Library of the University of Toronto PANTHÉON POPULAIRE. TROISIÈME SÉRIE. LE JARDIN DES PLANTES. 12 PARIS. TYPOGRAPHIE PLON FRÈRES, RUE DE VAUGIRARD, 36. LE JARDIN DES PLANTES DESCRIPTION ET MOEURS DES MAMMIFÈRES DE LA MÉNAGERIE ET DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE, PAR M. BOITARD, PRÉCÉDÉ D'UNE INTRODUCTION HISTORIQUE, DESCRIPTIVE ET PITTORESQUE PAR M. J. JANIN. PARIS, GUSTAVE BARBA, LIBRAIRE-ÉDITEUR., RUE DE SEINE, 31 Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/lejardindesplan00boit NATURELLE ILLUSTRÉE, GUSTAVK PARA, RIITKUR — 405 — AYDBEW , BEST ET LELOIR, GHAVEURS LE JARDIN DES PLANTES, PAR M. BOITARD. I est un lieu, tout au bout de Paris, qui est à coup sûr le plus de fa nature, tous Les admirables hasards de la campagne, toutes les latitudes et tous les aspects du monde connu, toutes les pro- bel endroit de rafraichissement et de repos qui se puisse ren- contrer dans ce vaste, obscur et tumultueux univers parisien. | ductions de la terre habitée et des mers, les oiseaux du ciel, Les Là se confondent dans un péle-mêle admirable la fraicheur, le | bêtes féroces du désert, le lion et le bengali, l'éléphant et l'oi- , . «7. . pue + » dy à calme, l'ombrage, les fleurs naissantes, toutes les douces joies | seau-mouche, le tigre royal et la chèvre du Thibet. Prètez 1 z 41. Paris. Typegraphie Plon frères, rue de Vaugirard. 36. 2 LE JARDIN DES PLANTES. l'oreille ! Que de chants d'oiseaux amoureux, que de hurlements épouvantables! Iei les familles des singes, bondissantes, amou- reuses, et toutes remplies des plus aimables caprices. Plus loin, dans ce bassin d'eau salée, la famille des tortues, revêtues de riches écailles, qui s’'épanouissent au soleil. C'est un bruit à ne pas s'entendre, et c’est en même temps un admirable silence, Levez la tête, le cèdre du Liban vous protége de son ombre gi- gantesque, Baissez les yeux, la violette des bois jette à vos pieds son humble et chaste parfum, Puis enfin, quand vous êtes fatigué de cette course à travers la création, quand vos yeux se sont repus de la couleur dés papillons et des roses, quand vous avez passé en revue ces myriades d'insectes aux ailes d'or, quand vous avez touché de vos mains l'or et l'argent, 1e charbon et le fer, tous les trésors que la terre enferme, allez vous asseoir auprès de Ja fontaine murmurante , sur ce vaste banc de roche calcaire, tout au-dessous de ces vastes poutres qui ont appartenu à la ba- leine, Mais cependant savez-vous sur quels débris solennels vous êtes assis? Vous êtes assis sur les débris du mastodonte, sur quelque animal antédiluvien reconnu et nommé par Cuvier ! Quelle histoire à décrire, l'histoire de ce charmant et savant petit coin de terre qui n’a pas son égal dans le monde! Autant vaudrait écrire l'histoire de l'univers tout entier. Non pas l'his- toire des hommes armés, des nations qui se précipitent l'une sur l'autre, des multitudes qui s’en vont cà et là dans l’'émigration, cherchant le pain et la terre de chaque jour. Insipide histoire celle-là, toujours la même , toujours sanglante, où reparaissent à des époques déterminées les mêmes passions, les mêmes eri- mes, les mêmes révolutions, les mêmes meurtres, épais nuages à peine sillonnés par quelques grands hommes. Mais l’histoire dont je parle, l’histoire de ce jardin miraculeux, posé sur les rives de la Seine par quelque main bienfaisante et prévoyante, c'est l'histoire éternellement pittoresque et variée de Ja fleur qui se cache dans l'herbe, de l'insecte qui bruit sous le gazon, de la ronce veloutée, dé la mine enfouie, de la montagne et de la vallée, l'histoire de l'aigle qui regarde le soleil et du moucheron enfant de l'air. Tout ce qui respire, tout ce qui existe, tout ce qui resplendit dans les eaux, sur la terre et dans le ciel, tout ce qui rampe et tout ce qui vole, tout ce qui gronde et tout ce qui se lamente, le premier animal de la création et le dernier, tel serait le sujet de ce livre : Nostri forago libelli. Mais que faire? que devenir? comment ne pas se perdre dans un si vaste sujet? Un homme l'avait tenté, le seul homme qui fût digne de l'entre- prendre; cet homme avait le coup d'œil et l'intelligence , l’émo- tion intérieure et le style, l'orgueil et la fierté; il était le seul qui füt peut-être à la hauteur d’un pareil sujet. Cet homme, vous l'avez nommé, c’est M. de Buffon, et cependant, Ô grand Dieu! vous qui êtes le Dieu de l'hysope et du cèdre, vous qui avez fait honte à la magnificence de Salomon, rien qu'en déployant la robe blanche du lis de la vallée, vous savez si M. de Buffon lui- même, Buffon, votre historien et votre favori, était à la hauteur de ce vaste sujet. Non certes; pour raconter cette histoire de l'univers que Dieu a créé, il n’y a que Dieu lui-même, C'est à peu près ce qu'on a dit de César : qu'il était le seul digne d'expliquer les batailles qu'il avait gagnées. Non certes, ce n’est pas nous qui passerons en revue, même à propos de ces quinze cents pieds de terre, toutes les merveilles de la création, On veut cependant que je vous raconte à fa manière, à la facon d'un homine qui admire plus qu'il ne comprend, les principaux détails de l'histoire du Jardin des Plantes, ce résumé de l'uni- vers, I faut que, tout en laissant de côté ce magnifique ensemble des sciences naturelles, nous vous fassions voir, pour ainsi dire à Vol d'oiseau, ces plantes vivantes et ces plantes mortes, ces bêtes féroces, arrivées hier hurlantes et bondissantes du fond des déserts, et ces cadavres inconnus sur lesquels à passé plus d'un déluge, Chose étrange ! cette admirable idée de réunir dans un seul et même lieu tousles chefs-d'œuvre de la création ne date guère que de deux cents années. Ayant Louis XII, la France n'avait eu ni assez de repos, ni assez de loisirs, ni assez d'or pour s'abandonner en toute liberté à sa passion pour les mer- veilles les plus rares, Francois [°, le roi chevalier, nous avait, il est vrai, enseigné à aimer les tableaux, les statues, les monu- ments de tout genre, les rares chefs-d’œuvre où Ja forme emporte le fond; mais ce prince brillant et léger n'avait pas été au delà de la forme; la couleur, l'éclat, la beauté extérieure lui plai- saient avant toute chose; pour une agrafe de Cellini, pour un tableau de Primatice, pour une sculpture capricieuse de Jean Goujon , il eüt donné tout ce qui est le mouvement et la vie, En ce temps-là, nous étions bien plus des Florentins qui se passion- nent pour la forme, que des philosophes qui se passionnent pour l'idée. Parler de toutes ces choses au roi Henri IV, c’eût été pet- dre, en toute perte, son latin, sa prévoyance et son esprit. Le roi Henri s’occupait, avant tout, de la finance et de la bataille, Ce fut son fils, le roi Louis XIE, esprit bienveillant et malade, homme timide, qui a attaché son nom aux choses les plus hardies de notre histoire ; ce fut Louis XIII qui, le premier, eut l'honneur d'acheter de ses deniers, dans le faubourg Saint- Victor, loin, bien loin de tous les bruits et de tous les mouvements de la ville, vingt-quatre arpents d'une terre inculte et négligée. Tel fut l'humble et mo- deste commencement du Jardin des Plantes. Le docteur Bouvard, premier médecin du roi, fut le vieil Évandre de cette Rome nou- velle et verdoyante qui s'élevait sur ces hauteurs, Le premier par- terre de ce jardin se composait de quarante-cinq toises de longueur sur trente-cinq Loises de largeur; il était encore trop vaste pour les plantes qu'on avait à y mettre; mais peu à peu les plantes ont poussé, le Jardin s’est étendu, une petite serre a été bâtie. Gaston d'Orléans, qui aimait les plantes et les fleurs, envoya au Jardin nouveau-né quelques frais échantillons de son jardin de. Blois, jusqu'à ce qu’enfin arriva Colbert, cet homme qui a deviné tant de choses. Colbert, d'un coup d'œil, eut bientôt compris tout l'avenir des vingt-quatre arpents du faubourg Saint-Victor. Fagon, le médecin du roi Louis XIV, présenta Tournefort à Col- bert. Tournefort est le premier historien des plantes ; il nous a appris à les aimer, à les connaître; il a deviné leur famille, il a indiqué les premiers noms qu’elles ont portés; pour tout dire, il est le loyal et net prédécesseur d'Antoine de Jussieu, le grand naturaliste, À vingt-trois ans, M. de Jussieu était professeur an Jardin du Roi; il avait parcouru l'Espagne et le Portugal, ramas- sant avec une curiosité pléine de dévotion les moindres brins d'herbes que produit cet air brülant. Antoine de Jussieu est une des plus grandes créations de Fagon le médecin; c’est au Jardin du Roi que se retira ce sévère serviteur du roi Louis XIV; c’est là qu'il voulut mourir. Le Jardin, reconnaissant, a conservé avec respect la mémoire de Fagon. Enfin, en 1759, le roi véritable du Jardin, celui qui l'a agrandi, qui l’a sauvé, celui-là même qui en est l'historien et le démonstrateur tout-puissant, M. de Buffon, devait porter pendant quarante-neuf ans cet illustre et utile far- deau. Certes, sans être un ambitieux, sans envier la gloire de ceux qui ont fondé des monarchies, qui ont sauvé des peuples entiers, qui ont agrandi des villes capitales, on ne peut s’empé- cher d'admirer et d’envier peut-être, car c'est là une noble en- vie, la gloire et le bonheur de M. de Buffon. Quelle gloire im- mense en effet, et quelle joie, et quelles batailles pacifiques ! M. de Buffon arrivait au milieu de cette œuvre à peine commen- cée, en se disant à lui-même qu'il l'achèverait un jour. Il arri- vait au milieu de ce désordre, de ce chaos, du pêle-mêle savant et peu Jogique de ces plantes naissantes, de ces débris sans nombre, de ces formes brisées, et il se disait tout bas : Je vais tirer du chaos toutes choses, je vais remettre à leur place l'arbre et la plante, la mousse et la fleur, je vais prononcer du haut de mon génie le fiat lux pour chaque fruit de lespalier, pour cha- que fleur en son bouton, pour chaque animal venu de toutes le —— LE JARDIN DES PLANTES. 8 parties du monde; j'élèverai les vallées, j'abaisserai les monta- gnes; j'aurai à mon gré un fleuve où uné mer, un frais pâturage ou une caverne, la rosée bienfasante et le chaud rayon du so- leil. Mes vingt-quatre arpents de terre, je les veux agrandir outre mesure, jusqu'à ce qu'enfin j'y aie renfermé une miniature de l'univers. De cette création faite par moi et pour moi, je serai le dieu d’abord, et ensuite j'en serai plus que le dieu, j'en serai le nomenclateur, j'en serai l'historien. On raconte qu'une fois le premier homme créé, Dieu dit à Adam : Te voilà, c’est à toi à nommer toutes les choses de la création. Voilà ce que se dit à lui-même M. de Buffon quand il se vit le maître du Jardin du Roi. Cette fois done son œuvre était trouvée, sa tâche éternelle commençait ; jusqu'à la fin de sa vie, il devait marcher dans ces sentiers de fleurs et d’épines, fleurs dévouées et obéissantes, épines qui ne blessent pas ceux qui les regardent avec respect, avee amour. Voici done M. de Buffon qui prend possession de son domaine. C'était triste à voir ce domaine de la nature ! Deux salles basses suMisaient, et au delà, à contenir des curiosités dignes de Ja foire : deux on trois squelettes vermoulus, des herbiers en désordre, le Jardin était planté au hasard : pas une allée, pas un sentier tracé, pas un arbre qui fût à sa place. I fallut bâtir, il fallut planter, il fallut agrandir toutes choses, surtout il fallut trouver des hommes qui vinssent en aide au grand naturaliste; car déjà M. de Buffon, comme un digne émule de Pline l'Ancien, songeail à écrire l'histoire naturelle, ce livre immense qui n’a d’autres bornes que les bornes de l'univers. Le premier qui vint en aide à M. de Buffon, c'était un homme d'une grande science, nommé Daubenton. Il fut chargé de l'ar- rangement du cabinet, il disposa les collections, il fit quatre divisions principales des divers règnes de la nature; il invoqua, au nom de M. de Buffon son maitre, le secours de tous les voya- geurs. À l'exemple d'Antoine de Jussieu, qui envoyait à ses frais ses plus zélés disciples pour ramasser des plantes et des graines, Daubenton recueillit des livres, des échantillons de tout genre. A côlé de cette famille des Jussieu, les bienfaiteurs du genre hu- main , il faut placer Jean-André Thouin et son fils André. Ainsi peu à peu tout le Jardin prenait une face nouvelle. M. de Buffon communiquait à toutes choses la persévérance de son esprit ; fous ces gens-là s'aimaient et s'entr'aidaient les uns les autres: On eût dit une colonie de cultivateurs, ou mieux encore uné réunion de disciples de Saint-Simon où de Fourier, Déjà là nomenclature de Linné, plus facile et plus commode que celle de Tournefort, aidait merveilleusement à la science. À chaque saison nouvelle le Jardin était en progrès; on jetait à bas les vieilles maisons, on en bâtissait de nouvelles, on élevait des montagnes, on creusait des vallons ; partout le râteau, partout la bêche. Bientôt ôn fut à bout de toute terre cultivée; il ÿ avait là tout auprès les jardins de l'abbaye Saint-Victor, puis un vaste enclos traversé paf la ri- vière de Bièvre. A force de sollicitations et de dépenses, l’enclos est acheté, le jardin de l'abbaye est envahi ; notis voilà maitite- nant sur les bords de la Seine, qui nous donne son eau fécon- dante. Regardez, à cette heure quels progrès déjà! Vous avez des arbres de toutes les saisons, vous avez une école d'arbres à fruits, un semis de plantes économiques, toute une école de eul- ture. Bientôt le local est nivelé, les bassins sont creusés, le mur d'enceinte est bâti, la belle terrasse s'élève le long du quai; mais ce n'est pas assez, Un terrain situé à l'extrémité des marron- niers convient à M. de Buffon, et M. de Buffon F'achète, C'était un jardin plus bas que le premier, abrité du nord et de l’ouest. Là furent transportées les couches destinées aux semis ; là furent cultivées les plantes les plus délicates. L'année suivante, en 1774, fut élevée la première serre digne de contenir les belles plantes. Tels étaient les progrès rapides de la botanique; et comme toute fortune tient à une autre fortune, tout progrès à uñ autre pro- grès, le cabinet grandissait en même temps que le Jardin, Ce cabinet était le centre unique où venaient aboutir de toutes parts les merveilleux et inestimables fragments dont se compose l'his- toire naturelle, riches échantillons dispersés dans tout l'univers, dans les entrailles de la terre, sur le bord de tous les rivages, äu sommet de toutes les montagnes, dans les volcans, dans les ruines, dans les déserts, poussière du monde passé, productions du monde présent, échantillons des mondes à venir. II fallut donc agrandir les bâtiments comme on avait agrandi le jardin; puis bientôt les collectionneurs arrivèrent offrant chacun sa collection, c'est-à-dire la passion de sa vie, pour augmenter ce bel ensem- ble. La première de toutes, l'Académie des sciences envoya au Cabinet du Roi son cabinet d'anatomie; le comte d'Angivilliers offrit le sien; les missionnaires de la Chine, ardents propaga- teurs de la foi chrétienne, envoyaient à M. de Buffon tous les échantillons qu'ils pouvaiënt ramasser dans ce fabuleux et céleste empire où nul Européen n'avait pénétré avant eux. Le roi de Po- logne s'estima heureux d'offrir au Jardin du Roi les plus beaux minéraux. On envoya chercher dans l'Inde une collection de zoologie. Bougainville räpportä de son voyage autour du monde tout ce qu'il en put rapporter pour le Jardin du Roi, donnant ainsi un exemple qui a été suivi par les navigateurs à venir. Dans ce concours unanime de toutes les fortes intelligences de l'Eu- rope pour doter un établissement si nouveau, il n'y eut pas jus- qu'à la grande Catherine qui ne tint à honneur d'envoyer au Cabinet d'histoire naturelle les plus beaux animaux du Nord, les plus rares fragments de Zoologie. C'était une femme qui enten- dait la gloire à la facon des grands rois. Elle savait par cœur toute Ja France du dixhuitième siècle, elle l'aimait dans ses moindres détails. De tout ce qui lui paraissait digne d'envie, ce que la grande Catherine enviaît le plus à la France, c'étaient ses hommes de génie, c'était Voltaire, c'était Diderot et d’Alembert, c'était M. de Buffon qu'elle avait appelé dans son empire avec celle coquetterie royalé et charmante à laquelle il était si difficile de résister, Mais M. de Buffon, tout entier à sa double création , à son livre et à son Jardin, envoya son fils à sa place. Cependant le Jardin grandissait toujours. Sur ces entrefaites, furent publiés les premiers volumes de l’ Histoire naturelle, ce chef-d'œuvre d'é- loquence où M. dé Buffon ralliait à lui, d’une facon irrésistible, tous les naturalistes de l'Europe. A bien prendre, le Jardin du Roi et l'Histoire naturelle, c'est la même œuvre : l’un tient à l'autre par un lien que rien né saurait rompre. Sans le Jardin du Roi, jamais M. de Buffon n'aurait écrit son livre; sans le livre de M. de Buffon, le Jardin du Roi n'aurait pas conquis tout d'un coup, comme il l'a fait, l'admiration de PEurope savante. Autour dé ce Jardin et de ce livre se sont groupés tous les amateurs passionnés de l'histoire naturelle. Quiconque avait étudié avec soin, avec amour, là partie la plus imperceptible de ce vaste uni- vers, une graine, un insecte, ün papillon, une plante, était le bienvenu à adresser à M. de Buffon ses propres découvertes. — Voilà, Monsieur, ce que je sais, voilà ce que j'ai appris, voilà ce que j'ai découvert. Et M. de Buffon répondait, à coup sür, à ce confrère inconnu, une lettre de remerciments, où il l'appelait son collaborateur. Ainsi l'historien de la nature était représenté dans le monde entier par toute sorte de correspondants et d’am- bassadeurs, disciples dévoués de son travail et de son génie, Cet homme voyait de très-haut toutes choses ; il aimait les col- lections, il est vrai, mais il les aimait pour s’en servir en grand historien. 11 n'aurait guère été satisfait s'il lui eût fallu se main- tenir, sans finet sans cesse, dans la description minutieuse des moindres fragments du grand ensemble : mais, au contraire, ce qui le rendait heureux et fier, c'était de reconstruire ces formes éparses, c'était de rendre la vie, le mouvement , la pensée et l'orgueil aux animaux de Ja création divine ; c'était de nous les montrer, non pas tels que la dissection nous les avait faits, mais tels qu'ils étaient sortis du caprice ou de la main de Dieu. Le lion rugissant, le tigre qui bondit, le cheval indocile au frein, 1, la génisse superbe, le taureau amoureux, le cerf fuyant au son du cor, la chèvre qui broute le cytise en fleurs; le chien, ce compagnon de l'homme; le coq, roi de la basse-cour, il n'y a pas jusqu’à l'âne, l'assidu , l'entêté et l'infatigable ami du labou- reur, l'humble animal que M. Delille n'aurait jamais osé nommer dans ses vers, à qui M. de Buffon n'ait accordé une grande place dans son histoire; mème il a écrit au sujet de ce pauvre âne, qui LE JARDIN DES PLANTES. sera là sans contredit, la plus noble introduction qui se puisse faire à ce livre du Jardin des Plantes, dont un plus savant que moi sera l'historien. Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, était né à Montbart en Bourgogne, le 7 septembre 4707. Son père était un homme riche et un savant magistrat, et il laissa son fils s’'abandonner en toute liberté aux inspirations naturelles de son génie. Le jeune Vue générale du Jardin des Plantes, prise du sommet du labyrinthe. fut plus tard un des héros de Sterne, les pages les plus touchan- tes de son histoire, pages honorables pour tous deux, pour l'âne et pour M. de Buffon, car il a rendu justice au plus patient et au plus sobre des travailleurs. En même temps ce beau chapitre, si plein de raison, de justice et de bon sens, doit absoudre à tout jamais M. de Buffon du niais reproche d’enflure et d'emphase avec lequel on l'attaque depuis si longtemps. Mais, tenez, puisque nous en sommes arrivés à cet homme célèbre, le véritable fonda- teur du Jardin du Roi, pourquoi ne pas vous raconter sa vie ? Ce Leclerc, obéissant au secret instinet qui le poussait, entreprit un voyage en Angleterre : l'Angleterre était dans ce temps-là une espèce de monde à part où nous allions chercher le drame, le roman, la poésie, la liberté, la philosophie, l'économie politique, la pondération des pouvoirs, l'émancipation du peuple, toutes sortes de choses dont s’inquiétaient, d'une facon déjà turbulente, l'ambition et l'avenir de la France. Notre jeune homme, plus modeste, ne sayait pas encore ce qu'il allait chercher en Angle- terre. Il y trouva ce qu'on y trouvait alors, une grande nation LE JARDIN DES PLANTES. ——— heureuse et fière de la révolution qu'elle avait accomplie, qui avait payé cette révolution au prix de son sang et de son or, et qui, maintenant, après tant de révolutions et de tempêtes, après ce roi égorgé, celte dynastie reprise et chassée de nouveau, re- gardait sans effroi les tempêtes, les batailles et les prospérités de l'avenir, Le spectacle d’un peuple ainsi fait était un spectacle d'autant plus grand et solennel, que la France était encore bien loin de pouvoir rêver de semblables destinées. Dans cette grande nation, les débuts de ce jeune homme, qui devait être M. de Buffon Jardin du Roi indiqua à M. de Buffon sa vocation véritable ; et certes, il se faisait bien temps que l'histoire naturelle eût son historien parmi nous. Avant celui-là toute notre histoire nalu- relle se composait de méchantes compilations sans talent et sans nom d'auteur, de sèches nomenclatures auxquelles le publie, c’est-à-dire tout le monde, n'avait rien à comprendre, et enfin de quelques traités excellents détachés du grand ensemble des choses créées, Dans cette révolution qu'il allait entreprendre et qui fut précédée de bien des doutes cruels, car enfin il ignorait 7 BESTx LELCI Les Galeries d'histoire naturelle et la Bibliothèque. plus tard, furent simples et modestes. Il commença par apprendre la langue du peuple qu'il visitait , et, pour bien commencer, il se mit à traduire, voyez le hasard quand on a du génie! la Sta- tique des végétaux de Hales et le Traité des fluxions de Newton ; si bien qu'il apprit en même temps la langue anglaise, et, qui plus est, la grande langue de la science. Alors il commenca tout à la fois à s'occuper de géométrie et des sciences naturelles, Ses premières années furent consacrées à se préparer aux études qui lui convenaient le plus. Il aurait pu devenir un grand géomètre, sa bonne étoile en fit le plus grand naturaliste de son siècle. Vous avez vu tout à l'heure comment celte place de directeur du encore celle toute-puissance du style qui était en lui, M. de Buffon avait choisi pour ses modèles et pour ses maîtres deux grands modèles et deux grands maîtres, Aristote et Pline l'An- cien : Aristote qui a deviné toutes choses, l'histoire naturelle, la rhétorique, l'éloquence, la constitution; Pline l'Ancien, qui a trouvé le premier l'élévation, le langage , la passion , le style de l’histoire naturelle; celui-ci exact et profond, ne donnant rien au hasard, ne parlant que de ce qu'il a vu et entendu, trouvant le premier anneau de cette chaîne des êtres créés qui a servi à Cuvier pour deviner à son tour tous les mystères de la création; celui-là qui a donné à la vie du monde entier cette vie si bril- 6 LE JARDIN DES PLANTES. ZE ZE EEE —_———————— lante et ses puissantes couleurs. Certes, il n'a fallu rien moins que le plus rare et le plus passionné génie pour réunir dans le même ensemble tant d'imagination et tant de science; il ne fal- lait rien moins que toute cette éloquence pour rendre les peu- ples de l’Europe attentifs à cette histoire qui est réellement l'histoire universelle. Les quinze premiers volumes de l'Histoire naturelle furent publiés de 1749 à 1767; ils traitaient de la théo- rie de la terre, de la nature des animaux, de l'histoire de l'homme, de l'histoire des quadrupèdes vivipares. Buffon et Daubenton s’é- taient partagé cette tâche difficile et compliquée ; chacun d'eux avait pris la part qui lui convenait. M. de Buffon avait gardé pour lui la poésie et la philosophie de cette histoire, il expliquait, à la facon d’un Bossuet, mais d’un Bossuet exact, les théories gé- nérales, les grands aspects et les grands phénomènes de la na- ture; il disait les mœurs des animaux, il en racontait les passions, les habitudes, les instincts, il agissait, passez-moi la comparaison, tout comme avait agi La Fontaine lui-même ; seulement dans ces drames charmants , l'honneur de la poésie francaise, La Fontaine avait à cœur de nous montrer comment, par leur sagesse provi- dentielle, par leur ruse ingénieuse, par leur bonhomie native, par la vérité de leur allure, par la profondeur inexplicable de leur génie, les animaux avaient été mis et créés au monde tout exprès pour donner aux hommes les plus utiles leçons de la phi- losophie et de la morale, pendant que M. de Buffon, au contraire, relevant à la fois l'homme et la brute dont il était l'équitable historien, s’attachait à nous démontrer comment et pourquoi tous les animaux de ce globe sont peut-être égaux devant Dieu et devant les philosophes. Pour un instant il laissait l'âme de côté; mais l'instinct, cette âme du second degré, lui suffisait à expliquer l'homme et le tigre, l'homme et l'âne qui broute, l'homme et le rossignol qui chante sa plainte harmonieuse dans les bois. Tel était le grand vol que prenait M. de Buffon dans cette histoire naturelle, qui n'a d’autres bornes que les limites de la terre et du ciel. IL était grand par la pensée, il était grand par la parole. D'un pas ferme et sûr, il suivait son chemin à tra- vers le monde, s’occupant avec un égal bonheur, avec le même enthousiasme, de l'éléphant et du ciron. Dans cette marche hardie et calme, rien ne l'inquiélait, rien ne lui faisait obstacle, car tout d'abord il avait nivelé le monde pour que son génie s’y püt déployer tout à l'aise. Il avait abaissé les montagnes, il avait comblé les vallées, il avait desséché les fleuves et les mers, il avait ouvert le globe pour savoir enfin ce que les mers et les fleuves et le globe contenaient dans leur sein. Ainsi il s'était dégagé tout d'un coup des anciennes théories, des vieux obsta- cles, des détails pénibles, Avant lui, le naturaliste se servait du microscope, mais lui il voyait toutes choses avec ce coup d'œil qui donnait aux moindres détails de la nature des dimensions énormes. Ainsi s'est accompli ce grand ouvrage de l'Histoire na- turelle où l'ensemble est tout, où les détails disparaissent em- portés dans le tourbillon de l'univers. En même temps, mais dans des sentiers plus calmes, d’un pas lent et modeste, arrivait Daubenton, curieux et intelligent no- menclateur des moindres détails de cette histoire qu'ils faisaient à eux deux. Celui-là voyait de très-près, M. de Buffon voyait de très-haut. Il reconnaissait, chemin faisant, tous les fragments dédaignés par son fougueux compagnon de voyage. Il restait assis des heures entières à voir, à contempler, à étudier, à admi- rer, à juger les héros de leur livre. Il disséquait minutieusement l'animal dont M. de Buffon esquissait l'histoire à grands traits. Et cependant, tout en marchant ainsi à petits pas, Daubenton lui-même se trouva fatigué de suivre ce rude jouteur. La lassi- tude le prit au milieu du chemin ; il s'arrêta, n’en pouvant plus; seulement il se mit à marcher seul: il s'abandonna librement à sa lente contemplation, à son étude partielle du monde: pendant ce temps, M. de Buffon courait toujours. De 1785 à 1788 furent publiés les cinq volumes de minéraux : les sept volumes de supplément ont suivi jusqu'en 1789; là s'ar- rête M. de Buffon. La mort le prit au moment le plus éclatant de nolre histoire, à l'instant même où la liberté française paraissait conquise, la mort le prit, afin, sans doute, qu'il ne füt pas té- moin du meurtre de son fils sur l’échafaud et de l'éclatant dés- honneur de sa bru dans la maison du due d'Orléans. Ajoutez à cette œuvre ses Époques de la Nature, cette théorie de la terre dans laquelle il a déployé d'une main si ferme toutes les magni- ficences du style : cinquante ans de la vie la plus laborieuse, la plus calme et la mieux réglée, cinquante ans de zèle, de haute administration, d’un dévouement de tous les jours, d'une cor- respondance infinie sur tous les points du globe, avaient suffi à peine à compléter cet immense travail. A voir ce que font les hommes de nos jours au milieu de ces agitations misérables, à voir ce qu'a fait celui-ci au plus fort des conquêtes, des émeutes, des révoltes et des victoires de 1789, on se prend à sourire de pitié. Plus d'un, outre Daubenton, a mis la main à ce travail; mais ces gloires passagères ont été dévorées par la gloire du maître. On cite de M. Guénaud de Montbéliard quelques beaux chapitres d'un grand style, et de ces chapitres on ne peut dire que ceci: C’est le style de Buffon! Le style de Buffon, pompeux, élégant, plein de grandeur et de majesté, a été plus d'une fois attaqué par les faiseurs de rhétorique et par les rivaux de sa gloire. Voltaire, que toute sorte de succès inquiétait comme un vol fait à sa gloire, souriait de pitié quand on lui parlait de l'Histoire naturelle. — Pas si naturelle! disait-il. Mais Voltaire était plus d’une fois tombé sous la main de M. de Buffon; il avait voulu se moquer des bancs de coquillages découverts sur le som- met des Alpes; il avait prétendu que ces coquilles s'étaient dé- tachées du chapeau des pèlerins qui allaient à Rome. M. de Buf- fon lui avait répondu avec de bien piquantes railleries et des raisons sans répliques. Mais laissons là tous ces coups d'épin- gle, n'allons pas chercher les critiques et les nuages qui se placent, de leur vivant, au-devant des grands hommes, recon- naissons tout simplement l’éloquence, la passion, l'entrainement, la majesté de M. de Buffon, plaçons-le au premier rang des pay- sagistes, disons que jamais la description n'avait atteint ce haut degré de vérité et de magnificence; faisons comme a fait toute l'Europe du siècle passé, humilions-nous devant ce livre im- mense où la philosophie et l'histoire naturelle se tendent une main si bienveillante et si ferme. Sans nul doute d’autres obser- vaieurs sont venus après celui-là qui ont redressé bien des er- reurs, réformé bien des päradoxes, expliqué bien des choses obscures; mais que nous importe, pourvu que la voie tracée soit suivie? Et d'ailleurs que d'idées grandes et nouvelles que le temps a confirmées, que de découvertes véritables qui sont restées im- muables comme pour servir de bases éternelles à la science; avec quel art merveilleux M, de Buffon à su classer ses idées, disposer l'ensemble de son livre, nous faire passer en revue tant d'êtres divers! Aussi ce livre a-t-il répandu dans le monde une passion toute nouvelle, la passion de l’histoire naturelle. Grâce à M. de Buffon, l'histoire naturelle est devenue la préoccupation des rois, des grands et des peuples. Les Géorgiques de Virgile n'ont pas eu plus d'influence sur le siècle d’Auguste que l'His- toire naturelle n’en devait avoir sous le règne de Louis XV. Aussi M. de Buffon fut-il grand et puissant entre tous les écrivains eL tous les moralistes de ce siècle. Il a protégé de son influence ce Jardin des Plantes qui était toute sa vie. Le respect, l'admiration, la reconnaissance de l'Europe savante l'ont entouré jusqu'à sa dernière heure; il a joué jusqu'à la fin de ce siècle le beau rôle que M. Cuvier devait jouer dans celui-ci; il a été le protecteur dévoué des sciences, l'ami des savants, s'intéressant à leurs tra- vaux et à leur fortune. indiquant aux voyageurs leur chemin sur ce globe terrestre qu'il connaissait si bien, appliquant sa raison élevée à oublier les révolutions qui grondaient de toutes parts. M, de Buffon a été heureux toute sa vie; il ne l'aurait jamais rêvée LE JARDIN DES PLANTES. 7 si belle. Il avait deux domaines qu'il aimait d’une égale passion: le Jardin du Roi et son château de Montbart, que le roi Louis XV avait érigé en comté. Le travail lui était facile, le style lui arri- vait comme le chant arrive à l'oiseau; il aimait la gloire, il mé- prisait le bruit que la gloire fait autour des hommes; il ne s'oc- eupait ni des agitations de la politique ni des émeutes de Ja littérature ; la critique lui était humaine et facile; la considéra- tion et l'estime le suivaient d’un pas égal et sûr. Sa personne donnait tout à fait une idée de son talent; sa figure était belle et grave, son air imposant, son extérieur magnifique; on disait qu'il mettait des manchettes à son style et qu'il portait un habit brodé lorsqu'il écrivait. Il obtint de son vivant un honneur qui, d'ordinaire, ne s'accorde qu'aux morts illustres; on lui éleva une statue dans l'entrée du Cabinet du Roi avec cette inscription ma- gnifique que la postérité a confirmée: MAJESTATI NATURÆ PAR INGENIUM. « Son génie est égal à la majesté de son sujet. » Durant la vie de M. de Buffon d'autres améliorations s'étaient introduites dans le Jardin du Roi: l’enseignement avait grandi ; les trois Jussieu, M. Lemonnier, M. Desfontaines, s'étaient mon- trés les dignes continuateurs de Tournefort et de Linné. L'ana- tomie et la physiologie végétales, la classification des familles , des genres et des espèces, leurs rapports entre elles, leurs usages et les diverses modifications dont elles sont susceptibles, tel fut le sujet de ces lecons qui ont donné tant de grands botanistes à l'Europe. La chimie, avec Fourcroi et Lavoisier, eut bientôt en- vahi ces savantes hauteurs, Antoine Petit, l'illustre anatomiste Vieq d'Azyr et Portal, ont aussi apporté là toutes les puissances de leur enseignement, Ainsi, de son vivant, M, de Buffon à vu s’accomplir son grand rêve; il a donné l'impulsion et la vie à ce jardin que les étrangers nous envient et auquel se rattachent tant de noms illustres entre tous. Quand M, de Buffon fut mort, le Jardin des Plantes eut à subir plus d'une révolution intestine : la révolution française arrivait à grands pas. Tout ce qui tenait à la royauté, de près ou de loin, fut obligé de courber la tête, et cependant il y eut un jour un administrateur du Jardin des Plantes qui se nomma Bernardin de Saint-Pierre. Certes, celui-là aussi, après avoir couru à travers le monde, après avoir subi tant de fortunes diverses, passé par tant d'épreuves, se trouvait enfin à la place qui lui convenait le mieux; il était né avec un grand sentiment des beautés de la nature qu'il a expliquées à la facon d'un poëte enthousiaste et convaincu. Chez lui, l'émotion intérieure était vive et puissante, Il avait ap- pris la botanique en même temps que J.-J, Rousseau, et comme lui, il l'avait étudiée avec caprice, avec amour, revenant sans fin et sans cesse à cette contemplation infinie du printemps, de l'été, de l'automne, de toutes les saisons, de toutes les beautés, de toutes les parures, de tous les accidents de la campagne. Une his- toire bien simple et bien touchante, l'histoire de deux enfants, Paul et Virginie, qui S'aiment dans un des recoins les plus stériles de l'ile de France, avait fait du nom de Bernardin de Saint-Pierre un de ces noms que l’on bénit et que l’on aime. Sans nul doute, celui-là n'est pas un homme à la hauteur de M. de Buffon, le grand seigneur, qui administre une grande affaire, qui com- mande encore même quand il demande, mais c’est un adminis- trateur bienveillant, dévoué, qui sait toutes les diffienltés de sa tâche. Peut-être n’aurait-il pas eu le génie de concevoir, le cou- rage de fonder et l'habileté d'agrandir une institution comme le Jardin du Roi, mais au moins a-t-il eu le bon esprit de la dé- fendre. 11 l'a défendue avec urbanité, avec bienveillance, en consultant les anciens, comme il le dit dans ses rapports au mi- nistère de l'intérieur. Bien plus, chose étrange, si vous avez au Jardin des Plantes des lions et des tigres, si le Parisien oisif, le provincial désœuvré, peuvent, à toute heure du jour, se donner la joie d'entendre hurler les habitants féroces du désert; si l'ours Martin est devenu, pour cette population d'heureux badauds, une espèce d'Odry pataud et goguenard, qui fait la joie publique avee ses sauts et ses gambades, c'est là un bonheur dont vous êtes redevables à Bernardin de Saint-Pierre. Il a sauvé d'une mort imminente la ménagerie du palais de Versailles, qui était, avant 89, un des amusements du roi et de la cour. Comme les lions et les tigres de Versailles manquaient d'aliments (déjà Ja nation se fatiguait de nourrir le roi, la reine et la famille royale), on écrivit au Jardin du Roi pour implorer son hospitalité en fa- veur de ces intéressantes victimes de l'an Ier de la liberté, Ber- nardin de Saint-Pierre accepta à l'instant même, et sans bénéfice d'inventaire, cette partie de l'héritage de la royauté'aux abois. Il prit en pitié ces tigres hurlants, ces lions affamés, ces pan- thères bondissantes, ces loups féroces, ces ours furieux; et avec des larmes dans la voix, avec ce style irrésistible tout rempli d'humanité et de chaleur, il demanda un sauf-conduit pour ces malheureux proscrits qui n'avaient plus d'asile où reposer leurs têtes et Jeurs griffes. C'était à l'instant même où Bernardin de Saint-Pierre, rempli d'inquiétudes sinistres, était en train d'écrire toutes sortes de vœux, vœux pour le roi, vœux pour le clergé, vœu pour la noblesse, vœux pour la nation, vœux pour l'éducation nationale, vœu pour les nations, et enfin vœux pour les bêtes féroces, De tous ces vœux-là , ce dernier vœu était le plus facile à exaucer, Dans ce dernier mémoire, Bernardin de Saint-Pierre était tout à fait dans son élément; il défendait l'étude de la na- ture, qui est la base de toutes les connaissances humaines: il démontrait, à qui de droit, l'incontestable utilité d'un établisse- ment pareil. IL n’est pas une profession de ce monde qui n'y vienne puiser des lumières; le zoologiste, le botaniste, le miné- ralogiste, tous les arts qui se rattachent aux trois premiers règnes de la nature, les lapidaires, les chimistes, les apothicaires, les distillateurs, les chirurgiens, les anatomistes, les médecins, sans compter le dessinateur, le peintre, le sculpteur, qui trouvent leurs modèles réunis dans le même espace, De là sont sortis les Tournefort , les Rouelle, les Macceaire, les Jussieu, les Vaillant, les Buffon et tous les savants qui illustrent l'Europe moderne et tous leurs ouvrages qui se sont répandus dans le monde avec une multitude de végétaux utiles et agréables, empruntés au Jardin des Plantes. M. Bernardin de Saint-Pierre proposait done de compléter cette vaste collection. Au cabinet, qui renferme les trois règnes de la nature morte des fossiles, des herbiers, des animaux disséqués, empaillés, injectés; au jardin, qui ne con- tient que les deux premiers règnes de la nature, il proposait d'ajouter une ménagerie. Cette ménagerie était toute trouvée, il n'y avait qu'à adopter la ménagerie du jardin de Versailles. Buf- fon lui-même en avait eu grande envie; mais quelque grand que fût le crédit de l’'illustre écrivain, il n’avait pas osé disputer ces tigres et ces panthères à l’homme de la cour qui en avait le gou- vernement. s Maintenant, il ne s'agissait plus de disputer ces animaux fé- roces : au contraire, les malheureux venaient d'eux-mêmes au Jardin des Plantes; ils imploraient une visite de Bernardin de Saint-Pierre et de Daubenton. Bernardin de Saint-Pierre fut le seul qui vint en aide à ces malheureux proscrils. Cette ménagerie de Versailles se composait tout simplement de cinq animaux étrangers: 4° le couagga, une espèce de cheval zébré à la tête et aux épaules, animal fort doux qui tendit sa petite tête mutine à l’auteur de Paul et Virginie, comme s'il eût reconnu son pro- tecteur et son ami ; 2 le bubale, un petit bœuf qui tient du cerf et de la gazelle; il avait été envoyé au roi de France par le dey d'Alger, en 1785; 5° le pigeon huppé de l'ile de Banga, admi- rable oiseau d’un beau plumage bleu couronné d’une superbe aigrette qui lui couvre la tête en forme d’auréole; 4° le rhinoeé- ros de l'Inde; 5 le lion du Sénégal ; il avait sept à huit mois; on lui avait donné pour compagnon un chien caniche : le chien et le LE JARDIN DES PLANTES. lion étaient les meilleurs amis du monde. Ils jouaient ensemble, non pas comme deux lions, mais bien comme deux chiens. Tout le reste de la ménagerie avait été pillé par l'émeute. On avait enlevé entre autres animaux un dromadaire, cinq espèces de singes et une foule d'oiseaux plus ou moins bons à manger. Le gouvernement de ce temps-là eut bien de la peine à ne pas met- tre à mort ces restes malheureux d’une ménagerie enviée par Buffon. On voulait les faire disséquer et faire placer leurs sque- lettes au cabinet: «IL suffit d'étudier les animaux morts pour connaître suffisamment leur espèce, » disaient les économistes. Bufon. À quoi répond Bernardin de Saint-Pierre, qui retrouve ainsi son éloquence et son courage: « Ceux qui n'ont étudié Ja nature que dans les livres ne voient plus que leurs livres dans la nature; ils n’y cherchent plus que les noms et les caractères de leurs systèmes. S'ils sont bolanistes, satisfaits d'avoir reconnu la plante dont leur auteur leur a parlé, el de lavoir rapportée à la classe et au genre qu'il leur a dési- gnés, ils la cueillent, et l'étendant entre deux papiers gris, les voilà très-contents de leur savoir et de leurs recherches: ils ne se forment pas un herbier pour étudier la nature, mais ils n’étu- dient la nature que pour se former un herbier. Ils ne font, de même, des collections d'animaux que pour remplir leur cabinet et connaître leurs noms, leurs genres et leurs espèces. » Mais quel est l'amateur de la nature qui étudie ainsi ses ra- vissants ouvrages? Quelle différence d'un végétal mort, see, flétri, décoloré, dont les tiges, les feuilles et les fleurs s’en vont en poudre, à un végétal vivant, plein de sue, qui bourgeonne, fleurit, parfume, fructifie, se ressème, entretient mille harmonies avec les éléments, les insectes, les oiseaux, les quadrupèdes, et se combinant avec mille autres végétaux, couronne nos collines ou tapisse nos rivages ! » Peut-on reconnaître la verdure et les fleurs d’une prairie dans les bottes de foin, et la majesté des arbres d'une forêt dans les fagots? L'animal perd à la mort encore plus que le végétal, parce qu'il avait recu une plus forte portion de vie. Ses principaux ca- ractères s'évanouissent, ses yeux sont fermés, ses prunelles ter- nies, ses membres roidis; il est sans chaleur, sans mouvement, sans sentiment, sans voix, sans instinct. Quelle différence avec celui qui jouit de la lumiere, distingue les objets, se meut vers eux, aime, appelle sa femelle, s'accouple, fait son nid, élève ses petits, les défend de ses ennemis, étend ses relations avec ses semblables, et enchante nos bocages ou anime nos prairies! Reconnaitriez-vous l’alouette matinale et gaie comme l'aurore, qui s'élève en chantant jusque dans les nues, lorsqu'elle est atta- chée par le bee par un cordon, ou la brebis bélante et le bœuf laboureur dans les quartiers sanglants d’une boucherie? L'ani- mal mort, le mieux préparé, ne présente qu'une peau rembour- rée, un squelette, une anatomie. La partie principale y manque : la vie qui le classait dans le règne animal. Il a encore les dents d'un loup, mais il n’en a plus l'instinct, qui déterminait son ca- ractère féroce et le différenciait seul de celui du chien si sociable. La plante morte n’est plus végétal, parce qu'elle ne végète plus; le cadavre n’est plus animal, parce qu'il n’est plus animé; l'une n'est qu'une paille, l’autre n’est qu'une peau. Il faut done étu- dier les plantes dans les herbiers et les animaux dans les cabi- nets pour les reconnaitre vivants, observer leurs qualités, el peupler de ceux qui sont utiles nos jardins et nos métairies. » Cuvier. Celle voix éloquente devait être entendue. Et d’ailleurs, en tout ceci, Bernardin de Saint-Pierre ne prenait que la défense des lions et des tigres. Donc il fut décidé qu'une ménagerie serait établie au Jardin des Plantes que la ménagerie de Versailles y serait transportée, et aussi la ménagerie du Rainci. Si bien qu'un jour, par cette même route de Versailles, où tout un peuple en fureur était venu chercher le roi, la reine, M. le dauphin, ma- dame Élisabeth, toute cette famille de saint Louis; par ce même chemin sanglant où ces condamnés à mort élaient trainés lente- ment dans la poussière, on vit passer, traîinés dans une voiture à quatre chevaux, mollement couchés dans leur niche de chaque LE JARDIN DES PLANTES. 9 jour, suivis et précédés de leurs gardiens qui les entouraient de petits soins, de prévenances et de caresses, le couagga, le bu- bale, le pigeon huppé, le rhinocéros et le lion. On n'avait pas mème séparé le lion de son ami fidèle et dévoué, le chien cani- che. Quelle est, je vous prie, l'histoire de ce monde qui n'ait pas ses contrastes? Quelle est la révolution qui n'ait pas ses victimes ? Quelle est la grande route, quelle est la vaste mer qui n'ait pas vu passer, avec un étonnement plein d'épouvante, la royauté ‘dans ses appareils si divers? Mais quoi done ! à propos des fleurs et des plantes, et des fruits de l'automne, et des grands arbres qui nous viennent de loin; mars 1792, toutes les universités sont abolies, toutes les acadé- mies sont supprimées, même la faculté de médecine est proscrite. Cependant, au milieu de tout ce renoncement, que va devenir le Jardin, le Jardin du Roi? Un caprice de cette nation de 92, qui allait si vite, a sauvé le Jardin du Roi. Quelques honnètes gens se rencontrèrent qui persuadèrent au peuple français que le Jardin du Roi était un grand dépôt d'herbes médicinales, où les malades venaient chercher la santé du corps; entrepôt bien- veillant où chacun se fournirait de mauves, de camomille et de tilleul. On ajoutait que le laboratoire de chimie servirait à faire de la poudre. Donc, nous aurons des tisanes rafraichissantes et Les Oursons. à propos des lis et des roses, à propos du beau jardin qui res- plendit là-bas sous le soleil, gardons-nous bien d'aller au-devant des passions politiques. Laissons-les courir et se démener tout à l'aise de Versailles à Paris et de Paris dans le reste du monde : que nous importe! Il ne s'agit pas de sauver une antique monar- chie qui se perd, il s’agit d'agrandir et de sauver le jardin que M. de Buffon a planté de ses mains. Vienne la république une et indivisible, elle est la maitresse souveraine! mais, au moins, sauvons le Jardin du Roi. — Jardin du Roi! c'était là, en effet, le nom primitif de ce petit univers en raccourci. Cette fois, la li- berté nouvelle, impatiente de tout entrainer, se répand çà eL là comme un torrent vainqueur qui apporte avec lui toute sorte de fécondités et de désordres. Mais à l'heure où nous sommes, 18 des cartouches, du bois de réglisse et des bombes : que pouvons- nous désirer de plus? A ces causes le Jardin du Roi fut sauvé de la proscriplion générale. Eh ! que de grandes insütutions ont été sauvées pour des motifs moins sérieux que celui-là! Vous avez peut-être vu à la plus belle place de la ville de Lyon une admira- ble allée de tilleuls, qui est la joie, l’ornement, la fraicheur; le délassement de cette ville immense. On allait renverser les tilleuls et en faire du bois, lorsque se présenta un jour aux proconsuls de Commune affranchie une vieille femme, sexagénaire, pour ex- pliquer à ces terribles niveleurs comment elle avait l'habitude, depuis cinquante ans, de se promener, chaque jour d'été, à l'om- bre de ces vieux arbres; que ces arbres l'avaient vue naître, et qu'elle ne voulait pas les voir mourir. On écouta favorablement 10 LE JARDIN DES PLANTES. la vieille femme; on prit en considération son humble prière. Ainsi furent sauvés les beaux tilleuls de la place de Bellecour, Cependant vous comprenez bien que ces titres de Jardin du Roi, intendant du roi, et tout ce qui sentait tant soit peu sa mo- narchie, durent immédiatement disparaître. Aussi fit-on un dé- eret qui ordonnait qu'à l'avenir le Jardin du Roi s’appellerait Muséum d'histoire naturelle; qu'il n'aurait plus d'officiers, mais ‘les professeurs; plus d’intendant à vie, mais un dérecteur à chan- ger chaque année. Quant aux professeurs à nommer, quant aux chaires à établir, la chose fut faite avec beaucoup de générosité et d'intelligence. Les cours du Muséum d'histoire naturelle se com- posaient de douze chaires : minéralogie, chimie générale, art chi- nique, botanique dans le Muséum, botanique dans la campagne, culture, deux cours de zoologie, anatomie humaine, anatomie des animaux, géologie, iconographie naturelle. Par le même dé- cret on instituait au Muséum une bibliothèque qui se devait com- poser de tous les livres des établissements publics que la nation avait déjà supprimés, ou qu’elle supprimerait plus tard. Les douze professeurs se nommaient : Daubenton, Fourcroi, Brongniart, Desfontaines, de Jussieu, Portal, Mertrud, Lamarck, Faujas de Saint-Fond, Geoffroy, Vanspaendonck, A. Thouin. Ajoutez à ce personnel, déjà considérable, le nom de M. de Lacépède, ancien collaborateur de M. de Buffon; les noms de MM. Maréchal et des deux frères Redouté. — C'est le même Pierre-Jean Redouté qui a élé pendant quarante ans le plus charmant et le plus exact des peintres qui aient donné l'éternité aux fleurs, ces astres d'un jour. Le nom de Redouté se rattache au Jardin des Plantes par toutes sortes de chefs-d'œuvre un prix inestimable. Il est l'his- torien des liliacées et des roses: il leur a donné autant de durée que les plus grands narrateurs en ont donné aux gagneurs de batailles. Rendons justice à qui de droit. Cette idée d’avoir un peintre pour les plus belles fleurs, pour les plantes les plus cu- rieuses de nos jardins et de nos campagnes, appartient à Gaston d'Orléans, le propriétaire du jardin de Blois, le premier prince du sang qui se soit occupé d’horticulture avec le zèle d'un savant et une dépense toute royale. Gaston d'Orléans aimait ses fleurs autant, pour le moins, que M. le régent devait plus tard aimer ses maltresses. Le jardin de Blois avait son peintre ordinaire, tout comme il avait son jardinier en chef. Le peintre de fleurs de Gaston d'Orléans s'appelait Robert : c’élait un artiste patient, laborieux, exact, ne donnant rien au hasard, même quand il peignait une rose. A la mort du duc d'Or- léans, en 1660, Colbert acheta, pour la bibliothèque du roi, le recueil des plantes peintes par Robert sur vélin, À Robert succéda, plus tard, Vanspaendonck. Celui-là, plein de fougue et de caprices, grand coloriste, dessinateur fantasque, arrangeant et disposant à sa guise les plus fines et les plus délicates créations de la flore francaise. Redouté s’est montré le digne successeur de ses deux maitres; il à été exact comme Robert, coloriste comme Van- spaendonck. Il avait été mis au monde tout exprès pour jouer, comme disent les enfants, au jeu de regarder les fleurs. Il éln- diait ces plantes délicates, ces formes vaporeuses, celte couleur idéale tombée du ciel avec la rosée du printemps, tout comme Dupuytren lui-même étudiait, à la même époque, les nerfs, les tendons, les artères, les viscères que contient le corps de l’homme. Pour les peindre tout à l'aise, ces fleurs bien-aimées qui ont été la couronne de sa jeunesse , la fortune de son âge mür et l'apo- théose de son tombeau, Redouté, ce peintre charmant, avait in- venté et perfectionné l’aquarelle, comme la seule couleur qui fût digne de reproduire dans ses nuances les plus fines et les plus délicates le tendre émail des prairies, le frais coloris des jardins. Cet homme, qui a peint toutes les fleurs de la création, n’en a pas inventé une seule. I faut le dire à sa louange, il a prouvé qu'un peintre de fleurs pouvait êlre et devait être un artiste sé- rieux. Ainsi parmi toutes les batailles de la révolution et de l'em- pire, au plus fort de toute cette gloire des armes et de la politi- que qui nous apparaît aujourd'hui comme un rêve, Redonté s’est tenu renfermé toute sa vie, dans le jardin en été, dans la serre en hiver. Il s’est maintenu entre une double haie d'aubépines en fleurs, an bruit de l'Europe en armes, au bruit des trônes qui croulaient. Cet homme heureux n’était occupé qu'à ramasser des bluets dans les champs et des roses à toutes les épines. Il a été un instant le roi de la Malmaison et le favori de cette douce im- pératrice Joséphine, qui aimait tant les hortensias et les lauriers. Modeste et bon redouté! le Jardin des Plantes gardera son sou- venir comme on garde le souvenir de la première violette que nous à donnée notre jeune maitresse. A voir sa main difforme et ses gros doigts, qu'on eùt pris pour les doigts d’un forgeron, nul ne se serait douté des délicatesses infinies que ces gros doigts pouvaient contenir; comme aussi à entendre sa parole embar- rassée , à le voir chercher les mots les plus vulgaires de la langue, qui aurait cru que c'était là le professeur le plus suivi du Jardin des Plantes? Pourtant la chose était ainsi. Au cours de Redouté se pressaient en foule les plus charmantes femmes et les plus ai- mables jeunes filles de la grande famille parisienne, qui venaient se mettre au courant de quelques-uns des mystères que renferme la fleur; et puis, quand il parlait de cette grande famille dont il était le Van-Dyck et le Rubens, Redouté devenait presque un ora- teur. I expliquait, à la facon d'un peintre éloquent, les moindres détails de cette délicate anatomie des plantes. Pauvre homme! si aimable et si bon, si ingénieux et si modeste, dont l’école a porté tant de fleurs, il est mort frappé d’apoplexie par la mauvaise et brutale volonté d'un méchant commis du ministre de l'inté- rieur, qui avait refusé de lui commander un tableau. Le matin même il avait fait sa dernière lecon au Jardin des Plantes, puis en passant dans le jardin il avait demandé un beau lis tout chargé de rosée; rentré chez lui, il avait posé la belle fleur dans un vase de porcelaine et il s'était mis à la dessiner avec cette calme passion qu'il apportait à toutes ses œuvres. Cependant la nuit était venue déjà; la fleur perdait peu à peu ce nacré trans- parent qui la rend si brillante, le lis se penchait sur sa tige lan- guissante, la corolle fatiguée s'entr'ouvrait avec peine laissant échapper son pollen maladif. «Il faut que je me hâte, dit Re- douté, voici déjà que m'échappe mon beau modèle; il ne sera plus temps demain, hâtons-nous ce soir. » En même temps il allumait sa lampe ; le lis fut placé sous cette lueur favorable, Re- douté continuait son travail. Hélas! qui l'eût cru, qui l'eût jamais pensé? entre le peintre et son modèle c'était un duel à mort. A ce moment solennel la noble fleur royale jetait autour d'elle toute son odeur suave, toute son àme; le peintre résistait de toutes ses forces. A la fin il fut vaincu, il tomba roide mort sur celte page commencée, il dura moins longtemps que cette fleur. Nous avons eu sous les yeux ce dessin inachevé de Redouté; c’est la dernière, et c’est, sans contredit, la plus belle fleur qui soit sortie de ses mains. Que si vous voulez savoir ce qu'est devenue cette longue suite de dessins, continuée sans interruption depuis Gaston d'Orléans jusqu'à nos jours, allez à la bibliothèque du Muséum, parcourez ces immenses in-folio remplis des plus ad- mirables peintures sur peau de vélin, et vous resterez anéanti devant une telle merveille. La partie botanique seule compte plus de six mille dessins originaux et d’après nature; les connaisseurs afirment que cette collection vaut plus de deux millions. Il faut dire aussi que la série animale est presque aussi riche; qu'on y travaille sans fin et sans cesse, et que jamais plus grande, plus somptueuse entreprise n’a été exécutée sur une plus vaste échelle et par des artistes plus habiles. Que si vous ajoutez à ces noms d’aulres noms qui sont devenus célèbres à plus d'un titre : MM. Dufresne, Valenciennes, Deleuze, vous comprendrez que le Jardin des Plantes n'a pas à se plaindre de la révolution francaise. C'est la révolution qui a rappelé M. de Lacépède; elle à agrandi le Musée, régularisé et agrandi le jar- din; elle a été animée des meilleures intentions, Malheureuse- LE JARDIN DES PLANTES, 11 ment il est arrivé plus d'une fois que, tout d'un coup l'argent venant à manquer, les plantes mouraient faute de feu dans les serres, les animaux faute d'aliments dans leurs cages. La révolu- tion avait encore ceci de bon qu'elle avait dégagé le Jardin de toutes sortes d'entraves; elle s'était emparée des jardins et des maisons qui l'obstruaient. Bien plus, elle avait poussé la précau- tion jusqu'a emprunter au stathouder de la Hollande, en 1795, emprunt fait les armes à la main comme nous empruntions toutes choses en ce temps-là, deux éléphants mâle et femelle pour le Jardin des Plantes. Vous pensez si ce fut là une fête pour le Jar- din et pour le peuple de Paris : un éléphant, deux éléphants, le mâle et la femelle! Il ne fut plus question de la conquête de la Hollande pendant huit jours. Revenons cependant à Bernardin de Saint-Pierre, Son nom est un de ceux qui font le plus d'honneur au Jardin des Plantes, Le roi Louis XVI lui avait dit en le nommant : « J'ai lu vos ouvrages, ils sont d’un honnète homme, et j'ai eru nommer en vous un digne successeur de Buffon. » Le passage de Bernardin de Saint- Pierre a laissé des traces utiles, sinon savantes. Plusieurs de ses projets ont été adoptés depuis lui. Avee cette imagination poétique qui ne l'a jamais quitté, il voulait établir la ménagerie sur un plan aussi vaste que pittoresque; elle devait renfermer des vo- lières plantées de toutes sortes de végétaux, des rivières d’eau courante, des étables bien aérées et jusqu'à de sombres cavernes appropriées aux bêtes féroces, I demanda, comme nous l'avons dit, le transport de la ménagerie de Versailles à Paris; il eut à soutenir contre les économistes de ce temps-là de violentes dis- putes en faveur des plantes et des arbres du Jardin national, Il défendit lui-même contre la souveraineté du peuple, et cette sou- veraineté était sans réplique, ce jardin que le roi Louis XVI avait confié à sa probité et à son honneur, — « Je suis le maitre, disait le peuple, je suis chez moi, dans mon jardin. Eh bien! qui m'ar- rête? je veux briser mes arbres, cueillir mes fleurs, manger mes fruits, mettre à la broche mes faisans et mes perdrix rouges. » Le raisonnement était spécieux : Bernardin de Saint-Pierre y ré- pondit en invitant les citoyens du faubourg Saint-Marceau à faire dans le jardin une garde fraternelle, la kaïonnette au bout du fusil. Pour le récompenser de son zèle et de son courage, sa place fut supprimée. Alors il se retira à Essone, dans une maison qu'il avait bâtie. La lettre qu'il écrivit au ministre est touchante et presque simple pour un homme comme M. de Saint-Pierre : « Je ne souhaite, disaitil au sortir de l'intendance, que de pou- » voir vivre dans une chaumière, dans cette humble et paisible » enceinte, préservé des ambitions qui déchirent ma malheureuse » patrie; je recommencerai ce que je n'aurais jamais dû quitter, » C'est ainsi qu'il sortit du Jardin des Plantes pour n’y plus ren- trer. À Essone, il reprit ses longs travaux de chaque jour, Trop heureux encore qu'il ait été oublié dans ces tempêtes qui faisaient tomber la tête du fils de Buffon, de Roucher et d'André Chénier. Cependant nous voici à l'an de grâce 1796 : le Jardin des Plantes, retiré dans son faubourg dont il est l'honneur et la fortune, re- coit une lettre du capitaine Baudin, où il était dit que le capitaine avait réuni dans l’île de la Trinité une riche collection de maté riaux pour l'histoire naturelle, qu'il demandait un vaisseau et des hommes pour rapporter cette riche collection au Muséum. On accorda au capitaine le vaisseau et les hommes qu'il deman- dait : MM. Manger et Villain, zoologistes, M. le botaniste Leduc, M. Riedley, jardinier du Mnséum. On met à la voile le 30 sep- tembre; on fait naufrage aux iles Canaries; enfin, après bien des traverses et au bout d'une année entière, ce nouveau et savant vaisseau des Argonautes revient tout chargé d'arbres, de végé- taux, de riches herbiers. Chemin faisant, quelquesunes de ces plantes avaient porté leurs fruits et leurs fleurs comme en pleine terre. Voilà done le Muséum qui prend le goût des voyages: les voyages et la guerre l’enrichissent également. On va chercher en Afrique la collection d'oiseaux de M. le Vaillant; on ramène de la Guyane la collection de M. Bragton. Il y eut bien encore de mauvais moments à passer, à ce point qu'en l'an 4800 (Bonaparte n'était pas encore le maître de Ja société qu'il devait sauver) on fut obligé de faire dévorer aux plus beaux lions des lions de Ja moindre espèce; celui-ci, égorgé le matin, nourrissait celui-là le soir. c'était tout à fait comme en 1793 pour les hommes. Mais bientôt vint le premier consul Bonaparte, mais bientôt vint l’em- pereur Napoléon, et avec lui revinrent au gite national les let- tres, les sciences, les beaux-arts, la civilisation tout entière. A la fin, cette France, fatiguée de tant d'agitations intestines, et se sentant gouvernée par une main intelligente et ferme, revenait à la passion de ses beaux jours. Désormais les tigres et les lions, les bourgeois et les grands seigneurs purent dormir en repos, défendus et protégés qu'ils étaient par la même volonté. Le Jardin des Plantes grandit comme grandissaient toutes les choses impé- riales. On se mit done à arranger et à bâtir; on donna droit d'asile aux résultats scientifiques de tant de conquêtes; on s'oc- cupa en même temps des éléphants et des insectes. Il est vrai que les lions avaient fait des petits dans Ja ménagerie; mais le lion du roi Louis XY[ était mort de chagrin d’avoir perdu son caniche, mais le kangouroo se faisait vieux, mais l'éléphant pris en Hol- lande s'était dégoûté de sa femelle. L'empereur ordonna une re- erue générale; il envoya acheter des bêtes fauves même en An- gleterre, à savoir : deux tigres, le mâle et la femelle, un couple de lynx, un mandrill, un léopard, une hyène, une belle pan- thère; on avait accordé par-dessus le marché quelques beaux oi- seaux et quelques plantes rares. Ainsi s'augmentait cette collection rugissante, Déjà nous sommes bien loin de ce petit jardin où le médecin du roi Louis XII élevait quelques plantes plutôt pour son plaisir que pour l'utilité générale. Vous en pouvez juger par ces parterres qui s'étendent au loin, par cette galerie pourvue de glaces et de stores, par cette belle serre tempérée ; garnie de magnifiques arbustes. A l'heure où nous parlons, toutes les parties des sciences naturelles sont également enseignées, l'ordre est partout, partout enfin vous pouvez retrouver dans chaque par- celle de ee petit espace une partie des bienfaits que la main de la Providence divine a répandus sur le globe, pour être entre tous les hommes de ce monde un perpétuel sujet d'échange, de com- merce, de Jibéralité fraternelle et de reconnaissance envers ce Dieu qui a donné aux créatures faites à son image tant de fruits, tant d'or, d'argent et de fer, tant d'animaux et tant de fleurs. A ce moment-là paraît au Jardin des Plantes un homme d'un rare bon sens, un des créateurs de la chimie. J'ai nommé M, Fourcroi; il avait en lui les qualités du savant et du grand administrateur. Quand il vit que l'institution s'était ainsi agrandie, ainsi fécondée, qu'elle était plus durable peut-être que le trône de l'empereur en personne, Fourcroi comprit que ce n'était pas assez pour le Muséuüm d’avoir des correspondants dans toutes les parties du monde, d'envoyer çà et là des savants et des voyageurs, ici des capitaines qui explorent l'univers connu, là-bas des ambassadeurs qui achètent, il voulut que le travail incessant du Muséum devint non-seulement un enseignement parlé, mais encore un livre écrit. À ces causes, il institua les Annales du Muséum; dans ce livre, qui n'a pas son égal dans le monde, chaque professeur de- vait consigner les progrès et les découvertes de la science; les plus habiles dessinateurs devaient en faire les dessins; tous les hommes distingués de l'Europe savante étaient de droit rédac- teurs de ce recueil. Ainsi fut fondée cette vaste collection , lhon- neur de la science moderne. Adoptés par toute l'Europe ,:les Mémoires du Muséum d'histoire naturelle doivent représenter jus- qu'à la fin de la civilisation francaise les travaux, les efforts et les progrès de cette réunion d'hommes qui n’ont jamais manqué ni au passé m au présent de la France, et qui certes ne manque- ront pas à son avenir. On comprend très-bien que dans cette espèce de monument à trois étages, dont chaque étage est représenté par un des règnes 12 LE JARDIN DES PLANTES. de la nature, dans ce phalanstère de la science, permettez-moi de me servir de ee mot nouveau, devaient survenir toutes sortes de fortunes heureuses; c’est ainsi que fut acheté le cabinet de minéralogie de M. Warisse : ce cabinet se composait d’une col- lection de minéraux de toutes sortes; le propriétaire en voulait 150,000 livres. Le Muséum n'avait pas d'argent comptant, mais de Corse, tout le résultat du voyage aux terres australes. Dans ce voyage se distinguèrent M. Lesueur, peintre d'histoire, et M. Péron; ils rapportèrent plus de 400,000 échantillons d’ani- maux grands et pelits, et appartenant à toutes les classes: ils rapportèrent le zèbre et la guenon pour l'impératrice Joséphine. Leur herbier était immense, leurs plantes vivantes étaient sans nl ë nm ANOPEM. EST. | EL Galerie des Singes. il avait des pierres précieuses £des morceaux de lapislazuli, une pépite d'or; il s'estima trop heureux d'échanger ces inutiles ri- chesses contre cette suite régulière d'échantillons dont le temps devait remplir toutes les lacunes. L'expédition d'Égypte avait aussi apporté au Muséum ses momies, ses animaux sacrés, toutes les reliques fabuleuses des temples et des tombeaux de Thèbes et de Memphis. Dans sa course armée à travers le monde, l’'em- pereur n'oubliait jamais le Muséum : il lui envoya tour à tour les poissons fossiles de Vérone, les échantillons des roches de File nombre : c'étaient des fruits inconnus, des plantes toutes nou- velles, des arbres sans nom. Les métrosidéros, les mélaleucas, les leptospermes; e’était l'eucalyptus, un arbre qui arrive à 150 pieds dans son pays natal. II serait impossible de compter tous les arbres nouveaux qui sont sortis de ce jardin; la famille des myrtes à elle seule est innombrable, et notez bien que toutes ces familles allaient s'augmentant chacune à leur tour : aujourd'hui les myrtes, demain les singes; chaque homme et chaque animal de la création était placé dans son paysage naturel ; dans les LE JARDIN DES PLANTES. 13 ER — pares et sous l’épais gazon, les cerfs, les daims, les axis, les bouquetins , les rongeurs, les gnenons, les kangouroos, le zèbre ; dans les bassins et sur le bord des ruisseaux, les cygnes, les ca- nards, le pélican, les paons étalant leur queue superbe ; au centre du jardin , les autruches et les casoars avaient leur enclos sablé; les oiseaux de proie poussaient leurs cris funèbres et s’abandon- comme aussi chaque partie de ce cadavre devient utile à son tour, on utilise mème les vers des intestins, même les insectes de la peau, car ce sont autant de sujets d’études. Ainsi se tenaient mer- veilleusement tous ces détails; ainsi la plante tenait à l'animal vivant, l'animal vivant tenait à l'animal mort, et après la mort il y avait encore le squelette. Peu à peu se fondaient ces vastes ga- L'Amphithéätre des cours. naient à leur féroce joie sans inquiéter les faisansdoréset les oiseaux de la basse-cour. Ainsi peu à peu la science l'emportait sur la eu- riosité frivole. La ménagerie était fondée sur un plan régulier, tout comme les serres et les plates-bandes; chaque animal était à sa place naturelle, dans cet univers en miniature : il avait son peintre pour le dessiner, son gardien pour le nourrir et pour étudier ses mœurs, ses habitudes, ses amours, ses maladies; l’a- nimal mort, on le portait au laboratoire d'anatomie et de zoolo- gie, où il retrouvait une vie nouvelle sous la main de l’empailleur ; leries où l'anatomie comparée raconte d'une facon moins solen- nelle, il est vrai, toutes les merveilles de la création. A ce mo- ment-là parait un homme dont le nom restera comme l'honneur impérissable du monde savant, j'ai nommé M. Cuvier : il était à lui seul toute une science, j'ai presque dit toute la science; il était tout simplement de la famille des Galilée et des Newton, de ces hommes qui tout d’un bond atteignent les limites du monde. Ce fut donc dans ces salles d'anatomie comparée, au milieu de cette longue série de squelettes et de toutes les parties de ces 14 LE JARDIN DES PLANTES. mêmes squelettes, et en comparant les osséements modernes avec les vieux ossements Yermoulus qui nous venaient du déluge, comme autant de vestiges fabuleux de l'univers d'autrefois, que Georges Cuvier s'arrêta épouvanté le jour même où il découvrit que la plupart des ossements fossiles n'avaient pas leurs analogues parmi les êtres vivants. Sans nul doute, ces animaux, dont on ne savait pas même le nom, avaient vécu sur la terre; sans nul doute ils avaient eu leurs passions, leur instinct, leur utilité, leurs amours: à coup sûr voici leurs ossements, voici la tête de celui-ci et le fémur de celui-là; lun a laissé dans les limons du globe cette dent brisée, l'autre cette corne recourbée, et maintenant voilà tout ce qu'il en reste; pas un individu entier n’est resté de cette famille éteinte; pas un nom, ou fout aù moins un de ces noms qui se rencontrent dans Hérodote ou dans la Bible. Il s'agit donc de ranimer toutes ces poussières, de retrouver toutes ces formes évanouies, de rendre à ces pétrifications le nom qu’elles portaient quand elles couraient dans les bois, quand elles s’agi- taient dans les mers, quand elles regardaient face à face le soleil. Certes, c’est là une de ces tâches immenses dont l’idée seule fai- sait reculer d'épouvante. Quoi donc? Vous ne pouvez pas dire le nom des cadavres enterrés sous les pyramides d'Égypte, bien que le nom de ce mort soit écrit sur la pierre éternelle, et vous osez dire à coup sûr quel est le nom de l'animal qui était déjà devenu une pierre le premier jour où fut fondée la pyramide de Chéops; ainsi a fait Cuvier cependant, ainsi il a appris à nommer , aussi bien que Dieu qui les avait faites, ces créatures disparues du globe, que la terre avait englouties dans ses entrailles, Et, comme en France toute idée est rapidement féconde , de jeunes esprits se sont mis à la recherche des corps organisés des anciens mondes, et ont découvert d'innombrables productions mécon- nues jusque-là. M. Adolphe Brongniart à créé une botanique fossile. La butie Montmartre, la montagne Saint-Pierre de Maëstricht ont fourni de gigantesques troncs de palmiérs, des bruyères atbo- rescentes, des plantes tout entières : tiges, feuilles, fleurs et fruits. On a reconnu que les terrains hotillers n'étaient autre chose que des forêts antédiluviennes , lentement carbonisées, et conservant encore des formes végétales, qu'une patiente analyse rend tout à fait évidentes. Enfin, le croifa-t-on, ces myriades d'a nimaux microscopiques qui peuplent les eaux ont subi des (fans- formations semblables à celles qui nous ont conservé les plus monstrueux habitants des mondes primitifs, Les formes les plus délicates, les appendices les plus imperceptibles sont aussi faciles à reconnaitre que les vastes ossements du meégathétium, M. De- france avait déjà reconnu, dans les sables de Grignon, üñe mul- titude de coquilles presque imperceptibles; ét, dernièrement, M. Ehremberg a trouvé des monades et des infusoires à l'état fos- sile. Tout ceci est l'infini; et le père Kircher renoncerait à donner une nouvelle édition de son Mundus sublerraneus. En présence dé pareilles intelligences, on s'incline avec respect, on admire et l'on se tait. Toujours est-il cependant que ce petit coin de terre où pareil travail s’est accompli, que ce jardin perdu dans le plus triste faubourg où se sont rencontrés Buffon et Cuvier, que ce point de départ verdoyant et fleuri de l’histoire naturelle et de l'histoire des fossiles, est à notre sens un coin de terre admirable entre tous. C'est ainsi qu'à Pise on nous montre la tour penchée, du haut de laquelle Galilée pressentit pour la première fois l'im- mobilité du soleil. Les fruits, les herbes, tous les bois en échantillons, toutes les monographies, chapitres séparés de l'histoire naturelle, où se lisent les noms de Humboldt, de Kunth, de Bonpland , envahi- rent bientôt tous les bâtiments du Muséum. Déjà M. de Buffon avait été obligé de céder son propre logement à ces collections qui arrivaient de toutes parts; les roches, Les produits volcani- ques, les laboratoires de tout genre se pressaient chaque jour dans ces murailles réparées. En même temps, M. Geoffroy arri- vait de Lisbonne tout chargé d'animaux nouveaux, M, Michaux fils rapportait les échantillons de tous les bois d'Amérique, M. Marcel de Serres rapportait d'Italie et d'Allemagne toutes sortes de minéraux; M. Marlin envoyait de Cayenne les plus ri- ches herbiers; le progrès allait toujours croissant jusqu’en 4815, où la France s'arrêta enfin, n’en pouvant plus. lei commencent d’étranges misères : c’est une histoire d'hier, et pourtant c’est une histoire incroyable. Les alliés, ces mêmes soldats qui avaient leur revanche à prendre de tant de défaites, qui s'étaient em- parés de Paris tout entier, qui remplissaient nos rues et nos maisons, qui faisaient du bois de Boulogne une dévastation pres- que égale à celle qu'on y fait aujourd'hui; les alliés s’arrétèrent pleins de respect à la porte du Jardin des Plantes. C'était en effet un terrain neutre dans lequel chaque partie de l'Europe avait envoyé ses productions les plus belles, les plus rares; là, devait s'arrêter l'invasion dans une sorte de stupeur qui tenait de la reconnaissance. Figurez-vous en effet ces Cosaques, ces Russes, ces Prussiens, ces Allemands, ces bâtards de l'Italie, toute cette famille armée, battue si souvent et si longtemps par les armes de la France; ils arrivent, disent-ils, pour tout ravager, pour tout détruire; ils veulent savoir enfin quelle est l’immortalité de ce peuple dont le joug et la liberté ont également pesé sur leur tête. Ils arrivent done l'arme au bras, la torche allumée, Paris est pris enfin, ét avec lui la France entière. Soudain ils s'arré- tent, ils regardent, ils déposent leurs armes. O prodige! ils ont reconnu les fleurs, les arbres, les animaux, la culture de la pa- trie absente. N'est-ce pas une illusion ? voici des fragments de la terre natale, voici le compagnon de leurs travaux champêtres; voilà la fleur des champs qu'ils donnaient à leur jeune maitresse ; cet oiseau qui chanté, c’est l’alouette de leurs sillons, c'est le rossignol de leurs nuits d'été. Ainsi, ces hommes que n’a pu arréter la fortune de l'empereur Napoléon, ces hommes qui ont réduit la grande armée à ne plus occuper que quelques sables de la Loire, ils sont vaineus par le chant d’un oiseau, par la toison d'un bélier, par un coquillage, par un brin d'herbe! Leurs em- pereurs, leurs rois, leurs généraux, sont les premiers, même avant d'alléf voir le Louvre, à venir saluer les domaines des Buffon et dés Jussieu. L'empereur d'Autriche, l'empereur de aussie, le roi de Prusse viennent reconnaitre les échantillons de leur royaume; les vainqueurs promettent d'augmenter les ri- chesses des vaincus. Bien plus : pendant qu'ils reprennent au milieu du Lotivre l’Apollon, le Laocoon, la Vénus, la Communion de saint Jérôme, la Sainte Cécile, le Mariage de la Vierge, tous les chefs-d'œuvre de Titien, de Raphaël; pendant qu'ils rempor- tent, bouillants de joie, les chevaux de Venise sur leur piédestal chancelant, pas un de ces vainqueurs n'ose reprendre au Muséum d'histoire naturelle la plus petite parcelle de ses conquêtes, tant ils frouvent que ces fragments sont à leur place; ils veulent bien dépouiller le Musée du Louvre, parce qu'après tout, un chef- d'œuvre est partout un chef-d'œuyre, mais ils auraient honte de briser l'unité de la science ; ce que leur a pris l'histoire naturelle, ils nous l’abandonnent, tant ils comprennent que ces conquêtes pacifiques sont devenues notre propriété à force de soins, de zèle et de génie. Rien n’est plus beau que cette histoire d'une armée entière qui recule devant une profanation ; il y a cepen- dant une histoire aussi touchante. Vous vous rappelez ce jeune sauvage à qui on faisait voir toutes les merveilles de Paris; on le menait aux Tuileries, à Notre-Dame, à l'Opéra, dans tous les lieux où se fabriquent la puissance, la religion et le plaisir, le jeune homme restait immobile, mais au Jardin des Plantes, tout au bout d'une allée solitaire, le voilà qui se trouble, qui éclate en sanglots et qui s'écrie : Arbre de mon pays! et il embrassait l'arbre de son pays. Voilà comment toute celte armée de six cent mille hommes s’est écriée, elle aussi, dans un transport unanime : Arbres de mon pays ! Ce pays de France est le pays le plus merveilleux pour se re- LE JARDIN DES PLANTES, 15 ———_———————————————————_—————————————— lever tout d'un coup des commotions les plus terribles; c'est yraiment cette tour dont parle Bossuet, cette tour qui sait répa- rer ses brèches ; il arriva done que cette grande patrie de tous les arts fut rendue à elle-même : l'invasion s'écoula comme fait un fleuve immonde après l'orage. De tous les monuments de Paris, le seul qui n'ait pas été insulté, c'est le Jardin des Plantes. Au château des Tuileries on avait Ôté son empereur ; à l'armée, son capitaine ; à la colonne, sa statue; au Musée du Louvre, ses plus rares chefs-d'œuvre; au bois de Boulogne, ses plus beaux arbres; au trésor publie, plus d'un milliard; à nos frontières, des royaumes entiers... On avait respecté le Jardin des Plantes! c'était le terrain neutre où venaient se reposer Lous les partis de leurs agitations sans nombre. Dans ce beau lieu de rêverie et de calme, le vieux gentilhomme de l'émigration cherchait à retrou- ver le souvenir des vieilles charmilles dont la révolution l'avait dépouillé; le vieux soldat de la Loire, héros mutilé dans vingt batailles, ne trouvant plus nulle part le portrait de l'empereur et roi, venait saluer le chameau blanchi qui avait porté le général Bonaparte dans les déserts de l'Égypte. Les enfants de toutes les générations se rencontraient dans ces paisibles allées à l'abri de la foudre et de l'orage; l'enfant et le vieillard, la jeune fille au bras de son fiancé, le jeune homme à la poursuite de sa mai- tresse. L'ombre, le repos, le calme, la fraicheur, les passions heureuses habitent en effet ces paisibles hauteurs. Non, certes, ce n’est pas là que viendrait l’'ambitieux pour s’abandonner à ses rêves boursouflés. Ce n’est pas là que viendrait l’'avare tout préoccupé d'argent et de fortune. Arrière les passions mauvaises | ceci est le domaine des nobles passions, des beaux rêves poéti- ques, des éclats de rire enfantins, du bourgeois faligué du tra- vail, du pauvre soldat qui pleure son village, de l'honnête pro- vincial qui est venu chercher à Paris les bruyants plaisirs de la vie et qui s’estime heureux de rencontrer cette calme oasis. C'est, en effet, un merveilleux endroit pour la méditation, pour la ré- vérie, pour la nonchalance, pour la contemplation. La science et l'oisiveté, la douce oisiveté et l'étude acharnée s'y coudoient sans se heurter. Les uns arrivent là au lever du soleil, ils étu- dient dans ses moindres détails le grand mystère de la créatien : celui-ci le crayon à la main, celui-là armé d’un scalpel, ce troi- sième, à l’aide de la loupe, qui est son sixième sens ; ils pénètrent peu à peu dans toute la science de la forme, de la couleur, du mouvement ; l'un regarde la plante parce qu'elle est belle, l’autre l'admire parce qu'elle est utile; celui-ci en veut aux parfums qui s'en exhalent ; cet autre, aux sucs bienfaisants qui guérissent. Il en est qui font leur proie du tigre et du chacal; il en est qui n'en veulent qu'à l'insecte et à l'oiseau-mouche, — heureuse passion, heureuse science, passionnés loisirs! Et qui donc, le premier en France, nous a appris à l'aimer cette douce étude du sol que nous foulons? Qui donc nous a raconté les premières merveilles de la plante et de la fleur? Ce n’est pas M. de Puffon. M. de Buffon n'est pas un maitre qui enseigne, c’est un historien qui raconte et qui devine. Il parle des choses naturelles avec tous les entrainements de l’éloquence; il ne se fait pas humble avec les humbles, petit avec les petits; il ne sait pas attendre ceux qui veulent marcher dans sa voie ; il marche à pas de géant, il va tout seul où l'inspiration le pousse : LanLôt dans les entrailles de l'homme, tantôt dans le sein de la terre dont il explique la formation par une prescience incroyable que la science moderne a confirmée ; tantôt au sein des mers, un autre jour au sommet des montagnes, dans toutes sortes d'endroits périlleux que nos faibles regards ou nos pieds chancelants ne sauraient franchir. Non, ce n'est pas M. de Buffon qui est notre professeur de bo- tanique. Le premier de tous, celui qui a vulgarisé l'étude et la contemplation des douces et frêles beautés de la nature, c’est Jean-Jacques Rousseau en personne : c'est lui, le brülant so- phiste, lui qui à renversé et brisé tant de choses, lui qui a pesé les sociétés vieillies dans ses deux mains, lui qui a semé dans toutes les âmes honnêtes ou perverties les brülantes ardeurs de l'Héloïse et du Saint-Preux, c'est J.-J. Rousseau en personne qui a donné à la France sa première lecon de botanique, On eût dit qu'il tenait à honneur de réparer, par l’enseignement de cette verlueuse passion , tous les paradoxes funestes qu'il a démontrés dans ses livres comme autant de vérités incontestables. Pauvre homme, malheureux qu'il faut plaindre, car il a succombé le premier sous l'enthousiasme factice qui a fait tant de mal aux jeunes esprits de son temps; le premier il a senti le besoin de se tirer de ces brülantes hauteurs, et de chercher dans la fraiche vallée les douces consolations d'une étude qui laissait de côté les hommes, leurs passions et leurs mœurs. C'est ainsi que l'écrivain et les hommes qu'il agitait autour de lui, les hommes, ces jouets dont il était le jouet à son tour, ont éprouvé tout d’un coup la même fatigue. Certes, vous ne lirez pas sans attendrissement et sans respect les Lettres sur la botanique de J.-T. Rousseau. Le voilà ce grand maitre dans l’art de brüler les âmes; le voilà ce sauvage qui foule d'un pied éloquent et passionné la civilisation tout entière: le voilà, ramassant au penchant des coteaux, au pied de l'arbre, sur le bord des chemins , la mousse qui pousse, le lichen qui rampe et la feuille emportée par le vent d'automne. C'en est fait, il oublie tout le bruit qui se fait autour de lui, et dont il est cause , et il revient aux plantes, ces objets agréables et variés. Ce précepteur des hommes qui leur a enseigné tant de choses, même l'amour, se met à enseigner aux enfants le nom des plantes, leur organisation et tous les détails de la structure végélale. L'idée de cette passion lui vint un jour de l'arrière- saison; les plantes dont la structure a le plus de simplicité élaient déjà passées, mais qu'importe? Le printemps les ramè- nera tout à l'heure, commencons tout de suite, se dit-il. Une plante parfaite est composée de racines, de tiges, de branches, de feuilles, de fleurs et de fruits; étudions avant tout la fleur qui vient la première ; et, pour bien commencer, prenons un lis. Le lis a fait palir la magnificence de Salomon, le lis est la fleur du printemps, il est aussi la fleur de l'automne; étudions ce bouton verdâtre qui blanchit à mesure qu'il est près de s'épanouir ; ad- mirez comment cette enveloppe blanchàtre prend peu à peu la forme d'un beau vase divisé en plusieurs fragments. Cette enve- loppe s'appelle la corolle; quand la corolle se fane et tombe, elle tombe en six pièces séparées qui s'appellent des pétales. La corolle du lis a six pétales; le liseron , la clochette des champs n'en ont qu'un... mais revenons à notre lis. Dans la corolle vous trouvez précisément une petite colonne attachée tout au fond : c’est le pistil. Le pistil contient le germe, le filet, le stigmate ; entre le pistil et la corolle vous trouverez l'étamine; chaque étamine se compose du filet et de l’anthère ; chaque anthère est une boîte qui s'ouvre quand elle est müre, et qui répand autour d'elle cette poussière jaune comme l'or , odo- rante comme la rose ; cette poussière s'appelle le pollen. — Ainsi sont composées les fleurs de la plupart des autres plantes. C'est par l’analogie de ces parties et par leurs diverses combinaisons que se déterminent les diverses parties du règne végétal. Notez bien, cependant, que le lis, cette belle fleur royale, n’est pas une fleur complète : elle n’a pas de calice. Le calice manque à la plupart des liliacées : la tulipe, la jacinthe, le narcisse, la tubé- reuse n'en ont pas. Done, vous savez déjà les secrets de la famille des liliacées ; vous pouvez les reconnaître à l'absence du calice, à leurs tiges simples et peu rameuses, à leurs feuilles entières et jamais découpées. Suivons donc cette route fleurie. Le printeinps est revenu, il a ramené les jacinthes, les tulipes, les narcisses, les jonquilles et les muguets, dont nous connaissons la famille; il a ramené aussi les giroflées et les violeltes. Le calice de la gi- roflée est de quatre pièces inégales de deux en deux. Dans ce calice vous trouvez une corolle composée de quatre pétales. Cha- cun de ces pétales est altaché au fond du calice par une partie étroite qu'on appelle l'onglet. Les étamines sont au nombre de 16 LE JARDIN DES PLANTES. six, d'inégale grandeur. — Vous voilà donc entré dans la famille des crucifères, ou fleurs en croix. Cette famille est divisée en deux sections : les crucifères à siliques , la giroflée, la julienne, le cresson de fontaine; la seconde section comprend les cruci- fères à silicules : le cresson alénois, le cochléaria, la lunaire, la bourse-à-pasteur. — Des fleurs nous allons aux plantes légumi- neuses : les fèves, les genêts , les luzernes, les sainfoins, les len- tilles. Ainsi, par une méthode simple et claire, le maître nous apprend la structure bien plus que le nom de la plante; ce nom viendra plus tard. Sachons d’abord l'éclat, la propriété, la figure de la plus pelite fleur, — et celles-là ne sont pas les moins inté- ressantes. Cueillez une marguerite dans les champs ; que vous explique l'arbre comme il a expliqué la plante. Quant aux her- biers, les herbiers nous servent de mémoratif pour les plantes que l’on a déjà connues ; mais ils font mal connaître celles qu’on n'a pas vues auparavant : ainsi le portrait d'un homme qui n’est plus vous frappe davantage lorsque vous l'avez connu dans sa vie. « Pour composer un herbier, prenez la plante en pleine fleur, dégagez-la de la terre qui entoure la racine, faites-la sé- cher avec soin, et classez votre plante dans la famille à laquelle elle appartient; choisissez avant tout un temps sec et chaud, de onze heures du matin à six heures du soir : c’est la belle heure de la botanique. » Heureux quand il parlait ainsi des plantes, son dernier amour, J.-J. Rousseau redevenait tout à fait l'homme TN (ll Les grandes Serres. serez étonné si l'on vous dit : Celte pelite fleur, si pelite et si mignonne, est réellement composée de deux on trois cents autres fleurs toutes parfaites, c'est-à-dire ayant chacune sa corolle, son germe, son pisül, ses étamines, sa graine ; devant Dieu et devant la science des hommes, la marguerite est l'égale du lis superbe ou de la jacinthe odorante! J.-J. Rousseau fait aussi l'histoire des fleurons des fleurs d'immortelle, de bardane, d'absinthe, d’ar- moise; celles-là n'ont qu'un fleuron d'une seule couleur ; d’autres n'ont qu'un demi-fleuron : la fleur de laitue, de chicorée, de sal- sifis; d’autres, plus heureuses, ont à la fois des fleurons entiers au centre de la fleur, et des demi-fleurons à leur contour. Ce fleurs doubles, que vous admirez dans les parterres, sont de monstres à qui cet honneur a été refusé de produire leurs sem- blables , grand honneur dont la nature a doué tous les êtres or ganisés. C'est là ce qui arrive aux arbres fruitiers touchés par Ja grèle. La poire et la pomme de la nature, il ne faut pas les cher- cher dans les vergers, mais dans les forèts. Le voilà donc qui heureux qui s'écriait avec des larmes dans les yeux et dans le cœur : « La pervenche! la pervenche!» en souvenir de sa jeunesse heureuse, de son amour brülant et naïf, de ses chastes trans- ports; en souvenir de la grâce, de la beauté et du charmant sou- rire de madame de Warens. Mais qu'il y a loin de cette botanique sentimentale à la science de nos modernes professeurs! Il ne s’agit plus des deux mille espèces de Daudin, des cinq ou six mille plantes de Tournefort, des dix mille végétaux décrits par Linné et de Jussieu, des vingt ou trente mille plantes réunies dans le grand ouvrage de M. de Candolle, dont le monde savant pleure la perle récente. Aujour- d'hui ce cercle s'agrandit sans cesse, chaque année voit s'enrichir l'immense herbier du Jardin des Plantes, et les derniers recen- sements portent à plus de soixante-dix mille le nombre des vé- gélaux connus. Il a fallu fractionner ce vaste domaine; la vie d'un homme suffit à peine pour embrasser un des points de celle LE JARDIN DES PLANTES. 17 science, dont les limites reculent sans cesse. Les mousses, les lichens, les champignons ont trouvé de dignes historiens; et les ouvrages de Dillens, de Bulliard et de Persoon montrent tout ce qu'il faut de talent et de patience pour approfondir les mystères de cette cryptogamie qui dépasse à peine le sol, et se cache sous la feuille dont chaque automne jonche la terre. D'autres bota- nistes ont mieux choisi : Mertens a décrit l'immense et superbe famille des palmiers; Rublet, les chênes du nouveau monde; d'admiration de l'illustre Gærtner, à l'occasion de tous les fruits sur la structure desquels il a fait un si savant ouvrage. On s'as- socie aux regrets de M. Desvaux sur les circonstances qui l'ont empêché d'achever la publication de sa grande monographie des feuilles et des végétaux, et l'on envie avec lui le bonheur de M. Gettard, qui a terminé son grand travail sur les poils et les glandes de toutes les plantes connues. N’allez pas croire qu'arri- vée à ces dernières limites de l'analyse, la science puisse se re- La fosse aux Ours. d’autres ont étudié l'ensemble des plantes d’un seul pays : Des- fontaines a fait la Flore atlantique; Aubert du Petit-Thouars, celle de Madagascar ; Brown, celle de la Nouvelle-Hollande; et ces travaux isolés, accomplis avec une rare persévérance, ont prouvé qu'il y avait de la gloire à acquérir même en ne s'occu- pant que d’une partie de cet ensemble. Peu de privilégiés com- prennent tout le bonheur réservé à ces amants solitaires d’une science aimable entre toutes! Peu d’âmes sentent ces joies si pures, causées par la contemplation perpétuelle de ces merveilles odorantes et si richement colorées. On sourit aux transports procher des futilités indignes d'elle! Ces glandes, par exemple, ces nectaires, si curieusement observés dans leurs transformations successives par Sprengel, par Hall, par Pontedera et par Bohe- mer, sécrètent des matières utiles, fournissent à l'abeille le suc dont nous vient le miel, et jouent un rôle important dans la phy- siologie végétale. Tout se tient dans ce vaste ensemble des pro- ductions de la nature, et les hommes laborieux qui consacrent leurs veilles à l'étude d’une partie quelconque de ce grand tout, sont assurés d'apporter une pierre au divin édifice qu'élèvent les générations, d'ajouter un anneau à cette chaîne merveilleuse qui 42, Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36. 2 18 LE JARDIN DES PLANTES. unit étroitement l'atome aux animaux les plus parfaits, ceux-ci à l'homme raisonnable, l'homme enfin à Dieu lui-même, par l'in- termédiaire des esprits qui peuplent l'espace. C’est ainsi que, dans le Jardin des Plantes, toules les passions honnêtes se rencontrent. Nous venons de vous dire les ravisse- ments du botaniste : voulez-vous maintenant que nous vous di- sions, non pas la curiosité du minéralogiste qui cherche à recon- naître, dans leurs enveloppes terrestres, l'or et l'argent, le cuivre et le fer, le mercure et l’étain, le charbon et le soufre, toutes ces brillantes richesses que la terre renferme, non pas même l’atten- tion des zoologistes, mais tout simplement la joie du chasseur? Moi qui vous parle et qui suis tout aussi ignorant que vous pou- vez l'être de ce grand art de la chasse dont il a été écrit tant de traités à commencer par Dufouilloux et finir par M. Deyeux, moi le plus triste chasseur qui ait jamais porté un bâton d’épines dans une forêt giboyeuse, je vous assure que j'ai fait dans le Jardin des Plantes la plus admirable chasse qui ait jamais été faite. J'a- vais rencontré dans ces allées si bien sablées un vieux chevalier de Saint-Louis qui avait perdu dans une chasse au courre, chez M. le prince de Pourbon, sa jambe gauche et son bras droit. Ainsi blessé, notre vieux chevalier avait encore trouvé le moyen de suivre les chasses de son royal ami, mais, hélas! à la perte de son bras et de sa jambe était venue se joindre la mort affreuse du dernier Condé, celte énigme fatale, et à la mort du prince de Condé, la venue de madame de Feuchères; si bien que notre enragé chasseur, retiré dans la rue de Buffon, seul, sans amis, sans un pauvre bras pour appuyer le dernier bras qui lui restait, n'avait plus d'autre joie que de venir chaque jour viser de loin, d'un coup d'œil animé et sûr, toutes les bèles féraces, tous les oiseaux de l'air, tous les gibiers de l'univers. « Oh! se disait-il, Si j'avais mon bras, comme je prendrais mon fusil à piston! » Un jour, entre autres, comme j'offrais mon bras au digne gen- tilhomme : « Mon fils, me dit-il, vous avez grandement raison d'aimer et de respecter les vieillards. Je vous ai toujours connu pour un homme bon et loyal, mais vous aimez trop les livres, vous lisez trop les longues histoires, les poésies qui endorment, le rabâchage politique; et quand je pense que vous n'aimez pas la chasse! la chasse, juste ciel! quelle vieillesse malheureuse vous vous préparez, mon enfant. Mon enfant! voyez, que vous êtes déjà gros, lourd et massif! Voyez, moi, au contraire, la taille d'un cerf! mais, hélas! plus de bras droit, plus de jambe gau- che, plus rien que le coup d'œil, Cependant écoutez-moi, croyez- moi, pendant qu'il en est temps encore, devenez un chasseur. Voyez quelle joie, si vous teniez au bout de votre fusil ces tigres qui bondissent, ces faisans qui volligent, ces perdrix qui brillent au soleil, ces lièvres qui s'enfoncent dans la plaine, les cerfs qui brament dans les bois. Dieu merci, une bienveillance a réuni dans cette enceinte toutes les merveilles des forêts, sans cela je serais mort. Dieu merci, si je n'ai plus le fer à la main, j'ai sous les yeux le plus bel en nnle qui puisse réjouir les yeux d’un vieux chasseur comme moi. Allons, soyez attentif à ce que je vais vous dire; prêtez-moi une attention obéissante, laissez-moi vous convaincre par des arguments sans réplique de la beauté de la passion que je pleure; à votre âge, on pense encore à l'amour, à mon âge on ne pense plus qu'à la chasse, vous le verrez : c’est Pt le plus salutaire contre l'oubli des maux de la vie, c'est le spécifique le plus puissant contre toutes les douleurs de 1 àme et du corps. » Je pris place sur un banc de pierre, vis-à-vis la volière, où s’ébattaient en chantant tous les oiseaux de l'Europe , et, me te- nant par le bras, pour me rendre attentif, le vieux chasseur me tint à peu près ce langage : «La chasse, tout autant que l'amour, a été honorée par les nations les Dis diverses : les Assyriens, les Hébre ux, les Perses, les Mèdes, les Cireassiens, les Lapons eux-mêmes ont été ou sont encore de grands chasseurs) Nemrod excellait à la battue, Alexan- dre à la chasse au courre, César à l'affût, Pline le Jeune à la chasse au filet, Les Celtes, les Germains , les Gaulois employaient avec une ardeur égale à ce bel art le javelot, l’épieu, l'are et l'arbalète ; Diane a été de son temps une divinité égale à Apollon, Que de livres enfantés par celte passion des gentilshommes ! Les philosophes aussi bien que les poëtes, les historiens tout autant que les romanciers ont exalté comme il convenait ce besoin de courre le cerf et de forcer le sanglier. Xénophon n'y a pas man- qué; Appius non plus qu'Arien, Gratien non plus que Nemesia nus, Frédéric Il, Albert le Grand, qui était un peu sorcier, Adrien Castelleri, Conrad Heesbach, Jérôme Fracastor, qui a chanté tant de choses, ont tous célébré cette vie de forêts et de montagnes. L'Allemagne s’honore à bon droit d'un chasseur nommé Hartig. La France est fière des dissertations savantes de Gaston Phébus, comte de Foix, de Jean de Francières, maître piqueur de Louis XI, de Guillaume Tardif, le lecteur de Char- les VIT; Charles IX lui-même, le roi de la Saint-Barthélemy, a écrit en vrai flibustier un Traité de la chasse au cerf; et cepen- dant, tout roi qu'il était, Charles IX s’est laissé battre en cette matière par Jacques Dufouilloux , le Nicolas Boileau-Despréaux de ce grand art de tirer des coups de fusil en plein champ. Vous n'oublierez pas d’ailleurs, mon cher enfant, que ce bon Henri IV, le père du peuple, qui voulait que son peuple mit la poule au pot chaque dimanche , envoyait aux galères le manant qui aurait voulu remplacer la poule absente par une malheureuse perdrix. » Puis donc que l’on s’est amusé à écrire tant de romans, et vous même qui en avez écrit de fort tristes, avec lesquels mon noble maître, le due de Bourbon, bourrait son fusil, puisque les peintres ont tant à honneur de représenter, dans leurs tableaux les plus fidèles, les images adorées de tant de belles amours dont nous savons les noms depuis notre enfance, pourquoi done, je vous prie, ne pas donner autant d'importance à la vénerie? Pour- quoi ne pas s'occuper du gibier-plume et du gibier-poil comme on s’est occupé du gibier blond et du gibier châtain ? Et me fe- rez-vous donc, à moi vieillard, sans enfants, sans amis, qui n'ai pas même un pelit bois où je puisse m'asseoir pour tirer un la pin , un grand crime de traiter le faisan, la gélinotte, la bécasse, le pigeon biset, gibier de bois ; la perdrix et la caille, gibier de plaine; le canard sauvage et le pluvier, gibier de marais, comme Van Dyck, comme Rubens, comme Murillo ou Vélasquez ont traité tant de beaux oiseaux, au charmant plumage, gibier de boudoir, gibier de grottes obscures, flamboyant et élincelant gibier des théâtres, des coulisses, des petites maisons et des salles de bal? | » Je crois que c’est Ovide qui l'a dit, et il avait raison, il faut au chasseur et à l'amoureux des qualités identiques. Bon pied, bon œil, le nez au vent, l'oreille au guet, le cœur assez calme; il faut être actif, adroit, patient; il faut reconnaître le gibier à la trace la plus légère, à la plus faible senteur : par ici a passé le lapereau , par ici a passé une belle fille de vingt ans! En chasse done, vous les sages, les heureux et les philosophes, qui vous contentez de lirer votre poudre aux moineaux! Parcourez à votre choix la montagne ou la plaine; levez-vous de bonne heure, quand la rosée est remontée au ciel qui l'envoie. Bonne chasse! vous savez d'ailleurs comment se tue le faisan commun, Phasia- nus colchicus, comme dit Linné. Le faisan , cette flamme qui vole, est un gibier plein de caprices. Il n’y a pas de jolie Parisienne qui soit à la fois plus stupide et plus malicieuse. Tantôt l'animal (je parle du faisan , ajouta-t-il avec un sourire) se laisse prendre à coups de bâton, tantôt il vous échappe à tire-d’aile, et le meil- leur fusil de Lepage ne pourrait l’atteindre. Aujourd'hui il se poserait volontiers sur votre épaule, le lendemain il se perd dans le nuage. Si vous le voulez tirer à coup sûr, tirez le bec, je parle toujours du faisan. Ce qui est plus sûr encore, c’est de le pren= dre à l'affût, à la trainée le soir, quand il a bien nettoyé son beau plumage, bien préparé sa petite aigrette, bien lavé ses jo- LE JARDIN DES PLANTES. 19 lies petites pattes, et qu'il s'est posé coquettement dans une avant- scène de l'Opéra. je ne parle plus du faisan. » Mon jeune ami, vous ne regardez pas avec l'enthousiasme convenable ces belles perdrix qui paraissent nous défier dans leur bocage de métal. » La perdrix me représente ce que nous appelions, dans nos beaux jours de jeunesse et de misère, la chasse à la grisette. Jus- tement il y a la perdrix grise qui vaut mieux que la perdrix rouge, qui vaut mieux que la bartavelle, quoi qu'en disent quel- ques méchants gourmets blasés, qui jugent du gibier par la cou- leur de son brodequin. La bartavelle est la sœur ainée de la per- drix grise. Voilà un joli oiseau à tirer! On le rencontre en troupe dans les champs de blé aussi bien que dans les magasins de la rue Vivienne. Le plumage est lisse et bien tenu. La queue se compose de quatorze plumes de couleur cendrée, l'iris de l'œil est d'un brun gris, la gorge et le devant du cou sont tout à fait bleus, le dos est d'un gris cendré tirant au rouge quand elles sont jeunes. Elle ne fait point de nid (la bartavelle), et se con- tente de déposer assez négligemment sur la mousse les œufs qu'elle fait chaque printemps. La perdrix grise, modeste et sage, ne se mêle jamais avec la perdrix rouge. Elle est infiniment plus serviable et plus facile à apprivoiser. Elle aime à se joindre en nombreuses compagnies aux individus de son espèce. Elle mar- che devant votre chien; si vous voulez l'avoir, courez vous-même au bout du champ , la pièce partira. File-t-elle en ligne, tirez en plein corps. Vole-t-elle en montant, tirez sous les pattes; si elle tourne, tirez sous l'aile. Vient-elle sur vous à hauteur d'homme, tirez au bec. (Je cite textuellement, ee n’est pas moi qui fais dire toutes ces choses à notre chasseur.) Je connais quelques jeunes chasseurs qui, en fait de perdrix grises, ne prennent pas lant de souci, et qui tirent tout simplement de patte en bec, et la chasse leur a réussi plus d'une fois. » Ceci dit, notre homme plongeait sa main gauche dans sa taba- lière placée entre les deux genoux, et il recommencça sa disser- lation commencée : « Après la perdrix grise vient la caille. Celle-là est un oiseau de passage qui ne perche jamais, qui vit à terre, qui est poly- game, oiseau de plaine et de la rue du Helder. Elles subissent deux mues (les cailles), l'une à la fin de l'hiver, l'autre à la fin de l'été. Elles sont répandues partout, préférant les pays chauds et tempérés, mais ne craignant pas les autres. On a remarqué qu'elles ne voyagent guère qu'au crépuseule, et choisissent les pleines lunes pour se mettre en route. » Je cile toujours mot pour mot. Notre chevalier ajoute encore « que la chair de la caille est appétissante et convenable à tous les âges comme à tous les tempéraments. En un mot, disait-il, une plaine couverte de cailles est une source de plaisirs toujours nouveaux, sans cesse renaissants. » Quand il eut ainsi parlé, il se leva, et clopin-clopant il me conduisit à travers les immenses volières du jardin, toules rem- plies d'éclatantes couleurs et de joyeuses chansons. Chaque ani- mal dont il me parlait, il me le montrait de sa main absente, et il me disait : «I y a des gens qui aiment la gélinotte au fin plumage, qui tient le milieu entre la perdrix rouge et la perdrix grise. Autant vaudrait tirer sur le janga , oiseau moitié français et moitié espa- gnol, qui ne se laisse guère approcher que des montagnards. Tel chasseur en veut au coq de bruyère, grand et petit; tel autre en veut au pigeon biset, ainsi nommé sans doute parce qu'il est socia- ble, fidèle à l'amour et à l'hymen jusqu’au point de se montrer fort jaloux : parce qu'il est propre, rangé, soigneux, tendre pour sa femelle, dont il partage les soins pour ses pelils. Il y a même des chasseurs féroces qui osent tirer sur la colombe, la femelle du biset! Et, les bandits qu'ils sont! pour justifier leur brigan- dage, ils prétendent que la colombe, en dépit des poëtes et des flatteurs, est vorace; qu'elle dévore les jeunes plantes, que sa chair est très-honne à manger. Les colombes se divisent en co- lombes à collier et colombes rieuses (Culumba risoria), et elles sont également dangereuses avec ou sans collier. » Fi donc! ne tirez pas sur le merle, à moins que ce ne soit un merle blanc, I est si gai, si chanteur, si heureux d'être au monde! si bon garçon! si fin! Il sait si bien siffler! il se nourrit de vermisseaux et d'insectes, comme font les critiques. Gardez votre gros plomb pour l'outarde, mais, croyez-moi, respectez l'outarde barbue. Entendez-vous siffler le râle, cet enfant de l'Italie, venu tout droit de Gènes, la ville de marbre? Il faut le manger à genoux. Quand la bécasse arrive, demandez-lui d’où elle vient. Elle vient de tous les côtés du monde, de l'Islande, de la Norwége, de la Russie, de la Silésie; elle est Polonaise, Alle- mande, Francaise tour à Lour; elle a visité l'Afrique et l'Egypte, le Sénégal et la Guinée, le Groënland et le Canada. Pauvre oiseau voyageur! Et tant de chemin fait à tire-d’aile pour être nommé membre de la Société de géographie ou pour mourir sous le fusil d'un manant!» Ma foi, cet honnête homme était si heureux de parler de sa passion dominante, et d’ailleurs il en parlait si bien , avec tant de bon goüt et d'à-propos, que je me mis à l'écouter, d'abord par respect pour son vieil Age et pour son malheur, ensuite par intérêt et par plaisir. Remarquez que l'aspect de tous ces beaux plumages, le bruit varié de toutes ces douces chansons , ajoutait beaucoup à la clarté et à la démonstration de ce brave homme. Il me conduisit un instant, avee un pelit ricanement de dédain, à la loge des animaux féruces , Lours, le loup, le blaireau ; car £’élail un chasseur au poil, à la plume, un chasseur de la plaine et de la montagne, et, vous l'avez deviné, un chasseur (autrefois) un habile chasseur au fin gibier, qui se cachait sous les ombrages de Versailles ou du Petit-Trianon. « J'aime la plume, disait-il, je l'aime avec passion, et quant au poil, je suis loin de le dédaigner. Dans le poil il y en a de terribles, il y en a d'innocents. Les uns mangent quelquefuis le chasseur, les autres sont toujours mangés. D'abord vous avez l'ours, un des héros de La Fontaine. Je n'ai jamais compris que cet animal fût si méchant qu'on le dit. Il est sauvage, il n'est pas féroce. On dit qu'il aime la chair fraiche, mais aussi il se nourrit de légumes et de miel. L'animal défend sa peau, où est le crime? Nous le traitons à peu près comme on trailait sous l'empire les Autrichiens et les Russes ; il y a des gens pour qui l'on est bien injuste... comptez donc combien vos jour- naux ont fait dévorer de bourgeois à l'ours Martin, ce pauvre animal calomnié qui n'a jamais mangé que des brioches ! » À la bunne heure le loup! c'esL un grand misérable. Il dévore tout ce qui lui tombe sous la dent, depuis le mouton jusqu'à la grenouille; on le tue de toutes les façons, et même on l'empoi- sonne sans déshonneur, Nous en dirons presque autant du re- nard. Le renard est un drôle plein de ruses et très-dangereux. On le tue comme on peut, au lerrier, au passage, à la trainée, au carnage, et encure on n'en tue guère Le blaireau est encore plus calomnié que l'ours. Le Dictionnaire des Chasses, qui doit faire autorité en ees matières, place le blaireau parmi les ani- maux nuisibles; et de quel droit, je vous prie? Parce qu'il mange parfois des navets, des fèves, des pois, des carottes, le grand crime! Et voilà pourquoi vous faites du blaireau le pendant du renard! Et d'ailleurs il est si gentil, si fin, si paresseux ! Sa tête est mise à prix 1 fr. 50 c. par blaireau. » Quant à la fouine, fi donc! M. le duc de Bourbon avait l'ha- bitude de faire le signe de la croix quand il avait tué une fouine. La fouine est un ignoble animal, moitié loup, moitié renard. Elle tue pour le plaisir de tuer; elle égorge même avant de se rem- plir le ventre. Écoutez, mon pelit, écoutez ce petit moyen que j'ai inventé pour tuer une fouine. Sans doute le moyen est violent, mais il est sûr. On a beau dire : Mais vous tuez bien des ar- bres! Une fouine tuée vaut mieux qu'un arbre vivant. Voilà mon secret; vous en ferez ce que vous voudrez quand vous aurez des 2 20 LE JARDIN DES PLANTES. fouines : « Quand la fouine se retire dans le creux d’un arbre, le meilleur moyen de se rendre maître de la bête est d'abattre l'ar- bre lui-même. » Vous pensez bien que nous n'avons rien dit du cerf, du san- glier, de la biche, du daim, du chevreuil, plus brave que le cerf, et qui aurait honte de verser des larmes. Vous pensez bien que si mon ami n'a pas parlé du lièvre, c’est pour ne pas tomber dans tisme et la goutte, et l’ophthalmie aiguë, et les autre revenants- bons de la chasse ; cette fois nous pouvons les suivre dans leurs caprices divers ces beaux oiseaux qui s’envolent dans toutes sortes de directions, la cigogne blanche et noire, la grue commune et le flamant, le héron au long bec, qui est lié à tous nos souvenirs héraldiques, le vœu du héron, le roi du héron, nombreuse fa- mille qui se termine comme tant d’illustres familles par le héron di j \ so j ji de \ Anciennes Serres tempérées. toutes sortes de descriptions trop connues. «Rappelez-vous seule- ment que le cul d’un lièvre est un sac à plomb , et de faire uri- ner la victime quand elle est morte, » me dit-il. Du poil nous sommes revenus à la plume: et, bonté du ciel! que vous êles grande quand vous lancez dans les airs ces vivantes merveilles. Ah! laissons là le fusil et la chasse et ses grands plai- sirs; admirons en toute liberté, en toute conscience, mollement couchés sur le gazon du rivage, les oiseaux de rivage et les oi- seaux d'eau. Celle fois nous n'avons pas à redouter le rhum da butor, sans oublier le courlis, l'hôte assidu et chantant des étangs et des rivières de la France; on sait son nom dans les Vosges, dans la Moselle, dans les deux Charentes, en Vendée, dans la Loire-Inférieure; il est oiseau de pluie et de tempête, il est le courtisan de l'hiver, el il le suit à la piste, comme l’hirondelle suit le printemps. «Et le vanneau? mangez du vanneau, paur savoir ce que ce gibier vaut, disait notre gentilhomme. Et le pluvier-guignard ? le plus délicat des pluviers dorés et non dorés. Il est la fortune de . LE JARDIN DES PLANTES. 21 Eh la ville de Chartres; il protége de son aile légère cette vaste ca- thédrale qui se rebtit peu à peu. Vous ayez aussi la race des che- valiers, chacun portant la couleur de sa maitresse, le chevalier brun , le chevalier aux pieds rouges , le chevalier aux pieds verts et la maubége, et le combattant, et l'avocat, et le petit courlis, et le barbe-rouge, à queue rayée, à queue rouge, à queue noire, habi- tout d’un coup notre chasseur s'agrandit encore. Quoi donc! mon maitre, vous n'êtes pas content de tant de carnage ? vous voulez encore nous faire égorger ce beau cygne décrit par Buffon. «11 plait à tous les yeux ; il décore, il embellit tous les lieux qu'il fré- quente ; on l'aime, on l'applaudit, on l’admire ; nulle espèce ne le mérite mieux !.…. » Et voilà pourquoi vous voulez qu'on le tue, ec? ANDREY-8E5T Luges des animaux féroces. tants de la vase et du limon , hôtes bigarrés des marécages, becs noirs, pieds plombés ; autrefois la barge-rousse était les deslisces des Françoys, dit le vieux Belon; maintenant c’est la bécassine et la double-bécassine qui sont à cette heure les délices des Français. » Monsieur, monsieur, ajoutait le vieux chevalier, n'oublions pas, s’il vous plaît, n'oublions pas la poule d'eau qui demande beaucoup d'adresse , la mouche qui sent le marais, qui n’est bonne à rien, mais qui est amusante à tuer (Danton n’eùüt pas mieux dit); Le râle d’eau, qui ne vaut pas, à beaucoup près, le râle de genêt. » Puis ce beau palmipède chanté aussi par Virgile? ai-je répondu au vieux gentilhomme. A ce blasphème cruel, la plume me tombe des mains; puissent tous les fusils en faire autant! C'est ainsi que, grâce à ce beau jardin tout rempli de sa pas- sion favorite, le vieux chasseur prenait sa peine en patience. En présence de ces merveilleux animaux qui sont la vie des forêts, l'honneur de la plaine , le mouvement de la montagne, la déco- ration variée du fleuve ou de l'étang, il était comme est l'amant en présence du portait de sa maîtresse adorée. Mais quoi ! il n'est 55 LE JARDIN DES PLANTES. pas encore satisfait; il y a encore quelque chose à tuer dans cet univers. Le cor retentit dans les bois, comme il est dit dans l'opéra de Robin des Bois. Celte fois l'insatiable chasseur, non content de toute la plume et de tout le poil du royaume de France, se met en voyage pour les trois parties du monde, et il arrive tout d'abord en Afrique, le fusil sur l'épaule, suivi de ses chiens et de son carnier. Ne troublons pas, je vous prie, son envie; c’est de tuer une gazelle : il y en a de si belles au Jardin des Plantes! La gazelle se chasse à cheval ; il est bien rare qu'elle se laisse prendre, même par les plus fiers chevaux. Muis à quoi bon les gazelles? — Parlez-moi, s’écrie-t il, de tuer une lionne et un lion! En effet, il s’en va dans la caverne du lion et de la lionne, et d'une main légère il dérobe les plus jolis petits lion- ceaux du monde, sous le ventre même de la mère, qui veut bien ne pas s’en apercevoir. « On a beaucoup exagéré la férocité des lions de l'Afrique. » Je le crois pardieu fort, quand on voit un gentilhomme de l'armée de Condé enlever ainsi ces lionceaux pour en manger les pattes et la langue avec des dames du pays. Après quoi nous passons dans l'Afrique occidentale du centre- ouest, et notre chasseur, ce jour-là, tue un gibier qu'il n’a pas encore eu l'occasion de tuer, un gihier que bien peu de chasseurs ont tiré en Europe, excepté les chasseurs d'Afrique : il tne des touariks.… il y a justement des têtes de touarik au Muséum. Le touarik est un gibier qui monte à cheval, qui se défend avec des flèches, qui est circoncis et qui croit en Mahomet. Le touarik se tue, comme l'autruche, à cotips de pistolet. Un aulre jour on fait la chasse aux singes ; le singe ressemble beaucoup au touarik, Pour les abattre, pour les atteindre, ces deux bèles si différentes, je vous assure qu'il ne faut être ni pied bot ni manchot, A ce propos, n'oublions pas la chasse aux manchots, qui s'a- battent à coups de bâton; la chasse à l'hippopotame, moitié chasse et moitié pêche, et tant d'autres animaux qui se promè- tent de l'Égypte à Tunis, de Tunis aux frontières d'Alger, de l'empire de Maroc à la Sénégambie, de Tombouctou à Bournou. Vous voyez bien que ce brave gentilhomme avait le délire, et que l'idée seule de la chasse l'emportait bien loin de Paris, oui, certes, bien loin de Paris, au Jardin des Plantes, le lieu de la terre le plus peuplé et le tuiéux peuplé de l'univers. Moi, je ne suis guère de cétle humeur à luér toutes choses. A Dieu ne plaise que je me melte au militu de ces enragés qui ne connaissent qu'un plaisif : faire feu sur tout ce qui est au bout de leur fusil; j'aime ässez les créatures du bon Dieu pour leur laisser la vie, l'ombre, l'espace, la chanson joyeuse, le plu- mage doré et le soleil. L'oiseau est l'hontieut du printemps: il est la chanson matinale du chätnp de blé, il est Ja plainte mé- lancolique de la charmillé, Ïl est le chant de tilomphe, il est le cri de douleur, ilest l'hosanna in ewcelsts dé cette belle et grande nature où chaque être tint sa place, depuis l'aiglé qui affrunte le soleil, jusqu'au ver luisähif jélant sa pâle clarté sur la feuille que laisse tomber la rose, Eh biën ! consolez-vous. Détotrnez vos yeux de cet affreux carnage ! Laissez là les sanglänts récits de l'intrépide chasseur, vous êtes à l'abii dé ses coups, vous les faisans dorés, vous les oiseaux jaseurs aux coileurs chänigeantes, vous les tigres, les lions et les ours de la nation. Quant à nous autres, les simples curieux, les voyageurs oisifs, ouvrons hardi- ment nos oreilles, nous n'entendrons pas la détonation du fusil, mais bien le chant de l'oiseau. À la place de ces cadavres san- glants, voici des oiseaux qui volent. Dans la plus charmante vo- lière qui soit au monde, des mains heureuses et savantes ont réuni les plus beaux oiseaux de la terre, et nous les pouvons voir dans leurs plus belles couleurs, dans les attitudes les plus char- mantes de leur existence de chaque jour. Is y sont tous, je dis les plus beaux , les plus charmants, les plus joyeux, dans leur plus transparent altirail. Cette chatue ailée commence par le merle rose, pieds orange, bec orange ét noir: la huppe à joue grise, à bec noir, la huppe orange ét rouge de feu: le chevalier quiquette aux pieds verdâtres, le gros-bec et le bec croisé; l'hi- rondelle de mer, épouvantail, ainsi nommé parce qu'il est le plus gai des oiseaux; celui-là, comme tant d'autres oiseaux, possède deux plumages, le plumage d'amour et le plumage d'hiver. Quel homme en ce monde n'a pas son plumage ? les cheveux noirs et bouclés; et son plumage d'hiver? la tête grise et chauve. Vien- nent ensuite, dans cette ronde aérienne, le coq domestique, qui Serail le plus beau des oiseaux s'il n'habitait pas nos basses-cours : le morillon et le héron pourpre, et le bouvreuil au bec noir, aux pieds bruns, au ventre blanc, et le paresseux dans son plumage d'amour; paresse et plumage d'amour, deux mots qui jurent ! Vous ne sauriez croire que d'admirables petits êtres passent ainsi sous nos yeux ravis. Savez-vous tien de plus joli que la mésange bleue ? rien de plus gai que la fauvelte à tête noire? Et la mé- sange-moustache ? Vous en avez rencontré plus d’une dans nos salons, la lèvre supérieure ombragée de ce fin duvet qui rend la lèvre plus rose et la dent plus brillante. Et le pinson, et le bruant, et la fauvette-rossignol, comme madame Damoreau, et le geai, cet admirable ricaneur; jusqu'à ce qu'enfin arrivent à leur tour les aigles et les cigognes, les faucons et les freux, les ou- tardes et les grues, les corneilles et les engoulevents : tous ces tyrans de l'air ont la beauté en partage, tout aussi bien que Néron l'empereur. Mais celle fois, qui que vous soyez, tyran ou victime, gros-becs à gorge rouge ou mésange huppée, tourne-pierre à collier, avo- celle à nuque noire, bécasseau-échasse , pluvier à collier inter- rompu, buse et milan royal, cigogne noire et canard tadorne , aigle criard et gypaète barbu, œdienème et talève, cresserellette et gauga, ne craignéz rien, livrez-vous en paix à vos jeux, à vos amours , à vos passions, à vos adorables caprices des quatre sai- sons de l’année; cetle fois vous n'élés pas exposés au fusil Le- faucheux , au fusil Robert , aux filets ét à la glu ; cette fois vous êtes l'ornement bien-aimé, la gloire bien protégée et bien dé- fendue, la joie honnête et populaire du plus beau jardin de lu- nivers. La restauration n’a fait que suivre l'impulsion donnée au pro- grès du Muséum. On ne s'est pas conténté, cette fois, d'agrandir le jardin, de le pousser jusqu'à la rivière, de le dégager de toute ombre malfaisante, de tout voisinagé intommode, on a voulu encore associer à cette œuvre et à celle joie nationale tous les amis de l’histoire naturelle. Nous avoñs vu déjà que plus d’un voyageur, plus d'un marin célèbre avaient donné l'exemple d’un dévouement sans bornes à celte institution. Ces exceptions trop rares devinrent bientôt une habitude. Päs un marin de quelque importance, pas un capitaine de vaisséäu, pas même un lieute- nant de frégate n'aurait cru son voyagé complet, s'il n’eût pas pu en consigner quelques souvenirs au Jardin des Plantes. Nous avons déjà nommé le capiläine Baudin ; il faut nommer MM. J. Diart et Duvaucel, MM. Lesthenault et Aug. Saint-Hilaire, M. Delalande , M. Dussumier-Fonbrune, M. Steven, M. Dumont-d'Urville, M. Frey- cinet, M. Philibert, M. le baron Milius, M. La Place, M. du Petit- Thouars, le savant et l'illustre voyägeur autour du monde. Les uns et les autres, de tous les lieux de la terre habitée, de Calcutta et de Sumatra, de Pondichéry et de Chandernagor, du Brésil et de l'Amérique septentrionale, du Cap et des Philippines et du Caucase, des îles de l'Archipel et des bornes du Pont-Euxin, des terres australes et de la Guyane française et de l’île Bourbon, ont envoyé toutes sortes d'échantillons admirables, vivants ou morts, qui ont agrandi, outre mesure, cette précieuse collection. A ce propos, soyons justes. À force de nous vecuper des grands me- neurs du Jardin des Plantes, à force de parler des Cuvier, des zuffon, n'oublions pas, dans notre reconnaissance et notre estime, les humbles compagnons de leurs travaux et de leur science. Que les directeurs du Jardin des Plantes passent les premiers, c'est trop juste; mais aussi que les plus humbles ambassadeurs de leurs observations et de enr fortune ne Soient pas passés sous LE JARDIN DES PLANTES. 23 EE — silence. Cette vaste science de l’histoire naturelle, qui embrasse le monde entier, ne peut pas se faire entre quatre murailles; elle doit, avant touté chose, se répandre au dehors. A l'exemple de toutes les grandes puissances de l'Europe, la science naturelle agit surtout par ses députés, par ses ambassadeurs; donc, au- dessous du grand naturaliste qui reste au jardin pour écrire, pour raconter, pour enseigner toutes les découvertes dont il a le se- cret, il y a le naturaliste-voyageur, plus dévoué et plus ardent, qui s’en va dans toutes les latitudes, ramassant, recueillant, en- tassant dans sa lourde valise, dans son immense herbier les minéraux et les plantes, les poissons de la mer et les oiseaux du ciel. Un pareil homme doit être infaligable, actif, laborieux, plein d'obstination et de courage. Rien ne le fatigue, rien ne lui fait peur. Pour cet homme, chaque animal de la création, même le plus abject et le plus difforme, est une chose d’une grande va- leur. I ira chercher les plus affreux insectes dans la pourriture, dont ils sont comme une exhalaison vivante; il ira chercher le lion dans sa tanière ; il dompte l'éléphant; il arrête le chevreuil qui s'enfuit dans les bois; il est chasseur, historien, dessinateur, physiologiste; il rapportera de l’autre extrémité du globe une plante inconnue dans son chapeau, une bête féroce dans sa cage. Noble, curieuse et sincère passion qui se suffit à elle-même , car pour l'ambassadeur du Jardin des Plantes, on n’a encore inventé ni la gloire, ni les académies, ni les honneurs que donne la science. Une fois que ce digne homme est de retour de ses voya- ges lointains, une fois qu'il a déposé à la porte du sanctuaire cet immense butin qui représente souvent dix années de sa vie, c'est à peine s'il lui est permis de s'asseoir à l'ombre des arbres que ses prédécessseurs ont plantés. Dans ce Muséum embelli par ses soins, l'intrépide naturaliste est reçu comme tout le monde. La plante qu'il a ramassée dans le désert, ét à laquelle lui-même, mourant de soif, il aura prodigué sa ration d'eau de chaque jour, la plante tant aimée se tient dédaigneusement renfermée dans son palais de cristal. Le digne homme la voit de loin prospérer et grandir; mais qu'importe? Plus reconnaissant que la plante qui ne reconnait que le soleil, qui n'obéit qu'au vent tiède et doux, l'animal féroce dont il a été le gardien et le dompteur le reconnait en bondissant dans sa câge, il le salue d'un hennissé- ment joyeux; ce sont là ses plaisifs, il n'a pas d’autres récom- penses. À peine son nom est-il insérit sir une des pages bril- lantes de cette grande histoire, à peine si le jardinier en chef lé protége. Trop heureux encore s'il peut alteindre à l'honneur inespéré de voir son nom ou bien le nom de son jeune fils, ou bien le nom de sa femme , si souvent délaissée pour la science, se rattacher à quelques-uns des fruits qu'il a ramenés de si loin, à quelques fleurs dont il aura doté la patrie? Un tel homme est le paria de la science. Mais tel est le charme de la science, qu’elle efface absolument les humiliations et les dégoüts de tout genre ; elle porte en elle-même sa consolation et son courage, elle se passe de la reconnaissance des hommes , elle se passe de tout, même de la gloire. Ceci vous donne le secret de bien des dévoue- ments obseurs, ceci vous explique bien des luttes ignorées. Vou- lez-vous cependant, pour que notre juslice soit complète, que nous prenions au hasard la biographie de l'un des naturalistes dont nous parlons ? M. Milbert, par exemple, mort l'an pässé, sans que pas une voix s'élevât pour lui payer un tribut de reconnaissance et de respect. Peintre, naturaliste, voyageur, correspondant du Mu- séum d'histoire naturelle de Paris, au Jardin du Roi, Jacques- Gérard Milbert aurait pu attacher son nom aux plus grands tra- vaux et aux plus admirables découvertes de ce temps-ci ; il s'est contenté d'y apporter sa part de zèle et d'utilité. I était ne à Paris le #8 novembre 1766, et de fort bonne heure se révéla l'in- stinet qui le poussait à étudier l'histoire naturelle dans ses moin- dres détails. Cette passion naissante pour toutes les belles choses de la création, à commencer par la fleur qui est à la surface, à finir par le minerai caché dans les entrailles de Ja terre, avait fait tout d'abord du jeune Milbert un dessinateur pratique, comme il en faut pour reproduire, dans toute leur beauté, et sans les embellir, les moindres détails de l'histoire naturelle. En 1795, il fut nommé professeur de dessin à l’école des Mines: la même année, il fut chargé d'une mission dans les Pyrénées, d'où il devait rapporter tous les sites relatifs à l'exploitation des mines. Déjà les premiers travaux du jeune naturaliste avaient eu assez de retentissement pour que, deux ans plus tard, il füt admis à l'honneur de suivre , dans sa conquête de l'Égypte, le général onaparte. Malheureusement, tout désigné qu’il était pour cette expéditior, Milbert ne put pas partir, et cela a été, depuis, un des grands chagrins de sa vie, quand il se souvenait de tous les beaux échantillons qu'il aurait pu ramasser dans la vieille patrie des Pharaons. Cependant , pour n'avoir pas suivi le général Bonaparte dans cet Orient à moitié conquis, M. Milbert ne restait pas oisif; il avait été chargé en 1799 de visiter les Alpes, et de s'informer en même temps comment ces hautes montagnes pouvaient être aplanies , et comment, depuis Genève jusqu'à Lyon, le Rhône pouvait devenir navigable. L'année suivante, il Sembarquait pour les terres aus- trales, comme dessinateur en chef de l'expédition, sous les ordres du capitaine Baudin. La route fut longue et semée de périls; mais aussi le voyage fut rempli de découvertes. De retour en Europe, M. Milbert fut préposé par le ministre à la publication de cet important voyage. On a aussi de lui, mais écrite en entier de sa main, une très-fidèle relation d'un voyage aux iles de France et de Ténériffe, et au cap de Bonne-Espérance. Il écrivait comme il dessinait, d’une main nelte et ferme, simple et vraie avant tout, En 1845, nous fetrouvons M. Milbert dans les États-Unis d’A- mérique. En 1817, M. Hyde de Neuville, ministre de France aux États- Unis, charge M. Milbert d'un grand travail sur l'histoire naturelle. Ce travail a duré sépt années; et pour avoir une juste idée du zèle, de l'activité, de la patience, du dévouement, du courage de ce savant homme , il faudrait lire le rapport adressé par les pro- fesseurs du Jardin des Plantes au ministre de l'intérieur. « Monseigneur ; disaient-ils, nous avons recu récemment les douze caisses qui composent le cinquante-huitième et dernier envoi de M. Milbert, et nous pouvons maintenant vous parler en détail des travaux de ce naturaliste infatigable. » En même temps les rapporteurs racontent, non pas sans émo- tion, avec quel zèle, quelle expérience pleine d'ardeur, M. Milbert a étudié l'immense territoire des États-Unis , ce vasle empire, aussi curieux à étudier par le naturaliste que par le philosophe et par le politique; comment M. Milbert a ramassé çà et là les produits des trois règnes dont il a enrichi le Cabinet du Jardin du Roi ; comment enfin il a complété, avec sa fortune personnelle, les rares subsides que lui accordaient, pour l’accomplissement de cet immense travail, le ministère de l'intérieur et le Muséum. IL avait choisi New-York comme le centre de ses opérations scientifiques, et de là il a visité le Canada, les lacs supérieurs, les bords de l'Ohio et du Mississipi. A Boston, il fut surpris par la fièvre jaune, et, à demi mort, il trouva, pour lui tendre une main amie, M. de Chevérus lui-même, le saint évêque exilé là, qui est devenu plus tard un des hommes dont l'Église gallicane sera fière à Lout jamais. M. Milbert a raconté lui-même, dans la Vie du cardinal de Che- verus, quelle était l'hospitalité de ce grand évêque, et, avec son hospitalité, sa modestie, Sa pauvreté, pour ne pas dire sa misère ; et comment, sans lui et sans M. de Valnais, le consul de France, et mademoiselle de Valnais, sa digne fille, lui, Milbert, il serait mort lourdement chargé qu'il était de son nouveat butin à tra- vers l'Amérique du Nord; et notez bien qu'il serait mort à la peine plutôt que de rien ôter de sa noble charge, L'histoire même 24 LE JARDIN DES PLANTES. en est touchante, et nous ne pouvons pas mieux la raconter que M. Milbert : « Dans l'été de 1820, je revenais d'explorer les hautes monta- gnes des États de Vermont et de New-Hampshire; j'étais lourde- ment chargé des collections d'objets d'histoire naturelle que j'a- vais recueillis dans cette excursion. Comme je suivais les bords pittoresques du Merimack, je fus rencontré par M. de Cheverus, qui faisait alors une tournée pastorale dans son diocèse. Surpris de mon état de fatigue, ce bon prélat, tout en louant mon zèle pour la science, m'adressa des reproches pleins d'affection ; puis il me dit: — Asseyons-nous ici; montrez-moi vos roches, vos “ VAN rope, un phoque (Phoca mitrata), dont M. Cuvier lui-même n'a- vait vu que le crâne, et tant d’autres mammifères de plus de cinquante espèces dont les naturalistes s’inquiétaient beaucoup en ce temps-là. Il y avait aussi, dans ces envois de M. Milbert, un grand nom- bre de mammifères conservés dans l’eau-de-vie, plusieurs sque- lettes les plus curieux, l’elck, le cerf de Virginie. Quant aux animaux vivants, ils étaient au nombre de quarante- neuf, les didelphes opossum, mâle et femelle, le cougouar de l'Amérique du Nord, l'ours des Apalaches, plusieurs espèces de cerfs de la Louisiane et de la Virginie, l’élan d'Amérique, et sur- Cabinet d'anatomie comparée. crustacés, vos végétaux, toutes vos richesses. Vidons ce sac et vos poches aussi; je veux tout voir. Mais je m'aperçus qu’en pa- raissant examiner avec soin ces productions naturelles qui n’a- vaient pas même d'intérêt pour lui, il en faisait deux parts, et je lui demandai pourquoi il agissait ainsi. Je fais à chacun notre part, me répondit-il; ce second sac est pour moi; gardez seule- ment votre portefeuille de dessins, je le veux ainsi, mon cher ami! Nous allons marcher doucement jusqu’à Lowell; de là, par le canal de Middlesex, nous parviendrons sans fatigue jusqu’à Boston. Et, malgré tout ce que je pus faire pour m'y opposer, le bon évêque se chargea d’une partie de mes collections. » Mais revenons à notre rapport. Outre les collections zoologi- ques et les dessins sans nombre envoyés par M. Milbert, on peut citer plusieurs animaux presque inconnus au Jardin du Roi, le minck, la moufette, le pekan, dont à peine les naturalistes avaient entendu parler, un loup américain, et il était encore douteux que l'Amérique ait eu des loups semblables à ceux d'Eu- tout les deux bœufs sauvages, le bison et sa femelle, et il n’a pas tenu à M. Milbert que cet utile et infatigable travailleur de la Haute-Louisiane ne fût naturalisé parmi nous. Le nombre des oiseaux s'élevait à quatre cents espèces com- posées de plus de deux mille individus. Pour la première fois, enfin, nous pénétrons dans les secrets infinis de l’ornithologie américaine, et parmi les naturalistes les plus distingués de l’Eu- rope, ce fut à qui complimenterait M. Milbert de n'avoir jamais séparé le mâle de la femelle, et en même temps d’avoir suivi ces brillants échantillons de l’air, dans les nuances diverses de leur plumage ; en effet, ce n’est que par la variété qu’on peut recon- naître l’espèce. Parmi ces espèces, il y en avait de tout à fait inconnues au Jar- din des Plantes ; d’autres qui avaient besoin d’être renouvelées : l'aigle à tête blanche, la buse à queue rousse, l'innombrable fa- mille des pies-grièches, des fauvettes et des gobe-mouches, plu- sieurs troupiales, et entre autres le mangeur-de-riz, les tétras, LE JARDIN DES PLANTES. 25 mm — que Linné a nommés le Tetrao togatus, Tetrao cupido, Tetrao phasianellus, si mal décrits jusqu'alors, qu'on les regardait comme une seule et même espèce, malgré Linné. La mer et les fleuves n'avaient pas été exploités avec moins de bonheur que la terre ferme : les poissons, les coquillages , les tortues. Sur deux mille deux cents poissons envoyés par M. Mil- bert, plus de la moitié était même inconnue à Cuvier. Dans ces envois, on remarquait surtout deux requins, chacun d’une espèce nouvelle , une raie de sept pieds de large et d’un genre à part, les esturgeons du Saint-Laurent, du lac Ontario et du lac Cham- plain, de six pieds de longueur , les limandes, saumons, bro- tout la sirène lacertine et les agames et les geckos que contien- nent les deux Amériques. Dans les coquilles de M. Milbert, on a surtout remarqué des coquilles d'eau douce, peu étudiées avant lui, et dont il a rapporté plus de trente espèces nouvelles. Des insectes, il en a rapporté quatre cents espèces dont plusieurs sont nouvelles; rien de plus beau que ses papillons de toute couleur; pas un ordre d'insectes n'a été oublié dans cette admirable ré— colte de tout ce qui bruit, de tout ce qui rampe, de tout ce qui bourdonne, de tout ce qui voltige et resplendit dans les savanes Le règne végétal n'a pas été plus négligé que les deux autres. M. Milbert aimait les plantes vivantes, comme il aimait les ani- Entrée de la vallée suisse. chets, et enfin plusieurs poissons vivants qui devaient être jetés dans la rade du Havre et dans la Seine pour y perpétuer l'espèce ; car c'était là un voyageur philosophe qui trouvait plus d'utilité à un être vivant qu’à dix repliles empaillés. Malheureusement des gelées très-rudes ont fait périr les poissons de M. Milbert. Parmi les oiseaux vivants qu'il avait envoyés et qui sont encore aujourd'hui l'ornement du Jardin des Plantes, n'oublions pas le vautour brun de la Caroline du Sud, l'aigle chasseur des monts Alleghanys, l'aigle à tête blanche des bords de l'Hudson, l'aigle de Terre-Neuve, celui des montagnes de Pensylvanie, et nombre de gélinottes, de cailles, de canards sauvages, tout le terrible ou friand plumage dont il est parlé d'une facon si confuse dans les histoires des chasseurs du nouveau monde. Comme aussi l'intrépide naturaliste, pour être complet, et malgré sa répugnance à ramasser tant de bêtes inutiles, affreux chaînons de cette grande chaîne où tout se tient, n'avait oublié ni les lézards, ni les’ cent cinquante espèces de reptiles, ni sur- maux vivants : il avait grand soin de ses herbiers, où il entassait toutes sortes de fleurs desséchées. Mais quand, avec la plante, il pouvait envoyer la graine; quand, au lieu du cadavre desséché de la fleur, il pouvait envoyer son âme, il était bien heureux et bien fier. L'herbier lui faisait l'effet d'un vaste cimetière où reposent toutes sortes de poussières; mais un beau petit arbre bien vigou- reux, une fleur dans sa racine, un fruit qui rrive en germe d'Amérique, et qu'avec un peu de bonne volonté le soleil de la France va mûrir, c’étaient pour lui autant de conquêtes d'un prix inestimable. Comme il les étudiait sur leur terre natale, ces jeu- nes plantes, l'espoir de l'avenir! il savait à merveille quelle zone leur pourrait convenir, sur quel sol ce chêne pouvait devenir un chène , sous quel air cette rose pouvait fleurir ; il s'inquiétait avec une sollicitude toute paternelle des érables, des peupliers, des noyers, des châtaigniers, de toutes les épines qui fleurissent au printemps, et il les envoyait en Europe avec toutes sortes d'indi- 26 LE JARDIN DES PLANTES. cations qu'il fallait suivre si on voulait voir l'arbuste prospérer et grandir, A défaut de nouveaux fruits, il envoyait des bois nouveaux; il allait chercher jusque dans les sols limoneux , dans les sables et même sur Îes hautes montagnes, dans les fentes des rochers, les pins, les cèdres , les genévriers, les mélèzes, les sapins, les cy- près. C'est lui qui nous a envoyé le cyprès chauve, un arbre utile, s’il en fut. Vous le plantez dans la tourbe au milieu de l’eau, et ses feuilles qui tombent, le détrilus de ses racines et de son jeune bois, ont bientôt composé autour de l'arbre une véritable terre végétale. Nous lui devons aussi un chanvre nouveau, une paille plus belle que la plus belle paille d'Italie, une espèce de patate qui se rencontre à cette heure dans tous les jardins. Si M. Milbert n'avait enrichi que des herbiers, il n'aurait droit qu'à l'éloge des savants; mais il nous a donné des fleurs qui fleurissent à tous les prin- temps, des arbres qui portent des fruits et de l'ombre, il a droit à la reconnaissance de tous. Dans le règne minéral, le savant naturaliste n’a pas été moins heureux ; il a envoyé par fragments des échantillons de l'Améri- que tout entière, des minéraux inconnus, des espèces nouvelles, des roches merveilleuses, plus de sept cents échantillons de ro- che : vous pouvez suivre, grâce à lui, dans leurs minéraux divers, la chaîne des Alleghanys, les plages orientales qui bordent l'O- céan , les bords du fleuve Saint-Laurent, de l'Hudson et du Pota- mack, les lacs Huron, Champlain, Erié, Ontario ; il a ramassé un grand nombre de débris organiques fossiles recueillis à la surface de ces vieux terrains calcaires qui constituent l'immense plateau où l'Ohio, le Mississipi et le Saint-Laurent prennent nais- sance ; ainsi, grâce à lui, les géologues ont pu comparer la con- stitution du sol des Etats-Unis avec celle des autres parties de l'ancien et du nouveau continent qui nous sont connues. Au total, les collections de M. Milbert dépassent huit mille échantillons de tout genre recueillis dans tous les règnes. Ce rapport sur l'excellent et infatigable voyageut est confirmé par une parole authentique de M. Cuvier lui-même : « M. Milbert surtout, dit M. Cuvier, artiste distingué, a mis dans ses recher- ches une persévérance inouïe, et expédié plus de soixante envois ; sans avoir été d'abord un naturaliste de profession, c’est un dés hommes à qui l'histoire naturelle devra le plus de reconnais= sance. » Quand il eut accompli cette longue et difficile mission, M. Mil- bert partit pour la France, accompagné de M. de Cheverus, qui, lui aussi, rentrait dans sa patrie après avoir accompli de difficiles devoirs. Ils étaient déjà arrivés en vue des côtes, lorsque la tempête menaca de briser le navire qui les portait ; on eût dit que la voix du saint prélat imposait silence à l'orage, le navire fut jeté à la côte, mais personne ne périt. De cette communauté de dangers entre le savant et le saint prélat devait naître une amitié qui n’a été interrompue que par la mort du cardinal-archevêque de Bordeaux. Telle a été cette vie si honorable et si remplie, utile entre toutes et si modeste, que les savants seuls ont entendu parler de M. Milbert. Il n’est pas juste que de pareils hommes sortent de ce monde sans qu'au moins après eux une voix s'élève pour dire à tous ce qu'ils ont été et quels services ils ont rendus, Au surplus, ces injustices de la reconnaissance publique de- viennent de plus en plus rares; la conscience publique s'inquiète de tout ce qui se fait d'utile de nos jours, et un sentiment de juste reconnaissance est toujours prêt à rémunérer ces modestes tra- vaux. Voyez ce qui vient de se passer tout récemment en pleine Académie des sciences, au sujet des collections rapportées par l'expéditionde l'Astrolabe et de la Zélée, commandée par le con- tre-amiral Dumont-d'Urville? La grande serre du Jardin des Plantes suflirait à peine pour contenir tout ce qui a été recueilli sur tous les points du globe, pendant deux ou trois ans de navi- gation. Les princes, les ministres, les hommes les plus distingués de la capitale ont afflué pendant plusieurs semaines dans cette enceinte si merveilleusement remplie; chacun a pu admirer ces étranges productions des plus lointaines contrées, et s'enorgueil- lir, avec ceux qui les avaient rassemblées, de ce surcroît de ri- chesses pour les galeries du Muséum. La collection de têtes hu- maines, rapportée par le docteur Dumoutier, a surtout excité l'attention des savants, des philosophes et des moralistes. Cuvier avait rassemblé, avec des peines infinies, un certain nombre de crânes appartenant aux principales races, et lon admirait ce complément indispensable des travaux de Camper, de Buffon, de Sæmmering, de Pallas, de Blumenbach. C’étaient les premiers échantillons du Muséum humain; car, il faut bien en convenir, le roi du monde créé, ce vase d'élection où fut déposé le germe de la suprême intelligence, l'homme, qui porte sur son front le signe d’une origine céleste, tient par tant de liens à l’ensemble du règne animal, qu'il ne peut en être séparé qu’en vertu d'une abstraction psychologique. Et, pour obéir à la loi commune qui veut des perfectionnements gradués et successifs, l'espèce hu- maine présente un certain nombre de races qui semblait indiquer le progrès, et marquer de nombreux degrés entre les peuplades grossières de l'Océanie et les plus nobles types de la race cauca- sique. Une semblable étude, qui se fait en quelque sorte à nos propres dépens, qui nous assimile aux espèces animales si rigou- réusément classées, est un acte de haute raison, d'humilité glo- rieuse; c'est une autopsie qui n'est permise qu'à nous, qu'à notre siècle, et qui couronne dignement le vaste édifice élevé par les temps modérnes à l'éternel honneur des sciences naturelles. Tous les nävigateurs avaient signalé l'existence de races dis- linctés répandues par groupes dans les diverses parties du globe. La conformation générale de la tête ne pouvait être le simple résultat de causes accidentelles, et il fallait admettre une diffé- rence radicale, primitive, entre le Cafre et le Français, entre les peatx rouges de l'Amérique du Nord et les habitants du Céleste Empire, entre les Malais et les peuplades de la Nouvelle-Hollande, La grande question d'une origine unique, soumise aux lumières de l'expérience, a parü se compliquer de difficultés sérieuses, et l’orthodoxie de nos anatomistes ne s’est pas contentée d'admettre les races japétiques et sémitiques. Mais si les plus nobles esprits ont élabli sûr de solides preuves une concordance entière entre la géologie et le premier livre de la Genèse, nul doute qu'on par- viendra à trouver le lien qui unit chacune de ces familles hu- maines éparses sur la surface du globe, et à montrer l’étroite parenté qui existe entre ces enfants perfectionnés ou dégénérés d'un même père. M. Dumoutier a rendu un immense service à la science de l’homme en réunissant plus de cinquante têtes modelées sur l'in- dividu vivant, coloriées de la manière la plus exacte et conser- vant l'identité des physionomies. Il ne s’agit pas ici de crânes, déjà fort précieux sans doute, mais enfin n'offrant à l'œil qu'une forme dépourvue de ses enveloppes et de ses caractères les plus saisissants; ce sont des Lètes pleines de vie, reflétant les passions brutales du sauvage hébété, l'astuce du bipède affamé qui cher- che sa proie, la ruse cruelle de l'anthropophage qui a soif de votre sang; c'est l’homme enfin tel qu'il se présente à l'observa- teur, alors qu'il s'abandonne sans frein à ses appétits grossiers. Et quelle patience, quelle persuasion n’a-t-il pas fallu déployer pour obtenir de ces barbares l'étrange faveur que l’on attendait d'eux! Modeler une tête vivante! Mais savez-vous que les plus civilisés de nos compatriotes consentiraient à peine à se laisser ensevelir dans une masse de plâtre délayé; mais savez-vous que celle sorte d'enterrement exige, comme condition préalable, le sacrifice de la chevelure, ou, tout au moins, une préparation presque aussi désagréable ! Et lorsqu'on songe aux obstacles de LE JARDIN DES PLANTES. 97 es = di NÉS dé toute espèce que M. Dumoutier a dû rencontrer dans l’accom- plissement de cette singulière entreprisé, on ne saurait se lasser d'admirer les résultats obtenus, et l’on s'associe pleinement aux éloges et aux récompenses qui lui ont été décernés. 1 Et les coquilles avec les animaux vivants où conserves dans l'alcool , et les insectes les plus étranges, et les oiseaux , et les poissons! C’est un monde toujours nouveau qui vient augmenter notre monde connu: c’est une population toujours croissante, et dont on s'applaudit comme pourrait le faire un souverain qui, placé à la tête d'une grande nation, se trouverait chaque année plus riche, plus puissant d'un million d'âmes. Les derniers tra- vaux de Lacépède et de Cuvier sur les poissons constataient l'existence de cinq ou six mille espèces, et aujourd'hui M. Valen- ciennes en compte plus de douze mille. Fabricius, Latreille et les derniers entomologistes, ne possédaient pas plus de vingt mille espèces d'insectes, et aujourd'hui M. Audouin , qu'une mort prématurée vient d'enlever à ses travaux, M. Milne Edwards, ont plus que doublé ce nombre, et le baron Dejean possède dans son cabinet près de vingt mille coléoptères. Que dirai-je des oiseaux, ces joyeux habitants de Pair, qui chaque année sont obligés de serrer leurs rangs, déjà si pressés, pour faire place aux nouveaux venus, et qui se rangent si admirablement dans les familles instituées par Buffon, Vieillot, Duméril, Temminck et Latham® Chaque nouvelle expédition rapporte des espèces in- connues, des papillons qu'on prendrait pour des oiseaux, des oiseaux qui ressemblent à des papillons, et ces merveilles d'une création inépuisable, ces conquêtes de la science brillent aux yeux de tout le monde dans ces galeries que l’on doit agrandir sans cesse. Vous voyez done que celte institution des voyageurs du Jardin des Plantes qui produit avec si peu de bruit de pareils hommes et de pareils dévouements, est une de ces nobles institutions qui annoncent et qui prouvent les grands peuples. Elle a fait de ces quelques arpents de terre perdus dans un des faubourgs de Paris, comme un vaste et puissant royaume qui envoie ses ambassadeurs dans toutes les parties de l'Europe : ambassadeurs triomphants et glorieux cette fois, que rien ne saurait arrêter, ni les flottes chargées de canons, ni les forteresses armées, ni les guerres de peuple à peuple, ni les déserts, ni les fleuves débordés, ni les vallons, niles montagnes. Qui qué vous soyez, nations armées pour la guerre, laissez-les passer, ces ambassadeurs du prin- temps et de l'automne, ces représentants parifiques de Pomone et de Flore, ces Talleyrands modernes et passionnés de toutes les beautés naturelles; laissez-les passer, car on n'en veut ni à vos frontières, ni à vos rivages, ni à vos chartes, ni à vos des- potes; tout au plus veut-on ramasser quelques poissons dans vos fleuves, deux ou trois coquilles sur les bords de vos mers, quelques graminées inconnues sur le sommet de vos montagnes, un bouton dans vos jardins, un pepin dans vos vergers, un oiseau qui chante sur la branche de vos arbres en fleurs. Voilà tout ce qu'ils demandent, les envoyés du noble jardin ; et comme échange naturel de cette modeste récolte dans vos plantations, dans vos bruyères, dans vos rochers, dans vos sables, dans les tanières de vos lions et de vos tigres, ils vous apporteront nos plus belles fleurs, nos plus beaux arbres, les fruits les plus savoureux, les graines les plus fertiles, leurs animaux les plus fidèles, les oi- seaux les plus chanteurs. Aussi telle est la force toute-puissante de la paix et de la bonté parmi les hommes, telle est l'attraction inévitable de cette chose divine, appelée la bienveillance, que, seuls dans ce monde, les ambassadeurs du Muséum sont assurés, même parmi les peuples les plus féroces, de rencontrer les plus tendres sympathies. Le missionnaire lui-même , qui porte l'Évan- gile dans sa robe noire, comme ce Romain qui portait la paix ou la guerre dans le pli de son manteau, le missionnaire lui-même n'est pas autant le bienvenu que ces missionnaires de la science, tous chargés de ces opulentes corbeilles. Par une espèce de trans- action tacite qui n'est inscrite dans aucun de nos traités intet- nationaux, il a été convenu qu'en tous temps, en tous lieux, à toute heure de la paix ou de la guerre universelle, passerait le commis voyageur du Jardin des Plantes. Il est neutre, ou, pour mieux dire, il appartient à la civilisation tout entière; il peut crier, lui aussi, à chaque obstacle du chémin, son Civis sum ro- manus ! inviolable et sacré. Non-seulement il a droit d'asile, mais encore il a le droit de cueillir et de ramasser tout ce qui se ren- contre en Son chemin; chaque plante tombée du sein de Dieu, fécondée par la rosée, mürie par le soleil, chaque animal vivant ou mort, appartient de droit à ce conquérant pacifique. On irait, mais en vain, dans les annales de toutes les sociétés humaines pour rencontrer une inslilution égale à celle-là, et notez bien qu'elle s’est faite par la force des choses, qu'elle existe indépen- damment de tout ce qui est l'autorité et la puissance, comme vivent, en fin de compte, toutes les choses humaines qui repo- sent sur l'ulilité et sur le dévouement. Il est bien entendu que cette noble mission , à travers les forêts, les plantes, les océans et les déserts de ce monde, devait avoir ses martyrs. La vie n'a lé donnée à l'homme que pour Ja pou- voir sacriliér, comme on donte une dernière preuve d'obcissance et de respect à ses éspérances et à ses convictions. Tel s’est fait tuer à Austerlitz, à Wagram, à Waterloo, pour avoir son nom écrit dans le bulletin impérial, qui ne comprendrait pas que, pour compléter son herbier, un jeune savant de trente ans aille chercher la peste et la mort sur les montagnes de l'Himalaya. Celui-ci veut bien prendre à lui seul toute une batterie de canons qui tonnént; mais il fuirait épouvanté s'il lui fallait aller dérober dans son antre les petits d'un ligre et de sa femelle. Dieu merci! de quelque genre que soit la gloire que l’on cherche, c’est tou- jours la gloire. Christophe Colomb n'a pas été plus heureux et plus fier quand il eut découvert un nouveau monde, que le fut Cuvier, lorsqu'il eut retrouvé, dans les débris de la création, quelques-uns des animaux que le premier déluge croyait avoir emportés avec lui. Le savatit Tournefort s’estime tout autant pour avoir donné son nom à des plantes sans baptème, qu'Herschel lui-même pour avoir imposé son nom à une comète errante dans les espaces du ciel, C'est là un des charmes de la science ; il n'y à pas une science si pelile qu'elle soit, et si restreinte, qui n'ait son immensilé et sa grandeur. Ne vous étonnez donc pas que le Jardin des Plantes ait porté plus d'une fois le deuil de ses mis- sionnaires les plus intrépides: M. de Godefroy, mort à Manille dans une émeute; M. Havet, mort à Madagascar, épuisé de fa- tigues, et enfin un homme sur lequel nous vous devons quelques détails, un jeune et intrépide naturaliste qui était en même temps un grand écrivain, l'honneur impérissable du Jardin des Plantes, mort au bout du monde, mort à trente ans, mort entouré d’es- time, de pitié et de regrets, mort loin de son père, loin de ses amis et de la gloire, j'ai nommé Victor Jacquemont. En 18929, M. Victor Jacquemont était, comme la plupart des jeunes gens de quelque valeur sous la restauration (elle s'est perdue pour ne pas les avoir reconnus), un jeune homme sans emploi et sans fortune , mais plein de zèle, plein de courage, savant comme un vieillard, ardent comme un jeune homme, intrépide comme un soldat; quelquefois même c'était un poëte, poële à ses heures, quand il avait le temps. Son oïisiveté pesait à ce jeune homme ; il sentait en lui-même ce quelque chose là qui poussait André Ché- nier. Le Jardin des Plantes s'empata de Jacquemont. On lui donna pour commencer l'exploitation scientifique de l'Inde anglaise ; les appointements étaient des plus médiocres. Le Jardin des Plantes, lui aussi, tout comme saint Paul, ne promet guère à ses apôtres que le vêtement et la nourriture, viclum el veslitum. Jacquemont s'embarqua à Brest, au mois de septembre 1898; il allait si loin, que, tout hardi qu'il était, il avait peine à regarder en face le but de son voyage. Tous les voyages autour du monde se ressemblent ; c'est toujours la mer, ce sont les mémés îles, 28 LE JARDIN DES PLANTES. ————_—_—_—_—_———_—_—_—_——_————-—-—— "| - -——————.—.]….".—] Î —————————— toujours l'Espagne , le pic de Ténériffe, la ligne qu'il faut passer avec de folles cérémonies ; toujours le Brésil habité par une cen- taine de vicomtes et de marquis, par quelques milliers de fripons à peu près blancs, par un nombre effroyable d'esclaves à peu près nus; arrivent ensuite Bourbon, Pondichéry, Cayenne, toutes sortes d'histoires toutes faites. Il faut avoir bien de l'imagination et de l'esprit pour trouver à dire quelque chose de nouveau à propos de ces parages parcourus si souvent, et par des hommes si divers. A la fin donc voici Victor Jacquemont en Asie, le voilà en pré- sence de lord Bentinck, cet homme qui, sur le trône du Grand Mogol, agit et pense comme un quaker de Pensylvanie. Là com- mence l'œuvre de notre voyageur; il apprend la langue persane, sortes d'empressements et de respects ce noble dévouement à la science. Ainsi toutes les routes lui furent ouvertes, mais quelles routes difficiles ! Il fallait passer sous l'équateur pour vivre parmi les neiges éternelles, dans une hutte enfumée ; il fallait voyager tout seul, presque sans escorte, couché sous une tente brülante à midi, glaciale le soir, s'arrêter à chaque pas pour ramasser des herbes et des pierres, et, ce qui est le plus triste, n'être pas soutenu par l'enthousiasme, ce frêle soutien qui vous porte un instant dans le ciel, pour vous rejeter tout moulu et tout brisé sur la terre. Bien plus, il fallait commander le silence à la poésie, remplacer l'imagination par la science, contempler le monde, non pas en acteur passionné, mais en spectateur critique et dé- Intérieur des Galeries d'Histoire naturelle. il étudie dans son vaste ensemble le jardin botanique de Calcutta, tous les végétaux de l'Inde anglaise, préparant ainsi à loisir cette expédition dont la fin devait être si funeste. C’est ainsi qu'en six semaines il fit une connaissance honnête, sinon complète, avec le mullam sine nomine plebem de la végétation indienne. Tout d'abord la cour de lord William Bentinck, tous ces Anglais effé- minés de l'Orient, ces usurpateurs souverains du royaume du Grand Mogol, ne comprenaient rien à la vocation de ce grand fluet de Parisien , en habit étriqué et brülé par l’eau de mer, qui venait de si loin pour s’évertuer sur les herbes, les pierres et les bêtes de leur pays. Ces Anglais qui ne marchent que suivis d'une armée de serviteurs, ces colonels à 52,000 fr. d’appointements par année, ne se rendaient pas bien compte de la profession de Jacquemont, de son titre, de la misérable simplicité de son ap- pareil ambulant. Mais cependant, rien qu’à le voir et à l'entendre, on eut compris bien vite la haute portée de ce jeune homme. Chacun lui tendit une main favorable, lord William Bentinck l’adopta conime son fils; ce fut à qui reconnaîtrait par toutes sinléressé de ces scènes diverses: telle était la tâche de Jacque- mont, tâche stérile, mais ulile; la science devait profiter de toutes les douces joies que le voyageur allait perdre. Le sang- froid de cet homme, déjà épuisé, devait rejaillir sur les obser- vations de cet ingénieux esprit. 11 aura beaucoup moins d'admi- ration pour la chaine centrale de l'Himalaya, mais en revanche il poussera beaucoup plus loin ses belles recherches géologiques ; ilira, non pas s'extasier devant la haute vallée du Sutlege, mais il passera six mois d'étude et de travail dans ces sites élevés de dix mille pieds au-dessus du niveau de la mer, mais il composera à loisir ses collections d'histoire naturelle, mais il laissera des Lraces éternelles de son passage dans ces déserts, où n'est pas arrivé encore un seul homme de son métier. Ce qui fait le charme du voyage de Jacquemont, Dieu nous pardonne si nous blasphé- mons ! c’est l'absence de toute espèce d'enthousiasme; cela ne ressemble en rien à l'émotion intérieure de M. de Chateaubriand dans Athènes, dans Jérusalem, non plus qu'à cette admirable description du nouveau monde; c’est en revanche une ironie LE JARDIN DES PLANTES. 29 ie ————_—_—_—…—…—…—…—…—…—"—…—…—…—…—…—…—…————…—…—…—……— ——— ——————————————_— fine, gracieuse, légère, amicale; le causeur et le savant s'y montrent à la fois dans leur plus aimable négligé. Même dans les montagnes de l'Himalaya, ce jeune homme se souvient de Paris, de l'atticisme parisien, de la conversation parisienne ; l'isolement lui pèse sans l’accabler; perdu si loin de son pays, perdu dans les déserts glacés des plus hautes montagnes du monde, il ne songe même pas à se défendre contre l'ennui; l'ennui ne peut rien contre une âme ainsi trempée; il obéit net- tement, franchement à la destinée qu'il s’est faite, il est calme parce qu'il est fort: il ne s'occupe pas si entièrement des arbris- seaux et des plantes qu'il n'ait un coup d'œil pour cette France pas ravagé par la multitude, pourvu que sa modeste pension lui soit conservée, pourvu qu'il puisse revenir quelque jour! En attendant, il cueille des fleurs pour sa cousine, une anémone parmi les neiges de la source du Gumna, une primevère dans les alpes du Thibet, fleurissant le long d'un sentier couvert de neige à une hauteur supérieure à celle du Mont-Blanc; et encore plus haut que la primevère, une simple violette! Ce sont là ses conquêtes, la révolution de juillet n’en a pas tant conquis. Rien n’est aimable à voir et à suivre comme ce jeune homme, parcourant d'un pas ferme et d'une âme forte les positions les plus difficiles et les plus curieuses de l'Asie. Dans ces tristes L'étable de la girafe dans la grande rotonde de l'éléphant. qu'il a laissée toute remplie d’agitations et d’inquiétudes. Que fait-on là-bas? que dit-on? comment se gouvernent ces intérêts et ces passions qui menaçaient d’envahir l'Europe et le monde? Où en est la Grèce, où en est Alger, où en est l'Angleterre? A toutes les questions qu'il s'adresse lui-même au fond de ces dé- serts , la France répond par la révolution de juillet. Il lit dans la Gazette de Calcuttales mêmes mots anglais qui, à cinquante ans de distance, avaient déjà réveillé M. de Chateaubriand dans ses déserts : The neio french revolution, avec cette différence cependant que M. de Chateaubriand le gentilhomme, apprenant que son roi va être mis à mort, abandonne tout d’un coup cette sécurité bril- lante et charmante des déserts américains, pour se rejeter dans les tempêtes et dans le sang de la France, pendant que le scep- tique Jacquemont , après avoir écouté de loin le grand bruit des trois jours , s'enfonce de plus belle dans les déserts et dans la science. Que lui importe, en effet, la new french revolution! que lui importe ce vieux roi qui s’en va loin du trône qu'il n’a pas su défendre , pourvu seulement que le Jardin des Plantes ne soit royaumes de la force matérielle, où le mot de justice est à peine connu, cet homme seul et pauvre se fait respecter par l'unique ascendant de ses lumières et de son bon droit. Les voleurs qu'ilren- contre en son chemin, il les tient en arrêt par la toute-puissance de son regard ; les plus affreux despotes de l'Orient, il les dompte, et quand ils sont vaincus, il les force à lui apporter même leur respect, que dis-je? même leur argent. C’est ainsi qu'il a passé par le royaume de Lahore, et qu'il a fait de Runjet-Sing, le roi soupçonneux de ces contrées, une espèce d'esclave obéissant et dévoué. C’est une histoire des plus curieuses; elle est racontée avec beaucoup de verve, d'esprit et de bonne humeur. Notez bien que ceci se passait, pour ainsi dire , au moment où il n’était question que de l'Orient en poésie; c'était le temps où on lisait encore les Orientales, c'était le temps où M. de Lamartiné allait partir pour retrouver dans la terre sainte les traces de M. de Chateaubriand. Victor Jacquemont faisait encore mieux que le grand poëte , il allait dans des pays inconnus, et ces pays in- connus il les étudiait, non-seulement dans leurs ruines, mais 30 LE JARDIN DES PLANTES. a " "TT encore dans le plus petit fragment de leurs montagnes, dans la plus imperceptible fleur de leurs jardins, C'est là, au reste, le beau moment de la vie de Jacquemont ; jamais les vives puis- sances de son esprit n'ont jeté au loin plus d'éclat et plus de grandeur. Si nous pouvons juger la science de cet homme par sa prévoyance polilique, on ne saurait trop admirer l'une et l’autre, De si loin il juge à merveille les hommes et les choses de la révo- lution de juillet ; il s'étonne de voir ces hommes si vieux se méler à des choses si nouvelles. Quels regrets! quand on pense que peu à peu la mort arrive, qu'elle va le surprendre au milieu de ses travaux commencés, que le climat funeste étend peu à peu son horrible influence autour de ce savant et malheureux jeune homme! Cependant il fant obéir à la nécessité. Tout à coup Jac- quemont, si bien portant la veille, se sent pris par de sourdes douleurs. Comme il était tant soit peu médecin , il voulut résister et se défendre : le mal résista au médecin et au malade réunis. Jacquemont voulait vivre, la vie pour lui était si belle, il avait si grande envie de revoir son père, eL son frère, et ses amis, et cette France qu'il aimait ! Vains efforts ! vaine espérance! il faut mourir, il faut ne plus revoir personne; il faut mourir seul. Il avait pris son mal dans les forèts empestées de l’île de Salsette, à l’ardeur du soleil, dans la saison la plus malsaine. À peine sut- on qu'il était malade, que l'hospitalité la plus empressée s'em- para de Jacquemont. Sa maladie dura trente jours, la souffrance fut horrible, la raison resta nette et forte jusqu'à la fin. « Ma fin, disait-il à son frère, est douce et tranquille. Si tu étais là assis sur le bord de mon lit, avec notre père et Frédéric, j'aurais l'âme brisée, et je ne verrais pas venir la mort avec celle rési- gnation et cette sérénité. Console-toi, console notre père, con- solez-vous mutuellement, mes amis. » Mais je suis épuisé par cet effort d'écrire , il faut vous dire adieu ! adieu! Oh! que vous êtes aimés de votre pauvre Victor ! Adieu! pour la dernière fois! » Étendu sur le dos, je ne puis écrire qu'avec un crayon. De peur que ces caractères ne s'effacent, l'excellent M. Nicol copiera celte lettre à la plume, afin que je sois sûr que tu puisses lire mes dernières pensées. » Tel est l'homme que l'histoire naturelle a perdu à l'instant même où cet homme allait arriver à toute sa valeur. Jacquemont appartient donc à l'histoire du Jardin des Plantes par toules sortes de travaux utiles, par toutes sortes de regrets, d’espé- rances décues et de souvenirs éternels. Deux hommes nous res- tent dont il fäut parler, et dont à coup sûr nous n'essaierons pas de raconter les travaux et la gloire, tant cette entreprise-là serait au-dessus de nos forces. Ces deux hommés, l'honneur de la science, vous les avez déjà nommés, c’est M. Geoffroy Saint- Hilaire et Cuvier. La lutte mémorable dont Buffon et Linné avaient donné l'exemple au milieu du dix-huitième siècle, Geof- froy Saint-Hilaire et Cuvier l'ont reproduite de-nos jours ; l'un et l'autre, ils sont les chefs respectés de deux écoles opposées. L'un se contente de classer et de décrire, l’autre va plus loin, il s'occupe avant tout des rapports et des causes secondes de l'humanité; celui-ci marche à la tête d'une foule immense de zoologistes, celui-là ne vient qu'à la suite de Buffon ; l’un a pris pour sa devise ces trois mots célèbres: Classer, décrire et nommer, l'autre veut être avant tout un inventeur, Le premier a adopté l'œuvre de Linné, en la perfectionnant, le second a rerfectionné l'œuvre de Buffon en l’agrandissant; ils résument à eux deux toute la science : son passé, son présent, son avenir. Ces deux hommes très-grands sans doute l'un et l’autre sont deux en- fants du Muséum. En 1794, Geoffroy Saint-Hilaire était profes- seur de zoologie au Muséum d'histoire naturelle, il travaillait lentement à cette gloire qui est devenue la nôtre. I recut un jour une lettre d’un homme inconnu qui devait être un grand natu- raliste, Il écrit à cet homme : Venez. Cet homme arrive, Geoffroy Saint-Hilaire partage avec lui ses livres, sa science, sa maison, ses travaux; ce nouyeau venu s'appelait Georges Cuvier. D'autres que nous raconteront les travaux de Geoffroy Saint-Hilaire, qui a trouvé un digne successeur dans son fils Isidore. Quant à Georges Cuvier, le choléra l'a emporté au milieu de Paris, comme il a emporté Victor Jacquemont au milieu de l'Inde anglaise. Nous avons suivi le noble cercueil de Cuvier, et nous avons pu juger de ce que pouyait être la douleur d'une grande nation. Génie égal au génie d'Aristote, homme qui savait toutes choses, esprit infatigable, cet homme a retrouvé l’histoire de la création, qui s'était perdue, Il est venu en aide à l'histoire de l'anatomie com- parée , et il en a fait la plus belle des grandes sciences; il a donné un nouveau caractère à tous les genres qu'il a cultivés. Dans ses leçons éloquentes entre toutes, l'histoire des sciences est devenue l'histoire de l'esprit humain. « J'ai voulu mettre l'esprit humain à l'expérience, » disait-il. C’est lui qui a créé l'enseignement de l'anatomie comparée au Jardin des Plantes, e’est Jui qui a fait au Collége de France , d’une simple chaire d'histoire naturelle, une véritable chaire de la philosophie des sciences. Voulez-vous sa= voir sa biographie, elle est dans toutes les mémoires. Il est né le 25 août 4769 à Montbéliard , une ville devenue francaise. Son père était pauvre, sa mère ctait belle et d'un grand esprit, et de bonne heure elle apprit à son fils à aimer l'histoire, la littéra- ture, les beaux-arts, la curiosité de toutes choses. Le premier livre qu'il lut avec admiration, ce fut l'Histoire naturelle de Buf- fon, et, avec l'Histoire naturelle, le Système de la Nature de Linné; mais que lui importent les livres? la mer et la terre, voilà ses grands livres : voilà le livre qu'il lit la nuit et le jour. Ainsi il arriva à Paris tout armé de science et d'observations, ainsi il eutra au Jardin des Plantes en 1802; il était secrétaire de l’Ins- titut en 1805; en 1808, il était membre du conseil de l'Université. Il suffisait à tous ces travaux si divers; en même temps il créait au Muséum des collections si belles, « qu'il ne croyait pas, disait-il, avoir été moins utile à la France par ses collections seules que par tous ses autres ouvrages. » La vie de cet homme est si remplie, qu'elle fait peur. Chaque heure de la journée avait son travail marqué, chaque travail avait son cabinet qui lui était destiné; il passait sans transition aucune d'un travail à un autre. Il eût été impossible de retrouver dans la première minute de l'heure suivante l'homme de l'heure qui venait de s’écouler, Le Muséum d'histoire naturelle de Paris n'est pas seulement le premier, le plus beau, le plus riche de tous les établissements de ce genre, il en est encore, et cela vaut mieux, le plus noble, le plus libéral. Ouvert au public plusieurs fois par semaine, il l’est toujours aux personnes Studieuses qui veulent feuilleter le grand livre de la nature. Nulle part au monde on ne trouve un tel concours de richesses, et nulle part ces richesses ne sont plus accessibles à tous. La courtoisie francaise ne fait acception de personne : les pièces les plus rares, les échantillons les plus pré— cieux, les catalogues les plus laborieusement achevés, sont tenus à la disposition de quiconque en a besoin; Anglais, Allemands, Russes, Italiens, Américains, tous sont accueillis à ce vaste ban- quet scientifique, et tous en sortent pleins de gratitude pour cette hospitalité royale. C’est que la France est grande et généreuse, c’est qu'elle ne connait pas cet égoïsme étroit qui entasse des richesses inutiles et qui refuse la lumière à ceux qui viennent s'asseoir à son foyer; c'est qu'elle comprend la véritable frater- nilé des nations et qu'elle sent bien que la science ne peut être ni parquée comme les peuples, ni limitée comme les empires. Il s’agit ici du domaine de la nature, des droits et des besoins de l'humanité tout entière ; il y aurait crime à refuser la libre com- munication de ces trésors qui peuvent être utiles à l'espèce hu- maine. Allez donc visiter le Jardin du Roi, entrez dans cette nouvelle galerie de minéralogie qui ressemble pour la dimension aux plus vastes cathédrales, jetez un coup d'œil sur ces armoires qui con- tiennent des fragments de toutes les montagnes, des échantillons LE JARDIN DES PLANTES. 31 de toutes les terres, des minéraux “arrachés aux entrailles brû- lantes de notre globe. Examinez la succession merveilleuse des couches qui forment l'enveloppe solide de notre planète et les divers corps organisés qui apparaissent graduellement, depuis l'informe trilobite des ardoisières jusqu'aux mammifères fossiles des terrains d’alluvions modernes. Vous y trouverez la preuve des révolutions antiques de la terre où nous vivons, vous y assis- terez au développement successif des êtres organisés, vous aper- cevrez la trace des pas de ces grands animaux sur quelques ro- ches qui se sont lentement durcies etont conservé ces prodigieuses empreintes. Vous comprendrez enfin que celle nalure, rerunk magna parens, n’est pas seulement un vain spectaele pour les curieux désœuvrés, mais qu’elle est digne de nos plus ferventes adorations, et vous serez convaincus que l'étude des êtres élève l'âme, agrandit l'intelligence et rend l'homme plus heureux parve qu'elle le rend meilleur. Mais que faisons-nous? de quel droit aborder un sujet pareil? d’où nous vient cette témérité de nous mêler aux mystères de la science ? Qui sommes-nous ? que pouvons-nous ? Thbuin, Dauben- ton, Desfontaines, Fourcroy, Laugier, Chevreul, Brongniart, Vau- quelin, Tournefort, Lamarck, Jussieu, Lacépède Duméril, Latreille, Mertrud, de Blainville, Cordier, Dubois, Becquerel, Haüy, leur maître à tous ; Deleuze, Delalande, Valenciennes, Louis Dufresne, Antoine Portal, Jean-Paul Martin, M. Rousseau, M. Laurillard, M. Regley, M. Frédéric Cuvier, M. Isidore Geoffroy ; ce sont là autant d'hommes qui ont le droit de tenir leur place dans cette histoire, si nous faisions en effet l'histoire ; comme aussi il ne faudrait oublier ni M. Leschenault de La Tour, ni M. Lesueur, ni M. Auguste de Saint-Hilaire, ni M. Diard, ni M. Duvaucel, ni M. Sauvigny, ni M. Fontanier, les prédécesseurs heureux de MM. Havez, Godefroy et Victor Jarquemont. En fait de noms pro- pres, nous n’en manquerions pas non plus parmi les correspon- dants du Muséum. A leur tête il faudrait mettre le baron de Humboldt, cet homme illustre qui a fait pour l'Amérique presque autant que Christophe Colomb. Comme aussi, si nous écrivions l'histoire du Jardin des Plantes, ce serait notre devoir de vous mener par la main à travers ces grandes allées de tilleuls plantées par M. de Buffon en 1740 , à travers ces belles serres toutes mo- dernes, dans ces carrés tous remplis de genévriers, de chênes, de mélèzes, de frênes de la Caroline, de noyers noirs de la Virginie, de merisiers à fleurs douces, de pommiers odorants, dans ces parterres consacrés aux plantes médicinales , aux plantes indi- gènes et aux plantes exotiques. Nous irions de là dans les par- terres où les tièdes souffles du vent printanier font éclore chaque année les plus belles plantes vivaces, les fleurs de plates -bande, el après les fleurs, les arbrisseaux autour du bassin carré, rosiers, boules-de-neige, lilas, fontanesia, glaïeuls; des arbrisseaux, vous passez aux arbres élevés dans la pépinière. Parcourons lentement le long de la grille du côté du midi; là vous rencontrez l'innom- brable famille des bruyères. Ainsi vous arrivez jusqu'à l'orangerie, dont les murs sont couverts de plantes grimpantes; de l'oran- gerie au labyrinthe il n'y a qu'un pas. Là s'élève, dans toute sa majesté biblique, le cèdre du Liban, là est placé le tombeau de Daubenton, ce patriarche de l'histoire naturelle. On peut appeler celte colline, la double colline ; elle est couverte d'herbe que l'on fauche chaque année, Dans la vallée sont placés les plus beaux arbres de la Nouvelle-Hollande, du cap de Bonne-Espérance, de l'Asie-Mineure, des côtes de Barbarie, arbres frileux qui ont passé l'hiver dans la serre chaude. Ainsi donc nous pourrions faire une longüe et utile promenade; mais encore une fois, ceci n'est pas une histoire, c’est l'essai d'un homme qui aime les beautés de la nalure, sans trop les comprendre ; qui porte en ceci, comme en toutes choses, plus d'imagination que de science, et qui, dans ce vaste domaine des quatre règnes de la nature, n’est comme vous qu'un simple et curieux voyageur, un badaud du Jardin des Plantes, un flaneur ému et charmé a travers tant de merveilles venues de si loin. — C'est un usage des voyageurs qui enrichis- sent le Muséum d'une plante rare ou d’un animal curieux, d'in- serire leur nom à côté de leur offrande; cette petite gloire les récompense, et au delà, de bien des dangers et de bien des sacri- fices; et moi aussi, j'ai voulu , à l'exemple de ces voyageurs, inserire mon nom quelque part dans ce monument brillant que les arts et la science élèvent à l'histoire naturelle. J'ai dit, comme il est dit dans Virgile : « Ne me refusez pas une petite place dans le récit de ces grandes choses : » Mene igitur socium summis adjungere rebus, Nise, fugis? Et cet honneur ne m'a pas été refusé. JuLES JaNix. DESCRIPTION DU JARDIN. L'entrée principale du jardin (1)* est celle qui donne sur le quai d’Austerlitz; elle existe depuis 1784. Une belle place, qui la sépare de la Seine et du pont d’Austerlitz, offre aux voitures un lieu de station fort commode. Outre cette porte, placée au centre d'une longue grille circulaire, il y en a cinq autres : celle du quai de la Tournelle (2) et celle de la place de la Pitié (5), toutes deux nouvellement ouvertes et faisant les deux coins extrêmes de la rue Cuvier ; la porte donnant sur la rue du Jardin-du-Roi, ouverte en 1808 (4), également très-fréquentée par les étudiants et par les visiteurs du Cabinet d'histoire naturelle, elle fait face à la maison (76) qu'habitait Buffon ; la porte de la rue Cuvier (5), pres- que aussi ancienne que celle d’Austerlitz, enfin la porte de la rue de Buffon (6), la moins fréquentée de toutes. Nous allons supposer que le visiteur entre par la porte d’Aus- terlitz (1), et nous dirigerons sa marche soit sur les lieux mêmes, soit sur le plan joint à cet ouvrage, de manière à ce que rien d'intéressant ne lui échappe dans la promenade que nous allons faire avec lui. En entrant, en face de nous, nous embrassons du premier coup d'œil tout l’ancien jardin, resserré entre trois magnifiques avenues de tilleuls et de marronniers d'Inde; la perspective de ce jardin symétrique, planté dans le goût de nos pères, se ter mine par la façade d’un édifice (7) qui renferme le Cabinet d’his- toire naturelle zoologique. Les quatre premiers carrés que nous rencontrons en face de nous (8) sont entièrement consacrés à la culture des plantes médicinales, non-seulement dans un but d’étude pour les élèves pharmaciens, mais encore pour en faire aux pau- vres des distributions gratuites; plus loin sont quatre autres carrés (9) nommés du Fleuriste, dans lesquels on cultive les plus belles plantes vivaces propres à l'ornement des parterres. Par les * Les numéros placés entre parenthèse renvoient aux numéros du plan. soins intelligents des jardiniers, ces carrés offrent depuis le prin- temps jusqu'aux premières gelées une succession non interrom- pue des fleurs les plus belles et les plus rares. Vient ensuite le Carré creux (10) ; c'était autrefois un vaste bas- sin creusé en pente douce jusqu’au niveau des eaux de la Seine, qui s’y rendaient par infiltration. Il était destiné par Buffon, qui le fit creuser, à conserver et élever des plantes aquatiques. Sur ses rives en pente on voyait se promener, parmi des bosquets plantés d’arbrisseaux fleuris, une foule d'oiseaux aquatiques au plumage le plus varié, tandis que d’autres nageaient avec grâce sur la surface des ondes ou plongeaient dans leur sein. Ce vaste bassin , le seul qu'il y eût au Jardin des Plantes, a été comblé, je ne sais pourquoi. Aujourd'hui ce n’est plus qu'un carré bizarre- ment enfoncé, et planté de fleurs et d’arbrisseaux. Voici, après le Carré creux, la Pépinière (11), dans laquelle on élève les arbres et les arbrisseaux destinés à la plantation et à l'entretien du jardin. Plus loin sont les quatre carrés Chaptal (19), destinés à la naturalisation des plantes étrangères de pleine terre. Au milieu de ces carrés se trouve un petit bassin de pierre (13) d’une construction singulière. Il a la forme d’une coupe portée sur un pied, et l’on peut, dit-on, faire le tour de ce pied par un passage souterrain. Parvenus là, nous avons en face de nous le Cabinet de zoologie (7), à gauche la Bibliothèque et les Cabinets de minéralogie, de géologie et de botanique, dans un magnifique bâtiment neuf (14), à droite les serres immenses construites il y a peu d'années. Nous reviendrons sur ces constructions. Nous ne nous occuperons pas de la grande avenue de tilleuls à gauche ; parce que les massifs et carrés placés entre elle et la rue de Buffon n'offrent un grand intérêt que pour les amateurs d'horticulture. Les deux premiers (15) contiennent un semis des arbres qui doivent être repiqués dans la pépinière, le troisième (16) renferme des échantillons des plantes céréales, économiques LE JARDIN DES PLANTES, et fourragères. Nous mentionnerons encore le café-restaurant (17), toléré par l'administration pour la commodité des promeneurs, et placé sous un ombrage délicieux de robinias, de mimosas, til- leuls et autres arbres. Revenus à notre première station (1), nous prenons la seconde avenue qui est à droite (19), c'est-à-dire celle qui est plantée en 53 semaine, de trois à cinq heures. A droite, le long de notre ave- nue, nous avons vu d’abord un parc (22) renfermant des brebis d’Abyssinie, données à la ménagerie par le docteur Clot-Bey, et des moutons d'Islande envoyés par M. Gaimard; puis un autre parc renfermant ordinairement des chèvres étrangères (25); la fosse de l'ours blanc (24); celle des ours bruns nés à la ménage- Rotonde de l'éléphant. marronniers, et qui sépare le jardin symétrique du jardin paysa- ger renfermant la ménagerie. Les huit premiers carrés étaient autrefois consacrés à l’école des arbres fruitiers, de leur taille, de la greffe, des haies, etc. On y voit encore aujourd’hui quel ques exemples singuliers de greffes opérées par M. Thouin; mais ces carrés vont être entièrement réunis à l'École de botanique (20), se prolongeant à gauche jusqu'au petit Labyrinthe (21). Cette école est ouverte au public les lundi, jeudi et samedi de chaque 43. rie (23); enfin une troisième (26) où se trouve cette année une ourse femelle avec ses deux oursons. C’est dans l’une de ces fosses que logeait autrefois l'ours Martin, célèbre dans tout le peuple de Paris pour sa beauté, sa grandeur, son agilité à monter sur l'ar- bre planté au milieu de sa cour, et surtout par la mort d'un mal- heureux vétéran qui, prenant un bouton de métal pour une pièce de cinq franes tombée dans la fosse, eut l'imprudence d'y des- cendre la nuit, et périt étouffé dans les bras du féroce animal. Paris. Fypographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36 3 34 LE JARDIN DES PLANTES. A la suite des fosses viennent les profonds carrés consacrés à des semis sur couche et en pleine terre de toutes les plantes exo- tiques que l’on essaie de naturaliser. Le petit Labyrinlhe (21) est en face de nous. C’est une butte assez élevée, quoique beaucoup moins que le grand Labyrinthe ; elle forme un carré long, en amphithéâtre, coupé d’allées si- nueuses dans le goût de nos anciens jardins anglais, et presque entièrement planté en arbres verts, la plupart de la famille des conifères. Sur le point le plus élevé, on trouve une petite espla- nade d’où l’on a une très-belle vue. Le côté de la butte opposé à celui par lequel nous sommes en- trés touche au grand Labyrinthe (27), beaucoup plus élevé que le premier. Nous y montons, et nous trouvons d'abord un arbre d'une énorme grosseur, au pied duquel est un banc en anneau (28). Cet arbre est le fameux cèdre du Liban, que Bernard de Jussieu, en 1754, rapporta d'Angleterre, dans son chapeau, dit-on. Ce cèdre, quoique très-élevé, le serait beaucoup plus si un impru- dent chasseur n’eût cassé son bourgeon terminal d'un coup de fusil. Montons. Entre le cèdre et le kiosque , à l'exposition du le- vant, est une petite enceinte (29) renfermant un'bien humble monument couvert d'herbe et dé mousse ; c'est là que repose Dau- benton , cet homme aussi modeste que savant, sans léquel Buffon n'eût probablement été qu'un grand écrivain. Par un chemin tournant en spirale, on monte au kiosque ou belvédère (30) sou- tenu par de jolies colonnettes de bronze et entouré d'une balus- trade en fer. De là on découyre une partie de Paris et de ses envi- rons, et le jardin tout entier ; on a au dessous de soi, au couchant, la belle terrasse (51) dominant la rue du Jardin-du-Roi, et au moyen de laquelle on communique du Cabinet d'histoire naturelle à la porte ouverte sur la place de la Pitié. Ce labyrinthe est planté d'arbres résineux, et offre de très-grands échantillons des espè- ces les plus utiles. En descendant par la pente du nord-ouest, on rencontre un beau réservoir (32) construit depuis peu de temps par M. Rohaut, et faisant face à la porte d'entrée. Si de là nous nous dirigeons à l’est, nous longeons et laissons à gauche les logements de plu- sieurs professeurs (53), el nous arrivons dans une vaste cour (44) ayant une porte sur la rue Cuvier, Nous ayons en face de nous, enfoncé dans le jardin, le logement (55) autrefois habité par M. Thouin, savant sans prétention, ayant rendu de grands et véritables services à l'agriculture, et qui sut se faire universelle- ment regretter. À droite est le bâtiment de l'administration (56), renfermant les ateliers de taxidermie et les bureaux des adminis- trateurs. Nous avançons à gauche; et après être descendus quel- ques pas, nous trouvons le grand amphithéâtre (37), où se font les cours des professeurs où de leurs aides. A gauche, derrière l'amphithéâtre, on apercoit la maison (75) qu'habitait le célèbre G. Cuvier: il y est mort le 13 mai de l’année 1832. A la porte de l'amphithéâtre, les étrangers viennent adinirer deux palmiers fort élevés, qui sont cultivés au jardin depuis Louis XIV, et qui offrent aux botanistes un phénomène singulier. Vous remarquerez que ce sont des PALMIERS NaINS (Chamcærops humilis, Lix.), dont le stipe ou tronc n’acquiert jamais plus de trois à quatre décimètres de hauteur dans le nord de l'Afrique, qui est leur pays, tandis qu'ici ils se sont élevés à huit ou neuf mètres. En face de l’amphi- théâtre est un grand gazon ovale (58), servant à placer, dans la belle saison, les végétaux de la Nouvelle-Hollande, du cap de Bonne-Espérance , de l’Asie-Mineure et de la Barbarie, que l'on sort de la serre voisine pour leur faire passer l'été à l'air libre. Nous avons vu les cultures du dehors, il nous reste maintenant à visiter celles qui se font à l'aide d'une chaleur artificielle. La première serre, celle où nous nous trouvons, en face de l'ovale, est la serre tempérée (39), renfermant les végétaux des pays que nous yenons de nommer, et d'autres qui, tout en craignant la gelée, n’exigent pas cependant un haut degré de température. Elle à soixante-trois mètres (200 pieds) de longueur, sur plus de huit mètres (24 pieds) de largeur. En avançcant devant nous et rentrant dans le jardin Symétrique, nous avons à droite Ja serre de Buffon (40), ainsi nommée parce que c’est lui qui la fit bâtir en 1788. Son intérieur a cela de particulier qu'il offre plusieurs lignes de couches élevées les unes au-dessus des autres en amphithéâtre. On y maintient toujours la chaleur au-dessus de douze degrés centigrades, et on y élève les plantes des tropiques. Quand les dimensions de ces végétaux deviennent trop grandes, on les transporte dans la nouvelle serre chaude. Sur les côtés du large chemin qui conduit des carrés du Fleu- riste aux labyrinthes sont deux serres chaudes entièrement vi- trées (41), en forme de pavillons carrés et d'une grande hauteur. Construites nouvellement par M. Rohaut, elles sont consacrées à recevoir les végétaux exotiques d’une dimension trop élevée pour pouvoir rester dans les autres serres. On espère y voir par la suite les arbres des contrées chaudes de la terre atteindre tout le développement qu'ils ont dans leur patrie, et déjà il y en a d’une assez grande élévation. L'immense serre à toit vitré et vouté (41) a été construite dans le même temps par le même architecte et pour un usage à peu près semblable. Nous avons vu tout ce que le jardin renferme d'important sous lé rapport de l'horticulturé et de l'agriculture ; il nous reste maintenant à dire que ces cultures, faites avec autant d’intelli- gence que de soins, sont confiées à MM. Neumann, Pépin, Dal- bret, ete., etc., sous la direction de MM. les professeurs dont nous indiquerons les noms et les attributions. Voyons maintenant ce qui intéresse le plus le publie en géné- ral, c’est-à-dire la ménagerie. Pour faire cette promenade, nous reviendrons à la porte d'Austerlitz (1), nous tournerons à droite, et nous entrerons dans le jardin paysager par la porte siluée presque en face de la ménagerie des animaux féroces. lei nous nous arrêterons un instant pour faire une observation. Les ani- maux qui vivent dans la ménagerie étant tous apportés de climats étrangers fort différents de celui de la France, résistent plus ou moins longtemps aux changements brusques de température, de noutriture et d'habitudes, auxquels ils se trouvent soumis dans leur esclayagé. Malgré tous les soins qu’on peut leur donner, beaucoup tombent malades et meurent après un temps assez coutt, et les pares ou loges dans lesquels on les tenait renfermés restent vides, jusqu'à ce qu'on y ait mis un animal nouvellement arrivé, et souyent d’une espèce Lout à fait différente. Il ne faudra done pas que le promeneur s'en rapporte absolument à ce que je vais dire ici sur les espèces qui peuplent aujourd'hui même les pares que nous allons visiter ensemble, mais bien aux écriteaux placés devant le logement de chaque animal ; en recourant en— suite à la table alphabétique terminant le volume, il trouvera aisément la description et l'histoire de l’espèce qu'il aura sous les yeux à la ménagerie. En entrant, nous laissons à droite un petit pare (42) renfer- mant des moutons d'Algérie, donnés à la ménagerie par M. le général Galbois. À gauche , nous contournons un autre parc (45) où sont ‘renfermés, dans une première division, des axis, char- mante sorte de petit cerf ou chevreuil originaire du Bengale, à robe agréablement mouchetée de blanc, et commençant à se na- turaliser dans plusieurs parcs de la France. Dans une seconde divi- sion est un cerf de Java, donné par MM. Eydoux et Souleget, et dans une troisième un axis femelle né à la ménagerie. Nous voici en face des animaux féroces (44), renfermés dans des loges fort propres et munies de solides barreaux de fer. Une balustrade empêche les curieux imprudents de s'approcher des loges d'une manière dangereuse. Là vivent des hyènes fort bonnes personnes, et donnant par leur douceur un démenti formel à tout ce qu'on a raconté sur leur férocité ; des lions de diverses parties de l'Afrique, beaucoup moins dangereux que le jaguar du Brésil logé à côté d'eux, malgré l'énorme différence qui existe entre leur taille et leur force ; l'un de ces jaguars est de la Guyane, LE JARDIN DES PLANTES. 35 EE ————————————aaaaaaaEaEEaEaaEaLEaEaEaEaEaEaEaaEaEaEaEaEaEaaaLaaaa et a été donné par le prince de Joinville. Vient ensuite une pan- thère du Malabar, que l’on doit à M. Dussumier, ainsi qu'une quantité d’autres animaux intéressants; puis une panthère de l'Inde, donnée par M. Beck. Les trois dernières loges sont habi- tées par des ours : l'un, l'ours aux grandes lèvres, est dü à M. Dussumier ; l’autre, l'ours des Cordilières, au prince de Join- ville; le troisième, l'ours brun du Kamtschatka, à M. le capitaine de vaisseau Du Petit-Thouars. Comme on le voit, la ménagerie des grands animaux féroces est assez pauvre en ce moment; mais sans doute l'administration y pourvoira avec le zèle qu'elle a tou- jours montré, d'autant plus que là est le spectacle favori du peu- ple pauvre, du peuple qui paye sa grosse part de cet établisse- ment national , du peuple ignorant la science, et qui ne juge de l'utilité de la ménagerie que par le plaisir qu'il a d'aller la visiter le dimanche en famille. Dans les deux pavillons de chaque côlé sont, dans des cages plus petites et transportables , des animaux du même ordre des carnassiers, mais que leur petite laille rend peu redoutables, tels que des renards, jackals, loutres, chats, etc. Derrière la ménagerie des animaux féroces sont des niches où sont enchainés des chiens domestiques de différents pays, vivant en bonne intelligence et multipliant même avec des loups et des louves. Leur métis ont eux-mêmes la faculté de se reproduire, ce qui démontre jusqu'à l'évidence, contre l'opinion de Buffon, que le chien et le loup sont deux variétés dans la même espèce. Un peu plus loin que la ménagerie se trouve la singerie (45), rolonde élégante, entièrement grillée, et renfermant un grand nombre d'espèces de singes, vivant tous en assez bons camara- des, malgré quelques querelles particulières. Un gros papion à usurpé la souveraineté de cette république hétérogène, ét main- tient le bon ordre. Aussitôt qu'il entend une querelle, il accourt, sépare les combattants, rosse les deux parties pour les mettre d'accord , et tout rentre dans l’ordre. Dans un bâtiment qui en- toure la rotonde, en forme de demi-anneau, se trouvent les loges dans lesquelles chaque espèce de singe est renfermée et chauffée pendant l'hiver. En face de la rotonde des singes est un petit parce (46) destiné à recevoir des animaux de la classe innocente des ruminants. Nous passons devant les singes, nous longeons le petit pare à notre droite (47), où sont renfermés quelques daims de nos forêts royales : à notre gauche (48) celui où nous voyons les cerfs de la Virginie; et, après avoir jeté un regard sur les nouvelles plan- talions qui s'étendent vers le quai de la Tournelle, nous nous trouvons en face d’un pare (49) renfermant le kob du Sénégal, sorte d'antilope connue dans sa patrie sous le nom de petite vache brune, et derrière ce parce est la ménagerie des oiseaux de proie (50). Le premier oiseau que nous y remarquons est le condor, sur le compte duquel on a débité tant de fables. Au dire des anciens voyageurs, le condor enlevait les enfants, attaquait les hom- mes, etc., etc. La vérité est que ce vautour, n'habitant que les plus hautes Cordilières, est aussi inoffensif que ceux de nos Alpes. Voici le percnoptère tout à côté, sorte de vautour auquel les anciens Égyptiens rendaient un culte religieux ; puis le vau- tour royal, qui n’a rien de royal que le nom, et dont toute l’uti- lité se borne à nettoyer les contrées du Brésil, qu'il habite, des cadayres et immondices dont il se nourrit. Viennent ensuite les vautours bruns d'Égypte, des Pyrénées et d'Algérie, tous oiseaux lâches et ignobles, n'osant attaquer aucun animal vivant , et ne se nourrissant que de la chair corrompue des cadavres, qu'ils sentent de plus d'une lieue. A leur suite nous trouvons le gypaëte, qui de- vient rare dans les Alpes d'Europe, et dans lequel il faut probable- ment reconnailre le condor des anciens. Le premier, celui des Cor- dilières, n’était accusé que d'enlever des enfants ; celui-ci enlevait des hommes et des éléphants. Lei la ménagerie se trouve coupée par un appartement où vivent des perroquets, des perruches, des aras, des kakatoës , tous oiseaux d’un fort beau plumage, mais lourds, criards et malfaisants. En suivant, nous trouvons les ai- gles, les pygargues, milans, buses, se nourrissant de proie vivante et attaquant avec plus ou moins d'intrépidité les oiseaux, les rep- tiles et les petits mammifères; le caracara, regardé au Brésil comme le plus’ grand ennemi des poules et des oiseaux de basse- cour ; et enfin le grand due, représentant là une famille moins nombreuse, celle des oiseaux de proie nocturnes. En reprenant à gauche une allée qui revient derrière le pare des cerfs de Virginie, nous voyons que ce parc est séparé par de petites palissades formant de nouvelles divisions. Dans la pre- mière (51) est le cerf muntjac du Malabar ; dans la seconde (52) l'antilope nylghau du même pays, tous deux envoyés par M. Dus- sumier. Ce dernier animal a multiplié en Angleterre ; sa démarche est peu gracieuse, et il court mal, à cause de la brièveté de ses pieds de derrière. Peut-être pourrait-on aisément le soumettre à la domesticité. Si, au lieu dé contourner ce pare, nous retournons brusque- ment à droite, nous arrivons à la faisanderie (53). Cette construc- tion est entourée, par derrière, de plusieurs petits parcs où sont élevés plusieurs oiseaux rares de l’ordre des gallinacés et des échassiers. On y voit des hérons, des butors, des aigrettes, des goëlands, ete. ete. Dans les loges de la faisanderie, on remarque des foulques, des combattants, des courlis, une femelle de paon avec ses petits, des ramiers et des perdrix rouges , le cariama du Brésil , l'outarde houbara d'Alger, envoyée par M. Barthélemy ; des poules de diverses variétés; un hocco donné par M. Decan; des faisans de plusieurs espèces ; puis dans la même cage, et vi- vant en société fort paisible, des colins houïs, coucou guira, can- tara, matins roses, merles robins du Canada et autres espèces. Nous suivons l'allée droite qui se trouve en face de la volière. Nous laissons à gauche un parc (54) divisé en deux parties. Dans la première est le dauw du Cap, sorte de cheval plus petit que l'âne, mais d’une forme plus gracieuse, à robe rayée à peu près comme celle du zèbre. Il a multiplié à la ménagerie, et, dans le moment où j'écris, on voit une femelle allaiter son jeune poulain dans la grande rotonde. Dans la seconde partie du pare est une autre espèce de cheval, l'hémione, de la taille d'un petit mulet, à crinière brune et pelage isabelle. Il vit en troupe dans les step- pes de l'Asie centrale, court avec une trèsgrande agilité, et fait, dit-on , jusqu'à soixante lieues sans boire. A notre droite est un grand pare (55) offrant plusieurs subdivisions : nous en ferons le tour en commencant par la division faisant face d'un côté à la faisanderie, et nous y remarquerons les jolies gazelles de l'Algé- rie, à la taille légère, aux mouvements gracieux, et aux yeux grands et noirs, si doux , si expressifs, qu'un Arabe ne croit pas pouvoir faire un compliment plus flatteur à sa maitresse que de comparer ses yeux à ceux d'une gazelle. Dans la seconde divi- sion (56), faisant pointe vers la grande rotonde, est une biche muntjac. Nous doublons cette pointe , et, redescendant à droile, nous nous arrêtons avec surprise devant le chickara (57), singu- lière antilope à quatre cornes. Dans la division suivante (58) est l'oiseau le plus extraordinaire que l'on puisse trouver : c'est le casoar à casque, envoyé par M. Marceau. Cet oiseau, presque aussi gros que l’autruche, est privé comme elle de la faculté de voler; ses plumes sans barbules ressemblent à de gros crins plats; sa tête est recouverte ou plutôt défendue par une sorte de casque osseux; ses ailes sont remplacées par cinq tuyaux de plumes, longs, pointus et sans barbes; ses pieds sont gros et musclés , d'une telle force, que d'un coup il peut terrasser son ennemi, el d'une telle agilité, qu'aucun cavalier ne peut l'atteindre à la course, On le trouve dans l'archipel Indien. Derrière sa division en est une autre qui renferme aussi des casoars, mais ayant élé ap- portés de la Nouvelle-Hollande par le capitaine Du Petit-Thouars ; ils n’ont pas de casque, et leur plumage est plus fourni, quoique moins brillant. Plus loin, toujours dans une division du même pare (59), nous 3. 36 voyons, autour d'un petit bassin, des grues de Numidie envoyées par le docteur Clot-Bey, des pintades, des dindons , des sarcelles et des canards étrangers, tous d'un plumage agréable. Viennent encore (60) des casoars de la Nouvelle-Hollande, puis des mara- bouts, dont les plumes, duveteuses et légères, servent de parure de tête à nos dames, et enfin (61) des nandous ou autruches d’A- LE JARDIN DES PLANTES. fait dans le crâne , sans leur ôter la vie. À côté d'elles sont des hérons pourpres, des bernaches armées, et autres oiseaux. Reprenons maintenant l'allée droite que nous avons déjà par- courue , et arrivons à la grande rotonde (63). Là vivent la girafe , l'éléphant et d’autres grands mammifères. Six petits pares, qui rayonnent autour de la rotonde, permettent, quand la tempéra- RU LS Le cèdre du Liban. mérique, différant principalement de la véritable autruche par leur taille plus petite et leurs pieds munis de trois doigts au lieu de deux. Puisque, en faisant le tour de ce parc, nous sommes revenus vers Ja faisanderie, nous remarquerons à notre gauche (62), joi- gnant son enceinte, le gazon sur lequel se promènent lourdement des tortues, singuliers animaux auxquels il repousse un œil quand on le leur a arraché, et dont on peut vider la cervelle par un trou ture est favorable, de faire prendre l'air à ces animaux pour la plupart fort paisibles ; ces parcs correspondent à autant d'écu- ries dans lesquelles ils sont logés, soignés, et chauffés pendant l'hiver, Le premier pare, à droite en regardant la porte de la rotonde, renferme des hémiones, dont nous avons déjà parlé; le second est celui de la girafe, qui, lorsqu'elle arriva à Paris, était beaucoup moins grande qu'aujourd'hui. Elle fut envoyée à Char- les X par Méhémet-Ali, pacha d'Égypte. Dans le même enclos LE JARDIN DES PLANTES. 37 sont des zébus, variété bossue du bœuf domestique; les brahmes leur rendent des honneurs divins; les Africains les mangent et trouvent excellente leur bosse, qui n’est rien autre chose qu'une grosse loupe de graisse. A côté de la girafe est un éléphant d'A- frique, amené fort jeune à la ménagerie ; il est très-doux, fort affectionné à son cornac, auquel il obéit avec beaucoup de doci- lité. Chaque matin, lorsque le temps le permet, on lui fait faire mieux , et passent une grande partie de leur vie dans l’eau. La femelle d'un buffle d'Asie loge tranquillement dans la mème en- ceinte que l'éléphant et les tapirs. C’est probablement celte race de buffle qui de l'Asie s'est répandue en Égypte, ensuite en Grèce, et de là en Italie, où elle s'est beaucoup multipliée avec de légères modifications. Dans l'enceinte qui suit est un dromadaire, animal dont tout Cabane des axis et des chèvres du Sennaar. une promenade dans les allées du jardin avant qu'il soit ouvert au public. Son cornac lui place sur le dos une couverture, ou un siége de bois maintenu avec une sangle; il lui ordonne de se baisser, ce que l’animal fait aussitôt; puis il monte sur son dos, et par la parole seule il le dirige dans sa promenade. Avec l'éléphant sont deux tapirs d'Amérique, donnés par M. Crouan. Ce sont des animaux mélancoliques, stupides, se ser- vant fort habilement de leur petite trompe pour arracher, au bord des rivières , les racines des plantes aquatiques dont ils se nourrissent. Du reste, ils nagent fort bien, plongent encore le monde connaît la précieuse utilité dans les pays chauds, tels que le nord de l'Afrique, l'Arabie, la Syrie et la Perse. Il se dis- tingue suffisamment du chameau, employé en Turqueslan et au Thibet, en ce qu'il n’a qu'une bosse tandis que le chameau en a deux. Avec lui vit un pécari, animal ayant avec le sanglier des analogies de forme, mais exhalant une odeur fétide et pénétrante. Il a sur le dos une fente glanduleuse, d'où suinte l'humeur qui exhale celte odeur insupportable. Enfin, dans la dernière en- ceinte, on voit une femelle de dauw avec son poulain. Pour la seconde fois, en quittant la rotonde, nous redescen- 38 LE JARDIN DES PLANTES. EE —— — ———— "—" ———" — —_—__— _————_————_—_—_—_——__—_ _ _——_— ———— drons vers le casoar à casque, mais nous n’aurons à nous occu- per que du pare que nous allons longer à notre gauche. Sa pointe (64) faisant face à la girafe, nous offre une première di- vision habitée par des boues et des chèvres sauvages du Sennaar, envoyés par le docteur Clot-Bey; si tel était le type de nos chè- vres domestiques, il faudrait en conclure qu'une antique servitude n’a pas beaucoup influé sur certaines races assez communes dans les montagnes de la France. Vient ensuite une enceinte renfer- mant des axis (63); puis le bassin des oiseaux aquatiques (66). Là on voit le tadorne, jolie espèce d’oie, qui se loge dans les ter- riers, comme le lapin, pour faire son nid et élever sa jeune fa- mille. Le mâle, pour écarter le chasseur de son nid, sait merveil- leusement contrefaire le blessé, se traîner devant lui, se faire poursuivre à une demi-lieue de là en lui faisant croire à chaque moment qu'il va se laisser prendre, puis tout d'un coup s’élancer dans les airs d'une aile agile, et disparaître aux yeux de son en- nemi désappointé. Des grues, des cigognes, se promènent gra- vement sur leurs longues jambes autour de la mare où nagent péle-méle des cygnes , des mouettes, des goëlands , et le canard musqué, connu vulgairement sous le nom de canard de Barbarie, Cette espèce est si peu sauvage, que, prise aux filets et transportée dans une basse-cour , elle s’y fixe, s’y multiplie, s’y comporte comme les autres oiseaux domestiques, et ne pense plus à recon- quérir sa liberté. A notre droite est une fabrique rustique (67), ayant quatre portes ouvertes sur autant de divisions d’un petit pare. Dans l'une vivent des gazelles d'Alger; dans une autre est le chamois, seul animal d'Europe que l’on puisse comparer aux gazelles : sa légèreté est incomparable , et on le voit quelquefois, dans nos Alpes, franchir d’un bond un précipice de dix à douze mètres, et courir, en s’élancant de rochers en rochers, ayee autant d’aisance et de rapidité que s’il était dans la plaine la plus unie. Nous voilà parvenus en face du dernier pare (68), renfermant les cerfs du Malabar, et, dans une de ses divisions, l’alpaca du Pérou, animal] assez doux, remarquable par l'épaisseur et la fi- nesse de sa toison. Ici nous pourrions sortir de la ménagerie par la porte qui donne en face de l’amphithéâtre ; mais nous nous bornons à passer devant cette porte, et, tournant à gauche, nous longeons, à notre droite, un petit pare (69) renfermant des chè- vres et des moutons étrangers, puis une assez grande enceinte (70) où sont des cerfs et des biches de France et du Malabar. Nous passons devant la grande rotonde. Dans l'enceinte (74), que nous laissons à gauche , sont des rennes de Laponie, sorte de cerfs dont les peuples du Nord se servent’ pour attelage à leurs trai- neaux, et des pécaris, animaux semblables à des sangliers, et dont nous avons déjà parlé. Enfin, nous arrivons à une porte par la- quelle nous rentrons dans le jardin symétrique. La ménagerie, sous la direction de M. Florent Prévost, est ou- verte au publie tous les jours, depuis onze heures jusqu'à six en été , el depuis onze heures jusqu’à trois en hiver. Nous allons maintenant visiter les diverses autres parties de ce vaste établis- sement, et nous nous transporterons d'abord dans le Cabinet de zoologie, vulgairement connu sous le nom de Cabinet d'histoire naturelle. LE CABINET DE ZOOLOGIE. Les étrangers, sur la présentation de‘leur passe-port, oblien- nent de l'administration des cartes qui leur permettent d'entrer au Cabinet d'histoire naturelle les lundi, jeudi et samedi de cha— que semaine, de onze à deux heures ; le publie ne peut le visiter que le mardi et le vendredi, de deux à cinq heures en été, et de deux jusqu'à la nuit en hiver. Les naturalistes qui veulent aller y étudier sont obligés de prendre des cartes d'étudiants, et y en- trent aux heures consacrées aux études. La conservation des ga- leries est confiée à M. Kiener. Le Cabinet de zoologie (7) est un des plus complets qu'il y ait en Europe, et, si on le considère dans son ensemble, dans le monde entier. Les animaux y sont empaillés avec grand soin et placés dans des armoires vitrées hermétiquement fermées, afin de préserver leurs robes délicates et brillantes de l'attaque des insectes destructeurs. Chaque espèce est placée avec son genre, les genres avec leur famille , les familles avec les or- dres, ete.; c’est-à-dire que tous les objets y sont classés métho- diquement et dans le plus grand ordre. Une éliquette apprend aux visiteurs les noms génériques et spécifiques de chaque animal, le nom de l’auteur qui l’a décrit, la partie de la terre où son espèce se trouve, et souvent le nom de la personne qui l’a recueilli et envoyé au Cabinet. Nous passerons rapidement en revue les ob- jets qui frappent le plus, non pas les savants, mais le publie, dans cette riche collection. Dans la salle des singes on cherche à retrouver l’orang-outang qui a véeu à la ménagerie sous le nom de Jack, et la jeune femelle de kimpézey, Jacqueline. D'autres orangs, des gibbons aux longs bras, des mandrilles au nez rouge et bleu , des sapajous, des ouislitis , ete., sont les plus remarqués du public. Viennent ensuite les ours, les lions, les tigres et autres grands chats tous remarquables par leur robe admirablement tachée ou mouchetée. Les civettes, les hyènes, les loups arrêtent un mo- ment les regards; mais les éléphants, les rhinocéros, les hippo- potimes, les girafes et autres grands animaux sont ceux qui fixent le plus l'attention générale. Les galeries d'ornithologie sont extrêmement fréquentées par les étudiants et les naturalistes ; mais le public, après y avoir admiré les vives couleurs métalliques des colibris ; la grande sta- ture des aütruches, des nandous , des casoars; la singulière atti- tude des manchots; le plumage si beau et si varié des perroquets, des paons, des faisans, de l’euphone à bandeau , du ramphocèle flamboyant, des lyres, etc.; la poche des pélicans ; le bec énorme et singulier des calaos ; la puissance des aigles, des grands ducs et autres oiseaux de proie; le publie, dis-je, passe assez légère- meht sur tout le reste. Nous voici dans la galerie consacrée à la conservation des rep- tiles et des poissons. Comme ces derniers sont presque tous con- servés dans l'esprit-de-vin et renfermés dans des bocaux de verre, on s'y arrête peu. Il n’en est pas de même pour les reptiles : des tortues énormes, des crocodiles d'une grandeur prodigieuse, l'énorme boa anacondo, et quelques autres, sont remarqués de tout le monde; on voit même des personnes chercher à recon— naître dans son bocal le terrible serpent à sonnettes. Les collections de crustacés, d’arachnides , de myriapodes et d'insectes ne sont guère visitées que par les naturalistes; quant au publie, il ne remarque en passant que quelques grosses espèces. La collection des coquilles, e’est-à-dire des mollusques, des anné- lides et des rayonnés, fixe un peu plus son attention à cause des vives et brillantes couleurs qui parent la plus grande partie des espèces, des formes bizarres qu'affectent la plupart d’entre elles, et par quelques produits qu’elles fournissent. Par exemple, on ne veut pas sortir de la galerie sans avoir vu la magnifique co— quille nacrée qui donne les perles fines, ni le gant fait avec la soie brune tirée du byssus d’un coquillage assez commun sur nos côtes de la Corse. A la suite du Cabinet renfermant les animaux qui vivent at- jourd’hui sur le globe, nous devons nécessairement visiter celui des fossiles, renfermant les derniers restes de ces êtres singuliers qui peuplaient la terre à des époques antédiluviennes, et que nous ne connaissons plus que par les antiques fragments que Von trouve de loin en loin ensevelis dans le sol. Là sont des os d'élé- phants bien plus gros que ceux qui existent aujourd'hui, et aux- quels G. Cuvier a donné les noms de mastodonte et de mam- mouth Plusieurs espèces monstrueuses de ces animaux foulaient le sol qui depuis est devenu la France. Des hippopotames , des LE JARDIN DES PLANTES. 