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LE MESSIE

D'APRÈS LES PROPHÈTES

JULES STEEG

LICENCIÉ EN THÉOLOGIE.

a Je vous le dis en vérité : Beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu; entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu. » (Matlli. XIII , t 7.)

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STRASBOURG,

TREUTTEL ET WURTZ, LIBRAIRE»^-ÉDITEURS.

PARIS,

J. CHERBULIEZ, 33, RUE DE SEINE.

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LE MESSIE

D'APRÈS LES PROPHÈTES

JULES STEEG

LICENCIE EN THEOLOGIE.

« Je vous le dis eu vérité : Beaucoup de |iiopliétes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu; entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu.» (Matth, XIII, 17.)

STRASBOURG,

TREUTTEL ET WURTZ, LIBRAIRES- ÉDITEURS.

PARIS.

J. CHERBULIEZ, 33, RUE DE SEINE.

4867.

STRASBOURG, IMPRIMERIE DE G. SILBERMANN.

A MAURICE SCHWALB ET A PIERRE GOY.

Témoignsige d'amitié frater^nella.

« Est autem amicitia nihil aliud , nisi omnium divinarum humanarumque rerum , cum benevolentia et caritale, summa consensio. (Cic. de Amie, VI.)

J. STEEG.

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AVANT-PROPOS.

Un des groupes les plus considérables dans l'histoire religieuse du monde, et l'on peut dire aussi dans l'his- toire morale et littéraire, ce sont les prophètes hébreux. Leurs écrits, outre les Psaumes et le livre de Job, font toute la beauté de la littérature hébraïque. On ne sau- rait dire s'ils furent des poètes, des orateurs, des po- litiques; ils furent tout cela en même temps. Tribuns et prédicateurs, conseillers des rois, instituteurs du peuple, apôtres de Jéhovah, défenseurs des coutumes natio- nales contre l'envahissement des mœurs et des supers- titions étrangères, ministres et réformateurs de la re- ligion, parfois en lutte ouverte avec les prêtres, les princes et les magistrats; parfois fustigeant de leurs sanglants reproches les masses populaires, ils ont oc- cupé au milieu des leurs une place dont les autres na- tions ne nous offrent aucun exemple. Eschyle et Dé- mosthène, Pindare et Socrale, G. Gracchus et Gaton, saint Paul, saint Ambroise, saint Bernard, Savona- role, Luther et quelques autres génies, puissants par la parole ou l'action, en reproduisent vaguement quel- ques traits épars. S'ils n'exercèrent qu'une faible in- ^uence sur leurs contemporains, plus accessibles aux entraînements de la mode qu'à la voix sévère des pro- phètes, ils n'en furent pas moins, dans la suite, par le souvenir de leurs paroles et par leurs écrits, les fonda- teurs ou les restaurateurs de la piété Israélite. G'est grâce à eux que leur peuple a été une des plus vives lu- s. 1

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mières du monde. C'est eux qui furent les vrais pré- parateurs du christianisme. Jésus aimait à méditer et à expliquer leurs livres. La prédication apostolique est pleine d'idées et d'images qui leur sont empruntées. Ils ont répandu à flots sur la chrétienté des trésors d'élo- quence et de poésie. Ils ont inspiré tous les grands ora- teurs de l'Église, les Pères, les moines errants du moyen âge, les réformateurs, les Puritains et les Cami- sards, Bossuet, Whitefield et Parker.

Malgré cette notoriété éclatante, les prophètes sont mal connus. On confond leur doctrine avec celle des apôtres et des théologiens. On les voit, non tels qu'ils ont été, mais tels que la tradition les représente. Il est un point surtout, le centre et le nœud de leur enseigne- ment, que d'épaisses ténèbres recouvrent: ce sont leurs idées sur l'âge messianique, sur le Messie et sur son œuvre. Non pas qu'ils n'aient clairement et assez lon- guement développé leur pensée à cet égard ; mais on n'a pas cherché à la connaître. On s'est contenté d'ex- traire de leurs écrits des oracles détachés, des mots, des versets, pour en composer une description prophé- tique, une préfiguration des événements de la vie de Jésus-Christ et de l'histoire de son Église. On s'est jeté en pleine allégorie; on a vu partout des tjpes; on a dé- tourné de leur sens les expressions les plus simples pour y lire des prédictions biographiques ou les dogmes de l'Église. Ce procédé était certainement conforme aux habitudes d'esprit qui ont régné pendant tant de siècles; mais il ne pouvait être qu'une source d'erreur et d'obscurité. Aujourd'hui qu'on a plus de souci de la vérité historique, d'autres méthodes doivent prévaloir. Pour avoir une idée nette et précise de la doctrine

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messianique des prophètes, voici ce que nous avons fait: nous avons pris chacun d'eux selon son rang chronologique, et nous l'avons interrogé, en dehors de toute prévention et de tout parti pris; dans ce but, il fallut les traduire complétenient et à nouveau. Après avoir recueilli tour à tour les réponses de chacun, nous les avons rapprochées et comparées; nous en avons constaté les ressemblances et les différences; nous avons cherché dans les événements du temps l'explica- tion des unes et des autres, et nous avons exposé sim- plement ce que nous avions loyalement découvert. Il se peut que nos résultats ne soient pas irréprochables, mais notre méthode est bonne. C'est la seule que des hommes de sens suivent désormais en ces matières.

L'ordre chronologique n'est pas celui dans lequel les prophètes ont été rangés par les rabbins qui ont re- cueilli leurs oeuvres. Elles sont pêle-mêle; c'est la taille, et non l'âge des livres qui a déterminé leur position : les trois plus gros précèdent, les autres suivent un peu au hasard. Il y a cependant comme un essai de chro- nologie dans la série des petits prophètes, ainsi appelés parce que leurs écrits sont moins volumineux. En tout cas, rien de plus naturel que de chercher à rétablir l'ordre véritable, dût-on changer la disposition adoptée par les rabbins. D'ailleurs la plupart des prophètes in- diquent eux-mêmes sous quels règnes ils ont vécu; lorS' que ces indications (soit de leur main, soit d'une main étrangère) sont absentes, le contenu des écrits met faci- lement sur la voie. Ainsi, qu'un prophète ne connaisse à son peuple d'autres ennemis que Tyr et Sidon, les Phi- listins et l'Egypte, il est tout simple d'en conclure qu'il précède les grandes invasions assyriennes et chai-

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déennes; qu'un autre exalte les victoires de Cyrus et qu'il en tire des sujets de joie et d'espérance, on recon- naît aussitôt qu'il vit à la fin de l'exil; qu'un autre nous parle du temple reconstruit, qu'il condamne tout ensemble les mariages avec les femmes étrangères et les divorces trop facilement consentis, ce sont des traits, entre plusieurs autres, qui annoncent l'époque d'Esdras et de Néhémie. C'est en s'appuyant sur les principes les plus élémentaires de la critique qu'on est parvenu à établir la date approximative de chaque pro- phète.

Comme les rabbins avaient mêlé les dates, ils ont aussi confondu, sous un même nom d'auteur, des œuvres très-diverses : en revenant à la réalité histo- rique on est amené à distinguer, par exemple, trois Esaïe, trois Zacharie, ils n'en avaient vu qu'un seul. Des trois Ésaïe, l'un^ vécut sous les règnes d'Achaz, d'Ézéchias, et fut témoin de la chute du royaume d'Éphraïra, dans le huitième siècle; un autre- vivait dans l'exil, au sixième siècle, et fut contemporain de Cyrus : les faits racontés, les idées, le langage, les dé- clarations expresses de ces deux prophètes indiquent clairement leur époque; un troisième Esaïe ^ qu'il faut placer entre les deux autres et qui est moins important, nous montre la terre sainte ravagée, les habitants partis pour l'exil ; il est resté pour maudire l'odieuse conduite des Moabites, qui ont lâchement profité des désastres

* Ésaïe -1 à 39.

2 Ésaïe 40 à 66.

3 Ésaïe 24 à 27. Nous ne voulons rien préjuger ici sur d'autres fragments qu'on pourrait contester encore au premier Ésaïe ou à Jérémie. Ces détails n'importent pas à l'objet spécial de notre étude.

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d'Israël, et pour prêcher l'espérance aux quelques Is- raélites demeurés dans leur triste patrie. Cet Esaïe ne peut raisonnablement se confondre avec aucun des deux autres, ni les deux autres ensemble. On ne peut plus soutenir l'identité des trois que par amour du paradoxe. Il y a aussi trois Zacharie : le premier en rang est le dernier en date; il a prophétisé sous Darius, fils d'Hystaspe, vers 520^. Il suffit d'une étude même su- perficielle pour distinguer les huit premiers chapitres, qui lui appartiennent, des chapitres qui suivent : c'est un autre ordre d'idées, d'autres faits, une autre forme littéraire, un autre âge. Le plus ancien des trois ^ con- naît déjà les Assyriens; mais il prophétise dans un temps les deux royaumes d'Éphraïm et de Juda sub- sistaient encore côte à côte : tous les traits de son livre concordent parfaitement avec ceux d'Osée; ce sont les mêmes craintes, les mêmes dangers, les mêmes enne- mis, les mêmes menaces, les mêmes perspectives. Il convient donc de le placer à peu près dans la même époque. Les détails confirment ce que nous ne faisons qu'indiquer. Le second Zacharie^ ne dit plus mot du royaume du Nord; il ne connaît, il n'aime que Juda; il ne craint que pour la montagne de Sion; il vit donc après la ruine de Samarie, avant la prise de Jérusalem, peu de temps après la bataille de Mégiddo, Josias perdit la vie (609), et dont le souvenir lui arrache en- core des larmes*. Il prévoit que Jérusalem va être as- siégée; il semble même assister du dehors au siège.

1 Zacharie 1 à 8. ' Zacharie 9 à i ^ . 3 Zacharie 42 à 14. * Zacharie XII, 41.

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Gela ne signifierait rien chez Zacharie, fils de Béréchie, contemporain de Darius. On est ici au début de l'inva sion chaldéenne, au temps de Nébucadnetzar, de Jéré- mie^

Au reste, ce sont des problèmes d'histoire, de cri- tique, de pure érudition. On assure qu'il y a des gens qui apportent à ces questions de la passion et de l'a- mertume. Gela paraît difficile à croire. L'intérêt de la religion, disent-ils, est enjeu. Nous ne voyons pas ce que la religion peut avoir à craindre du plus ou moins de sagacité des rabbins qui se sont chargés de réunir en un seul corps les livres hébreux. Eussent-ils com- mis les plus grossières méprises , la religion n'aurait rien à perdre à ce qu'on les corrigeât. Bien plus 5 comme l'intérêt de la religion ne peut se séparer de celui de la vérité, il nous semble qu'elle ne pourrait qu'en tirer profit. Et même, s'il faut tout dire, c'est au nom de la religion chrétienne et avec une intention apologétique, que nous avons commencé cette étude sur les prophètes, et que nous en livrons au public les résultats. Voici comment nous l'entendons.

Pendant longtemps, ceux qui entreprenaient la dé- fense du christianisme vis-à-vis de ses détracteurs, ne connaissaient pas de meilleure démonstration que les miracles et les prophéties. Ils disaient : l'établissement de la religion chrétienne a été accompagné de miracles éclatants; or un miracle est un signe manifeste de l'in- tervention divine; donc la religion chrétienne est d'ins- titution divine. Mais on s'est mis à contester les pré- misses de ce raisonnement, et la conclusion s'est trouvée dans le vide. On a nié que ces miracles eussent

^ Voy. les intéressants travaux de Knobel , d'Ewald.

réellement eu lieu , que les documents qui les rappor- tent fussent des garanties suffisantes pour des faits si extraordinaires; on a constaté que toutes les religions s'appuient également sur des miracles; on a soutenu que des faits matériels, quelque inexpliquables qu'ils soient à la science humaine, ne peuvent témoigner en faveur de la vérité et de l'excellence d'une doctrine re- ligieuse et morale, parce qu'il convient que les preuves et la chose prouvée soient de même ordre; on a pro- testé enfin que Dieu est également présent dans toutes ses œuvres et que le cours régulier de la création est la marque de son intervention permanente. Les apo- logistes de la religion chrétienne disaient aussi : la plus grande des preuves, ce sont les prophéties. Une suite d'hommes inspirés, pendant quatre mille ans, ont annoncé dans tous ses détails la naissance, la vie et la mort de Jésus-Christ, son œuvre et son Église. Toutes ces prophéties se sont réalisées, et témoignent, par cet accord surnaturel entre la prédiction et l'effet, de la divinité du christianisme. Mais il se trouve qu'on peut tourner la défense en attaque: on répond qu'un examen attentif des prophéties démontre qu'elles ont eu lieu dans un sens tout ditïérent de celui les prend l'Eglise; que la plupart ne se sont pas réalisées parce qu'elles étaient irréalisables; qu'il faut faire une singulière violence aux textes hébreux, pour y lire le Nouveau Testament; que dans ce dernier l'on recon- naît, à ne s'y pas méprendre, un effort réitéré pour introduire dans l'histoire de Jésus certains traits de la prophétie; et que même la rencontre entre les vues messianiques des prophètes et celles de Jésus, si elle était certaine, tournerait au préjudice du fondateur de

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la religion chrétienne, parce qu'elle le rabaisserait au niveau des préjugés et des erreurs de la nation juive.

Ces objections sont considérables. Ce qui ajoute en- core à leur force, c'est qu'elles ne proviennent pas d'ennemis de la religion chrétienne, mais de ses plus intelligents et dévoués adhérents. Ils pensent que cette vieille méthode apologétique est usée , comme la con- ception particulière du christianisme, à la défense de laquelle on l'employait. Pour eux, le christianisme n'est pas un ensemble savamment construit de dogmes qui s'enchaînent, et qu'il faut accepter en bloc sur la parole de l'Église, sur la garantie des Écritures, et en vertu d'un syllogisme fondé soit sur les miracles, soit sur l'accomplissement des prophéties, soit sur la cor- ruption native et la misère de l'homme. Ce n'est point une série de faits merveilleux ou de doctrines mysté- rieuses, si étroitement et solidairement unis que qui touche l'un touche l'autre. Le christianisme tel qu'ils l'entendent est un principe de vie religieuse que l'his- toire fait remonter jusqu'à la personne et à l'enseigne- ment de Jésus-Christ, mais qui a ses attaches dans le cœur humain, qui n'a besoin d'autre apologie que lui- même, qui se démontre aux âmes pieuses comme la lumière aux yeux clairvoyants, qui est confirmé par des miracles incessants d'abnégation , d'enthousiasme , de vertu, d'austérité, d'amour, et qui a été prophétisé dans tous les âges, dans tous les lieux, dans toutes les langues par l'instinctive aspiration de l'humanité vers Dieu.

S'il en est ainsi, la tâche des défenseurs de la reli- gion chrétienne est transformée. Loin d'entrer en lutte avec la critique pour conserver intactes toutes les doc-

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Irines de l'Église, loin de craindre les objections, les doutes, les innovations, ils doivent nnontrer que la re- ligion chrétienne n'a rien à redouter des investigations quelconques de la science, de l'histoire, de la philo- sophie; qu'elle ne peut que briller d'un plus pur éclat à mesure que se fera la lumière sur toutes les ques- tions débattues parmi les hommes; qu'elle ne peut que gagner à se dégager d'une solidarité compromettante et injuste avec les traditions et les systèmes, quelque ingénieux, vraisemblables et respectables qu'ils soient d'ailleurs; que même, à vrai dire, elle appartient do- rénavant à l'humanité tout entière, qu'elle en est l'âme, la gloire, la consolation, et qu'à ce titre elle ne peut avoir pour adversaires que ceux qui ne la connaissent pas ou ne se connaissent pas eux-mêmes. Les défen- seurs de la religion chrétienne ne se laisseront donc devancer par personne dans la recherche, dans la cri- tique; ils ouvriront eux-mêmes la voie et pousseront plus loin que les autres; ils auront tout intérêt à dé- couvrir sur tous les points la vérité et l'erreur, non que leur foi dépende de l'authenticité d'un écrit, de la réalité d'un fait, de l'interprétation d'un texte, mais parce que la religion chrétienne, étant l'éternelle vé- rité, satisfait d'autant mieux les cœurs et les esprits, que plus d'illusions s'évanouissent, que plus de voiles tombent et nous la découvrent plus complètement dans sa simplicité.

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ÉTUDE SUR LE DÉVELOPPEMENT

DE

L'IDÉE MESSIANIQUE

CHEZ LES PROPHÈTES.

CHAPITRE PREMIER.

ORIGINES.

La croyance en un seul Dieu s'était établie dans la race d'Abraham. C'est un fait que l'histoire constate sans parvenir à l'expliquer : comme tout ce qui est pri- mitif, il échappe à notre investigation , et ses origines sont cachées dans la volonté du Créateur. Il est pro- bable que les adorateurs de ce Dieu unique ne recon- naissaient pas d'abord en lui le Dieu de toute la terre, mais seulement celui de leur tribu. Une partie de cette tribu, ceux que la tradition désigne comme les descen- dants de Jacob, parmi les longues et obscures pérégri- nations qui aboutirent à la conquête du pays de Ca- naan, vit se lever au milieu d'elle un puissant réfor- mateur, que l'on compte parmi les plus illustres génies de l'humanité , Moïse. Autant que nous pouvons en juger par les effets, il régularisa le culte, formula des lois, donna au Dieu de la tribu son nom distinctif, philosophique pour ainsi dire, le révéla à ses adorateurs comme le Dieu suprême, le Créateur du ciel et de la terre, en même temps que le Dieu spécial d'Israël, le

il

Dieu jaloux qui ne souffre point de rivaux , et ainsi , soit qu'il n'ait fait que mettre en lumière la foi inconsciente des aïeux, soit qu'il y ait introduit des éléments nou- veaux, jeta les fondements de cette nationalité si vivace, dont le rêve devait être un jour de conquérir le monde.

On peut faire remonter jusque-là les espérances mes- sianiques du peuple hébreu, en ayant soin toutefois de se les représenter sous les contours les plus indéter- minés. C'est du moment les enfants de Jacob ont eu conscience d'être non-seulement le peuple d'un seul Dieu, mais le peuple privilégié' du plus puis- sant des dieux, ou plus, le peuple unique du Dieu unique, c'est de ce moment que date leur conviction, plus ou moins obscure encore, qu'ils sont destinés à dominer tous les autres peuples. Cette vocation ne s'est pas présentée d'abord sous une forme précise ; ils n'au- ront fait que l'entrevoir. Des siècles de luttes, de té- nèbres , d'idolâtrie parfois , les séparaient encore du temps des prophètes, l'idée se dégagea et se revêtit d'une forme toujours plus nette, sous l'action des évé- nements.

Dans les espérances messianiques des Juifs, l'impor- tant c'est la foi que le gouvernement des nations est réservé au peuple de Jéhovah dans une période finale de félicité; l'accessoire, c'est l'attente d'un Messie S qui changera cette foi en réalité. L'attente du Messie est née la dernière; mais elle est devenue dans la suite si prépondérante, si fiévreuse, qu'elle a envahi toutes les imaginations, et qu'elle peut à bon droit désigner tout cet ensemble de rêveries, de prétentions, d'ambi-

^ Oint, prince qui a reçu l'onction, le signe de la royauté (i Sa- muel X,XVI).

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lions, de croyances chimériques et de vœux légitimes que le mot de messianisme rappelle à l'esprit.

Si la critique appliquée à l'Ancien Testament n'avait pas jeté la plus grande incertitude sur l'âge des livres historiques, on pourrait chercher dans ces livres les premières traces de l'idée messianique. Mais on sait que ces livres ne sont pas contemporains des faits qu'ils racontent; on croit que les plus anciens documents ont subi des remaniements successifs, qui ne permettent d'y recourir qu'avec la plus grande réserve; on admet una- niment que ces livres ont été ou recueillis , ou com- plétés, ou rédigés à une époque tardive dont les idées pouvaient facilement s'introduire dans des récits d'un autre âge , et que leur clôture définitive est postérieure aux écrits de tous les prophètes. D'où il résulte qu'une histoire sérieuse des idées messianiques ne peut com- mencer qu'avec ces derniers, qui sont d'ailleurs les plus fidèles échos des aspirations populaires et les vé- ritables apôtres du messianisme.

Indépendamment de leur origine incertaine et peut- être assez récente, les traits du Pentateuque, qu'on a regardés comme messaniques, sont loin de l'être tous. La parole de la Genèse ^, qu'on appelle V Évangile pri- mitif, est trop vague pour qu'on en puisse rien con- clure; elle ne dit rien de la conversion et du bonheur final de l'humanité. L'oracle de Noé^ n'a d'autre objet que l'asservissement de Canaan à ses deux frères , et doit sans doute s'expliquer par quelque événement de guerre de l'antiquité. Le chant de Jacob ^ n'a en vue

* Genèse m, 15.

2 Genèse IX, 17.

3 Genèse XLIX. Silo, ville d'Éphraïm, dont la position centrale

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que les douze tribus et non la domination de Juda sur le reste du monde. La prophétie de Balaam^ vante, il est vrai, la force et la grandeur d'Israël, mais ne lui propose pas de but plus élevé que la ruine de Moab et l'asservissement d'Edom. La promesse du Deutéronome^ ne franchit pas l'horizon de la Judée : elle s'applique uniquement au prophétisme hébreu etn'a pas le moindre pressentiment du Messie, ni des temps messianiques. Ce pressentiment peut se lire avec plus de raison dans les promesses faites à Abraham et à Jacob '^. Ces pro- messes signifient : toutes les nations porteront envie à Israël, le déclareront bienheureux, se serviront de son nom comme d'une formule de bénédiction , disant : «Puissions-nous, puissiez-vous jouir du même bon- heur qu'Israël ! » Ce désir des nations proclame l'in- contestable supériorité du peuple qui doit briller d'un si vif éclat. La vocation messianique se trouve ainsi placée comme une promesse et un programme au ber- ceau même d'Israël, qui n'en eut vraiment conscience en la personne de ses prophètes que dans sa lente et laborieuse maturité.

Il est facile de comprendre que dans les temps agi- tés des Juges ou sous le règne belliqueux de David, on ait eu peu de loisir pour les théories. Il ne s'agissait pas alors de gouverner l'univers , mais de s'établir so- lidement dans un petit pays dont on disputait chaque

convenait à la capitale du nouvel État. L'arche d'alliance y demeura jusqu'au temps de Samuel. «Jusqu'à ce qu'il vienne à Silo, » signifie donc : Jusqu'à ce que le peuple soit installé dans le pays de Canaan.

1 Nombres XXIV.

» Deutér. XVIII, IS et suiv.

^ Genèse XII, 2, 3; XViU, 18; XXII, 18; XXVI, 4; XXVilî, 14,

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lambeau les armes à la main. Lorsque la possession de la Palestine fut incontestée, sous un Salomon, si les notions religieuses ne s'étaient pas obscurcies et sin- gulièrement mélangées au contact des religions indi- gènes, les prétentions théocratiques auraient pu se développer. Mais le pouvaient-elles sous ce voluptueux monarque, adorateur de plusieurs dieux i? Nous ne savons malheureusement rien de certain sur la situa- tion ni sur les idées des Israélites à cette époque. La critique conteste à David la plupart des psaumes ins- crits sous son nom; ce qui nous empêche d'en rien dé- duire avec certitude pour notre sujet. L'Ecclésiaste et les Proverbes, attribués à Salomon, ne renferment au- cun trait messianique. C'est alors que fût bâti le temple de Jérusalem, qui devint le centre du culte de Jého- vah et, plus tard, le point de ralliement de toutes les espérances. Cette époque de David et de Salomon ap- parut dans la suite comme l'âge d'or de l'histoire Is- raélite : les ennemis vaincus , Sion conquise et embel- lie, toutes les tribus soumises à une autorité centrale, le roi honoré , son alliance briguée par les princes voi- sins ou même lointains, une paix profonde et glorieuse succédant à de glorieuses conquêtes, le culte de Jého- vah recevant une magnifique et solennelle consécra- tion, tel fut le fond brillant sur lequel brodèrent en- suite les imaginations, exallées par l'humihation, la crainte ou la souffrance. Le schisme et les guerres ci- viles ou étrangères qui succédèrent à ce temps si court d'unité et de repos contribuèrent à le faire briller et regretter davantage. David et le fds de David restèrent

1 1 Rois XI.

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les héros du peuple; la légende s'empara de leur his- toire, et les esprits se consolèrent sans cesse des mal- heurs présents en reconstruisant pour l'avenir ce beau passé disparu.

