rester en France, pensez-vous que ces derniers vous suivront?

En ce qui concerne mon frère, je lui ai intimé mon désir de le voir rester en France. Comme il aura le droit de le faire, je désire qu'il reste dans ce pays dont je suis banni. Je vous ai déjà*dit que je ne compte me fixer nulle part. Je ne puis lui demander de me suivre dans mes péré- grinations et de considérer comme sa résidence l'endroit je me serais arrêté selon les circonstances ou mes pré- férences. Ce sera une consolation pour moi de le savoir ici.

« On a beaucoup parlé du duc d'Aumale, et qiumd il a su de quelle manière il a été préservé de se trouver inclus dans le décret de bannissement, il a été très [)einé. Il est immédiatement venu me voir, et il a fait publier partout la nouvelle de son voyage. C'était la meilleure réponse à faire. Je vous dirai de lui ce que j'ai dit du duc de Chartres. Je ne peux lui infliger des voyages perpétuels. Il n'a pas comme moi les devoirs de la situation exceptionnelle que me crée la loi ; car la loi me donne une situation si grande et si spéciale, que si je l'avais prise moi-même, on m'en aurait fait un crime. En me séparant du reste de ma famille, on me donne un rôle plus défini (pie celui (pie je me suis jamais assigné, et si mon orgueil l'emportait sur mon pa- triotisme, je ne pourrais que m'en réjouir. Quant aux autres princes, ils ne se sont jamais occupés de politi(pic et se sont contentés de cherchera servir leur pays. Il est donc clair qu'on devrait les laisser tranquilles, et il serait étrange

UN ARTICLE BU « TIMES » 351

que je me montrasse plus dur pour eux que mes adversaires eux-mêmes.

On a dit, Monseigneur, que vous aviez l'intention d'attendre que l'on vous expulsât par la force plutôt que de céder à une simple invitation.

C'est une grosse erreur que de dire cela de moi. Je ne connais que deux moyens d'agir :

« Il y a trois siècles un prince, dans ma position, eût tué les personnes qui lui auraient apporté une pareille invita- tion et se serait mis en campagne pour faire la guerre civile avec ses compagnons d'armes ; mais ceci n'est plus en rap- port avec le temps ni avec mon esprit.

« J'obéirai à la loi.

« Je dois donc cet exemple à mes amis et je le dois aussi à mes adversaires. Je le dois enfin à mon pays trop de gens essayent d'inspirer le mépris de la loi. Je dois céder par obéissance à la loi qui me sera signifiée.

Dissimulerez-vous le moment et le lieu de votre départ ?

Certainement non, à moins que l'on m'en empêche.

« Je partirai ouvertement, et je connais assez mes amis pour être certain qu'à mon départ ils observeront l'attitude calme et silencieuse qui convient, alors qu'une famille amie part pour l'exil. Je serai heureux de serrer les mains qu'on me tendra, mais je demande une sympathie discrète, non des démonstrations bruyantes. »

A ce moment on annonça que le déjeuner était servi au premier étage oii se trouve la salle à manger. Outre le comte et la comtesse de Paris, se trouvaient à table : le duc d'Orléans, la princesse Hélène, la princesse Isabelle, le comte et la comtesse d'Haussonville et leurs filles; le doc-

352 UN ARTICLE DU « TIMES »

teur Guéneau de Mussy, l'inséparable et fidèle ami de la famille, M. Emmanuel Boclier, le fils du sénateur qui a toujours défendu avec tant d'éloquence la cause de la fa- mille d'Orléans, M. Froment, le précepteur du jeune duc d'Orléans, et d'autres amis de la maison dont les noms m'échappent.

Le jeune duc d'Orléans est âgé de dix-sept ans. Il a beaucoup grandi pendant ces dernières années. Sa ligure est intelligente et pleine de résolution et de vivacité : ses yeux noirs fixent avec beaucoup de franchise. Il a un ca- ractère résolu et décidé. C'est un marcheur infatigable; il excelle dans l'escrime, la nage et l'équitation; il tire remar- quablement. Le prince parle correctement et couramment quatre ou cinq langues. Quoiqu'il ne témoigne pas un en- thousiasme exagéré pour la littérature, il a un 'faible pour Virgile et Horace. Suffisamment familiarisé avec la littéra- ture française contemporaine et l'histoire de ce siècle, il est capable de prendre part aux conversations les plus variées.

La princesse Hélène est âgée de quinze ans et, comme tous les enfants du comte et de la comtesse de Paris, est grande et svelte. Son regard est charmant, et son sourire plein de grâce et de bonté. Elle a le teint clair, et une blonde chevelure encadre son visage animé.

La jeune princesse Isabelle a dix ans. C'est une enfant attrayante, avec un visage joufflu et les cheveux blonds coupés courts sur le front, mais se répandant en bou- cles dorées dans le dos. Elle parle courannnent l'anglais et exerce un charme indescriptible par ses manières gra- cieuses, ses yeux intelligents et son aimable sourire.

Le comte de Paris a encore deux enfants plus jeunes; la

UN ARTICLE DU « TIMES » 353

j3riiicesse Louise qui, âgée de quatre ans seulement, ne paraît pas à table, ainsi que le dernier né, un garçon âgé de deux ans que l'on me dit être très robuste.

Envoyant cette famille si unie, si simple, si cordiale, si paisible, et en pensant qu'au palais Bourbon on se prépare à la chasser de son pays, l'angoisse me saisit et, comme si tous les assistants avaient eu le même sentiment, il se fit un silence profond. Le comte de Paris, frappé par la tris- tesse vivante sur toutes les figures, se leva, et chacun suivit son exemple. Nous nous rendîmes dans le cabinet du prince, une pièce très simple ; sur une table je remarque un tableau peint par la nouvelle duchesse de Bragance. C'est un bouquet formé d'un bleuet, d'une rose blanche et d'un œillet rouge : au-dessous, les vers de Coppée sur les trois couleurs françaises, écrits de la main de la duchesse Amélie.

C'est cependant au nom de ces trois couleurs que ses parents vont être exilés !

Au moment de prendre congé, le jeune duc d'Orléans survint, et fixant sur moi son regard pénétrant :

« M. de Freycinet a-t-il un fils ?

Non, Monseigneur... Vous voulez dire sans doute que s'il en avait eu un, il n'aurait pas désiré de lui léguer le souvenir de la loi d'ostracisme dont il est l'auteur?

Précisément. «

Peu de jours avant cette visite de M. de Blowitz, M. le comte de Paris, avec une imperturbable sérénité, adressait à Philadelphie la lettre suivante aux traducteurs en anglais de son Histoire de la guerre civile en Amérique:

23

354 UNE LETTRE DE M^"" LE COMTE DE PARIS

Château d'Eu (Seine-Inféiieure), 8 juin 1886.

Messieurs, les événements qui s'accomplissent en France rendent la prolongation de ma résidence à Eu si incertaine que je dois me tenir prêt à vivre pour un temps sans foyers. Si je suis obligé de quitter momentanément ce séjour, je serai privé de ma bibliothèque... En conséquence, je vous prie de ne plus m'envoyer de livres traitant de la guerre civile, à moins qu'il ne paraisse quelque chose d'un intérêt tout à fait exceptionnel, comme par exemple les Mémoires du général Grant.

Les événements politiques me laissent malheureusement peu de temps à consacrer à ma bibliothèque.

Croyez-moi votre bien dévoué,

Philippe, comte de Paris.

C'est alors qiis plusieurs officiers américains qui avaient servi avec le comte de Paris et le duc de Chartres dans l'état-majoi du général Mac Clellan, en 1861-1862, proposèrent au prince de chercher un asile en Amérique. Ils lui envoyèrent de New- York la dépêche suivante, signée par le général Butterfield et plusieurs autres officiers :

Au comte de Paris, à Paris.

Venez chez nous. Nous, anciens soldats, vous ferons bon accueil. Nous honorons les services que vous avez rendus à notre république dans sa plus grande crise. Personne n'est plus respecté que vous et le duc de Chartres par nos vétérans qui connaissent vos services et votre valeur. Une bienvenue cordiale vous attend ici.

UNE LETTRE A M. MERCIÉ 355

Le général Butterfield reçut la réponse sui- vante :

Reçu avec gratitude votre bienveillant télégramme. Dans ces jours pénibles, l'expression de sympathie cor- diale d'anciens camarades, venant de votre grande répu- blique, est une consolation et un encouragement.

Malheureusement en ce moment Tx^mérique est trop loin; mais une visite à votre pays, autrefois déchiré et maintenant prospère, comblerait mes meilleurs désirs.

Philippe, comte de Paris.

Quelques jours après, le chef de la maison de France écrivit à M. Mercié, qui avait exposé au Salon de cette année 1886 un admirable groupe du roi Louis-Philippe et de la reine Marie-Amélie destiné au tombeau de Dreux*:

Monsieur,

Voici l'indication que je vous ai promise relativement aux armes d'Orléans, qui sont caractérisées par l'adjonc- tion d'un lambel sur l'écusson au-dessus des trois fleurs de lis.

Je suis heureux de trouver cette occasion pour vous exprimer encore toute l'admiration que m'inspire votre oeuvre magistrale.

Vous avez représenté le roi honnête homme et la sainte reine comme ils paraîtront devant l'histoire impartiale.

1. L'Académie des Beaux-Arts décerna, le l^"' juillet 1887, le prix biennal de 20,000 francs à cette œuvre de M. Mercié. Ce prix est destiné à récompenser l'œuvre ou la découverte la plus propre à honorer ou à servir le pays.

356 LE SÉNAT SAISI DE LA LOI d'eXIL

Vous avez réalisé, au })oint de vue de l'art, une grande et magnifique conception.

Je vous remercie au nom de ma famille, et je vous prie de me croire

Votre affectionné,

Philippe, comte de Paris.

La Chambre avait voté le 11 dans la soirée le projet Brousse accepté par le Gouvernement.

Dès le lendemain M. Demôle, ministre de la justice, ce titre ne semble-t-il pas une ironie en cette circonstance, saisissait le Sénat de la pro- position d'expulsion, et la Chambre haute nom- mait, le mardi suivant 15, la commission qui devait se prononcer sur son rejet ou son adoption.

Le Sénat n'avait pas attendu le dépôt du projet pour se préoccuper de la question ; les différents groupes républicains avaient délibéré officieuse- ment, et une majorité assez considérable semblait acquise au projet voté par la Chambre.

On fut donc étonné d'apprendre que les com- missaires élus par les bureaux du Sénat étaient en majorité hostiles au projet déposé par le gouver- nement. Six membres se déclaraient hostiles à la proposition. C'étaient MM. Barthélémy Saint-Hi- laire, Bérenger, Schérer, Dide, de Pressensé et Robert deMassy. Les trois membres favorables au projet étaient MM. Journault, Henri Didier et Caduc; une soixantaine de sénateurs s'étaient abstenus de prendre part au vote.

RAPPORT BERENGER OPPOSE A LA LOI 357

Les explications données à la commission par le gouvernement ne modifièrent pas le sentiment de la majorité qui repoussa les amendements de con- ciliation présentés par M. Bozérian et par M. Mar- cel Barthe, et conclut au rejet du projet adopté au Palais-Bourbon.

M. Bérenger fut chargé de rédiger un rapport en ce sens. Il en donna lecture au Sénat le samedi 19, et le 21 s'ouvrit le débat public.

La discussion, à laquelle les orateurs delà droite et du centre gauche opposés à l'expulsion surent donner l'ampleur que comportait la cause qu'ils défendaient, dura deux jours comme à la Chambre. On ne saurait trop signaler les remarquables dis- cours prononcés au nom du droit et de la justice par M. Jules Simon, par M. Léon Renault, par M. Bardoux, par M. Bérenger, et enfin la noble et belle protestation de M. le duc d'Audiffret-Pasquier.

Le Sénat, fait assez anormal, allait avoir comme la Chambre à se prononcer sur une décision de sa commission, contraire à la loi qui lui était pré- sentée. Mais alors qu'à la Chambre la commission aggravait le projet du Gouvernement, au Sénat le rapporteur concluait au rejet de toutes les propo- sitions.

Le seul discours auquel il faille s'arrêter, parmi ceux prononcés pour réclamer l'expulsion, est celui de M. de Freycinet. Le président du conseil ne parla qu'à la seconde séance.

358 DISCOURS DE M. JULES SIMON

Le premier jour, ce grave et décisif débat fut ouvert par un long discours de M. Journault qui adjura le Sénat de ne pas « assumer la grave et lourde responsabilité du rejet du projet de loi réclaïné par le Gouvernement et voté par la Cham- bre ». Il se dispensa de donner aucune autre rai- son à l'appui de sa demande.

M. Jules Simon lui succéda à la tribune, et l'ho- norable orateur du centre gauche plaida avec cha- leur et avec un remarquable talent la cause du droit et de la liberté.

Examinant d'abord la situation des princes, il s'indigna qu'on leur refusât ce titre de « citoyens » que le suffrage universel a consacré, puis il cher- cha pour quels motifs on s'était résolu à demander leur expulsion. Il prouva ensuite que si un gou- vernement hostile à la République existe à côté d'elle, ainsi que l'ont affirmé les ministres, ce n'est pas à l'hôtel Galliera qu'il se trouvait, mais bien à l'Hôtel de ville de Paris.

Sans doute, comme l'a dit M. de Freycinet, la situation de M. le comte de Paris est plus forte depuis la mort du fils de Napoléon III, depuis celle de M. le comte de Chambord, mais en quoi cela peut-il déterminer des mesures aussi violentes que l'expulsion des princes ?

M. Jules Simon, parlant de l'expulsion de M. le comte de Paris, ajouta :

DISCOURS DE M. JULES SIMON 359

On peut dire que sa situation est plus forte qu'elle ne l'était. Je comprends cet argument.

Ma réponse est assez prévue : c'est que, dans ces con- ditions, le séjour du prince n'a pas d'importance. Qu'il réside à Paris ou qu'il réside au château d'Eu, qu'il réside en Italie ou à Londres, il est, de la même façon, le succes- seur; partout il sera, il sera le successeur, et si jamais ce qu'à Dieu ne plaise et ce que je ne souhaite pas, vous le savez, si jamais on cherche un successeur à la Répu- blique, on saura bien le trouver. Vous n'allez pas le dépor- ter dans des pays il soit impossible à nos vaisseaux ou à nos télégrammes de parvenir, et, par conséquent, quand même son droit ou sa prétention deviendrait encore plus considérable, tant qu'il existe, vous ne pouvez pas l'amoin- drir. De telle façon que les deux seuls griefs sérieux que vous ayez sont des griefs contre lesquels la proscription ne peut rien.

Vous pourriez les invoquer pour autre chose ; invoquez- les, si vous le voulez, pour avoir peur... (Murmures à gauche) mais ne les invoquez j^as pour prononcer l'expul- sion, parce qu'en chassant celui que vous craignez vous ne le diminuez en rien. (Très bien! très bien! à droite.)

Voilà ma réponse, et je résume ma discussion de la façon suivante.

Cette loi que vous faites, qui est une loi d'exception et permettez-moi de le dire sans blesser personne, je ne fais pas de différence entre une loi d'exception et la viola- tion de la loi cette loi d'exception que vous faites contre les princes, elle ne vous sert pas, elle vous nuit; elle ne leur nuit pas, elle les sert. (Rumeurs à gauche. Vive approbation à droite et au centre.)

360 DISCOURS DE M. JULES SIMON

Puis, examinant la conduite de la République depuis quelques années, il montrait qu'elle ne vit que de mesures d'exception, et il concluait sur ces véhémentes paroles :

Eh bien ! toutes les mesures dont je viens de parler, je répète qu'elles sont le résultat du même système de gou- vernement. Cela s'appelle dispersion pour les congréga- tions, désaffectation pour les monuments religieux, laïcisa- tion obligatoire pour les écoles, épuration pour la magis- trature et pour les fonctionnaires, revision pour le Sénat, mesures de compression pour la presse, expulsion pour les princes.

Tout cela, Messieurs, c'est le même système de gouver- nement; et un orateur considérable de la Chambre des députés a résumé tout votre système avec une clarté par- faite et a justement caractérisé toutes les mesures cpie je viens d'énumérer l'une après l'autre. Il a dit : « Chassons qui nous gêne! » (Très bien! et applaudissements à droite et au centre.)

Oui , voilà le système de gouvernement : Chassons qui nous gêne ! Chassons les congrégations si elles nous

gênent (Exclamations à gauche. Approbation à

droite.)

M. Paris. Il a dit aussi : « Sus au Sénat! »

M. Jules Simon... Chassons les prêtres des écoles ils nous gênent; chassons les insignes de la religion partout ils nous gênent : chassons-les des tribunaux, chassons- les des prisons, chassons-les des cimetières; chassons-les! chassons-les! Chassons ce qui nous gêne, chassons les magistrats qui rendent des arrêts et qui ne veulent pas

DISCOURS DE M. JULES SIMON 36i

rendre des services. (Allons donc! à gauche. Très bien! très bien! à droite et au centre.)

Chassons l'inamovibilité, qui est la sauvegarde de la loi ; chassons le Sénat, s'il nous fait obstacle ; chassons les princes, si nous craignons qu'ils nous succèdent; chas- sons-les ! chassons-les ! (^Nouveaux applaudissements à droite. Vives protestations à gauche.)

Eh bien! Messieurs, commencez par les princes; per- sonne ne saitjusqu'oii cela vous conduira! Jadis vous aviez aussi commencé par les jésuites; rappelez-vous cela vous a conduits. Commencez par les princes; les exilés que vous ferez sortiront du territoire ; ils seront vos témoins, ils attesteront à la postérité que la France, à l'heure qu'il est, n'est pas maîtresse et sûre d'elle-même... (Très bien! à droite) que la République a peur, et que la lutte qui dure depuis cent ans entre la révolution du droit,^ qui est 1789, et la révolution de la haine, qui est 1793, malgré tant de sang et de larmes, n'est pas encore termi- née. (Très bien! très bien! et applaudissements prolongés à droite et au centre. L'orateur en descendant de la tri- bune reçoit les félicitations d'un grand nombre de ses col- lègues du centre et de la droite.)

M. Clamageran parla ensuite en faveur du projet voté par la Chambre; à ses arguments sans portée succéda une forte et concluante riposte de M. Léon Renault.

M. Léon Renault s'attacha surtout à démontrer que « l'expulsion proposée était une dérogation au droit commun, qu'elle était en contradiction formelle avec les principes sur lesquels repose la

362 M. LÉON RENAULT, M. BARDOUX

législation pénale de tous les peuples civilisés ». Il termina par cette phrase écrasante : « On vous dit, Messieurs, que la question se pose entre les princes et la République ! Non, dans la réalité, la question se pose entre la République et la Révo- lution. »

Après cet excellent discours, la séance fut levée, et renvoyée au lendemain, au milieu d'une vive agitation.

La seconde séance de la discussion sénatoriale fut plus émouvante encore. Le débatfut ouvert par M. Marcou, un radical qui se hâta de se déclarer « Jacobin » pour justifier par avance la brutalité de ses arguments, pour pouvoir demander à l'aise V exécution de tous les princes. C'est de ce mot qu'il qualifie l'expulsion.

M. Bardoux prit ensuite la parole. Son dis- cours fut un des plus sages, un des plus beaux de toute cette discussion. Il s'attacha principalement à détruire les théories jacobines du précédent orateur, et à montrer au Sénat quelle violation du droit il allait commettre, quel danger il allait faire courir à la République.

Enfin le président du conseil prit la parole. Dans son second discours on retrouve, exprimés pour ainsi dire dans les mômes termes et dans le même ordre, les arguments invoqués devant la Chambre par M. de Freycinct. Mais il insista par- ticulièrement sur deux points. Il prétendit démon-

DISCOURS DE M. DE FREYCINET 363

trer au Sénat la « générosité » du gouvernement, sa force, et son « énergie pour le maintien de l'or- dre ». Au lendemain des meurtres de Deca- zeville, cette assertion sembla étrange.

11 s'efforça en outre de rassurer ceux qui sem- blaient craindre que l'expulsion des Princes ouvrît l'ère des proscriptions. Avec une incroyable assu- rance, le président du conseil prétendit que les «me- nées monarchiques s'opposaient seules à l'union, au calme que chacun souhaite », et il s'efforça d'ef- frayer le Sénat sur les conséquences du rejet du projet.

C'est toujours l'argument décisif qu'on em- ploie avec le Sénat, et cette fois encore il devait assurer au président du conseil la majorité qu'il réclamait.

Le rapporteur, M. Bérenger, monta immédiate- ment à la tribune et déduisit aussitôt de ce dis- cours la seule conclusion naturelle qui s'en dégageait, c'est qu'on était en présence d'une mesure d'exception. 11 termina par ces mots de la plus grande justesse :

« Et lorsque vous venez dire encore : je vous demande une infraction au droit, mais c'est pour une heure, et nous reviendrons ensuite à la loi, est encore la difterence avec cette parole qui est la formule de tous les coups d'Etat : « Je sors de « la légalité pour rentrer dans le droit ? »

La parole fut ensuite donnée à M. le duc d'Au-

364 DISCOURS DU DUC D^UDIFFRET-PASQUIER

diffret-Pasquier. Sa protestation si digne, si com- plète, devait avoir et eut le plus grand retentis- sement.

M. le duc d'AudifFret-Pasquier s'alarmait pour le pays de le voir entraîné sur une pente fatale par un gouvernement aveuglé, et son discours renfermait un pressant appel à la sagesse du Sénat pour prévenir les dangers qu'il prévoyait dans l'avenir :

Ce n'est donc pas seulement à la France conservatrice, mais à la France libérale que j'en appelle de vos faiblesses et de vos violences. (Applaudissements à droite.)

On ne s'arrête pas, Monsieur le président du conseil, dans la voie vous êtes entré et dans laquelle vous vou- lez entraîner le Sénat. Croyez-vous que la concession que vous lui demandez, quelque excessive qu'elle soit, satis- fasse le parti révolutionnaire. Les concessions autorisent, encouragent les exigences, les audaces nouvelles; vous voudrez vous arrêter, on vous dira : Marche, marche encore! (Très bien! sur les mêmes bancs.)

Il termina ainsi :

Vous continuerez à persécuter les croyances religieuses sous prétexte de neutralité (bruit à gauche) ; sous prétexte d'épuration, vous continuerez à méconnaître les services rendus, à détruire les situations honorablement acquises; vous épuiserez nos budgets pour satisfaire les intérêts électoraux ; vous plierez devant les exigences toujours croissantes du conseil municipal de Paris. Vous laisserez impunis les orateurs de réunions publiques qui continue-

CLOTURE DE LA DISCUSSION GÉNÉRALE 365

ront à prêcher l'incendie, le pillage, à demander la mort des bourgeois et des capitalistes ; enfin, vous proposerez de nouvelles lois d'exception. Toutes ces choses nous les avons combattues, nous les combattrons encore, nous res- terons les avocats passionnés de la liberté de conscience, de l'indépendance de la magistrature, du droit, de la jus- tice enfin, grandes causes que le pays a à cœur de voir respecter, parce que seules elles assurent sa i)rospérité, sa dignité, sa paix. (Vive approbation à droite.) Si contre notre espoir. Messieurs, vous votez la loi qu'on vous pro- pose, nous vous dirons sans découragement comme sans colère, gardant une foi imperturbable dans l'avenir : Nous acceptons la part qui nous est faite, nous vous plaignons, mais nous ne nous plaignons pas! (Applaudissements à droite. L'orateur, de retour à son banc, est félicité par un grand nombre de ses collègues.)

La droite applaudit chaleureusement l'énergique orateur dont la voix vibrante avait si bien exprimé ce que pensait chacun de ses membres.

La clôture de la discussion générale fut pronon- cée, et le Sénat décida, par assis et levé, de pas- ser à la discussion des articles du projet de loi voté par la Chambre.

M. Marcel Barthe défendit alors un contre-pro- jet, dans lequel il demandait le renvoi, devant les juges chargés de connaître des attentats contre la sûreté de l'État, toutes les manifestations et provo- cations qui pourraient se produire. Mais le Sénat refusa de le discuter, et M. de Pressensé vint ex-

366 VOTE DE LA LOI

pliquer pourquoi ses amis et lui s'opposaient à tout projet d'expulsion.

Le scrutin allait donc s'ouvrir sur l'article l*"" du projet. On en connaît le texte.

Après un long pointage le président en fit con- naître le résultat.

L'article 1" était adopté .

par 137 voix contre 122.

Au milieu de l'agitation générale causée par ce vote le président mit successivement aux voix les autres articles du projet. Ils furent tous adoptés à main levée. Restait à voter sur l'ensemble.

Le président annonça qu'il avait reçu une de- mande de scrutin secret à la tribune. Sur la de- mande des gauches, celui-ci eut lieu par appel nominal.

A huit heures on connut le résultat :

Le projet était voté dans son ensemble

par 141 voix contre 107.

La séance fut aussitôt levée au milieu de la plus vive émotion. Cette fois encore le Sénat avait pac- tisé avec les auteurs de ces mesures d'exception et s'était associé à l'iniquité commise par la Chambre des députés.

Dès le lendemain matin du vote du Sénat, le 23 juin, le Journal officiel promulguait la loi sui- vante, adoptée par la Chambre des députés et le Sénat.

LA LOI d'exil 367

Loi relative aux membres des familles ayant re'gné en France.

Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,

Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Article l•'^ Le territoire de la République est et demeure interdit aux chefs des familles ayant régné en France et à leurs héritiers directs, dans l'ordre de primo- géniture.

Art. 2. Le Gouvernement est autorisé à interdire le territoire de la République aux autres membres de ces familles. L'interdiction est prononcée par un décret du Président de la République, rendu en conseil des minis- tres.

Art. 3. Celui qui, en violation de l'interdiction, sera trouvé en France, en Algérie ou dans les colonies, sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans. A l'expira- tion de sa peine, il sera reconduit à la frontière.

Art. 4. Les membres des familles ayant régné en France ne pourront entrer en France dans les armées de terre et de mer, ni exercer aucune fonction publique, ni aucun mandat électif.

La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l'Etat.

Fait à Paris, le 22 juin 1886.

Jules Grévy.

Par le Président de la République :

Le garde des sceaux, ministre de la justice,

Demole.

Le ministre de l'intérieur,

Sarrien.

368 M^' LE COMTE DE PARIS A TALAVEYRA

C'est au moment le Gouvernement affolé allait ainsi frapper les princes, que M. le comte de Paris quitta Lisbonne pour revenir en France.

Le train qui le ramenait s'arrêta à la gare espa- gnole de Talaveyra de la Reyna. Les voyageurs devaient y déjeuner. Par un hasard singulier, le buffet était tenu par un Français, ancien sergent aux chasseurs d'Orléans. Il avait fait les cam- pagnes d'Afrique, dans le même régiment que le capitaine Morhain qui accompagnait le prince. Cet ancien militaire, très empressé pour M. le comte de Paris, lui apporte pendant son déjeuner une dépêche. Elle contenait la nouvelle que le minis- tère, à Paris, se décidait à déposer la proposition d'une loi d'exil contre les princes.

M. le comte de Paris la lut silencieusement, an- nonça à ceux qui l'entouraient qu'il allait se ren- dre directement au château d'Eu, il attendrait le vote des Chambres, entouré de tous les siens*.