39 EEE rhinocéros , des tapirs ou lophiodons , des chéropotames, des hyènes, des lions, des panthères, et mille autres monstres d'une grandeur énorme et n'ayant rien de commun avec les espèces qui vivent aujourd'hui, erraient aux environs de Paris. D'affreux crocodiles habitaient les marais de Meudon, des baleines d'une grandeur prodigieuse venaient échouer dans la rue Dauphine; des ptérodactyles ou dragons volants, de cinq à six mètres de longueur , se balancaient dans les airs sur leurs ailes livides ; des plésiosaures encore beaucoup plus grands, au corps de poisson, aux pieds de cétacé, au cou de serpent , à la tête de lézard, na- geaient là où sont aujourd'hui de charmantes vallées; des ichthyo- saures, moitié poisson, moitié lézard, plus grands et plus formi- dables que les précédents, trainaient leur ventre fangeux où coulent les eaux limpides de la Seine; et je n'oserais, dans la crainte de passer pour un menteur, vous raconter toules ces choses étranges, si nous n’étions ensemble dans le cabinet des fossiles, où sont réunis les squelettes de tous ces singuliers et antiques habitants de la terre. Vous y verrez les restes de palæo- thérions, de mégathérions, de mégalonyx, de dynothérions, pres- que tous de la grandeur de nos éléphants d'aujourd'hui; non- seulement, avec une foule d’autres, ils ont disparu pour toujours, mais ils n'ont pas même laissé après eux sur le globe des re- présentants qui leur soient analogues en quelque point. LE CABINET D'ANATOMIE COMPARÉE (74). Il n'est ouvert au public, sur la présentation de billets, que les lundis et samedis, depuis onze heures jusqu'à deux. M. Lau- rillard en est le conservateur. Ses galeries n’offrent un véritable intérêt que pour la science , aussi est-il peu fréquenté par le pu- blie simplement curieux, et rarement les dames osent le visiter On y voit, outre un grand nombre de pièces naturelles ou arti- ficielles d'anatomie humaine, une foule de squelettes d'animaux, dont un des plus curieux, au moins pour la grandeur , est celui d'un cachalot qu'on a laissé dans la cour faute de pouvoir lui trouver une place dans les galeries, car il a près de vingt mèlres de longueur. A l'entrée du cabinet, on voit, aussi en dehors, des mächoires de baleine d'une grandeur monstrueuse. La seconde salle renferme des squelettes humains, dont l’un, celui d'un Italien, a une vertèbre lombaire de plus que de cou- tume. Parmi les autres on remarque ceux de Solyman-el-Hhaleby, assassin de Kléber; de Bébé, nain célèbre du roi de Pologne Sta- nislas ; de la Vénus hottentote, morte à Paris, etc. Une autre salle contient une série de têtes entières d'animaux et de toutes les races d'hommes. Parmi les têtes d'animaux il en est une fort cu- rieuse : c'est celle d'un dieu ! ni plus ni moins que le crâne d’A- pis, vénérable bœuf adoré jadis par les Égyptiens; on l'a retiré d'une momie. Vous pourrez encore jeler les yeux, en passant dans la deuxième salle, sur le squelette extrêmement curieux de Ritta-Cbristina, qui, avec un seul corps, avait deux têtes, deux volontés. Elle est morte à Paris à l'âge de huit mois. Née le 12 mars 1829, à Sassari en Sardaigne, chacune des têtes fut bap- lisée séparément , l’une sous le nom de Rilta, l’autre sous celui de Christina. Chaque tête avait une poitrine qui lui appartenait, mais tout le reste du corps ne formait qu'un individu. Ritta {la tête droite) était triste, mélancolique et maladive; Christina (la lèle gauche) était rieuse, gaie, d'une santé florissante. Rita tomba gravement malade; lant que la maladie dura, Christina parut s’en mettre peu en peine, et elle jouait sur le sein de sa mère pendant la longue agonie de sa sœur. Enfin celle-ci mou- rut; et au moment où elle rendit le dernier soupir, Christina poussa un grand cri et expira subitement. Une salle est consacrée à la myologie, et l’on y voit des écor- chés , en cire ou en plâtre coloriés, d'hommes et d'animaux ; des museles de mammifères , d'oiseaux , de reptiles et de poissons, conservés dans l’esprit-de-vin. D'autres salles offrent à l'étude tous les autres organes utiles ou indispensables aux phénomènes de la vie; des viscères, des nerfs, des vaisseaux, etc. Mais nous ne pa:serons pas sous silence celle qui renferme la collection cräniologique du célèbre docteur Gall. On y verra, soit en nature, soit moulés, les crânes du général Vurmser, de l'abbé Gauthier, du poëte allemand Alxinger, et de beaucoup d'autres personnages qui ont eu un nom dans le monde ; parmi ceux des assassins, celui de Papavoine, de Cartouche, ete. Messieurs les phrénologues ne trouveront guère une collection plus complète, plus curieuse et mieux choisie. Seulement, il est malheureux que l'on détermine si bien les protubérances des penchants dans les hommes morts dont on connaît l'histoire, les goûts et le carac- tère, tandis qu'il y a tant d’hésitalion à les reconnaitre chez les hommes vivants. LE CABINET DE BOTANIQUE (14). Il est à l'extrémité orientale du magnifique bâtiment neuf con- struit sur les plans de M. Robaut. Le public n’y est admis que les jeudis, de deux à quatre heures, sur la présentation d'un billet. L'on y voit des échantillons polis et classés par ordre, de bois en planchettes fournies par la plus grande partie des espèces d'ar- bres croissant sur toute la surface du globe; d'autres d'écorces , de tiges, de fruits, de racines, de stipes, ete. Parmi ces derniers on remarque celui de la fougère nommée par les naturalistes polypodium harometz , ressemblant grossièrement à un petit agneau couvert de duvet : d'où lui est venu le nom vulgaire d’a- gneau de Scythie. Le cabinet possède des herbiers parfaitement conservés et très- complets. Tels sont, par exemple, l’herbier général, et ceux du Levant , d'Égypte, de l'Inde, des îles de France et de Bourbon, du Cap, de la Nouvelle-Hollande , de Cayenne, des Antilles, ete. Par respect pour la mémoire de Tournefort, on a conservé son herbier dans l'ordre où il l'avait disposé lui-même ; et l'on y trouve, étiquetées de sa main, presque toutes les plantes qu'il - avait recueillies dans son voyage du Levant. On voit aussi au Cabinet de botanique le commencement d’une collection qui deviendrait extrêmement précieuse pour les eryp- togamistes, s’il était possible de la compléter, c’est celle des cham- pignons, exécutés en cire coloriée avec une exactitude et une vérité approchant tout à fait de la nature. LE CABINET DE GÉOLOGIE (14). Se trouve maintenant placé à côté de celui de botanique, Il ne peut intéresser que les savants qui étudient la formation du globe, ou qui, du moins, cherchent à la deviner ; les personnes qui s’oc- cupent de minéralogie, les mineurs, etc. Il renferme, parmi d'autres objets ; une collection complète de toutes les roches ou terrains qui ont élé étudiés jusqu’à ce jour. LE CABINET DE MINÉRALOGIE (14). Il se divise en deux parties fort distinctes, les minéraux et les métaux. On y remarque des échantillons superbes de cristaux de toutes les formes et de toutes les couleurs; de pierres précieuses les plus rares, et les dames ne manquent guère de s'arrêter de- vant l'armoire qui contient le diamant entre la houille et l’an- thracite. Les plus beaux diamants que l’on connaisse sont : 1° celui du Grand Mogol, pesant deux cent soixante-dix-neuf carats el demi; 2 celui de l'empereur de Russie, pesant cent quatre-vingt-quinze carats; 5° celui de l'empereur d'Autriche, de cent trente-neuf carats; 4° le régent, appartenant à la France, LE JARDINE ALT) me | Paul 42 LE JARDIN DES PLANTES. pesant cent trente-six carats. Il a été acheté par le duc d'Orléans, régent, au commencement du dix-huitième siècle, et lui a coûté 2,500,000 fr. Aujourd hui il vaut le double de cette somme, et l'on peut juger par là de l'énorme valeur de celui du Grand Mogol. Les curieux ne manquent jamais de s'arrêter devant une pierre que les plaisants ont nommée la pierre d’achoppement de la science, ou plutôt des savants. C’est, au choix, une 'aérolithe, une météorite, une astérolithe, etc., etc., ou pierre tombée du ciel. Comme elle contient dans sa composition une forte propor- tion de fer, on l’a classée, au cabinet, dans la série des mines de ce métal. Il est bien certain aujourd'hui que ces pierres tombent de l'atmosphère ; des observations rigoureuses, faites par les sa- vants les plus distingués, ont constaté ce fait; mais d’où vien- nent-elles ? Voilà où se trouve l'embarras. Les uns ont dit qu'elles se formaient dans l'atmosphère, et on leur a démontré que cela est physiquement impossible: d’autres ont dit qu'elles tom-— baient de la lune, d'où elles étaient lancées par un volcan; mais on ne sait pas sil y a des volcans dans la lune, et en outre celte pierre n'a aucune analogie de composition avec les matières volcaniques; d’autres raisons encore ont fait rejeter cette hypo- thèse. Enfin, les derniers ont prétendu que les astérolithes ne sont rien autre chose que des petites planètes qui, tournant comme les autres, autour du soleil, viennent à rencontrer notre globe, sont altirées par lui en raison de sa plus grande masse, tombent dans son atmosphère dont le frottement les enflamme, et finissent leur course céleste par leur choc sur la terre. Cette opinion prévaut aujourd hui, jusqu'à ce que peut-être une autre hypothèse vienne faire oublier celle-ci et les autres. LA BIBLIOTHÈQUE (14). Elle est ouverte au public, en été, de onze heures à trois heures, tous les jours, excepté le dimanche; en hiver, les mar- VOYAGEURS En terminant l'histoire d'un établissement qui fait l'honneur de notre patrie, je dois rendre ici un hommage publie aux intré- pides voyageurs qui, par un zèle aussi ardent que désintéressé, ont parcouru les pays les plus éloignés, les plus barbares, ont exposé cent fois leur vie, sont morts quelquefois sur un sol étran- ger, à trois mille lieues de leur famille, pour enrichir le Muséum et la science, Je le dis à regret, ces hommages que leur rendent trop rarement les écrivains sont le seul dédommagement , le seul bénéfice qu'ils retirent le plus ordinairement de leurs pénibles et périlleux travaux. Nous joindrons aussi à leurs noms ceux des personnes qui, sans appartenir à l’établissement et par pur amour pour les progrès de la science, ont fait des dons impor- tants soit à la ménagerie, soit au Cabinet. Malheureusement je n'ai pu me procurer à ce sujet que des données incomplètes; et S'il manque des noms à cette liste, je prie les personnes oubliées de croire que les omissions sont tout à fait involontaires de ma part. Baunix (le capitaine), commandant le Géographe; voyage aux terres australes. BerLANGER a exploré les côtes du Malabar et de Coromandel. Biron a exploré la Sicile. Bory DE SainT-Vincexr (le colonel), Grèce, Algérie. Bové, directeur des jardins de Méhémet-Aly, au Caire, l'Egypte. BRULLÉ, Grèce. Busseurz , le tour du monde avec le capitaine Bougainville. CaizLaub, le fleuve Blanc et Méroé. Le Muséum lui doit deux crocodiles embaumés. Carome , l'Afrique. dis, jeudis et samedis, aux mêmes heures. Elle fut fondée en juin 1795, par le décret de réorganisation du Muséum, et entiè- rement consacrée aux ouvrages traitant des sciences physiques et naturelles. Elle se compose actuellement de vingt-huit mille vo- lumes , ainsi classés : 4° Histoire naturelle générale et topographique. 2° Botanique. 5° Physique. 4° Chimie. 5o Minéralogie. 6° Géologie. T° Paléontologie. 8° Physiologie humaine et comparée. 99 Anatomie humaine. 10° Anatomie et physiologie comparées. 11° Zoologie. 12e Mémoires des sociétés savantes. 45° Journaux et recueils scientifiques et littéraires. 14 Voyages. 15° Collection des peintures sur vélin. Cette collection de peintures est probablement la plus impor- tante qu'il y ait au monde. Elle fut commencée en 1640, par les ordres de Gaston d'Orléans, pour servir à la description des plantes rares de son jardin de Blois. Après sa mort, Louis XIV l’acheta et la placa à la Bibliothèque royale, d’où, en 1794, elle passa dans la bibliothèque du Jardin des Plantes. Elle renferme maintenant plus de cinq mille vélins, distribués dans quatre- vingt-onze portefeuilles. Commencée par le peintre Robert, elle fut continuée par Aubriet, mademoiselle Basseporte, Bessa, Cha- zal, Huet, Joubert, Maréchal, Meunier, Oudinot, Prêtre, Re- douté, mademoiselle Riché, Turpin, Van-Spaendonck, Vailly, Werner et quelques autres. DU JARDIN. CaérunnNt, fils du célèbre compositeur, l'Egypte. Cror-Bex, médecin au Grand-Caire, l'Egypte, le nord de l'Afrique. Coxsranr Prévosr. On lui doit des reptiles de Sicile. DELALANDE a exploré le cap de Bonne-Espérance et une partie du midi de l'Afrique. Désesse, le Rrésil. Dar, le Bengale, Java, Sumatra, les îles de la Sonde, ete. Doumerc (Adolphe), Amérique méridionale. Dussumier, négociant et armateur à Bordeaux. Le Muséum et la ménagerie lui doivent des envois fort importants. Duvaucez, le Bengale, Java, Sumatra, les îles de la Sonde, ete. Evpoux, voyage sur la Favorite. Garor jeune, les environs de Rio-Janeiro , où il est mort. Ganxor, le tour du monde sur la corvette la Coquille. GaunicHauD, Amérique méridionale, le Brésil. Gay, Amérique méridionale. Gaaro, port du Roi-George, terre de Nuitz, Port-Jackson, Nouvelle-Irlande, Nouvelle-Guinée, Amboine, terre de Van-Dié- men, Hobarts-Town, Vanikoro, îles Mariannes, Amhoine, les Célèbes, Batavia , le cap de Bonne-Espérance, Islande, Groën-— land, Spitzherg , Laponie. Gérarn, l'Algérie. Gouvor, Madagascar. Hauerx (le capitaine), commandant le Naturaliste ; Voyages aux terres australes. Hopesox (le major), Inde. Hurrau, l'Amérique septentrionale. LE JARDIN DES PLANTES. 43 ——_—_——————————————————’“—“——————…——…..——.————.— .————————————————…—…——_—.——————————— TT Joaxxis , haute Égypte, bords du Nil. Jorës, haute Egypte, bords du Nil. Dessarnix (Julien), l'Afrique. Lamare-Piquor a permis qu'on choisit, parmi les doubles de sa collection , les espèces manquant au Musée, LeeLoxp a anciennement'exploré Cayenne. Lerèvre (Alexandre), l'Egypte. Lecowre , les États-Unis d'Amérique. LescneNauLTr a exploré Cayenne, Sumatra, Java, le Bengale, les îles de la Sonde. Lessox , le tour du monde sur la corvette la Coquille. Lesueur , les terres australes, la côte occidentale! de la Nou- velle-Hollande , Timor, les côtes de Diémen, détroit de Bass,etc., les États-Unis d'Amérique, l'Afrique. LEVAILLANT a anciennement exploré Surinam, puis le midi de l'Afrique. Le cabinet lui doit sa première girafe. LEVILAN , mort dans un voyage aux grandes Indes. L'Iermnier, les iles de la Martinique, Porto-Rico, la Gua- deloupe. MarLoy, chirurgien de la marine, l'Algérie. Maucé, mort dans un voyage aux grandes Indes. MÉNESTRIE a exploré l'Amérique méridionale. Mizserr, les États-Unis d'Amérique. Mis (le baron), gouverneur de Cayenne. Mocno, le Brésil. Onmiexy (d'), l'Amérique méridionale. Pérox, les terres australes, la côte occidentale de la Nouvelle- Hollande, Timor, côtes de Diémen, détroit de Bass, ete., l'Afrique. Pérorter, le cap de Bonne-Espérance. Prée, les îles de la Martinique, Porto-Rico, la Guadeloupe, Pay, la Havane, Cuba. Porrrau a exploré Cayenne, où il était chef des cultures de naturalisation pour la France. Quox , iles de France, de Bourbon, Mariannes, Port-Jackson , Îles Malouines, Monte-Video, Rio-Janeiro, etc., l'Afrique. Reynau», voyage sur la Chevrette. PRicnarp a anciennement exploré la Guyane. Ricorn à voyagé pendant quatorze ans pour le Jardin; Île de Saint-Domingue, Amérique septentrionale, Rocer , l'Afrique, Rousseau (Alexandre), Russie méridionale, et tout récemment Madagascar , archipel Indien. Rozer , ingénieur, a exploré l'Algérie, Sat-HiLaire (Auguste) a exploré l'Amérique méridionale. Say 16xya exploré l'Italie. Le cabinet lui doit de beaux reptiles, ScaxziN , Capitaine d'artillerie de la marine, l'Afrique. STENuEIL , l'Algérie. TEINTURIER , l'Amérique septentrionale. Tnépexar-Duvaxr, l'Égypte. VeRREAUx , neveu de Delalande, le Cap. Nous nous sommes borné ici à indiquer les contrées explorées par les voyageurs du Muséum et par les voyageurs libres qui ont fait des envois; car si nous étions obligé de mentionner espèce par espèce toutes les richesses qu'on leur doit, ce serait nommer sans exception tous les objets rares et précieux que renferment les galeries et les vastes magasins de l'établissement. PERSONNEL DU JARDIN EN 1851. Zoologie. Mammifères et oiseaux. — M. GEorFROY SAINT-HiLaMRE (Isidore), professeur. — M. Prévost (Florent), aide-naturaliste, et comme tel chargé de la surveillance de la ménagerie. Reptiles et poissons. — M. Dumériz, professeur, — Dumérir (Au- guste), aide-naturaliste. Mo!lusques , annélides et zoophytes. — VALENCIENNES, profes- seur. — M. Rousseau (Louis), aide-naturaliste. Crustacés, arachnides et insectes. — M. Mizxe-Enwarps, pro- fesseur. — M. BLaxcnarp (Émile), aide-naturaliste. Anatomie et Physiologie. Histoire naturelle et Anatomie de l'homme. — M. SERRES , pro: fesseur. — M. Jacquarr, aide-naturaliste. Anatomie comparée. — M. Duverxoy, professeur. — M. Rous- SEAU (Emmanuel), aide-naturaliste, chef des travaux anatomiques. Physiologie comparée. — M. FLourexs, professeur, — M. Pni- LiIPPEAUX (Constant), aide-naturaliste. Botanique. Botanique et physiologie végétale. — M. BroxGxiarT (Adolphe), professeur. — M. TULASNE, aide-naturaliste. Botanique rurale. — M. pe Jussieu (A.), professeur. — M. Wen- DELL, aide-naturaliste. Culture. M. Decasxe, professeur. — M. Spacn (Édouard), aide-natu- raliste. Minéralogie et Géologie. Géologie. — M. Corner, professeur. — M. »'Orsrexy (Charles), aide-naturaliste. Minéralogie. — M. Durnexoy, professeur. — M. Rivière, aide- naturaliste. Physique et Chimie. Physique. — M. BecQuEerEL , professeur. — M. Becquerer fils, aide-préparateur. Chimie générale. — M. Freuy, professeur. — M. DeLONDRE, aide-préparateur. Chimie appliquée aux arts. — M. Cnevreur, professeur. — M. Ciorz, aide-préparateur. Iconographie. Iconographie des animaux. — M. CnazaL, professeur. Iconographie des plantes. — M. LesourD bE BrAUREGARD , pro- fesseur. Peintures et dessins. — MM. Dewarczy, MEUNIER. Peintures et dessins de botanique. — Mademoiselle Ricné. Bibliothèque. Bibliothécaire. — M. DEsNoYERSs. CONSERVATEURS DES GALERIES. Conservateur du Cabinet d'anatomie comparée, — M. Lau- RILLARD. 44 LE JARDIN DES PLANTES. Conservateur des galeries d'histoire naturelle. — M. Kiexer. Conservateur de la galerie de botanique. — M. GauorcæauD (Charles). Jardiniers en chef. — M. Neumanx, pour les serres : M. PErix, pour l'École de botanique. Chef des bureaux. — M. Prévost (Hippolyte). Tel est le personnel actuel du Jardin des Plantes. Tous les noms que je viens de citer sont une preuve suffisante que cet établis- sement est aussi recommandable par les hommes que par les choses. L'administration , afin de ne pas laisser envahir les collections par les curieux oisifs qui s’y portent en foule et qui encombre- raient les galeries au point de rendre toute étude impossible aux étudiants , a ainsi réglé les heures d'entrées. Entrées sans cartes. Ménagerie. Tous les jours, de onze heures à cinq heures en été, et de onze à trois en hiver. Cabinet d'histoire naturelle. Le mardi et le vendredi, de deux heures à cinq heures en été, et de deux heures à la nuit en hiver. Bibliothèque. En été, tous les jours, sauf le dimanche, de dix heures à trois heures. — En hiver, aux mêmes heures, mais seu- lement les mardis, jeudis et samedis. Entrées avec des cartes. Nora. Les étrangers reçoivent des cartes à l'administration sur la simple présentation de leur passe-port. Cabinet d'histoire naturelle. Les lundis, jeudis et samedis, de onze à deux heures. Cabinet d'anatomie comparée. Les lundis et samedis, de onze à deux heures. Galeries de botanique. Le jeudi, de deux à quatre heures. École de botanique. Les lundis, jeudis et samedis, de trois à cinq heures. Les personnes qui veulent se livrer spécialement à l'étude de l'histoire naturelle ou d’une de ses branches obtiennent de l’ad- ministration une carte d'étudiant, qui leur donne le droit d'en- trer aux heures consacrées à l'étude. ji ii B\ | Maison de Buflon. Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en meltant sous leurs yeux les lois et ordonnances par lesquelles se trouve régi le Jardin des Plantes, les lettres patentes qui en ordonnent la con- struction , ainsi que le règlement pour les cours et démonstra- tions des professeurs. Lettres patentes concernant l'établissement du Jardin royal des Plantes. (Du 6 juillet 1626.) Veu par la Cour les lettres patentes données à Paris au mois de janvier 1626, par lesquelles le dict seigneur (le roi Louis XI) veut et ordonne qu'il sera construit un Jardin royal en l'un des fauxbourgs de cette ville de Paris, ou autres lieux proches d'i- celle, de telle grandeur qu'il sera jugé propre, convenable et nécessaire par le sieur Herouard , premier médecin du dict sei- gneur, pour y planter toute sorte d'herbes et plantes médicinales ; du quel Jardin le dict seigneur accorde la surintendance au diet Herouard et à ses successeurs premiers médecins et non au- tres, elc. La dicte Cour a ordonné et ordonne que les dictes let- tres seront registrées au greffe d'icelle, pour jouir par l'impé- trant de l’effect et contenu en icelles. Règlement de la première ouverture du Jardin royal des Plantes, pour la démonstration des plantes médicinales, en 1640. Qu'aucun n'entre au Jardin avant les six heures ordonnées pour la démonstration, et que le démonstrateur et premier jar- dinier n'y soient; Que chacun y arrive à l'heure destinée, autrement ne seront reçus ; Qu'aucun n’y demeure après la démonstration faite, si ce n’est par la permission du démonstrateur, et en présence du principal jardinier ; Que l’on n'y entre en foule, mais de rang et paisiblement ; Qu'aucun n'y entre avec longue vesture ; Que l'en ne vague point de côté ny d'autre, se tenant chacun attentif à la démonstration, sans s'éloigner de la compagnie; Que l’on ne traverse point sur les quarreaux; mais que lon suive pas à pas le démonstrateur ; Que l'on prenne garde à ne pas fouler et marcher sur les bor- dures ; Que l’on ne se courbe pas sur les plantes ; Qu'aucun ne ceuille ny feuille, ny fleur, ny tige, ny grène; Qu’aucun n’arrache de plante, quelque petite qu’elle soit ; Qu'aucun ne fasse des questions pendant la démonstration ; Qu'aueun n'allente rien contre la volonté du démonstrateur ; Que chacun aye des Lablettes pour écrire ce qui sera enseigné; Que chacun occupe ses yeux el ses oreilles et donne trève à ses mains, si ce n'est pour escrire; EL qui contreviendra à ces justes lois, soit réputé indigne d'a- border nos parterres. Le 7 janvier 1699, le roi Louis XIV signa un règlement qui don- nait à son premier médecin la surintendance générale du Jardin. Ce règlement fut confirmé par des lettres patentes du roi, en date du 9 mai 1708, porlant que son premier médecin et ceux qui lui succèderaient dans la charge eussent l'entière direction du Jardin. Le 14 février 1708, le roi, par un nouveau règlement, fixa les exercices de chaque professeur, établit deux démonstrateurs et un sous-démonstrateur des plantes et un démonstrateur d'anatomie et de chirurgie. Plus tard, le 51 mars 1728, le duc d'Orléans régent, au nom du roi Louis XV, déclara qu'à l'avenir la surintendance du Jardin royal serait distincte et séparée de la charge de premier médecin. Le 12 juin 1745, le roi Louis XV signa, au camp sous Tournay, un brevet de démonstrateur du cabinet du Jardin royal en faveur de Louis-Jean-Marie Daubenton, docteur en médecine de lAca- démie des sciences. Le 10 juin 1795, la Convention nationale rendit un décret re- latif à l’organisation du Jardin national des Plantes et du Cabinet d'histoire naturelle. Ce décret était divisé en quatre titres. Le premier, relatif à l'organisation de l'établissement, porte que le but principal du Muséum est l'enseignement de l'histoire naturelle, appliquée principalement à l'avancement de l'agricul- ture, du commerce et des arts. Tous les officiers du Muséum jouiront des mêmes droits. La place d’intendant du Jardin est abolie ; Le traitement réparti en portions égales. Un directeur sera nommé tous les ans, au scrutin, pour LS der l'assemblée et faire exécuter les règlements. Un trésorier sera nommé par la voie j dis scrutin. Les professeursnouveaux ne seront admis que par la même voie, Tous les ans il y aura deux séances publiques où les professeurs rendront compte de leurs travaux. Le titre Il traite de la nature des cours : 1° Minéralogie; 29 Chimie générale ; 5° Arts chimiques ; 46 LE JARDIN DES PLANTES. 4° Botanique dans le Muséum; 59 Botanique rurale; 6° Agriculture et horticulture ; 7° Deux cours d'histoire naturelle générale ; 8° Anatomie humaine; 99 Anatomie des animaux ; 10° Zoologie; 11° Iconographie naturelle. Le titre Il est relatif à la bibliothèque, dont les éléments sont pris, soit dans les doubles de la Bibliothèque nationale, soit dans les maisons ecclésiastiques supprimées. Le titre IV organise la correspondance du Muséum avec tous établissements analogues placés dans les divers départements. Cette correspondance aura pour objet les plantes nouvellement cueillies et découvertes ; la réussite de leur culture, les minéraux et végétaux qui seront découverts, et généralement tout ce qui peut intéresser les progrès de la science. Décret de la Convention nationale adoptant l'agrandissement du Muséum, proposé par le Comité d'Instruction publique, à la séance du 21 frimaire an III. La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités d'instruction publique et de finance, décrète : Arr. If", Les maisons et terrains compris entre la rue Poliveau, la rue de Seine, la rivière, le boulevard de l'Hôpital et la rue Victor, seront réunis au Muséum d'histoire naturelle. Anr. Il. Les comités d'instruction publique et de finances sta- tueront sur la destination et l'emploi de ces maisons et terrains de la manière la plus utile à l'instruction publique, d’après les plans qui leur seront présentés par les professeurs du Muséum. Art. II. Une partie des terrains sera affectée à l’agrandisse- ment des rues adjacentes. Ant. IV. Il sera nécessairement procédé à l'estimation des ter- rains et bâtiments désignés en l’article I‘, par des experts nom- nés, l’un par le bureau du domaine national de Paris, l’autre par le propriétaire intéressé ; en cas de partage, un Liers expert sera nommé par la commission des revenus nationaux. Arr. V. La commission des travaux publics fera acquitter sur les fonds mis à sa disposition toutes les dépenses nécessaires pour l'acquisition et disposition des terrains et bâtiments, sous la sur- veillance des comités d'instruction publique et des finances. Ant. VI. Il ne pourra néanmoins être fait aucune construction qu'après que les plans en auront été soumis à la Convention et approuvés par elle. Décret relatif aux dépenses du Muséum d'histoire naturelle. La Convention nationale, après avoir entendu ses comités d’in- struction publique et des finances, décrète qu'il sera pris sur les fonds mis à la disposition de la commission d'instruction pu- blique : 1° La somme de 194,889 livres pour les dépenses du Muséum pour la troisième année républicaine ; Et que le traitement de chacun des professeurs sera porté a b,000 livres; 2 Celle de 25,700 livres pour dépenses arriérées ; 5° Celle de 18,641 livres pour dépenses extraordinaires. Le tout conformément aux états présentés par les professeurs du Muséum et approuvés par le comité d'instruction publique. Projet de réglement pour le Muséum national d'histoire naturelle, arrêté par le Comité d'Instruction publique de la Convention na- tionale , d'après le décret du 10 juin 1795. Anr.lt". Les douze cours institués dans le Muséum d'histoire naturelle, par la loi du 10 juin 4795, seront faits par les douze officiers actuels de l'établissement. Arr. Il. Sur l'égalité des appointements. Arr. II. Tous les professeurs auront droit d'être logés dans l'intérieur du Muséum, afin d’être plus à portée de remplir leurs fonctions, lorsque la division des logements aura été établie, autant qu'il sera possible, suivant le principe d'égalité. Le choix de chacun appartiendra aux professeurs plus anciens; les loge- ments dont jouissent actuellement plusieurs professeurs leur se- ront conservés jusqu à leur décès où démission, pourvu qu'ils les habitent. On réservera une pièce pour chacun de ceux qui ne se- ront pas logés. Arr. IV. Les professeurs seront seuls chargés de l’administra- tion générale du Muséum ; ils se rassembleront tous les mois, ou plus fréquemment, selon les circonstances, pour délibérer et prendre décisions sur tous les objets relatifs à l’étabiissement, et sur les moyens d'améliorer l'étude des sciences naturelles. Arr. V. Le nombre des votants nécessaires pour former eette assemblée sera de la moitié du nombre des professeurs, plus un, pour toutes les délibérations, et des deux Liers au moins pour les élections, qui seront toujours faites à la majorité absolue. Art. VI. Un professeur sera censé avoir abdiqué sa place lors- qu'il refusera ou négligera de remplir ses devoirs ; l’abdication sera prononcée par l'assemblée, et ne pourra l'être qu'aux deux tiers des voix de tous les professeurs. Arr. VIL L'assemblée nommera à la majorité absolue tous les employés du Muséum , et aura le droit de les destituer aux deux tiers des voix des professeurs dans les cas de prévarication ou de négligence dans leurs devoirs ; ils pourront être suspendus pro- visoirement de leurs fonctions par le chef sous lequel ils seront employés : lequel sere tenu d’en rendre compte à la plus pro- chaine assemblée et d'en informer sur-le-champ le directeur, qui lui-même aura un pareil droit sur tous les employés. Arr. VII. Le directeur, dont les fonctions et leur durée seront fixées par les art. 6 et 7 de la loi, sera nommé tous les ans au scrutin, à la majorité des voix, dans le courant du mois de dé- cembre, et il entrera en fonction le 4er fanvier prochain. Arr. IX. En l'absence du directeur, l'assemblée, présidée par le plus ancien des professeurs, nommera, suivant le même mode d'élection, un des professeurs pour le remplacer provisoirement. AnT. X. Les professeurs nommeront tous les ans parmi eux, dans la même séance et à la majorité absolue, un secrétaire, le- quel entrera pareillement en fonctions le 1+ janvier suivant, les exercera pendant une année, et ne pourra être continué qu'au scrutin pour une année seulement; en son absence, il sera rem- placé comme le directeur. Arr. XI. Ses fonctions seront de tenir la plume dans les assem- blées, de rédiger les procès-verbaux des séances, qui seront si- gnés du directeur et de lui, de les inscrire sur un registre destiné à cet effet, de délivrer des copies collationnées de ces délibéra- tions, et d’avoir la garde des papiers, litres et registres du Mu- séum, qui seront déposés dans une des salles de la bibliothèque. Anr. XIT Outre les assemblées de tous les mois, qui auront lieu à jour fixe, le directeur pourra en convoquer d’extraordi- naires; et il sera tenu de le faire sur la simple demande d'un professeur. Art. XII. Le trésorier nommé au scrutin, à la majorité abso- lue, sera élu tous les ans dans la même séance que le directeur et le secrétaire ; il entrera en fonctions le 1° janvier suivant; sa place sera incompatible avec celle de ces deux officiers. Le même pourra être continué plusieurs années de suite; mais chaque année par un nouveau scrutin. Ses fonctions seront de recevoir les fonds affectés à l'établissement, et d'en faire la répartition suivant les états arrêtés, où d’après l'autorisation de l'assemblée. = 000 INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES MAMMIFÈRES. Avant de commencer l'histoire de la classe la plus importante en zoologie, je dois rendre compte au lecteur des inspirations qui ont dirigé ma plume, et faire un exposé rapide de mes opi- nions. Avant Buffon, l'histoire naturelle était si peu avancée, si peu de chose, que, sans trop se hasarder, on peut dire qu’elle n’était presque rien. Tout à coup, et dans le même temps, deux hommes de génie la créèrent à la fois, mais avec des vues de l'esprit bien différentes : l'un était Linné, l’autre Buffon. Ce dernier eut soin de cacher les épines de la science sous le charme d'un style ini- milable ; mais cette magie, qui lui servit à la populariser, mourut avec lui, et les successeurs du grand écrivain, après avoir fait quelques efforts pour marcher sur ses traces, finirent par les abandonner. Cnvier parut alors, portant dans la science le flambeau anato- mique éclairé par Daubenton. Il publia son Règne animal, méthode entièrement fondée sur l’organisation des animaux, et il fit une révolution utile aux progrès. Mais ses admirateurs firent comme font toujours les enthousiastes d’un système nouveau, ils dépas- sèrent le but que s'était proposé le profond anatomiste , et, mal- gré les efforts de quelques esprits sensés , ils matérialisèrent la science, et sa partie philosophique fut dès lors étouffée par la nomenclature descriptive. La chose en est venue à un tel point aujourd’hui, qu'en lisant les ouvrages de certains savants on croi- rait plutôt parcoürir les œuvres d'un vétérinaire que celles d’un naturaliste. Les auteurs ainsi fourvoyés, ayant noyé l'histoire naturelle dans l'anatomie, ne s’aperçurent pas qu'ils l'avaient tuée, mais ils sentirent que, privée de sa partie la plus philoso- phique et la plus attrayante , le peu qui restait de la science de- venait sans but et n'offrait plus qu'une synonymie stérile et sans intérêt. C’est alors qu'ils imaginèrent de donner à la classification une importance d'emprunt, qu'elle n'a pas et qu'elle ne peut avoir devant la nature, et, grâce à celte marche hasardée, ils ne virent dans l’histoire des animaux que l'étude de l'anatomie com- parée , de la classification et de la synonymie. Puis, ayec une naïveté au moins fort singulière, ils proclamèrent que tout le reste était du roman, sans se douter probablement qu'ils relé- guaient ainsi l'immortel Buffon, leur maître à tous, parmi les romanciers! ! Quant à cette émanation de la Divinité, à cette part d'intelligence dévolue d’une manière si admirable à chaque espèce pour satisfaire ses besoins , régler ses habitudes et lui créer des mœurs, ils n'en tiennent aucun compte ; ce qu'il y a de plus ad- mirable dans l’œuvre de la création, ils ne le croient pas digne de tenir la plus petite place dans leurs systèmes ni dans leurs ouvrages; ce qu'ils ne peuvent saisir avec le scalpel et leurs pinces de dissection , ils le repoussent et le dédaignent. Heureusement que telles ne sont pas les opinions des princi- paux maîtres dans la science , de ces véritables savants qui sont l'honneur de notre Muséum d'histoire naturelle, et une des gloires de notre patrie. Inspiré des mêmes opinions qu'eux, je n’ai pas cru pouvoir m'étendre trop sur l'histoire morale des animaux, sur leurs habitudes si capables de piquer la curiosité des lecteurs, sur leurs relations avec l'homme , etc. J'ai tâché de montrer dans leurs forêts et livrés à tous les instincts pittoresques de leur na- ture sauvage, ces êtres si tristes et si dégradés dans la servitude de nos ménageries, ces momies décolorées quoique si ingénieu- sement préparées dans nos cabinets d'histoire naturelle. Enfin, cette partie historique , que je regarde comme la plus intéres- sante et la plus utile de la science, occupe la plus grande partie de mon livre. Comme Buffon, je crois que la nature n’a fait ni ordres, ni fa- milles, ni genres, mais seulement des individus, et je ne crois pas à une classification naturelle possible, au moins comme les na- turalistes l'ont entendu jusqu'à ce jour. Mais Buffon n'a connu que deux cent cinquante mammifères, et ce nombre s’est telle- ment accru depuis, qu'il serait impossible, sans tomber dans une confusion inextricable, de les décrire sans ordre, comme il l’a fait. Ensuite, je crois fermement qu'une bonne méthode de clas- sification, peu importe qu'on la regarde comme naturelle ou comme artificielle, est un fil indispensable pour diriger le lecteur dans le labyrinthe de la nomenclature; il offre l'avantage pré- cieux de le conduire par le chemin le plus court possible à la connaissance de l'espèce qu'il veut soumettre à son examen. Je dois dire aussi que je n’ai la prétention d'imposer à personne mes propres opinions, et que, partant de là, j'ai dû, pour les lecteurs qui pensent autrement que moi, classer méthodiquement mes onze cents mammifères ; il était tout aussi simple que je choi- sisse la méthode la plus répandue, la plus généralement recon- nue bonne, c'est-à-dire celle de G. Cuvier. Je l'ai donc adoptée, avec de légères modifications devenues nécessaires par les rapides progrès de l’histoire naturelle et les nombreuses découvertes qui ont été faites dans ces dernières années. Mais ces modifications n'ont été adoptées par moi que lorsque je les ai crues rigoureu- sement indispensables; et j'ai rejeté sans hésiter les nouveaux genres créés par les auteurs, quand je ne les ai pas crus établis sur des bases d'une grande valeur. La mammalogie, si l'on ny prend pas garde, est menacée des mêmes abus qui ont envahi la botanique et l'entomologie, et bientôt nous aurons autant de genres que d'espèces. La synonymie latine, toute stérile qu’elle est, a été travaillée par moi ayec une altention minutieuse. Dans la synonymie vul- gaire, j'ai introduit, autant que cela m'a été possible avec le peu de renseignements que nous avons , une innovation que je crois ulile; c’est-à-dire que j'ai rendu à chaque espèce son véritable nom, celui qu'elle porte dans le pays qu'elle habite. Je me suis bien gardé surtout de défigurer ce nom, comme l'ont fait Buffon et quelques-uns de ses successeurs, sous le vain prétexte de le rendre plus doux à la prononciation française, car mon but , le seul, je crois, que l’on doive se proposer en pareil cas, a été de meltre-les voyageurs dans le cas de se faire comprendre des na- turels des contrées où ils porteront leurs investigations, lorsqu'ils demanderont des renseignements sur un animal, Quant à la partie descriptive, je l'ai faite dans des limites aussi resserrées que possible, mais avec le plus grand soin, et mes descriptions , quoique fort courtes, seront toujours suflisantes pour ne laisser aucune ambiguïté sur l'identité de chaque espèce. Une longue expérience m'a appris que trop de détails dans une description y jettent de la confusion plutôt que de la clarté ; j'en ai conclu que je devais ne montrer les individus à mes lecteurs que par les côtés qui les tranchent net des espèces voisines, c'està-dire n’énoncer que leurs caractères spécifiques. De jolies gravures, d’une exactitude rigoureuse, donneront, mieux que de longues descriptions n'auraient pu le faire, une idée nette et pré- cise des formes générales, du facies de tous les types d'animaux. 18 LE JARDIN DES PLANTES. EU Comme je l'ai dit, je me suis beaucoup étendu sur les mœurs et les habitudes des animaux , et j'ai apporté dans cette partie toute la critique dont je suis capable. J'ai tâché d'amuser mes lecteurs en les instruisant, parce que j'ai cru que les grâces ne sont pas ou ne devraient pas être ennemies de la science, quoi qu'en puissent dire quelques graves pédants. J'ai surtout évité avec un soin particulier l'emploi ambitieux de ces expressions techniques, accouplement bizarre de mots grecs et latins, trop souvent employé avec prodigalité par l'ignorance qui croit se ca- cher en se couvrant ainsi de haillons scientifiques. Je ne crois pas que la science soit mystérieuse et doive avoir des adeptes ; en conséquence, j'ai tâché, avant tout, d'être clair, simple, et facile- ment compris de Lout le monde. Enfin, j'ai rigoureusement écarté de mon ouvrage ces polémiques, ces longues dissertations, quel- quefois savantes et toujours ennuyeuses, dont la principale et souvent la seule utilité est de mettre en relief le mérite de celui qui les écrit. Pour donner à ce livre toute l'utilité qu’il peut avoir, je ne me suis pas borné à faire seulement l’histoire des mammifères qui ont vécu à la ménagerie, mais encore de tous ceux qui existent au Cabinet d'histoire naturelle; et, grâce à l'extrême obligeance du conservateur, le savant conchyliologiste, M. Kiener, j'ai pu décrire les individus sur la nature même. J'ai cru devoir néan- moins omettre quelques espèces Lout à fait nouvelles et encore fort mal connues, qui eussent, par conséquent, offert très-peu d'intérél à la classe de lecteurs auxquels mon livre est destiné. Fontaine monumentale. DESCRIPTION ET MOEURS DES MAMMIFÈRES. La première grande classe du règne animal se compose des intelligence supérieure à celle des animaux des autres classes. animaux vertébrés , c’est-à-dire de ceux dont le corps et les mem- Constamment on leur trouve une tête formée d’un crâne renfer- Vue intérieure de la grande Serre, bres sont soutenus à l'intérieur par une charpente solide, osseuse ou cartilagineuse, dont les pièces liées et mobiles les unes sur les autres leur donnent plus de précision et de vigueur dans les mouvements. Leur système nerveux, plus concentré, rend leur 44. mant un cerveau; un tronc soutenu par une colonne vertébrale et des côtes, et deux paires de membres, quand ils en ont. Les uns font leurs petits vivants, et les femelles ont toujours des mamelles pour les allaiter; c’est pour cette raison qu’on les Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36. 4 50 LES QUADRUMANES. a nommés mammifères, et c'est de ceux-là seulement que nous ayons à nous occuper ici. On les subdivise en divers ordres, dont nous donnherons les caractères à mesure que nous les parcour- rons. Il nous suffit, quant à présent, d'en donner une idée gé- nérale et concise. Les mammifères ont le sang rouge, une cireulation double, Ja respiration simple et aérienne, s'opérant par des poumons, L'or- ganisation du plus grand nombre les force à marcher sur la terre; mais quelques-uns cependant, comme les chauves-souris, peu- vent se soutenir dans les airs au moyen des membranes qui sou- tiennent leurs membres fort allongés; d'autres, au contraire, ont les membres tellement raccourcis, qu'ils ne peuvent se mouvoir que dans l'eau: tels sont les baleines, les marsouins, les dauphins, que les anciens confondaient avec les poissons, el dont on forme aujourd'hüi un ordre à paït, celui des cétacés. Ces derniers sont les seuls qui manquent absolument de poils ; toûs les autres en ont plus ou moins; ils leur forment une robe lrès-peu garnie dans les pays chauds, mais très-fourrée, très-soyeuse et très- chaude dans les contrées froides. Tous ont quatre membres, et c’est pour cela qu'on les désigne vulgairement sous le nom de quadrupèdes ; mais dans quelques-uns, les amphibies, ils sont si courts, si engagés dans la peau, surtout les paltes de derrière, qu'ils paraissent n'avoir que des nageoires. Tels sont les caractères fondamentaux sur lesquels est établie la classe des mammifères. na © Ci SG LES QUADRUMANES. PREMIER ORDRE Les quadrumanes, dans leurs formes, ont plus où moins d'ana- logie avec l'homme, mais 1l8 en différent par leurs extrémités postérieures qui se termitieht noh par un pied, mais par une vé rilable main dont le pouce est épposable aux autres doigts. Ce sont des animaux qui inaréhent difficilement, surtout debout, DES MAMMIFÉÈRES. ais qui grimpent aux arbres avec la plus grande agilité, d'où il résullé que tous sont habitants des forêts. Cet ordre se divise en cinq familles , savoir : les anthropomor- phes, les singes, les sapajous, les ouislitis, et les makis ou lému- riens. LES ANTHROPOMORPHES. Ue sont les seuls dont l'os hiyotde, le foie ét le cœcum r'essem- blent à ceux de l'homme, Îls ont le museau très-proéminent; trente-deux dents, dont quatre incisivés droites à chaque mâ- choire, deux canines longues se logeant dans un vide de la mâ- choire opposée, dix molaires à luberctles mousses. Leurs ongles sont plats; ils manquent de queue, Leurs mouvements soñt graves et n'ont pas cette pétulancé capricieuse oti brutale qui caracté- rise si bien les autres singes. Les femelles sont sujettes aux me- mes incommodités périodiques que les fernmes. Jer Grxne. Les ORANGS (Pithecus, Grorr.) forment le piemier genre. Ils manquent d'abajoues; leurs bras sont irèglongs ; leurs oreilles arrondies, plus pelites que celles de lhoïine; enfin ils n'ont point de callosités aux fesses. L'Oraxe-Houras (Pithecus satyrus, Des. Sünia satyrus, LINK. L'Orang-Houtan de Vos: Le Joclto de Burr.). Dans les forêts les plus sauvages de la partie orientale de l'Inde, à Bornéo, à la Cochinchiné et dans la presqu'ile de Malaka, les voyageurs rencontrent quelquefois encore l'être singulier que les habitants de ces contrées noiietil, en malais, orang-houtan, ce qui, traduit littéralement, signifie être raisonnable, indépen: dant, ou des forèts, doit nous avons fait homme des bois ; niais il devient rare, et bientôt peut-être il aura disparu de dessus la terre, comme tant d'antiiaux dont les dépouilles fossiles viennent de temps à autre nous révéler l'antique existence, Jadis il hübi= Lait toute la partie occidentale de l'Asië, comiie on en peut jü- ger par un passage de Strabüon (lv. 15, tom. 2). Selon cet auteur, lorsque Alexandre pénétra dahs linde à la tête de son armée victorieuse, il en rencontra une nombreuse troupe, qu'il prit pour une armée ennemie; aussitôL il fit marcher contre elle son invincible phalange macédonienne. Mais le roi Taxile, qui se trouvait auprès de lui, tira le conquérant de l'Asie de son erreur, en lui apprenant que ces créatures, quoique semblables à nous, n'étaient que des singes fort pacifiques, nullement sanguinaires, el n'ayant pas la plus mince parcelle d'esprit de conquête. Par Ja forme de sa tête et le volume de son cerveau, l'orang- houtan est l'animal qui ressemble le plus à l'homme. Il est haut de bois à quatré pieds (0,957 à 1,299); son corps est trapu, couvert d'un poil uniformément roux; son visage est nu, un peu bleuâtre ; ses cuisses €b 8es jambes sont courtes, ses bras très-longs; son ventre est gros ét tendu. Il est fort doux, s'apprivoise très-facile- ent, et s'attache aux personnes qui en prennent soin. Quoi qu'en aient pu dire les auteurs et les voyageurs, son intelligence est assez bofnée eL ne surpasse güèré celle d'un chien. Mais come il à les mouvements posés, réfléchis et analogues à ceux de l’homme, parce qu'il a presque sa conformation et ses besoins, ôn à pu facilement attribuer ses actions à une intelligence plus pérfectionnée qu'elle ne l'est réellement. Le Jardin des Plantes a possédé, il ÿ à trois ou quatre ans, un orang-hoûtan vivant, qui a permis de faire de bonnes observa= tions, quoiqu'il fût très-jeunce, On est convaincu que ces animaux, coinme les singes, sont éminemment giimpeurs, et forcés de vivre coftinuellement sur les aïbres, faute dé pouvoir marcher aisé ment sur la terre, À quatre pattes, ils ne posent sur le sol que l'extrémité des doigts du pied, et le dévant du corps ne porte que sur les poings fermés ou sur le tranchant des mains; ils sont eh outre obligés, pour voir devant eux, de relever la tète d'une manière fort incommode. Il ne leur est guère possible non plus de marcher debout, äu moins pendant un certain temps, paré que leur confofmation ne lé leur peimet pas sans leur faire éprouver une grande fatigue, En effet, 11 leur manque ce puis- sant développement des muscles du mollet, de la cuisse et des fésses, au moyen duquel l'homime conserve son équilibre el mar- che avec fermeté, A l'état sauvage, l'orang-houtan a été peu observé. Il habite les forêts les plus retirées el se nourrit principalement de fruits ; mais il est probable qu'il mange aussi les œufs et les pelits oi- séaux qu'il est habile à dénicher : du moins ses longues canines doivent le faire supposer. D'anciens voyageurs ont avancé qu'en temps de disette, il quitte les montagnes et descend sur le bord de la mer, où il se nourrit de coquillages et de crabes. «Il y à, dit Gemelli Carreri, une espèce d’huîtres qui pèsent plusieurs 1i- vres el qui sont ouvertes sur Île rivage; or le singe, craignant que, quand il veut les manger, elles ne lui attrapent la patte en ANTHROPOMORPHES. 51 se refermant, jetté uné pierre dans la coquille, ce qui l'empèche de se fermer, et ensuite il les mange sans crainte, » Il se construit sur les arbres une sorte de hamac, où il se couche chaque soir pour ne se lever qu'avec le soleil, Lés Indiens lui font la chasse pour le réduire en esclavage et en tirer quelque service domestique. « On les prend, dit Schout- ten, aveë des lacs: on les apprivoise, on leur apprend à marcher sur les pieds de derrière et à se servir de leurs mains pour faire certains ouvrages et méme ceux du ménage, comme de rincer les verres, donner à boire, tourner la broche, ete. » François Leguat dit avoir vu à Java « un singe fort extraordi- naire : c'était une femelle; elle était de grande taille et marchait souvent fort droit sur ses pieds de derrière; alors elle cachait d'une de ses mains l'endroit de son corps que la pudeur défend de montrer. Elle avait le visage sans autres poils que les sourcils, et elle ressemblait assez, en général, à ces figures grotesques de Hottentotes que j'ai vues au Cap. Elle faisait fort proprement son lit chaque jour, s'y couchait la tête appuyée sur un oreiller, et se couvrait d'une couverture... Quand elle avait mal à la tête, elle se serrait d’un mouchoir, et c'était un plaisir de la voir äinsi coiffée dans son lit. Je pourrais en raconter diverses autres pe- tites choses qui paraissent extrêmement singülières, mais j'avoue que je ne pouvais pas admirer cela äutant que la multitude, parce que je savais qu'on devait conduire tél animal en Europe pour le montrer par curiosité, et je supposais qu'on l'avait dressé én conséquence. » Il y a ici une chose qui mé paraît plus qué doi teuse, c'est le fait de la pudeur, fait qui à été également avancé par Bontius, médecin à Batavia. Les voyageurs qui ont vu les femmes de la Nouvelle-Zélande, de quelques Îles de la mer du Sud, ete., se montrer sans voile et sans pudeur atix yeux des étrangers, auront de la peine à croire que cetté vertu püisse exister naturellement dans un animal, quand elle manque à des nalions entières. 2e Genre. Le TROGLODYTE ou KIMPÉZEY (Troglodytés, Geort .) forme à lui seul un genre qui se distingue des ofangs par des oreilles beaucoup plus grandes que dans l'homme, et un peu mobiles à sa volonté; par des crêtes sourcilières qui manquent aux premiers, et enfin par ses bras plus courts, n'atteignant pas le bas de la cuisse. Le Kimpézëx (Troglodites niger, Grorr. Simia troglodytes, Linx. Le Chimpansé, G. Cuv. Le Quimpesé, Lecar. Le Jocko et le Pongo, Burr. Le Quojas Morou et le Satyre d’ Angola, Turr. Le Pygmée, Tysox. Le Pongo, Aupes.). J'ai fait l'histoire de l'orang-houtan, animal qui ressemble le plus à l'homme par la forme de la tête et le développement du front et du cerveau, mais dont l'intelligence ne l'emporte guère sur célle du chien : je vais faire maintenant celle de l'être qui s’en rapproche le plus par l'intelligence. Les phrénologues remar- queront, en passant, que l'orang a l'angle facial ouvert à soixante- cinq degrés, tandis que celui-ci ne l'a qu'à soixante. Toutes les personnes qui, pour la première fois, ont observé un kimpézèy, ont été frappées de sa grande ressemblance avec l'homme, non-seulement dans ses formes, mais encore dans ses gestes, ses actions, et quelques-unes de ses habitudes, Aussi, les différents noms qu'il a recus sont-ils tous l'expression d’une mème pensée. Là c'est le pongo, mot par lequel les nègres désignent un grand fétiche, une sorte de génie des forêts: ici c'est le cojas morros où quojas morou, qui, dans la langue d'Angola, signifie homme des foréts; dans le Congo, c’est l’en- joko, que Buffon a défiguré, et qui, dans la langue du pays, est l'impératif du verbe se faire : « Enjoko, tais-toi. » On con- cuit l'origine de ce nom quand on sait que les nègres du Congo croient que si le kimpézèy ne parle pas, c'est qu'il ne le veut pas, dans la crainte qu'on tte le soumette à l'esclavage et qu'on ne le fasse travailler. Mais tons ces mots ne sont que des épithètes dont on accompagne le véritable nom kimpézèy, sous lèquel il est connu par les naturels de toute la côte de Gui- née. Le voyageur Lecat en a fait quimpésé, et G. Cuvier chim- panzé, I y a peu d'années que tous les habitants de Paris se portaient au Jardin des Plantes pour voir Jacqueline, jeune femelle appar- tenant à cette espèce, Elle était douce, bonne, caressante même ; elle reconnaissait parfaitement lés gens qui allaient la voir et leur faisait plus de caresses qu'aux autres. Si on la contrariait, elle pleurait à sanglots comme un enfant, se retirait dans un coin de l'appartement et boudait quelques minutes, Mais sa co- lère enfantine cédait à la plus petite avance d'amitié; alors elle essuyait ses larmes et revenait sans rancune auprès de celui qui l'avait chagrinée. Quoique sa jeunesse fût extrème (elle avait deux ans et demi), son intelligence était déjà fort développée, et j'en citerai deux exemples qui sont extrêmement remarquables à mon avis, et dont j'ai été témoin. Un ami qui m'accompagnait quitta ses gants et les posa sur une table; aussitôt Jacqueline s'en em- parä ëb Yotilut les mettre, mais elle ne put en venir à bout parce qu'elle placait à la main droite le gant de la main gauche. On lui onlra sa méprise, et on parvint si bien à la lui faire compren- dré, qe depüis élle ne s'est jamais trompée, quoiqu'on l'ait mise souvent à l'épreuve, M. Wérnér, notre meilleur peintre d'histoire naturelle, fut chargé de la dessiner. Jacqueline, fort étonnée dé voit son image se féproduire sous le crayon de cet habile ar- listé, voulut aussi dessiner. On lui donna du papier et un crayon; elle s'assit gravement à la table du maitre, et traca avec grande Joie quelques traits informes. Comme elle appuyait de toutes ses forces, la pointe de son crayon cassa, et elle en fut très-contra- riée. Pour l’apaiser on le lui tailla , et, corrigée par l'expérience, elle appüya moins. Elle vit le dessinateur porter le crayon à sa bouche, et elle en lit autant; seulement, au lieu de se contenter de mouiller la pointe, elle ne manquait jamais de la casser avec les dents. Il fut impossible dé l'en empêcher, et ce grave inconvénient mit fin à &es étüdés artistiques. Elle essayait de coudre, comme la femme Qui la gaïdait, mais il lui arrivait chaque fois de se piquer les doigts; alors elle jetait là l'ouvrage, s’élançait sur la corde qu'on lui avait tendue, et se consolait de sa maladresse en faisant quel- ques cabrioles qui auraient fait pâlir le plus hardi funambule. Jacqueline avait un chien et un chat qu'elle aimait beaucoup, Elle les gâtait au point de les faire coucher tous deux à côté d'elle, dans son lit, l'un à gauche et l'autre à droite; mais elle sut néanmoins conserver sur eux là supériorité que donne l'in- telligence , et, quand elle le jugeait convenable, elle les châtiait sévèrement pour les soumettre à son obéissance ou pour les for- cer à vivre entre eux en bons amis. La pauvre Jacqueline avait Fhabitude de se laver chaque matin le visage et les mains avec de l'eau fraîche; ces aspersions, jointes aix rigueurs d'un climat si différent de celui d'Afrique, lui occa- sionnèrent probablement la maladie de poitrine dont elle mourut, Jack, l'orang-houtan qu'elle avait remplacé à la ménagerie, ainsi que les kimpézèys qui ont autrefois vécu chez Buffon et chez l'impératrice Joséphine, sont morts de a même maladie. © Quoi qu'en disent aujourd'hui les naturalistes qui n'assignent que deux pieds et demi (0,812) de hauteur à cet animal, parce qu'ils n'en ont jamais vu que de très-jeunes, il est certain qu'il aiteint quatre à cinq pieds (1,299 à 1,624) et peut-être davan- tage, caf sans cela rien de ce que les voyageurs lui attribuent ne serait possible, Lorsque Jacqueline fut prise et amenée à Paris, ellé était fort jeune: cependant sa taille était de deux pieds et demi (0,812) de hauteur, et sa inère la portait encore dans ses bras. Nous avons vu l'orañg-houtan figurer dans l'histoire d'Alexan dre le Grand : nous verrons le kimpézèy figurer dans celle des Carthaginois, et pour les deux cas nous tirerons une conséquence , 4 52 LES QUADRUMANES. semblable, c’est-à-dire qu'alors l'espèce était beaucoup plus nom- breuse en individus qu'aujourd'hui, et qu'elle s'avançait sur la côte occidentale de l'Afrique jusqu'au pied de l'Atlas. Trois cent trente-six ans avant notre ère, les Carihaginois, sous la conduite d'Hannon, abordèrent une île de l'Afrique occiden- tale. Une immense troupe de singes les observaient, et les Car- thaginois, les prenant pour des ennemis, les chargèrent. On emarqua que ces animaux ne tinrent point en rase campagne contre leurs agresseurs, mais qu'ils se sauvèrent avec beaucoup de précipitation sur des rochers, d’où ils se défendirent vaillam- ment à coups de pierres. On ne parvint à se rendre maître que de trois femelles qui se débattirent avec tant d’acharnement, » jections, répondit le naturaliste ; en votre faveur je changerai » mon arrangement, et je placerai le singe dans la classe des » hommes. » En domesticité, le kimpézèy montre la même douceur que l'orang, mais plus d'intelligence. « J'ai vu cet animal, dit Buffon, présenter la main pour reconduire les gens qui venaient le visi- ter, se promener gravement avec eux et comme de compagnie ; je l'ai vu s'asseoir à table , déployer sa serviette, s’en essuyer les lèvres , se servir de la fourchette et de Ja cuiller pour porter à sa bouche, verser lui-même sa boisson dans un verre, le choquer lorsqu'il y était invité ; aller prendre une tasse et une soucoupe, l'apporter sur la table, y mettre du sucre, y verser du thé, le L'Orang-Houtan. qu'il fut impossible de les garder vivantes. Hannon, qui les prit pour des femmes sauvages et velues, les fit écorcher et rapporta leurs peaux à Carthage. (Hannonis periplus, pag. 77, édit. 1674.) Elles furent déposées dans le temple de Junon, où, deux siècles après, les Romains les trouvèrent encore lors de la conquête de celte ville. I est plus que probable que tout ce que les anciens nons ont transmis sur les satyres, les faunes, les sylvains et au- tres divinités des bois, tire son origine de l’histoire mal connue de cet animal. La peau de satyre que saint Augustin dit avoir vue à Rome était certainement celle d’un de ces animaux. Le kimpézèy a le visage plat, basané, nu ainsi que les oreilles, les mains, la poitrine et une partie du ventre. Le reste du corps est couvert de poils rudes, noirs ou bruns, mais clair-semés , excepté sur la tête, où ils sont très-longs et lui forment une che- velure pendante par derrière et sur les côtés. Il marche debout avec beaucoup plus de facilité que l'orang-houtan, parce que les muscles de ses mollets et de ses cuisses sont plus développés, et qu'il a le bassin plus large. On lui compte une paire de côtes de plus qu'à l’homme. Cet animal, qui ne se trouve que sur les côtes du Congo et de la Guinée, a le maintien grave et les mouvements mesurés. Par toutes ces considérations, Brookes, dans son Sys- tème d'histoire naturelle, avait mis l’homme dans la classe des singes; le prince royal d'Angleterre lui en ayant fait des repro- ches assez vifs : « Monseigneur, je me rends à la force de vos ob- laisser refroidir pour le boire, et tout cela sans autre instigation que les signes ou la parole de son maitre, et souvent de lui-même. Il aimait prodigieusement les bonbons; il buvait du vin, mais en petite quantité, et le laissait volontiers pour du lait, du thé, ou d'autres liqueurs douces. » Dans son esclavage, le kimpézèy, si on s’en rapporte à tous les voyageurs, peut rendre autant de services qu'un nègre. On a yu à Loango une femelle aller chercher de l’eau dans une cruche, du bois dans la forêt; balayer, faire les lits, tourner la bro- che, ete., ete. Elle tomba malade, et un chirurgien la saigna, ce qui lui sauva Ja vie. Un an après, ayant gagné une fluxion de poitrine, elle fut de nouveau alitée; lorsqu'elle vit entrer le même chirurgien, elle lui tendit le bras et lui fit signe de Ja saigner. Un voyageur très-digne de foi, M. de Grandpré, officier dans la marine française, ayant habité Angola pendant deux ans, ra- conte ce qui suit : «L'intelligence de cet animal est vraiment extraordinaire ; il marche ordinairement debout appuyé sur une branche d'arbre en guise de bâton. Les nègres le redoutent, et ce n'est pas sans raison, car il les maltraite rudement quand il les rencontre, Ils disent que s'il ne parle pas, c’est par paresse. Ils pensent qu'il craint, en se faisant connaitre pour homme, d'être obligé de travailler, mais qu'il pourrait l'un et l'autre s'il le voulait. Ce préjugé est si fort enraciné chez eux, qu'ils lui par- lent lorsqu'ils le rencontrent. ANTHROPOMORPHES. 58 » Malgré tous mes efforts pour me procurer un individu de cette espèce, je n'ai pu y parvenir, mais j'en ai vu un sur un vaisseau en traite. C'était une femelle; je l'ai examinée et mesurée avec attention, et elle s’y prêta avec beaucoup de complaisance. Debout , les talons portant à terre, elle était haute de quatre pieds deux pouces huit lignes. Ses bras pendants atteignaient à un pouce au-dessus du genou; elle était couverte de poils, le dos fauve, etc. » Il serait trop long de citer toutes les preuves que cet animal a données de son intelligence, je n'ai recueilli que les plus frap- pantes. Il avait appris à chauffer le four; il veillait attentivement à ce qu'il n'échappât aucun charbon qui püût incendier le vaisseau, la frappait, Depuis ce moment, elle refusa constamment de man- ger, el mourut de faim et de douleur le cinquième jour, regret- tée comme un homme aurait pu l'être. » Voyons maintenant le kimpézèy à l'état sauvage. Presque toutes les fois que les voyageurs en ont rencontré, le mâle et la femelle marchaient ensemble, d'où on peut penser, avec quel- ques naturalistes anglais, qu'il est monogame et ne change pas de femelle. Quand il est à terre, il se tient debout et marche avec un bâton qui lui sert à la fois d'appui et d'arme offensive et dé- fensive ; il se sert aussi de pierres qu'il lance avec adresse pour repousser l'attaque des nègres, ou pour les attaquer lui-même s'ils osent pénétrer dans les lieux solitaires qu'il habite. Ces Le Pongo de Wurmb jugeait parfaitement quand il était suffisamment chaud, et ne manquait jamais d'avertir à propos le boulanger, qui de son côté, sür de la sagacité de l'animal, s’en reposait sur lui, et se hâtait d'apporter sa pâte aussitôt que le singe venait le chercher, sans que ce dernier l'ait jamais induit en erreur. » Lorsqu'on virait au cabestan, il se mettait lui-même à tenir dessous (tirer sur le câble), et choquait à propos avec plus d'adresse qu'un matelot. Lorsqu'on envergua les voiles pour le départ, il monta, sans y être excité, sur les vergues avec les ma- telots, qui le traitaient comme un des leurs; il se serait chargé de l'empointure, partie la plus difficile et la plus périlleuse, si le matelot désigné pour ce service n'avait insisté pour ne pas lui céder la place. IT amarra les rabans aussi bien qu'un matelot, et, voyant engager l'extrémité de ce cordage pour l'empécher de pendre, il en fit aussitôt autant à ceux dont il était chargé. Sa main se trouvant prise et serrée fortement entre la ralingue et la vergue, il la détacha sans crier, sans grimaces ni contor- sions; et lorsque le travail fut fini, les matelots se retirant, il déploya la supériorité qu'il avait sur eux en agilité, leur passa sur le corps à tous, et descendit en un elin d'œil. » Cet animal ne parvint pas jusqu'en Amérique ; il mouruk dans la traversée, victime de la brutalité du second capitaine qui l'avait injustement et durement maltraité. Cette intéressante créature subit la violence qu'on exercait contre elle avec une douceur et une résignation attendrissantes, tendant les mains d'un air suppliant pour obtenir que l’on cessät les coups dont on animaux vivent en pelile troupe dans le fond des forêts; ils savent fort bien se construire des cabanes de feuillage pour s'a- briter des ardeurs du soleil et de Ja pluie, Ils forment ainsi des sortes de petites bourgades, où ils se prêtent un mutuel secours pour éloigner de leur canton les hommes, les éléphants et les animaux féroces. Dans ces attaques, si l’un des leurs est blessé d’un coup de flèche ou de fusil, ses camarades retirent de la plaie , avec beaucoup d'adresse, le fer de la flèche ou la balle; puis ils pansent la blessure avec des herbes mâchées , et la ban- dent avec des lanières d’écorce. Mais ce qu'il y a de plus singulier dans ces animaux , ce qui, à mon avis, dénote chez eux une intelligence très-perfectionnée, c'est qu'ils donnent une sépulture à leurs morts. Ils étendent le cadavre dans une crevasse de la terre, et le recouvrent d'un épais amas de pierrailles, de feuilles, de branches et d’épines, pour empêcher les hyènes et les panthères d'aller le déterrer pendant la nuit. Certes, il y a dans ce fait quelque chose qui ap- proche bien d'une pensée. Les kimpézèys habitent leurs cabanes pendant les nuits ora- geuses et quand ils sont malades, car dans toute autre circons- tance ils dorment sur un arbre. La femelle a beaucoup de ten- dresse pour son petit; elle le caresse sans cesse et le tient propre avec beaucoup de soin. Elle le porte sur ses bras à la manière des nourrices quand elle n’a qu’une légère distance à parcourir, et s'il s'agit d'un long trajet, elle le place sur son dos, où il se cramponne avee les mains et les pieds, absolument à la manière 54 LES QUADRUMANES, , des négrillons. Elle y est beaucoup attachée et le garde avec elle longtemps encore après le sevrage; mais le mâle le chasse quand il est assez fort pour se défendre et assez intelligent pour savoir chercher et choisir ses aliments. Le mâle aime tendrement sa femelle. Si, étant avec elle, il est surpris par la présence inopinée d'un ou plusieurs hommes, il s’arme aussitôt de pierres, ou d’un bâton s’il se trouve une bran- che morte à sa portée; il se lève debout, s'arrête, et, dans cette attitude menacçante, il attend que sa femelle se soit éloignée pour fuir lui-même le danger. Deux de mes amis d'enfance, qui ont habité la Guinée, m'ont dit avoir été témoins de ce fait. Cependant, malgré ces apparences d'amour, le kimpézèy n'est pas toujours très-fidèle à sa femelle, et souvent il poursuit dans les bois des négresses qu'il enlève et porte dans sa cabane. «Les kimpézèys, dit M. de la Brosse (Voyage à la côte d'Angola), tâchent de surprendre des négresses , les gardent avec eux, et les nour- rissent très-bien. J'ai connu, ajoute-t-il, à Loango, une négresse qui était restée trois ans avec ces animaux. » Quelquefois c’est moins pour satisfaire la brutalité de leurs passions que pour se faire une société qui leur plaît, que les kimpézèys attaquent les jeunes négresses, qu'ils emportent sur les arbres et que l’on a beaucoup de peine à leur arracher. La preuve de cela est qu'ils enlèvent également les jeunes garçons, les conduisent dans leurs forêts, et les gardent sans autre but que de les avoir ayec eux. Battel nous apprend qu'un négrillon de sa suite ayant été em- mené par des kimpézèys, vécut douze à treize mois en leur société et revint très-content, gros et gras, en se louant beaucoup du traitement de ses ravisseurs. En faisant la plus large part à l'exagération des voyageurs, on trouvera encore que le kimpézèy est le plus intelligent des animaux, 5e GENRE. Les PONGOS (Pongo, Lacér.). Ce genre diffère de celui des orangs par l'angle facial, qui n’est que de trente degrés, et par les abajoues qu'il a dans la bouche. En outre, ses canines sont très-fortes; ses crêtes sourcilière, sagittale et occipitale, for- tement prononcées. Il a des sacs thyroïdiens au larynx; ses doigts de pied ne sont pas réunis comme ceux des siamangs. Le Poxco pe Wurwe (Pongo Wurmbii, Des. Le grand Orang- Houtan de quelques voyageurs.) Voici un animal dont l’histoire scientifique est fort singulière. zuffon, qui n’en avait aucune connaissance, a donné son nom à un être imaginaire qu'il croyait voisin du kimpézèy. Le savant G. Cuvier, qui probablement ne l'avait connu que par le mémoire de Wurmb, le retira de la famille des orangs pour le classer entre les mandrilles et les sapajous, place qui certainement ne lui convient pas. Desmarets en a fait un genre bien tranché, et voilà qu'aujourd'hui on ne vent même pas l’accepter comme es- pèce; j'ai été moi-même de cette dernière opinion pendant plu- sieurs années, et encore aujourd'hui je doute si réellement le pongo de Wurmb n'est pas un vieux orang-houtan. Sa taille est en effet à peu près celle des plus grands orangs, el atteindrait même celle de l'homme si on s’en rapportait aux voyageurs. Son corps est robuste, couvert de poils noirs; sa face est nue, d'un brun fauve ; son museau est très-proéminent, son nez plat, et ses yeux petits et saillants ; ses oreilles, plus petites que celles de l'homme, sont collées contre sa tête; ses bras, d'une longueur démesurée, lui descendent jusqu'aux malléoles; enfin sa poitrine et son ventre sont nus. Il habite Bornéo et Su- matra. Tous ces caractères peuvent également s'appliquer à l'orang-houtan, mais ce dernier manque d’abajoues et il a le foie comme l'homme, tandis que le pongo aurait, selon Desmarets et d’autres naturalistes, des abajoues, et, selon G. Cuvier, le foie divisé en plusieurs lobes ; dans le premier cas ce serait le dernier des anthropomorphes, dans le second on devrait le placer à la tèle des singes. Si le pongo est un vieil orang-houtan, son histoire offre une singularité unique parmi les animaux, et la voici : dans tous les êtres doués d'instinct ou d'intelligence, celte intelligence est comparativement très-faible dans le premier âge; elle se déve- loppe progressivement et n'atteint guère à toute son énergie que vers la fin du premier tiers de la vie. Elle se soutient ensuite jus- qu'à la décrépitude, et même, dans les animaux sauvages, jusqu'à la mort. Dans l’orang-houtan , il en serait tout autrement, en supposant qu'il devint un pongo dans sa vieillesse. Dans son enfance, il a le front grand, saillant, proéminent, et la tête arrondie comme celle de l'homme. Alors il est doux, posé, réfléchi, si je puis me servir de cette expression, et il semble tout à fait incapable de la pétulance et de la férocité de beaucoup de singes; il s’affectionne aux personnes qui le caressent et le nour- rissent, et, comme le chien, il est susceptible de recevoir une certaine éducation. Devenu adulte , c’est-à-dire lorsqu'il prend le nom de pongo, il s'opère chez lui une métamorphose étrange. Son angle facial, qui était ouvert à soixante-cinq degrés, s'allonge et se trouve réduit à cinquante; son front se rejette en arrière comme celui de ces idiots nommés crélins; sa Lète s’allonge vers son sommet et se rétréeit considérablement. Son museau s'ayance; sa face s'élargit prodigieusement par l'effet de deux grosses protubé- rances qui se développent entre les yeux et les oreilles, depuis la tempe jusqu’à la base des mâchoires ; enfin c'est une métamor- phose complète. L'intelligence éprouve la mème révolution. Les voyageurs épouyantés, qui le retrouvent dans les bois sous les noms de kukurlaco , de féfé, de golokk, tremblent à son appro- che; car ce n’est plus cet animal rempli de douceur et de gentil- lesse, mais un êlre farouche, indomptable, plein de courage et de férocité, sans cesse occupé à donner la chasse aux êtres plus faibles que lui, se nourrissant non-seulement de fruits, mais aussi de Ja chair des oiseaux qu'il surprend la nuit sur les arbres : c'est ee mystérieux et terrible homme nocturne qui poursuit les femmes, attaque les voyageurs, les assomme à coups de pierres ou de bâton, et les dévore; qui, enfin, porte l'épouvante avec lui. Tout cela est fort exagéré, comme on doit le croire; mais en adoucissant beaucoup ce portrait de mœurs sauvages, il n’y en aurait pas moins une métamorphose complète, car il est certain que le pongo de Wurmb est féroce, sauvage, courageux, et qu'il se défend avec un bâton quand il est attaqué par l'homme. D'ailleurs, ce qui peut encore ébranler l'opinion de ceux qui pensent que l'orang et le pongo sont identiques, c'est qu'aujour- d'hui on connaît deux espèces de ce dernier genre. Le Poxco p'Arez (Pongo Abelii, LEssox; Pongo Wurmbü, CL. Ame). M. Clarke Abel pense que cet animal est le véritable orang-houtan. I alteint six pieds cinq pouces; son museau est très-proéminent et son nez fort aplati; une épaisse crinière couvre sa tête; sa face est nue, mais une grosse moustache dé- borde sa lèvre supérieure, et une barbe touffue lui pend au men- ton; il est couvert de poils d’un roux foncé, passant en quelques endroits au rouge vif où au brun noir; il a la plante des pieds et la paume des mains brunâtres. L'individu qui a fourni cette description a été tué à Sumatra. Comme le précédent, il marchait debout avec facilité, courait avec vitesse, et grimpait sur les arbres avec une grande agilité. Du reste. il était robuste, et se défendit avec beaucoup de cou- rage. Il combattait encore ayant recu cinq balles dans le corps et plusieurs coups de lance. Enfin, affaibli par un vomissement de sang, il fit comme César, et, s'abandonnant à sa mauvaise for- tune , il se laissa tomber, mit les mains sur les profondes bles- sures d’où son sang s'échappait à flots, et, en expirant, jeta sur ses assaillants un regard si plein de supplication et de douleur, qu'ils en furent émus jusqu'aux larmes, et se repentirent d'avoir tué sans nécessité une créature si ressemblante à eux-mêmes. ANTHROPOMORPIIES, 56 mé Il paraît que cet animal n'habite pas ordinairement la côte de Sumatra où il fut rencontré; car les habitants, qui ne le recon- nurent pas, déclarèrent que, depuis quelque temps, ls enten- daient, pendant la nuit, des cris poussés par une voix étrange n'ayant rien d'analogue avec celle des animaux du pays. En outre, il avait les pieds couverts de boue jusqu'aux genoux, comme un homme qui viendrait de faire un long voyage. Sa force était si prodigieuse, que, mortellement blessé et ayant déjà perdu une partie de son sang, il brisait comme une paille le bois des lances dont on le frappait, I fut mesuré après sa mort, et on lui trouva, depuis le sommet de Ja tête jusqu'au talon, six pieds cinq pouces. 4° GENRE. Le SYNDACTYLE (Syndactylus). I a le mème carac- tère que les orangs, mais ses bras sont un peu plus longs, et il a de légères callosités aux fesses ; dans le mâle et la femelle, l'in- dex et le médium des pieds de derrière sont réunis jusqu'à la dernière phalange. Le SramaxG (Syndactylus siamang. — Hylobates syndactylus, Fr. Cuv. Pithecus syndactylus, DEsu. Simia syndactyla, RArrL.). Cet animal, qui habite les forêts de Sumatra, a le pelage lai- neux, épais, d'un noir foncé ; il a sous la gorge un grand espace nu. Il est lent, pesant, manque d'assurance quand il grimpe, et d'adresse quand il saute, Si on le rencontre à terre, un homme ua peu agile l’atteint aisément à la course et s'en empare sans qu'il cherche à se défendre. Son impuissance à fuir le danger ou à le repousser par la force l’a rendu très-défiant ; jamais sa vigi- lance ne s'endort. Comme il a l'ouïe très-fine, il entend à un mille de distance un bruit assez léger, et s'il lui est inconnu, il prend aussitôt la fuite. Sa taille est de deux pieds huit pouces. Les siamangs se réunissent en troupe nombreuse, et sont très- altachés à leurs petits. Si l'un tombe blessé mortellement par une balle, sa mère se laisse tomber près de lui en jetant des cris affreux , se roule de désespoir , et fait tout ce qu'elle peut pour rappeler son enfant à la vie; apercoit-elle l'ennemi qui a porté le coup fatal, elle se relève et se précipite sur lui en étendant les bras, ouvrant la gueule, et poussant des hurlements lamentables. Mais là se bornent ses efforts, ear elle ne sait ni mordre, ni frapper, ni parer les coups, et elle meurt victime innocente de l'amour maternel. Ce qu'il y a de fort singulier, e’est que les femelles ne portent sur leurs bras que les petites femelles, el que les mâles ne por- tent également que les petits de leur sexe. « Les soins que les femelles prennent de leurs enfants, dit M. Duvaucel, sont si ten- dres, si recherchés, qu'on serait tenté de les attribuer à un sen- timent raisonné. C’est un speelacle curieux, dont, à force de précautions, j'ai pu jouir quelquefois, que de voir ees femelles porter leurs petits à la rivière, les débarbouiller malgré leurs plaintes, les essuyer, les sécher, et donner à leur propreté un temps et des soins que, dans bien des cas, nos propres enfants pourraient envier. » Du reste, le siamang est peu intelligent, apathique, maladroit, mais fort doux. Huit jours après avoir été pris, il est anssi appri- voisé, aussi accoutumé à l'esclavage que s'il eût passé toute sa vie en domesticité. Pour cela il n’en est pas plus aimable, car il pa- rait aussi insensible aux bons traitements qu'aux mauvais, et, sans jamais chercher à faire du mal, il ne donne jamais non plus le moindre signe d'affection; la reconnaissance et la haine sont pour lui des passions tout à fait étrangères. La peur et la stupi- dité exercent sur lui un tel empire, que, dans les forêts, s’il ren- contre un tigre, loin de chercher à se sauver, il reste immobile comme une statue, se borne à jeter sur son ennemi un œil effaré, et cette fascination lui coûte la vie. Quand ces animaux voyagent, ils ont un chef qui marche à leur tête et conduit la troupe; comme c’est ordinairement le plus agile et le moins stupide, si la petite caravane fait une mau- vaise rencontre, il vient toujours à bout de se sauver; il en ré- sulte que les Malais croient ce chef invulnérable. Chaque matin, au soleil levant, les siamangs font retentir les bois de leur voix assourdissante, et ils en font autant quand le soleil se couche; aussi servent-ils d'horloge aux paysans en leur annonçant exac- tement l'heure du travail et celle du repos. D Gexre, Les GIBBONS (Hylobates, lurie.) né diffèrent des orangs que parce qu'ils ont des callosités aux fesses, et que leurs bras sont d'une longueur encore plus démesurée. Le Wouwou (Hylobates leuciscus, Lessons. Simia leuciscus, Sen, Le Gibbon cendré de Cuv. Le Moloch, Aun). Lors même que le wouvou marche à quatre pattes, il se tient toujours debout, car ses bras sont si énormément longs, que, dans celte dernière position, ses mains touchent à la terre, Sa taille atteint quelquefois quatre pieds (1,299) de hauteur ; son corps est couvert de poils laineux d'un gris cendré; ceux de la face sont très-noirs, et un cerele de poils gris, qui lui entoure le visage, lui donpe un air fort originel. , Cet animal vit dans les îles de la Sonde et dans les Moluques. IL est assez doux, quoique vif et capricieux. A l'état sauvage , il se plait sur le bord des eaux, dans les roseaux qu'il habite, Au- tant ses longs bras le rendent disgracieux qnand il est sur la terre, autant il est leste, agile et gracieux quand, s'élaneant sur la cime des plus hauts bambous, il s'y balance, et prend toutes les positions extraordinaires que lui permet la longueur de ses bras. Il n'est pas de saltimbanques plus amusants et qui inven tent des poses aussi singulières que cet animal. Dans le même genre se placent les trois espèces suivantes : Le Gigpox AGILE (Hylobates agilis, Fr. Cuv. Hylobates variega tus, Less. Le Wouwou de Fr. Cuv.). I habite les forêts de Suma- tra, où il est assez rare; il a le pelage brun, et jaune sur le dos: la face est d'un bleu noirâlre dans le mâle, brune dans la femelle, Il a sur les yeux un bandeau blanc qui descend de chaque côté et va s'unir à des favoris blanchâtres; son front est très-bas, et ses arcades orbitaires fort saillantes, Il a été découvert par MM. Diard et Duvaucel. La nature n'a pas doué cette espèce d'une grande intelligence, cependant en captivité elle est susceptible d'acquérir quelque éducation. Ce gibbon est quelquefois fort gai, et recherche les caresses de son maitre; il est toujours familier, curieux et gour- mand. Dans les bois, il vit par couple plus souvent qu'en famille, Il est d’une agilité surprenante, eb, quand il s'élance de branche en branche, il semble plutôt voler que sauter. Lorsqu'il est de- hout , il peut avoir trente et un à trente-deux pouces (0,839 à 0,907) de hauteur , et les doigts de ses bras touchent à terre, Le GienoN AUX MAINS BLANCUES (Hylobates lar, Lrss. Simia longimana, Seur. Le Gibbon, Burr. Le Gibbon noir, G. Cuv. Hylobates albimanus, Ts. Geore.) Celui-ci a les bras un peu moins longs que le wauwou : sa taille serait de plus de trois pieds (0,975) selon Buffon, qui en à vu un vivant, et ne serait communément que d'un pied lrois pouces (0,406) selon M. Lesson, qui me parail ici faire une erreur. Son corps est grêle, allongé, couvert de poils grossiers, longs et noirs, exceplé ceux qui en- tourent la face, qui sont gris; son nez est brun, plat; ses yeux sont grands, mais enfoncés:; ses oreilles arrondies, el bordées à peu près comme celles de l'homme. La plante des pieds et les ongles sont noirs. Celle espèce est de mœurs douces, d'un caractère tranquille, et ses mouvements ne sont ni trop brusques ni trop précipités, Dans la captivité, il prend assez doucement ce qu'on lui présente, et la nourriture qu'il paraît préférer est le pain, les fruits et le 56 LES QUADRUMANES. Jait. Louis Lecomte, cité par Buffon, dit avoir vu aux Moluques, | mement adroit, et encore plus agile. » A l'état sauvage, il se « une espèce de singe, l’ounko, marchant naturellement sur ses | nourrit exclusivement de fruits. Il habite les Moluques, la côte de deux pieds, se servant de ses bras comme un homme, le visage à | Coromandel, et la presqu'ile de Malaka. peu près comme celui d'un Hottentot, mais couvert d’une sorte de laine grise, se comportant comme un enfant , et exprimant parfaitement ses passions et ses appétits; il ajoute que ces singes sont d'un naturel très-doux; que, pour montrer leur affection Le Giggox varié ( Hylobales variegatus , Less.) n’est qu’une va- aux personnes qu'ils connaissent, ils les embrassent et les bai- | riété du précédent. Il ne s'en distingue guère que par sa taille sent avec des transports singuliers ; que l’un de ces singes, qu'il | d’un tiers plus petite, et par son pelage mélé de gris brun et de a vu, avait au moins quatre pieds de hauteur, et qu'il était extré- gris foncé. On le trouve également dans la presqu'île de Malaka. lt Li Galeries de géologie, de minéralogie et de botanique. SINGES. 51 LES SINGES. Ils ont le même nombre de dents que les anthropomorphes, dont quatre incisives à chaque mâchoire, deux canines et dix mo- laires; mais l'os hyoïde est en forme de bouclier ; le foie est di- visé en plusieurs lobes; le cæcum est gros, court et sans appen- dices. Ils ont une queue, quoiqu'elle soit réduite quelquefois à un simple tubercule rudimentaire; leurs fesses sont calleuses. Tous appartiennent à l'ancien continent. Ge Genre. Les GUENONS (Cercopithecus, Lixx.). Elles ont la tête ronde, le front rejeté en arrière, le nez plat et ouvert à la hau- teur des fosses nasales ; point de crêtes soureilières; l'angle facial ouvert à cinquante degrés ; l'oreille d’une grandeur moyenne; la queue plus longue que le corps. Toutes sont vives, capricieuses, et assez douces dans leur jeunesse ; mais elles deviennent mé- chantes en vieillissant. La Mone. La Moxe (Cercopithecus mona, GEorr. Simia mona et Simia monacha, Seur. La Mone, Burr. Cette jolie petite guenon a les lèvres et le nez couleur de chair; la face brune, avec un bandeau noir sur le front; la tête d'un vert doré en dessus, entourée de blanc; le dos et les flancs d’un brun vif et piqueté de noir; les membres noirs; le dessus de la queue d’un bleu ardoisé, et une tache blanche de chaque côté de la queue. Sa taille est d'environ dix-sept pouces (0,460) depuis le bout du museau jusqu’à l'origine de la queue : celle-ci a deux pieds (0,650) de longueur. La mone est une des guenons les plus communément apportées en France, et celle qui supporte le plus aisément les intempéries de notre climat, L'élégance dans les formes, la grâce dans les mouvements , la douceur dans le caractère, la finesse dans l’in- telligence, la pénétration dans le regard, tout ce qui, dans un animal de ce genre, peut le faire rechercher et inspirer pour lui de l'affection, la mone le possède. Quoique vive jusqu’à la pétu- lance , elle n'a pas de méchanceté et s'attache assez aisément à son maître. Elle est même susceptible d'une certaine éducation, si toutefois on s’en fait craindre assez pour la forcer à obéir. Contre l'habitude des autres singes, elle ne grimace jamais, et elle a dans les traits une certaine gravité pleine de douceur. Elle mange volontiers tout ce qu'on lui présente : de la viande cuite, du pain, des fruits et certains insectes ; elle est particulièrement friande de fourmis et d'araignées. Son adresse et son agilité sont extrêmes, et néanmoins tous ses mouvements sont doux. Elle a de la ténacité dans ses désirs, mais jamais ils ne la portent à la violence, et, lorsque, après avoir sollicité longtemps pour obtenir un objet qui lui plait, on persiste à le lui refuser, tout à coup elle cesse de demander, fait une gambade et parait n y plus pen- ser. Sa moralité n'est pas très-exemplaire sous le rapport du droit de propriété : elle a une telle tendance à la filouterie , qu'aucune correction ne peut vaincre ce penchant, Elle est fort habile à glisser doucement la main dans les poches de ceux qui la caressent, et cela avec une adresse qui ferait honneur au plus habile escamoteur. Pour s'emparer sans bruit des objets qu’elle convoite, pour voler quelques fruits ou quelques bonbons, elle sait fort bien tourner la clef d’une armoire, dénouer un paquet, ouvrir l'anneau d'une chaine. Un peu capricieuse et distraite, elle n’est pas toujours disposée à caresser son maître; cependant, quand rien ne la préoccupe et qu'elle est tranquille, elle répond avec grâce aux avances qu'on lui fait. Dans ce cas elle joue, elle prend les attitudes les plus aimables, mord légèrement, se presse contre la personne qu'elle aime , et fait entendre un petit cri fort doux qui est l'expression ordinaire de sa joie. En général, elle aime peu les personnes qui lui sont étrangères, et rarement elle manque de mordre celles qui sont assez hardies pour la toucher. Elle est sujelte aussi à prendre certaines gens en antipathie, et cela sans cause et pure- ment par caprice. La Diane, ou le Roloway. L Sa patrie est le nord de l'Afrique, et principalement la Barba- rie. Il parait qu'on la trouve aussi en Abyssinie, en Arabie, en Perse, et même dans quelques autres parties de l'Asie. Comme elle est assez timide, elle s'approche rarement des lieux habités et ne pénètre jamais dans les plantations. En temps de famine, c’est-à- dire quand les fruits deviennent rares dans les forêts, elle des- cend en troupes dans les plaines, et là, elle tourne et renverse toutes les pierres, aussi bien que pourrait le faire le plus ardent entomologiste, afin de collectionner les insectes qu’elle trouve dessous. Elle a, pour serrer sa collection, non pas une boîte à épingles, comme celle dont se servent les savants qui courent après les mouches, mais deux sacs très-commodes, dont la nature a fait toute la facon : je veux parler de ses abajoues. Ce sont deux poches membraneuses que la plupart des singes ont dans la bouche , une de chaque côté, sous les joues. La mone a ces poches tellement grandes, qu'elle pourrait y serrer des provi- 58 LES QUADRUMANES. sions pour deux jours : mais sa gourmandise est encore plus grande que ses abajoues, d'où il résulte qu'elle ne manque ja- mais de consommer en quelques heures, c’est-à-dire aussi vite que son estomac le lui permet, ce qu'elle aurait pu économiser si elle avait un peu de prévoyance. Rien n'est original comme sa figure lorsque ses poches rem- plies de provisions se distendent et lui gonflent les joues au point de Jui faire paraître la tête deux fois plus grosse que de coutume. En cet état elle ressemble assez bien à ces figures bouffies et joufflues par lesquelles les peintres anciens représentaient les vents. Alors la mone quitte sa troupe, et cherche un arbre isolé dans Je feuillage duquel elle puisse se cacher, car elle craint que ses camarades ne viennent mettre son magasin au pillage, en la battant pour la forcer à ouvrir Ja bouche, ce qui arrive quelque- fois. Au fond de sa cachette, très-tranquillement assise dans la bifurcation d'une branche, elle tire un à un de son sac les in- sectes qu'elle y a mis, les regarde avec un air de convoilise, les épluche avec ses petits doigts, leur arrache les ailes et les pattes qu'elle jette, puis y porte la dent, mais doucement et à plusieurs reprises, en gastronome qui à des principes; enfin elle les mange, et recommence la même opération jusqu'à ce que ses provisions soient épuisées. Alors seulement elle pense à rejoindre sa troupe. Tont près de la mone viennent se grouper les espèces dont nous allons parler. Le Paras ou SINGE ROUGE (Cercopithecus ruber, Grorr. Simia rubra, Gur. Le Patas, G. Cuv.). Cette guenon, assez commune au Sénégal, est longue de dix-huit pouces, non compris la queue. Son pelage est roux en dessus, cendré en dessous, ses oreilles sont noires ; sa face est couleur de chair, avec un bandeau noir sur les yeux, quelquefois surmonté de blanc. Elle est méchante, emportée, capricieuse et sans affection. La GUENON BLAXG-CENDRÉ (Cercopitheous albo-cinereus, Drsx.). Cette espèce habite Sumatra. Elle est grise en dessus, plus foncée sur les lombes; le dessous est blanc; sa queue est brune; ses pieds et ses mains sont nojrâfres ; elle a une ligne de poils roides et noirs en travers du front. Le Venyer (Cercopithecus pygerithræus, Desm, Cercopithecus pugerithrus. Fr, Guy), 1 est d'un gris verdâtre en dessus, blane en dessous; il a un cercle de roux autour de l'anus; son serotum est couleur de vert-de-gris, entouré d'un cercle de poils blancs; l'extrémité de sa queue est noire, Celle guenon est limide, fa- rouche, et vit, au eap de Bonne-Espérance, dans le fond des forêts les plus retirées, On ne la rencontre jamais à proximité des habitations. La GUENON A GROUPION BLANG (Cercopithecus leucoprymnus, Orro). On ignore la patrie de cette jolie espèce qui, par son défaut d'analogie dans les formes avec les autres guenons, de- vrait peut-être former un genre à part. Son corps est grêle, et son estomac est néanmoins d'une grandeur remarquable. Elle est brunâtre sur la nuque et le sommet de la tête; son dos, ses extrémités ef sa face sont noirs; elle a la gorge d'un blane cen- dré, le croupion et la queue d’un blane sale, Elle appartient au genre Semnopithecus. La GuENON DE DELALANDE (Cercopithecus pusillus, DEraL.) est d'un gris cendré uniforme , avec le bout de la queue noir; elle à de longs poils sur la nuque, le dos et les épaules ; sa gorge est grisâtre; le dedans des membres est d'un gris blanchâtre plus foncé; une tache d'un gris brun se prolonge de dessous le men- ton jusqu'à la gorge; ses sourcils sont noirs, surmontés d'un bandeau grisätre ; sa face et ses mains sont de couleur fanve. Elle a dix pouces (0,271) de longueur, non compris Ja queue. Elle a été trouvée au cap de Bonne-Espérance, aux environs de Goote- vis-River, au Keirkama, par M. Delalande, Je la crois le jeune âge du vervet, Le Hocurtr (Cercopithecus nictitans, Drsm. Simia nictitans, Guz. La Guenon à long nez proéminent, Burr. Le Hocheur, G. Cuv.). Cette guenon a trois pieds quatre pouces (1,085) de longueur, la queue comprise; son pelage est d'un noir intense, pointillé de gris verdâtre, avec les extrémités antérieures et la queue d’un noir foncé; son nez est large, mais proéminent, renfié, portant, vers la moitié inférieure, une tache blanche ar- rondie, Elle habite la Guinée, et paraît d’un caractère assez doux, La Diane (Cercopithecus Diana, Georr. Stmia Diana, Lan. La Diane, Fr. Cuvrer. Le Roloway, Burr.—G. Cuv. L'Erquima, Mar.). Celle jolie guenon a le dessus du corps d'un marron assez vif; les flancs d'un gris ardoisé, et une ligne de la même couleur lui lraverse obliquement les cuisses ; le dessus de sa tête est couvert de poils courts et noirs, avec un bandeau de poils roideset blancs ; son menton porte une petite barbe blanche. Du reste, son pelage varie en raison de l’âge, et le blane devient quelquefois jaunâtre. On trouve le roloway dans le Congo et la Guinée, où il habite en grandes troupes les forêts silencieuses. A l’état sauvage, il se nourrit de fruits, d'œufs d'oiseaux et d'insectes. Comme il s'ap- privoise très-aisément, les nègres lui font la chasse et le réduisent en captivité pour le vendre aux Européens qui font la traite sur la côte d'Afrique. Le caractère de celte petite guenon est fort doux ; elle s’affec- tionne à son maître, au point qu’elle le suit sans chercher à s'en- fuir, et qu'elle vient se faire prendre lorsqu'il l'appelle. Un de mes amis en possédait une extrêmement caressante, qui laccom- pagnait de la ville à une maison de campagne éloignée d'une lieue, Le chemin était hordé d'arbres, et comme elle était très- curieuse, elle grimpait sur tous sans en excepter un, Quand les arbres étaient trop rapprochés, elle s’élancait de l’un à l'autre avec une rapidité et une légèrelé sans exemple. Mais cette ma- nœuvre l'avait bientôt fatiguée, et alors elle montait sur le dos d'un épagneul qu'elle foreait à la porter. La première fois qu’elle s’avisa de faire sa monture de ce pauvre chien, il fut fort effrayé et voulut s'en débarrasser. Mais elle saisit ses longues touffes de poils avec ses quatre mains, et se eramponna de manière qu'il eut beau courir , sauter, tourner, elle ne désempara pas. Quand le chien se roulait sur terre où dans un fossé, d'un bond léger elle s’élançait à cinq ou six pas, s’asseyait et le regardait faire, puis, quand l'animal se relevait, d'un autre bond elle se replacçait sur son dos. Enfin, le chien, lassé d’une opposition inutile, prit son parti en braye, et depuis devint la monture obligée du roloway. Cetle guenon, loute bonne et toute caressante qu'elle était, ne laissait pas que d’avoir fréquemment des colères assez violentes , mais qui toujours naissaient de la peur. Par exemple, si elle cas- sait un verre où une porcelaine en les laissant tomber, aussitôt elle entrait dans une colère furieuse et poussait des cris aigus, dans attente d'une correction que le plus souvent elle ne rece- vail pas. Comme la mone, elle était un peu voleuse, et elle avait l'habi- tude d'aller cacher dans les lits, entre les draps, le fruit de ses larcins. Souvent elle entrait dans la basse-cour, se glissait dans le poulailler, prenait un œuf à chaque main, et se sauvail en mar- chant debout sur ses pieds de derrière. Dans celte position son attitude était fort grotesque. Elle avait un goût très-prononcé pour les œufs crus ; elle frappait doucement du bout sur le car- reau pour casser la coquille, avec son doigt elle agrandissait le trou, puis elle sucait toule la substance contenue dans la coquille, sans la casser davantage. Elle aimait beaucoup le café, et chaque fois qu'elle pouvait entrer furtivement à la cuisine, elle furetait dans toutes les cafetières pour manger le mare qui pouvait y être resté. Elle aimait les liqueurs fortes, non pour les boire, mais pour s’en parfumer tout le corps avec ses petites mains qu'elle trempait dans le vase. Du reste, elle mangeait de tout, de la viande cuite, du pain, des petits oiseaux crus, mais seulement quand on les lui donnait vivants, des fruits, des sucreries, des SINGES, 59 a — bonbons, ete. Elle se servait d'une pierre pour casser les noix et les amandes, et pour beaueoup de choses elle paraissait avoir assez d'intelligence. Cependant voiei un fait qui prouve combien elle avait peu de mémoire, et que la plupart de ses actions étaient irréfléchies, Lorsqu'on placait un flambeau sur la table, le soir, aussitôt elle s’en approchait, et, prenant la flamme de la bougie pour quelque chose de bon à manger, elle allongeait le museau et y portait la langue. Elle se brüûlait et poussait des cris affreux en se sauvant, mais cette expérience douloureuse était perdue pour elle , et le lendemain , quelquefois même une heure après, elle recom- mencait. Lorsque son maître l’acheta, cette petite bète était fort douce. Il l’a conservée pendant trois ans, et j'ai cru m apercevoir qu'à mesure qu'elle vieillissait, son caractère devenait plus méchant. Un pauvre chat de la maison était sa victime; elle le portait ou le trainait partout avec elle, le caressait et le battait dix fois par heure ; quelquefois elle lui remplissait la gueule de raisins ou de pommes, et, à force de coups, l'obligeait à avaler une nourriture qui ne lui convenait en aucune manière ; enfin elle le fit mourir de misère, et depuis lors on ne lui permit plus de s'emparer d'un autre. Du reste, tout ce que j'ai dit de la mone lui convient parfaite- ment, et ces deux animaux ont dans les mœurs et le caractère, ainsi que dans les formes, une très-grande analogie. La Guexox poRÉE (Cercopithecus auratus, Georr,) se trouve aux Moluques et peut-être aux Indes. Son pelage est d’un beau jaune doré, avec une tache noire aux genoux; de longs poils lui ombra- gent les joues, le front et les oreilles; sa queue est longue et mince. L'AscaenE ou BLaxc-Nez (Cercopithecus pelauvista, Des. Simia petaurista, Gur.. L'Ascagne, G. Cuv. Le Blane-Nes, Aupg,), Cette guenon est rousse en dessus, blanche en dessous, olivâtre sur les membres, qui sont gris en dedans ; ses oreilles sont très-grandes ; sa face est couverte de poils courts et noirs; la moitié de son nez est d'un blanc tranchant. L'ascagne se trouve en Barbarie. Ce singe est remarquable par l'honnêteté de ses penchants ; jamais on ne lui voit de ces accès dégoütants de lubricité si communs dans beaucoup d’autres espè- ces; on pourrait même regarder cette relenue comme une sorte de décence si l’on accordait ceile vertu aux animaux. Ses gestes sont pleins de grâce et de douceur, et cependant il est d'une vi- vacité si extraordinaire, que lorsqu'il s’élance d'un arbre à un autre il semble plutôt voler que sauter. En repos, son attilude favorite est fort singulière : assis, il s'appuie la tête dans une de ses mains de derrière, laisse errer au hasard son œil pensif, et reste ainsi fort longtemps, comme s'il était plongé dans une pro- fonde méditation. Qui sait? peut-être rève-t-il alors à la vallée dans laquelle il est né! peut-être son imagination le reporte- t-elle sous l'ombrage du baobab gigantesque où il aimait tant à jouer alors que, dans son enfance, sa mère dirigeait ses premiers bonds! ou peut-être encore, dans sa mélancolie, pense-t-il à la chaine qui l’attache à une terre étrangère? Quoi qu'il en soit, quand on a yu cette jolie petite créature dans l'attitude que je viens de décrire, il est difficile de croire que les animaux ne pen- sent pas. Malgré sa douceur et sa gentillesse, l'ascagne a aussi ses dé- fauts. Par exemple, il est très-vaniteux et n'aime pas qu'on le raille lorsque sa pétulance lui fait commettre une maladresse : dans ce cas il se met en fureur et pousse des cris aigus; mais sa colère n'est pas de longue durée et son bon caractère reprend bien vite le dessus: pour l’apaiser il ne lui faut qu'une caresse ou un bonbon, Il a la singulière habitude de rouler dans ses mains, ayant de le manger, tout ce qu’on lui donne, absolument comme font les pâtissiers pour allonger un morceau de pâte cylindrique. La GuENON couronxée (Cercopitheçgus pilealus, Georr.). On ignore sa patrie et ses mœurs, Des poils allongés lui recouvrent le front; son pelage est d'un brun fauve en dessus, qui s'éclaireit sur la surface interne des membres. Le Mousrac ( Cercopitheous cephus, Georr, Simia cephus, Lin, Le Moustac, Burr. —G.Cuv.).Il est d'Afrique et paraît assez com- mun sur la côte de Guinée, du moins si nous en croyons Buffon, Sa face est d'un noir bleuâtre ; il a sur la lèvre supérieure une ligne blanche ou d'un bleu pâle, en forme de chevron renversé, ce qui, joint à une toufle de poils jaunes au-devant de chaque oreille, lui donne une physionomie assez bizarre. Son pelage est d'un brun verdâtre, et sa queue, qui a vingt à vingt et un pouces de longueur {0,542 à 0,569), est brunâtre, avec l'extrémité d'un roux très-vif. L'individu de cette espèce qui a vécu à la ménagerie avait de la douceur, de la gentillesse ; il était susceptible d'affection. Le BarniQue ( Cercopithecus latibarbatus, Te. La Guenon à face pourpre, Bure.). Sa patrie et ses mœurs sont inconnues. Dans le jeune âge il est d'un gris brun-pâle assez uniforme , qui passe au noir quand il devient adulte ; sa face est d'un pourpre violet; de longs poils blancs, qui lui entourent le visage , lui forment comme une coiffure en ailes de pigeon. Sa queue est longue, terminée en pinceau. Le Tarapoin où MELARMINE (Cercopithecus talapoin, Grorr.). Buffon déerivit ce singe, et depuis lui on ne l'avait pas revu. Il en était résulté que les naturalistes crurent que Buffon s'était trompé, et qu'ils regardèrent le talapoin comme un jeune malbrouck, et quelques-uns pensent encore ainsi. Cependant Frédéric Cuvier fut assez heureux pour retrouver cette jolie espèce vivante, et ré- parer ainsi l’injure faite à Buffon. Le pelage de cet animal est olivâtre ou d'un vert jaunâtre en dessus, d’un blanc jaunâtre en dessous ; sa longueur, du bout du museau à l'origine de la queue, est d'environ un pied (0,225), et sa queue , qui est cendrée en dessoÿs , est longue de dix-huit pouces (0,487). Les mains , les oreilles et le nez, excepté à sa base, sont noirs : le dessus des paupières est blane, le dessous des yeux couleur d'ocre, le tour de Ja bouche couleur de chair. On eroit aujourd'hui que ce joli animal est d'Afrique, quoiqu'on ne l'y ait pas encore trouvé. Buffon le supposait de Siam et des autres parties de l'Asie orientale, parce qu'on le lui avait donné sous le nom de talapoin, que l’on sait être la qualification de cer- tains prèlres banians, et qu'il croyait le reconnaître dans ce pas- sage d’un voyageur : «Les singes de Guzarale sont d'un vert brun; ils ont la barbe et les sourcils longs et blancs : ces ani- maux, que les Banians laissent multiplier à l'infini par un prin- cipe de religion, sont si familiers, qu'ils entrent dans les maisons, à toute heure et en si grand nombre, que les marchands de fruits et de confitures ont beaucoup de peine à conserver leurs mar- chandises, » 7e Genre, Les COLOBES (Colobus, Georr,). Ils ont l'angle facial ouvert à quarante degrés ; leur museau est court et leur face nue: ils ont des abajoues; la main antérieure manque de pouce, et leur queue est longue, mince, floconneuse au bout ; leur corps est mince, et ils ont les jambes très-grêles. Le CoLoge À camaiL (Colobus polycomos, Gecrr. Simia polycomos, PExx.). Habite la Guinée et se trouve principalement à Sierra- Léone, où les nègres lui donnent le nom de roi des singes. C'est une jolie espèce dont les épaules, le cou et la têle sont recouverts d'une sorte de crinière en camail, jaune, mêlée de noir, et lui retombant sur les épaules ; le reste de son pelage est ras, très- court et d'un noir assez brillant: sa face est brune, et sa queue, plus longue que son corps, d'un blanc de neige. Ce colobe a trois pieds (0,975) de longueur compris la queue, Le Coro8e pe Burcor (Colobus Bullokii, — Colobus Temminckii , 60 LES QUADRUMANES. Nm pe _ EL EE _ EE EEE _ _ _-_-_ Kuur..) est un peu plus petit et n’atteint que deux pieds sept pou- ces (0,859), compris la queue. Son pelage est noir en dessus, ainsi que la face externe des cuisses et les épaules ; son ventre est d'un jaune roussâtre ; sa face , ses mains et sa queue sont d’un roux pourpre, plus clair sur les membres. Il habite la côte occidentale d'Afrique. 8° GENRE. Les LASIOPYGES ( Lasiopyga, Irc. ). Leur tête est arrondie et leur museau médiocrement allongé ; ils ont la queue longue; des abajoues; les pouces antérieurs très-courts et très- grèles; les mains plus longues que les avant-bras et les jambes; les fesses bordées de longs poils, mais sans callosités. Le premier et le seul singe de cette espèce qui ait été étudié en Europe, jusqu'au moment où M. G. Cuvier a publié la dernière édition de son Règne animal, consistait en une peau mal bourrée, déposée au Muséum d'histoire naturelle. Ce grand naturaliste pensait que les callosités avaient pu disparaître lors de l'empail- lage, et de là il doutait que ce genre fût bien fondé. D'autre part, M. Frédéric Cuvier, qui dit avoir vu plusieurs peaux envoyées de la Cochinchine, prétend leur avoir trouvé des callosités aux fesses. Si ce naturaliste ne s'est pas trompé, il faudra supprimer ce genre, et reporter cet animal au genre Semnopithecus. 9e Genre. Les NASIQUES (Nasaks, Grorr.). Ils ont tous les ca- Enclos du porc-épic, près des loges des animaux féroces. Le Douc (Lasiopyga nemœus, ue. Cercopithecus nemœus, Des. Simia nemœus, Lis. Le Douc, Burr. — G. Cuv. Semnopithecus ne- mœus, Less.) se fait remarquer entre tous les singes par la viva- cité et la disposition de ses couleurs. Le dos, les bras, le ventre et les flancs sont d’un gris verdâtre : le dessus de la tête est brun, avec un étroit bandeau d’un roux-marron ; les joues sont cou- vertes d'un poil très-long et blanchâtre: Ja face est en partie roussâtre ; les épaules sont noires ; les jambes d’un marron-roux très-vif, et la queue blanchâtre. Le douc ou dok, mots qui dans la langue de son pays signifient singe, n'a pas moins de trois pieds et demi à quatre pieds (1,137 à 1,299) de hauteur. Il habite la Cochinchine et, si l'on en croit les voyageurs , il marche aussi souvent sur deux pieds que sur quatre. Ils disent aussi que l’on trouve dans son estomac des bézoards dont la qualité est supérieure à ceux des chèvres et des gazelles ; mais comme on ne croit plus aujourd'hui aux ver- tus merveilleuses que les anciens attribuaient au bézoard. il en résulte que ceci est d’une très-minime importance. ractères des guenons, mais leur nez est saillant et démesurément long. Les oreilles sont petites et rondes; le corps trapu; les mains antérieures ont le pouce court; les pieds sont larges, avee des ongles épais ; leur queue est plus longue que le corps, et ils ont des callosités aux fesses. Le Kanau (Nasalis larvatus, Grorr. Simia nasica, Scur. Le Na- sique où Kahau, G. Guv. La Guenon à long nez, Burr.) se trouve dans l’île de Bornéo, et peut-être aussi dans la Cochinchine. Il est très-remarquable par la longueur de son nez; sa face estnue, noirâtre; il est couvert de poils courts, d'un fauve rousstre, plus brun sur les parties supérieures qui portent quelques taches jau- pätres. Il est à pen de chose près de la grandeur du douce. I n'existe pas de pays au monde plus riche en animaux singu- liers que celui habité par le kahau, et parmi ces animaux iln'en est point de plus extraordinaire que ce singe. Qu'on se figure un petit vieillard de trois pieds et demi (1,157) de hauteur, au dos voté, à la mine rechignée, joignant à la caducité de l’âge toute la viva- cité et la pétulance de la première jeunesse, et l'on aura déjà une SINGES. . légère esquisse de son portrait. Mais ce qu'il a de plus étrange, ce que l’on ne peut regarder sans rire ou sans être effrayé, c’est son nez prodigieux. Si on s'imagine une spatule échancrée, noire comme du charbon, longue de près de six pouces, placée sur son visage de manière à ôter à l'animal toute possibilité de saisir quelque chose avec sa bouche, on aura de sa grotesque figure une idée assez juste. Les nasiques sont capricieux, méchants, et ne s’habituent ja- mais bien à la servitude. Ils vivent en troupe dans les forêts et se plaisent à venir, chaque soir et chaque matin, faire une excursion de gambades sur les arbres qui ombragent les bords des grandes rivières. Là ils jouent, ils bondissent de branche en branche , se poursuivent les uns les autres, et se livrent à la joie la plus tu- multueuse. Ils accompagnent constamment leur jeu du cri kahau, kahau , d'où leur est venu leur nom. Mais ce tapage dont ils font retentir les forèts leur est quelquefois funeste, car il attire les chasseurs, et quelques coups de fusil ont bientôt fait cesser les bruyants plaisirs et mis la troupe en fuite. Cependant, s'il y en a quelques-uns de blessés, les autres ne les abandonnent pas, et ils tàchent de les emporter avec eux. Lorsque la présence des chasseurs les empêche d'accomplir cette œuvre d'amitié, les plus gros et les plus robustes de la bande restent en embuscade à quelque distance, et, cachés parmi les branches touffues, ils at- tendent patiemment que l'ennemi se soit retiré pour aller au se- cours de leurs frères. Ne les retrouvant plus sur la place, ils les cherchent pendant quelque temps, puis, si tous leurs soins sont inutiles, ils regagnent le fond de leurs forêts dans le silence de la tristesse. 10e Gexre. Les CERCOCEBES ({ Cercocebus, Georr.) ont la tète presque triangulaire et l'angle facial ouvert à quarante-cinq de- grés. Le front fuit en arrière, et le museau est un peu allongé; le nez est plat et haut, le bord postérieur de l'orbite de l'œil re- levé, échancré intérieurement; le pouce des mains est grèle, celui des pieds plus large et écarté ; la queue est plus longue que le corps, et ils ont sur les fesses de fortes callosités. Le CazuirricHe (Cercocebus sabœus. Less. Cercopithecus sabœus , Fr. Cuv. Simia sabæa, Lin. Le Singe vert , Briss. Le Callitriche, 61 Burr. — G. Cuv.). Il a le corps svelte, dégagé; son pelage est d’un vert olivâtre en dessus, et d’un blanc sale en dessous; sa tête est pyramidale; il a la face noire, ainsi que les oreilles et les mains; ses joues portent de longs poils jaunes, ainsi que le pin- ceau qui termine sa queue, ses sourcils et la couronne qui en- toure le scrotum ; celui-ci est verdâtre. Ses oreilles sont peu ar- rondies et s'allongent légèrement en pointe. Sa longueur, non compris la queue, est d'environ treize à quatorze pouces (0,352 à 0,579). Je le crois un cercopithèque. On en a eu plusieurs à la ménagerie. Une femelle était assez douce et aimait à se faire gratter par les personnes qu'elle con- naissait. Lorsqu'elle éprouvait du contentement , elle faisait en- tendre un petit grognement particulier assez doux, que l'on pourrait imiter en prolongeant l’r sur la syllabe grou. Un mâle était au contraire fort méchant, entrait en fureur à la moindre contrariété, el poussait alors un cri très-aigu. Cet animal silencieux vit en troupes nombreuses dans la Mau- ritanie , aux iles du cap Vert et au Sénégal. On ne sait de lui que ce qu'Adanson en rapporte.*« Les environs des bois de Podor, le long du fleuve Niger, sont, dit-il, remplis de singes verts. Je n'apereus ces singes que par les branches qu'ils cassaient au haut des arbres, d’où ils les jetaient sur moi, car ils étaient d’ailleurs fort silencieux, et si légers dans leurs gambades qu'il eût été dif- ficile de les entendre. Je n’allai pas plus loin et j'en tuai d’abord un, deux et même trois, sans que les autres parussent effrayés. Cependant, lorsque la plupart se sentirent blessés, ils com- mencèrent à se mettre à l'abri : les uns en se cachant derrière les grosses branches, les autres en descendant à terre; d’autres enfin, et c'élait le plus grand nombre, s'élançaient de la pointe d'un arbre sur la cime d'un autre. Pendant ce petit manége, je continuai toujours à tirer dessus, et j'en tuai jusqu'au nombre de vingt-rois en moins d'une heure, et dans un espace de vingt loises, Sans qu'aucun d'eux eût jeté un seul cri, quoiqu'ils se fus- sent plusieurs fois rassemblés par compagnie, en sourcillant, grincant des dents et faisant mine de vouloir m'attaquer. » L'espèce du callitriche est devenue très-nombreuse à l’île de France, où quelques colons l'ont introduite , au grand détriment des récoltes de bananes et de cannes à sucre. Le Mangabey sans collier. Le ManGagey saNs COLLIER (Cercocebus fuliginosus, Georr. Le Mangabey, Burr.). Buffon croyait que cet animal était de Madagascar, mais on sait aujourd'hui qu'il n'y a pas de singes dans cette ile, comme l'avait déjà dit Sonnerat, et que le mangabey est de la partie méridionale de l'Afrique. IL habite le Congo et la Côte-d'Or, et M. Lesson dit l'avoir vu à Cap-Coast. C’est une des espèces que l'on apporte le plus fréquemment en France, et qui supporte le 62 LES QUADRUMANES,. mieux notre climat. Sa couleur est d'un brun gris*ardoisé uni< forme et sans tache, mais plus pâle en dessous et passant même quelquefois au gris blanchâtre; ses mains sont noires; ses oreilles violâtres, Sa face varie beaucoup : quelquefois elle est d'une teinte livide très-foncée, d'autres fois cuivrée avec le museau noirâtre; mais Ie dessus des paupières est constamment blanc, Il est très-remarquable que cette espèce porte presque constam- ment sa queue entièrement renversée sur le dos. Les singes ont en général un caractère qui ést propre à chaque espèce, mais néanmoins ce caractère se modifie dans les individus de la même manière que dans les animaux domestiques, le chien, par exemple; et quelquefois ces nuances sont tellement pronon- cées que l’on à de la peine à en reconnaitre le type. C'est ainsi que la mone, si douce ordinairement, présente assez souvent des individus farouches, méchants et indomptables. Il n’en est pas ainsi du mangabey, ou du moins les exceptions sont beaucoup plus rares dans cette espèce que dans les autres. Tous ceux que j'ai vus en France avaient le plus heureux naturel; ils étaient doux, familiers, caressants, et sujets à prendre de l'attachement pour leur maître quand ils n'en étaient pas mal- traités, Il n’est pas de singes plus pétulants que ceux-ci; toujours en action, ils prennent toutes les attitudes et souvent les plus grotesques, « À la variété et à la vivacité de leurs mouvements, dit Frédéric Cuvier, on les croirait pourvus d'un plus grand nom- bre d'articulations que les autres quadrumanes et de plus de force musculaire, » Ce sont surtout les mâles qui se font remarquer par leur agilité; les femelles, plus calmes, sont aussi plus cares- santes. Les mangabeys sont grimaciers, mais dans deux circonstances seulement, quand ils sautent et quand ils sont en colère. Dans le prémier cas, ils relèvent les lèvres et font voir leurs incisives, de sorte que l’on croirait qu'ils rient ; dans le second, ils agitent les lèvtes avec rapidité, à la manière des mägots, comme sils par- laient avec vivacité et en injuriant; ils font alors entendre un pelit son de voix aigu et comme articulé. On ne peut appeler grimaces les jolies petites mines qu'ils font quelquefois pour exprimer leurs désirs. J'en avais un tellement doux et privé que je le laissais libre de courir dans toute la mai- son. Quand sa convyoilise était éveillée pour un fruit ou un bon- bon, il mettait son doigt index dans sa bouche, en appuyant le bout derrière ses incisives supérieures en tournant la paume de sa main en dehors, et restait dans cette gracieuse attitude jus- qu'à ce qu'on lui eût donné ce qu'il demandait avec un petit cri suppliant et répété heu! heul heu! Il était du reste fort caressant et répétait fort doucement ce cri quand on lui passait la main sui le dos, Il était fort peu capri- cieux, mais tièsvoleur, et il ne le cédait pas à la mone et au ro- loway pour l'adresse qu'il mettait à commettre ses larcins. J'en cilerai un exemple, Une femime de li cainpagné vint ün jour m'apporter uni pré- sent d'œufs frais, qu'elle avait déposés dans un panier à deux couvételes. Comme le panier renfermait, outre les œufs, quel- ques objets assez louids, elle l'appuya sur une table, sans l’ôter de son bras, ët, débout, elle se mit à me parler avec beaucoup d'attention. Quand elle eut fini, elle m'annonct ses œufs frais, relira le panier de son bras, l’ouvrit, et... jugez de son étonne- ment quand elle n’y trouva plus rien! Je m'amusai un moment de sa surprise et de sa confusion, puis je la tirai d’embarras en soulevant l'oreiller d'un vieux sofa, et lui montrant ses œufs dessous, car j'avais vu la manœuvre de Jacquot, nom que portait mon mangabey. La bonne femme, en entrant, n'avait pas aperei le petit ani- Mal : celui-ci avait profité de son incognito pour se glisser der- rière elle, monter sur la table, ouvrir le panier sans bruit, y mettre la main avec autant d'adresse que de précaution pour n'être pas surpris en flagrant délit, enlever deux œufs, un dans chaque main, les porter sous le coussin du sofa , et recommencer celle manœuvre jusqu'à ce qu'il les eût tous volés. Jacquot s'a- percevait bien que je le suivais des yeux ; aussi de temps à autre il s'interrompait et me jetait un regard suppliant pour me met- ie dans sa complicité, Il erut probablement y avoir réussi, car il entra dans une colère terrible quand je révélai son larcin, et surtout sa cachette. Dans sa fureur, il se jela, non pas sur moi ni sur la bonne femme, qui ne s'était apercue absolument de rien, mais sur les œufs ; il en saisit deux et se sauya debout à toutes jambes. J'ai conservé ce charmant animal pendant deux ans, sans que jamais le climat ait paru l'incommoder beaucoup. L'hiver il quit- tait rarement le coin de la cheminée, eb il se chauffait les quatre mains à la fois en toufnant la paume vers la flamme. J'avais un bon vieux chieñ anquel j'accordais le privilége de se coucher au- près du feu, à cause de sa fidélité et des anciens services qu'il m'avait rendus à là chasse. La place favoiite de Jacquot était entre les quatre pattes de ce vieux serviteur, qui, avec beaucoup d'indulgence , le souffrait couché le long de lui. Du reste, ces deux animaux vivaient dans la meilleure intelligence. Mon singe mourut empoisonné par accident. Le MANGABEY À COLLIER (Cercocebus œæthiops, Grorr. Cercopithe- cus tthiopicus, Fr. Cuv. Simia œthiops, Lix. Mangabey à collier, G. CUv.). Il à toutes les parties supérieures du corps d'un beau gris d’ardoise, où d’un roux vineux, changeant en roux ou en brun marron sur le sommet de la tête ; ses paupières supérieures sont blanches ; un bandeau blanc voile le dessus de ses yeux, et descend sur les côtés du cou. Du reste, pour les mœurs et le ca- ractère, ilne diffère pas du précédent, aux grimaces près, qu'il fait par un mouvement de lèvres qu'il relève en montrant les dents, manière qui lui est propre. Il se trouve dans l'Afrique occidentale, au sud du cap Vert. Le Matenouck (Cercocebus malbrouck , Georr. Cercopithecus cy= nosurus, DESM. Simia faunus, GueL. Simia cynosuros, Scur. Le Malbrouck, G. Gov.). Ce singe est remarquable par l'extensibilité de ses lèvres. Il est d’un gris verdâtre en dessus, blanchâtre en dessous, gris sur les membres et la queue ; son front porte un bandeau blanc: sa face est couleur de chair; les poils de ses joues sont très-longs et rejetés en arrière. Il a un pied (0,525) de longueur du bout du museau à la naissance de la queue. La ménagerie à possédé un grand nombre de malbroucks. «Il n'est point d'animaux plus agiles, dit Frédéric Cuvier ; ils s’élan- cent, en faisant plusieurs tours, comme en volant, couchés sur le côté, et ne se soutenant ainsi en l'air que par l'impulsion qu'ils se donnent en frappant de leurs pieds les parois de leur cage. Ces malbroucks faisaient rarement entendre leur voix, qui ne fut jamais qu'un cri aigre et faible, ou bien un grognement sourd. Les mâles, dans leur jeunesse, étaient assez dociles ; mais dès que l'âge adulte arrivait, ils devénaient méchants, même pour ceux qui les soignaient, Les femelles restaient plus douces, et parais- saient seules susceptibles d'attachement. Cependant les mal- broucks sont excessivement irritables ; mais si d'un côté ils sont violemment poussés par leurs penchants, de l’autre ils caleulent tous leurs mouvements avec soin; et lorsqu'ils attaquent, c'est toujours traitreusement par derrière, et lorsqu'on n'est point occupé d'eux : alors ils se précipitent sur vous, vous blessent de leurs dents ou de leurs ongles, et s’élancent aussitôt pour se meltre hors de votre porlée, mais sans cependant vous perdre de vue, et cela autant pour saisir le moment fayorable à une nouvelle attaque que pour se soustraire à votre vengeance. L’ex- trème irritabilité du malbrouck est cause qu'on ne peut ni l'ap- privoiser entièrement, ni lui faire supporter de contrainte ; c’est- à-dire qu'il n’est susceptible d'aucune éducation que celle de la nature. Dès qu'on le violente et qu'on veut qu'il obéisse, sa pé- —_ SINGES 63 ” tulance cesse, il devient triste, taciturne, et bientôt après il meurt. » Cette espèce habite le Bengale, et les Indous ont une grande vénéralion pour elle, parce qu'ils croient que l'âme de leurs sages, de leurs philosophes, de leurs grands hommes, passe dans le corps d'un de ces animaux après la mort. Aussi dons Amada- bad , capitale de Guzarate, ont-ils construit deux où trois hôpi- taux qui leur sont entièrement consacrés. Là on nourrit et soigne non-seulement les singes invalides ou estropiés, mais encore ceux qui , sans être malades , veulent y demeurer , et il paraît que la gourmandise et la paresse y en attirent bon nombre, « Deux fois par semaine, les singes du voisinage de cette ville, si l’on en croit Buffon, se rendent d'eux-mêmes tous ensemble dans les rues; ensuite ils montent sur les maisons qui ont cha- cune une petite terrasse où l'on va coucher pendant les grandes chaleurs. On ne manque pas de mettre ces jours-là sui ces ter- rasses du riz, du millet, des cannes à sucre dans la saison, et autres choses semblables; car si par hasard les singes ne trou- vaient pas les provisions auxquelles on les a accoutumiés, ils rom- praient les tuiles dont la maison est couverte, et feraient tin grand désordre. Ils ne mangent rien sans l'avoir bien flairé au- paravant, et lorsqu'ils sont repus, ils remplissent pour le lende- main les poches de leurs joues. » Si ces faits, que je rapporte textuellement, ne prouvent pas grand'chose dans l'histoire du malbrouck , ils prouvent au moins, par l'exemple de Buffon, qu'une grande crédulité peut s’allier à un grand génie. Les malbroucks, à l'état sauvage, sont d'habiles pillards , très- dangereux pour les vergers et les champs de cannes à sucre. « L'un d'eux, dit Inigo de Piervillas, fait sentinelle sur un arbre pendant que les autres se chargent de butin ; s'il apercoit quel- qu'un, il crie houp, houp, houp, d'une voix haule et distincte; au moment de l'avis, tous jettent les cannes qu'ils tenaient de la main gauche, et s’enfuient en courant à trois pieds; s'ils sont vi- vement poursuivis, ils jettent encore ce qu'ils tenaient dans la main droite, et se sauvent en grimpant sur les arbres, qui sont leur demeure ordinaire. Ils sautent d'arbre en arbre ; les femelles mêmes, chargées de leurs pelits qui les tiennent étroitement embrassées, saulent aussi comme les autres, mais tombent quel- quefois. Lorsque les fruits et les plantes succulentes leur man- quent , ils mangent des insectes, et quelquefois ils descendent sur le bord des fleuves et de la mer pour attraper des poissons et des crabes. » Jusque-là l’auteur reste dans le vraisemblable, et il est permis de le croire; mais ce qui suit me parait tomber un peu dans ce merveilleux dont les anciens voyageurs aimaient tant à broder leurs narrations, « Ils mettent leur queue entre les pinces du crabe, ajoute-til, et dès qu'elles serrent, ils l’enlèvent brusque- ment et l'emportent pour le manger à leur aise. Ils cueillent des noix de coco et savent fort bien en lirer la liqueur pour la boire et le noyau pour le manger, On les prend par le moyen de noix de coco, où l’on fait une pelile ouverture; ils y fourrent la patte avec peine parce que l'ouverture est étroite, et les gens qui sont à l'affût les prennent avant qu'ils puissent se dégager. » Une des choses de ce récit qui n'est pas la moins admirable, est la naïvelé avec laquelle Buffon le rapporte. Les malbroucks sont grands dénicheurs d'oiseaux, aussi a-t-on remarqué que parlout où les premiers abondent, les derniers sont fort rares. Îls ne craignent ni le tigre, ni les autres bêtes fé- roces, mais ils ont un ennemi bien plus terrible et bien plus dan- gereux, qui va les saisir sans bruit, pendant la nuit, jusque sur la cime des arbres les plus élevés. Cet ennemi redoutable n’est autre qu'une sorte de très-grand serpent, probablement un boa, qui les avale d'un seul coup et s'occupe jour et nuit à leur faire la chasse. Le Gniver (Cercocebus griseo-viridis, Desw. Cercopithecus griseus, Fr. Cuy.). Cette espèce a beaucoup d’analogie avec le callitriche, le vervet et le malbrouck : il a la tête de moins en longueur que ce dernier, et son scrotum, d'un vert cuivré et non bleu, est en- touré de poils blanes ; sa couleur est d'un vert grisâtre. Le ban- deau blanc de ses yeux, ses favoris blancs et sa queue grise jus- qu'à l'extrémité, le différencient du callitriche. Sa fase est d'un noit violâtre, et le tour des yeux d'une couleur de chair livide. Il est de la Nubie, et d'autres parties de l'Afrique. Un mâle et une femelle de cette espèce ont vécu à la ménage- rie. Le premier, assez doux dans sa jeunesse, était devenu mé- chant en vieillissant, La femelle était douce, caressante jusqu'à l'importunité, mais excessivement jalouse de toutes les personnes qui approchaient son mallre. Du reste, tous les singes ont plus où moins ce défaut, « Ces animaux (les singes en général) sont très-susceptibles de jalousie, dit Fr, Cuvier, ou plutôt d'un sentiment qui a l'appa- rence extérieure dé cette passion, car elle ne peut pas exister chez les animaux avec les mêmes caractères que chez l'homme ; mais ils l'expriment indépendamment de tout rapport de sexe. Lorsqu'un singe femelle est attaché à sa maitresse , il témoigne indifféremment aux hommes et aux femmes son espèce de ja- lousie; et s'il en est quelquefois arrivé autrement, cela a tenu sûrement à des circonstances fortuites qui n'ont point été appré- ciées, » J'ai la conviction que Fr. Cuvier se trompe, et s’il ne s’é- tait pas réfuté lui-même dans plusieurs parties de ses ouvrages, et particulièrement dans son article du mandrill, j'essayerais de le faire ici. L'erreur de ce naturaliste provient sans doute de ce qu'il n'a trop souvent étudié que les animaux vivant dans les cages de la ménagerie, et dont l'instinct s’est abruti par un dur esclavage. J'ai été à mème d'observer plusieurs fois des singes élevés avec douceur et parfaitement apprivoisés, conditions qui sont indis- peusables si l’on veut juger avec quelque certitude de leur carac- ère; mais pat un hasard fort singulier, tous étaient des mâles. Je leur ai reconnu non-seulement une jalousie furieuse contre les hommes, mais encore une prédilection tout aussi remarquable pour les femmes, prédilection souvent poussée jusqu'à l'indé- cence. Ainsi donc , abstraction faite de tout esprit de système, j'ai l'intime conviction que les sexes ont, chez les animaux, une influence marquée sur leur manière d'être avec notre espèce. Je ne puis ni ne dois, dans cet ouvrage, donner plus d'extension à cette pensée, 64 LES QUADRUMANES. L'Houlman ou Entelle, 11e Genre. Les SEMNOPITHÈQUES (Semnopithecus, Fr. Cuv.). Comme les précédents, ils ont trente-deux dents, mais leurs ca- nines sont beaucoup plus longues que leurs incisives; leur tête est ronde, à angle facial plus ouvert que celui des orangs. Ils ont la face plane , les membres très-longs relativement aux autres dimensions du corps ; leurs pouces antérieurs sont très-courts ; ils ont des abajoues , des callosités aux fesses, la queue excessi- vement longue et très-mince. L'HouLman ou ENTELLE (Semnopithecus entellus, Fr. Cuv. Cerco- pithecus entellus, Desm. — Georr. Simia entellus, Durr. Entelle, G. Cuv.). Cette espèce varie beaucoup de couleur à raison de l’âge. Son menton est garni d'une petite barbe jaunâtre, et sa gorge est nue. Son pelage est d’un blond grisâtre, mélangé de poils noirs sur le dos et sur les membres, et de poils d’un fauve pres- que orangé sur les côtés de la poitrine; les mains et la face sont noires, et la queue presque noire, terminée par une touffe; les poils de la tête sont plus roux que les autres et forment un cerele en divergeant du point qui leur donne naissance. Dans sa jeu- nesse, son pelage est presque entièrement blanchâtre ou d’un blanc roux, et sa queue est d'un gris roussâtre. Il a un pied cinq pouces (0,460) de longueur, non compris la queue. L'houlman habite le Bengale. Il offre un exemple de la singu- lière mélamorphose dont nous avons parlé à l’article du pongo. Pendant sa première jeunesse , il a le museau très-peu saillant, le front assez large, le crâne élevé et arrondi. Alors cet animal jouit de facultés intellectuelles très-étendues; il a une étonnante pénétration pour juger de ce qui peut lui être agréable ou nui- sible ; il s’'apprivoise aisément, est assez doux, s'attache jusqu’à un certain point à son maitre, et n’emploie que la ruse ou l'a- dresse pour se procurer ce qu'il désire. A mesure qu'il devient vieux, c’est tout autre chose; son front s'oblitère, son museau acquiert une proéminence considérable, et son crâne diminue beaucoup de capacité. Ses qualités morales se dégradent dans la mème proportion; l’apathie remplace la pénétration ; il cherche la solitude; il emploie la force à la place de la ruse, et nne méchanceté féroce, une colère poussée jusqu'à la fureur, sont excitées par la plus légère contrariété. Plus tard il faut le charger de chaines, où le renfermer dans une cage de fer, dont sa plus grande occupation est de secouer Les barreaux avec rage. Ce portrait vrai n’est pas séduisant, et cependant les Indous ont déifié cet animal, auquel ils assignent une assez bonne place parmi leurs trente millions de divinités. Nous citerons ici ce qu’en a écrit M. Duvaucel. « Quelque zèle que j'aie mis dans mes recherches et mes pour- suites, elles sont toujours restées infructueuses, à cause des soins empressés qu'ont mis les Bengalais à m'empêcher de tuer une bête aussi respectable. Les Indous chassaient le singe aussitôt qu'ils voyaient mon fusil; et pendant plus d’un mois qu'ont sé— journé à Chandernagor sept ou huit houlmans qui venaient jus- que dans les maisons saisir les offrandes des fils de Brama, mon jardin s’est trouvé entouré d’une garde de pieux brames, qui jouaient du tam-tam pour écarter le dieu quand il venait manger mes fruits. Ce que je sais de mieux sur cette espèce, c'est son his- toire mythologique, mais il serait trop long de la rapporter ici. Je dirai seulement que l’houlman est un héros célèbre par sa force, son esprit et son agilité, dans le recueil volumineux des mystères du peuple indou. On Jui doit ici un des fruits les plus estimés, la mangue, qu'il vola dans les jardins d’un fameux géant établi à Ceylan. C'est en punition de ce vol qu'il fut condamné au feu, et c’est en éteignant ce feu qu’il se brüla le visage et les mains, restés noirs depuis ce temps-là. » Je suis entré à Goutipara (lieu saint habité par des brames ), et j'ai vu les arbres couverts de houlmans à longue quene, qui se sont mis à fuir en poussant des cris affreux. Les Indous, en voyant mon fusil, ont deviné, aussi bien que les singes, le sujet de ma visite, et douze d’entre eux sont venus au-devant de moi pour m'apprendre le danger que je courais en tirant sur des animaux qui n'étaient rien moins que des princes métamorpho- sés. d’allais passer outre, lorsque je rencontrai sur ma route une de ces princesses, si séduisante, que je ne pus résister au désir de la considérer de plus près. Je lui JAchai un coup de fusil, et je fus témoin alors d'un trait vraiment touchant : la pauvre bête, qui portait un jeune singe sur son dos, fut atteinte près du cœur; elle se sentit mortellement blessée, et, réunissant toutes ses forces, elle saisit son petit, l’accrocha à une branche, et tomba morte à mes pieds. Un trait si touchant d'amour maternel m'a SINGES. 65 fait plus d'impression que tous les discours des brahmes , et le plaisir d’avoir un bel animal n'a pu l'emporter cette fois sur le regret d’avoir tué un être qui semblait tenir à la vie par ce quil y a de plus respectable. » Le Lourou (Semnopithecus maurus et le Tchincou, Fr. Cuv. Cer- copithecus maurus, DEsu. Simia cristata, RaArFL. Simia maura, LEA DES F \ \ il Cr Le Tscnixcou ou Tscuix-coo (Semnopithecus pruinosus, DEsx.) me parait si ressemblant au précédent, surtout à la gravure que M. Fr. Cuvier en a donnée, que je le soupçonne beaucoup n'être qu'une variété de la même espèce. Son pelage est noirâtre, glacé de blanc, sans tache blanche à l’origine de la queue, qui est brune. Ses mains sont noires. On le trouve à Sumatra, mais on ne connaît pas ses mœurs VALLE ASE, RS Re 2E6T Forêt vierge de 1 Amérique du Bu. Lin). Ce singe a deux pieds de longueur (0,650) non compris la queue, qui a deux pieds et demi (0,812). Ses formes sont grêles, ses membres allongés; son pelage est entièrement noir, excepté une tache blanche en dessous, à l’origine de la queue, et quel- ques poils de la même couleur près de la bouche; les mains sont noires; les oreilles et la face sont nues. Dans le jeune âge il est fauve ou d'un brun rougeàtre. IL est le Java, et ses habitudes sont inconnues. 45. Le Ciepayxe ou Siipaï (Semnopithecus melanophos, FR. Cuy. Si- mia melanophos, Rare.) a un pied six pouces (0,487) de longueur, non compris la queue. Son pelage est d’un fauve roux brillant, soyeux en dessus, blanchâtre en dessous; il a une aigrette de poils noirs en forme de bandeau; la face bleue; les lèvres et le menton couleur de chair. Il habite Sumatra et les îles de la Sonde; on ne sait rien de son histoire. Le Croo ou Crou (Semnopithecus comatus, DESM. — Fr. Cuv.). Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36 5 66 LES QUADRUMANES. ———————————_———_—_—_—_—_—_—_—_ EE —_—]]— — — —" — —— — — —— ——"—" — —" ——" — ——".]. "Ze Le nom de cet animal lui vient de son cri ; le dessus de son corps et la face extérieure de ses membres sont gris; sa tête est cou- verte en dessus de poils noirs, formant une sorte d'aigrette vers l'occiput; le dessous du corps et des membres est d’un blanc sale : sa queue est blanche en dessous, grise en dessus, et terminée par des poils blancs. Le nomenclateur Temminck pense qu’on doit rapporter cette espèce au presbytis mitrata d'Escholtz. Il est de Sumatra et de Java, où les habitants le nomment quelquefois erro ; c’est tout ce qu'on sait de son histoire. Le Souricr (Semnopithecus fulvo-griseus, Des.) est d’un gris fauve passant au brun sur les épaules et le bas des quatre mem- bres; les quatre mains sont noires, le visage tanné; les favoris, la gorge et le menton d'un gris blanchâtre sale: la queue est d'un quart plus longue que le corps; les doigts sont très-longs, très-grèles, à phalanges arquées. Les canines supérieures sont très-grandes et creusées d'un profond sillon sur la face anté- rieure, Il habite Java. Je crois que cette espèce fait double emploi avec la guenon à croupion blanc, page 58, qui me semble appar- tenir à ce genre. 12° Genre. Les MACAQUES (Macacus, Lacer.), Leur angle fa- cial est ouvert à quarante où quarante-cinq degrés; ils ont des crèles sourcilières et occipitales très-prononcées; des abajoues, des callosités aux fesses, et uné queue plus ou moins longue; ils ont trente-deux dents, dont la dernière mâchelière inférieure à talon, ce qui les distingue des guenons, et ils diffèrent des sem- nopithèques par de très-grandes abajoues. Le MACAQUE roQuE (Macacus radiatus, Desm, — Fr. Cuv. Cer- cocebus radiatus, Grorr, Le Bonnet chinois, Burr, Voir notre gra- vure du Chacma, où il est représenté), Ce singe a une grande ressemblance avec le bonnet chinois, dont il n’est peut-être, quoi qu'en disent les naturalistes, qu’une simple variété. Son pelage est d’un brun verdâtre en dessus , et d’un cendré clair en dessous; les poils du dessus de la tête sont divergents et lui for- ment une sorte de calotte, mais bien moins prononcée ; il a le museau plus mince et plus étroit que tous les autres macaques, la face et les oreilles d’une couleur de chair livide, et les mains violâtres, Sa queue est un peu plus longue que son corps. Le toque habite l'Inde et se trouve principalement sur la côte de Malabar, où il jouit des mêmes priviléges que l’houlman au Bengale. I est défendu aux naturels de le tuer, sous quelque prétexte que ce soit, et sous des peines très-séyères. S'il arrive à un Européen de commettre ce crime épouvantable, il n'est pas soumis aux peines prononcées contre les indigènes, et cela parce qu'il serait diflicile de les lui faire appliquer; mais les brames sont parfaitement convaineus qu’un des dix ou douze dieux singes qui figurent dans leur théogonie ne Manquera pas de le Én mourir dans l’année pour venger son représentant sur la terre, Îl'en résulte que le macaque toque a ses coudées franches dans celte partie de l'Asie, et, comme dit le naïf voyageur Pyrard, ‘ces singes Sont Si importuns, si fâcheux, et en si grand nombre, qu ils causent beaucoup de dommage, et que les habitants des villes et des campagnes sont obligés de mettre des treillis à leurs fenêtres pour les empêcher d'entrer dans leurs maisons. » Nous n'avons, au moins à ma connaissance, aucun renseigne- ment de date récente sur cette espèce, el ceux que nous AC dans les voyageurs anciens sont assez confis. Néanmoins il pa- rail que le macaque toque est d'un caractère capricieux et mé- chant, au Moins quand il à atteint un certain âge, el qu'il se livre habituellement au pillage des vergers et des plantations de cannes à sucre, Il aime beaucoup la séve du palmier, dont on prépare, dans l'Inde, une liqueur fermentée nommée zari. 11 se met en embuscade et observe les Indous qui vont percer les palmiers et poser dans la plaie de l'arbre une cannelle de bambou par la- quelle la séve qui s'échappe doit être conduite dans un vase, Ce Maicieux animal, aussitôt qu'il voit l'Indou parti, sort de sa ca- chette, grimpe sur le palmier, et boit la séve à mesure qu'elle coule du trone. Il arrive parfois, dit-on, que cette liqueur l'en- ivre ; alors il ne sait plus ce qu'il fait, et on le prend aisément. Toutes ces anciennes observations ont besoin d'être confirmées ‘de nouveau, Le Bonxer cminots (Macacus sinicus, Fr. Cuv. Simia sinica, Gt. Le Bonnet chinois, G. Cuv.— Burr. La Guenon couronnée). Son corps est grêle; son pelage est d’un brun marron ou d'un fauve brillant doré en dessus; sa queue est un peu plus brune; sa poi- trine, son ventre, ses favoris, le dessous de son cou et la face interne de ses membres sont blanchâtres; ses mains, ses pieds et ses oreilles noirâtres; sa face est couleur de chair. Les poils qui couvrent sa tête sont, comme dans le précédent, disposés en rayons divergents d’un point central, mais plus longs. Ce singe habite le Bengale, et son histoire est absolument la même que celle du macaque toque, Le MAGAQUE À FACE Noire (Macacus carbonarius, Fr. Cuv.) a la plus grande analogie avee le macaque ordinaire et n’en diffère essentiellement que par sa face, qui est noire au lieu d’être tan- née. Son pelage est d’un vert grisâtre en dessus; les favoris, les joues et tout le dessous sont gris; il a sur les yeux un bandeau noir, étroit, et les paupières supérieures sont blanches. On le 'ouve à Sumatra. Le MAGAQUE À FAGE ROUGE (Macacus speciosus, Fr. Cuv.) a le pe- lage d'un gris vineux en dessus, d'un blanc grisâtre en dessous ; sa face est d’un rouge pourpre et non vermillonné, entourée d'un cerele de poils noirs; sa queue est très-courte , presque ca- chée par les poils; ses ongles sont noirs. Il est des Indes orien- tales, Peut-êlre faudrait-il reporter cette espèce au genre suivant. Le Ruësus (Macacus erythrœus, Fr. Cuv. Macacus rhesus, DESM. Le Rhésus, Aubes. — G. Cuv. Le Patas à queue courte et le Maca- que à queue courte, Burr.). Il ne faut pas confondre cette espèce, comme l'ont fait M, Lesson et quelques autres naturalistes, avec le maimon de Buffon. Son pelage est d’un beau gris verdâtre en dessus, gris sur les bras et les jambes, plus jaune sur les cuisses ; gorge, cou, poitrine, ventre et face interne des membres d’un blanc pur; queue verdâtre en dessus, grise en dessous; face, oreilles et mains d’une teinte cuivrée très-claire ; fesses d’un rouge très-vif, cette couleur s'étendant un peu sur les cuisses, sur la croupe et sur la queue. Sa longueur est de onze à douze pouces (0,298 à 0,325) de l’occiput à l’origine de la queue, et cette der- nière est longue de près de six pouces (0,162). Le mäle est un peu plus grand, et ses favoris sont plus touffus. Cet animal se trouve dans les forêts de l'Inde. Le rhésus habite les bords du Gange, où il est en grande véné- ration. Encouragé par la répugnance invincible que les Indous ont pour tuer les animaux, il quitte souvent les bois et vient jusque dans les villes piller en plein jour une nourriture qui lui paraît d'autant plus agréable qu'il l'a dérobée. Ainsi que tous les singes, il est assez doux dans sa jeunesse; mais en vieillissant il devient méchant jusqu'à la férocité, et alors il est d'autant plus dangereux qu'il a beaucoup d'intelligence et de pénétration pour calculer et exécuter ses méchancetés. Le Niz-Banpar ou OuAxberou (Wacacus silenus, DEsm. Simia si- lenus et leonina, Lin. — GuL. Le Macaque à crinière, G, Guy. L'Ouanderou, Burr.). Il a dix-huit pouces de longueur (0,542) depuis le museau jusqu’à l’origine de la queue; celle-ci a dix pouces de longueur (0,271). Il est entièrement noir, exceplé le ventre et la poitrine, qui sont blancs, ainsi qu'une crinière et une longue barbe qui lui forment comme une sorte de fraise tout au- tour de Ia tête. Le nil-bandar habite l'ile de Ceylan et se retire au fond des bois les plus solitaires, où, dit-on, il ne se nourrit que de feuilles et de bourgeons. Ce dernier fait me parait d'autant plus douteux, que ceux qui ont véeu à la ménagerie aimaient beaucoup les fruits SINGES. 67 et se nourrissaient des mêmes aliments que les autres macaques, L'un d'eux était doux et caressant (probablement parce que c'était une jeune femelle), mais très-capricieux; et souvent, au moment même où il paraissait recevoir des caresses avec le plus de plaisir, il poussait un cri de colère, mordait, et s'éloiguait d'un bond, Quant aux mâles , ils étaient très-méchants, Les anciens voyageurs prétendent qu'au Malabar « les autres singes ont tant de respect pour cette espèce, qu'ils s'humilient en sa présence, comme s'ils étaient capables de reconnaitre en elle quelque supériorité. » Nous remarquerons , en passant , qu'il ne faut jamais se presser de rejeter comme des fables les faits rapportés par les voyageurs, même les plus erédules , et que si on a le talent de dépouiller ces faits des interprétations fausses et merveilleuses qu'ils leur donnent, on y découvre assez souvent une vérité. En effet, ce que le père Vincent-Marie, que je viens de citer, a pris pour du respect, n’est rien autre chose que de la crainte; et si on en concluait que le nil-bandar est féroce, qu'il atlaque et chasse de ses bois les singes plus faibles que lui, que ces derniers le craignent et le fuient, qu'ils se cachent en trem- blant lorsqu'ils l'apercoivent, on serait tombé juste sur la vérité. Les Indous esiiment beaucoup ce singe et lui donnent une large part dans la vénération qu'ils ont pour toute cette race, parce qu'il a une longue barbe et une certaine gravité; ce qui, dans tout l'Orient, passe pour le signe infaillible d'une haute intelli- gence. Je ne sais si l’on doit regarder comme espèce, et Fr. Cuvier me parailrait être de cet avis, ou comme simple variélé, un singe cilé par Buffon, mais que, à ma connaissance, on n'a jamais yu en Europe, ni vivant ni en peau; c'esL: Le Lowaxvo (Macacus ehvandum ; — Ehvandum zeylanensibus ; Simia alba seu incanis pilis, barba nigra promissa, Ray), qui ne diffère du précédent que parce qu'il a la barbe noire et le corps gris. Il habite le mème pays. On en trouverait encore un autre, selon Knox, qui serait entièrement blane, et qui n'est probable- ment qu'un albinos d’une des deux espèces précédentes. Il habi- terait l'Inde et probablement l'île de Ceylan; mais son existence est douteuse. « Les singes blancs, dit l’auteur de la Description du macagar, qui sont quelquefois aussi grands et aussi méchants que les plus grands dogues d'Angleterre, sont plus dangereux que les noirs. Ils en veulent principalement aux femmes , et souvent , après leur avoir fait cent outrages, ils finissent par les étrangler. Quelque- fois ils viennent jusqu'aux habitations; mais les habitants, qui sont très-jaloux de leurs femmes , n’ont garde de permettre l’en- trée de leurs maisons à de si méchants galants, et ils les chassent à coups de bâton. » Le Macaco (Macacus eynomolqus, Georr. — Fr. Cuv. Simia cyno- molgus, cynocephalus, et aygula, Las. Le Macaque et l'Aigretle, Burr. — G. Guv.). Le mâle a, du bout du museau à l'origine de la queue, dix-huit ponces de longueur (0,487), et la femelle quatorze (0,579). Leur pelage est olivatre ou brun, verdâtre en dessus, et blan- châtre en dessous; la tête est grosse, large, aplalie en dessus; une forte crêle soureilière couvre les yeux; la face est livide et à peu près nue, La femelle a sur le haut de la tête un épi de poils redressés en forme d’aigrelte, Le macaco se trouve principalement à Sumatra, et peut-être là seulement, quoique la plupart des auteurs, Buffon, G. Cu- vier, ete. , le fassent venir de Guinée et de l'intérieur de l'Afrique. La ménagerie en a possédé plusieurs qui y ont fait des petits. Mais les femelles, qui ont porté sept mois, se sont constamment montrées mauyaises mères et n'ont pas toujours voulu élever leurs enfants. Celle espèce, que l'on voit communément en Eu- rope, est Lurbulente, malicieuse, et surtout fort grimacière, Tant qu'il est jeune, le macaco a une douceur et une intelligence re- marquables; alors il se prête à une certaine éducation, et les baladins des rues profitent de cette aptitude pour lui apprendre à voltiger sur la corde lâche et à faire divers tours dont ils amu- sent le publie. Mais lorsqu'il atteint six à sept ans et que toute sa force est développée, il devient méchant, colère, se révolte con- tre la contrainte, et le plus obéissant peut devenir le plus farou- che et le plus irascible. Dans leur pays, ces singes vont souvent par troupes et se ras- semblent surtout pour voler les fruits, les légumes et mettre les plantations au pillage. Bosman, cité par Buffon, dit « qu'ils pren- nent dans chaque patte un du deux pieds de milhio, autant sous leurs bras et autant dans leur bouche; qu'ils s'en retournent ainsi chargés, sautant continuellement sur les pattes de derrière, et que, quand on les poursuit, ils jettent les tiges de milhio qu'ils tenaient dans les mains et sous les bras, ne gardant que celles qui sont entre leurs dents, afin de pouvoir fuir plus vite sur les quatre pieds. Au reste, Hs examinent avec la dernière exactitude chaque tige de milhio qu'ils arrachent, et, si elle ne leur plait pas, ils la rejettent à terre et en arrachent d'autres : en sorte que, par leur bizarre délicatesse, ils causent encore plus de dommages que par leurs vols, » Si Buffon s’est trompé et que, ainsi que le dit M. Boyer, le macaco ne se trouve qu'à Sumatra, ce que Bosman en raconte doit se rapporter à une autre espèce. À la ménagerice, le macaco dort couché sur le côté et reployé sur lui-même, la tète entre les jambes, ou assis, avec le dos courbé et la tête ap- puyée sur la poitrine. Sa voix est un cri rauque qui peut éclater dans la colère avec beaucoup de force; mais lorsqu'il n'exprime qu'un sentiment paisible, il fait entendre un petit sifflement assez doux. Le Barrou ou le Mamox (Macacus nemestrinus, Fr. Cuv. Simia nemestrina, Lix. Simia platypigos, Scur. Papio nemestrina, FORsT. Le Maimon, Burr. — Auore. Le Singe à queue de cochon, EvWarps’. Sa longueur, de l’occiput à l’origine de la queue, est de quatorze pouces (0,579); sa queue est longue de cinq pouces (0,155). Son pelage est d'un brun roussâtre ou d'un blond foncé verdâtre, avec une bande noire commencant sur la têle et s’affaiblissant le long du dos; les cuisses et les épaules sont verdâtres avec un mélange de gris; tout le dessous du corps est blond; la face, les oreilles, l'intérieur des mains et les callosités des fesses sont ba- sanés. Il est de Java et de Sumatra. Au moral le maimon ne diffère presque pas du rhésus, cepen- dant il paraît que les femelles sont un peu plus douces. Celle que j'ai vue à la ménagerie était quelquefois attachée à un arbre, sur lequel elle montait avec beaucoup d'adresse et de facilité. « Elle se plaisait, dit Fr, Cuvier, à en arracher les feuilles quoi- qu'elle ne les mangeät pas. Quelquefois elle dénouait avec beau coup d'adresse la corde qui la retenait, et alors elle courait visiter les maisons du voisinage, Jamais, cependant, elle ne cherchait à nuire, et si elle ne se laissait pas toujours reprendre volon- tiers, c'était toujours du moins sans une grande résistance. Les enfants seuls excitaient son humeur, et elle le leur montrait en prenant une posture et en faisant des grimaces très-bizarres : accroupie , les jambes rapprochées l'une de l'autre, le cou tendu horizontalement, elle avancait ses lèvres en les serrant fortement, et transformait ainsi sa bouche en un bec mince et large. » On doit placer à la suite de celte espèce ; comme variété très-légère, le Macacus religiosus, si toutefois il existe. 15° Genre. Les MAGOTS (Magus, Less.) ne différent des mäca- ques que par leur queue, qui consiste en un simple tubercule. Du reste, ils en ont à peu près le caractère et les habitudes. Le Macor ( Magus syluanus, Less. Macacus inuus, Desx. Maca- cus sylvanus, Fr. Cuv. Simia inuus, sylvanus el pithecus, Lx. Le Magot, le Pithèque, et le petit Cynocéphale, Burr.). Cet animal varie un peu pour la grandeur; néanmoins il à assez ordinairement de seize à dix-huit pouces de longueur (0,435 J« 68 LES QUADRUMANES. à 0,487), depuis la nuque jusqu'aux fesses ; sa tête est fort grosse, son museau large et saillant, son nez aplati, sa face nue et d’une couleur de chair livide, ainsi que les oreilles; son corps est épais et ramassé; il a de très-grandes abajoues, et sa bouche est armée de fortes canines. Le dessus de son corps est d’un jaune doré assez vif, mélangé de quelques poils noirs, traversé cà et là par quelques bandes noires; le dessous est d’un gris jaunâtre. Les mains sont noirâtres et velues en dessus. Il habite la Barbarie et l'Egypte. De tous les singes que l'on apporte en Europe, celui-ci est à la autre chose que des grimaces de cet animal récalcitrant , ce n’est qu’à force de coups. Il est cependant très-intelligent, mais cette précieuse faculté ne se développe chez lui qu'avec sa parfaite in- dépendance. I ne se soumet à l’homme que dans son extrême jeunesse; quand il devient adulte , il se refuse à toute soumission, lutte courageusement contre la tyrannie qui l’enchaîne, et se défend avec fureur contre les mauvais traitements. Vaincu par la force, il cesse la lutte, tombe dans la tristesse et le marasme; il meurt, mais il n’obéit pas. Quelquefois, s’il est traité avec beaucoup de douceur, il consent à vivre dans la servitude : assis Le Nil-Bandar. fois le plus commun et le plus robuste; sans doute il doit à l'épaisseur de sa fourrure la faculté qu'il a de très-bien résister aux intempéries de notre climat, et de vivre chez nous beaucoup plus longtemps que les autres espèces de sa classe. On dit même qu'il s’est naluralisé en Espagne, sur le Mont-au-Singe, près de Gibraltar; mais un officier anglais qui a*été pendant plusieurs Le Magot. années en garnison dans cette ville et qui a souvent chassé sur le Mont-au-Singe, m'a assuré que cet animal y était tout à fait in- connu aux habitants du pays, et que, pour lui, il n'avait jamais pu l'y rencontrer quoiqu'il l'y eût cherché. Il est peu de montreurs ambulants d’ours et de chameaux qui n'aient à leur suite un ou plusieurs magots; et s'ils obliennent sur ses pattes de derrière, les bras appuyés sur ses genoux et les mains pendantes, plongé continuellement dans une languissante apathie, il semble ne plus vivre que de la vie végétative ; il est aussi insensible aux caresses qu'aux corrections, aussi incapable d'amitié que de crainte; il suit d’un regard hébété ce qui se passe autour de lui, et ne sort momentanément de sa léthargie stupide que pour satisfaire sa faim. Le magot en liberté ne semble plus le même; c’est le plus vif, le plus pétulant et le plus intelligent des singes; aussi domine- t-il tous les autres animaux qui peuplent ses forêts; il étend même les effets de sa supériorité jusque sur les grands mammi- fères, en les effrayant par les branches qu’il leur jette, et les poursuivant de ses cris jusqu'à ce qu'il les ait chassés de ses do- maines. Il n’a d’ennemis dangereux que le serval, le caracal, le lynx et autres grands chats qui grimpent sur les arbres, le sai- sissent pendant son sommeil et le dévorent. Ces singes vivent en troupes nombreuses et paraissent aimer la société jusque dans l'esclavage. Dans ce cas ils adoptent volon- tiers les petits animaux qu'on leur donne; ils les transportent partout avec eux en les tenant fortement embrassés, et ils se mettent en colère lorsqu'on veut les leur ôter. Les femelles ont une grande tendresse pour leurs petits ; elles ne les quittent ja- mais, combattent avec courage pour leur défense, et ne cessent de les protéger qu'en mourant. Elles leur donnent des soins re- marquables et les tiennent très-proprement. Leur plus grande occupation de tous les instants et de les lisser, de les éplucher poil par poil, d’en enlever toutes les petites saletés, et de man- ger les insectes ou les ordures qu'elles y trouvent. Dans l’état de nature, le magot vit principalement de fruits et de feuilles; mais en domesticité il mange à peu près de tout. Néanmoins, comme il est défiant, il ne porte rien à sa bouche sans l'avoir regardé, tourné dans tous les sens et flairé. Avant de manger, il commence, par précaution, à remplir ses abajoues, et c’est aussi dans ces singulières poches qu'il cache tous les pe- tits objets qu'il a volés. Les aliments qu'il préfère sont les fruits, le pain et les légumes cuits. Le magot a une grande réputation de grimacier, et l’on dirait qu’il se pique de la mériter, tant il s'étudie à varier ses grimaces. Quand il est en colère, ses mà- choires se meuvent avec une agilité inconcevable, ses lèvres s’agi- tent avec vitesse, ses mouvements sont brusques, ses gestes sac- cadés ; il fait entendre une voix forte et rude, qui s'adoucit quand il se calme. On croit que cette espèce est le pithèque des anciens, le singe dont Galien a donné l'anatomie. Le Macot DE L'INDE (Magus maurus. Less. Macacus maurus, Fr. Cuv. Peut-être le Woodbaboon ou Babouin de Pennant). Il est de l'Inde et diffère du précédent par sa face noire, par ses oreil- les et ses mains brunes; enfin par son pelage, qui est d'un brun foncé uniforme. Ses habitudes sont peu connues à l'état sauvage, mais on en élève quelquefois dans son pays. Ce magot, si on s’en rapporte aux personnes qui ont habité l'Inde, serait d'un caractère moins indomptable que le précédent, et les jongleurs viendraient assez aisément à bout de l’apprivoi- ser. Un officier de notre marine m'a dit en avoir vu un que l’on avait amené à Pondichéry, et auquel on avait appris plusieurs choses pour amuser le peuple. IL faisait l'exercice avec un petit SINGES. 69 mais on était obligé de lui ôter souvent celui-ci pour lui en re- mettre un autre; les jongleurs, malgré leur adresse connue pour élever et dresser les animaux même les plus sauvages, tels, par exemple, que les ours et les serpents, n'avaient jamais pu l'em- pêcher d'y faire ses ordures, et il semblait même qu'il y mettait de la malice, car il attendait presque toujours qu'on lui eût mis un vêtement propre. Du reste, cette dégoûtante malpropreté est le fait de tous les singes apprivoisés, sans exception, et il n'y a ni coups ni menaces qui puissent les empêcher de se satisfaire, sur ce point, en tous lieux et-dans l'instant même où la fantaisie leur en prend. Le magot dont nous parlons voltigeait sur la corde lâche et y faisait le moulinet avec une telle rapidité que les yeux ne pouvaient le suivre ni distinguer ses formes. Il obéissait au geste, à la parole, mais ce n’était jamais que par l'effet de la crainte, et il ne paraissait avoir aucun attachement pour son maître. Il était très-gourmand, saisissait avec une brusque viva- cîté ce qu'on lui présentait, le flairait, le retournait dans tous les sens, puis le cachait dans ses abajoues quand l’objet lui plaisait, ou le jetait avec une sorte de colère quand il ne lui convenait pas. Tous ces faits paraissent avoir peu d'importance, et cepen- dant ils sont jusqu'à un certain point précieux pour le naturaliste parce qu'ils servent à montrer l’analogie frappante qui existe entre le magot de l'Inde et celui d'Afrique. Le Macaque nègre. fusil de bois, mais il mettait dans le maniement de son arme beaucoup plus de brusquerie que d'adresse; il tirait de son four- reau un sabre de fer blanc, et l'y remettait assez facilement. Il portait un chapeau à trois cornes, un habit brodé et un pantalon, Le Nècre (Magus niger, — Cynocephalus niger, Desw. Macacus niger, de la Zoological Society). Cet animal est entièrement d’un noir de jais, excepté sur ses callosités, qui sont couleur de chair; ses oreilles sont petiles ; sa 10 LES QUADRUMANES, queue est remplacée par un tubercule qui n'a pas un pouce de longueur (0,027); ses abajoues sont grandes, très-extensibles; son pelage est doux, laineux; il a sur le sommet de la tête une large touffe de longs poils rétombant par derrière et lui formant une sorte de huppe. 4 M. Desmarést, le premier qui ait décrit cét animal, ne le con- naissait que par une peau fort mal émpaillée qui se trouvait au Cabinet ; cet habile observateur fut cette fois induit en erreur, et il plaça ce singe avec les babouins, dans le genre des cynocé- phales. Depuis on en à vu deux ou trois vivants dans la ménagerie de la Société zoologique de Londres, et les Anglais l'ont placé dans le genre des macaques. Mais, en prenant en considération son manqué de queue, ce qui le rapproche des magots, et ses narines non terminales, mais placées très-obliquement sur la face supérieure du museau, Ce qui le retire du genre des cynocépha- les, j'ai cru devoir lé placer dans le genre magus. Cependant son facies, et surtout son museau tronqué au bout, lui donne quel- que analogie avee les mandrills. J Quoi qu'il en soit, le nègre est un singe qui, pour le Caractère comme pour les formes, tient un peu du magot et du mandrill ; c’est à-dire qu'il est vif, pétulant, capricieux comme le premier, et méchant comme le second. À li ménagerie de Londres, on l'avait enfermé aÿec un pauvre gibbon, sur lequel il exercait une ty- rannie insupportable, I le poussait, le Liraillait tant que le jour durait, el si le malheureux animal témoignait la moindre colère, la plus petilé impalience, le nègre ne manquait jamais de le mordre et de le battre, Ce magot habite l’une des iles de l'archipel des Indes orien- tales, Cuvier dit l'une des Philippines. Celui de Londres a, dit- on, élé apporté de la mer du Sud, mais on ne sait de quelle localité. 14e Gexrn, Le PRESBYTE (Presbytis, Escusc.), Ce singe a l’an- gle facial ouvert à svixante degrés ; il manque d’abajoues; ses arcades zygomatiques sont très-projetées en avant; son nez esl peu apparent; son front, les os de son nez, sa mâchoire supé- rieure et la symphyse du menton, sont presque perpendiculaires ; la queue est longue ; les mains atteignent les genoux, et les deux doigts du milieu sont plus longs que les autres, Le PRESBYTE À CAPUCHON (Presbytis mitrata, Escusc.), que Tem- minck confond avec le Semnopithecus comatus, à dix-huit pouces de longueur (0,487) de la tête à l’origine de la queue; sa figure est grippée comme celle d'une vieille femme, ce qui lui a valu le nom de presbyte. Son front est couvert de poils jaunâtres, et ses oreilles sont de Ja même couleur; les poils de son dos sont très-longs, ondulés, d'un jaune blanchâtre à la base et d'un gris bleuàtre au bout; un bandeau noir lui passé sur le front, Cette espèce, que le voyage de Kotzebue a fait connaîlre, habite Sumatra. 45 Genre. Les CYNOCÉPHALES (Cynocephalus , Biuss.). Ils ont l'angle facial ouvert de trente à trente-cinq degrés; des crêtes sourcilières et occipitales très-prononcées; leur museau est al- longé, tronqué au bout, où sont percées les narinés, comine dans les chiens, ce qui leur a valu leur nom; leurs canines sont grosses et longues ; il ont des abajoues, des callosités aux fesses, et une queue plus où moins longue. Les cinq premières espèces que nous décrivons ici forment la section des babouins, dont la queue est au moins aussi longue que le corps; la deuxième section, celle des mandrills, se caractérise par sa queue gréle et très- courte, Tous ces animaux sont lascifs et féroces. Le Barouix (Cynocephalus babouin, KR. Cuv. — Desw. Cercopi- thecus cynocephalus, Bniss. Simia cynocephala, Lin. = Gur. Le pelit Papion? Burr.). Sa longueur est de vingt-cinq à vingt-six pouces (0,677 à 0,704) du bout du museau aux callosités des fes- ses; son pelage est d'un jaune verdâtre: sa face, d'uné éouleur de chair livide, est ornée de favoris blanchâtres. Il habite l'Afri- que septentrionale, où il vit en troupes nombreuses. Les auteurs sont assez d'accord pour reconnaitre dans cette espèce le cynocéphale (en grec téte dé chien) si souvent sculpté pari les hiéroglypes des antiques Égyptiens. Il a joué un grand rôle dans la théogonie de ce peuple, et il avait un temple célèbre à Hermopolis, où il était particulièrement adoré. Vainement cher- cherait-on dans l'histoire des autres nations un assemblage aussi hétérogène de connaissances astronomiques et philosophiques, d'idées saines, de politique avancée, et de croyances ridicules et superstitieuses jusqu'à l’absurdité. Citons-en nn exemple. Les Égyptiens étaient astronomes; ils sculptaient des zodiaques et caleulaient des éclipses. Ils plaçaient à la porte des villes la statue d'un cynocéphale ou d’un anubis comme symbole de la vigilance, et ils enseignaient aux adeptes que s'ils avaient partagé le jour en douze heures, c'était pour honorer le dieu à tête de chien, qui pissait (qu'on me passe ce terme) douze fois par jour. Les babouins n’habitent pas les forêts, comme la plupart des autres singes, mais ils se plaisent dans les montagnes et les ro- chers arides, où se trouvent seulement quelques buissons, et ils ont cela de commun avec la plupart des cynocéphäles; ils ont en- core de commun avec eux une brutalité furieuse et un courage à toute épreuve. Ils se logent et fon leurs pelits dans des trous de rochers escarpés, où ils ne peuvent parvenir qu'en faisant des bonds prodigieux par-dessus des précipices infranchissables aux hommes. Le CyxocÉPHALE ANuBIS (Cynocephalus anubis, Fr. Cuv.) a beau- coup d'analogie avee le précédent, dont il me paraît être le vieux mâle. Il habite les mêmes contrées. Son museau est plus aïlongé, son crâne plus aplati; son pelage est d'un vert beaucoup plus foncé ; la face est noire, avec les joues et le tour des yeux cou- leur de chair. Ses callosités sont violâtres. Le Parrox (Cynocephalus papio, Fr. Cuv. — Des. Le Papion, Burr.) a au moins deux pieds de longueur (0,650) du bout du museau à l'anus, et sa queue pas moins de neuf pouces six lignes (0,258). Son corps est trapu, couvert de poils d’un brun jaunà- tre, rares en dessous : la face est noire, avec des favoris fauves dirigés en arrière; les paupières supérieures sont blanches et les mains noires. Il se trouve en Afriqué, ét ses mœurs sont ana- logues à celles du précédent. Comme lui, il n'habite que les buissons au milieu des rochers les plus escarpés. La ménagerie a possédé et possède encore un bon nombre de papions, et, il y a quatre ans, une femelle qui y a fait son petit a donné un spectacle des plus singuliers et dont j'ai été l'un des témoins, Lorsqu'on la vit sur le point de mettre bas, on la fit passer dans une loge à côté de celle où elle vivait avec son mâle ét cinq ou six autres singes de son espèce, Elle accoucha et fit un petit fort laid, mais qu'elle aimait avec tendresse et dont elle prenait le plus grand soin. Huit ou dix jours après la naissance dé son enfant, on ouvrit la porte à coulisse qui séparait les deux logés, et son mâle entra. Elle tenait le petit sur ses bras, abso- lument comme pourrait faire une nourrice, et elle était assise au milieu de la loge. Le mâle s'approcha, embrassa sa femelle sur les deux joués, puis le petit, qu'elle lui présenta, et s’assit en face d'elle, de manière qu'elle avait les genoux entre les siens. Alors ils commencèrent tous deux à remuer les lèvres avec rapidité en se regardant, et de temps en temps caressant le petit qu'elle mettait dans les bras de son père et qu'elle reprenait aus- sitôt; on aurait dit qu'ils avaient sur son compile une conversa- tion fort animée. On ouvrit de nouveau la coulisse, et on laissa entrer les autres papions les uns après les autres. Chacun à son tout vint embrasser la femelle; mais elle n'accorda à aucun la faveur dont le père jouissait seul, d'embrasser le petit et de lé caresser en lui passant la main sur le dos. IIS s'assirent en cercle dtitour de la relevée dé coûche, ét tous se mirent à jouer des 1è- SINGES. 11 vres à qui mieux mieux, peut-être pour la féliciter sur son heu- reuse délivrance, sur le bonheur qu'elle avait de posséder un si joli enfant, et qui sait même s'ils ne lui trouvèrent pas beaucoup de ressemblance avec son père! Cette scène était la pantomime parfaite de ce qui se passe dans la loge d'une portière qui relève dé couche, lorsque les compères et les commères du voisinage viennent lui faire leurs félicitations bavardes et curieuses, Seu- lément, dans les compliments des commères , il y a toujours un fond de malice et de méchanceté qui certainement n'existait pas chez les papions. Tous auraient bien voulu caresser le petit; mais aussitôt qu'ils avancaient la main, un bon coup de patte que la mère leur ad- ministrait sur le bras les avertissait de leur indiscrétion. Ceux qui étaient placés derrière elle allongeaient dout doucement la main, la glissaient imperceptiblement sous son coude, et parve- naient quelquefois, à leur grande joie, à toucher le petit sans qu'elle s'en apercût, surtout quand elle était occupée à faire la conversation. Mais bientôt une nouvelle correction venait leur apprendre qu'ils étaient découverts , et ils retiraient lestement la main. La papione avait probablement l'usage du monde singe, et savait parfaitement partager son attention entre ce qu'elle devait de politesse à la société ét de soins à sa famille, Jamais sa ten- dresse ne se montrait mieux pour son enfant que lorsque celui-ci, devenu un peu fort, s'exercait à grimper contre le treillage de fer de sa loge. Elle le suivait des yeux avec anxiété, se plaçait dessous en tendant les mains pour le recevoir en cas qu'il se laissât tom- ber, et cependant l’encourageait visiblement à faire l'essai de ses forces naissantes. Enfin elle n’a pas cessé de lui prodiguer les soins les plus affectueux tant qu'il n’a pas été assez grand pour se passer de sa mère. Depuis que les singes de la ménagerie ont été transportés dans la vaste et belle rotonde qu'ils occupent aujourd'hui, les papions ont donné une marque d'intelligence ét de supériorité remarqua- ble. L'un d'eux, le plus grand et le plus vieux des mâles, s’arrogea aussitôt une autorité souveraine sur cette gent tracassière et tur- bulente, composée de plus d’une vingtaine d'espèces toutes plus malignes les unes que les autres, et toujours prêtes à en venir aux coups. Depuis il a su établir la paix, maintenir l'ordre parmi eux, et les forcer à vivre ensemble en bons camarades, ce qui n'est pas plus aisé chez le peuple singe que chez les hommes. Aussitôt qu'il entend une dispute, il sort de sa loge et regarde de quoi il s’agit : si ce n’est qu'une petite querelle, il se contente de donner un avertissement par un eri qui fait sur-le-champ rentrer les individus dans le devoir, et alors il retourne grave- ment dans sa demesure, Mais si l'on méprise ses ordres et que l’on en vienne à une bataille, c’est alors qu'il déploie le maximum de son autorité comme chef, comme juge et mème comme exécu- teur. Il s’élance vers le lieu de la rixe, commence par séparer les combattants, puis il les bat tous les deux pour être sûr de ne pas se tromper. Cependant sa justice distributive, quoique prompte, n’est pas rendue sans discernement, et voici les règles générales sur lesquelles il l'a fondée. Quand les deux antago- nistes sont à peu près de même force, il les bat tous deux; s'ils sont de grosseur inégale, il rosse le plus gros, pendant que le plus petit se sauve; enfin si la dispute vient d'un gâteau ou d’un bonbon sur lequel les deux assaillants se disputent leur droit, il s'empare de l’objet en litige, se l'adjuge pour ses émoluments, le mange, et met ainsi les parties d'accord; c'est presque comme chez nous. Le Cuoak-Kaua (Cynocephalus porcarius, FR. CuY.=— Dress. Simia porcaria, Bonn. Simia ursina, PENX. Simia sphyngiola, Her. Le Chacma, Fr. Cuy. Le Singe noir, Vaiz. La Guenon a face allongée, Burr. Le Gorloka des Hottentots, Sparw). Ce singe a beaucoup d’analogie avec les précédents, mais il est plus grand et d'une force terrible. Sur ses quatre pattes, il n’a pas moins de deux pieds de hauteur (0,650), c’est-à-dire qu'il at- teint la taille des plus grands mâtins. Son pelage est d'un noir verdâtre ou jaunâtre, plus pâle le long du dos, sur les flancs et les épaules ; le cou du mâle seulement porte une longue crinière ; sa face est d’un noir violâtre, plus pâle autour des yeux; ses pau- pières supérieures sont blanches; sa queue, longue de dix-huit pouces (0,487), se termine par une forte mèche noire, Il habite l'Afrique méridionale. Tous les cynocéphales sont brutaux et méchants, mais le choak- kama est d’une férocité dont rien n'approche, et d'une force contre laquelle aucun homme ne peut lutter, J'en citerai un exemple qui s'est passé presque sous mes yeux, à la ménagerie, il y a plusieurs années. Un certain Richard, homme robuste, de cinq pieds sept à huit pouces, était alors gardien des singes, et sa cuisine donnait en face de l'appartement où était la cage d'un choak-kama, Pendant l'absence du gardien, le singe parvint à ouvrir la porte de sa cage ; il entra dans la cuisine, sauta sur un rayon où l'on avait déposé une provision de carottes pour la nourriture des autres singes, et se mit à gaspiller à belles dents le diner de ses compagnons d’esclavage. Richard arriva dans cet instant; il voulut d’abord flatter l'animal pour l'engager à ren- trer dans sa cage, mais le choak-kama se contenta de lui faire quelques grimaces; il refusa d’obéir et continua tranquillement son gaspillage. Le gardien éleva la voix et en vint aux menaces sans obtenir autre chose que de nouvelles grimaces, accompa- gnées de grincements de dents. Richard eut alors la malheureuse idée de prendre un bâton, et ce geste devint le signal d'une lutte épouvantable, Le singe se précipite sur lui et lui lance ses deux | poings dans la poitrine avec une telle force que cet homme ro- buste recula en chancelant. Le choak-kama furieux se jette sur lui, le frappe, le renverse après l'avoir désarmé, et avec ses fortes canines lui fait à la cuisse trois profondes blessures qui pénétrè- rent jusqu'à l'os et donnèrent pendant quelque temps des craintes sérieuses pour la vie de ce malheureux. On ne réussit à faire rentrer l'animal qu’en mettant en jeu sa brutale jalousie, Richard avait une fille qui donnait souvent à man- ger au singe, et qui, par là, se l'était attaché: elle se plaça der- rière la cage, c’est-à-dire du côté opposé à la porte par laquelle il devait entrer , et un garçon du jardin fit semblant de vouloir l'embrasser. A cette vue, le choak-kama poussa un cri furieux, et s'élança dans sa prison croyant pouvoir la traverser pour se jeter sur l'homme qui excitait sa rage; aussitôt on ferma la porte, et il redevint prisonnier pour toujours. Kolbe prétend que ce sont des animaux d’une lasciveté inex- primable, et, en effet, il n’est pas possible d'afficher plus d'impu- dicité et d’effronterie que le font ceux que l’on tient en captivité, Le même voyageur raconte ainsi les mœurs de cet animal à l’état sauvage : «Les choak-kamas aiment passionnément les raisins et les fruits en général qui croissent dans les jardins. Leurs dents et leurs griffes les rendent redoutables aux chiens, qui ne les vainquent qu'avec peine, à moins que quelque excès de raisins ne les ait rendus roides et engourdis. Voici la manière dont ils pillent un verger, un jardin ou une vigne. » Ils font ordinairement ces expéditions en troupe ; une partie entre dans l’enclos, tandis qu'une autre partie reste sur la clôture en sentinelle pour avertir de l'approche de quelque danger. Le reste de la troupe est placé au dehors du jardin, à une distance médiocre les uns des autres, et forme ainsi une ligne qui tient depuis l'endroit du pillage jusqu'à celui du rendez-vous. Tout étant ainsi disposé , les choak-kamas commencent le pillage, et jettent à ceux qui sont sur la clôture les melons, les courges, les pommes, les poires, ete., à mesure qu'ils les cueillent : ceux-ci les jettent à ceux qui sont au bas, et ainsi de suite, tout le long de la ligne, qui, pour l'ordinaire, finit sur quelque montagne. Ils sont si adroits et ils ont la vue si prompte et si juste , que rare- ment ils laissent tomber ces fruits à terre en se les jetant les uns aux autres , et tout cela se fait dans un profond silence et avée 72 LES QUADRUMANES. D beaucoup de promptitude. Lorsque les sentinelles apercoivent quelqu'un, elles poussent un cri, et à ce signal toute la troupe s'enfuit avec une vitesse étonnante. » Choak-kama et Toque. Les choak-kamas sont sociables et vivent en troupe, mais lors- qu'ils se sont fixés dans une montagne rocheuse qui leur convient, ils ne tolèrent pas l'établissement d’une autre troupe dans les environs. Ils défendent même leur territoire contre les autres mammifères, et particulièrement contre les hommes. S'ils aper- çoivent un de ces derniers, aussitôt l'alarme sonne ; par de grands cris ils appellent leurs camarades, se réunissent, s’encouragent mutuellement, et commencent l'attaque. Ils jettent d’abord à l'ennemi des branches d'arbre, des pierres, et tout ce qui leur tombe sous la main; puis ils s’approchent , cherchant à le cerner de toutes parts et à lui couper la retraite. Les armes à feu seules les effrayent, mais cependant leur courage intrépide les empêche de fuir jusqu’à ce qu'ils aient vu plusieurs des leurs étendus sur la place. Si leur malheureux antagoniste est sans fusil, ou s’il manque de poudre, il est perdu; les choak-kamas le pressent, l'entourent, l’attaquent corps à corps, le tuent et le mettent en pièces. Un imprudent Anglais, entraîné à la poursuite de ces fé- roces animaux, sur la montagne de la Table, près du Cap, se vit bientôt cerné par eux et repoussé jusque sur la pointe d’un ro- cher dominant un précipice. Vainement il fit feu plusieurs fois sur ces animaux ; ils se jetèrent en avant en poussant des cris affreux, et le malheureux chasseur aima mieux se précipiter dans l’abime que d’être déchiré par eux ; il se tua dans sa chute. Les choack-kamas emploient eux-mêmes ce terrible moyen pour se soustraire à la captivité. Je tiens de la bouche de M. Delalande, naturaliste voyageur que la mort a enlevé trop tôt à la science, un fait qui le prouve. Bien armé, et secondé par des chasseurs hottentots attachés à son service, M. Delalande parvint un jour à bloquer une petite troupe de ces animaux sur des rampes de pré- cipice d’où la retraite leur était impossible. Ils n'hésitèrent pas à se lancer à trois cents pieds de profondeur (97,462) au risque de se briser dans leur chute plutôt que de se laisser prendre, Je regarde comme une simple variété de celui-ci le Papio co- matus Gxorr., qui a le pelage brun, deux touffes de poils descen- dant de l’occiput, et les joues noires et striées. Le TARTARIN (Cynocephalus hamadryas, DEsM. — Fr, Cuv. Simia hamadryas, Lin. Papion à face de chien, Pen. Papion à perruque et Tartarin, BELON. Singe de Moco, Burr. Le Tartarin, G. Guv.). Il a environ quinze pouces de longueur (0,406) de l’occiput à la partie postérieure des fesses. Il est d’un gris cendré ou verdâtre, plus pâle sur les parties postérieures du corps; les jambes de devant sont presque noires; le ventre est blanchâtre , ainsi que les favoris. Sa face, ses oreilles et ses mains sont d’une couleur tannée; une épaisse crinière, longue de six pouces, couvre son cou et les parties antérieures de son corps. Cet animal habite l'Arabie et l’Abyssinie. Il paraît qu'il était autrefois commun dans les environs de Mococo, sur le golfe Persique, quoique, aujour— d'hui, on l’y trouve très-rarement. Il n’a jamais vécu à la ménagerie, au moins à ma connaissance, mais un marchand d'animaux l’a montré à Paris en 1808. Il avait le regard farouche et le naturel très-méchant, et ses gardiens étaient obligés de se défier beaucoup de sa perfidie; car la haine et la colère étaient les seuls sentiments qu'il parüt être capable d’éprouver. Mème lorsque la faim le pressait, si on lui jetait ses aliments, il s’en emparait brusquement, avec brutalité, en mena- cant du regard, du geste et de la voix. Le DrizL (Cynocephalus leucophœus, Fr. Cuv.—Desm. Simia syl- vestris, ScurEB. Papion des bois, PENN. Le Papion à queue courte, G. Cuv.). Cette espèce a beaucoup d’analogie avec le mandrill. Son pelage est d’un gris jaunâtre clair ou d’un brun verdâtre, blanc en dessous; mais sa face est constamment d’un noir foncé dans les deux sexes et à tous les àâges. Il est aussi un peu plus petit, sa longueur, du sommet de la tête aux callosités des fesses, ne dépassant pas vingt-six pouces (0,704); sa queue est très- courte et très-menue. On le croit d'Afrique, et ses mœurs sont inconnues. Le Bocco, Boucoc ou ManpriLe (Cynocephalus mormon, Fr. Guy. — Desm. Simia mormon et Simia maimon, Lin. Le Mandrill, G. Cuv. Le Mandrill et le Choras, Burr.). Son pelage est d'un gris brun, olivâtre en dessus, blanchâtre en dessous ; il a une petite barbe jaunâtre (dans la jeunesse) ou d'un jaune citron (dans l'âge adulte), qui lui pend au menton ; les joues sont bleues et sillonnées; les mâles adultes prennent un nez rouge surtout au bout, où il devient écarlate; le tour de l’anus;a les mêmes cou- leurs, et les fesses ont une belle teinte violette. Il habite la Côte- d'Or et la Guinée. Le boggo atteint presque Ja taille de l'homme, et l'on ne peut SINGES. 73 se figurer un animal plus extraordinaire et plus hideux. Il a le caractère féroce et brutal des autres cynocéphales, et quoique assez doux et confiant dans sa jeunesse, il devient de la plus atroce méchanceté avec l’âge.« Les meilleurs traitements, dit F.Cuvier, ne peuvent l’adoucir, et les actions les plus insignifiantes, un geste, un regard, une parole, suflisent pour exciter sa fureur ; mais aussi la circonstance la plus légère l'apaise , sans le rendre meil- leur. Sa voix est sourde, semblable à un grognement, et formée des syllabes aou, aou. A l’état sauvage, toute sa force, toute sa puissance d'organisation ne sont mises en jeu que par les pas- sions les plus grossières et les plus cruelles. I déteste tous les êtres vivants et ne semble pas avoir de plus grand plaisir que celui de la destruction. Ce penchant à déchirer tout ce qu'il peut atteindre se montre jusque sur les végétaux dont il fait sa nour- riture : il se complait à les déchiqueter, à les éparpiller brin à brin après les avoir brisés ou lacérés. Du reste, la conscience de sa force lui donne de l'audace et de l'intrépidité. Le bruit des armes à feu l'irrite sans l’effrayer, et la présence de l’homme ne l'intimide pas. Il défend avec courage l'entrée des forêts qu'il habite, et lorsqu'on l'y va attaquer, il s'efforce d’inspirer par ses cris une terreur à laquelle il est lui-même inaccessible. Il résiste, il dispute le terrain pied à pied, et sait, dit-on, s’armer de pierres et de bâtons pour repousser l'agression. [l a l'esprit de sociabilité assez développé, et il se réunit en troupe pour défendre la cir- conscription territoriale qu'il s’est adjugée, contre l'invasion de tout ennemi. Aussi les nègres de la Guinée le craignent beau- coup, et c'est à peu près tout ce que l’on sait de certain sur son histoire; car elle a été tellement embrouillée par les voyageurs, et par Buffon lui-même, avec celle du kimpézèy, et, par suite, de l'orang-outang, qu'il est impossible d'en rien déméler de plus. » Le CYNOCÉPHALE MARAIS (Cynocephalus malayanus, DEsmour. ) n'excède pas seize pouces (0,453) de longueur, non compris la queue; son pelage est grossier, entièrement noir, lui formant une aigrette élargie sur la tête; il a la face et les mains noires, la tête plus carrée que dans les autres espèces , le museau moins allongé, et la face beaucoup plus large. Ses joues ne se relèvent point en côtes le long de son nez. On le trouve à Solo, dans les îles Philippines, Intérieur du palais des singes. 74 LES QUADRUMANES. LES SAPAJOUS. Les quadrumanes de cette famille appartiennent tous à l'Amé- rique. Ils ont quatre mâchelières de plus que les précédents, ce qui leur fait en tout trente six dents; ils ont les narines percées aux côtés, et non en dessous; ils manquent d'abajoues; leurs fesses sont velues, sans callosités, et tous ont une longue queue. Les uns ont une queue prenante, ayant la faculté de saisir les corps environnants en s'entortillant autour. Ce sont les vrais sa- pajous; tels sont les genres atèle, lagotriche, alouate et sajou. Les autres ont la queue non prenante et composent la section des sagouins, qui renferme les genres sagouin, nocthore et saki. 46e genre. Les ALOUATES (Mycetes, Izric.). Leur angle facial n'est ouvert qu'à trente degrés ; leur tête est pyramidale ; la mà- choire supérieure descend beaucoup plus bas que le crâne, et l'inférieure a ses branches très-hautes pour loger un tambour osseux, qui communique avec le larynx et donne à leur voix un volume énorme et un son effroyable. Leurs mains antérieures sont pourvues de pouces; leur queue est très-longue, nue et cal- leuse en dessous dans sa partie prenante, Les voyageurs les ont souvent nommés singes hurleurs. Le Gouariea (Mycetes fuscus, Desu. Simia beelzebut, Lin. Stentor fuscus, Georr. L'Ouarine, G. Cuv. — Burr.) est un peu plus grand que le mono-colorado : sa tête est petite, sa face nue, d’un brun obscur ainsi que ses mains, ses pieds ef sa queue; son pelage est d’un brun marron ou d’un brun foncé, les poils du vertex, de l'occiput et du dos sont terminés par une pointe dorée. Le gouariba est triste, farouche, méchant, et se retire dans les forèts les plus sauvages du Brésil. « On ne peut ni l'apprivoiser ni même le dompter, dit Buffon; il mord cruellement, et quoi- qu'il ne soit pas du nombre des animaux carnassiers et féroces, il ne laisse pas d'inspirer de la crainte, tant par sa voix effroyable que par son air d'impudence. Comme il ne vit que de fruits, de légumes, de graines et de quelques insectes, sa chair n'est pas mauvaise à manger. » Aussi les chasseurs du Brésil lui font une rude chasse. Rien ne surprend plus que l'instinct de ces gouari- bas, qui savent distinguer , mieux que les autres animaux, les personnes qui leur font la guerre, et qui, lorsqu'ils sont attaqués, se défendent avec courage et se secourent mutuellement. Lors- qu'on les approche avec des intentions hostiles, ils se rassem- blent, se réunissent en phalange, et cherchent d’abord à effrayer l'ennemi en poussant des cris horribles et faisant un tapage épouvantable. Ensuite ils jettent à la tête des chasseurs des branches sèches rompues, tout ce qui se trouve sous leurs mains, et jusqu'à leurs ordures. Ce n’est que lorsqu'ils voient l'impuis- sance de ces moyens qu'ils pensent à fuir: mais toujours dans le meilleur ordre et sans se disperser , afin de pouvoir se proté- ger les uns les autres. Dans cetté circonstance, on les voit s'é- lancer de branche en branche et d'arbre en arbre, avec une telle agilité, que la vue ne peut les suivre. Si, en se jetant à corps perdu d'une branche à une autre, ils viennent à manquer leur coup, ce qui est fort rare, ils ne tombent pas pour cela, et restent accrochés à quelque rameau par la queue ou par les pales, avant de parvenir jusqu'à terre. Il en résulte que si on ne les tue pas roide d'un coup de fusil, ils restent suspendus à l'arbre, même après leur mort, jusqu'à ce que la décomposition les fasse tomber en morceaux. Aussi est-on fort heureux quand, sans être obligé de grimper sur les arbres pour les aller chercher, on peut en avoir trois ou quatre par quinze ou seize coups de fusil. Lorsque l’un d'eux est blessé, tous s’assemblent autour de lui, sondent sa plaie avec les doigts, en retirent les grains de plomb, et s'ils voient couler beaucoup de sang, ils la tiennent fermée pendant que d'autres vont chercher quelques feuilles qu'ils mà- chent et poussent adroitement dans l'ouverture de la plaie. OEx- melin , Dampierre et d'autres voyageurs affirment ce fait comme témoins oculaires. « Je puis affirmer, dit OExmelin, avoir vu cela plusieurs fois, et l'avoir vu avec admiration, » La femelle n’a jamais qu'un petit, auquel elle est tendrement altachée , et qu’elle porte sur son dos de la même manière que les négresses portent leurs enfants. Il lui embrasse le cou avec ses deux pattes de devant, et des deux de derrière il la tient par le milieu du corps. Quand elle veut lui donner à teter, elle le prend dans ses bras, et lui présente la mamelle comme font les femmes. N’abandonnant jamais sa mère, si on veut le prendre il n'y a pas d'autre moyen que de tuer cette dernière ; et encore est-ce à grand'peine qu'on parvient à l’arracher de dessus son corps, où il se cramponne de toute sa force. Ces animaux paraissent s'aimer entre eux ; car non-seulement ils se portent secours, comme nous l'avons dit, mais encore ils s’aident mutuellement en se tendant, non la main, mais la queue, pour se soutenir les uns les autres en traversant un ruisseau ou en passant d'un arbre à un autre. Le Moxo-Cororano (Mycetes seniculus , DEsm. Stentor seniculus, Grorr. Simia seniculus, G. Cuv. Le Hurleur roux, Burr. l’Alouate ordinaire, G. Cuv.). Sa taille est celle d'un fort renard ; son pelage est d’un roux marron clair, passant au marron foncé et au roux vif sur la tête, la barbe , les membres et la queue ; sa face est noire , nue , et ses ongles sont en gouttière. Sa voix, selon le voyageur Ricord, ressemble à celle d'un cochon que l’on égorge. Le mono-colorado vit en troupes nombreuses dans les forêts de la Guyane, à la Nouvelle-Espagne, et au Brésil, où il est plus rare. Il est d’un naturel farouche, que rien ne peut apprivoiser , et je ne pense pas qu'on en ait élevé en domesticité. Voici ce qu'en dit, dans son langage naïf, un ancien voyageur : QI y a des guenons à Cayenne aussi grosses que des grands chiens, de couleur rouge de vache ; on les appelle les hurleurs, parce qu'é- tant en troupe, ils hurlent d’une facon que d'abord on croit que c’est une troupe de pourceaux qui se battent. Ils sont affreux et ont une gueule fort large; je crois qu'ils sont furieux. Si les sauvages les flèchent, ils retirent la flèche de leur corps avec leurs mains comme une personne. La chair de ces hurleurs est très-bonne à manger ; elle ressemble à la chair du mouton; il y a à manger pour dix personnes. Ils ont un cornet intérieur en la gorge qui leur rend le cri effroyable. » D’autres voyageurs comparent la voix de ces animaux au craquement d'une grande quantité de charrettes mal graissées, ou bien encore aux hurle- ments d'un troupeau de bêtes féroces. Ils la font entendre de temps à autre dans le courant de la journée, mais c’est surtout au lever et au coucher du soleil, ou à l'approche d'un orage, qu'ils poussent des cris si épouvantables, qu’on les entend d'une demi-lieue. L'ALOUATE À QUEUE DORÉE. (Myceles chrysurus. — Stentor chry- surus, Desmous. ) a de l’analogie avec le mono-colorado pour les couleurs, mais elles sont tout autrement disposées : dans le chry- surus la têle et les membres sont unicolores, et la queue ainsi que le dessus du corps sont de deux couleurs ; tandis qu’au con- traire dans le seniculus la tête et les membres sont bicolores, le dessus du corps et la queue unicolores. En outre, le mono-colo- rado est plus grand. Celui qui fait le sujet de cet article a la dernière moitié de la queue et le dessus du corps d'un fauve doré très-brillant, la base de la queue est d'un marron assez clair; le reste du corps, la tête tout entière et les membres sont d'un marron très-foncé, teinté de violacé sur les membres. Il habite la Colombie. L'ARAGUATO Où ALOUATE OURSON (Mycetes ursinus, Des.) a quel- SAPAJOUS. 75 que analogie de forme avec le mono-colorado, mais son pelage est d'un roux doré uniforme , et sa barbe est d'une teinte plus foncée : le tour de sa face est aussi d'un roux beaucoup plus pâle. Du reste, il habite les forêts du mème pays. C’est au Brésil, et particulièrement aux environs de Vénézuela, dans la Nouvelle-Espagne, que l’on trouve le plus communément cette espèce. L'araguato n'habité guère que les montagnes et les lieux élevés ; il recherche le bord des ruisseaux et des mares, et, là, assis en société sous l'ombrage du palmier moriche , il fait retentir les rochers, à plus d’un mille à la ronde, de sa voix effraÿante. Comme les autres alouates il mange des fruits, mais il se nourrit principalement de feuilles. L'AraparTa ( Mycetes stramineus, Desm.). Son pelage est d'un jaune de paille ainsi que la queue, qui est seulement d'une teinte plus foncée; sa face, presque entièrement couverte de poils, est couleur de chair. Il a une grande célébrité comme un excellent gibier. Cette espèce, aussi farouche que Lous les animaux de ce genre, habite le Para. Gumilla raconte que les sauvages achaguas, de l'Orénoque , sont très-friands de ces singes jaunes , et leur font journellement la chasse. Il ajoute que, soir et matin, ces animaux font un bruit insupportable, et si lugubre, qu'ils font horreur. D'après le rapport de quelques voyageurs, il semblerait que la femelle de l'arabata, et de quelques autres espèces d’alouates, est moins attachée à son pelit que celle dés autres singes; et que pour le lui faire abandonner, il ne s'agirait que de l’effrayer en poussant de grands cris. Cependant Spix, dans son ouvrage sur les singes du Brésil, raconte, comme témoin oculaire, un fait qui dément positivement cette assertion. Ayant mortellement blessé une femelle d’un coup de fusil, elle continua de porter son petit sur son dos jusqu'à ce qu'elle fût épuisée par la perte de son sang. Lorsqu'elle se sentit près d'expirer, elle fit un dernier effort pour lancer son enfant sut les branches voisines et tomba morte. Peut-être cette espèce n'est-elle que le jeune du caraya, et dans ce cas elle ferait double emploi. Le Cnoro (Mycetes flavicaudatus, Des. Stentor flavicaudatus, Georr.). Son pelage est d'un brun noirâtre, plus obscur sur le dos, très-fourni sur le ventre; sa face est courte, nue, ou munie de quelques poils rares; sa barbe est mêlée de brun et de jau- nâtre ; sa queue est d’un brun olivâtre, avec deux bandes longi- tudinales jaunes. Cette espèce se trouve dans la Nouvelle-Grenade, dans la province de Jaën , et, mais plus rarement, sur les bords de la rivière des Amazones. Peut-être ce sapajou n’est encore qu'une variété d'age du caraya. Comme les autres alouates, il vit en troupe et se retire dans les lieux les plus solitaires. On le chasse surtout pour avoir sa four- re, que, dans le pays’ on emploie à divers usages. Une parti- eularité qu'offrent les alouates, est que, contre l'ordinaire des autres singes, qui tous fuient l'eau , ils se plaisent dans les forèts qui bordent les rives des grands fleuves et des marais; ceci est affirmé par tous les voyageurs. Il paraît même qu'ils se hasardent quelquefois à se mettre à l’eau et à traverser à gué quelques bras assez larges, car on en trouve sur les îlots des rivières et dans ceux des grandes sayanes noyées; ce fait est trèsremarquable dans l’ordre des quadrumanes. Je ne sais si tous les singes ont pour les nappes d’eau la même frayeur que lé mangabey que j'ai possédé, mais je le suppose; car celte crainte vient de ce que, bâtis à peu près comme l'homme, ainsi que lui ils ne savent pas nager naturellement. La première fois que j'ai traversé la Saône, en batelet, avec mon singe, je n'avais pas fait celte réflexion et je faillis le perdre Malgré les témoignages énergiques de sa frayeur, je le jetai à l'eau, croyant qu'il allait nager et s’en rélirer ainsi que font les chiens. Mais je fus extrêmement surpris de le voir se débattré dans le perfide élément, de la même manière qu'un enfant qui se noie, et si je n'avais su nager moi-même, je perdais un animal fort aimable, et auquel je tenais beaucoup. Au moment où je le saisis il cou - lait à fond, et déjà il était pour ainsi dire sans connaissance, Cette petite scène me fit perdre ses bonnes grâces pendant plus de quinze jours, et ne contribua pas peu à lui donner une nou- velle horreur de l'eau. Le Caraya (Mycetes caraya, Des. Stentor niger, Georr.). Il a, selon d'Azara, le corps gros et ventru et les membres robustes. Sa face est nue, d'un brun rougeûtre : le mâle a le pelage d’un noir foncé, passant au roux obscur sur le ventre et la poitrine; la femelle a les poils plus fins, d'un bai obscur. On le trouve de- puis le Brésil jusqu'au Paraguay. L'ALOUATE AUX MAINS ROUSSES (Myceles rufimanus, Kuru. Stentor rufimanus, Georr.). Il est entièrement noir, excepté les mains, qui sont rousses, ainsi que la dernière moitié de la queue. La face et le dessous du corps sont nus. Cette espèce habite princi- palement les terres de la baie de Campêche; mais on la trouve aussi dans d'autres parties de l'Amérique. Selon Dampierre, ces animaux vivent en troupe de vingt à trente, rôdent sans cesse dans les bois, et s'ils trouvent une personne seule ils font mine de la vouloir dévorer. « Lorsque j'ai été seul, dit ce voyageur, je n'ai pas osé les tirer, surtout la première fois que je les vis. Il y en avait une grosse troupe qui se lancaient d'arbre en arbre par-dessus ma tête, craquetaient des dents et faisaient un bruit d'enragé ; il y en avait même plu- sieurs qui faisaient des grimaces de la bouche et des yeux, et mille postures grotesques. Quelqnes-uns rompaient des branches sèches et me les jetaient ; d’autres répandaient leur urine et leurs ordures sur moi, A la fin il y en eut un plus gros que les autres qui vint sur une pelite branche au-dessus de ma tête et fit mine de sauler tout droit sur moi, ce qui me fit reculer en arrière; mais il avait eu la prudente précaution de se prendre à la branche avec le bout de sa queue, de sorte qu'il demeura là suspendu à se brandiller et à me faire la moue. Enfin je me retirai, et ils me suivirent jusqu'à nos huttes avec les mêmes postures mena- cantes. » 17e Genre. Les COAITAS (Afeles, Georr.) ont l'angle facial ou- vert à soixante degrés; leurs membres sont grèles, très-longs; leur tête ronde; leurs mains antérieures dépourvues de pouce. Leur queue est extrêmement longue, très-prenante, ayant une partie de son extrémité nue en dessous. Le Mirikt ou Kouro ( Ateles hypoxanthus, Kunr.). Son pelage est d'un gris jaunâtre; la région anale et l’origine de la queue sont, sur le plus grand nombre d'individus, mais non sur tous, d'un rouge ferrugineux; sa face est couleur de chair et mouche- tée de gris ; il a un très-petit pouce onguiculé aux mains anté- rieures, ce qui le distingue de l'afeles arachnoïdes. Il se trouve dans les forêts du Brésil, où ces animaux vivent en troupes plus ou moins nombreuses dans les forêts les plus sauvages. Tous les atèles ayant à peu près les mêmes mœurs, nous gé- néraliserons ici leur histoire. Nous ferons d’abord remarquer, comme chose fort singulière, que ces pelils animaux ont avec l'homme quelques ressemblances assez remarquables dans les muscles, et qu'eux seuls, parmi les mammifères, ont le nds de la cuisse absolument fait comme le nôtre. Les coaïtas sont fort intelligents, doux, et s’attachent facile- ment aux personnes qui en prennent soin et les trailent avec douceur. Une fois liés par l'affection, ils ne cherchent plus à changer de situation ni à s'enfuir; aussi n’a-t-on pas besoin de les tenir constamment à la chaine comme les singes. Cependant ils ne manquent pas de malice ; et ils sont un peu voleurs, mais pour des friandises seulement. Dans leurs forêts ils vivent en grandes troupes et se prétent un 76 LES QUADRUMANES. mutuel secours. Dans les pays où ils ne sont pas inquiétés par les hommes, s'ils en rencontrent un, ils sautent de branche en branche pour s'approcher de lui, le considèrent attentivement, et l’agacent en lui jetant de petites branches, et quelquefois Leurs excréments, qui, du reste, sont sans odeur. Si l'un d'eux est blessé d’un coup de fusil, tous fuient au plus haut sommet des arbres, en poussant des cris lamentables. Le blessé porte ses doigts à sa plaie et regarde couler son sang, puis, quand il se sent près de sa fin, il entortille sa queue autour d’une branche, et reste suspendu à l'arbre après sa mort. Éminemment bien conformés pour vivre sur les arbres, les coaïtas ne descendent jamais à terre, et s'ils s’y trouvent par accident, ils y marchent avec beaucoup de difficulté et de maladresse. Pour cela, ils po- sent leurs mains fermées sur le sol, puis ils tirent leur derrière ment de pouce, comme toutes les espèces qui vont suivre; sa face est cuivrée. Il habite la Guyane et le Brésil. C'est un animal pleureur, excessivement lent, mais très-doux et très-intelligent. Il vit en grande troupe et aime à se balancer suspendu par la queue aux branches d'arbre. En esclavage il s’apprivoise très- facilement. Les coaïlas se nourrissent principalement de fruits, mais, en cas de famine, ils mangent aussi des racines, des insectes, des mollusques et des petits poissons. On dit même qu'ils vont pêcher des coquillages pendant la marée basse, et qu'ils savent fort bien en briser la coquille entre deux pierres. Dampierre et Dacosta racontent que, lorsque ces animaux veulent traverser une rivière, ou passer d'un arbre à l’autre sans descendre à terre, ils s’atta- chent les uns aux autres en se prenant tous la queue avec les Le Gouariba. après eux, tout d’une pièce, absolument comme font les culs-de- jatte. Leur voix consiste en un petit sifflement doux et flûté, qui rappelle le gazouillement des oiseaux. Le Moxo (Ateles hemidactylus, — Eriodes hemidactylus, DEsour..) a souvent été confondu avec le précédent. Sa longueur, non com- pris la queue, est de dix-huit pouces (0,487); son pouce ne con- siste pas en un simple tubercule, mais bien en un petit doigt très-court et trèsgréle, muni d’un ongle, atteignant à peine l'origine du second doigt, et tout à fait inutile à l'animal; son pelage est d’un fauve cendré, un peu noirâtre sur le dos; ses mains et sa queue sont d’un fauve plus vif, et les poils de la base de la queue sont d’un roux ferrugineux; sa face est couleur de chair taché de gris. Il est du Brésil. Le Cnamecx (Ateles subpendactylus, DEesm. Ateles pendactylus, Gsorr.). Il est d’un noir très-foncé, à poils secs et grossiers. Il est un peu plus grand que l’ateles paniscus et il s’en distingue parfaitement par un rudiment de pouce qu'il a aux mains supé- rieures. Il habite la Guyane, et, selon Buffon, le Pérou. Le Coaïra (Ateles paniscus, GEorr. Simia paniscus, Lin.) est absolument noir comme le précédent, mais il manque entière- mains, et forment ainsi une sorte de chaîne qui se balance dans les airs en augmentant peu à peu le mouvement d’oscillation, jusqu’à ce que le premier puisse atteindre et saisir avec les mains le but où ils tendent; alors il s'accroche et tire tous les autres après lui, Le Cavou (Ateles ater, Fr. Cuv.) ressemble beaucoup au précé- dent; comme lui il a le pelage entièrement noir, mais sa face est d’un noir mat, ridée, au lieu d’être cuivrée. Il est de Cayenne, et a les mêmes mœurs et la même douceur de caractère que le coaïla. Le cayou a toutes les habitudes du coaïta, dont peut-être n'est- il qu'une simple variété, comme le pensait Geoffroy, qui le pre- mier l’a fait connaître. Ainsi que chez tous les animaux de son genre, sa queue ne lui sert pas seulement à assurer sa translation en s’accrochant aux corps environnants et particulièrement aux branches d'arbres, mais c’est encore une véritable main, dont il se sert pour aller saisir hors de la portée de ses bras, et sans se déranger, les objets dont il veut s'emparer; c’est un organe de préhension dont le tact est si délicat, qu’en en touchant un corps quelconque, sans le regarder , sans détourner les yeux de dessus un autre objet, il en reconnaît parfaitement la nature. Sa queue SAPAJOUS. 17 ——_————————————————————— ————--———————_——————….….….….….…._.….….….….-—.….…—……._….-.-….….…"—-—.….…….….….….-_….