Ce sont surtout les prophètes qui excitèrent et entre- tinrent en Israël ces espérances , si intimement liées à leur foi en Jéhovah et en sa protection spéciale. Ils ont été les représentants et parfois les martyrs du mo- nothéisme au milieu d'un peuple destiné à garder et à répandre dans le monde le monothéisme. Ils ont vécu dans l'attente du bouleversement final , qui de- vait donner raison à leur foi , et livrer l'univers au peuple élu. Tous ou presque tous ont indiqué les cir- constances précises, les conditions exactes, les pré- sages certains du triomphe d'Israël et de la soumission des Gentils. En vain, siècle après siècle, génération après génération , prophète après prophète , voyaient les événements démentir sans pitié toutes les prédic- tions, le prophète survenant ne se sentait pas ébranlé, espérait contre toute espérance, expliquait les faits au profit de son idée, et attendait pour lui-même ce que ses prédécesseurs avaient inutilement attendu. Émou- vant spectacle ! Admirable confiance ! Il y avait sous ce flot mobile d'illusions que chaque jour transfor- mait, un roc éternel que le temps n'a pas déraciné; ils ont vraiment deviné l'avenir ; leur foi ne les a pas trompés !

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CHAPITRE IV.

JOËL. AMOS. OSÉE. ZACHARIE IX A XL

§ 4. Le plus ancien des prophètes dont les écrits nous soient parvenus est Jo'él^ fils dePéthuel. Son livre, fort court, se divise en deux parties, l'une de tristesse, d'anxiété, d'exhortation à la repentance; l'autre de joie, de promesses , d'espérances. Comme le feront plus tard, à son exemple, tous les autres prophètes, Joël attend prochainement le jugement de Jéhovah , qui livrera le monde aux Israélites ; il rattache à cette attente les circonstances du temps présent; les maux comme les biens lui sont de sûrs indices que le mo- ment arrive. Le schisme est depuis longtemps con- sommé. Joël habite le royaume de Juda, et ne daigne pas même tourner les yeux sur l'état voisin ; c'est à Jérusalem qu'est réservée la gloire et à ceux qui lui sont demeurés fidèles. Quelque temps auparavant , des incursions de Phéniciens et de Philistins avaient pé- nétré sur le territoire de Juda, jusque dans Jérusa- lem, avaient pillé les trésors sacrés, et emmené bon nombre de prisonniers , pour les vendre comme es-

1 Nous avons consulté avec le plus grand profit, pour ces études sur les prophètes : Ewald , Die propheiischen Bûcher des A. T. \ 840. Hilzig, Exegetisches Handbuch zum A. T. 1838 et suiv. Umbreit, Prakiischer Commentar ûber die Propheten des A. B.

1844. Bunsen , Bibelwerk.

Knobel, Der Prophetismus der Hebraser. 1837. Kœster, Die Propheten des Alten und Neuen Tesiamentes. 1838. Stœhelin , Die messianischen fVeissagimgen.

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claves. De plus, une effrayante invasion de sautereHes ravageait le pays. Des critiques autorisés placent ce fléau vers le comrnencenfient du règne de Joas, entre 870 et 860. Ce fut l'occasion des prophéties de Joël. Rien ne subsistait sur le passage de ces formidables colonnes d'insectes. La disette était dans toutes les maisons, l'épouvante dans tous les cœurs. Le prophète considère cette calamité comme un prélude du juge- ment dernier : il exhorte ses concitoyens à un jeûne solennel. Il est assuré que leur repentance apaisera Jéhovah , qui ne peut pas laisser périr son peuple. «Que les prêtres, les serviteurs de Jéhovah, aillent pleurer entre le portique et l'autel , et qu'ils disent : Jéhovah, épargne ton peuple! Ne livre pas ton héritage à la honte , en sorte que les nations s'en moquent ! Pourquoi dirait-on parmi les païens : est leur Dieu?;) Ainsi se termine la première partie.

Nous manquons de renseignements sur ce qui se passa dans l'intervalle. Il est probable qu'un violent orage dispersa les sauterelles. Le vent du midi les avait amenées , le vent du nord les emporta. La seconde par- tie les montre dispersées aux quatre coins des cieux, la Judée délivrée, les pâturages reverdissants, les granges pleines de grains, les cuves débordant de vin et d'huile. La foi du prophète a été justifiée. Aussi elle s'exalte , et comme elle avait vu dans le fléau l'annonce du jugement dernier, elle voit dans la délivrance le symptôme de l'âge messianique, c'est-à-dire de la do- mination joyeuse, incontestée, universelle du peuple de Jéhovah , au milieu de l'abondance , après la ruine de ses ennemis. Nous allons citer tout au long, parce que c'est ici le point de départ de la prophétie , et le s. ''

^

18 résumé des idées fondamentales que nous retrouverons dans la suite sous des formes et en des circonstances diverses.

II. 25. «Je vous restituerai les années qui ont été dévorées par les sauterelles , ma grande armée que j'ai envoyée contre vous. Vous mangerez et vous vous ras- sasierez, et vous célébrerez le nom de Jéhovah votre Dieu, qui a fait pour vous des merveilles, et jamais mon peuple n'aura plus à rougir...

III. « Il arrivera ensuite que je répandrai mon esprit sur toute chair; vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes , vos jeunes gens des visions ; même sur les serviteurs et sur les servantes je répandrai mon esprit dans ces jours-là. Je mettrai des signes aux cieux et sur la terre, du sang, du feu, et des colonnes de fumée ; le soleil se changera en té- nèbres et la lune en sang, en signe du jour de Jéhovah, du grand et redoutable jour. Et il arrivera que qui- conque invoquera le nom de Jéhovah sera sauvé. Car le salut se trouvera sur la montagne de Sion et dans Jérusalem , ainsi que Jéhovah l'a dit, et ceux que Jé- hovah appelle, seront parmi les rachetés !

IV. (( Car voici , dans ces jours-là et dans ces temps- , je ferai revenir les prisonniers Judéens et Jérusalé- mites. Je rassemblerai tous les peuples, et les ferai descendre dans la vallée de Josaphat^, et là, je leur ferai leur procès à cause de mon peuple et d'Israël , mon héritage, qu'ils ont dispersé parmi les nations...

«Que me voulez-vous, Tyr et Sidon, et toutes les provinces des Philistins?... Bientôt, bientôt, je ferai

* Josaphat signifie : Jéliovalj juge, cf. 2 Chron. 20.

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relomber votre mauvaise acticn sur vos têtes, vous qui m'avez pris mon argent et mon or, et qui avez emporté dans vos temples mes précieux joyaux , vous qui avez vendu les fils de Juda, les fils de Jérusalem aux fils des Grecs , pour les éloigner autant que possible de leur patrie !. . .

(( Publiez ces choses parmi les nations ! Préparez la guerre , excitez les héros ! Que tous les hommes de guerre montent et s'approchent ! Forgez avec vos char- rues des épées, et des lances avec vos serpes ! . . . Ac- courez tous, peuples d'alentour!... Jéhovah , fais-y descendre tes héros M Que les peuples s'éveillent et montent à la vallée de Josaphat! Car c'est que je siégerai pour juger toutes les nations d'alentour. Mettez la faucille, car la moisson est mûre. Venez et foulez, car le pressoir est plein; les cuves débordent...

« Des foules , des foules dans la vallée du jugement ! Car le jour de Jéhovah est proche. Le soleil et la lune s'obscurcissent , et les étoiles perdent leur éclat. Jého- vah rugit de Sion ; il élève sa voix depuis Jérusalem : les cieux et la terre tremblent. Mais Jéhovah est un asile pour son peuple, et un abri pour les fils d'Israël. Vous connaîtrez que c'est moi, Jéhovah, qui suis votre Dieu , et que j'ai établi une demeure à Sion , ma sainte montagne. Jérusalem sera sacrée , et les étrangers n'y entreront plus!...

« Il arrivera dans ce temps-là que les montagnes dé- goutteront de vin doux, que les collines ruisselleront de lait, que dans toutes les plaines de Juda les eaux couleront, que de la maison de Jéhovah jaillira une

1 Dans la vallée de Josaphat.

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source qui arrosera même la vallée de Sittim '^. L'Egypte deviendra une solitude et l'Edomie un désert, à cause de leur violence à l'égard des fils de Juda .... Mais Juda subsistera toujours et Jérusalem de génération en génération ! ...»

Dans ces paroles du plus ancien prophète , qui se répercuteront à travers les prophéties de presque tous ses successeurs, se trouvent clairement annoncées deux choses : le jugement de Jéhovah sur les peuples , et une ère définitive de bonheur complet pour les Israélites. Ce jugement de Jéhovah, le prophète le voit dans un prochain avenir, puisqu'il en attend , comme effet im- médiat , le retour des Israélites enlevés par les Phéni- ciens et les Philistins, et vendus comme esclaves aux Grecs. Les peuples que ce jugement frappera sont ces deux voisins, plus les Édomites et les Égyptiens «peu- ples d'alentour.» Le cercle géographique n'est pas très- étendu. Joël pense que ces peuples tenteront encore une fois d'envahir la terre sainte : ils monteront contre Jérusalem. Les héros de Jéhovah , les guerriers de la ville sainte descendront au devant d'eux. La rencontre aura lieu dans la vallée de Josaphat, choisie par le pro- phète, soit à cause de son nom significatif, cde juge- ment de Jéhovah,» soit en souvenir de batailles déjà livrées en ce lieu. Les Israélites seront vainqueurs, et enverront leurs captifs dans l'Orient lointain , les ven- dront aux Arabes du désert, comme les captifs pris en Judée avaient été vendus à l'extrême Occident (IV,

1 On ne sait pas exactement il faut placer cette vallée des acacias. Il y a un Sittim de l'autre côté du Jourdain. Il s'agit ici de quelque vallée renommée pour sa sécheresse , ou fort éloignée de Jérusalem.

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6 à 8). Cette terrible exécution, qui livrera les nations à Israël , sera accompagnée de signes étranges au ciel et sur la terre , et sera suivie pour le peuple de Jéhovah d'une ère indéfinie de prospérité, tandis que les pays voisins seront réduits en solitude. L'élément spirituel n'est pas absent: l'esprit prophétique, au lieu d'être le partage d'un seul ou de quelques-uns , sera répandu sur tous à des degrés divers, selon les âges et les con- ditions. Tous les Israélites participeront à ce bienfait: les païens seuls seront exclus , car le salut est attaché à Jérusalem. On pourrait entrevoir une lueur d'univer- salisme dans ces mots: «Quiconque invoquera le nom de Jéhovah sera sauvé,» si les mots qui suivent immé- diatement n'avertissaient qu'il s'agit de ceux qui se réclament du nom de Jéhovah en leur qualité de mem- bres de son peuple et d'habitants de la montagne sainte. Joël ne prévoit aucun changement dans la constitution civile ou religieuse du peuple, ne préco- nise aucun Messie, et ne surcharge d'aucune compli- cation les traits de son tableau apocalyptique. L'ab- sence d'écrits prophétiques antérieurs nous empêche de comprendre comment s'était formée dans ses dé- . taiis cette attente du jugement final et du prochain triomphe, et la part qu'il faut faire dans ce tableau à la tradition et à l'initiative du prophète.

Les esclaves hébreux ne furent pas rendus. Philis- tins et Phéniciens vécurent comme par le passé. La vallée de Josaphat ne fut témoin d'aucune catastrophe. Rien ne changea aux cieux et sur la terre, et l'attente de Joël fut ajournée.

§ 2. Amos, berger à Thékoa, petite ville au sud de Jérusalem, reprit, plus d'un demi siècle ensuite, ces

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prophéties suspendues. Ce fut sous les règnes d'Osias, roi de Juda, et de Jéroboam II, roi d'Israël, entre 811 et 784. L'important royaume d'Israël, dont Joël ne s'était pas même occupé, attira vivement l'attention d'Amos, et l'arracha aux paisibles travaux de Thékoa , pour le jeter dans le périlleux ministère de la prophétie. Il quitta ses troupeaux, se rendit au milieu des prêtres et des grands du royaume du JYord, et leur dénonça énergiquement leurs péchés et la colère divine. Sous le long et glorieux règne de Jéroboam II, le royaume avait atteint une situation prospère; mais la corruption avait marché d'un pas plus rapide encore que la pros- périté. D'après Amos, l'iniquité était à son comble; les riches opprimaient scandaleusement les pauvres; l'idolâtrie s'était établie au grand jour avec tout son cortège de rites infâmes; le culte de Jéhovah était abandonné ou déshonoré par des pratiques crimi- nelles. Le prophète importun fut chassé par le grand- prêtre Amasia, avec l'agrément du roi. Il revint chez lui, probablement il rédigea et compléta ses dis- cours.

Il reprend, justifie, continue les prophéties de Joël. Il étend le cercle de ses menaces. Dans huit prophéties successives et de forme semblable, il annonce à huit peuples, dont les deux derniers sont Juda et Israël, le châtiment et la ruine. Non-seulement «les peuples d'alentour, i) comme le pensait Joël, mais les enfants d'Israël eux-mêmes, les deux royaumes subiront le ju- gement à cause de leurs péchés. Gomme ses prophéties sont toutes débordantes de menaces, Amos se sent con- traint de les terminer par les promesses et les espé- rances messianiques, tant la conviction s'était enraci-

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née, que nul châtiment, si sévère et si bien mérité qu'il fût, ne pouvait amener la ruine définitive du peuple élu, ni anéantir son droit à la domination du monde. Les menaces sont terribles :

IX, 1. «Je vis le Seigneur se tenant près de l'autel', et il dit 2 : Frappe le chapiteau de telle sorte que le temple en soit ébranlé, et brises-en les morceaux sur leurs têtes! J'exterminerai par l'épée ce qui restera. Nul d'entre eux ne pourra échapper. S'ils pénètrent dans les enfers, ma main les en arrachera; s'ils montent aux cieux, je les en ferai descendre; s'ils se cachent sur la cime du Carmel, je les y découvrirai et les en arra- cherai ; s'ils se dérobent loin de mes regards au fond de la mer, j'ordonnerai au serpent de les mordre; s'ils se laissent emmener captifs par leurs ennemis, j'ordon- nerai au glaive de les égorger...! Voici, les yeux du Seigneur Jéhovah sont fixés sur le royaume coupable : je le ferai disparaître de la surface de la terre!»

Après ces paroles, le prophète est effrayé lui-même de sa violence, et il ajoute : «Cependant je ne ferai pas entièrement disparaître la maison de Jacob, affirme Jéhovah. Car voici, je donnerai mes ordres, je secoue- rai parmi tous les peuples la maison d'Israël , comme on secoue le blé avec le van , sans qu'un seul grain tombe à terre. Mais les pécheurs de mon peuple péri- ront par l'épée. En ce jour je relèverai la maison écroulée de David, et je la rebâtirai comme aux jours d'autrefois, afin que les enfants d'Israël s'emparent du reste d'Édom et de toutes les nations sur lesquelles est

1 L'autel du temple des faux dieux , le proplièle suppose que tout le peuple est rassemblé. - A l'un des anges ou au prophète.

prononcé mon nom^. Voici, les jours viendront, dit Jéhovah, le laboureur touchera le moissonneur, et celui qui foule le raisin, celui qui répand la semence^

«Les montagnes dégoutteront de vin, et les collines en ruisselleront. Je ferai revenir les exilés de mon peuple d'Israël; ils rebâtiront les villes désertes et y habiteront; ils planteront des vignes et boiront eux- mêmes leur vin; ils cultiveront leurs jardins et en mangeront les fruits. Je les planterai sur leur propre sol, et ils ne seront plus arrachés du terrain que je leur aurai donné, dit Jéhovah! »

Joël n'avait vu, entre le moment il écrivait et ce- lui où l'ère messianique devait commencer, d'autre in- termédiaire que le jugement et le châtiment des enne- mis du peuple. Amos met un plus grand intervalle : il fait intervenir le jugement et le châtiment des enfants de Jacob. Ils seront secoués parmi les nations, comme le blé dans un van. Si Joël semblait admettre que tout membre du peuple élu qui en revendiquerait la qualité, devait participer à la gloire et au bonheur prédits, Amos attend une distinction, un discrimen, une sépa- ration entre les bons et les méchants. Ceux-ci, quoi- qu'ils fassent partie du peuple, seront exclus du relè- vement. Ils périront par l'épée; ils seront la balle qui s'échappe du van, les grains de blé demeurent. Puis les exilés reviendront à la fm de leur épreuve, la mai- son de David reprendra sa splendeur première, le

^ En signe de menace ou bien : qui sont ma propriété, dont je peux disposer à mon gré, comme l'esclave est désigné par le nom de son maître.

2 II y aura une telle abondance que la vendange durera jusqu'aux semailles, et la moisson jusqu'au labour.

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schisme cessera, les deux royaumes n'en feront plus qu'un, et tous les Israélites couleront des jours pai- sibles au sein de l'abondance.

Nous avons là, à peu de chose près, les éléments messianiques de toutes les prophéties ultérieures. Ce sont du moins les traits généraux. Les détails varieront selon les temps et les théâtres. Ici toutefois, la domina- tion que promet le prophète n'a encore rien de religieux ni de spirituel. C'est dans ce sens que l'idée messia- nique a le plus de progrès à faire.

§ 3. Cependant le royaume d'Israël continuait à suivre les mêmes errements. Le vieux Jéroboam II ve- nait de mourir. A peine sa main énergique a-t-elle cessé de tenir les rênes, que l'anarchie et la guerre civile se déchaînent avec violence. Zacharie, Sallem, Menahem se succèdent rapidement sur les degrés san- glants du trône. Les Assyriens pressent au Nord, les Égyptiens pressent au Sud. En face de ce double dan- ger, les esprits se divisent, deux partis opposés se forment parmi le peuple et dans les conseils du roi. Les uns veulent se jeter dans les bras de l'Egypte, les autres se livrer à l'Assyrie. Menahem accepte ce dernier avis; il appelle Phul , et lui promet en échange de son alliance de grosses sommes d'argent, dont le paiement écrase le peuple. C'est dans ces circonstances critiques que prophétisa Osée, fils de Bééri. Habitant du royaume du Nord, écrivain un peu rude et inculte, Osée semble avoir connu les prophéties d'Amos, qui ne doit lui être antérieur que de quelques années. Il s'élève avec une grande force contre les vices, les crimes, l'idolâtrie de ses compatriotes. Il leur prédit les plus grands mal- heurs, la défaite, l'exil, la ruine, la mort. Il prévoit que

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le peuple, corrompu dans ses mœurs, affaibli par ses discordes, abandonné de son Dieu, deviendra prochai- nement la proie de ses deux redoutables voisins, que les Assyriens, dont la puissance grandit chaque jour, dévoreront ceux qui les appellent si imprudemment, et que les Égyptiens les aideront dans cette œuvre de destruclion. Il semble un moment espérer un sort meilleur pour le royaume de Juda; mais ayant appris sans doute à le connaître de plus près, et y ayant re- marqué les mêmes misères, il renonce tristement à son espoir, et menace Juda des mêmes calamités qu'Israël.

Un des traits distinctifs de ce prophète est le carac- tère hypothétique de ses menaces. A quelque degré de culpabilité que soit descendu son peuple, il ne peut se résoudre à le condamner sans appel. 11 croit que la re- pentance peut encore écarter tous les maux qu'il pré- dit, et qu'elle sera une plus sûre et plus prompte pré- paration à l'âge messianique que les châtiments. Pour provoquer cette repentance salutaire, il fait briller de- vant les regards les biens qu'elle amènerait :

II, 1. «Le nombre des enfants d'Israël sera comme le sable de la mer, qu'on ne peut mesurer ni calculer. Au Heu de leur dire : «Vous n'êtes pas mon peuple,» on les appellera fds du Dieu vivant! Les fils de Juda et les fils d'Israël se réuniront ensemble et se donne- ront un seul chef..! »

Mais il est douteux que cette repentance se produise maintenant; elle ne sera amenée que par l'épreuve. C'est ce qu'Osée exprime en termes touchants que d'autres prophètes relèveront après lui : «C'est pour- quoi, voici, je l'attirerai et la conduirai dans le dé- sert, et je parlerai à son cœur. Je lui donnerai ses

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vignobles, et la vallée d'Achor sera comme une porte d'espérance^. Elle y chantera comme aux jours de sa jeunesse, comme aux jours de sa sortie d'Egypte, et il arrivera en ce jour là, dit Jéhovah, que tu t'écrieras : mon mari! et non plus mon maître!... Et je ferai pour eux dans ce jour un contrat avec les bêtes des champs et les oiseaux du ciel et les reptiles de la terre. Je bri- serai arc, épée et guerre, et les jetterai loin du pays, et je ferai en sorte qu'on y habite avec sécurité. Dans ce jour j'exaucerai les cieux et ils exauceront la terre, et la terre exaucera le blé, le vin et l'huile... et je ferai grâce à Disgraciée, et je dirai à Tu n'es plus mo7i peuple : a Tu es mon peuple » et il me répondra : «Tu es mon Dieu! »

Au chapitre III, il revient sur cette pensée que le châtiment produira la repentance, et la repentance tous les heureux fruits de l'âge messianique : «Les fds d'Israël resteront de longs jours sans roi, ni prince, ni sacrifice, ni statue, sans éphod ni théraphim. » Ce qui veut dire, d'après l'allégorie dont ces mots sont précé- dés dans le texte, que pendant un temps assez long, temps d'épreuve, les Israélites seront privés de tout culte, aussi bien du vrai Dieu que des faux dieux, afin qu'ils aient le loisir et le recueillement nécessaires pour entendre les reproches de leur conscience et se livrer au repentir. «Ensuite les fils d'Israël se convertiront, et ils chercheront Jéhovah leur Dieu et David leur roi; et ils accourront tout tremblants au devant de Jéhovah

' AcIior = amertume. Ou bien il veut dire que les amertumes de l'épreuve ouvriront la porte à l'epérance; ou bien il désigne la vallée d'Achor, qui est à la limite nord de Juda, comme le lieu par l'on pourra espérer de rentrer dans la patrie.

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et de sa bénédiction à la fin de ces jours. » La même espérance se reproduit un peu plus loin en termes obs- curs, mais expressifs : a La faute d'Éphraïm est liée, son péché est scellé^. Les douleurs d'une femme en couches vont lui survenir. C'est un fils insensé qui ne se trouve pas à temps à l'issue de la matrice... Je les arracherai à l'étreinte de l'enfer; je les délivrerai de la mort. sont tes pestes, ô mort? est ton aiguil- lon, ô enfer?-» On voit le sens de cette allégorie. L'Éphraïm inconverti doit donner naissance à un nou- vel Éphraïm plus pieux et plus heureux. Ce qui doit amener la transformation, c'est la souffrance; ce sont les douleurs de l'enfantement. Mais si le nouvel Éphraïm tarde à sortir du sein de l'autre, ils risqueront de périr tous les deux. C'est ce que Jéhovah ne pourra pas per- mettre.

Le dernier chapitre est une pressante péroraiso n « Reviens, Israël, à Jéhovah ton Dieu : car tu es tombé par ta faute! Faites provision de bonnes paroles et re- venez à Jéhovah! Dites -lui : Pardonne toute notre faute, et veuille agréer que nous t'offrions le sacrifice de nos lèvresM Ce n'est pas l'Assyrien qui nous aidera... Nous ne dirons plus: tu es notre Dieu, à ce qui est l'œuvre de nos mains, ô toi près de qui l'orphelin trouve grâce! j> Voici quelle sera la réponse de Jéhovah aux Israé- lites repentants: «Je guérirai votre infidélité*. Je les aimerai volontiers, car ma colère s'est éloignée d'eux.

1 C'en est fait: on ne peut plus revenir sur le passé; il faut main- tenant que la justice ait son cours.

2 Cf. 4 Cor. XV, 55.

5 Nos hommages et nos prières.

* II considère le péché comme une maladie.

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Je serai comme une rosée pour Israël; il fleurira comme un lis; il jettera des racines comme le Liban. Ses re- jetons s'étendront; son éclat sera comme celui de l'oli- vier, et son odeur comme celle du Liban. Ceux qui ont leurs demeures à son ombre reviennent^ produisent du froment, prospèrent comme la vigne. Leur réputa- tion est comme celle du vin du Liban. Qu'Ëphraïm dise seulement." Qu'ai-je à faire encore avec les idoles? et moi, je l'exaucerai, je le regarderai avec amour; je serai sur sa tête comme un cyprès verdoyant; c'est de moi que tu recevras tes fi'uits! »

Ces images incohérentes sont une peinture de l'âge messianique, que la repentance introduira. Le peuple d'Israël renouvelé, r(?^e?ie'r(?' par la souffrance, jouira de toutes sortes de biens dans son pays fortuné. Osée attend aussi, comme Amos, la réunion des deux royau- mes. Quoiqu'on sente bien que son cœur est avec le royaume du Nord, sa patrie, il ne peut cependant se décider à séparer Juda des destinées d'Israël : cette division est contre nature. Dégoûté des continuels changements de maître et de dynastie dont le peuple est la première victime, il tourne ses regards et ses désirs vers la paisible et immuable maison de David. C'est un roi de cette maison privilégiée qui doit régner sur le peuple de Dieu. Osée est trop fatigué des agita- tions et des tumultes de son temps pour souhaiter en- core la guerre dans l'âge messianique. Il soupire après la paix, après le moment « Jéhovah brisera' les arcs, les flèches et la guerre, et l'on pourra vivre dans la sécurité. » Il désire moins la domination du monde

1 Les Israélites exilés reviendront.

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que le repos, l'ordre, la paix, dans rabondance et la piété.