C'est dans ce château que depuis plus de dix ans M. le comte de Paris passait la plus grande partie de son temps, heureux de vivre dans cette France qu'il aime passionnément. Le prince avait retrouvé dans cette demeure de pieux et glorieux

1. Nous nous sommes servi, pour le récit qui suit, de plu- sieurs articles du Soleil, très exactement renseigné (articles réunis dans une très intéressante brochure : L'Exil). Nous y avons ajouté nos observations personnelles et celles du Fran- çais et du Moniteur universel.

MAL.^DIE DE S. A. R. LA PRINCESSE LOUISE 369

souvenirs. Nous avons déjà dit qu'avec le concours d'habiles artistes, il avait rendu au château d'Eu son ancienne splendeur, encouragé encore dans cette restauration par la pensée que ces travaux étaient une source de bien-être pour les ouvriers de la petite ville d'Eu. Aussi, M. le comte de Paris et sa famille étaient-ils adorés dans cette contrée, lui et les siens se plaisaient à faire le bien.

Pendant les phases diverses que traversa la pro- position de la loi d'exil, M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris virent leurs préoccu- pations s'aggraver par la maladie d'une de leurs filles, la princesse Louise, charmante enfant de cinq ans, La princesse Louise qui avait été souf- frante à diverses reprises, l'hiver précédent, fut tout à coup atteinte d'une fièvre scarlatine, qui se présenta accompagnée de symptômes alarmants. Pendant plusieurs jours, le docteur Henry Gué- neau de Mussy, l'ami dévoué des princes, ne cacha pas les inquiétudes sérieuses que lui causait l'état de la princesse.

La poste et le télégraphe apportaient depuis plusieurs jours les nombreuses marques de sym- pathie de tous ceux qui, prévoyant trop bien l'issue de la discussion, voulaient assurer, à ce moment même, le chef de la maison de France de leur respectueux et inébranlable dévouement.

Le duc de Chartres, accompagné de son fils, le

24

370 M. LAMBERT DE SAINTE-CROIX

prince Henri, était venu dès le lundi s'installer au château, et le prince de Joinville ne tardait pas à s'y rendre.

Alors que le Sénat accomplissait sa triste beso- gne, le mardi 22 juin, M. le duc d'Aumale quittait Chantilly et venait rejoindre M. le comte de Paris. Quelques amis fidèles, empressés, arrivaient éga- lement de Paris tenant à se trouver près du prince à l'heure même les nouvelles de la dernière séance du Sénat seraient connues au château.

Parmi eux, M. Lambert de Sainte-Croix, un des amis les plus fidèles des princes, à la parole persuasive autant que spirituelle, et qui pendant quinze ans a montré à la tribune un talent d'ora- teur des plus distingués, M. Lambert de Sainte- Croix possède les qualités qui font les bons mi- nistres : de l'énergie, du sang-froid, et avec beau- coup de finesse une grande facilité de parole.

Il entrait dans la diplomatie en 1848, lors- qu'éclata la catastrophe du 24 février. Il renonça à suivre une carrière qui promettait d'être bril- lante, et vint porter au vieux roi Louis-Philippe en exil l'assurance d'un dévouement absolu que depuis lors rien n'a jamais affaibli. C'est aujour- d'hui un des conseillers les meilleurs et les plus écoutés de M. le comte de Paris.

Après le dîner où, en dehors des membres de sa famille et des personnes appartenant à sa maison, avaient pris place quelques amis intimes. M. le

LA DÉPÈCHE APPRENANT LE VOTE FINAL 371

comte de Paris passa avec les princes et princesses et ses invités, parmi lesquels se trouvaient le général de Charette et M. E. Hervé, dans la grande bibliothèque qui se trouve au premier étage de l'aile gauche du château. C'est que furent apportées successivement les nombreuses dépêches qui annonçaient la clôture de la dis- cussion, la mise aux voix du premier article, vote qui entraînait l'adoption du projet de loi tout entier.

Les dépêches au fur et à mesure de leur arrivée au château étaient remises à M. le marquis de Beauvoir qui les donnait à M. le comte de Paris. Le prince était assis entre ses oncles, le duc d'Au- male et le prince de Joinville, ayant en face de lui son frère, le duc de Chartres. Ce fut vers neuf heures et demie que parvint la dernière dépêche apprenant le vote final; M. le comte de Paris la lut d'une voix profondément émue, puis il ajouta au milieu de l'émotion indescriptible qui s'était em- parée de tous : « C'est fait, je partirai jeudi. »

Toutes les personnes présentes s'étaient levées; pas un mot, pas une parole, tant jl'on était ému par la grandeur et la simplicité de ce prince,' si injustement et si cruellement frappé.

Le silence se prolongea pendant quinze mor- telles minutes. Tout le monde était debout. Les femmes essayaient d'étouffer leurs sanglots. Le silence fut rompu par le duc d'Aumale, qui de sa

372 M^"" LE COMTE DE PARIS ET LE DUC D AUMALE

voix claire, voilée pourtant par la tristesse, dit gravement : « Messieurs, notre histoire a connu bien des crimes, elle a enregistré bien des lâche- tés, mais jamais aucune comparable à celle qui vient d'être commise ! »

M. le comte de Paris se tourna vers lui : « Mon oncle, dit-il, je vous remercie hautement d'être venu auprès de moi dans cette heure d'épreuve, quand je suis frappé avec autant de cruauté que d'injustice.

Tu sais bien, répondit affectueusement le duc d'Aumale, quoi que l'on puisse dire, que je serai toujours près de toi et avec toi. »

Il se fit un nouveau silence. Puis M. Lam- bert de Sainte-Croix ajouta quelques mots sur « ceux qui, après avoir voté cette loi, pourront dormir tranquillement cette nuit ! En tout cas, reprit le général de Gharette, j'ai foi dans la Provi- dence et j'attends avec une confiance absolue l'heure du réveil ! »

A ce moment, Madame la comtesse de Paris entra. On voyait qu'elle avait pleuré. Mais son courage s'était vite raffermi, sa voix était ferme : « Allons ! dit-elle, c'est fini ! reprenons notre vie errante ! Quand plaira-t-il à Dieu d'y mettre un terme ! » Puis, ?;c tournant vers son fils : « Mon cher enfant, lui dit-elle, va te reposer. Tâche de conserver tes forces, et apprends à regarder le malheur en face ! »

ÉNERGIE DE MABAME LA COMTESSE DE PARIS 373

Tous les assistants s'approchèrent alors de la famille royale, et sans échanger un mot de banale consolation, les yeux remplis de larmes, s'incli- nèrent devant les princes, baisèrent la main de la princesse, et sortirent, laissant seuls les quatre princes et Madame la comtesse de Paris.

Au moment le général Charette quittait le salon, le duc d'Aumale se leva et alla à sa ren- contre : « Général, lui dit-il, je n'ai pas toujours partagé vos idées, et ne les partage pas encore toutes, mais laissez-moi le plaisir de serrer encore une fois la main d'un vaillant soldat et d'un hon- nête homme ! » Le général, très ému, lui serra la main et sortit. Puis, rencontrant à la porte les amis qui l'attendaient pour partir : « Oui, dit-il, ceux qui les persécutent ont raison de le dire : ce ne sont pas des hommes comme les autres ! » C'est ainsi que se termina au château d'Eu la soirée du jour le Sénat vota la « loi Freycinet ».

Le lendemain, Madame la comtesse de Paris, fai- santtaireles angoisses de soncœurdemère, déclara son intention d'accompagner M. le comte de Paris. Elle reviendrait ensuite auprès de sa chère ma- lade, après avoir accompli son devoir d'épouse dévouée. Au milieu de la tristesse générale. Madame la comtesse de Paris allait à tous, rani- mant les courages et les espérances.

La nouvelle du vote de la loi ne tarde pas à se répandre dans la ville. Devant la grille du château

374 GRANDE AFFLUENCE A EU

se tiennent un certain nombre d'habitants anxieux. Bien que l'on ne pût guère se faire illusion sur l'issue de la discussion, l'annonce du vote final cause une sorte de stupeur. Tous ces braves gens ne pouvaient croire que ces princes, si bons, si généreux, allaient être frappés d'une peine aussi cruelle que ce bannissement perpétuel, eux à qui on ne pouvait reprocher que d'aimer trop ardemment la France, et de désirer son relèvement glorieux.

Les Compagnies du Nord et de l'Ouest avaient vu dès le matin leurs trains littéralement pris d'as- saut par de nombreux voyageurs, qui venaient à Eu, saluer, avant leur dépari pour l'exil, M. le comte de Paris et son fils, M. le duc d'Orléans. Les hôtels de la petite ville se trouvent bientôt envahis, puis les maisons particulières sont mises à contribution, tous les lits vacants sont pris, enfin un grand nombre de personnes sont forcées d'aller au Tréport, et jusqu'à Dieppe, chercher un gite qui ne tarde pas à devenir fort difficile à trou- ver dans ces deux localités.

A la porte de la grille du château se pressent, dès midi, tous ceux qui veulent présenter au chef de la maison de France le témoignage de leur res- pectueux dévouement. Après avoir contourné la pelouse qui s'étend devant le château, on pénètre dans la salle des Chasses et, par un escalier tout tendu de tapisseries, on arrive au premier étage, dans la fameuse salle des Guises.

RÉCEPTION DANS LA GALERIE DES GUISES 375

Cette immense galerie, dont, les nombreuses fenêtres s'ouvrent sur les deux façades principales du chàleau, doit son nom aux portraits de tous les princes de la famille de Guise qui en couvrent les murs. En face du beau marbre représentant Jeanne d'Arc, au ciseau de la princesse Marie d'Or- léans, vers le milieu de la salle, se tiennent M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris, ayant à leurs côtés le duc d'Orléans, la princesse Hélène, le duc de Chartres, le prince Henri d'Or- léans, le duc d'Aumale et le prince de Joinville.

M. le baron de Chabaud-Latour, l'un des secré- taires du prince, et M. le marquis de Beauvoir présentent les visiteurs; M. le comte de Paris a pour tous une parole d'encouragement, qui va droit au cœur.

Les députés ne devaient se réunir que le jeudi au château ; seule la députation du Nord qui de- vait être retenue ce jour-là à Paris, par une dis- cussion importante, vient le mercredi présenter l'hommage de ses respectueuses sympathies. M. Plichon, chargé de parler au nom de ses col- lègues, adresse un discours ému auquel le prince répond par ces paroles : « Ayez confiance, comme j'ai confiance, moi-même. » M. le comte de Paris, apercevant des larmes dans les yeux de ses amis, les console, leur dit que, si pénible que soit cette séparation, elle aura un terme ; puis il recom- mande une union plus ferme que jamais de tous

376 LA POPULATION VA s'iNSCRIRE AU CHATEAU

les membres du grand parti conservateur qui ne doit jamais désespérer. Il ajoute ce mot : (f La rési- gnation fait des saints, mais non des rois. ». . . .

Cette fermeté, cette confiance dans l'avenir, impressionnent vivement les assistants.

Pendant près de trois heures défile devant les princes une foule énorme venue de tous les points de la France. Sur la place située devant la grille du château, un grand nombre d'habitants assistent à l'entrée et à la sortie de ces amis connus et in- connus, qui viennent dans un même élan se ranger aux côtés du chef de la maison de France. Les re- gistres déposés dans la loge du concierge se cou- vrent rapidement de signatures. Ce n'est pas sans émotion qu'à côté des noms célèbres de nos grandes ftimilles, on voit les paraphes de culti- vateurs, d'ouvriers et de pêcheurs sachant à peine écrire. Des femmes du peuple sont regardant tout ce mouvement, comprenant le malheur qui les frappe, et cachant leur visage inondé de larmes.

M. le comte de Paris, ayant décidé de quitter la France, avait donné Tordre de noliser au Tréport un paquebot de la ligne de Dieppe à Newliaven. Mais depuis deux jours, un vent violent souf- flait du large, et l'on avait craint que le vapeur ne pût entrer au Tréport, dont le bassin est peu pro fond. Depuis le matin, cependant, la Victoria y est amarrée; ce bateau, sous pavillon anglais, est

LETTRES ET TÉLÉGRAMMES ADRESSÉS AU PRINCE 377

commandé par le capitaine Stubbs. Curieux rap- prochement : M. le comte de Paris va s'embarquer pour l'exil à l'endroit même où, quarante ans aupa- ravant, était descendue de son yacht royal la reine Victoria venant d'Angleterre pour rendre visite au roi Louis-Philippe, qui l'avait reçue dans ce même château d'Eu.

Durant toute cette journée, M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris reçoivent de toutes les parties de la France télégrammes et lettres, témoignages touchants de l'émotion pé- nible de tous ceux qui, ne pouvant se rendre à Eu, veulent du moins rendre aux exilés un suprême hommage.

Le bruit court que le gouvernement, redoutant une manifestation, voudrait contraindre le prince à partir brusquement le lendemain à cinq heures du matin. Les amis du prince, indignés, l'engagent vivement, dans ce cas, à se rendre à cinq heures du matin à bord de la Victoria, sous pavillon anglais, et à y rester jusqu'à l'heure qu'il a fixée pour son départ.

Le gouvernement a déployé toutes les res- sources que lui fournissent la gendarmerie, la po- lice et l'armée. Le matin, une affiche manuscrite ainsi conçue avait été placardée au Tréport :

Mairie du Tréport. M. le comte de Paris devant probablement effectuer son embarquement par le port du Tréport,

378 DÉPÈCHES DU SOUS-PRÉFET A LA GENDARMERIE

Le maire du Tréport invite la poi)ulation à avoir à cette occasion une attitude respectueuse et calme, et à n'obéir à aucune incitation au désordre.

Le maire du Tréport,

(Signé) Papin.

(Cachet de la mairie.)

Dès mercredi, toute la gendarmerie des envi- rons est consignée, tant au Tréport qu'à Eu; le capitaine qui commande le détachement réuni à Eu vient de faire une si fâcheuse chute de cheval, devant la grille du château, qu'il s'est brisé la jambe. M. le comte de Paris envoie un de ses secrétaires, à deux reprises, prendre des nouvelles du malheureux officier.

Pendant toutes les réceptions qui se succèdent, le prince recommande à tous ceux qui assisteront au départ de rester calmes et d'éviter de prendre part à des manifestations qui pourraient être orga- nisées par des agents provocateurs, dont on avait remarqué depuis quelques jours les démarches et les allures louches. Huit brigades de gendarmerie avaient été envoyées au Tréport!...

Le 23 juin, le sous-préfet de Dieppe télégra- phiait de Dieppe à 3 heures 12 minutes et invitait le capitaine de gendarmerie du Tréport à se rendre un compte exact des gendarmes dont il aurait besoin le lendemain, eu égard au nombre des per- sonnes arrivant de Paris et des campagnes voi- sines.

LA. DERNIÈRE MESSE AU CHATEAU 379

Il lui recommandait de lui télégraphier, le jour même, le chiffre approximatif des arrivants, les dispositions qu'il prenait, et s'il croyait que trois ou six brigades lui suffiraient.

Le lieutenant de gendarmerie répondit (en rem- placement du capitaine Leclerc blessé à la suite d'une chute de cheval) que le nombre des arri- vants, le 23 juin, était peu considérable, qu'il croyait savoir que certainement il augmenterait le lendemain, et qu'il n'y avait rien à diminuer à l'effectif des brigades.

Le vent, qui avait soufflé en tempête durant toute la soirée de la veille, et donnait môme de sérieuses appréhensions sur la possibilité de sortir du port, est complètement tombé dans la nuit, et un radieux soleil éclaire la dernière matinée que M. le comte de Paris doit passer en France avant son départ pour l'exil. Dès six heures du matin, unemesse estdite danslachapelledu château. M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris y assistaient, avec M. le duc d'Orléans, M'"'' la prin- cesse Hélène, M. le duc de Chartres, M. le prince Henri d'Orléans, M. le duc d'Aumale, M. le prince de Joinville, M. le duc d'Alençon, arrivé de la veille, et toutes les personnes faisant partie de la maison du prince.

Les cloches retentissaient joyeusement dans le clocher de l'église paroissiale située en face du château; c'était, en effet, jour de fête pour l'Église,

380 ADIEUX AUX SERVITEURS

qui célébrait la Fête-Dieu et la première com- munion des enfants de la ville. En ce moment si tristepour eux, voulantdonner une dernièrepreuve de sympathie à ceux qu'ils allaient quitter, M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris, avec leurs enfants le duc d'Orléans et la princesse Hélène, vont prier à l'église, au milieu de tous ces braves gens recueillis. En rentrant au château, vers neuf heures, les princes se rendent dans la grande galerie des Chasses, commencent alors les adieux du personnel du château. Successi- vement défilent tous ces loyaux serviteurs, les garde-chasses et tous les gens de la maison. Bien des larmes coulent, montrant quel attachement ils ont au fond du cœur pour leurs maîtres, qu'ils ne reverront peut-être plus.

Vers dix heures, à travers la foule qui com- mence à affluer devant la grille, M. IsaïeLevaillant, directeur de la Sûreté générale, se faufile dans le château et demande à parler à M. le comte de Paris. Le prince, prévoyant quelque communi- cation de l'autorité, avait désigné l'un de ses secré- taires, M. le comte d'Haussonville, pour la rece- voir. M. Levaillant fut donc contraint de renoncer à voir le prince, et, paraissant fort ennuyé, déclara à M. d'Haussonville qu'il était chargé d'une mis- sion officieuse de la part de M. de Freycinet. Le président du conseil faisait savoir à M. le comte de Paris qu'en raison de l'élat de santé de la

LE COMTE d'hATJSSONVILLE ET M. LEVAILLANT 381

princesse Louise, il était tout disposé à accorder un délai de quelques jours si le prince en expri- mait le désir.

« Je connais assez la pensée de Monseigneur, répond M. le comte d'Haussonville, pour n'avoir point besoin de lui faire part de cette proposition. M^'' le comte de Paris ne demande de faveur à per- sonne et ne saurait en accepter. U«' le comte de Paris et M. le duc d'Orléans partiront donc aujourd'hui à l'heure fixée.

Nous avons pris des mesures pour le main- tien de l'ordre, ajoute le directeur de la sûreté, et, si vous le désirez, je me tiens complètement à votre disposition pour faire évacuer les abords du quai d'embarquement.

C'est affaire au gouvernement de maintenir

Tordre, répond M. le comte d'Haussonville. Si la police croit utile de prendre des précautions, cela ne saurait en rien regarder le prince, qui ne demande nullement son assistance. »

A onze heures, les grilles du château sont ou- vertes; sur plusieurs tables sont placés des re- o-istres viennent s'inscrire en foule, les per- sonnes de tout rang qui se pressent pour assister à la réception d'adieu du prince. Pour permettre à la population de saluer ceux que l'on appelle les bienfaiteurs du pays, l'on a décidé que cette der- nière réception aurait lieu en plein air.

Le long de la façade du château qui regarde

382 ADIEUX A TOUS DANS LE JARDIN

leTréport et la mer, devant un magnifique parterre à la française, ombragé d'arbres centenaires et bordé de massifs de rosiers en fleurs, sur un vaste perron, viennent prendre place M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris, M. le duc d'Or- léans, la princesse Hélène, le duc de Chartres, le prince Henri d'Orléans, le duc d'Aumale, le prince de Joinville, le duc d'Alençon. Autour des princes se groupent les personnes attachées à leur maison et les amis les plus intimes.

Le défilé commence, et dure pendant près de deux heures. Avec un calme et un ordre parfaits, cette foule d'amis, souvent obscurs ou inconnus, s'approche et vient apporter son tribut d'hom- mages respectueux à ces princes qu'ils ont appris depuis longtemps à aimer. M. le comte de Paris, Ma- dame la comtesse de Paris, tendent la main à tous, et il est touchant de voir ces braves gens, dont un grand nombre en blouse, s'approcher tremblants, les yeux remplis de larmes, et presser avec émo- tion ces mains qui leur sont si affectueusement données. On ne peut rappeler, malheureusement, tous les incidents émouvants qui se produisent, toutes les paroles qui s'échangent; c'est un spec- tacle qui ne s'oubliera pas dans ce pays, et qui por- tera ses fruits. La princesse Hélène, avec sa grâce charmante, et le duc d'Orléans, dont on remarque la bonne mine et l'allure mâle, serrent également avec empressement toutes ces mains tendues vers

VIVE EMOTION DÈS ASSISTANTS 383

eux. On songe avec tristesse à ce jeune prince, qui, dans un âge l'on ne s'occupe que de jeux ou d'études, va faire le dur apprentissage de la vie et connaître les amertumes de l'exil.

Après cette foule respectueuse et attendrie, les princes reçoivent les sénateurs et les députés royalistes. M. le comte de Paris leur adresse ses adieux, leur dit qu'il s'éloigne, contraint, forcé, de sa chère patrie, mais qu'il ne cessera un seul jour de travailler au bonheur et au relèvement de la France. Ces paroles, prononcées avec feu, pro- duisent une émotion profonde parmi tous les représentants du pays.

M. de Baudry d'Asson, député de la Vendée, lui exprime avec chaleur la profonde sympathie des Vendéens.

Le moment du départ approchait, et les princes s'apprêtaient à prendre le chemin de l'exil, quand un grand nombre d'ouvriers, de femmes et d'en- fants qui n'avaient pu encore être reçus, deman- dent la faveur de les voir une dernière fois. Le défilé, interrompu un moment, recommence donc, il estpeut-êtreplus émouvant queles réceptions pré- cédentes. Madame la comtesse de Paris, qui s'était contenue jusque-là, ne peut retenir ses larmes en serrant toutes ces mains amies et dévouées. Un ouvrier dit en s'essuyant les yeux : « Je suis plus heureux que ce pauvre prince, je rentrerai chez moi ce soir. » Un grand nombre de marins du

384 DÉPART DU CHÂTEAU

Tréport étaient venus avec leurs femmes et leurs enfants, et baisaient en pleurant les mains de Madame la comtesse de Paris.

A deux heures, après avoir fait leurs adieux à leurs enfants, à M. le duc d'Aumale, à M. le prince de Joinville et à M. le duc d'Alençon, M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris quittent le château d'Eu, accompagnés de M. le duc d'Orléans et de M. le duc de Chartres. Le long des allées qui mènent du château à la grille, sur la place, ainsi que sur les marches de l'église et sur la ter- rasse qui l'entoure, tous les habitants s'étaient groupés, et, tête nue, attendaient le passage des voitures, qui allaient conduire jusqu'au Tréport les exilés et leurs compagnons.

Dans la première se trouvaient M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris, ayant devant eux le duc d'Orléans et le duc de Chartres. Puis venaient sept autres voitures emmenant les prin- cipales personnes de la suite des princes, ainsi que quelques-uns de leurs amis intimes. Les voi- tures prennent la route du Tréport. Sur leur pas- sage aucun cri ne se fait entendre, tant l'émotion étreint tous ces braves gens, dont les figures inondées de larmes expriment la douleur qu'ils éprouvent en voyant partir les princes exilés. Les chapeaux, les mouchoirs, s'agitent, et l'on suit des yeux, aussi loin que l'on peut, les voitures qui s'éloignent rapidement. Des ouvriers, abandon-

d'eu au tréport 385

liant leurs travaux des champs, accourent et crient : « Au revoir, Monseigneur! »

La route magnifique qui mène au Tréport tra- verse la belle propriété d'Eu, que le prince s'était plu à embellir et avait doté de tous les perfection- nements de l'agriculture moderne. Tous les chan- gements opérés dans ces dernières années étaient l'œuvre personnelle du prince, et son activité incessante lui avait permis de surveiller tous les détails de cette importante organisation '.

Pendant que M. le comte de Paris et sa suite se dirigent vers le Tréport, une foule énorme se masse depuis plusieurs heures tout autour du bassin dans lequel chauffe le paquebot Victoria.

Plus de vingt mille personnes avaient pris place sur les quais, aux fenêtres des maisons et des hôtels, partout d'oi^i l'on pouvait voir le départ.

Le service d'ordre était fait par les brigades de gendarmerie de la ville et des environs, par le 24* de ligne et par les douaniers. Un espace libre avait été réservé sur le quai pour laisser passer M. le comte de Paris et sa suite. Auprès de la pas- serelle par laquelle il devait s'embarquer sur le bateau, avaient pris place les sénateurs, les dépu- tés et les représentants de la presse. Les autres assistants entouraient le bassin comme s'ils avaient pris place dans un immense cirque.

1. Voir appendice VI : M^'' le comte de Paris, agriculteur.

386 EMBARQUEMENT DE M''' LE COMTE DR PAIMS

A deux heures et demie, la voiture de M. le comte de Paris, marchant en tête du cortège, ap- paraît à l'extrémité du port, devant l'hôtel d'An- gleterre, et traverse le pont qui conduit au quai d'embarquement.

A ce moment, un silence solennel se fait dans la foule. Tous les cœurs sont serrés, tous les yeux se tournent vers l'endroit par lequel arrive le prince. Les voitures viennent de s'arrêter en face du bateau. M. le comte de Paris, en redingote noire boutonnée, avec un chapeau haut de forme, descend de voiture, s'engage sur la passerelle et va prendre place sur le pont de la Victoria.

Au moment précis il met le pied sur le ba- teau, le pavillon national aux trois couleurs est hissé au haut du grand mât, et, s'abaissant par trois fois, salue le descendant de saint Louis et d'Henri IV.

On avait offert à M. le comte de Paris d'arborer un drapeau portant sur les couleurs nationales les armes de sa maison : « Non, rien que la France, rien que le drapeau français, » avait répondu le prince.

A la vue du drapeau national, les acclamations éclatent. On crie : « Vive le comte de Paris ! »

Le prince se découvre, salue d'abord le drapeau, ensuite la foule, et crie d'une voix forte : « Vive la France ! »

Autour de luiont prisplace :Madame la comtesse

ACCLAMATIONS DE LA FOULE 387

de Paris, le duc d'Orléans, le duc de Chartres et son fils aîné, le prince Henri; le duc de Noailles, le duc de la Trémoille, le marquis d'Harcourt, le comte d'Haussonville, le marquis de Beauvoir, M™" la vicomtesse de Butler, dame d'honneur de Madame la comtesse de Paris; MM. le comte de la Ferronnays, le comte Olivier de Bondy, baron de Chabaud la Tour, Saint-Marc -Girardin, Aubry- Vitet, marquis d'Audiffret-Pasquier, de Saporta, Camille Dupuy, secrétaire particulier du prince; Froment, précepteur du duc d'Orléans.

M. le comte de Paris, se souvenant du titre qu'il porte, et de la ville il est né, a invité spéciale- ment M. Calla, ancien député de Paris, et MM. Ga- mard, Cochin, Despatys et Dufaure, conseillers municipaux de Paris, à raccompagner jusqu'en Angleterre.

Quelques personnes, parmi lesquelles M. le baron V.de Noirfontaine, M.deLéris, M. Barnard, du New-York Herald, avaient, par une faveur exceptionnelle, été autorisées à suivre les princes jusqu'à Douvres, et complétaient le nombre des passagers de la Victoria.

Au moment Madame la comtesse de Paris prend place à côté du prince, on lui présente des bou- quets qui viennent d'arriver. C'est un envoi de quelques amis désireux de voir les exilés empor- ter des fleurs de France sur la terre étrangère.

La passerelle est retirée ; on lève l'ancre. Les

388 l'émotion est générale

cris de : « Vive le comte de Paris ! » redouJilent. Ils prennent le caractère d'une immense ovation.

Le comte de Paris, dont la pâleur trahit la vive émotion, s'écrie : Au revoir^ à bientôt.

