iP^CElîVED ^'^^'^ 1 0 Î3Ô.9 WEST VIRGINIA UNIVERSITY MEDICAL CENTER LIBRARY ^i utu ;rj itiàb WVU - Médical Center Library Locked Cage QP 33 B48I . i -, 3 0802 000030497 0 g^^aoo« V.2 1879 Digitized by the Internet Archive in 2011 witii funding from LYRASIS IVIembers and Sloan Foundation Iittp://www.arcliive.org/details/leconssurlesplien02bern .jnrf21 1957 WEST VIFiGINIA UNIVERSITV flîEDICAL CENIER LIBRARY LEÇONS PHÉNOMÈNES DE LA VIE COMMUNS AUX ANIMAUX ET AUX VEGETAUX II TRAVAUX DU MEME AUTEUR Cours de médecine du Collège de France. E,eçoiis do i>liyMiologic expéi-iiupntalo appliquée à la médecine. Paris, 1854-1855, 2 vol. in-8° avec fig-ures 14 fr. I^eçons Miir le»» eflet»» des substances toxi<|iio!<« et intMlicanienfeiises. Paris, 1857, 1 vol. iu-8° avec figures 7 fr. liOçonH .sur la physiologie et la patbologic «lu sy.stèuie nerveux. Paris, 1858, 2 vol. in-S" avec figures 14 fr. I^eçons sur les propriétés physiologiques et les altérations patho- logiques «les li«|iii«i«'s «!«' l'organisme. Paris, 1859, 2 vol. in-8° avec figures 14 fr. L,eçons «le pathologie expérimentale. Paris, 1871, 1 vol. in-S" de 600 pages 7 fr. Leçons sur les anesthésies e( sur l*asphyvie. Paris, 1875, 1 vol. ia-8° de 600 pages avec figures 7 fr. Leçons sur la chaleur animale, sur les effets de la chaleur et de la fièvre. Paris, 1876, 1 vol. in-8° de 472 pages avec figures. ... 7 fr. Leçons sur le «liabéte et la glyc«>genèse animale. Paris, 1877, 1 vol. iii-8°, viii-576 pages avec figures 7 fr. Leçons «le physiologie opératoire. Paris, 1879, 1 vol. in-S", xvi-614pag., avec 116 figures. 8 fr. Cours de physiologie générale du Muséum d'histoire naturelle. Leçons sur les phénomènes «le la vie, communs aux animaux et aux végétaux. Paris, 1878-1879, 2 vol. iu-S» avec 4 pi. noires el coloriées et 50 figures 15 fr. — Séparément. Tome 11, 1 vol.iii-8°, xii-564 pages avec 3 planches et 5 figures 8 fr. Introduction à l'étude «l«' la m«'>decine expérimentale. Paris, 1865, 1 vol. iu-S" de 400 pages 8 fr. La science expérimental !v Deii.rirmp édition. Paris, 1878, 1 vol.in-18 de 450 pages 4 fr. Table des matières. — Uiscouis de M. J. A. Dumas. — Notice par M. P. Bert. — Du progrès des science* physiologiques. — Problèmes île physiologie générale. — Définition de la vie. les théories anciennes et la science moderne. — La chaleur animale. — l.a sensibilité. — Le curare. — -Le cœur. — Le cerveau. — Discours de réception à l'Académie française. — Discours d'ouverture de la séance publiciiie annuelle d^s cin^ Acaagos, avec 113 pi. fig. noires. Gart. 24 fr. Le même, ligures cidoriécs 48 i'r. PAUIS. — IMlMUiMEUlE E. M .\ K T 1 X E T , li l E M 1 0 N 0 N , i COURS DK PHYSIOLOGIE GENERALE DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA YIE C 0 M M U N S AUX ANIMAUX ET AUX VÉGÉTAUX I> A I>, CLAUDE BERNARD XIcMiibre de l'Institut (Acadcmifi des sciences et Acade'inie française) Professeur au Collège de France et au Muséum d'histoire naturelle TOME DEUXIÈME AVEC 3 PLANCHES ET 5 FIGURES INTEPiCALÉES DANS LE TEXTE PARIS LIBRAIRIE J.-B. BAILLIERE et FILS Rue Hautefeuille, 19, près le boulevanl Saint-Germain. E.ondres 1 Madrid BAILLIÈRE, TINDALL and COX. i c B.ULLY-B.\ILLli:r,E. 1879 T.i;is droits réservé? ^f33 i AYANT-PftOPOS L'enseignement et la carrière scientifique de Claude Bernard comprennent deux parties. Une part considérable de cette vie si pleine et si féconde s'est écoulée au Collège de France- A celle - là se rattachent les découvertes principales qui ont illustré le nom du célèbre physiologiste. Ces découvertes ont été consi- gnées dans la série des leçons publiées, sous le titre de Cours de médecine expérimentale (1), entre les années 1854 et 1878. (1) Cours de médecine du Collège de France : Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Paris, 1851- 1855, 2 vol. in-8. Leçons sur les effets des substances toxiques et médicamenteuses. Paris, 1857, 1 vol. in-8. Leçons sur la jjhysiologie et la pathologie du stjslème nerveux. Paris, 1858, 2 vol. in-8. Leçons sur les propriétés physiologiques et les altérations pathologiques des liquides de l'organisme. Paris, 1859, 2 vol. in-8. Le§om de pathologie expérimentale. Paris, 1871, 1 vol. in-8. Leçons sur les anesthésiques et sur Vasphyxie. Paris, 1875, 1 vol. in-8. Leçons sur la chaleur animale, sur les effets de la chaleur et de la fevre. Paris, 1876, 1 vol. in-8. Leçons sur le diabète et la glycogenèse animale. Paris, 1877, 1 vol. in-S. Leçons de physiologie opératoire. Paris, 1879, 1 vol. in-8. AVANT- PROPOS. L'idée qui se dégage de ce brillant ensei- gnement, celle qui l'a inspiré et qui en forme le lien, est une idée médicale. En suivant la voie physiologique, Cl. Bernard avait la ferme conviction de travailler au perfectionnement de la médecine ; le développement progressif de la physiologie était à ses yeux la condition rationnelle et méthodique du développement de la médecine : chercher, par l'expérimenta- tion, l'explication des phénomènes de la santé (physiologie normale), de la maladie (physio- logie pathologique), et en déduire les moyens d'action (thérapeutique), c'était poser le pro- blème physiologique ; c'était poser également le problème médical. Cette prétention, combattue comme utopique par l'Ecole médicale contem- poraine, par l'École clinique, est le centre vers lequel viennent converger tous les ensei- gnements donnés par Cl. Bernard au Collège de France. Le rôle du célèbre physiologiste, dans cette première phase de son existence scientifique, peut s'exprimer d'un mot, en disant qu'il s'est efforcé de fonder la médecine expérimentale. Il y a une seconde part dans la carrière physiologique de Cl. Bernard: celle dans la- AVAXT-PROPOS. VIÎ quelle il s'est efforcé de fonder la physiologie générale. Celle-là, commencée à Sorbonne, s'est écou- lée au Muséum d'histoire naturelle (1). A la physiologie générale se rattachent les belles recherches originales sur la formation de la matière glycogène, sur la nutrition, sur les anesthésiques. La moisson de découvertes est moins riche dans cette seconde période que dans la pre- mière. Mais si l'invention est ici moins abon- dante, la doctrine et la critique sont plus puissantes. Ce n'est qu'après de nombreux tâtonnements, après des essais qui ont duré sept ans, de 1869 à 1876, que les idées de Cl. Bernard parvinrent à se fixer et à prendre une forme définitive. C'est seulement dans le Cours du Muséum de 1876 que, revenant sur le chemin parcouru, il y recueille les matériaux de ce qu'il appelait la physiologie générale, et les assemble par une synthèse puissante pour en faire un monument complet. Ce cours de 1876, chronologiquement le (1) Coui's de physiologie générale du Muséum d'histoire naturelle : Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végé- taux. Paris, 1878-1879, -2 vol. in-8. AVANT-PROPOS. dernier de ceux qui aient été professés au Muséum, était logiquement le premier, en ce sens qu'il résumait et synthétisait les enseigne- ments précédents; il devait leur servir d'in- troduction doctrinale, il posait les principes, traçait le programme et le plan de la physiologie générale. Il a été publié l'année dernière. Quant aux leçons antérieures, elles ont paru (1) au fur et à mesure, disposées d'après un ordre purement provisoire, dans la Revue (les cours scientifiques, sous le titre de : « Le- >> çons sur les phénomènes de la vie communs » aux animaux et aux végétaux. » Claude Bernard se proposait de les reprendre en sous-œuvre, de les compléter par des re- cherches originales, et d'en faire le développe- ment magistral et dogmatique du programme de 1876. ^ La mort Ta interrompu au milieu de ses ])rojets. Nous avons cru rendre un pieux hommage à la mémoire de notre maître en recueillant ses indications, tout incomplètes qu'elles fussent, (1) Il faut faire une exception pour les leçons sur la respiration, qui for- ment la seconde section du présent volume et qui sont entièrement origi- nales. AVANT-PROPOS. IX et en rassemblant les matériaux épars de son enseignement dans l'ordre assigné. Voici quel était cet ordre. Cl. Bernard avait été amené à reconnaître dans la diversité des phénomènes de la vie deux types primitifs : les phénomènes fonction- nels ou de destruction vitale d'une part ; les phénomènes plastiques ou de synthèse orga- nicjue d'autre part. La vie ne se soutient que par l'enchaine- ment de ces deux ordres de phénomènes, in- dissolublement unis, constamment associés et réciproquement causés. Cette affirmation con- stitue l'axiome de la physiologie générale, c'est-à-dire de l'étude générale des propriétés de la vie. Cette vérité était méconnue par les théories qui rompaient la connexité nécessaire des deux ordres de faits inverses. La théorie de la dualité vitale en particulier, qui attribue les phéno- mènes de synthèse aux végétaux et la destruc- tion fonctionnelle, aux animaux est donc fausse, au point de vue physiologique. Les premiers efforts de Cl. Bernard de- vaient tendre à la renverser et à lui substituer la théorie de l'unité vitale, tant anatomique AVANT-PROPOS. que physiologique : la première partie de son œuvre est clone consacrée à légitimer sa clas- sitication des phénomènes de la vie, et le fon- dement même de la systématisation qu'il ten- tait en Biolooie. Ainsi justitiée, cette systématisation fournit à la Physiologie générale un cadre tout naturel. Cette science comprend trois parties : Dans la première partie, on étudie les phéno- mènes de la vie communs aux animaux et aux plantes. On étabht par là Y Unité de la vie et l'Unité de la structure anatomique chez tous les êtres vivants. La seconde partie doit être consacrée à l'examen des pliénomènes de Destruction vitale,. à savoir, les fermentations, les combustionsr la putréfaction, considérés en eux-mêmes et dans leurs rapports avec les formes fonction- nelles qu'ils revêtent. Dans une troisième section trouvera place l'étude difficile des phénomènes de Synthèse^. tant chimique que morphologique. Dans le livre que nous publions, la première partie de ce i)rogramine a seule reçu un dé- veloppement suffisant. La communauté des phénomènes de la vitalité dans les deux Règnes AVANT-PROPOS. XI a élé mise en pleine lumière par la considéra- tion successive de la formation des Principes inniiédiats, de la Digestion et de la Respira- tion. L'onvrage est complété par un chapitre consacré à la Doctrine qui se dégage des études précédentes; cette Doctrine (Vitalisme physico-chimique), sorte de compromis entre le vitalisme et le mécanicisme, condamne ce qu'il y a d'absolu et de contraire à l'expé- rience dans ces deux hypothèses. L'état actuel de la science n'eût pas permis à Cl. Bernard de développer, au même degré, les deux autres parties de la Physiologie générale, la Destruction vitale et la Synthèse organique. Il ne voulait que tracer le plan des recherches à entreprendre et marquer les rap- ports de chacune d'elles avec les autres et avec l'ensemble : c'est ce qui a été fait tant dans le premier volume que dans celui-ci. L'exécution d'un plan si vaste appartient à l'avenir; c'est l'œuvre d'une science achevée et non d'une science en construction . Ayant rédigé, sous l'inspiration de Claude Bernard, l'ensemble de ses leçons au Mu- séum, et ayant été initié à ses vastes desseins, j'ai plus qu'un autre conscience de l'imper- Ail AVANT-PROPOS. lection de l'œuvre que MM. J.-B. Baillière et fils livrent au public; mais l'influence consi- dérable que ces fragments avaient déjà exercée en biologie, attestée de tous côtés par les em- prunts qu'on leur a faits, justifie la nécessité et l'avantage de la publication actuelle. 10 février J879. Dastre. Des uôcessités (rexéciition uialcrielle pciulaiit la confection de ce volume nous ont amené à placer à la fin trois notes dont nous n'essayerons pas de justifier autrement la présence. Nous ajouterons seulement qu'elles ont rU'- faites à propos du Cours de M. 15(^rnard pour la vérification de quelques points de détail, sous sps yeux et par son conseil. Ce sera leur seule excuse. I MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE COURS DE PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE LEÇON D'OUVERTURE Sommaire. — Les manifestations vitales résultent d'un conflit entre deux fac- teurs : la substance organisée vivante, et le milieu. — Distinction du milieu extérieur et du milieu intérieur. — Conditions extrinsèques, géné- rales, que doit remplir ce milieu. Ces conditions sont au nombre de quatre: humidité, aération, chaleur, constitution chimique. — Examen rapide de chacune de ces conditions. Ou a accordé de tout temps les attributs généraux de la vie aux animaux et aux végétaux. Cependant, dès les premiers moments où ces études attirèrent les méditations des naturalistes, la science des phénomènes de la vie se divisa en deux branches : l'une comprit les plantes, l'autre les animaux. Devenues ainsi distinctes, la physiologie végétale et la physiologie animale se développèrent séparément. Avec les premiers progrès l'isolement originel s'accentua davantage, les différences apparurent de plus en plus profondes, et l'on put croire que la vie avait deux modes diff'érents et même opposés; qu'il y avait deux manières d'être, Tune pour les ani- maux, l'autre pour les végétaux, une vie animale et une vie végétative. Une connaissance plus approfondie a permis d'envisager les choses sous un jour plus exact et plus conforme à leur essence : après les différences, les CL. BERNARD. — Phénomènes. ii. — 1 2 COxNFLlT VITAL. analogies eurent leur tour et la préoccupation tut de les mettre en relief. Aujourd'hui la physiologie générale, embrassant la physiologie des plantes et celle des ani- maux, recherche ce qu'il y a de commun dans leurs pro- priétés et dans leurs fonctions : elle proclame qu'aucune différence essentielle n'existe entre les manifestations vitales des éléments organiques, animaux ou végétaux. Elle étudie, pour ainsi dire, les propriétés vitales, indé- pendamment des accessoires qui les masquent. Elle envisage les fonctions de la vie comme réductibles à des actions élémentaires qui s'ajoutent pour produire un efYet complexe. Un organisme vivant est constitué par des appareils formés d'organes qui se décomposent €ux-mêmes en tissus : ceux-ci résultant de l'association de parties dernières, les éléments anatomiques. C'est donc, en dernière analyse, un échafaudage d'éléments anatomiques. Chacun de ces éléments a son existence propre, son évolution, son commencement et sa fin; et la vie totale n'est que la somme de ces vies indivi- duelles associées et harmonisées. La physiologie gé- nérale est la science qui étudie les propriétés de ces éléments derniers, siège des manifestations simples, universelles, qui sont le fond commun de la vie. Cette vue s'applique aux végétaux comme aux ani- maux. Chez les uns et chez les autres, cette vie élémen- taire, base et fondement de toute leur histoire physio- logique, a des conditions communes et des caractères identiques. Dans la série des leçons qui va suivre, nous aurons à fixer ce domaine commun; mais en affirmant par avance CONDITIONS EXTRLNSÈQUES. 3 l'existence de ce fonds vital identique, nous affirniuns par cela même que la distinction des règnes n'est pas inscrite aussi profondément qu'on le croit dans l'orga- nisation des êtres : elle peut être fondée sur la diffé- rence morphologique des phénomènes, mais non sur une différence essentielle. Les manifestations de la vie exigent un concours de circonstances extérieures convenablement fixées et sen- siblement identiques pour toute la série des êtres végé- taux et animaux. Ces conditions du milieu ambiant, conditions extrinsèques, sont tout aussi nécessaires que les conditions intrinsèques Aq la substance vivante, c'est- à-dire que celles qui sont résumées dans le mot à' orga- nisation. L'absence de l'un ou de l'autre de ces deux facteurs, l'organisation d'une part, les conditions de milieu de l'autre, a la même conséquence qui est d'em- pêcher tout phénomène vital. La vie est donc le résultat d'une collaboration étroite, ou en d'autres termes d'un conflit, entre deux facteurs, l'un extérieur, l'autre in- terne, dont il est illusoire de chercher à fixer l'impor- tance relative, puisqu'ils sont également impuissants l'un sans l'autre. Cette vérité aujourd'hui bien établie ti porté un coup mortel aux anciennes théories vitalistes, qui ne voyaient dans les phénomènes de la vie que l'ac- tion d'un principe tout intérieur entravé plutôt qu'aidé par les forces universelles de la nature. Quelles sont ces conditions extrinsèques? — dans quelle mesure sont-elles constantes ou variables? — où sont-elles réalisées? — Voilà les premières questions (jui se présentent à notre examen. 4 MILIEU INTÉRIEUR. Ces conditions doivent être réalisées dans le milieu qui entoure immédiatement la particule vivante, orga- nisée, et qui doit entrer en conflit avec elle. Ici s'in- troduit une première distinction. Il y a des êtres simples, des organismes réduits à un seul élément anatomique ou à un petit nombre, des êtres unicellulaires, des infu- soires et des êtres placés plus haut dans l'échelle ani- male, qui entrent directement en relation avec le monde ambiant. Pour ceux-là le véritable milieu qui doit pré- senter les conditions vitales, est ce milieu extérieur dans lequel ils sont immédiatement plongés. Les êtres plus élevés en organisation, formés par des assemblages d'organismes élémentaires, d'éléments his- tologiques, n'entrent pas directement en relation avec l'extérieur. Les particules vivantes profondément si- tuées, abritées du milieu cosmique, doivent trouver ces mêmes circonstances indispeusables réunies autour d'eux dans la profondeur où ils siègent. Il y a un vé- ritable milieu intérieur qui sert d'intermédiaire entre le milieu cosmique et la substance vivante. C'est qu'en effet, pour les êtres de ce genre, ce que nous appelons le monde ambiant n'est pas le lieu véri- table où s'accomplit immédiatement leur existence. Pas plus que les autres animaux aériens, l'homme ne vit dans l'air; il n'a pas en réalité de contact direct avec l'atmosphère. Ses parties élémentaires essentielles, ses éléments constitutifs véritablement doués de vie, ses cellules histologiques ne sont pas abandonnées nues dans le monde ambiant. Elles baignent dans un miliey intérieur qui les envelo|)pe, les sépare du dehors et sert MILIEU INTÉRIEUR. 5 d'intermédiaire entre elles et le milieu cosmique. Qu'est- ce que ce milieu intérieur? C'est le sang; non pas à la vérité le sang tout entier, mais la partie fluide du sang, le plasma sanguin, ensemble de tous les liquides inter- stitiels, source et confluent de tous les échanges élé- mentaires. 11 est donc bien vrai de dire que l'animal aérien ne vit pas, en réalité, dans l'air atmosphérique, le poisson dans les eaux, le ver terricole dans le sable. L'atmosphère, les eaux, la terre, sont une seconde enve- loppe autour du substratum de la vie protégé déjà par le liquide sanguin qui circule partout et forme une première enceinte autour de toutes les particules vi- vantes. Ce n'est donc pas directement que les conditions extérieures influencent ces êtres compliqués, comme elles influencent les êtres bruts ou les êtres vivants plus simples. Il y a pour eux un introducteur forcé qui interpose son ministère entre l'agent physique et l'élé- ment anatomique des tissus. Aussi est-ce dans le milieu intérieur que résident les conditions physiques de la vie. La nature plus ou moins étroite des relations du mi- lieu extérieur avec le milieu intérieur, et par suite avec l'animal est très-importante à considérer. Elle four- nit une première classification des diff'érentes formes d'existence des organismes vivants. Chez les plus in- férieurs, animaux, ou plantes, il n'y a point de milieu intérieur; chez d'autres ce milieu n'a aucune indépen- dance; dans les deux cas, l'être est immédiatement sou- mis au milieu extérieur : lorsque celui-ci présente les conditions convenables, la vie suit son cours régulier; lorsqu'il cesse de présenter ces conditions, la vie se sus- b VIE LATENTE, VIE OSCILLANTE. pend d'une manière provisoire ou définitive, et l'être tombe dons l'état de vie latente, ou bien il meurt. Les graines, les spores des végétaux cryptogames, beaucoup d'infusoires, les kolpodes entre autres, des animaux plus élevés, les rotifères, les tardigrades, les anguil- iules du blé niellé, les ferments figurés, présentent cette condition vitale particulière (jui s'exprime par le nom de vie latente. Dans un second groupe se rangent les êtres chez qui le milieu intérieur est dans une dépendance moins étroite du milieu cosmique, de telle sorte que les oscil- lations de celui-ci se répercutent sur l'animal lui-même, de manière à atténuer ou à exalter dans une large me- sure le mouvement vital sans jamais le supprimer absolument. Toutes les plantes sont dans le cas : la végétation est diminuée, obscure pendant l'hiver. Tous les invertébrés, les vertébrés à sang froid, les mam- mifères hibernants rentrent dans cette catégorie d'êtres à vie oscillante. Enfin la vie constante ou libre est la troisième forme de la vie, celle qui appartient aux mammifères supé- rieurs. L'être paraît libre : sa vie s'écoule d'un cours constant, alFranchie des alternatives du milieu cosmique. C'est qu'un mécanisme compensateur très-compliqué maintient constant le milieu intérieur qui enveloppe les éléments des tissus, de telle sorte que ceux-ci sont, quelles que soient les vicissitudes cosmiques, dans une atmo- sphère identique, dans une vérital)le serre chaude. Pour en revenir aux conditions e.ctrinsèfjiœs, nous com- prenons par ce qui précède qu'elles devront être réali- VIE CONSTANTE. 7 sées, soit dans le milieu extérieur, soit dans le milieu intérieur; dans tous (es cas, dans le milieu qui entoure immédiatement la substance vivante et qui entre en rela- tion d'échange avec elle. Ces conditions extrinsèques qui doivent être réalisées pour permettre à chaque élément vivant de fonctionner suivant sa nature, sont très-nombreuses, très-délicates et très-variables si l'on veut les préciser absolument dans le dernier détail. Il faudrait faire l'histoire de chaque individu cellulaire pour arriver à les connaître. Si Ton était réduit à cette série de monographies, la lâche du physiologiste deviendrait écrasante, illusoire. Tel n'est pas le cas. Les conditions extrinsèques essentielles, au Heu d'être infiniment variées, sont au contraire très-peu nombreuses : elles sont les mêmes pour toutes les cellules animales ou végétales. C'est un fait capital et sur lequel on ne saurait trop insister. Rien ne démontre mieux l'unité vitale, c'est-à-dire l'identité de la vie d'une extrémité à l'autre de l'échelle des êtres, que cette uni- formité des conditions nécessaires à ses manifestations. Ces conditions sont: 1° l'humidité; 2" l'air; 3" la chaleur; 4" une certaine constitution chimique du milieu. Pour vivre, toute cellule exige la réunion de ces con- ditions. Il lui faut de l'eau, de l'oxygène, une tempéra- ture convenable, certains principes chimiques : tout cela dans des proportions très-sensiblement constantes. I. — L'eau est un élément indispensable à la constitu- tion du milieu où évoluent et fonctionnent les éléments ou les êtres vivants. La substance vivante a besoin d'une atmosphère humide : son activité est à ce prix; du ^ ROLE DE L EAU. sorte (]u"il est exact de dire que le monde vivant ne nous présente qu'une immense multitude d'êtres aquatiques, les uns, les plus simples, baignant dans les eaux douces, saumàtres ou salées, les autres plongés dans la lymphe ou le sang. Le rôle que joue l'eau dans les organismes est mul- tiple. Rlle entre comme élément constituant dans la composition des éléments anatomiques et de la substance vivante. En second lieu elle est le dissolvant ou le véhi- cule des autres substances du milieu extérieur ou inté- rieur : elle favorise par elle-même ou permet un grand nombre de réactions chimiques de l'organisme. Les variations de la quantité d'eau du milieu ont une influence extrêmement marquée sur la vitalité. Des va- riations très-étendues sont compatibles avec le maintien de la vie chez les animaux inférieurs. Lorsque la quantité d'eau devient insuffisante, la substance des organismes se dessèche et perd ses propriétés, la vie se suspend. La dessiccation est le plrs sûr moyen de mettre les orga- nismes inférieurs dans la condition de la vie latente. Les limites entre lesquelles peut osciller l'eau du milieu intérieur sont bien plus étroites : dans le sang des mammifères par exemple, les proportions extrêmes sont de 70 à 90 pour 100. Lorsque, ainsi que l'a fait Chossat, on crée expérimentalementdes conditions dans lesquelles la proportion d'eau s'abaisse notablement au-dessous de la moyenne normale, on provoque des accidents qui deviennent rapidement mortels. Chossat opérait sur des grenouilles «pi'il anhydrisait, suivant son expression, en les plaçant sous une cloche de verre avec du chlorure RÔLE DE l'oxygène. 9 de calcium. La respiration , la circulation éprouvaient des troubles profonds, la sensibilité diminuait, et l'on voyait apparaître des contractions tétaniques; enfin, la mort survenait lorsque l'animal avait perdu 35 poui' 100 de son poids. Moi-même j'ai fait une expérience inverse, pour ainsi dire, de la précédente, en accroissant dans une notable mesure la quantité d'eau du milieu intérieur. J'ai injecté, chez un chien en digestion, une grande quan- tité d'eau dans le système sanguin, et j'ai vu survenir des convulsions vives, tétaniques, bientôt suivies d'un arrêt respiratoire qui peut entraîner la mort. Ce n'est pas ici le lieu de revenir sur le détail de ces phénomènes. Nous avons exposé ailleurs les faits relatifs à l'action exercée par la dessiccation sur les animaux réviviscents (l). Chez les animaux supérieurs, la constance relative de la quantité d'eau qui baigne les éléments est assurée par un mécanisme qui rétablit continuellement l'équilibre entre les apports et les dépenses et qui est gouverné par le système nerveux. Les pertes se font par la voie des sécrétions (urine, sueur), par la respiration, par la perspiration cutanée; les gains, par l'introduction des liquides alimentaires et chez quelques animaux par l'ab- sorption cutanée. IL — L'oxygène, c'est-à-dire la partie active de l'air, est également nécessaire au plus grand nombre des êtres vivants. Cette nécessité de l'oxiffène dans le miheu inté- (1) Voy. Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux, 1878, tome I, p. 1 li. 10 RÔLE DE L OXYGÈNE. rieur n'est plus en question : depuis longtemps c'est un axiome incontesté, que l'air entretient la vie et mérite le nom de pabuhim viiœ que lui ont attribué les physio- logistes. Cette conclusion n'a jamais élé sérieusement con- tredite, en ce qui concerne les animaux supérieurs; elle avait cessé de l'être en ce qui concerne les organismes inférieurs. Tel était l'état des choses, lorsque M. Pasteur a annoncé, il y a quelques années, qu'il y a des êtres anaérobies, c'est-à-dire qui vivent à l'abri de l'air ; qu'il y en a d'autres qui, suivant les circonstances, vivent au contact ou à l'abri de l'air, c'est-à-dire sont aérobies ou anaérobies. D'autre part, M. Bert montrait que l'oxy- gène pur était un poison comparable à la strychnine, quant à son action sur l'organisme. Ces faits, parfaitement exacts, loin d'infirmer la vérité de la loi précédente, ne font qu'en étendre la généralité. Les cas exceptionnels rentrent dans la règle commune, si au lieu déconsidérer seulement l'oxygène libre, on tient compte de ce que certains êtres peuvent s'emparer de l'oxygène combiné; et lorsque l'organisme ne puise à aucune de ces deux sources, il emprunte d'une autre origine la force vive que la combustion par l'oxygène est capable de développer. L'oxygène n'est pas le seul gaz qui intervienne dans la constitution du milieu nécessaire à l'accomplisse- ment des actes vitaux. D'autres gaz sont dissous dans les liquides du milieu intérieur animal aussi bien que du milieu intérieur végétal. Ce sont les gaz de l'air, l'acide carbonique. AZOTE, ACIDE CARBONIQUE. il l'azote ; mais ils ne sont pas également distribués dans l'organisme. L'oxygène est en plus grande abondance et prédomine de beaucoup sur l'acide carbonique dans le sang artériel ; au contraire, l'acide carbonique est en plus grande abondance et prédomine de beaucoup sur l'oxygène dans la lymphe. Or, c'est dans la lymphe que vivent en réalité les éléments organiques, et l'on pourrait dire qu'un milieu saturé d'acide carbonique leur est nécessaire, tandis qu'un milieu saturé d'oxygène leur serait nuisible. Nous devons ajouter que l'altération de l'air, mesurée par la quantité d'oxygène disparue et d'acide carbonique formé au sein de l'organisme, est en rapport avec l'in- tensité des phénomènes vitaux, et cela aussi bien chez" les végétaux que chez les animaux. C'est pourquoi, au moment de la pleine activité vitale chez un animal à sang chaud, le sang veineux général est noir et chargé d'acide carbonique, tandis que chez un animal hibernant ou chez un animal à sang froid , pendant l'engourdis- sement, le sang veineux conserve sa coloration rouge et ne renferme que des traces d'acide carbonique. Il en est de même pour les végétaux. Dans les plantes, la végétation est suspendue durant l'hiver. L'analyse des sucs nourriciers, au point de vue des gaz dissous, ne montre rien autre chose que l'azote et l'oxygène dans les proportions de l'air pur avec quelques traces seulement d'acide carbonique. Pendant l'été la situation est diffé- rente : l'acide carbonique augmente, tandis que l'oxy- gène diminue. J'ai prié M. Gréhant de faire l'analyse des sucs d'une plante végétale : il a trouvé dans un pavot en 12 TEMPÉRATURES BASSES. pleine activité végétative une quantité considérable d'acide carbonique, 40 pour 100, et au contraire l'oxygène n'était qu'à l'état de faibles traces; en sorte, soit dit en passanl, que la sève descendante n'est pas comparable au sang veineux, lequel contient encore une forte proportion d'oxygène, mais plutôt à la lymphe et aux liquides interstitiels. Ilï. — La chaleur fournit la troisième condition qui intervient dans le développement des phénomènes vitaux. Pour les végétaux, le fait a été bien mis en évidence, et l'on sait que chaque fonction ne peut s'exercer qu'entre des limites de température étroitement déter- minées. Sachs (1), qui, en 186/i, a fait une étude spé- ciale de rinfluence des températures élevées sur la végétation, est arrivé à cette conclusion : a Toute fonction ne commence à s'accomplir que » lorsque la température de la plante, ou de la partie » de plante considérée, atteint un degré déterminé » au-dessus du point de congélation des sucs cellu- » laires, et elle cesse dès que la température dépasse » un autre degré également déterminé, qui semble ne » pouvoir jamais s'élever d'une façon durable au delà » de 50 degrés. » La solidification de l'eau a lieu à la température de 0 degré, mais les solutions salines peuvent se solidifler à une température notablement inférieure à celle de Teau pure. Il doit en être de même des liquides végé- taux intra-cellulaires et interstitiels: de plus, les espaces (1) Saclis., p. 802. TEMPÉRATURES ÉLEVliES. 13 capillaires dans lesquels sont compris ces liquides inter- viennent encore pour abaisser le point de solidification. Un botaniste étranger, M. Uloth (1871), a observé ce fait curieux que des graines (.ÏAcer platanoides et de Triticum tombées dans une glacière, et compris entre des fragments de glace, y avaient germé et avaient déve- loppé des racines qui pénétraient dans l'épaisseur des blocs. On sait d'autre part que le Protococcus nivalis prospère sur des terrains glacés. La germination du blé et de l'orge ne commence qu'au-dessus de 5 degrés, celle du haricot et du maïs seulement à 9%5. M. Bous- singault a montré que les feuilles du mélèze commen- çaient déjà à décomposer l'acide carbonique à une température de 0",5 à '2°, 5., Voilà pour les températures basses. Quant aux températures élevées, leur influence dé- pend des conditions dans lesquelles elles interviennent, et en particulier de la quantité d'eau contenue dans les tissus. Si le tissu a été préalablement desséché avec précaution et lenteur, il pourra, sans être détruit défi- nitivement, supporter une élévation de température assez considérable. On a fait germer des grains de blé qui avaient été chaulïés, secs, pendant une heure à 70 degrés ; s'ils étaient humides, ils ne résistaient pas à une température de 55 degrés. Sans que l'altération soit aussi grande pour une température moins élevée, elle est cependant capable d'arrêter le fonctionnement vital. Le résultat est le même si la température est trop basse. La levure de bière ne se développe pas aux basses températures ; les chimistes savent que la fermentation 14 TEMPÉRATURES. alcoolique (phénoaiène vital de la végétation du cham- pignon de la levure) n'a pas lieu à la température de 0 degré et ne commence même qu'assez haut au-dessus de ce point. Il y a donc, pour chaque organisme végétal élémen- taire ou complexe, des limites de température entre lesquelles ses fonctions sont possibles. Mais entre ces limites mêmes il y a une température fixe où l'activité vitale est dans tout son plein, tandis qu'en deçà et au delà elle s'amoindrit progressivement jusqu'à s'é- teindre. Cet arrêt, d'ailleurs, peut être définitif, selon la rapi- dité des changements survenus et les qualités de la plante, ou bien il peut être temporaire. L'abaissement prolongé de la température a pour conséquence un amoindrissement de l'activité vitale, un véritable état hibernal de la plante, bien étudié par M. Kraus. L'influence de la température sur la vie animale est très-remarquable. On sait qu'il y a pour chaque animal un point moyen qui correspond au maximum d'énergie vitale. Et cela est vrai, non-seulement des êtres arrivés àl'état adulte, mais de l'œuf et de l'embryon. Les œufs de poisson se développent dans l'eau entre 5 et 8 degrés; l'œuf des batraciens exige environ l"! degrés, et s'accom- mode le mieux de 20 à 25 degrés. Cependant, pour ces animaux, les oscillations sont assez étendues et, entre les limites physiologiques, le degré thermique n'a pas d'autre effet que de modifier la durée de l'évolution. L'œuf de poule exige une température comprise entre •î^ et i2 degrés. Des excursions thermométriques plus EXCURSIONS THERMIQUES. 15 étendues sont incompatibles avec le développement. Pour les animaux supérieurs, tels que les mammi- fères, la température compatible avec la vie est à peu près fixée. Ces êtres sont à une température inva- riable ; non que le milieu extérieur n'éprouve des oscil- lations considérables, mais le milieu intérieur dans lequel vivent véritablement les éléments anatomiques, le sang, en un mot, présente un degré thermique déterminé et extrêmement peu variable. Ces animaux sont dits à température constante, par opposition aux reptiles batraciens et poissons, qui sont dits à température variable. Chez les premiers , il existe un ensemble de mécanismes gouvernés par le système nerveux et qui ont pour but de maintenir la constance de la température, sans laquelle les fonctions vitales ne sauraient s'exécuter. On peut, en intervenant sur quelqu'un de ces rouages, modifier le résultat, abaisser ou élever la température de l'animal, et faire d'un animal à sang chaud, comme le lapin, un animal à sang froid, comme la grenouille. Faisons observer ici que les adaptations pour être possibles doivent remplir une condition d'exécution invariable: elles doivent être lentes et graduées. Grâce à cette précaution opératoire, on peut modifier les cir- constances de la vie animale et faire qu'un être con- tenu entre certaines barrières thermiques les dépasse sans cesser de vivre. Cela est une remarque générale, applicable non-seulement aux variations thermiques, mais encore aux variations de toute espèce et, par exemple, aux variations hygrométriques. M. Balbiani a 16 CONDITION CHIMIQUE DU MILIEU VITAL. fait à ce propos une curieuse observation. On sait qu'il existe des anguillules aquatiques qui ne sont point révi- viscentes; si on les dessèche, on ne les voit pas se rani- mer ensuite par l'humectalion. Cependant, si au lieu d'opérer brusquement on procède avec beaucoup de lenteur et (pie d'abord on ne pousse pas trop loin la des- siccation, les anguillules résistent et peuvent acquérir la faculté de reviviscence. On peut donc, par des épreuves lentes, échelonnées avec précaution, con- férer une habitude physiologique qui n'existait pas sjDontanément. lY. — Outre les conditions d'humidité, de chaleur et d'aération convenable du ujilieu, il faut que l'élément vivant rencontre autour de lui une quatrième condition. Il tant que l'atmosphère liquide qui le baigne contieniie certaines substances sans lesquelles il ne saurait se nourrir. On a cru pendant longtemps (pie la com- position de cette atmosphère était totalement dilférente lorsque l'on passait des animaux aux plantes, qu'elle variait inflniment d'un organisme à l'autre de manière à échapper à toute systématisation. Mais, dans la réalité, C(Hte composition est beaucoup mieux déterminée qu'il ne semblait : elle présente des caractères universels, communs à tous les êtres vivants, uniformes, que des recherches récentes permettent d'entrevoir. Le milieu propre à la nutrition doit contenir des substances azotées, — des substances ternaires (sucre, graisse, etc.), — des substances minérales (phospliates, chaux). Il faut que chacun de ces trois groupes soit repré- TROIS ORDRES DE SUBSTAiNCES. 17 seiité dans le milie.u où baignent les éléments anato- miques. Quant aux espèces de chaque groupe qui sont nécessaires et aux proportions suivant lesquelles elles doivent participer à la composition du milieu, elles varient selon les cas. Ce sont là des nuances fort déli- cates et par cela même difficiles à préciser. Le seul fait Qfénéral, c'est la nécessité des unes et des autres, abstraction faite des quantités et des formes qu'elles doivent présenter. C'est par la connaissance approfondie de celte néces- sité que Ton est arrivé à constituer artificiellement des milieux appropriés à la vie de certains organismes relati- vement simples. M. Pasteur a créé un milieu artificiel se prêtant parfaitement au fonctionnement vital delà levure de bière [Saccharomyces cerevisiœ), en formant une solution de carbonate d'ammoniaque, de phosphate de chaux et de sucre. La levure se développe et pros- père dans un pareil milieu. Un des élèves de M. Pasteur, M. Raulin, a constitué également des milieux con- venables au développement de certains champignons inférieurs et suivi les modifications apportées par l'in- troduction de différentes substances. F. Gohn et Bal- biani ont constitué des milieux favorables au dévelop- pement de ceiiaines bactéries. Une méthode nouvelle a été créée ainsi pour l'étude des phénomènes de nutri- tion, sous le nom de méthode des cultures artificielles; M. Pasteur a la plus grande part dans le développement de cette méthode féconde. Les formes sous lesquelles interviennent les éléments de chacun des groupes précédemment indiqués sont CL. BERNARD. — Phénomènes. L 18 SUBSTANCES AZOTÉES. nécessairement variables crun organisme à l'autre. Cependant cette variation n'est pas illimitée, et il est possible d'entrevoir des rapports d'équivalence entre un petit nombre de substances susceptibles de se rem- placer. Si l'on considère, par exemple, l'élément azoté, on voit que chez les végétaux, tant supérieurs qu'in- férieurs, l'azote doit intervenir sous forme d'azotate ou engagé dans une combinaison ammoniacale : azotate |ou ammoniaque sont deux ordres de substances sensible- ment équivalentes au point de vue de la nutrition. Les mucédinées, les Pénicillium en particulier, peuvent prospérer dans un milieu où l'azote est engagé dans une combinaison plus complexe, dans une ammoniaque composée, l'éthylamine. Pour le Torida de la fermen- tation ammoniacale, la combinaison azotée la plus favorable est, ainsi que l'a montré M. Van Tieghem, l'urée ou l'acide hippurique. Enfin, pour les vertébrés et les mammifères, l'azote du milieu intérieur est engagé sous la forme plus comphquée encore des substances albuminoïdes, lesquelles seraient, d'après Schiilzen- l)erger, des associations définies d'acides amidés corres- pondant aux formules C"H-"+2^zOx-2 et eH^-'+'^AzO^ Les substances du second groupe ont pour type le sucre de glycose. Cette substance indispensable à l'exis- tence de l'être adulte, remplit, ainsi que je l'ai montré, un rôle essentiel dans le développement fœtal. iMais le sucre peut avoir des équivalents dans quelques sub- stances ternaires favorables au développeinent de cer- tains organismes. Le tannin remplit le même office, (Vaprès M. Van Tieghem, pour la nulrition de certaines SUBSTANCES HYDROCARBONÉS ET MINÉRALES. 19 inucédinées. Les expériences de Jodiu tendent à établir que, dans d'autres cas, la glycérine, l'acide tartrique, l'acide succinique, l'acide lactique, l'acide acétique, l'acide oxalique, pourraient avoir une action sensible- ment identique. Enfin, les éléments essentiels du groupe minéral comprennent la potasse et l'acide phosphorique, engagés suivant les circonstances dans des combinaisons plus ou moins différentes. C'est M. Pasteur qui a montré la nécessité absolue des phosphates alcalins pour la nutri- tion du Saccharomyces cerevisiœ. Ces indications générales suffisent à mettre en lumière le principe que nous énoncions au début de cette leçon, à savoir, que les manifestations de la vie exigent des conditions générales sensiblement identiques chez tous les êtres. Nous n'ajouterons qu'une observation relative- ment à la manière dont se constitue ce milieu favo- rable à la vie des éléments. L'être lui-même intervient dans cette constitution, et le miheu est en quelque sorte l'œuvre à laquelle contribuent les éléments eux-mêmes. L'organisme, en effet, n'est pas exclusivement con- stitué par des éléments anatomiques. Il y a, à côté des parties organisées et vivantes, des parties orga- niques sans vitalité et qui sont simplement les pro- duits de l'activité des cellules vivantes. Ces productions sont \qs principes immédiats, végétaux ou animaux. Un grand nombre de ces principes sont destinés à être rejeté de l'organisme comme un déchet inutile ou désormais nuisible; mais d'autres, en plus grand nombre, sont des- tinés à être utilisés et constituent en attendant une réserve 20 PRINCIPES IMMÉDIATS. OU un appi'ovisionnenient pour les besoins du fonction- nement vital. Témoins et conséquences de l'activité cellulaire, ces substances jouent un rôle essentiel dans le milieu intérieur; c'est parleur formation que l'élé- ment vivant intervient lui-même dans la constitution de son milieu. L'activité cellulaire s'exerce sur les maté- riaux que lui fournit le monde ambiant, matériaux ou conditions que nous avons énumérés, eau, chaleur, oxygène, substances azotées, ternaires et salines. Avec ces matières premières, les éléments vivants fabriquent des principes immédiats, chacun selon sa nature. Le sang est ainsi formé aux dépens des maté- riaux alimentaires; mais ce serait une erreur de penser, comme les anciens chimistes, que le sang n'est qu'une dissolution des aliments: c'est en réalité une sécrétion de l'organisme à laquelle l'alimentation n'a fourni que la matière première mise en œuvre par l'ac- tivité de la cellule vivante. Dans une des leçons suivantes nous aurons à revenir, à propos de la nutrition, sur ce rôle des éléments dans la constitution de leur milieu. Nous montrerons que la nutrition n'est pas directe, c'est-à-dire qu'elle ne s'excerce pas sur les matériaux fournis tels quels par l'alinientation; mais qu'elle exige au contraire une élaboration préalable de ces matériaux par l'activité cellulaire. PRINCIPES IMMÉDIATS. 21 PREMIERE PARTIE LES PRINCIPES IMMÉDIATS LEÇON PREMIERE Fornintion «les principes iiiiniéfliats. Sommaire. — Deux types de phénomènes vitaux : destruction organique; synthèse organique. Ils constituent les deux phases du travail vital chez tous les êtres vivants. Erreur de la doctrine de la dualité vitale qui attribue la destruction organique aux animaux et la synthèse organique aux végé- taux, en tant qu'il s'agit des principes immédiats La synthèse de ces prin- cipes se fait chez les uns et les autres. Corps gras. — Leur origine chez les animaux. Opinion de MM. Dumas, Bous- singault. Payen, Liebig, Person,Milne Edwards, Wiirtz, Berthelot. Conclu- sion. Sucres. — Leurs variétés, glycose, saccharose. Différence physiologique de ces deux espèces. La saccharose est une réserve impropre à la nutrition et qui doit être transformée en glycose. La glycose est un élément essen- tiel dans les échanges vitaux : elle existe normalement dans l'organisme animal, elle y prend naissance. Nous avons établi dans la leçon précédente que les phénomènes vitaux résultaient d'une sorte de conflit entre la substance vivante et un milieu d'une composi- tion relativement définie; en sorte qu'il serait permis de considérer la vie comme la réaction du monde am- biant sur la substance organisée, et de faire de l'orga- nisation le réactif de ce milieu défini. Après avoir acquis cette vue sur les phénomènes vi- taux, il s'agit d'en aborder l'étude. Nous nous trouvons 22 DOCTRINE DE LA DUALITÉ VITALE. ici en présence d'une classification tout à fait générale. On peut distinguer deux ordres de phénomènes : 1° Les phénomènes de fonctionnement, ou encore d'usure ou de destrucùon vitale; 2° Les phénomènes de formation, ou de création vi- tale, ou encore de nynthi'se organique. Cette systématisation, à laquelle j'ai été conduit par un examen approfondi, m'a paru la plus conforme à la réelle nature des choses, à la fois compréhensive et fé- conde : elle se fonde uniquement sur les propriétés uni- verselles de l'élément vivanl, abstraction faite des moules spécifiques dans lesquels la substance vivante est engagée. Les deux types ne sont jamais isolés : ils sont indis- solublement connexes, et la vie de quelque être que ce soit est caractérisée précisément par leur réunion et leur enchaînement : ils représentent les deux phases du travail vital. Cette vérité constitue, ainsi que nous l'avons dit ail- leurs, l'axiome de la physiologie générale. On peut être assuré que toute doctrine qui serait directement ou in- directement en contradiction avec cette donnée fonda- îiientale est fausse, et que le principe de l'erreur est précisément dans cette contradiction. Des doctrines de ce genre se sont pourtant produites et ont pris pendant longtemps possession du champ physiologique. Une théorie a longtemps régné dans la science qui partageait les deux facteurs vitaux entre les deux règnes végétal et animal, attribuant exclusivement à chacun d'eux un des types phénoménaux^ aux animaux la destruction vitale. DUALITÉ VITALE. "26 aux végétaux la synthèse organique. A cette doctrine, que nous appellerons doctrine de la Dualité vitale^ nous opposons la doctrine de X Unité vitale, qui revendique pour tous les êtres vivants l'accomplissement des deux ordres de phénomènes de destruction et de synthèse. Les phénomènes de destruction organique ont pour expression même les manifestations vitales. Toute ma- nifestation vitale est nécessairement liée à une destruction organique. La destruction des organes qui accompagne leur fonctionnement a été signalée, pour ainsi dire, de tout temps; on a vu que le muscle qui se contracte, la glande qui sécrète, s'usent matériellement et ne pour- raient soutenir leur activité si une régénération inces- sante ne les rétablissait à chaque instant. Les actes les plus délicats de l'organisme, les manifestations céré- brales, les impressions sensorielles, n'échappent pas à cette loi universelle; des travaux récents (Byasson, Mos- 1er, Hodges Wood) ont prouvé la destruction correspon- dante au travail nerveux, par l'observation de la cha- leur produite dans ce travail même ou par l'élimination des matériaux qu'il a détruits. Il y a plus. La destruction matérielle est non-seule- ment liée à l'activité fonctionnelle, on peut dire qu'elle en est la mesure et Xexpression. En un mot, le phéno- mène qui apparaît (exemple, la contraction muscu- laire) est la traduction même de la destruction que le muscle subit. Ce n'est pas une coïncidence, c'est une transformation d'énergie. Ici, comme dans les phéno- mènes physiques, on rencontre la même loi générale : l'apparition d'un phénomène est liée à la disparition 2/l SYNTHÈSE ORGANIQUE. d'un autre; la destruction n'est (ju'un changement de forme. Fick et Wislicenus, Hirn, Helmholtz, ont cher- ché à établir que le travail du muscle était exactement représenté par la destruction (combustion) qu'il subit. On voit ainsi l'application du principe de la corrélation des forces ou de la conservation de Tcnergie dans le monde vivant comme dans le monde physique. Les phénomènes plastiques ou de synthèse régénèrent les tissus, réparent les pertes, rassemblent les matériaux qui devront être dépensés de nouveau. C'est un travail intérieur, silencieux, caché, sans expression phénomé- nale évidente, travail d'une nature plus spéciale, plus vitale en quelque sorte, car il n'a pas d'analogue en dehors des organismes. Cet acte de réparation vitale est identique, si l'on veut aller au fond des choses, aux actes de génération, de rédintégration, de cicatrisation, par lesquels l'organisme se constitue ou se reconstitue. 11 y a dans cette synthèse des organes deux degrés, ou, pour parler autrement, deux phases : une synthèse chi- mique, qui forme les principes organiques, les réserves, et une synthèse morphologique, qui réunit et rassemble ces éléments de la matière vivante sous une forme et une figure déterminées, qui sont la forme et la figure de l'élément anatomique, du tissu, de l'être individuel. Il résulte de ce que nous venons de dire (jue tous les êtres vivants doivent former des principes immédiats, puisque l'acte de synthèse organique appartient à tous et non pas à quelques-uns seulement. C'est cette vérité qui a été méconnue par la doctrine qui attribuait un rôle nutritif différent aux animaux et aux vétîétaux, vé- ERREUR DE LA DOCTRINE DUALISTE. 25 rite qu'il faut actuellement mettre eu lumière. Nous au- rons pour cela à étudier la formation des principes im- médiats, c'est-à-dire des composés organiques fabriqués par les végétaux et les animaux. Nous devrons re- chercher les circonstances de leur production à la fois dans les tissus vivants de l'animal et dans ceux de la plante. On a voulu opposer à cet égard la vie animale à la vie- végétale. Il reste encore aujourd'hui bien des traces de cette doctrine dualiste qui voulait que les végétaux fussent exclusivement des appareils de formation, tan- dis que les animaux ^raient exclusivement des appa- reils de destruction. Dans les idées de cette école, les animaux ne de- vaient être considérés comme les créateurs de leur propre sang que sous le rapport de la forme; quant aux éléments, fibrine, albumine..., dont il est com- posé, ceux-ci lui viendraient des plantes. Les plantes créeraient donc dans leur organisme le sang de tous les animaux; à proprement parler, les carnivores ne con- sommeraient dans la chair des herbivores que les sub- stances végétales dont ceux-ci s'étaient nourris. La fibrine et l'albumine végétales prendraient dans l'estomac de l'herbivore absolument la même forme que reçoivent dans l'estomac du caiiiivore la fibrine et l'albumine ani- males. S'il en était ainsi, si l'animal ne pouvait vrai- ment que recevoir des principes complexes, sans avoir la faculté de les transformer pour se les approprier; si tous ceux qui existent dans son sang et dans ses tissus provenaient des plantes et de ses aliments, on pourrait 26 CORPS GRAS. dire que l'aliment végétal va directement se fixer dans îe tissu animal. On pourrait dire que la graisse du che- val, du bœuf, du mouton est exactement contenue dans leur ration de foin, et que le beurre du lait de la vache est renfermé dans l'herbe qu'elle broute. Lors d'une dis- cussion mémorable qui occupa l'Académie des sciences de 1848 à 1847, relativement à l'engraissement des ani- maux, quelques chimistes ne reculèrent pas devant celte conclusion (1). Mais les idées que l'on avait sur la graisse, on les sou- tenait également pour le sucre, et l'on admettait que cette matière ne pouvait pas se rencontrer dans le corps animal si elle ne lui avait été apportée toute faite par le végétal. Nous avons démontré, pour notre part, qu'il en est autrement, et nous nous proposerons, dans le cours de ces leçons, de prouver expérimentalement qu'il y a identité chez les animaux et les végétaux au point de vue de la production de ce principe et de son rôle dans la vie de l'être. Corps gras. — Nous rappellerons d'abord briève- ment l'état de la question en ce qui concerne la forma- tion de la graisse chez les animaux et les végétaux. Le débat célèbre auquel cette question a donné lieu a été ouvert devant l'Académie, en 1848, par ^JM. Dumas, Boussingault et Payen, à propos de l'en- graissement des bestiaux et de la formation du lait ("2). (1) Comptes rendus de rAradnnie, t. \VI. (2) ///(■(/., 13 février I.Sl:î. CORPS GRAS DES VÉGÉTAUX. 27 Dans son mémoire, Payen cherchait à etabhr que les matières grasses, qui existent en pkis ou moins grande abondance dans tous les êtres vivants, ne se forment que dans les plantes et qu'elles passent toutes formées dans les animaux. Dans cette opinion, les matières grasses étaient un produit d'origine exclusivement végétale, apparaissant surtout dans les feuilles vertes à l'état de matière ci- reuse. Les feuilles devenant l'aliment des herbivores, la cire qu'elles contiennent passait dans le sang de ces ani- maux et y subissait une oxydation qui la transformait en stéarine et en oléine. Ces dernières substances, en arri- vant aux carnivores par l'alimentation, subissaient de nouvelles oxydations, à la suite de quoi elles donnaient naissance à la margarine, qui caractérise la graisse de ces animaux, ou encore elles fournissaient les acides gras volatils, acides caproïque, caprique, hircique et butyrique, qui apparaissent dans le sang et dans la sueur. La matière grasse toute faite était donc, d'après Payen, le principal produit, sinon le seul, à l'aide duquel les animaux peuvent régénérer la substance adipeuse de leurs organes ou fournir le beurre de leur lait. Pour établir ces vues, Payen s'appuyait sur deux ordres de faits. D'abord il signalait l'existence à peu près constante des matières grasses dans les végétaux ; et ces matières, d'après le savant chimiste, existaient en proportions suffisantes pour expliquer l'engraissement du bétail et la formation du lait. Il y aurait 8 pour 100 de matière grasse dans le maïs, plus des deux tiers en 28 CORPS GRAS DES ANIMAUX. poids du cotylédon. Boussingault faisait remarquer que, pour produire 67 kilogrammes de beurre, une vache mange une quantité de foin qui renferme au moins 69 kilogrammes, et probablement 76, de matière grasse. L'analyse indique donc dans l'aliment une quan- tité de graisse plus que suffisante pour représenter celle que renferme le beuri-e. La seconde considération que faisait valoir M. Payen était la résistance que présentent les graisses à toute espèce d'altération, résistance qui leur permet de sub- sister après les fermentations et les décompositions de toute espèce, et d'émigrer sans changement du végétal jusque dans le sang et les tissus de l'animal. M. Dumas avait donné une formule plus absolue en- core en énonçant cette règle générale : « Les animaux, » quels qu'ils soient, ne font ni graisse, ni aucune matière )> organique alimentaire ; ils empruntent tous leurs ali- » ments, qu'ils soient sucrés, amylacés, gras ou azotés, au » règne végétal. » En regard de cette opinion, quelques chimistes prétendaient au contraire que les matières grasses se formaient aussi bien dans les animaux que dans les plantes, par des mécanismes identiques. Chez les ani- maux en particulier, ce serait au moyen de la fibrine, de Talbumine, du sucre, de la gomme. Au nombre de ces adversaires de la théorie nouvelle se trouvait Liebig. Liebig faisait observer que « ni l'herbe, ni les racines » mangées par les vaches ne renferment de beurre ; que » le fourrage donné aux bestiaux ne renferme pas de » graisse de bœuf, que les épluchures de pommes de terre ENGIIAISSEMEMT. "id a dont on nourrit les porcs et les graines mangées par » la volaille de nos basses-cours ne renferment pas de i) graisse d'oie ou de chapon » . Ces arguments sont par- faitement valables, mais Liebig ne s'y tint pas, et la dis- cussion s'égara dans une comparaison des graisses avec les cires. Il essaya aussi, mais sans y réussir absolument, de montrer que la quantité de graisse entreposée dans les tissus de l'animal ou rejetée au dehors était, dans cer- taines circonstances, supérieure à celle qui était intro- duite par les aliments. La thèse du célèbre chimiste de Giessen valait donc mieux que ses arguments. D'ailleurs Liebig se combattait lui-même lorsqu'il s'agissait d'au- tres substances que les graisses. Il admettait par exemple (( un rapport nécessaire entre les aliments azotés des » plantes et les principes azotés du sang et des tissus, — » entre les substances alimentaires non azotées des » plantes et les parties non azotées de l'organisme ani- » mal » . Théoriquement, deux procédés s'offraient pour ré- soudre la question et trancher le débat. Le premier eût consisté à juger de l'engraissement d'un animal alimenté avec des matériaux dont la teneur en matières grasses fût connue. Si la quantité de graisse produite eût été supé- rieure à celle qui était ingérée, il est clair que la théorie de la préexistence de la graisse dans l'aliment végétal eût été renversée. C'est par ce moyen que Liebig avait essayé d'attaquer la théorie. Persoz (1844-46) reprit les indications de Liebig et fit une étude attentive de l'en- graissement des oies. En nourrissant ces animaux avec du maïs dosé, il s'assura que la quantité de graisse était 30 ORIGINE DE LA GRAISSE DES ANIMAUX. supérieure de moitié à celle qui se trouvait dans le maïs. Le second procédé consistait à supprimer les aliments gras à un animal et à lui faire un régime composé d une autre substance parfaitement déterminée, et de voir alors si l'animal engraissait. — Les expérimenta- teurs eurent recours surtout au régime du sucre. C'est une expérience de ce genre que Huber avait au- trefois exécutée. Huber avait annoncé que les abeilles nourries avec du miel ou même avec du sucre possé- daient la propriété de fournir de la cire pendant long- temps. Celte observation paraissait bien établir la réalité de la conversion du sucre en cire. Mais, Payen ayant objecté que cette cire était peut-être anciennement accumulée dans les tissus et non pas formée aux dépens du sucre, Milne Edwards et Dumas reprirent l'expérience avec attention : ils vérifièrent le résultat annoncé par Huber et mirent hors de doute le fait de la formation de la cire avec un régime de sucre et de miel. Flourens rappela l'expérience de Frédéric Cuvier sur l'engraisse- ment de deux ours nourris exclusivement avec du pain. Chossat fit connaître les résultats variables de l'alimenta- tion sucrée exclusive. En tout état de cause, ces recherches et ces discus- sions mirent en évidence la fausseté de l'adage vulgaire que « la graisse fait la graisse., la chair fait, la chair y>. Il n'y a point sim.plement transposition de raliment dans les tissus, il y a une modification beaucoup plus profonde. ' Le débat ne peut roulerquesur les limites de cette faculté modificatrice. Milne Edwards était disposé à penser avec Thenard que c'étaient les aliments d'un même groupe ORIGINE DE LA GRAISSE DES ANIMAUX. 81 qui seuls pouvaient se suppléer, mais que d'un groupe à l'autre ilyavait impossibilité de transformation. Liebig-, au contraire, pensait que ces barrières n'existaient pas, et que la graisse, par exemple, pourrait provenir aussi bien de la décomposition de l'albumine, de la fibrine, de l'amidon, du sucre, de la gomme. D'ailleurs, au point de vue chimique, M. Wiirtz montrait qu'il pouvait se for- mer de l'acide butyrique aux dépens de la fibrine par Faction de la chaleur (i60-i 80 degrés) en présence de la chaux potassée ou par la putréfaction. La portée de la réfutation fut exagérée, et l'on peut penser aujourd'hui que si la théorie du passage de l'ali- ment dans le tissu est faux, la transformation directe d'un aliment en une des substances de ce tissu, du sucre en graisse, par exemple, n'est pas vraie davantage. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet, et de montrer «|ue la nutrition n'est pas une opération qui porte direc- tement sur l'aliment, mais sur des produits plus compli- qués dont i'ahment ne fournit que la matière première. Quoi qu'il en soit, et pour nous en tenir à la question des corps gras, je dois rappeler que M. Berthelot et moi avons repris, par une voie détournée, et par un troi- sième procédé, le problème de l'évolution des aliments gras dans l'organisme. Je commençais par inanitier un chien de manière à faire disparaître toute surcharge graisseuse et à réduire la quantité de matière adipeuse au strict minimum. Je nourrissais alors l'animal abondamment en mêlant à son régime une graisse chimiquement reconnaissable que M. Berthelot préparait. C'était une graisse chlorée dans 32 SUCRE. laquelle il y avait subslitiitioii partielle du chlore à l'hydrogène. Lorsque après quelque temps de ce régime je sacrifiais l'animal, je recueillais le tissu adipeux. M. Berthelot n'y a point retrouvé, par l'analyse, la sub- stance grasse chlorée avec laquelle l'animal avait été nourri. 11 n'y a donc point simple mise en place de l'ali- ment gras, et l'animal ne s'engraisse point directement par l'alimentation. Il fabrique lui-môme sa matière grasse. Quant à celle qu'on lui fournit, il commence par la détruire : il la digère, l'éjuulsionne et la dédouble par saponification. Qu'il utilise les éléments de ce dé- doublement aussi bien et peut-être mieux que d'autres, pour en former la graisse nouvelle, cela est possible mais nullement démontré. Si nous voulons résumer le débat, nous dirons que rien n'autorise à penser que les animaux et les végétaux se comportent différemment en ce qui concerne la for- mation des principes gras. Il est inexact que les plantes soient seules en état de fabriquer ce principe immédiat ; l'expérience prouve, tout au contraire, que les animaux travaillent eux-mêmes par des procédés dont le méca- nisme n'est pas encore dévoilé à la préparation de ces substances. La conclusion que nous venons de rappeler relative- ment à la faculté que possèdent les animaux de Tonner les principes immédiats nécessaires à leur nutrition respective a surtout été mise hors de doute par létude de fiui de ces principes, le sucre. Les recherches que j'ai poursuivies depuis plus de vingt ans me paraissent établir de la façon la plus neltc (pie la formation rlu MATIÈRE SUCRÉE. 33 sucre, \^ glycogcnèse, doit être considérée comme une fonction constante et nécessaire à la vie animale, et non pas seulement comme un acte de la vie végétale. Sucre. — La matière sucrée se rencontre dans la nature sous un grand nombre de formes. Elles ont leur origine dans les êtres vivants, surtout dans les ve'gétaux. Leur production syntbétiqne au moyen des éléments minéraux n'a pu être encore réalisée. M. Ber- thelot fait bien remarquer que ces principes semblent dérivés des composés propyliques doublés, et il pense qu'ils pourront être quelque jour engendrés au moyen de rhydrure d'hexylène C'-H'^; mais ce n'est là qu'une espérance, et les faits ne l'ont point encore confirmée. On trouve, dans les plantes, un premier groupe de sucres surhydrogénés : la mamiite et la dulcite, qui ont pour formule C'"H*^0*'-^; Va pinite ti \di quercite , qui ont pour formule C'-H'^O"*. La mannite se retire surtout de la manne, exsudation du Fraxmiis rotundifolia ; sous l'influence de la végétation elle se produit encore dans diverses autres espèces de frênes, dans les feuilles d'o- livier, dans des champignons, dans des algues, comuie le Protococcus vulgaris, où elle est connue sous le nom Aq phijcite. La dulcite s'extrait du Alelampjjrvm nemo- rosum; la pinite du Pimis lambertiana. La quercite est contenue dans le gland du chêne. Nous n'avons qu'à mentionner ces substances, puis- qu'elles n'existent que chez les végétaux et ne peuvent donner heu à aucune étude comparative ; nous n'avons pas à nous en occuper autrement. CL. BERNARD. — Phénomènes. ii. — 3 34 GLYCOSES ET SACCHAROSES. La oiême observation s'applique eu partie à quelques- unes des substances sucrées qu'il nous reste à mention- ner. Les cbimistes distinguent deux principaux groupes de sucres, et nous verrons que celte distinction subsiste également au point de vue physiologique. 11 y a les gly- coses et les saccharoses. Les glycoses ont pour formule C'-H'-O'"-. Elles com- prennent \?igIi/cose ordinaire ou sucre de raisin; la lé- vulose, qui existe dans le raisin, la cerise, la groseille, la fraise, dans la plupart des fruits mûrs et acides ; la galactose, qui vient indirectement des gommes ou du lait; Xeucalyne, qui est également un produit de réac- tion; la sorbine, qui vient du jus du sorbier; et enfin Vinosine, qui doit nous intéresser davantage, car en même temps qu'on la rencontre dans certains végétaux, comme les haricots verts, on la rencontre aussi chez les animaux, dans les^muscles, les poumons, les reins, la rate, le foie et quelquefois dans les urines. Les saccharoses ont pour formule C'-H"0", ou plutôt le multiple C-^H"0"--. Elles comprennent la saccharose ou sucre de canne; la mé/itose, que l'on lire de la manne d'Australie, exsudation de certains eiicahjptus; la tréhalosc, qui provient aussi d'une manne particu- lière; la niélézitose, qui s'extrait du Pinus larix ; la lac- tose, ou sucre du lait des mammifères. Mais de tous ces produits qui pourront peut-être donner lieu plus lard àjune étude intéressante, les plus inqîortanls de beaucoup, sont la saccharose, ou sucre de canne, et la glycose ou sucre de raisin. La glycose est exlrêmement répandue dans les orga- SUCRE DE RAISIN. SON ROLE. 35 nismes vivants. Elle constitue la matière sucrée des raisins secs; on la rencontre dans le miel et dans les fruits. On peut la former artificiellement par l'action de l'acide sulfurique étendu sur l'amidon, le ligneux, la tunicine, la chitine et le glycogène hépatique, comme nous le verrons. Nous ne parlons ici que des dépôts où laglycose s'accumule et d'où elle peut être retirée, car envisagée d'un point de vue plus élevé, elle ne doit pas être considérée comme un produit spécial à telle ou telle plante, mais comme un élément général de nutri- tion, comme une condition nécessaire des échanges vi- taux. Les substances amylacées et cellulosiques ne peu- vent prendre part au mouvement nutritif qu'autant qu'elles deviennent solubles et sont transformées mo- mentanément en glycose. La saccharose C*-H'*0" est le sucre ordinaire que nous employons pour les usages domestiques : c'est le sucre de canne, le sucre de betterave. Il existe d'ail- leurs dans le maïs , le sorgho, dans la sève de l'érable et du palmier de Java, dans l'ananas, la citrouille^ la châtaigne, la carotte, etc., dans la plupart des fruits. Beaucoup d'opérations, dans les plantes, peuvent changer le sucre ordinaire en glycose. C'est là un fait très-important. En effet, le sucre de raisin ou glycose est un véritable aliment pour les végétaux ; c'est une substance qu'ils sont capables de mettre en œuvre pour leur développement. Au contraire, le sucre de canne, le sucre ordinaire, est en lui-même un corps impossible à utiliser pour l'organisme végétal. Il ne peut servir à la nutrition, au développement de la plante, qu'à 36 SUCRE DE CANNE. SON ROLE. la condition d'être changé préalablement en glycose. Il y a donc, au point de vue physiologique, une dis- tinction frappante entre ces deux sucres. Leur rôle est très-différent. Le sucre de raisin est un des facteurs les plus énergiques de la nutrition. Le sucre de canne est un dépôt, une réserve qui ne peut pas entrer directe- ment dans le mouvement nutritif. Il forme des accu- mulations de matière qui s'emmagasinent dans la racine de la carotte ou de la betterave, pendant la pre- mière période de la végétation. C'est à ce moment-là qu'on peut le retirer de ces sortes de réservoirs natu- rels. Plus tard, lorsque la plante entrera dans sa deuxième période de végétation, lorsqu'elle devra fruc- tifier, les provisions de matériaux accumulés en vue de cette évolution disparaîtront, ils serviront au dévelop- pement. Beaucoup de plantes présentent, comme la betterave, deux périodes de végétation séparées par un intervalle de repos : la première période est simplement végélative, il se fait dans certaines parties de la plante des accumu- lations, des provisions de matériaux; la deuxième pé- riode est la période de fructitication, pendant laquelle les réserves emmagasinées sont reprises et dépensées. L'intervalle de repos est ordinairement la saison d'hiver, et les plantes dont nous parlons sont, pour celle raison, appelées bisannuelles, leur développement complet exigeant deux années. Mais il n'en est pas nécessaire- ment ainsi : la période de repos peut être moindre que la durée d'un hiver, comme cela se voit chez quelques crucifères; ou plus considérable, comme cela se voit SON INAPTITUDE A LA NUTRITION. S7 chez l'aloès. Aussi les botanistes préfèreiil-ils la dési- gnation de dicarpicnncs, qui ne préjuge rien sur la durée du repos, à celle de hisannuelks , pour caractériser ces plantes. Cette périodicité, ou mieux cette alternance dans les deux ordres des phénomènes, caractérise d'une manière essentielle les manifestations de la vie, aussi bien dans le règne animal que dans le règne végétal. On peut môme dire d'une manière générale que c'est le caractère vital par excellence. Il y a deux termes dans la vie: le repos, qui correspond à la concentration des matériaux et des forces; le travail, qui correspond à la dépense de ces mêmes forces et de ces mêmes maté- riaux. Revenons aux sucres de canne et de raisin. Nous con- sidérons le sucre de canne comme un produiten réserve; il ne se rencontre chez les végétaux que pendant cet in- tervalle de repos où la végétation est suspendue, ou bien dans les fruits dont l'évolution organique est terminée. C'est qu'en effet cette matière sucrée est impropre aux échanges; mais elle y devient propre, ainsi que nous l'avons déjà dit, en subissant une transformation qui la fait passer à l'état de glycose, La différence fondamentale des deux sucres, au point de vue de leurs aptitudes nutritives, se retrouve dans les animaux comme dans les végétaux. Prenez une disso- lution de sucre de canne, injectez-la dans les veinesd'un animal, la substance sera éliminée par les émonctoires : ehe passera tout entière dans les urines sans avoir servi à la nutrition. Autrefois j'ai fait un grand nombre d'expériences à ce sujet, voulant distinguer par leur éli- 38 ÉLIMINAYION DE LA SACCHAROSE. minaiion du sang les sulistaiices qui pouvaient être ali- mentaires de celles qui ne Tétaient pas. J'ai vu qu'en injectant dans la veine jugulaire d'un chien ou d'un lapin une très-faible quantité de sucre de canne, 5 cen- tigrammes par exemple, on en retrouve la présence dans les urines, tandis qu'on peut injecter jusqu'à 5 déci- grammes ou i gramme de glycose sans constater son élimination, preuve évidente que le premier sucre ne se détruit pas dans le sang d'une manière appréciable, tandis que le second y disparaît rapidement. Si main- tenant on fait l'injection avec un mélange des deux sucres, on ne retrouve dans l'urine que le sucre de canne. J'ai une fois, sur un chien, injecté de la mé- lasse, mélange incristallisable du jus de betterave, ren- fermant les deux espèces de sucre devenues inséparables par les moyens chimiques connus : l'organisme a opéré cette séparation, car i! a détruit la glycose à son passage dans le sang, et le sucre de canne isolé s'est retrouvé dans l'urine. Cette différence de destructibilité des deux sucres est un fait qui dès à présent mérite de fixer notre attention d'une manière spéciale. En effet, voilà deux corps qui, au point de vue chimique, sont semblables, car il n'y a entre eux qu'une différence d'hydratation, l'un possédant 1 équivalent d'eau en plus (jue l'autre; et cependant, au point de vue physiologique, leur différence est radicale, puisque l'un est une matière excrémenti- tielle, et l'autre est une matière nutritive. M. Pasteur n'a-t-il pas montré d'ailleurs que desdeux acides tartriques droit et gauche, identiques chimiquement, l'un fermente, tandis (jue Tautre est réfractaire? Ce sont là des faits qui TRANSFORMATION EN GLVCOSE. 39 sont bien de nature à faire comprendre toute la délica- tesse des phénomènes nutritifs, et toutes les difficultés qu'on peut rencontrer dans leur étude. Est-ce à dire, d'après tout ce qui précède, que le sucre ordinaire ne doive pas être considéré comme un aliment? Non sans doute. Introduit par une autre voie que celle que nous venons d'employer, ingéré avec les substances de l'alimentation, il éprouvera dans le tube digestif une transformation qui le fera passer à l'état de glycose et lui permettra d'intervenir dans les échanges nutritifs. Ainsi le sucre ordinaire, impropre à la vie végétale ou animale, éprouve dans la plante ou dans l'intestin de l'animal une transformation en glycose qui lui confère les aptitudes alimentaires qu'il ne possédait pas aupara- vant. Ce changement de l'un des sucres dans l'antre, qui s'accompUt sous l'influence de la végétation pendant la seconde période d'activité bisannuelle de la plante,, qui s'accomplit sous l'influence de la digestion dans l'intes- tin des animaux, peut être reproduit artificiellement de bien des manières par des agents minéraux ; ce qui prouve que les actions chimiques qui s'accomplissent dans les êtres vivants ne leur sont pas spéciales et peu- vent être réalisées en dehors d'eux. Il ne sera peut-être pas inutile de rappeler briève- ment par quelle suite d'idées je fus amené à entreprendre Tétude des formations nutritives de la matière sucrée. Les travaux qui, dans le premier quart de ce siècle, ont éclairé la physiologie de la digestion, ceux de Tiedemann etGmelin, deLeuretet Lassaigne, avaient 40 ORIGINE DE MES RECHERCHES. établi un fait qui, dans la question, est capital: c'est à savoir que le sucre est un produit normal de la digestion des matières amylacées; il peut exister comme un produit naturel, normal, physiologique, de la digestion. Plus tard, le fait fut expliqué, et l'on trouva que l'empois d'amidon hydraté, mis en présence de la salive mixte, et surtout du suc pancréatique, ne tardait pas à disparaître en se transformant en dextrine, puis enfin en sucre. On trouva enfin que cette môme faculté transforma- trice existe dans beaucoup de liquides organiques. Dans le règne végétal, on avait également reconnu que pen- dant la germination comme pendant la digestion, l'ami- don de la graine se change en dextrine et en sucre. MM. Persoz et Payen avaient constaté que cette ac- tion était due à une matière jouant le rôle de ferment qu'ils avaient isolée sous le nom de diastase végétale. Il fut également établi que dans certains liquides ani- maux dont nous parlerons plus loin, liquides jouissant de la propriété de transformer l'amidon en sucre, il existe une matière analogue, jouant le rôle de fer- ment, et qu'on a isolée sous le nom de diastase ani- male. Tel était l'état de la question lorsque, vers \Mo, je m'occupai de ce sujet. J'avais été amené à cette con- viction <[ue les phénomènes de la nutrition ne devaient pas être considérés par le physiologiste du même point de vue que par le chimiste. Tandis (jue celui-ci cher- che à faire le bilan nutritif, c'est-à-dire à établir la ÉVOLUTION "DU SUCRE DANS l'oRGANISME. 41 balance entre les substances introduites et les sub- stances rejetées, le physiologiste doit se proposer de les suivre dans leur trajet, pas à pas, et d'étudier toutes leurs transformations successives au sein même de l'or- ganisme. Je me proposai d'appliquer cette méthode à toutes les substances successivement: aux albuminoïdes, aux matières sucrées, aux matières grasses. Je com- mençai par les matières sucrées, qui me paraissaient d'une étude plus facile. Le plan que je m'étais tracé était bien trop vaste ; car aujourd'hui, après trente années de travaux dont les résultats n'ont cependant pas été stériles, j'en suis encore à l'étude des matières sucrées. , Je me proposai d'abord de savoir ce que devenait le sucre introduit directement dans l'appareil circulatoire. Je fis alors les expériences dont j'ai indiqué plus haut les résultats. Je pris du sucre dissous dans un peu d'eau et je l'injectai, ce qui est sans inconvénient, dans le sang chez un chien et un lapin. Après quelque temps, le sucre avait traversé l'organisme sans être détruit et avait été éliminé en totaUté : on le retrouvait dans l'u- rine. Il s'agissait ici du sucre ordinaire, du sucre de canne. Le sucre de canne, introduit par injection dans le système sanguin, n'est donc pas assimilé; il est éli- miné, rejeté de l'organisme comme un corps étranger. Cependant nous iiiisons, dans notre ahmentation, grand usage du sucre de canne. Il est introduit non plus directement par les veines, mais comme le reste des aliments par le tube digestif ; il ne s'agit plus de quan- tités infinitésimales, mais de quantités parfaitement 42 CHANGEMENT EN GLYCOSE. appréciables. Or, puisqu'on ne retrouve pas ce sucre éliminé par les urines, il disparaît donc dans Torga- nisme. Comment expliquer cette différence? Évidemment les sucs digestifs avaient agi sur le sucre alimentaire et lui avaient fait subir quelque modification. Pour savoir de quelle nature était cette modification, je recueillis le liquide digestif, le suc gaslrique; je fis une dissolution de sucre non plus dans l'eau, comme tout à l'heure, mais dans le suc gastrique, et je poussai la solution dans les veines. Le sucre, cette fois, fut assimilé; il n'apparut plus dans les urines. Ainsi le sucre est modifié par le suc gastrique : je crus d'abord que cette modification préalable était la con- dition de son absorption ultérieure. Je reconnus plus tard que la transformation digestive n'est pas physio- logiquement le résultat de l'intervention du suc gas- trique, mais d'un autre liquide, le suc intestinal. L'ac- tion exercée par le suc gastrique est un phénomène purement chimique que d'autres agents minéraux sont capables de réaliser. Il n'en restait pas moins vrai que, sous l'influence des sucs digestifs, le sucre de canne C'-H"0'' se transforme en une substance différente quoique voisine par ses propriétés : c'est le sucre de rai- sin C'H'-O'-. La question n'en était qu a son début. J'avais ap- pris que le sucre de canne se transforme dans le tube digestif en sucre de raisin. Mais que devient celui-ci? Comment disparaît-il et où va-t-il se rendre? Il fallait, pour répondre à ces desiderata, suivre le sucre dans son CARACTÈRES LE LA GLYCOSE. 43 évolution, et posséder, par conséquent, un moyen de le déceler partout où il existe. Précisément à cette époque la chimie découvrait ce moyen. Barreswil en France, Trommer en Allemagne, indiquaient un caractère commode et très-délicat. J'ai fait ailleurs, à un point de vue particulier, l'his- toire critique des moyens que l'on peut employer pour déceler et doser les sucres, en tant que ces moyens sont applicables à la physiologie. Pratiquement, ils se réduisent càdeux: la fermentation alcoolique, l'emploi du réactif de Fehling ou de Barreswil. Je supposerais mes auditeurs assez au courant des conditions dans lesquelles ces méthodes doivent être employées, pour être dispensé d'en recommencer l'histoire. Je rappellerai seulement que, malgré sa grande sen- sibilité, le procédé de Barreswil et de Trommer est passible de quelques reproches. C'est un caractère em- pirique, très -délicat sans doute, mais par cela même un peu incertain. La véritable manière de prouver l'existence d'un corps, c'est de l'extraire, de le prépa- rer, de le montrer en nature. Si la preuve est in- directe, si elle consiste en une réaction chimique, on peut craindre qu'elle ne soit pas exclusive à la sub- stance pour laquelle on l'applique ; que d'autres sub- stances, des circonstances différentes la manifestent éga- lement. Pour éviter cette cause d'erreur, j'ai toujours opéré par des expériences comparatives. En physiologie je ne saurais trop recommander l'emploi de la méthode com- parative. Les conditions dans lesquelles se débat l'expé- 44 MÉTHODE COMPARATIVE, rimentaleur sont tellemeiU complexes, qu'il est impos- sible d'en tenir compte, et de démêler directement dans un résultat expérimental la part qui revient à chacune. Aussi est-il infiniment utile de ne faire varier qu'une seule condition parmi celles qui régissent le phénomène, en laissant toutes les autres identiques. Celle-là devient alors le point de mire de l'observation, et l'on rapporte à son influence les modifications survenues dans la marche du phénomène. C'est ainsi que j'opérai. Poursuivre les transforma- tions des matières sucrées alimentaires dans l'organisme, je pris des chiens, qui étant omnivores se prêtent plus facilement à un régime déterminé. Je les divisai en deux catégories, donnant aux uns et aux autres la même ali- mentation, sauf une substance, le sucre. Les uns rece- vaient de la viande cuite seule; les autres, la même viande additionnée de sucre ou de pain. 11 n'y avait donc pas d'autre différence entre eux que celle ci : les uns étaient soumis à un régime dans lequel il y avait des matières sucrées, les autres à un régime qui n'en com- portait pas. J'ouvris l'un des chiens soumis au régime avec addi- tion de sucre : je trouvai du sucre dans l'intestin, j'en trouvai dans le sang. Ce résultat n'avait rien que de prévu, puisque l'animal avait niangé du sucre. Je fis la même épreuve sur un chien soumis au régime exclusif de la viande cuite, et je ne fus pas médiocre- ment étonné de rencontrer chez lui, comme chez le premier, du sucre en abondance dans le sang, quoique je n'en pusse déceler aucune trace dans l'intestin. Je RÉGIME DE LA VIANDE. 45 répétai l'expérience de toutes les manières; toujours le résultat se présenta le même. Je pensai alors à soumettre l'animal à un régime plus sévère. Je mis l'animal à jeun; son estomac était com- plètement vide d'aliments, et cependant je continuai à trouver du sucre dans son sang total. Alors je résolus de rechercher le sucre dans les diverses parties du système sanguin. Au sortir de l'intestin je ne trouvai pas de sucre dans le sang de la veine porte, quand je prenais exclusivement le sang venant de l'intestin après avoir lié la veine à l'entrée du foie pour empêcher le reflux. Au contraire, en aval du foie, dans les veines sus-hépa- tiques, dans la veine cave inférieure, dans le cœur droit et au delà, le sucre apparaissait d'une façon manifeste. Je le répète, c'est le sang qui sort du foie, qui paraissait s'être chargé de matière sucrée. L'examen du tissu hé- patique me prouva en efTet que cet organe contenait une grande quantité de sucre de raisin (glycose). Les autres organes du corps, rein, rate, poumon, muscles, traités de la même manière que le foie, ne me donnèrent rien de pareil. C'est ainsi que je découvris ce que j'ai appelé la fonc- tion glycogénique du foie ; c'est ainsi que j'ai établi l'existence normale du sucre dans l'organisme et le mé- canisme de la formation glycogénésique. Je cherchais les transformations que subissait le sucre dans l'écono- mie animale, je cherchais le lieu de sa destruction, et j'ai trouvé tout autre chose, j'ai découvert le lieu de sa formation. C'est que l'événement ne vérifie pas toujours les pré- 46 GLYCÉMIE NORMALE. visions de l'esprit. Il arrive souvent que l'on ne trouve rien, que l'on trouve autre chose que ce que l'on cher- che, quelquefois le contraire de ce que l'on cherche ; mais ce qui est certain, c'est que l'on trouve seulement dans la direction où l'on cherche. En effet, comment se fait-il que la présence du sucre, qu'il est si facile de constater dans le tissu hépatique, n'ait jamais été signalée avant moi, quoique le foie ait été analysé par beaucoup de chimistes habiles? C'est qu'on n'avait pas eu la pensée d'y chercher le sucre. Quand on expérimente, il ne suffit donc pas de tenir un bon instrument dans la main, mais il faut encore avoir une idée directrice dans l'esprit. Les expériences précédentes avaient donc établi les deux faits qui servent de fondement à l'histoire de la production du sucre chez les animaux, à savoir : 1° Le sucre de glycose existe normalement dans le sang; ^^ La présence de ce sucre est indépendante de Tali- menlation animale ou végétale. Le sucre se forme donc dans l'organisme. J'arrivais à montrer que le siège de celte production est dans le foie. Si nous nous proposions seulement d'établir que la production de la substance sucrée, gratuitement attri- buée au règne végétal, appartient aussi aux animaux, notre tâche serait terminée. Mais nous voulons aller plus loin et montrer que le mécanisme de la formation et le rôle de cette substance sont identiques dans les deux règnes. Ce sera un rappro- THÉORIES DE LA FORMATION DU SUCRE. 47 chement nouveau et capital entre la vie animale et la vie végétale, que la démonstration de l'identité dans l'une et l'autre du seul processus nutritif cpii soit à peu près connu. Dans les végétaux, le sucre se forme par la nutrition ; il apparaît dans la graine pendant la germination, dans les feuilles et les fleurs pendant leur développement. Nous savons qu'il est le produit de transformation d'une matière extrêmement répandue dans les végétaux, l'a- midon. L'amidon est insoluble, et pour prendre part aux échanges nutritifs il doit préalablement se transfor- mer en une substance isomère, la dextrine, soluble à un haut degré. C'est le premier pas dans une voie de mo- diflcations qui conduit à la production de la glycose, puis à des produits ultérieurs. Cette transformation de l'amidon en glycose s'accomplit sous l'influence d'un ferment spécial, la diastase. Pour les animaux le méca- nisme était inconnu. Après que la formation du sucre dans le foie avait été mise hors de doute, il s'agissait de savoir le comment de cette formation. Diverses théories furent proposées. Lehmann supposa que la matière qui donne naissance au sucre était un élément du sang, la fibrine ou l'héma- tosine. Frerichs admit également que c'était une sub- stance albuminoïde du sang ; Schmidt (de Dorpat) pré- tendit que c'étaient les matières grasses. L'expérience du foie lavé, dans lequel je voyais reparaître la substance sucrée, un certain temps après avoir enlevé par l'eau toute celle qu'il contenait déjà, m'apprit que la sub- stance génératrice du sucre n'était pas un élément du 48 AMIDON ANIMAL. sang, mais une matière incorporée au tissu du foie assez fortement pour que l'eau froide ne pût l'en arra- cher. Pour ne rien préjuger sur sa nature, je l'appelai substance (jlycogène. — Ce ne fut qu'après deux ans d'efforts et de recherches, en 1857, que je parvins à isoler cette matière. Je décrivis ses caractères physico- chimiques qui étaient tout à fait analogues à ceux de l'amidon végétal. LEÇON II li'aïuidon dans les «leux règnes. Sommaire. — La glycose se forme dans l'organisme animal et dans l'orga- nisme végétal par le même procédé. — Transformation du glycogène, trans- formation de l'amidon. — Comparaison et identité de ces deux substances. Il est de la plus haute importance pour la physio- logie générale d'insister sur les analogies entre le règne animal et le règne végétal, qui ressortent des faits précé- demment indiqués. Nous savons, d'après ces faits, que le sucre de gly- cose existe chez les animaux aussi bien que chez les végétaux, non pas à l'état de produit accidentel, mais comme produit nécessaire, constant, lié à l'accomplisse- ment des fonctions nutritives. La glycose existe dans Torganisme animal, indépendamment de 4'alimenta- tion : au lieu d'être apportée du dehors, comme on l'avait cru anciennement, au lieu de provenir exclusi- vement des plantes pour passer dans les herbivores et de là dans les carnivores elle est véritablement fabri- quée dans l'organisme animal, comme elle est fabri- quée dans la plante elle-même. Elle existe au même titre dans les deux règnes. Les analogies ne s'arrêtent pas là. Le mécanisme de la formation du sucre est encore le CL. BERNARD. — Phénomènes. ri. — 4 50 AMIDON. même. Dans les animaux et dans les végétaux il existe antérieurement à la formation du sucre une substance glycogène ou amylacée qui, sous l'influence des fer- ments, se transforme en dextrine et en sucre. Ces analogies sont complétées par la comparaison chimique du glycogène et de l'amidon. L'amidon est une substance extrêmement répandue dans le règne végétal. 11 n'y a pas de plante qui n'en contieime dans quelqu'une de ses parties, au moins à l'époque de sa végétation annuelle. Dans beaucoup de cas il s'accumule dans certains organes et constitue des réserves pour le moment où une nutrition énergique devra l'utiliser. C'est dans ces espèces de réservoirs naturels, ménagés par la nature pour être ultérieure- ment mis à contribution, que l'homme va chercher la matière amylacée qui occupe une si grande place dans son alimentation. On désigne la matière amylacée presque indifférem- ment sous les noms d'amidon et de fécule. Le nom de fécule s'applique plus généralement lorsqu'elle provient des parties souterraines et des tiges, le nom d'amidon lorsqu'elle provient des graines. La fécule se prépare par lavage; l'amidon se prépare aussi par lavage, mais quelquefois par une sorte de fermentation. La matière amylacée est insoluble et par conséquent incapable de prendre part, sous sa forme actuelle, aux échanges nutritifs auxquels elle est cependant destinée. Aussi la partie la plus importante de son histoire phy- siologique est celle qui rend compte des transforma- tions qu'elle subit pour devenir soluble. DIASTÂSE. 5i Sous certaines influences chimiques ou physiolo- giques, l'amidon, qui a pour formule G''H"^0'^ se transforme en une substance isomérique, soluble, la dextrine, qui est le lien entre Famidon et la glycose, car en continuant l'action, la substance s'hydrate davan- tage et passe à la glycose C'-H'-O^''. Les agents qui peuvent ainsi faire passer l'amidon à l'état de dextrine d'abord et de glycose* ensuite sont les acides étendus, azotique, sulfurique, chlorhydrique, et la vapeur d'eau fortement chauffée. Ce sont là des moyens artificiels, quelques-uns même industriels. Dans la nature vivante, le même but est atteint par d'autres moyens. Lorsque la graine va germer, l'ami- don doit se métamorphoser pour servir au développe- ment des organes rudimentaires de la nouvelle plante. Aussi, à cette époque, voit-on apparaître dans la se- mence une matière qui est l'agent de la métamor- phose : c'est la diastase, découverte par MM. Payen et Persoz en 1840 dans l'orge en germination. La place qu'occupe ce ferment dans la plante rend son rôle évident. Dans les semences germées de blé, d'avoine, d'orge, la diastase est localisée dans le germe même où se trouve une accumulation d'amidon à liquéfier et non dans les radicelles. Chez la pomme de terre, la diastase se trouve exclusivement dans le tubercule et non dans les pousses. C'est une matière azotée qui jouit de la propriété fondamentale de transformer par simple con- tact environ deux mille fois son poids d'amidon en dex- trine, puis en glycose. L'analyse de la matière glycogène a montré qu'à 52 GLYCOGÈNE. l'état de pureté elle ne contenait point d'azote. Sa com- position élémentaire correspond, d'après M. Peloiize, aux nombres suivants : Carbone 39,10 Hydrogènn 5,10 Oxygène 54,10 100,00 Symboliquement, la formule serait C'"H'"0'- ou C'-H"^0'^ 2H0. A un équivalent près, c'est la formule de l'amidon C^-^H'°0"^, qui aurait subi les mêmes traite- ments que la matière glycogène et fixé par là deux équivalents d'eau C'-H'^O''^ + 2H0. Cette teneur en eau lui assigne dans la série des composés glyciques une place intermédiaire à la dextrine et à la glycose. On aurait, par exemple, la succession suivante : Cellulose Ci-H-'O'» Amidon C'-H'^O'" Dextrine C"H"'0"'+Aq Matière glycogène C'-H'»0"'+2H0 Sucre de cannes C'-H"0" Glycose C'^H'^0'^ Les acides qui peuvent faire passer le glycogène à l'état de dextrine d'abord et de glycose ensuite sont, de même que pour l'amidon, les acides étendus azotique, chlorhydrique, sulfurique, et la vapeur d'eau surchauf- fée. Mais dans l'organisme animal le môme but est atteint par des moyens chimico-physiologiques d'une autre nature. Nous savons qu'il existe un ferment hépa- tique dont nous trouvons l'équivalent dans le fluide DIASTASE ANIMALE, 53 salivaire, le suc pancréatique et quelques autres liquides animaux. L'action de ces substances a fait conclure à l'exis- tence d'une diastase animale parallèle à la diastase végétale. Quoi qu'il en soit, le fait certain, c'est que les liquides dont nous venons de parler sont capables de faire subir à l'amidon aussi bien qu'au glycogène une fermentation qui l'amène à l'état de glycose. Ainsi les mêmes agents font passer le glycogène à l'état de glycose par une fermentation de même espèce que celle que nous observons dans le règne végétal. . Nous avons encore à citer d'autres traits de ressem- blance entre le glycogène animal et l'amidon végétal. L'acide azotique concentré a une action spéciale sur l'amidon : il le convertit en une substance explosible, le pyroxam ou xyloidine. C'est un congénère du coton- poudre qui est très-instable. Ce serait, d'après Pelouze, de l'amidon mononitré (C^^H^O^AzO^) . Or, l'acide azotique concentré agit de la même ma- nière sur la matière glycogène. Pelouze a obtenu une xyloïdine animale ayant les mêmes caractères que la xyloïdine végétale : elle déflagre de la même manière lorsqu'on la chauffe sur une lame de platine. Ces combinaisons azotées avaient, à un moment donné, vivement attiré l'attention des chimistes et des physiologistes. Elles contenaient, en effet, tous les éléments essentiels des matières organiques et par suite des aliments complets. On avait espéré constituer ainsi, par des procédés artificiels, l'équivalent de sub- stances alimentaires telles que la viande. Les tentatives 54 RÉACTIF IODÉ. faites dans celte direction par MM. Pelouze et Liebig devaient échouer. Les congénères du coton-poudre, la xyloïdine animale ou végétale, introduites dans le tube digestif, ne sont pas emportées par l'absorption) : elles restent dans le tube digestif, le traversent sans modi- fication et sont expulsées avec les excréments. Cela peut être manifesté par une expérience bizarre qui consiste à approcher un corps enflammé des excré- ments préalablement desséchés. On voit ceux-ci prendre feu. Enfin l'amidon présente, lorsqu'il est mis en contact avec l'iode, une réaction très-importante qui sert à reconnaître la présence de l'un ou l'autre des deux corps. La matière étant broyée et introduite dans un tube avec de l'eau, la moindre addition d'iode fait apparaître une coloration bleue intense, il suffit de 1/500 de milligramme d'iode pour produire la réaction lorsqu'on emploie les précautions convenables. On suppose l'existence d'un composé, l'iodure d'ami- don, quoiqu'il ne soit nullement prouvé qu'il y ait là une combinaison à proportions définies. Une élévation de température jusqu'à 66 degrés fait disparaître la coloration : elle reparaît par le refroidissement, La colo- ration bleue en présence de l'iode constitue le caractère principal qui dans les analyses sert à reconnaître l'ami- don. La dextrine présente des réactions un peu diffé- rentes, suivant qu'elle a été préparée par la diastase, par l'acide sulfurique ou la torréfaction. Elle prend sous l'influence de l'iode, dans ces deux derniers cas, non plus une coloration bleue, mais une coloration rouge. RÉACTIONS DU GLYCOGÈNE 55 C'est d'après des réactions de ce genre que Miilder s'était décidé à reconnaître trois variétés de dextrine. Le glycogène, sous ce point de vue, participe des caractères de l'amidon et de la dextrine. Éprouvé par l'iode, il donne non pas une coloration franchement bleue comme la matière amylacée, ou nettement rouge comme la dextrine sulfurique, mais intermédiaire à l'une et à l'autre, d'un violet rougeâtre. L'influence de la chaleur est du reste la môme sur cet iodure de gly- cogène que sur l'iodure d'amidon ; dans les deux cas, la teinte disparaît; elle reparaît par le refroidissement. Il est donc établi maintenant par les preuves les plus répétées que l'analogie la plus parfaite existe au point de vue chimique entre l'amidon et le glycogène. En résumé, le glycogène est une espèce d'amidon, moins fixe, moins stable que l'amidon ordinaire : il est plus facilement transformé en sucre; ses caractères par- ticipent de ceux de l'amidon et de la dextrine, c'est- à-dire d'une substance intermédiaire à la fécule et à la glycose et en marche pour passer à celle-ci. Quant à la fonction physiologique, elle est la même dans les deux règnes. Le glycogène comme l'amidon est une réserve qui attend plus ou moins longtemps la transformation en sucre qui lui permettra de participer au mouvement de la nutrition. Dans le tubercule de la pomme de terre, la fécule attend pendant une année d'être utilisée; elle attend le retour des conditions favo- rables à la germination. Dans les animaux, et surtout dans les animaux supérieurs, où la vie est plus active et où elle ne subit pas d'interruption, l'amidon animal 56 INSTABILITÉ DU GLYCOGÈNE. n'attend sa mise en œuvre que pendant quelques instants, quelques heures ou au plus quelques jours. De là les nuances qui séparent les deux matières et qui se résument dans une stabilité moindre de la matière animale, dans une fixité plus grande de la matière végétale. LEÇON III La glycogencse chez les iiiauiniifèi'cs pondant la vie embryonnaire. — La glycogcnèse chez les oiseaux. Sommaire. — Diffusion de la fonction glycogénique. — "Glycogène dans les annexes : Placenta du lapin ; plaques et villosités de l'amnios chez les ru- minants. — Glycogène dans les tissus fœtaux : Muscles. — Oiseaux : Gly- cogène dans la cicatricule, dans la vésicule ombilicale; ses variations pendant le développement. Jusqu'à présent nous avons examiné la fonction glycogénique surtout chez les animaux supérieurs. Nous avons dit, en effet, que notre méthode en physiologie générale était de pousser aussi loin que possible l'ana- lyse d'une fonction vitale chez l'animal élevé où tout est mieux spécialisé et plus facile à distinguer. Cette analyse, bien que dans Tétat actuel de la science elle ne puisse encore être que très-imparfaite, nous permet cependant de mieux nous reconnaître dans l'étude de la même fonction chez les animaux inférieurs; car chez ceux-ci les choses sont, non pas plus simples, mais seu- lement plus indistinctes. Nous devons donc étendre notre sujet et embrasser la fonction glycogénique dans l'ensemble des êtres vi- vants. I. Mammifères. — Le premier pas que nous ayons à faire dans cette voie, c'est de passer de l'état adulte des 58 ÉTAT FOETAL, animaux supérieurs à leur état fœtal. C'est un achemi- nement tout naturel vers un état inférieur. Et, sous ce rapport, il est philosophiquement très-juste de dire que les animaux supérieurs représentent dans leur évolu- tion les gradations successives de la série zoologique. Après avoir étudié (i) les phénomènes tels qu'ils se présentent à l'âge adulte alors que tous les organes ont atteint leur développement, il importe de savoir comment les choses se passent pendant la durée du développement lui-môme. Une première difficulté se présente ici. En effet, comme le fœtus des mammifères reste en communica- tion avec l'organisme maternel par le placenta, on peut croire que les substances décelées dans ses tissus, au lieu d'être le produit de l'activité fœtale, proviennent de la mère. Cette objection doit être levée avant tout. Elle n'est d'ailleurs pas seulement applicable à la matière glyco- gène. A la vérité, l'embryon des mammifères n'est pas libre comme celui des oiseaux, qui se développe isolé- ment; mais, d'autre part, la relation de dépendance avec l'organisme maternel n'est pas aussi étroite qu'on l'avait pensé autrefois. On a admis en effet, pendant long- temps, qu'il y avait abouchement direct du système vasculaire de la mère avec celui du fœtus, et que le même sang les nourrissait l'un et l'autre. 11 a fallu plus tard reconnaître que cette manière de voir était inexacte. Les globules du sang du fœtus ne sont pas les mêmes qui (1) Voyez Leçons sur le Diabète, 1874 INDÉPENDANCE DE l'eMBRVON. 59 circulent dans les vaisseaux de la mère; ils se dis- tinguent par leur volume et par l'existence d'un noyau des globules maternels. Une foule d'autres preuves dé- montrent encore l'indépendance relative dont jouit l'or- ganisme fœtal. Chez beaucoup de mammifères, particu- lièrement chez les ruminants, on peut séparer le placenta cotylédonan^e de l'embryon du placenta maternel, sans rupture ni déchirure, par simple décollement; on ne produit aucune hémorrhagie, comme cela devrait avoir lieu si, au lieu d'une simple contiguïté, il y avait une continuité véritable entre les organismes. Les substances liquides seules peuvent passer de la mère au fœtus par diffusion et endosmose, tandis que les corps solides, les éléments figurés, sont arrêtés à la limite des deux pla- centas. Ainsi en est-il des hématozoaires ou parasites du sang, qui, comme les globules eux-mêmes, ne passent point dans le fœtus. Les poisons solides ou figurés sont également retenus et ne peuvent communiquer leur action nocive au sang fœtal. La maladie du charbon ou sang de rate, qui est déterminée par la prolifération de certains organismes ou ferments figurés, décrits par mon ami M. le docteur Davaine (1) comme des bacté- ries ou baractéridies, cette maladie, disons-nous, lors- qu'elle infecte la mère, ne se propage pas au fœtus. Il en serait sans doute de même pour le virus vaccinal, dont l'activité réside, d'après les travaux de M. Chau- veau, dans des particules solides flottantes au sein du liquide de la pustule. (1) Davaine, Etudes sur la contagion du charbon sur les animaux {Bull, de r Académie de médecine. Paris, 1870, t. XXV, p. 215). 