§ 4. Ce même sentiment se retrouve chez un autre prophète, dont le nom, l'âge, la patrie nous sont in- connus, mais que plusieurs indices portent à placer dans ce même temps. C'est l'auteur des Ghap. IX A XI DE Zagharie. Dans ces pages, comme dans le livre d'Osée, ce sont les Égyptiens et les Assyriens qui se lèvent menaçants à l'horizon. C'est un temps de meur- tres et d'anarchie. Il n'y a pas de roi , tant les rois se succèdent avec rapidité. C'est un interrègne, un chaos. Le prophète prévoit encore des maux plus dangereux, d'effroyables bouleversements (IX, 1 à 8). Puis, fatigué de tant de guerres et de bruits de guerres, il s'arrête, il repose ses regards sur des images pacifiques. Après tant de combats, le roi d'Israël cessera de guerroyer, d'être un chef d'armée: il répudiera les insignes du combat, les armes, le fougueux cheval de bataille; on le verra paisiblement cheminer sur un âne, et un pro- fond repos s'étendra sur les deux royaumes, comme sur le monde entier, ce Aie grande joie, fille de Sionî Réjouis-toi, fille de Jérusalem ! Voici, ton roi vient à toi, juste et vainqueur, débonnaire et monté sur un âne, sur le poulain d'une ânesse. Je détruirai les cha- riots d'Éphraïm et les chevaux de Jérusalem. Tout arc de guerre sera détruit. -Il déclarera la paix aux na- tions, et sa domination s'étendra d'une mer à l'autre, depuis le» Fleuve jusqu'aux confins de la terre'. »

Le roi est mis plus avant sur la scène que chez les

' De la mer Méditerranée à la mer Rouge , et du Nil jusqu'au terres sans nom du fond de l'Asie. C'est tout l'horizon géographique des Israélites de cette époque.

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prophètes antérieurs. Sans doute, il n'est encore ici que le représentant de son peuple; mais il se dégage déjà assez nettement sur le fond commun. Joël ne l'avait pas vu. Amos ne parlait que de la maison de David. Osée place un roi quelconque de cette maison à la tête des deux royaumes. Notre anonyme donne à ce roi un rôle, un caractère, et pour ainsi dire, une phy- sionomie qui attire les regards. C'est ce roi qui a dompté les ennemis avec le secours de Jéhovah; c'est lui qui fait son entrée pacifique sur un âne; c'est lui qui ac- corde la paix aux nations; c'est lui qui étend sa domi- nation, c'est-à-dire celle de son peuple, d'une mer à l'autre et jusqu'aux extrémités de la terre. Cette image ne se perdra pas. Nous allons la voir se refléter plus brillante, mieux ornée, plus complète, dans les pro- phètes qui suivent.

CHAPITRE IIL

ÉSAÏE, FILS d'AMOS. MIGHÉE. (PÉRIODE ASSYRIENNE).

§1. Nous arrivons au livre prophétique le plus im- portant, celui qui porte le nom d'Ésaïe, fils d'Ainos. Ce livre, à proprement parler, est une anthologie. Sur les 66 chapitres dont il se compose, une quarantaine appartiennent à d'autres auteurs que celui qui a fourni son nom au recueil. La seconde partie, de 40 à 66, nous occupera plus tard. Dans la première partie on peut éliminer avec assez de certitude ceux des mor- ceaux qui montrent, par des allusions à des faits pos- térieurs, qu'ils ne proviennent pas d'Esaïe. Il est tou- tefois bien difficile de déterminer exactement ce qui lui appartient, et encore plus d'introduire dans ses

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prophéties l'ordre chronologique. Nous nous borne- rons aux passages qui sont de lui le plus manifeste- ment, et nous en traduirons plusieurs en entier, parce qu'ils développent longuement les idées et les espé- rances dont nous retraçons l'histoire.

ÉsAÏE, fils d'Amos, habitant de Jérusalem, com- mença à prophétiser l'année de la mort d'Osias, l'an 759 selon une chronologie, 747 selon une autre, et conti- nua sous les règnes de Jotham, d'Achaz et d'Ezéchias, c'est-à-dire pendant toute la seconde moitié du huitiè- me siècle. Osias avait laissé à son fds Jotham le royanme de Juda paisible et florissant. Celui-ci le maintint dans l'état son père le lui avait légué. Cependant la con- science du prophète n'était pas satisfaite. Cette prospé- rité ne lui paraît pas reposer sur une base solide; les péchés de la nation sont graves; aussi prévoit-il, mal- gré de si belles apparences, un avenir de châtiment et de misères. Syriens et Assyriens dévasteront le pays, le dépeupleront. Ceux qui seront épargnés, instruits enfin par de si grandes catastrophes, s'attacheront de tout leur cœur à Jéhovah. Ils auront eu le privilège de ne pas quitter la ville sainte : ils seront comme la souche restée en terre, la racine invisible de laquelle un reje- ton sorlira, qui formera de nouveau un grand arbre. Mais avant d'en arriver là, il faut qu'une destruction complète passe sur le pays. Tel est le sens de la pro- phétie qui est la première en date, la vocation d'Ésaïe.

YI, 9. «Va et dis à ce peuple: Vous entendrez, mais vous ne comprendrez pas etc. El je dis: Jus- qu'à quand, Seigneur? Et il dit: Jusqu'à ce que les villes s'écroulent, vides d'habitants, et les maisons, vides de gens, et que le pays soit réduit en désert. Je-

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. hovah éloignera tout homme, et la solitude sera grande dans l'intérieur du pays. Et quand il n'y en aurait plus qu'un dixième, ce dixième sera encore livré à la des- truction. Mais de même que le térébinthe et le chêne, quand on les abat, laissent une racine, ce qui restera du peuple sera une sainte semence !...»

Cette époque de ruine ne tardera pas; car si Esaïe la prévoyait déjà sous le règne vigoureux de Jotham, que sera-ce sous son faible successeur? Le jeune et fol Achaz en effet, présomptueux dans la prospérité, lâche devant le péril, n'inspire aucune crainte aux rois d'E- phraïm et de Syrie, qui se concertent pour anéantir la maison de David, et placer sur le trône de Juda une de leurs créatures. A l'approche des armées ennemies, Achaz se trouble. Il ne voit d'autre moyen de salut que d'appeler à son secours les Assyriens. Esaïe tente inu- tilement de lui rendre courage, de le dissuader de son humiliant et dangereux dessein; il lui annonce la ruine prochaine des deux princes et des deux peuples devant lesquels il tremble : Éphraïm et la Syrie se sont en vain coalisés pour se défendre contre l'envahissement des Assyriens ; c'est en vain que dans le même but ils cherchent à augmenter leurs forces en y joignant celles de la Judée qu'ils attaquent. L'Assyrie est déjà trop puissante et s'étend trop rapidement pour qu'ils lui ré- sistent longtemps encore. Elle les engloutira bientôt. C'est elle qui est à craindre. Sans qu'on l'appelle, elle saura bien réduire à son obéissance les ennemis qui attaquent Juda. Voilà la bonne nouvelle qu'Esaïe fait entendre au roi. Mais il la fait suivre d'une menace. Juda lui-même ne peut manquer de succomber sous les coups des Assyriens et des Egyptiens, soit réunis, s. ^

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soit divisés. Le royaume sera dévasté et mis en friche. Les quelques habitants qui y demeureront n'auront plus d'autre nourriture que le lait des animaux qu'ils feront brouter au milieu des ruines, et le miel sauvage. Cette délivrance et cette catastrophe, amenées par les mêmes mains, se suivront de si près que le même enfant à qui l'on aura pu donner à sa naissance le nom Dieu- est-avec-noiis , en signe de la défaite des deux alliés , sera témoin, et assez promptement, de la grande mi- sère qui doit survenir: lui aussi en sera réduit au lait et au miel sauvage. Cet enfant peut être le premier venu, et sa mère, une des femmes présentes au dis- cours d'Ésaïe; elle peut être aussi la femme du pro- phète, soit la mère de ses deux autres fils, qui portent également des noms symboliques, soit une seconde femme; elle peut enfin être une des femmes de la mai- son royale, et l'enfant peut, dans la pensée d'Ésaïe, dé- signer le Messie. Quoi qu'il en soit, le sens est le même: la dispersion et la ruine des deux armées coalisées, puis l'attaque et la ruine de Juda par les Assyriens, cette délivrance et ce désastre, tout cela aura lieu suc- cessivement dans le court intervalle qui sépare la nais- sance prochaine de l'enfant du moment il saura dis- tinguer le bien et le mal. Après ces explications préa- lables d'un texte qu'on a obscurci comme à plaisir, écoutons le prophète lui-même:

VII, 10. (( Jéhovah continua de parler à Achaz et lui ' dit: Demande donc un signe à Jéhovah ton Dieu; de- mande-le, d'en bas ou d'en haiit^! Achaz répondit: Je ne demanderai rien, je ne veux pas tenter Jéhovah!

' C'est-à-dire un miracle qui se voie dans le ciel, ou qui ait lieu sur la terre.

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I Alors le prophète dil: Écoulez donc, maison de David! j est-ce trop peu pour vous de fatiguer les hommes, que ; vous fatiguiez aussi mon Dieu ''^ C'est pourquoi le Sei- ; gneur lui-même va vous donner un signe: voici, la jeune femme ^ est enceinte, et elle enfantera un fils et I elle l'appellera Dieu-est-avec-nous. Du lait caillé et du j miel sauvage seront sa nourriture vers le temps il saura rejeter le mal et choisir le bien. Car avant que l'en- fant sache rejeter le mal et choisir le bien, le pays dont les deux rois te jettent dans l'épouvante sera tout aban- donné! Puis Jéhovah enverra sur toi et sur ton peuple et sur la maison de ton père des jours comme il n'en j est point venu depuis le temps Ephraïm s'est séparé I de Juda : ce sera le roi d'Assyrie !... Et il arrivera en ce temps-là que Jéhovah appellera en sifflant les mous- tiques qui sont à l'extrémité des fleuves de l'Egypte, et les abeilles du pays d'Assur^, et ils viendront, et ils se poseront sur les plaines escarpées , dans les fentes des rochers, sur toutes les haies et sur tous les buissons... Et il arrivera en ce temps-là que qui- conque aura une génisse et deux brebis pourra man- ger du lait caillé, à cause de la grande quantité de .lait* ; car c'est de lait caillé et de miel que se nourri- ront ceux qui seront restés dans le pays. Et il arrivera dans ce temps-là que tout terrain se trouvent ac- tuellement mille pieds de vigne de la valeur de mille

1 Le jeune roi faisait des mécontents parmi ses sujets, et fatiguait Dieu par son incrédulité et sa légèreté,

2 LeSmot (HÏÏ'PP} ^^ma signifie Jeune fille nubile, jeune femme : Voy. Prov. XXX, 19. Cantique des Cant. VI, 8.

3 Les innombrables armées d'Egypte et d'Assyrie.

* 11 restera si peu d'habitants en Judée, qu'avec peu d'animaux, il y aura encore trop de lait, quoique le lait et le miel doivent faire alors presque toute la nourriture, tant la misère sera grande.

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pièces d'argent, ne sera plus couvert que de ronces et d'épines; on n'y arrivera qu'avec flèches et arcs, car il n'y aura que ronces et buissons d'épines dans le pays entier!...))

Mais ce n'est pas le dernier plan du tableau. Après la ruine vient le relèvement. C'est la pensée sur laquelle Ésaïe insiste et revient sans cesse ; c'est même sous l'invocation de cette espérance que le livre tout entier est placé; elle en est la note dominante. Toutes ces épreuves doivent servir à améliorer le peuple et à pré- parer l'âge de la perfection et du bonheur.

I, 24. «Voici l'oracle du Seigneur, de Jéhovah des armées, du héros d'Israël: 0 je me satisferai sur mes adversaires, je me vengerai sur mes ennemis! je tour- nerai ma main contre toi; je ferai fondre comme du savon tes scories, j'écarterai tout ton plomb. Je rendrai tes juges comme ils étaient autrefois, et tes conseillers comme jadis. Après cela, tu seras appelé ville de jus- tice, cité fidèle!... Il arrivera à la fin des temps que la montagne de la maison de Jéhovah sera placée sur le sommet des montagnes, sera élevée au-dessus des hau- teurs, et que tous les peuples y accourront. Des na- tions nombreuses y viendront et diront: Allons, mon- tons à la montagne de Jéhovah, à la maison du Dieu de Jacob, pour qu'il nous enseigne ses voies et que nous marchions dans ses sentiers! Car c'est de Sion que sortira la Loi, et la parole de Jéhovah viendra de Jérusalem. Il jugera entre les nations et sera l'arbitre de peuples nombreux. Ils forgeront avec leurs épées des socs de charrue, et avec leurs lances des faucilles. Un peuple ne lèvera plus l'épée contre l'autre, et l'on ne fera plus l'apprentissage de la guerre !))

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On voit à quelle hauteur s'élève le premier et du premier coup le fils d'Amos, l'aigle de la prophétie. Il aura des descriptions plus animées, des promesses plus glorieuses, il peindra l'âge messianique sous de plus riches couleurs, mais nulle part il ne fera une part plus belle aux destinées religieuses de l'humanité. Ce qu'il connaît Je plus grand et de meilleur, la loi, dont la nation est si fière, il veut le donner en partage à tous les peuples. La domination qu'il promet aux Is- raélites sera une domination spirituelle. Jéhovah ne sera plus seulement le punisseur, mais l'arbitre pacifi- que de peuples nombreux. Ce langage était nouveau. Plus tard, probablement vers la fin de sa longue car- rière, il revient encore, et avec de touchants détails, sur cette généreuse intuition. C'est au chap. XIX, dans sa prophétie sur l'Egypte. Il la représente souffrant de la tyrannie, de la guerre civile, de la sécheresse; les chefs sont impuissants, le peuple est dans l'épouvante. ((Ils sont, dit-il, comme des femmes; ils frémissent et ils tremblent sous la main de Jéhovah. » Mais ils fini- ront par comprendre que tous les maux sont envoyés de Jéhovah, et que par conséquent c'est auprès de lui qu'il faut chercher la guérison.

(( En ce jour-là, il y aura cinq villes sur la terre d'E- gypte qui parleront la langue de Canaan * ; l'une d'elles s'appellera ville de délivrance'^. En ce jour un autel

^ Cinq veut probablement dire quelques. Plusieurs villes se trouvent peut-être déjà des Hébreux exilés^, commenceront à parler la langue religieuse d'Israël, et entraîneront tout le pays dans leur foi à Jéhovah.

2 D'après l'étymologie arabe (Hitzig) ou : ville de destruction. Les LXX et certains manuscrits changent le Meyn en Samedi : ville du Soleil, illustre, brillante. (Peut-être une allusion à ow, Hélio- polis ou s'élevait un temple magnifique consacré au Soleil.)

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sera dressé à Jéhovah au milieu du pays d'Egypte, et à sa frontière on élèvera une colonne consacrée à Jé- hovah. Ce sera un signe et un monument en l'honneur de Jéhovah des armées dans le pays d'Egypte, parce qu'ils auront supplié Jéhovah à cause de leurs oppres- seurs, et qu'il leur aura envoyé un sauveur et un dé- fenseur pour les délivrer*. Ainsi Jéhovah se fera con- naître à l'Egypte : les Égyptiens connaîtront Jéhovah dans ce temps; ils. lui offriront des sacrifices et des pré- sents ; ils lui feront des vœux et les tiendront. C'est Jé- hovah qui frappe l'Egypte, qui la frappe et qui la guérit. Ils se tourneront vers Jéhovah : il les exaucera et les guérira ! En ce même temps il y aura une route de l'Egypte en Assyrie , et l'Assyrien ira en Egypte , et l'Égyptien ira en Assyrie, et les Égyptiens avec les As- syriens serviront Dieu. En ce même temps Israël s'adjoindra en tiers à l'Egypte et à l'Assyrie, et il y aura une bénédiction au sein de leur pays, bénédiction que donnera Jéhovah des armées, disant: Béni soit mon peuple, Mitzraïm (l'Egypte), et l'œuvre de mes mains, Assur, et mon héritage, Israël ! i>

Si nous avons dit du passage précédent que nul pro- phète avant Ésaïe ne s'était élevé si haut, nous pouvons dire de celui-ci que nul prophète après lui n'a atteint cette profondeur. Je ne connais rien dans l'Ancien Tes- tament de plus émouvant, de plus humble, de plus évangélique que ces quelques paroles à peine remar- quées. Ce juif qui a passé toute sa vie à maudire l'E- gypte et l'Assyrie, qui est si fier des privilèges de sa race, qui regarde de si haut le reste du monde, qui a

* C'est probablement le Messie, le roi d'Israël, qui interviendra de sa main puissante chez les peuples voisins.

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tant souffert des insolences de ses deux puissants voi- sins, qu'on a élevé dans la haine de l'Egypte, qui ex- prime lui-même avec tant de passion les fureurs de la vengeance, tout à coup saisi de compassion, d'amour, pour l'ennemi national qu'il voit souffrir, il oublie, il pardonne, il renonce non-seulement à ses haines, mais à ses privilèges , et il confond Egyptiens, Israélites et As- syriens dans une fraternelle étreinte! Israël cesse d'être le peuple spécial de Jéhovah ; les noms dont les fils de Jacob étaient le plus orgueilleux, Ésaïe n'hésite pas à en décorer Mitzraïm et Assur: l'Egypte est le peuple de Jéhovah , l'Assyrie est l'œuvre de ses mains !

Cette domination spirituelle des Hébreux (qui s'élar- git jusqu'à devenir la communion religieuse des peu- ples) n'est pas le seul développement nouveau qu'Ésaïe ait introduit dans les espérances messianiques. C'est lui qui a le premier annoncé un Messie, un chef spé- cial, prédestiné, sous la conduite duquel le peuple de Jéhovah doit marcher à la gloire. Pour ne pas augmen- ter ni diminuer la portée des paroles du prophète, il importe de les citer au complet.

VIII, 23. (( Ce qui est maintenant opprimé ne restera pas toujours dans les ténèbres. Comme d'abord Jéhovah a maudit la terre de Zabulon et la terre de Nephtali, ensuite il les glorifiera, le chemin qui longe la mer, l'autre côté du Jourdain, le district des nations *. Le

* La Galilée des Gentils, ainsi appelée à cause des nombreux étrangers qui s'y étaient établis. Le prophète veut dire que les pro- vinces qui ont été les plus exposées au ravages de l'ennemi, l'extrême Nord de la Palestine, le rivage de la mer, la Galilée, dont les habi- tants ont été emmenés en captivité par Tiglath-Pilésar, les tribus de l'autre côté du Jourdain, dépeuplées par Phul, verront enfin luire

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peuple qui marche dans les ténèbres voit une grande lumière; ceux qui sont assis dans le pays d'ombre mor- telle, sur eux resplendit la lumière. Tu agrandis le peuple, tu augmentes sa joie; ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit au temps de la moisson, comme tressaillent ceux qui se partagent le butin. Car tu brises le joug de son fardeau, le bâton qui frappe ses épaules, la verge de son oppresseur, comme au jour de Midian...\ Car un enfant nous est né; un fils nous est donné ; le pouvoir est sur ses épaules; on l'appellera merveille, conseiller, dieu fort'^ père du butin, prince de paix. Il doit étendre la domination et donner une prospérité ininterrompue sur le trône de David et dans son royaume, qu'il consolidera et fortifiera par le droit et par la jus- tice. C'est le zèle de Jéhovah des armées qui fera ces choses

A cette doctrine du Messie, Ésaïe ajoute celle du Reste, qu'il a rendue populaire par le nom de son fils aîné Schear-iaschoub. L'idée s'en trouve déjà chez Osée. Notre prophète la joint intimement à l'attente du Messie. Les Assyriens décimeront le peuple hébreu ; mais un petit reste sera épargné, et c'est à la tête de ce Reste, franchement rallié au vrai Dieu, que le Messie se met- tra pour chasser l'ennemi et rendre à la Judée son an-

de meilleurs jours au temps du Messie, et que leurs maux seront réparés.

2 La défaite des Assyriens sera aussi complète au temps du Messie que le fut celle des Madianites au temps de Gédéon (Juges VII).

* Ce nom de El, Elohim, est donné à des rois, des princes ou des juges, Ps. LXXXII (cf. Jean X, 34). 11 exprime surtout l'idée de force, de puissance. Dans Ézéchiel XXXI, 11 , il est donné à Nabuchodono- sor ou Cyaxare, El Goïm , prince ou dieu des nations.

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cien éclat, auquel s'ajouteront une puissance et une prospérité nouvelles.

((Il arrivera en ce temps-là que le Reste d'Israël, que les échappés de la maison de Jacob cesseront de s'ap- puyer sur celui qui les frappe ^ mais ils s'appuieront fidèlement sur Jéhovah, le saint d'Israël. Un Reste se convertira, un Reste de Jacob se convertira au Dieu fort. Quand même ton peuple, ô Israël, serait comme le sable de la mer, un Reste seulement se convertira . car la destruction est résolue!... C'est pourquoi, ainsi dit le Seigneur, Jéhovah des armées : o mon peuple qui habites Sion, ne redoute pas l'Assyrien. Il t'a frappé avec la verge, et il a levé sur toi son bâton à la façon de l'Egypte... Encore un peu de temps, et la fureur aura une fin, et ma colère s'allumera pour les exter- miner... Il sortira un rameau du tronc d'Isaï, et un re- jeton naîtra de ses racines. L'esprit de Jéhovah repo- sera sur lui, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de courage, esprit de la connaissance el de la crainte de Dieu. Il ne jugera point sur l'appa- rence, il ne décidera pas sur les ouï-dire. Mais il jugera les pauvres avec équité , et prononcera selon la droiture sur les affligés du pays. Il frappera le pays avec la verge de sa bouche, et avec l'esprit qui sort de ses lèvres il fera périr le méchante La justice sera la ceinture de ses hanches, et la vérité, la ceinture de ses reins. Le loup habitera avec l'agneau , et le léopard se couchera à côté du chevreau. Le veau, le lionceau et le gros bé- tail seront ensemble, un jeune garçon les conduira. La

1 C'est-à-dire sur l'Assyrien , qu'on avait d'abord appelé en aide. - Ses jugements atteindront les coupables.

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vache et l'ourse paîtront ensemble, et le lion se nour- rira de paille comme le bœuf. Le nourrisson jouera sur le trou de la vipère, et l'enfant sevré mettra la main dans la retraite du basilic. On ne fera plus aucun mal ni aucune nuisance sur toute ma sainte montagne : car la contrée sera remplie de la connaissance de Jéhovah, comme les eaux couvrent la mer ! Et il arrivera dans ce temps que le rejeton dlsaï , dressé pour être la bannière des peuples, sera recherché des nations, et sa demeure ne sera que gloire ! Et il arrivera en ce temps-là que Jéhovah étendra une seconde fois^ la main pour racheter le reste de son peuple, ce qu'en au- ront laissé de reste Assur, Mitzraïm, Patros*, Gusch^, Ëlam, Sinear^, Hamath ^ et les îles de la mer ^. Il dres- sera un étendard pour les nations ; il rassemblera les expulsés d'Israël, et il réunii-a les dispersés de Juda des quatre coins de la terre. La jalousie d'Ephraïm dispa- raîtra , les persécutions de la part de Juda cesseront; Ephraïm ne sera plus jaloux de Juda et Juda ne persé- cutera plus Ephraïm. Mais ils voleront sur les épaules des Philistins, du côté de la mer; ensemble ils pille- ront les fils de l'Orient; ils étendront la main sur Moab et sur Édom , et les fils d'Ammon leur seront soumis. Jéhovah détruira la langue de mer de l'Egypte ' ; il agitera sa main sur l'Euphrate, dans une violente tem-

* La première fois, ce fut lors de la sortie d'Egypte. 2 Mitzraïm et Patros, la Haute et la Basse-Egypte.

" L'Ethiopie.

* Élam et Sinear, la Suziane et la Babylonie, provinces alliées ou plutôt tributaires des Assyriens.