-_——_— lui sert encore à se garantir du froid, auquel il est très-sensible, en l’enroulant autour de son corps comme nos dames font d’un boa. J'ai vu un mâle et une femelle de cayou, tous deux renfer- més dans une cage, se garantir de la fraicheur des nuits en se tenant dans les bras l’un de l’autre, et roulant autour de leurs deux corps leurs longues queues qui les masquaient en bonne partie. La Marimonpa (Afeles belzebuth, Grorr. — Fr. Cuv. Simia belzebut, Briss. Coaïta à ventre blanc. G. Cuv.). Elle est d'un noir brunâtre en dessus, blanche ou d'un blane jaunâtre en des- sous ; elle a le tour des yeux couleur de chair. Elle vit en troupe sur les bords de l’Orénoque, où les Indiens la chassent pour la manger, et quelquefois pour l'apprivoiser et la vendre. Le Macaco vEeRNELLO ( Ateles arachnoïdes, Grorr. Le Coaïta fauve, G. Cuv.) a le pelage fauve ou roux, court, lisse et moel- leux , touffu à l'origine de la queue; sa face est nue, couleur de chair ; son ventre est d’un blanc sale ou un peu jaunâtre. On le croit du Brésil. Le Meranocuerr (Ateles melanochir, Des. — Fr. Cuv.) a le pe- lage gris, la face noire, les extrémités des membres d’un brun noirâtre , ainsi qu'une tache oblique, placée à la partie externe de chaque genou ; le dessus de la tête plus foncé que le reste du corps. Il habite le Pérou. Le Moxo-Zauso (Ateles hybridus, DesmouL.) a de longueur un pied dix pouces (0,596) ; le dessous de la tête, du corps, de la partie non calleuse de la queue, et de la partie interne des mem- Singe échappé dans le jardin, derrière les anciennes Serres. « La marimonda, dit Humboldt, est un animal lent dans ses mouvements, d’un caractère doux , mélancolique et craintif ; c'est dans ses accès de peur qu'il mord même ceux qui le soi- gnent : il annonce cette colère passagère en rapprochant la com- missure des lèvres pour faire la moue, et en poussant un cri guttural ou-0... Lorsque les marimondas sont réunies en grand nombre, elles s’entrelacent deux à deux et forment les groupes les plus bizarres. Leurs attitudes annoncent une paresse ex- trême... Nous les avons vues souvent exposées à l’ardeur du s0- leil, jeter la tête en arrière, diriger les yeux vers le ciel, replier les deux bras sur le dos, et rester immobiles, dans cette position extraordinaire, pendant plusieurs heures. » La Cauva (Ateles marginatus, Grorr. — Fr. Cuv. Le Coaïta à face bordée, G. Cuv.) est d’un noir uniforme et lustré excepté au- tour de la face, qui est bordée de poils blancs; la face est noire. Cette espèce est commune sur les rives du Santiago et de la ri- vière des Amazones. Selon Humboldt, elle est assez commune dans la province de Jaën de Bracamoros. bres, est d’un blanc sale; le dessus est d’un brun cendré clair, qui, sur la tête, les membres antérieurs, les cuisses et le dessus de la queue, passe au brun pur, et qui, au contraire, prend une nuance jaune très-prononcée sur la croupe et les côtés de la queue; il a sur le front une tache blanche semi-lunaire , large d'un pouce (0,027) au milieu, et dont les pointes vont se terminer au-dessus de l'angle externe des yeux. Il habite la Colombie. 18e Genre. Les LAGOTRICHES (Lagothriæ, Grorr.) ont l’angle facial ouvert à cinquante degrés environ; leur tête est ronde, leur museau saillant, et leurs membres, dans de justes propor- tions, n'ont pas ce prolongement que nous avons vu dans le genre précédent. Leurs mains antérieures ont un pouce; leur queue, fortement prenante, est nue en dessous à l'extrémité. Enfin leur corps est couvert d’un poil moelleux et frisé. Le Caparro (Lagothriæ Humboldtii, Georr.) est d'un cendré noirâtre ou d’un gris uniforme; son pelage est plus obscur et plus touffu sur la poitrine que sur le dos; sa tête est grosse; sa 78 LES QUADRUMANES. face noire, entourée de longs poils roides. Il se trouye sur les bords du Rio-Guaviare, et ses mœurs sont à peu près les mêmes que celles des coaïtas ; mais il est d’un caractère un peu plus fa- rouche, il s'apprivoise moins facilement, Cet animal, haut de deux pieds trois pouces (0,754), vit en troupes nombreuses et paraît d'un naturel assez doux. Humboldt, à qui l’on doit la découverte de ce genre, dit qu'il se tient le plus souvent sur ses deux pieds de derrière, Le son de sa voix res- semble à un claquement, selon Spix, eL il ajoute que cet animal est extrémement gourmand. Le LAGOTRICHE GRISON ( Lagothrix canus, Georr.), qui habite le Brésil, diffère du précédent par des poils plus courts, d’un gris olivâtre sur le corps, et d'un gris roux sur la tête, les mains et la queue. Peut-être faut-il ajouter à cette espèce : Le LaGorriCHE ENFUMÉ ( Lagothrit infumatus. — Gastrimargus infumatus, Six) qui se trouve au Brésil, et qui ne diffère guère des précédents que par son pelage entièrement enfumé. Il habite les forêts les plus retirées, et vit, comme les précédents, de fruits et d'insectes. ; Les lagotriches grison et enfumé sont beaucoup moins farou- ches que le précédent, et s’apprivoisent avec plus de facilité. Ils vivent également en bandes nombreuses, dans les forêts qui om- bragent les bords des grandes rivières du Brésil. Is sont d’un naturel doux et timide, s’habituent aisément à Ja servitude, mais s’attachent peu à leur maître et en changent avec la plus grande indifférence. Moins agiles, moins pétulants que les autres sajous, ils se montrent plus robustes, moins inquiets, moins remuants, et plaisent davantage par une expression de physionomie plus douce et plus aimable. Peu criards, on ne les entend guère trou- bler le silence des forêts que lorsqu'un air lourd et chargé d'é- lectricité annonce un prochain orage. Alors ils réunissent leur troupe éparpillée, s'appellent les uns les autres, et cherchent en- semble un abri contre la tempête. Ils se blolissent contre le tronc d'un arbre, à la bifurcation des branches basses les plus grosses , et là, dans la plus grande épouvante, serrés les uns contre les autres en petits groupes de trois ou quatre, ils altendent dans l’immobilité la plus complète que les éclairs aient cessé de sillonner les nues et le tonnerre de gronder. Le jaguar profite souvent de cette circonstance pour les poursuivre, les saisir et les dévorer; dans leur effroi ils pensent à peine à fuir, et il en fait aisément sa proie. Souvent aussi ils deviennent les victimes du cougouard et d’autres grands chats sauvages. 19° Gexee, Les SAJOUS (Cobus, ExxLes.) ont l’angle facial ou- verE à soixante degrés. [ls ont la tête ronde, le museau court, les oreilles arrondies, l’occiput saillant en arrière, les pouces dis- tincts , opposables aux autres doigts, et la queue toute velue quoique prenante. Le Sasouassou (Cebus apella, Des. Sinia apella, Linx. Le Sajou, Burr. — G. Cuy.). Son pelage est d'un brun plus ou moins foncé en dessus, plus pâle en dessous ; les pieds, la queue, le sommet de la tête et la face sont bruns ; cette dernière est entourée de poils d’un brun noiratre; le dessous du cou et la partie externe des bras tirent sur le jaune, Celle espèce ne se irouverait point au Brésil selon le prince Maximilien, eb serait propre à la Guyane francaise. Comme tous les sajous ont absolument la même intelligence, les mêmes mœurs, et des habitudes semblables, il nous suffira de donner l'histoire de celui-ci pour faire connaître tous les autres. Le sajouassou a toute l'intelligence des coaïtas, mais avee moins de circonspection ; parce que la vivacité de ses impressions et la promptitude de son imagination ne lui permettent ni prudence ni réserve, Tous les sajous sont d'un naturel très-doux, très— affectueux, et s’attachent vivement à leur maître, surtout quand ils sont traités avec douceur. Quoique vifs et turbulents, ils n’ont pas la pétulance capricieuse des singes ; mais il est fâcheux qu'ils en aient la malpropreté et un peu l’impudicité, car sans cela ils seraient les animaux les plus aimables que l’on puisse soumettre à l'esclavage. En outre ils craignent beaucoup le froid, et, dans nos pays, ils sont sujets à des maladies de poitrine qui les enlè- vent promptement. Cependant, en les tenant dans des apparle- ments chauds , ils passent assez bien l'hiver et vivent plusieurs années. J'en ai yu beaucoup qui avaient l'étrange habitude de se manger la queue, malgré tout ce qu'on pouvait faire pour les en empêcher ét malgré la douleur qu'ils en éprouvaient. A l'état sauvage ils vivent dans les bois en grandes troupes. Ils se nourrissent principalement de fruits, mais ils mangent aussi des insectes, des œufs, et même des oiseaux quand ils peuvent les attraper. J'ai remarqué que, de même que les petits mammi- fères carnassiers, quand ils prennent un oiseau ils commencent toujours par lui briser le derrière du crâne et lui manger la cer- velle. Le sajouassou est fort doux, mais capricieux et fantasque. IL affectionne sans sujet de certaines personnes, et prend les autres en haine sans cause appréciable. Il aime les caresses et fait alors entendre une petite voix douce et flütée. S'il est effrayé ou en colère , il fait des mouvements brusques d’assis et de levé, en prononçant d'une voix forte et gutturale : heu, heu. Ce petit ani- mal se reproduit en captivité dans de certaines circonstances. Le père et la mère aiment beaucoup leur enfant , en prennent le plus grand soin, et le portent tour à tour dans leurs bras; ils s'empressent à lui apprendre à marcher, à grimper, à sauter, mais lorsqu'il a l'air de faire peu d'attention à leurs leçons : ils le corrigent et le mordent serré pour exciter son application. Le Sasou rRoBusTE (Cebus robustus, Kuuz.) est brun ; le sommet de sa iêle est couvert de poils noirs qui s’avancent sur le front, et deux lignes de la même couleur lui entourent la face; les mains, les avant-bras, les jambes, les pieds et la queue sont d’un brun foncé; les épaules, le dessous du cou et la poitrine sont jaunâtres; le cou et le ventre sont d'un marron roux. Celle espèce a élé découverte au Brésil par le prince Maximilien de Neuwied, Si ce n’esl pas la même que Fr, Cuvier a décrite sous le nom de Saï femelle, elle a du moins une très-grande analogie avec’ elle. Le Sasou Gris (Cebus griseus, Des. Cebus barbatus, G£orr. Le Sapajou gris, Burr. Cebus capucinus, ErxL, ; probablement une va- SAPAJOUS,. 19 oo riété de l’apella). On ne connaît pas la patrie de cet animal, mais on le suppose du Brésil ou de la Guyane. Le derrière de Ja tête, le cou , le dos , les flancs , les cuisses, la partie postérieure des jambes de derrière et le dessus de la queue sont d'un brun jau- nâtre ou d'un brun fauve mélé de grisâtre; le dessous est d'un fauve clair; une calotte noirâtre lui couvre le sommet de la tête ; il n'a pas de barbe; sa face est entourée de poils d'un brun noir ; quelquefois le cou, la poitrine et le haut des bras sont blancs. Le Sasou BarBU (Cebus barbatus, Desm. Cebus albus, Grorr. Le Saï varié, Auves.). Son pelage est gris, ou d'un gris roux, ou blanc, selon l’âge ou le sexe ; le ventre est roux : sa barbe se prolonge sur ses joues. Ses poils sont longs et moelleux. Il ha- bite la Guyane. Le Sasou coirré (Cebus frontatus, KuuL. Cebus trepidus , GEorr. — Era. Le Singe à queue touffue, Evwa.). Son pelage est d'un noir presque uniforme, mais cependant les extrémités des mem- bres sont plus foncées; il a sur les mains antérieures et autour de la bouche quelques poils blancs, ceux de son front sont rele- vés perpendiculairement et très-droits. On ne sait d’où il est. Le Sasou NÈGRE (Cebus niger, GEorr. Sapajou nègre, Burr.). Peut-être, comme le pense Humboldt, n'est-ce qu'une va- riélé du sajou brun (Cebus capucinus), qui lui-même est une va- riété de l’apella. Son pelage est d’un brun foncé, son front et la partie postérieure des joues sont couverts de poils jaunâtres; sa face, ses mains et sa queue sont noires. Sa patrie est inconnue, Le Sasou varié (Cebus variegatus, Georr.). Sa tête est ronde, et son museau saillant; l'espace de la face compris entre les yeux est d’un brun noirâtre; son pelage est noirâtre , pointillé de jaune doré en dessus , roussàtre en dessous; les poils de son dos sont bruns à leur base, roux au milieu et noirs à la pointe, On ne connait pas son pays. Le Sasou FauvE (Cebus fulvus, Des. Cebus flavus, Georr.), Tout son pelage est fauve; il est remarquable par ses poils soyeux, droits, non ondulés. L'Ouayapavi (Cebus albifrons, Gzorr. — Huurorvr) habite au— tour des cascades de l'Orénoque, près des Maïpures et des Atures. Son pelage est gris, plus clair sur le ventre; le sommet de sa tête est noir; ses extrémités sont d’un brun jaunâtre; il a le front blanc ainsi que les orbites des yeux. Le Sasou LUNULÉ (Cebus lunatus, Kuur. — Fr. Cuv.). Il est d’un brun de suie, presque noir sur la tête et les membres; il a sur chaque joue une tache blanche en croissant se portant depuis le sourcil jusqu’à la bouche ; ses parties nues sont violâtres. Sa pa- trie n'est pas connue. Le Ssrou connu (Cebus fatuellus , Des. Simia fatuellus, Lix. Cebus cristatus, Fr. Cuv. Le Sajou à aigrette, du même. Le Sajou cornu, Burr.). Son pelage est d'un brun marron sur le dos, plus clair sur les flancs , passant au roux vif sur le ventre; la queue et les extrémités sont d'un brun noir; deux forts pinceaux de poils blancs, séparés en forme de corne, s'élèvent de la racine de son front. Il habite la Guyane francaise. Sasou À TouPET (Cebus cirrifer, Grorr.). Il a la tête ronde; son pelage est d'un brun châtain ; le vertex, les extrémités et la queue sont d’un marron tirant sur le noir; il a sur le front un toupet de poils noirâtres élevé en fer à cheval. On le croit du Brésil. Le Saï (Cebus capucinus, DESu. Simia capucina, Lin. Le Saï , Burr. Le Sujou sat, Grorr.). Son pelage varie beaucoup et passe du gris brun au gris olivàtre; il a le vertex et les extrémités noirs; le front, les joues et les épaules d'un gris blanchâtre. Le saï habite les bois de la Guyane, où il se nourrit de fruits, de graines, de sauterelles et autres insectes. Il est très-farouche, et si l'on parvient à le prendre vivant, ce‘qui est fort difficile, il se défend avec un courage bien au-dessus de sa taille et de sa force. 11 mord si opiniätrément , qu'il faut l’'assommer pour Ini faire lâcher prise. Les voyegeurs ont quelquefois nommé ces sajous singes pleureurs, parce qu'ils ont un cri plaintif et que, pour peu qu'on les contrarie, ils ont l'air de se lamenter; d'au- tres les ont appelés singes musqués, parce qu'ils ont, comme le macaque, une odeur de muse (dit Buffon). En captivité , le saï est doux , crainlif et assez docile, Son cri ordinaire ressemble à peu près à celui d'un rat, et il le fait volontiers entendre quand il désire quelque chose ou qu'on le caresse ; dès qu'on le menace, ce cri devient une sorte de gémissement. En France, il mange des fruits; mais il préfère à toute autre chose les limacons et les hannelons. Le Caribranco (Cebus hypoleucus, Des. — Fr. Cuv. Le Saï à gorge blanche ; Burr.) a ordinairement les épaules, les bras, les côtés de la tête et la gorge d’un blanc très-pur; le reste du pe- lage est d'un noir très-foncé. Sa face et son front sont nus, et de couleur de chair ainsi que ses oreilles. Il vit à la Guyane et a les mêmes mœurs que le précédent. Celui qui a vécu à la Ménagerie était d’une extrême douceur et avait assez d'intelligence. Son regard, qui était très-pénétrant, savait deviner dans vos yeux les sentiments que vous éprouviez pour lui, et au moindre geste il comprenait parfaitement vos in- tentions à son égard. Son cri, lorsqu'il désirait quelque chose, consistait en un petit sifflement très-doux, et surtout lorsqu'on le caressait ; mais, quand il était colère ou effrayé, il se changeait en une sorte d'aboiement rude et saccadé. Le SaJOu À POITRINE JAUNE ( Cebus œanthosternos , Kuuc. Cebus macrocephalus, Fr. Cuv.) a été découvert au Brésil, près du fleuve Belmonte, par le prince Maximilien de Neuwied. Il diffère de tous les autres sajous par la forme de sa tête. Son front large, arrondi, rejeté en arrière, est couvert de poils blancs et ras qui le font pa- raître chauve. Son museau est de couleur tannée ; son pelage est châtain ; il a le cou et la poitrine d’un jaune roussâtre très-clair ; les mains d’un violâtre presque noir. Le Sajou À PIEDS DORÉS (Cebus chrysopus, Fr. Cuv.). Sa tête est grosse, arrondie, d'un brun grisàtre un peu foncé descendant sur la partie moyenne du dos, avec la face d'un couleur de chair un peu tanné, entourée d'un large cercle de poils blanes ; le pelage est d'un gris jaunâtre , blanc jaunâtre en dessous : les quatre membres sont d’un beau fauve doré; les oreilles sont de la couleur de la face, et les mains blanchâtres. Il habite l'Amé- rique méridionale, mais on ne sait pas quelle partie. Le Sajou À TÈTE FAUVE (Cebus œanthocephalus, Srix) a la région lombaire, la partie supérieure de la poitrine, le cou, la nuque el le dessus de la tête fauves; le milieu du corps, la croupe et les cuisses bruns. Il habite le Brésil. Le Sasou MAIGRE ( Cebus gracilis, Srix) est d’un brun fauve en dessus, blanchâtre en dessous ; vertex et occiput bruns : corps très-grèle. Cette espèce, qui n’est pas suffisamment déterminée, se trouve dans les forêts voisines de la rivière des Amazones. Le SaJou À cAPUCHON (Cebus cucullatus Srix) a les poils de la parlie antérieure de la tête dirigés en avant; le dos et la tête sont brunâtres ; les bras, la gorge et la poitrine sont roussâtres ; le ventre est d’un roux ferrugineux ; les membres et la queue sont presque noirs. Il habite la Guyane et le Brésil. Le Sasou Lascir (Cebus libidinosus, Srix). Il a la calotte d’un noir brun; la barbe entourant en cerele toute la face ; le dos, la gorge, la poitrine, les membres (excepté les cuisses et les bras), le dessous de la queue, d'un roux ferrugineux; le devant de la gorge d'un brun roux foncé ; les joues, le menton et les doigts d'un roux plus clair; le corps d’un roux fauve, et la queue un peu plus courte que le corps. Il habite le Brésil. À 20e Gexre. Les SAGOUINS (Saguinus, Lac. Callithriz, Grorr. — Fr. cuv.), ainsi que tous les genres qui vont suivre, n’ont pas la queue prenante; leur angle facial est ouvert à soixante degrés; leurs oreilles sont très-grandes , déformées ; leur corps est gréle, 80 LES QUADRUMANES. et leur queue est couverte de poils courts. Du reste ils ressem- blent aux sajous. Le Saïuiri (Saguinus sciureus, Less. Callithrix sciureus, GEorr. — Fr. Cuv. Simia sciurea, G. Cuv. Le Sajou jaune, Briss. Le Singe orange, PENN. Le Titi de l'Orénoque, Huwpozor. Le Saimiri, Burr.) Son pelage est d’un gris jaunâtre ou verdâtre, blanc en dessous; les avant-bras et les quatre mains sont d’un roux vif; le bout de son museau est noir. Ce joli petit animal se trouve au Brésil et à Cayenne. Comme nos écureuils, dont il a la taille, l'œil éveillé et la vivacité, il ha- bite constamment sur les arbres, et se nourrit de fruits, de grai- nes et quelquefois d'insectes. « Par la gentillesse de ses mouve- ments, dit Buffon, par sa petite taille, par la couleur brillante de sa robe, par la grandeur et le feu de ses yeux, par son petit visage arrondi, le saïmiri a toujours eu la préférence sur tous quatre fois de suite. Du reste, ce charmant animal me parait avoir plus de douceur que d'affection pour ses maîtres. Le SAHOUASSU Où SAGOUIN À MASQUE (Saguinus personatus, LESs. Callithrix personatus, Georr. — Des.). Cet animal a le pelage d'un gris fauve, la queue rousse, la tête et les quatre mains noirâtres.! Il se plaît dans les bois qui bordent les rivières au Brésil. Ses mœurs, ainsi que celles des espèces qui vont suivre, ne diffèrent que peu de celles du saïmiri. Cependant ces animaux habitent moins les arbres et se plaisent beaucoup plus dans les broussailles que dans les forêts; ils nichent aussi plus volontiers dans les trous des rochers. Leurs yeux, fort bien disposés pour voir la nuit, ont de la peine à soutenir la vive lumière du jour. Il en résulte que les sagouins en général passent la journée à dormir dans leur retraite, qu'ils n’en sortent qu'au crépuscule, et que Le Sajouassou. les autres sapajous, et c’est en effet le plus joli, le plus mignon de tous; mais il est aussi le plus délicat, le plus difficile à trans- porter. Sa queue, sans être absolument inutile et lâche, comme celle des autres sagouins, n’est pas aussi musclée que celle des sa- jous; elle n’est pour ainsi dire qu'a demi prenante, et quoiqu'il s'en serve pour s'aider à monter et à descendre, il ne peut ni s’atta- cher fortement, ni saisir avec fermeté, ni amener à lui les choses qu'il désire, et l'on ne peut plus comparer cette queue à une main, comme nous l'avons fait pour les autres sapajous. » Le saïmiri est un animal très-gai et fort doux ; sa physionomie ressemble à celle d’un enfant; c’est la même expression d’inno- cence, de plaisir, de joie et de tristesse; il éprouve vivement les impressions de chacun, verse des larmes quand il est contrarié ou effrayé, et toute sa personne respire une grâce enfantine. Dans sa jeunesse , il est extrêmement attaché à sa mère, et ne l’aban- donne pas même après sa mort. Lorsqu'il saisit quelque chose avec ses mains antérieures, son pouce es£ placé à côté des autres doigts, parallèlement avee eux; mais il est opposable aux autres doitgs dans les mains de derrière. Quand il dort, son attitude est fort singulière : il est assis, ses pieds de derrière étendus en avant, ses mains appuyées sur eux, le dos courbé en demi-cercle, sa tête placée entre ses jambes et touchant à terre. Soit qu'il veuille témoigner sa colère ou ses désirs, son cri consiste en un petit sifflement plus ou moins doux ou aigu, qu'il répète trois ou ce n’est qu'alors qu'ils jouissent de toute leur gaieté. Ce sont de petits animaux fort intelligents. La Veuve (Saguinus lugens, Less. Callithrix lugens , GEorr.) se trouve dans les bois qui ombragent le bord des rivières à San- Fernando de Atapabo. Son pelage est noirâtre, sa gorge et ses mains antérieures sont blanches, et sa queue est à peine plus grande que son corps. Ses habitudes sont tristes et son caractère mélancolique. Il vit isolé et ne se réunit jamais en troupe comme les autres, que l'on rencontre rarement moins de dix à douze ensemble. A la suite de ces trois espèces, qui appartiennent au genre cal- lithrix de Desmarest, Geoffroy et F. Cuvier, genre fondé sur ce que la queue est encore un peu prenante et sur d’autres légères considérations, viennent les véritables sagouins à queue tout à fait lâche. Le SaGouIN À COLLIER (Saguinus torquatus, DEsn. Callithriæ tor- quata, Horrm. — GEorr.). On le trouve au Brésil. Son pelage est d’un brun châtain, jaune en dessous, avec un demi-collier blanc. Sa queue est un peu plus longue que son corps. Le SAGOuIN À FRAISE (Saguinus amictus, DESM. Simia amicta, Huws.) habite, dit-on, le Brésil, mais sa patrie n’est pas bien connue. Son pelage est d’un brun noirâtre; il a un demi-collier blanc; ses mains antérieures sont d’un jaune terne et pâle, et sa queue est d’un quart plus longue que son corps. £ SAPAJOUS 81 Le Morocu (Saguinus moloch, Desm. Callithrix moloch, Grorr. Cebus moloch, Horrw.) se trouve à Para. Il est couvert de poils cendrés , annelés en dessus, d’un roux vif en dessous, ainsi que sur les tempes et les joues; ses mains sont d'un gris blanchâtre, ainsi que l'extrémité de sa queue. Cette espèce est rare. Le SAGOUIN MITRÉ (Saguinus infulatus, DEsm. Callithrix infu- latus, KuuL.) habite le Brésil. Il est gris en dessous, avec la queue d'un jaune roussâtre à son origine, et noire à son extrémité ; il a au-dessus des yeux une grande tache blanche, entourée de noir. I n'est certainement qu'une variété du suivant, est très-séparé et très-peu distinct des autres doigts, et tous leurs ongles sont plats; leur queue est longue, recouverte de poils courts, Le Douroucourt ou cara-rayana (Nocthora trivirgata, Fr. Cuv. Aotus trivirgatus, Huwe. Nyctipithecus felinus, Srix. Le Titi-tigre des voyageurs). Cet animal a dix pouces (0,271) de longueur du sommet de la tête à l'origine de la queue. Son pelage est d'un gris cendré en dessus, d’un jaune roux ou orangé en dessous; les mains, les Le Douroucouli, ou Cara-Rayada. Le G160 ou SAGOUIN À MAINS NOIRES (Saguinus melanochir, DES. Callithrix incanescens, Licusr. Callithriæ melanochir, Kuur..). Il habite le Brésil, où il a été découvert par le prince Maximilien de Neuwied. Son pelage est d'un gris cendré, excepté au bas du dos, aux lombes et à l'extrémité de la queue, où il est d’un brun roussâtre. Ses mains antérieures sont fuligineuses. Il est très- commun dans les forêts, et, au lever du soleil, il pousse des cris rauques, désagréables, qui retentissent au loin. On ne connaît rien de plus de son histoire, oreilles, le nez sont couleur de chair; le dessus des yeux est blanc, et trois lignes noires s'élèvent sur son front, l’une à partir du nez, les deux autres à partir de l’angle externe des yeux; ces derniers sont très-grands, ronds et fauves. Sur les bords de l'Orénoque, dans les forêts de Maypures et de l'Éméralda, on entend quelquefois, pendant l'obscurité des nuits, un cri terrible que l’on prend pour celui du jaguar, et qui effraye le voyageur, Ce cri retentissant se rapproche et semble articuler les syllabes muh-muh ; tout à coup il lui succède une sorte de 21e Genre. Les NOCTHORES (Nocthora, Fr. Cuv.). Leurs dents sont semblables à celles des sajous; leur tête est arrondie et fort large; leur museau court; leurs yeux sont très-grands et à pu- pille ronde ; leur nez est saillant et leurs narines sont ouvertes en dessous autant que sur les côtés; la bouche est fort grande, ainsi que les oreilles, qui sont arrondies; leur pouce antérieur miaulement, é-i-aou, tout aussi sinistre. Déjà l'Européen épou- vanté porte la main à ses armes, lorsque l'animal féroce se laisse apercevoir aux rayons brillants de la lune. C’est un titi-tigre, un douroucouli nocturne, à peine de la grandeur d’un petit lapin, moins dangereux qu'un écureuil, et qui n’a aucune résistance à opposer à l’épagneul qui l’attaque, car sa lenteur et sa mal- 46. Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36. 6 82 LES QUADRUMANES. adresse ne lui permettent de se servir ni de ses dents ni de ses ongles pointus. Cependant il ne se rend pas sans avoir au moins essayé de faire peur à son ennemi; pour cela, il se hérisse, élève son dos recourbé en are comme fait un chat, il enfle sa gorge, et pousse un cri beaucoup moins terrible, mais tout aussi désagréable que le premier, quer-quer. Cet animal, triste et solitaire, vit avec sa femelle dans le fond des forêts les plus désertes, et rarement on en trouve plus d'un couple dans la mème partie d'un grand bois. Il ne descend à terre que dans des circonstances rares, et par accident, et passe tout le jour à dormir sur un arbre, auprès de sa femelle, qu'il ne quitte jamais que lorsque la mort vient les séparer. Il l'aime avec tendresse, l’aide, la protége, et la défend avec courage au besoin. Il partage avec elle les petits soins de famille et contribue beaucoup à l'éducation de ses enfants. Pendant la nuit, le douroucouli se réveille et se met en chasse. Il va furetant d'arbre en arbre, de branche en branche, pour saisir les petits oiseaux qui dorment sous le feuillage, ou prendre les mères couveuses sur leur nid. Ceci ne l'empéche pas de saisir et de manger en passant des sauterelles, des fulgores, des co- léoptères et autres gros insectes. Si aucune de ces chasses ne lui réussit, il se rabat sur les fruits sauvages, et mème sur des grai. nes de mimosa et de bertholletia. Si, par bonne fortune, il ren- conire dans ses peliles excursions des champs de bananiers, de cannes à sucre ou des palmiers, il ne manque jamais de les piller; mais le tort qu'il y fait n'est pas grand, ear une ou deux bananes peuvent fournir aux repas de lui et de sa famille pour toute une journée. Le douroucouli qui a vécu à la ménagerie se nourrissait de lait, de biscuits et de fruits; il était fort doux, mais c'était une jeune femelle, et il parait que le mâle, surtout à l’état adulte, reste farouche et ne peut pas s’apprivoiser. Du moins M. Humboldt en a eu un qui, malgré tous les bons traitements, est constamment resté sauvage, Le NocTuoRE nurLEUR (Nocthora vociferans. — Nyctipithecus vociferans, Srix) a le pelage d'un gris roux partout, même sur la tête; il a le tiers seulement de la queue noirâtre. Il habite le Brésil, et, comme le précédent, fait retentir les forêts de sa voix effrayante. Les nocthores sont de véritables animaux de nuit. La sensibi- lité de leurs yeux est extrême et les empêche de supporter la lu- mière ; si on les y expose pendant le jour, leur iris se ferme com- plétement ; au commencement de la nuit, au contraire, il s'ouvre è un tel point que la pupille a presque la grandeur de l'œil. I résulte de celte organisation qu'ils dorment toute la journée re- pliés sur eux-mêmes , et la tête cachée entre les jambes de de- vant; mais dès que le crépuscule commence à paraitre , ils s’é- veillent et agissent, 22e Gexre. Les SAKIS (Pithecia, Grorr.). Ils ont l'angle facial ouvert à soixante degrés; leur tête est ronde, à museau court; leurs oreilles sont arrondies, médiocres; ils ont cinq doigts aux mains; leur queue, non prenante, est généralement touffue, ce qui leur à valu le non de singe à queue de renard. Le Yarké (Pithecia leucocephala, Gore. Simia pithecia, Lix. Le Saki et le Yarké, G. Cuv.— Burr.). Il est noirâtre ou noir, avec le tour du visage d’un blanc sale; il manque de barbe; chaque poil est d’une couleur uniforme; sa queue est à peu près de la lon- gueur de son corps. Le yarké est un animal de la Guyane, où néanmoins il est assez rare. Moins grimpeur que les animaux des genres précédents, il s'enfonce moins aussi dans la profondeur des forêts, et habite plus volontiers, en petites troupes de dix ou douze, les bois et les broussailles. Il se nourrit de baies et de fruits sucrés, et quelquefois d'insectes, La femelle ne fait qu'un seul petit, qu'elle aime beau- coup et qu'elle soigne avec la plus grande tendresse. Il est d'un caractère tranquille’et doux, et cependant il s'apprivoise diffici- lement, Sa faille est assez grande, et atteint dix-sept à dix-huit pouces, non compris la queue, Du reste, toutes les espèces ont à peu près les mêmes mœurs; ce sont des animaux nocturnes, qui ne sortent de leur trou que le soir et le malin, pour aller à la recherche de leur nourriture, et principalement des ruches d’a- beilles sauvages. Les habitants du pays prétendent que les sajous suivent les yarkés pour s'emparer du miel qu’ils ont découvert, et qu'ils les battent à outrance pour les faire détaler s'ils font mine de s'opposer à ce brigandage. Le Cacarao ou Carniriu et Saucuzo (Pithecia melanocephala, Georr. Le Mono-rabon de quelques provinces de l'Amérique) se trouve particulièrement dans les forêts qui bordent les rives du Cassiquiare et du Rio-Negro. Il est d’un brun jaunâtre, avec la lèle noire, sans barbe; sa queue est d’un sixième plus courte que son corps. Il a à peu près les mêmes habitudes que le précédent, mais il est moins lent, moins paresseux, et ne vit que de fruits sucrés, tels que goyaves, bananes , etc. ; du reste, son caractère est doux et paisible. Le Moins (Pithecia monachus, Grorr.) habite le Brésil. Il est varié de brun et de blanc sale jaunâtre, ses poils sont bruns dans la plus grande partie de leur longueur, et d’un roux doré vers leur extrémité; de l'occiput au vertex, sa tète est parée d’une sorle de chevelure rayonnante. Il n’a point de barbe, et sa queue est à peu près de la longueur de son corps. Ce sajou etles deux suivants sont des variétés du rufiventris. Le Sakr À MOUSTAGHES ROUSSES (Péthecia rufibarba, Kuur.) est d'un brun noirâtre en dessus, d’un roux pâle en dessous ; le des- sus des yeux est de la même couleur, et sa queue se termine en pointe, On le trouve à Surinam. Le Sakt À TÊTE JAUNE ( Péthecia ochrocephala, Kuur.) est d’un marron clair en dessus, d’un roux cendré jaunâtre en dessous ; les poils du tour de la face et du front sont d’un jaune d’ocre, ses mains et ses pieds d'un brun noir. On le trouve à Cayenne. Le Sakt A VENTRE ROUX (Pithecia rufiventris, Grorr. Le Singe de nuit, RBurr. — G. Cuv.), de la Guyane française, est d’un brun teinté de roussâtre ; les poils sont annelés de brun et de roux, entièrement roux sur le ventre; il n’a point de barbe; sa cheve- lure rayonne sur le vertex et aboutit au front; sa queue est à peu près de la longueur de son corps. Le Miniquouxa (Pithecia miriquouina, Georr.) habite les bois de la province de Chaco et les bords de la rivière du Paraguay. Il est gris brun en dessus, annelé en dessous; les poils du dos sont blancs à la base et à l'extrémité, noirs au milieu ; il a deux taches blanches au-dessus des yeux; il manque de barbe, et sa queue est un peu plus longue que son corps. Dans la captivité, il est doux, paisible, et il a même de la docilité jusqu'à un certain point. Le Couxi0 ( Pithecia satanas, GEorr. Simia satanas , HOFFMANS. Brachyurus israelita, Seix. Le Couxio, Huws. Le Saki noir, G. Cuy.) se trouve sur les bords de l'Orénoque, dans le Para. Le mâle est d’un brun noir, la femelle d'un brun roux; sa tête est entière- ment couverte d’une épaisse chevelure qui lui tombe sur le front; il a une barbe très-fournie, et sa queue est à peu près de la lon- gueur de son corps. Lorsque cet animal est irrité, il se dresse sur ses pattes de derrière, grince des dents, se frotte la barbe et se lance sur son ennemi. Le CapucIN DE L'ORÉNOQUE (Pithecia chiropotes, GEorr.) est d’un roux marron; il a une barbe longue et touffue; sa chevelure épaisse est séparée au milieu et se relève en deux toupets de cha- que côté de la tête. Variété du précédent. . Ce saki est un animal triste, d'un naturel paisible et timide, fuyant la société de ses semblables et surtout celle de l'homme, se retirant dans la profondeur des forêts, où il vit solitaire avec sa femelle, Aussi, depuis que la population de la Guyane s'est F OUISTITIS. 83 —_—___——_—_—_—_— augmentée, il est devenu fort rare, et on ne le trouve plus guère que dans l’Alto-Orenoco , au sud et à l'est de l'Orénoque. Comme les autres espèces de son genre, il vit de fruits et d'insectes. Le cynique Diogène eût jeté plus tôt son écuelle de bois s'il eût connu cet animal, car, ainsi que l’orgueilleux philosophe d'Athènes, il puise l’eau des ruisseaux et Ja boit dans sa main avec beaucoup de précaution pour ne pas mouiller sa barbe, C'est ce qui lui à valu son nom scientifique de chiropotes que lui ont donné les savants. Je ne sais si l'on ne doit pas regarder comme une simple va- riété du couxio ou du capucin Le Sax cicer (Pthecia sagulata, Less. Simia sagulata, STEW.), remarquable par sa longue queue noire, très-touffue, affectant la forme d’une massue, Son corps est noir en dessus, avec les poils du dos d'une couleur ocracée; sa barbe est noire. Il ést assez commun aux environs de Demerary, dans la Guyane hollandaise. Les sakis vivent généralement en troupe de sept ou huit ensem- ble; et si le capucin de l'Orénoque fait une exception à la règle générale, ce n'est probablement que depuis que l'homme, en troublant la solitude de ses forêts, l’a forcé de s'éparpiller. Du reste, le nom de chiropotes (qui boit avec ses mains), donné au capucin , ne peut nullement servir à caractériser son espèce ; car, ainsi que M. Ricord m'a dit l'avoir observé, plusieurs autres sin- ges, mème de genres différents, ont la même habitude. Or j'ai la plus parfaite confiance dans les observations de ce naturaliste, qui, dans ses voyages transatlantiques, a enrichi les sciences na- turelles d'un grand nombre d'objets nouveaux, et dont les re- cherches en ichthyologie ont été si utiles aux derniers travaux de notre immortel G. Cuvyier. Moi-même j'ai eu l'occasion d'observer une guenon qui ne buvait pas autrement que le saki chiropote, et cela sans qu’elle y eût été incitée ni par l'exemple ni par l'éducation. LES OUISTITIS. Ce sont de jolis animaux, qui s'apprivoisent aisément. Ils ont la tête ronde, le visage plat, les narines latérales, les fesses velues, point d'abajoues, et la quéue non prenante, caractères qui les rapprocheraient des genres précédents; mais, quoiqu'ils soient de l'Amérique, ils n'ont que vingt mâchelières, c'est-à-dire trente- deux dents, ainsi que les singes de l'ancien continent. Tous leurs ongles sont comprimés et poinlus, excepté ceux des pouces de derrière, et leur pouce de devant s’écarte fort peu des aulres doigts. 25e Genre. Les OUISTITIS proprement dits (Jacchus, Georr.) ont les incisives supérieures intermédiaires plus larges que les la- térales : celles-ci isolées de chaque côté; les incisives inférieures sont allongées, étroites, verticales : les latérales plus longues ; les canines moyennes et coniques : les inférieures très-pelites ; en tout trente-deux dents : selon G. Cuvier. Le Tri ou le Sacoux (Jacchus vulgaris, Georr. Simia jacchus, Lis. Cagui minor, Marcc. L'Ouistiti ordinaire, G. Cuv. — Burr. Le Singe à queue annelée, PENX.). Ce charmant petit animal n’atteint pas la taille d’un écureuil, car il a toul au plus six pouces de longueur (0,162), non compris la queue, qui est annelée de noir et de gris elair ; son pelage est d'un gris foncé jaunâtre, ondé; la tête, les côtés et le dessous du cou sont noirs ou d'un brun roux; la face, la plante des pieds et la paume des mains sont couleur de chair ; il a un tubereule sail- lant entre les yeux et une tache blanche au front; l'oreille est entourée d’une touffe de poils blancs ou cendrés ou noirs, roides et longs. Le titi habite la Guyane et le Brésil: partout il est recherché, non à cause de sa gentillesse, mais parce qu'il est joli et peu embarrassant. Son caractère est loin de répondre à l'amitié qu'on lui porte; il parait bon parce qu'il est faible, intelligent parce qu'il est défiant , doux parce qu'il est peureux. Dans les bois de l'Amérique il a une certaine vivacité, qu'il perd dans l'esclavage, surtout dans nos climats, où je n’en ai jamais vu vivre plus de deux ans. Il aime à poursuivre de branche en branche, en s’élancant de l’une à l’autre, les gros insectes et même les petits oiseaux, dont il fait sa proie: Il adjoint à cette nourriture des fruits et des graines, mais seulement quand sa chasse pe réussit pas, car il a des habitudes carnassières. Il lui arrive souvent de descendre des arbres et dè chasser aux limacons et aux petits lézards. Il paraît même qu'il se hasarde awbord des eaux pour saisir à l'improviste quelques petits poissons. Edwards, cité par Buffon, raconte que l'un de ceux qu'il a vus, étant un jour déchainé, se jeta sur un petit poisson doré de la Chine qui était dans un bassin, qu'il le tua et le dévora avidement; qu'ensuite on lui donna de petites anguilles qui l'effrayèrent d'abord en s’entortillant autour de son cou, mais que bientôl il s'en rendit maitre et les mangea. Lorsque, entrainé par l'ardeur de la chasse, le mâle s’est un peu éloigné de sa femelle, il pousse un sifflement aigu longtemps prolongé sur le même ton, pour l'appeler auprès de lui. Ce cri le trahit et le fait découvrir par le chasseur, qui sans cela aurait beaucoup de peine à l’apercevoir dans le feuillage. Mais, quand on yeut le Liver, il faut s'en approcher bien doucement et sans bruit, car, s'il apercoit quelqu'un, il se blottit à l'enfourchure de deux grosses branches, s’y cache et ne fait plus aucun mouve- ment, de manière qu'il est presque impossible de l'y voir. Le mâle et la femelle ne se quittent jamais, et cependant ils paraissent avoir assez peu d'affection l'un pour l'autre. La femelle surtout montre une sorte de férocité dans des circonstances où presque tous les animaux développent des sentiments de ten- dresse que leur a dévolus la nature; ainsi elle met bas trois ou quatre petits, et assez ordinairement elle débute dans les soins malernels par manger la tête d’un ou deux. Ce n’est que lorsqu'ils sont paryenus à saisir la mamelle, chose qu'ils cherchent à faire aussitôt qu'ils sont nés, qu'ils sont à peu près sûrs de n'êlre pas dévorés. Dans la suite de leur éducation elle ne montre guère plus de tendresse. Les petits se cramponnent sur son dos, et quand elle consent à les porter ce n'est pas pour longtemps; au moindre embarras qu'ils lui causent, à la plus petite fatigue, elle se frotte le dos contre une branche ou un tronc d'arbre au ris- que de les écraser, les force ainsi à la lâcher, s'en débarrasse, et s’en ya sans s'inquiéter davantage de ce qu'ils deviendront. Heureusement pour eux que, s'ils ont une mauvaise mère, leur père se montre beaucoup plus affectueux. En entendant leurs cris de détresse, il vient à leur secours, les place sur son dos et les porte. De temps à autre il rejoint la femelle et les lui présente pour qu'elle leur donne à teter, ce qu'elle fait presque toujours en rechignant. : Dans la captivité, le titi, tout chéri qu'il est par nos dames, n'est guère plus aimable. Si on en jugeait par ses grands yeux toujours en mouvement et par la vivacité de ses regards, on croi- rail à sa pénétration, et l’on se tromperait, car ce n'est que la défiance de la peur. Les titis ne caressent jamais, et souyent même ne se laissent pas caresser. Ils se défient de tout le monde, de la main qui les nourrit comme des autres, et les mordent indiffé- remment. S'ils sont peu susceptibles d'affection, ils le sont beau- coup de colère; la moindre contrariété les irrite, et lorsqu'ils sont effrayés ils courent se cacher en poussant un petit cri court et pénétrant. 6, 84 LES QUADRUMANES. Plusieurs fois ces petits quadrumanés ont produit à la ména- gerie, mais jamais on n’a pu les déterminer à élever leurs enfants plus de quinze à vingt jours. Passé ce terme, ils les laissaient mourir faute de soins et de nourriture. « Vers les derniers temps de la vie d’un de ces petits, dit Fr. Cuvier, lorsque son père se trouvait fatigué de le porter, n'étant plus reçu par sa mère, il montait jusqu’au haut de sa cage; arrivé là, et ne pouvant plus descendre, il jetait un cri de détresse, qui réveillait quelquefois la sollicitude de ses parents : alors ils allaient à son secours; mais le plus souvent ils restaient sourds à ses plaintes, et le jeune animal aurait été forcé de se laisser tomber si on n'avait pas eu soin de prévenir sa chute en lui tendant une main secourable. » Malgré tous ses défauts, le titi est très à lamode chez les dames brésiliennes. L'OuISTITI À TÊTE BLANCHE (Jacchus leucocephalus, Georr. Simia Geoffroy, Hume.) a le pelage roux, la tête et le poitrail blancs, un hausse-col noir, de très-longs poils noirs devant et derrière les oreilles, et la queue annelée de brun et de cendré. On le trouve au Brésil. L'Ouisriri À FRONT BLANC (Jacchus albifrons, Des.) Il a le pe- lage noir, légèrement varié de blanchâtre; les poils sont blancs à extrémité noire ; le front, les côtés du cou et la gorge sont blancs à poils très-courts; la face est noire : le tour des oreilles et l’occiput sont garnis de poils très-noirs, longs et droits ; les environs de l’anus sont un peu roussâtres ; la queue est un peu plus longue que le corps, brune, légèrement variée de blanc, un peu plus foncée à son origine qn'à son extrémité. Il est de l'Amérique méridionale, probablement du Brésil. ST ( Ouistiti à pinceau et Ouistiti oreillard. Le Mico (Jacchus argentatus, GEOrF. Simia argentata, Lin. Le Mico, Burr. — G. Cuv.) Son pelage est d’un gris blanc argenté, quelquefois tout blanc; ses pieds et ses mains sont rouges , et sa face, ainsi que ses oreilles, d’un rouge vermillonné; sa queue est d’un noir brunâtre ou blanche, non annelée. Ce petit animal habite le Para. Le Mécanure (Jacchus melanurus, Grorr.). Il est brun en dessus et fauve en dessous; sa queue est non annelée, d’un noir uni- forme. Il semble faire le passage des ouistitis aux tamarins. M. de Humboldt l’a trouvé au Brésil. Le Porre-Camai (Jacchus humeralifer, Grorr.). Il est d’un brun châtain , avec les épaules, la poitrine et les bras blancs ; sa queue est légèrement annelée de cendré. Il est du Brésil. L'Ouisriri À PINCEAUX (Jacchus penicillatus, Georr. Hapale peni- cillatus, Fr. Cuv.). Sa taille est celle du ouistiti ordinaire; son pe- lage est cendré; la poitrine , les côtés du cou, la nuque , le dessus des épaules, sont noirs; il a sur la croupe et les côtés du dos des bandes transversales noires, grises et fauves; sa tête est noire, avec une tache blanche en demi-lune sur le front; il a un pin- ceau de poils noirs très-longs devant les oreilles. Sa queue, an- nelée comme dans les espèces qui suivent, est à anneaux blancs et noirs. Il est du Brésil. L'OreizLar» (Jacchus auritus, Grorr.) est noir, mêlé de brun; il a une tache blanche au front, et de très-longs poils blancs couvrent l'intérieur même des oreilles; sa queue est annelée de noirâtre et de cendré. On le croit du Brésil. 24e GENRE. Les TAMARINS (Midas, GEorr.) ont quatre incisives supérieures contiguës, les intermédiaires plus larges que les la- térales ; quatre incisives inférieures proclives, contiguës et for- mées en bec de flûte; leurs canines sont coniques, assez fortes, et se dirigeant de dedans en dehors; leurs oreilles sont grandes, d’où leur est venu leur nom scientifique; la saillie que fait en avant le bord supérieur des orbites rend leur front très-apparent. Le Tamary (Midas rufimanus, Georr. Jacchus rufimanus, Des. Simia midas, Lin. Hapale rufimanus, Fr. Cuv. Le Tamarin, Burr. — G. Cuv. Le petit Singe noir, Ebwa.) n'a guère que six pouces de longueur (0,162) non compris la queue, qui est deux fois plus longue. Il est noir, avec la croupe variée de brun ou de gris; ses mains et ses pieds sont d’un roux jaunâtre ou orangé. Il s’habitue aisément à la captivité, mais il n’y vit pas longtemps. Ce joli petit animal habite la Guyane et le Maragnon. Il est vif, gai, capricieux, irritable, et néanmoins il s’apprivoise aisément. Son intelligence est assez bornée, et sous ce rapport il le cède beaucoup aux sapajous. Il est sujet, quand on le contrarie, à tomber dans des accès de colère, que son impuissance rend plus risibles que dangereux; car ses mâchoires n’ont pas assez de force pour entamer la peau. Sa complexion est fort délicate, d’où il résulte que si on le transporte en Europe il ne tarde pas à être tué par les influences du climat. Dans son pays il vit d'insectes et de fruits. Même lorsqu'on est parvenu à le rendre tout à fait familier, il ne faut pas compter sur son affection, car il n’en est pas capable, et il n’est privé que par le seul effet de l'habitude. Il grimpe sur les arbres avec facilité, et ses mœurs, sa manière de vivre, rappellent beaucoup celles de l’écureuil, Tout ce que nous en disons peut également s'appliquer aux autres espèces du genre. Le TamarIN NÈGRE (Midas ursulus, Georr. — G. Cuv. Hapale ur- sulus, Fr. Cuv. Jacchus ursulus, DESM. Saguinus ursula, Horrm.). Il a beaucoup d’analogie avec le précédent , mais il s’en distingue aisément par ses mains constamment noires. Son pelage est noir, ondulé de roux vif sur le dos. On le trouve au Para. Il s’appri- voise difficilement, est très-irritable, et mord serré quand on le touche. OUISTITIS, 85 rosalia, Fr. Cuv. Simia rosalià, Lin. Le Singe soyeux, PExx. Le Singe lion et le Marikina, Burr.— G. Cuv.). Il est d’un roux doré ou d’un jaune clair un peu plus doré à la crinière, à la poitrine et sur la croupe, un peu plus pâle sur le dos, les cuisses, la base de la queue et le ventre : ses poils, longs, soyeux et très-fins, lui forment une belle crinière, ce qui lui donne un peu l'appa- rence d'un lion, mais en miniature, car il n’a pas plus de six pouces de longueur (0,162); sa face est nue et livide, ainsi que la peau de ses mains, 1l est du Brésil. Ce que nous avons dit des habitudes du titi et du tamary_con- vient en grande partie au marikina. {Il est un peu plus robuste que le premier, et dans nos climats, si!l’on a un soin minutieux Chasse au singe, paysage de l'Amérique du Sud. Le TaMARIN LABIé (Midas labiatus, Grorr. — Hum.) habite le Brésil. Son pelage est d’un noir roussàtre ferrugineux en des- sous; sa tête est noire; le bord des lèvres et le nez sont blancs. Je pense avec Temminck qu'il faut rapporter à cette espèce les midas nigricollis, fascicollis et mystax de Spix. Le TAMARIN À FRONT JAUNE (Midas chrysomelas, KuuL. Jacchus chrysomelas, Des.) est noir, avec le front et le dessus de la queue d'un jaune doré; les côtés de la tête, la poitrine, les genoux et lavant-bras sont d'un roux marron. Il vit dans les grandes forêts du Para et du Brésil, mais il y est rare. Le TawariN DE NeuwIED (Midas chrysurus, Max. ne Neuw.) a le dessus du pied, l'avant-bras, la main, le dessous de la queue dans la première moitié, d’un beau roux doré; les poils qui en- tourent la face et ceux de la gorge, très-longs, d’un jaune doré tirant plus ou moins sur le roux; ceux qui avoisinent la conque de l'oreille, ceux du coude et quelques-uns entremélés sur la poi- trine, d’un roux marron; tout le reste du pelage est noir. Cette espèce, du Brésil, fait-elle double emploi avec le chrysomelas ? Le Marina (Widas rosalia, Gore. Jacchus rosalia, Des. Hapale de le garantir du froid et de l'humidité de l'hiver, on peut le con- server pendant plusieurs années. Il est aussi un peu moins indif- férent aux caresses qu'on lui fait, et il paraît s'attacher jusqu’à un certain point à ceux qui le nourrissent. Cette qualité, jointe à sa délicatesse et à sa beauté, le fait beaucoup rechercher par les riches créoles du Brésil, qui l’apprivoisent aisément et lui prodiguent les soins les plus attentifs. Le marikina habite les forêts et passe sa vie à sauter d'arbre en arbre. Comme, dans l'esclavage, il est d’une propreté recherchée, on peut conclure, par induction, qu'il se construit un nid à la manière des écureuils, qu'il y élève ses petits et s’y retire pour se reposer. Il se nourrit d'insectes et de fruits doux, et il ne pa- raît pas qu'il soit carnassier comme le titi. Il est défiant, ainsi que tous les êtres faibles qui sont obligés de vivre au milieu des dangers; mais sa prudence ne le sauve pas toujours de la cruelle serre de l'oiseau de proie. S'il en aperçoit un planant dans les airs, aussitôt il pousse un sifflement doux et prolongé pour aver- tir sa petite famille ; tous ses pelits aussitôt se blottissent en trem- blant dans le feuillage et restent là sans mouvement, jusqu'à ce 86 LES QUADRUMANES. que l'ennemi se soit retiré. La couleur roussàlre de leur pelage se confond assez avec lé vert jaunâtre des feuilles pour les déro- ber à l'œil dé l'oiseau de proie. Mais ils n'échappeñt pas aussi aisément à d'autres ennemis. Le yagouäroundi, le colocolla, le maärgay et d’autrés espèces de chats leur font une guerre inces- sante et vont les saisir la nuit, pendant leur sommeil, jusque sûr lé plus haut sommet des arbres. Dans la servitude, le marikina se nourrit assez bien avec du lait, du biscuit, des fruits sucrés et des säuterelles : mais, s'il est seul de son espèce, il est sujet à prendre de l'ennui, et dans ce cas il tombe malade et meurt dans le marasine, Si on veut assurer sa conservation, il faut donc, quañd cela est possible, le réunir à un ou plusieurs individus de son-espèce. Le marikina qui a vécu à la ménagerie était excessivement timide et se cachait dès qu'il avait la moindre inquiétude. Il aimait à recevoir des caresses, mais il n'en rendait point. Il fuyait avec défiance les personnes qui lui étaient étrangères, et même il les menacait de ses faibles dents. Le Picue où Trri pe CarTHAGÈNE (Widas œdipus, Gzorr. Hapale œdipus. Fr. Cuv. Jacchus œdipus, DEesn. Simia œdipus, Lin, LE petit Singe du Mexique, Briss. Le Pinche, Burr. — G. Cuv.). Il est un peu plus grand que les précédents, et atteint neuf pouces de longueur (0,244), non compris la queue. Il est d’un brun plus ou moins fauve en dessus, et blanc en dessous, à poils soyeux; il à sur la tête une longue chevelure blanche qui lui fétombé sur le cou; sa face et toutes ses parties nues sont d’un noir de suie. Il habite les forêts retirées. Le pinche est un animal méchant, atrabilaire, qui dort tout le jour dans les forêts de Cayenne et des environs de Carthagèhe, Il se réveille avec le crépuscule du soir, et déploie pendant là nuit toute son activité. Il chasse alors aux insectes , et il cherche les fruits dont il se nourrit. Son caractère farouche ; ihtraitäble, ne se plie jamais à la domesticité, et, si on veut le garder vivant, il faut le renfermer dans une cage, dont il occupe le toin le plus obscur depuis le matin jusqu'au soir. D'ailleurs; il est fort délicat et ne vit pas longtemps en captivité; ce d'est Q\'avéc beaticoup de peines et de soins qu'on est parvenu quelqüefois à en consei- ver de vivants pendant la traversée d'Amtrique en Europe, «il est si glorieux, dit l'ancien voyageur Jean de Lery, que pour pet de fâcherie qu'on lui fasse, il se laisse mourir de dépit, » Le Lroxciro (Widas leoninus, Grorr. Jacchus leoninus, Des. Simia leonina, le Leoncito ou le petit Lion, Huwe.) est d'un brun olivâtre avec la qüetie noirâtre en dessus, brüne en dessous ; il porte sur la tête et le coù une longue crinière brune ; sa face est noire et sa bouche blanche. C'est dans les plaines à l'ést des Cordilières, dans les forêts qui ombragent les rives du Putumayo et du Caqueta, enfin dans les parLies les plus tempérées de ces vastes contrées, que l'on trouve cet animal, plus petit que le pinche, et dont la longueur, la queue comprise, né dépasse pas seize pouces (0,433). Il est très-vif, très- irascible, et, du reste, à les mêmes habitudes que les autres espè- ces de son genre. Le TAMARIN AUX FESSES DORÉES ( Widas chrysopygus. — Jacchus chrysopygus, Miuk.) est noir, avec les fesses et la partie interne des cuisses d'un jaune doré, et le front jaunâtre ; il a une longue crinière noire qui tombe de la tête jusque sur les bras, et sa queue forme plus de la moitié de sa longueur totale. Il habite la capi- tainetie de Saint-Paul au Brésil. Ge joli petit animal à une vie tout à fait nocturne, et ne sort le son lit dé mousse, qu'il sait se faire dans les trones d'arbre creusés par le temps, que lorsque le crépuscule est descendu sur les forêts qu'il habite. 11 est assez doux, mais sa mélancolie na- turelle et son amour pour la vie solitaire le rendent très-difficile à conserver dans l'esclavage. Sa chaine lui pèse sur le cœur, et bientôt le chagrin lé fait mourir, mais lentement, et jamais dans des accès dé fureur auxquels la plupart des animaux de son genre sont sujets. Il est plus frugivore que carnivore, et, si par- fois il se détermine à altagüer quelques petits oiseaux, il faut qu'il y soit poussé pat thé faim extrème; encore, dans ce cas, donne-t-il la préférence aux papillons de nuit et autres insectes doût il peut facilement s'emparer. Quoiqu'il soit assez commun däns cértarnes forêts du Brésil, les chasseurs, néanmoins, le ren- cdntrent fort rarement ; cela vient de ce qu'il dort toute la jour- née dans son nid, et qu'il n’en sort que la nuit pour se mettre en quête de sa nourriture. Le mâle vit habituellement avec la femelle, et parait ayoir pour elle beaucoup de tendresse ; une personne qui à eü plusieurs fois l'occasion de l’étudier dans ses bois, m'a dit qu'il pärlägeait avec elle les soins donnés à sa nais- sante postérité, LES MAKIS. Ces animaux font le passage naturel des quadrumanes aux au- tres mammifères ; leur museau rappelle plus celui du chien que la figure humaine; leurs narines sont situées au bout du museau, comme celles des chiens; les extrémités postérieures sont plus longües que les antérieures; ils ont tous les ongles plats, excepté celui du premier doigt des pieds de deïrière, qui est relevé et très-aigu ; 1és mamelles placées sûr la poitrine; léur queue (man- quant quelquefois) est toujours lâche et non prenatité. 25° Genre, Les MAKIS (Lemur, Lin.) ont trenté-deux dents : quatre incisives supérieures et six inférieures en avant, les deux canines supérieures croisent les inférieures en avant; ils ont six molaires. Leur museau est effilé comme celui d'un renard : leur queue est très-longue; leur poil est doux et laineux; leurs ma- melles, au nombre de deux, sont placées sûr là poitrine, Tous sont de Madagascar. Ces ahimaux aiment la chaleur, même dans leur pays. Ils marchent en relevant leur longue queue én panache. Le Mat ROUGE (Leur ruber, PEnoN. — Grorr. Le Maki roux, Fr. Cuv.). Ce bel animal est d'une grande taille, relativement à ses con= génères. Il n’a pas moins de quatorze pouces de longueur (0,379) depuis le bout du museau jusqu’à l'origine de la queue. Il est d'un roux marron vif, avec la tête, les quatre mains, la queue et le ventre noirs; il porte une touffe de poils roux à chaque oreille, et une tache blanche sur la nuque. Cette espèce habite les bois des environs de Tamatava dans l'île de Madagascar, et probablement dans quelques autres par- lies de ce singulier pays, où les makis, assez nombreux en espèces, semblent avoir été placés pour remplacer les singes qu'on n'y trouve pas. Le maki rouge est doué d’une grande agi- lité, comme tous ses congénères, mais il est d’un näturel triste et dormeur. Retiré dans le trou d’une vieille souche, sur un lit de feuilles sèches ou de mousse que la nature seule lui a préparé, il passe la plus grande partie de son temps à dormir couché en rond et la tête entre ses jambes. Ce n’est que lorsque la faim le talonne qu'il se réveille et sort de sa retraite. Alors il déploié toute son adresse, toute son agilité, pour parcourir la forêt, tan- tôt en s'élançant d’un ärbre à un autre, tantôt en se glissant à travers les broussailles et marchant d’un pas léger sur la terre, à la manière des renards. Sà nourriture ordinaire consiste en fruits sauvages; mais il cherche aussi les nids d'oiseaux pour en man- ger les œufs, et il ne dédaigne pas les insectes quand il né trouve rien de mieux. Ses mœurs sont douces et indoléntes; aussi s'accoutume-t-il assez bien à la caplivité, et il s’apprivoise avec facilité, Mais il MAKIS. 87 1 » n'est jamais très-affectuéux, et dans son esclavage il ne parait avoir que deux passions, à la vérité bien innocentes, celle de manger et celle de dormir. Si on le trouble dans son repos, sa paresse ne lui permet pas de se mettre trop en colère; il se borne à ouvrir les yeux, à pousser un petit grognement, puis il se re- met à dormir. Il est assez robuste et supporte bien les rigueurs de notre climat, pourvu qu'on le tienne dans une chambre à feu. Le Var (Lemur macaco, Lax. Le Vari, Burr. — G. Cux.) est, avec le précédent, une des plus grandes espèces du genre. Ses cou- leurs sont le noir et le blanc, mais elles ne sont pas distribuées également, et elles varient de place d'individu à individu; la tête est blanche dans les mâles, noire dans les femelles. 11 a vingt pouces (0,542) de longueur. Les naturalistes s'accordent assez à dire que cet animal est fort doux. En effet, dans l'esclavage, il semble avoir assez de douceur, mais sans cependant montrer beaucoup d'affection à ceux qui le soignent. Si son museau pointu, ses grands yeux assez expressifs quand il a un désir, n’annoncent pas une grande méchanceté, ils ne dénotent pas non plus beaucoup d'intelli- gence. Quelques individus mème aiment assez à recevoir et à ren- dre des caresses : mais tout cela prouve-t-il que ces animaux conservent un caractère pacifique quand ils vivent libres et à l’état de nature? C’est ce que je ne crois pas, et je puis citer un fait à l'appui de mon opinion. A la ménagerie, un vari vivait avec un mongous dans la même cage. Ces deux animaux ne parais$dient pas se soucier beaucoup l'un de l’autre, mais du moins, S'ils ne vivaient pas en parfaite intelligence , ils ne cherchaient pas à se nuire et ne se battaient pas. On les pläça dans une cage plus grande , et on les transporta dans un aütre local. Le lendemain matin, on trouva le motigous tué : le väri l'avait mis en lambeaux. D'ailleurs, ce fait se trouve assez en härmonie avec ce que dit le voyageur Duret : que les varis sont d'ün naturel farouche et cruel comme celui du tigre. Quoi qu'il en soit, l'impérätrice Joséphine a eu pendant plu- sieurs anhées des varis qui ont parfaitement vécu dans sa méña- gerie dé la Malmaison. Ils ÿ ont même fait des petits qui soit nés les yeux ouverts, comme les petits des ouistitis. Le Mococo (Lemur catta, Lix. Le Mococo, Burr. —G. et Fr. Cuv..). Son pelage est d’un beau gris en dessus, teinté de roux sur le dos et les épaules; le sommet de la tête, le dessus et les côtés du cou, le tour des yeux et le bout du museau sont noirs; tout le dessous est blanc, et la queue est annelée de blanc et de noir. De tous les makis, le mococo est celui qui montre le plus d'intel- ligence et de douceur. IL s’apprivoise très-bien et prend pour son maitre une assez vive affection. Parmi les mammifères, il en est peu qui réunissent, à des formes plus élégantes, des habitudes plus douces et un caractère plus confiant. Le Moxçous (Lemur mongous, Lix. Le Mongous, Rüurr. — G. Cuv. Non Fr. Cuv.). Il est tout brun avec le visage et les mains noirs, selon G. Cuvier. Selon M. Lesson, il serait d’un gris jaunâtre en dessus, blanc en dessous, et il aurait le tour des yeux et le chanfrein noirs. Edwards dit que le dessus du corps est d'un brun foncé. Tout ceci prouve que cette espèce mal déterminée a été confondue avec d’autres, si réellement elle existe. M. Fr. Cu- vier est encore venu augmenter la confusion en donnant le nom de lemur mongous au lemur collaris dé Geoffroy. Le Mat a FRAISE (Lemur collaris, Georr. Lemurmongous,Fr.Cuy.). ll est d’un brun roux en dessus, fauve eñ dessous ; une fraise de poils d’un roux doré entoure la face, qui est d’un plombé violâtre. Ces animaux sont timides, inoffensifs et fôrt peu intelligents. Is S'apprivoisent quelquefois assez bien pour venir quand on les appelle, mais ils ne s’attachent jamais. Le Maxi D'AxJOUaN (Lemur Houssardii, — non le maki d’Anjouan, G£orr.) diffère du précédent par son crâne plus élevé, son mu- seau moins long, blanc en devant; par sa fraise d'un roux sale: enfin par son pelage d'un gris jaunâtre en dessus, d’un jaune sale en dessous et d'un gris blanc sur la poitrine. Il habite An- juan à Madagascar. Le Mai noi (Lemur niger, Georr. Le Maucoco noir, Ebwa.). H est entièrement noir et de la grandeur d’un chat domestique. I est remarquable par les longs poils qui revétent son cou. On le trouve à Madagascar. Le Mari BRUN (Lemur fulvus, Georr. Le grand Mongous, Burr.). Son pelage est gris en dessus, brun en dessous; il a le chanfrein busqué et très-élevé. Le Mai Roux (Lemur rufus, Desu. — GEorr.) est d’un roux doré en dessus, d’un blanc jaunâtre en dessous; à l'exception du front, il a le tour de la tête blanc : une bande noire s'étend de la face à l'occiput. Le Maur AUX PiEns BLANCS (Lemur albimanus, Georr.) est d'un gris brun en dessus , roussâtre en dessous ; ävec la poitrine et les mains blanches, les poils des côtés du cou sont d'un roux can- nelle. Le [Giuset (Lemur cinereus, LESs. Lemur griseus, Grorr. Le petit Maki, Bürr. Le Griset, Auben.) est d'un blanc sale en des- sous ; le dos, le dessus de la tête et des membres sont d'un gris un peu gläcé de fauve: les joues sont d'un gris uniforme, moins foncé que le gris du front, Serait-ce le jeune âge de l'indri à longue queue? Le Mari À FRONT BLANC (Lemur albifrons GEorr. La femelle est le Maki d’Anjouan de Georr. et le Mali aux pieds fauves de Briss.). Il est d’un gris roux ou d’un brun marron doré en dessus ; d’un brun gris olivètre en dessous; les deux derniers tiers de la queue sont noirs; la face et les quatre mains sont d’un noir violâtre ; la partie antérieure de la tête, le côté des joues et le dessous de la mâchoire inférieure sont blancs dans le mâle, d’un gris foncé dans la femelle. Des animaux de cette espèce ont fait des petits à la ménagerie. La femelle a porté environ quatre mois, et fil un petit de son sexe qui naquit les yeux ouverts, « Dès le moment où ce jeune maki fut au monde, dit Fr. Cuvier, il s’attacha à sa mère avec ses quatre pattes , en travers du ventre, au-dessus des cuisses, qu'elle repliait contre elle-même comme pour le cacher; et, lorsqu'il voulait teter, il allongeait son cou pour aller chercher la ma- melle, qui est sous l’aisselle. Outre qu'il s'enfonçait dans le pelage de sa mère, celle-ci présentait toujours le dos aux personnes qui la regardaient, quelque familiarisée qu'elle fût avec elles, et ce n'a été qu'après plusieurs semaines qu’on a pu l’observer exacte- ment. A sa naissante, il était de la grosseur d’un petit rat, Cette femelle, avant la naissance de son petit, était extrêmement douce et familière : on ne s’approchait point d'elle qu’elle ne vint aus- sitôt chercher des caresses et lécher les mains. Mais dès que son petit fut né, elle devint défiante, s’éloigna de tout le monde, et même elle menacçait dès qu'on l'approchait. Cette défiance s'est affaiblie par degrés; et sa première familiarité a reparu lorsque ses soins sont devenus moins hécessaires à son pelit, c'est-à-dire vers le troisième mois. Jusque-là ces animaux ne s'étaient point séparés, ou, si le petit 8e hasardäit à se détacher de sa mère, au moindre bruit il retourhäit se câcher entre son ventre et ses cuisses. » La mère l'a allaité pendant six mois. Des observations faites à la tiénägerie Sur ces animaux, il est résullé la connäissatice d’un fait extrêmement important pour l'histoire du genre : c'est que le mâle et la femelle peuvent diffé- rer de couleur au point de ne pas se ressembler du tout, ee qui doit nécessairement avoir induit les naturalistes en erreur. En effet, dans cette espèce, toutes leS parties qui sont d'un brun marron doré dans le mâle sont d’un fauve plus ou moins jaunâ- tre dans la femelle, et tout ce qui chez celle-ci est d’un ghis foncé est blanc dans le premier. Cornme il n'y a pas de raison pour croire que ce maki fasse une exception, on doit présümer qué les naturalistes ont souvent fait confusion, ou double emploi, et qu'ils ont donné des noms différents à des mâles et à des femelles de 88 LES QUADRUMANES. la même espèce. Si cette observation est juste, il faudra proba- blement réduire à sept ou huit le nombre de makis qu'ont décrits les auteurs; et ce sera encore beaucoup si l’on considère que ces animaux ne se trouvent que sur un seul point du globe, et même dans un espace comparativement assez borné, l’île de Madagascar. Le Maki rouge. « Les makis vivent en troupe, dit Geoffroy Saint-Hilaire; ils prennent leur nourriture indifféremment avec la bouche ou avec la main : ils lapent en buvant, à la manière des chiens. Revenant dans les mêmes lieux, ils se plaisent à répéter les mêmes allures et les mêmes mouvements. L'un de ces mouvements, qu'ils re- produisent comme divertissement , consiste à s'élever perpendi- culairement le long d’un mur ou d’un arbre : ils mettent une sorte d’amour-propre à s'élever ; et si quelques accidents les en ont empêchés, ils en montrent une sorte de dépit, et ils s’y pren- nent avec tant de calcul, qu'ils se satisfont le moment d’après par un saut de la plus grande hauteur. Abandonnés en liberté dans les maisons, ils choisissent un certain emplacement pour s’y livrer au repos et c’est toujours l’encoignure du meuble le plus élevé et le plus retiré de l'appartement. Le Maxi A FRONT NOIR (Lemur nigrifrons, GEorr. — FR. Cuv. Simia sciurus , Periver. Lemur Simia sciurus, SCBREB.). Cet animal a le pelage cendré en dessus vers les parties anté- rieures du corps, et d’un gris roux sur les parties postérieures ; le dessous est roux : il a un bandeau noir sur le front. Il diffère principalement du maki à fraise par ses favoris, qui sont gris au lieu d’être roux. En faisant l’histoire de ce maki nous complétons celle de tous les autres animaux de son genre, car, sauf un peu plus ou un peu moins de méchanceté ou de douceur, ils ont à peu de chose près les mêmes instincts et les mêmes habitudes. Le maki à front noir vit solitaire, par exception, en compagnie de sa femelle seule ; il habite les parties les plus retirées des fo- rêts de Madagascar. C'est un animal crépusculaire qui passe la journée à dormir couché en boule , sa grosse queue passée entre ses jambes de derrière et ramenée de manière à s’enrouler au- tour de son cou. Il attend dans cette attitude que le soleil soit couché pour se mettre en quête de ses aliments. Il marche très- difficilement sur la terre; mais dès qu'il s'approche d'un arbre dont les branches ne sont qu'à douze ou quinze pieds d’éléva- tion (4 à 5 mètres), d'un bond prodigieux, et cependant sans effort, il s’élance dessus. Rarement il se donne la peine de monter autrement ; à moins que les branches de l'arbre ne se trouvent à une hauteur extraordinaire, à laquelle il ne peut atteindre. Dans ce cas il s’élance au tronc, et ce premier bond le porte tout d’un coup à douze ou quinze pieds de hauteur (4 à 5 mètres). On ne reconnaît plus alors l'animal paresseux et somnolent : car il dé- ploie une telle vivacité, que les yeux ont peine à le suivre, tant est grande la rapidité avec laquelle il saute de branche en bran- che en jouant avec sa femelle, qui ne le quitte guère. Le Maki à front noir. Ces deux animaux ont de la tendresse l'un pour l’autre, et se la témoignent d’une manière assez singulière : pendant le jour ils dorment en se tenant pressés dans les bras l’un de l’autre. Lorsqu'ils sont éveillés, ils se grattent mutuellement les oreilles en enfonçant dans la ecnque cet ongle unique qu'ils ont à l’in- dex de la main de derrière; ils se nettoient et se lissent le poil en se léchant et en se servant de leurs incisives inférieures, qui sont longues, couchées en avant, et simulent une sorte de peigne. Elles ne sont propres qu’à cet usage, et leur forme, comme leur position, les rend tout à fait inutiles pour la mastication; ils ne peuvent pas même s’en servir pour mordre ou retenir une proie. Cette habitude, qu'ils ne doivent qu’au désir d'entretenir sur eux une extrème propreté, est cause que lorsqu'ils vivent en es- clavage et qu'ils lèchent la main de leur maître ils ne manquent jamais de lui frotter doucement la peau avec ces petites dents, et c’est la plus grande marque de contentement et d'amitié qu'ils puissent lui donner. De là, de mauvais observateurs ont conclu qu'ils avaient la langue rude et épineuse comme les chats; et cette erreur s’est généralement répandue, parce que Buffon l'a consacrée. Lorsque deux makis se caressent comme nous venons de le MAKIS. 89 ———_—@— dire, si un autre couple rôdeur vient les déranger, la guerre est aussitôt déclarée et commencée. Ce qu'il y a de particulier, c’est que les deux femelles y prennent une part active, et montrent même plus d'acharnement et de fureur que leurs mäles. Tous à la fois poussent des cris sur un ton assez grave, mais très-fort , ce qui produit un bruit étourdissant; ils se saisissent corps à corps, se mordent, et s'arrachent des poignées de poils avec les mains. Le combat ne finit que par lassitude ; alors ils se séparent, et chaque couple se retire dans un lieu écarté pour remettre de l'ordre dans sa toilette, en se lissant mutuellement leurs poils ébouriffés. Si tous les makis sont d’habiles grimpeurs, s'ils surpassent même les singes les plus lestes dans l’agilité qu’ils mettent à par- courir en un clin d'œil toutes les branches d’un arbre, c’est qu'ils le doivent à une organisation particulière. Chez eux, la paume de la main se continue par une ligne droite cachée sous les poils, jusqu'au milieu du bras, de sorte que lorsque ce dernier est étendu, les doigts se ferment nécessairement, et l'animal ne peut plus les ouvrir sans faire un grand effort ou recourber son bras. Ceci fait comprendre la facilité ayec laquelle il se suspend aux branches et peut rester pendu par une seule main pendant fort longtemps. Il lui arrive quelquefois de faire son repas tout entier en restant dans cette singulière position, tandis qu'avec l'autre main il cueille et porte à sa bouche les fruits dont il se nourrit. Dans la captivité, le maki à front noir ne diffère en rien des autres. Il n’est pas méchant, cependant il se met assez facilement en colère si on le contrarie; et alors il jette un cri aigre inter- rompu, mais se succédant avec rapidité. Lorsqu'on le caresse, il fait entendre un petit son roulant et sourd, absolument comme celui d’un chat lorsqu'on lui passe la main sur le dos. On le nourrit comme les autres espèces, c’est-à-dire avec du lait, du pain, des fruits et des racines cuites. Si on le tient dans un lieu chauffé pendant l'hiver, il vit fort longtemps dans nos climats. 26e Gexre. Les INDRIS (/ndris, Lacer.) ont trente-deux dents : quatre incisives à chaque mâchoire, les inférieures couchées en avant; cinq molaires de chaque côté aux deux mâchoires; la tête triangulaire et longue ; le poil laineux; la queue ou très-courte, ou très-longue. L’INpRI À QUEUE COURTE (/ndris brevicaudatus, Georr. Lemur indri, SONx. Indris ater, Lacer.) est noirâtre, avec la face grise et le derrière blanc; sa queue est très-courte, à peine longue de deux pouces (0,054). Comme ses congénères, il a la faculté de marcher debout. Cet animal, qui habite sur les arbres à Madagascar, a jusqu’à trois pieds de haut (0,975). Il se plaît dans les solitudes boisées , où il se nourrit de fruits et de racines. Sa voix ressemble à celle d’un enfant qui pleure : il a de l'intelligence; son caractère est très-doux ; aussi les Malgaches l’apprivoisent-ils aisément, et alors il prend un peu les habitudes d’un chien, sans jamais pouvoir acquérir son intelligence. Il reconnait et aime son maître ; il le suit, le caresse en lui léchant les mains, et lui témoigne sa joie lorsqu'il le retrouve après une courte absence. On le dresse à la chasse, et il poursuit le gibier sur les arbres, l'attaque, le prend et le donne d'autant plus volontiers au chasseur , que jamais il n'y touche pour son propre compte. L'INDRI À LONGUE QUEUE (/ndris longicaudatus, Grorr. Lemur laniger, Gur. Le Maki fauve, Burr. Le Maki à bourre, SONNERAT). IL habite Madagascar. Son pelage est fauve, très-laineux : il a une queue fort longue. Ses habitudes sont inconnues. Il est beaucoup plus petit que le précédent. 27° Genre. Les LORIS (Loris, GEorr.) ont trente-six dents: quatre incisives à la mâchoire supérieure, et six à l’inférieure ; celles-ci sont couchées en avant. Leur tête est ronde, et leurs yeux très-grands. Ils manquent de queue et ont les membres très-grèles , avec le tibia ou os de la jambe plus long que l'os de la cuisse ou fémur ; ils ont quatre mamelons, mais provenant de deux glandes mammaires seulement. Leurs oreilles sont courtes et velues. Le Loris (Loris yracilis, Georr. Lemur gracilis. G. Cuv. Tar- digradus, Sega. Le Loris, Burr. Le Loris gréle, G. Cuv.— Variété: Loris ceylonicus, Fiscu.) a le pelage roussâtre ou d'un gris fauve, sans raie brune sur le dos; son poil est très-fin et très-doux. Son nez est un peu relevé par une saillie des intermaxillaires , et il a une tache blanche sur le front. On le trouve à l’île de Ceylan. Cet animal, d’une lenteur excessive, a les habitudes nocturnes et ne voit bien les objets que la nuit. IL dort tout le jour et ne sort de sa retraite que le soir pour faire la chasse aux insectes, aux oiseaux et aux souris, dont il se nourrit. Il aime beaucoup les œufs, et quelquefois il mange des fruits quand il ne trouve rien autre chose. Son caractère est silencieux et mélancolique. Le Poucan, 28e Genre. Les NYCTICÈBES (Nycticebus , Georr.) n'ont quel- quefois que trente-quatre dents, parce qu'il leur manque assez souvent deux incisives à la mâchoire supérieure. Leur tête est ronde et leur museau court; ils ont les yeux très-grands, les oreilles courtes et velues, les membres forts et robustes, et la queue plus ou moins courte. Tous sont des Indes orientales et ont les mêmes mœurs. 90 LES QUADRUMANES. —_—————— Le Nycricèee pe Java (Nyclicebus javanicus, GEorr. — Des.) n’a que deux incisives supérieures ; il est roux, avec üne ligne sur le dos plus foncée; son museau est étroit et sa queue courte. Il habite Java. Le Nycricèse DE CEvLaN (Nycticebus ceylonicus, GEorr. Cerco- pithecus zeilonicus seu tardigradus major, SEA) n'est connu que par une figure que nous a laissée Seba. Il est d'un brun noirâtre avec le dos entièrement noir. Son nom indique son pays. Cette espèce et la précédente ne sont que des variétés du poucan. Le Poucax (Nycticebus bengalensis, Georr. Sleñops tardigradus, Fr. Cuv. Lemur tardigradus, Laxx. Le Paresseux pentadactijle du Bengale, Vos. Le Loris du Bengale, Burr. Le Loris paresseux , G. Cuv. Le Poucan, Fr. Cuv.). Le poucan a environ un pied de longueur (0,525) et cinq pouces de hauteur (0,155), mesurés depuis la terre jusque sur les épaules. Il marche les jambes écartées et le ventre trainant presque à terre, comme s'il n'avait pas la force de se soutenir. Il est roux ou d’un gris fauve en dessus, blanchâtre en dessous. Une ligne d’un brun doré s'étend sur le dos, sur le sommet de la tête et autour des yeux; une tache blanche naît sur le front, se prolonge entre les yeux, et vient embrasser les deux côtés du museau. Cet animal extraordinaire est revêtu d'un poil laineux très- épais et très-lloux, comme celui des makis. Sa queue est très- courte ; il a quatre incisives supérieures; et ses yeux, grands et nocturnes, ont la pupille allongée horizontalement et très-dila- table, ce qui lui permet de voir la nuit. Il est d'une extrême len- teur ; sa démarche a quelque chose de contraint comme celle dés vrais paresseux. Ainsi que ces derniers, il marche très-lentemernt, et lorsqu'il paraît se hâter, il parcourt à peine quatre toises dans ‘une minute. Ce qu'il y a de plus singulier encore, c’est qu'il res- semble aux paresseux, non-seulement par cette excessive len- teur, mais encore par la ramification de la base des artères des membres. C’est dans les forêts du Bengale que l'on trouve le poucan. Le jour, enfoncé dans sa retraite, il dort d’un sommeil très-léger, assis sur le derrière, le corps affaissé et la tête reposant sur sa poitrine. Quand les derniers rayons du soleil ont fait place au crépuscule, il se réveille, remplit les fonctions de l'animalité, in- fectant les lieux d’alentour par sa puanteur. Il se met ensuite à chasser en se glissant furtiveient le long des branches d’arbre pour surprendre les oiseaux dormant sous le feuillage. Malgré l'obscurité de la nuit, ses larges pupilles lui permettent de les apercevoir de fort loin. Alors il s'arrête, considère un instant sa proie et prend toutes ses mesures pour ne pas la manquer; puis, d'un pas allongé, il avance silenciensement, avec circonspeclion, sans faire le moindre bruit. Il s’en approche ainsi doucement, jusqu'à ce qu'il en soit assez près. Ensuite il change d’allure , se dresse sur ses pieds de derrière, continue à marcher, et tend les bras devañt lui pour n'avoir qu'à se précipiter en avant et saisir l'animal si quelque bruit le réveille. Quand il en est à portée, il s'en empare avec üné promplitude, une rapidité, qui n’est point du tout en rapport avec sa lenteur ordinäire. Il étrangle l'oiseau avec tant de prestesse, qu'il ne lui laisse pas même le temps de crier, et le mange ensuite ävec beaucoup de tranquillité. S'il dé- couvre un nid, c’est la circonstance la plus heureuse qui puisse lui arriver à la chasse, car les œufs d'oiseau sont la nourriture qu'il préfère à toute autre. Néanmoins, s'il peut surprendre la mère, les choses n’en vont que mieux pour lui ; il la mange d’a- bord, et les œufs ou les petits passent après. Mais sa chasse n’est pas toujours heureuse; car, ayant une vie sédentaire, il a bientôt détruit les oiseaux d’alentour; alors il se contente d'insectes, ou même de fruits sauvages; puis il finit par quitter le canton et par se mettre péniblement en voyage pour chercher une autre localité. Les ivrognes devraient prendre cet animal pour leur symbole, car il a une véritable horreur de l’eau. Non-seulement il n'en boit jamais, mais il suffit d'y tremper l'aliment qu'il aime le mieux pour le lui faire rejeter avec la plus grande répugnance. Dans la servitude il est assez doux, s’apprivoisé aisément, et semble même susceptible d'une certaine éducation, car il suffit de quelques légères corrections pour l’empécher de mordre , et il S’'attache vivement à son mailre. Si on l'irrite, il crie d’une manière plain- tive en trainant fort longtemps sur les sons a?, at, aï, et c’est encore une ressemblance de plus qu'il a avec les vrais paresseux. «Cet animal, dit d'Obsonville (qui le nomme thévangues ou thongre), fait quelquefois entendre une sorte de modulation de voix ou de sifflement assez doux. Je pouvais facilement distinguer les cris du besoin, du plaisir, de la douleur et même celui du chagrin ou de l’impatience. Si, par exemple, j'essayais de lui re- tirer sa proie, sés regards paraissaient altérés; il poussait une sorte d'inspiration de voix tremblante et dont le son était plus aigre. Aux approches dé la nuit il se réveillait, se frottait les yeux; ensuile, en portant attentivement ses regards de tous côtés, il Se promenait sur les meubles ou plutôt sur des cordes que j'a- vais disposées à cet effet. Un peu de laitage et quelques fruits bien fondants ne lui déplaisaient pas, mais c'était un pis aller : il n'était friand que de petits oiseaux et d'insectes. » 29e Genre. Les MYSPITHÈQUES ( Myspithecus, Fr. Cuv.) ont trente-six dents : quatre incisives placées à côté l’une de l'autre à la mâchoire supérieure , dont les intermédiaires longues et les latérales fort courtes : six à la mâchoire inférieure, couchées en avant. Ils ont tous les ongles plats excepté le second doigt des pieds de derrière, qui porte un ongle long et crochu ; la tête est plus allongée que celle des galagos , moins que celle des makis; le museau est court, un peu pointu; les yeux grands et saillants ; les oreilles sont un peu arrondies; la queue est longue, cylin- drique, grosse, mais moins touffue que dans'les makis. Le Myspiruèque TYPE (Myspithecus typus, Fr. Cuv. Le Maki nain, du même. Est-ce le Cheirogaleus major, Georr.? — Cheiro- galeus Milii, Georr.). Il a neuf pouces (0,244) à partir de l’occiput à l’origine de la queue : tout son corps, excepté l'extrémité de ses membres, est couvert d’un poil épais et soyeux , d’un gris fauve uniforme en dessus, blanc en dessous ; les mains et la face sont couleur de chair; il a entre les yeux une tache blanche, bordée sur les côtés d’un peü de noir qui s'étend autour des yeux et passe au gris sur le museau et les joues. Il est de Madagascar, d'où il a été envoyé à la ménägerie par le baron Milius. Cet animal a vécu à la ménagerie. Il y en avait deux , un mâle et une femelle; ils dormaient tout le jour, roulés en boule dans un nid qu'ils s'étaient fait avec du foin, Aussitôt que la nuit était venue , ils sortaient de leur reträile, se promenaient, jouaient ensemble, mangeäient, et enfin agissäient jusqu'au jour. Ils étaient fort agiles et sautaient avec légèreté à une assez grande hauteur. On les nourrissait de fruits, de pain et de biscuits. La lumière paraissait affecter douloureusement leurs yeux, mais ils voyaient très-bien dans l'obscurité. « Une nuit, dit Fr. Cuvier, s'étant échappés de leur cage, ils parcoururent la pièce où ils élaient enfermés , à Lravers la foule d’autres cages et d’autres animaux dont elle était remplie; ils rentrèrent dans leur gite par le petit trou qui leur avait servi à en sortir, sans qu'il leur fût arrivé le moindre accident, et quoique l'obscurité la plus pro- fonde régnât dans cette pièce, dont tous les volets étaient fermés.» M. Geoffroy a établi son genre Cheirogaleus sur trois descrip- tions manuscrites trouvées dans les notes de Commerson après sa mort. Mais ces descriptions donnaient à ces animaux les on- gles des pouces plats et tous les autres ongles subulés. Comme on n'a jamais vu les trois animaux qui composent ce genre, on pourrait croire que Commerson s'est trompé dans le caractère que nous venons de citer ; alors ses chéirogales seraient néces- soirement des myspithèques, et son Cheiroyaleus major, que, de- puis, M. Geoffroy a nommé Cheirogaleus Milii, serait sans aucun » MAKIS. 91 doute le Myspithecus typus dont nous venons de faire l'histoire. Mais une erreur aussi grande de la part d'un naturaliste comme Commerson ést difficile à supposer, et, dans le doute, nous allons donner ici les caractères assignés par Geoffroy à cé genre, que peut-être l'on sera obligé de supprimer, en reportant les deux dernières espèces à la suite du myspithèque type, 50 GEwre. CHÉIROGALE (Cheirogaleus, Georr.). Ils ont la tête ronde, le nez et le museau courts , et des moustaches longues; leurs oreilles sont courtes et ovales; leurs yeux grands et sail- lants; ils ont tous les ongles subulés, excepté ceux des pouces, qui sont plats; leur queue est longue, cylindrique, touflue, en- roulée; le poil de leur corps est court, Tous sont de Madagascar. Le GRAND CnéiRoGaLe (Cheirogaleus major , Georr.; peut-être le Myspithecus, Fr. Cuv.). Il est long de onze pouces (0,298), d'un gris brun et plus foncé sûr le museau. Le CnéIROGALE Moyen (Cheirogaleus medius, Georr.) est long de huit pouces (0,217), d'une couleur moins foncée que le précédent et plus clair sur le museau; il a un cerele noir autour des yeux. Le Perrr CuérroGase ( Cheirogaleus minor, Grorr.). Il n'a que sept pouces de longueur (0,189), et sa couleur est encore plus claire ; il a également le chanfrein d'üñe teinte plus claire, et un cercle noir autour des yeux. Celte espèce pourrait bien n'être rien autre chose que le galago de Madagascar , ul observé par le voyageur Commerson. « Pour comprendre les caractères des chélrogales, dit Geoffroy Saint-Hilaire, supposez que ce soft les formes sveltes, gracietises et allongées des makis, qui se Sont concehtiées et raccourciés, Ce sont, à prendre en détail, les mêmes träils ; inüis grossis et ramassés ; les pattes sont plus courtes, celles dé derrière restant dans une même proportion plus longues que les äntérieures; le corps est trapu, la tête fort grosse, surtout fort large ; les yeux sont fort grands, et le museau, déjà trèsremarquable pal sa brièveté , l'est en outre par des lèvres süpérieures fort épaisses, qui recouvrent le bord des inféfieufés ; les oreilles soht ründes et courtes ; enfin la queue est longuë, touffue et régulièrement cylindrique. Les chéirogales sont des Iéihuriens sous des traits en quelque sorte empruntés à la famillé des chats. Ces animaux sont entièrement nocturnes. Leurs formes traples ne nuisent pas et, au contraire , ajouteraient plutôt à leurs moyens d’agilité. Dans le saut il n'est point de quadrumanes plus vifs et plus rapides. L'individu que M. Milius a donné à la ménagerié pärcourait sa cage comme en volant, et se plaisait principalement à s'élever verticalement de toute sa hauteur, sautant de cinq à six pieds. » 51e Genre. Les GALAGOS ( Galago, Georr. Otolichnus , ILLIG. ) ont trente-quatre à trente-six dents, deux à quatre incisives à Ja mâchoire supérieure, six à l'inférieure, moins couchées que dans les genres précédents ; leur tête est ronde, leur museau court, leurs yeux très-grands et rapprochés; leurs oreilles sont très- développées et leur queue fort longue ; mais ce qui les fait dis tinguer au premier coup d'œil c’est la longueur disproporlionnée de leurs tarses postérieurs , et l'allongement filiforme du second doigt des pieds de derrière, Le GALAGO pu SÉNÉGAL ( Galago senegalensis, GEorr. Otolichnus senegalensis, Fr. Cuv. Galago Geoffroyii, Fiscu, Le moyen Galago, G. Cuv.). Il a la taille d’un rat ordinaire, c’est-à-dire six pouces de lon- gueur (0,162) depuis le bout dû museau jusqu'à l’origine de la queue. IL est d'un gris fauve en dessus, et d'un blanc jaunâtre en dessous; ses oreilles sont aussi grandes que sa têle; sa queue, plus longue que son corps, est d’un brun roux et finit en pinceau, Il n’a que deux incisives supérieures. Ce joli petit animal offre plusieurs singularités , et l’extensibi- lité de son oreille n’est pas la moins remarquable. La conque est grande , membraneuse , nue, et renferme deux petits oreillons, Lorsqu'il dort, ces deux oreillons s'appliquent sur le canal audi- tif, puis la conique se fronce à sa base , se raccourcit, s’affaisse sur elle-même, s'enfonce dans les poils de la tête, et se replie au point de devenir invisible, ainsi que dans quelques chauves- souris. Comme ses habitudes nécessitent une grande délicatesse dans l'ouïe, la nature à pourvu à mäintenir la sensibilité de l’or- gane en lui permettant de refuser les sons aigus où qui rappel- leraient inutilement l'attention dé l'animal. Mais cependant il en percoit assez pour être averti quahd il y va de sa conservation, où même de ses petits intérêts de gourmandise. Il se réveille alors, et aussitôt ses oreilles se déploient et s’allongent par un mouvement brusque fort original. Lé galago est extrémement commun dans les forêts de Sahel, Lebiar et Alfalak, à cent lieues au nord-est de nos établissements du Sénégal, sur les lisières du Sähara où Grand-Désert. C'est là que les Maures vont principalement recueillir la gomme qu'ils vendent aux Européens sous le nom de gomme arabique, et, si l'on s’en rapporte à ce qu'ils disent, le galago s’en nourrit quel- quefois faute d’autres aliments. La longueur des pieds de derrière donne à cet animal une grände facilité pour sauter d'arbre en arbre; aussi n’en est-il pas de plus vif et de plus leste à s'élancer et à parcourir une forêt. Sois ce rapport, il à beaucoup d’analogie avec les singes et les écureuils. Mais ses gründs yeux nocturnes ne peuvent supporter les rayons du Soleil, et, comme ses pupilles ne paraissent pas extrêmement dilatables, il est possible qu'il n'y voie bien clair fi le jour ni la nuit; la finesse de son oreille vient au secours de ses yeux, et c'est principalement par l’ouïe qu'il est averti de la préséhce des insectes qui viennent bourdonner dans le feuillage. Pendant le jour, il habite un trou creusé par le temps dans le trone d'un arbre; il tient son petit logis dans une propreté con- stanle, et, tânt que le soleil est sur l'horizon, il reste mollement couché sur ün lit, où plutôt dans un nid, qu'il a su se faire avec du foin et dés herbes fines et sèches. C'est là que la femelle élève sa petite famille. Mais celte retraite leur est quelquefois funeste, parce qu'elle fait perdre à ces animaux la faculté de déployer leur éxtréme agilité pour füir le danger. Lorsque les Maures ont dé- couvert le trou qui sert de porte à l'habitation, ils commencent par le boucher, et né craignent plus que le galago leur échappe ; puis à l’aide d’un bâton à crochet ils l’arrachent de son asile pour le manger. Les nègres de Galam lui font une guerre active et continuelle, parce que sa chair est pour eux un mets fort estimé. Lorsque le galago cherche sa nourriture et qu'il entend, même de fort loin, le bourdonnement d’un insecte, en quatre ou cinq bonds prodigieux il s'approche, guidé par le bruit, et se trouve assez près pour l’apercevoir. Il s’élance, l’atteint au vol, le saisit habilement avec ses mains, et calcule si bien ses mesures, qu'il retombe toujours sur une branche et jamais par terre ; tout cela se fait avec la rapidité de la flèche , et c’est avec la même pres- tésse qu'il dévore sa proie. D'autres fois, s'il juge par la direction d’un papillon qu'il va passer près de lui, il se baisse, se fait petit, puis tout à coup il se relève, se dresse sur ses longs pieds de derrière, étend les bras et le happe. Si le papillon vole trop haut, le galago saute verticalement et retombe à la même place en te- nant son butin. Tous les insectes sont de son goût, mais les co- léoptères sont ceux qu'il préfère. Néanmoins, en esclavage, on le nourrit assez aisément avec de la viande cuite, des œufs et du laitage. Il est fort doux et s’ap- privoise facilement ; mais sa vivacité, sa pétulance, et surtout sa force pour le saut, ne lui permettent pas de rester un instant en place et, si l'on ne veut pas qu'il se perde, il faut le tenir en cage comme un oiseau. Toutes les espèces ont à peu près les mêmes habitudes. Lé Garaco À Grosse queue (Galago crassicaudatus, GEorr. Le grand Galago, G. Cuv.) a quatre incisives supérieures ; il est à peu près de la taille d’un lapin; ses oreilles, moins grandes que 92 LES QUADRUMANES. RS Ne Rd UNE RRe — -—r e lee- : — dans le précédent, ne sont que des deux tiers de la longueur de la tête; sa couleur dominante est le gris roux. On le croit de la côte orientale d'Afrique, sans en être bien certain. Le Garaco pe Mapacascar (Galago madascariensis, Georr. Le Rat de Madagascar, Burr. Le Maki nain, Aures.) est plus petit que le précédent. Il a les oreilles moitié plus courtes que la tête ; son pelage est roussâtre , et sa queue, moins longue que son corps, est couverte de poils courts. On le trouve à Madagascar. Peut- être devrait-on le réunir aux makis. Le GaLAGo DE Demmorr (Galago Demidoffüi, Fiscu. Lemur minu- tus, G. Cuv.) est plus petit qu'un rat ordinaire, et ses oreilles sont moins longues que sa tête; il est d’un brun roux, et sa queue, plus longue que son corps, se termine en pinceau; il n’a que deux dents incisives à la mâchoire supérieure ; tous caractères qui le rapprochent beaucoup du Galago senegalensis, si ce n’est le même. On le trouve également au Sénégal. = oreilles, moitié moins longues que sa tête, sont membraneuses, nues et transparentes : il a une queue fort longue et en partie dénuée de poils. Son apparition étrange et nocturne lui a valu le nom de spectre. Le podje habite les îles Moluques. C’est un animal nocturne, d'un caractère triste. La nuit, il sort de son obscure retraite ‘et chasse aux insectes qui font sa nourriture, en sautant sur ses jambes de derrière à la manière des gerboises, ce qui lui a valu de Pennant le nom de woolly gerboa. Le TARSIER DE Banca (Tarsius Bancanus, Horse,—Dex.) habite les mêmes contrées que le précédent; il manque d'incisives in- termédiaires à la mâchoire supérieure; ses oreilles, beaucoup plus courtes que sa tête, sont horizontales et arrondies; son pe- lage est brun, et il a la queue très-gréle. Le TARSIER AUX MAINS BRUNES (Tarsius fuscomanus, Fisca. — Grorr.) est un peu plus grand qu’un mulot et ressemble assez au Le Galago. Le GaraGo DE Guinée ou Porro (Galago guineensis, DEsm. Lemur potto, Lix. — Gur. Nycticebus potto, Grorr. Le Potio de Bosmax) ne doit pas être confondu avec le kinkajou potto. Son pelage est d'un roux cendré, et sa queue de longueur moyenne. Il a la len- teur et les habitudes paresseuses du loris et des paresseux. C'est tout ce que l’on sait de cet animal d'une existence douteuse, et que Bosman seul a décrit. Il habiterait la Guinée. Je crois qu'on doit reporter cet animal au genre Potto. 92° GENRE, Les TARSIERS (Tarsius, G. Guy.) ont la tête arron- die, le museau court, les yeux très-grands; leurs dents sont au nombre de trente-quatre, dont quatre incisives à la mâchoire supérieure et deux à l'inférieure; l'intervalle entre leurs molaires et leurs incisives est rempli par plusieurs canines courtes; leurs membres postérieurs sont très-allongés, à tarses trois fois plus longs que le métatarse; ils ont une longue queue. Le Pons (Tarsius spectrum, Georr. Lemur spectrum, Par. Le Woolly gerboa, Penn. Le Tarsier, Burr.) ne dépasse pas la taille d'un mulot. La longueur de ses jambes et la grandeur énorme de ses yeux lui donnent un aspect fort étrange. Il est roux ; ses podje, mais il est d’un brun clair sur le corps et d’un gris blan- châtre en dessous; ses oreilles sont d'un tiers moins longues que la tête. C'est un animal nocturne, comme ses congénères, et on le trouve à Madagascar. 55° Gexre, Les KINKAJOUS ou POTTOS (Potos, Georr. Cerco- leptes, IzLi6.) ont trente-six dents, dont six incisives, deux ca- nines et dix molaires à chaque mâchoire. Leur museau est court, sans follicules nasaux ; leur tête est arrondie; leur langue est étroite et d’une longueur démesurée, extensible; ils ont cinq doigts à tous les pieds, sans pouce distinct, tous armés d'ongles crochus; leur queue est longue et prenante, mais garnie de poils. Le Maxaviri ou Cucnumet (Potto caudivoluulus, GEorr.—Desx. Cercoleptes caudivolvulus, Fr. Cuv. Vivera caudivolvula, Scres. Le Potto, Burr.) est de la grandeur d’une fouine; son pelage est laineux, entièrement d'un gris ou d’un brun jaunâtre : la partie antérieure du museau, la conque externe de l'oreille, la plante des pieds et la paume des mains sont nues. Le manaviri est un animal solitaire, qui vit dans les forêts les plus désertes de l'Amérique équatoriale, Le jour, il dort profon- - MAKIS. 93 Ze dément, roulé en boule, la tête posée sur sa poitrine et recou- verte par ses bras. La lumière du jour lui fatigue les yeux , aussi cherche-t-il l'obscurité. Dès que vient le crépuscule du soir, il se réveille petit à petit, se frotte les yeux, bâille en tirant sa longue langue, fait quelques pas en chancelant et d’une manière irré- solue. Puis, enfin complétement réveillé, il se met en quête de ses aliments, qui consistent en petits mammifères, en oiseaux, en insectes et en fruits. tude lui a valu des missionnaires le nom d'ours à miel. Selon quelques voyageurs, quand il en trouve l’occasion , il pénètre dans les basses-cours , saisit les volailles sous l'aile, et leur boit le sang avec une grande avidité. Il paraît, d’après ce que dit M, de Humboldt, que les anciens indigènes de la Nouvelle-Grenade avaient réduit cet animal à l'état de domesticité, Je ne sais trop quel avantage ils pouvaient y trouver, à moins qu'ils ne l’aient employé à détruire les souris Il n’est pas très-habile sauteur, mais néanmoins il grimpe ha- bilement sur les arbres, en parcourt les branches pour chercher les nids d'oiseau, et en descend avec prudence, en empoignant la tige avec ses pieds de derrière et s'aidant de sa queue, qu'il entortille aux rameaux pour prévenir des chutes. Ce ne sont pas seulement des oiseaux qu'il va chercher en furetant sur les ar- bres : il visite minutieusement les trous qui peuvent se trouver à leur tronc, afin de découvrir s'ils recèlent une ruche d’abeilles sauvages. Fayorisé par un poil laineux et très-épais qui le défend de leurs aiguillons, et par la fraicheur de la nuit qui tient ces insectes dans une sorte d'engourdissement, il enfonce une de ses pattes dans la ruche, mais avec précaution, et il brise les gâteaux pour mettre le miel à découvert. Alors il colle sa face contre le trou, et, à l’aide de sa longue, langue il va recueillir le miel jusqu’à un pied de profondeur dans la ruche, Cette habi- de leurs cabanes, ou à aller à la découverte des abeilles, Ce qu'il y a de certain, c’est que le manayiri, en captivité, est d’une dou- ceur extrême, et qu'il se familiarise avec la plus grande facilité. Dans ce cas, on le nourrit fort bien avec des fruits, du pain, des biscuits, du miel, du lait, du sang, etc. Mais quel plaisir peut-on avoir avec un animal qui dort toujours? Quand on le tire de son sommeil léthargique , il se plaint d'abord par un petit sifflement fort doux, il fuit la lumière et cherche à se cacher dans un coin obseur, ou du moins à mettre ses yeux à l'abri du jour. Cepen- dant, avec quelques caresses, on parvient à le faire jouer ; mais dès qu’elles cessent, il retombe dans son état de stupeur somno- lente. Quelquefois il mange sans le secours de ses mains, mais le plus souvent il s’en sert à cet effet. Quand il est en colère, sa voix devient assez forte et imite un peu les aboiements d’un jeune chien. 94 LES QUADRUMANES. EE RS 54e Genre. Les AYE-AYE (Cheiromys, IL16. — Cuv.) ont dix- huit dents : deux incisives à chaque mâchoire, dont les inférieures très-comprimées ressemblent à des socs de charrue. Les extré- mités ont toutes cinq doigts, dont celui du milieu des mains est très-long et très-grêle; le pouce des pieds de derrière est oppo- sable aux autres doigts; ils ont deux mamelles ventrales et la queue touflue et très-longue. Le Tsrrsint (Cheiromys madascariensis, Des. Sciurus madasca- riensis, GuL. L'Aye-aye, Burr. — G. Cuv.) est de la grandeur d’un chat; son pelage est grossier, d'un gris brun mêlé de jauntre ; sa queue est longue, épaisse, garnie de gros crins noirs ; sa tèle est arrondie et porte de grandes oreilles nues; ses yeux sont tristes, faibles, et peuvent à peine supporter la lumière. On voit à Madagascar des forêts vierges, aussi anciennes que la terre qu'elles couvrent de leur ombre, et dont les arbres n'ont Jamais été renversés que par la faux du temps. C'est là que vit dans la solitude du désert le tsitsihi, le plus farouche et pourtant le plus innocent des habitants des bois. Il a des habitudes paisi- bles, et de la gravité dans ses actions , si l'on peut se servir de ce mot. Ses mouvements sont lents, mesurés, peut-être pénibles. Aussi, pour se soustraire aux ennemis qui l'atteindraient aisé- ment, vu la lenteur de sa marche, il ne sort de sa retraite que la nuit. Pendant le jour, il se tient blotti dans un terrier qu'il sait se creuser, dit-on, dans des ravins, à proximité des forêts où il va chercher sa nourriture. Cependant, la conformation de ses pieds me paraît peu propre à lui permettre de creuser une habi- tation souterraine; probablement il s'empare de celle d'un autre animal plus faible que lui, comme font les fouines , les martres, les renards et beaucoup d’autres, qui ne manquent jamais d’ex- proprier le premier propriétaire d’un terrier, quand ils en trou- vent l'occasion : et cependant on sait que la martre et le renard creusent la terre avec assez de facilité. L’écureuil peut nous four- nir l'exemple d'un pareil brigandage, car il s'empare assez vo- lontiers des nids de pie pour y établir son domicile après l'avoir maconné à sa fantaisie, Quoi qu'il en soit, le tsitsihi se nourrit d'insectes, de vers et de fruits, et il préfère ceux qui sont secs et durs aux baies et aux autres fruits mous. Pendant toute la belle saison , il ne s'occupe guère qu'à parcourir les forêts, en grimpant lentement sur les arbres pour y trouver sa nourriture. Quoique peu carnassier, s'il peut saisir un oiseau sur son nid, il manque rarement de le faire et de le dévorer; mais c’est aux œufs qu'il donne la pré- férence. Rien n'est curieux comme de voir manger cet animal : il se pose sur le derrière, ayant le corps dans une position verticale, et avec ses mains il porte les aliments à sa bouche; mais pour saisir un fruit, il n'a pas besoin, comme l’écureuil, de ses deux mains : grâce à son long doigt, il enveloppe le fruit et le tient solidement, pendant que son autre main est libre, Jamais il ne prend un objet en l'empoignant avec ses cinq doigts, mais il le saisit avec le doigt du milieu, et avec les autres il continue à s’accrocher aux branches pour grimper. Lorsque vient la saison des pluies , il ne quitte guère son ter- rier que s'il y est poussé par la faim. Dans son réduit, il sait fort bien s'arranger une vie sédentaire, et il ne manque jamais de s’entourer de toutes les commodités que lui permettent les cir- constances. Sans faire positivement des provisions, il est rare qu'il n'ait pas dans son terrier assez de fruits pour vivre trois ou quatre jours au moins sans sorlir. Ainsi, quand des chasseurs rôdent dans les solitudes qu'il habite, ou qu'un orage inonde la campagne, il reste tranquillement chez lui, à l'abri de tout dan- ger, jusqu'à ce que sa pelile provision soit épuisée, et l’on assure même qu'il la ménage avec économie, pour la faire durer autant de temps qu’il présume devoir passer en reclusion. Il aime beau- coup ses aises, el sa voluptueuse mollesse ne lui permettrait pas d'habiter une demeure humide, fraîche, ou seulement de dormir sur la terre. Mais il n’est pas paresseux, quoique lent, et s’il aime à être bien, il ne compte sur personne que sur lui-même pour se procurer ce bien-être, Il travaille avec ardeur et pendant long- temps à se faire un appartement sec et commode au fond de son terrier. Après l'avoir suffisamment élargi, il y transporte une quantité de petites büchettes de bois sec qu'il entrelace avec du foin et dont il forme une sorte de tenture exactement appliquée contre toutes les parois de sa chambre à coucher, Il la remplit ensuite de foin sec et très-doux, au milieu duquel il établit son lit. Ce lit lui-même exige encore un travail, çar il est tapissé, on plutôt matelassé avec une mousse fine, sèche et chaude. C'est là qu'il fait ses petits, rarement en nombre de plus de trois où quatre. Pendant tout le temps de l'allaitement, la femelle en a le plus grand soin et ne les quitte que lorsqu'elle y est for- - cée par une impérieuse nécessité: elle les tient surtout dans une propreté recherchée. Lorsque les pelits commencent à marcher, elle choisit les moments où la lune jette ses rayons brillants sur les arbres des forêts pour les faire sortir et jouer sur la mousse humide de rosée. En sentinelle à côté d'eux, elle veille à la sûreté générale, et au moindre bruit, à la plus mince apparence de danger, elle fait rentrer les plus forts et emporte les plus petits au fond de son trou. Les naturels de Madagascar font une guerre soutenue au isitsihi, parce qu'ils estiment beaucoup sa chair, qui pour un Européen est un mets détestable. Ils lui tendent des piéges au pied des arbres, ils le déterrent de son trou, et le tuent à coups de flèches ou de fusil. Il n’est ni féroce ni méchant, mais il aime la liberté plus que la vie. Aussi, quand on le prend, jeune ou vieux, s'il ne se laisse pas mourir de faim dans les premiers jours de son esclavage, il vit quelque temps dans la tristesse, il tombe dans la consomption, et il périt après avoir trainé pendant quelques mois une vie languissante, qu'il parait quilter sans regret. : Ici finit l’ordre des quadrumanes, dont, nous devons le dire, les limites sont tracées d’une manière assez incertaine, Par exemple, ce dernier genre a été placé par G. Cuvier parmi les rongeurs, après les polatouches ; M. de Blainville l'a reporté à la suile des quadrumanes, et nous l'y maintenons sur la considéra- tion de son pouce des pieds de derrière, qui est opposable aux autres doigts. Le genre tarsius est évidemment plus voisin des galéopithèques et des chauves-souris que des quadrumanes, aux ailes près. Les kinkajous ou potos ne se prètent encore nettement à au- eune de nos classifications et pourraient peut-être se reporter, avec les carnassiers planligrades, entre les coalis et les blaireaux, où G. Guvier les avait mis, et d'où son frère les a retirés pour les rejeter à la fin des quadrumanes. LES CARNASSIERS CHÉIROPTÈRES, DEUXIÈME ORDRE DES MAMMIFÈRES. Ils ont des incisives, des canines et des molaires, comme tous les carnassiers, mais de formes très-variées. Un caractère qui les tranche net d'avec tous les autres mammifères, c’est un repli membraneux de la peau des flancs, qui S'unit aux quatre mem— bres et aux doigts des mains, de manière à former, dans le plus LES CHATS-VOLANTS se distinguent des chauves-souris parce que les doigts de leurs mains, tous garnis d'ongles tranchants, ne sont pas plus allongés que ceux des pieds ; il en résulte que la membrane qui occupe les intervalles des membres et s'étend jusqu'à la queue ne leur sert pas d'ailes, mais simplement de parachute. Ils ont à la mà- choire inférieure six incisives fendues en lanières étroites comme les dents d’un peigne. 1e Genre, Les CHATS-VOLANTS où PLEUROPTÈRES ( Galeo- pithecus, PALL.) ont trente-quatre dents; les incisives supérieures dentelées et les inférieures pectinées ; leurs molaires sont mousses, avec une dentelure ; leurs membranes interfémorales et latérales sont velues. Ces animaux sautent fort loin, au moyen de la mem- brane qui leur sert d'ailes, mais ils ne volent pas. Le Kuzuxc (Galeopithecus rufus, Georr. Lemur volans, Lixx. — AUDEB.). Il habite les iles Pelew ou Palaos, dans les Moluques, et aux îles de la Sonde. Il a environ un pied de longueur (0,325); sa couleur estroussâtre en dessous, d’un joli gris roux en dessus, ayec des ondes blanches, irrégulièrement bordées de gris noirâlre, et s'étendant de chaque côté du corps depuis le derrière des oreilles jusqu’à la naissance des cuisses. Il a le museau un peu long, fin comme celui d’une belette, les oreilles courtes et les yeux vifs. Le kubung ne peut pas voler comme les chauves-souris, car sa membrane n'est pas assez longue pour cela; maïs il sait tellement bien manœuvrer, qu'il parcourt d'assez grandes distances dans les airs, et passe aisément d’un arbre à un autre arbre éloigné de cinquante à soixante pas. Pour cela, il monte à l'extrémité de la plus haute branche, s'élance d’un bond vers l'arbre voisin, puis il étend sa membrane, penche un peu son corps, la tête vers la terre, et glisse ainsi dans l'air en décrivant une parabole oblique à l'horizon. Il en résulte qu’étant parti de la branche la plus haute d'un arbre, il arrive juste à la branche la plus basse d’un autre arbre. Quand la forêt est épaisse et les arbres très— rapprochés, on croirait qu'il doit diriger son parachute de ma- nière à sauter sur une branche élevée; il n’en est rien, et il tombe toujours sur la plus basse. Mais il a une raison pour cela : toute la journée il est occupé à donner la chasse aux insectes et aux pelits oiseaux qui, ainsi que lui, habitent les forêts. Pour n'avoir pas à remonter à la cime d'un arbre quand il veut aller sur un autre, il commence toujours sa chasse en explorant les branches basses, puis celles au-dessus, et ainsi de suite de bas en haut, jusqu’à ce qu'il soit arrivé au sommet. Le kubung ou oleek est la terreur des colibris et autres petits oiseaux , qu'il saisit sur leur nid pendant la nuit'ou dont il brise et mange les œufs pendant le jour. Quelquefois il se met en em- buscade sur une grosse branche, tantôt couché sur l'écorce, tan- tôt suspendu par la queue et les pieds de derrière. Si un colibri grand nombre, de véritables ailes propres au vol comme celles des oiseaux. [ls ont deux mamelles qui sont placées sur la poitrine. Cet ordre se divise en six familles, savoir : les galéopithèques ou chats-volants, les phyllostomes, les rhinolophes, les vesper- tilions, les noctilions et les méganyctères. ou GALÉOPITHÈQUES, ou une grosse phalène passent en volant à quelques pieds de lui, il s'élance tout à coup, les saisit au vol et tombe sur une branche voisine, où il les dévore à son aise. Quand il se tient suspendu dans son embusrade, il attend que le colibri passe dessous lui, fût-ce à quinze ou vingt pieds de distance; il prend son moment, se laisse tomber perpendiculairement dessus, le saisit, déploie sa membrane pour adoucir sa chute, et glisse dans l'air jusque sur la branche la plus rapprochée. Il a le coup d'œil si juste et si prompt qu'il rencontre toujours sa proie dans sa chute et ne la manque presque jamais. Son odorat est aussi très-fin. Cet animal ne met bas ordinairement qu'un petit, pour lequel il a beaucoup de tendresse. Il lui fait avec soin un nid d'herbe fine et sèche, dans le trou d'un tronc d'arbre, mais il ne l'y laisse que quatre à cinq jours; après quoi celui-ci est assez fort pour se cramponner sur son ventre et y rester constamment jus- qu'à ce qu'il puisse se hasarder à quitter sa mère pendant quel- ques instants, ou au moins à se placer sur son dos pour se re- poser de son attitude ordinaire. Du reste, sa posture est moins fatigante qu'on pourrait le croire, car sa mère le soutient presque constamment avec sa main, qu'elle lui place sur le dos. Quand la chasse est finie, ou même en la faisant, l’oleek ne marche pas, comme les autres animaux, sur les branches, mais dessous, de manière à avoir le corps pendu à la renverse. Il en résulte que son enfant se trouve placé comme dans un hamac et retenu par la membrane des ailes, de la même manière que dans un berceau qui serait placé au mi- lieu d'un filet. S'il a envie de dormir, la mère cesse de marcher et donne à son corps un mouvement doux de balancement, ab- solument comme une nourrice qui berce avec précaution un en- fant chéri. Du reste cette attitude est familière au galéopithèque, et s’il en prend quelquefois une autre pour dormir, quand il n’a pas de petit, c’est pour se suspendre par les pieds de derrière, la tête en bas, comme les chauves-souris. Les Indiens aiment assez la chair du chat-volant, surtout dans une saison de l’année où ces animaux cessent de faire la chasse aux insectes pour se nourrir d'une petite baie semblable à une groseille et très-abongante dans les forêts en de certains temps; ils aiment ces petits fruits, qui les engraissent beaucoup. Le GaréorTuÈque (Galeopithecus variegatus, GEorr.) n'a que cinq pouces de longueur (0,135); il est d’un brun gris, varié en dessus de plus foncé, avec les membres tachés de blanc. Il a la tête plus grosse et le museau plus allongé que le précédent, et, comme lui, il habite les Moluques. Le GALÉOPITHÈQUE DE TERNATE (Galeopithecus ternatensis, GEOrF. Felis volans Ternatea , Sera) est encore plus petit que le précé- dent. Il est d'un gris roux plus pâle en dessous qu'en dessus, avec des taches blanches sur la queue. Il habite également les Molu— ques. Seba avait cru lui trouver de l’analogie avec les chats. 96 LES CARNASSIERS CHÉIROPTÈRES. ———————————_—_——————————…—…"…"…"—"…"—"—"—"—"—"—"—…—"—"—"—"—"— —"— C’est avec cette famille que commence la série des véritables chauves-souris, qui toutes ont les doigts des mains allongés et pris dans une membrane nue formant une aile complète; leur pouce est séparé, libre, court, armé d’un ongle robuste et cro- chu; leurs pieds de derrière sont faibles, et leurs doigts égaux en longueur. La famille des phyllostomes a sur le nez une membrane en forme de feuille relevée en travers, simple, solitaire ou impaire. L'index des mains est composé de deux phalanges. 2e GENRE. Les PHYLLOSTOMES ( Phyllostoma Grorr.) ont trente- deux dents : quatre incisives, deux canines très - fortes et dix molaires à chaque mâchoire ; leurs oreilles sont grandes, séparées, à oreillon interne denté; ils ont sur le nez deux crêtes, l’une en forme de feuille et l’autre en forme de fer de cheval; leur langue est hérissée de papilles. Les trois premières espèces ont une queue plus courte que les membranes interfémorales; les quatre dernières n’en ont pas du tout. difformités superflues, sont des caractères réels et des nuances visibles de l'ambiguïté de la nature entre ces quadrupèdes volants et les oiseaux, car la plupart de ceux-ci ont aussi des membranes et des crêtes autour du bec et de la tête, qui paraissent tout aussi superflues que celles des chauves-souris. » Une analogie plus singulière encore est celle que ces hideux animaux ont avec l’homme par certains organes : notamment par les mamelles des femelles, qui sont placées sur la poitrine. Leurs autres caractères les rapprochent tantôt des quadrumanes, tantôt des petits carnassiers carnivores ; leur figure et leur pe- lage les font souvent ressembler à des rats ou à des souris, mais leurs grandes ailes livides les séparent de tous les autres mammi- fères. Ce sont des animaux nocturnes, dont les yeux, excessivemetit petits, ne peuvent supporter la lumière du jour. Aussi se cachent- ils dans les lieux les plus obscurs, pour n’en sortir que la nuit et aller à la chasse aux insectes et particulièrement aux papillons nocturnes, qu'ils saisissent au vol avec beaucoup d'adresse. Dans Le Kubung. Le FER DE LANCE (Phyllostoma hastatum, Grorr. Vespertilio has- tatus, Lixx. Le Fer de lance, Burr. — G. Cuv.) a la feuille du nez en forme de fer de lance, entière sur ses bords, c’est-à-dire ni crénelée ni dentée; sa queue est entièrement engagée dans la membrane interfémorale. Cette espèce se trouve à la Guyane, où elle ne quitte guère les forêts. Le fer de lance est, comme toutes les chauves-souris, un ani- mal fort extraordinaire pour l'observateur. La première chose qui frappe le vulgaire, en considérant une chauve-souris, c’est l’analogie que son vol rapide et élevé lui danne avec les oiseaux. On est étonné de voir cet animal, couvert de poils, ayant une bouche armée de dents, s’élancer dans les airs, s’y soutenir, s'y promener avec plus de facilité même qu'une hirondelle. Four l'observateur, l’analogie peut se pousser plus loin; ainsi que les oiseaux, les chauves-souris ont les muscles pectoraux très-épais et très-développés, afin de fournir aux bras toute la force néces- saire pour soutenir le corps en volant; leur sternum a de même une arête saillante pour servir de point d'appui et d'attache à ses muscles; « enfin, dit Buffon, elles paraissent s’en approcher en- core par ces membranes ou crêtes qu'elles ont sur la face; ces parties excédantes, qui ne se présentent d’abord que comme des les trous et les rochers qu'ils habitent, ils se suspendent par les pieds de derrière, la tête en bas, et passent toute la journée à dormir dans cette attitude singulière. Les espèces de nos climats s’engourdissent et passent l'hiver en léthargie, comme les loirs et les marmottes. Les femelles font ordinairement deux petits, qu’elles tiennent cramponnés à leurs mamelles, et dont la grosseur est considé- rable comparativement à celle de leur mère. Tout ce que nous venons de dire s'applique non-seulement au fer de lance, mais à toutes les chauves-souris. A la suite de cette espèce on placera celles-ci : Le PHYLLOSTOME À FEUILLE ALLONGÉE (Phyllostoma elongatum , Grorr.). Bords de la feuille entiers; extrémité de la queue libre. Patrie inconnue. Le PayLLOsTOME CRÉNELÉ (Phyllostoma crenulatum, Georr. Le Fer crénelé, G. Cuv.). Bords de la feuille dentelés; extrémité de la queue libre. Patrie inconnue. Ceux qui suivent n'ont pas de queue. Le PayLLosToME rAYÉ (Phyllostoma lineatum, Georr.). Long de deux pouces neuf lignes (0,074); une raie blanche sur la face et quatre sur le dos ; feuille entière, Du Paraguay. PHYLLOSTOMES. 97 Le PnycLosrome LUNETTE (Phyllostoma perspicillatum, GEOrr. Vespertilio perspicillatus, Lix.) me paraît appartenir au genre Ar- tibeus. Il est d’un noir brunâtre, avec deux raies blanches ; feuille courte, échancrée près de sa pointe, De l'Amérique méridionale. M. Ricord a observé que cette espèce vit du fruit du sapotillier, dont elle fait un grand dégât. Le PHYLLOSTOME À FEUILLES ARRONDIES (Phyllostoma rotundunm , Gcorr.). D'un brun rougeñtre ; feuille entière, seulement arron- die au sommet. Du Paraguay. Le PnyLLosToME FLEUR DE Lis ( Phyllostoma lilium , Georr.). Mà- choires allongées; feuille entière, aussi haute que large, à base très-étroite. Du Paraguay. , plupart des pays chauds de l'Amérique. Il y en a de monstrueuses pour la grosseur. Elles ont entièrement détruit à Borja, et en divers autres endroits, le gros bétail que les missionnaires y avaient introduit, et qui commençait à s’y multiplier. » Buffon cite ce passage avec une grande confiance, et il me semble que ce célèbre écrivain aurait dû le rejeter, comme im- pliquant contradiction; en effet, comment le bétail a-t-il pu commencer à se multiplier malgré les vampires, et comment les vampires, qui n'avaient pas empêché cette multiplication, ont-ils u ensuite détruire tous les animaux qui en résultaient? Jumilla va plus loin que La Condamine. « Ces chauves-souris sont d’adroites sangsues, s'il en fut jamais, qui rôdent toute la Ancienne habitation des singes. 3° GENRE. Les VAMPIRES (Vampirus , Georr.) ont trente-quatre dents , dont deux incisives et deux canines à chaque mâchoire, dix molaires à la mâchoire supérieure et douze à l'inférieure. Leur feuille est ovale, creusée en entonnoir. L’Axpira-Guaçu (Vampirus sanguisuga, Less. Phyllostoma spec- trum , Georr. Vespertilio spectrum, Lin. Le Vampire, Burr. — G. Cuy.) est de la grandeur d'une pie; son pelage est d’un brun roux, et sa feuille nasale est entière, moins large que haute, quoi- que élargie à sa base. L’andira-guaçu a servi de texte à beaucoup de contes que nous ont débités les anciens voyageurs. La Condamine, Pierre Martyr, Jumilla, don George Juan, don Antonio de Ulloa, semblent s'être donné le mot pour enchérir les uns sur les autres dans les rela- tions qu'ils nous font de ce terrible animal : « Les chauves-sou- ris, qui sucent le sang des mulets, des chevaux, et même des | hommes, dit La Condamine, quand ils ne s'en garantissent pas en dormant à l'abri d'un pavillon, sont un fléau commun à la 41. nuit pour boire le sang des hommes et des bêtes. Si ceux que leur état oblige de dormir par terre n’ont pas la précaution de se couvrir des pieds à la tête, ils doivent s'attendre à être piqués des chauves-souris. Si, par malheur, ces oiseaux leur piquent une veine, ils passent des bras du sommeil dans ceux de la mort, à cause de la quantité de sang qu’ils perdent sans s’en apercevoir, tant leur piqüre est subtile; outre que battant l'air avec leurs ailes, elles rafraichissent le dormeur auquel elles ont dessein d’ôter la vie. » Ulloa est moins exagéré : « Les chauves-souris sont communes à Carthagène, dit-il; elles saignent fort adroitement les habitants en leur tirant assez de sang, sans les éveiller, pour les affaiblir extrêmement. » La vérité est que l’andira-guaçu, tout vampire qu'il est par le nom, ne suce personne, ni hommes ni animaux, et c’est ce dont les voyageurs modernes et les naturalistes américains se sont assurés. Sa langue papilleuse et extensible ne lui sert qu'à sonder sous les vicilles écorces des arbres pour en relirer les insectes et Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36. 7 98 LES CARNASSSIERS CHÉIROPTÈRES. les phalènes qui s’y cachent , et il a cela de commun avec les phyllostomes et beaucoup d’autres chauves-souris. Il se nourrit habituellement d'insectes, de petits animaux, et même, dit-on, de fruits. C’est de tous les chéiroptères celui qui marche sur la terre avec le plus d’aisance. Il est commun dans la Nouvelle-Es- pagne. 4e Genre. Les MADATÉES (Wadateus, Leacu) ont quatre inci- sives à chaque mâchoire, les deux intermédiaires supérieures bifides et plus longues que les latérales, les inférieures égales, simples et aiguës; huit molaires supérieures et dix inférieures ; leur langue est bifide à la pointe ; leurs lèvres garnies de papilles molles, comprimées et frangées; ils ont deux feuilles nasales et pas de queue. La Manpatée DE Lewis (Mandateus Lewis, Leacn). D'un brun noirâtre; seize pouces d'envergure (0,453), et membrane inter- fémorale échancrée ; oreilles médiocres et arrondies; feuille brus- quement pointue vers le haut. De la Jamaïque. 5e GENRE. Les GLOSSOPHAGES (Glossophaga, Grorr.) ont vingt- quatre dents : quatre incisives, deux canines médiocrement for- tes, et six molaires à chaque mâchoire; la langue est très-exten- sible, terminée par des papilles; feuille en forme de fer de lance: membrane interfémorale très-petite ou nulle ; queue variable ou nulle. Toutes les espèces sont d'Amérique. La GLOSSOPHAGE DE PaLLAS (Glossophaga soricina, Georr. Ves- pertilio soricinus, Lix. — Paz. La Feuille, Vico-D’Azyr) se recon- nait à son manque de queue et à sa membrane interfémorale qui est fort large. Cette espèce habite Cayenne et Surinam. La longueur de sa langue, les papilles qui la terminent, et que l’on a prises pour un suçoir, l'ont fait accuser, ainsi que ses congénères, de sucer, comme le vampire, le sang des hommes et des animaux endormis. Le fait est qu'elle est fort innocente de cette accusation , et que cet organe lui sert uniquement à sonder les petits trous et les fissures des troncs d'arbres, quand elle pense y trouver les larves et les insectes dont elle se nourrit. La GLOSSOPHAGE CAUDATAIRE Glossophaga caudifer, Gore.) a la membrane interfémorale très-courte, un peu débordée par la queue. Du Brésil. La GLOSSOPHAGE À QUEUE ENVELOPPÉE ( Glossophaga amplexicau- data, Gsorr.) est d'un brun noirâtre ; sa membrane interfémorale est large; sa queue, courte, est terminée par une nodosité. Du Brésil, aux environs de Rio-Janciro. La GLOSSOPHAGE SANS QUEUE (Glossophaga ecaudata, GEorr.) man- que de queue. Sa membrane interfémorale est courte. Du Brésil. 6° Genre. Les RHINOPOMES (Rhinopoma, Georr.) ont vingt-huit dents : deux incisives supérieures et quatre inférieures ; deux ca- nines à chaque mâchoire; huit molaires à la mâchoire supérieure et dix à l'inférieure. Leur nez est conique, long, tronqué au bout, portant une petite feuille; les narines sont terminales, transver- sales, operculées; les oreilles sont grandes et réunies , avec un oreillon extérieur; leur queue est longue, prise à sa base dans la membrane interfémorale , qui est coupée carrément, libre à l’ex- trémité. La RHINOPOME MICROPHYLLE de GEorr. (Vespertilio microphyllus, Scur. La Chauve-souris d'Égypte, BELON) est d’un gris cendré et a Ja queue très-longue. Elle se trouve en Égypte, et se plaît surtout à habiter les galeries obscures des Pyramides. La RHINOPOME DE LA CAROLINE (Rhinopoma caroliniensis, GEOFF.) est brune; sa queue épaisse est assez longue. On la croit de la Caroline du Sud. 7e Genre. Les ARTIBÉES ( Artibeus, LEacn) ont trente dents : quatre incisives à chaque mâchoire, les supérieures bifides et les inférieures tronquées; deux canines à chaque mâchoire , les su- périeures avec un rebord interne à leur base; quatre molaires supérieures et cinq inférieures de chaque côté ; deux feuilles na- sales, une horizontale et l’autre verticale ; point de queue. L’ARTIBÉE DE LA JAMAÏQUE (Artibeus jamaïcensis, LEAcH) est brune en dessus, d'un gris de souris en dessous , avec les oreilles bru- nâtres, ainsi que les oreillons. Des Antilles. 8e Genre. Les MONOPHYLLES (Monophyllus, Leacu) ont trente dents : quatre incisives supérieures dont les mitoyennes plus longues et bifides ; point à la mâchoire inférieure; deux canines en haut et deux en bas ; dix molaires supérieures et douze infé- rieures ; leur feuille est unique, droite sur le nez, et leur queue courte. Le MoxopnyLie DE REDMANN (Monophyllus Redmannii, Lracu) est brun en dessus, gris en dessous, à membranes brunes; ses oreilles sont arrondies; sa feuille est aiguë , couverte de petits poils blancs. Il habite la Jamaïque. LES RHINOLOPHES aux caractères généraux des chauves-souris en joignent de parti- culiers qui les tranchent fort bien. Leur nez est garni de mem- branes et de crêtes fort compliquées; ils ont une seule phalange à l'index; leurs ailes sont grandes ; les femelles ont les mamelles sur la poitrine, mais on leur voit souvent des verrues au ventre, simulant assez bien des mamelles. 9e GExRE. Les RHINOLOPHES (Rhinolophus, GEorr.) ont trente- deux dents : deux incisives à la mâchoire supérieure, quatre à l'inférieure ; deux canines en haut et en bas; dix molaires supé- rieures et douze inférieures. Le nez est placé au fond d’une ca- vité bordée d’une large crête en forme de fer à cheval, et sur- montée d'une feuille. Les oreilles, qui manquent d’oreillon, sont latérales, moyennes. Leur queue est longue. Le GRAND FER À CHEVAL ( Rhinolophus unihastatus, GEorr. Ves- pertilio ferrum equinum, La. Le grand Fer à cheval, Burr.). Il a la feuille nasale double, l’antérieure sinueuse aux bords et au sommet, la postérieure en fer de lance. Cette chauve-souris est une des plus communes que nous ayons en France; elle habite les cavernes, les carrières et les souter- rains des vieux monuments abandonnés dans toute l'Europe. Elle n’en sort qu’à la nuit close pour aller chasser les papillons de puit et les insectes crépusculaires. Ses yeux sont petits, obscurs et couverts, à pupille nocturne; aussi fuit-elle la lumière , et les lieux les plus ténébreux sont ceux qui lui plaisent le plus; elle y fixe son domicile et y vit suspendue à la voûte par les pieds de derrière , en compagnie d’un grand nombre d'individus de son espèce. Ce qu'il y a de particulier, c’est que, quelle que soit la grandeur du souterrain ou de la caverne où elles habitent, elles ne se dispersent pas dans ses différentes parties ; elles se fixent toutes les unes à côté des autres et se touchant presque , à la même place, et il faut qu'il y en ait une grande quantité pour oceuper plus de quatre ou cinq mètres carrés de la voûte. L'hiver, au moment de s’engourdir , elles se rapprochent au point de se toucher et de former pour ainsi dire une masse compacte. Il est probable qu’elles cherchent ainsi à se réchauffer les unes les au- tres et à se soustraire autant que possible aux cruelles rigueurs du froid, 2 RHINOLOPHES. 99 Le grand fer à cheval, comme la plupart des chauves-souris , se traine très-péniblement sur la terre, et sur une surface un peu unie il ne peut s’élancer pour prendre son vol, par la raison fort simple que ses pattes ne peuvent pas exécuter en même temps tous les mouvements nécessaires au saut et au vol, Ceci montre que l'attitude singulière qu'il prend dans le repos, en se suspendant la tête en bas, est pour lui une position naturelle et fort commode, En effet, il n’a qu'à lâcher la roche où il est atta- ché, étendre les ailes en tombant, et le voilà au vol. Par la même raison, la femelle ne cherche pas à faire un lit ou un nid, comme les rats, par exemple, pour déposer ses petits, car il lui faudrait marcher pour y entrer et en sortir. Elle met bas sur le bord d’une roche perpendiculaire; et aussitôt que ses petits sont nés, elle se les attache sur la poitrine, se précipite de la roche la tête en bas, et va reprendre sa résidence ordinaire sous une voûte. Les petits, au nombre de deux au plus, se trou- vent, pour ainsi dire, emmaillottés dans les membranes des ailes de leur mère, qui les porte avec elle en volant jusqu'à ce qu'ils soient assez forts pour se lancer et se soutenir dans les airs, J'ai été moi-même témoin de ces faits. Le perit FER À CHEVAL ( Rhinolophus bihaslatus, GEorr. Vesper- tilio ferrum equinum, var. Lin. Vespertilio hipposideros , Becusr. Le petit Fer à cheval, Burr.) a la feuille nasale double, mais l’une et l'autre en fer à cheval ; ses oreilles sont profondément échan- crées. Il habite l'Europe et plus particulièrement l'Angleterre. Le RHINOLOPHE TRIDENT (Rhinolophus tridens, Georr.) a la feuille nasale simple, et terminée par trois pointes. Il habite l'Égypte, et se retire dans les cavernes et les tombeaux. Le RHiNOLOPHE CRUMÉNIFÈRE (Rhinolophus speoris, Scuxein. Rhi- nolophus marsupialis, GEorr.) a la feuille nasale simple, arrondie à son sommet ; une bourse, formée de trois replis de la peau, s'élève sur son front. De l’île de Timor. Le RuINoLOPuE DE COMMERSON (Rhinolophus Cemmersonti, GEorr.). Sa feuille nasale est simple, arrondie à la pointe; sa queue est de moitié moins longue que les jambes. De Madagascar, aux envi- rons du fort Dauphin. Le RHNOLOPHE DIADÈME (Rhinolophus diadema, GEorr.) a Ja feuille nasale simple, arrondie au sommet; son front ne présente point de bourse comme dans le cruménifère , et sa queue est de la longueur de ses jambes. De Timor. 10° Gexre. Les MÉGADERMES (Megaderma, Georr.) ont vingt- six dents : quatre incisives inférieures, point à la mâchoire supé- rieure; deux canines en haut et deux en bas; huit molaires su- périeures et dix inférieures; leurs oreilles sont très-grandes, soudées à leur base au sommet de la tête, à oreillon intérieur large; leur nez porte trois crêtes, une verticale, une horizontale et une en fer à cheval ou inférieure; elles n’ont pas de queue, et leur membrane interfémorale est coupée carrément. La MÉGADERME FEUILLE ( Megaderma frons, Grorr. La Feuille, G. Cuv. — Daus.), à feuille du nez ovale, presque aussi grande que la tête ; pelage d’un gris cendré teinté de jaunâtre, Du Sé- négal, et peut-être de l'archipel des Indes. La MÉGaDERME LYRE (Megaderma lyra, Georr.), à feuille rectan- gulaire, avec une follieule de moitié plus petite. On la croit de l'archipel Indien. La MÉGADERME SPASME (Megaderma spasma, Georr. Vespertilio spasma , Lin. Glis volans ternateus, Sera. Le Spasme de Ternate, G. Cuv.), à feuille en forme de cœur; l’oreillon est en demi- cœur , et le follieule est de même forme et de même dimension que la feuille. De l’île de Ternate. Le Lovo (Megaderma irifolium, Georr. Le Tréfle de Java, G. Cuv.), à feuille ovale ; à oreillon en forme de trèfle, avec un follicule assez grand et égal au cinquième de la longueur des oreilles. De l’île de Java. 11° Genre. Les NYCTERES (Nycteris, Georr.) ont trente-six dents : quatre incisives à la mâchoire supérieure et six à l'infé- rieure ; deux canines en haut et en bas; huit molaires supérieures et dix inférieures; le chanfrein est creusé d’une fossette marquée même sur le crâne; les narines sont recouvertes par un opercule cartilagineux, mobile, ou entourées d'un cercle de lames sail- lantes; les oreilles sont grandes, réunies par leur base; l’oreillon est extérieur; la membrane interfémorale est très-grande, et comprend la queue, dont la dernière vertèbre se termine par un cartilage bifurqué. Le NycTÈèRE DE DAUBENTON (Nycteris Daubentonti, Georr. Ves- pertilio hispidus, Lix. Le Campagnol volant, Dave.) est d'un brun roussâtre en dessus, blanchâtre en dessous, avec quelques teintes fauves ; les oreilles sont assez grandes; les opercules des narines sont très-pelits ; la lèvre inférieure est simple. Du midi de l'Eu- rope et de l’Afrique. Le Nycrène pe Georrroy (Nyctéris Geoffroyi, Des. Le Nyctère de la Thébaïde, Grorr.) est gris brun en dessus, plus clair en dessous ; une grosse verrue est sur sa lèvre, entre deux bourrelets affectant la forme d’un V. Du Sénégal et de la Thébaïde. Le NyeTÈène pg Java (Nycteris javanicus, Georr.), d'un roux vif en dessus et d'un cendré roussâtre en dessous. De l’île de Java. 12e GENRE. Les TAPHIENS ( Taphozous, Grorr.) ont vingl-huil dents : quatre incisives en bas et deux en haut, selon G. Cuvier, ou point, selon M. Geoffroy; vingt molaires ; leur chanfrein est sillonné comme dans le genre précédent ; la lèvre supérieure est épaisse ; les oreilles sont moyennes et écartées ; l’oreillon est in- térieur ; la queue est libre à l’extrémilé, au-dessus de la mem- brane, qui est grande, à angle saillant au bord extérieur. Le Tarniex roux (Taphozous rufus, Wirs. Vespertilio rufus, Wan.) se distingue des autres espèces par la couleur rouge de son pelage; il est aussi le seul des taphiens connus jusqu'à ce jour qui habite l'Amérique. On le trouve aux États-Unis. Le TaPHIEN DE MAURICE (Taphozous mauritianus, Grorr.). D'un brun marron en dessus, roussâtre en dessous; il a un oreillon terminé par un bord sinueux. L'ile de France. Le Tapniex pu SÉNÉGAL (Taphozous senegalensis, Georr. Le Lerot volant, Daus.). Il est brun en dessus, d’un brun cendré en dessous; ses oreilles sont moyennes, à oreillon arrondi. Du Sénégal. Le TAPHIEN LONGIMANE (Taphozous longimanus, HaxbW.), d'un brun de suie ; à pelage épais; ailes noires, ayant quinze pouces (0,406) d'envergure; oreilles ovales, plissées en travers. De Calcutta. Le TabmiEn PERFORÉ (Taphozous perforatus, Georr.) d'un gris roux en dessus, cendré en dessons; un oreillon en forme de fer de hache. De l'Égypte, où il habite les tombeaux. Le TapmieN LEPTURE (Taphozous lepturus, GEorr.), gris; plus pâle en dessous; dix-huit lignes de longueur (0,041); un repli au coude formé par l'aile; oreillon obtus et fort court. On le croit de Surinam. Tous ces animaux vivent d'insectes et ne volent que la nuit, Une espèce, le taphien longimane, est un objet de terreur pour les femmes superstitieuses. Comme il est très-commun et qu'il voltige continuellement autour des maisons, si une croisée reste ouverte et qu'il y ait un flambeau allumé, cet animal, attiré par la lumière de la même manière que les papillons de nuit, entre dans l’appartement, el va s'attacher aux rideaux des lits ou aux corniches, où on le trouve le lendemain, si avec ses ailes il n’a pas réveillé la dormeuse qui, dans ce cas, est fort effrayée. Mais c'est moins la crainte qu'occasionne sa présence que les conjec- tures sinistres qu'on en lire, qui font redouter cet animal, du reste fort innocent, On croit que sa visile annonce la mort, et que dans la maison où il est entré il ne se passera pas un an . 100 LES CARNASSIERS CHÉIROPTÈRES. avant que l’on ait à déplorer la perte d’un des membres de la famille. Le peuple, en France, a un préjugé semblable à l'égard de la chouette. 45° Genre. Les MORMOPS (Mormops, Leacu) ont trente-quatre dents : quatre incisives supérieures inégales, les mitoyennes très- échancrées ; quatre inférieures trifides et égales : deux canines à chaque mâchoire , les supérieures deux fois aussi longues que les inférieures, un peu comprimées et canaliculées en devant; dix molaires en haut et douze en bas; la feuille nasale est unique, droite, et réunie aux oreilles : celles-ci sont très-compliquées. En donnant les caractères de la famille des rhinolophes, nous avons dit qu’on leur voit souvent au ventre des verrues simulant assez bien des mamelles. Voici, à ce sujet, ce que pensait Geof- froy Saint-Hilaire : « Les rhinolophes, dit-il, sont les seules chauves-souris que je connaisse qui soient signalées par l’exis- tence de deux paires de mamelles, la paire surnuméraire est si- tuée aux aines; elle est plus souvent employée. Étant, en 1827, à Marseille, on m'y fit connaître une femme qui avait égale- ment nourri ses enfants par une mamelle surnuméraire ingui- nale : la mème dérogation à la règle en des êtres pourvus de mamelles ordinairement restreintes à deux, et pectorales quant Le grand Fer à cheval. Le Mormors DE BLAINVILLE (Mormops Blainvillii, Leacu). Front élevé; chanfrein excavé; lèvre supérieure lobée, crénelée ; l'in- férieure à trois lobes membraneux ; feuille nasale plissée : oreilles divisées en deux lobes au bord supérieur ; langue à papilles bi- fides et trifides. De la Jamaïque. 44° Genre. Les NYCTOPHILES (Nyctophilus, LEeacH) ont vingt- huit dents : deux incisives supérieures coniques aiguës et allon- gées; six inférieures trifides, égales, à lobes arrondis; deux canines à chaque mâchoire , les inférieures avec une petite pointe à leur base, en arrière; seize molaires à couronne garnies de tubercules aigus; ils ont deux feuilles sous le nez, la postérieure la plus grande; la queue, formée de cinq vertèbres dans sa partie visible, dépasse un peu la membrane. Le NycropmLe DE GEorrroY (Nyctophilus Geoffroyi, Lracu) est d'un brun jaunâtre en dessus et d’un blanc sale en dessous; ses ailes sont d’un noir brunâtre; ses oreilles sont larges. On ne con- naît pas sa patrie, mais il est probable qu'il ne se rencontre pas en Europe. à leur situation, forme une considération de semblable anomalie que je crois devoir faire remarquer. » Le même savant pense que cetle étrange faculté que les chauves-souris ont de se diriger sans hésitation au milieu des ténébreux labyrinthes qu’elles habi- tent, est due à une extrême sensibilité du tact qui leur fait appré- cier les plus petites différences atmosphériques. Cet organe du tact résiderait dans les membranes des ailes, et serait alors d'une étendue comparative très-considérable. Telle était aussi l'opinion de_G. Cuvier, ainsi que nous le dirons dans l’article suivant. " ut M (IL VESPERTILIONS, 101 Le Murin. LES VESPERTILIONS, ainsi que les familles qui vont suivre, n’ont aucun appendice au nez; leurs ailes sont grandes, et ils n’ont à l'index qu'une seule phalange ; leurs lèvres sont simples ; leur langue est courte, leur queue longue ; et leur tête est de forme allongée et poilue. Cette famille se compose des chauves-souris proprement dites. 15e GENRE. Les VESPERTILIONS (Vespertilio, Grorr.) ont trente- deux dents : quatre incisives supérieures (quelquefois deux), dont les deux moyennes ordinairement écartées ; six inférieures à tran- chant un peu dentelé; oreilles séparées, rarement unies par leur base; un oreillon interne; des abajoues; queue totalement prise dans la membrane interfémorale. On en trouve des espèces dans toutes les parties du monde, et nous les classerons sur cette con- sidération. 1° VESPERTILIONS D'EUROPE. Le Muni (Vespertilio murinus, Lin. La Chauve-souris, Burr.). Il a les oreilles ovales, de la longueur de la tête, et les oreil- lons en forme de faux ; il est d’un brun roussâtre ou d'un gris cendré en dessus, d’un gris blanchâtre en dessous. Il est assez commun en France et dans toute l'Europe, dans les clochers et les vieux châteaux. « Toutes les chauves-souris, dit Buffon, cherchent à se cacher, fuient la lumière, n’habitent que les lieux ténébreux, n’en sor- tent que la nuit, et y rentrent au point du jour pour demeurer collées contre les murs. Leur mouvement dans l'air est moins un vol qu'une espèce de voltigement incertain qu’elles sembient n'exécuter que par effort et d'une manière gauche; elles s'élèvent de terre avec peine, elles ne volent jamais à une grande hauteur, elles ne peuvent qu'imparfaitement précipiter, ralentir, ou même diriger leur vol; il n’est ni très-rapide , ni bien direct ; il se fait par des vibrations brusques dans une direction oblique et tor- tueuse. Elles ne laissent pas de saisir en passant les moucherons, les cousins et surtout les papillons phalènes qui ne volent que la nuit, qu'elles avalent, pour ainsi dire, tout entiers. » Tout ce que Buffon dit là du vol de ces animaux est parfaite- ment juste pour les petites espèces, mais pas du tout pour les grandes. Ces dernières ont le vol très-élevé, fort rapide, et elles se dirigent dans les airs avec autant et plus de facilité que les oiseaux. Quant aux pelites, si leur manière de parcourir les airs lui a paru oblique et tortueuse, c’est qu'il a pris ces crochets nombreux et rapides pour des résultats du caprice ou de l’imper- fection de l'animal, tandis que réellement ils résultent de la poursuite incessante qu'ils font aux pelits insectes dont le vol est irrégulier. Mais il est dans les chauves-souris une chose bien autrement étrange que le grand écrivain n’a pas signalée. Dans les cavernes les plus obscures, dans les ténèbres les plus profondes, elles parcourent en volant les nombreuses issues de leur demeure, sans hésitation, sans jamais se heurter contre les angles avancés des roches ou les parois des sombres voûtes, et avec la même sûreté qu'un autre animal en plein jour pourrait le faire. Cela vient, a-t-on dit, de ce que les chauves-souris voient dans les ténèbres, et l’on s’est trompé. Tous les animaux nocturnes ont la faculté de concentrer dans leur pupille, très-dilatable, les plus faibles rayons de lumière, et c'est pour cette raison que pendant la nuit ils distinguent assez les objets pour reconnaître leur route, leur proie, et accomplir toutes les fonctions néces- saires à leur existence. Mais dans une obscurité totale, absolue, dans le manque complet de lumière, leur pupille a beau se dila- ter, elle ne peut percevoir des rayons qui n'existent pas, et, dans ce cas, une chauve-souris est tout aussi bien frappée d’aveugle- ment que tout autre animal. Cependant, ainsi que nous l'avons dit, loin de se heurter contre les corps étrangers, elle parcourt toutes les sinuosités de sa caverne avec la plus grande aisance et sans diminuer la rapidité de son vol. Faudrait-il en conclure qu'au fond des souterrains les plus noirs il pénètre encore quelques rayons de lumière bien faibles, mais suffisants? Non, et en voici la preuve. On a pris des chauves- souris, on leur a crevé les yeux, et on les a lâchées à proximité de leur demeure; elles s’y sont aussitôt précipitées et se sont di- rigées dans tous les recoins de leur labyrinthe avec la même fa- cilité, la même sûreté que si elles avaient vu clair! Ces animaux auraient-ils donc été doués par la nature d’un sens exprès, que nous ne pouvons ni connaître ni comprendre, parce qu'il nous manque, et qui leur donnerait l'étonnante fa- culté de juger la forme, la position ou au moins la proximité des objets sans les voir? G. Cuvier a cherché à ce mystère une expli- cation qui ne me paraît pas pouvoir être adoptée sans discussion. 102 LES CARNASSIERS CHÉIROPTÈRES. « Leurs oreilles, dit-il, sont souvent très-grandes et forment avec leurs ailes une énorme surface membraneuse, presque nue, el tellement sensible, que les chauves-souris se dirigent dans leurs cavernes probablement par la seule diversité des impressions de l’air. » Le murin, comme toutes les espèces de son genre, se nourrit uniquement d'insectes. Buffon dit qu’il est carnassier, qu’il mange, outre les insectes, de la viande crue ou cuite, fraîche ou corrompue, et que, lorsqu'il peut entrer dans une office, il s'attache aux quartiers de lard; mais tout ceci est au moins fort douteux. La Nocruze (Vespertilio noctula, Lan. Vespertilio proterus, Kuu. La Sérotine, Georr. La Noctule, Burr.) est d'un fauve uniforme, à poils courts et lisses; ses membranes et ses oreilles sont obscures ; ces dernières ovales-triangulaires, à oreillon arqué; sa tête est large et arrondie. Elle se trouve dans toute l'Europe et exhale une légère odeur de muse. La SÉROTINE (Vespertilio serotinus, Lin. La Noctule, Georr. La Sérotine, Burr.) diffère de la précédente par les poils du dos, qui sont longs, luisants, d’un brun marron vif, plus courts sur les femelles; par ses membranes noires, et enfin par ses oreillons en forme de cœur. On la trouve dans les creux des vieux arbres, dans toute l'Europe. La PipisrReLLE ( Vespertilio pipistrellus, Lin. et Gu. La Pipi- strelle, Burr. et G. Cuv.), la plus petite des chauves-souris de la France ; les poils du dos sont longs, d’un brun noirâtre ; ceux du ventre sont fauves; ses oreilles sont triangulaires, et ses oreillons sont presque droits , terminés par une tête arrondie. D'Europe et d'Égypte. Le Pycuée (Vespertilio pygmæus, Leacn. Vespertilio minutus? Mowracu) est la plus petite des chauves-souris connues ; d’un brun foncé en dessus, gris en dessous; oreilles plus courtes que Ja tête, à oreillon linéaire et simple ; queue nue au sommet, lon- gue, dépassant un peu la membrane. Dans les troncs d'arbre, en Angleterre. Le VESPERTILION ÉCHANCRÉ (Vespertilio emarginatus, GEorr.), d'un gris roussâtre en dessus, cendré en dessous; oreilles oblon- gues, de la longueur de la tête, à bord extérieur échancré; oreillon subulé. Dans les souterrains en Angleterre, et rare en France. Le VespenTicion DE KuuL (Vespertilio Kuhlii, Narr.), d'un brun rouge en dessus, fauve en dessous; moitié supérieure de la face interne de la membrane interfémorale très-velue ; les oreilles très- simples, presque triangulaires, à oreillons larges et arqués en dedans. De Trieste. Le VESPERTILION a MOUSTACHES (Vespertilio mystacinus, LeisL.), d'un brun marron en dessus, plus clair dans la femelle; deux moustaches de poils fins sur le rebord de la lèvre supérieure ; oreilles assez grandes, échancrées et repliées au bord extérieur, arrondies au sommet ; oreillons lancéolés. D’Allemagne. Le VESPERTILION DE DAUBENTON (Vespertilio Daubentonii, Lrisr.), d'un gris roux en dessus, blanchâätre en dessous ; oreilles pres- que ovales, petites, presque nues, à bord externe un peu échan- cré, le bord interne largement replié ; oreillons lancéolés, minces, très-petils. De la Wétéravie. Le VESPERTILION DE LEISLER (Vespertilio Leisleri, KuuL. Vesper- tilio dasycarpos, Lrisr.), à poils longs, de couleur marron à la pointe et d’un brun foncé à la base; membrane très-velue le long des bras ; oreilles courtes, à oreillon terminé par une partie ar- rondie ; queue dépassant à peine la membrane. D'Allemagne. Le VesPenTiILION DE Scurrtgers (Vespertilio Schreibersii, Narr.), d’un gris cendré, plus pâle en dessous, quelquefois mêlé de blanc jaunâtre; oreilles plus courtes que la tête, larges, droites et triangulaires , avec les angles arrondis et un rebord interne velu; oreillon lancéolé, recourbé en dedans vers la pointe. Des mon- tagnes de Bannat, dans les cavernes, Le VESPERTILION DE NATTERER (Vespertilio Nattereri, Kunr) d’un gris fauve en dessus, blanc en dessous; ailes d'un gris enfumé; membrane interfémorale festonnée; oreilles un peu plus longues que la tête, ovales, assez larges ; oreillon lancéolé, placé sur une protubérance de la conque. D’Allemagne. Le VESPERTILION DE BECHSTEIN (Vespertilio Bechsteinii, LeisL.), d’un gris roux en dessus, blanc en dessous; oreilles plus longues que la tête, arrondies au bout; un oreillon en forme de faux, un peu courbé en dehors vers sa pointe. De l'Allemagne, dans les troncs d'arbre. 20 VESPERTILIONS D'AFRIQUE. Le VESPERTILION DE NiGRiTie (Vespertilio nigrita , GML. — GEOrr. La Marmotte volante, Daus.), d'un brun fauve en dessus; d’un fauve cendré en dessous; oreilles du tiers de la longueur de la tête, ovales-triangulaires, à oreillon long et terminé en pointe. Du Sénégal. Le VESPERTILION DE BourBoN (Vespertilio borbonicus, GEorr.), roux en dessus, blanchâtre en dessous; oreilles de moitié plus courtes que la tête, ovales-triangulaires ; oreilion long, en demi- cœur. De l’île Bourbon. 5° VESPERTILIONS D'ASIE. Le Kimivoura (Vespertilio pictus, Lin. Le Muscardin volant, Daus.), d’un roux jaunâtre vif en dessus, d’un jaune sale en dessous; ailes d’un brun marron, rayées de jaune citron le long des doigts; oreilles plus courtes que la tête, plus larges que hautes, à oreil- lon subulé. De Ceylan. Séba avait mentionné cette espèce comme étant de Ternate : peut-être l'y voit-on. 4° VESPERTILIONS D'AMÉRIQUE. La GRANDE SÉRATINE (Vespertilio maximus, DES. Vespertilio na- sutus, Sxaw), d’un brun marron en dessus, passant au jaune clair sur les flancs; d’un blanc sale en dessous; oreilles plus courtes que la tête, ovales; oreillons subulés; museau long et pointu. De la Guyane. Le VESPERTILION AU LONG NEZ (Vespertilio naso, Max. DE Neuw.), d'un gris brun ou jaune foncé en dessus, gris jaunâtre en des- sous ; oreilles petites, très-pointues; nez fort long, s’allongeant d'une ligne au-dessus de la mâchoire supérieure, comme une trompe. Du Brésil, sur les arbres. Le VESPERTILION POLYTHRIX (| Vespertilio polythriæ, Isi. GEOrF.), d'un brun marron uniforme, lirant sur le grisâtre; membrane interfémorale un peu poilue; face velue; oreilles plus longues que larges, petites, échancrées à leur bord extérieur. Du Brésil. Le VESPERTILION pu BrésiL (Vespertilio brasiliensis, Desx.), pe- lage doux et soyeux, d'un brun obscur lavé de marron; ailes étroites et noires ; oreilles allongées, médiocres. Du Brésil. Le VESPERTILION DE SAINT - HiLaiRe (Vespertilio Hilarii, Isin. Grorr.), comme le précédent, mais pelage variant du brun noi- râtre au brun marron en dessus, et du grisâtre au brun roux en dessous; membrane interfémorale nue; oreilles petites, presque aussi larges que longues. Du Brésil. Le VESPERTILION LISSE (Vespertilio levis, Isin. GEorr.), d'un brun obseur teinté de marron; la face nue en partie; la membrane interfémorale un peu poilue; les oreilles longues; la queue aussi longue que le corps. Du Brésil. Le VesperTicion DE BuéNos-Ayres (Vespertilio bonariensis, Less), d'un jaune pruineux en dessus, d'un jaune brun en dessous, fauve au museau: les oreilles courtes, ovalaires; les ailes d’un © VESPERTILIONS. 103 a ——————————————————————————————————————————— rouge noirâtre ; la membrane interfémorale très-velue en dessus, nue en dessous. De la Plata. Le VESPERTILION POUDRÉ (Vespertilio albescens, GEorr.), presque noir ; piqueté de blanc en dessus et à teinte sombre en dessous. Du Paraguay. Le VESPERTILION ROUGE (Vespertilio ruber, Georr.), d'un jaune cannelle en dessus , fauve en dessous, à poils courts ; oreilles très- pointues; oreillons étroits, linéaires. Du Paraguay. Le VESPERTILION TRÈS-VELU (Vespertilio villosissimus, GEOFrr.), d’un brun pâle; oreilles assez aiguës au bout, ressemblant à celles d'un rat; oreillon pointu ; membrane interfémorale velue dans son milieu. Du Paraguay. Le VESPERTILION À DOS NOIR (Vespertilio melanotus, RArIx.), noirà- tre en dessus ; blanchâtre en dessous; ailes d'un gris foncé, avec les doigts noirs; oreilles arrondies et à oreillon. Des États-Unis. Le VESPERTILION AUX AILES BLEUES (Vespertilio cyanopterus, Ra- FIN.), d’un gris foncé en dessus, gris bleuâtre en dessous; ailes d'un gris bleuâtre, avec les doigts noirs; oreilles plus longues que la tête; un oreillon. Des États-Unis. Le VESPERTILION MOINE (Vespertilio monachus, Rarin.), d'un fauve rougeâtre et foncé en dessus, fauve en dessous; ailes d’un gris foncé ; nez et doigts roses; pattes de derrière noires ; oreilles pe- tites, cachées dans les poils. Des États-Unis. Le VESPERTILION A FACE NOIRE (Vespertilio phaïops, RaFix.), d’un brun bai obscur en dessus, plus pâle en dessous ; les ailes, la face et les oreilles noirâtres. Des États-Unis. Le VESPERTILION ÉPERONNÉ (Vespertilio calcaratus, Rarix.), d'un brun noirâtre en dessus, fauve foncé en dessous; ailes et pieds de derrière noirs ; doigts roses, un éperon à la partie interne de la première phalange. Des États-Unis. Le VESPERTILION À QUEUE VELUE (Vespertilio lasiurus, Lin), varié de gris jaunâtre et de roux vif; oreilles plus courtes que la tête, ovales ; oreillon droit en demi-cœur. Des États-Unis. Le VESPERTILION DE LA CAROLINE (Vespertilio carolinensis, GEOrr.), d'un brun marron en dessus, jaune en dessous; oreilles de la longueur de la tête, oblongues, en partie velues; oreillon en demi-cœur. Des environs de Charlestown. Le VESPERTILION ARQUÉ (Vespertilio arquatus, Sax), oreilles un peu plus courtes que la tête, à bord postérieur portant deux pe- tites échancrures obtuses; oreillon arqué, obtus au bout; mem- brane interfémorale nue. Du nord-ouest des États-Unis. Le VESPERTILION SUBULÉ (Vespertilio subulatus, Sax), pelage à poils brunâtres à la base, cendrés au sommet; ceux du ventre noirs à la base et d’un blanc jaunâtre à l'extrémité; membrane interfémorale unicolore, velue à la naissance, un peu dépassée par la queue ; oreilles de la longueur de la tête, plus longues que larges. Des montagnes rocheuses du nord de l'Amérique. Le VESPERTILION PRUINEUX (Vespertilio pruinosus, Sax), d'un brun noirâtre, piqueté de blanc sur les parties antérieures; d’un fer- rugineux foncé sur la croupe; d’un blanc jaunâtre terne sous la gorge ; oreilles plus courtes que la tête; oreillons arqués, à pointes très-obtuses. De Pensylvanie. 46° Genre. Les OREILLARDS (Plecotus, GEorr.) ont trente-six dents : quatre incisives supérieures et six inférieures; deux ca- nines en haut eten bas; dix molaires à la mâchoire supérieure et douze en bas; leurs oreilles sont très-développées, plus grandes que la tête, et unies l’une à l’autre sur le crâne. L'OrEILLARD (Plecotus communis, Georr. Vespertilio auritus, Lix. L'Oreillard, Burr.). Cet animal est une des plus petites chauves-souris de notre pays. Il est entièrement gris, mais plus foncé en dessus qu’en déssous ; on le distingue de tous les animaux de sa classe par l'énorme grandeur de ses oreilles, qui sont presque aussi longues que son corps. On en connaît deux variétés : l'une, qui habite l'Autriche, est un peu plus grande que la nôtre; l’autre, qui se trouve en Égypte, est au contraire un peu plus petite. L'oreillard est sans contredit l'animal le plus étrange que nous ayons en France, sous le rapport de la physionomie. Quand il est en repos, ses oreilles se plissent en travers, se raccourcissent, et finissent par recouvrir le canal auditif en disparaissant pres- que, où du moins ne montrant que des proportions ordinaires, Cette faculté lui est d'autant plus nécessaire, qu'il habite nos maisons, nos cuisines même, et se loge le plus souvent dans des trous de mur où ses oreilles le gèneraient beaucoup et seraient continuellement froissées s'il n'avait le pouvoir de les replier à peu près comme les membranes de ses ailes. Beaucoup plus commun chez nous que la chauve-souris ordi- naire, s’il échappe à l'observation, c’est parce qu'il sort plus tard de sa retraite, qu'il vole avec une rapidité telle, qu’à peine peut-on l’apercevoir dans l'obscurité, outre que ses petites di- mensions favorisent son incognito. Il marche sur la terre avec plus de facilité que les autres animaux de sa famille, et je lai vu quelquefois grimper contre de vieux murs avec autant d'agilité que pourrait en mettre une souris. Son vol est très-irrégulier, très-capricieux, et l’on dirait qu'il prend à tâche de ne pas par- courir trois toises en ligne droite : il monte, il descend ; il tourne à droite, à gauche; il va, il revient ; et tout cela par des mouve- ments brusques et anguleux qu'il est presque impossible de sui- vre avec les yeux. Comme la chauve-souris, il est très-curieux ; et si on veut l’attirer en quelque endroit, il ne s’agit que d’agiter un linge blanc autour d’un bâton : il viendra aussitôt voltiger autour jusqu'à ce qu'il ait reconnu cet objet étrange pour lui. Alors , il se remet en chasse et saisit dans les airs les plus petits insectes. Ses oreilles monstrueuses ne lui ont pas élé données inutile- ment par la nature. Je ne pense pas, comme G. Cuvier, qu’elles lui servent beaucoup pour recevoir les impressions de l'air et re- connaître la présence des corps contre lesquels il pourrait se heurter; mais je crois que le sens de l’ouïe est prodigieusement développé chez lui, parce qu’il remplace jusqu’à un certain point celui de la vue, ou que du moins il lui est un puissant auxiliaire. En effet, comment l'oreillard, avec des yeux très-petits, presque cachés dans les poils de son front, pourrait-il, surtout lorsque la nuit est noire, apercevoir à une certaine distance les insectes dont il se nourrit? Il ne les voit pas, j'en suis persuadé, mais il les entend bourdonner, et alors il se précipite vers l’endroit où son oreille l'appelle, il le parcourt dans tous les sens, y fait mille tours et détours, toujours en obéissant à son guide, jusqu’à ce que sa faible vue ait découvert l’objet de ses recherches, et qu'il ait pu le saisir. Ensuite, il me semble que ceci expliquerait assez bien l'irrégularité de son vol, et les mille crochets brusques qu'on lui voit décrire dans un espace quelquefois très-resserré. L'OREILLARD GORNU (Plecotus cornutus, Fager.) est encore plus remarquable que le précédent, dont il est une variété, pour Ja longueur de ses oreilles, qui n’ont pas moins de dix-neuf lignes de longueur, et sont par conséquent aussi longues que son corps. Les oreillons sont aussi longs que les oreilles, et figurent assez bien une paire de cornes. Son pelage est d’un noir lavé de brun en dessus, et d’un noir bleuâtre varié de blanc grisâtre sur le ventre et sur la gorge. On le trouve dans le Jutland. L'OreiLLarD DE Timor (Plecotus timoriensis, Less. Vespertilio timoriensis, Georr.) est d'un brun noirâtre en dessus, et d’un brun cendré en dessous: ses oreilles sont grandes, et ses oreil- lons en demi-cœur. Des Moluques. L'OrREILLARD DE RAFINESQUE (Plecotus Rafinesquii, Less. Vesper- tilio megalotis, Rarix.) est d'un gris foncé en dessus, pâle en des- sous ; ses oreilles sont doubles, très-grandes, avec des oreillons aussi longs qu’elles, caractère qui le distingue de l'espèce de notre pays. On le trouve aux Etats-Unis, L'OrerrrarD pe MavGé (Plecotus Maugei, LESS. Vespertilio Mau- 104 LES CARNASSIERS CHÉIROPTÈRES. gei, Des.) est d’un brun noirâtre en dessus, d’un brun clair en dessous, ayec les parties postérieures du corps blanches; ailes grises; oreilles très-larges, à pointe arrondie et échancrée exté- rieurement. De l’île de Porto-Rico. Celui-ci et le suivant appar- tiennent au genre barbastelle. La BarBasreLLE ( Plecotus barbastellus, Less. Verpertilio barba- stellus, Lix.—Gur.—Grorr.), d’un brun foncé, glacé de fauve ; ailes d'un brun noir; oreilles larges, triangulaires, à bord exté- rieur échancré; oreillons très-larges à la base, étroits à la pointe, recourbés en arc vers l’intérieur, De France et d'Allemagne. a —————————_—.——— noveboracensis, PENx.), brun en dessus, plus pâle en dessous; poils doux et soyeux; une tache blanche aux épaules; queue en- tièrement prise dans sa membrane; oreilles arrondies, larges et courtes. De New-York. L’ATALAPHE DE SICILE (Atalapha sicula. Rarix.), d’un roux bru- nâtre en dessus et cendré en dessous; extrémité de la queue ob- tuse, saillant de sa membrane; oreilles aussi longues que la tête De Sicile. 18e Genre. Les MYOPTÈRES (Myopteris, GEorr.) ont vingt-six L'Orcillard. L'OREILLARD VOILÉ (Plecotus velatus, Isin. Grorr.), d'un brun marron en dessus, brun grisâtre en dessous; queue aussi longue que le corps, entièrement prise dans la membrane: oreilles lar- ges, de la longueur de la tête, Du Brésil. 17e GENRE. Les ATALAPHES (Atalapha, Rarix.). Point de dents incisives; queue plus longue que sa membrane, ou entièrement prise dans elle; oreilles médiocrement écartées, munies d’o- reillon. L’ATALAPHE D'AMÉRIQUE (Atalapha americana, RAIN. Vespertilio j dents; deux incisives et deux canines supérieures et inférieures ; huit molaires supérieures et dix inférieures; chanfrein simple et uni; oreilles séparées, latérales, larges, à oreillon interne; queue longue, prise à demi dans la membrane; museau court et gros. Le MYoPTÈRE DE DAUBENTON (Myopteris Daubentonii, Georr. Le Rat volant, Daus.), brun en dessus ; le dessous d’un blanc sale, légèrement teinté de fauve. Sa patrie est inconnue. 19e Gexre. Les NYCTICÉES (Nycticeus, RaArIN.) ont deux inci- sives supérieures, séparées par un grand intervalle, appliquées contre les canines, et à crénelures aiguës ; six incisives inférieures tronquées; les canines sans verrues à leur base. Peut-être, quand on les connaîtra mieux, faudra-t-il reporter les espèces de ce genre et du suivant dans d’autres genres. - NOCTILIONS. 105 La Nycricée HUMÉRALE (Nycticeus humeralis, Rarin.), d'un brun foncé en dessus, grise en dessous, avec les épaules noires ; queue presque aussi longue que le corps, très-mucronée; oreilles plus longues que la tête , ovales, noirâtres. Du Kentucky aux États- Unis. La NyCricéE MARQUETÉE (Nycticeus tessellatus, Rarix.), bai en dessus, fauve en dessous, à collier étroit et jaunâtre ; queue de la longueur du corps, terminée par une verrue saillante; ailes ré- ticulées et pointillées de roux; nez bilobé. Du Kentucky. 20 Genre. Les HYPEXODONS (Hypexodon, Rarix. Nyctalus, Less.) manquent d'’incisives supérieures, et en ont six inférieures, échancrées ; les canines inférieures ont une verrue à la base; leur museau est nu ; leurs narines rondes, saillantes; leur queue est entièrement prise dans sa membrane. | L'HYPExODON À MOUSTACHES (Hypexodon mystac, RarIN. Nycti- cajus mystax , Less.) est brun sur le sommet de la tête, fauve sur le reste du corps; ses ailes sont noires; sa queue est mucronée ; ses moustaches sont longues; ses oreilles sont brunes et plus longues que la tête. Il habite le Kentucky. Les mœurs des chauves-souris d'Amérique sont fort mal con- nues, non pas qu'il serait fort difficile de les étudier, mais parce que les naturalistes américains se sont laissés aller aux mêmes préjugés que les nôtres, et qu'ils regardent comme chose d’une importance très-minime l'histoire morale des animaux. Et, ce- pendant, de quelle utilité serait pour la philosophie de la science la connaissance des faits intéressants et nombreux qui nous sont restés inconnus, simplement parce qu'on n'a pas voulu se don- ner la peine de les observer, ne fût-ce que pour calculer le degré d'influence de l’organisation sur les habitudes? Maison de Cuvier, LES NOCTILIONS ont les ailes longues et étroites, et deux phalanges à l'index. Leurs molaires sont réellement tuberculeuses; leurs lèvres sont très-grosses ; leur tête est courte, obtuse; lear queue recourbée. Quelques femelles de cette famille ont de chaque côté une poche membraneuse dans laquelle elles renferment leurs petits pour les porter avec elles. 21° Gexre. Les DYSOPES (Dysopes, Fr. Cuv.) ont vingt-huit dents: deux incisives en haut et quatre en bas; deux canines à chaque mâchoire, huit molaires supérieures et dix inférieures. Le Moops (Dysopes moops, Fr. Cuv.) est la seule espèce de ce genre et se trouve dans l'Inde. 22e GENRE. Les NOCTILIONS (Noctilio, Georr.) ont vingt-huit dents : quatre incisives en haut et deux en bas; deux canines très- fortes à chaque mâchoire , huit molaires supérieures et dix infé- rieures. Leur museau est court, renflé, fendu, garni de verrues; leurs oreilles sont latérales et petites; leur nez est simple, con- fondu avec les lèvres ; leur queue est enveloppée à sa base dans la membrane, qui est très-grande. Le Nocririon uxicorore (Noctilio unicolor, GEorr. Vespertilio leporinus, Lix.) est de la grandeur d’un rat, d’un fauve pâle uni- forme. On le trouve dans toutes les parties chaudes de lAmé- rique méridionale. On en connaît deux variétés : 4° Le Dorsatus, GEorr., qui n’en diffère que par une bande blanchâtre qu'il a sur le dos; 20 L’Albiventer, Grorr., roussâtre en dessus, blanc en dessous 25e Gexre. Les MOLOSSES (Molossus, GEorr.). Ils ont vingt- huit dents: deux incisives, deux canines, et dix molaires à cha- 106 LES CARNASSIERS CHÉIROPTÈRES. que mâchoire ; leur tête est courte et leur museau renflé ; leurs grandes oreilles sont réunies ou couchées sur la face, à oreillon extérieur; la membrane interfémorale est étroite, coupée carré- ment, et enveloppe à sa base ou en totalité une longue queue. Le Mozosse PÉDIMANE (Molossus cheiropus, Less. Cheiromeles torquatus, Horsr. Dysopes cheiropus, TEMx.) a vingt et un pouces (0,369); son dos est nu; quelques poils épars et rudes lui forment une espèce de fraise sur le cou; son ventre est recouvert d'un duvet court et peu sensible; ses ailes ont vingt et un pouces (0,369) d'envergure; sa queue est ridée dans sa partie libre; les oreilles sont écartées , longues, à double oreillon. De Siam. Le MoLosse piLATÉ (Molossus dilatatus, Less. Nyctinomus dila- tatus, Horsr.), d’un fauve noirâtre, plus pale en dessous; les ailes très-grandes, la queue grêle; la membrane interfémorale formée de fibres musculaires rares. De Java. Le Moosse pe Rurrez (Molossus Ruppelii, Less. Dysopes Rup- pelii, Tem.), d'un gris de souris uniforme, un peu plus clair en dessous. I] est long de cinq pouces et demi (0,149), et il a qua- torze pouces six lignes (0,395) d'envergure. Son poil est lisse, serré, fin, long sur les doigts, rare sur le museau; ses lèvres sont larges, pendantes et plissées. On le trouve dans les souterrains en Égypte. Le MoLossE À pois RAS (Molossus abrasus , LESs. Dysopes abra- sus, Teuw.), long de quatre pouces trois lignes (0,115); d’un marron vif et lustré en dessus, plus clair et terne en dessous; ailes noires, de neuf pouces et demi (0,258) d'envergure; poils très-ras, mais serrés. Du Brésil. : Le MoLosse GRèLE (Molossus tenuis, Less. Nyctinomus tenuis, * Horsr. Dysopes tenuis, Teu.), long de trois pouces neuf lignes (0,101); d’un brun noirâtre en dessus, cendré en dessous, à poils courts, lisses, doux; ailes de dix pouces et demi (0,285) d’en- vergure; des soies blanches au bout des doigts des pieds ; lèvre supérieure large, bordée d’un rang de verrues. De Java et de Banda. Le MoLosse ALECTO (Molossus alecto, Less. Dysopes alecto, Temm.), long de cinq pouces et demi (0,149); pelage d’un noir très-bril- lant, imitant le velours le plus fin ; de longues soies au croupion ; ailes d’un pied (0,525) d'envergure. Du Brésil. Le MoLosse ENFUMÉ (Molossus fumarius, Srix. Dysopes obscurus, Temm.), long de trois pouces trois lignes (0,088); poils de deux couleurs, d’un brun noirâtre en dessus et d’un brun cendré en dessous; lèvres bordées de soies; ailes de neuf pouces (0,244) d'envergure. De la Guyane et du Brésil. Le MoLosse AGILE (Molossus veloæ, Less. Dysopes velox, TEMM.), de trois pouces et quart (0,088) de longueur; d’un brun marron très-foncé et brillant en dessus, plus clair et mat en dessous; un siphon glanduleux au-devant du cou; pelage lisse et très-court; ailes de dix pouces (0,271) d'envergure. Du Brésil. Le MoLossE MARRON (WMolossus rufus, Georr.), d'un marron foncé en dessus, elair en dessous ; museau court et très-gros. Sa patrie est inconnue. Le MoLosse opscur (Molossus obscurus, Georr.), d’un brun noi- râtre en dessus, plus terne en dessous, à poils blancs à leur base. Du Paraguay. Le MoLossE Noir ( Molossus ater, Georr.), d’un noir brillant en dessus. Sa patrie est inconnue. Le MoLossE A LONGUE QUEUE (Molossus longicaudatus, Grorr. Vespertilio molossus, Lis. Le Mulot volant? Burr.), d'un cendré fauve; queue presque aussi longue que le corps; une lanière de peau s'étendant du front au museau. On le croit de la Mar- tinique. Le MoLossE À LARGE QUEUE (Molossus laticaudatus, Gsorr.), d’un brun obseur en dessus, plus clair en dessous; queue bordée de chaque côté par un prolongement de la membrane. Du Paraguay. Le MOLOSSE À GROSSE QUEUE (Molossus crassicaudatus, GEorr.), d’un brun cannelle, plus pâle en dessous ; queue bordée de cha- que côté par un prolongement de la membrane. Du Paraguay. Le MOoLossE À QUEUE ENVELOPPÉE (Molossus amplemicaudatus , GEorr. La Chauve-souris de la Guyane, Burr.), noirâtre, moins foncé en dessous; queue entièrement enveloppée dans la mem- brane. Il vole en troupe nombreuse. De Cayenne. Le MOLOSSE À QUEUE POINTUE (Molossus acuticaudatus, Des), d’un brun noir, teinté de couleur de suie ; queue longue, presque entièrement prise dans la membrane, qui forme un angle assez aigu. Du Brésil. Le MoLossE cHaTAIN (Molossus castaneus, GEorr.), châtain en dessus, blanchâtre en dessous; un ruban étendu depuis le mu- seau juqu'au front. Du Paraguay. LE MOLoSssE A VENTRE BRUN (Molossus fusciventer, Grorr. Le second Hulot volant de Burr.), d'un cendré brun en dessus, cendré en dessous, avec le milieu du ventre brun. On ignore sa patrie. 24e Gexre. Les DINOPS ( Dinops, Say.) ont trente-deux dents : deux incisives en haut et six en bas ; deux canines supérieures et deux inférieures; dix molaires à chaque mâchoire ; leurs oreilles sont réunies et étendues sur le front ; leurs lèvres sont pendantes et plissées ; leur queue est libre dans la seconde moitié de sa grandeur. Le Divops pe CEesronr (Dinops Cestonii, Sav.), d'un gris brun en dessus, passant légèrement au jaunâtre en dessous; oreilles grandes , arrondies, à bord externe un peu échancré; ailes et queue d’un brun noir ; lèvres, oreilles et museau noirs. Des en- virons de Pise. 95e Genre. Les STÉNODERMES (Stenoderma, Grorr.) ont vingt- huit dents: quatre incisives en haut et en bas; deux canines supérieures et inférieures; huit molaires à chaque mâchoire. Georges Cuvier dit qu'ils n'ont que deux incisives supérieures. Si cela se vérifie, il faudra reporter ce genre à celui des Molos- sus ou Dysopes. Leur nez est simple; leurs oreilles petites, laté- rales et isolées, avec un oreillon intérieur ; ils manquent de queue, et leur membrane est échancrée jusqu’au coccyx. Le STÉNODERME ROUX (Stenoderma rufa, Grorr.), d'un roux châ- tain uniforme ; oreilles moyennes, ovales, à bord externe un peu échancré. De Surinam et de Cuba. 96e Genre. Les CÉLENES (Celæno, Lracu) ont vingt-six dents: deux incisives en haut et quatre en bas; deux canines à chaque mâchoire; huit molaires supérieures et inférieures; troisième et quatrième doigt à trois phalanges, l’externe à {deux; oreilles écartées; oreillons petits; queue nulle; membrane se prolon- geant peu au delà des doigts de derrière. Le CÉLèxe pe Brooks (Celæno Brooksiana, LEacu); dos ferru- gineux; épaules et ventre d’un ferrugineux jaunâtre; oreilles pointues, à bord postérieur droit et l’antérieur arrondi; toutes les membranes noires. Patrie inconnue. 97e Genre. Les ÆLLO (Ællo, Leacu) ont vingt-quatre dents : deux incisives supérieures et inférieures; deux canines en haut et en bas, et huit molaires à chaque mâchoire; leurs oreilles sont rapprochées, courtes, très-larges, et manquent d’oreillon; leur troisième doigt a quatre phalanges, le quatrième et le cinquième chacun trois; la queue, formée de cinq vertèbres dans sa partie visible, ne dépasse pas la membrane, qui est droite. L’ÆLLo pe Cuvier (Ællo Cuvieri, Leacu), d'un fauve ferrugi- neux; oreilles un peu tronquées au bout; ailes d'un brun obscur. Sa patrie est inconnue. 98e Genre. Les SCOTOPHILES (Scotophilus, Leacu) ont trente dents : quatre incisives supérieures et six inférieures; deux ca- nines en haut et en bas; huit molaires à chaque mâchoire; le L ROUSSETTES, 107 troisième, le quatrième et le cinquième doigs des ailes ont trois phalanges chacun. Le Scoropmre ne Kunz (Scotophilus Kuhlii, Leacn); pelage ferrugineux ; ailes, oreilles et nez bruns. Sa patrie est inconnue. 29e Genre. Les NYCTINOMES (Nyctinomus, Georr.) ont trente dents: deux incisives supérieures et quatre inférieures; deux canines en haut et en bas; dix molaires àchaque mâchoire. Leur nez est plat, confondu avec les lèvres; celles-ci sont ridées et profondément fendues; les oreilles sont couchées sur la face, grandes , à oreillon extérieur; la queue est longue, à demi en- veluppée à sa base par la membrane, qui est moyenne et sail- lante. Le Nycrnome p'Écyere (Nyctinomus ægyptiacus, Georr. Dyso- pes Geffroyii, TEwx.) est roux en dessus, brun en dessous; queue grèle, à moitié enveloppée dans la membrane, qui n’a point de bride membraneuse. En Égypte, dans les souterrains. Le Nycrivome pu Porr-Louis (Nyctinomus acetabulosus, GEorr.), d'un brun noirâtre; queue enveloppée aux deux tiers par la membrane interfémorale. De l'île de France. Le NyGrINOME pu BENGALE (Nyctinomus bengalensis, Georr. Ves- pertilio plicatus, Bucu.), remarquable par sa queue assez grosse, à moitié enveloppée par la membrane, qui a des brides membra- neuses. Du Bengale. Le NyeriNoue pu Brésiz (Nyctinomus brasiliensis, Isi. GEOFF.) est long de trois pouces onze lignes (0,106); d’un cendré teinté de brun noir ou de brun fauve en dessus, plus gris et moins foncé sur le ventre ; un peu plus foncé vers la poitrine ; quelques poils rares sur la première moitié de la queue prise dans la membrane. LES ROUSSETTES ont les molaires brusquement tuberculeuses, d’où il résulte que ces animaux sont frugivores ; les ailes sont arrondies, avec le doigt index à trois phalanges ; leur tête est longue et velue: ordi- nairement elles n’ont ni queue ni membrane interfémorale. La plupart des femelles ont des poches dans lesquelles elles portent leurs petits. 50° Genre. Les ROUSSETTES (Pteropus, Briss.) ont trente-qua- tre dents : quatre incisives en haut et en bas; deux canines supé- rieures et inférieures ; dix molaires à la mâchoire supérieure et douze à l'inférieure ; leur tête est conique; leurs oreilles courtes ; elles ont un petit ongle au doigt index de l'aile; leur queue est nulle ou rudimentaire, et leur membrane interfémorale très-peu apparente. Ce sont des animaux d’une taille assez grande. 12 ROUSSETTE SANS QUEUE. Le KaLowG (Pteropus javanicus, Des.) a les ailes de cinq pieds (1,624) d'envergure ; il est noir, excepté sur le dessus du cou, qui est d’un roux enfumé; il a quelques poils blancs mêlés aux autres sur le dos. On le trouve dans l'ile de Java, et il a les mêmes mœurs que l'espèce suivante, dont peut-être il n’est qu'une variété. La RousserTE (Pteropus vulgaris, Grorr. La Roussette, Burr. Le Chien volant, Daus.). Quoique moins singulier dans ses formes que la plupart des chauves-souris, cet animal n’en est pas moins un des plus extraor- dinaire que l’on connaisse ; il est brun ou d'un brun marron en dessus, d’un fauve roussâtre à la face et aux côtés du dos, d'un noir foncé, ou quelquefois marron, en dessous. Son corps a envi- ron un pied (0,525) de longueur, et ses ailes ont une très-grande envergure. Une des premières bizarreries de la roussette est que la fe- melle, qui a ses deux mamelles sur la poitrine , est sujette à cer- taines incommodités périodiques des femmes et de quelques fe- melles de quadrumanes. En outre, plusieurs espèces de cette famille ont de chaque côté du corps des sortes de poches mem- braneuses dans lesquelles elles placent leurs petits pour les transporter aisément pendant qu'elles volent; car elles ne s’en séparent que lorsqu'ils sont assez grands pour pouvoir remplir eux seuls et sans secours toutes les fonctions de l’animalité. Longiemps mème après cetle époque elles les guident ou les suivent, les aidant de leur vieille expérience. Il résulte de cette ha- bitude que ces animaux vivent en société, et qu’on les rencontre le plus ordinairement en grande troupe. « Les anciens, dit Buffon, connaissaient imparfaitement ces quadrupèdes ailés, qui sont des espèces de monstres, et il est vraisemblable que c'est d’après ces modèles bizarres de la nature que leur imagination a dessiné les harpies. Les ailes, les dents, les griffes, la cruauté, la voracité, la saleté; tous les attributs difformes, toutes les facultés nuisibles des harpies, conviennent assez à nos roussettes. Hérodote paraît les avoir indiquées lorsqu'il a dit qu'il y avait de grandes chauves-souris qui incommodaient beaucoup les hommes qui allaient recueillir la casse autour des marais de l'Asie; qu'ils étaient obligés de se couvrir de cuir le corps-et le visage pour se garantir de leurs morsures dange- reuses. » Ces animaux sont plus grands, plus forts, et peut-être plus méchants que le vampire; mais c'est à force ouverte, en plein jour aussi bien que la nuit, qu'ils font leurs dégâts; ils tuent les volailles et les petits animaux ; ils se jettent mème sur les hommes, les insultent et les blessent au visage par des morsures cruelles, et aucun voyageur ne dit qu'ils sucent le sang des hommes et des animaux endormis. » Ceci, comme on le pense bien, est fort exagéré, et je ne crois pas qu'aucun voyageur moderne ait vu attaquer l'homme par des roussettes. Ces animaux vivent principalement de fruits; néan- moins ils dévorent aussi de pelits mammifères et des oiseaux. Ils peuvent très-bien poursuivre ceux-ci dans les airs pendant le jour, car ils supportent sans peine la lumière, quoique le plus souvent ils ne sortent de leur retraite qu'au crépuscule. Les roussettes sont généralement farouches ; elles n’établissent leur domicile que dans les lieux les plus sauvages des forêts, où elles se suspendent aux branches des arbres par leurs pieds de derrière à la manière des chauves-souris. Le Meranou-Bourou (Pteropus edulis, PÉRON) a quatre pieds (1,299) d'envergure; il est entièrement noirâtre , avec le dos cou- vert de poils ras et luisants. Il se trouve dans les Moluques, et n'habite que les cavernes les plus ténébreuses contre l'habitude des autres roussettes, Les habitants du pays lui font activement la chasse pour le manger, et trouvent sa chair délicieuse. Les Européens qui en ont goûté la comparent à celle du meilleur lapin de garenne. La Rousserre »'Ebwaros (Pteropus Edwarsii, Desw. La grande Chauve-souris de Madagascar, Eow. Vespertilio vampirus, Lanw.) n’est peut-être, comine le pense Temminck, qu'une variété de la précédente. Son pelage est d’un brun marron sur le dos, d'un roux vif sur les côtés, et d'un brun clair sur le ventre. De Ma- dagascar. La RouGerre (Pteropus rubricollis, Georr. Vespertilio vampirus, Lixx. La Rougette, Burr. La Roussette à collier, G. Guy.) a deux pieds (0,650) d'envergure; elle est d’un gris brun, avee le cou 108 LES CARNASSIERS CHÉIROPTÈRES. ——_—— rouge. Cette espèce habite l'île de Bourbon, où elle vit dans les arbres creux. Le Faxiui (Pteropus Keraudren, Quox et Gaim. C'est le Poë des îles Carolines). Il est singulier que dans l'île d'Oualan cet animal était nommé par les habitants Quoy, c’est-à-dire qu'il portait le même nom que le naturaliste qui l'a décrit le premier. Il est noi- râtre , avec le cou, les épaules et le derrière de la tête jaunes. Il a les oreilles courtes et noirâtres. On trouve le fanihi depuis les îles Pelew jusqu'aux Carolines orientales. Il vit en grande troupe dans les forêts, où il passe le jour suspendu aux branches mortes des arbres, La RousserrTe pe Dussumier (Pteropus Dussumieri, Is. GEorr.) esL voisine de la précédente, mais elle en diffère par la couleur brune de la gorge et du devant du cou; le ventre et le dos sont rées qu'elles obscurcissent l'air de leurs grandes ailes, qui ont quelquefois six palmes d’étendue. Elles savent discerner, dans l'épaisseur des bois, les arbres dont les fruits sont mürs; elles les dévorent pendant toute la nuit avec un bruit qui se fait enten- dre de deux milles, et, vers le jour, elles retournent dans leurs retraites. Les Indiens, qui voient manger leurs meilleurs fruits par ces animaux, leur font la guerre non-seulement pour se venger, mais pour se nourrir de leur chair, à laquelle ils préten- dent trouver le goût du lapin. » Si le badur n’est pas cette chauve-souris, du moins il est cer- tain que comme elle il vit en troupe, dévasle les vergers, et a une chair que les habitants estiment beaucoup. La Rousserre pe Lescuenaurr (Pteropus Leschenaultii, Des.) a un pied et demi (0,487) d'envergure; elle est d’un fanve cendré La Roussette. bruns, mélangés de poils blancs; la partie supérieure de la poi- trine est d’un brun roussâtre; les côtés du cou, depuis le bas des oreilles jusqu'aux épaules, sont d'un fauve un peu roussâtre, Sa longueur totale est de sept pouces (0,189), et ses ailes ont deux pieds trois pouces (0,751) d'envergure. Elle est du continent indien. La ROUSSETTE GRISE (Pteropus griseus, GEorr.) a un pied six pouces (0,487) d'envergure; elle est grise, avec la tête et le cou d'un roux vif. Elle est de Timor. Le Baour (Pteropus medius, TE.) a quatre pieds et demi (4,461) d'envergure; la tète, l'occiput, la gorge sont d'un marron noirâtre ; le dos est noirâtre , légèrement teinté de brun; la nuque est d’un roux jaunâtre ; les côtés du cou et les parties inférieures sont d'un roux brun feuille-morte; les ailes sont brunes. Les In- diens Jui font une chasse active. Le badur habite Calcutta, Pondichéry et d’autres parties de l'Inde. Les voyageurs l’ont généralement confondu avec le me- lanou-bourou, quoiqu'il n’ait pas les mêmes habitudes. Je crois que c’est à cet animal qu'il faut appliquer ce passage de l'His- toire générale des voyages : « On voit sur les arbres une infi- nité de grandes chauves-souris qui pendent attachées les unes aux autres sur les arbres, et qui prennent leur vol à l’entrée de la nuit pour aller chercher leur nourriture dans les bois fort éloignés ; elles volent quelquefois en si grand nombre et si ser- uniforme en dessus, un peu blanchâtre en dessous; on lui voit quelques points blanchâtres à la base des membranes des ailes. Elle à une queue ? Elle habite les environs de Pondichéry. La ROUSSETTE À FACE NOIRE (Pteropus phaïops, Te.) a le corps de dix pouces (0,271) de longueur, et trois pieds cinq pouces (1,110) d'envergure. Elle est très-grosse, trapue, à museau long; son pelage, grossier, mais très-fourni, est un peu frisé, Sa face est noire, le haut du corps d’un jaune paille, la poitrine d'un roux doré très-vif, le dos d’un noir marron un peu mêlé de jau- nâtre; les ailes sont noires. Elle habite Madagascar. « Aux îles de Mascareigne et de Madagascar, dit un voyageur, les chauves-souris sont grosses comme des poules, et si commu- nes que j'en ai vu Fair obseurei. Leur cri est épouvantable, » Le Sapaosikt (Pteropus dasymalus, TEMM. Pteropus rubricollis, SiepoLp) est un peu plus grand que le fanihi ; il a le pelage long et très-laineux, d'un brun foncé; avec le cou et les épaules d'un brun sale tirant un peu sur le jaunâtre; ses oreilles sont petites et pointues; ses membranes sont d’un brun foncé, celles des flancs velues en dessus et en dessous. Il habite les environs de Nangasaki et de Jedo au Japon. La ROUSSETTE À TÊTE CENDRÉE (Pteropus poliocephalus, TEMM.) a un pied (0,525) de longueur, et trois pieds trois pouces (1,056) d'envergure. Son corps est gros et trapu; son pelage un peu frisé, long, épais, d’un gris cendré foncé en dessus, varié de ROUSSETTES. 109 a —— ——————————————————…—…—…—…—…—…"…"…"…"…"…—…"…" ….….…………….….….…… ………———— quelques poils noirs, la nuque et le cou sont d’un marron rous- sâtre; on lui voit une petite tache à la naissance de chaque oreille. Elle habite les parties les plus chaudes de la Nouvelle-Hollande. La ROUSSETTE FEUILLE-MORTE ( Pteropus pallidus, Temx.) a sept pouces six lignes (0,203) de longueur, et deux pieds cinq lignes (0,661) d'envergure; son pelage est court, mélangé de poils bruns, gris ou blanchâtres; le dos est d’un brun pâle ; la nuque, les épaules et le collier qui entoure la poitrine d’un roux ocracé vif; la tête, la gorge, le ventre et les membres sont d'un brun feuille-morte. Elle habite l'ile de Banda. La Rousserre masquée (Pteropus personatus, Temx.) est longue de six pouces et demi (0,167); ses ailes ont vingt pouces (0,542) d'envergure. Sa tête est mêlée de blanc et de brun, avec du blanc perdrix. « Aussi, dit Buffon, il est aisé de les enivrer et de les prendre en mettant à portée de leur retraite des vases remplis d’eau de palmier ou de quelque autre liqueur fermentée. » Un voyageur suédois dit en avoir pris une qui s'était enivrée et lais- sée tomber au pied d’un arbre; l'ayant attachée avec des clous à une muraille, elle rongea les clous et les arrondit avec ses dents comme si on les eùt limés. Tout cela sent un peu le conte de voyageur ! 99 ROUSSETTES A QUEUE. La RousserTe »'ÉGypTE (Pleropus œgyptiacus, GEorr. Pteropus Geoffroyit, Temm.) a d'un pied à dix-huit pouces (0,325 à 0,487) Les G auves-Souris, vue des bords du Nil. pur sur le menton, les joues et le chanfrein; une 1 rge bande brune couvre la gorge; le dos est grisâtre, le haut du corps d’un jaune paille, le ventre brunâtre glacé de jaune roux. Cette es- pèce vit en troupes peu nombreuses ; elle fait beaucoup de ravage dans les vergers. Cette roussette est une des plus jolies, ou, si l'on veut, une des moins laides que l’on connaisse, Elle habite les Moluques; et l'on dit qu’elle aime beaucoup la séve du palmier, dont les habi- tants font une liqueur fermentée fort spiritueuse et très-eni- vrante. Si l’on s’en rapporte aux voyageurs, lorsque les Indiens ont percé un palmier pour en tirer la séve et placé dans la plaie le chalumeau qui doit diriger la liqueur dans le vase destiné à la recevoir, les roussettes ont l'intelligence d’aller mettre leur bou- che au bout du chalumeau, et de boire cette séve sucrée à me- sure qu'elle coule. Mais leur gourmandise est bientôt punie, car elles s’enivrent, tombent au pied de l’arbre et sont prises par les habitants, qui les mangent et leur trouvent un excellent goût de d'envergure; sa tête est plus large et plus courte que celle des autres animaux de son genre; son pelage est laineux, d’un gris brunâtre. On la trouve en Égypte, suspendue aux voûtes des mo- numents en ruine. La RousSETTE PAILLÉE (Pteropus stramineus, Georr. Le Chien volant? Sera) a environ deux pieds (0,650) d'envergure ; elle est d’un jaune roussätre, et sa queue est très-courle. Elle habite Timor. : La ROUSSETTE AMPLEXICAUDE (Pteropus ampleæicaudatus , GEOFF.) a un pied quatre pouces (0,453) d'envergure; elle est d'un gris roux, et la moitié de sa queue est prise dans la membrane in- terfémorale ; la queue est de la longueur de la cuisse. Elle se trouve à Timor. La RoussETTE MANTELÉE (Pteropus palliatus, GEorr.) est peut- être, comme le pense Temminck, un individu jeune de l'hypo- derme de Péron. Sa tête, son cou, ses épaules et son ventre sont couverts de poils rares, longs, soyeux, d’un jaune de paille; au 110 LES CARNASSIERS CHÉIROPTÈRES. EEE autEeEZLZgZLZLZgLgZgLcpLER milieu du dos est une saillie longitudinale, haute d’une ligne (0,002), qui donne naissance aux membranes des ailes. Sa patrie est inconnue. © 51° Gexre. Les HYPODERMES (Æypoderma Georr. Cephalotes, Less.) ont trente-deux dents : quatre incisives en haut et six en bas; deux canines à chaque mâchoire; dix molaires supérieures et trois inférieures. Une seule espèce (céphalote de Péron) a un petit ongle à l'index; leur tête est conique; leurs oreilles courtes ; la queue très-peu apparente, et, comme dans la roussette ci-des- sus, la membrane de leurs ailes naît de la partie moyenne du dos ; la membrane interfémorale est échancrée. L'HypObERME DE PÉRON (Hypoderma Peronii et Cephalotes Pe- roni, Georr.) a deux pieds (0,650) d'envergure; elle est brune ou rousse, à pelage court, et elle manque d'ongle à l'index. De Timor. 52e Genre. Les MACROGLOSSES (Macroglossa. Fr, Cuv.) ent trente-quatre dents : quatre incisives et deux canines en haut et en bas, dix molaires à la mâchoire supérieure et douze à l'infé- rieure ; leur tête est extrêmement longue, leur langue extensible. Le Lowo-Assu (Macroglossa kiodutes et Horsfieldii, Fr, Cuv. Pteropus minimus et rostratus, Georr.); tête fort allongée; ailes de dix pouces (0,271) d'envergure; pelage laineux, d’un roux vif en dessus et terne en dessous , ou d'un brun pâle uniforme pas- sant au gris isabelle; point de queue; langue très-extensible, pouvant s’allonger de deux pouces. Elle habite Java, où, dit-on, elle se nourrit de fruits; mais sa longue langue annonce aussi qu'elle attaque les petits insectes. 35° Genre. Les CYNOPTÈRES (Cynopterus, Fr. Cuv.) ont quatre incisives et deux fausses molaires rudimentaires à chaque mâ- choire , comme les roussettes, mais ils manquent entièrement de dernières molaires : leur tête a de la ressemblance avec celle des céphalotes, et leurs mâchoires sont raccourcies. Le CYNOPTÈRE A OREILLES BORDÉES ( Cynoplerus marginatus , Fr. Cuv. Pteropus marginätus , GEorr.) a onze pouces (0,298) d’en- vergure : il est d'un brun olivâtre, à poils courts et ras; il a un liséré blanc autour de l'oreille. Du Bengale. 54° Genre. Les CÉPHALOTES (Cephalotes, Geore. Harpya, Lure. — Less.). Elles ont vingt-quatre dents : deux incisives en haut et point en bas ; deux canines à chaque mâchoire; huit molaires supérieures et dix inférieures. Ce genre ne diffère des hypoder- mes que par le manque des incisives inférieures et des dernières petites molaires en haut et en bas. Si, comme le pense M. Geof- froy, ceci n’est que le résultat du jeune âge, il faudra reporter l'espèce sur laquelle ce genre est fondé à côté de l'hypoderme de Péron. La CÉPHALOTE À OREILLES ÉTROITES (Cephalotes teniotis, Rarin.) est d’un gris brunâtre; la moitié de sa queue est libre; elle a une verrue entre les deux incisives. Elle habite la Sicile. Appartient- elle à ce genre? La CÉPHALOTE DE PaLLAS (Cephalotes Pallasii, Georr. Harpya Pallasii, ILrie. Vespertilio cephalotes, Paz. — Lin. Cephalotes Pal- lasii, Georr. La Céphalote, Burr.). Elle est d’un gris cendré en dessus et d’un blanc pâle en dessous, à poils rares et doux; ses ailes ont quatorze pouces (0,579) d'envergure, et l'index est muni d’un ongle. Elle habite les Moluques. 55e Genre. Les PACHYSOMES (Pachysoma, GEorr.) n’ont que trente dents; quatre incisives et deux canines en haut et en bas; huit molaires à la mâchoire supérieure et dix à l’inférieure; corps lourd et trapu ; museau gros; mamelles placées sur la poitrine et non sur les côtés au-dessous de l’aisselle. Le BATOEAUWEL (Pachysoma melanocephalus, Isin. GEorr. Ptero- pus melanocephalus , TEmm.) a deux pouces dix lignes (0,077) de longueur, et ses ailes ont onze pouces (0,298) d'envergure ; ses poils sont d’un blanc jaunâtre à la base et d’un cendré noirâtre à la pointe; sa tête est noire , et le dessous de son corps est d'un blanc jaunâtre et terne ; une humeur odorante suinte de chaque côté de son cou. Dans les montagnes de Bantam à l'ile de Java. Le PACHYSOME MAMMILÈVRE ( Pachysoma litthæcheilus, Is. GEorr Pteropus litthæcheilus, Teux.) est long de cinq pouces (0,155), et ses ailes ont environ dix-huit pouces (0,487) d'envergure; ses poils, lisses et fins, divergent sur les côtés du cou; le mâle a le dos d’un brun roussâtre ; la tête et les côtés de la poitrine sont roux, devenant orangés quand l'animal vieillit; un liséré blan- châtre borde les oreilles; son ventre est gris ; la femelle, qui est un peu plus grande, est olivâtre , teintée de roux sur les côtés du cou; la queue a sept lignes de longueur. On le trouve à Siam, dans la Cochinchine et dans les îles de Java et de Sumatra. Le PacuysoME DE DuvauceL (Pachysoma Duvaucelii, GEorr.) est long de trois pouces un quart (0,088); son pelage est d'un fauve brunâtre uniforme ; pouce de l'aile fort allongé, pris en grande partie dans la membrane; queue courte, ne dépassant la mem- brane que de trois lignes (0,007). De Sumatra. Le PacuysomE pe Diam (Pachysoma Diardii, Georr.) est brun sur la tête, le dos et les bras, gris autour du cou et sur le milieu du ventre; d’un brun grisàtre sur les flancs ; sa longueur totale est de quatre pouces et demi (0,122), et ses ailes ont dix-huit pouces (0,487) d'envergure ; la queue dépasse de huit lignes (0,018) sa membrane. Sumatra. Le PACHYSOME À COURTE QUEUE (Pachysoma brevicaudatum , Is. Gzorr.), d'un roux olivâtre en dessus, gris en dessous sur le mi- lieu du ventre; flancs, gorge et côtés du cou d'un gris plus ou moins roussâtre, ou d’un roux vif; oreilles entourées d’un liséré blanc ; queue dépassant à peine la membrane, ce qui le distingue du mammilèvre ; longueur totale, quatre pouces (0,108); les ailes ont treize pouces (0,552) d'envergure. On le trouve à Sumatra. LES CARNASSIERS INSECTIVORES, TROISIÈME ORDRE DES MAMMIFÈRES. Comme les chéiroptères, ils ont les mâchelières hérissées de pointes coniques, et une vie nocturne ou souterraine; dans les climats froids, beaucoup d’entre eux tombent en léthargie et passent l'hiver dans un état plus ou moins complet d’engourdis- sement. Leurs pieds sont courts, armés d'ongles robustes, et ceux de derrière ont toujours cinq doigts; tous appuient la plante entière du pied sur la terre ên marchant. Leurs mamelles sont placées sur le ventre, comme chez tous les carnassiers qui vont suivre. Tous ont une clavicule. Je partagerai cet ordre en trois petites familles, celle des dio- dontes, celle des triodontes à courtes canines, et celle des trio- dontes à longues canines. LES DIODONTES n’ont que deux sortes de dents : deux longues incisives en avant, suivies d’autres incisives plus courtes que les molaires ; ils man- quent de canines, caractère les rapprochant un peu des rongeurs, 4e Genre. Les HÉRISSONS (Erinaceus, Lin.) ont trente-six dents : six incisives supérieures, dont les mitoyennes écartées et cylindriques; point de canines ; quatorze molaires à chaque mà- choire; leur corps, couvert de piquants très-durs, a la faculté de se rouler en boule, au moyen de muscles puissants dont la peau du dos est munie; tous leurs pieds ont cinq doigts, et leur queue est très-courte, Le HÉrissox ( Erinaceus europœus, Lis. Le Hérisson ordinaire, Burr. — G. Cuv.). Ce petit animal se distingue de ses congénères par ses oreilles courtes, n'ayant jamais une longueur égale aux deux tiers de sa tête ; son corps est couvert d'aiguillons cornés, robustes, entre- croisésirrégulièrement, d’une longueur médiocre et très-piquants. Il se trouve dans toute l'Europe tempérée, et il est commun en France dans la plupart de nos départements. Les naturalistes ont avancé qu'il y en a deux variétés: l’une à museau de cochon, nommée cochon ou pourceau de terre; l’autre à museau de chien, que l’on appelle hérisson-chien. Ceci est certainement une erreur. Ce qu'il y a de bien certain, c'est que le museau du hérisson n’a de ressemblance ni avec celui d’un chien, ni avec celui d’un co- chon. Tous les hérissons que j'ai observés, soit vivants, soit dans les nombreuses collections que j'ai visitées, se ressemblaient iden- tiquement ; et nul naturaliste n’a vu autrement que moi, même ceux qui ont admis l'existence des deux variétés sur la foi des chasseurs. On a dit aussi que le hérisson monte sur les arbres fruitiers, qu'il en fait tomber les fruits, puis qu'il se roule ensuite sur sa récolte pour emporter dans son terrier les pommes qui restent attachées à ses piquants. Il y a là presque autant d'erreurs que de mots : le hérisson ne grimpe pas et ne peut pas grimper sur les arbres, car il n’a pour cela ni agilité ni griffes ; il n'emporte pas les fruits à la pointe de ses aiguillons, mais avec sa gueule; enfin . il n'habite ni ne creuse de terrier, quoi qu’en aient dit Buffon et les naturalistes qui l’ont suivi. C'est dans les trous que le temps a creusés au pied des arbres, sous les racines des vieilles souches, dans des amas de pierres et les fentes de rocher, et même sur la terre plate à l'abri d’un épais buisson, que ce petit animal établit son domicile, au milieu d’un tas de mousse et de feuilles sèches qu'il amoncelle. C’est là qu'il se retire l'hiver pour s’engourdir; c’est là que la femelle dépose ses petits, ordinairement au nombre de quatre à sept : une seule fois j'en ai trouvé neuf, mais j'ai lieu de croire que c’était la réu- nion de deux familles. En naissant, les petits sont d’un blanc rosé, et déjà l’on aperçoit sur leur peau des points saillants et plus foncés qui sont les rudiments de leurs aiguillons. Dès qu'ils ont atteint la grosseur d’un œuf de poule, ils sont déjà aussi bien armés que leur mère. Elle les soigne et les conduit avec elle pen- dant l'allaitement; mais dès qu'il est fini, elle les abandonne et ne s'en occupe plus. Peut-être est-ce par manque d'affection, et ce que dit Buffon pourrait le faire croire : « J'ai voulu en élever quelques-uns, dit-il; on a mis plus d’une fois la mère et les pe- tits dans un tonneau ayec une abondante provision ; mais au lieu de les allaiter, elle les a dévorés les uns après les autres; ce n'é- tait pas le manque de nourriture, car elle mangeait de la viande, du pain, du son, des fruits, etc. » Peut-être que si le hérisson abandonne ses petits aussitôt après l'allaitement, c’est parce qu'il sent son impuissance à les défendre, et l’inutilité absolue dont il serait pour eux. Cet animal ne peut opposer à l'ennemi qui l'attaque ni griffes aiguës, ni dents for- midables; il ne peut s'échapper par la fuite, car il ne sait pas courir, quoiqu'il marche assez vite; mais dans les aiguillons acé- rés qui lui recouvrent tout le dessus du corps, la nature lui a donné une arme défensive qui lui suffit. S'il aperçoit une fouine, un oiseau de proie, ou tout autre ennemi, il ne tente pas de s'échapper par la fuite, mais il se roule aussitôt en boule. Au moyen des muscles puissants dont la peau de son dos est munie, après ayoir rassemblé sa tête et ses pattes sous son ventre, il se renferme entièrement dans sa cuirasse épineuse comme dans une bourse à coulisse, et présente de toutes parts ses piquants à son antagoniste. Celui-ci est forcé de l’abandonner après avoir vai nement essayé de le saisir en se déchirant la gueule. Cependant j'ai vu des chiens assez adroits pour s’en emparer. Voici comment. Après avoir placé le hérisson sur la partie qui correspond au ventre, ils lui appuyaient une patte sur le dos, mais pas assez fortement pour se piquer; puis ils lui donnaient un mouvement assez lent de balancement, qui, soit que cela lui fatiguât le nez, qui frottait alors sur la terre, soit qu'il en fût étourdi, le forçait bientôt à s'étendre, à se développer, et à montrer sa tête, que le chien écrasait d’un seul coup de dents et en calculant le moment favorable. Il est à croire que les renards emploient la même mé- thode ou un procédé analogue pour s'emparer de ces animaux, car on en voit souvent des débris autour de leurs terriers. Les chasseurs &;u. .ouvent un hérisson emploient un moyen beaucoup plus court et plus facile pour le contraindre à se déve- lopper. Ils le jettent tout simplement dans l’eau, et le pauvre animal, pour ne pas se noyer, est bien forcé de s'étendre et de nager; du reste il est habile à cet exercice , et de lui-même il se met à l’eau pour traverser des ruisseaux et des rivières assez larges. Quelquefois les paysans, qui mangent sa chair, toute fade et détestable qu’elle est, ont la cruauté de le plonger vivant dans 119 LES CARNASSIERS INSECTIVORES. ——————_—_— —…—"—"…—"—"—" — —— de l’eau bouillante, afin d’avoir la facilité de le dépouiller. La peau servait autrefois de peigne pour sérancer le chanvre. Le hérisson met bas du commencement à la fin de juin, et les petits prennent à peu près tout leur développement dans le cours d'une année. Ils se nourrissent de fruits quand ils en trouvent, mais plus ordinairement d'insectes, comme hannetons, géotrupes, sauterelles, grillons, ete., et même de cantharides par centaines, sans en éprouver aucun inconvénient; ce qui est d'autant plus singulier, qu'une seule cause des tourments horribles aux chiens et aux chats, et que trois ou quatre tueraient certainement un homme. Ils mangent aussi la chair des cadavres d'animaux, et principalement la cervelle. Avec leur nez ils fouillent la terre figure de Seba (tab. 51, fig. 1), et pourrait bien n'être pas suffi- samment authentique. Il a huit pouces (0,217) de longueur ; son museau est court, ainsi que ses oreilles, qui sont pendantes; ses piquants sont très-longs, parallèles, ce qui lui donne un peu de ressemblance avec un porc-épic. Il serait de la presqu'ile de Ma- laca, et on le trouverait aussi à Java ét à Sumatra. Ses mœurs ne différeraient pas de celles du nôtre. 2e Genre. Les MUSARAIGNES (Sorex, Lix.) ont trente dents : deux incisives à chaque mâchoire, dont les supérieures moyennes, crochues et dentées à leur base; point de canines; seize molaires en haut et dix en bas. Leur corps est poilu, sans piquants; leur Le Hérisson. pour en arracher les vers, dont ils sont très-friands, ou pour y trouver quelques racines, qu'ils mangent faute de mieux. D'un caractère timide, le hérisson aime la vie solitaire et tranquille ; aussi s’'approche-t-il rarement de nos habitations. S'il y est ap- porté, il y vit et paraît s’accoutumer assez bien aux habitudes domestiques ; mais il ne s'attache à personne, et, tout en cessant d’être farouche , il ne s’apprivoise jamais, et ne manque aucune occasion de reconquérir sa liberté. On doit regarder comme de simples variétés de cette espèce : Le Hérisson p'Écypre (Ærinaceus œgyptiacus, GEorr.), qui ne s’en distingue que par les poils de dessous son corps, qui sont bruns quand il est adulte, au lieu d’être d'un blanc roussâtre ; — le HÉrISSON DE SIBÉRIE (Erinaceus sibiricus, ErxL.), animal dont l'existence est douteuse, et qui différerait du nôtre par ses oreilles plates et courtes, par ses piquants roux à la base et jaunes au sommet, enfin par la teinte d'un cendré jaunâtre des poils de dessous. Le HÉRISSON À LONGUES OREILLES (Erinaceus auritus, PALL. — Scureg, — G. Cuv.), plus petit que le nôtre; ses piquants sont cannelés longitudinalement et tuberculeux sur les cannelures, et non plantés en quinconce comme dans le hérisson d'Europe ; à museau court, et oreilles grandes comme oux tiers de la tête. On le trouve depuis le nord de la mer Caspienne jusqu'en Égypte, et il est commun sur les bords du lac Aral aux environs d'Astracan. Dans cette dernière ville, on s’en sert comme de chat pour détruire les souris dans les maisons. Le HÉRISSON À OREILLES PENDANTES (Ærinaceus malaccensis, DES. — Briss. Porcus aculeatus, SERA) ne nouse connu que par une museau long, très-effilé ; leurs oreilles sont arrondies et courtes; leurs doigts, au nombre de cinq à chaque pied, sont munis d’on- gles médiocrement forts. Ces pelits animaux sont très-voraces. 1° MUSARAIGNES D'EUROPE. La MuseTTE ou MUSARAIGNE COMMUNE (Soreæ araneus, Lin. Cro- cidura aranea, Secxs. La Musaraigne, Burr. —G. Cuv. Voir la figure du fond, dans notre gravure). Elle atteint rarement la grosseur d’une souris ; ses oreilles sont grandes et nues, ayant en dedans deux lobes ou replis placés l’un au-dessus de l’autre; elle est d’un gris de souris plus pâle en dessous, quelquefois tirant un peu sur le fauve ou le brun; sa queue, un peu moins longue que son corps, est carrée. Toutes les musaraignes offrent une singularité très-bizarre, et dont la science n’a pas encore pu se rendre compte. On leur trouve sur chaque flanc, sous le poil ordinaire, une petite bande de soies roides et serrées, entre lesquelles suinte une humeur odorante, produite par des glandes particulières. On ignore ab- solument de quelle utilité cet organe peut être à l'animal. La musette est, dans nos campagnes, la victime innocente d'un préjugé ; on croit que par sa morsure elle cause aux chevaux une maladie souvent mortelle, et on lui fait la chasse en conséquence, Cette imputation est d'autant plus fausse que non-seulement elle n'est pas venimeuse, mais encore que sa bouche est si petite, qu'elle ne pourrait en aucune manière mordre un cheval, faute de pouvoir saisir sa peau. DIODONTES, 113 Pendant la belle saison, ce petit animal habite la campagne, et se retire dans les bois, où il se loge sous la mousse, les feuilles sèches, dans les vieilles souches d'arbre, dans les trous abandon- nés de taupe et de mulot, et même dans des terriers qu'il sait se ereuser lui-même. Autour de son habitation, dont il ne s’éloi- gne guère, et où il rentre précipitamment à la moindre appa- rence de danger, il fait la chasse aux insectes, dont il se nourrit le plus ordinairement ; mais il ne dédaigne pas le grain, et même quelquefois il mange la chair corrompue des cadavres d'animaux. C’est à l'heure du crépuscule que la musette sort le plus ordinai- rement de son asile pour faire ses courtes promenades. Si elle se hasarde pendant le jour, elle devient aisément la victime de La musaraigne, lorsqu'on l'irrite, fuit en poussant un petit cri assez analogue à celui de la souris, mais beaucoup plus aigu. Elle met bas vers la fin du printemps, dans un nid de foin qu'elle s’est construit au fond de sa retraite, et ne fait pas moins de six à huit petits. On prétend qu'elle fait trois ou quatre portées par an. On la trouve partout, mais je ne l'ai vue très-commune nulle part. Les espèces qui vont suivre ont toutes à peu près les mêmes mœurs. La MUSARAIGNE CARRELET ( Sorex tetragonurus, Her.) a de lon- gueur, la queue comprise , trois pouces neuf lignes (0,104); elle est noirâtre en dessus, d’un cendré brunâtre en dessous; ses La Musaraigne d eau et la Musaraigne de terre. ses ennemis, car elle court mal et y voit à peine. Les petits car- nassiers la tuent, mais ne la mangent pas; du moins les chats montrent pour elle une grande répugnance, qu'il faut sans doute attribuer à la forte odeur qu'exhalent ses glandes. Lorsque les approches du froid commencent à dépouiller les bois de leur verdure, la musaraigne, ne trouvant plus d'insectes, gagne ses logements d'hiver, et se relire dans les granges, les greniers à foin, les écuries et autres parties de nos habitations, où elle trouve pour se nourrir quelques grains égarés, et parfois des débris de cuisine. Je ne crois pas qu’elle s’engourdisse pen- dant la mauvaise saison, au moins quand les gelées ne sont pas très-rigoureuses, car j’en ai vu plusieurs fois se promener sur la neige. 