60 ANNEXES DE l' EMBRYON. Sans multiplier davantage ces exemples, nous pou- vons en tirer la conclusion qu'ils comportent, à savoir : que le fœtus ne reçoit de la mère que des matériaux liquides dissous dans le plasma sanguin ; et comme nous savons que la matière glycogène est incorporée chez la mère à des éléments figurés solides, à des cellules glycogéniques, nous n'admettons pas qu'elle puisse passer dans le fœtus. D'ailleurs, s'il en était ainsi, on devrait la trouver dans tous les tissus également vascu- larisés, tandis qu'elle n'existe que dans quelques-uns. Nos recherches ont établi que la production glyco- génique, condition indispensable au développement, existe, soit dans le fœtus lui-même, où elle est diffuse avant de se localiser définitivement dans le foie, soit dans les organes embryonnaires transitoires, dont le rôle est terminé au moment de la naissance. §i. Glycogenèse dans les annexes de l'embryon. — Chez les oiseaux, c'est dans la vésicule ombilicale que nous trouverons l'organe principal de cette fonc- tion, la vésicule allantoïde n'y contribuant en aucune façon . Chez les mammifères, nous savons que la vésicule ombilicale n'a qu'un rôle physiologique très-reslreint; elle n'atteint qu'un faible développement, elle disparaît de bonne heure, et elle est suppléée dans ses fonctions par la vésicule allantoïde sortie de la même origine qu'elle, c'est-à-dire du feuillet interne du blastoderme. L'allantoïde cumule ici les fonctions nutritive et respi- ratoire : c'est par elle que le fœtus puise dans l'orga- nisme maternel, au moyen du placenta, les éléments PLACENTA DES RONGEURS. 61 gazeux et liquides qui lui sont nécessaires. C'est donc là que nous devons trouver la source de celui de ces éléments qui n'est pas le moins indispensable, le glyco- gène. Mes recherches (i) m'ont en effet permis d'établir que c'est le placenta qui est le siège de la production glycogénique pendant les premiers temps de la vie fœtale. Nous aurons à examiner successivement la question chez les rongeurs, les carnivores et les ruminants, sur lesquels nos expériences ont particulièrement été insti- tuées. Les rongeurs ont, comme tous les quadrumanes, les chéiroptères et les insectivores, un placenta discoïde. Les ramifications des vaisseaux allantoïdiens se mettent en simple rapport de contiguïté avec les ramifications des vaisseaux internes qui constituent le placenta maternel. Chez le cobaye, la muqueuse utérine ou caduque forme autour de l'œuf une chambre embryonnaire complète. Quelques ramifications des vaisseauxomphalo- mésentériques appartenant à la vésicule ombilicale se répandent sur le chorion au point opposé au pôle pla- centaire, entrent en rapport avec la portion correspon- dante de la caduque et peuvent jouer ainsi quelque rôle dans le travail nutritif du fœtus. Le placenta occupe une sorte de calotte sur la sphère du chorion. Si l'on vient à séparer ledisqueplaceniairedu fœtus du disque maternel, on trouve entre les deux une sorte de couche blanchâtre (1) Cl. Bernard, Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XLVIII, p. 77, janvier 1859. 62 PORTION GLYCOGÉNIQUE DU PLACENTA. formée par des cellules épithéliales ou glandulaires agglomérées. Ces cellules sont remplies de matière glycogène. La masse qu'elles forment ne présente pas le même développement à tous les âges : elle paraît s'accroître jusqu'au milieu de la gestation (qui est de trois semaines) , puis s'atrophier ensuite à mesure que le fœtus approche du moment de sa naissance. Chez le lapin, on constate des faits analogues. Toute- fois la muqueuse utérine ne forme qu'une poche incomplète autour de l'embryon. Le placenta discoïde •est bien limité etlavascularisation du chorion se trouve restreinte à l'étendue qu'il occupe. La matière glyco- gène est distribuée de la même manière, et subit les mêmes oscillations que nous avons signalées chez le cobaye pendant la durée de la vie intra-utérine qui est ici de quatre semaines. La matière glycogène est abondante dans le pourtour de la portion maternelle du placenta, et elle paraît s'enfoncer en forme de radiation dans la portion fœtale. . Nous voyons, en résumé, que chez les lapins et les cochons d'Inde, le placenta est formé de deux portions ayant des fonctions distinctes : l'une vasculaire et per- manente jusqu'à la naissance, l'autre glandulaire préparant la matière glycogène et ayant une durée plus restreinte. — Il importe de placer ici une observation. J'ai quelquefois rencontré sur la muqueuse utérine chez le lapin des masses cotylédonaires, des placentas vérita- bles, isolés, en face desquels n'existait aucun placenta fœtal. Or, le placenta maternel, ainsi indé[)endant, pré- sentait à sa surface une couche considérable de cellules PLACENTA DES CARNASSIERS. 63 blanchâtres glycogéniques. Il semblerait donc que la production glycogénique doive son origine à la mère. D'ailleurs cette conclusion reçoit un nouvel appui, si l'on considère que dans l'œuf de poule, par exemple, la cica- tricule renferme de la matière glycogène avant tout travail embryogénique, alors même que la fécondation n'a pas eu lieu. Carnivores. — Notre examen a également porté sur les carnivores et particulièrement sur le chien etle chat. Chez ces animaux le placenta est zonaire; il forme une bande circulaire autour du sac ovoïde constitué par l'expansion de la vésicule vitelline, qui atteint ici des dimensions considérables. La muqueuse utérine donne naissance à un placenta maternel de même forme : sur les bords du placenta maternel la muqueuse présente un épaississement hypertrophique appelé séroiine, creusé de nombreux sinus sanguins. Cette bande présente une coloration d'un vert intense qui la déborde plus ou moins complètement, suivant les cas. Breschet a comparé cette matière colorante à celle de la bile ou môme à la chloro- phylle ; et Meckel, qui l'a étudiée d'une manière spéciale, lui a donné le nom à'Iiématochlorine. L'examen de ces parties nous a permis d'y reconnaître l'existence de la matière glycogène dans l'épaisseur même du placenta et particulièrement sur les bords delà zone placentaire. Il nous a paru également que cette produc- tion éprouvait des changements aux différentes époques de la gestation dont la durée est de huit semaines chez le chat et de neuf semaines chez le chien. Dans les derniers temps de la vie intra-utérine, à mesure que les 64 GLYCOGÈNE SUR LE TRAJET DES VAISSEAUX. . organes fœtaux, et le foie particulièrement, approchent de leur constitution complète, la production glycogénique tend à disparaître des annexes. Ruminants. — Lorsque j'ai voulu examiner les phé- nomènes de la glycogenèse chez l'embryon des rumi- nants, j'ai rencontré les plus grandesdifficultés. J'observai infructueusement un très-grand nombre d'embryons de veaux et de moutons pris à tous les âges de la vie intra- utérine, et il me fut impossible de trouver jamais aucune partie du placenta de ces animaux qui contînt de la matière glycogène. Une circonstance aggravait cet insuccès et aurait pu me détourner du but auquel ont abouti mes recherches, c'est que j'avais précisément commencé mes expériences par lesruminants sans avoir encore vérifié les vues qui me guidaient par l'examen des carnivores et des rongeurs. Les ruminants présentent une disposition qui est exceptionnelle, en apparence seulement, car au fond elle rentre dans la loi générale et la conûrme même de la manière la plus inattendue. La portion glycogénique du placenta des ruminants présente une simple variété de disposition. Les parties vasculaire et glandulaire du placenta, confondues chez les rongeurs, se distinguent chez les ruminants et facilitent par cette disposition l'observation isolée de leur évolution respective. Tandis que la portion vasculaire du placenta, représenté ici par des cotylédons multiples (fig. I), accompagne l'allan- toïde et s'étale à sa face externe, la portion glandulaire glycogénique s'en sépare et accompagne quelques vais- seaux allantoïdiens dans leur trajet récurrent sur la face VAISSEAUX OMBILICAUX. 65 externe de l'amnios (fig. 1 , a). Nous voyous alors la por- tion glycog'éuique, formée de cellules glycogéniques attachées à l'amnios, grandir dans les premiers temps de la gestation, atteindre du quatrième au sixième Ou voit par transparence les plaques Fig. 1. — Fœtus du veau dans l'amnios. disséminées à la surface interne. a. Ramification sur l'amnios des vaisseaux ombilicaux représentant la partie glan- dulaire du placenta. 6. Pédicule de l'allantoïde. c, d. Cotylédons représentant la partie vasculaire du placenta. e. Partie foetale, d. Partie maternelle. mois de la vie intra-utérine, chez la vache, son sum- mum de développement, puis disparaître peu à peu en passant par des formes variées d'atrophie et de dégé- nérescence; de sorte qu'à la naissance il n'existe plus de traces de cette portion temporaire du placenta. Le balancement qui existe entre la présence du glycogène dans les organes transitoires et dans le corps de l'em- bryon est ici bien évident : le maximum du dévelop- pement glycogénique sur l'amnios correspond à peu CL. BERNARD. — Phénomènes. ii. — 5 66 ÉVOLUTION DES PLAQUES AMNIOTIQUES. près au moment où ni le foie ni les autres tissus ne pos- sèdent encore de matière glycogène; sa décroissance commence et s'exagère à mesure que le corps de l'em- bryon se développe. La situation des cellules glycogéniques sur l'amnios n'est donc pas en réalité une dérogation à la loi générale qui nous a montré cette production limitée aux dépen- dances du feuillet interne du blastoderme ; car les cellules glycogéniques appartiennent toujours à l'allanloïde, elles accompagnent sous forme de plaques les vaisseaux allantoïdiens qui viennent accidentellement se réfléchir sur l'amnios, dépendance du feuillet externe. L'amnios n'est que le soutien de ces vaisseaux : il n'intervient que pour servir de support à une formation qui n'émane nullement de la même origine que lui-même, et qui n'entre à aucun degré dans sa constitution. Les plaques glycogéniques de l'amnios des ruminants se montrent dès les premiers temps de la vie embryon- naire. Elles disparaissent à la fin de la vie intra-utérine, fait qui avait échappé aux observateurs, particulière- ment aux vétérinaires qui les ont signalées. Ceux-ci ayant vu ces productions augmenter peu à peu dans les premières périodes de la gestation avaient supposé que le mouvement d'accu'oissement se continuait jusqu'à la naissance : dans les descriptions anatomiques, cette supposition inexacte était présentée comme un fait. L'exemple actuel montre une fois de plus ce que valent ces déductions anatomiques quand elles sont séparées de l'observation physiologique. Les plaques amniotiques se développent d'abord sur ÉVOLUTION DES PLAQUES AMNIOTIQUES. 67 la face interne de l'amnios dont elles troublent la trans- parence; elles recouvrent le cordon ombilical jusqu'au point où une ligne bien nette sépare le tégument cutané de l'amnios. Elles s'étendent ensuite avec les vaisseaux sanguins sur les portions avoisinantes, en atfectant la forme de villosités. Presque transparentes à l'origine, elles s'opacifient de plus en plus à mesure qu'elles s'ac- croissent : elles se groupent, se rassemblent en certains points, de manière à devenir confluentes. Déjà très- visibles à l'œil nu, on les rend évidentes en imbibant la surface d'une solution concentrée d'iode : elles devien- nent alors d'un rouge brun qui ne tarde pas à virer au noir, tandis que les portions environnantes de la mem- brane deviennent jaunes par la même influence de l'iode. FiG. 2. — Plaque amniotique d'un développement très-avancé. A leur maximum de développement, les plaques amniotiques (voy. fig. 2, et pi. I, fig. 1 et 2) présen- tent une épaisseur de 3 à 4 millimètres. A partir de ce 68 DÉGÉNÉRESCENCE DES PLAQUES. moment, elles commencent à décroître et à se résorber. Elles deviennent jaunâtres, d'apparence graisseuse; quelques-unes se détachent de la membrane qui leur sert de support et tombent dans le liquide amniotique en laissant une cicatrice qui disparaît plus tard. D'autres fois la disparition se fait par résorption in loco : si la dégénérescence graisseuse a été rapide, il reste à la naissance du fœtus une masse de graisse assez considé- rable; d'autres fois encore, la destruction par oxydation ayant été poussée à un degré plus avancé, on trouve des cristaux octaédriques d'oxalate de chaux qui ren- dent compte des transformations subies par la matière glycogène. Nous vous avons montré dans nos séances pratiques de laboratoire que cette matière glycogène peut sr déceler par les deux ordres de procédés dont nous dispo- sons, chimiquement et par le microscope. Elle se dissout dans l'eau en lui communiquant une apparence lai- teuse; elle se précipite par l'alcool et l'acide acétique cristallisable; elle se colore en rouge vineux par l'iode, et celte coloration, qui disparaît par la chaleur, reparaît par le refroidissement. L'examen microscopique, de son côté, permet de constater l'existence de la matière en question, sa distri- bution dans les cellules glycogéniques et les diverses phases de son évolution. Au début, la membrane amniotique examinée chez le veau semble constituée uniquement d'un feutrage de fibres élastiques avec des noyaux de tissu conjonctif, sans épithélium. L'épithélium apparaît par plaques iso- 4 RÉACTIFS DES CELLULES GLYCOGÉNIQUES. 69 lées, au centre desquelles certaines cellules se distinguent des cellules avoisinantes par leur forme et par la teinte rouge vineux qu'elles prennent, sous l'action de l'iode acidulé avec l'a- cide acétique. Ces plaques s'accrois- sant affectent bien- tôt la forme de pa- pilles, surtout sur la partie de mem- brane qui tapisse le cordon ombili- cal (fig. 3). Les cellules gly- cogéniques compo- sant ces amas ont le caractère des cellules jeunes des glandes. Elles pré- sentent un noyau et un nucléole bien distincts, et des granulations qui sont formées de glycogène pur. Celles-ci peuvent être isolées et séparées du corps cellulaire par la macéra- tion dans la solution alcoolique de potasse caustique : tandis que loutes les autres parties s'y dissolvent, les granulations restent insolubles et se précipitent en for- mant un dépôt dans le fond du vase. L'état que nous venons de décrire est celui des cel- lules glycogéniques à leur entier développement. Un peu plus tard la dégénérescence commence à se manifester. - Papille de l'amnios complètement développée. (Gros. 150/1.) 70 SUCRE DANS LES LIQUIDES ANNEXIELS. Le noyau s'efface : les granulations disparaissent en môme temps, et avec elles les caractères de la matière glycogène. Des gouttelettes graisseuses se montrent dans la cellule flétrie, et souvent, comme nous l'avons dit, des cristaux volumineux, de forme octaédrique, insolubles dans l'eau et dans l'acide acétique, qui sont de l'oxalate de chaux. Tandis que sur la paroi des annexes et dans son épais- seur se dépose et s'accumule la matière glycogène, on trouve dans le contenu de ces annexes, dans le liquide amniotique et dans le liquide allantoïdien, la matière sucrée. J'ai pu dire, avec vérité, que le fœtus nageait dans un véritable sirop. M. Dastre a étudié comparativement chez le fœtus du mouton les variations, aux différents âges, du sucre dans le liquide allantoïdien et dans le liquide amnio- tique. Yoici les résultats qu'il indiciue (l) : FSTIS DE UOBTON. UKlIliE UQIIM .ll.l.lMOi[llE\. IMXIOIIQIR. Ag.\ Longiieiir. louis. ,,/ioOO. p. 1000. c. gi'. 4° semaine 2,5 "2 '2 fi 1 5= semaine » " . "2,4 0,6 (Majewsky). G« semaine 6,5 16 2,6 0,6 7^ semaine » » 4,-4 1 (Majewsky). 8^ semaine 11,5 77 » l 9= semaine 14 110 3,8 0,7 10' semaine 16 178 2,6 0,6 11= semaine...-. .. 20,5 326 2,8 1,3 12» semaine 27 757 3 2,7 13° semaine 28 1040 3,3 2,0 U" semaine 30,5 1100 3,7 3,7 17» semaine 37 2010 2,9 3 (1) Daslre, Vallautotde et le chorion des tnammiferefi, thèse de doctorat es sciences naturelles. Paris, 1871. GLYCOGENÈSE DANS l'eMBRYON. 71 Ce tableau montre que la teneur du liquide allan- toïdieu en sucre varie peu dans le cours de la gestation. La proportion du sucre augmente au contraire d'une manière continue dans le liquide amniotique, si bien qu'à la fin du quatrième mois elle est triple de ce qu'elle était à la fin du premier. La fonction glycogénique se manifeste donc d'abord dans les annexes de l'embryon, qui sont organisées avant l'embryon lui-même. C'est là que se montrent en pre- mier lieu les phénomènes de nutrition, et c'est là que nous trouvons d'abord la matière glycogène. Plus tard, dans la vie libre ou extra-utérine, d'autres organes ser- viront à cette production, qui ne doit point s'arrêter tant que dure la vie. On voit, en résumé, qu'avec des ressources variées, par des mécanismes différents, se trouve réalisée sans interruption cette fonction permanente de la production du glycogène et ultérieurement du sucre, qui paraît éga- lement indispensable à la nutrition et au développement des animaux et des plantes. § 2. Glycogenèse dans les corps de F embryon des mammifères. — Dans les animaux comme dans les vé- gétaux, la matière glycogène et la matière amylacée, sources de la matière sucrée, sont .des principes indis- pensables pour l'évolution organique. La matière gly- cogène, localisée d'abord dans les organes annexes et temporaires du fœtus, se répand bientôt dans les tissus fœtaux, puis dans le foie, où elle reste particulièrement fixée pendant toute l'existence de l'être vivant. Il s'agit maintenant de savoir si cette diffusion est 72 GLYCOGÈNE DANS l'eMBRYON CUTANÉ. bien réellement générale, ou, au contraire, si elle se restreint à certains organes, à certains tissus spéciaux. Il a fallu un grand nombre d'expériences pour déter- miner exactement le siège de la production en ques- tion et pour saisir la loi qui préside à la répartition de lamatière glycogénique. Le premier résultat général auquel nous soyons par- venu, c'est que tous les tissus de nature épithéliale et tous leurs dérivés renferment de la matière glycogène pen- dant leur évolution intra-utérine. Nous examinerons successivement à ce point de vue la peau, le revêtement des muqueuses intestinale, respiratoire et génito-uri- naire (1). Peau. — La distribution de la matière glycogène dans la peau est plus ou moins facile à observer, sui- vant que l'on s'adresse à tel ou tel animal. Le veau, le chat, le lapin sont moins favorables que le porc pour cette constatation; en tout cas, la recherche doit être exécutée sur des embryons très-frais, à cause de la facilité avec laquelle la substance s'altère. En portant sous la lentille du microscope une portion de la surface détachée de la peau, on aperçoit des cel- lules granuleuses dont les granulations se colorent par l'iode acidulé, et qui ont conséquemment le caractère des cellules glycogéiiiques. On peut se demander, au point de vue histologique, quelle est la véritable nature de ces cellules que nous avons jusqu'à présent caractérisées par la particularité (1) Cl. Bernard, Comptes rendus de V Académie des sciences, t. XLVIII, 4 avril 1859. GLYCOGÈNE DANS LES ANNEXES DE LA PEAU. 73 la plus essentielle qu'elles présentent, à savoir la pro- duction de glycogène. Nous n'avons pas en réalité à rechercher si ce sont des productions spéciales, ou bien si ce sont des cellules épithéliales ordinaires cpii se seraient chargées d'une substance particulière. La situa- tion de ces cellules au milieu des éléments épithéliaux, leur apparition sur la membrane muqueuse des cornes utérines en dehors des insertions placentaires, leur forme même et leur rôle transitoire, les rapprochent singuliè- rement des éléments épithéliaux. Mais, d'autre part, leur disparition au moment où se constitue l'épithélium défi- nitif et leur contenu spécial les différencient nettement, et il me paraît que cette différenciation physiologique, basée sur la diversité des produits d'activité, est la plus importante de leurs caractères distinctifs. Quoi qu'il en soit, l'observation microscopique fait reconnaître nettement la matière glycogène à un certain moment du développement embryonnaire de la surface cutanée. L'examen chimique pratiqué, soit avec le charbon, soit avec le liquide de Briicke, confirme ces résullats. Il faut remarquer seulement, quand on opère avec le charbon, que celui-ci ne retient pas la gélatine provenant de l'ébullition des tissus épidermiques. Aussi faut-il avoir soin d'opérer d'abord à froid, afin de retenir les substances qui seraient capables de se changer en gélatine. On obtient une solution opaline dépourvue de gélatine, mais qui permet de constater tous les carac- tères de la substance glycogène. La matière glycogène se montre également dans les annexes du système cutané pendant leur développement ; 74 GLVCOGÈNE DANS LES MUQUEUSES. il est bien facile de constater qu'elle disparaît dès que l'organisation est achevée, et celte circonstance éclaire d'une lumière Irès-vive le rôle qu'elle joue dans l'évo- lution. Chez les fœtus de veau, de mouton, de porc, la corne des pieds, molle, jaunâtre, se prête facilement à l'exécution de coupes minces qui permettent l'examen microscopique (voy. pi. I, fig. 3). Ces. parties renfer- ment des granulations glycogéniques avec leurs appa- rences ordinaires; les portions plus dures et arrêtées dans leur développement cessent d'en laisser apercevoir aucune trace. La matière glycogène disparaît de l'appareil cutané dès le troisième et le quatrième mois de la vie intra- utérine sur les veaux de 25 à 30 centimètres. Elle per- siste plus longtemps dans les parties cornées et dans Tépiderme des orifices cutanés, bouche, anus. En tout cas, alors même qu'elle a disparu des cellules épidermi- ques, elle persiste encore à se montrer plus ou moins longtemps dans l'épaisseur de la peau, à l'état d'infil- tration. Surfaces muquemes. — En détachant des portions de membrane muqueuse chez des jeunes embryons de veau, de mouton ou de porc, de 3 à 6 centimètres, et en les traitant par la solution d'iode acidulé, on recon- naît l'existence des cellules glycogéniques. Leur disposi- tion est remarquable dans Tintestin : elles forment, en effet, le revêtement le plus extérieur des papilles intes- tinales (voy. pi. II, fig. 14 et 15). Quoique les glandes ne renferment jamais de matière ABSENCE DE GLYCOGÈNE DANS LES SÉREUSES. 75 glycogène, l'épithélium de leurs conduits excréteurs, continuation manifeste de la muqueuse intestinale, en contient presque constamment. La muqueuse des voies respiratoires fournit des ré- sultats identiques. On trouve les cellules glycogéniques le long des bronches, dans les culs -de-sac glandu- laires qui sont encore encombrés de cellules : on en trouve jusque dans les fosses nasales (voy. pi. II, fig. il à 15). La muqueuse de l'utérus, des trompes, de la vessie, de l'uretère et même des canalicules des reins, présente également des cellules glycogéniques. Mais cette pro- duction persiste moins longtemps, parce que l'épithé- lium définitif commence à apparaître de bonne heure. En résumé, les surfaces limitantes extérieures offrent toutes, dans leur développement embryogénique, le ca- ractère d'être fortement chargées de matière glycogène. Il est remarquable que les surfaces des cavités closes et des séreuses ne se comportent point de la m.ême manière. Cette différence me paraît bien propre à confirmer la distinction que les histologistes ont récemment établie entre les deux espèces de revêtements épithéliaux : les uns constituant Vépithélium^ les autres formant Yen- dothélium, distinction basée d'ailleurs sur la structure, sur l'origine embryonnaire, et nous pouvons ajouter de plus ici, sur la nature du produit. La vessie urinaire du fœtus contient toujours du sucre, et l'on peut dire d'une manière générale que le fœtus est diabétique. Ainsi le diabète, état physiolo- gique accidentel, qui devient pathologique chez l'aduhe 76 GLYCOGÈNE DANS LES GLANDES. en devenant permanent, peut être considéré d'autre part comme un état normal de l'embryon. Après les tissus de nature épithéliale, j'ai examiné le tissu nerveux, le tissu osseux, le tissu glandulaire et les muscles. Je n'ai point trouvé de matière glycogène dans les glandes salivaires, dans le pancréas, dans les glandes de Lieberkiihn, dans la rate ni dans les ganglions lympha- tiques. Je n'en ai point trouvé davantage dans le cer- veau, dans la moelle épinière, dans les nerfs à aucune époque de leur développement; non plus que dans les os. Les résultats précédents n'ont paru offrir aucune exception, à la condition de considérer à part et en dehors des organes glandulaires le foie, qui se comporte, à ce point de vue, d'une manière tout à fait spéciale. Au début, rien ne le distingue des autres organes glan- duleux; il ne renferme point de matière glycogène. Mais vers le milieu de la vie intra-utérine, son développe- ment histologique se complète, et il commence à fonc- tionner à la fois comme organe glycogénique et comme organe biliaire. Alors la matière glycogène tend à dis- paraître de tous les autres points de l'organisme où elle s'était montrée jusqu'alors; en sorte que le foie semble destiné à continuer dans l'adulte une fonction fœtale qui était primitivement localisée d'une manière plus ou moins nette, soit dans le placenta, soit dans d'autres organes temporaires qui précèdent la formation des organes définitifs. Dans tous ces tissus où nous avons rencontré la matière glycogène, son évolution et son rôle peuvent être consi- GLYCOGÈNE DANS LES MUSCLES. 77 dérés comme bien déterminés. On la voit se transformer en sucre, et dans quelques cas on peut suivre les transformations ultérieures que celui-ci subit par oxydation. Muscles. — Le tissu musculaire^ qu'il nous reste à examiner, se comporte d'une manière toute différente. Nous pouvons y déceler la matière glycogène en assez grande quantité. D'autre part, malgré les procédés les plus variés, nous n'avons jamais pu y déceler le sucre. Nous sommes même convaincu à cet égard que les auteurs qui ont cru trouver du sucre dans les muscles ont été dupes d'une erreur dont il est difficile de se défendre, si l'on ignore que certaines matières albumi- noïdes ou azotées contenues dans le muscle et encore mal déterminées peuvent agir sur le réactif cuprique à la façon de la glycose. Mais si l'on fait en sorte d'éviter celte cause d'erreur en traitant par le sulfiite de soude, puis en reprenant par l'alcool absolu ; si l'on ne prend point pour du sucre une substance qui ne présente qu'une seule réaction commune avec lui, et d'autre part si l'on veille à ne point en former aux dépens de la matière glycogène dont l'existence est indubitable, dans ces circonstances, disons-nous, on n'en trouve jamais les moindres traces. On est donc obligé de supposer que, dans les muscles, la matière glycogène subit une évolution différente de celle que nous connaissons jusqu'à présent, en ce qu'elle ne s'arrêterait pas à l'état intermédiaire de sucre, et passerait peut-être directement aux états les plus avancés de l'oxydation. J'ai montré depuis longtemps qu'il se 78 GLYCOGÈNE DES MUSCLES. produit dans ce cas une fermentation lactique instan- tanée qui doit être attribuée k un autre agent que le ferment lactique ordinaire organisé, et cet agent serait développé là pour donner naissance à la réaction. Quoi qu'il en soit de ces questions qui sont encore pendantes, nousdevons indiquer brièvement les résultats positifs de nos observations. Si l'on examine de très-jeunes embryons de veau et de mouton dont les dimensions ne dépassent point 4 centimètres, on peut assister aux débuts de la forma- tion musculaire. On voit les muscles constitués par des files de cellules embryonnaires qui n'offrent point les réactions de la matière glycogène (voy. pi. I, fig. 8, 4 et 5). Un peu plus tard, lorsque le fœtus a atteintdes dimen- 'sions trois ou quatre fois plus considérables, les éléments histologiques commencent à se différencier, et dans le tube musculaire rempli de noyaux on voit des granu- lations intercalées qui ne sont autre chose que do la matière glycogène. On s'en assure au moyen de Tiode acidulé que Ton doit toujours préparer au moment d'en faire usage par le mélange à parties égales de teinture alcoolique saturée et d'acide acétique cris- tallisable. J'ai trouvé la disposition la plus nette dans les fibres musculaires du fœtus de chat. Le tube musculaire ren- fermait des noyaux très-régulièrement espacés, entre lesquels se trouvait distribuée la substance glycogénique en granulations. Peu à peu cette matière glycogène se dissout et elle DISPARITION DU GLYCOGÈNE MUSCULAIRE. 79 fiuit par ne plus exister qu'à l'état cl'imbibition à mesure que la fibre musculaire acquiert sa coustilulion complète par la disparition et Témigraliondes noyaux et l'appari- tion des stries. Une autre particularité remarquable offerte par les muscles résulte de la description que nous venons de donner. Ainsi, tandis que la matière glycogène s'est toujours présentée à nous au début comme une produc- tion cellulaire, ici nous la voyons apparaître librement en granulations isolées dès le début. Les recherches relatives aux muscles lisses présentent plus de difficultés, parce que les fibres s'isolent mal : néanmoins, par les procédés chimiques ordinaires, il est possible de mettre hors dedoute l'existence du glycogène, sinon à l'état de granulations, au moins à l'état d'infil- tration. La matière est demi-fluide, mais elle se dissout très-facilement dans l'eau et elle se coagule par l'alcool et d'autres réactifs. La matière glycogène paraît exister jusqu'au moment de la naissance, et disparaît bientôt sous l'influence des premiers mouvements musculaires et respiratoires. Un petit chat que j'ai examiné au moment même de la parlurition m'a présenté une très-grande quantité de glycogène, tandis qu'un des petits de la même portée, sacrifié le lendemain après avoir teté et accompli diffé- rents mouvements de respiration ou de locomotion, n'en manifestait plus de traces. Toutes nos recherches montrent que la matière glycogène est liée d'une manière très-étroite au dévelop- pement organique dans l'embryon, de même que chez 80 ÉVOLUTION GLYCOGÉNIQUE. l'adulte elle est liée directement à raccomplissernent de la nutrition. Ces faits établissent donc une relation évidente entre révolution organique et l'évolution nutri- tive qui n'en serait que la continuation. Nous venons de constater chez les' mammifères une véritable évolution ghjcogénique, c'est-à-dire que la matière glycogène, dont le rôle est essentiellement lié aux phénomènes de nutrition et de développement organique, subit comme eux des oscillations qui caracté- risent son histoire physiologique. Jusqu'ici, il n'a été question que de l'embryon ; mais les phénomènes de réparation, de rédintégration, soit physiologiques, soit pathologiques, qui se passent chez l'adulte sont analogues aux phénomènes du développe- ment primitif. Ainsi les plumes, les cornes, se reprodui- sent lors de la mue chez l'adulte, avec le secours de la matière glycogène, comme chez l'embryon. Il est ce- pendant des cas où il n'en est pas ainsi; les plaies ne contiennent pas de matière glycogène, mais la ma- tière sucrée n'y fait pas défaut; si même la formation du sucre est arrêtée chez l'individu, la cicatrisation n'a pas lieu. De tous ces faits, de tous ces exemples, surtout de ceux qui ont traita l'embryon, nous devons conclure que la matière amylacée chez les animaux comme chez les végétaux est indispensable à la synthèse histologi(|ue et que sa présence dans certains tissus est liée à l'évolu- tion des éléments cellulaires qui les composent. II. Oiseaux. — Les oiseaux nous offrent les phéno- mènes déjà observés chez les mammifères. Le sucre GLYCOSE DANS l'oEUF. 81 existe clans le sang ; il existe dans le foie, où il est pré- cédé par la matière glycogène, ([ui possède les mêmes propriétés et subit les mêmes transformations. L'influence du régime n'est pas autre que ce que nou? l'avons vu être dans les mammifères. J'ai répété sur les oiseaux carnassiers des expériences tout à fait paral- lèles à celles que j'avais faites sur les carnivores mam- mifères, sur les chiens en particulier. Les résultats ont été identiques : il n'y a rien à changer à leur énoncé. J'ai nourri pendant longtemps des hiboux avec de la viande et j'ai comparé les conditions glycogéniques avec celles que présentaient les poulets, les pigeons et autres granivores. Les phénomènes sont la répétition exacte de ceux qui ont été signalés à propos des mammifères; je n'y insisterai par conséquent pas : je me borne à les indiquer. Les oiseaux adultes ne fournissent donc aucune parti- cularité remarquable relativement à la question qui nous occupe. Mais les conditions de la vie embryon- naire se présentent ici avec un caractère tout nouveau. Elle s'accomplit en dehors de la mère, dans l'œuf. De là une facilité spéciale à observer les phénomènes du déve- loppement chez l'oiseau. Les matériaux de la nutrition qui, chez les mammifères, sont apportés par le sang, grâce aux connexions qui unissent le fœtus à la mère, forment ici une provision accumulée dans l'œuf autour de l'embryon. Pour analyser la quantité de glycose contenue dans l'œuf, voici comment nous avons procédé : On prend l'œuf et on le pèse. Puis on brise la coquille CL. BERNARD. — Phénomènes. ii. — G 82 ANALYSE DU GLYCOSE DE l'oEUF. et l'on jette le contenu dans une capsule de porcelaine tarée d'avance : on rétablit l'équilibre et l'on connaît par là le poids d'œuf sur lequel on \a opérer. Ou ajoute un poids égal de sulfate de soude cristallisé, additionné de quelques gouttes d'acide acétique dans le but de pré- cipiter aussi complètement que possible toutes les matières albuminoïdes. Le tout est chauffé jusqu'à ébuUition, et comme l'évaporation entraîne toujours une petitequantité d'eau, on compense cette perte en ajoutant un peu d'eau de façon à rétablir le poids. On filtre la bouillie qui résulte de ce traitement sur la pipette de Mohr. Le sulfate de soude sucré qui remplit la pipette est ensuite analysé par le même procédé qui sert pour toutes les liqueurs sucrées, c'est-à-dire que l'on fait tomber goutte à goutte le contenu delà pipette dans un ballon chauffé. Ce ballon contient avec de l'eau et de la soude \ centi- mètre cube de liqueur de Fehling, préparée par la méthode de Peligot : il faut 5 milligrammes de sucre de glycose pour décolorer cette quantité de liqueur d'épreuve. En versant avec précaution le liquide sucré, on arrive à déterminer avec une très-grande précision le moment exact de la décoloration. Il est bon de donnera l'appareil les dispositions très-simples que nous avons adoptées (1) et qui facilitent singulièrement les opérations. Dans ces conditions, une analyse complète n'exige pas plus de cinq minutes. On connaît par ce moyen la teneur en sucre du sulfate (l) Voy. Leçons sur le iliubele, i>assim. CORRECTION DES RÉSULTATS. 83 de soucie sucré que renferme la pipette de Molir. Si Ton connaissait la quantité totale de ce liquide que le traite- ment de l'œuf est capable de fournir, on aurait immé- diatement la quantité de sucre de l'œuf. Malheureuse- ment il n'est pas facile de connaître exactement cette quantité, car une partie de la liqueur reste sur le filtre, imbibant la masse albuminoïde coagulée. Dans les cas de ce genre, on suppose ordinaire- ment que le liquide exprimé occuperait un nombre de centimètres cubes égal au nombre de grammes que pèsent l'œuf et le sulfate de soude primitivement em- ployés. En acceptant celte convention, la quantité de sucre (pour 1000 grammes) est fournie par la formule suivante : 10 000 11 dans laquelle 7i représente le nombre de centimètres cubes lus sur la pipette. Mais la convention qui conduit à ce résultat n'est évidemment pas exacte. Et si l'on peut négliger l'erreur ainsi commise lorsqu'on ne recherche que des résultats comparatifs, on n'est plus fondé à agir ainsi pour la détermination des nombres absolus. J'ai prié l'un de mes aides, M. Dastre, de corriger le procédé, de manière à éliminer cette inexactitude. Cette correction a été faite en déterminant directement la quantité de hquide sucré que peut fournir, dans notre façon d'opérer, un poids d'œuf déterminé. Pour cela, 84 FORMULE CORRIGÉE. après avoir chauffé le mélange d'oeuf et de sulfate de soude et avoir rétabli le poids, nous versons le tout, liquide etcoagulum, dans uneéprouvette graduée. Nous lisons le nombre de centimètres cubes : l'opération est facilitée en lavant la capsule avec une certaine quantité d'eau distillée dont on tient compte. Ce nombre de cen- timètres cubes n'exprime pas absolument le volume du liquide sucré, car les parties solides du coagulum vien- nent indûment accroître ce volume. Il faut donc retran- cher de la lecture que l'on vient de faire le volume des parties solides. Pour cela on filtre, on lave le coagulum, on le dessèche à l'étuve, et par le volume liquide qu'il déplace ensuite ou par son poids on connaît son volume. En le retranchant de la lecture précédente, on a le nombre exact de centimètres cubes du sulfate de soude sucré fourni par l'œuf. On connaît donc facilement la quantité totale de sucre contenue dans l'œuf. Une opération si laborieuse ne serait point praticable si l'on devait la répéter à chaque nouvelle épreuve. Mais cela n'est point nécessaire. L'expérience apprend que la correction à exécuter est toujours la même : il suffit de multiplier le nombre approchédela formule non corrigée par le facteur — pour tenir compte de la correction. La formule corriç^ée 10 000 7 Smmg — , _ H 10 exprime donc le nombre de milligrammes de sucre qui seraient contenus dans 1000 grammes d'œuf; ou d'une QUANTITÉ DE GLYCOSE AVANT l' INCUBATION, 85 façon plus simple, en exprimant le poids de sucre en grammes, n n étant le nombre des divisions de la pipette deMohr que Ton a dû verser pour arriver à la décoloration. Le procédé étant fixé, nous l'avons appliqué à la détermination comparative de la quantité de sucre contenue dans l'œuf avant et pendant le cours de l'incubation. Avant l'incubation, nous avons trouvé une quantité de sucre constante pour tous les œufs. Cette constance est tout à fait remarquable, étant donnée la variété des con- ditions dans lesquelles l'œuf peut s'être formé. Elle prouve déjà ^'importance considérable d'un élément dont les proportions sont si rigoureusementdéterminées. La moyenne est de 3^', 70 pour 1000 grammes d'œuf. Les oscillations autour de ce nombre moyen peuvent être considérées comme tout à fait insignifiantes. Ce chiffre est indépendant de l'alimentation de la poule pendant la formation de l'œuf, et de toutes les autres circonstances variables à l'influence desquelles elle peut être soumise. Il y a plus, l'analyse des œufs de quelques oiseaux car- nassiers, particulièrement du vautour fauve, que nous avons pu nous procurer, grâce à l'obligeance de notre collègue M. Milne Edwards, a conduit à un chiffre sen- siblement identique avec celui de l'œuf de poule. Si l'œuf n'est pas soumis à l'incubation, s'il reste sans s'altérer à l'air, cette quantité de sucre ne varie pas 86 VARIATIONS PENDANT l'iNCUBATION, sensiblement. S'il est placé dans le même appareil à incubation que les autres, mais sans avoir été fécondé, on constate que la quantité de sucre reste invariable tant qu'il ne se produit point d'altération. Au contraire, toutes les fois qu'il est survenu quelque altération, le sucre a disparu sans se reproduire : on n'eu distingue plus de trace. Nous avons cherché comment le sucre se comportait aux différentes périodes de l'incubation, en analysant des œufs jour par jour. Le tableau suivant rend compte du résultat de nos recherches. Quantité de sucre pour 1000 grammes (Vœuf. Après 1 jour d'incubation St"" 80 — 2 jour? 3 69 — 3 jours 2 07 — 5 jours 2 01 — 6 jour? 1 90 7 jours 1 30 — 9 jours .. 1 00 — 10 jours 0 88 — 13 jours 1 30 — 15 jours 1 40 — 16 jours 1 48 ^- 18 jours 1 80 — 19 jours 2 05 L'examen attentif de ce tableau nous conduit à des remarques pleines d'intérêt. Nous voyons la quantité de sucre du premier jour diminuer progressivement jusqu'au onzième jour et se relever ensuite jusqu'à la fin de l'incubation. De 3 à 4 pour 1000, celte quantité tombe à moins de 1 pour 1000 ; elle remonte ensuite jusqu'aux environs de son niveau VARIATIONS DU GLYCOSE. 87 primitif. Deux faits sont donc incontestables : la des- truction de la matière sucrée par suite de la nutrition ; d'autre part, la reformation de cette matière. Ainsi le sucre se détruit pour servir à l'évolution de l'être nou- veau, car lorsque l'être ne se développe point, le sucre reste stationnaire. En second lieu, le sucre se reforme, puisque au moment de la naissance il est plus abondant qu'au onzième jour. Cette formation est un exemple de synthèse d'un principe immédiat; c'est le début de la fonction glycogénique. Elle continue à partir de la nais- sance, constituant une fonction qui ne s'interrompra plus jusqu'à la mort. Ici nous assistons à la naissance de cette fonction essentielle. Le fait que nous venons de signaler dans le dévelop- pement du jeune animal se produit également dans la croissance du jeune végétal. 11 se fait pendant la germi- nation une abondante production de sucre qui est utilisé pour la constitution de la plante, et qui se renouvelle constamment pour constamment se détruire. Pour en revenir à l'embryon, nous voyons qu'il se comporte comme l'adulte ; le sucre est un élément in- dispensable à son existence. A la rigueur on pourrait imaginer qu'il y eût au milieu de la masse alimentaire vitelline une quantité de cette substance sucrée suffi- sante pour conduire jusqu'au bout l'évolution de l'œuf. Mais il n'en est pas ainsi : ce procédé ne serait pas con- forme à la loi physiologique qui nous montre les élé- ments anatomiques de l'organisme constituant eux- mêmes leur aliment par synthèse, en même temps qu'ils le décomposent par un procédé d'analyse. Nous revien- 88 FONCTIONS GLYCOGÉNÉSIQUES. drons prochainement sur ce préjugé, qui consiste à con- sidérer la préparation des aliments, la digestion, comme mie sorte de dissolution simple qui introduit ceux-ci en nature dans le sang, pour être ensuite utilisés dans les différentes circonscriptions de l'organisme où ils arri- vent. Les choses ne se passent nullement de cette façon : si elles avaient lieu comme on l'imagine, la composition du sang, véritable provision nutritive, serait variable avec l'alimentation, tandis qu'elle est constante, à très- peu de chose près identique chez les carnivores et les herbivores. Le sang se prépare donc autrement que par une sorte de dissolution passive ; il se prépare au moyen d'une élaboration active, d'une sorte de sécrétion véri- table qui utilise les matériaux digestifs mais qui les utilise en les décomposant d'abord, afin d'en retirer des produits toujours les mêmes. Ces considérations ont leur application ici, puisque nous voyons l'organisme embryonnaire faire, aux dépens des matériaux misa sa disposition, le sucre qui lui est indispensable et qu'il détruira à un autre moment. Le poulet ne pouvant rien emprunter au dehors, et constituant une sorte de monde fermé, doit puiser en lui-même les ressources qui lui serviront à créer de la glycose par un phénomène vital de synthèse. Il y a une véritable fonction ghjcogénésique que nous devrons exa- miner avec tous les détails que comporte une question si importante. Il importerait maintenant de compléter notre étude en cherchant comment le sucre se détruit et con)ment il se forme. MÉCANISME DE LA DESTRUCTION DU SUCRE. 89 La destruction du sucre peut se comprendre comme un résultat de la respiration de l'embryon. C'est une oxydation continuelle qui s'exercerait sur cette matière et qui la ferait disparaître au sein de la liqueur alcaline qui baigne l'embryon tout entier. En même temps que le sucre se détruit et s'oxyde, il s'échappe de la coquille, comme du poumon de l'adulte, une certaine quantité d'acide carbonique. Il est naturel d'établir entre ces faits concomitants une relation de cause à effet. Il serait possible, et c'est à cette idée que semblent nous conduire nos travaux, que tel fût le rôle principal de la substance sucrée. Pour bien nous faire comprendre, nous dirions que la matière sucrée est la phase ultime de l'évolution chimique que devraient subir toutes les substances de l'organisme pour servir à la respiration. Il est facile de comprendre en quoi cette vue diffère de celle des chimistes. Ceux-ci iniaginent que les matières amylacées, hydrocarbonées, sont les plus propres à la combustion respiratoire : nous, nous éta- blissons que ces matières passent préalablement et néces- sairement par l'une d'elles, la glycose, avant de servir aux actes vitaux. A défaut des matières amylacées, les chimistes pen- sent que les substances grasses pourraient subir directe- ment les mêmes changements que le sucre ou l'amidon et servir directement à la respiration. Nos travaux nous obligent au contraire à penser que les substances grasses et albuminoïdes doivent, en vertu de la fonction glyco- génésique, donner les matériaux du sucre, qui pourrait 90 ÉVOLUTION CHIMIQUE DES ALIMENTS. être, seul, utilisé directement. Nous voyons, dès lors, que le terme d'évolution chimique est exact dans toute sa rigueur, puisque les matériaux de l'organisme doi- vent passer en partie par un chemin tracé d'avance, dont la formation sucrée ou glycosique est une étape nécessaire. Les faits précédemment exposés montrent qu'il se forme dans l'œuf de la matière sucrée, ou glycose. Il nous reste à déterminer le mécanisme de cette for- mation. J'ai commencé par chercher la matière glycogène dans l'œuf de la poule. Pour cela, deux procédés peuvent être mis en usage : le procédé histologique et le procédé chimique. Le procédé chimique consiste à employer les moyens convenables pour extraire en nature la matière glycogène. Il est le plus certain et doit être employé toutes les fois qu'il est applicable. Nous avons dit com- ment on pouvait extraire le glycogène du foie et des tissus en général. Lsi préparation au charbon consiste à faire macérer dans l'eau bouillante les tissus broyés; on ajoute du charbon animal et l'on filtre le liquide. Celui-ci présente une couleur opaline due à la solution de matière glycogène. L'alcool absolu précipite la substance que l'on peut séparer et sécher. On peut encore préparer la matière glycogène par une solution d'iodure rouge de mercure dans l'iodure de potassium. On fait bouillir avec de l'eau le tissu broyé ; on exprime le liquide et l'on y verse alternativement de l'acide chlorhydrique par petites portions et de l'iodure mercurique. On pré- cipite ainsi les matières albuminoïdes, et la filtralion MliCANlSME DE LA FORMATION GLYCOGÉNIQUE. 91 daiisralcool permet, comme précédemment, de recueillir la matière glycogène. Mais ces procédés ne sont applicables qu'autant qu'il existe une quantité assez considérable de matière glyco- gène. Lorsque l'on a à sa disposition des quantités très- petites de tissu, on y décèle le glycogène à l'examen mi- croscopique, par la coloration rouge vineux, violacée ou rouge acajou que celte substance prend sous l'influence de l'iode. D'ailleurs cette recherche off're par elle-même un grand intérêt, en faisant connaître la distribution et la forme anatomique qu'affecte la substance dans les organes. Cette substance est généralement sous forme de granulations demi-fluides qui se difl'usent peu à peu après la mort dans les liquides aqueux, mais qui se coagulent au contraire par l'alcool et par l'acide acé- tique cristallisable, etc. Il suffit quelquefois de traiter directementpar l'iode unecoupe mince du tissu de la mem- brane.que l'on veut examiner pour y déceler la matière glycogène sousla forme précédemment indiquée; mais le plus souvent il faut employer des procédés particuliers de préparation. On déshydrate les tissus en les plongeant dans l'alcool absolu auquel on ajoute un fragment de potasse caustique, ou d'autres fois quelques gouttes d'acide. Après un certain temps d'immersion, on lave la pièce dans l'éther, le chloroforme ou le sulfure de carbone, pour la durcir et lui enlever les matières grasses qui gênent les réactions. La pièce ainsi préparée est baignée dans l'alcool iodé, ou le chloroforme, ou le sulfure de carbone, ou l'éther iodés, — lavée dans l'es- sence de térébenthine, puis conservée dans du vernis à 92 glycogèlne dans la gicatricule. l'essence. La préparation peut se conserver très-long- temps : il faut cependant prendre soin de ne pas la clore complètement. A l'abri de l'air elle se décolorerait rapi- dement. Tels sont, d'une façon générale, les procédés qui peuvent servir à la recherche de la matière glycogène, et que nous devons employer pour essayer de la déceler dans l'œuf et pour y suivre les oscillations qu'elle subit dans sa marche évolutive. Disons d'abord qu'avant tout développement, que l'œuf soit fécondé ou non, on trouve dans la cicatricule de l'œuf de poule des granulations de glycogène, soit libres, soit incluses à l'intérieur de cellules (1). Dans tout le reste du jaune, on n'en trouve point de traces : la substance est donc exclusivement limilée à la partie germinative qui doit former l'animal et ses tissus. 11 n'en existe, par conséquent, qu'une proportion insi- gnifiante en valeur absolue ; et comme nous verrons plus tard la proportion augmenter, il faudra bien que ce soit en vertu d'une production d'une prolifération, d'une formation synthétique nouvelle. En examinant la cicatricule élargie, au début de l'in- cubation, dans la teinture d'iode acidulée d'acide acétique, avant qu'aucun vaisseau soit visible, on discerne les granulations et les cellules glycogéniques, qui sedislinguent parune couleur rougeàtre. En suivant des œufs à divers degrés d'incubation, on voit les cellules glycogéniques se montrer d'abord très- (1) Cl. Bernard, Comptes rendus île l'Aead. des se,, t. XLV, p. 55. GLYCOGÉNE SUR LE TRAJET DES VEINES. 93 évidentes sur le champ envahi par les vaisseaux, sur Varea vasculosa : elles sont disposées en amas le long du trajet des veines. Cependant, on en trouve aussi des FiG. 4. — Vaisseaux de la membrane vitelline d'im fœtus de poulet de treize jours (g-ross. 6/1), montrant les villosites glycogéniques. — a, artères ; v, veines. amas qui ne sont point en rapport avec les vaisseaux, car elles sont situées en des points oii la vascularisation n'a pas encore pénétré (flg. 4). Vers le huitième jour, les extrémités des veines vi- tellines forment de véritables villosites glycogéniques 94 ABSENCE SUR LE TRAJET DES ARTÈRES. tlotlantes dans la substance du jaune, qui à ce moment est très-fluide. Ces villosités, amas de cellules qui pré- sentent toutes le même caractère, forment à la surface interne du sac vilellin des plis nombreux. J'ai fait reproduire ces dispositions dans des dessins qui ont été déposés à l'Académie (voy. pi. 11, fig. 77). La conclusion des observations qui précèdent peut s'énoncer ainsi : « L'évolution giycogénique dans l'œuf des oiseaux » part de la cicatricule; elle s'étend peu à peu dans le » feuillet moyen ou vasculaire du blastoderme, à mesure » que celui-ci s'élargit et se développe. Dans leur proli- )' fération, les cellules glycogéniques se rangent d'abord » sur le trajet des veines omphalo-mésentériques qui » ramènent vers l'embryon le sang bématosé (1). » 11 est à remarquer que dans les premiers temps, alors que les masses glycogéniques sont disposées sur le trajet des veines vitellines, on n'en trouve point le long des artères. Ce fait est d'accord avec notre manière de voir sur le rôle de la matière glycogène, qui est transformée en sucre et destinée à disparaître par oxydation, rôle qui rend inutile sa présence dans le sang avant que celui-ci se soit cbargé d'oxygène dans les capillaires des annexes. Les granulations de glycogène sont arrondies et dis- tribuées dans les cellules blastodermiques comme les granulations d'amidon dans les cellules végétales. Nous savons que l'amidon animal se distingue de l'amidon (1) Cl. Bernard, Comptes remiits de rAcad. des «•., t. XLV, p. 55. OEUF DES INVERTÉBRÉS. 95 végétal par une moindre fixité et par des réactions qui le rapprochent de la dextrine, telles, par exemple, que la couleur rouge vineux que lui donne l'iode, et sa solu- bilité dans l'eau qui prend une teinte opaline. L'amidon du blastoderme présente donc ces mômes caractères d'instabilité, mais peut-être à un moindre degré que le glycogène d'autres organes de Tadulte, du foie par exemple. Après avoir décelé la matière glycogène par le mi- croscope de la façon que nous avons indiquée, nous l'avons séparée par les procédés chimiques et repré- sentée en nature ; nous avons traité, soit par le char- bon, soit par la solution d'iodure rouge de mercure, le contenu de la vésicule ombilicale et isolé la substance en suivant la marche dont nous avons parlé plus haut. Ajoutons que la môme observation que j'ai faite pour l'œuf de poule, je l'ai étendue à d'autres animaux, à des œufs d'insectes et à des œufs de mollusques. M. Balbiani a fait des observations qui conduisent à la môme con- clusion sur les aranéides, La matière glycogène destinée à se transformer en sucre joue un rôle essentiel dans le développement du germe et la constitution de l'embryon. L'importance de ce rôle justifie l'importance croissante de cette sub- stance à mesure que le champ du travail plastique s'étend davantage. Glycogène dans F embryon du poulet. — ■ Nous avons cherché à saisir dans l'embryon lui-môme, dès qu'il commence à se constituer, l'existence de la matière glycogène, afin de voir les origines de cette fonction 96 GLYCOGÈNE DANS LES ÉPITHÉLIUMS. glycogénésique, qui, chez l'adulte, est dévolue à un seul organe, le foie. En remontant aussi loin que possible, on voit apparaître d'abord les conditions glycogéniques caractéristiques dans le cœur, qui est le premier tissu musculaire qui entre en fonction. Puis on les voit apparaître d'une manière diffuse dans une foule de tissus, particulière- ment dans les tissus épithéliaux et ceux qui en dérivent. On retrouve ces granulations dans l'épithélium cutané, jusqu'à la constitution de l'épithélium définitif : dans les bulbes pileux, dans les matières cornées, dans le bec, où l'on voit la partie la plus molle renfermer de la matière glycogène, tandis que les parties déjà organisées n'en renferment plus; dans les griffes, dans les plumes surtout, il est facile de la mettre en évidence. Enfin il est possible encore de manifester sa présence dans l'épithélium des muqueuses digestive et respira- toire. Mais, à mesure que le développement approche de son terme, celte diffusion tend à cesser, et la matière glycogène commence à apparaître dans le foie, qui, comme toutes les autres glandes, n'en renfermait point au début. Enfin, quand l'éclosion arrive, la division physiologique du travail est devenue complète, et le foie est exclusivement chargé de la production de matière glycogène indispensable à la nutrition générale et à ce que l'on pourrait appeler V évolution lï' entretien. Il reste l'organe glycogénique unique. En résumé, la matière glycogène s'étend d'abord de la cicatricule à toute l'aire germinative du blastoderme ; GLYCOGÈNE DU FOIE. 97 elle existe à un deo^ré très-considérable dans une annexe de l'embryon, dépendance du feuillet interne, la vési- cule ombilicale; puis, diffuse dans les tissus mêmes des fœtus pendant leur croissance, elle se rassemble finale- ment dans le foie, qui^ pendant le reste de la vie libre, sera chargé de sa production (1). En résumé, chez les oiseaux comme chez les mammi- fères, le sucre et la matière glycogène se montrent dans l'organisme dès les premiers moments de la vie em- bryonnaire; à l'état adulte, c'est le foie qui devient le centre ou le foyer de cette formation glycogénique. Or, chez l'oiseau, à quelle époque le foie contient- il du gly- cogène? Sans avoir encore précisé au juste, je puis dire que, vers les cinq ou six derniers jours de l'incubation, on trouve du glycogène dans le foie des petits poulets, bien qu'il en persiste encore dans le sac vitellin, qui, ainsi qu'on le sait, se trouve, à la naissance, à peu près complètement renfermé dans l'abdomen, où il finit par se résorber peu à peu. Nous avons vu que, chez les fœtus de mammifères, le glycogène se rencontrait, non- seulement dans des organes embryonnaires transitoires, mais encore dans certains tissus du fœtus, tels que les muscles, par exemple. Chez les oiseaux (poulets), je n'ai pas trouvé de matière glycogène dans les muscles. C'est là un fait dont il faudra rechercher l'explication, mais qui ne change rien à la loi générale. (1) Voy. note I à la fui du présent volume. CL, BERNARD. — Phénomènes. LEÇON IV .a glycogenèse chez les vertébrés si sang froid. Sommaire. — Poissons. — Le sucre existe dans la foie. Précaulions à prendre Perturbations apportées par l'état asphyxique. — Grenouilles, tortues. — Sucre et glycogène dans le foie en dehors de la période d'hibernation. III. Poissons. — La recherche du sucre dans le groupe des poissons à l'état adulte nous a fourni des ré- sultats très-intéressants. La diversité des faits, leurs apparentes contradictions, rendent nécessaire une inter- prétation qui mette en lumière riinportancc des condi- tions physiologiques dans lesquelles l'animal est placé. Nous allons vous rapporter à ce sujet les résultats dont nous avons rendu témoins les personnes qui sui- vent nos expériences et nos séances de laboratoire. Nous avons opéré sur trois carpes. La première était morte pendant le transport au laboratoire, une heure environ avant d'être soumise à l'épreuve expérimentale. Nous n'avons trouvé ni glycogène ni sucre dans le foie. F'itait-ce donc là une exception que nous rencontrions à cette loi générale qui veut que le foie des animaux adultes possède la propriété glycogénique? De nombreux cas de ce genre s'étaient présentés à moi quand au commencement de ces études j'opérais sur des foies de poissons morts achetés aux halles. GLYCOGÈNE DU FOIE CHEZ LES POISSONS. 99 Dans la seconde expérience, l'animal était clans d'autres conditions. 11 avait été apporté du marché, mais n'était pas mort en route; en arrivant, on l'avait replacé quelques instants dans l'eau, où il s'était remis et respirait à son aise. Nous avons ouvert le corps, ex- trait le foie et fait subir à cet organe le traitement or- dinaire pour la recherche du sucre. Chez cette carpe nous avons eu le même résultat : il n'y avait ni glyco- gène ni sucre, ou du moins la quantité en était si faible, que son existence pouvait laisser des doutes sérieux dans l'esprit. Enfin, pour la troisième expérience, nous avons fait prendre dans le bassin de notre laboratoire une grosse carpe apportée depuis dix à douze jours et qui était gardée et nourrie en vue d'autres recherches. La carpe était vigoureuse et vivace. On l'a sacrifiée immé- diatement après l'avoir retirée de l'eau. L'investigation a fourni cette fois une quantité énorme de matière glycogène. 11 y avait aussi du sucre, mais en faible pro- portion. Voici donc trois résultats différents. Dans le premier cas, point de glycogène ni de sucre ; dans le second cas, des traces douteuses; dans le troisième cas des quan- tités énormes. Est-ce l'occasion de conclure que les phénomènes physiologiques n'obéissent à aucune loi et varient à l'in- fini, ou bien faut-il faire de la statistique sur le nombre de cas de présence du glycogène et du sucre dans le foie des carpes ? Je me suis élevé souvent contre une paredle façon de 100 INFLUENCE DE LÉTAT ASPHVXIQUE. traduire des résultats physiologiques qu'on ne com- prend pas. La statistique n'est que l'enipirisme érigé en loi ; elle est déplacée dans les questions vraiment scien- tiflques: les moyennes entre des résultats contraires, entre des affirmations opposées, ne peuvent avoir ni valeur ni signification. Si les observations aboutissent à des conclusions difïerentes, c'est que de l'une à l'autre il y a eu intervention de circonstances nouvelles qui ont changé le sens du phénomène, et dont il faut tenir compte sous peine de ne pas comprendre la réalité des choses. 11 faut savoir se placer dans des situations identiques, et, lorsqu'on fait varier la situation, savoir à quel élément doit être attribuée l'influence pertur- batrice. Dans le cas qui nous occupe, la condition variable était évidemment un troul)le fonctionnel survenu dans la glycogénie par suite des circonstances dans lesquelles s'étaient trouvés les animaux. La première fois, il était complètement asphyxié, la seconde fois, en demi- asphyxie, la troisième fois, en santé parfaite. Les carpes retirées de l'eau s'asphyxient avec une grande rapidité. Elles présentent assez peu de résis- tance, tandis que les tanches et surtout les anguilles, supportent plus longtemps un séjour de quelque durée hors de l'eau. L'asphyxie est d'autant plus prompte c[ue l'animal est pris à un moment où l'aclivité vitale est plus exaltée et la respiration plus nécessaire. La saison chaude rend très-grave pour l'animal un accident de cette nature, qu'il pourrait suppurter pres(|ue impuné- ment pendant l'engourdissement de l'hiver. Le poisson. GRENOUILLES EN HIBERNATION. 101 pendant les chaleurs, use plus rapidement l'oxygène de son sang et meurt plus vile. D'ordinaire, chez les animaux à sang-froid, l'asphyxie est lente, parce que la respiration elle-même est lente , et les manifestations vitales peu énergiques. La dispa- rition du sucre est la conséquence de cette asphyxie lente et prolongée. Des trois carpes que nous avons examinées, une seule pouvait être considérée comme en état de respi- ration normale, c'était la troisième; et chez celle-là nous avons trouvé, conformément à la loi générale, une grande quantité de glycogène et du sucre dans le foie. IV. Reptiles. — Tortues^ grenouilles. — Parmi les autres animaux àsangfroid, j'ai encore expérimenté sur des tortues et des grenouilles. Les grenouilles présentent des conditions dont il faut bien tenir compte dans les re- cherches physiologiques, si l'on ne veut pas s'exposer cà de nombreuses erreurs. Eu réalité, les grenouilles sont des animaux soumis à l'hibernation ou tout au moins à l'engourdissement hibernal. La nutrition et par consé- quent la production du glycogène et du sucre y subit des intermittences,, de véritables oscillations Pendant l'hibernation, les animaux dépensent les provisions de matières alibiles qu'ils ont accumulées dans leurs tissus. La nutrition, en effet, est une fonction constante qui jamais ne peut chômer. C'est une erreur, erreur de mots sûrement, qu'a commise Cuvier, lorqu'il a dit que la nutrition était une fonction intermittente. 11 voulait certainement parler de la digestion. Si, en effet, la digestion est intermittente, si la recette ne se produit 102 GLYCOGÈNE DANS LÉTAT HIBERNAL. qu'à intervalles plus ou moins éloignés, la dépense est continue, constante. Elle se fait aux dépens des ré- serves accumulées antérieurement. Pendant l'hibernation la recette est suspendue. Néan- moins l'animal vit et respire. Regnault et Reiset ont analysé les gaz delà respiration chez les marmottes en- gourdies; Valentin a étudié et décrit leurs mouvements respiratoires. L'animal consomme sa propre substance : il vit de lui-même. Au moment de tomber dans le som- meil hibernal, il avait emmagasiné dans diiï'érents or- ganes, par exemple dans le foie, de grandes quantités de glycogène; dans les épiploons de grandes quantités de graisse : tous les tissus étaient, à la suite du régime substantiel de l'automne , surchargés de matériaux de nutrition. Les loirs ont un sommeil moins prolongé que les marmottes : ils se réveillent de temps en temps pendant la durée des froids, et tirent leur nourriture de quel- que cachette, que leur prévoyance a ménagée. Parmi les matières qui doivent servir à la nutrition permanente de l'animal engourdi, il existe toujours une grande quantité de matière glycogène. Les gre- nouilles nous présentent le même fait. Au printemps, l'activité vitale s'éveille, la nutrition longtemps engour- die se ranime. Aussi, à ce moment des rénovations or- ganiques, la matière du foie se consomme; l'organe est alors très-petit, noirâtre, et contient peu de glycogène et de sucre. C'est à la fm de la saison, vers lautomne, ([ue l'animal se trouve arrivé au plus haut degré de vi- gueur, et que la vie atteint, chez lui, toute son intensité. ÉTAT FOETAL DES YERTËBRÉS A SANG FROID. 403 C'est à ce moment-là qu'il faut examiner le foie de l'animal. Le foie contient alors du sucre et beaucoup de matière glycogène. De nos expériences nous pouvons conclure que le glycogène hépatique existe chez les vertébrés à sang froid comme chez les animaux à sang chaud. Chez les reptiles, les poissons adultes, les tortues, les grenouilles, le foie contient du glycogène et du sucre. Si la quantité de sucre est relativement faible, c'est que la transforma- tion du glycogène suit l'énergie vitale et se trouve atté- nuée comme celle-ci chez les animaux à sang froid. Relativement à la glycogenèse pendant l'état fœtal chez les animaux à sang froid, nous n'avons que peu de chose à dire. Cependant j'ai observé que chez les larves de batraciens, les têtards de grenouilles, la matière gly- cogène est diffuse et n'existe pas encore dans le foie. Chez déjeunes poissons, j'ai constaté que la fonction biliaire apparaît avant la fonction glycogénique. On peut sous le microscope apercevoir la coloration verte de la bile dans l'intestin, alors que les granulations de glycogène ne sont pas encore visibles très-nettement dans le foie. Ainsi, à l'état adulte aussi bien qu'à l'état fœtal, nous retrouvons encore chez les vertébrés à sang froid les mêmes faits que chez les animaux à sang chaud. Le mé- canisme de la formation glycogénique est le même. L'a- nalogie se poursuit dans toutesses conséquences. On con- naît, à propos des mammifères, l'influence du système nerveux sur la production du sucre. En piquant au point convenable le plancher du quatrième ventricule, 404 DIABÈTE DIÎS GRENOUILLES. on peut rendre l'animal diabétique. L'excitation ner- veuse transmise parla moelle et les splancliniques dilate les vaisseaux, précipite le cours du sang, et en exaltant la circulation de l'organe, favorise les échanges nutritifs et la production du glycogène. On peut rendre des grenouilles diabétiques en opérant de la même façon. SchifFet Kiihne ont publié des recherches sur le diabète des grenouilles. C'est vers l'automne, au moment du plus grand épanouissement vital, qu'il faut faire Texpé- rience. On prend un certaiii nombre de grenouilles, on pique la moelle allongée, et afin de pouvoir examiner les urines, on jette les animaux dans un entonnoir pour rassembler les liquides expulsés. La sécrétion urinaire esttrès-augmentée, la polyurie étant, on le sait, un sym- ptôme du diabète. La quantité recueillie est bientôtassez considérable pour se prêter à l'épreuve; on y constate alors l'existence d'une grande quantité de sucre. Cest bien du foie que provient le sucre qui circule avec le sang et dont le surplus s'échappe par l'excrétion uri- naire. Schiff l'a démontré par une expérience. Il pique une grenouille à la partie postérieure de la moelle al- longée, et en opérant comme précédemment, il con- state la présence du sucre dans les urines. Une ligature est alors posée sur les vaisseaux de façon à interrompre la circulation dans le foie. Bientôt le diabète a disparu. On enlève la ligature et l'animal redevient diabétique. Cette expérience montre bien que l'influence du système nerveux s'exerce par l'intermédiaire de la circulation , et que l'activité giycogénique est dans un rapport étroit avec l'activité circulatoire. Lorsqu'on veut mettre en GRANULATIONS GLYCOGÉNIQUKS. 105 évidence la matière glycogène, on n'est pas obligé, chez les animaux à sang froid, aux mêmes précautions qu'avec les animaux à sang chaud. Chez ces derniers, il fallait, pour ainsi dire, saisir le foie encore vivant et le jeter dans l'alcool, afin d'arrêter la matière glycogène dans ses transformations. Avec les animaux à sang froid, on peut opérer plus à loisir. Leur matière glycogène paraît être plus fixe, moins instable, moins mobile. De plus, l'étude microscopique montre toujours cette substance sous forme de granulations, au sein des cel- lules hépatiques. Les granulations sont en général plus volumineuses; elles présentent des dimensions supérieures à celles des mammifères. Elles se comportent, en cela, comme les globules de sang, qui sont beaucoup plus gros chez ces animaux à sang froid que chez les animaux plus élevés. Les granulations amylacées des végétaux présentent du reste, dans leurs dimensions, des variations encore plus grandes. C'est ainsi que dans les graines du Cheno- podium qidnoa les granules d'amidon ont seulement 2 millièmes de millimètre ; ils ont 4 millièmes dans les graines de betterave, 7 millièmes dans le panais, 10 mil- lièmes dans le millet, 30 millièmes dans les haricots, maïs, sorgho ; 45 millièmes dans le blé, patate, gros pois ; 70 millièmes dans les grosses fèves, sagou, lentilles, et enfiniOO millièmes dans la fécule de pomme de terre. On ne fait donc que retrouver chez les animaux un fait connu chez les végétaux, ce qui est encore une nou- velle analogie à ajouter à tant d'autres. LEÇON V Lia glycogenè.sc chez les învertéhrés. Sommaire. — Matière glycogèno chez les .Mollusques : Gastéropodes, Acé- phales. — Foie biliaire et foie glycogénique. — Bourrelet embryonnaire des Huîtres. — Crustacés : relation de la glycogenèse avec le phénujnène de la mue. — Insectes. — Glycogène chez les larves de mouches, chez les chenilles. — Sucre chez les chrysalides. Jusqu'à présent, dans nos études sur les vertébrés, nous avons rencontré chez les animaux adultes la pro- duction glycogénique localisée dans un organe particu- lier, le foie. Chez les animaux embryonnaires, la même propriété physiologique appartenait à des organes tran- sitoires, aux annexes de l'embryon ; elle était diffuse dans tout l'organisme. Nous retrouvons chez les invertébrés les caractères des animaux embryonnaires vertébrés : la matière glyco- gène souvent abondante, diversement localisée dans des points où le sucre ne se rencontre pas. Ces animaux présentent d'ailleurs toutes les conditions physiologiques des animaux à sang froid. Les variations de la tempéra- ture ont la plus grande influence sur l'activité de leur nutrition. Enfin le plus grand nombre ne possèdent pas d'organe hépatique. Nous n'avons ici d'autre intention que de faire une i'evue rapide et abrégée des groupes- inférieurs, et GLYCOGÈNE CHEZ LES MOLLUSQUES. 107 de présenter un conspectus général des phéno- mènes. V. Mollusques. — J'ai fait un grand nombre d'expé- riences sur les mollusques, et constaté, chez tous, la ma- tière glycogène en proportions considérables. Voici des gastéropodes, hélix, aryon, etc. , des colimaçons ; voici des acéphales, huîtres, moules, pectens ou coquilles de Saint- Jacques; partout j'ai rencontré la matière glycogène. Dansnotre dernière leçon du laboratoire, nous avons exé- cuté les expériences ; vous en voyez ici les résultats prin- cipaux. Il faut seulement avoir soin d'opérer sur les ani- maux vivants, et non sur deséchantillons malades, épuisés et sur le point de périr; encore moins sur des mollusques mortsdepuis longtemps. En ce cas, on ne rencontrerait pas de matière glycogène. Toutefois il en serait autrement si l'animal mourait très-vite; c'est ce qui est arrivé, par exemple, pour ces coquilles de Saint-Jacques, qui, sous l'influencede l'extrême chaleur, sont mortes rapidement ; elles contiennent abondamment encore du glycogène. Quant au siège de la matière glycogène chez les mol- lusques, il peut donner lieu à une remarque impor- tante. En considérant les fonctions du foie chez les animaux supérieurs, on avait été tenté d'y voir deux appareils distincts servant à des usages physiologiques différents : une glande biliaire et une glande sanguine ou glycogénique. Les vérifications anatomiques ont manqué à cette manière de voir, malgré le mérite des histolo- gistes qui l'ont soutenue. Les recherches exécutées sur les animaux supérieurs étant restées sans résultats, l'anatomie comparative pourrait être invoquée, et peut- 108 HUÎTRES GRASSES. être trouverait-on, en descendant plus bas dans l'échelle, des éclaircissements précieux. La matière glycogène se rencontre, avons-nous dit, dans le foie des mollusques. Or le foie, chez eux, est con- stitué bien nettementparune série de tubes, tubes glan- dulaires qui sécrètent un liquide semblable à la bile, et c'est autour de ces tubes, ou dans leurs interstices, que se trouve précisément accumulée la matière glycogène. La séparation anatomique existerait donc ici. Il y aurait chez les mollusques deux foies : un foie biliaire en com- munication avec l'intestin, un foie glycogénique entou- rant l'autre et entrant en communication avecle système circulatoire. Mais il faut ajouter que ce n'est pas seulement dans le foie que se rencontre ie glycogène. Il imprègne beaucoup d'autres tissus. C'est ainsi que les huîtres, dites huîtres grasses, renferment une quantité énorme, non pas de graisse proprement dite, mais de matière glycogène. Les huîtres présentent, dans les premiers temps de leur développement, les mêmes phénomènes que nous avons déjà observés chez d'autres embryons, c'est-à-dire que la matière glycogène, à l'époque où le foie n'existe pas encore, se trouve rassemblée dans des organes tran- sitoires qu'on peut appeler les annexes de l'embryon. Nous savons que pendant l'été, parmi les huîtres fixées aux rochers, on en rencontre auxquelles on donne le nom d'huîtres laiteuses. Cette apparence est due à une multitude de petites huîtres qui troublent le liquide, et dont les premiers développements se sont accomplis BOURRELIiT GLYCOGÉNIOUK FOETAL. 109 dans une chambre incubairice formée par les branchies de la mère. Le jeune animal, une fois formé, est mo- bile : il se déplace dans le liquide. Ces déplacements sou rendus possibles grâce à une couronne de cils vibra- tiles qui garnit une espèce de disque ou de bourrelet existant dans le jeune individu et faisant en quelque sorte hernie entre les deux valves. C'est là un véri- table organe de locomotion ; mais à un moment donné le bourrelet se détache, l'huître perd la faculté de se mouvoir dans le hquide ; elle tombe et se fixe sur un rocher oi^i elle achève ses évolutions sans se déplacer désormais. Dans ce bourrelet, organe transitoire, nous rencon- trons la matière glycogène en très-grande quantité, et, à ce point de vue, on pourrait peut-être le considérer comme un véritable placenta vitellin , fournissant à l'huître embryonnaire la substance amylacée nécessaire à son développement. Si dans les mollusques la matière glycogène est en grande abondance, le sucre, au contraire, est souvent dif- ficile à déceler : cela tiendrait-il à ce que la transforma- tion de la matière glycogène étant très-lente, le sucre n'aurait pas le temps de s'accumuler et dès sa formation serait utilisé? ïl semble qu'à mesure que l'on descend l'échelle animale, la quantité et l'énergie du ferment transformateur diminuent de plus en plus. J'ajouterai que cette absence de sucre coïncide avec une réaction alca- -line que présentent les tissus de ces animaux, tandis que ceux chez lesquels le sucre est en grande proportion offrent une réaction acide. liO CRUSTACÉS. Chez les gastéropodes, la disposition de la matière glycogène offre des particularités intéressantes. Chez la limace [Limax flav.), on voit les canaux biliaires se rendre dans l'intestin, tandis que les cellules à matière glycogène se trouvent rangées en grappes sur le trajet des vaisseaux. Elles rappellent d'une manière frappante la disposition glycogénique du blastoderme chez les oiseaux. La matière glycogène présente encore des granulations volumineuses renfermées dans des cel- lules ou parfois déposées dans les espaces interstitiels des éléments anatomiques. Quant au foie, on y ren- contre très-distinctement deux sortes de granules : les uns se colorant en rouge vineux par l'iode et appar- tenant aux cellules glycogéniques, les autres se colo- rant en jaune par l'iode et appartenant aux cellules biliaires. VI. Articulés. — Si, des mollusques, nous passons aux articulés, nous verrons que ceux-ci, au point de vue de la formation du glycogène, présentent d(\s par- ticularités tout à fait remarquables et imprévues. Crustacés. — En opérant autrefois sur des écrevisses et divers crustacés, je me trouvai en face des phis grandes contradictions : tantôt je trouvais du glycogène dans leur foie, tantôt je n'en trouvais pas; quelquefois j'en rencontrais des quantités très-faibles; d'autres fois, des quantités considérables. A quoi tenait cette diversité? Quelle en était la raison, la condition déterminante? Je l'ai cherchée longtenqxs- avant de la saisir. Cette condition tout à fait nouvelle, sans rapport avec aucune des circonstances que nous INFLUEt^CE DE LA MUE. 111 ayons eiicoiv. rencontrées, réside dans les renouvelle- ments périodiques que l'animal éprouve dans son enve- loppe tégumentaire. C'est le phénomène de \si?)uw qui est ici en connexion étroite avec l'évolution et l'appari- tion du glycogène. Les crustacés ne font pas leur croissance comme les autres animaux à enveloppe molle; enfermés dans une carapace inextensible, le développement ne devient pos- sible qu'à la condition que cet obstacle tombera pério- diquement, ïls croissent donc par à-coups, au moment où l'enveloppe trop étroite est tombée pour faire place à une autre. De là le phénomène de la mue, d'autant plus fréquent que l'animal est à une époque d'évolution plus active et plus rapide; c'est pendant le jeune âge que les intervalles des mues sont plus rapprochés. Si l'on examine le foie ou les autres tissus du crabe, du tourteau, du homard, de l'écrevisse, pendant ces intervalles, on n'y rencontre pas de matière glycogène. Au contraire, dans le voisinage de ces époques, on en rencontre de grandes quantités.. Le foie de ces animaux est composé de tubes en cul-de-sac, qui vont se déverser dans l'intestin. Le tube contient Télément anatomique de la sécrétion biliaire ; il existe seul dans l'intervalle des mues. C'est seulement à l'époque de la mue que la partie glycogénique entre en activité. Du reste, ce tra- vail de formation glycogénique, qui m'a semblé chez quelques-uns de ces animaux avoir son point de départ dans le foie, étend son action beaucoup plus loin. Tout autour du corps, au-dessous de la carapace, on rencontre une couche très-nette de matière glycogène, renfermée 1]2 ÉVOLUTION DU GLYCOGÈNE. dans des cellules volumineuses, et constituant ainsi une assise nutritive qui mériterait véritablement le nom de blastoderme. D'ailleurs, le glycogène chez les crustacés ne se loca- lise pas exclusivement à la superficie du corps ; les autres tissus, et particulièrement le tissu musculaire, en sont également imprégnés. Nous retrouvons donc chez les crustacés un nouvel exemple, et très-convaincant, de la relation qui existe entre l'activité de la nutrition et l'apparition du glyco- gène. Le travail de préparation commence, chez l'écre- visse, vingt à vingt-cinq jours environ avant la mue. Le foie augmente de volume et se charge de matière gly- cogène, qui va s'accroissant en quantité; puis, qui plus tard diminue. Cette formation de glycogène marche parallèlement avec la formation d'une concrétion cal- caire que l'on observe auprès de l'estomac, et que l'on appelle improprement ^/^//d'écrevisse. Cette concrétion disparaît avec la formation de la nouvelle carapace. Alors aussi le glycogène disparaît et l'animal retombe dans l'arrêt de développement qui entraîne l'arrêt de la production glycogénique. Quant à l'évolution ultérieure de cette matière glyco- gène, nous n'en savons, d'une façon précise, rien de plus dans ce cas que dans tous les autres. Cependant certains auteurs, entre autres M. Schmidt (de Dorpat), et M. Berthelot, ont montré que la carapace des crustacés contient un principe appartenant au môme groupe que la cellulose et le ligneux, cpii, sous certaines influences, peut, comme le ligneux, se transformer en sucre. Sans GLYCOGÈNE CHEZ LES INSECTES. 113 trop forcer la métaphore, on pourrait dire que les crustacés sont enveloppés d'une carapace de bois. Il est possible que la matière amylacée qui a précédé cette enveloppe, le glycogène en un mot, ait fourni des élé- ments de formation à cette carapace en même temps qu'il aurait fourni des éléments à la nutrition d'autres tissus. En résumé, l'appareil glycogénique est, chez les crustacés, un organe temporaire, embryonnaire, n'exis- tant que dans l'intervalle de deux mues. Poursuivons toujours nos investigations et voyons parmi les invertébrés qui sont dépourvus d'organe hé- patique, sous quelle forme nous retrouvons la fonction glycogénique, en tant qu'elle soit, ainsi que nous l'avons dit, une fonction générale partout où il y a nutrition, c'est-à-dire partout oi^i il y a vie. Insectes. — Voyons d'abord ce qui [se passe chez les insectes, soità l'état de larve, soit à l'état parfait. Nous n'avons pas fait une étude complète et métho- dique de tous les ordres et de tous les groupes. Nous nous sommes contentés d'opérer, un peu au hasard, sur tous les êtres que nous pouvions facilement nous procu- rer. Les recherches ont d'abord porté sur un grand nombre d'insectes, surtout à 1 état de chenille ou de larve. Les plus faciles à trouver sont les larves de mouche commune ou asticots. Il suffit de laisser corrompre de la viande dans un vase, en y ajoutant un peu d'ammo- niaque : les mouches arrivent en foule pour déposer leurs œufs au milieu de la matière en putréfaction. On peut les prendre et s'en procurer ainsi un grand nombre CL. BERNARD. — Phénomènes. il. — 8 114 LARVES DE MOUCHE. pour les examiner au point de vue du sucre et du gly- cogène : le développement des œufs donne ensuite des larves abondantes. On peut dire, sans exagération, que ces larves sont de véritables sacs à glycogéne. C'est lui qui constitue à peu près entièrement ce qu'on a appelé le arrps adipeux de l'animal : sauf la peau, tous les tissus en renferment des proportions considérables. Seulement, avec cette masse de substance glycogène, on ne trouve pas du tout de sucre. C'est là un fait que nous avons déjà signalé pour les animaux inférieurs; mais ici il présente un cas particulier. Si l'on examine les insectes à l'état parfait, les mouches, le résultat sera différent. On y trouvera non-seulement du glycogène, mais une quantité notable de sucre. Il y a môme une époque précise ou le sucre apparaît, c'est pendant que l'animal est à l'état de chry- salide. J'ai suivi sous ce rapport les mêmes larves de mouches; d'abord elles avaient beaucoup de glyco- gène et pas de traces de sucre, avec réaction alcaline des tissus; plus tard, à l'état de chrysalide, dès que le travail de la formation en insecte parfait avait com- mencé, on voyait apparaître le sucre avec réaction acide des tissus; puis enfin la mouche continuait de présenter du sucre et de la matière glycogène à la fois. Je n'ai pas cherché à localiser les foyers de ces substances; j'ai opéré en masse. On prend des mouches en nombre suffisant, on les jette dans l'eau bouillante, on lave, on filtre. La décoction obtenue est essayée directement par les réactifs. On peut constater ainsi la VERS DE TERRE. 115 présence du sucre et de la matière glycogène avec leurs caractères habituels. Des investigations de la même nature ont porté sur des chenilles de toute espèce. 11 y en a d'herbivores, il y en a de carnassières. Chez les unes et chez les autres le résultat a toujours été le même. Là comme chez les ani- maux supérieurs, le glycogène est donc indépendant du genre d'alimentation. C'est bien une formation autoch- tone, due à l'organisme animal. Cette observation a été déjà mise plusieurs fois en re- lief : les faits que nous citons aujourd'hui lui apportent une nouvelle vérification. Il est en effet très-facile de démontrer que la matière glycogène des larves de mouche ne peut pas venir du règne végétal; on les nourrit avec de la matière animale, de la viande ana- lysée exactement, et dans laquelle on ne trouve pas trace de la substance qui remplit ensuite tout le corps de l'insecte. C'est l'expérience la plus démonstrative qu'on puisse choisir. YII. Vers. — Dans le groupe des lombricoïdes, chez les vers de terre par exemple, les résultats sont encore les mêmes, conformes à ceux qu'ont offerts les larves d'insectes. On prend des vers de terre, on les écrase dans le mortier, en les mélangeant avec du charbon animal pour faire disparaître les albuminoïdes. On chauffe et l'on filtre. La liqueur présente la teinte opaline des solutions de glycogène. Pour n'avoir aucun doute sur sa véritable nature, il suffira d'ajouter à la liqueur le ferment qui le transforme en sucre. 116 UNIVERSALITÉ DE LA GLYCOGENÈSE. J'ai encore constaté la matière glycogène dans les entozoaires, les tœnias, dans lescysticerques, les douves du foie, etc. Nous ne poursuivrons pas plus loin cette revue. Nous considérerons les faits précédents comme suffisants à établir l'universalité de la fonction glycogénique et sa nécessité dans la nutrition générale aussi bien pour les animaux que pour les plantes. LEÇON VI Origine de in giycosc dans les aniniaii.v et les végétaux. Sommaire. — Les sources principales de la giycose sont l'amidon animal ou végétal ou la saccharose, changés en giycose par les ferments glycosique et inversif. — La lactose est transformée en giycose par le suc pancréa- tique. — h'amtjgdaline fournit de la giycose sous l'influence de l'émul- sine. — La saliclne est aussi une source de giycose, — de même les tannins, — de même aussi la gélatine d'après Gehrardt. — Transformation inverse de la giycose en amidon. — L'amidon peut être à la fois un aliment plas- tique et respiratoire. — Relation entre le glycogène et la nutrition du sys- tème musculaire. Après avoir esquissé d'une manière rapide l'histoire de l'accu mulatiou, de l'emmagasineraent des matières amylacées dans les animaux, il resterait à parler du mé- canisme de leur métamorphose, et de leur destruction par suite des phénomènes nutritifs. Nous avons insisté sur le rôle universel que le sucre remplit dans la nutrition des animaux et des plantes. Il s'agit, bien entendu, du sucre de raisin ou giycose qui correspond à la formule CW^O^^. D'autres matières sucrées, d'autres substances voisines de la giycose par leur composition, ne pourraient pas la suppléer. L'ami- don, les corps de la série glycique, le sucre de canne lui-même, qui ne diffère du sucre de raisin que par un ou plusieurs équivalents d'eau de constitution, se- raient impuissants à remplir la même fonction. De ce fait, nous avons fourni bien des exemples. Nous avons 148 ÉLABORATION NUTRITIVE. montré que les substances amylacées ou le sucre de canne ne pouvaient (Mre utilisées par les plantes sous leur forme actuelle ; qu'au moment où les phénomènes du développement prenaient toute leur intensité, une transformation préalable en glycose s'accomplissait, qui permettait à ces réserves d'entrer en ligne et de prendre part au mouvement vital. Les animaux présentent des conditions tout à fait parallèles. Une expérience concluante nous en a donné la preuve : quand nous avons injecté dans les veines d'un chien une petite quantité de sucre de canne, ce sucre a été éliminé par la sécrétion urinaire. N'ayant pas trouvé dans le milieu où il circulait l'agent qui devait permettre sa conversion en glycose, il est resté comme un produit étranger, inerte, dont la dépuration excrémentilielle a débarrassé l'organisme. Les phénomènes de cette nature sont bien faits pour inspirer des rétlexions intéressantes sur les conditions de l'assimilation. Ils prouvent la nécessité de l'élabora- tion particulière que la digestion fait subir aux aliments ingérés, et qui est le préparatif nécessaire aux échanges nutritifs ultérieurs. Il ne suffit pas que deux substances soient chimiquement analogues pour qu'elles suivent la même évolution au sein des tissus. Entre des composés presque identiques, comme la glycose et la saccharose, l'organisme perçoit des différences, telles que l'un puisse senirà sa reconstilulion, tandis que l'autre devra lui rester étranger. Ce n'est pas le seul cas de produits ana- logues ayant une iniUience différente sur les animaux. Rappelons seulement combien sont inégales au point de FERMENTATION GLYCOSIQUE. 119 vue toxique les actions de deux corps absolument identi- ques en composition, la variété amorphe et la variété ordinaire du phosphore par exemple. Nous connaissons le procédé par lequel la matière amylacée accumulée dans les organes animaux et végé- taux se métamorphose en glycose pour servir aux échanges nutritifs. L'amidon pas plus que le glycogène ne se transformerait en glycose, si un agent chimique de la nature des ferments n'intervenait à un moment donné pour opérer cette transformation en quelque sorte in- stantanément. Dans les végétaux par exemple, au moment où les provisions de substance féculente deviennent nécessaires à l'évolution de la plante, il se produit la diastase qu'on peut isoler dans l'orge en germination. Nous n'avons pas à rappeler ici sa préparation. Chez les animaux, le phénomène par lequel le glyco- gène se change en dextrineet en glycose est absolument identique. Il existe dans le foie, comme dans beau- coup d'autres parties de l'économie, une diastase animale tout à fait semblable à la diastase végétale et se prépa- rant exactement par le même procédé. Nous pouvons donc conclure que dans les animaux comme dans les végétaux les matières amylacées se transforment en dextrine et en glycose par une véritable fermentation glycosique. Mais ce n'est pas seulement l'amidon qui est appelé à se changer en glycose pour les besoins de la nutrition. Le sucre de canne chez les végétaux et le sucre de lait dans les animaux ont eux aussi besoin de subir cette 120 FERMENTATION INVERSIVE. même transformation. Or, c'est encore par le moyen de ferments spéciaux que ces modifications ont lieu. De même qu'il existe un ferment glycosique destiné à changer lamidon en glycose, de même il y a un autre ferment glycosique ou inversif destiné à changer la sac- charose en glycose. Ce ferment existe dans la betterave au moment où la plante, venant à fleurir et à fructifier, a besoin de consommer le sucre accumulé dans sa ra- cine. Dans les graines dépourvues d'amidon, telles que les amandes, les noix, il y a du sucre de canne qui se change en glycose au moment de la germination. J'ai constaté que c'est dans les enveloppes de ces graines que réside ou que se forme le ferment glycosique inversif, de même aussi que c'est dans l'écorce de la pomme de terre ou de la graine amylacée que se fera le ferment destiné à changer l'amidon en glycose. Le sucre de canne exige pour fermenter une modifi- cation préalable qui le fasse passer à l'état de glycose. M. Dubrunfaut avait depuis longtemps établi qu'il y a deux temps dans la fermentation du sucre de canne. Dans le premier temps, la saccharose est changée en glycose; dans le second temps, la glycose^ se dédouble en alcool et, acide carbonique. Or, la levure de bière proprement dite, élément figuré, organisé, cellule for- mée d'une enveloppe avec noyau, est l'agent véritable de dédoublement en alcool et acide carbonique; c'est le ferment alcoolique. Indépendamment de cela, il existe un ferment liquide, soluble, dans lequel nagent les cel- lules de levure. C'est à ce ferment soluble que revient le rôle de convertir la saccharose en glycose. 11 y a donc, PRÉPARATION DES FERMENTS SOLUBLES. 121 en résumé, dans la levure deux parties à distinguer : la partie solide, organisée, cellulaire, le saccharomyces cerevisiœ, actuellement regardé comme le véritable fer- meni alcoolique; la partie liquide non figurée, véritable ferment glycosique inversif. La filtration suffit à sépa- rer ces deux ferments. On peut constater que le liquide qui a passé à la filtration possède bien la propriété de transformer le sucre de canne en sucre de rai- sin, mais est incapable de pousser plus loin le phéno- mène. C'est alors que commence le rôle des globules de levure. On peut môme, comme l'a montré M. Berthelot, séparer complètement le ferment soluble. Celui-ci, en effet, jouit, comme la diastase et les autres ferments solubles, de la propriété de se redissoudre dans l'eau après avoir été précipité par l'alcool. Après avoir séparé par le filtrage le liquide de la levure, on traite par l'al- cool. Il se fait un coagulum dans lequel est compris le ferment glycosique. On reprend par l'eau qui dissout ce corps et le sépare des matières étrangères. On pourrait alors précipiter à nouveau par l'alcool si l'on voulait avoir le ferment isolé et desséché. Le mode de préparation est copié sur celui qui donne la diastase ; mais l'analogie s'arrête là. Les deux sub- stances ont leurs qualités distinctes, et elles ne peuvent se suppléer. Le ferment inversif existe partout oia le sucre de canne doit être utilisé pour la nutrition. Il existe dans la racine de la betterave, dans les graines où l'amidon absent est remplacé par la saccharose, par exemple dans les noix. Dans le cas des graines, ainsi que je l'ai déjà dit, ce sont les enveloppes qui ren- 122 FERMENTATION DE LA LACTOSE. ferment le ferment; on peut l'en extraire par infusion ou macération. IjQ lait renferme une substance appelée sucre de kit ou lactose, et répondant à la formule C'-H''0" ou à son multiple C'^H'-O"-'. Dans le lait de la femme il en existe de 3 à 6 pour 100. Ce sucre réduit le réactif cupro-potas- sique comme fait la glycose, et il a pour caractère spécial de fermenter très-difficilement. Cependant il est suscep- tible d'éprouver la fermentation alcoolique, la fermenta- tion lactique lorsque le lait s'aigrit, et la fermentation butyrique. C'est la fermentation alcoolique qui fournit les liqueurs enivrantes que les Kalmoucks préparent avec le lait de leurs juments. De ces boissons appelées kowniss on retire par distillation Teau-de-vie appelée rack. J'ai constaté que le ferment pancréatique possède la propriété d'opérer facilement la transformation de la lactose en glycose ; c'est donc à cet agent que doit être attribuée la digestion du sucre de lait dans le canal in- testinal. Jusqu'à présent les sources de glycose que nous avons rencontrées dans les animaux et les végétaux sont au nombre de trois : 1° la matière amylacée; 2" la saccha- rose; 3° la lactose. Mais il y en a encore d'autres qui nous restent à examiner. Il existe dans un grand nombre de fruits à noyau, dans les fleurs de pêcher, dans les feuilles de laurier- cerise, dans les jeunes pousses de certaines espèces de Prunus et de Sorbus, un principe spécial, Xanij/gdaline, qui répond à la formule C'^H-'AzO". Ce corps peut être AMYGDALINE ET ÉMULSINE. 123 une source de glycose ; il peut se dédoubler en effet en sucre, essence d'amandes amères, acide cyanhydrique, sous l'action de différents agents chimiques, et en par- ticulier d'un ferment, Yémuishie, qui lui est associé le plus ordinairement. Il y a donc, dans les amandes amères en particulier, doux substances distinctes : une substance fermentescible, l'amygdaline; un ferment, l'émulsine. Lorsque ces deux corps se trouvent en présence, la réac- tion s'opère suivant l'équation : C'°H-'AzO" + 2H^0"- = 20^5;^' + C^^ + C=AzH Aniyg'daline- Glycose Essence Acide d'amandes cyanhydrique. amères. L'odeur très-caractéristique de l'acide cyanhydrique avertit que la réaction s'est produite. Les amandes amères d'où l'on retire l'amygdaline, en contiennent de 1 à 9 pour JOO. Dans les amandes douces ce produit est rem- placé par la glycose. Pour préparer l'amygdaline, on prend le tourteau d'amandes amères, d'où l'on a extrait l'huile. par pres- sion entre deux plaques chaudes. On fait bouillir ce tour- teau avec l'alcool, qui dissout l'amygdaline : on réduit par distillation ; puis on précipite par l'éther. On re- cueille ainsi un corps blanc, cristallisé en belles aiguilles. Pour préparer l'émulsine, on peut avoir recours, soit aux amandes amères, soit aux amandes douces. On prend les amandes douces, on les divise en morceaux et on les laisse macérer dans l'eau à la température ordinaire. Celte eau devient laiteuse, par suite de l'émulsion d'huile 124 SALICINE. qui s'y produit. On filtre, et la liqueur plus ou moins limpide contient le ferment émulsine. Dans l'amande amère, les deux principes existent, mais séparés, confinés dans des cellules spéciales, comme des réactifs que contiendraient des bocaux différents. Mais que lesbocauxou les cellules viennent à être brisés, et les liqueurs mélangées, aussitôt l'action chimique se développera. C'est ce qui arrive lorsqu'on écrase les amandes ou lorsqu'on les broie entre les dents : le goût amer du fruit fait place à une sensation de matière sucrée, et l'odeur caractéristique de l'acide prussique se répand immédiatement. Nous répétons l'expérience en écrasant les amandes dans un mortier: la liqueur con- tient de la glycose. Le réactif cupro-potassique vire au rouge-brique. Nous pouvons opérer encore autrement : essayer l'amygdaline et constater qu'elle est sans influence sur la liqueur cupro-potassique, constater le même fait pour l'émulsine; et après le mélange nous obtiendrons, au contraire, une précipitation caractéristique du réactif. L'écorce du saule, différentes espèces de peupliers et de trembles, le castoréum, contiennent un principe amer et cristallisable, la salicine, qui répond à la for- mule brute C-^H'^0'*, ou à la double formule systéma- tique C'H'^'O'^' (C'^H'C)'*), qui montre le dédoublement que peut éprouver cette substance, par fixation d'eau, enC^'^H'-O'"- ou glycose, et C'^H-0^ ou saligénine. C'-H"'0"'(C"HV-) + H-O- = 0'H"0'- + C'H'^O' Saliciiio. ^ Glycose. S;ilig'oiiiiie. C'est probablement ainsi que les choses se passent TANNIN. ALEURONE. GÉLATINE. 125 dans le saule; la glycose nécessaire à la végétation pro- vient de ce dédoublement. Nous n'avons pas la prétention d'avoir indiqué toutes les sources de glycose qui existent dans le règne végétal. Nous n'avons même pas indiqué toutes celles qui sont connues. On sait, par exemple, que les tannins peuvent se dédoubler en acide gallique et en glycose, et que beaucoup d'autres corps appelés glycosides sont sus- ceptibles de donner naissance à la glycose. Mais, en nous engageant dans cette voie, nous serions obligé de quitter les points de vue généraux pour entrer dans des histoires particulières, et nous nous éloignerions ainsi du but que nous poursuivons ; nous rencontrerions de plus beaucoup d'obscurités, car celte partie de la science est encore en voie de formation. Les questions, même moins récentes, donnent lieu à des débats entre les bota- nistes. C'est ainsi que l'accord ne s'est pas établi relati- vement à la véritable constitution de Valenrone, qui est une de ces substances productives de sucre dont nous avons parlé. Pour M. Harlig, qui le premier l'a signalée en 1855, c'est une substance albuminoïde complexe, contenant de la fibrine, de l'albumine, de la gliadine, de la légumine, de la gomme et du sucre. Pour M. Tré- cul, il y aurait une aleurone albumineuse et une oléagi- neuse. Pour M. Gris, l'aleurone serait formée d'un mélange de matière grasse et protéique, etc. Enfin un chimiste distingué, Gerhardl, avait pré- tendu autrefois avoir obtenu de la glycose au moyen de la gélatine convenablement traitée par les acides. Depuis lors, bien des chimistes ont essayé sans succès i26 SOURCES DE LA MATIÈRE AMYLACÉE. de reproduire cette expérience. D'autre part, M. Ber- thelol a transformé la chondrine en glycose par l'action de l'acide chlorhydrique : la glycose ainsi obtenue est lévogyre et difficilement cristallisable. Les expériences de ce genre ont un grand intérêt, parce qu'elles mon- trent la possibilité d'obtenir la matière sucrée aux dépens de certaines substances abondamment répandues dans l'organisme. Dès lors il est possible de supposer que les circonstances nécessaires à ces transformations artificielles se réalisent aussi dans la nature vivante. Revenant maintenant à la source principale de la glycose, c'est-à-dire à la matière amylacée ou glyco- gène, on peut se demander d'où provient à son tour cette substance. Cela est difficile à savoir positivement. On peut tout au plus risquer aujourd'bui à ce sujet quelques hypothèses plus ou moins plausibles, fondées sur des expériences encore bien incomplètes. Beaucoup de botanistes ont pensé et pensent encore que les matières sucrées pourraient donner naissance à la matière amylacée. En un mot, on a considéré comme possible et comme réelle la transformation inverse de celle qui nous est connue. Dans cette manière de voir, les corps de la série glycique, depuis la cellulose jus- qu'au sucre, seraient susceptibles de se convertir les uns dans les autres, non pas seulement en suivant la série des hydratations croissantes, mais aussi en descen- dant l'échelle de façon à passer des plus hydratés à ceux qui le sont moins. C'est là une hypothèse, à l'appui de laquelle on cite un certain nombre de faits. On sait qu'il y a des graines qui, riches en sucre jus- TRANSFORMATION INVERSE DE LA GLYCOSE. 127 qu'à un certain moment de leur développement, deviennent tout à coup féculentes, la disparition du sucre coïncidant d'une manière assez exacte avec l'ap- parition de la fécule. Tels sont les petits pois. On dit même que, recueillis trop jeunes, alors qu'ils sont encore très-sucrés, les pois germent beaucoup plus facilement, mais se conservent moins bien, parce que la matière sucrée ne présente pas la stabilité et la résis- tance de l'amidon. De même, lorsqu'on examine une pomme de terre en germination, on sait que le développement de la tige et la multiplication des granulations amylacées que con- tiennent ses cellules correspond à la métamorphose en sucre de l'amidon accumulé dans le tubercule. ïl n'est pas possible de supposer que les grains d'amidon delà tige proviennent directement de l'amidon du tubercule, car entre les deux parties il existe une couche inter- médiaire dans laquelle il semble impossible de déceler une trace de substance féculente, soit en dépôt, soit eu migration. Voilà donc un second cas dans lequel nous voyons l'apparition de la fécule correspondre à la disparition de la glycose. On a pensé que le change- ment de l'amidon en sucre soluble était la condition qui permettait à la matière féculente de se transporter d'une partie à l'autre, du tubercule dans la tige : une fois le déplacement accompli, la substance reprendrait par une transformation inverse sa forme primitive plus stable. On a encore émis l'opinion que la glycose serait formée dans le parenchyme des feuilles par l'action de 428 ALIMENTATION DE LA GÉLATLNE la chlorophylle. Cette glycose se transformerai l ensuite en matière amylacée dans les diverses parties du vé- gétal. On pourrait faire à l'égard des animaux les mêmes hypothèses que pour les végétaux, et admettre que la matière sucrée est chez eux l'origine de la matière glycogène. Je dois dire cependant que mes expériences personnelles m'ont conduit à des résultais différents. J'ai soumis des chiens à jeun à des alimentations diverses et exclusives, pour voir celle qui amenait dans le foie la plus grande proportion de glycogène. Celles qui m'ont paru les plus favorables à la formation de la matière glycogène n'ont pas été les matières amylacées, mais au contraire les malières albuminoïdes, et particu- lièrement la gélatine. Toutes mes expériences sont encore bien insuffisantes pour juger une question aussi obscure et aussi difficile ; cependant ce fait pourrait se rattacher aux idées précédentes et à l'affirmation de Gerhardl, citée plus haut, que la gélatine serait, sous certaines influences, une source de glycose. Si les opinions précédentes se vérifiaient par l'ex- périence, nous serions amené à considérer la glycose comme le pivot de toute la glycogénie. \iu effet, ce serait la substance primitive et la substance finale; elle aurait à la fois une évolution ascendante et descendante et serait susceptible de subir des reculs, des arrêts dans sa marche. La glycose incessamment et originellement formée dans l'organisme pour les besoins de la nutrition, pourrait y servir immédiatement ou après délai. Dans ce dernier cas la glycose devrait être mise en réserve. CLASSIFICATION DE LIliBIG. 