^ Ville de Syrie, désignée au lieu de la contrée tout entière. *" Mer Méditerranée. Mer Rouge.

pête, et il le divisera en sept ruisseaux, qu'on pourra traverser en sandales. Ce sera une route pour le reste de son peuple !... »

Il nous faut ajouter maintenant le cbap. IV, pour être complet dans nos citations, et pour achever de montrer le caractère exclusivement israélite de l'âge messianique prophétisé par Esaïe en dépit de quelques inspirations plus hautes, qui ne se font jour qu'un moment à travers les préjugés nationaux :

« En ce temps le germe de Jéhovah * sera une splendeur et une gloire, et le fruit de la terre un hon- neur et un ornement pour les réchappes d'Israël. Et il arrivera que ceux qui seront restés à Sion et qui de- meureront encore à Jérusalem, on les appelera saints, tous ceux, dis-je, de Jérusalem qui sont inscrits pour survivre. Quand le Seigneur aura lavé la boue des filles de Sion, quand il aura nettoyé Jérusalem de ses taches de sang, par son esprit de justice, par son esprit de destruction , alors Jéhovah créera sur toute l'é- tendue de la montagne de Sion et sur ceux qui s'y rassemblent, un nuage et une vapeur pendant le jour, et l'éclat d'un feu flamboyant pendant la nuit. »

Gomme les prophètes qui l'ont précédé , Ésaïe attend donc prochainement, c'est-à-dire après que Dieu aura achevé de punir son peuple, la réalisation de l'âge d'or. «Encore un peu de temps,» et les Assyriens, triomphants maintenant, seront défaits. Le peuple israélite, sous la conduite d'un prince de la maison de

* Le germe de Jéltovah peut désigner le peuple lui-même, ou bien ce n'est qu'un synonyme àeJ'ruUde la terre, selon la loi du paral- lélisme hébreu. Quelques commentateurs pensent qu'il s'agit du Messie.

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David, chassera tous ses ennemis. Le châtiment aura sans doute singulièrement diminué le nombre des en- fants d'Israël. Une petite quantité seulement restera, mais ce Reste ne se composera que de fidèles, et, guidés par le descendant d'Isaï, ils seront invincibles. Il est facile de voir que ces prophéties ont été écrites dans des moments bien différents, car il y a un cer- tain vacillement dans les pensées. Tantôt le prophète déclare que le Reste se composera de ceux qui auront pu demeurer dans la Terre sainte, à Jérusalem ; tantôt ce Reste se compose des exilés qui reviennent. Tantôt Ésaïe espère que les Israélites prendront une éclatante revanche sur leurs ennemis, les pilleront et les déci- meront; tantôt il fait accourir paisiblement les peuples à Sion et annonce une ère de paix. Peut-être concihait- il ces divergences dans son esprit. Il pouvait penser que les exilés viendraient se joindre au Reste épargné sur la Terre sainte, que tous ensemble ils voleraient à la vengeance et au pillage, et qu'ensuite comnûence- rait le temps du repos sous le règne du Messie, qui est c( père du butin )) aussi bien que « prince de la paix. » Nous avons déjà expliqué comment le souvenir de David planait au-dessus de toutes les espérances théo- cratiques. Aussi est-ce à un descendant de David, un rejeton d'Isaï, doué par Jéhovah d'une sagesse et d'une puissance extraordinaires, que le prophète décerne le commandement des deux royaumes réunis. Il paraît hors de doute qu'Ésaïe lui-même espérait être témoin de ces grands événements: «l'enfant nous estné!)) s'écrie-t-il. Si l'enfant Immanuel est le Messie, on voit qu'Ésaïe renvoyait à peine à quelques années l'accom- plissement de ses désirs. Les rabbins pensent que le

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«rejeton d'isaï » n'est autre qu'Ëzéchias, le fils aîné d'Achaz. Il n'y a vraiment rien de péremptoire à op- poser à cette interprétation. On dirait presque, à en- tendre Ésaïe dans un de ses derniers chapitres dé- crire tranquillement, sans fiction ni enthousiasme, le gouvernement sage et moral du roi messianique, qu'il ne fait que tracer à Ézécfiias le modèle qu'il doit imiter: ((Voici, le roi régnera selon la justice et les grands gouverneront selon l'équité, de sorte que chacun d'eux sera comme un asile contre la tempête et un abri contre l'ouragan , comme des courants d'eau dans la sécheresse et comme l'ombre d'une énorme roche sur une terre altérée. Et les yeux des clairvoyants ne seront plus aveuglés et les oreilles de ceux qui entendent seront attentives. Le cœur des in- sensés sera intelligent pour apprendre, et la langue de ceux qui bégaient parlera avec aisance et clarté. On n'appellera plus le vaurien un homme d'honneur et l'on ne dira plus le dissipé honorable.. . » (XXXII). Il y a loin de ce règne honnête à ces tableaux d'un temps les astres eux-mêmes brilleront d'une plus ardente lumière, les animaux féroces s'ébattront gracieu- sement avec' les animaux domestiques , la nature bienfaisante prodiguera tous ses dons avec une richesse merveilleuse et changera les déserts en vallons arrosés. Qu'il y ait eu ou non de? modifications dans la pensée d'Ésaïe , il en a apporté lui-même au courant des idées messianiques de son peuple. Il en a reçu les germes de la tradition et des écrits de ses prédécesseurs; mais il a développé ces germes de telle manière qu'il est de- venu comme le prophète classique du messianisme. Le Reste qui se convertira , la domination spirituelle des

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Hébreux et l'extension universelle de leur religion, enfin l'enfant royal, le descendant de David , le roi pré- destiné de l'âge d'or, telles sont les doctrines qu'il lègue à la prophétie.

§ 2. A Ésaïe se rattache intimement son contempo- rain et compatriote Michée, de Moreschet. Ses pro- phéties, divisées en trois livres, qui paraissent rangés selon Tordre chronologique (1 à 3, 4 à 5, 6 à 7), se rapportent au règne d'Ezéchias. La chute toujours plus imminente de Samarie, capitale du royaume du Nord, et la crainte d'une invasion de Salmanazar en furent l'occasion. C'était vers 722. Michée voit dans les mal- heurs d'Israël un avertissement et une menace pour Juda. Il semble avoir pressenti pour son peuple une ruine plus grave que n'avait fait Esaïe, car il n'entre- voit la réalisation des espérances messianiques que sur les débris de la ville sainte et même du temple. « A cause de vous, dit-il aux pécheurs, la charrue passera sur Sion comme sur un champ; Jérusalem ne sera plus qu'un monceau de ruines, et la montagne du temple qu'une hauteur boisée!» C'est alors seulement que s'accomplira la promesse déjà faite par Esaïe: « que la montagne de la maison de Jéhovah sera pla- cée sur le sommet des montagnes et que tous les peuples y accourront*;)) et chacun, ajoute Michée, chacun demeurera sous sa vigne et sous son figuier , sans qu'au- cune crainte vienne jamais l'assaillir. «En ce jour-là, dit Jéhovah , je réunirai le troupeau boiteux , et je ras- semblerai le troupeau dispersé et tous ceux que j'ai

' Quelques commentateurs pensent que ce passage avait déjà été emprunté par Ésaïe à un prophète plus ancien , auquel Michée l'em- prunterait à son tour.

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mallraités. Je ferai de ce qui est boiteux le Reste, et de ce qui était chassé, un peuple nombreux, et Jéhovah sera leur roi sur la montagne de Sion dès maintenant et à toujours ! Et toi , tour du troupeau , coteau de la fille de Sion, vers toi reviendra la domination d'autre- fois, le règne de la fille de Jérusalem! Et toi, Bethlé- hem Ephrata, trop petite pour être un des districts de Juda, c'est (Je toi que sortira celui qui doit gouverner Israël, et dont les origines datent de l'antiquité, des jours d'autrefois. C'est pourquoi Dieu les livrera jusqu'à ce que celle qui doit enfanter l'ait enfanté ; alors le reste de ses frères reviendra auprès des enfants d'Israël. Il se maintiendra au pouvoir, et il les mènera paître, avec la force de Jéhovah, avec la gloire du nom de Jéhovah son Dieu, et ils habiteront en paix, car sa grandeur s'étendra jusqu'aux extrémités de la terre, et alors ré- gnera la paix 1 ))

D'après Michée, le futur libérateur du peuple de Dieu n'est pas encore né. Il sortira de la race de David, et sera par conséquent originaire, soit par sa propre naissance, soit par sa famille, de Belhléhem, patrie de David. Cette bourgade, berceau d'une si glorieuse dy- nastie, recevra un nouveau lustre par l'éclat que jettera sur elle ce rejeton de David, appelé à reconstruire le royaume, à renouveler et à dépasser les exploits de son illustre ancêtre. Ces souvenirs du fils d'Isaï remontent déjà loin ; les origines de cette dynastie s'enfoncent dans le passé, et cette longue succession de princes est un signe de la faveur divine et un présage de grandeur future. Sion , jadis l'humble coteau, la tour des bergers, couronnée de gloire par David, qui en avait fait le siège de son gouvernement, verra revenir à elle le pouvoir

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d'Liulretbis et dictera des lois à toute la terre. «Et le | Reste de Jacob sera au milieu d'un grand nombre de ' peuples comme une rosée venant de Jéhovah, comme les gouttes de pluie sur l'herbe verte, laquelle n'espère rien de l'homme et n'attend rien du fils de l'homme. Et le Reste de Jacob sera au milieu des peuples nom- breux, comme le lion parmi les animaux de la forêt, comme un lionceau parmi des troupeaux de brebis : il se précipite , il écrase et il emporte sans qu'on puisse lui arracher sa proie!...» Ce sont des images de l'in- fluence tour à tour bienfaisante et terrible d'Israël sur les autres peuples, à l'époque messianique, selon qu'ils seront bien ou mal disposés à son égard. Cette influence s'étendra sur tout le monde, tel qu'il était connu au temps du prophète :

VII, 7. (c Un jour viendra pour relever tes murailles; en ce jour-là les frontières seront reculées. En ce jour- on reviendra vers toi de l'Assyrie et des villes de l'Egypte, depuis l'Egypte jusqu'à l'Euphrate, depuis une mer jusqu'à l'autre mer, depuis une montagne jusqu'à l'autre montagne... »

Rien d'autre en tout cela que des échos d'Ésaïe. Le salut paraît plus lointain ; l'exil est mieux marqué , plus proche. Mais c'est la même doctrine du reste, du roi davidique et de l'influence d'Israël sur les peuples païens. Avec ces deux prophètes les espérances messia- niques sont complètes ; elles sont formées de toutes pièces. C'est dans les termes ils les ont exprimées qu'elles passeront à la postérité et qu'elles deviendront la substance du patriotisme hébreu, Elles subiront en- core quelques variations, mais le thème principal ne changera pas. Voilà pourquoi nous avons été prodigue

de citations. Nous en serons piuS sobre désormais, sans pourtant nous les interdire, car rien ne les rem- place en un sujet si complètement dépendant des textes.

CHAPITRE IV.

SOPHONIE. ZACHARIE XII A XIV. JÉRÉMIE. PÉRIODE CHALDÉENNE.

§ 4. Un siècle tout entier passa sans donner raison aux craintes ni aux espérances d'Esaïe et de Michée: Ils ne virent ni les catastrophes qu'ils redoutaient, ni le Messie qu'ils attendaient, ni la gloire qu'ils espé- raient pour leur peuple. Ce fut un siècle marqué des mêmes péripéties que tous les autres et du même train journalier. Ni la Judée ne fut prise, ni Jérusalem ren- versée, et les Israélites non plus n'eurent pas à prendre la revanche qui leur avait été promise. L'empire des Assyriens, dont la chute devait coïncider avec le bou- leversement et la rénovation de toutes choses, tomba de faiblesse, de lente décadence, sans l'aide d'Israël, sous les attaques de deux provinces révoltées, la Médie et la Babylonie. L'Asie changea de maître. Ce ne fut plus de Ninive, mais de Babylone que devait relever l'obéissance des provinces. En 625 ce fut un fait ac- compli.

§2. Vers la même époque, c'est-à-dire vers le mi- lieu du règne de Josias, le roi réformateur, eut lieu une invasion considérable de peuplades du Nord, de Scythes*, qui ravagèrent la Phénicie et la Palestine, se dirigeant vers l'Egypte. On crut que c'était le cata- clysme final. SoPHONiE (Zephaniah) , fils de Gouschi,

» Cf. Hérodote I, 105.

50 petit-fils de Guedalia, se leva pour annoncer que le jour, le terrible jour des jugements arrivait. Tous les peuples dont Israël avait à se plaindre allaient être écrasés. Dans cette redoutable crise, Jérusalem elle- même ne serait pas épargnée. Le but de cette catas- trophe devait être :

La destruction de toute idolâtrie et la conversion des peuples: «Jéhovah se jettera sur eux, terrible, lorsqu'il détruira toutes les divinités de la terre, et tous se prosterneront devant lui , chacun de sa place, toutes les îles des païens... Alors je donnerai aux Gentils des lèvres pures pour qu'ils invoquent tous le nom de Jéhovah, et qu'ils le servent d'un même accord. De l'autre coté des torrents de Gousch* j'aurai des ado- rateurs... »

La sanctification et la gloire d'Israël, du Reste de Jacob: «En ce même jour tu n'auras plus à rougir de toutes les actions par lesquelles tu m'as offensé; car j'éloignerai de ton sein tous les insolents, et tu ne te livreras plus à l'orgueil sur ma sainte montagne. Mais je laisserai au milieu de toi une pauvre et chétive po- pulation, qui mettra sa confiance dans le nom de Jé- hovah. Le Reste de Jacob ne comro.ettra pas de péché, ne proférera pas de mensonge, et il ne se trouvera pas dans sa bouche une langue de fourberie... Chante, fille de Sion; criez d'allégresse, Israël; réjouis -toi, égaie-toi de tout ton cœur, fille de Jérusalem! Jéhovah a écarté tes châtiments, a balayé tes ennemis. Le roi d'Israël, c'est Jéhovah qui siège au milieu de toi: tu ne verras plus aucun mal. En ce jour-là on dira à Jéru-

1 L'Ethiopie.

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salem: ne crains pas! et à Sion : ne perds pas courage! Jéhovah, ton Dieu, est au milieu de toi, le héros, le libérateur... Ceux qui sont tristes loin de l'assemblée de mon peupleS je les ramènerai. Ils sont séparés de toi; la honte pèse sur eux. C'est moi qui en ce jour-là aurai à faire avec tous tes oppresseurs. J'aiderai le trou- peau boiteux, et je rassemblerai le troupeau dispersé: je leur donnerai la gloire et la célébrité dans les pays ils ont eu la honte. En ce temps-là je vous ferai re- venir; en ce temps-là je vous rassemblerai; je vous don- nerai la célébrité et la gloire parmi tous les peuples de la terre, lorsque, sous vos yeux, je ramènerai vos exi- lés , dit Jéhovah ! ))

Cet avenir est proche, puisqu'il est la conséquence directe de l'invasion devant laquelle tout tremblait. Les captifs des guerres précédentes , ceux que les Scythes vont faire dans leurs premières victoires, reviendront pour être témoins de la prospérité qui suivra l'immense défaite des envahisseurs. La grande pensée de la con- version des païens, qui est vraiment la plus digne d'at- tention , ne s'est pas effacée de la conscience prophé- tique. Sophonie s'est emparé de la meilleure inspira- tion d'Ésaïe. Il ne fait pas affluer les peuples à Jérusa- lem. Non, c'est chez eux, «chacun dans son lieu,» qu'ils se prosterneront devant Jéhovah. Tous les pro- phètes ne se maintiendront pas à cette hauteur de vues.

Soit que Josias lui paraisse un roi selon le cœur de Dieu , et tel qu'on pourrait le souhaiter pour l'âge messianique, soit que la personne royale lui soit indif- férente et disparaisse à ses yeux derrière la majestueuse

' Dans l'exil.

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personne de Jéhovah, Sophonie ne lait aucune men- tion du chef davidique glorifié par Élsaïe. «Le roi d'Is- raël est Jéhovah. » C'est la pure théocratie. Nous la retrouverons semblable chez un des plus grands pro- phètes, l'illustre anonyme de l'exil.

§ 2. L'invasion des Scythes s'est dissipée sans ame- ner les résultats qu'annonçait le prophète. Une autre invasion devait être plus funeste dans ses suites : ce fut celle des Ghaidéens sous la conduite de Nebucad- netzar. Ils envahirent la Judée et assiégèrent Jérusa- lem dans les dernières années du septième siècle. Ne- bucadnetzar, ayant triomphé à Garchémis (606) de l'Egypte qui lui disputait l'empire de l'Asie, résolut d'abattre une fois pour toutes la puissance de sa rivale en réduisant tous ses alliés. La Judée se trouvait au premier rang. G'est pendant le siège de Jérusalem (se- lon l'ingénieuse hypothèse d'Ewald, que tous les traits du texte semblent confirmer), que furent prononcés, par un des habitants de la campagne juive, les dis- cours contenus dans Zagharie XII à XIV. Le prophète, ignorant les ressources militaires de la ville, mais per- suadé que la cité sainte ne peut tomber aux mains des profanes, attend une délivrance extraordinaire, comme celle qui avait tant frappé les imaginations au temps de Sennachérib. Les efforts de tous les peuples seront vains. Jérusalem sera comme une coupe ils boiront une ivresse mortelle, comme une lourde pierre qu'ils essaieront en vain de soulever et qui les écrasera. Jé- hovah frappera de démence la cavalerie ennemie et rendra les chefs de Juda semblables à une torche au milieu des gerbes, qui consume tout ce qui l'entoure.

Ge siège est ie grand événement prophétique, est

l'occasion du dénouement universel et, comme le pivot sur lequel vont tourner les destinées du monde. La dé- livrance ne va pas tarder, et avec elle commencera le jugement des peuples.

XII, 8. «En ce jour-là, Jéhovah protégera les habi- tants de Jérusalem; celui qui chancelle sera en ce jour- comme David lui-même, et la maison de David sera comme un Dieu , comme l'ange de Jéhovah devant eux. Et il arrivera en ce jour-là que j'entreprendrai d'exter- miner toutes les nations qui sont venues contre Jéru- salem. Et je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de bienveillance et de prière, et ils regarderont vers celui que (les en- nemis) ont percé \ et ils mèneront deuil sur lui comme on mène deuil sur un fils unique, et ils le pleureront amèrement comme on pleure amèrement son premier- né!...)) Suit rénumération des familles considérables de Jérusalem qui prendront part à ce deuil. Il n'est au- cunement question du Messie dans ce passage. Jéhovah surexcitera les habitants de Jérusalem pour mettre leur courage à la hauteur du danger; il fera, des plus faibles d'entre eux, des héros comme David; la maison royale sera digne des circonstances et représentera Dieu lui- même au milieu des assiégés. Les ennemis ne pour- ront résister à une telle vaillance; ils seront extermi-

* Il y a dans le texte C /X) élaï, vers moi. 11 est impossible que même par hyperbole poétique, un Hébreu ait jamais comparé Jéhovah à un homme mort, percé de coups, sur le cadavre duquel on mène deuil. 11 faut lire (T'^îO e'/ay , vers hd. Le sujet du verbe ont percé est sous-entendu : ce sont les ennemis. Ces constructions se re- trouvent à chaque page. Dans tous les cas, il ne s'agit aucunement du Messie , dont ce prophète ne dit pas un mot.

54 nés. La paix ravivra chez les vainqueurs le souvenir des pertes passées, particulièrement de la mort du roi martyr, du pieux monarque Josias, tombé à Mégiddo sous les coups des Égyptiens en défendant sa patrie (61 1). Le danger disparu, on pourra librement honorer sa mémoire. En effet, sa fin héroïque fut longtemps un sujet de complaintes dans Israël *.

Le chap. XIV a être écrit quelque temps plus tard : l'auteur a changé d'avis sur le sort probable de Jérusalem. Il s'est convaincu que toute résistance est inutile, et il a perdu l'espoir de voir la cité sainte épargnée. « La ville sera prise, les maisons pillées, les femmes violées et la moitié de la ville s'en ira en cap- tivité... Mais le Reste du peuple ne sera pas exterminé et chassé de la ville, car Jéhovah se lèvera et com- battra!.. ))

Après cette douloureuse mais nécessaire exécution commencera enfin l'âge messianique, trop retardé, mais d'autant plus glorieux. Il n'y aura plus les pé- nibles vicissitudes des saisons, l'ardeur du soleil suc- cédant aux rigueurs de l'hiver ; on aura une lumière cons- tante, unique, égale, comme celle dont Jéhovah jouit éternellement. Des eaux vives sortiront de Jérusalem pour se répandre en partie dans la mer Morte, en partie dans la Méditerrannée, et arroseront le pays dans toutes les saisons. Jéhovah sera roi de la terre entière, et lui seul sera adoré, invoqué de tous. Il y aura unité de culte. Jérusalem reconstruite sera un sûr asile pour ses habitants. Ceux des Gentils qui auront échappé au jugement, monteront chaque année à Jérusalem pour

i 2 Chron. XXXV, 23. Cf. Zach. XII ,11,

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adorer le Roi, qui est Jéhovah des armées, et pour cé- lébrer la fête des tabernacles. S'il y a des récalcitrants, ils seront punis par quelque fléau de la nature, comme la sécheresse. Dans la ville sainte tout sera saint. Les sonnettes des chevaux porteront Tinscription qui se trouve sur le front du souverain sacrificateur. Tous les vases seront purs, et non pas seulement ceux qui sont destinés à des usages sacrés. Il n'y aura plus rien de souillé, ni hommes ni choses. «Il n'y aura plus de Cananéen dans la maison de Jéhovah. »

Chez ce prophète inconnu le particularisme israélite se marque très-nettement. Je ne sais quelle allure y décèle le prêtre. Son rêve est que tous les peuples montent annuellement à Jérusalem pour prendre part à la fête des tabernacles, qui acquerra ainsi un lustre inusité. Il faut qu'ils viennent sous peine de châtiment. Ce n'est pas conversion, mais soumission. La pureté cérémonielle paraît aussi estimée que la pureté morale. La temps viendra il n'y aura plus de prophétie, ni bonne ni mauvaise, plus d'agitation d'aucun genre (Xlïl). Cela aussi semLIe un trait sacerdotal. Quoi qu'il en soit, son attente messianique ne dépasse en rien celle des prophètes antérieurs ; elle se montre plutôt à maint égard moins spirituelle et moins reli- gieuse, et est probablement une plus fidèle image des espérances de la nation.

§ 3. Cependant le temps des douleurs sérieuses était arrivé. Jérémie, fils d'Hilkia, eut le triste privilège d'être témoin d'une ruine tant de fois annoncée et tant de fois ajournée. Prêtre à Anathoth, aux environs de Jérusalem, il fut activement mêlé aux événements qui décidèrent du sort de sa patrie aux dernières convul-

56 sions de laquelle il assista. Spectateur sympathique, peut-être même instigateur de la réforme religieuse entreprise par Josias, il se promettait sans doute, au commencement de sa carrière, de relever son peuple par la seule repentance, sans secousse ni châtiment. Il compare le sort si heureux de ses compatriotes au rude traitement auquel le royaume d'Israël a été con- damné; et il reproche aux siens d'être d'autant plus coupables qu'ils n'ont pas encore tiré enseignement de ce douloureux exemple. Il pense qu'Éphraïm du moins en aura profité, que bientôt il rentrera en grâce, que son retour rétablira l'union des deux parties du ■peuple, et que l'ère messianique commencera.

III, il. (( Jéhovah me dit: le rebelle Israël est plus juste que l'infidèle Juda. Va et prononce ces paroles du côté du nord et dis : Reviens, Israël rebelle, dit Jéhovah; je ne vous ferai point mauvais visage, car je suis miséricordieux, dit Jéhovah; je ne garde point toujours ma colère. Connais seulement la faute : Tu as prodigué tes attentions aux dieux étrangers sous tout arbre vert, et tu n'as point écouté ma voix, dit Jéhovah. Revenez, fils rebelles, car c'est moi qui veux être votre maître. Je vous prendrai, n'y en eût-il de reste qu'un seul par ville et deux par district, et je vous conduirai à Sion et je vous donnerai des pasteurs qui vous mènent avec sagesse et intelligence. Lorsque dans ces jours- vous croîtrez et fructifierez au sein du pays, dit Jéhovah, on ne parlera plus de l'arche d'alliance de Jéhovah, on n'en aura plus souci, on ne s'en sou- viendra plus, on ne la cherchera plus, on n'en fera pas une nouvelle. Dans ce temps-là on appellera Jéru- salem le trône de Jéhovah, et tous les peuples s'y ras-

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sembleront au nom de Jéhovah , et ils ne suivront plus désormais les inspirations de leur inéchant cœur. ^ En ces jours-là la maison de Juda marchera avec la maison d'Israël; elles viendront ensemble du pays du nord vers la terre que j'ai donnée à vos pères en héri- tage !...))