48 oreilles sont courtes, sa queue est longue et tout à fait carrée. On la trouve en France dans les granges. La MusaraIGNe RAYÉE (Sorex lineatus, GEOFF.) a trois pouces six lignes (0,095) de longueur totale; elle est d'un brun noirâtre en dessus, plus pâle en dessous, avec la gorge cendrée ; elle!a une petite ligne blanche sur le chanfrein , et une tache sur chaque oreille ; sa queue est ronde, fortement carénée en dessous. On la trouve aux environs de Paris. La MUSARAIGNE PLARON (Soreæ coastrictus, HERM. Sorex cunicu- larius, Becusr.) atteint quatre pouces (0,108) de longueur totale ; elle est d'un noir cendré; ses oreilles sont velues, très-petites, cachées dans les poils de la tête; sa queue est ronde au milieu, Paris. Typographie Plon frères, rue de Vangirard, 36. S iii LES CARNASSIERS INSECTIVORES. en dd à ee aplalie à la pointe et à la base. Elle se trouve en France, dans les prairies. La MUSARAIGNE LEUCODE (Sorez leucodon, Herx.) est longue de quatre pouces quatre lignes (0,117) la queue comprise; elle est brune sur le dos, avec les flanes et le dessous blancs ; sa queue est un peu carrée. On la trouve aux environs de Strasbourg. La MUSARAIGNE NAINE (Sorex minimus, PALL.) n'a pas plus d'un pouce huit lignes (0,045) de longueur totale; elle est brune; sa queue est ronde, étranglée à sa base, Elle se trouve en Sibérie et en Silésie, La Musaralëxe DE Toscane (Sorex etruseus, Saxi) est un peu plus grande que la précédente et atteint trois pouces (0,081) de longueur totale; elle est d’un gris cendré, blanchâtre en dessous ; ses oreilles sont arrondies; elle a la queue médiocrement longue, gréle, et un peu carrée. On la trouve dans les racines et les sou- ches des vieux arbres en Toscane. En hiver, elle se rapproche des habitations, et se retire dans les tas de fumier, où elle trouve à la fois de la chaleur et des insectes pour sa nourriture. La MusaralGxE D'EAU (Sorex fodiens, Guc. Sorexz Dawbentonii , GEorr. — Erx1E8. Sorex carinatus, Heru. Le Greber, Vico-n’Azyr. La Musaraigne d’eau, Burr. — G. Cuy. Voir la figure en avant dans notre gravure) est noirâtre en dessus, blanche en dessous; ses doigts sont bordés de poils roides qui lui aident à nager; sa queue est carrée, un peu moins longue que le corps. Daubenton est le premier naturaliste qui ait fait connaître la musaraigne d'eau, et cependant elle est beaucoup plus commune aujourd'hui que la musette, qui est connue depuis la plus haute antiquité. Quoique vivant habituellement sur le bord des eaux, presque dans leur sein, elle n’a pas les pieds palmés, mais ils sont garnis de cils roides, en éventail, qui remplacent les mem- branes interdigitales, etlui donnent beaucoup de facilité à nager. Aussi passe-t-elle une grande partie de sa vie dans l’eau, où elle poursuit avec beaucoup d'agilité les insectes aquatiques, dont elle fait sa principale nourriture. Elle plonge avec autant d'’ai- sance qu'elle nage, et, comme elle a l'oreille large et courte, la nature lui a donné la faculté de la fermer hermétiquement quand elle s'enfonce sous les ondes; elle ouvre et ferme à volonté trois valvules qui répondent à l'hélix, au tragus et à l’antitragus, de manière qu'il ne peut s’introduire la plus petite goutte d’eau dans son oreille. Dn reste, toutes les espèces de ce genre jouissent de la même faculté. Ce petit animal habite des trous qu’il sait se creuser dans la terre, sur le bord des ruisseaux, au moyen de ses ongles et de son nez, mobile comme celui d'une taupe, mais beaucoup plus mince et plus allongé, et ressemblant à une petite trompe. Quel- quefois, pour éviter la peine de se faire une demeure, il s'empare du terrier abandonné d'un rat d’eau, où même il se contente d'une fente de rocher ou d'un trou entre deux pierres. Il a peu d'ennemis, et les carnassiers ne l’attaquent jamais, parce que l'odeur de ses glandes leur répugne et les écarte. II n'a guère à craindre que la voracité des brochets et des truites, qui habitent comme lui les eaux limpides et le happent quelquefois au passage. La musaraigne d'eau n’est pas un animal nocturne; cependant elle rentre dans son trou aussitôt que le soleil se lève sur l'ho- rizon , et elle n'en sort qu'au crépuscule pour aller à la chasse. Quelques naturalistes pensent que, lorsqu’elle manque d'insectes, elle se nourrit de graines; mais ce fait me parait très-doutenx. Je suis certain, par mes propres observations, qu’elle attaque les jeunes écrevisses, les crevettes, les petits poissons, et même d'assez gros reptiles. Et en voici la preuve : Un jour, sur le bord d’une fontaine, dans les bois de Meudon, mon attention fut captivée par le singulier combat d'une musarai- gue d'eau et d’une grenouille aussi grosse qu'elle. Le petit mam- mifère s'était glissé doucement parmi les herbes pour surprendre sa proie, et il était parvenu à la saisir par une patte. La grenouille, se sentant prise, voulut se jeter à l'eau, croyant par là se débarras- ser de son antagonisie; mais celui-ci se cramponnait de toutes ses forces ayec ses quatre palles à tous les corps auxquels il pou- vait s accrocher, et Ja pauvre grenouille, malgré la violence de ses mouvements convulsifs, avait bien de la peine à l'entrainer vers l'élément perfide, où elle espérait le noyer. Elle y parvint néan- moins peu à peu, et bientôt ils roulèrent tous deux dans les ondes, dont la transparence me permettait de voir parfaitement la suite de cette bizarre lutte. La grenouille entraîna d'abord son ennemie au fond de l’eau, mais la musaraigne ne lächa pas prise, et parvint à la ramener à la surface. Dix fois de suite ils s’enfon- cèrent et revinrent au grand jour, sans que le reptile se Jassàt de recommencer la même manœuvre, et sans que le mammifère lchàt la patte dont il s'était saisi. Cependant, par un mouvement brusque et heureux, la grenouille parvint tout à coup à se dé- barrasser; elle plongea subitement dans la vase, troubla le fond de l’eau, et se déroba ainsi aux yeux de son ennemie, qui l'avait suivie avec rapidité. Je les perdis un instant de vue tous les deux; mais la musaraigne ne tarda pas à reparaitre sur l’eau pour res- pirer, et j'observai ses petites manœuvres avec le plus grand intérêt. Soit pour se reposer, soit pour donner à l’eau le temps de s'é- claireir en déposant le limon que la grenouille avait soulevé, elle resta dans une parfaite immobilité pendant cinq minutes; puis, lorsqu'on put voir le fond de la fontaine , elle se mit à nager en regardant en bas et en décrivant des cercles, absolument comme un faucon qui guette sa proie en tournoyant dans les airs. Plu- sieurs fois elle plongea, et je la vis parcourir le fond en cherchant avec beaucoup de soin; mais probablement que la grenouille s'était cachée profondément dans la vase, car elle ne put la dé- couvrir. Ce fait prouve suffisamment, ce me semble, que la musaraigne d’eau est carnassière , et que son courage est proportionné à ses forces. En détruisant le frai du poisson, elle peut faire quelque dégât dans les étangs dont elle peuple les bords en grand nom- bre. Elle met bas au printemps, et peut-être encore dans d’autres saisons de l’année, et elle ne fait pas moins de douze à quinze petits par portée, ce qui explique fort bien pourquoi elle est si nombreuse le long des ruisseaux et des rivières dont les eaux lui plaisent. Elle s’engourdit pendant la mauvaise saison , car, même dans les lieux où elle est extrêmement commune, je n’en ai ja- mais rencontré en hiver. On la trouve dans toute la France. La MUSARAIGNE PORTE-RAME (Sorex remifer, Georr.) est d’un brun noirâtre foncé en dessus, d’un brun cendré en dessous, avee la gorge d'un cendré clair; sa queue est carrée à sa base, et com- primée vers son extrémité. On la trouve en France, particulière- ment dans les environs d’Abbeville, sur le bord des eaux. Elle a, ainsi que la suivante, les mêmes habitudes que la musaraigne d’eau. La MUSARAIGNE AUX DENTS ROUGES (Sorex rubridens) a de l’affinité avec la précédente, mais elle est plus petite ; ses dents sont d'un rouge vif à leur extrémité; la mâchoire inférieure est un peu plus longue; les quatre pieds et la queue sont noirs, et la tache de l'oreille est, non pas roussâtre, mais d'un blanc pur. J'ai eu sous les yeux plusieurs individus d'âge et de sexe différents qui m'ont confirmé les conjectures de M. Is. Geoffroy. Elle hahite la France. La MUSARAIGNE À COLLIER BLANC (Sorexcollaris, GEarr.) est noire, avee un collier blane autour du cou. Elle habite les petites iles de l'embouchure de la Meuse et de l’Escaut , où elle paraît assez commune. 2 MUSARAIGNES EXOTIQUES, La MUSARAIGNE À COURTE QUEUE (Soreæ brevicaudatus, SAY), d'un noir plombé en dessus, plus pâle en dessous ; oreilles très-larges, blanches, cachées par les poils de la tête, et ayant deux demi- cloisons; sa queue est presque nue, déprimée; ses pieds sont DIODONTES. 115 armés d'ongles aussi longs que les doigts. Celle espèce est aqua- tique, et elle habite les terriers sur les bords du Missouri. La PETITE MUSARAIGNE (Sorex parvus, Sax. Sorexæ personatus, Is. G£orr.) est d’un brun cendré en dessus et seulement cendrée en dessous; sa queue est courte, un peu renflée vers son milieu, presque cylindrique, el blanchâtre en dessous; ses dents sont noirâtres et ses ongles blancs. Comme la précédente, elle habite le Missouri. La MUSARAIGNE DE L'INDE ( Sorex indicus, Georr.) a le pelage court, ras, d'un gris brun en dessus, teinté de roussâtre en des- sous; sa queue est ronde, de la longueur de la moitié du corps. Elle habite les maisons à Pondichéry et à Tranquebar. Elle exhale une odeur de muse forte et assez désagréable. La MusaraiGxe pu Cap (Sarex capensis, Gore.) a beaucoup d'a- nalogie avec celle de l'Inde, mais elle en diffère en ce qu'elle est plus grande, en ce qu'elle a la queue rousse, beaucoup plus lon- gue , n'étant que moitié moins longue que le corps, enfin en ce qu'elle à le museau plus long et plus efilé. Elle a trois pouces huit lignes (0,099) de longueur, non compris la queue, qui a un pouce neuf lignes (0,047). Du Cap ou de l'ile de France. Peut-être n'est-ce qu'une variété. : La MusaraiGxE GRÊLE (Sorex exilis, Pair.) est de très-petite taille; on la reconnait aisément à sa queue ronde et très-épaisse. On la trouve en Sibérie. La MUSARAIGNE À QUEUE DE RAT (Soreæ myosurus, PaLL.) est du même pays; la femelle est blanche et le mâle brun; tous deux ont le museau renflé, la queue presque nue, épaisse et ronde. La MUSARAIGNE GRACIEUSE (Surex pulchellus, Panuer ) est très- petite, d'un gris clair sur le haut de la tête, gris foncé sur le dos, et d'un blanc pur sur les flancs; elle a une tache blanche sur la nuque, avec les oreilles d'un gris ardoisé. Elle est une des plus petites de son genre, et elle multiplie prodigieusement. Cetle jolie musaraigne habite les déserts sablonneux qui sont placés entre Bukkara et Orenbourg. Elle se plait à proximité des marais, où chaque soir elle va faire la chasse aux insectes et au frai des grenouilles et d’autres reptiles. Elle nage et plonge fort bien, mais cependant elle a des habitudes moins aquatiques que noire musaraigne &'eau. Au printemps, elle se fait un nid d'herbes sèches qu'elle place au milieu d'une touffe de roseaux, et c’est là qu'elle élève sa nombreuse famille. La MusaraiGxe D'Ouvier (Sorex Olivieri, DEsu.) un peu plus grande que la musaraigne commune, rousse ; queue presque aussi grande que le corps. Cette espèce n’a pas été vue vivante, et peut- être n'existe-t-elle plus. Elle a été trouvée à l’état de momie, par Olivier, dans les catacombes de Sakkara en Égypte. C'est peut- être le Surex religiosus d'fs. Geoffroy. La MUSARAIGNE RELIGIEUSE (Sorer religiosus, Is. GEorr.) n'a élé trouvée qu'à l’état de momie , dans des antiquités égyptiennes, et assez bien conservée pour pouvoir être décrite par M. Is. Geof- froy. Elle est de la taille du Sorex personatus ; sa queue longue , qui atteindrait l’occiput, est parfaitement carrée, à angles très- saillants; ses oreilles sont grandes et son pouce assez court. On ne l’a pas encore retrouvée vivante en Égypte, où peut-être elle n'existe plus. La MUSARAIGNE BLONDE (Soreæ flavescens , IS. Grorr. ) a la tête allongée , le dessus du corps et de la tête d’un blond roussatre, passant au cendré roussàtre très-clair sur le dessus de la queue ; tout le dessous, et le tour de la bouche, d'un blane un peu cen- dré; une ligne longitudinale brunâtre sur le chanfrein. Elle a quatre pouces et demi (0,122), non compris la queue , qui est courte. Elle habite l'Afrique méridionale. Le Moxnourou (Sorex giganteus , Is. Grorr. Sorex indicus, GEOrr. — Fr. Cuv. — Des. Le Monjourou, Fr. Cuv.) a été con- fondu par tous les naturalistes avec la musaraigne de l'Inde, excepté par M. Is. Geoffroy. Elle en diffère par sa taille, qui est de près de six pouces (0,162), non compris la queue, qui a trois pouces et demi (0,095) de longueur, tandis que dans l'éndious le corps n'a que trois pouces dix lignes (0,104), et la queue un pouce et demi (0,041) de longueur. Cette espèce habite dans les maisons, à Pondichéry, où elle se rend incommode par l'odeur musquée qu'elle exhale, odeur qui, dit-on, fait fuir les serpents. Ses habi- tudes sont nocturnes, et elle fait souvent entendre le petit eri kouïk. Après ces espèces on placera la suivante quand elle sera mieux connue : Surex Pealei, de Lessox, Sorex araneus, de HaRLAN, que l'on trouve en Amérique. 5° Gexre, Les CLADOBATES ( Cladobates, Fr. Cuv. Hylogale, Tewx. Sorexglis, Diaro.) ont trente six dents : quatre incisives en haut et six en bas; point de canines; quatorze molaires à chaque mâchoire. Leur corps est cylindrique, allongé; leur museau pointu, portant une courte moustache; leurs oreilles sont gran- des; leurs yeux saillants; leurs ongles sont comprimés, arqués, propres à fouir la terre; leur queue est très-longue, couverte de longs poils; enfin, ils ont quatre mamelles. Le Tupata-Taxa (Cladobates tana, Fr. Cuv. Tupaia tana , Rarr.) a dix-huit pouces (0,487) de longueur, la queue comprise; il est d’un brun roussâtre piqueté de noir en dessus, avec une petite ligne oblique et rousse sur chaque épaule; le dessous de son corps est roux ; sa tête est allongée, et son museau très-pointu. II habite Sumatra. Le SisrixG ou BaxGsRiNG (Cladobates javanicus, Fr. Cuv.). Tu- paia javanica, Rarr.) a un pied dix lignes (0,348) de longueur totale; il est brun, piqueté de gris en dessus, avec une ligne oblique, d'un hlane grisâtre, sur chaque épaule; il est gris en dessous; son museau est moins pointu que dans le précédent, et sa queue est fort longue. Il habite Java. Le Press (Oladobales ferrugineus, Fr. Cuv. Tupaia ferruginea , Horse.) a quatorze à quinze pouces (0,579 à 0,406) de longueur; il est d'un ferrugineux uniforme, et son museau est médiocre- ment pointu. Il habite Jaya, Ce genre se compose des hylogales de Temminck. 4e Genre. Les MACROCÉLIDES (Wacrocelides , Swrrn, Rhinomys, Licusr.) ont vingt dents à chaque mâchoire, savoir : six incisives en haut et quatre en bas; point de canines: deux fausses mo- laires et cinq vraies de chaque côté, à la mâchoire supérieure ; trois petites fausses molaires anomales, deux grandes normales et trois vraies molaires de chaque côté à la mâchoire inférieure. Pieds à cinq doigts munis d'ongles à demi rétractiles. MacrocÉLine Tvre (Macrocelides typus, Is. GEorr. Mus araneus capensis, Periver). Cinq pouces de longueur non compris la queue qui en a quatre ; jambes antérieures très-courtes; pelage d'un brun nuancé de fauve, blanchâtre en dessous; oreilles grandes, arrondies. Cet animal vit au cap de Bonne-Espérance , habite un terrier, et vit d insectes qu'il poursuit en sautant sur ses longues jambes de derrière, à la manière des gerboïses; il esl très-timide. On connait encore le Macrocelides Rozeti, DuvERx., qui se trouve en Algérie. de GENRE. Les DESMANS (Mygale, G. Guy.) ont quarante-quatre dents : deux incisives supérieures en triangle et aplaties, huit ou quatre inférieures, dont deux très-pelites placées entre les deux grandes; yingt molaires en haut et quatorze en bas; museau terminé par une petite trompe très-mobile; oreilles courtes; cinq doigts onguieulés à chaque pied, réunis par une membrane ; queue écailleuse, longue, comptimée latéralement, formant une sorte de rame. Le Deswax ou Rar musquÉ be Russie (Mygale moscovitica, Georr. Sorex moschatus, Lin. Le Desman, Burr. — G. Cuv.). Cet animal a de longueur totale quinze pouces (0,466), c'est- à-dire que sa taille dépasse un peu celle d’un hérisson; son pe- 8 116 . LES CARNASSIERS INSECTIVORES. lage est d’un gris cendré ou brunâtre sur le dos, d’un blanc argenié sous le ventre; il n'a point d'oreilles externes, et son œil est extrêmement petit; son museau s’allonge en une petite trompe très-flexible, et qu'il agite continuellement; ses pieds, outre leurs membranes, sont bordés d’une sorte de frange de poils roides qui lui aident à nager; sa queue est d’un quart plus courte que son corps, étranglée à sa base, comprimée latérale- ment, large, plate, ressemblant à la queue d’une anguille, et en- tièrement recouverte de petites écailles. Le desman a sous la base de la queue sept ou huit follicules vésiculeux, formés par les replis de la peau , couchés transversa- lement l’un à côté de l’autre comme les écailles abdominales d’une couleuvre, et d’une couleur jaune très-prononcée. Si l'on presse avec le doigt un de ces follicules, une épaisse liqueur qu'ils con- tiennent, se trouvant comprimée, s’insinue dans des canaux très- ber son nez de manière à en mettre le bout dans sa bouche, et il s'en sert comme d'une sorte de trompette. Il vit toujours par couple avec sa femelle, et se construit assez artistement un terrier. Pour cela, il choisit une berge presque perpendiculaire, et assez élevée pour n'être jamais submergée pendant les inondations. Quand il a trouvé une place convenable, il plonge au pied de la berge, et commence à creuser sous l’eau assez profondément pour que l'entrée de son terrier ne soit ja- mais à découvert, même pendant les eaux basses des plus grandes sécheresses. Son trou est à peu près aussi large que celui d’un lapin, et s'élève obliquement à mesure qu'il s’avance dans la berge , en sorte qu'il n’y a jamais de submergés qu'un ou deux mètres de longueur dans la partie qui aboutit à l’entrée. Parvenu au-dessus du niveau de l’eau du lac ou de la rivière, le terrier se divise en Les Desmans. déliés qui la conduisent sous les écailles de la queue, où elle trouve une issue au dehors. Cette liqueur est grasse, analogue à celle que les canards et autres oiseaux ont dans des follicules ou des glandes placés sur le coceyx , et elle sert aux mêmes usages. L'animal s’en imprègne tout le corps, et rend ainsi sa fourrure impénétrable à l'eau; mais cette matière a une odeur de muse si forte et si pénétrante , qu'elle infecte tout ce qu'il touche, et l’on dit même jusqu'à la chair des brochets et autres gros poissons voraces qui mangent quelquefois des desmans. Ce petit animal est très-remarquable par ses formes et ses ha- bitudes. Il habite la Moscovie et tout le midi de la Russie, où il est très-commun ans les étangs, les lacs, les rivières, et cepen- dant Buffon ne le connaissait pour ainsi dire que de nom. Il est bien rare qu'il sorte de l’eau volontairement pour aller à terre, et S'il va d’un étang à un autre, c’est par des canaux souterrains ou par des rigoles remplies d'eau qui communiquent de l'un à l'autre; aussi n’atil pour ennemis que les poissons voraces et quelques aigles pêcheurs. Mais souvent il donne dans les filets tendus dans les rivières et les lacs; et comme il ne sait pas les couper pour s’en débarrasser, on l'y trouve noyé. Pour appeler sa femelle ou rassembler sa jeune famille autour de lui, il a un cri fort singulier, ayant beaucoup d'analogie avec celui du ca- nard; pour se faire entendre, il est obligé, selon Pallas, de cour- deux branches, en forme d’<, placées, non l'une à côté de l’autre, mais plus ordinairement l’une sur l’autre. La banche supérieure s'étend quelquefois sous les racines des plantes qui croissent à la surface du sol, mais jamais elle n’a d'ouverture en plein air. Les racines des graminées que rencontre le desman sont soigneuse- ment recueillies par lui, et transportées dans la branche infé- rieure du terrier, pour former à sa femelle un nid plus doux que les fragments des joncs et des roseaux qu'il cueille dans les marais. Ce nid est placé au fond du trou, dans une petite chambre ovale, ayant au moins un pied (0,525) de largeur, sur dix-huit pouces (0,487) de longueur. Au printemps, la femelle met bas quatre ou cinq petits, qu’elle aime avec tendresse, et qu’elle allaite avec beaucoup de soin. Elle ne les conduit à l’eau avec elle que lors- qu'ils sont très-forts, et jusque-là elle se borne à les promener dans la branche supérieure de son habitation. Les desmans se nourrissent de larves, de vers, et plus particu- lièrement de sangsues, auxquelles ils font sans cesse la chasse. Avec leur petite trompe mobile, qu'ils enfoncent dans la vase, ils saisissent fort adroitement leur proie, et, ce qui leur est, je crois particulier, ils la dévorent sous l'eau, ce que ne fait pas la loutre, ni aucun des carnassiers aquatiques que je connaisse. Très-rarement ces animaux nagent à la surface des ondes, et s'ils y paraissent de temps en temps, c'est uniquement pour respirer. Ils ont la singulière faculté de marcher sur le sol au fond de l'eau avec autant d’aisance que les autres animaux sur la terre, et rien n’est plus curieux que de les y voir se promener. Lorsqu'un hiver rigoureux vient charger la surface des étangs d'une épaisse glace, ils sont, dit M. Desmoulins, exposés à périr d'asphyxie par l'épui- sement de l'air de leur terrier; mais ce fait me paraît d'autant plus douteux qu'il ne s'explique pas du tout par la formation de la glace sur les étangs. Ensuite, s'il était vrai, l'espèce serait menacée de destruction, puisqu'elle n’habite que le Nord Le Desmax pes Pyrénées (Mygale pyrenaica, Grorr.) est beau- coup plus petit que le précédent , et n'a pas plus de huit pouces et demi (0,251) de longueur, y compris sa queue, qui est plus DIODONTES. 117 long et terminé en une sorte de boutoir propre à fouiller la terre; ses pieds antérieurs sont en forme de mains larges, armées d'on- gles forts, semblables aux mains d’une taupe, et comme elles très- aptes à creuser le sol ; sa queue est courte et son pelage très-brun. CeL animal a les mêmes habitudes que la taupe; comme elle, il se creuse de longs boyaux souterrains diversement ramifiés, auxquels il travaille chaque jour à des heures déterminées , et il ne procède pas autrement qu'elle pour chercher les vers de terre, les larves et les petites racines bulbeuses dont il fait sa nourri- ture; comme elle encore, il ne quitte pas ses galeries souterrai- nes; on, s'il le fait, ce qui est très-rare, c'est pour changer de domicile on aller à la recherche de sa ‘compagne. fl y a cepen- Intérieur de l'amphithéâtre d'anatomie comparee. longue que son corps, cylindrique dans les trois quarts de sa longneur, diminuant insensiblement depuis sa base, et se termi- nant par une partie comprimée sur les côtés; il est brun en des- sus, gris en dessous. On le trouve le long des ruisseaux, aux en- virons de Tarbes, au pied des Pyrénées. Il a des habitudes à peu près semblables à celles du précédent, mais il ne fait pas son terrier avec autant d'art. 6° GENRE. Les SCALOPES (Scalops, G. Cuv.) ont trente-six dents: deux incisives en haut et quatre en bas; point de canines; dix- huit molaires à la mâchoire supérieure et douze à l'inférieure; ils manquent d'oreilles externes ; leur museau est pointu, carti- lagineux, robuste; ils ont trois doigts aux pieds antérieurs, cinq à ceux de derrière, et une queue courte. Le ScaLope nu Caxapa (Scalops canadensis, Des. Sorex aqua- ticus, Lin. L’American 1vhite mole des Américains) a le nez très- dant cette différence entre la taupe et le scalope, que celle-là choisit, pour établir son domicile, les terres fraiches, mais non humides ; tandis que l’autre ne se plaît que sur les bords froids et marécageux des rivières et des fleuves. On le trouve aux États- Unis, depuis la Virginie jusqu’au Canada. Te GENRE. Les TALPASORES ( Talpasorex, Less.) ont quarante dents : deux incisives supérieures et quatre inférieures ; pas de canines ; vingt- deux molaires à la mâchoire supérieure et douze à la mâchoire inférieure. Du reste, ils ne diffèrent pas du genre précédent. Le Tacpasore DE PENSYLVANIE ( Talpasorex pensylvanica , Less. Scalops pensyluanica, HarLan.) a six pouces et demi (0,176) de longueur totale; son pelage est brun et sa queue courte; ses molaires sont extrêmement rapprochées; les supérieures ont la couronne légèrement dentelée, avec un sillon qui se continue 118 LES CARNASSIERS INSECTIVORES. tout le long du côté intérieur, et sur le côté externe pour les molaires inférieures. On le trouve aux Etats-Unis. Ses mœurs sont les mêmes que celles des scalopes. 8e Genre. LES CHRYSOCHLORES ( Chrysochloris, Lacée.) ont quarante dents : deux incisives en haut et quatre en bas; pas de canines; dix-huit molaires supérieures et seize inférieures; le museau est court, large, relevé; le corps trapu; point d'oreilles externes; pieds de devant courts, robustes, propres à fouiller la terre, à trois ongles seulement, dont l'extérieur très-gros, et les autres allant en diminuant; pieds postérieurs à cinq doigts; pas de queue. Le CurysocaLorEe pu Car (Chrysochloris capensis, Des. Talpa asiatica, GMEL. La Taupe dorée, G. Cuv.) a de longueur totale quatre pouces et demi (0,122); il est d'un brun changeant; a cinq doigts aux pieds de derrière, et manque de queue. Il habite les environs du cap de Bonne-Espérance, où il se creuse des galeries souterraines à la manière des taupes. La nature se plaît souvent à déjouer les suppositiühs systéma- tiques des savants, et cet animal en est une preuve nouvelle. Les naturalistes avaient cru que les brillantes couleurs, le vert doré, le pourpre, le violet, les reflets métalliques qui étincellent sur la livrée des oiseaux des poissons, des insectes, etc.; leur étaient dévolus par la nature, à l'exclusion des mammifères, qui devaient LES TRIODONTES A ont les trois sortes de dents : deux grandes incisives supérieures en avant, accompagnées de deux autres de chaque côté, dont la postérieure en forme de canine; les vraies canines petites, non distinctes des fausses molaires; quatre incisives inférieures, pen- chées en avant, en forme de cuiller. 10° Genre. Les CONDYLURES (Condylura, Iztic:) ont quarante dents : deux incisives supérieures et quatre inférieures; deux ca- nines en haut et en bas; seize moläires à la mâchôire stipélieure et quatorze à l'inférieure. Ils ont le nez très-allongé; garni de crêles membraneuses disposées en étoile autotir des harities ; leurs yeux sont très-petits; ils manquent d'oreilles extérieures : comme chez les taupes, leurs mäihs Sont larges, à cinq düigls munis d'ongles puissants, propres à fouir la terre ; leur queiie est de médiocre longueur, et ils ont cinq doigts aüx pieds de derrière. Le ConbyLURE ÉTOILÉ (Condylura cristata, DESM: Süfex cristatus, Lix. Talpa cristata , G. Cuv. La Taupe à museau étoilé du Canada , G. Cuv.) est d'un brun noirâtre, et a quatre pouces (0,108) de longueur totale; ses narines sont entourées d'un cercle de la- nières membraneuses, et sa queue est longue comme le tiers à LES TRIODONTES A ont quatre grandes canines écartées, entre lesquelles sont de pe- tites incisives. 11° GENRE. Les TAUPES (Talpa, Lis.) ont quarante-quatre dents : six incisives en haut et huit en bas; deux canines à la mâchoire supérieure et point à l'inférieure; quatorze molaires en haut et en bas. Leur tête est allongée, pointue, prolongée en avant par un museau cartilagineux, renforcé par un os du boutoir; elles manquent d'oreilles externes, et les yeux sont excessivement pe- tits; ses pieds antérieurs sont larges, en forme de mains, à cinq ongles tranchants et propres à fouir ; leurs pieds de derrière sont faibles et à cinq doigts; leur queue est courte. Ces animaux vivent dans un terrier, d'où ils ne sortent qu'accidentellement, La Taupe AVEUGLE (Talpa cœca, SAVI). Celle espèce, presque aussi toujours porter une robe terne ; et voici le chrysochlore qui vient donner un démenti à cette loi conclue par les analogies. En effet, son poil est d'un vert changeant, passant au cuivré et au bronzé, et offrant les plus brillants reflets métalliques d’or, de pourpre et de violet. Cet animal est aveugle, et on ne lui voit aucune apparence d'yeux; dans le fait, à quoi lui servirait-il d'en avoir, puisqu'il ne quitté jamais la galerie ténébreuse et souterraine dans laquelle il vit à Ja manière des taupes? Mais si la nature l'a privé d'un sens qui lui serait inutile, elle l’en a indemnisé en lui donnant une ouïe très-fine, quoique Son oreille n'ait pas de conque exté- rieure, et en dotant d'une force prodigieuse les bras dont il se sert pour fouiller journellement la terre. Son avant-bras est sou- tenu, pour creuser, par un troisième os placé sous le cubitus, et nul autre animal n'offre cette singularité. 9e GENRE. Les DOUCANS TAUPES (Ducantalpa) ont les mêmes caractères généraux que le genre précédent, mais leur formule dentaire n'est pas encore connue, au moins je le crois; ils ont une queuë, et leurs pieds de derrière n’ont que quatre doigts. Le Doucax (Ducantalpa rubra.— Chrysochloris rufa, Desx. Talpa rubra, Guec.) est un peu plus grand que notre taupe, dont il a les mœurs; son pelage est d’un roux tirant sur le cendré clair ; sa queue est courte, On le trouve à la Guyane. COURTES CANINES peu près de son corps. Il est assez commun dans le nord des États-Unis ét au Canada. Ses mœurs sont semblables à celles de Ja taupe, ainsi que dans les espèces suivantes. Le CONDYLURE À GROSSE QUEUE (Condylura macroura, HaRLaNx.) est d'un gris noirâtre en dessus, avec le museau fauve ; la crête étoilée de son nez est à vingt pointes; sa queue, presque aussi 1üiguë Que son corps, est légèrement comprimée. Il est commun dans le Noüveau-lersey et sé trouve dans tous les États-Unis. Le Conbÿiuke vert (Condylura prasinata, Harris.) a quatre pouces (0,122) de longueur totale; son pelage est long, fin, à re- flet d'un vert brillant; la crête de son nez est à vingt-deux la- hières; sa queue, Mince, sans rides ni sillons, à poils non verti- cillés, est longtie cümine les trois quarts de son corps. Il habite le Maine aux Etats-Unis. Le Condylüra lüngicaudata, Desm. Talpa longicaudata, Guer., ie parait élie ün animal imaginaire. S'il existe, ce n'est certai- fémért pas un condylure. Selon les catalogues descriptifs, il serait long de six pouces (0,162); sa queue serait longue comme la moitié de son corps, et il n'aurait point de crête nasale. On le trouverait en Amérique septentrionale. GRANDES CANINES cominune dans certaines parties de la France que la taupe ordi- neire, n'avait pas été observée avant Savi, Cependant elle en dif- fère par sa taille plus petite, ne dépassant pas quatre pouces (0,108), ét par la forme plus aplatie de son boutoir ; Son œil est presque entièrement caché par la peau, qui ne laisse passer la lumière que par un trou grand comme une piqüre d’aiguille. La TauPE COMMUNE (Talpa europæa; Lin. La Taupe, Burr.). Elle a communément six pouces (0,162) de longueur totale. Son pelage est ordinairement d’un noir luisant, toujours fin, doux, et plus ou moins velouté, Sa queue est courte, On connaît plu- sieurs variétés de taupe, savoir : la taupe prie, à pelage taché de blanc et de noir ; la taupe albinos, entièrement blanche; la taupe jaune, à poils d'un fatüve plus où moins jaunâtre; enfin la taupe grise, dont le pelage est uniformément cendré,. TRIODONTES, 119 « Les taupes, dit G. Cuvier, sont connues de tout le monde par leur vie souterraine et par leur forme éminemment appro- priée à ce genre de vie. Un bras très-court, attaché par une lon- gue omoplate, soutenu par une claviculé vigoureuse, muni de muscles énormes, porte une main extrémement large, dont la paume est toujours tournée en avant où en arrière; cette main est tranchante à son bord inférieur; on y istingue à peine les doigts, mais les ongles qui les terminent sont longs, forts, plats et tranchants. Tel est l'instrument que la taupe emploie pour dé- chirer la terre et pour la pousser en arrière. Son sternum a, comme celui des oiseaux et des chauves-souris, une arête qui donne aux muscles pectoraux la grandeur nécessaire à leurs fonctions. Pour percer la terre et la soulever, la taupe se sert de sa têle allongée, pointue, dont le museau est armé au bout d'un osselet particulier, et dont les muscles cervicaux sont extrême- ment vigoureux. Le ligament cervical s’ossifie même entièrement. Le train de derrière est faible, et l'animal, sur la terre, se meut aussi péniblement qu'il le fait avec vitesse dessous. Il à loue très-fine et le tympan très-large, quoique l'oreille externe lui manque; mais son œil est si petit et tellement caché par le poil, qu'on en a nié longtemps l'existence. Ses mâchoires sont faibles ; et sa nourriture consiste en insectes, en vefs, et, ce Qui n’est pas bien certain, en quelques racines tendres. » Cet animal est assez commun dans toute l'Europe tempérée, cependant on dit qu'on ne le trouve que très-rarement en Grèce et jamais en Irlande. Il habite de préférence les terres douces, faciles à percer, non pierreuses, un peu fraîches en été, sèches et élevées en hiver. Les taupes fuient les déserts arides, et sur- tout les climats froids, où la terre reste gelée pendant la plus grande partie de l'année. « Un attachement vif et réciproque du mâle et de la femelle, de la crainte ou du dégoût pour toute au- tre société, les douces habitudes du repos et de la solitude, l’art de se mettre en sûreté, de se faire en un instant un asile, un domicile; la facilité de l’étendre et d’y trouver, sans en sortir, une abondante subsistance, voilà, dit Buffon, sa nature, ses mœurs et ses talents, sans doute préférables à des qualités plus brillantes et plus incompatibles avec le bonheur que l’obseurité la plus profonde. » La taupe se prépare un gîte au pied d'une muraille, d’un arbre ou d'une haie, et ce gîte est fait avec beaucoup d’art. Il consiste en un trou de dix-huit pouces (0,487) de profondeur, assez large, recouvert d'une ou même plusieurs voûtes les unes sur les autres, en terre battue et gàchée avec des fragments de racine d'herbe , et assez solidement pétrie pour résister aux eaux de pluie. Cette demeure est à plusieurs compartiments séparés par des cloisons, et soutenus de distance en distance par des piliers. Quelquefois, dans les terres humides ou menacées d'inondation, la voûte de terre dure s'élève au-dessus du terrain, et le lit d'herbes sèches et de feuilles où elle repose avec sa famille se trouve lui-même un peu au-dessus de la sürfate du sol, de manière à ne pouvoir être inondé dans le cas d’une submersion inopinée. La manière dont elle se procure des herbes pour faire son lit est assez sin- gulière. Par la racine elle juge si l'hetbe Jui convient ; dans ce cas elle coupe les racines latérales jusque vers le collet de la plante, puis, saisissant le pivot qu'elle a ménagé, elle tire à elle et parvient à faire entrer dans son trou la tige munie de toutes ses feuilles. C'est là que, de mars en mai, elle fait et allaite ses petits, or- dinairement au nombre de quatre ou cinq. De ce nid part un boyau, quelquefois long de soixante à quatre-vingls pas, et se prolongeant dans une direction à peu près droite. À gauche ët à droite, elle jette cà et là d'autres boyaux qui S'en écartent plus ou moins perpendiculairement; tous sohl parallèles à la sur- face de la terre, à moins qu'elle ne rencontre un obstacle dans son chemin ; en ce cas elle S'enfonce et passe par-dessous, à plu- sieurs mètres de profondeur si cela est nécessaire, Il n’est pas rare d'en trouver qui passent sous des fondations de hautes mu- railles, et même sous le lit d’un ruisseau ou d’une petite rivière, Dans les circonstances ordinaires, le boyau n’est jamais à plus de six pouces (0,162) au-dessous de la surface du sol. Quand elle fouille, la taupe perce avec le nez, comprime la terre sur les côtés avec ses robustes mains, et en pousse une partie en avant avec son front et ses épaules; aussi est-elle obli- gée de temps à autre de s'en débarrasser en la rejetant à la sur- face, et formant ce que l’on appellé une taupiniére. Tous les boyaux qui vont d’une taupinière à une autre sont en ligne à peu près droite, et ce n’est que dans ces espèces de points d'arrét que la taupe se détourne d'un côté ou d’un autre pour chercher sa nourriture et former de nouvelles galeries. La taupe, vivant principalement de vers de terre et d'insectes, est obligée de fouiller chaque jour pour trouver sa nourriture et celle de sa jeune famille; aussi s’en occupe-t-elle régulièrement, et, ce qu'il y a de fort singulier, à des moments déterminés de la journée. Elle commence ses premiers travaux au lever du soleil, et les continue pendant environ une heure ; elles les reprend à neuf heures, à midi, à trois heures et au coucher du soleil, et c'est dans ce dernièr instant qu'elle travaille avec le plus d’ar— déur. Elle passe lés äülres heures du jour et la nuit à dormir dans son gite. Comme ellé ñe sort que très-rarement de son souterrain, elle n'a Que peu d'enhemis à craindre, et ne peut devenir la proie des animaux carnassiers. Son plus grand fléau est le débordement des rivières. Dans ces inondations subies on voit les taupes fuir à la nage, et faire tous leurs efforts pour gagner les terres plus élevées; mais la plupart périssent aussi bien que leurs petits, qui restent dans les trous. Si on surprend une taupe hors de son trou, elle ne cherche à fuir que lorsque la terre est trop dure pour lui permettre de s’y enfoncer avec rapidité; dans ce cas elle court avec assez de vitesse, quoi qu'en ait dit Cuvier dans la citation que nous avons faite plus haut, et elle pousse un petit cri très-aigu, comme le bruit d’une lime qui glisse sur l'acier sans le mordre. Elle est si délicate que le plus petit coup la tue, surtout si on la frappe sur le nez. Mais quand elle est sur un sol meuble ou très-léger, au lieu de fuir elle s’enterre et avec tant de promp- titude que, si l’on est à dix pas, on n’a pas le temps d'arriver à elle avant qu'elle ait disparu. Si au moyen d’une bêche on la cerne dans son terrier, au premier bruit qu’elle entend, à la plus petite commotion que la bêche fait éprouver à la terre, elle se sauve dans son gîte. Si elle en trouve les issues fermées, elle se met aussitôt à creuser un trou vertical dans lequel elle s'enfonce quelquefois à plus d’un mètre; et il n’y a plus d'autre moyen pour l’en faire sortir que d'y introduire de l'eau. Malgré les habitudes douces que Buffon attribue à la taupe, il n'en est pas moins vrai que c'est un animal très-cruel et très-vo- race. « Elle n’a pas fai comme tous les autres animaux, dit Geoffroy Saint-Hilaire : ce besoin est chez elle exalté; c’est un épuisement ressenti jusqu'à la frénésie. Elle se montre violem- ment agitée, elle est animée de rage quand elle s’élance sur sa proie; sa gloutonnerie désordonne toutes ses facultés; rien ne Jui coûte pour a$souvir sa faim ; elle s’abandonne à $a voracité, quoi qu'il arrive ; ni la présence d'un homme, ni obstacle, ni menaces ne lui imposent, ne l’arrêtent. La taupe attaque ses ennemis par le ventre; elle entre la tête entière dans le ventre de sa victime; elle s'y plonge ; elle y délecte tous ses organes des sens. » M. Isi- dore Geoffroy va nous compléter ce portrait : « Qu'un-animal se trouve à sa portée, elle s’élance sur lui à l'improviste, lui ouvre le ventre , et le dévore presque tout entier en peu de temps. Les crapauds sont les seuls aniniaux qui lui répugnent. Elle dévore avec avidité les grenouilles et les oiseaux. Si même ün place dans un lieu fermé deux taupes du même sexe, la plus faible est bien- tôt dévorée, et l'on ne retrouve plus d'elle que sa peau et quel- ques os. Après avoir assouvi sa faim, la taupe est tourmentée 120 LES CARNASSIERS INSECTIVORES. d’une soif ardente; tellement que si on la saisit par la peau du cou, et qu’on l'approche d’un vase plein d’eau, on la voit boire avec avidité, malgré la gène d’une telle position. C’est au docteur Flourens qu'on doit la connaissance de la plupart de ces faits intéressants, auxquels il importe d'ajouter que les taupes man- gent, au moins lorqu’elles manquent d’une meilleure nourriture, les courtilières et les vers blancs ou larves de hanneton. » Ici je ferai une remarque qui me paraît fort essentielle : c’est qu'il ne faut pas juger des habitudes d’un animal à l’état de na- ture, d’après les mœurs qu'il montre dans l'esclavage ; autrement trouve en grand nombre, Il fait un grand tort aux terres et aux jardins, en les fouillant dans tous les sens, et en coupant les ra- cines des plantes ; ses taupinières, en encombrant les prés, ôtent la possibilité de les faucher rez terre,et font par conséquent per- dre une bonne partie des récoltes de fourrage. En outre, ses gale- ries nuisent beaucoup à la régularité des irrigations, en perçant les chaussées, les digues, et livrant des passages aux eaux. 12° GexRe. Les TENRECS (Setiger, Cuv.) ont quarante dents : six incisives, deux canines et douze molaires à chaque mâchoire; La Taupe. l'exemple de la taupe entraînerait à de grandes erreurs. En effet, si cet animal, dans sa taupinière, avait des appélits si furieux, il ne pourrait les satisfaire et périrait bientôt de faim. Comment se procurerait-il des oiseaux, des grenouilles, de l’eau à boire? Concluons donc de tout cela que les mœurs de la taupe valent mieux que son caractère. Elle ne s’engourdit pas l'hiver, comme la plupart des carnassiers insectivores; elle cherche une exposi- tion chaude, tournée au midi, y établit son domicile, et profite de tous les jours de soleil et de dégel pour travailler. Je suis fort tenté de croire qu’elle fait, pour les consommer quand la terre est fortement gelée, une provision de bulbes de colchique d’au- tomne, car j'en ai constamment trouvé des débris autour de son nid, en février et mars, c'est-à-dire avant qu'elle ait mis bas. Cet animal est un fléau pour l’agricullure, partout où on le comme les hérissons, ils ont le corps couvert d'aiguillons; mais il leur manque la faculté de se rouler aussi complétement en boule; leur museau est pointu; ils n’ont pas de queue; leurs pieds ont cinq doigts libres et munis d'ongles crochus. Le Tenrec (Setiger ecaudatus, Georr. Erinaceus ecaudatus, Lix. Centenes spinosus, Desu. Le Tenrec, Rurr.) est un peu plus grand que notre hérisson , et peut avoir dix pouces (0,271) de longueur environ. Il est couvert de piquants roides sur le corps, et de poils ou de soies sur le ventre et la poitrine; ses incisives sont échan- crées, au nombre de quatre seulement en bas. Ce singulier animal, ainsi que ses congénères, est indigène de Madagascar, mais on le trouve à l’île de France, où il a été trans- TRIODONTES,. 121 EEE ZE ——_——]———]—— porté et où il s’est très-facilement naturalisé. Comme il a les pattes fort courtes, il ne peut pas courir, ni même marcher avec facilité; aussi, malgré ses aiguillons, devient-il assez souvent la proie des animaux carnassiers et des oiseaux de proie. Son cri est une sorte de petit grognement, ayant, selon Buffon, un peu d'analogie avec celui du cochon. Le tenrec est un animal nocturne , qui aime à se vautrer dans la vase. Il habite le bord des eaux, et se plait particulièrement sur le rivage des canaux salés et des lagunes de la mer. Il passe la plus grande partie des nuits à poursuivre, dans le sein des ondes, les insectes dont il fait sa principale nourriture ; au jour naissant, il se retire pour dormir dans un terrier qu'il se creuse sous les racines de quelque arbre croissant au bord de l’eau, ou tout simplement dans le sol d’une falaise, au milieu des buissons ou des roseaux. I! n’en sort que le soir, au crépuscule, pour re- commencer sa pêche ; aussi nage-t-il avec une grande facilité Dans quelques-unes de ses habitudes, il a de l’analogie avec notre rat d'eau. Le mâle et la femelle sont fort attachés l’un à l’autre, et paraissent s'aimer avec tendresse. Cette dernière fait plusieurs pelits, qu'elle allaite dans son terrier, et auxquels elle apprend à nager, à plonger et à chasser aux insectes aquatiques, aussilôt qu'ils sont assez forts pour la suivre. Ordinairement les mammifères insectivores, et quelques autres de différentes classes, s’'engourdissent pendant l'hiver; ici c'est tout le contraire. Pendant la saison pluvieuse, qui dans leur pays répond à notre hiver, les tenrecs sont vifs, agiles, sans cesse occu- pés de leurs amours, de la chasse et de l'éducation de leur famille. Mais aussitôt que les chaleurs de l'été commencent à se faire sentir, père, mère et enfants, tous se retirent dans le terrier, s'enfoncent dans le foin de roseau qu'ils y ont amassé, s'endor- ment, tombent en léthargie, et restent plongés dans l’engour- dissement et la torpeur pendant trois ou quatre mois, c’est-à-dire autant de temps que dure la chaleur. Dans cet état, leur poil tombe ; il ne repousse que quand ils se sont réveillés. Flaccourt dit qu'ils sont ordinairement fort gras et que les Indiens trou- vent leur chair excellente, quoiqu'elle soit fade et mollasse. Le Texprac (Setiger inauris, Grorr. Erinaceus setosus, Lix. Centenes setosus, Desm. Le Tendrac, Burr. — G. Cuv.) est beaucoup plus petit que le précédent, dont il diffère par ses piquants plus flexibles, plus semblables à des soies et par six incisives échan- crées à chaque mâchoire. Il habite Madagascar. Le TENREC RAYÉ (Setiger variegatus, Georr. Centenes semispino- sus, Des. Erinaceus semispinosus, G. Guy. Le jeune Tenrec, Burr.) a six incisives à chaque mâchoire, et les canines grêles et cro- chues; il est couvert de soies et de piquants mélés; son corps est rayé de jaune et de noir, et atteint à peine les dimensions de celui d'une taupe. On le trouve à Madagascar, où cependant il est assez rare. Intérieur du (Cabinet d'anatomie comparée. LES CARNIVORES PLANTIGRADES, QUATRIÈME ORDRE DES MAMNIFÈRES,. Ces animaux ont six incisives à chaque mâchoire; de très-fortes canines; les molaires non hérissées de pointes à leur couronne, mais tranchantes et quelquefois tuberculeuses ; aussi ils vivent tous de proie et ont une férocité sanguinaire, en en exceptant les ours, LES PLANTIGRADES marchent sur la plante entière des pieds, qu'ils ont toujours dé- pourvus de poils en dessous; aussi petvent-ils assez facilement se tenir debout sur leurs pieds de derrière. Ils ont cinq doigts à tous les pieds, et manquent de cœcum. La plupart passent l'hiver en léthargie, dans les pays froids, jer Genre. Les OURS (Ursus, Linx.) ont quarante-deux dents : six incisives et deux canines à chaque mâchoire; douze molaires supérieures et quatorze inférieures; les trois molaires postérien- res sont très-grosses, à couronne carrée el tubercules mousses, ce qui les rend moins carnassiers que les autres genres de leur ordre ; leurs pieds sont armés d'ongles très-forts; leur corps est trapu, leurs membres épais et leur queue très-courte; les femel- les portent deux mamelles pectorales et quatre ventrales. L'Ours BRUN (Ursus arctos, Lan. Var. Ursus pyrænaïcus, Fr. Cuv. L'Ours brun d'Europe, Burr. — G.Cuv. Var, L'Ours des Pyrénées, Fr. Cuy.). Cet animal habite les hautes montagnes et les grandes forêts de toute l'Europe et d’une partie de l'Asie et de l'Amérique, Sa longueur est de quatre à cinq pieds (1,299 à 1,624) environ. La hauteur relative des jambes varie beaucoup, ainsi que la couleur du pelage, et cela sans rapport constant aÿee l'âge où le sexe. Son front est convexe au-dessus des yeux, et son museau diniinue de grosseur d'une manière brusque; il a la plante des pieds de derrière moyenne; son pelage, quelquefois un peu laineux, est ordinairement brun, mais on en voit d’un brun lisse à refléts presque argentés, de fauves, d’autres d’une couleur blond jau- nâtre très-clair, enfin il y en a de tout à fait blancs. L'ours brun est très-connu en France, grâce aux montagnatüs qui descendent quelquefois des Alpes pour venir promener, däns les petites villes et les villages, de jeunes ours qu'ils ont appri- voisés , et auxquels ils ont enseigné à marcher debout, à faire la culbute, et à danser d’un pas lourd au son de là flûte à bee et du tambourin. Quoiqu'il obéisse à son maitre, ce n’est jamais qu'à contre-cœur et en murmurant. Chaque fois qu'on l’oblige à moñ- trer son savoir, il s'irrite, et fait entendre un grondement sourd qu'il accompagne d’un frémissement de dents très-significälif, Aussi le tient-on constamment muselé, et se défie-t-on beaucoup de sa colère, qui procède souvent du caprice et Lourne toujours en fureur. Dans ses forêts, qu'il ne quitte guère que lorsqu'il y est poussé par la faim, l'ours mène une vie solitaire el sauvage. Il se loge dans les cavernes, les trous des rochers et plus souvent encore dans les trous caverneux des vieux arbres. C'est là qu'il passe ses journées à dormir en attendant la nuit pour se mettre en cam- pagne et chercher sa nourriture. On prétend que, faute d'arbre creux ou d'antre de rocher, il se construit une sorte de cabane avec des branches de bois mort et du feuillage, mais ceci me semble fort douteux. Tout lourd qu'il parait, cet animal n’en est pas moins doué d’une certaine agilité, qu'il ne déploie, à la vé- rité, qu'avec beaucoup de circonspection et de prudence. Quand il grimpe sur un arbre, soit pour aller chercher les fruits dont il se nourrit, Soit pour rentrer dans son trou, il s'accroche aux branches avec ses mains, et au tronc avec les griffes de ses pieds de derrière ; quelquelois aussi il embrasse la tige avec ses bras et ses cuisses, comme ferait un homme; mais, dans tous les cas, il y met beaucoup de précaution, et jamais il ne lâche son appui d'une patte qu'il ne se soit assuré, à plusieurs reprises, que les trois autres ne lui manqueront pas. Bien que ses mâchoires soient armées de dents redoutables, son caractère n'est pas carnassier, et il n’attaque jamais un être vivant que pour défendre sa vie, ou quand il y est poussé par une faim dévorante. Ordinairement il se nourrit de faine ou fruit du hêtre, de baies sauvages, de graines de différentes plantes, et même de racines; il aime beaucoup les fruits du sorbier, de l'é- pine-vinette, et en général tous ceux qui sont un peu acides. Si celle nourriture manque dans ses forêts, il les quitte, se jette dans la plaine, et fait d'assez grands ravages dans les champs d'avoine et de maïs. Ce n’est guère qu'en hiver, après un long jeûne, que, sortant affamé de sa retraite et trouvant la terre cou- verte de neige, il se jette sur les troupeaux et attaque les animaux qu'il rencontre. Encore ce fait aurait-il besoin d’être confirmé. Ce dont je me crois cérlain, c'est que jamais il n’est dangereux pour l'hôte, à moins qu'il n’en soit attaqué; mais dans ce cas, il ëst d’üné ittrépidité effrayante. Il a le sentiment de sa force; aussi n'éprouve-l-il jainais la crainte, mais seulement la colère. S'il Féhcotitre ün chasseur , il ne fuit pas à la vue de ses armes ; il hé se détourné méiiie pas; il passe outre en jetant sur lui un regard färouche de mécontentement, car il n'aime pas que l’on pétiètre dans ses forëéls Silencieuses pour troubler sa solitude. Mäis malheur à l'imprüdént audacieux qui ose l’attaquer sans être sûr de lui donner la mort du premier coup! Blessé ou simplement offensé , si colèré est terrible, et toujours il en résulte une lutte mortelle pour l'ün où four l'autre, quelquefois pour tous deux. Sans hésiter, il cotirt sut Son agresseur; mugissant de fureur, l'œil er feu, la guëule béante , dressé sur ses pieds de derrière, il S'élance, l'écrase de son poids, le saisit dans ses bras puissants, l'étüuffe, ou lui brise le crâne avec ses formidables mâchoires. S'il est härcelé pâr une meute de chiens courageux et appuyés par dé hoinbreux piqueurs, il se retire, mais il ne fuit pas. Il gagne lentement sa retraite, en se retournant de temps à autre poir faire face à ses nombreux ennemis, qui reculent aussitôt épouvantés. Enfin, harassé de fatigue, mortellement blessé par les balles des chasseurs, près de mourir, il s'apprête à faire payer chèrement la victoire à ses ennemis. Debout, le dos appuyé contre un tronc d'arbre ou un rocher, il les attend, et tout ce qui est assez téméraire pour approcher tombe écrasé sous sa terrible patte ou brisé par ses dents. En Europe, on fait la chasse à l'ours avec le fusil et des chiens. Quelquefois aussi, quand on connaît le lieu qu'il habite, on le traqde comme le loup; c’est-à-dire que tous les paysans d’un ou plusieurs villages se réunissent, entourent la forêt d'une cein- LES CARNIVORES PLANTIGRADES, 123 ture de tireurs et de traqueurs qui marchent en resserrant de plus en plus le cercle qui le circonscrit, et finissent par l'appro- cher et l'accabler sous leur nombre. « On prend les ours, dit Buffon, de plusieurs facons en Norvége, en Suède et en Po- logne , etc. La manière la moins dangereuse de les prendre est de les enivrer en jetant de l'eau-de-vie sur le miel qu'ils aiment beaucoup, et qu'ils cherchent dans les troncs d'arbre. » Ce fait, rapporté par le grand écrivain, sur la foi de Regnard, me parait tout aussi peu probable que les contes que ce voyageur nous avait débités sur les Lapons. L'ours aime la vie solitaire, et fuit par instinct toute société, même celle de ses semblables. I] ne cherche même sa femelle qu'au temps des amours, c'est-à-dire en juin, et, ce moment passé , il la quitte, el va fixer sa demeure à plusieurs lieues de la forêt qu'elle habite. Aussi est-il tout à fait indifférent aux plaisirs de la paternité; et, il y a plus, c’est qu'il ne manque jamais de manger ses enfants, si le hasard lui fait découvrir l'asile sauvage où sa femelle les a cachés dans un lit de feuilles sèches et de mousse. Au contraire celle-ci aime ses petits avec la plus ardente affection , et les garde avec elle jusqu'à ce qu'ils aient deux ans et qu'ils aient acquis la force de repousser toute agression étrañ- gère. Elle les soigne, leur apporte des fruits et du gibier, les lèche , les nettoie, et les porte avec elle dans ses bras lorsqu'ils sont fatigués. Si un danger les menacê, elle les défend avec un courage furieux , et se fait tuer sur là placé plutôt qué dé les abandonner. Aussi n'est-ce qu'avee béaucotip de danger ét dé prudence que les montagnards vienniétit à bout de s'emparer de ses oursons , ordinairement au nombré de tn à trois, très-râre- ment quatre ou cinq. Le temps de la gestation est de sept mois. Pendant l'hiver, l'ours ne s’engoüfdit pas, ainsi que l'ont érü quelques naturalistes, mais il reste dans son trou des mois ën- tiers à dormir. Comme les fruits né Îüi ont pas manqué eh äl: tomne, il est ordinairement fort gras au moment où il commencé sa retraite, et il paraît que cette graisse suffit à l'entretien de sa vie pendant fort longtemps. Cependant son jeüne ne dure jamais plus de trente à quarante jours, et il ne reste pas plus longtemps caché sans sortir et aller chercher dans la forêt quelques graines ou des racines qui le soutiennent. Si la terre est couverte de neige, et qu'il ne trouve rien à manger, c'est alors qu'il se rap- proche des habitations de l’homme, et qu'il se hasarde, dit-on, à attaquer les animaux domestiques. Malgré ses formes grossières, sa tournure pesante et ses gestes grotesques , il ne faut pas croire que l'ours soit un animal stu- pide; il est, au contraire, plein d'intelligence et de finesse, et la preuve, c'est qu'il ne donne jamais dans les piéges qu'on lui tend. Tout objet nouveau éveille chez lui la défiance; il l'observe prudemment avant de l’approcher, passe sous le vent pour s’en rendre compte par l'odorat, qu'il a d’une délicatesse extrême ; il s'avance doucement, le flaire, le tourne et le retourne, puis s’en éloigne s’il ne lui convient pas de s’en emparer. C’est ainsi qu'il agit toutes les fois qu'il trouve un cadavre d'homme ou d'animal, auquel il ne touche jamais. Sous cette enveloppe d'un aspect si rude existe une perfection de sensation peu commune dans les animaux ; sa vue, son ouïe et son toucher sont excellents, quoi- qu'il ait l'œil petit, l'oreille courte, la peau épaisse et le poil touffu. Le courage de l'ours a passé chez quelques auteurs pour de la brutalité, et il y a là une grande erreur. L'ours est intrépide, mais prudent, et il ne combat que lorsqu'il y est forcé par la faim , la défense de ses petits ou la vengeance. Jamais on ne le voit fuir, parce qu'il a la conscience de sa supériorité; il oppose la menace à la menace, la violence à la violence, et sa fureur de- vient terrible, parce qu'il porte dans le combat un courage in- souciant de la vie. Autrefois l'ours était bien plus commun en Europe qu'aujour- d'hui, et alors sa chasse pouvait être avantageuse, à canse de sa fourrure assez estimée quoique grossière , et surtout à cause de la graisse dont il est toujours abondamment pourvu et à laquelle la crédulité de nos pères accordait des vertus merveilleuses pour guérir les rhumatismes et une foule d’autres maladies. Ce qu'il y a de certain, c’est que cette graisse, dépouillée par des procédés fort simples d'une odeur particulière dont elle est imprégnée, est fort douce, excellente, et ne le cède pas au meilleur beurre pour la cuisine. Il ne s'agit, quand on veut lui ôter son odeur, que dé la faire fondre et d'y jeter, lorsqu'elle est très-chaude, du sel en quantité suffisante, et de l'eau par aspersion. Il se fait une sorte de détonation , et il s'élève une épaisse fumée qui emporte avec elle la mauvaise odeur. Plusieurs fois les ours de la ménagerie ont fait des petits, et on a pu s'assurer que par la taille et la couleur ils ne se ressem- blent nullement. La mère a toujours marqué un sentiment de préférence pour l’un d'eux ; et jamais elle n'a perdu son autorité maternelle, lorsqu'ils étaient devenus beaucoup plus grands qu'elle. L'Ours nor p'Eurore (Ursus alter. — L'Ours noir d'Europe, G. Guy.) à IE front aplati et même concave, surtout en travers; Son pélage est laineux, non pas lisse comme celui de l'ours d'Amérique, et d'ün brun noirâtre; il a le dessus du nez d’un fauve clair, et le reste du tour du museau d’un brun roux. J'établis celié éspèce sur le témoignage de G. Cuvier. Il est rare, et parait né se trouver que dans le nord de l'Europe. Buffon dit qu'il est Moins carnassier que hotre ours brun. L'Ours nes PYRÉNÉES (Ursus pyrenaïcus, Fr. Cuv.) est plus petit que l'ours des Alpes; il est d'un blond jaunâtre sur le corps, et ïoir Sur les pieds. Il habite les montagnes des Asturies. Beaucoup dé fiäluralistes le regardent comme une variété de l'ours brun, et je penche aussi vers cêtte opinion. L'Ours dE Siséiie (Ursüs collaris, Fr. Cuv.) a beaucoup d’ana- logie avec le précédent Sous le rapport des formes et des cou- leurs; mais sa taille päraît être un peu plus petite, et il a un large collier blanc qui passe sur le haut du dos, sur les épaules, et se termine sur la poitrine. On le trouve dans le nord de l'Asie, et il paraît qu'il a les mêmes mœurs que notre ours d'Europe. Cependant ceux qui ont vécu à la ménagerie paraissaient un peu plus carnassiers. L'Ours ou Tiger (Ursus Thibetanus , Fr. Cuv.) diffère des pré- cédents par la grosseur de son cou, et par son chanfrein, qui forme une ligne droite ; il est noir, à poils lisses ; son museau est un peu roux, sa lèvre supérieure couleur de chair et l'inférieure blanche : il a, sur la poitrine, une tache blanche en forme d'Y. On ne l’a encore trouvé que dans les montagnes du Sylhet au Népaul, et l’on ne sait rien de positif sur ses habitudes. L'Ours oRNé ( Ursus ornatus, Fr. Cuv. L'Orso frontino des Co- lombiens) n'est probablement qu'une variété de l'ours noir. Sa taille dépasse rarement trois pieds et demi (1,157); son museau est un peu plus court, d’un fauve sale ; son pelage est également d'un noir lisse et luisart, mais il a un demi-cercle fauve sur cha- que œil , et du blanc ou du fauve à la gorge ou à la poitrine. IL est assez commun dans les Cordilières du Chili, et peut-être dans toute l'Amérique australe. L'Ours AUX GRANDES LÈVRES (Ursus labiatus, be BLAINY. Bradipus ursinus, Suaw. Ursus longirostris, Tiepm. C’est le 1ÿpe du genre Helarctos d'Horsriezv). Il est un peu plus petit que l’ours-brun ; d'un noir foncé ; et on lui trouve quelquefois des taches éparses un peu brunâtres; il a sur la poitrine une tache blanche en forme de V ; mais ce qui le rend reconnaissable au premier coup d'œil ce sont ses lèvres , qui sont lâches, très-extensibles, et sa langue d'une longueur extraordinaire. Il se trouve dans les mon- tagnes de l'Inde. On réunira à cette espèce, et même comme va- riété assez légère, le BruAG, ou l'ours malais (Ursus malayanus, Rarr. Prochilus malayanus, GRAY. HelarctoS alaÿjahus, Honsr. — Fr. Cuv.), qui n’en diffère que par une large tache en démi- 124 LES CARNIVORES PLANTIGRADES. EE lune, d'un blane pur, qu'il a sur la poitrine. Il habite la pres- qu'ile de Malaca Il est nommé ours bateleur par quelques natu- ralistes. L'ours aux grandes lèvres n’est pas du tout carnassier, et ne se nourrit que «le fruits, de miel et d'insectes. Peut-être en serait- il de même de la plupart des autres espèces, si, ainsi que lui, ils habitaient des climats où la nature püt leur fournir toute l'année une nourriture végétale, D'un naturel farouche et mélancolique, cet animal aime la solitude, et se retire dans les montagnes les plus désertes. Cependant, quand il est pris jeune et traité avec bonté, son caractère s’adoucit, son intelligence se développe, et il se laisse facilement dresser à plusieurs exercices par les jon- gleurs indiens. Dans ses montagnes, il se plaît beaucoup à la re- cherche des termès, ou fourmis blanches, et lorsqu'il a trouvé une laisserait plutôt tuer que de lâcher prise. Malgré la prévention où l’on est que l’ours est carnassier, je prétends, avec tous ceux de cette province et des pays circonvoisins, qu'il ne l’est nulle- ment. Il n'est jamais arrivé que ces animaux aient dévoré des hommes, malgré leur multitude et la faim extrême qu'ils souf- frent quelquefois; puisque, même dans ce cas, ils ne mangent pas la viande de boucherie qu'ils rencontrent. Dans le temps que je demeurais aux Natchez, il y eut un hiver si rude dansles terres du nord, que ces animaux descendirent en grand nombre : ils étaient si communs, qu'ils s’affamaient les uns les autres, et étaient très-maigres; la grande faim les faisait sortir des bois qui bordent le fleuve; on les voyait courir la nuit dans les habitations et entrer dans les cours qui n'étaient pas bien fermées; ils y trou- vaient des viandes exposées au frais: ils n’y touchaient pas, et L'Ours brun d'Europe. de leurs habitations il fait, avec ses griffes, au dôme de terre durcie qui en forme le toit, un trou dans lequel il enfonce sa longue langue; les termès se jettent dessus pour défendre leur république, et quand ils y sont réunis en grand nombre l'ours retire brusquement sa langue et les avale. L'Ours pe Borxéo (Ursus euryspilus, Less. Helarctos euryspilus, Horse.) n'est peut-être aussi qu'une variété locale de l'ours aux grandes lèvres, dont il a les formes, la taille, les couleurs et les habitudes ; il en diffère cependant par une large plaque échan- crée en son bord supérieur, d’une couleur orangée, et par une bandelette transversale grise sur chaque pied. On le trouve dans l'île de Bornéo. L'Ours Noir D'AMÉRIQUE ( Ursus americanus, PaLL. Ursus gularis, Ge£orr.) a le front plat, presque sur la même ligne que le museau ; la plante de ses pieds et de ses mains est très-courte; son pelage est noir, lisse, long et brillant. La taille de cet animal ne dépasse guère quatre pieds huit pouces (1,516) ; cependant j'en ai vu un plus grand que cela. On en trouve des variétés fauves, plus ou moins jaunes ou couleur de chocolat. Tous habitent les États-Unis, et se répandent dans le nord de l'Amérique jusque dans le Kamtschatka. «L’ours noir, dit M. Dupratz, paraît l'hiver dans la Louisiane, parce que les neiges, qui couvrent les terres du nord, l'empêchant de trouver sa nourriture, le chassent des pays septentrionaux. Il vit de fruits, et entre autres de glands et de racines, et ses mets les plus délicieux sont le miel et le lait; lorsqu'il en rencontre, il se mangeaient seulement les grains qu'ils pouvaient rencontrer. » D'après cette cilation faite par Buffon, il semblerait que l'ours noir n'est jamais carnassier; et cependant les naturalistes, entre autres G. Cuvier, prétendent que lorsqu'il est poussé par la faim il attaque les mammifères. Ce fait a besoin d’être confirmé; mais ce qu'il y a de sûr, c’est qu'il mange le poisson. En hiver, il descend des bois, et vient pêcher sur le bord des lacs et des rivières. Il nage et plonge fort bien, et s'empare de sa proie avec beaucoup d'adresse et d’agilité. Il se plait particulièrement dans les forêts d'arbres résineux, et il se loge dans les cavités formées par le temps dans leur tronc. La plus haute est celle qu'il choisit de préférence, et il n’est pas rare de le trouver niché à plus de quarante pieds (12,892) de hauteur. Pour le prendre, les Amé- ricains mettent le feu au pied de l'arbre; ils le forcent ainsi à sortir de sa retraile pour se sauver des flammes. Si c'est une fe- melle, elle descend la première, à reculons, comme font tous les ours, et, lorsqu'elle est près de terre, ils l’abattent d'un coup de fusil tiré à bout portant dans le cœur ou dans l'oreille. Les our- sons descendent ensuite, et on les prend vivants et sans danger s'ils sont encore pelits; dans le cas contraire, on les tue. On chasse encore l'ours noir avec des chiens courants, qui le har- cèlent jusqu’à ce que le chasseur ait trouvé le moment favorable pour le tirer. Toutes les manières de le chasser sont sans danger, parce qu'il ne court jamais sur le chasseur et que, blessé ou non, il ne cherche jamais qu'à fuir. Seulement, il ne faut pas s'approcher imprudemment de lui lorsqu'il est abattu et mou- : LES CARNIVORES PLANTIGRADES. 125 rant ; car alors, sentant qu'il ne peut plus échapper au danger, il cherche à se défendre et à se venger. Son cri est très-différent de celui de l'ours brun; il consiste dans des hurlements aigus, qui ressemblent à des pleurs. Les Américains lui font une chasse continuelle, non pas seu- lement parce qu'il dévaste leurs champs de maïs, d'avoine et autres grains, mais encore parce qu'ils estiment beaucoup sa chair, et que sa fourrure, dont on fait chez nous les bonnets de grenadier, ne laisse pas que d'avoir de la valeur. Sa graisse remplace avantageusement le beurre; ses pieds offrent un mets très-délicat; et ses jambons, salés et fumés comme ceux de co- chon, ont une grande réputation en Amérique et dans toute l'Europe , où on les envoie pour la table des riches. L'Ours BLANC (Ursus maritimus, Lin. Ursus albus, Briss. L'Ours de la mer Glaciale, Burr. L'Ours polaire des voyageurs. Il est le type du genre Thalarctos de Gray). Cet animal est connu de tout le monde par les exagérations des voyageurs et par les contes qu'ils nous ont débités sur sa grandeur, sa voracité et son courage intrépide. Quand nous au- rons réduit Loules ces histoires à leur juste valeur, on sera fort étonné de ne trouver dans l'ours blanc que les mœurs ordinaires des animaux de son genre, mais accompagnées d’une stupidité que l’on a prise pour du courage. Les plus grands individus de cette espèce ne dépassent jamais six pieds et demi (2,111), et les voyageurs qui affirment en avoir vu de treize pieds (4,225) men- tent juste du double. Sa tête est fort allongée, son crâne aplati, sur la même ligne que le chanfrein; son œil est petit et noir, ainsi que le museau et l'intérieur de la gueule; son cou est très- long, et sa plante des pieds est d’une largeur remarquable; tout son corps est couvert de poils blancs, longs et soyeux. Habitant les glaces éternelles du pourtour ‘du pôle boréal, les côtes du Groenland, du Spitzberg, en un mot les parties les plus froides de la terre, il a dû contracter des habitudes en harmonie avec ces climats rigoureux. L'été, retiré dans les terres, il erre dans les forêts et mange les graines, les fruits et même les ra- cines qu'il y rencontre; ce qui ne l'empêche pas, cependant, de dévorer les cadavres des animaux, quand il en trouve. C’est là qu'il fait ses petits, qu'il les allaite sur un lit de mousse et de lichen, et qu'il les habitue peu à peu à manger des substances animales. Mais, dans ces malheureux climats, la saison des beaux jours est trop courte, et bientôt la neige, qui couvre le pays, force l'ours blanc à quitter les forêts où il ne trouve plus de nourriture , et à venir sur le bord de la mer, suivi non-seule- ment de sa famille, mais encore d'une troupe nombreuse que la famine a également exilée des bois. Cette sorte de sociabilité qui les réunit est un caractère qui distingue cette espèce, car toutes les autres ont une vie solitaire, et restent dans un isolement sau- vage. Pendant ce petit voyage, ils se préparent à combattre les grands animaux marins en attaquant les rennes et autres êtres timides qu'ils rencontrent sur leur route. Bientôt, de chasseurs maladroits , ils deviennent excellents pêcheurs, et ils poursuivent jusqu'au fond des ondes les poissons et les mammifères amphi- bies, qui deviennent leur proie. Ils s’habituent à plonger et à rester longtemps sous l’eau; ils nagent avec aisance et rapidité, et peuvent faire ainsi plusieurs lieues sans se reposer. Mais si une course trop longue les fatigue, ils cherchent un glacon en- trainé par le courant ou poussé par le vent; ils montent dessus, et cette singulière barque les porte souvent à une très-grande distance. L Ours blanc. C'est ainsi qu'en Islande et en Norvége on voit quelquefois arriver sur des glaçons flottants des bandes d'ours affamés au point de se jeter sur tout ce qu'ils rencontrent. C’est alors qu'ils sont terribles pour les hommes et les animaux, et cette circon- stance tout à fait accidentelle, mais qui se renouvelle chaque année, n'a pas peu contribué à leur réputation de courage et de férocité. Quelquefois, entraînés dans la haute mer par les glaces, ils ne peuvent plus regagner la terre ni quitter leur ile flottante ; alors ils meurent de faim ou se dévorent les uns les autres. Sans cesse furetant sur les glaces au bord de la mer, leur proie ordinaire consiste en phoques, en jeunes morses, et même en baleineaux qu’ils osent aller attaquer à la nage à plus d'une demi-lieue de la côte. Ils se réunissent cinq ou six pour cela, mais, malgré leur nombre, ils ne réussissent pas toujours, parce que la baleine accourt à la défense de son petit, et, avec sa terrible queue, étourdit, assomme ou noie les agresseurs. Le phoque, malgré ses puissantes mâchoires, ne leur offre guère de résis- tance parce qu'ils s'approchent de lui, doucement et sans bruit, pendant son sommeil, le saisissent derrière la tête et lui brisent le cràne avant qu'il ait pu opposer la moindre résistance. Il n’en 126 LES CARNIVORES PLANTIGRADES. RSR CRE 5 T9 RS 0 est pas de même du morse; plus défiant que le phoque, il est rare qu'ils parviennent à tromper sa vigilance. Le corps porté sur les pattes ou plutôt sur les nageoires de devant, la tête droite et élevée, il leur présente ses formidables défenses, les frappe, leur perce le corps et les renverse mortellement blessés; puis, forcé par le nombre de battre en retraite ; il se lance à la mer et disparaît aux yeux de ses ennemis, qui le poursuivent avec autant d'acharnement que d'inutilité. L'ours blanc, dans les contrées qu'il habite, n'a jamais ren- contré un être assez fort pour le vaincre, ce qui fait que la crainte est pour lui un sentiment étranger, mais dont il est ce pendant très-susceptible. N'ayant jamais éprouvé de lutte sé rieuse , il ignore le danger, et sa stupidité l'empêche de le re- connaitre lorsqu'il l'aperçoit pour la première fois. Aussi l'a-t-on vu venir d'un pas délibéré attaquer seul une troupe de matelots bien armés, et l'on a pris cela pour du courage. D’autres fois, il s’élance à la nage, va sans hésitation tenter l’'abordage d’une chaloupe montée de plusieurs hommes, d'un vaisseau même, et il périt victime, non de son intrépidité, mais de sa stupide im- prudence. S'il sent de la résistance, s’il est blessé , il cesse hon- teusement le combat, et fuit lächement ; ce que ne font jamais l'ours brun, le tigre, et quelques autres animaux doués d’un vé- ritable courage. Les marins qui ont hiverné dans le nord ont toujours été inquiétés par ces animaux , qui venaient flairer leur proie jusqu'à la porte de leur cabane, et qui grimpaient même sur le toit pour essayer de pénétrer par la cheminée. Mais toutes les fois qu'on les recevait à coups de fusil ou même à coups de lance, les ours se hâtaient de prendre la fuite, ou du moins n'essayaient pas de soutenir une lutte. On à dit que l'ours blanc se retire en hiver dans des trous creusés sous la neige, et qu'il y reste en état complet de léthargie jusqu'au retour de la belle saison Je ne soutiendrai pas que ce fait est faux, mais je dois dire qu'il me paraît très-douleux. La ménagerie a possédé plusieurs ours blancs, et jamais on ne les a vus plus vifs, plus éveillés, si je puis le dire, que pendant les froids les plus rigoureux de l'hiver. S'ils paraissent languissants et faibles, c’est lorsque la température de l'été se trouye à un degré assez élevé. J'ai vu le froid descendre, à Paris, à vingt de- grés du thermomètre de Réaumur, c'est-à-dire presque aussi bas que dans la Nouyelle-Zemble; et cependant l'ours blanc qui habitait un des fossés du jardin ne paraissait pas plus engourdi que de coutume. Ensuite, si on lit attentivement les voyageurs, on verra que c'est précisément dans la saison où le froid est le plus rigoureux que les onrs se rencontrent le plus fréquemment sur le bord de la mer. La femelle met bas au mois de mars, et l'on prétend qu’elle ne fait qu'un ou deux petits, très-rarement trois; du reste, on n’a guère pu s'assurer de ce fait, et l'on en juge par le nombre d’oursons dont elle est ordinairement suivie. Le cri de ces animaux ressemble plutôt, dit-on, à l'aboiement d'un chien enroué qu'au murmure grave des autres espèces d'ours. Dans la servitude, il ne se montre susceptible d'aucune éducation, d'aucun attachement, et il reste constamment d’une sauvagerie brutale et stupide, L'ours réRoCE (Ursus ferox, Lewis. Danis fer, Gray. Ursus ci- nereus, Desu. Ursus horribilis, Onv. L'Ours gris des voyageurs. Il est le type du genre Danis de Grav). L'ours gris joint à la stupidité de l'ours blanc la férocité du jaguar, le courage du tigre el la force du lion ; aussi est-il la ter- reur des habitants nomades des pays qu'il habite. Sa taille énorme atteint assez communément huit pieds et demi (2,760) de lon- gueur, el souvent davantage; son corps est couvert de poils longs, très-fournis, principalement sur le cou , d'un gris tirant quelquefois sur le brun ou le blanc. C'est le plus farouche et peut-être Le plus terrible des animaux, et la nature lui a donné en excès loutes les affreuses qualités qui jettent l'épouvante, Sa physionomie est horrible; son agilité égale sa force prodigieuse ; sa cruauté surpasse celle de tous les autres animaux; et son in- domptable courage est d'autant plus à craindre qu'il tient toujours de la fureur, et qu'il prend sa source dans une brutale conscience de sa force et de sa supériorité. Solitaire comme l'ours brun, dont il a les formes générales , il ne se plait que dans les immenses forêts vierges qui couvrent de leur ombre les montagnes ro- cheuses du grand Chippewyan, les bords du Missouri, du Né— braska et de l’Arkansas, enfin la partie nord-ouest de l'Amérique septentrionale, connue aux États-Unis sous le nom de pays indien. Cette immense contrée, qui commence au pays des Osages que nous avons vus à Paris, qui renferme les nations errantes des Pieds-Noirs, des Nez-Percés, des Kansas, des Corbeaux, des Ca- marches, des Coways, des Gros-Ventres, des Tétes-Plates, et quel- ques autres, est encore très-peu connue de$ hommes civilisés; quelques marchands de pelleteries et des trappeurs ou chasseurs de castors ont seuls osé, jusqu’à ce jour, pénétrer dans ces pro- fondes solitudes. C'est là que l'ours gris domine en maître sur les animaux du désert, et qu'il exerce sur eux son impitoyable tyrannie. Endormi pendant le jour dans les profondes cavernes des montagnes, il se réveille au crépuscule, sort de sa retraite; et malheur à tous les êtres vivants qu'il rencontre! Les daims de montagne, les argalis, et autres animaux légers, sont altendus par lui; de son embusçade il s'élance sur sa proie, la terrasse et la dévore. L'ours à collier et l'ours blanc lui-même le craignent et fuient sa présence. Il descend parfois dans les vallées où pais- sent d'immenses troupeaux de bisons, et ces monstrueux ani- maux, malgré leur nombre et leurs cornes redoutables, sont impuissants à se défendre contre sa rage. Vainement ils se pres- sent les uns contre les autres et lui présentent un rang compacte de fronts menacants, l'ours se précipite au milieu d'eux, les dis- perse, les poursuit avec agilité; d’un bond il s’élance sur leur dos, les presse dans ses bras de fer, leur brise le crâne avec ses dents, et souvent il en tue plusieurs avant d'en dévorer un. Et cependant, parmi ces hommes sauvages, demi-nus, enfants du désert comme lui, l'ours féroce trouve des ennemis qui lui résistent, qui l’attaquent même et qui osent soutenir contre lui une lutte horrible corps à corps. Le chasseur indien de l'Ar- kansas possède un talent ‘merveilleux pour découvrir, pendant l'hiver, la caverne dans laquelle l'ours à établi sa demeure; il sait, dans les autres saisons, l’attendre à l’affüt, le surprendre dans son fourré au moment où lui-même épie une proie, le sui- vre à la piste, et le percer de ses flèches ou de ses balles. Lors- qu'il a découvert la lrace de ses pas, il le suit, armé d'un are, d'une carabine et d’un couteau indien long et affilé, couteau dont il se sert plus ordinairement pour scalper la chevelure de ses ennemis vaincus. Il s'approche du farouche animal en se cachant et rampant dans les bruyères, et il a soin de prendre le dessous du vent; non pas qu'il craigne que l'ours, averti de sa présence par la finesse de son odorat, prenne la fuite, mais pour n'en être pas allaqué le premier et conserver l’ascendant qu'a toujours le premier assaillant. Quand le chasseur se croit à dis- tance convenable du monstre, il se redresse, se fait voir tout à coup, et lui lance une flèche; puis il se laisse tomber de toute sa longueur sur la terre, se met à plat ventre, et, soutenu sur son coude, il saisit sa carabine, ajuste le monstre et attend. L'ours, furieux et blessé, hésite un instant entre la fuite et l'attaque; mais, voyant son ennemi à terre, il s’élance sur lui pour le déchirer. Le sauvage chasseur à le courage d'attendre qu'il soit à cinq pas de lui, et alors seulement il fait feu et lui envoie dans la poitrine une balle qui le renverse roide mort. Si la carabine vient à manquer, l'intrépide chasseur se relève lestement , et, le couteau à la main, il attend une lutte corps à corps. Le plus ordi- nairement ce changement de posture suflit pour arrêter l'animal, qui, après une nouvelle hésitation, se retire à pas lents et en tournant souvent la tête vers le Léméraire Indien. Mais quelque- fois aussi l'ours, dans la fureur que lui cause une douloureuse LES CARNIVORES PLANTIGRADES. 127 blessure, se dresse sur ses pieds de derrière, étend ses bras et se jelte sur san agresseur. Celui-ci lui plonge son couteau dans le cœur et le renverse mourant. S'il manque son conp , il meurt déchiré en mille pièces, victime d’une puérile vanité qui l'a fait s’exposer par bravade à un danger sans utilité, ou seulement dans l'espoir de conquérir une misérable fourrure. Je pense bien qu'il y a de l’exagération dans ce que les voya- geurs nous ont raconté de la férocité de l'ours gris; mais ce que je viens de dire sur la manière dont les sauvages attaquent cet animal est vrai jusque dans ses moindres détails. Du reste, tout ce que nous avons dit de l'ours brun lui est applicable : à cette seule différence qu'il ne se nourrit de graines, de fruits et de racines que lorsque le carnage lui manque. Un fait singulier, c'est que M. Clinton a cru reconnaitre dans le squelette de cet ours une parfaite identité avec les ossements fossiles dont M. Jef- ferson et, après lui, M. G. Cuvier ont rebâti l'être extraordinaire auquel ils ont donné le nom paléontologique de mégalonyx. 2e Gexre. Les ARCTONYX (Arctonyx, Fr. Cuv.) semblent faire le passage naturel des carnassiers avec les pachydermes-cochons. Ils ont six incisives égales et petites et deux longues canines à chaque mâchoire. Leurs yeux, leur groin et leur queue sont sem- blables à ceux du cochon, mais ils ont le port, les formes géné- rales et les griffes d’un ours. Le Baur-Saur (Arctonyæ collaris, Fr. Cuv.) habite les environs de Barackpour dans l'Inde. Il est d'un blanc jaunâtre ondé de noir, jaune sous la gorge, avec une bande d'un jaune mat qui commence au museau, traverse l'œil et va contourner l'épaule ; son poil est ras sous le ventre, rude et grossier; il a les oreilles courtes et le groin couleur de chair. En indou son nom signifie cochon de sable, et il le doit non-seulement à sa physionomie, mais encore à son cri, qui est un véritable grognement. Du reste, ses habitudes sont lentes et paresseuses. ; 9° GENRE. Les PANDA (Ailurus, Fr. Quy.\. Si le genre arctonvx est intermédiaire entre les ours et les cochons, celui ei l'est entre les ours et les civettes en passant par les ratans. Il diffère de ces derniers en ce qu'il n'a qu'une fausse molaire au lieu de trois à chaque mâchoire; ses incisives, au nombre de six, sont lobées ; ses canines supérieures sont droites. Quoique ces animaux soient décidément plantigrades, leur plante des pieds est entièrement couverte de poils et leurs ongles sont à demi rétracliles. Le Cinrrwa où Oua (Aëlurus fulgens, Fr. Cuv.) est d’un roux brillant en dessus ; d’un noir foncé en dessous et à l'extrémité des membres ; sa fourrure est très-épaisse; sa têle est blanche, son museau noir et son front fauve ; sa queue, longue et touflue, est annelée de roux clair et de roux pale. La grosseur de cet animal est à peu près celle d’un chat. Il habite les Indes orien- tales ; il se plait sur le bord des torrents et des rivières qui des- cendent des montagnes et se nourrit de petits mammifères et d'oiseaux, qu'il poursuit ou surprend jusqu'au sommet des arbres. Son cri, oua, oua, qu'il répète souvent, le fait découvrir par les chasseurs. 4° Gexke. Les RATONS ( Procyon, Srorr.) ont quarante dents : six incisives, deux canines et douze molaires à chaque mâchoire. Les trois dernières molaires ont leur couronne munie de tuber- cules mousses. Ils ont à chaque pied cinq doigts pourvus d’on- gles acérés ; leur queue est non prenante, poilue, fort longue ; ils manquent de follicules anaux, et ont six mamelles ventrales; leurs membres sont courts et leur tête triangulaire, large, ter- minée par un museau fin. Le Raccoon ou maracn (Procyon lotor, Is. Geore. Ursus lotor, Lx. Le Raton, Burr. Le Raton laveur). ILest d'un gris brun ; il a le museau blanc, avec un träit brun qui lui traverse les yeux et descend sur les joues en se portant en arrière; sa queue est annelée de brun et de blanc; il est à peu près de la grandeur d'un renard, et a de longueur totale deux pieds cinq pouces (0,73). Le poil de cet animal est long, doux, touflu; ses yeux sont grands, d'un vert jaunâtre, pleins de finesse et de vivacité, ce qui n'est pas commun dans les animaux de sa classe; son corps est court et épais, mais néanmoins plein d’agilité ; aussi saute- til plutôt qu'il ne marche, et ses mouvements, quoique obliques, sont prompts, légers et gracieux; ses ongles, pointus comme des épingles, lui dopnent une grande facilité pour monter sur les arbres; on le voit quelquefois grimper le long de leur trone avec une agilité surprenante, et courir sur les branches les plus minces et les plus flexibles avec la même assurance que s’il était à terre. Il n’est pas d’un caractère farouche, mais il est défiant : aussi ne quitte-til guère les forêts pour s’avancer dans la plaine près des habitations, comme font les renards et autres petits carnas- siers redoutés dans les basses-cours. Il se plait particulièrement le long des vallées boisées et solitaires arrosées par des ruisseaux et de pelites rivières dont il suit les bords pour surprendre les rats d'eau, les reptiles et mème les poissons et les écrevisses; à leur défaut, il se contente de chasser aux nsectes, et méme il se nourrit de fruits, de graines et de racines tubereulenses. Mais la nourriture qui lui plait le plus, celle à la recherche de laquelle il s'occupe constamment, consiste en œufs et en oiseaux, dont il s'empare aveg heaucoup d'adresse. Le soir, lorsque la nuit com- mence à envelopper les forêts de son ombre, le raton quitte le bord du ruisseau sur lequel il s'était tenu en embuscade pendant le jour, et se met en quête. Il visite les jones des marais pour chercher les nids de canard et autres oiseaux d’eau , que l'excel- lence de son odorat lui fait aisément reconnaitre. S'il est assez heureux pour surprendre une troupe de jeunes halbrans ne pou- vant pas encore voler, il en mange un ou deux sans inquiéter les autres; mais chaque ruit il revient prélever le même impôt sur la couvée , jusqu'à ce qu'il l'ait entièrement détruite. \ Si les oiseaux d’eau manquent au raton, il s'enfonce dans les forêts et grimpe sur tous les arbres qui lui paraissent cacher dans l'épaisseur de leur feuillage quelques faibles habitants des bois : soit des oiseaux, soit des écureuils ou autres rongeurs. Ce qu'il y a de singulier, c’est qu'il se trompe rarement. Est-ce son intelligence qui lui fait reconnaître l'arbre qui recèle sa proie, ou bien est-ce la finesse de son nez qui la lui fait découvrir de fort loin ? C’est ce que les chasseurs n'ont pas encore pu décider. Tous les naturalistes qui ont vu des ratons en captivité ont observé les mêmes faits. Je vais donc laisser parler notre grand écrivain. « Cet animal trempait dans l’eau, ou plutôt il détrem- pait tout ce qu'il voulait manger; il jetait son pain dans sa ter- rine d'eau, et ne l'en retirait que quand il le voyait bien imbibé: à moins qu'il ne füt pressé par la faim, car alors il prenait la nourriture sèche et telle qu'on la lui présentait. Il furetait par- tout, mangeait aussi de tout, de la chair crue ou cuite, du pois- son, des œufs, des volailles vivantes, des graines, des racines, etc. Il mangeait aussi de toutes sortes d'insectes ; il se plaisait à cher- cher des araignées ; et lorsqu'il était en liberté dans un jardin, il prenait les limacons, les hannetons, les vers. Il aimait le su- cre, le lait et les autres nourritures douces par-dessus toutes choses, à l'exception des fruits, auxquels il préférait la chair, et surtout le poisson. Il se relirait au loin pour faire ses besoins; au reste il était familier et même caressant, sautant sur les gens qu'il aimait, jouant volontiers et d'assez bonne grâce, leste, agile, toujours en mouvement. Il m'a paru tenir beaucoup de la nature du maki et un peu des qualités du chien. » La ménagerie a autrefois possédé un raton qui avait absolument les mêmes habitudes. Quand je voulais m'amuser à ses dépens, je lui donnais un morceau de sucre. Aussitôt il le portait dans sa terrine d’eau pour le délayer, et rien n'était plus comique que 128 LES CARNIVORES PLANTIGRADES. —————— ———_——Z ses démonstrations d’étonnement lorsque, le sucre étant fondu, il ne retrouvait plus rien dans le vase. Le raton laveur habite l'Amérique septentrionale. L’AGouArAPOorÉ ou RATON CRABIER (Procyon cancrivorus , GEOrr. Le Chien crabier de La Borpe. Le Raton crabier, Burr.). Vingt-cinq pouces (0,677) de longueur totale; son poil est plus court, fauve, mêlé de gris et de noir, et assez uniforme en dessus ; d'un blanc jaunâtre en dessous; ses pattes sont brunâtres; et sa queue, plus longue, est marquée de huit ou neuf anneaux noi- râtres, quelquefois peu apparents. Commun à la Guyane, il cher- che sur les rivages les crabes dont il fait sa principale nourriture, et d’où lui est venu son nom. Ses habitudes diffèrent peu de celles du précédent, mais il est d'un caractère plus timide. L'Ours féroce. Du reste les ratons , étant tous fort mal armés, ont le sentiment de leur faiblesse, et sont doués d’une intelligence très-développée. Si, à la ménagerie, une personne étrangère se présente devant la loge de ces animaux, aussitôt le raton s'enfuit et se cache dans le coin le plus obscur en äonnant les signes les plus énergiques de son effroi. Les deux espèces dont nous donnons ici les figures sont les seules qui aient été reconnues par les naturalistes, et bien décrites par eux; l’une, comme on l’a vu, appartient à l'Amé rique du Nord, l’autre à l'Amérique du Sud. On rapporte à la première, comme variétés, le raton blanc de Brisson, le raton fauve et le raton du Brésil; mais ce dernier, s’il était suffisam- ment étudié, formerait probablement une espèce suffisamment tranchée, comme le pense M. Isidore Geoffroy, ainsi que le raton à gorge brune du pays des Hurons. Un individu de cette dernière espèce ou variété, qui existe au cabinet du Jardin, ne diffère en rien d'un autre individu du même pays, que M. Isidore Geoffroy a vu au cabinet d'histoire naturelle de Genève. Il résulterait de tout ceci qu'il existe réellement quatre espèces de ratons, dont deux n'auraient pas été suffisamment décrites. Nous remarque- rons que ces animaux, quoique placés parmi les plantigrades, relèvent le talon en marchant, et n’appuient que les doigts sur le sol; ils ne posent la plante des pieds sur la terre que dans le repos. C’est un des mille exemples qui prouvent que la nature se tient presque constamment en dehors des lois absolues que nous voulons lui imposer, et que nos méthodes prétendues naturelles lui sont tout à fait étrangères. de Genre. Les BENTOURONGS (Jctides, VaLeNc. Arctictis, TE.) ont trente-six dents : six incisives, deux canines et dix molaires à chaque mâchoire; les canines longues et comprimées, tran- chantes; corps trapu; tête grosse; yeux pelits; oreilles velues, arrondies et petites; cinq ongles crochus, comprimés, non con- ractiles, à chaque pied; queue prenante, mais entièrement velue. Le BexrouroxG Noir (/ctides ater, Fr. Cuv.) est un peu plus grand que le Bentourong à front blanc, dont il serait possible qu'il ne fût qu'une variété. Son pelage est entièrement d’un gris noiratre. Il habite Java. Le BENTOURONG DORÉ (Ictides aureus, VALENC. Paradoæurus au- reus, Fr. Cuv.) est couvert de poils très-longs, soyeux, d’un brun fauve doré et uniforme. On le croit de l'Inde. Le BENTOURONG À FRONT BLANC (/ctides albifrons, VALENC. Para- doxurus albifrons, Fr. Cuv. Le Benturong, Rarr.) a deux pieds (0,650) de longueur, non compris la queue, qui a deux pieds six pouces (0,812). Son pelage est composé de longues soies noires et blanches, excepté sur la tête et sur les membres, où le poil est court; son museau et son front sont presque blancs, avec une tache noire sur l'œil s'étendant jusqu'à l'oreille ; sa queue et ses pattes sont noirâtres ; ses moustaches très-longues et très-épaisses ; ses oreilles bordées de blanc. Cette espèce se trouve dans l’intérieur de l'Inde. Elle est noc- turne et dort pendant le jour. Le soir elle se réveille pour se mettre à la recherche des insectes, des fruits et des petits ani- maux dont elle se nourrit. Les bentourongs se rapprochent beaucoup des ratons par la forme de leurs dents et par leur marche plantigrade. Ils lient aussi ce genre aux civeltes et principalement aux paradoxures, dont ils sont très-voisins par l'ensemble de leur organisation. C’est à M. Duvaucel, mort dans l'Inde, que l’on doit la connais- sance de ces animaux, qui ont été plusieurs fois observés depuis, mais sans qu'on nous ait rien transmis d’intéressant sur leurs mœurs et leurs habitudes. Le Raccoon. Ge Genre. Les PARADOXURES (Paradoæurus, Fr. Cuv.) ont qua- rante dents : six incisives, deux canines et douze molaires à cha- que mâchoire; leur queue n’est pas prenante, mais elle a la fa- culté de s’enrouler de dessus en dessous jusqu'à sa base; les doigts, presque palmés, sont au nombre de cinq, armés d'ongles à demi rétractiles; leur plante des pieds est tuberculeuse, et ils l'appuient entièrement sur le sol en marchant, ce qui les sépare des civettes et des genettes, avec lesquelles ils ont d’ailleurs beau- coup d’affinité; leurs yeux ont une pupille longitudinale; ils manquent de poche près de l'anus. Ces animaux sont très-car- nassiers. Le Pouçouxié (Paradoæurus typus, Fr. Cuv. Viverra nigra, DES. Viverru genetta, Rarr. La Genette de France, Burr. Le Musang- sapulut et la Marte des palmiers des voyageurs). Trois pieds ( 0,975) de longueur totale ; il est d’un noir jau- nâtre, avec trois rangées de taches noirâtres, peu prononcées, PLANTIGRADES. 129 sur les côtés, et d’autres éparses sur les cuisses et les épaules; il a une tache blanche au-dessus de l'œil et une autre au-dessous ; Sa queue est noire. Le pougounié est un animal nocturne qui se trouve dans les Indes orientales. Si dans le jour il paraît endormi et paresseux, Aussitôt on le reprit sans qu'il ait fait grande résistance, et il fut reporté à la ménagerie. La liberté dont il avait joui avait rendu son pelage brillant et magnifique, mais l'animal ne pa- raissait pas en être devenu plus farouche. J'ai toujours pensé de- puis qu'on pourrait aisément le soumettre à la domesticité. L'Agouarapopé. c'est tout différent aussitôt que le crépuscule descend sur les fo- rêts qu'il habite; il déploie alors une grande vivacité, et c'est un vrai mouvement perpétuel. Toujours furetant comme un chat, grimpant, sautant comme un écureuil, il est occupé à faire la chasse aux oiseaux, à dénicher leurs œufs et leurs petits, dont il est très- friand, Il grimpe sur les palmiers avec la plus grande agilité, s'y ZX. Le Musaxe-Burax ou Luwacx (Paradoxurus musang. Viverra musanga, RarrL. Le Musang, Mars».) est plus petit, sa grosseur atteignant au plus celle d’un chat; son pelage est d'un fauve foncé, mélangé de noir ; sa queue est noire, excepté deux pouces (0,054) de son extrémité qui sont d’un blanc pur, et ce caractère le différencie fort bien du précédent. Il habite Java et Sumatra. Le Pougounié. maintient aisément au moyen de sa queue, et y poursuit les pe- lits mammifères. Il est très-carnassier; c’est à peu près tout ce qu'on sait de son histoire. Un de ces animaux s'échappa un jour du Jardin des Plantes, et, loin de se jeter dans les champs, il remonta de maison en maison le long du boulevard intérieur jusqu'à la barrière d'Enfer, où je l’'apercus, un mois après sa fuite, jouant avec un jeune chat sur le tuyau d'une cheminée. 49. Je crois que c’est à celle espèce qu'il faut rapporter la Genelte du cap de Bonne-Espérance, de Buffon. Le DecuxouxG ou LixsaxG (Paradoæurus prehensilis. Viverra pre- hensilis, DEesM., — DE BLainv. Viverra gracilis, Hous. Viverra lin- sang, Hirow.), plus petit encore que le précédent, ne dépasse guère la taille d’une fouine. Son pelage est d'un jaune ver- dâtre ; la ligne dorsale, les paltes et la queue sont noires; il a Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard > 36: 9 130 LES CARNIVORES PLANTIGRADES. deux lignes de taches allongées noires près du dos, et beau- coup de pelites taches orbiculaires sur les flancs. IL habite le Bengale. Te GENRE. Les COATIS (Nasua, G. Cuy.) ont quarante dents : six incisives, deux canines prismaliques aplaties et douze molaires à chaque mâchoire. Ils ont à chaque pied cinq doigts armés d’on- gles longs , acérés ; leur nez est extrêmement allongé et mobile; leur queue est pointue, non prenante, et très-longue; ils man- quent de follicules anaux et ont six mamelles ventrales. Le Quacur (Nasua rufa. Fr. Cuv. Viverra nasua, Lin. Le Coati rout, G. Guy.) a deux pieds cinq pouces (0,785) de longueur; il est d'un roux vif et brillant, un peu plus sombre sur le dos; son museau est d'un noir grisätre, avec trois taches blanches autour de chaque œil, mais sans ligne longitudinale blanche sur le nez. Il habite le Brésil et la Guyane, et ses mœurs sont absolument celles du coati-mondi. Il est assez singulier que lon ait trouvé en Europe des ossements fossiles de ces animaux, analogues à ceux qui vivent aujourd'hui en Amérique, i Le Coati-Monnt (Nasua fusca, Fr. Cuv. Viverra nasica, Lin. Le Coati brun, G. Cuv. Le Coati noirâtre, Burr. Le Blaireau de Su- rinam , Bniss.) est brun ou fauve en dessus, d'un gris jaunâtre ou orangé en dessous; il a trois laches blanches autour de chaque œil, et, ce qui le distingue plus particulièrement du précédent, une ligne longitudinale blanche le long du nez. Du reste, son pe- lage varie beaucoup de couleur, Quoique les coatis aient une pupille très-dilatable, on ne peut pas dire qu'ils soient des animaux nocturnes, et, si l’on en croit Linné, ils sont très-singuliers sous ce rapport. Ce grand natura- liste en avait un qui dormait depuis minuit jusqu'à midi, veillait le reste du jour, et se promenait régulièrement depuis six heures du soir jusqu'à minuit, quelque temps qu'il fit. Il paraît cepen- dant que dans les forêts du Brésil, du Paraguay et de la Guyane, où cet animal est assez commun, il chasse depuis le matin jus- qu'au soir, et dort toute la nuit. De tous les carnassiers, les coalis el Les ours devraient être les plus omnivores, si on en juge par leur système dentaire, et néanmoins les premiers se nourrissent entièrement de substances animales : aussi sont-ils cruels, et ont- ils toutes les habitudes féroces des martes, des fouines, des re- nards et autres carnivores. S'ils peuvent pénétrer dans une basse- cour, ils n’en sortent pas qu'ils n'aient tué toutes les volailles , qu'ils ne leur aient mangé la tête et sucé le sang. En esclavage, ils deviennent assez familiers, et recoivent les caresses qu'on leur fait avec un certain plaisir, et en faisant entendre un petit siffle- ment doux; mais ils ne les rendent jamais, et ne paraissent ja- mais capables d'aucun attachement. Ils ont dans le caractère une opiniâtreté invincible, et rien n’est capable de leur faire faire une chose contre leur volonté. Un coati est-il en repos, il y reste malgré tous les moyens que l'on peut mettre en usage pour l'en faire sortir; si l'on emploie la force pour l'exciter à changer de place, il se cramponne, s'accroche comme il peut aux corps en- vironnants, résiste de toute la puissance de ses forces , et finit, dans sa colère furieuse, par se jeter dans les jambes de ses pro- vocateurs, en aboyant d’une voix très-aiguë, Si l’on veut l'arrêter dans sa marche, le détourner de l'endroit où il veut aller, le faire sortir d'un appartement, en un mot, le contrarier dans sa vo- lonté de fer, il faut constamment employer la violence; contraint par la force, vaincu dans ses efforts, il se laisse trainer, mais il n'obéit pas, et recommence la résistance dès qu’il le peut. Sa cu- riosité ne le cède guère à son opinitreté, et ces deux défauts, poussés à l'extrême, le rendent fort incommode dans un appar- tement. Aussitôt entré dans une chambre, il commence par en visiter tous les coins; il va furetant, fouillant partout, tournant et retournant chaque chose pour la considérer, déplacant tous les objets qu'il peut atteindre, sautant sur les meubles avec plus de légèreté qu'un chat, grimpant aux rideaux des lits, enfin mellant out sens dessus dessous. Il résulle de ces habitudes désagréables que l’on est obligé de le tenir constamment à la chaine, quelque apprivoisé qu'il soit, En outre, son caractère est tellement mobile, que chez lui les caprices se succèdent presque toute la journée , et il passera dix fois par heure de la joie à la tristesse, de la tranquillité à la colère, sans aucune cause apparente. Ajoutez à cela qu'il est d’une méfiance extrême, qu'il a la singulière habitude d'aller flairer les excréments qu'il vient de faire, qu'il exhale une odeur forte et désagréable, qu'il est voleur comme un chat, et s'empare délibérément de tout ce qui est à Sa convenance, sans qu'aucune correction puisse l'en em- pêcher ni le corriger de ses défauts, et vous aurez le portrait peu flatteur, mais vrai, d’un commensal nullement aimable. A l'état sauyage, le coati-mondi ne quitte pas les forêts les plus sauyages. Il grimpe sur les arbres avec toute l’agilité d’un singe, el, ce qu'il y a d’extraordinaire, c’est qu'il est le seul animal de son ordre qui en descende dans une position renversée, c’est-à- dire la tête en bas. Il doit cette étonnante faculté à la conforma- tion particulière de ses pieds de derrière, qui lui permet de les retourner de manière à pouvoir se suspendre par ses griffes. Tout son temps est occupé à la chasse aux oiseaux et à la recherche de leur nid, ou à poursuivre les petits mammifères. Il ne laisse pas pour cela de se nourrir d'insectes, et pour les trouver il fouille très-aisément la terre avec son boutoir, ou plutôt sa trompe, qu'il meut dans tous les sens et continuellement, même quand il n'a pas besoin de s’en servir. Lorsqu'il boit, il a bien soin de la relever afin de ne pas la mouiller, et alors il lape comme un chien. Cet animal turbulent ne se creuse pas de ter- rier, ainsi que l'ont avancé la plupart des naturalistes, mais il se loge dans des trous d'arbre. Il vit en troupe assez nombreuse, et, selon Azzara, quand on les surprend sur un arbre isolé que l’on fait semblant d'abattre, tous se laissent aussitôt tomber comme des masses. Pour porter les aliments à la bouche, les coatis se servent de leurs pattes de devant, mais non pas à la manière des écureuils et autres rongeurs; ils commencent à diviser en lam- beaux la chair de leur proie, au moyen de leurs griffes, puis ils enfilent un morceau avec leurs ongles et le portent à leur bouche comme ferait un homme avec une fourchette. La femelle fait de trois à einq petits, qu’elle élève avec ten- dresse , et parmi lesquels se trouvent constamment plus de mâles que de femelles. Aussi, quand leur éducation est terminée, la troupe s’empresse-t-elle. de chasser ses mâles surabondants; ils vont rôder solitairement dans Îes forêts jusqu'à ce que le hasard leur ait fait rencontrer une compagne, avec laquelle ils viennent viyre en société dans la première troupe qu'ils rencontrent. Les coalis marchent toujours la queue élevée, mais non pas inclinée sur le dos. 8e Gene. Les BLAIREAUX (Jfeles, Briss.) ont trente-six denls : six incisives et deux canines en haut et en bas: huit molaires à la mâchoire supérieure el douze à l’inférieure; leur corps est trapu, bas sur jambes, ce qui leur donne une marche rampante; ils ont cinq doigts à chaque pied, ceux de devant armés d'ongles longs et robustes, propres à fouir la terre ; la queue est courte, velue; ils ont près de l'anus une poche remplie d'une humeur grasse et infecte; on leur trouve six mamelles, deux pectorales et quatre ventrales. Le BLaireau Commun (Meles vulgaris, Des. Ursus meles, Lin. Le Blaireau, Burr. Le Taisson de quelque chasseur) est d'un gris brun en dessus, noir en dessous; il a de chaque côté de la tête une bande longitudinale noire, passant sur les yeux et les oreilles, et une autre bande blanche sous celles-ci, s'étendant depuis lé- paule jusqu'à la moustache. « Le blaireau, dit Buffon, est un animal paresseux, défiant, solitaire, qui se retire dans les lieux les plus écartés, dans les bois les plus sombres, et s'y creuse une demeure souterraine; il PLANTIGRADES. 131 om semble fuir la société, même la lumière, el passe les trois quarts de sa vie dans ce séjour ténébreux, dont il ne sort que pour chercher sa subsistance. Comme il a le corps allongé, les jambes courtes, les ongles, surtout ceux des pieds de devant, très-longs et très-fermes, il a plus de facilité qu'un autre pour ouvrir la terre, y fouiller, y pénétrer, et jeter derrière lui les déblais de son excavation, qu'il rend tortueuse, oblique, et qu'il pousse quel- quefois fort loin. Le renard, qui n'a pas la même facilité pour creuser la terre, profite de ses travaux : ne pouvant le contrain- dre par la force, il l'oblige par adresse à quitter son domicile, en l'inquiétant, en faisant sentinelle à l'entrée, en l’infectant même de ses ordures ; ensuite il s'en empare, l'élargit, l'approprie et en fait son terrier. Le blaireau, forgé à changer de manoir, ne change pas de pays; il ne va qu'à quelque distance travailler sur nouveaux frais à se pratiquer un autre glle, dont il ne sort que la nuit, dont il ne s'écarte guère, et où il revient dès qu'il sent quelque danger. Il n'a que ce moyen de se mettre en sûreté, car il ne peut échapper par la fuite : il a les jambes trop courtes pour pouvoir bien courir. Les chiens l’atteignent promptement lors- qu'ils le surprennent à quelque distance de son trou; cependant il est rare qu'ils l’arrêtent tout à fait, et qu'ils en viennent à bout, à moins qu'on ne les aide. Le blaireau a les poils très-épais, les jambes, les mâchoires et les dents très fortes, aussi bien que les ongles ; il se sert de Loute sa force, de toute sa résistance et de toutes ses armes, en se couchant sur le dos, et il fait aux chiens de profondes blessures. Il a d’ailleurs la vie très-dure, il combat longtemps, se défend courageusement et jusqu'à la der- nière extrémité. » Le blaireau est carnassier, mais cependant, et quai qu'en aient dit les naturalistes, il ne vit guère de proie que lorsqu'il ne trouve plus de graines, de baies et autres fruits. Dans ce cas, il déterre les nids des guèpes et d’abeilles-bourdons pour en manger le miel et les couvains: il fait la chasse aux souris, aux mulots, aux serpents et autres reptiles; il mange aussi des sauterelles, des hannetons et toutes sortes d'insectes; mais ce qu'il préfère à tout, ce sont les raisins et les épis de maïs avant leur parfaile maturité, S'il rencontre un nid de perdrix ou d'autres oiseaux, il ne manque pas d'en briser les œufs , et l'an dit même que par- fois il creuse et perce les rabouillères de lapine pour dévorer les lapereanx. Lorsqu'il est pris jeune et apprivoisé, il devient très- familier, joue avec les chiens, et, comme eux, suit son maitre et répond à sa voix. Il est extrêmement facile à nourrir, et mange tout ce qu'on lui offre, de la chair, des œufs, du fromage, du beurre, du pain, du poisson, des fruits, des noix, des graines et même des racines. Dans la maison, il a une vie tranquille, il n'est pas malfaisant ni incommode, car il n'est ni voleur ni gourmand. Sans être très-commun nulle part, le blaireau se trouve dans toute l'Europe et dans toute l’Asie tempérée. C'est un animal très-rusé et très-défiant, qui ne donne que bien rarement dans les piéges qu'on lui tend. Un vieux blaireau qui s'aperçoit du lacet tendu à l'entrée de son terrier reste quelquefois cinq ou six jours ou davantage sans sortir, s'il ne peut se creuser une autre issue à cause des rochers; mais enfin, lorsqu'il est pressé par la faim, il faut bien qu'il déloge. Après avoir sondé longtemps le terrain, après avoir cent fois hésité, il finit par rouler son corps en boule aussi ronde que possible, s’élance, fait trois ou quatre culbutes en roulant, et passe ainsi à travers le lacet sans en être accroché, à cause de la forme sphérique qu'il a prise. Ce fait, Lout extraordinaire qu'il est, n’en est pas moins certain pour les chas- seurs allemands. On prend aisément le blaireau dans son trou en le fumant, comme on fait pour les renards, ou en ouvrant des tranchées et en le délerrant. Mais, pour opérer de cette dernière manière, il faut avoir un chien basset parfaitement dressé à reconnaitre le terrier, à y pénétrer et à y contenir le blaireau pendant que les chasseurs travaillent avee la pelle et Ja pioche. Si le chien est im prudent et si, ne connaissant pas-bien son métier, il joint le blai- reau, celui-ci se défend avec une telle fureur que l'assaillant, souvent estropié, est obligé de battre en retraite. Il arrive encore quelquefois que le malicieux animal, dès qu'il entend le chien, fait ébouler la terre de manière à couper la communication qui conduit jusqu'à lui. Un fait singulier, c'est qu'en France, et en France seulement, presque tous les blaireaux ont la gale, sans que cette maladie paraisse les incommoder; les chiens qui entrent dans leurs terriers manquent rarement de la prendre, si on n'a la précaution de les laver avec une forte dissolution de savon aussitôt qu'on est de retour de la chasse. Quelquefois , lorsque le blaireau entend creuser au-dessus de lui, il prend une détermi- nation désespérée, et sort de son trou malgré le chien. Alors commence un combat furieux dans lequel ce dernier recoit tou- jours quelques blessures graves. Le blairean a les mâchoires tel- lement fortes, qu'il n'est pas rare de lui voir enlever d'un seul coup de dents un lambeau de peau et de chair, laissant une plaie de trois ou quatre pouces de diamètre. Les Allemands ont une manière amusante de chasser ces ani- maux. En automne, trois ou quatre chasseurs partent ensemble, à nuit close, armés de bâtons et munis de lanternes; l'un d'eux porte une fourche ; ils conduisent à la laisse deux bassets et un ‘chien courant bon quêteur. Ils se rendent dans les lieux qu'ils savent habités par les blaireaux , et à proximité de leurs terriers; là ils lâchent leur chien courant, qui se met en quête et a bientôt rencontré ün de ces animaux. On découple les bassets, on rap- pelle le courant, et l'on se met à la poursuite de l'animal, qui ne tarde pas à être alteint par les chiens, et qui se défend vigoure:- sement des dents et des griffes. Le chasseur qui porte la fourche la lui passe au eou, le couche à terre, et les autres chasseurs l'assomment à coups de bâton. Si on veut le prendre vivant, on Jui enfonce au-dessous de la mâchoire inférieure un crochet de fer emmanché d'un bâton, on le soulève et on le jette dans un sac que l'on noue en dessus, après avoir bâillonné Panimal. Sa peau sert à couvrir des colliers de chevaux, des malles, ete., el nos pères accordaient à sa graisse des propriétés médicales qu'elle n'a pas. : Le mâle et la femelle du blaireau vivent solitairement, chacun de son côté: celle-ci met bas en été, et fait trois ou quatre pelits, dont elle a le plus grand soin. Elle leur prépare un lit avec de Uberbe douce qu'elle a l'industrie de réunir en une sorte de fagot qu'elle traine entre ses jambes jusqu'à son Lerrier. Lorsque ses petits sont un peu forts, elle va chasser dans les environs de son habitalion, et leur apporte le produit de ses recherches pour les habituer peu à peu à une nourriture solide; mais alors, elle les fait sortir sur le bord du terrier, afin de n'en pas salir Pintérieur par les débris des repas, car ces animaux tiennent leur logis avec la plus grande propreté. Le Carcarou (Meles labradorica, Saxe, Ursus labradoricus , Guc. Le Glouton du Labrador, Soxx.) n’est probablement qu'une variété du précédent ; il a deux pieds deux pouces (0,704) de lon- gueur non compris la queue; il est brun en dessus, avec une ligne longitudinale blanchâtre, bifurquée sur la tête, et simple tout le long du dos; les côtés du museau sont d'un brun foncé, et ses pieds de devant sont noirs. Il habite le pays des Esquimaux, le Labrador. Peut-être faut-il encore regarder comme simple variété celui qui suit. ; Le BLamREAU TaAISSON (Âfeles taxo. — Ursus tazus, Scur.). Il dif- fère du premier par son ventre d’un gris plus clair que ses flancs ; par son oreille, qui est de la couleur générale du corps et seule- ment bordée de noir: par la bande noire de la face, qui est su- périeure à l'œil sans y toucher. Il habite l'Europe. Quant aux différences du blaireau-chien et blaireau-cochon, elles n'existent que dans les préjugés des chasseurs. 132 LES CARNIVORES PLANTIGRADES. 9° GENRE. Les GLOUTONS (Gulo, Srork.) ont trente-quatre ou trente-huit dents : six incisives et deux canines en haut et en bas; huit ou dix molaires supérieures et dix ou douze molaires infé- rieures. Ils ont le corps plus ou moins effilé, plus ou moins élevé sur jambes ; la queue assez courte, et, près de l'anus, deux replis de la peau, mais point de poche. Olaüs Magnus est, je crois, le premier naturaliste qui ait parlé du glouton, mais pour exagérer beaucoup sa voracité, qui a passé en proverbe. Cet auteur raconte que, quand il dévore un cadavre, il se remplit au point d’avoir le ventre gros comme un tambour ; puisil se presse le corps entre deux arbres pour se vider, retourne ensuite au cadavre, revient se presser entre les deux troncs d’ar- Le Rossomax (Gulo arcticus, DEsM. Ursus gulo, Lin. Le Glouton, Burr. La Volverenne, Penn. Le Vielfras des Danois; le Gteed’k des Lapons.). Sa taille’ est celle d’un gros chien braque, mais il a les jambes bres , et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de sa proie, quelque grosse qu’elle soit. De pareils contes se réfutent d’eux-mêmes. D’autres naturalistes, et particulièrement Gmelin, ont avancé que cet animal, par une exception qui serait unique Le Coati-Mondi. beaucoup plus courtes ; sa fourrure est très-belle et fort estimée des Russes, qui la préfèrent à toutes les autres , si on en excepte l'hermine , pour garnir les bonnets et faire des manchons. Elle est d'un brun marron foncé, avec une grande tache discoïdale parmi les êtres vivants, n'avait pas l'instinct de la conservation; ils basent leur opinion sur ce que le glouton, quand il voit un homme, ne donne aucun signe de crainte, et s’en approche avec indifférence, comme s'il ne courait aucun danger. À supposer plus foncée sur le dos, et quelquefois des teintes plus pâles. Il a la queue assez courte , le corps trapu , et en général les formes lourdes. Il habite les contrées les plus froides et les plus désertes du nord de l'Europe et de l'Asie. Il est commun en Laponie et dans les déserts de la Sibérie. que ce fait fût vrai, il ne prouverait qu'une chose, c'est que, vivant dans le désert, où jamais il ne trouve un être plus fort que lui, il ignore ce qu'il a à craindre de la présence de l’homme. D’ail- leurs tout animal qui n'aurait pas la conscience de sa conserva- tion ne vivrait pas vingt-quatre heures. 3 PLANTIGRADES. 133 Le rossomak vit solitaire, ou, mais rarement, avec sa femelle, dans un terrier qu'il se creuse en terrain sec, sur le penchant d’une colline ombragée par une forêt de sapins ou de bouleaux. Il n’en sort que le soir pour aller à la quête de sa proie, consis- tant en rennes, élans et autres animaux plus petits. S'il habite par la fuite, car le glouton marche très-lentement et ne peut pas courir. Aussi, le plus ordinairement, sa proie lui échapperait s’il n'employait mille ruses pour s'en emparer par surprise. Souvent il se cache dans un buisson épais, sous des feuilles sèches, dans unjtronc d'arbre creux, partout où il peut échapper à la vue, et Le Glouton. une contrée où les chasseurs d’hermines tendent des piéges pour prendre des animaux à fourrure, il commence par visiter toutes leurs trappes, qu'il connaît fort bien et dans lesquelles il ne se prend jamais, et il s'empare des animaux qui y sont arrêtés, ce il reste patiemment en embuscade, sans faire le moindre mouve- ment, jusqu'à ce que le hasard, ou plutôt ses prévisions, amènent une victime à sa portée. Il reconnait fort bien les sentiers frayés par les rennes sauvages , lorsqu'ils sortent de la forêt pour aller Le Ratel. dont se plaignent beaucoup les chasseurs de renards bleus et blancs qui se tiennent dans le voisinage de la mer Glaciale. Si cette ressource lui manque , il cherche la trace d’un renne, le suit avec constance , et finit par le surprendre endormi; mais pour peu que celui-ci l'entende approcher, il se dérobe aisément paître dans la plaine. Dans ce cas, il grimpe sur un arbre, se poste sur une branche, et, dès que l'animal passe à sa portée, il s'élance, et d’un bond lui saute sur la croupe ou sur le cou; il s’y cramponne avec tant de force avec ses griffes et ses dents, qu'il est impossible au malheureux renne de s’en débarrasser. Il court, 131 LES CARNIVORES PLANTIGRADES. il bondit, il se frotte contre les arbres , $e roule sur la terre, et fait vainement tous les efforts imaginables pour se délivrer de son terrible ennemi; celui-ci ne Tâche jamais prise et ne continue pas moins à le dévorer vivant, jusqu'à ce que l'horrible blessure qu'il Jui a faite sur le dos l'épuise et le fasse tomber mourant sur le gazon. Le rossomak, alors, le mange à son aise, et lorsqu'il est rassasié, si le cadavre n'est pas trop lourd, il emporte dans l’é- paisseur de la forêt, et le cache dans un buisson touffu pour le retrouver au besoin; ou bien, s'il ne peut le transporter, il le couvre de broussailles et de feuilles. Plusieurs carnassiers, par exemple le renard et le loup, ont également l'habitude de cachiër les restes de la proie qu'ils né peuvent entièrement dévorer; mais, soit par oubli’ou par défiance, ils ne reviénhent jamais les cher- cher. Il n'en est pas de même de celui-ci, qui Sait très-bien les retrouver lorsqu'il est pressé par la faim, et qu'il n'a pu S'empa- rer d'une proie vivante. Cet animal se trouve dans les mêmes forêts que le renard blet ou isatis, et a la finesse de se servir de ce dernier comiie de pourvoyeur. Lorsqu'il l'entend chasser , il le suit à la voix, et sé donne bien de garde de se montrer pour ne pas l'eff'ayer. Ce- pendant il se tient toujours à portée d'arriver à lui au moment où le renard prend le lièvre. Alors le glouton se montre, et l'isa- üis, pour ne pas être dévoré lui-même, est obligé de détälér au plus vite, et de lui abandonner sa capture. Aussi courageux que vorace, le glouton se défend avec intrépidité contre les chiens et même les chasseurs; mais comme ses jambes courtes l'empêchent de fuir, il est fort aisé de s’en emparer et même de l'assommer à coups de bâton. I faut au moins trois ou quatre chiens très- vigoureux pour en venir à bout, et encore est-il rare qu'il n'y en ait pas un ou deux d'estropiés; car il se défend des griffes et des dents , et les blessures qu'il fait sont profondes et cruelles. Un vayvode, qui, pour son plaisir, gardait chez lui un glouton, le fit un jour jeter dans l’eau, et lcha sur lui un couple de chiens ; l'animal se lança aussitôt sur l'un des chiens, lui saisit la tête et la tint enfoncée sous l'eau jusqu'à ce qu'il l’eût suffoqué. Schœffer prétend que le rossomak, pressé par la faim, se jette dans les rivières, nage, plonge, prend le poisson et le mange, comme fait la loutre. Sans nier positivement ce fait, il me parait si peu en harmonie avec l'organisation de cet animal, que je le crois fort douteux. Mais ce dont on ne peut douter, c’est que, dans les mo- ments de disette, il cherche les cadavres humains, les déterre , les dépèce et les dévore jusqu'aux os, s’il peut pénétrer dans un cimetière. Quelquefois il rôde autour des lacs et des rivières peu- plés de caslors, et il en surprend un bon nombre, surtout des jeunes. L'hiver il va sur la glace jusqu’à leurs cabanes, qu'il dé- molit pour en dévorer les habitants. Cet animal ne s'engourdit pas en hiver. Buffon , qui en à eu un très-apprivoisé, dit qu'en buvant il lape à la manière des chiens, qu'il ne fait jamais en- tendre aucun cri, qu'il est très-remuant, et qu'après avoir salis- fait sa fann, il met en réserve en le cachant le reste de sa nour- riture. La VOLVERENNE DE PENNANT (Ursus luscus, GML: — Lin.) est une variété qui ne diffère de son type que pat un pelage un péu plus pâle. Du reste, elle a les mœurs absolument &emblables, et n’est ni moins féroce ni moins vorace. Le Grisox (Gulo viltatus, Desu. Viverra vittata, Lix. Le petit Furet, Azzar. La Fouine de la Guyane et le Grison, Burr. L'Ours du Brésil, Tuuxe.) n'a de longueur totale que vingt-deux pouces (0,596), et la queue fait environ un quart de cette dimension ; le corps est mince, fort allongé ; le pelage noir, piqueté de très- petits points blancs, ce qui lui donne un ton grisâtre; le dessous du cou et de la tête est gris : une bande blanche s'étend depuis les côtés du front jusqu'aux épaules ; les oreilles sont de la même couleur et très-petités. Du reste, il varie assez dans son pelage, sans considération d'âge où de sexe. Le grison se trouve répand dans presque toute l'Amérique méridionale ; cependant il est plus commun à la Guyane, surtout au Paraguay, que partout ailleurs. Il est aussi carnassier et plus féroce que le précédent; mais sa petite taille ne lui permet pas d'attaquer de gros animaux. Il s’en venge sur les volailles , les oiseaux, les lièvres, lapins, ou espèces analogues , etc., auxquels il fait journellement une guerre d'extermination; aussi est-il un véritable fléau pour les basses cours. Il se retire le jour dans un profond terrier, d'où il ne sort que la nuit pour commettre ses brigandages. S'il est surpris dans ses méfaits par des chiens ou des chasseurs, sa colère lui fait aussitôt exhaler une odeur de muse tellement désagréable, qu’elle réussit quelquefois à écarter ses ennemis. Quand ce moyen ne réussit pas, il combat avec fu- rélir, et ne quitte la lutte qu'avec la vie. Il est cruel par plaisir plus peut-être que par besoin, et même, lorsqu'il est apprivoisé, il n'a pas de plus grande jouissance que celle d’égorger sans né- cessité tous les petits animaux domestiques qui se trouvent à sa portée. Le Taïna (Gulo baïbatus, Des. Mustela barbata, Lin. Viverra dulpecula, Gus. Le Tatra ou Galera, Burr. Le Carigueibeiu, Mancen. Le grand Furet, Azzar.) a de vingt-deux à vingt-quatre poutés (0,593 à 0,650) dé longueur, non compris la queue, qui en à quinze (04406); Soti corps est mince, allongé; son pelage d'un brun noir ou enlièretieht noir, avec la tête et quelquefois le Cou ; une large tache blänchâtre ou jaunâtre, triangulaire, lui couvre le devant di cou et de la gorge; les pieds de derrière ont les doigts réunis par té membrane. Cet animal a les mêmes ha- biludes que le précédeñt, comme lui exhale une forte odeur de muse, et se trouve dans les mêmes contrées. Le NiëNt£ck (Gulo ortehtalis, Horsr.) a la tête un peu plus allongée que dans les espèces précédentes; il a deux pieds un pouce (0,677) de longueur totale : sa queue est médiocre; son pelage brun avec la gorge, la poitrine et les joues jaunâtres ; une tache de la même couleur part du vertex, s'étend sur le dos, et se termine en pointe; ses pieds de devant sont armés d'ongles très-crochus. Il se trouve à Java , et doit avoir des mœurs analo- gues à celles des espèces précédentes, du moins si l’on en juge par l’analogie. On ne sait rien de son histoire. 10e Genre. Le RATEL (Mellivora, Srorn.) a trente-deux dents : six incisives, deux canines et huit molaires à chaque mâchoire. Quant aux autres caractères, il ne diffère pas du genre Gulo. Le RarEL (Mellivora capensis, Less. Viverra capensis et Viverra mellivora, Lin. Gulo capensis, Drsm. Le Ratel, Sparn. Le Blaireau puant, LAGAILL.). Il a Le corps épais et trapu, long de trois pieds quatre ponces (1,085), compris la queue; il est gris en dessus, noir en dessous, avec une ligne longitudinale blanche de chaque côté, depuis les oreilles jusqu'à l'origine de la queue. Cet animal exhale une odeur désagréable, mais moins forte que celle des moufettes. 1 habite l'Afrique depuis le Sénégal jus- qu'au cap de Bonne-Espérance, et la facilité avec laquelle il creuse la terre fait croire qu'il se retire dans un terrier. Il vit de proie comme le glouton; mais il est tellement friand de miel, qu'il déplôie toute son industrie pour s'en procurer. Trois espèces d'êtres s'occupent journellement à découvrir des ruches d’abeilles, et se prêlent mutuellement secours pour s'en emparer; ce sont : le Hottentot sauvage ou Boschisman , le ratel, et le coucou indi- caleur (/ndicator major, Levaiur.). On sait que les Boschismans, que la nature et les siècles avaient faits propriétaires de leurs brülantes montagnes, en furent chas- sés par les colons hollandais, qui allaient les chercher et les tuer dans les bois à coups de fusil, par partie de plaisir ; des femmes méme élaient très-adroites à les poursuivre à cheval, et à les ex- terminer, Ces misérables, forcés de se retirer dans les plus épaisses foréts, traqués comme des loups, fusillés aussitôt qu'ils parais- PLANTIGRADES. 135 saient, ne trouvaient pour se nourrir, dans ces affreux déserts, que quelques racines amères, des termès ou fourmis blanches, et du miel sauvage. Mais, n'osant sortir que la nuit des antres de rocher où ils se cachaient pendant le jour, il leur eût été difficile de découvrir les ruches d'abeilles, s'ils n’eussent su mettre à profit la connaissance qu'ils ont d’une habitude du ratel. Celui- ci, chaque matin, se promène silencieusement dans les forêts en écoutant. Bientôt le cri d’un oiseau vient frapper son oreille, et il le reconnait pour celui de l'indicateur ou du guide au miel, comme disent les Hollandais du Cap. Le ratel suit l'oiseau, mais doucement pour ne pas l’effrayer, et celui-ci, volant d'arbre en arbre, de roche en roche, toujours en faisant entendre son cri, conduit bientôt le mammifère au pied d'un arbre dans le tronc duquel est une ruche d’abeilles sauvages. lei se rencontre une dificulté. Le ratel ne sait ni ne peut grimper ; il lève le nez, il flaire le miel, il bondit contre l'écorce, il murmure, il 8e met éh colère : rien n'y fait, et l'indicateur a beau redoublef 8es éris, 168 abeilles sont parfaitement en sûreté dans leur ruche, Le ratel, enragé de colère, se met alors à attaquér le pied de l'arbre avec les dents, en enlève l'écorce, le mord atee lurett, probablement dans l'espérance de le renverser; mais là fatigue ne tarde pas à l’avertir de l'impuissance de ses efforts, et il abandonne son en- treprise pour aller à une autre découverte. Les Boschismans, qui pendant le crépuscule errent en tremblant dans les bois, trou- vent l'arbre, le reconnaissent aux morsures qui en ont enlevé l'écorce, montent dessus et prennent le miel. Lorsque le mammifère est conduit par le guide au miel à des abeilles qui établissent leurs ruches dans la terre, les choses se passent différemment. Aussitôt avec ses ongles robustes il se met à creuser. Les abeilles se jettent sur lui par légions: il se con- tente de passer de temps à autre ses pattes sur son nez et de fer- mer les yeux, car ces deux parties seules sont accessibles à leur aiguillon. Un poil long et touffu et une peau excessivement-dure, épaisse, impénétrable, lui défendent suffisamment le reste du corps. Lorsqu'il a mis les gâteaux à découvert, il mange autant de miël qu'il le peut sans crever, puis il s’en va tranquillement sans s'inquiéter de son guide. L'indicateur descend de son arbre, ét tire parti des bribés Que l’autre lui a laissées, faute de pouvoir tüüt avaler. Les Bo$chismans ont plus de reconnaissance, car ils ne mänquent jamais de laisser à l'oiseau, sur une pierre ou une large feuille, une quantité de miel suffisante pour lui faire faire un bon repas. LES CARNASSIERS DIGITIGRADES, CINQUIÈME ORDRE DES MAMMIFÈRES. La Marte a gorge dorée. Cet ordre renferme tous les animaux carnivores qui marchent sur les doigts, c’est-à-dire qui ne s'appuient pas sur la plante entière des pieds comme les animaux précédents. On peut le diviser en cinq familles, qui sont celles des martes, des chiens, des civettes, des hyènes et des chats, toutes très- intéressantes et nombreuses en espèces. LES MARTES. Elles ont une seule dent tuberculeuse en arrière de la dent carnassière de la mâchoire supérieure : on leur compte detrente- deux à trente-huit dents; leur corps très-allongé et leurs pieds très-courts leur permettent de passer dans les plus petits trous. Elles manquent de cœcum, et ne tombent pas l’hiver en léthargie. 4er GENRE. Les MARTES (Mustela, Lix.) ont de chaque côté trois fausses molaires en haut, quatre en bas, et un petit tubercule intérieur à leur carnassière d'en bas: leur museau cst un peu allongé et leurs ongles pointus. Tous ces animaux exhalent une odeur désagréable plus ou moins forte et analogue au musc. La MARTE À GORGE DORÉE (Mustela flavigula, Bonn. Mustela Hardwickii, Horsr.) est noire, avec la gorge, le ventre, le dos jaunes et les joues blanches; elle a environ vingt-deux pouces (0,595) de longueur, non compris la queue, qui est presque d’é- gale dimension. Elle habite le Népaul. De tous les animaux carnassiers, les martes sont les plus cruels et les plus sanguinaires. Elles ne se nourrissent que de proies vivantes, et il faut qu’elles soient poussées par une faim extrême pour manger quelques baies sucrées, telles que les raisins et les fruits de la ronce. Celles qui vivent dans les bois sont constam- ment occupées à la chasse des oiseaux, des souris, des rats. Les plus petites espèces mêmes, telles que l'hermine et la belette, attaquent sans hésitation des animaux dix fois plus gros qu'elles, les lapins, les lièvres et les plus grands oiseaux. La ruse dans l'attaque, l'effronterie dans le danger, un courage furieux dans le combat, une cruauté inouïe dans la victoire, un goût désor- donné pour le carnage et le sang, sont des caractères qui ap- partiennent à toutes les espèces de cette famille, sans exception. Leur corps long, grêle, vermiforme, comme disent les natura- listes, leurs jambes courtes, leur souplesse et leur agilité, per- mettent à ces animaux de se glisser partout et de passer par les plus petits trous, pourvu que leur tête puisse y entrer. Aussi pacviennent-elles à pénétrer aisément dans les basses-cours, et leur apparition est toujours le signal de la mort pour tous les petits animaux domestiques qu'on y élève. Rien n’est épargné, et avant d’assouvir leur faim il faut qu'elles aient tué tout ce qui les entoure, tout ce qu’elles peuvent atteindre. Elles ont un art merveilleux pour s'approcher doucement de leur victime sans en être aperçues et sans la réveiller, pour s’élancer sur elle, la saisir et lui couper la gorge avant qu'elle ait eu le temps de pousser un cri qui eût donné l'alarme aux autres. Les martes sont tellement cruelles, qu’elles n’épargnent pas même les animaux de leur genre; les espèces les plus fortes font une guerre à mort à celles qui sont plus faibles. Et cependant les mâles ne mangent pas leurs petits, comme font la plupart des chats et même les lapins; ils en prennent, au contraire, le plus grand soin, et dès qu'ils peuvent marcher, ils partagent avec la femelle les soins de leur éducation. J'ai pu m'assurer de ce fait par mes propres yeux, dans l'espèce de la marte com- mune et celle de la fouine. Ces animaux sont d'un caractère sauvage et farouche ; ils se plaisent dans les bois les moins fréquentés, et ne s’approchent pas volontiers des habitations de l'homme, si l'on en excepte la fouine et la belette. On ne peut nier qu'ils aient de l'intelligence, si on en juge par les ruses qu'ils emploient pour surprendre leurs ennemis ; mais c’est purement une intelligence de meurtre et de cruauté, qui ne les empêche pas de donner dans tous les MARTES,. 137 piéges qu’on leur tend. Réduits en captivité, ils s'apprivoisent assez bien; cependant jamais assez pour avoir une véritable af- fection pour leur maitre, et ne pas s’effaroucher de la présence d'un étranger. Sans cesse agités par un mouvement de défiance et d'inquiétude, ils ne peuvent rester un moment en place, el s'ils cessent par intervalles de chercher à briser leurs chaines c'est pour dormir. La MAaRTE COMMUNE (Mustela martes, Lin. La Marte, Burr.) a environ un pied et demi (0,487) de longueur, non compris la queue, qui a un peu moins de dix pouces (0,271). Elle est d'un brun lustré, avec une tache d’un jaune clair sous la gorge; le dans les bruyères, le lièvre dans son gite, les écureuils dans leur nid ; et si ces espèces lui manquent, elle se jette sur les mulots, les loirs, les lérots, et même sur les lézards et les serpents. Elle cherche aussi les ruches des abeilles sauvages pour en manger le mie]. Comptant sur son agilité, elle s’effraye fort peu quand elle est chassée par des chiens courants, et se plait à se faire battre et rebattre, à les dépister, à les fatiguer, avant de monter sur un arbre pour échapper à leur poursuite. Encore, lorsqu'elle em- ploie ce dernier moyen, ne se donne-t-elle pas la peine de grim- per jusqu'au sommet Assise à la bifurcation de la première bran- Cabane et enclos des Hémiones, près de la grande rotonde. bout du museau, la dernière partie de la queue et les membres sont d’un brun plus foncé, et la partie postérieure du ventre d'un brun plus roussâtre que le reste du corps. Lorsque la France possédait encore de vastes forêts, la marte y était assez commune; mais aujourd'hui elle est devenue très- rare. J'en ai cependant tué plusieurs dans les montagnes qui sé- parent la Saône de la Loire, et j'observerai que l'une d'elles était suivie de six petits, quoique Buffon prétende que cet animal n’en fait que deux ou trois par portée. La marte fuit les habitations et les lieux découverts, elle ne se plaît qu'au plus profond des fo- rêts silencieuses; et là, grimpant sur les arbres avec beaucoup d’agilité, comme toutes les espèces de son genre, elle s'occupe uniquement à la chasse. Ce n’est pas un animal nocturne; mais, ainsi que tous les animaux sauvages qui habitent des contrées où l’homme peut les inquiéter, elle se cache pendant le jour, et ne sort guère qu'aux crépuscules du soir et du matin pour com- mettre ses déprédations. Elle détruit une grande quantité de menu gibier; elle cherche les nids d'oiseau, dont elle brise et mange les œufs; elle tâche de surprendre la perdrix couvant che, elle les regarde effrontément passer sans s'en inquiéter davantage. La marte ne se creuse pas de terrier et n'habite même pas ceux qu'elle trouve tout faits; mais, quand elle veut mettre bas, elle cherche un nid d’écureuil, en mange ou en chasse le pro- priétaire, en élargit l'ouverture , l’arrange à sa fantaisie et y fait ses petits sur un lit de mousse. Tant qu'elle les allaite, le mâle rôde dans les environs, mais n’en approche pas. Quand les petits sont assez forts pour sortir, elle les mène chaque jour à la pro- menade, et leur apprend à grimper, à chasser et à reconnaître la proie dont ils doivent se nourrir. C'est alors que le mâle se réunit à la femelle, apporte à ses enfants des oiseaux, des mu- lots et des œufs. Dès lors ils ne rentrent plus dans le nid, et couchent tous ensemble sur les arbres, ou dans les feuilles sè— ches sous un buisson touffu. Dans les forêts très-solitaires, la famille se hasarde quelquefois à sortir de sa retraite pendant le jour, mais en se glissant furtivement sous le feuillage ,‘et se don- nant bien de garde d’être aperçue par les oiseaux. Si un roitelet, un rouge- gorge, une mésange, ou toute autre espèce d'oiseau 138 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. grand ou petit, vient à apercevoir une Marte, il pousse aussitôt un cri particulier qui donne une alarme générale à un quart de lieue de rayon. Les pies, geais, merles, pinsons, fauveltes, en un mot presque toute la nalion ailée se réunit aussitôt en criail- lant, entoure l'animal, le poursuit, le harcèle, s'en approche en redoublant ses cris, et, à force de l'étourdir par des clamenrs, le cotitraint à une prompte retraite. Du reste, tous les animaux carnassiers, chouettes, ducs, chats, renards, loups, ne sont pas reeus d'une manière plus amicale par le peuple chantant des forèts ; tandis qu'il vit en très-bonne intelligence avec les ani- maux paisibles, comme daims, chevreuils, lièvres , etc. La four- rure de la marte commune a quelque valeur; mais il s’en faut de beaucoup qu'elle soit comparable à celle de la marte zibeline, dont nous aurons à nous occuper plus loin. Elle est moins rare dans le nord de l'Europe qu'en France, et plus commune en- core dans le Canada. La Fouine (Mustela foina, Las. La Fouine, Burr. —G. Cuv.) a beaucoup de ressemblance avec la marte, mais cependant elle s'en distingue au premier coup d'œil par le dessous du cou et la gorge, qui sont blancs et non pas jaunes. Sa taille est la même ; son pelage est brun, avec les jambes et la queue noirâtres. Elle exhale une forte odeur de muse. Cet animal habite toute l'Europe et l'Asie occidentale ; il est assez commun partout. « La fouine, dit Buffon, a la physiono- nie très-fine, l'œil vif, le saut léger, les membres souples, lé corps flexible, tous les mouvements très-prestes; elle saute et bondit plutôt qu'elle ne marche; elle grimpe aisément contre les murailles qui ne sont pas bien enduites, entre dans les co- lombiers, les poulaillers, etc., mange les œufs, les pigeons, les poules, etc., en tue quelquefois un grand nombre et les porte à ses petits; elle prend aussi les souris, les rats, les taupes, les oiseaux dans leur nid. Les fouines, dit-on, portent autant de temps que les chats. On trouve des petits depuis le printemps jusqu'en automne, ce qui doit faire présumer qu’elles produisent plus d’une fois par an; les plus jeuñhés ne font que trois ou qua- tre petits, les plus âgées en font jusqu'à sept. Elles s’établissent, pour meltre bas, dans un magasin à foin, dans un trou de mu- raille, où elles poussent de la paille et des herbes; quelquefois dans une fente de rocher ou dans un trou d'arbre, où elles por- tent de la mousse; et lorsqu'on les inquiète, elles déménagent et transportent ailleurs leurs pelits, qüi grandissent assez vite ; car celle que nous avons élevée avait, au bout d'ün an, presque atteint sa grandeur naturelle, et de là on peut inférer que ces animaux ne vivent que huit ou dix ans. Ils ont une odeur de faux muse qui n'est pas absolument désagréable. » La fouine se rencontre dans toutes les localités, dans les forêts, les bois, les vergers, les granges, les fermes, et même dans les magasins à fourrage des villes; il n’est pas rare d'en trouver jus- que dans les faubourgs de Paris. En cela seulement elle diffère de la marte. Dans les nuits d'été, aux approches de l'orage, on l'entend assez souvent crier en courant et jouant sur les toits et les vieux murs des habitations rurales. M. de Buffon, qui en a élevé une, dit qu’elle faisait la guerre aux chats, qu’elle se jetait sur les poules, ete. « Elle demandüit à manger comme le chat et le chien, et mangeait de tout ce qu'on lui donnait, à l'exception de la salade et des herbes; elle aimait beaucoup le miel, et pré- férait le chènevis à toutes les autres graines ; il a remarqué qu’elle buvait fréquemment, qu'elle dormait quelquefois deux jours de suite, et qu'elle était aussi quelquefois deux ou trois jours sans dormir; qu'avant le sommeil elle se mettait en rond, cachait sa tête et l'enveloppait de sa queue ; que tant qu'elle ne dormait pas, elle était dans un mouvement continuel si violent et si incom- mode, que quand même elle ne se serait pas jetée.sur les vo- lailles, on aurait été obligé de l'attacher pour l'empêcher de tout briser. » J'ai lé à même de vérifier une partie de ce que dit Buffon, Dans un village des bords de la Seine, à Saint-Albin, près de Mâcon, un ancien garde-chasse un peu fripon était si bien par— venu à apprivoiser une fouine, qu'il appelait Robin , que jamais il ne l’a tenue à l’attache; elle courait librement dans toute la maison, sans rien briser et avec toute l'adresse d’un chat. Elle était turbulente, il est vrai, mais elle prenait ses précautions pour ne rien renverser; elle répondait à la voix de son maitre, accourait quand il l'appelait, ne le caressait pas, mais semblait prendre plaisir à ses caresses. Elle vivait en très-bonne intelli- gence avec Bibi, petit chien noir anglais qui avait été élevé avec elle. Ceci est déjà fort singulier; mais voici qui l’est davan- tage: Robin et Bibi n'étaient pour leur maitre que des instru- ments de vol et des complices. Chaque matin le vieux garde sor- tait de chez lui portant à son bras un vaste panierà deux cou- vercles dans lequel était caché Robin; Bibi suivait par derrière, lui marchant presque sur les talons. Ce trio se rendait ainsi au— tour des fermes écartées, où on est dans l’usage de laisser la volaille errer assez loin de l'habitation. Dès que le vieux garde apercevait une poule à proximité d'une haie, dans un lieu où on ne pouvait le voir, il prenait Robin, lui montrait la poule, le po- sait à Lerre, el continuait son chemin. Robin se glissait dans la haie, se faisait petit, rampait comme un serpent, et s’approchait ainsi de l'oiseau; puis tout à coup il se lançait sur lui et l'étran- glait sans lui donner le temps de pousser un cri. Alors le vieux fripon de garde revenait sur ses pas; Bibi courait chercher la poule, et l’apportait suivi de Robin; l'oiseau était aussitôt mis dans le panier avec la fouine, qui avait sa petite loge séparée, et l'on se remetlait en marche pour chercher une nouvelle occasion de recommencer cette manœuvre. A la fin les fermiers des envi- rons s'apercurent de la diminution du nombre de leurs poules et de leurs chapoñs ; on se mit à gueller, et l’on ne tarda pas à saisir les voleurs Sür le fait. Le juge de paix, qui n'était nullement soucieux des progrès de l'histoire naturelle, fit donner un coup de fusil à la fouine, et crut faire grâce au vieux garde en ne le condämnant qu'à payer les püules qui, grâce à Bibi et à Robin, avaient passé par son pot-au-feu. La Zigeuin£ (Mustela zibellina, Lin. — Paz. La Marte zibeline, Burr. —G: Cuv. Le Sabbel des Suédois ; le Sobol des Polonais et des Russes) ressemble beaucoup à la marte commune ; elle s’en distingue cependant éh ce qu'elle à des poils jusque sous les doigts; son pelage est d'un brün lustré, noirâtre en hiver, plus pâle en été; elle a le dessous de la gorge grisâtre, le devant de la tête et les oreilles blanchâtres. Sa fourrure est l’objet d'un commerce considérable. Cet animal vit dans les régions les plus septentrionales de l'Europe et de l'Asie, et se trouve jusqu'au Kamtschatka; c'est aux chasseurs qui le poursuivent dans ces régions glacées que l’on doit la découverte de la Sibérie orientale. Sa fourrure est extrè- mement précieuse, el il s'en fait un commerce immense en Rus- sie. Les plus estimées viennent de Sibérie, surtout celles de Wi- tinski et de Nerskinsk. Les bords de la Witima, rivière qui sort d'un lac situé à l'est du Baïkal et va se jeter dans la Léna, sont célèbres par les zibelines qu'on y trouve; elles abondent égale- ment dans la partie glacée et inhabitable des monts Altaï, ainsi que dans les montagnes de Saïan, au delà du Jenisseï, dans les environs de l'Oby et le long des ruisseaux qui tombent dans la Touba. La fourrure d'hiver est noire, et c’est la plus précieuse. Celle d'été, plus ou moins brunâtre et mal fournie, a beaucoup moins de valeur; mais les marchands russes, par des prépara- tions particulières, savent la faire passer dans le commerce pour de la marte d'hiver, etles plus fins connaisseurs s'y laissent quel- quefois prendre. Carnassière comme tous les animaux de sa famille, la marte zibeline rôde sans cesse dans les buissons pour s'emparer des nids d'oiseau. Elle se plait particulièrement dans les halliers fourrés, sur les bords des lacs, des rivières et des ruisseaux , ’ MARTES. 139 2 2022 ————————_— dans les bois et Surtout dans ceux qui offrent quelques arbres élevés, sur lesquels elle grimpe avec beaucoup d’agilité. Quel- quefois elle s'établit dans un terrier qu'elle se creuse en terrain sec, sur une pente rapide, et dont l'entrée se trouve toujours masquée par des ronces et d'épais buissons. Quelquefois aussi elle se loge dans les trous d'arbre, où elle s'empare du nid d’une chouette ou d'un petit-gris. Aussi cruelle, aussi rusée que la fouine , elle est beaucoup plus farouche, et jamais ne s'approche, comme cette dernière, des lieux habités. Son courage n’est nul- lement comparable à son peu de force; quel que soit l'ennemi qui l'attaque, elle se défend avec fureur jusqu'à son dernier mo- ment , et parvient quelquefois à échapper à la dent meurtrière du chien le mieux dressé à la chasse. Son corsage délié lui permet de se glisser dans les plus petits trous; sa force musculaire et ses ongles pointus lui donnent une extrème facilité à grimper, à s'é- lancer de branche en branche pour poursuivre, jusqu'au som- met des plus minces rameaux, les oiseaux, les écureuils et autres petits animaux, auxquels elle fait une guerre d’extermination. Quelquefois elle suit le bord des ruisseaux pour s'emparer, faute de mieux, des reptiles aquatiques et même des poissons, si on en croit quelques voyageurs et Buffon ; mais ce fait me paraît très- contestable. Elle mange des insectes quand elle manque de gi- bier, et quelquefois elle se contente de quelques baies sucrées , telles que celles de l’airelle, etc. Sur quatre-vingt mille exilés, plus ou moins, qui peuplent habituellement la Sibérie, environ quinze mille sont employés à la chasse de l'hermine et de la zibeline. Ils se réunissent en pe- lites troupes de quinze ou vingt, rarement plus ou moins, afin de pouvoir se prèler un mutuel secours, sans cependant se nuire en chassant. Sur deux ou trois traineaux attelés de chiens, ils emportent leurs provisions de Yoyage, consislant en poudre, plomb, eau-de-vie, fourrures potf 86 ébutrir, quelques vivres d'assez mauvaise qualité, et une bonne quantité de piéges. Aussitôt que les gelées ont suffisamment durfci la surface de la neigé, ces petites caravanes se mettent eh roule et s’enfoncent dans le dé- sert, chacune d'un côté différent. Qüand le ciel de la nuit n'est pas voilé par des brouillards, elles dirigent leur voyage a moyen de quelque constellation ; pendätit le jour élles consultent le soleil ou une pelite boussole de poche. Quelques chasseurs se servent, pour marcher, de patins en bois à la mañière de ceux des Sa- moïèdes; d’autres n'ont pour Chaussure que de gros soüliers ferrés et des guêtres de cuir où de feutre. Chaque traineau a ordinaireinènt un attelage de huit Chiens; mais pendant que quatre le tirent, les quatre autres se reposent, soit en suivant leurs maitres, soit en se couchant à une place qui leur est réservée sur le traineau même. Ils se relayent de deux heures en deux heures. Pendant les premiers jours on fait de grandes marches, afin de gagner le plus tôt possible l'endroit où l’on doit chasser, et cet endroit est quelquefois à deux ou trois cents lieues de distance du point d’où l’on est parti. Mais plus on avance dans le désert, plus les obstacles se multiplient. Tantôt c’est un torrent non encore glacé qu'il faut traverser; alors on est obligé d'entrer dans l'eau jusqu'à l'estomac et de porter les traineaux sur l’autre bord, en se frayant un passage à travers les glacons charriés par les eaux. Une autre fois, c'est un bois à tra- verser en se faisant jour à coups de hache dans les broussailles ; puis un pic de glace à monter, et alors les chasseurs, après s'être attaché des crampons aux pieds, s’altellent avec leurs chiens pour faire grimper les traineaux à force de bras; Là, un hiver de neuf mois couvre la terre d’épais frimas; ja- mais le sol ne dégèle à plus de trois ou quatre pieds de profon- deur, et la nature, éternellement morte, jelte dans l'âme l'épou- vante et la désolation; à peine si une végétation Janguissante couvre les plaines de quelque verdure pendant le court intervalle de l'été; et des bruyères stériles, de maigres bouleaux, quelques arbres résineux rachitiques, font l'ornement le plus pittoresque de ces climats glacés. Là, tous les êtres vivants ont subi la triste influence du désert : les rares habitants qui traînent dans les neiges leur existence engourdie sont presque des sauvages dif- formes et abrutis; les animaux y sont farouches et féroces, et tous, si j'en excepte le renne, ne sont utiles à l'homme que par leur fourrure : tels sont les ours blanes, les loups gris, les re- nards bleus, les blanches hermines et la marte zibeline: Venons à nos chasseurs. L'hiver augmente d'intensité; les longues nuits deviennent plus sombres parce que l'air est surchargé d'une fine poussière de glace qui l'obseurcit :; vers le nord, le ciel se colore d'une lu- mière rouge et ensanglantée, annoncant les aurores boréales. Les gloutons, les ours, les loups et autres animaux féroces, ne rouvant plus sur la terre couverte de neige leur nourriture accoutumée, errent dans les ténèbres, s'approchent audacieuse- ment de la petite caravane, et font retentir les roches de glace de leurs sinistres hurlements. Chaque seir, lorsqu'on arrive au pied d'une montagne qui peut servir d'abri contre le vent du nord , il faut camper. On se fait une sorte de rempart avec les traineaux ; on tend au-dessus une toile soutenue par quelques perches de sapin coupées dans un bois voisin. On place au mi- lieu de cette facon de tente un fagot de broussailles auquel on met le feu. Chacun étend une peau d'ours sur la glace, se couche dessus, et se couvre de son manteau fourré, et altend le lende- main pour se remettre en route. Pendant que les chasseurs dorment, l'un d'eux fait sentinelle, ét souvent son cüup de fusil annonce l'approche d'un ours féroce où d'une troupe de loups affamés. IL faut se lever à la hâte, et quelquefois soûténir une affreuse lutte avec ces terribles animaux. Mais il arrive aussi que la nuit n’est troublée par aucun bruit, si ce n'est le sifflement du vent du nord qui glisse sur la neige, et par une sorte de petit bruissement particulier sur la toile de Ja tente. Les chasseurs oùt dormi profondément, et il est grand jour quand ils sé réveillent; ils appellent la sentinelle, mais pérsonne ne répond; lédr cœur $e serre; ils se hâtent de sortir, cat il$ savent ce que signifie ce Silence. Leur camarade est là, asSis Sür un tronc de sapin renversé; il a bien fait son devoir de surveillant, car son fusil est sur ses genoux, son doigt sur la gà- chelte, et ses yeux sont tournés vers la montagne où, la nuit, lës hurlements des loups se sont fait entendre; mais ce n'est plus üti homme qui est en sentinelle, c’est un bloc de glace. Ses com- pägnons, après avoir versé une larme sur sa destinée, le lais- sent là, dssis datis ÎE désert, et se réservent de lui donner la sépulture six mois plus tard, en repassant, lorsqu'un froid moins intense permettra d'ouvrir un trou dans la glace. Ils le retrou- veront à la même place, dans la même attitude et dans le même état, si un ours n'a pas essayé d'entamer avec ses dents des chairs blanches et roses comme de la cire colorée, mais dures comme le granit. Enfin, après mille fatigues et mille dangers épouvantables , la petite caravane arrive dans une contrée coupée de collines et de ruisseaux, Les chasseurs les plus expérimentés tracent le plan d'une misérable cabane construite avec des perches et de vieux trones de bouleau à moitié pourris. Ils la couvrent d'herbe sèche et de mousse, et laissent au haut du toit un trou pour donner passage à la fumée. Un autre trou, par lequel on ne peut se glisser qu'en rampant, sert de porte, ct il n'y a pas d'autre ou verlure pour introduire l'air et la lumière. C'est là que quinze malheureux passent les cinq ou six mois les plus rudes de l'hiver ; c’est là qu'ils braveront l’inclémence d'une lempérature descen- dant presque chaque jour à vingt-deux ou vingt-cinq degrés du thermomètre de Réaumur. Lorsque les travaux de la cabane sont terminés, lorsque le chaudron est placé au milieu de l'habitation sur le foyer pour faire fondre la glace qui doit leur fournir de l'eau, lorsque la mousse et les lichens sont disposés pour faire les lits, alors les chasseurs partent ensemble pour aller visiter leur 140 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. Es nouveau domaine, et pour diviser le pays en autant de cantons de chasse qu'il y a d'hommes. Quand les limites en sont définiti- vement tracées, on tire ces cantons au sort, et chacun a le sien en toute propriété pendant la saison de la chasse, et aucun d’eux ne se permettrait d'empiéter sur celui de ses voisins. Ils passent toute la journée à tendre des piéges partout où ils voient sur la neige des impressions de pieds annonçant le passage ordinaire des martes , hermines et renards bleus; ils poursuivent aussi ces animaux dans les bois, à coups de fusil : ce qui exige une grande adresse; car, pour ne pas gâter la peau, ils sont obligés de tirer à balle franche. Le soir tous se rendent à la cabane, et la pre- Cabane et enclos mière chose qu'ils font est de se regarder mutuellement le bout du nez: si l’un d’eux l’a blane comme de la cire vierge et un peu transparent, c’est qu'il l’a gelé, ce dont il ne s'aperçoit pas lui- même. Alors on ne laisse pas le chasseur s'approcher du feu, et on lui applique sur le nez une compresse de neige que l’on re- nouvelle à mesure qu’elle se fond , jusqu’à ce que la partie ma- lade ait repris sa couleur naturelle. Ils traitent de même les mains et les pieds gelés ; mais, malgré ces soins , il est rare que la petite caravane se remette en route au printemps sans ramener avec elle quelques estropiés. Dans les hivers extrêmement rigou- reux, il est arrivé maintes fois que des caravanes entières de chasseurs sont restées gelées dans leurs huttes, ou ont été en- glouties dans les neiges. Les douleurs morales des exilés, venant ajouter aux rigueurs de cet affreux climat, ont aussi poussé très- souvent les chasseurs au découragement ; et, dans ces solitudes épouvantables, il n'y a qu’un pas du découragement à la mort Qu'un exilé harassé s’asseye un quart d'heure au pied d’un arbre, qu'il se laisse aller aux pleurs , puis au sommeil , il est certain qu'il ne se réveillera plus. Le Wesack où MarTE PÊCHEUSE (Mustela piscatoria, Less. Mus- tela melanorhyncha, Boon. Mustela Pennanti, Erx.) n’est peut-être qu'une variété de la précédente, mais appartenant à l'Amérique septentrionale. Elle est noire, avec la face et les côtés du cou d'un cendré mêlé de noir; ses oreilles sont arrondies, larges, bordées de noir ; elle a des moustaches longues et soyeuses ; sa queue est très-touffue , et ses larges pieds sont velus. Elle a les mêmes mœurs que la zibeline. Elle habite la Pensylvanie et les bords du grand lac des Esclaves. des Cerfs d'Europe Le PEkan (Mustela canadensis. Lin. Le Pekan, Burr.) est un peu plus grand que les espèces précédentes. Ses pattes, sa queue, le dessous de son corps et son museau sont d'un brun marron très- foncé ; ses oreilles sont blanchâtres ; le reste du corps est d'un brun gris varié de noirâtre, très-changeant, et passant quelque- fois au noir ; quelquefois une tache se dessine sur sa gorge. Cetle espèce vit sur le bord des lacs et des rivières, dans des terriers qu'elle sait se creuser. Elle habite le Canada et le nord des États- Unis. La Marre pes Hurows (Mustela huro, Fr. Cuv.) est ordinairement d’un blond clair , avec les pattes et l'extrémité de la queue plus foncées et quelquefois brunes. Cette espèce varie beaucoup pour les couleurs, car on en voit au Muséum dont les parties inférieures du corps sont plus foncées que les supérieures, et d’autres où les couleurs sont dans une disposition inverse; la tête est quelquefois blanchâtre ou même entièrement blanche. Elle habite l'Amérique septentrionale. MARTES. 141 ———— La MarTE Grise ( Mustela poliocephala, Less. Viverra polioce- phala, Traiur.). Cette espèce est plus haute sur jambes que les autres ; elle est noire sur le corps, grise sur la tête et sur le cou , et porte sur la gorge une tache jaune entourée d'un bord noir de jais ; ses poils sont fort longs sur la nuque, et lui forment une sorte de collerette, On la trouve dans les forêts de Demerary à la Guyane. La Zorra (Mustela sinuensis, Huws.) a le corps moins vermiforme que les autres martes ; elle est d’un gris noirâtre uniforme, avec l'intérieur des oreilles et le ventre blancs. Elle habite la Nouvelle- Grenade, et chasse aux petits oiseaux. Le Cusa ( Mustela cuja, Mouixa) est de la taille du furet; son pelage est très-doux, épais, entièrement noir, sa queue est aussi longue que son corps, touffue ; son museau se termine en sorte de groin. Il habite le Chili, et se nourrit d'oiseaux et de petits mammifères. tres. En Lorraine, on en trouve quelquefois une variété blanchà- tre ou jaunâtre. Le putois ou puant habite les climats tempérés de l'Europe, et il est assez commun partout. Son nom vient de l'odeur infecte qu'il exhale, surtout lorsqu'on l'irrite; cette odeur devient alors tellement forte, qu'elle dégoûte et écarte les chiens. Ses mœurs ont beaucoup d’analogie avec celles de la fouine; aussi nos cul- tivateurs les confondent-ils souvent, au moins dans leurs méfaits. IL habite la campagne dans la belle saison; mais aussitôt que les premiers froids se font sentir, et que les bois commencent à se dépouiller de leurs feuilles, il se rapproche des habitations et se loge dans les vieux bâtiments, les granges et les greniers à foin. Il dort pendant le jour, et ne sort de sa retraite que la nuit pour aller à la chasse des souris, des mulots, des insectes et de tous les petits animaux qu'il ose attaquer impunément. Il a toute la cruauté, toute l'audace des martes ; mais il est plus rusé, plus Le Quiqui (Mustela quiqui, Mouina) se rapproche de la belette ; sa couleur est brune, sa tête aplatie; son museau en forme de groin, avec une tache blanche au milieu du nez; ses oreilles sont courtes et rondes. Elle se trouve au Chili, habite des terriers, et se nourrit de petits animaux. Du reste, il me paraît fort douteux que cette espèce et la précédente appartiennent au genre des martes. Quand on les connaîtra mieux, il faudra certainement les reporter ailleurs, ou, probablement, leur créer un genre nou- veau. 2e Genre. Les PUTOIS (Putorius, Cuv.) ressemblent beaucoup aux martes, mais ils n’ont que quatre fausses molaires à la mà- choire supérieure, six à l’inférieure, et point de tubercule inté- rieur à la carnassière inférieure. Leur tête est un peu moins allongée que dans le genre précédent, et tous exhalent une odeur désagréable. Le Purois commux (Putorius vulgaris. — Mustela putorius, Lix. Le Putois, Burr. Le Putois commun, G. Cux.). Il a un peu plus d’un pied (0,325) de longueur , non compris la queue, qui a en- viron six pouces (0,162). Il est d’un brun noirâtre, assez foncé sur les membres, mais plus clair et prenant une teinte plus fauve sur les flancs ; il a le bout du museau, les oreilles et une tache derrière l'œil blancs; ses poils intérieurs laineux sont blanchà- défiant, et donne moins souvent dans les piéges qui lui sont tendus. «Il se glisse dans les basses-cours, dit Buffon, monte aux volières, aux colombiers, où, sans faire autant de bruit que la fouine , il fait plus de dégâts. Il coupe ou écrase la tête à toutes les volailles, et ensuite il les emporte une à une et en fait un magasin. Si, comme il arrive souvent, il ne peut les emporter entières, parce que le trou par où il est entré se trouve trop étroit, il leur mange la cervelle et emporte les têtes. Il est aussi fort avide de miel; il attaque les ruches en hiver, et force les abeilles à les abandonner. Il ne s'éloigne guère des lieux habités. Il entre en amour au printemps. Les mâles se battent sur les toits, et se disputent la femelle; ensuite ils l'abandonnent et vont passer l'été à la campagne ou dans les bois. La femelle, au contraire, reste dans son grenier jusqu’à ce qu’elle ait mis bas, et n'emmène ses petits que vers le milieu ou la fin de l'été. Elle en fait trois ou quatre et quelquefois cinq, ne les allaite pas longtemps, et les accoutume de bonne heure à sucer du sang et des œufs. » Pendant qu'il habite la campagne, le putois fixe son domicile dans un creux de rocher ou un tronc d'arbre, s'il n'y a pas de trou de lapin dans les environs. Mais s’il rencontre une garenne, il choisit un terrier qui lui convient, en chasse ou en tue les ha- bitants, et s'y établit commodément. Dans ces heureuses circon— stances , il trouve chaque jour la facilité de satisfaire son goût F LES CARNASSIERS pour le carnage et sa soif de sang , car, grâce à sa taille fluette, il se glisse aisément dans les terriers et massacre tout ce qu'il y trouve; aussi, suffit-il d'une seule famille de putois pour dépeu- pler dans une seule saison la plus riche garenne. S'il n’y a pas de lapins dans les environs, il bat la campagne toute la nuit, cherche les nids de perdrix}, d’alouelte , de caille, ete. , et man- que rarement de surprendre la mère sur ses œufs. Il en résulte que les chasseurs , dont il détruit les espérances, lui font une guerre d'extermination. Quoique très-sauvage, le putois ne man- que pas d'intelligence ; ce qui ferait croire qu'on viendrait facile- ment à bout de l'apprivoiser et de s'en servir à la chasse du lapin, si l’on n’avait pas le furet. Le Niuse ou Furet (Putorius furo. — Mustela furo, Lix. Le Fu- ret, Bure. Probablement l'/ctis d'Arisrote) n’est qu'une variété du putois, dont il ne diffère que par son pelage d'un blanc jau- nâtre et ses yeux roses , et, dans ce cas, je le crois un albinos dont on aura perpétué la race et la maladie par la domesticité. Ceci me paraît d'autant plus vrai, qu’on en élève souvent dont le pelage est mêlé de blane, de fauve et de noir, ainsi que celui du putois ; ceux-là n’ont pas les yeux noirs. Quoi qu'il en soit, le furet, qui n'existe chez nous qu'à l’état de domesticité, nous a été apporté d'Espagne, et les Espagnols l'ont eux-mêmes tiré de la Barbarie, dès la plus haute antiquité, si l'on s'en rapporte à Strabon. Cet animal craint le froid de nos climats, et, lorsqu'il a reconquis sa liberté, ce qui arrive assez souyent, il périt pendant l'hiver. Il faut bien qu'il en soit ainsi, puisqu'on n'a jamais revu dans l’état sauvage aucun des nombreux individus qui s’échappent des mains des chasseurs, I n'en est pas de même en Espagne, où il s’est parfaitement naluralisé, eb où ses mœurs ne diffèrent en rien de celles du putois. Il apporte en naissant une telle haine pour les lapins , « qu'aussilôt qu'on en présente un, même mort, à un jeune furet qui n'en à jamais vu, il se jette dessus et le mord avec fureur, dit Buffon. S'il est viyank, il le prend par le cou, par le nez, et lui suce le sang. » Les chasseurs ont profité avec empressement de cette antipathie pour dresser le furet à la chasse, autant que le caractère sauvage el indisci- plinable de cet animal le permettait ; ils sont parvenus à en faire non un domestique, mais un esclave toujours en révolte, et qu'on ne peut conduire qu'à la chaine. On élève les furets dans des ton- neaux ou des cages, on leur donne de la filasse dans laquelle ils aiment à s’enfoncer pour dormir, et on les nourrit avec du lait, du pain, du sen, etc.; mais on s'abstient de leur donner de la chair, afin de leur faire oublier, autant que possible, ce goût pour le sang qui les fait rester le plus souvent dans les terriers. Ils dorment continuellement, et ne se réveillent guère que pour manger; ce qu ils font avec voracité. La femelle est sensiblement plus petite que le mâle, elle le recherche avec ardeur dans le temps des amours, et il serait dangereux de les séparer à cette époque, parce que le plus ordinairement elle mourrait de cha- grin. Elle porte six semaines, et fait des petits deux fois par an. Il arrive fréquemment à cette bonne mère de manger ses enfants, non par gourmandise, mais simplement pour avoir le plaisir de faire de nouvelles avances à son mâle; dans ce cas, elle fait trois portées au lieu de deux. Chaque portée est ordinairement de cinq ou six pelits, rarement de huit ou neuf. Ces animaux exhalent, sur- tout quand ils sont en colère , une odeur fétide, tout à fait ana- logue à celle du putois. Lorsqu'on se sert du furet pour la chasse aux lapins, on a soin de le museler avant de le présenter à l'entrée du terrier ; car sans cela il les tuerait, leur mangerait la cervelle, se gorgerait de sang, puis il s'endormirait sur ses victimes, et rien ne serait ca- pable de le réveiller, ou au moins de le déterminer à sortir du trou. Quand il est muselé, il les attaque seulement avec les on- gles; les pauvres lapins épouvantés se hâtent de sortir pour échapper à leur eruel ennemi, et, dans leur frayeur, ils vont donner tête baissée dans la bourse de filet que le chasseur a ten- DIGITIGRADES. due à l'entrée du terrier. Quelquefois, malgré sa muselière, le furet vient à bout de tuer les jeunes lapins avec ses ongles, de leur ouvrir les veines et de sucer leur sang, pour s'endormir en- suite; dans ce cas, on parvient assez souyent à le réveiller et à le faire sortir en tirant un ou deux coups de fusil, à l'entrée du trou, ou en le fumant comme un renard. Mais on risque de l'ir- riter, et alors il s'enfonce davantage dans les différents canaux du terrier, et il est perdu pour le chasseur. On voit que le furet n’est réellement jamais bien apprivoisé et que’, dans sa préten- due éducation, tout se borne à tirer parti de l'instinct que lui a donné la nature. Il ne reconnait pas son maitre, n'obéit à la voix de personne, et ne manque guère l'occasion de mordre la main qui le nourrit, Le Purois p’Eversuanx (Putorius Eversmannii. — Mustela Eversmannii, Less.) ne me parait encore qu'une variété du pu- tois commun. Son pelage est d'un jaune clair, à pointe de poil brune seulement sur les lombes; la poitrine et les pieds sont bruns ; la queue est partout d'une égale teinte. 1] a été trouvé par M. Eversmann entre Orembourg et Rukkara. Le Cnorock (Putorius sibiricus. — Mustela sibirica, PauL.) est à peu près de la taille du furet, dont il a les formes générales; mais son pelage est à poils plus longs, d’un fauve doré en des- sus, et d'un jaune fauve pâle en dessous; le tour du mufle est blane, et la partie du museau comprise entre les yeux et celle partie blanche est brune. Quelques individus ont le dessous de la mâchoire inférieure blanc, d'autres de la couleur du corps, mais un peu plus clair. Le chorock habite les forêts de la Sibérie, et, ainsi que le putois, dont il a les mœurs, il se rapproche des ha- bitations pendant l'hiver et dévaste les basses-cours. Le Purors pes ALees (Pulorius alpinus. — Mustela alpina, Gescer) est plus petit, plus allongé que le putois commun, au- quel il ressemble; il est jaunâtre ou brunâtre en dessus, d'un jaune pâle en dessous, avec le menton blanc, ainsi qu'une partie de Ja bouche, I se loge dans les trous de rocher, ou dans des terriers dont il s'empare, et se nourrit d'oiseaux el de petits mammifères, | Le Vison (Putorius vison. — Mustela vison, Lix. Le Vison, Burt. — G. Cuv.), que l'on a souvent placé mal à propos avec les martes, est d’un brun plus ou moins foncé, tirant plus ou moins sur le fauve, avec une tache blanche à l'extrémité de la mâchoire infé- rieure; sa queue est noirâtre. Il n’a pas les pieds palmés, comme l'ont dit les naturalistes. Cette espèce vit dans des terriers qu'elle se creuse au bord des eaux dans le Canada et dans tout le nord de l'Amérique. Sa fourrure brillante est fort estimée. Le Mixx pes Américaixs (Putorius lutreocephalus. — Mustela lutreocephala, Hanrax. La Marte à téte de loutre de quelques na- turalistes) ne doit être confondu, ni avee le Vison, ni avec la Mus- tela lutreola de Pallas ou tuheuri. Il est d'un blanc jaunâtre, plus elair en dessous, avec la queue d'un brun ferrugineux, ce qui le distingue du vison; sa taille est double de celle du tuheuri, eLil ressemble à la loutre par la forme de sa têle et de ses oreilles ; ses doigts sont à demi palmés. Il habite le Maryland. Le Purois marron (Putorius rufus. — Mustela rufa, Des.) est encore une espèce douteuse qui peut appartenir au vison où au tuheuri. Il a un pied sept pouces (0,514) de longueur totale. Son pelage est d’un roux marron, plus foncé en dessous qu'en des- sus, et composé de poils annelés de brun marron et de jaunâtre ; sa queue est brune à sa pointe, ainsi que ses quatre extrémités. IL habile l'Amérique. Ce n'est peut-être qu'une variété du pré- cédent. Le Tunourt, ou Morxex, ou Noers (Putorius lutreolus, — Mustela lutreola, Pair. Lutra minor, Enxr. Le Mink des naturalistes. Le Tuhcuri des Finlandais. Le Macnck des Russes, et le Nœrs ou Norek des Prussiens) est un peu plus petit que le vison ; son pe- lage est d'un brun noirâtre, avec le dernier tiers de la queue tout à fait noir; la lèvre supérieure, le menton et le dessous du MARTES. li qq cou sont blancs: il a les pieds à demi palmés. Cet animal habite le nord de l'Europe, et surtout la Finlande. Il se tient sur le bord des eaux, et se nourrit de grenouilles, d'écrevisses et de poissons, qu'il poursuit dans les ondes. Ses habitudes tiennent à la fois de celles des putois et de celles des loutres. Il n’exhale qu'une légère odeur de muse, peu désagréable, d'où il résulte que sa fourrure, d'ailleurs fort belle, est plus recherchée que celle de la plupart des autres animaux de son genre. Le Furgr DE Java (Pulorius nudipes. — Mustela nudipes, Fa. Cuy.) est un peu plus petit que le putois commun ; son pelage est d'un beau roux doré très-brillant; la tête et l'extrémité de la queue sont blanches où d'un blanc jaunâtre; le dessous de ses pieds est entièrement nu. Il a été trouvé à Java, et l'on pense que ses mœurs sont les mêmes que celles de notre pulois commun. Le Pérouasea où Purois pe Porocxe (Putorius sarmalticus. — Mustela sarmatica, Paz ) est un peu plus petit que notre furet, et a le poil très-court, d'un beau fauve clair, parsemé de nom- breuses taches brunes en dessus: le dessous, les membres et le bout de la queue sont d’un brun foncé; l'oreille, le bout du mu- seau et le dessous de la mâchoire inférieure sont blancs; il a sur le front une bande blanche en fer à cheval, naissant sous les oreilles et passant sur les yeux. Du reste, son pelage varie. Le pérouasea est un animal vorace, cruel, ayant toutes les habitudes de notre putois. Il fait une guerre acharnée et continuelle aux mulots, souris, loirs et autres petits mammifères rongeurs. Quand il est irrité, il exhale de même une odeur très-fétide. La Becerre (Putorius mustela. — Mustela vulgaris, Lix.) a six pouces (0,162) de longueur, non compris la queue, qui a enyiron deux pouces (0,054). Son corps est extrêmement effilé, d’un brun roux en dessus, blanc en dessous; l'extrémité de sa queue n'est jamais noire, ce qui sert à la distinguer de lhermine. La belette et l'hermine se trouvent dans les mêmes parties de l'Europe, mais avec celte différence que la première est très- comnfune dans les pays tempérés, tandis que l'autre y est fort rare, et que l'hermine, très-commune dans les contrées froides, est très-rare dans les pays tempérés. La belelte ne s'écarle guère des habitations, si ce n’est pendant la belle saison ; alors elle part pour la campagne, suit le bord des ruisseaux el des pelites ri- vières, se plait dans les haies des prairies sèches et des peliles vallées, se loge dans un trou de rocher ou dans un tas de pierres, plus souvent dans un terrier creusé par les taupes ou les mulots, quelquefois dans un tronc d'arbre, on même dans la carcasse d'un animal mort et à demi putréfié, comme l’a observé Buffon. Son œil vif et sa marche dégagée lui donnent un air d’effronterie remarquable quand , se croyant hors de danger sur les branches d'un arbre, elle regarde le chasseur. Elle est d’une agjilité sur- prenante, et ses mouvements sont si aisés, si gracieux, qu'on croirait que les sauts Les plus prodigieux ne lui coûtent aucun effort. Sa vivacité ne lui permet pas de marcher, elle bondit; si elle grimpe à un arbre, d'un premier élan elle parvient à cinq ou six pieds de hauteur, et elle s’élance ensuile de branche en branche avec la même agilité qu'un écureuil. Dans la campagne, elle fait la chasse aux laupes, aux mulots, aux oiseaux, aux rats d'eau , aux lézards et aux serpents. On à raconté à ce sujet que lorsqu’en se battant contre une vipère elle en était mordue, elle allait aussitôt se rouler sur une certaine herbe, en mâchait quel- ques feuilles, et revenait guérie au combat. Aujourd'hui, ces erreurs n’ont pas besoin de réfutation. Le courage de ce petit animal est extraordinaire; il combat le surmulot deux fois plus gros que lui, l’enlace de son corps flexible, l'étreint de ses griffes et finit par le tuer. Elle ose même attaquer un lièvre de sept à huit livres, et j'ai été témoin de ce fait. Dans une plaine décou- verle, je vis un jour un lièvre s’élancer de son gîte, courir de toute sa force, en décrivant de grands cercles ou plutôt des spi- rales se rétrécissant peu à peu. Cette manœuvre, que je ne pou- vais m'expliquer, car je n’en soupçonnais pas la cause, dura sept à huit minutes, et enfin le lièvre tomba se roulant sur la terre et criant comme lorsqu'il est pris par des chiens, Je m'approchai à la hâte, et quand j'en fus à quelques pas, il était expirant. Une belette s'était cramponnée sur son cou et Jui faisait tranquille- ment un trou dans le crâne, pendant que le malheureux animal faisait des efforts inimaginables pour s'en délivrer. J'ai entendu dire qu'une belette, cramponnée au cou d'un faisan, d'un tétras ou autre oiseau vigoureux, se laisse plutôt emporter par lui dans les airs que de lâcher prise, et je le crois depuis que j'ai vu ce que je viens de raconter. Buffon dit que la belette ne chasse que la nuit, et en ceci il se trompe : il n’est pas de chasseurs qui n’en aient rencontré fré- quemment le jour, el moi-même j'ai pu observer maintes fois, et en plein soleil, son adresse à surprendre les petits oiseaux qui se posent sur Ja haie où elle se met en embuscade. Si un moineau l'apercoit, il appelle aussitôt ses compagnons qui l'entourent et la harcèlent de leurs cris; mais, loin de s’en laisser étourdir et de fuir comme la marte ou la fouine, elle profite de la circon- stance pour saisir et emporter le plus hardi ou le plus imprudent. C'est au printemps qu'elle met bas, dans un nid qu'elle s'est préparé à l'avance avec de la paille, du foin, des feuilles sèches et de la mousse, dans un trou de saule ou un terrier. Elle fait ordinairement de Lrois à cinq petits qui grandissent fort vile, et qui ne tardent guère à suivre leur mère à la chasse. Lorsque vient la mauvaise saison, toute la famille gagne la plus prochaine habitation et va se loger dans un grenier à fourrage ou une grange. C'est alors qu'elle est dangereuse pour les cultivateurs, car sa taille lui permet de se glisser dans les plus petits trous, et si elle peut pénétrer dans un colombier ou un poulailler, elle y fait les mêmes dégâts que la fouine et le putois. Cependant, elle altaque rarement les cogs et les vieilles poules, non pas, comme l'ont dit quelques naturalistes, qu'elle puisse être repoussée par eux à coups de bec, mais bien parce qu'elle donne la préférence aux jeunes volailles et particulièrement aux poussins. Si le hasard la fait tomber sur une couvée de ces derniers, elle les tue tous et les emporte les uns après les autres. Comme tous les animaux de son genre, c’est toujours par la tête qu'elle altaque ses vic- times; elle leur perce le crâne un peu au-dessus du cou, et leur suce la cervelle par cette ouverture fort petite. Le plus souvent elle abandonne lé cadayre sans y toucher autrement. M. de Buffon dit que la beletle ne s'apprivoise jamais, et qu'il faut constamment la tenir en cage si on veut la garder en capti- vité. Pourtant, il est certain qu'elle s'apprivoise mieux qu'aucun aulre animal de sa famille, pourvu qu'elle soit prise fort jeune et trailée avec beaucoup de douceur. J'en ai vu une qui venait à la voix de son maître chercher sa nourriture dans la main. On la tenait dans une boîle d'eau de Cologne où l'on avait placé des étoupes. Elle aimait beaucoup à s'y enfoncer pour dormir une grande partie de son temps. Elle s'occupait le reste du jour à fureter dans tous les coins de l'appartement, à courir après les mouches et les araignées, faute de rats et de souris; mais elle ne tentait pas de s'échapper, quoique la porte fût souvent ouverte. L'approche des étrangers l’effrayait, et aussitôt elle se sauvait dans sa boîte et se cachait dans ses éloupes. On la nourrissait de pain trempé dans du lait, et de viande. L'odeur qu'elle exhalait n'était pas assez forte pour se faire sentir dans l'appartement. On trouve en France une variété de belette entièrement jau- nâtre, et une autre, plus rare, parfaitement blanche, surtout en hiver. On les distingue de l’hermine et de l'herminette en ce qu'elles n’ont jamais de noir au bout de la queue. L'HeraNerrE où BELETTE pes NEIGES (Putorius nivalis. — Mus- tela nivalis, Lis. Mustela vulgaris, var. GueL. Mustela herminea , var. Bonn.) a été regardée par les uns comme variété de l'her- mine, par les autres comme variété de la beïette. Quant à moi, je penche vers la première opinion, par la raison qu’elle a con- stamment du noir à l'extrémité de la queue. Du reste, elle est en- 144 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. ZE] ——]———]_]_ ———— _———]…—]—_ ——]—] tièrement blanche sur toutes les autres parties. Elle habite le nord de l’Europe, et se trouve quelquefois en France. L'HERMINE (Putorius hermellanus. — Mustela herminea, Li. Mustela alba, Gesx. L'Hermine ou le Roselet, Burr.), en pelage d'été, porte le nom de roselet : alors elle est généralement d’un brun marron plus ou moins pâle en dessus, et d’un blanc quel- quefois un peu jaunâtre en dessous, avec la mâchoire inférieure blanche; sa queue est brune, avec l'extrémité noire en tous temps. En hiver, on la nomme hermine ; et elle est entièrement blanche, si ce n’est le bout de la queue qui reste noir. L'hermine atteint ordinairement une taille un peu plus grande que la belette, à laquelle, du reste, elle ressemble beaucoup. Elle a jusqu'à neuf pouces six lignes (0,258) du bout du museau à l’origine de la queue, et celle-ci a un peu plus de trois pouces et demi (0,095). Cet animal ne se trouve pas dans les pays chauds, et il est d'autant plus rare dans ceux qui sont tempérés que leur zone se rapproche plus du midi. Cependant il est assez commun en France, dans les grandes forêts, surtout en Normandie et en cieuses, surtout quand elle a ce blanc éclatant qu’elle perd tou- jours plus ou moins, en vieillissant, pour prendre une teinte un peu jaunâtre. Les hermines que l’on trouve en France ont de la valeur, mais moins que celles du Nord; parce qu'elles ne sont jamais aussi blanches, et que, même pendant les plus grands froids, elles ont toujours cette légère teinte jaunâtre qui les déprécie. La BELETTE ALPINE (Putorius altaïcus. — Mustela altaïca, Pazr..) doit peut-être se placer à côté de l’hermine; mais il est fort diffi- cile d'avoir là-dessus quelque certitude, car on ne la connaît, je crois, que par cette phrase de Pallas : « Queue deux fois plus longue que la tête et d'une seule couleur. » Elle est du nord de l'Asie et de l'Europe. Est-ce une variété de notre belette commune ? La BELETTE D'AFRIQUE (Putorius africanus. — Mustela africana, Desx.) a dix pouces (0,271) de longueur depuis le bout du museau jusqu’à l'origine de la queue, et celle-ci a environ six pouces (0,162). Elle est d’un brun roussâtre en dessus, d’un jaune blanchâtre en dessous, avec une bande brune longitudinale et étroite sur le La Moufette. Bretagne. Les pays où il abonde sont la Russie, la Norvége, la Laponie et la Sibérie; on le retrouve aussi dans l'Amérique sep- tentrionale. Nous avons dit, à propos de la zibeline, comment on lui faisait la chasse, et nous renvoyons à cet article les lec- teurs qui veulent savoir combien le luxe le plus futile des riches coûte de larmes et de misères aux pauvres. L’hermine a les mêmes mœurs que la belette, à cela près qu'elle est d’un carac- tère plus farouche, qu’elle ne se plaît que dans les forêts les plus sauvages, et que jamais elle ne s'approche de l'habitation des hommes. Elle se nourrit d’écureuils, de petits-gris, de rats et autres petits mammifères; elle se hasarde quelquefois dans les prairies et les roseaux pour chercher les œufs de caille, de per- drix, de canard et d’autres oiseaux, dont elle est très-friande. Comme la belette, elle s'élève très-bien en captivité et elle s'ap- privoise même beaucoup mieux; mais au lieu de blanchir l'hiver comme en liberté, son pelage reste d’un brun sale et terne. Sa fourrure, en possession depuis longtemps d’orner la robe de nos docteurs, et, ce qui est beaucoup moins ridicule, les robes de nos dames, est, comme tout le monde le sait, l’objet d’un commerce considérable. Elle est extrêmement estimée parmi les plus pré- ventre. On la croit d'Afrique, et l’on ne sait rien de ses mœurs. La BELETTE RAYÉE (Pulorius striatus. — Mustela striata, GEOrF.) est à peu près de la taille d’une belette; le dessous du corps est d’un blanc grisâtre; la queue est blanche ; le dos et tout le dessus du corps sont d’un brun foncé, avec cinq raies longitudinales blanches. Elle habite Madagascar et doit avoir les mêmes mœurs que notre belette, si les analogies de forme entrainent, comme on le croit, les analogies de mœurs. Cette espèce est devenue le type du genre Galidictis d'Is. Geoffroy. 5e Genre. Les MOUFETTES (Mephitis, Cuv.) ont trente-deux dents : six incisives et deux canines à chaque mâchoire; six mo- laires à celle d’en haut et dix à celle d’en bas. Leur corps est allongé, arqué; elles ont des glandes anales qui sécrètent, sur- tout quand l'animal est irrité, une liqueur extrêmement fétide, ce qui leur a valu leurs noms de bêtes puantes, moufettes, enfants du diable, ete. Cette liqueur est versée par les glandes dans l'anus. Les doigts des pieds sont séparés et armés d'ongles forts, surlout ceux des pieds antérieurs, qui sont très-propres à fouir la terre. Elles ont une queue longue et touffue. > MARTES. 145 La Mourerre D'AMÉRIQUE (Mephitis americana, Des.) est de la taille d’un chat ordinaire ; son pelage est doux, lustré, ordinaire- ment d’un brun noirâtre, avec des raies et des bandes blanches longitudinales ; sa queue est couverte de poils longs ettrès-touflus. Elle habite l'Amérique. Les moufettes sont généralement plus grandes, plus trapues que les putois; ce sont des animaux nocturnes qui habitent des terriers qu'ils savent se creuser sur la lisière des bois ou des trous dégâts parmi la volaille, qu’elle attaque par la tête pour lui man- ger la cervelle, instinct que l’on trouve, d’ailleurs, dans tous les petits carnassiers. Moins sauvage que la marte, plus effrontée que les putois, elle ose pénétrer dans les habitations et jusque dans les caves et les celliers. Elle doit cette audace non à sa force ni à son courage, mais à une arme singulière qui ne manque jamais de mettre en fuite ses ennemis même les plus acharnés; et celte arme n'est rien autre chose que l'odeur infecte, insuppor- Cabane et enclos des Gazelles de l'Algérie. d’arbre et des fentes de rocher; ils n’en sortent qu'après le so- leil couché pour aller faire la chasse aux mulots et aux autres petits mammifères, aux oiseaux, dont ils aiment beaucoup les œufs, et à une foule d’autres petits habitants des bois, dont ils font un grand carnage. Faute de mieux, ils se nourrissent d'in table, qu'elle exhale à volonté. La liqueur qui la produit est épaisse, jaunâtre ou verdàtre, semblable à du pus, renfermée dans deux grosses glandes entourées de muscles puissants, de ma- nière que, lorsque l'animal est'irrité, il comprime violemment ses sectes, et l’on dit même de fruits. La moufette est privée de la faculté de grimper sur les arbres, si l'on en croit nos natura- listes, quoique beaucoup de voyageurs disent le contraire, auss est-elle moins dangereuse que les martes et les putois pour les basses-cours, où elle ne peut pénétrer que difficilement; mais quand par bonne fortune elle peut s’y glisser, elle fait les mêmes glandes, et la liqueur empoisonnée"peut être lancée assez loin par l'anus. Comme la moufette porte constamment la queue re- troussée sur son dos, cette partie est, ainsi que le reste du pe- lage, à l'abri de son atteinte, d'où il résulte que l'animal lui- même n'a pas d'odeur, ou du moins en à une supportable. C’est ce qu'on a pu voir à la ménagerie, où l'on à conservé vivant, 50. Paris, Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36. 10 116 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES SE pendant quelque temps, un de ces animaux. « Dans les terres voisines du détroit de Magellan, dit le capitaine Wood, nous vimes un animal auquel nous donnâmes le nom de grondeur ou de sou/fleur, parce qu'il ne voit pas plutôt quelqu'un, qu'il gronde, souffle et gratte la terre avec ses pieds de devant, quoi- qu'il n'ait pour toute défense que son derrière qu'il tourne d'abord vers celui qui l'approche, et d’où il fait sortir des excré- ments d’une odeur la plus détestable qu'il y ait au monde.» On lit dans Garcillasso de la Vega : « Il y a au Pérou beaucoup de petits renards parmi lesquels il faut remarquer ceux qui rendent une odeur insupportable; ils entrent la nuit dans les villes, et quel- que fermées que soient les fenêtres, on les sent de plus de cent pas; heureusement que le nombre en est petit, car sans cela ils empuantiraient le monde entier. » D’autres voyageurs disent que celle insupportable odeur est si forte qu’elle se fait sentir à un quart de l'ieue à la ronde, et qu’elle suffoque tellement les chiens par lesquels on fait attaquer une moufette, qu'ils en sont ma- lades pendant six heures. Si une goutte de la liqueur odorante tombe sur les habits de quelqu'un, ils en sont empestés pour plus de six mois, malgré toutes les précautions que l'on peut prendre pour les désinfecter. « Quand cet animal, dit Kalm en parlant du fiskatte ou polecat, est chassé soit par les chiens, soit par l'homme, il court tant qu'il peut, et lorsqu'il se trouve trop pressé, il lance son urine contre ceux qui le poursuivent, L'odeur en est si forte qu'elle suffoque ; s’il tombait une goutte de cette liqueur empestée dans les yeux, on courrait risque de perdre la vue. La plupart des chiens se rebutent et s'enfuient dès qu'ils en sont frappés. En 1749, il vint un de ces animaux près de la ferme où je logeais; c'était en hiver et pendant la nuil; les chiens étaient éveillés et le poursuivaient. Dans le moment il se répandit une odeur si fétide qu'étant dans mon lit je pensai êlre suffoqué ; les vaches beuglaient de toute leur force. Sur la fin de la méme année, il s’en glissa un autre dans notre cave; mais il ne répandit pas la plus légère odeur, parce qu'il ne la répand que quand il est chassé ou pressé. Une femme, qui l'apercut la nuit à ses yeux étincelants, le tua, et dans le moment il remplit la cave d’une telle odeur que non-seulement cette femme fut ma- lade pendant quelques jours, mais que le pain, la viande et les aulres provisions qu'on conservait dans cette cave furent telle- ment infectés qu'on ne put rien en garder, et qu'il fallut tout jeter dehors. » J'ajouterai que, au Jardin des Plantes, les peaux seules des moufettes infectent pour plusieurs mois les armoires du cabinet où on les place; les glandes qui contiennent cette li- queur empestée, bien que plongées dans l'esprit-de-vin dans un bocal bien luté, et que le corps d’où on les a tirées soit venu lui- même d'Amérique dans l'esprit-de-vin, se font sentir pendant plus d’un an dans le cabinet d'anatomie comparée. Cette odeur ressemble à celle du putois renforcée par un mélange d’odeur d'ail très-exallée. On ne peut rien imaginer de plus désagréable, Et cependant, non-seulement les Américains mangent la chair de cet animal après lui avoir enlevé ses glandes fétides aussitôt après sa mort, mais encore ils en élèvent dans leur maison ou leur jardin pour en tirer les mêmes services que des chats, c'est- à-dire leur faire détruire les souris et les insectes. Ils parviennent mème à les apprivoiser au point de s’en faire suivre comme des chiens. Avec la précaution de ne jamais les contrarier ni les bat- ire, on n'est jamais incommodé par la mauvaise odeur que cet animal n’exhale qu’à sa volonté, ainsi que nous l'avons observé. « On m'a envoyé de Surinam cet animal vivant, dit Seba, je l’ai conservé en vie tout un été dans mor jardin, où je le tenais atta- ché avec une petite chaine. Il ne mordait personne, et lorsqu'on lui donnait à manger, on pouvait le manier comme un pelit chien; il creusait la terre avec son museau en s'aidant des deux pattes de devant, dont les doigts sont armés d'ongles longs et recourbés; il se cachait pendant le jour dans une espèce de tanière qu'il avait faite lui-même; il en sortait le soir, et, après s'élre nettoyé, il commencait à courir, et courait ainsi toute la nuit à droite et à gauche, aussi loin que sa chaîne lui permettait d'aller; il furetait partout, portant le nez en terre. On lui don- nait chaque soir à manger, et il ne prenait de nourriture que ce qu'il lui en fallait, sans toucher au reste ; il n'aimait ni la chair, ni le pain, ni quantité d'autre nourriture, ses délices étaient les panais jaunes, les chevrettes crues, les chenilles et les arai- gnées. » Sous ce nom de moufette d'Amérique, on comprend un grand nombre d'animaux fort différents par leur pelage, et qui ont été si mal décrits par les voyageurs qu'il est impossible de décider si ce sont des espèces distinctes ou de simples variétés. Nous allons donner ici un extrait des recherches faites à ce sujet par Desma- rest et G. Cuvier, afin d'engager les voyageurs à les compléter ou à les rectifier quand ils en trouveront l’occasion. 1° L'Isquiepatl d'Hernandès est marquée de plusieurs raies blanches, et se trouve au Mexique. 2% Le Polecat ou Putois de Catesby est marqué de neuf raies blanches; il est digitigrade. 5° Le Conepate de Buffon a six raies blanches. La figure le re- présente plantigrade. 4° Le Conepatl ou Vulpecula puerilis d'Hernandès n’a que deux raies blanches, se prolongeant sur la queue. 5o Le Mapurito de Mutis n’a qu'une raie et le bout de la queue blancs. 6° Le Chinche de Buffon est blanc en dessus, avec une ligne noire sur la croupe, et une queue touffue et longue. T° La Moufette, prétendue de Bengale, de Catton, a des taches blanches à la tête, quatre raies blanches sur le dos, et une queue très-touffue, blanche et nuageuse. 8 Le Chinche de Feuillée a deux raies blanches qui s'écartent et finissent sur les côtés; sa queue est comme celle d'un renard. 9 Le Chinga de Molina est noir, avec une bande de taches blan- ches et rondes le long du dos, et la queue comme un écureuil, 10° Le Yagouare de d'Azzara est marqué de deux raies blan- ches qui vont jusqu’à la queue. 41° Le Polecat, ou Skunk, ou Fiskatte de Kalm a cinq raies blanches. 12 Le Zorille de Gmelli Carreri est noir et blanc. 15» Le Mapurita où Mafutitiqui de Gumilla est tout tacheté de noir et de blanc, avec une belle queue. 1%° La Béte puante de Lepage Duprats, dont le mâle est noir, et la femelle bardelée de blanc. La figure la représente rayée en travers de blanc et de noir. : 15° L'Ortohula de Fernandès est noir el blanc, avec quelques parties fauves. 46° Le Tamaætla du même n'a pas de fauve, et il a quelques anneaux noirs et blancs à la queue. Tous sont de l'Amérique. On concoit qu'avec des renseignements aussi vagues il était impossible aux naturalistes de reconnaitre des espèces ct de les déterminer. Cependant on est parvenu à en décrire assez com- plétement cinq espèces, qui sont : Le Cuineue (Mephitis chincha, Less, Viverra mephitis, Gur. Le Chinche, Rurr.) est d’un brun plus ou moins foncé, avec deux petites taches blanches sur les épaules et sur le ventre; son front est marqué d’une bande longitudinale blanche; il a deux raies blanches excessivement larges sur le corps, et sa queue est four- nie de très-longs poils blancs mêlés d'un peu de noir. 11 habite le Chili. L'Arok où Zorra DE Quiro (Mephitis quitensis, Less.) est noir, marqué de deux bandes blanches longitudinales; ses oreilles sont petites, noires et très-poinlues ; sa queue , d'un tiers moins lon- gue que son corps, est blanc et noir, très-touflue. Il se trouve dans la province de Quito. La Mourette pu Cut (Mephitis chiliensis, Georr.) est d’un brun marron, avec deux raies blanches sur les côtés du corps, qui se MARTES. 147 réunissent derrière la Lête pour former un croissant; sa queue est très-touffue, mélangée de blanc et de brun. Elle est du Chili. La MOUrETTE INTERROMPUE ( Mephitis interrupta, RarinisQ.) est brune, avec deux raies courtes, blanches, occupant parallèlement la tête; huit raies de la même couleur se dessinent sur son dos, les quatre antérieures également et parallèlement, les quatre postérieures dans un sens inverse. Elle habile la Louisiane. La MoureTTE Marumiro (Mephitis mapurito, Less. Viverra mapu- rio, Guz.) a le pelage touffu, d'un noir foncé, n'ayant sur le dos qu'une bande blanche ; ses oreilles sont peu apparentes, el sa queue est terminée par du blanc. Elle se creuse des terriers, vil de larves et d'insectes, et habite la Nouvelle-Grenade. Peut-être pourrait-on encore regarder les cinq suivantes comme des espèces distinctes : Le Cuinca (Mephitis chinga) est noir, avec une bande de taches rondes et blanches le long du dos; sa queue est longue, touflue et plate, comme celle d’un écureuil. I habite les États-Unis. La Mourette pe GumLLa (Mephitis Gumillæi) est entièrement tachetée de noir et de blanc, avec une queue longue et touffue. Elle habite les États-Unis. La Mourerte TRÈs-PUANTE {Mephitis fetidissima) est à demi plantigrade, comme les deux suivantes; le fond de son pelage est noir ; elle a une ligne blanche sur le museau; tout le dessus du cou et du garrot est couvert d'une plaque blanche au milieu de laquelle est un point noir; cette bande se bifurque et forme de chaque côté une bande blanche qui va en s’écartant se terminer sur la cuisse ; derrière chaque cuisse est une touffe blanche; Ja queue est très-touffue, noire, avee un pinceau blanc à l'extré- mité. Elle habite les États-Unis. La Mourerre pes Érars-Unis (Mephitis olida) a, comme la mou- fette du Chili, une simple bande blanche sur l'occiput, d'où par- tent deux bandes longitudinales restant pleines jusqu'à l'épaule; depuis l'épaule, une ligne blanche étroite et interrompue règne jusqu'au milieu du flanc, et se prolonge même un peu sur la croupe. Le fond de son pelage est noir, ainsi que sa queue, qui est longue, et se termine par un pinceau blanc. Elle se trouve aux Etats-Unis. La MourerrTe pe NEW-JersEy (Mephitis putida) diffère de la pré- cédente en ce que la bande de l’occiput et ses prolongements lon- gitudinaux atteignent à peine l'épaule. Les lignes des côtés man- quent entièrement. Elle est des États-Unis. G. Cuvier penche à croire qu'il n'existe réellement que deux espèces de moufettes : l’une, à queue blanche, qui jusqu'à pré- sent paraitrait plus commune dans l'Amérique méridionale; l'au- tre, à queue noire, qui ne viendrait guère que de l'Amérique du Nord. Néanmoins, pour pouvoir décider quelque chose de positif sur ce sujet, il faudrait savoir : 40 si tous les individus de la même famille ont les couleurs ordonnées de la même manière, c'est-à- dire si les individus transmettent identiquement à leurs enfants la même robe ; 2 si toutes les moufettes habitant une même con- trée portent la mème livrée, etc. 4e Genre. Les ZORILLES ( Zorilla, Isin. Georr.) ont à peu près le même système dentaire que les putois; leur molaire tubercu- leuse d’en haut est assez large; ils ont, comme eux, deux fausses molaires supérieures, trois inférieures. Leur museau est court; les ongles de leurs pieds de devant sont longs, épais, mais non pointus; ils ne peuvent leur servir à grimper, mais seulement à fouir la terre. Le Zonirre (Zorilla mustela, — Mustela zorilla, Des. Viverra zorilla, Gus. Le Blaireau du Cap, Ko. Le Zorille, Burr.) a plus d'un pied,(0,525) du bout du museau à l'extrémité de la queue, qui a huit pouces (0,217) à peu près de longueur ; il est noir avec plusieurs taches blanches sur la tête et des lignes blanches Jon- gitudinales sur le corps en dessus, ou blanc avec des taches et des lignes noires. La première variété se trouve au cap de Bonne-Espé- rance, la seconde au Sénégal et sur les bords de la Gambie, Du reste, cet animal a le même genre de vie que les martes, à cela près que, ne pouvant grimper sur les arbres, il se creuse un Lerrier qu'il habite pendant le jour, et dans lequel il se retire à la moin- dre apparence de danger. 3e Gene. Les MYDAS (Mydaüs, Fn. Cuv.) ont le même système dentaire que les monfettes, mais ils en diffèrent par leur queue presque nulle ou à l'état rudimentaire; par leur oreille externe, qui est nulle; par leur tête conique et allongée, terminée par un museau en forme de groin de cochon; leurs pieds antérieurs sont armés d'ongles très-grands, propres à fouir la terre. Le SrixckarD où TÉLAGON (WMydaüs meliceps, Fa. Cuy. Meplitis javanensis, Lescuex. Le Stinckard des habitants de Sumatra. Le Télagon des Javanais. La Moufette de Java) répand, dans les mêmes circonstances que les monfettes, une odeur tout aussi fétide. Son pelage, assez peu fourni, est brun, avec une tache blanche lon- gitudinale sur l’occiput, se prolongeant sur le milieu du dos jus- qu'à la queue, ou quelquefois moins loin, d'autres fois en ligne interrompue, ete. Sa queue a au plus deux pouces (0,054) de longueur; elle est blanche à son extrémité. Cet animal habite Java et Sumatra. On ne connaît pas ses habitudes; mais, à en juger par son organisation, elles doivent être les mêmes que celles des moufettes. Ge Genre. Les LOUTRES (Lutra, Srorn.) ont trenle-six dents : six incisives, deux canines et dix molaires à chaque mâchoire; leur tête est comprimée; leur corps est très-long ; leurs jambes sont courtes; leurs pieds palmés, et leur queue aplatie horizon- talement ; leur oreille externe est très-courte ; elles ont les yeux grands et de grandes moustaches. Ce sont des animaux qui tous vivent sur le bord des eaux. La Lourre p’Europe (Lutra vulgaris, ErxL. Mustela lutra, Lix. La Loutre, Burr. L'Enydris des ‘anciens auteurs grecs) a deux pieds (0,650) de longueur ; elle est d’un brun foncé en dessus, d'un gris brunâtre en dessous, avec la gorge et l'extrémité du museau d’un gris clair. On en trouve des variétés accidentelles tachetées de blanc; mais ces individus sont fort rares. Cet animal nage et plonge avec une extrême facilité, et déve- loppe dans les eaux une agilité surprenante qu'il est bien loin d’avoir sur Ja terre, où il ne marche pour ainsi dire qu'en ram- pant, à cause de la brièveté de ses pattes. Le jour, il se tient à proximité de sa retraite ou caché dans quelque buisson épais peu éloigné de l’eau, dont jamais il ne quitte les bords. Il a l'ouie, l'odorat et l'œil excellents et au moindre bruit il s’élance dans les ondes, plonge à une profondeur suffisante pour dérober sa trace, nage entre deux eaux, et regagne ainsi sa retraite, quel- quefois à une assez grande distance, sans reparaître à la surface. Si par hasard on l'a surprise loin du trou qu'elle habite ordinai- rement, la loutre se cache sous des racines ou des herbes épais= ses, reste le corps entièrement plongé dans l'eau ; et n'élève à la surface pour respirer que le bout de son nez, qu’elle a soin de cacher sous une large feuille de nymphéa ou d'autre plante. Elle demeure immobile dans cette attitude, jusqu'à ce qu’elle soit as- surée de l'éloignement de l'individu qui l'inquiétait. Elle se plait de préférence dans les pays solitaires et un peu montagneux, le long des petites rivières qui nourrissent des écrevisses, des truites et d’autres poissons, mais toujours à proximité des étangs, où elle va de temps à autre faire des excursions désastreuses. Elle s'y rend la nuit, cherche d'abord un trou ou fourré dans lequel elle pourra se cacher pendant le jour; puis, si elle trouve une retraite qui lui convienne, elle y établit son domicile pour plus ou moins longtemps, selon qu'elle y est plus où moins inquiétée, Chaque nuit elle pêche, et l’on peut calculer qu'un seul de ces animaux peut délruire de cent à cent cinquante carpes par an dans un grand étang. Si elle rencontre un simple vivier, auprès 10. 148 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. duquel elle ne peut établir son domicile à cause de la proximité d'un village ou d'une ferme, elle agit alors comme le putois: c’est-à-dire qu’elle commence d’abord’ par tuer tout le poisson qu'elle y trouve, puis ensuite elle en emporte autant qu’elle peut. Lorsqu'elle s’est établie sur le bord d’une grande rivière, ce qui arrive souvent, elle devient redoutable pour les pêcheurs, non-seu- lement parce qu’elle ruine leur pêche en détruisant le poisson, mais encore parce qu'elle manque rarement de couper leurs li- gnes et de trouer leurs nasses et leurs filets quand ils sont obligés de les laisser tendus pendant la nuit. Elle reste fort longtemps sous l’eau sans avoir besoin de venir respirer, mais cela n’empé- che pas qu’elle ne se noie quelquefois lorsqu'elle a pénétré dans une nasse d'osier, et que le temps lui manque pour en couper les barreaux avec ses dents habitude, vont s’embusquer à vingt pas de cette pierre, l’atten- dent au elair de la lune, et manquent rarement de l’y voir venir et de la tirer. S'ils ne la tuent pas roide, elle est perdue pour eux, car elle se jette dans la rivière et se sauve entre deux eaux. Si elle se sent mortellement blessée , elle plonge, s'accroche au fond à quelque racine, se laisse noyer et ne revient plus sur l’eau. La loutre donne rarement dans les piéges qu’on lui tend; aussi le meilleur moyen de la détruire est de lui faire une chasse active au fusil. Lorsque, dans les prés qui bordent les rivières, le foin est assez haut pour cacher ces animaux , ils aiment à s’y prome- ner le matin pour poursuivre les rats, les mulots, les grenouil- les, etc. Si le ciel est serein et que le soleil soit chaud, ils s’y couchent volontiers, et s'y endorment pendant quelques heures de la matinée. Le chasseur arrive en silence dans le pré où il les La Loutre. Comme on le voit, la loutre se nourrit le plus ordinairemen d’écrevisses et de poissons ; mais elle attaque aussi les rats d’eau, les mulots, les petits oiseaux, etc. Elle cherche dans les roseaux les nids de canard, de sarcelle, de bécassine, et en mange les œufs; elle se jette sur les grenouilles, les couleuvres et autres reptiles; mais pour tout cela elle ne s’en contente pas moins d'herbe tendre, d’écorce et de jeunes bourgeons, quand les proies vivantes viennent à lui manquer. Elle devient en chaleur en hiver, et met bas, en avril, trois ou quatre petits, qu'elle allaite pen- dant deux mois, et qu’elle abandonne ensuite. Elle ne se creuse pas de terrier, comme on l’a dit; mais si elle en trouve un tout fait, elle s’en empare volontiers, et y loge ses petits sur un nid de büchettes et de foin. Le plus ordinairement elle se loge dans une vieille souche d’aune, de saule ou de peuplier, quelquefois dans un trou de rocher, une pile de fagots ou le premier trou venu. C’est là qu’elle-porte sa pêche ou sa chasse pour la manger avec tranquillité et à l'abri de tout danger ; mais elle ne tient pas tant à son domicile qu’elle ne le quitte pour toujours et aille en chercher un autre à une grande distance , pour peu qu'on l'y ait inquiétée. 1 La loutre a une singulière habitude, celle d'aller chaque nuit sur la grève, au même endroit, faire ses ordures auprès d’une pierre blanche que le hasard aura placée sur le sable. On recon- naît ses fumées aux débris d’arête de poisson et de test d’écre- visse qu'elles contiennent. Les chasseurs, qui connaissent cette soupçonne, et suit le long de la rivière pendant que son chien bat le pré à côté de lui, à trente pas de distance. La loutre, qui l'entend, part aussitôt pour regagner l’eau, et passe nécessaire- ment à portée de fusil. Buffon a dit que la loutre ne s’apprivoise jamais, et en cela il se trompe complétement. J'en ai vu une qui a vécu pendant deux ou trois ans au château de Pramenoux; elle suivait et caressait la domestique qui lui donnait habituellement sa nourriture; elle sortait et se promenait seule, rentrait de même, allait tous les jours se laver dans le bassin d’une fontaine qui jaillissait au fond d'une grande cour, dormait au coin du feu de la cuisine pendant tout l'hiver, et s’en était tellement emparée, qu’elle en chassait les chiens et les chats. Quelquefois elle s’échappait la nuit pour aller pêcher dans un petit étang très-voisin du château; elle rentrait par les chatières, trous qu’on est dans l'usage, dans ce pays, de faire aux portes pour livrer passage aux chats; le len- demain matin des débris de poisson trouvés dans la cuisine dé- nonçaient son vol et prouvaient qu’elle venait dévorer sa proie à la place où on lui donnait ordinairement sa nourriture. Elle s’é- tait fort bien accoutumée à manger les restes de table, le pain trempé dans du lait, et même la soupe des chiens. M. Isidore Geoffroy cite également l'exemple d’une loutre qui avait été ap- privoisée par un paysan, et qui le suivait comme un chien. La loutre n’est très-commune nulle part, au moins à présent ; mais on la trouve dans presque toute l'Europe. Sa fourrure, sur- MARTES. 