Le bateau commence à s'éloigner lentement, obligé de s'arrêter de temps en temps par suite de la difficulté qu'il avait à sortir du port au moment la marée n'est pas encore tout à fait haute. L'émotion est générale, et, les yeux baignés de larmes, les assistants veulent le suivre jusqu'au dernier moment. Ils se pressent le long du quai et se dirigent jusqu'à l'extrémité de la jetée en poussant les cris mille fois répétés de : « Vive la France ! Vive le comte de Paris ! Vive le roi ! Au revoir, à bientôt ! » Les acclamations ne s'arrêtent que lorsque le bateau, sorti du port, a pris la haute mer. A ce moment, le pavillon tricolore s'abaisse trois fois pour adresser un dernier salut à la terre de France.

Après le départ, un grand silence se fait ; tout le monde est dans le recueillement, la foule s'é- coule lentement; le quai, le port, si animés un ins- tant avant, sont bientôt déserts. Un mot courait dans toutes les bouches, exprimant l'impression produite par cette scène, émouvante dans sa sim- plicité. « C'est un départ royal, disait l'un, mais il faut aussi que le retour soit royal. » « Ils ont cru, disait un autre, en proscrivant nos princes que c'était la fin. Non : c'est le commencement. »

VIVE LE roi! 389

Oui, le commencement d'une lutle sans relâche, les souvenirs de ce jour doubleront tous les courages. Dieu ne refuse jamais les grandes revanches à qui sait les mériter.

L'impression produite au Tréport et à Eu par le départ de M. le comte de Paris fut profonde. L'ova- tion avait été spontanée, un courant s'était produit en une seconde dans la foule, qui se porta du port jusqu'à l'extrémité de la jetée, et tandis que les amis intimes du prince, obéissant aux avis qui leur avaient été donnés, criaient seulement : Vive le comte de Paris! du côté de la jetée, se trou- vaient principalement les pécheurs, dix mille cris de : Vive le roi ! retentirent....

Une grande partie des barques du port n'étaient pas sorties dans la matinée, et les marins avaient mis les pavillons en berne. Le commissaire de la marine ordonna d'enlever complètement ces pa- villons. Quatre bateaux appartenant à M. Lemaire Duponchel, armateur, ayant cependant gardé leurs pavillons en berne, le commissaire de la marine fit enlever lui-même ces signes de deuil ; mais, au moment du départ de la Victoria, l'une de ces barques, la Marie-Reine-du-Ciel suivit le bateau qui emmenait M. le comte de Paris, et l'accom- pagna à une certaine distance, avec son pavillon en berne.

« Quand on vit les soldats de ligne et les gen- darmes échelonnés le long des quais, dit un jour-

390 ANECDOTES SUR LE DÉPART DU PRINCE

liai, on pensait que cette force armée était pour réprimer toute protestation séditieuse. La plupart des assistants avaient cette opinion, et cela est si vrai, qu'une femme du port disait, au moment du dépari : « C'est bien triste tout de même. Quand « je pense combien le comte a été bon pour nous « en payant l'enterrement de mon homme, et (c l'école de mes enfants, je voudrais bien lui crier « quelque chose aussi, mais j'ai mes enfants à éle- « ver et je ne peux pas aller en prison ! » Et cette femme entraînée cria : Vive le Roi !

« Il est vrai que pour d'autres, des gens vérita- blement sincères dans leur naïveté, la présence de la troupe n'avait pas le même but.

« Gomme on s'étonnait, devant un homme du pays placé à côté de moi, qu'on eût fait venir des troupes pour les laisser inactives devant la mani- festation, le bon Tréportain dit avec sa grosse candeur : «Mais c'est bien sur pour faire honneur aux princes qu'il y a des soldats. »

« A côté de l'ensemble si grandiose du spec- tacle, il y eut les incidents typiques, dont chacun a pu être témoin. Un gendarme le malin avait dit aux gens qui se trouvaient : « Je vous en sup- « plie, ne criez rien, car si vous criez : Vive le roi! « je serai obligé de vous arrêter, et si vous criez : « Vive la République! ça ni'em...nuiera.... »

Un bataillon d'infanterie, envoyé au Tréport sous prétexte de proléger le départ des exilés.

LES SOLDATS PRÉSENTENT LES ARMES 391

avait été rangé en bataille, l'arme au pied, paral- lèlement à la ligne des quais. La foule attendait, grave et recueillie, rendant ainsi par son calme un tel déploiement de forces complètement inu- tile, et les officiers, attristés du rôle qu'on leur faisait jouer, se tenaient à quelque distance de leurs hommes. Tout à coup, au moment même les voitures qui amènent la famille royale arrivent sur la place, une voix haute et claire se fait en- tendre, prononçant distincement les trois com- mandements :

« Garde à vous !... Portez armes !... Présentez

armes !... »

Les soldats, croyant obéir au commandement d'un de leurs officiers, exécutent les mouvements. Nous connaissons l'auteur de cette spirituelle plai- santerie. Il faisait ainsi présenter les armes au chef de la maison de France partant pour l'exil.

M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris ne peuvent détourner les yeux du rivage de cette France dont on veut les chasser à jamais. Ayant auprès d'eux le duc d'Orléans, le duc de Chartres et le prince Henri, ils demeurent immo- biles, jetant un regardsur cette foule qui agite des mouchoirs en signe d'adieu, mais dont l'éloigne- ment les empêche d^entendre les acclamations et les

cris. Cependant un dernier cri : Au revoivl à bientôt l retentit auprès d'eux : c^est le pilote qui quitte le bord, et les rameurs qui le ramènent

392 DERNIER SALUT DU DRAPEAU TRICOLORE

à terre, dans une petite chaloupe, ont voulu une dernière fois pousser ce cri d'espérance. M. le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris, le cœur brisé, répondent par le même cri : A bien- tôt ! Nous reviendrons /...

Le bateau gagne la pleine mer. De la terre, des acclamations le suivent plus ardentes que jamais, et alors M. le comte de Paris, dont la voix ne peut plus s'entendre, fait faire le salut du drapeau. Au- tour du bateau, dix ou douze barques de pêcheurs y répondent par un salut pareil. Longtemps la foule suit des yeux la Victoria qui s'éloigne, puis, lentement, elle se disperse et le même mot est sur toutes les lèvres :

« Quand on part ainsi, on revient. »

Qu'aurait-elle dit, cette foule, si elle avait connu la magnifique protestation de M. le comte de Paris? Quels accents, quel superbe langage ! Gomme il va faire vibrer l'àme de la patrie, en lui montrant le jour prochain du salut. Gomme c'est bien un fils de France qui parle à la France !

Le temps est magnifique, mais la mer est restée houleuse, et le vapeur qui s'avance rapidement roule assez rudement par moment. Soixante-dix milles séparent le Tréport de Douvres, mais la Victoria sous toute vapeur fait près de dix-sept nœuds à l'heure, et la terre ne tarde pas à dispa- raître à l'horizon.

M. le comte de Paris invite alors ses compa-

M. DUFEUILLE 393

gnons à descendre dans le grand salon qui se trouve à l'arrière du vapeur et leur communique la protestation qu^il a cru de son devoir d'adresser au peuple français. Ses mesures sont prises pour que ce document soit connu le lendemain dans toute la France.

Un homme jeune et actif, M. Dufeuille, est chargé de ce soin, et a dû, pour cela, renoncer à se trouver au Tréport, le 24 juin. Ancien chef de cabinet de M. Buffet, M. Dufeuilîe sut montrer dans ses fonctions un tact parfait et un grand sens politique. M. le comte de Paris, en l'atta- chant à sa personne, a trouvé en lui un serviteur fidèle et habile, au dévouement intelligent, et qui fait aimer le prince.

Ancien rédacteur au Journal des Débats et au Français, M. Dufeuille écrit à merveille, et élu- cide une question dans la perfection. Il a rapide- ment appris à connaître les hommes; d'une grande franchise d'allures, très ouvert, très en dehors, c'est une personnalité qu'un prince comme M. le comte de Paris, qui veut tout savoir, tout con- naître, apprécie à sa valeur. C'est un homme enfin, qui, au risque de déplaire, saurait dire la vérité au prince, s'il croyait qu'il y eût intérêt pour lui à la connaître. Qualité précieuse, et qui est autant à reloge du serviteur, assez franc pour tout dire, qu'à celui du prince, au cœur assez élevé pour vouloir tout entendre.

394 PROTESTATION DE M"' LE COMTE DE PARIS

Personne, même dans l'enloLirage intime du prince, ne connaissait cette protestation, qui, écoutée dans un religieux silence, produit un effet énorme.

A la voix chaude et vibrante de M. le comte de Paris, tous sentent renaître en leurs cœurs et le courage et l'espérance.

Voici cette protestation :

Contraint de quitter le sol de mon pays, je proteste, au nom du droit, contre la violence qui m'est faite.

Passionnément attaché à la patrie, que ses malheurs m'ont rendue plus chère encore, j'y ai, jusqu'à présent, vécu sans enfreindre ses lois. Pour m'en arracher, l'on <;hoisit le moment je viens d'y rentrer, heureux d'avoir formé un lien nouveau entre la France et une nation amie.

En me proscrivant on se venge sur moi des trois mil- lions et demi de voix qui, le 4 octobre, ont coudanmc les fautes de la Réj)ublique, et l'on cherche à intimider ceux qui, chaque jour, se détachent d'elle.

On poursuit en moi le principe monarcliicjue dont le dépôt m'a été transmis j)ar celui qui l'avait si noblement ■conservé.

On veut séparer de la France le chef de la glorieuse famille qui l'a dirigée, pendant neuf siècles, dans l'œuvre de son unité nationale, et ([ui, associée au j)enplc dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, a fondé sa gran- deur et sa [)rospérité.

On espère qu'elle a oublié le règne heureux et pacilicjue de mon aïeul Louis-Philippe et les jours plus récents mon frère et mes oncles, après avoir combattu sous son

PROTESTATION DE M^"" LE COMTE DE PARIS 395

drapeau, servaient loyalement dans les rangs de sa vail- lante armée.

Ces calculs seront trompés.

Instruite par l'exjjérience, la France ne se méprendra ni sur la cause, ni sur les auteurs des maux dont elle souffre. Elle reconnaîtra que la monarchie, traditionnelle par son principe, moderne par ses institutions, peut seule y porter remède.

Seule, cette monarchie nationale dont je suis le repré- sentant peut réduire à l'impuissance les hommes de désor- dre qui menacent le repos du pays, assurer la liberté poli- tique et religieuse, relever l'autorité, refaire la fortune publique.

Seule, elle peut donner à notre société démocratique un gouvernement fort, ouvert à tous, supérieur aux partis, et dont la stabilité sera pour l'Europe le gage d'une paix dui'able.

Mon devoir est de travailler sans relâche à cette œuvre de salut. Avec l'aide de Dieu et le concours de tous ceux qui partagent ma foi dans l'avenir, je l'accomplirai.

La République a peur : en me frapjiant elle me désigne.

J'ai conliance dans la France. A l'heure décisive je sei'ai prêt.

Eu, lo 24 juin 1880.

Philippe, comtk de Paris.

A sept heures un quart, malgré une mer assez forte, la Victoria arriva en vue de Douvres et longea la jetée. Les couleurs françaises sont aus- sitôt hissées au haut du sémaphore pour rendre hommage aux exilés. Les bateaux en rade arbo-

396 ALLOCUTION DU MAIRE DE DOUVRES

rcnt également le pavillon français. La Victoria arrive bien avant l'heure annoncée; mais la foule est néanmoins très considérable, et M. le comte de Paris est acclamé et accueilli par trois formida- bles hourrahs.

Le maire de Douvres et sa femme, qui tient à la main un bouquet, s'avancent les premiers sur la passerelle du bateau. Le maire adresse au prince le discours de bienvenue suivant :

MONSEIGXEUR,

Gomme maire de ces anciens forts et de la ville, je m'em- |)resse de vous offrir à vous, à Madame et à votre famille, la plus cordiale bienvenue ; à votre arrivée à la côte anglaise, je suis heureux de vous exi)rimer les sympathies des habitants, dans ces circonstances douloureuses qui ont amené votre départ et vous ont obligés à chercher un asile dans un pays étranger.

Nous espérons que vous allez prendre la résolution de vous fixer en Angleterre ; le séjour vous y sera fait aussi agréable que possible dans des moments aussi rudes que ceux que vous traversez.

Acceptez l'expression de notre profond respect.

M. le comte de Paris répond en anglais ;

Je vous suis très reconnaissant de me souhaiter la bien- venue au moment mon cœur vient d'être déchiré en quittant le sol de la patrie.

Ma famille à plusieurs reprises, et moi pendant vingt ans, nous avons éprouvé la loyauté de votre hospitalité. J'en garde une jn-ofonde reconnaissance.

LE DRAPEAU FRANÇAIS 397

Ce qui me touche au delà de tout, c'est de voir ces dra- peaux français que vous avez hissés à ces mâts ; ils parlent à mon cœur comme vos chaleureuses acclamations.

Aussitôt après le maire de Douvres, M. et M"' Alexandre Lambert de Sainte-Croix arrivèrent sur le bateau : c'est d'eux que M. le comte de Paris reçoit le premier salut français sur la terre étrangère.

Les princes et leur suite se rendirent au Lord Warden Hôtel, ils restèrent quelques jours avant de partir pour Tunbridge-Wells.

Alors qu'il s'apprêtait à quitter l'hôtel pour recon- duire Madame la comtesse de Paris au bateau qui doit la ramener en France par Calais, le prince, entiant dans le salon qui lui était réservé, en res- sort aussitôt, et, appelant Madame la comtesse de Paris et le marquis d'AudifïVet-Pasquier, les invite à le suivre dans cette pièce. Là, le prince leur montre, sans pouvoir ajouter une parole, tellement il est ému, un grand drapeau français qui couvrait de ses plis aux trois couleurs un canapé placé au milieu du salon. Ce drapeau était celui qui durant toute la traversée avait flotté au grand mât du vapeur, et que le capitaine Stubbs, par une atten- tion bien touchante, était venu apporter en l'ab- sence du prince. M. le comte de Paris saisit le drapeau, et la voix entrecoupée de larmes s'écrie : « Ce drapeau est tout ce qui me reste de ma chère France, mais je l'y rapporterai! »

398 MADAME LA COMTESSE DE PARIS REJOINT

Madame la comtesse de Paris prend alors un des bouquets qui avaient été déposés sur le bateau au moment du départ et le place au pied du drapeau.

Madamela comtesse deParis, inquiètedela santé de la princesse Louise, malgré le déchirement que lui causait une séparation en un tel moment, avait hâte de se retrouver au chevet de la chère malade. Le soir même, encore tout émue, elle quitta Lord Warden Hôtel avec M. le comte de Paris, suivi de son fils le duc d'Orléans, du duc de Chartres, du prince Henri d'Orléans et de tous ceux qui l'avaient accompagnée.

M. le duc de Chartres rentra aussi en France, laissant son fils le prince Henri pour quelques jours près du jeune duc d'Orléans. M. le comte de Paris voyait donc commencer pour lui l'exil dans les conditions les plus pénibles, et une doulou- reuse séparation terminait cette journée si rem- plie déjà d'épreuves et d'émotions.

Devant le vapeur qui va tout à l'heure emporter loin du prince Madamela comtesse deParis, le duc de Chartres et ces amis fidèles, ceux qui vont partir comme ceux qui restent sur la terre étrangère comprennent mieux encore tout ce que l'exil a de cruel.

Le matin, en France, c'étaient les adieux d'un peuple à son roi, qui avaient consolé pour un moment les cœurs, en les remplissant de l'enthou- siasme ardent dont loule cette foule était animée;

LE SOIR MEME LA PRINCESSE LOUISE MALADE 399

mais le soir, en Angleterre, sur cette jetée, au milieu d'étrangers, le déchirement de la sépara- tion s'imposait dans toute sa rigueur.

M. le comte de Paris fait ses adieux à tous, et trouve encore de bonnes paroles pour chacun; puis après avoir tendrement embrassé Madame la com- tesse de Paris, serré une dernière fois la main du duc de Chartres, le prince remonte tristement avec trois ou quatre de ses plus fidèles amis sur l'estacade, au bas de laquelle est amarré le bateau qui s'apprête à partir. Madamela comtesse de Paris presse contre son cœur le duc d'Orléans, qui va rejoindre son père. Le bateau s'éloigne alors, et les Français qui retournent en France crient une der- nière fois : « A bientôt. Monseigneur ! » Pendant quelques instants encore on distingue, se profi- lant sur le ciel, la haute silhouette du prince, im- mobile , suivant aussi longtemps qu'il le peut ce bateau se trouvent des amis qui, plus heureux que lui, vont bientôt revoir la France.

L'impression profonde produite en France par le départ du prince, et son arrivée sur la terre d'exil, avaient trouvé un écho dans toute l'Eu- rope. Non seulement M. le comte de Paris avait fait entendre une éloquente protestation contre l'exil qui le frappait, mais il avait encore tracé en quelques lignes un programme complet de gou- vernement. Les républicains, eux-mêmes, durent

400 IMPRESSION PRODUITE PAR LA PROTESTATION

reconnaître le caractère élevé et patriotique du langage tenu par le chef de la maison de France. Ceux qui assistèrent à son départ du Tréport fu- rent les témoins de l'une des grandes scènes de notre histoire; M. de Freycinet, dans son dis- cours, avait désigné M. le comte de Paris pour le trône : la foule immense, qui l'a suivi jusqu'au rivage, a fait de son exil un couronnement. Tous les rangs de la société étaient confondus au châ- teau d'Eu ; les plus grands noms de France comme les plus humbles, les ouvriers, les pêcheurs, les femmes, les enfants, étaient unis dans un même sentiment. On a bien eu ainsi le spectacle de la royauté qui convient à notre société démocra- tique.

Par son manifeste, M. le comte de Paris a mon- tré qu'il avait à la fois le sens de la démocratie et le sentiment de l'autorité. La France sait qu'elle a le droit d'espérer en lui parce qu'il personnifie son avenir ! Elle le sait, et elle non plus ne faillira pas à son devoir.

M. le comte de Paris a le grand mérite de savoir tout entendre. A l'occasion de sa protestation du 24 juin, il s'entretenait en Angleterre avec des amis venus de France, quand l'un d'eux lui ma- nifesta son étonnement d'y avoir trouvé une allu- sion à M. le comte de Ghambord.

Le prince lui répondit par les paroles suivantes qui nous ont été rapportées le lendemain même :

l'article du « SOLEIL » 401

Je n'ai accompli que deux actes politiques dans ma vie: le premiei% à Frolisdorf, le 5 août 1873; le second, le 7 juillet 1883, quand M. le comte de Chambord, me pressant sur son cœur et m'embrassant, me dit avec une émotion que je partageais : « Vous savez quel dépôt je vous confie! »

Je n'ai pas voulu, par souci de je ne sais quelle vaine popularité, passer sous silence le nom du chef de ma mai- son, quand pour la première fois j'allais parler à la France

Parmi les articles publiés par la presse, à cette occasion, je me contenterai d'en reproduire deux : l'un, du Soleil., de M. Edouard Hervé; l'autre du journal anglais le Standard. M. Hervé s'exprime ainsi dans un article intitulé : L'Héritier.

Elle est exécutée, l'odieuse mesure qui arrache du sol de la France le premier de tous les Français. Hier, le comte de Paris, après avoir fait arborer les couleurs nationales au grand mât du bateau qui était venu le chercher, a tra- versé la mer.

L'exil est commencé : il sera court.

Oui, l'exil sera court : nous en avons pour gage le mou- vement d'opposition qui va sans cesse grandissant contre un gouvernement violent parce qu'il est faible, et les trois millions et demi de votes conservateurs qui, bientôt, se changei'ont en six millions de votes monarchiques.

Nous en avons pour gage le concours de tant de bons citoyens venus pour saluer l'exilé, àla veille, ou au moment de son départ, et les sentiments de tous ceux qui, dans l'impossibilité de participer matériellement à cette mani- festation, s'y sont associés par le cœur.

26

402 l'article du « soleil «

Nous en avons pour gage, enfin, la parole virile par laquelle le comte de Paris termine sa protestation.

Il est prêt pour l'heure décisive. Il a confiance dans la France : elle aura confiance en lui. Elle sent déjà et chaque jour elle sentira davantage qu'en dehors de la Monarchie qui se personnifie en lui, elle ne trouvera pas le repos dont elle a besoin après tant d'agitations.

Pour réconcilier les diverses fractions de la grande famille française, séparées par de longues discordes, il fallait être en mesure de donner à chacune d'entre elles la satisfaction à laquelle elle tient le plus.

Il fallait représenter en même temps la monarchie an- cienne et la monarchie nouvelle : par conséquent, il fallait être à la fois le successeur de M. le comte de Ghambord et le continuateur de Louis-Philippe.

Il fallait pouvoir rallier en même temps les républicains désabusés et les impérialistes découragés ; par conséquent, il fallait avoir à la fois le sens de la démocratie et le senti- ment de l'autorité.

Ces conditions qui semblaient presque inconciliables, le comte de Paris les réunit toutes. Il est donc impossible de ne pas voir que l'avenir de la France est là.

Nos adversaires le voient comme nous. C'est pour cela qu'ils sont irrités ; c'est pour cela qu'ils frappent, c'est pour cela qu'ils proscrivent.

Quand un gouvernement approche de sa fin, il y a toujours en vue un homme, une famille ou un système politique qui se trouve désigné pour recueillir la succes- sion.

L'héritage de la République va s'ouvrir. Or, parmi tous ceux qui pensent, parmi tous ceux qui prévoient, il n'est

l'article du « STANDARD » 403

personne qui, en i^egarclant le chemin parcouru dej)uis trois ans par le comte de Paris et la situation hors de pair qu'il occupe aujourd'hui, ne se dise : l'héritier, le voilà !

La République n'a pas seulement cessé depuis longtemps d'être conservatrice : elle s'est mise dans l'impossibilité de le redevenir.

Les honnêtes gens ont besoin d'être défendus. Ils savent qu'ils seront abandonnés, à l'heure du danger, par un gou- vernement qui ne sait jamais que capituler devant les mauvaises passions. Ils se détournent de lui.

La France veut l'ordre. La République ne peut plus le lui garantir. La Monarchie le lui assurera.

Voici maintenant en quels termes le Standard souhaita la bienvenue à M. le comte de Paris :

Un hôte illustre est débarqué hier sur nos rivages ; on lui a fait une réception dont la cordialité respectueuse a été digne et de lui et de nous. L'Angleterre a été le refuge d'exilés célèbres appartenant à toutes les nationalités, mais nous osons le dire, jamais son hospitalité n'a été offerte avec plus d'empressement à aucun exilé politique qu'elle ne l'est à présent à l'héritier de la seconde des plus an- ciennes couronnes d'Europe, au représentant des grandes maisons de Bourbon, de Condé, de Valois et d'Orléans, au prince dans les veines duquel court le sang d'une lignée de rois. Ce brave et honorable gentleman, qui, en toute occasion, s'est montré digne du grand nom qu'il porte, a été chassé de son pays avec défense d'y rentrer sous peine d'amende et d'emprisonnement. Il a quitter la France, parce que la France (la France oflicielle) a peur de lui.

404 INSTRUCTIONS DE M^'^ LE COMTE DE PARIS

Tel est rhumiliant aveu qu'ont fait les ministres et les législateurs de la République en votant la loi sur l'expulsion des princes. L'État ne se sent pas assez fort pour assurer sa sécurité tant que les princes n'ont pas franchi ses fron- tières. La démocratie moderne, comme l'ancienne, doit recourir aux moyens désespérés, à l'ostracisme, pour se

débarrasser d'un homme qu'elle croit trop puissant

Les républicains peuvent faire disparaître la royauté ; mais ils ne peuvent faire disparaître cet intérêt que toutes les classes en France portent à ses représentants. Ils ne peuvent empêcher les grandes puissances de recevoir les princes et de les traiter en égaux, alors qu'elles n'ont que de la politesse pour la cour républicaine de l'Elysée.

Quinze mois après cet exil immérité, M. le comte de Paris, dans un langage d'une saisis- sante clarté, envoya ses « Instructions aux re- présentants du parti monarchiste en France ». Le 15 septembre 1887, au malin, toutes les villes de France pouvaient lire le document suivant :

INSTRUCTIONS DE MONSEIGNEUR LE COMTE DE PARIS AUX REPRÉSENTANTS DU PARTI MONARCHISTE EN FRANCE.

A de graves périls a succédé un calme apparent. L'hon- neur en revient principalement aux monarchistes de la Chambre. Ils ont, en effet, compris que leur rôle était déterminé [)ar leur nombre même. S'ils n'étaient qu'une faible minorité, ils devraient se borner à d'énergiques et incessantes protestations. S'ils étaient la majorité, ils auraient à prendre la responsabilité du pouvoir. Mais, assez nombreux pour peser d'un juste poids surlesdéci-

INSTRUCTIONS DE M"' LE COMTE DE PARIS 405

sions de l'Assemblée, la direction des affaires n'est cependant pas entre leurs mains. Ils ne doivent donc s'occuper aujourd'hui que de défendre les intérêts conser- vateurs et la fortune publique, sans aggraver les crises parlementaires dont la République donne le trop fréquent spectacle. C'est ce qu'ils ont fait avec un rare patriotisme dans une récente et mémorable circonstance. Ils ont ainsi bien mérité de la France conservatrice.

Mais ce calme apparent dissimule mal les périls de l'avenir. Les considérations électorales qui dominent une Chambre, elle-même toute-puissante, stérilisent tous les efforts tentés pour rétablir l'ordre dans les fmances. L'instabilité du pouvoir exécutif isole la France en Europe. La tranquillité matérielle est à peine assurée. Partout la faction triomphante opprime le reste des citoyens. Per- sonne enfin n'a confiance dans le lendemain.

Cette situation impose d'autres devoirs aux monarchis- tes dans le pays. N'étant pas liés devant la Nation comme ils le sont dans le Parlement, par un mandat limité, ils ont une tâche plus large à remplir. Ils doivent montrer à la France combien la Monarchie lui est nécessaire et combien le rétablissement en serait facile. Ils doivent la rassurer sur les dangers imaginaires de la transition, lui prouver que cette transition peut s'effectuer légalement. En vain le Congrès a-t-il proclamé l'éternité de la Répu- blique. Ce qu'un Congrès a fait, un autre peut le défaire, et le jour la France aura manifesté clairement sa volonté, aucun obstacle de procédure n'empêchera la Monarchie de renaître.

Toutefois, instruit par une triste expérience, le pays croit peu aux transformations légales et régulières de son

406 INSTRUCTIONS DE M^'' LE COMTE DE PARIS

état politique. Son histoire, malheureusement, lui fournit trop (le raisons de prévoir une de ces crises violentes qui semblent avoir pris dans notre vie nationale un caractère périodique. Si une telle crise se produit, la Monarchie peut et doit en sortir. Mais elle ne l'aura pas provoquée. La crise sera l'œuvre de certains républicains, soit que les passions et les souffrances populaires, exploitées par des ambitions criminelles, amènent des troubles civils, soit qu'une faction politique ait recours à la force pour s'empa- rer du pouvoir suprême. Le jour la légalité aura été violée, la Monarchie apparaîtra comme l'instrument néces- saire du rétablissement de l'ordre et le gage de la con- corde.