Mais ce pacifique espoir ne fut pas de longue durée. Jérémie et son peuple étaient destinés à de rudes tour- mentes. Le roi Josias, comme nous l'avons rappelé tout à l'heure, fut tué à Mégiddo en 61i, et avec lui périrent ses tentatives de réforme. Nécho, roi d'Egypte, son vainqueur, disposa à son gré du trône. Puis vinrent bientôt après les armées de la Babylonie; Jérusalem fut prise et une partie considérable du peuple fut dé- portée. Au milieu de ces orages , Jérémie , qui n'épar- gnait pas les conseils, les reproches, les menaces, at- tira fréquemment sur sa tête la colère des grands, et se vit plus d'une fois en danger de mort. Comprenant bientôt que tonte résistance à l'empire tout puissant de Babylone serait une folie, que la Judée et l'Egypte, soit isolément, soit en réunissant leurs forces, ne pou- vaient se soustraire à cette domination, il engagea sagement son peuple, tout frémissant encore, à subir un mal inévitable et à se préserver, par une altitude paisible, de maux plus graves et irréparables. Ces con- seils ne furent pas goûtés par Sédécias, l'inconstant ami de Babylone. Il se ligua avec l'Egypte, tenta de secouer le joug de Nebucadnetzar, attira sur son pays une nouvelle expédition chaldéenne, fut privé du trône, de la liberté et de la vue ; le reste du peuple fut emmené captif et le temple saccagé. Jérémie obtint du vainqueur la permission de rester pour pleurer sur les

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ruines de la patrie, 586. Bientôt après il fut emmené ^de force en Egypte par une bande de Juifs qui croyaient prudent de fuir la colère de Nebucadnetzar, qu'ils avaient excitée par je ne sais quelle rébellion. C'est dans ce lamentable exil qu'il termina obscurément ses jours.

Le sens politique de Jérémie, si l'on peut ainsi par- ler, paraît avoir été trop sagace et trop juste pour qu'il pût, parmi tant de désastres, se livrer à de trop promptes espérances. Ce triste état lui paraît fait pour durer longtemps; il va même jusqu'à assigner une date : l'exil durera soixante-dix ans. Aussi son langage est-il empreint de tristesse; c'est la tristesse d'un homme destiné à survivre à tout ce qui lui est cher, et à mou- rir avant de voir des jours meilleurs. C'est de l'abat- tement, mais non du désespoir. Il sait que si l'épreuve est longue et cruelle , elle est passagère. Les espérances messianiques sont pour le soutenir. Le mal provient des mauvais pasteurs du peuple; c'est eux qui sont cause que le troupeau est dispersé. Mais patience! «l Je rassemblerai de tous les pays je les ai dispersées, le reste de mes brebis, et je les ramènerai dans leurs pâ- turages pour qu'elles croissent et se multiplient. Et je leur donnerai des bergers qui les feront paître, en sorte qu'elles ne craignent plus, ni ne tremblent plus, ni qu'aucune vienne à manquer. Voici, les jours viendront, dit Jéhovah, que je ferai naître à David un juste rejeton, qui régnera, et se montrera sage, et exercera le droit et la justice dans le pays. Sous son règne Juda sera heureux, et Israël habitera en sécu- rité. Le nom qu'on lui donnera sera: Jéhovah-est-notre- salut! » (XXIII). A la vue des humiliations de son pauvre

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peuple, traité par les vainqueurs comme un vil bétail, le prophète aime à se transporter par la pensée dans le temps ce le joug qui pèse sur leur cou sera brisé, leurs liens seront arrachés!» ils ne serviront plus l'étranger, mais «Jéhovah leur Dieu et David leur roi! )) ce Toi donc ne crains point, mon serviteur Jacob, dit Jéhovah, ne tremble point, Israël! Car voici, je te délivrerai du pays lointain, et ta postérité, de la terre de servitude. Oui, Jacob reviendra et sera pai- sible , bien abrité , et nul ne l'effraiera plus. » Car Jé- hovah veut bien châtier son peuple pour un temps , mais non l'anéantir. Ce dernier sort est plutôt réservé aux Gentils, maintenant si sûrs d'eux-mêmes et si con- fiants en l'avenir. Quant aux blessures et aux plaies d'Israël, elles sont graves, elles sont mortelles; Jéhovah pourtant les guérira. Il rétablira l'ancien ordre de choses; bien plus, une prospérité inconnue se répandra sur le pays.

« Voici, je ramènerai ceux qui ont été. emmenés cap- tifs loin des tentes de Jacob; j'aurai pitié de ces de- meures; la ville sera rebâtie sur sa colline , et le palais, habité comme à son ordinaire. On y entendra retentir des actions de grâces et le son des instruments de mu- sique. — Je multiplierai le nombre des habitants, et leurs fils seront nombreux comme autrefois... Le chef de la nation sera tiré du milieu d'elle, et son gouver- neur sortira de son sein. Quand je l'appellerai, il s'ap- prochera de moi... Ainsi vous serez mon peuple et je serai votre Dieu! Je te rebâtirai d'une manière du- rable, vierge d'Israël. Tu te pareras encore de .tes cym- bales, et tu entreras dains les rangs des danseurs. Tu planteras encore des vignes sur les montagnes de Sa-

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marie : et ce sont ceux qui les planteront qui en profi- teront. Oui, il y aura un jour les veilleurs crieront sur les montagnes d'Éphraïm: Allons, montons à Sion, vers Je ho va h notre Dieu ! »

En voyant partir ces longues files d'exilés qui s'en vont peupler les rives de TEuphrate, il songe déjà aux émotions du retour. «Ils reviendront en grande troupe. Ils reviendront avec larmes. Je les ramènerai au milieu des pleurs. Je les conduirai à des ruisseaux d'eau , sur un chemin droit ils ne broncheront pas. Car je suis un Père pour Israël , et Ephraïm est mon premier-né ! Ils viendront et chanteront d'allégresse sur la col- line de Sion ; ils se réjouiront de la bénédiction de Jéhovah , du blé, du vin, de l'huile, des brebis et des bœufs. Leur âme sera comme un jardin bien arrosé, et ils cesseront de languir... Je changerai leur deuil en joie... J'abreuverai de graisse l'âme des prêtres, et mon peuple se rassasiera de ma bénédiction, dit Jéhovah

Instruit par une longue expérience, et habitué à ré- fléchir sur les maux de son peuple, sur leurs causes et leurs remèdes, il avait su s'élever à un idéal théo- cratique dont le spiritualisme a des affinités avec celui de l'Évangile : «Voici , les jours viennent, dit Jéhovah, je ferai avec la maison d'Israël et avec la maison de Juda une nouvelle alliance : non point comme l'al- liance que j'ai faite avec leurs pères, au jour je les ai pris par la main pour les tirer du pays d'Egypte; car c'est eux qui ont rompu mon alliance, et pourtant je suis leur maître, dit Jéhovah. Mais voici l'alliance que je ferai avec la maison d'féraël après ces jours là, dit Jéhovah : je mettrai ma loi nu dedans d'enx , et je

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l'écrirai dans leur cœur, et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Dès lors, ils ne s'instruiront plus les uns les autres, disant: Connais Jéhovah cai- tous me connaîtront, les petits comme les grands, dit Jéhovah, lorsque j'aurai pardonné leur faute et que je ne me souviendrai plus de leurs péchés ! »

Toutefois ce spiritualisme ne lui fait point perdre de vue les institutions, les frontières, le sol même de la patrie : il n'attend pas seulement une nouvelle ère de piété, mais aussi la réintégration des Israélites dans leur pays, dans leurs limites, sous la direction de leurs prêtres, et avec le gouvernement de leurs rois : « Voici, les jours viendront la ville de Jéhovah sera rebâtie, depuis la tour Ghananéel jusqu'à la Porte du Coin, et le cordeau s'étendra droit devant lui jusqu'à la colline Gareb, et se détournera vers Goath. Et toute la vallée des Morts et de la Gendre, et toute la campagne jus- qu'au torrent de Gédron, jusqu'au coin de la Porte des Chevaux, à l'Est, tout cela sera consacré à l'Éternel, et ne sera plus jamais ravagé ni détruit. »

C'est la même espérance qui l'inspire (XXXII) lors- que du fond de son cachot il consent à se rendre acquéreur du champ que son cousin Hanaméel lui propose, dans un moment les propriétés foncières n'avaient plus de valeur à cause de la gravité des évé- nements politiques et pouvaient changer de maître d'un moment à l'autre au gré des vainqueurs. Jérémie sait que la Terre sainte ne peut demeurer toujours aux mains des païens, que Jéhovah ramènera les exilés, qu'il fera avec eux une alliance éternelle, que le temps reviendra l'on pourra se livrer avec sécurité à toutes les transactions sociales ^vendre et acheter des champs,

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62 non seulement à Anathoth, ntiais dans toutes les par- ties de la Palestine, dans le pays de Benjamin, aussi bien qu'aux alentours de Jérusalem, dans les districts de la montagne comme dans ceux de la plaine:

XXXIII, 7. «Je ferai revenir les exilés de Juda et les exilés d'Israël , et je les rétablirai comme autrefois. Je les purifierai de toutes les fautes qu'ils ont com- mises contre moi, et je leur pardonnerai toutes les transgressions par lesquelles ils m'ont offensé et trahi. Jérusalem sera pour moi un nom de joie , une gloire et une splendeur parmi toutes les nations de la terre , qui entendront parler de tout le bien que je lui ferai. Voici, les jours viendront, dit Jéhovah, j'accom- plirai la bonne promesse que j'ai faite à la maison d'Israël et à la maison de Juda. Dans ce jour-là je ferai naître à David un rejeton de justice , qui établira le droit et la justice dans le pays. Dans ces jours-là Juda sera sauvé, et Jérusalem habitera en sécurité, et elle sera appelée Jéhovah est notre salut. Car ainsi dit Jéhovah : il ne manquera jamais de successeurs * à David pour s'asseoir sur le trône de la maison d'Israël ; il n'en manquera jamais non plus aux prêtres , aux lévites, devant ma face, pour présenter des holo- caustes, briller de l'encens, et faire des sacrifices tous les jours.»

Celte perpétuité de la dignité royale dans la maison de David , et du sacerdoce lévitique dans le temple de Jérusalem , après le trouble mome;ntané les rois d'Egypte et de Babylone ont jeté le trône et l'autel , paraît au prophète d'une iroporlanee si capitale et d'une

' Textuellement : un successeur ne manquerai jamais.

63 certitude si absolue, qu'il y revient à deux reprises, prenant solennellement à témoin la stabilité immuable de l'ordre de l'univers.

(( Ainsi dit Jéhovah : Si vous parvenez à briser mon alliance avec le jour et mon alliance avec la nuit, de telle sorte que le jour et la nuit ne viennent plus en leur temps, ^ alors, oui, mon alliance avec David mon serviteur pourra être brisée, en sorte qu'il n'y ait plus de descendant de sa race qui s'assoie sur son trône , et aussi mon alliance avec les prêtres, les lévites, mi- nistres de mon culte . . . Ainsi dit Jéhovah : S'il est vrai que je n'ai pas établi mon alliance avec le jour et avec la nuit, et l'ordonnance des cieux et de la terre , il est également vrai que je rejetterai la race de Jacob et de David mon serviteur, et que je ne prendrai pas dans sa postérité ceux qui doivent régner sur la race d'A- braham, d'Isaac et de Jacob!...»

C'est le dernier mot des espérances messianiques de Jérémie. Elles n'ont rien de grandiose ; elles se tien- nent dans la sphère du possible, de l'ordinaire. Pen- dant un certain nombre d'années (je pense que soixante- dix est un chifjfre symbolique, mystérieux, choisi parce qu'il est un des composés de sept^), le peuple hébreu demeurera soumis au roi de Babylone. Après ce temps, Dieu délivrera son peuple , châtiera les oppresseurs , qu'il réduira à néant, fera rentrer de toutes parts les exilés, aussi bien ceux d'Ephraïm que ceux de Juda , aussi bien les captils de Ninive que ceux de Babylone ; il les ramènera dans la Terre promise, la Terre sainte , leur laissera rebâtir Jérusalem, et suscitera au milieu

1 Cf. ÉsaïeXXill, io, 17.

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d'eux un prince de la maison royale de David , qui gouvernera selon la justice , et qui assurera au pays la paix et la sécurité. En voyant se succéder les Joachas, les Joachim , les Joiakin , les Sédécias, princes infi- dèles, impuissants, inhabiles, inconstants dans tous leurs desseins, causes incessantes de malheurs pour l'État dont ils précipitaient la ruine , Jérémie appelait de tous ses vœux le roi de l'avenir, prophétisé par Ésaïe, le rejeton de David , qui devait gouverner avec justice , avec intelligence, avec fermeté, avec piété. En subis- sant avec larmes le joug honteux de l'étranger, en voyant un Nebucadnetzar fouler effrontément le sol sa- cré du temple, il invoquait en esprit le chef national , sorti du sein même de son peuple, issu delà famille des rois légitimes, et qui ne se permettrait d'entrer dans le sanctuaire que sur l'ordre exprès de Jéhovah. Ce prince , destiné à relever la dynastie de David , ne doit pas régner au delà du terme ordinaire de la vie humaine: mais une lignée non interrompue de rois de sa race lui succédera d'âge en âge. Le trait le plus remarquable de ces temps nouveaux sera la dévotion entière du peuple à son Dieu : une alliance nouvelle sera contractée entre Jéhovah et les Israélites, alliance fondée, de la part de Jéhovah, sur son amour inébran- lable en faveur d'Israël , et de la part d'Israël, sur la reconnaissance pour les bienfaits reçus, et sur la con- sécration du cœur au service de Dieu. Aussi n'y aura- t-il plus besoin de l'arche d'alliance en signe ou sym- bole de la présence de Dieu: Jéhovah lui-même, en personne, sera présent au milieu des siens. C'est ce que déjà Ésaïe avait fait obscurément pressentir. La conséquence naturelle de cet état de justice et de pu-

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65 reté sera Ja bénédiction temporelle, la fécondité des champs, l'abondance des récoltes, la beauté des trou- peaux, la joie, les danses et les fêtes. Une autre con- séquence sera la suppression des prophètes , devenus inutiles, puisqu'il n'y aura plus personne à reprendre ou à enseigner; car ce tous, les petits comme les grands, connaîtront Jéhovah.» Mais si les prophètes dispa- raissent, il n'en sera pas de même des prêtres. 11 y aura toujours des prêtres. On ne peut se passer de prêtres. Ils dureront aussi longtemps que les rois, aussi longtemps que les astres et leurs révolutions. S'il n'y avait plus ni prêtres ni lévites, qui donc pourrait a offrir l'encens et les holocaustes, et faire des sacrifices quo- tidiens ? ))

Comme nous avons vu tel prophète, dans un temps de guerres et de craintes de guerres, soupirer après la paix , Jérémie , dans une époque de troubles et de bouleversements, soupire après l'ordre, la stabilité, la succession, la durée. Tout absorbé par les doulou- reuses vicissitudes de son peuple , il ne se préoccupe pas de l'avenir des peuples voisins ; il n'a pas souci de leur bonheur; il ne songe guère à eux que pour appe- ler sur leurs têtes la malédiction et la ruine. S'il a un moment accepté la prophétie d'Ésaïe à leur égard, et s'il les laisse se rassembler à Jérusalem au nom de Jéhovah , pour se convertir à lui , il ne tarde pas à les oublier et à concentrer sur sa malheureuse patrie tout ce qu'il a de force d'espérance. Cette concentration même est loin de nuire à sa pensée i.elle lui fait dé- couvrir dans le domaine du judaïsme des horizons nouveaux, et, bien qu'il soit resté presque toujours fidèle à son caractère de prêtre dans ses vues messia-

S. .5

66 niques, elle ne lui en a pas moins inspiré la prédica- tion de la ((Nouvelle Alliance. »

CHAPITRE V.

L'eXTL. ÉZÉCHIEL. ÉSAÏE XXIV A. XXVII XL A LXVl.

§ 1. Nous voici en plein exil. Selon la coutume dès longtemps pratiquée par les Assyriens , qui fai- saient entre leurs provinces nouvellement conquises des échanges de population , soit comme châtiment , soit comme mesure de précaution , afin de gouverner plus facilement ces masses d'hommes dépaysés, Nebu- cadnetzar avait transféré une bonne partie des habi- tants de Jérusalem sur les rives du fleuve Kébar , en Mésopotamie. Un peu plus tard , d'autres furent expé- diés vers Babylone et l'Euphrate. Parmi les premiers , en compagnie du roi Joiakin, se trouvait Ezéghiel, fils du prêtre Bouzi (597). Transporté probablement assez jeune, il ne tarda pas à acquérir de la réputation et de l'influence dans la colonie. Sa vocation prophétique, d'abord étouffée par l'envie ou la lâcheté de ceux qui l'entouraient, finit par se l^aire jour. Il avait à com- battre l'idolâtrie , dont la contagion se répandait parmi les exilés, les vices et les crimes qui marchaient à sa suite, ou seulement un découragement funeste, qui gagnait même les meilleurs. Les yeux toujours tournés vers les montagnes de la patrie, il suivait d'un cœur inquiet et tremblant les destinées de Jérusalem, et l'on conçoit avec quelle avidité lui et ses compagnons de- vaient accueillir les nouvelles qui -lui en arrivaient. On apprend un jour que ceux qui sont restés dans la ville sainte ne parlent qu'avec dédain des exilés (bien que

61 ceux-ci justement aient été choisis parmi les familles les plus considérables du royaume), qu'ils les regardent comme exclus à jamais de la Palestine, et qu'ils se croient les seuls possesseurs légitimes du temple et du pays. Alors Ézéchiel se lève, fort des promesses an- tiques , et Jéhovah déclare par sa bouche que, tout au contraire, ce sont les exilés qui seront mis en posses- sion du pays d'Israël : XI, 48 , « ils y reviendront , ils en écarteront toutes les horreurs et tous les crimes ; je leur donnerai un même cœur, et je mettrai en eux un esprit nouveau ; j'ôterai de leur poitrine le cœur de pierre, et je leur donnerai un cœur de chair, afin qu'ils marchent dans mes commandements, qu'ils gardent mes lois et les accomplissent. Ils seront mon peuple et je serai leur Dieu ! »

Le prophète ne se faisait pourtant pas l'illnsion de croire que les souffrances d'Israël touchassent déjà à leur fin. Du fond de son exil, il annonce à Sédécias que le jour de sa perte est arrivé, et que la destruction complète de Jérusalem ne tardera pas. Il a sans doute appris la nouvelle expédition de Nebucadnetzar, entre- prise pour punir la trahison du roi de Juda; il sait que de nombreuses troupes assiègent Jérusalem, et l'issue ne lui paraît pas douteuse. Le prince coupable qui a at- tiré ce nouveau malheur sera détrôné, «sa couronne lui sera ôtée, sera détruite, anéantie... jusqu'à ce que vienne celui à qui le jugement appartient: je la lui don- nerai^!» — Plus lard, lorsque le sacrifice est con-

' Le régime du verbe donnerai peut êU'e la couronne ou le juge- ment. Le prophète veut dire que Sédécias s'étant montré indigne de régner, le trône va rester vacant jusqu'à ce que vienne le roi promis, le roi digne de gouverner Israël.

sommé, que le roi et les grands ont expié leur trahison par la mort, les supplices ou l'exil, et que le reste du peuple a été dispersé aux quatre vents des cieux, Ézé- chiel repasse en esprit toutes les péripéties de ce triste drame, et les retrace sous la forme d'une allégorie dont il donne lui-même l'explication. Il suppose qu'un aigle (Nebucadnetzar), après avoir brisé le sommet d'un cèdre élevé (le cèdre est le peuple hébreu, dont la cime brisée est Joiakin ou la famille royale tout entière), a trans- planté une branche de cet arbre, laquelle grandit, mais en étendant ses rameaux du côté d'un autre aigle. C'est Sédécias, placé sur le trône parle roi deBabylone, mais entretenant des intelligences avec le roi d'Egypte. Puis le prophète rappelle le châtiment du traître; et rattachant à la même image ses espérances, il ajoute :

XVII, 22 : ce Ainsi dit le Seigneur Jéhovah : moi aussi je prendrai une bouture à la cime du cèdre élevé..., je cueillerai un rameau délicat à la plus haute des branches, et je le planterai sur une montagne haute et élevée. Je le planterai sur la haute montagne d'Israël, et il produira du feuillage, et donnera du fruit, et deviendra un cèdre magnifique; toutes sortes d'oi- seaux y viendront habiter, et demeureront à l'ombre de ses branches. Et tous les arbres de la campagne reconnaîtront que c'est moi, Jéhovah, qui abaisse l'arbre élevé, qui élève l'arbre abaissé, qui fais sécher l'arbre vert et reverdir l'arbre sec.»

Cette allégorie (qui rappelle celle de Matth. XIII, 32) signifie que si l'empire de Chaldée est actuellement semblable à un arbre vigoureux, et le pauvre peuple israélite à un arbre sec et abattu, Jéhovah chanoera

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69 plus lard la face des choses, que sur cette cime main- tenant brisée, il prendra un rejeton, une bouture, la plus délicate des branches, c'est-à-dire un enfant royal, issu de cette famille jadis puissante, maintenant déchue; cet enfant grandira pour relever et couvrir de gloire sa dynastie, qui, identifiée avec le peuple d'Israël et la théocratie dont elle sera le représentant visible, abritera sous saprotection et sous son gouvernement toutes les nations de la terre. Ici reparaît l'espoir un moment effacé d'une domination d'Israël sur le monde. Cette domination ne sera pas une tyrannie, mais une sorte d'autorité paternelle, fondée sur l'influence morale, sur l'expérience de la justice et des compassions de Dieu. C'est ce que déclare Êzéchiel, lorsqu'après avoir dure- ment reproché à la nation judéenne ses «prostitutions,» ses infidélités, et lui avoir déclaré qu'elle est plus cou- pable que Samarie et que Sodome, il lui annonce sa rentrée en grâce, ainsi que celle des autres péche- resses, les nations ses sœurs, qui seront pour elle comme des filles (XVI, 60).

Tant que l'exil se présentait de loin, comme une me- nace, on pouvait. penser qu'il serait un enseignement efficace, qu'il provoquerait la repentance, qu'il chan- gerait les cœurs, et que tous ceux qui seraient appelés à subir ce châtiment en expiation des .fautes de tout le peuple, s'attachei'aient dorénavant avec énergie au culte de Jéhovah et à la pratique de sa loi. Mais Ezéchiel, vivant au milieu des exilés, se convainquit bientôt qu'il était loin d'en être ainsi, que le train du péché continuait aussi bien sur la terre étrangère que sur le sol de la patrie, qu'un nouveau triage serait nécessaire, que tons les exilés ne répondaient pas aux intentions

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de Dieu, Aussi Jéhovah écartera-t-il avec soin les mé- chants et les rebelles; les autres, ceux que l'épreuve aura purifiés et définitivement convertis, rentreront dans le pays de l'alliance, ils seront comblés de biens : XX, 40. «C'est sur ma sainte montagne, sur la haute montagne d'Israël que toute la maison d'Israël me servira, tous, tant qu'ils seront dans le pays. C'est que je les recevrai avec bienveillance, et que je ré- clamerai vos offrandes et les prémices de vos dons, avec tous vos biens consacrés... Je vous recevrai avec bien- veillance lorsque je vous retirerai du milieu des nations, et que je vous rassemblerai de toutes les contrées vous avez été dispersées, et je serai proclamé saint par vous en face des nations! )) Il semble que le pro- phète réponde ici à ceux qui croyaient qu'on pourrait rester indéfiniment en exil sans inconvénient, parce qu'ils commençaient à s'y trouver bien. Ce n'est que sur la montagne sainte que Jéhovah recevra avec bien- veillance les dons et les offrandes. Les vrais fidèles rentreront, les méchants seuls seront laissés dehors. Le peuple sera devenu pieux ainsi que ses chefs. Il n'y aura plus de ces pasteurs mercenaires qui ont attiré de si grands maux sur les brebis de Jéhovah : XXXIV, 23. «J'établirai sur mes brebis un berger qui les paisse bien; ce sera mon serviteur David. Il les paîtra, il sera leur bergei', et moi, Jéhovah, je serai leur Dieu, tandis que mon serviteur David sera prince au milieu d'elles... Je ferai une alliance de paix avec elles, et j'exterminerai du pays tout animal sauvage pour qu'elles puissent habiter avec confiance dans les plaines et sommeiller dans les bois.» Les campagnes et les collines de la Judée seront habitées de nouveau,

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et deviendront plus riches en liomnaes et en troupeaux qu'auparavant (XXXV[).

Toutes ces promesses ne doivent cependant pas enor- gueillir les enfants d'Israël, car. féhovah a moins égard à eux-mêmes qu'à sa propre gloire, qui est intéressées leur salut. Gomme ils sont le peuple de Jéhovah, le nom de leur Dieu est actuellement blasphémé par les païens, qui ne mesurent (comme il est raisonnable) la puissance d'une divinité que par la prospérité de ses adorateurs. C'est pourquoi Jéhovah a décidé de les re- tirer du milieu des nations païennes, et de les ramener dans leiir pays. Il répandra sur eux une eau pure, pour les laver de toutes les taches qui les souillent, et il y joindra beaucoup d'autres bienfaits, tant spirituels que temporels. XXXVI, 26: «Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau; j'ô- terai de votre chair le cœur de pierre, et je vous don- nerai un cœur de chair. Je mettrai mon esprit en vous, et je ferai que vous marchiez dans mes ordonnances, que vous gardiez ma loi et que vous la pratiquiez. Et vous habiterez le pays que j'ai donné à vos pères; vous serez mon peuple e.t je serai votre Dieu. Je vous déli- vrerai de toutes vos souillures... Je multiplierai le fro- ment et je ne vous enverrai plus la famine. Je multi- plierai le fruit des arbres et le produit des champs, afin que vous n'ayez plus de honte parmi les païens... Et vous vous souviendrez de toutes vos voies mauvaises, de toutes vos actions criminelles, et vous aurez du dé- goût de vos fautes et de votre conduite. Ce n'est pas à cause de vous que je le fais, dit le Seigneur, remar- quez-le bien!... D Quand toutes les fautes d'Israël seront pardonnées, les ruines relevées, les villes repeuplées,

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le pays transformé en un Eden , alors les païens eux- mêmes seront obligés de reconnaître la grandeur et la puissance de Jéhovah (vers. 33 à 36).