149 a ——_—_—_—_—_————————…““û tn tout celle d'hiver, sans être d'un très-grand prix , a cependant de la valeur, surtout depuis quelques années qu'on l'emploie beaucoup dans la chapellerie. Sa chair, que l'on mange les jours maigres, est assez bonne, mais elle a une forte odeur de poisson qui ne plait pas à beaucoup de personnes La LourRre ou KamTscnaTkA (Lutra lutris, Georr. Mustela lutris, Lin. Lutra marina, ErxL. Mustela hudsonica? Lacér. Lutra cana- densis? Fr. Cuv.) a presque trois pieds et demi (1,157) de lon- gueur; elle est d’un brun marron lustré, changeant de nuance selon la position des poils; sa tête, sa gorge, le dessous de son corps et le bas des membres antérieurs sont d'un gris brunâtre argenté ; elle a la queue courte et grosse, et ses pieds de derrière sont très-courts. On en trouve une variété à tête blanche. Cette espèce est aussi quelquefois appelée saricovienne, quoique ce nom ne convienne qu'à la loutre d'Amérique (Lutra brasilien— sis). On la trouve non-seulement au Kamtschatka, mais encore dans tout le nord de l'Asie et de l'Amérique , surtout à la côte sud-ouest, et sur les bords des petites îles qui bordent les côtes. Elle n'habite pas les eaux douces, comme notre loutre d'Europe, mais seulement les rivages de l'Océan, et ceux des grands lacs salés qui communiquent avec la mer. Sa fourrure est une des plus précieuses que l’on connaisse, et elle est tellement estimée par les Chinois, qu'ils la payent un prix considérable , surtout dans de certaines années. Cette magnifique fourrure est garnie de très-peu de poils soyeux; elle est principalement composée de poils épais, laineux, particulièrement à la partie supérieure du corps, où ils sont veloulés. Par son éclat, sa douceur, son moel- leux, cetle pelleterie l'emporte sur toutes les autres. Chaque année, les Américains, les Russes et les Anglais se rendent sur les côtes où cetle loutre abonde; ils achètent aux naturels du pays toutes les peaux qu'ils peuvent en tirer, et les portent en- suite vendre, avec d'énormes bénéfices, en Chine ou au Japon. Ces voyageurs racontent que cette loutre vit par couple, et que la femelle, après une gestation de huit à neuf mois, ne met bas qu'un seul petit. Ce peu que l’on sait de l’histoire de cet animal a besoin d’être confirmé par de nouvelles observations. La Lourre pe LA Guyane (Lutra enudris, Fr. Cuv.) a trois pieds et demi (1,137) de longueur, la queue comprise, et celle-ci forme à peu près le tiers de la longueur totale; elle est d'un brun clair en dessus , plus pâle en dessous , avec la gorge et les côtés de la face jusqu’aux oreilles presque blancs. On la trouve sur les bords des grands fleuves de la Guyane. La Lourre DE LA CAROLNE ( Lutra lataxina, Fr. Cuv.) est un peu plus grande que la loutre de la Guyane; son pelage est d'un brun noirâtre en dessus, moins foncé en dessous; la gorge, l'ex- trémité du museau et les côtés de la tête sont grisàtres. Dans cette espèce, des poils longs et soyeux recouvrentles laineux. On la trouve dans la Caroline du Sud. La LOUTRE DE LA TRINITÉ (Lutra insularis, Fr. Cuv.) a deux pieds trois pouces de longueur (0,751), et sa queue a dix-huit pouces (0,487); son pelage est court et très-lisse, d’un brun clair en dessus; d’un blanc jaunâtre en dessous, sur la gorge, la poitrine et les côtés de la tête. Elle habite l’île de la Trinité. La SARICOVIENNE Ou CARIGUEBEYU (Lutra brasiliensis, GEorr. Mustela lutris brasiliensis, Lin. La Saricovienne de la Guyane, Burr.) est plus grande que la loutre d'Europe; son pelage est d'un brun fauve, un peu clair sur la tête et le cou, plus foncé à l'extrémité des membres et de la queue, avec la gorge et l'extré- mité de la queue d'un blanc jaunâtre; ses narines sont nues sur leur contour, mais elle manque de mufle. Elle habite la rivière de la Plata, et Thevet dit que sa chair est très-délicate, fort bonne à manger. Le BarAxG-BaraxG ( Lutra barang , Fr. Cuv.) a un pied huit pouces (0,542) de longueur, et sa queue a huit pouces (0,217). Son pelage est rude, d’un brun sale en dessus, un peu plus pâle en dessous ; sa gorge est d’un gris brunâtre ; ses poils laineux sont d’un gris brun sale. Il habite Java et Sumatra. Le Simuxc (Lutra simung, Rarr. Lutra perspicillata, Is. Georr.) est un peu plus grand que le barang-barang; son pelage est moins long, plus lisse et plus doux : il est d’un brun foncé, plus clair et un peu roussâtre en dessous ; il a la gorge, les côtés de la tête et le tour des yeux blanchâtres, avec le menton blanc. Il habite Sumatra. Le Nir-NaYIé (Lutra nair, Fr. Cuv.) a deux pieds quatre pouces (0,758) de longueur, non compris la queue, qui a dix-sept pouces (0,460). Son pelage est assez court, d’un châtain foncé en dessus, plus clair sur les côtés du corps; d’un blanc roussâtre en dessous, ainsi que sur la gorge, les côtés de la tête et du cou, et le tour des lèvres ; le bout de son museau est roussâtre, et il a deux taches de la même couleur, l’une en dessus, l’autre en dessous de l'œil. Il habite les Indes, dans les rivières autour de Pon- dichéry. 7e Genre. Les LATAXES ( Latax, Aristote?) ont une formule dentaire qui m'est inconnue. Ils ont les formes générales des loutres ; mais leurs pieds de devant, non aplatis ni élargis, ont les doigts velus, épais, armés d'ongles aigus, avec la paume nue, tandis que ceux de derrière sont en forme de rames plates, abso- lument semblables à ceux des phoques, si ce n’est qu'ils sont libres. Le LaTAxE DE STELLER (Lataæ Stelleri. — Lutra Stelleri, Less. Lutra marina, SteLL.) est de la taille d'un chien médiocre; son pelage est épais, d’un noir brunâtre ou marron; sa queue est courte, large, pointue. Il habite les terres voisines du pôle 150 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. 22e boréal, et vit sur les bords de la mer; il se nourrit de crustacés et de poissons, et passe la plus grande partie dé son temps dans l'eau. 1 parait que ses habitudes sont mixtes entre celles des loutres et des phoques. Il faudra probablement, quand on con- naiîtra mieux ce genre , le reporter à la tête de la famille de ces derniers. 8° Genre. Les AONYX (Aonyx, Less.) ont les mêmes caractères génériques que les loutrés, mais ils en diffèrent par la forme des pieds et par les doigts à peine réunis par une membrane; le se- cond doigt pafait soudé au troisième sur toute la première arti- culation; ils sont tous les deux plus allongés que les suivants, et tous les doigts sont privés d'ongles, où un vestige d'ongle rudi- mentaire est seulement observé aux second et troisième doigts des pieds postérieurs. L'Aonvx DeraranDe (Aonyæ Delalandi, Less. Lutra inunguis, G. Cuv. La Loutre du Cap) a deux pieds dix pouces (0,921) de longueur, non compris la queue, qui a vingt pouces (0,542); son pelage est épais, doux, d’un brun châtain, plus foncé sur la croupe , les membres et la queue, plus clair sur les flancs ; le dessus de la tête est d’un gris brunâtre, et le dessous du corps d'un blanc assez pur. Il habite le pays des Hottentots, au cap de Bonne-Espérance , et vit de poissons et de crustacés qu’il pêche dans les étangs salés du bord de la mer. Du reste, ses habitudes sont semblables à celles de notre loutre, LES CHIENS. Ils ont deux dents tuberculeuses plates derrière la carnassière supérieure; celle-ci a un talon assez large, Ils ont tous un petit cœcum. Aer GENRE, Les CHIENS (Canis, Lin.) ont quaränte-deux dents : six incisivés et deux canines en haut et en bas: douze molaires à la mâchoire supérieure, et quatorze à la mâchoire inférieure ; les deux molaires tuberculeuses sont placées derrière chüque mo- laire carnassière, et la première tuberculeuse supérieure est fort grande; léur langue est douce; ils ont cinq doigts aux pieds de devant, ét Qüälre aux pieds de derrière, munis d'ongles non ré- tractiles; enfin là pupille de leurs yeux est ronde. 4° LES CHIENS DOMESTIQUES. Le Gien DOMESTIQUE (Canis familiaris, Lin.) ne se distingue du loup ; du chacal et autres variétés sauvages, que par sa queue toujours plus où moins recourbée, tandis que dans les autres elle est constamment droite. Du reste, il varie de mille manières pour la taille, les couleurs, et même les formés, La question de savoir si le chien domestique vient du loup et du chacal à beaucoup occupé les anciens naturalistes. Aüjour- d’hui que l’on sait que le chien, le Joup ét lé chacal sont trois va- riétés dans là mèmé espèce, puisque par le croisement ils pro- duisent des individus capables le se reproduire eux-mêmes, cette discussion serait tout à fait oiseuse et sa solution de nulle impor- tance, Elle se bornerait à nos apprendre quellé est la variété qui est venue la première. Mais, d’ailleurs , il n’est pas possible d'obtenir cette solution, puisque l’on trouve, même en France, parmi les animaux pérdus, dont il ne resté que les squelettes fossiles, une douzaine d'espèces de chiens qui ont plus ou moins d’analogie avec plusieurs des races qui existént aujourd'hui, et qui ont peuplé la terre avant l’homme, dans les époques anté- diluviennes. Le chien! À ce nom il n’est pas un homme qui n'ait un sou- venir agréable ou touchant, celui d'un gai compagnon des jeux de son enfance, d’un gardien sûr et vigilant à la maison, d'un aide indispensable à la chasse, d’un guide ou d'un éclaireur dans un voyage, d'un défenseur intrépide dans le danger, d’un sau- veur quelquefois, mais toujours d’un ami désintéressé, aussi dé- voué que fidèle, prêt à partager avec le même empressement les misères ou les joies de son maitre. Le chien n'a qu'une pensée, qu'un besoin, qu'une passion, c’est l'affection ; il faut qu'il aime où qu'il meure. Pour témoigner son amour à celui qui l’a élevé, dont il à reçu les premières caresses, il est capable de tous les dévouerhents les plus sublimes : les dangers, la fatigue, la faim, les intempéries de l'air, les privations de tout genre ne sont rien, Sil les supporte avec lui ou pour lui, Par ses caresses il console le malheureux, qui, sans son chien, n’aurait pas un ami sur la terre; il peuple, il embellit la solitude de son obscur ré- duit; il occupe son cœur et l’aide à traverser une misérable vie oubliée par les hommes; il l’encourage et semble l’aimer d'autant plus qu'il est plus opprimé par l’adversité. Dans ses durs travaux, il l'aide même au delà de ses forces; il s’excède à tirer une voi- ture, à tourner la roue d’un soufflet de forge, à maintenir l’ordre dans un troupeau; il fait ses commissions à la ville, et lui évite même la honte de la mendicité en tendant pour lui une écuelle de bois aux passants. Il n’est jamais plus heureux que lorsqu'il croit se rendre utile, qu'il recoit un sourire pour l’encourager et une caresse pour son salaire. C’est alors surtout qu'il déploie celte admirable intelligence qui le met tant au-dessus des ani- maux et qui ne le cède qu’à l'homme, à l’homme, qui serait un être parfait s’il avait les qualités morales du chien. Pour défendre son maitre, le chien ne connaît ni crainte ni danger, et fût-il sûr de périr dans la lutte, il s'élance avec intré- pidité, attaque avec fureur, et ne cesse de combattre de toutes ses forces, de tout son courage, qu’en cessant de vivre. Il le dé- fend contre les animaux féroces dix fois plus forts que lui; contre les brigands qui menacent ses jours, et il vit pour le venger, s’il n’a pu le dérober aux meurtriers; il veille sur lui s’il est blessé, et ne le quitte que pour aller chercher du secours; il le sauve des flots qui allaient l’engloutir; il le réchauffe de son haleine, de son corps, après s'être volontairement enfoncé avec lui dans les abimes de neige ; enfin il oublie l'instinct de sa propre conserva tion pour né penser qu’à la conservation de celui qu'il aime. Quand il s’agit de son maître, de célui auquel il a voué son existence entière, rien ne lui est indifférent; il ne sent que par lui et pour lui, et partage tout sans hésiter : haines et affections, joies et chagrins, fortune et pauvreté, Fortune! non, car il n'exige rien en retour de sün dévouement; ét ordinairement le chien de l’hommé dôfit la richesse a rétréci le cœur est plus mal nourri, plus maltraité que celüi du pauvre, abandonné qu'il est à des valets. Le chien se plaît où son maître se plait, quitte sans regret les lieux qu'il abandonne, et, avec lui, passe gaiement de la cuisine du prince au baquet de la gargote. Il caresse les vieux parents et vient dormir à leurs pieds; il aime la femme; il protége les enfants et joue bien doucement avec eux; en un mot, il ne vit que de la vie de son maître; et si la cruelle mort vient le lui arracher, il se traîne sur son tombeau, s’y couche et y meurt dé tristesse et de douleur. Aussi généreux qu'aimant, il supporte avec patience l’ingrati- tude et les mauvais traitements dont trop souvent on paye ses services et son affection. Si on le gronde, il s’humilie; si on le frappe, il se plaint, il gémit; son œil suppliant, si doux, si ex- pressif, demandé grâce pour une faute que parfois il n’a pas commise, Il se traine aux pieds de son brutal tyran, lui lèche les mains, tente de l'attendrir, de désarmer sa colère, mais jamais CHIENS, 181 oo il ne cherche à repousser l'agression par l'agression, la force par la force, quelles que soient l'injustice et la barbarie de son sup- plice, et s’il se sent blessé mortellement, en mourant, son der- nier regard est encore un regard de pardon et de tendresse. Bernardin de Saint-Pierre a dit que c’est être à moitié anthro- pophage que de manger le chien, et je partage tout à fait cette opinion. Je crois aussi que l'homme qui n'aime pas les animaux, qui reste insensible à tant d'affection ou de services rendus avec désintéressement, qui n'a pas pitié de leurs douleurs, de leurs souffrances physiques, est plus brute qu'eux, et ne fera jamais ni un bon citoyen, ni un bon père de famille; je erois que les hommes n’ont rien à attendre de lui que le plus froid égoïsme. Qu'on n’aille pas croire que dans ce que je viens dire de ce noble et bon animal, il y ait de l'exagération; je n'ai pas écrit une seule phrase que je ne puisse justifier par des faits nombreux, et je terminerai par une citation de Buffon qui complétera le por- trait : « Le chien, indépendamment de la beauté de sa forme, de la vivacité, de la force, de la légèreté, a par excellence toutes les qualités intérieures qui peuvent lui attirér les regards de l'homme : un naturel ardent, colère, même féroce et sanguinaire, rend le chien sauvage redoutable à tous les animaux, et cède dans le chien domestique aux sentiments les plus doux, au plaisir de s'attacher et au désir de plaire... Plus docile que l'homme, plus souple qu'aucun des animaux, non-seulement le chien s'in- struit en peu de lémps, mais même il se conforme aux mouve- ments, aux manières, à Loutes les habitudes de ceux qui lui com- mandent ; il prend le ton de la maison qu'il habite; comme les autres domestiques, il est dédaigneux chez les grands et rustre à la campagne ; toujours empressé pouf son mailre et prévenant pour ses seuls amis, il ne fait aucune attention aux gens indiffé- rents, et se déclare contre ceux qui par état sont faits pour im- portuner : il les connait aux vêtements, à la voix, à leurs gestes, et les empêche d'approcher. Lorsqu'on lui a confié, pendant la nuit, la garde de la maison, il devient plus fier et quelquelois féroce ; il veille , il fait sa ronde; il sent de loin les étrangers, et pour peu qu'ils s'arrêtent ou tentent de franchir les barrières, il s'élance, s'oppose, et, par des aboïements réitérés, des efforts et des cris de colère, il donne l'alarme, avertit et combat. Aussi furieux contre les hommes de proie que contre les animaux car- nassiers, il se précipite sur eux, les blesse, les déchire, leur ôte ce qu'ils s’efforcaient d'enlever; mais content d’avoir vaincu, il se repose sur les dépouilles, n’y touche pas, même pour satis- faire son appétit, et donne en mème temps des exemples de cou- rage, de tempérance et de fidélité. » Quelques-uns de nos jeunes écrivains, probablement pour dire du nouveau, ce qui n'est pas aisé, viennent d'élever la voix con- tre l'opinion de Buffon , et d'imprimer que le chien n’est que le modèle parfait de l’esclave abject dont le cœur avili se plaît dans la servitude; ceux-là ne comprendront jamais l'amour ni le dé- vouement. Mais ce qu'il y a de plus singulier, c'est que le chien, déclaré propriété par nos lois, est mis, sans réclamation, hors la loi par un préfet de police de Paris ou par un maire de village. Sans respect pour la propriété, s'appuyant sur un vieux préjugé qui a été cent fois renversé par la science, et faisant même tout ce qu'il faut pour amener l'hydrophobie qu'ils prétendent éviter, ils font semer de l’arsenie et de la noix vomique sur la voie pu- blique, au risque d'empoisonner, non pas toujours des chiens, mais des enfants, ce qui, prétend-on, est arrivé plus d'une fois. En effet, le chien est sujet à une maladie terrible, la rage; mais les plus habiles vétérinaires de l'Institut et de l’école d'Alfort ont fait, pendant plusieurs années, de nombreuses et eruelles expé- riences pour connaître les causes du développement de celte maladie; et ils ont positivement reconnu que cette cause n’est ni dans la chaleur atmosphérique , ni dans la soif par manque d’eau, mais uniquement dans une privation longue et totale de la réu- nion des sexes, La chienne porte soixantetrois jours et fait de quatre à huit petits, quelquefois jusqu'à douze. La durée ordi= naire «le la vie, dans ces animaux, est de douze à quinze ans. Cependant il n’est pas rare d'en trouver qui atteignent vingt ans, et j'en ai vu un qui en a vécu vingt-cinq. Le chien a suivi l'homme sur tous les points de la terre, et a dû, comme lui, éprouver les influences des divers climats; outre cela, soumis à la plus antique des domesticités, il en a subi les conséquences. Aussi n'est-il pas d'animal connu qui fournisse des races plus variées et mieux caractérisées, el peut-être plus con- stantes quand on veut les conserver pures. Nous ne citerons ici que les principales reconnues par les naturalistes. LES MATINS, 4° Le MATIN ORDINAIRE (Canis laniarius, Lax. Le Mätin, Bure.) est de grande taille; il a la queue relevée; son pelage est assez court, d'un fauve jaunâtre, quelquefois blane et noir; le nez un peu allongé et constamment noir, Quoique de taille assez légère, il est robuste et courageux. On s'en sert à la garde des fermes. 2 Le GnANDb Danois (Canis danicus major, le grand Danots, Burr..) est le plus grand de tous les chiens ; il tient un peu du mâtin, mais il a les formes plus épaisses, le museau plus gros et plus carré, ét les lèvres un peu pendantes. Son pelage est constam- ment (l'un fauve noirâtre, rayé transversalement de bandes à peu près disposées comme celles du tigre, Quoique bon de garde, c'est peut-être de tous les chiens lé plus inoffensif. 5° Le Daxois (Canis dunicus, Desu. Non le grand Danois de Bur- Fox) est un peu plus mince ét plus léger que le mâtin, dont il atleint souvent la taille; son pelage est ordinairement blanc, marqué de taches arrondies, petites et nombreuses; sa quene est gréle, relevée, recourbée; ses yeux ont souvent une partie de l'iris d'un blanc de porcelaine. Purement de luxe, il était de mode autrefois de le faire courir devant les chevaux des carrosses. Le Perir Danois (Canis variegatus, Lix.) en est une sous-variété, plus petite, plus trapué, à front plus bombé et à museau plus pointu. 4e Le Lévrier (Canis grajus, Lix.) est le plus svelle, le plus lé- ger de tous; son museau est poinln, fort allongé; son abdomen très-rétréci; ses jambes très-longues et très-menues; son pelage est ordinairement lisse, On en compte plusieurs sous-variétés, savoir : Le grand Lévrier, à pelage d'un gris ardoïisé ou d'un gris de souris, ordinairement court et lisse, quelquefois assez long et hérissé. On l’emploie à la chasse du lièvre, qu'il atteint à la course; mais il n’a pas d'odorat et a fort peu d'intelligence ; Le Lévrier d'Irlande: Le Lévrier de la haute Écosse : Le Lévrier de Russie : Le Lévron où Lévrier d'Italie (le Canis étalicus, Lix.); Le Lévrier chien-turc. 3° Le Cmex pe BEnGER (Canis domesticus, Lin), semblable au matin, mais à oreilles courtes et droites, queue horizontale ou pendante, pelage long, hérissé, noir ou noirâtre, Il ést plein d'intelligence, surtout pour la garde des troupeaux. Après ces variélés indigènes, on peut placer les chiens exoti- ques suivants : 6° Le Dixco où Cuies DE LA NOuYELLE-HuLLANDE {Canis Auslra- lasiæ, Fr. Guv.—Dess.), à pelage très-fpais, fauve en dessus, plus päle en dessous; le poil extérieur soyeux, celui de dessous plus fin et duveteux; sa queue est touffue. Cet animal misérable a peu d'intelligence, parce que les habitants ne l'élèveut guère que pour le manger, et l’élèvent en conséquence. ; T° Le Wan (Canis himalayensis) a le museau pointu et Ja tête aliongée:; ses oreille sont droites et pointues ; ses poils extérieurs sent bruns et soyeux, les intérieurs cendrés et laireux; il est d'un gris cendré sous la gorge, avec deux taches noirâtres sur 152 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. les oreilles; sa queue est touffue. On le trouve dans les montagnes de l'Himalaya. 8° Le Pour ou CniEN DE LA NOUVELLE-IRLANDE (Canis Novæ- Hiberniæ, Less.) est de moitié plus petit que celui de la Nouvelle- Hollande; son museau est pointu; ses oreilles courtes, droites et pointues; ses jambes gréles; son pelage ras, brun ou fauve. Il est hardi, courageux et vorace. Les habitants qui l’élèvent pour le manger le nourrissent avec la plus grande facilité, car il mange de tout. 9° Le Quao (Canis quao, Harpw.) a beaucoup d’analogie avec le chien de Sumatra, mais ses oreilles sont moins arrondies et sa queue est plus noire. On le trouve dans les montagnes de Ram- ghur, dans l'Inde, où il paraît vivre à l’état sauvage. Le Chien de Poméranie. 10° Le CuiEx DE Sumatra (Canis sumatrensis, Harpw.) a le nez pointu, les yeux obliques, les oreilles droites, les jambes hautes, la queue pendante et très-touffue, plus grosse au milieu qu'à sa base; il est d’un roux ferrugineux, plus clair sur le ventre. Il vit à l'état sauvage dans les forêts de Sumatra. LES ÉPAGNEULS. 11° L'ÉPAGNEUL FRANÇAIS (Canis extrarius, Lin.) a les oreilles larges, longues, tombantes terminées par de longs poils soyeux; ses jambes sont assez courtes; son pelage est long et soyeux, ordinairement mêlé de blanc et de brun marron. Il est excellent pour la chasse de plaine et pour le marais, mais il craint beau- coup la chaleur, et ne jouit de toute la finesse de son nez que le matin et le soir. 11 s'attache beaucoup à son maître. Il a pour sous-variétés : Le petit Épagneul ; Le Gredin (Canis brevipilis, Lix.); Le Pyrame; Le Bichon (Canis militœus, Lin.) ; Le Chien-lion (Canis leoninus, Lix.); Le Chien de Calabre. Toutes ces variétés sont très-petites, ont peu d'intelligence, mais beaucoup d'affection pour leur maître. Ce sont des chiens d'appartement, 499 L'ÉPAGNEUL ANGLAIS (Canis extrarius britannus), comme l’épa- gneul français, mais à pelage plus soyeux, plus long, entière- ment noir, avec une tache de fauve rouge sur chaque œil, Il a pour la chasse les mêmes qualités, mais moins d’ardeur, 4150 L'ÉPacneuL Écossais (Canis extrarius scoticus). I diffère de l'épagneul francais par ses formes plus légères, plus lancées: par ses oreilles pendantes, mais plus petites et plus haut placées ; par sa queue en panache, plus relevée et plus courbée; enfin par ses yeux jaunes et son nez rose. Son pelage est constamment blanc, avec de larges taches blondes. Il est excellent pour la chasse en plaine, mais il est très-délicat. 14° Le Barker ou CaniCue (Canis aquaticus, Lix.) a les oreilles larges et pendantes, les jambes courtes, le corps trapu ; le mu- seau épais, peu allongé; le pelage très-long, frisé et un peu lai- neux, noir ou blanc, ou mêlé de ces deux couleurs. C'est le plus fidèle et le plus intelligent des chiens. Il a deux sous-variétés, qui sont : Le petit Barbet ; Le Barbet griffon ou Chien anglais. 15° Le Cuien pe TERRE-NEUVE (Canis aquatilis) n’est probable- ment qu'un ancien croisement du mâtin et du barbet. Il est au moins de la taille du premier mais plus épais; il a le museau nu, gros et assez allongé; les oreilles pas très-grandes, mais pen- dantes et soyeuses comme celles de l'épagneul; le pelage soyeux, très-long , ondulé , blanc et noir; la queue recourbée, relevée en beau panache. Il se plaît à aller dans l’eau pour en retirer les objets qui flottent à sa surface, mais on a beaucoup exagéré cette qualité. Il est aimant, fidèle, et susceptible d’une certaine édu- cation. 16° Le Grirrox (Canis arectus), de la taille du plus grand barbet, mais à forme moins lourde. Son pelage est rude, hérissé, peu épais, ordinairement d'un fauve roux ou noirâtre, quelquefois grisâtre, rarement blanc. C’est un métis du courant et du barbet. I est bon à Ja chasse du lièvre. Rarement il s'attache beaucoup à son maître, et ses manières sont rudes et grossières. 17° Le Cnien couranT (Canis gallicus, Lax.). I a le museau gros et long; les oreilles très-larges, très-longues et très-pendantes les jambes robustes , assez longues, le corps gros et allongé; la queue mince et relevée; le pelage ras, court, blane mélé de noir, ou, mais très-rarement, entièrement noir, ou mêlé de blane et de fauve. Il est excellent pour la chasse du lièvre, du cerf, du sanglier, etc.; mais il est brutal, égoïste, et n’a aucun attache- ment pour son maître. 180 Le Cnien BRAQUE (Canis avicularius, Lin.) a les oreilles plus courtes et moins larges que le précédent; le museau plus épais et plus court; le corps moins allongé; la poitrine plus large, les jambes quelquefois plus longues; le pelage ras, blanc, avec des taches toujours d’un brun marron plus ou moins foncé, et jamais noires. Il a de l'intelligence, de l'attachement pour son maître, et les passions très-vives. Il est excellent pour la chasse de plaine, et craint peu la chaleur; mais dans les marais il est sujet à prendre des douleurs. Le Braque à nez fendu en est une variété qui ne le vaut pas à la chasse. 49° Le BRAQUE DE RENGALE (Canis avicularius bengalensis) a le nez un peu moins épais, les jambes plus hautes, le corps un peu plus svelte; son pelage est constamment blanc, avec de grandes taches de brun marron, et de nombreuses mouchetures d’un brun grisâtre ; il a sur les yeux, et souvent sur les pattes de devant, de petites taches d'un fauve rouge vif. Il a les mêmes qualités que le braque. 200 Le BASSET A JAMBES DROITES (Canis vertagus, Lin.) a les oreilles et la tête comme le chien courant, mais le museau plus fin et plus allongé; son corps est très-long, ainsi que sa queue; ses jambes sont grosses et fort courtes; son pelage est ras, ordi- nairement brun ou noir, et, dans ce dernier cas, il est marqué de feu sur les yeux et les quatre pattes. Il n'est ni attaché ni fidèle. On s'en sert pour la chasse du blaireau , du lapin et du levraut. Le Basset à jambes torses ne diffère du précédent que par ses proportions moins grandes, et ses jambes contrefaites et tordues. Le Basset de Burgos en est une sous-variété plus petite. CHIENS. 153 94° Le Cmex-Lour (Canis pomeranus, Lix.) est un peu moins grand que le braque, à museau long et effilé, oreilles droites et pointues, queue horizontale ou relevée, enroulée en dessus ; son pelage', court sur la tête, long, soyeux, mais non frisé, sur le corps, est d’un blanc jauntre, rarement gris, noir ou fauve. Il est assez attaché à son maître, et son courage surpasse ses forces. A ces variétés indigènes on réunit les variétés exotiques qui suivent : 990 Le Cmiex pes Esquimaux (Canis borealis, Fr. Cuv.) a beau- coup d’analogie avec le chien-loup. Sa queue est relevée en cercle; et recourbée en dessus à l'extrémité; pelage ras, d'un fauve or- dinairement pâle, plus ou moins ondulé de noirâtre. Ce chien est courageux, extrêmement fort, et propre au combat; il s'attache à son maître, mais ses habitudes sont grossières et brutales. Le Dogue du Thibet en est une sous-variété. Le Doguin en est une autre variété plus petite, à pelage tirant un peu sur le noirâtre, à oreilles plus longues et à lèvres plus pendantes. Il a quelque intelligence pour conduire les troupeaux. Aussi ne le voit-on guère que chez les bouchers. 260 Le Bourenocue (Canis fricator, Lix. Le Bulldog des An- Le Dogue du ‘fhibet son pelage est peu fourni, très-fin, ondulé, de couleur variable, avec de grandes taches noires ou grises. On s’en sert pour tirer les traineaux, et, par son moyen, on fait sur la neige, avec la plus grande rapidité, des voyages fort longs. 25° Le Cniex DE SimÉRIE ( Canis sibiricus, Lix.) se distingue des précédents par son pelage, très-long sur tout le corps, d’un gris ardoisé et cendré. On l’emploie au même usage que le précédent. 24 L'ALco ou Tecricut (Canis americanus, Lix.) est de la taille du bichon, et remarquable par la petitesse de sa tête; son dos est arqué et son corps très-trapu; sa queue est courte et pen- dante; son pelage long et jaunâtre, blanc à la queue. II habite l'Amérique. glais) est plus petit que le grand dogue; il a le corps beaucoup moins long, les pattes moins fortes, et la queue tout à fait re- courbée en cerele ; son museau est extrèmement court, entière- ment noir, son nez relevé, et sa tête presque ronde. Son pelage est ras, constamment d’un fauve pâle et jauntre. Il a peu d'at- tachement et encore moins d'intelligence. Le Doglau ne diffère du précédent que par son nez fendu. 97e Le Carzin ou Morse (Canis mopsus) est extrêmement petit, à nez encore plus court que le bouledogue, dont il semble être la miniature ; sa tête est absolument ronde; sa face, sans museau, est noire jusqu'aux yeux ; sa queue recourbée en trompette ; ses jambes courtes; son corps très-trapu , et son pelage d'un jaune LES DOGUES, 25° Le Graxo Dour (Canis molossus, Lix.) à museau noir, gros, court, et lèvres noires, épaisses et pendantes; oreilles courtes, redressées à la base, corps allongé, gros, robuste; queue relevée fauve plus foncé. Il est eriard , sans intelligence ni attachement. Il a, en outre, le défaut d’avoir l'haleine forte et d’une odeur désagréable. 98° Le Cuiex p'IsLANDE (Canis islandicus, Lix.) a beaucoup d’analogie avec le précédent, mais il est plus grand. Sa tête est 154 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. or ronde; ses yeux sont saillants et gros; ses oreilles à demi droites, el son pelage est lisse et long. 290 Le Docu axcrais (Canis anglicus, Less.) est un métis du mâtin et du dogue. Il a les oreilles très-pendantes; son pelage est long, tantôt fauve, tantôt blanc tacheté de plaques brunes. Je ne connais pas cette variété, mentionnée par M. Lesson. 50° Le Roquer (Canis hybridus , Lin.) a les yeux gros, la tête ronde, le front bombé, les oreilles petites, à demi pendantes; la queue redressée, Les jambes petites, le pelage ras, noir et blanc. Il est petit, mais courageux, hargneux, attaché à son maitre et irès-fidèle. 31° Le CHIEN RENARDIER OU CHIEN ANGLAIS (Canis vulpinarius); petit; museau fort et un peu court; oreilles petites et à demi pendantes; corps robuste, musculeux; jambes assez courtes ; pelage ras, brillant, noir, avec le derrière des pattes, les joues, deux taches sur les yeux, d’un fauve vif, Il est courageux, hardi, entreprenant, mais peu attaché à soh maître. On l'emploie à la chasse pour aceuler le renard dans 80n terrier, où il pénètre assez aisément. 52° Le Cnien ANGLAIS (Canis brilannicus, DEsn.) est, selon Dés- marest, le résultat du croisement du petit danois et du pyrame, Je ne connais pas cette variété. 559 Le Cmen p'Arrois (Canis fricalor, Lin.) a la plus grande ressemblance avec le bouledogue ; il a le museau tr'ès-court el très-aplati. On le trouve dans la Flandre et l’Artois, 34° Le Cie p'AricaNTE (Canis Andalousiæ, Deeu. Le Chien de Cayenne) a le museau court du bouledogüe, le long poil de l'é- pagneul, et paraît provenir du croisement de ces deux variétés. 350 Le Cniex rurc (Canis caraïbœus. — Canis œægyptius, Lix. Le Chien de Barbarte) a le crâne développé, le museau pointu; les oreilles assez larges , horizontales; les membres grëles; la peau presque entièrement nue, noire, ou couleur de chair, ou à taches brunes, sa queue est relevée et recourbée; sa taille ne dépasse pas celle d'un grand roquet. Il est originaire d'Amérique, où le trouvèrent Christophe Colomb et les Français qui abordè- rent les premiers à la Martinique et à la Guadeloupe en 1655; il -est encore très-commun à Payta dans le Pérou. On l’a dit d’a- bord de Turquie puis ensuite de la Barbarie et de l'Afrique. Le Chien turc à crinière, de Buffon, n’en diffère que par sa taille plus grande, et par une sorte de crinière étroite de poils longs et rudes qui commence sur le sommet de la tête et s’é- tend en bande étroite jusqu'à la naissance de la queue, Il est métis du chien ture et d'un épagneul, ou d’une autre variété à longue soie. 56° Le CmEn pe Rue (Canis domesticus hybridus) est le mélange du croisement non prévu de deux où même de plusieurs des races et variétés que je viens de décrire. Il varie de mille manières en grandeur, en forme, en couleur et en intelligence. Très-souvent la femelle met bas à la fois des petits de races différentes de la sienne. 25 LES CHIENS SAUVAGES, Le Lour (Canis lupus, Lin.) à le pelage d’un fauve grisätre, avec une raie noire sur les jambes de devant, quand il est adulte; sa queue est droite ; ses yeux sont obliques, à iris d'un fauve jaune. Dans le Nord, on eh trouvé quelquefois une variété entièrement blanche, Il habite toute l'Europe excepté les îles Britanniques , où l’on est parvenu à le détruire. On le trouve aussi dans le Nord de l'Amérique. Partout il est un dangereux ennemi des trou- peaux. Lé loup, quoi qu'on en ait dit, n’est qu'une simple variété ou race dans l'espèce de notre chien domestique. On en a aujour- d'hui les preuves les plus complètes, puisque ceux que l’on con- serve à la ménagerie s’accouplent très-bien avec des chiens, et les individus qui en résultent sont féconds et se multiplient, soit entre eux , soit accouplés avec des chiens ou des loups. Tout ce que Buffon a écrit sur ces animaux, sur leur férocité indompta- ble, sur leur antipathie pour le chien, sur les caractères qui tranchent ces deux espèces, etc., est absolument faux et le ré- sultat des préjugés de son temps, comme je le démontrerai, De tous les temps, le loup a été le fléau des bergeries et la terreur des bergers; il est d’une constitution Lrès-vigoureuse; il peut faire quarante lieues dans une seule nuit, et rester plusieurs jours sans manger. Sa force est supérieure à celle de nos chiens de plus grande race. Heureusement que la férocité de son carac- tère ne répond pas à cette extrême vigueur, et que, par ses qua lités morales, il ne mérite pas la réputation qu’on lui a injuste- ment faite. Le loup n’est ni lâche ni féroce, et c’est ce que son histoire prouvéra quand on la débarrassera des absurdes contes dont on à coutume de la falsifier. Si le loup n’est pas tourinenté par la faim, il se retire dans les bois, ÿ passe le jour à dormir, et n’en sort que la nuit pour aller fureter dans la campagne. Alors il marche avec circonspeclion , évitant toute lutte inutile, fût-ce même avec des animaux plus faibles que lui, Il fuit les lieux voisins de l'habitation des hommes ; sa tañche est furlive, légère, au point qu’à peine l’entend-on fouler des feuilles sèches. Il visite les collets tendus par les chas- seurs, pour s'cinparer du gibier qui peut s'y trouver pris; il par- court le bord dés ruisseaux et des rivières pour se nourrir des immondices que les eaux rejettent sur le sable. Son odorat est d'une telle finesse, qu'il lui fait découvrir un cadavre à plus d’une lieue dé distance, Aussitôt que le crépuscule du matin commence à rougir l'horizon, il regagne l'épaisseur des bois. S'il est dé- rangé de sa retraile, ou si le jour le surprend avant qu'il y soit rendu, sa marche devient plus insidieuse : il se coule derrière les haies, dans les fossés, et, grâce à la finesse de sa vue, de son ouïe et de son odorat, il parvient souvent à gagner un buisson solitaire sans être apercu. Si les bergers le découvrent et lui cou- pent le passage, il cherche à fuir à toutes jambes; s’il est cerné et atteint, il se laisse dévorer par les chiens ou assommer sous le bâton sans pousser un cri, mais non pas sans se défendre. Quand cet animal est poussé par la faim , il oublie sa défiance naturelle et devient aussi audacieux qu'intrépide, sans renoncer à la ruse quand elle peut lui être utile, Il se détermine alors à sortir de son fort en plein jour ; mais, avant de quitter les bois, il ne manque jamais de prendre le vent, et s’arrêté sur la lisière, évente de tous côtés, il reçoit ainsi les émanations qui doivent le diriger dans sa dangereuse excursion, Il parcourt la campagne, s'approche des troupeaux avec précaution pour n'en être pas aperçu avant d’avoir marqué sa viclime, s'élance sans hésiter au milieu des chiens et des bergers, saisit un mouton, l’enlève, l’em- porte avec une légèreté telle, qu'il ne peut être atteint ni par les chiens ni par les bergers, et sans montrer la moindre crainte de la poursuite qu’on lui fait, ni des clameurs dont on l’accompa- gne. D'autres fois, s’il a découvert un jeune chien inexpérimenté dans la cour d'une grange écartée, il s'én approche avec effron- terie et souven jusqu'à portée de fusil : il prend alors différentes attitudes, fait des courbéttes , des gambades, se roule sur le dos comme si son intention était de jouet avec le jeune novice. Quand celui-ci se laisse surprendre à cés trompeuses amorces et s'approche, il est aussilôt saisi, étranglé et entrainé dans le bois voisin pour être dévoré. J'ai été témoin de ce fait, qui prouve dans le loup autant d'intelligence que d'audace. Mais quand un chien de basse-cour est de force à disputer sa vie, le loup s'y prend différemment : il s'approche jusqu'à ce que le chien l'aperçoive et s’élance pour lui livrer combat; alors l'animal sauvage prend la fuite, mais de manière à exciter son ennemi à le suivre, ne s’en éloignant que suflisamment pour n'être pas atteint, Le mâlin, animé par ce commencement de victoire, poursuit le loup jusqu'auprès d'un fourré où un second d CHIENS. 155 loup les attendait : ce dernier sort tout à coup de son embuscade, se jette sur le malheureux chien, qui commence le combat avec fureur; mais le fuyard revient sur ses pas, joint ses efforts à ceux de l’autre assassin, et le mâtin tombe victime de son courage et de la pertidie de ses deux ennemis On a vu très-souvent un loup affamé entrer en plein jour dans un hameau, saisir un chien à la porle d’une maison, une oie au milieu de la rue ou un mouton près de la bergerie, l'entrainer dans les bois malgré les hourras d'une population entière, et même malgré les coups de fusil qui déjà ne peuvent plus l'atteindre. C'est surtout pendant la nuit que le loup affamé oublie sa prudence ordinaire pour montrer un courage qui va jusqu'à la témérité. Rencontre-t-il un voyageur accompagné d'un chien, il le suit d’abord d’assez loin, puis s'en approche peu à peu , et quand il a pu calculer les chances de danger et de succès , d’un bond il se jette sur l'animal effrayé, le saisit jusqu'entre les jambes de son maitre, l'emporte et disparaît. On en a vu très- souvent suivre des cavaliers pendant plusieurs heures, dans l’es- pérance de trouver le moment propice pour étrangler le cheval et le dévorer. Dans le Nord, il parait que, lorsque les neiges abondantes couvrent la terre, les loups, ne trouvant plus de nourriture dans les bois, se réunissent en grandes troupés, des- cendent les montagnes, sortent de leurs forêts, et vienhënt dans la plaine faire des excursions jusqu'à l'entrée des villages et des villes. On prétend que dans ce cas leur rencontre a été plusieurs fois fatale à des voyageurs. Dans l’espace d'une nuit un loup vient quelquefois à bout de creuser un trou sous la porte d’une bergerie et de s’y introduire. Dans ce cas, il commence par étran- gler tous les moutons les uns après les autres, puis il en emporte un et le mange; il revient en chercher un second, qu'il caché dans un hallier voisin, avec la précaution de recouvrir son corps de feuilles sèches ou d’un peu de terre; il retourne en chercher un troisième, un quatrième, et ainsi de suite, jusqu'à ce que le jour le force à battre en retraite. Il les cache dans des lieux dif- férents et à une assez grande distance les uns des autres; mais, soit oubli , soit défiance, il ne revient jamais les chercher, Le loup préfère une proie vivante à toute autre nourriture; cepeñn- dant il dévore les voiries les plus infectes, et, faute dé substance animale, il se contente de fruits mürs ou pourris, dé ratines, et même, dit-on, de bois tombant en décomposition et d’une cer- taine terre glaise. « Il aime la chair humaine, dit Buffon, et peut- être, s'il était le plus fort, n’en mangerait-il pas d'autre. On a vu des loups suivre des armées, arriver en nombre à des champs de bataille où l'on n'avait enterré que négligemment les corps, les découvrir, les dévorer avec une insatiable avidité, et ces mêmes loups, accoutumés à la chair humaine, se jeter ensuite sur les hommes, attaquer le berger plutôt que le troupeau, dévorer les femmes , emporter les enfants. » La critique fait aujourd'hui jus- tice de toutes ces exagérations; mais il n’en est pas moins vrai que quelquefois des louves affamées, à l’époque où elles allaitent leurs petits, se sont jetées sur des enfants, des femmes et même des hommes. Les annales de plusieurs de nos départements en font foi. Tout ce qu'a dit Buffon de l'indomptable férocité du loup est faux ou très-exagéré. J'ai eu pendant quatre ans une louve par- faitement privée, aussi douce, aussi caressanle et aussi attachée qu’un chien, vivant en liberté, sans que jamais elle ait cherché à se sauver. Frédéric Cuvier a donné l'histoire de deux loups qui vivaient il y a peu de temps encore à la ménagerie, et qui ont montré l'exemple d'un attachement pour leur maître, aussi grand, aussi passionné qu'aucun chien ait pu l'éprouver. L'un d'eux, ayant été pris fort jeune, fut élevé de la mème manière qu’un chien, et devint familier avec toutes les personnes de la maison, mais il ne s’attacha d’une affection très-vive qu'a son maitre; il lui montrait la soumission la plus entière , le caressait avec ten- dresse, obéissait à sa voix et le suivait en tous lieux. Celui-ci, obligé de s'absenter, en fit présent à la ménagerie, et l'animal souffrit de celte absence , au point que l’on craignit de le voir mourir de chagrin. Pourtant, après plusieurs semaines passées dans la tristesse et presque sans aliments , il reprit son appétit ordinaire, et l'on erut qu'il avait oublié son ancienne affection. Au bout de dix-huit mois son maître revint au Jardin des Plan- tes, et, perdu dans la foule des spectateurs, il s’avisa d'appeler l'animal. Le loup ne pouvait le voir, mais il le reconput à a voix, et aussitôt ses cris et ses mouvements désordonnés annoncèrent sa joie. On ouvrit sa loge ; il se jeta sur son ancien ami et le couvrit de caresses, comme aurait pu le faire le chien le plus fidèle et le plus attaché. Malheureusement il fallut encore se sé- parer , et il en résulta pour le pauvre animal une maladie de langueur plus longue que la première. Trois ans s’écoulèrent; le loup, redevenu gai, vivait en très-bonne intelligence avec un chien, son compagnon, et caressait ses gardiens. Son maître revint encore; c'élait le soir, et la ménagerie était fermée. Il l'entend, le reconnait, lui répond par ses hurlements, et fait un tel tapage, qu'on est obligé d'ouvrir. Aussitôt l'animal redouble ‘ses cris, se précipite vers son ami, lui pose les pattes sur les épaules, le caresse, lui lèche la figure, et menace de ses formi- dables dents ses propres gardiens, qui veulent s'interposer, ses gardiens qu'il caressait une demi-heure auparavant. Enfin, il fallut bien se quitter. Le loup, triste, immobile, refusa toute nourrilure; une profonde mélancolie le fit tomber malade; il Maigrit, ses poils se hérissèrent ; au bout de huit jours il était méconnaissable, et l'on ne douta pas qu'il ne mourût. Cependant, à forcé de bons traitements et de soins, on parvint à lui conser- ver la vie; mais il n’a jamais voulu depuis ni caresser ni souffrir lës caresses de personne. Je le demande, un chien ferait-il da- vanñtage ? Une jeune louve, prise au piége, étant déjà adulte, vivait fami- lièrement avec des chiens qui lui avaient appris à aboyer contre les étrangers, fait extrêmement remarquable ; elle était devenue si douce et si docile, que, sans son goût irrésistible pour la vo- laille, en l’eût laissée en liberté. Nous pourrions citer une foule d’autres exemples, mais nous nous bornerons à ceux-ci, mon- tirant que le loup, ainsi que le chien , est dominé par le besoin d’aimer l'homme et d’être aimé par lui. Tout en reconnaissant que dans les animaux le caractère varie d'individu à individu, dans la même espèce, on ne peut voir dans ces exemples autant d’exceptions à la règle de l'espèce. Si le loup de nos contrées est toujours farouche et quelquefois féroce, cela ne tient qu'à l'in- stinet de conservation , et à ce qu'on lui fait une guerre à mort. Il paraît que cet animal est, ainsi que le chien , susceptible de recevoir une sorte d'éducation. « En Orient, et surtout en Perse, dit Chardin , on fait servir les loups à des spectacles pour le peuple : on les exerce de jeunesse à la danse, ou plutôt à une espèce de lutte contre un grand nombre d'hommes. On achète jusqu’à cinq cents écus un loup bien dressé à la danse. » Buffon s’est encore trompé sur un fait plus positif : intéressé par système à séparer l'espèce du chien de celle du loup, il a dit que la louve porte trois mois et demi. Or, dans la ménagerie, où ces animaux font des petits tous les ans, la gestation n’a jamais été que de deux mois et quelques jours. Le loup, qui est deux ou trois ans à croître, vit quinze à vingt ans. La femelle met bas du mois de décembre au mois de mars. À la veille de mettre bas, la louve se prépare, au fond d’une forêt, dans un fourré impéné- trable, une sorte de nid où elle dispose, avec de la mousse et des feuilles, un lit commode pour ses petits. Le nombre ordinaire en est de six à neuf, jamais moins de trois, et ils naissent les yeux fermés. Pendant les premiers jours , elle ne les quitte pas, et le mâle lui apporte à manger. Elle allaite deux mois; mais dès la cinquième’ou sixième semaine, elle leur dégorge de la viande à demi digérée , et bientôt leur apprend à tuer de petits animaux qu'elle leur apporte. Jamais ses petits ne restent seuls, car le 156 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. père et la mère se relèvent chacun à leur tour pour aller cher cher la nourriture de la famille. Au bout de deux mois, la louve commence à les mener en course et à leur apprendre à chasser. En novembre et en décembre , ils sont déjà assez forts pour se séparer et battre la campagne chacun de son côté pendant Ja nuit; mais ils se réunissent chaque matin et passent la journée en famille. IL'existe entre le chien et le loup une antipathie, une haine que Buffon croyait constitutionnelle et inhérente à deux natures très-distinctes; et, cependant, à la ménagerie, les deux préten- dues espèces vivent pêle-mêle en fort bonne intelligence. Cette haine n’a été ni expliquée ni niée par nos naturalistes d’aujour- d’hui, mais elle les a embarrassés pour établir, sur tous les points, que le chien et le loup ne font qu'une seule et même espèce ; ce pommelé à sa partie supérieure, et le gris domine sur ses flancs ; mais ce qui le distingue de ses congénères, c’est l'odeur forte et fétide qu'il exhale. Lesson le regarde comme une variété du loup ordinaire. Cet animal robuste, d’un aspect redoutable, habite les plaines du Missouri, dans l'Amérique septentrionale. Il a les mêmes mœurs que notre loup, mais avec les modifications qu'amène né- cessairement la vie du désert. Dans ces immenses solitudes, il ne se trouve que rarement en présence de l’homme ; aussi a-t-il peu appris à le craindre. On en a conclu, assez légèrement, à mon avis, qu'il avait plus de courage ou de férocité. Comme tous les chiens sauvages que les nombreuses populations des pays très- habités n'ont pas forcés à s’éparpiller, le loup odorant vit en troupes nombreuses, associées pour la chasse, l'attaque et la dé- Les Chenils. qui, du reste, est suffisamment prouvé par la fécondité des métis. Avec un peu plus de connaissance des mœurs des animaux sau- vages, ceci n'eût pas été une difficulté pour eux. On peut ad- mettre comme règle générale que tout animal des forêts , réduit à la domesticité et vivant en bonne intelligence avec l'homme, est, par ce seul fait, répudié par les animaux sauvages de sa race. S'il veut reconquérir son indépendance et retourner dans les bois, il y trouve dans ses semblables des ennemis implacables qui, loin de le recevoir, l'attaquent, le poursuivent, le chassent ou le tuent, Ceci est démontré par l'expérience, dans le daim , le cerf, le chevreuil et beaucoup d’autres espèces que l’on a pu ob- server; pourquoi n'en serait-il pas de même dans les chiens? D'ailleurs, le chien domestique, à l'instigation de l'homme, a dé- claré une guerre implacable au loup; il le harcèle, le combat dans toutes les occasions, et cette lutte incessante a dû nécessai- rement amener une haine atroce entre les deux races, haine qui est devenue héréditaire et instinctive. Le Lour oporanr (Canis nubilus, Sax) est plus grand que notre loup commun, auquel il ressemble: son pelage est obseur et fense, aguerries, soumises à une sorte de tactique régulière. Ils poursuivent les daims et autres animaux ruminants, les forcent ou les surprennent et les dévorent en commun. Ils osent même assaillir le bison quand ils le trouvent écarté de son troupeau, et ils viennent assez ordinairement à bout de le terrasser. Les sau- vages qui peuplent le pied des montagnes Rocheuses et les bords de l’Arkansas redoutent cet animal; et, quand ils sont parvenus à en tuer un, ils se font un trophée de sa dépouille, qu'ils por- tent en forme de manteau, avec la peau de la tête pendante sur leur poitrine. Le Lour pes PRAIRIES ( Canis latrans, HarL.) se trouve dans les mêmes contrées que le loup odorant, et a les mêmes habitudes ; cependant il paraît qu'il est un peu moins carnassier, car il se nourrit souvent de baies et autres fruits. Son pelage est d’un gris cendré, varié de noir et de fauve cannelle terne; il a sur le dos une ligne de poils un peu plus longs que les autres, lui formant comme une sorte de courte crinière; ses parlies inférieures sont plus pales que les supérieures, el sa queue est droite, Le Canis latrans, SAY. — Ricu., de la Colombie, est-il le même animal? CHIENS. 157 L'Acouara-Guazou ou Loup ROUGE (Canis jubatus, Des.) est de la taille de nos plus grands loups. Sa couleur générale est d'un roux cannelle foncé sur les parties supérieures, plus pâle en des- sous, presque blanc à la queue et dans l'intérieur des oreilles; il a le pied , le museau et le bout de la queue noirs; une courte crinière noire part de la nuque et s'étend jusque derrière l'épaule, quelquefois tout le long du dos. C’est un animal dont la force ne répond pas à la férocité. Il habite le Paraguay, la Guyane et le Brésil. Cette espèce n’est pas rare dans les pampas de la Plata. Elle se plaît dans les marécages qui bordent les rivières et les fleuves, et y vit solitairement. La femelle, qui ressemble tout à fait au mâle, a six mamelles, et fait, à chaque portée, trois ou quatre petits qu’elle met bas vers le mois d'août. Dans le courant de mai, époque de ses amours, l’agouara fait retentir les pampas de ses hurlements qui s'entendent de très-loin, et qui ont un son lugubre et effrayant; il répète plusieurs fois de suite, et en les trainant, les sons goua-a-a, d’où probablement lui vient son nom. Cet animal ne quitte sa retraite que la nuit pour rôder sur le bord des eaux et saisir les animaux aquatiques qu'il poursuit à la nage avec une grande facilité; rarement il attaque le bétail, à moins qu'il n’y soit poussé par la faim, et alors son courage ne le cède pas à sa force. Le Lour pu MExIQuE (Canis meæicanus, Lix. Lupus mexicanus, Briss. — G. Cuv.) est un peu moins grand que notre loup ordi- naire. Son pelage est d'un gris roussâtre, mélangé de taches fauves, marqué de plusieurs bandes noirâtres qui s'étendent de chaque côté du corps, depuis la ligne dorsale jusqu'aux flancs; le tour du museau, le dessous du corps et les pieds sont blan- châtres. Cette espèce habite les parties chaudes de la Nouvelle- Espagne. Elle est beaucoup moins féroce que le loup rouge. Le Loup pe Java (Canis javanensis) ressemble beaucoup au loup ordinaire pour la taille et pour les formes, mais ses oreilles sont plus petites, et son pelage est d’un brun fauve, noirâtre sur le dos, à la queue et aux pattes. Il a été trouyé à Java par Les- chenault. £ Le TscHerNo-Buroï ou Loup Noir (Canis lycaon, Lis. Vulpes ni- gra, GES. Le Loup noir, Burr. — G. Cuv.) habite principalement la Russie et le nord de l’Europe, et il se trouve quelquefois acci- dentellement dans nos montagnes. Georges Cuvier dit en avoir vu quatre pris ou tués en France, et, depuis, la ménagerie en a possédé deux qui avaient été amenés des Pyrénées. Il est de la grandeur du loup ordinaire, mais ses formes sont plus légères, et son pelage est entièrement noir. On le trouve aussi dans le Canada. On dit cet animal beaucoup plus féroce que notre espèce ordi- naire, cependant je ne connais point de faits que l’on puisse apporter à l'appui de cette opinion. Les deux individus qui ont vécu à la ménagerie étaient mâle et femelle. Chaque année, ils y faisaient des petits presque aussi défiants et aussi sauvages que leurs parents ; mais, ce qu'il y a d’extrémement singulier, et ce qui prouve que les loups ont beaucoup plus d’analogie avec le chien domestique qu'on ne le croit généralement, c’est que ces petits n'avaient ni les mêmes traits ni le même pelage, et qu'ils différaient autant entre eux qu'avec leurs parents : on les eût crus d'une autre espèce, ou quelque variété de chien domestique. De là on a pensé que le père et la mère n'étaient pas de race pure, et qu'ils étaient métis de quelque chien abandonné dans les Py- rénées et devenu sauvage. Cela est possible; mais il me parait plus probable que cette variation était le résultat de la captivité des parents, de leur changement de vie, de climat, de nourriture, d'habitude ; en un mot, d’un premier degré de domesticité ; d’au- tant plus qu'il n'y avait de modifications bien prononcées que dans la physionomie et la couleur, tandis que le caractère de défiance et de férocité était resté absolument le mème. Je regarde le loup noir comme une simple variété du loup ordinaire. Le Loup noir. Le Curpreu (Canis culpœus, Morin. Canis antarcticus, Suaw.) est un peu plus grand que le jackal ; son pelage est d’un gris rous- sâtre; ses jambes sont fauves; sa queue, rousse à son origine, est noire au milieu et terminée de blanc. Il habite le Chili et l’île Falkland, l’une des Malouines, où il a été trouvé par le capitaine Freycinet, et précédemment par le commodore Byron. Cet ani- mal a une vie solitaire et misérable, qu'il passe en grande partie dans un terrier qu'il se creuse dans les dunes sur les bords de la mer ou des fleuves. Toujours maigre, sans cesse affamé, il se nourrit des lapins et du gibier qu'il peut saisir à force de ruse et de patience. Comme on n’a pas ‘observé sa pupille, il n’est pas certain si cette espèce appartient au chien ou au renard. Le terrier qu'il se creuse ferait croire que peut-être il appartient au genre de ce dernier; mais comme Bougainville dit l'avoir entendu aboyer ainsi que les chiens ordinaires, j'ai cru devoir le laisser avec eux jusqu'à ce qu'on ait de plus amples renseignements. 155 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. Le Kourara ou Cite cragier (Canis thaus, Lin. Canis cancrivo- rus, Less. Le Chien des bois de Cayenne, Bure. Canis ochropus, Less.) n’est probablement qu'une simple variété du chien domes- tique. Son pelage est cendré et varié de noir en dessus, d'un blanc jaunâtre en dessous; ses oreilles sont brunes, droites, courtes, garnies de poils jaunâtres en dedans; les côtés du cou et le derrière des oreilles sont fauves; les tarses et le bout de a queue noirâtres. Par ses qualités morales, il le dispute à nos chiens les plus intelligents. Le koupara vit en famille dans la Guyane française, où on le rencontre en troupes composées de sept ou huit individus, rare- ment plus ou moins. Il se plait dans les bois où couient des ri- vières peuplées d'écrevisses et de crabes, qu'il sait fort bien pé- cher , et dont il fait sa nourrilure de prédilection. Quand cette ressource vient à lui manquer, il chasse les agoutis, les pacas et autres petits mammifères. Enfin, faute de mieux, il se contente de fruits. Il est peu farouche, et s’apprivoise avec la plus grande facilité. Une fois qu'il a reconnu son maître, il s y attache, ne le quitte plus, ne cherche jamais à retourner à la vie sauvage, el devient pour toujours le commensal de la maison. Il s’accouple sans aucune sorte de répugnance avec les chiens, et les métis qu'il produit sont très-estimés pour la chasse des agoulis et des akouchis. Ces métis, croisés de nouveau avec des chiens d'Europe, produisent une race encore plus recherchée pour Ja chasse. Le Preæir Kourara (Canis caviævorus, Jarp.) est d'une taille moindre que le précédent ; sa tète est plus grosse, son museau plus allongé; son pelage est noir et fort long. Il habite le même pays, a les mêmes habitudes, mais son instinct le porte à faire aux cabiais une guerre beaucoup plus active. Aussi les sauvages l’élèvent:ils de préférence pour la chasse de ces animaux. Lesson pense que c’est une variété du précédent, et je ne serais pas loin de partager cette opinion. Le Corsac ou An1ve (Canis corsac, Lix. Le Chien du Bengale, PExx. Buffon s'est trompé en le décrivant sous le nom d'/satis. Canis pallidus, Ruprez.). La taille de ce chien est très-petite ct ne dépasse pas celle d’un chat. Son pelage est d’un gris fauve uniforme en dessus, d'un blanc jaunâtre en dessous; les inembres sont fauves; la queue est très-longue, touchant à terre, et noire au bout. Il a de chaque côté de la tête une raie brune qui va de l'œil au museau. Il habite les déserts de la Tartarie et se re- trouve dans l'Inde. Îl a souvent été confondu avec le jackal. Les corsacs vivent en troupes dans le désert, non dans les bois, mais dans les steppes couvertes de bruyères, où sans cesse ils sont occupés à chasser les oiseaux, les rats, les lièvres et autres petits animaux. Pendant la nuit, ils font entendre leur voix, moins glapissante que celle des jackals, mais tout aussi désagréable. Ils s’accouplent au mois de mars; la femelle porte autant de jours que la chienne, et met bas, en mai ou en juin, de six à huit petits, qu’elle allaite pendant cinq ou six semaines, Elle les fait sortir ensuite de sa retraite, leur apporte à manger, et leur apprend peu à peu à choisir leur nourriture et à chasser. Ces animaux n’ont pas moins de finesse que le renard pour s'em- parer de leur proie, consistant quelquefois en nids de canard et autres oiseaux dont ils mangent les œufs et les petits. On dit que le corsac ne boit jamais, mais il est permis d'en douter non- obstant l'affirmation de Georges Cuvier. Cet animal, si peu connu en France, qu'on va le voir à la ménagerie comme une curiosité, a néanmoins été commun à Paris sous le règne de Charles IX, parce qu'il était de mode chez les dames de la cour d'en avoir au lieu de petits chiens ; elles le désignaient sous le nom d'adive, el le faisaient venir à grands frais de l'Asie. Le KaraGan (Canis caragan, PALL. — GxL.) ne diffère guère du précédent que par sa taille un peu plus grande et son pelage d'un gris cendré en dessus, d’un fauve pàle en dessous. I habite le même pays. À Orembourg, on fait un commerce considérable de sa fourrure; et c'est à peu près tout ce qu'on sait de cet animal. Esi-ce le Canis melanotus de Pallas? Le KexLiE ou TENLIE (Canis mesomelas, ErxL.— Lin.) porte sur le dos une plaque triangulaire d'un gris noirâtre ondé de blanc, large sur les épaules, et finissant en pointe vers la base de la queue; ses flancs sont roux, sa poitrine et son ventre blanes; sa tête est d'un cendré jaunâtre; son museau roux, ainsi que ses pattes; sa queue, qui descend presque jusqu'à terre, a sur son tiers postérieur deux ou trois anneaux noirs, ainsi que son extré- milé. Cet animal se trouve au cap de Bonne-Espérance, en Nubie, en Abyssinie et dans le Sennaar. Le JackaLz ANruus (Canis anthus, Fr. Cuv.) a beaucoup d’ana- logie avec le jackal de l'inde, mais son odeur est beaucoup moins forte, et il ne se trouve qu'en Afrique, particulièrement au Sé- négal. Son pelage est gris, parsemé de quelques taches jaunâtres en dessus, blanchâtres en dessous; sa queue est fauve, avec une ligne longitudinaie noire à la base, et quelques poils noirs à sa , pointe. Ses mœurs sont absolument les mêmes. Une femelle de celte espèce était enfermée à la ménagerie, dans une cage, avec un male de jackal de l'Inde. Ils s’accouplèrent avec les mêmes circonstances que les chiens ou les loups, et deux mois après (du 26 décembre au 1% mars) la femelle mit bas cinq petits qui eu- rent pendant dix jours les yeux fermés. Deux seulement ont vécu; et lorsqu'ils furent adultes l’un était farouche, méchant, indomptable, l'autre fort doux et caressant. Cette différence de caractère est un fait très-remarquable. Le JackaL ou Scnakaz ou TscaakkaL (Canis aureus, Lin. Le Cha- cal ou Loup doré, G. Cuv. Le Thos de Pzine. Le Thoës d'Anisrore, Le Gélà des Indous. Le Nari des habitants de Goromandel. Le Tura des Géorgiens. Le Mebbia de l'Abyssinie. L’Adive ou Adibe des Portugais de l'Inde. Le Deeb ou Dib des Barbaresques. Le Wauï des Arabes). Il a le pelage d’un gris jaunâtre en dessus, blanchàtre en des- sous, en général d'une couleur plus foncée que celui de l'anthus. Sa queue, assez grêle et noire à l'extrémité, ne lui descend qu'au talen ; il exhale une odeur forte et désagréable. Sa taille est à peu près celle du renard, mais il est un peu plus haut sur jam- bes, et sa tête ressemble à celle du loup. Il est très-commun en Asie et en Afrique, si, ainsi que je le crois, il n’est qu'une légère variation de l'anthus. Guldænstæd, Tilesius et d'autres naturalistes pensent que le jackal est le type du chien domestique, Le premier de ces au- teurs, qui du reste nous a donné une histoire très-bonne et très- complète de cet animal, apporte à l'appui de son opinion des raisons qui paraissent concluantes. Après avoir établi d'une ma- nière positive que, sous les rapports anatomiques, le jackal ne diffère en rien du chien, après avoir prouvé qu'il n'offre pas même ces légères différences qui se trouvent dans le loup, il cherche les analogies dans les habitudes, les mœurs de ces ani- maux, et, il faut le dire, ces rapprochements me paraissent très- séduisants. Les jackals, dit-il, n'ont rien du caractère sauvage et farouche du loup et du renard; ils s'approchent avec sécurité soit des caravanes en marche, soit des tentes dressées pour la nuit; leur taille est moyenne entre les plus grands et les plus petits chiens; leurs poils sont plus durs que chez aucun chien, et d’une moyenne longueur entre les chiens qui les ont le plus longs et ceux qui les ont le plus courts. Leurs mœurs sont encore plus conformes que leur organisation, et, en domeslicité, leurs manières sont absolument les mêmes que celles du chien; ils pissent de côté en levant la cuisse, dorment couchés en rond , et vont amicalement , ajoute l'auteur, flairer au derrière des chiens qu'ils rencontrent. Selon lui, l'odeur du jackal, beaucoup moin- dre qu'on ne l’a dit, est à peine plus forte que celle du chien à l'approche de l'orage, ete. Il conclut de toutes ces observations vraies que le chacal est le véritable chien sauvage et la souche de toutes les variétés de chiens domestiques. CHIENS. 159 En cela il se trompe, selon moi. Le jackal est incontestable- ment une variété, et même très-légère, du chien domestique, puisqu'il produit avec lui des individus féconds, comme on l'a vu à Constantinople il y a peu d'années, et comme cela se oil tous les jours chez les Kalmoucks ; il en est de même du loup, quoi- que les analogies accessoires soient moins frappantes. Mais pour décider péremptoirement quel est le type de l'espèce, c'est-à-dire quelle est la race venue la première, la chose est impossible : car, ainsi que je l'ai dit, l'étude des ossements fossiles nous a dévoilé de nombreuses races de canis antérieures à ceux qui exisient au- jourd'hui, d'où peuvent venir à la fois nos chiens domestiques, nos kouparas, nos jackals, nos loups et en général tous nos chiens sauvages. Dans ce cas, ils descendraient tous d'un où de plusieurs types primitifs et perdus; ils seraient parents en ligne collatérale, mais non en ligne descendante de l’un d'eux. Les anciens racontaient que le lion, lorsqu'il allait à la chasse, élait accompagné ou plutôt conduit par un petit animal qui lui dé- couvrait sa proie. Le roi des forêts, après l'avoir atteinte et terras- sée, ne manquait jamais d’en laisser une portion pour son guide, qui l’attendait à l'écart, et qui n'osait en approcher que quand le lion s'était retiré. On appelait cet animal le pourvoyeur du lion ; mais son véritable nom était resté inconnu, et nul auteur ancien n'a avancé que ce pouvait être le thoës d'Aristote. Cependant quel- ques auteurs du dernier siècle ont cru reconnaitre le thos, le jackal dans ce prudent pourvoyeur, et il s’est même élevé à ce sujet une polémique aussi ridicule qu'inutile, puisqu'elle tombait sur un conte, sur un apologue ayant autant d'importance en histoire naturelle qu'une fable de La Fontaine. Ce conte indien de Pilpaï, le voici : « On demandait un jour à ce petit animal qui » marche toujours devant le lion pour faire partir le gibier : » Pourquoi t'es-tu consacré ainsi au service du lion? — C'est, ré- » pondit l'animal, parce que je me nourris des restes de sa table. » — Mais par quel motif ne l’approches-lu jamais? tu jouirais de » son amitié et de sa reconnaissance. — Oui, mais c'est un grand; » s'il allait se mettre en colère! » La vérité est que le lion n'a jamais eu de pourvoyeur que lui-même, et que si les jackals se nourrissent quelquefois de ses restes, ainsi que les hyènes et autres animaux voraces, ils le doivent au hasard. Les jackals vivent en troupes composées d'une trentaine d'in- dividus au moins, et souvent de plus &e cent, particulièrement dans les vastes solitudes de l'Inde et de l'Afrique. Quoique ces animaux n'aient pas la pupille nocturne, ils dorment le jour dans l'épaisseur des forêts, ou, selon les anciens voyageurs et nos na- turalistes, dans des terriers. Ce dernier fait a si souvent été ayancé que j'ose à peine le révoquer en doule; cependant je ne conçois pas trop comment des animaux carnassiers, vivant en troupes, pourraient rester sédentaires dans une localité extrême- ment bornée, ce que nécessite absolument la vie des terriers. Comme ils se retirent volontiers dans des grottes et des trous de rocher quand ils en trouvent l'occasion, ceci, mal observé, aura donné lieu de croire qu'ils se creusent des habitations souterrai- nes ; ou bien encore le renard de Bengale et le corsac, du même pays, ayant étésouvent eonfondns avec le jackal, on aura attribué à celui-ci des habitudes qui n’appartiennent qu'aux deux premiers. Quoi qu'il en soit, la nuit, ces animaux parcourent la campagne pour chercher leur proie tous ensemble , et, pour ne pas trop se disperser, ils font continellement retentir les forêts d’un cri lugu- bre, ayant quelque analogie avec les hurlements d’un loup et les aboiements d’un chien. On pourrait en donner une idée en pro- nonçant lentement et sur un ton très-aigu les syllabes oua…. oua… oua. Ils sont alors tellement audacieux qu'ils s'approchent des habitations, et entrent dans les maisons qui se trouvent ou- vertes. Dans ce cas, ils font main basse sur tous les aliments qu'ils rencontrent, et ne manquent jamais d'emporter ceux qu'ils ne peuvent dévorer à l'instant. Toutes les matières animales con- viennent également à leur voracité, et ils attaquent, faute de mieux, les vieux cuirs, les souliers, les harnais des chevaux et jusqu'aux couvertures de peau des malles et des coffres, Comme les hyènes, ils vont rendre visite aux cimetières, déterrent les cadavres et les dévorent. Aussi, pour mettre les morts à l'abri de ces animaux, est-on parfois obligé de mêler à Ja terre dont on les recouvre de grosses pierres et des épines qui, en déchirant les pattes des jackals , les arrétent dans leurs funèbres entrepri- ses. Si une caravane où un corps d'armée se mettent en roule, ils sont aussitôt suivis par une légion de jackals qui chaque nuit viennent rôder autour des campements et des tentes, en poussant des hurlements si nombreux et si retentissants qu'il serait impos- sible à un voyageur européen de s'y accoutumer au point de pouvoir dormir. Après le départ de la caravane , ils envahissent aussitôt le terrain du campement et dévorent avec avidité tout ce qu'ils trouvent de débris des repas, les immondices et jusqu'aux excréments des hommes et des animaux. Les voyageurs sont tous d'accord sur ces choses, qui ne peuvent appartenir à des espèces sédentaires comme sont nécessairement celles qui habitent des terriers. Lorsqu'une troupe de jackals se trouve inopinément en pré- sence d'un homme, ces animaux s'arrêtent brusquement, le regar. dent quelques instants avec une sorte d'effronterie qui dénote peu de crainte, puis ils continuent leur route sans trop se pres- ser, à moins que quelques coups de fusil ne leur fassent hâter le pas. Quoiqu'ils se nourrissent de charognes et de Loute espèce de voiries, quand ils en rencontrent, ils ne s'occupent pas moins de chasser chaque nuit, et quelquefois en plein jour. Ils poursuivent et attaquent indistinctement tous les animaux dont ils croient pouvoir s'emparer ; mais néanmoins c'est aux gazelles et aux an- tilopes qu'ils font la guerre la plus soutenue. Is les chassent avec autant d'ordre que Ja meule la mieux dressée, et joignent à Ja finesse du nez et au courage du chien Ja ruse du renard et la per- fidie du loup. On a dit que les jackals se jettent quelquefois sur les enfants et sur les femmes : ceci me parait une exagération que l’on n’appuie sur aucune observation positive. Il est plus cer- tain qu'ils poussent quelquefois la hardiesse, malgré leur petite taille, jusqu'à attaquer des bœufs, des chevaux et autres gros bétail; mais pour cela ils se réunissent en grand nombre et em- ploient avec beaucoup d'adresse leur force collective. Hs entrent hardiment alors dans les bergeries, les hasses-cours et autres lieux habités, et enlèvent à la vue des hommes tout ce qui est à leur convenance. On a encore dit du jackal, comme du loup, qu'une fois accoutumé à la chair humaine, il néglige pour elle toutes les autres proies. Si l'on voulait réfuter sérieusement ce conte de nourrice, il serait aisé de prouver qu'aucun animal ne peut contracter l'habitude de se nourrir de cadavres humains, parce que chez tous les peuples, même les plus barbares, l'homme vivant respecte l’homme mort, et a soin de le dérober à la vora- cité des animaux, plus encore chez les mahométans, qui habitent les mêmes contrées que les jackals, les hyènes et autres bêtes féroces. L'étude de l’histoire naturelle offre assez d'aliments à la curiosité sans que, pour er augmenter les attraits, on soit obligé d'y coudre grossièrement, comme faisaient beaucoup d'anciens écrivains, des contes autant absurdes que merveilleux, Le voyageur Delon rapporte que dans le Levant on élève des jackals dans les maisons, mais il ne dit rien sur leurs habitudes domestiques. Si l'on s’en rapporte à ceux qui vivent à la ménage- rie, ils seraient doux, aimants, très-caressants, mais capriciéux, et passant quelquefois, sans motif apparent, du plaisir à la co- lère. Du reste, l'accouplement, la gestation, et toutes les crrcon- stances de l'allaitement et du développement des petits, ne diffè- rent en rien de ceux du chien. 9e GExRE. Les RENARDS (Vulpes) diffèrent essentiellement du genre précédent par leur système dentaire; leurs incisives sup rieures sont moins échancrées ou même rectilignes sur leur bord 160 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. horizontal; leurs rangées dentaires, au lieu d’être continues comme dans les chiens, ont les trois premières molaires sépa- rées, ne se touchant pas, et il reste surtout un large intervalle entre la canine et la première molaire; leur pupille est nocturne, allongée verticalement ; leur queue est plus longue, plus touffue ; leur museau est plus pointu, et ils exhalent en général une odeur fétide, Quant aux autres caractères, ils sont les mêmes que ceux des chiens. Le RENARD ORDINAIRE (Canis vulgaris, KLEIN. Canis vulpes, Lin. Le Renard, Burr. Le Fox des Anglais. Le Raf des Suédois. Le Zorra des Espagnols. Le Liszhka des Polonais. Le Lisitza des Russes. Le Tulki des Tures et des Persans. Le Taaleb ou Doren des Arabes, et le Nori des Indous). Je regarde comme simples variétés de cette espèce : 1 le Renard fauve de la Virginie (Canis fuluus, Des); 20 le Renard charbonnier (Canis alopex, Lin); 5° le Renard mus- qué de la Suisse ; 4° le Renard noble du même pays, et le Renard croisé d'Europe (Canis crucigera, Briss.). Le Jackal. Le renard ordinaire est d’un fauve plus ou moins roux en des- sus, blanc en dessous; le derrière de ses oreilles est noir; sa queue est touffue, terminée par un bouquet de poils blancs. Le renard charbonnier n’en diffère que par le bout de sa queue, qui est noir ainsi que quelques poils de son dos et de son poi- trail. Le devant de ses pattes antérieures est également noir. M. Steinmuller pense que le charbonnier n’est que le jeune âge du renard ordinaire, et je ne suis pas de son avis. Pendant plus de dix années consécutives, j'ai chassé le renard dans un pays qui en était très-peuplé; j'en ai élevé plusieurs, et je crois être certain que le charbonnier n’est rien autre chose qu'un vieux mâle. Cependant il m'est arrivé, mais rarement, de tuer de très- vieilles femelles qui portaient la même livrée. Je suppose, par analogie, qu'elles ne revêtent cette livrée que lorsqu'elles de- viennent stériles. Quant au renard fauve des États-Unis, il ne dif- fère en rien du renard ordinaire ni pour les habitudes, ni pour les formes, ni même pour les couleurs. Son pelage est nuancé de roux et de fauve; le dessous du cou et du ventre sont blancs; sa poitrine est grise; le devant des jambes antérieures et les pieds sont noirs avec du fauve sur les doigts; le bout de la queue est blanc; sa taille est exactement la même que celle du nôtre. Le renard musqué de la Suisse a cela de particulier qu'il répand une odeur, non pas agréable , comme on l’a dit, mais un peu analo- gue à celle de la fouine; enfin, le renard noble, ou kohlfuschs des Suisses, n’est rien autre chose qu'un très-vieux mâle char- bonnier. Le renard croisé d'Europe (Canis crucigera de Gesner et de Brisson), qu'il ne faut pas confondre avec le renard croisé d'Amérique (Canis decussatus de Geoffroy), est également une sous-variété du charbonnier, qui a quelques poils noirs lui for- mant une croix surile dos. Le Renard fauve. Les renards ont toute la légèreté du loup et sont presque aussi infatigables , mais ils sont plus rusés à la chasse et plus ingénieux pour se dérober au danger. Ils habitent des terriers qu'ils savent se creuser au bord des bois ou dans les taillis, sous des troncs d'arbre, dans les pierres, les rochers, ou enfin dans la terre, mais alors sur un sol en pente, afin d'éviter l'humidité ou les inondations. Quelquefois ils s'emparent des terriers des blaireaux, ou même de ceux de lapin, qu'ils élargissent. Les chasseurs ont observé la forme du terrier et l'ont ainsi décrit : «Il se divise en trois parties : la maire est celle qui est le plus rapprochée de l'entrée; c’est là que la femelle se tient quelques moments en embuscade pour observer les environs avant d'amener ses petits jouir de l'influence de l'air et des rayons du soleil, c’est aussi là que le renard que l’on enfume s’arrète quelques minutes pour attendre l'instant favorable d'échapper au chasseur. Après la maire vient la fosse, où le gibier, la volaille et autres produits de la rapine sont déposés, partagés par la famille et dévorés; pres- que toujours la fosse a deux issues, et quelquefois davantage. L'accul est tout à fait au fond du terrier; c’est l'habitation de l'animal, l'endroit où il met bas et allaite ses petits. » Ce terrier n’est guère habité par le renard qu’à l’époque où il élève sa jeune famille; dans tout autre temps, il ne s’y retire que pour échapper à un danger pressant. Il passe la journée à dor- mir dans un fourré à proximité de sa retraite, et il chasse pen- dant la nuit. Il ne se nourrit guère que de proie vivante, à moins qu'il ne soit extrêmement poussé par la faim; dans ce cas, il mange des fruits, particulièrement des baies de ronces, et se tient à proximité des vignes pour se nourrir de raisin. Il faut qu'il éprouve une grande diselle pour altaquer les charognes et - CHIENS. 161 autres voiries. Vers la tombée de la nuit, il quitte sa retraite et se met en quête. Il parcourt les lieux un peu couverts, les buis- sons, les haies, pour tâcher de surprendre des oiseaux endormis, ou la perdrix sur ses œufs; il se place à l'affût dans un buisson épais pour s’élancer et saisir au passage le lièvre ou le lapin. Quelquefois il parcourt le bord des étangs, et se hasarde même dans les jones et marécages pour saisir les jeunes poules d'eau, les canards qui ne peuvent pas encore voler, et autres oiseaux aquatiques. À leur défaut, il mange des mulots, des rats d’eau, des grenouilles et des lézards. Mais si, pendant ses recherches, bond il se jette sur sa proie, fuit au fond des bois avec autant de vitesse que de précautions pour n'être pas découvert, et là il la mange avec sécurité. Quand son coup lui a réussi, on peut être sûr qu'il reviendra à la charge tous les trois ou quatre jours, et qu’au bout de l’année il ne restera pas une seule pièce de volaille dans la basse-cour, si l'on ne parvient à saisir le voleur. Dans les pays giboyeux, les renards s’adonnent plus particu- lièrement à la chasse. Deux sortent ensemble de leur retraite et s'associent pour la chasse du lièvre. L'un s'embusque au bord Le Renard argenté. le chant d’un coq vient frapper son oreille, il s'achemine avec précaution vers le hameau d’où viennent ces sons alléchants, il en fait cent fois le tour, et malheur à la volaille qui ne serait pas rentrée le soir dans la basse-cour : elle serait saisie et étranglée ayant même d'avoir eu le temps de crier. Lorsque le jour commence à paraître, il rentre dans le bois, et toujours dans le même hallier qu'il a choisi pour sa retraite habituelle. Cependant, quand la ferme où il commis ses rapines pendant la nuit se trouve très-éloignée de sa retraite, il cherche d’un chemin, dans les bois, et reste immobile; l’autre quête, lance le gibier, et le poursuit vivement en donnant huit ou dix coups de voix par minute pour avertir son camarade, d’un ton aigu, glapissant, mais non en aboyant comme le chien. C’est ordinairement pendant la belle saison, entre dix heures du soir et minuit, que l'on entend chasser ces animaux dans les pays boisés. Le lièvre fuit et ruse devant son ennemi comme devant les chiens de chasse ; mais tout est inutile, et le renard, collé sur la piste, le déjoue sans cesse et se trouve toujours sur ses une autre cachette plus rapprochée et y passe la journée en ob- servation. Si la volaille s'écarte dans les champs pour aller cher- cher sa pâture, il la guette avec soin, choisissant des yeux sa victime en attendant patiemment l’occasion de s’en emparer. Tant que le chien de cour rôde ou veille dans les environs, il reste immobile et tapi dans sa cachette; mais celui-ci rentre-t-il un moment dans la ferme, le renard se coule le long d’une haie, en rampant sur le ventre. Pour approcher sans être aperçu, il se glisse derrière tout ce qui peut le masquer, un buisson, un tronc d'arbre, une touffe d'herbe; parvenu à proximité, d’un talons. Il combine sa poursuite de manière à le faire passer sur le chemin auprès duquel son camarade est à l'affût pour l’atten- dre. Lorsque le lièvre est à portée, le renard embusqué s’élance, le saisit : l’autre chasseur arrive, et ils dévorent en commun une proie qu'ils ont chassée ensemble. Mais cette associalion n’a pas toujours une fin aussi heureuse. Il arrive parfois que celui qui attend , trahi par son impatience ou par son adresse, s'élance et manque sa proie. Au lieu de courir après, il reste un moment saisi de sa maladresse, puis, comme se ravisant et voulant se rendre compte de ce qui lui a fait manquer son coup, il retourne 51. Paris. Typographie Plon frères, rue de Vangirard, 36. 11 162 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. à à son poste et s’élance de nouveau dans le chemin: il y retourne et s'élance encore, recommencant plusieurs fois ce manége. Sur cette entrefaite, son associé paraît et devine sur-le-champ ce qui est arrivé. Dans sa mauvaise humeur, il se jette sur le maladroit, et un combat de cinq minutes est livré; ils se séparent enstite, l'association est rompue, et chacun se met en quête pour son propre compte. « Le renard, dit Buffon, est fameux par ses ruses et mérite sa réputation ; ce que le loup fait par la force , il le fait par adresse, et réussit plus souvent. Il emploie plus d'esprit que de mouve- ment, ses ressources semblent être en lui-même : ce sont, comme l'on sait, celles qui manquent le moins. Fin autant que circon- spect, ingénieux et prudent, même jusqu’à la patience, il varie sa conduite, il a des moyens de réserve qu'il sait n'employer qu'à propos. » Ce que dit Buffon est le portrait le plus exact qu’on puisse faire de cet animal, et il ne cesse d'employer la ruse pour se sauver d'un danger qu’en rendant le dernier soupir, Je pour- rais en citer plusieurs exemples dont j'ai moi-même été lémoin, mais j'aime mieux en choisir un, absolument identique à ce que j'ai vu, dans un ouvrage estimé sur la chasse : « J'ai vu un re- nard, vieux charbonnier, dit l’auteur, qui, après avoir mis plus d'une fois les chiens en défaut, s'étant fourvoyé dans un trou peu profond et fort large, où il fut pris par les chiens, se laissa fou- ler par eux, tourner et retourner par les chasseurs pendant plus d'un quart d'heure en faisant le mort, et qui, lorsque les chiens furent soûls de jouir, se releva tout d’un coup sur ses pieds, et décampa lestement au moment où on y pensait le moins. » Chassé par les chiens, le renard ruse une ou deux fois devant eux pour les mettre en défaut, puis gagne son terrier; mais, effrayé par les morceaux de papier que les chasseurs ont eu soin de placer devant les trous, auprès desquels ils se sont postés, il regagne l'épaisseur du bois s’il n’est atteint et tué par leurs coups de fusil. Après avoir fait un grand tour il revient encore une se- conde fois à son terrier, et s'il est encore manqué par les tireurs, il file de long pour ne plus revenir. Dévant les chiens il se fait toujours battre dans les fourrés les plus épais et dans les lieux bas. S'il a un chemin à traverser, il s'arrête un moment au bord du bois, examine s’il découvrira le chasseur, auquel cas il re- brousse subitement; si rien ne l'inquiète, il n’en franchit pas moins le chemin d'un seul bond, ce qui le rend très-difficile à tirer. Quand il est terré, on le prend dans son trou au moyen d'un basset qui l'inquiète pendant qu'on creuse en dessus avec des pioches ; si le terrier est dans les roches, on le fume. Quelques naturalistes ont prétendu que le chien de Laconie, dont parle Aristote, n’était rien autre chose que le renard plié à la domesticité, et ceci me paraît plus que douteux. J'ai essayé plusieurs fois de priver des renards pris fort jeunes, et je n'ai jamais pu y parvenir. Buffon n'avait pas obtenu plus de succès que moi, et tous ceux qui ont vécu à la méhagerie se sont tou Jours montrés farouches et sauvages. Je ne crois pas non plus qu'il y ait un seul exemple de l'accouplement de ces animaux avec des chiens. De ces raisons et de beaucoup d'autres tirées des différences anatomiques qui existent entre eux, je conclus que non-seulement ils n’appartiennent pas à l'espèce du chien, mais pas même à son genre. Les renards entrent en chaleur en hiver, et la femelle, qui ne fait qu'une portée par an, en avril et en mai, ne met jamais bas moins de trois petits et rarement plus de quatre où cinq. Elle en à le plus grand soin, et si elle s'aperçoit qu'on ait rôdé autour de son terrier, elle les sort pendant la nuit et les transporte un à ün dans un autre. Le renard met dix-huit mois à croître et vit treize ou quatorze ans. L'Isaris (Vulpes lagopus. — Canis lagopus, Scues. Le Renard bleu, Burr.— G. Cuv. Le Pesez des Russes. Le Frallracka des Sué- dois. Le Reft et le Toa des Islandais. Le Sid et le Graa-racv des Danois. Le Nauli des Finnois. Le Metrak des Norwégiens. Le Njal des Lapons). Son pelage est très-long, très-fourré, très-moel- leux, presque semblable à de la laine, mais non crépu, tantôt d'un cendré foncé, tantôt blanc; le dessous de ses doigts est garni de poils, et le cinquième doigt des pieds de devant est presque aussi fort que les autres, un peu plus court seulement, et son ongle plus recourbé. Le bout du museau est noir. L'isatis se trouve sur tout le littoral de la mer Glaciale et des fleuves qui s'y jettent, et partout au nord du soixante-neuvième degré de latitude. 11 se plaît dans les pays déboisés et découverts, sur les montagnes nues, et c’est sur le penchant de ces dernières, ou au moins sur les collines élevées, qu’il aime à creuser son ter- rier. Il entre en chaleur vers la fin de mars, et la femelle porte environ neuf semaines. En mai et juin elle met bas sept ou huit petits, et même beaucoup plus si on s’en rapporte à Gmelin. Les mères blanches font leurs petits d’un gris roux en naissant, et ceux d’une mère cendrée sont presque noirs. Pendant les cinq à six premières semaines, la mère reste le plus longtemps possible dans son terrier, et n’en sort que pour aller chercher sa nourri- ture; elle y allaite ses enfants avec grand soin et les tient très- propres sur le lit de mousse qu'elle leur a préparé à l'avance, Vers le milieu d'août, elle les fait sortir et les mène promener avec elle pour leur apprendre à chasser. Leur poil alors a un peu plus d’un demi-pouce (0,014) de longueur, et ces jeunes isatis prennent alors le nom de norniki. Les individus blancs commen- cent déjà à avoir une raie d'un brun cendré sur le dos; les indi- vidus cendrés ont déjà leur couleur foncée et ne subissent plus aucune variation que dans la longueur et le reflet du pelage. Dès le milieu de septembre, les blanes sont d’un blanc pur, excepté la raie du dos et une barre sur les épaules qui noircissent, et les font alors nommer krestowiki ou croisés. Puis le noir des épaules disparaît entièrement, et bientôt après celui du dos, de manière qu'en novembre l'isatis blanc est dans sa perfection de couleur et Se nomme alors nedopesez. Néanmoins les poils des blancs et des cendrés n’ont acquis toute leur longueur qu’en décembre, et c'est depuis ce moment jusqu'en mars que leur fourrure est le plus estimée. Celle des blancs étant la plus commune est aussi celle qui a le moins de valeur ; celle des gris en a beaucoup plus, et celte valeur augmente d'autant plus que la couleur en est plus foncée et refiète le cendré bleuâtre, d’où est venu à ces animaux le nom de renards bleus. La mue commence en mai et finit en juillet. A cette époque les adultes ont la même livrée que les nouveau-nés de leur couleur, et ils parcourent des phases de co- loration absolument semiblables. Les fourrures d’isatis ont un tel prix que, s'il arrive à un chasseur de s'emparer d’un ou de deux petits, il les apporte chez lui et les fait allaiter par sa femme, qui se donne beaucoup de peine pour les élever jusqu'au moment de les tuer et de vendre leur peau. Les voyageurs prétendent qu'il n'est pas rare de voir de pauvres femmes partager leur lait et leurs soins entre leur enfant et trois ou quatre renards bleus. Ces animaux ont une singulière habitude, c'est d’émigrer en grand nombre du pays qui les a vus naître dès que le gibier dont ils se nourrissent ordinairement, par exemple les lemmings et les lièvres tolaï, vient à diminuer en nombre. En général, ces émigrations se font vers le solstice d'hiver, et les émigrants des- cendent quelquefois au sud du soixante-neuvième degré, mais jamais ils n'y fixent leur demeure et n'y creusent de terriers. Après trois où quatre ans au plus, ils retournent dans leur pa- trie, où le gibier a eu le temps de peupler pendant leur longue absence. Comime tous les renards, l'isatis est rempli de ruses, de har= diesse, et enclin à la rapine. Sans cesse il est occupé, pendant la nuit, à fureter dans la campagne, et quelquefois on l'entend chasser avec une voix qui tient à la fois de l'aboiement du chien et du glapissement du renard. Il a sur ce dernier l'a rantage de ne pas craindre l'eau et dé nager avec la plus grande facilité. Aussi se hasarde-t-il souvent à travers des bras de rivière ou des 5 CHIENS. 163 lacs, pour aller chercher, parmi les jones des ilots, les nids des oiseaux aquatiques , dont il dévore d'abord la mère, s'il peut la surprendre, puis les petits ou les œufs. Le RexanD DE LaLanve (Vulpes Lalandii.— Canis megalo'is, Desu. Canis Lalandiüi, DesmouL. Otocyon megaloptis, Less. Mega- lotis Lalandii, Suvru) est plus haut sur jambes que notre renard; sa tête est plus petite et sa queue plus fournie; ses oreilles très- grandes, égalant presque la têle, sont remarquables par un double rebord à leur bord inférieur externe; son pelage est d'un gris brun en dessus, d'un fauve pâle et plus laineux en dessous; il a une bande de poils plus grands que les autres et noirâtres le long du dos; le devant des quatre pieds est d’un brun noirâtre ; le dessus et le bout de sa queue sont noirs. Tout le pelage de cet animal est plus laineux que celui des autres renards. Il habite le cap de Bonne-Espérance, et principalement la Cafrerie. Le Zero ou FENxEC (Vulpes fennecus.— Canis fennecus, Less. Canis zerdo, Guc. Fennecus Brucit, Desm. Canis =erda, Pygmœus ou Saharensis de Leucxarr. Probablement le Canis famelicus de Knerscumar) est de très-petite taille; ses jambes sont grêles, son museau eflilé, ses oreilles très-grandes; son pelage est d’un joli roux isabelle en dessus; blanc en dessous ; il a une tache fauve placée devant chaque œil; la base et le bout de sa queue sont noirs ; à l'intérieur ses oreilles sont bordées de longs poils blancs. Cet animal est fort peu connu , et tout ce qu'on sait de certain sur son compte, c'est qu'il se trouve à Dongolah en Afrique, qu'il habite un terrier, et qu'il se nourrit de petits mammifères, d'oiseaux et d'insectes. On a dit, à tort, qu'il grimpe sur les ar- bres et mange des dattes. Le Fennec DE Denua (Vulpes Denhaïmii) diffère du précédent par son pelage d’un roux blanchâtre uniforme, seulement plus pâle en dessous ; son dos, brun, est rayé de lignes noires très déliées ; son menton, sa gorge, son ventre et les parlies internes de ses cuisses et de ses jambes sont blancs; son museau est noir. Du reste, il ressemble au précédent. 11 habite l'intérieur de l'Afrique. Le Rexarp DE BENGALE (Vulpes bengalensis. — Canis bengalensis, Suaw) est brun en dessus, avec une bande longitudinale noire; il a le tour des yeux blanc, et sa queue est noire au bout, Il habite l'Inde, et diffère peu de notre renard quant aux mœurs. Le Rexarp n'Écypre (Vulpes niloticus. — Canis niloticus, Georr.) ressemble beaucoup au renard ordinaire quant aux mœurs, à la grandeur et aux formes; son pelage est roussâtre en dessus, d'un gris cendré en dessous; ses oreilles sont noires et ses pieds fauves. Il se trouve en Égypte. Le RENARD ARGENTÉ (Vulpes argentatus. — Canis argentatus, Fr. Cuv. Le Renard argenté ou Renard noir, G. Cuv., confondu par Gmelin avec le loup noir, Canis lycaoh, Canis argentatus et Decussatus, GEOFF.). Sa longueur, non compris la queue, est de vingt-trois pouces (0,625); il est d’un noir de suie, piqueté ou glacé de blanc par- tout, excepté aux oreilles, aux épaules et à la queue, où il est d'un noir plus pur; il a le bout de la queue, le dedans de l'oreille et le dessus du sourcil blancs; son museau et lé tour de son œil sont gris; son iris est jaune. Cet animal habite principalement le nord de l'Amérique ; mais, selon Lesseps et Krakenninikof, on le trouve aussi au Kamts- chalka, quoique assez rarement. Il a les mêmes habitudes que notre renard ordinaire ; et comme il est plus grand et plus fort, il est aussi plus courageux et ne craint pas d'attaquer des ani- maux d'une certaine grosseur. On dit que lorsqu'il peut appro- cher d’un troupeau, il a la hardiesse d’enlever, malgré les cris des bergers, les agneaux ou cheyreaux qui sont à sa convenance, et c'est probablement pour avoir entendu raconter de pareilles choses que Gmelin l’a confondu avec le loup noir. Sa fourrure a du prix, queiqu'elle soit moins estimée que celle du renard bleu. La ménagerie du Jardin des Plantes en a possédé un qui y a vécu assez longtemps, et l'on a pu reconnaitre en lui toutes les allures de notre renard; ainsi que lui, il marchait la tête et la queue basses, et, quoique très-bien apprivoisé et fort doux, il gardait un amour de la liberté qui a fini par le faire mourir dans la tris- tesse et le marasme. Lorsqu'on le contrariait, il grognait comme un chien en montrant ses dents, et il eût été dangereux de le toucher dans ces moments de mauvaise humeur. Il exhalait une odeur désagréable, mais qui n'avait pas beaucoup d'analogie avec celle du renard commun , et, pendant l'été, il paraissait beau- coup souffrir de la chaleur. Le RENARD AGILE ( Vulpes veloæ. — Canis velox, Sax) habite l'A- mérique , ainsi que les espèces qui vont suivre. Son pelage est doux, fin, soyeux, fauve et d’un brun ferrugineux; le dessous de sa tête est d’un blane pur , et les poils de son cou, étant plus longs que les autres, lui forment une sorte de fraise. Il a la taille svelte, le corps mince, ce qui, dit-on, le rend très-léger à la course. Il se plait dans les pays découverts, sur les bords du Missouri, se loge dans un terrier , et parait avoir les mêmes ha- bitudes que nos renards. Le Rexaro Gris (Vulpes virginianus.— Canis virginianus, Ex, Le Renard gris de Careseyx) se distingue de ses congénères à son pelage entièrement d'un gris argenté ; du reste, il a les mêmes mœurs et les mêmes habitudes. On le trouve en Virginie, Le RexanD CRoISÉ ( Vulpes decussatus, GEOFF. Canis cruciger, Scur.) est de la taille de notre renard; tout son corps, et surtout le dos, la queue, les pattes et les épaules sont d'un gris noirâtre, plus foncé vers les épaules, à poils annelés de gris et de blanc; il a une grande plaque fauve de l'épaule jusqu'à la tête, et une autre de même couleur sur le côté de la poitrine. Son museau, les parties inférieures de son corps et ses pattes sont noirs; sa queue est terminée de blanc. On le trouve dans l'Amérique sep- tentrionale et probablement jusqu'au Kamtschatka. L'AGouaracHAy ou RENARD TRICOLORE ( Vulpes cinereo-argenteus, — Canis cinereo-argenteus, Scures. — Fr. Cuv.) est noir, glacé de gris en dessus; la tête est d'un gris fauve; le museau blanc et noir; les oreilles et les côtés du cou sont d’un roux vif; l'intérieur de l'oreille est blanc, ainsi que la gorge et les joues ; le menton est noir; la face interne des membres est d’un fauve plus vif vers les flancs, plus pâle sous le ventre et la poitrine ; la queue est fauve, nuancée de brun, et terminée par du noir foncé. Il habite les États-Unis et le Paraguay. Un jeune, apporté de New-York, a vécu quelque temps à la ménagerie. Sans être méchant, il était assez farouche, et il exhalait une odeur désagréable. Les autres espèces, nouvellement connues, sont : Vulpes ame- ricanus, où Canis vulpes, HarLax, de la Nouvelle-Calédonie. Vul- pes magellanicus, Gray. Vulpes fulvipes, Martin, des îles Chiloë. Canis griseus, Kixe, de la Magellanie. Canis brasiliensis, Scmixz. Ce dernier est l'Agouarachay d'Azara. Puis les renards Hima- laïcus, æanthura, kokri, riparius, dorsalis, caama, qui n’ont pas été suffisamment comparés. 5e Genre. Les HYÉNOIDES ( Hyenoides) ont le même système dentaire que les deux genres précédents, seulement le petit lobe en avant moins prononcé; elles n'ont que quatre doigts à tous les pieds. Ces caractères les placent entre les chiens et les hyènes, avec lesquels elles ont de nombreuses affinités. La Hyéxoïne PHixTE ( Hyenoides picta. — Hyœna picta, Tes. Hyœna venatica, Broocxs. Canis tricolor, GriFr. — Canis pictus, Desw..). Sa taille est celle du grand mâtin, et, de tous les animaux, c'est celle qui a le pelage le plus agréablement varié. Sur un fond grisätre se dessinent d'une manière plus ou moins tranchée des taches blanches, noires, d'un jaune d'ocre foncé très-irrégulière- mént parsemées et mélangées, quelquefois assez larges, d'autres fois très-petiles , toujours placées sans ordre et sans nulle symé- trie. Non-seulement ces taches varient beaucoup sur les parties correspondantes du même animal, mais encore d'individu à in- dividu , car je n’en ai pas trouvé deux tachetées identiquement 11. 164 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. ——————————— dans les collections que j'ai visitées, quoiqu'’elles y soient en assez grand nombre. Du reste, la hyénoïde a quelque analogie de forme avec la hyène tachetée (Hyæna crocata), à laquelle elle ressemble par le manque de crinière, et par son train de derrière, qui est même plus relevé, quoiqu'il le soit moins que dans les chiens. Comme cette dernière, elle a la tête grosse , le museau court et les yeux gros et saillants; ses oreilles sont larges et velues ; sa queue est touffue, blanche au bout, et descend jusqu'anx talons. La hyénoïde habite le midi de l'Afrique ; elle a toute la vora- cité des hyènes, mais moins de làcheté, et elle est beaucoup plus dangereuse pour le bétail. Elle se réunit en troupe plus ou moins nombreuse, et ose alors se défendre contre la panthère et même contre le lion. Elle aime à se nourrir de cadavres corrompus et de voiries, et, pour satisfaire ce goût, elle a la hardiesse d'entrer pendant la nuit dans les cours des fermes, et même dans les villages, où elle vient ramasser les immondices jusqu'aux portes des maisons. Malgré cela elle ne s'en livre pas moins avec ardeur à la chasse des gazelles et des antilopes. Dans ce cas, les hyé- noïdes se réunissent en meutes, et poursuivent le gibier avec au- tant d'ordre et de persévérance que nos meilleurs chiens cou- rants: seulement elles se divisent quelquefois en deux ou trois bandes, et pendant que l’une suit la piste de l’antilope, les autres cherchent à prendre les devants , à la couper et à la saisir au passage; lorsque l'animal est pris ou forcé, elles le dévorent toutes ensemble sans se quereller; mais elles ne souffrent pas qu'un animal carnassier d'une autre espèce vienne leur disputer leur proie, et c’est alors que, comptant sur leur nombre et leur courage, elles osent résister à la panthère et au lion. Si les voiries manquent et que la chasse n’ait pas donné de produits, les hyénoïdes se répandent autour des habitations et poussent la hardiesse jusqu'à attaquer les troupeaux, les mou- tons principalement, et même les bœufs et les chevaux lorsqu'elles les trouvent isolés. Mais aucun fait ne constate qu'elles se soient jamais jetées sur les hommes. Ce que nous venons de dire de cet animal est tout ce qu'il y a de positif sur son histoire, et si l'on n’en sait pas davantage, c’est parce qu'il a toujours été confondu avec les hyènes par tous les voyageurs. 4e GENRE. Les GYMNURES (Gymnura , Less.) devraient peut- être se rapprocher des paradoxures, qui sont plantigrades, car ils n’ont pas une analogie parfaite avec les civettes et moins en- core avec les chiens. A la mâchoire supérieure leurs deux incisives moyennes sont les plus larges, et écartées l’une de l’autre; les deux latérales sont fort petites et les canines médiocres; la pre- mière molaire a deux pointes, la seconde une seule, la quatrième et la cinquième quatre tubereules et la sixième trois; les ca- nines de la mâchoire inférieure sont longues. Ils ont en tout quarante dents, dont douze incisives, quatre canines, et douze molaires à chaque mâchoire. Du reste, leur museau est pointu, leur langue douce ; leurs oreilles arrondies, droites et nues; leurs ongles comprimés, arqués et aigus; leur queue nue. On n’en connaît qu'une espèce : Le GyYMNuRE DE RAFFLES (Gymnura Ra/flesii, Less. Viverra gym- nura, Rarr.) a un pied de longueur (0,525) non compris la queue, qui est nue et a dix pouces (0,271). Son pelage, long et assez dur en dehors, laineux, doux et très-épais en dedans, est noir et blanc; le corps, les jambes et la première moitié de la queue sont noirs, et une bande de la même couleur passe sur les yeux; la tête, les épaules et le cou sont blancs; le museau est pointu, dé- passant d’un pouce (0,027) la mâchoire inférieure ; les moustaches sont longues, et les yeux petits. Cet animal habite les Indes orientales, et l’on ne sait rien de ses habitudes. Puits et Manége, derrière la grande serre tempérée . CIVETTES. 165 La Civette. LES CIVETTES ont quarante dents, à une seule espèce près, qui n’en a que trente-six : douze incisives, quatre canines et douze molaires, dont trois fausses molaires en haut, quatre en bas : les antérieures tombant quelquefois ; deux tuberculeuses assez grandes en haut; une seule en bas; deux tubercules saillants au côté interne de leur carnassière inférieure en avant, le reste de cette dent étant plus ou moins tuberculeux. Leur langue est hérissée de papilles rudes et aiguës ; leurs ongles se redressent à demi dans la marche, et près de leur anus est une poche, plus ou moins profonde, où des glandes particulières font suinter une matière onctueuse et souvent odorante. 4er Genre. Les CIVETTES ( Viverra , Cuv.) ont les pieds à cinq doigts, ainsi que les genettes et les mangoustes, On les reconnaît à la poche profonde qu’elles ont entre l’anus et l’organe de la génération , poche divisée en deux sacs qui se remplissent d'une pommade abondante exhalant une forte odeur musquée. Le Nzrusr ou NzME ( Viverra civetta , Lin. La Civette ordinaire, G. Cuv. — Burr. Le Kankan des Éthiopiens. Le Æastor des Gui- néens) a environ deux pieds trois pouces (0,751) de longueur, non compris la queue; son museau est un peu moins pointu que celui du renard; ses oreilles sont courtes et arrondies ; son pe- lage est long et grossier, gris, tacheté et couvert de bandes brunes et noirâtres, avec une crinière tout le long de l’échine ; sa queue est brune, moins longue que son corps ; la tête est blanchâtre, excepté le tour des yeux, les joues et le menton, qui sont bruns ainsi que les quatre pattes. La civelle ou nzime habite l'Afrique et surtout l’Abyssinie ; on la trouve aussi en Asie. Elle a, outre les poches singulières dont nous ayons parlé, un petit trou de chaque côté de l'anus, d'où suinte une humeur noirâtre très-fétide. C’est un animal qui fuit les terres humides et basses, et qui se plaît particulièrement dans les plaines élevées et les montagnes arides. Agile à la course comme un chien , leste à sauter comme un chat, souple comme tous les animaux de son genre, ayant des yeux très-brillants et qui lui permettent de distinguer les objets pendant la nuit; étant, outre cela, d’un caractère courageux et cruel, la civette est le fléau des oiseaux et des petits mammifères, qu'elle surprend dans les ténèbres, qu’elle poursuit à la course pendant le jour, et qu'elle atteint d’un bond à une assez grande distance. Son occu- pation constante est de chasser ; mais, quand elle ne trouve pas de gibier, elle vient en maraude autour des lieux habités, saisit avec toute la ruse du renard les volailles qui se sont écartées de la ferme, pénètre même quelquefois dans la basse-cour, et met tout à mort avant de se retirer. Enfin, si toutes ces ressources Jui manquent, elle se rabat sur les fruits et les racines, qu'il lui est facile de broyer avec ses larges molaires tuberculeuses. Quoique naturellement farouche, la civette s’apprivoise assez facilement , mais jamais assez pour s'attacher à son maître et caresser la main qui la nourrit. Née dans les pays chauds, elle s’habitue cepen- dant très-bien dans les climats tempérés, et même froids, pourvu que, pendant l'hiver, on la tienne dans un lieu chauffé. Il n’y a que quelques années qu’on en nourrissait encore beaucoup en Hollande, alors que le parfum qu'elle produit était à la mode, et celui qu’on en tirait était plus estimé que celui qui venait de son pays même, probablement parce qu’il n’était pas frelaté. Il paraît aussi que son odeur est d'autant plus forte et plus suave, et sa qualité d'autant plus grande, que l'animal est mieux nourri; de la chair crue et hachée, des œufs, du riz, des petits animaux, des oiseaux, de la jeune volaille, et surtout du poisson, tels sont les aliments qui lui conviennent le mieux ; il ne lui faut que peu d’eau, parce qu'il boit très-rarement. Pour recueillir ce parfum, on met l'animal dans une cage étroite où il ne peut se tourner ; on ouvre la cage par un bout, et on tire la civette par la queue; on la contraint à rester dans cette position en passant à travers les barreaux un bâton qui lui entrave les jambes de derrière ; alors on introduit une petite cuiller dans le sac qui contient le parfum, on racle avec soin toutes les parties intérieures des deux poches, et l’on met la matière odorante qu’on en tire dans un vase que l'on ferme ensuite hermétiquement. Si l'animal se porte bien, et qu’il soit convenablement nourri, on peut répéter cette opération deux ou trois fois par semaine. Cette matière exhale une odeur si forte, qu’elle se communique à toutes les parties du corps de la civette ; le poil en est imbu, et la peau pénétrée au point qu’elle se conserve encore longtemps après sa mort. Quand on irrite et tourmente l'animal, il hérisse sa crinière, se secoue en grondant, et il répand une odeur qui devient violente, au point qu'on ne peut la supporter dans un appartement où l’on se trouve-enfermé avec lui. Cette humeur onctueuse et parfumée , que nous appe- lons civette, est connue dans le Levant et en Arabie sous le nom de zibet ou algallia, et elle est encore en grande estime dans ces contrées et dans l'Inde. Autrefois, en Europe , la médecine s’en était emparée, et lui attribuait des propriétés merveilleuses, comme aphrodisiaque et stimulante; mais aujourd'hui ses pré- 166 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. tendues vertus sont oubliées, et il n'y a plus guère que les parfu- meurs et les confiseurs qui en emploient encore quelquefois. On sait parfaitement aujourd'hui que la civette, quoique très- commune, ne produit cependant que deux ou trois petits à la fois, et les anciens naturalistes auraient dû déduire ce fait du nombre de ses mamelles, qui est de quatre; mais comme elle refuse constamment de s’accoupler en domesticité, on ne sait pas le temps que dure sa gestation, ni même les circonstances qui accompagnent l'éducation de ses petits. La Civerre »'Harpwicu (Viverra Hardwichii, Less.) a environ quinze pouces (0,406) de longueur, non compris la queue, qui en a onze (0,298); elle est d’un blanc jaunâtre, marquée de. larges lignes longitudinales et de taches noires allongées et con- fluentes ; la queue porte six anneaux noirs; le nez est noir, et une ligne de cette couleur va de l’œil au cou, de chaque côté. Elle est de Java, et ses mœurs, n'étant pas connues, ne peuvent se déduire que par analogie. Le Ziger ou Sawapu-Puxée (Viverra zibelta, Lin. Le Zibeth, G. Cuv. Le Musc de LA PeyrontE. Le Quott et Baardes des Arabes) est plus petit que la civette, sa longueur ne dépassant pas douze ou quinze pouces (0,525 à 0,406), non compris la queue. Il a celle-ci beaucoup plus longue, couverte de poils courts, et an- nelée de noir; le fond de son pelage est d'un gris jaunâtre, avec de nombreuses taches noires, pleines et quelquefois assez rap- prochées pour former des lignes continues, surtout au train de derrière; le ventre est gris; une bande noire, naissant derrière la partie supérieure de l'oreille, s'étend en are de cercle jusqu’au devant du bras, et sépare la robe, tachetée de blanc pur, des côtés et du dessous du cou ; une autre bande un peu plus large, également noire, en est séparée par un cercle blanc; une troi- ième descend verticalement au-dessous de l'oreille, enfin une quatrième correspond à la branche montante de la mâchoire. Le zibet habite les Indes, et se trouve principalement aux Phi- lippines. Ses habitudes sont plus nocturnes que celles de la ci- vette, parce qu'il voit mal pendant le jour, qu'il passe entière- ment à dormir dans les fourrés où il fait sa demeure. La nuit il se met en chasse, et parcourt la campagne avec une grande acti- vité, et dans un profond silence que rien ne peut lui faire rompre. A toutes les sortes d'aliments il préfère les oiseaux et surlout leurs œufs , il attaque aussi les petits mammifères, mais il mange aussi les fruits, et il se contente de racines quand il ne trouve pas mieux; en un mot, il est presque omnivore. Du reste, il a toutes les autres habitudes de la civette, et produit un parfum qui ne lui est pas inférieur. Celui qui a vécu à la ménagerie était triste , silencieux, facile à se mettre en colère, et alors il se he- rissait le dos comme s’il eût eu une crinière. 2e Gexre. Les GENETTES (Genetta, Cuv.) n'ont qu'une poche très-peu profonde, réduite à un enfoncement léger formé sur la saillie des glandes, et presque sans excrétion sensible quoiqu'il y ait une odeur très-manifeste. La GENETTE ORDINAIRE ( Genetta vulgaris, Fr. Cuv. Viverra ge- netla, Lix. Viverra malaccensis, GuL. Viverra tigrina, Scu. La Genette et la Genette du Cap de Burr. La Civette de Malacca, Sox- NERAT. Le Chat bizaam de Vosx. Le Chat du Cap de Forster) est à peu près de la grosseur, de la longueur et de la figure d'une fouine, mais sa tête est plus étroite, son museau plus effilé, ses oreilles plus grandes, plus minces et plus nues; ses pattes moins grosses et sa queue plus longue. Son pelage est d’un gris mêlé de roux, tacheté de petites macules noires, tantôt rondes et tan- tôt oblongues; la queue a quinze anneaux alternativement noirs et blanchâtres, avec des teintes rousses. Cet animal, si l’on n'a pas confondu plusieurs espèces en une seule, se trouverait en Afrique, au Cap, dans le midi de l'Asie, en Espagne, et même en France, dans le Poitou, selon Buffon; mais ce dernier fait me paraît d'autant plus douteux que la figure qu'il a jointe à sa description est celle d'une genette étrangère. J'ai fait moi-même prendre dans le Rouergue et le Poitou des renseignements qui ne m'ont rien appris, si ce n’est que cet ani- mal est tout à fait inconnu aux chasseurs dans ces anciennes provinces. Quoi qu'il en soit, la genette n’habite ni les monta- gnes, ni les grandes forêts, ni les terres arides; elle ne se plaît que dans les vallées fraiches, ombragées par de simples bocages, et le long des ruisseaux, sur le bord desquels on prétend qu’elle se creuse un terrier. Elle a de la finesse dans la figure, de la grâce dans les mouvements, et beaucoup d'agilité pour pour- suivre les oiseaux et les petits mammifères , dont elle se nourrit habituellement. Prise jeune, elle s'apprivoise parfaitement et de- vient un fidèle commensal de la maison, ayant à peu près les mêmes habitudes que le chat, et rendant les mêmes services en faisant uhe guerre active aux souris, aux mulots et aux rats. Bellon dit en avoir vu dans les maisons à Constantinople; elles étaient aussi privées que des chats, et on les laissait aller et cou- rir partout, sans qu'elles fissent ni mal ni dégât. Deux geneltes, un mâle et une femelle, qu'on avait envoyées de Tunis, ont vécu à la ménagerie, s’y sont accouplées à la manière des chats, et y ont fait un seul petit qui, en naissant, portait déjà la jolie livrée de ses parents. Comme on les tenait dans une cage assez étroite, elles étaient tristes, ennuyées, et dormaient toute la journée en- roulées l’une sur l’autre. Elles se réveillaient le soir et s’agitaient toute la nuit. La fourrure de cet animal était autrefois très à la mode pour faire à nos dames des manchons légers, chauds et fort jolis, qui se vendaient un prix exorbitant; mais les indus- triels de ce temps-là parvinrent à peindre des taches noires sur des peaux de lapins gris, qu'ils vendirent pour de la genette; cette fraude en fit tomber la valeur, et la mode en passa. La genette du Cap n'est, selon G. Cuvier et d’autres natura- listes, qu'une très-légère variété. Cependant ses bandes longitu- dinales sont au nombre de six au moins, tandis que celle que nous venons de décrire n'en a que quatre. Le Bergé ou GENETTE DE BARBARIE (Genetta afra, Fr. Cuv.) a le pelage gris plus ou moins mêlé de jaunâtre; le chanfrein blanc; le menton et la ligne dorsale noirs; ses bandes longitudinales sont plus régulières et au nombre de cinq. Elle habite le nord de l'Afrique. Le LisaxG ou DELuNDuNG (Genetta lisang, Less. Viverra gracilis, Desw.) a de longueur totale deux pieds six pouces (0,812). Il a la tête allongée, le museau pointu; son pelage est d’un fauve très-clair, avec quatre très-larges bandes brunes transverses ; sa queue a le bout noir, avec neuf anneaux dont les deux premiers plus étroits que les autres; il a des taches sur les épaules et les cuisses, ct des bandes étroites sur le cou. Il habite Java. Le Fossa (Genetta fossa, Less. Viverra fossa, Lix. La Fossane, Burr. La Genette de Madagascar des voyageurs. Le Fossa des ha- bitants de Madagascar) est d’un gris roux, marqué dé taches brunes disposées sur le dos en quatre lignes longitudinales, et éparses sur les flancs; sa queue est roussàtre, faiblement mar- quée d’anneaux d’un roux brun. Elle habite Madagascar, et se plait dans les bois qui sont à proximité des habitations rurales. On ne sait de cet animal que ce que Poivre en a écrit à Buffon : « La fossane que j'ai apportée de Madagascar, disait-il, est un animal qui a les mœurs de notre fouine; les habitants de l’île m'ont assuré que la fossane mâle étant en chaleur, ses parties avaient une forte odeur de musc. Lorsque j'ai fait empailler celle qui est au Jardin des Plantes, je l'examinai attentivement, je n'y découvris aucune poche, et je ne lui trouvai aucune odeur de parfum. J'ai élevé un animal semblable à la Cochinchine et un autre aux îles Philippines, l'un et l’autre étaient des mâles; ils étaient devenus un peu familiers; je les avais eus très-petits, et je ne les ai guère gardés que deux ou trois mois ; je ne leur ai jamais trouvé de poche entre les parties que vous m'indiquez; je me suis seulement aperçu que leurs excréments avaient l'odeur de “ CIVETTES. 167 III ceux de notre fouine. Ils mangeaient de la viande et des fruits, mais ils préféraient ces derniers, et montraient surtout un goût plus décidé pour les bananes , sur lesquelles ils se jetaient avec voracité. Cet animal est très-sauvage, fort difficile à apprivoiser; et, quoique élevé bien jeune, il conserve toujours un air et un caractère de féroeité, ce qui m'a paru extraordinaire dans un animal qui vit volontiers de fruits. L'œil de la fossane ne pré- sente qu'un globe noir fort grand, comparé à la grosseur de sa tête, ce qui donne à cet animal un air méchant. » La GENETTE À QUEUE NOIRE (Genetta caudé nigricante. — La Ge- nette de France, Burr.) a vingt pouces (0,542) de longueur totale; son pelage, surtout sur le cou, est plus long que celui de la ge- nette ordinaire, gris mêlé de grands poils noirs à reflets on- doyants, avee le déssus du dos rayé et moucheté de noir ; le des- sous du corps est blanc; les jambes et les cuisses sont noires; les deux tiers de la queue sont noirs, et il n’y a d'anneaux dis- tincts qu'au premier liers ; les oreilles sont rondes; l'œil grand, à pupille étroite. Cette genette a vécu à la ménagerie; elle avait été achetée à Londres, mais on ignorait sa patrie. Elle était tou- jours en mouvement, et ne se reposait que pour dormir. La GENETTE À BANDEAU (Genetta fasciata, Less. Viverra fasciata, Georr.) est de la grandeur d’une fouine. Son pelage est d'un jaune clair marqué de taches d’un brun marron, disposées par séries longitudinales ; le bout du museau, la mâchoire inférieure et le front sont d'un blanc jaunâtre; tout le dessous du corps est d'un gris uniforme, Sa patrie est inconnue, mais on la soupçonne de Java. La”GenerTE DE L'INDE (Genetta indica, Less. Viverra indica, Grorr. Viverra rasse, Horsr.) est un peu plus grande que la genette ordinaire, avec la queue plus courte; son pelage est d'un blanc jaunâtre , avec huit bandes longitudinales étroites et brunes , et trois ou quatre lignes de points bruns parallèles sur les flancs; elle a le tour des yeux brun, la lèvre et le menton blanes, la queue annelée de brun et de blanc jaunâtre. Elle ha- bite l'Inde. Le cabinet en possède, sous le nom de Genette de Java, une variété qui n’en diffère que par sa taille plus petite. La GENETRE RAYÉE (Genetta striata, Less. Viverra fasciata, Lan. Viverra striata, Desu. Le Putois rayé de l'Inde, Burr. Le Chat sauvage à bandes noires de l'Inde, SonNERAT) ressemble à notre putais par la taille, la forme du corps et des oreilles ; sa queue et sa tête sont d'un brun fauve, plus pâle autour des yeux, aux joues et sous la mâchoire ; elle a six larges bandes noires et cinq plus étroites d’un blanc jaunètre le long du dos et des flancs, Elle habite la côte de Coromandel. Le Boxpar (Genetta bondar, ne BLAINY. Viverra bondar, Des.) a le fond du pelage fauve, avec la pointe des grands poils noire; il a sur le dos une bande noire, avec deux bandelettes parallèles de la même couleur sur chaque flanc; ses quatre pieds et le bout de sa queue sont également noirs. {1 habite le Bengale, La GENETTF HERMAPHRODITE (Genetta hermaphrodita. — Viverra hermaphrodita , Part.) a le museau, la gorge, les moustaches et les pieds noirs ; une tache blanche sous les yeux; le poil cendré à la base, noir à la pointe; trois bandes noires le long du dos: la queue un peu plus longüeé que le corps et noire à l'extrémité. Elle habite la Barbarie. 5e Gexre. Les MANGOUSTES ( Xerpestes, 1116.) ont le même système dentaire que les deux genres précédents; elles ont une poche volumineuse, simple, ayant l'anus percé dans sa profon- deur ; leurs poils sont courts sur la tête et sur les pattes; leur queue est longue, très-grosse à sa base, et leurs doigts sont à demi palmés. Le News (Herpestes griseus. — Viverra cafra, Li. Ichneumon griseus, Less. Le Nems, Burr.) est d'un cinquième plus grand que le sunsa; il a vingt-deux pouces (0,596) de longueur, non com- pris la queue, qui en a vingt (0,542). Son pelage est dur, redressé, plus clair que dans le sunsa, en général d'un jaune paille , d'un gris brunâtre uniforme au dos et aux pattes; les ongles sont noirs; l'iris est d’un fauve foncé. Buffon le dit d'Afrique et Geoffroy de l'Inde. Le Suxsa ou GAGARANGAN (Herpestes mungo. — Viverra mungo, Lis. Zchneumon mungoz, Less. La Mangouste de l'Inde, Bürr. Le Chiré ou Airpelé du Malabar) est à peu près de la taille d’une fouine , le fond de son pelage est brunâtre ; il a sur le dos vingt- quatre à trente bandes transversales alternativement rousses et noirâtres ; le dessous de sa mâchoire est fauve; ses pieds sont noirs; sa queue, un peu moins longue que son corps, est d'un brun noirâtre uniforme. Cet animal a de la célébrité dans l'Inde, comme l'ichneumon en Égypte. Le sunsa habite l'Inde, et n’est pas rare au Malabar et à Java. C’est un joli petit animal, qui se’ plaît le long des ruisseaux et des rivières, qui nage fort bien, et qui aime surtout à elapoter au bord de l’eau, Il fait une chasse continuelle aux reptiles, aux œufs des oiseaux aquatiques, aux petits mammifères et aux in- sectes, Il mange même des fruits quand sa chasse n'a pas été heu- reuse ; il boit beaucoup, est d'une propreté recherchée, et se roule en boule pour dormir, à peu près comme fait le hérisson, C’est surtout par ses combats avec les serpents que le sunsa s'est acquis une grande célébrité. Sans cesse on le voit fureter sur le bord des marais, et partout où il pense pouvoir rencontrer de ces reptiles. Dès qu'il en aperçoit un, il s’élance dessus d'un seul bond s’il est à portée, et lui écrase la tête avant que le ser- pent ait eu le temps de se méttre en défense. S'il est à une cer- taine distance lorsque le sunsa l'apercoit, rien n’est curieux comme les mines qu'il fait pour l'approcher sans en être vu, ou au moins sans l’effrayer : tantôt il se lève debout sur ses pattes de derrière pour l’examiner; puis, cette vue le mettant en fureur, il marche à lui en haussant et courbant le dos comme un cha- meau, et 8e roidissant sur ses quatre pattes tendues comme des bâtons ; tantôt, apereevant le reptile qui fait un mouvement pour fuir, il se laisse tomber sur le ventre, s'étend, se colle à la terre, et se glisse dotcemént à travers les herbes en rampant. Parvenu à sa portée, il se jetie sur son dangereux ennemi, et alors com- mence une lutte terrible qui ne finit jamais que par la mort de l’un d’eux, et quelquefois par celle de tous deux. La mangouste cherche à saisir le serpent sur le cou ou sur le crâne, et le com- bat est fini dès qu’elle y parvient. Mais, comme si l'animal veni- meux connaissait les intentions de son adversaire, il roule conti- nuellement son corps pour abriter ces parlies sous ses anneaux écailleux, et de temps à autre, par un mouvement rapide commé l'éclair, il lance sa tête sur son antagoniste, et, avec ses crochets venimeux, lui fait une blessure mortelle. Tous les efforts du sunsa changent alors d'objet, et il ne cherche plus qu'à se dé- barrasser des replis dont il est enlacé; il y parvient, s'éloigne en se trainant avec douleur, et cherche dans les environs une plante merveilleuse dont il mange quelques feuilles et sur laquelle il sé roule à plusieurs reprises. Aussitôt, et comme par enchantement, plein d'une nouvelle vigueur et d'un nouveau courage, il re- tourne au combat et finit par tuer le serpent. Les Indiens, té- moins de ce fait extraordinaire, ont observé la plante qué cher- chait la mangouste, et l'ont nommée chiri, du nom qu'ils donnent à l’animal qui la leur à fait découvrir ; les botanistes l’ont appelée ophivrhiza mungos. Depuis ce temps, on emploie dans l'Inde la racine de cette plante contre la morsure des serpents venimeux. Voilà l'histoire telle que la racontent les anciens voyageurs, et d’après eux quelques naturalistes; mais est-elle vraie? peut-elle se soutenir devant une critique éclairée ? C’est ce que je ne pensé pas. Un voyageur allemand s’est trouvé deux fois dans le cas de voir le combat d’une mangouste avec un serpent venimeux, et il pré- tend que ce petit mammifère, lorsqu'il est mordu, va en effet se rouler sur le gazon, qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas d’ophiorhiza, mais que cela ne l'empêche pas de mourir de sa blessure. 168 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES,. La MANGOUSTE INDIENNE ( Herpestes Edivarsii, GEOFF. — Des. Ichneumon Edwarsii, Less.) a le museau d’un brun rougeître; le dos et la queue annelés de brun sur un fond olivâtre; cette es- pèce et le nems sont les seuls qui aient les ongles noirs. Elle se trouve dans les Indes orientales. Le Vonaxc-Suira (Herpestes galera. — Mustela galera, Lin. Ichneumon galera , Less. Le Vansire, Burr.) est plus petit que le sunsa; son pelage est d’un gris brun, pointillé de jaunâtre; ses pattes sont brunes; sa queue est également grosse et également touffue dans toute sa longueur. Ce petit animal habite Madagascar, se plait sur le bord des ri- vières, et aime à s’y baigner tous les jours. Les Madécasses le prennent jeune, l'apprivoisent et l’élèvent dans leur maison, qu'il délivre des souris et autres petits animaux nuisibles. Les services qu'il rend, joints à sa familiarité et à sa douceur, l'ont fait re- chercher par les habitants de l’île de France; ils l'ont transporté chez eux, et quelques années après il était naturalisé dans leur île. Du reste, il a les mêmes habitudes que les autres mangous- tes, et il fait une guerre à mort aux lézards, serpents et autres reptiles, La ménagerie en a possédé deux qui y ont vécu assez longtemps. Le Nems. La MANGOUSTE DE Java (Herpestes javanicus. — Ichneumon java- nicus, Less.) a le pelage marron où presque roux, pointillé de blanc jaunâtre ; la tête et les jambes sont d'un marron foncé uni- forme ; la queue est d’égale grosseur dans toute sa longueur. Elle habite Java. La MANGOUSTE ROUGE ( Herpestes ruber. — Ichneumon ruber, Georr.). Sa taille dépasse d’un cinquième celle du sunsa; elle a le pelage d’un rouge ferrugineux très-éclatant, plus particulière- ment sur la tête et les épaules; ses poils sont annelés de roux et de fauve ; sa queue est très-épaisse et fort longue. On ignore son pays. La Granpe ManGousre (Herpestes major. — Ichneumon major, Georr.) a trois pieds six pouces (1,137) de longueur totale; ses poils sont annelés de fauve et de marron, mais les anneaux fauves sont si étroits que le marron domine partout ; la queue, plus hé- rissée et plus longue que le corps, se termine en pointe d’une couleur plus foncée; ses doigts sont couverts de poils ras et ser- rés, comme chez les animaux aquatiques, ce qui fait supposer que ses habitudes doivent se rapprocher beaucoup de celles de la loutre. Sa patrie est inconnue. Le TÉZERDÉA ou IcHNEUMON (Herpestes ichneumon. — Ichneumon Pharaonis, Grore.) Viverra ichneumon, Lix. Le Nems des Arabes. L'Ichneumon d'Arisrore. Le Rat de Pharaon de Becon) est plus petit d'un sixième que la grande mangouste; son pelage entier parait être mélangé également de brun marron et fauve, chaque poil étant annelé de ces deux couleurs: les pieds et le museau sont noirs ou d'un marron foncé; les poils sont plus gros, plus secs et plus cassants que dans les autres espèces; la queue est aussi longue que le corps, terminée par une touffe de très-longs poils noirs étalés en éventail. Il habite l'Égypte. L'ichneumon est un joli petit animal qui se plaît sur le bord des ruisseaux et des rivières; il est commun sur les rives du Nil. Sa marche est légère et sa prudence extrême ; il se glisse toujours à l'abri d’une haie ou d’un sillon, et il ne lui suffit pas de ne rien voir de suspect, il n'est tranquille et ne continue sa route qu'après avoir flairé tout ce qui est à sa portée. L’odorat est son guide le plus sûr; même quand il est apprivoisé, il va sans cesse flairant, remuant continuellement ses narines avec un petit bruit imitant le souffle haletant d’un animal qui vient de faire une longue course. Il se nourrit de petits mammifères, d'oi- seaux , d'œufs, de serpents, de lézards et de reptiles en général, et même d'insectes, quand il ne trouve pas mieux. En domesti- cité, il est d'une très-grande douceur, caressant, répondant à la voix de son maître, et se laissant volontiers prendre par lui. Dans ce cas, on le saisit, non par le corps, mais par la base de sa grosse queue conique, on le soulève et on le porte ainsi sans qu'il perde sa position horizontale. Sa prudence ne tient ni de la timidité ni de la poltronnerie; il est au contraire très-courageux, et non-seulement il se défend contre des animaux beaucoup plus gros que lui, mais encore il n’a pas l’air de les craindre. Le té- zerdéa étrangle fort souvent le chat assez maladroit pour lui chercher querelle, et il se fait respecter par les plus gros chiens, auxquels il saute audacieusement à la face, pour peu qu'ils aient l'air de le menacer. Dans la maison où il est élevé, il s’est bien- tôt rendu maître de la cuisine et des oppartements, où nul autre animal ne peut s’introduire sans son bon plaisir. Il est vrai qu'il n’est pas querelleur, et qu'ordinairement il vit bien avec les au- tres domestiques de sa classe, pourvu qu'ils ne lui disputent rien, pas même la place du coussin sur lequel il a l'habitude de dormir. Cet animal, quoi qu'en dise Buffon, n’a jamais été vérilable- ment domestique ni en Egypte ni ailleurs, car il ne produit pas en captivité, et les petits que les fellahs ou paysans apportent “ . CIVETTES. 169 ne quelquefois aux marchés du Caire ont toujours été trouvés sau- vages dans les champs. On les élève dans les maisons pour rem- placer les chats et faire la guerre aux souris. Ils ont pour cette chasse une ardeur et une adresse qui surpasse celle des chats, et l'avantage qu'ils ont sur ces derniers est que, outre les rats, ils détruisent les mulots, les belettes, les crapauds si incommodes dans tout le nord de l'Afrique, les insectes, et en général tous les animaux nuisibles moins forts qu'eux. Les anciens auteurs ont débité des fables absurdes sur l’ichneu- mon. Pour expliquer la raison qui lui avait fait rendre les hon- neurs divins par les prêtres des antiques Thèbes et Memphis, ils ont dit qu'il entrait dans le corps du crocodile, lorsqu'il le sur- tuent toutes les volailles qu'ils y trouvent, leur sucent le sang ou leur mangent la cervelle. Mais à cette époque, se trouvant res- serrés sur des ilots avec les renards et les jackals , ils deviennent eux-mêmes la proie de ces animaux. Dans le Saïd, ils ont pour ennemi perpétuel l’ouaran el babr (tupinambis niloticus, ou mo- nitor du Nil), sorte de grand lézard très-carnassier, qui, ayant les mêmes habitudes et se tenant dans les mêmes sites, les sur— prend au passage et les dévore. Du reste, toutes les mangoustes, celles d'Égypte comme celles de l'Inde, s'apprivoisent très-bien et se familiarisent aisément; mais, ainsi que le chat, la plupart paraissent s'attacher plus aux maisons qu'aux personnes. Toutes craignent excessivement le froid, et ne vivent que fort peu de La Boucherie, derrière les loges des animaux féroces. prenait dormant la gueule ouverte, et qu'il lui donnait la mort en lui rongeant les entrailles. Le vrai est qu'il se contente d’at- taquer les petits crocodiles presque sortant de l'œuf, lorsqu'ils sont encore trop faibles pour se défendre, et qu'il sait très-bien les saisir par le cou pour les étrangler. Il sait aussi ‘reconnaître sur le sable des rivages la place où ces animaux ont enterré leurs œufs, et il ne manque jamais de les déterrer pour en manger une partie et briser le reste. Quant à moi, je pense que si les an- ciens Égyptiens ont divinisé l'ichneumon, comme l'ibis et tant d’autres animaux, c’est qu'ils lui pardodnaïient la destruction des œufs de leur dieu crocodile en faveur du service qu'il rendait au pays en le nettoyant, après les inondations du Nil, des ser- pents et autres reptiles venimeux, des insectes et en général de tous les autres petits animaux nuisibles à l’agriculture. Lors des inondations , les ichneumons se retirent sur les hau- teurs, autour des villages, et alors leurs habitudes ont une grande analogie avec celles de nos fouines. Ils cherchent à pénétrer pen- dant la nuit dans les basses-cours , et s'ils y parviennent, ils temps en Europe. Lorsqu'on les caresse , elles font entendre une sorte de petit murmure très-doux : mais leur cri devient aigu et perçant lorsqu'on les irrite. 4e Genre. Les MANGUES (Crossarchus, FR. Cuv.) ont les dents comme les mangoustes, mais seulement au nombre de trente- six; ils diffèrent de ces animaux par la tête plus arrondie, le mu- seau plus grand et mobile, et leurs pieds non palmés. Ils ont la pupille ronde; les oreilles petites, arrondies, bilobées ; la langue douce sur les bords, papilleuse et cornée au centre ; la queue est aplatie, et leur poche anale secrète une matière onctueuse puante. Ces animaux, étant plantigrades, n’ont été placés entre les man- goustes et les surikates qu’à cause de la grande analogie de forme et d'habitudes qu'ils ont avec eux. On n'en connaît qu’une espèce, qui est Le Maneue opscur (Crossarchus obscurus, Fr. Cuv.), qui a un peu moins d'un pied (0,525) de longueur, non compris la queue, qui a sept pouces (0,189); son pelage est d’un brun uniforme sur 170 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. tout le corps, un peu plus pâle sur la tête. Il est assez rare par- tout, si ce n’est dans les forêts de P'Abyssinie. Le mangue habite la côte occidentale de l'Asie, et c’est à pen près tout ce qu'on sait de lui à l'état sauvage. Mais comme un individu a vécu à la ménagerie, on a pu faire sur lui quelques observations intéressantes. Il était parfaitement apprivoisé, très- doux, et aimait beaucoup à être caressé. Aussitôt qu’on s’appro- chait de sa cage, il venait présenter sa gorge ou son dos pour qu'on le caressât; lorsqu'on le faisait, il restait immobile et té- moignait le plaisir qu'il en éprouvait en ouvrant et fermant con- tinuellement la gueule, comme s’il mâchait quelque chose Quand on s’éloignait, il poussait un petit cri plaintif, semblable au sif- flement d’un oiseau. Il était extrêmement propre, faisait ses ordures dans un coin de sa cage, toujours à la même place, et il avait le plus grand soin de ne pas salir la partie où il se prome- nait et surtout celle où il se couchait. Il buvait en lapant, et, quoiqu'il se nourrit habituellement de viande, il mangeait volon- tiers du pain, des carottes et des fruits secs. Probablement que dans ses bois cet animal est chasseur comme les fouines et les mangoustes, et qu'il se contente quelquefois de baies et autres fruits doux, ainsi que de racines, car son museau mobile doit lui donner, jusqu'à un certain point, la faculté de fouiller la terre, 3e Genre. Les SURIKATES (ARyzæna, ILuiG.) ont douze incisives, quatre canines et vingt molaires, en tout trente-six dents; les canines sont coniques et très-aiguës, et la deuxième incisive ex- terne de la mâchoire inférieure est plus épaisse à sa base; leurs pieds n’ont que quatre doigts; leurs ongles sont robustes, non rétractiles et propres à fouir la terre; leur langue est garnie de papilles cornées ; leurs oreilles sont petites ; leur corps est allongé ; leur queue est longue, grêle et pointue; enfin leur poche donne dans l’anus même. Le SurikaTE où ZENICK (Ryzœæna capensis, Less. Suricata capen- sis, Des. Zchneumon tetradactylus, Grorr. Viverra tetradactyla, Lin. Viverra zenick, GuL.) a environ trois pieds dix pouces (1,246) de longueur totale; son museau est allongé en forme de boutoir mobile; son pelage est mêlé de brun, de blanc, de jaunâtre et de noir; le dessous du corps et les membres sont jaunâtres; sa queue, moins longue que son corps, est noire à l'extrémité; le nez, le chanfrein, le tour des yeux et des oreilles sont bruns. Il habite l'Afrique. Buffon, en indiquant cet animal comme étant de l'Amérique méridionale, a commis une erreur; il est certain qu'il habite le cap de Bonne Espérance. Il est fort joli, trègvif et très-adroit, ne vivant que dans les bois, sur la lisière desquels il se creuse un terrier. [Il en sort pendant le jour, et quelquefois aussi pen- dant le clair de lune, pour se mettre en chasse et poursuivre les petits mammifères et les oiseaux dont il se nourrit. Comme il aime beaucoup les œufs, il se hasarde quelquefois dans la plaine pour chercher des nids de perdrix, ganga, caille, ete., mais alors il avancé avec beaucoup de précaution, tantôt marchant debout en levant la tête au-dessus des herbes pour découvrir le danger, lantôt se glissant dans les broussailles, puis s’arrétant tout à coup pour écouter, assis sur son derrière et les deux bras pendants à ses côtés. Au moindre bruit, à la moindre apparence d'un objet suspect, il fuit avec agilité et va s’enfoncer dans son terrier. Lorsqu'il est effrayé ou en colère, il lâche son urine, qui ordinairement sent mauvais, mais qui dans ce cas exhale une odeur fétide. Pris jeune et élevé avec douceur, il s’apprivoise très-bien. Buffon en a possédé un assez longtemps vivant. Voici ce qu'il en dit : « Nous avions nourri ce surikate d’abord avec du lait, parce qu'il était fort jeune; mais son goût pour la chair se déclara bientôt; il mangéait avec avidité la viande crue, et surtout la chair de poulet; il cherchait aussi à surprendre les jeunes animaux : un petit lapin qu'on élevait dans la même maison serait devenu sa proie si on l’eût laissé faire. I aimait aussi beaucoup le poisson, et encore plus les œufs : on l’a vu tirer avec ses deux pattes réu- nies des œufs qu'on venait de mettre dans l’eau pour cuire; il refusait les fruits, même le pain, à moins qu'on ne l'eût mâché; ses pattes de devant lui servaient, comme à l'écureuil, pour por- ter à sa gueule. Il lapait en buvant comme un chien, et ne bu- vait point d’eau, à moins qu’elle ne füt tiède. Sa boisson ordinaire était son urine, quoiqu'elle eût une odeur très-forte. Il jouait avec les chats, et toujours innocemment ; il ne faisait aucun mal aux enfants, et ne mordait qui que ce fût que le maître de la maison , parce qu'il l'avait pris en aversion. Il était si bien appri- voisé, qu'il répondait à son nom ; il allait seul par toute la mai- son, et revenait seul quand on l’appelait. Il avait deux sortes de voix, l’aboiement d’un jeune chien, lorsqu'il s’'ennuyait d'être seul, ou qu'il entendait des bruits extraordinaires, et, au con- traire , lorsqu'il était excité par des caresses, ou qu'il ressenlait quelque mouvement de plaisir, il faisait un bruit aussi vif et aussi frappé que celui d'une petite crécelle tournée rapidement. » LES HYÈNES n’ont point de petites dents du tout derrière la grosse molaire d'en bas; leurs ongles ne sont pas rétractiles, et elles ont une poche profonde et glanduleuse sous l'anus. 4er Genre. Les HYENES (Hyæna, Briss.) ont tous les pieds à quatre doigts; elles ont trente-quatre dents, dont douze inci- sives, quatre canines, dix molaires à la mâchoire supérieure et huit à l’inférieure. Leurs mâchelières inférieures présentent deux fortes pointes tranchantes; la flexion de leurs jambes de der- rière leur fait tenir la croupe fort bas; elles ont la langue rude, les yeux très-saillants et les oreilles grandes; leur museau est arrondi , gros, comme tronqué. L'HYÈNE RAYÉE (Hyœna vulgaris, Georr. — Desu. Canis hycœna, Lix. Le Zabo des Arabes. Le Kaftaar de la Perse, et le Dubbach de Barbarie, L'Hyène d'Orient des naturalistes. L'Hyène rayée, Burr. L’Azoufa de Fez et de Maroc) a ordinairement trois pieds quatre pouces (1,083) de longueur, non compris la queue. Son pelage est d'un gris jaunâtre, rayé transversalement de brun sur les flancs et sur les pattes; son museau et sa gorge sont noirs, ainsi qu'une longue crinière qu’elle a sur le dos; ses oreilles sont longues et coniques, presque nues. Elle habite la Barbarie, l'Égypte, la Nubie, la Syrie et la Perse. Les hyènes sont des animaux qui ont singulièrement prêté à la superstition, et qui ont été le sujet de mille contes tous plus merveilleux ou plus absurdes les uns que les autres. Les anciens ont écrit que l’hyène était alternativement mâle pendant six mois et femelle pendant les six autres mois, excepté quand elle por- tait, allaitait et élevait ses pelits, car alors elle restait femelle toute l’année. Mais, l’année suivante, elle prenait sa revanche en conservant les fonctions de mäle et faisant subir à son com- pagnon le sort de la femelle. Selon les mêmes auteurs , les hyènes savent imiter parfaitement la voix humaine, et voici comment elles utilisent ce talent : elles rôdent autour des troupeaux et surtout autour des bergers, sans se laisser apercevoir, jusqu'à ce qu'elles aient entendu prononcer le nom d’un des pâtres; elles le retiennent , puis vont s'embusquer la nuit däns un buisson , et là, d'une voix plaintive, elles appellent le berger par son nom comme pour l’amener au secours d’une femme ou d’un enfant expirant. s HYÈNES. 171 —————_—_—_—_—…—…—…—…—…—…—…—…——————…—…—…—…—……——…—…—…——————————— Le malheureux, trompé par ces gémissements douloureux, vole auprès du buisson pour secourir un être souffrant qui l'appelle, mais il ne trouve qu'une affreuse hyène qui le dévore. S'il devine le piége qui lui est tendu, il fuit : mais l'animal dirige sur lui, à travers les ténèbres, l'éclat sombre et rougeâtre de ses yeux, et cette funèbre lueur le charme, l'arrêté dans sa course, et le force, par une fascination magique , à attendre, dans l'immobilité com- plète d’une statue, l'hyène, qui vient pour en faire sa proie. Il paraît que les jeunes filles étaient plus diMiciles à fasciner qne les bergers, car l'hyène pour s'en emparer était obligée d'em- ployer d'autres moyens beaucoup plus mystérieux et compliqués. Elle prenait la forme d'un beau garcon, et toujours au moyen de ses yeux, elle faisait naître dans le cœur d’une jeune fille un amour désordonné qui la rendait folle; alors la pauvrette aban- donnait son troupeau pour courir les champs , et le monstre pro- fitait de cette circonstance pour croquer d’abord la bergère, puis ensuite les moutons... « Tout cela peut arriver sans l’hyène, » dit Buffon. Dans le siècle dernier, les écrivains, un peu plus critiques que leurs pères, abandohnèrent ces contes absurdes , mais pour les remplacer par d'autres contes, ou au moins par des exagérations outrées. Buffon lui-même n'est pas à l'abri de ce dernier repro- che; écoutons-le : « Cet animal sauvage et solitaire demeure dans les cavernes des montagnes, dans les fentes des rochers ou dans des tanières qu'il se creuse lui-même sous terre. Il est d'un natu- rel féroce, et, quoique pris lout petit, il ne s’apprivoise pas. Il vit de proie comme le loup, mais il est plus fort et paraît plus hardi; il attaque quelquefois les hommes, il se jette sur le bétail, suit de près les troupeaux, et souvent rompt dans la nuit les portes des étables et les clôtures des bergeries. Ses yeux brillent dans l'obscurité, et l’on prétend qu'il voit mieux la nuit que le jour. Si l’on en croit tous les naturalistes, son eri ressemble aux sanglots d'un homme qui vomirait avec effort, ou plutôt au mu- gissement d'un veau. L'hyène se défend du lion, ne craint pas la panthère, attaque l’once , laquelle ne peut lui résister, Lorsque la proie lui manque, elle creuse la terre avec les pieds et en tire par lambeaux les cadavres des animaux et des hommes. » A présent venons-en à la vérité. Les hyènes rayées sont en effet des animaux très-farouches et d'une voracité dégoütante, mais d’une làcheté, d’une poltronnerie incomparablement plus grande que celle du loup. Elles ne vivent que de cadavres, de voiries, el c'est à ce goût prononcé pour la chair corrompue, beaucoup plus qu'à leur prétendue férocité, qu'il faut attribuer cette habitude qu'elles ont de déterrer les cadavres quand elles parviennent à entrer dans les cimetières mal clos des musulmans ; et encore, Bruce, qui a vécu longtemps en Abyssinie, pays de la terre qui est le plus peuplé d'hyènés, nie positivement ce fait. «Après beaucoup de #écherches , dit-il, je n’ai encore pu avoir une seule preuve que lés hyènes eussent déterré un cadavre. » ( Voyage aux sources du Nil, tome XIII, page 184.) Non-seulement elles ne peuvent en aucune manière lutter contre le lion et la panthère, mais leur timidité ne leur permet pas même d'attaquer des jackals et autres animaux de la taille du renard et au-dessus. Elles rôdent sans cesse pendant la nuit, et quelquefois elles s’ap- prochent des habitations, non pour inquiéter les hommes, dont elles redoutent beaucoup la présence, mais pour se nourrir des immondices qu'elles y cherchent. Si elles se hasardent à attaquer une pièce de bétail, c'est un faible agneau où un animal mourant qui ne peut leur faire aucune résistance, et si elles sont surprises dans ce méfait, elles se laissent assommer à coups de bâton par des enfants de huit à dix ans, sans chercher à se défendre. Les marabouts , dont toute l'ambition est de se faire passer pour saints aux yeux du peuple, connaissent parfaitement la lâcheté de celte espèce; aussi ne manquent-ils pas, quand ils en trou- vent l'occasion, de saisir une hyène vivante à bras-le-corps, et de l'apporter ainsi dans la ville. Comme elle ne leur fait jamais la moindre blessure , les Arabes attribuent à la sainteté du person- nage et à une faveur spéciale du prophète ce qui n’est que le résultat de la timidité de l'animal. « En Barbarie, dit Bruce, j'ai vu des Maures saisir, en plein jour, des hyènes par les oreilles, et les tirer vers eux sans qu'elles fissent d'autre résistance que de chercher à se dégager. » La ménagerie a possédé fort souvent des hyènes rayées, et ja- mais elles ne se sont parfaitement apprivoisées, quoique ces ani- maux y aient toujours paru inoffensifs. L'une d'elles s'était rongé jusqu'à complète destruction tous les doigts de ses pattes de der- rière, et se trouvait réduite à marcher sur de véritables moignons, ce qui ne l’a pas empêché de vivre plusieurs années. Cependant il est certain que cette espèce, élevée avec douceur , s'apprivoise parfaitement. Il y a trois ans que toute notre armée d'Algérie a vu à Bone un officier français qui en avait élevé une. Elle lui était attachée , le suivait librement dans les rues comme à la campa- gne, obéissait à son commandement, accourait à sa voix, et le caressait absolument comme aurait fait un chien. L'HyÈNE D’ABYssiNE (Hyœæna Brucii. — Canis hyænomelas, BRUCE) atteint jusqu’à cinq pieds neuf pouces (1,868) de longueur totale, et sa queue a vingt et un poüces (0,869) ; ses formes générales se rapprochent davantagé de celles du chien, et elle n'a pas le train de derrière aüssi incliné que l'hyène rayée, dont elle diffère encore par sa couleur d'un roux brun, plus pâle aux oreilles et à la tête; par son müseau plus long et non étranglé ; réssemblant à celui d’un chien; par sa erinière d'un rouge brun ét non pas noire, et par sa queue également d'un rouge brun, dont les poils, ainsi que ceux dé la érinièré, ne sont pas annelés de noir à la pointe ; ellé n’a pas là gorge noire, mais séulement une tache remontant jusqu'à l'extrémité de la mâchoire inférieure; ses oreilles, longues de plus de neuf pouces (0,244), ne sont pas nues, mais couvertes de poils très-fins ét Liès-coufts. Du reste, ellé est rayée de noir à peu près de la même itianière, à cette différence néanmoins que les bandes des jambes de derrière ne sont pas transversales, mais longitudinales, ce qui est un caractère spéci- fique très-tranché. Malgré ces différences énormes, malgré des mœurs tout à fait différentes, l'hyène de Bruce, quatre fois plus grosse que l'hyène rayée, a été confondue avec elle par tous les naturalistes, et cela parce qu'ils ont plus consulté la mauvaise figure qu'on en a don- née dans la traduction francaise du Voyage aux sources du Nil, que la description écrite du voyageur. Les hyènes d'Abyssinie vivent solitairement comme l'hyène rayée, et paraissent n'avoir guère plus d'intelligence. Bruce dit: « Elles sont au contraire excessivement brutes, paresseuses, sales, dépourvues de toute espèce de pudeur, et ayant enfin des mœurs très-ressemblantes à celles du loup. Le courage qu’elles montrent ne leur vient que de leur extrême voracité ; aussi meurent-elles plus souvent en fuyant qu'en combattant. C’est une vraie peste en Abyssinie; il y en a partout, dans les campagnes et dans les villes, et je suis sûr qu'il y en a plus que de montons, quoique les moutons y soient pourtant en grand nombre. Depuis le moment du crépuscule du soir jusqu’au point du jour, Gondar est rempli d'hyènes, qui viennent dévorer les cadavres des infortunés que les cruels Abyssins laissent sans sépulture dans les places publi- ques et dans les rues. Il croit en même temps, ce peuple sangui- naire et superstitieux, que ces animaux ne sont autre chose que les falashas (sorciers), qui changent de figure par le pouvoir de la magie, et qui descendent la nuit de leurs montagnes pour venir se nourrir de chair humaine, » Il raconte qu'en sortant chaque soir du palais du roi pour rentrer chez lui, il courait risque d’être mordu par des hyènes. « Les hommes armés qui m'accom- pagnaient, dit-il, ne les épouvantaient point. Elles grondaient en rôdant autour de nous, et il ne se passait guère de nuit sans qu’elles tuassent ou blessassent quelqu'un. » En Abyssinie et dans l’Athara, on n’enterre pas toujours les 172 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. cadavres humains, et on se borne à les porter dans la campagne ou même à les laisser dans la rue, quand ce sont les corps de pauvres gens; les hyènes se chargent de leur donner la sépul- ture. Aussi, cet animal marche insolemment en plein jour, fait face à l’homme ; cependant il attaque toujours le mulet ou l'âne plutôt que le cavalier. En route, les fusils l'empêchent de venir très-près des voyageurs ; mais la nuit, le soir et le matin, il est toujours sur leurs talons. Comme on ne le chasse jamais, et que l’on se contente de repousser ses agressions, l'impunité lui donne de l'audace, et sa voracité le pousse quelquefois jusqu’à entrer dans les maisons. « Une nuit, dit encore le voyageur cité plus haut, j'étais dans la province de Maïtsha , très-occupé d'une ob- servation astronomique, lorsque j’entendis passer quelque chose derrière moi; soudain je me retournai et ne pus rien voir. Ayant achevé ce que je faisais en ce moment, je sortis de ma tente dans l'intention d'y retourner bientôt, et, en effet, j'y rentrai presque tout de suite. Mais, en mettant le pied sur le seuil, j’apercus deux L'Hyène rayée. gros yeux bleus étincelants dansles ténèbres. Je criaisoudain à mon domestique de porter de la lumière; et nous vimes une hyène à côté du chevet de mon lit, tenant dans sa bouche trois ou quatre paquets de chandelles. Je ne pouvais lui tirer un coup de fusil sans courir risque de briser mon quart de cercle, ou quelque autre de mes instruments. Comme elle avait la gueule pleine de chan- delles, elle semblait à ce moment ne pas songer à une autre proie, et je voyais qu'elle était trop embarrassée pour me mordre. Je pris donc une lance, etje la frappai aussi près du cœur qu'il me fut possible, Jusqu’alors elle n'avait pas montré la moindre co- lère ; mais dès qu’elle se sentit blessée elle laissa tomber ce qu'elle avait dans la gueule, et fit des efforts incroyables pour remonter le long du fût de la lance et venir jusqu'à moi. La crainte de la voir réussir me fit tirer un pistolet de ma ceinture, et je lui là- chai mon coup. Presque aussitôt mon domestique Jui fendit le crâne d’un coup de hache. Enfin , les hyènes faisaient les tour- ments de ma vie; elles troublaient nos promenades du soir; elles dévoraient sans cesse quelqu'un de nos mulets et de nos ânes, animaux qu’elles cherchent toujours de préférence. » On voit par ces citations que l’hyène d’Abyssinie diffère de l'hyène rayée, non-seulement par la taille et la couleur, mais en- core par son audace et sa férocité. Comme le loup, cette espèce préfère le chien à toute autre proie, et il paraît qu’en cela elle salisfait à la fois et son goût et sa haine. Il y a entre ces ani- maux une antipathie invincible, et les chiens les plus hardis pour la chasse au sanglier n’osent jamais la poursuivre dans les bois, ni la combattre en plein champ. Il n’en est pas de même pour l'hyène de Barbarie; les chiens de berger, aussitôt qu'ils l'aper- coivent, s’élancent sur elle et l’étranglent sans facon. L'HYÈNE TACHETÉE (Hyæna capensis, Desm. Canis crocutus, Lan. Hyæna crocuta, Zi. Hyœæna striata, PENN. Hycæna maculata , Tuuxs. Le Loup-tigre de Kolbe, si ce loup-tigre n’est la hyénoïde peinte) a le pelage d’un gris roux prononcé; la tête est rousse, avec du noirâtre sur le front et entre les yeux; le dessous du front est d'un brun roussâtre; le dessous du cou et du front seu- lement est blanchâtre; des tâches noirâtres, peu distinctes, occeu- pent les flancs, la croupe et les cuisses ; elle a une bande noirâtre de chaque côté du cou, les jambes et les pieds noirâtres, avec la face interne des jambes de devant d’un blanc roussâtre ; la queue rousse dans sa première moitié, et noirâtre dans la seconde. Dans sa première édilion des Ossements fossiles, Cuvier avait donné le nom d'hyène rousse à cette espèce, et cette méprise a beaucoup embarrassé les naturalistes ; il en est résulté que plu- sieurs d’entre eux ont appliqué à sa synonymie la description de l'espèce suivante, qui est restée sans nom, ou avec un nom qui ne lui convient pas puisqu'il appartient à celle-ci. L'hyène tachetée habite le midi de l'Afrique, et principalement le cap de Bonne-Espérance ; il paraît cependant qu'on la trouve quelquefois aussi en Barbarie. Pour la grandeur elle tient le mi- lieu entre l'hyène rayée et l'hyène d’Abyssinie, car celles de la ménagerie avaient deux pieds et demi (0,812) de hauteur sur le garrot, et trois pieds et demi (1,137) de longueur , non compris la queue. Moins sauvage et plus courageuse que les autres espèces, celle-ci a aussi plus d'intelligence, et sous ce rapport elle ne le cède guère au chien. Elle se défend hardiment contre les ani- maux féroces avec lesquels sa force lui permet de lutter, et elle ne se nourrit de cadavres que lorsque la chasse aux gazelles et aux antilopes ne lui réussit pas. Si l’on s’en rapporte à Barrow, il est des pays où on l’apprivoise et on [a dresse pour la chasse. IL paraitrait qu'alors elle s'attache à son maître avec beaucoup d'affection, et qu'elle lui est aussi dévouée, aussi fidèle qu'un chien. Toutes celles qui ont vécu à la ménagerie portent à croire ce qu’en a dit ce voyageur, car elles étaient fort douces, cares- santes même, et elles aimaient beaucoup qu'on les grattàt autour des oreilles et sur le cou. Ce n'était pas seulement à leurs gar- diens qu'elles donnaient ces marques d'amitié, mais encore à toutes les personnes étrangères qui s’approchaient de leur loge. L'une d'elles , lors de son arrivée en France, s'échappa de sa cage, à Lorient. Elle courut quelque temps la campagne sans HYÈNES. 173 A ————————_—_ faire de mal à personne , et se laissa bientôt reprendre sans ré- sistance. Elle a vécu seize ans à la ménagerie, et ce n'est que vers la fin de sa vie, lorsqu'elle fut tourmentée par les infirmités de la vieillesse, que son caractère s'aigrit un peu. Elle cessa d'é- tre caressante, mais pour cela elle n’en devint pas plus méchante. L'Hyène pe Cuvier ( Hyæna Cuvieri) est d'un gris blanchâtre tirant un peu sur le fauve; elle a des taches brunes, rondes, nettes, sur les flanes et sur les cuisses; celles de l'épaule forment une bande qui se continue avec une ligne longitudinale brune de chaque côté du cou; les pieds sont blanchàtres, un peu teints de roux vers le bas; la queue est annelée de blanchâtre, et de brun à la base, noirâtre dans ses deux tiers inférieurs ; la tête, du même fond que le dos, a un peu de brun vers les joues et du fond. Leur système dentaire est encore inconnu, mais tout fait présumer qu'il doit être à peu près celui des hyènes. Le PRrOTÈLE DELALANDE ou Aarp-Wor (Proteles Lalandii, Is. Georr. La Civette hyénoïde, Fr. Cuv. La Genette hyénoïde, G. Cuv. Proteles hyenoïdes, BLaixv.) a beaucoup de ressemblance avec l'hyène d'Orient, tant par ses formes que par son pelage; comme elle, par la flexion de ses jambes de derrière, il porte l'arrière- train beaucoup plus bas que celui de devant; son pelage est gris; il a sur le dos une crinière peu fournie ; les pieds sont noirs; il a sur les côtés des bandes noires peu nombreuses, et de plus DE sur les jambes; sa queue est touffue, noire, grise à sa ase. Les Hyènes. roux vers le sommet. Cette espèce, à laquelle Îes auteurs ont ap- pliqué à tort la synonymie de la précédente, se trouve également au Cap, mais elle y est beaucoup plus rare. Du reste, elle a les mêmes mœurs. Je la crois une variété de la suivante. L'HyÈèxE BRUNE (Hyœna fusca, Georr. Non la Hyène brune, Fr. Cuv.) est un peu moins grande que l’hyène rayée; son corps est couvert en entier de poils longs, rudes, d'un brun noirûtre, qui pendent sur les côtés; la tête est couverte de poils courts d'un brun grisätre; elle a sur les jambes de devant et les pieds de derrière quelques bandes transverses brunes et blanchàtres ; le dedans des jambes, le dessous du ventre et de la queue sont d'un gris blanchètre. Elle est du cap de Bonne-Espérance. 2e GENRE. Les PROTÈLES (Proteles, Is. GEorr.) ont cinq doigts aux pieds de devant et quatre aux pieds de derrière ; ils diffèrent encore des hyènes par leur tête allongée, leur museau fin et presque conique et leur poche ne consistant qu'en un sillon pro- L'aard-wolf, ou loup de terre, atteint la taille de nos chiens de berger, et habite la Cafrerie et le pays des Hottentots, où néanmoins il est assez rare. Il a les habitudes nocturnes, et ne quitte sa retraite que la nuit pour aller, en petite troupe, à la chasse des gazelles et des antilopes. Probablement il se nourrit aussi de voiries et de charognes, et c’est peut-être pour s'empa- rer des cadavres entraînés par les eaux, qu'il habite de préférence les bords de la rivière des Poissons, en Cafrerie, où le docteur Knox l’a rencontré plusieurs fois. Pendant le jour, il se tient en famille dans un terrier profond et à plusieurs issues, qu'il se creuse dans les bois. Lorsqu'on l'irrite, il redresse sa crinière et hérisse ses longs poils depuis la nuque jusque sur la queue. Le voyageur Delalande, le premier qui ait découvert et fait connaitre cel animal, en a tué et rapporté en Eurcpe trois individus qui habitaient le même terrier ; il en a vu fuir avec vitesse, la crinière hérissée, le corps très-penché en arrière, les oreilles et la queue baissées. 174 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. LES CHATS n’ont point de petites dents du tout derrière la grosse molaire d'en bas; leur museau est court et rond; leurs ongles sont ré- tractiles, excepté dans le premier genre. Ils ont cinq doigts aux pieds de devant, et quatre à ceux de derrière. Aer Genre. Les GUÉPARDS (Guepar cynofelis, Less.) diffèrent des chats proprement dits par leurs ongles non rétractiles, mais semblables à ceux des chiens; par leur tête plus petite et plus courte, par leurs jambes plus longues, leur corps plus élancé, et enfin par leurs dents mâchelières, qui sont moins tranchantes. On n’en connaît qu'une espèce, qui est Le Guéparn ou Fanu (Guepar jubatus. — Felis jubata, Scur. — Lin. Felis guttata, Geru. Cynofelis jubata, Less. Le Tigre chas- seur, des Indes; le Léopard à crinière; le Fadh et le Youse des Persans, le Jaz des Tures). Ce joli animal habite l'Asie méridionale et plusieurs contrées de l'Afrique; il a trois pieds et demi (1,137) de longueur, non compris la queue, et deux pieds (0,650) de hauteur. Son pelage est d'un beau fauve clair en dessus, et d'un blane pur en des- sous ; de petites taches noires, rondes et pleines, également se- mées, garnissent toute la partie fauve ; celles de la partie blanche sont plus larges et plus lavées; la dernière moitié de sa queue est annelée de douze anneaux alternativement blanes et noirs ; enfin, les poils de ses joues, du derrière de la tête et du cou sont plus longs, plus laineux que les autres, ce qui lui forme comme une sorte de petite crinière. A celle jolie robe le guépard joint la légèreté des formes et la grâce des mouvements. Ayant les doigts longs, munis d'ongles peu pointus et nullement rétrac- tiles, il ne peut grimper sur les arbres comme la plupart des chats; mais il bondit comme eux, court avec beaucoup plus d’a- gilité, et peut atteindre aisément le gibier en le poursuivant, quand il n’a pas réussi à s’en saisir par surprise. Il s’en faut de beaucoup que le guépard ait le caractère perfide et féroce des grands chats avec lesquels les naturalistes l'ont classé. Quoique habitant des forêts et vivant de la chasse, il est peu farouche et s’apprivoise fort aisément, Alors il s'attache à son maître, répond à sa voix, le suit, le caresse, se laisse dresser à chasser pour lui, et montre autant d'intelligence que de dou- ceur. Celui qui vivait, il y a peu d'années, à la ménagerie, venait du Sénégal; il était si familier, qu'on l'avait placé dans un pare, où il vivait librement, et dont jamais il n'a cherché à sortir. Il obéissait au commandement du gardien de la ménagerie, et il aimait surtout les chiens, avec lesquels il jouait toute la journée sans leur faire jamais aucun mal. Un jour, un petit domestique nègre, âgé de dix à douze ans, vint se promener au Jardin des Plantes; il apercoit le guépard dans son pare, et se met aussitôt à l'appeler : Fadh! Fadh! Le guépard le regarde, s'approche ; aussitôt le négrillon de jeter là le chapeau à galon, la veste de livrée, d’escalader la palissade, de se jeter sur Fadh, qui l’atten- dait avec impatience, et les voilà se baisant, se léchant, se cares- sant de mille manières, se serrant, l’un dans les bras, l’autre dans les pattes, et se roulant tous deux sur le gazon en jouant à qui mieux mieux. Celte scène, aussi surpreñante qu'inattendue ; effraya ceux qui en furent témoins autant qu’elle les élonna; on courut chercher le gardien des animaux. On apprit alors que le guépard et l'enfant avaient fait ensemble la traversée du Sénégal en France, qu'ils s'étaient épris d'amitié sur le pont du bâtiment, et que tous les deux venaient de se rencontrer par hasard, et de se reconnaître après une séparation de trois mois. Si l'on en croit Eldemiri, ce serait Chaleb, fils de Walid, qui, le premier, se serait servi du guépard pour la chasse, ce qui, du reste, est assez peu important à savoir. Ce qu'il y a de cer- tain, c’est qu'à Surate, au Malabar, dans la Perse et dans quel- ques autres parties de l'Asie, on élève ces animaux pour s'en servir à cet exercice. Les chasseurs sont ordinairement à cheval, et portent le guépard en croupe derrière eux; quelquefois ils en ont plusieurs, et alors ils les placent sur une petite charrette fort légère et faite exprès. Dans les deux cas l'animal est enchainé, et a sur les yeux un bandeau qui l'empêche de voir. Ils partent ainsi pour parcourir la campagne, et tâcher de découvrir des gazelles dans les vallées sauvages où elles aiment à venir paître. Aussitôt qu'ils en apercoivent une, ils s'arrêtent, déchainent le guépard, et, lui tournant la tête du côté du timide ruminant, ils le lui montrent avec le doigt. Le guépard descend, se glisse doucement derrière les buissons, rampe dans les hautes herbes, s'approche en louvoyant et sans bruit, toujours se masquant derrière les inégalités du terrain, les rochers et autres objets, s’arrêtant su- bitement, et se couchant à plat ventre quand il craint d’être aperçu, puis reprenant sa marche lente et insidieuse. Enfin, quand il se croit assez près de sa victime, il calcule sa distance, s’élance tout à coup, et en cinq ou six bonds prodigieux et d’une vitesse incroyable, il l’atteint, la saisit, l’étrangle, et se met aussitôt à lui sucer le sang. Le chasseur arrive alors, lui parle avec amitié, lui jette un morceau de viande, le flatte, le caresse, lui remet le bandeau, et le replace en croupe ou sur la charrette, tandis que les domestiques enlèvent la gazelle. Néanmoins, il arrive quelquefois que le guépard manque son coup , malgré ses ruses et son adresse. Alors il reste tout saisi et comme honteux de sa mésaventure , et ne cherche jamais à poursuivre le gibier ; son maître le console, l’encourage par des caresses, et les chas- seurs se remettent en quête avec l'espoir qu'il sera plus heureux une autre fois. Dans le Mogol, celte chasse est pour les riches un plaisir si vif, qu'un guépard bien dressé, et qui a la réputation de manquer rarement sa proie, se vend quelquefois une somme exorbitante. En Perse, cette chasse se fait à peu près de la même manière, à cette différence près que le chasseur qui porte le guépard en croupe se place au passage du gibier que des hommes et des chiens vont relancer dans le bois. Quand une gazelle passe à sa portée, «il débande les yeux de l'animal, dit Chardin, et lui tourne la tête du côté de la bête relancée ; le guépard l’apercçoit, fait un cri, s'élance à grands sauts, se jette dessus et la terrasse. S'il la manque après quelques bonds, il se rcbute d'ordinaire, et pour le consoler on le caresse. Il y a en Hyreanie des bêtes dres- sées qui font la chasse finement, se trainant sur le ventre le long des haies et des buissons jusqu’à ce qu'elles soient proches de la proie, et alors elles s’élancent dessus. » L'empereur Léopold Ier avait deux guépards aussi privés que des chiens. Quand il allait à la chasse, un de ces animaux sautait sur la croupe de son cheval, et l’autre derrière un de ses courtisans. Aussitôt qu'une pièce de gibier était levée, les deux guépards s’élancaient, la surprenaient, l'étranglaient, et revenaient tranquillement, sans être rappelés, reprendre leurs places sur le cheval de l'empereur et sur celui de son courtisan. Le Guérarp de Fr. Cuvier (Felis guttata, Herm. Cynofelis gut- tata, Less.) est une espèce ou variété très-voisine, qui habite l'Afrique, le Sénégal, le Kordofan et le cap de Bonne-Espérance. 2e Genre. Les CHATS (Felis, Lin.) ont trente dents, savoir : douze incisives, quatre canines, huit molaires supérieures et six inférieures ; leur carnassière supérieure a trois lobes et un talon mousse en dedans; l’inférieure a deux lobes pointus et tran- chants, sans aucun talon; enfin ils n’ont qu'une très-petite tu- berculeuse supérieure, sans rien qui lui corresponde en bas. CHATS. 175 ——————…—…—…—…—…—………—…—…—…—…—…—… …—.——…—.———————————————————— Leurs doigts sont armés d'ongles rétractiles qui s'étendent et se redressent, puis se cachent entre les doigts, à la volonté de l'animal ; leur langue est hérissée de papilles épineuses et cor- nées ; leurs oreilles sont pointues ; 1ls n'ont point de follicules anaux. Il résulte de l'organisation des chats qu'ils sont essen- tiellement carnivores et propres à se nourrir de proie vivante, et qu'ils seraient les animaux les plus destructeurs s'ils pouvaient courir. $ 4er. CHATS DE L'ANCIEN CONTINENT. Le Lion (Felis leo, Lan. L'Asad des Arabes et le Gehad des Per- sans) varie, pour la taille et la couleur, en raison des pays qu'il habite. Son pelage est communément d'un fauve assez uniforme; le dessus de la tête et le cou du mâle adulte portent une épaisse crinière , Landis que le reste du corps est couvert de poils ras; sa queue est terminée par nn flocon de poils, La femelle ressemble au mâle, à cela près qu'elle a la tête plus petite et qu'elle man- que de crinière. Les variétés qui ont été signalées par les natura- listes sont : 4° Le Lion jaune du Cap, peu dangereux ; 2% Le Lion brun du Cap, le plus féroce et le plus redouté de tous ; 5° Le Lion de Perse ou & Arabie, à pelage isabelle pâle et cri- nière épaisse ; 4° Le Lion du Sénégal, à crinière peu épaisse et pelage un peu jaunâtre ; 5° Le Lion de Barbarie, à pelage brunâtre, avee une grande crinière dans le mâle; ce dernier est poltron, mais il s'apprivoise facilement. Avant de commencer l'histoire du lion, il est indispensable que je donne quelques généralités sur les chats; car j'aurai proba- blement sur cette famille bien des préjugés à combattre, bien des erreurs à relever. Ces animaux, si on les étudie en anatomiste, sont incontestablement organisés pour être Les plus féroces et les plus forts de tous les carnassiers, et leur structure est admira- blemenñt en harmonie avec leurs mœurs, « Continuellement en action la nuit et le jour, dit Desmoulins, la ruse et la patience sont toujours les moyens qu'ils préfèrent; leur attaque est tou- jours une surprise : aussi leur oreille est-elle plus développée que dans les autres mammifères pour entendre clair et de loin. L’œil des espèces nocturnes est aussi bien approprié aux habitudes de l'animal; outre que son volume et celui des lobes optiques sont très-grands, la dilatation de l'iris, de plus un miroir réflecteur auquel les moindres rayons de lumière diffuse ne peuvent échap- per, les recueille pour les renvoyer sur la rétine, L'odorat, moins actif que dans les chiens, est pourtant supérieur à celui de beau- coup de carnassiers. Le goût paraît le plus obtus de tous leurs sens. En effet, leur langue est plutôt un organe de mouvement ; ses pointes cornéés, inclinées en arrière et redressables, servent aux chats à râper les parties molles et juteuses de leur proie. Un toucher très-délicat réside dans leurs moustaches, ou plutôt dans leurs bulbes ; car les barbes ne font que transmettre l'impression du choc et de la résistance des objets. L'intestin est:plus court que dans les autres carnassiers. La force musculaire est immense. Heureusement la force irrésistible dont pourrait disposer leur férocité naturelle est laissée inactive par leur timide prudence portée jusqu'à la lâcheté. Les chats ne courent pas; cette impuis- sance tient moins au défaut d'une force d'impulsion suffisante qu'à l’extrème flexibilité de leur colonne vertébrale et de leurs membres, incapables de conserver la rigidité nécessaire dans la course. En revanche, leurs bonds sont énormes. Ils se glissent, rampent, grimpent, s'accrochent, se fourrent avec une adresse etune agilité incroyables. Rien de plus sûr que leur coup d'œil : mais aussi, quand ils manquent leur coup, soit méfiance, soit dépit, ils se retirent ordinairement sans revenir à la charge. Les femelles ont pour leurs petits une tendresse toujours prête à se dévouer, et qui multiplie leur courage et leurs forces. Cette ten- dresse des mères contraste avee la jalousie qui fait quelquefois des mâles les plus dangereux ennemis de leur propre postérité. Aussi les femelles se cachent pour mettre bas; et, pour mieux préserver leur famille, elles la changent souvent de retraite : cet instinct ne se perd pas même en domesticité. » L'intelligence des chats est généralement moins développée que celle des animaux des familles précédentes, et c’est encore une nécessité de leur organisation, Aucune éducation ne peut exciter en eux des facultés dont ils n’ont pas les organes, et c'est à cela que l’on doit attribuer les habitudes farouches, le carac- tère indépendant et sauvage que le chat domestique a conservés, malgré l’antiquité de sa servitude. Aucune espèce connue ne vit en société, et l'amour même ne parvient à réunir le mâle et la femelle que pendant lé court instant des désirs et de l'accouple- ment. Du reste, cette vie solitaire, cette antipathie pour la société, s'expliquent asséz bien par les besoins individuels, La plupart des chats ne se nourrissant que de proies vivantes, il faut à cha- cun un espace de pays assez grand pour le nourrir, et tout ce qui vient lui disputer son gibier, partager ses moyens d'existence, est nécessairement un ennemi. L'instinct de la solitude, naissant de celle cause, paraît indélébile chez ces animaux; aussi tien- nent-ils au pays, à la localité, où, dès leur enfance, ils ont trouvé une suffisante noutriture. Ils s'y affectionnent, et même le chat domestique le plus doux, le plus caressant, s'attache plus à la maison qu'à son maitre; il ne la quitte jamais pour lui, et y re- vient si on l’a transféré dans une nouvelle demeure. Tous les chats ont, à bien peu de chose près, les mêmes for- mes, le même ensemble d'attitude, de gestes, de mouvements et de manières. Tous, pour exprimer leur satisfaction , même dans les plus grandes espèces, font entendre ce rourou qu'à Paris on appelle filer dans les chats domestiques. Tous feulent en soufflant et montrant leurs dents de la même manière et dans les mêmes occasions, et cependant leur voix varie beaucoup d'une éspèce à une autre : par exemple, le lion rugit d'une voix creuse et pres- que semblable à celle d'un taureau; le jaguar aboie comme un chien , le chat miaule; le cri de la panthère ressemble au bruit d’une scie, etc. De tous temps, les chats et les grandes espèces surtout ont été célèbres par leur cruauté et leur férocité prétendues indompta- bles. Le vrai est qu'ils sont beaucoup moins cruels que la plupart des petits carnassiers auxquels nous ne faisons pas ces reproches. La belette, la fouiné, le renard, le loup, par exemple, semblent donner la mort pour le plaisir de tuer. S'ils pénètrent dans un poulailler, une basse-cour, une bergerie, ils n’en sortent pas tant qu'il y reste un être vivant. Les chats, au contraire, n'attaquent que quand ils ont faim, et se contentent pour l'ordinaire d'une seule victime. Au milieu d'un troupeau nombreux et sans défense, ils saisissent leur proie, la dévorent, et se retirent sans méme faire attention aux aütres, jusqu'à ce qu'une nouvelle faim les ramène ; ils ne tuent jamais sans nécessité. Quant à leur prétendue féro- cité, elle n'existe pas plus chez eux que chez tous les autres cat- nassiers. Quoi qu'on en ait dit, toutes les espèces s'apprivoisent fort bien et sont susceptibles d'affection pour leur maître. Ce qu'il y a dé singulier, c’est que de toutes les espèces peut-être le chat domestique est celle qui est le moins susceptible de senti ments affectueux ; non pas que cela tienne à son caractère, mais à sa timidité et à l'habitude que nous avons de le faire vivre avec le chien, son ennemi le plus redouté et le plus dangereux, et dont la présence tient constamment je chat dans un état d'irrita- tion et de frayeur qui absorbe ses autres sentiments. Le lion se trouvait autrefois dans une grande partie de l'Eu- rope méridionale. Il habitait en très-grand nombre la Macédoine, la Thessalie, la Thrace, probablement la Grèce entière et toute la partie méridionale de l'Asie, depuis la Syrie jusqu'au Gange et 116 ._ LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. à l'Oxus. Aujourd'hui il n'existe plus en Europe, et n’est commun nulle part; l'on n’en voit plus que quelques-uns en Asie, dans la presqu'île de l'Inde. L'espèce se soutient encore en Barbarie, particulièrement aux environs de Constantine et de Bone, au Sahara, au Sénégal et au cap de Bonne-Espérance; mais on la refoule continuellement dans le désert, et il est à croire que bien- tôt les armes à feu l’auront entièrement détruite. Les Grecs, qui ne connaissaient pas le tigre du Bengale, ont naturellement fait du lion le roi des animaux, parce que c'était pour eux le plus grand et le plus fort des carnassiers. L'ayant fait roi, il était naturel aussi qu'ils lui attribuassent les vertus que les rois de- vraient avoir, c’est-à-dire la‘noblesse de caractère, la supériorité Le Guépard. du courage, la fierté, la générosité, etc. Buffon, en sa qualité d'écrivain plus qu'en celle de naturaliste, s’est emparé de ces idées, et nous les a transmises dans son style aussi brillant qu'i- nimitable. Il est fâcheux que toutes ces belles qualités disparais- sent devant l’étude des faits. Comme tous ses congénères, le lion n'attaque que par surprise, soit qu'il attende en embuscade, soit qu'il se glisse dans l'ombre ou rampe à la clarté du jour, caché par quelque abri, pour tomber à l'improviste sur une victime longtemps épiée, et cette victime est toujours un animal faible et innocent, qui ne peut lui opposer aucune résistance. Ce n'est que poussé par une faim extrême qu'il ose assaillir un bœuf ou un cheval; mais jamais il ne commence volontairement une lutte avec un animal capable de lui résister. Tout ce qu'ont dit les voyageurs du combat du lion contre l'éléphant, le rhinocéros, l'hippopotame et le tigre, est autant de suppositions hasardées qui ne méritent aucune foi. Sa nourritpre ordinaire consiste en ga- zelles et en singes quand il peut les rencontrer et les saisir à terre. Il se place ordinairement en embuscade dans les roseaux, autour des mares où ces animaux ont l'habitude d’aller boire le soir et le matin. Là il reste à guetter un temps infini, avec cette admirable patience qu'ont tous les chats. Si un animal passe à sa portée, d'un bond prodigieux il s'élance sur lui, lui enfonce ses formidables griffes dans les flancs, et lui brise le crâne avec les dents. S'il manque son coup, il ne cherche pas à poursuivre l’a- nimal, et l'on a mis sur le compte de sa générosité ce qui n’est que le résultat de sa conformation. En effet, il bondit, saute, mais il ne peut courir, et il marche avec une lenteur que l’on a prise pour de la gravité. Le lion n’est pas aussi cruel que le tigre, a-t-on dit; mais si, en se glissant dans l'ombre, il s’est approché d’un krahal sans étre découvert, et qu'il ait pu pénétrer dans un pare de moutons, il égorge tout avant de choisir la proie qu'il veut emporter ou dévorer. Il n’attaque pas les animaux quand il n’a pas faim, cela est vrai ; mais c’est simplement parce que, dans ses forêts, sûr de sa supériorité de force, n'ayant jamais attaqué un être qui ait pu lui résister, comptant sur une agilité qui n’est comparable qu’à sa force, il ne craint jamais de manquer de proie ; après s'être repu avec voracité, il s'endort pour deux ou trois jours, et ne sort de sa retraite ou de son apathie que poussé par une nouvelle faim. Tel il est dans le désert; il n’a jamais peur parce qu'il n’a jamais rien à craindre. Dans les pays habités par l'homme, il n’a plus ni courage ni fierté. La nuit il rôde dans la campagne; s'il ose alors approcher des habitations, c’est pour chercher à s'emparer des pièces de menu bétail échappées de la bergerie ; il ne dédaigne pas même de prendre des oies et autres volailles quand il en trouve l’occasion. Enfin, faute de mieux, il se jette sur les charognes et les voiries, malgré cette délicatesse de goût qu’on lui suppose. Il est arrivé assez souvent à nos senti- nelles, à Constantine, de tirer et tuer des lions qui venaient pen- dant la nuit rôder autour de la ville, afin de manger-les immon- dices jetées hors des murs. Si ce noble animal, comme disent les naturalistes, a la hardiesse de s'approcher en tapinois d’un trou- peau pour s'emparer d'un mouton, les bergers crient aussitôt haro sur le voleur, le poursuivent à coups de bâton, lui arrachent sa proie de vive force, mettent leurs chiens à ses trousses, et le forcent ainsi à détaler au plus vite. Il en arrive très-souvent au- tant au cap de Bonne-Espérance, quand les fermiers hollandais le surprennent rôdant autour de leurs écuries; ils en ont même quelquefois tué à coups de fourche jusque dans des cours où ils étaient parvenus à se glisser furtivement , à la manière des loups. Néanmoins ce n’est pas sans danger que l’on attaque cet animal, tout poltron qu'il est, car, lorsqu'il se sent blessé et qu’on lui ôte la faculté de fuir, il entre en fureur; et malheur à l'individu sur lequel il déploie sa force prodigieuse! AN NT QT La Le Lion. Le lion fuit la présence de l’homme; il ne l'attaque jamais pen- dant le jour, à moins qu'il n’y soit poussé par une faim atroce ; nous citerons comme preuve un fait qui s'est passé au Cap. Deux Hollandais d'Afrique vont un jour à la chasse; l'un d'eux s’ap- proche d’une mare, et un lion, à l'affût dans les hautes herbes, croyant entendre le bruit d’une gazelle, s’élance et le saisit par le bras avant d’avoir pu le distinguer; il reconnaît un homme, et, surpris de sa propre audace, effrayé de ce qu'il vient de faire, il reste immobile sans néanmoins lâcher sa victime; il a vu sa face imposante, et il tremble ; il ferme les yeux pour se dérober à l'in- fluence d’un regard qui l'épouvante. Le malheureux Hollandais, voyant que son ami ne peut tirer sur le monstre sans risquer de CHATS. 17 ————————_———— le percer lui-même d'une balle, prend une courageuse résolution ; il profite de la stupeur du lion pour glisser dans sa poche la main qu'il avait libre; il en sort doucement son couteau, l’ouvre, mesure son coup, et le plonge dans le cœur de l'animal. Mais yeux, mais encore dans les rides de son front; sa démarche est légère, quoique lente et toujours oblique. Sa voix est terrible, et tous Les animaux tremblent à une demi-lieue à la ronde quand son rugissement fait retentir les forêts pendant la nuit: c'est un cri Le Liun uivzumentai celui-ci en mourant déchire sa vielime, et tous deux roulent morts sur le gazon ensanglanté. Le lion atteint jusqu'à huit à neuf p'eds (2,599,à 2,924) de lon- prolongé, d'un ton grave, mélé d'un frémissement plus aigu Lorsque le lion menace, il se ride le front, se plisse et relève les lèvres, montre ses énormes dents, et souffle de la même manière gueur, depuis le bout du nez jusqu’à la naissance de !la queue, mais seulement dans les déserts où il n’est pas inquiété et où il trouve une nourriture abondante. Le plus ordinairement sa taille que le chat domestique; enfin, lorsqu'il attaque, il pousse un cri court et réitéré subitement. Dans la colère, ses yeux devien- nent flamboyants, et brillent sous deux épais sourcils qui se re- La Lionne ne dépasse pas cinq pieds et demi (1,786) de longueur, sur trois et demi (1,157) de hauteur. Sa femelle est d'environ un quart plus petite que lui. Sa figure est imposante et mobile comme celle de l'homme, et ses passions se peignent non-seulement dans ses 52. lèvent et s’abaissent comme par un mouvement convulsif; sa cri- nière se redresse et s'agite; de la queue il se bat les flancs ; il ouvre la gueule et laisse voir une langue hérissée d’épines poin— tues et tellement dures, qu’elles suffisent seules pour écorcher Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36 12 178 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. Se la peau et entamer la chair. Tout à coup il se baisse sur ses pattes de devant, ses yeux se ferment à demi, sa moustache $e hérisse, son agitation cesse, il reste immobile, et le bout de sa queue roide et tendue fait seul un très-pelit mouvement de droite à gauche. Malheur à l'être vivant qu’il regarde dans cette attitude, car il va s’élancer et déchirer une victime. Quelque terrible que soit le lion, on ne laisse pas que de le chasser avec des chiens appuyés par des hommes à cheval; mais il faut que les uns et les autres aient été dressés à cel exercice pour le faire sans danger. On le relance dans sôn fourré, on l’én déloge, on le poursuit, et on parvient à le tuer. Le courage de ce roi des animaux ne tient pas contre l'adresse d'in Hôttehtüt ou d'un Nègre, qui souvent osent l’attaquer tête à tête avec UES armes assez légères. Ils le prennent quelquefois en le faisant tomber dans une fosse profonde qu'ils recouvrent avée des ma- tières fragiles au-dessus desquelles ils attachent un änimäl vivant. Dès qu'il est prisonnier, il devient d’uné telle lcheté, qu'on peut l'attacher, le museler et le conduire où l’on veüt, selon ce que dit Buffon. Cet animal, pris jeune, s’apprivoise fort bien, et il est même susceptible d’attachement pour son maître et d’une certaine docilité. « Élevé parmi les animaux domestiques, dit l'écrivain que je viens de citer, il s'accoutume aisément à vivre et à jouer innocemment avec eux; il est doux pour ses maîtres et même caressant , surtout dans le premier âge, et si sa férocité reparaît quelquefois, il la tourne rarement contre ceux qui lui ont fait du bien. Comme ses mouvements sont très-impétueux et ses appétits fort véhéments, on ne doit pas présumer que les impressions de l'éducation puissent toujours les balancer ; aussi y aurait-il quelque danger à lui laisser souffrir trop longtemps la faim, ou à le contrarier en le tourmentant hors de propos. Non- seulement il s'irrite des mauvais traitements, mais il en garde le souvenir, et paraît méditer la vengeance, comme il conserve aussi la mémoire et la reconnaissance dès bienfaits. » Je ne sui- vrai pas plus loin notre grand écrivain, surtout Quand il dit que «sa colère est noble, son courage magnanime et son naturel sen- sible; » toutes choses qui sont là pour le style et pour faire al- lusion aux contes d’Androclès, du lion de Florence, et à cent autres inventés à plaisir et devenus célèbres par le manque de critique des anciens écrivains. Dans ces animaux, la passion de l'amour est très-ardente. « Lorsque la femelle est en chaleur, elle est quelquefois suivie de huit à dix mâles, dit Gesner dans son Histoire des animaux, et ils ne cessent de rugir autour d'elle et de se livrer des combats furieux. » Je doute beaucoup de ce fait, et voici pourquoi : Le lion est armé d’une manière si terrible, que tout combât livré à un animal de son espèce serait terminé en moins d'une minute par la mort de l’un des assaillants et peut-être de tous deux. J'ai eu dans mon cabinet les ongles d'une lionne: ils étaient longs de cinq pouces (0,135), très-gros à la base, tranchants en dessous comme un rasoir, et aigus comme la pointe d'un eanif. Les dents de ces animaux sont d'une grosseur énorme, €t les canines dé- passent les gencives de trois pouces. Avée de pareilles armes, le résultat d’une lutte doit être prompt et mortel. En second lieu, chaque lion habite un canton assez grand, où il ne souffre au- cun rival, et ce ne serait guère que dans ut rayon de quarahte à cinquante lieues que l’on pourrait trouver huit à dix mâles, même dans les contrées où ces animaux sôht le plus abondants. IL est donc croyable que la femelle n’est suivie que par le mâle qui habite son canton, et il est certain qu’aussitôt après l’accou- plement, tous deux se quittent pour reprendre leur vie solitaire. La LionnE a, comme tous les chats, quatre mamelles ; elle porte cent huit jours , fait de deux à cinq petits qu’elle allaite or- dinairement six mois. Elle aime ses enfants avec une tendresse excessive, Quoique moins forte que le lion, elle oublie le danger, et, pour les défendre , combat jusqu'à la dernière extrémité. Elle cherche toujours pour mettre bas un lieu très-écarté et d'un difficile accès. Lorsqu'elle craint la découverte de l'endroit où elle a caché ses petits, elle embrouille sa trace en retournant plusieurs fois sur ses pas, et finit par les cacher dans une autre retraite, quelquefois très-éloignée, où elle les croit plus en sû reté. Quand ils commencent à prendre de la force, elle va à la chasse, se jette indifféremment sur tous les animaux qu'elle ren- contre, les met à mort, se charge de sa proie, la partage à ses lionceaux, et leur apprend à déchirer la chair palpitante, En naissant, les petits se ressemblent tous, quel que soit leur sexe ; leur pelage est plus laineux, plus foncé que celui de leur mère, et ils portent une livrée de petites raies brunes, transversales, Sur les flancs et l’origine de la queue; ce n’est qu’à l’âge de cinq üù Six ans, c'est-à-dire lorsqu'ils deviennent complétement adultes, qu'il ne reste plus aucune trace de cette livrée. La cri- ïière qui pare les mâlés ne commence à pousser qu'à l'âge de trois ans. Plusieurs fois des lionnes se sont accouplées à la mé— nagerie, ét y ont élevé léuirs lionceaux. On a dit que, dans sa générosité, le lion donne quelquefois la vie aux animaux qu'üh avait dévoués à la mort en les lui jetant, et le fait est vrai si on le met non sur le compte d'un sentiment généreux, mais sur celui du caprice, et sur le besoin d’avoir un compagnon qui lui fasse supporter les ennuis d’une étroite cap- tivité. Parmi les lionnes qui ont vécu à la ménagerie, plusieurs ont souffert des chiens dans leur loge; mais une seule a montré de l'affection pour son camarade de prison. Elle se nommait Constantine, et avait été prise fort jeune dans le Sahara. On jeta dans sa loge un petit roquet noir et blanc, qui, tout effrayé, fut se cacher dans un coin en tremblant de tous ses membres. La lionne se leva lentement, et, râlant d’une voix sourde, s’appro- cha du pauvre animal, qui poussa un cri plaintif en la regardant d'un air suppliant. Il paraît que ce regard plein de désespoir la toucha, car elle se recoucha tranquillement sans faire de mal au roquet. L'heure de la distribution venue, on jetà dans la loge le diner de Constantine; elle le mangea ét en laissa une part pour son nouveau compagnon d'esclavage, qui n'o$à pas y toucher, car la faim la plus dévorante n'aurait pu le déterminer à quitter le coin noir où la frayeur le tenait blotti. Le lendemain il avait un peu moins peur, et il se détermina à manger la portion que la lionne lui laissa comme la veille; le second jour il se hasarda à sortir de son coin et à manger après elle; huit jours après il mangeait avec elle, et huit autres jours après il se jetait sur le diner, et ne permettait à la lionne d'en avoir sa part que lors- qu'il avait pris la sienne. Si Consiantine s’approchait, le roquet entrait en fureur, et, purement par caprice, lui sautait à la figure et la mordait de toute sa force. Il n’est rien de plus hargneux, de plus méchant qu'un être faible qui a conquis sur un être fort V’empiré que la bonté et l'affection lui ont laissé prendre, et l’on pourrait en citer de trop nombreuses preuves prises ailleurs que chez les chiens et les lions. Quand l'automne fut venu avec ses journées froides et humides, le roquet, pour être plus chaude- ment, jüged à propos de passer les nuits entre les cuisses de la lionné, et ellé Sy prêta de fort bonne grâce. Pour récompense, dans sés accès de fureur, il se jeta un jour sur elle et lui mordit la queué avec tant de rage et de méchanceté, qu'il parvint à la lui couper à moitié et à l’estropier pour toute sa vie. Au bout de quelques années , lé chien mourut, moitié de vieillesse, moitié d’un accès dé colère, el là pauvre Constantine ne put jamais s’en consoler. On lui donna plusieurs autres chiens, qu’elle étrangla; enfin elle laissa la vie à l’un d'eux, mais jamais elle ne lui mon- tra ni affection ni complaisance, et elle mourut bientôt après, consumée d'ennui, de tristesse et peut-être de regrets. Du reste, sije me suis un peu étendu sur l'histoire de Constantine, c’est moins pour donner une idée du caractère des lions, que pour montrer par un exemple très-remarquable que, dans les animaux comme dans l'homme, on trouve des individus excentriques qui sortent presque tout à fait du caractère général de l'espèce. ” CHATS. 179 Le Ticre ( Felis tigris, Lis. Le Tigre royal de Burr. — G. Cuv. Le Radja-houtan où Arimaou-bessar des Malais. Le Madjan gédé des Javanais. Le Lau-hu des Chinois). Cet animal est la plus grande et la plus terrible des espèces de son genre ; il égale et surpasse même le lion en grandeur, mais il est plus grêle, plus svelte, et sa tête est plus arrondie; ses jambes sont proportionnellement plus longues; son museau court , ses mâchoires armées de dents énormes et tranchantes, donnent à sa gueule une force prodigieuse. Sa langue est cou- verte d’épines recourbées du côté de la gorge, de manière à lui donner la faculté d'enlever des lambeaux de peau d'un seul coup ; ses paltes sont munies d'ongles puissants, qui se redressent vers le ciel et se cachent entre les doigls dans l’état de repos, par l'effet de ligaments élastiques, et ne perdent jamais leur pointe ni leur tranchant. Son pelage est d’un jaune vif en dessus, d’un blanc pur en dessous, partout irrégulièrement rayé de noir en travers, ce qui le distingue très-bien de toutes les grandes espè- ces de chats ; sa queue, noire au bout, est alternativement anne- lée de cetté couleur et de blanc; enfin, c’est un des plus beaux et des plus élégants animaux que l'on connaisse. Il habite les Indes orientales et leur archipel, les déserts qui séparent la Chine de la Sibérie orientale jusques entre les rivières d’Irtisch et d'Is- chim, et même jusqu’à l'Obi, quoique rarement; il est commun dans le Bengale, mais jamais on ne l'a trouvé en decà de l'Indus, de l'Oxus et de la mer Caspienne. Ces limites bien tracées n’em- pêchent pas que presque tous les anciens voyageurs qui ont par- couru les contrées chaudes, non pas seulement en Asie, mais encore en Afrique et en Amérique, disent en avoir rencontré, et racontent à son sujet les choses les plus exagérées et les plus merveilleuses. Ici, c’est le combat d’un tigre et d’un rhinocéros ou d'un crocodile; là, il terrasse un monstrueux éléphant; ail- leurs, il lutte contre un lion ; ete, Si on a paré le lion d’un courage, d'une générosité, d'une no- blesse qu'il n’a pas, en compensation on s’est plu à nous peindre le tigre avec les couleurs Les plus noires; oh le représente comme ayant une cruauté inouïe, une férocité indomptable , une soif de sang qui le dévore constamment ; il n'y a pas plus de vérité dans ce portrait que dans l’autre. Le tigre n’est pas plus cruel que le lion, mais seulement pour approcher sa proie il met plus de ruse, pour l’attaquer beaucoup plus d’audace, et pour la vaincre un courage qui ne cède qu'à la mort. Le lion annonce son ap- proche par des rugissements qui paralysent ses victimes : le tigre se glisse à petit bruit et les surprend; le lion se retire s’il trouve une résistance : le tigre combat et se fait tuer. Telles sont les uniques différences qui constituent la générosité de l’un et la cruauté de l’autre. Le courage du tigre est sans mesure, comme sa force et son agilité. Il combat indistinctement tous les ani- maux , et attaque l'homme avec intrépidité. Sa course a la rapi- dité de l'éclair ; on en a vu sortir de la forêt, saisir un cavalier au milieu d'un bataillon , d'une armée , l'emporter dans les bois et disparaître avant même qu'on ait eu le temps de le poursuivre. Ce qui, sans doute, n'a pas peu contribué à la réputation de cruauté que l’on a faite au tigre, c’est €e courage indomptable qui lui fait braver les armes de l'homme, et le rend, pour notre espèce, le plus terrible des animaux et le fléau des Indes orien- tales. Cependant, quand il s'agit de surprendre une proie timide qui lui échapperait par la vélocité d’une course que le tigre ne peut soutenir longtemps, il se blottit et se cache dans les hautes her- bes et les bambous, comme fait le lion. Le lieu de son embuscade est ordinairement le bord d’une mare ou d'une rivière où les gazelles , les antilopes et autres animaux viennent se désaltérer pendant la chaleur du jour; d'un bond prodigieux il se jette sur un de ces animaux, le terrasse du premier choc, lui brise le eràne et l’entraîne ensuite dans les bois, füt-ce un bufile ou un cheval, en courant avec autant de légèreté qu'un loup emportant un faible agneau. Quand il a satisfait sa faim, il ne cherche pas d'au- tre victime, jusqu'à ce qu'un nouveau besoin vienne le forcer à recommencer sa chasse, Plus hardi que le lion, il n'attend pas que la nuit vienne couvrir ses manœuvres de son ombre ; c'est aussi bien le jour que la nuit qu'il sort de sa retraite pour se mettre en quête. Il habite de préférence les roseaux qui crois- sent sur le bord des fleuves et des grandes rivières, et, comme il nage fort bien , il aime à gagner les lots pour y établir son do- micile temporaire. De là, il observe ce qui se passe sur le fleuve, et va chercher, pour s'en nourrir , les cadavres d'hommes et d'a- nimaux qui flottent sur les ondes. Sur les bords du Gange, il est rare que la superstition indienne ne lui fournisse pas suffisam- ment de cadavres pour qu'il ait besoin d'aller à la chasse. On sait que les Hindous sont persuadés que les eaux du Gange descendent du ciel et ont la miraculeuse vertu de purifier quiconque s'y baigne; mourir sur ses bords ou dans ses flots est ce qui peut arriver de plus heureux à un dévot qui veut arriver avec certitude aux délices du paradis. Aussi, plus d’un fanatique y cherche une mort volontaire, des mères y noient leurs enfants par excès de tendresse, et tout cela au profit des alligators et des tigres. Quelques rois de l'Inde mettent la chasse du ligre au nombre des plaisirs royaux, et la font avec un grand appareil d'hommes, d’éléphants, de chevaux et de chiens. Malgré toutes les précau- tions prises pour la sûreté des chasseurs, il arrive presque tou— jours quelques malheurs, et il n'est pas rare de voir un tigre bondir et enlever un homme jusque sur le dos d’un éléphant, ou terrasser ce dernier S'il est jeune et qu'il parvienne à saisir sa redoutable trompe, à laquelle il se cramponne opiniätrément. Lorsqu'il est harassé de fatigue ou gravement blessé d’un coup de feu, il se retire un moment dans un fourré pour reprendre haleine; mais il revient bientôt au combat plus furieux qu'avant de l'avoir quitté, se faire luer accablé par le nombre, et trop souvent expirer sur le corps sanglant de ses ennemis. Grâce à son intrépidité inconcevable, rien ne l’effraye, rien ne l'intimide : ni le nombre de ses ennemis, ni la détonation des armes à feu, ni les cris, ni le bruit, le feu et la fumée, qui ne font qu'augmen- ter sa fureur. Le tigre est-il donc le plus féroce des animaux, et le portrait qu'en fait Buffon serait-il vrai ? Non; je le répète, il n'est ni plus féroce ni plus cruel que le lion, seulement il est plus courageux. Pris jeune et élevé dans la domesticité, il s'apprivoise parfaite- ment, reconnait son maître, le caresse et s'y attache autant qu'aucun autre animal, hors le chien. On sait que l'empereur Héliogabale, dans une représentation du triomphe de Bacchus, se montra dans Rome sur un char trainé par des tigres, et la description que Pline nous a laissée de ces animaux ne laisse aucun doute sur leur identité. Voilà donc ce tigre indomptable qui oublie sa férocité pour s’accoutumer à la domesticité; il l'ou- blie au point de se laisser atteler à un char, et de trainer sans danger pour personne , au milieu d'une population nombreuse et turbulente, un empereur bien plus féroce que lui ! Ce fut Au— guste qui montra le premier un tigre aux Romains , et il était apprivoisé. Mais sans aller chercher des exemples dans l'antiquité, quelques personnes se souviennent encore d'avoir vu un prome- neur de ménagerie ambulante qui montrait, à Francfort, un tigre d'une rare beauté. À son commandement , l'animal, altaché à une chaine de cinq où six pieds pour la tranquillité des specta- teurs, sortait de sa cage et faisait plusieurs exercices. Son maitre, le comparant à un cheval qu'on bride , lui ouvrait les mâchoires et lui mettait le bras dans la gueule en guise de mors; puis il s’asseyait sur son dos et se faisait porter sans que l'animal té- moignât la moindre impatience. Tout Paris a vu le sieur Martin entrer sans crainte dans la cage d’un tigre qu'il montrait aux curieux, s'asseoir sur lui, le caresser, jouer, le contrarier même, sans qu'il en ait résulté le moindre accident. Les mousses du bâtiment sur lequel on amenait à Paris le tigre qui existait à la 12 #0 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. ménagerie en 1855, ne trouvaient rien de mieux pour dormir que de s'étendre entre les cuisses de cet animal et de se faire un traversin de son ventre. Il se promenait librement sur le vaisseau, et on ne l'attachait au pied du mât que pendant les manœuvres. Je pourrais multiplier beaucoup ces exemples s'il était nécessaire. Quant aux autres habitudes du tigre, elles sont exactement les mêmes que celles du lion et autres grands chats. Fortheureusement pour les habitants de l'Inde, ce terrible animal multiplie fort peu son espèce. La femelle met bas de trois à cinq petits; mais si elle vaisseau ; et lorsqu'elle a perdu tout espoir de recouvrer sa perte, des cris forcenés et lugubres, des hurlements affreux expriment sa douleur cruelle et font encore frémir ceux qui les entendent de loin. » Transportés en Europe, dans nos ménageries, ces an:- maux meurent presque tous de phthisie pulmonaire, Ils ne sy sont jamais accouplés, au moins jusqu'à ce jour. La PanTHÈRE ( Felis pardus, Lin. Le Nemr des Arabes. La Pan- thère de Burr.) est longue de près de quatre pieds (1,299), non compris la queue, qui a deux pieds six pouces (0,812) ; son pelage Chasse au tigre. n'a pas le soin extrême de les cacher dans une retraite sure, le mâle ne manque jamais de les manger et de détruire ainsi sa formidable postérité, Elle les aime avec tendresse, et sa fureur devient extrême quand on les lui ravit. « Elle brave tous les pé- est d’un fauve jaunâtre en dessus, blanc en dessous, avec six ou sept rangées de taches noires en forme de roses, c’est-à-dire for- mée de l'assemblage de cinq ou six petites taches simples, sur chaque flanc; la queue n’a de noir, et seulement en dessus, que rils, dit Buffon; elle suit les ravisseurs, qui, se trouvant pressés, sont obligés de lui relâcher un de ses petits: elle s'arrête, le saisit, l'emporte pour le mettre à l'abri, revient quelques instants après et les poursuit jusqu'aux portes des villes où jusqu'à leur son dernier huitième, avec trois ou quatre anneaux blanes. Tel est l'animal que notre célèbre naturaliste G. Cuvier a cru recon- naître pour la panthère, et, dans ce cas, il se trouverait en Ara- bie et en Afrique aussi bien que dans l'Inde. 2 CHATS. 181 Selon M. Temminck, cette panthère de Cuvier ne serait qu'un léopard; nous n’aurions jamais possédé, ni au cabinet ni à la ménagerie , de véritable panthère , et elle n'aurait même jamais été figurée. Voici, selon lui, en quoi elle diffère du léopard : sa queue serait aussi longue que le corps et la tête pris ensemble, et composée de dix-huit vertèbres, tandis que celle du léopard serait de la longueur du corps seulement, et composée de vingt- deux vertèbres; la tête de la panthère aurait le crâne plus al- les voyageurs, elle monte avec beaucoup d'agilité sur les arbres, pour poursuivre les singes et les autres animaux grimpeurs dont elle se nourrit. Ses yeux sont vifs, dans un mouvement conti- nuel ; son regard est cruel, effrayant, et ses mœurs sont d'une atroce férocité. Elle n’attaque pas l’homme quand elle n’est pas insultée; mais à la moindre provocalion elle entre en fureur, se précipite sur lui avec la vitesse de la foudre, et le déchire avant qu'il ait eu le temps de penser à la possibilité d’une lutte. La Le Tigre. longé: son pelage serait d’un fauve jaunâtre foncé; ses taches en roses seraient très-nombreuses et rapprochées, ayant au plus douze à quatorze lignes (0,027 à 0 052) de diamètre, avec le centre de la même couleur que le fond du pelage, tandis que dans le léopard les taches seraient assez distantes , de dix-huit lignes (0,041) de diamètre, et auraient le fond rose. Dans le cas où l'opinion de M. Temminck prévaudrait sur celle de Cuvier et nuit, elle sort des halliers et des buissons touffus où elle se cache pendant le jour pour épier ses victimes ; elle vient rôder autour des habitations isolées pour surprendre les animaux domestiques, les chiens surtout , et, faute de proie vivante , elle se nourrit de cadavres. Quoique Buffon ait mal connu cette espèce, et que pour les mœurs il l'ait confondue avec d’autres grands chats, je crois que c’est à elle qu'il faut rapporter ce passage : « La Le Léopard. de tous nos naturalistes francais, la panthère, assez commune au Bengale, ne se trouverait probablement pas en Afrique. Toutes les panthères que nous avons eues à la ménagerie de Paris, ou du moins les animaux auxquels on donne ce nom, étaient farouches, indomptables, et d’une férocité stupide. Quel- ques-unes se sont conservées assez longtemps , mais la plupart meurent phthisiques après un an ou deux. Dans les pays où elle se trouve, la panthère n'habite que les forêts: et, si on en croit panthère paraît être d’une nature fière et peu flexible : on la dompte plutôt qu'on ne l’appnvoise, jamais elle ne perd en en- tier son caractère féroce ; et lorsqu'on veut s’en servir pour la chasse, il faut beaucoup de soin pour la dresser, et encore plus de précautions pour Ja conduire et l'exercer. On la mène sur une charrette, enfermée dans une cage, dont on lui ouvre la porte quand le gibier paraît ; elle s’élance vers la bête, l'atteint ordi- nairement en trois ou quatre sauts, la terrasse et l’étrangle. 