1^29 Mais son altérabilité s' opposant à sa conservation, elle prendrait une forme plus stable, amylacée, glycogé- nique ou saccharosique. Puis, lorsque les besoins nutri- tifs exigeraient la transformation de cette matière de réserve, la glycose se manifesterait par les mécanismes que nous avons précédemment indiqués. On avait autrefois, avec Liébig, divisé les aliments en deux classes, d'après le rôle qu'on leur attribuait dans l'économie animale. Les uns servaient uniquement à la respiration: ils étaient immédiatement brûlés et ne prenaient aucunement place dans l'édifice organique; ils traversaient seulement ses canaux pour le chauffer. C'étaient les matières hydrocarbonées, susceptibles de se transformer en vapeur d'eau et en acide carbonique, qui constituaient celte première classe des aliments dits respiratoires. La seconde classe comprenait, au con- traire, les matériaux qui servaient à la rénovation des tissus, à leur réparation, et devaient faire partie, pen- dant un certain temps, de l'édifice lui-même. C'étaient les aliments plastiques comprenant toutes les substances albuminoïdes ou azotées. Cette théorie est aujourd'hui à peu près abandonnée. En effet, les phénomènes qui s'accomplissent au sein des tissus organiques n'ont pas la simplicité toute chimique que l'on supposait. Ce ne sont pas des combustions directes qui se passent là; il peut y avoir des évolutions de la même substance dans des sens différents. D'après ces considérations, nous voyons qu'il serait tout à fait illusoire de vouloir ranger la matière glyco- gène, soit parmi les aliments respiratoires, soit parmi CL. BERNARD. — Phénomènes. ii. — 9 130 LE GLVCOGÈNE EST PLASTIQUE ET RESPIRATOIRE. les aliments plastiques. Elle est sans doute à la fois l'un et l'autre. Dans les végétaux, la matière amylacée est plastique quand elle contribue à constituer des tissus et des organes: or, elle sert évidemment à la formation de la cellulose, du ligneux. Mais en même temps aussi de la matière amylacée se brûle dans les plantes, soit dans la végétation, soit dans la germination. Chez les animaux, nous voyons du glycogène se transformer en sucre, pour être probablement brûlé ; mais une autre partie peut servir à la constitution des tissus. Nous avons vu chez les crustacés la formation de la matière glycogène coïn- cider avec la formation du squelette. Nous avons vu, de plus, entrer dans la constitution de ce squelette une matière entièrement analogue au ligneux, et par con- séquent voisine du glycogène. S'il n'est pas permis d'affirmer que la chitine soit une forme de la matière glycogène, il n'est pas non plus rigoureux de le nier absolument. Que pouvons-nous dire des conditions physiologiques en vertu desquelles la glycose, le glycogène entrent tantôt dans la constitution des tissus, tantôt se brûlent et se décomposent pour fournir de l'eau et de l'acide carbonique? Tous ces points sont encore dans la plus profonde obscurité. Toutefois je puis avancer deux faits : le premier, c'est que la formation du glycogène, et peut-être celle des tissus dans lesquels il s'incorpore, coïncide avec une réaction alcaline du milieu et proba- blement avec une absorption de chaleur. Le second fait, c est (jue la destruction ou la combustion du glycù- RliÂCTION «ES TISSUS GLYCOGE?ÏÉSIQUES. 131 gène et de la glycose coïncide, au contraire, avec une réaction acide du milieu et un développement de chaleur. Enfin il y a un dernier fait qu'il peut être utile de rapprocher des précédents : c'est celui d'une relation plus ou moins prochaine qui semblerait exister entre la matière glycogène et la nutrition du système mus- culaire. Disons d'un mot que le phénomène de l'acidité, qui se rencontre si souvent dans le tissu musculaire qui a fonctionné énergiquement, est intimement hé à la pré- sence de la matière glycogène dans l'organisme. Pen- dant longtemps (et encore aujourd'hui) il a été admis que l'acidité des muscles (qui h l'état ordinaire donnent la réaction alcaline) était liée au phénomène de la rigidité cadavérique. Cette opinion, universellement adoptée, est fausse; mes observations la contredisent absolument. J'ai rencontré, en effet, des animaux en rigidité ou roideur cadavérique et dont les muscles étaient parfaitement alcalins, et d'autres dont les mus- cles étaient acides, et qui n'étaient pas dans la condition dont nous parlons. Cette remarque de fait, même quand elle n'eût été éclairée par aucune explication, suffisait évidemment à ruiner l'hypothèse en vogue. En science il n'y a pas d'exceptions : une seule exception détruit la loi, à moins qu'elle n'y rentre et que la contradiction ne soit qu'apparente. Si la coagulation du contenu musculaire est une conséquence de l'acidité, on ne devra jamais trouver de coagulation, c'est-à-dire de roideur, dans un muscle alcalin. Or ce fait se présente 13"^ RÉACTIONS DU TISSU MUSCULAIRE. quelquefois de lui-même, ; j'ajoute de plus qu'on est en état de le produire à volonté. Il n'y a donc entre ces deux phénomènes, rigidité cadavérique, aci- dité, qu'une simple coïncidence et non pas une relation de cause à effet. Les muscles brûlent de la matière glycogène ou sucrée; lorsqu'ils fonctionnent, ils détruisent une cer- taine proportion de cette substance; l'acide sarco- lactique est un des produits de cette destruction Plus le muscle sera riche en glycogène, plus il donnera d'acide lactique. Cette combustion de la matière glyco- gène ou de la glycose dans les muscles est le fait d'une fermentation lactique incessante pendant la vie et qui continue après la mort. 11 y a donc dans les muscles un ferment lactique sans cesse actif. Si l'on coagule le muscle par la chaleur, on y arrête aussitôt la fermenta- tion et la manifestation de l'acidité. Je pense que tous les phénomènes de combustion des êtres vivants, animaux ou végétaux, ne sont autre chose que des phénomènes de fermentation. Les ferments sont, en effet, les agents chimiques universels de l'or- LEÇON VII Caractère général de la nutrition et de la glycogenèse. Sommaire. — La nutrition n'est pas directe. — Les matériaux étrangers, avant d'être utilisés, passent par deux états : l'état d'aliment digéré, l'état de réserve. Exemple ; des larves de mouche; exemple : des animaux soumis à l'inanition. Les idées fondamentales que nous avons développées dans le courant de ces leçons se présentent niainte- nant à nous avec la consécration de l'expérience. La nutrition ne consiste pas seulement, comme ont paru le croire quelques physiologistes, dans la mise en place de certains matériaux introduits directement par l'alimentation et n'ayant éprouvé d'autre changement que d'être rendus solubles. Les matériaux alimentaires, en un mot, ne sont pas directement utilisés. La nutrition n'est pas directe, comme le supposent les chimistes. Le sucre ou le glycogène que l'on trouve chez l'animal n'ont pas été introduits à l'état d'amidon, de glycogène ou de sucre. Le phénomène de la nutrition s'accomplit toujours en deux temps: d'abord il se fait une accumulation, une réserve, un emmagasinement de matériaux; ensuite, dans une seconde période, ces matériaux élaborés et ac- cumulés par l'animal sont utilisés, incorporés aux tissus, 134 DEUX PÉRIODES DE LA NUTRITION. OU brûlés en donnant naissance à des produits excré- mentitiels aussitôt expulsés. Les végétaux fournissent des exemples plus nets que les animaux de celte division de l'acte nutritif en deux périodes. Ainsi, dans la pomme de terre, par exemple, le tubercule se charge, pendant la première année, d'une provision de, fécule qui sera mise en œuvre dans le courant de la seconde année pour le développement du végétal. De même, pour la betterave, il s'accumule dans la racine une provision de sucre de canne qui dis- paraîtra dans la seconde année pour servir, sous forme de glycose, à la floraison et à la fructification de la plante. Il y a deux périodes bien nettement séparées dans ces cas. La vue philosopbique qui consiste à considérer l'orga- nisme animal comme un édifice incessamment traversé par un courant ou tourbillon de matière qui entre et sort après avoir séjourné dans l'intimité des éléments anatomiques, cette vue n'est exacte qu'à la condition de bien remarquer que la matière subit pendant son pas- sage des changements organiques plus ou moins lents ou rapides à s'accomplir, qui altèrent et modifient com- plètement sa constitution chimique; en sorte qu'à la sortie et pendant son mouvement elle n'est réellement pas représentable en nature, mais seulement en poids. En particulier, les aliments ne circulent pas en nature à travers l'élément anatoniique ; ils doivent d'abord être transformé en sang. L'idée extraordinairement simple que certains chi- mistes ont voulu se faire du mécanisme de la nutrition ÉLABORATION NUTRITIVE. 135 est encore plus fausse que simple. D'après eux, l'orga- nisme puiserait dans le mélange des aliments digérés, c'est-à-dire rendus solubles et passés dans le sang, les principes immédiats qui lui sont nécessaires. En vertu d'une sorte d'élection chimico-nutritive, chaque élé- ment anatomique y prendrait toute formée la substance chiniique qui entre dans sa propre constitution. Le muscle y choisirait l'albumine musculaire ou niusculine, le cartilage la cartilagéine, l'os l'osséine, le cerveau la matière nerveuse, phosphorée, cérébrale, et ainsi des autres. Les organes se nourriraient et s'accroîtraient par une sorte de sélection vitale, comme un cristal de sul- fate de soude, placé dans une solution de sulfate de soude et de magnésie, ne s'adjoint que le sel de soude. Il n'en est rien. Les produits de la digestion ne sont pas incorporés sous leur forme aliuientaire, mais seule- ment après avoir subi une élaboration qui est le fait de l'individu, et qui les dénature complètement en vue de les rendre assimilables au nouvel être. Pour employer une expression triviale, mais qui rend bien ma pensée, il faut que les matériaux nutritifs aient été préparés dans la cuisine propre de l'individu. Le foie serait peut- être le principal de ces organes élaborateurs. Cette transformation et celte appropriation des maté- riaux nutritifs à chaque organisme sont tellement néces- saires, que les expériences de transfusion prouvent que le sang d'une espèce animale ne pourrait servir à la nu- trition d'une autre espèce. Malgré les analogies considé- rables qui existent entre les produits immédiats, le li- quide sanguin du lapin serait impropre à entretenir la I 136 l'aliment est dénaturé préalablement. vie du chien, c'est-à-dire incapable de prendre part aux échanges nutritifs interstitiels; il ne faudrait donc pas s'imaginer, si l'on faisait digérer du sang de la|)in à un chien, que les matériaux du sang de l'un iraient re- prendre chacun sa place respective dans le corps de l'autre. De telles idées seraient complètement oppo- sées à la saine physiologie. Le sang digéré est dénaturé, et ses matériaux, revenus en quelque sorte à un état in- différent, reprennent les modes de groupement ou de combinaison que les phénomènes de la vie exigent. Dans l'histoire de la matière glycogène, nous retrou- vons les deux périodes que nous avons signalées dans l'acte de la nutrition. D'abord la période d'emmagasi- nement, c'est la formation du glycogène; la formation de sucre correspond à la période d'utilisation. Un exem- ple frappant de cette vérité nous est fourni par les in- sectes, en particulier par les mouches. Nous avons vu que leur développement complet comprend trois épo- ques : l'époque primitive, pendant laquelle l'animal vit à l'état de larve dans la viande corrompue; l'époque de la formation et de révolution de la chrysalide; l'époque de l'insecte parfait. Or, mes recherches ont établi que, sous l'état de larve, de chenille ou d'asticot, l'aninial est absolument imprégné de glycogène. La chrysalide commence à manifester un peu de matière sucrée. L'insecte parfait contient des quantités notables de sucre, à côté de la matière glycogène. Des deux actes de la nutrition, l'un est physiologique ou vital, l'autre est un phénomène purement chimique indépendant de la vie; la formation du glycogène est un Ol'LT DE MOUCHK. OEUF d'oISIîAU. 137 phénomène que nous devons appeler vital, c'est un em- magasinement qui ne s'opère que sous l'influence rie la vie; la transformation du glycogène en sucre est un phénomène de destruction qui est indépendant de l'in- fluence vitale et du ressort purement chimique. Nous avons déjà insisté sur ces faits à propos de la glycogenèse hépatique, mais il y a peut-être un autre exemple propre à dissiper tous les doutes à cet égard: c'est ce qui se passe dans le développement de l'œuf. En effet, examinons d'abord l'œuf de la mouche: il renferme quelques granulations de glycogène, comme le germe de tous les animaux, car la nécessité de cette substance nutritive se manifeste dès Torigine de la vie. Puis cet œuf est placé sur de la viande qui ne présente pas de traces de matières amyloïdes ni sucrées, et il se forme cependant dans cet être un emmagasinement, une accumulation énorme de matière glycogéniipie. Il s'agit bien là d'un phénomène histologique et d'une for- mation successive de cellules qui élaborent et créent réellement ce produit. Pour l'œuf de poule, au début il n'existe qu'un seul foyer de matière glycogénique d'une étendue infime, c'est la cicatricule qui, comme le germe de l'œuf d'in- secte, renferme quelques granulations de glycogène. On peut dire qu'il n'y a en somme qu'une seule cellule gly- cogénique : son existence est une nécessité, car l'œuf devant servir au développement du jeune animal, doit contenir les trois espèces de matériaux indispensables à toute évolution organique: les matières albuminoïdes, les matières grasses et sucrées. En dehors de ce foyer 138 CARACTÈRE VITAL DE LA GLYCOGENÈSE. primitif si restreint pour le glycogène dans l'œuf de l'oiseau, on n'en retrouve nulle part ailleurs. Si la fécon- dation n'a pas lieu, ces quelques granulations de sub- stance glycogène se détruisent et disparaissent au bout de peu de temps. Si la fécondation s'accomplit, on constate alors une multiplication, une prolifération de la matière glycogénique qui se forme dans des cellules spé- ciales. Chez le poulet au huitième jour, des proportions énormes de glycogène existent dans la membrane blasto- dermique; on le manie, pour ainsi dire, à pleines njains(l). D'où donc pourrait provenir cette substance, sinon d'une élaboration particulière de l'organisme animal? 11 est impossible d'invoquer ici l'apport des alimenls étrangers, les dédoublements de matériaux introduits du dehors; rien n'a été introduit, il est facile d'ailleurs de prouver chimiquement qu'il n'y a pas de glycogène ou d'amidon ni dans le jaune ni dans le blanc de l'œuf. Si M. Dareste a prétendu le contraire, il est tombé dans l'erreur ; il a voulu caractériser une substance chimique par des caractères d'ordre physique ([ui ne sauraient avoir, dans ces cas, qu'une valeur tout à fait secondaire et absolument impropre k démontrer la présence de la matière. M. Dastre a prouvé que la substance prise pour de l'amidon par M. Dareste n'était autre chose que la lécithine ou un savon oléique. La formation de la matière glycogénique dans l'œuf de l'oiseau est donc véritablement, comme nous le disions, un résultat de l'activité physiologique ou vitale. Une fois formé et emmagasiné dans les tissus, la (rans- (I) Voij. Note I, à la lin du présent voluinr. CARACTÈRE CHIMIQUE DE LA FORMATION DU SUCRE. 139 formation du glycogène en sucre devient une simple affaire de conditions chimiques. Nous savons que s'il se trouve en présence du ferment convenable, il se con- veitira en sucre dans l'organisme, comme il le ferait en dehors de lui, et c'est alors qu'il servira véritable- ment aux combustions ou échanges nutritifs auxquels il est destiné. Toutes les autres substances indispensables à la vie sont probablement dans le même cas; une fois formées, elles sont mises en réserve. Ce qui prouve Texistence de ces accumulations ou de ces emmagasinements de matière, c'est ce qui se passe chez l'animal soumis à l'inanition, c'est-à-dire privé des recettes qui, d'or- dinaire, lui viennent de l'extérieur. Dans ces cas, l'animal se nourrit aux dépens de ses réserves. Et cet état de choses, cette autophagie dans laquelle l'ani- mal se nourrit de lui-même, pourra durer longtemps. On a vu des chevaux vivre pendant quinze jours à trois semaines sans qu'on leur fournît quoi que ce soit en fait d'aliments solides ou de boissons; des chiens peuvent vivre presque aussi longtemps; les lapins un peu moins. Chez les oiseaux, la durée de l'abstinence ne peut pas être poussée aussi loin; peut-être parce que les réserves ne sont pas aussi abondantes, et certaine- ment aussi parce que, la vitalité étant plus active, la consommation de ces réserves est plus rapide. — Chez les animaux à sang froid, ces réserves peuvent durer plus longtemps. Ainsi, tous les physiologistes conservent des grenouilles pendant des mois, des années même, sans les nourrir aucunement, seulement en empêchant 140 ROLE DES RÉSERVES. les déperditions de devenir trop grandes. Le séjour dans un milieu où la température est un peu basse et inva- rialile, et l'addition d'une faible quantité de sel marin dans l'eau, sont des conditions très-favorables à retarder la consommation des réserves et à prolonger ainsi la vie de ces animaux ; et aussitôt que les réserves sont épui- sées la vie cesse. Il en est absolument de même des végétaux ; ils renferment en eux des provisions aux dépens desquelles ils peuvent vivre, en même tenq^s qu'ils en forment de nouvelles. Mais si l'on soumet le végétal à l'inanition, il peut vivre et fleurir même, grâce aux réserves antérieurement accumulées, comme cela a lieu dans un oignon de jacinthe, par exemple, qu'on fait végéter dans l'eau. Mais le végétal ne pou- vant pas former un nouvel emmagasinement, la vie cesse nécessairement après cette période. En résumé, il existe chez les animaux, comme chez les végétaux, deux périodes nutritives : une période nutritive à' emmagasinement et une période de consom- mation ou de destruction. L'histoire de la matière gly- cogène nous en fournit la preuve la plus frappante ; car nous voyons ce principe s'accumuler chez les animaux comme chez les végétaux, pour être détruit dans les phénomènes ultérieurs de la nutrition. Nous terminons ici l'exposé général de la question glycogénique, après avoir mené un des chapitres de la nutrition, non pas à son terme, sans doute, mais à un degré de développement où il serait désirable que beaucoup d'autres fussent parvenus. DEUXIEME PARTIE LA RESPIRATION LEÇON VIII Dualisme respiratoire. Sommaire. — Rôle comburant des animaux, rôle réducteur des plantes Formule du chimisme. La respiration est le phénomène le plus caractéris- tique de la vitalité, c'est-à-dire de l'être en activité vitale. Aucun acte, en effet, parmi ceux qu'exécute l'organisme ne présente à un égal degré ces deux attri- buts fondamentaux : l'universalité et la conlinuité. Le phénomène respiratoire est universel en ce qu'il se re- trouve chez tous les êtres et dans touies leurs parties jusqu'au plus petit des éléments ayant figure: il est con- tinu, c'e.st-à-dire qu'il ne saurait subir d'interruption sans entraîner ipso facto la suspension de la vie elle- même. Ce phénomène s'accomplit d'une manière et avec un résultat identiques chez les animaux et les plantes. La Doctrine de l'unité vitale y trouve, par conséquent, le i42 ROLE RÉDUCTEUR DES PLANTES. plus solide de ses arguments. Il est remarquable que les partisans du Dualisme aient précisément invoqué avec persistance pour soutenir leurs idées le fait qui devait le plus sûrement les ruiner. Lorsque l'on suit le dévelop- pement de cette doctrine, on voit que les éléments d'une différenciation entre les modes de la vie chez les ani- maux et les plantes ont été demandés successivement à l'anatomie et à la chimie. Nous avons donné dans le chapitre précédent la réfutation d'une des considéra- tions mises en avant par les Dualistes. Nous savons d'une manière positive que les matières grasses et sucrées apparaissent chez les animaux sans qu'ils reçoivent du dehors des principes immédiats similaires. Il est faux que la formation des principes immédiats soit l'attribut exclusif de l'un des règnes, l'autre règne ayant pour fonction la destruction de ces mêmes principes. Sur ce premier point la théorie du dualisme vital a donc cédé; elle s'est réfugiée sur un autre terrain, en se bornant à affirmer le rôle r va trouver la cellule, qu'il faut ramener la respiration des éléments végétaux comme celle des êtres monocellu- laires libres, celle des éléments anatomiques fixés dans les tissus. Souvent l'air semble amené à l'état de nature jusqu'aux éléments : c'est ce qui arrive chez les végé- taux et chez les insectes dans le système de leurs tra- chées; mais le plus souvent l'air est amené à l'élément par un intermédiaire tel qu'un élément auatomique (globule du sang) ou un dissolvant liquide. B. Dans un deuxième mode, comme nous l'avons dit, les cellules se déplacent dans l'organisme pour venir au contact de l'air. Les éléments qui présentent ce mode respiratoire sont les globules du sang; leur dépla- cement incessant constitue la circulation étroitement liée ou associée à la respiration, ces deux fonctions existant ainsi l'une pour l'autre. Ainsi, d'une part, les globules du sang viennent chercher l'air au poumon; d'autre part, ils le transportent et le distribuent aux autres cellules de l'organisme. Il y a donc là un méca- 180 l'élément va au-devant de l'air. nisnie de double échange par lequel, d'une part, le globule prend de l'oxygène et, d'autre part, le cède : deux actes inverses l'un de l'autre, le premier ayant pour siège le poumon, l'autre ayant pour siège Tin- timité des tissus. Le globule du sang est l'intermé- diaire entre ces deux espèces de phénomènes; il est l'émissaire des éléments organiques qui, mobile, peut aller chercher pour eux l'oxygène qui leur est né- cessaire. La totalité du sang passe, à chaque révolution, par le poumon, elles globules, mis en contact avec l'air exté- rieur à travers la paroi vasculaire, se chargent d'oxy- gène. Cette absorption d'oxygène n'exige d'ailleurs aucune force vitale de nature mystérieuse. Elle dépend de conditions purement chimiques. Le globule du sang se compose de deux parties : un stroma albuminoïde et une matière colorante qu'on peut isoler et qui est sus- ceptible de cristalliser en prenant des formes différentes suivant l'espèce animale, et d'ailleurs bien connues. Cette substance, \ hémoglobine, est susceptible de fixer l'oxygène en s'y combinant; et elle doit à cette pro- priété purement chimique le rôle qu'elle joue dans la respiration pulmonaire. Dans la seconde phase du phénomène, le sang chargé d'oxygène se distribue aux tissus, et là encore c'est en vertu de forces chimiques que l'oxygène, quittant la matière colorante du globule, vient se fixer sur les élé- ments des tissus. Ce mécanisme respiratoire constitué par les globules du sang et l'hémoglobine comme fixateurs et véhicules GLOBULES DU SANG. 181 de l'oxygène appartient à un très-grand nombre d'ani- maux, à tout l'embranchement des vertébrés propre- ment dits. C'est, comme on le voit, un mécanisme très- important, mais non pas essentiel; il fait défaut chez un nombre immense d'êtres vivants, et il est remplacé chez ceux-ci par d'autres mécanismes moins complexes, mais toujours de nature physique ou chimique. LEÇON XII Trouble des mccanisiues respiratoires. — Asphyxie. Sommaire. — Poisons des propriétés vitales : poisons des mécanismes vitau.\. — Privation d'oxygène : aérobies et anaérobies de M. Pasteur. — Asphyxie des végétaux à l'ombre : asphyxie des graines. Réserves d'oxygène. Nous avons dit que l'éditice organique était construit pour la cellule, pour lui fournir en quantité et en qualité les conditions extrinsèques nécessaires à son fonction- nement. C'est la cellule qui vit et qui meurt. A mesure qu'un organisme est plus élevé, la vie cellulaire exige des mécanismes ou rouages plus nombreux, plus compli({ués et par conséquent plus délicats. Mais ces mécanismes n'existent point pour eux-mêmes, et, lorsqu'ils viennent à être troublés, la mort qui succède à leur dérèglement n'est point la preuve de leur nécessité intrinsèque, mais la preuve que la vie cellulaire a été consécutivement atteinte dans ses sources. Ainsi, la vie peut être atteinte de deux manières : primitivement et d'une façon directe dans l'élément anatomique, con.sécutivement et d'une manière indirecte dans les mécanismes fonctionnels. Parmi ces moyens d'action, les plus luibituels sont les poisons; et, d'après ce qui précède, il importe de dis- tinguer deux espèces de poisons : ceux qui portent sur l'élément organique, ceux qui portent sur les organes; POISONS DE LA VIE, DES MÉCANISMES. 183 en un mot on pourrait distinguer \es poisons de la vie et les poisons des mécanismes. Les premiers sont tout à fait généraux ; l'universalité de leur action peut être considérée comme l'une des meilleures preuves de l'unité vitale. Les autres sont tout à fuit spéciaux; leur action est bornée aux êtres qui possèdent ce mécanisme spécial que le poison vient déranger. Pour en prendre un exemple, considérons l'oxyde de carbone. C'est un poison extrêmement actif et redoutable: il suffit de quelques milliènies dans l'at- mosphère pour amener des accidents chez les animaux élevés, chez les vertébrés, chez l'homme. Or, ce poison si actif n'exerce aucune action sur les invertébrés, aucune sur les végétaux. C'est qu'en effet l'oxyde de carbone est un poison des mécanismes; c'est un poison du mécanisme-hémoglo- bine, qui ne peut avoir d'eff'et que chez les animaux qui possèdent ce rouage fonctionnel, c'est-à-dire des glo- bules rouges imprégnés d'hémoglobine. L'oxygène n'est point le seulgazque puisse fixer l'hémoglobine. L'oxyde de carbone forme avec cette substance une combinaison plus stable que la combinaison oxygénée. L'oxygène est déplacé par le gaz carboné et les globules, dans ce cas, au lieu de convoyer dans les tissus l'oxygène nécessaire à la vie des cellules, n'y conduisent plus qu'un liquide inerte, des corps pour ainsi dire, minéralisés, sans oxy- gène. L'action si bien définie de ce poison mérite d'être comparée à celle des anesthésiques, de Téther, du chloroforme, que nous avons vue, au contraire, s'adresser 184 ASPHYXIE. à tous les êtres vivants, à tous leurs tissus, au proto- plasma lui-même en détruisant chez lui sa propriété essentielle, l'irritabilité. Cette comparaison fait com- prendre et justifie la distinction que nous venons d'éta- blir entre les agents toxiques directs, ou poisons vitaux qui s'attaquent à la propriété fondamentale des êtres vivants, propriété ayant son siège dans le protoplasma, et d'autre part les poisons indirects, poisons des mé- canismes, qui ne détruisent la vie que par contre-coup en supprimant un des mécanismes par le moyen des- quels elle s'entretenait. Tout obstacle apporté au jeu d'un- des mécanismes respiratoires, et par suite au contact de l'oxygène avec les tissus, détermine l'asphyxie, ensemble d'acci- dents bientôt couronné par la mort. Il y a autant de formes d'asphyxie que de moyens d'empêcher le con- tact de l'oxygène avec les tissus chez les animaux et les végétaux. Et d'abord, tous les êtres vivants sont-ils sujets à l'as- phyxie? C'est un fait très -général que la privation d'oxygène entraîne la mort, mais est-il universel et sans exception? On a signalé un grand nombre d'êtres infé- rieurs capables de vivre à l'abri de Tair, dans des atmosphères inertes, d'azote, d'hydrogène, d'acide car- bonique. Certains ferments organisés (la levure de bière est du nombre) peuvent vivre, se multiplier, présenter, en un mot, toutes les manifestations de la vie, sans air. M. Pasteur s'est attaché àdémontrer que la fermentation alcoolique est essentiellement un phénomène vital qui se passe à l'abri du contact de l'air, dans un liquide plus ANAÉROBIES. 185 OU moins chargé d'acide carbonique, mais entièrement privé d'oxygène. Dans un liquide ainsi constitué, les globules de levure se multiplient et donnent lieu aux produits de la fermentation. La levure est donc capable de vivre sans air : c'est un être anaérobie, pour employer l'expression de M. Pasteur, et c'est dans ces circon- stances que la propriété fermentifère atteint son plus haut degré d'intensité. Mais la levure, le Saccharomyces- cerevisiœ^ peut également vivre à l'air, lorsqu'on l'étalé en couche très-mince à la surliice de corps humides; alors son mode de nutrition est changé, il est aérobie, et la propriété fermentifère est à son minimum ; le sucre n'est pas dédoublé en alcool et acide carbonique, mais brûlé d'une manière plus complète. M. Pasteur s'est attaché à démontrer que beaucoup d'êtres inférieurs, de mucédinées, aspergillus, mu- cor, etc., sont dans le même cas que la levure, c'est-à- dire peuvent vivre avec ou sans air, en éprouvant des modifications remarquables, en passant d'un état à l'autre. Cohn, Rees, Traube et d'autres expérimenta- teurs ont vérifié ces faits. Enfin, il y aurait d'autres êtres qui seraient exclusivement anaérobies^ c'est-à-dire incapables de vivre au contact de l'air : tels sont les fer- ments butyriques. Le fait qu'il est des êtres vivants dont la vie peut se poursuivre activement à l'abri de l'air est pour nous d'un grand intérêt. Cependant, il faudrait mieux con- naître les circonstances du phénomène avant d'y voir une exception à la loi commune. C'est ainsi que l'on a considéré la nutrition de la levure à l'abri de l'air 186 RÉSISTANClï A l' ASPHYXIE. comme une confirmation de la loi qui fait de l'oxygène une nécessité de la vie. Le saccharomyces, en efTel, lorsqu'il provoque la fermentation dans la cuve, dédou- blerait le sucre pour s'emparer de l'oxygène. On a même donné la formule chimique de la réaction qui s'accomplit alors. Les 95 centièmes du sucre transformé subiraient la fermentation d'après la formule ancien- nement donnée par Gay-Lussac : C'-H'-O'- ^ 2G*H«0- + 4C0' Sucre. Alcool. Les 5 centièmes restant fourniraient de l'acide succi- nique et de la glycérine, suivant l'équation suivante donnée par M. Monoyer: 4(C"H'^0"; + 6H0 = C«H*0'' + eC^H-'O^ + 4C0- + 20 ^ide .Glycé- succi- rinc. nique. Et cet oxygène en excès servirait précisément à la res- piration de la levure. Quoi qu'il en soit de ces cas remarquables, lorsque Ton considère les êtres plus élevés, la respiration ne saurait plus faire défaut. Dans les cas oii les apparences seml)lent contredire cette nécessité, il s'agit simplement de faits de résistance à l'asphyxie, résistance plus ou moins prolongée et inégale chez les diflerents êtres. On peut dire, en général, que la mort est d'autant plus prompte que l'animal appartient à une classe plus élevée, ou, pour mieux dire, que les phénomènes respiratoires sont chez lui plus actifs. Nous n'avons VARIATIONS DE CETTE RÉSISTANCE. 187 qu'à comparer, à ce point de vue, les animaux dits à sang froid avec les animaux à sang chaud; ou encore, nous pouvons comparer le même animal dans deux conditions différentes, dans lesquelles il se rappro- chera soit des animaux à température fixe, soit des animaux à lempérature variable. Par exemple, un oi- seau introduit sous une cloche, dans une atmosphère confinée, y vicie l'air et ne tarde pas à présenter des phénomènes d'asphyxie; néanmoins, la vie se prolon- gera plus longtemps dans ces conditions où l'asphyxie, comme l'altération de l'air, est graduelle, que si l'ani- mal eut été placé dès le début dans un air complète- ment vicié; dans ce dernier cas il s'est, pour ainsi dire, accoutumé aux conditions nouvelles qui lui sont offertes. La preuve en est dans ce fait que, si l'on introduit un second oiseau sous la cloche contenant l'air rendu irrespirable par le premier, le second oiseau meurt bien avant que le premier, placé depuis plus longtemps dans ces fâcheuses conditions, manifeste le moindre accident. C'est que, chez le premier, l'asphyxie, s'étant faite lentement, s'est accompagnée d'un abaissement de la température et d'un ralentissement de toutes les fonctions; l'oiseau est devenu dans une certaine mesure un animal à sang froid. La déchéance vitale nous donne donc la raison de cette accoutumance au milieu vicié dans lequel l'autre animal, actif et bien vivant, a péri presque immédiatement. Pourétudier l'asphyxie chez les végétaux, nous devons nous placer dans les conditions qui les rapprochent des animaux. C'est à l'ombre, à l'abri des rayons directs du 188 ASPHYXIE DES VÉGÉTAUX. soleil que les plantes respirent comme les animaux, et alors elles s'asphyxient de la même manière. La seule différence est une différence de temps. Si, au contraire, la plante est exposée au soleil dans une atmosphère confinée, un autre phénomène intervient et la fonc- tion chlorophyllienne rétablit l'atmosphère viciée dans sa pureté primitive. Le végétal exposé ainsi alterna- tivement au soleil et à l'ombre s'asphyxie et se réta- blit tour à tour d'une façon pour ainsi dire indéfinie. De par la fonction chlorophyllienne, le végétal a le moyen de vivre dans une atmosphère inerte ou impropre à la vie, telle qu'est l'acide carbonique, à la condition que la lumière directe du soleil intervienne pour refaire périodiquement sa provision d'oxygène épuisée. Il ne faut pas oublier, toutefois, que la chlorophylle accom- plit un phénomène essentiellement vital et qu'en consé- quence ce phénomène lui-même a besoin d'oxygène pour s'exercer. M. Boussingault a vu que dans une atmosphère absolument privée d'oxygène la plante s'asphyxie et meurt; la cellule chlorophyllienne est altérée, elle devient impuissante à fixer le carbone et à refaire la provision d'oxygène. Avec des degrés d'intensité différents, la respiration est une fonction de tous les âges dans tous les êtres vivants. L'oxygène intervient dès le début de la vie. L'œuf de l'animal respire à travers son enveloppe; si on le couvre d un enduit impénétrable, il meurt par asphyxie. Chez les végétaux, la graine respire et la réunion de toutes les autres conditions nécessaires à la germination est insuffisante à assurer son développe- RÉSISTANCE DES JEUNES ANIMAUX A l'aSPHYXIE. 189 ment, si l'air lui manque. Les graines soustraites àl'air, conservées dans les silos ou enfoncées à de grandes profondeurs, restent inertes. Elles sont dans les mêmes conditions que l'œuf dont on a arrêté la respiration et le développement en l'enduisant d'un vernis. La vie toutefois n'est pas complètement supprimée ; elle est demeurée latente et se manifeste de nouveau quand la graine retrouve les conditions qui lui faisaient défaut. C'est là tout simplement un nouveau cas particulier de résistance prolongée à l'asphyxie. La graine qui a commencé à germer conserve, quoi- que à un degré moindre, cette résistance à l'asphyxie. L'expérience que nous avons citée, de Th. de Saussure, en est la preuve. On arrêtait le développement d'une graine en germination (blé) en supprimant l'air et l'eau : on voyait le développement recommencer lorsque l'on rendait les conditions d'aération et d'humidité. Le mo- ment où la graine cesse de résister et de survivre à ces alternatives des conditions favorables et défavorables est marqué par l'apparition de la chlorophylle. La plante perd à ce moment cette faculté de résistance, que nous pourrions appeler reviviscence, en la comparant aux phénomènes qui nous sont offerts par les animaux rotifères, les tardigrades et les anguillules. C'est un fait d'observation commune que les animaux jeunes présentent une résistance particulière aux causes d'asphyxie, et cet exemple est à rapprocher de celui de la graine ou de la plante embryonnaire que nous venons de rappeler. 11 y a certains cas qui semblent ne pouvoir rentrer i90 RÉSERVE d'oxygène. dans les condilions précédemment fixées. La rapidité de l'asphyxie est, avons-nous dit, proportionnée à l'acti- vité respiratoire. Cependant, toutes choses égales d'ail- leurs, la résistance semble tenir quelquefois à quelque circonstance inhérente à l'individu, à ce que l'on est convenu d'appeler en médecine une idiosyncrasie parli- culière. Mais ces différences individuelles rentrent elles- mêmes dans la règle commune, et tiennent à des con- ditions dont on n'avait pas su tenir compte. Gréhant a observé que les poissons que l'on tire de l'eau pour les transporter dans un milieu privé d'air résistent à l'asphyxie pendant des temps très-inégaux. C'est qu'ils ne sont point placés au début dans un état identique. Si l'on veut égaliser les conditions et les ramener toutes au même point, il faut opérer de la manière suivante : on laissera les poissons à l'abri de l'air dissous jusqu'au moment où ils seront sur le point de s'asphyxier, puis on les replacera dans l'eau aérée où ils se rétabliront. Les animaux, par là, sont rendus comparables. Si on les soustrait de nouveau à l'eau aérée et qu'on les laisse asphyxier, on voit alors que, chez tous, la mort sur- vient au bout d'une durée égale. 11 semble donc que pour la respiration comme pour la nutrition il y ait une certaine réserve qui permette à la fonction de continuer quelque temps après qu'on lui en a enlevé les moyens. L'oxygène se combinerait en quelque sorte aux tissus, de manière à constituer une provision qui se dépenserait lorsque l'animal ne pour- rait se ravitailler au dehors. Cette explication, la plus probable que l'on puisse donner pour les faits ])récé- RÉSERVE d'oxygène. 191 dents, est corroborée par ce que l'on sait de la contrac- tion musculaire; le muscle absorbe plus d'oxygène pendant le repos et il en dépense davantage pendant l'état d'activité : il semble accumuler des réserves qu'il dépense brusquement lorsqu'il est nécessaire. Les réserves inégales chez les animaux pris en appa- rence dans les mêmes conditions nous expliqueraient leur inégale résistance à la privation d'air. Quand ils ont épuisé leurs réserves, ils se trouvent ramenés à des conditions identiques, leur résistance à l'asphyxie rede- vient la même, et ils succombent après un laps de temps égal. LEÇON XIII Troubles des méeaniiimeH respiratoires. — I^a pression. Sommaire. — Parmi les effets du changement de pression, il faut distinguer les effets du changement lui-même, augmentation ou diminution, et les effets de la rapidité du changement. EffiHs de la diminution de pression : anoxy- liémie, mal des ballons, mal des montagnes. — Effets de l'augmentation de pression : accidents convulsifs. M. Bert démontre que la variation de pression agit non pas en tant que variation mécanique, mais en tant que variation chimique de la composition de l'air. Influence de l'oxysènc sur les animaux et les végétaux. Parmi les circonstances qui peuvent troubler le mé- canisme respiratoire et retentir consécutivement sur l'organisme tout entier, nous citerons la pression atmo- sphérique. Les faits d'observation vulgaire ont révélé, avant les études expérimentales, l'influence que les modifications de la pression barométrique pouvaient exercer sur les animaux. M. Bert a réuni dans une étude d'ensemble ces phénomènes épars, et il en a fourni l'explication. Il a montré par une analyse expérimentale très-ingénieuse que les effets du changement de pression barométrique se rapportaient à deux conditions distinctes: d'une part, la rapidité du changement de pression jjeut par elle-même déterminer des phénomènes particuliers, surtout lorsque l'on passe d'une pression plus forte à une pression moindre; d'autre part, raugmentation et la diminution MAL DES MONTAGNES. 193 de pression peuvent avoir par elles-mêmes et indépen- damment du plus ou moins de rapidité avec laquelle on les a obtenues, une influence qu'il importe d'étudier. Ces deux questions doivent être séparées : il y a lieu de distinguer les effets de Y augmentation et de la diminu- tion de pression, — des effets de la décompression brusque. Les actions de ce genre ont, avons-nous dit, frappé, de tout temps, l'attention des plus vulgaires observa- teurs. L'homme est fréquemment soumis à des pressions bien différentes de la pression normale de 76 centi- mètres. Lorsqu'il s'élève sur les montagnes, l'air se raréfie peu à peu, et cette condition nouvelle se traduit par des accidents dont l'ensemble est désigné par le nom de 7nal des montagnes. La marche devient difficile, le voyageur sent ses jambes alourdies ; la respiration s'ac- célère, elle devient anhélante ; le cœur bat rapidement. Bientôt apparaissent des bourdonnements d'oreOles, des vertiges ; le malaise s'accentue, des nausées apparaissent. Tous les voyageurs explorateurs, la Condamine, de Saussure, Humboldt, Boussingault, Martins, les frères Schagintv^'Cit, ont décrit ces phénomènes qu'ils avaient éprouvés. Généralement, en Europe au moins, c'est à la hauteur de 3000 mètres que les accidents arrivent, la pression étant de 50 centimètres. Les aéronautes, ceux au moins qui se sont élevés à de grandes hauteurs (supérieures à 4000 mètres), ont ressenti des accidents analogues qui mettaient en danger leur vie ; et de fait, il y a dans les annales de la science des exemples célèbres, et quelques-uns récents, du péril CL. BERNARU. 194 ANOXYHÉMIE DES HAUTS PLATEAUX. qu'il y a pour l'homme à s'élever à une très-grande hauteur. Le point le plus haut de l'atmosphère a été atteint par les aéronautes anglais Coxwell et Glaisher, dans leur ascension du 5 septembre 1862. Ces aéronautes ont dépassé le niveau de 8800 mètres, la pression n'étant plus que de 24 centimètres. A une hauteur que l'on évalue à 10 000 mètres, l'un des observateurs tomba inanimé au fond de la nacelle, et ne revint à lui que lorsque le ballon eut quitté ces régions. Un des pigeons que contenait la nacelle était mort. Il est établi par cet exemple et par d'autres, par l'accident de MM. Crocé et Spinelli, que les régions supérieures de l'atmosphère sont impropres à la vie animale, et qu'il y a une bar- rière supérieure imposée en hauteur aux excursions de l'homme et des animaux. Enfin, à 3000 mètres, sur les hauts plateaux des Andes en Amérique, sur les plateaux du Mexique à 2000 et 2500 mètres, en Asie dans les vallées du Tibet, à 4800 mètres, vivent des populations soumises habituel- lement à une pression bien inférieure à la pression normale de 76 centimètres. Cette condition n'est pas sans influence sur leur état de santé ou sur l'évolution par- ticulières et les accidents de leurs maladies. En ce (|ui concerne le Mexique, le docteur Jourdanet a vu que les habitants des hauts plateaux étaient dans une condition particulière d'anémie, et que cette disposition se traduisait toutes les fois qu'une njaladie venait les frapper. Ces différents états, anoxyhémie des hauts plateaux, mal des ballons, mal des montagnes, sont autant de phé- ACCIDENTS DE DÉCOMPRESSION. 195 nomèiies liés aux perturbations du mécanisme respira- toire. D'autre part, l'homme .est éa^alement soumis à des conditions de pression exagérée : les ouvriers qui tra- vaillent au moyen de l'air comprimé au fonçage des piles de ponts, au forage des puils de mine; les plongeurs qui descendent à l'aide du scaphandre dans les profondeurs de la mer pour y recueillir les perles, le corail ou les éponges; tous ces hommes supportent des pressions d'air supérieures de beaucoup à la pression atmosphérique. Des accidents très-nombreux ont été observés : les ouvriers qui travaillent dans l'air fortement comprimé contrac- tent une cachexie particulière caractérisée par la dimi- nution des forces, des troubles nerveux, des trouble circulatoires, des troubles gastriques et l'aspect terne de la peau. Les accidents, lents à se développer, font place, quelquefois, à des accidents aigus : démangeaisons de la peau (puces, dans le langage des ouvriers), douleurs musculaires avec gonflement (moutons) ; les vertiges, les paralysies, paraplégies et la mort subite ne sont point rares. Mais tous ces phénomènes, il faut bien le recon- naître, sont dus plutôt à la brusquerie de la décompres- sion qu'à l'intensité de la compression. C'est seulement par l'expérience que l'on a pu connaître et discerner ce qui appartient à l'excès barométrique de ce qui revient à la brusquerie des oscillations manométriques. L'excès de pression porte en réalité son action sur les mécanismes respiratoires. M. Bert a démontré fort ingé- nieusement et fort simplement que l'excès de pression agissait non pas en tant qu'effort mécanique, mais en iOC EFFETS DE l' OXYGÈNE EN EXCÈS. tant qu'excès d'oxygène, c'est-à-dire comme moyen d'augmenter la quantité d'oxygène offerte par un volume donné de sang aux éléments analomiques. Lorsque la pression de l'oxygène augmente, la quantité pondérale du gaz renfermé dans un volume donné augmente pro- portionnellement. Or M. Bert a vu qu'avec de l'oxygène pur à 3 ou 5 atmosphères de pression on déterminait chez les animaux, oiseaux, chiens, des accidents violents, des convulsions, avec perturbation de la respi- ration et de la circulation, suppression de la sécrétion nrinaire, etc. Ces accidents convulsifs, souvent termi- nés par la mort, ont la plus grande analogie avec ceux que déterminent les poisons convulsivants les plus éner- giques, la strychnine, l'acide phénique. Nous faisons ici l'expérience sur un oiseau. L'animal est placé dans un appareil en verre épais protégé encore j)ar un grillage métallique, dans lequel on peut com- primer l'oxygène pur rapidement à 5 atmosphères. Quelques minutes s'écoulent, et vous voyez, à travers la paroi, l'animal tombé sur le flanc puis retourné sur le dos, battant des ailes d'un mouvement convulsif ; puis s' arrêtant pour retomber bientôt dans un nouvel accès. Ces accès continuent après que l'on a extrait l'animal de l'appareil déchargé et qu'on l'a abandonné, sur la table du laboratoire, à la pression normale. Au moyen d'appareils plus grands on peut répéter la même expérience avec un résultat identique, sur des animaux de plus grande taille, des lapins, des chats, des chiens, lis ont donc «(uelque chose de tout à fait gé- néral. TENSION DE l'oxYGÈNE. 197 La preuve que ces accidents ne sauraient être attri- bués à la pression en tant qu'effort mécanique, résulte de la comparaison que l'on peut faire des effets produits par des atmosphères différemment riches en oxygène. Si, au lieu de placer l'animal dans Foxygène pur, on emploie des atmosphères de moins en moins riches, la pression à laquelle doit être porté l'animal pour que les accidents apparaissent devient de plus en plus grande. S'il s'agit de l'air ordinaire, c'est une pression de 15 à ^0 atmosphères qui produit les effets d'une pression de o à 5 d'oxygène pur. L'effort mécanique peut devenir infiniment plus puissant si, d'autre part, la proportion centésimale d'oxygène reste faible, sans que l'on observe aucun phénomène particulier. Ce n'est donc point par l'effort mécanique, mais par la quantité d'oxygène que la tension intervient. La limite est toujours la même pour les animaux d'une même espèce, et l'on peut résu- mer les observations précédentes en disant, par exemple, que chez les chiens les accidents apparaissent lorsque la tension de l'oxygène dans le mélange respiratoire dé- passe de 3 à 5 atmosphères. Les faits étant constatés, on en a cherché l'explica- tion ou du moins le mécanisme. Le changement de pression, qui équivaut à une modification de composition atmosphérique, détermine un changement correspon- dant pour la teneur du sang en oxygène. Le sang ren- ferme une plus grande quantité de ce gaz. Dans les conditions ordinaires la quantité d'oxygène varie de 18 à 28'"' pour iOO''' du liquide sanguin; dans les atmo- sphères comprimées, au moment où les accidents sur- 198 INFLUENCE SUR LA GERMLXATION. gisseiit cette proportion s'élève à 35 pour 100. Il est à remarquer que l'oxygène étant combiné à l'hémoglobine dans le globule rouge, cette combinaison une fois sa- turée n'est pas susceptible de retenir une quantité d'oxy- gène supérieure, malgré la pression croissante. Aussi Taugmenlation d'oxygène porte non pas sur la partie combinée au globule, mais sur \^ partie dissoute dans le plasma. Les observations ont en effet prouvé que ces excès d'oxygène du sang croissaient comme les pressions elles-mêmes, ainsi que l'exige la loi de Dalton sur les dissolutions gazeuses. L'excès de pression et l'influence fâcheuse qu'il peut exercer sur la vie, se font sentir aux végétaux comme aux animaux, et il y a également chez eux quelque mécanisme atteint. M. Bert a, en particulier, étudié l'influence de l'air comprimé sur la germination. En expérimentant sur diverses graines de ricin, melon, soleil, belle-de-nuit, cresson, radis, il a vu qu'à 5 atmosphères la germi- nation était ralentie; qu'à 10 atmosphères elle deve- nait très-pénible; qu'à \^ atmosphères elle cessait, qu'elle était complètement empêchée. Des atmosphères suroxygénées donnent le même résultat; au contraire, l'air comprimé, mais sans oxygène ou sous-oxygéné, n'arrête pas la germination, preuve que ce n'est point l'action de la pression qui intervient, mais celle de l'oxy- gène. Enfin, pour montrer la généralité de cette action, on l'a étendue aux tissus séparés du corps et aux orga- nismes élémentaires. Une expérience comparative faite avec trois lots identiques de muscles soumis, l'un à la COMPRESSION DES FERMENTS. 199 pression normale, l'autre à celle de 2^ atmosphères, le troisième à celle de 40 atmosphères, a montré que la respiration et l'altération du tissu étaient complètement empêchées dans le dernier cas, faibles dans le cas pré- cédent, très-rapides lorsque la pression était normale. Les ferments figurés, organismes élémentaires qui déterminent les fermentations, se comportent comme les animaux et les plantes sous l'influence de l'excès de pression. L'action de la levure est arrêtée; de même celle du Mycoderma aceti; de même, enfin, les phéno- mènes de putréfaction déterminés par des organismes peuvent être entravés. Des tissus végétaux ou animaux, soumis à la compression préalable, peuvent ensuite être conservés indéfiniment sans altération. M. Bert a déduit de l'emploi de l'oxygène ou de l'air comprimé un moyen de distinguer les deux espèces de ferments aux- quels les physiologistes ont affaire: les ferments figurés, dont l'action est arrêtée, comme nous venons de le dire; les ferments solubles qui, au contraire, conservent toute leur activité. La diminution de pression agit comme un simple agent asphyxiant. Les végétaux et les animaux sont d'ailleurs sensibles les uns et les autres à l'action de la dépression. Pour les végétaux, la germination est altérée par degrés; elle se fait moins vite lorsque la pression s'abaisse; enfin elle se suspend complètement lorsque la tension de l'oxy- gène descend au-dessous de 42 centimètres. Ce n'est pas la dépression en tant qu'effet mécanique qui inter- 200 DIMINUTION DE IRKSSION. \'ient ici, c'est rappauvrissement en oxygène. On en a la preuve en conservant l'air à la pression normale, mais en l'appauvrissant en oxygène : la germination est progressivement entravée. D'autre part, abaissons la pression, mais en suroxygénant : l'effet ne se pro- duit plus, el l'on a obtenu des germinations avec des atmosphères suroxygénées à 4 centimètres. Les expériences sur les animaux ne sont pas moins nettes; elles montrent que l'oxygène est nécessaire à l'animal en proportions déterminées, et que la diminu- tion de pression n'a d'effet qu'autant qu'elle entraîne une diminution correspondante d'oxygène. M. Bert place un animal, un oiseau, dans l'air confiné, et il examine la composition de l'atmosphère au moment où l'animal meurt ; il constate (|ue cette composition est toujours la même. La mort survient au moment où la tension de l'oxygène est de 3 à 4 centièmes d'atmo- sphère. Le chiffre qui exprime la tension de l'oxygène dans Tair mortel est donc sensiblement constant. Un animal soumis à une diminution croissante de pression est semblable à un animal qui s'asphyxie en vase clos dans Tair ordinaire. Le voyageur qui, s'élevant sur le flanc d'une montagne, sent le malaise l'arrêter à la pression d'une demi-atmosphère, est malgré la pureté proverbiale de Tair, asphyxié comme le mineur qui vit dans un air insuffisamment oxygéné. La mort arrive pour un animal placé en vase clos dans un air de moins en moins altéré, aux pressions très-faibles, et vers la fin dans un air presque pur. Due expérience capitale (|ue nous répétons devant DÉPRESSION LIMITE. ^01 VOUS fournit la preuve du bien fondé de cette explica- tion. Un oiseau ou un rat étant placé sous une cloche sur la platine de la machine pneumatique, on fait le vide dans l'appareil. L'animal chancelle sur ses pattes après une légère excitation, puis il tombe sur le flanc. Le manomètre montre que la pression est alors de 25 cen- timètres. On peut répéter l'expérience plusieurs fois de suite et laisser revenir l'animal, à la condition de ne point prolonger cet état limite. Ce. n'est point la dépression mécanique produite par cet abaissement de pression qu'il faut accuser du ma- laise et des perturbations éprouvés par l'animal. En effet, on peut, si l'on introduit de l'oxygène, descendre beaucoup plus bas sans que l'animal manifeste aucun trouble. Nous voici à 18 centimètres, alors que l'oiseau n'avait pu s'abaisser précédemment au-dessous de *^5 centimètres. Nous voyonsparconséquentque l'on peut corriger la diminution de pression par l'augmentation de la quantité d'oxygène. La limite à laquelle les accidents arrivent est con- stante pour un même animal, mais variable d'un ani- mal à l'autre. Les reptiles résistent longtemps. Pour les chiens le phénomène se produit lorsque l'air est à 8 0/0 d'oxygène ou, d'une autre façon, lorsque la pres- sion s'abaisse à 40 centièmes de la pression normale. Les accidents qui se manifestent dans l'air décom- primé et qui se terminent par la mort ont la plus grande analogie avec l'asphyxie. Ils ont été observés expéri- mentalement sur les animaux et sur l'homme. La respi- ration est affectée dans son rhythme, qui est troublé, 202 MODIFICATION DU SANG. irrégulier. Les mouvements respiratoires s'accélèrent, les battements du cœur sont plus rapides, la pression du sang s'abaisse; des malaises se manifestent, des nau- sées, des vomissements. 11 y a affaiblissement et impos- sibilité de se mouvoir, altération de la sensibilité et perte de connaissance. On a étudié les modifications du sang, et les analyses ont permis de constater que la quantité d'oxygène con- tenue dans le sang artériel diminue promptement quand la pression s'abaisse au-dessous de la normale. La diminution de l'oxygène est d'abord très-faible: elle ne paraît porter que sur Toxygène dissous dans le plasma. C'est là ce qu'avait vu Fernel en opérant à la température de 15 degrés entre des pressions de 64 à 76 centimètres. Mais la combinaison oxygène-hémoglobine du globule sanguin se dissocie bientôt lorsque l'on pousse l'abaisse- ment de pression au delà des limites dans lesquelles s'était renfermé Fernet. Il résulte de là qu'un sang moins oxygéné entoure les éléments anatomiques, et l'animal soumis à la dépression meurt par suite d'une véritable asphyxie. LEÇON XIV Rôle do l'oxygène. — Coiultustion respiratoire. Sommaire. — Principe de la théorie de Lavoisier. Ce principe reste vrai ; les détails de la théorie sont inexacts. Expériences de Dulong et Despretz, de Regnault et Reiset. — Il ne se forme pas d'eau dans l'organisme par combustion directe. La respiration n'est pas une combustion; c'est une fermentation. Le phénomène si général que nous venons d'étudier et qui est commun aux deux règnes, le phénomène de la respiration, ne pouvait être connu avant que l'on possédât des notions exactes sur la composition de l'air et qu'on sût ce qu'était l'oxygène. Les théories par les- quelles on expliquait le but et les résultats de la res- piration ne pouvaient qu'être entièrement hypothéti- ques. Toutes ces hypothèses sont tombées devant la théorie de Lavoisier. Lavoisier a compris le lien qui unissait la respiration et la calorification dans l'être vivant, et il compara cette production de chaleur, but dernier delà respiration, avec une combustion chimique. Le plus obscur des faits vitaux, cette création de cha- leur qui naît et persiste avec la vie et qui fait place au froid de la mort, cette flamme qui échauffe et vivifie, cette chaleur innée des anciens, tout cela s'est dissipé et l'on n'a plus retrouvé dans l'être vivant qu'un phéno- mène de l'ordre général, tout analogue à ceux qui ^204 THÉORIE DE LAVOISIER. s'accomplissent dans la nature inorganique. L'essence même de la doctrine de Lavoisier est dans cette affir- mation qu'il n'y a pas deux chimies, deux physiques, l'une qui s'exercerait dans les corps vivants, l'antre dans les corps bruts : il y a, tout au contraire, des lois générales applicables à toute substance, où quelle soit engagée, et qui ne subissent nulle part d'excep- tion. Le progrès des temps n'a fait que rendre plus évi- dent ce principe fondamental qui assimile les manifes- tations des agents physiques dans les animaux et en dehors d'eux. Mais si le principe môme de la doctrine de Lavoisier a reçu de l'expérience une consécration définitive, il n'en est pas de même de la formule et des détails. Peu à peu la doctrine a reçu dans ses parties accessoires des atteintes et des échecs si nombreux et si décisifs, qu'il n'en peut plus rien subsister, sinon ce principe général et philosophicpie qu'il n'y a qu'une science et qu'un ordre de forces naturelles. Le reste doit dispa- raître. Ainsi, tandis que beaucoup de physiologistes et tous les auteurs élémentaires enseignaient la théorie de la combustion respiratoire, cette théorie, tous les jours ébranlée, s'écroulait. Aujourd'hui cet effondrement est consommé; la théorie de Lavoisier est renversée, mais il est juste de dire que la théorie nouvelle qui doit lui succéder est seulement entrevue. Nous sommes dans une époque de transition, où les progrès ont été assez grands pour que l'œuvre négative de la critique fût pos- sible, mais non l'œuvre active qui édifiera la doctrnie CRITIQUIi DE CliTTE TIIÉORIK. ^05 définitive. Cependant, je le répète, il est déjà possible d'entrevoir les roules nouvelles, et je compte, quant à moi, vous faire connaître; quelles idées l'étude et la méditation de ces problèmes a fait naître dans mon esprit. La théorie de Lavoisier, lumineuse dans son principe, fausse dans son expression, consistait à assimiler la res- piration à une combustion véritable, et à assigner le poumon comme lieu de cette com_bustion. Malgré les restrictions que Lavoisier laissait subsister sur ce dernier point, quelques-uns de ses contemporains et de ses suc- cesseurs ont été à cet égard moins prudents et plus affirmalifs. L'oxygène introduit par la respiration péné- trait dans le poumon, y rencontrait le sang, brûlait son carbone et s'échappait à l'état d'acide carbonique. Chacun de ces points a été examiné successivement et contredit : d'abord la localisation dans le poumon, puis la combustion des matériaux du sang, la com- bustion du carbone. Qu'est-ce qui a fait dire que la respiration était une combustion? Dans la combustion du carbone, telle qu'elle s'accom- pht dans les foyers, l'oxygène se fixe sur le charbon et fournit un égal volume d'acide carbonique : il y a en même temps dégagement de chaleur. Or, l'air qui entre et l'air quisort du poumon ont, sui- vant Lavoisier, respectivement la composition de l'air qui entre dans un foyer et qui en sort. Plus tard, Duloug et Desprelz firent une tentative qui leur parut vérifier indirectement la théorie régnante. 206 ÉLÉMENTS RESPIRATOIRES Ils mesurèrent la quantité de chaleur qui devait être produite dans un temps donné pour maintenir le corps au niveau thermique qu'il n'abandonne jamais ; ils com- parèrent cette quantité de chaleur à celle qui résulterait de la combustion correspondant à l'acide carbonique produit dans le même temps. Ils trouvèrent un accord satisfaisant entre ces deux valeurs de la chaleur calculée et de la chaleur mesurée d'après l'hypothèse que nous avons dite. Cet accord ne saurait être qu'une pure coïn- cidence; et Dulong, plus tard, a bien reconnu les im- perfections de son travail et regretté sa précipitation. Il y a certainement dans l'organisme une multitude de phénomènes qui engendrent de la chaleur ou en absor- bent et qui devraient intervenir dans l'équation : les changements d'état, les formations de produits inter- médiaires, etc., sont du nombre. Quoi qu'd en soit, ces difficultés n'apparurent que plus tard, et l'on put croire à ce moment que la théorie régnante avait reçu un nouveau lustre des expériences de Dulong et Despretz. Liebig complétait d'ailleurs la théorie en distinguant dans le sang des substances com- bustibles, c'est-à-dire destinées à combiner leur car- bone avec l'oxygène. Il reconnaissait dans le liquide sanguin et dans les aliments (dont, selon lui, le liquide sanguin n'était que la dissolution) deux espèces de substances. Le premier groupe est celui des substances ternaires ou hydrocarbonées, qui par leur combus- tion entretiendraient la chaleur de l'organisme et mé- riteraient, à raison de leur rôle présumé, le nom de substances respiratoires. D'autre part, il y avait, selon DÉFICIT d'oxygène. 207 Liebig, une autre classe de substances, les albuminoïdes, ou substances azotées ou quaternaires, qui ne sont point modifiées par la respiration, qui ne servent pas à la producti(ni calorifique: ce sont les substances plas- tiques destinées à rétablir les tissus usés. C'est le plus haut point qu'ait atteint la théorie. Mais bientôt les expériences de Regnault et Reiset vinrent lui faire subir un premier et très-grave échec. Si la respi- ration équivaut à la combustion du carbone du sang ou des tissus, il faut que l'oxygène absorbé et l'acide carbo- niqne exhalé soient en volumes égaux. Le rapport — - doit être ésfal à l'unité. CO' ^ Or, l'expérience ne vérifiait point cette conclusion. Chez les herbivores le rapport ^^^ était généralement plus grand que l'unité; il était plus petit chez les carni- vores. Ainsi le rapport était variable. Le rapport — - est le plus généralement supérieur à l'unité; c'est-à-dire que tout l'oxygène absorbé ne se retrouve point dans l'acide carbonique exhalé : il y a un déficit. On admit que ce déficit s'expliquait par la combustion de l'hydro- gène, et que l'oxygène qui n'entrait pas dans l'acide carbonique servait à brûler l'hydrogène et à former de l'eau. C'est là une hypothèse bien gratuite puisqu'elle a pour point de départ un fait (le défaut de CO^ <,0) qui lui-même n'est pas constant. C'est pourtant en admettant que tout l'oxygène in- troduit s'est brûlé et a été changé en acide carbo- 208 NON-FORMATION DE l'eAU. nique et eu vapeur d'eau que Dulong et Desprez avaient établi leur équation. Se forme- t-il véritablement de l'eau dans la respira- tion ? Le fait ne nous parait i)as probable ; en tout cas il n'est pas établi. Il faudrait montrer que la quantité d'eau change dans l'organisme par le fait de l'introduc- tion d'oxygène. Les expériences sont plutôt contraires que favorables à cette supposition, et il est assez vrai- semblable que l'eau ne peut qu'être introduite du dehors et non point prendie naissance dans l'organisme. Voici une expérience qui conclut contre l'hypothèse de la formation de l'eau : V Quand on fait sécréter la glande sous-maxillaire, il y a augmentation de chaleur, et l'on observe que le sang veineux qui sort de la glande contient moins d'eau que le sang artériel qui y pénètre; 2° la quantité d'eau qui manque dans le sang veineux se retrouve sans excès dans la salive. Ainsi, pendant cette combustion énergique il ne semble pas qu'il y ait eu production d'eau en quantité appréciable. Mais la théorie de la combustion directe implique une autre conséquence : c'est qu'il ne pourrait y avoir de production de chaleur sans l'intervention de l'oxy- gène. Or, l'expérience de Spallaiizani et celle de William Edwards, qui plongeaient une grenouille dans 1 hy- drogène et recueillaient quchpie tenqis après de l'acide carbonique, prouvent que l'acide carbonicpie ne pro- vient point d'une fixation immédiate de l'oxygène sur OBJliCTiONS. 209 le carbone de l'organisme, pnisqu'ici l'oxygène libre avait été entièrement chassé. L'expérience de Gay-Lussac et Magendie que j'ai citée ailleurs tend à la mênfie conclusion. Je rappelle que du sang privé d'oxygène et d'acide carbonique par un cou- rant prolongé d'hydrogène, ayant été abandonné à lui- même pendant vingt-quatre heures, se trouva chargé d'nne quantité notable d'acide carbonique. Cette for- mation d'acide carbonique au sein d'une atmosphère d'hydrogène ne pouvait cette fois êlre rapportée à une combustion directe. Les principales conséquences qu'entraîne la théorie de la combustion directe sont donc infirmées. Celte théorie implique en effet : 1" L'intervention directe de l'oxygène pour la forma- tion de l'acide carbonique. Les expériences de William Edwards, de Gay-Lussac et Magendie montrent qu'il n'en va pas ainsi. 2° L'égalité des volumes d'oxygène absorbé et d'acide carbonique restitué. L'expérience a contredit cette vue (Regnault et Reiset). Il est vrai qu'on a cru éviter la contradiction en admettant qu'il y avait formation d'eau ; mais celte for- mation d'eau est exclusivement hypothétique, et semble même contraire à la réalité. 3° Enfin, il faut que la chaleur produite soit en rap- port avec l'acide carbonique dégagé ou au moins avec l'oxygène absorbé. L'expérience contredit enfin cette dernière façon de voir. CL. F.ER^'ARD. — Phénomènes. ii. — 14 ^10 FONCTIONNEMliM DES GLANDES. Je parle ici des expériences sur la glande sous- maxillaire. A l'état de repos, le sang artériel qui pé- nètre dans la glande est plus chaud que le sang veineux qui s'en échappe. A l'état d'activité, c'est l'inverse qui a lieu. De plus, le sang veineux qui sort pendant que la glande sécrète est plus voisin que jamais du sang arté- riel par sa composition. Il contient moins d'acide car- bonique que dans le repos. Il semble donc que la com- bustion soit moins active pendant que la production de chaleur est plus grande. On pourrait objecter, il est vrai, que la quantité de sang qui traverse la glande en activité étant quarante- cinq fois plus considérable dans le môme temps, la com- bustion peut être néanmoins plus active et l'acide car- bonique produit en proportion supérieure. Il faudrait, pour apprécier la valeur de cette objection, pouvoir faire un calcul dont on n'a pas les éléments; mais on peut y répondre d'une autre manière. a. On peut lier la veine de manière à arrêter le cours du sang et provoquer la sécrétion : on constatera l'élévation de température sans que le dégagement d'acide carbonique soit en proportion de celte produc- tion de chaleur. b. On peut enlever rapidement la glande, la séparer de ses connexions sanguines : Texcitation détermine en- core une élévation de température qui ne saurait être rapportée à l'absorption de l'oxygène du sang. Enfin, les expériences sur la contraction musculaire viennent achever la démonstration. Tandis que pendant l'activité de la glande le sang dt le CONTRACTION MUSCULAIRii. '2'1'J vient plus rouge parce qu'il y a moins d'acide carbonique qu'au repos, c'est l'inverse qui a lieu pour le muscle. Il ne semble guère possible de rattacher à un même phé- nomène, à savoir, la combustion, ces phénomènes de calorificalion qui se produisent dans des conditions exactement opposées. D'ailleurs, on sait que le muscle absorbe moins d'oxygène précisément pendant la con- traction, c'est-à-dire alors qu'il rejette une plus grande proportion d'acide carbonique. Ajoutons encore que le muscle exsangue, séparé du corps, peut encore se con- tracter et produire de la chaleur. Et si l'on objectait alors qu'il renferme encore dans son épaisseur du sang et des globules chargés d'oxygène, on répondrait à celte objection en lavant le muscle avec du sang oxy- carboné qui ne peut plus contenir d'oxygène, et qui n'empêche pas la contraction de se produire. Ajoutons enfin comme dernier argument que l'acide carbonique et l'eau ne sont pas les seuls termes de la combustion qu'on suppose s'accomplir. L'urée dérive des albuminoïdes de l'organisme par fixation d'oxygène. Or, Frànkel a observé que pendant l'asphyxie loin que la quantité d'urée diminue ainsi que les autres produits d'oxydation, elle augmente au contraire. Il résulte de toutes ces considérations que la théorie de la combustion directe n'est pas l'expression de la réalité. La vérité n'est pas aussi simple, et Lavoisier n'a pu proposer sa théorie que parce qu'il n'était point phy- siologiste, et qu'il n'était pas habitué à la complication des phénomènes qui s'accomplissent dans l'organisme. Tout ce que l'on peut dire, et ce résultat est assez 2] 2 FERMENTATION RfiSPIRATOIRH. grand pour la gloire du plus ambitieux, c'est que Lavoi- sier a établi ce principe capital que : La respiration est Y équivalent d'une combustion. Quant au mécanisme de ce phénomène, il faut se mettre do nouveau cà sa poursuite. Est-ce à dire, parce qu'on' est obligé de changer le mécanisme trop simple imaginé par Lavoisier, que l'on doive revenir aux idées vitalistes et considérer la respiration comme un phéno- mène mystérieux d'essence vitale, irréductible, produi- sant la chaleur animale par un mécanisme qui ne se retrouverait que dans les êtres vivants? En aucune façon. Le principe de Lavoisier subsiste inébranlable et nous oblige à considérer les corps vi- vants aussi bien que les corps bruts comme tributaires des lois générales de la nature. Quant au mot combustion, il ne peut être employé aujourd'hui que faute d'autre qui représente mieux la réalité des fails. D'ailleurs, le mot de combustion est lui-môme un mot vague que les chimistes entendent avec des acceptions différentes. Les uns le réservent pour désigner la combinai- son du charbon et de l'hydrogène avec l'oxygène, d'où résulte la production de vapeur d'eau et d'acide car- bonique. D'autres, avec M. Chevreul, appliquent ce nom à tout phénomène chimique qui engendre de la chaleur. C'est dans ce sens que l'on pourrait le conserver pour nommer l'acte respiratoire. En effet, il comprendrait alors les fermenta lions, car les fermentations sont des phénomènes qui sont susceptibles d'engendrer do la DUT ET MOYENS DE L\ IIESPIUATIOX. ilo chaleur, et par consé[iLienl elles sont, à ce point de vue, les équivalents des combustions véritables. C'est à une fermentation que nous comparons le mé- canisme de la respiration. Selon nous, on doit dire « fermentation respiratoire », et non combustion respi- ratoire. Nous sommes convaincus que plus on ira, plus on verra intervenir dans toutes les réactions de l'orga- nisme ces actions qu'on commence à mieux connaître, les fermentations. Pour nous résumer et formuler en peu de mots n.otre manière .de voir, nous disons que la respiration a essen- tiellement pour but de produire la chaleur nécessaire à la vie, et qu'elle a pour mécanisme une action du genre des fermentations. La chaleur est nécessaire à la vie de deux manières : elle sert de condition de milieu et de source d'énergie. Elle est une condition de milieu indispensable au fonctionnement vital. Cette condition est plus étroite pour les animaux supérieurs que pour les animaux in- férieurs ou les végétaux. Il faut que leur température reste constante; et il y a des mécanismes qui règlent l'activité de la production sur la rapidité de la déper- dition, de manière que ce niveau constant soit toujours maintenu. C'est là d'ailleurs pour l'animal une garantie d'indépendance : l'animal à température constante n'est plus le jouet des conditions chmatériques capables de l'engourdir ou de l'exciter. Toutefois, chez les êtres qui suivent les variations thermiques du milieu, chez les animaux a sang froid ou à température variable, la température est toujours de quelques degrés ou dixièmes ^14 PRODUCTION DE LA CHALEUR. de degré supérieure à la température ambiante : preuve de la production calorifique dans l'animal. La chaleur n'est pas seulement une condition de milieu, c'est aussi une source d'énergie. Une partie est. employée par l'être vivant à la production de principes immédiats, qui plus tard en se détruisant manifesteront cette force vive, soit à l'état de chaleur, soit sous quel- que autre forme, d'après le principe de la transforma- tion équivalente des forces physiques. Il se passe dans l'animal un travail analogue à celui qui s'accomplit dans la foiêt qui emmagasine les rayons solaires et transforme leurs vibrations en énergie potentielle : de façon que, en brûlant ce bois, on lui fera précisément restituer la force vive emmagasinée pendant sa for- mation. Quelque chose d'analogue a lieu certainement chez l'animal qui absorbe une certaine quantité de calorique pour la restituer ensuite et la dépenser dans les mani- festations vitales. Cette aI)sorption de chaleur a été mise en évidence dans le cas particulier du développement de l'œuf de poule, par M. Moitcssier. Il n'y aurait entre les animaux et les végétaux, au point de vue qui nous occupe, qu'une différence de degré : les animaux dé- pensent presque intégralement dans leurs manifesta- tions vitales de désorganisation, le calorique latent, la force vive potentielle absorbée pendant la première phase d'organisation; chez les végétaux, la dépense serait moindre, quoique encore considérable. La respiration concourrait donc, en résumé, par la production de chaleur à ce double résultat de constituer PUTRÉFACTION. ^2\o le milieu et les forces indispensables au développement vital. Voilà le but; quant an mécanisme, nous avons dit que c'était une fermentation. Quelque imparfaite que soit encore cette notion, elle s'éclaire cependant par toutes les analogies que nous présente la science phy- siologique. L'idée d'assimiler tous les phénomènes vitaux à des fermentations prend de plus en plus de racines dans la science. C'est pour ainsi dire le problème à l'ordre du jour. Hoppe-Seyler poursuit actuellement cette idée que les phénomènes chimiques qui s'accomplissent dans l'être vivant ont tous pour modèle ou pour type la fermenta- tion putride. Mitscherlich avait déjà mis en avant cette opinion que les phénomènes qui se manifestent pendant la vie dans le corps organisé ont la plus étroite analogie avec ceux qui continuent après la mort et entraînent la destruction de ce corps. Cette vue très-profonde ne fut pas comprise. Toutefois elle est incomplète, à m.on avis. Je crois que Hoppe-Seyler, Pflùger, comme autrefois Mitscherlich, n'aperçoivent qu'une face de la question. Il n'y a qu'une seule espèce de manifestations vitales dont le processus chimique soit une destruction comparable à celle de la putréfaction. Une seconde espèce, qui com- plète la première, échappe à cette définition. J'ai déjà insisté, et j'y reviens ici pour la dernière fois, sur les deux aspects qu'offrent les phénomènes de la vie. D'une part, des phénomènes d'organisation, de syn- thèse organique ou nutritive ; d'autre part, des phéno- 216 FERMENTATION DlvSTRL'CTlVb:. mènes de désorganisation, de destruction fonctionnelle. Destruction fonctionnelle, synthèse formatrice, toute la vie n'est que cela ; elle réside dans les alternatives de ces deux ordres de faits, si intimement liés d'ailleurs que les uns sont la condition indispensable des autres, et qu'ils ne sauraient se produire isolément les uns sans les autres. La combustion respiratoire répond à la manifes- tation fonctionnelle de destruction. Dans Tœuf qui se développe, le premier phénomène qui ai)paraît est un phénomène de destruction : l'œuf respire et l'organisa- tion n'est possible qu'à la condition pour ainsi dire que la destruction lui laisse la place. Je crois donc que ces deux genres de phénomènes d'analyse et de synthèse organique, qui se complètent, se conditionnent et s'enchaînent dans un inextricable réseau, formant la vie, ont les uns et les autres les plus étroites affinités (ce que l'avenir révélera de plus en plus) avec les phénomènes dès aujourd'hui connus sous le nom de fermentations. Les manifestations fonctionnelles ou destructives sont en rapport avec des agents chimiques de la nature des ferments. La combustion du muscle qui fonctionne S(M'ait une fermentation de sa substance; et l'on sait déjà les débats auxquels a donné lieu entre physiologistes cette question encore prématurée de la fermentation muscu- laire par la myosine et l'inogène. Ce sont ces phéno- mènes qui n'ont point échappé dans leur ensemble à l'attention de Hoppe-Seylei- et de Pfliiger, et que le premier de ces auteurs tend à rapporter au i)rocessus de la putréfaction. CHIMISTES, VITALISTHS. '217 Mais la contre -parlie de cette analyse organique, c'est-à-dire le phénomène de syntlièse, a échappé à leur attention. Je pense que les agents de ces ph no- mènes d'organisation synthétique sont de la nature des ferments organisés : ce sont des êtres morphologique- ment définis, des cellules et des noyaux de cellules. Ainsi les actions vitales seraient donc toutes des fer- mentations : les unes accomplies par les ferments orga- nisateurs (noyaux, germes, etc.) ; les autres par les ferments désorganisateurs (ferments solubles, etc.) ; parmi ces dernières, il faudrait ranger la respiration. Telle est la vue synthétique la plus générale qu'un physiologiste attentif au mouvement des idées et aux progrès de la science puisse fournir aujourd'hui. Je ne veux plus que tirer une conséquence de ces notions générales relativement aux doctrines et aux méthodes qui se disputent le champ de la physiologie. Les idées précédentes, qui expriment l'état actuel de la physiologie, peuvent concilier les deux écoles des chi- mistes et des vitalistes, qui travaillent à sa culture. Ces idées, en effet, établissent en môme temps l'autono- mie et l'indépendance de la science physiologique. Que veulent en effet les chimistes? Us veulent que les phénomènes de la vie aient leur type et leur modèle en dehors des êtres vivants dans les réactions de la nature brute accomplies dans les laboratoires. Que veulent les vitalistes? Ils veulent que les phénomènes de la vie soient sans analogues dans le monde inanimé, que ce soient des 218 VITALISME DE BICHÀT. actions sans pair, irréductil^les, d'une nature mysté- rieuse et proprement vitale. Tout d'abord, le vitalisme métaphysique cherchait la cause des phénomènes en dehors des êtres. Paracelse la cherchait dans les astres, d'autres dans un principe ou une force vitale. Au fond, ces deux explications se valent : la méthode scienti- fique a autant à reprendre ici ou là. Bichat lui-même s'est fait illusion : il a supprimé le principe vital, mais il en a donné la monnaie. Il l'a remplacé par les pro- priétés vitales et il en a mis partout, dans tous les or- ganes et dans tous les tissus. Et comme ces propriétés ne peuvent s'expliquer par rien, qu'elles sont irréduc- tibles, qu'elles sont elles-mêmes des principes d'action, que loin de se résoudre dans les propriétés physiques elles leur résistent, leur livrent assaut et en triomphent à l'état de santé, tandis qu'elles sont vaincues dans l'état de maladie, il est bien évident que Bichat, malgré sa prétention, n'était autre chose qu'un vitaliste décentra- lisateur, qui fragmentait simplement le principe vital. Quant à nous, nous concilions des vues qui dans la nature et dans la réalité sont conciliées. Nous croyons, avec Lavoisier, que les êtres vivants sont tributaires des lois générales de la nature, et que leurs manifestations sont des expressions physiques et chimi(|ues. Mais loin de voir, comme les physiciens et les chimistes, le type des actions vitales dans les phénomènes du monde inanimé, nous professons, au contraire, que l'expression est par- ticulière, ({ue le mécanisme est spécial, que l'agent est spécifique, quoique le résultat soit identique. Pas un phénomène chimi([ue ne s'accomplit dans le corps VITALISME DE -BIGHAT. 219 comme en dehors de lui. L'amidon animal ou végétal est transformé en sucré; mais ce n'est point par l'action des acides, c'est-à-dire parla copie des procédés dont fait. usage l'industrie, quoiqu'il y ait dans l'économie les acides convenables à cet objet : c'est par la diastase. Les matières grasses se saponifient dans la digestion ; mais ce n'est point par les alcalis, par les bases de la bile, quoique celle-ci puisse servir industriellement au dégraissage, à raison même de la faculté qu'elle possède d'accomplir cette saponification : c'est par le ferment pancréatique. Ce n'est pas par la combustion directe que se produit l'acide carbonique du muscle pendant la contraction musculaire, c'est par des ferments qu'il faudra mieux étudier, l'inogène, la myosine. Et ainsi de suite. On pourrait embrasser ces faits dans une for- mule générale : les considérer comme des conséquences d'un principe que l'on appellerait principe de la spécia- lité des mécanismes vitaux. Ce n'est pas l'action qui est vitale et d'essence parti- culière, c'est le mécanisme qui est spécifique, particu- lier, sans être d'un ordre distinct. La doctrine que je professe pourrait être appelée le vitalisme physique; je crois qu'elle est l'expression la plus complète de la vérité scientifique. LEÇON XV Fonction ehloroithyllienne et fonction re^iiiiratoire. — liCur »$ignincation pliysiologiquc. Sommaire. — La respiration proprement dite chez les animaux et les végé- taux est un phénomène fonctionnel d'ordre purement chimique. — La fonction chlorophylléenne est un phénomène de nutrition, d'ordre synthé- tique ou vital. — Moyen scientifique de distinguer les deux ordres de phé- nomènes : action des ancsthésiques. Les faits que nous venons crexposer et de rattacher à la doctrine de l'unité vitale étaient connus depuis un certain nombre d'années. Les botanistes déclaraient que ([ue les plantes respirent la nuit comme les animaux, et le jour à l'inverse des animaux ; ils avaient dû admettre une double respiration diurne et nocturne. La différence profonde de ces deux phénomènes au point de vue chimique a attiré immédiatement Tattention des chimistes. Demandons-nous, de notre côté, com- ment ces deux opérations doivent être appréciées au point de vue physiologique , quelle est leur nature et quel est leur rôle dans le fonctionnement vilal. Pour comprendre ce rôle, il est indispensable de rap- peler la distinction lumineuse (pie nous avons établie parmi les phénomènes vitaux. Nous avons ilislingué dans le travail physiolof^ique deux jiha.ses, une phase de réno- vation et une phase de destruction, inverses Tune de ACTES RESPHIATOIRES. "l^ll l'autre. Les phénomènes de destvucùon concourent, en définitive, au fonctionnement àQ l'organisme ; les phéno- mènes de mzoy«//o/z concourent à fion entretien. Au fonc- tionnement correspond toujours une iisure^ une destruc- tion moléculaire, et l'on sait, depuis Lavoisier, que cette dêsassimilation^ ou désorganisation (pour lui donner tous les noms sous lesquels on l'a désignée), a pour méca- nisme ordinaire une combustion, une oxydation de la matière vivante, source de chaleur et de force vive. La j-espiration se rattache à cet ordre de phénomènes. Nous avons dit ailleurs qu'ils avaient pour caractère général d'être produits par des agents spéciaux ou ferments, et de pouvoir encore s'accomplir en dehors de l'organisme post mortem. D'autre part, la rénovation moléculaire de [orga- nisme est la contre-partie nécessaire de la destruction fonctionnelle des organes. Cette renaissance, cette syn- thèse vitale, ce processus formatif, cette organisation, cette assimilation se dérobent aux yeux dans l'intimité des tissus. Les phénomènes de ce genre ont pour caractère de se produire sous l'influence d'agents spé- ciaux, noyaux de cellules, et seulement pendant la vie. L'action chlorophyllienne est de cet ordre. Si nous voulons apprécier les phénomènes respira- toires dont les plantes et les animaux sont le théâtre, nous devrons avoir présents à l'esprit ces deux ordres d'actes entièrement opposés dans leur nature: la dés- assimilation, phénomène fonclionnel ou de dépense vitale qui consiste dans une oxydation ou une hydra- tation d'une nature particulière qui use la matière 252 MESURE DE l' ACTIVITÉ FONCTIONNELLE. vivante dans les organes en fonction; — la synthèse assi- milatrice ou organisatrice qui forme des réserves ou régénère les tissus dans les organes considérés en repos. La respiration générale des plantes et des animaux serait un phénomène du premier genre ; l'action chlo- rophyllienne appartiendrait an second type. Il est bien entendu d'ailleurs que ces phénouiènes sont étroitement liés dans un enchaînement qu'on ne saurait rompre, et qu'ils sont réciproquement les instiga- teurs et les précurseurs les uns des autres. Nous savons que chez les animaux toutes les parties, tous les tissus, respirent avec une énergie qui est en rai- son de leur activité fonctionnelle, en raison du travail physiologique qu'ils accomplissent. Les muscles de grenouille suspendus dans cette éprouvette qui contient de l'eau de baryte vont troubler cette eau par l'acide carbonique qu'ils dégagent ; dans cette autre éprouvette semblable et qui contient une préparation analogue, nous verrons le précipité se former plus abondamment, parce que nous faisons contracter les muscles par le courant d'une bobine d'induction dont les fils pénètrent jusqu'à l'organe. Ce que nous disons du muscle est vrai de tous les organes, de tous les tissus, des glandes, des nerfs, du cerveau, qui tous respirent et d'autant plus activement qu'ils fonctionnent davantage. Nous savons du reste, à cet égard, que ce qui est vrai des tissus pris en particulier, est également vrai pour l'orga- nisme pris dans son ensemble. L'activité respiratoire est en raison directe du travail physiologique exécuté par l'individu. LA RESPIRATION. PHÉNOMÈNE FOCNTIONNEL. "^^S Des expériences de même ordre que celles que nous venons de décrire et d'exécuter devant vous nous apprennent que les tissus végétaux se comportent, au point de vue qui nous occupe, comme les tissus ani- maux. C'est une observation commune et déjà ancienne que les fruits respirent activement pendant que leur ma- turation s'achève, et que l'atmosphère dans laquelle ils ont séjourné est riche en acide carbonique. De même aussi, la fonction respiratoire est, chez les graines, en raison de l'activité physiologique : pendant la germina- tion, la combustion respiratoire est très-active, l'acide carbonique est rejeté en quantité considérable, et la chaleur produite est très-grande. Nous voyons ici de l'eau de baryte mise en présence de graines dont la ger- mination est très-rapide, comme celle du cresson, se troubler abondamment. Les exemples de ce genre sont extrêmement nom- breux. On a pu constater une combustion très-éner- gique traduite par l'élévation de température et la production d'acide carbonique dans les fleurs, dans l'androcée et le gynécée, au moment de la fécon- dation. La respiration proprement dite (absorption d'oxygène, exhalation de CO^ production de chaleur) nous apparaît donc, dans les animaux et les plantes, comme ayant une signification identique. C'est un phénomène fonction- nel, de nature purement chimique, qui se passe pendant la vie à laquelle il est indispensable, mais qui se poursuit après la mort. Les muscles vivants, par exemple, res- pirent; les muscles morts respirent aussi, les muscles "Z"! l RESPIUAÏION CHLOROPHYLLIENNE, FAIT NUTRITIF. soumis à la coctioii respirent également, comme l'a vu Spallanzani. Le phénomène chlorophyllien, d'autre part, nous ap- paraît comme un phénomène lié à l'accroissement molé- culaire de la plante, à sa rénovation : c'est le plus éner- gique des actes plastiques qui servent à la formation du végétal et à son accroissement. Il ne s'accomplit que pendant la vie, et seulement sous l'influence du proto- plasma chlorophyllien. Si le phénomène respiratoire peut être appelé le grand phénomène physique nécessaire à la vie, nous pourrions dire que le phénomène chlorophyllien est le grand phé- nomène t;//«/; c'est un acte de synthèse organique, plus particulièrement sous la dépendance de la substance vivante par excellence, le protoplasma. Tandis que le fait respiratoire a tous les caractères que nous avons attribués aux phénomènes fonctionnels, le fait chloro- phyllien a tous ceux que nous reconnaissons aux phéno- mènes à' organisation ou de nutrition. Ces derniers exi- gent plus spécialement l'intervention de la cellule vivante, du noyau ou germe : ils ne peuvent se mani- fester que dans le corps vivant et chacun dans son lieu spécial ; les premiers, au contraire, exigent seulement l'intervention d'un produit fabriqué par la cellule ou noyau, d'un principe immédiat organique. Ces deux ordres de phénomènes ne sont pas d'ailleurs moins essentiels les uns que les autres. Ils sont absolu- ment solidaires, et la vie exige leur exercice simultané, leur mutuel concours, leur rapport harmonique. Les deux opérations de destruction et de rénovation sont la DISTINCTION DE l' IRRITABILITÉ 225 condition l'une de l'autre : la seconde n'est pas possible si la première n'a eu lieu préalablement, et réciproque- ment. Nous voyons par là que la vie n'est autre chose qu'une perpétuelle alternative d'organisation et de désor- ganisation, de vie et de ?7iorÉ. Nous ajouterons qu'on s'est mépris sur la désignation qui leur convient. Ce sont les phénomènes de destruction que l'on considère comme les phénomènes de la vie : ils se révèlent immédiate- ment à nous ; les signes en sont évidents, ils éclatent au dehors; ils se traduisent d'une manière sensible par les manifestations vitales extérieures. Le processus formatif, au contraire, s'opérant dans le silence de la vie végéta- tive se dérobe aux regards ; les phénomènes de synthèse organisatrice restent tout intérieurs et n'ont presque . point d'expression phénoménale ; ils n'ont d'autre ex- pression qu'eux-mêmes, et ne se révèlent que par l'or- ganisation et la réparation de l'édifice vivant ; ils ras- semblent d'une manière silencieuse et cachée les matériaux qui seront dépensés plus tard dans les mani- testations bruyantes de la vie. Nous sommes donc les jouets d'une apparence trompeuse quand nous appe- lons phénomène de vie ce qui, au fond, n'est autre • chose qu'un phénomène de mort ou de destruction organique. Quant au moyen de distinguer ces deux ordres de phénomènes, les uns manifestés par la substance vivante les autres par les produits de cette substance, il réside dans l'existence ou l'absence d'une propriété, la se?i.s?ô?- lite, entendue dans le sens que nous avons donné au mut irritabilité. La matière vivante est sensible ou irri- CL. BERNARD. — PlléuOniCllCS. II. — 15 226 INFLUENCE DES ANESTHÉSIQUILS. table ; tout ce qui est physique et chimique n'est point sensible. Cette propriété nous la décelons par un réactif, l'éther ou tout autre anesthésique, qui, comme nous l'avons vu, a la propriété de l'éteindre. Les anesthési- ques agissent sur tout ce qui est vivant et irritable; ils sont sans action sur ce qui n'est que purement physique. L'opposition que nous avons signalée entre la respi- ration, phénomène chimique, et la fonction chlorophyl- lienne, phénomène de synthèse vitale nous conduit à soumettre ces deux propriétés au réactif ordinaire de la vie. L'expérience a été faite en soumettant des plantes vertes, des conferves. à l'action de l'éther : on constate alors que la fonction chlorophyllienne cesse, comme tous les actes vitaux ; la respiration continue, comme tous les actes physiques, et l'acide carbonique se dégage encore quelque temps. On a aussi observé que les vapeurs mercurielles arrê- taient la propriété chlorophyllienne sans arrêter dans les feuilles la respiration proprement dite. L'acte vital chlorophyllien est pourtant subordonné à l'acte physique de la respiration. On sait que l'accroissement de la plante est une conséquence de la fonction chlorophyl- henne, qui fixe du carbone; au contraire; la respiration générale est accompagnée d'une perte de substance, perte qui peut aller jusqu'à la moitié du poids de la substance sèche dans les graines qui germent à l'obscu- rité. Or, les botanistes ont montré que raccroissement s'arrête dans une atmosphère privée d'oxygène ; ([ue la PARALYSIE DU PROTOPLASMA. 257 germination y est interrompue, le développement des bourgeons arrêté, les mouvements du protoplasma para- lysés, l'irritabilité des organes mobiles anéantie ; si le séjour est suffisamment prolongé, la vie de la plante est suspendue sans retour. L'accroissement et la vie ne peuvent donc avoir lieu qu'autant que s'accomplit cette fonction respiratoire qui cependant détruit en partie cet accroissement. LEÇON XYI Fonction obloropbyllienne. SoiniAiRE. — La fonction chlorophyllienne ne caractérise ni les végétaux, ni les animaux; elle caractérise le protoplasma vert. Celui-ci peut appartenir aux deux règnes. Dans le cas des végétaux, l'acide carbonique décomposé par les parties vertes paraît être amené à l'état de dissolution par les racines. Expériences à l'appui de cette vue. Observations de M. Merget. La théorie du diialismu respiratoire ne pouvait pas subsister devant la saine appréeiation des phénomènes qui s'accomplissent dans les piaules. 11 n'y a point d'op- position, au point de vue de la respiration, entre les deux règnes naturels. Le fait sur lequel la théorie dualiste avait été établie, i.e mérite pas moins d'être étudié avec attention, bien ([u'il ait été détourné de sa réelle signification. La com- position de l'air reste invariable, malgré les emprunts que les animaux et les végétaux font à l'atmosphère, et malgré les résidus qu'ils y déversent. Depuis le premier jour oiî l'analyse chimique a étudié la conq)Osition de l'atmosphère, celle-ci n'a point varié : les nombres qui l'expriment ont con.servé leur rapport constant. 11 y a donc lieu de nous demander, comme question connexe de celles que nous venons tl'étudier, (juel mécanisme et et quel agent maintiennent ou rétablissent cette pureté constamment compromise. PURIFICATION DE l' ATMOSPHÈRE. ^2^29 DepuisloDgtemps, depuis les observations de Prieslley, il est admis que c'est aux végétaux que l'air doit de conserver sa composition constante, en dépit de toutes les causes qui tendraient à la faire varier. Les plantes décomposent continuellement l'acide carbonique que les animaux et les plantes elles-mêmes déversent conti- nuellement dans l'atmosphère. On a précisé depuis lors cette action si remarquable des végétaux, en montrant que leur partie verte, ou chlorophylle, est l'agent de cette purification de l'air. Une telle propriété n'a rien d'absolu, rien qui caracté- rise les végétaux à l'exclusion des animaux, et qui éta- blisse une limite rigoureuse entre les deux règnes. Co n'est pas, en tant que végétal, que la plante possède de la chlorophylle et jouit de la propriété réductrice que nous étudions en ce moment. Les propriétés physiolo- giques ne sont point suspendues à quelque condition métaphysique, vague et immatérielle; elles sont inhé- rentes, au contraire, à des circonstances matérielles, à une substance, à une structure, à une constitution sai- sissable et tombant sous les sens. C'est ce qui arrive ici. La propriété réductrice n'appartient au végétal qu'en tant que celui-ci possède la matière verte chlorophyl- lienne, seule capable de produire ce phénomène. La matière en question, et par conséquent la propriété qui en dépend, n'appartiennent point à toutes les plantes, mais seulement à celles qui sont munies de cette ma- tière; elles n'appartiennent pas à toutes les parties de la plante, nommément pas à celles qui sont colorées de diverses manières, ou incolores. 230 PROTOPLASMA VERT DES ANIMAUX. Par contre, quelques animaux bien caractérisés sont imprégnés de cette même substance qui leur confère une fonction identique à celle des plantes vertes. Nous cite- rons, par exemple, VEuglena vmdis, et cet infusoire énorme, visible à l'œil nu, très-abondant dans nos bassins du Muséum, le Stentor jwlymorphus. Soit chez les animaux, soit chez les végétaux, la chlo- rophylle est répartie sous forme de grains contenus dans des cellules à noyau, susceptibles de multiplication par scission, comme toutes les cellules. De môme qu'elle présente les caractères morphologiques des autres cel- lules, la cellule chlorophyllienne en présente aussi les caractères physiologiques essentiels. Elle ne se distingue que par une fonction nouvelle qui se surajoute pour ainsi dire aux autres: c'est de former de l'oxygène aux dépens de l'acide carbonique qui est mis en contact avec elle sous l'action des rayons solaires. Cette fonction surajoutée ne fait rien disparaître de ce qui est fonda- mental parmi les propriétés de l'être vivant. Elle n'em- pêche pas que l'oxygène ne soit nécessaire ici comme ailleurs et comme toujours. Cette formation d'oxygène comme fonction spéciale d'un tissu, ajoutée aux fonc- tions générales appartenant à toutes les cellules, n'est pas sans exemple parmi les animaux. M. Armand Moreau a vu que, dans certaines circonstances, la vessie nata- toire des poissons produit de l'oxygène sans que le tissu qui possède celte propriété soit capable plus ([u'un autre, ou plus que la cellule chlorophyllienne, de résister à l'asphyxie par privation d'oxygène. La substance verte élaborée par les cellules particu- DÉCOMPOSITION DE l'aCIDE CARBONIQUE. 531 lières présente certains caractères physiques qui la font facilement distinguer d'autres substances présentant une apparence semblable, et qui peuvent se trouver mêlées à elle accidentellement ou normalement. La chlorophylle est soluble dans l'éther et dans l'alcool. Cette solution, examinée au speclroscope, permet de reconnaître une bande caractéristique très-nette dans la portion rouge du spectre; sous l'action des alcalis, cette bande se dé- double en plusieurs bandes parallèles. Quant à sa pro- priété chimique dont nous avons maintes fois parlé, et qui lui donne un très-grand intérêt, c^est la propriété de décomposer l'acide carbonique, en fixant le carbone à divers états dans les plantes et en laissant échapper l'oxygène. Ce résultat n'est obtenu, en dehors de ces conditions, en dehors de la nature vivante, que par des moyens chimiques d'une puissance extraordinaire. C'est à cause de cette propriété chimique spéciale que la chlorophylle remplit vis-à-vis de l'air vicié par les animaux ce rôle purificateur que Priestley, dans son expérience célèbre, attribuait à la plante elle-même, rôle qui a été élucidé successivement par les expériences postérieures de Ingenhousz, Jean Sénebier, Boussin- gault, Carreau. La proportion d'oxygène rendue par la plante croît en raison directe de l'acide carbonique qui lui est fourni. Ce fait est facile à vérifier en opérant sur les plantes aquatiques, où Faction purifiante du végétal sur le milieu se montre dans toute son évidence. Bien des observa- tions vulgaires mettent cette conclusion en pleine lu- mière. Rappelons, pour exemple, que certains milieux '•2SÎI CONDITIONS DE LACTION CHLOROPHYLLIENNE. confinés, tels que les aquariums, ne restent propres à entretenir la vie des animaux qu'autant qu'ils contien- nent en même temps des végétaux. Une l'emarque du même genre avait été faite par Sénebier : ce botaniste avait observé que des abreuvoirs alimentés par la même eau se comportaient différemment lorsque les parois étaient recouvertes d'un revêtement végétal de colora- tion verte, ou qu'au contraire ce revêlement faisait dé- faut. L'eau se corrompait dans ceux qui ne présentaient point de revêtement végétal, et était refusée par les ani- maux que l'on menait y boire; elle se conservait en bon état dans les autres. Cependant, les conditions de la purification de l'atmosphère par les plantes, ou, en d'autres termes, les conditions du fonctionnement chlorophyllien, ne laissent pas que de présenter quelques obscurités. On a observé un fait très-intéressant en ce qu'il est con- traire à ce que l'on pourrait supposer d priori d'après les théories régnantes. On a analysé l'air dans le voisi- nage des forêts, c'est-à-dire en présence d'une quan- tité considérable de matière chlorophyllienne active. On devait s'attendre, en opérant au soleil, à trouver l'air plus pauvre en acide carbonique et plus riche en oxygène. Or, jamais on n'a observé d'augmentation d'oxygène ni de diminution d'acide carbonique. Au contraire, résultat paradoxal, on a trouvé que ce der- nier gaz était plus abondant que] dans l'air pris à un autre point. On pourrait rapprocher de ce résultat cette autre observation qui a été faite autrefois par M. Leconte notre préparateur. En examinant l'air des serres en ROLE DE l'humiditi-:. ^233 plein soleil, alors que la végélalion était en pleine acti- vité, on n'a pas trouvé que cet air fût plus riche en oxygène que l'air extérieur qui n'a point été au con- tact des feuilles. Quelquefois même l'air de la serre renfermait une plus grande proportion d'acide car- bonique. Il semble donc qu'il y ait une condition nouvelle, condition qui aurait échappé aux auteurs qui se sont occupés de la question. Cette condition du fonctionne- ment de la chlorophylle, nous croyons l'avoir saisie : -c'est l'humidité. Pour énoncer le résultat sous sa forme la plus saisissante nous dirons que l'acide carbonique doit être amené à la chlorophylle dans le parenchyme des feuilles à l'état de dissolution. L'acide carbonique à l'état sec n'est point décomposé par les feuilles : l'expérience l'établit nettement. Lorsque, au contraire, il est amené à l'état de dissolution, alors il se trouve dans la condi- tion convenable pour subir l'action décomposante. Or, c'est surtout par les racines que l'acide carbonique peut pénétrer dans le végétal cà l'état dissous. Aussi croyons- nous que la fonction chlorophyllienne s'exerce princi- palement et peut-être exclusivement sur le produit de l'absorption des racines, et non sur le gaz qui serait absorbé directement par les feuilles. Dès lors, le résultat que nous venons de signaler à propos de l'air des forêts s'expliquerait aisément : l'atmosphère étant sèche la quantité d'acide carbonique décomposée devait être très- faible. Le résultat eût été tout différent si l'on eût fait l'analyse après une pluie qui aurait humecté le sol ou iDOuillé les feuilles, et fait pénétrer ainsi une plus ou ^34 ABSORPTION PAR LES RACINES. moins grande quantité d'acide carbonique dissous dans le végétal. Déjà on avait observé que la dessiccation avait un effet très- marqué sur la faculté décomposante des feuilles. Elle l'abolit sans qu'une imbibition ultérieure restitue cette propriété. Cette observation est insuffisante et incomplète. Il ne s'agit point de pousser la dessiccation jusqu'au point où le végétal serait désorganisé. Ainsi la propriété que possède la chlorophylle de dé- composer l'acide carbonique aurait pour condition la présence de l'eau ou au moins d'un certain degré d'hu- midité. La feuille ne serait pas le seul organe et surtout pas le principal instrument de labsorption de l'acide carbonique dissous. Celui-ci et peut-être même les car- bonates doivent être introduits par les racines pour être uhérieurement décomposés. Le rôle purificateur de l'atmosphère, incontestable pour les plantes vertes aqua- tiques, serait beaucoup plus obscur et douteux pour les plantes aériennes. Les expériences suivantes justifient nos conclusions: Sous une cloche renfermant une atmosphère limitée d'air ordinaire nous disposons une plante (chou) dont les racines sont enveloppées par un sac imperméable en caoutchouc embrassant exactement la tige et isolant exactement la partie inférieure. Dans ce sac qui con- tient les racines on enferme de l'eau et un peu de terre, et au moyen d'une double tubulure on y t'ait circuler un courant d'acide carbonique. La partie supérieure recouverte parla cloche contient EXPÉRIENCES NOUVELLES. 