Tout le monde connaît le magnifique chapitre XXXYII, la vision des ossements desséchés et rappelés à la vie. C'est l'image du peuple d'Israël, dont les membres sont dispersés en tout lieu, secs, sans vie, disjecta mem^m/... Les vastes plaines de l'Assyrie et de la Ghaldée sont jonchées de ses débris épars.Il pré- sente un aspect de mort. La terre d'exil est son sépulcre. Mais quelles que soient les apparences, ce peuple re- vivra. A la voix des prophètes, ces débris se réuniront; au souffle de Jéhovah, au souffle de son esprit, une vie nouvelle les animera; les deux parties de la nation, ÉphraïmetJuda, si longtemps séparées par la jalousie, par le péché, puis par le malheur, se rejoindront; ce sera vraiment la résurrection d'un peuple. Ils forme- ront une seule et bienheureuse nation, un seul corps, sous le commandement d'un chef unique, appartenant à la famille de David, (c Mon serviteur David les gou- vernera, et ils n'auront qu'un seul berger. Ils marche- ront dans mes ordonnances, ils garderont mes lois et les accompliront. Ils demeureront dans le pays que j'ai donné à mon serviteur Jacob, vos pères ont de- meuré; ils y demeureront avec leurs enfants et leurs petits-enfants à toujours; et David, mon serviteur, sera prince sur eux à toujours ! Et je ferai avec eux une al- liance de paix, une alliance éternelle... J'établirai mon sanctuaire au milieu d'eux pour toujours, et ma de- meure sera chez eux, et je serai leur roi, et ils seront mon peuple, et les païens reconnaîtront que c'est moi Jéhovah qui sanctifie Israël, puisque mon sanctuaire

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y sera établi gi toujours ! » Ézéchiel affecte de répéter le mot ((toujours,)) comme pour bien se persuader que le retour des malheurs dont il a été victime sera impossible, et que le rétablissement de l'état israélite sera bien complet, définitif, éternel. Hélas! y a-t-il rien d'éternel parmi les choses d'ici-bas?

Voilà donc, d'après Ézéchiel, le peuple israélite ren- tré dans sa patrie, il voit se réaliser les promesses de Dieu , il vit sous le gouvernement d'un bon prince , en paix et en prospérité. C'est alors que pour achever le cours de ses destinées glorieuses, et pour accomplir les antiques prophéties, il entrera encore une fois en lice avec les peuples, mais une dernière fois, et pour une lutte décisive. Le paganisme tout entier, dans la personne des peuples du Nord, appelés Magog, et sous la conduite d'un chef du nom de Gog, se précipitera sur Israël. Mais Jéhovah se lèvera alors, combattra lui-même pour son peuple, et exterminera l'immense armée des ennemis. C'est le jugement dernier des na- tions qu'attendait Joël, et qu'Ezéchiel dépeint sous des couleurs apocalyptiques, peut-être empruntées à l'O- rient. C'est Jéhovah lui-même qui attire Gog des extré- mités du Nord, afin de montrer sa puissance aux na- tions. Il fera pleuvoir des pierres, du feu et du soufre sur les innombrables escadrons. Le carnage aura lieu sur les monts d'Israël. Tous les oiseaux des cieux sont conviés d'avance au funèbre festin^.

La fin du livre d'Êzéchiel, de XL à XLVIII , est comme la confidence de ses pensées secrètes, de ses songes, son Utopia, son royaume de Salente. Pendant les loisirs et les regrets de son long exil, il s'est plu à

^Cf. LucXVH, 37.

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peindre, jusque dans les plus minutieux détails, l'ave- nir qu'il désirait. Le souvenir venait en aide à l'espé- rance. Il décrit la cité idéale de l'avenir. Mais fils de prêtre et sans doute prêtre lui-même, il arrête avec la plus grande complaisance son attention et sa rêverie sur le temple et le sacerdoce. La ville sera carrée; le temple aussi. Peut-être songeait-il aux magnificences du temple de Bel, dont s'enorgueillissait la Ghaldée. 11 veut un sacerdoce parfaitement pur; il étend à tous les prêtres les exigences auxquelles le Pentateuque ne soumet que le souverain sacrificateur. Il marque géo- graphiquement les limites des douze tribus, par des lignes droites. Il désigne l'apanage du prince, ses rap- ports avec les prêtres, l'étiquette qu'il doit observer à l'égard du temple : il ne lui est pas pei'mis d'y entrer; il attendra à une porte que les prêtres prennent de sa main et offrent de sa part les sacrifices. Ses posses- sions, sa liste civile, sont déterminées, assez considé- rables cependant pour qu'il ne soit pas tenté de s'em- parer du bien d'autrui. Même son droit de disposer de ce qui lui appartient est réglé. La Palestine, arrosée par un fleuve qui jaillit d'une des portes du temple (peut-être une image des bienfaits que le sacerdoce répandra autour de lui), devient une contrée extrême- ment fertile, même dans ses parties jusqu'alors les plus ingrates; la mer Morte cesse d'être un marais fu- neste, tant la vie et la fécondité débordent sur tout le pays. Quant au futur temple, Ézéchiel en donne toutes les dimensions, toutes les proportions, toutes les divi- sions; il a oublié les tristesses du temps présent pour vivre tout entier par l'imagination dans le bienheureux sanctuaire.

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Dans cette organisation si minutieusement prévue et réglée, il ne laisse pas de place pour l'extraordinaire; il a perdu de vue l'être merveilleux annoncé par Ésaïe. Le rejeton de l'arbre royal doit être tout simplement le premier roi qui régnera après l'exil sur les douze tribus réunies et auquel succéderont sans interruption, ((toujours,)) des rois de la même race. Ezéchiel sépare avec un soin jaloux les attributions toutes politiques du prince des privilèges des prêtres; il prévoit même de sa part des velléités d'injustice , de spoliation ou de dis- sipation folle, auxquelles il oppose prudemment une digue légale. Le roi dans son palais, les prêtres dans leur temple splendide , les douze tribus sous le même sceptre, chacune enfermée dans ses limites, le sol fer- tile, les ennemis abattus, les nations respectueuses et sympathiques, Jéhovah fidèlement servi par les siens et honoré par tous, tel est le tableau de l'âge messianique ti'acé par Ezéchiel. *

§ 5. Pendant qu'Ézéchiel espérait au dehors, d'autres espéraient au dedans. Cette espérance était d'autant plus naturelle que les malheurs dont on souffrait avaient été prédits et n'étaient pour ainsi dire que la préface ou le prélude du rétablissement. Les chap. XXIV à XXVII du LIVRE d'Ésaïe ont dti être écrits en Palestine, peu de temps après la destruction de Jérusalem. Le pays est horriblement dévasté. Les barbares triomphent, mais leur triomphe ne durera pas toujours. Jéhovah tuera le monstre, le Léviathan (l'empire Ghaldéen) et fera de la ville puissante des barbares un amas de ruines. Puis il rassemblera au son de la grande trompette tous les fds d'Israël dispersés depuis le Nil jusqu'à l'Euphrate , et ils viendront adorer Jéhovali sur sa sainte montagne, à Je-

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rusalem. Sur cette même montagne Jéhovah offrira aux nations « un banquet de viandes grasses et de vins cla- rifiés , )) et il dissipera l'obscurité dont elles sont enve- loppées, c'est-à-dire qu'il les nourrira du pur et salu- taire enseignement de sa Loi et les arrachera aux ténèbres de l'idolâtrie et aux maux qui en sont la con- séquence. « Il détruira la mort pour toujours ; il essuiera les larmes de tous les visages et fera disparaître de toute la terre la honte de son peuple ! » Mais toutes les nations ne seront pas également favorisées : Moab, par exemple, qui s'est joint sans doute aux Ghaldéens ou qui s'est glissé sur leurs traces pour faire souffrir ceux des Israélites que l'exil n'avait pas emportés, «Moab sera foulé au lieu il se trouve, comme on foule la paille dans la mare au fumier; il y étendra les mains, comme fait le nageur pour nager; mais Jéhovah le fera retomber ! »

<{]n autre prophète, Abdias (Obadia), peut-être aussi en Palestine et vers la même époque, menace de la co- lère divine, non pas Moab, mais les Iduméens, qui avaient lâchement profité des désastres d'Israël pour l'accabler. Il annonce le grand jour du châtiment et le retour des exilés dans la patrie , qu'ils agrandiront aux dépens des peuples voisins.

§ 3. Cependant l'exil se prolongeait, triste, mono- tone, sans issue. Il avait eu sur un grand nombre d'Is- raélites la plus funeste influence. Les mœurs et les cultes des païens au milieu desquels ils vivaient les avaient fascinés. Ceux qui avaient retenu la religion de leurs pères et continuaient à observer les sabbats, les jeûnes, les pratiques de la loi, le faisaient mollement et non sans de fréquentes infractions : ils alliaient à

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une certaine fidéiilé extérieure une conduite blâmable. Quelques-uns seulement, de petits groupes, perdus au milieu des multitudes hostiles, protestaient par leur vie pieuse et par leur inébranlable attachement à Jéhovah contre tant de crimes ou d'insouciance. Ceux-là, en butte aux moqueries, aux outrages, à la haine de tous, étaient également persécutés par les païens dont ils avaient la religion en horreur, par les apostats qui se vengeaient sur eux de leurs remords, et par les indiffé- rents auxquels ils étaient un vivant reproche. Vrais re- présentants d'Israël , ils étaient les seuls qui souffrissent réellement de la captivité et dont l'âme soupirât après la délivrance, après la pa'rie, après la sainte montagne de Sion. Mais ils soupii'aient en vain. Rien ne leur lais- sait présager la fin de leurs maux et de leur exil , et ils en étaient réduits à ne trouver de repos que dans la tombe.

Tout à coup la scène change. L'empire si solide *de la Babyionie est ébranlé. De l'Orient et du Nord une irrésistible invasion se déchaîne. Ce sont les Perses, âpres montagnards ; ce sont les Mèdes, que les Perses entraînent avec eux. Un chef jusqu'alors invaincu les conduit à la conquête du monde. L'Egypte est mena- cée , la Lydie est soumise , la Ghaldée est envahie. Bien- tôt Babylone elle-même, la fière, la reine des nations, tombera au pouvoir des vainqueurs. On devine avec quelle émotion les exilés, ceux du moins qui n'avaient pas perdu le souvenir de la Terre sainte, suivaient les progrès de Gyrus et ressentaient le contre-coup de toutes ses victoires. C'est alors , entre la prise de Sardes et celle de Babylone (entre 546 et 539), qu'un prophète, dont le nom malheureusement n'a pas été transmis à la pos-

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térité, écrivit, pour ranimer ses compagnons d'exil et les préparer aux grandes destinées qui les attendaient, les admirables pages dont se compose la deuxième moi- tié DU LIVRE d'Ésaïe , XL à LXVI.

Il salue dans Cyrus l'envoyé, le berger, le serviteur de Jéhovah , «le Messie, )> qui doit exécuter les juge- ments divins, châtier l'insolence des oppresseurs, rendre aux enfants d'Israël leur patrie et ouvrir ainsi l'ère prédite par les prophètes.

«Ainsi parle Jéhovah à Cyrus, son Messie, qu'il a pris par la main . pour lui assujettir les nations : Je dénouerai les ceintures des rois; les portes ne te seront pas fermées , je les ouvrirai devant toi à deux battants. C'est moi qui marcherai devant toi; j'aplanirai les co- teaux, je romprai les portes d'airain; je briserai les verrous de fer... , afin que tu saches que c'est moi , Jé- hovah, le Dieu d'Israël, qui t'ai appelé par ton nom... C'est moi qui ai suscité Cyrus dans ma bonté; j'ai aplani tous ses chemins; il rebâtira ma ville et renverra mes exilés sans rançon ni présent, dit Jéhovah des armées (XLV), L'homme qu'aime Jéhovah exécutera ses ordres dans Babylone, et son bras s'appesantira sur les Chal- déens ! C'est moi qui en ai parlé et qui l'ai appelé ; je l'ai fait venir et son entreprise réussira » (XLVIII, d4, 15).

Babylone a trop longtemps abusé de la puissance que Dieu lui avait confiée : elle a trop lourdement pesé sur les enfants d'Israël; elle s'est montrée sans pitié, sans pudeur, sans conscience; l'heure des rétributions est arrivée. A cette pensée, tout ce qui s'était amassé de douleur, de honte, de découragement, de rancune dans le cœur des exilés pendant leur longue servitude, éclate sous la plume du prophète en violentes imprécations, en sanglante ironie , en implacable triomphe.

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Si Jéhovah a tanl tardé, c'est à cause des péchés du peuple. Les Israélites avaient été abandonnés à l'oppression en châtiment de leurs fautes : l'oppres- sion ne les a pas rendus meilleurs. Malgré cet en- durcissement, la délivrance, quelque tardive qu'elle lut, était inévitable. Le prophète en donne deux rai- sons, en apparence contraires, mais qui se conci- lient à une certaine profondeur. La première, c'est que l'expiation est achevée ou près de l'être (XL, 2) : « Parlez au cœur de Jérusalem et criez-lui que son temps de corvée est accompli, que son péché est ex- pié, qu'elle a reçu le double pour ses fautes!» La domination des Ghaldéens a été si écrasante, si humi- liante, que le châtiment semble avoir dépassé le crime. Tous pourtant n'ont pas souffert. L'expiation n'a été subie, offerte que par quelques-uns, les vrais fidèles. Ils ont porté les fautes des autres, ils ont servi de vic- time expiatoire, de propitialion. Gomme un rejeton qui pousse inopinément dans une terre sèche, ils ont grandi devant Dieu malgré toutes les influences contraires; sans défaillir, ils ont tout supporté : mépris, injures, coups, même la mort. Un tombé, l'autre était encore là. On eût dit un seul homme chargé de boire jusqu'à la lie la coupe de la colère divine (XLII, XLIX, LU, LUI). Mais après l'épreuve vient la récompense : « Quand son àme aura souffert l'expiation , il se verra de la postérité, il prolongera sa vie, et l'œuvre de Jéhovah prospérera dans sa main. Délivré des peines de son âme, il vivra dans l'abondance... Je lui donne- rai son héritage parmi les grands, et il partagera le bu- tin avec les puissants...» La seconde cause de la déli- vrance, c'est la promesse infaillible de Dieu qui avait

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80 résolu dès l'origine qu'Israël serait son peuple élu, son serviteur dans le monde. C'est un sceau ineffaçable, un caractère indélébile de prêtrise, une vocation qui subsiste à travers toutes les vicissitudes et toutes les chutes. Israël ne l'a pas mérité; il ne peut non plus en démériter : cela provient de la pure grâce, de la pure volonté de Dieu, (c Qui est aveugle comme mon servi- teur, et sourd comme mon envoyé ?d Israël demeure le serviteur, l'envoyé, l'apôtre de Jéhovah en dépit de sa cécité, de sa surdité, de son ingratitude, malgré les éclipses de son intelligence et de sa foi. « Je me suis formé ce peuple.» «Il est le peuple éternel. » On voit qu'il ne peut pas périr. Il a de grandes destinées : il doit servir à la gloire de Jéhovah,, à la destruction des idoles, à la conversion des païens, au renouvellement de la nature entière. C'est moins un peuple qu'une idée, une abstraction, un idéal auquel les faits sont encore contradictoires, mais auquel ils devront tôt ou tard se soumettre. Pour le moment, cet Israël -Messie, ce peuple-prêtre, ce serviteur collectif de Jéhovah est sur- tout représenté par le groupe des vrais fidèles. Ils sont semblables à «ce jus de bénédiction)) qui se trouve dans la grappe, et grâce auquel la grappe tout entière est épargnée, bois, pellicules et pépins. Ainsi sera épargné le reste du peuple, grâce aux serviteurs fidèles qui portent en eux le sort d'Israël et du monde : ils serviront à rallier les indifférents et les coupables; ils seront « l'alliance du peuple,)) rassembleront les tribus dispersées, et élèveront au milieu des nations l'étendard de Jéhovah !

Mais il la ut avant tout rentrer en Palestine, c'est la condition sans laquelle l'âge messianique ne saurait

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commencer. Sion est le rendez-vous de tous les enfants d'Israël. Tous n'étaient pas disposés à y revenir. Plu- sieurs avaient fini par s'habituer à leur nouvelle exis- tence; la Ghaldée leur était devenue une seconde patrie, ils y étaient nés pour la plupart; ils y avaient leurs biens, leurs gains, leurs habitudes. Ce voyage en masse à travers les dangers du désert leur souriait peu. Ils préféraient les bords familiers de l'Euphrateou du.Gha- boras à ceux du Jourdain. La Palestine était désolée; les villes en ruine, les champs en friche ou possédés par des étrangers, qui ne se laisseraient pas dépouiller sans lutte. C'est pour répondre à ces objections et à ces craintes que le prophète dépeint le passage du désert sous de si riantes couleurs, ce J'établirai dans le désert une route et des ruisseaux d'eau dans la sohtude, les bêtes des champs, les chacals et les autruches me cé- lébreront, parce que je mettrai dans le désert des eaux et des ruisseaux dans la solitude pour abreuver mon peuple, mon élii... Ils n'auront pas soif au milieu des déserts Jéhovah les conduira : il leur fera jaillir des eaux du rocher! » Des miracles les précéderont : une onde fraîche jaillira sous leurs pas, des arbres de toute sorte produiront un épais ombrage. Ce long voyage se fera sans fatigue et ne ressemblera pas aux quarante années du désert sous la conduite de Moïse. Puis la

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Terre sainte sera repeuplée comme par enchantement; les intrus seront chassés sans peine; les Hébreux dis- persés reviendront de tous les bouts de la terre, et une abondance incomparable sera leur partage.

Aussitôt après que les enfants d'Israël auront quitté la Babylonic, traversé le désert et mis le pied sur la Terre sainte, l'âge messianique commencera. Au lieu de s. ^

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résumer la pensée du prophète, laissons- le plutôt dé- ployer lui-naême devant nous toute la richesse de ses espérances. Il s'adresse à Jérusalem : (LX) «Lève toi, resplendis; car ta lumière apparaît, et la gloire de Jé- hovah se lève sur toi. Voici, les ténèbres couvrent la terre, et l'obscurité les peuples; mais sur toi se lève Jéhovah, et sa gloire brille au-dessus de toi. Les peuples marcheront à ta lumière, et les rois à l'éclat de ta splendeur. Regarde autour de toi... Tes fils viennent à toi des pays lointains; tes filles sont portées sur les bras. Oui regarde et réjouis-toi ! Que ton cœur bondisse et se dilate! Car l'opulence de la mer se tournera vers toi, et les richesses des nations viendront à toi... Elles apportent de l'or et de l'encens; elles célèbrent les louanges de l'Éternel... Tous les troupeaux de Kédar se rassemblent chez toi; les béliers de Nébaioth sont à ton service; ils monteront sur mon autel... Je couvrirai de gloire ma glorieuse Maison (le Temple). Les fils de l'étranger rebâtiront tes murailles, et leurs rois te ser- viront : car, si je t'ai frappée dans ma colère, j'ai com- passion de toi dans ma bienveillance. Tes portes seront ouvertes sans cesse; on ne les fermera ni jour ni nuit, pour laisser entrer dans ton sein les richesses des na- tions et leurs rois captifs. Le peuple et le royaume qui ne le serviront pas périront : ces nations se desséche- ront. La gloire du Liban viendra chez toi, le cyprès, le platane et le mélèze croîtront pour orner mon sanc- tuaire, pour que je glorifie le lieu mes pieds se posent. Les fils de tes oppresseurs viendront vers toi, courbés, et ceux qui te méprisaient se prosterneront jusqu'à la plante de tes pieds, et t'appelleront : Cité de Jéhovah, Sion du saint d'Israël!»

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Il esL beau de voir ici les espérances du prophète croître et s'exalter et s'élever d'un vol hardi en décrivant des cercles toujours plus vastes et plus radieux, jusque dans les régions de la pure poésie :

((Tu étais abandonnée, haïe, solitaire; désormais je lerai de toi une splendeur éternelle, un délice pour toutes les générations. Tu suceras le lait des peuples, tu fetterasà la mamelle des rois, et tu reconnaîtras que c'est moi, Jéhovah qui suis ton sauveur, et que ton li- bérateur est le héros de Jacob! Au lieu d'airain, je fe- rai venir de l'or, au lieu de fer je ferai venir de l'argent, au lieu de bois de l'airain, au lieu de pierres, du fer. Et je le donnerai pour surveillants la Paix, et pour gouverneurs la Justice. On n'entendra plus parler de violence sur ton territoire, de ruine ni de destruction dans tes frontières. Tu nommeras tes remparts Salut, et tes portes Gloire. Le soleil ne sera plus ta lumière pendant ie jour, ni la lune ne t'éclairera plus de sa lueur pend^ant la nuit : mais Jéhovah te sera une lumière éternelle, et ton Dieu sera ta gloire. Ton soleil ne se couchera plus, et ta lune ne décroîtra plus : car Jého- vah te sera une lumière éternelle : les jours de ton deuil seront passés. Tout ton peuple sera un peuple de justes : rejeton que j'ai planté, ouvrage C[ue j'ai fait pour ma gloire, il possédera le pays à toujours!... Les étrangers seront à vos ordres et paîtront vos troupeaux; les fils de l'étranger seront vos laboureurs et vos vendangeurs. Mais vous, vous serez appelés prêties de Jéhovah; on vous nommera serviteurs de notre Dieu. Vous absor- berez la richesse des nations, et vous vous substituerez à elles dans leur 2:loire ! »

Enfin, le monde tel qu'il est. '' vieux monde décré-

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pit l'on a tant souffert, ne suffit plus à contenir les transports du prophète, et ne lui paraît pas un lieu digne de la gloire et de la félicité qu'il rêve pour le peuple d'îsraël : LXV, 17. ((Voici, je créerai de nou- veaux cieux et une nouvelle terre; on ne se souviendra plus des choses passées, et elles ne reviendront plus en mémoire. Au contraire, vous serez éternellement con- tents et joyeux de ce que j'aurai créé : car voici, je crée- rai Jérusalem pour la joie, et son peuple pour l'allé- gresse. Je ferai ma joie de Jérusalem, et mon bonheur de mon peuple. On n'entendra plus dans son sein la voix des pleurs et des gémissements ! On n'y verra point d'enfant qui vive peu de jours, ni de vieillard qui n'atteigne les limites de la vie; car ce sera mourir jeune que de mourir centenaire ; le pécheur ne sera emporté par la malédiction qu'à cent ans ! Ils bâtiront des maisons et les habiteront; ils planteront des vignes et en mangeront les fruits. Ils ne bâtiront pas de mai- sons pour qu'un autre y habite; ils ne plaiiteront pas de vignes pour qu'un autre en mange les fruits. Car l'âge de mon peuple atteindra le grand âge des arbres, et mes élus jouiront de Fœuvre de leurs mains. Ils ne travailleront pas en vain; ils n'enfanteront pas pour l'épouvante. Car ils .sont la race des bénis de Jéhovah, et leurs rejetons avec eux! Et il arrivera qu'avant qu'ils m'invoquent, je répondrai; ils parleront encore, j'aurai exaucé! Le loup et l'agneau paîtront ensemble; le lion mangera du fourrage comme le bœuf, et le serpent se nourrira de poussière. Il ne se fera aucun mal sur toute ma sainte montagne, dit Jéhovah!»