182 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. — , Mais si elle manque son coup elle devient furieuse et se jette quelquefois même sur son maître , qui, d'ordinaire , prévient ce danger en portant avec lui des morceaux de viande ou des ani- maux vivants, comme des agneaux, des chevreaux, et qui lui en jette un pour calmer sa fureur. » Si ce que dit Buffon est vrai, cela ne peut s'appliquer qu'à la panthère ou au léopard , car le guépard s'attache à son maître comme un chien, et n’est jamais dangereux pour lui. Tout ce que nous pourrions dire de plus sur l'histoire de cet animal appartient à celle des chats en général. Le LéoparD (Felis pardus, Cuv. Felis leopardus, Teum. Felis varia, Scur. L’Engoi du Congo). Selon G. Cuvier, le léopard ne se distinguerait de la panthère que par dix rangées de taches plus petites, plus annelées; par son pelage d’un plus beau fauve, et par le dernier tiers de sa queue, qui serait noir en dessus et aux côtés, ayee cinq ou six anneaux blancs; il aurait exactement les mêmes dimensions. Se- lon Temminck, le léopard serait beaucoup plus grand que la panthère, et approcherait de la taille de la lionne; sa queue, composée de vingt-deux vertèbres, serait de la longueur de son corps; il aurait le pelage d’un jaune clair, parsemé de taches assez distantes, ayant au plus dix-huit lignes (0,041) de diamètre, et dont le fond serait rose; le dessous du corps blanc. J'avoue que j'ai trouvé à la ménagerie tant de difficultés à reconnaître dans la panthère et le léopard des caractères spécifiques tran- chés, que je serais bien tenté de me ranger à l'opinion de Tem- minck, et de regarder nos prétendues panthères comme de sim- ples variétés de taille du léopard. Assez généralement les voyageurs ont gratifié du nom de tigres toutes les grandes espèces de chats qui ont la peau mouchetée de taches noires et arrondies, sans s'inquiéter si le vrai tigre lui- même portait celle robe, ce qui n’est pas. Cette habitude n'a pas peu contribué à jeter la confusion dans l'histoire des espèces de chats, et Buffon, malgré sa critique et son talent, n’a pu se tirer de ce chaos. En outre, tous ces animaux tachetés ont entre eux une telle ressemblance, que Cuvier lui-même en est venu à douter s'il existait vraiment un léopard distinct spécifiquement de la panthère. «Si cela est, dit-il, je pense que ce doit être un animal dont nous avons reçu des peaux de l'ile de la Sonde, » Il en ré- sulte que le premier que nous avons décrit ne se trouverait que dans l'Asie, et que le second, celui de Temminek, habiterait non- seulement l'Asie, mais encore l'Afrique, et pourrait bien n'être, comme il le dit, qu'une simple variété de pelage de l'animal au- quel on donne, à la ménagerie, le nom de panthère. À Quoi qu'il en soit, en Afrique le léopard est célèbre pour son courage et sa cruauté, Il à l'air féroce, l'œil inquiet, le regard cruel, les mouvements brusques, et, ajoute Buffon, les cris sem- blables à celui d'un dogue en colère; ila même la voix plus forte et plus rauque que le chien irrité. Il se plait dans les forêts touf- fues, où il épie et surprend tous les animaux plus faibles que lui, pour s'en nourrir. Comme la panthère, il est d’une force et d’une agilité inconcevables, et il grimpe sur les arbres pour y pour- suivre les chats sauvages. Quelquefois, ainsi que le lynx, il se place sur une grosse branche , et là, immobile , le cou tendu et l'oreille au vent, il attend qu'une antilope passe à sa portée pour s’élancer sur elle, la terrasser, la déchirer avec ses griffes et la dévorer. I lui arrive aussi de rôder autour des habitations pour saisir les animaux domestiques. Il ose même s'approcher en plein jour des troupeaux, et alors il emploie une patience et une ruse admirables pour s'approcher sans bruit et sans être apereu de la victime que son œil a désignée, IL se coule lentement le long d'un ravin; il se glisse à travers les buissons ; il rampe dans l'herbe comme un serpent, en se trainant sur le ventre. Si l'ani- mal fait un mouvement d'inquiétude et lève la tête, le léopard se colle à la terre et reste immobile, en retenant méme sa respira- tion : puis, quand l'animal rassuré s’est remis à paitre, la même manœuvre recommence, mais avee encore plus de lenteur et de circonspection ; il avance avec l'extrême soin de se masquer con- stamment derrière les objets placés entre sa proie et lui, et sa persévérance est telle, qu'il mettra deux heures, s’il le faut, pour arriver. Mais lorsqu'il se croit à une distance convenable, prompt comme l'éclair, il se jette sur sa victime, la saisit et l'emporte dans le bois voisin en bondissant et en courant d’une telle vi- tesse, que ni chien ni berger ne peuvent l’atteindre. Quand il manque sa proie, sa méfiance ne lui permet pas d'en choisir une autre, fût-il au milieu du troupeau ; il s'arrête, se retire ensuite lentement, en reculant, sans ôter ses yeux de dessus les chiens et le berger et en bravant leurs cris et leurs clameurs. Parvenu à une certaine distance, il se retourne et se retire un peu plus vite, mais sans courir, en tournant souvent la tête et leur lan- çant des regards étincelants. Si, dans toute circonstance, on lui tire un coup de fusil et qu’on ne fasse que le blesser, loin de fuir, il se précipite sur l’imprudent chasseur, et c'en est fait de Jui s'il n’a pas d'armes pour se défendre, de camarades pour tirer sur le monstre, ou au moins des chiens forts et courageux pour le harceler et lui tenir tête. Si le coup de fusil l’a renversé, il est dangereux de s'approcher de lui avant qu'il soit tout à fait ex- piré, car dans ses derniers moments il concentre tout ce qui lui reste de force pour les employer à la vengeance. Les nègres lui tendent le même piége qu'à la panthère et au lion. Dans un endroit qu'ils reconnaissent pour être fréquenté par lui, ils creusent une fosse profonde, recouverte de roseaux et d'un peu de terre, sur laquelle ils déposent pour appât quel- que bête morte, ou un agneau dont les bêlements attirent le léo- pard de fort loin. D’autres fois, quand les nègres sont en nombre, ils osent l’attaquér corps à corps, afin d’avoir sa peau, qui est une fourrure superbe et de beaucoup de valeur. Ils parviennent à le tuer à coups de flèches et de sagaies, pendant que leurs chiens l'occupent et le harcèlent; mais, quelque percé qu'il soit de leurs coups, il se défend avec rage tant qu'il lui reste une étincelle de vie, et fort souvent il ne meurt pas sans s'être vengé sur les chiens ou sur les hommes. Les négresses du Congo recherchent beaucoup ses dents pour s’en faire des colliers. Le Ticre-Boscuxar ou Servaz (Felis serval, Guz. Le Chat du Cap de Forsrer. Le Chat-tigre des fourreurs. Les Felis galeopar- dus et capensis de Des. Le Chat-pard de PernrauLr. Le Serval de Burr.) atteint jusqu'à vingt-huit pouces (0,758) de longueur, non compris la queue, qui en a huit ou neuf (0,217 ou 0,244); ses oreilles sont grandes, rayées de noir et de blanc ; son pelage est d’un fauve clair, tirant quelquefois sur le gris ou sur le jaune; il a le tour des lèvres, la gorge , le dessous du cou et le haut de l'intérieur des cuisses blanchâtres; des mouchetures noires sur le front et les joues ; une double ligne de ces mouchetures au pli de la gorge; quatre raies noires le long du cou, dont les ex- trêmes, interrompues sur l'épaule, reprennent pour finir plus loin ; au même point les intermédiaires s'écartent pour en laisser naître deux autres, terminées au tiers antérieur du dos; des ta- ches isolées sur le reste du corps; deux bandes noires à la face interne du bras, et la queue annelée de noir ; toutes les taches sont pleines. Cet animal habite les forêts du cap de Bonne-Espérance et de toute la partie méridionale de l'Afrique. Il grimpe sur les arbres avec beaucoup d’agilité et s'occupe sans cesse à donner la chasse aux singes, aux rats el aux autres petits animaux. On en a eu plusieurs à la ménagerie, mais jamais on n'a pu les apprivoiser. Dans la captivité il paraît indifférent aux bons traitements; les mauvais le font entrer dans une fureur que rien ne peut calmer, el il paraît impossible d'adoucir ou de dompter sa férocité. Au Cap on recherche sa fourrure pour en faire le commerce, parce que, étant fort belle, douce et chaude, elle a une assez grande valeur. Le Cuar poré (Felis chrysothrix et Felis aurata , TEmm.) a envi- ron deux pieds et demi (0,812) de longueur, non compris la - CHATS. ’ 183 queue, qui est moitié de la longueur du corps seulement, avec une bande brune tout le long de sa ligne médiane, et le bout noir ; les oreilles sont courtes, arrondies, sans pinceaux de poils; le pelage est très-court, luisant, d'un rouge bai très-vif, sans taches sur les parties supérieures, avec quelques petites taches brunes sur les flancs et le ventre; ce dernier d'un blanc rous- sâtre; la gorge est blanche ; les oreilles sont noires en dehors, roussâtres en dedans, et les quatre pattes d'un roux doré. Sa pa- trie est inconnue. Le Srepxasa-Koscuxa ou ManouL (Felis manul, Pair.) est de la taille d'un renard; sa queue, touffue, touchant à terre, est mar- quée de six à neuf anneaux noirs; son pelage est d'un fauve roussâtre uniforme, très-touffu et très-long; il a deux points noirs sur le sommet de la tête, et deux bandes noires parallèles sur les joues. Son museau est très-court, et il lui mangue la dent mâchelière antérieure qu'ont les autres chats. Temminck n'a point admis cette espèce; mais la figure bien caractérisée qu'en a donnée Pallas ne laisse aucun doute sur son existence. Ce chat, toujours selon Pallas, serait la souche de notre chat d'Angora, probablement à cause de sa fourrure dont les poils ont de vingt à vingt-huit lignes (0,046 à 0,064) de lon- gueur. Le manoul habite surtout les solitudes les plus nues des vastes steppes rocheuses qui s'étendent entre la Chine et la Si- bérie ; il paraît qu'il ne se plait pas dans les bois, où il n'entre jamais, et qu'il préfère les pays stériles et hérissés de rochers; aussi n'est-il pas rare dans la Daourie et dans toutes ces contrées comprises entre la mer Caspienne et l'Océan, au sud du cin- quante-deuxième degré de longitude. C'est un animal nocturne, qui ne sort que la nuit du trou de rocher où il dort pendant le jour, pour aller faire la chasse aux oiseaux et aux petits mammi- fères dont il se nourrit. C’est surtout à la timide famille des liè- vres qu'il fait une guerre aussi acharnée que cruelle. Le Cuar osscur (Felis obscura, Desu. Le Chat noir du Cap, Fr. Cuv.) a le pelage d’un noir un peu roussâtre, avec des bandes transversales d'un noir foncé et très-nombreuses : il a sept an- neaux à la queue. Cette espèce douteuse se trouverait au cap de Bonne-Espérance. Le Cuar pe LA CarReRIE (Felis cafra, Des.) est d’un tiers plus grand que notre chat sauvage. Il est d'un gris fauve en dessus et fauve en dessous; les paupières supérieures sont blanchâtres; sa gorge est entourée de trois colliers; il a vingt bandes brunes transversales sur les flancs ; huit bandes noires lui traversent les paites de devant, et douze celles de derrière ; sa queue est lon- gue, à quatre anneaux bien marqués, et terminée de noir. M. La- lande l’a trouvé dans la Cafrerie. Le Cuar GanTÉ (Felismaniculata, Rurp.— TEmx.) est à peu près de la taille du chat domestique. Il est d'un gris fauve, avec la plante des pieds noire; il a sur la tête sept ou huit bandes noires, étroites et arquées : sa queue est longue, noire au bout, avec deux anneaux rapprochés de cette couleur; la ligne de son dos est noire; les parties inférieures sont blanches, nuancées de fauve sur la poitrine; la face externe des pieds de devant a qua- tre ou cinq petites bandes transversales brunes , et la face interne deux grandes taches noires; il porte cinq ou six petites bandes sur les cuisses. Il habite l'Égypte et probablement toute la partie septentrionale de l'Afrique. Le Cnar pu BexGALE (Felis bengalensis, Desx.) est de la taille du chat ordinaire; son pelage est d’un gris fauye en dessus, blanc en dessous; son front est marqué de quatre lignes longitudinales brunes, et les joues de deux; il a un collier sous le cou et un autre sous la gorge; des taches brunes et allongées s'étendent sur son dos; ses pieds et son ventre sont mouchetés de brun; sa queue est brunâtre, avec des anneaux peu apparents. Il habite le Bengale. Le Cuar pomesrique (Felis catus, Lin.) est trop généralement connu de nos lecteurs pour que nous perdions notre temps à le décrire, description qui d’ailleurs serait fort difficile, au moins pour les couleurs, puisque, ainsi que tous les animaux soumis à une antique domesticité, son pelage varie de mille manières. Quant à son type, le chat sauvage, il ne varie pas, et nous allons donner sa description : Son pelage est d'un gris brun un peu jaunâtre en dessus, d’un gris jaune pâle en dessous ; il a sur la tête quatre bandes noirâtres qui s'unissent en une seule plus large régnant sur le dos; des bandes transverses très-lavées sur les flancs et les cuisses; du blane autour des lèvres et sur la mà- choire inférieure; le museau d'un fauve clair; deux anneaux noirs près du hout de la queue, qui est également noir, ainsi que la plante des pieds. Il a vingt-deux pouces (0,596) de longueur, non compris la queue, c'est-à-dire qu'il est de très-peu plus grand que le chat domestique. Malgré sa petite taille, on retrouve dans le chat sauvage les habitudes des grandes espèces. Le chat sauvage était autrefois assez commun dans toutes les grandes forêts de la France, et, dans ma jeunesse, j'en ai assez souyent tué dans les montagnes qui séparent le cours de la Loire de celui du Rhône et de la Saône; mais aujourd'hui il est de- venu extrêmement rare, et probablement dans quelques années on ne l'y trouvera plus. I vit isolé, dans les bois, d’une chasse active qu'il fait aux perdrix , aux lièvres, et à tous les autres ani- maux faibles. Il grimpe sur les arbres avec la plus grande agilité, et fait ses petits dans les trous que les ans et les pluies ont creusés dans leur trone. Devant les chiens courants, il se fait battre et rebattre dans les fourrés, absolument comme le renard; mais, lorsqu'il est fatigué, au lieu de filer de long comme lui, il s’élance sur un arbre, se couche sur une grosse branche basse, et, de là, regarde fort tranquillement passer la meute sans s’en mettre autrement en peine. De cette espèce, et peut-être aussi du chat ganté, comme le pensent les naturalistes allemands Rupel et Ehrenberg, sont sor- ties les nombreuses variétés de chats domestiques, que l’on peut, comme l'a fait Linné, grouper en quatre races principales, sayoir : Le Cat DOMESTIQUE TIGRÉ (Felis catus domesticus, Lan.) ; Le CnaT DES CHaRTREUX (Felis catus cœæruleus, Lix.) ; Le Cuar p'EspaGxe (Felis catus hispanicus, Lix.); Le Cuar »'Axcora (Felis catus angorensis, Lix.). La nature a des mystères qui, probablement, resteront tou- jours impénétrables, et les effets physiologiques que produisent sur les animaux les différentes couleurs de leur pelage sont au nombre de ces secrets inexplicables. Le chat en offre un des exemples les plus singuliers. Si un de ces animaux porte sur sa robe du blanc, du jaune et du noir, c’est infailliblement une fe- melle. J'avais fait, ou l'on m'avait fait faire cette remarque dans mon enfance; pendant tout le cours de ma vie je n'ai pas perdu une seule occasion de la vérifier, et jamais je n'ai pu trouver un màâle marqué de ces trois couleurs. Buffon était un grand peintre et sayait habilement placer dans ses tableaux des ombres noires pour faire ressortir dayantage les brillantes couleurs dont il embellissait les scènes principales, mais ces ombres, ces parties sacrifiées, tombaient-elles toujours juste? Non, et nous en citerons comme preuve l'histoire du chat, qu'il a chargée de sombres couleurs évidemment pour faire valoir celles du chien. Ces oppositions sont fort habiles, très-piquantes, mais elles ne sont pas vraies. Il a calomnié le chat, comme nous allons le montrer en rapportant le portrait qu'il en a fait. « Le chat, dit-il, est un domestique infidèle qu'on ne garde que par nécessité, pour l'opposer à un autre ennemi domestique encore plus incommode et qu'on ne peut chasser : car nous ne comptons pas les gens qui, ayant du goût pour toutes les bêtes, n'élèvent des chats que pour s'amuser ; l'un est l'usage, l'autre l'abus. Et quoique ces animaux, surtout quand ils sont jeunes, aient de la gentillesse, ils ont en même temps une malice innée, un carac— tère faux, un naturel pervers que l'âge augmente encore, et que 184 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. l'éducation ne fait que masquer. De voleurs déterminés, ils de- viennent seulement, quand ils sont bien élevés, souples et flat- teurs comme les fripons; ils ont la même adresse, la même sub- tilité, le même goût pour faire le mal, le même penchant à la petite rapine ; comme eux ils savent couvrir leur marche, dissi- muler leur dessein, épier les occasions , attendre, choisir, saisir l'instant de faire leur coup, se dérober ensuite au châtiment, fuir et demeurer éloignés jusqu’à ce qu’on les rappelle. Ils pren- nent aisément des habitudes de société, mais jamais de mœurs : ils n'ont que l'apparence de l'attachement : on le voit à leurs mouvements obliques, à leurs yeux équivoques ; ils ne regardent jamais en face la personne aimée; soit défiance, soit fausseté, ils prennent des détours pour en approcher, pour chercher des ca- resses auxquelles ils ne sont sensibles que pour le plaisir qu’elles leur font. Bien différent de cet animal fidèle, dont tous les sen- timents se rapportent à la personne de son maitre, le chat ne paraît sentir que pour soi, n'aimer que sous condition, ne se prêter au commerce que pour en abuser; et, par cette conve- nance de naturel, il est moins incompatible avec l’homme qu'avec le chien, dans lequel tout est sincère. » Voyons maintenant ce que ce portrait a d’exagéré et de faux. Si le chat est voleur, et tous ne le sont pas, c’est toujours la faute de ses maîtres. Les uns, par parcimonie, lui refusent une quantité suffisante de nourriture; d’autres, par un cruel pré- jugé, ne lui en donnent pas du tout, sous prétexte qu'il cesse de chasser aux souris dès qu'il trouve à manger à la maison; ce pré- jugé du moins contredit la prétendue férocité du chat, qui, ainsi que la plupart des autres animaux , ne donne la mort que poussé par la faim. Dans la maison, il habite avec un rival préféré, un ennemi mortel, le chien, toujours prêt à le poursuivre et à l’étrangler quand il peut l’atteindre. Cette société west pas faite pour lui donner de l'assurance, pour vaincre la timidité natu- relle de son caractère. Toujours exposé aux attaques d'un être pour lequel il a une profonde antipathie , il a dû devenir méfiant et couvrir sa faiblesse d'une extrême prudence; sa marche de- vient oblique , il prend des détours pour approcher, il jette dans l'appartement un œil scrutateur, et n'entre que lorsqu'il est cer- tain de pouvoir le faire sans danger : est-ce là de la fausseté? I n'est sensible aux caresses que par le plaisir qu’elles lui font, dit le grand écrivain; mais il à cela de commun avec le chien, avec l'homme même, et si Buffon a entendu parler du plaisir physi- sique seulement, je répondrais que rien ne prouve celte asser- tion, puisque le chat, ainsi que le chien, rend caresses pour caresses et lèche avec affection la main qui le nourrit, Un chat affamé, maltraité, harcelé, profite des ombres de la nuit pour se glisser furtivement dans la cuisine, y saisir avee subtilité un misérable morceau de viande pour apaiser une faim dévorante , et voilà de la perversité! Mais il n’est pas un chien de chasse qui n'en fasse autant dans l’occasion , avec plus d’audace à la vérité, et on ne l'accuse pas de manquer de mœurs, d’être pervers, de ne se prêler au commerce que pour en abuser. Le chat n’est farouche et sauvage qu'autant qu'il est dédaigné et maltraité; quand il est élevé avec douceur, il s'attache à son maître, lui montre de l’affectien et obéit même à son commandement, Il est | | susceptible d'éducation autant que son intelligence bornée le lui permet; j'en ai vu qui donnaient la patte, qui contrefaisaient le mort, et même qui rapportaient comme un chien. Buffon lui-même dit que des moines grecs de l’île de Chypre en avaient dressé à chasser et à prendre et tuer les serpents. Il est vrai qu'après une antique servitude, le chat n’est devenu qu’à moilié domestique, et qu'il a su conserver son entière indépendance; mais ceci ré- sulte purement de son organisation physique et non de son mo- ral, Animal exclusivement de proie, il a les habitudes, les gestes de ces animaux, quoiqu'il en ait perdu le caractère, au moins dans les grandes villes, où l’on a soin de lui, où ses besoins, ses appélits sont constamment satisfaits. On dit qu'il s'attache plus au logis qu'à ses maîtres, et cela est vrai, mais seulement dans les maisons où l’on s'inquiète peu de lui, où il n’a pas pu placer son affection sur quelqu'un. S'il a été adoplé par une personne, qu'il en ait recu des soins, des amitiés, qu'il s’y soit attaché, il la suit dans un autre logis, s’y établit, y reste, et ne pense pas à retourner dans celui qu’on lui a fait quitter. En résumé, le chat est d’un caractère timide; il devient sau- vage par poltronnerie, défiant par faiblesse, rusé par nécessité. I n’est jamais méchant que lorsqu'il est en colère, et jamais en colère que lorsqu'il croit sa vie menacée; mais alors il devient dangereux, parce que sa fureur est celle du désespoir, et qu’a- lors il combat avec tout le courage des lâches poussés à bout. Il a conservé de son indépendance autant qu'il lui en fallait pour assurer son existence dans la position que nous lui avons faite, et si on rend cette position meilleure, comme à Paris, par exem- ple, où le peuple aime les animaux, il abandonnera aussi une partie de son indépendance en proportion de ce qu’on lui donne en affeclion. La chatte est plus ardente en amour que le mâle, ce qui est une exception dans la nature; elle entre communément en cha- leur deux fois par an, en automne et au printemps; elle porte cinquante-cinq à cinquante-six jours, et ses portées ordinaires sont de quatre à six petits. Comme les mâles à demi sauvages sont sujets à dévorer leur progéniture, la femelle cache ses petits dans des trous ou d’autres lieux retirés, et elle les transporte ailleurs et les change de place à la moindre apparence de danger. Après les avoir allaités quelques semaines , elle leur apporte des souris, des petits oiseaux, et les accoutume peu à peu à vivre de proie. Il arrive quelquefois aux jeunes mères qui mettent bas pour la première fois de manger leurs petits au lieu du placenta que mangent toutes les espèces d'animaux. Cette erreur de l’in- telligence animale est une des bases fondamentales sur laquelle on établit la férocité de l'espèce. Mais ceci arrive encore plus souvent aux lapines, et je ne vois pas que pour cela Buffon ait avancé que le lapin est un animal féroce. Le chat est joli, léger, adroit, plein de grâce, et sa robe est toujours d'une propreté recherchée; ses poils soyeux, secs et lustrés s’'électrisent aisé ment, et si on les frotte dans l'obscurité on en voit sortir des étincelles. Lorsque la femelle est en chaleur, elle s'échappe de la maison , et va quelquefois s’accoupler avec les chats sauvages. Les petits qui en résultent sont fort beaux, mais on les dit plus fa- rouches que leur mère. La longueur ordinaire de la vie d’un chat est de dix à quinze ans. L CHATS. 185 $2. CHATS D'AMÉRIQUE. Le Jacuar (Felis onça, Lin. L'Onza des Portugais. Le Tlatlanqui- Ocelotl d'Hernandès. La Grande Panthère des fourreurs. Tigris americanus, Bouiv.). Après le tigre et le lion, cet animal est le plus grand de son genre. Azzara dit en avoir mesuré un qui avait six pieds (1 949) de longueur non compris la queue, qui elle-même était longue de vingt-deux pouces (0,596). Son pelage est d’un fauve vif en dessus, semé de taches plus ou moins noires, ocellées, c’est-à- dire formant un anneau plus ou moins complet, avec un point noir au milieu; ces taches sont au nombre de quatre ou cinq, par lignes transversales, sur chaque flanc; quelquefois ce sont de simples roses; elles n'ont jamais une régularité parfaite, mais elles sont constamment pleines sur la tête , les jambes, les cuisses et le dos, où elles sont allongées, sur deux rangs en quelque partie, sur un seul dans une autre. Tout le dessous du corps est d'un beau blanc, semé de grandes taches noires, pleines et irré- rement dans les estères et les grandes forêts traversées par des fleuves, dont il ne s'éloigne pas plus que le tigre, parce qu'il s'y occupe sans cesse de la chasse des loutres et des pacas. Comme lui, il nage avec beaucoup de facilité, et va dormir, pendant le jour, sur les ilots, au milieu des touffes de jones et de roseaux. Souvent il fait sa proie d'un bœuf ou d'un cheval, et il est d'une force si prodigieuse, qu'il le traîne aisément dans les bois pour le dévorer. En plaine, le jaguar fuit presque toujours et ne fait volte-face que lorsqu'il rencontre un buisson ou des herbes hautes dans les- quelles il puisse se cacher. Dans ces retraites, il attend sa proie, se lance sur son dos en poussant un grand cri, lui pose une patte sur la tête, de l’autre lui relève le menton, et lui brise le der- rière du crâne. Pendant la nuit, sa hardiesse est extrême ; de six hommes dévorés par les jaguars, à la connaissance d’Azzara, deux furent enlevés devant un grand feu de bivouac. Heureuse- ment qu'il ne tue que lorsqu'il a faim, et qu'une seule victime lui suffit à la fois. Il vit cantonné avec sa femelle; et, dans les anses peu profondes des fleuves, il pêche le poisson, qu'il enlève Le Jaguar. gulières. Le dernier tiers de la queue est noir en dessus, annelé de blanc et de noir en dessous; l'extrémité affleure la terre sans ‘trainer. Le jaguar est répandu depuis le Mexique exclusivement, jusque dans le sud des pampas de Buenos-Ayres, et nulle part il n’est plus commun et plus dangereux que dans ce pays, malgré le climat presque tempéré, et la nourriture abondante que lui fournit la grande quantité de bétail qui pait en liberté dans les plaines. Il y attaque constamment l'homme, tandis que ceux du Brésil, de la Guyane et des parties les plus chaudes de l'Amérique fuient devant lui, à moins qu'ils ne soient pressés par la faim ou qu'ils aient été attaqués les premiers. Les bois marécageux du Parana, du Paraguay et des pays voisins, sont peut-être les en- droits où cette espèce s’est le plus multipliée, et où les accidents sont le plus fréquents. Elle était encore si nombreuse an Para- guay, après l'expulsion des jésuites, qu’on y en tuait deux mille par an, selon d’Azzara; mais au commencement de ce siècle leur destruction annuelle n'allait pas à mille. Cet animal est éga- lement très-commun dans la Guyane et le Brésil, et l'on entend ses cris presque régulièrement le matin au lever du soleil, et le soir à l'entrée de la nuit. Ces cris sont flûtés, avec une très-forte aspiration pectorale, et se font entendre à une très-grande dis- tance. Il en a un autre qu'il pousse quand il est irrité ou qu'il va fondre sur sa proie, Ce dernier ressemble à un râlement profond qui se termine par un éclat de voix terrible et propre à épouvan- ter l’homme le plus intrépide. Cet animal se plait particuliè- très-adroitement de l’eau avec sa patte. Il mange aussi les jeunes caïmans , el attaque même les plus grands, tels que le caïman à lunettes (Alliyator sclerops, Cuv.), très-commun à la Guyane, au Brésil et à la colombie. Mais il arrive quelquefois que le crocodile le saisit par un membre avec ses puissantes mâchoires , et l’en- traine dans le fleuve pour le noyer. L'instinct du jaguar lui ré- vèle alors le seul moyen qu'il y ait pour faire lâcher prise à son ennemi; il lui enfonce les griffes dans les yeux, et la douleur fait aussitôt ouvrir la gueule au caïman, qui dégage ainsi le ja- guar et devient sa proie. Le jaguar ne rôde guère que la nuit; il dort pendant le jour, couché au pied d’un arbre ou dans le milieu d'un épais taillis. Si le hasard fait qu'on le rencontre en cet état, il faut se garder de prendre la fuite, de pousser des cris ou faire quelque mouvement extraordinaire, si l’on ne veut se vouer à une mort inévitable. Le parti le plus sûr est de se retirer lentement, en reculant et tenant les yeux fixés sur ceux de l'animal, et de s'arrêter s’il marche sur vous. Alors il s'arrête lui-même et ne recommence à vous suivre que lorsque vous cherchez à vous éloigner. De halte en halte on parvient ainsi à gagner un lieu habité. Si l’on est armé et qu'on veuille le tirer, il faut le tuer d’un seul coup, car il se précipite sur le chasseur au feu de l'amorce ou s’il n’est que blessé. Malgré tout ce que cet animal a de terrible, des gahu- chos (Espagnols nés au Brésil) osent l’attaquer corps à corps et sans armes à feu. Un homme s’arme d'une lance longue de cinq pieds; sur son bras gauche il porte une peau de mouton garnie 186 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. de son épaisse toison, et il s’avance hardiment dans le buisson où il sait que le jaguar s'est retiré. A l'instant où le monstre se dresse sur ses pieds de derrière pour s'élancer, l’intrépide chas- seur le perce de sa lance. S'il manque son coup, il abandonne à l'animal sa peau de mouton, et pendant que celui-ci s'acharne dessus, il reçoit un second coup de lance qui l’étend mort sur la place. Quand le jaguar est chassé par une meute de chiens ap- puyée d’un bon nombre de piqueurs, il fuit en frémissant de colère et en se retournant souvent pour faire tête à ses ennemis. Dans ce cas on emploie souvent le lasso pour s'en emparer. Le lasso est une corde de cuir, tressée dans sa fraicheur, d’un pouce et demi au moins (0,041) de circonférence, longue de vingt à trente pieds (6,497 à 9,715) très-flexible, avec un nœud coulant à son extrémité, Un gahucho, monté sur un excellent cheval, poursuit le jaguar au triple galop; il tient d’une main son lasso, qu'il fait tourner sur sa tête, le lance autour du cou de l'animal féroce avec une adresse qui ne manque jamais son coup, et con- tinue à galoper en le traînant après lui jusqu'à ce que le jaguar expire étranglé. Malgré sa grande taille, cet animal grimpe sur les arbres avec autant d’agilité qu'un chat sauvage , et fait aux singes une guerre cruelle, À Buenos-Ayres, les grands animaux savent se défendre contre lui sans l'assistance de l'homme. Les bœufs se mettent en cercle, croupe contre croupe, lui présentent leurs cornes, et parviennent assez souvent à le tuer s’il se précipite sur eux ayec trop d'impétuosité. Les chevaux se défendent en lui lançant des ruades, et ceux qui sont entiers, loin de fuir devant lui, le pour- suivent quelquefois lorsqu'ils l’apercoivent, et le mettent en fuite. Les chiens dressés à la chasse du jaguar sont de moyenne taille, mais pleins de force et de courage. Leurs aboiements le mettent hors de lui; il s'arrête au pied d'un arbre et joue des pattes de devant, et tous ceux qui sont atteints sont ordinairement éventrés d’un seul coup. On profite de ce moment pour le tirer, en ayant soin de ne pas se montrer, car aussitôt qu'il aperçoit le chasseur il laisse là les chiens et se lance sur lui. Le plus souvent il grimpe sur un arbre, et on l’abat à coups de fusil. Le Jaguérété de Marc- grave, ou Jaguar noir (Felis nigra, ErxL.), n’est qu'une simple variété accidentelle de cet animal, de même que le Jaguar blanc ou albinos dont parle d’Azzara. Le GouaAzouara ou CouGuar (Felis puma, TraiLz. Felis concolor, Lix. Le Lion puma des colonies espagnoles; le Hitzli du Mexique ; le Pagi du Chili; le Tigre rouge de Cayenne). Le gouazouara atteint ordinairement quatre pieds (1,299) de longueur, et quelquefois davantage, non compris la queue, qui a vingt-six pouces (0,704). Son pelage est d'un fauve agréable et uniforme, sans aucune tache ; sa queue est noire à l'extrémité, et ses oreilles sont aussi de cette couleur. Il ressemble un peu au lion, mais il n’a ni crinière ni flocon de poils au bout de la queue ; son corps est plus allongé, plus bas sur jambes, et sa tête, pro- portionnellement plus petite, est ronde comme dans les chats ordinaires. Dans son premier âge, il porte une livrée comme le lionceau. Il se trouve dans le Paraguay, le Brésil, la Guyane et les États-Unis. Le couguar de Pensylvanie, de Buffon, en est une très-légère variété. De tous les chats, le gouazouara doit être le plus féroce, car il est le seul de cette famille qui tue les animaux pour le plaisir de tuer, sans qu'il y soit poussé par la nécessité. S'il trouve le moyen de pénétrer dans un pare de cinquante moutons, il les met tous à mort avant d'en manger ou d'en emporter un. Sous ce rapport il a quelque ressemblance avec le loup, et, si on étudie son his- toire, on lui trouve encore quelques analogies de mœurs avec cet animal. Par exemple, après avoir salisfait sa voracité, il cache le reste de sa proie et le couvre de feuillage, d'herbe ou de sable, pour le retrouver au besoin : et, soit qu'il ait plus de mémoire ou moins de méfiance que le loup, il revient, ce que ne fait jamais ce dernier, Il se tient plutôt dans les pampas ou plaines herbeu- ses que dans les forêts, et il n’affectionne pas les bords des ri vières, comme le tigre et le jaguar. Il a une vie solitaire et des habitudes vagabondes ; la nuit il vient rôder autour des habita- tions, et il tâche de se glisser dans les basses-cours pour les dé- vaster. Il s'empare des chiens, des moutons, des cochons et au- tres animaux incapables de lui résister; mais jamais il n'ose attaquer le gros bétail, à moins qu'il n'y soit poussé par une faim excessive. Ce qu'il y a de singulier, c’est que, à Cayenne, on le regarde comme plus dangereux que le jaguar, tandis que l'opinion contraire règne à Buenos-Ayres, où il est très-commun. Quant à moi, je pense que s’il attaque l'homme, c’est par une exception extrèmement rare, et hors de ses habitudes ordinaires ; je suppose que, lorsque cela lui est arrivé, c'était pour sa défense et à la suile d’une agression. Il monte aussi sur les arbres, mais en s'élançant d'un bond, soit pour monter, soit pour descendre; et non comme le jaguar, en grimpant à la manière des chats. Cet animal est lâche ; aussi, à Buenos-Ayres, rarement se donne-t-on la peine de le chasser dans les règles. On le poursuit avec des chiens , et on le tue à coups de fusil, ou on le prend au lasso, sans courir le moindre danger. Cependant, malgré sa fé- rocité, le gouazouara est facile à apprivoiser, et même il s’atta che assez à son maître pour chercher ses caresses et les lui ren- dre. Azzara en a possédé un qui était fort doux, qui le suivait, qui faisait entendre le ronron de nos chats quand on le grattait, et qui se laissait même battre sans chercher à se défendre, abso- lument comme ferait un chien. Le Cuar unicocore (Felis unicolor, TRAILL.), comparé au cou- guar, est de moitié plus petit; son pelage est en entier d’un fauve brun rouge sans tache, et sa queue est longue; ses oreilles n’ont point de noir, sa tête est beaucoup plus pointue, et ses petits ne portent point (le livrée. On le trouve dans les profondes forêts de Demerary et de la Guyane hollandaise. Le Coueuar non (Felis discolor, Scures.) serait noir, avec des poils longs, ainsi que les moustaches. Mais Buffon, qui lui donne pour synonymie le jaguérété de Pison, s'est probablement trompé, et son couguar noir, qu'il dit se trouver à Cayenne, ne serait, selon Cuvier, qu'un couguar ordinaire à fond du pelage un peu plus brun. Du reste, je regarde cet animal comme une variété du puma. Le Yacouarounnt (Felis yagouaroundi, Desm.— Lacér.) est de la taille d’un chat domestique. En petit, il ressemble assez au cou- guar par ses formes allongées ; mais son pelage est d'un brun noirâtre, piqueté de blanc sale; les poils de la queue sont plus longs que ceux du corps, et ceux de sa moustache sont à longs anneaux alternativement noirs et gris. Cetle espèce s’apprivoise assez aisément. Elle vit solitaire, ou le mâle et la femelle ensem- ble, dans les lieux fourrés et les taillis épais, sans-jamais s’expo- ser en plaine. Elle se nourrit d'oiseaux, auxquels elle ne fait la chasse que pendant la nuit, et elle habite le Paraguay, et proba- blement le Chili. Le Cuar À VENTRE rACHÉ (FKelis celidogaster, Ten.) est de la grandeur de notre renard; son pelage est doux, lisse, court, d'un gris de souris, marqué de taches pleines d'un brun fauve; les taches du dos sont oblongues et les autres rondes ; il a cinq ou six bandes brunes demi-circulaires sur la poitrine; le ventre est blane, marqué de taches brunes; il a deux bandes brunes sur la face interne des pieds de devant, et quatre sur les pieds de derrière ; sa queue est un peu plus courte que la moitié Lotale de son corps, brune, tachée de brun foncé ; ses oreilles sont médio- cres, noires à l'extérieur; ses moustaches sont noires, lerminées de blanc, Il habite le Chili ou le Pérou. Ses mœurs sont les mêmes que celles de l'ocelot. Le MpacaraGa, où Maracaya, où OceLor (Felis pardalis, Lin. Le Chibigouazou, d'AzzanA. L'Ocelot, Burr.). Ce joli animal a environ trois pieds (0,975) de longueur, non compris la queue, qui a quinze pouces (0,406); sa hau- 3 CHATS. 187 0 teur ne dépasse pas un pied trois pouces (0,406); on prétend qu'il y en a d'un peu plus grands, mais ils sont rares. Le fond de son pelage est d’un gris fauve; il a sur les flancs et la croupe cinq bandes obliques d’un fauve plus foncé que celui du fond, bordées de noir ou de brun; une ligne noire s'étend du sourcil au vertex; deux autres vont obliquement de l'œil sous l'oreille, d’où part une bande transverse noire, interrompue sous le milieu du cou, et suivie de deux autres parallèles; on lui voit quatre lignes noires sur la nuque, deux sur le côté du cou, trois plus ou moins interrompues, le long de l’épine du dos; le dessous de son corps et l'intérieur de ses cuisses sont blanchâtres, semés de taches noires isolées. Sous le nom d’ocelot, Buffon a fait l'his- toire du jaguar. Le mbacaraga est un animal absolument nocturne, qui ne sort que la nuit des fourrés impénétrables qu'il habite. Tant qu'il fait jour il dort, et il conserve même cette habitude dans la captivité. Cette espèce offre cela de particulier que d’une timidité excessive pendant le jour, elle devient dans les ténèbres d'une audace dont rien n'approche. Sa taille ne lui permettant pas d'attaquer de grands animaux, l'ocelot se glisse furtivement autour des habi- tations, pénètre dans les basses-cours, enlève le premier animal domestique qui lui tombe sous la griffe, et l'emporte dans les buissons voisins pour le dévorer. Les murs d'enceinte les plus hauts, les palissades les plus serrées ne peuvent l'empêcher d'en- trer dans les habitations, s’il se trouve un arbre de dessus lequel il puisse s'élancer. Pour faire ces hardies invasions avec plus de sûreté, il a soin de choisir une nuit sombre, orageuse, de se glis- ser au bruit des vents et à la clarté des éclairs, et d'égorger sa victime quand ses derniers gémissements se perdent dans les bruits de la foudre. Rarement, pendant les nuits calmes, il ose s'approcher des lieux habités ; il erre alors dans la campagne, et chasse aux oiseaux et aux pelits mammifères, dont il fait sa nour- riture ordinaire ; il grimpe sur les arbres pour y surprendre les singes endormis , et il s'embusque dans les buissons et les hautes herbes pour attendre sa proie et la saisir au passage, ainsi que font les autres chats. Ses habitudes ne sont pas vagabondes comme celles du puma; il vit cantonné avec sa femelle, et ne quitte guère la forêt qui l'a vu naître que lorsqu'il en est chassé par l’homme. Il habite l'Amérique méridionale, et particulière- ment le Paraguay, où il est assez commun. Le Trarco-OceLor (Felis pseudopardalis. — Ocelot du Mexique, figuré par Buffon, t. 9, pl. 18, et par Schreber, pl. C, 2, sous le nom de Jaguar) est un peu plus petit que le précédent. Il en diffère par ses taches qui, bien que buordées, ne forment pas de même des bandes continues, mais sont isolées les unes des au- tres; par sa queue plus courte et ses jambes plus hautes. Il miaule comme un chat, préfère le poisson à la viande, et c'est à peu près là tout ce qu'on sait de son histoire, Il habite le Mexique et la baie de Campèche ? Le Cnar ocELOïDE (Felis macroura, Wieb. — Teux. Felis Wiedii, Scminz. Le Chat pécari, Scnowe.) ressemble également au mara- caya , à ces différences près: son pelage est plus clair ; sa queue notablement plus longue et moins mince vers l'extrémité: sa taille est plus petite, son corps plus allongé, ses jambes plus basses, et les taches de ses flancs moins étendues. 11 habite le Brésil. Le Cuari (Felis mitis, Fr. Cuv.) a vingt-deux pouces et demi (0,610) de longueur, non compris la queue , qui en a dix (0,271). Son pelage est fauve, ou d'un gris brunätre pâlissant sur les fianes : blanc aux joues et sur le corps ; moucheté à la tête comme l'ocelot, avec trois séries de taches noires le long du dos; celles des flancs, des épaules et de la croupe sont d'un fauve foncé, bordées de noir tout autour, excepté en ayant, et elles forment cinq rangs; il a dix ou onze anneaux noirs à la queue. Son mu- seau est couleur de chair. Cette jolie espèce se trouve au Brésil et au Paraguay, où elle est fort commune. C’est un animal très- doux, extrêmement aisé à apprivoiser, et s’attachant aux per- sonnes qui en prennent soin. Son miaulement est plus grave, moins étendu que celui de notre chat, avec lequel, du reste, il a de grandes analogies d'habitude. Le Guicxa (Felis quigna, Morin) pourrait bien n'être qu'une variété du margay. Il est de la grandeur de nos chats sauvages, dont il a les formes générales ; son pelage est fauve, marqué de taches noires, rondes, larges d'environ cinq lignes (0,044) et s'étendant sur le dos jusqu'à la queue. Il habite l'Amérique mé- ridionale , et particulièrement le Chili. Le CorocozLo ou Caro-Cara (Felis colocollo, Fr. Cu.) est de la grandeur de l'ocelot; son pelage est blanc, avec des bandes transversales, flexueuses, noires et fauves. Sa queue est annelée jusqu'à sa pointe de cercles noirs. Il se trouve au Chili. Le Marçay (Felis tigrina, Lix. Le Margay de Burr. Le Chat de la Caroline de CoLuixsox) a un peu plus de vingt et un pouces (0,569) de longueur, non compris la queue, qui en à onze (0,298); son pelage est d'un fauve grisâtre en dessus, blanc en dessous; il a quatre lignes noirâtres entre le vertex et les épaules, se pro- longeant sur le dos en série de taches; les taches des flancs sont longues, obliques, plus pales à leur centre qu'à leur bord; il y en a une verticale sur l'épaule, et d’autres ovales sur la croupe, les bras et les jambes; les pieds sont gris, sans taches, et la queue porte douze ou quinze anneaux irréguliers. Cet animal a les mœurs de notre chat sauvage, et vit de pelit gibier, de vo- laille, ete.; mais il est très-difficile à apprivoiser, et ne perd ja- mais son caractère farouche. Il habite le Brésil et la Guyane. Le CnaT DE MONTAGNE (Felis montana, Des.) est une espèce peu connue, douteuse ; son pelage est grisàtre et sans taches en dessus, blanchâtre avec des taches brunes en dessous ; ses oreil- les sont dépouryues de pinceaux, garnies de poils noirs en de- hors , avec des taches blanchâtres et fauves en dedans ; sa queue est courte, grisâtre. Il habite les monts Alleghanys, les monta- gnes du Pérou et les États de New-York. L'Eyra (Felis eyra, Desm. L'Eyra d'Azzara) a vingt pouces (0,542) de longueur, non compris la queue, qui en a onze (0,298); son pelage est d’un roux clair ; il a une tache blanche de chaque côté du nez, etune autre de la même couleur à la mâchoire in- férieure ; ses moustaches sont également blanches ; sa queue est plus touffue que celle du chat domestique. Le prince de Neuwied l'a retrouvé en Amérique. Il habite le Paraguay. Le Paseros ou Cuar DES Pawpas (Felis pageros, DEsu. Le Chat pampa d'Azzara) est long de vingt-neuf pouces (0,785), non compris la queue, qui en a dix (0,271); son pelage est long, doux, d’un brun clair en dessus, montrant, sous une certaine incidence de lumière, une raie sur l’échine et d'autres parallèles sur les flanes ; la gorge et tout le dessous du corps sont blan- châtres, avec de larges bandes fauves en travers; les membres sont fauves à l'extérieur, annelés de zones obscures; les mous- taches sont annelées de noir et de blanc, et se terminent par celte dernière couleur. Ce chat habite les pampas des environs de Buenos-Ayres. Le Cnar DE LA FLORIDE (Felis floridana, DES.) est une espèce douteuse qui aurait, selon Rafinesque, le port d'un lynx, et la taille un peu moindre que celle du chat-cervier. Son pelage est grisâtre; il n'a pas de pinceaux aux oreilles; ses flancs sont va- riés de taches d’un brun jaunâtre et de raies onduleuses noires. Il habite non-seulement la Floride, mais encore la Géorgie ét la Louisiane. Le Cuar pe La NouveLe-EsPaGxE (Felis mexicana, Des. Le Chat sauvage de la Nouvelle-Espagne, Burr.) est une espèce douteuse admise par Desmarets. Son pelage est d'un gris bleuàtre uni- forme , moucheté de noir. Il habite les forêts de la Nouvelle- Espagne. Le Cnar nèGRE (Felis niger) serait, selon Azzara, un peu plus grand que notre chat ordinaire. Il a vingt-trois pouces (0,623) de 188 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. ELLE longueur, non compris la queue, qui en a treize (0,552); son pelage est entièrement noir. Il habite le Brésil, et n’est peut-être qu'une variété nègre d’une des espèces précédentes. Le Car poré (Felis aurea, Des.) est encore une espèce dou- teuse dont Rafinesque a fait un lynx, quoique ses oreilles soient dépourvues de pinceaux. Il est de moitié plus grand que notre chat sauvage ; sa queue est très-courte ; son pelage est d'un jaune Temminck, il ne serait qu’une variété. Lesson pense que c’est une variété de la panthère des Indes. Ayant vu l'animal vivant, je ne puis parlager ni l’une ni l'autre de ces opinions. Le Kuvuc (Felis minuta, Temx. Felis javanensis et Felis undata, Des. Felis sumatrana et Felis javanensis, Horsr. Le Chat de Java, Cuv. Le Chat ondé, le Servalin et le Chat de Sumatra, des au- teurs). Il a la taille et un peu les formes de notre chat domes- Le Couguar ou Puma. clair brillant, parsemé de taches noires et blanches; son ventre est d’un jaune pâle sans taches. On ne l'a trouvé en Amérique que sur les bords de la rivière Yellow-Stone, vers le quarante- quatrième parallèle. On peut ajouter à la suite de ces espèces, les Felis brasiliensis, Fr. Cuv. Armillatus, Fr. Cuv. Elegans, Lessox. Tous les trois du Brésil. tique , mais sa queue est plus courte et plus grêle, et ses oreilles sont plus petites ; son pelage est d’un fauve brun clair en dessus, moins foncé sur les flancs; le dessous est blanc; des bandes et des taches noires s'étendent parallèlement du front aux épaules, et d’autres occupent les parties supérieures du corps. Sous celte robe c’est le Servalin ou Felis minuta de Temminck. L'Ocelot. $ 3. CHATS DES ILES ASIATIQUES DE L'ARCHIPEL DES INDES. L'Arimaou où Mecas (Felis melas, Penon) est de la taille d’une panthère; son pelage est d'un noir très-vif, sur lequel se dessi- nent des zones de même couleur, mais qui semblent plus lustrées. I n'habite que les districts les plus isolés de l’île de Java, et ses habitudes sont les mêmes que celles du léopard, dont, selon Avec le pelage d’un gris brun clair en dessus et blanchâtre en dessous; quatre lignes de taches brunes allongées sur le dos; des taches rondes, épaisses, sur les flancs; une bande transversale sous la gorge et deux ou trois autres sous le cou, c’est le Chat de Java ou Felis javanensis d'Horsfield et de Desmarets. Enfin, avec le pelage d’un gris sale, parsemé de petites taches noirâtres un peu allongées, c’est le Chat ondé ou Felis undata de Desmarets. < CHATS. 189 ————_———_————…—…—…———…——………“ 00e Toutes ces variétés se trouvent également à Jaya et à Sumatra. Elles ont absolument les mêmes habitudes que notre chat sau- vage. Le Cuar DE Drarp (Felis Diardii, G. Cuv.) a trois pieds de lon- gueur (0,975), compris non la queue, qui a deux pieds quatre pouces (0,738); le fond du pelage est d'un gris jaunâtre; le dos et le cou sont semés de taches noires formant des bandes longi- tudinales; d’autres taches descendent de l'épaule en lignes per- pendiculaires aux précédentes, sur les cuisses et une partie des flancs, et les anneaux sont noirs, à centre gris; il a des taches noires et pleines sur les jambes; les anneaux de sa queue sont nuageux. Il habite Java. Le Potzchori des Géorgiens. Le Lynx ordinaire des auteurs) est d'une grosseur à peu près double de celle du chat sauvage. Son corps est long de deux pieds quatre pouces à deux pieds dix pouces 0,758 à 0,921), et sa queue ne dépasse pas quatre pouces (0,108); le dos et les membres sont d'un roux clair, avec des mouchetures d'un brun noirâtre; le tour de l'œil, la gorge, le dessous du corps et le dedans des jambes sont blanchâtres; trois lignes de taches noires sur la joue joignent une bande oblique, large et noire, placée sous l'oreille de chaque côté du cou, où les poils, plus longs qu'ailleurs , forment une sorte de collerette ; il a quatre lignes noires prolongées de la nuque au garrot, et au milieu d'elles une cinquième interrompue; des bandes mouche- Le Caracai. L'Arimaou-Danax (Felis macrocelis, TEMM. Felis nebulosa, GRiFr.) a trois pieds (0,975) de longueur, non compris la queue, qui a deux pieds huit pouces (0,867); il est gris, avec des taches noires, transversales et très-grandes sur les épaules, obliques et plus étroites sur les flancs, où elles sont séparées par des taches an- guleuses, rarement ocellées; ses pieds sont forts et munis de doigts robustes; sa queue est grosse et laineuse. Ce chat habite tées obliques sur l'épaule, transversales sur les jambes; les pieds d’un fauve pur, excepté le tarse, qui est rayé de fauve brun en arrière; enfin la queue est fauve, avec du blanc en dessous et des mouchetures noires. D'autres variétés ont les taches et bandes moins foncées, la queue rousse avec le bout noir ; tout le des- sous du corps blanchâtre, et la taille plus petite. Fischer en cite une variété blanchâtre. Sumatra et Bornéo; il fait la chasse aux oiseaux, et sa grande taille lui permet d'attaquer les bêtes fauves. S4. LES LYNX, dont la fourrure est généralement plus longue que celle des autres chats, dont la queue est courte, et dont le caractère est d'avoir les oreilles terminées par un pinceau de poils. Le Lour-cerRvier (Felis lynæ, Lin. Le Wargelue ou Lo des Sué- dois. Le Los des Danois. Le Goupe des Norvégiens. Le Rys os- troridz des Polonais. Le Rys des Russes. Le Sylausin des Tatares. Le nom de loup-cervier, que porte ce lynx, peut lui avoir été donné par les chasseurs, parce que, ainsi que le loup, il pousse un hurlement que l’on peut prendre pour celui d'un de ces ani- maux, et qu'il attaque les faons et les jeunes cerfs de préférence à toute autre proie. Quoi qu'il en soit, le loup-cervier existait au- trefois en France et en Allemagne; mais à présent on ne l'y trouve plus, si ce n'est peut-être dans quelques grandes forêts des Alpes et des Pyrénées. Il paraît qu’il se trouve encore assez fréquemment en Espagne, et qu'il est très-commun dans les fo- rêts du nord de l'Asie et dans le Caucase. Dans ma jeunesse, les vieillards des Pyrénées se souvenaient encore d’avoir vu quelques 190 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. EL À lynx, et ils en racontaient des choses effroyables, moins celas- siques que les contes des Grees sur le caracal, mais beaucoup plus dans le goût du jour. Cet animal féroce suivait les voyageurs égarés, et ne manquait jamais de les dévorer s'ils avaient lé mal- heur de tomber; il les fascinait avec ses yeux, et les rendait muets. Pendant l'obscurité de la nuit, il pénétrait dans les ci- metières pour déterrer les cadavres. Il eût été bien plus dange- reux encore, S'il n'eût pas manqué totalement de mémoire, au point que, lorsqu'il suivait une personne à la piste, la moindre diversion lui faisait oublier et sa poursuite et sa victime, qui par- venait ainsi à lui échapper. Mais laissons là ces contes de nos aïeux, et revenons à la vérité. Le loup-cervier, étant d’une assez grande taille, attaque par- fois les faons des chevreuils et des cerfs, même lorsqu'ils sont parvenus à plus de la moilié de leur grosseur. Aussi agile que fort, il grimpe sur les arbres avec facilité, non-seulement pour surprendre les oiseaux sur leur nid, mais encore afin de pour- suivre les écureuils, les martes, et même les chats sauvages, qui ne peuvent lui échapper. Quelquefois il se place en embuscade sur une des basses branches, pour attendre, avec une patience admirable , que le hasard amène à sa portée un renné, un cerf, un daim ou un chevreuil. Alors, ainsi que lé glouton, il s’élancé d'un seul bond sur leur cou, s'y cramponhe aÿéc ses ongles, et ne lâche prise que lorsqu'il les a abattus, ën leur brisant la pré- mière vertèbre du cou; il leur fait ensuité un trou derrière le crâne, et leur suce la cervelle par cette ouverture, äu moyen de sa langue hérissée de petites épines. Raremëht il attäque une autre partie du cadavre des grands animaux, à moins qu'il he soit très-pressé par la faim. Ce qu'il y a de singulier, c’est qu'il emporte le corps pour le cacher dans un fourré, si c’est un petit animal; et si c’est un grand, il le couvre de feuilles sèches et de bois mort, quoiqu'il ne revienne jamais le chercher. Est-ce, comme on le dit, manque de mémoire, ou est-ce défiance? Pris jeune et élevé en captivité, il s’apprivoise assez bien, et devient même caressant ; mais pour le conserver il faut le tenir à l’atta- che, car, dès qu'il en trouve l’occasion, il fuit dans les bois pour ne plus revenir. Quoique ses formes soient un peu épaisses, il est plein de grâce et de légèreté; son œil est brillant, mais cepen— dant plein d'expression et même de douceur. Comme le chat , il est d’une propreté recherchée, et passe beaucoup de temps à se nettoyer et à lisser sa jolie robe. C’est un grand destructeur d'hermines, de lièvres, de lapins, de perdrix et d'autre gibier ; aussi les chasseurs russes lui font-ils une guerre”cruelle, qui en diminue journellement le nombre. Sa fourrure est assez re- cherchée. Le Parne (Felis pardina , OKex.—Temx. Le Chat-pard des Yoya- geurs. Le Loup-cervier des académiciens de Paris) est de la taille de notre blaireau; sa queue est plus longue que celle du loup- cervier ; il a de grands favoris aux joues: son pelage est court, d'un roux vif et lustré, parsémé de mèches où taches longitudi- nales d'un noir profond, avec de semblables taches sur la queue. I habite les contrées les plis chaudes dé l'Europe, telles que le Portugal, l'Espagne, là Sicile, là Turquie et la Sardaigne. C’est probablement lui que Bory de Saint-Vincent dit avoir trouvé fréquemment dans la Sierra de Gredos en Espagne. Le CueLasox ou Cnurox (Felis cervaria, Temm. Le Æattlo des Suédois). Sa taille est à peu près celle d'un loup; sa queue est conique, plus longue que la tête, à extrémité noire ; ses MOous- taches sont blanches; les pinceaux de ses oreilles sont toujours courts, et manquent quelquefois; son pelage est d’un cendré grisètre, brunissant sur le dos; sa fourrure, fine , douce, lon- gue, est touffue, surtout aux pattes, avec des taches noires dans l'adulte, brunes dans le jeune âge. 11 habite le nord de l'Asie. Il a les mêmes mœurs que les précédents, mais sa grande taille et sa force le rendent plus redoutable pour {:faons et autres ani- maux innocents. : Le Lynx DES ANCIENS Où CaRAGAL (Felis caracal, Lax. Le Lynæ de Barbarie ct du Levant des voyageurs. Le Siagoush des Persans, L’Anak-el-Ared des Arabes. Le Lynx africain, »'ALDROVANDE. Le Kara-Kalach des Tures. Le Roode-Kat des Hollandais du Cap). Le caracal a deux pieds cinq pouces (0,783) de longueur , non compris la queue, qui a dix pouces (0,271), c'est-à-dire qu'il est de la taille d’un de nos plus grands barbets. Son pelage est d’un roux uniforme et vineux en dessus, blane en dessous; ses oreilles sont noires en dehors, blanches en dedans; sa queue lui atteint les talons; il a du blanc au-dessus et au-dessous de l'œil, autour des lèvres, tout le long du corps et en dedans des cuisses : sa poitrine est fauve, avec des taches brunes; une ligne noire part de l'œil et se rend aux narines ; il a une tache de la même cou- leur à la naissance des moustaches. Cette espèce a fourni plu- sieurs variétés, qui sont : Le Caracal d'Alger, qui est roussâtre, avec des raies longitudi- nalés ; il a une bande de poils-rudes aux quatre jambes, et ses oreilles matiquent quelquefois de pinceaux; c'est le Gat-el-Kallah des Arabes ; Lé Caracal de Nubie, dont la tête est plus ronde; qui n’a point de croix sur le pelage, mais qui porte des taches fauves sur les parties intérnes et sur le ventre; Lé Caratal de Bengale, dont la queue et les jambes sont plus longuës que dans les précédents. Le lynx habité l'Afrique, l'Arabie et la Perse. Il y a peu d’ani- maux qui, dans l’äntiquité, aient autant prêté à la fable que celui-ci. Les Grées l'avaient consacré à Bacchus, et très-souvent ils le réprésentaiént attelé au char de ce dieu. Pline en raconte les éhoses les plus merveilleuses ; selon lui, il avait la vue si per- cante, qu'il voyait très-bien à travers une muraille ; son urine se pétrifiait et devenait une pierre précieuse nommée lapis lynecu- rius, qui, outre son éclat, avait la propriété de guérir une foule de maladies. Les Grecs racontaient celte histoire : Cérès envoya un jour Triptolème en Scythie, chez le roi Lynens, pour civiliser ses sauvages sujets, en leur apprenant l'agriculture. Mais ce roi barbare , qui préférait la guerre et la chasse à la civilisation, recut fort mal ce cultivateur , et le jeta dans une prison pour le faire mourir de faim. Cérès vint fort heureusement au secours de son favori : elle l’enleva de son cachot, et, pour se venger, elle changea le roi en lynx. Depuis ce temps-là, Lyneus et ses descen- dants n’ont cessé de chasser et de faire la guerre aux animaux paisibles. À Le lynx a les mœurs du chat sauvage , rien de moins, rien de plus : mais, comme il est plus fort et plus gros, au lieu de se contenter de menu gibier, il attaque de grands animaux, tels que gazelles, antilopes, ete. On dit qu'il suit le hion pour recueil- lir les débris de sa proie, mais ce fait me paraît singulièrement hasardé. Lorsqu'il attaque une gazelle , il la saisit à la gorge, l'étrangle, lui suce le sang et lui ouvre la tête pour lui manger la cervelle, après quoi souvent il l’abandonne pour en chercher une autre. Du resté , il parait qu'il a les mêmes habitudes que notre loup-cervier, et que, pris jeune, il s'apprivoise assez bien, sans cependant perdre son goût pour la liberté. Le Lynx pu Canapa (Felis canadensis, GEorr. Felis borealis, TEuM. Le Lynx du Canada, Burr.Le Chat du Canada, GEOrr.). ILest plus petit que le précédent , et sa queue est obtuse , tronquée, avec très-peu de noir au bout, plus courte que la tête ; ses moustaches sont noires et blanches; il a de très-longs pinceaux de poils aux oreilles ; sa fourrure est fauve, à pointes des poils blanches, ce qui rend le fond général d'un cendré grisâtre, ou ondée de gris et de brun; elle est extrémement longue, surtout aux pattes, ar pendant l'été seulement, après la mue, on lui distingue des lignes plus foncées aux joues, quelques mouchetures aux jambes , et même quelques taches sur le corps. Il habite le nord de l'Améri- que et de l'Asie. ol Le Cuaus où Lynx pes Marais (Felis chaus, Guuvexsr. Le Dikaja - CHATS. 191 koschka des Russes. Le Kir myschak des Tatares. Le Moes-gedu des Tcherkasses) est long de deux pieds (0,650), non compris la queue, qui a huit à neuf pouces (0,217 à 0,244) de longueur; ses jambes sont longues, son museau obtus, ses oreilles pourvues de pinceaux très-courts; il a une bande noire depuis le bord anté- rieur des yeux jusqu'au museau ; son pelage est d’un gris elair jaunâtre; le bout de sa queue est noir, avec deux anneaux de la même couleur qui en sont rapprochés. Il habite l'Égypte, la Nu- bie et le Caucase; il est surtout commun sur les bords du Kur et du Terek. Il offre une particularité rare parmi les chats, c’est d'é- tre un excellent nageur, et de se plaire dans l’eau, où sans cesse il est occupé à faire la chasse aux canards et autres oiseaux aquati- ques, et aux reptiles. Il vient aussi à bout de s'emparer des pois- sons en plongeant. Le Lynx BoTTÉ ( Felis caligata, Bruce. — Teum. Felis libycus, Ouiv.) a vingt-deux pouces de longueur (0,596), non compris la queue, qui en a près de quatorze (0,379), et qui est grêle; ses oreilles sont grandes, rousses en dehors, à pinceaux bruns très- courts ; la plante des pieds et le derrière des pattes sont d'un noir profond; le milieu du ventre et la ligne moyenne de la poi- trine et du cou sont d’un roussatre clair; les parties supérieures du pelage d’un fauve nuancé de gris et parsemées de poils noirs ; les cuisses sont marquées de bandes peu distinctes, d'un brun clair, il a deux bandes d’un roux elair sur les joues; la queue est de la couleur du dos à sa base , terminée de noir, avec trois où quatre demi-anneaux vers le bout, séparés par des intervalles d’un blane plus ou moins pur. Il habite l'Afrique, depuis l'Égypte jusqu'au cap de Bonne-Espérance, et le midi de l'Asie. « Cet animal, dit le voyageur Bruce, habite le Ras-el-Fée], et, tout petit qu'il est, vit fièrement parmi ces énormes dévaslateurs des forêts, le rhinocéros et l'éléphant, et dévore les débris de leur carcasse, quand les chasseurs ont pris une partie de la viande. Mais sa principale nourriture consiste en pintades, dont ce pays- là est rempli. Il se met en embuscade dans les endroits où elles vont boire, et c’est là que je le tuai. L'on dit que cet animal est assez hardi pour se jeter sur l’homme , s'il se trouve pressé par lui. Quelquefois il monte sur les gros arbres, quelquefois il se cache sous les buissons ; mais à l'époque où les mouches devien- nent très-incommodes par leurs piqûres il s'enfonce dans les cavernes, ou bien il se terre. » Le Cuar-cenvier où Lynx Bat (Felis rufa, GuzpENsT. — TEwn. Pinuum dasypus, Nienews. Le Lynx du Mississipi et le Lynx d'A- mérique des voyageurs. Le Bay-cat des Anglo-Américains. Le Chat-cervier des fourreurs) est de la taille de notre renard ; les pinceaux de ses oreilles sont petits ; sa queue est courte et très- grêle, avec quatre anneaux gris et quatre noirs; ses favoris sont courts ; son pelage, roussâtre en été et d'un brun cendré en hi- ver, est toujours ondé et rayé. Il habite les États-Unis. Du reste, il a les formes générales de notre lynx d'Europe. Le Lynx FASCIÉ (Felis fasciata , Desx.), décrit par Rafinesque, est peu connu; il pourrait bien n'être qu'une variété du lynx du Canada , auquel il ressemble beaucoup. Sa taille est courte; les pinceaux de ses oreilles sont noirs au dehors; sa queue est courte, blanche , avec l'extrémité noire; son pelage est très-épais, d’un brun roussâtre, avec des bandes et des points noirâtres en des- sus. Il a été trouvé par Clarke et Lewis à la côte nord-ouest de l'Arnérique septentrionale. Le Lynx DE LA CAROUINE (Felis carolinensis, Desm. Le Chat tigre de CozriNson?) est encore une espèce douteuse sur laquelle on n'a que des renseignements incomplets. Son pelage est d'un brun clair, rayé de noir dépuis la tête jusqu’à la queue; son ven- tre est pâle, avec des tâches hoires; ses moustaches sont roides et noires ; il à deux taches dé la même couleur sous les yeux, et ses oreilles sont garnies de poils fins ; ses jambes sont minces, tachées de noir. La fémélle a les formes plus légères que le mäle; elle est d'un gris roussâtre, sans aucune tache sur le dos; son ventre est d'un blanc sale, avec une seule tache noire. Si l’on ne considérait pas les pinceaux des oreilles comme le seul caractère qui tranche les lynx des autres chats, il faudrait probablement rapporter à cette section le chat de montagne, celui de la Floride et le doré. Cuvier pensait que ce ne sont que de simples variétés du chat-cervier. Tous les animaux du genre chat fournissent au commerce des fourrures plus ou moins pré- cieuses. LES CARNIVORES AMPHIBIES, SIXIÈME ORDRE DES MAMMIFÈRES. Le Fhoque commun. Ils se distinguent de tous les autres mammifères carnassiers par leurs pieds extrémement courts, plats, enveloppés par la peau, palmés, en forme de nageoires, ne pouvant leur servir qu’à ram- per péniblement sur la terre, mais très-propres à nager. Par le le mot amphibie il ne faut pas entendre que l’animal peut vivre sous l’eau et sur la terre, mais seulement qu'il habite l’un et l'autre, et qu'il respire l'air atmosphérique seulement, ce qui le force à se maintenir à la surface des ondes, ou à y venir respirer quand il a plongé. LES PHOQUES » ont des canines et des incisives, et leurs canines supérieures sont de grandeur ordinaire, non en forme de défense. L'histoire de ces animaux est encore très-embrouillée. Comme tous les phoques ont à peu près les mêmes mœurs, les mêmes habitudes, à de très-petites nuances près qui seront signa- lées en décrivant les espèces, je pense qu'il est nécessaire de faire ici leur histoire, afin d'éviter des redites ennuyeuses et sans but. Jusqu'à présent nous avons trouvé les animaux, objet de nos études, dans le sein des forêts, dans les steppes de l'Asie, les savanes et les pampas de l'Amérique, les déserts brülants de l’'A- frique, et les riantes campagnes de l'Europe ; maintenant nous allons les suivre à travers les écueils et les récifs qui bordent toutes les mers, et jusque sur les glaces éternelles des pôles. Nous les verrons se jouer à travers les tempêtes, sur les vagues irritées, passer la plus grande partie de leur vie dans les eaux, s’y nourrir de poissons, de crustacés et de coquillages qu'ils pê- chent avec beaucoup d'adresse, et ne venir à terre, où ils ne peu- vent se trainer qu'en rampant, que pour allaiter leurs petits on dormir au soleil. Leur corps allongé, cylindrique, diminuant progressivement de grosseur depuis la poitrine jusqu’à la queue, leur colonne vertébrale très - mobile , leurs muscles puissants, leur bassin étroit, leurs poils ras et serrés contre la peau, en un mot toute leur organisation en fait les meilleurs nageurs qu'il y ait parmi les mammifères, si l’on en excepte les cétacés. La nature leur a donné une conformation particulière qui leur permet de respirer à d'assez longs intervalles, et par conséquent de rester longtemps sous l’eau, quoiqu'ils n’aient pas le trou botal bouché, comme l'ont prétendu quelques naturalistes, et particulièrement Buffon. Leurs narines offrent aussi une particularité remarquable: elles sont munies d’une sorte de petite valvule que l'animal ouvre et ferme à volonté, et qui empêche l’eau de leur entrer dans le nez lorsqu'ils plongent. Un fait extrêmement singulier, mais no- toire, est que ces animaux ont l'habitude constante, lorsqu'ils vont à l’eau, de se lester comme on fait d’un vaisseau, en avalant des cailloux, qu'ils vomissent en revenant au rivage. Certaines espèces recherchent les plages sablonneuses et abritées, d'autres les rocs battus par la mer, d’autres enfin, les touffes d'herbes épaisses des rivages. Ils ne se nourrissent pas exclusivement de poissons ; "car lorsqu'ils peuvent saisir quelque oiseau aquatique, un albatros , une mouette , ils n’en manquent guère l’occasion. Pendant leur séjour à terre ils ne mangent pas, aussi maigris- sent-ils beaucoup. Même en captivité, pour dévorer la nourriture qu'on leur jette ils la plongent dans l'eau; ils ne se déterminent à manger à sec que lorsqu'ils y ont été habitués dès leur pre- mière jeunesse, ou qu'ils y sont poussés par une faim extrême. - PHOQUES. 193 Quand les phoques veulent sortir de la mer, ils choisissent une roche plate qui s’avance dans l’eau en une pente douce par la- quelle ils grimpent, et qui se termine de l’autre par un bord à pie, d’où ils se précipitent dans les ondes à la moindre apparence de danger. Pour ramper, ils s’accrochent avec les mains ou les dents à toutes les aspérités qu'ils peuvent saisir, puis ils tirent leur corps en avant en le courbant en voûte; alors ils s’en ser- vent comme d'un ressort pour rejeter la tête et la poitrine en avant, et ils recommencent à s’accrocher pour répéter la même opération à chaque pas. Néanmoins, malgré ce pénible exercice, ils ne laissent pas que de ramper assez vite, même en montant des pentes fort roides. Le rocher sur lequel un phoque a l'habi- Les phoques sont polygames, et il est rare qu'un mâle n'ait pas trois ou quatre femelles. Il a pour elles beaucoup d'affection, et les défend avec courage contre toute attaque. Il s’accouple au mois d'avril, sur la glace, sur la terre, ou même dans l’eau quand la mer est calme. C’est surtout pendant que ses femelles sont pleines, et quand elles mettent bas, qu'il redouble de soins et de tendresse pour elles. Il les conduit sur terre , leur choisit, à cin- quante pas du rivage, une place commode et tapissée de mousses aquatiques , pour y allaiter leurs petits. Dès que la femelle a mis bas, elle cesse d'aller à la mer pour ne pas abandonner son en- fant un seul instant; mais cette privation n’est pas de longue durée, car, après douze à quinze jours, il est en état de se trai- Les Phoques, vue de la mer Glaciale. tude de se reposer avec sa famille est sa propriété, relativement aux autres animaux de son espèce. Quoiqu'ils vivent en grands troupeaux dans la mer, qu'ils se protégent, se défendent, s’ai- ment les uns les autres, une fois sur la terre, ils se regardent comme dans un domicile sacré où nul camarade n'a le droit de venir troubler la tranquillité domestique. Si l’un d'eux s'approche pour visiter les pénates de ses voisins, il s'ensuit toujours un combat terrible, qui ne finit qu'à la mort du propriétaire du ro- cher, ou à la retraite forcée de l’indiscret. Ordinairement c’est la jalousie qui orcasionne ces combats; mais il semble qu'il y ait aussi une sorte d'instinct de la propriété. Ils ne s'emparent ja- mais d’un espace plus grand qu'il n’est rigoureusement néces- saire pour leur famille, et ils souffrent volontiers des voisins, pourvu qu'ils s’établissent au moins à cinquante pas de distance ; il y a plus : quand la nécessité l'ordonne, trois ou quatre familles se partagent une caverne, une roche, ou même un glacon, mais chacun vit à la place qui lui est échue en partage, sans jamais se mêler aux individus d’une autre famille. ner lant bien que mal, et elle le conduit à l'eau. De quoi vit-elle pendant qu'elle est à terre? Voilà une question que n’ont pu ré- soudre les naturalistes, faute d'observations suffisantes. Peut-être que le mâle va pêcher pour elle et lui apporte sa nourriture. Ce qui me le ferait croire, c'est que beaucoup d'animaux moins in- telligents agissent ainsi. Quant le petit est arrivé à la mer, la re- melle lui apprend à nager, après quoi elle le laisse se méler, pour jouer, au troupeau des autres phoques, mais sans, pour cela, cesser de le surveiller. Lorsqu'elle prend fantaisie de gagner la terre pour l’allaiter, elle pousse un cri ayant, dans le phoque ordinaire, un peu d'analogie avec l’aboiement d'un chien, et aus- sitôt le pelit s'empresse d’accourir à sa voix qu'il reconnait fort bien. Elle l’allaite pendant cinq ou six mois, le soigne pendant fort longtemps, mais aussitôt qu'il est assez fort pour subvenir lui-même à ses besoins, le mâle le chasse et le force d’aller s'éta- blir ailleurs. C’est pendant la tempête, lorsque les éclairs sillonnent un ciel ténébreux, que le tonnerre gronde, et que la pluie tombe à flots, 53. Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36. 13 194 LES CARNIVORES AMPHIBIES. que les phoques aiment à sortir de la mer pour aller prendre leurs ébats. Au contraire, quand le ciel est beau et que les rayons du soleil échauffent la terre, ils semblent ne vivre que pour dor- mir, et d’un sommeil si profond, qu’il est fort aisé, quand on les surprend en cet état, de les approcher pour les assommer avec des perches ou les tuer à coups de lance. À chaque blessure qu'ils reçoivent, le sang jaillit avec une grande abondance, les mailles du tissu cellulaire graisseux étant très-fournies de veines; cépen- dant ces blessures, qui paraissent si dangereuses, compromettent rarement la vie de l'animal, à moins qu'elles ne soient très-pro- fondes; pour le tuer, il faut atteindre un viscère principal ou le frapper sur la face avec un pesant bâton. Mais on ne l'approche pas toujours facilement, parce que, lorsque la famille dort, il y en a toujours un qui veille et qui fait sentinelle pour réveiller les autres s'il voit ou entend quelque chose d'inquiétant. On est obligé de lutter, pour ainsi dire, corps à corps avec eux, et de les assommer, car un coup de fusil, quelle que soit la partie où la balle les aurait frappés, ne les empêcherait pas de regagner la mer, tellement ils ont la vie dure. Quand ils se voient assaillis, ils se défendent avec courage; mais, malgré leur gueule terrible, cette lutte est sans danger, parce qu'ils ne peuvent se mouvoir assez lestement pour ôter le temps au chasseur de se dérober à leur atteinte. Faute de pouvoir faire autrement, ils se jettent sur les armes dont on les frappe, et les brisent entre leurs redouta- bles dents. Entre les muscles et la peau les phoques ont une épaisse couche de graisse, dont on tire une grande quantité d'huile qui s'emploie aux mêmes usages que celle de baleine, et qui a sur elle l'avantage de n'avoir pas d’odeur. Quelques espèces de cette famille ont une fourrure plus ou moins grossière, dont néanmoins on fait des habits chez les peuples du Nord. Les Amé- ricains emploient les peaux les plus grossières à un usage singu- lier : ils en ferment hermétiquement toutes les ouvertures et les gonflent d'air comme des vessies; ils en réunissent une demi- douzaine, plus ou moins, les fixent au moyen de cordes, placent dessus des jones ou de la paille, et forment ainsi de très-légères embarcations, sur lesquelles ils osent entreprendre de longs voyages sur leurs grands fleuves et leurs immenses lacs. Avec ces peaux, les Kamtschadales font des baïdars, sorte de pirogue; ils font aussi de la chandelle avec la graisse, qui en même temps est une friandise pour eux. La chair fraiche de ces animaux est leur nourriture ordinaire, quoiqu’elle soit trés-coriace et qu’elle ait une odeur forte et désagréable; ils en font sécher au soleil, ou ils la fument, pour leur provision d'hiver. Les Ænglais et les Américains de l'Union sont les seuls peuples, je crois, qui fas- sent en grand, et sous le rapport commercial, la chasse des pho- ques. Ils entretiennent chaque année plus de soixante navires de deux cent cinquante à trois cents tonneaux au moins, unique- ment équipés pour cet objet. Pris jeune, le phoque se prive parfaitement et s’attache à son maître, pour lequel il éprouve une affection aussi vive que celle du chien. De même que ce dernier, il reconnaît sa voix, lui obéit, le caresse, et acquiert facilement la même éducation, en tout ce que son organisation informe lui permet. On en a vu auxquels des matelots avaient appris à faire différents tours, et qui les exéculaient au commandement avec assez d'adresse et beaucoup de bonne volonté, À une grande douceur de caractère le phoque joint une intelligence égale à celle du chien. Aussi est-il remar- quable que de tous les animaux il est celui qui a le cerveau le plus développé, proportionnellement à la masse de son corps. Il est affectueux, bon, patient; mais il ne faut pas que l’on abuse de ces qualités en le maltraitant mal à propos, car alors il tombe dans le désespoir, et il devient dangereux. Pour le conserver longtemps et en bonne santé, il est indispensable de le tenir, pendant la plus grande partie du jour, et surtout lors de ses re- pas, dans une sorte de cuvier ou de grand vase à demi rempli d'eau; la nuit on le fait coucher'sur la paille. Ainsi traité, et nourri avec du poisson, on peut le garder vivant pendant plu- sieurs années. Mais s'il a déjà quitté sa mère depuis quelque temps quand on le prend, le chagrin de l'esclavage s'empare de lui, il est triste, boudeur, refuse de manger, et ne tarde pas à mourir. Les phoques manquent généralement d'oreille externe; leur corps est entièrement couvert d’un poil doux, soyeux et lustré chez les uns, grossier, rude et hérissé dans d’autres. Leurs pieds, larges et membraneux, ont cinq doigts; et les pattes postérieures sont soudées longitudinalement à la queue, ce qui leur donne absolument la forme échancrée d’une queue de poisson. En na- geant, ils lèvent au-dessus de l’eau leur tête arrondie, portant de grands yeux vifs et pleins de douceur ; leurs épaules arrondies paraissent aussi à la surface, de manière que, vus à une certaine distance, on a fort bien pu les prendre pour des figures hu- maines, et de là, sans aucun doute, les anciens ont tiré leur fable des sirènes. Ce qui donne de la vraisemblance à cette conjecture, c'est que, même dans des temps peu reculés, au seizième siècle, par exemple, Rondelet, le meilleur naturaliste de l'époque, voyait encore dans le Phoca cristata un moine ou un évêque marin, parce que, probablement, le christianisme ne permettait plus d'y voir un triton ou une sirène. « De notre temps, dit-il, en Nor- tuége (Norvége) , on a pris un monstre de mer, après une grande tourmente , lequel tous ceux qui le virent incontinent lui donnè- rent le nom de moine, car il avait la face d'homme, mais rusti- que et mi-gratieux, la teste rase et lize ; sur les espaules, comme un capuchon de moine, deux longs ailerons au lieu de bras; le bout du corps finissant-en une queue large. Entre les bestes ma- rines , Pline fait mention de l’homme marin et du triton comme choses non feintes. Pausanias aussi fait mention du triton. J'ai veu un pourrait d'un autre monstre marin à Rome, où il avait esté envoyé avec lettres par lesquelles on assurait pour certain que, l'an 1551, on avait veu ce monstre en habit d’évesque, comme il est pourtrait, pris en Pologne el porté au roi dudit pays, faisant certains signes pour monstrer qu'il avait grand dé- sir de retourner en la mer, où estant amené se jeta incontinent dedans. » 4e Genre. Les CALOCÉPHALES (Calocephalus, Fr. Cuv.) ont trente-quatre dents, dont six incisives supérieures et quatre infé- rieures ; quatre canines et vingt molaires. Leurs mâchelières sont formées principalement d'une grande pointe placée au milieu, d’une plus petite située antérieurement, et de deux également plus petites, placées postérieurement. Leur crâne est bombé sur les côtés, aplati au sommet; leurs crêtes occipitales consistent en de légères rugosités. Le VEAU MARIN (Calocephalus vitulinus, Fr. Cuv. Phoca vitulina, Lin. Phoca littorea, Tuiex. Le Phoque commun, Burr.) a environ trois pieds (0,975) de longueur ; il est d’un gris jaunâtre, couvert de taches irrégulières noirâtres. Ses couleurs varient, selon qu'il est sec ou mouillé. Sortant de l’eau, tout le corps en dessus est d'un gris d'ardoise, et couvert, sur les côtés, de nombreuses pe- tites taches rondes sur un fond un peu plus pâle ou jaunâtre; les parties inférieures sont de cette dernière couleur. See, le gris ne parait que sur la ligne moyenne, et tout le reste paraît jaunâtre. Il blanchit en vieillissant. Il habite les côtes du Nord et de l'Eu- rope, s’accouplé en septembre, ét met bas un seul petit en juin. IL est très-timide et très-défiant. Le KassiGrack (Calocephalus maculatus.— Phoca vitulina, Far. Phoca maculata, Bobn.) n’est probablement qu'une variété du précédent, dont le pelage est gris en dessus, blanc en dessous chez les jeunes, puis d’un gris livide parsemé de taches, et enfin, dans l’adulté, tigré ou varié de noir et de blane. Il habite les mêmes pays. Le CaLocÉériiAtEe mArgré (Calocephalus discolor, Fr. Cuv. Le Phoque commun, du même) ne me paraît également qu'une va- PHOQUES. 195 riété du veau marin, ne différant guère de la précédente. Sa taille est la même ; son pelage est d’un gris foncé, veiné de lignes blanchâtres irrégulières, formant sur le dos et sur les flancs une sorte de marbrure. On le trouve sur les côtes de France. Il a des mœurs douces et une intelligence très-développée, ainsi que les deux précédents. L’Arak Où CALOCÉPHALE GROENLANDAIS (Calocephalus groënlandi- cus, Fr. Cuv. Phoca groënlandica, Far. Phoca Mulleri, Less.) a les mâchelières petites et écartées, n'ayant, à la mâchoire supé- rieure, qu'un seul tubercule en avant ou en arrière du tubercule moyen. Il a trente-huit dents, six incisives en bas et quatre én haut, selon M. Lesson. Sa taille moyenne est de six pieds (1,949); le pelagé des mâles adultes est blanchâtre , avec le front et une tache en croissant noire sur chaque flanc; la tête du mâle est entièrement noire. Les jeunes sont tout blancs en naissant, puis ils prennent une teinte cendrée , avec de nombreuses taches sur les parties inférieures du corps. Il habite la Nouvelle-Zemble, les côtes du Groënland, et, mais seulement pendant l'hiver, les bords de la mer Blanche. Il s'accouple en juin, et les petits, ra- rement au nombre de deux, naissent en mars et avril. Le KENALIT OU CALOGÉPHALE OCÉANIQUE (Calocephalus oceanicus, Less. Phoca oceanica, Des. — LepecH.) a six ou sept pieds (1,949 ou 2,274) de longueur; il n’a que quatre incisives à chaque mà- choire; le pelage du mâle est d’un gris blanc, marqué d'une grande tache brune sur les épaules, d'où part une bande oblique qui s'étend sur les flancs jusqu’à la région du pénis; sa tête est d’un brun marron tirant sur le noir; les ongles de ses pieds de devant sont robustes. Il habite les mêmes côtes que le précédent, dont il paraît être une variété. Le CALOCÉPHALE QUEUE BLANCHE (Calocephalus albicauda , Less. Phoca albicauda , Desm.) ressemble, par ses formes, au phoque commun ; il a environ trois pieds et demi (1,137) de longueur ; son pelage est d'un gris de fer, plus clair sur les côtés, passant au blanchâtre sous le ventre. Il porte sur le dos et sur les flancs quelques petites taches noirâtres, irrégulières; son museau est blanc en dessus; sa queue mince, longue, d’un beau blanc; les ongles des mains sont robustes. Sa patrie est inconnue. Est-ce le Phoca lagurus de G. Cuvier? Le CaLOGÉPHALE DE LA PiLayE (Calocephalus lagurus, Fr. Cuv. Phoca lagurus, G. Cuv. Phoca Pilayi, Less.) a trois pieds trois pouces (1,036) de longueur; il est d'un gris cendré et argenté en dessus, avec des taches éparses et d’un brun noirâtre; les flancs et le dessous sont d’un cendré presque blanc; les ongles sont noirs, robustes ; les moustaches médiocres, en partie blan- ches et en partie noirâtres, et gaufrées comme dans le phoque commun. Il habite les côtes de Terre-Neuve. Le CALOGÉPHALE LIÈVRE (Calocephalus leporinus, Fr. Cuv. Phoca leporina, LEPECH.) a quatre incisives à chaque mâchoire ; sa lon- gueur est d'environ six pieds et demi (2,111); les poils de ses moustaches sont épais et forts, placés sur quinze rangs; les bras sont faibles, les mains petites, la queue courte et épaisse : son pelage est long, peu serré, hérissé, d’un jaune pâle, excepté sur le cou, qui porte une bande transversale noire. Dans sa jeunesse il est d’un gris noirâtre, avec de petites taches plus foncées sur le dos. Il habite les mers boréales, la Baltique et les côtes d'Eu- rope. Dans la servitude, il mange sous l’eau, souffle comme les chats quand on l'inquiète, et ne cherche pas à mordre, mais à égratigner. Le Nerrsek (Calocephalus hispidus, Fr. Cuv. Phoca hispida, Scur. Phoca fœtida, Mur. Le Phoque neitsoak, Burr. Phoca Schreberi, Less.). Il devrait appartenir, je crois, au genre Haly- chœrus. I a quatre ou cinq pieds (1,299 à 1,624) de longueur; sa tèle est courte, arrondie; ses yeux sont très-petits, à pupille blanchâtre ; son pelage est très-épais, mou, très-long, hérissé, fauve, à flammettes blanches sur le corps: le dessous est blanc, parsemé de taches rares et fauves sut le ventre; les jeunes ont le dos d'un cendré livide, et le ventre blanc et sans taches. Les vieux mâles exhalent une odeur insupportable. Il habite les mers du Groënland. L'Urksur (Calocephalus barbatus, Fr. Cuv. Phoca barbaia, Des. — Fagr. Phoca major, Pars. Phoca Parsonsii, Less. Le : Grand phoque, Burr. Le Gramselur, OLars. L'Urksuk takkamugak et le Terkigluk des Groënlandais) a communément dix pieds de longueur (3,248); sa tète est longue, son museau très-élargi, et ses lèvres lâches; la femelle a quatre mamelles ; ses yeux sont grands, à pupille noire; ses mains antérieures ont le doigt du milieu très-long. Son pelage varie beaucoup : il est assez épais et d’un gris enfumé chez les jeunes; elair-semé et brun dans les adultes, et d’un noir foncé dans l’âge avancé. Chez les vieux males la peau est presque entièrement nue. Il habite la haute mer près du pôle boréal, et se rend à terre au printemps. La fe- melle ne fait qu'un petit, qu'elle met ordinairement bas sur les glaces flottantes, vers le mois de mars. Les Groënlandais esti- ment beaucoup cette espèce pour sa chair, sa graisse et ses in- testins, qu'ils regardent comme un excellent mets, et pour sa peau, dont ils s’habillent. Le CALOCÉPHALE DE THiENEMANN (Calocephalus scopulicolus et Phoca Thienemannii, Less. Phoca scopulicola, Tutex.) a six pieds de longueur (1,949); son pelage est noir sur le dos, vert sous le ventre et sur les flancs, ces derniers marbrés de noir près du dos et de gris près du ventre. Il se trouve sur les côtes d'Islande. Le CaLocÉpuaLe LEUCOPLA (Calocephalus leucopla, Less. Phoca leucopla, Twex.) est entièrement verdâtre, avec une teinte gri- sâtre sur le dos. Il habite les côtes de l'Islande. Le CALOCÉPHALE DES RIVAGES (Calocephalus littoreus. — Phoca littorea, Tien.) a quatre pieds (1,299) de longueur; il a les formes du veau marin ; ses moustaches sont disposées sur six rangs; son pelage est très-épais, très-court, brun en dessus, plus ou moins jaunètre en dessous; il a sur le dos des lignes jaunes, flexueuses, qui s’effacent sur les côtés; sa queue est bordée de chaque côté d'une ligne jaune; et deux larges taches d'un fauve roux occu- pent tout le dedans des membres antérieurs. 2e Genre. Les STÉNORHYNQUES (Stenorhynchus, Fr. Cuv.) ont trente-deux dents, savoir : quatre incisives à chaque mâchoire ; quatre canines et vingt molaires; les dents sont composées à leur partie moyenne d'un long tubercule cylindrique, recourbé en arrière , et séparé de deux autres tubercules un peu plus petits, l’un antérieur, l’autre postérieur, par une profonde échancrure ; leur. museau est très-proéminent et ils ont de très-petits ongles aux pieds. Le STÉNORUYNQUE DE HOME (Sfenorhynchus leptonyx, Fr. Cuv. Phoca Homer, Less. Phoca leptonyx, BLaixv.) a sept pieds (2,74) de longueur, rarement neuf (2,924); son pelage est d'un gris noi- râtre en dessus, passant au jaunâtre sur les côtés, à cause des petites. taches qui s’y trouvent; les flancs, le dessous du corps, les pieds et le dessus des yeux sont d'un jaune gris pâle; ses moustaches sont simples et courtes. Il habite, dit-on, les côtes de la Nouvelle-Géorgie et des iles Malouines. Le STÉNORHYNQUE DE WEDDELL. (Stenorhynchus Weddellii, Less. Sea leapord, Wev». Phoca longicollis, Suaw.) a beaucoup de res- semblance avec le précédent. Son cou est allongé; sa tête très- petite; son pelage court, lustré, ras, d’un gris pâle ou ardoisé, parsemé en dessus d’un grand nombre de taches arrondies et blanchâtres, en dessous de taches semblables, mais jaunâtres. Il vit sur les glaces et n'habite que les hautes latitudes des Orcades - australes. 3e Gexke. Les STEMMATOPES (Stemmatopus, Fr. Cuv.) ont trente dents, savoir : quatre incisives supérieures et deux infé- rieures; quatre canines et vingt molaires. Leur tête est surmon- tée d’un organe bizarre, en forme de sac dilatable, dont on 13 196 LES CARNIVORES AMPHIBIES. ignore l'usage; leurs mâchelières sont à racines simples, courtes et larges, striées seulement à leur couronne; leur museau est étroit et obtus ; leur crâne développé. La Nésaursacix ou CaruciN (Stemmatopus cristatus, Fr. Cuv. Phoca cristata, Gur. Phoca leonina, Fagr. Le Phoca mitrata, Dexat. Le Phoc à capuchon, de G. Cuv. Le Nésaursalik et le Xakortak des Groënlandais) a environ sept à huit pieds (2,274 à 2,599); il a sur la tête, lorsqu'il est adulte, une sorte de sac caréné en dessus, mobile, et dont il peut se couvrir les yeux et le museau quand il le veut; ses narines sont dilatables au point qu’elles ressemblent à des vessies quand elles sont gonflées ; les femelles n’ont pas ces singuliers organes. Son pelage est long, laineux près de la peau, entièrement blanc dans le jeune âge, d’un gris brun en dessus et d’un blanc d'argent en dessous; à l’âge adulte, il est qnelque- fois parsemé de taches grises. Il habite les côtes septentrionales de l'Amérique et le Groënland. En mars, la femelle met bas un seul petit, sur les glaçons, et d'avril en juin ils se rendent à terre. 4e Genre. Les PÉLAGES (Pelagius, Fr. Cuv.) ont trente-deux dents, dont huit incisives, quatre canines et vingt molaires; les incisives supérieures sont échancrées transyersalement à leur ex- trémité, les inférieures sont simples. Les mâchelières sont épais- ses et coniques, n'ayant en avant et en arrière que des petiles pointes rudimentaires. Ils ont le museau élargi et allongé à son extrémité, et le €hanfrein très-arqué. Le Moine (Pelagius monachus, Fr. Cuv. Phoca monachus, Des. Phoca bicolor, Suaw. Phoca albiventer, Bon. Phoca leucogaster, PéroN) a de sept à dix pieds (2,274 à 5,248) de longueur ; son pe- lage est ras, court et très-serré, entièrement noir en dessus, avec le ventre blanc; ses moustaches sont lisses. Cet animal est fort intelligent, et s’apprivoise très-bien; il est méme docile et obéit au commandement de son maître, qu'il affectionne beau- coup; il est commun dans la mer Adriatique, et se trouve aussi, dit-on , sur les côtes de Sardaigne. de GENRE. Les MACRORHINS (Macrorhinus, F. Cuv.) ont trente dents, savoir : quatre incisives supérieures et deux inférieures , crochues comme les canines, mais plus petites; quatre canines fortes ; vingt molaires, dont les racines sont simples, plus larges que les couronnes qui imitent un mamelon pédiculé. Le MIouROUNG où PHOQUE A TROMPE ( Macrorhinus proboscideus, F. Cuv. Phoca proboscidea et Phoca Ansonii, DEsw. Phoca leonina, Li. Phoca elephantina, Moriwna. Le Loup marin, Pernerry. Le Phoque à museau ridé, Forsr. Le Lion marin, Damp. — ANsox. L'Eléphant marin, Péron, et les voyageurs anglais. Le Lame, Mozixa). Cet animal atteint de vingt-cinq à trente pieds {8 à 10 mètres) de longueur, sur quinze à dix-huit (4,872 à 5,847) de cir- conférence ; son pelage est ras, grisâtre ou d’un gris bleuâtre, quelquefois d’un brun noirâtre, rude et grossier; ses yeux sont très-grands, proéminents; les poils de ses moustaches sont rudes et contournés en spirale; ses canines inférieures, fortes et ar- quées, sont saillantes hors des lèvres; les ongles des mains sont très-pelits, el sa queue courte est peu apparente. La nature à paré beaucoup d'animaux, pour le temps des amours seulement, d’une sorte de robe de noce plus ou moins brillante, plus où moins singulière : dans les oiseaux, ce sont des couleurs vives et tranchantes, des crêtes, des aigrettes: dans les salamandres, ce sont des membranes dorsales agréablement dé- coupées et nuancées de mille couleurs variées, ete. ; elle n'a pas oublié le phoque dont nous parlons ici, mais la parure qu’elle lui a dévolue est au moins fort bizarre. Elle consiste en un pro- longement du nez, en forme de trompe membraneuse et éreclile, molle, élastique, ridée, longue quelquefois d'un pied (0,325), et ayant beaucoup d’analogie avec cette longue crète qui pend sur le bec d'un coq d'Inde. Cette trompe manque à la femelle et aux jeunes avant l’âge adulte, et il paraît qu’elle s'efface peu à peu dans le mâle lorsque le temps du rut est passé. Le miouroung habite les plages de toutes les îles désertes de l'hémisphère austral, et vit en troupes de cent cinquante à deux cents individus; comme il craint également la chaleur et l'excès du froid, il émigre régulièrement pour aller passer l’été dans le nord de la zone qu'il habite, et l'hiver dans le sud. Pendant les quatre premiers mois de l’année il quitte peu la mer, où il se nour- rit de poissons, de mollusques et de crustacés; alors il devient tellement gras qu'il n’est pas rare de lui trouver entre la peau et les muscles une couche de graisse huileuse ayant jusqu'à neuf pouces (0,244) d'épaisseur; les Américains retirent souvent une énorme quantité d'huile d’un seul individu, dont le poids de la chair seulement est communément de mille kilogrammes. Cet animal est d'un caractère doux, paisible, et surtout d'une grande indolence, Lorsqu'il dort sur la terre, mollement étendu sur un lit de varech, il est extrêmement facile de l’approcher, car, même lorsqu'il se réveille et voit le chasseur armé de sa longue lance, sa paresse ne lui permet ni de fuir ni de se mettre en défense, ce qui rend facile de le tuer d’un seul coup en lui perçant le cœur. Mais dans le temps des amours il n’en est pas de même ; il déploie nne activité extraordinaire, et il serait dangereux de l'approcher. Le rut a lieu dans le mois d'octobre, et les mâles se livrent alors des combats furieux pour s'approprier chacun Île plus de femelles qu'ils peuvent. Le plus fort fait son choix, com- pose à son gré son harem, et se retire; le combat recommence, etenfin les mâles les plus faibles restent sans femelles. Mais bien- tôt les vainqueurs se lassent de leurs conquêtes et les abandon- nent aux vaincus. Chaque femelle fait un ou deux petits qu’elle allaite deux ou trois mois. Le phoque d’Anson (Phoca Ansonti, Des.) en serait une variélé moins grande, à pelage d’un fauve clair, et à ongles des mains plus robustes, si ce n’est une espèce. Il habiterait plus particu- lièrement l'ile Juan-Fernandez et les îles antarctiques. Le MAGRORHIN DE L'ILE SaiNT-PAUL (Macrorhinus Coxii. — Phoca Coæii, Des. Le Lion marin de Coxe) est de la taille du miouroung, mais il manque de trompe; son pelage est de la couleur de celui du buffle, ou brun, ou quelquefois blane. Il est très-commun aux iles d'Amsterdam et de Saint-Paul. Serait-ce le miouroung hors du temps des amours, c’est-à-dire lorsque sa trompe est effacée? je le crois. Le MacRORHIN URIGNE ( Macrorhinus lupinus. — Phoca lupina, Morina ; le Loup marin des matelots français et espagnols) me pa- raît aussi n'être qu'une variété du miouroung, mais plus petite, si réellement sa longueur ne dépasse pas huit pieds (2,599). Sa lèvre supérieure est un peu cannelée; son pelage est d’un gris brun et quelquefois blanchâtre; ses pieds de devant n'auraient = PHOQUES. que quatre doigts, selon Molina. On le trouve sur les côtes du Chili. Le MacroRuiIN DE ByrON (Macrorhinus Byronti, Less. Phoca By- ronii, BLainv.). Cette espèce ne repose que sur le squelette d’une tête observée par M. de Blainville, dans le cabinet d'Hunter, à Londres. Elle a six incisives supérieures, dont la seconde exté- rieure est plus forte que les autres et ressemble à une canine ; les crêtes occipitales et sagittales sont très-saillantes, ainsi que l’apophyse mastoïde. L'animal avait été trouvé sur les côtes des iles Marianes. Ge Gexre. Les (ARCTOCÉPHALES Arctocephalus, Fr. Cuv.) ont trente-six dents, savoir : six incisives supérieures dont les quatre moyennes sont profondément échancrées dans leur milieu, et 197 7e Gexre. Les PLATYRHYNQUES (Platyrhynchus, Fr. Cuv.) ont le mème système dentaire que dans le genre précédent, mais les incisives sont pointues, et les mâchelières n’ont de pointe secon- daire qu’à leur partie antérieure; leur crâne est très-élevé, et leur museau élargi. Le Lion marix (Platyrhynchus leoninus , Fr. Cuv. Otaria jubata, DEsu. non Lixé. Otaria Pernettyi, Less. Otaria leonina, PÉRON) est long de douze pieds (5,898), et, si l'on en croyait Pernetty, il en atteindrait jusqu’à vingt-cinq (8,121); son pelage est fauve ; ses moustaches noires; le mâle porte sur le cou une crinière épaisse qui lui descend jusque sur les épaules; sa tête est assez petite, semblable à celle d’un dogue, avec le nez un peu relevé et comme tronqué à son extrémité. Cette espèce habite les îles à Le Morse. quatre inférieures échancrées d'avant en arrière; quatre canines: douze molaires supérieures et dix inférieures. Les mâchelières n’ont qu’une racine, moins épaisse que la couronne, consistant en un tubercule moyen garni à sa base, en avant et en arrière, d’un tubercule beaucoup plus petit. Les mains de ces animaux sont placées très en arrière, ce qui leur fait paraître le cou fort allongé; les pieds ont leur membrane à cinq lobes dépassant les doigts; leur tête est surbaissée et leur museau rétréci. L'Ours marin (Arctocephalus ursinus, Fr. Cuv. Phoca ursina, Lis. Otaria ursina, Des. Otaria Forsteri, Less. Ursus marinus. FORST. L'Ours marin, de Burr.) est long de quatre à six pieds (1,299 à 1,949), mince, à tête ronde et gueule peu fendue, avec des yeux proéminents, et de longues moustaches; ses oreilles sont poin- tues et coniques ; son pelage est composé de deux sortes de poils : celui de dessous, court, ras, doux et satiné, d’un brun roux; ce- lui de dessus plus long, brunâtre, tacheté de gris foncé. Il habite les côtes du Kamschatka et des îles Aléoutiennes. On le recherche beaucoup à cause de sa fourrure très-estimée en Chine, mais ses mœurs sauvages, la finesse de son odoral qui lui fait re- connaître de fort loin l'approche du chasseur, rendent sa chasse fort difficile. Il n’habite qu'au milieu des rochers et des récifs, sur les côtes les plus battues par la tempête. antarctiques; son caractère est doux et timide. Elle vit de pois- sons, d'oiseaux d'eau qu’elle surprend avec adresse, et quelque- fois d'herbe. La femelle pour faire ses petits se cache dans les roseaux où elle les allaite. Chaque jour elle va à la mer, et gagne sa retraite le soir. La chair de ces animaux est mangeable ; son huile est utile et sa peau est excellente pour les ouvrages de sel- lerie. Le PLATYRHYNQUE MOLOSSE (Platyrhynchus molossinus, Less. Otaria molossina, Less. et Garnxor. Le Phoque à crin des baleïiniers anglais. Le Petit lion marin, de PerxerrYx). Cette espèce a de qua- tre à huit pieds (1,299 à 2,599) de longueur ; son pelage est d’un roux uniforme , ras sur toutes les parties du corps; les poils de ses moustaches sont aplatis, d'un brun rouge, à extrémité noire; les mains manquent d'ongles, et les pieds en ont trois assez gros. La tête est petite, arrondie ; les oreilles sont petites, pointues, roulées sur elles-mêmes. Elle habite les iles Malouines. Le PLATYRHYNQUE DE Guékn (Platyrhynchus Guerinii. — Plaiy- rhynchus Uraniæ, Less. L'Otarie Guérin, Quoyx et Gaiwarp) a la plus grande analogie avec le précédent; mais les deux natura- listes du voyage de l’Uranie lui donnent six incisives en haut et quatre en bas, quatorze molaires supérieures et douze inférieures. Son pelage est brun , ras; son museau aplati, portant cinq rangs de moustaches; sa taille est de quatre pieds dix pouces (1,570). 198 LES CARNIVORES AMPHIBIES. Il habite les îles Malouines comme le précédent, auquel il faudrait säns doute le rapporter, s’il se trouvait que ses dents eussent été mal observées. 8e Gexre. Les HALYCHORES (Halychœærus, Hornscx.) ont trente- quatre dents , toutes coniques , recourbées : les inférieures égales, courtes, séparées également par un intervalle. vide; les deux in- cisives externes d’en haut simulant des canines et marquées d’un canal étroit à leur partie postérieure, les quatre intermédiaires plus longues et égales entre elles; les canines inférieures rappro- chées , sillonnées en arrière et en dedans, s’engageant dans un intervalle des canines supérieures qui sont semblables; molaires triangulaires , les supérieures convexes sur leur face externe, re- courbées, les troisième et quatrième les plus grandes, les infé- rieures pyramidales, les deuxième et troisième plus grandes. Du reste, les ongles sont plus longs et plus recourbés que dans les autres phoques. Ce genre fait le passage des phoques aux morses. L'Hazycuore ris (Halychœrus griseus, Horns. Phoca annellata, Nizss. Phoca cucullata, Bonn.) a le pelage composé de deux sortes de poils : celui de dessous est blanc, laineux et court; celui de dessus est long de deux pouces (0,054), soyeux, d’un gris plombé sur le dos, blanc sur le reste du corps. On le trouve sur les côtes de la Poméranie et des mers du nord de l'Europe. Espèces non encore classées. 9e Genre provisoire. Les PHOQUES (Phoca, Lin.) n'ont pas d'oreilles extérieures. Le Pnoque À TÊTE DE TORTUE (Phoca testudinea, SHAW.) ressem- ble par ses pieds au phoque commun , mais son cou est allongé, et sa tête ressemble à celle d’une tortue. Espèce douteuse, qui habiterait les mers d'Europe. Le Larwrak (Phoca lakhtak, Desx.) n’est connu que par une des- cription de Kraschenninikow; il serait de la grosseur d'un bœuf, et habiterait le Kamschatka. Le Pnoque Ticré (Phoca tigrina, KRASCHENN, Phoca Chorisit, Less. Le Chien de mer du détroit de Behring, Cnoms. Var. Phoca punctata, maculata, et nigra, de l'Encycl. ang.) est de la taille d'un veau; son corps est couvert de taches rondes et égales; son ventre est blanchâtre. Les jeunes sont entièrement blancs. Du Kamschatka. La variété punctata a la tête, le dos et les membres tachetés. Elle-habite les Kourilles. — La variété maculata est mou- chetée de brun et habite les mêmes côtes. — La variété nigra est noire , quelquefois tachée de blanc, et se trouve sur les mêmes rivages. Le Pnoque FASCIÉ ( Phoca fasciata, Suaw.) est noirâtre; une bande jaune lui dessine une selle sur le dos. Patrie inconnue. 10° Genre provisoire. Les OTARIES (Olaria, PÉrox) ont des oreilles externes apparentes. L'OraARIE DE DELALANDE (Otaria Delalandii, G. Guy.) a trois pieds et demi de longueur (1,137); son pelage, doux, fourré, laineux à la base, a la pointe de ses poils annelé de gris et de noïrâtre, ce qui lui donne une teinte d’un gris brun roussâtre; le ventre est d’une couleur plus pâle. Il a été apporté du cap de Bonne- Espérance par M. Delalande. L'OrTARIE DE PÉRON (Otaria Peronii et nigra, Desm. Phoca pusilla, Lin. Phoca parva, Bono. L'Otarie de l'ile de Rottnest, PÉro. L’O- tarie de Delalande, Fr. Cuv. Le Loup marin, Pacës. Le Petit pho- que, Burr.) a de deux à quatre pieds de longueur (0,650 à 1,299). Ses oreilles sont pointues; ses pieds de derrière n’ont d'ongles apparents qu'aux trois doigts du milieu, et sont terminés par une membrane à cinq festons; sa couleur est généralement noirâtre ; son pelage doux, et ses moustaches rondes et lisses. Il habite la Nouvelle-Hollande. L'OTARIE CENDRÉ (Otaria cinerea, PÉroN) a neuf à dix pieds (2,923 à 5,248) de longueur : son pelage est dur, grossier, d’un gris cen- dré. Il habite la Nouvelle-Hollande, sur les côtes de l’île Decrès. L'OTARIE ALBICOLLE (Olaria albicollis, Pérox) a huit à neuf pieds (2,274 à 2,925) de longueur; ses membres antérieurs sont situés fort en arrière, et il a une grande tache blanche sur la partie moyenne et supérieure du cou. Il habite la Nouvelle-Hollande. L'OrariE couroNNÉ (Otaria coronata, BLAINv.) a le pelage noir, taché de jaune, avec une bande de cette couleur sur la tête et une tache sur le museau. 11 à cinq ongles aux pieds de derrière. Sa patrie est inconnue. L'Orane JauNATRE (Otaria flavescens , Suaw.) est long d’un à deux pieds (0,325 à 0,650). Son pelage est d’un jaune pâle uni- forme ; ses oreilles sont longues; ses mains manquent d'ongles, et il en a trois seulement aux doigts moyens des pieds. Sa patrie est inconnue. Le Cocnon pe Mer (Ofaria porcina, Morin ) ressemble par la forme et le pelage au macrorhin urigne, mais son museau est plus allongé; ses oreilles sont relevées, et il a cinq doigts aux pieds de devant. Il habite les côtes du Chili. L'OrTaRiE D'HAUVILLE (Otaria Hauvillii, G. Cuv.) a quatre pieds deux pouces (1,555) de longueur; il est d'un gris foncé et cendré en dessus, blanchâtre sur les flancs et la poitrine; il a sur le ventre une bande longitudinale d'un brun roux, avec une autre transversale et noirâtre allant d’une nageoire à l’autre. On le trouve aux îles Malouines. LES MORSES ont la forme générale des phoques; mais leur mâchoire inférieure manque de canines et d’incisives, et les canines supérieures for- ment d'énormes défenses dirigées inférieurement. 41e Genre. Les MORSES (Trichechus, Lin.) ont vingt-deux dents à l’état adulte, savoir : quatre incisives à la mâchoire supérieure, et point à l'inférieure ; deux canines ou défenses à la mâchoire supérieure et point à l'inférieure; huit molaires en haut et huit en bas; leurs molaires sont cylindriques, courtes, tronquées obli- quement, et semblent, par leur stracture et leurs rapports, agir les unes sur les autres comme le pilon agit sur son mortier. Le Morse ou CHEVAL Marin (Trichechus rosmarus, Lin. Le Morse, Burr. La Vache marine et la Béte à la grande dent des voyageurs) atteint onze à douze pieds (5,573 à 5,898) de longueur, et même beaucoup plus, si on s’en rapportait à certains voyageurs; son pelage esttrès-court, très-peu fourni, et d'une couleur roussâtre ; son muffle est très-gros, sa lèvre supérieure renflée ; ses narines se trouvent presque regarder le ciel et non terminer le museau ; ses défenses ont quelquefois deux pieds de longueur (0,650) et davantage; leur grosseur est proportionnée à leur longueur. Pour les membres et le reste du corps, il ressemble beaucoup aux phoques. Si le morse a beaucoup d’analogie dans les formes avec les animaux de la famille précédente , il n’en a pas moins dans les mœurs et dans toutes les habitudes de la vie. Cependant il a moins d'intelligence, et, par suite, moins de douceur dans le caractère. Eward Worst dit avoir vu en Angleterre un de ces animaux âgé de trois mois, que l'on ne pouvait toucher sans le mettre en colère, et même le rendre furieux. La seule chose que l'éducation ait pu obtenir de lui était de le faire suivre son maître en grondant, quand il lui présentait à manger. Ce animal habite toutes les parties de la mer Glaciale , mais il est bien moins com- RS PHOQUES. 199 mun qu'autrefois. « J'ai vu à Jakutzk, dit Gmelin, quelques dents de morse qui avaient cinq quarts d’aune de Russie, et d’aulres une aune et demie de longueur ; communément elles ont jusqu'à qua tre pouces de largeur à la base. Je n’ai pas entendu dire qu'au- près d’Anadirskoi l'on ait jamais chassé ou pêché de morse pour en avoir les dents, qui néanmoins en viennent en si grande quan- lité; on m'a assuré , au contraire, que les habitants trouvent ces dents, détachées de l'animal, sur la basse côte de la mer, et que, par conséquent, on n’a pas besoin de tuer auparavant les morses. Plusieurs personnes m'ont demandé si les morses d’Anadirskoi étaient une espèce différente de ceux qui se trouvent dans la mer du Nord et à l'entrée occidentale de la mer Glaciale, parce que les dents qui viennent de ce côté oriental sont beaucoup plus grosses que celles qui viennent de l'Occident , » etc. Gmelin ne résout pas cette question, et Buffon en donne une solution qui me paraît être une erreur. « On n’apporte d'Anadirskoi, dit:il, que des dents de ces animaux morts de mort naturelle; ainsi, il n'est pas surprenant que ces dents, qui ont pris tout leur ac- croissement, soient plus grandes que celles du morse de Groën- land, que l’on tue en bas âge. » Pour admettre celte hypothèse, il faudrait admettre aussi que jamais dans le Groënland les morses n'atteignent toute leur grandeur, et que tous ceux que l'on tue, sans exception, sont jeunes, puisque leurs dents sont, aussi sans exceplion, beaucoup plus petites que celles apportées d’Anadirskoi, Cette proposition n'est pas soutenable. Voici une autre difficulté ; il est certain qu'on ne trouve presque plus de morses aux environs d'Anadir- skoi, et que ceux qui s’y montrent de loin en loin ne dépassent pas douze pieds de longueur; or, un morse qui aurait des dents longues d’une aune et demie russe devrait avoir le corps au moins de trente-cinq pieds de longueur, ce qui ne s’est jamais vu, puisque les plus grands que l’on ait observés ne dépassent pas douze à quatorze pieds. Je pense que l'ivoire trouvé sur les bords de la mer, aux environs d'Anadirskoi, n'est rien autre chose que les dents fossiles d'un grand morse dont l'espèce ne se trouve plus vivante. Ce qui me fait ajouter foi à cette hypo- thèse, c’est que dans le même pays on rencontre des collines entières composées presque en lotalité d'ossements de mam- mouths, de rhinocéros et autres animaux perdus, et que l'on possède au cabinet de Saint-Pétersbourg des défenses de mam- mouths dont l'ivoire est aussi parfaitement conservé que s’il avait été pris sur des animaux vivants. Les morses ne peuvent pas toujours se trouver près des côtes, à cause des glaces qui en défendent l'approche. Aussi ils élisent leur domicile sur des glacons, et il arrive parfois que c’est sur cette habitation flottante que la femelle fait un ou deux petits en hiver. Le petit, en naissant, est, dit-on, de la grosseur d’un cochon d'un an. Elle l’allaite et le soigne avec tendresse, et le défend avec fureur. Lorsque ces animaux vont à terre ou mon- tent sur un glacon, ils se servent de leurs défenses pour s'accro- cher et de leurs mains pour faire avancer la lourde masse de leur corps. Il paraît qu'ils se nourrissent de varechs et autres herbes marines aussi bien que de substances animales. Malgré les dangers d'une navigation dans des mers couvertes de glaces , les vaisseaux baleiniers de plusieurs peuples du Nord vont y pêcher les morses, non-seulement pour avoir les dents, qui fournissent un ivoire plus dur, plus compacte et plus blane que celui de l'éléphant , mais encore pour extraire de leur graisse une huile abondante, meilleure que celle de baleine, et pour s'emparer de leur peau, dont on fait un cuir très-fort et d’excel- lentes soupentes de carrosse. Autrefois on trouvait sur certains rivages d'immenses lroupeaux de morses, et il n’était pas rare d’en tuer jusqu'à douze ou quinze cents dans une seule chasse ; mais aujourd'hui on ne les rencontre guère qu'en petites trou pes ou en familles. Dans la mer on les harponne de la même manière que les baleines ; si on les trouve sur le rivage, on les tue à coups de lance. Quand un morse se sent blessé, il entre dans une fureur effrayante ; dans l'impuissance de pouvoir pour- suivre et atteindre son ennemi, il frappe la terre de côté et d’au- tre avec ses défenses; il brise les armes du chasseur imprudent, et les lui arrache des mains; enfin, enragé de colère, il met sa tête entre ses pattes ou nageoires, et, profitant de la pente du rivage, il se laisse ainsi rouler dans la mer. Si on les attaque dans l’eau, et qu'ils soient en grand nombre, la protection qu'ils s'accordent mutuellement les rend très-audacieux. Dans ce cas ils ne fuient pas: ils entourent les chaloupes, et cherchent à les submerger en les percant avec leurs dents, ou à les renverser en frappant contre les bordages , dont ils enlèvent de grandes por- tions. Dans ces occasions, et dans les combats qu'ils livrent quel- quefois aux ours blancs, et dont ils sortent toujours vainqueurs, il leur arrive quelquefois de perdre une de leurs armes, et celle qui leur reste n'en est pas moins terrible. Si on est parvenu à en harponner un, presque toujours on en prend plusieurs, car ils font tous leurs efforts pour défendre leur camarade et le délivrer. Si, effrayé par le nombre de ces animaux, par leurs efforts et surtout par les mugissements furieux dont ils frappent les airs dans ces occasions, les pêcheurs croient prudent de prendre la fuite, les morses poursuivent fort loin la chaloupe qui les em- porte, et n’abandonnent leur projet de vengeance que lorsqu'ils ont perdu l'embarcaltion de vue. LES MARSUPIAUX, SEPTIÈME ORDRE DES MAMMIFÈRES. Le Sarigue. Les marsupiaux se distinguent de tous les autres mammifères par deux os particuliers attachés au pubis, interposés dans les museles du ventre, et donnant appui, dans les femelles seule- ment , à une poche ou repli de la peau recouvrant les mamelles. Par une autre bizarrerie tout aussi extraordinaire, la femelle, peu de temps après l’accouplement, met bas, non pas des petits tout formés, comme les autres animaux vivipares, mais des pe- tites masses de chair tout à fait informes, et qu'elle place dans la poche de son abdomen à mesure qu'elle les fait. Là, ces petiles masses s'attachent aux mamelles, et prennent le reste de leur développement. Nous les diviserons en trois sections: 4° les car- nassiers, qui vivent de chair ou d'insectes ; 2° les frugivores, qui se nourrissent de fruits; 5° les foliivores, qui mangent de l'herbe et des feuilles. LES MARSUPIAUX CARNASSIERS ont deux canines et plusieurs petites incisives à chaque mà- choire ; leur pouce des pieds de derrière est opposable aux autres doigts. 4er GENRE. Les DIDELPHES (Didelphis, Lan.) ont cinquante dents, savoir : dix incisives en haut, dont les intermédiaires sont un peu plus longues, et huit en bas; quatre canines; quatorze molaires à chaque mâchoire, les trois molaires antérieures com- primées , et les quatre autres hérissées. Leur tête est très-pointue; leur gueule est fendue jusqu’au delà des yeux; leurs oreilles sont pointues ; leurs doigts sont non palmés; leur queue est nue, écailleuse et prenante; leur poche marsupiale consiste quelque- fois en un simple repli de la peau de l'abdomen, d’autres fois en un véritable sac. 1° Didelphes à poche couvrant les mamelles. Le SariGue où Manicou (Dédelphis virginiana, DEsm. — PEN. Opossum woapinck, Bartoa. Le Vérginian opossum , Suaw. L'Opossum et le Sarigue des Illinois, Burr. L'Opossum des Anglais. L'Ossa des habitants du Mississipi. Le Tlaquatzin des Mexicains. Le Micouré du Paraguay. Le Didelphe à oreilles bicolores des na- turalistes). Le manicou atteint dix-sept pouces (0,460) de longueur, non compris la queue, qui en a onze (0,298), et sept à huit pouces de hauteur (0,189 à 0,217); c'est dire qu'il est à peu près de la taille d'un chat. Il est d’un gris blanc jaunâtre, à poils d’un blanc sale, noirs ou bruns à la pointe; il n’a de soies entièrement noires que le long de l'échine, et sur une bande descendant du cou aux jambes de devant; sa tête est presque entièrement blanche; les quatre jambes sont noires; sa queue, couverte d'écailles, est noire à la base, blanche dans tout le reste de sa longueur. Les oreilles sont nues, et se ferment à la volonté de l'animal; elles se replient d'avant en arrière par trois plis longitudinaux, et s’abaissent à l’aide de plis transverses plus nombreux, coupant les autres à angle droit. Leur conque est noire, excepté à la base et au bord où elle est blanchâtre ou d'un rose livide; les mains et le museau sont nus, ce dernier un peu glanduleux ; son œil est noir, petit, très-saillant. MARSUPIAUX CARNASSIERS. 201 EE —.——" ——aaa———————— Cet animal jouit d'une grande célébrité, et cependant il en est peu d'aussi repoussant. Son corps paraît toujours sale, parce que son poil, ni lisse, ni frisé, est d’une couleur terne, et res- semble à celui d’un animal malade. Il exhale , d’un organe parti- culier placé dans l'anus, une odeur fétide et urineuse, qui est en- core renforcée par l'habitude qu'il a de se mouiller de son urine, qu'il lâche lorsqu'il est effrayé ou en colère. Ceci n'empêche pas les sauvages de manger sa chair, et de la trouver délicieuse, probablement parce qu'elle ne participe pas à la puanteur du poil et de la peau. Du reste, cette fétidité dont il s’entoure quand on le poursuit ou qu'on l'irrite est la seule défense qu'il ait à op- poser à ses ennemis ; car il ne sait ni mordre, quoique bien armé sur les arbres pour aller surprendre les oiseaux dans leur nid, et c’est à ce genre de chasse qu'il passe une grande partie de son temps, car il a un goût de prédilection pour la chair des oiseaux, et surtout pour leurs œufs. Cependant il est souvent forcé par la nécessité de se rabattre sur les reptiles, sur les insectes, et même sur les fruits. II rôde souvent autour des habitations, et, comme il grimpe également contre les vieilles murailles mal unies il lui arrive quelquefois de pénétrer dans les basses-cours ; dans ce cas il tue la volaille qui s’y trouve, et se borne à lui sucer le sang, après quoi il abandonne les cadavres sur la place. Buffon dit « qu'il se cache dans le feuillage d’un arbre en se süspendant par la queue, et qu'il reste quelquefois longtemps dans cette situation, Ancienne cabane des Kanguroos, près de la grande volière. de dents, ni fuir, puisqu'il ne court guère plus vite qu'un héris- son. Il a la pupille nocturne, d'où il résulte qu'il y voit beau. coup mieux la nuit que le jour; sa démarche est lente, et sa stupidité extrême. Cependant il est fort doux, et s'accoutume très-bien à l'esclavage; mais il ne s'attache à personne, et n’est capable d'aucune éducation. Dans les maisons on le nourrit avec du pain, du lait et de la chair crue. On a observé qu'il boit en lapant, et qu'il aime qu’on lui verse de l’eau d’un peu haut dans la bouche, qu'il tient ouverte pour la recevoir. Sa queue pre- nante est très-forte, mais elle ne se replie qu’en dessous, et il en fait un usage maladroit. : Dans l’état sauvage, le manicou habite toute l'Amérique sep- tentrionale. Le jour il se retire dans un terrier qu'il se creuse au milieu d'un buisson épais, à certaine distance des habitations; il y passe la journée à dormir, le corps plié en cercle à la manière d'un chien. La nuit il se réveille, sort de sa demeure, et se met en chasse pour trouver sa nourriture. Il grimpe assez facilement sans mouvement , le corps suspendu la tête en bas, pour épier et attendre le petit gibier au passage. » Ceci est peut-être vrai, quoique douteux pour moi; mais il n’est pas possible, en bonne critique, d'admettre la citation dont il fait suivre ce passage. La voici : « L'instinct avec lequel il fait la chasse est très-singulier. Après avoir pris un petit oiseau et l'avoir tué, il se garde bien de le manger. Il le pose proprement dans une belle place décou- verte proche de quelque gros arbre: ensuite montant sur cet ar- bre et se suspendant par la queue à celle de ses branches qui est la plus voisine de l'oiseau, il attend patiemment, en cet état, que quelque autre oiseau carnassier vienne pour l'enlever : alors il se jette dessus et fait sa proie de tous les deux.» Il est singulier que Buffon rapporte ce conte absurde, surtout en l’appliquant à un des animaux les plus stupides de toute la classe des mammifères. D'ailleurs, l'histoire du sarigue est assez merveilleuse en elle- même, sans que l’on soit obligé de la broder maladroiïtement. Vingt-six jours après l'accouplement, la femelle met bas de dix à 202 LES MARSUPIAUX. douze petits, n'ayant encore nulle forme d'animal, gros comme un très-petit pois, et ne pesant chacun qu'un grain d'orge, Quoique aveugles et informes comme de très-pelits fragments de chair gélatineuse , ils s’attachent aux mamelles, y adhèrent bien- tôt au moyen d'une membrane commune au mamelon et au petit trou qui leur sert de bouche, en aspirent le lait, et y restent adhérents pendant cinquante jours, absolument cachés dans la poche, ce qui, avec les vingt-six jours qu'ils ont passés dans le sein de leur mère, complète le temps de la gestaiion. Alors leurs membres sont développés, ils ouvrent les yeux, ils ont à peu près la grosseur d'une souris, et la membrane qui les unissait au mamelon se déchire. Quoique libres, ils ne commencent à sortir de la poche que quelques jours après, pour jouer sur l'herbe, au clair de lune, pendant que la mère fait sentinelle et veille à leur sûreté. Au moindre bruit, à la moindre apparence de danger, elle les fait rentrer dans leur sac, et elle les emporte dans son terrier. Ce genre de vie dure jusqu’à ce qu'ils soient trop gros pour rentrer tous dans la poche; alors la mère s'éloigne un peu plus de sa demeure, parce que ses petits commencent à la suivre, et qu'il faut qu’elle chasse pour eux. Si, dans ce cas, elle croit sa jeune famille menacée d’un accident, elle jette un petit cri. Aus- sitôt ses enfants se rapprochent d’elle en tremblant : les uns se précipitent dans la poche, les autres lui montent sur le dos et s'y maintiennent solidement au moyen de leur queue qu’ils en- roulent autour de la sienne , ou autour de ses jambes. Quelque- fois la pauvre mère en est tant chargée et surtout embarrassée, qu’à peine peut-elle marcher. Ce que nous venons de dire du manicou pouvant s'appliquer à tous les didelphes, sauf quelques légères modifications que nous enseignerons plus loin, nous n’avons plus à nous occuper que de la description des espèces. Le Gauwea (Didelphis Azzaræ,Teum. Le Micoure, n° 4€", p'Azzana, Didelphus aurita, Neuwixo) est un peu plus petit que le précé- dent, avec lequel il a souvent été confondu, Son museau est long; le tour des yeux est noir, ainsi que les oreilles et les ex- trémités des jambes; la face et la nuque sont presque noires ; son pelage est composé d’une sorte de feutre cotonneux et court en dessous, et, en dessus, d’un poil soyeux d’un blanc pur dans toute sa longueur. Il habite l'Amérique méridionale. Le Quica (Didelphis quica, Teux.) ne dépasse pas la taille d’un jeune putois; sa queue est plus longue que son corps; son pelage est d'un gris de souris en dessus et d’un blanc pur en dessous; la femelle est d'un fauve noirâtre, plus clair sur les flancs et comme argenté. Il a un cercle noir autour des yeux, et le museau noir, Cette espèce a les mêmes habitudes que les précédentes, mais elle vit presque constamment sur les arbres. Elle habite le Brésil. Le Saricouéya (Didelphis opossum, Lin. — Desm. Le Sarigue opossum et le Quatre-œil des naturalistes). Cette espèce, plus pe- tite que les précédentes, ne dépasse guère la taille d’un écureuil. Son corps a un pied (0,323) tout au plus de longueur totale, et sa queue onze pouces (0,298). C’est à celui-ci que Buffon rapporte les récits qu'ont faits les voyageurs sur toutes les espèces de di- delphes. Son pelage est d’un gris brun en dessus et un peu plus foncé sur la tête; la poitrine, le devant du ventre et le dedans des membres sont d’un blanc jaunâtre, ainsi que les doigts; le dessus de chaque œil est marqué d’une tache ovale, d’un jaune pâle; les oreilles sont bordées de blanc en arrière; le mufle, les lèvres et le menton sont blanchâtres. Le mâle est d’une couleur généralement plus foncée. Il habite l'Amérique méridionale, et n'est pas rare à la Guyane. Le Dinecpne QUEUE-DE-RAT (Didelphis myosuros, Sremx.) est de la taille d’un jeune putois; son pelage est serré, doux, très-court, brun et d'un fauve roussâtre , plus foncé sur l’échine, d'un blanc roussâtre en dessous; ses oreilles sont très-grandes, un peu ar- rondies; sa queue, semblable à celle d’un rat, est bicolore, grêle, beaucoup plus longue que le corps et la tête, Cette espèce se trouve à la Guyane, à Surinam et au Brésil. Le Faras (Didelphis philander, Teu. Didelphis cayopollin, Li, —Des.) est de la taille d’un écureuil, à pelage d’un fauve rous- sâtre, teinté de jaunâtre sur les flanes, blanc en dessous et sur les joues; il a une bande d’un roux foncé sur le milieu de la tête et une tache cendrée qui lui enveloppe les yeux ; ses narines sont séparées par un sillon très-marqué; sa queue, beaucoup plus longue que le corps et la tête, est tachetée de brun sur un fond blanc. Il se trouve à la Guyane. Je ne sais trop si cette espèce à une poche. Le Puanr ou CraBier (Didelphis cancrivora et marsupialis, Lin. Didelphis marsupialis, Scurrser. Le Grand Sarigue de Cayenne, du Brésil, etc., Burr. Le Grand Philandre oriental de Sea). Il ne faut pas confondre ce didelphe avec le chien-crabier, comme l’ont fait plusieurs naturalistes. Il a quelque analogie avee le manicou, dont il a la taille, mais son museau est plus effilé, son chanfrein plus droit, le front non déprimé. Ses moustaches sont noires, ainsi que ses oreilles et ses yeux ; sa tête est d’un blanc jaunâtre; le cou, le dos et les flancs sont jeunâtres, parsemés de noir, ce qui vient de ce que les longs poils du dessus, noirs dans leur moitié supérieure, sont couchés sur les autres, qui sont d'un blanc sale ; les poils de l’échine sont noirs, longs, et lui forment une sorte de crinière lorsqu'il est en colère. Les membres sont noirs, les ongles blancs, ainsi que leur phalange; la queue est blanche, avec son premier tiers noir ; le museau et les lèvres sont couleur de chair. Pris jeune, le crabier s’apprivoise assez facilement ; mais l'odeur infecte qu'il exhale, beaucoup plus forte que celle du renard, avec laquelle il a de l’analogie, ne permet guère qu'on l'élève dans les maisons. Cet animal est assez commun à Cayenne et à Surinam , où il habite le bord des ruisseaux ombragés par des pa- létuviers, sur lesquels il aime à grimper pour chasser aux oi- seaux, La nuit, il se promène sur les rivages limoneux, pour chercher des crustacés et principalement des crabes, pour les- quels il a un goût de prédilection. Il sait fort bien fouiller dans le sable pour les retirer des trous où ils se cachent, et, si l’on en croit Laborde , il les retirerait des trous de rocher et de dessous les racines d’arbre d'une manière fort ingénieuse. Il enfonce sa queue, dit le voyageur, dans le trou où il soupçonne un crabe, et celui-ci, en sa qualité d'animal très-carnassier, ne manque pas de saisir cette queue avec ses pinces pour la dévorer. Le puant la retire alors par un mouvement brusque, elle entraîne le crabe hors de sa retraite, et le puant s’en empare et le mange. Si cela n'est pas vrai, c'est au moins bien inventé, et c’est probablement pour cela que les voyageurs ont attribué cette petite manœuvre à plusieurs animaux, et particulièrement à un singe. Du reste, le crabier a les mêmes habitudes que les autres didelphes à poche. 20 Didelphes sans poche et à mamelles découvertes. Le Taïrt (Didelphis murina, Lin. La Marmose, Burr.) a cinq pouces (0,135) de longueur, du bout du museau à la naissance de la queue; celle-ci est de la même longueur, jaunâtre, unicolore et entièrement nue; le pelage est d’un gris fauve en dessus, et d’un jaunâtre pâle ou presque blanchâtre en dessous ; l'œil est placé au milieu d’un ovale brun. La femelle a quatorze mamelles, auxquelles s’attachent les petits, comme dans les espèces précé- dentes, à cela près qu'ils ne sont pas cachés dans une poche, mais seulement soutenus par des plis inguinaux de la peau; il en est de même pour les autres didelphes dont il nous reste à par- ler, Le taïbi vit dans les trous d'arbre et les buissons en Amé- rique méridionale et surtout à la Guyane. Le Dinecpne À QUEUE NUE (Didelphis nudicaudata, Grorr.) est d'un gris brun en dessus, blanchâtre en dessous; sa queue est nue, unicolore, plus longue d’un quart que tout le corps; il a s MARSUPIAUX CARNASSIERS. 203 une tache jaune sur chaque œil. Sa longueur, du bout du museau à la naissance de la queue, est de neuf pouces (0,244). On en voit, au Muséum, un individu femelle dont les petits sont encore atta- chés aux mamelles. Il habite Cayenne. Le Touax (Didelphis tricolor, Georr. Didelphis brachyura, Paur. Le Micouré n° 5, d'Azzana. Le Tuan de Burrow) est de la taille d’un rat; ila, du bout du museau à la naissance de la queue, cinq pouces et demi (0,149), et sa queue a deux pouces quatre lignes (0,065), elle est forte, et velue seulement à sa base; son pelage est d'un brun noirâtre sur Le dos, d’un roux vif et tranché sur les flanes, et blanc en dessous ; les doigts sont à la fois velus et écailleux. Il habite les forêts de la Guyane, et Buffon le con- fondait avec les belettes. Le Dinecpne grACuyURE (Didelphis brachyura, GuL.) n'en est probablement qu'une variété. Il n’en diffère que par son pelage d'un roux foncé en dessus et sur les flancs, blanchâtre en des- sous; la queue est de la longueur de la moitié du corps. Il se trouve dans les mêmes contrées. Le Grisox (Didelphis cinerea, Temm.) est de la taille d’un rat ordinaire ; son pelage est épais, court, d’un gris cendré clair en dessus, blanchâtre en dessous, roussâtre sur la poitrine; la fe- melle est de cette dernière couleur. Sa tête est petite; son mu- seau très-court; ses oreilles sont nues; un peu étranglées à la base; sa queue, beaucoup plus grande que le corps, est très- grèle, très-poilue à sa base, nue dans le reste de sa longueur, blanche à l’extrémité. Il a été découvert au Brésil par le prince de Neuwied. Le Dinecpne porsar (Didelphis dorsigera, Lin. — Te.) est de la taille d’un rat; son pelage est court, fin, peu fourni, d’un gris brun, avec le front et les joues d’un blanc jaunâtre. Sa queue est grêle, poilue dans uné assez grande portion de sa longueur, brune et unicolore à l'extrémité. Il habite Surinam. Le Micouré LAINEUX (Didelphis lanigera, Des.) a le pelage de couleur de tabac d'Espagne en dessus, blanchâtre en dessous; sa queue n’est ni conique pi cylindrique, mais prismatique , à an- gles très-émoussés, avec une rainure sur la face inférieure ; elle est beaucoup plus longue que le corps, et nue en dessus dans son dernier tiers seulement. Cet animal a sept pouces (0,189) de- longueur, non compris la queue. Il habite le Paraguay. Le MicouRÉ 4 GROSSE QUEUE (Didelphis macroura, d'Azzara. Didel- phis crassicaudata, Des.) a onze à douze pouces de longueur (0,298 à 0,525) du bout du museau à la naissance de la queue ; celle-ci, à peu près de même longueur, est ronde, et n’a pas moins de trois pouces et demi (0,095) de circonférence à sa base; elle est velue à son premier tiers, nue, écailleuse et noire dans le reste de sa longueur, avec un pouce et demi (0,041) de son extrémité blanc. Son pelage est fauve ou couleur de cannelle en dessus, plus clair sur l'œil, plus foncé à la face et au pied. Il habite le Paraguay. Le Micouré NaIN (Didelphis pusilla, d'Azzara. — Des.) n’a que trois pouces quatre lignes de longueur (0,090), depuis le bout du museau jusqu'à la naissance de la queue; celle-ci est entière- ment nue, longue de trois pouces huit lignes (0,099). Son pelage est d'un gris de souris, avec le tour de l’œil noir, les sourcils blanchâtres, séparés par'une tache triangulaire obscure. Ce petit animal, stupide comme toutes les espèces de son genre, vit dans les jardins et les broussailles au Paraguay. 9e Gexre. Les CHIRONECTES ({Chironectes, IzuiG.) ont dix inci- sives en haut, huit en bas; deux canines à chaque màchoire; les molaires en nombre indéterminé ; leur museau est pointu, leurs oreilles arrondies, nues; leurs yeux sont tournés de côté; tous les pieds ont cinq doigts, les postérieurs palmés, avec le pouce sans ongle; leur marche est plantigrade ; la femelle a une poche abdominale qui manque aux màles. Le Yarock (Chirenectes yapock, Desu. Didelphis palmata, Georr. Lutra minima, Zimw. Lutra minima, Bovv. La Petite Loutre de la Guyane, Burr.) a tout au plus un pied (0,525) de longueur, du bout du museau à la naissance de la queue; celle-ci a six ou sept pouces (0,162 à 0,189) de longueur, elle est prenante, nue, ridée, plate en dessous ; le pouce postérieur est libre; le pelage est brun en dessus, avec trois bandes transverses grises, claires, interrompues dans leur milieu ; le dessous du corps est blanc. Tout ce qu'on sait de cet animal, qui habite la rivière de Yapock, à la Guyane, c'est qu'il a des mœurs aquatiques analogues à celles de notre rat d’eau, qu'il nage et plonge fort bien, et qu'il se nourrit de poissons et d'insectes. Le CniroxecrTe pe LANGSDORFF (Chironectes Langsdorffii) n'a pas plus de deux pieds de longueur (0,650); son pelage est très- doux, d’un gris uniforme, marqué de deux bandes en travers des lombes; sa queue est velue, non prenante; enfin le pouce des pieds de derrière est pris dans une membrane des doigts. Il a été trouvé par Langsdorff au bord des ruisseaux, dans les forêts, près de Rio-Janeiro. 5e Genre. Les DASYURES (Dasyurus, GEorr.) ont quarante-deux dents, savoir : huit incisives supérieures et six inférieures, en rangées régulières; quatre canines et douze molaires à chaque mâchoire. Leur tête est très-pointue, conique, leur gueule très- fendue; leurs oreilles médiocres et velues; ils ont cinq doigts à tous les pieds, mais le pouce des pieds de derrière est rudimen- taire; leur queue, non prenante , est couverte de poils; enfin, ils n'ont point de poche abdominale, dit-on, quoique M. Gervais leur en donne une. Ces animaux ne se trouvent que dans la Nou- velle-Hollande. Le DAsyURE À LONGUE QUEUE (Dasyurus macrourus, GEOFF. Viverra maculata, Saw. Le Spotted-Martin des Anglais. Le Dasyure tacheté de Pérox) est long d'un pied et demi (0,487), et sa queue est presque aussi longue que son corps; son pelage est d'un beau marron, tacheté de blanc, ainsi que la queue. Cet animal se trouve dans la Nouvelle-Hollande, aux environs du Port-Jackson. Il a un peu de la physionomie des genettes et des fossanes , et beaucoup des habitudes des martes. La structure de ses pieds ne lui permet pas de grimper aux arbres, mais la nuit il sort des trous de rocher où il se tient caché et où il dort pendant le jour, et il se met en quête des oiseaux, des petits mammifères et des insectes dont il se nourrit. Comme les petits animaux dont il pourrait faire sa proie sont très-rares en Austra- lasie, et se bornent à quelques ornithorhynques, échidnés ou kangourous, il lui arrive fréquemment de faire une mauvaise chasse. Alors il descend sur le rivage de la mer, attaque avec voracité les cadavres de poisson et de phoque à demi putréfiés que les flots de la mer ont rejetés de leur sein. Quelquefois aussi il se glisse en silence dans les basses-cours des colons, et mas- sacre toute la volaille, absolument comme fait la fouine. Tous les dasyures sont très-voraces et ont les mêmes habitudes que celui-ci. Le Dasyure Maucé (Dasyurus Maugei, GEorr.) est plus petit que le précédent, et n’a que quatorze pouces de longueur (0,379). Son pelage est olivätre en dessus, cendré en dessous, à mouche- tures blanches, uniformes, également réparties; la queue est un peu plus rousse que le dos. On le trouve dans le même pays, et il se fait remarquer par son extrème propreté. ; On doit à Gaimard les observations suivantes sur cet animal : « Nous en avons conservé un vivant, dit-il, à bord de }'Uranie, pendant l'espace de cinq mois. Cet élégant petit animal ne cher- chait point à mordre, quelques tracasseries qu'on lui fit. Fuyant la lumière un peu trop vive, il se plaisait beaucoup dans la niche étroite qu’on lui avait préparée. Il n’était pas méchant, mais on ne remarquait point qu'il fût susceptible d’attachement pour la personne qui le nourrissait et le caressait. L'instant de ses repas était une scène toujours curieuse pour nous; ne vivant que de 204 LES MARSUPIAUX. viande crue ou cuite, il en saisissait les lambeaux avec voracité ; et lorsqu'il en tenait un dans sa gueule, il le faisait quelquefois sauter en l'air et l’attrapait adroitement ; apparemment pour lui donner une direction plus convenable. Il s’aidait aussi avec ses pattes de devant, et quand il avait achevé son repas, il s’asseyait sur le train de derrière et frottait longuement, et avec prestesse, ses deux pattes l’une contre l’autre (absolument comme lorsque nous nous frottons les mains), les passant sans cesse sur l’extré- mité de son museau toujours très-lisse, très-humecté et couleur de laque, quelquefois sur les oreilles et le sommet de la tête, comme pour enlever les parcelles d’aliment qui auraient pu s’y attacher. Ces soins, d’une excessive propreté, ne manquaient jamais d’avoir lieu après qu'il avait fini de manger. » dents, savoir : huit incisives en haut et six en bas; quatre canines et quatorze molaires à chaque mâchoire, c’est-à-dire qu'ils ont une fausse molaire de plus ; leurs incisives ne sont point égales, les deux moyennes étant beaucoup plus longues que les latérales. Le PHASCOGALE À PINCEAU ( Phascogale penicillata, Temm. Didel- phis penicillatus, Saw. Dasyurus penicillatus, Georr. — Dis.) est long de huit pouces (0,217), non compris la queue, qui est très-touffue à sa pointe; son pelage est court, laineux, très- touffu, d’un cendré uniforme, blanchàtre inférieurement. Cette espèce habite la Nouvelle-Hollande, où, selon M. Lesson, elle vivrait sur les arbres. Ses habitudes sont les mêmes que celles des dasyures. Le Dasyure à longue queue, Le Tapoa-Tara (Dasyurus viverrinus, Georr. Le Dasyure viverrin des naturalistes. Le Spotted-opossum de Puiripp.) a un pied (0,525) de longueur ; son pelage est noir, parsemé de taches blanches; le ventre est gris; les oreilles sont plus courtes et plus ovales que chez les précédents; la queue est plus étranglée à là base et plus touffue à la pointe. Je réunis à cette espèce, comme simple va- riété d'âge, le dasyure taffa (Dasyurus taffa, Grorr. Viverrina opossum de Suaw) qui n’en diffère que par sa taille un peu plus petite, et son pelage uniformément brun. Tous deux habitent les environs du Port-Jackson. 4e GENRE. Les URSINS (Ursinus ; Sacrophius de Fr. Cuv.) ont les mêmes caractères génériques que les dasyures, mais on leur trouve dix incisives en bas, au lieu de six, ce qui porte le nom- bre total de leurs dents à quarante-six ; en outre, leur queue est un peu prenante, et nue en dessus. L'Ursin pe Harris (Ursinus Harrisii. — Dasyurus ursinus, Georr. Sacrophilus ursinus, Fr. Cuv.) est de la taille d’un petit blaireau. Son pelage est long, grossier, noir, irrégulièrement marqué d’une ou deux taches blanches éparses sur la gorge, les épaules et la croupe. Son corps est long de dix-huit pouces (0,488) et sa queue de huit (0,217). Cet animal vit sur les bords de la mer à la terre de Van-Diemen , et paraît se nourrir plus de pêche que de chasse. Ses mœurs sont absolument les mêmes que celles des dasyures. 5e GENRE, Les PHASCOGALES (Phascogale, TEmx.) ont les mêmes caractères que les dasyures, mais on leur trouve quarante-six Le PHAsGoGaLE NaiN (Phascogale minima, Teux. Dasyurus mini- mus, GEorr.) a tout au plus quatre pouces de longueur (0,108), et sa queue, couverte de poils ras, atteint le tiers de cette dimen- sion. Son museau est conique; son pouce de derrière est plus long que dans les dasyures; son pelage est fort épais, cotonneux, doux, d’un roux uniforme. Il habite le nord de la terre de Van- Diemen. 6e Genre. Les THYLACINS (Thylacinus, TEmx.) ont quarante-six dents, savoir : huit incisives supérieures et six inférieures : elles sont rangées en demi-cercle, égales, et séparées, dans le milieu et aux deux mâchoires, par un espace vide : l’incisive extérieure, de chaque côté, est la plus forte ; quatre canines grandes, fortes, larges, courbées et pointues; quatorze molaires à chaque mà- choire, dont les dernières hérissées de trois tubercules obtus. Ils ont cinq doigts aux pieds de devant et cinq à ceux de derrière. Le TuyLaciN DE Harris (Thylacinus Harrisii, TEemm. Dasyurus cynocephalus , Grorr. — Des.) est long de trois pieds dix pouces (1,246), et sa queue, comprimée sur les côtés, a deux pieds (0,650) de longueur. Il résulte de ses autres proportions qu'il atteint à peu près la taille d'un jeune loup; aussi est-ce le plus grand des carnassiers du continent austral. Son pelage est doux, court, tirant sur le brun jaunâtre obscur, plus pâle en dessous et d'un gris foncé sur le dos ; il porte sur la croupe seize bandes transversales d'un noir brillant. Cet animal stupide habite des cavernes et des fentes de rocher très-profondes. Il chasse la nuit et se nourrit d'oiseaux, de petits mammifères, et probablement de cadavres de poissons et autres animaux marins. Dans la co- - MARSUPIAUX CARNASSIERS. 205 lère , il pousse avec peine un cri court et guttural. Il se trouve sur les bords de la mer à la terre de Van-Diemen. 7e Genre. Les PÉRAMÈLES (Perameles , Grorr.) ont quarante- huit dents, savoir : dix incisives supérieures et six inférieures; quatre canines et quatorze molaires à chaque mâchoire. Leur tête est pointue, allongée ; leurs oreilles velues et médiocres; les pouces des pieds postérieurs rudimentaires; les deux premiers doigts petits et réunis par la peau jusqu’à la racine des ongles; leur train de derrière est plus fort que celui de devant, et les fe- melles ont une poche abdominale. Le BANDiCOUT NEZ-POINTU (Perameles nasuta , Georr.) a de lon- gueur un pied quatre pouces (0,453); la queue a environ Six laires. Son corps est roux en dessus et cendré en dessous; la tête est allongée et aiguë ; les oreilles oblongues, longues d’un pouce; sa longueur totale est de huit pouces et demi (0,251). Il habite le littoral de la Nouvelle-Hollande. Le Gran Baxnicour (Perameles Lawsonii, Quoyx et Gamm.) se distingue des précédents par sa grandeur; il n’a pas moins de deux pieds (0,630) de longueur. Son pelage est d'un roux brun en dessus, et presque fauve en dessous. 11 habite les montagnes Bleues de la Nouvelle-Galles. 8e Genk. Les ISOODONS (/soodon , Grorr.) ont à peu près les mêmes caractères que les péramèles, mais ils ont huit incisives à la mâchoire inférieure ; ils ont äussi la tête plus courte et le chanfrein arqué. Le Koaia. pouces (0,162). Sa tête est très-longue, son museau cffilé; son nez prolongé au delà de la mâchoire; ses oreilles sont courtes et oblongues ; ses yeux très-petits; son pelage est d’un gris brun en dessus, blanc en dessous. Il habite la Nouvelle-Hollande. Les péramèles habitent, dit-on, des terriers dans les dunes. Ils cou- rent en sautillant sur leurs pieds de derrière, qui sont fort longs, à la manière des kangourous. Le BANDICOUT DE BOUGAINvILLE (Perameles Bougainvillii, Quoy et Gal.) a été regardé par Temminck comme un jeune de l’es- pèce précédente; mais il s’en distingue spécifiquement par ses oreilles proportionnellement beaucoup plus longues, par ses formes plus élancées, par sa taille beaucoup plus petite, et par le peu de longueur de ses canines qui ne dépassent pas les mo- L'Iscopon oB8ÉsuLe (Jsoodon obesula, Fr. Cuv. Perameles obesula, Georr. Didelphis obesula, Saw.) est de la taille d'un rat; ses oreilles sont assez larges, arrondies ; son pelage est d’un jaune roussàtre en dessus, blanc en dessous. Il habite la Nouvelle-Hol- lande, et ses mœurs sont tout à fait inconnues. L'Isoonox pu Muséus (/soodon Musei) ne m'est connu que par un individu incomplet qui existe au Cabinet d'histoire naturelle. Ainsi que l’a fait M. Geoffroy, ce n’est qu'avec doute que je le place ici. Sa taille est double de celle du précédent, et approche de celle d’un putois; son pelage est d’un brun plus foncé. Il est probable qu'il a été apporté de la Nouvelle-Hollande. Quand on connaîtra mieux cet animal, il faudra pre b:blement lui créer un nouyeau genre. 206 LES MARSUPIAUX, LES MARSUPIAUX FRUGIVORES. Ils ont six incisivés à la mâchoire supérieure et souvent à toutes deux; la mâchoire inférieure manque de canines. 11° Gers. Les KOALAS (Phascolarctos, BLav.) ont trente dents, savoir : six incisives supérieures dont les deux intermédiaires beaucoup plus longues, et deux inférieures; quatre canines en haut, peut-être deux seulement, mais point en bas; huit molaires à la mâchoire supérieure et dix à l'inférieure. Ils ont aux pieds de devant cinq doigts séparés en deux faisceaux opposables ; le faisceau inférieur de deux; les pieds postérieurs sont munis de cinq doigts, dont le pouce très-gros, opposable, sans ongle, les deux suivants plus petits et réunis jusqu'à l’ongle. La queue est extrêmement courte. Le Koara ou CoLak (Phascolarctos fuscus, Desm. Phascolarctos Flindersii, Less. Lipurus cinereus, Gozpr. Le Womrat, FLiNbERS) habite le voisinage de la rivière de Wapaum, dans la Nouvelle- Hollande. Il a la taille d’un chien médiocre, le corps trapu, la tête courte, les oreilles médiocres, les jambes robustes, à pen près de même longueur, ce qui lui donne le port et la démarche d’un petit ours. Son poil est long, touffu, grossier, brun de chocolat clair; le dessous du corps est blanc. Cet animal, assez peu connu, passe une partie de sa vie sur les arbres, sans doute pour chasser aux insectes, car il me parait douteux qu'il se nourrisse seulement de fruits dans une contrée où, comme nous l'avons dit, ils sont extrémement rares ; il est possible cependant qu'il vive de feuilles, ainsi que les poto- rous, kangourous, etc. Le reste du temps il le passe à dormir dans un terrier qu’il se creuse dans les forêts. La femelle ne fait qu'un petit, qu'elle aime avec beaucoup de tendresse. Après l'avoir élevé jusqu'à une certaine grosseur dans sa poche abdo- minale, elle continue encore longtemps à le porter sur son dos et à en prendre le plus grand soin. Je ne sais si l’on doit regar- der comme identique avec cette espèce le koala de G. Cuvier. Si ce grand naturaliste ne s’est pas trompé, son koala différerait de celui-ci par le manque de pouce aux pieds de derrière, par sa -couleur, non pas brune, mais cendrée, et enfin par ses oreilles plus pointues. 9e Genre. Les PHALANGERS (Phalangista, Gxorr.) onttrente-huit dents, savoir : six incisives supérieures et deux inférieures; pôint de canines; seize molaires supérieures et quatorze inférieures. Leur tête est assez courte ; leurs oreilles sont longues et droites ; leur queue prenante est couverte de poils. Le Voua-rapoua-ROU (Phalangina vulpina, Temm. Didelphis vul- pina et lemurina, Suaw. Le Bruno de Vico-n’Az. Le Vulpain opos- sum de Ware. Le Phalanger renard de G. Cuvier et des natura- listes) a vingt-six pouces (0,704) de longueur, depuis le bout du museau jusqu'à la naissance de la queue; celle-ci est longue de quinze pouces (0,406). Sa forme générale est à peu près celle d'un raton; ses oreilles sont droites, pointues, triangulaires, nues seulement en dedans; son pelage est d'un fauve roussâtre, ou brunâtre, ou d'un fauve argenté, suivant l'incidence de la lu- mière ; une sorte de collier d’un fauve vif lui entoure le cou; la dernière moitié de la queue, le tour des yeux et les lèvres sont noirs; le dessous est d'un roux jaunâtre. Cet animal habite les environs du Port-Jackson, autour des co- lonies anglaises, et cependant on ne sait presque rien de ses mœurs. Quoique classé parmi les frugivores, il est certain qu'il ne peut se nourrir de fruits, car la Nouvelle-Hollande n’en pro- duit point de mangeables, même pour les oiseaux, si ce n’est une petite baie assez rare (celle du Leptomeria Billardieri). I est done obligé, ainsi que le dit le chirurgien Rollin, de se nourrir de gi- bier, et particulièrement d'oiseaux, qu'il poursuit ou surprend sur les arbres, où Cook a cru qu'il montait pour chercher des fruits. Il paraît qu’en captivité il mange à peu près de tout, qu'il s'assied sur son derrière et porte ses aliments à sa bouche avec les deux pattes de devant.-Il habite un terrier qu'il se creuse dans le sable. Le PnaranGEr DE Cook (Phalangista Cookii, Cuv. — Des. L’O- possum de la terre de Van-Diemen, Cook) est de la taille d’une fouine ; son pelage est doux, court et brun, ou d'un gris roussâtre en dessus, blanc en dessous; la queue, de la couleur du dos, est terminée en blanc. La longueur de l'animal est de quinze à seize pouces (0,406 à 0,453), non compris la queue, qui en a douze ou treize (0,525 ou 0,552). IL habite la terre de Van-Diemen. Le PHALANGER NAIN ( Phalangista nana, GEeorr. Desm.) est de la grandeur d’une souris, il a, du bout du museau à l’origine de la queue, deux pouces et demi (0,068), et sa queue est de la même longueur, Son pelage est gris en dessus, blanc en dessous; la queue est grise, Tout ce que l’on sait de son histoire est qu'il se trouve dans l’ilot Maria, de la terre de Van-Diemen, et que les naturels du pays le mangent. 10° Genre. Les COUSCOUS ou COUSSOUS (Cuscus, Lacér.) ont quarante dents, savoir : six incisives à chaque mâchoire; point de canines; douze molaires supérieures et seize inférieures. Leur queue est prenante, mais en grande partie nue et couverte de ru- gosités; leurs oreilles sont très-courtes, quelquefois peu appa- rentes. Du reste, ils ressemblent aux phalangers. Les uns ont les oreilles peu apparentes et velues en dedans et en dehors; telles sont : Le Scuam-scram (Cuscus amboinensis, LacéPp. Phalangista macu- lata, Grorr. — Desw. Didelphis orientalis, Lin. Cuscus maculatus, Lessox. Le Phalanger mâle, Burr. Le Couscous tacheté des natu- ralistes. Le Coës-coës des habitants des Moluques). Cet animal est d'une forme allongée et de la taille d’un gros chat; sa tête est arron- die, à chanfrein légèrement concave, à museau court et conique ; ses paupières sont renflées et rougeâtres; la queue est nue dans plus de la moitié de sa longueur, chargée de verrues d’un rouge assez vif. Son pelage, très-épais et laineux, varie en raison du sexe et de l'âge; il est généralement blanchâtre, couvert de pla- ques brunes isolées, distinctes ou confondues. Il habite quelques iles de l'Inde. Le scham-scham est un animal nocturne, lent, paresseux et stupide, ainsi que ses congénères, auxquels s'applique également tout ce que nous allons en dire. Ses grands yeux très-saillants, à fleur de tête, à pupille longitudinale, sont l'expression de son imbécillité. Ses mouvements annoncent plus de paresse que de difficulté d'agir, et la colère même ne peut qu’à peine l'animer. Dans ce cas, cependant, il grogne en soufflant à la manière des chats, et il cherche à mordre, mais non à combattre, En captivité il montre un caractère triste, mais fort doux; il se cache dans le coin le plus obscur de l'appartement pendant le jour, parce que l'éclat de la lumière lui blesse les yeux. La nuit il en sort pour manger le pain et même la viande dont on le nourrit. Il boit en lapant ; il se frotte sans cesse la face et les mains pour se net- toyer, et il aime à enrouler sa queue et à se tenir assis sur son derrière, Lorsque l’on voyage dans les immenses forêts de la Nouvelle-Guinée ou des Moluques, l’odorat est quelquefois frappé d'une odeur forte, excessivement désagréable, annonçant d'assez loin la présence d'un de ces animaux caché dans le feuillage; elle résulte d’un appareil glanduleux que les couscous ont autour de l'anus. Malgré cette détestable odeur, les naturels du pays mangent leur chair avec le plus grand plaisir, et leur font une - MARSUPIAUX FRUGIVORES. 207 ——————————————————————— ——_———_—————————————Z chasse incessante. « Les Nègres du port Praslin, à la Nouvelle- Irlande, disent les naturalistes voyageurs de la Coquille, aiment singulièrement la chair grasse des couscous; ils la font rôtir sur des charbons avec les poils, et ne rejettent que les intestins. Avec les dents ils forment des ceintures et autres ornements, et leur abondance est telle que nous avons vu beaucoup d'habitants avoir des cordons de plusieurs brasses de longueur qui attestent la destruction que l’on fait de ces mammifères. « Il semblerait sin- gulier au premier coup d'œil que des Nègres sans armes pussent si aisément s'emparer de ces animaux grimpeurs ; mais, si l'on s’en rapporte à ce qu'ont dit et cru G. Cuvier et Buffon, la chose devient facile à expliquer. Selon ces auteurs, les couscous, qui vivent presque continuellement sur les arbres pour y chercher les insectes et les fruits dont ils se nourrissent, sont tellement surpris quand ils viennent à apercevoir un homme, qu'ils se sus- pendent par la queue à une branche, et, au lieu de fuir, res- tent là, immobiles, à le regarder, Dans ce cas, il ne s'agit plus pour le chasseur que de s’arrèter et de les regarder aussi : soit las- situde, soit par une sorte de fascination résultant de la peur, ils finissent par lâcher la queue; ils tombent et deviennent la proie du chasseur. Malgré les deux grandes autorités que je viens de citer, je crois que ce fait a besoin d’être confirmé, Le scham- scham vit dans les forêts équatoriales des grandes îles Moluques et Papoues. Le Couscous ursiN (Cuscus ursinus, Less. Phalangista ursina, Tex.) est de la taille d’un chat sauvage; il a de longueur totale trois pieds six pouces (1,137), compris la queue, qui a vingt pou- ces (0,542). Son pelage est frisé, crépu, rude, d’un noir parfait dans l’âge adulte, plus clair dans le jeune âge; les poils soyeux sont entièrement noirs; le dessous du corps est roussâtre; les partie nues de la queue et du museau sont noirâtres. Il habite la partie septentrionale des Célèbes, où les habitants estiment beau- coup sa chair. Le Do ou RamBave (Cuscus Quoyii, Less. Phalangista papuensis, Desm. Phalangista Quoy, Gain.) ne serait, selon M. Temminck, que le jeune âge du scham-scham, et je suis porté à partager cette opinion. Il a le pelage d’un gris brun, avec une ligne dor- sale plus foncée; le dessus de la tête est jaunâtre, le dessous d’un blanc sale ; les extrémités des membres sont d’un brun noir assez foncé. Il habite le même pays que le scham-scham. Le Couscous À GROUPION DORÉ (Phalangista chrysorrhos, TEMM.) est de la taille d’un chat sauvage, et atteint à peu près trois pieds (0,975), compris la queue, qui a treize pouces (0,552); ses oreilles sont très-courtes, couverte d’une touffe de poils blanchâtres ; son pelage est cotonneux, serré, un peu frisé, garni de poils soyeux d'un cendré gris clair sur la tête, d’un gris de cendre un peu brunâtre sur les flancs, d’un jaune doré vif sur le croupion et la partie supérieure de la queue; la poitrine, la moitié du ventre et le dedans des membres sont blancs; il a une bande noire sur les flancs, les pattes d’un roux doré, et la partie nue de la queue jaune. Il habite les Moluques. Le Couscous À GROSSE QUEUE (Cuscus macrourus, Less. et Ga.) a douze pouces huit lignes (0,542) de longueur, non compris la queue, qui est très-grosse à sa base et qui est longue de dix-sept pouces (0,460); il a le pelage gris, d’où sortent des poils noirs plus longs, et parsemés de taches éparses, brunes; la tête est fauve ; la gorge et les oreilles sont blanches; la queue est robuste, cendrée; le ventre est blanchâtre, les extrémités brunâtres. Il habite l’île de Waigiou, aux Moluques. L'espèce qui suit a les oreilles distinctes, nues à l’intérieur. Le CarouxÉ (Cuscus albus, Less. Didelphis orientalis, Lis. Pha- langista rufa, Desu. Phalangista cavifrons, Ten. Phalangista alba et rufa, Grorr. Le Phalanger femelle, Burr.) est long de vingt pouces six lignes (0,556), et sa queue en a treize (0,552); son pe- lage, épais et cotonneux , est blanchâtre dans le mâle, d'un roux assez vif dans la femelle, avec une ligne très-foncée sur le dos, et une plaque jaunàtre sur les côtés du cou; la partie nue de sa queue est d’un rouge carmin. Cet animal est très-commun au port Praslin, dans la Nouvelle-lrlande; les naturels estiment beaucoup sa chair. 129 Genre. Les POTOROUS (Hypsiprymnus, ILuiG.) ont trente dents, savoir : six incisives supérieures et deux inférieures; deux canines en haut et point en bas; dix molaires à chaque mi- choire, Les jambes de derrière sont beaucoup plus longues que celles de devant; elles manquent de pouce et ont les deux pre- miers doigts réunis jusqu'à l'ongle; le troisième doigt est armé d'un ongle très-fort; les pieds antérieurs ont cinq doigts munis d'ongles obtus propres à fouir la terre; leur queue, médiocre- ment longue, est écailleuse et couverte de quelques poils; leurs oreilles sont grandes, leur tête allongée et leur lèvre supérieure fendue. Le Poronou (Hypsiprymnus Whitii, Quoy et Gain. Potorous mi- nimus et Kangurus Gaimardii, Desm. Macropus minor, Snaw. Le Potoroo, Wire, Le Kanguroo-Rat, G. Cuv.) a un pied six lignes (0,539) de longueur, non compris la queue, qui a un pied (0,525); il est de la grosseur d’un petit lapin. Sa tête est triangulaire, large et un peu aplatie par derrière, pointue en avant; ses oreil- les sont larges; ses tarses très-longs; sa queue est gréle, flexible, terminée par un pinceau brun; son pelage est d’un gris rougeà- tre en dessus, blanchâtre en dessous. Cet animal, d’un caractère fort doux, quoique moins timide que celui des kangourous, ne vit que de feuilles et d'herbe, qu'il pait avec ses longues incisives coupantes, et des ruits, quand il en rencontre. Il paraît même, selon Quoy et Gaimard, qu'il s'ac- commode fort bien de substances alimentaires propres à l'homme, quand il en trouve l’occasion. Un de ces animaux, disent ces voyageurs, vint enlever familièrement des restes d'aliments au milieu d’une cabane bâtie pour les abriter, pendant une excursion dans les montagnes Bleues, et il s'enfuit par un trou, à la ma- nière des rats. Il habite les broussailles, et fuit avec beaucoup de rapidité, en faisant des bonds prodigieux avec ses jambes de der- rière, quand on le poursuit. Il est d’une telle agilité que M. Lesson dit en avoir vu au milieu des rocailles de la Werra-Gambia courir sur les petits buissons qui couvrent cette partie de la Nouvelle- Hollande. C'est à peu près tout ce qu'on sait de son histoire. Le Pororou pe Lesueur (Hypsiprymnus Lesueur, Quoy et Garm.) n’est connu que par le squelette d'une tête trouvée dans l’île Dirck- Hatichs. Il serait à peu près de la grandeur du précédent, mais ses oreilles seraient beaucoup plus larges, ses joues plus saillantes, son museau moins long et sa tête généralement plus arrondie. Le Pororoë be PÉRON (Hypsiprymnus Péron, Quoyx et Gain.) n'est également connu que par un squelette apporté de la Nou- velle-Hollande. Il serait de la même grandeur que les précédents, mais ses oreilles seraient beaucoup plus étroites, ses yeux plus saillants à cause de l’abaissement de ses joues; son nez plus sail- lant, sa tête en général plus mince, plus pointue, en cône plus allongé; ses incisives supérieures mitoyennes el ses canines sont plus longues. 208 LES MARSUPIAUX. Le Kangourou enfumé. LES MARSUPIAUX FOLIIVORES. (Ils manquent de canines aux deux mächoires.) 14 Genre. Les KANGOUROUS (Æangurus, G£orr. Macropus, Suaw) ont vingt-quatre dents, savoir : six incisives supérieures et deux inférieures ; pas de canines; huit molaires en haut et huit en bas. Leurs jambes de derrière sont encore plus longues et plus robustes que celles des potorous, et le gros ongle du pied est presque en forme de sabot ; leurs oreilles sont très-grandes ; leur tête est allongée, avec la lèvre supérieure fendue, et des moustaches très-courtes et très-peu fournies ; leur queue est lon- gue, triangulaire, très-musculeuse et très-grosse à son origine ; les femelles ont une poche abdominale cachant deux mamelles. Le KanGOuUROU ENFUMÉ (K'angurus fuliginosus, GEorr. Macropus fuliginosus, Less.— J. GouL. Le Mén-ü-äh de la Nouvelle-Hollande) atteint, dit-on, jusqu’à six pieds (1,949) de hauteur, mais sa taille ordinaire est de quatre pieds et demi (1,461); il est d’un brun fu- ligineux en dessus, roux sur les flanes, et d’un gris clair en des- sous ; les quatre pattes, une portion de l'extrémité du museau et le derrière du cou sont d’un brun noirâtre ; les oreilles sont bru- nes en dehors; la quene est rousse en dessous, d’un brun passant au noir en se rapprochant de l'extrémité en dessus. C'est dans les pays boisés, dans les vastes forêts de la Nouvelle- Hollande , que vivent toutes les espèces de kangourous, mais ils s’acclimatent fort bien chez nous, et même ils s’y multiplient, pour peu qu'on’en prenne quelques soins. Ces singuliers animaux ont été observés pour la première fois par Cook en 1779. Leurs pattes antérieures, fort petites et munies de cinq doigts armés d'ongles assez forts, ne paraissent guère leur être utiles pour la marche, mais ils s’en servent comme de mains pour porter leurs aliments à la bouche, à la manière des rongeurs. Leurs pattes de derrière sont allongées hors de toute proportion, munies de qua- tre doigts fort longs, dont le second externe, dépassant beau coup les autres dans ses dimensions, a pour ongle un véritable sabot. Il résulte de cette conformation que la station verticale est leur position habituelle, et qu'ils s'appuient non-seulement sur leurs longues jambes, mais encore sur leur grosse et puissante queue, qui leur sert comme de ressort quand ils sautent; le bond est donc leur marche naturelle, Le sabot de leurs pieds de der- rière est pour eux une arme défensive et offensive, car, en se tenant sur une jambe et sur la queue, il peuvent, avec le pied qui leur reste libre, donner des coups assez violents; dans les combats qu'ils se livrent entre eux, ils se servent aussi des pieds de devant et se font de profondes blessures avec leurs ongles. On a vu quelquefois les kangourous qui vivaient à la ménagerie atla- quer leurs gardiens de cette manière, quands ils en étaient mal- traités. Ils font des bonds prodigieux, et peuvent, dit-on, fran- chir d’un seul saut un espace de trente pieds (9,745); mais cepen- dant, lorsqu'ils sont chassés dans des bois fourrés, ils savent fort bien courir à quatre pattes. Quoy et Gaimard, qui ont assisté à plusieurs chasses aux kangourous, disent « que lorsqu'ils sont vivement poussés par les chiens, ils courent toujours sur leurs quatre pieds, et qu'ils n’exécutent de grands sauts que quand ils rencontrent des obstacles à franchir. » Les kangourous vivent en petite troupe, ou peut-être en fa- mille, conduite par un vieux mâle qui marche en avant , observe la campagne, cherche à découvrir le danger, et donne le signal du repos, des joyeux ébats ou de la fuite, selon les circonstances. Les petits, en naissant, n’ont pas plus d’un pouce (0,027) de lon- gueur; la mère les place dans sa poche, où ils achèvent de se développer, et ils n’en sortent définitivement que lorsque leur grosseur ne leur permet plus d'y rentrer. Aussi ils s'y retirent encore lorsque déjà ils sont en état de paître, ce qu'ils font en sortant le museau de la poche, pendant que la mère paît elle- même, Ces animaux vivent d'herbe, mais cependant ils ne dédai- gnent pas les autres aliments, et l'on en a vu manger avec plaisir L MARSUPIAUX FOLIIVORES. 209 non-seulement de la chair, mais du vieux cuir. Quoy et Gaimard en ont possédé un qui buvait même du vin et de l’eau-de-vie. Il est très-remarquable que tous les animaux de la Nouvelle-Hol- lande, habitant un pays fort pauvre en substances alimentaires, sont à peu près omnivores, malgré les formes qu'affecte leur système dentaire. Toutes les espèces de ce genre sont extrêmement douces et ti- mides, et les plus grandes ne pensent à se défendre contre les chiens mis à leur poursuite que lorsque la fuite leur est tout à fait interdite. Dans ce cas, l'animal tâche de s’élancer sur une pierre ou une roche de trois à quatre pieds de hauteur, et là, assis sur sa queue et sur une de ses pattes, il tâche d’écarter ses aisément, mais sa chair est coriace. Il est commun dans la Nou- velle-Galles du Sud. Le Kaxcourou À cou Roux (Kangurus ruficollis, GEorr. — Des. Macropus ruficollis, Less.) est beaucoup plus petit que le précé- dent; son pelage est d’un gris roussätre en dessus et sur les flancs ; la nuque et le haut des épaules sont d’un roux mélé de gris ; la face interne des membres est blanche, ainsi qu’une ligne médiane étroite sous le corps ; le dessus de la queue est d’un gris roussâtre , et le dessous blanchâtre, Il habite l’île de King, dans le détroit de Bass. Le KANGouUROU vinEUx (Kangurus vinosus, Fr. Cuv.) a beaucoup d’analogie avec le précédent, dont il n’est peut-être qu'une va- La Marmotte, paysage suisse. ennemis à coups de pied, et sait très-bien profiter de sa position. Mais cet éclair de courage ne lui sert pas à grand'chose, et deux ou trois chiens viennent aisément à bout de le terrasser. En do- mesticité il s’apprivoise fort bien, et il devient même familier. La chair des kangourous est assez bonne à manger, et a, dit-on, le goût de celle du cerf; aussi les habitants leur font-ils une guerre active. L'espèce dont nous parlons ici est le plus grand animal que l’on ait trouvé dans la Nouvelle-Hollande. Le KANGOUROU À MOUSTACHES (Kangurus labiatus, GEorr. Macro- pus labiatus, Less. Didelphus gigantea, Gui. Macropus major, Suaw. Le Kanguroo, Cook) est la première espèce connue; quoi- qu'un peu moins grand que le précédent, sa taille égale celle d'un mouton. Il est gris cendré en dessus et blanchâtre en des- sous; le menton est traversé par une ligne d’un gris cendré; le museau est blanc; les pieds et le dessus de la queue sont noirà- tres. Cette espèce est très-douce, très-timide, et se familiarise 54. riété ; mais son pelage est plus gris, et la tache blanche qui en- toure la bouche est plus prononcée. Il habite le même pays. Le Kawcourou er1s-Roux (Kangurus rufogriseus, GEOFF.— DES.) est un peu plus petit que le kangourou à moustaches, et n’a que trois pieds et demi (4,137) de longueur; son pelage est d'un gris roux tirant sur le blond, plus foncé sur le dos, plus pâle en des- sous et passant au blanc sur la ligne médiane; d’un gris bru- nâtre sur les quatre jambes, et au bout de la queue. Les oreilles sont plus arrondies que dans les deux premières espèces. De la Nouvelle-Hollande. ” Le Kancourou DE Baxxs (Xangurus banksianus, Gain. Macropus banksianus, Less.) est une espèce fort douteuse, qui serait d'un rouge foncé , avec des taches brunes sur la tête. Sa taille serait plus petite que celle du kangourou à moustaches , et il habiterait les montagnes Bleues de la Nouvelle-Hollande. Le KanGouRoU LAINEUX (Kangurus laniger, Quox et Gal. Kan- Paris. Typographie Plon frères, rue de Vangirard, 36. 14 210 MARSUPIAUX. gurus fufus, Desm. Macropus laniger, Less.) est presque de la même taille que le kangourou enfumé, et n’a pas moins de quatre pieds (1,299) de longueur ; son pelage est très-long, doux, séyeux, frisé et laineux, d'un rouge ferrugineux en dessus; blanchâtre sur la poitrine et le ventre; les oreilles sont ovales, grisätres en dehors; les doigts d’un brun roussâtre, Ses membres postérieurs sont encore plus allongés que ceux des autres espèces. IL habite les environs du port Macquarie. Le KanGourou DE L'ÎLE EUGÈNE (Kangurus Eugentü, Desx. Ma- cropus Eugenii, Less.) a dix-neuf pouces de longueur (0,514); son pelage ést épais, moelleux, d'un gris brun en dessus, mêlé d'un peu de roux sur les parties antérieures et sur les pattes de devant, et blanchâtre en dessous; la queue, en dessous, est d’un blanc roussâtre. Il vit en troupes nombreuses sur l’île Eugène, à la côte sud de la Nouvelle-Hollande, et paraît ne pas se trouver sur ce continent. L'Ouaragar ou KanGourou DE BuISSON (Kangurus ualabatus, Less. et Garx. Macropus ualabatus, Less. Kangurus bicolor, vélins du Muséum; Æangurus Bruni, DEsu.) est brun en dessus, fauve pâle en dessous; sa queue est très-longue, très-noire en dessus ainsi que la bouche; les pattes et les joues sont grises, et les poils de la base des oreilles sont d'un jaune rougeâtre. I est commun dans la Nouvelle-Galles du Sud. Le KanGourou DE LABILLARDIÈRE (Kangurus Billardierit , Drsw. Macropus Billardierii, Less.) est à peu près de la taille d'un lièvre; ses oreilles sont courtes et ovales-arrondies: sa lèvre su- périeure est rousse; ses mains sont d’un brun roux, et ses ongles très-comprimés au lieu d’être déprimés; sa queue est de la lon- gueur de son corps; son pelage est d'un gris brun en dessus, roussâtre en dessous. Il habite la terre de Diémen, Le Ponix ou PÉéLANnoc p'AROË (Kangurus veterum, Lrss, et Garx. Macropus veterum, Less. Le Filander, VALENTIN ét LEBRUYN, Le Lapin d’Aroëé) est de la taille du précédent, Il est beaucoup plus ramassé dans ses formes que les précédents; sa queue est moins longue; ses membres antérieurs plus forts; son pelage ést entièrement brun. Il habite exclusivement la Nouvelle-Guinée et les îles équatoriales. Le KanGourou FiLANDRE ( Kangurus philander, Grorr. Didelphis asiatica, PALL.) a presque toujours été confondu avec l’oualabat, quoiqu'il ne soit pas de la Nouvelle-Hollande, ou avec le podin, quoiqu'il ne lui ressemble pas. Il a environ deux pieds et demi (0,812) de longueur; il est brun en dessus, mais le dessous du corps et la partie interne des membres sont roux? le museau et les doigts sont noirâtres; la queue est noire, avec un peu de blanc à l'extrémité; les oreilles sont brunâtres, avec du roux à leur base. Il habite les îles de la Sonde. 15° Genre. Les PÉTAURISTES (Petaurus, SHaw) ont trente- huit dents, savoir : six incisives supérieures et deux inférieures ; pas de canines ; seize molaires en haut, et quatorze en bas; ils ont la peau des flancs plus ou moins étendue entre les jambes, et couverte de poils, de manière à leur servir, non pas d’ailes, mais de parachute ; leur tête est assez courte; leurs oreilles sont petites, et leur queue est non prenante. Tous sont de la Nouvelle- Hollande. L'Hépouna-ro (Petaurus taguanoïdes, DESM, — Saw. Petau- risla taguanoides, Drsm. Didelphis petaurus, Saaw. Le Grand Pha- langer volant, G. Cuv.) est à peu près de la taille d’un galéopi- thèque; il a communément dix-huit pouces de longueur (0,487), non compris la queue, qui en a près de vingt (0,540); sa tête est petite, son museau très-aigu; sa queue est arrondie, très-touffue, brune , un peu fauve à la base. Son pelage varie; il peut être : 1° d’un brun chocolat foncé en dessus, et d’un blanc sale en des: sous; 2° mélangé de fauve clair et de brun , avec une raie plus foncée sur le dos : les flancs d’un gris cendré avec deux taches oblongues fauves : le dessous blanchtre; 3° entièrement d'un blanc jaunâtre sur le dos, et d’un blanc pur en dessous, Les mem- branes qui sont entre ses membres l’aident à sauter en le soute- nant dans l'air. Gette espèce est commune dans les environs de Sidney et dans les montagnes Bleues, où elle habite les grandes forêts, et se plait particulièrement à poursuivre les insectes, peut-être même les petits oiseaux, sur les plus hautes branches des eucalyptus; probablement elle mange aussi des feuilles. Grâce à l'extension de la peau de leurs flancs, les pétauristes peuvent sauter à une dis- tance prodigieuse d’un arbre à un autre, en étendant les quatre membres et glissant obliquement dans l'air au moyen de leur parachute. Tout ce qu’on sait de leur histoire, c’est que les habi- tants du pays leur font une guerre à outrance, non-seulement pour s'emparer de leur chair, qu'ils trouvent délicieuse, mais encore pour faire avec leur fourrure de fort jolis petits manteaux que leurs femmes portent sur leurs épaules. En effet, le pelage de ces animaux est très-épais, très-long, d’une douceur et d'une finesse extrême, qui, sans aucun doute, lui donnerait une grande valeur si jamais on le mettait dans le commerce de la pelleterie. Le PÉTAURISTE À GRANDE QUEUE (Petaurus macrourus, DEesm. Pe- taurista macroura, Desm. Didelphis macroura, Suaw. Le Phalanger volant à longue queue, G. Guy.) est de la taille du surmulot. Il est d’un brun foncé en dessus, blanchâtre en dessous ; sa queue est grêle , une fois et demie longue comme son corps ; les pattes de devant sont blanches à leur extrémité. IL habite la Nouvelle-Hol- lande. Probablement on devra réunir à cette espèce, comme simple variété, Le PÉTAURISTE À VENTRE JAUNE (Petaurus flaviventer, Des. Pe- taurista flaviventer, Grorr.). Il diffère du précédent par son pe- lage d'un brun marron en dessus, d’un fauve blanchâtre en des- sous; la queue est d'un brun marron, ronde, un peu plus longue que le corps. Il habite le même pays. Le Pérauniste p£ PÉRON (Petaurus Peronii, Des.) est de la taille de nos écureuils, et se distingue des autres par sa membrane des flancs, qui ne lui vient que jusqu'aux coudes; son pelage est brun en dessus , blanc en dessous, et mélangé de brun et de gris sur le dessus des membranes ; ses pieds sont blancs, ainsi que l’ex- trémité de sa queue, Il est de la Nouvelle-Hollande. Le PÉTAURISTE SCIURIEN (Petaurus sciureus, Desm. Didelphis sciurea , SAW) à près de neuf pouces de longueur (0,244), sans y comprendre la queue, qui en a près de dix (0,271), c’est-à-dire qu'il est à peu près de la taille de notre écureuil commun. Son pelage est d'un gris cendré en dessus, blane en dessous ; le bord des membranes est blanc : la tête a deux traits noirs partant des harines et s'étendant jusque sur les yeux; une autre ligne noire s'étend depuis le nez jusqu’au bout de la queue ; celle-ci est cen- drée, roussâtre à la base et brune au bout. Il habite l’île de Nor- folk et les montagnes Bleues. On sait qu'il s'établit dans des trous d'arbre, et qu'il fait huit petits à chaque portée. Le PÉTAURISTE PYGMÉE (Petaurus pygmœus, Des. Didelphis pyg- mœa, SuAW. Petaurista pygmeæa, Gxorr. Le Phalanger volant nain, G. Cuv.) se distingue de tous ses congénères par sa queue d'un gris roussâtre, dont les poils sont parfaitement distiques et affec- tent la position des barbes d’une plume; son pelage est d’un gris de souris uniforme, légèrement lavé de roussâtre en dessus, et d’un blanc pur en dessous. Il est de la grosseur d’une souris, et sa queue est moins longue que son corps ; la membrane de ses flancs se termine aux coudés. Il habite la Nouvelle-Hollande. 15e Genre. Les HALMATURES (Halmaturus, Fr. Cuv.) ont vingt: huit dents, savoir : six incisives supérieures et deux inférieures ; pas de canines ; dix molaires en haut et dix en bas, c’est-à-dire deux de plus à chaque mâchôire que les kangourous. Du reste, ils leur ressemblent beaucoup et n’en diffèrent guère que par leurs oreilles plus courtes et leur queue presque nue où n'ayant que quelques poils rares, MARSUPIAUX FOLIIVORES. 211 L'HALMATURE A BANDES (Halmaturus fasciatus. — Kangurus fas- ciatus, Péron et LesuEur. Halmaturus elegans, Less. Le Kangou- rou élégant, des naturalistes) a la tête arrondie ; son pelage est d’un gris de souris, rayé transversalement en dessus de gris, de roux et de noir, formant douze à quinze bandes d’un effet agréa- ble ; le dessous est gris, ainsi que la queue dont l’extrémité est noire. Cette espèce a les mêmes mœurs et les mêmes habitudes que les kangourous; elle habite les buissons épais et s'y forme des galeries de verdure. Sa chair passe pour fort bonne. On la trouve dans les îles Bernier et autres voisines. L'HazwaTuRE TuéTis (Halmaturus thetis, BusseuiL. — Less. Kangurus thetis, Fr. Cuv.) a deux pieds un pouce (0,677) de lon- gueur, non compris la queue qui a vingt pouces (0,542). Son pe- lage est d’un roux cendré en dessus, d’un gris jaunâtre sur les flancs , rougeâtre sur le cou et les épaules; la queue est peu fournie de poils et recouverte de petites écailles comme celle des rats : elle est, ainsi que les pieds, d’un noir foncé. La gorge, la poitrine et le ventre sont blanchàtres. Il habite les environs du Port-Jackson. 46° Genre. Les PHASCOLOMES ( Phascolomys, GEorr.) ont vingt-quatre dents, savoir : deux incisives en haut et deux en bas, toutes quatre fort longues; point de canines ; dix molaires supérieures et dix inférieures; la tête large, plate ; les jambes courtes ; le corps comme écrasé, sans queue ; ils ont cinq on- gles aux pieds de devant, et quatre, avec un petit tubercule au lieu de pouce, à ceux de derrière; la femelle a une poche abdo- minale. Le Wompar (Phascolomis wombat , PÉroN et LESUEUR. — DEsu. Wombatus fossor, Georr. Didelphis ursina, Snaw. Phascolomis Ba- sii, Less.) est de la taille d’un blaireau; son pelage est épais, grossier , d’un brun gris plus ou moins foncé , avec des teintes plus foncées sur la poitrine. La femelle tire un peu sur le fauve. Il habite l’île de Ring, au sud de la Nouvelle-Hollande. Ce phascolome est un animal lourd, massif, raccourci, ce qui, avec des yeux très-écartés, médiocrement ouverts, des oreilles courtes , une marche plantigrade et d’une excessive lenteur, lui donne une figure peu gracieuse. Son caractère est doux, mais excessivement timide ; si on l'attaque, loin de chercher à se dé- fendre , il se ramasse en boule et se laisse assommer sans même chercher à fuir; aussi Péron dit-il que les chasseurs de phoques vivent exclusivement de sa chair, qui est excellente, et qu’ils ont considérablement diminué le nombre de ces animaux. G. Cuvier pense que, ainsi que les kangourous, il s’acclimaterait fort aisé- ment en France, qu'il multiplierait dans nos basses-cours, et qu'il y deviendrait fort avantageux à cause de la qualité de sa chair. En effet, il n’est point d'animal plus à facile nourrir ; à l'état sau- vage, il vit exclusivement d'herbe; en domesticité, il mange tout ce qu’on lui présente : le pain, les fruits, les racines, les herbages, et même le lait. Le wombat est nocturne ; le jour, il se retire dans un terrier qu'il sait se creuser avec ses ongles robustes; et il n’en sort que la nuit pour chercher sa nourriture, et vaquer aux autres besoins de l’animalité. La femelle met bas quatre petits, qu’elle élève dans sa poche abdominale , et dont , selon Péron , elle prend le plus grand soin. LES RONGEURS, HUITIÈME ORDRE DES MAMMIFÈRES, Le Tamia-Palmiste. Les animaux de cet ordre ont deux grandes incisives à chaque màchoire, séparées des molaires par un espace vide; ils manquent de canines ; leurs jambes de derrière sont plus longues que celles SECTION de devant. Les uns sont omnivores et ont des clavicules bien dis- tüncetes; les autres sont herbivores et n'ont qu'un rudiment de clavieule. PREMIÈRE. LES RONGEURS OMNIVORES renferment sept familles, qui sont: les écureuils, les mar- mottes , les ulacodes, les rats-taupes, les gerboises, les rats, et les nageurs. Ils vivent de graines, d'herbes et même de chair. LES ÉCUREUILS se font reconnaitre par leurs incisives inférieures très-compri- mées; ils ont cinq molaires en haut, ou plutôt quatre, avec une très-petile en avant qui tombe de bonne heure, quatre en bas, de chaque côté des mâchoires, en tout vingt-deux dents. Leur queue est longue, garnie de longs poils souvent distiques, c’est-à-dire, dirigés sur les côtés comme les barbes d’une plume ; ils ont qua- tre doigts devant et cinq derrière, munis d'ongles très-acérés ; quelquefois le pouce de devant est indiqué par un tubercule. Quelques-uns ont des abajoues ou poches buccales; chez d’autres, la peau des flancs s’étend de chaque côté d'une patte à l'autre. Aer Genre. Les TAMIAS (Tamia, IL116.) ont la tète osseuse, pré- sentant une ligne courbe uniforme à sa partie supérieure vue de profil ; et, vue en dessus, toutes ses parties antérieures très-effi- lées ; leur boîte cérébrale , peu étendue, ne s’avance pas jusqu’à la moitié de la tête; ils ont des abajoues et la queue distique. Tous sont fort lestes, fort vifs et pleins de grâce. Le PALMISTE (Tamia palmarum, Less. Sciurus palmarum , Lin. — Des. Mustela africana, Cius. Le Palmiste, Burr. Le Rat pal- miste, BRISSON) appartient peut-être au genre écureuil, car nous ne savons pas s'il a des abajoues; mais, pour Lous les autres ca- ractères, il se rapproche dayantage des tamias, Ce joli animal est un peu plus petit que notre écureuil; son corps a cinq pouces (0,155) de longueur, et sa queue six pouces (0,162) ; il la porte droite et relevée verticalement, mais sans la renverser sur son corps comme l’écureuil : il ne l'a pas non plus aussi touffue, et elle est rougeàlre en dessus, et blanchâtre bor- dée de noir en dessous. Son pelage est brun ou d’un roux mêlé de gris, avec trois bandes longitudinales d’un blanc sale ; le des- sous de son corps est blanc; ses oreilles n’ont pas de pinceau terminal. On en connaît une variété albinos, figurée ici. Le palmiste vit de fruits et se sert de ses deux pattes de devant pour les saisir et les porter à sa bouche; il passe une grande partie de sa vie sur les palmiers, d’où lui est venu son nom, et il fait un grand dégât de-dattes , ainsi que d’autres fruits qu'il va chercher dans les vergers et dans les jardins, et qu’il emporte avec lui soit pour les manger plus à son aise, soit pour en faire une provision. Quand il ne les emporte pas, il en gâte néanmoins un grand nombre, car , avant d'en manger un, il faut qu'il en entame au moins une douzaine pour les goûter. Vif, léger, éveillé, d'une agilité surprenante, il aime à bondir de branche en bran- che et d'arbre en arbre, le plus souvent pour le seul plaisir de se donner du mouvement. Les auteurs que j'ai consultés ne disent pas s’il niche sur les arbres , comme les écureuils , ou dans des ÉCUREUILS. 213 terriers; mais comme par ses formes il se rapproche moins de ces derniers que des rats, il est à croire qu'il se retire dans des trous de rochers ou dans des troncs d'arbres. Du reste, il est fort doux et très-familier ; il s’apprivoise aisément et s'attache à la demeure qu'on lui a faite au point de n'en sortir que pour se promener et d'y revenir ensuite de lui-mème, sans y être ni ap- pelé ni contraint. Il a un grand plaisir à grimper sur tous les objets élevés , comme les toits des maisons , les murailles; aussi habite-t-il souvent dans les villages , et, dans ce cas, la femelle dépose ses petits dans les trous de murs, Il est tellement familier, qu'il entre parfois dans les maisons pour ramasser les miettes de pain qui tombent de la table. Quant à ses autres habitudes, elles sont les mêmes que celles des écureuils. IL est certain que cette et il est remarquable que sa prévoyance dépasse de beaucoup ses besoins. Pour transporter toutes ces graines, il n'a pas d’autres moyens que ses abajoues , dans lesquelles il les place à mesure qu'il les ramasse. Je crois qu'il faut regarder comme une espèce distincte de celle-ci : L'Onromnx (Tamia caroliniensis. — Sciurus caroliniensis, Rniss. Sciurus Listeri, Ray. L'Écureuil de terre, Caresey. Ohiohin des Hurons), qui est moitié plus petit que l’écureuil ordinaire, et un peu plus petit que le précédent. Il est roux, au lieu d'être brun; ses raies blanches sont plus jaunâtres; les autres sont noires; l'intervalle entre la raie du dos et celle des flancs est roux au lieu d’être d’un gris brun. Il est de la Caroline , et a les mêmes habitudes que le précédent. L'Ecureuil noir d'Amérique. espèce habite l'Inde, et peut-être se trouve-t-elle aussi au Sénégal et au cap Vert. Une espèce nouvelle , le Tamia Delesserti, Sciurus Delesserti de Gervais, se trouve dans l’Indoustan. Le Burunoux ou Suisse (Tamia striata, Less. Sciurus striatus, Lin. — Des. Le Rugerük des Tartares. L'Ulbuki des Tungouses. Le Schepek des Ostiaks. Le Dsjulalà des Baskirs. Le Dschyraki des Mongols. Le Æartha des Mogols. Le Suisse, Burr.—G. Cuv.). Il a environ cinq pouces (0,155) de longueur, non compris la queue, qui n’en a que trois (0,081). Son pelage est d'un brun fauve, avec cinq raies longitudinales brunes et deux blanches; le dessous est blanc; la région lombaire est rousse, ainsi que la queue, qui est bordée de noir en dessous, et noirâtre en dessus. IL habite les parties septentrionales de l'Europe et de l'Asie. Le burunduk est moins doux, moins familier que le précédent, et il mord sans ménagement, à moins qu'il ne soit parfaitement apprivoisé. Beaucoup moins agile que les écureuils, quoique très-vif, il se détermine rarement à monter sur les arbres, à moins que ce ne soit pour éviter la poursuite de son ennemi, et pour y cueillir quelques fruits qu'il aime avec prédilection. Il se contente le plus ordinairement de ramasser les amandes du pin, les noisettes, etc., qui tombent sur la terre, pour en faire sa pro- vision d'hiver. Il se creuse, entre les racines des arbres, un ter- rier à double sortie, et, au milieu, il construit une sorte de cave assez grande qui lui sert de magasin, et qui est placée à côté d'une petite chambre très-propre, bien matelassée de foin doux et sec, où il couche. Il va ensuite à la provision, et entasse dans sa cave autant de fruits secs qu'il en peut trouver. Si la saison est favorable, son magasin est bientôt plein ; alors il en creuse un autre à côté qu'il remplit, puis un troisième, un quatrième, ete., Le Sixsik (Tamia hudsonia, Less. Sciurus hudsonius, LIN. — Desw. Peut-être le Sciuropterus de Lesson) est un peu plus petit que l’écureuil d'Europe; son pelage est d’un brun roussâtre en dessus et sur la tête; une raie noire occupe les flancs ; son corps est blanchâtre en dessous; sa queue, plus courte que le corps, est d’un brun roussâtre, bordée de noir; ses moustaches sont très-longues et noires. On ne le trouve que dans les forêts les plus froides de l'Amérique septentrionale. Le TaMïA À QUATRE BANDES (Tamia quadrivittata, Less. Sciurus quadrivittatus, Sax) a environ sept pouces (0,189) de longueur; son pelage est brunâtre, mélangé de fauve sur la tête, fauve sur les côtés, avec quatre lignes blanches; le dessous du corps est blanchâtre. Il habite les États-Unis, vit dans des trous de ro- chers, et ne grimpe jamais sur les arbres. 214 LES RONGEURS. 2e Genre. Les ÉCUREUILS (Sciurus, Lin.) ont la dépression du front légère, et la saillie postérieure des frontaux peu sen- sible; leur profil est à peu près droit pour la face; la cavité de leur crâne est de la longueur des deux tiers de Ja face. Leur queue est distique, comme dans les tamias, mais ils n'ont pas d’abajoues. Même système dentaire que les précédents. Les écureuils ont en général les mœurs tellement semblables, que, pour éviter des redites toujours ennuyeuses, nous allons donner ici une esquisse de leur histoire générale. On peut appli- quer à tous ce que Buffon dit de l'espèce d'Europe. « L'écureuil est un joli petit animal qui n’est qu'à demi sauvage, et qui, par sa gentillesse, par sa docilité, par l'innocence même de ses mœurs , mériterait d’être épargné; il n’est ni carnassier , ni nui- sible, quoiqu'il saisisse quelquefois des oiseaux. Sa nourriture ordinaire sont des fruits, des amandes, des noisettes, de la faine et du gland. Il est propre, vif, très-alerte, très-éveillé, très-in- dustrieux; il a les yeux pleins de feu, la physionomie fine, le corps nerveux, les membres très-dispos; sa jolie figure est encore rehaussée, parée par une belle queue en forme de panache, qu’il relève jusque sur sa tête, et sous laquelle il se met à l'ombre, On ne le trouve point dans les champs, dans les lieux découverts, dans les pays de plaine ; il n’approche jamais des habitations ; il ne reste point dans les taillis, mais dans les bois de hauteur, sur les vieux arbres des plus belles futaies. Il ne s’engourdit pas comme le loir pendant l'hiver; il est en tout temps très-éveillé, et, pour peu que l’on touche auprès de l'arbre sur lequel il re- pose , il sort de sa petite bauge, fuit sur un autre arbre, ou se cache à l'abri d’une branche. Il a la voix éclatante, et plus per- cante encore que celle d’une fouine; il a de plus un murmure à bouche fermée, un petit grognement de mécontentement qu'il fait entendre toutes les fois qu'on l'irrite. Il est trop léger pour marcher, il va ordinairement par petits sauts, et quelquefois par bonds; il a les ongles si pointus et les mouvements si prompts, qu'il grimpe en un instant sur un hêtre dont l'écorce est lisse. Les écureuils semblent craindre l’ardeur du soleil; ils demeurent, pendant le jour , à l'abri dans leur domicile, dont ils sortent le soir pour s'exercer , jouer, faire l'amour et manger. Ce domicile est propre, chaud , impénétrable à la pluie. C’est ordinairement sur l’enfourchure d’un arbre qu'ils l’établissent : ils commencent par transporter des bûchettes qu'ils mêlent, qu'ils entrelacent avec de la mousse; ils la serrent ensuite, ils la foulent, et don- nent assez de capacité et de solidité à leur ouvrage pour y être à l'aise et en sûreté avec leurs petits; il n’y a qu'une ouverture vers le haut, juste, étroite, et qui suffit à peine pour passer ; au- dessus de l’ouverture est une sorte de couverture en cône qui met le tout à l'abri, et fait que la pluie s'écoule et ne pénètre pas. Ils produisent ordinairement trois ou quatre petits; ils en- trent en amour au printemps, et mettent bas au mois de mai, ou au commencement de juin ; ils muent au sortir de l'hiver. Ils se peignent, ils se polissent avec les mains et les dents; ils sont propres; ils n’ont aucune mauvaise odeur. Leur chair est assez bonne à manger, et le poil de leur queue sert à faire des pin- CEaux. » Nous compléterons l’article de Buffon par quelques observa- tions qui s’appliqueront également à toutes les espèces. Quelques écureuils ont une vie isolée, solitaire, mais par couple, car le mâle n’abandonne jamais la femelle; d’autres, au contraire, vi- vent par troupes de plus d’une centaine. Tous sont sédentaires, et s'écartent fort peu de la forêt qui les a vus naître. Linné, Klein, Shœffer, le poëte voyageur Regnard, qui nous a tant dé- bité de contes sur les Lapons, et Buffon lui-même, nous ont ce- pendant raconté que des troupes de petits-gris voyagent , et que pour passer les rivières ils s’'embarquent sur des morceaux d’é- corce qui leur servent de bateaux, qu'ils gouvernent en traver- sant le courant en étalant leur queue au vent et en s’en servant comme d’une voile. De telles histoires n’ont pas besoin de réfu- tation. La queue de l’écureuil ne lui sert jamais de gouvernail, quoi qu'en aient dit des auteurs, et cela par une raison fort simple, c’est que cet animal craint beaucoup l'eau et n'y entre jamais. Si elle lui sert à se gouverner, c’est dans les airs, lors- qu'il fait de ces bonds prodigieux qui le transportent d’un arbre à un autre, à douze ou quinze pas de distance, comme j'en ai été souvent témoin. Mais elle ne peut pas non plus lui servir de parachute, comme l’a dit Desmoulins, car, placée à l'extrémité de son corps, dans une chute elle lui ferait faire la culbute, et il tomberait sur la tête. Les écureuils sont très-prévoyants : aussi ne font-ils jamais un seul magasin, mais plusieurs, et dans diffé- rents troncs d'arbres, afin que, s'ils viennent à en perdre un par accident, il leur en reste toujours d’autres pour les alimenter pendant l'hiver. Ils savent fort bien retrouver ces cachettes quand ils en ont besoin, et même sous la neige qu’ils grattent pour les découvrir. Aussi rusés que méfiants, ils construisent toujours plusieurs nids, à d’assez grandes distances les uns des autres; et la mère, sans même être inquiétée, change souvent ses enfants de domicile, en les transportant avec sa gueule. Le matin, quand le soleil brille à l'horizon, et que la forêt est parfaitement silen- cieuse, elle les descend l'un après l’autre sur la mousse, et les fait jouer. Si elle est surprise dans cette occupation, elle en saisit un qu'elle transporte, non dans le nid, ce qui lui ferait perdre du temps, mais jusqu’à l’'enfourchure d’une grosse branche, où elle le cache; puis elle revient chercher les autres pour les em- porter de même. Ces animaux ont toujours le soin, quand ils aperçoivent le chasseur, de se tenir derrière le tronc de l'arbre, et de tourner autour, pour rester masqués, à mesure que le chas- seur tourne lui-même autour de l'arbre. Ils n’en continuent pas moins à monter, et, parvenus à l’enfourchure d’une branche, ils s’y blottissent et restent invisibles. Aussi est-il fort difficile de les tirer si on est seul. Les écureuils ne sont pas tellement frugivores qu'ils ne veuil- lent manger aucune matière animale. S'ils trouvent un nid d’oi- seaux, ils sucent fort bien les œufs qu'ils y trouvent, ou dévorent les petits, et même la mère s'ils peuvent la surprendre. Gmelin dit qu’en Sibérie on les prend avec des espèces de trappes dans lesquelles on met pour appât un morceau de poisson fumé, et qu'on tend ces trappes sur les arbres. Dans quelques contrées, ils vivent aussi de la séve sucrée des graminées, et de graines de maïs. Depuis qu'on a transporté la culture de cette dernière plante en Pensylvanie et en Virginie, les écureuils s’y sont beau- coup multipliés, et font de grands dégâts aux récoltes. L'ÉcureuiL Gris (Sciurus cinereus, Scures. — Des. Sciurus ca- rolinensis, Lin. Le Petit-Gris, Burr.) est très-peu plus grand que l'écureuil d'Eurôpe; son pelage est fort variable, et la ménagerie en a possédé plusieurs, dont les uns étaient tout entiers d’un gris blanchâtre, et les autres d’un gris fauve, surtout sur les flancs. Son pelage est ordinairement de cette dernière couleur, piqueté de noir en dessus, avec une ligne fauve sur les flancs; le dessous est blanc; il manque de pinceau aux oreilles. Cette espèce est de la Pensylvanie et de la Caroline, où, ainsi que nous l'avons dit, elle s'est beaucoup multipliée depuis qu’on y cultive le maïs. Cet animal vit en troupes nombreuses; il est brusque, pétulant, mais cependant assez doux, et il s'apprivoise très-bien, quoique sans s'attacher à son maître ni même préférer personne. Il construit au fond de la cage où on le renferme un nid de paille ou de foin, en forme de boule, et il y dort toute la nuit, À l’état sauvage, il paraît qu'il ne fait pas son nid sur des branches d'arbres, mais dans les creux de leur tronc. Le Grann ÉcureuiL Gris (Sciurus cinereus, Lin. Sciurus virgi- nianus cinereus major, Ray.), confondu avec le précédent, est certainement une espèce distincte. Sa taille, trois fois plus grande que celle de notre écureuil , égale celle d’un jeune lapin. Son pelage est à peu près de même que celui de l’écureuil gris, ÉCUREUILS. 15 oo, mais son corps est plus épais, plus trapu; sa tête et ses oreilles sont plus courtes, et sa queue lui couvre tout le corps. Il est du même pays. L'Écureuz p'Eurore ou Commun (Sciurus vulgaris, Li. Le Bjelka des Russes. L'Uluk des Tungouses. L'Oraiwvass des Finois. L'Orre des Lapons. Le Kerma des Kalmouks. Le Tijin des Tar- tares. Enfin, le véritable Petit-Gris des fourreurs.) Il a sept à huit pouces (0,189 à 0,217) de longueur, non compris la queue, qu’il relève toujours en panache jusque par-dessus sa tête; son pelage est généralement roux, tirant plus ou moins sur le brun, avec le ventre d’un beau blanc; chaque oreille se termine par un pinceau de longs poils; sa queue est en dessus de la couleur du dos, mais en dessous les poils sont annelés de blanc et de brun, et seulement terminés de roux. Il habite les forêts de tout le nord de l’Europe et de l'Asie. Il est peu d'animaux qui varient plus que l’écureuil, en raison des climats ; ceux de France et d'Allemagne sont ordinairement d’un roux plus ou moins vif pendant toute l’année; mais dans le Nord on en trouve de roux piqueté de gris, de gris cendré, de gris ardoisé foncé, de gris blanc, de blancs et de noirs. Le petit- gris, si connu par le commerce que l’on fait de sa fourrure, est, - en hiver seulement, d’un gris d’ardoise piqueté de blanchâtre, chaque poil étant marqué d’anneaux alternativement gris de souris et gris blanchâtre. Comme le loup et le renard, dans le Nord il prend une taille plus grande, à compter des bords de l'Oby jusqu'au Jéniséi, et son pelage y devient d'un gris plus argenté. Depuis le Jéniséi jusqu’à l'Augara, sa fourrure redevient moins épaisse, et prend une teinte plus obscure. C'est de cet écureuil que l’on a raconté les voyages en bateaux d’écorce, Dans ce cas, il arrive quelquefois que « le vent se faisant un peu tort, dit Regnard, et la vague élevée, elle renverse en même temps et le vaisseau et le pilote. Ce naufrage, qui est bien sou- vent de trois à quatre mille voiles, enrichit ordinairement quel- ques Lapons qui trouvent ses débris sur le rivage. Il y en a une quantité qui font une navigation heureuse, et arrivent à bon port, pourvu que le vent ait été favorable, et qu'il n'ait point causé de tempête sur l’eau, qui ne doit pas être bien violente pour engloutir tous ces petits bâtiments. » Et remarquons encore que c’est sur l’espèce de nos pays, dont les mœurs nous sont parfaitement connues, que Regnard nous fait de pareils contes. L'Écureuz nor (Sciurus niger, Lin. — Desx. Le Quauhtecallotl- Thiltlie des Mexicains). Ce joli animal est à peu près de la grandeur de notre écureuil ‘d'Europe; ses oreilles sont dépourvues de pinceau; son pelage, formé d'un feutre brun et serré, traversé par des poils soyeux seuls apparents au dehors, paraît entièrement d'un noir foncé en dessus et d’un noir brunâtre en dessous. Selon Desmarets, les oreilles et le bout du nez seraient constamment noirs, comme le reste de la tête, et c’est à ces caractères que l'on distinguerait cette espèce des variétés noires du capistrate; selon Catesby, au contraire, quelques individus ayant le bout du nez, ou les pieds, ou le bout de la queue, ou un collier sur le cou, blancs, appar- tiendraient à cette dernière espèce; l'inspection de plusieurs de ces variétés me fait ranger à cet avis. Quoi qu'il en soit, l’écureuil noir habite l'Amérique septentrio- nale, et probablement le Mexique, Il vit en troupes nombreuses dans les antiques forêts éloignées des habitations, et fournit à la table des riches un gibier fort estimé. Il paraît qu'il s’apprivoise fort aisément, mais que, ainsi que tous les autres écureuils, il ne multiplie pas en captivité. Lorsqu'il aperçoit le chasseur, il se place au milieu d’une grosse branche, s'y aplatit au point qu'il est impossible de l'y apercevoir d'en bas, et il reste immuable- ment dans cette attitude, malgré les coups de fusil, jusqu'à ce que le danger soit passé. Le CArISTRATE (Sciurus capistratus, DEsm. — Bosc) est beau- coup plus grand que l’écureuil d'Europe; son pelage est ordinai- rement gris de fer, avec la tête noire, quelquefois gris avec le ventre noir, enfin d’autres fois entièrement noir. Les oreilles et le bout du museau sont constamment blancs. Sa longueur, du museau à l'extrémité de la queue, est de deux pieds (0,650). I habite les forêts de pins et d’érables de la Caroline du Sud. Il entre en chaleur en janvier, et ses petits quittent leur nid en mars. Comme il est très-commun , il devient la proie habituelle des renards, des serpents à sonnettes et des oiseaux de proie. Le Coquazux (Sciurus variegatus, Lix. — Des. Le Coztiocote- quallin des Mexicains, dont Buffon a fait Coquallin) n’est peut- être, comme le pensait Fr. Cuvier, qu'une variété du capistrate. Comme sa grandeur est à peu près le double de celle de notre espèce d'Europe, Buffon en concluait que ce n’était pas un écu- reuil. Son pelage est varié de noir et de roux vif en dessus; le dessous du corps est d’un roux orangé; l’occiput est noir et le museau est blanc, ainsi que le bout des oreilles, qui manquent de pinceau. Cette espèce ne monte pas sur les arbres, et habite dans des trous, sous leurs racines. Il remplit son domicile de fruits et de grains pour se nourrir pendant l'hiver; il est défiant, rusé, assez farouche pour ne jamais s’apprivoiser. On ne l'a en- core trouvé qu'au Mexique. © L'ÉcuneuiL À VENTRE Roux (Sciurus rufiventer, Georr. — Des.) est de la grandeur de l'écureuil d'Europe; son pelage est gris brun en dessus, d’un roux vif en dessous; la queue, moins lon- gue que le corps, est brune à la base, fauve à l'extrémité; les pieds sont bruns; les oreilles manquent de pinceau. Il est désigné au Muséum comme venant de l'Amérique du Nord. L'Écuneus. pes Pyrénées (Sciurus alpinus, Fr. Cuv.) est de la taille de l’écureuil commun, mais sa tête est plus petite; son pe- lage est d'un brun foncé, piqueté de blanc jaunâtre sur le dos ; d’un blanc très-pur à toutes les parties inférieures; la face in- terne des membres est grise; le bord des lèvres blanc; les quatre pieds sont d’un fauve assez pur; une bande fauve sépare les cou- leurs du dos et du ventre; la queue est noire ; les pieds sont fau- ves, et les oreilles ont un pinceau. Il habite les Pyrénées, mais on le trouve aussi dans les Alpes du Dauphiné, car, étant à Lyon, un chasseur m'en a apporté un récemment tué. L'ÉCUREUIL À BANDE ROUGE (Sciurus rubrolineatus, Des.) ne se- rait, selon Harlan , qu'une variété du siksik, ou Tamia hudsonia. Il est plus petit que l'écureuil gris : son pelage est grisètre sur les flancs, blanc sur le ventre, avec une ligne longitudinale rouge sur le dos. Il niche dans les rochers ou les trous d'arbres, et se nourrit de graines de pins. Il habite l'Amérique septen- trionale. L'Écureurz reNar» (Sciurus vulpinus. — Sciurus ruber, Rarix.) a, du bout du museau à l'extrémité de la queue, deux pieds de longueur (0,650); son pelage est entièrement d’un rouge de bri- que en dessus et blanc sous le ventre; il manque de pinceau aux oreilles. On le trouve dans le haut Missouri. L'Écureuiz pe La Louisiane (Sciurus ludovicianus; Curris.) est de la grandeur du précédent. Son pelage est d’un gris foncé en dessus, d’un brun roussâtre en dessous; la partie interne des membres est de cette dernière couleur. La queue est très-large et plus longue que le corps. Il habite les bords de la rivière Rouge, en Amérique. L'ÉcoreuL pe Mapacascar (Sciurus madagascariensis, Snaw) est d’une taille au moins double de celle de l’écureuil d'Europe. Son pelage est d’un noir foncé en dessus: le dessous du cou et les joues sont d’un blanc jaunâtre ; le ventre d'un brun mêlé d'un peu de jaune ; la queue plus longue que le corps, gréle, noire. Il se trouve à Madagascar. Le Daxpoeana ou Rakea (Sciurus ceylanensis, Bonn. — Des. Sciurus macrourus, Lis. Le Rukkai de Sonxerar) a beaucoup d’analogie avec le précédent. Il est trois fois plus grand que notre écureuil d'Europe: son pelage est noir en dessus, jaune en dessous ; le bout du nez est couleur de chair: il a deux petites 216 LES RONGEURS. + un bandes noires sur chaque joue, avec une tache fauve entre les deux oreilles : sa queue est grise. Il habite Ceylan. L'ÉcureuIL B1COLOR (Sciurus bicolor, Desm. Sciurus javanensis, Scures.) a le pelage roux, ou d’un brun foncé noirâtre en dessus, d’un fauve vif en dessous; il manque de pinceau aux oreilles; il a le tour des yeux noir; sa queue est fauve. Il habite Java. L'ÉCUREUIL DU BANANIER (Sciurus plantani, Horsr. Sciurus no- tatus, Bonn. Sciurus bilineatus, DEsm. — Grorr.) a environ sept pouces (0,189) de longueur, non compris la queue, qui est un peu plus courte. Il est gris en dessus, jaunâtre en dessous; il a une ligne blanche longitudinale sur chaque flanc; sa queue est un peu plus courte que le corps. Il habite Java. palmiers qui enrichissent la côte de Malabar, et, dans ces con- trées, partout où le cocotier abunde, on est à peu près sûr de le trouver. A la beauté de sa fourrure, il joint la grâce, la viva- cité de notre écureuil, avec la même douceur de caractère et autant de facilité à s’apprivoiser. Le cocotier lui fournit presque tout ce qui lui est nécessaire ; il étanche sa soif avec le lait des jeunes cocos, qu’il aime beaucoup; il se nourrit de l'amande de ceux qui sont arrivés en maturilé, et avec la bourre qui recouvre leur coquille il fait le nid de ses enfants. L'ÉCUREUIL À GRANDE QUEUE (Sciurus magnicaudatus, Sax) a un pied sept pouces (0,514) de longueur totale; le dessus du corps ainsi que les flancs sont mêlés de gris et de noir; les côtés de la L'Écureuil du Malabar, * L'ÉcurEuIL bE LESCHENAULT (Sciurus Leschenaultii, Des. Sciu- rus albiceps, Georr.) a un pied (0,525) de longueur, non compris la queue, qui en a autant; son pelage est brun clair en dessus, foncé dans une variété; la tète, la gorge, le ventre, et la partie interne et antérieure des jambes de devant, sont d’un blanc jau- nâtre ; la queue est très-brune en dessus, jaunâtre en dessous. Il habite Java. L'ÉcureuIL DE PREVOST (Sciurus Prevostii, DEsm.) est à peu près de la taille de l’écureuil d'Europe; son pelage est noir en dessus, jaune sur les flancs, marron en dessous, le jaune tran- chant nettement avec le noir et le marron; les oreilles manquent de pinceau; la queue est brune, presque ronde, médiocrement touffue. Il se trouve dans l'Inde, mais il paraît y être rare, et ses mœurs sont peu connues, L'Écureuz pu Marsan (Sciurus maximus, Gr. — DEs.). Cet animal est le plus grand des écureuils, et sa taille ne le cède pas à celle d’un chat. Le dessus de la tête, une bande der- rière la joue, les oreilles, la nuque, les flancs et le milieu du dos sont d’un roux brun très-vif; les épaules, la croupe, les cuisses et la queue sont d’un beau noir ; le ventre , la partie an- térieure des jambes de derrière, les jambes de devant presque entières, la poitrine, le dessus du cou et le bout du museau sont d'un beau jaune. Ce bel animal n’habite guère que les forêts de | tête et les orbites sont d’un gris ferrugineux pâle; les oreilles et les joues sont d’un brun obscur. Il habite les forêts qui ombra- gent les bords du Missouri. L'ÉCUREUIL A QUEUE LINÉOLÉE (Sciurus grammurus, Say) doit peut-être se reporter au genre tamia. Il a onze pouces (0,298) de longueur; son pelage, composé de poils durs et grossiers, est entièrement d’un gris cendré; trois lignes noires, parallèles, se dessinent sur sa queue. Il habite les montagnes Rocheuses, sur les bords de l’Arkansas, se retire dans des trous, mange des boutons de feuilles, et ne grimpe pas sur les arbres. L'ÉCUREUIL À BANDE LATÉRALE (Sciurus lateralis, Sax) est d'un brun cendré en dessus, et se reconnaît à une ligne peu déter- minée qu'il a de chaque côté du dos, plus large antérieurement que postérieurement, d’un blanc jaunâtre terne. Il habite les montagnes Rocheuses , au nord de l’Amérique. Il appartient, je crois, au genre des spermophiles, Le BArRBARESQUE (Sciurus getulus, Lin. Le Barbaresque, Burr.) est d'un tiers plus petit que l’écureuil d'Europe; sa longueur est d'environ dix pouces (0,271). Il est brun, avec quatre lignes lon- gitudinales blanches, qui se prolongent jusque sur sa queue. Il habite l'Afrique et vit sur les palmiers. Les espèces qui vont suivre sont encore trop mal déterminées pour qu'on soit sûr qu'elles resteront toutes dans le genre Sciu- A ÉCUREUILS. 217 _—_ — ————_——aaELZEZEZEZEZE rus; celles qui resteront avec les écureuils appartiennent peut- être, comme variétés , à des espèces précédemment décrites. L'Écuneurs JAUNE (Sciurus flavus, Lix.) est de moitié plus petit que notre écureuil ; son pelage est d’un jaune plus ou moins fauve avec la pointe des poils blanche ; il manque de pinceau aux oreilles. Il serait de la Colombie selon Linné, et de l'Inde selon Pennant. Peut-être n’est-ce qu'une variété du Macromus annulatus. L'Écureurz pu MExIQuE (Sciurus mexicanus, Séra) est long de cinq pouces (0,153), non compris la queue, qui a un peu plus de pinceaux aux oreilles. Est-ce une variété du Sciurus maæimus? IL habite Bombay. L'Écureutz ANOMAL (Sciurus anomalus, GxL.) est un peu plus grand que notre écureuil; son pelage est d’un ferrugineux foncé en dessus, un peu plus pâle en dessous; ses joues sont fauves ; ses orbites brunes, et il a le tour de la bouche blanc; ses oreilles sont petites, eflilées à la pointe. Il se trouve dans les montagnes de la Géorgie. L'ÉcureuiL pe Perse (Sciurus persicus, Gu..) est d’un gris obscur Amphithéätre d'anatomie comparée. longueur; son pelage est d’un brun cendré, avec sept bandes blanches le long du dos du mâle, et cinq sur celui des femelles. La figure que Séba donne de cette espèce la rend très-douteuse. L'ÉcureuIL D’ABYssINIE (Sciurus abyssinicus, GuL.) est un peu plus grand que l’écureuil ordinaire, et ne serait, d'après Shaw, qu’une variété du dandoléana de Ceylan. Il est d’un noir ferru- en dessus et jaunâtre en dessous ; il a le tour des yeux noir; les cuisses et les pieds de derrière roux; les oreilles noirâtres, man- quant de pinceau. Il se trouve dans les montagnes du Ghilan, en Perse. L'ÉcureurL rouce (Sciurus erythrœus, Gui.) est un peu plus grand que l’écureuil ordinaire; son pelage est d'un jaune mêlé gineux en dessus, cendré en dessous; ses oreilles sont noires, triples de celles de l’écureuil d'Europe; sa queue est grise, lon- gue d'un pied et demi (0,487). Il est de l'Afrique orientale. L'ÉcureuIL DE L'INDE (Sciurus indicus, GuL. Sciurus bombayus, PENx.) a seize pouces (0,453) de longueur, non compris la queue, qui en a dix-sept (0,460); il est d’un pourpre obscur en dessus, jaune en dessous; la queue est orangée à son extrémité; il a des de brun en dessus, d'un fauve sanguin en dessous; sa queue, ronde et très-velue, est du même fauve, avec une ligne noire, Il habite les Indes orientales. 5e Genre. Les GUERLINGUETS (Wacroæus, Fr. Cuv.){ont le front très-déprimé; les naseaux peu allongés; une profonde dépression entre le crâne et la face; ils manquent d’abajoues, et leur queue 218 LES RONGEURS. est entièrement ronde, ou distique seulement à l'extrémité. Du reste, ils ressemblent aux écureuils et en ont absolument les habitudes, Le GRAND GuerLiNGUET (Macroœus æstuans, Less. Soiurus æstuans, Desu. Myoœus querlingeus, Suaw) est à peu près de la même cou- leur que l’écureuil commun, dont il a les formes; son pelage est d'un gris olivâtre lavé de roussätre en dessus, d’un roux pâle en dessous ; la queue est plus longue que le corps, nuancée de noir, de brun et de fauve; ses moustaches sont noires et ses oreilles manquent de pinceau. Il se trouve aussi souvent à terre que sur les arbres, vit de fruits de palmiers, et habite la Guyane et le Brésil. Le Perir GUERLINGUET (Macroæus pusillus, Less. Sciurus pusillus, Georr. — Des. Le Rat des bois de Cayenne) n’a guère plus de trois pouces (0,081) de longueur, non compris la queue, qui en a un peu moins. Son pelage est d'un gris brun olivâtre, plus clair sur les parties inférieures ; le museau est fauve; la queue est cou- verte de poils mélangés de brun et de fauve; ses oreilles man- quent de pinceau, et ses moustaches sont noires, Il est assez commun à Cayenne. Le Touraye ( Macroæus loupar, Less, Sciurus bivittatus, Des. Sciurus afjinis, RarrL.) est un peu plus gros que notre écureuil ; son pelage est d’un brun noir, piqueté de jaunâtre sur le dos; le dessous est d’un roux brillant; il a sur les flancs une ligne blanche, et au-dessous, la touchant, une ligne noire ; sa queue est rousse à l'extrémité. IL vit sur les cocotiers, à Sumatra, 11 me paraît appartenir au genre funambulus, Le Giner (Macroæus albovittatus, Less, Sciurus dschinschicus, SonxEraT. Sciurus ginginianus, SuAW. Sciurus erythropus, Georr. Sciurus Levaillantii, KuuL. Sciurus setosus, Forsr., me paraît être un Zamia). Il est roussâtre en dessus, blanc en dessous, avec une ligne blanche de chaque côté du corps; sa queue est variée de noir et de blanc; ses oreilles manquent de pinceau; ses ongles sont très-longs, comprimés et arqués. Il habite le cap de Bonne- Espérance, et il a dans l'Inde trois variétés : 4° à queue brune ou roussâtre à sa base, noire à l'extrémité; 2 à pelage d'un gris terreux en dessus, beaucoup plus clair en dessous, et queue en- tièrement noire; 5° à dessus du corps et queue mélangés de jau- nâtre et de brun; ventre d'un blanc sale; oreilles très-courtes et bandes blanches sur les flancs. Il est à peu près de la taille de notre écureuil. Le Lary (Macroxus insignis, Less. Sciurus insigñis, Fr. Cuv.) a le pelage d’un gris brun en dessus, avec trois lignes longitu- dinales noires ; le menton, le cou et le ventre sont blanes; la tète est grise; les flancs et l'extérieur des membres sont roux; la queue est brune, Il habile Sumatra, Celui-ci et le précédent appartiendraient au genre Tamia, selon M, Gervais. Le GUERLINGUET À QUEUE ANNELÉE (Macroæus annulalus, Less. Sciurus annulatus, Des.) a cinq pouces environ (0,155) de lon- gueur, non compris la queue qui en a six (0,162); son pelage est d'un gris verdâtre clair en dessus, et blanc en dessous; la queue est annelée en travers de noir et de blanc, Il habite le Sénégal. 