235 une athmosphère qui est analysée après quelque temps d'exposition au soleil. Nous trouvons que ce gaz a la composition suivante : Après 24 heures . (oxygène 22 ^ l Azote 78 Après un nouveau délai de 2/i. heures nous avons: Oxygène 23 Azote 77 . , a, , ( Oxygène 25,4 Apres 24 h. encore : "'" „,' ^ l Azote 74,6 La proportion d'oxygène, comme on le voit, augmente de plus en plus, et cet oxygène n'a pas d'autre origine possible que l'acide carbonique absorbé par les racines. Une expérience de M. Correnwinder vient à l'appui de ces vues et sert de contre-partie à l'expérience pré- cédente : Sur un arbre prospère on isole un rameau ; sans le détacher du tronc on le renferme dans un flacon où pénètre de l'air qui a été lavé dans une solution de potasse et par conséquent entièrement dépouillé d'acide carbonique. Le rameau continue à vivre et à croître comme dans l'air ordinaire, d'où la conclusion que le végétal ne prend pas constamment, ni d'une façon né- cessaire, son acide carbonique par les feuilles. Après avoir parlé de cette propriété que possède la feuille dans les conditions physiologiques de décomposer l'acide carbonique qui lui est conduit parles racines ou par l'absorption directe, nous devons parler d'une autre question qui n'est pas sans analogie avec la précédente 236 FEUILLES PLONGÉES DANS UN LIQUIDE. et qui se réfère aux feuilles plongées dans un liquide. On transforme dans cette expérience des feuilles aériennes en feuilles aquatiques. Des feuilles de vigne fixées au sarment sont introduites sous une cloche ren- fermant de Teau chargée d'acide carl)onique ; on ne tarde pas à voir le dégagement d'une abondante quan- tité d'oxygène. Enfin, d'autres expériences relatives à la circulation gazeuse pourraient trouver place ici. Elles ont été faites sur des feuilles détachées du végétal. Le phénomène a pour type un fait purement physique, phénomène de thermo-diffusion que M. Merget (de Lyon) a fait con-. naître. Que l'on prenne une pipe ordinaire dont le fourneau serait rempli de plâtre ou de terre de pipe gâchée; on incline la pipe de manière que le fourneau soit relevé et que l'extrémité opposée placée à un niveau plus inférieur plonge sous un tube ou une éprouvetle. Si, dans ces conditions, on vient à chauffer le fourneau de la pipe avec une lampe à alcool, on voit un mouve- ment gazeux se produire qui entraîne l'air du fourneau vers le tuyau et le fait s'échapper sous le tube de verre. On peut ainsi recueillir d'énormes quantités de gaz: le mouvement ne s'arrête pas tant que l'on continue à chauffer; il n'y a aucune raison pour qu'il ne dure pas indéfiniment. Ce phénomène, désigné sous le nom de phénomène de thermo-diffusion par M. Merget, peut être réalisé avec les végétaux, par exemple avec une feuille de nénuphar munie de son pétiole. L'expérience est disposée de la manière suivante : Le limbe large de la feuille est plongé EXPÉRIENCE DU M- MERGIvï. 237 dans de l'eau légèrement cliaiiffée ; une petite partie de ce limbe est soulevée au-dessus de l'eau, de manière que l'ait puisse pénétrer par les stomates. Faute de cette condition on n'observerait aucune absorption et le phé- nomène n'aurait point lieu. L'expérience devient très-intéressante lorsque l'on soumet la feuille à l'exposition directe de la lumière solaire, et que la feuille plonge d'ailleurs dans une eau chargée d'acide carbonique. On observe alors que l'air exhalé parla tige et recueilli dans l'éprouvette renferme une forte proportion d'oxygène. ï/action chlorophyl- lienne intervient donc. Les trois expériences suivantes ne laisseront aucun doute à cet égard. L Expérience exécutée au moyen d'une feuille de nénuphar plongeant dans une eau chargée d'acide car- bonique. Après quelque temps d'exposition au soleil on pratique l'analyse du gaz exhalé parla tige et l'on trouve les chiffres suivants : C0= = 5,5 0 = 33,3 Az = (51,2 100,0 IL L'expérience est répétée avec des feuilles de vigne séparées de la branche. On introduit une petite quantité d'acide carbonique; sous l'eau, au soleil, on a : Gaz exhalé par la tige : GO- = y,o 0 = 51,G Az = 39,4 100,0 238 EXPÉRIENCES NOUVELLES. m. Dans une troisième expérience les feuilles tiennent encore au sarment, c'est l'extrémité de celui-ci qui plonge dans l'eau chargée d'acide carbonique; on recueille Fair dégagé par les feuilles au soleil et on lui trouve la composition suivante : GO' -= 0,0 0 -- 59,0 Az = -il,0 100,0 L'expérience peut être complétée de la manière sui- vante. On peut, comme nous l'avons déjà fait, soumettre la plante, en même temps qu'à l'action du soleil, à l'action des anesthésiques, de l'éther, du chloroforme, et recueillir comme précédemment le gaz exhalé par la tige. L'analyse montre que ce gaz a précisément la com- position de l'air ordinaire. C'est une autre disposition expérimentale qui prouve, comme nous l'avons déjà vu, en dehors de la complication des phénomènes de thermo-difîusion, que sous l'action des anesthésiques la propriété chlorophyllienne a été suspendue et sup- primée. Quelque intérêt que présentent pour nous ces expé- riences, il est difficile actuellement de voir dans le fait observé par M. Merget autre chose qu'un phénomène physique dont les conditions de production se trouvent réalisées aussi bien dans la feuille de nénuphar que dans la pipe en terre poreuse dont faisait usage M. Merget. Il resterait à rechercher si quelque chose d'analogue se passe dans la plante non séparée de la tige, et s'il y a une circulation gazeuse dans le végétal intact, ex pli- CONFUSION DU VÉGÉTAL AVliC LA CHLOROPHYLLE. :239 cable par les mêmes circonstances que nous venons de voir réalisées artificiellement dans l'expérience pré- cédente. Il résulte de cette longue étude que nous venons de faire de la ciilorophylle et de la fonction chlorophyl- lienne que toutes les considérations obligent à distinguer d'avec elle la respiration véritable. Ni les conditions dans lesquelles ces actes physiologiques s'accomplissent, ni les agents qui peuvent les suspendre ne sont les mêmes. Le but ou le résultat est lui-même tout différent. La fonction chlorophyllienne est véritablement une fonction de nutrition ou d'organisation qui concourt à l'accroissement de la plante, à sa constitution matérielle. La respiration, au contraire, est une fonction de désor- ganisation, de destruction; et bien qu'elle soit la condi- tion des autres manifestations vitales, elle use, désa- grège et détruit l'édifice vivant. Cependant les idées duahstes que nous combattons depuis le commence- ment de nos leçons se sont emparées de ce terrain, s'y sont cantonnées et ont voulu s'en faire une forteresse. On a voulu confondre le végétal avec la chlorophylle même, et négligeant tous les phénomènes qui ne peu- vent se ramener à celui que cette substance accomplit, on a dit que le végétal organisait, opérait la synthèse des produits organiques, tandis que l'animal, par la fonction de respiration que lui seul possédait, désorganisait la substance des corps vivants, qu'il en opérait l'analyse. C'est ainsi que la question de la respiration, dont nous venons d'achever l'étude, confine à l'intéressante question de la production des principes immédiats dans 540 UMTl' VITALE. les anitiiaux et les plantes, que nous avons examinée antérieurement. Le résultat est identique dans les deux cas : nous avons vu, à propos de la formation des prin- cipes immédiats comme à propos de la respiration pro- prement dite, qu'il y a unité vitale essentielle dans les deux règnes de la nature. TROISIEME PARTIE DIGESTION. NUTRITION LEÇON XVII Des préliiuinaires tic la nutrition. SOJIMAIRE. — La digestion est une fonction préparatoire à la nutrition, acces- soire lorsqu'on la considère dans son essence. La cavité digestive est un appareil extérieur à l'animal. Complication croissante de l'appareil de la digestion dans la série des êtres vivants. Variété des actes physiques et mécaniques qui précèdent les actes chimiques de la digestion. L'instinct des animaux s'arrête aux qualités physiques de l'aliment. La physiologie générale embrasse dans son objet tout ce qu'il y a de général dans les phénomènes de la vie. Son domaine s'étend sur les animaux et les végétaux, car dans les uns et les autres la vie élémentaire, la nu- trition, présente les mêmes caractères essentiels. Or, la nutrition est un échange entre l'élément orga- nisé et le milieu dans lequel il baigne; son étude pré- sente donc deux faces. Il faut, en même temps que les propriétés de l'élément, connaître la série d'actes prépa- ratoires à la constitution du milieu où il puise et rejette constamment les éléments de sa nutrition. CL. BERNARD. — Phénomènes. ii. — IG 242 FONCTION ET PROPRIÉTÉS DIGESTIVES. La série d'actes préliminaires qui ont pour résultat la constitution du milieu n'a pas la môme universalité dans tous les êtres que l'acte nutritif lui-môme. Elle est variée et affecte des apparences distinctes chez les plantes et chez les diverses espèces d'animaux. La nutrition, ainsi que nous l'avons dit, constitue bien un chapitre commun dans l'histoire de la vie des animaux et des végétaux; mais le préambule de ce chapitre semble différent chez les différents êtres. Néanmoins, il y a encore malgré cette diversité quelque chose de pareil, une certaine communauté de procédés qu'il appartient à la physio- logie générale de faire ressortir. Les végétaux puisent dans le sol et dans l'atmosphère les éléments dont ils se nourrissent. L'élaboration de ces principes est extrêmement simple. Les matériaux qui se présentent à la plante sont toujours liquides, ga- zeux ou solubles; ils viennent, pour ainsi dire, à la ren- contre de la plante, à travers la terre ou l'atmosphère; ils se présentent à elle à peu près dans Tétat oîi ils doi- vent être pour être absorbés, sans que celle-ci ait à in- tervenir activement pour leur préparation. Son rôle ne commence guère qu'à l'absorption. Il n'en est pas ainsi chez les animaux, et, avant l'ab- sorption des matériaux alimentaires, il y a toute une série de phénomènes destinés à rendre cette absorption possible, On donne à cette préparation le nom de diges- tion. Mais cette préparation n'est pas exclusive a l'a- nimal : elle existe chez le végétal. Seulement, au lieu d'être placée avant l'absorption elle est placée après : elle est la condition de la mise en œuvre des réserves APPAREIL DIGliSTIF. '248 végétales. Nous verrons donc ici, comme dans l'étude de la respiration, qu'il y a lieu de distinguer deux choses confondues sous le même nom : la propriété digestive, commune à tous les êtres, condition préalable chez tous de l'assimilation, et la fonction digestive^ propre aux animaux. Le rôle de l'animal en présence des matériaux alimentaires n'est point aussi passif que celui de la plante ; son intervention est nécessaire, et elle s'exerce par l'en- semble des actesqui constituent la fonction de ladigestion. Cependant on peut dire, à un certain point de vue, que cette fonction préliminaire, accessoire, est en quelque sorte étrangère à l'animal lui-même. Prise à son plus haut degré de complication, elle a pour siège le tube digestif, cavité, dépression creusée à la surface du corps, mais qui est séparée des tissus comme le monde exté- rieur en est séparé lui-même, par la peau. L'enveloppe tégumentaire se réfléchit, en effet, au niveau des orifices digestifs pour tapisser le tube entier dans toute sa lon- gueur, sans changer de caractère essentiel; en sorte que Blainville et d'autres anatomistes ont pu dire, sous une forme pittoresque, que le tube intestinal était une peau retournée comme un doigt de gant. La lame cutanée affecte là une forme déprimée et tubaire, au lieu d'être saillante et de faire relief comme à la surface exté- rieure du corps. On peut donc concevoir la digestion comme une sorte d'élaboration des aliments pratiquée dans un tube à analyse chimique, extérieur à l'édifice organique. D'ailleurs, si l'on examine dans la série animale la manière progressive dont se complique l'appareil de la *244 COMPLICATION CROISSANTE. digestion et la fonction elle-même, l'évidence de la con- ception philosophique que nous venons d'indiquer de- viendra frappante. Aux derniers degrés de l'échelle nous trouvons les protozoaires les plus simples, l'amibe, l'actinophrys, qui n'offrent aucune trace de tube digestif, et qui se tiou- vent, relativement aux matières alimentaires qu'ils doi- vent absorber, dans les mêmes conditions que la plante, ou du moins dans des conditions analogues. La ressem- blance est encore bien plus complète chez un grand nond^re d'helminthes, où les substances liquides et so!u- bles sont absorbées uniquement au travers de Tenve- loppe tégumentaire. L'amibe, Amœba dif/luem, est constituée par un amas de substance glutineuse, protoplasmique ou sarco- daire, qui change de forme à chaque instant, envoyant des expansions, des prolongements, que suit bientôt le reste de la masse en roulant comme une goutte d'huile sur le marbre. Ces êtres rudimenlaires se nourrissent, d'après Dujardin, en absorbant par leur surface externe les substances liquides et dissoutes dans l'eau où ils vivent; mais ils ont, selon Claparède et Caster, certai- nement un autre mode d'alimentation qui consiste à en- glober dans une dépression accidentellement formée en un point quelconque de leur corps, les particules figu- rées et solides qu'ils rencontrent; la vacuole se referme; l'aliment traverse ainsi le corps de l'amibe, sans qu'il y ait lien de préétabli pour son trajet, et le résidu sort en un autre point quelconque de cet organisme constam- ment chaiii^eant. PROTOZOAIRES. 245 Les leucocytes ou globules blancs des animaux supé- rieurs sont des masses protoplasmiques très-analogues aux amibes; ils vivent dans le plasma sanguin ou la lymphe, dont ils absorbent les parties solubles conve- nables à leurs besoins. La digestion de ces organismes inférieurs est donc, comme chez les plantes, à peu près réduite à l'absorption. C'est l'animal lui-même, dont ils sont en quelque sorte les parasites, qui digère pour eux. Dans certaines circonstances cependant, les leucocytes sont capables d'englober, à la façon de l'amibe, les par- ticules qu'ils rencontrent, des granules colorés, par exemple, de la poussière de carmin ou de cinabre ; cette particularité a permis de les suivre dans leur trajet et de les reconnaître dans les différents points de l'orga- nisme, grâce à l'espèce d'étiquette de substance colo- rante qu'ils portaient avec eux. On a observé ce ffiit cu- rieux, que les leucocytes peuvent, dans certains cas pathologiques, englober et faire disparaître les globules rouges ou hématies. L'actinophrys présente des expansions filiformes et rétractilesqui émanent d'une masse glutineuse, centrale, et qui y rentrent continuellement. Cet animal, suivant Kolliker, se repaît d'aliments solides, infusoires, rotifères, algues, diatomacées, lyncées, qui viennent se heurter à ses tentacules, y restent accolés et sont ramenés à la surface du corps, oij une expansion glutineuse vient à leur rencontre en se creusant d'une dépression pour les recevoir. L'aliment pénètre ainsi dans la partie centrale du corps et y voyage jusqu'à ce qu'il soit complètement absorbé; s'il y a un résidu, il est expulsé par un point 246 COELENTÉRÉS. quelconque de la surface dont la situation n'a rien de fixe. En remontant un peu plus haut dans l'échelle zoologi- que, nous trouvons une cavité digestive persistante et non plus adventive. Mais: cette cavité n'est qu'une simple dépression de l'enveloppe externe. Un des plus simples zoophytes cœlentérés est l'hydre de Trendjlay. Ce petit animal, dont l'étude a jeté tant de lumières sur la phy- siologie générale, aTapparence d'un petit sac piriforme dont l'orifice est muni d'expansions tentaculaires. La cavité ainsi formée est un véritable estomac, dans lequel l'hydre carnassière introduit sa proie, animalcules et vers, qu'elle digère et absorbe, et dont elle rejelle les résidus. La face interne de cette sorte de sac est en con- tinuité avec la surface externe, et ne s'en distingue pas d'une manière essentielle. Entre le tégument cutané et la muqueuse digestive, il y a continuité et substi- tution possible après une période d'élaboration assez courte. Aussi peut-on faire subir à l'animal une sin- gulière opération, (jui consiste à le retourner comme un doigt de gant, à mettre à l'extérieur la surface interne el In surface externe à l'intérieur de la cavité dont elle formera désormais le revêtement. Nous répé- tons cette expérience devant vous. Il faut maintenir l'animal quelque temps dans celte situation, en l'em- brochant avec une soie ou un crin, car il aurait ten- dance à se « déretourner », comme dit Tremblay. Ainsi maintenu, son organisme s'acconnnode de cette nou- velle situation ; il s'empare de sa proie, l'introduit dans la nouvelle cavité (pi'on lui a artificiellement créée; il se nourrit et digère connue auparavant. L'appropiia- LA DIGESTION EST EXTÉRIEURE. "IM tion de l'enveloppe cnlauée à son nouvel usage exige seulement quelques heures, Chez les médusaires, la cavité digestive est encore constituée de la même façon : c'est un sac, une dépres- sion communiquant avec l'extérieur par un orifice bouche-anus, ou par un grand nombre de bouches dispo- sées aux extrémités des tentacules. Chez les échinodermes, la complication augmente, le sac devient tube, c'est-à-dire que la cavité digestive présente deux ouvertures, l'une plus particuhèrement affectée à l'inglutition des aliments, l'autre à l'expul- sion des résidus. Nous n'avons pas à examiner la série des dispositions qui, de ces animaux inférieurs jusqu'aux animaux supé- rieurs, viennent compliquer l'appareil de la digestion. Ce que nous en avons dit suffît pour comprendre la constitution de cet appareil, et pour légitimer les consi- dérations que nous avons exprimées au début de cette leçon. Nous voyons que l'appareil digestif est, en somme, un tube dans lequel l'animal analyse ses aliments; la diges- tion est une modification, une élaboration par la surface extérieure du corps, des substances ingérées. Nous voyons l'animal digérer d'abord par sa surface externe, puis par une dépression de cette surface qui, s'en fon- çant de plus en plus, finit par former un véritable tube digestif, dont le revêtement muqueux est analogue mais non plus identique avec le revêtement cutané. La fonction digestive est en réalité extérieure à l'organisme; elle s'accomplit en dehors du milieu intérieur, An liquide 248 UNITÉ DU BUT. nourricier circulatoire danslequel viventtousleséléments organiques. La fonction de la digestion n'est que préli- minaire, accessoire, et l*nutrition proprement dite qui se passe dans le milieu interne ne diffère pas philosophi- quement chez l'homme, les animaux et les plantes. La nutrition proprement dite est toujours la manifes- tation la plus générale et la plus caractéristique de la vie; elle se présente dans tous les êtres avec les mêmes attriimts de continuité et de nécessité; elle ne cesse jamais, sous peine d'entraîner la mort. La digestion ne présente pas la même importance ; elle est, ainsi que nous venons de le dire, l'un des actes préparatoires qui fournissent à la nutrition ses maté- riaux. Elle consiste dans l'introduction de substances alimentaires qui doivent être élaborées, dissoutes et rendues absorbables par un appareil spécial plus ou moins compliqué. La digestion est une fonction inter- mittente qui peut être parfois suspendue un temps très-long, sans amener la cessation de la vie. Cette introduction et cette élaboration préalables offrent le plus haut degré de simplicité chez les plantes et chez les animaux dépourvus d'appareil digestif; le plus haut degré de complication chez les animaux supé- rieurs et chez l'homme. Et, entre ces deux termes extrêmes, on trouve tous les états intermédiaires. A travers cette complication croissante, il y a une simplicité, une unité réelle, résultant du but qui doit être atteint et qui est commun partout, quoique réalisé par des mécanismes différents. Nous devons nous proposer de faire ressortir cette TROIS ORDRES DE PHÉNOMÈNES. 249 simplicité, cette unité, et de mettre en relief ce qu'il y a de général dans toutes ces dispositions particulières. C'est en cela précisément que la physiologie générale, qui recherche les ressemblances, diffère de la physiolo- gie comparée et descriptive, qui s'attache à faire con- naître toutes les particularités, toutes les différences génériques ou spécifiques. En déterminant ce qu'il y a d'essentiel dans la diges- tion, envisagée à son maximum de complication chez les animaux supérieurs oii elle est le mieux connue, nous déterminerons du même coup ce qu'il y a de général en elle, et de commun à tous les autres animaux. Cette considération nous permet donc d'entrer en matière par l'étude des êtres placés au haut de l'échelle zoologique. L'examen analytique de la fonction diges- tive à son summum de développement pourra seul nous faire comprendre les simplifications apparentes et sou- vent confuses que présentent les animaux inférieurs. Trois ordres de phénomènes contribuent à l'accom- plissement de la digestion chez les animaux supérieurs: \ . Des phénomènes physiques et mécaniques ; 2. Des phénomènes chimiques; 3. Des phénomènes d'innervation spéciaux aux ani- maux, autrement dit, des phénomènes physiologiques. Ces trois ordres de phénomènes nécessitent trois sys- tèmes d'organes, trois sortes d'appareils appropriés. Le tube digestif présente ces trois variétés d'instruments ; il est muni d'un certain nombre d'annexés destinées à des usages mécaniques, chimiques et physiologiques. 250 UNITÉ DANS LES PHÉNOMÈNES CHIMIQUES. En lui-même, le tube digestif peut être considéré comme divisé en trois parties : i° Une partie (['introduction, qui s'étend de l'orifice buccal à l'estomac ; 2° Une partie de digestion proprement dite, qui com- prend l'estomac et l'intestin grêle : cette partie intes- tinale centrale est la plus importante pour la digestion ; 3" Une partie A' expulsion pour les substances qui ont résisté aux actions chimiques de la digestion : c'est le caecum et le gros intestin jusqu'à l'orifice anal. A chacune de ces portions se trouvent adjoints des organes annexes qui servent à l'accomplissement du rôle dévolu à la partie qu'ils accompagnent. Disons immédiatement que si l'on envisage les phé- nomènes d'introduction, on constate une variété infinie d'un bout à l'autre de la série des animaux. C'est seule- ment dans les phénomènes chimiques de la digestion que nous trouverons la généralité et l'unité. Cela doit faire considérer ces phénomènes comme fondamentaux, tandis que les autres ne sont que secondaires et acces- soires. La manière dont se fait la digestion d'une sub- stance est identique, mais la manière dont elle est intro- duite ou expulsée varie d'une infinité de façons. Nous écarterons donc de notre cadre les phénomènes phy- siqueset mécaniques, pour concentrer notre attention sur les phénomènes digestifs essentiels. Pour ce qui concerne les phénomènes physiques et mécaniques d'introduction, nous nous bornerons à en montrer la variété en quelques mots, sans entrer dans plus de détails à leur égard. VARIÉTÉ DliS PIIÉNOMÈNliS PHYSIQUES. 251 Ces pliéiiomènes comprennent toute une série d'actes : préhension des aliments, mastication, insalivation, suc- cion, déglutition, rnmination, qui s'accomplissent dans la première partie du tube digestif. 11 faudrait un temps considérable pour décrire toutes les dispositions secondaires qui interviennent dans la réalisation de ces actes : leur étude est, à proprement parler, du domaine de la physiologie comparée des- criptive. Uniquement préoccupés de l'unité des fonc- tions de la vie, nous devons laisser de côté ces méca- nismes merveilleux mais individuels et sans importance générale. La préhension des aliments surtout présente les modes les plus variés. Tantôt l'animal va au-devant de sa proie, comme le féroce Carnivore ou l'herbivore pai-- sible; tantôt, chez les animaux fixés, c'est la proie qui va au-devant de l'animal. L'être qui recherche sa nourriture y est déterminé par des besoins généraux, la soif et la faim ; et, dans son choix, il est guidé par un certain instinct adéquat sur- tout aux qualités physiques de l'aliment qu'il choisit, et au rapport que celui-ci présente avec ses organes. Cette manière dont l'animal prend sa nourriture n'a rien de fondamental, et souvent même rien de spécial à un être déterminé; car elle peut varier dans les différentes phases de son existence. Les mammifères sont tous suceurs dans leur jeune âge, avant de de- venir herbivores, carnivores ou omnivores; l'homme reste pendant plus longtemps que tous les autres dans ce premier état, car il est un de ceux dont la dentition '^52 PUÉHli.XSION DES ALIMENTS. est la plus tardive. Le lêtard est herbivore; la gre- nouille Carnivore, et parmi les changements orga- niques qui doivent coïncider avec ce changement de régime, on constate la diminution de longueur du tube digestif. Ainsi, rien d'essentiel pour la physiologie générale dans la préhension des aliments. Les polypes ont des tentacules ou bras, le plus sou- vent armés d'appareils particuliers, nématocystes ou ven- touses, pour retenir leur proie. Chez d'autres animaux, par exemple les rotifères et les infusoires, le mouvement des cils vibratiles dirige vers la cavité buccale les parti- cules alimentaires qui se rencontrent sur leur route. Les mollusques, la plupart des annélides, s'aident de leurs lèvres épaisses pour saisir les aliments solides ou pour sucer les liquides. Chez les articulés, les organes de locomotion se transforment souvent en pattes-màcJwires, pour contribuera l'introduction des substances dont ils se nourrissent. La grenouille, le caméléon, se servent de leur langue pour attirer et saisir les insectes dont ils font leur nourriture. Des oiseaux, tels que le pic; des mam- mifères, le tamanoir et le pangolin; des ruminants, comme le bœuf, se servent de leur langue de différentes manières |iour introduire les substances qui les nour- rissent. Le chat et le tigre font usage de leurs gritïes et. de leurs dents; le cheval et la girafe de leurs lèvres; les oiseaux de leur bec et de leurs serres; l'éléphant de sa trompe ; la baleine de ses fanons, etc. Les animaux fixés, comme l'huître et la moule, se reposent sur le hasard pour le soin de se nourrir. Les MASTICATION. '253 valves entr'ouvertes, la bouche béante, ils accueillent tout ce qui se présente; le mouvement des cils vibratiles dirige ensuite dans leur intestin les matières ingurgitées. Je me souviens personnellement d'avoir eu l'occasion autrefois d'observer au Collège de France, dans un bas- sin attenant au laboratoire de M. Duvernois, des moules qui se trouvaient avoir avalé bien innocemment une grande quantité de petites anguilles de la dernière montée qu'on avait placées là pour les conserver. Les aliments solides et résistants doivent subir une attrition en vertu de laquelle ils sont broyés et divisés. C'est l'acte de \di mastication. Chez un grand nombre d'animaux, les mammifères, en particulier, il existe des organes spéciaux de tritu- ration, les dents, incisives, canines et molaires; ces dernières ayant l'existence la plus constante, parce qu'elles sont au fond les véritables instruments mas- ticateurs. La mastication peut se faire en différents points de la première portion du tube digestif. Le plus souvent elle s'opère dans la bouche. C'est dans la bouche que le cheval broie entre ses molaires l'avoine de sa ration. Mais cette même avoine, si elle devient la nourriture de l'oiseau granivore, ne sera plus broyée à l'entrée du tube digestif, puisque le bec est seulement un instrument de préhension; elle sera broyée dans un renflement musculaire qui précède l'estomac, dans le gésier. Le gésier lui-même est précédé d'une dilatation du tube digestif, appelée jabot^ sorte de réservoir où les graines commencent à s'imbiber et se ramollir plus 254 ESTOMAC DliS RUMINANTS. OU moins avant d'être soumises à l'action du gésier. La trituration est donc quelquefois précédée d'un phénomène de macération. C'est ce que l'on constate chez les oiseaux granivores. La même chose a lieu pour les ruminants; seulement la disposition anatomique est inverse. La macération préalable au broiement s'accom- plit dans un organe, dans une portion du tube digestif placée plus loin que les dents. En sorte que les herbages dont ils se nourrissent doivent descendre et remonter par l'acte de la rumination avant de suivre définitive- ment leur trajet descendant le long du tube intestinal. On décrit quatre estomacs chez les ruminants : la panse, le bonnet, le feuillet et la caillette. Mais il n'y a qu'un seul estomac véritable, c'est la caillette; les trois autres poches appartiennent à la portion antérieure du tube digestif, ce sont des dilatations de l'œsophage. La panse est l'analogue du jabot. C'est là qu'arrive le bol alimen- taire après qu'il a été dégluti; et c'est là qu'il subit une macération véritable. La préparation réalisée dans la panse est si bien une macération, qu'elle pourrait être reproduite artificiellement en laissant séjourner les her- bages dans l'eau tiède. MM. Gruby et Delafond ont vu que, dans ces conditions, il se développe, comme cela arrive pour toutes les infusions, une multitude d'infu- soires; de fait, la panse des ruminants en est remplie; les animalcules y sont parfaitem.ent vivants et actifs. On a pu dire, conséquemment, que les ruminants digèrent, avec l'herbe qu'ils broutent, un grand nombre d'ani- maux infusoires tout vivants. Mais c'est seulement dans la caillette que cette digestion s'opère, et jusqu'à ce MODIFICATIONS CHIMIQUES. 255 qu'ils soient arrivés là, les animalcules se conservent parfaitement. La macération dans la panse n'est pas seulement le fait des mammifères ruminants ou des oiseaux grani- vores; elle appartient quelquefois à des oiseaux car- nassiers. Quelques-uns de ces animaux conservent, en effet, assez longtemps dans leur jabot les viandes in- gurgitées qu'ils y laissent, pour ainsi dire, pourrir et mariner, de façon que la digestion en devienne plus facile. De là l'odeur infecte qu'exhalent ces oiseaux de proie. En résumé, les actes physiques et mécaniques qui pré- cèdent l'acte chimique de la digestion s'exécutent par des procédés infiniment variés. Ils peuvent ne pas exis- ter, et nous avons vu que chez beaucoup d'animaux la portion antérieure du tube digestif qui leur correspond fait défaut. Au contraire, les actes chimiques qui s'accomplissent dans la portion moyenne du tube digestif ne peuvent manquer. Ceux-là sont essentiels, et sous des aspects quelque peu changeants, on pourra toujours saisir leur fond commun, foncièrement identique. Ce sont ces actes chimiques qu'il nous faut mainte- nant examiner» Après que les aliments ont subi les modifications mé- caniques que nous avons indiquées, ils doivent être sou- mis à l'action des modificateurs chimiques qui les liqué- fieront et les mettront dans l'état où il faut qu'ils soient pour être absorbables. Ce rôle incombe à la partie intermédiaire du tube •256 FOUME PHYSIQUE DE l' ALIMENT. digestif, depuis l'estomac jusc^u'aii caecum, avec les annexes glandulaires qui sécrèlent des liquides plus ou moins actifs. A voir la différence des régimes auxquels sont sou- mises les difîérentes espèces d'animaux, on pourrait croire que les digestions doivent être différentes pour les uns et pour les autres, en raison des différentes substances qui constituent leur alimentation. Au fond, il n'en est rien, et le résultat de la digestion est iden- tique chez tous, herbivores ou carnivores. Cette distinction d'animaux qui se nourrissent de végétaux et d'animaux qui se nourrissent de viande est importante aux yeux des zoologistes, car elle com- mande une foule de particularités d'organisation et régit la structure de l'être: elle a son retentissement sur la construction du squelette, de la mâchoire, des mendDres, de la tête ; sur la longueur des viscères, qui est plus considérable chez les herbivores; sur l'instinct, sur l'ha- bitat. Mais cette distinction est nulle aux yeux de la physiologie générale; car le même être qui est astreint, par le caractère imprimé à son organisme, à se nourrir d'herbages, digère parfaitement la viande si on la lui présente sous une forme physique acceptable. La réci- proque est également vraie. Ainsi, un chien mourra de faim à côté d'un tas de blé; il n'y touchera point. Il ne sait point que cette substance qu'il dédaigne et qu'il méconnaît, parce qu'elle n'est pas sous la forme appropriée à ses organes de préhension et de njastication, est pourtant parfaite- ment capable de soutenir son existence. Son instinct IIEUBIVORES. OMNIVORKS. 257 s'arrête à la forme physique, laquelle n'esl, effective- ment pas appropriée aux premières parties de son tube digestif. Broyez ce froment et mêlez un peu d'eau à cette farine, voici l'animal qui acceptera parfaite- ment le pain, genre de nourriture dont la forme phy- sique n'a plus rien d'incompatible avec son organi- sation. De même un lapin périra d'inanition à côté d'une proie vivante on même d'un quartier de viande; réduisez cette viande en fragments, faites-la bouillir, il l'acceptera sans difficulté, et ladigérera le plus facilement du monde. J'ai nourri ainsi pendant un temps considérable des lapins avec de la viande de bœuf bouillie. Ainsi, nous le voyons, les qualités chimiques essen- tielles d'un aliment sont cachées à l'animal; son in- stinct s'arrête aux qualités physiques. Toute son orga- nisation est en rapport avec cette forme apparente de l'aliment auquel il est astreint; c'est une sorte de fatahté inscrite dans son organisme, sur son squelette, dans son genre de vie. Ce sont les qualités physiques de l'alimentation qui dominent l'histoire naturelle des animaux. L'homme, au contraire, doué de l'intelligence qui corrige l'instinct, est omnivore. Il sait donner aux ali- ments la forme qui les rend acceptables; il a recours pour cela aux artifices de la cuisson et de toutes les préparations culinaires, devant lesquelles disparaissent les qualités physiques. Tout animal serait omnivore comme l'homme, s'il savait se procurer les aliments végétaux ou les proies vivantes et les préparer d'une CL BERNARD. — l'hénoiiiènes. il — 17 258 IMPORTANCE DES ACTES CHIMIQUES. façon convenable: son tube digestif est, en effet, capable de les digérer. C'est donc dans ces actes chimiques de la digestion proprement dite que résideront l'unité et la généralité de la fonction. C'est pourquoi cet ordre de phénomènes fixera par la suite notre attention d'une manière plus spéciale. LEÇON XVIII Histoire des théories ehiniiqiios de la digestion. Sommaire. — Théorie de la coction (Hippocrate, Gulien). — Théorie de la putréfoction (Plistonicus, Cheselden). — Théorie de la fermentation (Van Helmont, Sylvius, Willis, Boyle). — Théorie mécanique : latro-mécaniciens Borelli, Boerhaave, Pitcairn. — Expériences de Réauniur, de Stevens, de Spallanzani. — Procédé des digestions artificielles: Réauniur, Spallanzani, Tiedemann et Gmelin, Leuret et Lassaigne. — Procédé de la fistule artifi- cielle: W. Beaumont,Blondlot. — Procédé des sucs digestifs factices : Eberle. L'élude des phénomènes chimiques de la digestion constitue la partie la plus importante de l'histoire de cette fonction, et celle qui, aux diverses époques, a le plus préoccupé les physiologistes. Il peut y avoir intérêt à jeter un coup d'oeil rétrospec- tif sur les travaux de nos prédécesseurs, avant d'exposer l'état actuel de la science sur la question. Les connaissances précises sont assez récentes: les anciens n'avaient que des idées vagues, imaginatives, sur la nature de l'acte par lequel les matières alimentaires ingérées devenaient solubles et capables de s'incorporer à la substance de l'animal. Ce sont les médecins qui ont d'abord émis ces idées, car les premiers physiologistes furent des médecins. Le résultat de leurs méditations a été traduit dans des théories purement spéculatives, qui s'appuyaient sur une observation très-restreinle et qui ne cherchaient pas la 260 COCTION. seule consécration désirable, celle de l'expérience. Quelles que soient donc ces idées, elles ont contre elles le vice rédhibitoire d'être des hypothèses. Celte réserve faite, examinons ces théories dans Tordre mêaie de leur apparition. A l'origine de toute question relative à l'homme, on trouve le nom d'Hippocrate, le père de la médecine. Hippocrate désignait la digestion pai* le moi de pepsis, qui veut dire cuisson, et il attribuait cette cuisson à la cha- leur de l'estomac. Il entendait dire par là que les aliments subissent dans l'estomac une préparation, une élabora- tion semblable à celle que déterminerait une cuisson véritable. Cette idée de la coction des aliments se reti'ouve chez un grand nombre des successeurs d'Hippocrate. Mais quelquefois le mot détourné de sa signification ordinaire semble désigner non plus une cuisson proprement dite, mais une élaboration particulière. Ainsi en est-il chez Galien, qui admettait trois sortes de digestions ou de codions dont le résultat était de rapprocher de plus en plus la masse alimentaire du li- quide sanguin: la première s'accomplissait dans l'esto- mac, la seconde dans l'intestin, la troisième dans le foie. Cette doctrine se retrouve plus tard sous le nom d' élira- don [eiiiare, cuire) auprès d'un grand nombre de médecins parmi lesquels on peut citer Michel Servet et Drake. Une autre théorie est celle de la putréfaction. Un cer- tain Plistonicus, disciple de Praxagore, considérait la dissolution des aliments (jui se fait dans le tube digestif PUTRÉFACTION. 261 comme analogue à la uécomposition spontanée des ma- tières organiques exposées à l'air et à la chaleur. Celte manière de voir a eu des partisans jusqu'à une époque assez rapprochée de la nôtre, et Cheselden la reproduit dans son Traité d'anatomie publié en 1763. Il est bien vrai que lorsqu'on laisse en présence des substances organiques et de l'eau exposées à la chaleur et à l'air, il se produit une série d'altérations qui ont pour résultat de faire disparaître ces matières. Mais les décom- positions digestivessont de tout autre nature. En effet, la décomposition spontanée des produits azotés, de la viande, donne naissance à de l'ammoniaque facile à caractériser par sa réaction alcaline et son odeur. La décomposition spontanée des matières grasses ou fécu- lentes donne lieu à la production d'acide gras ou d'acide lactique, etc., caractérisés, pour l'observateur le plus superficiel, par une odeur aigre ou d'autres réactions. Ces destructions, qui engendrent de l'ammoniaque ou des acides, peuvent certainement se manifester dans certaines parties du tube digestif où sont réalisées les conditions qui, d'ordinaire, y président. Mais c'est là une action tout à fait accessoire. Si l'on examine le contenu de l'intestin grêle où se fait la digestion proprement dite chez un animal nourri de viande, on lui trouve une réaction acide et non point la réaction alcaline ammo- niacale. Au contraire, l'intestin de l'herbivore nourri d'aliments hydrocarbures donne des alcalis à la place des acides que l'on serait en droit d'attendre. En troisième lieu apparaît la théorie de la fermenta- tion. Van Helmont en est rep^ardé comme l'auteur ; mais 562 FERMENTATION. pour lui la fermentation était, une opération vague et nécessairement mal connue, puisqu'elle n'est pas encore complètement comprise aujourd'hui. Elle exprimait une modification qui ferait passer les corps d'un état dans un au Ire par une sorte d'ébranlement intestinal. La pré- sence d'un levain est nécessaire à cette transformation. Van Helmont attribuait ce rôle de levain aux résidus des digestions précédentes qui, selon lui, subsistaient toujours dans le tube digestif. Si l'on ouvre un lapin, on trouve effectivement toujours une certaine quantité d'aliments dans son estomac, même s'il est resté longtemps sans prendre de nourriture, même s'il est mort de faim. A cette première donnée Van Helmont en ajoutait d'autres, obscures ou bizarres. Les ferments étaient di- rigés par des archées. Il admettait six espèces de diges- tions : la première s'accomplissait dans l'estomac, la seconde dans l'intestin, la troisième dans le foie, la qua- trième dans le cœur, la cinquième dans le poumon où les aliments se changeaient en esprits animaux, la sixième dans « la cuisine des membres » . Chacune de ces opé- rations était régie par des archées spéciales. A côté de ces fantaisies singulières, ainsi que nous l'avons déjà dit, Van Helmont avait l'esprit d'un véri- table expérimentateur, et il essaya d'expérimenter sur la digestion en se procurant par régurgitation les matières qui avaient séjourné dans l'estomac. Les idées de Van Helmont ont été adoptées par Sylvius, Willis, Boyle et d'autres. Différents aspects du phénomène avaient frappé les divers auteurs. Érasistrate, ayant observé les niouve- EXPÉRIENCES DE ÏIÉAUMUR. 263 ments de l'estomac pendant qu'il fonctionne, pensa que la seule action de la digestion était de broyer et diviser mécaniquement les aliments: c'est la théorie mécanique de la digestion. Adoptée par les iatro-mécaniciens, cette hypothèse a été le point de départ de quelques découvertes et d'er- reurs singulières. Borelli (1608) et Boerhaave (1668) at- tribuaient à l'estomac une force considérable. Un célèbre médecin de Rotterdam, Pitcairn (1700), a été plus loin dans ce sens : il évalue à 12951 livres la force triturante de l'estomac. Le caractère purement hypothétique de toutes les théories émises sur la digestion pendant cette première période leur enlève toute valeur. Mais la question devait entrer bientôt dans la période expérimentale, et c'est Réaumur (1683-1757) qui eut l'honneur d'ouvrir celte voie. Il voulut juger d'abord si l'opération qui, dans l'es- tomac, transforme les aliments en cette bouillie appelée chyme, est une simple attrition mécanique, ou si, comme l'avait avancé Asclépiade, le médecin de Cicéron, et après lui les anatomistes- médecins, c'était une dissolution chimique. Il opéra donc sur les oiseaux, qui offrent des facilités particulières pour l'examen. Il eut l'idée de placer les aliments solides dans des tubes de verre ou de métal percés de trous, de façon à permettre l'imbibition par les liquides digestifs tout en s'opposant aux actions mécaniques. Les tubes n'étaient pas. d'abord assez résistants. Intro- duits dans le gésier d'oiseaux, chez qui cet organe est 264 DIGtSTION ARTlFICIliLLb:. Irès-puissanî, ils ne résistaient pas à la pression ; ils étaient brisés ou tordus. Ce fait avait déjà été signalé par les académiciens del Cimento à Florence, Redi, Nago- lotti, etc. Réaumur (1752) prit donc des tubes plus résistants, et, les ayant retirés après quelque temps de séjour dans les organes digestifs, il coustata que les aliments avaient été digérés. La digestion peut donc s'accomplir sous la seule influence des sucs digestifs, sans intervention de forces mécaniques. La viande est dissoute alors qu'elle n'a pu être dilacérée ni divisée: la trituration mécani- que n'est pas nécessaire. Il en était tout autrement pour les graines. La tritura- tion est une condition indispensable de leur digestion. L'orge introduite dans les tubes restait iuattaquée, si elle n'avait pas été préalablement broyée et divisée. Réaumur voulut aller plus loin encore et réaliser une expérience décisive, celle de la digestion artificielle. Il se proposait de recueillir une assez grande quantité de sucs digestifs, et devoir s'ils pourraient agir en dehors du corps de l'animal, dans les vases à expériences. Ses pre- mières tentatives, dans lesquelles il essayait de se pro- curer les sucs au moyen d'épongés, échouèrent, et la mort vint interrompre ses travaux. Un médecin d'Edimbourg, Stevens (1777), lépéla quelque temps après sur le chien et môme sur l'homme les expériences ipic Réaumur avait exécutées sur les oiseaux, et arriva aux méuîcs résultats. Néanmoins, même après ces travaux, la théorie chi- mique de la digestion n'était pas établie sur une base suc GASTRIQUI-:. SP-ALLANZANI. 265 inébranlable, car elle n'avait pu être encore réalisée en dehors de l'animal, m vitro. Aussi les vilalistes inter- vinrent ici ; et, prétendant que cette opération ne pou- vait s'accomplir que dans l'être vivant, ils afïirmèrent qu'elle était sous la dépendance d'une force nerveuse, d'une force vitale. Spallanzani devait répondre à cette objection dans un mémoire remarquable, publié à Genève en 1783, et qui contenait le récit d'expériences suivies depuis six années. Il s'était procuré le suc de l'estomac en assez grande quantité au moyen d'épongés introduites dans ce viscère, et avait pu reproduire en dehors de l'animal, dans des vases à expériences, de véritables digestions arti- ficielles. Malheureusement Spallanzani ne put opérer sur des quantités suffisantes de suc gastrique pour en établir rigoureusement les caractères, fixer la question de savoir si le liquide était acide ou alcalin, si sa constitution était fixe ou variable, si son existence avait une absolue généralité. Aussi, après ces expériences si claires mais dans les- quelles le déterminisme phénoménal n'avait pu être suffisamment fixé, les obscurités reparurent-elles. Quel- ques auteurs imaginèrent que le suc gastrique n'avait pointde caractères fixes, qu'il était alcalin chez les her- bivores, acide chez les carnivores. Chaussier a prétendu qu'il était approprié k la nature de l'aliment et variable avec elle. Un physiologiste de Montpelliei-, Dumas, pro- fessa la même opinion. Enfin, Jeniii de Montègre alla plus loin et remit en question l'existence même du suc 266 TIEDEMANN ET GMELIN. gastrique en tant que liquide indépendant. 11 soutint, en 1812, dans une communication à l'Académie des sciences, que le suc gastrique n'était autre chose que le produit de l'acidification des liquides salivaires. Pour compléter ce chaos, une nouvelle expérience de Wilson Philips vint ressusciter la force vitale et nerveuse comme cause de la digestion. Ce médecin disait avoir constaté, en effet, que si l'on prenait un chien en digestion et si l'on coupait les nerfs pneumogastriques, la digestion s'arrêtait ; en excitant le bout périphérique de ces nerfs, la digestion reprenait. Les choses étaient en cet état de désordre et de con- fusion en 1823. A cette époque, l'Académie des sciences, désireuse d'en finir avec ces incertitudes et de contribuer à l'éclaircissement de cette obscure question, fit appel aux lumières des physiologistes contemporains. Voici le sujet du prix de physiologie qu'elle proposa pour l'année 1828: «Déterminer par une série d'expériences chimiques et physiologiques, quels sont les phénomènes qui se suc- cèdent dans les organes digestifs durant l'acte de la digestion. » Deux travaux importants répondirent à son appel: le premier dû à Tiedemann et Gmelin (1), le second à Leuret et Lassaigne (2). Tiedemann et Gmelin répétèrent les expériences de (1) Tiedemami et Gmelin, Recherches expérimentales physiologiques et chi- miques sur la digestion, trad. de l'allemand par A.-J.-L. Jourdan. Paris, 1827. (2) Lcurct et Lassaigne, Recherches physiologiques et chimiques pour ser- vir à l'histoire de la digestion. Paris, 1825. W. BEAUMONT. 267 Spallanzani: ils produisirent des digestions artificielles. La manière dont ils se procuraient de petites quantités de suc gastrique était très-simple. Ils sacrifiaient les animaux pendant la période digestive, ou bien ils sti- mulaient la sécrétion des parois de l'estomac en faisant avaler aux animaux sur lesquels ils expérimentaient, aux chiens par exemple, des corps inattaquables, des cailloux lisses ; puis ils sacrifiaient rapidement les animaux et recueillaient le suc sécrété. Leuret et Lassaigne agis- saient à peu près de même, et, comme Tiedemann et Gmelin, ils ne bornèrent pas leurs études au suc gas- trique, maisrecueillirent du suc pancréatique et d'autres liquides digestifs pour en fixer les caractères. Quelque temps après parut un travail de MM. Prévost et Leroyer (de Genève). La seule particularité digne d'in- térêt qu'il y ait à signaler, dans ce travail, est la sui- vante. D'après ces auteurs, la digestion ne s'accomplirait pas exclusivement dans l'estomac. Ils croyaient qu'une seconde digestion s'exécutait dans le caecum, parce que, chez les herbivores, ils avaient trouvé cette partie de l'intestin toujours acide. Nous arrivons ainsi à l'année 1834 qui vit l'apparition d'un travail destiné à faire époque dans l'histoire de la digestion. Il s'agit d'un mémoire publié par un chirurgien amé- ricain, M. W. Beaumont. Un cas pathologique avait été l'occasion deses observations intéressantes ; c'est le cas cé- lèbre d'un jeune chasseur canadien, Alexis Saint-Martin, qui, à la suite d'un accident de chasse, avait conservé une fistule dans l'estomac. Beaumont, appelé à soigner "208 LIOUIDES DIGESTIFS ARTIFICIELS. cet homme, utilisa les facilités exceptionnelles qui s'of- fraient à lui pour étudier les conditions de la sécrétion. Nous voici parvenus à une époque où les découvertes se pressent et s'accumulent. Un travail de M. Ei^erle (de Wurtzburg), publié en 1834 et resté à peu près ina- perçu lors de son apparition, marque cependant une phase importante dans le développement de la question. Sans être un expérimentateur à proprement parler, M. Eberle avait eu une idée très-heureuse et qui permit à lui et à ses successeurs de mener à bien des expé- riences très-importantes. Nous avons dit que déjà on avait réalisé des digestions artificielles; que Réau!nur avait fait les premiers essais à cet égard, que Spallanzani et Stevens les avait poussés plus loin : Spallanzani avait établi que les animaux digèrent encore après leur mort, et que quelquefois même l'estomac se digérait lui- même. Les digestions arlifîcielles étaient donc connues depuis longtemps. Mais ce qui fait le mérite original de M. Eberle, c'est que le premier il a produit des digestions avec des liquides digestifs factices. Au lieu de recueillir le suc gastrique sécrété par l'estomac, il prit un mor- ceau de la membrane muqueuse qu'il fit infuser dans de l'eau légèrement acidulée d'acide chlorhydrique. Le liquide de la macération avait des propriétés digestives égales à celles du suc gastrique. C'est par ce procédé que Wasmann (i839) put isoler la pepsine ou gastérase, principe actif du suc gastrique dontSchwann avait déjà soujinMiné l'existence. Cette idée de M. Eberle est, nous le répétons, une idée FISTULES ARTIFICIKLl.l'S t^GO très-heureLise et féconde en résultats. Son piocédé d'in- fusion des glandes est applicable à l'étude du suc pan- créatique, du suc intestinal, de tous les liquides intesti- naux. 11 constitue un moyen d'investigation extrêmement précieux. Après la découverte des digestions artificielles, des infusions glandulaires pour la préparation des sucs intestinaux, un dernier progrès fut obtenu par l'intro- duction dans la science des fistules artificielles comme procédé de l'echerche. M. Blondlot (de Nancy), vers 1842, eut ridée de reproduire sur des animaux l'accident for- tuit dont avait été victime le chasseur canadien de W. Beaumont. Dès lors, l'étude du suc gastrique ne présentait plus de difficultés. Mais si M. Blondlot a ac- compli un réel progrès de ce côté-là, d'autre part il s'est arrêté à des erreurs regrettables et systématiques : il n'a voulu reconnaître de propriétés digestives qu'à ce seul suc gastrique qu'il avait fort bien étudié, et nia les qua- lités essentielles et le rôle des autres sucs intestinaux. Il n'a voulu admettre qu'une digestion unique, tandis qu'en réalité il y a des digestions multiples. Enfin, en 1852, MM. Bidder et Schmidt ont publié à Leipzig un travail très-complet sur la digestion. Ils ont mis en évidence cette vérité déjà indiquée par Tiede- mann et Gmelin, Leuret et Lassaigne, et d'autres, que la digestion était un fait complexe, et non pas un fait unique; qu'il y avait en réalité un grand nombre de sucs digestifs et non un suc digestif unique, plu- sieurs digestions et non pas seulement une digestion stomacale. 270 MOYENS ACTUELS. A partir de ce moment, les faits essentiels étaient acquis, les bases de la théorie chimique de la digestion solidement établies. 11 ne restait plus qu'à développer ces principes et à compléter l'étude détaillée de cette fonction dont les traits généraux étaient au moins indi- qués, sinon connus. En résumé, on possède donc aujourd'hui des moyens commodes pour étudier les sécrétions digestives. Ce n'est que lentement qu'on est arrivé à ces perfectionnements. Réaumur (1752) avait fait les premières tentatives dans cette voie ; il cherchait à se procurer le suc gastrique au moyen d'épongés qu'il faisait avaler à des oiseaux de proie, à des buses, et qu'il exprimait ensuite. Spallan- zani (1777) employa les mêmes méthodes que Réaumur, mais avec plus de succès, et il parvint à réaliser des digestions artificielles. Tiedemann et Gmelin (1827) re- cueillaient la sécrétion de l'estomac en sacrifiant des chiens auxquels ils avaient fait avaler des corps inertes, des cailloux lisses. Gosse (de Genève) et Montègre re- cueillirent le suc gastrique sur eux-mêmes, grâce à une faculté de régurgitation qu'ils étaien tmaîtres de produire à volonté. Enfin, W. Reaumont (1833) observa les phé- nomènes de la digestion et pénétra dans l'intérieur même de l'estomac par une fistule accidentelle que pré- sentait un homme qu'il avait soigné. Ce fut là l'origine de la pratique de la fistule artificielle suggérée à Rlondlot par les observations de Reaumont. Depuis lors, on a opéré sur des animaux très-diffé- rents, sur des chiens, des chats, sur des ruminants, sur des oiseaux. On a étudié chez tous ces animaux les pro- IDENTITÉ DES SUCS DIGESTIFS. 271 priétés des divers sucs digestifs, et l'on a constaté chez eux l'analogie ou l'identité des phénomènes chimiques de la digestion sur lesquels nous allons appeler votre attention. Mais avant d'aborder ce sujet, il est nécessaire de définir la nature des aliments qui sont soumis à l'action des sucs digestifs. LEÇON XIX IjCs aliments. Sommaire. — DiMlnition di; rnliinciit par l'évolution qu'il suit dans l'orga- nisme. Cinq classes d'aliments : 1° Aliments azotés. 2° Aliments amylacés, o" Aliments sucres, i" Aliments aras. 5" Aliments minéraux. Les éléments deséciianges interstitiels qui constituent le mouvement incessant de la nutrition sont fournis t'i Têlre vivant par l'alimentation. Il puise au dehors les principes qui, après avoir subi une élaboration plus ou moins compliquée, viendront réparer les pertes conti- nuelles de l'oro-anisiiie.Mais entre le moment où les prin- cipes sont empruntés au monde extérieur, et celui où ils sont incorporés de manière à faire véritablement partie intégrante des tissus, il s'écoule un intervalle plus ou moins long, il s'accomplit une série de modifications chimiques plus ou moins profondes, à savoir : la diges- tion proprement dite qui met la substance en état de pénétrer dans le milieu intérieur nourricier; V absor- ption qui réalise cette pénétration; Vélaboratioji ulté- rieure qui s'accomplit dans le sang et au contact des éléments anatomiques. La substance qui vient du dehors passe ainsi par une succession de phases, dans chacune desquelles elle diffère de ce qu'elle était auparavant et de ce qu'elle sera DliFlNlTION DE l'aLIMENT. 273 ensuite. On a donné à cette matière susceptible de se transformer le nom général à' aliment. Ce mot a donné lieu à bien des discussions. Auquel des divers états que nous venons de signaler le nom est-il applicable? Est-ce à la substance introduite? Est-ce à la substance digérée et rendue absorbable? Est-ce à la substance élaborée et mise en place? Il peut arriver que l'évolution de la sub- stance s'arrête en effet à chacune de ces phases, qu'une substance soit introduite sans être digérée, qu'elle soit disjérée et absorbée sans être élaborée et assimilée. En réalité, il serait peut-être logique de n'accorder le nom d'aliment qu'aux seuls corps susceptibles de subir l'évolution complète et d'intervenir efïicacement dans Toeuvre de la réparation organique; d'après cela, la qua- lité alimentaire ne serait pas inhérente à un composé chimique défini, mais dépendrait encore des opérations auxquelles ce composé a été soumis dans l'organisme, de la marche qu'il a suivie. En me plaçant à ce point de vue, j'ai pu dire que le sucre de canne était ou n'était pas un aliment suivant ses conditions d'intro- duction : s'il passe par le tube digestif, il est alimentaire, car il est modifié et incorporé; s'il est introduit par les veines, il n'est pas alimentaire, car il est expulsé et rejeté au dehors sans avoir participé aux échanges nutritifs. Celte manière de définir le terme aliment me paraît la plus rigoureuse et la plus logique. Pour qu'une sub- stance soit désignée de ce nom, il faut qu'elle parcoure le cycle complet, qu'elle soit absorbée et qu'on ne la retrouve pas intacte dans les résidus éliminés du tube digestif. Néanmoins, il est bon d'être prévenu que le CL. BERNARD. — Phénomènes. ii. — 18 *274 FORME PHYSIQUE DES ALIMENTS. terme est susceptible de plusieurs acceptions, le plus souvent arbitraires, et qu'on n'a pas toujours respecté la définition scientifique et précise que nous proposons. L'alimentation des animaux est, à première vue, excessivement variée; elle comprend un nombre presque infini de substances. Mais la physiologie a fait voir que cette diversité n'était qu'apparente, et que la multitude des aHments pouvait être classée en trois ou quatre groupes simples, le mécanisme des procédés digestifs étant le même pour chacun d'eux. Là réside l'unité de la fonction digestive dans la série animale. Au point de vue de la forme physique, les aliments peuvent être divisés en aliments gazeux, liquides et solides. 11 n'y a guère que les plantes et les animaux sans tube digestif, tels que certains helminthes ou les animaux suceurs, qui se nourrissent de matières liquides ou ga- zeuses. Partout ailleurs l'aliment est introduit sous la forme solide, et sa liquéfaction est précisément le but des premiers changem.ents que lui fait subir la digestion. Les plantes empruntent à l'atmosphère une partie du carbone et de l'azote qui entrent dans leur constitution. Le carbone est introduit sous forme d'acide carbonique gazeux; l'azote pénètre peut-être directement, suivant Théodore de Saussure, G. Ville, Dehérain. En tous cas, cette source d'azote est plus faible qu'on ne l'avait cru d'abord. Des recherches attentives, surtout celles de iM. Boussingault, ont réformé ce qu'il pouvait y avoir d'exagéré dans cette manière de voir. Elles ont prouvé que la plus grande partie de l'azote que contiennent les DIVISION PHYSIOLOGIQUE DES ALIMENTS. 275 plantes est extraite des combinaisons ammoniacales qui pénètrent les parenchymes végétaux après dissolution, ou bien que l'azote s'introduit sous forme de combi- naisons oxygénées. Au point de vue de la chimie de la digestion les ali- ments forment cinq classes : i° Matières protéiques azotées; 2" Matières féculentes amylacées ; 3° Matières sucrées ; 4° Corps gras. 5° Il faut enfin ajouter une cinquième classe, les matières minérales, eau, sels et gaz. Si l'on envisage la composition des organes, on y trouve précisément ces cinq espèces de substances. C'est sur ces matières que portent l'effort de la digestion et l'action chimique des sucs sécrétés par les glandes spé- ciales annexées à l'appareil digestif. D'ailleurs, il y a nécessité pour l'organisme de trouver réunies dans l'alimentation ces cinq espèces de maté- riaux. Le corps ne peut, en effet, contenir d'autres prin- cipes que ceux qui lui viennent du dehors. Aucune pro- position n'est plus évidente que celle-là, et nous sommes loin du temps où l'on pensait que la force vitale pou- vait créer des corps simples chimiques; où Ton croyait, par exemple, qu'il y avait plus de soufre dans l'œuf du poulet à la fin de son incubation que dans les com- mencements. L'aliment complet^ c'est-à-dire satisfaisant à tous les besoins et à toutes les nécessités de l'organisme, est donc complexe, puisqu'il doit renfermer ces divers groupes 27G ALIMENTS AZOTÉS. de matières en quantités convenables. Le lait, qui suffit aux premiers développements de l'animal, réalise cet idéal. L'œuf de la poule s'en approche sans l'atteindre complètement, car il ne fournit pas une quantité de cha- leur suffisante pour le développement des petits ; la cha- leur fournie par la mère aux jeunes pendant l'incubation comble ce déficit. Aliments azotés. — Les principes nutritifs de la première espèce, ou principes azotés^ se retrouvent con- stamment identiques avec eux-mêmes dans la nour- riture des animaux, que ceux-ci soient herbivores ou carnivores. La seule difTérence, c'est que, sous le même volume, il y en a en général des proportions moindres dans l'aliment végétal que dans l'aliment animal. Ces principes azotés, que tous les animaux consom- ment, quel que soit leur régime, forment par leur com- position et leurs propriétés générales une classe à part, nettement définie. Ils renferment du carbone, de l'oxygène, de l'hydro- gène, du soufre et de l'azote.lls se caractérisent par leur instabilité, la facilité avec laquelle ils passent de l'état soluble à l'état insoluble, la variété de leurs transforma- tions moléculaires. Leur composition s'exprime par des formules extrêmement com|)liquées, mais qui se simpli- fieront évidemment, quand on aura fixé les affinités véritables qu'ils présentent. Leurs formules oscillent autour de celle qui a été adoptée par Lieberkïihn : ('."Ml"-Az'^S=0". ALBUM INOÏDES. 577 Sauf une seule, l'hémoglobine, aucune de ces ma- tières ne cristallise : les forces moléculaires spéciales qui déterminent la cristallisation ne viennent pas en- traver les arrangements variés que la nutrition doit imprimer à ces substances. Comme le plus grand nombre des produits essentiels à la vie, ceux-ci, alors même qu'ils présentent un com- mencement d'arrangement régulier, sont dissymé- triques, selon l'observation de M. Pasteur. Cette dis- symétrie moléculaire est manifestée chez les substances solubles par le pouvoir rotatoire. Elles forment deux groupes d'isomères. Le premier groupe comprend V albumine, la globuUne, \?i fibrine, la caséi?ie,eic., qui existent dans les végétaux comme chez les animaux, en présentant une analogie de propriétés que Liebig surtout s'est attaché à faire ressortir. Ces substances albuminoïdes prolêiques ont leur com- position centésimale exprimée par les chiffres suivants : Carbone 53,5 Hydrogène 6,9 Azote 15,6 Oxvgène 24,0 Mulder avait cru reconnaître dans un corps appelé protéine (obtenu en dissolvant dans les alcalis et précipi- tant par les acides) la base commune, le radical de tous les autres. Cette vue n'a pas été vérifiée. Dans un second groupe, on trouve les matières coUagènes susceptibles de fournir par la coction dans 278 COLLAGÈNE. l'eau de la gélatine, à savoir l'osséine, la chondrine, particulières au régime animal et formant le tissu des cornes, ongles, poils, os, cartilages, derme, ten- dons. Toutes paraissent avoir la même composition, qui, sauf le soufre, est exprimée en centièmes par les nom- bres suivants : Carbone 50,0 Hydrogène 6,6 Azole 16,8 Oxygène 26,6 Quant à leur valeur nutritive, elle a donné lieu à des discussions interminables. On se souvient de celle que souleva l'emploi de la gélatine dans l'alimentation. Pa- pin, le premier, l'avait préconisée. Proust et Jean Dar- cet le père la mirent en grande vogue, et Joseph Darcet parvint à en répandre l'usage : on la préparait en tablettes; on en faisait du bouillon. La question fut por- tée devant l'Académie, et Magendie, chargé du rapport, institua un grand nombre d'expériences à ce sujet. Des chiens uniquement nourris de gélatine ne tardaient pas à périr. La conclusion fut que la gélatine n'était pas alibile. Mais la démonstration était insuffisante : les expériences prouvaient seulement que la gélatine n'était pas un aliment complet, pas plus d'ailleurs que la fibrine ou la caséine. L'emploi exclusif de l'une quelconque de ces substances aurait le même fâcheux résultat. Matières hydrocarbonées. Substances amylacées. SUBSTANCES IIYDROCARBONÉES. 279 Substances sucrées. — Les matières hydrocarboiiées jouent un rôle très-important dans l'alimentation : elles comprennent les féculents et les sucres. Malgré leurs différences physiques, ces corps sont très-voisins par leur constitution et leurs réactions chimiques ; leur digestion se fait de la même manière : elle commence par la transformation de ces principes en glycose. C'est à cette condition seulement que ces substances peuvent participer au mouvement de la nutrition animale ou végétale. Les unes ont pour formule CW'^O'^ Les plus impor- tantes sont : la cellulose, base de l'économie végétale et qui se retrouve chez quelques animaux, les articulés par exemple, sous le nom de chitine ; les matières amy- lacées, amidon, inuhne, lichénine, glycogène; les gommes et la dextrine. Dans un second groupe, la formule est C^-H'^0" ou Q24f|2-2Q22^ Le type est le sucre de canne ou de bette- rave, avec ses congénères mélitose, eucalyptose, Iréha- lose, mélézitose, lactose. Dans un troisième groupe, on trouve les sucres fer- mentescibles, C'"H'-0'"', longtemps confondus avec la glycose, ou sucre de raisin, qui en est le type, à savoir : la lévulose et la glycose des fruits acides, qui se produi- sent par l'interversion du sucre de canne; la maltose, la galactose, la sorbine, l'inosine, l'inuline, se rattachent à ce groupe. Deux propriétés communes très-importantes doivent être signalées ici. La première, c'est la déviation du plan de polarisation, tantôt à droite, tantôt à gauche, facile 280 MATIÈRES GRASSES. à constater direclement pour celles qui sont solubles et indireclement pour les autres. La seconde propriété, purement chimique, consiste dans la transformation de ces substances, sous l'intlueiice de l'acide nitrique chaud, en acide muciqiœ ou en acide oxalique. Les corps des deux premiers groupes sont susceptibles de s'hydrater et de se transformer en corps du troisième groupe avec la formule C'-H'-O'"-. On s'est demandé si la cellulose constituait un aliment véritable. Il est certain qu'elle ne devient soluble que sous des actions chimiques très-énergiques et dont on ne peut guère imaginer la réalisation dans l'économie. Elle ne paraît donc pas jouer, au moins lorsqu'elle est sous sa forme la plus cohérente, un rôle important dans la nutrition. Les matières amylacées, au contraire, sont susceptibles d'être digérées en se changeant successivement en dexlrine et en glycose. Nous verrons que le sucre de canne se change dans l'intestin en sucre interverti, mélange de glycose et de lévulose. Les gommes sont peu modifiables; la plus grande partie de ces produits n'est pas absorbable : dans leur état ordinaire, elles sont le type des substances colloïdes incapables de diffusion à travers les parois membra- neuses. On les retrouve presque complètement dans les résidus de la digestion. Matières grasses. — Les matières grasses, très- riches en éléments combustibles, carbone et hydrogène, MATIÈRES MINÉRALES. ''iS 1 sont identiques dans les deux règnes. On sait qu'elles résultent de l'union de la glycérine, alcool triatoniique, et d'un acide gras avec élimination d'eau. L'opération qui détruit l'union de ces principes et qui les sépare a reçu le nom de saponification. Les savons sont les sels des acides gras. Les seules altérations connues des matières grasses dans l'organisme sont la saponification et l'émulsion ; ce sont les seules, au moins, qu'elles paraissent subir dans le tube digestif. L'expérience a établi que la préexistence des graisses dans les aliments n'était pas nécessaire à leur exislence dans l'organisme animal. Les animaux possèdent la faculté de créer des corps gras avec les substances hydrocarbonées ou protéiques. Matières minérales. — La nécessité des matières minérales dans l'alimentation résulte de leur présence constante dans un certain nombre de tissus animaux. Ces matières sont: l'eau, des gaz, des substances solides. Parmi les substances minérales qui pénètrent après dissolution et qui font partie intégrante de l'organisme, il faut citer: Le sel marin ou chlorure de sodium ; Les phosphates de soude et de potasse ; Le carbonate de soude. On en a exagéré la proportion. L'incinération des tissus et du sang en manifeste une plus grande quantité que celle qui préexistait véritable- ment; la décomposition des matières organiques en pré- sence de la soude peut en effet en produire. 282 ALIMENTS MINÉRAUX. Les phosphates de chaux et de magnésie ; Le carbonate de chaux; Le fluorure de calcium, dans les os et dans les dents. M. Nicklès l'a retrouvé dans toutes les parties de l'or- ganisme. De plus, certains métaux, tels que lefei', sont regardés comme indispensables à l'alimentation. LEÇON XIX Digestion opérée dans les premières voies digcstives jusqu'à l'intestin grêle. Sommaire. § t. — Les salives ont des usages physiques, en rapport avec la mastication, la gustation et la déglutition. Le rôle chimique de la salive est purement accessoire : il n'app^artient qu'à la salive des glandules buc- cales et ne s'exerce que sur les féculents cuits. § 2. — L'estomac est défini par le caractère acide de sa sécrétion, et non par sa forme, sa situation, sa structure ou ses rapports. — La sécrétion gastrique est activée par les excitants alcalins. L'acidité du suc gastrique n'est pas un fait primitif: c'est le résultat d'une modification de la sécrétion. Action du suc gastrique sur les albuminoïdes simples, fibrine, albumine, caséine. — Peptones; leurs caractères distinctifs. Action du suc gastrique sur les albuminoïdes complexes. Conclusion. — La digestion stomacale n'est qu'une préparation à la digestion véritable des albuminoïdes. Les véritables agents chimiques de la digestion sont les liquides glandulaires, sécrétés dans les annexes du tube digestif et déversés ensuite dans cet appareil. C'est dans leur étude que se concentrent les phénomènes essentiels : en faisant leur histoire on fait l'histoire même de la fonction à ce point de vue. Nous nous occuperons de ces sécrétions successivement en procédant d'une ex- trémité à l'autre du tube. Nous suivons ainsi l'ordre naturel d'après lequel ils agissent sur les ahments, la série des modifications successives que ces substances éprouvent dans leur passage. •284 USAGES DES TROIS SALIVES. S I- Le premier agent de sécrétion à l'action duquel les alimenls soient soumis est la salive. Les appareils qui sécrètent ce liquide se trouvent disposés à l'entrée du canal intestinal, presque à ses confins. La salive est un liquide complexe, résultant du mélange et de l'union de plusieurs espèces de sécrétions. Pendant longtemps on n'a étudié qu'en bloc cette masse hétéro- gène. L'anatomie avait bien appris qu'elle provenait de sources différentes, de plusieurs glandes distinctes ; la physiologie continuait à confondre les rôles séparés qui appartiennent à chacun des éléments dans le nMe ((ui appartient à leur ensemble. Je crois être le premier qui ait étudié séparément l'influence de ces diverses salives et qui en ait fixé la des- tination spéciale. J'ai établi ailleurs (J) qu'elles étaient destinées surtout à des usages physiques, particuliers pour chacune d'elles. Leur étude n'a donc (pi'un lien très-indirect avec notre sujet actuel qui, ainsi que nous l'avons dit, comporte seulement l'étude des agents chi- miques. Nous en parlons surtout pour direcpie leur nMe a été singulièrement exagéré et pour le ramener à sa juste importance. En réalité, ces diverses glandes répondent à trois usages dilTérents. Elles concourent à l'accomplissement de trois phénomènes dont la cavité buccale est le théâtre : (!) Voy. Levons de physiologie au Collège de France, t. il, 1856. ACTION CHIMIQUE DE LA SALIVE. '285 la uiaslicatioii, la déglutition, la gustation. La sécré- tion parotidienne est liée à la mastication ; la sécrétion sous-maxillaire à la gustation ; la sécrétion de la glande sublinguale et des glandules buccales et pharyngiennes est liée à la déglutition. Nous arrivons au véritable point intéressant de celte étude. Il s'agit du rôle chimique de la salive. Relativement aux aliments azotés ou gras, ce rôle est nul. Mais beaucoup de chimistes ont prétendu qu'il n'en était plus de même relativement aux aliments hydro- carbonés, et que la salive jouissait de la propriété de transformer les féculents insolubles en glycose soluble et absorbable. Elle serait donc l'agent chimique de la di- gestion des féculents. Voici l'expérience sur laquelle on s'est fondé. Prenons de la fécule hydratée, telle qu'elle existe dans le pain cuit ou dans l'empois. Nous constatons sa propriété caractéristique de bleuir l'iodé. La liqueur cupro-polas- sique ne fournit aucun précipité. Nous sommes donc cer- tains d'avoir affaire à de l'amidon pur et nullement trans- formé en glycose. Ceci posé, faisons agir le liquide salivaire buccal. Au bout de quelques instants, l'iode essayé de nouveau ne fournit plus la coloration bleue caractéristique de l'amidon, et, au contraire, le tarlrate cupro-potassique manifeste par sa précipitation l'exis- tence du sucre. La conclusion est facile : l'amidon a été transformé en glycose par la salive. L'expérience est irréprochable, et il n'entre en aucune façon dans notre esprit l'intention de la contester. Nous voulons seulement l'interpréter en fixant ses véritables conditions. *286 DIASTASE SALIVAIRE. Et d'abord les salives simples ne présentent point la propriété dont nous parlons. Elle appartient unique- ment à la salive mixte, qui a séjourné dans la cavité buccale. Ceci est facile à prouver. Vous avez sous les yeux de l'amidon mis en contact avec la salive paroti- dienne: il a cons ervé ses caractères, il bleuit par l'iode ; il ne réduit pas le liquide de Barreswill: c'est dire qu'il n'a subi aucune transformation. Même épreuve avec la sécrétion sous-maxillaire et même résultat. Même résultat encore avec le mélange des trois salives recueillies isolément. C'est donc au contact de la membrane muqueuse, en se mêlant aux produits des glandules buccales, que la salive acquiert la propriété de transformer l'amidon en glycose. Il convient surtout d'insister sur ce point capital que ce n'est pas toute espèce d'amidon alimentaire qui est ainsi transformée. Si l'on emploie de l'amidon cru, tel qu'il existe dans la pomme de terre, il ne subira aucune altération; nous le retrouverons inaltéré dans l'estomac. Nous vous montrons une expérience de ce genre. Voici un lapin qui a été sacrifié après avoir été nourri de pommes de terre. NousTetrouvonsdansTestomacla fécule intacte ; elle n'a subi aucune digestion dans la boucbe. Nous voyons ainsi tout ce que cette propriété de la salive a d'accidentel et de précaire. Elle n'appartient qu'à la salive mixte ; elle ne se manifeste qu'avec certaines variétés de matière amylacée, les plus attaquables. On a attribué cette action à une substance particu- lière, la diastase salivaire, qu'on a préparée à la façon des autres ferments, en la précipitant par l'alcool et la ROLE ACCESSOIRE DE LA SALIVE. ^87 redissolvant par l'eau. Mais cette diastase ne paraît pas être spéciale à la salive, car une foule d'autres licpiides normaux ou pathologiques, mis pendant un temps suffi- sauf au contact avec de l'amidon, entraînent la même transformation en glycoseque la salive mixte. Les salives simples, elles-mêmes, qui, aussitôt après leur produc- tion, sont impuissantes à réaliser Teffet dont nous par- lons, acquièrent cette propriété si on les laisse s'altérer, au contact de l'air. Le ferment existe à un degré égal dans le contenu des kystes, de la grenouillette, dans la sérosité des hydropisies. Le séjour de l'amidon sur une membrane muqueuse suffit parfois à le transformer. Les injections rectales, les lavements amidonnés, sont rendus souvent à l'état d'eau sucrée. On en peut dire autant des injections vésicales. En résumé, l'opinion qui nous paraît exprimer la vérité physiologique est celle que nous avons énoncée tout à l'heure. Les salives ne possèdent qu'un rôle chi- mique purement accessoire dans la digestion naturelle chez l'animal vivant. Il est vrai que, artificiellement dans un tube, on prouve que la sahve mixte agit sur l'eau d'empois d'amidon ; mais il ne faut pas exagérer l'importance des actions de ce genre. Il faut toujours revenir, en définitive, à ce qui se passe dans le canal intestinal d'un animal vivant, et l'observation portée sur ce terrain nous montre que les salives ne sont nulle- ment destinées à agir chimiquement. Elles ontseulement, comme nous le disions au début, à remplir des fonctions d'ordre mécanique en rapport avec la mastication, la gustation et la déglutition. ""ISS DÉFINITION DE l'eSTOMAC. § II. — SUC GASTIUQUE. Au point de vue fonctionnel, l'estomac est la première seclion du tube digestif dans laquelle les aliments su- bissent un commencement de transformation, la chyiui- tication. C'est là sa définition physiologique. Au point de vue anatomique, l'estomac est un simple renflement, plus ou moins développé selon l'animal que Ton envisage. Ce renflement est quelquefois la première étape qui s'offre sur la route descendante que suit le bol alimentaire; mais il n'en est pas toujours ainsi. Chez les ruminants, par exemple, trois cavités digestives, la panse, le feuillet et le bonnet, précèdent l'estomac véritable; chez les oiseaux, on trouve avant lui le jabot. L'inspection anatomique est donc insuffisante; elle ne pernîet pas de fi.xer la nature d'une cavité digestive et de lui appliquer la dénomination convenable. Elle con-- duirait à appeler estomacs, la panse, le bonnet, le feuillet du ruminant, le jabot de foiseau, et à confondre ainsi des organes essentiellement distincts. La notion de forme ou de situation est un guide infi- dèle et insuffisant, qui fournit des ren.seignements in- complets ou lrompeurs.il faut reconnaître que l'estomac n'est défini rigoureusement par aucune circonstance anatomique, ni par sa forme, ni par sa situation, ni par ses rapports; il est défini par ce caractère que les ali- ments y subissent une élaboration chimique. C'est son attribut le plus général; mais un signe facile à saisir et constant décèle son existence et trahit sa fonction, c'est ACIDITÉ DU SAC DE LESTOMAC 289 son acidité. Chez tous les animaux, les parois ou les sé- crétions de l'eslomac en activité présentent une réaction acide. Cette propriété est si universelle, qu'on peut la considérer comme caractéristique; on peut dire que la portion du tube intestinal dont la réaction normale est acide remplit la fonction de l'estomac et en mérite le nom . La préoccupation qui nous domine étant de mettre en évidence les notions générales, il est naturel que nous insistions ici sur cette propriété commune qui appartient à la cavité stomacale de tous les animaux. Les accidents de forme n'ont aucune importance pour l'objet qui nous occupe : la faculté de sécréter un suc acide, le suc gastrique, a seule de la valeur. L'examen doit porter sur l'existence ou l'absence de cette réaction acide. Si l'on envisage à ce point de vue les différents animaux, on sera mis en garde contre toute erreur. Chez l'oiseau, par exemple, la première cavité que nous rencontrions est \q jabot, renflement de l'œsophage, où les aliments séjournent quelque temps et où ils subissent une simple imbibition; un peu plus \o\w^\q ventricule succenturier représente la partie sécrétante de l'estomac; et un peu plus loin enfin, le gésier, à qui est réservée l'altrition mécanique des aliments, représente la partie musculeuse de cet organe. Des quatre estomacs que l'on décrit chez les rumi- nants, un seul, la caillette, présente une réaction acide et mérite le nom d'estomac. C'est là seulement que com- mence la digestion proprement dite, la digestion chi- mique ; dans les trois autres cavités, dont la réaction CL. BERNARD. —Phénomènes. II. — 19 290 RÉACTIONS DES PAROIS INTESTIXAIES est alcaline ou neutre, s'accomplissent des phénomènes préparatoires, mécaniques ou physiques. La caillette, au contraire, est nettement acide, et cette acidité est utilisée, comme vous savez, dans l'économie domestique, pour faire cailler le lait. L'action que le bol alimentaire subit dans la caillette n'est plus une action physique, une simple macération ; c'est une modifica- tion chimique énergique. L'acidité est donc un caractère universel de la sécré- tion gastrique. Hors de l'estomac, l'acidité est un phéno- mène accidentel variable avec l'espèce de l'aliment ; dans l'estomac, c'est un phénomène constant. Il importe peu que cet organe ait la forme d'un sac, d'une ampoule, d'une cornemuse, d'un tube; qu'il constitue le premier, le second ou le quatrième renflement sur le trajet du tube digestif. Ces particularités apparentes sont sans va- leur parce qu'elles sont sans généralité. La constance de la réaction chimique offre, au contraire, une impor- tance qui la recommande à notre attention. Au delà de l'estomac, la réaction fournie parles pa- rois ou les sécrétions intestinales redevient alcaline comme en deçà de cet organe. Le fait est connu depuis longtemps, et il avait déjà frappé Rerzelius, qui avait voulu le formuler en une sorte de loi. « Les sucs digestifs, disait-il, se succèdent avec des réactions in- verses d'un bout à l'autre du tube digestif. » Cet énoncé est trop absolu. L'intestin grêle, en effet, n'offre pas un caractère d'alcalinité constant. Il est a.loalin ou acide, suivant les cas, suivant la nature des aliments. EXCITANTS DE LA , SÉCRÉTION 591 Les alcalis jouissent de la propriété d'exciter les glandules de l'estomac et de provoquer énergiquement leur sécrétion; en sorte que lorsque l'on introduit des alcalis dans l'estomac, la portion de suc gastrique neu- tralisée directement est compensée et au delta par l'ap- port nouveau. Le résultat final est donc entièrement difTérent de celui que l'on aurait pu atteindre. Un fait de même ordre se produit à propos des sécré- tions salivaires, qui sont alcalines. Cette fois, ce sont les liquides acidulés qui provoquent la sécrétion. Il y a donc une sorte d'opposition entre la qualité chimique du liquide sécrété et la qualité du stimulant. Les eaux aci- dulés favorisent la production de la salive et des liquides alcalins, la salive alcaline favorise à son tour, ainsi que les liquides alcalins, la sécrétion acide de l'estomac. En admettant la loi de Berzelius, on voit que cette suc- cession de réactions inverses des liquides digestifs en- trevue par le grand chimiste ne serait pas un fait sans raison d'être ou sans portée. Il aurait, au contraire, pour résultat d'enchaîner les sécrétions les unes aux autres et de favoriser l'entrée en action des glandes digestives au moment opportun. Il y aurait donc là une sorte de liaison naturelle, ou, pour parler plus correcte- ment, une adaptation des mécanismes physiologiques, en vue d'un résultat à atteindre : la digestion. L'activité du suc gastrique réside dans deux de ses éléments : V acide, qui lui donne sa réaction, et un fer- ment, \?i pepsine. L'un et l'autre doivent agir ensemble, quoique leur rôle soit jusqu'à un certain point indépen- dant. L'acide peut agir simplement comme acide sur 292 RÔLE DE LÀCIDE GASTRIQUE certains corps. Par exemple, il attaque et dissout les métaux qui peuvent être introduits dans l'estomac, soit comme médicaments, soit comme corps étrangers acci- dentels. J'ai montré, par exemple, que la limaille de fer mise en présence du suc gastrique donnait lieu à un développement d'hydrogène, tandis que le métal, de sou côté, subissait une oxydation. 11 y a encore d'autres cas dans lesquels le suc gastrique agit par son acide, par exemple lorsque la substance in- troduite est décomposable par cet agent chimique. Ainsi, lorsqu'on fait ingérer à un animal un cyanure, l'acide cyanhydrique est déplacé et mis en liberté ; son influence toxique ne tarde pas à se manifester. L'effet est surtout foudroyant lorsque le sel est introduit pen- dant la digestion; il est plus lent pendant l'abstinence, à cause de la moindre quantité de sécrétion gastrique. Dans des leçons de physiologie générale nous n'avons pas l'intention de traiter à fond la physiologie spéciale de la digestion gastrique, mais seulement d'en faire res- sortir les caractères essentiels qui nous permettront d'arriver plus tard aux phénomènes de la nutrition. Nous ne dirons donc rien de la structure anatomique des organes, du mode de sécrétion, et des procédés que l'expérimentateur doit mettre en pratique pour se le procurer. Le suc gastrique renferme des substances salines qui ne paraissent pas avoir une importance fonctionnelle considérable. En second heu, il renferme un ou plusieurs acides, sur la nature desquels on a longuement discuté, quoique la NATURE DE L ACIDE GASTRIQUE 298 question n'ait pas d'importance au point de vue physio- logique. S'il faut, en effet, que le suc gastrique soit acide pour agir, il est indifférent que cette acidité soit réalisée par telle ou telle combinaison chlorhydrique ou lac- tique. Je ferai seulement une observation qui me paraît essentielle. Les glandes gastriques ne sécrètent pas le suc gastrique, avec la réaction fortement acide que nous observons au bout de quelque temps. L'acidité semble résulter d'une modification ultérieure des li- quides sécrétés. Lehmann n'hésitait pas à affirmer que l'acide gas- trique était engagé dans une combinaison peu stable. S'il se trompait en imaginant qu'il était à l'état de chlorhydrate de pepsine, le point de départ de son opi- nion était pourtant fondé. L'observation que le préci- pité d'oxalate de chaux persiste dans le suc gastrique tandis qu'il disparaît dans l'acide chlorhydrique au 1 TWçTTz; l'observation que la couleur du violet de Paris se conserve en présence du suc gastrique et vire au rose en présence de l'acide libre, ne laissent pas de doute à cet égard. Des observations de ce genre m'ont amené depuis longtemps à enseigner que l'acide chlorhydrique est à l'état de chlorhydrate dans le suc normal. C'est là une opinion communément adoptée. Des expériences de M. Richet, entreprises sous la direction de M. Berthelol, l'ont confirmée en montrant que l'acide chlorhydrique stomacal était vraisembla- blement engagé dans une combinaison avec la leucine, qu'il était à l'état de chlorhydrate de leucine. 294 PRÉPARATION DE LA PEPSINE En troisième lieu, le suc gastrique contient un prin- cipe caractéristique, un ferment nommé pepsine par Schwann et gastérase par Payen. La pepsine est une substance azotée, soluble. Comme tous les ferments solubles, elle jouit de la propriété d'être précipitée par l'alcool et de pouvoir ensuite se redissoudre dans l'eau. On peut la préparer au moyen du suc gastrique naturel ou formé artificiellement par macération de la membrane muqueuse stomacale au sein d'une liqueur acidifiée par l'acide chlorhydrique ou lac- tique. Pour faire cette préparation, on peut évaporer le suc gastrique dans le vide sous la machine pneumatique et précipiter la liqueur réduite par l'alcool qui coagule la pepsine. On a encore indiqué le procédé suivant : On neutralisera le suc gastrique par la chaux, on évapo- rera à feu doux jusqu'à consistance sirupeuse, puis on précipitera par l'alcool absolu. On reprendra par l'eau le précipité obtenu; les substances albuminoïdes pro- prement dites resteront insolubles, la pepsine seule sera dissoute. On la précipitera par le sublime corrosif et l'on traitera le dépôt par l'hydrogène sulfuré pour le débarrasser de l'excès du sel métallique. On obtient ainsi, après dessiccation, une substance jaune, gom- meuse, soluble dans l'eau, précipitant par l'alcool et non par la chaleur, d'une réaction très-légèrement acide. Le suc gastrique est regardé comme ayant une grande importance et comme jouant un rôle considérable dans la digestion des aliments. Néanmoins, ce rôle a été sin- DIGESTION DE LA FIBRINE 295 gulièrement exagéré par certains auteurs, M. Blondlot par exemple, qui ont voulu le considérer comme le liquide digestif unique. Le suc gastrique porte son action sur une seule classe d'aliments, sur les substances albuminoïdes ou protéiques, et même sur ceux-là son action est limitée. Nous allons indiquer succinctement les modifications qu'éprouve dans l'estomac chaque variété simple d'ali- ment albuminoïde : fibrine, albumine, caséine, héma- tine, gélatine. — Nous étudierons ensuite les modifica- tions des aliments complexes formés par leur mélange. Fibrine. — La fibrine est très-répandue dans les ali- ments azotés; elle existe dans le sang, dans la chair des animaux, dansla graine des céréales. Elle forme plusieurs variétés qui ne sont pas encore suffisamment définies et caractérisées; on distingue pourtant celle du sang vei- neux et du sang artériel, et celle des muscles ou myosine. Quoi qu'il en soit, il nous est possible d'employer encore aujourd'hui la dénomination de fibrine avec son ancienne signification, jusqu'à ce que des études plus complètes aient fixé sa nature. Sa distinction d'avec l'al- bumine sera fondée sur ce que : i" elle se coagule spon- tanément ; 2° elle se dissout dans l'acide chlorhy- drique très-étendu ; 3° elle décompose l'eau oxygénée. Or, si l'on met cette matière en contact avec le suc gastrique naturel ou artificiel à la température de 38 à 40 degrés, voici ce que l'on observe : La substance se gonfle, augmente de volume, s'hydrate. Après un temps plus ou moins long (trois ou cinq heures), elle com- mence à se désagréger et bientôt il ne reste plus qu'un 296 DIGESTION DE l'aLBUMINE dépôt de poussière granuleuse nageant dans une lit[ueur limpide. Ainsi, un double phénomène s'est produit : d'abord un phénomène de désagrégation, puis un phénomène de dissolution. Deux substances ont pris naissance, une substance insoluble et une substance soluble. Celle-ci ne précipite point par la chaleur; elle diffère de l'albu- mine et de la fibrine; c'est une substance nouvelle à la- quelle on a donné un nom nouveau, c'est une peptone, h fibrine- peptone.^ous reviendrons sur les caractères des peptones. Albumine. — L'albumine est connue sous deux états : à l'état soluble et à l'état de coagulum. L'albumine so- luble a été préparée avec un grand degré de pureté par M. Wûrtz; sous cette forme, elle se coagule à 63 degrés en dégageant une petite quantité d'hydrogène sulfuré, mais en conservant d'ailleurs sensiblement la même com- position. Dans l'économie animale, elle est ordinairement unie à une faible proportion de soude (1,58 pour 100). Comme les autres substances protéiques, celle-ci est attaquée par le suc gastrique. Quoique soluble, l'albu- mine ne serait pas absorbable; elle serait, en qualité de matière colloïde, incapable de traverser les membranes animales. Tel est, au moins, l'avis du plus grand nombre des physiologistes. Cependant, quelques expérimenta- teurs, Briicke (deVienne)entre autres, contestent ce fait et admettent que l'albumine sous sa forme actuelle peut être parfaitement absorbée (1). (1) Drâcke, Comptes rendus de l'Académie de Vienne, 1869. DIGESTION DE LA CASÉINE 297 Mais loi's même que celle manière de voir serait juslifiée, l'albumine absorbable ne sérail poinl par cela même alibile. J'ai depuis longlemps établi une dis- lin(;lion fondamenlale entre ces deux propriétés, et montré que le but réel de la digestion était de rendre les aliments ingérés assimilables et non point seulement absorbables. Or, sous sa forme actuelle, l'albumine n'est pas capable de prendre part aux échanges nutritifs. J'en ai donné la preuve en injectant dans le tissu cellu- laire ou directement dans le sang une solution d'albu- mine. Celle-ci était éliminée par le rein el rejetée avec les autres matières inertes ou inutiles de l'urine. Ainsi, l'albumine n'échappe pas à cette nécessité com- mune à toutes les substances nutritives, solubles ou non, de subir une transformation, une élaboration particu- lières, avant de prendre part aux échanges interstitiels. Le suc gastrique a précisément cette propriété de modi- fier l'albumine et de la transformer en une peptone, albu- mine-pepto?îe, Si^ie à la nutrition. Gomme pour la fibrine, le phénomène de dissolution de l'albumine coagulée est précédé d'une désagrégation préalable, et un léger dépôt granuleux insoluble accompagne la production de la peptone soluble et absorbable. Caséine. — La caséine du lait est considérée aujour- d'hui comme un albuminate de potasse. La caséine, peu ou point soluble dans l'eau, ne se dissout en efTel que dans les liqueurs alcalines ou dans les solutions de car- bonates, phosphates, chlorures. Ses solutions se distin- guent de celles de l'albumine en ce qu'elles ne coagulent point par la chaleur, à moins qu'on n'y joigne une certaine 298 DIGESTION DES AUTRES ALBUMINO'lDES quantité de sulfate de magnésie; elles se distinguent de la fibrine en ce qu'elles se troublent par les acides, même l'acide acétique et l'acide phosphorique ordi- naire; seulement l'excès d'acide redissout le précipité. Quelques auteurs admettent que la caséine existerait sous deux états : à l'état soluble et à l'état insoluble ou coagulé. La coagulation aurait lieu sous l'influence de la présure ou caillette de veau, c'est-à-dire par l'action du suc gastrique. La légumine a de très-grandes ana- logies a\ec la caséine soluble. La glutine, ou partie du gluten soluble dans l'alcool bouillant, peut en être éga- lement rap{)rochée. La caséine est coagulée par le suc gastrique; le pro- cédé qu'on emploie eu économie domestique pour cailler le lait au moyen de la présure de veau n'est pas autre chose qu'une préparation de suc gastrique artificiel. Rousseau a eu raison de dire : « On prend du lait, on digère du fromage. » Mais peu à peu la caséine se redis- sout et elle se comporte finalement, en présence de la sécrétion gastrique, comme la fibrine et l'albumine; elle est désagrégée en partie et dissoute pour une autre par- tie. La partie dissoute se résout en une ipepioue.cascé/te- peptone. Vhémaiine éprouve une modification tout à fait sem- blable à celle que nous venons de décrire. Les globules du sang forment une peptone et un léger précipité. La gélatine se dissout dans le suc gastrique. La solu- tion ne se prend plus aussi bien en gelée par le refroi- dissement, mais elle ne perd pas ses autres caractères. Il est vrai que ces caractères sont précisément ceux dès CARACTÈRES DES PEPTONES 299 peptones; elle coasjule et précipite sous les mêmes influences. En résumé, les matières albiiminoïdes simples subis- sent toutes de la part du suc gastrique une action iden- tique qui a pour résultat de les transformer en peptones. Les peptones seraient la forme ultime des matières albuminoïdes digérées. Qu'est-ce que ces peptones? — Ce sont des substances de nature protéique que l'on considère comme iden- tiques en composition avec les albuminoïdes d'où elles proviennent par une simple transposition moléculaire. Le nom de peptone a été introduit par Lehmann. Quelques physiologistes désignent les mêmes substances par le nom A'albuminose. Elles possèdent les propriétés générales des matières protéiques et des propriétés spé- ciales qui les constituent en un groupe indépendant, distinct des autres isomères. Les propriétés générales communes à tous les albu- minoïdes sont d'être colorés en jaune (acide xanthopro- téique) par l'acide nitrique : le produit passe au rouge si l'on ajoute un alcali; — d'être colorés en rouge parle nitrate de mercure à 60°; — de précipiter par le tannin et le bichlorure de mercure. Les caractères particuliers des peptones sont presque exclusivement des caractères négatifs. C'est la non-coa- gulation par la chaleur, — par les acides, — par les alcalis, — par l'alcool, — par l'acétate neutre de plomb, — par le sulfate de soude, — par le carbonate d'ammoniaque. Si dans une liqueur protéique on épuise l'action de ces agents qui font disparaître les albumi- 300 DISTINCTION DES PEPTOXES noïdes proprement dits, et qu'après cela on trouve une précipitation par l'eau chlorée, le tannin et le bichlo- rure de mercure, on conclut à l'existence des peptones. Au point de vue de leurs qualités physiques favorables à l'absorption, on doit signaler la facilité de diffusion et de filtration des peptones opposée à la dilticulté de fîltration et de diffusion des autres albuminoïdes. Nous disons difficulté et non impossibilité; car nous avons vu que certains physiologistes, Brïicke entre autres, sou- tiennent que les albuminoïdes sont absorbables dans une certaine mesure sous leur forme actuelle, ou au moins, que la faculté d'être absorbées appartient à des sub- stances albuminoïdes ne jouissant pas des propriétés que l'on attribue aux peptones (i). Nous-même avons cité depuis longtemps des cas prouvant que l'albu- mine ingérée en excès dans l'intestin peut passer dans l'urine. Nous n'avons pas à entrer dans de plus grands détails ; non point que le sujet ne les comporte pas ou qu'il manque d'intérêt, mais parce qu'il règne encore en ces matières importantes une grande obscurité. Ladistinction et la spécification des peptones seront certainement pré- maturées tant que la distinction et la spécifîcalion des albuminoïdes simples seront elles-mêmes si peu avancées. Lehmann distinguait une albumine-peptone, une fibrine- peptone, une caséine -peptone, une gélatine-peptone, qui conservaient de leur origine des traces plus ou moins évidentes. Plus tard, Meissner a proposé une autre divi- sion. Il a constaté que la peptone, en solution acide dans (1) Voy. Revue des cours scientifiques. [" sriic, t. VI, p. 780. DISTINCTION DES PEPTONES 301 l'estomac, laissait déposer, lorsqu'on neutralisait la li- queur, des flocons d'une substance qu'il a appelée /^r^r- peptone. C'est ce précipité qui se formerait dans le duo- dénum par l'action neutralisante de la bile sur le produit de la digestion stomacale. J'avais observé depuis long- temps ce précipité visqueux, blanc jaunâtre, et j'avais même essayé de le suivre et de me rendre compte de sa disparition ultérieure sous l'influence du suc pan- créatique. Je n'avais pas songé à en faire une espèce à part, une parapeptone. Meissner a encore distingué une métapeptone précipitable par un excès d'acide, et une ciyspeptone insoluble dans l'eau et provenantde la diges- tion de la caséine. Il y aurait donc, en somme, quatre peptones : la peplone proprement dite, la parapeptone qui se sépare sous l'influence des alcalis, la métapeptone qui se sépare sous l'influence des acides, et la dyspeptone insoluble. Mais ces distinctions ne jettent aucune lumière sur les faits qui nous intéressent véritablement; elles n'éclair- cissent en aucune façon la théorie de la digestion des matières albuminoïdes. La physiologie générale n'a pas autre chose à faire qu'à les mentionner. La seule con- clusion qu'il nous faille retenir est la suivante : les sub- stances albuminoïdes doivent subir, pour être assimi- lables, des modifications chimiques spéciales. Le suc gastrique est considéré comme l'agent principal de ces modifications. Nous avons vu l'action du suc gastrique s'exercer sur toute une classe d'aliments. Pour ce qui est des autres 302 ACTION SUR LES AUTRES ALIMENTS groupes, le suc gastrique paraît n'avoir sur eux aucune influence. 1. Il ne modifie en aucune manière les matières grasses. On peut mettre de la graisse ou de l'huile en contact avec la sécrétion gastrique sans leur voir subir aucune altération. Lorsque ces substances sont encore renfermées dans les vésicules adipeuses, le suc gastrique agit sur la paroi azotée, la détruit et met en liberté le contenu. C'est une simple fluidification qui s'accomplit alors. 