Dans tout le cours de ces prophéties, nous ne voyons pas une seule fois apparaître le chef davidique auquel

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la prospérité du peuple semblait attachée. Non-seule- ment ce chef spécial n'est pas annoncé, mais il n'est pas même question de roi ni de race royale. C'est que, pendant la longue durée de l'exil, la race de David s'était obscurément éteinte, s'était fait oublier. Ses derniers représentants sur le trône avaient fait si triste figure qu'on n'avait plus guère intérêt à rechercher leur lignée. Le Messie attendu paraît dans la personne d'un conquérant qui se précipite des profondeurs de l'orient et du nord. Il faut saisir le salut d'où qu'il vienne; après tout il ne vient que de Jéhovah, dont les mystérieux desseins concourent tous au relèvement de son peuple. Ce que notre prophète attend ce n'est pas un roi, quelque grand qu'il puisse être, c'est la vraie théocratie, telle qu'elle existait dans les jours de Samuel, des Juges, de Moïse ou des patriarches, c'est le gouvernement direct et visible de Jéhovah. Mais il y a dans sa pensée un progrès manifeste sur l'ancienne théocratie; 'car il paraît ignorer le sacerdoce; il le supprime ou le laisse dans l'ombre, combien différent en cela de Jérémie et d'Ézéchiel ! « Je te donnerai pour chef la Paix et pour gouverneur la Justice. » Tous les Israélites seront prêtres parce que tous seront justes. C'est ((un peuple de justes,» c'est «un peuple de prêtres.» La communauté dont ils sont prêtres, c'est la vaste assemblée des nations qui se convertissent au Dieu d'Israël : les peuples sont les Idicjîies, les Israé- lites sont le clergé. Bien plus, dans un élan de géné- rosité suprême, le prophète va jusqu'à briser cette barrière qu'il avait déjà tant élargie , et il montre Jé- hovah se choisissant des prêtres et des lévites jusque parmi les païens, dont quelques-uns se consacreront

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à la conversion de leurs frères et deviendront de vrais apôtres des Gentils.

LXVI, i8. «Le temps vient de rassembler tous les peuples et toutes les langues, pour qu'ils viennnent et qu'ils voient ma gloire. Je leur donnerai un signal, et je renverrai les échappés d'entre eux aux nations, à Tarsis, à Put et à Lud, pays des archers, à Tubal et Javan , aux îles lointaines qui n'ont jamais entendu parler, de moi ni vu ma gloire ; ceux-là annonceront ma gloire aux nations. Et ils ramèneront tous vos frè- res (les Israélites dispersés) du milieu de tous les peu- ples, comme une offrande à Jéhovah , sur des chevaux, sur des chars, en litière, sur des mulets, sur des dro- madaires, jusqu'à ma sainte montagne, à Jérusalem, dit Jéhovah, comme les fils d'Israël portent dans un vase pur leur offrande à la maison de Jéhovah. Je prendrai même parmi eux des prêtres et des lévites, dit Jéhovah. »

Il semble qu'il n'y ait plus qu'un pas à faire (et pourtant c'était un abîme) pour arriver à la religion sans prêtres et sans temple , à la rehgion définitive , celle de Jésus-Christ. Il fallut des siècles pour que ce pas fût franchi. Notre prophète anonyme veut encore qu'on adore à Jérusalem , que « de nouvelle lune en nouvelle lune, et de sabbat en sabbat» toute chair vienne se prosterner devant Jéhovah dans son sanc- tuaire , dans le lieu qu'il habite de préférence, à Sion. C'est que doivent affluer les dons, les offrandes, les caravanes des nations. Les bénédictions qu'un tel culte répandra sur ses adhérents sont temporelles comme le culte lui-même; c'est une longue vieillesse, une inta- rissable abondance, une jouissance ininterrompue.

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CHAPITRE VI.

LE RETOUR. AGGÉE. ZACHARIE. MALACHIE.

§1. Babylone fut prise en 539 par Gyrus, qui se garda bien de détruire la ville splendide dont il voulait faire la capitale de son vaste empire. Il commença ainsi à tromper l'attente des prophètes, qui croyaient que le premier acte de l'intervention divine serait l'anéantis- sement de l'orgueilleuse cité. Trois ans plus tard, sans doute sur leurs pressantes instances, Cyrus accorda aux Juifs la permission de rentrer dans leur patrie (536). Le moment tant désiré était donc enfin venu ! L'âge messianique allait donc commencer! Des foules d'exilés, portés sur les bras des peuples, allaient en- trer en triomphe à Jérusalem ! Toutes les magnifi- cences promises allaient se réaliser ! Non. La grande majorité des enfants dTsraël refusa de quitter une pos- session certaine pour des biens douteux. Un petit nombre seulement profita de la permission accordée par Cyrus. Un des leurs, Zorobabel, que l'on disait appartenir à la famille royale, fut nommé gouverneur de la Judée au nom du roi des Perses. Jérusalem ne re- leva ses ruines qu'à grand'peine. La construction du temple, qui d'ailleurs paraît avoir été mesquin , n'avan- çait qu'avec lenteur. Elle fut me-^ne entièrement inter- rompue par l'hostilité des colons qui avaient été en- voyés en Palestine lors de la déportation des Israélites. Un ordre formel, qu'ils obtinrent de la cour des Perses, suspendit les travaux. Après la mort du faux Smerdis, de qui provenait cette défense , et sous le gouverne- ment moins tyrannique de Darius, fils d'Hystaspe, les

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travaux furent repris à l'instigation des prophètes Aggée et Zacharie.

§ 2- Aggée, dans le dessein d'encourager Zorobabel, fils de Salathiel , gouverneur de Judée, et Josué, fils de Jossadak, grand-prêtre, à activer les travaux, et tous les Juifs à y contribuer de leurs dons et de leurs bras, déclare que la disette dont on souffre est un châtiment de la nonchalance du peuple à l'égard de la maison de Jéhovah, et qu'avec l'achèvement du temple coïnci- dera l'âge messianique, dont le temps présent offre si peu l'image : II, 6. «Encore un peu de temps, et j'é- branlerai le ciel et la terre, la mer et le désert, et j'ébran- lerai tous les peuples, et leurs plus précieux trésors af- flueront ici \ et je remplirai de gloire cette Maison , dit Jéhovah des armées : à moi l'argent, à moi l'or, dit Jé- hovah des armées ! La gloire de cette dernière Maison dépassera celle de la première, dit Jéhovah des armées! C'est dans ce lieu que je mettrai la paix , dit Jéhovah des armées! » C'est-à-dire, la paix définitive, l'accomplis- sement {Schâlôm) sont attachés à la construction du temple. Dès qu'il sera achevé, la grande catastrophe aura lieu ; les peuples se détruiront eux-mêmes dans des guerres fratricides, leurs richesses afflueront au temple, et la Terre sainte jouira enfin des biens promis, sous le commandement de Zorobabel, qui est le chef prédit, élu, choisi, le Messie annoncé: «Dis à Zoro- babel, le gouverneur de Juda : Je vais ébranler le ciel et la terre; je vais renverser le trône des royaumes, j'anéantirai la force des royaumes des païens; je ren- verserai les chariots avec leurs conducteurs, les çhe-

* Ou peut-être : «les meilleurs d'enire-eux viendront...»

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vaux avec leurs cavaliers; chacun périra par l'épée de son frère. En ce jonr-là , dit Jéhovah des armées , je te prendrai, toi Zorobabel, fils de Salathiel, mon servi- teur, dit Jéhovah, et je te garderai comme un cachet ' : CAR c'est toi que j'ai CHOISI, dit Jéhovah des ar- mées ! ))

C'est par ces paroles significatives que se. terminent les prophéties d'Aggée.

§ 3. Zacharie, fils de Béréchie, prophétisa dans ie même temps, dans le môme esprit et dans le même dessein qu'Aggée. Son livre (I à YIIÏ) se divise en trois parties inégales, dont la seconde (I, 7 à VI, 15) est la plus étendue et la plus importante ; elle se compose de sept visions. L'exil n'a pas été sans influence sur cette forme nouvelle de la prophétie, que nous avons déjà rencontrée chez Ézéchiel. La doctrine des anges a ac- quis de nouveaux développements, dont nous trouvons la preuve chez Zacharie, et qui dans le livre de Daniel s'appliqueront même aux idées messianiques. Nous al- lons relever rapidement dans les prophéties de Za- charie tous les passages qui se rapportent à notre sujet.

La première vision , celle des cavaliers , se termine par des promesses qui ne diffèrent en rien de celles des anciens p^^ophètes: Jéhovah fera éclater sa colère sur les peuples qui vivent maintenant en paix après avoir fait tant de mal aux enfants d'Israël. Il aura pitié de Jérusalem ; son temple y sera enfin construit, et toutes les villes de la terre sainte regorgeront de biens.

La deuxième vision, celle des quatre cornes et des

1 C'est-à-dire : Je te garderai comme celui qui doit mettre le sceau à toutes mes promesses.

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quatre forgerons , annonce le grand jugement des peu- ples qui ont été hostiles à Juda.

La troisième vision, celle de l'homme avec un cor- deau, précise davantage ce que les deux premières n'ont fait qu'indiquer. Jérusalem sera si vaste et si peu- plée qu'il ne faudra pas songer à l'enfermer dans des murailles. Jéhovah lui-même sera une muraille de feu autour d'elle. Les Israélites demeurés dans la Babylonie n'ont qu'à se hâter de revenir, parce que les jugements de Dieu vont éclater sur les nations. Il, 14 : ((Réjouis- toi et tressaille, fille de Sion, car voici, je viens, et j'ha- biterai au milieu de toi , dit Jéhovah , et dans ce temps-là un grand nombre de peuples s'attacheront à Jéhovah, et ils seront mon peuple... Jéhovah aura Juda en héri- tage pour sa portion sur la Terre sainte; il se choisira encore Jérusalem. Que toute chair se taise devant Jé- hovah : car il s'élance de sa sainte demeure ! »

Le chap. III raconte le jugement fictif du grand- prêtre Josué ; cet épisode rappelle le prologue de Job. Zacharie suppose que le grand-prêtre Josué est accusé par Satan devant Dieu, qui l'acquitte ^ L'ange qui lui annonce cet acquittement, lui promet en même temps de la part de Jéhovah, que s'il reste fidèle, il aura le privilège d'achever la construction du temple et de voir l'avènement du Messie. «Écoute donc, Josué, grand- prêtre, toi et tes amis qui sont assis avec toi... Voici, je fais venir mon serviteur Germe^ !... En ce jour-là , dit Jéhovah, vous vous inviterez l'un l'autre sous la vigne et le figuier. »

' Ewald suppose que c'est une allusion aux accusations dont Josué aura été l'objet à la cour du grand roi. S'il est acquiUé au ciel . qui le condamnera sur la terre?

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Le chap. IV renferme ia vision du chandelier et des deux branches d'olivier. Jéhovah fera reposer son esprit sur Zorobabel, en sorte que tout lui soil facile, que tous les obstacles s'aplanissent devant lui, et qu'il pose la dernière pierre de l'édifice sacré, comme il en a posé les fondements. fcLes mains de Zorobabel ont fondé cette maison; ce sont aussi ses mains qui l'achève- ront!» Les deux branches d'olivier sont «les deux fils de llmile^ qui se tiennent devant le Seigneur de toute la terre,)) c'est-à-dire Zorobabel et Josué, Oints tous deux, tous deux Messies. Cette pensée, surprenante au premier abord, trouve sa confirmation dans le chap. VI, aux vers. 12 à 15. Trois juifs, Heldaï, Tobia et Jedaia, étaient venus de la Babylonie, envoyés sans doute par ceux de leurs compatriotes qui étaient restés volontai- rement dans l'exil , et ils apportaient de riches pré- sents pour le temple. Le prophète y voit un signe des temps. Cette ambassade le transporte de joie. Dans son enthousiasme il propose de faire avec l'or et l'argent des trois juifs des couronnes destinées à représenter la gloire prochaine de l'âge messianique. Tel est l'ordre qu'il reçoit de Jéhovah : ((Prends l'argent et l'or, et en fais des couronnes, et les mets sur la tête de Josué, fils de Jéhossadak , grand-prêtre^, et dis-lui: Ainsi dit Jéhovah des armées : Voici venir l'homme dont le nom est Germe; sous lui tout germe {i. e. prospère). Il bâ- tira le temple de Jéhovah, oui, il bâtira le temple de Jéhovah î II sera couronné de majesté; il siégera, il

1 Tsêmach^ germe, rejeton, c'est le nom du Messie, d'après la métaphore d'Ésaïe.

- Comme il semble, d'après les noms propres du vers. 14, que ce texte a subi quelques altérations, on serait tenté d'ajouter ici le nom d? Zorobahel à celui de .losué, puisqu'il s'agit de plus d'une couronne.

régnera sur son trône. Et il y aura un prêtre sur son trône, et un conseil de paix sera entre les deux ! ... » La seule explication plausible de ce passage est celle qu'a donnée l'école rabbinique: l'homme dont le nom est Germe , c'est-à-dire qui est le Messie annoncé par Ésaïe et les autres prophètes, n'est autre que Zoro- babel , le gouverneur de la Judée, le descendant de David, celui qui achèvera le temple, comme Zacharie le lui a formellement prédit , qui réparera toutes les brèches du passé , et qui régnera avec gloire ; il asso- ciera à sa majesté et à sa puissance le grand -prêtre Josué, qui aura comme lui bien mérité de la patrie et du culte , et auquel il sera uni par les liens de l'affec- tion et d'une gloire commune. Ces deux personnages, agissant de concert, formeront, pour ainsi parler, un Messie à double caractère et à double fonction, tout ensemble prêtre et roi.

Au chap. VIII , Zacharie prophétise que Jéhovah ha- bitera Jérusalem, qu'elle sera appelée ville de fidélité, que les vieillards y demeureront paisiblement , que les enfants joueront gaîment dans les rues, et qu'il ne restera plus sur la terre étrangère un seul des enfants d'Israël , dont l'exil volontaire était un scandale pour le prophète. En prévision de cette ère de bonheur qui s'approche, il veut qu'on change en fêtes de joie les jours de jeûne consacrés au souvenir de la prise de Jérusalem. Il montre enfin tous les peuples de la terre tournés vers Israël, lui enviant sa religion et sa pros- périté. «Ainsi dit Jéhovah des armées: Il arrivera que des peuples viendront, et les habitants de beau- coup de villes ; les habitants de l'une iront vers l'au- tre en disant : a Allons implorer Jéhovah « al-

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Ions chercher Jéhovah des armées ! » « Moi aussi j'y veux aller a Et beaucoup de peuples vien- dront, et des nations nombreuses, pour chercher Jéhovah des armées h Jérusalem , pour implorer Jé- hovah. Ainsi dit Jéhovah des armées : Dans ces jours- là, dix hommes de toutes les langues des païens sai- siront le bout du manteau d'un Juif, en lui disant: Nous voulons aller avec vous, car nous savons que Jéhovah est avec vous ! » Quel orgueil dans ces pa- roles, mais qu'il est légitime ! Quel sentiment profond de la supériorité de la religion juive sur les poly- théismes antiques, et quelle énergique confiance en l'avenir !

§4. Cette confiance ne devait pas, pendant long- temps encore, être justifiée par les événements. Les ef- forts d'Esdras, puis de Néhémie, préfets ou satrapes chargés par le roi des Perses du gouvernement de la Judée, ne réussirent qu'avec la plus grande peine à donner quelque cohésion et quelque ordre à l'État re- naissant. Néhémie cependant, un juif qui occupait un rang élevé à la cour deBabylone, parvint, grâce à une fermeté un peu rude, à réduire l'opposition et la mau- vaise volonté de ses compatriotes. Jérusalem, malgré tant de brillantes promesses, regorgeait si peu d'habi- tants qu'il dut employer, pour la peupler, le procédé un peu brutal de décimer les campagnes, c'est-à-dire de tirer au sort (i sur 10) ceux qui seraient contraints de venir habiter la ville. Cette perspective était si peu agréable qu'on acclamait, qu'on bénissait ceux qui se dévouaient volontairement au séjour de la capitale. On comprend qu'avec de telles dispositions et une telle ré- pugnance, le temple, les fêtes, les cérémonies du

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culte, dont le siège était à Jérusalem, fussent singu- lièrement négligés. Les prêtres eux-mêmes observaient avec peu de fidélité et de conscience les pratiques de la religion. C'est le sujet des plaintes de Malaghie, pro- phète qui secondait de sa parole les efforts de Néhé- mie. On présume qu'il est de près d'un demi-siècle postérieur à Aggée et à Zacharie. Il blâme sévèrement les prêtres d'être si peu attentifs au culte de Jéhovah et si peu scrupuleux dans le choix des victimes qu'ils ofïrent sur son autel. Il se plaint que Jéhovah soit si mal honoré à Jérusalem, tandis que les Israélites dis- persés parmi les païens savent faire respecter son nom. Il paraît qu'on commençait à s'étonner que l'accom- plissement des prophéties tardât tant, que le fameux jugement des peuples n'arrivât point. Malachie déclare aux impatients qu'ils ont tort d'oublier que le jugement de Dieu s'exercera d'abord sur eux, pour les punir de leurs infidélités. Toutefois avant que le terrible jour se lève, Jéhovah fera encore une tentative auprès des pécheurs; il enverra son messager, dont la prédication réveillera les consciences, et préparera la venue ven- geresse du Seigneur, de Jéhovah lui-même. «(Voici, j'envoie mon messager pour préparer le chemin devant moi, et tout à coup le Seigneur, que vous désirez, viendra dans son sanctuaire; le messager de l'alliance*, voici, il vient! dit Jéhovah des armées. Qui supportera le jour de sa venue, et pourra subsister lorsqu'il nppa- raitrs? Car il est comme le feu du fondeur et le savon

^ Ou bien c'est le prophète précurseur du grand jugement, qui cherchera à réiablir l'alliance entre Jéiiovah et son peuple; ou bien c'est Jéhovah lui-même qui vient en personne rétablir son alliance et purifier les fils de Lévi.

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des blanchisseurs. Il se tiendra comme celui qui fond et purifie l'argent; il purifiera les fils de Lévi, et les affi- nera comme on affine l'or et l'argent, afin qu'ils ofi"rent à Jéhovah des sacrifices justes, et que les sacrifices de Juda et de Jérusalem soient agréables à Jéhovah comme aux jours de jadis, comme aux années d'autrefois. Je m'approcherai de vous pour vous juger, et je serai un témoin actif contre les devins, les adultères, les par- jures, contre ceux qui frustrent l'ouvrier de son sa- laire, qui oppriment la veuve et l'orphelin, qui écrasent l'étranger, et qui ne me craignent pas, dit Jéhovah des armées. Voici, le jour vient, brûlant comme un four. Alors tous les orgueilleux et tous ceux qui font le mal seront comme de la paille, et le jour qui vient les embrasera, dit Jéhovah des armées, et il ne leur lais- sera ni racine ni branche. Mais pour vous qui craignez son nom, le soleil de justice se lèvera, portant la gué- rison sur ses ailes. Et vous sortirez et vous bondirez comme des veaux gras. Vous écraserez les méchants, car ils seront comme de la cendre sous la plante de vos pieds, dans le jour que je prépare, dit Jéhovah des armées. Pensez à la loi de Moïse, mon serviteur, à qui j'ai donné mes lois et mes ordonnances sur le mont Horeb pour tout Israël ! Voici, je vous enverrai Élie le prophète, avant que vienne le jour de Jéhovah, le grand et redoutable jour! Il ramènera le cœur des pères vers les fils et le cœur des fils vers leurs pères, de peur que je ne vienne et que je ne frappe le pays d'anathème! »

Les grands traits du messianisme classique se sont elfacés. Il est bien question dans Malachie d'un âge d'or, la Judée sera une tei're de délices, Tabon-

ciaiice remplira les greniers, les fidèles observateurs de la loi de Moïse écrasei'ont sous leurs pieds les in- fidèles comme de la cendre. Mais est l'espoir de la conversion du monde, de la domination universelle d'Israël, d'une nouvelle et plus intime alliance entre Dieu et son peuple? est l'attente du glorieux chef national? est même la croyance en un jugement solennel de tous les peuples? Ce que Malachie prédit, ce ne sont plus les grandes Assises de l'univers, mais seulement une épuration du peuple juif et surtout de la tribu de Lévi. C'est elle qui occupe la plus grande place dans les préoccupations du prophète. Malgré les sanglants reproches adressés aux prêtres, et dans ces reproches mêmes, se trahit une tendance sacerdotale. Que l'on cesse de négliger les prescriptions du culte lévi tique, et l'on échappera aux jugements de Dieu. Ce n'est pas à dire que l'élément moral soit absent : pour Malachie, légalité et sainteté étaient synonymes.

CHAPITRE VII.

l'apocalypse de DANIEL.

Il se présente ici une lacune considérable dans l'his- toire des Juifs. De Néhémie jusqu'aux Maccabées, c'est presque une durée de trois siècles dont il ne nous reste aucun monument. La Judée partagea le sortdes autres provinces de l'Asie occidentale : d'abord échue auxPto- lémées, elle leur fut ravie par les Séleucides, et devint un champ de bataille aussi bien qu'un objet de convoi- tise pour les rois d'Egypte et de Syrie. A l'intérieur, les prêtres avaient conquis une influence prépondé- rante, comme représentants de la religion nationale' on

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face delà domination étrangèi-e. L'inspiration avait dis- paru devant le pouvoir croissant de la hiérarchie. La prophétie s'était éteinte sous la cléricature. On compi- lait, on rassemblait, on numérotait les écrits des an- ciens, mais avec plus de zèle que d'intelligence. C'était le temps de la Grande Synagogue. Il fallut de nouveaux malheurs, l'angoisse et la persécution violente pour faire encore une fois jaillir le feu sacré. Antiochus Épi- phane, roi de Syrie (175), avait résolu, soit par amour de l'uniformité, soit pour briser les derniers ressorts de la résistance, de détruire les mœurs particulières et le culte national des Juifs. Il ravagea le temple, y fit élever un autel à Jupiter Olympien, et offrir des sacri- fices en l'honneur de ce dieu (168). Il exigea que tout le peuple y prît part; une sanglante persécution fut organisée contre les réfractaires.

C'est alors qu'eut lieu la généreuse insurrection des Maccabées. C'est alors aussi que fut écrit le livre de Daniel. Ce livre a pour but d'encourager la révolte et de soutenir les courages par la perspective d'un succès prochain et définitif. Il essaie en même temps de con- cilier les événements de l'histoire avec les prédictions des anciens prophètes, le fait de la domination du monde livrée jusqu'à présent aux païens, avec les pro- messes toutes contraires faites au peuple du vrai Dieu. Il se divise en deux parties, de six chapitres chacune, dont la première est historique et la seconde prophé- tique. L'histoire de Nabuchodonosor et de Balthasar, toute pleine d'allusions au temps présent, est destinée à montrer que même au sein de ses malheurs et de son humiliation, le peuple d'Israël avait vu se manifester avec éclat la puissance de Jéhovah , qui seul a droit aux s. 7

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hommages, et qui châtie sévèrement les princes païens qui insultent à sa majesté. Cette première partie est une sorte d'allégorie relative à l'insolence d'Antiochus Épiphane, qui est figuré tour à tour par les deux rois de Babylone. La deuxième partie explique l'histoire du monde au point de vue juif. Les quatre grands empires qui se sont succédé depuis la décadence d'Israël sont décrits avec des détails d'autant plus abondants que l'auteur se rapproche davantage du moment il écrit: l'empire chaldéen, celui des Mèdes, celui des Perses, et enfin celui des Grecs et ses démembrements jus- qu'au règne abominable d'Antiochus Épiphane, le per- sécuteur des Saints. La pressante et capitale question est celle ci : combien dureront encore les souffrances du peuple de Dieu? L'auteur en attend prochainement la fin. Re[)renant, avec l'exégèse d'alors, la prophétie non accomplie de Jérémie sur les soixante-dix années que devait durer l'épreuve, il en fait soixante-dix se- maines d'années, qui le conduisent, moyennant un étrange partage, jusqu'au temps d'Antiochus. IX, 24 : «Soixante- dix semaines sont déterminées sur ton peu- ple et sur la ville sainte, jusqu'à ce que l'iniquité soit au comble, que le péché soit scellé, que la faute soit expiée, jusqu'à ce que la justice des siècles soit accom- plie, que le sceau soit mis sur la vision et le prophète, et que le saint des saints soit consacré. » C'est-à-dire , il faut que soixante-dix semaines d'années s'écoulent avant que le péché des ennemis de Dieu ait atteint son apogée et qu'ils reçoivent leur châtiment, avant que les fautes d'Israël soient suffisamment expiées par la souf- france, avant que la prophétie de Jérémie et la vision de Daniel soient justifiées, et que le temple, le sanc-

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tuaire prolané par Antiochus, soit purifié et consacre de nouveau au service de Jéhovah. Puis vient le détail de ces soixante-dix semaines: « Depuis le moment a été faite la promesse que Jérusalem serait rebâtie jusqu'à un prince-oint, il y a sept semaines; soixante- deux semaines pour qu'elle soit rebâtie avec rue et fossé, mais dans l'angoisse des temps, » C'est-à-dire, depuis le moment Jérémie a prophétisé jus^ju'à l'ap- parition de Gyrus, le prince qui a reçu l'onction de Dieu, que le second Ésaïe appelait le Messie, et dont les Juifs ont gardé avec vénération la mémoire, il s'est écoulé sept semaines d'années, 49 ans, ce qui est à peu près exact. En outre, depuis ce même moment Jé- rémie a prophétisé, soixante-deux semaines doivent s'écouler pendant lesquelles la ville sera rebâtie sans doute, avec ses rues et ses fossés, mais au milieu d'é- preuves, d'angoisses; c'est le temps de la domination des Perses, puis des Égyptiens, puis des Syriens. Ces soixante-deux semaines, qui font 434 ans, conduisent en effet en remontant en arrière, du temps d'Antiochus Épiphane au temps de Jérémie. Outre qu'on ne peut pas demander à notre auteur une chronologie rigou- reuse, qui n'était pas dans les habitudes de l'antiquité, nous ne savons pas au juste à quelle date il plaçait la prophétie qu'il explique. Reste encore une semaine d'années, la dernière. C'est évidemment celle pendant laquelle le livre a été écrit.