4e GENRE. Les ANISONYX (Anisonyæ, Ramin.) ont les dents comme les écureuils, et manquent d'abajoues; tous les pieds ont cinq doigts, les deux internes des pieds de devant très-courts ; les pieds sont très-longs et la queue distique. L'ANISONYX BRACHYURE (Anisonyx brachyura, Rarix. Arctomys brachyura , Harc. L’Ecureuil de terre de Lewis et CLarex) a le pe- lage d’un brun tirant sur le gris, un peu piqueté de blanc rous- sâtre; le dessous est d’une légère couleur de brique; la queue est ovale, très-courte, d’un brun rougeâtre en dessus, d’un gris de fer en dessous, bordée de blanc. Cet animal vit de fruits, de racines, et habite un terrier. On le trouve à la Colombie. Le SEWEWEL (Anisonyx rufa, Rar. Arctomys rufa. HARLAN) n’est connu que par une peau dont le pelage est long, soyeux, d'un brun rougeâtre; les oreilles sont courtes, pointues, avec des poils courts. Il habite la Colombie. Harlan pense que ces deux espèces ne sont rien autre chose que des marmottes, et je pen- che assez vers cette opinion. Si elle se justifie par de nouvelles observations , il faudra retrancher les anisonyx du catalogue des mammifères. 5° GENRE, Les POLATOUCHES (Sciuronterus, Fr. Cuy,) ont l’oc- ciput saillant, les frontaux allongés, et la capacité du crâne comprenant les trois cinquièmes de la longueur de la tête; la partie antérieure du profil de la tête est droite jusqu'au milieu des frontaux, où elle prend une direction courbe très-arquée, sans dépression intermédiaire. Leur système dentaire est le même que celui des écureuils; leur queue est aplatie, distique, et leur taille petite, Ils ont la peau des flancs très-dilatée , étendue entre les jambes de devant et de derrière, en manière de parachute. L’Assapanicx (Soiuropterus volucella, Less. Pteromys volucella , Desx. Sciurus volucella, Paz. L’Assapan, Fr. Cuv. Le Polatouche, Burr,) n'a que quatre pouces et demi (0,122) environ de lon- gueur, non compris la queue, qui est presque aussi longue que le corps, Son pelage est d'un gris roussâtre en dessus, blanc en dessous; la membrane deg flancs est simplement lobée derrière les poignets. Cet animal est triste et fort timide. Buffon, ayant confondu cette espèce avec la suivante, lui a donné le nom que cette dernière porte en Russie, tandis que l'assapanick n'habite que le Canada et les États-Unis, jusqu'en Virginie, C'est un animal nocturne, comme tous ceux de son genre, dormant le jour dans un nid de foin ou de feuilles sè- ches qu'il s’est fait au fond d'un trou d'arbre, et n’en sortant que la nuit pour se mettre en quête de sa nourriture. Alors seu- lement il devient très-vif et d’une agilité surprenante. Grâce à la membrane qui s'étend entre ses pattes, il peut franchir, d'un arbre à l’autre, une distance prodigieuse, de plus de quarante à cinquante pas, si l’on s’en rapporte aux voyageurs. Il se nourrit de graines et de bourgeons de pins et de bouleaux ; il vit par petites troupes, et ne descend jamais de dessus les arbres. Son naturel est doux, tranquille; il s’apprivoise assez facilement, mais il ne s’atlache jamais, et perd rarement l’occasion de re- prendre sa liberté; aussi est-on obligé de le conserver dans une cage. On le nourrit de pain, de fruits et de graines, mais il re- fuse les amandes et les noix, si recherchées par les écureuils. A la ménagerie, ceux qu’on a conservés se tenaient constam- ment, pendant le jour, cachés dans un lit qu'ils se faisaient avec le foin de leur litière. En 1809, cette espèce s’est reproduite à la Malmaison, chez l'impératrice Joséphine, et la femelle a mis bas trois petits. Le Porarouxa (Sciuropterus sibiricus, Less, Sciurus volans, Lin. Pteromys sibiricus, Desm.) est plus grand que le précédent et le suivant ; son pelage est d’un gris cendré en dessus, blanc en des- sous; ses membranes des flancs n’offrent qu'un seul lobe arrondi derrière le poignet; sa queue est moitié moins longue que son corps. On en connaît une variété entièrement blanche. On le trouve dans les forêts de pins et de bouleaux de tout le nord de l'Europe. Il a les mêmes habitudes que le précédent, mais sa vie est solitaire. Le SciUROPTÈRE FLÈCHE (Sciuroplerus sagitla, Less. Sciurus sagitta, G. Cuv. Pteromys sagitta, Des. Est-ce un Pteromys? Je le crois.) a cinq pouces et demi (0,149) de longueur, non compris la queue, qui en a cinq (0,155), Son pelage est d’un brun foncé en dessus, blanc en dessous; il a un angle saillant à la membrane des flanes, près des poignets; sa queue est d’un brun assez clair, Il habite Java, L'espèce unique décrite par Horsfield, sous les noms de Pteromys lepidus et genibarbis, est très-voisine de celle- ci, si ce n’est une simple variété, Elle est également de Java. 6° Genre, Les PTEROMYS (Pteromys, G. Cuv.) ont les membres : MARMOTTES. 219 engagés dans la peau des flancs, comme les précédents, dont ils ont aussi la formule dentaire; mais leur queue est ronde, non distique ; la partie postérieure des os du nez est un peu bombée ; les frontaux sont fortement déprimés dans leur milieu et se relè- vent ensuite légèrement; les parties postérieures de la tête ne commencent à se courber en bas, d'une manière sensible, qu'à partir du milieu des pariétaux ; la boîte du crâne est petite, et ne prend que la moitié de la longueur de la tête. Le TaGuaAN (Pleromys petaurista, Desm. Sciurus petaurista, PALL. Le Grand Ecureuil volant, Burr.) a environ un pied et demi (0,487) de longueur, non compris la queue, qui a vingt à vingt ——_—_—_— et un pouces (0,564 à 0,569). Son pelage est brun, pointillé de blanc en dessus, gris en dessous, excepté au cou, qui est brun; les cuisses sont un peu roussâtres , et la queue est presque noire ; la membrane des flancs forme un angle derrière le poignet. Cet animal nocturne habite les Moluques et les Philippines. Il a les mêmes habitudes que les polatouches. Le Prenomys ÉCLATANT (Pteromys nitidus, Georr. — Des.) res- semble au précédent , au pelage près, qui est d’un brun marron foncé en dessus, et d’un roux brillant en dessous ; sa queue est presque noire, et le dessous de sa gorge est brun. Il habite Java A la suite de cette espèce on placera le Pteromys leucogenys, de Temmink. Il se trouve au Japon. LES MARMOTTES ont dix mâchelières supérieures et huit inférieures , toutes tuber- culées ; les incisives sont pointues; leur tête est grosse et leur queue courte ou moyenne. 7eGENRE. Les MARMOTTES (Arctomys, Gue.) ont vingt-deux dents, savoir : quatre incisives; pas de canines; dix molaires supérieures et huit inférieures ; leur corps est trapu ; leur tête large et aplatie; leurs jambes sont courtes, ainsi que la queue, qui est velue; elles manquent d’abajoues, et leurs ongles sont robustes et com- primés. La MARMOTTE DES ALPES (Arctomys marmotta, GuL.). Cet animal, célèbre par son sommeil léthargique , a plus d’un pied (0,525) de longueur, sans comprendre la queue, qui est assez courte et noirâtre à l'extrémité; son pelage est d'un gris jaunûtre, teinté de cendré vers la tête, dont le dessus est noirà- tre ; les pieds sont blanchätres, et le tour du museau d’un blanc grisètre. La marmotte vit en petites sociétés sur le sommet des monta- gnes alpines de toute l'Europe, près des glaciers; elle est assez commune dans les Alpes et dans les Pyrénées. Elle est fort douce de caractère, s’apprivoise aisément, et même s'attache à son maître jusqu’à un certain point. Lorsqu'elle est devenue familière dans une maison, et surtout quand elle se croit appuyée par son maître, elle montre un courage qui ne le cède en rien à celui de tous les autres animaux domestiques , et elle n'hésite pas à atta- quer les chats et les plus gros chiens pour les chasser de la place qu'elle s’est adjugée au coin du feu. Ruffon dit « qu’elle apprend aisément à saisir un bâton, à gesticuler, à danser, et à obéir à la voix de son maître ; » en un mot, qu’elle est susceptible d’édu- cation, et c’est ce que je ne crois pas. Il est vrai que les jeunes Savoyards qui montrent des marmottes au peuple leur font faire quelques exercices; mais, si on se donne la peine de les regarder sans prévention, on verra que ces tours ne sont jamais que le résultat des tiraillements de la chaîne par laquelle on les tient, et de la manœuvre du bâton qu’on leur passe entre les jambes. L'éducation n'est pour rien dans tout cela, du moins, je ne l’ai jamais vu autrement. En captivité on la nourrit avec tout ce que l'on veut, de la viande, du pain, des fruits, des racines, des herbes potagères, des choux, des hannetons, des sauterelles, etc., mais ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est le lait et le beurre. Quoique moins prédisposée au vol que le chat, si elle peut se glisser furtivement dans une laiterie, elle manque rarement de le faire, et en se gorgeant de lait à n’en pouvoir plus, elle ex- prime le plaisir qu’elle éprouve par un petit murmure particulier fort expressif. Ce murmure, quand on la caresse ou qu’elle joue, devient plus fort, et alors il a de l’analogie avec la voix d'un petit chien. Quand, au contraire, elle est effrayée, son cri devient un sifflement si aigu et si percant, qu'il est impossible à l'oreille de le supporter. D'une propreté recherchée, elle se met à l'écart, comme les chats, pour faire ses ordures; mais, ainsi que le rat, elle exhale une odeut qui la rend très-désagréable pour certaines personnes, Ce qu'il y a de plus étonnant dans la marmotte soumise à la domesticité, c'est qu'elle ne s’engourdit pas l'hiver, et qu'elle est tout aussi éveillée au mois de janvier qu’en été, pourvu qu’elle habite les appartements. A l'état sauvage, la marmotte montre assez d'industrie, sans pour cela avoir une intelligence très-remarquable. Sur les mon- tagnes, elle établit toujours son domicile le long des pentes un peu roides regardant le midi ou le levant: elles se réunissent plusieurs ensemble pour se creuser une habitation commune , et elles donnent à leur terrier la forme invariable d’un —< grec cou- ché, La branche d'en haut a une ouverture par laquelle elles en- trent et sortent : celle d'en bas, dont la pente va en dehors, ne leur sert qu'à faire leurs ordures, qui, au moyen de cette pente, sont facilement entraînées hors de l'habitation. Ces deux bran— ches, assez étroites, aboutissent toutes deux à un cul-de-sac pro- fond et spacieux, qui est le lieu du séjour, et cette partie seule est creusée horizontalement, Elle est tapissée de mousse et de foin, dont ces animaux font une ample provision en été. « On assure même, dit Buffon, que cela se fait à frais ou travaux com- muns ; que les unes coupent les herbes les plus fines ; que d’au- tres les ramassent, et que tour à tour elles servent de voitures pour les transporter au gite; l’une, dit-on, se couche sur le dos, se laisse charger de foin, étend ses pattes en haut pour servir de ridelles, et ensuite se laisse traîner par les autres qui la tirent par la queue, et prennent garde en même temps que la voiture ne verse. » Ce qui a donné lieu à ce conte de chasseur, c’est que l'on trouve beaucoup de marmottes qui ont le poil rongé sur le dos, et, selon l'usage, on a mieux aimé inventer un conte merveil- leux pour expliquer ce fait, que de n’y voir que l'effet fort sim- ple du frottement souvent répété du dos contre la paroi supé- rieure d'un terrier fort étroit. Les marmottes passent la plus grande partie de leur vie dans leur habitation; elles s’y retirent pendant la nuit, la pluie, l’orage, le brouillard, n’en sortent que pendant les plus beaux jours, et ne s’en éloignent guère. Pendant qu'elles sont dehors à paître ou à jouer sur l'herbe: l’une d'elles, postée sur une roche voisine, fait sentinelle et ob- serve la campagne; si elle aperçoit quelque danger, un chasseur, un chien ou un oiseau de proie, elle fait aussitôt entendre un long sifflement, et, à ce signal, toutes se précipitent dans leur trou. Dès que la saison du froid commence à se faire sentir, les mar- mottes, retirées dans leur terrier, en bouchent les deux ouver- tures avec de la terre gàchée, et si bien maconnée, qu'il est plus facile d'ouvrir le sol partout ailleurs que dans l'endroit qu’elles ont muré. Elles se blottissent dans le foin et la mousse qu’elles y ont entassés à cet effet, et tombent dans un état de léthargie d'autant plus profond que le froid a plus d'intensité. Elles restent 220 LES RONGEURS. a dans cet état de mort apparente jusqu'au printemps prochain, c'est-à-dire depuis le commencement de décembre jusqu’à la fin d'avril, et quelquefois depuis octobre jusqu'en mai, selon que l'hiver a été plus ou moins long. Lorsque les chasseurs vont les déterrer, ils les trouvent resserrées en boule et enveloppées dans le foin. Ils les emportent tout engourdies, ou même ils les tuent sans qu'elles paraissent le sentir. Ils mangent les plus grasses, et souvent ils conservent les jeunes pour les donner à de pauvres enfants qui viennent les montrer en France et déguisent ainsi leur mendicité. Pour faire sortir ces animaux de leur engourdis- sement, les rendre à la vie et rappeler toute leur vivacité, il ne s’agit que de les placer devant un feu doux, et de les y laisser jusqu’à ce qu'ils se soient réchauffés. Leur chair serait fort bonne si elle était sans odeur; mais il n’en est pas ainsi, et ce n’est qu'à force d’assaisonnements épicés que l’on parvient à la déguiser. bruns en dessus, et roux en dessous ; il a quelques teintes rousses vers la tête; la queue et la gorge sont roussâtres; le tour des yeux est brun, et le bout du museau d’un gris argenté. Le bobak habite la Pologne et l’Asie septentrionale jusqu'au Kamtschatka. IL a les mêmes habitudes que notre marmotte, mais, vivant dans des pays plus froids, il ne creuse son habitation que sur des col- lines peu élevées, à l'exposition du midi. Le Moxax (Arctomys monax, Gur. Cuniculus bahamensis, Caresr. La Marmotte du Canada, ou le Monax, Burr. Le Sifleur de quel- ques voyageurs) a quatorze ou quinze pouces (0,379 à 0,406) de longueur, non compris la queue; il est brun en dessus, plus pâle en dessous et sur les côtés; le museau est d'un gris bleuâtre et noirâtre; les oreilles sont arrondies; les ongles longs et aigus; la queue, longue comme la moitié du corps, est couverte de poils noirâtres. Cet animal, de la taille d’un lapin, habite toute l'Amé- es S ne til Les Marmottes. * Cependant, j'ai mangé des marmottes fumées qui avaient entiè- rement perdu cette odeur et qui étaient d’un goût excellent, La marmotte ne produit qu'une fois par an, et sa portée or- dinaire n’est que de quatre ou cinq petits dont l'accroissement est rapide; elle ne vit guère que neuf à dix ans. Nous termine- rons cet article par une observation qui se rapporte à tous les animaux sujets à l'engourdissement hibernal. La léthargie, chez eux, n'est rien autre chose qu'un sommeil profond, mais natu- rel, qui ralentit toutes les fonctions, mais n’en suspend aucune. Quel que soit le froid qu’aient à supporter ces animaux sortis de leur état normal, soit par l'effet de la maladie, soit par toute autre cause, ils pourront mourir gelés, mais ils ne s’engourdi- ront pas. Il en résulte que, lorsque l'hiver est très-rigoureux et le froid excessif, les animaux engourdis se réveillent, souffrent beaucoup, et finissent par mourir gelés si la température ne change pas après un certain temps. Il en résulte encore qu'une excessive chaleur de l'été, comme celle des tropiques, peut ame- ner l'engourdissement tout aussi bien que le froid. Beaucoup d'animaux, les reptiles par exemple, s’engourdissent l'hiver dans les pays tempérés, et l'été dans les pays chauds. Le Ropak (Arciomys bobac, Gui. — Desm, La Marmotte de Polo- gne ou Bobac, Burr. — G. Cuv.) est de la même grandeur que la précédente ; son pelage est d’un gris jaunâtre, entremélé de poils rique septentrionale, et particulièrement l'intérieur des États Unis. Il se plaît dans les rochers, et a les mêmes mœurs que la marmotte des Alpes. La Marmorre pe Quépec (Arctomys empetra, Gur. Mus empetra , Paz. La Marmotte du Canada, de V'Encyel. méthod. L’Arctomys melanopus, de Kunr?) est d’un brun noirâtre, piqueté de brun en dessus; d’un roux ferrugineux en dessous ; le sommet de la tête est d’un brun uniforme, passant au brun rougeûtre sur l’oc- ciput; les joues et le menton sont d’un blanc grisâtre sale ; la poitrine et les pattes de devant d’un roux vif; la queue est courte, noirâtre au bout. Elle habite particulièrement le Canada et les environs de la baie d'Hudson. La MarmoTTE FAUVE (Arctomys fulva, Evers.) a beaucoup d’ana- logie avec le bobak; elle a treize pouces (0,552) de longueur, non compris la queue, qui en a trois (0,081); son pelage est d'un jaune brun luisant, avec un duvet interne d’un gris cendré ; ses doigts, et surtout le pouce, sont très-minces et très-allongés. Elle habite les montagnes entre Orembourg et Boukkara. Cette espèce , ainsi que les marmottes Mugosaricus, Leptodac- tylus, et le spermophile Citillus, composent aujourd'hui le genre Citillus, Licusr. La MarmorTEe POUDRÉE ( Arctomys pruinosa , GmL, — SABINE ).est de la grosseur d’un lapin; son pelage, long et dur, est formé de - MARMOTTES. 2 CT re poils cendrés à leur racine , noirs au milieu , blanchâtres à leur extrémité, ce qui donne une couleur générale de gris blanchâtre ; le bout du nez, les pattes et la queue sont noirs, cette dernière mélangée de roux; les oreilles sont courtes, ovales; les joues blanchâtres; le dessus de la tête est brun. Elle habite le nord de l'Amérique. Elle me paraît appartenir aux spermophiles. luisant en dessus, blanc en dessous, d’un gris brun sur le sommet de la tête; elle a une tache blanche entre l'œil et le nez, et un trait noir sur la face. La queue est d’un noir luisant en dessous, bordée de blanc. Elle habite Caraghata, près de Boukkara. Le Guxni (Arctomys gundi, GuL. Mus gundi, Rorux.) est de la taille d’un lapin ; ses oreilles sont très-courtes, mais larges; son Se No BEM -EEsr &e A —— Les Hélamys, vue du cap de Bonne-Espérance. La MARMOTTE MUGOSARIQUE ( Arclomys mugosaricus , EVERSM.) a huit pouces (0,217) de longueur , non compris la queue, qui n’en a qu'un (0,027). Son pelage ressemble à celui du souslik, mais l'animal en diffère principalement par sa plante des pieds large et courte, égalant la dixième partie de la longueur du corps. Elle habite dans les montagnes de Monghodjar, près Boukkara. La MARMOTTE AUX DOIGTS LISSES (Arctomys leptodactylus, EYERS».) est longue de huit pouces (0,217), non compris la queue, qui a deux pouces et demi (0,068). Son pelage est serré, d'un jaune pelage est roussâtre; il n’a, dit-on, que quatre doigts à chaque pied. Il habite l'Afrique. Le Maux (Arctomys maulina, Spaw. Mus maulinus, MorinA) serait, selon Molina, deux fois plus grand que notre marmotte ; son museau est plus long, plus effilé; sa queue moins courte; ses oreilles sont pointues, et il a cinq doigts à chaque patte. Il habite le Chili. La Marmorre DE Circassie ( Arctomys Circassiæ, PENN. Mus tscherkessicus, ErxL.) est de la taille du hamster; ses yeux sont 222 LES RONGEURS. rouges et brillants: son pelage est châtain; sa queue est assez longue et pointue; ses jambes de devant sont plus courtes que celles de derrière. Peut-être est-ce un gerbille? Elle habite des terriers le long du fleuve Térek. Ces trois dernières espèces ont été si mal décrites par les auteurs qui les ont observées, qu'on doit les regarder comme fort douteuses. 8e Genre. Les SPERMOPHILES (Spermophilus, Fr. Cuv.) ont la même formule dentaire que les écureuils, avec lesquels ils ont autant d’analogie qu'avec les marmottes; leurs molaires sont étroites; un hélix borde leur oreille; leur pupille est ovale ; leurs abajoues sont grandes ; leurs doigts de pied sont étroits et libres ; ils ont le talon couvert de poils, et les doigts des pieds de der- rière sont nus. Le Jevrascaka ou Sousuik (Spermophilus citillus, Liss. Arctomys citillus, Desm. Mus citillus, Li. Le Zizel et le Souslick, Burr. La Marmotte de Sibérie, Burr.) a environ un pied (0,525) de longueur, non compris la queue, qui n’a guère que trois pouces (0,081); son pelage est d'un gris brun en dessus, ondé ou tacheté de blanc par gouttelettes, blanc en dessous. On en connaît plusieurs va- riétés, dont Buffon a fait autant d'espèces : 1° le souslik, à pelage tacheté; 2 le zizel, à pelage ondulé ; 5° la marmotte de Sibérie, à pelage d’un brun jaunâtre uniforme. Le jevraschka vit solitaire dans le nord de l'Europe et de l'Asie, ainsi que dans la Perse, l’Inde et la Tartarie. Il se creuse un ter- rier comme la marmotte, et y passe l'hiver dans un engourdisse- ment complet. Lorsqu'on l'irrite, ou qu'on veut le prendre, il pousse un cri comme la marmotte, et mord violemment. En man- geant il se tient assis, et porte les aliments à sa bouche avec les pieds de devant. Il entre en amour au printemps, et, en été, la femelle met bas cinq ou six petits, qu’elle allaite dans son terrier. Ces animaux se nourrissent de graines, et, si l’on en croit Buffon, ils dévastent les récoltes de blés et s’'amassent des provisions pour l'hiver. Leur fourrure est assez estimée. Le SPERMOPHILE DE RicHarpsoN (Spermophilus Richardsonii, Less. Arctomys Richardsonii, Saine. La Marmotte tannée d'Amé- rique, des voyageurs) a le sommet de la tête couvert de poils courts, noirâtres à la base, plus clairs à la pointe; le museau est aigu, couvert de poils brunâtres; les oreilles sont courtes, ova- les; la queue médiocre, à poils longs, annelés de brun et de noir, fauves à la pointe; le pelage est uniformément fauve, à poils bruns à la base; la gorge est d’un blanc sale; le ventre est plus clair que le dos, et des taches ferrugineuses sont éparses cà et là. Elle habite le nord de l'Amérique, et a été trouvée aux environs de Carlston-House. Le SPERMoPHILE be Hoop (Spermophilus Hoodii, Less. Arctomys Hoodii, SaniNe. Sciurus tridecemlineatus, Des.) a environ cinq pouces (0,135) de longueur, non compris la queue, qui n’en a que trois (0,081); son corps est mince et son museau pointu; son pelage est d’un châtain foncé en dessus, avec une ligne médiane blanchâtre, moitié continue et moitié formée de petites taches : de chaque côté de cette ligne en sont trois autres non interrom- pues, alternant avec trois séries de taches blanchâtres ; le dessous du corps est d’un blanc jaunâtre, Il habite les forêts des sources du Meschasabé ; on ignore ses habitudes. Le SPERNOPHILE DE Frankuin (Spermophilus Franklinit, Less. Arctomys Franklinii, Same. La Marmotte grise d'Amérique) a dix pouces (0,271) de longueur totale ; elle a la gorge d’un blanc sale ; son pelage est d'un gris jaunâtre varié, où brunâtre piqueté de blanc jaunâtre, couleur produite par ses poils bruns à la base , d’un blanc sale au milieu, annelés de noir, et terminés de blanc jaunâtre : ceux du ventre sont noirâtres à leur origine, d’un blanc sale à leur extrémité; la queue est annelée de blanc et de noir; le museau est très-obtus, et les oreilles sont assez longues. JL habite le nord de l'Amérique. Le SPERMOPHILE DE Parry ( Spermophilus Parryi, Less. Arcto- mys Parryi, Racuaros. L'Écureuil de terre, HEARN. ) a cinq doigts aux pieds de devant, et des abajoues; son museau est conique ; ses oreilles sont très-courtes ; sa queue est noire au bout, longue ; il a le corps tacheté en dessus de plaques blanches et noires con- fluentes, et le ventre d’un roux ferrugineux. 11 habite le nord de l'Amérique. Le Wisrouwiscx (Spermophilus ludovicanus, Less. Arctomys ludoviciana, SAx. Arctomus missouriensis, Wanp. Cynomis socialis, Rain. Le Chien des prairies, Lewis et CLARK) a seize pouces (0,453) de longueur : son pelage est d’un rouge brun ou d’un brun rous- sâtre sale et pâle, entremêlé de poils gris et de poils noirs; sa tête est large, déprimée en dessus; il a les yeux grands, les oreilles courtes et comme tronquées; tous les pieds ont cinq doigts; sa queue, assez courte, a une bande brune vers son ex- trémité. Cet animal a recu des Américains le nom singulier de Chien des prairies, non pas qu'il ait quelque analogie de mœurs ou de for- mes avec les chiens, mais parce qu’on a cru trouver de l’analogie avec l’aboiement de ces derniers animaux et son cri. Selon Har- lan, ce cri s’imite assez bien, en prononçant avec une sorte de sifflement la syllabe fcheh. Cette espèce est très-commune dans la province du Missouri, où elle vit en troupes plus ou moins nombreuses, chaque famille occupant un terrier qui lui est ex- clusif ; il en résulte que ces terriers sont très-rapprochés et for- ment comme des sortes de garennes auxquelles les habitants du pays donnent le nom de villages. Quelques-uns de ces villages ont une petite étendue, mais il en est d’autres qui ont jusqu'à plusieurs milles de circuit. Du reste, les habitudes de ce spermo- phile sont à peu près les mêmes que celles de la marmotte des Alpes. Le SPERMOPHILE Gris (Spermophilus griseus, Less. Cynomys gri- seus, RariN.) a environ dix pouces et demi (0,285) de longueur ; son pelage est fin, entièrement gris; ses ongles sont longs. Cette espèce douteuse habiterait les bords du Missouri. Je la regarde comme une variété de la précédente. A la suite des spermophiles nous placerons un genre assez hé- téroclite, composé d’une seule espèce, dont on a fait une famille sous le nom d’ulacodées. L'animal qui la compose ressemble aux marmottes par la forme des dents, mais il se rapproche des pores-épics par plusieurs autres caractères, et particulièrement par les soies dures et longues de son pelage. 9e Genre. Les ULACODES ( Aulacodus, Temx.) ont douze dents pendant leur jeunesse et seize dans l’âge adulte, savoir : deux incisives supérieures fortement cannelées, ayant chacune deux sillons ; deux inférieures lisses et tranchantes ; point de canines ; quatre ou six molaires ayant deux sillons profonds et trois émi- nences à la mâchoire supérieure ; quatre ou six molaires à la mà- choire inférieure, la première de chaque côté ayant trois sillons et quatre éminences ; le museau est court, large, obtus, sans abajoues ; ils ont quatre doigts à tous les pieds, et un cinquième, rudimentaire, caché sous la peau; leur queue est entièrement poilue; leurs oreilles sont grandes, à conque garnie de replis internes. L'ULACODE SWINDERIEN (Aulacodus swinderanus, TEu.) à huit pouces et quart (0,224) de longueur, c’est-à-dire qu'il est un peu plus grand que le campagnol aquatique (Hipudœæus amphibius). Ses oreilles sont nues, très-grandes, en demi-cercle; la queue, à peu près grande comme la moitié du corps, est garnie de poils courts ; le pelage est grossier, formé de soies dures et longues, annelées de jaunâtre et de brun foncé; le dessous du corps est d’un blane jaunâtre uniforme ; la queue se termine par un flocon de poils. La patrie et les mœurs de cet animal sont inconnues ; mais il est probable qu'il vit dans un terrier, comme les mar- molles. = ———— —— — — RATS-TAUPES. 223 LES RATS-TAUPES ont au plus seize molaires; leurs incisives inférieures sont tron- quées, en coin, c’est-à-dire à tranchant transverse rectiligne et non en pointe ; les ongles, des pieds de derrière au moins, sont plats. 10e Genre. Les RATS-TAUPES (Spalax, Gun.) ont seize dents, savoir: quatre incisives, en forme de coin; six molaires en haut et six en bas, simples, à tubercules mousses ; leur corps est cy- lindrique: leurs pieds courts, les antérieurs propres à fouir la terre, tous munis de cinq doigts; leurs yeux sont excessivement petits, cachés sous la peau; enfin leur queue est nulle ou très- courte. Le Zeuni (Spalaæ typhlus, Guuv. Aspalaæ typhlus, Desw. Spalaz major. ErxLes. Spalaæ microphthalmus, Guivensr. Mus typhlus, Lis. Le Zemmi, le Slepes, le Rat-Taupe, et la Taupe aveugle des voyageurs) a jusqu'à huit pouces (0,217) de longueur, c’est- à-dire qu'il est à peu près de la taille du rat commun; son pelage est fin, serré, d'un gris cendré lavé de roussâtre, ou ferrugineux, quelquefois ayant des taches blanches irrégulières ; sa tête est grosse, anguleuse sur les côtés; il manque de queue. Le zemni était connu des Grecs, qui lui donnèrent le nom d’aspalax et remarquèrent fort bien qu'il est aveugle. Les auteurs latins qui vinrent après traduisirent ce mot aspalaz par celui de talpa , taupe , parce qu'ils ne connaissaient pas le zemni, et de là est venue cette erreur populaire que la taupe est aveugle. Quoi qu'il en soit, ainsi qu'elle, le zemni habite de longues galeries souterraines, d’où il ne sort que très-rarement. En creusant son habitation, il trouve sa nourriture, consistant en racines bul- beuses, et principalement en celles du cerfeuil bulbeux (Chæro- phyllum bulbosum) qu'il aime beaucoup. C’est particulièrement dans les terres humides, où cette plante croît abondamment, que cet animal aime à fixer sa résidence. Dans le temps des amours, c’est-à-dire depuis le printemps jusqu’au milieu de l'été, il se hasarde quelquefois à sortir de son trou pour aller chercher sa femelle, mais il le fait avec beaucoup de prudence. Il marche avec inquiétude, s'arrête de temps en temps, la tête haute, non pour voir le danger, puisqu'il n’a pas d’yeux, mais pour écouter, car, en compensation de la vue, qui lui serait à peu près inutile dans son habitation souterraine, la nature lui a donné une ouïe d’une finesse extrême. Au moindre brait il fuit avec vitesse, tan- tôt en avant, si le danger lui paraît venir derrière lui, tantôt à reculons, et il est aussi agile dans cette singulière démarche que s’il courait devant lui. Est-il attaqué, il se défend de la griffe et des dents, avec un courage extraordinaire, et il ne cesse de combattre qu’en mourant. La femelle fait de deux à quatre petits, qu'elle élève avec soin et qu’elle allaite avec ses deux mamelles. Cet animal habite l'Asie-Mineure, la Perse, la Russie méridionale jusqu'au nord de la mer Caspienne. Il est fort gras en automne, et pèse jusqu'à un kilo et demi, Le Suxerkax (Spalax talpinus, Lemnus talpinus, Des. Mus talpinus, Ge. Spalax minor, ErxLes., Lemmomys talpinus, Less.) n’a guère que trois pouces (0,081) de longueur; son pelage est d’un gris brun en dessus, blanchâtre en dessous. 11 a une petite queue. On en connaît une variété à pelage noir. Il se creuse des galeries comme le précédent, et n’en sort que la nuit. Il se nour- rit principalement de bulbes de gesse tubéreuse (Lathyrus tube- rosus), de phlomis tubéreux (Phlomis tuberosus), et d'oignons de tulipes. Dans le temps de ses amours, il répand une odeur mus- quée assez forte. IL habite la Russie méridionale, la Tartarie et la Bukkarie. Le RAT-TAUPE A BANDES (Spalat vitiatus. Spalax trivittaia, Rariw:) est long de sept pouces (0,189) et a la forme d’un cochon d'Inde; ses oreilles sont petites, ovales, un peu pointues; il manque absolument de queue; son pelage est fauve en dessus, avec trois bandes longitudinales larges et brunes; le dessous du corps est blanc. Il habite le Kentucky, aux États-Unis d'Amé- rique. Le Zocon (Spalaæ =ocor. Lemnus =ocor, Dess. Mus aspalax, Lix. —Pauz. Siphneus aspalax , Braxpr.), plus petit que le zemni, a le pelage d'un gris roussâtre, mélangé de gris clair et de brun à la racine, passant au blanchâtre en dessous; sa queue est très- courte, pointue, couverte de poils de mème couleur que le dos; le corps est raccourci, ventru. Il a les mêmes habitudes que les précédents, et se nourrit principalement des bulbes du lis pom- pon (Lilium pomponium) et de l'érythrone dent-de-chien (Ery- thronium dens-canis), Il habite la Daourie et les monts Altaïs. 41e Genre, Les BATHYERGUES (Zathyergus, ILxic.) ont seize dents, savoir : quatre incisives en coin, et douze molaires; leurs pieds de devant sont munis d'ongles robustes propres à fouiller la terre ; leurs yeux sont extrêmement petits, mais découverts; leur queue est très-courte. Le Cricer (Bathyergus capensis, DEsw. Mus capensis, GuL.— Paz. Le Petit rat-taupe du Cap, Burr.) est de la grandeur d'une taupe; son pelage est brun ; il a le bout du museau blanc, avec une tache blanchâtre autour de l'oreille, une autre autour de l'œil , et une troisième sur le vertex. Il habite les environs du cap de Bonne-Espérance, et il y fouille la terre à la manière des taupes. Le BATHYERGUE HOTTENTOT (Bathyergus hottentotus, Less. et Garx.) est moitié plus petit que le précédent, et a quatre pouces six lignes (0,122) de longueur; son pelage est d’un brun gris, passant au cendré en dessous; sa queue, excessivement courte, est bordée de poils distiques. Il habite les environs du cap de Bonne-Espérance, près la Péarl. 12e Genrs. Les ORYCTÈRES (Orycterus, Fr. Cuv.) ont vingt dents, saÿoir : quatre incisives, ayant un sillon longitudinal très- profond; point de canines; huit molaires en haut et huit en bas. Leur museau, plus allongé que dans le genre précédent, est terminé par un boutoir; leur queue est plate. L'ORYCTÈRE DES DuNES (Orycterus maritimus, Less. Bathyergus maritimus, DEsm. Mus maritimus, Gu. La Grande Taupe du Cap, Burr. Le Rat-taupe des dunes, G. Cuv.) est presque aussi grand qu'un lapin. Son pelage est d’un gris blanchâtre; sa queue est grise, à poils roides, Cet animal , qui vit à la manière des taupes, fouille tellement la terre dans les environs du Cap de Bonne- Espérance, où il habite, qu’il est souvent dangereux de se pro- mener à cheval dans les cantons où il est commun. Il se nourrit de racines et d'oignons de plantes bulbeuses. 49e Genre. Les CTÉNOMES (Ctenomys, BLainv.) ont vingt dents, savoir : quatre incisives fortes, à coupe carrée, à bord large, sans sillon sur leur surface ; huit molaires en haut et huit en bas; leur tête est ovale, peu déprimée ; leurs yeux sont petits; leur corps est assez allongé, un peu déprimé; leurs jambes sont courtes ; leurs pieds ont cinq doigts pourvus d'ongles longs, très-arqués, pointus, propres à fouir la terre; ceux des pieds de derrière plus courts, plus larges, creusés en cuiller en arrière, garnis à leur racine de poils roides en râteau. Le CTÉNOME pu Brésiz (Ctenomys brasiliensis, BLaixy.) est de la taille de notre rat d’eau. Son pelage est doux, fin, court, d'un gris ardoisé à sa base, et d'un brun roussâtre luisant dans tout le reste de son étendue; le dessous est d'un blanc roussâtre; sa 224 LES RONGEURS. queue est médiocre, à poils rares et d’un brun noirâtre. Il habite | avec une ligne de la même couleur dans le pli des aines; ses le Brésil. jambes sont brunes; sa queue, assez mince, est roussâtre à l'ori- gine en dessus, grise en dessous, noire à l'extrémité. 15e Genre. Les HÉLAMYS (Helamys, Fr. Cuv.) ont vingt dents, Le mannet habite les montagnes autour du cap de Bonne- savoir : quatre incisives en forme de coin ; huit incisives à chaque | Espérance. Avec ses ongles puissants il se creuse un terrier ayant Le Rat-Taupe. mâchoire, simples, à deux lames; ils ont le museau épais; les | quelque analogie avec celui d’un lapin, mais un peu plus large. oreilles longues ; les jambes de devant courtes, à einq doigts | C’est là que cet animal se retire pendant le jour, car ses grands armés d'ongles fort longs; les jambes de derrière très-longues, | yeux nocturnes ne lui permettent pas de soutenir l'éclat des à quatre doigts; la queue longue et très-touffue ; quatre mamelles | rayons du soleil. Il dort profondément toute la journée, et il pectorales. semble qu'il y mette une sorte de volupté paresseuse. Assis sur L'Hélamys Mannet. Le Manner ou Lièvre SAUTEUR pu Car (Helamys cafer, Fr. Cuv. | le derrière, le dos appuyé contre la paroi de sa chambre à cou- Pedetes capensis, Des. Dipus cafer , Gur.. Le Grand Gerbo, Burr. | cher, il ploie le dos, courbe la tête et la place entre ses deux Le Berghaas ou Springhaas des habitants du Cap) est à peu près | genoux écartés et mollement pliés; avec ses mains, il prend ses de la grandeur et de la couleur d'un lièvre; il est d’un fauve | deux longues oreilles, les rabat sur ses yeux en manière de ri- jaunâtre clair, varié de noirâtre en dessus, blanc en dessous, | deaux, et par ce moyen aucune distraction ne lui arrive, ni par ï GERBOISES. 225 la vue, ni par l’ouïe. S'il se réveille de temps à autre, c’est pour goûter à ses provisions, et se rendormir bientôt après dans une douce quiétude. Mais quand les premiers voiles de la nuit ont assombri l'horizon, il quitte son attitude somnolente, et pense à faire ses provisions pour le lendemain. I sort de son terrier, et du bord de son trou évente les environs pour s'assurer qu'aucun danger ne le menace. Alors il se hasarde dans la campagne, mais avec précaution, et il ne s'éloigne jamais beaucoup de sa retraite, afin de pouvoir y rentrer promptement s'il aperçoit quelquef objet inquiétant. Lorsqu'il est tranquille, il marche sur ses quatre pattes, et ramasse l'herbe et les graines dont il se nourrit. Il goûte à ses provisions avant de les transporter, et pourfcela, debout sur son derrière, il les porte à sa bouche avec ses pattes de devant, qui font office de bras et de mains. Aper- coit-il un animal carnassier ou un chasseur, il fuit en sautant sur ses jambes de derrière, en conservant sa position verticale et faisant des bonds prodigieux. Dans ce cas, ses jambes de devant sont si exactement appliquées contre son corps, qu'elles disparaissent presque entièrement dans les poils de la poi- trine. Du reste, cet animal, si timide à l’état sauvage, s’apprivoise très-facilement, et, en domesticité, il porte quelquefois la fami- liarité jusqu'à l’insolence. Comme sa chair est assez bonne à manger , les Hottentots et les colons lui font une guerre active. Ils cherchent son terrier, le découvrent avec la pelle et la pioche, et s'emparent de l'animal, qui fait fort peu de résistance, et qui se borne le plus souvent à pousser un petit grognement sourd de colère, si on ne le blesse pas. Quand son terrier est creusé dans des fissures de rochers, on le force à en sortir en le fumant, comme nous faisons ici pour les renards. La Gerboise Alactaga. LES GERBOISES sont remarquables par leurs membres postérieurs beaucoup plus longs que les antérieurs, d’où il résulte qu’au lieu de marcher à quatre pieds elles sautent sur deux; elles ont les incisives infé- rieures pointues, et non cunéiformes ; jamais plus de douze ou quatorze molaires, et tous les doigts libres. 14° Genre. Les GERBOISES (Dipus, Scures. — Gui.) ont dix- huit dents, savoir : quatre incisives, dont les inférieures pointues ; pas de canines; huit molaires en haut et six en bas, simples, à couronne tuberculeuse, la première supérieure n'étant que rudi- mentaire et tombant avec l’âge ; les jambes postérieures sont plus ou moins allongées, et les doigts en nombre variable, mais n'ayant, comme ceux des oiseaux, qu'un seul métatarsien pour tous ; les pommettes sont très-saillantes ; la queue est très-longue, touffue au bout; et ils ont huit mamelles. Tous ces animaux ne marchent qu’en sautant. L’ALACTAGA (Dipus jaculus, Guz. Mus jaculus, Par. Le Mongul, Vico-n'Azvr. Le Morin jalma des Kalmoucks) a environ sept pouces (0,189) de longueur, non compris la queue qui est beau- coup plus longue que le corps, et n’a pas moins de onze pouces (0,208). Il a beaucoup d’analogie avec le gerboa, mais il en dif- fère par un pelage moins fauve, par sa tête plus longue, par ses oreilles presque nues, assez étroites, mais plus longues que la 55. - Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36. 15 tête, et surtout par l'existence des deux petits doigts latéraux aux pieds postérieurs. Sous le nom de Dipus jaculus pygmœæus , Eversmann en indique une variété plus petite habitant le désert entre Orembourg et Bukkara. L’alactaga se trouve dans les déserts de la Tartarie, de la Cri- mée et de la Tauride. Il s’engourdit deux fois par an : en hiver, et alors il a le soin de boucher hermétiquement son terrier avec de la terre délayée, et en été pendant les grandes chaleurs. Il n'amasse aucune provision, et se borne à transporter dans son trou un peu de foin et de mousse pour se coucher dessus pen- dant son hivernage. Nocturne comme les autres animaux de son genre , il ne quitte sa retraite que la nuit pour aller chercher sa nourriture, qui consiste en herbes, en feuilles et en racines, quelquefois en insectes, et même en pelits oiseaux quand il peut les saisir. D'un caractère farouche et féroce, il lui arrive parfois de se jeter sur des individus de son espèce, sur ses propres en- fants même, et de les dévorer s’il est le plus fort. D'un seul bond il franchit une distance considérable, et ses sauts se répètent avec une si grande rapidité, que, selon Pallas, le meilleur cheval de course ne peut le dépasser. La femelle produit plusieurs fois l'année, et chaque fois elle fait un nombre de petits assez consi- dérable. Le Gerso ou Grr5oa (Dipus gerboa , Guc. — Desm. Aus jaculus, 226 LES RONGEURS. ES Lin. Mus sagitla, Pair. Le Gerbo ou Gerboise de Burr. La Gerboise à trois doigts de quelques auteurs) a le corps long de six pouces (0,162), non compris la queue, qui est plus longue que le corps: son pelage est d’un fauve clair en dessus, la pointe des poils étant noire; le dessous du corps est blanc; un croissant de la même couleur se dessine sur chaque fesse ; les oreilles sont de moitié aussi longues que la tête; celle-ci est courte, élargie; les pattes de derrière ont trois doigts, dont celui du milieu le plus long; les pattes antérieures ont un pelit pouce onguiculé, Les jambes sont nues, aussi bien que les oreilles et le museau. Il a été souvent confondu avec le précédent. Le gerbo, que les Arabes nomment jerbuah, habite les lieux sablonneux et déserts de la Barbarie, de l'Arabie et de la Syrie. C'est un animal timide, inquiet, fort défiant, assez doux, et qui néanmoins ne s’apprivoise que jusqu’à un certain point. Ses jam- bes de devant sont trop courtes pour pouvoir lui servir à marcher, aussi ne les emploie-t-il à cet usage que lorsqu'il s'agit de grim- per contre des pentes très-roides ; dans toute autre circonstance, son allure est le saut ; il peut, dit-on, franchir d’un seul bond un espace de dix pieds (3,248), et, dans sa marche ordinaire, il ne saute pas moins de trois à quatre pieds (0,975 à 1,299) chaque fois. Rien n’est curieux comme de voir ce petit animal, lorsqu'on le surprend dans un blé déjà haut, s’élancer à chaque pas qu'il fait au-dessus des épis, paraître et disparaître comme une marion- nette, mais avec une si grande vivacité qu'il est imposible au chasseur le plus habile de pouvoir le tirer. Dans cette circon- stance, il a les pieds antérieurs exactement appliqués contre la poitrine, le corps très-penché en avant, ses longues jambes étendues en arrière, ce qui lui donne une physionomie fort sin- gulière. Les gerboas vivent en troupes quelquefois assez nombreuses, el se creusent des terriers à la manière des lapins; ils y entassent, pendant la belle saison , une assez bonne quantité de provisions, mais pour leur consommation journalière, et pour le temps où des orages ne leur permettent pas de sortir, car ils s'engourdis- sent pendant l'hiver, comme les marmottes. Ils mangent des graines et même de l'herbe; mais leur nourriture favorite, et la plus ordinaire, consiste principalement en petites racines tubé- reuses et en bulbes de plantes liliacées, qu'ils déterrent avec une grande facilité. Pour manger, ils sont assis sur leurs talons, et ils portent leurs aliments à la bouche avec leurs pattes de de- vant; dans le repos, celle-ci sont tellement bien cachées dans les poils de la poitrine qu'on dirait qu'ils n’en ont pas. Ce sont des animaux nocturnes, qui dorment tout le jour dans leur retraite, et qui n'en sortent que la nuit pour aller à la provision. Pendant les premiers jours de l'automne, ils s'occupent à couper et trans- porter des herbes fines et sèches pour composer le lit mollet dans lequel ils doivent passer un court hiver. Dès que les vents froids commencent à se faire sentir, ils s’y retirent, et n’en sortent que lorsqu'une nécessité absolue les y pousse. S'il survient des gelées, ils s’y blottissent et s’y engourdissent. La GERBOISE GÉANTE (Dipus maximus, BLAINY.) est de la gros- seur d'un lapin de moyenne taille; son pelage est d’un gris clair en dessus, blanc en dessous; elle a sur chaque œil une ligne noire, et ces deux lignes se réunissent sur le chanfrein; elle a quatre doigts aux pieds de devant et trois à ceux de derrière, On ne connaît ni ses mœurs ni sa patrie. La GERBOISE BRACHYURE (Dipus brachyurus, BLAINY. us jaculus, var. PALL.) a quatre pouces et demi (0,122) de longueur, sans la queue, qui est seulement un peu plus longue; son pelage est d'un fauve pâle varié de brun en dessus, blanc en dessous: elle a un croissant blanc sur chaque fesse; son museau est blanc à l'extrémité et brun en dessus ; la queue et les membres sont assez épais, les oreilles assez courtes ; les pieds postérieurs ont cinq doigts, dont les trois internes sont d’égale longueur entre eux. Elle habite la Tartarie et la Sibérie. La GERDOISE NAINE (Dipus minutus, Desm. Dipus jaculus, var. mi- nor PaLr.) atteint à peine la taille d’un mulot. Son pelage est d’un gris jaunâtre pâle, varié de brun en dessus, blanc en dessous; ses extrémités sont blanches, ainsi qu'un croissant sur chaque fesse; le museau est d'un gris jaunâtre, et non pas blanc; elle a cinq doigts aux pieds de derrière, à onglet des trois internes d’égale longueur entre eux. Elle habite les bords de la mer Cas- pienne et du Volga. La Grrboise TRAIT (Dipus telum, Evers.) est longue de cinq pouces (0,135), sans la queue, qui en a six (0,162), est bordée de noir, et n'a pas de blanc à son extrémité; elle a trois doigts aux pieds de derrière; les tarses, garnis en dessous de poils noirâtres, durs, médiocrement longs, ont de forts tubereules à la naissance de l’ongle. Elle se trouve aux environs du lac Aral. La GERBOISE À PIED DE LIÈVRE (Dipus lagopus , Evers.) a quatre pouces trois lignes (0,115) de longueur, sans la queue, qui en a autant; celle-ci est terminée par une touffe de poils blancs, et bordée de poils noirs à un pouce de son extrémité; les tarses sont garnis en dessous de poils serrés, longs, roides et blancs, formant la brosse; le pelage est isabelle clair en dessus, blanc en dessous. On la trouve entre Bukkara et Orembourg, près du lac Camexhli. La GERBOISE À QUEUE PLATE (Dipus platurus, EVERS.) a trois pou- ces six lignes (0,095) de longueur, sans Ja queue, qui en a trois (0,081). Ses formes sont les mêmes que celles de la précédente, mais ses oreilles sont longues, sagiltées, terminées par une petite touffe de poils noirs et très-courts; les pieds ont cinq doigts. Elle habite le même pays, près de Kouvan-Deria, 45e Genre. Les GERBILLES (Gerbillus, Des.) ont seize dents, savoir : quatre incisives; point de canines; six molaires en haut et en bas, simples, à couronne tuberculeuse. La pommette des joues n’est pas saillante; les jambes postérieures sont très-lon- gues, à cinq doigts, ayant chacun son métatarsien propre; leur queue est longue, plus ou moins touffue; son pinceau de poils plus longs à l'extrémité. Ils ne marchent qu'en sautant. Le Jin (Gerbèllus meridianus, Des. Mus longipes et Mus meri- dianus, PALL.) a quatre pouces deux lignes (0,113) de longueur, sans la queue, qui en a trois (0,081); son pelage est d’un fauve grisâtre en dessus et d’un blanc pur en dessous, avec une ligne dorsale d’un roux brun; les membres sont blancs; la queue est d'un fauve grisètre uniforme. Les pieds de devant ont un pouce à la vérité fort court, mais onguiculé. Le jird habite les déserts sablonneux et arides qui séparent le Volga de la chaîne des monts Ourals: il est assez commun sur les bords brülants de la mer Caspienne. II se nourrit de graines ‘sèches et de fruits à coque dure, tels que noïseltes, noix, etc., et vit dans un terrier. Toutes les espèces ont les mêmes habitudes. Le GERBILLE DU TAMARISC (Gerbillus tamaricinus , Desm. Mus ta- maricinus, Pac.) est long de six pouces (0,162), sans la queue, qui en a cinq (0,153); son pelage est épais, d’un gris jaunâtre en dessus, blane en dessous; le tour des yeux et du nez est d'un blanc sale, la queue est annelée de gris et de brun; les pieds de derrière ont le pouce plus court que le doigt externe. Il habite les bords de la mer Caspienne, dans un terrier creusé à proximité des marais salins, n’en sort que la nuit, et se nourrit de feuilles de soudes et de tamarises. L'Hérixe (Gerbillus indicus, Des. Dipus indicus ou Yerbua, Hanowicn) est de la taille d’un rat commun; son pelage est mar- ron en dessus et tacheté de lignes brunes longitudinales ; le corps est blanc en dessous; la queue, un peu plus longue que le corps, est brune, terminée par un flocon de poils blancs. Il habite l'In- dostan, vit de graines, et amasse des provisions. Le GEermizce pu Lagranor (Gerbillus labradoricus, SABINE) a qua- tre pouces de longueur (0,108), sans la queue, qui en a deux et demi (0,068) el qui est noire en dessus, blanche inférieurement; ® RATS, 227 le pelage est brun en dessus, blanc en dessous, ces couleurs se fondant insensiblement l’une dans l’autre; les moustaches sont très-fournies , longues et noires. Le GErnILLE DES PyRamIDEs (Gerbillus pyramidum, Isin. GEOFF. Dipus pyramidum, GEorr.) a cinq pouces (0,155) de longueur, non compris la queue , qui en a autant; celle-ci est presque nue, ter- minée par un petit pinceau de poils jaunâtres ; le pelage est d'un jaune roussâtre en dessus, d'un blanc sale en dessous, les pieds antérieurs n’ont que quatre doigts, sans rudiment de pouce. Ce n'est peut-être qu'une variété du gerbille du tamarise, mais dis- tincte de la suivante, avec laquelle Desmarets, Lesson, etc, l'ont confondue. 11 habite les environs des grandes pyramides, en Égypte. Les espèces qui vont suivre ont les jambes postérieures d’une longueur excessive. Le Germizce »'Écyrre (Gerbillus ægyptius, Desu. Dipus Gerbillus, Oziv.) n’est que de la taille d’une souris; comme le précédent, mais de moitié plus petit; ses paltes antérieures ont cinq doigts, sa queue est brune, et ses membres postérieurs sont au moins aussi longs que le corps. Il se trouve dans le même pays. Le GERBILLE AUX YEUX RONDS (Gerbillus megalops, RaAriN.) est long de deux pouces (0,054), sans la queue, qui est plus longue et terminée de blanchâtre ; ses jambes postérieures sont longues de trois pouces (0,081); son pelage est gris; ses oreilles et ses yeux très-grands, et son museau noir. Il habite le Kentucky, en Amérique. Le GERBILLE QUEUE DE L10N ( Gerbillus leonurus, RArIN.) a trois pouces (0,081) de longueur, non compris la queue, et ses jambes de derrière sont de la mème longueur; son pelage est fauve ; ses oreilles sont très-longues; sa queue est noire, termi- LES ont les incisives inférieures pointues et jamais au delà de seize molaires. Leurs membres postérieurs ne sont pas allongés comme ceux des gerboises, d’où il- résulte qu'ils marchent sur leurs quatre pattes. Les uns ont des abajoues extérieures, ce sont les saccomys, géomys, diplostomes, hamster et hétéromys; tous les autres n’en ont pas. Presque tous sont des animaux nuisibles à l’agriculture. 17e Genre. Les HAMSTERS (Cricetus, Lacée.) ont seize dents, savoir : quatre incisives, point de canines; six molaires en haut et six en bas; les molaires sont simples, à couronne garnie de tubercules mousses. Leurs abajoues sont très-grandes ; ils ont quatre doigts et un rudiment de pouce aux pattes de devant, et cinq doigts aux pattes de derrière; leurs ongles sont robustes, et leur quene courte et velue. Le CuncmirLra (Cricetus laniger, Georr. Mus laniger, Mori. Le Chincille de d'Acosra. Chinchilla lanigera, HARvEY). Ce charmant animal a onze pouces (0,298) de longueur; il se fait remarquer par la beauté de sa fourrure, si recherchée par nos dames. Elle est composée de poils longs, soyeux , très-doux, d'un gris noirâtre ondulé de blanc, ce qui donne au pelage une nuance veloutée de gris, de blanc et de noir; le ventre et les paltes sont d’un blanc pur et brillant; les oreilles sont grandes, arrondies, membraneuses; sa queue est courte, couverte de longs poils roides, gris et blancs. Le chinchilla se trouve vers le sommet des plus hautes mon-— tagnes du Chili et du Pérou; son caractère est très-doux sans être extrêmement timide; aussi s'apprivoise-t-il avec la plus grande facilité, et je ne doute pas qu'avec un peu de persévé- rance on ne puisse en faire un animal domestique, comme le née par une touffe fauve. Il habite le Kentucky et l'Indiana, en Amérique. Le GerBiiLe DE LA BAIE n'Hupson (Gerbillus hudsonius, Rarix.) ressemble beaucoup au précédent, mais son corps est brun, bordé d’une ligne jaune de chaque côté. Il habite les rives de la baie d'Hudson. Le GErniLLe sortGix (Gerbillus soricinus, Rarix.) est d’un gris brun en dessus, avee une ligne rousse longitudinale sur les flancs ; les oreilles sont presque nues, ovales-arrondies; la queue, plus courte que le corps, est soyeuse, d'un gris brun en dessous. Il habite l'Amérique du Nord. 16° Genre. Les MÉRIONES (Meriones, ILu1G.) ont dix-huit dents, savoir : quatre incisives, huit molaires en haut et six en bas; les molaires sont composées et non simples comme dans les genres précédents ; la couronne représente une sorte d'2 renversé, avec des cercles de plus en plus marqués sur les dernières dents. La Mérione pu Canapa (Meriones nemoralis, Is. GEorr. Meriones canadensis, Less. Gerbillus canadensis, Des. Gerbillus Daviesii, Rarix. Dipus canadensis, Davies. Dipus americanus , BAnroN) est de la grandeur d'une souris; son pelage est jaunâtre en dessus, blanc en dessous: ses oreilles sont très-courtes ; sa queue, écail- leuse et presque nue, une fois et demie aussi longue que le corps, se termine par un flocon de poils allongés; elle a quatre doigts aux pieds de devant et cinq à ceux de derrière. Elle habite le Ca- nada et passe l'hiver engourdie au fond de son terrier. La MÉRIONE ÉPAISSE (Meriones opimus, Evers.) a cinq pouces de longueur (9,155), non compris la queue, qui en a quatre (0,10) et qui se termine par une houppe brune; ses formes sont lourdes, épaisses, et ses oreilles courtes. Elle habite entre Orembourg et Bukkara. RATS lapin. Il deviendrait alors d'autant plus précieux que l'on pour- rait non-seulement tirer parti de sa fourrure, comme on le fait aujourd'hui, mais encore en fabriquer des étoffes , à l'imitation des anciens Péruviens. Ce petit animal s'attache à son maitre, le reconnait, lui obéit, le caresse et aime à en être caressé; à l'état sauvage , il vit en société et habite des terriers, où il amasse des provisions de graines et de fruits secs pour se nourrir pen- dant la mauvaise saison. La femelle met bas deux fois par an, et chaque portée est de cinq ou six petits, qu'elle élève avec soin dans un lit de mousse au fond de son terrier. La Viscacue (Cricetus viscaccia.— Lepus viscaccia, Morina. La Viscache d'Azara), ainsi que le chinchilla, n’a pas grande ana- logie avec les Cricetus ; aussi les Anglais en ont-ils fait un genre sous le nom de chinchilla. Cette espèce a la tête semblable à celle d'un lièvre; sa queue est longue; elle a quatre doigts aux pieds antérieurs et trois seulement à ceux de derrière ; le pelage est long, doux, mélangé de brun et de blanchâtre; une bande blan- che traverse l'œil; les joues sont noires et garnies d'épaisses moustaches roides et longues. Elle habite le Chili. Le HAMSTER ORDINAIRE (Cricetus vulgaris, DEsu. Mus cricetus, Pazc.'Le Hamster, Burr. Le Skrzeczieck des Slaves Hlyriens. Le Chomik Skrzeczk des Slaves Polonais) est de la grandeur d’un rat; son pelage est d’un gris roussâtre en dessus, noir en dessous, avec trois grandes taches sur les flancs; les pieds sont blancs, et la gorge et la poitrine présentent chacune une tache blanche. On en connaît une variété noire de l'Ural, décrite par Fr. Cuvier. Cette espèce a une grande réputation de prévoyance dans les pays qu'elle habite; elle y fait de grands dégâts. De tous les animaux de son genre, celui-ci est le mieux connu; nous allons donner son histoire dans les plus grands détails 15, 228 LES RONGEURS. pour servir à celle du genre, car, à quelques modifications près, que nous enseignerons, toutes les espèces ont les habitudes à peu près semblables. Le hamster habite tout le nord de l'Europe et de l'Asie; il ne s'engourdit pas l’hiver, quoi qu’en aient dit quelques naturalistes, et Pallas l’a démontré par des expériences positives. IL vit isolé dans les champs cultivés et dans les steppes de la Russie méridionale et de la Sibérie; mais, comme il multi- plie considérablement, surtout dans de certaines années qui lui sont favorables , il fait beaucoup de dégâts aux récoltes, et ses dévastations ont été quelquefois si grandes, que plusieurs gou- vernements d'Allemagne ont été obligés de mettre sa tête à prix. Il évite les champs humides et ceux qui sont sablonneux, à cause pendiculaires, afin de donner plusieurs entrées libres à ses petits lorsqu'ils sont menacés d'un danger. A côté de ces trous, à un ou deux pieds (0,325 ou 0,650) de distance, les hamsters creusent un, deux ou trois caveaux particuliers en forme de voûtes, plus ou moins spacieux, suivant la quantité de leurs provisions; c’est- à-dire que, lorsqu'ils ont rempli un magasin, ils s’occupent aus- sitôt à en faire un autre. Le caveau où la femelle fait ses petits ne renferme jamais de provisions; elle se borne à y transporter des brins de paille et du foin pour en faire un nid. Deux ou trois fois par an elle y met bas cinq ou six petits, quelquefois davan- tage, et elle en prend soin pendant six semaines ou deux mois. Quand ils ont atteint cet àge, elle les chasse, et chacun va de Le Chinchilla. de la difficulté qu’il trouverait à y établir convenablement son terrier; mais il ne manque jamais de donner la préférence à ceux où la réglisse croît en abondance, parce qu'il aime beaucoup la graine de cette plante, et qu’il en fait de grands approvisionne- ments, surtout lorsqu'il manque de blé. Pour faire son habitation, il commence par creuser un conduit oblique plus ou moins pro- fond, il en rejette la terre au dehors, et c’est par là que doivent sortir tous les matériaux superflus de son édifice. Aussi en résulte- * son côlé se creuser un autre terrier, auquel, dans le premier âge, il ne donne qu'un pied de profondeur. Chaque année il l'agrandit, de manière que celui d’un vieux hamster s'enfonce en terre jusqu’à cinq pieds (1,624), et le domicile entier, y compris toutes les communications et tous les caveaux, a quelquefois huit à dix pieds (2,599 à 3,248) de diamètre. Pendant toute la belle saison les hamsters s'occupent exclusi- vement de remplir leurs magasins, et pour y apporter leurs pro- t-il une petite butte de terre qui, malgré toutes les précautions qu'il prend ensuite pour masquer l'entrée de son terrier, le fait reconnaître par les chasseurs. Ce conduit aboutit à un premier magasin, de forme sphérique, plus ou moins grand, mais n'ayant jamais moins de huit à dix pouces (0,217 à 0,271) de diamètre. Les parois en sont parfaitement unies et la voûte en est solide. Tout à côté de ce magasin est un conduit vertical, montant à la surface du sol, et c’est le passage ordinaire du hamster pour entrer et sortir de sa demeure. La femelle, ne logeant jamais avec le mâle, creuse ordinairement plusieurs de ces trous per- visions, consistant en grains secs et nettoyés, en épis de blé, en fèves et en pois en cosse, etc., ils se servent de leurs abajoues, qui peuvent contenir plus d'un décilitre (un demi-verre) de grains nettoyés. C’est ordinairement à la fin d'août qu'ils terminent cette opération, après quoi ils s'occupent de nettoyer leur ré- colte, de jeter au dehors, par le conduit oblique, les pailles, cosses, balles et grains avariés. Ils bouchent ensuite toutes les ouvertures de leur terrier avec de la terre gâchée, et avec tant d'intelligence, qu'il serait fort difficile de reconnaitre leur habi- tation, si, comme je l'ai dit, la butte de terre entassée devant TE —— ———————— —— RATS. 229 —————_— — le trou oblique ne la dénoncait pas. Ils passent la mauvaise sai son dans leur domicile, où ils emploient tout leur temps à man- ger et à dormir. Il en résulte qu’au printemps ils en sortent beau- coup plus gras qu'ils n'y étaient entrés en automne. C'est dans celte dernière saison que les paysans se mettent en quête pour découvrir l'habitation des hamsters. Ils l'ouvrent avec la pelle et la pioche, tuent l'animal pour en vendre la fourrure, et s'em- parent de ses provisions, qui souvent contiennent deux boisseaux (2 décal. 602) de très-bons grains. Le hamster, malgré l'intelligence qu'il déploie pour faire ses approvisionnements, n’en est pas moins un animal brute, inca- pable de s’apprivoiser assez pour reconnaitre la main qui le huit lignes (0,099) de longueur, et sa queue a dix lignes (0,023). I a le corps très-raccourci; son pelage est d’un cendré blan- châtre en dessus, très-blane en dessous, ainsi que les poils de sa queue, qui est plus longue’que dans les autres espèces ; ses oreilles sont arrondies, pubescentes, grandes et jaunâtres; sa tête est oblongue, à museau pointu ; son nez rougeûtre et pubescent ; le pouce des pieds de devant est onguiculé. I habite les campagnes sablonneuses de la Sibérie, près de l'frtisch. Le mâle vit dans un terrier de plusieurs mètres de longueur, au fond duquel il se fait un nid avec des racines de l’élyme des sables. Il se nourrit prin- cipalement des graines de l’astragale adragant (Astragalus traga- canthoides), et ne sort que la nuit de son terrier. Il est très-mé- Aspect des ruines derrière la cabane des Axis. nourrit, et d'une férocité d'autant plus étrange qu'ese ne résulte pas de ses besoins, mais d’une méchanceté innée. Si l'un d'eux, pressé par le danger, se fourvoie dans le terrier d'un autre, il est aussitôt saisi, étranglé et dévoré. La femelle même n’épargne pas son mâle s'il n'a le soin de se sauver promptement après l’accouplement. Lorsque deux hamsters se rencontrent dans un champ, ils commencent l'un et l’autre par vider leurs abajoues avec leurs pattes de devant, ce qu'ils font toujours quand un danger les menace, puis ils s’élancent l’un sur l’autre, se battent à outrance, et le vainqueur dévore le vaincu. Ils se défendent avec la même fureur contre tous les animaux, même contre les chiens et contre l’homme. Quand la saison a été mauvaise et qu'il y a disette de grains, ces animaux se déclarent entre eux une guerre atroce, et finissent par s’entre-détruire mutuelle- ment. Du reste, ils ont cela de commun avec les rats et les mu- lots, auxquels ils ressemblent beaucoup. Le SagLé (Cricetus arenarius, Desm. Mus arenarius, PaLr.), lé- gèrement plus grand que le campagnol commun, a trois pouces chant, se renverse sur le dos pour se défendre des dents et de la griffe contre ses ennemis , et ne s’apprivoise jamais. La femelle fait cinq petits chaque fois, et probablement deux portées par an. Le Pué (Cricetus phœus, Desm. Mus phœus, Par.) est de la grandeur du campagnol commun. Il a trois pouces cinq lignes (0,092) de longueur, sans la queue, qui est blanchâtre et longue de neuf lignes (0,020). Son pelage est d’un cendré bleuâtre sur le dos et entièrement blanc sur toutes les parties inférieures ; le nez est nu; ses oreilles sont brunes, ovales et très-larges, velues à la pointe; le tour de la bouche et des quatre pieds est blanc. Il habite les déserts d’Astracan et la Perse. Pendant l'hiver il pé- nètre dans les habitations , s’y établit, et pille le grain dans les greniers. Il ne s’engourdit pas pendant la saison froide, et je crois qu'il a cela de commun avec tous les hamsters. Le Hacri (Cricetus migratorius , DES. Mus migratorius, PaLL.) a trois pouces de longueur (0,081), non compris la queue, qui a huit lignes (0,018). Son nez est arrondi et un peu velu, fendu en deux par un sillon; ses abajoues sont très-grandes, son pelage 230 LES RONGEURS. est d’un gris cendré en dessus, blanc en dessous , ainsi que le museau, le pourtour des narines et les pieds ; les oreilles sont nues et échancrées, 11 habile la Sibérie, à l’est de Jaïk. Les Cosa- ques de cette contrée prétendent qu'il émigre la nuit, en troupes considérables que les renards suivent pour s'en nourrir; mais ce fait, si contradictoire aux habitudes des autres hamsters, mé- rite d’être confirmé, et doit peut-être s'appliquer au campagnol social (Arvicola socialis), s’il est vrai. Le Hamsrer DE SONGARIE (Cricetus songarus, DEsm. Mus songarus, PaLL.) a trois pouces (0,081) de longueur, non compris la queue ; sa tête est ramassée, son museau obtus; ses oreilles sont ovales, susceptibles de se plisser; son pelage est cendré sur le dos avec une ligne dorsale noire; les flancs sont variés de blanc et de brun ; le ventre est d'un blanc pur; le corps est trapu, et la queue très-courte. Il habite les déserts de la Sibérie et les steppes de Barabensk, près de l’Irtisch. Le site qu’ils préfèrent, dit Pallas, est un terrain aride , sablonneux et salin. Au milieu de juin, il découvrit le terrier d’une femelle qui avait sept petits encore aveugles. La chambre dans laquelle on les trouva était tapissée d'herbes sèches et de racines fines, et contenait en outre un petit approvisionnement de siliques d’alysse de montagne et d’élyme des sables. Les petits vécurent trois mois de pain et de toute sorte de graines; ils étaient si familiers, qu'ils mangeaient dans la main; ils jouaient le jour et ne dormaient que la nuit. Leur voix était rare, et, quand on les tourmentait, ils ne faisaient que piper comme une chauve-souris. Leur urine était très-fétide, Ils moururent de gras-fondu, en août. L’Orozo (Cricetus furunculus, Desm. Mus furunculus, PazL. Fu- runculus myoides, Messercu.) Il ressemble au sablé, mais il est plus petit; son corps est allongé; son museau pointu; ses oreilles sont larges et nues; son pelage est d’un gris jaunâtre en dessus avec une ligne dorsale noire; le ventre et les pieds sont blanchà- tres. Il habite la Daourie, et l'on en trouve une variété dans les plaines de lIrtisch et de lOby. Le Hausrer À BANDES (Cricetus fasciatus, RArIN.) est roux, avec environ dix bandes transverses noires sur le dos ; les jambes sont marquées de quelques rayures noires ; la queue, un peu plus courte que le corps, est mince, annelée de noir; les abajoues sont pendantes; les oreilles sont courtes, ovales et un peu aiguës: les yeux sont très-petits et le corps trapu. Il habite les prairies du Kentucky. Le Guaxque (Cricetus cyaneus. — Mus cyaneus, Mec. — Less. ) est de la grandeur du mulot et lui ressemble ; ses oreilles sont plus arrondies; sa queue courte est à demi velue; il a quatre doigts aux pieds de devant et cinq à ceux de derrière; son pelage est d’un gris bleuâtre en dessus, blanc ou blanchâtre en dessous. Ce petit animal, très-timide, habite le Chili. Il se creuse un ter- rier formant une galerie de dix pieds de profondeur , le long de laquelle règnent, de chaque côté, sept magasins qu'il remplit d'oignons de plantes bulbeuses. Dans la saison des pluies, il ne quitte pas son habitation, et se nourrit de ses provisions, avec la précaution de commencer par les premières ramassées , et ainsi de suite. Chaque terrier contient une famille avec les six petits de la dernière portée nés en automne; ceux de la première, nés au printemps, quittent le terrier à l’âge de cinq à six mois. 18° GENRE. Les SACCOMYS (Saccomys, Fr. Cuv.) ont vingt dents, savoir : quatre incisives, pas de canines; huit molaires en haut et huit en bas, la première molaire ayant une large échancrure an- guleuse au côté interne, et au milieu de cette échancrure une portion circulaire qui tient par l'émail ; tous les pieds sont armés d'ongles analogues à ceux des taupes. Le Saccouys aNTnoPniLe (Saccomys anthophilus, Fr. Cuv. Pseu- dostoma bursarius, Sax. Mus bursarius, Suaw. Succophorus bursa- rêus, Kour. Diplostoma fusca, RariN. Ascomys canadensis, Licnstrtx) est de Ja grandeur d'un loir; sa queue est longue, nue: la lon- gueur totale de l'animal est de onze pouces (0,298); il a cinq doigts à chaque pied; son pelage est d’un fauve uniforme, tirant plus ou moins sur le gris ou le brun. Il habite les bords du lac Supérieur, en Amérique, vit dans un terrier, et se nourrit de fruits et de racines. 19e Genre. Les GÉOMYS (Geomys, RArIx.) ont probablement le même système dentaire que le genre précédent; ils ont cinq doigts onguiculés à chaque pied, les ongles de ceux de devant très-longs; leur queue est ronde, nue, ce qui les distingue des hamsters. ù Le GÉouys pes pins (Geomys pineti, RarIN.) est de la taille d’un rat ordinaire; sa queue, entièrement nue, est plus courte que son corps. Il habite les forêts de pins de la Géorgie, en Amérique. 20e Genre. Les DIPLOSTOMES (Diplostoma, Rarix.) ont le même système dentaire que les saccomys; leurs dents incisives sont sillonnées ; leurs abajoues sont très-grandes, atteignant en arrière jusqu'aux épaules; leur corps est cylindrique, sans queue et sans oreilles; les yeux sont couverts de poils, et ils n’ont que quatre doigts à chaque pied. Le DirLosrome 8Lanc ( Diplostoma alba, Rar.) a cinq pouces et demi de longueur (0,149) ; son pelage est blanc. Il habite le Mis- souri, Si réellement le genre diplostome de Rafinesque n’a que quatre doigts aux pieds et manque de queue, il faudra y rappor- ter son Diplostoma fusca, que j'ai provisoirement placé comme simple variété à pelage brun avec le saccomys anthophile. Dans le cas où Rafinesque se serait trompé , il faudra, au contraire, reporter le diplostome blanc à la suite du saccomys, sous le nom de Saccomys albus, 21e Genre, Les HÉTÉROMYS (Heteromys, DEsx.) ont probable- ment le même système dentaire que les hamsters, mais on n’en est pas certain, Comme les précédents, ils ont des abajoues, mais ils ont les formes générales des rats, et, comme chez ces der- niers, leur queue est écailleuse et presque nue; ils ressemblent aux échimys par dés piquants aplatus qu'ils ont sur le dos; leurs pieds ont six callosités en dessous, et cinq doigts, dont l’interne est très-petit. L'Héréromys ANOMAL (Heteromys Thompsonii. Less. Cricetus ano- malus, Des. Mus anomalus, Tuomps.) est de la taille du rat ordi- naire; son pelage est d’un brun marron en dessus, blanc en des- sous; son dos est armé d'aiguillons lancéolés, fins, entremélés de poils fins; la queue est écailleuse avec quelques poils épars, noirâtre en dessus: sa tête est pointue et sa bouche très-petite. IL habite l’île de la Trinité, aux Caraïbes, et l’on suppose que ses mœurs doivent être les mêmes que celles des hamsters. Tous les genres qui vont suivre manquent d’abajoues. 92e GENRE. Les OTOMYS ( Otomys , Fr. Cuv.) ont seize dents, savoir : quatre incisives; point de canines; six molaires en haut et six en bas; les molaires supérieures ont leur couronne formée de lames transversales un peu arquées, bordées d’émail, et dont le nombre est de trois pour la première, de deux pour la seconde, et de quatre pour la troisième ; les inférieures ont moins de lar- geur, et leurs lames, moins arquées, sont au nombre de quatre pour la première, et de deux pour chacune des deux dernières. L'Oromxs pe Branrz ( Otomys Brantzii, Licusr.) a cinq pouces neuf lignes (0,155) de longueur, non compris la queue , qui a deux pouces et demi (0,068); celle-ci est annelée de poils roides, rares et durs. Son pelage est d'un gris jaunâtre en dessus et d'un blanc sale en dessous. Cet animal habite l'Afrique méridionale, et, à la queue près, il a beaucoup d'analogie de forme avec no- ire surmulot, L'Orouxs pu Car (Otomys unisulcatus, Licusr.) ne diffère guère du précédent, dont je le regarde comme une simple variété, que : RATS. 231 ———————@—@à>2 par sa taille un peu plus grande ; il a six pouces et demi de lon- | main la guerre recommence, et dure ainsi jusqu'à la destruction gueur (0,176), non compris la queue, qui est longue de trois pou- | du plus grand nombre. » ces et quart (0,088). Son pelage est d'un gris fauve en dessus et d'un gris blanchâtre en dessous. Il habite le cap de Bonne-Espé- rance. 93e Genre. Les RATS (Mus, Lin.) ont seize dents, savoir : quatre incisives; point de canines ; six molaires en haut et six en bas, à couronne tubereuleuse ; les pieds de devant sont munis de quatre doigts avec un rudiment de pouce : les pieds de derrière ont cinq doigts non palimés; les poils du dos sont quelquefois roides et plats, ou épineux; la queue est plus ou moins longue, presque nue , présentant des rangées transversales très-nombreuses de petites écailles, de dessous lesquelles sortent des poils; quelque- fois elle se termine par un flocon de poils. Nous diviserons les rats en deux sections ; la première com- prendra les espèces sans épines. Ë Le Rar orvixaire ( Mus rattus, Lis.) est trop généralement connu pour qu'il soit besoin d'en donner une description détail- lée. Sa taille tient le milieu entre le mulot et le surmulot ; il est noirâtre en dessus , et d’un cendré foncé en dessous; des petits poils blanchâtres lui couvrent le dessus des pieds. Cet animal s’est fait une fatale réputation par les incommodités qu'il cause dans nos maisons, et par les dégâts qu'il y fait. Buffon croyait que le rat était originaire d'Europe, et qu'il avait été transporté par nos vaisseaux en Amérique; cependant le seul fait que cet animal était tout à fait inconnu aux anciens écrivains aurait dû l’éclairer sur cette erreur. Le rat, au contraire, est in- digène du nouveau continent , et n’a été introduit sur le nôtre qu'à la fin du moyen âge, c'est-à-dire à l'époque des premières navigations d'Europe en Amérique. Cet animal est omnivore , et mange également des fruits, des graines, de la chair, des insec— tes, etc. Il habite nos maisons, où il fait un dégât qui le rend fort incommode ; non-seulement il attaque et gaspille toutes les substances alimentaires, mais encore il ronge la laine, les étoffes, les meubles; il perce les bois de charpente, fait des trous dans les murs, se loge dans l'épaisseur des planchers, dans les vides de la charpente ou de la boiserie, y établit ses magasins, et y transporte tout ce qu'il peut trainer. L'hiver il cherche la chaleur el établit volontiers son domicile derrière les cheminées, sur les planchers d'écurie, dans la paille, le foin, ete. La nuit, et même en plein jour, s'il n'entend aucun bruit suspect, il sort effronté- ment de son trou, se glisse partout, et partout fait autant de dé- gât qu'il en peut faire. La femelle met bas plusieurs fois par an, et chaque portée est ordinairement de quatre à cinq petits. Il en résulte que ces animaux sont toujours fort nombreux, et que malgré les chats, les piéges et le poison, il est fort difficile de s’en débarrasser. S'il est poussé par la faim, le rat pénètre dans les poulaillers et les pigeonniers, perce ou brise les œufs pour se nourrir des petits qu'ils contiennent, et même quelquefois il tue les jeunes lapins, les poussins et les pigeonneaux. Lorsque ces derniers ont la gorge pleine d'aliments , il leur perce le jabot pour manger les graines à moitié digérées qui en sortent. Ce ne sont pas là cependant les plus grands ravages qu'on lui reproche: il paraît qu’en creusant les vieux plâtres et les mortiers, il vient à bout, à la longue, d’ébranler les constructions les plus solides. « C'est surtout, dit Buffon, dans les vieilles maisons, à la campa- gne, où l'on garde du blé dans les greniers, et où le voisinage des granges et des magasins à foin facilite leur retraite et leur multiplication, que les rats sont en si grand nombre, qu’on serait obligé de démeubler, de déserter, s'ils ne se détruisaient eux- mêmes ; mais nous ayons vu par expérience qu'ils se tuent, qu'ils se mangent entre eux pour peu que la faim les presse, en sorte que, quand il y a disette à cause du trop grand nombre, les plus forts se jettent sur les plus faibles, leur ouvrent la tête et man gent d'abord la cervelle, et ensuite le reste du cadavre; le lende- Le rat est aussi courageux que féroce ; il se défend hardiment contre les chats, les belettes et les surmulots, et si sa force ré- pondait à son courage, il sortirait toujours vainqueur de la lutte. De tous ses ennemis , le plus terrible pour lui est le surmulot, parce qu'ayant tous les deux les mêmes goûts et les mêmes ha- bitudes, ils se rencontrent fréquemment et jamais impunément. Aussi, depuis 1730, époque où le surmulot nous a été apporté de l'Inde , le nombre des rats a diminué dans la mème progression que celui des surmulots a augmenté. Aujourd'hui ces derniers sont beaucoup plus communs que le rat ordinaire. Quelques na- turalistes ont attribué aux rats une singulière prévision : ils di- sentque ces animaux connaissent parfaitement quand une maison menace ruine , et qu'ils en décampent toujours quelques jours avant qu’elle s'écroule. Ce qu'il y a de certain, et je le sais par ma propre observation, c'est que ces animaux voyagent par troupes assez nombreuses, pour quitter une localité et se rendre dans une autre plus ou moins éloignée. « Les rats, dit Buffon, sont aussi laseifs que voraces; ils glapissent dans leurs amours et crient quand ils se battent. Ils préparent un lit à leurs petits, et leur apportent bientôt à manger; lorsqu'ils commencent à sortir de leur trou, la mère les veille, les défend, et se bat même contre les chats pour les sauver. Cette espèce, qui se trouve dans toute l'Europe et en Amérique, offre quelquefois des individus albinos, c'est-à-dire tout blancs, mais plus rarement que dans les souris. » Il y a quelques années que M. Thénard a lu à l'Académie des Sciences une note sur le moyen de détruire les rats et les autres animaux malfaisants qui habitent les murs des maisons, a l’aide de fumigations d'hydrogène sulfuré. On commence par boucher tous les trous, puis on ouvre ensuite ceux qui sont le plus fré- quentés par ces animaux. Alors on applique l'appareil, qui con- siste en une cornue de verre dont on lute exactement le goulot à l'entrée de ces nouvelles ouvertures. On y introduit ensuite, par une tubulure, du sulfure noir de fer, puis on y verse avec pré- caution , pour éviter l'explosion , une certaine quantité d'acide sulfurique étendu d’eau. Il se fait aussitôt un dégagement d'hy- drogène sulfuré, qui pénètre par le trou dans tous les recoins où les rats se cachent, et les fait périr en peu de temps. La Souris (Mus musculus, Lix.) est d'un gris uniforme en dessus, passant au cendré en dessous ; assez velue; sa queue est aussi longue que son corps. Elle a une variété albinos assez commune, La souris est originaire d'Europe, mais nos vaisseaux l'ont trans- portée dans les autres parties du monde : aujourd'hui on la trouve à peu près partout. Elle multiplie beaucoup; la femelle fait plusieurs portées par an, chacune de six à huit petits, et chaque pelit se reproduit à l'âge de trois mois. Quinze jours après sa naissance, il est assez grand pour quitter sa mère et chercher lui-même sa nourriture. La souris est un petit animal assez joli, ayant la physionomie fine, l'œil vif, la tournure dégagée , et les mouyements alertes. La ténuité de sa taille lui permet de se glisser par les moindres trous; aussi la rencontre-t-on dans des lieux où l’on serait em- barrassé de s'expliquer comment elle est entrée. Elle dégrade les murs les plus solides en s'y frayant des passages ; elle perce les meubles du bois le plus dur pour y pénétrer, et ce sont là ses moindres dégâts. Animal rongeur par excellence, elle coupe, ré- duit en poussière tout ce qui tombe sous sa dent. Elle attaque le linge dans les armoires, les livres dans les bibliothèques, les mar- chandises de tout genre dans les magasins. Toutes les substances alimentaires sont à sa convenance, et elle parvient toujours à pénétrer dans les lieux où on les a renfermées. Le pain, le lard, le beurre, le fromage, le sucre, les confitures, les fruits, les fa- rines, les graines, et mème la chandelle, sont les objets ordinai- rement les plus recherchés par elle; non-seulement elle les entame et les consomme, mais encore elle les salit et leur com- 232 LES RONGEURS. munique une odeur désagréable. On en a vu pousser la hardiesse jusqu’à entamer le lard de cochons vivants, pendant leur sommeil. Lorsqu'une ou plusieurs souris attaquent un objet d’une certaine grosseur, par exemple un pain, une pièce de lard, un fromage, elles commencent par y faire un trou assez petit, pour gagner le dedans. Alors elles s’y établissent et rongent toute la substance intérieure de l’objet, en ne laissant qu'une légère croûte exté- rieure, qui suffit pour masquer les dégâts, dont on ne s’aperçoit souvent qu’au moment où l’on veut faire usage de ces objets. « La souris, dit Buffon, a le même instinct que le rat, le même tempérament, le même naturel, et n’en diffère guère que par la faiblesse et par les habitudes qui l’'accompagnent; timide par nature, familière par nécessité, la peur ou le besoin font tous ses mouvements; elle ne sort de son trou que pour chercher à vivre ; elle ne s’en écarte guère, y rentre à la première alerte, ne va pas, comme le rat, de maisons en maisons, à moins qu'elle n’y soit forcée, fait aussi moins de dégâts, a les mœurs plus douces, et s’apprivoise jusqu’à un certain point, mais sans jamais s’atia- cher. Les chouettes, tous les oiseaux de nuit, les chats, les fouines, les belettes, les rats même lui font la guerre; on l’attire, on la leurre aisément par des appâts, on la détruit à milliers; elle ne subsiste enfin que par son immense fécondité. » C’est sans doute pour délivrer nos habitations des souris que les premiers chats ont été apportés des bois pour étre élevés en domesticité. On a voulu se délivrer d’une incommodité grave par une autre qui l’est un peu moins, et on y a réussi jusqu'à un certain point; car non- seulement les chats prennent et mangent les souris, mais encore ils les écartent de la maison par leur seule odeur. Le SurnuLor (Mus decumanus, Parc. Le Surmulot et le Pouc, 3urr.)est d'un quart plus grand que le rat ordinaire; son pelage est d'un gris brun roussâtre en dessus, blanc en dessous; sa queue est nue, presque de la longueur de son corps. Il est ori- ginaire de l'Inde, et, comme nous l'avons dit, il n’a été observé en France, pour la première fois, qu'en 1750. Aujourd’hui il est beaucoup plus commun que le rat, auquel il fait une guerre d’extermination. Le surmulot, plus fort et plus féroce que le rat, est aussi plus incommode par les dégâts qu'il peut faire. Comme lui, il habite les maisons, mais il en sort assez souvent pour aller faire des excursions à la campagne, et, s’il y trouve aisément à vivre, il s’y fixe pour toute la belle saison ; dans ce cas, il se creuse un terrier où il porte quelques provisions pour se nourrir pendant les jours de pluie et d'orage. Toute son occupation est de chasser au menu gibier, et son voisinage devient funeste aux jeunes fai- sans, aux perdreaux, aux cailles et autres oiseaux; il attaque même les jeunes levrauts et les jeunes lapins, et souvent il s’éta- blit dans leurs trous après en avoir chassé le père et la mère. Il s'est tellement multiplié dans les voiries de Montfaucon, qu'il menace, si on détruisait celles-ci, d'envahir tout un quartier de Paris, où il porterait le ravage. Rigoureusement omnivore, il se nourrit indifféremment de chair vive ou corrompue, de fruits, de graines , et de toutes les substances alimentaires. En automne, il regagne les habitations et y commet les mêmes dégâts que les rats, mais, de plus, il se glisse dans la basse-cour, dont il dé— vore les jeunes oiseaux après leur avoir préalablement sucé la cervelle , et il y attaque les jeunes lapins et les cochons d'Inde. Aussi courageux que méchant, il se défend avec fureur contre les chats ; et lorsque ceux-ci sont encore jeunes il parvient assez souvent à leur échapper. Quelle que soit la puissance de son en- nemi, il ne se rend jamais sans combattre, même contre les chiens. Lorsqu'un homme le poursuit trop vivement et lui fait perdre l'espérance d'échapper par la fuite, il se retourne, s’é- lance sur la main qui le frappe , et lui fait de cruelles morsures. Les chats ont pour lui de la répugnance, et ne l’attaquent que très-rarement; si l’on veut s’en débarrasser, on ne peut donc employer que les piéges et le poison. Du reste, il donne assez facilement dans les embüches qu’on lui tend. Cet animal aime assez s'établir sur le bord des eaux, et il nage avec la plus grande facilité, quoiqu'il n’ait pas les pieds palmés. La femelle produit trois fois par an, et fait chaque fois douze à quinze petits, quel- quefois jusqu’à dix-neuf. Le Murot (Aus sylvalicus, Lix.) est de taille moyenne entre celle du rat et de la souris. Son pelage est d’un gris roussâtre sur le dos, blanchâtre sous le ventre; sa queue est un peu plus courte que son corps. On le trouve dans toute l'Europe, et, par sa prodigieuse multiplication, il devient quelquefois le fléau de l'agriculture, en détruisant les semences ou les récoltes. Ce petit animal habite de préférence les terres sèches et élevées, à cause de la facilité qu'il trouve à y établir son habitation. Ra- rement il se donne la peine de creuser lui-même son terrier, s’il trouve un trou de taupe ou de musaraigne à sa portée ; quelque- fois même il s'empare d’un trou tout fait sous une souche d’ar- bre. Dans tous les cas, il arrange sa demeure pour l’approprier à ses habitudes. Pour cela, à un pied (0,325), plus ou moins, de l'entrée , il établit une première chambre, qui doit lui servir d'habitation ainsi qu'à sa famille. Il creuse tout à côté une autre chambre, qui devient son magasin. S'il se trouve une grande cavité dans un trou dont il se sera emparé, elle deviendra la chambre aux provisions et il se creusera son appartement à côté ; d'où il résulte que le magasin se trouve souvent beaucoup plus grand qu'il ne serait nécessaire pour son usage, ce qui ne l'empêche pas de travailler à récolter des grains jusqu’à ce qu'il soit plein. Ces grains ne peuvent pas être entièrement consommés par lui dans l’espace d’un hiver; ils pourrissent, et c’est autant de perdu pour lui et pour les cultivateurs. Heureusement que le mulot ne ne à RATS. 233 ramasse des graines de céréales que lorsque les fruits secs lui manquent dans les bois, et que le plus souvent il ne remplit ses greniers que de glands, de noisettes et de faines, dont il entasse plus d'un décalitre dans les années favorables. Il fait surtout un tort considérable aux semis forestiers, car il s’y rend par milliers pendant la nuit, suit exactement les sillons de la charrue, et déterre les glands ou autres graines un à un. Dès que les froids se font sentir, il se retire dans son trou, où il vit grassement de ses provisions, mais il n’en bouche pas l'entrée, et de temps à tellement favorables à leur multiplication, qu'ils deviennent un véritable fléau pour des provinces entières. Ils ont pour ennemis les loups, les renards, les martres, les belettes et les oiseaux de proie. Le RaT NAIN (WMus soricinus, Her. Le Rat à museau prolongé, de quelques naturalistes) a de l'analogie avec le rat des moissons, mais il en diffère par son museau allongé; son pelage est d’un gris jaunâtre en dessus, blanchâtre en dessous; ses oreilles sont orbiculaires et velues ; sa queue est aussi longue que son corps. Le Mulot nain. autre, quand il fait une belle journée , il en sort pour aller faire un tour à la campagne. Si l'hiver est très-long, que les mulots aient vidé leurs greniers, et que la famine se fasse sentir, les gros commencent par manger les petits qui habitent avec eux dans le terrier, puis, quand ils ont dévoré leur famille, ils sor- tent de leurs trous et vont attaquer leurs voisins. La guerre de- vient bientôt générale, et ils finissent par si bien s’entre-détruire les uns les autres, que l’on est quelquefois trois on quatre ans sans en voir dans des localités qui en étaient précédemment in- Le RaT L'IsLaxDE (Mus islandicus, Tmiex.) a le pelage noirâtre sur le dos, gris sur tout le reste du corps, avec des taches jaunes sur les flancs ; la queue est presque nue, à écailles verticillées, et à peine plus longue que le corps. Il a été observé en Islande, par Thienemann. Le RAT DES Moissoxs ( Mus messorius, Saw. — Desu.) a deux pouces trois lignes (0,061) de longueur, non compris la queue, qui est légèrement plus courte que le corps; son pelage est d’un gris de souris mêlé de jaunâtre en dessus, le dessous du corps et Le Rat de Barbarie. festées. Buffon a fait une singulière expérience sur la férocité vorace de ,ces petits animaux. «Nous ayons mis dans un vase, dit-il, douze mulots vivants; on leur donnait à manger à huit heures du matin. Un jour, qu’on les oublia d'un quart d'heure, il y en eut un qui servit de pâture aux autres: le lendemain ils en mangèrent un autre, et enfin, au bout de quelques jours, il n'en resta qu'un seul; tous les autres avaient été tués et dévorés en partie, et celui qui resta le dernier avait lui-même les pattes et la queue mutilées. » Le mulot pullule beaucoup, car la femelle fait plusieurs fois par an neuf à dix petits; mais il est des années les pieds sont blancs. Il habite les champs cultivés et rocailleux, en Angleterre. Je le crois le même que le Mus minutus. Le Srrxic ou Rar À BARBE (Mus agrarius, Paz. — Gui.) a deux pouces dix lignes (0,077) de longueur, non compris la queue, qui a un peu plus de la moitié de la longueur totale du corps; son pelage est d'un gris ferrugineux général, avec une ligne noire et étroite sur le dos. Il habite la Sibérie, la Russie et le nord de l'Allemagne, où, dans de certaines années, il commet beaucoup de dégâts dans les moissons. Le Muror xaix (Wus campestris, Fr. Cuv. Le Mulot nain ou 234 LES RONGEURS. Mulot des bois, Daus.) est un peu plus petit que le précédent; sa queue, plus longue que son corps , le dépasse de quatre lignes (0,009); les poils qui le couvrent sont d'un gris ardoisé à leur naissance , et fauves à leur extrémité; le dessous de son corps et ses quatre pieds sont blancs; ses moustaches sont noires. On le trouve dans toute l’Europe tempérée, comme en France, dans les champs, à proximité des villages. Ce pelit animal habite un terrier, mais, néanmoins, il fait son nid dans les hautes herbes des prairies ou dans les blés, quelquefois dans les buissons touf- fus. Dans tous les cas, ce nid est suspendu aux tiges des grami- nées ou des arbustes, à une hauteur suffisante pour n'être pas alteint par l'humidité de la terre, lors des pluies. Il a la forme d’une boule de la grosseur des deux poings, et il est tissu en herbes sèches, fines et solidement entrelacées. La femelle y pé- nètre par un très-pelit trou ménagé sur le côté; elle y met bas de cinq à sept petits. Le Sixisran (Mus subtilis, Mus vagus et Mus betulinus, Pazz. Le Rat subtil et le Rat vagabond des naturalistes) a de l’analogie avec le rat fauve de Sibérie, Mus minutus, mais ses oreilles et sa queue sont plus longues; son pelage est fauve ou cendré en des- sus, avec une ligne noire sur le dos; ses oreilles sont plissées, et sa quene est plus longue que son corps. Il a plusieurs variétés de pelage. Cette espèce, très-commune en Tartarie et en Sibérie, aime à se tenir sur les arbres, où elle grimpe avec facilité. Le Rar Frauve (Mus minutus, Pazr. Le Rat ferrugineux de quelques naturalistes) est de moitié moins grand qu'une souris; son pelage est ferrugineux en dessus, blanchâtre en dessous; son museau est peu allongé, et sa queue est plus courte que son corps. Cette espèce habite les champs cultivés, en Russie et en Sibérie, et s’assemble en grand nombre sous les gerbes de blé. Le RAT A QUEUE BICOLORE (Aus dichrurus, Rarix. Le Rat de Si- cile des naturalistes) a huit pouces (0,217) de longueur; son pe- lage est fauve, mélangé de brunâtre en dessus et sur les côtés; la tête est marquée d’une bande brunâtre; le ventre est blanchâtre; sa queue, de la longueur de son corps, est annelée, ciliée, brune en dessus, blanche en dessous et un peu tétragone. On le trouve dans les champs cullivés, en Sicile. Le Rar GÉANT (Mus giganteus, Harpw. — Desm. Aus selifer, Horse. Mus malabaricus, PENN.) a treize pouces (0,552) de lon- gueur, non compris la queue, qui est de même longueur; son pelage est d’un brun obscur en dessus, gris en dessous, avec les pattes noires ; la queue est légèrement couverte de poils. Il habite les champs cultivés, près des habitations, au Bengale, au Malabar et à Java. Il vit dans des terriers et se nourrit autant de fruits que de graines. Le Rar pe Java ( Mus javanus, Des.) est de la taille d’un sur- mulot ; son pelage est d'un brun roux en dessus, avec les pieds blancs; sa queue, plus courte que le corps est assez velue, Il habite l’île de Java. Le Rar pe Sumarra (Mus sumatrensis, RAFFLES) a dix-sept pouces de longueur (0,460), non compris la queue qui en a six (0,162), et qui est écailleuse, nue, terminée en pointe mousse; son pelage est roide, d'un gris brun sur le dos; sa tête est courte, d'une teinte plus claire. Cette espèce habite Sumatra; elle vit dans les haies de bambous, dont elle mange les racines. Il appartient au genre Rhizomys, Gray, ou Nyctoleptes, Te. Le Caraco (Mus caraco, Parc. — Des.) est à peu près de la taille du surmulot; son pelage est d’un gris foncé mélangé de roussâtre sur le dos, plus clair sur les flancs, d’un cendré blan- châtre en dessous; ses pieds sont à demi palmés, d’un blanc sale. Il habite Ja Sibérie et la Mongolie, Pendant la belle saison il se plaît sur le bord des eaux, mais en hiver il se retire dans les habitations. Le RarT À BANDES (WMus lineatus, Evers.) est d’un brun gris en dessus, d’un gris clair en dessous; ses oreilles sont d'un gris jaune, avec une grande tache noire près de chacune; il a sur le dos une ligne étroite, noire, depuis la nuque jusqu’à Ja queue; et deux autres lignes latérales moins foncées et un peu obliques; sa queue est aussi longue que son corps. IL habite entre Orem- bourg et Bukkara, sur le bord des ruisseaux. Le Rar 6 L'Iipe (Mus indicus, Georr. — Des.) a les oreilles grandes, presque nues; sa taille est à peu près celle d’un sur- mulot; son pelage est d’un gris roussâtre en dessus, et grisàtre en dessous; sa queue est un peu moins longue que son corps. Cette espèce se trouve à Pondichéry. Le Par D'ALEXANDRIE (Mus alexandrinus, Grorr. — Desu. Acan- thomys alexandrinus, Less.) est d’un gris roussâtre en dessus, cendré en dessous; les poils les plus longs de son dos sont aplatis, fusiformes, striés sur une de leurs faces ; sa queue est d’un quart plus longue que le corps. Il habite l'Égypte. Le Rar pe Doxavan (Mus Donavani, Less.) a le pelage d’un fauve noir, varié de cendré, avec trois raies plus claires sur le dos; sa queue est d’une longueur médiocre, légèrement pointue. Il se trouve au cap de Bonne-Espérance. Le RaT strié (Mus striatus, Lis. Mus orientalis, Sera) est un peu plus pelit qu'une souris; son pelage est d'un gris roux en dessus et marqué d’une douzaine de lignes longitudinales blan- ches, avec quelques petites taches de la même couleur ; sa queue est de la longueur de son corps. On le trouve aux Indes orien- tales. Le Rar DE BaRBaRIE ( Mus barbarus, Lix.). Cette jolie espèce se distingue aisément des précédentes en ce qu'elle n’a que trois doigts aux pieds de devant, ce qui a fait douter quelques naitralistes qu'elle appartint au genre rat. Elle esi d’une taille un peu plus petite qu'une souris; son pelage est brun en dessus, marqué de dix lignes longitudinales blanchâtres, On Ja trouve dans toute l'Afrique septentrionale. L'Axcouya (Mus angouya d'Azara. Mus brasiliensis, GEOFr., non Desw.) a les oreilles moyennes, arrondies ; son pelage est d’un brun fauve en dessus, blanchâtre en dessous, mais plus clair sous la tête et plus foncé sous la poitrine; sa queue est un peu plus longue que son corps. On le trouve au Paraguay. Le Rar a crosse mère (Mus cephalotes, Des.) a le museau court et la tête extrêmement grosse; son pelage est brun en dessus, plus clair sur les côtés, et d'un blane un peu fauve en dessous; sa queue est de même longueur que son corps. Il habite le Paraguay et se creuse des terriers dans les champs cultivés, Le Rar pu Brésie (Mus brasiliensis, Desu.) ressemble au rat commun dont il a la taille, mais ses oreilles sont moins longues et sa tête est plus courte; son pelage est ras et doux, d’un brun fauve sur le dos, fauve sur les flancs, et gris en dessous; ses moustaches sont noires; sa queue est un peu plus longue que son corps. On le trouve au Brésil. Le Rar roux (Mus rufus, Azara) est d'un fauve roussâtre, plus foncé et plus terne sur le dos et sur la tête; le ventre est jau- nâtre; la queue a plus de moitié de la longueur du corps. Cette espèce vit sur Je bord des eaux, au Paraguay. Le Pizoris (Mus pilorides, DEsm.) est un peu moins grand que le surmulot ; son pelage est d'un beau noir brillant; son menton, sa gorge et la base de sa queue sont d’un blane pur. Il habite les Antilles. Le Rar pes CariNGas (Mus pyrrorhinos, Wiep pe NeuWIED) est de la grosseur d'un lérot; ses oreilles sont grandes et presque nues; son pelage est d’un gris brunâtre sale; le nez, les cuisses et la base de la queue sont d'un rouge brun; sa queue est Lrès— longue. Il se trouve au Brésil, et loge souvent dans la partie in= {érieure du nid de la fauvette à front roux, tandis que cet oiseau en habite tranquillement la partie supérieure: Tous deux vivent en fort bonne intelligence. Le Rar orerzanD (Mus auritus, Des.) est remarquable par la longueur de ses oreilles et la grosseur de sa tête; son pelage est | | | | | | | 3 RATS. 235 oo d’un gris de souris en dessus, blanchâtre en dessous; la queue est plus courte que le corps. Il se trouve dans les pampas de Buenos-Ayres. Le RaT AUX TARSES NOIRES (Mus nigripes, DES.) a la tête grosse, mais les oreilles courtes et arrondies; il a cinq pouces onze lignes (0,160, de longueur, en y comprenant la queue, qui est plus courte que le corps; son pelage est d’un brun fauve en dessus, blanchâtre en dessous; les pattes sont d’un noir très-foncé à leur extrémité, On le trouve dans les champs cultivés, au Paraguay. Le Laucua (Mus laucha, Des.) est d’une couleur plombée en dessus, blanchâtre en dessous; sa tête est peu large, son museau pointu, et ses moustaches sont fines et noires; sa queue est un peu plus courte que son corps, et ses tarses sont blancs en des- sous. Le Rar NorraTRE (Mus nigricans, RarIN. — DEsx.) n’est proba- blement rien autre chose que notre Mus rattus. Il a six pouces (0,162) de longeuur ; son pelage est noirâtre en dessus, gris en dessous ; sa queue est noire, plus longue que son corps. Il habite l'Amérique septentrionale. Le Rar aux r1Eps BLancs (Mus leucopus, RAFIN.) a cinq pouces (0,153) de longueur, non compris la queue; son pelage est d'un fauve brunâtre en dessus, blane en dessous; ses oreilles sont larges ; sa tête est jaune ; sa queue, aussi longue que son corps, est d'un brun pâle en dessus et gris en dessous, Il se trouve aux États-Unis. Les espèces qui suivent ont des poils épineux. Le PercHaL (Mus perchal, Gui. Echymis perchal, Georr. Le Rat perchal, Burr. Acanthomys perchal, Less.) a quinze pouces (0,406) de longueur, non compris la queue, qui en a neuf (0,244); ses oreilles sont nues : son pelage est en dessus d’un brun roussâtre, un peu plus pâle à la tête, parsemé de poils roides; le dessous est gris, et les moustaches sont noires. Cette espèce habite les maisons à Pondichéry, où on lui fait la chasse moins pour le dé- truire que pour le manger, car sa chair est fort estimée. La Souris vu Caire (Wus cahirinus, Georr. Acomys cahirinus , Is. Georr.) a quatre pouces de longueur (0,108), non compris la queue, qui en à autant; son pelage est d’un gris cendré uni- forme, composé de poils roides et un peu épineux sur le dos, plus clairs et plus doux sur les côtés. On la trouve en Égypte. 24e Genre. Les LOIRS (Myoæœus, Gui.) ont vingt dents, savoir : quatre incisives, point de canines; huit molaires en haut et huit en bas, simples, à lignes transversales saïllantes et creuses; ils ont cinq doigts aux pieds de derrière, quatre doigts et un rudi- ment de pouce aux pieds de devant; leurs poils sont très-doux et très-fins ; leur queue est très-longue, tantôt fort touffue et ronde, quelquefois aplatie et à poils distiques, enfin d’autres fois flo- conneuse à l'extrémité seulement. Ce sont les seuls rongeurs qui manquent de cœcum. Le Lorr commun (Myoxus glis, Gui.) a un peu plus de six pouces (0,162) de longueur, non compris la queue, qui est touffue et très-fournie; son pelage est d'un gris brun cendré en dessus, blanchâtre en dessous, avec du brun autour de l'œil. Il habite les pays montueux et boisés de l’Europe, jusqu'en Laponie, et ce- pendant on ne le trouve ni en Angleterre ni, je crois, dans le nord de la France. Ce joli petit animal est extrêmement farouche, et ne s’appri- yoise jamais. Il a les mêmes habitudes que l’écureuil ; comme lui, il n'habite que les forêts, grimpe sur les arbres, saute de bran- che en branche, quoique moins légèrement, se nourrit de chà- taignes , de faines, de noiseites et autres fruits sauvages. Il se loge dans les troncs d'arbres ou les trous de rochers, où il se fait, avec un peu d'art, un lit de mousse et de feuilles sèches. Il amasse aussi dans son trou une provision de fruits pour se nourrir lhi- ver, mais seulement quand la saison est douce, car lorsqu'il fait froid il est plongé dans un sommeil léthargique, comme la mar- motte. Il sort de son engourdissement de temps à autre, lorsque le soleil a suffisamment réchauffé l'atmosphère, et alors il lui ar- rive quelquefois de sortir de sa retraite pour aller faire un tour à la campagne. Dès que le froid reprend, il rentre, s'enfonce dans son nid de mousse, se roule le corps en boule, et retombe dans un état presque complet d'insensibilité, Ordinairement, pendant l'hiver, les loirs se réunissent plusieurs ensemble dans le même trou , et dorment pressés les uns contre les autres pour se com- muniquer réciproquement un peu de chaleur. Rarement cet ani- mal descend à terre; il ne se borne pas à une nourriture pure- ment végétale, et, quand il en trouve l’occasion, il mange fort bien les petits oiseaux qu'il peut surprendre sur leur nid, et leurs œufs. Les loirs s’accouplent au mois de mai et de jujn, ils font leurs petits en été, et les portées sont ordinairement de cinq. Ce sont des animaux très-courageux, qui ne craignent ni la belette ni les petits oiseaux de proie; leurs ennemis les plus dangereux sont les martes et les chats sauvages. Les Romains mettaient les loirs au nombre des aliments de luxe, que les gastronomes riches pouvaient seuls se permettre. Ils avaient établi des sortes de garennes où ils élevaient et en— graissaient ces animaux, comme nous faisons aujourd'hui des lapins, et ils y mettaient une telle importance, que Varron a donné une méthode très-détaillée sur l'éducation des loirs et sur l'art de les engraisser. Apicius nous a aussi laissé d'excellents documents sur l’art d'en faire des ragoüts; mais, malgré la haute Yénéralion que nos pères avaient pour les auteurs anciens, ces préceptes sont restés pour eux et pour nous de simples théories, que personne n'est tenté de mettre en pratique. Cette répugnance que l’on a pour manger des loirs vient, sans aucun doute, de la grande ressemblance qu'ils ont avec les rats, car leur chair, sans étre excellente, n’est réellement pas mauvaise, et a une grande analogie avec celle des cochons d'Inde et des rats d’eau. Les Ila- liens, probablement moins difficiles que nous, mangent encore ces animaux ayec grand plaisir, et voici comment ils se les pro- curent. Au commencement de l'automne, on creuse, en terrain sec, dans les bois, des petites fosses que l’on tapisse de mousse et que l’on recouvre de paille : on y jette préalablement une bonne quantité de faîne. Les loirs, alléchés par ces fruits, s'y rendent en grand nombre, s’y établissent et s'y engourdissent ; vers la fin de l'automne, on va les y chercher, et c’est alors qu'ils sont le plus gras et que leur chair est excellente. Le Léror (Myoæus nitela, Gui. Mus quercinus, Lix. Le Lérot, Burr.) est un peu moins grand que le loir, el n’a guère que cinq pouces (0,155) de longueur, non compris la queue; son pelage est d’un gris fauve en dessus, blanchâtre en dessous; son œil est entouré par une tache noire, qui s'étend, en s’élargissant, jusque derrière l'oreille ; sa queue est longue, garnie de poils ras, puis terminée par une épaisse touffe blanche, Il habite dans tous les climats tempérés de l’Europe, et il n'est que Lrop commun en France, où il fait le désespoir des jardiniers. Le lérot, que les cultivaleurs appellent quelquefois loirot ou loir, est le fléau de nos vergers, de nos jardins, et surtout de nos espaliers de péchers. Il ne se contente pas de manger la quantité de fruits nécessaire à sa nourriture, il en entame un grand nom- bre avant de se déterminer à en manger un, d'où il résulte qu'il fait de grands dégâts sans bénéfice pour lui. Il n'habite pas les bois, comme le loir, mais nos plantations d'arbres fruitiers, et quelquefois même nos habitations. Il établit son domicile dans un terrier, dans un trou d'arbre, et plus souvent dans les cre- vasses d’une vieille muraille, Il y porte de la mousse, du foin et des feuilles sèches pour y construire son nid, dans lequel la fe- melle fait en été cinq ou six petits qui croissent promptement , mais qui ne produisent que l'année suivante, Lorsque l'hiver ap- proche, ils se réunissent sept à huit dans le même nid , se roulent le corps en boule et s’engourdissent les uns contre les autres. Comme les loirs, ils font des provisions qu’ils consomment pen- 236 LES RONGEURS. dant les temps doux pour se rendormir dès que le froid revient. Ces provisions consistent en amandes , noisettes, noix et graines de légumineuses, quand ils ne trouvent pas mieux; du reste, leurs habitudes sont absolument celles des loirs. Le lérot ne sort guère de sa retraite qu’à la nuit tombante ; extrêmement agile pour grimper contre les murs les plus unis, et descendant rarement à terre, il est peu exposé à être surpris par les chats, qui d’ailleurs ne se soucient pas de l’attaquer, parce qu'ils ne le mangent pas et l’abandonnent après l'avoir étranglé, peut-être aussi parce qu'il se défend avec un courage furieux. Le Lorr pu SÉNÉGAL (Myoæus Coupeii, Fr. Cuv. Myoxus africa- nus, Suaw.) est plus petit que notre lérot; les pattes sont blan- châtres, les oreilles un peu ovales; son pelage est d'un gris clair, Le Loi DE Sicice ( Myoæœus Siculæe, Less. Musculus frugivorus, Rar.) a les oreilles nues et arrondies; la queue cylindrique, ci- liée et brune; son pelage est d’un roux brunâtre, parsemé de longs poils bruns en dessus ; le dessous est blanc. Il habite la Sicile, où les habitants estiment beaucoup sa chair, et il niche sur les arbres. Il appartient au genre Mus. Le MuscarniN (Myoxmus muscardinus, GuL. Mus avellanarius, Lin. Le Croque-noix, Briss.) est à peu près de la grosseur d'un mulot ou d'une souris. Son pelage est d’un fauve clair en dessus, presque blanchâtre en dessous; sa queue, presque de la longueur du corps, est aplatie horizontalement et formée de poils disti- ques. Il habite toute l’Europe. Cette jolie miniature de l’écureuil n’habite guère que les forêts, Le Loir commun. légèrement jaunâtre en dessus et sur la queue; les joues et les mâchoires sont d’un blanc pur; le dessous du corps est blanchà- tre. Il habite le Sénégal, et se trouve assez souvent dans les maisons. Doit-on regarder comme de simples variétés ou comme des es- pèces les deux individus suivants ? Le Murs (Myoxus murinus, Desx.). Il ne diffère du précédent que par son pelage d’un cendré noirâtre, nullement roussâtre. Il habite le cap de Bonne-Espérance. Le Perir Lom (Myoæus minor) est un peu plus petit que le pré- cédent; son pelage est d’un cendré noirâtre en dessus et d’un blanc beaucoup plus pur en dessous. Du reste, il ressemble au précédent, mais il habite le Sénégal. Le Loi pryane (Myoæus dryas, Scures. — Des.) est d’un gris fauve en dessus et d'un blanc sale en dessous ; son œil est entouré d’une tache obscure qui se prolonge vers l'oreille; la queue est entourée de grands poils distiques à sa base. Peut-être, comme le pensait G. Guvier, n'est-ce qu'une variété du loir commun, mais je ne crois pas que ce soit un lérot à queue écourtée, comme Y'a dit Fr. Cuvier. Il habite les forêts de la Géorgie et de la Russie. Le Décu (Myoœus degu, Less. Sciurus degus, Gr.) pourrait bien ne pas appartenir à ce genre. Sa taille est petite ; son pelage d'un blond obscur, avec une ligne noirâtre sur l'épaule. Il ne s’'engourdit pas l'hiver et se loge dans des terriers. Il habite le Chili. Est-ce un loir, un tamia ou un campagnol? surtout celles où les noisetiers sont abondants, parce qu'il fait sa principale nourriture de leurs fruits. 11 loge et s’engourdit dans les vieux troncs d'arbres et les trous de murailles, mais il fait son nid sur les buissons de noiïsetiers, entre les branches basses, avec des herbes entrelacées; il lui donne environ six pouces de diamètre (0,162), et ne laisse pour y entrer qu'une ouveriure dans le haut. C’est là que la femelle met bas et allaite trois ou quatre petits, qui abandonnent le nid pour toujours aussitôt qu'ils sont assez forts pour pourvoir eux-mêmes à leurs besoins. Aussitôt que le froid se fait sentir, ils se retirent dans un trou d'arbre où ils ont amassé une provision de noisettes, et ils s’y engourdissent à la manière des loirs. On prétend qu’en Italie se trouve une espèce ou variété de muscardin à odeur de muse; celui de France ne sent rien, et se trouve quelquefois dans nos jardins quand il y a une plantation de noisetiers. 95e Genre. Les ÉCHIMYS (Æchimys, Grorr.) ont vingt dents, savoir : quatre incisives, pas de canines , huit molaires en haut et en bas, simples, à couronne présentant des lames transverses, réunies deux à deux par un bout ou isolées; ils ont cinq doigts aux pieds de derrière, quatre doigts aux pieds de devant avec un moignon de pouce; leur queue est très-longue, écailleuse, pres- que nue, leurs poils, surtout ceux des parties supérieures, sont en forme de piquants aplatis, carénés sur une de leurs faces, creusés en gouttière de l’autre, et terminés par une soie Irès-fine. . RATS. 237 L'Anxcouya-y-Bicoin (Echimys spinosus, Desu. L'Echimys roux, G. Cuv. Le Rat épineux, AzaRa) a sept pouces (0,189) de longueur, non compris la queue, qui en a trois (0,081), et qui est couverte de poils courts, assez fournis pour cacher les écailles; son pe- lage est d'un brun obscur, mélangé de rougeàtre en dessus et d’un blanc sale en dessous; les poils du dos sont entremélés de piquants très-forts. Cet animal habite le Paraguay et vit solitaire- ment dans des terriers qu'il se creuse dans les savanes, sur le bord des rivières, mais dans des situations assez élevées pour queue, qui en a quatorze et demi (0,393). Son pelage est brun, mêlé de gris et de jaunâtre en dessus ; ses flancs sont roussâtres ; les poils sont secs et rudes, mais non pas précisément épineux ; les deux doigts du milieu des pieds de devant sont plus longs que les autres et ont des ongles plats; les cinq doigts des pieds de derrière sont armés d'ongles longs et crochus; toute la queue est écailleuse et nue. Il habite l'Amérique méridionale. L'Écuimys À AIGUILLONS (Echimys hispidus, GEorr.— Des.) a sept pouces (0,189) de longueur, non compris la queue, qui en a Le Lemming. que les inondations ne puissent pas le surprendre. L'entrée de son terrier s'enfonce à peu près verticalement à huit pouces. (0,217) de profondeur, puis ensuite une galerie s'étend parallèle-" ment à la surface du sol à quatre pieds (1,299) de distance. Ces trous sont quelquefois si rapprochés, qu'il est dangereux de par- courir les savanes sans précaution. Du reste, il paraît que les habitudes de cet animal ont beaucoup d'analogie avec celles de nos rats. L'Écumys nupré (ÆEchimys cristatus, Grorr. — Des. Hystrix autant, et qui est annelée et entièrement écailleuse ; son pelage est d’un brun roux, plus clair en dessous, avec beaucoup de poils épineux très-roides sur le dos ; sa tête est roussâtre. Il habite l'Amérique méridionale. L'Écumys soyeux ( Echimys setosus, GEorrF. — Des.) a environ six pouces (0,162) de longueur, non compris la queue, qui en à sept (0,189); son poil est soyeux, très-peu mélangé d’épines, roux sur le corps, blanc en dessous; ses pieds sont blancs; ses tarses postérieurs sont fort longs, avec les trois du milieu pres- chrysuros, Scur. Le Lérot à queue dorée, Burr.) a neuf pouces et demi (0,258) de longueur, non compris la queue, qui a un pied (0,325). Son pelage est marron en dessus ; sa tête est d’un brun foncé, avec une ligne étroite, blanche, sur le front ; la queue est noire, blanche ou jaune à son extrémité; il a sur le dos des poils roides et plats, longs d’un pouce (0,027). Il habite Surinam, et ses mœurs sont inconnues. L'Écmys pacryLIN (Echimys dactylinus, Grorr. — Desx.) a un peu plus de dix pouces (0,271) de longueur, non compris la que égaux entre eux. Îl habite l'Amérique, mais j'ignore quelle partie. L'Écumys DE CAYENNE (Echimys cayennensis, GEOFF. — Des.) a environ six pouces (0,162) de longueur, non compris la queue. Son pelage est d’un roux passant au brun sur le milieu du dos; tout le dessous du corps est d’un beau blanc; les piquants man- quent sur la tête, et sont entremêlés, sur le dos, de poils annelés de roux, de fauve et de brun à la pointe ; ses tarses et ses doigts postérieurs son comme dans le précédent. Il résulte de cette 238 LES RONGEURS. conformation “que ces deux espèces doivent avoir sur les autres une grande supériorité à la course et au saut. Il habite l'Améri- que méridionale. L'Écumys moecpnoïne (Echimys didelphoïdes, Grorr. — Des.) a environ cinq pouces (0,155) de longueur non compris la queue, qui en a autant : celle-ci est couverte de poils à sa base et nue sur le reste de sa longueur; le pelage est brun sur le dos, plus clair sur les flancs, jaunâtre en dessous; les piquants, qui n'exis- tent qu'au dos et à la croupe, sont annelés de brun foncé et de roux. Il habite l'Amérique méridionale. 25e Genre. Les LEMMINGS (Georychus, ILciG.) ont seize dents, savoir : quatre incisives ; pas de canines; six molaires en haut et en bas, composées, à couronne plane, présentant des lames émailleuses, anguleuses ; les oreilles sont très-courtes, ainsi que la queue, qui est velue; ses pieds de devant ont tantôt cinq doigts, tantôt quatre, toujours munis d'ongles propres à fouir la terre. Tous ces animaux ont des mœurs intéressantes, dont lés voyageurs se sont préoccupés. ; Le LEmuinG (Georychus norvegicus. — Hipudæus norvegicus, Desu. Mus lemnus, Lin. Le Lemming, Burr. — G. Cuv. Le Lapin de Norvége, Briss.) est de la grandeur d'un rat; il a cinq doigts aux pattes de devant; son pelage est agréablement varié de noir et de jaune sur le dos; le ventre et les flancs sont blancs. Il habite les montagnes de la Norvége. Ce joli petit animal vit dans un terrier au fond duquel il se creuse une chambre dans laquelle il élève sa famille; mais il n’y fait pas de magasin et n’y amasse point de provisions. Sa nour- riture consiste en lichens pendant l'hiver, en herbes dans la belle saison, et probablement en racines lorsqu'il fouille la terre. Par un instinct inexplicable, ces animaux connaissent à l'avance quand il doit y avoir un hiver rigoureux, qui ne leur permettrait plus de remuer le sol glacé ni de trouver leur nourriture dans leur contrée natale , et alors ils se préparent à émigrer pour aller dans des pays plus favorisés. On a observé plusieurs fois chez eux cet étonnant pressentiment, et surtout en 1742. Cette année-là l'hiver fut très-rigoureux dans le cercle d'Uméa, et beaucoup plus doux dans celui de Lula, quoique plus au nord : ils émigrè- rent à l'avance du premier et non de l’autre. Il résulte de cette prévision, que leurs émigrations ne sont ni annuelles ni périodi- ques, et que souvent il n'y en a qu'une dans l’espace de dix ans, tandis que d’autres fois il y en a deux ou trois dans le même espace de temps. Quand ils se préparent à partir, la population d'une contrée entière se rassemble par un merveilleux accord, et leur troupe innombrable se forme en colonnes parallèles et se met en marche en ligne droite, sans qu'aucun obstacle puisse la détourner ni à droite ni à gauche. Rencontrent-ils une montagne, ils la franchissent en la gravissant; une rivière ou un bras de mer, ils les passent à la nage; et si le vent vient à s'élever pen- dant cette traversée, des milliers de ces animaux sont submergés ; leurs cadavres , rejetés en monceaux sur le rivage, empoisonnent l'air au point d’occasionner des maladies épidémiques dans les villages voisins. Ils marchent la nuit, font halte pendant le jour, et malheur à l'endroit où ils s'arrêtent, car, en quelques heures, jardins, moissons, récoltes de toute espèce, verdure, tout est détruit, et le sol reste nu et rasé comme si le feu y avait passé. Heureusement qu'ils respectent les habitations et ne pénètrent ni dans les maisons, ni même dans les cabanes. Aussi courageux que dévastateurs , ils se défendent avec fureur contre toutes les agressions, soit de Ja part des animaux, soit de la part de l'homme; ils cherchent à s’élancer à la figure de celui qui le attaque, ils mordent le bâton qui les frappe, la main qui les me- nace, et une fois qu'ils ont saisi avec les dents, ils ne lâchent plus qu'en mourant. Dans leur colère, selon Scheffer, « ils vont au-devant de ceux qui les attaquent, crient et jappent presque tout de même que des petits chiens. » Les lemmings ne s’expatrient pas pour aller établir ailleurs des colonies, mais simplement pour trouver à vivre pendant l'hiver, et retourner ensuite dans leur pays. Ces bandes prodigieuses, qui, au départ, couvraient la terre d'individus serrés en pha- langes, sont tellement diminuées au retour, qu'à peine s’aperçoit- on de leur passage. Les renards, et une foule d’autres petits mammifères carnassiers, les suivent dans leurs migrations et s’en nourrissent exclusivement; les oiseaux de proie en détrui- sent aussi un grand nombre; et la fatigue, les intempéries, les naufrages et la faim, font périr une grande partie de ceux qui restent; c’est à peine si la centième partie de la troupe peut re- gagner sa terre natale. Du reste, leur passage est regardé par les habitants du pays qu'ils parcourent comme un fléau terrible, et dont il est impossible de se délivrer. Comme leur apparition est subite, et que le peuple ne sait d’où üs viennent, il s’imagine qu'ils tombent du ciel avec la pluie. Le Lemune pe Laponie (Georychus laponicus) est un tiers plus petit que le précédent ; son pelage est d’un fauve brun sur le dos, jaunissant sur les flancs, et blanchâtre sous le ventre. Quelques naturalistes ne le regardent que comme une variété du précédent, quoiqu'il n’en ait ni la taille, ni les formes, ni la couleur, ni les mœurs, et qu'il ne se trouve pas dans les mêmes contrées. Il habite la Laponie russe, où l’autre ne se trouve ja- mais, et il est commun dans les régions voisines de la mer Blan- che et de la mer Glaciale, jusqu'à l'Obi. Il émigre aussi, tantôt vers Le Petzora, tantôt vers l'Obi, et de la même manière que le précédent. Son terrier, au lieu de n’avoir qu'une chambre, en à plusieurs qui lui servent de magasins, et il y amasse des provi- sions consistant en lichen des rennes (Lichen rangiferinus). Le LEMMING DE LA BAIE D'Hupson (Georychus hudsonius.— Hipu- dœus hudsonius, Less. Mus hudsonius, Pac. Le Rat du Labrador) est de la grosseur d’un rat; il a cinq pouces (0,155) de longueur, et le mâle est'un peu plus grand que la femelle; il manque de queue et d'oreilles apparentes, et ses pieds de devant n’ont que quatre doigts avec un rudiment de pouce; son pelage est unifor- mément d'un gris perle. Il habite l'Amérique septentrionale. Le LEMMING À COLLIER (Georychus torquatus. — IHipudœus torqua- tus, Less. Mus torquatus, PaLL.) a le pelage ferrugineux, avec une ligne noire sur le dos et un collier blanc autour du cou, interrompu en dessous ; ses oreilles sont très-courtes; ses pieds de devant ont cinq doigts armés d'ongles médiocrement forts, excepté le pouce, qu'il a court, arrondi, ou nul. Il habite la Si- bérie et émigre aux mêmes époques que les lemmings. . Le Lacure (Georychus lagurus.— Hipudœus lagurus, Less. Mus lagurus, Pazx. Le Lagure, Nico »’Azyr) est plus pelit que notre campagnol ordinaire ; sa longueur est de trois pouces huit lignes (0,099); il n'a qué quatre ongles aux pieds de devant, et sept vertèbres à la queue; son pelage est d'un gris cendré, avec une ligne noire sur le dos, mais il manque de collier, Il vit en gran- des troupes dans les steppes de la Tartarie et de la Sibérie, et il est surtout nombreux dans le désert d'Irtisch, où croît en abon- dance l'iris nain (/ris pumila) dont il mange les racines. Quoique le plus petit des lemmings, il est courageux et fort, et ne craint pas d'attaquer les plus grandes espèces de son genre, pour les manger; aussi aucunes d'elles n'ose habiter les cantons où il a établi sa demeure. Les mâles se font entre eux une guerre à ou- trance, et le plus fort, après avoir dévoré ses rivaux, s'empare des femelles pour peupler son harem. Le TauriN (Georychus talpinus. — Mus talpinus, Parc. Le Petit Spalar, Excycr.) a cinq doigts à tous les pieds ; sa première mo- laire est la plus longue ; son pelage varie du gris jaune au brun noir, avec l'âge; la femelle a six mamelles. Il habite les bassins méridionaux de l'Oural, et ne se trouve pas à l'est de l'Obi. Cet animal se creuse un terrier comme la taupe, près de la surface du gazon, et, comme elle, il élève de petites buttes de terre le long de ses longues galeries et de distance en distance. Il ne sort ja- L RATS. 239 EE mt mais de sa retraite que pour aller chercher sa femelle, ou chan- ger de canton; il se nourrit de racines, et principalement des petits tubereules du phlomis tubéreux. 96e Genre. Les CAPROMYS (Capromys, Desu. Isodon, GEOrr.) ont vingt dents, savoir: quatre incisives , dont les inférieures peu comprimées sur les côtés; point de canines; huit molaires en haut et en bas, prismatiques , ayant leur couronne traversée par des replis d'émail qui pénètrent assez profondément, et qui sont semblables à ceux qu'on voit sur la couronne des molaires des castors; les pieds de devant ont quatre doigts avec un rudiment de pouce; la queue est ronde, conique, écailleuse; les membres sont forts, robustes et assez courts. Ce genre semble être inter- médiaire entre les rats et les marmoltes. Le Cnémi (Capromys Furnieri, Desm. Isodon pilorides, Sax. L'Agutia congo des créoles de Cuba; peut-être le Racoon de Browxe) est de la grosseur d’un moyen lapin; il a un peu plus d’un pied (0,525) de longueur, non compris la queue, qui a six pouces (0,162); sa marche est plantigrade, et les cinq doigts des pieds de derrière sont fortement onguiculés ; son pelage est gros- sier, d'un brun noirâtre, lavé de fauve obscur dans les parties supérieures; la croupe est rousse ; les patles et le museau sont noirâtres. Le chémi habite l'ile de Cuba, vit dans les bois, et grimpe aux arbres avec la plus grande facilité. Il a peu d'intelligence, mais il est curieux, joueur et d’un caractère fort gai. Sans être positi- vement un animal nocturne, il est plus éveillé pendant le cré- puscule que le jour; il a l'odorat excellent, et, lorsqu'il se croit menacé d’un danger, il se dresse sur ses pieds de derrière, comme un kangourou, et fait mouvoir ses narines pour flairer le vent et prendre connaissance de l’objet qui l’'inquiète. Alors il fait entendre un petit cri aigu analogue à celui des rats pour ap- peler ses camarades et les avertir de prendre la fuite. Quand, au contraire, il éprouve un sentiment de salisfaction, soit en man- geant quelque chose qui flatte son goût, soit en s'étendant mol- lement au soleil dans une voluptueuse quiétude, il fait entendre un petit grognement très-doux et fort bas. Sa nourriture con- siste uniquement en substances végélales, et il aime surtout les bourgeons d'arbres et les jeunes écorces. Comme la plupart des autres rongeurs, les chémis prennent et portent à leur bouche leur nourriture aver les deux pattes de devant, mais souvent aussi ils ne se servent pour cela que d'une seule main, ce qui leur donne une physionomie fort originale. Du reste, cet animal est d'un caractère fort doux. L’AGuria caravauLr, où Uria (Capromys prehensilis, PoErixG) a vingt-trois pouces de longueur (0,625) ; sa tête ; la plante de ses pieds et les ongles, sont blancs; son pelage est mou, épais, fer- rugineux mêlé de gris; sa queue est gréle, de la longueur du corps, nue à son extrémité. Il habile Cuba, où il est assez rare. Cet animal, lourd et paresseux, grimpe cependant aux arbres avec la plus grande facilité ; il aime à se pendre à leurs branches et à se cacher dans leur feuillage. Lesson en fait le type de son genre Mysateles. 27° GENRE. Les CAMPAGNOLS (Arvicola, LacÉe.) ont seize dents, savoir : quatre incisives ; point de canines; six molaires en haut el six en bas, composées, à couronne plane, offrant des lames émailleuses, anguleuses; oreilles assez grandes; pieds de devant pourvus d'ongles médiocres ; queue à peu près de la longueur du corps, velue, ronde ; huit à douze mamelles. Le RAT p’Eau (Arvicola amphibius, Des. Mus amphibius, Lin. Mus aquaticus, Raï et Briss. Mus marinus, ÆLIAN.) est un peu plus grand que le rat ordinaire, d’un gris brun foncé; sa queue est d’un tiers plus courte que son corps, et il n’a que l'ongle de visible aux pieds de devant; ses oreilles sont nues, presque cachées dans le poil de sa tête; les quatre pieds sont nus et écailleux. Le rat d’ean se trouve dans toute l'Europe, le nord de l'Asie et de l'Amérique, mais avec quelques modifications qui tiennent au climat. Par exemple , en Sibérie il est plus grand qu'en Eu- rope, et d'autant plus qu'on s'avance davantage vers le nord; ceux que l’on trouve à l'embouchure de l'Obi et du Jenisey sont assez grands pour que l’on puisse employer utilement leur four- rure, qui, d'ailleurs, n'a pas une grande valeur. Partout les mäles sont plus grands que les femelles et d'ané couleur plus foncée. Le rat d’eau ne quitte jamais le bord des eaux douces, et s'il s'en éloigne quelquefois, c'est d’une cinquantaine de pas au plus. Au moindre danger qui le menace, il y revient, se jette dans les ondes, plonge, et gagne son trou en nageänt entre deux eaux. Ce trou consiste en un boyau parallèle au sol, peu profond, et ayant plusieurs issues. La femelle y met bas, au mois d'avril, six ou sept petits qu'elle soigne avec tendresse, et elle ne les laisse sortir de sa retraite que lorsqu'ils ont atteint au moins la moitié de leur grosseur. Buffon accuse ces animaux de ne se nourrir que de poissons et de reptiles, et de faire du tort aux étangs et aux rivières en détruisant le frai des carpes, bro- chets, barbeaux, etc. Le vrai est que les rats d'eau ne mangent que des matières végétales, et entre autres les racines et les graines des plantes de la famille des typhacées; si quelquefois ils se permettent une nourriture animale, elle consiste purement en quelques insectes et leurs larves ; quant aux poissons, grenouilles et autres animaux aquatiques, ils n'y touchent jamais. Dans cer- tains pays on mange sa chair, qui n’est pas mauvaise, et peut être comparée à celle du cochon d'Inde. Entre l'Obi et le Jenisey on trouve une variété, ou peut-être une espèce de cet animal, qui diffère de notre rat d'eau par une grande tache blanche qu'elle a entre les épaules, et une raie de la même couleur sur la poitrine, Le Scnemmauss (Arvicola paludosus. — Mus paludosus, Lin, Arvicola argentoratensis, Des. Le Scherman, Burr.) est plus petit que le précédent, à tête remarquablement plus ramassée, à queue plus courte, et à pelage noir. Il habite les environs de Strasbourg et s'éloigne davantage de l'eau. Le Campacwoz DES mIvAGrs (Arvicola riparius, Orp. Arvicola palusiris, HarLan) a cinq pouces de longueur (0,155), non com- pris la queue, qui est moins longue ; ses oreilles sont médiocres; son museau est gros; il a le pelage d'un brun rougeàtre mêlé de noir en dessus et cendré en dessous. Il habite le bord des eaux, aux États - Unis, et se nourrit des semences de la zizanie aqua- tique. Le Rar peau où Nic (Arvicola niloticus, Desm. Lemnus niloticus, Grorr.) a la queue presque aussi longue que le corps; son pelage est d’un brun mélé de fauve sur le dos, d'un gris jaunâtre en dessous: ses oreilles sont brunâtres, presque nues; sa queue est brune. Il habite l'Égypte, et a les mêmes mœurs que les précédents. Les espèces qui vont suivre sont entièrement terrestres, et toutes habitent l’ancien continent. Le CamPaëxoL ORDINAIRE (Arvicola vulgaris, DEsu. Mus arvalis, Lix. Le Campagnol ou Petit Rat des champs, Burr.— G. Cuy.) est de la grandeur d’une souris ; son corps a trois pouces (0,081) de longueur, non compris la queue, qui a un pouce (0,027), et qui est velue; ses oreilles sont moyennes et arrondies; son pelage est d’un jaune brun en dessus, d’un blanc sale en dessous. Cette espèce a souvent été le fléau de l’agriculture, surtout dans l'an- tiquité. Le campagnol est commun dans toute l'Europe, el se trouve dans le nord de la Russie jusqu'à l'Obi. Il habite les champs et les jardins, mais il ne pénètre jamais dans les maisons ni dans les bâtiments d'exploitation rurale. Il se creuse un terrier con- sistant en une pelite chambre de trois ou quatre pouces (0,081 à 0,108) de diamètre en tous sens, à laquelle aboutissent plusieurs boyaux en zigzag lui servant d'entrée et de sortie. C'est là que la femelle établit son nid d'herbe sèche, et met bas, au moins 240 LES RONGEURS. ——_—_—— deux fois par an, dix à douze petits à chaque portée. Aussi, lorsqu'un été favorise la multiplication de ces petits animaux, ils deviennent un véritable fléau pour l’agriculture. Ils font des pro- visions de grain, de noisette et de gland, mais il paraît qu'ils préfèrent le blé à toute autre nourriture. « Dans le mois de juillet, dit Buffon , lorsque les blés sont mûrs, les campagnols arrivent de tous côtés, et font souvent de grands dommages en coupant les tiges du blé pour manger l'épi; ils semblent suivre les mois- .Sonneurs , ils profitent de tous les grains tombés et des épis ou- bliés ; lorsqu'ils ont tout glané, ils vont dans les terres nouvel- lement semées et détruisent d'avance la récolte de l’année sui- vante. En automne et en hiver, la plupart se retirent dans les brun en dessus, jaunâtre sur les flancs, blanc sous la gorge et sous le ventre; sa queue n'a que le quart ‘de la longueur du corps, et elle est brune; ses oreilles sont très-courtes. Cette es- pèce habite la Sibérie et le Kamtschatka. Ses habitudes la rendent précieuse aux Kamtschadales. Le campagnol économe est l'espèce la plus singulière et la plus célèbre de son genre. Il habite les vallées profondes et humides, et creuse son terrier avec beaucoup d’art; il consiste en vingt ou trente boyaux de huit à neuf lignes (0,048 à 0,020) de diamètre, serpentant presque à la surface du sol, ou au moins à peu de profondeur, et s’ouvrant en dehors de distance en distance. Ces boyaux communiquent à d'autres galeries plus profondes, se Les Castors, paysage de bois, où ils trouvent de la faine, des noisettes et des glands. Dans certaines années ils paraissent en si grand nombre, qu'ils détruiraient tout s'ils subsistaient longtemps; mais ils se détrui- sent eux-mêmes, et se mangent dans les temps de disette ; ils servent d’ailleurs de pâture aux mulots, et de gibier ordinaire aux renards, aux chats sauvages, à la marte et à la belette. » Mais ce qui contribue plus encore à leur destruction , ce sont les pluies d'automne et les fontes de neige qui inondent leurs ter- riers. Il paraît qu'autrefois cette espèce était plus multipliée qu'aujourd'hui, et que souvent elle a ravagé des provinces en- tières; l’histoire nous en offre de fréquents exemples, et, dans des temps reculés, on regardait les armées de rats apparaissant tout à coup, comme un effet de Ja vengeance céleste ; aussi n’op- posait-on guère à leur invasion que des prières et des exorcismes. La FÉGOULE, ou CAMPAGNOL ÉCONOME (Arvicola æconomus, Des. Mus œconomus, Parras. Le Campagnol des prés, G. Cuv.) ne dif- fère extérieurement du précédent que par sa couleur plus foncée, mais à l’intérieur il a une paire de côtes de plus ; son pelage est l'Amérique du Nord. rendant toutes à son habitation ou à ses magasins. Son habita- tion, ou chambre principale, a trois ou quatre pouces (0,081 ou 0,108) de hauteur et environ un pied (0,525) de largeur ; elle est plafonnée avec des racines de gazon, ou, mais seulement dans les lieux humides, voûtée dans une motte de terre qui domine le sol environnant ; sur le plancher est étendu un lit de mousse. A côté de cet appartement, où loge la famille, sont deux ou trois magasins plus grands, construits avec beaucoup de soin et main- tenus constamment très-propres. Tel est l'établissement d'un couple solitaire ; mais s’il a une famille un peu nombreuse, il se fait aider par ses enfants; alors la chambre est beaucoup plus spacieuse, et l’on creuse jusqu’à huit ou dix magasins, afin d'y serrer assez de provisions pour tout le monde. Quelquefois deux ou trois familles se réunissent pour travailler et vivre en commun. Dès le commencement de l'automne, chacun se hâte de récolter des racines et des bulbes de phlomis tubéreux, renouées bistorte et vivipare, de pimprenelle sanguisorbe, de lis de Kamtschatka, des graines de pin cembro, etc., etc.; et ces provisions se dépo- - RATS. 241 sent dans un premier magasin pour y être épluchées et triées. Chaque espèce végétale occupe seule un magasin, ou du moins est réunie en une pile sans mélange avec d’autres. Tous les jours on visite les approvisionnements pour voir si tout est en ordre et si rien ne se gâte ; une racine paraît-elle attaquée par l'humidité, elle est aussitôt enlevée, transportée dehors, au grand air et au soleil, puis on la reporte au magasin quand sa dessiccation est parfaite. Lorsque les Kamtschadales rencontrent une habitation de cam- pagnol économe, c’est pour eux une bonne fortune, car ils se servent de la racine de sanguisorbe pour préparer une sorte de thé qu'ils aiment beaucoup, et les autres racines du magasin de proie et à la dent vorace des brochets et des saumons, qui en détruisent beaucoup ; le moindre vent en fait aussi noyer un grand nombre; mais enfin le gros de la troupe finit ordinaire- ment par gagner la rive opposée. Il arrive quelquefois qu'ils sont tellement fatigués, qu'ils se couchent sur le sable du rivage, sans pouvoir aller plus loin, et qu'ils périraient de froid si les Kamtschadales ne leur portaient secours en les séchant et les réchauffant, soit dans leur sein, soit devant un feu. Quand ces petits animaux sont un peu remis, ils leur rendent la liberté pour qu'ils puissent continuer leur voyage, ce que les campagnols font incontinent, Lorsqu'ils ont passé le Penshina, qui se jette à l’ex- trémité nord du golfe d'Ochotsk, ils côtoient la mer vers le sud, Le Liévre. Paysage de France. leur servent à assaisonner leurs mets. Ils s'en emparent donc, mais avec l'extrême précaution de ne maltraiter ni blesser aucun des membres de la famille, de laisser à l’'économe une partie de ses provisions, et de remplacer celles qu'ils enlèvent avec du ca- viar sec. Ils croient que sans cela ces petits animaux se tueraient de désespoir, et les priveraient ainsi, pour l’année suivante, de la part qu'ils s’adjugent des fruits de leurs économies. Il n’est pas rare de trouver dans les greniers du campagnol jusqu’à quinze ou vingt kilogrammes de racines. Comme les lemmings, les campagnols économes ont la prévi- sion, non pas des hivers rigoureux, mais des étés pluvieux, des orages et des tempêtes, des inondations qui doivent submerger leurs terriers, et ils émigrent pour aller chercher un climat plus favorable, C’est au printemps qu'ils se réunissent en grande troupes et se mettent en voyage, en dirigeant leur marche sur le couchant d'hiver, en ligne droite, sans que ni lacs, ni rivières, ni bras de mer puissent les déterminer à faire le moindre détour. En les traversant à la nage ils sont exposés au bec des oiseaux et au mois de juillet arrivent sur les bords de l'Ochotsk et du Joudoma, après une route de plus de six cent vingt-cinq lieues. Au moment de leur départ, ils formaient des colonnes si nom- breuses, qu'il leur fallait plus de deux heures pour défiler; mais au retour, qui a lieu la mème année, au mois d'octobre , il n’en est plus de même; les renards, les martes, les hermines, les oi- seaux de proie, la fatigue, et les mille accidents d’un long voyage, les ont plus que décimés, et souvent il n’en revient pas la moi- tié. Leur arrivée n’en est pas moins un jour de fête pour les Kamtschadales, parce que c’est un signe certain de la fin des tempêtes qui ont ravagé le pays pendant leur absence, parce qu’elle présage une année heureuse pour la pêche et les récoltes, et aussi parce qu'ils amènent à leur suite une foule d'animaux carnassiers à fourrures, qui promettent une chasse abondante et lucrative. On sait, au contraire, que lorsqu'ils retardent leur ar- rivée, c’est un pronostic infaillible de pluies et d'orages. Du reste, les émigrations des campagnols ne sont pas plus périodi- ques que celles des lemmings. 56. Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36. 16 242 LES RONGEURS. Ordinairement, chez la plupart des autres animaux qui vivent en famille ou en petite société, c’est le mâle qui se charge des plus rudes travaux; ici c’est le contraire : les femelles sont un tiers au moins plus grandes que les mâles, fortes à proportion, et beaucoup plus laborieuses. Vers le milieu de mai, et peut-être . plusieurs fois dans l’année, elles mettent bas deux on trois petits, qui naissent aveugles, et dont elles prennent le plus grand soin. Le campagnol économe du Kamtsehatka n’est qu'une variété très- légère de celui de Sibérie, et il n’en diffère que par sa taille un peu plus grande, et son pelage d'une teinte légèrement plus brune, Le CampaGNoz FauvE (Arvicola fulous, Dess.) a la queue un peu plus courte que la moitié du corps; ses oreilles sont à peine visi- bles; son pelage est d’un fauve roussatre, avee le ventre et les pattes jaunâtres. Il habite la France. Il se pourrait qu'il fit double emploi avec le Lemnus fulvus d'Is. Geoffroy, et lArvicola vulga- ris de Desmarest. Le CAMPAGNOL ALLIAIRE (Arvicola alliarius, Drsu. Mus alliarius, Pazz. — Gui.) est de la grandeur du campagnol ordinaire ; ses moustaches sont fort longues; ses oreilles grandes, presque nues: sa queue est de la longueur du tiers de son corps; son pelage est d'un gris cendré en dessus, blanc en dessous. Il habite la Sibérie, à l’est de l'Obi, se creuse un terrier, et se nourrit d'ail, dont il fait des provisions. Le CAmPAGNOL DES ROcHERS ( Arvicola saæatilis, Desu. Le Mus saæatilis de Pa. et GuL.) a la queue longue comme la moitié du corps ; ses oreilles sont grandes, ovales; son pelage est brun, mêlé de gris en dessus, gris foncé sur les flanes, et d’un cendré blanchâtre en dessous. Il habite la Sibérie et la Mongolie. Le CamPAGNOL ROUX (Arvicola rutilus, Des. Mus rutilus, PALL. — GL.) a la queue longue comme le tiers du corps; son pelage est roux en dessus, blanchâtre en dessous, teinté de gris et de jaunâtre ; ses oreilles sont nues, bordées de poils à l'extrémité seulement. On le trouve en Sibérie et au Kamtschatka. Le CAmPaGNoL socIAL (Arvicola socialis, DEsm. Mus socialis, Pazz. Mus gregarius, Lin.) est remarquable par la finesse et la mollesse de son pelage d’un gris pâle sur le dos, d’un blane pur sur le ventre et sur les extrémités; ses oreilles sont courtes, larges et nues; sa queue, blanchâtre, est longue comme le quart de son corps. Il vit d'oignons de la tulipe de Gesnère , dans les déserts du Volga et du Taïk, et quelquefois en si grand nombre, qu'on ne peut faire un pas sans enfoncer ses Lerriers. Le CamPaGNoL D’Asrrakan (Arvicola astrachanensi$, DES.) a la queue de la longueur du quart de son corps; il est jaune en des- sus, cendré en dessous; sa grandeur est celle d'une souris. On le trouve dans les environs d’Astrakan. Le CAMPAGNOL DES COLLINES ( Arvicola gregalis, Desm. Mus gre- galis, PALL. — GmL.) ressemble beaucoup au campagnol ordi- naire, Mais son pelage est d'un gris pâle sur le dos, et d'un blanc sale sous le ventre; les oreilles sont très-minces et assez grandes; la queue porte environ quarante anneaux écailleux, Cette espèce a les mêmes mœurs que le campagnol économe, mais comme elle habite des montagnes qui ne sont pas sujettes aux inondations, elle n’a pas besoin d'émigrer. Ce eampagnol est commun dans les montagnes de la Daourie, et depuis l'Irtich jusqu'aux sources du Jeniseï, Son terrier ressemble à celui de l'économe, à cette différence que les ouvertures des galeries sont couvertes d'un petit dôme de terre. Il se nourrit des bulbes de l'ail tenuissimum et du lis de pompone. Le CAMPAGNOL RAYÉ (Arvicola pumilio, Des. Mus pumilio, SparM.) se distingue de tous ses congénères à son pelage bleu clair en dessus, marqué de quatre bandes longitudinales noires. On le trouve au cap de Bonne-Espérance, C’est probablement un mnus. Le CAMPAGNOL AUX JOUES FAUVES ( Arvicola œanthognatus, DES.) a le pelage fauve varié de noir en dessus, d'un gris cendré clair en dessous ; ses joues sont fauves; sa queue est noire en dessus, blanche en dessous. Il habite les bords de la baie d'Hudson. Le CAMPAGNOL A QUEUE BLANCHE (Arvicola albicaudatus, Des.) a la queue à peine aussi longue que la moitié de son corps, blan- che en dessus; son pelage est brun et ses pattes blanches. Sa pa- trie m'est inconnue. 28e Genre. Les MYNOMES ( Mynomes, RarIN.) ne diffèrent du genre précédent que par le nombre de leurs doigts, qui est de quatre à chaque pied, avec un doigt interne fort court, et par leur queue qui est aplatie, velue, écailleuse comme dans les on- datras. Le MYNOME DES PRAIRIES (Mynomes pratensis, RarIN. Arvicola pensylvanica, Or». et HarLAN) a quatre pouces (0,108) de lon- gueur, et sa queue n’a que neuf lignes (0,020); son pelage est d'un fauve brunâtre en dessus, et d’un blanc grisâtre en dessous. Il habite les États-Unis, se creuse un terrier sur le bord des ri- vières, et se nourrit de bulbes d'ail et autres plantes de la famille des liliacées. 29° Genre. Les SIGMODONS ( Sigmodon, Say et Or. ) ont seize dents, savoir : quatre incisives; point de canines; six molaires en haut et six en bas, égales, avec des racines, et à couronne mar- quée par des sillons alternes, très-profonds, disposés en sigma : ils ont cinq doigts aux pieds de derrière, et quatre à ceux de de- vant avec le rudiment d'un: cinquième doigt onguiculé; leur queue est velue. Le Sicuonon vecu (Sigmodon hispidum, Sax et Orp. Arvicola hortensis, Hani.) est long de six pouces (0,162), avec une grosse tête, de grands yeux, et le museau allongé; son pelage est d’un jaune d’ocre pâle, mélangé de noir sur la tête el en dessous; les parties inférieures du corps sont cendrées. Cet animal habite la Floride orientale, dans les champs qui avoisinent la rivière de Saint-Jean. 50° Genre, Les NÉOTOMES ( Neotoma, Sax et Orn.) ont seize dents, savoir : quatre incisives; pas de canines; six molaires en haut et six en bas, ayant de longues racines qui manquent à celles des campagnols; ils ont aux pieds de devant quatre doigts avec le rudiment d’un cinquième, et cinq doigts aux pieds de derrière ; leur queue est velue. Le Néorome pe La FLoine (Neoloma floridana, Sax et Orn. Mus [loridanus , Des.) a la queue plus longue que le corps, brune en dessus et blanche en dessous; les oreilles fort grandes; le pelage doux et court, d’un gris plombé mélangé de poils noirs et jau- nâtres, en dessus; plus brun sur le dos et plus jaune sur les flancs ; le dessous du corps est d’un blanc pur. Il habite les bords du Missouri et les montagnes Rocheuses. RATS NAGEURS. LES RATS ont tous les caractères de la famille précédente, mais leurs pieds postérieurs sont palmés ou à demi palmés, c’est-à-dire que leurs doigts sont plus ou moins réunis par une membrane, comme ceux des canards ou autres oiseaux aquatiques. 51° Gene. Les CASTORS (Castor, Lis.) ont vingt dents, savoir : quatre incisives ; pas de canines; huit molaires en haut et huit en bas, composées, à couronne plane, avec des replis émailleux, sinueux et compliqués ; ils ont cinq doigts à tous les pieds; leur queue est large, aplatie horizontalement, ovale, sans poils et couverte d’écailles imbriquées. Le Castor ou Bièvre (Castor fiber, Lan.). Cet animal est à peu près de la grosseur d’un blaireau et atteint trois ou quatre pieds (0,975 à 1,299) de longueur, en y comprenant la queue; son pelage se compose de deux sortes de poils, l’un fort long, grossier, d’un brun roussàtre, recouvrant un duvet très-fin, plus ou moins gris. Du reste, il varie de cou- leur en raison des pays; par exemple, les castors du Nord sont d’un beau noir, et quelquefois tout blancs; ceux du Canada sont d'un brun roux uniforme ; vers l'Ohio et dans le pays des Ilinois, ils sont d’un fauve pâle, passant même au jaune paille; en France ils sont de la couleur de ceux du Canada; et enfin, on en trouve quelquefois de variés de jaunàtre et de brun. Ils ont les pieds de derrière palmés, ce qui leur donne une grande facilité pour na- ger, et leur queue plate et large leur sert de gouvernail. Ces animaux sont encore communs dans l'Amérique septentrionale, mais ils sont devenus assez rares en Europe, et particulièrement en France, où l’on n’en trouve plus que quelquesindiyidus isolés sur les bords du Gardon, en Dauphiné, sur ceux du Rhône, de quelques petites rivières qui se jettent dans ce fleuve, et dans quelques tourbières des vallées de la Somme. La ménagerie du Jardin des Plantes a nourri plusieurs castors, et il en est résulté des observations que je dois faire connaître avant d'entrer dans des détails de mœurs qui se trouveront tout à fait en contradiction avec ce que les auteurs ont écrit jusqu'à ce jour sur cet animal. Deux individus de cette espèce avaient été réunis dans la même cage, l’un venait des bords du Gardon, l’autre de ceux du Danube. Ils étaient d'une propreté extrême, vivaient paisiblement entre eux, mangeaient assis dans l’eau, dormaient presque tout le jour, ou ne veillaient que pour se lisser le poil avec les pattes et nettoyer leur loge de la plus petite ordure. On leur donnait divers matériaux pour voir si leur in- stinct de construction se décélerait par quelque chose; mais ils se contentaient de les entasser pêle-méle dans un coin de leur loge, en les repoussant avec leurs pieds ou les transportant avec leur bouche ou leurs mains, sans que jamais ils se soient servis de leur queue en façon de truelle, ni aient montré la moindre in- telligence architecturale. D'autres fois, on réunit dans la même loge plusieurs castors pris jeunes et élevés séparément; loin de montrer un caractère de sociabilité!, ils se battaient avec une fu- reur toujours renaissante. Buffon, qui a si bien vu, quand il a vu par ses propres yeux, va nous aider à se réfuter lui-même : « Si l'on considère le castor dans l’état de nature, dit-il, il ne paraîtra pas, pour les qualités intérieures (je suppose que Buffon enten- dait parler de l'intelligence), au-dessus des autres animaux; il n’a pas plus d'esprit que le chien, de sens que l'éléphant, de finesse que le renard. Il est plutôt remarquable par les singularités de conformation extérieure que par la supériorité apparente de ses qualités intérieures. » Buffon a fixé son opinion sur les observa- tions qu'il a faites chez lui, ayant conservé un castor vivant pen— dant plus d’un an ; mais on pourrait lui répondre, ainsi qu'à ma citation des castors nourris à la ménagerie, qu'il n'appartient pas NAGEURS de juger de l'intelligence des animaux libres et à l’état de nature, par celle que montrent ces malheureux lorsqu'ils ont été abrutis par les fers de l'esclavage. Cette objeetion est parfaitement juste, aussi est-ce ailleurs que dans la domesticité que nous allons main- tenant étudier le castor. Tous ceux que l’on trouve en Europe vivent solitairement, ne construisent rien , et n’habitent que des terriers. Il en est ainsi maintenant, et il en était ainsi dans l'antiquité, car les anciens, en nous parlant de leur canis pontious, qui n’était rien autre chose que notre castor, ne font nulle mention de son habitude de bâtir, et Jui attribuent les mêmes habitudes que celles de la loutre, à la nourriture près. Il est vrai qu'on prétend avoir trouvé en Norwége des ruines annonçant des villages de castors ; mais ce fait, aventureusement avancé, n’a pas été suffisamment prouvé. Dans certaines solitudes de l'Amérique, et surtout dans la haute Louisiane, les castors sont nombreux et n’ont jamais été inquiétés par l'homme, et cependant ils vivent épars, tout au plus en fa- mille, dans l'ignorance et la paresse de construire. Tous vivent dans des terriers qui ont quelquefois jusqu'à trois cents mètres et plus de longueur. Pallas dit que les castors de la Léna et ceux du Jeniseï sont également terriers, même lorsqu'ils sont rassem- blés en communauté, mais que pour l'ordinaire ils restent soli- taires. L'instinet de bâtir n’est donc pas chez eux développé au- tant qu'on a youlu le dire, et voyons à quoi cet instinct se réduit, quand on met de côté les contes des voyageurs non instruils, toujours prêts à gâter le merveilleux de la nature en mettant à sa place le merveilleux de leur invention. Les castors ne vivent pas ordinairement en société, comme on Va dit; depuis les premiers beaux jours du printemps jusqu'à l'automne, ils restent solitaires ou par couples, dans les bois, et élèvent leur famille, non dans des cabanes, comme le dit Buffon, mais dans des terriers qu'ils se creusent le long des ruisseaux. Lorsque les premières gelées blanches se font sentir , c'est alors qu'ils se réunissent et s'occupent, dans de certains pays déserts seulement, à élever ces fameuses digues sur lesquelles on à fait tant de contes absurdes. Elles consistent tout simplement en un amas de branches, de pierres, de boue, qu'ils accumulent sans ordre dans le lit d’un ruisseau, de manière à barrer le cours de l'eau et à la forcer à refluer en forme de petit étang. Comme les matériaux qu'ils emploient consistent en branches d'arbres aqua- tiques croissant sur le bord des rivières, saules, aunes, peu- pliers , ete., il arrive naturellement qu’elles prennent racine à la manière des boutures, et que la digue, qui augmente d'épaisseur chaque jour à mesure que le courant y amène des rameaux flot- tants et des vases qui s’y amoncellent, se fortifie, et finit par for- mer un épais buisson devant sa solidité à la nature plus qu’à ses prétendus architectes. Quant aux cabanes, elles sont construites à peu près dans le même principe. Ils commencent à amonceler, dans un endroit qui peut avoir dix-huit pouces à deux pieds de profondeur {0,487 à 0,650), une grande quantité de petites bran- ches, de pierres et de limon, et ils donnent à cet amas la forme d’un monticule conique, dont la moitié seulement est submergée ; alors ils creusent dans cette butte, ras le fond de l'étang , un trou rond qu'ils élargissent au milieu du tas de matériaux de manière à lui donner une forme analogue à celle d’un four. C’est là qu'ils déposent la provision d’écorce destinée à les nourrir pen- dant l'hiver. Ils percent un autre trou dans le dôme de £e maga- sin, puis ils élargissent également ce trou en forme de four, et font ainsi deux pièces l’une sur l'autre, et n'ayant qu'une même et seule issue. Cette dernière pièce n’est pas submergée comme la précédente, elle est au-dessus des eaux les plus hautes, et la fa- mille peut y dormir à sec, 16, 244 LES RONGEURS. ———_—_—_—_—__——_—_—_—_—_—_—_—_—_—————————————…———————.————————————————“—“mmm Ils savent fort bien profiter du courant du ruisseau pour ame- ner par le flottage leurs matériaux sur l'emplacement où ils doi- vent s’en servir; mais ces pilotis, ces arbres apointis par le pied, transportés par une sorte d'art, cette combinaison de travail, ces prétendus chefs qui forcent les paresseux à prendre part à l'ou- vrage, cette queue qui leur sert de truelle, cette maçonnerie , et ces murs solides et crépis avec du mortier de terre, cette sorte de police qui règne dans chaque bourgade ou même dans chaque famille , sont autant de contes dont les voyageurs ont enjolivé leurs relations. Loin que le castor soit comparable au chien et à l'éléphant pour l'intelligence, on peut affirmer que c'est un animal presque stu- pide. « Tous conviennent que le castor, dit Buffon lui-même, loin d’avoir une supériorité marquée sur les autres animaux, paraît, au contraire, être au-dessous de quelques-uns d’entre eux pour dans le discrédit. On ne chasse plus le castor que pour s'emparer de sa fourrure, très-recherchée dans la fabrique de chapellerie , et pour manger sa chair, d’uñ goût assez amer et fort peu agréa- ble. Dans les siècles derniers, il s’en faisait une chasse assez abondante dans tout le Canada, mais le nombre de ces animaux a été tellement diminué, qu'aujourd'hui les expéditions de chas- seurs sont obligées d'aller les chercher jusqu'aux sources de l'Arkansas, dans les montagnes Rocheuses. Le piége ou la trappe dont on se sert pour les prendre ne diffère en rien de nos piéges à renards et à putois. Les trappeurs, qui ne voyagent qu’en ca- rayanes pour se défendre contre les peuplades de sauvages, ont l'œil tellement exercé à cette chasse, qu'ils découvrent, au signe le plus léger, la piste du castor, sa hutte ou son terrier fussent-ils placés dans le taillis de saule le plus épais : ce même coup d'œil leur fait deviner exactement le nombre des habitants qui sy Le Castor. les qualités purement individuelles. C’est un animal assez doux, assez tranquille, assez familier , un peu triste, même un peu plaintif, sans passions violentes, sans appétits véhéments, ne se donnant que peu de mouvement, ne faisant d'effort pour quoi que ce soit, cependant occupé sérieusement du désir.de sa liberté, rongeant de temps en temps la porte de sa prison, mais sans fu- reur, sans précipitation, et dans la seule vue d'y faire 1ne ou- verture pour en sortir ; au reste, assez indifférent, ne s’attachant pas volontiers , ne cherchant point à nuire et assez peu à plaire; il ne semble fait ni pour servir, ni pour commander , ni même pour commercer avec une autre espèce que la sienne : seul, il a peu d'industrie personnelle, encore moins de ruses, pas même assez de défiance pour éviter des piéges grossiers, Loin d’atta- quer les autres animaux, il ne sait pas même se bien défendre. » Ces animaux font pour l'hiver une provision d’écorce, de bour- geons et de bois tendres, formant leur nourriture ordinaire. Les femelles, dit-on, portent quatre mois, mettent bas vers la fin de l'hiver, et produisent ordinairement deux à trois petits. Comme la plupart des autres rongeurs, ils se servent de leurs pieds de devant avec beaucoup d'adresse, principalement pour porter leurs aliments à leur bouche. Ils nagent et plongent parfaite- ment, mais sur terre ils ont la démarche lourde, et ils courent fort mal. Autrefois l’on recherchait beaucoup , dans la vieille médecine, une matière onctueuse, odorante, contenue dans de grosses vési- cules que les castors ont près de l'anus, et connue dans le com- merce sous le nom de castoréum. On lui attribuait plusieurs pro- priétés merveilleuses ; mais aujourd'hui cette drogue est tombée trouvent. Alors le chasseur pose sa trappe à deux ou trois pouces au-dessous de la surface de l’eau, et, par une chaine, l’attache à un tronc d'arbre ou à un piquet fortement enfoncé sur la rive. L'appât consiste en une jeune tige de saule dépouillée de son écorce, fixée dans un trou de la bascule du piége, et la sommité dépassant la surface de l’eau de cinq à six pouces. Ce sommet à été préalablement trempé dans la médecine (pour me servir du mot technique des trappeurs) qui doit attirer l'animal par son odeur alléchante. Or, la composition de la médecine est le secrel du trappeur , secret qui néanmoins n’a pas été si bien tenu que nous ne puissions le révéler ici. Au printemps, le chasseur ra- masse une grande quantité de bourgeons de peuplier, au moment où ils sont le plus couverts de cette sorte de glu visqueuse et odorante destinée probablement par la nature à protéger le dé- veloppement des jeunes feuilles. Il jette ces bourgeons dans une chaudière avec de l’eau, quelques feuilles de menthe des ruis- seaux, un peu de campbre, et une suffisante quantité de sucre d'érable. Quand tout a bouilli assez longtemps pour réduire l'eau à l’état de sirop sans emporter l'odeur du bourgeon de peuplier, il passe au filtre, et la médecine est faite; on la conserve dans des fioles bien bouchées, et on y trempe l’appât quand on tend le piége. Le castor, doué d’un odorat très-fin, ne tarde pas à être attiré par l'odeur; mais dès qu’il a touché à l’appât qui tient la détente, le piége part et le prend par les pattes. L'animal se débat; il entraîne la trappe de toute la longueur de la chaine; bientôt, épuisé de fatigue, il coule à fond avec le piége et se noie. Quel- quefois, quand le piquet vient à manquer, le castor gagne la rive i RATS NAGEURS, 245 et emporte le piége dans les bois, où l’on a beaucoup de peine à le retrouver. Il arrive aussi que lorsque ces animaux ont été trop inquiétés, ils deviennent méfiants et déjouent toutes les ruses du trappeur. Dans ce cas le chasseur abandonne la partie, met ses piéges sur son dos, et s'éloigne en se disant vaincu. 32e GENRE. Les ONDATRAS (Ondatra, Lacép. Fiber, G. Cuv.) ont seize dents, savoir : quatre incisives et douze molaires, ces der- nières composées et à racines distinctes , leur couronne plane, avec des lames émailleuses et anguleuses. Ils ont cinq doigts à tous les pieds; ceux des pieds de derrière à demi palmés et munis sur leurs bords d’une rangée de soies roides, les aidant à nager en remplissant l'office de membrane ; leur longue queue est cylin- drique à la base, puis comprimée latéralement, écailleuse, linéaire, recouverte de peu de poils roides. nourrit. Là il creuse un terrier et fait avec de la mousse un nid très-commode où la femelle dépose ses petits, au nombre de cinq ou six, dont elle prend grand soin pendant toute la belle saison. Si, par hasard, lorsque la femelle est pleine, le couple se trouve à portée d'une vieille cabane d’ondatras, elle s'en empare, et c'est là qu'elle met bas et élève ses enfants. Dans tous les cas, le mâle ne se mêle jamais de cette éducation, et il s'éloigne même de sa famille pour aller errer seul dans les bois. Au mois d’oc- tobre les petits sont aussi grands que leurs parents, et le père vient les rejoindre pour passer l'hiver avec eux. Alors toute la famille abandonne son habitation d'été et se rend sur le bord d'un lac ou d’une rivière; elle choisit un em- placement commode, c’est-à-dire un endroit couvert de jones, de souchets, et autres plantes croissant dans les ondes et étendant de longues racines dans la vase: il faut que l’eau soit limpide, Colonne de Daubenton. L'OxpaTra ou RAT MUSQUÉ pu Canapa (Ondatra zibethicus, Less. Castor zibethecus, Lix. Mus zibethecus , Guu. L'Ondatra, Burr. — G. Cuv. Le Rat puant des sauvages du Canada) a treize pouces (0,352) de longueur, non compris la queue, qui en a neuf (0,244), c'est-à-dire qu'il est à peu près de la grandeur d'un lapin. Son pelage est d’un brun gris teint de roux en dessus, et d’un cendré clair en dessous ; il exhale une odeur de muse qui devient très- forte et très-désagréable dans le temps des amours. Ainsi que le castor, l’ondatra habite le nord de l'Amérique septentrionale, fréquente le bord des eaux, se construit une ca- bane , et vit en société; mais, et ceci surprendra probablement quelques-uns de mes lecteurs, il est bien meilleur architecte. Au printemps, lorsqu'il a trouvé une femelle qui lui convient , et il lui est permis d'être difficile, car il doit passer sa vie entière avec la même compagne, il se relire avec elle au fond d’un bois, à proximité d’une rivière, d'un étang ou d'un lac, où se trouvent abondamment les jones et autres plantes aquatiques dont il se calme, et que, dans les plus grandes inondations, elle ne monte pas à un pied ou deux au-dessus de son niveau ordinaire. Le lieu convenable étant trouvé, tout le monde se met à l'ouvrage, sous la direction du père , pour bâtir la cabane qui doit les abriter pendant l'hiver. Les matériaux consistent en fiente de bison et en terre glaise, qu'ils pétrissent avec les pieds, et qu'ils mélan- gent avec de la paille de jonc et des feuilles sèches. Chaque ca- bane a ordinairement deux pieds et demi (0,812) de diamètre à l'intérieur, et quelquefois beaucoup plus quand plusieurs familles se réunissent. La forme en est ronde, et elle est recouverte d’un dôme de terre battue, épais de quatre pouces (0,108), avec une couverture de jones nattés fort régulièrement à l'extérieur, et n'ayant pas moins de huit pouces (0,217) d'épaisseur. Cette in- génieuse toiture est impénétrable à la pluie, à la neige et aux autres intempéries de l'air. Ils savent très-bien prévoir le cas où un accident extraordinaire ferait monter l’inondation plus haut que de coutume ; en conséquence, ils construisent à l'intérieur 246 LES RONGEURS. plusieurs étages de gradins sur lesquels ils se logent à sec, lors même que l’eau s'empare du bas de l’édifice. Comme les ondatras né font pas de provisions, ils creusent des puits et des boyaux au-dessous et à l’entour de leur demeure, pour aller chercher de l'eau et des racines de nénufar et d’acore aromatique, formant la base de leur noufriture d'hiver; dans ce cas, ces galeries leur servant de sortie, ils ont le soin de murer la porte de leur ca- bane. Mais quand celle-ci est construite au milieu de joncs fort épais, capables de les dérober à la vue de leurs ennemis, ils ne creusent point de galeries souterraines, laissent leur porte cu- verte, et se frayent des sentiers couverts parmi les jones, sous la neige, que ces plantes soutiennent élevée par leurs tiges rappro- chées. Ces häbitations sont construites avec tant de solidité, que les chasseurs ont beaucoup de peine à les ouvrir à coups de pio- ches et de pics. Lorsque l'hiver est rigoureux, la cabane est quelquefois cou- verte de plusieurs pieds de glace et de neige, sans que ses habi- tants, couchés bien chaudement sur de la mousse, les uns auprès des autres, en soient le moins du monde incommodés. Lorsque les douces influences du printemps commencent à fondre les neiges, à dégeler les lacs et à faire naître la verdure , les ohda- tras quittent leur cabane pour n’y revenir jamais. Ils se séparent par couples, et vont, comme je l'ai dit, passer la belle saison dans les bois, où ils vivent de toute sorte d'herbes. Dans les pays où l'hiver est moins rude, par éxemiplé cofiime dans la Loui- siane, ces animaux se terrent et ne construisent pas. Leur fourrure, malgré l’odeur de muse qu'elle exhale, ést fort recherchée à cause du duvet soyeux qui se trotivé sons le poil, et qui sert à confectionner les plus beaux chapeäux. C’est ën hiver que les chasseurs vont à la recherclié de ces animaux, quelque temps avant le moment où ils quittent leur retraite. IIS ouvrent avec des pioches le dôme de leur cabane, les 6Mistueñt bius— quement de la lumière du jour, assomment üt prénhéñt tous ceux qui n'ont pas eu le temps de gagner les galéfiés Sotitéïfaines qu'ils se sont pratiquées, et qui leur servent de défiérs rélratiche- ments où on les suit encore. Pris jeune, l'ondatra s’apprivoise fort aisément ét éaféssé même la main de son maître; en tout il montre beaucouÿ filus d'intel- ligence que le castor, dont les sauvages le disent tôtisin. Mais, surtout au printemps, il exhale une odeur musquéé si pénétrante qu'on la sent de fort loin, et qu’elle imprègne d’uné imanière désagréable jusqu'aux meubles de la maison où on Lélève. Cette odeur déplait tellement aux naturels du Canada, qu'ils ont donné à l’ondatra le nom de rat puant. Il paraît que la chair de ces ani- maux ne s'en emprègne que peu, puisque les Canadiens la man- gent et la trouvent fort bonne. L'ondatra a les dents incisives si fortes que lorsqu'on le renferme dans une caisse de bois dur, en quelques instants il y fait un trou assez grand pour en sortir. Il a une singulière faculté qu'il doit à la force de ses muscles peaus- siers et à là mobilité de sés côtes : quand il le vent, il se con- tracte et se rapetisse tellement le corps qu'il peut aisément en diminuer le volume de moitié, et alors il passe par un trou où ne passerait pas un animal beaücoup plus petit que lui. 33° GENRE. Les HYDROMYS (Hydromys, Georr.) ont douze dents, sayoir : quatre incisives et huit molaires, ces dernières simples, à couronne creusée en cuiller dans son milieu; les incisives su- périeures unies et plates antérieurement, les inférieures arron- dies en devant. Tous les pieds ont cinq doigts, libres aux pieds antérieurs, palmés aux postérieurs; les pouces de devant sont très-petits, onguiculés; les oreilles sont petites et arrondies ; la queue est longue, cylindrique, couverte de poils ras. L'HyprouYs À VENTRE BLANC (Hydromys leucogaster, GEorr. — Des.) a un pied (0,525) de longueur, non compris la queue, qui a onze pouces (0,298). Sa fourrure est très-fine, très-douce au toucher, brune en dessus, blanche en dessous; la queue est blan- che dans sa moitié terminale; les pieds de derrière ne sont guère qu'à demi palmés. Il habite l'île Maria, sur les bords des rivières, ën Australasie. L'Hypnonys À VENTRE JAUNE (Hydromys chrysogaster, GEOFe. — — Des.) est une espèce bien distincte de la précédente, quoi ii'en aient dit quelques naturalistes. Elle en diffère par ses pieds dé derrière, dont les doigts sont réunis par une membrane plus éténdué, par sa fourrure plus douce, plus fine, et d'un orangé très-vif en déssous; enfin par sa queue blanche seulement à l'ex- trémité. Il habite l'ile Brüni, dans la même partie du monde. 54e Genre. Les POTAMYS (Myopotamus, Commers.) ont vingt dents, savoir : quatre inicisives, huit molaires analogues à celles des castors, ayant une échancrure sur une face et trois du côté opposé; la tête est large, les oreilles petites et rondes, le museau übtus; 185 pieds sont à cinq doigts, avec les pouces de devant fort courts, et les doigts des pieds postérieurs palmés ; la queue est forté, conique, longtie, écaillense, parsemée de gros poils. Le Quouiva où Coyroë | Myopotamus bonariensis, Cou. Hydro- YyS coypus, GEeokr. — DEsm. Mus coypus, Moun.) est presque de là grandeur d'un castor, dont il a les formes générales ; son poil, très-fin et très-soyeux, est d'un brun marron sur le dos, roux sur lés flancs et brun clair sous le ventre; il a une variété entiè- rement rousse. I est commun au Paraguay, au Chili et au Tucu- man. Depuis fort longtemps nos fourreurs reçoivent par milliers dés peaux de et animal, dont le poil, connu dans le commerce sous le nom de racoñdä, remplace très-bien celui du castor dans la fabrication des chapeaux. Le coypou habite des terriers creusés sur le bord des fleuves, des grandes rivières et des lacs; il vit de bourgeons, d'herbes et de racines de plantes aquatiques. Ses mœurs sont fort douces; il s’apprivoise très-aisément, et s'attache même aux personnes qui prennent soin de lui. Du reste, son in- telligence est très-bornée, et il donne aisément dans tous les piéges qu'on lui tend. PORCS-ÉPICS. 247 SECTION DEUXIEME. LES RONGEURS HERBIVORES n'ont que des rudiments de clavicules. Cette section ren- ferme trois familles, savoir : les porcs-épics, les lièvres et les dasypoïdes. Tous sont des animaux inoffensifs et ti- mides, LES PORCS-EPICS se reconnaissent aux piquants roides et aigus dont leur corps est armé; ils ont quatre molaires partout, cylindriques, marquées sur leur couronne de quatre à cinq empreintes enfoncées. Leur langue est hérissée d’écailles épineuses : ils ont quatre doigts aux pieds de devant , et le plus ordinairement cinq à ceux de der- rière , tous armés d'ongles robustes. 55e Genre. Les PORCS-ÉPICS (Hystriæ, Lin.) ont vingt dents, savoir : quatre incisives, unies et arrondies au-devant, huit mo- laires en haut et en bas, à peu près d'égale longueur; leur chan: frein est fortement arqué; leurs pieds sont plantigrades, ceux dé devant ayant quatre doigts avec un rüudiment dé potice ongui- culé , ceux de derrière à cinq doigls ; la quete est rudimentairé, non prenante; l'œil très-petit, à pupille ronde; l'oreille arron- die, courte. Le Porc-Éric ornvamE (Hystric cristata, Lis. Le Pore-Épic commun ou à crinière, G. Cuv. Le Porc-Épic, Burr.). Cet animal a plus de deux pieds (0,650) de longueur, non com- pris la queue, qui est très-courle. Son corps est couvert de pi- quants fort longs, surtout sur le dos, où ils atteignent souvent plus d’un pied (0,525) : ils sont régulièrement annelés de noir brun et de blanc; sur sa nuque et sur son cou s'élèvent de lon- gues soies roides, lui formant une sorte de crinière qu'il hérisse, ainsi que les dards de son dos, quand il est en colère; mais cet appareil effrayant, qu'il présente à ses ennemis en Île secouant et lui faisant produire un bruit formidable, n’est dans la réalité qu'une parure aussi singulière qu'innocente. Ces dards, si dange- reux, quand on s’en rapporte aux anciens écrivains, ne sont rien autre chose que de véritables plumes à tuyaux creux, et auxquels il ne manque que des barbes pour êlre tout à fait analogues à celles des oiseaux. Leur pointe peu aiguë et leur flexibilité en font des armes si peu offensives qu'on peut prendre l'animal sans en éprouver ni blessure ni même de piqüre; et même ceux de la queue, qui, en se choquant les üns les autres, produisent ce bruit redoutable, sont creux dans toute leur longueur et ouverts à leur extrémité. Dans le temps de la mue, ces longs piquants, qui ne tiennent à la peau que par un pédicuie fort menu, se dé- tachent d'eux-mêmes, et l'animal s’en débarrasse en se secouant. Ce fait, mal observé, a fait dire aux anciens auteurs que le pore- épic lance à ses ennemis ses dards avec tant de roideur, qu'ils peuvent percer une planche de part en part à quelques pas de distance; pour rendre la chose plus merveilleuse encore, d'autres ont ajouté que ces aiguillons avaient la funeste propriété de s'en- foncer dans les chairs d'eux-mêmes, sans aucune force étrangère. On concoit que toutes ces niaiseries n’ont plus besoin de réfuta- tion, l'observation et la critique en ayant fait justice depuis longtemps. Le porc-épic est assez commun en Italie, en Espagne, en Grèce, en Barbarie, et se trouve généralement dans toutes les parties chaudes de l'Europe et de l'Asie. Il se plait sur le penchant des coteaux exposés au levant ou au midi, loin des lieux habités par les hommes. Dans cette solitude , il se creuse un terrier profond, à plusieurs issues, dans lequel il passe la journée à dormir, Il en sort la nuit pour aller à la recherche de sa nourriture, qui con- siste en bourgeons, en racines, fruits et graines sauvages. Quel- quefois, dans ses courses nocturnes, il se rapproche des habita- tions, et s'il pénètre dans un jardin, il y commet de grands dégâts, èn Coupant ei gâtant beaucoup plus de légumes qu'il ne peut en manger. Quoique n'étant pas compté pour un animal hibernant, le pore-épic reste l'hiver solitairement dans son trou , non pas dans ün élat complet d’engourdissement comme la marmotte, mais plongé dans un profond sommeil. Il en sort au printemps pour aller chercher sa femelle avec laquelle il s’accouple, au mois de nai, à là mahièré dés autres mammifères. Quoi qu'on en ait dit, celle-ci mét bas ses petits en août; ils naissent les yeux ouverts, ét ayant déjà le corps couvert de piquants longs de cinq à six pouces (0,135 à 0,162). En état de domesticité, le porc-épie, quoique peu intelligent, n'est ni méchant ni farouche, mais il ne perd jamais une occa- sion de reconquérir sa liberté, si elle s'offre à lui, et pour cela il cherche constamment à couper les barreaux de sa cage ou à en ronger la porte avec ses denis. Ceux que l’on a eus à la ménage- rie se nourrissaient aisément avec du pain, des fruits et des légu- mes. Quand on les contrariait, ils faisaient entendre une sorte de grognement ayant de l'analogie avec celui d’un porc, d'où leur est sans doute venu leur nom, car c’est là toute la ressem- blance qu'ils ont avec un cochon. A l’état sauvage, ils sont fort gras en automne, et c’est à cette époque qu’on leur fait la chasse pour les mangér, quoique leur chair soit assez fade. [ls exhalent une odeur forte et désagréable. Il n’est pas d'animal qui ait autant prêté que celui-ci au mer- veilleux dont les anciens écrivains aimaient tant à allonger leurs pages; le poëte Claudien admire le pore-épie, parce que «il est lui-même le carquois, la flèche et l’are dont il se sert pour re- pousser viclorieusement ses ennemis. » Bosman , dans son Voyage en Guinée, dit que « lorsque le porc-épic est en furie , il s’élance avec une extrême vitesse, ayant ses piquants dressés, qui sont quelquefois dé la longueur de deux empans , sur les hommes et sur les bêtes, et il les darde avec tant de force, qu’ils pourraient percer une planche. » Mais ce qu'il y a de plus curieux, c’est que l'ancienne Académie des sciences de Paris ait répété ce conte, ayant sous les yeux plusieurs porcs-épics vivants et eh ayant disséqué une demi-douzaine. Voici le fragment d’un rapport fait par les analomistes de cette célèbre société : « Ceux des piquants qui étaient les plus forts et les plus courts étaient aisés à arra- cher de la peau, n'y étant pas attachés fortement comme les autres: aussi sont-ce ceux que ces animaux ont accoutumé de lancer contre les chasseurs, en secouant leur peau comme font les chiens quand ils sortent de l’eau, » On trouve souvent dans l'estomac des porcs-épics une sorte d'égagropile qui, avec le temps, se durcit et devient un véritable bézoard auquel l'ancienne médecine accordait plusieurs pro priétés surprenanles. * Le Porc-£rie ne Maracca (Hystrix fasciculata, Suaw. Mus fas- ciculatus, Desm. Atherura fasciculata, Fr. Cuv.) a un pied quatre 248 LES RONGEURS. ———@Â___—_—_—__——_—_—_—_—_—__—— EEE pouces (0,453) de longueur, non compris la queue, qui a cinq pouces et demi (0,149). Le dessus dé son corps est couvert de longs piquants un peu aplatis et marqués d’un sillon dans toute leur longueur : la plupart sont blancs à la pointe et noirs dans leur milieu, ou noirs en dessus et blancs en dessous: sa queue est écailleuse, nue, terminée par un bouquet de poils longs et plats, ressemblant à des rognures de parchemin. Il habite l'Inde et a les mêmes habitudes que le précédent. Fr. Cuvier a fondé sur cet animal son nouveau genre athérure, que nous ne croyons pas devoir adopter, pour ne pas trop multiplier des coupes abso- lument insignifiantes. Si véritablement les pores-épics devaient se diviser, il me semble que l’on ne devrait en former que deux genres : l’un renfermerait les espèces à queue non prenante, et ayant cinq doigts aux pieds de derrière ; l’autre se composerait silis. IL est couvert d’aiguillons courts, nombreux, entièrement blancs, excepté à la pointe, entremélés de poils bruns; les jambes, les pieds et le bout du museau sont couverts d’une sorte de crins bruns. Sa patrie et ses mœurs me sont inconnues. L'Urson (Ærethizon dorsatum, Fr. Cuv. Hystrix dorsata, Gur.. Le Porc-Épic velu, G. Cuv. L'Urson de Burr.) a environ deux pieds (0,650) de longueur, non compris la queue, qui a huit pouces (0,217); son corps est couvert de piquants beaucoup plus courts que ceux du porc-épic ordinaire, en partie blancs ou jau- nâtres, et en partie bruns ou noirâtres; ces piquants, au plus, longs de trois pouces (0,081), sont en partie cachés dans de longs poils d’un brun roussâtre et assez rudes; le dessous de sa queue est garni de poils roides et bruns; le ventre, les pattes et le mu- seau sont couverts de soie d’un brun noirâtre. Il habite les États- Le Porc-Epic ordinaire. de celles qui ont la queue prenante et quatre doigts aux pattes postérieures. Le premier comprendrait par conséquent ies hystrix, acanthion , erethizon et atherura; le second les coendu et sphig- gurus. Si nous n'avons pas opéré ici cette fusion, c’est parce que nous avons l’intention de présenter la science telle que l’ont faite les naturalistes de nos jours. 36° Genre. Les ACANTHIONS (Acanthion, Fr. Cuv.) ont le même système dentaire que les précédents; mais leur chânfrein, au lieu d’être fortement arqué, est presque droit; les os du nez for- ment un parallélogramme allongé, et les crêtes occipitales ne sont que médiocrement allongées. L’ACANTHION DE Java (Acanthion javanicum, FR. Cuv.) n’était connu de Frédéric Cuvier que par une tête apportée de Java par M. Leschenault. L’ACANTHION DE DAUBENTON (Acanthion Daubentonii, Fr. Cuv.) n'est, comme le précédent, connu que par une tête osseuse beau- coup moins effilée à cause des os et du nez qui sont moins larges ; le front est plus aplati et le crâne plus étendu d’avant en arrière. 97 Genre. Les ÉRÉTHIZONS (Erethiron, Fr. Cuv.), avec le même système dentaire que les porcs-épics, ont cependant les dents plus simples et à contour moins anguleux; les os du nez sont courts, les arcades Zygomatiques très-saillantes; les pieds antérieurs ont quatre doigts, les postérieurs cinq; la paume et la plante des pieds sont entièrement nues, garnies de pupilles très-petites ; la queue est non prenante. La tête, vue de profil, offre à son sommet une ligne presque droite, interrompue par l'élévation des crêtes orbitaires du front. L'Eréruzon pe BurFon (Erethizon Buüffonii, Fr. Cuv. Le Coëndou de Burr.) n’est probablement qu'une variété du Coendu prehen- Unis d'Amérique, et il est assez rare. Il grimpe sur les arbres, et se loge dans leurs troncs creux ou sous leurs racines ; il se nourrit d'écorces, de fruits et de racines, et il paraît que l’écorce rési- neuse du pin du Canada, ainsi que celle du tilleul glabre, sont les aliments qu'il préfère à tout autre. Sa chair est estimée par les Américains. L'ÉréTizon macrourE (Erethizon macrourus, Less. Mus macrou- rus, Des. wystrix macroura, GuL.) a le corps couvert de piquants arrondis, gros, très-serrés et médiocrement longs; sa queue, longue de huit pouces (0,217), se termine par un bouquet de poils dont chacun est composé de plusieurs renflements ressemblant à autant de grains de riz. Séba le dit des Indes orientales. 98° Genre. Les COENDOUS (Coendu, Lacer. Sinethere, FR. Cuy.) diffèrent des genres précédents par leur queue prenante et par leurs pieds de derrière, qui n’ont que quatre doigts. Les parties antérieures de la tête sont très-proéminentes; leur pelage est presque entièrement formé d’épines, et ils n’ont de poils que sur la queue et sous le corps. Le CoENDou À LONGUE QUEUE (Coendu prehensilis, Less. Synethere prehensilis, Fr. Cuv. Hystrix prehensilis, Gui. Var. B. Hystrio cuandu, Desu. Le Coëndou à longue queue de Burr. Le Porc-Epic à queue prenante, G. Cuv.) a deux pieds (0,650) de longueur, non compris la queue, qui n’a pas moins de dix-huit pouces (0,487). Son corps est couvert de piquants d'une longueur moyenne, jaunes à leur base, noirs dans leur milieu, et blancs à leur extré- mité; ils sont très-courts et très-minces sur les côtés de la tête, les membres et la première moitié de la queue. Le dessous du corps et l'extrémité de la queue sont couverts de poils rudes et d’un brun noirâtre. Cet animal babite l'Amérique méridionale et principalement le - PORCS-EPICS. 249 Mexique ; le Brésil, la Guyane et l'ile de la Trinité. Il se retire dans les forêts les plus solitaires, et passe une grande partie de sa vie sur les arbres, où il grimpe avec beaucoup de facilité. Quoiqu'il ait la queue prenante, on a cependant remarqué que jamais il ne s’en sert en s’accrochant aux branches que lorsqu'il s’agit de descendre. Sa nourriture ordinaire consiste en fruits, feuilles , racines et bourgeons; on dit qu'il mange aussi les bois tendres. La ménagerie en a conservé un vivant pendant plusieurs années, et de ses habitudes on a pu conclure que cet animal a les mœurs nocturnes, La lumière paraissait l’incommoder beau- —— des animaux du genre précédent que par les parties antérieures de la tête, qui sont très-déprimées au lieu d’être élevées. Quant à tous les autres caractères, ils sont absolument les mêmes. Le Courx (Sphigqurus spinosa, Fn.Cuv. Hystriæ insidiosa, Licusr. Hystrix prehensilis, Fr. Cuv.) est d’un tiers plus petit que le coën- dou à longue queue, et sa queue est proportionnellement beau- coup plus courte. {l est couvert de piquants acérés, nombreux, serrés, entremélés de très-peu de poils, à pédicules très-menus; ceux de la tête sont blanes à leur base, noirs au milieu, et d’un Le Porc-Epic de Malacca, coup, et pour la fuir il se tenait pendant toute la journée caché dans un tas de foin. Quand on le touchait ou qu'on l’exposait au jour, il faisait entendre un petit grognement plaintif; du resie, il était fort doux. Sa queue était toujours enroulée sur elle-même à son extrémité, comme celle d’un sajou, mais on n'a jamais re- brun marron à l'extrémité; les autres sont généralement jaunà- tres à la base et noirs au bout. Le ventre est revêtu d'un poil laineux el grisâtre; la queue est couverte de poils durs et noirs, avec son extrémité nue. Il habite le Paraguay. L'Onico (Sphigqurus villosa, Fr. Cuv.) n’est, selon les obser- marqué qu'il s’en soit servi pour saisir quelque chose. Je pense que l’on ne doit regarder que comme une simple variété de cette espèce le hoitztlacuatzin ou sarigue épineux de Hernandez, qui n’en diffère guère que par l'extrémité noire de ses épines. vations positives faites par M. d'Orbigny dans le Brésil, que le précédent en pelage d'hiver. En effet , il n'en diffère que par le poil blanchâtre, abondant et très-long, qui cache en entier ses épines. Il habite les plus épaisses forêts du Brésil, et se plaît particulièrement sur le sommet des montagnes. Ses mœurs sont 39° Genre. Les SPHIGGURUS (Sphiggurus, Fr. Cuv.) ne diffèrent | douces et semblables à celles des espèces précédentes. LES LIÈVRES ont, dans l’âge adulte, quatre incisives à la mâchoire supérieure, deux à l'inférieure, et de vingt à vingt-deux molaires. Dans leur jeunesse il leur pousse à la mâchoire supérieure deux incisives destinées à en remplacer deux qui doivent tomber, de manière que, pendant un certain temps, ils ont six incisives en haut. Leurs pieds de devant ont cinq doigts et ceux de derrière quatre. 40e Genre. Les LIEVRES (Lepus, Las.) ont vingt-huit dents, savoir : quatre incisives supérieures et deux inférieures; douze molaires supérieures dont deux petites et simples, et deux infé- rienres; toutes, excepté les deux petites, sont composées et for- mées de deux lames verticales soudées ensemble. Les paltes de derrière sont très-longues, ainsi que les oreilles; la queue est 250 LES RONGEURS. courte et relevée; la femelle a de six à dix mamelles. Ces animaux timides sont recherchés et poursuivis par les chasseurs et leurs meutes, Les Lèvres et les Lapins se ressemblant tous, non-seulement par les formes, mais encore par les mœurs, nous allons généra- liser leur histoire, afin de ne pas tomber dans des redites en— nuyeuses. Peu d'espèces sont aussi fécondes et se multiplient autant que celles des animaux de ce genre. Les femelles mettent bas plusieurs fois par an, ne portent que trente jours environ, et font plusieurs petits qu’elles allaitent pendant quinze à vingt jours. Ces petits naissent couverts de poils et les yeux ouverts; ils grandissent très-vite et sont capables de se reproduire dès l’âge de six à huit mois. Ceci explique comment les lièvres et les lapins n'ont pu être détruits en France même dans les cantons les plus exploités par les chasseurs et les braconniers. Ces ani- maux sont d’une timidité qui est devenuë jrovéfbiale, ét il né pouvait en être autrement, puisqu'ilsin’ont aticuhe afmé à oppo- ser à leurs nombreux ennemis ; une belette, uh suürinulot sont assez forts et assez hardis pour attaquer et étranglei ün de ces animaux. Aussi les lièvres ne trouvent-ils leur sälut que dans là fuite et la rapidité prodigieuse de leur coufse, ét les lapins dans le profond terrier qui leur sert de retraite. Sans cessé aux aguels pour découvrir le danger qui peut les menacer, ils sont doués d'une ouïe excellente qui leur révèle de fort loin l'approche de l'ennemi ; le moindre bruit suspect les met sur leurs gardes, et la peur est pour eux une sentinelle toujours éveillée qui les avertit à temps de détaler au plus vite. Les lièvres, quoi qu'on en ait dit, sont des animaux intelli- gents qui savent parfaitement employer la ruse, non-seulement pour fuir le danger, mais encore pour le prévenir. Si la terre est couverte de neige, ils savent que l'empreinte de leurs pas peut mettre l'ennemi sur leur trace, et il n’est pas un chasseur qui n'ait admiré avec quel art ils savent l’effacer, ou plutôt l'em- brouiller, en passant et repassant vingt fois sur la même ligne, en décrivant mille tours et détours avant de se gîter; puis, s'élançant tout à coup de ces traces inextricables, par un bond prodigieux ils vont tomber dans un buisson ou un sillon profond, où ils restent cachés sans faire le moindre mouvement. Dix fois le chasseur, en cherchant à déméler les traces de leurs pas, s’est avancé tout près d'eux, à passé à quelques pieds de leur gîte sans que le moindre mouvemeéft de frayeur ait dénoncé leur retraite. L'expérience leur a aussi appris que les chiens”, sans qu'il soit besoin de neige, ont l’odorat assez fin pour les suivre à la piste; aussi font-ils là même manœuvre, quoique avec un peu moins de précautions, toutes les fois qu'ils veulent se giter; j'ai été plu- sieurs fois témoin oculaire de ce fait. Quand les lièvres sont pour- suivis par les chiens, ils rusent devant eux pour tâcher de leur faire prendre le change, et quelques-uns y parviennent en em- ployant des moyens qui annoncent de l'intelligence. On en a vu se cacher au milieu d’un troupeau de moutons, d’autres s’enfon- cer dans des trous de rochers; j'en ai vu un qui s’élancait sur le tronc d’un vieux saule penché sur une rivière, et qui restait là, caché dans le feuillage, pendant que la meute le cherchait vai- nement au pied de l'arbre et finissait par perdre sa voie. Du Fouil- loux, dans son naïf langage , raconte plusieurs faits très-remar- quables à ce sujet : « J'ai vu, dit-il, un lièvre si malicieux, que, depuis qu'il oyait la trompe, il se levait du gîte, et eüt-il été à un quart de lieue de là, il s’en allait nager en un étang, se re- laissant au milieu d'icelui sur des jones sans être aucunement chassé des chiens. J'ai vu courir un lièvre bien deux heures devant les chiens, qui, après avoir couru , venait pousser un autre et se mettait en son gite. J'en ai vu d’autres qui, quand ils avaient couru une demi-heure, s’en allaient monter sur une vieille mu- raille de six pieds de haut, et s’allaient relaisser en un pertuis de chauffaut couvert de lierre, ete., ete, » Certaines espèces de ce genre habitent les bois et kes monta- gnes, d’autres la plaine et les pays sablonneux. Quelques-uns ne se font aucune habitation, changent de gite tous les jours, et font leurs petits sur la terre nue, comme notre lièvre commun ; il en est qui se creusent des terriers et préparent à leurs petits un lit de foin et de duvet, par exemple le lapin. Un fait assez extraordinaire, c’est que les espèces qui semblent avoir le plus d’analogie entre elles sont animées les unes contre les autres d'une haine mortelle, chose rare parmi les animaux purement herbivores. Jamais les lièvres ne vivront dans le même canton que les lapins; si l’on renferme dans la même cage deux de ces animaux, un de chaque espèce, on peut être sûr que le plus fort aura tué le plus faible après quelques heures, et le lapin, quoi- que le plus petit, reste ordinairement le vainqueur dans cette lutte acharnée, La plupart des lièvres vivent solitairement, et les femelles abandôüñent leurs petits après les avoir allaités une vingtaine de joufs; lés espèces qui se creusent des terriers vivent äü Côfitraire éëñ famille, et souvent même en sorte de société, dans dés garéñitiés Conposées quelquefois d'un très-grand nom- bre dé terriers. Tous vivent d'herbes, de feuilles, d’écorces, et tié sortént guère que la nuit de leur retraite pour aller paître. Ils dorment le jour, mais d’un sommeil léger, les yeux ouverts et l'oreille au guet. Ce sont des animaux silencieux qui ne font entendre leur voix que lorsqu'ils y sont forcés par la douleur ou un danger inévitable; alors ils poussent des cris aigus qui ont quelque ressemblance avec ceux d’un petit enfant. On trouve des lièvres dans presque tous les pays de la terre, et partout leur chair est estimée comme un mets excellent. Mais cependant on a remarqué que sa saveur est d'autant meilleure que l’animal habitait un pays de montagnes et se nourrissait de plantes odorantes, telles que le thym, le serpolet, etc. Les lièvres de plaine sont moins estimés des gastronomes, et ceux des ma— rais passent pour ne rien valoir du tout. Néanmoins les musul- mans et les juifs, par un préjugé de religion, ne mangent pas le lièvre. Les Grecs, et surtout les Romains, en faisaient grand cas, et nous savons par Martial qu'ils estimaient sa chair au- dessus de celle de tous les autres quadrupèdes. Ces animaux ne vivent guère que sept à huit ans. Le Lièvre ORDINAIRE (Lepus timidus, Lis.) a le pelage d’un gris fauve ou d’un fauve roussâtre, nuancé de brun en dessus, blanc en dessous ; ses oreilles sont plus longues que sa tête, d’un roux cendré sur la conque ; noires à leur extrémité; sa queue, longue au plus de trois pouces (0,081), est blanche, avec une ligne noire en dessus. Cet animal offre üne singularité très-remarquable, et que je crois unique parmi les mammifères, c'est d’avoir du poil dans la bouche. IL vit solitairement; il est très-commun dans toute l’Europe. On en trouve une variété blanche. Le Lièvre À QUEUE ROUSSE (Lepus ruficaudatus, Is. GEOrr.) res- semble beaucoup au lièvre commun; il en diffère néanmoins par sa queue plus longue, et rousse en dessus au lieu d’être noire, par sä tache oculaire moins prononcée et sa joue très-mélangée de noir; par son poil beaucoup plus rude, et sa taille un peu moins grande. Il habite le Bengale. Le Moussez (Lepus nigricollis, Fr. Cuv.) est de la taille d'un gros lapin; son pelage est d'un roux tiqueté en dessous, d'un gris également tiqueté sur les flancs et les cuisses; d'un blanc pur en dessous ; une bande grisâtre s’étend du museau à l'oreille en passant sur l'œil; les oreilles sont variées de blanc, de roux gris etde brun pâle, avec la pointe noire ; le dessus du cou est d'un beau noir: le reste du corps, en dessus, est d’un gris de perle; les quatre pattes sont rousses; la queue est blanche en dessus et brune en dessous. Il habite le Malabar et Java. Le Lièvre »'Écypre (Lepus œgypliacus, Grorr.) est plus petit que le lièvre ordinaire; son pelage est d’un roux grisâtre, avec le menton et la gorge d’un blanc légèrement lavé de fauve ; une bande blanche lui passe sur l'œil; le devant du cou est d’un à LIÈVRES. 251 roussâtre pâle; le dessous du corps d’un blanc roussâtre, avec la queue d'un brun noir en dessus et blanchâtre en dessous; ses oreilles sont très-longues. Il habite l'Égypte. Le Lièvre pu Cap où Mourain mare (Lepus capensis, Lin.) est plus grand que notre lièvre ordinaire. Son pelage est d'un gris roux en dessus et blanc en dessous ; sa poitrine et ses jambes sont d'un fauve uniforme et vif; sa queue est noire en dessus, blanche en dessous : un trait roussâtre, bordé d'une bande brunâtre en dessous, occupe la région de l'oreille, dont l'extrémité est noire; ses oreilles et ses jambes sont extrèmement allongés. Il habite les dunes du cap de Bonne-Espérance, mais il n'est pas commun. Le Lièvre pes RocnERs (Lepus saæatilis, Fr. Cuv.) ressemble beaucoup par son pelage an lapin des sables, avec lequel M. Les- son l'a confondu, mais il en diffère totalement par ses formes. Il est un peu moins grand que le précédent ; son pelage est rous- sâtre en dessus, d’un gris roussâtre sur les membres, gris sur les flancs et la gorge ; le dessus du cou est d’un roux vif, ainsi qu'une partie des oreilles dont l'extrémité est noire, avec la partie in- terne d’un gris piqueté de noir et de fauve, comme Ja tête; la tache oculaire est d'un gris cendré; le dessous du corps et de la tête est blanc; le dessus de la queue est noir, et le dessous bläne. Il habite les montagnes du cap de Bonneé-Espérance. Le Lièvre VARIABLE (Lepus variabilis, PALL.) est plus grand que notre lièvre ordinaire; ses oreilles sont plus courtes que sa tête, et noires au bout en tout temps; il est d’un gris fauve en été, blanc en hiver; sa queue est blanche ou fauve, selon la sai= son. Ce lièvre est voyageur, change souvent de canton, et vit solitairement. Sa nourriture principale consiste En graine dé pin cembro et en quelques espèces d’agarics. Il habite les Alpes de Savoie et tout le nord de l'Europe. Le Lièvre HYBRIDE ( Lepus hybridus , PALL.) n’est probablement qu'une variélé du précédent, que Pallas regardait comme un métis du lièvre ordinaire et du lièvre variable. Il ne diffère de ce dernier que par sa queue, qui reste constamment noire, et par son pelage, qui ne blanchit qu'incomplétement et conserve du gris pendant l'hiver. Il habite la Russie et la Sibérie. Le RexaLek (Lepus glucialis, Same) est plus grand que le lièvre variable ; son pelage est entièrement blane en été et en automne, d'un brun grisàtre en hiver, et ses lèvres sont noires ; ses oreilles sont plus longues que sa tête; sa queue est très-courte ; ses on- gles sont déprimés , larges et forts. Son pelage est grisâtre avant l'âge adulte. Il habite les falaises du bord de la mer, dans le Groënland, et l'ile Melville, où il est très-commun. La femelle met ordihairement bas huit petits. Le WanvNG HARe Où LiÈVRE DE ViRGINE (Lepus virÿinianus, HarL.) est d'un gris brun ou d’un gris plombé en été, blane en hiver, avec, en tout temps, un cerele d’un fauve roussâtre autour dés yeux; sa queue est très-courte, et ses oreilles sont à peu près de la longueur de sa tête. IL vit dans les prairies qui bordent le Missouri , et ne se creuse pas de terrier. Le Taréri (Lepus brasiliensis, Lix.) est plus petit que le lapin ; son pelage est varié de brun noir et de jaunâtre en dessus; il a un demi-collier blanc sous le cou; ses oreilles sont beaucoup plus courtes que sa tête, et sa queue est tellement courte, qu'elle reste cachée dans les poils des cuisses. Il habite le Brésil et le Paraguay, et vit dans les bois. Il ne se creuse pas de terrier, mais il se relire sous les vieillés süuthes d'arbres. Le Toraï (Zépus tolaï, Gui.) est ün peu moins grañd que le lièvre ordinaire et un peu plus que le lapin. Sa tête et son dos sont mêlés de gris pâle et de brun; la gorge et le dessous du corps sont blancs, là nuque, le déssous du cou et les oreilles sont jaunâtres, célles-ci bordées de noir en déssus; il a du blanc au museau el autour de l'œil; là queue est blanche en dessous noire en dessus. Il habite la Sibérie, la Mongolie, la Tartarie, et Se trouve jusqu'au Thibet. Quand il est chassé par les chiens, il file de long droit devant lui, sans ruser, et se réfugie dans le premier trou de rocher, ou autre, qu'il peut trouver, Le Lapin pes SABLES (Lepus arenarius, Is. GEOrr.) est d’un quart plus petit que notre lapin ordinaire; son pelage est d'un gris cendré tiqueté en dessus; les membres, la gorge, les flancs, le tour de l'œil et le bout du museau sont roux; la tache du der- rière du cou est grise et fort petite ; le dessous de la tête est d’un blanc roussâtre, et le dessous du corps est blanc; la queue, pa- reillement blanche en dessous, est noire en dessus ; les oréillés sont de même couleur que chez les lapins, seulement elles ont une tache noire plus étendue à l'extrémité. Il habite le pays des Hottentots. Le Lapin DE MAGELLANIE (Lepus magellanicus , Less. et Garx.) est entièrement d'un noir violacé, offrant çà et là des taches blan= ches; les oreilles sont d'un brun roux, et plus courtes que la tête ; il a plusieurs taches blanches régulières, l’une sur le nez, l'autre entre les deux narines, une troisième sur la gorge, et une quatrième sur le front. Il vit en grandes troupes aux îles Malouines , et se creuse un terrier sous les rares buissons du pays. Le LApix D'AMÉRIQUE (Lepus hudsonius, PaLL. Lepus americanus, Des.) est de la grandeur d'un moyen lapin. Son pelage est d’un roux brun liqueté de gris sur quelques parties; son ventre et le dessous du cou sont blancs; les oreilles sont plus courtes que la lèle, noires à leur extrémité; la queue est blanche en dessous, grisätre en dessus, et longue de deux pouces (0,054), ce qui le distingue très-bien du tapéti avec lequel G. Cuvier l’a confondu. Il devient blanchâtre pendant l'hiver. Il habite l'Amérique sep- tentrionale et né sé creuse pas de terrier. Le Lapin ONbINAIRE (Lepus cuniculus, Lin.) a le pelage gris, mêlé dé fauve, et une plaque rousse sur la nuque; son ventre et sa gorge sont blanchâtres; ses oreilles sont à peu près de la lon- gueur de la tête, grisâtres en dehors , d’un roux tiqueté en de- dans, avec un liséré noir à la partie supérieure; la queue est blanche en dessous, brune en dessus. Originaire d'Afrique, le lapin a d’abord été naturalisé en Espagne, d'où il s’est répandu en France et dans tout le reste de l'Europe. Il vit en troupes nombreuses, dans des garennes où chaque famille se creuse un terrier; la femelle y met bas deux ou trois fois par an, jusqu’à huit à dix petits, qui n’en sortent que lorsqu'ils sont assez forts pour se suflire à eux-mêmes et se creuser de nouveaux terriers dans les environs, car jamais ils ne s'éloignent beaucoup de l’en- droit qui les a vus naître, et ils ont cela de commun avec tous les lièvres. Jusque-là elle défend au mâle l’entrée de sa retraite, parce qu'il ne manquerait pas de tuer ses enfants s'il pouvait y pénétrer; elle a soin, toutes les fois qu'elle en sort, d’en boucher l'entrée avec de la terre délayée. Soumis à la domesticité, le lapin, qui prend dans ce cas l’épithète de clapier, a fourni plu- sieurs variétés, toutes plus grosses que leur type, et ayant les oreilles plus longues. Les plus remarquables sont : 4o Le Olapier à longues oreilles, qui atteint la taille des plus grands lièvres ; son pelage est le même que celui du lapin de ga- renne, mais ses oreilles sont, proportionnellement, beaucoup plus longues et plus larges ; 29 Le Clapier blanc, à poils ras et pelage entièrement blane, Il a les yeux rouges comme tous les albinos ; 5° Le Clapier varié, mélangé de gris et de blanc; 4° Le Clapier roux, d’une couleur rousse plus ou moins jaunâtre : 5° Le Clapier noir, à poils ras comme les précédents, et pelage entièrement d’un noir foncé ; 6° Le Clapier pie, varié de noir et de blanc; 7e Le Riche, à poils soyeux , et pelage d’un gris d’ardoise plus ou moins foncé ; 8° Le Lapin d'Angora, à poils très-longs, très-soyeux, qu’on lui arrache chaque année pour l’employer à la fabrication de feutres, de tricots et autres étoffes. Celui-ci a fourni plusieurs sous-variétés de couleur, parmi lesquelles on remarque : 252 LES RONGEURS. : 90 L’Argenté, à poils très-longs et d’une blancheur parfaite. La chair des lapins de garenne est assez estimée, mais il n’en est pas de même de celle des lapins domestiques, qui est toujours plus ou moins fade, à moins qu'ils n'aient été nourris avec des végétaux choisis, et non avec des plantes potagères, telles que le chou, etc. 41e GExRE. Les LAGOMYS (Lagomys, G. Cuv.) ont vingt-six dents, savoir : quatre incisives supérieures et deux inférieures ; dix molaires en haut et dix en bas; toutes les dents à peu près conformées comme celles des lièvres. Leurs jambes sont à peu près de la même longueur entre elles; leurs oreilles sont courtes, arrondies ; ils manquent de queue, et leurs clavicules sont pres- que complètes ; la femelle a de quatre à six mamelles. que sept pouces (0,189) de longueur; son pelage est épais, fin, très-doux, d'un fauve grisâtre, mélangé de brun et de gris; le dessous du corps est d'un blanc sale, avec la gorge, les lèvres et le nez tout à fait blancs; les oreilles sont un peu triangulaires, bordées de blanc. Il habite les parties méridionales des monts Ourals, et vit solilairement dans un terrier qu'il se creuse sur la lisière des bois, dans les cantons fertiles et découverts. IL n’en sort que la nuit pour aller chercher sa nourriture, consistant en feuilles, fleurs, bourgeons et écorces d'arbres, tels que le pom- mier sauvage , le cerisier nain, le robinier frutescent, et le cytise rampant. Chaque jour, au soleil couchant et au soleil levant, il pousse des cris aigus, sans doute pour appeler une femelle, et ces cris le dénoncent aux chasseurs. L'Ocorox (Lagomys ogotona, Les. Lepus ogolona, Pau. Le Le Lapin. Le Pia (Lagomys pika, Georr. Lagomys alpinus, Desm. Lepus alpinus, PaLcas) a neuf pouces et demi (0,257) de longueur; il est généralement d'un roux jaunâtre avec quelques longs poils noirs ; le dessus du corps est d’un fauve pâle, le tour de la bou- che cendré , le dessous des pieds brun ; les oreilles sont arrondies et brunes. L Cet animal est très-commun en Sibérie, où il habite dans les montagnes les plus hautes et les plus escarpées, les bois, les vallées, et les prairies fraiches et herbeuses. Quelquefois il se creuse un terrier, mais le plus souvent il fixe son habitation dans un trou de rocher ou dans un arbre creux, et il s’y retire solitairement, ou, plus ordinairement, avec un ou deux de ses camarades. Il se nourrit de feuilles et d'herbes, et il a la pré- voyance de faire une bonne provision pour passer l'hiver dans l'abondance. Dès le mois d'août il commence ses approvisionne- ments, consistant en herbes qu'il choisit, coupe et fait sécher avec beaucoup de soin. Ensuite, pour mettre ce foin à l'abri des intempéries de l'air, il cherche un tronc d'arbre creusé par le temps, une grotte, où un trou dans une roche. Là plusieurs se réunissent pour établir un magasin commun, et ils y entassent une quantité de foin calculée sur le nombre d'individus qui auront à s'en nourrir pendant la mauvaise saison. Aussi n'est-il pas rare de trouver de ces tas qui ont jusqu'à cinq et six pieds (1,624 et 1,949) de hauteur et huit de diamètre (2,599). Cette habitude des pikas fournit aux voyageurs qui osent pénétrer dans les vastes solitudes de la Sibérie une précieuse ressource pour nourrir leurs chevaux. Le SuLcan (Lagomys pusillus, Des. Lepus pusillus, Parr. Le Lagomys nain, G. Guv.) est plus petit que le précédent, et n’a Lagomys gris, G. Guy.) a six pouces et demi (0,176) de longueur; il est d’un gris pâle en dessus, blanc en dessous, avec les pieds jaunâtres ; ses oreilles sont ovales, un peu pointues, de la cou_ leur du corps; son pelage est fin, lisse, et assez long. Il habite la Tartarie mongole ét les montagnes au delà du lac Baïkal. Comme le précédent, il se creuse un terrier, dont il ne sort que la nuit, et son cri est un sifflement aigu qui se distingue très-bien de celui du sulgan. Il se nourrit d’écorce d’aubépine et de bou— leau, d'herbes, et surtout d’une sorte de véronique qui croît sous la neige. Ainsi que le pika, il fait une provision de foin, qu'il amasse en tas hémisphériques, d'environ un pied (0,525) de hauteur. L'hermine et le chat manul sont les ennemis les plus dangereux de ce petit animal; car sa petite taille le fait dédai- gner de l’homme, quoique sa chair soit bonne. DASYPOIDES. 253 Le Paca brun. LES DAS ont seize molaires en tout, deux incisives seulement à la màchoire supérieure, et deux à l’inférieure; leurs pieds postérieurs ont trois ou cinq doigts, mais dont un de chaque côté est très-petit. 