LE

MOIS tlMÛIÎM^

ET LITTÉRAIRE,

PUBLIÉ PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTOES ,

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ET SOUS LES AUSPICES DE MM. DE CHATEAUBRIAND, DE CONNY, DE BONALD, DE 11ARC£L^US, LACORDAIRE, A. RUINARD DE BRIMON, P. DE CUAMPGRAND, DE GRANDXAISON Y BRUNO, DE SEVALLOS, FIGUEROA, ETC., ETC.

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Le Mois Religieux parait du 25 au 50 de chaque mois, par livraison de trois feuilles, od 48 pages iii-S*», imprimé sur papier grand-raisin satiné.

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( THÉ0D0RELECLERC,LI3RAIRE, PLACE DU PAR VIS-N .-DAME.

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LE

MOUS ll]La©IIli02£

ET LITTÉRAIRE.

PÊT£ BE KTOEX..

La religion de Jésus-Christ sait que le cœur de l'homme, toujours on proie sur la terre à la douleur et aux désirs, a besoin en tous temps de consolations et de jouissances. Aussi dans toutes les saisons de ce cercle rapide que nous nommons année , elle présente à ses enfans les pures délices de ses fêtes. Au printemps , quand la nature semble sor- tir d'un sommeil aussi triste que la mort, la religion nous montre Jésus- Christ sortant des ombres du tombeau. Quand les chaleurs brûlantes de l'été se font sentir , c'est le cœur sacré du Sauveur qu'elle présente à nos adorations , c'est son ardent amour pour nous dont elle rappelle le sou- venir à la mémoire de nos âmes. A l'automne , elle nous conduit au pied de la croix et nous y fait voir celui qui fut foulé pour nos iniquités com me le raisin l'est au pressoir ; puis encore , élevant nos pensées vers le ciel , soulevant de sa main divine le voile qui nous en dérobe les splendeurs , elle rend notre foi témoin du bonheur des saints et nous laisse voir la part qui nous attend, si nous sommes fidèles. Enfin quand le froid hiver a jeté sur la nature entière un linceul de tristesse, la religion nous mène à la Crèche , et , elle nous montre le petit enfant qui nous a été donné. Nous voyons ses pleurs, nous entendons les vagissemens que lui arrachent ses premières douleurs, et la plainte expire sur nos lèvres, el la souftrance nous semble un bonheur.

Non , rien de plus touchant pour une ame vraiment chrétienne que cette nuit de Noël, le soleil de justice venait luire au milieu des ombres. Avec quelle joie on se dirigeait vers le saint temple ! Avec quel transport on s'écriait : nous vous louons , ô Dieu , nous confes- sons votre puissance, o Seigneur! Hélas, aux plus doux souvenirs, il faut donc toujours joindre l'amertume des regrets. Cette annéeencore, Noël est venu , mais vainement les échos de la capitale ont porté dans tous ses quartiers le bruit douze fois répété de l'heure cpii , naguère, rendait la nuit sainte aussi lumineuse (|ue le jour. Presque partout le sommeil avait remplacé la pvière, et le vieillard s'était endornu' ei re- grettant les momens de sa jeunesse, , comme les bergers de Juda, il entendait le silence des nuits interrompu par ce chant de triomphe et de bonheur : gloria ni cjccelsis , etc.

T. I. 4

50 LE MOIS UELIGIEUX

Pourtant de pieux asiles encore étaient ouverts à la piété. Dans plu- sieurs communautés , dans quehjues hospices, on a célébré celte messe proscrite depuis quelques années. A l'hospice Nccker, entre autres, une pompe calme , simple , mais majestueuse , a accompagné la tou- chante solennité. Tout y fut bon pour l'ame, mais un moment surtout donna à tous les cœurs un avant goût de la paix du ciel ; on avait récité laudes , le célébrant était au pied de l'autel , quand tout-à-coup l'ai- rain sacré sonna minuit ; le prêtre , les assistans , les fidèles , tous tom- bent à genoux, et dans le recueillement de l'adoration, attendent que le murmure du douzième coup soit perdu dans les airs. Alors le sacri- fice commence, et bientôt dans la Bethléem catholique, Jésus prend une naissance nouvelle , et des âmes de bonne volonté viennent en foule se nourrir du pain délicieux des anges. De touchans cantiques, puis un silence peut-être plus touchant encore , se partageaient les momens trop courts du divin sacrifice : quelques mots seulement , mais pleins d'onc- tion et de zèle , tombaient à chaque messe des lèvres du prêtre dans les cœurs des fidèles ; puis à son tour , tout bas l'enfant-Dieu parlait : et que ne disait-il point ! ! ! L'aumônier avait réservé à quelques agonisans le bonheur de recevoir , à ce moment Jésus naissait , le viatique qui devait rendre leur mort douce et suave ; il le porta vers leurs lits de douleurs , et les esprits célestes , en voyant ce pieux cortège , répétaient sans doute encore l'hymne qu'à pareil jour ils chantèrent pour la pre- îTiière fois : gloire à Dieu au plus haut des cieux , et paix , paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.