Mais il est bon que la France sache d'avance ce que sera celte Monarchie. Le moment est favorable pour le lui dire, pour l'avertir qu'elle ne marquera pas un retour en arrière. Il faut lui montrer que le principe de la tradition histori- que, avec sa merveilleuse souplesse, peut s'adapter aux institutions modernes ; qu'il apportera au gouvernement de notre société démocratique l'élément pondérateur qui manque sous le régime républicain, et cju'il jouera dans cette société un rôle non moins efficace que dans les vieilles monarchies européennes qui se sont pacifiquement trans- formées.

Si la Monarchie capétienne a constitué l'unité et déve- loppé la puissance de la France à travers toutes les vicissitudes de notre longue histoire, c'est qu'elle a eu pour origine de sa grande mission un véritable pacte national, pacte conclu aux premières heures de cette histoire entre ceux qui représentaient alors la France naissante et la famille dont le sort devait rester uni au

INSTRUCTIONS DE M""" LE COMTE DE PARIS 407

sien dans la mauvaise comme dans la bonne fortune. Pour fonder après tant] de révolutions un gouvernement dont la base soit plus ferme et plus large qu'une simple prise de possession du pouvoir ou une délégation de la souverai- neté du nombre, il faut faire revivre la tradition histori- que par un accord librement consenti enlre^la Nation et la famille dépositaire de cette tradition. Cet engagement réciproque consacrant le droit historique et liant, comme tous les contrats, les générations futures, peut seul garan- tir à la fois la stabilité dont la France a besoin pour repren- dre son rang en Europe, et la vraie liberté qui est surtout la protection des faibles.

Ce pacte ancien sera remis en vigueur, au nom de la France, soit par une Assemblée constituante, soit par le vote populaire. Par cela même qu'elle est inusitée sous la Monarchie, cette dernière forme est plus solennelle et peut mieux convenir à un acte qui ne doit pas se renouve- ler. Elle permet de donner, sans retards, une assise solide à la Constitution. Un gouvernement porté par l'opinion publique comme le sera la Monarchie le jour de son avè- nement n'a rien à craindre de cette consultation directe

de la Nation.

* *

C'est au suffrage universel direct que doit appartenir le choix des députés. Grâce à son origine antique et à son établissement nouveau, la Monarchie sera assez forte pour concilier la pratique du suffrage universel avec les garan- ties d'ordre que lui demandera le pays dégoûté du parle- mentarisme républicain. Le pays voudra un gouvernement fort, parce qu'il comprend très bien que même le véritable régime parlementaire, celui qui, sous la Monarchie, a jeté

408 INSTRUCTIONS DE M^''' LE COMTE DE PARIS

tant d'éclat de 1815 à 1848, n'est pas compatible avec une Assemblée élue par le suffrage universel. Il faut modifier le mécanisme pour l'adapter ii ce nouveau et puissant moteur. Sous la République, la Chambre gouverne sans contrôle. Sous la Monarchie, le roi gouverne avec le con- cours des Chambres.

A côté de la Chambre des députés, une autorité égale appartiendra au Sénat, en majeure partie électif, et qui réunira dans son sein les représentants des grandes forces et des grands intérêts sociaux. Entre ces deux Assem- blées, la Royauté, ayant ses ministres pour interprètes, pouvant s'appuyer sur l'une ou sur l'autre, sera éclairée, guidée, mais non asservie. Il suffira d'une modification de nos pratiques parlementaires pour maintenir cet équilibre et prévenir toute domination exclusive de l'une ou l'autre Chambre. Le budget, au lieu d'être voté annuellement, sera désormais une loi ordinaire et ne pourra, par consé- quent, être amendé que par l'accord des trois pouvoirs. Chaque année, la loi de finances ne comprendra que les modifications proposées par le Gouvernement au budget antérieur. Si ces propositions sont rejetées, tous les ser- vices ])ublics ne seront pas suspendus et les intérêts privés compromis, comme par le refus du budget. Et, cependant, les vrais principes constitutionnels seront scrupuleusement respectés, car aucun nouvel impôt ne pourra être établi, aucune dépense nouvelle ne sera décidée, sans le consente- ment des élus de la Nation.

A ces élus reviendra également la tâche de discuter librement toutes les questions qui intéressent le pays, d'écouter toutes les protestations que pourra soulever l'action gouvernementale. Si ces protestations sont légi-

INSTRUCTIONS DE M?'' 1,E COMTE DE PARIS 409

times, ils en seront les premiers interprètes et l'adhésion de l'autre Assemblée ne leur fera pas défaut. Mais un caprice de la Chambre des députés ne pourra plus, à l'im- proviste, paralyser la vie publique et la politique nationale.

La Monarchie devra rétablir l'économie dans les finances, l'ordre dans l'administration, l'indépendance dans l'exer- cice de la justice. Elle devra relever pacifiquement notre situation en Europe, nous faire respecter et rechercher par nos voisins. Les Ministres qui la serviront dans cette grande entreprise ne sauraient en poursuivre la réalisa- tion avec persévérance s'ils ont la crainte de voir leurs efforts interrompus par un simple accident parlementaire. Ils se sentiront affranchis de cette crainte le jour ils seront responsables, non plus devant une seule Chambre omnipotente, mais devant les trois pouvoirs investis de la puissance législative. Ainsi, les Députés, ne pouvant plus élever ou renverser les ministères, n'exerceront plus cette influence abusive qui est aussi funeste pour l'Assemblée que pour l'administration.

Les Constitutions ne valent que par l'esprit dans lequel elles sont ap[)liquées. La France le sait bien. Il importe donc, avant tout, de la convaincre que la Monarchie nou- velle saura satisfaire à la fois ses besoins conservateurs et sa passion de l'égalité.

Sous la protection du gouvernement monarchique, la France pourra recouvrer, dans la paix et le travail, sa pros- périté d'autrefois. Grâce à la confiance inspirée par la solidité de ses institutions, elle aura l'autorité nécessaire ])Our traiter avec les puissances et poursuivre l'allégement simultané des charges militaires qui ruinent la vieille Europe au profit des autres parties du monde.

410 INSTRUCTIONS DE M^'"" LE COMTE DE PARIS

La Monarchie accordera à tous les cultes la protection qu'un gouvernement éclairé doit aux croyances qui con- solent l'âme humaine des misères terrestres, élèvent les cœurs et fortifient les courages. Elle garantira au clergé le respect qui lui est pour l'accomplissement de sa mis- sion. En restituant aux communes, dans le domaine des choses scolaires, l'indépendance qu'une législation tyran- nique leur a ravie, elle rendra à la France la liberté de l'éducation chrétienne. Elle assurera aux associations reli- gieuses, comme aux autres, la liberté qui deviendra, sous certaines conditions d'ordre public, le droit commun de tous les Français, au lieu d'être, comme aujourd'hui, le privilège d'un parti. Ainsi sera rétablie la paix religieuse qu'une [)olitique intolérante a si profondément troublée.

La Monarchie mettra les traditions militaires à l'abri des fluctuations de la politique en donnant à l'armée un chef incontesté et immuable. La permanence du comman- dement au sommet aura pour conséquence la solidité de la discipline à tous les degrés de la hiérarchie.

La stabilité de son gouvernement lui permettra de s'ap- pliquer avec suite à l'étude des problèmes que soulève la condition de nos populations laborieuses des villes et des campagnes, de poursuivre l'amélioration de leur sort et d'adoucir leurs souffrances. Loin d'exciter les unes contre les autres les différentes classes qui concourent à produire la richesse nationale, elle s'efforcera de les réconcilier et d'amener ainsi la pacification sociale.

Dans notre société en transformation, une courte période de seize années a vu surgir, de|)uis le hameau jusqu'à la capitale, ce que les républicains ont appelé « les nouvelles couches ». Des hommes nouveaux sont arrivés en grand

INSTRUCTIONS DE M?^ LE COMTE DE PARIS 411

nombre à conquérir une part d'influence qu'ils ne possé- daient pas encore. Ils l'auraient acquise sous tout autre gouvernement, car ce progrès légitime de leur condition est le fruit des bienfaits de l'instruction et de la lente ascension qui, à travers les siècles de notre histoire, a rapproché les différentes classes de la société. Mais ils croient la devoir à la République. Ils continueront a en jouir, il faut qu'ils le sachent, sous l'égide de la Monar- chie Le maintien du suffrage universel, pour toutes les fonctions actuellement électives, et de la nomination des maires par les conseils municipaux dans les communes rurales, sera leur principale garantie.

De même, les modestes serviteurs de l'Etat qui ont cagné leur situation par leur travail ne seront pas menacés parce qu'ils la tiennent de la République. Si, d'une part, toutes les victimes de la persécution républicaine sont assurées de recevoir l'ample réparation qui leur est due, d'autre part les exploiteurs et les indignes qui avihssent leurs fonctions auront seuls à redouter l'avènement d'un pouvoir honnête et juste.

La Monarchie ne sera pas la revanche d'un parti vain- queur sur un parti vaincu, le triomphe d'une classe sur une autre classe. En élevant au-dessus de toute compéti- tion le dépositaire du pouvoir exécutif, elle fait de lui le gardien suprême de la loi devant laquelle tous seront égaux. Que dès aujourd'hui tous les bons citoyens, tous les patriotes dont le régime actuel a déçu les espérances, compromis les intérêts, blessé la conscience, se joignent aux ouvriers de la première heure pour préparer le salut commun! Qu'ils secondent les efforts de celui qui sera le Roi de tous et le premier serviteur de la France!

412 LE PROGRAMME ROYAL

Aucun commentaire n'est nécessaire en pré- sence d'un programme aussi nettement défini : aucune équivoque n'est possible. Le chef de la maison de France s'adresse à tous les bons ci- toyens, aux anciens défenseurs de la monarchie, aux conservateurs indécis ou indifférents, comme aux républicains déçus dans leurs espérances. 11 les convie tous au relèvement de la patrie. Pas un homme de bonne foi ne pourra lire ces I/istructlo/is, sans être frappé de la hauteur de vues, de la largeur d'idées, enfin, des moyens pratiques que M. le comte de Paris indique, pour rallier à son gouvernement tous les Fran- çais soucieux de voir restaurer un régime seul capable d'assurer l'ordre public et la grandeur nationale.

Fidèle aux glorieux souvenirs de ses aïeux, les rois de France, depuis Hugues Gapet, Louis YI qui affranchit les communes, saint Louis qui donna ces Institutions justement célèbres, jus- qu'à Louis XI, Henri IV, Louis XIV, Louis XVIII, et enfin son aïeul Louis-Philippe P"", M. le comte de Paris juge avec un grand sens politique (neuf siècles juste après Hugues Gapet) quelle est la monarchie nouvelle qui convient à la France de 1887.

D'âge en âge, la monarchie n'a pas cessé de se transformer comme la société, et ce fut son excellence comme sa gloire. Le prince sait que

LE PROGRAMME ROYAL 413

la France ne supporterait , ni une monarchie absolue, ni une monarchie licencieusement parlementaire. Ce qu'elle veut, c'est, non un sabre brutal, mais une main sûre, ferme, réso- lue, qui sache tenir les rênes du pouvoir sans faiblesse et avec autorité. Voilà pourquoi M. le comte de Paris, avec une hardiesse qu'aucun prétendant n'eut jamais, propose à la France une monarchie héréditaire et constitutionnelle, autoritaire et libérale, qui affermisse son titre historique par un contrat national, qui ne favo- rise aucune classe, mais s'applique à la paci- fication sociale, qui laisse enfin à la démocratie son expansion, tout en marquant à son action un point fixe, pour assurer la stabilité de l'État. D'un bout de la France à l'autre, l'impression produite par ces Instructions a été profonde. Les républicains ont affecté d'abord une indiffé- rence bientôt démentie par des articles haineux, la colère, l'inquiétude, étaient visibles. L'un d'eux pourtant a déclaré que c'était le document le plus considérable qui ait paru depuis 1848. La plupart sentent bien que le moment approche, la France lassée et excédée de ce régime sans dignité, sans prévoyance et sans sécurité qui la perd, secouera leur joug. Aussi s'eftrayenl- ils de voir le.s défections augmenter chaque jour parmi eux : ils avouent que la lutte se trouve simplifiée, et qu'il ne reste plus en pré-

414 CONCLUSION

sence que deux gouvernements : la République, appelée à devenir de jour en jour plus violente et jacobine; et la Royauté, tutélaire des droits de chacun, faisant respecter les lois égales pour tous, et enfin un pouvoir fort, dans une nation libre. A l'étranger môme, la sensation a été très grande. Beaucoup de souverains, pleins d'estime pour M. le comte de Paris, ne soupçonnaient pas ses brillantes qualités de chef d'Etat, et le prince a trouvé en Europe un grand succès personnel

Notre tâche est terminée. Nous avons essayé de faire connaître l'existence, si bien remplie, de M. le comte de Pa^ns, ce prince à qui, a-t-on dit avec justesse, « rien n'est étranger dans notre siècle, et qui, représentant du pkis illustre passé, héritier de soixante rois, s'avance aux yeux de la patrie et du monde, sous l'éclat des gloires et des bienfaits que, depuis douze siècles, ses aïeux ont accumulés pour la France ».

Une réflexion s'impose quand on achève la lec- ture de cette vie si belle de M. le comte de Paris, depuis le 24 février 1848, depuis ce jour le trône de son grand-père, le roi Louis-Philippe, fut brisé par la moins justifiée des insurrections. Il est impossible de ne pas être frappé du patrio- tisme ardent qui, toute sa vie, a guidé I\I. le comte de Paris. Amour de l'étude, persévérance dans le

CONCLUSION 415

travail, passion du métier des armes, telles sont les qualités qui distinguent le chef de la maison de France. Écrivain bien français, préoccupé des questions sociales les plus graves, il montre tou- jours une abnégation complète de lui-même, comme en 1873 lorsqu'il s'efface devant M. lecomte de Chambord. On le voit, en tout et sur tout, guidé par un seul mobile, l'intérêt de la patrie, qu'il aime passionnément.

Quand, après la mort de M. Thiers, disparais- sent brusquement le fils de Napoléon II F, pure et noble victime au cœur chevaleresque et généreux; puis M. Gambetta, dont tous les eflorts tendaient à devenir président d'une république autoritaire; enfin, quand on voit M. le comte de Chambord expirer à soixante-trois ans, après avoir conservé intact le dépôt de la monarchie traditionnelle, héréditaire, ne seinble-t-il pas que la Providence tient en réserve, pour le salut du pays, ce prince qui, par son éducation, son caractère, ses goûts, est en pleine harmonie avec les aspirations de notre société démocratique ?

Le petit-fils du roi Louis-Philippe sera vrai- ment le roi de tous, « un roi à l'avènement duquel il n'y aura ni vainqueurs ni vaincus, un roi que pourront acclamer les ouvriers comme les patrons, les nobles comme les bourgeois, les républicains désabusés comme les légitimistes en deuil du

416 CONCLUSION

comte de Ghambord, et les bonapartistes du prince impérial : la volonté nationale concourra ainsi avec la volonté divine pour relever la monarchie, et, par cette monarchie, la France^ ».

La France, que le noble et touchant adieu du 24 juin 1886 avait profondément remuée, a ac- cueilli avec une vive émotion et une admiration reconnaissante les « Instructions de M^"" le comte de Paris aux représentants du parti monarchiste en France », le 15 septembre, et partout on dit maintenant : « Oui, c'est bien le roi qu'il nous faut ! »

La lumière se fait dans les villes comme dans les campagnes. La République atteint le paysan dans ses affections, en envoyant ses fils verser inutilement leur sang au Tonkin ; elle l'atteint dans ses intérêts, en augmentant chaque jour les impôts; aujourd'hui aux abois, elle ne peut plus nier le gaspillage inouï de nos finances, si pros- pères quand le maréchal de Mac Mahon quitta le pouvoir les conservateurs l'avaient placé.

Le suffrage universel secouera le joug des répu- blicains qui ruinent le pays.

On essayera de falsifier les votes, on tentera peul- clre de recommencer un 18 fructidor en cassant les arrêts du pays par un coup de force; cela importe peu. Il n'y a pas d'exemple qu'un peuple violenté,

1. f.e liai de tous, brochure parue chez Dentu à la fin de 1883.

CONCLUSION 417

opprimé dans ses aspirations légitimes, ne finisse par recouvrer ses libertés.

Alors la nation, profitant de l'expérience et des progrès du passé, retrouvera cette liberté sage et féconde qui a fait jadis sa force, et elle acclamera le roi de France, qui, réparant les ruines accumu- lées par cent ans de révolutions, rendra enfin au pays, avec le prestige du droit monarchique héré- ditaire, la prospérité, la grandeur et la paix.

27

APPENDICE

I. Procès-verbal de la naissance de Mg^ le comte de Paris, d'après le Moniteur du 25 août 1838.

II. Sur la naissance de M^^ le comte de Paris, pièce de vers par Alfred de Musset. Paris, 29 août 1838.

III. Description de l'épée offerte à Ms^ le comte de Paris parle conseil municipal de la ville de Paris. 2 mai 1841.

IV. L'artillerie en Amérique pendant la guerre de sécession (1862), par Ms-- le comte de Paris.

V. Liste des cadeaux ofTerts à S. A. R. Madame la princesse Amélie de France, duchesse de Bragance, à l'occasion de son mariage, 15 mai 1886.

YI. Ms"" le comte de Paris, agriculteur.

YII. Liste par ordre alphabétique des personnes qui se sont rendues au château d'Eu et au Tréport pour saluer Mg' le comte de Paris avant son embarquement, le 24 juin 1886.

I

PROCÈS-VERBAL

DE LA NAISSANCE DE S. A. R. MONSEIGNEUR LE COUTE DE PARIS

Voici ce qu'on lisait au Moniteur du 25 août 1838, à la partie

non officielle :

Paris, le 24 août.

Aujourd'hui 24 août, à deux heures cinquante minutes après midi, S. A. R. M""® la duchesse d'Orléans est heu- reusement accouchée d'un prince qui, d'après les ordres du roi, a reçu le nom de Louis-Philippe- Albert d'Orléans, comte de Paris. Le comte de Paris et son auguste mère sont en parfaite santé.

Le matin, entre huit heures et neuf heures. Son Altesse Royale ressentit les premières douleurs ; aussitôt des mes- sagers ont été envoyés par M. le général baron Athalin, aide de camp du roi, au nom de Sa Majesté, pour avertir M. le président du conseil et tous les ministres, M. le chan- celier de France, M. le grand référendaire de la Chambre des pairs, M. le maréchal comte Gérard, grand chancelier de la Légion d'honneur ; M. le maréchal comte de Lobau, commandant en chef des gardes nationales du départe- met de la Seine, de se rendre aux Tuileries.

A dix heures, le roi, la reine, tous les princes de la famille royale, la grande duchesse de Meklembourg, S. A. R. M^'' le duc Alexandre de Wurtemberg étaient réunis au pavillon Marsan, sont arrivés successivement M. le comte Mole, président du conseil et tous ses collè- gues, M. le baron Pasquier, chancelier de Finance, accom-

■j22 PROCES-VERBAL DE LA NAISSANCE

pagué de M. le duc Decazes, grand référendaire, et de M. Gauchy, garde des archives; M. le maréchal comte de Lobau, M. le maréchal comte Gérard, témoins désignes par Sa Majesté.

Le roi a fait inviter à se rendre au pavillon Marsan : M. Dupin, président de la Ciiambre des députés; M. le comte Portails, premier président de la cour de cassation ; M. le comte Siméon, premier président de la cour des comptes; M. le baron Seguier, premier président de la cour royale de Paris; M. le général comte Pajol, comman- dant de la 1'''^ division militaire; M. le comte de Rambu- teau et M. Delessert, préfets; M. le général Jacqueminot, chef de l'état-major général de la garde nationale, et les dames et officiers de la maison royale.

A deux heures, le roi a fait entrer dans la chambre de la princesse M. le comte Mole, président du conseil des ministres; M. le baron Pasquier, chancelier de France ; M. le duc Decazes, grand référendait-e de la Chambre des pairs; M. le maréchal comte Gérard, et M. le maréchal comte de Lobau, témoins désignés.

A deux heures cinquante minutes, S. A. R. M™'' la du- chesse d'Orléans, qui a fait preuve du plus grand cou- rage au milieu de ses souffrances, a mis au monde un prince bien portant.

Aussitôt M. le comte Mole est sorti de la chambre en s'écriant : Nous avons un prince ! Ces mots ont été accueil- lis par les cris répétés de : Vive le Roi !

S. A. R. le duc d'Orléans, qui, pendant tout le temps du travail, n'avait cessé de prodiguer à la j)rincesse les soins les plus touchants, a fait éclater une vive satisfaction ; le roi était profondément ému ; le bonheur rayonnait sur son

DE M^"" LE COMTE DE PARIS 423

visage. Il s'est approché du lit de sa belle-fille et l'a tenue longtemps dans ses bras.

La reine, couverte de larmes de joie, s'est précipitée dans le salon oii étaient les autres assistants, tenant le nou- veau-né dans ses bras, et le leur a présenté.

Une foule nombreuse, et qui s'augmentait à chaque ins- tant, stationnait devant la cour des Tuileries, devant le pavillon Marsan. Elle a fait éclater d'unanimes marques de satisfaction en apprenant que le prince venait de naître.

M. le colonel Delarue, aide de camp du ministre de la guerre, a été porter l'ordre de tirer une salve de 101 coups de canon pour annoncer à toute la population parisienne la venue d'un prince, gage nouveau de la perpétuité de la monarchie constitutionnelle et de tous les biens qu'elle assure à la France.

Après l'accouchement, quelques accidents sont surve- nus, qui se sont promptement dissipés. Ce soir, la prin- cesse est bien ; l'état du prince n'a pas cessé de rester satisfaisant.

M^' l'archevêque de Paris, qui devait ondoyer l'enfant, s'est rendu avec empressement aux Tuileries. La cérémo- nie a eu lieu dans la chapelle des Tuileries. C'est la reine elle-même qui portait son petit-fils.

Le roi a adressé immédiatement une lettre autographe au corps municipal de Paris, pour lui annoncer la naissance de S. A. R. le comte de Paris.

A cinq heures, le roi a reçu les félicitations du corps diplomatique, qui s'était rendu à l'invitation de Sa Ma- jesté. Le jeune prince, porté par M""' la maréchale com- tesse de Lobau, dame d'honneur de S. A. R. M"^ la du- chesse d'Orléans, lui a été présenté.

424 PROCÈS-VERBAL DE LA NAISSAKCK

Dans sa partie officielle, le même numéro du Moniteur uni- versel contenait :

Le procès-verbal de la naissance du prince ;

Son acte de naissance reçu par le baron Pasquier, chancelier de France, remplissant les fonctions d'officier de l'état civil, avec Elie, duc Decazes, grand référendaire de la Chambre des pairs, accompagné de Eugène-Fran- çois Cauchy, garde des archives de la Chambre des pairs, en présence de Très Haut, Très Puissant et Très Excel- lent prince Louis-Philippe, premier du nom. Roi des Fran- çais, et de Très Haute, Très Puissante, et Très Excellente Princesse Marie- Amélie, Reine des Français ;

En présence aussi de très haute et très puissante prin- cesse Auguste-Frédérique de Hesse-Hombourg, grande duchesse héréditaire douairière de Mecklembourg-Schwe- rin, belle-mère de S. A. R. M™* la duchesse d'Orléans;

En présence également de très hauts et très puissants princes Henri - Eugène - Philippe - Louis d'Orléans, duc d'Aumale, et Antoine-Marie-Philippe-Louis d'Orléans, duc de Montpensier, fils de Leurs Majestés ( LL. AA. RR. le duc de Nemours et le prince de Joinville étant absents pour le service du Roi), de très haute et très puissante princesse Marie-Clémentine-Caroline-Léopoldine, prin- cesse d'Orléans, fille de Leurs Majestés ; de très haute et très puissante princesse Eugénie-Adélaide-Louise d'Or- léans, sœur du roi, et de très haut et très puissant prince Frédéric-Guillaume-Alexandre, duc de Wurtemberg, gendre de Leurs Majestés ;

Comme aussi en présence de Mathieu-Louis, comte Mole, président du conseil des ministres ; de Félix Barthe, garde des sceaux ; de Simon, baron Bernard, ministre au

DE M""" LE COMTE DE PARIS 425

département de la guerre ; de Claude-Marie Ducampe de Rosamel, ministre au département de la marine et des colonies; de Marthe-Camille Bachasson, comte de Monta- livet, secrétaire d'Etat au département de l'intérieur; de Nicolas-Ferdinand-Maine-Louis-Joseph Martin (du Nord), ministre au département des travaux publics, de l'agricul- ture et du commerce ; et de Jean-Pierre- Joseph Lacave- Laplagne, ministre au département des finances; de Nar- cisse-Achille de Salvandy, ministre au département de l'instruction publique ;

En présence pareillement des témoins désignés par le roi, à l'effet du présent acte, savoir : Maurice-Etienne comte Gérard, maréchal de France; et George INIouton, comte de Lobau, maréchal de France ;

Sur la déclaration à nous faite par très haut et très puissant prince Ferdinand-Philippe-Louis-Charles- Henri d'Orléans, duc d'Orléans, Prince royal, père du Prince nouveau-né.

Suivent les si<(natures.

II

s UR

LA NAISSANCE DU COMTE DE PARIS

De tant de jours de deuil, de crainte et d'espérance, De tant d'efforts perdus, de tant de maux soufferts, En es-tu lasse enfin, pauvre terre de France, Et de tes vieux enfants l'éternelle inconstance Laissera-t-elle un jour le calme à l'univers?

Comprends-tu tes destins et sais-tu ton histoire? Depuis un demi-siècle as-tu compté tes pas? Est-ce assez de grandeur, de misère et de gloire? Et, sinon par pitié pour ta propre mémoire, Par fatigue du moins t'arrêteras-tu pas?

Ne te souvient-il plus de ces temps d'épouvante de quatre-vingt-neuf résonna le tocsin? N'était-ce pas hier, et la source sanglante Paris baptisa sa liberté naissante, La sens-tu pas encor qui coule de ton sein?

A-t-il rassasié ta fierté vagabonde, A-t-il pour les combats assouvi ton penchant, Cet homme audacieux qui traversa le monde. Pareil au laboureur qui traverse son champ, Armé du soc de fer qui déciiire et féconde?

S'il te fallait alors des spectacles guerriers. Est-ce assez d'avoir vu l'Europe dévastée, De Memphis à Moscou la terre disputée, El l'étranger deux fois assis à nos loyers, Secouant de ses pieds la neige ensanglantée?

PIÈCE DE VERS PAR ALFRED DE MUSSET 427

S'il te faut aujourd'hui des éléments nouveaux, En est-ce assez pour toi d'avoir mis en lambeaux Tout ce qui porte un nom, gloire, philosophie, Religion, amour, liberté, tyrannie; D'avoir fouillé partout, jusque dans les tombeaux?

En est-ce assez pour toi des vaines théories, Sophisme monstrueux dont on nous a bercés, Spectre républicain sorti des temps passés. Abus de tous les droits, honteuses rêveries D'assassins en délire ou d'enfants insensés?

En est-ce assez pour toi d'avoir en cinquante ans Vu tomber Robespierre et passer Bonaparte, Charles X pour l'exil partir en cheveux blancs; D'avoir imité Londre, Athènes, Rome et Sparte; Et d'être enfin Français n'esl-il pas bientôt temps?

Si ce n'est pas assez, prends ton glaive et ta lance, Réveille tes soldats, dresse tes échafauds; En guerre! et que demain le siècle recommence, Afin qu'un jour du moins le meurtre et la licence, Repus de notre sang, nous laissent le repos !