2. L'action sur les aliments féculents est de même nature : c'est une désagrégation avec dissolution des parois cellulaires dans lesquelles se trouve renfermé l'amidon, (ùelui-ci est hydraté par l'influence combinée de la chaleur et de l'acide ; mais il conserve ses pro- priétés et sa Inaction caractéristique avec l'iode. 3. Les matières hydrocarbonées, les sucres, n'éprou- vent pas de modification notable ; l'acide, à la vérité, pourrait à la longue intervertir les saccharoses, mais le contact n'est ni assez prolongé ni assez intime pour per- mettre cette action. Il ne nous reste plus qu'à examiner les change- ments qu'éprouvent dans l'estomac, non plus les albu- minoïdes simples, mais les combinaisons plus com- plexes qui constituent les aliments ordinaires : viande, os, tissus. La viande, chair musculaire, est essentiellement com- posée de fibres musculaires réunies par du tissu conjonc- tif. La fibre musculaire est constituée par une variété de fibrine, musculine ou myosine, qui se transforme en ALBUMINOÏDES COMPLEXES oU8 syntonine, considérée elle-même comme un albuminate acide. Il faut ajouter à cela de la graisse, du sang, des vaisseaux, un peu de tissu nerveux, pour compléter la composition de la viande qui sert à l'alimentation. Le premier effet de la digestion stomacale est de ramollir la viande, de la réduire en une sorte de pulpe grisâtre, dans laquelle le microscope montre les fdDres musculaires parfaitement intactes, mais seulement sépa- rées les unes des autres, dissociées. Ainsi, le tissu cellu- laire unissant est le premier à subir l'action digestive. Cela est si vrai, qu'il est possible, en histologie, d'utiliser le suc gastrique pour la séparation des éléments plongés dans une gangue de tissu conjonctif. Cette dissociation est déjà commencée par les préparations culinaires, par l'eau bouillante ou la cuisson ; aussi la digestion est-elle plus rapide pour la viande cuite que pour la viande crue. Les os sont également attaqués dans l'estomac. La matière organique qui les constitue, l'osséine, est extraite par le suc gastrique et transformée en peptone, les par- ties calcaires et terreuses sont dissociées et expulsées ensuite comme matières excrémentitielles. On voit par là que ce n'est point l'acide qui intervient, comme on l'aurait pu croire; c'est le ferment organique; la sécré- tion stomacale n'agit point comme une eau acidulée, mais comme un agent physiologique préposé à la disso- lution des matières albuminoïdes. Quant aux matières épidermiques animales ou végé- tales, elles sont absolument réfractaires à l'action du suc gastrique, et c'est par cette résistance préservatrice que 304 RÉSISTANCE DES ÉPITHÉLIUMS l'estomac est lui-même protégé contre l'action corrosive du liquide qu'il renferme. Tous les tissus épidermiques jouissent de cette immunité. On voit des oiseaux carnas- siers rejeter facilement par le bec les plumes ou les dé- pouilles des animaux dont ils ont fait leur proie et qui ne sont d'aucune utilité pour la nutrition. Les faucon- niers administraient autrefois aux oiseaux dont ils avaient la garde des vomitifs appelés cures, formés de filasse et de plumes agglutinées et pressées. Le faucon les rejetait dans la même journée. C'est cette faculté de ré- gurgitation que Réaumur avait voulu utiliser pour étudier la sécrétion gastrique de quelques oiseaux de proie, des buses par exemple. Les tissus épidermiques lie matière végétale sont tout aussi réfractaires et traver- sent sans altération le lube digestif dans toute sa lon- gueur : ainsi des graines sont encore capables de germer après avoir résisté à toutes les causes de destruction rencontrées dans ce trajet. De même, c'est à la présence du revêtement épithé- lial qui tapisse sa surface muqueuse que l'estomac doit d'être protégé contre l'action destructive du liquide sécrété. Cette couche superficielle forme un obstacle complet à l'action de certaines matières, à l'absorption de certaines autres ; c'est un rempart protecteur. Ce revêtement, d'ailleurs, se détruit et se renouvelle con- stamment pendant la vie, en sorte que sa chute ne laisse jamais la surface sous-jacente exposée à nu. Ce n'est qu'après la mort que cesse cette mue, cette reproduction incessante ; et alors le suc gastrique déversé dans la cavité en digère les parois, et lorsque la température est favo- DURliE DE LA DIGESTION NATURELLE 305 rable, il digère même en partie les organes voisins, le foie, la rate, les intestins. Quand la digestion de l'estomac est terminée, il n'y a plus dans cet organe qu'une masse grisâtre appelée chyme, qui est destinée à continuer sa route à travers les autres portions du canal digestif. Elle renferme les matières grasses, féculentes, hydrocarbonées non encore attaquées, les peptones fournies par les matières albu- minoïdes, et les matériaux réfractaires : cellulose, épi- derme. Comme nous l'avons fait remarquer, la modification des aliments azotés est poussée plus ou moins loin : généralement la durée du séjour dans l'estomac n'est pas suffisante pour que la transformation en peptone soit complète. Il est supposable, à la vérité, que la dis- solution des aliments azotés est plus rapide dans l'es- tomac qu'elle n'est dans le verre à expérience. Et cela pour plusieurs raisons. D'abord les mouvements de l'estomac assurent et renouvellent mieux les contacts que cela n'a lieu dans les expériences de digestion arti- ficielle; puis, les parties transformées peuvent s'écouler à mesure dans l'intestin sans continuer par leur pré- sence à entraver la transformation ultérieure; enfin, le suc gastrique est constamment sécrété, autre condi- tion qui n'est qu'imparfaitement reproduite dans les expériences en introduisant d'emblée un excès de ce liquide. Néanmoins, ces conditions n'expliquent pas encore l'énorme différence de durée de la digestion artificielle et de la digestion naturelle. Et nous devons admettre que, CL. BERNARD. — Phénomènes. n. — 20 306 DIGESTION GASTRIQUE dans la digestion naturelle de l'estomac, une partie seu- lement des matières protéiques, celles qui sont le plus facilement attaquables, ont été dissoutes : tel, par exemple, le tissu conjonctif ou unissant. D'où il résulte que la plupart des éléments anatomiques, les fibres musculaires surtout, n'ont éprouvé aucun changement chimique, ils ont seulement été désagrégés, séparés, dissociés. Si donc il est permis de dire, comme nous l'avons fait, (|ue le suc gastrique est capable de digérer les aliments azotés, il faut ajouter qu'il ne suffit pas seul à achever cette digestion, au moins dans l'estomac, il ne fait que commencer une action qui devra être poursuivie et complétée dans l'intestin. En somme, la digestion stomacale n'est qu'une pré- paration provisoire et très-incomplète. La digestion véri- table et définitive ne débute réellement que plus tard, au sortir de l'estomac. Elle s'accomplit dans l'intestin grêle. L'estomac livre à l'intestin une masse dont les éléments sont tout au plus désagrégés, ou dissous en très-faible proportion. A ce point de vue, les digestions artificielles que l'on réalise in vitro diffèrent de la digestion naturelle qui s'accomplit dans l'organisme. Une condition princi- pale différencie ces deux opérations, et fait que l'une n'est point l'image fidèle de l'autre : c'est la durée. Dans l'organisme, le passage des aliments doit s'ac- complir dans un temps limité et souvent très-rapide, sans laisser aux agents chimiques le loisir d'épuiser leur action ; le séjour dans chaque département du tube intestinal est restreint. Dans l'expérience de laboratoire, RÔl.E DE LA BILE 307 cette circonstance de durée variable n'intervient pas, et le physiologiste peut prolonger le contact jusqu'à ce qn'il ait eu tout son effet. C'est par cette façon de pro-- céder que l'on a pu reconnaître et affirmer la vertu digestive complète du suc gastrique sur les matières albuminoïdes. Dans la réalité, la dissolution et la trans- formation complètes n'ont point lieu dans l'estomac, parce que le temps et peut-être d'autres circonstances font défaut. Chez le cheval, par exemple, la digestion stomacale est à peu près nulle ; les aliments séjournent à peine quelques instants dans la cavité gastrique, ils ne font que traverser les premières parties du tube intestinal sans s'y arrêter. La commission d'hygiène hippique a vérifié ces faits et j'ai pu en être témoin. Ces deux digestions, digestion stomacale et digestion intestinale, sont séparées par un intervalle pendant lequel la masse alimentaire reçoit l'action d'une nouvelle sécrétion, la bile. L'intervention de ce liquide signale la fin de la digestion gastrique et marque le début de la digestion intestinale. La bile interrompt l'activité du suc gastrique, elle arrête la peptonisation. Non-seulement elle l'arrête, mais on pourrait dire qu'elle la fait rétrograder, car elle précipite sous la forme d'une masse floconneuse (para- peptone, chyle brut de Magendie) une portion des pep- tones dissoutes. 11 résulte de là que le bol alimentaire aborde l'intestin dans une forme d'insolubihté complète : la partie complètement dissoute et digérée est extrême- ment minime, comparée à celle qui ne l'est pas encore. 308 INFUSION HÉPATIQUE Il serait doue possible, clans une vue géuérale et cri- tique de la digestion, de faire partir les phénomènes essentiels du moment où les aliments arrivent dans l'intestin grêle, et de considérer toutes les actions qui précèdent comme des actes accessoires et prélimi- naires. Cette considération est corroborée par des expé- riences physiologiques et des observations pathologi- ques. Magendie a introduit directement dans l'intestin de quelques chiens de la viande, et il a vu la diges- tion se faire complètement. Les chirurgiens ont aussi réussi à nourrir des malades à l'aide de substances ali- mentaires introduites dans des fistules intestinales à la suite de hernie étranglée. Toutes ces considéra- tions coniribueraient donc k destituer la digestion gas- trique de son importance au profit de la digestion in- testinale. La bile forme une exception dans les liquides digestifs proprement dits. On ne connaît dans le liquide bihaire aucun ferment liquide doué d'une activité spéciale et qui serait renfermé dans le tissu de la glande qui la sécrète, comme cela a lieu pour les autres sécrétions digestives. Aussi, le procédé des infusions du tissu du foie n'aurait ici aucun succès pour produire une bile artificielle. On ne peut avoir de la bile artificielle comme on a de la salive artificielle, du suc gastrique artificiel ou du suc pancréatique artificiel. Ce fait est important à signaler; il appartient au foie et au rein, et il établit une analogie entre ces deux organes : l'infusion du tissu de ces deux glandes ne reproduit nullement un liquide qui ait la propriété de leurs sécrétions. ACTION DE LA BILE SU II LES GRAISSES 309 Un des rôles principaux attribués à la bile serait de dissoudre et digérer les matières grasses. Mais, sur ce point, il n'y a pas accord entre les physiologistes. L'o- pinion que la bile intervient dans l'élaboration de cette classe d'aliments est ancienne; elle s'appuie sur un certain nombre d'arguments dont nous rappellerons les principaux. En dehors de l'organisme, la bile est capable de saponifier les graisses : cette propriété explique l'usage industriel du fiel de bœuf pour le dégraissage. En second lieu, dans le cas de fistule cystique, le chien opéré n'absorbe, dit-on, que la cinquième ou la sep- tième partie de ce qu'il absorberait en matières grasses dans les circonstances ordinaires. Le chyle est moins blanc, moins chargé de l'émulsion qui le caractérise L'animal s'émacie; le tissu adipeux éprouve une atro- phie générale. Enfin, dans le cas d'ictère ou de réten- tion de bile, chez l'homme, les aliments gras passent dans les résidus excrémentitiels. Aucun de ces arguments n'a pourtant une force suffi- sante pour entraîner la conviction. Que la bile soit capable de saponifier les graisses en dehors de l'orga- nisme, c'est une propriété qui n'a rien de spécifique, car elle est commune à toutes les liqueurs alcalines qui contiennent la soude et la potasse à l'état libre ou à l'étal de combinaison facile à détruire. Quant à la déchéance organique qui répond à l'écoulement de la bile au dehors, elle s'explique par la perte d'un liquide dont une partie serait résorbable. L'épuisement résulterait de cette soustraction, comme dans des suppurations prolon- gées, et l'on sait que la ruine de l'organisme commence 310 RÔLE DIGESTIF DE LA BILE toujours par la résorption adipeuse. En résumé, l'inler- \ention de la bile dans la digestion des matières grasses paraît tout au moins problématique. Il ne reste plus, de toutes les fonctions diverses attri- buées au foie, qu'une seule ; la suppression de l'activité du suc gastrique est bien établie. Au sortir du pylore, après l'intervention de la bile, on pourrait donc dire que la digestion est encore toute à faire. La plupart des aliments sont restés inattaqués : une petite portion des albuminoïdes avait seule été trans- formée, mais le premier résultat du contact de la bile est d'annuler cette transformation et de précipiter une portion de ces peptones. C'est donc sous la forme inso- luble que les aliments se présentent devant les agents intestinaux qui doivent les digérer réellement et défi- nitivement. LEÇON XXI Ln digestion intestinale. Sommaire. — Sécrétion pancréatique. Sa composition. Sa réaction alcaline. Son action sur les matières grasses : ferment émulsif et saponifiant. — Son action sur les féculents : ferment glycosique. Action sur les substances azotées : condition de cette action. Trypsine. — Sécrétion intestinale. Fer- ment inversif. L'agent digestif qui intervient immédiatement après la bile, ou quelquefois simultanément avec elle et avec le liquide des glandes de Brûnner, c'est le suc pancréa- tique. 11 y a à examiner l'action isolée de cet agent et son action associée à celle des autres sucs, telle qu'elle se produit naturellement dans l'organisme. C'est par l'in- tervention du suc pancréatique que commence réelle- ment la digestion intestinale. La sécrétion pancréatique est intermittente. Le liquide se montre presque aussitôt après que les aliments sont parvenus dans l'estomac. Par conséquent, le duodénum est déjà humecté de suc pancréatique quand le chyme y pénètre. La composition du suc pancréatique a été étudiée par un assez grand nombre de physiologistes. Je me suis moi-même occupé spécialement de ce sujet en 1846, après Magendie, Tiedemann et Gmehn, Leuret et Las- saigne. D'une manière générale, on trouve dans ce 3P2 COMPOSITION DU SUC PANCRÉATIQUE liquide trois sortes d'éléments : de l'eau, des sels, une matière organique spéciale. L'eau est en proportion considérable, 98 à 99 pour 100, dans le suc normal; elle est plus abondante encore dans le suc morl)ide. Les sels sont constitués par des chlorures alcalins, des car- bonates, des phosphates. Ces éléments n'ont rien de spécial; la propriété spécifique du suc pancréatique réside uniquement dans la matière organi(iue. Celle-ci est une substance azotée. Elle est modifiée par la chaleur. Les acides ou les alcalis étendus n'en provoquent pas la précipitation. Elle a le caractère commun de tous les ferments organiques, de pouvoir se redissoudre dans l'eau après avoir été précipitée par l'alcool. Cette propriété permet de la séparer des matières albuminoïdes proprement dites. On lui a donné quel- quefois le nom de pancréatine, qui n'est peut-être pas très-bien choisi, parce qu'il pourrait faire croire à son unité et à sa simplicité, tandis qu'elle est un mélange de ferments différents. Aucune autre substance organique ne présente une altérabilité aussi grande; et, dès que Taltération a commencé, elle manifeste une réaction caractéristique sur laquelle j'ai insisté, à savoir, de rougir sous l'influence du chlore. Le moyen le plus simple d'obtenir cette substance azotée, principe actif de la sécrétion pancréatique, est de recourir au procédé d'infusion d'Eberle. On extrait le pancréas, on le réduit en fragments très-ténus ou en })ulpe; on les met en digestion dans l'eau, puis on filtre. Pour étudier les propriétés du suc pancréatique, on ACTION SUll LUS GRAISSliS 313 peut en]\}loyev ce fiiiratum; il n'est pas nécessaire d'en ssoîer la matière organique, mais il faut lui donner une réaction alcaline pour favoriser l'action du ferment sur ks matières grasses. Le produit de la macération pré- sente les attributs physiques du suc pancréatique nor- mal; il est incolore, limpide, sirupeux, gluant; mais il s'altère bien plus rapidement que les autres sucs digestifs artificiels. Pour éviter cette altération, j'ai ajouté quel- ques gouttes d'acide phénique, qui permet de conserver ce liquide presque indéfiniment, comme une sorte de réactif de laboratoire physiologique. Du reste, l'acide phénique possède cette faculté conservatrice pour tous les ferments, et j'ai fait depuis longtemps de son emploi une méthode générale de conservation et de préparation des liquides digestifs. Je n'ai pas observé que le suc pancréatique différât aussi notablement qu'on l'a dit, suivant qu'on prend l'organe chez l'animal à jeun ou remière en date qu'elles subissent, et certainement la 314 ÉMIJLSIOX plus importante, sinon l'unique. J'ai été le premier à signaler ce rôle qui avait échappé à mes prédécesseurs. Aujourd'hui, les idées que j'ai soutenues et appuyées d'expériences probantes sont universellement admises. L'intervention du pancréas dans la digestion des ah- ments gras n'est contestée par aucun physiologiste, quoique quelques-uns aient essayé d'en atténuer la portée. Ce rôle du suc pancréatique peut être établi par des considérations anatomiques, par des épreuves directes exécutées en dehors de l'organisme, par des digestions artificielles, par la destruction de l'organe et l'observa- tion des désordres qui en résultent, enfin par l'examen sur l'animal vivant (1). On a dit que cette propriété n'avait rien de spécifique et qu'elle appartenait à une multitude de liquides orga- niques, au sérum du sang, à la bile, au suc intestinal, à la salive sublinguale du chat (Schifî), au fluide séminal (Longet). Ces assertions ne sont pas exactes. Nous agi- tons une huile avec le liquide biliaire : le mélange méca- nique ainsi obtenu n'est point permanent, il n'est point instantané. Or, nous savons déjà que les seules actions dont il y ait à tenir compte au point de vue digestif sont les actions rapides: les modifications lentes qui se mani- festent dans les éprouvettes ou dans les verres à expé- riences n'ont point de correspondant chez l'être vivant, parce que les phénomènes digestifs s'y pressent, s'y suc- cèdent, s'y remplacent sans attendre. Ces deux caractères (1) Voyez mon mémoire Sur le pancréas. Suppléiiieiit aux Comptes rendus (le l'Académie des sciences, 1858. SAPONIFICATION 31 5 essentiels de permanence et de rapidité de la réaction, je ne les ai retrouvés bien nets ni avec la salive, ni avec le suc gastrique, ni avec le sérum du sang, ni avec le liquide céphalo-rachidien, ni avec le sperme des difFé- rents animaux. Il ne se produisait quelque action com- parable à celle du suc pancréatique que lorsque les liqueurs en question étaient fortement alcalines, et alors le phénomène était dû à l'influence chimique acciden- telle de l'alcali. Mais il y a plus. Le suc pancréatique a une action plus profonde sur les matières grasses. Il les attaque chi- miquement, il les décompose en glycérine et acide gras. En sorte que l'émulsion et l'acidification sont deux effets manifestés successivement, et qu'il y a une modification physique et une modification chimique. M. Berthelot a examiné les résultats de ce mélange du suc pancréatique et des graisses : il a constaté la présence de la glycérine et de l'acide gras. Le phénomène se produit assez rapi- dement et peut être constaté facilement. Voici, par exemple, une plaque de verre sur laquelle on a placé un fragment de pancréas au contact d'un corps gras (beurre) ; on a appliqué une plaque de verre mince sur le tout et fait pénétrer une petite portion de teinture de tournesol. La couleur bleue du réactif est remplacée par une zone rouge dans le voisinage du tissu pancréatique. Le suc pancréatique a aussi un rôle très-important dans la digestion des substances féculentes. Nous avons dit que, jusqu'au moment où elles sont arrivées à ce point du tube digestif où commence la digestion pancréatique, les matières amylacées n'avaient subi que des modifica- 316 DIGESTION DES FÉCULENTS tions insignifiantes ; la salive n'a influencé que les parties les plus altérables, le suc gastrique n'a exercé aucune action sur elles. Le liquide pancréatique mis en contact avec la fécule dans un vase à expérience transforme cette substance en dextrine, puis en sucre. Cela arrive toujours lorsque la fécule est hydratée. Tandis que le liquide salivaire n'a d'influence que dans des conditions de lenteur tout à fait exceptionnelles, ici l'action est rapide. Nous faisons l'expérience sous vos yeux : la liqueur iodée nous mani- feste la présence de l'amidon; la liqueur cuprique montre après quelque temps de contact la production du sucre. L'opération de la destruction du pancréas chez les oiseaux permet aussi de constater dans les résidus excré- mentitiels une certaine proportion de matière fécnlente qui n'a pas été modiflée dans son trajet à travers le tube digestif. Les deux épreuves concordent donc d'une manière complète. En résumé, le suc pancréatique a une influence mani- feste sur la digestion des féculents. Il renferme une substance active, un ferment, capable de changer Taini- don en glycose. Le principe actif de la sécrétion ])an- créalique, ou pancréat'nie, renferme donc déjà deux ferments solubles : le ferment ijlycosique et le ferment émiilsif des matières grasses. L'action du suc pancréatique sur les matières azotées dépend des conditions dans lesquelles cette action s'exerce. L'épreuve directe de la digestion artificielle aboutit à une putréfaction rapide, précéilée toutefois du DIGESTION DES ALBUJllNOÏDES 317 ramollissement et du gonflement de la matière pro- téique. Mais lorsque l'aliment a déjà été soumis à l'in- fluence des agents précédents, s'il a séjourné au contact du suc gastrique, il est modifié énergiquement et il éprouve une dissolution rapide. Les circonstances du contact changent ainsi complètement les résultats. Le liquide pancréatique n'acquiert donc la propriété d'agir sur les matières azotées et de les digérer, qu'à la condition d'être précédé dans son action par le suc gas- trique et la bile. La nécessité de l'intervention du suc gastrique est loin d'être absolue; à la rigueur, il suffit de la bile. Le mélange de la bile et du liquide pancréa- tique constitue un agent digestif qui suffit à la trans- formation des trois classes d'aliments. L'expérience semble établir ainsi que la vertu digestive du suc pan- créatique sur les matières azotées n'est pas spécifique et préexistante, qu'elle est acquise par le contact d'un élément étranger. Ce mélange constitue un agent diges- tif d'une grande puissance; c'est à lui qu'il faut rap- porter la part principale dans les phénomènes dont le tube intestinal est le théâtre. Sécrétion intestinale. — Le duodénum est la partie du canal ahmentaire dans laquelle se passent les phéno- mènes digestifs les plus importants. C'est là qu'arrivent en conflit les sucs gastrique, pancréatique et biliaire. Les trois classes d'aliments, azotés, féculents et gras, y sont profondément modifiés. Mais tous les principes alimentaires ont-ils subi dans le duodénum les modifications définitives qu'ils doivent 318 PRINCIPES SUCRÉS subir, ou bien existe-t-il encore d'autres actions mo- dificatrices, d'autres ferments digestifs restés jusqu'ici ignorés? C'est précisément ce qui a lieu. Les prin- cipes sucrés (saccharose) ont besoin de subir une mo- dification digestive importante pour devenir assimi- lables. Ils ne la subissent pas au contact de la salive, ni du suc gastrique, ni de la bile, ni du suc pancréatique. Ce n'est que dans l'intestin, au contact d'un ferment nouveau, que j'ai découvert récemment, que le sucre de canne ou saccharose est digéré. C'est donc sur la diges- tion saccharosique et sur le ferment qui lui est spécial que je vais vous donner quelques rapides indications, me réservant d'y revenir plus tard. 11 existe dans l'intestin grêle, implantées dans les parois de ce tube, un grand nombre de glandes qui se rapportent, comme l'on sait, à deux types: d'une part, les follicules isolés et les glandes de Peyer ou follicules agminés; de l'autre, les glandes de Lieberkïihn. Deux liquides sont sécrétés par ces deux sortes d'organes : un mucus et le suc intestinal. On a essayé, dans ces derniers temps, de recueillir véritablement le produit de la sécrétion des glandes de Liebeikiihn, le suc de l'intestin proprement dit. L'expé- rience de Thiry consiste à diviser l'intestin et à rétablir ensuite sa continuité, en laissant à part une portion du canal. Cette portion conserve ses connexions avec l'or- ganisme par les vaisseaux et les nerfs mésentériques qui ont été respectés. Dans ces conditions, la sécrétion de l'organe persiste, et l'animal continue à vivre et à rem- plir ses fonctions digestives. INVERSION PAR LE SUC INTESTINAL 319 Le liquide isolé que l'on a ainsi obtenu aurait une action peu énergique sur la plupart des aliments albu- minoïdes; il n'attaquerait que la fibrine; il agirait très- faiblement sur les amylacés; mais j'ai découvert qu'il possède une action inversive très-puissante sur le sucre de canne. Un moyen plus simple se présente pour l'examen du liquide intestinal. Il consiste à faire une infusion de la muqueuse et à séparer le liquide par décantation ou filtration. J'ai constaté que le suc intestinal, de quelque façon qu'il soit obtenu, joue un rôle très-important dans la digestion. Il contribue exclusivement à digérer cer- taines substances hydrocarbonées, et en particulier le sucre de canne qui entre pour une part considérable dans l'alimentation. Il contient à cet effet un ferment albuminoïde présentant les propriétés de tous les fer- ments solubles : d'être précipité par l'alcool et redis- sous par l'eau. Ce ferment transforme le sucre de canne, substance inerte que l'organisme est incapable d'utiliser sous sa forme actuelle, en sucre de raisin ou glycose, ou plutôt en sucre interverti qui est un mé- lange de deux glycoses utilisables par l'économie. C'est le ferment auquel j'ai donné le nom ùq ferment inversif. Ce ferment existe dans toute l'étendue de l'intestin grêle; il disparaît dans le gros intestin, comme font, du reste, tous les phénomènes chimiques de la digestion. Une expérience très-simple mettra en évidence cette propriété inversive de l'intestin grêle. — Nous sacrifions un lapin et nous injectons dans différentes portions de 320 FERMENT IWERSIF l'intestin, cernées et isolées par des ligatures, une cer- taine quantité de sucre de canne dissous. Nous faisons,, en particulier, une injection dans l'intestin grêle et une injection dans le gros intestin. Le liquide de l'intestio grêle est retiré au bout de très-peu de temps; on en Mi l'essai avec le réactif cupro-potassique. Tout à l'heure ce liquide bleu n'éprouvait aucune réduction, car lasac- cliarose est sans action sur lui. Maintenant nous obser- vons, au contraire, un changement de coloration du bleu au rouge, lequel nous traduit l'existence de la glycose. — Dans le gros intestin, rien de tel : la solution sucrée^ ainsi que vous le voyez, n'a pas subi d'inversion. On peut préparer un suc intestinal hwersif artificiel et le conserver avec quelques gouttes d'acide phénique. C'est donc un nouveau ferment soluble digestif qu'il faudra ajouter à ceux qui étaient déjà connus, mais qui n'en diffère aucunement par ses propriétés générales. L'action exercée par le suc inversif artificiel est plus len-te que celle qui est opérée par le contact de la mem- brane muqueuse intestinale. Au point oia nous en sommes arrivés, nous pouvons, dire que la digestion est une opération terminée. A l'in- testin grêle que nous quittons, succède, en effet, le gros intestin, qui est le siège d'actes physiques et mécaniques^ ou d'actes chimiques sans importance au point de vue des phénomènes digestifs proprement dits. Les aliments modifiés par la digestion sont absorbés- par les villosités intestinales : les résidus, les substances réfractaires ou excrémenlitielles, les aliments mêmes qui ont échappé à l'action trop rapide des liquides intes- PHÉNOMÈNES ACCESSOIRES. 321 tinaux, forment une masse qui se concrète dans le gros intestin, en attendant d'être expulsée. L'examen général que nous avons fait jusqu'ici des phénomènes essentiels de la digestion suffit pour nous en révéler la véritable nature. Ce sont des phénomènes purement chimiques : transformations isotnériques, combinaisons, dédoublements, hydratations, réactions, en un mot, soumis aux lois générales de la chimie, A côté de l'action chimique, qui est au fond la seule essentielle, il y a tout un ensemble de circonstances destinées à la préparer, accessoires, à la vérité, mais qui n'en sont pas moins importantes et du domaine élevé de la physiologie. Pour la réalisation de ces phé- nomènes préparatoires existent des mécanismes physio- logiques qui tous sont des dépendances d'un appareil harmonisateur plus général, le système nerveux. Ce n'est pas ici le lieu de faire ressortir ce rôle du système nerveux qui sert de lien et de trait d'union entre tous les organes, qui excite ou refrène leur acti- vité, règle leur intervention, harmonise leurs énergies, et fonctionne comme une espèce de régulateur destiné à maintenir l'équilibre de la machine. CL BERNARD. LEÇON XXII ■.inité tics pvincipcs aliiucntairos et des agents tligcstifs flans les anlniauv et dans les végétaux. Quatre espèces de digestions et quatre espèces de ferments digestifs dans les animaux et les végétaux. Nous avons passé rapidement en revue les actes diges- tifs principaux ; nous avons vu que ces actes, malgré la variété infinie de leurs mécanismes apparents, étaient tous au fond de nature chimique; qu'ils avaient pour résultat la transformation des aliments par des agents chimiques, les ferments. Ce sont ces agents qui caracté- risent l'acte digestif simple ou élémentaire. Or, dans les différentes espèces d'animaux et dans les plantes, les aliments eux-mêmes, les modifications que ces aliments éprouvent, les agents qui les réalisent, offrent une surprenante ressemblance, une véritable unité. L'analogie fondamentale se poursuit jusque dans les détails de l'action et dans ses mécanismes. Les mêmes actes se répètent dans une plante et dans un animal : seule la mise en scène avarié; elle est en général beau- coup plus complexe chez Tanimal, non-seulement à cause du plus grand nombre de phénomènes, mais à raison aussi derintervenlion du système nerveux qui les harmonise. UNIVERSALITÉ DE L ACTION DIGESTIF h. o^Io La digestion, avons-nous dit, en tant que fonctiou, peut être considérée comme un caractère exclusif à l'animalité, mais en tant que propriété, elle est univer- selle : les agents digestifs appartiennent tout aussi bien aux plantes qu'aux animaux. Le végétal digère et con- somme les provisions que lui-même a formées et em- magasinées dans ses tissus ; l'animal fait de même : il digère des réserves entreposées dans ses organes, mais il digère aussi des aliments venus directement du de- hors. Dans les deux règnes ces aliments sont entière- ment analogues; ils appartiennent aux quatre classes des aliments azotés, des aliments gras, des aliments féculents et des aliments sucrés. Herbivores, carnivores, omnivores, se nourrissent en réalité de même : des dissemblances physiques mas- quent l'identité essentielle des régimes; mais ces varia- tions d'ordre tout à fait physique, sont sans importance réelle, sans valeur pour l'essence même du phénomène digestif. La nutrition met en œuvre les mômes maté- riaux chez tous les animaux; ces matériaux sont encore les mêmes chez les plantes. Il n'y a pas, il est vrai, de tube digestif ni rien d'analogue dans la plante; mais la réaction chimique est indifférente à la forme du vase. Les végétaux comme les animaux accumulent dans leurs tissus des substances féculentes, grasses et albuminoïdes : c'est tantôt dans la tige, tantôt dans la racine, tantôt dans les feuilles, d'autres fois dans les graines, que sont déposées ces provisions. Le moment vient oh elles doi- vent être utilisées; elles éprouvent alors des modifications qui les rendent assimilables; elles sont liquéfiées etdigé- 324 FONCTION DE DIGESTION rées. Ainsi en est-il de la fécule accumulée dans le tubercule de la pomme de terre, qui est liquéfiée et digérée au moment de la végétation, de la floraison et de la fructification; ainsi en est-il du sucre entreposé dans la racine de la betterave, de la matière grasse em- magasinée dans les graines oli^agineuses, et en général de toutes les substances variées, albuminoïdes ou autres, qui sont préparées en prévision des besoins à venir. Les végétaux digèrent donc en réalité. C'est véritablement une digestion que subissent les matières citées plus haut, pour passer de leur forme actuelle, impropi'c aux échanges interstitiels, à une autre forme favorable à l'absorption et à la nutrition. Dégagée de toutes les cir- constances accessoires qui constituent, ainsi que nous l'avons dit, la fonction ou la mise en scène des phéno- mènes, la digestion n'est pas différente au fond chez les animaux et chez les végétaux. Ce qui appartient à l'animal, et à lui seul, nous le répétons, c'est un appareil spécialisé pour cette fonction, et non les agents de cette fonction elle-même : un tube digestif plus ou moins complexe, plus ou moins perfec- tionné, où se centralisent des actes qui se rencontrent dispersés dans l'organisme végétal. La physiologie générale cherche dans l'élément ana- tomique la solution des problèmes vitaux, et non dans les appareils organiques qui n'expriment que des résul- tantes fonctionnelles. Le tube digestif n'est pas absolu- ment nécessaire à la digestion comprise dans son essence et son but. L'anatomie philosophique a réduit cet appa- reil à sa véritable valeur. Elle nous a montré qu'il con- IDENTITÉ DES ALIMENTS. 3^5 stituait un système extérieur à l'organisuie : la substance qui y est le plus profondément engagée est encore aussi étrangère à l'animal que si elle était simplement déposée sur la peau. Le système tégumentaire s'est déprimé, creusé, enfoncé sous la pression de l'aliment, mais sans se laisser entamer, sans laisser établir de pénétration. En envisageant l'ensemble des groupes animaux, on peut suivre la complication croissante de ce mécanisme, qui ne varie que dans ses formes et non dans son plan pri- mitif, qui fait défaut dans les derniers degrés de l'échelle, et qui atteint son plus haut degré de perfection chez les êtres voisins de l'homme. Les matériaux sur lesquels s"exerce cette faculté fonctionnelle sont toujours les mômes pour la plante et pour l'animal. On a établi l'identité des albuminoïdes, albumine, fibrine, caséine, avec la légumine, l'albumine végétale, la fibrine végétale, le gluten. Les aliments gras, les aliments féculents et sucrés, sont aussi communs aux deux règnes, et l'on peut dire que chaque être vivant confectionne pour lui-même ses aliments ; c'est pour lui qu'il fait ses réserves, et non pour autrui. Ce n'est pas au profit de l'animai que la plante élabore ses principes immédiats; c'est pour elle-même, en vue de son alimen- tation future. Un règne ne travaille point pour l'autre : il travaille pour lui. Si l'être botanique est empêché par l'animal qui le mange d'utiliser pour sa propre nutrition les épargnes de fécule ou de sucre qu'il avait faites, il faut voir dans cette circonstance, non point le cours naturel des choses, mais plutôt le renversement de cet ordre naturel. Sans doute, pour conserver l'équilibre 326 OLATRE ESPÈCES DE DIGESTION. cosmique, l'animal doit brouter la plante, Therbivore doit être dévoré par le Carnivore ; mais si le ])hilosophe trouve là une finalité providentielle, le physiologiste ne saurait y voir une finalité physiologique. D'après ce que nous avons précédemment établi, nous distinguons quatre espèces de digestions, autant que d'espèces d'aliments : Une digestion à' aliments féculents ; Une digestion à' aliments sucrés; Une digestion à\iliments gras ; Une digestion à' aliments albiiminoïdes. Or, ici une ressemblance nouvelle, la plus importante de toutes celles que nous aurons à faire ressortir, se présente lorsqu'on étudie chacune de ces digestions dans les deux règnes. Chacune en effet emploie le même agent dans l'animal et dans la plante ; chacune exige un ferment identique; comme il y a quatre espèces de digestions, quatre espèces d'aliments, il y a aussi quatre espèces d'agents fermentifères. Le nœud de la question est là. L'identité des quatre ferments crée l'identité des quatre digestions. A des- cendre au fond des choses, la propriété digestive n'est rien autre que l'action du ferment. L'animal ne digère point par la raison qu'il possède un appareil masticateur plus ou moins compliqué, un tube intestinal plus ou moins long, un système nerveux qui préside aux sécré- tions; et en effet, il y a des esj)èces dépourvues de dents et des annexes de l'appareil digestif, il y a des circon- FERMENTS DIGESTIFS. 327 stances où la dissolution des aliments peut se faire en dehors du tube intestinal, et enfin, l'infusion des glandes fournit, indépendamment de toute influence nerveuse, les liquides capables de digérer. Dans cette variabilité, on doit considérer comme élément essentiel celui qui est indispensable : or, la digestion peut se passer de l'appareil triturateur, du canal alimentaire même, de l'action nerveuse; il n'y a qu'une partie indispensable, c'est le ferment. Nous avons donc raison de dire que l'identité des ferments animaux et végétaux crée l'iden- tité des digestions animales et végétales. Il nous faut maintenant pénétrer plus avant dans le détail, et examiner séparément les quatre actions diges- tives. Mais auparavant, rappelons en quelques mots des notions indispensables relatives aux fermentations et aux ferments. D'une manière générale, on peut dire que l'on a appliqué le nom de fermentation à toutes les actiom fie jwésence en chimie organique. C'est la désignation com- mune à tous les phénomènes de transformation ou de décomposition opérés sous l'influence d'une substance organique qui agit sans rien céder à la matière fer- mentée. — Ainsi, le ferment est une substance organique azotée qui provoque la transformation d'une autre sub- stance organique, sans lui prendre ni lui fournir aucun élément. Cette dernière est la substance fermentescihle ; le phénomène en action constitue la fermentation. Nous n'avons pas à rappeler l'importance de ces actions et le rôle immense qu'elles jouent dans l'économie naturelle. Leur histoire développée embrasserait la physiologie, la 328 FERMENTS SOLUBLES. pathologie et une grande partie de la chimie organique. En effet, parmi les phénomènes qui touchent aux trans- formations de la matière contenue dans les êtres vivants, soit pendant leur vie, soit après leur mort, il en est peu qui ne participent plus ou moins des fermentations. Cela est vrai, en particulier, des phénomènes qui nous occu- pent en ce moment. Les quatre digestions rentrenUlans l'histoire des fermentations : ce sont quatre ferments qui y président. De quelle nature sont ces fermentations? On doit provisoirement ranger ces actions dans deux catégories distinctes et nettement tranchées. Dans la première on trouve des ferments solubles; des ferments non figurés et non vivants. Dans une seconde catégorie rentrent Xas fer- ments insolubles, ou ferments vivants^ ou ferments figurés. Les digestions appartiennent à la première classe : ce sont essentiellement des fermentations opérées par des ferments solubles; elles en ont les caractères généraux. La substance azotée qui joue le rôle de ferment est diluée ou suspendue plutôt que véritablement dissoute dans les liquides intestinaux : salive, suc gastrique, suc pan- créatique, suc intestinal ; elle ne traverse pas le filtre à dialyse; elle est ramassée et entraînée du sein des menstrues qui la renferment par les substances qui s'y précipitent, comme le phosphate tribasique de chaux et le collodion. Ce fermeut se dissout dans la glycérine, (pii le conserve et enqieche plus ou moins son action de s'exercer. Sa composition est comj)lexe, et Ton ne peut pas, dansTétat actuel de la science, le considérer comme une espèce chimiquement définie. Flîr.Mi:NÏS FIGURliS. ?»'29 L'action du ferment soluble s'épuise rapidement, sans qu'on sache trop ce qu'il devient alors, tandis que les feroientations à agents Bgurcs ou vivants se continuent par prolifération tant que les conditions du milieu ne changent pas. Enfin, il est à remarquer que la plupart des fermentations dues à des ferments solubles peuvent être imitées ou reproduites, au moins dans leurs résul- tats, par des procédés purement chimiques, tandis que l'influence vitale n'est que difficilement remplacée dans les fermentations de la seconde espèce. Aussi, les agents toxiques, alcool, élher, chloroforme, acide cyanhydrique, créosote, glycérine concentrée, essences, etc., qui s'op- posent au développement des phénomènes vitaux, empê- chent absolument l'évolution des ferments figurés, tandis qu'ils n'ont pas d'influence sur les ferments solubles. C'est grâce à cette résistance que l'on peut, dans les laboratoires, conserver ces as^ents. Nous avons l'habitude de mêler à la liqueur qui contient le ferment un peu d'acide phénique ([ui suffit à empêcher la putréfaction de la matière azotée, et n'apporte aucune entrave à son action ultérieure. La dernière observation que nous désirions faire est relative à la préparation de ces agents, à leur séparation des liquides dans lesquels ils sont suspendus. Le même procédé convient pour tous. 11 consiste à les précipiter par l'alcool plus ou moins concentré, et à les reprendre par l'eau. Le plus grand nombre, nous pourrions dire tous les ferments solubles auxquels nous avons affaire, jouissent de la propriété de se redissoudre dans l'eau après avoir été précipités par l'alcool, tandis que le 330 PRÉPARATIONS DES FliRMENTS SOLUBLES. même résultat ne se produit pas, en général, pour les matières albuminoïdes auxquelles le ferment est mé- langé. La glycérine dissout tous ces ferments et empêche leur action quand elle est concentrée ; mais l'addition de l'eau fait reparaître leur activité, ce qui n'a pas lieu pour les ferments insolubles. LEÇON XXIII Fei'inents tligcstifs.l Sommaire. — § I. Ferment digestif des matières féculentes dans les animaux et les végétaux. — Digostion des aliments par les animaux, des réserves par les végétaux. Diastase ou ferment glycosique découvert par Payen et Persoz, Bouchardat et Sandras. Époque d'apparition du ferment. Nature chimique de la transformation. g II. Ferment inversif ou ferment digestif des matières sucrées dans les ani- maux et les végétaux. — Moment où apparaît ce ferment pour la digestion des réserves ou des aliments. — Généralité de ce ferment. ^ III. Ferment digestif des matières grasses dans les animaux et les végé- taux. — Émulsion; sa rapidité. Lenteur de la saponification. ^ IV. Ferment digestif des matières awtées. — Germination des graines. § V. Absorption. § I. — Ferment digestif des matières féculentes DANS les animaux ET LES VÉGÉTAUX. La digestion des féculents consiste dans leur transfor- mation en matières solnbles et assimilables : solubles, aûn de pouvoir circuler d'un point à l'autre de l'orga- nisme ; décomposables, afin de se prêter aux échanges chimiques de la nutrition. La digestion est donc bien ici le prologue de l'acte nutritif. Partout où des matières féculentes doivent alimenter un organisme, on retrouvera celte préparation préalable. Or, tous les organismes, dans le règne végétal aussi bien que dans le règne animal, emploient les féculents pour leur entretien ; tous, par 3o^ DIGESTION DES FÉCULENTS conséquent, digèrent ces substances dans le sens strict du mot. La digestion de la fécule chez l'animal se fait surtout dans le duodénum, ainsi que nous le savons; c'est là que, sous l'influence du suc pancréatique, la fécule se liquéfie et se transforme en glycose. Mais ce phénonu''ne n'est pas spécial à l'intestin grêle, parce que l'agent, le ferment qui produit cette digestion de la fécule, peut se rencontrer dansToiganisme animal ailleurs que dans le canal alimentaire; il existe aussi dans le végétal. C'est grâce à lui que la pomme de terre digère sa fécule, que la graine digère sou amidon quand elle va germer. Nous retrouvons ce même phénomène de digestion fécu- lente toutes les fois que nous trouvons réunis, dans des conditions convenables, la matière amylacée et le fer- ment qui agit sur elle. Ce n'est donc pas là une action spéciale à (juelques êtres; c'est une action universelle. L'animal emprunte au végétal une nourriture riche en substances amyla- cées, et il la digère dans un appareil intestinal sous l'in- fluence d'un ferment approprié. La plante digère de même l'amidon de ses réserves, lorscjue la graine entre en germination, lorsque le bourgeon se développe en bois ou en fleur, lorsque la tige s'accroît et s'élève. Le fait le plus remarquable n'est pas seulement cette uni- versalité d'une élaboration commune à tous les êtres; c'est surtout l'identité de cette élaboration, (pii se fait par les mêmes procédés, par le même agent, et qui abouti! aux mêmes résultats. Le lésultat univoque, c'est la production d'un sucre DIASTASK. àôà particulier, la olycose; l'agent, c'est un ferment appelé diastase végétale et animale, ou ferment glycosique; le procédé, c'est l'hydratation de la substance, hydratation graduelle qui la fait passer de la composition pondérale exprimée parC^-H'-O"^ (amidon), à la composition expri- mée par la formule C^-^H"'0'<^ + '2 HO ou C'-H'-O'- (gly- cose). C'est en 1838 que MM. Payen et Persoz isolèrent la matière active, le ferment diastasique qui transforme l'amidon en dextrine, puis en glycose. C'est dans l'orge germée qu'ils trouvèrent cette substance. On prend le malt qu'on broyé et qu'on fait infuser dans l'eau à "ttb"; on filtre; on obtient, en ajoutant de l'alcool, un pré- cipité floconneux qu'on reprend ensuite par l'eau. On répète l'opération plusieurs fois pour arriver à un plus haut degré de pureté. Le produit de l'opération est une substance azotée qui peut supporter une température de 65° sans être altérée, et qui, mise au contact de l'amidon, le change avec une grande énergie en glycose. Une partie de diastase suffit à transformer 2000 parties d'amidon. La propriété dont MM. Payen et Persoz venaient de faire connaître le mécanisme, la fermentation glyco- sique, en un mot, fut d'abord attribuée exclusivement aux végétaux. Quelques années plus tard, on la retrou- vait chez les animaux; Miahle, en 1845, reconnaissait le changement de l'amidon en sucre, grâce à un ferment qu'il appela, par analogie avec le précédent, diastase animale. La salive est le liquide animal où l'on ren- contra d'abord la diastase; mais elle ne lui est pas exclu- sive. Dès l'année 1845, Bouchardat et Sandras signa- 334 DIFFUSION DE LA DIASTASE. laient sa présence clans le suc pancréatique ; la digestion la plus active des matières féculentes s'accomplit préci- sément dans l'intestin grêle et non dans les premières portions du canal. Si l'on veut isoler la substance active, on fera une infusion du tissu de la glande, et l'on trai- tera cette liqueur successivement par l'alcool pour pré- cipiter la diastase et les albuminoïdes, puis par l'eau pour séparer ces derniers. Mais il n'est pas nécessaire de séparer ainsi le ferment glycosique de ses menstrues, et l'infusion brute suffit parfaitement. Nous nous servons de cette infusion toutes les fois que nous voulons trans- former rapidement une matière amylacée en glycose. L'action est, en effet, excessivement rapide, pour ainsi dire instantanée. Le contact n'a pas besoin d'être pro- longé pour être efficace. De là le grand avantage que nous présente l'infusion pancréatique sur les autres agents chimiques les plus capables d'hydrater l'amidon. Il est clair que le ferment diastasique doit exister partout où s'accomplit la transformation dont nous parlons, partout où l'amidon animal ou végétal doit être rendu soluble et décomposable. Il ne faudrait donc pas localiser ce ferment dans un seul liquide de l'orga- nisme, le cantonner dans un département spécial hors duquel il ne pourrait sortir. En réalité, il est beau- coup plus répandu. On le trouve normalement dans le suc pancréatique : c'est là qu'il existe en plus grande abondance et dans son état le plus actif. iMais il peut apparaître, selon les besoins, dansdanlres parties. Dans le foie, le glycogène, au contact du sang et du fer- ment, est changé en sucre et est emporté à l'état de RÉSERVES DE FÉCULENTS. 335 glycose clans le torrent circulatoire. A la période de la vie animale où ce changement doit s'accomplir, le fer- ment apparaît, et l'amidon accumulé est détruit. De même dans les graines : le ferment apparaît dès les pre- miers temps de la germination ; dans la pomme de terre, il se montre au printemps, alors l'agent fermenti- fère apparaît dans le tubercule comme il apparaissait dans l'orge germée, il liquéfie l'amidon et le met en situation d'être distribué dans les points où il doit en- tretenir la nutrition, c'est-à-dire le développement et la vie du végétal. Chez la plupart des animaux, la phase de production du glycogène et la phase de sa fermentation ne sont pas aussi distinctes que chez les végétaux : les deux phéno- mènes sont souvent continus et simultanés. Cependant il y a une exception à faire pour les premiers temps de la vie, surtout chez les animaux à métamorphose. Par exemple, si nous considérons la larve de la mouche ordinaire, Musca lucilia, l'asticot, pour l'appeler de son nom vulgaire, nous trouverons qu'il contient une énorme quantité d'amidon : c'est un véritable sac de glycogène. Pendant ce temps, on n'y trouve pas autre chose que le glycogène et point de trace de sucre. La raison en est que le ferment glycosique n'existe pas encore. Mais bien- tôt la chrysalide va succéder à la larve, et alors, dans cette nouvelle phase de l'existence où se construit l'animal parfait, la réserve de glycogène devra être utilisée. Le ferment apparaît : l'amidon est liquéfié, l'épreuve chimique nous montre le sucre tout à l'heure absent, maintenant très-abondant. 336 NATURE DE LA ÏRANSFORMATIOX. Quelque chose d'analogue se manifeste chez des êtres bien plus élevés en organisation, par exemple chez les mammifères, dans ces temps de la vie embryonnaire où la nutrition est précipitée, où l'activité plastique et for- mative atteint son plus haut degré. La matière glyco- gène déposée en divers points du fœtus et de ses enve- loppes entre alors en mouvement : elle est dissoute et transformée en sucre. Laglycogénie n'a pas ici de siège fixe; le ferment n'en peut pas avoir non plus. Nous ne poursuivrons pas l'éniimération de ces cir- constances. Nous avons voulu montrer que l'acte essen- tiel de la digestion féculente est très-répandu, qu'il se manifeste toutes les fois que la matière amylacée entre en mouvement pour participer aux échanges vitaux; que partout, dans le tube digestif ou dans les organes, dans l'animal ou dans la plante, le mécanisme de l'ac- tion est le même; qu'un ferment, une diastase, est chargé de liquéfier famidon, de l'amener successive- ment à l'état de dextrine et plus tard de glycose. l^e ferment glycosique n'est donc pas enfermé dans un canton spécial de l'organisme; il naît et se produit par- tout où sa nécessité se fait sentir, ou du moins le sang l'y transporte; et partout où le ferment arrive au con- tact de l'amidon, il y a véritable digestion féculente. Ce point établi d'une manière générale, il faut ajouter que pour la digestion intestinale c'est surtout dans le duo- dénum que le phénomène se concentre, et que la véri- table source de diastase est le liquide pancréatique. Si nous nous demandons maintenant quelle est la nature intime de cette digestion féculente si générale, SACCHARIFICATION DE l' AMIDON 337 la réponse ne fera aucun cloute. Il s'agit là d'une action chimique, purement chimique, et non pas du tout d'une action vitale. Le mécanisme est de la môme nature que le plus grand nombre de ceux que nous offre la chimie organique. La vie intervient, sans doute, dans la perpé- tration des éléments organiques et des agents qui seront mis en présence; mais, une fois que ceux-ci sont pro- duits, elle disparaît de la scène et cède la place aux forces générales physico-chimiques. Il y a plus ; le phénomène dont nous parlons est encore réalisé par d'autres procédés en dehors des êtres vivants : le ferment glycosique a des représentants dans la chimie minérale; les acides étendus, chlorhydrique et suifu- rique, réalisent la transformation de l'amidon en dextrine et en sucre. Ces procédés sont appliqués sur une grande échelle et constituent une branche d'industrie, l'industrie de la glycose. Dans l'économie animale, ces procédés empruntés au monde minéral n'étaient plus applicables, parce qu'ils sont ou trop lents ou trop énergiques; ils font intervenir des agents dont la présence est incom- patible avec la délicatesse des tissus. Il fallait un suc- cédané de ces acides, un agent chimique aussi actif, mais sans aucun caractère de causticité. La diastase satisfait à tous ces desiderata. Le même résultat définitif est encore obtenu par des voies différentes. L'action prolongée de l'eau bouillante, par exemple, peut, comme les acides, transformer l'amidon en dextrine et en glycose. De même, il a été établi que toute substance album inoïde en état de CL. BERNARD. — Phénomènes ii. — 2'2 338 GÉNÉRALITÉ DE LA DIGKSTION DES FÉCULENTS décomposition joue, plus ou moins lentement, le même rôle que la diastase. En résumé, la digestion des matières féculentes qu'on a localisée dans le canal intestinal des animaux est une opération qui présente la plus grande généralité. Elle est commune aux deux règnes. Elle existe dans la germi- nation, dans la végétation, dans le développement em- bryonnaire. Elle existe non-seulement chez l'être vivant, mais en dehors de lui, dans le monde minéral. Elle se réalise par des moyens différents dont l'origine ne doit pas nous préoccuper, mais dont l'essence ne fait pas de doute. Ce sont des actions physico-chimiques qui partout obéiss'^'nt aux forces générales de la nature. § II. — Ferment inversif, ou ferment digestif des matières SUCRÉES DANS LES ANIMAUX ET LES VÉGÉTAUX. Nous avons vu se réaliser à propos de la digestion des matières féculentes la très-ancienne conception de Van Helmont qui assimilait la digestion à une fermentation. C'était là une hypothèse obscure, car son auteur ne pou- vait avoir que des idées extrêmement confuses sur les faits qu'il rapprochait. Néanmoins cette assimilation était heureuse : elle contenait une certaine part de vérité que nos recherches modernes ont fait ressortir. Willis et Descartes avaient accepté avec raison cette vue de l'esprit et l'avaient même étendue singulièrement : pour eux, toutes les actions et les perturbations vitales étaient le résultat d'une série de fermentations qui présidaient à tous les phénomènes. Le rôle des physiologistes de notre DIGESTION DES SACCHAROSES 339 temps a été de préciser et d'éclaircir ce que cette notion renfermait de ténébreux et de mystérieux. Relativement à la digestion la théorie est vérifiée; nous poursuivons ici cette vérification. Nous l'avons mise en lumière dans une de ses parties, en traitant de la digestion des féculents; nous allons continuer notre œuvre en nous occupant de la digestion des matières sucrées (saccharoses). Nous fixerons notre attention d'abord sur celle de ces substances qui entre le plus généralement dans l'alimen- tation et qui y joue le rôle le plus important. Nous vou- lons parler du sucre ordinaire, du sucre de canne, ou saccharose, dont la composition est exprimée par la for- mule O-W'O''. Je vous ai montré un résultat capital de nos recher- ches, c'est que le sucre de canne, saccharose, n'est pas alimentaire sous sa forme actuelle : il est impropre aux échanges interstitiels de la nutrition, aussi bien chez les végétaux que chez les animaux. Il est comme une ma- tière inerte ou indifférente qui circulerait impunément dans le sang ou dans la sève, sans que les éléments anatomiques puissent jamais le détourner et se l'ap- proprier. Le sucre de canne entre dans l'alimentation pour une forte proportion. La digestion qui le rend propre à l'assimilation ne se fait ni dans la bouche ni dans l'esto- mac. La digestion des féculents et des saccharoses se fait dans l'inteslin grêle; mais nous savons déjà que ce n'est pas sous l'influence du même agent que celte digestion a lieu. La saccharose a son ferment spécial qui n'agit 840 DIGESTION CHEZ LES PLANTES que sur elle, et dont nous allons nous occuper au- jourd'hui. De même que la fécule, la saccharose qui existe à l'état de réserve dans les tissus d'un grand nombre de végétaux est impropre à participer au mouvement nu- tritif de la plante. Et c'est pour cette raison que ce sucre peut s'amasser et s'accumuler comme il arrive dans la racine de betlerave et dans la tige de canne à sucre. Le sucre y forme une réserve qui attend le moment d'en- trer en action. Ce moment vient pour la betterave lorsqu'elle doit bourgeonner, fleurir et fructifier : alors le sucre diminue progressivement et disparaît peu après du tissu et de la tige de la betterave en se changeant en glycose. Les feuilles contiennent à ce moment exclusive- ment de la glycose ; la racine se dégarnit et les épargnes de sucre qu'elle renfermait vont se distribuer dans la tige pour servir à la floraison et à la fructification. Mais cela même n'est possible qu'à la condition d'une trans- formation préalable qui change la nature chimique et la composition de la saccharose et la fasse passer à l'état de glycose. C'est là encore une véritable digestion. La betterave doit donc digérer son sucre. Ainsi, pour devenir utilisable, pour être susceptible d'assimilation, le sucre ordinaire doit subir une modifi- cation digestive dont il restera à fixer la nature chi- mique; mais dès à présent, nous devons tirer cette con- clusion de nos remarques, que la digestion ne consiste pas, comme certains physiologistes l'ont prétendu, en une simple dissolution. Le sucre de canne en effet u'est-il pas parfaitement soluble? N'est-il pas complètement INTERVERSION DU SUCRE DE CANNE 341 liquéfié et mélangé au sang lorsque nous l'injectons clans une veine ? Et cependant alors il se comporte à la façon d'une matière inerte qui traverse l'économie sans s'y incorporer: il n'est point assimilable ou alibile.Pour le devenir il devra subir une bydratalion qui le fera passer à l'état de glycose dont la composition est exprimée par la formule C'-H'-'O'Ml devra subir une modification dans sa nature intime. Cette modification est une fer- mentation : elle est réalisée par un ferment de l'intestin, dont je vous ai déjà parlé et que nous avons appelé /ér- ment inversif "^om une raison qui va être exposée. Ce ferment qui va faire de la saccharose une glycose apte à la nutrition existe, vous vous en souvenez, dans le canal intestinal, dans l'intestin grêle. Il est sécrété par les glandes qui sont dans les parois mêmes de l'in- testin, et peut être obtenu par l'infusion de la membrane muqueuse, comme on obtient les autres agents digestifs par l'infusion des glandes, gastriques^ salivaires ou pan- créatiques. Comment le sucre de canne est- il modifié par ce fer- ment? Disons immédiatement qu'il est transformé en sucre interverti, mélange en proportions égales de deux glycoses : l'une qui dévie à droite la lumière polarisée, et qui est la glycose proprement dite ; l'autre qui dévie à gauche, et qui est la lévulose. Le pouvoir rotatoire de cette dernière est de 106", c'est-à-dire bien supérieur à celui de la glycose qui est de 57°, 8 à 15°. De là résulte que le mélange en égales proportions de ces deux sub- stances manifeste l'influence la plus énergique parmi les deux influences contraires qui se combattent; il dévie à 342 FERMENT INTERVERSIF DE LA LEVURE gauche. Le sucre interverti possède un pouvoir rotatoire gauche de 25° à la température de 15". Le ferment inversif qui dans l'inlestin de l'animal est l'agent de cette transformation, n'est pas un ferment spé- cial à l'animal; il se retrouve dans le règne végétal ; il a aussi ses représentants dans le règne minéral. Les acides étendus jouissent de la même propriété. Si l'on fait chauffer une solution de sucre candi avec un dixième de son poids d'acide chlorhydrique ou d'acide sulfu- rique, la liqueur qui tout à l'heure ne réduisait point le réactif cupro-potassique le réduit maintenant et mani- feste ainsi la présence des deux glycoses, l'une déviant adroite, l'autre déviant à gauche. Il importe, quand on veut faire le mélange avec soin, de ne pas chauffer trop haut le mélange acide, et d'empêcher l'évaporation de la liqueur au moyen d'une allonge refroidie. On évitera ainsi la production des composés caraméliques qui colo- reraient le liquide et empêcheraient l'action de s'arrêter à la simple hydratation que l'on veut obtenir. Le phénomène de l'interversion du sucre de canne sous l'action des acides a été découvert par M. Dubrun- faut. Dans les êtres vivants le phénomène est réalisé par d'autres agents que les acides. 11 peut être reproduit avec un organisme dont le rôle est très-important, la le^:iire de bière. M. Berthelot a montré que l'infusion de levure contenait un principe actif capable de produire la transformation du sucre. !1 l'a isolé parle même procédé géïKM'al qui sert à obtenir tous les ferments solubles, c'est-à-dire en délayant la masse dans l'eau et en pré- DIGESTION DU SUCRE PAR LA LEVURE oio cipitantpar l'alcool la liqueur filtrée. Le ferment obtenu est purifié par une série d'opérations pareilles : une partie en poids suffirait à intervertir de 50 à 100 parties de sucre. Un premier lavage n'épuise point la faculté que possède la levure; en sorte qu'une nouvelle infusion est toujours apte à fournir la matière active. On avait observé déjà anciennement, à propos de la fermentation alcoolique, ce fait que le sucre de canne la subit plus lentement que la glycose. En examinant le phénomène à fond, on a eu son explication. Il faut qu'avant d'entrer en fermentation alcoolique, le sucre de canne soit interverti par le ferment inversif de la le- vure, tandis que le sucre de fécule, déjà à l'état de gly- cose, fermente directement. La fermentation alcoolique est un phénomène corré- latif de la nutrition d'un organisme, la levure de bière, Saccharomyces cerevisice. Or, la saccharose est impropre à la nutrition de cet être microscopique, comme elle est impropre à la nutrition des êtres plus élevés. 11 est donc besoin que la saccharose soit modifiée, transformée en glycose, avant qu'elle puisse servir aux échanges vitaux de l'organule ferment. La cellule de levure, en opérant cette transformation, travaille en vue de son proprt3 développement. Elle digère pour elle-même la saccha- rose. L'interversion est encore ici un phénomène digestif de la même nature que ceux que nous venons d'exa- miner. En un mot, la fermentation alcoolique du sucre de canne comprend deux périodes; elle s'accomplit en deux temps : dans la première période la saccharose est réelle- 344 FERMENT INVERSIF DE l' INTESTIN ment digérée, changée en glycose par un ferment inversif extrait de la cellule même de levure ; dans la seconde période la glycose est utilisée par l'élément pour son évolution organique, et le résultat de cette action vitale est la formation d'alcool et d'acide carbo- nique. Voilà donc deux circonstances appartenant l'une au règne minéral, l'autre au règne végétal, dans lesquelles le sucre est interverti. La digestion animale constitue une circonstance du même ordre. Le ferment de la membrane muqueuse intestinale est capable de produire la même action : ce ferment est un des éléments du suc intestinal, et c'est à lui qu'est dévolue la fonction de digérer les matières sucrées. Mes expériences à cet égard sont de la plus grande netteté : il suffit d'essayer une solution de saccharose incapable de réduire le liquide cupro-potassique, de l'injecter, ainsi que vous le savez déjà, dans une anse d'intestin limitée entre deux liga- tures, ou de la mettre en contact avec une infusion de membrane muqueuse intestinale, pour voir au bout de très-peu de temps le sucre réduire l'oxydule de cuivre et manifester ainsi l'existence de la glycose, ou mieux l'existence de ce mélange de glycose et de lévulose que l'on nomme sucre interverti. A l'aide du saccharimèlre de Soleil, on peut constater que le sucre interverti par le ferment intestinal dévie à gauche lalumière polarisée, absolument comme le sucre interverti par les acides ou par le ferment de la levure de bière. J'ai constaté l'existence du ferment inversif sur des chiens, des lapins, des oiseaux, des grenouilles. Celte GÉNÉRALITÉ DE l'iNTERVEKSION 345 expérience réussirait probablement sur toute espèce d'animaux. M. Balbiani Ta reproduite sur des vers à soie : il a fait une infusion de leur tube digestif et il a obtenu une solution ayant les mêmes vertus inversives que la muqueuse des animaux supérieurs. Le ferment inversif du suc intestinal s'obtient comme tout autre ferment soluble en le précipitant de ses solutions par l'alcool. Ce ferment existe, non- seulement dans l'intestin qui digère, mais dans tous les points et dans toutes les cir- constances où la saccharose doit être utilisée pour la nu- trition. La canne à sucre qui fructifie, la betterave qui monte en graine, transforment par inversion le sucre entreposé dans leurs tissus. L'agent est toujours exacte- ment le même^ un ferment inversif. Je l'ai retiré de la betterave en évolution par le procédé général. En résumé, la généralité de l'opération qui change la saccharose en deux glycoses (sucre interverti) appa- raît nettement à nos yeux. Elle se produit non-seule- ment dans le tube digestif, mais dans toutes les parties de l'organisme où la saccharose doit être modifiée, ainsi que cela se voit chez un grand nombre de végétaux. Dans le règne minéral, le phénomène est réalisé par l'immersion dans l'eau à chaud et même à froid, par des agents purement chimiques, comme l'acide sulfu- rique. On peut aussi produire mécaniquement, physi- quement, la même transformation de la saccharose; on sait que la pulvérisation transforme le sucre de canne en glycose. Là encore, sans aucun ferment, il y a inter- version de la saccharose. Ces dernières circonstances 346 MATIÈRES GRASSES nous révèlent la nature intime du phénomène; elles montrent qu'il ne contient rien qui appartienne à la force vitale ou à quelque autre influence de cet ordre. Comme le phénomène de la digestion des féculents, il est simplement sous la domination des forces naturelles physico-chimiques. § III. — Fermext digestif des matières grasses dans les animaux ET les végétaux. Les matières grasses entrent, sous des formes diver- ses, dans l'alimentation animale. Pour pénétrer du tube digestif dans le torrent circulatoire, pour devenir aptes à remplir un rôle nutritif, ces substances doivent subir une élaboration particulière, une digestion. Ici encore se représente une observation que nous avons rencontrée à propos des matières sucrées : à savoir, que l'acte digestif ne consiste pas dans une simple liquéfaction des aliments, mais dans une modification plus ou moins profonde qui les met en état d'être assimilés. Chez les animaux à sang chaud, chez les oiseaux et les mam- mifères, les graisses sont liquéfiées et fondues par la chaleur du corps; néanmoins, elles ne pénétreraient pas dans l'organisme si elles n'étaient modifiées d'une certaine manière. Les corps gras, en effet, ne s'absor- bent pas facilement à travers les membranes orga- niques. En particulier ils ne sortiraient point du tube intestinal pour entrer dans les vaisseaux sanguins, s'ils n'avaient éprouvé la transformation physique appelée êitndsion. ÉMUI.S10X 347 L'émulsion est le prélude de toutes les transfor- mations nutritives que subissent les graisses; c'est la con- dition de l'absorption de ces substances. Elle consiste dans une simple modification d'état physique : la divi- sion mécanique du liquide gras, qui se trouve séparé en un nombre infini de petits globules qui persistent et se maintiennent, grâce à une constitution moléculaire ca- ractéristique. Si l'on regarde au microscope une goutte de matière grasse émulsionnée, on aperçoit une mul- titude de granulations nageant dans le liquide émulsif, et animés, lorsqu'elles sont assez petites, du mouvement brownien. Quelquefois la pulvérisation est moins par- faite et moins persistante : les globules restent plus gros et ne tardent pas à se réunir entre eux de façon à grossir encore. La masse composée du liquide gras et du liquide émulsif, limpide et transparente avant l'ac- tion, est devenue laiteuse et opaque. La digestion des matières grasses a donc pour premier acte l'émulsion. Or, la faculté d'émulsionner n'est pas l'attribut de tous les corps; elle appartient seulement à quelques-uns. Elle paraît liée surtout à certaines con- ditions physiques, assez particulières cependant pour caractériser les liquides qui les possèdent à un haut degré. Ainsi, parmi les sécrétions organiques déversées dans le tube intestinal, le suc pancréatique est la seule qui soit capable de fournir avec les huiles une émulsion complète et persistante. L'émulsion incomplète formée avec tous les autres ne tarde pas à disparaître après quelque temps de repos. La sécrétion des glandes sali- vaires auxquelles on a longtemps assimilé le pancréas ne produit pas d'émulsion durable. 348 SAPONIFICATION Il y a donc, dans le suc pancréatique, un élément particulier auquel revient cette propriété d'agir sur les aliments gras et d'en préparer l'absorption. Mais la modification ne s'arrête pas là , elle va beaucoup plus loin : elle ne se borne pas à un changement physique, elle est poussée jusqu'au dédoublement chimique que l'on appelle saponification. De quelque nom qu'on l'appelle, il existe incontes- tablement dans le suc du pancréas une substance qui agit énergiquement sur les matières grasses, et qui en opère le dédoublement par action de présence sans prendre part elle-même à la réaction. Celte substance azotée présente donc déjà les caractères généraux d'un ferment soluble ; la préparation fournira une nouvelle analogie : en sorte que nous sommes fondé à désigner dès à présent le principe actif dont il est question sous le nom de ferment énmlsif et saponifiant. On a objecté que l'action saponifiante du suc pan- créatique pourrait être due à son alcalinité et non pas à un agent spécifique. L'objection est sans valeur; elle est levée par deux considérations. C'est d'abord que d'autres liquides alcalins, au môme degré que le suc pancréatique, sont néanmoins incapables de réaliser les mêmes phénomènes : la salive est du nombre. En second lieu, le tissu du pancréas n'a pas de réaction alcaline, et pourtant il est en puissance de reproduire avec une très-grande intensité les phénomènes que détermine la sécrétion. L'ébullition, qui ne fait pas disparaître l'alca- linité du suc pancréatique et qui coagule simplement sa matière organique ou son ferment, détruit pourtant sa puissance saponifimle. MOMENT DE LA SAPONIFICATION 349 Bien que ces actions soient extrêmement rapides, elles ne le sont cependant pas an même degré : l'émul- sion est instantanée, la saponification plus tardive. Dans le tube digestif, la première seule a le temps de s'achever; l'absorption se fait avant que la seconde soit aussi avancée. La graisse pénètre donc dans les voies absorbantes à l'état d'émulsion : c'est sous cette forme qu'elle charge la lymphe et le sang. Après un repas de graisse on voit les vaisseaux chylifères pleins d'un liquide lactescent qui les gonfle et les rend ap- parents. Ces vaisseaux lactés se montrent à partir du pancréas. Les carnivores possèdent les vaisseaux chylifères les plus évidents, et cette disposition est en relation avec leur régime; les herbivores ne se prêtent pas si facile- ment à l'observation, mais c'est là une simple question de degré. Si l'on vient à recueillir le chyle contenu dans les vaisseaux lymphatiques de l'intestin, on trouve une émulsion de graisse dont on peut séparer le corps gras au moyen de son dissolvant habituel, l'éther, et con- stater qu'il n'a subi encore aucune décomposition bien notable. Le dédoublement n'a pas trouvé toutes ses con- ditions favorables dans le canal digestif; il ne se fait que plus loin et plus tard, peut-être dans le poumon ou les divers tissus. Le sang donnerait lieu aux mêmes obser- vations que le chyle : quelque temps après le repas on trouve le sang chyleux, c'est-à-dire que ce liquide lui- même est chargé d'une émulsion de graisse. Une difficulté se présente maintenant : c'est de savoir si le ferment émulsif est véritablement un ferment 350 PRÉPARATION DU FERMENT ÉMULSIF soluble spécial. Lorsqu'on applique au suc paucréalique le procédé ordinaire de préparation des ferments solu- bles, on obtient une substance qui en a tous les carac- tères : qui se précipite par l'alcool, se redissout dans l'eau, possède la composition des albuminoïdes, se coa- gule par la chaleur élevée, etc. Mais cette substance manifeste des propriétés complexes comme le liquide pancréatique lui-même : elle contient, outre le fer- ment émulsif, un ferment diastasique dont nous avons déjà signalé l'existence, et aussi un ferment agissant sur les aliments albuminoïdes, la trypsine, qui a été signalé lorsque nous nous sommes occupés de la digestion de ces matières. Il faudra donc avoir recours à de nouveaux artifices si l'on veut arriver à la séparation de ces divers ferments. Le caractère particulier du ferment émulsit paraît être de précipiter, comme la caséine, par le sulfate de magnésie à froid. En résumé, nous voyons que le pancréas préside à trois fermentations ou digestions et contiendrait trois fer- ments : le ferment digestif des albuminoïdes, le ferment diastasique des féculents dont nous avons parlé plus haut, et le ferment émulsif des aliments gras dont nous nous occupons actuellement. Ces divers ferments albuminosique, glycosique et émulsif, qui se rencontrent réunis dans le pancréas des vertébrés supérieurs, paraissent séparés dans d'auti-es animaux. Le pancréas de certains poissons, celui de la raie par exemple, qui offre un grand développement, agit très-énergiquement sur les corps gras et n'exerce pas d'action sensible sur l'amidon. Les tentatives pour SÉPARATION DES FERMENTS PANCRliATlQUES 351 isoler ces trois agents ont été nombreuses (i). M. Dani- lewsky propose le procédé suivant : Broyer le pancréas, puis le laisser infuser; précipiter par la magnésie et fil- trer :1e ferment des matières grasses reste sur le filtre; reprendre le filtratum et y ajouter le tiers de son volume de collodion : le ferment des albuminoïdes serait arrêté par lefiltreà l'état insoluble; on pourrait ensuitele redis- soudre dans Téther. La liqueur qui passe aurait seule- ment la propriété de saccharifier les matières amylacées. Au point de vue généralisaleur qui nous préoccupe, nous devons nous demander si le même ferment émulsif appartient aux plantes comme aux animaux. Nous devons voir, en un mot, si la digestion des matières grasses est un phénomène général ayant ses représen- tants non-seulement dans le règne animal, mais aussi clans le règne végétal et même dans le règne minéral. Chez les animaux ce n'est pas seulement sur les ma- tières alimentaires ingérées dans l'intestin que cette fer- mentation s'exerce ; ce n'est pas seulement le chyme qui est émulsionné et modifié de la façon que nous venons de dire. Le lait, par exemple, n'est pas autre chose qu'une émulsion de graisse produite et maintenue par un ferment qui s'annonce comme analogue à celui dont nous nous occupons. Le sulfate de magnésie le précipite et du même coup entraîne la matière grasse. Il résulte de cette constitution du lait c{ue ce liquide contient la matière grasse toute préparée pour l'absorption. Cela est en rapport avec une nécessité physiologique. L'ali- (1) Virchow Arcliiv. t. XXV, p. 279. 35^ FERMENT ËMLLSIF DES VÉGÉTAUX mentation lactée s'adresse en effet à de jeunes êtres chez qui la sécrétion pancréatique n'a pas encore pris tout son développement. Le même ferment se rencontre chez les végétaux. Que l'on prenne, par exemple, des graines oléagineuses et qu'on les broyé avec de l'eau ; on aura une émulsion, et au bout de peu de temps on constatera dans le liquide les produits de dédoublement des corps gras, la gly- cérine et les acides gras. Au moment où se fait la germination, l'huile fermenlescible et le ferment se- raient mis en présence, et l'action s'opérerait comme une véritable digestion. II est même possible que dans ces circonstances la production du ferment soit exagérée et qu'il soit plus facile de l'isoler quoiqu'on n'y ait pas encore réussi. Le même fait se produit dans le rancisse- ment et l'acidification des graisses abandonnées à l'air. Il y a des circonstances, on effet, où la matière albunii- noïde renfermée dans le corps gras impur est susceptible de revêtir les caractères du ferment. Le ferment émulsif existe d'une manière bien nette dans les amandes, les noix; son action s'exerce au mo- ment où la germination s'accomplit, mais on peut la déterminer artificiellement en écrasant simplement les graines. On obtient alors une émulsion blanche comme du lait. Les loochs se préparent précisément par ce pro- cédé. C'est évidemment le contact d'un agent particulier avec l'huile grasse de l'amande qui a produit cette émulsion qu'on appelle lait d'amandes. On trouve dans l'amande douce trois produits principaux : de la saccha- rose qui se transforme tni glycose par un ferment inversif ÉMULSINE. 353 dont nous avons parié ailleurs, une iiuile et un agent spécial d'émulsion. Dans l'amande amère, la glycose paraît remplacée par Xamygdaline. Ce dernier exemple ne rapproche pas seulement la digestion des matières grasses dans les deux règnes, nous y trouvons aussi un renseignement relatif au fer- ment émulsif du pancréas. Uémulsine^ ([m est le ferment de l'amande, opère l'émulsion de l'huile dans Tamande à la manière du ferment émulsif pancréatique. C'est une substance de composition complexe ; elle est analogue aux albumi- noides par certains côtés, et d'autre part elle renferme des phosphates. Robiquet l'a préparée le premier en i833. Pour l'obtenir il suffit d'écraser les amandes douces, puis de filtrer le mélange après l'avoir laissé macérer dans l'eau froide. Le liquide tiltré peut être traité alors par l'alcool et Teau successivement. On reconnaît là le procédé général de préparation des fer- ments solubles. Liebig et Wôhler ont fait connaître l'action fermenti- fère remarquable quel'émulsine exerce sur l'amygdaline. Sous l'influence de cet agent l'amygdaline, C**'H'"'AzO-, est dédoublée en trois produits : glycose, essence d'a- mandes amères, C''*H*^0', et acide cyanhydrique. La réaction est exprimée parla formule suivante : C^«H-^'AzO-^ + 2H=0- = SC'^H'^O'^ + G^2i!2L+ ^'^'^^ Amygdaliae. Glycose. Essence Acide d'amandes cyaiihy- amères. driquc. Voilà donc deux ferments dans l'amande : le ferment de la matière grasse et le ferment amygdalique. CL. BERNARD, — Phénomènes. H. — 23 354 ÉMULSINE. Il y en a un troisième. La salicine, principe amer de l'écorce du saule et du peuplier, est transformée sous la même influence de l'émulsine en snligénhie^ C'^H^O*, et glycose, comme l'indique cette équation : C..H'°0»(C"H'0*) -f H-0» = C'^H'^0'^ + C'^'O' Salicine. Glycose. Saligéniiie. Trois fermentations différentes sont donc réalisées par une substance complexe. Celle-ci contient-elle un prin- cipe actif particulier pour chaque cas, intimement uni ou combiné avec les deux autres, ou est-ce la même substance qui est susceptible de produire les trois actions? La question n'est pas tranchée. Mais quelque solution qu'elle reçoive, nous pensons qu'elle ne fera que démon- trer plus clairement le rapprochement que nous établis- sons avec le suc pancréatique qui, lui aussi, est susceptible de réaliser trois fermentations. J'avais émis autrefois l'idée que ces diverses propriétés fermentifères pour- raient appartenir au même corps sous des réactions dif- férentes (1), Nous savons, en effet, que la réaction acide est nécessaire à l'activité des ferments digestifs des ma- tières albuminoïdes, tandis que la réaction alcaline est nécessaire à l'activité des ferments digestifs des ma- tières grasses. Quoi qu'il en soit, le ferment émulsif sera, pensons-nous, complètement isolé plus tard. On recon- naîtra peut-être alors que ce ferment émulsif pancréa- tique a les plus grandes analogies avee Témulsine dont nous venons de nous occuper. Déjà nous pouvons invo- quer un fait avancé par RolHker et Millier, c'est que le (1/ Voy. Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XIX. FERMENT ALBUMINEUX. 355 SUC pancréatique serait capable de provoquer la fermen- tation de l'amygdaline. Ajoutons enfin, pour terminer notre parallèle, que la saponification des graisses opérée par les ferments ani- maux et végétaux ne saurait, pas plus que les autres digestions, être considérée comme un phénomène vital; des agents inorganiques purement chimiques ou phy- siques, tapotasse caustique, l'acide sulfurique concentré et l'action de la vapeur d'eau surchauffée, reproduisent le même phénomène. On sait que c'est par ce dernier procédé qu'on obtient aujourd'hui industriellement la glycérine. IV. — Ferment digestif des matières albuminoïdes DANS LES ANIMAUX ET LES VÉGÉTAUX. Nous avons indiqué, à propos des sécrétions gastrique et pancréatique, leur intervention dans la digestion des aliments albuminoïdes. Nous avons précisé le rôle de ces deux liquides, autant au moins que le comporte l'état actuel de la science. Le ferment albuminosique du suc gastrique, h pepsine, a été découvert en 1836 par Schwann; Wasmann et Vogel, en 1839, et Briicke (de Vienne), plus récem- ment (1), ont fait connaître des moyens de le préparer plus ou moins pur. La pepsine a besoin, pour agir sur les albuminoïdes, de se trouver dans un milieu acide; l'alcalinité suspend (1) Revue des cours scientifiques, i'"' série, t. VI, p. 786. 356 PEPSINE. son action. En second lieu, il lui faut une température convenable, et cette température varie avec les diffé- rents animaux. Ainsij il paraîtrait que la pepsine extraite de l'estomac des poissons, n'entre pas en activité au même degré thermique que celle des mammifères. L'espèce animale paraîtrait aussi exercer une influence sur l'énergie de la pepsine : celle des lapins ne présente pas dans toutes les circonstances la même activité que celle des chiens Mais ce sont là de simples nuances. Nous savons déjà que l'action du suc gastrique est toujours la même, elle porte principalement sur la fibrine ; les autres albumi- noïdes sont moins vite attaqués. Mais avec la fibrine même du sang ou du muscle, la fluidiûcation n'est pas complète; on admet qu'une portion est dissoute et trans- formée en parapeptone, une portion reste insoluble, qu'on appelle la dyspeptone; mais la première fraction, la parapeptone, ne reste pas longtemps liquéfiée. En effet, lorsque la liqueur dans laquelle elle est dissoute cesse d'être acide, lorsqu'on la neutralise ou qu'on la rend alcaline, la parapeptone se précipite. Or, nous avons vu que c'est là précisément ce qui paraît se pro- duire dans le duodénum au moment où le chyme gas- trique arrive au contact de la bile. La conséquence est que tous les aliments albuminoïdes se présentent finale- ment à l'état insoluble devant le suc pancréatique chargé de les digérer. Ces phénomènes ont déjà été expliqués. On voit à combien peu de chose paraît se réduire la propriété digestive de la pepsine. Il est vrai que dans les opéra- PEPTONES GASTRIQUES. 357 tions artificielles, instituées en dehors de l'animal, Faction semble poussée plus loin, parce que le contact entre l'aliment et le ferment est plus prolongé. Alors, en effet, on voit apparaître les peptones véritables. Celles-ci ne sont plus précipitables par simple neutrali- sation de la liqueur ; de plus, elles sont dialysables, et, par conséquent, elles seraient facilement absorbées si vraiment elles existaient dans le canal intestinal, si elles étaient, en un mot, un produit naturel et non un produit artificiel de la digestion. Le caractère commun des pep- tones est en effet d'être incoagulables par la chaleur et facilement dialysables. Nous avons vu qu'on a distingué ces trois corps en trois espèces ; mais cette distinction ne mérite pas de nous arrêter, car elle est fondée sur des caractères de minime importance fournis parles réactions de l'acide azotique et du ferrocyanure de potassium. A la longue, et en se plaçant dans ces mêmes condi- tions extra-naturelles, l'albumine elle-même est attaquée par la pepsine : une moitié est changée en peptone, un quart en parapeptone, le surplus reste insoluble. L'ich- thyocolle et la gélatine se transformeraient à peu près de la même manière. Malheureusement, et nous répétons ici ce que nous avons déjà dit, la digestion gastrique véritable ne sau- rait être assimilée aux opérations artificielles réalisées dans les vases d'un laboratoire. On sait que l'action prolongée du ferment gastrique serait capable d'exer- cer un effet qui véritablement ne s'exerce pas dans l'estomac, parce que le temps suffisant lui manque. D'ailleurs, on ne trouve pas les produits de la réaction, 358 DIFFUSION DE LA PEPSINE. et c'est vainement que, pour expliquer cette absence, on a imaginé une disparition instantanée des peptones à travers la paroi stomacale. Il faut rabattre beaucoup de ce que l'on a dit de la faculté absorbante de la mu- queuse gastrique. Néanmoins, et malgré toutes ces réserves, il faut bien reconnaître que le suc gastrique contient un agent fer- mentifère, \si pepsine, doué de toutes les vertus des fer- ments solu blés; comme eux, de nature azotée, préci- pitable par l'alcool et soluble dans l'eau, susceptible d'agir sans perdre sensiblement de son poids ou de son pouvoir, à la condition qu'on sépare par la dialyse les produits fermentes à mesure de leur formation. La remarque la plus importante, celle qui se rattache le plus directement à notre thèse, a été faite par Brùcke. Cet auteur paraît, en effet, avoir retrouvé de petites quantités de pepsine dans le sang, les muscles et l'urine. Ceci montrerait que cet agent digestif n'est pas confiné dans une portion seulement du tube intestinal ; qu'il est répandu ailleurs, dans différents départements de l'or- ganisme, où sa présence pourrait être nécessaire , où il y aurait des albuminoïdes à liquéfier et à digérer pour les rendre aptes à la nutrition. Autrefois Bretonneau, je crois, avait annoncé que de la viande introduite dans une plaie sous-cutanée pouvait s'y digérer comme dans l'estomac. Dans le règne végétal, il y a des matières albumi- noïdes qui se dissolvent; cela arrive, par exemple, pen- dant la germination des graines. Le phénomène se produit sans doute sous l'influence d'un ferment ana- FERMENT PANCRÉATIQUE. 35'J logue à la pepsine animale ou au ferment albuminoïque du pancréas. L'action du ferment iiancrèatique est beaucoup plus ^^nergique et plus efficace que celle de la pepsine. De plus, cette action exige des circonstances moins parti- culières : elle se produit au sein des liqueurs neutres el alcalines, c'est-à-dire de la presque totalité des humeurs de l'organisme. La partie la plus obscure de notre tâche serait de chercher maintenant dans le règne végétal ce qu'il y a d'analogue à la digestion des albuminoides. Des réserves de matières albuminoides, il y en a certainement dans les végétaux comme dans les animaux. L'albumine, la fibrine, la caséine, sont abondantes dans les tissus végé- taux, et l'on n'en est plus aujourd'hui à démontrer leur existence et leur parallélisme avec les substances pro- téiques des animaux. Les transformations que ces albu- minoides végétaux éprouvent, leur évolution, leurs aboutissants, sont malheureusement encore environnés d'un profond mystère, et cela n'est pas étonnant, car les études de ce genre sont à leur début. Néanmoins, l'induction, à défaut de notions précises, peut nous servir de guide et nous permettre de préjuger que l'analogie des procédés naturels se poursuit ici encore. Nous avons vu que, lors de la germination des graines, il y a réellement digestion des matières féculentes, su- crées ou grasses, qu'elles renferment. ïl est évident qu'il doit y avoir également digestion des matières albumi- noides contenues dans les mêmes graines. Les investi- gations des expérimentateurs ont rarement été dirigées 360 CONCLUSION. de ce côté ; mais nous espérons qu'elles le seront désor- mais, et que bientôt on possédera les éléments suffisants pour juger les questions que nous ne faisons en quelque sorte que poser aujourd'hui. Nous ajouterons encore, pour achever ce parallélisme, que l'aclion du ferment gastrique n'a rien de vital, et qu'elle a son équivalent dans des actions purement phy- siques accomplies en dehors de l'organisme et sans le secours d'aucun élément organique. L'ébullition pro- longée produit sur les ;matières albuminoïdes le même effet que la pepsine. Un consommé de viande est, en réalité, de la viande plus ou moins digérée. L'ébulli- tion engendre les peptones ou les matières gélatineuses exactement comme l'action du suc gastrique lui-môme. Ici finit la tâche que nous nous étions proposée rela- tivement aux fermentations digestives. Nous sommes arrivé au terme de notre étude, après avoir mis en lumière l'identité essentielle des phénomènes digestifs d'un bout à l'autre du monde vivant, chez tous les animaux et les végétaux. En même temps nous avons mieux compris la nature intime de ces phénomènes qui vont se répétant sans cesse. J'espère avoir fait ressortir avec assez de clarté, de- vant mes auditeurs, cette unité imposante de la vie dans ses manifestations essentielles. La signification des phénomènes apparaît plus nette, leur intelligence se complète et s'approfondit, lorsqu'on saisit leurs carac- tères communs et essentiels à travers l'infinie variété de leur mise en scène. La systématisation et la compa- raison des faits physiologiques qui sont l'objet de la ABSORPTIOX. 361 physiologie générale présentent donc ce grand intérêt qui s'attache à l'intelligence plus complète de la vérité. Au point de vue du progrès de la science, elle n'a pas moins d'avantages, car elle ouvre des voies inconnues, elle montre au travailleur la direction à suivre, elle lui propose des problèmes nouveaux ; elle le guide dans sa route au lieu de le laisser marcher en aveugle à la recherche d'horizons inexplorés. Le terme de la digestion est atteint, son objet rempli, orsqu'elle a contribué à la constitution du milieu inté- rieur dans lequel les éléments anatomiques vivent et se nourrissent. C'est, en définitive, pour cela que l'être vivant emprunte des éléments de réparation au monde extérieur, qu'il les dissout, les liquéfie et les met en état d'être incorporés intimement au liquide nourricier. La digestion consiste dans cette préparation, et son domaine finit là. § V. — Absorption. La préparation faite et terminée, il faut que la sub- stance digérée soit amenée dans le milieu intérieur auquel elle est apte à s'unir; il faut qu'elle y soit portée et absorbée. Nous avons donc actuellement à nous occu- per de y absorption. Nous nous arrêterons peu sur les phénomènes de l'absorption envisagés dans les végétaux. Les plantes puisent dans le sol des aliments dont elles se nour- rissent. Les animaux les puisent dans le tube digestif. Les racines baignent dans le liquide qu'elles doivent 362 EXHALATIOX INTESTINALE. absorber et elles y plongent leurs poils radiculaires. Chez les animaux, ce sont les vaisseaux sanguins et lymphatiques qui viennent baigner leurs ramifications infinies dans le liquide intestinal. Ces canaux subdivisés de plus en plus représentent bien un arbre qui répan- drait ses racines dans un sol nourricier. C'est sur la paroi intestinale que s'accomplit l'ab- sorption des substances alibiles. Le revêtement mu- queux est ainsi traversé par un courant qui entraîne les digestats dans l'organisme. Mais il importe de remar- quer que ce courant centripète n'est pas le seul dont la membrane muqueuse digestive soit le siège : un autre courant, inverse du premier, centrifuge, entraîne con- tinuellement les liquides de l'organisme dans le canal. Il y a, en un mot, un mouvement d'entrée et de sortie : des liquides sont absorbés et des liquides sont déversés pour être réabsorbés un peu plus tard. Un des phéno- mènes paraît corrélatif de l'autre; il en est la condition. Des quantités considérables de liquide sont ainsi en mouvement à travers le tégument intestinal. Bidder et Schmidt ont voulu apprécier ces quantités, mais ils sont arrivés à des évaluations trop énormes pour qu'on puisse leur accorder entière confiance. Le premier fait sur lequel je veux appeler votre atten- tion, c'est que les deux phénomènes d'entrée et de sortie sont successifs et non point simultanés. Des expériences nombreuses établissent, en effet, que lorsqu'une surface exhale, elle absorbe moins ; que lorsqu'elle absorbe énergiquement, elle exhale peu. C'est une loi générale. Ainsi, l'estomac absorbe moins pendant la digestion que VAISSEAUX ABSORBANTS. 363 pendant l'abstinence : un poison (à la condition de n'être pas altéré par les liquides digestifs) sera plus'énergique, plus rapide dans son action, s'il est introduit dans l'esto- mac vide que dans l'estomac chargé d'aliments. Consi- dérons encore un organe différent, une glande salivaire par exemple. La surface sécrétante peut aussi devenir surface absorbante ; les deux phénomènes peuvent suc- cessivement se produire, mais ils ne peuvent coexister. Si l'on injecte par le canal excréteur une substance facile à reconnaître à son énergie toxique, comme la strych- nine, ou à ses caractères chimiques, comme l'iodure de potassium et le prussiate jaune, on s'assurera du fait sans difficulté. Dans la glande en repos, l'absorption sera instantanée : au bout de très-peu de temps, on verra se dérouler les effets du poison. Avec la strychnine, la mort est foudroyante. Mais si l'on exécute l'opération après avoir mis à nu le nerf sécréteur et pendant qu'on l'excite, le résultat sera tout différent ; que l'on inter- rompe la galvanisation, les accidents apparaîtront immé- diatement. Pour que l'expérience soit concluante et qu'on ne puisse pas invoquer l'-élimination de la sub- stance entraînée par la sécrétion, on aura soin de placer une hgature sur le trajet du canal excréteur. L'estomac joue un rôle peu important dans l'absorp- tion des produits de la digestion; ils sont absorbés sur- tout dans le parcours de l'intestin grêle. Mais comment s'effectue leur absorption? Quel chemin suivent-ils? Les vaisseaux absorbants peuvent appartenir au système sanguin ou au système lymphatique. La part que chaque système a dans le résultat a été diversement ob4 CHYLIFIiRES. appréciée aux différentes époques, suivant que les idées régnantes accordaient aux lymphatiques ou aux veines la prééminence. L'histoire de ces variations depuis le temps de la découverte d'Aselli n'offrirait qu'un mé- diocre intérêt, nous ne nous y arrêterons donc point. Aujourd'hui les recherches des physiologistes, de Ma- gendie en particulier, ont jeté un jour définitif sur la question, et montré que la voie d'absorption, de beau- coup la plus générale et la plus importante, est repré- sentée par les veines de l'intestin, branches de la veine porte. Des observations nombreuses viennent corroborer ces résultats d'expériences directes. Ainsi, on trouve un grand nombre d'animaux chez lesquels l'absorption est très-active et le système lymphatique très-mal repré- senté pourtant. Citons les oiseaux : les vaisseaux lympha- tiques sont très-difficiles à reconnaître; longtemps ils ont été niés, et le débat sur leur existence a duré jus- qu'aux premières années de ce siècle, où un anatomiste exercé, Lauth (de Strasbourg), en démontra la réalité. Quant aux chylifères, c'est-à-dire aux lymphatiques intestinaux chargésd'un chyle lactescent, d'une émulsion grasse, aucun expérimentateur, dans le nombre immense de ceux qui ont sacrifié des oiseaux en digestion, ne les a signalés. Un seul observateur, M. Dumeril le père, dit les avoir rencontrés chez un pic-vert nourri de four- mis. Pour ma part, je croirais plutôt à une erreur d'ob- servation qu'à une exception aussi singulière. Chez les mammifères et chez riiomme, les vaisseaux lactés existent beaucoup plus développés et remplissent NATURE DE L ABSORPTION DIGESTIVE. 365 dans l'absorption des matières grasses un rôle dont il importe de tenir compte. Quant au mécanisme de l'absorption, il est mal connu. Cependant, de nouvelles recherches encore inédiles, m'engagent à croire que l'absorption digeslive est d'une tout autre nature que les absorptions ordinaires. Je suis porté à admettre, d'après mes expériences, qu'il y a, à la surface de la membrane muqueuse intestinale, une véri- table génération d'éléments épithéliaux qui attirent les liquides alimentaires, les élaborent et les versent ensuite dans les vaisseaux. L'absorption digestive ne serait donc pas une absorption alimentaire simple et directe. Les aliments dissous et décomposés par les sucs digestifs dans l'intestin ne forment qu'un blastème générateur, dans lequel les éléments épithéliaux digestifs trouvent les matériaux de leur formation et de leur activité fonc- tionnelle. LEÇON XXIY Seconde digestion. — IVutrition. Sommaire. — § I. Elaboration nutritive. — Variétés de l'évolution chimique des diverses substances alimenlaires. — Modifications qu'elles subissent dans le foie et le poumon. — Ligature de la veine porte. Cette ligature n'empêche pas la production du glycogène. — Glycose en réserve : glycose en exercice, chez les animaux comnae chez les végétaux. Le foie est l'en- trepôt de ces réserves. Pouvoir glycogénique de l'aliment sucré, de la gélatine, du chloroforme. Expériences pour juger la possibilité de la trans- formation du sucre ou glycogène. § II. Théories de la nutrition. Rapport des phénomènes de la nutrition et du développement. § I. — ÉLABORATION NUTRITIVE. L'absorption ne marque pas le terme des transfor- mations que doivent subir les aliments pour être aptes à entrer dans la constitution de l'organisme, à s'incor- porer aux éléments anatomiques vivants; elle marque seulement le terme de la digestion proprement dite. La phase préparatoire à la nutrition n'est pourtant pas encore achevée. Une série de phénomènes nouveaux doit s'accomplir, auxquels on pourrait donner le nom de phénomènes iï élaboration ou de seconde digestion. Elle commence au moment où l'aliment digéré est absorbé; elle finit au moment où il est incorporé et assimilé pour servir ulté- ÉVOLUTION DE l' ALIMENT. 367 rieurement au travail nutritif. Entre cette origine et cette fin, ils se passe des transformations telles, que les aliments digérés se modifient et s'élaborent en quelque sorte pour s'identifier au milieu interstitiel dans lequel l'élément anatomique puise les matériaux de sa répa- ration. Il y a des phénomènes d'organisation nutritive tout à fait semblables à ceux qui se passent dans l'évo- lution et le développement des êtres vivants. En effet, les phénomènes de nutrition et de développement arri- vent ici à se confondre. Ces phénomènes sont très-complexes, très-délicats et difficiles à saisir. îls varient pour chaque espèce d'ali- ment, et même ils peuvent revêtir des formes très- diverses pour un même ahment. Nous savons qu'une substance donnée n'a pas dans l'organisme un sort per- pétuellement et irrévocablement identique, que son évo- lution n'est pas fatalement marquée, et qu'elle peut au contraire varier avec les besoins et les circonstances, éprouver en un uiot des métamorphoses physiologiques d'amplitude assez considérable. On est loin, à ce point de vue, des opinions de Liebig, quoique près du temps où elles ont été produites. On ne saurait plus admettre, en effet, la distinction établie par ce chimiste entre des aliments qui seraient exclusivement respiratoires et des aliments qui seraient exclusivement plastiques. Et parmi les aliments plas- tiques on ne croit plus que chacun soit désigné d'avance pour aller occuper dans l'organisme telle ou telle place vacante; que chacun ait pour ainsi dire une feuille de route où sa destination soit indiquée, le digestat du 368 ÉLABORATION INTESTINALE. muscle allant au muscle, celui du cerveau à la matière cérébrale, etc. La nature n'obéit pas à ces fantaisies systématiques. Partout, au contraire, nous voyons des compensations, des compromis, qui tendent à rétablir l'équilibre me- nacé. La machine vivante renferme son propre régula- teur, l'animal n'a qu'à se laisser vivre. Il peut manger plus de cette substance, moins de celle-ci, pas du tout de cette autre; sa constitution ne suivra pas les varia- tions de son goût : la compensation se fera seule. La complexité de ces actes nutritifs ne nous permettra donc point d'en fixer la complète connaissance, au moins de longtemps. Nous ne pouvons nous proposer que de soulever un coin du voile qui nous les cache. Aussi, parmi ces phénomènes préliminaires à la nutrition, n'en examinerons-nous que quelques-uns sur lesquels nous pourrons avoir l'espoir de jeter quelque lumière. Gomment les principes alimentaires accomplissent-ils leur mission nutritive? Au contact des villosités et des cellules de l'intestin éprouvent-ils des modifications telles, qu'ils formeraient une espèce de substance blastéma- tique, qui ensuite serait apte à se transformer dans les divers organes en principes nutritifs adaptés à l'économie actuelle de l'être vivant? Je suis porté à le croire, et j'ai exprimé ailleurs cette opinion (voyez mon Rapport mr la physiologie générale). Les aliments seraient-ils encore des excitants nutritifs en môme temps que des matériaux de nutrition? Cela paraît vraisemblable, car il ne suffit pas d'ingérer un aliment, de le digérer môme, pour se nourrir, il faut plus encore : il faut que les organes soient FOIE ET POUMON. 869 excités à se nourrir et à produire par une seconde diges- tion les principes organiques nécessaires à leur entretien. La solution de ces questions appartient a l'avenir : après les avoir posées, il nous reste à savoir ce qui se passe dans les organes où parviennent les matières digérées. Nous avons dit que dans l'absorption intestinale la part la plus considérable revient aux vaisseaux san- guins. Les veines qui naissent de l'intestin constituent le système de la veine porte, qui mène le sang au foie, de là dans la veine cave inférieure, dans le cœur droit, le poumon, et enfin le cœur gauche, qui distribue son contenu artérialisé à tous les départements de l'orga- nisme. Tel est le chemin suivi par les aliments digérés et mêlés au sang. Le premier organe modificateur traversé par ces substances est donc le foie. Lorsqu'au contraire l'absorption a lieu par les vais- seaux lymphatiques, le premier organe traverse est le poumon. Les chylifères aboutissent en effet au canal thoracique lymphatique, qui lui-même se jette dans la veine sous-clavière et par là dans le cœur droit et le poumon. Mais, nous l'avons vu, les matières alibiles qui suivent ce trajet sont en très-petite quantité comparati- vement à celles qui pénètrent dans la veine porte. Les aliments digérés n'arrivent donc dans le milieu interstitiel, dans les capillaires généraux, véritable champ de la nutrition, qu'après avoir traversé le foie et le poumon. 11 ne suffit pas en effet que les ahments soient dissous et dialyses, qu'Usaient pénétré dans le tor- rent circulatoire, pour que tout soit dit et qu'ils soient CL. BERNARD. — Phénomènes. ii. — 24 370 RÔLE DU FOIE. propres aux échanges nutritifs. Leur évolution n'est pas terminée, le premier acte seul est accompli : les trans- formations se poursuivent et se continuent encore. Il j.eut s'écouler bien du temps, se produire bien des mo- difications entre le moment où une matière alibile est absorbée et celui où elle sert à la nutrition de l'élément anatomique. Le foie joue un rôle important dans ces phénomènes de seconde digestion, dans ces modifications intestines qui ne subissent pas d'interruption tant que l'élément venu du dehors n'a pas pris sa place dans l'édifice organique. Quel est ce rôle du foie ? C'est ce qu'il est plus difficile de préciser; nous allons essayer toutefois de le faire pour ce ([ui regarde la matière féculente. En découvrant la matière glycogène et les phénomènes de la digestion des matières sucrées, je crois avoir jeté une première clarté dans le chapitre si obscur delà nu- trition. L'influence du foie, dans cet ordre de phéno- mènes, ne semble pas une influence accessoire et dont la suppression serait indifférente. C'est vainement que j'ai voulu faire disparaître cette influence en prati- quant avec précaution la ligature de la veine porte ; il m'a été impossible de troubler le rôle du foie. J'ai vu que cette impossibilité résulte de l'établissement d'un système de compensation qui supplée à celui que l'on a détruit. La machine vivante, ainsi que nous l'avons déjà dit, n'a pas la rigueur de celles que la main de rhomme peut construire, et cela même en fait la perfection. Les rouages se suppléent; l'harmonie rompue tend à se réta- blir : ce n'est pas sa précision et son exactitude auto- LIGATURE DE LA VEINE PORTE. 