C'est pendant cette semaine-là (dont l'auteur dit expressément qu'elle vient après les soixante-deux) que le crime déborde, qu'il atteint le comble de l'horreur, que des sacrifices odieux sont établis, ceux de Jupiter, tandis que le sacrifice perpétue!, celui qui était offert

v\

100 à Jéhovah , est aboli. C'est l'abomination dans le sanc- tuaire. C'est le commencement de la fin. A partir de ce moment-là les Juifs seront encore livrés à la fureur d'Antiochus pendant trois ans et demi (VII, 25). « Qu'ils prennent seulement patience pendant 1335 jours ! . . .ï» XII, 12 : Telle est la durée précise que l'auteur as- signe désormais au règne et à la vie d'Antiochus, aux souffrances des Juifs, aux courageux efïorts des Maccabées. Ensuite « le Dieu du ciel fondera un royaume qui ne périra jamais et dont la puissance ne passera à aucun autre peuple ; ce royaume-là brisera et détruira tous les autres royaumes et il subsistera éternellement.)) C'est le royaume d'Israël dans l'âge messianique.

Après que les quatre grands empires sous la figure de bêtes fauves ont passé successivement devant les re- gards du Voyant, l'Ancien des jours apparaît dans la majesté des cieux; les crimes d'Antiochus lui sont dé- noncés par l'insolence du criminel lui-même ; l'empire est enlevé à la quatrième bête... La vision continue : «Je regardais dans les visions nocturnes, et voici que sur les nuées du ciel vint comme un fils d'homme; il s'approcha du Vieillard, on l'amena devant lui. Et la domination, la gloire et le règne lui furent donnés, en sorte que tous les peuples et toutes les nations et toutes les langues le servaient. Sa domination est une domi- nation éternelle qui ne passera jamais, et son règne ne périra pas... Le règne, la puissance et la force de tous les empires qui sont sous le ciel seront don- nés au peuple des Saints du Très-Haut. Son règne est un règne éternel et toutes les puissances le serviront et lui obéiront! )) (VII).

Rien ne paraît plus naturel que de voir dans ce fils d'homme le symbole du peuple des saints, c'est-à-dire du peuple juif, comme le lion, l'ours, le léopard et la monstrueuse licorne sont les symboles des empires suc- cessifs de l'Asie. Peut-être la véritable explication est- elle indiquée dans ce passage, qui sera notre dernière citation : (c Dans ce temps-là se lèvera Michel, le grand prince, qui tient pour les fils de son peuple. Il y aura un temps d'angoisse comme il n'y en a pas eu depuis que le peuple existe jusqu'à ce moment-là. Mais dans ce même temps ton peuple sera .délivré, tous ceux du moins qui sont inscrits dans le livre. Et beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se ré- veilleront, les uns pour la vie éternelle et les autres pour la honte, pour l'opprobre éternel. Ceux qui au- ront été intelligents resplendiront comme la splendeur du firmament, et ceux qui en auront amené plusieurs à la justice brilleront comme des étoiles à toujours et à perpétuité! » (XII).

Le messianisme de Daniel diffère en plus d'un point de celui des anciens prophètes. Il est plus extérieur que chez aucun. C'est la domination matérielle sur le monde. L'empire qui a été tour à tour aux mains des Ghaldéens, des Mèdes, des Perses et des Grecs, pas- sera pour toujours aux Juifs. Mais depuis si longtemps ce dénouement s'est fait attendre en vain par tant de fidèles Israélites, morts sans avoir vu se lever l'aurore de la délivrance, que notre auteur s'est senti ému de pitié pour toutes ces générations déçues dans leur at- tente : elles ressusciteront pour prendre leur part du triomphe d'Israël. C'est la première fois que l'idée de résurrection des morts apparaît dans la théologie hé-

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braïque * ; ce n'est pas encore le dogme de l'immorta- lité personnelle; mais c'en est comme le vestibule ou le pressentiment. Gomme au temps de l'exil, la famille de David est oubliée. Voilà plus de quatre cents ans qu'elle s'est évanouie dans l'obscurité et la honte. On ne compte plus sur un Messie royal; le Messie, c'est-à- dire le chef d'Israël pendant l'ère de la délivrance, c'est le grand prince Michel, un ange sous figure d'homme. C'est lui qui déjà préside aux destinées du peuple de Dieu: car chaque peuple a son ange, son protecteur céleste 2. Un de ces anges, sans doute un des plus élevés dans la hiérarchie divine, Micael, chef des Juifs ^ combattra l'ange protecteur de la Perse et l'ange protecteur de Javan (la Grèce), c'est-à-dire ruinera la puissance des Séleucides, rois d'origine grecque, qui se sont emparés de l'empire des Perses ; après la défaite et la mort d'Antiochus, il viendra sur les nuées du ciel et recevra des mains de Jéhovah le gouvernement du monde, usurpé jusqu'alors par les nations païennes; il transmettra ce don au peuple juif dont il est en somme la personnification, le Génie ou le symbole, et qui connaîtra enfin et savourera , au sein de la théocratie pure, cette vengeance, cette gloire, ce re- pos que tant de siècles de souffrances ont préparés * !

1 Dans Ézéchiel ce n'était qu'une allégorie. Le peuple dispersé était comparé à des ossements secs.

2 Comme plus tard chaque Église. Voy. Apoc. II et III.

3 X, 21; XII, 1.

* Le livre de Daniel ne se trouve point rangé dans la Bible hé- braïque parmi les prophètes, mais parmi les écrits d'origine récente ou incertaine {Ketoubim). Il appartient, en effet, à un genre particu- lier, dont il est le seul exemple dans l'Ancien Testamenf. On peut lui comparer les Apocalypses d'Hénoch , d'Esdras et de Jean, aux-

403 CHAPITRE YIIl.

CONCLUSION.

Nous n'avons pas le dessein de poursuivre ici l'his- toire des idées messianiques jusqu'au temps de Jésus- Christ, et de rechercher quelle fut leur influence sur la formation des doctrines chrétiennes. Nous tenions seulement à mettre en pleine lumière la vraie pensée des prophètes, si étrangement défigurée par l'igno- rance, les préjugés ou l'imagination trop vagabonde de leurs interprètes. Dans nos traductions ordinaires ils ont une physionomie si bizarre, ils parlent une langue si fantasque, ils remuent un tel chaos d'idées incohé- rentes que l'on renonce généralement à les comprendre; on peut leur faire dire tout ce qu'on veut: rien n'é- tonne de leur part. Ce sont des sphinx ; ils parlent par énigmes; on laisse à la théologie la tâche peu enviable de déchiffrer ces logogriphes, et l'on admire sans con- teste et sans contrôle toutes les belles inventions qui leur sont attribuées. Et pourtant ces prophètes furent des hommes, et c'est à des hommes qu'ils ont parlé. Quand ils élevaient la voix sur la place publique, par- laient-ils pour n'être pas compris de leurs auditeurs? Quand ils leur adressaient des conseils, des exhorta- tions, des menaces, des promesses, avaient-ils ou non pour but de convaincre et d'entraîner les esprits? Ils s'adressaient à des gens simples, sans culture, sans

quelles il a servi de modèle. Nous n'avons pourtant pas cru qu'il fût déplacé dans cette étude, parce qu'il est un des plus puissants échos de l'antique prophétie, dont il a tenu lieu à une difficile et glorieuse époque de l'histoire juive.

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raffinements, dépourvus de facultés mystiques, inca- pables de pénétrer dans les profondeurs d'une éloquence mystérieuse et à double sens. Si nous voulons com- prendre les prophètes, il faut, autant que possible, nous mettre à la place de leurs contemporains , nous reporter dans le pays, dans le temps, dans les circons- tances, dans les mœurs , dans les idées , dans l'horizon et comme dans l'air ils ont vécu. Il faut prendre leurs écrits tels qu'ils sont, n'y rien mettre et n'en rien ôter. Il faut discerner le but qu'ils se proposaient, les moyens qu'ils employaient pour y atteindre, les obs- tacles qu'ils rencontraient, le courant d'idées dont ils étaient soutenus. Il faut se garder de brouiller les dates, de confondre les temps de guerre avec les temps de paix, l'époque du premier temple avec l'exil ou le re- tour, les Assyriens avec les Perses, de mettre les Ro- mains, les Chrétiens ou les Turcs ils n'ont que faire, de se jouer avec les plus grossiers anachronismes, de transformer les prophètes en nécromanciens, en rabbins, en docteurs subtilisants, et de voir dans leurs discours un almanach de prédictions obscures. Il faut se rendre compte de la situation politique et religieuse, des changements qui surviennent, ou qui sont atten- dus, des alliances, des dangers, des inclinations du peuple. Il faut évoquer tout un monde enseveli. Il faut non-seulement compulser des parchemins , analyser des verbes, comparer des textes, mais aussi écouter battre les cœurs, pénétrer dans le secret des espérances et des craintes, entrer dans l'intimité de ces hommes de Dieu. Il faut les aimer sans fétichisme, et les criti- quer sans pédanterie. Il faut les faire descendre du piédestal nuageux la superstition les avait placés,

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sans les dépouiller pourtant de l'auréole de sainteté ei de poésie qui les enveloppe. Il faut chérir leur cause, qui est celle de la justice et de la vérité, se ranger à leur suite, applaudir à leurs généreux travaux, sans voiler leurs erreurs, sentir en eux des frères, les ho- norer comme des précurseurs du Christ, des prophètes du Dieu vivant, tout en leur déniant l'infaillibilité, à laquelle nul homme ne peut prétendre ici-bas sans blas- phème ou sans folie.

C'est dans cet esprit qu'on s'est mis de nos jours à étudier les prophètes, et leur gloire y a gagné. Ils nous apparaissent plus grands, plus virils, plus héroïques, maintenant que nous ne voyons plus en eux des harpes retentissantes qui vibraient au souffle d'en haut, ou les bouches fatidiques qui prononçaient les arrêts du ciel. Ils sont des nôtres; ils ont eu leurs faiblesses, leurs ténèbres , leurs entraînements , leurs erreurs. Mais au milieu de ces misères humaines ils ont levé haut leurs fronts; ils ont dominé de leur voix puissante le tumulte des cris vulgaires ; ils ont jeté au monde des paroles de vérité qui ont survécu à leur nation et qui ne s'oublie- ront jamais.

La partie de leur prédication la plus mélangée d'il- lusions et de sublimes vérités est celle qui développe les espérances messianiques. Nous venons de lire en- semble tout ce que ces espérances leur ont inspiré. Au lieu d'arracher au texte des lignes isolées, qu'il est fa- cile de faire miroiter devant les yeux éblouis des lec- teurs, nous avons patiemment traduit et reproduit des pages entières, sans rien omettre de ce qui se rattache à un sujet auquel les prophètes revenaient sans cesse. Celle méthod), fâcheuse sans doute au point de vue de

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l'art, qui exige une exposition plus brève et plus vi- vante, était rendue nécessaire par le nombre prodi- gieux d'idées fausses et fantastiques qu'il s'agissait d'écarter: l'unique moyen était de se placer loyalement en face des textes, et de les examiner dans toute leur étendue.

Nous avons reconnu dans ces espérances des pro- phètes deux éléments : l'un immuable, l'autre variable. Le premier, c'est la certitude du triomphe final pour la race et la religion d'Israël; le second, ce sont les préliminaires, les circonstances, les formes de ce triomphe. Le premier a traversé tous les âges et toutes les péripéties de l'histoire des Hébreux; le second a subi l'influence des événements et des perspectives qui se déroulaient au cours des siècles. Tous les prophètes admettent que l'ère messianique sera précédée de la ruine des ennemis, sans pourtant tomber d'accord sur l'époque et les circonstances celte ruine arrivera. Joël pense que les Philistins et les Phéniciens, dont les Hébreux venaient de subir les insultes , que les Édo- mites et les Égyptiens, contre lesquels on nourrissait de vieilles rancunes, tous coalisés contre Israël, vont être brisés d'un seul coup dans la plaine de Josaphat, y laisseront de nombreux prisonniers qu'on vendra au loin comme esclaves et seront mis désormais dans l'im- puissance de nuire. Amos , qui s'aperçoit que les évé- nements sont loin de suivre cette marche, déclare qu'auparavant il faudra que les Israélites eux-mêmes aient à souffrir et soient châtiés à cause de leurs pé- chés. Osée précise ce châtiment : les Égyptiens et les Assyriens seront chargés de l'exécuter. Les malheurs dont ils accableront le peuple produiront chez celui-ci

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une repentance salutaire, qui sera la condition et le signal de l'âge messianique. Ésaïe, qui voyait grandir d'une manière inquiétante la puissance assyrienne, ne doute pas que la catastrophe ne doive venir de ce côté ; mais le triomphe des Assyriens sera de courte du- rée, juste le temps nécessaire pour purifier le peuple coupable, dont un Reste, digne des plus glorieuses destinées, rentrera dans la patrie ou s'y ralliera après les désastres et fondera la domination Israélite sur les ruines de l'empire païen. Michée pense même que ni la ville sainte ni le temple n'auront été épargnés; mais il annonce les mêmes réparations qu'Ésaïe. Sophonie, plus récent d'un siècle, ne redoute plus l'Assyrie; Ni- nive s'est affaissée et a comme disparu derrière Baby- lone; mais il attend d'une invasion formidable de peuples du Nord (de Scythes peut-être), le bouleversement du monde, l'anéantissement de toutes les idolâtries et la purification d'Israël. Jerm^e n'est pas réduit aux con- jectures. Ses yeux voient le châtiment promis : c'est l'invasion des Ghaldéens, la ruine et l'exil. Après une période déterminée (soixante-dix ans), l'exil cessera et le retour émouvant des tribus dispersées inaugurera l'âge d'or. C'est aussi l'opinion à'Ézéchiel, qui me- nace d'une chute éclatante l'orgueilleuse Babylone, dont Jérusalem prendra bientôt la place à la tête des nations. Le prophète anonyme, que nous appelons le second Ésaïe, déclare que les victoires de Cyrus vont mettre fin aux souffrances du peuple hébreu, que la ruine de l'empire chaldéen est le signal du retour dans la Terre sainte, et que ce retour, signalé par les plus étranges merveilles, va ouvrir l'ère de félicité et de triomphe.

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Après le retour, la scène est changée : Aggée, Za- charie n'annoncent plus de nouveaux châtiments; ils trouvent, comme l'Anonyme, que la mesure est suffi- sante, et ils renvoient à courte échéance l'accomplisse- ment des promesses divines; ils le rattachent à l'achè- vement du second temple. Dès que l'édifice sera cou- ronné, Jéhovah ébranlera le ciel et la terre, brisera dans des guerres civiles, ils se déchireront les uns les autres, la force des païens et assoira la prépondérance d'Israël sur l'universel affaiblissement. Malachie ne parle plus de guerres : il annonce un jour de jugement terrible qui consumera les Israélites impénitents, afin que les justes jouissent en paix des biens qui leur se- ront prodigués. Le livre de Daniel^ au contraire, nous transporte dans une époque agitée, au sein de guerres redoutables, allumées par la violence d'Antiochus, et dans lesquelles il doit périr avec tous les siens. Sa dé- faite laissera la terre aux mains du peuple élu.

Ainsi, d'une part, châtiment purificateur d'Israël par les nations païennes; d'autre part, une fois le châti- ment subi, ruine des nations païennes par Israël; tel est, chez presque tous les prophètes, sauf les change- ments de noms propres et de circonstances spéciales, le double préambule de l'âge messianique. La guerre sera le grand instrument de Jéhovah; la vengeance sera l'avant-goût de la félicité. Gomment jouir, en effet, sans trouble, du repos, du bonheur, de la domination, aussi longtemps que les peuples païens n'ont pas expié leurs violences contre la sainte race d'Abraham, aussi lojagtemps qu'ils demeurent, menaçants , sur les fron- tières d'Israël, et qu'ils insultent, par leur prospérité et leur culte impie, à la puissance de Jéhovah, le Dieu

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des cieux et de la terre? Il faut donc, avant tout, l'abaissement définitif et la ruine complète des Philis- tins, ou des Édomites, ou des Égyptiens, ou des Assy- riens, ou des Ghaldéens, ou des Perses, ou des Grecs- Syriens, selon le temps vivait le prophète et le nom que portaient alors les ennemis ou les oppresseurs de sa patrie.

Cette guerre suprême sera conduite par un prince de la maison de David , qui, semblable à son illustre ancêtre , réduira toutes les nations environnantes , se baignera dans le sang des rebelles, vengera sur eux les humiliations de son peuple, ramènera les captifs et régnera glorieusement sia^ un Israël épuré. Après d'ef- froyables batailles, il imposera la paix au monde et l'âge des bénédictions commencera. Ainsi Osée, le premier Zacharie, Ésaïe, Mickée, Jérémie, Ézéchiel. Les autres prophètes se taisent sur cette personne royale. Le but seul les préoccupe. Peu leur importe le chef, pourvu que la victoire soit obtenue: ils attendent tout de Jéhovah lui-même, avec ou sans intermédiaire. Le second E saie nomme expressément Gyrus, un prince étranger, comme le héros prédestiné; Aggée eX Zacha- rie, fils de Béréchie , désignent Zorobabel. En somme, le Messie, rejeton de David, n'occupe qu'une place restreinte dans les espérances propliétiques; Joël, A?nos, Sophonie, le second Ésdie, Malachie, Daniel, ne le mentionnent même pas.

Les conséquences de cette crise sanglante seront:

La défaite irrémédiable des ennemis.

2o La suppression du schisme et la réunion de toutes les tribus sous la dynastie de David ou en une répu- blique religieuse.

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La reconstruction de Jérusalem et du temple et la prospérité merveilleuse de la Terre sainte, désormais fermée au mal physique et moral.

La domination incontestée d'Israël sur toute la terre.

La conversion des païens au culte de Jéhovah et la transformation du monde.

Tous les prophètes n'ont pas exposé toutes ces con- séquences de la même manière : mais chacun d'eux a ajouté quelques traits au tableau, qui présente dans son ensemble une conception grandiose et d'une éton- nante hardiesse. On ne saurait trop admirer comment, au sein de ce petit peuple, sans industrie, sans ri- chesse, sans armée, toujours battu, pillé, décimé, déporté, jouet de ses puissants voisins, ont pu se pro- duire, avec une telle persévérance, de si gigantesques ambitions! Eh hien , ces ambitions, tout audacieuses et chimériques qu'elles paraissent, n'ont pas été dé- çues ; elles se sont accomplies et s'accomplissent en- core chaque jour devant nos yeux, non point sans doute sous la forme particulière imaginée par les pro- phètes, mais avec plus d'ampleur encore et de magni- ficence. Il est vrai que la grande catastrophe n'a pas eu lieu comme ils l'attendaient, que les divers em- pires d'Asie se sont écroulés les uns après les autres sans ébranler la terre en tombant , que les douze tri- bus ne se sont pas réunies, que l'état juif, qui, d'après Ezéchiel , devait durer toujours, n'a pas été recons- titué ; que la dynastie royale , dont Jérémie croyait que les rejetons occuperaient le trône aussi longtemps que les étoiles brilleraient aux cieux , n'a pas repris le sceptre en main : au contraire, les derniers restes de

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la nation juive ont été dispersés à tous les vents, le second temple a été détruit comme le premier, Jéru- salem a changé de peuple et de religion; la Palestine tout entière n'est plus qu'un tombeau, et Sion , une relique. De ce côté-là , tout espoir est vain.

Mais la partie la plus surprenante des prophéties, celle qui annonce l'influence universelle des enl^nts de Jacob, la conversion des Gentils au culte du vrai Dieu, et l'avènement d'un monde nouveau, n'a-t-elle pas commencé à se réaliser? Depuis dix-huit siècles, Israël n'est-il pas comme sorti de lui-même pour s'é- lancer à la conquête des âmes, et n'est-ce pas par mil- liers et centaines de milliers que les âmes sont venues se soumettre? Un monde nouveau n'a-t-il p^s com- mencé depuis lors ? Un juif a fait celte merveille que d'autres juifs avaient prédite. Ce juif, c'est Jésus de Nazareth, le vrai Messie, plus grand dans son humble ministère et sur sa croix ignominieuse que David et Salomon à la tête de leurs armées. Jésus fut l'épanouis- sement suprême et la fleur d'Israël, vieil arbre vingt fois séculaire, qui avait dès longtemps perdu sa verte vigueur, et qui n'eut plus qu'à mourir, ayant donné au monde ce divin parfum. Ce qui s'agitait obscurément dans la conscience des prophètes, les plus nobles enfants d'A- braham , Jésus l'a produit au grand jour; il a établi la saerificature universelle dont leur foi avait un vague pressentiment; il a élevé le judaïsme à ces hauteurs sublimes de la piété, qu'atteignit parfois l'aile des pro- phètes, et sa parole l'a maintenu à toujours, au- dessus des formules et des rites ; il a rajeuni l'antique religion de Jéhovah et brisé les entraves qui l'empê- chaient d'envahir la terre; il a fondé la théocratie spi-

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rituelle à laquelle appartiennent les générations fu- tures, c'est-à-dire la seule domination de Dieu sur les consciences, affranchies de tout autre joug; il a inau- guré une ère de sainteté et de vie divine, dont les seules prémices ont déjà surpassé les plus hautes aspirations des anciens. Quelles conquêtes valent celles que sa pa- role a déjà faites? Ce n'est pas du Nil à l'Euphrate, et de la Méditerranée au golfe Arabique, ou même depuis les îles grecques jusqu'aux déserts d'Asie et d'Afrique, mais c'est dans de vastes régions inconnues aux pro- phètes, sur d'immenses continents, de mer en mer, d'un pôle à l'autre , et partout s'étend la civilisation , que son nom est aimé, que sa doctrine règne, et que son Dieu , le Dieu d'Abraham , d'Isaac et de Jacob est adoré. Ce que d'obscurs prédicateurs, agités parles convulsions de la pauvre petite Judée, ou perdus dans un triste exil, avaient eu l'audace de concevoir, n'est-il pas atteint, obtenu, dépassé, et les faits ne sont-ils pas ici infiniment plus beaux et plus grands que les rêves ?

Les prophètes avaient donc raison , et leurs espé- rances, dégagées du vêtement grossier qui les recouvre, se montrent à nous brillantes de fraîcheur et de vérité. L'idée messianique, à laquelle ils ont consacré leur vie et qui les a consolés dans toutes leurs douleurs, c'est la conviction, imprimée par Dieu dans l'âme humaine, que la justice prévaudra toujours sur l'iniquité et la violence, que le triomphe définitif est réservé aux saints, et que, en cherchant le royaume de Dieu par dessus toutes choses, on reçoit les autres biens en surcroît. Saisissant par la foi ces réalités invisibles, sans se laisser détourner par de vaines apparences ,

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les prophètes , divinement inspirés , ont vraiment lu dans l'avenir, qui n'a déjoué une partie de leurs pré- visions que pour mieux accomplir le reste , et qui a donné à leurs paroles une immortelle consécration. Que leur noble exemple nous serve d'enseignement ! Nous , plus heureux qu'eux , qui voyons ce qu'ils ont désiré voir, et qui possédons 'ce qu'ils ont à peine entrevu, comment perdons-nous si facilement courage au milieu des difficultés et des luttes de la vie ? Ne s'est- il pas levé sur nos têtes une lumière plus brillante que celle qui les éclairait?

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TABLE DES MATIÈRES.

Avant-propos 1

Chapitre premier. Origines. (La race d'Abraham. Moïse. Les

livres historiques. David et Salomon.) 40

CnkviTRE 11. Joël, Jmos. Osée. Le premier Zacharie. . . 16-31

Joël 16

Amos 21

Osée 25

Zacharie IX à XI 30

Chapitre III. Ésaïe. Mîchée. (Période assyrienne.) . . . . 31-49

Ésaïe 32

Michée 46

Chapitre IV. Sophonie. Le second Zacharie. Jérémie. (Pé- riode chaldéenne.) 49-66

Sophonie 49

Zacharie XII à XIV 52

Jérémie 55

Chapitre V. Ézéchiel. Ésaïe XXIV à XXVII. Le second Ésaïe

ou l'Anonyme. (L'exil.) ' 66-87

Ézéchiel 66

Ésaïe XXIV à XXVII 75

Ésaïe XL à LXVI 76

Chapitre VI. Aggée. Zacharie, fils de Béréchie. Malachie.

(Le retour.) 87-96

Aggée 88

Zacharie I à VIII 89

Malachie 93

Chapitre VII. V Apocalypse de Daniel. (Les Macchabées.) . 96-102

Chapitre VIII. Conclusion 1 03

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