Mais si Dieu n'a pas fait la souffrance inutile, Si des maux d'ici-bas quelque bien peut venir. Si l'orage apaisé rend le ciel plus tranquille, S'il est vrai qu'en tombant sur un terrain fertile Les larmes du passé fécondent l'avenir;

Sache donc profiter de ton expérience. Toi qu'une jeune reine, en ses touchants adieux, Appelait autrefois plaisant pays de France! Connais-toi donc toi-même, ose donc être heureux. Ose donc franchement bénir la Providence!

428 PIÈCE DE VERS PAR ALFRED DE MUSSET

Laisse dire à qui veut que ton grand cœur s'abat, Que la paix t'affaiblit, que les forces s'épuisent : Ceux qui le croient le moins sont ceux qui te le disent. Ils te savent debout, ferme et prête au combat ; Et ne pouvant briser ta force, ils la divisent.

Laisse-les s'agiter, ces gens à passion,

De nos vieux harangueurs modernes parodies;

Laisse-les étaler leurs froides comédies,

Et les deux bras croisés te prêcher l'action :

Leur seule vérité, c'est leur ambition.

Que t'importent des mots, des phrases ajustées? As-tu vendu ton blé, ton bétail et ton vin? Es-tu libre? les lois sont-elles respectées? Crains-tu de voir ton champ pillé par le voisin? Le maître a-t-il son toit, et l'ouvrier son pain?

Si nous avons cela, le reste est peu de chose. Il en faut plus pourtant, à travers nos remparts, De l'univers jaloux pénètrent les regards. Paris remplit le monde, et lorsqu'il se repose, Pour que sa gloire veille il a besoin des arts.

les vit-on fleurir mieux qu'au siècle nous sommes? Quand vit-on au travail plus de mains s'exercer? Quand fûmes-nous jamais plus libres de penser? On veut nier en vain les choses et les hommes : Nous aurons à nos fils une page à laisser.

Le bruit de nos canons retentit aujourd'hui;

Que l'Europe l'écoute! elle doit le connaître.

France, au milieu de nous un enfant vient de naître,

Et si ma faible voix se fait entendre ici.

C'est devant son berceau que je te parle ainsi.

PIÈCE DE VERS PAR ALFRED DE MUSSET 429

Son courageux aïeul est ce roi populaire

Qu'on voit depuis huit ans, sans crainte et sans colère,

En pilote hardi, nous montrer le chemin ;

Son père est près du trône, une épée à la main;

Tous les infortunés savent quelle est sa mère.

Ce n'est qu'un fils de plus que le Ciel t'a donné; France, ouvre-lui tes bras sans peur, sans flatterie; Soulève doucement ta mamelle meurtrie. Et verse en souriant, vieille mère patrie, Une goutte de lait à l'enfant nouveau-né.

Alfred de Musset. Paris, 29 août 1838.

II

DESCRIPTION DE L'EPEE

OFFERTE A S. A. R. MONSEIGNEUR LE C 0 M T E D E PARIS

PAR LE CONSEIL MUNICIPAL DE LA VILLE DE PARIS

EN 1838

M. Froment Meurice la décrit ainsi :

Le 24 août 1838, la ville de Paris résolut de faire pré- sent d'une épée au prince qui venait de naître. M. le comte de Rambuteau était alors préfet de la Seine ; les temps sont bien changés !

Les nécessités d'une exécution difficile et recherchée ne permirent pas cjue le don fût terminé avant le mois de mai 1841 ; il était d'ailleurs magnifique, digne de la ville qui l'offrait, digne du prince qui le recevait.

On avait demandé la coiii[)Osition à un statuaire illustre, Jules Klagmann, et confié la fabrication à MM. Fossin et Lepage ; le choix était heureux.

Jules Klagmann, dans toute la fraîcheur de son talent, donna aux quatre principales ligures de la poignée et de la coquille le caractère de grâce ample et souple qui est comme le cachet spécial de ce maître ; il mit particulière- ment l'empreinte de son style dans les figures debout, qui portent les attributs de la Prudence et de la Force. Après plus de quarante ans, combien est justifié le choix de ces figures allégoriques : patiente j)rudence dans la conduite de la vie ; force calme et résolue à l'heure des décisions. Monsieur le comte de Paris n'est-il pas tout entier?

l'épée de m""" le comte de paris 431

On chargea le célèbre armurier Lepage de fondre, de forger et de sculpter l'acier de la poignée et de la garde, de tremper et de ciseler la lame oii se déroule un délicat bas-relief.

Klagmann n'était pas seulement statuaire; sa science d'ornemaniste, que n'eût pas désavouée un Florentin du seizième siècle, anima les formes simples de la poignée par l'introduction de figurines, de petits génies, d'enfants, dont les lignes se combinent avec celles de l'ornementation. Rien de décousu, rien de heurté ; les détails enveloppés se fondent dans un profil harmonieux; aucun angle ne blesse ni les yeux ni la main ; l'arme peut être maniée sans fa- tigue, pourvu que le bras soit robuste, et cette condition- là, elle est remplie de reste, si l'on en croit le témoignage de Porter et de Mac Clellan sur les batailles de Fair-Oaks et de Gaine's Mills.

La solide construction de cette épée était un peu sévère pour un jeune prince ; il fallait la revêtir d'un coloris chaud; il fallait y ajouter la richesse de l'or, des émaux et des pierreries ; nul n'était plus apte à cette tâche que le joaillier dont le goût raffiné faisait loi à cette date. Un esprit parisien, une rare distinction naturelle, marquaient la place de Fossin dans le milieu vivaient Alfred ' de Musset et Pradier, Victor Hugo et Delacroix, Ingres et Balzac, dans ce groupe sur lequel régnait, moins par droit de naissance que par l'empire de la séduction, le brillant et charmant duc d'Orléans.

Ce n'était pas la république athénienne, mais c'était Athènes.

Fossin eut donc mission de décorer le fourreau, en tôle rubannée, d'un réseau d'arabesques déliées alternent

432 l'ÉPÉE de M'"" LE COMTE DE PARIS

l'or et l'émail, de repousser en or les figurines de la poi- gnée et celles qui sont couchées sur la coquille : d'un côté, la Ville de Paris, couronnée de tours ; de l'autre, la Fortune propice, appuyée sur la corne d'abondance.

C'est aussi l'orfèvre qui a serti, au centre de la garde, trois pierres précieuses de l'eau la plus pure : un sapliir, un diamant et un rubis, pour former le drapeau tricolore et le mettre dans la main du comte de Paris ; enfin, c'est encore l'orfèvre qui a écrit en lettres d'or sur le noir de l'acier, cette fière devise : Urbs dédit, patriœ prosit

Je trouve ailleurs les autres curieux détails suivants sur cette épée :

La poignée est dédiée à la Force et à la Prudence ; elle est en acier fondu, forgé et sculpté ; les figures et une partie des ornements sont d'or repoussé ou incrusté. Sur un des côtés, une figure, coiffée d'un casque dont le cimier est un serpent, et tenant dans la main droite un miroir, re- présentant la Prudence sur le revers de cette partie de la poignée, une figure très énergiquement campée person- nifie la Force. Au milieu de la coquille, un enfant (le jeune prince) repose sur le vaisseau, symbole de la ville de Paris. De chaque côté, les regards fixés sur l'enfant, une figure : l'une couronnée de tours, est la Ville de Paris ; l'autre, la Fortune propice. Au-dessus, un lion couché auprès d'un serpent qui enlace la garde. Sur le devant de la garde, le coq gaulois, aux ailes déployées, au col gonflé, s'apprête au combat. Il repose sur trois j)ierrcs d'une grande beauté : un rubis, un saphir, un briUant, qui sont le rouge, le bleu et le blanc du drapeau de la Fi-ance. Une

l'épée de m"'' le comte de paris 433

couronne de prince royal en or plein, supportée par quatre petits génies, forme le pommeau, et la garde se ter- mine par un dragon protégeant l'écu les armes du prince sont gravées et émaillées.

La lame, dédiée à la Guerre, est décorée de gravures sur acier et d'incrustations d'or. Sous la poignée, cette inscription en lettres d'or : Au comte de Paris, sa i'illc na~ taie, 24 août 1838 ; sur le revei's, cette devise en relief : IJrhs dédit, Patrige prosit. La face de la lame est ornée d'un bas-relief taUlé dans l'acier : c'est une Bellone, montée sur un char de bataille traîné par quatre chevaux emportés que cingle son fouet de serpents. Devant le char, deux Furies fendent l'air, l'une porte un masque de Gorgone, l'autre agite des flambeaux; derrière le char, des loups, des oi- seaux de proie. Puis un lugubre cortège : un vieillard qu'on emporte, un guerrier frappé en combattant, des femmes, des jeunes filles, des enfants qui tombent ou fuient, des hommes implorant la justice céleste derrière laquelle l'Agriculture et l'Industrie s'abritent. Enfin, Minerve, appuyée sur un cippe surmonté du coq gaulois, déchaîne un lion et le lance sur Bellone.

Le fourreau est dédié à la Victoire et à la Paix. La bé- lière et le bout du fourreau sont d'or, les ornements repous- sés et semés d'arabesques en émail. Sur la partie supé- rieure, les figures de la Victoire et de la Paix avec leurs attributs : au-dessous de la Paix, la Science, l'Art et l'In- dustrie ; au-dessous de la Victoire, des trophées, des lau- riers, des clairons. Dans les rinceaux, des enfants [)Ortent des couronnes triomphales ou des couronnes de blé, de vigne ou d'olivier.

Le fourreau a été forgé en tôle rubannée,puis aplati; il est

28

434 l'épée de m^"" le comte de paris

sans soudure sur les côtés. Lu lame a été forgée de plu- sieurs couches d'acier : la couche intérieure est en acier fondu; la couche supérieure en acier plus tendre, afin qu'une fois la trempe donnée on pût la sculpter et la graver sans la soumettre au recuit qui altère la dureté du tran- chant et l'élasticité de l'épée.

Ce n'est point seulement une arme de parade, c'est aussi une épée de combat ; elle dort dans son fourreau, à portée de la main royale, attendant le jour le prince la pourra tirer pour le salut et l'honneur de la France. Urbs dédit, Patrlx prosit ! Le vœu de la Ville de Paris sera exaucé : cette arme, donnée par elle, relèvera la patrie.

IV L'ARTILLERIE EN AMÉRIQUE

PENDANT LA GUERRE DE SÉCESSION (1862)

A l'époque il était interdit à tout journal français de prononcer seulement le nom d'aucun des princes d'Or- léans, le Journal de Genève publia à la fin du mois de juin 1862 l'intéressante lettre suivante écrite par M^' le comte de Paris pendant le siège de Yorktown.

3 mai 18G2.

« Nous sommes en ce moment arrêtés devant York-

town, par une longue ligne d'ouvrages élevés au milieu des bois, et couverts par un ruisseau marécageux et impra- ticable, qui coupe la péninsule comprise entre le York et le James River. Une armée, à peu près égale en nombre à la nôtre, les défend. Ces ouvrages s'appuient à Yorktown, qui, avec Gloucester de l'autre côté du York River, est la clef de cette rivière. C'est pour la possession de cette ma- gnifique voie de communication que nous nous battons aujourd'hui. Si nos transports peuvent y entrer, nous irons presque sans coup férir jusqu'à huit ou dix lieues de Richraond.

« Le soldat américain paraît ici à son avantage. S'il n'a pas l'esprit militaire, l'élan, la confiance mutuelle du soldat européen, s'il marche mal et ne peut se séparer de ses bagages, il est brave individuellement, et est pionnier. La péninsule que nous occupons est couverte, presque

436 l'' ARTILLERIE EN AMERIQUE

entièrement, par la forêt vierge et coupée de ravins, de fondrières et d'immenses marécages. Aujourd'hui, elle est sillonnée en tous sens de routes construites dans ce difficile terrain, qui relient entre elles toutes nos divisions ou conduisent à nos travaux d'approche. Ceux-ci commen- cent à prendre des proportions considérables, et la nature du i)ays leur donne un caractère tout particulier.

c( Nous avons pu, grâce à de profonds ravins, construire des routes parfaitement couvertes, jusqu'à douze cents mètres de la place, et élever des batteries au milieu des bois, dont la présence ne sera révélée à l'ennemi, que lorsque nous abattrons le rideau d'arbres qui les masque. J'attends avec la plus grande impatience que nos batteries ouvrent le feu, car il y aura là, au point de vue de l'artil- lerie, des expériences très curieuses à faire. Les canons rayés régnent ici sans partage. Pour commencer par l'en- nemi, je dois lui rendre la justice que les siens sont fort justes, et qu'il les tire avec une précision extraordinaire. Il faut dire qu'il connaît parfaitement le terrain, et que depuis six mois il s'y exerce. Il paraît avoir une grande variété de canons ; quelques-uns sont neufs, d'autres sont d'anciennes pièces en fonte de 32 qu'il a rayées. Ses pro- jectiles sont en général des obus pesant entre soixante et quatre-vingts livres, cylindro - coniques, et se for- çant tous par l'expansion. Les uns ont, à la base, un anneau de plomb, d'autres, une plaque de cuivre. Cette partie se détache, avant de nous arriver, mais elle doit prendre les rayures, car à trois mille deux cents mèti-es le tir de l'ennemi a une justesse remarquable. Une i)arque chargée de bombes s'étant échouée à cette distance, tandis qu'elle portait ses projectiles à l'une de nos batteries, au

l'artillerie en AMÉRIQUE 437

fond d'une baie, l'ennemi }- a immédiatement fait éclater deux obus. Il emploie presque toujours la fusée à per- cussion.

« Nos canons sont fabriqués d'après deux systèmes diffé- rents : celui de M. Parrot et celui de M. Rodman. Le canon Parrot est une pièce de fonte, renforcée à la culasse par une bande de fer battu, roulée après que la pièce a été refroidie. Il y en a de tous les calibres, depuis le 10 jusqu'à 200. Les petites pièces portent trois rayures, les plus fortes neuf. Le projectile porte à la base un cercle de cuivre d'environ six centimètres de large sur deux cen- timètres d'épaisseur qui se force dans les rayures.

« Le canon Rodman est fait comme l'Armstrong en ru- bans de fer battu, mais d'après un système de fabrication très simple, très économique et que je crois parfaitement sûr. Il n'y en a que de deux calibres : la pièce de campagne ayant un diamètre de trois pouces (anglais et lançant un boulet de huit à neuf livres; celle de siège, diamètre quatre pouces et demi, poids du boulet trente-six livres. Le pro- jectile porte un culot de plomb ; mais je crois qu'on lui en substituera un autre, car on lui a trouvé le double inconvé- nient d'avoir le centre de gravité en arrière du centre de ligure et de remplir si bien les rayures qu'il intercepte le vent, et ne permet pas à la fusée de s'allumer.

« Les seules pièces que nous avons essayées sont les Parrot de siège. Les pièces de 100 n'ont pas encore été bien réglées et leurs boulets ne prennent pas toujours les rayures ; mais la j)ièce de 200, unique encore dans son genre, a donné les meilleurs résultats; je les ai observés moi-même, et les voici en quelques mots :

a On a ouvert le feu sur un « pier » abordent les

438 l'artillerie en Amérique

petits bateaux de l'ennemi, et situé à quatre mille mètres de notre batterie. La pièce a été brisée sous un angle de quinze degrés avec seize livres de poudre. Des hommes stationnés avec des signaux dans une autre direction obser- vaient les coups. Ils n'ont jamais varié que de quelques mètres d'élévation. La déviation à droite est très régulière, et il suffit de deux coups pour savoir comment elle est affectée par le vent. Les obus à percussion qu'on a tirés d'abord n'ont pas éclaté, sans doute, parce qu'à une pa- reille distance, ils n'arrivaient pas exactement, par la pointe. On a alors essayé les fusées à temps, en ayant soin d'enduire de collodion la tête du boulet, pour faciliter l'in- flammation de la fusée. Celle-ci a fonctionné avec la plus grande régularité et il ne reste plus du « pier » que quel- ques poutres brisées. Les bateaux ennemis s'étant réfugiés dans une anse de cinq mille mètres de notre batterie, on a essayé la portée du canon sur eux, et avec une élévation de dix-sept degrés, le premier ob'is est venu éclater au milieu d'eux.

« Ce canon est monté sur un affût en fonte, glissant sur un châssis qui repose sur un pivot à une extrémité, et sur deux roulettes à l'autre. Cet affût est très léger comme les chiffres suivants le feront voir :

Poids du canon. . . 16,420 livres anglaises.

Poids de l'affût. . . 1,947 »

Poids du châssis. . 3,035 »

« Pourtant un homme suffit pour pointer la pièce, et cinq en tout peuvent lui faire tirer un coup toutes les cinq minutes »

LISTE DES CADEAUX

OFFERTS A S. A. R.

MADAME LA PRINCESSE AMELIE DE FRANCE, DUCHESSE DE BRAGANCE,

A l'occasion de SON MARIAGE, LE lo MAI 1886

M^'' le comte de Paris et Madame la comtesse de Paris.

Diadème, collier, broche et pendants d'oreilles, en éme- raudes d'une inestimable valeur. Un présent vraiment royal.

LL. AA. RR. le duc et la duchesse de Chartres. Neuf perles blanches. Un éventail en éci.ille blonde, avec un bouquet de roses, peint par la duchesse de Chartres.

S. A. R. le duc d'Aumale. Broche en émeraudes et diamants.

LL. AA. RR. les princesses Hélène, Isabelle et Louise, S. A. R. le duc d'Orléans et S. A. R. le prince Ferdinand.

Six perles blanches.

S. A. R. le duc de Penthièvre. Bague tricolore, saphir, diamants et rubis.

S. A. R. la princesse Marguerite. Epingle et broche, colimaçons en œil de tigre.

LL. AA. RR. le prince et la princesse de Joinville. Treize perles blanches.

LL. AA. RR. le comte et la comtesse de Caserte. Bracelet avec saphir entouré de diamants.

S. A. R. le prince Auguste de Saxe-Cobourg. Une petite pendule en marbre blanc et bronze doré.

440 CADEAUX OFFERTS

LL. AA. II. le grand-duc Wladimlr de Russie et la grande-duchesse Marie Pawlowna. Fleur de lis en dia- mants.

S. A. R. la princesse Elisabeth de Saxe-Weimar. Eventail rose, monté nacre, avec chiffre en argent.

S. M. le roi d'Espagne don François d'Assise. Col- lier en or travaillé souple, pendants en perles.

S. M. la reine d'Espagne Isabelle II. Croissant en diamants.

S. A. R. la princesse Czartoryska. Broche avec trois gros diamants jaunes.

S. A. R. la duchesse Max-Emmanuel de Bavière. Coffret en cuir, avec peintures.

S. A. R. la princesse de Ilohenzollern-Sigmaringen. Bracelet d'or avec gros diamants et deux saphirs.

S. A. R. la princesse Clémentine de Saxe-Cobourg et Gotha. Cinq perles blanches.

S. A. S. le prince Ferdinand de Saxe-Cobourg et Gotha. Pendant de cou en diamants, avec saphir cabochon.

S. A. R. l'infante Paz de Bourbon et S. A. R. le prince Louis-Ferdinand de Bavière. Un album de cuir tra- vaillé, chiffre en argent.

Dons venus de la province :

Souscripteurs de Nancy. Un j)aravcnt en vernis Mar tin, à quatre panneaux ornés de peintures.

Les dames de la Touraine. Grand plat aux armes de France et de Bragance.

Souscripteurs du Berry. Service de porcelaine, de Vierzon.

Les dames de la Seine-Inférieure. Eventail [)eint par

A S. A. R. LA DUCHESSE DE BRAGANGE 441

Eugène Lami, représentant une chasse au château d'Eu, du temps de M"^ de Montpensier.

Les dames de Saône-et-Loire. Miroir, cadre en ar- gent ciselé.

Les dames d'Eu et du Tréport. Grand Christ en ivoire, cadre en ébène aux armes de France et de Portuaral.

Les royalistes du conseil général de la Loire-Inférieure. Les deux cœurs enlacés, avec fleur de lis au milieu, surmontés de l'hermine bretonne, bijoux en diamants.

Les dames de Bretagne. Une admirable statuette de Sainte-Anne d'Auray.

Religieuses de la Providence d'Eu. Prie-Dieu brodé, les armes de France en losange sur velours rouge.

Jeunes filles de la ville d'Eu. Livre d'heures en cuir de Russie rouge. Ecrin avec armoiries.

Les employés du château. Pendule en marbre, sur- montée de la statue d'Henri IV enfant, de Bosio.

Orphelinat de la ville d'Eu. Porte-bouquet en fili- grane.

Sœurs de la salle d'asile du Tréport. Bouquet en coquillages.

Dons de provenances diverses :

Un paravent, monture dorée, broderie et glaces, offert parla comtesse Pajol.

Un paravent avec oiseaux brodés, par la vicomtesse de Giéry.

Deux jardinières en vieux Sèvres, jjar la baronne James de Rothschild.

Les Pseaumes de Dom Antliolne, roy de Portugal, livre ancien, par AL Auguste Boucher.

442 CADEAUX OFFERTS

Grand écran en tapisserie, à fleurs, monture dorée, par la comtesse de Bondy.

Fleur de lis, en saphirs et diamants, avec aigrette, par le duc et la duchesse de Doudeauville.

Bonbonnière, en émail, par M. William de la Rive.

Livre de piété, reliure en argent ciselé, par la marquise de Beauvoir, douairière.

Montre ancienne, en brillants, avec châtelaine, par M. et M"^ Aubry-Vitet.

Eventail ancien, monture en or, par la baronne N. de Rothschild.

Montre ancienne en argent, cadre en velours, par la du- chesse d'Uzès.

Jardinière en vieux Sèvres, par le baron et la baronne Edmond de Rothschild.

Coussin aux armes de France, brodé au petit point, par M"^ Laurent.

Théière et deux tasses en vieux sèvres, par le duc et la duchesse de Bisaccia.

Vie des Saints, du comte A. de Riancey, pleine reliure, chiffre A, par le comte de Riancey.

Jardinière en verre bleu, monture d'argent, par M. Sta- nislas Brugnon.

Sermons choisis, 3 volumes, pleine reliure, par M"^ de Saint-Aubin.

Cachet, monture en or ciselé, par le marquis d'Harcourt.

Bracelet avec perles, par M. et M">° Emmanuel Bocher.

Coupe en cristal gravé aux armes de France et de Bra- gance, par la comtesse de Chambrun.

Coupe et cuiller en vieux craquelé de Chine, par la vi- comtesse de Bondy.

A S. A. R. LA DUCHESSE DE BRAGANCE 443

Coussins en velours rouge, brodé or et argent, par la comtesse Odon de ^lontesquiou.

Panier à ouvrage en satin rose brodé, par M"^ Amel. Vase en vieux sèvres, par la marquise d'Audiffret-Pas-

quier.

Broche, deux cœurs en diamants, par le comte et la comtesse de Suzannet.

Eventail en nacre, la villa Saint-Jean et les armes de Bragance, par M°"= et M"« du Parquet.

Aquarelle de de Penne, représentant une chasse à Chan- tilly, le 29 janvier 1886, par M. Edouard Bocher, séna- teur.

Introduction à la vie de\'ote, pleine reliure bleue, par M"® Levavasseur.

Pensée en diamants, par la duchesse de Luynes. Dragon en diamants, par M'i«^ Marie et Antoinette de Bannelos.

Eventail de satin blanc, fleur d'épine rose, aux armes de France et de Bragance, par M"' de Souza ;

Cofi'ret en malachite, par M. et M"» Lambert de Sainte- Croix.

La Vierge et l'Enfant-Jésus, encadré, dans un écrin, par le comte et la comtesse de Rochefort.

Corbeille de fleurs, par le comte et la comtesse Gra- mont d'Aster.

Broche en diamants, dragon surmonté d'une fleur de lis, par la comtesse d'Haussonville.

Vase en cristal surmonté d'un dragon, par M"« de Sar-

tiges.

Trois aquarelles de M. Buttura fils. Vues de Cannes, par

le docteur Buttura.

444 CADEAUX OFFERTS

Eventail, vue du Tréport et fleurs, par M"^ de Kermain- gant.

Coffret en bronze damasquiné, par M. Banderali.

Boîte en argent, en forme de cœur, ])ar MM. C. Harris.

Coupe en argent, par The Earl et lady Coventry.

Eventail ancien, par ]M"*° de Robles.

Broche-épée avec l'inscription : In hoc signa vinces ! par le général baron de Charette.

Histoire du Portugal, d'Auguste Bouchet, reliure pleine, aux armes de France, par M. Bouchet, avocat.

Sachet brodé, par M''° de la Rive.

Eventail aux armes de France et de Portugal, monté en écaille, par jM""" la baronne de Baye.

Portrait du duc d'Orléans, tableau à l'huile, encadré, par M. Fontaine.

Ombrelle en soie blanche, monture en jonc, pomme d'or avec chiffre A en diamants.

Vierge avec l'enfant Jésus, en vieil ivoire, par S. G. l'archevêque de Rouen.

Aquarelle, vue du Tréport et de Mers, par M. Athalin.

Reliquaire en argent, renfermant une relique do Saint- Laurent d'Eu, j)ar M. de Chanteloup, curé doyen d'Eu.

Lorgnette en écaille avec le chiffre A en brillants, par la princesse de Léon.

Statue de saint Louis en bronze, par le baron Tristan Lambert.

Sachet brodé en satin saumon, par M'"° Level.

Vue du château d'Eu, tableau à l'huile encadré, par i\L Serrure.

Paravent brodé rose, a deux feuilles, par M™^ lîarthé- lemv Saint-INLirc Girard in.

A S. A. R. LA DUCHESSE DE BRAGANCE 445

La Fontaine et les fabulistes, par Saint-Marc Girardin,

de l'Académie française, par M. Barthélémy Saint-Marc

Girardin.

Flacon Louis XIV, en cristal de roche, monté en or, par

M. et M™* Guéneau de Mussy.

Une miniature d'Henri IV, par M-« veuve Alexis Moreau.

Treize volumes de Cuvillier Fleury, reliure pleine, gros bleu, aux armes de Portugal, par M"« Tiby.

Aquarelle en forme d'éventail, le Marche au poisson au Trep>rt, cadre doré, par M. de Grandmaison.

Coupe en cristal et bronze doré, par MM. le comte de Chevilly et le duc de Glucksberg.

Deux flacons en cristal, monté or et argent, par

M"^ Laugel.

Bracelet en or avec trèfle à quatre feuilles en diamants,

par la marquise d'Harcourt.

Gachepot en vieux Chine, aux armes de Portugal, par M. Morel, vice-consul de Portugal à Lyon.

Vierge en broderie, sur fond bleu, cadre bleu et or, par la comtesse Paul de Ségur.

Petit fauteuil doré, fond bleu brodé, par la comtesse

Louis de Ségur.

Une liseuse en écaille avec la couronne royale en brillants, par la vicomtesse de Chazelle.

Dentelles anciennes, par M-* la marquise L. de Beau-

voir

Ma jeunesse, par le comte d'Haussonville, de l'Académie française, pleine reliure, avec A et la couronne royale, par le comte Othenin d'Haussonville.

Deux sachets en satin blanc brodés aux armes de France et de Portugal, par M""*^ Dupuy.

446 CADEAUX OFFERTS

Garniture de bureau en corail et argent doré, couteau à papier, cachet, porte-plume et crayon, par M. le capitaine Morhain.

Paire de pots à fleurs imitant l'ivoire, dessus dorés, par le marquis et la marquise de Lasteyrie.