37 1 matique qui en fonl le modèle dés mécanismes, c'est au contraire son élasticité, la laxité de son économie. La ligature de la veine porte faite avec les précautions convenables n'apporte donc aucun trouble dans la nutri- tion de l'animal. Il faut, après avoir ouvert la cavité abdominale, placer une anse de fil sur le tronc vei- neux, isolé aussi bien que possible, dans le voisinage du foie. On a soin de ne pas serrer la ligature, car ce mode de procéder entraînerait la mort rapide de l'ani- mal. On se contente d'exercer des tractions modérées ou de faire une ligature très-lâche. Le calibre du vais- seau s'oblitère ainsi successivement (fig. 5). Voici deux chiens qui ont été traités comme je viens de le dire, depuis deux et quatre mois : ils sont encore aujour- d'hui, comme vous le voyez, dans le meilleur état de santé, et rien n'est changé dans l'état physiologique du foie. En faisant l'autopsie d'animaux ainsi opérés, j'ai trouvé dans le tissu hépatique la matière glycogène dans les mêmes proportions qu'à l'ordinaire. La compensation circulatoire dans ce cas est produite par des anastomoses qui permettent au sang de rétablir son trajet interrompu. Ces anastomoses, constituées par des vaisseaux excessivement ténus dans l'état normal, se développent considérablement et fournissent un débit notable dans la circonstance que nous étudions. Parmi* ces anastomoses, il en est qui mettent en communica- tion la veine porte avec la veine rénale ; ces anasto- moses existent chez les oiseaux à l'état de disposition constante et normale, tandis qu'ici c'est un fait excep- tionnel et en quelque sorte pathologique ; elles repré- 37^ AMASTOMOSES RÉNALES. sentent chez les animaux dont nous parlons le système de la veine porte rénale de Jacobson. FiG. 5. — Cavité abdominale du chien ouverte pour montrer la disposition lie la ligature de la veine porte. 11 y a plus, lorsqu'on laisse longtemps des mammifères survivre à la ligature de la veine porte, le vaisseau peut se rétablir; nous en avons vu un exemplo chez un chien INFLUE^TK DES ALIMEMS SUCRÉS. 373 qui, opéré très-jeune, n'en avait pas moins acquis son développement. L'autopsie nous a montré la veine porte rétablie dans le foie, en môme temps que les anastomoses entre la veine porte et la veine cave, la veine rénale et la veine splénique, avaient persisté. En résumé, le foie produit la matière glycogène lors même que la veine porte est liée, et alors que les maté- riaux alimentaires ne semblent pas pouvoir lui arriver directement de l'intestin. Maison peut admettre que ces matériaux parviennent toujours à l'organe hépatique, d'une manière indirecte, par le sangqui reflue des veines sus-hépatiques. On peut supposer aussi que le foie n'a pas besoin de recevoir immédiatement les substances alimentaires^ et qu'il forme sa matière glycogène aux dépens du sang lui-même, par suite de phénomènes nu- tritifs plus indirects et partant plus complexes. Examinons comment les diverses espèces d'aliments agissent sur le foie pour la préparation des matériaux qu'il renferme. Comme la matière glycogène appartient aux principes hydrocarbonés, il était naturel de penser ([ue les ali- ments hydrocarbonés, les sucres, intervenaient dans sa formation. L'étude de ces phénomènes intimes a été jjoussée assez loin. La connaissance des procédés natu- rels est plus avancée sur ce point que partout ailleurs, et cette considération expliquera que nous nous y arrêtions quelque temps. Les matières sucrées qui pénètrent dans l'organisme par la voie de l'alimentation proviennent de deux sources principales : de la transformation des aliments féculents. 374 GLYCOSE EN RÉSERVE ET EN EXERCICE. de l'introduction directe et de la digestion du sucre de canne. Dans l'un et l'autre cas, c'est sous la même forme qu'elles sont absorbées , sous la forme de gly- coses. C'est à l'état de glycoses qu'elles pénètrent dans les ramifications de la veine porte, leur voie de passage principale, pour ne pas dire exclusive. Que devient celte giycose introduite dans le sang? Quel sort a-telle? Il y a quelques années, la réponse à une pareille question n'eût pas embarrassé les physio- logistes. Le sucre était considéré comme un aliment essentiellement respiratoire ; arrivé dans le sang, il devait y subir une combustion plus ou moins rapide, plus ou moins complète, source de caloiification. Voilà pour les animaux. Pour les végétaux cependant les faits étaient diffé- rents. On admettait que la matière sucrée joue un rôle indispensable dans le développement et la nutrition de la plante. A chaque instant il y en aurait une portion plus ou moins minime, plus ou moins considérable, qui circule, qui se détruit, qui participe en un mot au mouvement de la nutrition; mais à côté de cette por- tion en activité, il y en a une autre, quelquefois consi- dérable, qui est en disponibilité, qui entre dans la constitution du tissu végétal, la cellulose et le ligneux. Il y a donc du sucre en réserve à côté de la giycose en exercice. On admettait même un fait sur lequel j'ai insisté et dont j'ai signalé l'importance : on pensait que pour s'emmagasiner et se conserver en réserve, le sucre pouvait se transformer, quitte à revenir plus tard à son premier état; qu'au lieu de rester soluble, il pouvait OSCILLATIONS NUTRITIVES. 375 prendre une forme plus conveuable à sou nouveau rôle, nne forme insoluble, celle de l'amidon. Nous admettrons donc ce fait, qui n'est plus contes- table, que le sucre peut exister dans les végétaux à l'état d'activité et à l'état de réserve; cette réserve existe sous forme insoluble, comme l'amidon, ou inapte à l'assimilation, comme la saccharose. Mais on en restait là. On n'établissait aucune compa- raison entre les animaux et les végétaux. Bien au con- traire, on leur attribuait des fonctions antagonistes. La nutrition du végétal était considérée comme une édifi- cation continuelle des composés complexes ; la nutrition de l'animal comme une destruction, une combustion. On assimilait le corps de l'animal à un fourneau où tout brûle. Chez lui, pas de réserves, pas de dépôts, pas de transformations inverses et régressives ; les éléments introduits n'évoluent que dans un sens, dans une direc- tion ; ils s'oxydent de plus en plus : chaque changement est un pas en avant dans cette voie marquée et fatale. Telle était l'opinion dominante, qui encore aujour- d'hui règne à peu près généralement. Cette opinion pourtant est beaucoup trop exclusive et par cela même contraire à la réalité. La nutrition de l'animal, tout aussi bien que celle de la plante, comprend un grand nombre d'actions complexes, de transformations inverses et régressives, d'hydratations succédant à des déshydra- tations. Les aliments sont susceptibles d'y former des accumulations, des réserves, même en changeant de forme et en retournant provisoirement à un état qu'ils avaient quitté et qu'ils quitteront bientôt après. ïl est 376 RÉGRESSION DE LA GLYCOSE. vrai que l'animal, pas plus que le végétal, n'emmagasine de grandes quantités d'oxygène ; il n'en possède dans le fluide circulatoire qu'une très-faible proportion : et cette réserve peu abondante, s'épuisant rapidement lorsque les besoins deviennent intenses, la mort sur- vient. Mais pour le sucre, la graisse, il en est tout autrement. Ces matières peuvent constituer dans l'or- ganisme des réserves alimentaires considérables qui permettent aux animaux d'entretenir leur existence pendant un certain temps sans se substanter. Donc le sucre peut se détruire et se brûler dans le sang de l'animal ou dans la sève du végétal, mais cette action n'est pas la seule qui se produise. Tout dépend de la quantité de cette matière hydrocarbonée qu'ingur- gite l'animal. S'il en absorbe seulement une très-petite quantité, la totalité pourra peut-être disparaître dans les combustions respiratoires; mais si on lui en donne au delà de ses besoins, il ne la consommera pas : il emmagasinera l'excès dans le foie. Les expériences que j'ai faites récemment, et que je poursuis encore, sem- blent transformer cette vue en fait positif. Lexcklant du sucre [glt/cose) introdidl dam ïéconoinw se dés- hydrate et s entrepose dans le foie à létal de matière glycogène pour être distribué au fur et ;i mesure des besoins. Le foie est donc une sorte de grenier d'abondance où vient s'accumuler l'excès de la matière sucrée four- nie par l'alimentation. J'ai entrepris des expériences dans le l>ut de mettre en lumière cette transformation du sucre en matière INFLUENCK DU RliGIML. 377 glycogène. Pour rendre mes expériences plus probantes, je les ai exécutées d'une manière comparative. J'ai pris de jeunes animaux, oiseaux, chiens ou lapins, de la même taille et de la même portée, que je soumettais pendant plusieurs jours à l'abstinence afin d'effacer les traces des différences qui pouvaient subsister entre eux. Pendant ce jeûne forcé, les animaux épuisaient les der- niers résidus alimentaires qu'ils pouvaient avoir, ils vivaient aux dépens de leur substance propre et se trou- vaient ainsi placés dans les conditions les plus identiques qu'il soit possible de réaliser. Ce sont des artifices aux- quels il faut que le physiologiste ait incessamment re- cours. Quand il veut observer des phénomènes qui vont trop vite, il les ralentit; quand, au contraire, les phé- nomènes vont trop lentement et que cette lenteur amè- nerait des causes d'erreur, il faut accélérer leur marche, et c'est ce que nous avons fait en prenant de jeunes animaux. 11 était très-important de les prendre tous du même âge, car les différences d'âge et l'état d'embon- point dissemblable auraient rendu les expériences très- inexactes, parce que les conditions n'auraient plus été comparables. Voici le résultat de nos expériences. Nous avons pris des séries de petits moineaux et de jeunes pies de ia même couvée, et, après les avoir laissés à jeun, nous les avons nourris pendant un ou plusieurs jours, les uns avec du sucre de canne, les autres avec de la fibrine du sang bien lavée, de la gélatine ou de la graisse, ou de l'eau pure. Pour chaque série d'expériences, nous avions toujours un animal type sacrifié au début de Texpé- 378 INFLUENCE DES EXCITANTS. rience, dont on déterminait le contenu glycogénique du foie pour le comparer avec celui des animaux auxquels nous ingérions une même quantité d'eau additionnée de la substance dont nous voulions connaître l'influence glycogénésique. Or, de toutes les substances, le sucre de canne a constamment été la substance qui, à poids égal, était douée de la puissance glycogénésique la plus forte. La (juautité de matière glycogène trouvée dans le foie d'un animal nourri au sucre a toujours été la plus con- sidérable, et elle a souvent dépassé celle trouvée dans le foie de l'animal type, preuve que l'animal avait réelle- ment fabriqué un excès de glycogène. Après le sucre, la gélatine m'a paru la substance la plus glycogénésique. Dans l'ordre d'efficacité décroissante, la graisse vient beaucoup plus tard. D'un autre côté, j'ai essayé l'injection de substances purement excitantes, mais non alimentaires, le chloro- forme et l'alcool, et j'ai vu dans mes premiers essais que le chloroforme augmentait le glycogène, tandis que l'alcool ne produisait pas le môme résultat. L'injection de la glycérine, de l'acide ^carbonique, dans l'estomac, aurait la même influence que celle du chloroforme, sans doute à titre de substances excitantes. Ici se pose une double question : la matière glycogène formée en si grande abondance dans le foie sous l'in- tluencede l'alimentation sucrée est-elle le résultat d'une conversion directe, par voie régressive, du sucre en gly- cogène, ou bien le sucre ne jouerait-il là que le rôle d'un excitant nutritif puissant qui exagérerait singulièrement l'activiié ne la cellule hépatique? J'ai voulu mettre à EXAMEN POLARIMÉTRIQUE. 879 l'épreuve Thypothèse d'une conversion directe du sucre de canne en glycogène. Si cette conversion est réelle, si €lle a pour but de conserver la substance jusqu'au mo- ment de son utilisation, il est présumable que, ce mo- ment venu, la substance reprendra sa forme première, qu'elle repassera dans un ordre inverse par les modifi- cations qu'elle a subies, qu'elle redeviendra saccharose de glycogène qu'elle est. C'est là une simple présomp- tion. Mais la vérification de cette présomption aurait une grande valeur probatoire; son infirmation n'aurait qu'une valeur négative. J'ai donc tenté l'expérience. J'ai, dans cette vue, nourri des lapins avec de la bette- rave pendant un certain temps, et j'y ajoutais même des injections stomacales de saccharose. Je pensais trouver dans le foie de ces lapins du glycogène conversible en sucre interverti déviant à gauche au lieu de dévier à droite. Le résultat n'a pas répondu à mon hypothèse. Chez un lapin nourri assez longtemps avec de la bette- rave et du sucre de canne pour que je pusse supposer que le glycogène de son foie provenait de cette source, on a trouvé que le sucre du foie déviait très-fortement à droite et ne trahissait par aucun indice une source pré- sumée de saccharose. La déviation à droite paraissait même plus grande que celle de la glycose ordinaire. Nous aurons ultérieurement à vérifier si le pouvoir rota- toire du sucre de fécule est égal à celui du sucre hépa- tique. On pourrait encore continuer les mêmes expé- riences en nourrissant des lapins avec des topinambours, dont la matière féculente [imdine) donne un sucre déviant à gauche, la lévulose. 380 LE SUCRE EST UN ACCIDEM DU FOIE. .le me garderai bien, d'après les essais qui précèdent, de conclure d'une manière absolue sur une question aussi foudamentale. Cependant on voit que le phéno- mène n'est pas aussi simple qu'il le paraissait. Le fait qui est indubitable, c'est que l'injection du sucre de canne augmente considérablement le contenu glycogé- ni(jue du foie ; mais comment le sucre agit-il dans ce cas, comme excitant nutritif ou comme principe direc- tement transformable en glycogène? Je penche, je dois le dire, pour la première opinion, jusqu'à plus ample informé. Ce qu'on peut encore dire, c'est que chez un animal njalade l'ingestion de sucre dans l'estomac ne fait pas apparaître le glycogène dans le foie. Indépendamment delà nature du principe alimentaire, il y a donc encore d'autres considérations physiologiques qui présideraient il son assimilation. En un mot, la question est complexe ; on y voit intervenir des facteurs nombreux. Vous voyez, messieurs, que des obscurités pi"ofondes régnent encore sur les points de la nutrition que nous connaissons le mieux et que nous avons le plus étudiés : la formation des matières sucrées et glycogéniques. A plus forte raison sonniies-nous dans l'ignorance sur l'ori- gine des corps gras et des matières albuminoïdes. ,1e m'abstiendrai de vous dire toutes les hypothèses ipi'on a émises à cet égard. Dans les considérations qui précè- dent, j'ai dû attirer votre attention sur les résultats qui sont acijuis dès à présent. Mais il faut aussi porter nos regards vers les théories qui représentent à la fois les ten- THÉORIES DE LA NITRITION. o81 tatives faites pour réunir ce que nous savons et les etForts accomplis pour acquérir ce que nous ne savons pas. II. — Les théories de la nutrition, — Rapport des phénomènes DE LA NUTRITION ET DU DÉVELOPPEMENT. La nutrition ne commence qu'au moment où l'élé- ment du tissu intervient par son activité propre dans la constitution du plasma interstitiel qui le baigne, pour lui emprunter une substance dont il a besoin et lui en restituer une autre qui ne lui est plus utile. L'en- semble des modifications que la cellule histologique éprouve de la part du milieu et qu'elle-même lui lait éprouver, constitue le phénomène de la nutrition ; son siège est dans l'élément, ou du moins au contact de celui-ci et du plasma interstitiel. Tous les auteurs n'envisagent pas les choses de cette manière, et quelques-uns persistent à concentrer tout l'intérêt de la question dans le sang, où, à notre avis, s'exécutent seulement des phénomènes accessoires. Pour les physiologistes dont nous parlons, le rôle de l'élément anatomique se bornerait à une simple mise en place ; il consisterait à saisir au passage dans le défilé de maté- riaux tout prêts ceux qui conviennent, en un mot de s'assortir avec les échantillons qui circulent devant lui. L'idée est certainement fort simple, mais c'est là sa seule qualité. Les chimistes de la première moitié du siècle l'avaient d'ailleurs proposée déjà, en la simpli- fiant encore. Les organes et les tissus s'accroissaient comme des cristaux qui attirent dans une dissolution 385 NUTRITION DANS LE SANG. complexe leurs éléments similaires eu restant indiffé- rents vis-à-vis des autres. Le sang était une sorte de dissolution de tous les éléments constitutifs de l'orga- nisme, et le nom de « chair coulante » n'était pas une simple métaphore. Les tissus s'entretenaient par simple dépôt ou précipitation de ces matériaux préexistants, et leur accroissement, au lieu d'être un phénomène molé- culaire intime, était une concentration physique, un phénomène en quelque sorte de juxtaposition. Cette théorie remonte même à une époque plus an- cienne, aux prédécesseurs des chimistes de notre temps. Lavoisier, par exemple , en plaçant dans le sang lui- même le phénomène de calorification, l'acceptait imph- citement, car la production de chaleur s'accomplit dans le lieu des mutations chimiques du sang, dont elle-même n'est que la conséquence naturelle. Si le rôle du tissu était aussi effacé que le veut celte théorie, il ne devrait exister dans l'organisme que les principes immédiats préformés de l'alimentation ou de la digestion. Or, on ne peut plus soutenir cette idée. On ne peut plus admettre que l'organisme est à la merci des moindres caprices ou des étroites nécessités de l'alimentation. La vérité est qu'il en est indépendant dans une très-large mesure, et que la machine vivante possède encore ici une sorte d'élasticité chimique qui est sa sauvegarde. La théorie est devenue, du reste, de moins en moins absolue à mesure qu'on avan- çait. Poussée à l'extrême, elle imaginait que tout élé- ment histochimique du corps animal devait avoir son origine dans les aliments ingérés, la matière grasse THÉORIE DE LIÉBIG. 383 provenant de la graisse, la substance musculaire du muscle. Dans une seconde phase, Liebig a modifié la théorie : il a classé les aliments en deux groupes, les aliments plastiques et les aliments respiratoires. Les uns et les autres avaient une appropriation spéciale, les premiers seuls servant à l'édification du corps, les autres à l'en- tretien de la chaleur. — 11 fallait que ces deux espèces de matières eussent leurs représentants dans le régime de l'animal : il n'y avait pas de substitution possible d'un des groupes à l'autre. ] Aujourd'hui enfln, dans une troisième phase de pro- grès, nous rejetons la dernière entrave posée au poly- morphisme des matériaux de l'organisme. Ceux-ci peuvent en réalité se transformer, se modifier diffé- remment suivant les circonstances , être employés immédiatement, ou au contraire être déposés comme des réserves dans l'organisme; les réserves elles-mêmes peuvent subir des changements profonds et conduire à des produits éloignés des matériaux primitifs. Par là, l'organisme animal se trouve en état de fabriquer des substances organiques compliquées, comme je l'ai prouvé pour le glycogène et le sucre. Tout ne lui vient donc pas préformé et directement du dehors ou de l'alimentation. Il se passe entre la digestion de l'aliment et son utili- sation un véritable travail d'élaboration auquel prend part l'élément organique lui-même. Il est donc à peu près impossible de faire le hilan immédiat && la nutrition d'un animal ou d'un végétal un peu complexe. Des ten- 384 POLYMORPHISME NUTRITIF. talives nombreuses ont été exécutées ; elles ont nécessité des travaux considérables sans jamais aboutir à un résultat irréfutable. C'est ainsi que MM. Bidder et Schmidt (de Dorpat) se sont livrés à une opération gigantesque si l'on envisage sa complexité, ses difficultés de toute espèce et la patience qu'exigeait sa poursuite. L'expérience consistait à renfermer un animal, un chat, dans une enceinte de volume connue, où l'on faisait circuler de l'air mesuré avec soin à l'entrée et à la sortie; les aliments étaient pesés et analysés élémentai- rement avant chaque repas; les mêmes opérations étaient répétées à propos des excrétions de toute nature, liquides, solides, excrémentitiels, poils, etc. Malheureu- sement cette épreuve est sujette aux mêmes objections que les autres : elle reste sans conclusion. Nous le répétons, des calculs de bilan mitntif immé- tliat ne seront jamais rigoureux. Sans doute, il y a entre les phénomènes de la nutrition et l'emploi de certains aliments des relations qui ont été bien mises en lumière par les beaux travaux de MM. Dumas et Boussingault, mais la rigueur de ces usages n'est pas absolue, l^'oi'ga- nisme jouit d'une certaine élasticité, d'une certaine laxité dans les mécanismes, qui lui permet les compen- sations. Il peut remplacer une substance par une autre, faire servir une matière à bien des usages divers. Nous devons encore mentionner par un seul mot, ne pouvant entrer dans les détails, une théorie plus récente sur la nutrition, qui a pour base des expériences impor- tantes : c'est la théorie de M. Voit (de Munich). M. Voit veut qu'une matière uniijue sulïise à tous les besoins de COMBUSTION DES TISSUS. 385 l'animal. L'albuiuiiie, selon lui, est cet agent universel. Il en distingue deux variétés : l'une qui circule dans le sang et qui est destinée à se détruire, à s'éliminer en produisant de la chaleur : c'est l'albumine de combus- tion ; l'autre qui constitue les tissus. Cette théorie n'exige plus, il est vrai, la supposition qu'il y aurait deux ordres d'aliments différents, les uns respiratoires, les autres plastiques; mais elle suppose encore, comme faisait autrefois Liebig, que les phénomènes de com- bustion se passent seulement dans le sang et non dans les tissus. Les combustions ou fermentations nutritives s'accom- plissent en réalité au contact du sang et des tissus, et non pas dans le sang lui-même, comme le veulent les théories précédentes. Ce n'est pas, à vrai dire, le sang qui se brûle et échauffe les tissus; ce sont plutôt les tissus qui se brûlent et échauffent le sang. Je l'ai prouvé en constatant que le tissu des organes dans les parties pro- fondes et convenablement protégées est toujours plus chaud que le sang qui en sort. L'alimentation reconstitue une sorte de fonds de roulement, par des substances qui n'ont qu'une appro- priation générale et non pas spéciale et rigoureuse. Ces matériaux sont mis en œuvre par l'élément orga- nique sous l'influence d'une irritation nutritive, d'une excitation provoquée par un agent nerveux ou autre et qui traduit l'influence de la vie. Considéré en lui-même, le résultat de l'aciion est purement chi- mique; mais son point de départ est l'activité germi- native ou proliférante du tissu vivant manifestée pendant CL. BERNARD. — Phénomènes. ii. — 25 386 FERMENTATIONS NUTRITIVES. toute la durée de l'existence de l'être comme à son début. Cette activité germinative réside dans l'élément cellulaire organique soumis aux forces de développement et de nutrition, qui toujours sont intimement confondues et en réalité identifiées. En effet, toute formation de tissu est un phénomène de réduction, et toute activité de tissu est un phénomène de combustion ou de destruction organique. La nutrition, suivant nous, dépend d'une fermenta- tion, ou mieux d'une série de fermentations. Nous reve- nons ainsi, mais cette fois d'une manière expérimentale et plus certaine, à la conception de Van Helmont et de ses disciples, de Descartes, deReinier, de de Graafet de Willis, qui considéraient les fonctions de la santé et même de la maladie comme des fermentations. La diges- tion est une série de fermentations, et la nutrition elle- même doit, disons-nous, être considérée de la même façon. Ces idées reçoivent une confirmation des belles éludes de M. Pasteur sur la fermentation alcoolique. Le ferment inversif de la levure de bière opère, en réalité, une digestion du sucre; celte digestion est la condition préalable de la nutrition, c'est-à-dire de la production d'alcool et de CO"^ coïncident avec la prolifération de cet organisme microscopique. D'autres organismes que la levure paraissent capables de se nourrir de la même façon : M. Pasteur lui-mêuie l'a constaté pour les cellules végétales des fruits conservés dans certaines conditions. Un auteur américain, M. Hutson Fort (l), prétend avoir (1) Hutson Fort, New-York médical Journal, C, 1872. DIVISION DES FERMENTATIONS. 887 saisi la même faculté auprès des éléments anatoiniques de certains tissus chez les animaux, et avoir rencontré les traces d'alcool provenant de l'action des globules du sang sur le sucre. La fermentation lactique s'accomplit aussi d'une manière incessante dans le sang et dans les muscles sous l'influence d'un ferment soluble ou des, éléments sanguins et musculaires eux-mêmes. Afin de donner un peu plus de précision à cette idée générale que la nutrition et la prolifération organique ne sont, au point de vue chimique, que des phénomènes de fermentations liés à des phénomènes de réduction et d'organisation, idéequej'aidéjàémise autrefois (1), il est nécessaire, je crois, d'entrer dans quelques explications à propos de la définition des fermentations elles-mêmes. Il y a, nous l'avons dit en diverses occasions dans nos leçons, deux ordres de ferments : les uns solubles, dont la diastase est le type ; les autres insolubles, dont la levure de bière est l'exemple le plus connu. Or, au point de vue physiologique, ces ferments sont absolument dif- férents les uns des autres. Dès 1854, je faisais, dans mes cours de physiologie générale à la Faculté des sciences, la distinction des ferments en deux ordres: les uns solu- bles, que je considérais comme des agents chimiques organiques, mais non organisés, et n'étant en réalité que ^Qs produits de sécrétion ou de décomposition; les autres insolubles, que je tenais pour de véritables éléments organisés, et n'étant en réalité que des produits deproii- (1) Cl. Bernard, Leçons de physiologie expérimentale. Cours de médecine du Collège de France, 1855, t. 1, p. 247. 388 UNIVERSALITÉ DES FERMENTATIONS. fération vitale engendrés par des acles de réduction chimique. Aujourd'hui, je n'ai pas changé d'opinion; au contraire, des faits nouveaux sont venus l'affermir dans mon esprit. En effet, les ferments solubles et inso- hibles se comportent tout autrement aux réactifs. Les ferments solubles peuvent être soumis à l'action de l'al- cool, de la glycérine, par exemple, et reprendre leurs propriétés quand on ies place dans des conditions conve- nables. Les ferments insolubles, tels (jue la levure de bière, au contraire, sont tués par l'alcool et par la gly- cérine; ils se comportent, en un mot, exactement comme des éléments anatomiques vivants. On a donc confondu sous le même nom de ferments deux choses essentiellement distinctes : on a confondu un élément organisé insoluble n'agissant qu'en vertu de son irrita- bihlé nutritive, avec un principe soluble inorganisé agissant en dehors de tout attribut d'irritabilité ou de vitalité proprement dite. La levure de bière est un élé- ment anatomique aussi bien que le globule du sang, que la fibre musculaire et nerveuse, que la cellule épitlieliale glandulaire, que la cellule ovarique, que l'œuf lui- même, et les phénomènes chimiques nutritifs qui se passent au contact de ces divers éléments anatomiques vivants méritent tous au même titre le nom de fermenta- tions. En résumé, nous avons deux ordres de fermentations nutritives, les unes se passant au contact des éléments anatomiques (ferments insolubles), les autres se passant dans les divers liquides (ferments solul)les), dans les liquides en circulation, dans le sang. La nutrition com- DIRECTION A SUIVRli. 389 prend ces lieu. V ordres de phénomènes; car la nutrition a pour théâtre à la fois les solides et les liquides del'éco- noinio. Les ferments dont je vous ai entretenus se rapportent tous à des fermenis solubles. Le secret de la nutrition ne nous sera dévoilé que par l'étude de l'action réductrice ou organisatrice des ferments insolubles, par l'élude des phénomènes qui s'accomplissent au contact des éléments anatomiques qui constituent les tissus vivants. Pour pénétrer plus avant dans la nutrition, c'est vers ce point que nous devons diriger nos efforts. Tant qu'on voudra comprendre la nature de la nutri- tion par l'étude des phénomènes d'ensemble qui se pas- sent dans un organisme complexe, on ne la saisira pas; c'est en descendant jusqu'à laconsidération des éléments anatomiques ou jusqu'à l'étude des organismes infé- rieurs, que la science physiologique pourra trouver le secret des phénomènes de la nutrition. QUATRIEME PARTIE LE VITALISME PHYSICO-CHIMIQUE LEÇON XXV (') Origine de la physiologie générale. Sommaire. — Place de la physiologie générale parmi les sciences biolo- giques. But des sciences : action, prévision. La science de la vie ne se distingue point, à cet égard, des autres sciences. Aperçu des doctrines physiologiques dans l'antiquité, dans le moyen âge, dans les temps modernes. Période contemporaine. Cette évolution aboutit à la constitution de la physiologie générale. L'observation et l'expérience amassent chaque jour une multitude de faits ; mais le rôle de la science n'est pas seulement de former le répertoire de ces faits , elle doit en saisir la portée, le lien, l'harmonie et le but. L'esprit de généralisation doit mettre en œuvre les matériaux que lui fournit l'esprit d'observation et d'ex- (1) Cette leçon et la suivante n'ont pas été réellement professées dans la forme que nous leur donnons ici. Cl. Bernard s'était contenté d'exprimer briè- vement les idées générales qui en forment le squelette, nous priant de rassem- bler tous les matériaux historiques. Les imperfections de détail, ou les inexacti- tudes, s'il y en a, nous seront donc entièrement imputables, ainsi que les citations qui pourraient avoir été mal à propos confondues dans le texte. '(Dastre.) PLACE DE LA PHYSIOLOGIE. 391 périmeiitation. Ni les recherches spéciales, ni les vues générales, ne suffisent isolément à constituer aucune science : c'est par leur alliance, par leur union, qu'elle se fonde et se développe. L'homme de recherches entraîné à la poursuite d'un problème particulier n'a pas à se préoccuper, autant que dure son effort, du problème général de la science. Ses investigations se concentrent sur un point limité; et pendant qu'il s'occupe à sa tâche dans un coin de l'édifice que la science contemporaine élève avec tant de rapidité, il n'est pas nécessaire qu'il embrasse le plan de cet édifice auquel collaborent tant d'autres études que les siennes. Cependant c'est à réaliser ce plan qu'il travaille d'une manière consciente ou inconsciente, comme maçon ou comme architecte. Il n'y a donc rien de plus profitable pour un esprit phi- losophique et généralisateur que de chercher à pénétrer ce dessein qui se réalise par suite de l'évolution natu- relle et fatale de la science. G'estce que nous essayerons de faire ici-même. De telles tentatives offrent le double avantage de satisfaire à un besoin de l'intelligence et de contribuer à l'avancement delà science. On vad'une marche plus sûre et plus rapide quand on connaît bien la route que l'on suit et le but que l'on se propose d'atteindre. La physiologie, ou science de la vie, fait connaître et explique les phénomènes propres aux êtres vivants. C'est là son objet. Quelle est sa place parmi les autres sciences? La division des sciences n'est pas inscrite profondé- 392 CARACTÉRISTIQUE d'uNE SCIENCE. ment dans la nature ; créée par l'esprit humain, elle n'a rien d'absolu ; et de fait, elle varie avec l'état de nos connaissances et le progrès de nos idées. 11 n'y a dans la naluieque des phénomènes régis par des lois. Le monde n'est pas distribué d'un manière rigoureuse en diffé- rents domaines qu'on appellerait physique, chimie, astronomie, physiologie, etc. Il nous offre simplement le spectacle de phénomènes infiniment nombreux que nous interprétons, que nous classons de différentes façons, et que nous rapportons à quelqu'une de ces bran- ches de connaissances, dont notre intelligence bornée a dû faire des catégories pour mieux les embrasser. Mais, au fond, sur quoi l'esprit humain se fonde-t-il pour établir ces catégories? On a dit, à la vérité, que la distinction des sciences est établie sur la diversité des objets : l'astronomie, la géologie, la physique et la chimie se partageant les corps bruts; la zoologie, la botanique, la physiologie, revendiquant les corps vivants. Mais il est aisé de voir que le caractère par lequel nous établissons la différence de nature des objets est bien plus une créa- tion de notre esprit qu'une réalité extérieure. La dis- tinction, outre qu'elle est arbitraire, est le plus souvent fort peu nette, ou même inapplicable. Il nous faut reconnaître, plutôt, que ce qui caractérise une science, cest le problème quelle poursuit. Comme nous l'avons dit précédemment, il arrive que ce pro- blème, ce but, échappent au savant plongé dans une recherche particulière. Il n'en a pas moins de réalité : il domine l'ensemble comme les détails des faits. Il se pose de lui-même ; il va seul et fatalement. l'HKVISION. ACTION. 393 Nous devons donc nous demander quel est le problènne que poursuit consciemment ou sans s'en rendre compte le physiologiste, si ce problème est identique à celui des autres sciences ou s'il en diffère. Le but de toute science peut se caractériser en deux mots : prévoir et agir. Voilà, en définitive, pourquoi l'homme s'acharne à la recherche pénible des vérités scientifiques. Seul de tous les êtres de la création il pré- voit: il sait sa fin, il connaît la fatalité de sa mort. Et quand il se trouve en présence de la nature il obéit à la loi supérieure de son intelligence, en cherchant à pré- voir ou à maîtriser les phénomènes qui éclatent autour de lui. La prévision et Y action, voilà la fonction de l'homme en présence delà nature. L'homme tend à son but par tous les moyens; il s'adresse à tout ce qu'il croit pouvoir l'en rapprocher, et en définitive à la science, comme à l'instrument le plus sûr qu'il ait à sa portée. L'homme a cru d'abord à la magie, à la sorcellerie; plus tard, il a demandé à l'empirisme la puissance et la domination. Et après avoir ainsi tâtonné dans les ténèbres de l'ignorance, il s'adresse enfin, mieux éclairé, à la science pour en obtenir la sa- tisfaction de son éternel appétit. Ainsi, par les sciences physico-chimiques, l'homme marche à la conquête de la nature brute, de la nature morte. Déjà ses progrès ont été si éclatants, qu'il ne peut pas douter du résultat final. C'est parla science que l'homme moderne se loge, se vêtit, se nourrit, s'éclaire, et communique avec le monde et avec ses semblables. 394 BUT DES SCIENCES. 11 n'hésite pas à croire que sa domination s'étendra, dans un lointain avenir, sinon sur tous les phénomènes de la nature brute, au moins sur tous ceux qui sont à sa portée. Les phénomènes astronomiques défieront tou- jours l'intervention de l'homme, placés qu'ils sont en dehors de sa main. La prévision est alors, comme l'a dit Laplace. la limite extrême de la puissance et le terme du progrès. Quant aux sciences terrestres, dont l'objet peut être atteint, elles ne sont pas autre chose que l'exercice rationnel de la domination de l'homme sur la nature. En est-il de la physiologie comme de ces autres sciences? La science qui étudie les phénomènes de la vie peut-elle prétendre à les maîtriser? se propose-t-elle de subjuguer la nature vivante, comme a été soumise la nature morte? Nous n'hésitons pas à répondre affir- mativement. Partout le problème est le même ; il ne sera épuisé que lorsque l'action rationnelle et scienti- fique de rhomme sera couronnée de succès. Voilà le but qui sans cesse a été poursuivi par tous les moyens, empiriques lorsqu'ils ne pouvaient être en- core rationnels. Qu'ont fait et que font chaque jour les médecins, sinon d'essayer de modifier et de diriger les phénomènes de l'être vivant? Cette tentative d'action est ce qu'elle peut être, étant donnée l'ignorance où nous sommes encore plongés: elle est grossière, incertaine, empirique; mais elle peut devenir et deviendra scienti- fique, c'est-à-dire raisonnée et certaine. L'antiquité n'a pas pensé ainsi sur cette question fon- damentale ; et peut-être, parce côté, bien des modernes LA PHYSIOLOGIE YISl!: ,l'ACTION. 395 sont des anciens. Hippocrate a semblé croire que la prévision et la prédiction marquaient les bornes de l'ambition permise au médecin. La médecine était pour Aristote une science d'observation ; c'était dire que son efficacité était bornée à la prédiction. Les sciences qui n'aboutissent qu'à prévoir les phénomènes sont généra- lement les sciences d'observation ; celles, au contraire, qui aboutissent à l'action réelle sont dites des sciences expérimentales. C'est dans le but, dans le terme acces- sible, que réside la distinction des deux ordres de sciences plutôt que dansles procédés; les procédésd'ex- périmentation confinent tellement aux procédés d'obser- vation que la séparation en est impossible. L'expérimen- tation n'est qu'un degré plus avancé de l'observation, poussée plus loin au moyen d'artifices particuliers. Son efficacité est plus grande. Lorsque l'expérimentateur est arrivé à déterminer la condition élémentaire d'un phé- nomène, il le fait apparaître, le supprime ou le modifie, tandis que la seule observation du résultat phénoménal n'a qu'une application pour ainsi dire prophylactique ; elle permet uniquement d'éviter ou de rechercher les phénomènes qu'elle a su prévoir. Or, la physiologie ne s'arrête pas à la prévision : elle vise l'action ; elle pour- suit les causes ou mieux les conditions des phénomènes de la vie, afin d'arriver à ce terme dernier qui est de les provoquer, de les interdire, de les modifier expérimen- talement. Elle ne se préoccupe que secondairement des formes changeantes et diversifiées des phénomènes vitaux; elle s'attache plutôt aux mécanismes par lesquels ilss'exécutent.Elle est^dans l'étude descorps vivants l'ana- 396 CAUsiis. logue de la physique et fie la chimie dans l'étude des corps bruts. Comme la chimie descend dans l'analyse élémentaire des corps minéraux, la physiologie descend dans les éléments anatomiques des organismes. Les lois morphologiques des corps vivants sont d'un autre do- maine; leur étude appartient au zoologiste, comme la morphologie des corps bruts appartient au miné- ralogiste. Il résulte de tout ce qui précède cette conclusion, que la physiologie tend au même but que les sciences physico-chimiques, c'est-à-dire qu'elle doit prévoir et agir; la nature de son problème ne la sépare point de toutes les autres. Nous ajouterons que la nature de ses moyens achève de l'en rapprocher. Pour agir sur un phénomène, le provoquer ou l'empêcher, il faut intervenir dans la cause, avons-nous dit. Le premier point est donc de connaître cette cause. L'opinion que les manifestations de la vie étaient inaccessibles à l'homme de science découlait précisé- ment de la conception qui avait cours sur la cause des phénomènes vitaux et qui la soustrayait au monde phé- noménal pour la placer avec tous les êtres déraison, les puissances occultes et mystérieuses du monde métaphy- sique. Or, l'action matérielle s'arrête impuissante devant ces entités immatérielles qui n'ont ni lieu ni substance. Notre conception des phénomènes vitaux nous les montre au contraire comme saisissables dans leur cause, et légi- time nos tentatives pour les maîtriser. D'une manière générale, comment devons -nous NOTION DE CAUSli. 397 enienilre les causes des phénomènes de la nature, sur lesquelles nous devons porter la main? Le mot cause est obscur en lui-môme ; emprunté à la langue métaphysique, il porte le cachet de l'arbitraire et de la personnalité. Le sens dans lequel nous l'em- ployons doit être précis, puisque notre conception doit être traduite en acte. On a fait observer que le mot cause a été employé avec une multitude d'acceptions philosophiques diffé- rentes; il aurait, au dire de M. Cliflford, quarante-huit sens dans Aristote et soixante-quatre dans Platon. Quand on rentre dans le domaine des sciences physiques, on ne trouve pas en apparence une confusion aussi grande, et l'on voit que l'on a anciennement reconnu deux ordres de causes aux phénomènes de la nature : les causes premières et les causes secondes. Les causes premières ne peuvent pas nous préoccuper; elles n'ont point d'accès dans les sciences. Newton a fait remarquer avec raison que « l'homme qui cherche les » causes premières prouve qu'il n'est pas un homme » de science. » Quant aux causes secondes., leur nom est mal choisi ; M. Chevreul fait observer qu'elles seraient mieux appe- lées causes immédiates. Un phénomène quelconque se rattache à un ensemble d'autres phénomènes antérieurs qui le précèdent immédiatement, et qui, à ce titre, sont les causes immédiates. Cependant on ne saurait admettre en principe que, même dans une série de phénomènes enchaînés et harmonisés, le phénomène qui précède constamment soit la cause qui engendre le phénomène 398 SUCCESSION. RÉCIPROCITÉ. qui suit immédiatement. Ce qui caractérise le lien de cause à effet, ce ne peut être seulement la succession, c'est la réciprocité. La cause qui agit entraîne néces- sairement le phénomène ; mais si la cause cesse d'agir, le phénomène doit cesser d'apparaître. Il ne suffit donc pas que deux phénomènes se suivent, fût-ce constamment, pour qu'ils soient liés par un rapport de cause à etïet. Car, je le répète, cette conception n'est pas justifiée par l'observation. Dans les phénomènes physiologiques en particulier, où lout est cependant si harmoniquement enchaîné, on constate qu'en général les phénomènes se succèdent suivant un ordre et vers un but ; mais ils restent cepen- dant autonomes sans s'engendrer les uns les autres. Je dirai, en outre, que si nous voulons attacher au mot cause le sens d'une origine quelconque, il ne saurait s'appli- quer aux phénomènes de la nature que nous observons, parce que, en réalité, nous n'assistons à l'origine de rien ; nous ne constatons que des mutations, des transfor- mations de phénomènes dans des conditions déter- minées. Prises dans le sens métaphysique, toutes les causes nous échappent, de quelque nom qu'on les dé- signe, de causes premières, secondes ou immédiates. Aussi ai-je substitué au nom de cause immédiate celui de a conditions déterminées ^y d'un phénomène, qui me semble plus exact. En effet, un phénomène a ses condi- tions déterminées, son déterminisme propre, indépen- damment du phénomène qui le précède ou de celui qui le suit. De plus, j'ajouterai que ces conditions déterminées par l'expérience ne sauraient être elles-mêmes envisa- ACTION SUR LA MATIÈRE, 399- gées comme des causes. C'est là un point capital sur lequel nous avons toujours insisté. Je me borne ici à conclure que les phénomènes de la vie ayant leurs conditions déterminées ou leur déterminisme comme ceux de la nature brute, c'est sur ces conditions déterminées que devra porter l'action du physiologiste. Il faudra donc, avant tout, fixer ce déterminisme expérimental. C'est là que nous plaçons le but pratique de la physiologie et la condition de son progrès. En résumé, si Ton pense que pour agir sur un phéno- mène il faut porter la main sur sa cause^ il ne saurait être question des causes premières ou métaphysiques, pas même des causes immédiates. Ces causes elles-mêmes nous échappent, nous ne connaissons que les conditions déterminées d'un phénomène. Le déterminisme d'un phénomène est l'ensemble de ses conditions matérielles, c'est-à-dire l'ensemble de circonstances qui entraînent son apparition. Ces conditions sont évidemment acces- sibles, car elles sont toutes matérielles. C'est qu'en effet il n'y a d'action possible que sur et par la matière. Le monde ne nous présente pas d'excep- tion à cette loi. Toute manifestation phénoménale a des conditions matérielles qui, sans Tengendrer, la pro- voquent et la rendent manifeste. Nous avons exprimé ailleurs (1) la même idée par la phrase suivante : La 'matière manifeste des phénomènes quellenengeiidre pas. 11 n'y a donc pas de place ici pour des idées matérialistes ou spiritualistes qui n'ont rien à faire avec la science. Ce (1) Gl. Bernard, La science expérimentale. Problemede la physiologie gé- nérale, 2^ édition, Paris, J879. 400 MOYENS D ACTION. qui est démontré, c'est que la matière, telle ijue nous la connaissons, ne saurait en rien nous dévoiler la nature des phénomènes; mais qu'elle seule peut nous expliquer leur manifestation,. Ce sont uniquement ces conditions matérielles relatives à la manifestation phénoménale que nous appelons les conditions déterminées an phénoniène. Or, ce n'est qu'en modifiant malériellemeiil ces condi- tions que nous modifions le phénomène. Croire à autre chose, c'est commettre une erreur de fait et de doctrine, c'est être dupe de métaphores et prendre au réel un lan- gage figuré. On entend dire , en effet, souvent que le physicien a agi sur l'électricité ou la lumière ; que le médecin a agi sur la vie, sur la santé, la fièvre ou la maladie. Ce sont là des façons de parler. La vie, la lumière, l'électricité, la santé, la maladie, la fièvre, sont des êtres abstraits, qu'une substance médicamenteuse ou un agent quelconque ne saurait atteindre; mais il y a des conditions matérielles de la production de l'élec- tricité, de la santé, de la maladie, qu'on peut ntteindre et modifier. Tout phénomène a un déterminisme rigoureux, et jamais ce déterminisme ne peut être autre chose qu'un déterminisme physico-chimique, c'est-à-dire un ensemble de conditions déterminées sur lesquelles on peut agir matériellement par le moyen des instruments généraux que nous fournit la nature. Cette conception que nous nous formons du but de toute science expérimentale et de ses moyens d'action est applicable, non-seulement à la physiipie et à la chimie, mais encore à la physiologie. CONSÉQUENCE PRATIQUE. 401 Dès lors, la barrière qui a séparé jusqu'ici la science des corps vivants de celle des corps bruts doit tomber. Le problème et les moyens étant les mômes, la distinc- tion n'a plus de raison d'Atre, Cette vérité est toute nouvelle en physiologie. Les anciens n'ont point compris que les phénomènes de la vie ne pouvaient être atteints que dans les conditions matérielles qui les manifestent, mais qui n'en sont pas réellement la cause. Imbus de l'idée que les phénomènes vitaux avaient la matière pour cause réelle (matéria- listes), ou bien qu'ils obéissaient à des puissances extra- matérielles (vitalistes, spiritualistes), ils ont dû croire et ils ont cru que le rôle de l'homme était celui d'un simple spectateur et non d'un acteur. La matérialité ou l'imma- térialité de la force vitale soustrayait la vie à l'action de l'homme tout aussi sûrement que la distance lui sous- trait les forces elles phénomènes astronomiques. Ainsi la réduction des phénomènes vitaux à une cau- salité matérielle ou à une condition de manifestation extra-matérielle est une double erreur. L'appréciation du rôle de la physiologie et la déclaration de son impuis- sance étaient le résultat de conceptions fausses relative- mentaux manifestations vitales. C'est pourquoi l'histoire des conceptions de la vie qui ont eu cours à diverses époques ne sera pas pour nous une simple curiosité d'érudition. Chacune de ces con- ceptions exprimées ou latentes domine la marche de la science et en explique l'évolution. Il y a donc un grand intérêt à rechercher, dans leur ordre historique, les opinions qui se sont produites sur la CL. BERNARD. — Phénomènes. ii. — 20 402 ANTIQUITÉ. nature des phénomènes qui s'accomplissent dans les êtres vivants. Nous comprendrons mieux la justesse et la fécondité de la conception nouvelle que nous arrivons à nous faire des phénomènes vitaux, conception qui légitime le but ([ue nous assignons à la physiologie, la conquête de la nature vivante. !5 1. — Antiquité. Le plus ancien des philosophes et le plus universel des savants dont nous trouvions la trace est le sage célèbre de Samos, Pythagore, qui vécut dans le vi' siècle qui a précédé l'ère chrétienne, de l'année 580 à 510. Les doctrines propagées y)ar l'école de Crotone qu'il avait fondée dans l'Italie se perpétuèrent jusqu'à Platon et Aristote. Les deux points principaux de ses systèmes, l'har- monie des nombres et la métempsycose, appartiennent à un ordre de considérations que nous n'aurions nul profit à aborder. Ce qui nous intéresse plus directement, c'est de savoir que Pylhagore a pratiqué la médecine, art jus- qu'alors réservé aux héros et aux prêtres ; qu'il a créé l'hygiène et médité sur la constitution du corps de l'homme et son développement. Pythagore a dû se faire une idée de la vie, et ses conceptions marquent la nais- sance et les premiers pas de la médecine et de la phy- siologie. Pylhagore subordonnait la matière et les mani- festations dont elle est le théâtre à une puissance supé- rieure, immatérielle, active, passagère et mortelle. C'est la Psyché. A celle-ci vient se joindre chez l'homme un PYTHAGORE. 403 principe intelligent qui survit à l'organisme et passe de corps en corps par la métempsycose, à savoir, Vâme universelle^ le voug. Peut-être pourrait-on retrouverlà (s'il est possible de juger à travers tant de dislance et avec si peu de lumièrej les premiers délinéaments de cette doctrine vitalisteque nous verrons bien plus tard soumettre l'être vivant à deux principes supérieurs, la force vitale et l'âme. Seulement, Pythagore complétait cette notion en l'étendant au monde inanimé. L'univers, ou macro- cosme, a, lui aussi, une vie, une Psyché qui dirige ses phénomènes, et une âme universelle, ou vo'dç, qui les comprend. L'édifice animal est un microcosme, image et partie du monde général, ou macrocosme, dans lequel il a été jeté. Il est certainement fort curieux de voir les pythagori- ciens parler du vou? et de la Psyché comme les premiers vitalistes feront plus tard de l'âme et de la force vitale. Le sang nourrit la Psyché dont les veines et les nerfs sont les liens. L'union est intime, quoique passagère, entre cette sorte de vapeur inaltérable, qui est la Psyché, et les matières altérables, chair, nerfs et os, qui sont le €orps. Une telle conception physiologique au sommet de laquelle planait une puissance supérieure, inaccessible, devait conduire à une thérapeutique de même ordre. Les pythagoriciens employaient bien pour agir sur l'être vivant quelques moyens matériels, les topiques, les emplâtres. Mais leurs ressources principales étaient 404 EMPÉDOCLE. HERACLITE. surnaturelles, comme le principe auquel elles s'adres- saient. C'étaient les vertus magiques des plantes, les incantations, les conjurations, les harmonies de la musique. Nous voyons ainsi pour la première fois la conception des phénomènes de iavie entraîner par une conséquence logique la manière d'agir sur eux. Empédocle, qui florissait vers l'an 440, avait reçu les leçons des pythagoriciens. Comme eux, il paraît avoir employé les incantations magiques en guise de procédés thérapeutiques. C'est, raconte la Fahle, à la suite de la guérison merveilleuse d'une femme abandonnée des médecins, que, enflé d'orgueil, il voulut faire croire à son apothéose en se précipitant dans l'Etna. Mais, en même temps que se produisait cette doctrine spiritualiste qui expliquait les faits de vie par l'activité d'agents extérieurs à la substance vivante, une doctrine opposée se dressait dès la plus haute antiquité en face de la première, et tentait de tout réduire au jeu de forces physiques, générales. Heraclite d'Éphèse, qui vivait 500 ans avant l'ère actuelle, avait déjà judicieusement observé que la nature de l'âme est « une chose si profonde qu'on n'en peut » rien définir, quelque route que l'on suive pour parve- » nir à la connaître ». La considération de l'àme doit donc rester étrangère à un système de physique uni- verselle. Démocrite (459--o(K)), chef d'une célèbre école, voulait tout expliquer par les causes secondes, par la matière tcoLi' d'ionuï. 405 et ses lois, en rejetant les causes premières. Un tel principe, s'il n'avait visé que les phénomènes jnalériels, serait irréprochable, c'est celui même que nous défen- dons encore aujonrcFhui. Ainsi lesphilosophesd'Ionie, Thaïes, Heraclite, Anaxa- gore et Démocrile, cherchaient le principe des choses dans la nature sensible. Les phénomènes n'étaient pour eux que le résultat de combinaisons mécaniques. L'expli- cation du monde, l'explication de la vie, étaient toutes physiques. On voit Épicure (341 ans avant J.-C.) professer que toute connaissance vient des sens, que toute existence se réduit à la matière, et que la connaissance de la matière et do ses diverses formes contient l'explication de tous les phénomènes. Sous l'action de l'école philosophique dont nous par- lons, l'esprit scientifique des Grecs commençait à sortir de son long et pénible enfantement. Heraclite, Démo- crite, Anaxagore et Leucippe, séparant la science nais- sante de la philosophie, se préoccupaient de savoir co/??- 7nent se produisent les phénomènes^ et non pourquoi ils se iwoduisent. Ils tendaient à substituer la poursuite des causes dites secondes à la vaine recherche des causes premières. C'est contre ces tendances que protestait Socrate, et que Platon, son disciple, lutta avec trop de succès (430 ans avant J.-C). — La science physiologique, pas plus qu'aucune autre, n'a rien à faire avec les doctrines platoniciennes, car celles-ci ont repoussé la science. Mais 406 DOCTRINES PLATONICIENNES. précisément par cela même elles ont exercé une in- fluence défavorable sur ses développements, influence dont il faut tenir compte, au moins en la signalant. Le puissant génie de Platon embrassa dans une conception à priori « le cercle des connaissances divines et hu- maines » . Affamé de la noble ambition de pénétrer les « suprêmes mystères», l'essence et le principe dernier des choses, il devait dédaigner la recherche laborieuse, mais féconde, des réalités phénoménales et en détourner ses concitoyens. Il leur répétait que l'insuffisance des causes efticientes entraîne l'indignité de leurpoursuite. Ainsi, Platon ne descendit point des hauteurs de la métaphysique à la considération du monde sensible et phénoménal. Pour lui, les phénomènes sensibles ne sont que des apparences, et « comme des ombres projetées » par la clarté d'un grand feu sur les parois d'une ca- » verne ». La science (comme nous l'entendons aujour- d'hui) n'est que la connaissance des ombres, et la phi- losophie a précisément pour objet d'arracher l'homme à ces occupations vaines pour le tourner vers le monde de la pensée, plus réel que celui des sensations. Pour Platon, le principe de la vie réside dans une âme corporelle dont les dieux auraient arbitrairement disposé les attributs dans les diverses parties de l'organisme. « Plus près de la tête, dit-il, entre le diaphragme et le cou, les dieux placèrent la partie virile et courageuse de l'âme, sa partie belliqueuse... Pour la partie de l'âme qui demande des aliments, des breuvages et tout ce que la nature de notre corps rend nécessaire, elle a été mise dans l'intervalle qui sépare le diaphragme et le IlIPl'UCRATE. 407 nombril..., et voyant qu'elle ne comprenait jamais la raison..., les dieux formèrent le foie et le placèrent clans la demeure de la passion... Ils firent le foie compacte, lisse, brillant, douxetaraer à la fois, afin que la pensée qui jaillit de l'intelligence soit portée sur cette surface coQinie sur un miroir qui reçoit les empreintes des objets et sur lesquels on peut en voir l'image (1). » Ainsi, il faut signaler, à côté de la haute portée morale de la philosophie platonicienne, une insuffisance ou une mauvaise direction scientifique contre laquelle nous avons encore à lutter de nos jours. Nous protestons contre les explications des phénomènes vitaux, quand elles sont rattachées à l'influence d'une cause première qu'on personnifie, et nous réhabilitons la recherche des causes prochaines, des conditions efficientes et déter- minantes oi!i réside pour nous le secret des choses. Hippocrate, Aristote et les successeurs de Platon, tout en restant imbus des mêmes idées philosophiques, ne dédaignèrent point de se rapprocher de la nature et de l'étudier. Le point de vue philosophique est allié chez Hippo- crate (415 ans avant J.-C.)à des connaissances physio- logiques positives. Le célèbre médecin de Cos appartenait à cette famille des Asclépiades qui conservait comme un héritage, depuis la plus haute antiquité, la science et l'art de guérir (2). Mais au lieu de la pratiquer dans les temples et les lieux réservés, en s'appuyant sur (1) Platon, le Timée, traduction de Cousin. {i) Wippocruie, Œuvres complètes, tra-d. E. Littré. Paris, 1839-1869, 10 vol . 408 EXPliCTATIOiN. le témoignante des inscriplions votives, il la ramena à l'observation en la transportant snr son terrain véri- table, c'est-à-dire au lit du malade. Il fut ainsi le pre- mier clinicien. Oii dit qu'Hippocrate ne disséqua point de cadavre humain ; comme Démocrile, il ne disséqua que quelques animaux. 11 connut peu de choses enanatomie: il pos- sédait cependant quelques notions d'ostéologie, et sa physiologie se réduisait à des vues tout à fait théoriques sur la respiration, la digestion et la génération. 11 obser- vait les maladies et en constituait en quelque sorte l'histoire naturelle. Sa médecine, basée sur la méthode d'observation, était donc nécessairement empirique. Il admettait l'action de certaines influences, telles que le froid, le chaud, le sec, l'humide; mais il n'embarrassa point la marche de la science d'hypothèses systéma- tiques, et il garda la prudence commandée par l'état précaire des connaissances de son temps. Relativement à la conception de la vie, Hippocrate paraît avoir pensé que les phénomènes morbides, tout aussi bien que les phénomènes physiologiques, avaient une cause divine tellement inaccessible, que les super- stitions et les incantations magiques elles-mêmes ne pou- vaient l'influencer. 11 secoua donc le joug des jongleurs qui s'étaient immiscés dans la médecine. A leurs tenta- tives inutiles il substitua la diététique, traitement qui consiste à laisser se produire ou à favoriser l'action de la nature : c'est la méthode d'expectation. Les faits vitaux échappant à l'action de l'homme, on ne peut que les prédire et non les dévier de leur route. C'est là le ARISTOTE. 409 caractère principal de la médecine d'Hippocrale. Il développa la séméiotiqiie et le pronostic des maladies. Sa thérapeutique était à peu près uniquement expectanle et basée sur l'hygiène : elle s'accorde ainsi avec sa con- ception de la vie, principe inaccessibl(3 dont nous ne pouvons qu'observer la marche et les effets. Aristote, l'un des génies les plus complets qu'ait offerts l'humanité, vient clore cette série de philosophes qui ont adopté une explication idéaliste des phénomènes vitaux. Il était né à Stagyre (aujourd'hui Stavro), l'an 384 avant l'ère chrétienne, au moment où la Grèce était arrivée à l'apogée de sa vie intellectuelle. Disciple de Platon, son génie avait suivi une direction quebpie peu opposée à celle de son maître. Tandis que Platon avait employé la méthode géométrique et cherché dans les idées à priori le principe de toute connaissance, Aristote s'appuie sur l'observation et l'expérience pour arriver à la cou naissance à posteriori des choses. Comme on l'a dit : « Platon écrivait sa pensée, Aristote écrivait les faits. » Il n'a voulu traiter que des faits sensibles, laissant en dehors de la science les faits psychiques : il comprenait qu'il faut apprendre et non inventer la vérité. Aristote avait divisé les objets qui sont à la surface de la terre en deux grandes séries {psuchia et apsiichia), les êtres organisés et les êtres inorganiques. « La vie, » dit-il (1), est la cause et le principe des corps vivants. » Elle est la cause d'où découle le mouvement. C'est (1) Aristote, lUp^ ^l'-J/r,?. 410 AlUSTOTli. » aussi pour elle que tout le reste se fait; car tous les » corps naturels, tant des animaux que des plantes, sont » les instruments de la vie. » La vie [anhna) d'Aristote est tout analogue au prin- cipe vital des vitalistes, et non à l'àme des animistes, qui était pour lui l'intellect ou le 7?ims. La haute raison et les tendances expérimentales de ce grand philosophe ne permettent pas de penser qu'en ces matières il ait affirmé ce qui ne peut être affirmé : il est vitaliste, c'est-à-dire qu'il a peut-être attribué l'activité à une force qu'il appelait la vie ; mais rien ne prouve qu'il soit allé plus loin ou peut-être même qu'il soit allé jusque-là. Ses vues sur les êtres vivants sont empreintes d'une grande justesse et d'une véritable profondeur, comme le prouve ce passage sur la gradation des êtres : « Le » passage des êtres non animés à ceux qui le sont, dit- » il, se fait peu à peu dans la nature ; la continuité des » gradations contient les limites qui séparent les deux » classes et soustrait à l'œil le point qui les divise. » Après les êtres inanimés viennent les plantes, dont les » unes semblent participer à la vie plus que les autres. » Des plantes aux animaux, le passage n'est pas subit ; » on trouve dans la mer des corps dont on doute si ce » sont des animaux ou des végétaux. Ciîtte dégradation » a également lieu pour les fonctions vitales, pour la » f^iculté de se reproduite et de se nourrir. » En résumé, et pour s'en tenir à l'interprétation des faits vitaux, qui sont l'objet de notre attention, on voit qu'Aristole paraît être le créateur du vitalisme. \^ anima, la Psyché, le principe vital, telle est la cause de la vie : ÉCOLb: ANÂTOMIOUlï. 411 ce principe est placé clans le corps vivant comme le pilote sur le vaisseau. C'est une partie irraisonnable, commune et végétative, cause de la nutrition et de l'accroissement, existant à des degrés de complication différents chez les plantes et chez les animaux. L'anatomie sortit des mains d'Aristote presque com- plètement constituée. Nous voyons après lui apparaître une école anatomique nombreuse où la dissection et quelquefois la vivisection sont en honneur. Les médecins anatomistes se multiplient : ce sont Praxagoras, Héro- phile, Érasistrate, Rut'us d'Éphèse, Quintus et d'autres: Galien est le représentant le plus illustre de cette école, et celui dont l'influence s'est continuée le plus longtemps dans la postérité. Hérophile, né enChalcédoine, attiré à Alexandrie par les Ptolémées, y ouvrit une école médicale où l'anatomie formait la base de l'enseignement. Il y exposait les méthodes de dissection, les instruments et leur usage, dont il avait la connaissance la plus complète, selon Galien. Celse(l) et Tertullien Taccusent d'avoir expé- rimenté sur des criminels que les rois d'Egypte lui livraient vivants ; en tout cas, il est certain qu'il disséqua des cadavres humains et non pas seulement des animaux. Entré dans cette voie pratique, il n'est pas étonnant qu'il y ait marché de découverte en découverte : il connut bien l'ostéologie ; il distingua anatomiquement les artères des veines, étudia les glandes et les décrivit ; (1) Celse, De la médecine, trad. par Fouquier et F. S. RaLior. Paris, 18:28. 4i2 G A LIEN. c'est lui qui nomma le duodénum. 11 fournit une des- cription s;itisfaisanle des organes de la génération et en comprit assez bien les fonctions pour donner aux ovaires le nom de « testicules femelles ». Ses connaissances en physiologie étaient beaucoup moins étendues, puisqu'il ignorait la circulation et n'avait pas d'idées exactes sur la respiration. Cependant il connaissait le rôle des nerfs comme conducteurs des sensations et de la volonté, rôle établi par son contem- porain et son rival, Étasistrate de Cos, petit-fils d'Aris- tote à ce que l'on croit. Hérophile plaçait dans le cer- veau le siège de l'âme pensante, et plus particulièrement dans le quatrième ventricule, d'où elle présidait aux fonctions du corps. En médecine, il attribuait toutes les maladies à l'al- tération des humeurs. On voit que le cercle des con- naissances médicales s'était singulièrement élargi en se séparant de la philosophie. Hérophile forme avec Érasistrate, Quintus, Rufus (l) et un grand nom- bre d'autres médecins, le cortège des précurseurs de Galien. Galien naquit vers Tan 131 avant Jésus-Christ, à Per- game, capitale du royaume de Pont, ville favorable à la science, où les Eumènes elles Attales avaient rassemblé une célèbre bibliothèque, et où la médecine était en honneur. Il commença à s'instruire auprès des disciples d'un médecin nommé Quintus, très-réputé et qui méri- tait de l'être par sa profonde science en anatomic, et le (I) lUifus, (Eitrrcs complètes, tradiiitcs parCli. Darciiibcrg et Huollc. l'aris, .IS70. ESPRITS ANLUAUX. 413 goût qu'il en sut inspirer à Galien et à un grand nombre de médecins de son temps. Il commença la pratique de la chirurgie en soignant les plaies des gladiateurs, et pendant longtemps il exerça son art dans Rome même, où il avait été appelé comme medecindesempereurs.il avait acquis dans les écoles de Pergame et d'Alexandrie, et étendu par ses voyages, une érudition très-vaste fortifiée de nombreuses obser- vations personnelles. Les résultats en ont été consignés dans une collection d'ouvrages formant une immense encyclopédie à l'usage des médecins et des hommes préoccupés de la science générale de la nature ; la plus grande partie a été perdue. On peut regarder Galien (1) comme le premier des véritables expérim.entaieurs en physiologie : il essayait de retrouver sur les animaux vivants les preuves des induclions que l'on pouvait tirer de la dissection des animaux morts. A travers un grand nombre d'erreurs et de théories fausses, ses ouvrages contiennent tant de faits exacts et une direction scientifique si excellente, qu'ils ont longtemps formé la seule partie sérieuse de la médecine de ses successeurs à travers le moyen âge jusqu'à la Renaissance. Nous n'avons pas à retracer ici les théories médicales de Galien ; nous dirons seulement que pour lui les forces immédiates et fondamentales de la vie étaient les esprits animaux^ qu'il plaçait dans le système nerveux, \esesprils naturels, qu'il plaçait dans le foie, et qui, incor- (Ij Galien, Œuvres analomiques, phijsiologiques el médicales, Irad, par Cil. Darcmberg. Paris, 1854-1857, 2 vol. in-8. 414 TENDANCES. pores clans le sang, venaient se confondre dans le cœur avec les esprits vitaux, autre puissance directrice des facultés du corps. Nous venons de constater, dans ce rapide examen, Texistence du triple courant qui entraînera pendant longtemps les esprits. Les uns, les idéalistes ou spiri- tualistes,Pythagore, Socrate, Platon, Aristote lui-même, cherchent au delà du monde sensible l'explication des phénomènes sensibles ; les autres, au contraire, les phi- losophes d'Ionie, Thaïes, Heraclite, Anaxagore, Démo- crite, Épicure, rapportent à la matière les phénomènes matériels ; enfin, à côté de ces philosophes, un certain nombre d'hommes dont la tendance est plus active que spéculative s'occupent, à un point de vue spécial, des phénomènes de la vie, sans paraître se préoccuper de leurs causes : tels sont Hippocrate, Praxagoras, Héro- phile, Érasistrate, Rufus et Galien. Nous trouverons dans le moyen âge et les temps modernes les mêmes tendances. Seulement, tandis que les vues spéculatives dominent dans les temps anciens, dans la science naissante elles s'affaibliront, et nous les verrons s'éteindre progressivement en nous rapprochant des temps actuels. ?! II. — Moyen A(.e. Les théories proposées au moyen âge pour l'explica- tion des phénomènes vitaux sont le reffet des théories anciennes. Les unes, les plus nombreuses, prennent ANIMISTES. MÏALISTES. 415 pour point de départ la spiritualité de la vie ; les autres, plus rares, rapprochent les phénomènes vitaux de tous les autres phénomènes matériels de la nature. Enfin, nous voyons les expérimentateurs plus nombreux et plus éclairés, parce que les sciences physiques, qui n'existaient pas dans l'antiquité, ont déjà accompli d'importants progrès. A la première conception se rattachent les doctrines de VArchéisme, des Médiateurs plastiques , de l'Ame directrice, des Natures plastiques, de l'Animisme, dit Vitalisme, qui ont eu cours depuis le moyen âge jusqu'à notre temps. Les unes elles autres ont ce trait commun de placer la cause des phénomènes vitaux hors de la matière vivante; elles se distinguent en ce que les unes subordonnent toutes les manifestations vitales à l'âme, tandis que les autres font dépendre ces mêmes phéno- mènes de puissances spirituelles d'ordre inférieur. La première de ces tendances s'exprimera plus tard le plus clairement dans Stahl ; la seconde a eu pour représentant le plus net Van Helraont. 11 importe au physiologiste d'établir une distinction entre ces deux groupes de doctrines, animiste et vitaliste. — En confondant avec l'âme raisonnable le principe immatériel qui gouverne le corps, les doctrines animistes placent la vie hors de la main de l'homme. Ce sont des conceptions philosophiques qui planent de trop haut et de trop loin sur la réalité pour être suggestives et initia- trices de progrès. Bien loin d'être d'aucun secours à la physiologie, elles sont plutôt faites pour arrêter sa marche et pour l'immobiliser. 416 ALBERT Lh; GRAND. D'aulre part, les doctrines vitaiistes ou archéistes, en plaçant les manifestations de la vie sous la dépendance d'un principe moins élevé en dignité, moins éloigné du monde sensible, ont pu s'accorder plus facilement avec l'esprit de recherche et avec le progrès scientifique. Nous n'avons pas l'intention de nous arrêter à tous les hommes qui ont rempli le moyen âge. Le mouvement scientifique était alors presque nul et se bornait à com- menter les fragments informes que l'on possédai! sur rautiquité. Les Arabes même ont peu ajoulé, au moins dans la science de la vie, à ce qu'ils avaient reçu des Grecs; mais en communiquant aux peuples de TOcci- denl les ouvrages de l'antiquité et le peu de connaissances acquises par eux-mêmes dans l'anatomie, la géographie et la navigation, ils provoquèrent une sorte de renais- sance que les croisades développèrent encore, mais dont le fruit le plus clair fut la reconstitution de l'anti- quité. Albert le Grand (Ii93-1'280) est un des personnages qui exercèrent sur leur temps la plus grande influence(l). Il naquit à Lavingen en Souabe, de la famille des comtes de BoUstœdt. Après avoir étudié dans les diverses écoles de France, d'Allemagne et d'Italie, il se fit moine, ce qui était le seul moyen de suivre son goût pour la science. Il professa avec éclat dans toute l'Europe et eut pour disciple saint Thomas d'Aquin. Il a été considéré comme l'un des hommes les plus extraordinaires de (i) Voy. F. A. PoiicliL't, Ilisloire des sciences naturelles au moyen àije, ou Albert le Grand et son époque. Paris, 1853. — Canis, Histoire de la Mologie, trad. par M. Schneider. Paris. 1879. BASILE VALENTIN. 417 son siècle à cause de réteudiie et de la variété de ses connaissances. Quant à son œuvre, elle montre plus d'érudition que d'invention personnelle. Il avait pris pour modèle Aristote et s'était proposé de le commenter et de rétendre; il rassembla dans ce but les connaissances transmises par ses prédécesseurs et répandues de son temps. Mais quoiqu'il ait professé que « la science naturelle ne consiste pas seulement à accepter, à recevoir des récits, des histoires, mais à rechercher des causes », il a peu mis en pratique ce précepte. 11 a embrassé dans son encyclopédie les sciences naturelles, la zoologie, la bota- nique, la minéralogie; et tout en agrandissant le domaine des faits connus il n'a guère pris d'autre soin que de le dérouler dans un ordre conforme à ses vues. Albert le Grand s'est peu préoccupé de l'explication des phénomènes vitaux dont il trouvait la raison suffisante dans les causes providentielles. Il est cependant curieux de voir que dans son traité de la physionomie il ait pensé à déterminer les facultés de l'âme d'après les organes extérieurs du crâne ; on trouverait là en quelque sorte le germe de la théorie de Gall et de Spurzheim. Basile Valentin (1394) avait admis l'existence d'un principe général, l'archée, qui gouvernait l'univers tout entier. Son disciple Paracelse (1493-1544) multiplia le nombre de ces principes immatériels qui gouvernent les divers organes du corps, le cerveau, le cœur, la tête, le foie, etc. , et tous les objets naturels. Il donna à ces génies les noms à'espriis olpnpiçues, et il les subordonna à CL. BERNARD. — Phénomènes. II. — 27 418 VAN HELMONT. Varchée qui est l'esprit de la vie, le grand régulateur des phénomènes vitaux. Mais le représentant le plus célèbre de cette doctrine des causes immatérielles et occultes fut Van Helmont (1577-1644). Van Helmont (1) est l'une des figures les plus singu- lières que nous offre l'histoire de la science. Esprit obser- vateur et mystique tout à la fois, doué d'une sagacité pénétrante et d'un véritable sens expérimental, et à côté de cela, livré en proie à une imagination sans mesure, ses œuvres nous présentent un étonnant mélange de vérités profondes et de rêveries fantastiques. Les explications qu'il a imaginées pour les phéno- mènes de la nature vivante ou inanimée appartiennent malheureusement à cette dernière catégorie. Il crée toute une hiérarchie de principes immatériels intermé- diaires entre les corps et Tâme intelligente et raisonnable. Van Helmont répugnait à admettre une action directe d'un agent immatériel comme l'àme sur la matière inerte : il y avait pour lui un tel abîme de distance entre l'âme et le corps, qu'il ne pouvait concevoir un com- merce direct entre eux. Il crut probablement combler cet abîme en plaçant des agents intermédiaires, sans s'apercevoir qu'il ne faisait que déplacer la difficulté, sans la diminuer. De môme, dans une sorte de désir analogue de com- bler l'inlervalle entre la matière céleste et la matière sublunaire, il n'avait pas hésité à imaginer une substance (1) Voy. Cil. Daroinl)ei\H-, Ilhlolvc des sciences médicales. Paris, 1870. ARCHÉISME. /il 9 nouvelle, le magnale^ qu'il douait de propriétés arbi- traires. Quoi qu'il en soit, à la tète de cette série hiérarchique, Vau Helmont place Tàme raisonnable et i ai mortelle con- fondue en Dieu. Au second rang il place l'âme sensitive et mortelle. Celle-ci a pour ministre un agent incorpo- rel, Varchée principal [aura vitalis) , qui préside à toutes les fonctions des corps animés, comme une sorte de prin- cipe vital. Chez les plantes il reconnaissait l'archée principal, sorte de force végétative appelée le fas. Chez les animaux supérieurs, l'archée principal résidait à l'orifice de l'estomac, d'où son nom ((janitur sioma- chi y) . De là il commande à une multitude d'autres archées subalternes, intelligents, actifs et mortels, les blas^ préposés à tous les actes et à toutes les fonctions, placés dans chaque viscère, dans chaque organe ou dans chaque objet comme « un ouvrier, un vulcain, une aura cachée ou principe recteur qui constitue le noyau spiri- tuel de Tobjet )> . On a voulu voir dans cette bizarre conception le pré- lude et le premier début de la doctrine des propriétés vitales, qui, depuis le commencement de notre siècle, représente l'effort de l'esprit systématique dans le do- maine de la physiologie. Les hlas de Van Helmont sont placés dans chaque partie et ils en expliquent le jeu, comme pour d'autres physiologistes les propriétés imma- nentes qu'ils attribuent aux parties. Van Helmont est un homme de transition. Placé sur la limite du xvi'et du xvn' siècle, son génie est sur la fron- tière du mysticisme et de la science. Si par sa croyance 420 RÔLE SCIENTIFIQUE DE VAN IIELMONT. aux rôves, aux superstitions, aux influences aslrolo- gifjues, à la démonoloo^ie, il se rattache aux visionnaires et illuministes, d'autre part ses recherches chimiques, ses expériences, ses vues médicales, le classent parmi les savants dont l'influence a été la plus féconde. 11 introduit dans la chimie l'étude des f/az : c'est lui, du reste, qui le premier emploie le mot dans l'acception actuelle. 11 reconnaît que l'action de la chaleur sur l'eau est de la transtbrmer en vapeur de môme consti- tution, poids pour poids; et pour établir ce résultat, il se sert de la balance. Deux siècles plus tard, Lavoisier emploiera la môme méthode et le môme instrument pour établir ce même résultat que l'eau ne change pomt de nature par l'action de la chaleur. Van Helmont étudie la production des flammes et il en donne la définition qu'on attribue à tort à Newton ou à Davy : « La flamme est un gaz qui brûle. » C'est lui, comme nous l'avons dit, qui a attiré l'atten- tion sur cette classe de corps, les gaz, dont l'étude à la fin du siècle dernier a été le point de départ de la chimie moderne. Il a connu l'acide sulfureux, le gaz chlorhydrique et surtout l'acide carbonique qu'il appelle plus particulièrement gaz sylvestre. 11 constate la pro- duction de ce gaz par la combustion du charbon; il le retrouve sortant des cuves en fermentation ; il le re- connaît dans les mines et les cavernes et dans le produit effervescent des calcaires attaqués par les acides. Van Helmont mériterait, suivant certains auteurs, d'être considéré comme le précurseur de Lavoisier, parce que deux siècles plus tôt il a indi(pi6 l'emploi de cet instru- RÔLE SCIENTIFIQUE DE VAX IIELMONT. 4^1 ment si précieux pour l'étude des transformations de la matière, la balance. En médecine, on doit à Yan Heliiiont un grand nombre d'observations très-judicieuses, très-pénétrantes. En pbysiologie humaine, il a étudié la fonction de digestion, et envisagé les transformations digestives comme le résultat des fermentations dues à des sucs particuliers parmi lesquels il a distingué le suc gastrique par son acidité. La physiologie botanique est redevable à Van Hel- mont d'une expérience importante, aussi judicieusement conçue qu'habilement exécutée, qui exerça une grande influence sur les recherches de ses successeurs. Nous avons rapporté celte expérience dans la partie de ce livre où nous avons étudié les phénomènes de la respiration végétale (voy. page 160). Le système de Van Helmont pour l'explication des phé- nomènes vitaux n'exerça pas une influence prolongée; seuls les résultats scientifiques furent durables. D'ailleurs Van Helmont mourait au moment où les doctrines galé- niennes qu'il avait combattues allaient disparaître devant les découvertes de Césalpin, de Fabrice d'Acquapen- dente, de Harvey et de toute la brillante école d'Italie. Chez les docteurs du moyen ôge ou même chez les savants laïques, les conceptions spiritualistes de la vie devaient seules se rencontrer. C'est la tendance prépon- dérante; les conceptions matérialistes n'ont point de représentants, et les entreprises de l'esprit scienlifitiue sont tout à fait timides, et en tout cas mélangées d'idées à priori sur la spiritualité des manifestations vitales. 4ti"2 ANDRÉ VÉSALE. >$ III. — Temps modernes. La période des temps modernes coinmeiice à la Re- naissance et s'ouvre, pour la physiologie, avec Vésaleet Harvey. Nous entrons avec eux dans cette voie féconde de la philosophie des faits, où les vues spéculatives n'ont qu'une place tout à fait subordonnée, après avoir occupé une place dominante. André Vésale naquit à Bruxelles, l'une des villes qui alors étaient les plus riches et les plus éclairées de l'Europe, d'une famille où l'exercice de la médecine était héréditaire. Successivement il étudia à Montpellier et à Paris sous Sylvius et Fernel; il s'adonna à l'ana- tomie où il acquit bientôt une véritable supériorité. Sa réputation s'étendit tellement, que le sénat de Venise l'appela à Padoue pour y faire ses démonstrations d'ana- tomie, qu'il répéta dans plusieurs autres villes, à Bologne et àPise. Vésale accumulait ainsi les matériaux de la grande Anatonde qu'il publia en 1544, et qui fit une révolution dans la science, car pour la première fois il ébranlait l'antique autorité de Galien en établissant qu'il avait disséqué, non des hommes, mais des singes, et en rele- vant les erreurs de celui qui jusqu'alors était resté l'oracle de la médecine. Avec lui l'anatomie cesse d'être une branche accessoire des sciences médicales pour de- venir et pour longtemps une science fondamentale et indépendante, entrée la première dans la voie de l'in- vestigation et de la recherche. On se rendra compte de ANDRÉ VESA LE. 423 l'importance de la révolution accomplie par Vésale en se rappelant l'hostilité formidable qu'il eut à combattre. Les partisans idolâtres de Galien, lorsqu'ils ne pouvaient plus contester ses erreurs, affirmaient ou « que le texte » de ses ouvrages avait été corrompu, ou même que le » corps de l'homme n'était plus conformé comme au » temps du médecin de Pergame » . Mais Vésale ne fut pas seulement anatomiste. Il pra- tiqua des vivisections dans le but de montrer le rôle des os, de déterminer la fonction des muscles, dont il fit connaître la contraction ; de connaître la fonction de la moelle épinière, dont la section détermine la paralysie des parties sous-jacentes ; il a pratiqué le premier sur un cochon venant d'expirer la respiration artificielle ; il a montré que les poumons suivent les mouvements du thorax. C'est la physiologie de imt partium de Galien, mais poussée beaucoup plus loin. L'impulsion donnée par Vésale, continuée par ses élèves, Fallope, Eustache, ne devait plus s'arrêter. Le progrès accompli par Vésale devait entraîner la physiologie dans la voie de l'expérimentation, oùHarvey assura immédiatement sa marche, et d'où elle n'est plus sortie depuis lors. GuillaumeHarvey naquit, le 2 avril 1578, àFolkstone, en Angleterre. Il parcourut l'Europe et se rendit à Padoue dont l'université avait la palme sur toutes les autres pour l'enseignement de l'anatomie. En 1613, il jetait les bases de sa renommée en enseignant l'ana- tomie au Collège des médecins à Londres. Il avait tiré de ses études en Italie et de son commerce avec Fabrice 424 HARVEV. d'Acquapendente et Césalpin des idées plus exactes sur les organes de la circulation. Quelques expériences déci- sives confirmèrent les vues qu'il avait pu tirer des obser- vations de ses prédécesseurs. De 1619 à 1628 il ensei- gna la théorie véritable de la circulation du sang, et il clôt ses leçons par la publication de son célèbre ou- vrage sur le mouvement du cœur et du sang des animaux. Il aborda un autre problème non moins intéressant de la physiologie, celui de la génération, qu'il étudia avec de grands détails. C'est à Harvey qu'est dû le célèbre aphorisme: Omne vivum e.r gvo. Cet aphorisme sert de légende au dessin ingénieux qui est placé au frontispice de son ouvrage, et qui représente Jupiter tenant dans ses mains les deux moitiés d'un œuf d'où sortent les princi- paux types de l'animalité, à savoir : une araignée, une sauterelle, un papillon, un poisson, un serpent, un cro- codile, un oiseau, un daim et un enfant. Ses recherches sur la génération sont le point de départ de celles de Régnier, de de Graaf, de Nicolas Slenou, de Jean Swammerdamm, de Gaspard Bartholin etde Malpighi. La recherche physiologique est désormais constituée; une ph'iade d'observateurs, d'expérimenta- teurs, vont travailler non-seulement à la connaissance des phénomènes de la vie, mais indirectement à l'éta- blissement d'une conception élevée que les vues philosophiques à priori avaient été impuissantes à imaginer. Cependant l'esprit systématique n'a pas conqiléte- ment abdiqué, et divers systèmes d'une importance ANIMISME. 455 moindre que celui de Van Helmoiit semblaient s'inspi- rer pourtant delà même pensée. Ils subordonnaient les phénomènes à des principes en quelque sorte intelli- gents et conscients de leur action. Vâme directrice que Kepler donnait aux planètes pour les conduire dans Tespace « suivant des courbes savantes, sans heurter les » astres qui fournissent d'autres carrières, sans troubler » l'harmonie réglée parle divin géomètre », appartient évidemment à cet ordre de créations imaginaires. C'est encore à la même tendance d'esprit qu'obéis- saient Cudworth lorsqu'il imaginait un niédiateiir pias- tiqiœ, et les philosophes et médecins qui supposaient des principes particuliers, nattâmes plastiques, présidant aux fonctions des organes. Ces idées se répandaient dans le monde médical lorsque le célèbre médecin et chimiste G. E. Stahl vint les réformer en créant Xanimisme, expression la plus outrée de la spiritualité de la vie. Son biil était d'abord de réagir contre les disciples de Descartes, contre ceux qui voulaient expliquer les manifestations vitales par les propriétés mécaniques ou chimiques de la matière vivante en les séparant complètement du monde de l'âme. En cela, et dans cette première période, il était vitaliste, puisqu'il arrachait aux forces générales de la nature les faits vitaux dont il faisait un domaine à part. Ces faits, il les place sous la dépendance d'une force immatérielle et intelligente. On peut l'appeler la vie. Voilà le vitalisme. Dans une seconde phase il va plus loin: ce principe immatériel, intelligent et raisonnable, il n'y a aucune raison, selon lui, de le distinguer de 426 BÂRTHEZ. Fâme, qui a des attributs identiques. Stahl confond donc la vie ou la force vitale avec l'âme, et voilà Va7iimisme. Stahl (1660-1734) est donc le créateur de l'animisme. Il renouvela par là et rajeunit le système platonicien. L'rt/??y^??>w?^ regardait l'âme comme le principe même de la vie. La vie est pour Stahl un des modes de fonc- tionnement de l'âme ; c'est son « acte mvifiqve » . L'âme inmiortelle, force intelligente et raisonnable, gouverne la substance corporelle, la met en mouvement et la dirige avec intelligence vers un but poursuivi. Ses organes sont les instruments faits pour elle. L'âme agit directement et sans intermédiaire sur eux. Elle fait cir- culer le sang, battre le cœur, sécréter les glandes, con- tracter les muscles et s'exécuter toutes les fonctions. C'est Xàme architectomque^\v\\ est l'artisan et le construc- teur du corps : Homo factus est anima vivens. Les idées de Stahl ont passé chez un grand nombre de ses successeurs ; mais leur écho a été en s'afTaibiis- sant rapidement. L'école de Montpellier, qui en France a soutenu avec éclat les idées stahliennes, a répudié aus- sitôt une partie de l'héritage du maître. Elle n'est pas restée animiste, elle est devenue vitaUste. Le vitalisme consiste, comme l'on sait, dans la sépa- ration absolue des phénomènes physiologiques d'avec les phénomènes du monde inorganique. Au lieu d'obéir aux forces aveugles de la matière, ceux-ci sont les effets immédiats A\mQ force spéciale sans analogue en dehors du corps vivant. C'est lîarthez (1 734) qui créa la doctrine vitaliste, ou du moins qui lui donna son véritable nom ; car on pour- BORDEU. 427 rait trouver ses origines bien avant cette époque. Bar- tliez admet l'existence d'un principe unique, le principe vital, distinct del'àme et du corps, capable de régir tous les actes de la vie. Quant à la nature de ce principe : force, âme, archée, être, mode ou substance, elle est impossible et inutile à déterminer d'après la prudente restriction établie par Barthez lui-même. Cette force vitale est inaccessible; elle échappe et s'évanouit lors- qu'on veut la saisir. Cependant, en approfondissant les écrits de Barthez, on ne tarde pas à se convaincre que cette puissance est une force suprême (avec tout le vague que comporte cette expression de force en dehors de la mécanique) qui régit des forces subalternes : les unes ??îoùices {îorces de resserrement, d'élongation, de situa- tion fixe, tonique); les autres sensitives: sensibilité sans perception, sensibilité avec perception. Bordeu (1752-1776) éclaircit cette notion très- obscure dans Barthez, en considérant « le corps vivant » non comme une masse froide et inanimée, mais comme » une substance vivifiée par un esprit recteur qui domine » sur toutes les fonctions, et les fait pour ainsi dire sor- » tir de leur existence passive et corporelle ». Si l'on voulait comprendre le lien réel qui unit toutes ces conceptions et caractérise leur illusion commune, il faudrait dire que toutes ont cherché l'explication méta- physique des phénomènes vitaux, et non pas leur expli- cation immédiate, et que toutes se sont adressées à des principes extérieurs au corps vivant, et non à la consti- tution et aux propriétés de cette matière vivante. 428 COiNCliPïlON MÉCANICISTE. A côté des conceptions spiritualistes précédenks se sont également produites des doctrines opposées. On peut dire que la doctrine matérialiste, à celte époque, consiste à regarder les phénomènes de la vie comme un résultat plus compliqué des forces de la méca- nique, de la physique et de la chimie, c'est-à-dire comme l'expression la plus élevée des forces générales de la nature. Le germe de cette conception se trouve, comme nous l'avons dit, dans les Grecs Heraclite, Anaxagore, Démo- criteetÉpicure ; et quoiqu'elle ait été considérée comme le fait de l'école matérialiste, elle a été acceptée par des philosophes décidément spiritualistes, tels que Descartes, Leibniz et toute l'école cartésienne. Descartes (1596-1650) sépare nettement le monde métaphysique du monde matériel, l'âme du corps. L'àme est définie par soïi attribut, la pensée ; la matière est définie par l'étendue. L'étendue et la pensée n'ont aucun rapport, aucun point de contact. Les corps vivants, le corps humain, sont des mécanismes dans le jeu desquels n'intervient aucun principe supérieur et intelligent. Ce sont des machines montées, formées de rouages, de res- sorts, de leviers, de pressoirs, de cribles, de tuyaux, de soupapes fonctionnant suivant les lois de l'hydrostatique et de la mécanique. Quant à l'âme, étrangère à ce qui se passe, elle assiste en simple spectatrice à ceciui se fait dans le corps. Un animal sans âme n'en est pas moins un être vivant; c'est une machine qui n"a aucune fin de son BESCAUTES. 429 existence : les actes s'y accomplissent sans l;)nt ni intention. Descartes considérait que la science a pour but défi- nitif l'action. « ... Connaissant la force et les actions du » feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous » les autres corps qui nous environnent. . . , nous les pour- » rions employer à tous les usages auxquels ils sont » propres, et ainsi nous rendre maîtres et possesseurs de » la nature. » La conception cartésienne de l'organisation vitale per- mettait d'étendre cette domination jusque sur les phé- nomènes vitaux, puisque ceux-ci obéissaient aux forces physiques. «Je m'assure, dit Descartes, que (en connais- » naissant mieux la médecine) on se pourrait exempter )) d'une infinité de maladies, tant du corps que de » l'esprit, et même aussi peut-être de l'affaiblissement » de la vieillesse. » Descartes avait toujours été préoccupé de l'étude des sciences de la vie. Il avait fait de l'anatomie une étude assez profonde, disséquant des cadavres et expérimen- tant sur lui-même. Il a laissé un Traité sur l'homme, sur la formation du fœtus, sur la fièvre. On retrouve dans ses ouvrages les explications mécaniques des fonctions de l'homme et des animaux, qu'il considère comme des suites de la disposition des organes. Nous signalerons, en passant, Spinoza (1632-1677), qui a été l'adversaire et le contradicteur philosophique de Descartes et de Bacon, à qui il reprochait de s'être trop éloignés de la recherche de la cause première et de la connaissance de l'origine des choses. Lui-même, s'en- 430 SPINOZA. fonçant dans les régions inaccessibles de l'infini et de l'absolu, embrassant le monde, Dieu et l'homme, des hauteurs de la métaphysique la plus générale, a con- struit un système géométrique procédant par axiomes, propositions, théorèmes, scolies, lemmes, au moyen desquels il descendait par la voie déductive jusqu'à l'ob- jet de nos recherches. Un tel système est trop éloigné du monde scientifique pour en avoir reçu aucune influence ou en avoir exercé aucune sur lui. Combat- tant Descartes dans le domaine métaphysique, dans la recherche de l'immanent et de l'universel, Spinoza semble au contraire s'accorder avec le cartésianisme dans le domaine des causes transitives, dans l'explication des phénomènes matériels. En relation avec les fonda- teurs de la Société royale de Londres, les expérimenta- teurs Oldenburgh, Robert Boyle, Spinoza s'était acquis la réputation d'un physicien versé dans les choses de l'optique. Il savait tailler les verres et les lentilles ; il était au courant des découvertes anatomiques de son époque. Il avait les idées les plus justes sur beaucoup de questions à propos desquelles les savants de son temps commettaient les plus grossières erieurs de doctrine. Il a surtout combattu la doctrine des causes finales. Il considérait les choses en elles-mêmes et non comme des moyens ; il s'élève contre ceux (1) qui considèrent l'éco- nomie du corps humain comme soumise directement à l'action d'une cause divine ou surnaturelle qui en a formé les parties avec une industrie prévoyante, et qui (1) Siùnoza, Ethique, p. M. LEIBNIZ. 431 en règle les phénomènes au lieu d'invoquer les lois nécessaires et de rejeter la cause première au delà des limites accessibles. Les idées spinozites étaient donc, en somme, favorables et conformes au développement de la science, au-dessus de laquelle elles planaient cepen- dant de trop haut pour agir sur elles. Leibniz (1646-1716) a coopéré à la marche et au pro- grès de la physiologie et de la médecine par ses doctrines, et aussi par son action sur quelques-uns des médecins célèbres du temps. « On a considéré, dit F. Papillon, la doctrine de Leibniz comme une sorte de réaction contre l'automa- tisme de Descartes. Mais au point de vue du physiolo- giste, les idées du philosophe de Hanovre ont la plus étroite analogie avec celles de Descartes : leur concep- tion de la vie est équivalente, sinon au point de vue métaphysique, au moins au point de vue du natu- raliste. » Leibniz sépare, en effet, l'âme du corps et leur refuse toute action réciproque. Le corps se développe mécani- quement; seulement l'origine de ce développement, que Descartes n'avait pas soulevée, Leibniz ne craint point de l'aborder hardiment. Les corps sont organisés par la main de Dieu, préorganisés de toute éternité; ils ne font que dérouler les conséquences des lois ou de l'ordre qui leur ont été primordialement assignés : Semel, jussit, semper paret. « Le commerce de l'âme et du corps » ne consiste pas dans un échange d'actions réciproques, » mais dans une simple harmonie préétablie dès la » création. » 432 ACTIVITÉ DE LA MATIÈRE. Il dit ailleurs : « Les corps ne changent pas les lois » métaphysiques des âmes , comme les âmes ne » changent point non plus les lois physico-mécaniques » des corps. Les âmes s'accordent avec les corps en » vertu de l'harmonie préétablie, et nullement par une » influence physique mutuelle. Il n'y arien, sauf l'union » métaphysique de l'âme et de son corps, qui les fait » composer wiuin per se, un animal, un être vivant. » Il y a donc entre Descartes et Leibniz cette ressem- blance saillante, que l'un et l'autre font développer les manifestations corporelles indépendamment de l'inter- vention actuelle du principe spirituel, de l'âme. Des- cartes ne fait pas mention de la nature du lien qui peut les unir. Leibniz considère ce lien comme purement métaphysique , consistant dans Vharmonie préétablie. Mais la différence entre les conceptions de Leibniz et de Descartes est placée plus profondément : elle gît dans leurs conceptions si diiférentes de la matière. Descartes avait défini la matière par l'étendue qui est son seul attribut. Leibniz n'arrête pas son esprit à la considéra- tion de cette matière nue ou première « qui est pure- » ment passive et ne consiste que dans retendue. » Il considère les corps de la nature, non comme cette matière nue, mais comme matière revêtue, ou seconde, formée par l'union indissoluble de la première avec un principe d'activité, inséparable. Ce principe actif qui existe dans chaque monade matérielle, entéléchie iné- tendue qui est principe de mouvement., se manifeste par l'ensemble des propriétés physico-chimiques ou méca- niques. Cette activité, cette âme, est principe de vie par IRRITABILITÉ. 433 sa seule présence par suite d'une correspondance indes- tructible, et non par une action efficace. Ainsi, rien n'est sans vie. Dans le monde, l'énergie vitale est partout en balance avec l'étendue géomé- trique. « Il n'y a rien d'inculte, de stérile, de mort » dans l'univers; point de chaos, point de confusion, » qu'en apparence. » On voit parla que chaque corps vivant a une enté- » léchie dominante, mais les membres de ce corps vi- » vaut sont eux-mêmes pleins d'êtres vivants, plantes, » animaux, dont chacun a encore son entéléchie. » On peut voir, à la vérité, dans de telles pensées les idées que l'esprit moderne tend à accueillir. D'autre part, des commentateurs à posteriori ont cru relrouver là une conception de l'organisme animal telle que l'ana- tomie générale nous l'a donnée. Ces êtres vivants élé- mentaires dont est formé le corps seraient les éléments anatomiques, et leur principe d'activité, leur entéléchie perceptive, ne serait autre chose que \ irritabilité. Les rapports de Leibniz avec Campanella et Glisson permet- traient, dit-on, de supposer que cette interprétation a pu se présenter à l'esprit du grand philosophe. Mais ce qui est encore bien plus certain, c'est que l'idée de voiries germes de l'anatomie générale et de l'évolution dans la doctrine de Leibniz ne s'est point présentée à ses contemporains, et n'est peut-être qu'une extension illé- gitime de la propre pensée de l'auteur. Glisson (1596-1677) fui un véritable observateur qui a laissé d'excellentes descriptions anatomiques; celle du foie, en particulier, est encore classique. Il apportait une CL, BERNARD. 434 lATROMÉCANIQUE. très-grande précision dans ses recherches ; il employait la mensuration, les pesées, les injections, l'examen à la loupe. Son œuvre est donc précise tant qu'elle reste anatomique; mais sa physiologie est une pure fantaisie, c'est un système. Cependant, dans ce système arbitraire où fourmillent les erreurs (les parties du corps étaient les unes nourries par le sang, les autres par une liqueur spermatique circulant dans les nerfs, etc.), on voit apparaître pour la première fois un mot appelé à soule- ver de longs débats : c'est le mot à' irritabilité , cause première et commune, pour Glisson, des mouvements, des sensations, de la nutrition ; cause à la fois physiolo- gique et psychique. Haller, plus tard, reprendra cette doctrine en la ren- dant plus expérimentale et la débarrassant de son carac- tère métaphysique. Quant aux idées de Descartes, elles furent adoptées par un certain nombre de médecins physiologistes et devinrent le fondement d'une doctrine qui jeta un cer- tain éclat, \ iatromécanique . Descartes avait posé les premiers principes et appliqué ses idées mécaniques à la structure du corps de l'homme. Ses adeptes étendirent et précisèrent les explications mécaniques des phéno- mènes vitaux; et parmi les plus connus de ces iatro- mathématiciens il faut ranger Borelli (1008-1679), Pitcairn (165^-1713), Haies (1678-1761), Bernouilli (1700-J783). Celui dont l'influence fut prépondérante fut Boerhaave. Pour Boerhaave (1667-1738), tous les phénomènes s'expliquent par les actions mécaniques. La sécrétion lATROCHIMIE. 435 des glandes se produisait par le mécanisme du pressoir : le suc pancréatique s'écoulait à cause de la pression de l'estomac sur le corps glanduleux. La chaleur animale résultait du frottement des globules du sang contre les parois des vaisseaux. Le principal foyer de chaleur était le poumon, parce que cet organe, à ce que l'on pensait, possédait les capillaires les plus étroits. Les viscères étaient des cribles ou des filtres ; les muscles, des res- sorts ; tous les organes, des instruments mécaniques. Cette conception mécanique de la vie fut singulière- ment tenace et ne céda que devant la doctrine relative- ment récente des p?vp?iéiés vitales. h' iatrochimie n'est, en quelque sorte, qu'une face de l'iatromécanique. Avant même que la chimie fût consti- tuée, à l'époque où l'on supposait -et soupçonnait les phénomènes chimiques plutôt qu'on ne les connaissait, on avait songé à utiliser ces connaissances rudimentaires pour l'explication des phénomènes vitaux. Sylvius LeBoë (1492-1556) fut le premier des chi- miatres ou des humoristes. Il créa la doctrine iatrochi- miquCy et l'on peut dire qu'il la vit finir, malgré ses efforts et ceux de quelques partisans, tels que Willis, qui s'étaient rangés à ses opinions. Tous les actes vitaux, toutes les fonctions, étaient le résultat d'actions chi- miques, fermentations, distillations, acidités, alcalinités, effervescences. La digestion était une fermentation ; l'ab- sorption, une volatilisation; le fluide nerveux (esprits vitaux) était le résultat de la distillation du sang dans le cerveau. Cette doctrine était nécessairement humorale, c'est-à- 436 EXPÉRIMENTATEURS. (lire qu'elle attribuait toute importance aux liquides qui baignent le corps ou qui y circulent, au détriment des parties solides, considérées comme de simples instru- ments destinés à contenir les premiers. Ainsi le voulait l'ancien axiome des alchimistes, que les corps ne réa- gissent pas à moins d'être liquides : Corpora non agunt nisi soin ta. Ces deux doctrines iatrochimique et iatromécanique, qui contenaient en somme une grande part de vérité, périrent par leur exclusivisme et l'exagération de leur principe. C'est seulement de notre temps que devait être reprise sérieusement cette conception de la vie con- sidérée comme un résultat plus savant des lois de la chimie et de la physique générales. Les doctrines méca- niques et chimiques succombèrent d'ailleurs sous l'effort d'une doctrine plus satisfaisante et plus conforme aux progrès de la physiologie, la doctrine des propriétés vitales. Pendant que les écoles doctrinaires philosophaient encore, la méthode expérimentale se dégageait len- tement de la méthode à priori ou logique. Yésale poursuit ses recherches anatomiques; il n'aperçoit point dans la cloison interventriculaire les orifices décrits par Galien. Cette observation s' ajoutant à cellesde Fabrice d'Acquapendente sur les valvules des veines, prépare la découverte de la circulation du sang par Guillaume Harvey (1628). Nous voici arrivés à l'époque de la renaissance des sciences. Alors les dé- couvertes se pressent, les observateurs surgissent de toutes parts ; la recherche jusque-là sacrifiée à la spé- RENAISSANCE. 