42e GENRE, Les PACAS (Cœlogenus, Fr. Cuv.) ont vingt dents, savoir : deux incisives à chaque mâchoire; huit molaires en haut et huit en bas, composées!, à couronnefplate, irrégulièrement sil- lonnées; ils ont cinq doigts à tous les pieds; ils ont sur les joues une sorte de cavité dont l'ouverture est extérieure ; leur queue est très-courte ; la femelle a quatre mamelles. Ces animaux sont de l'Amérique méridionale. VPOIDES en bande, et blanches ; le ventre, la poitrine, la gorge et la face interne des jambes sont d’un blanc sale; ses moustaches sont très- longues , noires et blanches; sa queue est extrêmement courte, presque rudimentaire. Comme le lapin, il se creuse un terrier à plusieurs issues, et n’en sort que la nuit pour aller paitre. Sa nourriture ordinaire consiste principalement en fruits et en ra- cines qu'il déterre en fouillant, mais il ne se sert jamais de ses pattes de devant pour porter les aliments à sa bouche, à la ma- nière des autres rongeurs. Il se plaît sur le bord des rivières et dans les lieux humides, probablement parce qu'il y trouve une végétation plus riche, mais il n'établit son terrier que dans les Le Paca BRUN ( Cœlogenus subniger, Fr. Cuv. Cavia Paca, Gu. Le Paca, Burr. Le Pag, »’Azzara. Le Pak ou l'Ourana, ne BaRÈRE. Le Pag et le Cottie de quelques parties de l'Amérique méridio- nale ). Cet animal, très-commun au Brésil et à la Guyane malgré la chasse continuelle qu'on lui fait, se trouve aussi, mais plus rare- ment, aux Antilles et au Paraguay. Sa longueur totale est d'un pied neuf pouces (0,569), c’est-à-dire qu'il est plus grand qu'un lièvre; son pelage est d’un brun noirâtre, marqué de chaque côté du corps de quatre ou cinq rangs de taches arrondies, disposées terrains secs et chauds. II produit souvent et en grand nombre, et il fallait qu'il en füt ainsi, car les chasseurs sont toujours à sa poursuite, et quand ils ne peuvent le tuer à coups de fusil, ils vont le déterrer dans son trou. Quoique d’un caractère paisible et fort doux, il défend courageusement sa vie et fait quelquefois des morsures cruelles. La chair de cet animal est délicieuse, au dire des voyageurs, qui la comparent à celle du cochon de lait, et n’en parlent jamais sans en faire le plus grand éloge. Il paraît qu’on le fait cuire avec sa peau, et que celle-ci est excellente. En domesticité, le paca, ainsi qu'on a pu le voir à la ménagerie, 254 LES RONGEURS. mange tout ce qu'on lui présente, comme du pain, des légumes, du sucre, des écorces et même de la viande. Il se prive aisément, et a beaucoup de douceur dans ses habitudes; de là, Buffon , et plus tard Fr. Cuvier, ont pensé qu'il serait possible, et même très-utile, de le naturaliser en France et d’en faire un animal de basse-cour; mais ils ne disent pas s’il se reproduit en captivité, ce qui me paraît fort douteux , et ce qui est cependant la condi- tion indispensable de la domesticité. Les pacas ont été tellement chassés dans les Antilles, qu'au- jourd'hui il n'en reste plus guère; mais l'espèce s'est parfaite- ment soutenue dans les autres parties de l'Amérique. Et cepen- dant, ils sont non-seulement la proie des hommes, mais encore de tous les grands oiseaux de proie , qui leur font une guerre cruelle et continuelle. Ces animaux ont des abajoues fort grandes, dans lesquelles ils cachent leurs aliments quand ils sont pour- suivis, ou simplement pour les transporter dans leurs terriers ; mais ils ont, outre cela, sur les joues, deux poches dont l'usage est encore inconnu. Leur peau, quoique couverte d’un poil court et assez rude, fait cependant une assez belle fourrure, parce qu'elle est régulièrement tachetée sur les côtés. Le Paca FAUvE (Cœælogenus fulvus, Fr. Cuv. Cavia paca, Georr. — G. Cuv. Osteopera platycephala, Harr.. Le Paca femelle de Burr.) n’a été regardé par presque tous les naturalistes, jusqu'à Fr. Cu- vier, que comme une variété du précédent. Cependant il en dif- fère par ses arcades zygomatiques, qui sont extrêmement écar- tées, et par d’autres caractères anatomiques. Le fond de son pelage est fauve , et non pas brun. Du reste, il lui ressemble en tout le reste, tant pour les couleurs que pour les mœurs. Il habite la Guyane. 45° GExre. Les COBAYES (Cavia, ErxL. Anœæma, Fr. Cuv.) ont vingt dents, savoir : deux incisives à chaque mâchoire; huit mo- laires en haut et huit en bas, toutes composées et n'ayant chacune qu'une lame simple et une fourehne; ils manquent de queue ; leurs pieds de devant sont munis de quatre doigts séparés, et ceux de derrière de trois; leurs ongles sont courts, robustes, en forme de petits sabots; ils ont deux mamelles ventrales. L’Aréréa ou Cocnox n'Inoe (Cavia cobaya, DES. Mus porcellus. Lix. Anœæma cobaya, Fr. Cuv. Le Cochon d'Inde, Burr. Le Cori des Indiens) a environ dix pouces de longueur (0,271): son corps, gros et trapu, est d’un gris roussâtre en dessus, et blanchätre en dessous. Dans la domesticité on en a obtenu de blancs, de jaunes plus ou moins fauves ou orangés, de variés de ces couleurs ou de noir, et qui diffèrent considérablement de leur type. L'apéréa est commun au Brésil et au Paraguay, où il habite les pajonals (sortes de buissons) qui eouvrent les rives des fleuves, mais il ne pénètre jamais dans les bois. Cet animal a fort peu d'intelligence , il ne sait pas se creuser un terrier, et cependant il aime à en habiter un quand il le trouve tout fait; dans le cas contraire , il se recèle dans des trous de rochers, sous des tas de pierres, ou tout simplement dans un buisson fourré. Il ne sort de sa retraite que le soir et le matin, au crépuscule, pour aller paitre les herbes dont il se nourrit, et qu’il transporte dans son gite. Il paraît que, dans cet état sauvage, sa chair est excellente, et comparable au meilleur lapin de garenne; aussi lui fait-on une chasse active. Sans aucune défense, n'ayant pas même la res- source de fuir avec rapidité , il devient facilement la proie des petits mammifères carnassiers et des oiseaux de proie. La femelle ne met bas qu’une ou deux fois par an , et seulement deux ou trois petits à la fois. Il paraît certain, d’après plusieurs anciens voyageurs, et particulièrement d'après ce que dit Garcilasso de la Vega, dans son Histoire des Incas, que l’apéréa était un animal domestique au Pérou, avant la découverte de l'Amérique, qu'on l'élevait comme nous faisons du lapin domestique, et qu'on en avait obtenu de blancs, de roux, ete. Depuis bien longtemps cette espèce est répandue en Europe sous le nom de cochon d'Inde, et sa nature s’est tellement modi- fiée par l'esclavage et le climat, que Buffon a décrit l'apéréa et le cochon d'Inde comme deux espèces différentes, sans soupcon- ner le moins du monde leur identité. En état de liberté, l'apéréa, comme nous l'avons dit, montre peu d'intelligence; mais chez nous il est devenu tout à fait stupide, au point de se laisser tuer par les chats et les autres animaux, sans montrer ni frayeur ni enyie de se défendre. C’est un animal qui ne vit absolument que pour dormir, manger et se multiplier, comme une véritable ma- chine organisée, et il est impossible de saisir chez lui un geste, un signe, qui se rapporte à un autre sentiment, une autre pas- sion, que ces trois choses. Il en résulte que la femelle tient très- peu à ses enfants, qu'elle les mange quelquefois, et que toujours elle les chasse après les avoir allaités quinze jours. Ceux-ci crois- sent très-yite, et à l'âge de deux ou trois mois ils sont capables de faire des petits, quoiqu'ils n’alteignent toute leur grosseur qu'à six mois. Or, comme la femelle ne porte que trois semaines, elle peut faire six à huit portées par an, et les portées, qui ne sont que de cinq à six petits dans le commencement, augmentent avec l'âge et finissent par être de dix à douze; l’on a calculé qu'avec un seul couple de ces animaux, on pourait en avoir un millier après l’espace d’un an. Les cochons d'Inde mangent à peu près toutes les substances végétales qu'on leur présente, mais ils paraissent préférer le pain, le son et particulièrement le persil, les pommes de terre et les fruits, à toute autre chose. Ce qu'il y a de singulier, c’est que, même nourris avec des aliments secs, comme le foin, ils ne boivent jamais et urinent beaucoup. Ils supportent assez bien les rigueurs de nos climats, pourvu qu'ils soient renfermés dans un lieu où le thermomètre centigrade ne descende pas au-dessous de quatre à cinq degrés au-dessous de zéro. Leur chair est assez bonne, quoïque un peu fade. 44e Genre. Les CABIAIS (Hydrochærus, Briss.) ont vingt dents, savoir : deux canines à chaque mâchoire; huit molaires en haut et huit en bas, toutes composées , les postérieures étant les plus longues, et formées de lames nombrenses, simples et parallèles, les antérieures offrant des lames fourchues ; les pieds de devant ont quatre doigts larges et armés d'ongles, réunis par des mem- branes; les pieds de derrière n'ont que trois doigts ; ils manquent de queue, et la femelle a douze mamelles. Le Capiveoua ou Cagrar (Hydrochærus capybara, Des. Cavra ca- pybara, GuL. — Lix. Le Cabiai, Burr. Le Capybara, G. Cuy. Le Chiguère des habitants de Caracas. Le Cabionara de la Guyane. Le Capivard et le Cochon d'eau de quelques voyageurs) est de la grandeur d’un cochon de Siam : il a trois pieds (0,975) de longueur, sur un pied et demi (0,487) de hauteur, ce qui en fait le plus grand des rongeurs. Son pelage est d'un brun roussâtre en dessus, fauve en dessous, à poils rares, comme ceux d’un co- chon, mais plus fins. Il habite l'Amérique méridionale, depuis la Plata jusqu'aux affluents septentrionaux de l'Orénoque, et il ne s'éloigne jamais du bord des eaux. Cet animal a le corps gros et ramassé, la lèvre supérieure fen- due , les yeux noirs et grands, les oreilles et les jambes presque nues ; en marchant il appuie par terre toute la plante des pieds de derrière, ce qui lui donne l'air de ramper. Il ne quitte jamais le bord des rivières et des lacs, et se cache dans les pajonals ou buissons d’arbrisseaux aquatiques qui croissent sur les sables des rivages. Il est timide et vit en famille ou en petites troupes de dix à quinze individus. Quand un objet suspect les effraye , ils poussent un cri que l’on peut rendre par le mot a-pé, prononcé avec force et avec les aspirations que l’âne met dans son braire. A ce signal de l’un d’eux, tous se jettent à l'eau, plongent, et ne vont reparaître à la surface qu'à une très-grande distance de l'endroit où ils se sont enfoncés ; ils nagent ensuite avec une si DASYPOIDES. 255 grande facilité et une telle vitesse, qu'il est impossible à un canot de les atteindre. Selon d’Azzara, ils ne vivraient que d'herbe, mais M. de Humboldt s’est assuré qu'ils mangent aussi du poisson, et qu'ils savent le pêcher avec beaucoup d'adresse. Ce voyageur en a vu des troupes rester tranquillement assises sur leur der- rière, ce qui est leur position favorite, tandis qu'un grand ero- codile sorti des ondes passait au milieu d'eux. Cette sécurité, dit-il, leur venait sans doute de l'expérience qu'ils ont que le crocodile n’attaque pas hors de l’eau. Le cabiai ne se creuse pas de terrier; il se gîte sur la terre comme le lièvre, et ne quitte guère sa retraite que la nuit. La femelle seule a un domicile fixe, dans lequel elle revient toujours ; elle y met bas de quatre à huit petits qu’elle allaite quelque temps, et qu'elle abandonne aussitôt qu'ils sont assez grands pour se rendre sans elle à la rivière. Pris jeune, cet animal s’apprivoise parfaitement, vient à la voix de son maitre, et le suit presque comme un chien; il est d’un caractère doux, tranquille et tout à fait inoffensif. En captivité on le nourrit fort bien avec de la sa- lade, des carottes, de l'orge et des fruits. Sa chair est grasse, tendre, et passe pour excellente, quoique, selon Buffon, elle ait un peu le goût du poisson. Les missionnaires de l'Orénoque la permettent pendant le carème , comme un aliment maigre. Les chasseurs américains lui font la chasse et le regardent comme une importante pièce de gibier; mais comme îl ne s'éloigne ja- mais à plus de cent pas des eaux , il faut, pour l'avoir, le tuer roide d’un coup de fusil, car, s’il n’est que blessé mortellement, il se jette dans la rivière, et, ainsi que la loutre, il ne reparaît plus. 45e Genre. Les KERODONS (Kerodon, FR. Cuy.) ont vingt dents, savoir : deux incisives à chaque mâchoire ; huit molaires en haut et huit en bas, toutes composées de deux parties égales, sembla- bles l’une et l’autre à un triangle ou plutôt à un cœur, réunies du côté externe de la dent, et séparées du côté interne, Ces triangles sont entourés chacun de leur émail et remplis de ma- tière osseuse, et leur séparation produit une échancrure angu- leuse en partie remplie de matière corticale. Ils ont quatre doigts aux pieds de devant et trois à ceux de derrière, comme chez les cobayes, mais les jambes sont plus hautes, les doigts plus gros et plus séparés, et les ongles larges, courts, assez aplatis. Le Moco (Kerodon moco, Fr. Cuv. Kerodon sciureus , Is. GEOFF. Cavia rupestris, Max. ne NEuw.) est un peu plus grand que le cochon d'Inde; son pelage est d'un gris cendré mêlé de noirâtre et de jaune rougeûtre en dessus, blanchâtre en dessous; ses moustaches sont entièrement noires. Il habite le Brésil et se plait dans les lieux rocailleux ; ses mœurs sont à peu près les mêmes que celles de l’apéréa. 46° Genre. Les AGOUTIS (Chloromys, Fr. Cuv.) ont vingt dents, savoir : deux incisives à chaque mâchoire; huit molaires en haut et huit en bas, toutes composées, presque égales, à couronne plate, irrégulièrement sillonnée et à contours arrondis; les pieds de devant ont quatre doigts, et ceux de derrière trois, tous libres; les jambes sont fines ; ils ont une petite queue , ou un tubercule qui la remplace. L'Aroucri ou Axouri (Chloromys acuschy, Desmouc. Cavia acus- chy, Gur. Dasyprocta acuschy, Des. L’Acouchy, Burr.) est à peu près de la taille du précédent; son pelage, un peu plus doux et plus soyeux, est brun, avec des mouchetures fauves; la croupe est noirâtre, et le ventre roux; il n’a point de crête derrière la tête ; sa queue est mince, un peu allongée; enfin il n’a que six mamelles. Il a les mêmes mœurs que le précédent, et vit dans les bois à la Guyane, aux iles de la Grenade et de Sainte-Lucie. L'Acouri HuPPÉ (Chloromys cristatus, Fr. Cuv. Dasyprocta cris- tata, Desu. Cavia eristata, Georr.) a la même taille que notre lapin; son pelage est noirâtre , piqueté de roux ; il a sur l'ocei- put une sorte de crête composée de poils très-allongés ; les poils de sa croupe sont également très-longs; son ventre est brun; ses oreilles et sa queue sont courtes. Il habite Surinam, est moins farouche que le premier, et s'apprivoise beaueoup plus facile- ment. L'Acouri PATAGONIEN (Chloromys patagonieus, PEN. Dasyproeta patagonica, Desu. Le Lièvre des Pampas, b'Azara. Cavia palago- nica, Suaw) est d'un gris fauve piqué de blanc sur le dos, pas- sant au noir sur la croupe; les fesses et le ventre sont blancs; les flanes fauves ; les oreilles longues; la queue est très-courte, et les mamelles sont au nombre de quatre. On le trouve depuis les pampas du Paraguay , jusqu'au détroit de Magellan. Il ne vit pas en troupe, mais par couple, et le mâle ne quitte pas sa femelle, même quand ils sont poursuivis par des chiens. Pendant la nuit, s'ils se sont séparés pour chercher leur nourriture, ils ne tardent pas à s'appeler par un cri aigu, fort, que l'on pourrait écrire ainsi, 0-0-0-y, cri qu'ils font aussi entendre lorsqu'on les tour- mente. Ils s’apprivoisent aisément, et ne font aussi que deux pe- tits. Les Indiens les chassent et les mangent, quoique leur chair, blanche , soit assez fade. Les chasseurs cherchent toujours à tuer la femelle la première, bien sûrs qu'ils sont que le mâle ne la quittera pas. L'Açour: ou Coria (Chloromys acuti, Fr. Cuv. Dasyprocta aculi, Dess, Cavia aeuti, Erxz. L’Agouti, Burr.) a vingt pouces (0,542 de longueur; il est à peu près de la grosseur d'un grand lièvre ; sa tête a un peu d’analogie avec celle d'un lapin, mais ses yeux sont saillants, et ses oreilles, longues seulement d'un pouce et demi (0,04), sont demi-circulaires et nues; son pelage est rude, brun , piqueté de jaune ou de roussâtre, teinté de verdätre sur gertaines parties, roux sur la croupe; les poils sont très-longs sur cette dernière partie, et beaucoup plus courts sur le reste du corps; la queue est courte, les mamelles sont au nombre de douze. L'egouti est très-commun à la Guyane, au Brésil et à Sainte- Lucie ; là il fait le plaisir habituel des chasseurs, comme le lièvre chez nous. Il ne se gite pas sur la terre nue comme ce dernier, il ne se creuse pas non plus de terrier comme le lapin, mais il se cache dans les troncs d'arbres et sous les vieilles souches. 11 n'habite que les bois, où il vit en troupes, et il ne sort ordinai- rement de sa retraite que la nuit. La lumière du jour l’offusque au point que, s’il est surpris par des chiens pendant la journée, ce n’est que difficilement qu'il leur échappe par la fuite, quoique ce soit un habile coureur, surtout en montant: comme il a les pattes de devant beaucoup plus courtes que celles de derrière, il est obligé de ralentir sa course en descendant une montagne ou toute autre pente un peu roide, sous peine de faire la culbute. A l’état sauvage, il est d’un caractère farouche et timide, mais ce- pendant il se défend courageusement lorsque la fuite ne lui est plus possible, et avant de succomber il fait de profondes mor- sures à ses ennemis. Lorsque les chiens le chassent, il ne ruse pas devant eux, ainsi que le lièvre ou le lapin, mais il s'enfuit très-vite et gagne au plus tôt sa retraite, où il s'enfonce et reste avec obstination. Il n’est qu'un seul moyen de l'en faire sortir, c’est de l'y enfumer; à demi suffoqué, il jette des cris aigus et plaintifs, et ce n’est qu’à la dernière extrémité qu'il s’élance tout à coup dehors pour commencer une lutte qu'il sait devoir lui être mortelle. Son cri, lorsqu'on l'inquiète ou qu'on l'irrite, est, dit Buffon , semblable à celui d’un petit cochon. Lorsque l’agouti est en colère, il frappe la terre de ses pieds de derrière, absolument come le lapin, et les longs poils de sa croupe se hérissent verticalement. Quand il mange, il saisit ses aliments avec ses pattes de devant, mais elles ne lui servent pas à les porter à sa bouche. Comme tous les animaux de son genre, il est omnivore : il n’a donc pas besoin de s’amasser des provi- 256 LES RONGEURS. ————. sions, et c'est par erreur que Buffon lui attribue cette habitude ; mais sa nourriture la plus ordinaire consiste en fruits et en ra- cines. La femelle prépare un nid fait avec du foin et des feuilles sèches ; en octobre elle y met bas deux petits, qu’elle n'y allaite que pendant trois ou quatre jours, après quoi elle les transporte dans une autre cachette, ainsi que fait la chatte domestique , et cela probablement par défiance. Si elle éprouve la moindre in- quiétude, elle les change de nouveau de domicile, et cette manœuvre recommence souvent. Cependant elle ne les allaite MA gi que pendant une vingtaine de jours, après quoi ils commencent à la suivre pour apprendre à chercher leur nourriture, et bientôt après ils la quittent pour se réunir à la première troupe de jeunes agoutis qu'ils rencontrent. Tout farouche qu'il est, si on prend un jeune agouti, et qu’on le traite avec douceur, il s’ap- privoise aisément , s'attache, sinon au maitre, du moins au logis, sort et entre seul à la maison, et ne pense même à la quitter tout à fait que lorsque vient le temps des amours. Sa chair se mange, et passe même pour assez bonne. L'Agouti. LES ÉDENTES, NEUVIÈME ORDRE DES MAMMIFÈRES. Ils forment le dernier ordre des mammifères onguiculés. Si on en excepte les Talous, ils manquent tous d’incisives aux deux mâchoires; quelquefois ils ont des canines et des molaires, d'au- tres fois des molaires seulement, et enfin souvent ils n'ont point L'AI. de dents du tout; ils ont de gros ongles, embrassant l'extrémité des doigts, et se rapprochant plus ou moins de la nature des sabots. Cet ordre renferme trois familles, celle des tardigrades , celle des dasypoïdes, et celle des monotrèmes. LES TARDIGRADES n'ont point d'incisives, mais dix-huit molaires ou moins; leur museau est court; et tous leurs mouvements sont extrèmement lents. 4er Genre. Les ACHÉES ( Acheus, Fr. Cuv.) manquent d’inci- sives et de canines , et ont dix-huit molaires toutes en forme de cylindre, dont l'extrémité est creusée, tandis que le rebord est formé d’une substance plus dure; ils ont trois doigts complets à chaque pied, et leurs bras sont deux fois plus longs que leurs jambes. Ils ont une courte queue. L'Aï (Acheus aï, Fr. Cuv. Bradypus tridactylus, Lin. — Des. L'Aï de Burr. Le Paresseux des voyageurs. Le Zhocoudgi des Bo- tocoudos. Cet animal extraordinaire est de la grandeur d’un chat; son front est saillant, comme tronqué en avant; son pelage, grossier et ressemblant à du foin sec, est d’un gris brunâtre, souvent ta-— cheté de blanc sur le dos, où règne le plus ordinairement une large tache jaune on orangée, traversée par une ligne noire lon- gitudinale. Il a plusieurs variétés assez remarquables, dont l’une, V4? à collier, est regardée par Temminck comme espèce; les autres sont : l’4% dos brülé, l’Aï à face jaune, V'At à collier noir et l'A? gris cendré. Cet animal a été pour presque tous les naturalistes, sans en excepter Buffon et Georges Cuvier, un sujet d'erreur la plus complète, parce que, malgré leur excellente critique, ils se sont 57. Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36. laissé influencer par les contes absurdes des anciens voyageurs, et peut-être aussi par des opinions préconcues. Écoutons d'abord Buffon : « Nous disons, pour revenir à nos deux animaux (laï et l'unau), qu'autant la nature nous a paru vive, agissante, exaltée dans les singes, autant elle est lente, contrainte et resserrée dans ces paresseux ; et c’est moins paresse que misère, c'est dé- faut, c’est dénûment, c’est vice dans la conformation ; point de dents incisives ni canines; les yeux obscurs et couverts, la mà- choire aussi lourde qu’épaisse, le poil plat et semblable à de l'herbe séchée, les cuisses mal emboîtées et presque hors des hanches , les jambes trop courtes, mal tournées et encore plus mal terminées; point d’assiette de pieds, point de pouces, point de doigts séparément mobiles; mais deux ou trois ongles exces- sivement longs, recourbés en dessous, qui ne peuvent se mou- voir qu’ensemble , et nuisent plus à marcher qu’ils ne servent à grimper; la lenteur, la stupidité, l'abandon de son être, et mème la douleur habituelle résultant de cette conformation bi- zarre et négligée ; point d'armes pour attaquer ou se défendre ; nul moyen de sécurité, pas même en grattant la terre; nulle ressource de salut dans la fuite : confinés, je ne dis pas au pays, mais à la motte de terre, à l'arbre sous lequel ils sont nés, pri- sonniers au milieu de l'espace; ne pouvant parcourir qu'une toise en une heure, grimpant avec peine, se trainant avec dou- leur, une voix plaintive et par accents entrecoupés, qu'ils n'osent élever que la nuit : tout annonce leur misère, tout nous rappelle 17 258 LES ÉDENTÉS. ces monsires par défaut, ces ébauches imparfaites mille fois pro- jetées, exécutées par la nature, qui, ayant à peine la faculté d'exister, n’ont dû subsister qu'un temps, et ont été ensuite effacés de la liste des êtres. » Pour achever ce triste portrait, Buffon ne manque pas de répéter que ces animaux, après avoir mangé toutes les feuilles d’un arbre, se laissent tomber au risque de se briser les os, etc., etc. Enfin il ajoute que « ce sont peut- être les seuls que la nature ait maltraités, les seuls qui nous offrent l’image de la misère innée. » Cuvier, imbu de toutes ces idées, mais plus anatomiste que Buffon, après nous avoir dit que la nature, en créant ces ani- maux, semble avoir voulu s'amuser à produire quelque chose d'imparfait et de grotesque, cherche à trouver la cause de ces misères prétendues dans leur organisation. « Leurs doigts sont réunis ensemble par la peau, dit-il, et ne se marquent au dehors que par d'énormes ongles comprimés et crochus, toujours fléchis vers le dedans de la main ou la plante du pied. Leurs pieds de derrière sont articulés obliquement sur la jambe, et n’appuient que par le bord externe; les phalanges de leurs doigts sont arti- culées par des gynglymes serrés, et les premières se soudent, à un certain âge, aux os du métacarpe ou du métatarse; ceux-ci finissent par se souder ensemble faute d'usage. A cette incommo- dité dans l’organisation des extrémités, s’en joint une non moins grande dans leurs proportions. Leurs bras et leurs ayant- bras sont beaucoup plus longs que leurs cuisses et leurs jambes, en sorte que, quand ils marchent, ils sont obligés de se traîner sur leurs coudes; leur bassin est si large et leurs cuisses telle- ment dirigées sur le côté, qu'ils ne peuvent rapprocher les ge- noux. Leur démarche est l'effet naturel d’une structure aussi disproportionnée. Ils se tiennent sur les arbres et n’en quittent un qu'après l'avoir dépouillé de ses feuilles, tant il leur est pé- nible d'en gagner un autre; on assure même qu'ils se laissent tomber de leur branche pour s’éviter le travail d’en descendre. » Nous allons maintenant faire l'histoire vraie de l’aï, et ce sera une réfutation complète de tout ce qu'ont avancé les célèbres naturalistes que je viens de citer. Lai est très-commun au Brésil, à Cayenne, à la Nouvelle- Espagne, et généralement dans toute l'Amérique intertropicale, Il habite exclusivement sur les arbres, dans les forêts composées d'ambaïba (Cecropia peltata) dont les feuilles font sa principale et peut-être son unique nourriture. Il parcourt les forèts en pas- sant d'un arbre à l’autre par les branches; il sait parfaitement profiter, pour cela, du vent qui, en les agitant, met leurs ra- meaux en contact, et il saisit avec beaucoup d’agilité ce moment. Jamais, si ce n'est par force ou par accident, cet animal ne des- cend à terre, où il n’a rien à faire; il lui serait donc tout à fait inutile de pouvoir y marcher ; aussi la nature lui a-t-elle refusé celte faculté, comme elle l’a refusée aux orangs et à quelques autres singes éminemment grimpeurs, et devant passer, ainsi que lui, toute leur vie sur les arbres. Et pourtant, c’est sur des individus arrachés à leurs forêts, à leurs habitudes, placés sur la terre plate, que les naturalistes ont décidé que l'aï était d’une lenteur excessive, et qu'il lui fallait une heure pour parcourir la distance de deux mètres, ce qui est d’ailleurs une grande exagé- ralion. L’aï, sur la terre, esL en effet obligé de se trainer avec peine sur ses coudes, à cause de la longueur de ses jambes an- iérieures, mais cela n'empêche pas qu'il ne grimpe sur les arbres, sinon avec une grande agilité, du moins avec une extrême faci- lité, MM. Quoy et Gaimard ont eu vivants pendant quelques jours, sur le vaisseau l'Uranie, deux de ces animaux, et ils ont observé qu'il faut beaucoup rabattre de la lenteur qu'on leur attribue. « Tout l'équipage a vu laï monter en vingt-cinq minutes du gaillard d’arrière au haut du grand mât ; il parvint successi- vement, en moins de deux heures, au sommet de tous les mâts, en allant de l'un à l’autre par les étais, Une autre fois, étant descendu par l'échelle du gaillard d’arrière et touchant l’eau par une de ses pattes , il s’y laissa volontairement tomber , et nagea aisément, la tête élevée. » Nous remarquerons en outre que cet animal est tout à fait nocturne, qu'il ne jouit de tout le dévelop- pement de ses facultés que la nuit, et que ces observations ont été faites le jour. Sur la terre, pendant l'obscurité, il marche de la même manière que les chauves-souris, et d’un mouvement assez vif. Cherchons si son organisation est aussi malheureuse qu'on le dit, quand on la considère dans ses rapports avec les habitudes de l'animal; nous verrons qu’au contraire, loin d’être un mal pour lui, cette organisation, qui paraît si informe et si bizarre, est un bienfait de la nature. L’aï ne se tient pas sur les branches ainsi que le font les singes et les écureuils, mais par-dessous , et le corps suspendu par les quatre pattes; qu'il marche, qu'il mange, qu'il dorme, il ne quitte jamais cette attitude, qui pour ces animaux est celle du repos, à cause de l'extrême prédomi- nance que leurs muscles fléchisseurs ont sur les extenseurs. Leurs gros ongles arqués, embrassant toute l'extrémité des doigts et naturellement recourbés vers la paume de la main, les phalanges de leurs doigts soudées au métacarpe et au métatarse, ceux-ci qui s’ossifient de manière à ne former, à un certain àge, qu'une seule pièce, tout cela leur donne une puissance d’accrochement, si je puis me servir de cette expression, qui rend pour eux fort commode une position intolérable pour tout autre animal. Leurs jambes écartées par l'énorme largeur de leur bassin ou quelquefois par de longues clavicules, leur permettent d’embrasser les grosses branches sans la moindre fatigue; la paume des mains et des pieds articulés obliquement, leur permet de poser les pattes à plat sur les côtés des branches qu'ils embrassent; leur cou, com- posé de neuf vertèbres (ce qui est unique parmi les mammifères), leur permet d’allonger la tête, de la tourner dans tous les sens pour saisir les feuilles sur les rameaux à distance; l’axe de la tête étant le même que celui de la colonne vertébrale, la bouche regarde en haut quand l'animal est debout; ce qui dispense les aïs, lorsqu'ils sont suspendus, de relever la tête par un effort musculaire soutenu; ils broient les feuilles avec des dents parfai- tement adaptées à cet usage; leurs poils, plats et grossiers, res- semblant, par la forme et la couleur , à de l'herbe desséchée ou de la mousse, les dérobent à la vue des animaux carnassiers et des oiseaux de proie qui pourraient les attaquer. En cas de chute, ils ont une force de vitalité cent fois plus considérable qu'un chat; et tout cela ils le doivent à une organisation que G. Cuvier appelle imparfaite et grotesque, et Buffon, misérable, faute par ces naturalistes d’avoir connu iles habitudes et les besoins de ces singuliers animaux. S'il m'était permis, dans un ouvrage du genre de celui-ci, d'entrer dans de plus grands détails anatomi- ques, on verrait qu'il n’est pas une de leurs prétendues imperfec- tions qui ne soit une preuve irrécusable de la haute sagesse qui a présidé à la création. À L’aï, qui jusqu’à ce jour n’a été étudié que dans des lieux et des circonstances pour lesquels la nature ne l’a point créé, vit au fond des plus sombres forêts, où la hache de l'homme n'a point encore établi de clairière ; il est doux, tout à fait inoffensif, et parait peu intelligent par la raison qu'il a peu de besoins; so- litaire sur l'arbre qui le nourrit, il y passe une partie de sa ie, et ne pense à le quitter que lorsqu'il en a dévoré toutes les feuilles. « Il marche d'un bon pas, dit le voyageur anglais Wat- terton ; et si, comme moi, vous l'aviez vu passer d’un arbre à l'autre, vous ne seriez plus tenté de lui donner injustement la qualification de paresseux. » S'il ne peut passer sur un autre ar- bre au moyen de l’entre-croisement des branches, il ne se laisse pas tomber, comme on l’a dit, mais il en descend fort bien, en quelques minutes, et se traine sur la terre aussi vite qu'il le peut pour en regagner un autre. Si on le surprend dans ce moment, il s'arrête, et cherche à se défendre comme il le peut; pour cela, il s’assied sur son derrière et joue des bras de devant, l’un après DASYPOIDES: 259 l’autre, absolument comme un aveugle qui chercherait à enlacer de son bras un objet qu'il ne verrait pas, ou plutôt comme une mécanique. S'il parvient à saisir le bâton dont on le frappe ou tout autre objet, il le serre contre sa poitrine avec une telle force, qu'il est fort difficile de le lui arracher, et il ne le lâche qu'en mourant. Dans la joie comme dans la douleur, il fait entendre le eri qui lui a valu son nom; mais il reste silencieux tant qu'il n’est pas agité par une passion. La femelle ne fait qu'un petit qu’elle soigne avec la plus grande tendresse, Elle met bas non pas sur terre, mais sur un lit de mousse qu'elle établit à la bifur- cation de deux ou trois grosses branches. Au bout de quelques jours les ongles du petit se sont assez affermis pour qu'il puisse s’accrocher au dos de sa mère, où il est suspendu comme elle l’est elle-même aux branches qu'elle parcourt. Ces animaux ont la vie extraordinairement dure, et on ne parvient à les faire tom- ber de l’arbre où ils s'acerochent qu'après leur avoir tiré plu- sieurs coups de fusil. Ils remuent encore pendant plus d'une heure après qu’on leur a arraché le cœur et les entrailles. « Le voyageur de Lalande, dit Desmoulins, aidé de son domestique, a inutilement essayé pendant une demi-heure d'étrangler un aï avec une corde grosse comme le doigt, l'animal ne cessait d’éten- dre et de ramener ses bras en crochets sur la poitrine par inter- valles; ce qu'il fit encore plusieurs heures au fond d’un tonneau d'alcool, où on le tint ensuite submergé. » Ces animaux, pris jeunes, s’apprivoisent aisément, mais sans jamais s'attacher. On les nourrit de pain et de lait et de quelques espèces de feuilles que l'expérience apprend à connaître. Ils ne boivent jamais, et se reculent même de l’eau qu'on leur présente avec un dégoût très-marqué. Transportés dans nos climats, ils ne vivent pas longtemps, parce qu'ils craignent excessivement le froid et l'humidité. On connait encore deux espèces d’aï, l'acheus ustus et l'acheus torquatus, LeEss., qui diffèrent fort peu du précédent et habitent tous deux le Brésil. 2e GENRE. Les BRADYPES (Bradypus, Lix.) diffèrent des aïs par une foule de caractères anatomiques, dont voici les plus saillants. Ils ont dix-huit dents, savoir : deux canines en haut et en bas, aiguës et plus longues que les molaires ; huit molaires supérieures et six inférieures, toutes cylindriques. Leurs jambes antérieures sont très-grêles, d’un cinquième plus longues que les posté- rieures; leur tête est petite, arrondie; leurs pieds n'ont que deux doigts, réunis et terminés par deux griffes fortes et cro- chues. Ils manquent totalement de queue. L'Unau (Bradypus didactylus, Lan. — Desu. L'Unau de Burr. et G. Cuw.) est de moitié plus grand que l'aï, auquel, du reste, il ressemble beaucoup ; sa face est oblique ; son pelage est d’un gris brun uniforme, qui prend quelquefois une teinte roussâtre. Il habite les mêmes contrées que l'ai et lui ressemble tellement en tout, que faire l'histoire de l’un, c’est faire l'histoire de l’autre. LES DASYPOÏDES ont le museau allongé, les membres à peu près égaux; les uns n'ont pas de dents du tout; d’autres ont des molaires seules; d’autres encore ont des incisives et des molaires, ces dernières sont au nombre de vingt-six à quatre-vingt-seize. 5e Genre. Les TATOUS (Dasypus, Lin. Euphractus, WaGL.) ont trente-huit dents, savoir : deux incisives en haut et quatre-en bas; point de canines; seize molaires supérieures el seize infé- rieures; toutes les dents sont sans racines; la langue est peu ex- tensible; la tête, le corps et la queue sont recouverts d’un test dur et écailleux, à petits compartiments semblables à des pavés ; ce test, ou carapace, est composé de plusieurs parties; un bou- clier sur le front, un second bouclier arrondi sur les épaules, un autre semblable sur la croupe, et des bandes mobiles transver- sales, plus ou moins nombreuses, entre les deux. Quelquefois tous leurs pieds ont cinq doigts, tous armés d'ongles robustes. Tous les animaux de ce genre sont doux et inoffensifs. Le Tarou-Povou ou Excouserr (Dasypus encoubert, Des. Dasy- pus sexcinctus et Dasypus octodecimcinctus, Lin. Dasypus selosus, Wien. Le Tatou à six bandes, G. Cuv. L'Encoubert et le Cirquinçon de Burr.). Ce singulier animal a la tête large, aplatie et triangulaire, re- couverte d’un bouclier osseux, comme tout le dessus du corps; la cuirasse qui lui couvre le dos est composée de six à sept bandes mobiles, formées de pièces grandes, rectangulaires, lisses, plus longues que larges; sa queue est longue comme la moitié de son corps, ronde, portant des anneaux osseux seulement à sa base : ses oreilles sont assez longues; son bouclier postérieur est den- telé en scie; les parties non écailleuses de son corps sont garnies de poils blanchâtres, assez longs et assez fournis; tous ses pieds ont cinq doigts munis d'ongles médiocres; il a deux mamelles pectorales. Le tatou-poyou habite l'Amérique méridionale et est assez commun au Paraguay. Nous nous étendrons peu sur son his- toire, parce qu’elle est exactement la même que celle des ani- maux composant les genres priodonte et tatusie, qui ont été séparés des tatous par Fr. Cuvier. Tous ces animaux sont exelusi- vement des parties chaudes de l'Amérique. Leur chair est assez bonne à manger; mais il parait que celle des petites espèces est plus délicate que celle des grandes , et que celle de l’encoubert est la moins estimée de toutes. Quoi qu'il en soit, on leur fait une chasse assez active. Ces animaux ont tous plus ou moins la faculté de se rouler en boule, à peu près comme notre hérisson, et dans cet état ils -présentent à leurs’ennemis la cuirasse dure qui les recouvre; mais comme tous ne sont pas également bien armés, et qu'il existe des vides, surtout dans cette attitude, entre les boucliers et les bandes du dos, la dent des animaux carnassiers trouve ai- sément un passage, et leurs armes défensiyes ne leur servent pas à grand’chose. Le tatou-poyou ne jouit pas, à un aussi haut point que les autres, de la faculté de se mettre en boule, mais il peut, quand il est menacé d’un danger, s’aplatir contre la terre, dont il a un peu la couleur, au point de disparaître aux yeux de ses ennemis, parce qu'alors il ne ressemble plus qu'à une légère iné- galité du sol. Celui qui a vécu à la ménagerie était craintif, noc- turne, cherchait toujours à se cacher, et, dans ce but, il apla- tissait son corps de facon à présenter trois fois plus de largeur que de hauteur. Sa voix était une sorte de grognement, qu'il fai- sait surtout entendre lorsqu'on le contrariait, et il courait avec beaucoup de vitesse. Ces animaux sont très-inoffensifs, n’atta- quent jamais les êtres plus faibles qu'eux, et cependant ils ne répugnent pas à se nourrir de lambeaux de cadavre quand ils en trouvent; leur nourriture habituelle consiste en fruits, en légumes et en racines, qu'ils savent fort bien déterrer en fouil- lant la terre avec leur nez, à la manière des cochons. Ils habitent des terriers qu'ils se creusent, les uns dans les savanes humides, et les grandes espèces sur le penchant des collines sèches et arides. Ils ereusent la terre avec une telle vitesse, que, sous ce rapport, ils ne peuvent être comparés qu'à la taupe. Ne pouvant ni courir bien vite (si l’on en excepte l’encoubert), à cause de Ja brièveté de leurs jambes, ni sauter, ni grimper sur les arbres, ils n’ont de ressource, pour échapper au danger, que de se jeter 17, 260 LES ÉDENTÉS. dans leur terrier; s'ils sont poursuivis de trop près, et qu'ils n'aient pas le temps de gagner leur retraite, ils se mettent à creuser, et pour peu que le chasseur soit à cinquante ou soixante pas d’eux, ils ont déjà disparu sous la terre lorsqu'il arrive. Si leur queue paraît encore en dehors et qu'on la saisisse, ils se cramponnent avec tant de force dans leur trou, qu'on la leur casse plutôt que de les en arracher; dans ce cas, on est obligé, sans les lâcher, d'ouvrir le terrier en avant, et on les a ainsi sans les mutiler. Lorsqu'ils sont tout à fait enfoncés dans un terrier profond, on ne peut les en faire sortir qu’en les inondant d’eau ou en les enfumant. Aussitôt qu'ils sont pris, ils se roulent en On a dit que les tatous vivaient en société amicale avec les ser- pents à sonnettes, et qu'ils n’en craignent pas la morsure; que leur graisse , leurs écailles calcinées avaient des propriétés admi- rables en médecine; mais tous ces vieux contes, avancés par Mé- nard, Ximénès et d’autres, sont complétement tombés en dé- suétude. 4e Genre. Les PRIODONTES (Priodontes, Fr. Cuv.) ont quatre- vingt-dix-huit dents, savoir : point d’incisives, point de canines; cinquante molaires à la mâchoire supérieure et quarante-huit à l'inférieure ; pour l'ordinaire, car ce nombre varie un peu d'in- Le Tatou-Poyou. boule, et pour les faire étendre on les jette dans l'eau ou on les place devant un feu un peu vif. On dit que pendant une grande partie de l’année ces animaux restent dans leur terrier sans en sortir. Ce qu'il y a de plus cer- tain, c’est qu'ils s’y tiennent pendant tout lejour, et qu'ils n’en sortent que la nuit pour aller chercher leur nourriture. Gumilla prélend que la femelle met bas tous les mois, et que chaque fois elle fait quatre pelits; il faut que cela soit, car on chasse conti- nuellement ces animaux , soit au fusil, avec des chiens, soit aux piéges, et le nombre ne parait pas en être beaucoup diminué. Pour cette chasse on emploie une race de petits chiens qui les poursuivent avec acharnement, et rarement le tatou leur échappe, à moins qu'il ne se trouve à proximité d’une roche escarpée ou d’un ravin; dans ce cas, il s'approche du bord, se contracte en boule, et se laisse rouler au fond du précipice sans le moindre danger, grâce aux écailles qui le défendent. dividu à individu ; ;joutes ont à peu près les mêmes proportions et sont plus ou moins comprimées latéralement. Elles sont divi- sées longitudinalement dans leur milieu par une partie plus claire et demi-transparente. Ils ont deux mamelles pectorales, cinq doigts aux pieds de devant, et tous les autres caractères des gen- res précédents et suivants. Le TATOU NoIR DES BOIS Ou TATOU GÉANT (Priodontes giganteus, Fr. Cuv. Dasypus gigas, Fr. Cuv. Dasypus gigas, G. Cuv. Dasy- pus giganteus, Desn. Le Deuxième Kabassou de Burr. Le Grand Tatou, »’AzzarA) a quelquefois plus de trois pieds de longueur (0,975), non compris la queue, qui est ronde, longue d'un pied et demi (0,487), et recouverte d’écailles imbriquées comme des tuiles; la tête, proportionnellement plus petite que dans les ar- madilles, est blanchâtre, avec le museau long et les oreilles assez petites; la cuirasse se compose de douze ou treize bandes mobi- les, à compartiments plus longs que larges ; le flanc et la queue r DASYPOIDES,. 261 EEE —a—aLa SN sont blanchâtres comme la tête, le reste du corps est noirâtre. Il habite le Paraguay et vit dans les bois. 3e Genre. Les ARMADILLES (Tatusia, F. Cuv.) ne diffèrent des deux genres précédents que par leur système dentaire : elles ont trente-quatre dents, savoir : point d'incisives, point de canines; dix-huit molaires en haut et seize en bas. Les unes ont quatre . doigts aux pieds de devant, les autres cinq. Le Maraco (Tatusia apar, Less. Dasypus apar, Desm. Dasypus tricinctus, Lin. Le Tatou apar de Burr. Le Tatou à trois bandes de G. Cuv. Le Tatou apara de Marcc.) est d’une médiocre gran- à neuf bandes de G. Cuv. Le Cachichame de Burr. Le Tatou noir p'Azzara. Le Pichi de Mouina) a souvent quinze pouces de lon- gueur (0,406), non compris la queue, qui est de la même lon- gueur, ronde et annelée dans toute son étendue; la cuirasse est ordinairement composée de neuf bandes, quelquefois de huit ou sept, rarement de six, à compartiments rectangulaires; les com- partiments des boucliers sont pelits et arrondis; tous sont noirà- tres. IL n’a que quatre doigts aux pieds de devant; ses oreilles sont très-longues, et il a quatre mamelles. Il est très-commun à la Guyane, au Paraguay et au Brésil. Il creuse très-habilement son terrier, d’où les chasseurs le retirent à grande peine pour le manger. PL LED Le Cochon d'Inde, paysage américain. deur ; sa têle est oblongue; son museau pointu, ses oreilles mé- diocres, sa queue très-courte et aplatie ; sa cuirasse se compose de trois bandes mobiles; ses compartiments sont régulièrement tuberculeux; il a treize rangées de plaques polygones, d'une couleur plombée, sur le bouclier de la croupe; ses pieds sont assez faibles, et il a deux mamelles pectorales; ses poils sont bruns. Il jouit de la faculté de se rouler en boule complète en renfermant sa tête et ses pieds entre ses boucliers. Il fouille la terre difficilement. On le trouve au Tucuman, dans la république Argentine, et surtout aux environs de Ruénos-Ayres. Fr. Cuvier en a fait le genre Apars. L'ARMADILLE À QUATRE BANDES (Tatusia quadricincta, Less. Da- sypus quadricinctus, Lin.) n’est connue que par la courte phrase de Linné, que voici : quatre rangées d’écailles osseuses. Comme le pensait le naturaliste suédois lui-même, ce n’est sans doute qu'une variété de l'espèce précédente. Sa patrie est inconnue. Le Pepa ou Ararocutit (Tatusia peba, Less. Dasypus peba, Des. Dasypus novemcinclus , octocinctus et septemcinctus, Lin. Le Taiou Le Mrourica (Fatusia hybridus, Less. Dasypus hybridus, Des. Le Tatou mulet, v'Azzara) ne me paraît être qu'une variété du précédent ; il en diffère par sa queue arrondie, longue comme la moitié de son corps, et par les bandes de sa cuirasse, au nombre de cinq à sept. Son museau est allongé , ses oreilles sont grandes et ses jambes courtes ; il a quatre doigts aux pieds de devant. Il habite les lieux découverts des pampas de Buénos-Ayres, et il est commun au Paraguay. Le Tarouay (Tatusia tatuay, Less. Dasypus tatuay, DESM. Arma- dilla africanus, Srea. Dasypus unicinctus, Lix. Le Kabassou, Burr. Le Talou à douze bandes, G. Cuv.) devient fort grand. Il a cinq doigts à tous les pieds, et quatre des doigts des pieds de deyant ont des ongles énormes, tranchants à leur bord externe. Sa cui- rasse se compose de douze à treize bandes, à écailles rectangu- laires, plus longues que larges ; la queue est ronde, moins ion gue que la moitié du corps, à tubercules assez distants ; la tête est un peu bombée, le museau long et les oreilles grandes. Il habile Cayenne, le Brésil et le Paraguay. 202 LES EDENTÉS. 1 Le Picuy (Tatusia minuta, Less. Dasypus minutus , Desn. L’En- coubert de Fr. Cuv.)a dix pouces (0,274) de longueur, et cinq doigts à tous les pieds; sa cuirasse se compose de six à sept bandes à plaques rectangulaires; les écailles de sa tête sont lisses, échan- crées sur les côtés au-dessus de l’œil; le bouclier de la eroupe est fortement denté sur son rebord ; sa queue est ronde, longue de presque la moitié du corps, couverte de fortes écailles dispo- sées en anneaux; ses oreilles sont très-pelites; ses poils sont bruns. Il habite les pampas de tout le sud de l'Amérique, depuis Buénos-Ayres jusqu’au détroit de Magellan. L'ARMADILLE VELUE (Tatusia villosa, Less. Dasypus villosus, Desu. Le Tatou velu, d’'AzzarA) ressemble beaucoup au tatouay, mais elle est plus petite et plus velue. Sa longueur totale ne dé- passe pas dix-sept pouces (0,460). Sa cuirasse se compose de six à sept bandes, à plaques rectangulaires ; le bouclier de la croupe a postérieurement des écailles aiguës et dentelées; la queue est un peu plus longue que le tiers du corps, annelée à sa base; Ja têle est recouverte d’écailles rudes; tous les pieds ont.cinq doigts; son ventre et ses pattes sont très - velus, à poils bruns et très longs. Cette armadille habite les pampas de la Plata, et se nour- rit souvent de charognes. Ge Genre. Les CHLAMYPHORES (Chlamyphorus, HarLan) ont trente-deux dents, savoir : point d’incisives, point de canines ; seize molaires en haut et seize en bas. Leur corps est couvert d’un test osseux formé de nombreuses bandes mobiles, trans- verses, depuis la tête jusqu'à la queue, et par conséquent ils n’ont pas de bouclier sur les épaules ni sur la croupe, comme les animaux des genres précédents; leur test est tronqué posté- rieurement ; leur queue est mince ; ils ont cinq doigts à tous les pieds, et ceux de devant sont armés d'ongles plus forts que ceux de derrière, Le CuULAMYPHORE TRONQUÉ (Chlamyphorus truncatus, Harran. Le Pichiciago des Chiliens) a cinq pouces et quart (0,142) de lon- gueur totale; les écailles de son test sont rhomboïdales, et s’a- vancent sur sa tête; sa queue est ferme, appliquée sur son abdo- men, et paraît avoir peu ou point de mouvement; le dessous de son corps est garni de poils blancs, soyeux, épais et doux comme chez la taupe. Cet animal se trouve dans les Cordilières du Chili, aux environs de Mendoce. Il se creuse avec beaucoup d’agilité un terrier composé de longues galeries à la manière de Ja taupe, dont il a toutes les habitudes. Pendant qu'il allaite ses pelits, il les porte sous les rebords de son test écailleux. Te Guxne. Les ORYCTÉROPES (Orycteropus, Georr.) ont vingt- six dents, savoir : point d’incisives , point de canines; quatorze molaires en haut et douze en bas, toutes composées d’une grande quantité de petits cylindres creux. Leur peau est épaisse, mais non écailleuse, et leur corps est couvert de poils ras; ils ont quatre doigts aux pieds de devant, cinq à ceux de derrière, munis d'ongles plats et non tranchants, propres seulement à fouir ; leur langue est un peu extensible; ils ont la queue et les oreilles droites. L'Onvcrérore pu Car, ou Cocnon DE TERRE (Orycteropus capen- sis, DEsm. Myrmecophaga afra, Paz. Myrmecophaga capensis, Guz. Le Cochon de terre, Buxr.) a trois pieds et demi (1,157) de longueur, non compris la queue, qui a un pied neuf pouces (0,569). Son corps est épais, ses jambes sont courtes; ses oreilles ont un peu plus d’un demi-pied (0,162). Son pelage, composé de poils roides comme des soies, est d’un gris roussâtre, avec la jambe, lavant-bras et les pieds noirâtres; sa queue est presque blanche. Cet animal a été tellement chassé par les Hollandais du Cap, qu'il est devenu extrêmement rare dans la colonie. Le cochon de terre habite les environs du cap de Bonne-Espé- rance et vit dans un terrier. Le voyageur hollandais Kolbe, quoi- qu'il ait dit beaucoup de choses hasardées, a cependant très-bien connu cet animal. « Il se creuse un terrier avec beaucoup de vi- vacité et de promptitude, ditil, et s’il a seulement la tête et les pieds de devant dans la terre, il s'y cramponne si bien que l'homme le plus robuste ne saurait l'en arracher. Lorsqu'il a faim , il va chercher une fourmilière. Dès qu'il a fait cette bonne trouvaille, il regarde autour de lui pour voir si tout est tranquille et S'il n’y a point de danger : il ne mange jamais sans avoir pris cette précaution. Alors il se couche, et, plaçant son long museau tout près de la fourmilière, il tire la langue tant qu'il peut : les fourmis montent dessus en foule, et dès qu'elle en est bien couverte, il la retire et les gobe toutes. Ce jeu recommence plusieurs fois, et jusqu’à ce qu'il soit rassasié. Afin de lui procurer plus aisément cette nourriture, la nature, toute sage, a fait en sorte que la partie supérieure de cette langue qui doit recevoir les fourmis est toujours couverte et comme enduite d’une matière visqueuse et gluante, qui empêche ces faibles animaux de s’en retourner lorsqu'une fois les pattes y sont empêtrées : c’est là sa manière de manger. Il a la chair de fort bon goût et très-saine (quoique exhalant une forte odeur d'acide formique). Les Européens et les Hottentots vont souvent à la chasse de ces animaux; rien n’est plus facile que de les tuer : il ne faut que leur donner un petit coup de bâton sur la tête. » 8e Genre. Les FOURMILIERS (Myrmecophaga, Lin.) manquent absolument de dents; ils n’ont pas de cuirasse écailleuse; leur museau est long, terminé par une petite bouche; leur mâchoire inférieure est presque rudimentaire ; leurs ongles de devant sont forts et tranchants, et varient en nombre selon les espèces; leurs oreilles sont courtes; leur langue est très-extensible; leur queue est longue, velue, lâche, quelquefois nue et prenante. L'OuaArTERI-ouassA où TamaANoIR (Myrmecophaga jubata, Li. — Des. Le Tamandua-Guagçu du Brésil. Le Gnouroumi et le Yoquoin ou Yogoni du Paraguay. Le Tamanoir de Burr. et de G. Cuv.) Cet animal, de la grosseur d’un mâtin, a quatre pieds (1,299) de longueur, non compris la queue, qui en a trois (0,975). Son corps est bas sur jambes proportionnellement à sa longueur; sa tête est fort mince, allongée, et se termine par un long museau presque cylindrique, et par une bouche extrêmement petite, fendue d'environ un pouce. Ses pieds de devant sont munis de quatre doigts, et ceux de derrière de cinq; ses oreilles et ses yeux sont très-petits; sa queue est garnie de très-longs poils. Son pelage est brun, avec une ligne oblique, noire, bordée de blanc sur chaque épaule. Ses pieds de devant sont blanchâtres, ceux de derrière noiràtres. En marchant, le tamanoir s'appuie sur une grosse callosité contre laquelle il tient replié le plus grand de ses ongles, et qui sert aussi de point d'appui à cet ongle quand l'animal saisit quel- que objet. Cette attitude le force à ne poser le pied que sur le côté, ce qui rend sa marche lente, difficile et fort peu gracieuse. Il ne se promène guère que la nuit, et il dort tout le jour dans un fourré, couché sur le côté, la tête entre les jambes de devant, rapprochées et croisées avec celles de derrière , et la queue étalée sur lui. Comme il craint beaucoup la lumière, si un accident le contraint à sortir de sa retraite pendant le jour, en marchant il a grand soin de relever sa queue sur son dos, et avec son pana- che il se fait une sorte de parasol qui le garantit des rayons du soleil. Sa vie est solitaire et triste, et jamais il n'habite que les lieux bas et humides, ou même inondés; quelquefois aussi il pé- nètre dans les bois pour chercher sa nourriture, mais, malgré la puissance de ses ongles, il ne grimpe jamais sur les arbres. Sa principale nourriture consiste en fourmis et en termites, mais il mange aussi d'autres insectes. On sait que les termites sont une sorte de fourmis qui se logent dans des cônes de terre hauts : DASYPOIDES. 263 quelquefois de plusieurs pieds et larges à proportion. Ces habita- tions sont construites avec tant de solidité qu'on a souvent beau- coup de peine à les entamer.avec une pioche ou un pie. Quand le tamanoir a trouvé un de ces cônes, il en fait deux ou trois fois le tour en l’observant minutieusement; puis, lorsqu'il a reconnu l'endroit faible de l'édifice, il y fait un petit trou avec les ongles de ses pieds de devant. Il applique le bout du museau contre cette ouverture, ou même quelquefois il l'y enfonce plus ou moins profondément, jusqu'à ce qu'il ait rencontré la population pressée des termites. Alors il allonge une langue de la grosseur d'un tuyau de plume à écrire, longue de dix-huit pouces (0,487), et enduite dans toute sa longueur d’une salive extrêmement vis- queuse et gluante; il la promène dans tous les sens, en la tortil- lant comme un ver de terre, puis, quand elle couverte de ter- mites qui y restent englués, il la retire tout à coup dans sa bou- che et avale tous les insectes qui s'y sont pris. Il répète cette manœuvre avec beaucoup de promptitude, jusqu'à ce qu'il ait entièrement satisfait sa faim. Il exécute la même manœuvre pour manger les fourmis, après avoir gratté la terre pour ouvrir la fourmilière. Tout dormeur qu'il est, le tamanoir ne laisse pas que d’être plein de courage, et de se défendre avec opiniâtreté quand on l'attaque. Dans ce cas, il se dresse sur ses pieds de derrière, et cherche à s'appuyer le dos contre un rocher ou un tronc d'arbre; il se couvre le corps avec la queue, et abrite son faible museau en l'appliquant contre sa poitrine. Dans cette attitude, il présente constamment à son ennemi ses ongles puissants, avec lesquels il lui fait de profondes blessures. On dit qu'il se défend même con- tre le jaguar , et que si ce dernier a l'imprudence de l’aborder sans précaution, le tamanoir l’étreint entre ses bras et ne le lâche qu'après l'avoir étouffé ; ceci me paraît au moins douteux. Quoi qu'il en soit, cet animal , le plus grand des fourmiliers, est ex- trêmement robuste et fort difficile à tuer. S'il n’est pas attaqué, il n’en est point de plus paisible et de moins dangereux. Quand on le rencontre, si on ne l'irrite pas, on peut le chasser devant soi et le conduire ainsi partout où l’on veut ; maïs il faut avoir la précaution de ne pas trop le presser pour ne pas le fatiguer, ce qui pourrait l'impatienter. Pris jeune, il s’habitue assez bien à l'esclavage, et vit de pain et de petits morceaux de viande; il s'attache à son maître jusqu’à un certain point; mais sa tristesse habituelle s’accroit avec l’âge, et ordinairement il périt d’ennui peu de temps après avoir atteint l'âgeiadulte. La femelle ne fait qu'un petit, et a pour lui le plus grand attachement ; jamais elle ne le quitte, et lorsqu'elle sort de sa retraite pour aller chasser aux termites , elle le porte constamment sur son dos, et passe même des rivières à la nage avec sa précieuse charge. Le tama- noir habite le Brésil, la Guyane, le Paraguay et le Pérou. Le Caïcouaré où Tawanpua ( Myrmecophaga tamandua , G. Cuv. — Des. Les Myrmecophaga tridactyla et tetradactyla, Lix. Le Tamundua de Burr. et Cuv. Le Petit Ours fourmilier des Espa- gnols) est de moitié moins grand que le précédent, dont il a la forme des pieds ; sa queue est presque ronde, velue à sa base et nue à son extrémité; sa tête est cylindrique et allongée : son pelage est ordinairement d’un gris sale, ayant souvent une bande obli- que d’une autre couleur sur chaque épaule. Il en existe plusieurs variétés, l’une ayant un cercle noir autour des yeux, d’autres à pelage fauve et bande noire, à pelage fauve ayant la bande, la croupe et le ventre noirs, enfin d’entièrement noirâtres qui sont, je crois, le Wyrmecophaga nigra de Geoffroy. Il habite la Guyane et le Brésil, et a les mêmes mœurs que le précédent , à cela près qu'il monte sur les arbres, dans le tronc desquels il niche. Il exhale une forte odeur de muse, qui devient très-désagréable et se sent de fort loin quand il est irrité. Il a la queue prenante et s’en sert souvent pour se suspendre aux branches d'arbres. Il paraît qu'il attaque, outre les fourmis, les abeilles sauvages, et qu’elles ne le piquent pas. Le FouruiLier ANNELÉ (Myrmecophaga annulata, Des.) ressem- ble au précédent, mais son museau est plus gros, en forme de groin; son pelage est d’un brun uniforme ; sa queue est ronde, velue, annelée de fauve et de brun. Il habite le Brésil. Le FourmLier À DEUX poicrs ( Myrmecophaga didactyla , Lin. Myrmecophaga unicolor, var. Grorr. Le Petit Fourmilier, Burr. L'Ouatiri ouassou, à la Guyane) est de la taille d'un surmulot ; son pelage est laineux, fauve , avec une ligne rousse le long du dos, manquant dans la variété unicolore; sa queue est prenante, nue au bout; il a aux pieds de devant deux ongles seulement, dont un fort long, et quatre à ceux de derrière. IL habite la Guyane et le Brésil, sur les arbres où il se suspend par la queue à la manière des sapajous. Il a les mêmes mœurs que les précé- dents, mais il niche dans les troncs d'arbres, où la femelle met bas un seul petit, sur un lit de feuilles sèches. 9e Genre. Les PANGOLINS (Manis , Lin.) n'ont point de dents; leur langue est très-extensible; leur corps et leur queue sont couverts d’écailles triangulaires, tranchantes, se recouvrant les unes les autres comme les tuiles d'un toit, ce qui les distingue suffisamment des fourmiliers; ils ont cinq doigts à tous les pieds, et ils peuvent se rouler plus ou moins en boule. L’ALunGu ou PAxGoLIN DE L'IxbE (Manis pentadactyla, Li. Manis macroura, Desm. Manis brachyura, ErxL. Manis crassicaudata, Grore. Tatu mustelinus, KLeix. Le Pangolin de Burr. Le Pangolin à queue courte de G. Cuv. Le Diable de Negumbo des Hollandais et le Caballe des Chingulais) est long de trois à quatre pieds (0,975 à 1,299); sa tête est petite; son museau allongé et étroit ; son corps assez gros; la queue est plus courte que le corps; les écailles de son dos sont blondes et forment onze ou treize ran- gées longitudinales; le dedans des membres et le ventre sont nus ; quelques soies très-longues sortent d’entre les écailles. I habite les Indes orientales. Les pangolins se creusent un terrier au moyen de leurs ongles robustes, et ils n’en sortent que la nuit pour aller chercher leur nourriture, consistant, comme celle des animaux précédents, en termites, en fourmis et autres insectes. On prétend aussi qu'ils mangent des mollusques et même des petits lézards, mais ce fait me paraît mériter confirmation. Munis d’une langue très-longue, extensible, enduite d’une humeur visqueuse, ils s’en servent ab- solument comme les fourmiliers, pour ramasser les fourmis et les termites dans leurs habitations. Les pangolins sont des animaux paresseux , lents, et se bornant à pousser un petit cri très-faible lorsqu'ils sont effrayés. Mais la nature leur a donné, dans les écailles qui les couvrent, une arme défensive, qui les sauve des animaux de proie, si ce n’est de l'homme, le plus cruel de tous. A la première apparence de danger, ils se roulent en boule. « Leurs écailles, dit Buffon, sont mobiles comme les piquants du porc-épic, et elles se relèvent ou se rabaissent à la volonté de l'animal; elles se hérissent lorsqu'il est irrité, elles se hérissent encore plus lorsqu'il se met en boule comme le hérisson: ces écailles sont grosses, si dures et si poignantes, qu'elles rebutent tous les animaux de proie; c'est une cuirasse offensive qui blesse autant qu'elle résiste; les plus cruels et les plus affamés, tels que le tigre, la panthère, ete., ne font que de vains efforts pour dé- vorer ces animaux armés; ils les foulent, ils les roulent, mais en même temps ils se font des blessures douloureuses dès qu'ils veu- lent les saisir ; ils ne peuvent ni les violenter, ni les écraser, ni les étouffer en les surchargeant de leur poids. » Ceci n'empêche pas les Indiens et les Nègres de les assommer à coups de bâton pour les manger, et ils trouvent excellente leur chair blanche et délicate. Ces animaux, du reste, sont fort doux, tout à fait inof- fensifs, mais sans intelligence. « Ce sont, dit Buffon, des espèces dont la forme bizarre ne parait exister que pour faire la première nuance de la figure des quadrupèdes à celle des reptiles. » En effet, au premier coup d'œil, on les prendrait plutôt pour des 264 LES ÉDENTÉS. a ————————————————————.—_—_——_—____ "mm lézards que pour des mammifères. Gette espèce est très-commune à Ceylan, auprès de Negumbo. Le Quocoro (Manis africana, DEsM. Manis tetradactyla, Lan. Manis longicaudata, Georr. Manis macroura, Erxr. Le Pangolin à longue queue, G. Cuv. Le Phalagin, Burr.) a un pied (0,525) de principalement en Guinée et au Sénégal. Tout ce que nous avons dit du précédent s'applique à celui-ci. 5 Le PanGuLciNG ou Teuin curan-Kiapp (Manis javanica, Des.) a un pied quatre pouces (0,435) de longueur, non compris la queue, qui est déprimée et qui a treize pouces (0,352) ; ses écailles Le Tamanoir, longueur, non compris la queue, qui est plus longue que le corps, et qui a dix-neuf pouces (0,514); elle est aplatie. La tête est pelite; ses écailles dorsales forment onze rangées longitudi- nales, et celles des côles sont carénées; le dedans des membres et le ventre sont revêlus de soies brunes. Il se trouve en Afrique, sont brunes, plus claires sur les bords, minces, striées, et for- ment dix-sept rangées sur son dos; le dessous de la tête, le ven- tre et les pattes manquent de poils. Cette espèce habite Java et la Chine. On ne connaît pas bien ses mœurs; il est à croire qu'elles sont comme dans les précédents. MONOTRÈMES. 265 L'Ornithorhynque. LES MONOTRÈMES, placés par Temminck, et avant lui par Latreille, à la fin de la classe des mammifères, y eussent aussi été placés par moi, si, comme je l'ai dit dans l'introduction, je ne m'étais fait une loi de suivre strictement la classification de Cuvier. Is manquent de dents ; ils ont, comme les oiseaux, un os de la fourchette et un eloaque commun ; comme chez les marsupiaux on leur trouve sur le pubis des os surnuméraires, mais ils n’ont pas de poche. Tous leurs pieds ont cinq doigts. 40e Genre. Les ORNITHORHYNQUES (Ornithorhynchus, BLu- MENS.) manquent de dents véritables, mais ils ont à chaque maxil- laire deux tubercules fibreux, aplatis, quadrilatères à leur cou- ronne, n'ayant ni émail, ni substance osseuse, et qui ont été comparés à des dents; leur museau consiste en un véritable bec analogue à celui des canards , corné, élargi, déprimé, dentelé sur les bords, portant les narines à sa base supérieure; les pieds sont palmés, ceux de derrière portent un ergot analogue à celui des oiseaux. On a débité beaucoup de contes sur ces singuliers animaux. Le MOuFLENGONG Où ORNITHORHYNQUE PARADOXAL (Ornithorhynchus paradoæus, BLUMENS. Les Ornithorhynchus fuscus et rufus de PÉRON et Lesueur. Platypus anatinus, Snaw. Le Water-mole des habitants de Sydney). Cet animal est certainement l’être le plus singulier qui existe dans la nature, et il semble avoir été créé exprès pour embar- rasser les naturalistes. Sa tête est ce qu'il y a de plus extraordi- naire, au premier coup d'œil; elle est postérieurement recou- verte d’un poil court et lisse; la petitesse des yeux et le manque d'oreilles, ainsi que la forme générale du crâne, lui donnent un peu l'apparence de celle d’une taupe : mais ce crâne se prolonge antérieurement en un véritable bec, muni de membranes cor- nées, courtes et presque flottantes à sa base. Dans ce bec se trouvent deux langues soudées : une longue, extensible, hérissée de poils courts et serrés; une courte, épaisse, portant en avant deux petites pointes charnues. L'animal est à peu près de la gros- seur d'un lapin de garenne; son corps est allongé, presque cylindrique ainsi que celui d’un phoque, couvert de poils rous- sâtres, menus et lisses, terminé par une queue courte, mais aplatie comme celle d'un castor, et lui servant également de gouvernail quand il nage; ses jambes sont très-courtes; les pieds de celles de devant sont munis d’une membrane qui non-seule- ment réunit les doigts, mais dépasse de beaucoup les ongles, et il résulte de cette bizarrerie sans exemple que les doigts sem- blent comme perdus dans une sorte de nageoire. Dans Jes pieds de derrière la membrane se termine à la racine des ongles; mais ils ont une autre singularité non moins remarquable : ils sont armés, comme les pattes d’un coq, d’un ergot particulier, long, pointu, posé sur une glande et non porté par un os, ce qui le rend légèrement mobile quand il appuie sur un corps étranger. Cet ergot est percé, dans sa longueur, d'un canal par où s'échappe une liqueur onctueuse, que les naturalistes ont dite venimeuse, quoiqu'il n’en soit rien. La femelle manque d’ergot, mais elle a à la place un petit trou, ou plutôt une fente longue au plus d’une ligne (2 millim.), épanchant la même liqueur quand la glande est comprimée. Enfin, l'anatomie de l'animal offre des faits si étranges, qu’on y retrouve des caractères appartenant aux oiseaux, aux reptiles et aux mammifères de plusieurs ordres. L'ornithorhynque a soulevé plusieurs polémiques toutes plus curieuses les unes que les autres, et c’est le scalpel à la main que les naturalistes ont fait et soutenu les romans les plus bizarres, faute de connaître les mœurs de l’animal, ses habitudes, dont ils traitent si dédaigneusement l'étude de roman. Citons quel- ques-unes de leurs opinions vraiment fantastiques. En 1827, les Annales des sciences naturelles inséraient un article anonyme, traduit de l’Anthologie de Florence, dont voici quelques échan- tillons : « L’ornithorhynque habite les marais de la Nouvelle- Hollande : il fait, parmi des touffes de roseaux, sur le bord des eaux, un nid qu'il compose de bourre et de racines entrelacées, et y dépose deux œufs blancs, plus petits que ceux des poules ordinaires; il les couve longtemps, les fait éclore comme les oiseaux , et ne les abandonne que s’il est menacé par quelque ennemi redoutable. Il paraît que pendant tout ce temps il ne mange ni semence ni herbe, et qu'il se contente de vase prise à sa portée, ce qui suffit pour le nourrir. Il plonge, etc., et n’em- ploie ordinairement qu’une narine pour respirer l'air. Le mâle, le seul qui soit armé d’un éperon à la jambe de derrière, emploie °66 LES ÉDENTÉS. cette arme contre ses agresseurs. La blessure qu'il fait produit une inflammation et une très-vive douleur, mais il n’y a pas d'exemple qu'elle ait occasionné la mort. » Et qu'on ne croie pas que ceci est un conte, un puff de journaliste, comme disent les Américains. Des hommes du premier mérite, les naturalistes les plus distingués ont voulu prouver, le scalpel à la main, que l’ornithorhynque fait des œufs, et ils se sont tellement complu dans cette opinion, que plusieurs ont nié à Meckel que la femelle ait deux mamelles, lors même qu'ils les voyaient. Examinons donc maintenant si tout ce merveilleux se soutiendra devant les observations des voyageurs, et racontons l’histoire de cet animal ielle que la racontent ceux qui l'ont étudié dans la Nouvelle- Hollande. Le mouflengong est un animal nocturne, qui fuit la clarté du soleil parce qu’elle l’incommode, et qui ne sort que le soir et le matin, pendant le crépuscule, pour aller nager sur le bord des marais et des rivières. Il habite des terriers qu'il creuse sur les dunes, le plus près de l’eau possible, et qui ont la profondeur et la largeur d'un terrier de lapin. Il ne fait pas de nid au mi- lieu des roseaux, mais au fond de son trou ; il n’y pond pas deux œufs gros comme ceux d’une poule, car son bassin très-étroit ne permettrait pas le passage à un œuf même beaucoup plus petit, mais il y met bas trois ou, rarement, quatre petits, qui sont presque nus en naissant, et qui n’ont pas alors plus d’un pouce et demi (0,041) de longueur, quoique, à l'âge adulte, ils atteignent vingt pouces (0,542) : c'est-à-dire qu'au moment de leur naissance, leur taille, comparée à celle de leurs parents, est à peu près la même proportionnellement que dans les autres animaux. La femelle allaite ses petits, et voilà ce qui a embar- rassé les naturalistes, car, comment avec un bec corné, disent- ils, les petits peuvent-ils teter? Mais la nature y a pourvu. La femelle a bien réellement des mamelles sur le ventre, mais elles manquent de mamelon, et les canaux excréteurs du lait viennent au contraire aboutir à une petite fossette enfoncée. Le jeune or- nithorhynque saisit avec un côté de son bec une grande partie de la mamelle, la presse, et le lait est ramassé avec sa langue double à mesure qu’il sort, sans qu'il y ait même besoin de suc- cion. Les ornithorhynques ne vivent ni de semences, ni d'herbe, et encore moins de vase, mais de vers et d'insectes aquatiques. Sans cesse ils nagent sur les bords vaseux des marais, et ils bar- botent dans la boue et dans les herbes, absolument à la manière des canards. Ils nagent parfaitement bien, avec beaucoup de vitesse, et plongent à une assez grande profondeur pour ramas- ser les insectes du fond de l’eau; puis ils viennent respirer à la surface non pas avec une seule narine, mais avec les deux, qui sont placées fort près l’une de l’autre, et au premier quart de longueur de la mandibule supérieure du bec, près de sa base. Quant à l’ergot du mâle, ce n’est point une arme, comme l'ont dit quelques personnes, encore moins un organe pour maintenir sa femelle pendant l’accouplement, qui se fait de la même ma- nière que chez les autres mammifères; c'est tout simplement un organe sécréteur analogue aux glandes que les oiseaux, et sur- tout les oiseaux aquatiques, ont sur le croupion. L'animal, avant d'entrer dans l'eau et après en être sorti, se passe à plusieurs reprises les pattes de derrière sur le corps, se lisse le poil, et répand dessus la liqueur onctueuse qui, chez le mâle, est sécré- tée par l’ergot, et chez la femelle par la petite ouverture qui le remplace. Cette liqueur a la propriété, toujours comme chez les oiseaux, de rendre le pelage imperméable à l’eau. Du reste, ces animaux sont tout à fait inoffensifs , et ne cherchent pas plus à piquer qu'a mordre, quoi qu'on en ait dit. Sur la terre, la brièveté de leurs membres les force à ramper, et cependant leur marche est assez vive; aussitôt qu'ils se croient en danger, ils se jettent à l’eau, dont ils ne s'éloignent guère, ou s’enfoncent dans leur terrier s'ils en sont à proximité. Leurs habitudes ont beaucoup d’analogie avec celles de nos rats d’eau. M. Bennet, qui habitait Sydney en 1832 et 1853, conserva pen- dant assez longtemps un ornithorhynque dans un tonneau où il avait mis de l'herbe et de la vase. Il le nourrissait avec du pam trempé dans l’eau, mélangé avec des œufs cuits à dur et de la viande hachée. I était fort doux et montrait quelque intelligence ; par exemple, comme on le conduisait quelquefois à l’eau en le tenant en laisse au moyen d’un ruban qu'on lui attachait à la jambe, il apprit très-vite à connaître le chemin qui menait à la rivière, et marchait devant ceux qui l’y conduisaient. On remar- qua qu'il plongeait souvent, qu'il nageait toujours en remontant le courant, qu'il cherchait de préférence les endroits herbeux pour barboter, etc. De temps à autre il sortait de l’eau, venait se coucher sur l'herbe du rivage, et s’occupait avec beaucoup d'action à se lisser les poils avec les pieds de derrière, jusqu’à ce qu'ils devinssent lustrés et brillants. M. Bennet fit beaucoup de recherches pour savoir si ces animaux faisaient des œufs ou des petits; il fit ouvrir un grand nombre de leurs terriers, et enfin dans l’un d’eux il trouva une femelle avec trois petits qui ve— naient de naître, mais jamais le moindre fragment d'œuf ni de coquille. Les petits étaient fort bien portants, et la mère fort maigre; il lui pressa les mamelles et il en sortit du lait, mais en fort petite quantité. En captivité, la mère dormait tout le jour à côté de ses petits , et la nuit elle s’occupait constamment à cher- cher les moyens de se sauver; elle grattait contre les murailles et parvenait à y faire des trous. Elle mourut de chagrin après une quinzaine de jours. Les petits, que l’on nourrissait comme je l'ai dit plus haut, vécurent. Ils étaient fort gais, fort lestes , et jouaient comme de petits chiens avec assez de grâce. L'un d'eux, au moyen de ses ongles, grimpa en assez peu de temps jusqu'au haut d’une bibliothèque. Ils étaient fort capricieux, et changeaïent souvent de place sans aucune raison appréciable; ils dormaient la plus grande partie de leur temps, et pour cela ils se retiraient dans les endroits les plus obscurs de l'appartement. Autrefois l’ornithorhynque était très-commun dans la rivière Népéan et au pied des montagnes Bleues; aujourd'hui on ne le trouve plus guère qu'à New-Castle, Fish-River près Bathurst, et dans le Macquarie et le Champbell. On a cru qu'il y en avait plu- sieurs espèces, parce qu'il varie beaucoup de taille et de couleur; mais il paraît, au moins jusqu’à ce jour, que ces prétendues espèces ne sont que des variétés de l’ornithorhynque paradoxal. Les auteurs qui se sont le plus occupés de l'anatomie de ces ani- maux si extraordinaires sont : Meckel, Blumenbach, Everard- Home, Vander-Hoeven, Rudolphi, Knox, Patrick-Hill, de Blain- ville, Georges et Frédéric Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, etc. 11° Genre. Les ÉCHIDNÉS (Echidna, G.Cuv.) n’ont pas de dents, mais leur palais est garni de plusieurs rangées de petites épines dirigées en arrière ; leur museau est très-mince, très-allongé, et se termine par une fort petite bouche; leur langue est très-ex- tensible; leur corps est ramassé, recouvert de piquants très- forts; leurs pieds sont courts et ont chacun cinq ongles très-longs et très-robustes ; le mâle a aux pieds de derrière un ergot comme celui de l’ornithorhynque; leur queue est très-courte, - PACHYDERMES,. 267 L'Hence-Hoc ou Écmpxé érineux (Echidna histriæ, Cuv. Echidna australiensis, Less. Ornithorhynchus histrix, Home. Tachyglossus histriæ, {uc. Myrmecophaga aculeata, Suaw) est à peu près de la grosseur d’un hérisson, et a la faculté de se rouler en boule comme lui; tout son corps est couvert en dessus de fortes épines coniques, d’un pouce à un pouce et demi (0,027 à 0,041) de lon- gueur, noires à la pointe et blanchâtres sur leur longueur, en- tourées à leur base de petits poils roux ; des poils courts et roïdes couvrent aussi la tête et le dessous du corps. Cet animal, dont l'organisation est aussi extraordinaire que celle de l'ornithorhyn- que, avec lequel il a beaucoup d’analogie, habite les environs du port Jackson, dans la Nouvelle-Hollande. Il vit dans des ter— riers, et se nourrit d'insectes et de fourmis qu’il saisit avec sa langue extensible à la manière des pangolins. Il paraît qu'il craint beaucoup la sécheresse, et qu'il ne sort de son trou que pendant les pluies ; peut-être y reste-t-il dans un état de léthar- gie, car on l’a vu, dans l'esclavage, avoir de fréquents en- gourdisséments qui duraient jusqu'à quatre jours de suite. Du reste, il supporte longtemps une abstinence forcée; ce qui ren- drait probable son sommeil léthargique pendant toute la saison sèche. L'Écmoné soyeux (Æchidna setosa, G. Cuv. Aller ornithorhynchus histrix, Hour) ne serait, selon M. Lesson, qu'une variété du pré- cédent, et je serais assez porté à partager cette opinion. Cepen- dant, il estun peu plus grand, ses ongles sont un peu moins longs, plus arqués et plus pointus; tout le corps est couvert de poils longs, doux et soyeux , d’un brun marron, enveloppant les épines dans leur presque totalité; la tête est couverte de poils jusqu'aux yeux; le museau est noir et nu. Il habite la terre de Van-Diemen et le détroit de Bass. LES PACHYDERMES, DIXIÈME ORDRE DES MAMMIFÈRES, A l'exception du daman, tous les animaux de cet ordre n’ont pas d’ongle, mais une sorte de sabot de corne qui leur enve- loppe toute l'extrémité des doigts; ils ont quelquefois les trois sortes de dents, d’autres fois deux seulement; leur estomac est simple, divisé en plusieurs poches, et ils ne ruminent pas; le nombre de leurs doigts varie de un à cinq. Ire prvision. Pieds à cinq doigts que l’on ne distingue que par les ongles ; une trompe et des défenses. 4e Genre. Les ÉLÉPHANTS (Ælephas, Lin.) sont assez recon- naissables par leur taille gigantesque , leur nez prolongé en une énorme trompe , à leurs défenses longues et arquées, naissant à Ja mâchoire inférieure. Ils ont six ou dix dents, savoir: deux dé- fenses ; pas de canines, deux ou quatre molaires en haut et au- tant en bas, selon l’époque où on les examine. L'ÉLépnanr pes Ixpes (Æléphas maximus, Lis. Elephas indicus, G. Cuy. L'Éléphant, Burr. Les Romains l’appelaient bœuf luca- nien, parce que le premier avait été vu dans la Lucanie, partie de la grande Grèce). C’est le plus grand des mammifères terres- tres qui vivent aujourd'hui sur le globe; sa hauteur est commu- nément de huit à neuf pieds (2,599 à 2,924), et quelquefois da- vantage ; il diffère de l'éléphant d'Afrique par ses oreilles et ses défenses plus petites, par son front concave, et par ses pieds de derrière qui ont quatre sabots au lieu de trois; sa peauest aussi un peu moins brune. Quelquefois on en trouve des individus albinos, entièrement blancs, et pour lesquels les Indiens ont beaucoup de vénération. L'histoire de l'éléphant est tellement connue de tout le monde, on en a tellement bercé notre enfance, qu'il serait fastidieux ici de répéter ce que chacun a entendu dire mille fois dans sa vie. Cependant nous rapporterons les faits généraux, avec quelques observations moins connues du public. On a dit que l'éléphant était le plus intelligent des animaux, et en ceci on s’est trompé. Il s'en faut de beaucoup que sen intelligence approche de celle du chien, et même de celle de plusieurs autres carnassiers, et telle était aussi l'opinion de G. Cuvier. Cet animal, d’un aspect imposant et même effrayant par son énorme laille, est néan- moins d’un caractère assez doux et d'une grande docilité; ce sont ces qualités que l’on a prises pour de l'intelligence , et ce- pendant elles ne résultent peut-être que de sa poltronnerie. Il est certain que lé courage de l'éléphant n’est nullement en rap- port avec sa force prodigieuse, et ne peut se comparer à celui du cheval. Je n’en citerai qu'une preuve, c’est que jamais on n’a pu l’accoutumer à entendre la détonation d’une arme à feu sans prendre la fuite, et que depuis qu’on se sert de ces armes dans les batailles, on a été obligé de renoncer à l'employer, si ce n’est pour porter les bagages. Celui de l'Inde n’attaque jamais les hommes ni les animaux, mais s’il en est attaqué il se défend avec la fureur du désespoir, et alors il devient terrible, tant que durent sa peur et sa colère. Une fois pris et apaisé par quel- ques bons traitements , il devient doux et soumis, et il ne faut que quelques jours pour l’habituer à la servitude et à une obéis- sance passive. On a dit aussi que l'éléphant était plein de décence, qu'il ne s’accouplait pas en esclavage par pudeur, et que, pour cela, il n'avait jamais produit en captivité. Il y a là dedans au- tant d'erreurs que de mots. Cet animal ne connaît pas plus la pudeur que les autres animaux, et on en a vu la preuve à la mé- nagerie de Paris ; il s’accouple et produit à l’état de domesticité, et cela est prouvé depuis l'antiquité, quoique Buffon ait assuré le contraire. Elien et Columelle affirment que les éléphants se reproduisaient à Rome de leur temps, et que ceux qui parurent dans les jeux de Germanicus, sous Tibère, étaient nés dans cette ancienne capitale du monde. Ce qui confirme parfaitement ce fait, c’est que M. Corse, qui dirigea longtemps dans l'Inde les élé- phants de la Compagnie anglaise, a réussi récemment à les faire produire. Enfin, une erreur populaire est que ces animaux ne peuvent pas se coucher, qu'ils dorment constamment debout, et que s'ils’sont tombés ils ne peuvent plus se relever. Le vrai est qu'ils s’agenouillent, se couchent et se relèvent quand ils le veu- lent, mais que l’on trouve chez eux, comme chez les chevaux, des individus qui dorment debout, et par conséquent ne se cou- chent que très-rarement ou même jamais. On sait avec quelle adresse ils se servent de leur trompe, qui chez eux remplace la main des singes. Elle leur est indispensable en ce que, ne pouvant baisser leur énorme tête jusqu’à terre, c’est avec elle qu'ils cueillent et portent à leur bouche les herbes et le feuillage dont ils se nourrissent. Dès la plus haute antiquité on les a soumis à la domesticité; on les a dressés à faire le ser- vice des bêtes de somme et de trait, et on les employait très- utilement à la guerre. On leur plaçait sur le dos une sorte de petite tour en bois, dans laquelle se postaient des archers et des 268 LES PACHYDERMES. EE —_ a __].]_.] arbalétriers, qui, hors d'atteinte, incommodaient beaucoup l’en- nemi. Depuis l'invention des armes à feu, on ne s’en sert plus que comme bêtes de luxe ou de transport, et au lieu de porter de farouches soldats, ils ne sont plus montés aujourd’hui que par des rajas efféminés et leurs femmes. C’est un très-grand sujet de gloire pour un prince asiatique que d’avoir un grand nombre d’éléphants dans ses écuries, et il se croit au faîte de la gran- deur quand il peut en posséder un ou deux blancs. Chaque élé- phant est confié aux soins d’un homme que les Indiens nomment mahoud, et que nous appelons cornac. Pour le conduire, il se met assis ou à cheval sur son cou, et il dirige sa marche en lui tirant légèrement l'oreille du côté où il veut le conduire, au moyen d'un bâton dont le bout est armé d’un petit crochet de fer. Les princes indiens se servent souvent de ces animaux pour faire la chasse au tigre sans beaucoup de danger, car si la bête féroce fait mine de se lancer sur les chasseurs, l'éléphant la sai- pèces d'éléphants antédiluviens dont nous ne nous occuperons pas ici, parce que leur histoire appartient à celle des animaux fossiles, et ne doit pas entrer dans le cadre de cet ouvrage. Ie prvisiOn. Trois sortes de dents dans le plus grand nombre, deux au moins dans les autres; pieds terminés par quatre doigts au plus, et par deux au moins. 2e Genre. Les TAPIRS (Tapirus, Briss.) ont quarante-deux dents, savoir: six incisives en haut et six en bas ; deux canines supérieures et deux inférieures ; quatorze molaires à la mâchoire supérieure et douze à l'inférieure, présentant à leur couronne, avant d’être usées, deux collines transverses et rectilignes ; leur nez consiste en une petite trompe mobile, sans doigts au bout; leur cou est assez long , arqué; ils ont deux mamelles inguinales ; leurs pieds de devant ont quatre doigts et ceux de derrière trois. L'Eléphant femelle de l'Inde. sit aussitôt avec sa puissante trompe, la jette loin de là, ou la perce de ses défenses et la foule avec ses pieds: du moins on le dit. A l'état sauvage, les éléphants vivent en grandes troupes et n'habitent que les forêts les plus solitaires des contrées chaudes de l'Asie et des grandes îles de l'archipel indien, Lorsqu'ils se croient menacés de quelque danger, on dit que les vieux mâles marchent à la tête du troupeau, et les femelles à la suite avec leurs petits. Du reste, lorsqu'ils sont attaqués, ils se défendent avec leur trompe et avec leurs défenses, quand ils en ont, car, dans l’espèce de l’Inde, les femelles en ont rarement de saillantes hors des lèvres, et celles des mâles sont toujours très-courtes. Ces animaux ont une vie très-longue, mais dont la durée a été beaucoup exagérée. Ce sont leurs défenses, particulièrement celles de l'espèce d'Afrique, qui fournissent l’ivoire du com- merce. L'Écévuanr p'Arrique (Elephas africanus, Cuv. Le Naghe des Abyssins. Le Manzao où Man:o du Congo) est un peu moins grand que le précédent. Il a la tête ronde, le front convexe, les oreilles très-grandes ainsi que les défenses, dont la femelle est aussi bien armée que le mâle; il n’a que trois doigts aux pieds de derrière, au lieu de quatre. Il habite toute l'Afrique méridionale, depuis le Sénégal jusqu’au Cap. Quoique plus farouche et plus courageux que l'éléphant de l'Inde, il n'en avait pas moins été soumis à la domesticité par les Carthaginois. Aujourd’hui on ne le trouve plus en servitude que dans les ménageries. On connaît, sous les noms de mammouth et de mastodontes, plusieurs es- Le Maïrourt où TAPIR D'AMÉRIQUE (Tapir americanus, Li. L’Anta ou Tapir de Burr. Le Tapürète de Marce. Le Mbourica ou le Mborebi n'Azzara. Le Tapihire-êté, le Tapir-gouaçou et le Ma- nipouri des Indiens. L’Anta, le Danta et le Vagra des Espagnols). Cet animal surpasse quelquefois la taille d’un âne ordinaire, mais il est moins haut sur jambes, plus trapu, et son corps est arqué comme celui d’un cochon; son cou est gros, charnu , for- mant comme une sorte de crête sur la nuque, et portant une courte crinière dans le mâle et quelquefois dans la femelle, selon d’Azzara. Son corps est épais, presque nu, et le peu de poil qui le couvre est, comme sa peau, d’un brun foncé; sa tête est grosse, longue, et, ce qui lui donne une figure très-bizarre, il a une trompe charnue, mobile dans tous les sens, dont il se sert avec beaucoup de dextérité pour arracher de la vase les racines des plantes aquatiques. Sa queue est courte, en forme de tronçon. Le maïpouri est un animal triste, extrêémement timide, qui n'ose sortir de sa retraite que la nuit, pour aller se plonger dans les eaux des lacs, des marais et des rivières dont il habite les bords. Il n’est aucunement carnassier, vit de plantes et de racines, et ne se sert de ses dents ni contre les hommes ni con- tre les animaux. Sa douceur, ou, si l’on aime mieux, sa poltron- nerie lui fait éviter tout combat, et lorsqu'il est attaqué, il ne sait que fuir ou mourir. Cependant, quand il est dans l'eau, il semble que son habileté en natation lui donne quelque velléité de cou- rage, car on en à vu, dit-on, avant de succomber, se lancer contre les canots d’où partaient les coups dont on les frappait; mais ce n’est jamais que réduits à la dernière extrémité, que le PACHYDERMES. 269 —————————…—….…………………_…_…_……—…_—…—…—…—…—…—…—…—…—…—— désespoir de la peur les détermine à un semblant de défense. Le tapir a quelque analogie avec le sanglier dans ses habitudes. Comme lui il aime à se vautrer dans la fange des marais, mais avec cette différence qu'ayant de rentrer dans son fort, il a le soin de se laver! dans l’eau claire, jusqu'à ce qu'il ne lui reste aucune ordure sur le corps; comme lui il se nourrit de racines, de fruits, d'herbe et de graines, mais jamais de chair ; comme lui, il ne se détourne pas de son chemin quand il fuit, et ren- verse brutalement tout ce qui se trouve sur son passage, hommes et animaux ; mais il ne cherche jamais à les blesser avec les dents. Pris jeune', on l'élève et l’apprivoise avec la plus grande facilité ; prend à courir de toutes ses forces, en baissant la tête et la mettant presque entre ses jambes de devant, ce qui lui donne fort mauvaise grâce. Il tâche de gagner l’eau le plus prompte- ment possible, s’y jette, plonge et disparaît aussitôt, et nage sous les ondes avec une telle rapidité, que ce n’est quelquefois qu’à deux ou trois cents pas qu'il reparaît pour respirer et plon- ger de nouveau. La femelle ne fait qu'un petit, qui, en naissant et pendant les premiers mois de sa vie, porte une jolie livrée semblable à celle des faons. La mère lui est fort attachée tant qu'il porte cette livrée ; mais aussitôt qu'elle commence à s’effa- cer, c’est-à-dire quand il est assez fort pour pouvoir se passer de Le Tapir d'Amérique. il s’'impatronise dans la maison, va furetant partout, brise, par maladresse, toutes les choses fragiles qui sont à sa portée, et se rend fort incommode à force de familiarité. Autrefois ces animaux étaient très-communs dans les forêts so- litaires et les savanes de toute l'Amérique méridionale. Mais de- puis qu'on s’est servi d'armes à feu pour les chasser, le nombre en est beaucoup diminué, quoiqu'ils ne soient pas encore très- rares, et le plus ordinairement ils vivent solitaires et isolés. Cha- ses soins, elle l’abandonne et ne le reconnaît plus. La chair du maïpouri est dure, coriace, peu agréable, cependant les sauvages la mangent. Mais ce qu’ils estiment le plus dans cet animal, c’est sa peau qui est épaisse et si dure quand elle est sèche, qu'ils en font des boucliers que les flèches ne peuvent pas percer. Le Maïsa (Tapirus indicus, Fr. Cuv. Tapirus malaganus, RarrL. Le Tennu des Malais. Le Gindol ou Babi-alu des habitants de Su- matra) diffère du précédent par son pelage court et ras, d’un que soir ils quittent leur forêt pour gagner la rivière où ils ont coutume de se baigner, et ils rentrent au bois chaque matin, en passant exactement par le même endroit, de manière qu'ils finis- sent par se tracer dans les broussailles des sentiers aussi battus qu'une grande route. Cette singularité les trahit, et les Indiens vont se poster sur ce passage pour les tuer à coups de fusil, ou bien ils creusent des fosses qu'ils recouvrent de gazon, et ces animaux manquent rarement d'y tomber. On chasse aussi le tapir avec des chiens, et aussitôt qu'il est relancé dans son fourré, il se blanc sale , avec la tête, le cou, les épaules, les jambes et la queue d’un noir foncé ; le mâle-n’a pas de crinière sur le cou. Il est commun à Sumatra et dans la presqu'île de Malaka. Le PiNcuAQuE (Tapirus pinchaque, Rourix) diffère du maïpouri par son occiput aplati, sa nugue ronde; son pelage épais, d'un brun noirâtre, une place nue sur les fesses, et une raie blanche à l'angle de la bouche. On le trouve dans l'Amérique méridio- nale, mais il n’habite que le sommet des montagnes et jamais la plaine. 270 LES PACHYDERMES. 5e Genre. Les RHINOCÉROS ( Rhinoceros, Lin.) ont trente-deux dents : deux incisives en haut et en bas, ou nulles ; point de ca- nines; quatorze molaires à la mâchoire supérieure et autant à l'inférieure; ils ont trois doigts à chaque pied : leur peau est très- épaisse, nue et rugueuse; ils ont une ou deux cornes fibreuses sur le nez, et deux mamelles inguinales. Le Ranocéros pes Inpes (Rhinoceros indicus, G. Cuv. Rhinoceros unicornis, Lin. Rhinoceros unicornu , Bonn. Le Rhinocéros, Burr. L'Abada des Indiens) a neuf ou dix pieds (2,924 ou 5,249) de lon- gueur, et cinq à six de hauteur (1,624 à 1,949), et quelquefois davantage. Après l'éléphant, c’est le plus puissant des mammi- fères terrestres. Ses formes sont massives ; sa tête est raccourcie et triangulaire, portant une seule corne sur le nez; il a deux fortes incisives à chaque mâchoire; ses yeux sont fort petits. Ses oreilles et sa queue seules sont garnies de quelques poils grossiers et roides, et le reste de sa peau est nu, d’un gris foncé violâtre: elle est marquée de deux sillons profonds, l’un en arrière des épaules, l’autre en avant des cuisses, et sans cela il.ne pourrait guère se mouvoir, car sa peau est si épaisse, si dure et si sèche, qu’il est impossible de la percer avec une balle. La ménagerie, lorsqu'elle était à Versailles, en a possédé un individu vivant. La corne que le rhinocéros porte sur le nez est composée de poils agglutinés, et ne paraît être qu'un prolongement de l’épi- derme ; elle ne tient qu’à la peau et n’a aucune adhérence ayec les os sur lesquels elle est placée. Les anciens lui attribuaient la propriété de détruire l’effet des poisons les plus dangereux, et les tyrans soupçonneux de l'Asie s’en faisaient faire des coupes qui avaient une valeur exorbitante. La corne du rhinocéros lui sert rarement d'arme défensive, car cet animal, paisible quoique très-farouche, n’attaque jamais, et sa force redoutable fait que les animaux le craignent et ne lui font pas la guerre. Il ne l’emploie donc le plus souvent que pour détourner les branches et se frayer un passage dans les épaisses forêts qu'il habite. Son caractère est triste, brusque, sauvage et indomptable ; ses jambes courtes, son ventre presque trainant, ses formes grossières, la petitesse de ses yeux, dénonçant sa stupidité, en font un être assez malgra- cieux. 11 vit solitairement dans les bois, à proximité des rivières, où il aime à aller se vautrer dans la vase. Il se nourrit de feuilles et de racines, et l’on prétend que pour avoir celles-ci il ouvre la terre ayec sa corne; mais ce fait me paraît douteux, ear elle est recourbée du côté des yeux et placée de manière qu'il doit lui être extrêmement difficile, si ce n’est impossible, d’en présenter la pointe au sol. Sa lèvre supérieure, la seule partie de son corps où il puisse avoir le sens parfait du tact, est allongée et mobile; il s’en sert avec assez d'adresse pour saisir et arracher les végé- taux dont il se nourrit. Lorsqu'il est paisible , sa voix est faible, sourde, et a quelque analogie avec le grognement d’un cochon; mais lorsqu'il est irrité, il jette des cris aigus qui retentissent au loin. La femelle ne fait qu’un petit, qu’elle porte neuf mois, et pour lequel elle a beaucoup de sollicitude; quand elle en est suivie, sa rencontre peut devenir dangereuse , surtout si elle le croit menacé. Alors elle se précipite avec fureur sur les animaux qu'elle rencontre, et le tigre lui-même est obligé de fuir à toutes jambes pour éviter sa terrible rencontre. Aussi capricieux que stupide, le rhinocéros passe subitement, sans cause el sans transitions, du plus grand calme à la plus grande fureur. Alors cette pesanteur, cette sorte de lourde pa- resse font place à une légèreté effrayante ; il bondit à droite et à gauche par des mouvements brusques et désordonnés, puis il s’é- lance devant lui avec la rapidité du meilleur cheval, brise, ren- verse et foule aux pieds tout ce qui se trouve sur son passage, et pousse des cris à faire trembler le plus intrépide chasseur. Aussi n'ose-t-on l’attaquer que monté sur les chevaux les plus vifs et les plus légers. Les chasseurs, dès qu'ils l’ont aperçu, le suivent de loin et sans bruit, jusqu'à ce qu'il se soit couché pour dormir ; alors ils s’approchent sous le vent, car si le rhinocéros a la vue mauvaise, il a l’odorat très-fin, et flaire de fort loin l'approche de son ennemi quand le vent lui apporte ses émanations. Parvenus à la portée du fusil, les chasseurs descendent de cheval, visent l'animal à la tête, font feu , et s’élancent sur leurs chevaux pour fuir avec vitesse s’il n’est que blessé, car alors il se jette ayec rage sur ses agresseurs ; et malheur à eux s’il parvenait à les attein- dre ! Mais comme sa course est toujours en ligne droite, au moyen de quelques écarts prompts qu’ils font faire de côté à leurs che- vaux, ils parviennent à éviter sa rencontre, et d'autant plus aisé- ment que le rhinocéros, ainsi que le sanglier, ne se détourne ja- mais dans sa course et ne revient point surses pas. Les habitants du pays où l’on trouve ces énormes animaux les chassent pour avoir leur corne, à laquelle, ainsi que nous l'avons dit, ils accor- dent des propriétés merveilleuses, pour manger sa chair, qu'ils trouvent fort bonne, et enfin pour avoir sa peau, dont on fait d'excellentes soupentes de voiture. Pris très-jeune, le rhinocéros de l'Inde se familiarise jusqu'à un certain point et devient assez doux; cependant il faut- toujours se défier de ses caprices. Si on l’arrache à ses déserts lorsqu'il approche de l’âge adulte, il conserve pour toujours sa farouche brutalité. En esclavage, il se nourrit très-bien de riz, de pain et de sucre. Cet animal a deux fortes incisives à chaque mâchoire. Le Ramocéros DE JAVA (Rhinoceros javanicus, et Rhinoceros son- daïcus, G. Cuv. Le Rhinocéros unicorne de Java, Camp.) n’a pas plus de huit pieds (2,599) de longueur , non compris la queue, qui a un pied (0,525); sa hauteur moyenne est d’un peu plus de quatre pieds (1,299) : les jeunes ont quatre incisives, mais il leur en tombe deux quand ils deviennent adultes; la peau est couverte de tubercules pentagones , et-forme de grands plis derrière les épaules et aux cuisses. 11 n'a qu’une corne, placée près des yeux; des poils courts, roides et bruns, sont épars sur son corps, lui bordent les oreilles, et garnissent l’extrémité de sa queue ; sa tête est courte, à chanfrein concave; ses yeux sont petits; enfin il lui manque ce pli dans le sens de l’épine du dos, comme on le voit sur l’épaule du précédent. Il habite Java et a les mêmes mœurs que les autres espèces. Le RamNocénos pe SuuaTrA (Rhinoceros sumatranus, RareL. Rhi- noceros sumatrensis, G. Cuv. Le Buddah de Mars». Le Badak des habitants de Sumatra) a quatre incisives à chaque màächoire, mais il lui en tombe deux à la mâchoire supérieure quand il atteint un certain âge. Il n’a guère que cinq à six pieds de longueur (1,624 à 4,949), sur trois ou quatre de hauteur (0,975 ou 4,299). Son nez porte deuxicornes, dont celle placée près des yeux est plus courte que l’autre ; sa peau est'rugueuse, couverte de poils assez rares, roides et bruns; les plis de ses épaules et de sa croupe sont peu marqués; sa peau a peu d'épaisseur, presque sans plis ; sa tête est un peu allongée; ses yeux sont bruns et petits; sa lèvre supérieure est petite, pointue, recourbée en des- sous ; ses oreilles, bordées de poils noirs et courts, sont petites et pointues. Il habite Sumatra. Le RHnocéros D'AFRIQUE (Rhinocéros africanus, G. Cuv. Rhino- ceros bicornis, Camrer. Le Nabal des Hottentots. Le Rhinocéros d'Afrique, Burr.) a de onze à douze pieds de longueur (5,575 à 5,898). Son hez porte deux cornes; il manque d'incisives et n’a point de plis à la peau, qui est presque entièrement nue : ses yeux sont petits, enfoncés ; ses oreilles sont bordées de quelques poils noirs, et sa queue en porte un bouquet à l'extrémité. Cette espèce habite le pays des Hottentots, la Cafrerie, et probablement tout l’intérieur de l'Afrique méridionale. Elle fréquente le burd des grandes rivières, se relire dans les bois qui ombragent leurs bords, et parait encore plus farouche que le rhinocéros des Indes. Le Rmvocéros pe BurcueLL (Rhinoceros Burchelii, Less. Rhino- ceros simus , BurouELL) pourrait bien être une simple variété du précédent, quoique sa taille soit beaucoup plus grande, H en différerait par ses lèvres et son nez, qui seraient très-élargis et PACHYDERMES. 271 _—_—_———————…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…——…—…—…—…—…—…—………………“…………………………………………………………— comme tronqués. Bruce, Gordon et d’autres voyageurs ont si- gualé quelques autres espèces ou variétés de rhinocéros d'Afrique, mais que je ne connais pas assez pour les mentionner ici. Quant au Burchelii, je ne doute pas que ce ne soit une variété du pré- cédent. Ille piston. Dents comme dans la division précédente ; quatre doigts aux pieds de devant, trois aux pieds de derrière. 4e Genre. Les DAMANS (Hyraæ, Her.) onttrente-quatre dents: deux incisives fortes, recourbées , sans racines, à la mâchoire supérieure, quatre à l'inférieure; point de canines ou deux très-petites, mais seulement dans la jeunesse; quatorze molaires en haut et autant en bas, conformées comme celles des rhinocé- ros ; corps couvert de poils; queue ne consistant qu’en un tuber- cule; museau et oreilles courts; tous les doigts munis d’un petit sabot arrondi, excepté le doigt interne de derrière, qui est armé d'un ongle crochu et oblique. L'Askaxoro ou Daman pu Car (Hyrax capensis, Des. Caria ca- pensis, Pazc. Le Daman et la Marmotte du Cap, Burr. L’Askhkoko et le Gihe des Abyssins. L'Agneau d'Israël et le Nabr des Arabes. Le AKlip-dass des Hollandais. Le Daman des Syriens). Cet animal ne dépasse pas la taille d'un lapin. Ses formes sont lourdes ; son corps est allongé et bas sur jambes; sa tête est épaisse et son museau obtus; son pelage est doux, soyeux, très-fourni, d'un gris brun en dessus et blanchâtre en dessous; il a une petite tache plus foncée sur l'œil, et quelquefois une ligne dorsale plus foncée que le fond du pelage. Il habite le cap de Bonne-Espé- rance, l'Abyssinie et le Liban, et ne se trouve que dans les montagnes hérissées de rochers. Cuvier dit (Ossem. fossil. ) : « Il n’est point de quadrupède qui prouve mieux que le daman la nécessité de l'anatomie pour dé- terminer les véritables rapports des animaux. » En effet, personne n’eût deviné, ayant ce grand naturaliste, que le daman, grand comme un lapin, se creusant un terrier, ayant une jolie et douce fourrure, les formes d’un cochon d'Inde ou d’une marmotte, les mœurs douces, le caractère aimant, susceptible de s’attacher à son maître; que le daman placé par tous les naturalistes avec les rongeurs à cause de ses formes générales, de sa physionomie, de ses habitudes douces et intelligentes, de son goût recherché pour la propreté; on n'aurait jamais deviné, dis-je, que le daman était un rhinocéros, c’est-à-dire le portrait en miniature du plus fa- rouche, du plus stupide et du plus brutal des quadrupèdes, dont le plus grand plaisir est de se vautrer dans la fange. Grâce soit donc rendue à l’anatomie, car sans elle j'aurais certainement pris le daman, non pour un rhinocéros, mais pour un rat! Cependant ne serait-il pas possible que ce que le grand naturaliste prend ici pour une preuve de l'utilité de l'anatomie pût être pris aussi pour une preuve de l'abus qu’on en peut faire quand on s’en sert avec des idées préconcues? Les véritables rapports naturels du daman sont-ils bien ceux qui, brisant tous les liens de formes, d'aspect, de grandeur, de mœurs , d'habitudes et d'intelligence, le retirent d’auprès de la marmotte, auprès de laquelle un grand homme aussi, Buffon, l'avait placé, pour en faire un rhinocéros? Je ne sais. Quoi qu'il en soit, ce petit animal habite de préférence les montagnes boisées, au milieu des roches les plus escarpées et les plus roides. Quelquefois il se creuse un terrier analogue à celui d’un lapin, mais très-souvent il se contente d’un trou d’arbre ou d’une fente de rocher. Il est très-vif, très-alerte, et se retire précipitamment dans son fort à la moindre apparence de danger, au plus petit bruit qui vient frapper son oreille très fine. Aussi est-il très-difficile de s’en emparer, car, une fois dans son trou, il se laisse étouffer par la fumée ou noyer par l’eau qu'on y introduit, plutôt que d’en sortir, Tous les petits mammi- fères carnassiers lui font une guerre active, mais les oiseaux de proie sont les plus dangereux de ses ennemis, parce qu'ils l’é- pient d’une roche ou d’un arbre voisin, et dès qu'il est éloigné de quelques pas de sa retraite, ils se précipitent sur Jui à l’im— proviste, le saisissent et le déchirent. Il se nourrit d'herbe comme le lièvre, s’apprivoise très-facilement, et il est très-susceptible d’attachement, Outre cette espèce, on connaît encore les damans : h. syriacus ou sinaïticus; h. rufipes ou dongolanus; h. habesseni- cus, de l'Abyssinie, Eurems., et le daman des arbres, h. arboreus, d’Andrew Smith. Ce dernier habiterait également le Cap. 3e Genre. Les PÉCARIS (Dicotyles, G. Cuv.) ont trente-huit dents, savoir : quatre incisives à la mâchoire supérieure et six à l'inférieure ; deux canines en haut et deux en bas, ne sortant pas de la bouche; douze molaires à chaque mâchoire; les doigts in- termédiaires sont plus longs que les autres, et appuient sur la terre; ils ont sur le dos, près des lombes, une ouverture glan- duleuse d'où suinte une humeur très-pénétrante et très-fétide ; enfin leur queue est excessivement courte, large et plate. Du reste , ils ressemblent beaucoup au cochon. Le Tayrerou ou PÉcARI À COLLIER (Dicotyles torquatus, Fr. Cuv. —Desw. Sus tajassu , Lan. Le Pécari où Tajassou, Burr. Le Patira de quelques provinces de l'Amérique). IL est de la taille d’un moyen cochon , il a deux pieds et demi (0,812) de longueur. Son corps est couvert de soies roides, ana- logues à celles des sangliers, annelées de blanc sale et de noir dans leur longueur, d’où résulte un pelage d'un gris foncé uni- forme ou tiqueté; une large bande blanchâtre lui descend obli- quement de chaque épaule, en écharpe. Les jeunes sont d’un brun fauve clair, avec une ligne noirâtre sur le dos. Le taytetou habite les forêts de toute l'Amérique méridionale, vit en famille mais non pas en troupe comme le croyait Buffon, se loge dans les antres des rochers , et plus communément dans les trous que la vieillesse a creusés au pied des troncs d'arbres. Buffon dit qu’on ne le trouve que dans les montagnes, d’autres assurent qu'il ne fréquente que les plaines. Le vrai est qu'on le rencontre dans toutes les forêts où il peut trouver sa nourriture, consistant en racines et en fruits. Les glandes qu'il a sur le dos exhalent en tout temps, mais surtout quand il est irrité, une odeur empestée ayant un peu d'analogie avec celle de l'ail, mais beaucoup plus désagréable. Il parait néanmoins qu’elle n'infecte pas la chair si on a le soin d'enlever les glandes aussitôt que l’a- nimal vient d’être tué, car les Américains le mangent et le re- gardent comme un fort bon mets. Ils le chassent avec des chiens; mais, comme il a l’odorat très-fin, souvent il découvre les chas- seurs et la meute longtemps avant d’avoir été découvert par eux, alors il fuit avec rapidité et se jelte dans quelque trou profond, entre les rochers, d'où il est fort difficile de le retirer. Dans sa colère il hérisse sur son dos son poil beaucoup plus dur et plus roide que celui du sanglier, il pousse des cris aigus, se défend avec courage, et mord cruellement. Le mâle ne quitte jamais sa femelle, et l’on ne rencontre ces animaux que par couple; à moins qu'ils ne soient suivis de leurs petits, que les parents pro- tégent jusqu'à ce qu'ils soient capables de pourvoir eux-mêmes à leurs besoins, Alors la famille se sépare par couple pour ne plus se réunir, Le taytetou est sauvage, grossier, peu intelligent, et compa- rable , aussi bien sous le rapport de ses habitudes que de ses for- mes, à notre sanglier. Cependant, malgré son humeur farouche, il s’apprivoise fort bien, et multiplie même en captivité. Deyenu domestique, il a les mœurs de notre cochon. « Les pécaris, dit Buffon, perdent leur férocité naturelle, mais sans se dépouiller de leur grossièreté; car ils ne connaissent personne, ne s’alla- chent point à ceux qui les soignent ; seulement ils ne font point de mal, et l’on peut, sans inconyénient , les laisser aller et venir en liberté; ils ne s’éloignent pas beaucoup, reviennent d'eux- mêmes au gite, et n’ont de querelle qu’auprès de l’auge et de la gamelle, lorsqu'on la leur présente en commun. » Ayant la révo- 272 LES PACHYDERMES. lution de Saint-Domingue, le gouverneur La Luzerne avait com- mencé à les naturaliser dans cette île, et ils s'étaient déjà mul- tipliés à la Gonave. M. le docteur Ricord , ce naturaliste si zélé, si estimé de G. Cuvier, avait fait à Saint-Domingue plusieurs notes intéressantes sur cet animal considéré sous le rapport de la do- mesticité ; mais elles ont été anéanties dans le fatal incendie qui dévora sa maison et les immenses collections qu'il y avait amas- tagnicatis se secourent mutuellement lorsqu'ils sont attaqués ; ils entourent les chiens et les chasseurs, les harcèlent par leurs grognements et leurs menaces, et les blessent quelquefois. Azara fait observer, à cet égard, qu’en frappant avec leurs canines, ce n'est pas de bas en haut, comme les sangliers, mais de haut en bas. Ils savent se défendre avec courage contre les animaux car- nassiers, et même contre le jaguar, le plus terrible de leurs en- Le Pécari à collier. sées avec tant de peines et de périls pendant plusieurs années. Ce voyageur m'a ditque les tentatives faites par M.de La Luzerne n'avaient pas été renouvelées depuis le départ des colons français. Le Tacnicari (Dicotyles labiatus, Fr. Cuv. Sus tajassu, Lin. Le Pecari tajassou des naturalistes) est plus grand que le précédent, et a été confondu avec lui par Linné, Buffon, et d’autres natu- ralistes. Il en diffère par sa couleur entièrement d'un brun noi- nemis, et quoique plus petits que le sanglier, ils sont; plus dan- gereux que lui, parce qu'ils se précipitent en grand nombre sur leur assaillant, et le déchirent de mille morsures à la {fois. Du reste, les tagnicatis sont extrêmement faciles à apprivoiser et de- viennent même très-familiers. En domesticité, ils contractent les mêmes habitudes que nos cochons; ils en ont la démarche, les goûts, la manière de manger, de boire, de fouir la terre, mais Le Pécari tignicati. râtre , par ses lèvres blanches, et par la concavité de son chan- frein. Il habite! particulièrement le Paraguay, et vit en troupes composées quelquefois de plus de cent individus. Il se nourrit de graines , de racines, de fruits sauvages; il mange aussi des ser- pents, des crapauds et des lézards, et, si l’on en croit Buffon, il les écorche avec ses pieds avant de les manger. Ce qu'il y a de plus certain, c’est qu'il est omnivore comme notre cochon, dont il a les mœurs et toutes les habitudes. Ainsi que ces derniers, les ils sont plus propres et ne se vautrent pas dans la fange. Jamais ils ne se mélent avec les taytetous , ni n’habitent les mêmes bois. Leurs glandes dorsales n’exhalent pas non plus une odeur aussi désagréable. Autrefois ils étaient beaucoup plus communs qu'au- jourd’hui, mais comme ils font un dégât énorme dans les champs de cannes à sucre, de maïs, de maniocs et de patates, où ils se jettent, on leur fait une guerre d’extermination qui en a beau- coup diminué le nombre. = PACHYDERMES, 273 IVe pivision. Les trois sortes de dents; quatre doigts à tous q g les pieds. Ge GENRE. Les BABIROUSSAS (Babirussa, Fr. Cuv.) ont trente- quatre dents, savoir : quatre incisives en haut et six en bas; deux canines supérieures sortant, non de la bouche, mais du museau, et se recourbant en demi-cercle vers les yeux ; deux inférieures arquées et aiguës, comme chez les sangliers. Du reste, ils res- semblent assez au cochon, quoiqu'ils aient les formes plus lourdes. L’Azrourous ou Bagec-Rosoo (Babirussa alfurus, Less. Sus ba- birussa , Lis. Le Babiroussa ou Cochon cerf, Burr. — G. Cuv. Le de débris de foin ou de paille; du moins ceux de la ménagerie se sont fait un tel lit aussitôt leur arrivée, et ces animaux ont trop peu d'intelligence pour que ceci leur ait été inspiré par le froid s'ils n’en eussent eu l’ancienne habitude. Ils ne s’apprivoi- sent pas aussi facilement que le disent Buffon et Valentya, et, dans l'esclavage, leur caractère reste toujours inquiet et fa- rouche. 7e Genre. Les COCHONS (Sus, Lin.) ont quarante-quatre dents, savoir : six incisives en haut et autant en bas; deux canines à chaque mâchoire, recourbées dans le haut et latéralement; qua- torze supérieures et quatorze inférieures, à couronne tubercu- leuse; leur museau est tronqué, terminé par un boutoir; leur Le Tapir, paysage du Brésil. Sanglier des Indes orientales, Briss. Le Baby-russa des Malais) est de la grandeur de notre sanglier, mais à corps proportionnelle- ment plus gros, à formes plus arrondies : sa peau est noire, pres- que nue, ridée ou plissée ; les défenses, très-longues et très-grèles dans le mâle, manquent dans la femelle. Cet animal, dont la mé- nagerie a possédé deux individus , habite les forêts marécageuses dans l’intérieur de l’île Bourou, l’une des Moluques, et, dit-on, les îles Philippines, les Célèbes, Bornéo et l’archipel des Papous. Il aime l’eau, nage et plonge fort bien, et se jette dans les ondes aussitôt qu'il est poursuivi. Il se nourrit de racines, d'herbes et de fruits, et il aime particulièrement le maïs; si l'on s’en rap- portait à Buffon, qui du reste parait avoir fort peu connu cet animal, il vivrait en troupe , mais les habitudes qu'il avait à la ménagerie me font croire ce fait très-douteux. Il se retire par couple dans des trones d’arbres creux ou dans d’autres trous, où il se couvre entièrement, ayec sa femelle, de feuilles sèches ou 58. corps est couvert de poils roides , de la nature du crin; les deux doigts du milieu sont grands, ayant de forts sabots : les deux doigts extérieurs sont courts et ne touchent pas la terre. Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36. 18 274 LES PACHYDERMES. ———————_————.———————— ———……— …— …"… … …". — — __——— — — Le-SanGuiEr Commun (Sus scrofa, Lin.) atteint la taille de nos plus grands cochons domestiques, dont il est la souche; ses ca- nines ou défenses sont recourbées en dehors et un peu vers le haut; son corps est trapu, couvert de poils hérissés, d’un brun noir; ses oreilles sont droites. La femelle ou laie est un peu plus petite que le mâle. Les jeunes, nommés marcassins, sont rayés de blanc et de brun pendant leur première jeunesse, et sont alors recherchés pour la table. Le sanglier habite les forèts les plus grandes et les plus soli- taires de toutes les contrées tempérées de l’Europe et de l'Asie. Il ne se trouve pas en Angleterre, probablement parce qu'il y a été détruit dans des temps reculés. Malgré ce que l’on en a dit, ce n'est pas un animal stupide, mais grossier, brutal et d’un cou- rage intrépide. Lorsqu'il fuit devant les chiens de chasse, il est rare que la rencontre d’un homme le détourne de son droit che- min ; il le renverse et le blesse cruellement d’un coup de boutoir, lui passe sur le corps et continue sa route; mais il ne se détourne pas non plus pour courir sur le chasseur, si celui-ci a la précau- tion d'éviter sa rencontre, Quand il recoit un coup de feu qui le blesse, il n’en est plus de même; quelque éloigné que soit son ennemi, il perce droit à lui au travers de la meute qui le harcèle, el fond sur lui pour se venger. Si l'on évite son premier choc, il est räre qu'il revienne sur ses pas. Du reste, il n’y a guère que les vieux mâles qui agissent ainsi; les femelles et les jeunes se bornent à fuir ou à faire fort contre les chiens, qu'ils estropient fort souvent. Le sanglier croît pendant cinq ou six ans, mais dès sa seconde année il est capable de reproduire son espèce. La fe- melle entre en rut en janvier et février, elle porte quatre mois, et elle met bas de quatre à dix marcassins. Elle les cache dans les fourrés les plus épais pour les soustraire à la voracité des mâles, qui ne manqueraient guère de les manger s’ils les rencontraient pendant les premiers jours après leur naissance. Elle les allaite pen- dant trois ou quatre mois, mais elle ne les quitte que longtemps après, et elle ne cessé pas de les instruire, de les protéger et de les défendre. Dans les pays peu peuplés, il arrive parfois que plusieurs familles se réunissent, et forment ainsi des troupes plus ou moins considérables, toutes composés de femelles et de leurs enfants âgés quelquefois de deux ou trois ans. Ils vivent entre eux en fort bonne intelligence, et se défendent mutuellement. Lorsqu'un danger les menace, ils se rangent en cercle, placent au milieu d'eux les marcassins portant encore la livrée, et pré- sentent à l'ennemi leurs boutoirs menaçants, Quant aux vieux mâles , ils vivent solitairement. Ces animaux aiment à se yautrer dans la vase des marais; ils nagent très-bien, et traversent aisé- ment les rivières les plus larges. Pour peu qu'ils soient trop in- quiétés dans une contrée, ils la quittent et vont s'établir quel- quefois à plus de vingt ou trente lieues de là. Leur nourriture ordinaire consiste en racines, en grains et en fruits, mais ils dé- vorent aussi les reptiles, les œufs d'oiseau et tous les jeunes ani- maux qu'ils peuvent surprendre. Malgré leur air lourd, ils courent avec une grande rapidité. Is ne sortent guère de leur bauge que la nuit, et ils dévastent les champs de maïs et de pommes de terre où ils peuvent pénétrer. Le sanglier s’apprivoise très-bien et devient très-familier; il est tout à fait inoffensif tant qu'il est jeune; il s'attache même à la personne qui en prend soin, et Frédéric Cuvier en a vu auxquels on avait appris à faire des gesti- culations grotesques pour obtenir quelque friandise; mais il se- rait imprudent de s’y trop fier quand il devient vieux. Le CocuoN DOMESTIQUE n’est rien autre que le sanglier dont une antique servilude a modifié le physique et le moral. On en pos- sède plusieurs races très-distinctes, dont les principales sont : Le Cochon de Chine. Il a le corps épais, le museau court et con- cave supérieurement, le front bombé, les poils très-frisés sur les joues et à la mâchoire inférieure ; Le Cochon du cap de Bonne Espérance ; de la grandeur d'un co- chon commun d’un an. Ilale poil rare, dur, noir ou brun foncé; les oreilles droites; la queue pendante terminée par un flocon de soie ; Le Cochon de Siam; le Bouré des naturels de l’île Praslin ; le Bouaa des naturels des îles de la Société, de la grandeur du précédent et lui ressemblant ; Le Cochon commun ou à grandes oreilles ; Le Cochon turc ou Mongolitz ; Les Porcs de Pologne, de Russie, de Guinée, ete. Toutes ces races ont elles-mêmes un assez grand nombre de variétés. Le BÈNE ou SANGLIER DES Papous (Sus papuensis, Less. et Gann.) est petit, long de trois pieds (0,975); canines supérieures très- petites, de même forme que les incisives; poils courts, épais, d'un fauve brunâtre en dessous, blancs et annelés de noir en dessus; queue très-courte. Il est commun dans les forêts de Ja Nouvelle-Guinée. Le SANGLIER A MASQUE (Sus larvatus, FR. Cuv.) est de la gran- deur de notre sanglier, et n’en diffère que par une protubérance fort grosse, placée de chaque côté de son museau. Il habite Ma- dagascar et l’Afrique orientale. 8e GENRE. Les PHACOCHOERES (Phacochærus, Fr. Cuv.) ont seize ou vingt-quatre dents, savoir ; deux incisives ou point à la mà- choire supérieure, et six ou point à la mâchoire inférieure; deux canines en haut et deux en bas; six molaires à chaque mâchoire, composées de cylindres émailleux ; leurs défenses sont très-fortes, latérales, dirigées en haut ; leurs pieds sont comme ceux des co- chons; leur queue est courte; ils ont sur les joues de très-grosses loupes charnues. L’EGaLo (Phacochærus edentatus, Is. Grorr. Sus ethiopicus, Lin. — Pazz. Le Phacochère du Cap; le Porc à large groin des voya- geurs; l’Emgalla de la Guinée et du Congo) a plus dé quatre pieds de longueur (1,299), non compris la queue; il manque de dents incisives ; son pelage est d'un gris roux, et sa tête noirâtre ; son cou porte une longue crinière; sous les yeux s'élèvent, de deux pouces trois lignes (0,061), deux protubérances rondes, plates et assez épaisses, simulant à peu près deux oreilles, d’où les chasseurs ont quelquefois donné à cet animal le nom de Porc à quatre oreilles. Au-dessous de ces protubérances et sur la ligne du museau en existent deux autres qui sont dures, rondes et pointues, saillantes en dehors. Du reste, l'engalo ressemble au sanglier. Il habite le cap de Bonne-Espérance, et se nourrit de fruits et de racines qu’il arrache de la terre en fouillant avec ses pattes et son large groin. Il a les yeux très-petits , rapprochés et placés haut, ce qui lui donne une mauvaise vue, mais son ouïe et son odorat sont d’une extrême finesse. Son caractère est ca- pricieux et féroce; cependant, étant pris jeune, il s’apprivoise bien , et reste assez doux pendant ses premières années. Sa force est redoutable, et son courage le rend dangereux pour les chas- seurs. Le PHACOCHOERE À INCISIVES ( Phacochœærus incisivus, Is. GEorr. Phacocharus africanus, Fr. Cuv. Sus africanus , Ge. Le Sanglier du cap Vert, Burr.) diffère du précédent en ce qu'il a des dents incisives; son pelage est noirâtre ; sa queue, terminée par un flocon de poils, lui descend jusqu'aux jarrets ; il lui manque ces sortes de fausses oreilles qu’a le précédent ; enfin sa tête est plus longue et plus étroite. Il habite le cap Vert. 9° Genre. Les HIPPOPOTAMES (Hippopotamus, Lis.) ont trente- huit dents, savoir : quatre incisives en haut et en bas; deux ca- nines supérieures et deux inférieures, ces dernières courbes, et toutes quatre fort grosses; quatorze molaires en haut et douze en bas, dont l'émail figure des trèfles opposés base à base quand elles sont usées ; le corps est très-gros, les jambes sont courtes, la peau est presque entièrement dépourvue de poils; la queue est courte, le museau renflé; les pieds sont terminés par des petits sabots. " PACHYDERMES. 275 L'HiPPOPOTAME AMPHIBIE (Hippopotamus amphibius, Lin. Hippo- potamus capensis, DesnouL..) est d’une grosseur énorme, et atteint quelquefois jusqu'à onze pieds (5,573) de longueur sur dix (5,248) de circonférence ; ses formes sont massives, ses jambes courtes, et son ventre traîne presque à terre. Sa tête est énorme, terminée par un large mufle renflé; sa bouche est démnesurément grande, armée de canines énormes, longues quelquefois de plus d'un pied, fournissant de l'ivoire plus estimé que celui de l'éléphant. Ses yeux sont petits, ainsi que ses oreilles; sa peau est nue et d’une grande épaisseur, d'un noir d’ardoise ou d’un roux tanné. Il habite toutes les grandes rivières du midi de l'Afrique, et il pa- raît qu'autrefois il était assez commun dans le Nil, mais aujour- d'hui il n'existe plus en Égypte. Après l'éléphant et le rhinocéros, l'hippopotame est le plus grand des mammifères quadrupèdes ; comme tous les animaux aquatiques de cette classe, il a beaucoup de graisse sous la peau, et il paraît que sa chair est fort bonne à manger. Cet animal est très-lourd , il marche fort mal sur la terre, mais il nage et plonge avec une extrême facilité, et a, dit-on, la singulière faculté de marcher sous l’eau, sur le fond des rivières, avec plus d'agilité que lorsqu'il est sur la terre. Il peut rester assez longtemps sous l'eau sans venir respirer à la surface, mais non pas une demi- heure, comme on l'a dit. Il résulte de tout cela que lorsqu'il est poursuivi il gagne aussitôt la rive d’un lac ou d'un fleuve, se jette dans les ondes , plonge, et ne reparaît à la surface pour respirer qu'à une très-grande distance. Son cri est une-sorte de hennisse- ment ayant beaucoup d’analogie avec celui d’un cheval, ce qui lui a valu son nom d'hippopotame (en grec, cheval de rivière). Son caractère est farouche, et quoiqu'il n’attaque jamais l'homme, si on le poursuit trop vivement, il se retourne pour se défendre; mais sa slupidité ne lui permet pas de distinguer son agresseur du canot ou de la chaloupe qui le porte, et lorsqu'il a renversé ceux-ci ou brisé leur bordage, il ne pousse pas plus loin sa ven- geance. « Une fois que notre chaloupe était près du rivage, dit le capitaine Covent, je vis un hippopotame se mettre dessous, la lever avec son dos au-dessus de l’eau, et la renverser avec six hommes qui étaient dedans; mais par bonheur il ne leur fit aucun mal. » Buffon dit que si on le blesse il s'irrite, se retourne avec fureur, s’élance contre les barques, les saisit avec les dents, en enlève quelquefois des pièces ou les submerge. L'hippopotame passe tous les jours dans l’eau, et n’en sort que la nuit pour aller paître sur le rivage, dont il ne s'éloigne jamais beaucoup, car il ne compte guère sur la rapidité de sa course pour regagner, en cas de danger, son élément favori. Il se nourrit de jones, de roseaux, et lorsqu'il trouve à sa portée des planta- tions de cannes à sucre, de riz et de millet, il fait alors de grands dégâts, car sa consommation est énorme. On a prétendu qu'il mangeait aussi du poisson, mais ce fait est entièrement con- trouyé. Sans quitter les lieux marécageux et les bords des lacs et des rivières, il n’est cependant pas sédentaire, car souvent on le voit apparaître dans des pays où il ne s'était pas montré depuis longtemps. Sa manière de voyager est très-commode el peu faligante : le corps entre deux eaux, ne montrant à la sur- face que les oreilles, les yeux et les narines, il se laisse tranquil- lement emporter par le courant , en veillant néanmoins aux dan- gers qui pourraient le menacer. Il dort aussi dans cette attitude, mollement bercé par les ondes. Presque toujours ces animaux vivent par couple, et le mâle et la femelle soignent l’éducation de leur petit, qu'ils aiment avec tendresse et protégent avec cou- rage. On chasse l’hippopotame de différentes manières : quel- quefois on se cache, le soir, dans un épais buisson, sur le bord d'une rivière, fort près de l'endroit où il a l'habitude de sortir de l’eau, ce qui se reconnaît à la trace de ses pas. On a le soin de se placer sous le vent et de ne pas faire le moindre bruit, et il arrive parfois qu’il passe sans défiance auprès du chasseur, qui d'un coup de fusil lai envoie une balle dans la tête et le tue roide. Si l’on manque la tête il se sauve, car sa peau est telle- ment dure et épaisse, qu'elle ne peut être percée à nulle autre partie de son corps. S'il n’est que blessé, il est également perdu pour le chasseur, parce qu'il se jette dans l’eau et ne reparait plus. Les Nègres, et particulièrement les Holtentots, quand ils ont reconnu le sentier où il passe habituellement en sortant de l'eau et en y entrant, creusent une fosse large et profonde sur son chemin, et ils la recouvrent avec des baguettes légères, sur lesquelles ils étendent des feuilles sèches et du gazon; l'animal manque rarement d'y tomber, et on le tue sans danger à coups de fusil ou de lance. L'hippopotame, quoi qu'en aient dit beaucoup de voyageurs, fuit l'eau salée et ne se trouve jamais dans la mer. Mais comme il se laisse souvent entrainer par le courant jusqu’à l'embouchure des fleuves, el aussi loin que l’eau reste douce, on a pu l'y ren- contrer, et faire confusion en prenant son séjour accidentel et momentané pour sa demeure ordinaire. L'HippoPOTAME pu SÉNÉGAL (Hippopotamus senegalensis, Desmour..) est ordinairement plus petit que le précédent, dont il ne diffère guère que par des caractères anatomiques. Ses canines sont con- stamment plus grosses, et le plan sur lequel elles s'usent est beaucoup plus incliné; l'échancrure de l'angle costal de l'omo- plate est à peine sensible, ete., ete. IL habite principalement Ja Guinée, et fournit le meilleur ivoire. Ve Division. Un seul doigt apparent, renfermé dans un unique sabot. 10° Genre. Les CHEVAUX (Æquus, Lin.) ont quarante-deux dents, savoir : six incisives en haut et six en bas; deux canines à chaque mâchoire, séparées des molaires par une barre ou espace intermédiaire ; quatorze molaires en haut et douze en bas, à cou- ronne carrée, marquées de nombreux replis d’émail. Is ont deux mamelles inguinales. Le CHEVAL ORDINAIRE (Æquus caballus, Lix.) varie considérable- ment pour la taille et la couleur; on en trouve de noirs, de bruns, de bais, de marron, d'isabelle, de blancs, de pie, etc. Il en est qui ont les poils très-longs et un peu frisés sur tout le corps, mais le plus ordinairement leurs poils sont ras et lisses ; on en voit qui ont la peau entièrement nue, comme les chiens tures. Leurs oreilles sont moyennes; ils n’ont point de croix ou bande noire sur le dos et les épaules; leur queue est garnie de crins depus son origine. Tels sont les caractères spécifiques les moins variables du cheval. « La plus noble conquête que l’homme ait jamais faite, dit Buffon, est celle de ce fier et fougueux animal qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats. Aussi intré- pide que son maître, le cheval voit le péril et l’affronte; il se fait au bruit des armes, il l'aime, il le cherche et s’anime de la même ardeur ; il partage aussi ses plaisirs à la chasse, aux tournois, à la course, il brille, il étincelle; mais docile autant que coura- geux, il ne se laisse point emporter à son feu, il sait réprimer ses mouvements ; non-seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs, et, obéissant toujours aux impressions qu'il en recoit, il se précipite, se modère ou s'arrête, et n'agit que pour y satisfaire. C’est une créature qui renonce à son-être pour n'exister que par la volonté d'un autre, qui sait même la prévenir; qui, par la promptitude et la précision de ses mouvements, l’exprime et l’exécute; qui: sent autant qu'on le désire, et ne rend qu'autant qu'on veut; qui, se livrant sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, s’excède et meurt pour mieux obéir. » Dans ce peu de lignes et dans son histoire du chien, Buffon a conquis la réputation d’un grand écrivain, et, par contre-coup, celle d’un excellent natu- raliste ; ce qui est hors de doute, c’est qu'il mérite la première de ces réputations. Quelques naturalistes nous ont présenté le cheval comme l'ani- 18. 276 LES PACHYDERMES. mal le plus intelligent et le plus affectueux pour l’homme, après le chien et l'éléphant, et ceci est une grande exagération. L'in- telligence de cet animal consiste presque toute dans son obéis- sance passive, automatique, si je puis me servir de cette expres- sion , et cette docilité, qui le ferait s’élancer sans hésitation du bord d’un précipice si son maître l'y poussait, me paraît prouver chez lui plus de machine que d'intelligence. Il est vrai qu'il re- connaît son maitre, qu'il hennit de plaisir à son approche; mais l'indifférence avec laquelle il en change prouve au moins que, s’il y a affection, il n’y a pas d’attachement. Le chien fait cent lieues d'une traite pour retrouver son ami ; il languit, hurle, se désespère s’il en est séparé, et souvent il vient mourir de chagrin sur sa tombe; le cheval a un maître et non un ami, 1l l'oublie quand il ne le voit plus. Redevenu sauvage, dans les immenses savanes de l'Amérique, il a plus d'intelligence et de fierté que le WG DAMIZ ee 1 qu'elles le peuvent. Descendus de la race andalouse, ils lui sont inférieurs pour la taille, l'élégance, la force et la vitesse. » Pris au lasso et domptés, ces chevaux deviennent dociles, mais ils ne manquent jamais l’occasion de retourner à la liberté. La patrie du cheval sauvage paraît être le désert des environs des mers Caspienne et Aral, jusqu'au cinquante-sixième degré boréal, ct dans ces immenses plaines, il porte le nom de Tarpan. Quelques naturalistes, sans doute pour se conformer à une opinion reçue, ont dit que ces tarpans sont des chevaux autrefois domestiques et redevenus sauvages, et je ne sais trop sur quels faits ils pour- raient établir la preuve d'une telle supposition. A travers plu- sieurs observalions, qui me semblent appuyer une opinion tout à fait contraire, j'en choisirai une. Il est reconnu que tous les chevaux devenus sauvages se domptent avec la plus grande faci- lité, et en peu de jours prennent toutes les habitudes de docilité L'Hippopotame, cheval domestique , parce qu'il a reconquis son indépendance. Au rapport d'Azzara, ces animaux se réunissent en troupes nom- breuses, composées quelquefois de plus de dix mille individus, et non-seulement ils vivent tous en bonne intelligence, mais en- core ils savent se protéger mutuellement. Précédés par les vieux mâles, qui font l'office d’éclaireurs, ils marchent en colonne serrée que rien ne peut rompre. Si quelque caravane de voya- geurs est signalée, «les chefs, dit Desmoulins, vont en recon- naissance, et, selon l’ordre de ces chefs, la colonne, au galop, passe à travers ou à côté de la caravane, invitant, par des hen- nissements graves et prolongés, les chevaux domestiques à la désertion. Ils y réussissent souvent. Les chevaux transfuges s’in- corporent à la troupe et ne la quittent plus (Pallas dit que les troupes de dziggetais embauchent de la même manière les che- vaux domestiques). Si les chevaux sauvages ne chargent pas, ils tournent longtemps autour de la caravane avant de faire retraite. D'autres fois ils ne font qu'un seul tour et ne reparaissent plus. Chaque troupe est composée d’un grand nombre de pelotons for- més d'autant de juments qu'un seul étalon peut en réunir. Il se bat pour leur possession contre les premiers qui la lui disputent. Les juments reconnaissantes suivent néanmoins le vaincu autant qui caractérisaient leurs ancêtres ; il n'en est nullement de même des tarpans; pris à tout âge, soumis à tous les modes de traite- ment, ils ne s’apprivoisent jamais parfaitement et restent tou- jours farouches et indomptables, comme le zèbre et l’hémione; cette sauvage inflexibilité prouverait en outre, si cela était né- cessaire, qu'il n’a rien moins fallu qu’un laps de temps très-con- sidérable, des siècles peut-être, pour les amener à changer de caractère au point d'être les plus obéissants de tous les animaux. Aussi la conquête de l'homme sur le cheval date-t-elle de la plus haute antiquité. Nous n’entrerons pas dans de plus grands détails sur l’histoire du cheval, parce qu’elle est connue de tout le monde, et nous nous bornerons ici à énoncer sommairement les principales races qu’on en a obtenues. Les Arabes passent pour les plus beaux et les meilleurs de tous. Les Barbes sont moins grands et moins étoffés que les précé- dents, et presque aussi estimés. Parmi ceux-ci les Marocains pas- sent pour les meilleurs , et ceux de Montagnes viennent après. Les Turcs ne sont pas aussi bien proportionnés, et leurs jambes sont trop menues, ainsi que leur encolure. Les Persans ont le poil plus ras que les autres. PACHYDERMES, LP] CU] _ Les Arméniens sont un peu mieux faits. Ces trois dernières races sont très-vigoureuses. Les Espagnols tiennent le second rang après les barbes ; ils ne sont pas communément de grande taille. Les Andalous passent pour les meilleurs de la race précédente. Les Anglais sont fort beaux, légers à la course. Ils sont croisés de barbe ou d'arabe et de normand. Les Italiens sont moins beaux qu'autrefois. Les Napolitains font encore de bons chevaux d’attelage, mal- gré la grosseur de leur tête et l'épaisseur de leur encolure. Les Corses sont remarquables par leur petite taille. Ceux de la Camargue fournissent de bonnes remontes à la ca- valerie. Beaucoup sont blancs. lei nous finirons une nomenclature qu'il serait inutile de pous- ser plus loin, en mentionnant pourtant la singulière race Cal- mouque, à poils longs et lainéux, et dont le muséum possède un bel individu. Le Dzicéerar (Equus hemionus, Paur. Le Dshikketey de PENx. Le Dziggtai, le Czigithai de quelques naturalistes. Le Mulet sau- vage des voyageurs) tient le milieu entre l'âne et le cheval pour Le Zebre Les Danois, à cause de leur belle taille, sont très-estimés pour les attelages. Le Allemands sont beaux, mais, en général, pesants et man- quant d’haleine. Les Hongrois et les Transylvains sont bons coureurs, et fort propres à la remonte de la cavalerie. Les Croates et les Polonais sont sujets à être bégus. Les Hollandais, et surtout les Frisons, sont de beaux chevaux de carrosse. Les Normands sont les plus beaux chevaux de la France, pour le carrosse et le cabriolet. Les Limosins sont les meilleurs chevaux de selle. Les chevaux du Cotentin sont très-beaux au carrosse. Les Francs-Comtois et les Boulonnais sont excellents pour le trait. Les Bourguignons , Auvergnats, Poitevins et Morvandiaux sont assez laids, mais très-robustes et fournissent de bons bidets. les proportions, et pour les formes il ressemble au mulet, quoi- qu'il ait les jambes plus minces et l'attitude plus légère. Son pelage est isabelle, avec la crinière et une ligne dorsale noires; sa queue est terminée par une houppe noire. Il vil en troupes souvent composées de plus de cent individus, dans les déserts sablonneux de l'Asie, particulièrement dans la Mongolie, l'In- dostan et l'Himalaya. Il est très-vigoureux, et peut soutenir, dit-on, une marche de soixante lieues sans se reposer; habitant des plaines, jamais il ne pénètre dans les montagnes élevées, ni ne pénètre dans les forêts; son ouïe et son odorat sont d'une fi- esse extrème ; sa course est d’une telle rapidité, qu'elle surpasse de beaucoup celle d'un cheval, d’où il résulte que, lorsque les Mongols et surtout les Tanguts veulent s'en emparer pour son cuir et sa chair, qu'ils trouvent excellente, ils sont obligés de lui tendre des piéges ou de l’attendre à l'affût, et de le tuer à coups de fusil. Le caractère de cet animal est indomptable, et jamais on n’a pu le soumettre à la domesticité. Le Jardin des 278 LES PACHYDERMES. ————— ——————_—_—_—— Plantes en possède plusieurs individus assez doux, mais très- capricieux. Le Zègre (Equus zebra, Lan. Equus montanus, Burcu. L’Hippo- tigre ou Cheval-Tigre des anciens. L’Ane rayé du Cap de quelques voyageurs. Le Burro di Matia des Portugais) est plus grand que le dziggetai et approche de la taille du cheval; il est extrème- ment remarquable par la beauté de son pelage blanc ou jaunà- tre, rayé sur la tête, sur le cou, le corps et les fesses, de bandes noires ou brunes, très-régulières ; il n’a pas de raie noire longi- tudinale sur le dos; son ventre est blanc, marqué d’une ligne noire au milieu. Sa queue, comme celle de l’âne, est garnie, au bout, de longs poils. Cet élégant animal habite le cap de Bonne-Espérance, et pro- bablement toute l'Afrique méridionale. On dit l'avoir rencontré au Congo, en Guinée, eten Abyssinie. Si on veut interpréter d’une certaine manière assez vraisemblable plusieurs passages obscurs de Dion Cassius ( Abrégé de Xiphillin ) il paraît que les Romains, sous le règne des Césars, connaissaient déjà le zèbre , et Diodore de Sicile semble le désigner, quoique confusément, dans sa des- cription du pays des Troglodytes. On peut en tirer cette consé- quence, que, dans des temps antérieurs, cette espèce occupait une zone beaucoup plus étendue qu'aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, le zèbre se rencontre rarement dans les plaines, et semble ne se plaire que dans les pays montagneux. Quoique moins agile que le dziggetai, sa course est très-légère, et les meilleurs che- vaux ne peuvent l’atteindre. Il vit en troupes qui aiment à paître l'herbe sèche des lieux les plus escarpés : son caractère est fa- rouche , et comme il a l'organe des sens excellent, il reconnait de très-loin l'approche des chasseurs, et fuit même avant qu’on ait pu l’apercevoir. Aussi n'est-ce guère que par surprise qu'on peut l'avoir à la portée du fusil, et il est presque impossible de s'en emparer vivant, si ce n’est lorsqu'il est fort jeune et qu'on a tué sa mère. Vainement les Hollandais du Cap ont:ils fait tout ce qu'ils ont pu pour l’apprivoiser et le soumettre à la domesticité. Quel que soit l’âge auquel il a été pris, il reste toujours indomptable, ca- pricieux, rétif, et plus têtu qu'un mulet. Il y a quelques années que la ménagerie en possédait une femelle qui paraissait assez douce. Plusieurs fois elle se laissa atteler à une voiture de travail sans de trop grandes difficultés, mais tout à coup elle se mettait à ruer, entrait en fureur , et brisait harnais et voiture. Deux fois on Ja fit couvrir, une fois par un cheval, et l’autre fois par un âne d'Espagne, et j'ai vu le produit de ce dernier. Il ressemblait beaucoup à sa mère; il teta pendant un an et jusque-là fut très- doux; mais à cet âge il changea de ressemblance et de caractère: il devint d'un gris foncé, et il ne lui resta de sa belle livrée que des bandes transversales sur le garrot, les jambes et la queue. Son caractère devint encore plus méchant que celui de sa mère, et il lui est artivé plus d'une fois d'attaquer ses gardiens à coups de pieds et de dents. Il ne hennissait pas, et paraissait éprouver un grand plaisir à se rouler dans la boue ou sur la terre humide. Quoiqu'il ait vécu très-longtemps et qu'il fût très-robuste, on ne s'est jamais apercu qu'il ait été en rut; il étail certainement mulet. Le Dauw (Equus Burchellii. — Equus montanus, BurcHEL. Equus zebroïdes, Less. Equus zebra, Burcn. Asinus Burchellii, Gray) est plus petit que l'âne, mais ses formes sont beaucoup plus légères et plus gracieuses; ses oreilles sont plus courtes; le fond de son pelage est couleur isabelle, blanchissant sous le ventre; ses jam- bes et sa queue sont blanches; le dessus est rayé de bandes noi- res, transversales, alternativement plus larges et plus étroites sur la tête, le cou et le corps : celles des fesses et des cuisses se por- tent obliquement en avant. Cette charmante espèce habite l'Afri- que. Elle vit en troupes et peuple les karoos les plus secs et les plus solitaires, où elle se nourrit d'herbes sèches, de plantes grasses, et du feuillage de quelques mimosas, Le dauw est peut- être le plus farouche de tous les chevaux, et il est absolument impossible de le soumettre à la domesticité. Rétif, têtu, capricieux et colère, il se défend avec fureur non-seulement contre les mau- vais traitements, mais quelquefois encore contre les caresses. On en a fait la triste expérience à la ménagerie, qui en possède plu- sieurs depuis 1824. L'un d’eux, sans aucun motif apparent, se jeta sur un de ses gardiens, le renversa, lui fit avec les dents plusieurs épouvantables blessures, et s’acharna tellement sur lui, qu'il lui broya une cuisse. On parvint à arracher le malheureux gardien de dessous ses pieds, mais il était tellement maltraité, qu'on fut obligé de lui faire l'amputation. Les dauws produisent à la ménagerie, et plusieurs y sont nés; dans l'instant où j'écris ceci, une femelle y allaite encore son poulain. Le CouaGca (Equus quaccha, Guc. Le Couagga, Burr. Le Quacha de PENN. Le Cheval du Cap des voyageurs) est un peu moins grand que le zèbre et se rapproche plus du cheval par ses formes générales. Sa tête, son cou et ses épaules sont d’un brun foncé tirant sur le noirâtre; le dos et les flancs sont d’un brun clair, et cette couleur passe au gris roussâtre sur la croupe; le dessus est rayé en travers de blanchâtre; le dessous, les jambes et la queue sont blancs : celle-ci se termine par un bouquet de poils allongés. 11 habite les karoos ou plateaux de l'Afrique méridio- nale, et vit en troupes, pêle-mêle avec les zèbres. Moins farouche que les autres chevaux, il s’apprivoise vite et assez bien, se mêle avec le bétail ordinaire, et le protége contre les hyènes. S'il en aperçoit une , il s’élance sur elle, la frappe des pieds de devant, la renverse, lui brise les reins avec ses dents, la foule aux pieds et ne l’abandonne qu'après l'avoir tuée. Comme il a l’odorat ex- cellent, il la flaire de très-loin, et ne la laisse jamais approcher du troupeau. Les colons du Cap en élèvent souvent pour s’en servir de gardien. Dans les circonstances ordinaires, il a une sorte de hennissement ayant de l’analogie avec celui du cheval, mais d’autres fois il pousse un cri aigu que l’on peut rendre assez exactement ainsi, coua-ag. La ménagerie en a possédé un qui a véeu jusqu'à l’âge de dix-huit ou vingt ans, et on lui fit couvrir une ânesse en chaleur sans obtenir de résultat. Malgré sa facilité à s’apprivoiser, je ne crois pas qu'on soit encore parvenu à le dompter, et cependant Pennant dit qu’au Cap on en a vu un qui tirait une charrette. L’Axe (Equus asinus, Lin. L’Ane et le Mulet, Burr. L'Onagre des anciens. Le Xoulan des Tatares. Le Chulan des Kalmouks) varie beaucoup moins que le cheval dans sa couleur, mais beaucoup dans ses formes et dans sa taille. L’âne domestique est ordinaire- ment gris de souris ou gris argenté, luisant ou mêlé de taches obscures; il a le plus ordinairement sur le dos une bande noire longitudinale, croisée sur les épaules par une bande transversale ; ses oreilles sont très-longues, et sa queue est floconneuse à l’ex- trémité. L’Ane sauvage ou Onagre a la taille plus grande, le poi- trail étroit, le corps comprimé : les oreilles beaucoup plus cour- tes; il a les jambes très-longues, et il se gratte aisément l'oreille avec un pied de derrière : son chanfrein est arqué, sa tête légère, et il la porte relevée comme je cheval en marchant. Il a le dessus de la tête, les côtés du cou, les flancs et la croupe de couleur isabelle, avec des bandes de blanc sale; sa crinière est noire; il porte le long du dos une bande couleur de café, qui s’élargit sur la croupe, mais qui n’est traversée par une autre bande sur les épaules que chez les mâles. L'onagre est connu depuis la plus haute antiquité, et Moïse défendit de l’accoupler avec l'âne parce qu'il le croyait d'une espèce différente; les empereurs romains en nourrissaient dans leurs écuries romme objet de curiosité. Aujourd'hui on ne le trouve plus vivant en liberté que dans la Tatarie, et particulière- ment dans le pays des Kalmouks , qui le regardent comme un excellent gibier, et le chassent pour le manger et vendre son cuir dont on prépare le chagrin. Aucun animal de son genre n’a le pied aussi sûr que lui pour marcher sur le bord des précipices , PACHYDERMES. 279 ——————p—p au milieu des rochers ; aussi aime--il de préférence les sentiers escarpés et étroits, et cet instinct primitif s’est transmis de gé- nération en génération jusqu'à notre âne domestique. Il court avec une vitesse extrême, et soutient cette allure plus longtemps que les meilleurs chevaux arabes et persans; enfin sa sobriété en ferait un animal parfait, si l’on pouvait le dompter assez bien pour le monter sans danger; malheureusement il n’en est pas ainsi. Les Persans, qui tiennent à honneur d'avoir de beaux ânes pour monture, élèvent de jeunes onagres qu'ils apprivoisent et croisent avec des ânesses. Les individus qui en résultent sont très-estimés pour leur force, leur légèreté, et ont une grande valeur, mais ils sont un peu plus vicieux que les autres, et comme on a encore l'antique habitude de leur peindre la tête et le corps en rouge pour les distinguer des ânes ordinaires, ils ont donné naissance à ce proverbe vulgaire qui a passé jusqu'à nous, «mé- chant comme un âne rouge. » Cette habitude de les peindre a aussi fait croire à quelques voyageurs peu observateurs, qu'en Perse il existait des ânes rouges. Du reste, les onagres vivent en troupes innombrables, et se défendent avec courage contre les bêtes féroces. Ils emploient pour cela, comme pour leurs mar- ches dans le désert, la même tactique que les chevaux sauvages, Lorsque les éclaireurs qui vont en avant de la troupe apercoivent un homme, ils jettent un cri, font une ruade, s'arrêtent, et ne fuient que lorsqu'on en approche; alors toute la bande détale au plus vite. Pour les prendre on emploie des piéges et des lacs de corde, que l’on tend dans les lieux où ils ont l'habitude d'aller boire. L’Ane domestique, si chétif et si dégénéré chez nous, n’en est pas moins un animal extrêmement utile, et que l’on ne sait pas . assez apprécier parce que l'on est trop porté à le comparer au cheval. « Il est de son naturel, dit Buffon, aussi humble, aussi patient, aussi tranquille, que le cheval est fier, ardent, impétueux ; il souffre avec constance, et peut-être avec courage, les châti- ments et les coups; il est sobre et sur la quantité et sur la qua- lité de la nourriture; il se contente des herbes les plus dures et les plus désagréables, que les autres animaux lui laissent et dé- daignent ; il est fort délicat sur l’eau, il ne veut boire que la plus claire et aux ruisseaux qui lui sont connus. Comme on ne prend pas la peine de l’étriller , il se roule souvent sur le gazon, sur les chardons, sur la fougère, et sans se soucier beaucoup de ce qu'on lui fait porter, il se couche pour se rouler toutes les fois qu'il le peut, et semble par là reprocher à son maitre le peu de soin qu'on prend de lui; car il ne se vautre pas dans la fange et dans l'eau, il craint même de se mouiller les pieds, et se détourne pour éviter la boue ; aussi a-t-il la jambe plus sèche et plus nette que le cheval; il est susceptible d'éducation, et l'on en à vu d'assez bien dressés pour faire curiosité de spectacle. L'âne est peut-être de tous les animaux celui qui, relativement à son pe- lit volume, peut porter les plus grands poids; et comme il ne coûte presque rien à nourrir, et qu'il ne demande pour ainsi dire aucun soin, il est d’une grande utilité à la campagne, au mou- lin, etc. Il peut aussi servir de monture, toutes ses allures sont douces et il bronche moins que le cheval; on le met souvent à la charrue dans les pays où le terrain est léger, ete.» Si l'âne a de bonnes qualités, il a aussi ses défauts. Son cri ou braire est aussi désagréable que retentissant; quoique son carac- tère soit généralement doux et inoffensif, cet animal est capri- cieux et si têtu, qu'on le tuerait plutôt que lui faire faire ce qu'il s'est mis dans la tête de ne pas faire. Du reste, c'est à grand Lort qu'on l’a accusé de stupidité, car son intelligence surpasse celle du cheval. Il est très-courageux, se défend avec autant d'adresse que de fureur contre les chiens et autres animaux , et si un loup est seul pour l’attaquer, l’âne vient aisément à bout de le mettre en fuite, et même de le tuer. Par le croisement du cheval et de l’ânesse, on obtient les bar- dots ou petits mulets; par celui de l’âne avec la jument, on à le mulet proprement dit. Tout le monde sait que ces précieux animaux sont stériles, qu'ils ont une force prodigieuse, la sobriété de l'âne, mais aussi son entêtement. Le Kaur (Equus khur, Less. L’Ane sauvage, Isis de 1825) a les formes assez semblables à celles de l'âne; cependant sa tête est plus longue, et ses membres sont plus forts. Son pelage est d’un gris cendré en dessus, et d’un gris sale en dessous; son cri ne paraît être qu'un fort grognement. Il habite l'Asie et vit en grandes troupes, avec les mêmes habitudes que l'onagre ; mais il descend dans les plaines pendant l'hiver et ne se retire dans les montagnes que pendant la belle saison. Je crois que ces raisons ne sont pas suffisantes pour le séparer spécifiquement de l’onagre. LES RUMINANTS, ONZIÈME ORDRE DES MAMMIFÈRES. Le Lama blanc. Ils n’ont d'incisives qu'à la mâchoire inférieure (si on en ex- cepte le chameau et le pacos) et ordinairement au nombre de huit; elles sont remplacées en haut par un bourrelet calleux. Entre les incisives et les molaires est un espace vide, où se trou- vent, seulement dans quelques genres, une ou deux canines. Les molaires, presque toujours au nombre de six partout, ont leur couronne marquée de deux doubles croissants. Tous les pieds sont terminés par deux doigts et deux sabots qui se touchent par une face aplatie; les rudiments des deux doigts latéraux sont placés derrière les sabots. Ces animaux ont la faculté de ramener dans leur bouche pour les mâcher de nouveau les aliments qu'ils avaient avalés , et cette opération se nomme ruminer. LES CHAMEAUX ont des canines et point de cornes. Quelques-uns ont sur le dos une ou deux loupes graisseuses ou bosses. 4er GENRE. Les LAMAS (Lama, Cuv.) ont Lrente dents, savoir : deux incisives supérieures et six inférieures; deux canines en haut et deux en bas; dix molaires à la mâchoire supérieure et huit à l'inférieure; les deux doigts séparés; ils manquent de bosse; leur cou est très-long; leur lèvre supérieure fendue. Le Lama ou Guanaco (Lama peruviana, Less. Auchenia ylama , Desu. Camelus lama, Lin. Le Lama, Burr. Le Guanaco ou Hua- naca d'ULLoa. Le Llama des Péruviens). Cet animal est de la grandeur d’un cerf, il ressemble assez, en pelit, à un chameau qui n'aurait pas de bosse, mais ses pro- portions sont plus légères, son oreille est plus longue et sa queue plus courte. Sa tête est plus petite, plus gracieuse; son œil est rond, saillant, vif, mais son regard est adouci par des cils longs et serrés; ses jambes sont longues et minces; il a une plaque calleuse sur le poitrail, et ces derniers caractères conviennent également à tous les animaux de ce genre; mais il se distingue des autres par son pelage d’un brun foncé tirant sur le noir, avec un reflet roussâtre, à poils longs, laineux et grossiers, et par sa grande taille, En domesticité, son pelage varie beaucoup de couleur d'un individu à l’autre, et même d’une place à l’autre sur le même individu ; cependant il est généralement brun, varié de taches blanches, et quelquefois tout blanc. Le lama parait originaire des chaînes équatoriales de la Cordi- lière des Andes. Lorsque les Espagnols firent la conquête du Pérou , c'était la seule bête de somme que connussent les Amé- ricains, et Grégoire de Bolivar dit que de son temps les lamas étaient si nombreux, qu'on en mangeait quatre millions par an, et qu'il y en avait trois cent mille employés journellement à l’exploitation des mines du Potosi. Mais depuis que les mulets sont employés à ce travail, et avec beaucoup d'avantage, le nom- bre en est considérablement diminué, et on n’en élève plus guère que pour la boucherie. Le lama ne peut pas porter plus de cent à cent cinquante livres ; si on le charge davantage il refuse de se lever, ainsi que le chameau, jusqu’à ce qu'on lui ait enlevé une partie de son fardeau. Il ne peut pas faire de longues marches, et quatre ou cinq lieues par jour est tout ce qu’on peut attendre de lui, encore faut-il qu'il se repose au moins un ou deux jours sur cinq ou six. Son pas est assez lent, mais il a le pied telle- ment sûr, qu'il passe dans des défilés, le long des rochers, sur le bord des précipices où les mulets seraient exposés à se préci- piter. Cette raison engage les habitants des hautes montagnes à s’en servir encore quelquefois. Pour se faire charger, il se couche sur la callosité de son poitrail, sur lequel il s'appuie ayant les jambes repliées sous le corps; il rumine et dort aussi dans cette attitude. Si on le surmène et qu'on le fatigue en le forçant à hâter le pas, il fait quelques efforts, puis se chagrine, tombe dans le désespoir, se couche par terre, refuse de se lever, et on = CHAMEAUX. 281 le tuerait plutôt que de le déterminer à se remettre en marche; d’ailleurs, si on le bat pour le déterminer à se lever, il se frappe la tête contre les rochers et se tue. C'est, du reste, un animal extrêmement doux, tout à fait inof- fensif, se bornant, pour toute défense contre l'agression et les mauvais traitements, à cracher sur ceux qui le frappent. Il est très-docile, et surtout extrêmement sobre ; il se contente de foin et d'herbe pour toute nourriture, et il peut passer plusieurs jours sans boire, parce que, ainsi que le chameau, il a une poche à au même endroit, comme font quelques antilopes et les chevaux sauyages, et ceci dénonce aux chasseurs leur présence dans les cantons où ils se trouvent. On leur tend des piéges et des lacets, et ils y donnent assez aisément. Le temps de la gestation est de cinq mois et quelques jours; la femelle ne met ordinairement bas qu'un petit, rarement deux, et elle allaite pendant cinq ou six mois. Ces animaux croissent très-vile et ne vivent pas plus de douze à quinze ans. Leur chair est bonne, et celle des jeunes est particulièrement estimée. Le Lama brun. eau dans l'estomac. M. de Buffon dit en avoir vu un à l’école d’Alfort qui resta dix-huit mois sans boire, et ce fait est au moins fort singulier. En Amérique on nomme Guanaco le lama sauvage, vivant à l'état de liberté dans les montagnes. M. de Humboldt pense que ces guanacos ne sont rien autre chose que le lama domestique qui a reconquis son indépendance, et il apporte à l'appui de son Les naturalisles reconnaissent aujourd'hui trois espèces de lamas : celui dont je viens de parler, l'alpaca et la vigogne; mais ces trois prétendues espèces produisent ensemble des hybrides, comme le chien et le loup, et ces hybrides se reproduisent entre eux : ceci a été parfaitement observé sur le troupeau de lamas envoyé à Cadix en 1808. Or, jusqu'à ce que les naturalistes qui rejettent l'importance de ce fait, et qui prétendent que cela ne opinion des observations assez concluantes. Quoi qu'il en soit, on ne lirouye ces animaux que sur le sommet des plus hautes montagnes, et près de la région des neiges éternelles. Ils y vivent en troupes fort nombreuses et sont extrémement farouches. Si on veul les poursuivre avec des chiens, ils se jeltent aussitôt dans des rochers inaccessibles à tout autre animal qu'eux, et franchis- sent les précipices avec la même légèreté que les chamoïis. Ils ont l'habitude singulière de déposer leurs excréments toujours fait rien à l'espèce que le métis soit fertile ou mulet, jusqu’à ce que, dis-je, ils aient défini clairement ce qu'ils entendent par espèce en zoologie et en botanique, je m'en tiendrai à la défini- tion des Buffon, Cuvier, de Candolle, etc., ete., je regarderai ces trois lamas comme de simples types de races, et j'y en ajouterai même deux aulres sans empêcher que l'espèce ne reste unique à mon avis. L'ALpaca (Lama paco, Less. Auchenia paco, Des. Camelus pa- 282 LES RUMINANTS. cos, ErxL. Le Paco, Burr.) est plus bas sur jambes que le précé- dent et beaucoup plus large de corps; un bandeau de poils roides et soyeux s'étend du front sur la face; son poil est de longueur uniforme depuis la nuque jusqu'à la queue, aux poignets et aux talons; il est d’un brun marron, reflété de noir ; le dessous de la gorge et du ventre et le dedans des cuisses sont presque blancs ; sa foison, presque entièrement composée d'un poil doux et laineux, lui tombe sur les flancs en mèches longues de plus d’un pied (0,523), n’ayant guère moins de finesse et d’élas- ticité que celui d’une chèvre de Cachemire. L'individu qui a vécu à la ménagerie était doux, timide, sensible aux caresses, et se laissait aisément conduire à la laisse ; il donnait des ruades comme les autres ruminants, et galopait pour courir, ce que ne fait pas le chameau. Cet animal a les mœurs sauvages et vit en troupes dans les Andes du Pérou. Le Luan ou GuANAQuE DE Morin (Lama Mohinæi) diffère des précédents par sa taille beaucoup plus grande, égalant presque, selon Molina, celle d’un cheval; son dos est voüté ; sa tête est ronde, son museau pointu et noir, ses oreilles droites , sa queue courte et droite comme aux cerfs. Son pelage est fauve sur le dos, blanchâtre sous le ventre. Cet animal habite l'Amérique australe jusqu’au détroit de Magellan. L'été il se tient dans les hautes montagnes, mais l'hiver il descend dans les vallées et les plaines. On le rencontre toujours en troupes composées quelque- fois de plus de sept à huit cents. Le Huique (Lama chili-hueque) ressemble au mouton par la tête, les oreilles ovales et flasques, et son chanfrein bossu; ses yeux sont grands et noirs, ses lèvres grosses et pendantes. Les anciens Chiliens l'employaient comme bête de somme et le con- duisaient en lui passant une corde dans l'oreille. La Vicocene (Lama vicugna, Less. Auchenta vicugna, Desn. Ca- melus vicugna, Lin. La Vigogne, Burr.) est de la grandeur d’une chèvre; ses jambes sont longues et menues; sa tête est d’une grosseur moyenne, et son museau s'unit au front par une légère courbure; son pelage est d’un brun fauve pâle, tirant sur la couleur isabelle en dessus, et blanc en dessous ; son poil est lai- neux, très-doux, extrêmement fin, long d’un pouce (0,027) sur le corps et de trois pouces (0,081) sur la poitrine. La vigogne est d’un caractère timide, mais sauvage et farou- che; elle est incapable de s'attacher, et s'apprivoise très-difficile- ment. C’est un individu de cette race qui a vécu à Alfort, et qui a permis à Buffon de faire des observations. Elle cherchait à mordre ses gardiens, et crachait sur tous ceux qui l’approchaient. Malgré les soins que l’on a eu d'en prendre de très-jeunes et de les faire allaiter par des alpacas , on n’a jamais pu parvenir à les réduire à l’état de domesticité. Cet animal vit en troupes consi- dérables près des cimes toujours glacées des Andes, où on va le chasser pour s'emparer de sa toison après l'avoir tué. On en fa- brique des ponchos, étoffes excessivement fines dont ne se vê- taient autrefois que les caciques , et que portent aujourd'hui les riches Espagnols américains. On a vainement essayé d'élever des vigognes dans les plaines du Pérou et du Chili; elles y vivaient quelque temps dans le regret de leurs montagnes glacées, se couvraient de gale et mouraient. Quand les chasseurs ont reconnu l'endroit où se trouvé un troupeau de vigognes, ils tendent, du côté des défilés par lesquels elles pourraient s'échapper, des cordes auxquelles sont suspendus des chiffons de toutes couleurs, puis ils se mettent à la poursuite du troupeau, qui souvent se compose de deux à trois cents individus. Ces animaux sont si ex- traordinairement timides, qu'arrivés en face des cordes ils en sont effrayés au point de s'arrêter et de rester dans une immobilité complète, le cou et les yeux tendus vers les chiffons rouges, blancs et jaunes agités par le vent. Les chasseurs arrivent, les saisissent par les pieds de derrière sans qu’elles osent se retour- ner, et ils en tuent une grande quantité. Si un guanaco où un alpaca se trouve dans le troupeau, la chasse ne réussit pas, car il ——————————— franchit la corde et toutes les vigognes en font autant après lui. Encore aujourd'hui, au Chili et au Pérou, on tue annuellement jusqu'à quatre-vingt mille vigognes, et cependant l'espèce ne paraît pas diminuer. 2e GENRE. Les CHAMEAUX (Camelus, Lin.) sont de grands ani- maux qui $e reconnaissent de suite à une ou deux bosses énormes qu'ils portent sur le dos. Ils ont trente-quatre dents, savoir : deux incisives supérieures et six inférieures; deux canines à cha- que mâchoire; douze molaires en haut et dix en bas. Leurs doigts sont réunis en dessous par une semelle commune qui s'étend jusqu'à la pointe. Le CnameAu (Camelus bactrianus, Lin. Camelus Bactriæ de Pline. Le Chameau, Burr.) a ordinairement sept pieds (2,274) de la terre au garrot; il porte deux bosses, l’une sur le garrot, l’autre sur la croupe. Son pelage est d’un brun roussâtre, laineux, très- touffu , composé d'un duvet fort long entremêlé de poils rares, plus longs et grossiers. Il est précieux dans les contrées chaudes et sablonneuses. Le chameau, nommé par les Arabes le vaisseau du désert, parce que sans lui il serait impossible de traverser les vastes solitudes de l'Asie, paraît être originaire du pays de Shamo , vers les fron- tières de la Chine; du moins aujourd'hui on ne le trouve plus que là à l’état sauvage. Il est plus grand, plus fort que le dro- madaire, mais moins léger à la course; il craint moins les ter- rains humides et la boue, mais tous deux deviennent inutiles dans les pays rocailleux, faute de pouvoir marcher sans se bles- ser. Leur chair et leur lait servent à la nourriture, et leur poil à faire des vêtements grossiers, principalement d'excellents man- teaux que les Arabes nomment baracans. Le chameau est célèbre par sa sobriété, et en effet, sous un ciel brülant, à travers les déserts les plus secs et les plus arides, il peut soutenir la fatigue pendant trois ou quatre jours sans boire, et ayant pour tout ali- ment quelques noyaux de datte mêlés à un peu de riz ou de maïs. Il a dans l'estomac une sorte de poche dans laquelle il n’amasse pas une provision d’eau en buvant, comme on l'avait dit, mais dans laquelle il s’en amasse continuellement qui se forme dans son corps et se rend dans cette poche en suintant de ses parois. En contractant ce singulier organe il force l’eau à en sortir, à se mêler à ses aliments, ou à refluer jusque dans sa bouche. Hors le temps du rut, cet animal est docile et fort doux ; il obéit à la voix des chameliers, mesure son pas à la cadence de leurs chants, s’agenouille pour se faire charger et décharger, et porte aisément une pesante charge de marchandises. Mais quand il est en amour, pour peu qu'on le contrarie, il entre en fureur et devient alors très-dangereux. Il apporte en naissant ces callo- sités qu'il a au poitrail et aux genoux, et que Buffon regardait comme un stigmale imposé par une antique servitude. On a vai- nement cherché à acclimater ces précieux animaux dans d’autres pays que les leurs, par exemple en Espagne et en Amérique; ils y vivent et multiplient même, ce qui leur arrive également à la ménagerie à Paris, et cela en raison des soins que l’on en prend; mais ils y sont impuissants au travail, deviennent faibles, lan- guissants, et finissent par périr avec leur chétive postérité. On a voulu, au Jardin des Plantes, en utiliser deux en leur faisant tourner une manivelle pour tirer l’eau d'un puits ; ce faible tra vail les fatiguait beaucoup, et ils faisaient dans leur journée moins de travail que n’en aurait pu faire la plus misérable rosse. Comme le chameau et le dromadaire produisent ensemble des petits féconds, on ne doit les regarder que comme types d'une simple race. Le Dromapame (Camelus dromedarius, Lin. Camelus Arabie, Punk. Le Camelus arabicus d'Arisrore. Le Dromas des Grecs, et le Djemal des Arabes). Cet animal diffère du précédent en ce qu'il n’a qu'une bosse arrondie sur le milieu du dos; son pelage | L | | | | | MOSCHINÉES. 283 est assez doux, laineux, de médiocre longueur, d’un gris blan- châtre ou roussâtre. Ses mœurs sont absolument les mêmes que celles du précédent, mais il est beaucoup plus léger à la course et sert plus souvent de monture. Les Maures en possèdent une variété plus petite, nommée herry, si vigoureuse et si légère, qu'elle peut faire aisément trente lieues d'un seul trait. Le dro- madaire est très-répandu en Perse, en Égypte, en Arabie, en Abyssinie, en Barbarie, etc. LES MOSCHINÉES n’ont pas de cornes ; ils ont de chaque côté de la mâchoire su- périeure une longue canine qui sort de la bouche dans les mâles. 3e Genre. Les CHEVROTAINS (Moschus, Lix.) ont trente-quatre dents, savoir : huit incisives en bas, point en haut; deux ca- nines en haut, point en bas; douze molaires à chaque mâchoire; leur taille est élégante, leurs pieds fins, à sabots conformés comme chez les autres ruminants; ils manquent de larmiers. Le Muse (Moschus moschiferus, Lin. Le Xé des Chinois. Le Gifar des Tatares. Le Auduri, le Dsaanja et le Dsehija des Kalmoucks. Le Gloa, Glao et Alath du Thibet. Le Kaborga, le Saïga et le Bjos des Russes et des Ostiaks) est un charmant animal, de la taille d’un chevreuil de six mois; son pelage est grossier, teint de brun, de fauve et de blanchâtre; ses canines sont longues, recourbées, sortant de la bouche. Elles lui servent, dit Sonnerat, à déterrer des racines, à accrocher les branches des arbres pour mettre les feuilles à portée de sa bouche; un simple renflement remplace la queue. Les jeunes portent une livrée et varient selon l’âge; mais, vieux ou jeunes, tous ont sous le cou, depuis la gorge jusqu'au poitrail, deux bandes blanches bordées de noir, enfermant entre elles une bande noire. On trouve cet animal dans presque toute l'Asie, et principale- ment en Chine, au Thibet, au Pégu et en Tartarie; il a une es- pèce de bourse de deux à trois pouces de largeur, en dessous du nombril, des parois de laquelle sécrète une humeur odorante, formant une masse de consistance sèche, même pendant la vie de l'animal, et connue dans le commerce de la parfumerie sous le nom de musc. C’est entièrement à ce parfum très-recherché que l'animal doit l'antique célébrité dont il jouit, mais aussi la guerre incessante qu'on lui fait. Le muse n’habite que le sommet rocailleux des plus hautes montagnes, au milieu des rochers et des précipices, où il dé- ploie dans sa course tonte la légèreté du chamois. Ses ongles postérieurs , fort longs et pouvant s’écarter beaucoup, lui don- nent une sûreté de marche extraordinaire ; il gravit aisément les pentes les plus rapides, s’élance d’un bond au-dessus des abîmes, se précipite avec hardiesse du sommet des rocs, saute d’une pointe à l’autre avec une précision admirable, qui annonce au- tant de justesse dans son coup d'œil que de force dans son jar- ret, et tout cela avec tant de rapidité, que l'œil du chasseur peut à peine le suivre dans sa fuite; si le hasard le jette dans la plaine, il n’est pas plus embarrassé dans sa course, et il passe même de grandes rivières à la nage sans montrer la moindre hésitation. Comme le renne, il se nourrit en hiver des lichens qui tapissent le flanc des rochers et les troncs d'arbres; l'été il cherche des racines qu'il sait très-bien déterrer avec les pieds et arracher avec ses longues canines, et il mange aussi les bour- geons et les feuilles de quelques arbrisseaux, et entre autres ceux du rhododendrum dauricun. Son caractère est extrémement timide, et, comme le lièvre, il paraît passer une partie de sa vie dans des transes continuelles ; caché le jour dans un fourré inac- cessible , il n'ose en sortir que la nuit pour vaquer aux fonctions de l’animalité, et c’est à cause de ses habitudes nocturnes que les voyageurs l'ont si rarement rencontré, même dans les con- trées où il est le plus commun. Ces animaux vivent ordinaire ment isolés ; mais en novembre, moment où ils sont le plus gras, ils entrent en rut et sortent de leur retraite pour aller à la re- cherche des femelles. Dans cette circonstance ils oublient leur poltronnerie naturelle, et se livrent des combats furieux, dont plusieurs ne se retirent qu'après avoir reçu des blessures graves ou perdu leurs longues canines. Quoi qu'on en ait dit, leur poche de parfum ne contient pas plus de muse à cette époque qu'à une autre, mais c'est en ce moment qu'on leur fait la chasse, parce qu'ils sont plus aisés à surprendre, qu'ils donnent aisé- ment dans les piéges qu'on leur tend, et que leur chair, fort estimée par les chasseurs, est alors grasse et délicate. On a vai- nement essayé de les soumeitre à la domesticité; ils refusent de multiplier, s’'ennuient, et finissent par mourir de débilité. Aussitôt qu'un chasseur a tué un de ces animaux, il enlève le plus promptement possible la poche au muse, en ferme l’ouver- ture avec un bout de ficelle, la fait sécher à l'ombre, et en cet état elle est bonne à livrer au commerce, Mais quelquefois son avarice le détermine à la fraude, et il fait de fausses poches avec des morceaux de peau qu'il enlève au ventre de l'animal ; il y met plus ou moins de muse de la véritable poche, et achève de les remplir avec du sang de l'animal. Souvent, pour donner plus de poids , il y ajoute une certaine quantité de plomb, et tout cela est fait avec tant d'adresse, qu'il est fort difficile aux marchands de s’en apercevoir. Les femelles n’en produisent pas, et n'ont même pas de bourse musquée. Ce parfum, extrêmement péné- trant, n'a pas la même force et la même qualité partout; le meil- leur vient du Tunkin, et le moins estimé des Alpes sibériennes : ce dernier n’a pas plus d'odeur que le castoréum. Le Memnna (Moschus meminna, ErxL. Le Chevrotain à lache blanche, Burr.) est remarquable par son pelage d'un gris olivâtre en dessus, blanc en dessous, avec des taches rondes et blanches sur les flancs ; ses oreilles sont longues et sa queue courte. Il est plus petit que le précédent et n’a pas de poche à musc. Il se trouve à Ceylan. Le CHEvROTAIN DE Java (Moschus javanicus, Par.) est de la taille d’un lapin; son pelage est d’un brun ferrugineux en des- sus, ondé de noir et sans taches sur les flancs, avec trois bandes blanches en long sur la poitrine; le bout de son museau est noir. IL habite Java. f Le Napu (Moschus napus, FR. Cuv. Moschus javanicus, RarrL. Le Pelandok des îles Malaises et de Sumatra) n’est guère plus grand que le précédent, et sa taille ne dépasse pas celle d’un lièvre ; son pelage est brun, irrégulièrement mélangé de reflets d'un gris noirâtre ou fauve; le poitrail est d'un brun foncé, avec cinq taches blanches, linéaires et convergentes; sa mâchoire in- férieure est blanche. Il habite Sumatra. Le Kaxcuiz (Moschus kanchil, RarrL.) a quatorze pouces (0,579) de longueur sur neuf (0,244) de hauteur; son pelage est d’un brun rouge foncé, presque noir sur le dos, et d’un bai brillant sur les flancs, avec le dessous blanc; il a trois raies sur la poi- trine et une bandelette, qui va de la mâchoire à l'épaule, blan- ches; sa queue est touffue, blanche au bout; ses canines sont fort longues et courbées en arrière. On le trouve à Java, dan les forêts, où il vit de feuilles, de bourgeons et de graines d'arbres. Ce singulier animal est extrémement rusé et plein d'intelli- gence; aussi les Malais, quand ils veulent désigner un adroit 284 LES RUMINANTS. voleur, disent qu'il est rusé comme un kanchil. Il n’habite que : les forêts les plus profondes, où il se nourrit principalement des fruits de gmelinia villosa. Malgré son agilité extraordinaire, il courrait risque quelquefois d’être atteint et déchiré par les bêtes croche par ses dents, y reste suspendu, et de là regarde tran- quillement passer la meute. Quand les chiens sont éloignés, il se laisse tomber à terre et retourne sur ses pas sans plus s’en inquiéter. Le Muse où Chevrotain: féroces ou les chiens des chasseurs, s'il n'avait l'adresse de s'en tirer d’une manière fort extraordinaire pour un animal ruminant. Après avoir fui devant ses ennemis et avoir rusé devant eux pour leur dérober sa piste, s’il sé sent trop pressé par eux, il s'élance d'un bond prodigieux à la haute branche d’un arbre, s'y ac- Les naturalistes ont encore signalé parmi les chevrotains des espèces qui n'appartiennent pas à ce genre. Tels sont les mos- chus pygmæus, jeune âge de l’antilope spinigera; les moschus americanus et delicatulus, qui ne sont que des faons du cervus rufus. L'Élan. LES PLÉNICORNES n’ont point de canines; les mâles seulement ont des cornes ou bois osseux et cadues, c’est-à-dire tombant chaque année, ou à des intervalles plus longs. 4° Genre. Les CERES (Cervus, Briss.) ont trente-deux dents, savoir: point d'incisives en haut et huit en bas ; point de canines; douze molaires à chaque mâchoire. La plupart ont un muffle; tous ont des larmiers sous les yeux. Leur taille est svelte, leurs jambes minces, leurs oreilles médiocres ; ils ont la queue très- courte. Nous ne décrirons que les espèces vivantes, et nous adop- terons la classification de M. de Blainville. E ; PLÉNICORNES. 285 Jre secrion. Bois sessiles, plus ou moins subdivisés, sans andouil- lers basilaires ni médians, terminés par une très-grande empau- mure digitée à son bord externe seulement. L'ÉLan (Cervus alces, Lin. Alces machlis, Ocite. Le Moos-deer des Anglo-Américains. L'Élan de Burr. L'Orignal des Canadiens. L'Elk ou Elend du nord de l'Europe. Le Loss des Slaves. Le Lozzi ou Los des Moscovites. L'Æly des Suédois et des Norvé- giens. Le Moosoa des Algonquins et des Creeks. Le Denyai des Chipewais. Le Sondareinta des Hurons) est le plus grand de tous les cerfs, et surpasse quelquefois la taille d’un cheval, avec le- quel son museau renflé a quelque analogie; sa tête est longue et léré très-vif, et peut faire trente milles tout d'une traite. Il est fort singulier que sa marche soit toujours accompagnée d’un craquement d'os qui n’a pas encore été bien expliqué. Cet animal vit en grandes hardes, ou troupes ; sa femelle est plus petite que lui. Il est bien certain que depuis nombre d'années on ne le trouve plus en France, mais il est encore assez commun dans les grandes forêts du nord des deux continents. Son caractère est fort doux, il s'apprivoise aisément, et dans le nord-ouest de l'Amérique les sauvages l’attellent à leurs traîineaux, comme on le faisait autrefois en Suède. Il est en rut de septembre en oc- tobre , et la femelle met bas deux ou trois petits, en avril et mai. Ses ennemis les plus redoutables sont l'ours et le gloulon. La Intérieur de la Galerie d'histoire naturelle. étroite en avant; son bois consiste en une très-large empaumure garnie d’andouillers ou de digitations nombreuses à son bord extérieur; sa queue est très-courte; son pelage est d’un brun fauve sur le dos et sur la croupe, et d'un brun plus ou moins foncé en dessous. Il noircit en vieillissant. Le cou de cet animal est tellement court, que pour paiître il est obligé d’écarter et fléchir les jambes de devant, qui, d’ail- leurs , sont plus longues proportionnellement que celles de der- rière. Aussi se nourritil plus volontiers de feuillage, de bour- geons et d'écorce d'arbre que d'herbe. Il se plaît particulière- ment dans les grandes forêts, surtout dans celles qui renferment des marais, où il se plonge et reste tout le jour, pendant l'été, pour éviter la piqûre des taons; dans cette attitude, il se plaît à brouter l'herbe qui croît sous l’eau, en soufflant avec grand bruit par les narines. Quoique timide comme tous les cerfs, comme eux aussi il se défend avec courage quand la fuite ne lui est plus possible; dans ce cas il frappe avec ses bois, avec ses pieds de derrière, et plus dangereusement avec ceux de devant. Dans sa fuite il ne galope jamais, mais il court d'un trot accé- chair de cet animal est assez mauvaise, mais sa peau est pré- cieuse en chamoiserie. Ile secrion. Bois sessiles plus ou moins divisés, pourvus d’andouil- lers basilaires et médians, les andouillers supérieurs seuls com- primés. Le Dam (Cervus dama, Lin. Cervus platyceros, Ray. Le Daim ; Burr. Le Platogni des Grecs actuels), moins grand que notre cerf; son pelage est d’un brun noirâtre en hiver, en été il est fauve tacheté de blanc ; les fesses sont blanches en tout temps, bordées de chaque côté d’une raie noire; la queue est plus longue que celle du cerf, noire en dessus, blanche en dessous; le bois du mâle est rond à sa base avec un andouiller pointu; aplati et den- telé en dehors dans le reste de sa longueur ; passé un certain âge, il rapetisse et se divise irrégulièrement en plusieurs lanières. On trouve des daims noirs sans taches, et d’autres entièrement blancs. Ces animaux vivent en petites hardes dans presque toute l'Europe, et leur chair est assez estimée. Ils ont les mêmes ha- 286 LES RUMINANTS. bitudes que notre cerf, mais ils se plaisent moins dans les gran- des forêts et préfèrent les bois coupés de champs cultivés. IIIe secrioN. Bois comme dans le précédent, maïs andouillers aplatis. Le Renxe (Cervus tarandus, Lix.—Desm. Cervus rangifer, Briss. Cervus coronatus , Des. Le Caribou de Briss. Le Reen des La- pons. Le Touctou des Esquimaux. Le Tucia des Groënlandais. L'Elthin et l'Attecs des Indiens du nord) est de la grandeur d’un cerf, mais à jambes plus courtes et plus grosses; les deux sexes ont des bois divisés en plusieurs branches, d’abord grêles et pointues, et qui finissent avec l’âge par se terminer en palmes élargies et dentelées; son poil, brun en été, devient presque blanc en hiver. Il habite les contrées glaciales des deux conti- nents. Le renne est le cadeau le plus précieux que la nature ait fait à ces contrées du nord perdues la moitié de l’année sous de tristes frimas. Il sert à la fois de bête de traitet de somme. Les Lapons, qui en ont de nombreux troupeaux, l’attellent à de légers trai- neaux sur lesquels ils voyagent avec une extrême rapidité, el à de très-grandes distances. La femelle donne par jour à peu près un litre de lait excellent, remplacant pour tous les usages celui de vache ; la chair de cet animal est fort bonne et se conserve fort bien au sel; avec la peau on fait des vêtements, des harnais, des sacs, des voiles de canot, ete.; avec les tendons on fait des cordes et du fil, des outres avec la vessie, des ustensiles divers avec ses cornes et ses os; enfin il n’est pas une de ses parties qui ne soit utile. Aussi la richesse d’un Lapon se calcule-t-elle sur le nombre de rennes qu'il possède. Il les envoie paiître l'été sur les montagnes; l'hiver il les ramène dans la plaine, où ils savent trouver leur nourriture en grattant et creusant la neige qui la couvre quelquefois de plusieurs pieds. Cette nourriture consiste en lichens (Lichen rangiferinus, Lin.) et en mousse, et quand elle leur manque ils se contentent d’écorce d'arbre, de bour- geons de bouleau et de sapin, el même, faute de mieux, on les accoutume à manger des débris de baleine et des os de poisson. Cet utile animal est doux, fort docile, mais sujet, quand on le maltraite, à tomber dans des accès de fureur qui deviennent funestes à son conducteur s’il n’a pas la précaution de renverser le traineau sur lui et rester caché dessous jusqu'à ce que la colère du renne soit passée. A l’état sauvage, il a les mœurs de l'élan, à de très-petites différences près. Ces mammifères vivent en hardes extrêmement nombreuses, et l’été, pour éviter la piqüre des œstres (OEstrus nasalis, Lix.), ils se retirent dans les plus sombres forêts de sa- pins dans les montagnes. Ils ont une si grande frayeur de ces insectes, que le bourdonnement d’un seul suffit pour mettre le désordre dans un troupeau de deux ou trois cents individus. Le rut a lieu en novembre et décembre, après quoi le mâle jette son bois. La femelle ne perd le sien, qui est plus petit, qu'après avoir mis bas, vers le milieu du mois de mai; elle fait deux pe- tits dont elle a grand soin. Ces animaux s’apprivoisent facile- ment ; ils sont fort doux, mais non pas très-timides, et ils savent fort bien se défendre contre le glouton et les autres animaux carnassiers. Ceux qui ont vécu à la ménagerie étaient fort pai- sibles; on les nourrissait avec du lichen et du pain. On a vaine- ment tenté d’acelimater les rennes dans les hautes montagnes d'Écosse, et à plusieurs reprises on y en a lâché des troupeaux assez considérables, mais tous y sont morts en assez peu de temps. IVe secrion. Bois sessiles, à andouillers, basilaires et médians, tous coniques. Le CEre ORDINAIRE (Cervus elaphus, Lin.) est le plus grand des animaux sauvages de la France. Il a la tête longue, terminée par un mufle très-court; ses bois sont ronds, branchus, ayant une empaumure terminale formée de deux à cinq dagues; sa queue est moyenne; son pelage d'été est d’un brun fauve, celui d'hiver d'un gris brun; il a une grande tache d’un fauve pâle sur les fesses et la queue. Le mâle a des canines qui manquent à la fe- melle, et celle-ci est aussi dépourvue de bois. On doit regarder comme de simples variétés: le cerf blanc, qui n’est qu'un albinos; le cerf de Corse (Cervus corsicanus, Gui), qui est plus petit et plus trapu; le cerf des Ardennes (Cervus germanicus, Bniss.), plus grand et à pelage plus foncé. ; Le cerf entre en rut au mois de septembre, et pendant les quinze jours que dure cet état, il est furieux, oublie sa timidité naturelle , se jette quelquefois sur les hommes, et crie ou brame de manière à faire retentir les forêts. À cette époque seulement les mâles se réunissent en hardes avec les femelles, et ils restent en troupes nombreuses pour passer l'hiver ensemble; mais tant que dure le rut ils se livrent entre eux des combats à outrance, et forcent les jeunes mâles à se tenir à l'écart. Au printemps ils se séparent. La biche porte huit mois et quelques jours, et ne met ordinairement bas qu’un petit qu’elle soigne avec tendresse et qu'elle garde auprès d'elle quelquefois pendant deux ans. La chasse au cerf, à cause des énormes frais qu’elle entraine en chevaux, chiens, piqueurs, équipages, a été de tout temps un plaisir de prince, ou au moins de personnages fort riches. Elle a ses lois, ses règles et son langage particulier. Son vocabulaire, aussi stupide que barbare, aussi impropre dans ses acceptions qu'ignoble dans son ensemble, porte le cachet des valets de chiens et des palefreniers qui l'ont inventé ; et néanmoins, on l'entend quelquefois parler dans les salons de Paris. Quoique fort timide et peu intelligent, le cerf ruse devant les chiens, et emploie quelquefois des moyens surprenants pour leur échapper. Entre plusieurs exemples je n’en cilerai qu'un, dont j'ai été témoin sous l'Empire. Un vieux cerf, habitant un canton des bois de Meudon, vingt fois fut mis sur pied par la meute impériale. Il se faisait battre dans la forêt pendant un quart d'heure, puis tout à coup il disparaissait, et ni hommes ni chiens n’en avaient plus de nouvelles , ce qui mettait les piqueurs au désespoir régulière ment tous les quinze jours. Enfin , un paysan que le hasard avait rendu plusieurs fois témoin de la ruse de l'animal le trahit, et le pauvre cerf fut pris. Voici comment il agissait : après avoir fait deux ou trois tours dans le bois pour gagner du temps, il filait droit vers la route de Fontainebleau, se placait en avant d’une diligence ou d’une voiture de poste, trottait devant les che- vaux qui effaçaient sa piste, et sans se presser davantage, sans s’effrayer des voyageurs à cheval, à pied ou en voiture, qu'il rencontrait, il faisait ses six lieues et arrivait gaillardement dans la forêt de Fontainebleau, d’où il ne revenait que le lendemain, quand le danger était passé. Le Waprri (Cervus wapiti, Mircu. Cervus major, Desm. Le Wa piti de Warpex. L'Elk des Américains) est d'un quart plus grand que notre cerf, et a la queue très-courte; son pelage est d’un fauve brunâtre ; ses fesses et sa queue sont d’un jaune très-clair ; ses bois sont rameux, très-grands et sans empaumure; le mufle est très-large , et le mâle seul a des canines; ses poils sont fort longs sous le cou et la tête; l’intérieur de l'oreille est blanc , et les larmiers sont très-grands. Cet animal habite Le nord de l’'Amé- rique; il n’a qu'une femelle qu'il ne quitte jamais, et vit en fa- mille, mais non en troupe. Son caractère est fort doux, et il s’apprivoise facilement, jusqu'à une demi-domesticité; aussi les Indiens s’en servent-ils pour l’atteler à leurs traineaux. Un indi- vidu a vécu à la ménagerie, et l’on a vainement tenté de lui faire couvrir des biches. Le Cere pu Canana (Cervus canadensis, Guz. — DEsm. Le Red- deer de Warpex) n’est certainement qu'une variété du précédent. Son pelage est d’un fauve obscur, sans taches jaunâtres sur les fesses : sa queue est assez longue; ses bois sont branchus, sans - PLÉNICORNES. 287 EL © © — SSSR =) empaumure terminale, et ont six andouillers isolés , recourbés à leur extrémité, Cet animal habite l’ouest et le sud des États-Unis et se trouve aussi dans les montagnes Rocheuses, où Clark et Lewis disent en'avoir vu dont la queue avait dix-sept pouces de longueur. C’est un animal stupide, dont le cri approche du brai- ment de l’àâne. Le CERF À GRANDES OREILLES (Cervus macrotis, SAx) est d'un brun päle et rougeñtre sur le corps; les flancs sont d’un cendré brunâtre ; il a le dos parsemé de poils à pointe noirâtre, lui for- mant une pointe distincte sur le cou; ses oreilles sont longues de sept pouces et demi (0,205); sa queue , longue de quatre pou- ces (0,108), est d’un cendré roussâtre , terminée et dépassée par des poils noirs aussi longs qu’elle. Il habite dans le nord des États-Unis. Le Cerr pe WaLricn (Cervus Wallichit, Fr. Cuv.) est d'un gris brun jaunâtre , plus pâle sur les joues, le museau, autour des yeux et au ventre; il a à la croupe une grande tache blanche ainsi que la queue, qui est très-courte ; ses bois s'écartent de côté et se renversent en arrière, après les premiers andouillers, pour remonter verticalement; sur chaque bois naissent deux andouil- lers qui se dirigent en avant : l’un descend sur le chanfrein, et l’autre se relève un peu ; un troisième naît du merrain et se dirige en dehors. Cette belle espèce habite le Népaul. Ve sEGTION. Bois sessiles, ramifiés avec un seul andouiller basilaire, sans médians, et le supérieur ordinairement simple. Pelage ta- cheté. L’Axis (Cervus ais, Lix. Le Cerf du Gange, Burr.) a les formes générales du daim; son pelage est d’un fauve assez vif et mou- cheté de blanc, avec une ligne presque noire le long du dos; le dessous du corps est d'un blane pur : le mâle manque de canines supérieures; ses bois ont deux andouillers et une seule pointe terminale. La femelle a une ligne longitudinale blanche sur les flancs. Ce charmant animal est originaire de l’Indostan , et a été introduit en Angleterre au commencement du dix-septième siè- cle. Son cri ressemble un peu à l'aboiement d’un chien, ét peut s'écrire ainsi houi, houi, houi. L'axis est fort doux, fort timide, mais nullement farouche. Il s’est très-bien acclimaté en France, et ceux de la ménagerie produisent chaque année. Il n’a pas de temps marqué pour le rut, et le mâle ne maltraite pas ses biches. Le CErr-Cocuon (Cervus porcinus, Lin. Le Cerf-Cochon, Burr.) a le corps plus trapu et les jambes plus courtes que le précédent ; il est fauve , tacheté de blanc en dessus, avec une ligne un peu brune sur le dos; d'un gris fauve en dessous; ses fesses sont blanchâtres ; sa queue est fauve en dessus, blanchàtre en dessous ; ses yeux et son museau sont noirs; ses bois sont grêles, n'ayant que trois petits andouillers. Il habite l'Inde, où il vit en grandes troupes. Il est timide, mais néanmoins il s’apprivoise facilement et devient très-familier. IL est à demi domestique au Bengale, où on l’engraisse pour le manger, comme le précédent. VIe secTION. Bois comme les précédents, mais pelage sans taches. Le Roussa-Iran ( Cervus hippelaphus , G. Cuv. Non l’Hippelaphe d’Aristote. Le Mejangan-banjoë ou Cerf d'eau des Javanais. Le Rusa ou Roussa-itan de Sumatra. Le Barensing-ha du Bengale) est de la taille de notre cerf; son poil est plus dur et plus rude, plus long et plus hérissé en sorte de barbe sur le cou, les joues et la gorge. Son pelage d'hiver est d’un gris brun plus ou moins foncé : celui d'été est d’un brun plus clair et plus doré. Sa croupe est d’un fauve pâle ; sa queue brune, terminée par des poils assez longs et noirs. Il habite les deux presqu'iles de l'Inde et son ar- chipel. Plusieurs ont vécu à la ménagerie. Le Cervus malaccensis, de Fr. Cuvier, est très-voisin de cette espèce. Le Cerr Des Mariannes (Cervus mariannus, G. Cuv.) ne dépasse pas la taille d’un chevreuil ; il est entièrement d’un gris brun ; sa queue est courte ; il a, comme les précédents, un mufle et des larmiers ; son bois a deux andouillers à une seule pointe termi- pale, dirigés l'un en avant et l’autre en dedans. Il manque d'in- cisives. On le croit originaire des Philippines, d'où il aurait été apporté aux Mariannes par les Espagnols. Dans tous les cas, il s’y est prodigieusement multiplié. La femelle met bas en mars, et son faon ne porte aucune livrée. Il nage ayec une prodigieuse vitesse, et lorsqu'il est trop pressé par les chiens il se jette à la mer et leur échappe au milieu des brisants qui déferlent avec le plus de fureur. Le Cerr de LeseueNAULT (Cervus Leschenaultii, G. Cuv.) n’est connu que par son bois envoyé de la côte de Coromandel par Leschenault. Ce bois est aussi grand que celui du cerf d’Aristote, mais il est moins grand, quoique aussi tuberculeux, que celui du cerf d'Europe; il donne de sa base un andouiller médiocre, et sa pointe se partage en deux corps presque égaux, faisant chacun le quart de la longueur totale. Le Gac-Orinx ou le CErr »'Arisrore (Cervus Aristotelis, G. Cuv. L'Hippelaphe d’Aristote, selon G. Cuv. L’Ælk venalor des Anglais de l'Inde. Le Saoumer des habitants de Ramgubr) ressemble beau- coup au roussa-itan, mais il est plus grand et ses larmiers sont aussi plus grands et plus profonds; le bois a de l’analogie avec celui du mariannus; l’andouiller de la base s'élève à plus de moitié de la hauteur du merrain, tandis que l'andouiller supé- rieur, très-petit, est tout près de la pointe à laquelle il est posté- rieur; son pelage est le même, à cette différence que la queue est brune au lieu d’être noire. Il est commun dans le Népaul , et vers l'Indus. Le Cerr Noir (Cervus niger, BLAINY. — Des.) a la taille et les formes générales de notre cerf; son pelage est d’un brun presque noir en dessus, plus clair en dessous, tandis que les parties supe- rieures du dedans des membres sont blanches. Les bois n'ont qu'un andouiller conique à la base d’un merrain allongé. Il ha- bite l’Inde, et n’est peut-être qu'une variété du roussa-itan. Le Cerr pe DuvauceL (Cervus Duvaucellii, G. Guy.) a été établi par G. Cuvier sur un bois envoyé de l’inde par Duvaucel. Le merrain est dirigé d’abord un peu en arrière et de côté, et re- courbé en avant par sa partie supérieure, de sorte qu'il est con- caye en avant; un seul andouiller sort de la base, dirigé en ayant; des deux ou trois andouillers terminant le merrain, l'in férieur, qui est ordinairement le plus grand, se bifurque ou tri- furque, suivant l’âge, en sorte qu'on peut compter de cinq à sept cors à chaque perche, les quatre ou six cors supérieurs formant une sorte d'empaumure. Quelquefois il y a ua petit £ubercule dans l’aisselle du maître andouiller. Le Cerr pe PÉRON Cervus Peronii, G. Cuy.) a été établi sur une tête envoyée de Timor par Péron. Il a des canines ; la tête a une saillie assez marquée entre les bois, mais point de convexité à la base du nez; l'angle postérieur de l'orbite est relevé d'une ma- nière particulière; l'andouiller postérieur est presque égal à la pointe du merrain, qui est d’un brun pâle. Le CERF-CHEvAL (Cervus equinus, G. Cuv. Le Rusa-itam des Ma- lais. Le Méjangan-banjor de Jaya. Le Jambor-stag des colons anglais) est presque aussi grand qu'un cheyal; son museau est noir, son menton blanc ; son pelage est d’un brun grisâtre, plus obscur sur le ventre, tirant sur le ferrugineux aux parties posté- rieures et à la queue ; l’intérieur des membres est blanchätre ; les deux sexes ont des canines; l’andouiller supérieur est plus petit et dirigé en arrière. Il habite Sumatra. VIE secriox. Bois sessiles, ramifiés, avec un andouiller médian, sans andouiller basilaire. Une ligne blanche, bordée de noir, coupant obliquement le museau chez la plupart. Le CuevreuIz (Cervus capreolus, Lix. Le Chevreuil d'Europe, G. Cuv. Le Zarchodia des Grecs modernes. Le Dorcas des anciens. 288 LES RUMINANTS. —————______ . Le Caprea de Puine) est plus petit que le daim, dont il a à peu près les formes générales ; il est fauve ou d’un gris brun, avec les fesses blanches et la queue très-courte ; il n’a ni canines ni lar- miers; ses bois sont rugueux, rameux, assez petits, à deux an- douillers, dont l’un dirigé en avant, l’autre en arrière. Les chevreuils vivent par couples dans les forêts élevées de l'Europe tempérée, et ils ne sont pas rares en France. Ils entrent en rut en novembre; la chevrette porte cinq mois et demi, et met bas en août deux faons qui restent en tout huit ou neuf mois avec leurs parents. Pendant cet espace de temps le père et la mère les soignent avec tendresse, et s'ils sont rencontrés par des chiens, le mâle se présente, attire leur attention, puis fuit avec rapidité La biche de en entraînant ia meute après lui, tandis que la mère emmène les enfants d’un autre côté; mais ni l’un ni l’autre n’ont le courage de les défendre. Si le courage manque à la chevrette, l'amour maternel sait quelquefois y suppléer, et voici un fait dont j'ai été témoin oculaire dans la forêt de Fontainebleau, et qui le prou- vera. Je vis une chevrette, surprise par un loup, saisir son faon par la peau du dos avec sa bouche, l'enlever de terre et fuir en l'emportant avec une rapidité qui dérouta bientôt son ennemi. Cette action me parut d'autant plus extraordinaire que le che- vreuil n’a pas la bouche faite de manière à pouvoir saisir et por- ter un objet d’une certaine grosseur, et le faon était au moins de la grandeur d’un lièvre. Le père et la!mère ne se quittent ja- mais et passent toute leur vie ensemble, à moins que la mort ne les sépare; ils ne s’enfoncent guère dans la profondeur des fo- rêts, et ils préfèrent habiter les pointes de bois taillis environ= nées de champs cultivés sur les collines et le revers des monta- gnes. Quoique indigènes dans nos pays, ils craignent cependant l'intensité du froid, et tous ceux de la Bourgogne périrent pen- dant les grands hivers de 1709 et 1789. Lorsqu'on surprend ces animaux, le mâle en partant fait entendre un cri assez aigu, auquel je trouve de l’analogie avec la voix d’un chien. Leurs mœurs sont douces et timides, et, réduits en esclavage, ils se fa- miliarisent assez aisément; mais je ne crois pas qu'ils sy multi- plient. Le bois du mâle tombe en automne et se refait en hiver. L’Auu (Cervus pygargus, PAL. — Desm. Le Chevreuil de Tarta- rie, G. Cuv.) n’est certainement qu'une variété du précédent. Il approche de la taille du daim, et sa queue consiste en un simple tubercule ; son pelage est long et serré, d’un gris brun: les fesses sont blanches et le ventre jaunâtre; il manque de canines; ses bois sont médiocres, très-rugueux , à deux andouillers, dont le postérieur forme une fourche avec la pointe du merrain. Il habite la Tartarie, et n'est pas rare dans les montagnes élevées, au delà du Volga. Le Cerr DE VIRGINIE (Cervus virginianus, GuL. — Des. Le Daim des Anglo-Américains. Le Cerf de la Louisiane ou de Virginie, G. Cuv. La femelle est le Cariacou de Daur.). Il a la tête fine, le museau pointu, et la taille moins grande mais plus svelte que notre cerf. Son pelage est d’un fauve clair en été, d'un gris roussâtre en hiver; le dessous du corps est d'un blanc pur ; le bout de son museau est d’un brun foncé; son bois est médiocre, très-recourbé en avant, et à trois ou quatre Virginie. andouillers; il a des larmiers, mais point de canines. Il habite l'Amérique septentrionale, jusqu’à la Guyane. Le Gouazou-Tr (Cervus campestris, FR. Cuv. Cervus leucogaster, Scres.) est plus petit que notre cerf; son pelage est ras ou serré, d'un bai rougeâtre en dessus, d’un beau blanc en dessous et sur les fesses; les poils du ventre sont plus longs que ceux du dos; sa queue est moyenne; ses bois sont médiocres, assez minces, rugueux; les merrains sont à peu près droits, à andouillers an- térieurs horizontaux, puis courbes et verticaux, avec deux an- douillers postérieurs obliques. Il habite les pampas du Paraguay, et on le trouve dans les grandes plaines jusque dans la Patago- nie. C’est le plus agile de tous les cerfs, et il exhale, dit-on, une odeur infecte. s PLENICORNES. 289 Le Gouazou-Poucou (Cervus palustris, Fr, Cuv. Cervus paludo- sus, Desm. Le Quantlamazame de HERNANDÈS) n’est pas aussi grand que notre cerf; il a le museau noir, très-gros, formant un mufle comparable à celui d’un bœuf ; son pelage est d’un rouge bai en dessus et sur les flancs ; le dessous de la tête, la poitrine, et un cercle autour des paupières, sont blancs; les paupières sont noires, ainsi qu'une tache veloutée qui occupe la lèvre inférieure ; il a deux taches triangulaires de la même couleur, l'une sur le chanfrein , l’autre à la hauteur des yeux; ses bois sont assez grands, terminés par une fourche ayant quelquefois cinq dagues. canines. Il habite l'Amérique méridionale, et il est commun dans les Ilanos de l'Apure, où le voyageur Humboldt en a vu beaucoup de tout blancs. VIIIe SECTION. Bois sessiles simples et en forme de dague. Le Gouazou-Bira (Cervus nemorivagus, Fr. Cuv.— Des. Le Ca- riacou des habitants de Cayenne. Le Tememazame d'HERNAND ?) a vingt-six pouces (0,704) de hauteur sur le garrot, et trente et un 0,859) à la croupe; son pelage est d’un brun grisâtre en dessus La Girafe. Il habite les bords marécageux des grandes rivières et de la mer dans le Paraguay et de quelques autres parties de l'Amérique australe. Le Cerr pu MExIQuE (Cervus mexicanus, PENN. — Desu. Le Che- vreuil d'Amérique, Burr. Le Chevreuil du Mexique, DAuBENT.) ne serait, selon l’opinion de G. Cuvier, qu'une variété d'âge du cerf de Virginie très-vieux. D'une autre part, Fr. Cuvier le regarde comme une variété du précédent. Ses bois sont médiocrement longs, gros et très-rugueux, écartés, ayant plusieurs andouillers, dont l’antérieur est fort, conique et non arqué; il manque de et d'un brun teint de fauve en dessous; les fesses et le dessus de la queue sont fauves ; ses larmiers sont très-petils, et le mâle n'a pas de canines. Cette espèce passe tout l'été dans les bois pour éviter la piqüre des taons, et ne vient dans la plaine que dans les mois de septembre et d'octobre, pour y passer l'hiver. Ainsi que tous les gouazous, elle est très-douce , s’apprivoise fort bien, et se familiarise même au point d'en devenir importune; mais elle ne s'attache jamais à personne. Elle vit solitaire dans le Paraguay et à la Guyane. Le Gouazou-Pira (Cervus rufus, Fr. Cuv. Moschus delicatulus, 59. Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36. 19 290 LES RUMINANTS. = ——————_——_——_—____—__—————ZLELEUEU Scuaw. Le Coassou et la Biche rousse d'Azzama) à la tête très-effilée et les dagues longues au plus de trois pouces (0,051); son pelage est rude et sec, d'un roux vif doré; le dessus de la tête et des jarrets d’un brun obscur tirant sur le roux, avec une jarretière noire aux genoux; le dessous du corps est blanc, et le mâle a des canines. Cette espèce vit en petites troupes ordinairement composées d'un mâle et de neuf à dix femelles. Ces animaux ont les habitudes nocturnes, et ne sortent des bois qu'à la nuit pour aller paître dans les champs cultivés. Ils habitent l'Amérique méridionale. IXe SECTION. Bois portés sur un long pédicule osseux, dépendant des os du front. Le Munr-Jax (Cervus muntjak, Guc. — Desm. Cervus vaginalis, Boop. Cervus muntjac, BLainv. — G. Cuv. Le Chevreuil des Indes, Burr. — G. Cuv. Le Xijand de Sumatra) est remarquable par la longueur de ses canines, qui manquent à la femelle; sa tête est pointue; ses yeux grands, ayant des larmiers; ses oreilles sont assez larges, et sa queue est courte et aplatie; son pelage est ras et luisant, d’un marron roux, brillant en dessus: le devant des cuisses et le ventre sont d’un blanc pur. Il habite l'Inde et Sumatra; ses mœurs sont très-douces, et il vit en famille. Le Cenr Musqué (Cervus moschatus, BLAINY. Cervus moschus, D£sx.) est une espèce distincte, dont le bois est très-court. Ce bois a quatre ou cinq pouces de hauteur, est triangulaire à sa base, sans andouillers et sans meule. Le CErr À PETITS BOIS (Cervus subcornutus, BLAINV. — DEs.), établi par Blainville sur un crâne seulement, paraîtrait différer du muntjak par l'absence des canines. Le bois est très-petit, à meule assez bien formée; les pédicules sont médiocrement al- longés; il y a à la base un petit andouiller dont la pointe est brusquement receurbée en arrière. Sa patrie est inconnue. LES CAMÉLOPARDINÉES ont les cornes persistantes, poilues et communes aux deux sexes. 3e Genre. Les GIRAFES (Camelopardalis, Lin. Giraffu, Briss.) ont trente-deux dents, savoir : point d’incisives en haut et huit en bas; point de canines; douze molaires supérieures ét douze inférieures. L’extrémité des cornes est plane, avec une couronne de longs poils; les oreilles sont longues, pointues; la queue courte, terminée par un flocon de grands poils; elles ont quatre mamelles inguinales. Leur cou est extrêmement comprimé latéralement. La GiRAFE D'AFRIQUE (Camelopardalis giraffa, Guz, Giraffa came- lopardalis, Less. Le Camelopardalis ou Chameau-Léopard de Punk) est le plus grand ou plutôt le plus long et le plus élévé de tous les animaux, car sa tête atteint aisément à dix huit ou vingt pieds (5,847 à 6,497) de hauteur. Elle est remarquable par la longueur disproportionnée de son cou large et très-plat, n'ayant pas moins de cinq pieds (1,624) de longueur; par la hauteur disproportion- née de son garrot de dix-huit pouces au moins (0,487) plus élevé que sa croupe, ce qui fait paraltre son corps dans une position oblique tout à fait extraordinaire et presque parallèle à son cou; sa tête porte deux cornes courtes, un peu arquées, recouvertes d'une peau velue, et ces sortes de cornes, également portées par le mâle et par la femelle, ne tombent jamais. Elle a sur le chan- frein ur tubercule osseux, à partir duquel le museau s’élargit et se déprime au point d’être considérablement plus large qu'épais. Ses jambes sont fort longues, et celles de devant le sont un peu plus que celles de derrière; tout son corps est un peu aplabi sur les côtés, surtout vers la poitrine, comme s’il avait été mis en presse ; sa queue, assez longue, se termine en queue de vache; enfin le fond de son pelage est d'un blane grisàtre ou roussètre, plus ou moins irrégulièrement taché de fauve foncé ou de brun; une petite crinière grise et fauve règne depuis les oreilles jusqu’à la queue. I résulte de cette singulière organisation que la girafe est obli- gée de marcher l'amble, c’est-à-dire de porter à la fois en avant les deux pieds du même côté, ce qui ne contribue pas à donner de Ja grâce à ses mouyements ; quand elle troite, c’est encore pire. « Cet animal vient-il à trotter, dit Levaillant, on croirait qu'il boite, en voyant sa tête perchée à l'extrémité d’un long cou qui ne plie jamais, se balancer de l'avant en arrière et jouer d’une seule pièce entre les deux épaules qui lui servent de char- nières. » Quoique la girafe fût connue des anciens et qu’on en vit paraitre dans les cirques de Rome dès la dictature de F. César, ses mœurs sont restées presque inconnues jusqu'à ce jour, et l'on ne peut guère les déduire que de ses formes, des habitudes très- douces des individus en captivité, et de quelques informations prises chez les Hottentots. La girafe se trouve dans toute l'Afri- que australe, et en Abyssinie; elle vit en petites Lroupes de six à sept, peut-être en famille. Pour boire elle est obligée de s’age- nouiller ou d'entrer dans l’eau, et pour atteindre la terre avec sa bouche, d'écarter beaucoup les jambes de devant afin de bais- ser son corps. Il en résulte qu’elle se nourrit principalement de feuilles d'arbres et de bourgeons, surtout de ceux d'une espèce de mimosa, qu'elle peut cueillir à une grande hauteur et avec beaucoup de facilité, grâce à sa lèvre supérieure très-mobile et à sa langue fort longue, grèle, noire, pointue, qu'elle a la fa- culté de faire saillir de sa bouche de plus d’un pied (0,395) et d'enrouler autour des rameaux feuillés. Ses yeux sont grands, noirs, très-doux, et son caractère ne contredit pas son regard, car en esclavage elle est docile jusqu’à la timidité, et un enfant peut la conduire partout au moyen d'un simple ruban. Confinée dans les forêts où elle entend chaque jour les rugissements du lion et de la panthère, elle n’a aucune arme à opposer à ces ter- ribles ennemis que la fuite; mais elle est d’une grande agilité, et le meilleur cheval de course est incapable de l’atteindre; aussi échappe-t-elle assez aisément à ces animaux qui bondissent pour saisir leur proie, mais ne la poursuivent jamais. Cependant elle ne manque pas absolument de courage, et si on s’en rapporte aux voyageurs, quand la fuite lui devient impossible, elle se défend en lançant à ses ennemis des ruades qui se succèdent en si grand nombre et avec tant de rapidité qu’elle triomphe même des efforts du lion. La femelle , au dire des Hottentots, porte un an et ne fait qu’un petit. Tout Paris connaît la girafe que le pacha d'Égypte, Méhémet- Ali, a envoyée au roi