Coupe en vieux sèvres, fond bleu, par la baronne Na- thaniel de Rotschild.

Eventail en écaille et plumes blanches, les armes de Portugal en émail et diamants, par la vicomtesse de Grefl'ulhe.

Bénitier en argent, style Louis XVI, par M. le docteur Leclise.

Bonbonnière en argent, chiffre AO, par M. et M™* Mi- chellet.

Feuille de vélin enluminée, vues du château, de l'église d'Eu et du Tréport, cadre doré, par M"* Fromont.

Sachet rouge, aux armes de France et de Portugal, par ]\Ime Briggs.

Une croix en ivoire avec tête d'ange, par M"® Dudon.

Le Havre d'autrefois, pleine reliure rouge dans un écrin, par M"" G. Gharvet, E. Dévot et A. Magnen, du Havre.

Bonbonnière or et émail, par la baronne Gustave de Rothschild.

Petite chaise à porteurs en vernis Martin, par la du- chesse Decazes.

Ombrelle en satin rouge recouverte de Chantilly, manche en écaille à pomme d'or, par M™* E. André.

Broche, un dragon en diamants et perles, par la vicom- tesse de Butler.

Coussin brodé avec pièce pour prie-Dieu, par M. Do- quin.

A S. A. R. LA DUCHESSE DE BRAGANCE 447

Bouquet en fruits confits, par M. J. Nègre, de Cannes.

Table en bronze avec fleurs, par la baronne Alphonse de Rothschild.

Deux épingles, un dragon en perles et brillants, par M"''* de Rongé.

Porte-monnaie en maroquin bleu, chiffre et monture en or, par M. Tonnel.

Porte-cartes, en maroquin bleu, armes en argent, par M. d'Aulnoy.

Tableau esquisse de Jadin, fait pour S. A. R. le duc d'Orléans, prince royal, par M. Asseline.

Buvard en maroquin bleu, avec les armes de France et de Portugal, en émail, par jNI'^* V. de Sercey.

Etui Louis XVI, or et émail, par M. Ch. Baj)st.

Porte-plume en or avec chiffre en brillants, par la com- tesse de Glinchamp.

Reliquaire byzantin ancien, par le baron d'AIcochète.

Imitation de Je'sus-Clirist, pleine reliure, parla marquise d'Harcourt, douairière.

Coussin en satin l'ouge, par M™® Antoine de Latour.

Modes et usages au temps de Marie-Antoinette, 2 vol., avec armes de France et de Portugal, par le comte de Reiset.

Coupe en onyx supportée par un éléphant, ornée de pierres précieuses, par M. et M"* Hervé.

Un éventail, avec cadre en vieil or, par M. Jacquet.

Le médaillon de Madame la comtesse de Paris, par M. d'Epinay...

VI M^' LE COMTE DE PARIS AGRICULTEUR'

Le domaine d'Eu, sous l'Empire et de nos jours. La l'orèt d'Eu, les biens de la famille d'Orléans. Les Guisards. Drainage et mise en culture de la vallée de la Bresle. Vaches cotentines et bretonnes ; moutons Shropshire ; le comte de Paris et Ijouis XVL Clôtures économiques. Ferme modèle. Fleurs de lis et armes de France. L'œil du maître. Une lettre inédite de Ms"" le comte de Paris.

Le Tréport, 25 septembre 1887.

Pendant que la France et l'Europe méditent le grand acte politique de M. le comte de Paris, je montrerai le prince dans ses champs, sans l'auréole de la souveraineté future, le propriétaire agriculteur dans sa ferme, au milieu de ses moutons.

J'ai souvent visité le domaine d'Eu. Sous l'Empire, j'ai vu le château vide, les pelouses desséchées, les forêts livrées aux agents de l'État, qui semblaient avoir conscience de coopérer à une mauvaise action, d'exploiter le bien d'au- trui. En 1873, au lendemain de la restitution des biens des princes, le parc avait repris un air de fête, les vieux servi- teurs, les arbres, les parterres, tout, comme dans les ro- mans et les féeries, souriait au retour du seigneur; mais la vallée de la Bresle, jusque sur les bords de la route du Tréport, était toujours à l'état de marécage. Cette année, lacanq)agne est transformée, méconnaissable. Sur les rives

1. Figaro du 26 septembre 1887.

m"'' le comte de paris agriculteur 449

de l;i Bresle, des prairies à perte de vue, des champs en culture, des plantations d'arbres de la plus belle venue, un vaste jardin maraîcher et fruitier.

J'ai voulu voir de près, je n'ai eu qu'un mot à dire et toutes les portes se sont ouvertes.

Brutalement chassé de chez lui, M. le comte de Paris a laissé l'administration du domaine aux mains d'un forestier émérite, M. Gilliot, qui est depuis iS73. Des gardes sous ses ordres habitent divers ])oints de la forêt. On compte 1,537 hectares de taillis et 3,119 hectares de fu- taies ; en tout 4,906 hectares de chênes et de hêtres, y com})ris le Bois-l'Abbé récemment acheté par le prince. L'ensemble forme la forêt d'Eu. D'autres forêts très éten- dues touchent à celle-ci et se prolongent, avec de rares coupures, çà et là, jusqu'à la ville d'Aumale. Elles appai'- tenaient à plusieurs membres de la famille d'Orléans, au priace de Joinville, au roi des Belges, au duc d'Aumale. Afin de couper court au morcellement, le prince a racheté les parts de ses voisins.

La famille d'Orléans possédait, en outre, dans cette con- trée, beaucoup de bois et de terres disséminés que le fisc a vendus après les décrets de confiscation, en 1852. Il en a été de même partout les intermédiaires des princes n'ont pas pu acquérir tous les biens et paralyser les dé- crets impériaux. Ces biens, aujourd'hui passés en plusieurs mains, n'ont pas été rendus. En 1873, les princes ont sim- plement demandé et obtenu que le fisc cessât de les voler en touchant leurs revenus à leur place ; ils n'ont pas ré- clamé un denier des revenus indûment touchés par r]']lat

29

450 m""^ le comte de paris agriculteur

[)en(Iant vingt ans. C'est j)Ourqiioi, loin de jeter la pierre à la famille d'Orléans, les personnes de bonne foi, même les répnblicains honnêtes, au courant de l'affaire de la conds- cation, sont d'avis qu'il serait juste de remercier les princes d'avoir, en acceptant une restitution partielle, signé, pour ainsi dire, au profit de la France une donation de plus de cinquante millions. Cela sans compter le don récent de Chantilly.

Le domaine forestier d'Eu est fort bien aménagé. Les grands propriétaires qui affluent au Tréport pendant la saison des bains de mer rendent hommage, en hommes compétents, à la bonne tenue de la forêt; les élégantes de la plage connaissent toutes, ses beaux arbres, les retraites ombreuses l'on trouve un j)eu de fraîcheur quand l'im- pitoyable soleil de juillet et d'août chauffe a blanc les galets. En plus d'un lieu de la forêt, on s'incline avec res- pect devant les arbres plusieurs fois séculaires. Dans le parc du château, des hêtres n'ont pas moins de trois cents ans; on les nomme les Guisards, |)arce que c'est en cet endroit, si l'on en croit l'inscription faite par Louis-Phi- lippe, « que les Guises tenaient conseil au seizième siècle ».

Dernièrement un de ces Guisards s'était affaissé sous le poids des ans. A le voir étendu sur l'herbe, avec ses feuilles encore vives, on eût dit un tle ces preux tombés de cheval qui im])loraient la main d'un autre |)reux pour se remettre en selle. JNL le comte de Paris a relevé ce vieil- lard, il a pansé ses blessures : à la tête il a mis luic sorte de casque qui le protège à tout jamais contre l'inlilti-ation des pluies; il a bardé le tronc, au bas, d'une (pia(lnq)le ar- mure de fer; et le vieux chevalier s'est repris à vivre, et

M"' LE COMTE DE PARIS AGRICULTEUR 451

quand le vent soufflait dans les feuilles, le duc d'Orléans grimpé sur le trapèze, en face, croyait entendre des his- toires du temps passé.

Les cultures sont confiées à un agriculteur de profes- sion, i\I. Véron. Je me suis promené avec lui, plusieurs heures durant, le plan à la main.

Lorsque M. le comte de Paris rentra au château d'Eu, ce ne fut point pour s'endormir à l'ombre de ces arbres. En homme qui a vu de près l'agriculture anglaise, les grandes exploitations, les élevages de haut rendement, les défri- chements gigantesques du duc de Sutherland, le proprié- taire du château d'Eu fut aussitôt pris de la (ièvre de mettre la main à la terre, de défricher, d'améliorer, d'as- sainir. Mais, si les bois abondaient, la terre agricole faisait défaut. Par bonheur, au pied du parc, il y avait une vieille ferme, la ferme de Sainte-Croix, appartenant à M"*^ de La- moricière. M^"^ le comte de Paris acheta la ferme. Puis, du haut de l'esplanade qui forme la cour et d'oîi la vue s'étend au loin sur un splendide ])aysage, il aperçoit la vallée de la Bresle, aux prairies basses et maigres, enchevêtrées de roseaux.

Le prince acheta la vallée. Il promène ensuite son regard d'un autre côté, vers le plateau qui domine les blanches falaises du Tréport, et voit, près de ses propres bois, des collines à peine cultivées. Le prince ne tolérera pas un tel délaissement et, après avoir acquis la ferme et la vallée, il s'empare des collines au poids de l'or! Le mot n'est j)as de trop, on me croira sans peine, car pour être de chauds partisans, des amis dévoués du comte de Paris, les braves gens du Tréport, de la ville d'Eu, de Mers, de Crie), n'en

452 ms"" le comte de paris agriculteur

sont pas moins hommes, un j)eu Normands et un peu Picards. Dès que le prince eut acheté dix hectares, hi bourse des terres monta tout à coup, comme au soir d'une bataille gagnée. L'hectare, sur la Bresle, valait bien trois ou quatre cents francs; du jour au lendemain, on découvrit à cette terre des vertus cachées, on la vendit niille et deux mille francs l'hectare ; quant aux collines, sous les falaises, des projiriétaires, qui ne s'étaient jamais douté de leur fortune, s'y taillèrent au mètre des dots pour leurs lilles. Deux francs le mètre, vingt mille francs l'hectare, avec la mer là-bas, entre le Tréport et Mers, c'était pour rien. Le prince paya de la meilleure grâce du monde et se mit à l'œuvre.

Après avoir obtenu de l'Etat l'autorisation de rectilier le cours de la Bresle et de réparer à ses frais le canal, son premier soin fut de drainer cette ])laine marécageuse; tra- vail de Romain, très dispendieux, qui a réussi au delà de toute espérance. Ces terres d'alluvion conquises par le drainage sont devenues fei^tiles à ce point que j'ai constaté, cette année, un rendement en blé de GO à 65 hectolitres à l'hectare, obtenu sans le moindre engrais. On cite un tel résultat à titre de curiosité, et non comme un but qu'on puisse atteindre en général, mais ce chiffre jirouve la richesse d'un fonds que le propriétali'c a eu l'heureuse pensée de mettre en valeur. Du reste, les cultivateurs des environs connaissent bien les belles semences de blé et d'avoine du domaine; d'iùi et savent que INL le comte de Paris est heureux d'en donner gracieusement à qui en demande. On n'est pas meilleur voisin.

Pour isoler de la terre ses récoltes de blé, d'iivoinc ou (io loin mises en meules, le propriétaire de la ferme d"Lu a

mS"" le comte de paris agriculteur 453

emprunté aux fermiers anglais un appareil excellent, des pieds de meule en fonte qu'on démonte et transporte à volonté. Les barres entrecroisées de cette plate-forme à jour sont soutenues par de larges champignons do fonte construits de telle sorte que les rats et les mulots s'effor- ceraient en vain de grimper jusqu'à la meule. S'il coûte à peu près 250 francs, l'appareil dure quinze ou vingt ans et soustrait à la dent des rongeurs, chaque anuée, au moins pour 100 francs de grains.

En cultivant ces terres de la Bresle, le prince a rendu, par le fait, un signalé service à la contrée. Les Tréportais et les Eudois le bénissent tous les jours d'avoir assaini leur [)ays, d'avoir donné du travail à toute la population. L'année dernière encore, près de cent personnes étaient occupées journellement au château d'Eu ; depuis l'exil, six ou huit suffisent à la besogne, et la plupart des prairies ont

être louées.

* *

Pendant que de nouveaux champs s'ouvraient aux pâtu- rages, il fallait songer à les peupler. Le propriétaire du domaine d'Eu connaît mieux que personne les races de bétail. Tous les ans, au concours agricole du Palais de l'hidustrie, à Paris, on le voit aller de stalle en stalle, accompagné du marquis de Dampiei-re, président de la Société des agriculteurs de France, qu'il étonne par la sagacité de ses aperçus.

Les vaches cotentines et bretonnes pures lui semblèreut les meilleures pour le pays ; il en acheta quarante-six, souche d'un troupeau qui devait s'accroître en jncme temps que l'étendue des prairies. Loin de là, l'exil a forcé le prince à les vendre ; il n'y en a plus que six en ce moment.

404 M="^ LE COMTE DE PARIS AGRICULTEUR

Les moutons de race Sliro})sliire furent choisis de préfé- rence. IJurant son premier exil, le prince avait étudié sur place les avantages de cette race dérivée des southdowns, améliorée par sélection et maintenant lixée. C'est, par excellence, la race des climats humides; elle est précoce et donne une viande d'un grain serré, d'un goût parfait ; la laine, fine, est plus épaisse et plus longue que celle des outhdowns. M. le comte de Paris a complètement réussi, en traitant ses moutons à l'anglaise, comme des animaux très rustiques dont la bergerie est le principal ennemi, se rappelant le mot du créateur des southdowns, Jonas Webb : « le southdown est si fort qu'il résiste même à la ber- gerie ! »

Le troupeau de la ferme d'Eu est envié de tous les pro- priétaires placés dans les mêmes conditions de climat. Tous veulent des brebis et des béliers de ce troupeau. La race est acclimatée au point que les moutons élevés à Eu seraient, au dire des éleveurs anglais, fort remarqués sur les foires de leurs comtés d'origine, tels que Shropshire, Staffordshire, le Herefordshire, et dans les fermes d'éle- veurs célèbres, comme les Chesham, lesMansell, les Evans, les Pilgrim, etc. En introduisant chez nous une race aussi utile, le prince a suivi la tradition royale : Louis XVI en- richit ainsi l'agriculture française quand il fit venir à ses dé[)ens, d'Espagne à Rambouillet, son fameux troupeau de mérinos.

Pour ces bêtes, destinées à errer au grand air, il fallait des champs clos. Le prince avait remarqué dans les |)àtu- rages anglais un système de clôture très solide, formé de barres en fer, superposées à 30 centimètres environ les unes des autres, avec des portes de distance en distance.

M^''' LE COMTE DE PARIS AGRICULTEUR 40O

toujours ouvertes à l'homme, absolument interdites aux animaux parqués, grâce au battant mobile que la vache ou le mouton ferme d'autant plus qu'il s'acharne davantage à sortir. A la ferme d'Eu, il n'y a \)a.s moins de 15 kilomètres de ces clôtures, fabriquées d'abord en Angleterre, bientôt imitées par un fabricant français. Elles coûtent 4 fr. 50 c. par mètre courant, et sont assurément le dernier mot du

genre.

*

Une pareille exploitation agricole obligeait le pro[)rié- taire à construire de nouveaux bâtiments. La vieille ferme de Sainte-Croix fut respectée, mais bientôt on vit s'élever des maisons pour le logement du personnel, de beaux greniers, une grange vaste comme une église, un chalet pour le chef des cultures au milieu des jardins qu'il a créés. Enfin, cédant à son goût pour la conservation des souvenirs historiques, le prince réédifia, devant la ferme, le dernier vestige d'une antique abbaye, une petite chapelle gothique qu'il orna de fresques et de vitraux dédiés aux patrons de chacun de ses enfants.

De l'autre côté de la route du Tréport est l'ancienne ferme du Bois-du-Parc , réunie maintenant à celle de Sainte-Croix. Là, M. le comte de Paris a placé sa vacherie modèle dessinée par VioUet-le-Duc. 11 est assurément im- possible de mieux faire : mangeoires en fonte, conduites d'eau, aération parfaite, larges couloirs de dégagement, le confortable anglais ! Heureux animaux, s'ils connaissaient leur bonheur !

Tout auprès, un chenil pour une meute de plus de cent chiens et une écurie pour une vingtaine de chevaux, spé- cialement affectés aux équipages du prince de Joinville qu

450 M^'' LE COMTE DE PARIS AGRICULTEUR

aimait, entre toutes, les chasses de la forêt d'Eu. Non loin, sur la rive du Parc, les silos le propriéteire a pratiqué avec succès la conservation des foins verts et mouillés, au grand étonnement de tous les fermiers voisins, qui ne voulaient pas croire que les vaches mangeraient avec jiré- férence cet étrange produit de la fermentation. Le prince les a convaincus.

Les constructions nouvelles sont disséminées en face d'un site enchanteur. N'est-ce point que M"' de Mont- pensier, la fdle célèbre de Gaston d'Oi^léans, tenait sa petite cour et avait construit son observatoire ?

Ferme, grange, vacherie, écuines, chalet, tout a un cachet de suprême élégance, disons mieux, de royale distinction. En ce temps de république, de démocratie mal entendue, de sot mépris des choses passées, on a plaisir à rencontrer la fleur de lis incrustée dans la pierre d'une ferme, le cœur se dilate à la vue d'un garde à la livrée de France.

Pour eu revenir à nos moutons, il est évident qu'une entreprise agricole de pareille ampleur exige l'œil du maître. Aussi le prince avait-il l'absentéisme en horreur. Il aimait son domaine en vrai rural et l'habitait huit mois de l'année. Toujours levé de grand matin, il recevait à six heures, hiver comme été, son chef de culture, j)Our les oi'dres de la journée. Et dans le courant du jour, qui ne l'a vu à travers ses forêts et ses champs, seul ou accom- pagné de la princesse? Elle avait tant de joie à constater le résultat des travaux du j)rincr, tout en ne dédaignant pas, chemin faisant, d'arrêter au |)assage les lapiuD, les lièvres et les bécassines qui abondent sur les bords de l'ancien canal de Pentliièvre !

ms"" le comte de paris agriculteur 457

Telle est l'œuvre du propinétaire-agriculteur du domaine d'Eu. Les amis delà comptabilité agricole ne me demande- ront pas, je l'espère^ d'établir le doit et avoli^ de l'exploi- tation, de comparer le revenu au capital. Le cultivateur dont nous parlons n'a pas travaillé pour lui, il a voulu donner à ses voisins un exemple, une impulsion. Rien ne pourra être exactement imité, mais quelques-uns copieront de leur mieux, suivant leurs talents et leurs ressources, semblables aux peintres qu'on voit au Louvre s'efforcer de copier Raphaël et qui finissent, à la longue, par faire un tableau passable. On observera, on étudiera et on retiendra beaucoup ; l'agriculture s'améliorera dans les environs, les bonnes méthodes se répandront au loin. C'est toute l'am- bition de celui qui veut être « le Roi de tous, le premier serviteur de la France », par conséquent le Roi et le ser- viteur des cultivateurs.

J'ai, sur ce point, la pensée de M'^" le comte de Paris lui-même. Je venais de visiter Eu, ces jours-ci, cet article était fiiit, quand j'ai reçu une lettre du prince. Ayant appris mon désir de parcourir son domaine, il daigne, de sa propre main, me faire l'exposé des travaux agricoles accomplis à Eu, avec une précision qui montre que rien n'échappe à sa pensée, à ce regard intime toujours fixé sur le sol de la France.

« Je n'ai jamais eu l'intention, écrit le i)rince, de faire ce qu'on appelle une exploitation agricole, parce qu'en pareil cas pour réussir, pour que l'expérience soit con- cluante, il faut faire des bénéfices et, pour en faire, il faut administrer avec une économie, une rigueur, qui ne con- viennent pas à un prince. Je me suis donc décidé tout de suite à me borner à faire des expériences qui, coûteuses

458 M^'"' LE COMTE DE PARIS AGRICULTEUR

pour moi, pourraient profiter à mes voisins, fermiers et propriétaires sérieux, intelligents, laborieux, mais très froids sur toutes les innovations. »

M"'" le comte de Paris constate les bons résultats obtenus, puis il ajoute avec amertume :

« Cette exploitation est absolument suspendue par l'exil : il n'en reste que la carcasse, des stalles inoccupées, des silos vides. La seule chose qui vive encore est mon trou- peau de moutons shropshire pur sang qui ont admirable- ment réussi. »

L'angoisse vous saisit, en effet, lorsqu'on voit les fenê- tres closes du château, les écuries et les étables abandon- nées. Les élégantes constructions rurales élevées de toutes parts sont royalement entretenues, mais un morne silence règne dans l'ensemble ; on sent que le corps est sans âme, que l'œil du maître et la main qui gouverne ne sont plus là. Image de la France, de ce royal domaine si merveilleu- sement agencé pour toutes choses, lui aussi, l'on attend de même le retour du chef, de l'autorité, qui remettra tout en œuvre et relèvera la patrie.

YII

LISTE DES PERSONNES

QUI SE SO>!T RENDUES AU CHATEAU d'eU ET AU TRÉPORT

POUR SALUER M^'" LE COMTE DE PARIS

AVANT SON EMBARQUEMENT LE 24 JUIN 1886*

MM.

Ancel,

G*'m'^ d'Andigné,

Audren de Ker-

drel, Duc d'Aiidiffret-

Pasquier, Baragnon, Blavier, Bocher, De Béjarry, Lucien Brun, Buffet,

Comte de Bondy, Marquis de Carné, Chesnelong,

Sénateurs .

Clément,

Denormandie,

Delsol,

Delbreil,

Dumon,

Général comte Es-

pivent de la Vil-

leboisnet, Gaudineau, Amiral Halna du

Fretay, Halgan, Kolb-Bernard, Lacave-Laplagne, B°" de Lareinty, Lacombe,

De la Sicotière, C"= de la Monne-

raye, Leguay, Leguen, Libert, Amiral marquis de

Montaignac, Paris,

Pouyer-Quertier, B'"' deRaismes, De Piavignan, Général Robert, Soubigou, Ct« de Tréveneuc, Amiral Véron.

1. Cette liste a]été dressée d'après celles du .*?o/e«7etde la Ga- zette de France. Elle a été revue et corrigée avec soin ; cepen- dant si quelque erreur s'était glissée dans l'orthographe des noms, ou si quelque omission avait eu lieu, prière d'adresser les réclamations à l'auteur, qui ferait les corrections pour les éditions ultérieures.

460

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

MM.

A. Adam,

Comte de IWigle,

D'Aillières,

Barascud,

Barouille,

Beaucarne-Leroux

De Baudry d' As- son,

V^ de Belizal,

De Benoit,

Bergerot,

Bigot,

De laBiliais,

Vicomte Blin de Bourdon,

V'e de Bonneval,

Boreau - Lajanadie

Boschez- Delangle

Botticau,

Boucher,

Bourgeois,

Mis de Breteuil,

Briet de Rainvii- 1ers,

L.delaBassetière,

Caradec,

Cazenove de Pra- dines,

De Cliauipvallier,

Députés. De Ghâtenay, Caron, Chevalier, Chevillotte, CibieJ, De Clercq, M'" de Cornulier, Creuzé, Deberly, Delielis, Delisse, Descaure, Destandau, Amiral c^« de Dom-

pierred'Hornoy Du Bodan, M'^ d'Estourmel, Faire,

Ms'' Freppel, Général de Fres-

cheville. Baron Gérard, Godet de la Ri-

bouilleric, Hillion, Jonglez,

Comte de Juigné, Keller,

De Kergariou, De Kermenguy,

Ct« de Kersauson,

De La Bâtie,

De Laborde-No-

guez. Vicomte de La-

bourdonnaye, ]Nr* de la Ferron-

nays. De la Martinière, De Lamarzelle, Baron Paul de

Laraberterie, Comte de Lanjui-

nais, Larère,

De Largentaye, La Rochefoucauld,

duc de Bisaccia; De la Rochette, Leblanc, Lecointre, Lecour,

Lefèvre-Pontalis, Comte de Legge, Legrand de Le-

celles, Prince de Léon, Le Roy, Vicomte de Levis-

Mircpoix,

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

461

Lorois,

Comte de Luppé, Baron de Mackau, Comte de Maillé, C'^de Martimprey, Martin d'Auray, Léon Maurice, Maynard de la

Cla3^e, Merlet,

Cje du Mesnildot, De Montety, Morel,

Comte de Mun,

Pain,

Saulnier,

Marquis de Partz,

Pion,

Paulmier,

Colonel baron de

Plazanet, Plichon, Baron Reille, De Rosamel, Roussin, De Saint-Luc,

Vicomte de Saisy, Serph, Sevaistre, De Soland, Gaston Sabonraud Taillandier, Comte de Terves, Thellier de Pon-

cheville, Trubert, Marquis de Vau-

juas-Langan, Conrad de Witt.

Conseillers muinclpaax de Paris.

MM.

Georges Berry,

M. et M""= Aubry-

Vitet, Le P"^' Alexandre, Maurice Aubry, Comte d'Albiouse, C. d'Aubigny, G. d'Avenel, Comte d'Angély, M'* d'Aramon, Alix,

Comte d'Antioche, Agnellet frères.

Denys Cochin, Despatys,

INLirquis d'Auray, Anisson - Duper -

ron, Fernand Anduze, Ch. Aylies, E. AUeaume, Abel,

Juliette Acliard, L. Achard, M" d'Arneguy, Virginie Arville, Baron et baronne

d'Alcochette,

Dufaure, Gamard.

M. Aubry et, Léon Angliviel de

la Beaumelle, Parfait Agnellet, Julien Agnellet, Henri d'Arbigny, Paul Ansart, Victor Ansart, Fernand Auber, Asseline, Albert Arnal, Baron d'Alt, Albert,

462

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

AUiou,

Natalis Acoulon,

H. d'Arbigiiy de Chalus,

Vicomte d'Am - phernel ,

Auger,

Aubei'tot, conseil- ler général;

E. d'Aubigny,

Pierre Aiibart,

Austreberte Co- bert,

Aubilloy,

D'Aligny,

Adolphe Amat.

L. de Boutières, C'^ Ch.de Brissac, Commandant Bois Vicomte de Ba-

laincourt, Vicomte Benoist

d'Azy, ]j. Beaurain, Marquise douai- rière de Beau- voir, Marquis et mar-

quise de Beau- voir, R. de Brignac, Comte de Barthé- lémy, Marquis de Bre-

teuil, G. Baguenault de

Puchesse, Barnard, du Vca-

York Herald, Comte de Blagny, Vicomte de Blagny Ferdinand Beau, Comte Adalbert de

Bagneux, Léon Bouchet, Simon Boubée, G.-L. de Birac, Henry Bompard, Henry de Bouvir, De Bayarddu Lys, De Boismilon, R. de Beauregard, Baron G. de Bou

tran, Lucien du Bos, Duc de Broglie, Prince de Broglie, Dominique de

Barrai,

Paul Bidault,

Vicomte Frédéric de Beaumont , ministre pléni- potentiaire;

M. et M"'° Bes- sières d'Istrie,

Baron et baronne Augustin de La Barre de Nan- teuil,

M. et JM-"" Buffet,

Paul Buffet,

A. de Belina,

Vicomte de Bréon,

G. de la Bous- sondière,

J. Bourgeois,

Marquis de Beau- mont,

Eugène de Beau- mont,

Henri de Beau- mont,

M. et M"*' Auguste Boucher,

Vicomte G. de Beaussier,

De Beauiiiini,

Baronne de Bic- quilly.