437 culation prend le pas sur elle. Après Vésale, Fabrice d'Acqiiapendente, Servet, Césalpin, Harvey, nous trou- vons Régnier de Graef, Aselli, Pecquet. Aselli découvre les chylifères en 1627. J. Pecquet, de Rouen (1647), connaît le confluent de ces vaisseaux et le canal Ihora- cique. Rudbeck et Rartholin font connaître le système lymphatique général et le raccordent aux chylifères. Stenon (1638-1686) décrit les glandes, les lympha- tiques, les muscles; il complète les observations de Fabrice d'Acquapendentesurle développement du fœtus. Enfin Malpighi (1628-1694), Ruysch (1638-1727), Leeuwenhœk (1632-1 723), créent l'anatomie de texture et amassent patiemment les matériaux de notre anato- mie moderne. Nous sommes conduits ainsi jusqu'au moment où le génie expérimental apparaît dans tout son éclat, c'est-à-dire jusqu'au siècle dernier, au temps de Haller, de Spallanzani, de Fontana, de Priestley, de Lavoisier. Si nous voulions résumer cette période déjà brillante de l'histoire de la physiologie, comme aux époques pré- cédentes nous verrions les philosophes et les hommes de science tendre chacun par des procédés différents à la connaissance des phénomènes de la vie : les uns, par ia spéculation pure, recherchent la cause supérieure sans pouvoir l'atteindre, tantôt dans une force spirituelle (spiritualistes), Stahl, Barlhez, Bordeu (animistes, vita- listes), tantôt dansla matière (matériahstes, mécaniciens, iatrochimistes.) Mais à côté de ces esprits spéculatifs nous trouvons les expérimentateurs, les investigateurs, 438 ÉPOQUE ACTUELLE. Vésale, Harvey, les anatomistes italiens et hollandais qui, sans se préoccuper de ces conceptions supérieures, en apparence au moins, ont fourni aux modernes les meilleurs éléments pour les juger. De l'examen auquel nous venons de nous livrer se dégage un résultat sur lequel il importe d'insister immédiatement. Ce n'est point aux efforts des deux partis philosophiques en lutte, ni aux matérialistes, ni aux spiritualistes, que revient l'honneur des grands pro- grès accomplis par la science. C'est surtout un troisième groupe d'hommes, plutôt investigateurs que philosophes, qui ont réellement fondé la science en découvrant les faits qui en forment les véritables bases. Le génie lui- même ne suffit point à suppléer les connaissances pré- cises : les vues spéculatives ne peuvent tenir lieu des faits. Si, comme nous le disions au début, l'alhance de la recherche et de la généralisation est indispensable à la constitution de la science , il faut cependant reconnaître que dans ce résultat l'esprit scientifique d'investigation a de beaucoup la plus grande part, et qu'il est singulièrement plus fécond que l'esprit spé- culatif. § IV. — La physiologie a l'époque actuelle. La période scientifique que nous désignons sous le nom à' époque actuelle commence à la fin du siècle der- nier. Jusque-là nous avons constaté les trois courants entre lesquels a été, en quelque sorte, ballottée la phy- siologie naissante. L'un la poussait à la recherche des FÉCONDITÉ DK LA DOCTRINE MATÉRIALISTE. 439 causes finales, métaphysiques ;' l'autre à la recherche des causes immédiates efficientes; le troisième restait en dehors des causes. Il faut dire que les deux pre- mières doctrines ont été portées à l'extrême, et qu'elles ont abouti à l'erreur: l'une en plaçant les phénomènes vivants directement sous la dépendance d'entités ima- ginaires, l'autre en n'y voyant que l'application directe et brutale de la mécanique et de la chimie. L'histoire chronologique de ces doctrines nous a permis de les comparer au point de vue de leur efficacité. La première nous est apparue dans toute sa stérile acti- vité; l'autre, quoique n'étant pas l'expression exacte de la vérité, a été cependant plus féconde et progressive. L'avantage resterait donc à celle-ci, qui d'ailleurs cor- respond toujours à quelque avancement de la science positive. Après Descartes et Leibniz, on avait accepté ce principe qu'il n'y a pas deux mécaniques, l'une pour tes corps vivants et l'autre pour les corps bruts. Après les découvertes de Lavoisier et Laplace sur la respira- tion, on dut admettre qu'il n'y avait pas non plus deux chimies. Le fond de cette opinion est vrai; l'exagération a consisté, ainsi que nous l'avons expUqué, à identifier jusqu'aux procédés de la mécanique et de la chimie vitale avec ceux des laboratoires qui ont des condi- tions évidemment différentes. L'observation que nous faisons relativement aux deux tendances scientifiques, Bacon l'avait déjà faite pour son temps, et il avait observé que la recherche des causes premières a plus nui à la science que la recherche des causes physiques, et, par conséquent, que la philosophie 440 ERREUR DES SYSTÈMES. de Platon avait Itiit plus de tort à la science que celle d'Épicure. Celle, du reste, des deux doctrines qui a constam- ment perdu du terrain est la doctrine de la spiritualité de la vie. Y^'animiste elle est devenue vitaliste avec l'é- cole de Montpellier; elle s'est encore assourdie avec Bichat en donnant naissance à la doctrine des jwopriétés vitales. D'autre part, la doctrine de la matérialité des phéno- mènes vitaux, tout en conservant son principe, devra s'atténuer, comme nous l'avons vu plus haut, en recon- naissant une différence de procédés physico-chimiques entre la nature vivante et la nature inanimée. Ainsi, la lutte déjà si vieille entre les deux théories ne tourne en réalité au triomphe définitif d'aucune d'elles. Les progrès des sciences ont toujours ce résultat d'affai- blir graduellement les premières conceptions systéma- tiques exclusives nées de notre ignorance. L'inconnu fait seul leur force; à mesure qu'il se dissipe, les théories opposées disparaissent et laissent la place à la vérité scientifique, qui doit toujours être le fruit de l'obser- vation et de l'investigation des phénomènes de la nature. Ce sont donc les expérimentateurs et les investigateurs qui ont cultivé la science en se tenant en dehors des vues philosophiques spéculatives, ce sont ces hommes qui ont été les véritables instruments du progrès scientifique. C'est leur phalange que nous allons voir marcher main- tenant d'une manière presque exclusive à la conquête de la nature vivante. Ce triomphe définitif de l'esprit scientifique d'observation et d'expérimentation sur PROPRIÉTÉS VITALES. 441 l'esprit spéculatif a été, comme oii le voit, l'œuvre du temps et d'une lutte opiniâtre. Ce n'est que devant l'évidence mille fois renouvelée que l'esprit de système a désarmé, laissant à la méthode moderne la possession du terrain qu'elle seule peut féconder. Nous avons dit que la doctrine des projyriétés vitales est le dernier effort et l'expression la plus adoucie du vitalisme. C'est une doctrine de transition et de transac- tion qu'il faut rejeter sous la forme que lui a donnée Bicliat, et accepter en la modifiant, comme j'aurai l'occasion de vous l'indiquer en exposant plus loin mes vues personnelles à ce sujet. 11 nous faut néanmoins examiner cette doctrine des propriétés vitales, depuis son origine jusqu'à son point culminant marqué par Bichat et à partir de lui. L'idée fondamentale de cette doctrine est d'expliquer les mani- festations vitales par les propriétés mêmes de la matière des tissus ou des organes. Mais ces propriétés ont été considérées à deux points de vue. Bordeu, Haller, Bichat et avec lui un grand nombre de physiologistes ont regardé les propriétés vitales comme absolument distinctes des propriétés physico- chimiques, et même comme étant en lutte avec celles-ci. S'ils n'en font point des principes immatériels, des entités sans substance, des causes, ils les regardent comme des modes d'activité que ne possède point la matière inerte. Elles sont inhérentes à la substance par laquelle et dans laquelle elles se manifestent; dispa- raissent quand les molécules écartées ont perdu leur 442 PROPRIÉTÉS VITALES SELON BORDEU. arrangement organique; elles dérivent de l'arrangement OU d'une cause inconnue et inaccessible. Certains auteurs ont cependant voulu rapprocher les propriétés vitales des forces physico-chimiques. Voyons comment ces idées différentes ont été expri- mées dans la science. Remontons pour un instant à Bordeu ('17/i2). Bordeu distinguait une seule propriété vitale qui, d'ailleurs, les comprenait toutes. C'était la sensibilité générale. Il faut comprendre ce mot, non point dans l'acception moderne mais dans le sens où son auteur l'employait. Bordeu désignait par là ce que l'on appelait de son temps les irritations^ les excitations., \ irritabilité que Glisson (1634-1677), professeur à l'université de Cambridge, avait le premier signalée en l'attribuant à toutes les « fibres animales musculaires ou autres » , c'est-à-dire à toute la matière organisée indistinctement. Dans l'esprit de Bordeu, la sensibilité générale com- prenait tout cela : excitations.^ irritations., irritabilité de Glisson et incitabilité de Brown, c'est-à-dire propriété de réagir sous l'influence d'un stimulus. L'innovation de Bordeu est d'avoir généralisé la sensibilité au point (comme le lui reprochait Cuvier) de donner ce nom à « toute coopération nerveuse, accom- » pagnée de mouvement, lorsque l'animal n'en avait » aucune perception. » Outre la sensibilité générale dont le fond est le même pour toutes les parties, Bordeu imagine encore une sen- sibilité propî^e pour chacune d'elles : « chaque glande, » chaque nerf a son goût particulier ; chaque partie orga- CONSENSUS VITAL. 443 » nisée du corps vivant a sa manière d'être, d'agir, de sen- » tir et de se mouvoir; chacune a son ^ozl;^, sa structure, » sa forme intérieure et extérieure, son poids, sa )) manière de croître, de s'étendre et de se retourner » toute particulière; chacune concourt à sa manière et » pour son contingent à l'ensemble de toutes les fonc- » lions et à la vie générale ; chacune enfin a sa vie et » ses fonctions distinctes de toutes les autres. » Bordeu vajusqu'à dire que : « chaque organe est un "» animal dans l'animal, animal in animait », excès de doctrine qui renferme un fonds de vérité, mais qui a excité les critiques de Cuvier et plus tard de Flourens. Telle est la façon de voir de Bordeu relativement aux propriétés vitales ou sensibilités particulières. La vie proprement dite est l'harmonie de ces propriétés par- tielles, la somme de ces vies particulières, ou mieux leur consensus. Mais c'est alors, en considération de ce con- cert, que Bordeu fait intervenir « Y esprit recteur qui » domine sur toutes les fonctions et qui s'exerce par )) un flux de mouvement réglé et mesuré qui se fait » successivement dans chaque partie » . C'est par là que Bordeu se rattache au vilahsme. Et cependant, dans d'autres circonstances, au lieu d'invo- quer cette force vitale rectrice, il fait intervenir la sen- sibilité locale pour fournir « la raison du consensus des » organes et le secret de la solidarité qui les lie » . Ce fut Haller qui eut l'honneur de donner une base expérimentale à la théorie des propriétés vitales et de raffermir solidement. Il distingua trois propriétés : 1° La contractilité ^ qui n'est autre chose que la pro- 444 PROPRIÉTÉS VITALES SELON BICHAT. priété physique que nous appelons aujourd'hui élasticité. 2" L'irritabilité, tout aussi mal dénommée. Ce nom désierne la contractilité musculaire des auteurs actuels. 3° La sensibilité. Haller n'édifie pas sur celte base le système général de la vie; il est expérimentateur, physiologiste prudent et non philosophe hardi. Il considère les propriétés vitales qu'il a contribué à faire connaître, comme capables d'expliquer un s^rand nombre de phénomènes vitaux, mais non pas de les expliquer tous. C'est seulement au commencement de ce siècle que la doctrine des propriétés vitales prend tout son dévelop- pement entre les mains de Xavier Bichat. Le génie de Bichat n'est pas d'avoir défini ou rigou- reusement compris les propriétés vitales, car il leur donne des caractères vagues et obscurs; c'est d'avoir compris que la raison des phénomènes vitaux devait être cher- chée, comme la raison des phénomènes physiques, dans les propriétés de la matière au sein de laquelle s'accom- plissent ces phénomènes. (( Le rapport des propriétés comme cause avec les » phénomènes comme effets, dit-il (l), est un axiome » presque fastidieux à répéter aujourd'hui en physique )) et en chimie ; si mon livre établit un axiome analogue )) dans les sciences physiologiques, il aura renq^li son » but. » On croirait peut-être qu'après cela Bichat va se rap- procher des physiciens et des chimistes? Erreur i)ientût (I) Bichat, Anatomk rjénérale. l>iéfac.\ OPPOSITION DES PROPRIÉTÉS VITALES l£T PHYSIQUES. 445 dissipée ! « Comme les sciences physiques et chimiques, 0 dit-il, ont été perfectionnées avant les sciences physio- » logiijues, on a cru éclaircir les unes en y associant les » autres; on les a embrouillées. C'était inévitable, car » appliquer les sciences physiques à la physiologie c'est }) expliquer par les lois des corps inertes les phénomènes » des corps vivants. Or voilà un principe faux. » Ailleurs Bichat développe la même pensée en disant : « Il y a dans la nature deux classes d êtres, deux classes » de propriétés, deux classes de sciences. Les êtres sont )) organiques ou inorganiques, les propriétés sont vitales » ou non vitales, les sciences sont physiques ou physio- D logiques. » D'après cela on voit que Bichat oppose les phéno- mènes des corps inorganiques à ceux des corps organisés. Pour lui, les propriétés vitales sont absolument opposées aux propriétés physiques: celles-ci conservent le corps vivant, tandis que les propriétés physiques tendent à le détruire, ce Les propriétés physiques des corps, dit-il, » sont éternelles. A la création ces propriétés s'empa- y> rèrent de la matière qui en restera constamment )) pénétrée dans l'immense série des siècles. Les pro- » priétés vitales sont au contraire essentiellement tem- » poraires: la matière brute, en passant par les corps )) vivants, s'y pénètre de ces propriétés qui se trouvent » alors unies aux propriétés physiques ; mais ce n'est » pas là une alliance durable, car il est de la nature des 2) propriétés vitales de s'épuiser; le temps les use dans » le même corps. » Cette idée d'opposition et de contraste entre les forces 446 INCERTITUDE DES SCIENCES BIOLOGIQUES. vitales et les forces physico-chimiques domine pour Bichat toute la physiologie et toute la pathologie. Les propriétés vitales se trouvent constamment en lutte avec les propriétés physiques ; le corps vivant, théâtre de cette lutte, en subit les alternatives. La maladie et la santé ne sont autre chose que les péripélies de ce combat : si les propriétés physiques triomphent définitivement, la mort en est la conséquence ; si, au contraire, les propriétés vitales reprennent leur empire, l'être vivant guérit, ci- catrise ses plaies, répare ses mutilations et rentre dans l'harmonie de ses fonctions (i). Bichat soutient encore que les propriétés physico- chimiques étant flxes, constantes, les lois des sciences qui en traitent sont également constantes et invariables : on peut les prévoir, les calculer avec certitude, dit-iL Les propriétés vitales ayant pour caractère essentiel l'in- stabilité, on ne peut rien prévoir, rien calculer dans leurs phénomènes. Bichat aboutit à cette conclusion : « Que des lois absolument différentes président à l'une » et l'autre classe de phénomènes.» Les recherches contemporaines ont amplement fait justice de ces erreurs qui seraient la négation même de la science physiologique, puisqu'elles tendraient à la reléguer dans le domaine du vague et de l'incertitude. Toute science digne de ce nom est celle qui, connaissant les lois précises des phénomènes, les prédit sûrement et les maîtrise quand ils sont à sa portée. (1) La pensée de Bicliat est résumée dans la définition qu'il donne de la vie : La vie est Vensemble des fonctions qui résistent à la mort; en d'autres termes, l'ensemble des propriétés \italcs qui résistent aux propriétés pliy- siques. SENSIBILITÉ ET CONTRACTILITÉ. 447 Bichat admet deux propriétés vitales fondamentales ; la sensibilité et la contractilité. Il en reconnaît deux ordres: la sensibilité organique, propriété inconsciente de réagir, qui est précisément ce que nous appelons aujourd'hui \ irritabilité et qui se manifeste par les con- tractilités insensibles ou sensibles ; la sensibilité animale consciente, à laquelle correspond la contraclililé ani- male. Ces propriétés sont normales ou altérées. Le jeu régulier des fonctions dépend des propriétés vitales à l'état normal, les maladies ne sont que des altérations des propriétés vitales. Les médicaments doivent agir sur les propriétés vitales altérées pour les ramener à leur type naturel (i). Bichat ne s'explique pas d'ailleurs sur la nature même des propriétés vitales ; il les oppose seulement aux pro- priétés physiques et les regarde comme causes de phé- nomènes vitaux, au même titre que les propriétés physiques sont causes des phénomènes physiques. Il est des auteurs qui, profitant du vague des défini- tions données par Bichat, ont soutenu que ses propriétés vitales n'étaient que des propriétés physiques particu- lières des tissus organisés ou vivants (2). Nous reviendrons plus loin sur cette question des propriétés vitales; nous verrons comment il faut les considérer, et si réellement on doit les admettre ou les repousser. On peut dire de la théorie de Bichat, contrairement à ce qui arrive pour tant d'autres, que ses applications (1) Voy. Anatomie générale, t . I, p. xlvii. (2) J.-B. Rousseau, Dissertation sur les propriétés vitales. 1822. 448 INFLUENCE DE BICHÂT. valent mieux que ses principes. Si l'on veut la dégager des erreurs presque inévitables à son époque, sa concep- tion reste une vue de génie sur laquelle s'est fondée la physiologie moderne. Avant lui, les doctrines purement philosophiques, tant animistes que vitalistes, planaient de trop haut et de trop loin sur la réalité pour devenir les initiatrices fécondes du progrès; elles n'étaient capables que d'engourdir la science en jouant le rôle de ces sophismes paresseux qui régnaient jadis dans l'école. Bichat, au contraire, en décentralisant la vie, en l'in- carnant dans les parties, et en rattachant ses manifesta- tions aux propriétés des tissus, a encore, il est vrai, placé les phénomènes sous la dépendance d'un principe métaphysique, mais ce principe, moins élevé, moins étranger au corps qu'il anime, devenait plus accessible à l'esprit de recherche et de progrès. Bichat, en un mot, s'est trompé, comme les vitalistes ses prédéces- seurs, sur la théorie de la vie, mais il ne s'est pas trompé sur la méthode physiologique. C'est sa gloire de l'avoir fondée en plaçant dans les propriétés des tissus et des organes les causes immédiates des phénomènes. Dans notre siècle s'est produit, après Bichat, un sys- tème qui a des rapports très-étroits avec les idées de Descartes et l'iatromécanisme. C'est le système de Vorga- nicisme défendu par Rostan et son école. Pour Rostan, il n'y a point de principe supérieur diri- geant actuellement la matière organisée : les forces vitales sont des entités vaincs qu'il repousse. (' Le Créateur, dit-il, ne communique pas une force ORGANICISMK. 449 quil ajoute à l'êlre organisé, ayant mis dans cet être avec l'organisation la disposition moléculaire apte à se développer. » C'est l'horloger qui a construit l'horloge, et, en la montant, lui a donné le pouvoir de parcourir les phasessuccessives, de marquerlesheures, les minutes, les secondes, les époques de la lune, les moisde l'année, tout cela pendant un temps plus ou moins long; mais ce pouvoir n'est autre que celui qui résulte de sa structure, ce n'est pas une propriété à part, une qualité surajou- tée, c'est la machine montée. La vie, c'est la machine montée; les propriétés déri- vent de la structure des organes. Tel est l'organicisme. Mais la structure est quelque chose de vague et de non précisé. Qu'est-ce à dire que la structure est la cause des phénomènes? La propriété de structure n'est pas une propriété physico-chimique qui puisse être cause de quelque phénomène. Il faut aller plus loin. Rostan a-t-il voulu dire que c'est l'arrangement des parties avec leurs conséquences mécaniques qui fait la fonction? Alors il est iatromécanicien. D'autre part, il invoque comme raison des maladies une altération d'organe (ce qui était un grand progrès) et plus souvent encore une altération de hquide, en quoi il est humoriste ou iatro- chimiste. Il est donc permis de considérer l'organi- cisme comme le dernier reflet des idées de Descartes, de Leibniz, de Boerhaave et de Wilhs. J. Brown (1735-1788), esprit absolument systéma- tique, a créé un système médical qui est, pour ainsi dire, le contre-pied de celui que Broussais rendit célèbre plus CL. BERNARD. — Pliéaomènes. il. — 29 450 CONCEPTIONS ACTUELLES. tard. Une seule idée juste surnage dans le chaos de ses doctrines : il affirme que l'état physiologique et l'état pathologique ne sont point essentiellement différents, que la pathologie est un cas particulier de la physiolo- gie. La comparaison du tétanos à la contraction muscu- laire lui en fournit une preuve. Nous avons poursuivi jusqu'à présent le développe- ment des conceptions physiologiques de la vie pendant l'antiquité, le moyen âge et jusqu'aux temps modernes. Nous avons vu que de toutes les œuvres enfantées par l'esprit systématique, la critique n'a rien laissé debout. Sur ces ruines, l'esprit expérimental élève un monu- ment dont les assises sont solidement fondées et dont le plan général peut être déjà aperçu. Il s'agit de le faire connaître maintenant. L'œuvre de la critique historique étant terminée, l'œuvre d'é,difîcation commence. levais donc essayer d'exposer maintenant l'ensemble des idées et des conceptions qui doivent, à mon avis, dominer aujourd'hui la science de la vie. Ces conceptions remontent à la fin du siècle dernier, et ont leur point de départ à la fois dans les travaux physico-chimiques de Lavoisier et Laplace, et dans les travaux anatomiquesde Bichat. Les premières tentatives de ces grands hommes ont été développées et étendues par les efforts de la physiologie expérimentale contem- poraine. Près de notre époque môme, les tentatives de l'esprit de système ne s'étaient pas encore complètement éteintes. On l'a vu, au commencement de ce siècle, NÉCESSITÉ DES VUES GÉNÉRALES. 451 jeter, avec l'école allemande des philosophes de la nature, avec Hegel et Schelling, une dernière lueur. Depuis lors, par une sorte de réaction naturelle, l'esprit philo- sophique a été banni avec trop de rigueur. La pléiade des expérimentateurs et des observateurs s'est infini- ment étendue. Mais à cause de cela même, il est néces- saire qu'une vue générale et philosophique vienne aujourd'hui rassembler les innombrables matériaux qui ont été réunis et dévoiler les linéaments de l'édifice qu'ils servent à élever. Il faut saisir le dessin et le plan de ce qui s'exécute pour ainsi dire aveuglément par les efforts de cette armée de travailleurs devenue si nombreuse. Les systèmes sont bien morts, et aucun efl'ort ne pour- rait les ressusciter; mais ce qui manque peut-être, c'est une vue générale de la direction de la science. Ayant assisté depuis plus de trente ans à cette évolution, je €rois utile de dire à quelles conceptions la méditation continuelle des problèmes physiologiques et la connais- sance des faits m'ont conduit. La physiologie moderne a deux racines, l'une dans l'anatomie, l'autre dans les sciences physico-chimiques. Ces deux racines portent leur sève dans un tronc unique. C'est à tort qu'on les a séparées. Si les manifestations de l'être vivant obéissent aux lois de la physique et de la chimie générale, leurs procédés d'action sont cependant essentiellement spéciaux à l'organisme et dérivent de l'arrangement anatomique. Jetons d'abord un coup d'œil rapide sur la constitution anatomique des tissus des corps vivants. Nous examinerons ensuite les phéno- mènes physico-chimiques spéciaux à l'organisme, et de 45^ ANATOMiE GÉNÉRALE. ces deux ordres de considérations nous déduirons la nature propre des phénomènes physiolos^iques. L'explication des phénomènes vitaux doit être cher- chée dans la cellule. Les opinions modernes sur les phé- nomènes vitaux sont fondées sur l'histologie; elles ont en réalité leur source dans les idées de Bichat. Nous avons vu qu'au commencement de ce siècle Xavier Bichat avait donné une impulsion puissante à la science phy- .siologique, en plaçant la cause des phénomènes vitaux dans les tissus qui composent le corps. (]ette tentative de décentralisation de la vie était le premier pas dans une voie féconde, et qui aboutit à notre conception contemporaine, à la physiologie des éléments anato- miques Bichat avait fondé l'anatomie générale en face de l'auatomie descriptive. Il avait rangé toutes les parties du corps dans un certain nombre de classes qui consti- tuaient les systèmes anatomiques ou les tissus. Et au lieu de faire connaître l'organisme en décrivant ses par- ties dans l'ordre topographique de capite ad cale em, il institua une méthode systématique infiniment plus phi- losophique, en réunissant ensemble les organes simi- laires où qu'ils fussent placés, et en les étudiant ensemble sous le nom de système osseux, glandulaire, nerveux, séreux, etc. A la vérité, Galien, dans l'antiquité, avait essayé d'analyser l'organisme en parties similaires. Morgagni, beaucoup plus tard, puis Fallope (15t>rJ- 156^2) et Pinel enfin, le prédécesseur immédiat de Bichat, avaient ouvert la voie à celui-ci en groupant (d'après des con- ANATOMIE GÉNÉRALE. 453 sidérations pathologiques ou anal'omiques) les parties analogues. Mais c'est Bichat qui eut l'honneur impéris- sable d'entrer magistralement dans cette voie si timide- ment ouverte (1). L'inspiration de génie de Bichat fut de saisir dans toute son étendue la portée de l'analyse analomique. Toutefois il ne fit pas usage du microscope : ce n'est pas l'instrument qui lui suggéra l'idée, c'est l'idée qui sug- géra plus tard les instruments nécessaires à sa réalisa- tion ; il employa surtout les dissociations, macérations, et les divers procédés chimiques qui permettaient une dissection minutieuse. D'ailleurs, le microscope sim- ple était incommode et insuffisant, et le microscope composé, f instrument actuel, ne devait apparaître que de 1807 à 1811, grâce à van Deyl et à Frauen- hofer. Les ressources imparfaites dont disposait Bichat lui permirent pourtant de constituer la connaissance de? tissus vivants. « Tous les animaux, dit-il, sont un assem- » blage de divers organes qui, exécutant chacun une » fonction, concourent chacun à sa manière à la con- » servation du tout. Ce sont autant de machines parti- )) culières dans la machine générale qui constitue » l'individu. Or, ces machines particuhères sont elles- )) mêmes formées par plusieurs tissus de nature très- )) différente, et qui forment véritablement les éléments y> de ces organes. » Bichat dislingue vingt et une espèces de tissus, qui (1) Voy. vol. I, p. 181. 454 ÉLÉMENTS ANÂTOMIQUES. se retrouvent avec leurs mêmes caractères dans les diverses parties d'un même animal ou dans les mêmes parties des divers animaux. De là le nom ^anatomie générale donné à leur étude. A chacun de ces tissus (1) il attribue des propriétés spéciales qui sont les causes physiologiques des phéno- mènes que présentent ces tissus. Autant de propriétés que de tissus, autant de tissus que de propriétés. La physiologie ne devait plus être dans l'esprit de Bichat que l'étude de ces propriétés vitales, comme la phy- sique est l'étude des propriétés physiques de la matière brute. Dans cette doctrine, la propriété vitale étant le résultat de la vie, on n'en cherchait pas l'exphcation. Le problème physiologique s'arrêtait à la localisation de la propriété, mais non à son explication par des inter- prétations physico-chimiques, ce qui est, au contraire, le but que se propose la physiologie actuelle. Telle fut la première phase de l'évolution féconde qui a conduit la physiologie dans la voie du progrès. Mais ce n'était là que le premier pas. La seconde phase fut rendue possible par l'invention du microscope composé, qui permit de pousser l'analyse, non plus seu- lement jusqu'aux tissus qui constituent les organes, mais jusqu'aux éléments figurés qui constituent ces tis- sus eux-mêmes. Les phénomènes vitaux transportés déjà dans les tissus ont dû être reportés dans les éléments. L'explication physiologique se déplaçait : la vie se décen- tralisait au delà du terme fixé par Bichat. Les propriétés Ij Voy. vul. I, 1). 18-2. THÉORIE CELLULAIRE. 455 vitales, au lieu d'être des propriétés de tissus, devinrent des propriétés de cellules. C'est dans notre siècle et presque de notre temps que ce mouvement s'est accompli. En 1819, Mayer s'occupe de classer les éléments des tissus: il emploie le premier le nom d'histologie (nom mal approprié d'ailleurs) qui a servi à désigner la science nouvelle. On se préoccupe en ce moment de connaître les éléments, de pénétrer leur origine, de retrouver leur provenance, c'est-à-dire de ûxerV histogenèse. Mirbel, en étudiant les végétaux, annonce qu'ils proviennent tous d'un tissu identique, le tissu cellulaire ; qu'ils ont pour élément la cellule. En même temps, il attribue à cette partie élémentaire une propriété vitale qui la caractérise. Brown découvre le noyau de la cellule, partie caractéristique, et dont nous verrons plus tard l'importance. Schiiltze assimile les glo- bules du sang à des cellules. Wagner montre que l'œuf lui-même est une cellule. Schwann et Schleiden appa- raissent alors et coordonnent en un système les résultats acquis. Th. Schwann (1839) fit voir que tous les élé- ments de l'organisme, quel qu'en soit l'état actuel, ont eu pour point de départ une cellule. Schleiden fournit la même démonstration pour le règne végétal. Par là l'origine de tous les êtres vivants se trouvait ramenée à un organite simple, la cellule. Cette conception a été généralisée sous le nom de théorie cellulaire. Quant à l'origine de cette cellule, par laquelle débute tout élément anatomique, on l'a interprétée de deux manières opposées. Schwann, fondateur de la théorie, admettait que les cellules peuvent se former indépen- 456 ORIGINE DE LA CELLULE. damaient des cellules déjà existantes, par génération spontanée, ou mieux par une sorte de cristallisation dans un milieu approprié, le blastème, a 11 se trouve, D dit-il, soit dans les cellules déjà existantes, soit entre » les cellules, une substance sans texture déterminée, » contenu cellulaire ou substance intercellulaire. Celte )) masse ou cystoblastème possède, grâce à sa composi- ^ tion chimique et à son degré de vitalité, le pouvoir de » donner naissance à de nouvelles cellules. » Cette théorie subsista sans contradiction jusqu'en 1852, oiî Reniak montra que, dans le développement de l'embryon, les cellules nouvelles qui apparaissent proviennent toujours d'une cellule antérieure. En cela l'analogie est complète avec les tissus végétaux, où les éléments nouveaux ont toujours des antécédents de même forme. Virchow (1) compléta la généralisation en examinant les proliférations cellulaires dans les cas pathologiques. En opposition avec la théorie du blas- tème ou de la génération équivoque des cellules, se produisit la théorie cellulaire. Elle peut se formuler dans l'adage : Onmis cellula e cellula. L'être vivant était donc considéré, depuis le com- mencement de ce siècle, comme un assemblage ou un arrangement de tissus, c'est-à-dire de parties individua- lisées. Cette notion anatomique ne devait pas rester stérile ; elle entraînait en effet une conclusion physiolo- gique d'extrême conséquence. Nous devons la faire res- sortir, car Bichat lui-même ne Ta pas mise en évidence, (1) Virchow, La pathologie cellulaire, i^ édition, par I. Straus. Paris, 187t. TRÉPIED VITAL. 457 bien qu'elle soit Vonivre vive de sa doctrine, la raison de sa puissance et de sa fécondité ultérieures. L'orga- nisme étant un certain arrangement des tissus, on doit conclure qu il n g a dans le tout rien, ni puissance, ni propriété, ni principe, qui ne soit dans quelque partie. L'arrangement des parties peut sans doute introduire des modalités phénoménales spéciales; mais l'ensenible des tissus ne dispose pas d'autres ressources que celles qui émanent de chacun d'eux. La vie totale ne peut être que la somme des manifestations partielles, grou- pées, enchaînées, déroulées dans un ordre et dans un degré variables. Les manifestations vitales complexes sont faites des manifestations des tissus, comme une harmonie est faite de sons simples. La doctrine de la décentralisation de la vie était là en principe. A la vérité, en imaginant le trépied vital, Bichat a méconnu ce principe qui découlait logique- ment de ses idées. Mais le temps a développé le germe de vérité et dissipé l'erreur. Continuant l'œuvre de Bichat, l'analyse microscopique a tiré du tissu une unité d'ordre plus simple, \ élément anatomique . Le tissu est chose complexe : il est fait d'éléments anatomiques divers. C'est jusqu'à ce dernier terme qu'il faut des- cendre aujourd'hui. La complication du problème n'en est pas augmentée, bien au contraire. L'histologie a en effet montré que chaque tissu provient d'un élément primordial unique, la cellule, et que toutes les cellules descendent elles-mêmes d'une cellule primitivement unique, Vovule. Tout le corps vivant, animal ou plante, ainsi que nous l'avons déjà dit, doit être conçu coumie /l58 VIE CELLULAIRE. provenant de cet organite élémentaire appelé la cellule. Dans son état actuel, il doit encore être considéré comme formé de cellules modifiées de différentes manières. J'ai montré , d'autre part, que toutes les actions physiologiques morbides ou toxiques se localisent sur les cellules ou sur les éléments anatomiques aux- quels tout vient toujours aboutir. Ce que nous disions tout à l'heure des tissus est donc vrai des cellules. Il n'y a rien de plus dans l'organisme total que ce qu'il y a dans les cellules, ou dans la sub- stance intercellulaire. L'arrangement des cellules en tissus, en organes, en appareils, en systèmes, ne peut créer aucun nouvel élément d'action : le seul résultat de cette union, de ce rapprochement harmonique, est de combiner les actions cellulaires existantes, d'en former un tout synergique et un concert. Le nœud du problème vital est donc dans la cellule, ou, d'une manière plus générale, dans l'élément analomique qui en dérive. Le quid propr'mm de la vie réside là. C'est donc dans l'élé- ment anatomique que nous devrons poursuivre notre problème. Tout ce qui se manifeste d'une manière com- plexe dans le corps vivant a son point de départ dans une manifestation plus simple de l'activité cellulaire. Pour comprendre les fonctions de l'organisme, il faut connaître celles de la cellule. La raison des phénomènes vitaux est dans cette fonction élémentaire : le moyen de les maîtriser, de les modifier, d'agir sur eux, consiste à agir sur l'activité cellulaire, comme le seul moyen de produire ou de modifier une harmonie est d'agir sur chacun des instruments concertants. PHYSIOLOGIE HISTOLOGIQUE. 459 Pour tout dire en un mot, la physiologie générale est f étude des propriétés des éléments anatomiques^ de leurs manifestations isolées et des manifestations complexes qui naissent de leur arrangement en organismes plus ou moins élevés. C'est pour exprimer cette pensée que j'ai appelé la physioloQ^ie actuelle qui se développe sous nos yeux la physiologie histologique . LEÇON XXVI ■loctrinc îles propriétés vitales. Pliénoinènes vitaux l'Icnieiitairos et leurs conflit ions physico-chimiques (1). SOMJIAIRE. — Distinction des propriétés et des phénomènes complexes. Pro- priétés vitales. Irritabilité. Contractilité. Sensibilité. Les propriétés vitales ne sont que des complexus de propriétés physiques. On a successivement attribué à l'organisme entier, puis aux parties de l'organisme, appareils et organes, puis enfin aux tissus, des propriétés immanentes qui sont la raison des manifestations que l'on observe. Ces propriétés vitales oni été considérées à deux points de vue : pour les uns, pour Bichat en particulier, les pro- priétés vitales sont en opposition, en lutte complète avec les propriétés physico-chimiques ; pour les autres, elles sont tout au moins entièrement distinctes des propriétés générales de la matière. La doctrine des propriétés vitales contenait une double erreur : Tune relative au siège attribué aux pro- priétés ; l'autre relative à la nature môme de ces pro- priétés. Il importe d'abord de dissiper ces erreurs fon- damentales : elles ont l'une et l'autre leur point de départ (1) Même observation que pour la leçon précédente, voy. p. 300. FROPRIliTËS. 461 commun dans une confusion établie par les physiolo- gistes anciens entre les manifestations complexes et les manifestations simples des êtres vivants. De là l'erreur sur la localisation et la nature des propriétés dont ils dotaient les êtres vivants. Ils n'ont pas su et ils ne pou- vaient peut-être pas encore distinguer les phénomènes vitaux des propriétés qui en sont le support. Ils ont con- fondu le phénomène vital, groupement complexe, et, par conséquent, réductible, qui a véritablement quel- que chose de spécial, avec la propriété^ dont l'essence serait d'être simple, irréductible, et qui n'a rien de spécial dans la nature vivante que la nature minérale. En un mot, on pourrait dire dans ce sens qu'il n'y a point de propriétés vitales ; il y a seulement des propriétés physiques et des phénomènes vitaux qui sont des com- plexus spéciaux de ces propriétés physiques. Les phénomènes que nous observons d'abord, non- seulement dans les êtres vivants, mais dans la nature inanimée, sont des faits d'ordre complexe. La marche suivie dans toutes les sciences consiste à décomposer ces faits complexes en faits simples qui en sont les condi- tions ou les causes. Et lorsque, en descendant ainsi, on est arrivé à \m fait irréductible, au dernier degré actuel- lement accessible de la simplicité, ce fait est une pro- priété. Si le phénomène est complexe, s'il peut s'expli- quer par un autre, il ne doit pas être confondu avec une propriété ; s'il nous apparaît, au contraire, comme irréductible, que nous ne connaissions pas d'autre phé- nomène qui l'explique, s'il ne s'explique que par lui- même, nous lui donnons le nom de propriété. Par 462 PROPRIÉTÉS. COMPLEXUS. exemple, la combustion est un phénomène; c'est un ensemble complexe de faits : production de chaleur, de lumière, union moléculaire du carbone à l'oxygène. Mais ce dernier fait lui-même est irréductible : l'union du carbone à l'oxygène ne s'explique, actuellement au moins, par rien autre chose, et l'on dit que le carbone a la propriété de s'unir à l'oxygène. On a donné à cette propriété le nom à'affimté du carbone pour l'oxygène. Nous verrons plus tard que cette convention, purement linguistique, n'est pas sans entraîner quelques inconvé- nients. Dans l'exemple même qui nous occupe ici, il y a des personnes qui, oubliant que la propriété 71 est que le nom du fait simple^ l'érigent en un être actif respon- sable du phénomène et le font intervenir dans les expli- cations. C'est ne rien dire que dire que le carbone se combine à l'oxygène parce qiiil a de l'affinité pour ce gaz. La création d'une propriété exprime uniquement que nous sommes acculés à un fait simple, ou considéré comme tel dans l'état actuel de la science : il signifie que nous ne connaissons pas les causes, ou mieux les condi- tions du phénomène auquel on l'applique. Les choses se sont toujours passées de cette manière. La philosophie et l'histoire de la science nous donnent cet enseignement : La propriété est une entité ; c est le nom du fait simple irréductible ; le phénomène est le nom du fait complexe qui a pour conditions dernières les propriétés. Mais le progrès de la science étant continu, il arrive que le fait simple pour une époque est ultérieurement analysé, décomposé; il devient un phénomène, et la pro- ERREUR DE LOCALISATION. 463 priété est reportée plus loin. C'est précisément ce qui arrive dans le cas présent. Les propriétés vitales établies par les fondateurs de la doctrine, la sensibilité, l'irrita- bilité, la tonicité, etc., sont pour nous àes phé?îo?nèries complexes. Ce n'est plus la manifestation de \organe vivant qui est un fait simple; ce n'est plus même la manifestation du t'mu : c'est la manifestation de l'orga- nisme élémentaire, delà cellule. En continuant à envi- sager la propriété dans des corn plexus physiologiques des organes ou des tissus, dans la sensibilité, dans la moti- lité, dans la faculté de génération, les partisans de la doctrine des propriétés vitales ne localisent pas la pro- priété où elle doit être. C'est donc là une erreur de loca- lisation. La doctrine des propriétés vitales contient une seconde erreur, ei'reur sur la nature de ces propriétés. Dans l'état actuel de la science, beaucoup de physiologistes pensent qu'il ne se manifeste nulle part ni jamais autre chose que des propriétés physico-chimiques, et que les phénomènes vitaux ou propriétés vitales sont des arran- gements complexes de feits simples, ou propriétésphysico- chimiques. Avec ces idées, nous ne comprenons plus l'opposition que les vitalistes ont voulu établir entre les propriétés vitales et les propriétés physico-chimiques. L'évolution naturelle de l'esprit humain et de la science a dû changer ce point de vue. Or, la doctrine des pro- priétés vitales a appliqué mal à propos le nom de pro- priété à un phénomène complexe (sensibilité, contracti- lité, etc.); de plus, elle a personnifié ce nom ; elle en fait une entité, un être nouveau et comme l'ouvrier des 464 DIVERSES CLASSIFICATIONS. phénomènes vitaux; enfin elle a fait de cet être fictif, imaginaire, Vennemi, l'adversaire des êtres non moins imaginaires et fictifs qui sont les ouvriers des phéno- mènes physiques. Cette invasion des êtres métaphy- siques dans le domaine de la science a eu de tous les temps les plus mauvais effets: les eflbrts, se tournant vers la poursuite de ces fantômes, s'éloignaient du ter- rain exjiérimental et solide et guerroyaient dans l'inanité du vide. Après cette critique générale de la doctrine des propriétés vitales, nous devons en faire une étude par- ticulière. Depuis le moment où Glisson (1634-1677) professait à l'université de Cambridge et introduisait dans les explications physiologiques la première propriété vitale, VirritahiUté, le nombre de ces propriétés s'est tantôt étendu, tantôt restreint. Haller admit deux propriétés vitales, la semibiUté et V irritabilité. Bordeu en distin- guait une multitude {sensibilités propres des organes), dominées par une propriétécommune à toutes, \?isensibi- lité générale, ^lohdii reconnaissait vingt et un tissus doués de propriétés vitales se ramenant toutes cependant à deux modalités différentes, la sensibilité, la contractilité. M. Ch . Robin (i ) admet cinq propriétés d'ordre organique, biologique ou vital: la motilité, Vépolutilité, Va natalité, la contractilité , la neurilité. Broussais n'acceptait qu'une seule propriété essentielle de la substance orga- nisée, y irritabilité, entraînant comme conséquence la (l) Ch. 'Rob'm, Dictionnaire de médecine, 14'= édition. Paris, 1878, art. Organique {Caractères d'ordre), p. 1181. IRRITABILITÉ. 465 sensibilité, la contractilité et toutes les autres facultés secondaires. Virchow professe la même opinion : les phénomènes vitaux ont pour condition intime Xirntahi- lité, terme générique qui comprend Y irritabilité nutri- tive, Y irritabilité formative, et Virritabilité fonctionnelle. Toutes ces propriétés vitales n'appartiendraient qu'aux êtres vivants et les distingueraient des corps bruts. On a dit encore que les êtres vivants jouissaient seuls de la faculté ou de la propriété de reproduction, par laquelle ils engendrent des êtres semblables à eux- mêmes; delà propriété ou de la faculté de rédintégration, par laquelle ils cicatrisent leurs plaies, réparent leurs pertes de substance et tendent à se reconstituer ; que seuls ils avaient des âges, une durée limitée en soi, une mort, en un mot une évolution. Y^nYm, on a pu dire qu'ils étaient caractérisés par la nutrition. Voilà autant d'as- sertions que nous devrons examiner, afin de les expli- quer et de voir si elles caractérisent bien, d'une ma- nière absolue, les êtres vivants. Irritabilité. — \J irritabilité a été définie « l'aptitude que possèdent les corps vivants à réagir d'une certaine manière sous l'influence des excitants extérieurs » . On oppose celte propriété des corps vivants à Tinertie des corps bruts, qui ne répondraient par aucune manifes- tation à l'action des stimulants extérieurs : seul l'être vi- vant réagirait. «L'irritabilité, comme le dit Virchovv^, la » propriété des corps vivants qui les rend susceptibles )) de passer à l'état d'activité sous l'infiuence des irri- » tants, c'est-à-dire des agents extérieurs. » On pour- rait et l'on peut encore considérer cette faculté de réagir CL. BERNARD. — Phénemènes. a. — 30 466 LOI d'inertie des corps vivants. comme une sorte de sensibilité propre de chaque parti- cule Yivante. Lorsqu'on examine attentivement cette propriété vitale, on voit qu'elle exprime moins un fait qu'une idée. Elle traduit au fond cette idée que la matière vivante, comme la matière minérale, est inerte par elle-même. C'est la proclamation du principe de linertie appliqué à la substance organisée. En effet, dire que la matière organisée est irritable, qu'elle est suscep- tible d'entrer en activité sous l'influence extérieure, c'est dire qu'elle ne possède pas en elle-même de spontanéité ou du moins le pouvoir de manifester cette spontanéité. Les corps bruts sont dans le même cas : ils ne peuvent modifier d'eux-mêmes leur état; ils ne manifestent pas de phénomènes, à moins qu'il n'y ait quelque sollicita- tion extérieure. Le mot irritabilité n'exprime pas autre chose que cela : faculté d'agir suivant sa nature sous une provocation étrangère. Cette propriété de l'irritabilité serait donc tellement générale qu'elle appartiendrait alors aux corps bruts comme aux corps vivants. On l'emploierait par un véri- table abus de mots : ce serait la propriété d'avoir des propriétés. Quand on agit sur un muscle ou sur un nerf, et qu'on provoque l'activité phénoménale qui leur est propre, on n'a pas agi sur \ irritabilité de ces parties, mais ou apporte la condition physico-chimique nécessaire à l'ap- parition des phénomènes sensibilité ou contractilité. De même, quand l'expérimentateur refroidit un corps liquide pour le faire cristalliser, on n'ira pas dire qu'il a agi sur une propriété de cristallisation ; il n'a fait que LA SENSIBILITÉ EST U.V COMPLEXUS. 467 déterminer la condition physico-chimique dans laquelle elle a lieu. Quand on écrase du chlorure d'azote et qu'il s'ensuit une explosion qui devient à la fois une source puissante de chaleur et de mouvement, on n'agit pas sur une propriété explosive, mais on apporte la condition physico-chimique qui détermine l'explosion. Quant à la sensibilité, on ne saurait en faire une pro- priété simple. C'est, au contraire, un phénomène vital des plus complexes. Mais ce phénomène, essentiellement vital entre tous, ne saurait être opposé, comme nous le verrons bientôt, aux propriétés physico- chimiques qu'il suppose au contraire et qui lui sont nécessaires. Nous en dirons autant de la contractiliié ; c'est encore là un phénomène lié d'une manière étroite à des condi- tions d'ordre purement physique ou chimique. Par ses expériences sur l'irritabilité, Haller posait les premiers fondements de l'anatomie et de la physiologie générale des tissus. Ainsi, tandis que l'irritabilité de Ghsson était un fan- tôme décevant, l'irritabihté hallérienne était uneréahté. Elle exprimait le phénomène élémentaire du muscle actif; mais alors le nom d'irritabilité ne convient plus , on dit aujourd'hui contractilité. La contraction est le phénomène élémentaire que pré- sentent certains éléments anatomiques qui changent leur forme en se raccourcissant dans un sens tandis qu'ils s'étendent dans l'autre. La contraction se manifeste dans un petit nombre seulement d'éléments anatomiques, surtout dans la 468 LA CONTRACTILITÉ EST UN COMPLEXUS. fibre musculaire striée et clans la fibre-cellule lisse. On peut en rapprochfir les déformations dont sont suscep- tibles les leucocytes, déformations qui ont été aperçues normalement dans les vaisseaux par M. Davaine, en 1850. On a fait jouer à ces déformations des leucocytes un rôle considérable dans la théorie de l'inflammation. On a encore considéré comme éléments contractiles, c'est- à-dire présentant la contraction, la plupart des masses protoplasmiques animales ou végétales. Le protoplasme des rhizopodes (amibes, actinophrys), celui des myxo- mycètes (champignon de la Tannée) , tous les mouve- ments amiboïdes, rentrent dans cette catégorie. On peut aller plus loin et dire que la contraction est le phénomène élémentaire des moutements les plus com- plexes ou les plus simples. Le nom de contractilité a été donné à ce mode d'ac- tivité de l'élément musculaire ou sarcodiquequi change sa forme sous certaines influences extérieures. La con- tractilité, en réalité, est \m phénomène, non une propriété irréductible. Sans doute il n'est pasactueflement possible de trouver dans la substance contractile la raison de la contraction et l'explication du mécanisme par lequel elle se produit. La dénomination Aq propriété vitale serait, à cause décela, provisoirement acceptable pour ce phé- nomène qui n'est pas actuellement réduit à ses condi- tions physico-chimiques. Il n'y a même aucun aulrecas où ce nom soit mieux appliqué. Et cependant il est aisé d'entrevoir que cette prétendue propriété vitale n'est qu'une entité physiologique. Le muscle, la substance contractile, se trouvent immédiatement sous la dépen- INFLUENCES QUI RÉGISSENT LA CO.NTRACTILIÏÉ . 469 dance des conditions physico-chimiques: tout ce qui modifie ou altère la substance altère ou modifie dans le même sens le phénomène de la contraclilité. Que la température, que l'état de la substance change el aussi- tôt le phénomène de contraction en subira le contre- coup. La liaison entre ce phénomène et les conditions physico-chimiques est tellement eV/wV*?, que roiidoit con- sidérer ce phénomène non comme une manifestation indé- pendante^ mais au contraire comme r expression d'un certain état physico-chimique de la matière contractile. Les expériences physiologiques faites sur les fibres musculaires montrent que si la température s'élève, la contractilité disparaît. Les oiseaux, par exemple, ont une température moyenne de 44 degrés; à ce degré, les contractions musculaires sont éminemment faciles à provoquer par les influences physiologiques ou artifi- cielles, par les excitations des nerfs musculaires, par les irritations traumatiques, électriques, chimiques. Que la température s'élève de 4 à 5 degrés et aussitôt l'état de choses est changé. A 48-50 degrés, le muscle perd la faculté de se contracter : la matière semi-fluide qui le compose s'est transformée et a subi un commencement de coagulation. Le froid produit un effet analogue. Lorsque l'abais- sement de température est assez considérable et se produit graduellement, on voit graduellement aussi s'atténuer le phénomène de contractilité. Chez les ani- maux hibernants les muscles s'engourdissent comme toutes les autres parties ; ils réagissent de moins en moins énergiquement, jusqu'au point de ne plus répon- 470 CONTRACTION, PHÉNOMÈNE PHYSIQUE. dre d'une façon appréciable aux stimulants habituels. L'échauffement ou le refroidissement ne sont point les seuls procédés par lesquels on puisse influencer l'état matériel de la substance contractile. On atteint le même résultat en troublant la nutrition du muscle. L'expé- rience connue de Preyer en est une preuve décisive. On lie les deux membres postérieurs d'une grenouille, de manière à y empêcher le renouvellement du sang. Au bout de quelque temps l'a-ltération du muscle devient évidente: il devient rigide , la contraclilité y a disparu. C'est là une véritable coagulation, et rien ne dislingue cette rigidité ischémique de la véritable rigidité cada- vérique. La grenouille étant ainsi préparée on défait les ligatures pour laisser revenir le sang, en même temps que l'on introduit sous la peau de l'une des pattes une solution étendue de chlorure de sodium à i ou 2 p. 100, solution qui a pour effet de modifier Tétat physique de la substance musculaire et de la ramener à l'état fluide. On voit bientôt la contractilité reparaître dans le membre ainsi traité, tandis que l'autre patte reste inerte. Entre les muscles des deux membres il n'y a eu qu'une seule condition différente : le chlorure de sodium a modifié d'une manière purement chimique les muscles qui ont récupéré leur contractilité. Cette liaison si étroite entre la contractilité et les conditions physico-chimiques de la substance contractile nous semble devoir entraîner cette conclusion : La contraction est un phénomène physique qui ne peut se manifester que dans la substance organisée du muscle ou du sarcode, Nous voulons dire par là que le phéno- SENSIBILITÉ, 471 mène n'a rien d'extra-physique ou de vital : il suffirait, pour qu'il pût se produire, de réunir dans une substance les conditions physico-chimiques de la substance con- tractile elle-même. Les considérations qui précèdent nous préparent à mieux comprendre le phénomène de la sensibilité, con- sidérée longtemps comme la propriété vitale ou mieux comme la propriété animale par excellence. Pour nous, la sensibilité est également un phénomène vital, non une propriété vitale. On la rencontre chez les animaux à des degrés différents; les plantes, d'après Bichat, présentent des phénomènes qu'on pourrait rap- porter à des modahtés particuhères de la sensibilité. Les manifestations de la sensibilité sont, en réalité, des complexus phénoménaux auxquels concourent des éléments secondaires nombreux. De là des aspects mul- tiples dont les uns et les autres ont plus ou moins frappé les physiologistes, suivant les circonstances. Les uns y ont vu une forme ùqX irritabilité ancienne; les autres, une expression plus élevée de ce que l'on a appelé le pouvoir excito-réflexe ; d'autres l'ont caractérisée par les phénomènes psychiques qui chez l'homme viennent compliquer le phénomène. Toutes ces façons de voir sont exactes; mais il résulte de leur multiplicité même que le mot de sensibilité n'a plus de signification univoque sur laquelle tout le monde s'entende. Nous avons essayé précédemment (4) de préciser le <1) Voy. vol. I, p. 286. 472 RÉACTION MOTRICE, TROPHIQUE. sens de ce phénomène, ce qu'il est absolument néces- saire de tenter, avant de le considérer comme étant d'une essence particulière qui en ferait une propriété vitale. Nous avons vu que le phénomène psychique qui accompagne la manifestation de la sensibilité n'est qu'un fait accessoire et surajouté; ce qu'il y a de vraiment caractéristique, c'est la réaction organique à une stimu- lation, c'est-à-dire l'ensemble des phénomènes matériels provoqués dans les organes par l'impression d'un agent extérieur. Ces phénomènes matériels sont tantôt des mouvements, tantôt des manifestations trophiques, sé- crétoires ou autres. La plus apparente de ces réactions est la réaction motrice. Lorsque cette réaction motrice fait défaut, nous per- dons toute possibilité d'apprécier le phénomène de sen- sibilité chez les animaux. En dehors de nous, nous n'avons de preuves de sensibilité que dans ces réactions motrices : si nous les voyons se produire chez un ani- mal, nous affirmons que la sensibilité est en jeu; si elles font défaut, nous ne pouvons plus rien affirmer. Ainsi l'élément le plus important de la sensibilité, c'est la réac- tion motrice qui termine le cycle des faits matériels. Mais, nous le répétons, ce n'est pas le seul élé- ment, ïl peut être le seul dans un certain nombre de cas, mais non toujours; il peut faire défaut. C'est ce qui arrive chez l'animal empoisonné parle curare: le pro- cessus sensitif s'arrête alors à l'impression, transmission, perception sans réaction motrice. Aucun phénomène apparent ne la trahirait, si l'on n'avait pas recours à SENSIBILITÉ SIMPLE. 473 des artifices. Néanmoins, dans ce cas même, on n'est pas obligé de caractériser la sensibilité par le phénomène psychique de la sensation : il y a des phénomènes ma- tériels physiologiques, activité matérielle des nerfs, acti- vité des cellules cérébrales, et quoique ces phénomènes ne soient point pratiquement saisissables, il suffit qu'ils existent, comme dans le cas où la réaction motrice leur succède et où des artifices appropriés les révèlent, pour nous permettre dédire que le processus sensitif a encore lieu et qu'il y a réaction. En résumé, ce qu'il y a de particulier dans la sensi- bilité, c'est la réaction à la stimulation des agents physiques, ou la propriété de transmettre, en la modi- fiant, la stimulation produite en un point, de manière à provoquer dans chaque élément organique l'entrée en jeu de son activité propre. C'est en se plaçant à ce point de vue général que les physiologistes, tels que Bordeu, avaient confondu la sensibilité avec l'irritabilité, ou propriété d'un élément d'agir sous une excitation extérieure suivant sa nature. De fait, il y atous les degrés, toutes les transitions entre cette sensibilité simple, ou propriété de réagir, et la sen- sibilité la plus complexe s'accompagnant de phénomènes de conscience et de réactions motrices. Si l'on tient compte de ces transitions, on verra que la sensibilité n'est point l'apanage exclusif de l'animalité, comme l'avaient cru à tort les anciens naturalistes [animalia sentiimt). Beaucoup de végétaux présentent des phénomènes de réactions motrices que l'on doit considérer, à cause de leur rapport étroit avec les sti- 474 SENSIBILITÉ VÉGÉTALE. mulations extérieures, comme des manifestations de la sensibilité. Les exemples de mouvement appropriés à un but fourmillent chez les cryptogames. Les anthéro- zoïdes, les zoospores des algues se meuvent, se déplacent en nag-eant; ils semblent être avertis de la présence des obstacles qu'ils rencontrent et qu'ils évitent. Les phané- rogames présentent des exemples non moins remar- quables de réaction aux excitations que l'on porte sur elles. Telles sont les légumineuses Smithia^ Robinia et surtout la sensitive Mimosa pudica qui rapproche ses folioles et abaisse ses pétioles secondaires sur le pétiole commun lorsque l'on vient à faire agir les excitants connus de la sensibilité animale : secousses, chocs, brûlures, actions caustiques, décharges électriques. La sensibilité animale ou végétale est-elle, comme les partisans des propriétés vitales l'ont soutenu, une propriété vitale qui serait distincte des propriétés phy- sico-chimiques? Nous ne le croyons pas. Les agents qui éteignent pas- sagèrement la sensibilité chez l'homme et chez les animaux, l'éther, le chloroforme, abolissent également les réactions de la sensibilité chez les plantes dont il vient d'être question. La sensitive (pii a été exposée a l'action des vapeurs d'éther n'abaisse plus ses feuilles sous les attouchements. L'éther, le chloroforme agis- sent chimiquement sur les tissus sensibles, protoplasma cellulaire ou cylindraxe, en coagulant leur substance. Quand l'influence a cessé, que l'état fluide a fait retour, la sensibilité reparaît. Le froid, la chaleur, les agents chimiques et traumatiques susceptibles de modifier la SENSIBILITÉ, FORME DE l' IRRITABILITÉ. 475 substance dite sensible, modifient parallèlement la fonc- tion ou le phénomène. Et inversement, la fonction ou les phénomènes ne sont jamais modifiés sans que la substance le soit, de sorte que jamais la propriété vitale de sensibilité n'apparaît isolée. Au fond, elle n'est qu'un complexus de propriétés physiques. D'une façon géné- rale, les appareils organiques ne font que manifester des propriétés physiques qui, parleur complexité, affectent des formes spéciales d'une expression très-élevée et que nous appelons vitales. La circonstance de faire partie d'un organisme ne change rien aux propriétés générales de la matière : elle se traduit par des conditions telle- ment variées ou nombreuses qu'elles ne sont pas réali- sables expérimentalement; quelles n'existent que là, in Mu, en place : et c'est pour cela que le phénomène est spécial à l'être vivant. L'action des anesthésiques justifie les considérations que nous avons exposées précédemment, et d'après lesquelles la sensibilité n'est qu'une forme compliquée de V irritabilité prise dans le sens de l'ancienne physio- logie. Tous les tissus, tous les éléments des tissus possè- dent cette propriété de réagir suivant leur nature aux stimulants étrangers. Plaçons dans une atmosphère élhérisée le cœur d'une grenouille détaché de l'animal et qui continue abattre. Bientôt les battements s'arrê- tent pour reprendre de nouveau lorsque nous faisons cesser Tinfluence de l'éther. La fibre musculaire a subi, dans ce cas, une action tout analogue à celle qu'éprou- vait naguère le tissu nerveux : elle s'est coagulée et est devenue rigide. 471) PHÉNOMÈNE VITAL. Prenons encore un autre tissu, l'épithélium vibratile. qui constitue le revêtement interne de l'œsophage de la grenouille. Les cils qui surmontent les cellules se meu- vent d'une manière incessante: ce mouvement est rendu apparent par le transport de substances légères qui sont charriées contre le sens de la pesanteur. Si l'on soumet la membrane à Tinfluence des vapeurs d'éther, le mou- vement s'arrête bientôt, pour reprendre lorsque l'éther s'est dissipé. L'éther n'agit donc pas exclusivement sur le système nerveux : il atteint chaque élément en son temps, selon le degré de la susceptibilité. Il agit tardivement, mais de la même façon, sur les cellules végétales qui sont situées dans les renflements pétiolaires de la sensitive et qui, frappées d'arrêt, ont suspendu leurs fonctions relatives aux mouvements des feuilles. Les faits précédents légitiment notre manière de voir: la sensibilité est l'expression très-élevée des conditions ou propriétés physico-chimiques delà matière organisée du nerf. C'est un phénomène complexe résultant de propriétés simples ou de conditions d'ordre physique. Cependant, comme ces conditions ne sont réalisées et réunies que dans l'être vivant, il en résulte que le vom- pîextis, le phénomène, peut être appelé vital. Les conditions physico-chimiques de la sensibilité sont réunies dans la substance organisée des nerfs, comme les conditions de la contractilité le sont dans les muscles. Quoi d'étonnant, d'après cela, que la contraction nms- culaire soit indépendante de la manifestation nerveuse? Haller, dans ses immortelles expériences, avait essayé co^XLuslON. 477 de distinguer la sensibilité du nerf de la contractilité du muscle, et moi-même j'ai pu fournir au moyen du curare la démonstration péremptoire de cette juste dis- tinction. Cette distinction, nous le voyons maintenant, était de nécessité. La constitution moléculaire du nerf n'est point celle du muscle, celle du muscle n'est point celle d'une glande, et les activités de ces divers tissus qui traduisent les propriétés physico-chimiques de leur substance organisée doivent naturellement être distinctes et indépendantes. D'après tout ce qui précède, que devons nous con- clure? Il nous paraît que les propriétés vitales ne sont autre chose que des complexus de propriétés physiques. La circonstance de faire partie d'un organisme et d'y occu- per certaine place ne se traduit que par des conditions physico-chimiques tellement nombreuses et variées, qu'elles n'existent que là, in situ, en place; c'est pour cela que le phénomène est spécial à l'être vivant. Ainsi, les appareils organiques ne font que révéler les proprié- tés physiques qui, par leur complexité, affectent des for- mes spéciales (vitales) d'une expression très-élevée. LEÇON XXVII Titalisnie physico - chimique. Sommaire. — g I. Division des phénomènes de la vie en phénomènes fonc- tionnels et en phénomènes nutritifs. g II. Spécialité des agents chimiques des phénomènes fonctionnels de l'or- ganisme. § III. Spécialité des agents chimiques d'organisation chez les êtres vivants. § 1. — Division des phénomènes de la vie en phénomène? fonctionnels et en phénomènes nutritifs. Nous arrivons maintenant à un moment où il paraît nécessaire de nous résumer. Dans la première partie de ce cours, nous avons tracé une esquisse rapide de la mar- che de la science physiologique depuis l'antiquité jusqu'à l'époque contemporaine. Nous avons vu comment les idées des anciens philosophes et des premiers interprètes de la science naissante, successivement modifiées, se sont ensuite évanouies, pour laisser la place à une multitude d'observations et de faits que les investigateurs de tous les temps ont péniblement rassemblés. Mais, ainsi que nous l'avons dit en commençant, la science ne doit pas être un simple répertoire de faits; son but est de connaî- tre les lois générales des phénomènes. Nous allons tenter de fonder sur l'état actuel de nos connaissances quelques DIVISION DES PHÉNOMÈNES. 479 aperçus généraux, et comme une ébauche de ces lois générales plutôt entrevues que fixées. Tous ces phénomènes de la vie se rattachent à deux groupes : ils concourent au fonctionnement de Torga- nisme ou à son entretien. Par son fonctionnement l'or- ganisme s'use et se détruit, par la nutrition il se répare et dure. La destruction fonctionnelle est la loi commune de tous les êtres vivants, depuis le plus simple jusqu'au plus compliqué. Cette loi veut que toute manifestation vitale ait pour condition la destruction, ou, comme l'on disait autrefois, V usure de la substance où elle apparaît. Lors- que chez l'homme et chez l'animal une sécrétion a lieu, la glande s'use, se liquéfie en quelque sorte; lorsqu'un mouvement survient, une partie du muscle se détruit : quand la sensibilité et la volonté se manifestent, les nerfs éprouvent une perte de substance appréciable ; quand la pensée s'exerce, le cerveau se consume. Les produits sécrétoires déversés dans les cavités organiques ou les déchets rejetés des profondeurs de l'économie témoignent de cette usure moléculaire. Ces faits ne sont point nouveaux ; ils ont été soupçonnés et admis avant démonstration rigoureuse. Néanmoins il me semble qu'on n'en a pas donné une interprétation complète et qu'on n'en a pas fait sortir toutes les con- séquences. Il faut, pour apprécier les faits et les com- prendre, établir toutes les conditions de leur existence , en un mot, en fixer le mieux possible le déterminisme. C'est ce que, depuis longtemps déjà, dans mes travaux et dans mon enseignement j'ai essayé de faire. ; 480 FERMENTS. Qu'est-ce que celte destruction, cette usure molécu- laire qui accompagne les phénomènes vitaux? 11 importe de le savoir. C'est une action chimique. On sait depuis longtemps qu'elle consiste dans une sorte d'oxydation do la matière organique; qu'elle est une combustion ou plutôt l'équivalent d'une combustion. Lavoisier et les chi- mistes qui nous ont fait connaître cet important résultat ont commis une erreur relativement au mécanisme par lequel il était obtenu. L'erreur, presque inévitable au temps de Lavoisier, fait encore loi pour beaucoup de nos contemporains : elle consiste à assimiler les oxydations et les processus chimiques qui se font dans l'organisme aux combustions directes ou aux actions chimiques qui se produisent en dehors de l'être vivant, dans nos foyers, dans nos laboratoires. lien est tout autrement. Il n'y a peut-être pas un seul phénomène chimique dans Forga- nisme qui se fasse par les procédés de la chimie de labo- ratoire; en particulier, il n'y a peut-être pas une oxy- dation qui s'accomplisse par fixation directe d'oxygène. J'ai énoncé, depuis longtemps, ce principe si important de chimie physiologique, en particulier dans mon Rap- port de 1867 (1). Beaucoup de publications faites depuis cette époque, soit en France, soit à l'étranger, ont con- clu dans le même sens. Toutes les actions chimiques organiques que l'on connaît le mieux empruntent le secours d'agents spéciaux à l'organisme vivant, agents que nous désignons sous le nom {\q ferments. Le résultat est, sans aucun doute, le même que celui que les chi- (1) Page 187, note 79. AGENTS DE l'oRGANISME. 481 mistes imaginaient ; mais le moyen est tout différent, et le physiologiste attentif surtout aux procédés de la nature vivante a pu accuser le chimiste de lui avoir montré le phénomène tel qu'il aurait pu être, mais non pas tel qu'il était. Lavoisier, en un mot, et ses successeurs ne se sont pas trompés sur la nature des phénomènes; mais ils se sont trompés sur ta nature des agents qui les mani- festent. Nous devrons, plus loin, nous étendre sur les circonstances particulières de ces fermentations, de ces oyxdations, sur leurs agents spéciaux et sur leurs condi- tions physiologiques. Il a régné dans la science une doctrine qui attribuait aux végétaux seuls le pouvoir de faire la synthèse des principes immédiats que les animaux détruisaient en- suite. Celte doctrine absolue ne pouvait pas subsister : les phénomènes de synthèse, comme nous l'avons déjà dit, sont seulement prédominants chez les végétaux, où les manifestations fonctionnelles sont moins énergiques, tandis que les phénomènes de destruction ou de dépense vitale sont prééminents chez les animaux. Mais les deux ordres d'actions se rencontrent dans tous les êtres vivants et dans tous leurs éléments histologiques : ils sont la contre-partie l'un de l'autre; ils se conditionnent et se complètent. Les phénomènes de la rénovation moléculaire présen- tent une grande différence avec les phénomènes de la destruction fonctionnelle. Ceux-ci, comme nous l'avons déjà fait observer, se révèlent immédiatement à nous; les signes en sont évidents, ils éclatent au dehors ; ils se traduisent d'une manière sensible par les manifestations CL. BERNARD. 48*2 SYNTHÈSE ORGANISATRICE. vitales extérieures. Le processus forniatif, au contraire, s'opérant dans le silence de la vie végétative, se dérobe au regard: les phénomènes de synthèse organisatrice restent tout intérieurs et n'ont presque point d'expression qu'eux-mêmes et ne se révèlent que par l'organisation et la réparation de l'édifice vivant; ils rassemblent, d'une manière silencieuse et cachée, les matériaux qui seront dépensés plus tard dans les manifestations bruyantes de la vie. Il est essentiel de bien remarquer cette différence caractéristique entre les deux phases du circulus nutritif, l'organisation restant latente et la désorganisation ayant pour signes sensibles tous les phénomènes de la vie. Nous sommes donc lesjouets d'une apparence trompeuse quand nous appelons phénomène de vie ce qui, au fond, n'est autre chose qu'un phénomène de mort ou de des- truction organique. Il importe de ne pas perdre de vue les deux phases du travail physiologique, l'organisation et la destruction fonctionnelle. Elles se distinguent de toutes les façons: par leur expression phénoménale, par leur nature chi- mique, par leurs conditions, par leurs agents. Nous rappelons, pour résumer, ce que nous avons dé- veloppé dans ces leçons. A la combustion fonctionnelle correspondent toutes les manifestations saisissables de l'activité vivante. La synthèse organique, au contraire, a pour caractère distinctif d'être invisible à l'extérieur. Au silence qui se fait dans un œuf en incubation, on ne pourrait soupçonner l'activité qui s'y déploie : c'est l'être mouveau qui nous dévoilera par ses manifestations vitales les merveilles de ce travail lent et caché. Il en est de DIFFÉRENCE DES CONDITIONS. 483 même de toutes nos fonctions; chacune a pour ainsi dire son incubation organisatrice. Quand un acte vital se produit extérieurement, ses conditions s'étaient dès longtemps rassemblées dans cette élaboration silencieuse et profonde qui prépare les causes de tous les phéno- mènes. C'est une vue qu'il importe de ne pas oublier. Lors- qu'en effet on veut modifier les actions vitales, c'est dans leur évolution cachée qu'il faut les atteindre; lorsque le phénomène éclate, il est trop tard. C'est surtout dans l'organisme vivant que rien n'arrive par un brusque hasard ; les événements les plus soudains en apparence sont lentement préparés et ont leurs causes latentes. Au point de vue de leur nature chimique, les deux phases du travail physiologique sont exactement l'inverse l'une de l'autre : c'est l'analyse et la synthèse. Quant à leurs conditions, elles ne sont pas moins séparées : la combustion fonctionnelle peut s'accomplir yost morlem et en dehors de l'organisme vivant ; les phénomènes de synthèse, au contraire, ne peuvent se manifester que dans le corps vivant et chacun dans un lieu spécial ; aucun artifice n'a pu, jusqu'à présent, suppléer à cette •condition essentielle de l'activité des germes d'être à leur place dans l'édifice vivant. Enfin, et c'est là le dernier trait distinctif, les agents chimiques spéciaux de ces deux ordres de phénomènes sont bien différents. D'une part, ce sont les ferments ; d'autre part, les germes et noyaux de cellules. Le noyau fait ce que le ferment détruit. C'est pour cela qu'au point de vue physiologique nous avons insisté sur la dis- 484 LIAISON DES DEUX ORDRES DE PHÉNOMÈNES. tinclion à établir entre les ferments solubles et les fer- ments figurés. Les ferments figurés sont de véritables organismes cellulaires qui travaillent à la synthèse vitale et qui se régénèrent par action vitale; les ferments so- lubles travaillent au contraire à la destruction fonction- nelle et ne semblent ôtre eux-mômes que des produits de destruction. On ne devra pas oublier que ces deux groupes de phénomènes sont absolument solidaires, et que la vie exige leur exercice simultané et leur mutuel con- cours. La rénovation moléculaire de F organisme est la contre- partie nécessaire de la destruction fonctionnelle des organes. Chez l'animal parvenu à son développement, chez l'animal adulte, les pertes se réparent à mesure qu'elles se produisent, et l'équilibre se rétablissant dès qu'il tend à être rompu, le corps se maintient dans sa composition et dans sa forme. Ces deux opérations de destruction et de rénovation, inverses l'une de l'autre, distinctes dans leur nature, sont absolument connexes et inséparables : elles sont la condition l'une de l'aulre. Les phénomènes de destruction fonctionnelle sont eux- mêmes les instigateurs et les précurseurs de la rénova- tion matérielle qui se dérobe à nos yeux dans l'intimité des tissus, en même temps ([ue les combustions, les fer- mentations se traduisent avec éclat par les manifesta- tions vitales extérieures : le processus formatif s'opère dans le silence de la vie végétative ; le processus de des- truction, au contraire, apparaît dans les manifestations de la vie fonctionnelle. La matière organique s'oxyde, LEUR CONNEXION. 485 s'hydrate, se sépare des tir.sus vivants, les abandonne; mais, simultanément, ceux-ci attirent à eux, fixent et s'incorporent la matière inorganique du milieu ambiant. L'usure et la renaissance des parties constituantes du corps font que l'existence n'est en réalité autre chose qn'une perpétuelle alternative de vie et de mort, de composition et de décomposition, d'organisation et de désorganisation. Les dernières parties de l'organisme, les éléments anatomiques, sont le siège de ce double mouvement à' assimilation et de désassimilation, à'orga- nisation et de désorganisation, qui, considéré dans son ensemble, prend le nom de nutrition. Il serait peut-être préférable de réserver le nom de nutrition au phéno- mène de synthèse organisatrice, et de donner le nom de fonction au phénomène de désassimilation. Nous ne rappelons ces faits de connaissance banale que pour avoir l'occasion de développer à leur sujet quelques vues que nous croyons nouvelles et qui sont relatives aux agents chimiques qui les mettent en œuvre. D'une manière générale, nous distinguerons donc dans le corps vivant deux grands groupes de phéno- mènes inverses : les phénomènes fonctionnels ou de dépense vitale, et les phénomènes plastiques, d'organi- sation ou d'accumulation nutritive. La vie se m^anifeste par ces deux ordres d'actes entièrement opposés dans leur nature : la désassimilation, qui consiste dans une oxydation ou une hydratation d'une nature particulière et qui use lamatière vivante dansles organes en fonction; la synthèse assimilatrice ou organisatrice, qui forme des 486 CLASSIFICATION NATURELLE. réserves ou régénère les tissus dans les organes consi- dérés en repos. Quoique ces phénomènes se produisent simultané- ment dans un enchaînement qu'on ne saurait rompre, leurs caractères analogiques les groupent et les classent dans deux catégories que l'on doit étudier isolément. Il n'y a pas actuellement, en physiologie, de classifica- tion universellement adoptée pour l'exposition des faits connus: le groupement en fonctions commQViGQ à n'être plus jugé convenable par les auteurs récents; et dans tous les cas l'ordre dans lequel on étudie ces fonctions est très-variable. Au point de vue de la physiologie générale, les considérations précédentes fourniraient la base d'une classification naturelle : d'une part, on grou- perait toutes les manifestations phénoménales fonction- nelles qui correspondent à une destruction du matériel de l'organisme ; de l'autre, les phénomènes plastiques qui correspondent à la constitution chimique et mor- phologique de ce même matériel. L'équilibre nécessaire entre ces deux ordres de faits inverses serait assuré par l'influence des phénomènes nerveux qui les régissent et les modèrent. Ce serait là la troisième partie qui com- pléterait le cycle physiologique de la vie. Une telle divi- sion serait d'accord avec les vues des physiciens modernes, et avec l'application qu'Helmholtz a voulu en faire à la physiologie, en considérant trois ordres de phénomènes vitaux, selon qu'ils manifesteraient l'un ou l'autre de ces trois ordres de forces, les /orces de tension^ les forces vives, les forces de dégagement. Tout en res- tant mieux sur le terrain de la physiologie, la division VITALISBIE PHYSIQUE. 487 que nous proposons nous paraît préférable à la classifi- cation précédente, dont le point de vue nous semble trop mécanique. § II. — Spécialité des agents chimiques des phénomènes FONCTIONNELS DE L'ORGANISME. Sans entrer ici dans l'examen détaillé des divers phé- nomènes vitaux qui entraînent la destruction de l'or- ganisme et sa régénération , nous nous proposons spécialement de bien établir que ces deux ordres de manifestations vitales ont une modalité tout à fait spé- ciale et dépendent d'agents chimiques propres à l'orga- nisme vivant. C'est cette doctrine que nous désignons par le nom de vitalisme physique. Il est d'autant plus nécessaire de bien fixer ce pre- mier point, que notre but, ainsi que je l'ai souvent répété, est tout pratique ; voulant arriver à agir sur les phénomènes de la vie, c'est à la modalité spéciale de leurs agents qu'il faut nous adresser, sous peine de viser un but imaginaire. Les phénomènes physico-chimiques des êtres vivants, quoique soumis aux lois de la physique et de la chimie générales, ont leurs conditions particulières qui ne sont réalisées que là, et dont la chimie pure ne peut offrir qu'une image plus ou moins inexacte. 11 suffira, pour mettre ce principe en lumière, de passer en revue les différentes fonctions physiologiques en examinant seule- ment les points les mieux élucidés. Les expUcations des phénomènes physiologiques ont toujours été ou trop 488 DIGESTION. vilalistes ou trop matérialistes; les progrès de la science ont rendu à la métaphysique les agents immatériels ima- ginés par les anciens; par une exagération inverse, les chimistes modernes ont voulu donner, pour ainsi dire, la nature inanimée pour modèle rigoureux à la nature vivante; ils ont assimilé trop complètement les pliéno- mènes chimiques de l'économie à ceux des laboratoires. C'est là une erreur dont nous avons trouvé l'expres- sion et aussi le redressement en parcourant rapidement l'histoire de quelques phénomènes organiques, tels que ceux de la digestion, de la respiration, de la contraction musculaire. Dif/estJon. — La digestion est une fonction dont les actes essentiels sont de nature purement chimique. Les agents de ces phénomènes sont les produits de sécrétion des glandes intestinales, véritables ferments d'un ordre spécial. Leur formation est la suite d'une liquéfaction, d'une destruction de la glande. A cette destruction de l'organe correspond comme manifestation fonctionnelle : 1° l'expulsion du ferment (phénomène physique de l'ex- crétion), et '^° l'action chimique exercée sur les aliments par le ferment excrété qui dépense ainsi son activité. Ici le phénomène fonctionnel est donc surtout un phéno- mène chimique. Dans d'autres cas, nous verrons que le phénomène fonctionnel correspondant à la destruction d'un organe est surtout physique : c'est ce qui arrive pour les nerfs et plus clairement encore pour les muscles qui se contractent, la contraction est le repré- sentant de la destruction moléculaire. Les fonctions de la vie sont ainsi tantôt des phénomènes physiques. FERMIÎNTS. 489 tantôt des phénomènes chimiques diversement arrangés et harmonisés. Pour en revenir à la digestion, nous rappellerons que dans une première phase, qui va de l'antiquité jus- qu'aux premières années de ce siècle, les théories vita- listes avaient attribué à des actions tout à fait spéciales la digestion des aliments ; dans la seconde phase con- temporaine, on a, tout au contraire, assimilé trop aisé- mentlesagentsdigestifs aux agents de lachimie minérale. Au point de vue des modifications qu'ils éprouvent par le fait de la digestion, on peut distinguer les aliments en quatre classes : les matières albuminoïdes, les matières féculentes, sucrées et grasses. Avant de passer dans le sang et de devenir utilisables, les matériaux alimen- taires doivent se digérer, c'est-à-dire subir des transfor- mations physiques et chimiques particulières. Les matières féculentes, par exemple, doivent être trans- formées par hydratation en sucre deglycose; les matières grasses doivent être émulsionnées et saponifiées; les matières albuminoïdes changées en nouveaux principes qu'on appelle peplones; et enfin les sucres ordinaires doivent passer à l'état de sucre de glycose. Il n'y a pas un seul de ces changements produitsparla digestion qui ne puisse être réalisé en dehors de l'orga- nisme par des agents chimiques ; mais ce que nous vou- lons établir, c'est que les agents qui les opèrent dans le tube digestif sont tout à fait différents des agents chi- miques ordinaires: ce sont des agents spéciaux, créés par l'organisme, en un mot ce sont des ferments. Ces ferments contiennent pour ainsi dire à l'étal de tension 490 SUBSTANCES FÉCULENTES. l'énergie accumulée par la destruction des glandes intestinales; de telle sorte qu'avec le tissu même de ces glandes on peut préparer ces mêmes ferments, c'est-à- dire des sucs digestifs artificiels. Remarquons en outre que, à mesure que les cellules glandulaires sécrètent les ferments par altération ou destruction organique, un autre processus réparateur ou de synthèse cellulaire s'opère dans l'organe. Les deux phénomènes de des- truction et de synthèse organique sont liés d'une manière si intime, que lorsque la glande cesse de fonctionner, c'est-à-dire de se détruire, l'acte régénérateur cesse également. C'est ainsi qu'on voit les organes glandu- laires digestifs s'amoindrir, s'atrophier, chez certains animaux engourdis ou plongés dans l'état d'hibernation qui suspend la fonction digestive. Entrons plus profondément dans les phénomènes, et prouvons ce que nous avons avancé, en passant aux exemples particuliers. a. Substances féculentes. — Les substances féculentes jouent un rôle considérable dans l'alimentation. Or, l'amidon ou fécule n'est pas, sous sa forme actuelle, en état d'être utilisé par l'organisme ; il doit être transformé en une substance soluble et susceptible de prendre part aux échanges nutritifs, la glycose. La digestion des matières féculentes consiste précisément dans ce chan- gement de l'amidon en sucre de glycose. La transformation de l'amidon en glycose se fait par hydratation chimique : l'amidon passe par une série de modifications encore mal connues, parmi lesquelles on distingue la dextrbie., substance isomérique soluble qui SPÉCIALITÉ DE LA TRANSFORMATION. 491 est le lien entre i'amidon et le sucre, car en continuant l'action la substance s'hydrate davantage et passe à la glycose. La saccharifîcation de l'amidon est facile à réaliser dans les laboratoires scientifiques ou industriels. L'in- dustrie, qui utilise en grand cette réaction, n'a que le choix entre les procédés. Les acides étendus, l'acide chlorhydrique, l'acide sulfurique, opèrent cette transfor- mation en dextrine et en sucre. L'action prolongée de l'eau bouillante, la vapeur d'eau surchauffée entraînent le même effet. Aucun de ces procédés n'est pourtant mis en usage par l'organisme; aucun, du reste, n'était applicable. Ils sont ou trop lents ou trop énergiques ; ils font inter- venir des agents dont la causticité aurait été incompa- tible avec la délicatesse des tissus. Cependant le rôle saccharificateur des acides étant connu, et sachant, d'autre part, que l'amidon ingéré rencontre dans l'es- tomac un suc acide, il était possible de supposer, et l'on avait supposé que c'était par le suc gastrique que l'ami- don se digérait. Cependant il n'en est rien; le procédé physiologique est tout différent : il est spécial. Il consiste dans l'action d'un ferment soluble, la diastase. Dès l'entrée du tube digestif, ce ferment se rencontre dans la salive mixte, c'est la diastase salivaire. L'action exercée par ce fer- ment est infiniment moins énergique que celle d'un agent analogue existant dans le suc pancréatique. La digestion des féculents incombe à peu près exclusivement à ce dernier liquide : l'effet de la diastase pancréatique est 492 DIFFUSION DU FERMENT GLYCOSIQUE. immédiat, presque instantané, quand l'amidon est préa- lablement hydraté. Ces mêmes ferments glycosiques qui se rencontrent dans la salive, dans le suc pancréatique, se retrouvent dans tous les points de récononiieoù l'amidon animal, le glycogène, doit être utilisé. Ainsi en est-il dans le foie, où la réserve de glycogène, à chaque instant con- vertie en sucre par un ferment diastasique, est versée dans le courant sanguin. C'est sans doute par le môme mécanisme que la matière glycogène qui existe dans le corps de l'embryon ou dans ses annexes est saccharifiée pour servir aux mutations chimiques du développe- ment. Les ferments diastasiques, c'est-à-dire capables de saccharifier l'amidon, se rencontrent aussi dans les végé- taux. Toutes les parties d'un végétal, toutes les cellules ont contenu, à un moment donné de leur existence, de l'amidon destiné à être mis en œuvre à l'état de sucre. Souvent môme l'amidon s'accumule sous forme de réserve dans certains organes de la plante, en vue de son ali- mentation future. Ainsi en est-il dans les graiues, dans les jeunes tiges, dans les tubercules. Lorsque la graine entre en germination , lorsque le bourgeon se dé- veloppe en bois ou en fleur, lorsque la lige s'accroît ou s'élève, la plante digère véritablement son amidon. Cette saccharification se fait encore par le môme agent, le ferment glycosique ou diastase; c'est en 1888 que MM. Payen et Persoz isolèrent ce ferment dans l'orge germée. Ces ferments glycosiques sont-ils identiques malgré la SUBSTANCES SUCRÉES. 493 diversité de leur origine? La séparation et l'analyse de ces substances présentent trop de difficultés pour qu'on ait la démonstration de leur identité , mais elle est infi- niment vraisemblable. En résumé, la saccharification de l'amidon est une opération qui présente la plus grande généralité. Elle est commune à tous les êtres vivants; elle a lieu dans la germination, dans la végétation, dans le développement embryonnaire, dans la digestion alimentaire. D'autre part, elle constitue une opération chimique et industrielle réalisée en dehors des êtres vivants par des procédés de chimie minérale. Mais quoique dans la saccharification de l'amidon en dehors ou au dedans de l'organisme le point de départ soit le môme, l'aboutissant le même encore, on voit combien le procédé de la nature vivante diffère du pro- cédé inorganique. Dans l'un comme dans l'autre cas, cependant, il s'agit d'un phénomène purement chi- mique, d'un processus d'hydratation : les moyens seuls diffèrent, quoique soumis aux mêmes forces générales physico-chimiques. b. Substances sucrées. — Le sucre ordinaire, ou sucre de canne, remplit un rôle important dans la nutrition des plantes; il intervient pour une forte proportion dans le régime alimentaire de l'homme et des animaux fru- givores. Il est parfaitement soluble et miscible au sang; mais il ne possède des qualités alibiles qui lui permet- tront de participer aux échanges nutritifs qu'à la condi- tion de subir une modification dans sa nature intime. Sous sa forme actuelle, il est comme une matière inerte 494 FERMENT INVERSIF. OU indifférente qui circulerait impunément clans le sang sans que les éléments anatomiques puissent jamais le détourner et se l'approprier. J'en ai fourni la preuve en injectant dans les veines une solution de sucre de canne que je retrouvais intacte dans l'excrétion urinaire. La modification que le sucre de canne subit est une transformation qui le fait passer par hydratation à l'état de glycose, ou mieux à l'état de sucre interverti, mélange de deux glycoses lévogyre et dextrogyre. C'est dans l'intestin grêle que se produit cette action, elle est due à un ferment contenu dans le suc intestinal, que j'ai préparé et isolé sous le nom de ferment inversif. Ce ferment existe non-seulement dans l'intestin qui digère, mais dans tous les points et dans toutes les cir- constances où la saccharose doit être utilisée pour la nutrition des plantes ou des animaux. La betterave qui monte en graine transforme le sucre entreposé dans sa racine et le digère véritablement delà même manière quefaitchez lesanimauxle suc intestinal. Ainsi animaux et plantes emploient le même agent au même usage. M. Berthelot a montré que l'infusion de levure contenait le même principe ; elle y remplit le même rôle que dans le tube digestif des animaux. La levure ne peut pas plus utiliser directement le sucre de canne t[ue Thomme lui-même; il faut qu'elle le transforme, qu'elle le digère, et cela se fait de la même manière, par interversion, et par le même agent, le ferment inversif. D'autre part, l'interversion du sucre peut se produire en dehors de Têtre vivant. On sait que la seule action mécanique de la pulvérisation a ce résultat; on l'obtient SUBSTANCES GRASSES. 495 encore biea mieux par l'ébullition avec des liqueurs aci- difiées par l'acide chlorhydrique et par l'acide sulfu- rique, et c'est de cette manière que M. Dubrunfaut a pour la première fois découvert le phénomène de l'in- terversion. Voilà donc deux circonstances appartenant, l'une au règne minéral, l'autre au règne animal et végétal, dans lesquelles le sucre est interverti. On pouvait supposer, à priori, que les procédés seraient les mêmes dans les deux cas, puisque le sucre rencontre dans l'eslomac l'acide qui précisément peut l'intervertir. Il n'en est rien. Le procédé de la nature vivante lui est spécial ; il diffère du procédé du règne minéral. Mais l'identité des résul- tats, malgré la diversité des mécanismes, nous révèle que la nature intime du phénomène est identique ; il ne contient rien qui appartienne à la force vitale ou à quelque autre influence de cet ordre; il est sous la do- mination des forces naturelles physico-chimiques. c. Substances grasses. — Les matières grasses parti- eipent, sous diverses formes, à l'entretien de l'économie animale. Introduites dans le tube digestif, elles doivent, pour être mises en situation de remplir leur rôle, subir deux espèces de modifications, dont l'une est le prélude de l'autre: une modification physique, Vémidsion ; une transformation chimique, la saponification^ ou dédou- blement par hydratation en acides gras et glycérine. Ces transformations s'opèrent, comme je l'ai prouvé, dans le duodénum par l'intervention du suc pancréa- tique. Il y a dans la sécrétion du pancréas un principe actif, le ferment énmlsif^ qui par son contact produit 496 SUBSTANCES ALBLuMINO'lDES sur les graisses l'infinie division mécanique qu'on appelle émulsion, puis les rend très-rapidement acides par sa- ponification. Le même phénomène se produit non-seu- lement dans le tube digestif des animaux, mais dans toutes les circonstances où les graisses entrent dans le mouvement nutritif, en particulier dans les graines oléa- gineuses au moment de la germination. D'autre part, la saponification s'accomplit en dehors de l'être vivant. C'est une opération chimique qui est la base d'une des industries les plus importantes. Mais tandis que dans les laboratoires scientifiques ou indus- triels la saponification est réalisée par l'action des alcalis, des bases, de la vapeur d'eau surchaulïée, le procédé est tout différent chez les êtres vivants : c'est un ferment soluble, le ferment émuhif\ qui remplit la môme fonc- tion. L'action du suc pancréatique et celle des agents chimiques extérieurs sont les mêmes. Dans les deux cas il y a séparation de glycérine et d'acides gras. d. Substances albumindides. — La digestion des sub- stances albuminoïdes est la moins bien connue. Cette ignorance tient surtout à la difficulté de préciser exac- tement la constitution chimique des albuminoïdes qui sont le point de départ, et celle des peptones qui sont le résultat de cette digestion. Quoi qu'il en soit, on sait que la peptisation des substances protéiques s'accomplit en deux temps : d'abord dans l'estomac, sous l'intluence du suc gastrique; ensuite dans l'intestin, sous l'influence du suc pancréatique et peut-être du suc intestinal. Mais^ au point de vue physiologique, on peut dire que la diges- tion stomacale est une opération très-incomplète, préli- FERMENTS ALBUMINOIDES. 497 miimire en quelque sorte de la cliii;eslion pancréatique. Tous les aliments albuminoïdes, qu'ils aient ou non subi un commencement de digestion dans l'estomac, qu'ils n'aient pas été attaqués, ou qu'ayant, au contraire, été dissous ils aient été précipités de nouveau, se présentent en définitive à l'état insoluble devant le suc pancréa- tique chargé de les digérer. Quoi qu'il en soit, les transformations des albuminoïdes sont encore ici accomplies par des ferments spéciaux, la pepsine, découverte par Schwann dans le suc gastrique, en 1836, et le ferment albuminosique du pancréas qui a été l'objet de différents travaux dans ces derniers temps. Parmi les dernières tentatives exécutées en vue de séparer les trois ferments du pancréas, nous citerons celles de M. Paschutin, qui enlèveraient le ferment albu- minosique en traitant la macération du pancréas par riodure de potassium, le ferment glycosique par l'arsé- niate de potasse, et le ferment émulsif par le sesquicar- bonate de soude. Kiihne a séparé le ferment albumi- nosique du pancréas sous le nom de trypsine. Pour en revenir aux substances albuminoïdes, on peut admettre que leur peptisation parles ferments albu- minosiques consiste, comme les autres fermentations digestives, en une hydratation avec dédoublement; on pourrait espérer la réaliser, selon M. Schiitzenberger, en dehors de la vie, par des procédés purement chi- miques. En résumé, arrivé au terme de cette série d'exemples, nous voyons ressortir nettement le principe que nous vouHons mettre en lumière, à savoir, que les phéno- CL. BERNARD. — Phénomènes. ii. — 32 498 FKRMIîNTS SOLUBLliS. mènes dont l'organisme est le théâtre, sont des phéno- mènes chimiques soumis aux mêmes lois que ceux qui se réalisent en dehors de la vie, mais exécutés par des agents spéciaux. Ces agents sont des ferments Holubles : ils président à toutes les oxydations et hydratations de l'organisme. Leur rôle dans les manifestations delà vie est d'une importance capitale : ils constituent ce qu'il y a de particulier dans les procédés de la nature vivante, puisque le fond des phénomènes est le même que dans la nature inorganique. Ce n'est pas trop s'avancer que de dire qu'ils contiennent en définitive le secret de la vie. Ces principes solubles, non organisés, incristallisables, offrent ce caractère remarquable : « la grandeur de l'effet comparée à la masse très-petite de l'agent actif » . Cependant cette puissance n'est pas indéfinie. La nature de ces ferments solubles est aujourd'hui encore entou- rée des plus grandes obscurité.^. Ce ne sont pas des ma- tières albuminoïdes en voie de décomposition, comme on l'a avancé. J'ai démontré que les ferments diasta- siques et inversifs peuvent être séparés des matiè)*es putrescibles, qu'ils résistent même à la putréfaction, et qu'ils offrent beaucoup d'autres caractères qui obligent à les considérer comme des agents chimiques tout à fait spéciaux. Quoi qu'il en soit, ces agents spéciaux, ces ferments sulubles appartiennent à la physiologie et non à la chi- mie : ils différencient les réactions du laboratoire des ri'actions de l'organisme; mais l'identité des résultats obtenus par ces agents différents prouve bien (]ue les FERMENTS FIGURÉS. 499 uns et les autres viennent, en dernière analyse, se con- fondre dans un effet commun, en réalisant par des voies différentes les conditions de mécanique moléculaire qui caractérisent les réactions. A ce dernier degré, il n'y a plus rien de spécial, il n'y a plus de barrière entre la chimie des corps bruts et des corps organisés; tout se confond dans la mécanique atomique. Tous les phéno- mènes sont des mouvements. Mais il n'y a pas nécessité ni possibilité de descendre à ce dernier degré de l'ana- lyse phénoménale, et l'on doit se borner à bien connaître ce qui est encore bien loin de ce terme oia toutes les diffé- rences se fondent, c'est-à-dke à bien connaître les pro- cédés spéciaux de la vie. Les ferments solubles dont nous parlons ici ne doivent pas être assimilés aux ferments figurés, levure de bière, mycoderma aceti, etc., qui opèrent les fermentations alcoolique, acétique, etc., si bien étudiées par M. Pasteur. Au point de vue physiologique, il n'y a nulle analogie. Les fermenls figurés sont des organismes complets : comme tous les organismes, comme tous les éléments anatomiques, ils présentent les deux ordres de phéno- mènes de destruction fonctionnelle et de synthèse orga- nisatrice. Ils se multiplient, se perpétuent, se nourrissent en même temps qu'ils se détruisent. Ce sont des êtres vivants au même titre que tous les autres, y compris les plus élevés. Leurs manifestations fonctionnelles doivent donc également s'accomplir par l'action de ferments solubles. Et de fait, il existe dans la levure un ferment inversif qui change le sucre ordinaire en glycose par un véritable phénomène de digestion tout analogue à celui 500 COMBUSTION RESPIRATOIRE. par lequel ce sucre se digère dans l'intestin des animaux supérieurs. Certains observateurs, parmi lesquels M. Béchamp, ont cru pouvoir attribuer l'activité de ces ferments dits solubles à des granulations moléculaires appelées mycrozymas. Respiration. — Les phénomènes de la respiration nous ont présenté une nouvelle application des principes dont nous poursuivons la démonstration. L'exemple est peut-être encore plus net, car on a longtemps invoqué la respiration comme le type des phénomènes les plus exclusivement chimiques. Lavoisier avait considéré la respiration comme une fixation directe d'oxygène sur le carbone du sang : c'était pour lui une combustion identique à celle qui s'accom- plit dans nos foyers. Le principe de cette explication est vrai : c'est une découverte capitale dans l'histoire de la physiologie que celle qui montre la chaleur animale ayant la même source que celle de nos foyers, une source purement chimique. Mais si ce point fondamental a été bien étabh par Lavoisier et Laplace, les circon- stances qui provoquent le phénomène leur ont échappé. On sait aujourd'hui que la combustion respiratoire s'accomplit, non pas dans le poumon, mais dans tous les tissus, avec une intensité proportionnelle à l'activité de leur fonctionnement. En second lieu (et c'est là le résultat qui doit retenir particulièrement notre atten- tion), la respiration des tissus n'est pas une combustion directe, ce n'est pas une fixation directe d'oxygène sur les matériaux du sang ou de la substance azotée des OZONli DU SANG. 501 tissus. Nous devons admettre, au contraire, que cette combustion fonctionnelle est une oxydation indirecte accomplie par des agents chimiques spéciaux de la nature des ferments. En effet, les matières albuminoïdes examinées en dehors de l'organisme n'ont aucune tendance à s'unira l'oxygène. Leur oxydation opérée dans les laboratoires exige des conditions de température ou d'agents chi- miques dont l'énergie serait incompatible avec la déli- catesse des tissus. C'est une raison pour que ces oxyda- tions, que déjà nous savons n'être pas directes, se fassent par des procédés spéciaux. Mais lors même que les pro- cédés de laboratoire ne présenteraient pas cette causticité destructive, ce ne serait pas la preuve que les procédés de la nature en fussent une copie exacte. Nous avons vu que, même dans les cas de ce genre, le mécanisme vital diffère du mécanisme artificiel. C'était par oubli de ces principes que, ne pouvant expliquer la fixation directe de l'oxygène par les albu- minoïdes, on avait admis que dans le sang Toxygène existait à l'état d'ozone. On s'appuyait pour cela sur une expérience de Schœnbein. Ce chimiste ayant reconnu que l'ozone bleuissait le papier de gaïac, et que d'autre part le sang produisait la même coloration, avait con- clu que l'hémoglobine fixait l'oxygène à l'état d'ozone. Mais Hoppe-Seyler, Pfliiger, Pokrowsky et tout récem- ment Asmuth ont démontré que cette conclusion était inexacte et que le sang ne contient pas d'ozone à l'état normal. La réaction qui se produit en dehors de l'or- ganisme serait due, d'après Hoppe-Seyler, à la décom- 502 PUTRÉFACTION. position ti'ès- rapide de l'hémoglobine en hémochromo- gène; le même chimiste a établi que la combinaison faci- lement destructible, l'oxyhémoglobine, n'agit point à la façon de l'ozone, mais que l'oxygène s'en échappe à Tétat d'oxygène ordinaire, indifférent. En tout état de cause, on ne peut pas plus invoquer la fixation directe de l'ozone que celle de l'oxygène, et la théorie de l'oxy- dation indirecte par agents spéciaux, si conforme à tous les résultats acquis, en reçoit une nouvelle vérification. La formation de l'urée par l'oxydation directe des ma- tières albuminoïdes ne saurait plus être soutenue, car Frankel a démontré expérimentalement que l'uiée aug- mente dans l'asphyxie. Maintenant, en quoi consiste, d'une manière générale, cette respiration, celte oxydation indirecte des tissus, qui correspond à leur actk'ité fonctionnelle et qui serait pro- duite par des agents spéciaux?Dans l'ignorance de faits précis qui puissent servir de base (à l'expHcation, on a produit des hypothèses plus ou moins vraisemblables. Pfliiger admet que les albuminoïdes subissent un dédou- blement par hydratation, lequel donne lieu au dégage- ment d'acide carbonique. Cette hypothèse est fondée sur des vues théoriques relativement à la constitution des matières albuminoïdes, et sur des faits d'expérience relativement à la manière indirecte dont elles s'oxydent. Anciennement, Milscherlich avait déjà songé à iden- tifier les phénomènes de l'organisme vivant à des putré- factions. Plus récemment, M. Hoppe-Seyler a repris avec plus de précision cette vue de Mitscherlich : après avoir fait ressortir tous les arguments tpii écartent l'idée FERMENTATION PUTRIDE. 