Boistelde Dieuval, Comte Bruno de

Boisgelin, L. de la BzMere, Vicomte de Broc, Comte de Béon, Baron de Bonnault Comte Maurice de

Bréda, Comte Robert de

Bréda, Vicomte deBondy, yte et v»'« O. de

Bondy, Comte de Barthé- lémy d'Hastel, Alfred de Borda, Comte deBoury, Bigot,

Edouard Bocher, Emmanuel Bocher C^" de Beurges, Marquis de Belle-

mayre, Bompard, Barrachin, Baron Claude de

Barante, Bivault, Marquis Costa de

Beauregard,

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

L. Birac,

463

Henry Bro de Co- mères.

Brun,

Broussin,

L. Bouileur,

Jules Blondel,

Bailly, agriculteur

Bellard,

Boelt,

Brion,

Jules Berquez,

Joseph Berquiez,

Bon,

Léon Bonchet,

Blanger,

Baron J. A. de Bernon,

J. Blatham,

E. Bellanger,

Bertauld, petit em- ployé du faub. Saint- Antoine , et sa famille;

Bonnel,

V'« E. de Bonne- val,

Eug. Bouillard,

Boullenger,

Benoît,

Bernard Boulté,

Baron Benoist,

Comte de Bastard, ancien sous-pré- fet de Dieppe ;

Auréline Boutry, veuve Bordé ;

Beauvisage,

Bochot,

Blanco - Fourdi - niée, veuve Broussin;

Claire Brousin,

De Blangermont,

Paul de Blanger- niont,

M'"' de B langer- mont,

Gaston de Blan- germont,

Baron et baronne Borel de Bréti- zel,

B. Baroux,

Eugène Baroux,

Emile Baguet,

René Berga,

Veuve Blouet,

Henri Borel,

M°"= Armand Bapst

Ch. Brière,

Boutté,

464

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

Bouliey,

Baiidelocque,

Balancourt,

Comtesse fie Ba- lancourt,

B o s q u i 1 1 o n de Genlis, secré- taire d'ambas- sade honoraire;

Auguste Bruilly,

Octave Bruilly,

G. Brunet,

De Bellomayre,

Guillaume Blot,

Blancliet,

C'° de Bourgoing,

Henry Beguery,

A. Boinet,

E. Borain,

Bray,

E. de Beugn}- d'Hagerue,

Berlier de Vau-

|)lane, Gh. Burton, ])octeur Blache, Paul Blache,

F. Baillot,

De Bons d'Hédi-

court, maire ; Cil. Berlin, avocat;

René de Becquin-

court, Ch. Becquel, Henri Birrin, G. Boisrenoult, Léopold Bour-

doue, Henri Bordé, Boisse Adrian, Bigot, ajusteur, Antoine Beau- champs, Bisson de la Ro- que, Marquis de Biron, A. Barré, Boutellicr, Stanislas Benoit, E.de Beaurepaire, A. Boussion, an- cien président à la cour d'appel d'Orléans ; Comte Beugnot, V. Bortelde Dien-

val, A. Bortel de Dien-

val, B"" de Bonnault, Baron Baude, Louis Boucher,

E. Buttura, Docteur Buttura, Comte de Blois, Achille Bornet, G. Bouté, ouvrier; V. du Bled, Stanislas Brugnon M'^de Belleval, Baron Borel de

Brétizel, Octave de Brétizel Blanche, Paul Baroux, Bellenger, Brohan, Amédée Beau, Ferdinand Beau, De Boismelon, Vicomte de Bréen, G. de la Boussar-

dière. Barbé, G. Balai,

Baron du Blaisel, Comte Fernand de

lîcaufranchet, \ iconite Guy de

Beanfranchet, Bachclica, A. ]>czu('l d'Esne-

valle.

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

Barbaron,

L. Boulnois,

A. Brand,

E. Braquebays,

notaire; G. Boisvenoult, Brunet, Henri Blomeron ,

rédacteur en cheideV Abeille

de la Creuse : Blanchet, direct.

de la sucrerie

de Beauchamp ; Comte de Brosses, Baron de Bebr,

ancien préfet; Bentin, Briffard,

Comte de Bourry, Eugène Beuve, L'abbé Ch. Bec-

quet, Bouché, maçon Baromesnil, A. -M. de Belina.

C

Le général baron de Charette,

Vicomte de Cham- peaux-Verneuil,

Comte CafTarelli,

Comte de Gastries,

Henry de Car- donne,

Henry Cochin,

Comte de Chabot,

Cardon,

M. et M'"^ Calla,

Comte de Che- villy,

Clifford Millage, correspondant du Daily Chro- nicle;

Marquis et mar- quise de Com- piègne,

Vicomte et vicom- tesse de Cha- rencey,

Paul et Georges Calmann Lévy,

César Caire,

Henry Brod de Comères,

Docteur Caron de la Cande,

Alf. Carteron,

A. Choupot,

465 Che-

Henri de

zelle, Paul Coppinger, Alf. Craraail, Comte Gabriel de

Castries, Adhémar de Ca-

cheleu, Gustave de Ca-

cheleu. Vicomte Jules de

Clercy, Robert de Cugnon

d'Alincourt, Comte de Chau-

mont-Quitry, ALirquis de Cha-

ponay, E. Ciair Guyot, Gustave Chabret

du Rieu, R. de Crossy, Comte de Cha-

bannes, Baron de Chonne, Vicomte de Cham-

Docteur Canivet, Abel Couturier, Baron Cardon de Sandrans,

30

466

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

Marquis deChani-

bray, Choppin , ancien

préfet de police; R. Calvet-Besson, Roque Calvet -

Besson, Henri de Chi-

zeilles, Caroul, E. Cailleux, Gédéon Chaud, Michel Carreau, L. Cartelot, Baronne douai- rière de Cha-

baud-Latour, Baron et baronne

de Chabaud-La-

tour, B. Charpentier, Oscar Caffre, Ernest Courbe, Cresson, H. Castonnet des

Fosses, V"^ de Chavagnac, Louis des Cous-

tures, A. de Claye, E. Ghéron,

Alfred Caron, Carpentier, Veuve Chantre, ^ i c o m t e s s e de

Gharancey, Coffre,

Octavie Carreaux, De Chambesse, M"'^de Chambesse E. Cottan, E. Chivat, Florentine Cau- chois, Caulle , repas- seuse; Regina Claquette, JoséphineCourtel, Christina Carette, De Chambenez, M"« de Chambe-

neze, Ceniez , vétéri- naire, Calbaut,

Céleste Cailleux, veuve Josepli Chanterelle; Comtesse de Car- rey de Belle- mare, Fanny de Chabal,

Eugénie de Chabat

E. Cottau,

E. Chivot,

Maurice de Ciian- teau.

Comte H. Cha- pouny,

Général Chante- clair,

Georges de Cham- bine,

Baron de Chaune,

Hyacinthe Chauf- fard,

Albert Choppin,

René Choppin,

Henry de Cardon- nel,

Dubois de Clief- debien,

C. Chachoin père,

E. Conclion,

Conchon fils,

E. Crevet,

Paul Chardin,

J. M. Capet,

Cauchois,

Cartes,

Counil-Gel,

Cannes,

Caillot,

Castelot, Casimir Caron, R. Chantelauze, Ludovic de Carné, Crégny,

Conseil Ruphin, Comte Roger de

Chanaleilles, Chagot,

Gaston Caullet, Comte E. de Cha-

bat, Crépia, huissier; Créquillion père, Edouard Créquil- lion, Coulon, G. Cloquette, Jos. Carré, Gaston Chabret

du Rieu, H. Chantrel, M. Chantrel, E. Cognais, C. de la Croix de

Cocherel, E. Corsangel, CoUesson, ancien adjoint au maire du 19" arron- dissement ;

INSCRIPTIONS A EU ET AU TRÉPORT

Tony Conte, mi- nistre plénipo- tentiaire ;

De Chatenay,

Léon Crouy,

Louis Cartier,

A. Charpentier, menuisier ;

Jules Cardane,

E. de Chazelle,

Guillaume Car-

rière, A. F. Cordange

père, R. de Croisy, Le P. Chapotin, Denis Couriol, A. Cortillio, V. Castelet, Caillent-Lefay, Capval, Comte H. Aymer

de la Chevalerie Coudaux, Croisier, P. Chantrel, De Clercy, Coquelin, A. Canet, Marquis de Ca-

zaux,

467 Docteur Coutan,

inspecteur des

bains au ïré-

port ; Cuvrù,

Camier-Beaurain , Clare,

Albert Chauffert, Emmanuel Cop-

pinger, ancien

conseiller de

])réfecture; Raoul de Cler-

mont.

D

Dubois, ancien dé- puté, Dubois d'Angers, Ernest Dumarest, Depeyre, Gabriel Depeyre, F. Dubrulle, Demarcy, A. Drouard, Desgranges, Baron Decazes, Vicomte Decazes, Joseph Denais, L. Dutailly,

468

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

P. Dareste,

Delpon de Vissée, ancien préfet ;

Dumouriez,

P. David d'Angers

Charles Dupny,

M-"" de Denolly,

M""^ Dubois de risle,

Daussy,

Elie Durand,

F. Duval, ancien préfet de la Seine ;

Duvergier de llau- ranne,

Desbiendras,

David , agricul- teur;

Degogeine,

A. Dumouchel,

Delabié,

L. Deligny,

E. Deligny,

Alphonse Deville,

Ernest Degrolsille

Siméon Douay,

Dupré,

Ch. Dclatlre,

Denibas,

GustaveDégardin,

Jean Delignières, I Marie Dumas,

Defond, étalier; A. Desombre, A. Dufrien, E. Dufrien, Delhomel, Délabre,

MartheDelamolte, Débucjuet, Dumesnil, EmilienneDevilly, Léon Dufour, Drouard, Doudot,

Angélina Duha- mel, Juliette Dumont, Marthe Derossi-

Delabarre, Dupont, Doublot, De Denolly, Charlotte Douet, Defacque, Paul Dentin, Rosa Debonne, Deviller, Adolphinc Delor-

son. Elise Devez,

J. Dumas, Emile Denten, L'abbé Dupuis, Damoisy, Ch. Darmet,

E. Deton, A. Devallais, Frédéric Dorman, Dubuc,

A. Dupuis, Adolphe Dubois, avocat;

F. Dubosq, Daregniez,

A. Deneuville,

Z. Deneuville,

Gustave Depoilly, cafetier;

L. Dupont,

Deliegny, cultiva- teur ;

Alfred Delcourt,

Em. Debroguelle,

Jules Dasin,

A. Duvivier,

Delesque, du.Yow- vclliste de Rouen;

Dubloc,

Eugùiie Dupin,

Philij)pe Dupiii,

Marquis de Dion, Damois, pharma- cien ; Delpuech,

Denauville,

E. Demazier,

G. Dourpoint,

Dinal,

Dumas, directeur de l'Orphéon ;

Arthur Dajout,

Paul DaJmenesche

Louis Duhamel , cultivateur;

Eugène Deletoile,

Damet,

Daverne,

Defrontelle,

Dupulel,

Ernest Detti,

Docteur Debacker

Duneufgermain,

A Donchet,

E. Donchet,

Emile Dolique,

P. Delossicult,

Alfred Depoilles,

Dechesdin,

D'Aumont, ancien conseiller géné- ral:

INSCRIPTIONS A EU ET AU TRÉPORT 469

P. Cazalisde Fon-

Dauzel, Derbigny, Adolphe Dubos ,

avocat; Charles Dezan-

neau, Paul Delassault, Dutilloy.

E

Baron JulesEVain,

Victor Edou,

Gautier d'Embret- ville,

Comte d'Esterno,

Baron René d'Es- taintot,

Estancelin,

Escarbatin,

Le comte Chris- tian d'Elva,

Errd, maçon,

Euris.

M"* la comtesse

de Franqueville

Marquis de Fiers,

Comte de Fresne,

douce,

Farmann, rédac- teur du Stan- dard ;

Fouchard,

Ant. Faure,

Jean de Franque- ville,

Baron de Fou- gères,

F. Ferari,

Marquise de la Ferronays,

Duc de la Force,

D. de Frayssine, Comte de Froide- fonds de Farges,

De Fouquières, Commandant de

Fleury, De Frazals, Baron et baronne deFonscolombes M'^^ Aline Foi^es- tier,

E. Forestier,

C' François de la Forest-Divonne Antoine Faur, Baron de Fisquet,

470

Fontaine,

A . F 1 o r i m o n , deuxième vi- caire à Eu,

A. Fournier,

Blanche Fournier,

Constance Four- nier,

Frézard,

ElconoreFrézard,

SuzanneFournier,

Froment-Meurice,

François Froment- Meurice,

RosalieFouqueux,

Henriette Fleury, veuve Farre ;

Adolphine Fri- court,

Delphine Flament- Mignot,

Blanche Fourdri- nier,

Frédéric Fabrège,

R. de Ferry,

Marquis de Four- nès,

Alfred Fcrnjent,

James Flandforth,

Foire,

Ernest Frété,

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

Hilaire Foucam

bert,

Numa Flonet, con- seiller munici- pal ;

Gustave Fournier,

De Fourtou,

Vicomte de Fou- cault,

A. Fieuriot,

G. Ferney,

François Ferrari,

L. Flerle,

Franchet d'Espe- rey,

D. Fourrier,

De Fleury,

De Frezals,

Le comte de Flavi-

J.-B. de la Flotte, A. -R.de la Flotte, A. des Franges, Freyburger, Barnabe Ferra nd, Comte Ferrand, Foblanc, Léon Fautrat, Famichon , culti- vateur; Louis Freyer,

François Feslé,

Edouard Flutre,

Fouchambert,

J. Féramus,

Fréchon,

Fréchois,

Farsure.

G

Albert Gillou,

Comte de Geffre

De Chabrignan,

De Gromard de la Servière,

Ferdinand Golds- mith,

William Guinet,

A. Gée,

Grandsa,

C. Guérard,

Arthur Gifiard,

Guilliard,

De Galtye et sa fa- mille,

A. Gauthier,

Grossaert,

Grausert,

Le Go nid oc,

Vincent Ga[)enne,

Grandbert,

Des Granges,

D. Gaillac, Gavelle, Gudin, messager;

E. Grémaille, Guignon, Ch. Guenard, V. Guenard, Docteur Guigeot, Raoul de Giro-

mard, Comte de Gemaux, Gaston Galempoix Joseph Gigot, GeorgesGuilmain, Arthur Guilmain, Victor Germe, Guichard, Docteur Gouraud, M. et M'"'' de Guil-

lebout, Godin,

Albert Gigot, an- cien préfet; Guillaume Guizot, Gavard, ancien mi- nistre plénipo- tentiaire ; G. Genevoix, Comte de Guer- sand,

INSCRIPTIONS A EU ET AU TRÉPORT 471

Jeanne Groux, M. et M"<=deGril-

leau, H. Gally, Paul de Girard, Henry Gréau, an- cien magistrat; Edouard Grimblot Paul de Girard, Comtesse de Gra-

Grandsaire, Ch. Gourdain, A. Godquin, Comte de Gra-

mont d'Aster, Comte Emmanuel

deGouy d'Arcy, Baron du Gabé,

ancien préfet; Louis Gély, Félix Guatelle, P. Grandsire, Le général et M™®

Guillemin, Philoniène Gau-

dry, Malvina Gourdain, H. Gréau, Veuve Guert, Ed. Guérin, E. Gris, Fernand du Gro-

nie, Gracié-Doublé, De Gromard, Gibon,

Marie Goudré, Blanche Gran-

camp, De Guillebon, née

de Bretazet ;

medo, M. et M""* Manuel

de Gramedo, G. de Gérard, Général Guillemin De Grilleau, C. de Gessler, J. Grout, ancien

député ; Duc de Glucks-

berg, Général comte de

Geslin, Marquis deGalard Comte deGalard, V'« de Galard, Coratede Grollier, Godelle , ancien

député ; M'^ de Ginestous, V'*^ de Ginestous,

472

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

M. etM""» de Gal-

lye, Comte Raoul de

Gontaut-Biron, Comte Stanislasde

Gontaut-Biron, Comte de Gironde, Comte de Ganay.

H

Edouard Hervé, Handfeldt, D'Hocquélus, I)*" Horteloup, Baron Ch. Hù-

mann, Oscar Havard, E. Hauteur, Eug. Houel, Docteur Paul

Hélot, Baron et baronne

Hulot, Houdaille de Rail-

Edmond de Moue

d'IIédicourt, Jules Hunebelle, Georges Huillard, Emile Hébert,

Hottinguer,

Georges Hincelin, à Mantes;

Hardy,

G. d'Hauteserve,

Baron d'Hunols- tein,

Paul Hinfray-Lan- glois,

M"* Jeanne Hin- fray,

C»" Hallez-Clapa- rède,

Juliette Hens- treaux,

Hecquet ,

Veuve Hénin , bou- chère,

Hautin,

Vicomte Ernest d'Hardivilliers ,

Hautbout,

Borthe Hollerith,

Juliette Heurte- vent de Blangy,

Eugénie Houle,

Hesse,

Hove,

J. Handforth,

G. d'Hervilly,

Gabriel Houdant,

Philippe II a r- douin,

Maurice Hachette,

0. Hecquet,

Hecquet- Bacquet,

E. Haudeboust,

Léon Hétroz,

Huyard,

Ch. de la Haie de Cherville,

De la Haye-Jous- selin.

Comte d'Harcourt,

G. des Horts,

Marquis de Huile- court,

Félix Hautrechy,

Léopold Hautre- chy,

Iloltz, serrurier,

Heding,

Henri Houle,

Hanon,

Hochart - Tcllier , épicier;

Paul Hardin,

D'Harlay,

Comte Jacques d'Hanion,

Haii(lri(|ii(\

Aristide llay,

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

473

Vicomte duHamel,

F, Le Harivel,

Hédin,

Léon Hommey,

Louis d'Hurcourt,

E. Handebourg,

Hativet,

Hetelier,

Baron de Heïmann

Emile Halboiirg,

D'Hoquelies.

.Le comte René des Isnards,

D'Imbleval de Ro- mesnil,

L'abbé D. Isnard,

Comte d'Ideville, ancien préfet;

Veuve Imbes.

Janicot,

Le baron de Jou- venel , ancien député ;

De Jouvenel , an- cien préfet;

Olivier de Jouven- cel, ancien sous- préfet; Josepb Joubert, Jumi lie-Evrard, De Joantho, ArsèneJacquepré, Céline Julien, A Jonteur, ancien

magistrat ; Céline Jumel d'Im- bleval de Ro- mesnil, André Joubert, Victor Edmond

Joly, Jumines,

Michel Jacquemin, Nathaniel Johns-

ton et ses fils, Emile Jullien, A. Le Joulteux.

K

Baronne de Kin-

kelm, M. de Kermaln-

gant, Baron de Kains-

keiln,

0. de Kainlis, Comte Florian de

Kergorlay, Comte R. de Ker-

saint, Vicomte de Kerret Koch.

Ch. Lacroix, Général Léris, M. etM"'® Lambert

deSainte-Croix, M"" Leconte de

Largentaye, Stephen Leech, Comte Robert du

Luart, L'Homme - Chevin Leclerc , cordon- nier; Leroux, M. et M"* Lemar-

chand, Comte de L'Espi-

nasse-Langeac , V^" de L'Espi-

nasse-Langeac, Comte Adhémar

de Lusignan,

474 INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

Léonce de La Val

leye, Baron de Layre, Lefébure, Donatien Le-

vesque, Marquis de la

Guiche, Marquis de la

Rochejaquelein, Vicomte de Luppé Bai'on Le Feuvre, Dick de Lonlay, Baron Gustave de

Lestrange, Baron de Léry, Georges de Lhor-

mel, Comte Roger de

Levaulx, M. LeeChilde, Marquis de Lore, M"* Lacave - La-

plagnc, A. Le Landais et

ses fils, G. de l'Etoile, De Ladoucette,

ancien député ; La Chambre, an- cien député ;

Ad. Lanne, Limbourg, ancien

préfet ; Duchesse de la

Rochefoucauld-

Bisaccia, Legrand de Vil-

1ers, régent de

la Banque de

France ; Georges Leroy, A. Lhuillier, Le Bœuf, Lefébure, M'»^ et M"'' La-

loue, Abel Laboulais, Lugarre, Lugand, Levratte, Comte Laizer, Lottin, Louis-Philippe

Lephay, L emaire, à Eu; A. Lcfebvre, M"*^ Lccomte, Loprêtre, Lomonier, Adoljdiinc Lou-

vet.

Langlois,

Veuve Labarre,

M. et M'^'^Lanet,

Paul Lasnier,

Labault,

Leblanc,

E. de Ladoucette,

Leraarchand,

Lecomte,

H. Leroux,

Stéphanie Lettre,

M a r i e L e m a i r e- Duponchel,

Lemaire - Dujion- chel, armateur;

Lebourg,

Florine Lecomte,

Augustine Lau- rent,

Lem arquant,

Letellier,

Adrien Léon,

Florentin Laurent

Landrieu,

Langlacé, au Tré- port ;

M"^ Marie Le- grand,

Hélène Laudet,

Pauline Leroux,

Léonie Létodee,

INSCRIPTIONS A EU ET AU TRÉPORT

Latliier Bréard, R. Lavernot,

Elise Lefort, Lacoste,

Latapie, J.Lanet,

Marie Lecomle - Le Vareux,

475

Dutertre, Augustine Landin Baron Albert Le-

feuvre, A. Leron, Levasseur, horlo- ger, Baron de Langs-

dorff, Lefort, boulanger, Louis Lerin de

Bonne, Ch. Lezanneau, Duc de Lorge, Marquis de Lara, J. de Lamburcy

de Lorgne, Docteur Le Bec , chirurgien de l'hôpital Saint- Joseph, Ernest Levoir, Lormier, Henry Lorin, Jules Labitte, Lelong, ingénieur Lavernot père,

Léger,

Joseph Lenfant, Llld,

Ch. Lepoulre, René Laperche, Paul Le Breton, Edmond Langlois Baron Al. de l'É- pine, conseiller général de la Somme ; Paul La Perche, Stanislas La Per- che, Alfred Leconte ,

bourrelier; E. Lelong fils. Comte de Lam-

bertye, J. du Lac, R. du Lac, Baron de la Mar-

tinière, Henry Labutor, Joseph Lagarenne Lamothe, Emile Léger,

Lecouturier,

Ch. Lesain,

G. de Léris,

Lefort, boulanger.

Marquis de Langle

Loquet et sa fa- mille,

Lemoult-Garnier,

M. Lambard,

V. Laignel,

Lenoble , maître maçon,

Jonas Lefranc, ad- joint au maire du Tréport ;

Lameille, arma- teur, adjoint au maire du Tré- port ;

Comte Roger de La Vaulx,

Londinières,

Philippe Lereau,

J.-B. Le Duc,

Comte Charles de Lur-Saluces,

Albert Lecomte , cultivateur ;

Lenout,

Jules Lhotellier,

Alfred Leroux,

476 INSCRIPTIONS A EU ET AU TRÉPORT

Merlier, Comte Foulques

Juliette Merlin, de Maillé,

Veuve Maugis, Baron et baronne

Miné-Bardet, de la Motte,

Mejassou, M. et M"' Ch.

Auguste Leclerc, épicier h Eu ;

Loench,

Comte E . Lachaud de Guimerville,

Legranier,

Lepeytre, magis- trat démission- naire;

Léon Leroux, curé de Saint-Pierre;

Et. Lelaume.

M

Marquise de Mac

Mahon, Du May, Baronne de la

Motte, Z. Malot, Gh. Marchand, M. Marchand, Marie Malot, Victoire Malot, Emma Mesnil, Henri Maqueron, De Montry, M">« de Monta-

gnac, M-^M.deMarigny,

Moinard,

Comtesse du Ma- noir,

Augustine Mou- chaux,

Michallet,

Mainguet,

Comtesse de Mal- herbe,

J. Morett}^

Du Mesgril d'Ar- rentières.

Baron de Maudel,

De Maiquein,

F. Mouchy, ou- vrier ;

Emile Maillard,

Baron de Mathan,

De Malleville,

C'^ de Merlemont,

Comte de Maleis- sye.

Vicomte de Mont- réal,

Du Mesquil d'Ar- rentière,

Moisant,

Vicomte de Mont- fort,

ComteR.deMont- laur,

Capitaine Mor- hain.

De Mieules,

Comte de Mun,

Miot,

Docteur Martin,

Jean de Marigny,

Georges Marques,

Comte Wladimir de Montesquiou

Comte Louis de Montesquiou,

Comte de Montes- quiou,

Vicomte de Mon- tesquiou,

ComteG.de Mont- germont,

Victor Massé,

Marveille de Cal- vias.

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

477

V'e Maggiolo,

Emile Magnin,

Baron de jNIorell,

Joseph de Valence de Minardière,

Vicomte H. de Maupeou,

De Montaigu,

Baron de Monne- cove,

De Milleville,

Comte Jean de IMontebello,

Baron de Maingo- val, ancien dé- puté ;

Baron de Mont- rond,

Roger de Morlain- court,

Vicomte de Mon- saulnin,

Baron de Mon- treuil,

Comte de Mous- tiers,

De Magneville,

Merveilleux - Du- vigneaux,

Morel,

Comte de Murard,

Baron ^lartin du Nord,

A Mallet,

J. Malot,

Eugène Marchan- din.

De Midardière,

E. Maguin,

Adèle Maria, do- mestique ;

A. Memplot,

M. Menpiot,

Marteaux,

Malençon,

Veuve Metel,

Mollard,

C"=H. de Mérode,

Roger de Morlain- court,

René de Matharel- Jayr,

Vicomte Meujol- d'Elbenne,

A. Masson,

V. Masse,

Mouquet,

E. Magnin,

Marc Merlin,

Mute père et fils,

Maves,

Baron de Maiu-

geral, ancien dé- puté,

Moratin,

Comte Adrien de Mirepoix,

Emile Masquelier,

Vicomte A. deMo- rogues,

Léon Marty,

G. Marquis Co- hen,

De Milleville de Nesles,

R. de Maignien- ville,

Vicomte de Mont- fort, conseiller général,

Macré,

Louis Mouchy, ou- vrier ;

Poirier Mouch}', ouvrier ;

Mercier,

D-- J. Michellet,

Comte Pierre des Monstiers - Me- rinville,

A. -F. Monchaux,

Malet,

L. du May,

478

Metel,

Paul Marsan,

Irénée Malot,

A. deMontbrison,

B. de Mas, A. de Mas, Comte Renaud de

Moustiers, Docteur Martin, Edouard Marquet, Louis Marquet, Stéphane Marquet Minival, Marchandiu, P. Marchandiu, Milon,

René Magimel, Baron de Monta-

lens, Raymond Mallet,

épicier ; Henri Moneiron, Les ouvriers de

M. Mopain, Mainnemare, Jules Merlier, Mas fils, César Martin, Edmond Maillard, Albert Mignot,

INSCBIPTIONS A EU ET A.U TREPORT

N

Baron V. de Noir- fontaine,

Comte de Nico- lay,

Numa Flouest,

Neveux,

Baron G. de Noir- mont,

Baron R. deNervo

Charles Nicoul- laud,

Comte de Néver lée,

Henri Neveu,

Julie Nevel-Mou- quet,

Pierre M. de Ne ronde,

Neveux,

Noguès jeune,

Noton.

A. Obel, Odiguet, E. Oscar, Veuve Obry, L. Obry,

D'Oresmieulx de Brugnières de S'^-Opj)ortune,

Veuve Ossart,

Angèle Ouin,

A. Ozenne,

Ch. Orvil,

M'" d'Osmond.

Ernest Petit, P. du Perron, Pacossin, jyime Posière, Commandant Phi-

lij)pod, M. et M"« Ernest

Polack, G. Périer, Vicomte du Puget, Prouvel, Du Périer, A. de Pruynes, Henri Pigache, Comte de Puyfon-

taine, M. otM""" des Po-

mares, Louis de Piirse-

val,

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

479

Comte du Passage, Georges Pradel, Comte Karl de

Partz, Colonel Ch. Per-

rot, Comte et comtesse

Jean de Puysé-

gur, Pougny, ancien

préfet ; A. Pérignon, A. Pichard, Eug. Pichard fils, Comte et com- tesse Camille de

Pontivy, Palpied , maître

d'hôtel ; Prochard, Papillon, Général Pourcet , L. Parmentier, Marie Pecquez, Parny,

Clarisse Pauchet, Eugène Pauchet, Papin,

G. Posthmann, Paterelle de Rom, Désirée Petit,

Pardieu,

Pruvot,

De Pessenneville,

Pochol,

Perquier,

Veuve Pasière et ses enfants,

Armand Preux,

0. Payant,

Comte du Plessis,

L. Prat,

Edgar de Pom- mereau,

Gaston Philip - peau,

Pallé, patron de bateau ;

E. Papin,

A. Papin,

J. de Par se val,

Petit aîné, sellier;

Edelin de la Prau- dières,

Picard,

A. Picro, maré- chal des logis de gendarmerie en retraite;

Paul du Perron,

Camille Paradin,

Pavillon,

Perrot,

L. Perrot,

Maurice de Pran- dières,anc. pro- cureur général;

E. Panchat,

Privé,

Onésime Poussi- ns,

J. Poyer,

Poirol, garde par- ticulier ;

Poinsignon ,

Poyer,

Félix Pruvot de Fretterneulle,

Pinoquet,

Vicomte du Pey- roux,

Perrot, rédacteur de VExpress de Lyon ;

V'« Marc de Pully,

Marquis Guilhem de Pothuau,

Paignel Henocque

Périmont,

Pasoalis frères,

Charles de Pire,

Aug. Paurchez.

480 INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

Q EtienneRécamier, Raymond deRavi-

o-nan.

Comte et comtesse

H u m b e r t de

Quinsonas, Comte et comtesse

de Quinsonas , Henri Quesnel, Robert Quenne-

hon, Quevauvillier, Sophie Quenne-

hon, Maria Quesné, Quévol , Désiré Quéral.

EtienneRécamier, Comte de Ressé-

R

Ror

Comte de thays,

VicomteR.de Ror- thays,

Maurice de Ran- vière,

Baron de la Ro- chetaillée,

Baron de Roux- Larcy,

Emiiianuel de Ri- card,

guier, Rambert, M™* Rimbert, DeRobernierMuf-

fedy, Comte et comtesse

de Riancey, Ambroise Rendu, Comte Pierre de

Rougé, C'^ de Rambuteau, Marquis et mar- quise des Roys, Jean deRavignan, Joseph Récamier, Baron et baronne

de Ravinel, G. de Raimbou-

villé, Ed. Rivault, Alb. Le Bachelier

de la Rivière, De Ramel, Général baron Ro-

billot. Baron de Rabau-

dy-Montaussin, C" de Romanet, Henri Ribot,

Ripert,

Comte de Ram-

bouvllle, Léonce de la Ral-

laye, Marquis de Rilly

d'Oyrouville, A. Rousset, Roulans, RauUais, Raudin,

Emile Richard, Comte Guy de la

Rochefoucauld , Sincère Romey, Roulier-Breton et

ses fils; Léontine Roquery Félicie Roussel, Julie Roussel, Germaine de Ro-

chefort, A. Rocofort, con- seiller général; Fern. Ratisbonne, Renault, bâton nier

des avocats, à

Versailles; F. Ribar,

ÎXSCRIPTIOXS A EU ET AU TREPORT

481

Comte Pierre de Rougé,

E. Robinot, Comte Rambert,

ancien magis- trat ; Ch. Romain, Patte-Romain, Comte de Rien- court, Jean de Rochefort, Louis de Roche- fort, Camille Reculard,

F. Rembel-Bryan, Rapplex, Comte de la Ro-

checantin.

Routier- Tillard père et lils,

Comtesse de Ram- bures,

Raymond,

Ravin,

Maurice Riquier,

Rousiot,

Paul de Raynal, ancien substitut

De Raisraes, an- cien magisti'at.

S

Duc de Sabran- Pontevès,

J. de Seynes,

Princesse de Sa- gan,

Em. de Saissel,

Sorres,

Sweeting,

Sazerac de Forges

Léonide Sazerac de Forges,

H. Serrure,

M. et M"« de Son- geons,

G. de Saint-Quen- tin, ancien pré- fet;

Gaston de Savi- gnies.

Baron de Saint- Preux,

Sainte-Claire De- ville,

René Simard, Joseph de Sam-

burey de Sor-

gue. Vicomte Paul de

Saisy, Comte de Suzan-

net. Comte H. de Saint- Georges, Vicomte de Sapi-

naud, Henry de Saint-

Genys, G. de Sessler, C. Séguin, René Simard, Marquis de Sers, Comte de Sers, Comte de Savigny

de Moncorps, Léon Senne, Comtesse de Saint

Lieux, Henri Schneider,

Comte et comtesse Souchières,

de Salvandy, E. Sénart, de l'Ins- titut ; Marquis de Ses- maisons,

Sinoquet, E. de Saisset, Baronne Sabatier, Comtesse deSalis, Philomène Sempy

31

482

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

Savary,

Veuve Servais,

E. de Sigueur,

Baron de Saint- Paul,

Vicomte de Sainte- Marie duNozet,

Ch. Sonef, avocat;

Baron Pierre Sé- guier,

G. Sweeting fils,

Raoul Scelles,

Ch. Scelles,

M. et M™*' de Sain- te-Opportune,

Comte et comtesse Sérurier,

Albert Saint-Au- bin,

Georges Stincel- lin,

Sonier-Dupré,

Victor Serant,

Comte de Saporta,

E. Souchières,

Vicomte de Saint- Seine,

A. Sommier,

Comte Séguin de la Salle,

L. Suisse aîné,

E. Stalin, Henri Sabato, L. Salanson, con- seiller général; Stoup.

^'icomte de Tré-

dern, Thomas,

Comte de Toulza, Henri Turol, Baron du Teil, Baron du Teil du

Havelt, Marquis de Tan-

lay, A. de Taisne, Marquis de Tracy, Comte Terray, Tripier, ancien

préfet; Thureau-Dangin, D. Triquet, Henri Tnrot, Baron du Til du Havetz de Mon- tagne, Theron, Tavernier,

A. Tesallais, Amelina Touzet, Pascaline Tro- phardy,

A. Taillandier,

Veuve Thiéron,

Princesse de la Tour d'Auver- gne,

Tiby,

M"« P. Taffebaut,

Albertine Ternois

Tripart,

Troude,

Virginie Têtu - Bonnechon,

Eugène Thomas, des zouaves pontificaux ;

Duc de la Torre,

N. desTournelles,

G. Tragin,

Toulon,

Toillier père,

Ternisien,

Désiré Thiébaull,

Léopold Thiébiuilt

A. de Taisne,

M.ctM'"^H. Tur- pin,

Anatole Tourtt,

INSCRIPTIONS A EU ET AU TREPORT

Jules Touret, Etienne Trubert, Thuillier Chryso-

gon, Baron Tristan

Lambert, ancien

483

député; Turlebeaurain, Comte Turque -

mont, Thires, A. Thoracli, Ternon, meunier, Max Thélu.

U

Albert Uhrich. V

Comte et comtesse A. de Vogué,

Marquis de Varen- nes.

Baron de Vaufre- land,

G. de Villeneuve et :M'"'' g. de Villeneuve, née de Montalivet;

Albert de Vallande

M'"® de Verton, Albert Varalle, Vicomte de la Vil-

larmois, Vicomte et vicom- tesse de Valicourt

X. de Vaugelas,

Comte Max deVa- langlart.

Duc de Vallom- brosa,

De Varanval,

E. de Verges,

Comte de Ville- neuve, ancien préfet ;

Comtesse de Ville- neuve,

Vassard,

Joseph de la Va- lence,

A. Versepuy,

Vicomtesse de Va- licourt,

Viette,

Elise Vallier,

Viel,

Angelina Vaque,

Martha Vatan,

Vignoble,

Vicomte Vigier,

U'' de la Vieuville

S. de Vignières,

De Verton,

Albert Vairale,

Maurice Viossat,

Auger de Vesian,

Jules Verne,

C"' Gaston deVil- leneuve-Guibert,

ComteA.de Ville- neuve-Guibert,

Verel,

Abel Vaurabourg,

Vilfroy fils,

Vincent,

Vasseur,

De Villepin d'Au- bigny,

Vacandare,

Vicomte de Vau- logé,

Vairras,

M. etM""' Varraz,

Alp. "N^erdiec,

Louis Varnier ,

Henri Vinard, an- cien procureur.

W

Wiallat,

484 INSCRIPTIONS A EU ET AU TRÉPORT

Gornélis de Witt

Wattebled Au -

Comte Arthur de

et ses fils,

guste,

Wall,

Jules Wagnet,

Wattebled - Bec-

J.E. VandeWyn-

Watel,

quet.

ckele,

L. Watel,

Léopold Warnier,

Wanchy,

Wailly,

briquetier ;

M. et M""= R. de

H. de Witasse-

Léon Wagner,

Wendel.

Thézy,

ajusteur;

y

R. de Witasse-

GustaveWolgarue

Thézy,

Ager de Wailly,

G. Yver.

TABLE DES GRAVURES

Portrait de Msi' le comte de Paris Frontispice

Portrait de Madame la comtesse de Paris 72

Portrait de S. A. R. Philippe duc d'Orléans 136

Porti-ait de S. A. R. la princesse Hélène. 216

Poi'traits de LL. AA. RR. les princesses Isabelle, Louise, et le prince Ferdinand 260

Portrait de S. A. R. la princesse Amélie ducliesse de Bra- gance .... 282

TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE I"

1838-1858

Mariage de S. A. R. le duc d'Orléans, prince royal, avec S. A. 11. la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin (30 mai 1837). Fêtes à cette occasion. Le palais de Ver- sailles. — Naissance de S. A, R. le comte de Paris (24 août 1838). Son enfance. Lettres de M^e la duchesse d'Or- léans. — La vie de famille au palais des Tuileries. Naissance de M. le duc de Chartres (9 novembre 1840). Baptême de M. le comte de Paris (2 mai 1841). La mort de Mk"" le duc d'Orléans (13 juillet 1842). Anecdotes sur le duc d'Or- léans, d'après Alexandre Dumas. L'éducation de M. le comte de Paris et de son frère le duc de Chartres. Lettres de M'"'^ la duchesse d'Orléans sur les jeunes princes. Acci- dent au Tréport (1844). La révolution du 24 Février 1848. M"" la duchesse d'Orléans à la Chambre des députés. Son départ de 'France avec les jeunes princes. Ses paroles à Lille. Au château d'Eisenach. Voyage en Angleterre. (1849). La loi d'exil du 26 mai 1848. La première com- munion de M. le comte de Paris, racontée par M™e la du- chesse d'Orléans (20 juillet 1850). Mort du roi Louis- Philippe (26 août 1850) et de la reine des Belges (10 octobre 1850). Union de la famille royale. Les jeunes princes au pont de Kehl. Le comte de Paris et le duc de Chartres parcourent les champs de bataille de l'Europe. Voyages d'instruction. Protestation des princes contre les décrets du 22 janvier 1852 qui les dépouillent de leurs biens. Voyage en Angleterre (1853). Accident de M">e la duchesse d'Or- léans en Suisse (1853). Les princes pendant la guerre de Crimée (1854-1855). Mort de S. A. R. M^^Ma duchesse d'Orléans en Angleterre (18 mai 1858) 1

488 TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE II

1858-1870

Voyage en Orient de M. le comte de Paris. Il visite Jé- rusalem et la Syrie (1860). Publication en Angleterre du récit de son voyage. Campagne d'Amérit{ue (1861-1862). Le comte de Paris et le duc de Chartres, à l'état-major du gé- néral Mac Clellan. Siège et prise de Yorktown (4 avril- 4 mai). Bataille de \Yilliamsburg (5 mai). Bataille de Fair- Oaks (31 mai-1*' juin 1862). La retraite des sept jours vers le Jamc's River. Bataille de Malvern-llill. Bataille de Gain's Mill (27 juin). Rapports tendus entre le gouverne- ment américain et le gouvernement impérial français. Démis- sion de M. le comte de Paris et de M. le duc de Chartres. Retour en Europe (juillet 1862). Une lettre de M. le prince de Joinville sur les derniers combats des jeunes princes en Amérique. (Fort Monroe, 1^"' juillet 1862). L'opinion du général Mac Clellan sur les princes, pendant la guerre d'Amé- rique. — Travaux littéraires de M. le comte de Paris en exil. Damas et le Liban (1861), à Londres, chez Jeffs ; Une semaine de Noël dans le Lancashire [Revue des Ceux Mondes, à Paris, numéro du l^"" février 1863, signé X. Raymond); L'Allemagne nouvelle (Revue des Deux Mondes du 1"^' août 1867); L'Eglise d'Etat et l'Eglise libre d'Irlande (Revue des Deux Mondes du 15 mai 1868). M. le comte de Paris étudie à Manchester et dans plusieurs villes d'Angleterre les questions ouvrières. Son Livre : Les associations ouvrières en Angleterre (Trade's Unions, 1869.) Publication par M. le comte de Paris et 1\L le duc de Chartres des Campagnes d'Afrique du duc d'Orléans. Ij' Esprit de conquête en 1870. (Courrier de la Gironde des 25, 26, 27, 28 et 29 décembre 1870).

Mariage de M. le comte de Paris avec la princesse Isabelle de Montpensier (30 mai 1864). Fêtes à cette occasion. INaissance de S. A. \\. Madame la princesse Amélie (28 septem- bre 1865). Mort de la reine Marie-Amélie (24 mars 1866). Voyage de M. le comte de Paris en Espagne (1867). Le prince se fixe à York llousc. Naissance de S. A. R. le duc d'Or-

«

TABLE DES MATIÈRES 489

léans (6 février 1869). Lettre des princes d'Orléans au président de la- Cliambre des députés ( 19 juin 1870). La pétition des princes est repoussée. Lettre de M. le comte de Paris au comte de Kératry (4 juillet 1870). Lettre de M. le comte de Paris ( 20 août 1870) au général comte Dumas. Les princes d'Orléans pendant la guerre. Lettre de M. le comte de Paris au général baron de Chabaud-Latour (17 janvier 1871) 73

CHAPITRE III

1871-1873

Abrogation des lois d'e.xil (8 juin 1871). Naissance de S. A. R. la princesse Hélène (12 juin 1871). Rentrée des princes en France. Le manifeste de Chambord (5 juillet 1871). Les princes d'Orléans dans l'armée française. Pro- jet de loi présenté par le gouvernement, pour la restitution des biens des princes. La vérité sur cette loi. Généro- sité des princes envers la France à laquelle ils abandonnent la moitié de leur fortune. M. le comte de Paris s'installe à Pai'is, faubourg Saint-Honoré, chez son oncle, le duc d'Au- male. Réceptions de M. le comte de Paris. Sa vie à Paris. Excursions de M. le comte de Paris en France. Visite à Bourges, aux mines de la Grand'Combe, d'Anzin, en Touraine, etc. Première visite du prince à Eu, et aux usines Packam. Excursions en Bretagne, en Normandie, Ji Aix.

Publication par M. le comte de Paris de son ouvrage : La situation des ouvriers en Angleterre (mars 1873). Voyage de M. le comte de Paris en Afrique (mai 1873). Chute de M. Thiers, et présidence du maréchal de Mac Mahon.

M. le comte de Paris se rend à Vienne (fin juillet 1873), L'entrevue de Frohsdorf du 5 août 1873. Fusion des deux branches de la maison de Bourbon. La fusion souhaitée par le roi Louis-Philippe, et annoncée par M. Guizot en 1850.

Les princes d'Orléans chez M. le comte de Chambord (sep- tembre-octobre 1873). Grande émotion dans toute la France.

Manœuvres des républicains pour lutter contre le courant

490 TABLE DES MATIÈRES

royaliste. M. le comte de Paris jugé par M. le comte d Chambord. M. le comte de Chambord et les députés royalistes. Anecdotes : M. le comte de Chambord en Ba- vière. Mot du prince Napoléon sur la restauration de la mo- narchie. - La Lettre de M. le comte de Chambord, du 27 oc- tobre 1873. Echec certain de la loi pour le rétablissement de la monarchie. M. le comte de Chambord à Versailles (novembre 1873). Prorogation des pouvoirs du maréchal de ^L'^c Maiion. Mort du prince Ferdinand, frère de Madame la comtesse de Paris (décembre 1873) 136

CHAPITRE IV

187i-1883

Entrevue de M. le comte de Paris, avec le czar Alexandre II, en Angleterre (1874). Naissance du prince Charles, fils de M. le comte de Paris. Il meurt à l'âge de six mois (7 juin 1375^, Translation à Dreux des restes du roi Louis-Philippe, de la reine Marie-Amélie, de M™° la duchesse d'Orléans, de M""* la duchesse d'Aumale, de M6' le prince de Condé (8 juin 1876). M. le comte de Paris accompagne son frère et ses oncles aux grandes manœuvres à Dreux (1876). Mariage de la princesse Mercedes, sœur de Madame la comtesse de Paris, avec Alphonse XII, roi d'Espagne (23 janvier 1878). Mort de la jeune reine (26 juin 1878). Lettres de M. le comte de Paris | 3 et 21 mars 1878) à M. le comte Sérurier, vice-pré- sident du Comité de l'Union franco-américaine. Naissance à Eu de S. A. H. M™'' la princesse Isabelle, troisième fille de M. le comte de Paris (7 mai 1878). Naissance à Eu du prince Jacques, deuxième fils de M. le comte de Paris (11 juillet 1880) et mort du jeune prince (22 janvier 1881). Naissance à Cannes de S. A. R. M™° la princesse Louise, quatrième fille de M. le comte de Paris (24 février 1882). Visite de M. le comte de Paris à M. Victor de Laprade mourant (Cannes, avril 18821. Le jeune duc d'Orléans au collège Stanislas. M. le comte de Paris aux grandes manœuvres. Voyage, inco- gnito, ù Rome, de M. le comte de Paris. Son entrevue avec

TABLE DES MATIÈRES 491

le Pape Léon XIII (septembre 1882). Générosités et bien- faisance de M. le comte de Paris et de Madame la comtesse de Paris, à Eu et au Tréport. La vie de M. le comte de Paris au château d'Eu 201

CHAPITRE V

1883

Discussion en 1883 à la Chambre des députés et au Sénat, de la proposition Floquet, tendant à exiler les princes d'Or- léans et les Bonapartes. Le Sénat rejette la loi d'exil, à cinq voix de majorité. Les princes privés de leurs grades dans l'armée française (février 1883). Voyage de M. le comte de Paris, en Sicile, avec M. le duc d'Aumale : visite aux temples de P;cstum, de Segeste, aux ruines de Sélinonte, à l'église de Montréal près Palerme, Naples et Pompéi (avril 1883). Première communion, à Eu, de S. A. R. M™° la princesse Hélène, deuxième fille de M. le comte de Paris.

Maladie de M, le comte de Chambord. Départ pour Vienne de M, le comte de Paris (lundi soir, 2 juillet), accom- pagné de M. le duc de Nemours et de M. le duc d'Alençon. Entrevue de-s princes avec M. le comte de Chambord (7 juillet). Lettre de M. le duc de Nemours sur cette entrevue. Légère amélioration dans l'état de M. le comte de Chambord. Rentrée des princes en France. Succès de M. le duc d'Or- léans au collège Stanislas. Mort de M. le comte de Cham- bord (24 août 1883). Départ des princes d'Orléans pour Frohsdorf. La cérémonie funèbre à Frohsdorf. Notifica- tion aux souverains, par M. le comte de Paris, de la mort de M. le comte de Chambord. Retour en France de M. le comte de Paris. Obsèques de M. le comte de Chambord à Gorit/, (3 septembre 1883). Récit exact de ce qui s'y passa. Unité dans le parti royaliste. Réceptions de M. le comte de Paris à Eu. Publication des tomes V et VI de l'Histoire de la guerre civile en Amérique , par M. le comte de Paris. . . . 217

492 TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE VI

1884-1885

Voyage en Espagne de M. le comte de Paris (janvier 188i ). Attentat découvert à Lyon, contre M. le comte de Paris (janvier 1884). M. le comte de Paris et Madanie la com- tesse de Paris, aux obsèques du duc d'Albany à Cannes (2 avril 1884). M. le duc de Chartres se rend à Marseille distri- buer 50,000 francs aux cholériques, au nom de M. le comte de Paris. M. le comte de Paris et son grade de lieutenant- colonel dans l'armée territoriale. Visite au château d'Eu de LL. AA. RR. le comte et la comtesse de Flandre (22 juillet 1884). M. le comte de Paris et M. le duc d'Orléans à un incendie au Tréport (août 1884). Service comménioratif à Eu pour M. le comte de Chambord (24 août 1884). Une lettre de INI. le comte de Paris à M. le comte de Laubespin, sur la mort de son neveu, le baron de Lespérut. Naissance à Eu de S. A. R. le prince Ferdinand, deuxième fils de M, le comte de Paris (9 septembre 1884). Le Pape Léon XIII envoie sa bénédiction au nouveau-né, et à Madame la com- tesse de Paris. M. le comte de Paris envoie 10,000 francs au denier de Saint-Pierre.

Souscription de M. le comte de Paris pour la quête en faveur des aumôniers des hôpitaux de Paris (16 février 1885). Bénédiction de la statue de Notre-Dame du Tréport (23 août 1885). L'archevêque de Rouen au château d'Eu. Mariage au cliâteau d'Eu de S. A. R. la princesse Marie de Chartres, avec S. A. R. le prince ^Yaldemar, dernier fils du roi de Dane- mark (22 octobre 1885). Le service pour le roi d'Espagne Alphonse XII, à l'église Saint-François-Xavier, à Paris (6 décembre 1885). M. le comte de Paris et Madame la com- tesse de Paris, parrain et marraine, à Cannes, du dixième en- fant de S. A. R. le comte de Caserte, frère de S. M. le roi de Naples (20 décembre 1885) 261

TABLE DES MATIÈRES 493

CHAPITRE VII

Janvier-Juin 1886

Dépêche télégraphique de M. le comte de Paris, à M. le comte de Blois, neveu du comte de Falloux, sur la mort de son oncle (10 janvier 1886). M. le comte de Paris et le duc de Bragance à l'Académie française. Le roi et la reine de Por- tugal demandent officiellement la main de S. A. R. M™" la princesse Amélie de France, à M. le comte de Paris, pour S. A. R. le duc de Bragance. Madame la comtesse de Paris se rend à Madrid, pour le mariage de son frère, le prince Antoine, avec la princesse Eulalie, sœur d'Alphonse XII (février-mars 1886 |. Visite de M. le comte de Paris au Concours agricole du Palais de l'Industrie. Départ du Prince pour Cannes (mars 1886).

Dépèche de M. le comte de Paris, à l'occasion de la mort de I\I™e l;i comtesse de Chambord (Cannes, 25 mars 1886). Retour à Paris : l'incident de la rue Vivienne (mai 1886). Grande réception de M. le comte de Paris, rue de Varenne , à l'occasion du mariage de S. A. R. M'"^ la princesse Amélie (15 mai 1886). Colère des journaux républicains. Cam- pagne pour l'expulsion des princes. Embarras du gouver- nement. — Adieux de M™^ la princesse Amélie à Eu. Ca- deaux donnés à la princesse à Eu et à Paris. Départ pour le Portugal (17 mai). Acclamations et empressement de la foule à chaque station de France, d'Espagne et de Portugal.

Accueil enthousiaste fait aux princes en Espagne et Portugal.

Mariage à Lisbonne de M""" la princesse Amélie (22 mai 1886). Les fêtes à Lisbonne 283

CHAPITRE VIII

Jlin-Décembke 1886

Retour de M. le comte de Paris et de Madame la comtesse de Paris au château d'Eu. Le gouvernement se décide à demander aux Chambres l'expulsion des aînés des familles

494 TABLE DES MATIÈRES

ayant régné sur la France. Une lettre de M. le comte de Paris à un éditeur de Philadelphie à propos de son His- toire de la guerre civile en Amérique (8 juin 1886). Une conversation avec M, de Blowilz, correspondant du Times. Une lettre de M. le comte de Paris à M. Mei'cié, sculpteur (15 juin 1886). Dépèche sympathique d'officiers américains à M. le comte de Paris (juin 1886). Discussion et vote de la loi d'exil à la Chambre et au Sénat. Mesures prises par le gouvernement à Eu et au Tréport. Les dépêches du sous- préfet de Dieppe à la gendarmerie du Tréport. Dernières réceptions au château d'Eu. Grave maladie de M"'*' la princesse Louise à Eu. Adieux touchants de la population, le jeudi matin 24 juin 1886. Départ de M. le comte de Paris et de S. A. 1\. le duc d'Orléans. Immense affluence et vive émotion de la foule, à Eu et au Tréport. Le prince s'em- barque à bord du Victoria ; il salue le drapeau tricolore.... Au revoir à la France ! Arrivée à Douvres. ^ladame la com- tesse de Paris revient, la nuit même, auprès de S. A. R. la princesse Louise. Protestation de M. le comte de Paris, distribuée le vendredi matin, 25 juin, en même temps dans toute la France. Instructions de M. le comte de Paris aux représentants du parti monarchiste en France. Enthousiasme qu'elles provoquent. Appréciation de ce document. Con- clusion 329

APPENDICE

I. Procès-verbal de la naissance de iNIs"" le comte de Paris, d'après le Moniteur du 25 août 1838. , 421

IL Sur la naissance de Mu' le comte de Paris. Pièce de vers par Alfred de Musset. Paris, 29 août 1838 426

Ml. Description de l'épée offerte à Ms"" le comte de Paris, par le (Conseil muuicij)al de la ^ille de Paris. 2 mai 18il. 'liiO

TABLE DES MATIÈRES 495

IV. L'artillerie en Amérique pendant la guerre de séces- sion (1862), par MS' le comte de Paris i35

V. Liste des cadeaux offerts à S. A. R. Madame la princesse Amélie de France, duchesse de Bragance, à l'occasion de son mariage, 15 mai 1886 439

VI. Ms"" le comte de Paris agriculteur 448

VII. Liste par ordre alphabétique des personnes qui se sont rendues au château d'Eu et au Tréport pour saluer Msr le comte de Paris avant son embarquement, le 24 juin 1886. 459

Table des gravures 485

FIN

IMPRIMERIE D. DUMOULIN ET C'^

rue des Grands-Augustins, 5, à Paris.

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UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY

DC Fiers, Hyacinthe Camille Spiro

3^ François de Paule de La Motte

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