503 d'une fixation directe d'oxygène ou d'ozone sur les tissus, il propose une hypothèse nouvelle. D'après cette hypothèse, les substances organiques vivantes seraient susceptibles d'éprouver sous l'action de l'eau les mêmes transformations et dédoublements qui se produisent dans la fermentation putride. Sans vouloir poser en principe l'identité absolue des phénomènes chimiques de la vie avec les phénomènes de la putréfaction, M. Hoppe-Seyler pense néanmoins qu'aucune analogie n'est aussi profonde que celle qui existe entre ces deux ordres de phénomènes, et que les processus que l'on a coutume de rapporter à des énergies vitales mystérieuses se continuent également après la mort. Les phénomènes chimiques des putréfactions sont originairement provoqués, dit l'auteur, par le dégage- ment de l'hydrogène à l'état naissant : toutes les réduc- tions qui sont produites par les putréfactions le sontégale- ment par l'hydrogène naissant, et inversement toutes celles qui échappent à l'un des agents échappent aussi à l'autre. Mais lorsque la putréfaction s'accompht au con- tact de l'air, le fait originaire, la production d'hydrogène s'efface : elle est masquée parla fixation d'oxygène rendue possible du moment où l'hydrogène est mis en liberté. La putréfaction esten réalité caractérisée par le transport de l'oxygène d'une partie vers l'autre de la molécule orga- nique complexe : le groupe carboné se trouve suroxydé et donne lieu à l'apparition d'acide carbonique ; le groupe hydrogéné se trouve désoxydé, et alors il y a dégagement d'hydrogène libre, ou formation de composés plus riches en hydrogène. Ainsi l'oxydation qui apparaît aurait pour 504 PRODUCTION d'acide carbonique. cause oriafinelle la destruction de la molécule complexe par l'hydrogène à l'état naissant. Sans vouloir juger ces idées théoriques, que l'ex- périence n'a point encore sanctionnées, nous dirons qu'elles ne correspondent qu'à une partie seulement des phénomènes de l'organisme, à savoir, les phéno- mènes de destruction fonctionnelle, et qu'elles laissent en dehors les phénomènes nutritifs ou de synthèse organique. Magendie avait autrefois exécuté, avec le concours de Gay-Lussac, une expérience intéressante. Ils prenaient du sang extrait d'un animal et défihriné: le sang était disposé dans un appareil qui permettait de le faire tra- verser par un courant d'hydrogène longtemps prolongé. On déplaçait ainsi les gaz, l'oxygène, l'acide carbonique. Au bout de quelques heures, en analysant l'atmosphère gazeuse avec toutes les précautions qu'on pouvait attendre d'un expérimentateur aussi consommé, Gay- Lussac y trouva une grande quantité d'acide carbonique, qui s'était évidemment formé sans le concours direct de l'oxygène. Pfliiger a répété l'expérience de William Edwards, qui consiste à faire vivre et fonctionner des grenouilles dans une atmosphère d'azote pur, pendant une durée de sept heures, alors qu'il n'y avait plus un atome d'oxygène libre dans les liquides de l'organisme. Jusqu'aux derniers moments de la vie, il y avait pourtant production d'acide carbonique, qui ne cessait qu'avec les manifestations vitales. Les importantes recherches de Schûtzenberger sur les albuminoïdes donneront peut- être l'explication de ces phénomènes sur lesquels on a CONTRACTION MUSCULAIRE. 505 plus disserlé qu'expérimenté. Dès à présent, cependant, les résultats obtenus permettent de comprendre à la ma- nière de toutes les fermentations, c'est-à-dire par dédou- blement et hydratation, la production d'acide carbonique qui résulte de la combustion vitale. La plus importante de ces sortes de combustions qui engendrent la chaleur animale s'accomplit dans les muscles pendant leur fonctionnement. Examinons en quoi consistent les phénomènes qui se produisent pen- dant la contraction musculaire. Contraction musculaire. — Lavoisier (1789) avait montré que le travail musculaire accélère les combus- tions organiques, en comparant la consommation d'oxygène faite par le même homme, d'abord au repos, puis accomplissant un travail. Le même résultat s'est présenté avec une netteté frappante chez certains ani- maux qui se prêtent facilement à l'expérience : tels les bourdons observés par Nev^port (1836) et la grenouille tétanisée observée par Yalentin. Le fait de la plus grande combustion accompagnant la manifestation de la contraction musculaire était donc hors de doute. Mais de quelle nature était l'oxydation qui se produit alors? Cette question a donné lieu à une discussion scientifique intéressante. Sczelkowa montré que le sang veineux qui sort d'un muscle contracté ne contient pas plus d'azote libre que le sang artériel qui y aborde; d'autre part, le sang veineux ne paraît pas con- tenir sensiblement plus d'azote combiné (urée, sels am- monicaux) au sortir du muscle contracté qu'au sortir du muscle en repos; c'est ainsi, au moins, que doivent être 506 OXYDATION DU CARBONE ET DE l'azOTE. interprétées les expériences de Voit et Pettenkofer. Dès lors, la production des déchets azotés n'étant pas en rapport avec la production des déchets carbonés, on a été porté à conclure que la substance qui brûlait pen- dant le travail musculaire n'était pas la substance même du muscle, mais une substance riche en carbone et dénuée d'azote, une substance hydrocarbonée. Cette conclusion n'est pas légitime, et par conséquent ne sont pas légitimes davantage les conséquences très- importantes qu'on en a voulu tirer. Nous touchons ici à la source d'une erreur capitale et très-répandue, qui intéresse les fondements mêmes de la science physiolo- gique, et que je me propose d'examiner avec quelque détail. Je ne veux pas considérer si les résultats précédents sont aussi bien établis qu'on paraît le croire. Voit et Pettenkofer ont interprété leurs nombres précisément d'une manière contraire à la conclusion qu'on en tire en dehors d'eux. Parkes en Angleterre (1867), Ritler en France (187*2), ont constaté à la suite du travail mus- culaire une excrétion d'urée notablement supérieure à l'excrétion du muscle en repos. Néanmoins, comme le déchet d'azote reste encore trop au-dessous du déchet d'acide carbonique pour que ces deux substances expri- ment la destruction directe du muscle, nous admettons que l'énoncé précité rend compte du sens du phéno- mène, sinon quantitativement au moins qualitativement. En un mot, nous acceptons que le travail muscuhiire entraîne l'élimination de beaucoup de carbone oxydé et de peu d'azote. Mais nous faisons remarquer ({ue ce LE MUSCLli n'IiST PAS U\E MACHINK THERMIQUE. 507 fait d'expérience a été mal interprété et qu'on en a forcé les conséquences. Le muscle, a-t-on dit, ne bride point sa propre sub- stance; il brûle des matières combustibles hydrocarbo- nées. Il est donc entièrement comparable à une machine à vapeur qui ne se détruit pas elle-même, qui ne con- somme ni le cuivre ni le fer de sa charpente, mais qui brûle simplement le charbon qu'on lui fournit et le transforme en travail mécanique et en chaleur. Voilà l'origine de cette conception de l'organisme considéré comme une machine à vapeur chauffée par le soleil, conception due aux physiciens, introduite en physiologie par Fick, et reproduite par presque tous les auteurs contemporains. Cette conception ne serre pas les faits d'assez près; elle est trop lointaine. Nous voyons ici les physiciens et les chimistes donner des explications hypothétiques qui nous montrent les choses, non point telles qu'elles sont, mais seulement telles qu'elles pour- raient être. Le muscle, en effet, ne doit pas être consi- déré comme une machine thermique ordinaire ; c'est une machine qui non-seulement brûle son combustible, mais renouvelle sa charpente, une machine, qui se détruit et se refait à chaque instant. La théorie ne nous semble pas devoir être admise pour deux raisons : elle suppose gratuitement que l'édi- fice moléculaire du muscle est immobile, réfractaire comme les parois d'un foyer. Or, les résultats acquis n'exigent pas cette interprétation, que d'autre part toutes les considérations physiologiques repoussent. En second lieu, cette théorie considère les phénomènes 508 CONSERVATION DE l' AZOTE. chimiques de la contraction musculaire comme une oxy- dation directe; l'expérience contredit ce résultat. Quels sont les faits? lisse réduisent à un seul, à savoir, que la substance azotée du muscle n'est pas éliminée, tandis qu'une grande quantité de substances hydrocar- bonées sont rejetées à l'état d'acide carbonique, d'acide lactique, d'eau. On ne trouve pas plus d'azote en nature dans le sang qui revient du muscle en travail, comme l'a montré Sczelkow; on n'y trouve pas plus d'urée, comme l'a montré Voit. D'autre part, on ne rencontre pas dans le muscle actif notablement moins d'albumine (J. Ranke, Nawrocki), et quant aux corps dérivés par oxydation des albuminoïdes, la créatine, l'hypoxan- thine, etc., ce n'est pas nécessairement après le travail qu'ils sont le plus abondants dans le muscle. Le fait de la conservation de l'azote dans le muscle est donc bien acquis. Mais de ce que la substance azotée n'est pas éliminée, cela veut-il dire qu'elle ne subisse pas de changements, qu'elle soit immobile, réfractaire comme le fer et le cuivre qui forment la charpente d'une machine à vapeur? Rien n'autorise une telle conclusion. Tout ce que l'on sait d'ailleurs oblige à admettre que l'édifice molécu- laire du muscle se détruit et se reconstitue en utilisant immédiatement les matériaux azotés de sa démolition. Cette explication, qui rend aussi bien compte que la précédente de la conservation de l'azote, est seule en accord avec cette grande loi physiologique que nous avons posée au début, et qui nous montre l'organisme comme le théâtre de destructions et de synthèses perpé- MUSCLt: EN REI'OS, EX ACTIVITÉ. 509 tuelleiiient enchaînées. Au lieu de l'immobilité, il règne dans tous les éléments anatomiques un incessant mou- vement de rénovation ; l'oxydation destructive est le signal instigateur et la condition de la synthèse régéné- ratrice. Cette manière d'être caractérise pour nous les procédés vitaux et les différencie des procédés physico- chimiques de la nature inorganique. Nousavons dit au début que les oxydations auxquelles incombe un si grand rôle physiologique ne se faisaient jamais dans l'organisme par fixation directe d'oxygène; qu'au contraire elles empruntaient le ministère d'agents spéciaux, les ferments. Le phénomène de la contraction musculaire que nous étudions en ce moment nous en fournit un exemple frappant. Un muscle en activité produit une quantité d'acide carbonique supérieure à la quantité d'oxygène absorbée dans le môme temps. Ainsi la consommation d'oxygène n'est pas en rapport direct avec la production d'acide carbonique. C'est ce que Pettenkofer et Voit ont établi pour le muscle main- tenu en place, et L. Hermann pour le muscle séparé de l'animal. 11 y a plus : on sait que même en l'absence de tout renouvellement d'oxygène dans des gaz inertes et dans le vide, le muscle peut se contracter assez long- temps et entrer en rigidité. Si pendant l'activité le muscle rend plus d'oxygène combiné qu'il n'en reçoit, au con- traire, pendant le repos, d'après Sczelkow et Ludwig, il en prend plus qu'il n'en rend : il en accumule une réserve. Les faits établissent donc bien clairement que l'on n'a point affaire ici à une fixation directe et extem- poranée d'oxygène sur la substance du muscle. Le phé- 510 LA COMBUSTION DU MUSCLE n'eSÏ PAS DIRECTE. lîomène est beaucoup plus complexe. ïl consiste en des dédoublements chimiques moins simplesque ne l'avaient pensé les chimistes depuis le temps de Lavoisier jusqu'au moment où MM. Regnault et Reiset exécutèrent leurs belles expériences. De quelle nature sont ces actions chimiques com- plexes? C'est ce que l'on ignore encore. On a imaginé qu'une substance essentielle du muscle, Xinogène, pouvait se dédoubler par oxydation en acide carbonique, acide sarcolactiqiie et myosiiie, avec dégagement de chaleur et production de travail mécanique. La myosine reste- rait dans le muscle et, d'après Trube, agirait continuel- lement à la manière d'un ferment, prenant l'oxygène au sang pour le porter sur Finogène qui, en se décom- posant, mettrait en évidence le produit d'oxydation. Ce n'est là qu'une hypothèse. Mais, sans lui accorder d'autre valeur, nous devons être attentifs seulement à la tendance qu'elle manifeste et qui consiste à substituer à l'ancienne théorie des oxydations directes, la seule théorie aujourd'hui acceptable des oxydations organi- ques par fermentations. De sorte que le phénomène de la contraction musculaire qui produit le plus de chaleur, et qui était considéré comme un fait de combustion di- recte, doit au contraire être rangé sous la loi que nous avons posée, en disant que les phénomènes équivalents aux phénomènes de combustion directe dans l'orga- nisme se produisent à l'aide d'agents et de procédés spéciaux à l'organisme et qu'on ne trouve pas en dehors de lui. A mesure que l'élément musculaire se détruit, il se LOI DE L\ CiUCULATlON MATËIUELLE. 511 reconstitue au moyen de ceux de ses matériaux qui n'ont pas été éliminés, ainsi qu'au moyen de l'oxygène et des autres substances fournies parle sang. 11 y a une véri- table restitution par synthèse, un phénomène plastique régénérateur. Cette synthèse reconstituante est, quoi qu'on en ait dit, dans un rapport étroit avec la combus- tion destructive et fonctionnelle. La nutrition est la plus énergique dans le muscle le plus actif. 11 y a donc dans le muscle, comme partout, comme dans tous les autres organes et dans tous les éléaients anatomiques, ces deux groupes de phénomènes inverses dont nous avons parlé en commençant: un phénomène d'usure de la matière vivante, phénomène de dépense vitale auquel correspondent les manifestations fonctionnelles visibles, contraction, production de chaleur, travail mécanique; et, à côté de cela, un phénomène inverse de synthèse assimilatrice qui s'opère dans le silence de la vie végé- tative et ne se révèle que par son résultat qui est l'orga- nisation et la réparation du muscle. Nous n'avons ici nullement l'intention d'entrer dans le détail des faits; nous n'en examinons que ce qui est nécessaire pour légitimer les principes énoncés. Ce n'est pas à une étude monographique de la contraction musculaire que nous nous livrons en ce moment: c'est à la démonstration dans un cas particulier des lois dont nous retrouvons l'application dans tout le domaine de la physiologie. Nous pouvons maintenant comprendre quelle part de vérité contient, au point de vue physiologique, la loi de la circulation matérielle entre les deux règnes organiques 512 ANALYSE LT SYNTHÈSE ORGANIQUES. animal et végétal. Dans leur célèbre statique chimique des êtres organisés, MM. Dumas et Boussingault l'ont énoncée de la manière suivante : « L'oxygène enlevé par » les animaux est restitué par les végétaux. Les premiers » consomment de l'oxygène; les seconds produisent de » l'oxygène. — Les premiers brûlent du carbone; les » seconds produisent du carbone. — Les premiers » exhalent de l'acide carbonique; les seconds fixent de » l'acide carbonique. » Cette loi, qui sous la forme pré- cédente exprime avec vérité le mécanisme d'une des plus grandes harmonies de la nature, est une loi cos- mique et non une loi physiologique. Appliquée en phy- siologie, elle n'explique pas les phénomènes individuels : elle exprime comment l'ensemble des animaux et l'en- semble des plantes se comportenten définitive par rapport au milieu ambiant. La loi établit la balance enlre la somme de tous les phénomènes de la vie animale et de la vie végétale : elle n'est point l'expression de ce qui se passe en particulier dans un animal ou une plante donnés. C'est ce que l'on n'a pas suffisamment compris. Appliquant à chaque manifestation des êtres vivants cette loi qui ne concerne que l'ensemble des deux règnes, on a dit que l'animal était un appareil de combustion, {^'oxydation, à' analyse, tandis que la plante était un appareil de rédiiciion, de formation, de synthèse. De là les hypothèses qui avaient cours, il y a une trentaine d'années, relativement à la formation de principes im- médiats dévolue aux végétaux, tandis que leur destruc- tion était réservée aux animaux ; de là encore la théorie de la nutrition directe par l'alimentation considérée COMBUSTION ET RÉDUCTION. 513 comme la mise en place de matériaux élaborés unique- ment par le règne végétal; de là enfin nombre d'autres conceptions que l'expérience a renversées et que nous n'avons pas à rappeler ici. C'était là une fausse direction que suivait la physio- logie. Les faits précédemment exposés comportent une interprétation différente. Nous voyons que, dans chaque animal, dans chacune de ses parties, dans l'élément musculaire par exemple, il se produit à la fois des phé- nomènes de combustion et de réduction, d'analyse et de synthèse, enchaînés les uns aux autres. La circulation matérielle se fait non pas seulement entre les deux règnes, mais dans chaque organisme élémentaire ; la matière y suit une double pente : d'une part elle remonte l'un des versants et s'organise ; puis elle descend l'autre versant et fait retour au monde minéral. Chez l'animal, par suite des conditions particulières de son alimenta- tion, l'organisation, la synthèse des matériaux, est déjà commencée; aussi le rôle, non pas unique, mais pré- dominant de l'animal, consiste-t-il à oxyder et à détruire les matériaux qui lui sont fournis presque complètement préparés. Si, pour employer la comparaison des méca- niciens, les phénomènes de la vie doivent être assimilés à l'élévation ou à la chute d'un poids, nous dirons que l'élévalion et la chute se font dans chaque élément organique vivant, animal ou végétal, avec cette parti- cularité que l'élément animal trouvant son poids (po- tentiel) déjà monté à un certain niveau a moins à l'élever qu'à le laisser descendre. L'inverse a lieu pour la plante. En un mot, des deux versants, celui de la descente est CL. BERNARD. — Phénomènes. n. — 33 514 MODALITÉ VITALE. prépondérant chez l'animal ; celui de la montée chez le végétal. Mais chez tous les êtres il y a deux espèces de faits, et c'est là une loi générale de la vie. Nous avons dit que les phénomènes de destruction organique avaient pour expression même les manifesta- tions vitales. On peut regarder comme un axiome phy- siologique la proposition suivante : Toute manifestation vitale dans Vêtre vivant est néces- sairement liée à une destruction organique. Ce ne serait pas assez dire que d'aftirmer que partout la destruction physico-chimique est Uéek l'activité fonc- tionnelle. Celle-ci est à la fois la mesure et l'expression phénoménale de celle-là. La contraction du muscle est avec sa combustion dans le même rapport où est tout phénomène physique avec ses conditions matérielles. Il n'y a là rien d'extra-physique ou de proprement vital. A la vérité, aucune autre combustion que celle du muscle ne s'accompagne du phénomène de la contraction. C'est en cela que la contraction est un phénomène vital, et non parce qu'elle serait l'expression de quelque force ou de quelque agent d'une essence particulière et plus mys- térieuse que toutes celles de la nature physique. Il faut pour la manifestation de la contraction, les circonstances physiques et chimiques réalisées dans le muscle vivant, comme il faut pour le jeu d'une machine, d'une horloge, les conditions matérielles qui y sont réalisées. Mais, dans l'un comme dans Tautre cas, la manifesta- lation est au même titre le résultat de ces conditions physico-chimiques. C'est dans ce sens que nous disons que dans les manifestations physiologiques la modalité CONSERVATION DE l'ÉNERGIE. 515 «st spéciale, vitale, puisqu'elle tient à la constitution de Torganisme vivant, mais les conditions en sont pure- ment physico-chimiques. Il n'y a donc pas à s'étonner que la loi qui régit ces phénomènes soit la même qui régit l'apparition des phé- nomènes physiques. L'apparition d'un phénomène est liée à la disparition d'un autre ; la destruction n'est qu'un changement de forme, une transfiguration. Ficket Wis- licenus, Hirn, Helmholtz, ont prouvé que le travail du muscle était exactement représenté par la combustion qu'il subit. Ainsi le veut le grand principe de la cor- rélation des forces physiques ou de la conservation de lénergie. Les manifestations vitales présentent une forme très- particulière et très-compliquée , parce que les rouages organiques sont eux-mêmes des machines très-com- plexes; mais tous les ressorts en sont physiques ou chi- miques. Ce que nous avons dit des phénomènes de destruc- tion qui se produisent dans le muscle en activité se retrouve, nous le savons déjà, pendant le fonction- nement de tous les autres organes, glandes, nerfs, cerveau. Lavoisier avait compris, comme on pouvait le faire de son temps, le rapport qui existe entre les expressions phénoménales les plus complexes et les changements physico-chimiques qui en sont les conditions. Il ne dé- sespérait pas qu'on arriverait un jour « à évaluer ce qu'il » y a de mécanique dans le travail du philosophe qui » réfléchit, de l'homme de lettres qui écrit, du musicien 516 SYSTÈME NERVEUX. » qui compose. Ces effets, considérés comme purement » moraux, ont quelque chose de physique et de matériel » qui permet, sous ce rapport, de les comparer avec » les efforts que fait l'homme de peine. » Le substratum physique et matériel, c'est ce que nous appelons les conditions du phénomène. 11 n'y a que cela de matéi'iel dans le phénomène, car Texpression com- binée et arrangée est métaphysique et vitale. Des phy- siologistes ont montré que les impressions sensorielles ou douloureuses et que les manifestations cérébrales s'ac- compagnent d'un échauffement appréciable, résultat de destruction ou d'oxydation du tissu nerveux. Cette des- truction du tissu pendant le travail cérébral se traduit encore par l'augmentation de l'excrétion d'urée (Byas- son, 1868), de l'acide carbonique, et par les modifica- tions que subit l'élimination des phosphates (Byasson, Mosler, Hodges Wood). Le système nerveux préside à ces phénomènes fonc- tionnels. Chez les êtres élevés en organisation, la mani- festation vitale et par conséquent la combustion destruc- tive qui en est la condition sont régies par l'appareil nerveux. On peut montrer que les fonctions des appa- reils nerveux sont réductibles à ces deux grandes divi- sions : le système de la destruction fonctionnelle ou de la dépense vitale, et le système de la synthèse organi- satrice ou de l'accumulation vitale. SYNTHÈSE CHIMIQUE. 517 ,^ III. — SÇÉCIALITÉ DES AGENTS CHIMIQUES D'ORGANISATION DANS LES ÊTRES VIVANTS. La synthèse organisatrice est à deux degrés. Elle comprend: 1° la synthèse des principes immédiats, et ^° la synthèse formative ou organisatrice des tissus eux- mêmes, qui crée les éléments. Tantôt elle assimile la substance ambiante pour en former des produits orga- îiiques destinés à être détruitsdans une seconde période, tantôt elle forme directement les éléments des tissus. L'acte synthétique par lequel s'entretient ainsi l'or- ganisme est, au fond, de la même nature que celui par lequel il se répare lorsqu'il a subi quelque mutilation, ou encore par lequel il se multiplie et se reproduit. Syn- thèse organique, génération, régénération, rédintégra- tion, cicatrisation, sont des aspects divers d'un phéno- mène identique; ce sont des manifestations variées d'un même agent, le germe proprement dit, ou les noijaux de cellules, germes secondaires qui sont des émanations de celui-ci et qui se trouvent répandus dans toutes les parties élémentaires du corps vivant. Les phénomènes de synthèse des principes immédiats, longtemps attribués aux seuls végétaux, appartiennent aux animaux qui, eux aussi, élaborent les produits qu'ils devront dépenser. J'en ai donné un exemple décisif en faisant connaître la formation des principes sucrés dans l'organisme. Les phénomènes de synthèse chimique, si compliqués soient-ils, ne relèvent évidemment que des forces chimiques générales. Ce qui le prouve, c'est qu'on 518 SYNTHÈSE CHIMIQUE. a pu en reproduire quelques-uns déjà en dehors de l'être vivant, à la vérité par des procédés différents. JNous ne sommes plus au temps où Gehrardt exprimait l'état de la science en prononçant ces paroles : « Le chi- » miste fait tout l'opposé delà nature vivante : il brûle, » détruit, opère par analyse; la force vitale seule opère » par synthèse , elle reconstruit l'édifice abattu par les » forces chimiques. » Nous sommes également loindu temps où MM. Dumas et Boussingault, dans leur belle statique chimique des êtres vivants, attribuaient exclusivement aux végétaux la formation des principes immédiats, et aux animaux exclusivement leur destruction. Peu à peu, depuisi84o, la science a montré que cette distinction n'était pas rigoureuse; les auteurs eux-mêmes ont suivi ce progrès et ne ment plus aujourd'hui la formation des mêmes principes immédiats dans les animaux et végétaux, seulement ils relèguent ladifférence de ces deux espèces d'êtres dans la fonction chlorophyllienne, propre aux végétaux, qui leur permet de puiser dans la radiation solaire l'énergie qui préside à leurs synthèses, tandis que les animaux ne la tirent que de la chaleur produite par les combustions qui s'accomplissent en eux, c'est-à- dire indirectement des produits végétaux. Le chimiste est arrivé aujourd'hui à reproduire arti- ficiellement un grand nombre de principes immédiats ou des huiles essentielles qui sont naturellement l'apa- nage du règne animal ou végétal. On a fait la synthèse de beaucoup d'alcools; M. Berthelot a réalisé celle d'un grand nombre de produits des êtres vivants, l'acide CELLULE GLYCOGÉNÉSIQUE 519 formique, les corps gras, etc. L'état des connaissances chimiques n'est pas suffisamment avancé pour qu'on ait été très-loin dans cette voie qui ne fait que s'ouvrir. Néanmoins, ce que l'on a déjà fait suffît à prouver que les principes immédiats se forment par des procédés purement chimiques. Les matières calcaires que l'on rencontre dans les os des vertébrés, dans les coquilles des mollusques, dans les œufs des oiseaux, sont bien cer- tainement formées selon les lois de la chimie ordinaire pendant l'évolution de l'embryon. De même pour les matières amylacées qui se développent dans les animaux ou apparaissent dans les parties vertes des plantes, pro- bablement par l'union du carbone et de l'eau sous l'intluence du soleil. Pour les matières albuminoïdes, les difficultés sont plus grandes, les procédés de synthèse plus obscurs ; mais ils ne peuvent évidemment point être d'une autre essence. J'ai fourni moi-même une démonstration des principes qui précèdent, en faisant connaître l'évolution d'une des substances les plus intéressantes de l'économie vi- vante, la matière glycogène. J'ai montré comment elle se forme et comment elle se détruit, au moins dans un cas particulier, celui de la vie embryonnaire. La matière glycogène apparaît, se muUiplie et s'accroît dans les parties en développement par un phénomène qui est une véritable synthèse. L'agent de cette synthèse est tout à fait spécial : c'est une cellule ; une cellule vi- vante animale ou végétale est seule capable delà former, puisque les procédés chimiques artificiels n'ont point encore réussi à la produire. Cette cellule, capable de 520 RÔLE SECONDAIRE DE L ALIMENT. faire la synthèse du s^lycogène, est très-diversement placée, tantôt dans le foie, dans le blastoderme ou dans l'amnios; mais il est vraisemblable que partout elle forme la matière amylacée par le môme procédé. Les matériaux au moyen descpiels la cellule construit l'amidon végétal ou animal proviennent du dehors, c'est-à-dire de l'alimentation. Mais sous quel état lui sont-ils fournis? La cellule est-elle condamnée, comme le voulait l'ancienne théorie de XiitiUmtion directe des aliments, à former la matière glycogène aux dépens des substances similaires, c'est-à-dire des féculents? L'expérience montre qu'il n'en est pas ainsi; que si l'in- gestion du sucre exagère la production du glycogène, des substances différentes et très-variées sont dans le même cas. Ceci nous oblige à admettre que la cellule glycogène (et ceci est vrai de toutes les cellules) n'opère pas sur des principes complexes, mais sur des maté- riaux déjà très-décomposés qui lui sont offerts à un degré de simplicité assez avancé. Dès lors, ce (lu'il y a d'essentiel dans cette synthèse nutritive et vitale, ce n'est pas la matière première, ïaiiment, comme l'ont pro- fessé toutes les théories chimiques, c'est Xojjent de la forinulioii^ cellule glijcoijciiémjue avec sa propriété spéciale. Le rôle de l'aliment est donc subordonné à celui de a cellule qui doit l'utiliser. L'indépendance de l'orga- nisme relativement au régime alimentaire, la fixité di; la conjposition du sang et des tissus, exigent qu'il en soit ainsi. 11 importe donc moins qu'on ne Ta cru de fournir à la cellule glycogénésique de l'amidon, du sucre ou ACTION EXCITANTE DE l'aLIMENT. 5^2! des substances analogues capables de coopérer directe- ment à la formation du nouveau produit. Celte action réelle, sans doute, de l'aliment est primée par une autre action plus essentielle qui est d'intervenir comme e/rci- tant de l'activité nutritive de la cellule. Cet exemple, sur lequel nous avons insisté parce qu'il est un des plus complètement connus, nous montre sur le vif l'évolution chimique d'un principe immédiat: sa formation synthétique par l'action d'un agent cellu- laire particulier; puis sa destruction par oxydation ou par des actions équivalentes. Nous avons dit que les phénomènes de synthèse oiga- nique présentaient deux degrés: la formation des prin- cipes immédiats, ou synthèse chimicjue, et la formation des éléments eux-mêmes, ou synthèse morphologique. Il ne s'agit pas seulement, par exemple, de former le car- bonate et le phosphate de chaux des os, il faut que ces corps soient disposés dans le moule de l'os. Il ne suffit pas que les matières soient réunies synthétiqueuient en principes complexes, il faut qu'elles soient appropriées à l'édification morphologique de l'être vivant. En un mol, les phénomènes de synthèse chimique sont arrangés, développés, suivant un ordre particulier; ils s'enchaî- nent et se succèdent, selon un plan vital, en vue de ce résultat qui est l'organisation et l'accroissement de l'être végétal ou animal. Cette phase synthétique de la nutrition, ces phéno- mènes d'organisation, génération, régénération, rédin- tégration, ne s'accomplissent que grâce à l'activité d'une cellule, d'un germe. Sans pouvoir atteindre plus loin. 522 RÔLE DE LA CELLULE. sans savoir comment la cellule vivante préside à ce genre de phénomènes, nous devons provisoirement accepter ce résultat comme une loi. C'est toujours une cellule vi- vante qui attire les matériaux ambiants pour les synthé- tiser en principes immédiats ; c'est la cellule qui est seule capable de concourir à l'accroissement, à la rédin- tégration d'un tissu, à la régénération d'un être nouveau en se segmentant et proliférant de quelque manière. Mais la cellule même est le théâtre d'autres phénomènes que ceux d'organisation : elle présente la contre-partie de ceux-ci, à savoir les phénomènes de destruction qui correspondent à lacombustion fonctionnelle. Cesderniers n'ont pas besoin de la cellule pour s'opérer, la cellule n'est pas l'agent nécessaire de leur production. Pour eux l'agent est, comme nous l'avons vu, un ferment. La cellule vivante n'est nécessaire que pour la première phase, la genèse synthétique du produit immédiat ou du tissu ; mais la combustion destructive peut se faire sans elle ou avec elle, c'est-à-dire pendant la vie comme après la mort. Les preuves à ce sujet abondent. Il nous suffira de citer l'exemple de la matière glycogène : rien ne peut suppléer pour sa production la cellule vivante; au contraire, la destruction est un phénomène chimique qui n'exige pas nécessairement l'intervention de l'agent cellulaire vivant, et qui peut se continuer après lamort ou en dehors de l'économie. En résumé, dans l'organisme, les phénomènes do destruction ont des agents spéciaux, des ferments; les phénomènes d'organisatiou ont des agents spéciaux, les ce/lu ks: h ceWule primordiale, ovule owf/crme, etlescel- RÔLE DE LA CELLULE. 553 Iules secondaires nées de celle-ci par segmentation. Mais est-ce la cellule tout entière sans acception de parties qui est indispensable, ou bien n'est-ce que l'un des élé- ments de cette cellule? Il semble que la cellule qui a perdu son noyau soit stérilisée au point de vue de la gé- nération, c'est-à-dire de la synthèse morphologique, et qu'elle le soit aussi au point de vue de la synthèse chi- mique, car elle cesse de produire des principes immé- diats, et ne peut guère qu'oxyder et détruire ceux qui s'y étaient accumulés par une élaboration antérieure du noyau. II semble donc que le noyau soit le germe de nutrition de la cellule ; il attire autour de lui et élabore les matériaux nutritifs. Lorsque des phénomènes de ré- dintégration naturels ou artificiels surviennent, lorsque, par exemple, un nerf coupé se régénère et reprend ses fonctions, ce sont les noyaux cellulaires qui, à l'instar du germe primordial dont ils dérivent, se divisent, se multiphent, pour reconstituer chez l'adulte les tissus nouveaux en répétant identiquement les procédés de la formation embryonnaire. Ce rôle attribué au noyau de cellule n'est naturelle- ment pas entièrement démontré ; mais il est dans le sens des faits, il n'est contredit par aucun histologiste. Le protoplasma circumnucléaire, d'autre part, renfermerait tous les produits de l'élaboration synthétique du noyau, c'est-à-dire les principes immédiats destinés à se dé- truire et s'oxyder (1). (1) Max Schultze, à propos de Torgane lumineux du Lampyris, fait re- marquer que le protoplasma, capable de noircir par Tacide osraique, possède la plus forte affinité pour Foxygène. C'est même à cette oxydation du proto- plasma que serait due la phosphorescence. 524 AGENTS DE LA CHIMIE VITALE. Parmi les agents de la chimie vivante, nous devons considérer comme le plus puissant et le plus merveilleux sans contredit l'ovule, la cellule primordiale qui contient le germe, principe organisateur de tout le corps. C'est de lui que sortenlles germes secondaires, noyaux de cellules, qui continuent son rôle. Arrivés au terme de nos études, nous voyons qu'elles nous imposent une conclusion très-générale, fruit de l'expérience, c'est, à savoir, qu'entre les deux écoles qui font des phénomènes vitaux quelque chose d'absoUment distinct des phénomènes physico-chimiques ou quelque chose de tout à fait identique à eux, il y a place pour une troisième doctrine, celle du vitalisme physique, qui tient compte de ce qu'il y a de spécial dans les manifestations de la vie et de ce qu'il y a de conforme à l'action des forces générales: l'élément ultime du phénomène est physique; l'arrangement est vital. APPENDICE Ues corps biréfringents de l'oMif (1). Le vitelliis de l'œuf des oiseaux, des reptiles, des pois- sons osseux et probablement de beaucoup d'autres animaux, renferme des corpuscules microscopiques, nommés corps polarisants, dont la nature et les propriétés ont, depuis quelques années, fixé l'attention des physiologistes. Ces corpuscules, le plus souvent sphériques, présentent de la façon la plus nette les caractères optiques de l'amidon vé- gétal; examinés au microscope polarisant, les niçois étant à l'extinction, ils laissent apercevoir une croix brillante se détachant sur le fond obscur de la préparation, et se dé- plaçant à mesure que l'on fait tourner l'analyseur. M. Dareste, en 1866, aperçut le premier ces granules biréfringents dans le jaune de l'œuf de la poule. Il n'hésita pas à les considérer comme un véritable amidon animal ne différant à aucun titre de l'amidon des plantes : il fondait son hypothèse de l'identité des deux substances sur l'identité prétendue de leurs caractères chimiques et physiques. Les expériences de l'auteur furent présentées à l'Académie des sciences dans une série de notes ou de lectures publiées (1) Note relative aux pages 97 et 138. 526 CORPS BIRÉFRINGENTS DE l'oEUF. dans les Comptes rendus de 1866 à 1872 (1). Dans le mé- moire qu'il lisait àrAcadémie des sciences, le 26 juin 1871, M. Dareste distinguait l'apparition successive, pendant l'évolution de l'œuf, de plusieurs générations toutes sem- ])lables de granules amylacés. Ces générations étaient au nombre de quatre : 1" La première génération avait pour siège l'ovaire : elle était formée par des granulations accolées à la surface in- terne de la membrane de l'ovule. 2° La seconde génération apparaîtrait dans les globules A'itellins : elle comprend les granulations les plus volumi- neuses (diamètre 25 f/). o" La troisième génération se produirait pendant l'incu- bation dans les cellules du feuillet muqueux du blasto- derme, et plus tard dans les cellules des appendices vitellins. ^'Enfm, la quatrième génération correspondrait à l'ap- parition dans le foie de granules extrêmement petits. Dans les dernières communications, M. Dareste signa- lait l'existence de ces mêmes granulations caractéristiques dans la sécrétion fécondante des animaux, ou plus exacte- ment dans les cellules qui tapissent la paroi interne des canaux séminifères des oiseaux. Parmi les reptiles, la tortue d'eau douce donna lieu à une généralisation encore plus étendue : les mêmes cor- puscules se retrouvèrent en effet dans l'œuf, dans la vési- cule ombilicale, dans le foie, dans les capsules surrénales. La généralité du fait en élargissait la portée et en agran- dissait la signification. Sur ce point du moins l'auteur ne se méprenait pas, et il avait raison de faire ressortir les -conséquences qu'eût entraînées sa découverte si elle eut •été exacte. C'était d'abord une relation nouvelle entre la physiologie des animaux et celle des plantes : une analogie (1) Darosle, Comptes- rendus de l'Académie des sciences, 31 déc. I8C0, • 1" juin 18G8, — 26 juin 1871, — 8 janvier 1872, — 15 janvier 187-2. CORPS BIRÉFRINGENTS DE l'œUF. 5^7 inattendue , d'une part entre les éléments femelles de la reproduction dans les deux règnes, œuf et graine ; d'autre part entre les éléments mâles, pollen et spermatozoïdes. Enfin, ces résultats venaient modifier la théorie générale de la giycogénie : la présence de l'amidon dans les testi- cules et dans les capsules surrénales apportait un argu- ment aux anatomistes qui avaient prétendu sans preuves que la production amylacée chez l'animal adulte au lieu d'être localisée dans le foie était diffuse dans les organes. La généalogie des corps amylacés, imaginée par M. Da- reste, ne contredisait pas moins les notions que Ton possé- dait sur l'évolution du glycogène dans l'organisme fœtal. Mais cette découverte qui prétendait introduire tant d'idées nouvelles et contredire tant d'idées acquises, n'avait aucun fondement ; en dehors de ce fait unique de l'exis- tence des corpuscules polarisants, pas un autre parmi tous «eux que l'auteur avançait n'avait la moindre réalité. M, Gl. Bernard a prouvé qu'il n'y a ni glycogène, ni ami- don en quantité appréciable dans fœuf de poule, non plus que dans les testicules ou les capsules surrénales des ani- maux adultes. Pour ce qui concerne plus spécialement fœuf de poule, la question était facile à décider par les moyens chimiques. On ne peut retirer ni du blanc ni du jaune de l'œuf, en employant la coction ou les traitements convenables, au- cune substance amylacée capable de se transformer en dextrine et en glycose. Pour apprécier la valeur des pro- cédés mis en œuvre, on peut faire la contre-épreuve : on peut ajouter une très-petite quantité d'amidon au jaune d'œuf, et s'assurer qu'on le retrouve facilement : on le décèlerait donc s'il y en avait à l'état normal. Avant la fécondation il n'existe dans fœuf qu'un seul foyer de matière glycogénique d'une étendue infime : c'est la cicatricule qui, comme le germe de fœuf d'insecte, ren- ferme quelques granulations de glycogène. On peut dire 528 CORPS BIRÉFRINGENTS DE l'oEUF. qu'il n'y a en somme qu'une seule cellule glycogénique; en dehors de ce foyer primitif si restreint, on n'en retrouve nulle part ailleurs. Pendant l'incubation, les cellules spéciales qui contien- nent la matière glycogène se multiplient et s'accroissent à partir de la cicatricule. Chez le poulet, au huitième jour du développement, la membrane blastodermique contient des proportions considérables de giygogène. Mais ces gra- nulations n'ont aucun rap})ort avec les corpuscules décrits par M. Dareste, disséminés dans tout le vitellus et préexis- tant cà l'incubation. Après ces observations de Cl. Bernard le doute n'était plus possible : les corpuscules biréfringents, quelquefois si abondants au milieu du vitellus, n'étaient point de l'ami- don ; leur nature restait à déterminer. On savait ce qu'ils n'étaient pas, on ne savait pas ce qu'ils étaient. M. Ranvier pensa que ces corps pouvaient être de la leucine ; quelques histologistes partagèrent cette manière de voir. M. Balbiani arriva aux mêmes conclusions; il retrouva des corps analogues aux corps polarisants de l'œuf non- seulement dans le foie, mais dans d'autres tissus embryon- naires, et il reconnut que les caractères de ces éléments les distinguaient parfaitement de la matière glycogène. J'ai repris ce problème en 1874- et je me suis proposé de fixer la nature chimique elles propriétés de ces corps po- larisants. Manière crobtenlr les corps polarisants de Vœnf. — Les œufs frais contiennent une quantité variable, mais le plus souvent très-minime, de ces corpuscules biréfringents. On peut faire un assez grand nombi-e de préparations micros- copiques sans en rencontrer un seul. Si, d'autre part, on veut bien réfléchir aux dimensions microscopiques de ces éléments dont le diamètre moyen est de ISp, on comprendra sur quelle faible proportion de la substance inconnue on avait le droit de compter après qu'on aurait réussi à l'isoler. CORPS BIRÉFRINGENTS DE l'oEUF. 529 D'ailleurs l'isolement de ces corpuscules qu'on ne pouvait apercevoir qu'à l'aide du microscope était impossible à éaliser mécaniquement, et l'emploi des moyens chimiques semblait interdit par cette considération que les substances qui faisaient disparaître les corpuscules, dissolvaient en même temps quelques-uns des matériaux constituants de l'œuf. Le premier résultat à atteindre était d'obtenir la substance en quantité notable. Il était possible que la matière des corps polarisants ne fût pas aussi rare qu'elle paraissait l'être; il était même possible qu'elle fût abondamment ré- partie dans l'œuf, mais sous un état physique tel, qu'elle ne pût se manifester optiquement dans la lumière polarisée. Si l'on remonte aux conditions physiques de ces manifesta- tions lumineuses, on trouve des observations de Brewster, de Sénarmont et de Valentin (de Berne), qui autorisent des suppositions de ce genre. Ces observations et d'autres de même nature m'engaoè- rent à recourir à la dessiccation lente pour essayer de rendre plus apparents les corps biréfringents de l'œuf. L'artifice eut un plein succès. L'œuf desséché dans l'étuve à 45 degrés devient pulvé- rulent dans la partie centrale qui correspond au vitellus, et huileux à la périphérie : l'huile pénètre et colore la partie albumineuse; si l'on prend une petite portion du jaune, qu'on la dissocie sur la plaque de verre dans une goutte de glycérine, on peut, en examinant la préparation avec le microscope polarisant, apercevoir un très-gi-and nombre de corpuscules ^polarisants. Ces corps sont ceux mêmes qu'a observés M. Dareste et qui font l'objet du débat, car en suivant les progrès de la dessiccation, on voit le nombre des corps augmenter sans que les autres caractères éprou- vent de modifications; ceux qui sont nouvellement formés ne diffèrent en rien de ceux qui existaient au début, dans l'état frais. CL. BERNARD. — Phénomènes. n. _ 31 530 CORPS BIRliFRINGENTS DE l'oeUF. Les mêmes faits ont été constatés snr des œufs de tortue et des œufs de caméléon. Des expériences directes m'ont fourni plus tard la contre- épreuve de l'observation précédente. Si l'on prend la léci- thine (mélangée de cérébrine) qui forme la substance des corps biréfringents et qu'on l'agite avec de l'eau albiimi- neuse, la substance gonfle et perd en partie ses caractères optiques; elle les recouvre lorsque l'eau s'est évaporée. L'influence de la dessiccation sur l'apparition des corps polarisants était mise ainsi en pleine évidence. C'est vrai- semblablement cette condition physique et non pas une condition physiologique, comme l'avait cru M. Dareste, qui présidait aux oscillations observées durant le cours du dé- veloppement dans la proportion des corps polarisants. On sait que l'œuf de poule subit, du commencement à la lin de l'incubation, une perte d'eau, et l'on comprend en consé- quence le fait de l'augmentation parallèle des corps biré- fringents dans la vésicule ombilicale du fœtus. Au moment de l'éclosion et dans les jours qui suivent, elle ne renferme pas autre chose. Quant au foie de l'embryon ou du jeune animal, il nous a toujours présenté des corpuscules extrê- mement volumineux et ne ressemblant en rien aux vérita- bles granulations glycogéniques. Ajoutons que la présence de ces corpuscules n'a rien d'inattendu pour les physiolo- gistes, qui savent que l'on a, depuis quelques années, si- gnalé et même dosé la lécithine dans la sécrétion du foie. En résumé, la dessiccation nous fournissait un excellenl moyen d'obtenir en quantité sulTisante la matière à exami- ner; mais en môme temps qu'elle mettait ce moyen entre nos mains, elle nous apprenait à nous en passer. Sachant, en effet, que les corps biréfringents ne sont qu'un état phy- sique particulier d'une substance qui existe abondamment dans l'œuf, on pouvait rechercher directement cette sub- stance sous son état diffus, sans se restreindre à ses concré- tions biréfringentes. CORPS BIRÉFRINGENTS DE l'oEUF. 531 C'est là ce que je fis de concert avec M. Morat. Examen successif des différentes substances contenue dans Vœuf. — Tout d'abord, nous écartâmes l'hypothèse que les corps polarisants de l'œuf pourraient être de la leucine. Outre que les rapports de cette substance avec l'al- bumine et les albuminoïdes, dont elle est un produit de dédoublement ou de destruction, rendaient peu vraisem- blable son existence dans l'œuf frais, une autre raison ex- cluait à priori cette substance, à savoir, l'abondance des corps polarisants dans l'œuf desséché. Une telle proportion de leucine n'aurait pas échappé aux chimistes qui, pour faire l'analyse de l'œuf, commencent précisément par le sou- mettre à la dessiccation. Or aucune analyse n'en fait mention. Cependant, en raison du peu d'autorité qu'ont pour nous les raisonnements à priori, nous voulûmes soumettre à l'épreuve expérimentale l'hypothèse de la nature leucique des corps de l'œuf. Nous préparâmes de la leucine en assez grande quantité et aussi pure que possible; nous l'avons obtenue sous les deux états, en boules et en lames cristal- lines, cette dernière forme correspondant au maximum de pureté. Dans un cas ni dans l'autre nous n'avons reconnu de propriété optique comparable à celle des corps biréfrin- gents de l'œuf; le plus souvent, lorsque la leucine est en boules, elle est opaque pour la lumière transmise. Le ré- sultat est tout aussi négatif avec les composés leuciques, par exemple le chlorhydrate. Les corps analogues à la leucine, les amides de la série grasse, furent soumis aussi à l'examen. Latyrosine fut pré- parée et examinée dans la lumière polarisée. Quoique biré- fringente, comme la leucine, elle n'offre pas le caractère de la croix. Corps gras et dérivés. — La cholestérine, puis les corps gras et leurs dérivés furent ensuite soumis à l'épreuve. L'oléine, la margarine, la stéarine, lapalmitineet la cétine dissoutes n'ont pas donné lieu à des observations qui soient 532 CORPS BIRÉFRINGENTS DE l'oEUF. à mentionner, au moins pour le but que nous poursuivons en ce moment. Les acides gras méritent d'être signalés. L'acide marga- rique et, à un moindre degré , les acides oléique et stéa- rique forment des groupements microscopiques de cristaux divergeant à partir d'un point central, et souvent d'une fa- çon très-régulière. Ces boules cristallines réalisent les con- ditions physiques nécessaires à la production des croix de polarisation, à savoir, la disposition de particules biréfrin- gentes symétriquement distribuées autour d'un point ou d'un axe. De fait, on voit apparaître la croix de polarisation, mais elle présente une constitution qui rend impossible la confusion avec les corps de l'œuf. Les branches de la croix, au lieu de former un champ uniformément bril- lant, sont sillonnées de traits radiés obscurs ; en un mot, on distingue parfaitement les houppes d'aiguilles cristal- lines dont le groupement aproduil le phénomène. L'aspect est assez caractérisé pour qu'on puisse le faire servir, dans l'analyse chimique qualitative, à la reconnaissance des aci- des gras. Mais il y a des combinaisons des acides gras qui présentent des phénomènes tout aussi distinctement que les corpuscules de l'œuf : le savon d'oléate de soude est dans ce cas. One l'on neutralise l'acide oléique ou que l'on saponifie l'oléine pure avec la soude, on obtient une masse glutineuse qui, dissociée dans la glycérine et examinée au microscope polarisant, fournit des croix très-nettement dessinées. On peut dès lors se demander si les corps biréfringents de l'œuf sont formés par un savon de ce genre, par exemple par l'oléate de soude. L'abondance des corps gras de l'œuf permet une telle supposition. Le jaune ou vitellus contient en elYet , en moyenne , d'après les analyses de Goblcy (I), une })roportion de '21,30 pour 100 de marga- (1; Goblcy, Journal de plniniuicie et de chimie \'^]. l XII, p. l'2. COUPS BIRÉFRINGENTS DK LOliUF. 533 rine et d'oléine ; d'autre part il contient aussi une petite proportion de soude plus ou moins énergiquement en- gagée dans des combinaisons. Les éléments du composé polarisant existent donc, et l'on est fondé à rechercher si le composé lui-même n'existerait pas, et s'il ne for- merait pas précisément la matière des corpuscules pola- risants. L'expérience répond négativement. Les analyses de l'œuf ont bien fourni une proportion considérable de mar- garine et d'oléine, mais jamais d'acides gras libres ou de savons. Gobley a particulièrement insisté sur ce point, qui était capital pour ses recherches. En second lieu, les bases alcalines ne sont pas libres, mais combinées à des acides énergiques, chlorhydrique, sulfurique; déplus, leur quan- tité est extrêmement faible en comparaison des corps gras à saponifier, et insignifiante en comparaison des corps polarisants à la constitution desquels elles devraient parti- ciper. A la vérité, certains traitements et l'incubation elle- même peuvent faire apparaître dans l'œuf une proportion notable d'acides gras, stéarique, margarique et phospho- glycérique. Mais c'est par la destruction d'une combinaison naturelle, la lécithine, dans laquelle ces corps sont engagés et d'où ils sortent sans être neutralisés. Cette lécithine, véritable savon de choline, est, d'ailleurs, susceptible de fournir par elle-même, comme nous le verrons, les corpus- cules biréfringents les plus remarquables. La conclusion de ces faits et de la longue discussion à laquelle nous venons de nous livrer est que les corps gias, ne peuvent, pas plus que l'amidon ou laleucine, être invo- qués pour expliquer les corps polarisants de l'œuf. Cer- tains savons, les oléates entre autres, conviendraient par- faitement à en rendre compte; nous pensons même que quelques corpuscules polarisants peuvent avoir cette com- position, mais dans les conditions normales c'est le très- 53-4 CORPS BIREFniNGEMS Dli L OEUF. petit nombre. La grande niasse des corpuscules, sinon la totalité, est formée d'une autre matière dont nous devons poursuivre la détei'mination. Parmi les matériaux de l'œuf, il ne reste plus que deux groupes à examiner : d'abord les matières albuminoïdes, qui donnent lieu à des observations intéressantes; eïi second lieu les matières grasses phosphorées, lécithine et cérébrine, qui contiendront la solution du problème. Matières albuminoïdes. — ■ Le jaune d'œuf renferme une variété d'albumine qui a reçu le nom de vitelllne, une petite quantité d'albumine véritable et des traces de caséine. La vitelline seule est en proportion suffisante pour être dosée : le jaune d'œuf de poule en contient 15,76 pour 100 (moyenne), d'après Gobley; l'œuf de carpe en renferme 14 pour 100; les œufs de Tortue contiennent une substance identique (paravitelUne). Toutes ces substances sont certainement biréfringentes. Biot a découvert, comme l'on sait, que l'albumine était lé- vogyre, et depuis lors plusieurs auteurs ont mesuré son pouvoir rotatoire. Néanmoins, lorsque ces substances sont pures, elles ne présentent pas des groupements tels, qu'elles puissent manifester la croix de polarisation : la dessiccation ne détermine pas des figures régulières. Les conditions changent dès que les albumines sont unies aux bases ou aux sels alcalino-terreux. M. Harting (d'Utrecht) (1) a observé qu'en mélangeant suivant des procédés particuliers le carbonate de chaux à l'albumine, on obtenait des corpuscules ou ca/cos/j/iéri7es, qui seraient formés de la combinaison des deux substances {calcoglo- buline); ces corps présentent des zones concentriques, et manifestent de la façon la plus nette la croix de ])olarisa- tion. La gélatine, le sang, ont donné matière à des obser- vations de même nature. De notre côté, et avant d'avoir connaissance des travaux de M. Ilarting, nous avions obtenu (I) Harting, Recherches de morphologie siinlhélique. Amsterdam, I87"2. CORPS BIRÉFRINGENTS DE l/OEUF. 535 des résultats analogues. M. Morat et moi nous mélan- geâmes un jour à une masse de vilellus quelques centi- mètres cubes d'une solution concentrée de baryte; le len- demain, il y avait dans la profondeur et surtout à la surface du mélange, un nombre immense de corpuscules polari- sants plus petits que ceux de l'œuf et de forme moins régu- lièrement sphérique. L'albumine d'œuf bien pure, traitée de la môme manière, nous a donné des corps d'une régu- larité parfaite présentant les croix avec les anneaux isochro- matiques et les couleurs de la polarisation lamellaire. La vitelline,la serine se comportent comme l'albumine. Toutes les substances albuminoïdes ou collagènes (gélatine, os- séine), mélangées à la solution de baryte, se recouvrent d'une pellicule exclusivement formée de ces sphérules pola- risantes. D'autres bases que la baryte et la chaux, d'autres sels que les carbonates, présentent, au degré près, les mêmes phénomènes. En résumé, nous avons vu que le plus grand nombre, sinon la totalité, des principes azotés de l'organisme peu- vent, sous l'influence des sels alcalino-terreux, fournir des corpuscules biréfringents. Arrivés à ce point de notre recherche, nous voyons que notre problème a complètement changé de face. La ques- tion est pour ainsi dire renversée : il semblait difficile au début de trouver une substance de l'œuf qui offrît le phéno- mène de la croix ; maintenant au contraire, il serait difficile d'en trouver une qui ne le présentât point. L'embarras est de choisir parmi ces matières celle qui entre véritablement dans la composition des corpuscules décrits, et d'éliminer les autres. Un moyen précieux d'élimination se présente. Les com- posés alcalino-terreux de la vitelline et des autres albumi- noïdes sont insolubles dans l'alcool et dans l'éther, et ce 536 CORPS BIRÉFRINGENTS DE l'oEUF. fait suffit à lui seul à les distinguer des granulations de l'œuf. On arrive ainsi, dans cette recherche de la nature des corps de l'œuf, à n'avoir plus de ressource que dans les corps gras phosphores. Mais avant de les examiner, il importe d'expliquer les causes de l'erreur où sont tomhés les auteurs qui ont con- fondu les corpuscules vitellins avec l'amidon. Le fondement de cette méprise, c'est la sup])osition for- mellement exprimée, d'ailleurs, que les caractères optiques de l'amidon « n'ont, jusqu'à présent, été constatés que dans » cette substance parmi les substances non cristallines ». On connaît, au contraire, un très-grand nombre de corps dans ce cas; les histologistes etles zoologistes connaissaient les belles préparations des croix que l'on obtient avec la cornéeou le cristallin des poissons, avec les coupes trans- versales des os, etc. D'ailleurs, Valentin (de Berne) a donné un catalogue très-étendu de ces substances (1). Nous comprenons moins le résultat de « l'opération décisive (2) » qui a consisté à transformer ce prétendu amidon en glycose; peut-être faut-il incriminer la compli- cation même de cette opération. En effet, pour isoler les corpuscules, M. Dareste lave le vitellus à l'éther, rapide- ment « afin d'éviter la coagulation de la vitolline » ; puis lavage à l'eau; puis traitement par l'acide acétique <( pen- dant trois mois » ; après ces trois mois, le dépôt est lavé, bouilli, séparé par décantation et non par filtration « pour éviter la matière saccharifiable des filtres de papier». Telle est la substance qui, après traitement convenable, a réduit» sensiblement » la liqueur de Fehling. La réduc- tion opérée dans des circonstances si particulières s'expliquerait par trop de raisons, sans invoquer l'amidon, (1) Valentin, Die Untermchungen dur P/lamcn- iind der Tliiergewebe tn polarisirlem Lichte. Leipzig:, 180 1. (2) Dareste, Comptes re^idun de l'Académie des sciences, l"' juin 1868. CORPS BIREFRINGENTS DE L OEUF. 537 pour que l'on soildispensé de la considérer comme décisive. La croix de polarisation est une particularilé physique pouvant appartenir à trop de substances pour en caracté- riser aucune. Elle indique une structure, non une nature déterminée : c'est la preuve (la substance étant biréfrin- gente) de la disposition moléculaire symétrique autour d'un axe ou d'un point, et non pas seulement d'une disposition en couches concentriques, comme semblent le croire quelques micrographes. Un corps monoréfringent composé de couches concentriques ne donnerait pas ce caractère. Néanmoins, malgré ces restrictions, lorsqu'on sait d'avance quelques conditions plus particulières de son apparition, cet attribut peut fournir des renseignements utiles à l'ana- lyse; il donne des indications de la même nature, sinon de la même valeur, que les formes cristallines. Corps gras phospliorés de Vœuf. — Les substances qu'il nous reste à passer en revue sont kilécithine et Isicéréhrine, qui existent en proportions notables dans les œufs. Le jaune d'œuf de poule desséché renferme environ 20 pour 100 de lécithine et un peu moins de 1 pour dOO de cérébrine; à l'état frais, les proportions trouvées par Gobley sont les suivantes : Œuf de poule, vitellus Lécilhiiic. . 8.43 p. ICO Cérébrine. ... 0.30 — • (Euf de carpe Nécithine 3 . 04 — Cérébrine 0.20 — Nous dirons quelques mots de ces deux substances : La cérébrine (matière grasse blanche, cérébrote de Gouerbe, acide cérébrique de Fremy) se présente en grains blancs ou en plaques cireuses. Sa composition, d'après Gobley, serait exprimée par les nombres suivants : G = 66,85, H = 10,82, Az = 2,29, 0 = 20,04. Elle ne contiendrait point de soufre; le phosphore n'y existerait qu'à l'état de traces ou comme impureté provenant d'une 538 CORPS BIRÉFRINGENTS DE l'oEUF. petite quantité de lécithine qui est toujours mélangée à la cérébrine. Elle est soluble à chaud dans l'alcool à 85 degrés; elle se précipite à froid. Ce caiactère lui est commun avec la lécithine, dont elle se distingue d'ailleurs en ce que sa combustion ne donne pas un charbon acide, et, en second lieu, en ce qu'elle n'est point soluble dans l'éther et les huiles volatiles. Lacérébine est en petite quantité dans l'œuf (3 millièmes). De plus, elle est très-fortement retenue par la lécithine. Elle ne pourrait entrer dans la constitution des corpuscules biréfringents quecomme élément accessoire de lalécithine. Nous sommes donc amené à envisager maintenant cette dernière substance. La lécithine (de yixtOo: , jaune d'œut) a été découverte et nommée par Gobiey en iS^O. Cette substance, extrême- ment remarquable par ses propriétés chimiques, ne l'est pas moins par ses propriétés physiologiques. Chimiquement, c'est un savon de choline, c'est-à-dire une combinaison entre la base appelée choline, d'une part, et, d'autre part, l'acide phosphogiycérique et les acides gras oléique, mar- garique, stéarique. Cette substance est susceptible de se saponifier comme les corps gras et dans les mêmes circon- stances, en donnant les acides i^ras, la olycérine et la choline. Cette dernière est une substance azotée découverte en 1861 par Strecker dans la bile, et identique à la névrine signalée par Liebreich en 186G dans le cerveau ; Bayer, en 18()7, a fixé sa composition, et AYiirtz, bientôt après, l'a l'eproduite par synthèse. Il ne serait pas opportun de retracer ici l'histoire chi- mique de la lécithine. Cette substance de l'organisme, à la fois azotée et phosphorée, est comme un trait d'union entre les deux groupes de corps que les physiologistes désignent par les noms d'éléments plasliques et éléments respira- toires.Outre cette considération, son abondance et sadiffu- COUPS BIRÉFRINGENTS Dli l'0I£LIF. 539 sion dans l'ori;anisme peuvent faire préjuger son importance. Elle existe dans le vitellus de l'œuf chez les ovipares; elle constitue 5 pour iOO du poids du cerveau ; on la retrouve comme élément constituant des nerfs ; elle existe dans le sang, la bile, dans un grand nombre de produits normaux et pathologiques, dans le lait (Bouchardat), dans le sperme, dans la laitance des carpes, chez les méduses, les astéries, les actinies, les oursins. M. Morat et moi avons préparé la lécithine par le procédé de Gobley, soit au moyen de l'œuf de poule, soit au moyen du cerveau. La lécithine obtenue au moyen de l'œuf de poule retient toujours avec opiniâtreté une petite quantité de cérébrine et de phosphates de chaux et de magnésie. La lécithine se gonfle par l'action de l'eau, est soluble à chaud dansl'alcool à 85 degrés, d'où elle se précipite par le refroi- dissement; elle est également soluble dans l'éther (variété dipalmitique) et dans les huiles volatiles. Les recherches de Iloppe-Seyler, Strecker, Petrowski et Diakonow, tendent à faire admettre l'existence de plusieurs variétés de léci- thine : la lécitliine dioleiqiie, C^^H'^AzPhO^ qui se dépose par l'action prolongée d'un froid de 15 degrés sur la solu- tion alcoolique du jaune d'œuf déjà épuisé par l'éther; la lécithine distéarique , G*''I-P°AzPhO^ qu'on obtient par éva- poration du résidu précédent; la lécithine dijoalmitique, G'°H''^AzPhO'^, qui est la plus soluble dans l'éther. Nous devons à l'obligeance deM.Gh. Tellier, directeur de l'usine frigorifique d'Auteuil, d'avoir pu préparer des quantités convenables de ces produits. Les lécithines sortent toujours de leurs dissolutions al- cooliques et éthéréesà l'état de dépôt floconneux, amorphe en apparence, mais en réalité formé de sphéroïdes à struc- ture très-régulière et présentant le caractère optique de la croix. Lorsqu'on les examine dans la glycérine avec le mi- croscope polarisant, les niçois étant à l'extinction, on voit la surface entière du champ parsemée de croix brillantes. On 540 COUPS BIRÉFRINGENTS DE L OEUF. peiitredissoudre la substance; toujours en se déposant elle reprendra la propriété optique si lemarquablo que nous signalons. Cette observation nouvelle fournit un moyen commode de constater, dans beaucoup de cas, l'existence de la léci- thine, sans être obligé de recourir à l'analyse élémentaire, toujours pénible et souvent impossible lorsque l'on dispose de trop faibles quantités de substance pour pouvoir la puri- fier. La détermination optique devra être complétée par la constatation du caractère de solubilité. Outre la lécilhine, nous ne connaissons ])as actuellement d'autre corps que l'oléate de soude qui donne la croix de polarisation el soit soluble dans l'alcool cbaud et dansl'éther. En tous cas, une troisième épreuve, aussi facile que les précédentes, }>ourra donner la certitude : on brûlera la substance sur une lame de platine, et Ton constatera la présence, dans le cas de la lécithine, d'un cbarbon rendu acide par l'acide phosplio- rique. J'ai employé ces règles pour la détermination de la léci- thine dans la dégénérescence graisseuse (empoisonnement par le phosphore, etc.), dans la résorption des pelotes de tissu adipeux à la suite de l'inanition prolongée. Enfin, elles m'ont permis de m'assurer de la présence de lalécithine dans les graines oléagineuses en germination. A ce moment en effet la quantité de cette substance, assez minime jusque là, s'accroît considérablement. Ces résultats ont été exposés devant la Société de biologie en 1870. Ils tendraient à faire de la lécithine une des formes transitoires de l'évolu- tion physiologique des matières azotées passant aux matières grasses (engraissement), ou des matières grasses passant aux matières azotées. La structure des corpuscules lécithiqucs, dont la régu- larité est attestée par l'apparition de la croix de polarisa- lion, mérite de lixer l'attention; comme elle se produit en dehors de toute activité vitale toutes les ibis que la sub- CORPS BIRÉFRINGENTS DE l'oEUF. 541 stance se dépose de ses solutions', elle prouve que les ma- tières organiques peuvent prendre, sous la seule intluence des forces moléculaires, dos formes très-régulières et presque aussi remarquables que les formes cristallines proprement dites, ou solides géométriques à faces planes. M. Ilarting, de son côté, a réalisé artificiellement un grand nombre de formes régulières (calcosphérites, otoli- thes, mammilles de la coque de l'œuf des oiseaux) qu'on pouvait croire le résultat de l'activité cellulaire animale. Le même auteur a réalisé des corps analogues aux scléro- dermites des alcyonaires, aux coccolithes, discolithes et cyatholithes décrits par Huxley, 0. Schmidt et Carter. En présence de ces faits n'y a-t-il pas lieu de se demander si le règne végétal n'offrirait pas des cas analogues, et si la structure du grain d'amidon, par exemple, au lieu de supposer une activité cellulaire ou vitale, ne serait pas simplement un groupe moléculaire de la matière amylacée. Si nous jetons maintenant un regard en arrière, nous voyons que, de toutes les substances de l'œuf, une seule? la lécithine (la cérébrine étant exclue à cause de sa faible proportion: 3 millièmes), présente tous les caractères des corps biréfringents de l'œuf, caractères physiques et carac- tères optiques; de sorte qu'en raisonnant par voie d'exclu- sion, c'est à elles qu'appartiennent les corps décrits par M. Dareste, que l'on aperçoit primitivement dans le vitellus. L'examen direct viendra donner le dernier sceau <à notre démonstration. Si l'on isole toutes les substances qui, par leur mélange, constituent le vitellus, et qu'on les observe comparativement dans la lumière polarisée, la lécithine seule fournira les croix de polarisation. Le traitement que nous faisons subir à la matière du jaune diffère peu de celui qu'ont mis en usage les chimistes Gobley, Hoppe-Seyler, Diakono^v, pour leurs analyses. Voici en quoi il consiste : Étant donnés plusieurs vitellus, on les lave à l'éther jusqu'à ce que la liqueur cesse de se 542 CORPS BIRÉFRINGENTS DE l'oEUF. colorer. On a ainsi deux paris : une solution éthérée A, un résidu B. La solution éthérée A, soumise à l'évaporation, laisse séparer deux matières : l'une, a, visqueuse et consis- tante; l'autre, &, huileuse et liquide, surnagée par des cris- taux de cholestérine. On rend la séparation aussi complète que possible en décantant d'abord, puis en fdtrant à chaud à travers une toile très-fine, enfin en comprimant la ma- tière à travers plusieurs doubles de papier à filtre. On a, en résumé, par ces opérations, l'huile d'œuf fe, formée de mar- garine et d'oléine et la cholestérine, et, d'autre part, la matière visqueuse a, presque exclusivement formée de lécithine. A la matière visqueuse se trouvent incorporées cependant la cérébrine, des matières colorantes, et quel- ques substances que l'on peut extraire par l'alcool à froid (matières extractives). Le résidu B est traité par l'alcool à chaud qui enlève les lécithines dioléique et distéarique, puis par l'eau qui enlève les sels solubles, puis par l'eau légèrement aiguisée d'acide chlorhydrique qui enlève les phosphates. La vitcl- line reste comme résidu. Tous ces produits, retirés du vitellus par les dissolvants sont examinés dans la lumière polarisée. Les lécithines seules manifestent le caractère de la croix de polarisation. De cette double série d'épreuves et de contre-épreuves ressort, avec clarté, la conclusion que les corpuscules biré- fringents des œufs des oiseaux, des reptiles et des pois- sons sont formés non d'amidon animal, non plus que de leucine, mais de lécithine. A. D. II ^ur la lactose (1). Il y a une observation à faire relativement à la transfor- mation digestive de la lactose. En 1874, Cl. Bernard m'a- vait conseillé comme sujet de travail une étude physiolo- gique de la lactose. Il avait fait remarquer anciennement que la lactose ne manquait jamais chez les chiennes à jeun ou nourries exclusivement avec de la viande, et qu'en con- séquence la lactose était comme la glycose un produit immédiat fabriqué par l'organisme animal. Je fus chargé, pendant l'été de 1874, de rechercher l'influence que l'ali- mentation pouvait exercer sur la production du sucre de lait. Ces expériences ont été résumées dans les Leçons sur le diabète et la glycogenèse animale, p. 169 et suivantes : 4" Il y a de la lactose dans le lait des chiennes nourries exclusivement à la viande et à l'eau. 2° Le régime lacto-sucré augmente considérablement la proportion de lactose. Après avoir consigné ces faits dans son cours, Cl. Ber- nard m'abandonna le sujet, m'indiquant lui-même qu'il y avait lieu de reprendre l'étude des transformations diges- tives de la lactose. J'ai communiqué beaucoup plus tard à la Société phi- lomathique les premiers résultats de mes recherches. J'ai fait pour la lactose ce qui avait été fait par Miahle et Cl. Bernard pour l'albumine et la saccharose. Injectant (1) î^ote relative à la page 122. 544 SUR LA LACTOSE. une solution tilrçîo de lactose dans le sang de la jugulaire chez un chien, j'ai recherché la substance dans les urines, et à l'exception d'une petite quantité, je l'y ai retrouvée poids pour poids. En sorte que la nécessité d'une trans- formation digeslive devenait évidente. M. de Sinety, antérieurement à toute publication de ma part, avait fait une observation intéressante et qui permet- tait de conclure dans le même sens : il avait vu le sucre de tait apparaître dans l'urine quand on supprime l'évacua- tion lactée. La transformation nécessaire de la lactose m'a paru être réalisée non par le suc pancréatique, mais par le suc intes- tinal. A. D. III Réserve ithospliatiqiie chez le fœtus des ruminants, fies junientés et tics porcins (1). On trouve dans l'épaisseur du stroraa du chorion chez les ruminants un réseau de plaques blanchâtres dont l'exis- tence n'avait pas suffisamment fixé l'attention des physio- logistes. Cependant, leur nature, leur évolution, leur abon- dance même leur assignent un rôle important dans les phénomènes de la vie fœtale. Nature. — Pour apprécier la nature et la situation de ces productions, il importe de les étudier sur un fœtus de mouton arrivé à lapériode moyenne de son développement, de la douzième à la dix-septième semaine, alors que la longueur de l'embryon varie entre 46 et 32 centimètres. A ce moment le réseau des plaques choriales a atteint le point culminant de son évolution : elles sont dans leur plein épanouissement; elles ne vont point tarder à entrer dans la période de régression; chez le fœtus à terme on n'en retrouvera plus de traces. Ces plaques choriales, au premier abord, semblent su- perficielles. Ce n'est là qu'une apparence. On s'assure faci- lement qu'elles n'ont aucun rapport avec l'épithéhum superficiel : on peut enlever celui-ci en balayant la surface du chorion avec le pinceau, après l'avoir laissé séjourner dans un liquide dissociateur, tel que l'alcool. Le réseau des plaques, loin d'être altéré par cette préparation, appa- (1) Note relative à la page 140 et aux figures 9 et 10 de la planche I. CL BERNARD. — Phénomènes. ii. — 35 546 RÉSERVE PHOSPHATIQUE raît plus clairement. Il est distribué dans l'épaisseur du lissu conjonctif qui forme le stroma de la membrane. La matière de ces plaques est disposée en amas granu- leux. Les particules dont elles sont composées n'affectent pas de formes régulières; leur volume est aussi variable que leur configuration. Pour en fixer la nature nous avons eu recours aux diffé- rents réactifs micro-chimiques. Ni Falcool, ni l'étiier, ni l'eau, ni la glycérine ne les attaquent ; l'action de ces di- verses substances ne paraît pas en diminuer sensiblement le volume ou en altérer la forme. Celte épreuve exclut les corps gras, l'urée, et tous les sels solubles. L'acide clilor- hydrique les fait immédiatement disparaître sans résidu et sans effervescence ; par là se trouvent exclus également l'acide urique, les urates et les carbonates. Ces dépôts sont formés de phosphates terreux et pres- que exclusivement de phosphate de chaux. Voici sur quels caractères nous fondons notre assertion : La membrane choriale étant isolée, séparée de l'allan- toïde, débarrassée par le raclage ou par l'action du pinceau de son épithélium superficiel, est étaléee et tendue sur un cadre. Elle est lavée dans un courant d'eau longtemps con- tinué; on la laisse séjourner dans l'alcool et dans féther, si l'on croit nécessaire de la débarrasser plus complète- ment de la petite proportion de substances étrangères que ces deux menstrues peuvent entraîner. La membrane bien lavée est alors mise en contact, à froid, avec une petite quantité d'acide chlorhydrique fort. La substance des plaques est dissoute ; elles disparaissent pi'csque immédiatement. Le liquide est recueilli ; on y ajoute l'eau aiguisée d'acide chlorhydrique qui sert à com- pléter le lavage. On filtre afin de séparer la petite quantité de débris or- ganiques qui peuvent avoir été entraînés. CHEZ LE FOETUS. 547 C'est sur cette soliUioii filtrée que va désormais porter la recherche. On sature le liquide avec de l'ammoniaque. Dès que la neutralisation est obtenue, on voit se former dans la liqueur un dépôt floconneux qui se rassemble, par le repos, au fond du vase. On recueille ce dépôt sur un filtre; on le lave de manière à le débarrasser complètement de l'ammoniaque en excès. On le dessèche, et l'on obtient ainsi une poudre blanche en quantité suffisante pour se prêter aux vérifica- tions chimiques. Un fœtus de mouton de ^8 centimètres nous a fourni plus d'un gramme de substance. On prend une petite quantité de la substance solide, on la dissout dans l'acide chlorhydrique en quantité aussi lliible que possible. La potasse, la soude, l'ammoniaque, donnent des flocons d'un précipité gélatineux qui ne se redissout point dans un excès d'alcali (phosphate de chaux). On ajoute un excès d'acétate de soude dans la solution chlorhydrique ; on verse ensuite une très-petite quantité de perchlorure de fer. On obtient un précipité jaunâtre gélati- neux (phosphate de peroxyde de fer) qui disparaît si l'on ajoute du perchlorure de fer en excès ou de l'ammoniaque. Toutes ces réactions appartiennent au phosphate triba- sique de chaux. Enfin, et cette fois la réaction est caractéristique des phosphates, on prend une petite quantité de la poudre blanchâtre obtenue, on la dissout dans l'acide azotique, on ajoute quelques centimètres cubes d'une solution de mo- lybdate d'ammoniaque dans l'acide azotique. Il se produit immédiatement une coloration d'un jaune vif qui va s'ac- centuant et qui s'accompagne d'un dépôt pulvérulent si l'on chaufl'e le tube à réaction à la flamme de la lampe à alcool. L'existence de la chaux est mise en évidence de la ma- nière suivante : On prend la solution chlorhydrique de la 548 RÉSERVE PHOSPIIATIQUE substance, on njoute un excès d'acétate de soude, on verse de l'oxalate de potasse et l'on observe un })r(''cipité blanc cristallin d'oxalale de chaux, présentant la forme octaé- drique caractéristique. Les épreuves précédentes nous permettent de conclure que le dépôt des plaques choriales est principalement con- stitué par du phosphate de chaux tribasique, c'est-à-dire par le phosphate des os. On y trouve également une petite quantité de phosphate de magnésie. En effet, lorsque dans la liqueur précédente on a ajouté l'oxalate de potasse goutte à goutte, de manière à ne pas en introduire un excès, et qu'on a séparé l'oxalate de chaux sur un filtre, l'ammo- niaque versée dans le filtratum donne encore un léger trouble. En somme, la matière des plaques choriales est la ma- tière même des os, sauf le carbonate de chaux qui n'y existe pas ou qui s'y trouve en faibles proportions. Cette particularité ne diminue point la valeur de notre conclu- sion. Nous rappellerons, en effet, ce que Milne Edwards (i) a écrit à propos de la constitution des os : « Ce sel (le carbonate de chaux) ne paraît remplir qu'un » rôle très-secondaire dans la constitution des os. 11 est î en faible proportion chez les jeunes individus, ainsi que » dans les parties osseuses de nouvelle formation, et il de- » vient plus abondant avec les progrès de l'âge; la quantité » relative en est aussi plus grande dans les os spongieux » que dans le tissu osseux compacte. Il y a même quelques » raisons de croire que le carbonate calcaire est un produit !» excrémentitiel provenant de la décomposition du phos- )) phale basique de chaux par l'acide carbonique des li- * quides de l'économie animale, plutôt qu'une des parties )) constitutives essentielles du tissu osseux. » (1) Miine Edwards, Leçons sur la pliijsiologie et l'anatomic comparée, 187-i, t. X, p. 257. CHEZ LE FOETUS. 549 Distribution. — La substance osseuse, ou du moins phosphatée, n'est jamais contenue dans les éléments cellu- laires de la membrane; elle est déposée dans les interstices des éléments, entre les fibres qui s'écartent pour loger ces amas granuleux. Cette disposition se constate facilement sur une coupe mince du chorion simplement durci dans l'alcool : les grains sont rassemblés en groupes, qui, sur la coupe, présentent une disposition elUptique allongée. Les éléments cellulaires appliqués sur les faisceaux du tissu conjonctif n'offrent jamais avec les amas granuleux que des rapports de contact. Cette observation est d'accord avec ce que l'on sait des dépôts de phosphate qui se produisent dans le tissu ostéoïde des mammifères et le transforment en tissu osseux. Les éléments cellulaires, les cellules étoilées, sont toujours respectés par le dépôt calcique : celui-ci n'envahit que la substance fondamentale. L'arrangement en réseau que présentent de bonne heure ces plaques blanchâtres sur la membrane choriale étalée est une particularité de leur histoire dont nous avons dû cher- cher l'explication. Doit-on attribuer à quelque condition de l'appareil circulatoire cette configuration si spéciale du dépôt ? Il ne nous a point paru qu'il en fût ainsi. En exami- nant une membrane choriale injectée où les plaques sont à un degré convenable de développement, on s'assure faci- lement que le réseau des taches blanchâtres ne correspond nullement au réseau sanguin artériel ou veineux. Nous nous sommes demandé s'il n'y aurait pas alors dans le tissu conjonctif un système de lacunes ou de canaux par- ticuliers analogues à des lymphatiques et préparés d'avance pour le dépôt des phosphates terreux. Nous devons dire que ni les coupes faites sur la membrane durcie, ni les ten- tatives d'injections interstitielles n'autorisent cette suppo- sition. Il s'agit là, sans doute, d'un simple dépôt effectué, sans appareil particulier, entre les éléments fibreux du chorion. 550 RÉSERVE PHOSPHATIQUE Evolution des plaques. — Nous avons dit que les plaques choriales ne présentaient pas un égal développement à toutes les périodes de la vie fœtale. Rares au début, absentes h la fin, c'est à une période intermédiaire, mais déjà voisine de la naissance, que leur production atteint son point culmi- nant. Elles présentent, en conséquence, une évolution liée de quelque manière à l'accroissement de l'embryon ; la connaissance de ce rapport projetterait sans doute une cer- taine lumière sur des phénomènes obscurs de la nutrition de l'embryon. Le premier rudiment des plaques choriales se montre aussitôt qu'apparaissent sur le chorion les vestiges des fu- turs cotylédons fœtaux. Les embryons du mouton peuvent avoir alors une longueur de 10 cà 30 millimètres; leur âge est de quatre à six semaines. A ce moment on voit se dessiner nettement sur la surface du chorion des espaces circulaires distingués des parties voisines par un dépôt de granulations blanchâtres légèrement saillantes, régulière- ment allongées, entre lesquelles courent des vaisseaux san- guins nombreux etbien développés. Ces masses granuleuses ont été observées par des anatomistes, mais sans qu'ils en connussent la nature ou la signification. Panizza (l),parl;int de l'emplacement des futurs cotylédons fo'taux de la vache, s'exprime ainsi : « En ces points, le chorion devient plus )) opaque et parsemé de petites saillies ou granulations 0 blanchâtres et molles plus ou moins développées, selon /> l'âge de l'embryon. Observés à la loupe, ces espaces se » montrent plus ou moins allongés et transparents ; ils » sont les rudiments des cotylédons du fœtus. » Pour nous, ces concrétions blanchâtres ne sont autre chose que les premiers débuts de la formation des plaques choriales ; en suivant pas à pas leurs modifications on en acquiert la (1) Panizza, Sopra iulero (jravido tli alctini ManDiiiferi , p. \'^ Milauo, 180(5. CHEZ LK FOETUS. 551 preuve. On remarquera, sans aucun doute, ce rapport singulier topographique et chronologique entre l'appa- rition des dépôts phosphatés et celle des villosités des co- tylédons. Lorsque les cotylédons sont plus avancés en organisation on voit les granulations phosphatées former autour de leur base une auréole ou une couronne, dont les éléments ra- diaires se continuent avec un réseau de même nature caché par la masse cotylédonaire. Plus tard, le développement exubérant du cotylédon dissimule le dépôt du chorion sous-jacent; mais il suffît de soulever le pédicule pour aper- cevoir le dépôt disposé tout autour du point d'implantation et semblant se perdre dans la substance même du placenta. Mais déjà à ce moment le réseau n'est plus limité aux coty- lédons ou à leur voisinage : rayonnant de ces centres, il a envahi les intervalles qui les séparent. On aperçoit ses tra- vées, ses lacunes et ses mailles dans la plus grande partie de la surface du chorion. Ses caractères sont fixés : au de- gré près, le dépôt chorial est déjà ce qu'il sera plus tard. Le plus grand développement du réseau phosphaté cor- respond à peu près à la sixième période de la vie embryon- naire, delà quatorzième à la dix-septième semaine. Arrivée à ce summum, la production décline très-rapidement : en peu de jours elle diminue ; il n'en reste plus de traces au terme de la gestation. Il est intéressant de noter que ce dépôt des matières osseuses disparaît du chorion au mo- ment même où le travail d'ossification devient le plus actif dans le squelette de l'embryon, et où, par conséquent, ces matières peuvent trouver leur emploi. Rôle physiologique. — L'étude précédente nous montre que les plaques choriales constituent une sorte de réserve où s'accumulent les substances phosphatées, en attendant le moment de leur utilisation dans l'organisme fœtal. On peut croire que dans le fait de la disparition de ces substances du chorion et de leur apparition simultanée dans l'appareil 55^ RÉSERVE PllOSPHATIQUE squelettique il n'y a pas seulement une simple coïncidence. Nous sommes bien plutôt tenté d'y voir une corrélation nécessaire, et comme la preuve du déplacement de la sub- stance d'abord accumulée dans le chorion et ensuite déposée dans le tissu osseux. Baër (1), parlant de la membrane du chorion, s'exprime en ces termes : « Elle correspond, dit-il, à la tunique corti- » cale ou testacée, ou membrane de la coquille des oiseaux. » Il faudrait aller plus loin, et dire qu'elle correspond en outre à la coquille même qui entoure l'œuf de ces animaux, et lui constitue non-seulement un moyen de protection, mais encore une réserve de substances nécessaires au dé- veloppement (2). On pourrait rapprocher le phénomène que nous signalons ici de celui qui s'observe chez les écrevisses au moment de la mue. On trouve à cette époque, d'abord dans la paroi, puis dans la cavité de l'estomac de ces animaux, des masses dures improprement appelées yeux d'écrevisses : ces masses sont de nature calcaire (carbonate et phosphate) ; elles dis- paraissent rapidement à mesure que la nouvelle carapace se consolide et se calcifié. Mais le phénomène est plus général encore. Depuis quel- ques années, dans ses belles études sur la nutrition. Cl. Ber- nard a insisté sur le rôle des reserves. Il a montré que les matériaux qui doivent servu- à des échanges nutritifs ra- (1) B;ier, Epistola de ovi mammailum et hominis genesi, p. C. Lipsitç, 1827. (2) Prévost et Morin (Journ. de pharm., 1846) admettent que pendant Tin- cubation le poids de la coquille et celui de la membrane restent constants et par conséquent que leur rôle se borne à celui d'enveloppes. Mais d'autres auteurs, à l'avis desquels nous nous rangeons, ont observé que le poids de la coquille de Tœuf de poule diminue pendant l'incubation. Le transport de phosphates que cette diminution semble indiquer serait facile à concevoir, si l'on se rappelle que ces phosphates terreux sont solubles dans les liquides chargés d'acide carbonique : le sang qui vient de respirer dans les vaisseaux allantoïdiens au contact de la coquille étant cliargé d'acide carbonique, se trouve en effet dans les conditions convenables jiour opérer ce transport. CHKZ LE FOETUS. 553 pides s'entreposent, s'emmagasinent pour ainsi dire dans certains organes pour être disponibles au moment conve- nable. Pendant les périodes les plus actives du développe- ment, chez les plantes comme chez les animaux, le même fait se produit; sa généralité l'élève donc au rang d'une loi importante. Ainsi en est-il pour la graisse, pour le sucre de canne, pour la matière glycogène, pour l'amidon, qui sont accumulés et mis en réserve pendant une période d'é- laboration ou de préparation organique. Plus tard, l'écono- mie puise dans les réserves qu'elle s'est ménagées, lors- qu'elle est obligée de fournir à un travail énergique ou à des dépenses qui ne seraient point compensées par des recettes équivalentes, comme cela arrive au moment du développement des organes embryonnaires, au moment de la mue chez les animaux, pendant l'hibernation, au moment de la germination des graines, au moment de la floraison et de lafructification des plantes bisannuelles ou dicarpiennes. D'après ce que nous venons de voir, il faudrait ajouter à la liste des substances susceptibles d'être entreposées, en vue d'une utilisation ultérieure, les matériaux de l'ossifica- tion chez les ruminants. Stroma et plaques choriaies des pachydermes. — Les détails que nous venons de fournir ont été observés sur le fœtus des ruminants : mouton et veau. Les mêmes faits se représentent presque sans modification chez les pachy- dermes. On retrouve dans le chorion du porc les mêmes dépôts calcaires que dans celui des ruminants : ils subis- sent la même évolution. Les différences sont relatives à des détails sans importance. L'aspect du dépôt chorial est plus irrégulier ; les mailles et les lacunes du réseau sont moins bien limitées. Les granulations sont plus volumineuses ; elles forment une couche située plus profondément dans Lépaisseur du chorion ; elles s'amassent même souvent aux limites de la membrane choriale dans le tissu conjonctif in- terposé à l'allantoïde; ellesy forment des dépôts épais quel- qnefois de l et 2 millimètres, sous forme de traînées blan- châtres à la lumière réfléchie, opaques pour les rayons transmis. Dans quelques circonstances, la matière phos- phatée se réunit en masse limitée, englobée par un amas de la substance muqueuse conjonctive sous-jacente du cho- rion. De cette manière se trouvent constitués des corps in- dépendants que l'on peut appeler hippomanes, par analogie avec ceux que l'on désigne sous ce nom chez le fœtus des espèces bovine et chevaline. A. D. EXPLICATION DES PLANCHES DU TOME DEUXIÈME Pla>!Che I. — Glijcogenèse dans les annexes et les muscles du fœtus. FiG. 1. — Plaque de l'amnios (grandeur naturelle). FiG. i. — Idem. FiG. o. — Corne d'une griffe d'un fœtus de chat. FiG. i. — Muscles d'un fœtus. FiG. 5. — Idem. FiG. 6. — Muscles masséter d'un veau presque à terme. FiG. 7. — Muscles d'un fœtus de chat de 7 centimètres. FiG. 8. — Idem. Coupe transversale. FiG. 9 et FiG. 10. — Plaques phosphatiques du chorion (Dastre). Planche II. — Glijcogenèse dans les glandes du fœtus. FiG. 11. — Poumon d'un fœtus de vache de 5 centimètres. FiG. 12. — Bronche d'un fœtus humain de 8 centimètres. FiG. 13. — Extrémités des bronches et tissu pulmonaire d'un fœtus de mouton de 7 centimètres. FiG. 14. — Villosités de l'intestin. Idem. FiG. 15. — Épithélium de l'estomac d'un veau prêt à naître. Planche III. — Glijcogenèse dans V œuf et dans Vembrijon de Voiseau. FiG. 16. — Vaisseaux de la membrane vitelline d'un fœtus de poulet de treize jours. FiG. 17. — Amas glycogéniques autour de ces vaisseaux (grossissement plus fort) . FiG. 18. — Idem. FiG. 19. — Cellules du jaune traitées par l'acide acétique iodé. FiG. 20. — Cellules du jaune examinées dans la masse vitelline. FiG. 21. — Cellules du jaune. Corps biréfringents de l'œuf. fuAlîDE Bf.RXAED. PnENOMERES DE LA VtK . T.II. PL.I. ^>. ?v|g(/:.| V- ÏK '111^' ^- — J .. »! ^ ^ y^ '^ ^ ^5^ Ûl i ^ *ii m II il ^ /''ù/. a r> .... I ,.^é i| ï ^ ^:? ^ «^ ^^ \f, % f „r/;v/„u„-,; Je/ . Fù,. 6 .^np . ûenzf - Gros, J^arzf , CLUIMliERKAHI). Fut Ji i'IlEN'OMKNKS DE LA VJE T, II. PL.II 3^ r .?''J \^\ •fî7 # ^5 t # # I' ZiuAl'/ fiauer c/il f;,.< ^'^'■- ê)^ >^^i$MÎ liirnirie tJ.BJiail/ier&etFilfJ'aris; '. 6re/ti/-ûrûj',S'ari£ . l-NOMliNhs Dr lAYIL I 11 IM 111 Fi LEÇON VI ORIGINE DE LA GLYCOSE DANS LES ANIMAI X ET LES VÉGÉTAL'.X. Les sources principales de la glycose sont l'amidon animal ou végélal ou la saccharose, changés en glycose par les ferments gl\cosi(iut; et inversif. — La lactose est transformée en glycose par le suc pan- créatique. — L'amygdaline fournit de la glycose sous l'influence de l'é- nmlsine. — Lasalicine est aussi une source de glycose, — de mémo les TABLE DES MATIÈRES. 559 tannins, — de même aussi la gélatine d'après Gclirardt. — Transfui- mation inverse de la glycose en amidon. — L'amidon peut être à la fois un aliment plastique et respiratoire. — Relation entre le glycu- gène et la n\itrition du système musculaire H 7 LEÇON VII CARACTliRii: GÉNÉRAL DE LA NUTRITION ET DE LA CLYCUGENÈSE. La nutrition n'est pas directe. — Les matériau.K étrangers, avant d'èlre ulilisés, passent par deu.v états : l'état d'aliment digéré, l'état de ré- serve. — Exemple : larves de mouche, — animaux soumis à l'inani- tion 133 DEUXIÈME PARTIE L A RESPIRATION LEÇON VIII DUALIS.ME RESPIRATOIRE. Rôle comburant des animaux, rôle réducteur des plantes. — Formule du chimisme 14! LEÇON IX RESPIRATION ANIMALE. Fonction respiratoire. — Ses caractères de nécessité et de continuité. — Unité des phénomènes essentiels, variété des mécanismes fonction- nels. — Historique. — Théories physiques : Aristote, Galien, Des- cartes, Roerhaave. — Théories mécaniques : Haies. — Théories chi- miques : J. Mayow, J. Black, Priestley, Lavoisier, Lagrange, Ber- nouilli, Spallanzani liT LEÇON X RESPIRATION DES PLANTES. — HlSTORlfiLE. Expériences de Van Helmont. — Le comte Saluées. — Expériences fon- damentales de Priestley sur l'antagonisme des plantes et des animaux au point de vue de leur respiration. — Lacunes de ces expériences. — Lumières apportées dans la question par Ingenhousz, Senebier, Th. de Saussure. — Distinction de la respiration proprement dite et de la fonction chlorophyllienne. Carreau 15S: 560 TABLE DES MATIÈRES. LEÇON XI VAIUÉTÉ DES MÉCANISMES KESPIRATOIRES. — INITÉ DU lllT. Distinction générale des propriétés et des mécanismes fonctionnels. — Type schématique de l'appareil respiratoire. — Deux cas à distinguer : 1° L'air va au-devant de la cellule : êtres nionocellulaires, éléments anatoniiques. 2° La cellule se déplace pour venir au contact de l'air : globules du sang : 173 LEÇON XI 1 ïliOUDLES DES MÉCANISMES RESPIKATOIHES. — ASPHYXIE. Poisons des propriétés vitales. — Poisons des mécanismes vitau.x. — — Privation d'oxygène: aérobies et anaérobies de M. Pasteur. — Asphyxie des végétaux à l'ombre. — Asphyxie des graines. — Réserves d'oxygène. 182 LEÇON XIII TROUBLES DES MfXANISMES KESPIRATOIRES. — LA PRESSION. Parmi les effets du changement de pression, il faut distinguer les effets du changement lui-même, augmentation ou diminution, et les effets de la rapidité du changement. — Effets de la diminution de pression: anoxyhémie, mal des ballons, mal des montagnes. — Effets de l'aug- mentation de pression : accidents convulsifs. — M. Bert démontre que la variation de pression agit non pas en tant que variation méca- nique, mais on tant que variation chimique de la composition de l'air. — Influence de l'oxygène sur les animaux et les végétaux l!»2 LEÇON XIV ISÙLE DE L'OXYGÈNE. — COMBUSTION RESPIRATOIRE. Principe de la théorie de Lavoisicr. — Ce principe reste vrai ; les détails de la théorie sont inexacts. — Expériences de Dulong et Dcspretz, de Regnault et de Reisct '. . . . 203 LEÇON XV FONCTION CHLOROPHYLLIENNE ET FONCTION RESPIRATOIRE. LEUR SIGNIFICATION PHYSIOLOGIQUE. La respiration proprement dite, chez les animaux et les végétaux, est un phénomène fonctionnel d'ordre purement ciiimique. — La fonction chlorophyllienne est un phénomène de nutrition, d'ordre synthétique ou vital. — Moyen scientifique de distinguer les deux ordres de phé- nomènes : action des ancsthésiques 220 TABLE DES MATlÈRIùS. 561 LEÇON XVI FONCTION CHLOROPHYLIENNE. La fonction chlorophyllienne ne caractérise ni les végétaux ni les ani- maux; elle caractérise le protoplasma vert; celui-ci peut appartenir aux deux règnes. — Dans le cas des végétaux, l'acide carbonique décomposé par les parties vertes paraît être amené à l'état de disso- lution par les racines. — Expériences à l'appui de cette vue. — Ob- servations de M. Merget TROISIEME PARTIE LA DIGESTION — LA NUTRITIOX LEÇON XVII DES PRÉLIMINAIRES DE LA NUTRITION. La digestion est une fonction préparatoire à la nutrition, accessoire lors- qu'on la considère dans son essence. — La cavité digestive est un ap- pareil extérieur à l'animal. — Complication croissante de l'appareil de la digestion dans la série des êtres vivants. — Variété des actes physiques et mécaniques qui précèdent les actes chimiques de la diges- tion.^ L'instinct des animaux s'arrête aux qualités physiques de l'ali- ment 241 LEÇON XVI [I HISTOIRE DES THÉORIES DE LA DIGESTION. Théorie de la coction (Hippocrate, Galien). — Théorie de la putréfaction (Plistonicus, Cheselden). — Théorie de la fermentation (Van Helmont, Sylvius, Wilhs, Boyle). — Théorie mécanique : Latro-mécanicieus : Borelli, Boerhaave, Pitcairn. — Expériences de Réaumur, de Stevens, de Spallanzani. — Procédé des digestions artificielles : Réaumur, Spallanzani, Tiedemann et Gmelin, Leuret et Lassaigne. — Procédé de la fistule artificielle : W. Beaumont, Blondlot. — Procédé des sucs digestifs factices : Eberle 25'J LEÇON XIX LES ALIMENTS. Définition de l'aliment par l'évolution qu'il suit dans l'organisme. — Cinq classes d'aUments : 1" Aliments azotés. 2° Aliments amylacés. 3" Ali- ments sucrés. A" Aliments gras. 5° Aliments minéraux 272 CL. BERNARD. — Phénomènes. ii. — 36 562 TABLE DES MATIÈRES. LEKON XX DIGESTION OPÉRÉE DANS LES PREMIÈRES VOIES DIGESTIVES JUSQU'A l'intestin GRÊLE. Les salives ont des usages physiques, en rapport avec la mastication, l,f gustation et la déglutition. Le rôle chimique de la salive est pure- ment accessoire : il n'appartient qu'à la salive des glandules buccales et ne s'exerce que sur les féculents cuits. — L'estomac est défini par le caractère acide de sa sécrétion, et non par sa forme, sa situation, sa structure ou ses rapports. — La sécrétion gastrique est activée par les excitants alcalins. — L'acidité du suc gastrique n'est pas un fait primitif : c'est le résultat d'une modification de la sécrétion. — Action du suc gastrique sur les albuminoïdes simples, fibrine, albumine, caséine. — Peptones; leurs caractères distinctifs. — Action du suc gastrique sur les albuminoïdes complexes. — Conclusion. — La diges- tion stomacale n'est qu'une préparation à la digestion véritable des albuminoïdes 28^ LEQON XXI LA DIGESTION INTESTINALE. Sécrétion pancréatique. — Sa composition. — Sa réaction alcaline. — Son action sur les matières grasses : ferment émulsif et saponifiant. — Son action sur les féculents : ferment gljcosique. — Son action sur les substances azotées : conditions de cette action. — Trypsine. — Sécré- tion intestinale. — Ferment inversif o 1 1 LEÇON XXII UNITÉ DES PRINCIPES ALIMENTAIRES ET DES AGENTS DIGESTIFS DANS LES ANIMAUX ET DANS LES VÉGÉTAUX. Quatre espèces de digestions et quatre espèces de ferments digestifs dans les animaux et les végétaux 32i LEÇOX XXIII FERMENTS DIGESTIFS. Ferment digestif des matières féculentes dans les animaux et les végé- taux : Digestion des aliments par les animaux, dos réserves par les végétaux. — Diastase ou ferment glycosiqae découvert par Payen et Persoz, Bouchardat et Sandras. — Époque d'apparition du ferment. TABLE DES MATIÈRES. 56^1 — Naliu-e chimique de la transformation.^- Feniieiit digestif des ma- tières sucrées dans les animaux et les végétaux : Moment oîi apparaît ce ferment pour la digestion des réserves ou des aliments. — Géné- ralité de ce ferment. — Ferment digestif des matières grasses dans les animaux et les végétaux ; Émulsion; sa rapidité. — Lenteur de la saponification. — Ferment digestif des matières azotées : Germina- tion des graines. — Absorption 331 LEÇON XXIV SECONDE DIGESTION. — NUTRITIOiN. Élaboration nutritive. — Variétés de l'évolution chimique des diverses substances alimentaires. — Modifications qu'elles subissent dans le foie et le poumon. — Ligature de la veine porte. Cette ligature n'em- pêche pas la production du glycogène. — Glycose en réserve ; glycose en exercice, chez les animaux comme chez les végétaux. — Le foie est l'entrepôt de ces réserves. Pouvoir glycogénique de l'aliment sucré, de la gélatine, du chloroforme. — Expériences pour juger la possibi- lité de la transformation du sucre en glycogène. — -Théories de la nu- trition. — Rapport des phénomènes de la nutrition et du développe- ment 36f> QUATRIEiME PAIITIE LE VITALISME P H YSICO - C H I MIQUE LEÇON XXV OP.IGINE DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉUALE. Place de la physiologie générale parmi les sciences biologiques. — But des sciences : action, prévision. — La science de la vie ne se distingue point, à cet égard, des autres sciences. — Aperçu des doctrines phy- siologiques dans l'antiquité, dans le moyen âge et dans les temps modernes. — Période contemporaine. — Cette évolution aboutit à la constitution de la physiologie générale 390 LEÇON XXVI DOCTRINE DES PROPRIÉTÉS VITALES. — PHÉNOMÈNES VITAUX ÉLÉMENTAIRES ET LEURS CONDITIONS PHYSICO-CHIMIQUES. Distinction des propriétés et des phénomènes complexes. Propriétés vitales. Irritabilité. Contractilité. Sensibilité. Les propriétés vitales ne sont que des complexus de propriétés physiques -i6t> 564 TABLE DES MATIÈRES. LEÇON XXVII VITALISME PHYSICO-CHIMIQUE. Division des phénomènes de la vie en phénomènes fonctionnels et en phénomènes nutritifs. — Spécialité des agents chimiqncs des phé- nomènes fonctionnels de l'organisme. — Spécialité des agents chi- miques d'organisation chez les êtres vivants 478 APPENDICE I. — Des corps biréfringents de l'œuf 525 [I. — Sur la lactose 543 III. Réserve phosplialique chez le fœtus des ruminants, des jumentés et des porcins 545 ERRATUM TlTliES COURANTS : Page 19 : hydrocarbonés lire : hydrocarbonées — 38 : éliminayon lire : élimination — 43 : le la glycose lire : de la glycose — 72 : glycogène dans l'embryon cutané lire : dans l'appareil cutané — 88 : fonctions glycogénésiques lire : fonction glycogénésique — 128 : alimentation de la gélatine lire : alimentation à la gélatine — 219 : vitalisme de Bighat lire : vitalisme de Bichat — 223 : la respiration, phénomène fonctionnel lire: la respiration, [»hé- nomène fonctionnel — 225 : distinction de l'irritabilité /t/-e .• distinction de la sensibilité et de l'irritabilité — 283 : leçon XIX lire : leçon XX. — 289 : acidité du sac de l'estomac lire : acidité du sue de Festomac -^ 342 : ferment interversif lire : ferment inversif de la levure — 380 : le sucre est un accident du foie lire: le sucre est un excitant du foie. Texte : Page 1, ligne 10 : profondes; et lire: profondes et — 21, ligne 8 du sommaire : Person lire: Persoz - 65, légende de la figure : e. Partie fœtale lire: c. Partie fretale — 70, dernière ligne : Paris, 1871 lire: Paris, 1876 — 71, ligne 21 : glycogenèse dans les corps lire: glycogenèse dans le corps — 78, ligne 13 : lig. 3, 4 et 5 lire .• 4 et 5 — 161, ligne 28 : ecclésiastn[ue anglais et philosophe lire: ecclésiastique et philosophe anglais — 259 : Histoire des théories chimiques de la digestion lire: Leçon XVIII. Histoire des théories de la digestion KIX nu TOMK 11 KT llKliMEK. .N i; i, 1\UE MIGNON, 2 F 278 1