Quand fut venue l'heure l'Église sans crainte pouvait faire éclater les transports de sa gratitude, elle déploya toute sa magnificence; mais encore et toujours une ombre de douleur au sein de la joie. L'anti(pie métropole était privée de la présence du premier Pasteur , la voix amie du Père ne bénissait point les enfiins, et tandis qu'on aurait eu tant de bonheur à jouir de sa présence, il fallait olfrir des vœux pour que Dieu conservât ses jours!

Dans plusieurs églises de Paris, la solennité de Noël reçut un nouveau lustre par la présence des prélats (pii vinrent y célébrer les saints mys- tères. Monseigneur l'évêque de Nancy et deToul officia ix)ntificaloment àSainte-Valère: Monseigneur févêque d'Ajaccio, à Saint-Leu. Partout une foule innombrable se pressait sous les saints portiques; le recueil- lement était profond, la piété tendre et sincère. Ah! puisse cette époque sacrée être celle d'une renaissance parfaite à la Foi et à la Re- ligion! Piiisse-t-on sentir enfin que seules elles peuvent procurer le bonheur ! le chercher hors de leur sein ? Dans la grandeur! ! 0 qu'il s'en faut (pi'on le rencontre dans ces |>alais somptueux habitent un ranar élevé, une fortune brillante! Oue de chagrins cuisuns, que de

ET LITTÉRAIRE. 51

larmes secrètes ! Et ces pleui*s encore, combien de fois il faut les em- jxiclier de s'échapper ; combien de fois, si l'on pouvait les laisser cou- ler en liberté, croirait-on être heureux! Dans les plaisirs? On se fa- tigue à leur poursuite, et quand on les a saisis dans leur course ra- pide, souvent le remords les empoisonne; la vanité déçue les change en tourmens : et quand on aurait goûté dans toute sa plénitude l'eni- vrement de ces jouissances frivoles , le cœur reste vide dès qu'il est passé, ou plutôt, il n'est jamais rempli. Est-ce donc le bonheur?

Mais en supposant que la grandeur , la richesse , les plaisirs rendent véritablement heureux , combien peu d'hommes alors pourraient l'être. Membres pauvres et souffrans de la grande famille , vous qui , ranges dans les dernières classes de la société , ne devez qu'à un travail pé- nible et souvent au-dessus de vos forces , le soutien de votre triste exis- tence, vous, plus malheureux encore , à qui manque cette ressource et qui ne pouvez donner que des larmes aux enfans qui vous demandent du pain, si c'est au sein des plaisirs , de la grandeur , des richesses que se trouve le bonheur, livrez-vous au désesix)ir, car il n'est pas fait pour vous! ! 0 Dieu , pardonnez ; n'ai-je pas laissé échapper un blas- phème? Quoi! vos créatures, formées par vos mains, rachetées par votre sang , vos créatures, en qui vous avez mis une soif immense do bonheur, vous les laisseriez sur la terre sans au moins quelques gouttes de ce breuvage pour désaltérer un peu leur ame ! Non , ce n'est pas quelques gouttes, c'est une source de bonheur qui a été donnée à l'homme exilé sur la terre. La Religion l'a reçue dans son sein , et celui qui en a soif peut venir ; elle ne se tarit point : plus on y puise et plus elle coule !

Quel charme touchant dans ces fêtes consacrées à honorer le temps précieux de la sainte enfance de Jésus-Christ; comme elles rappellent au chrétien sa dignité, le prix de son ame, et surtout l'amour do Dieu et sa miséricorde! A peine sorti du sein virginal de Marie, celui qui avait daigné envelopper sa divinité de notre chair mortelle, dési- reux de ce baptême de sang qui devait laver les péchés du monde, se haie d'en faire couler les prémices sous le fer de la circoncision , et de prendre ce nom si suave, si doux , si grand , ce nom sacré de Jésus , qui, par sa puissance, fait fléchir tout genou, au ciel, sur la terre et dans les enfers. Ce nom incomparable qui annonce à la terre dé- solée qu'enfin est le Réparateur promis depuis tant de siècles, et qu'un Sauveur lui est donné. Hommes qui recherchez la gloire avec tant de passion, la trouverez-vous plus grande, plus réelle, (jue dans ces mystères de l'anéantissement d'un Dieu! Tombés , déchus, défigurés j)ar le i)éché du père commun du genre humain , ses enfans n'étaient plus que des victimes vouées au plus juste des analhèmes.

52 LE MOIS RELIGIEUX

El cependant le juge même qui venait de les condamner, les trouve si grandes, si sublimes, qu'il cherche un moyen de concilier sa justice et son amour. Le Verbe, la seconde personne de Tadoraljle Trinité, s'offre pour porter nos crimes et nos offenses; nous sommes pécheurs, et il sera brisé pour nos péchés. INous sommes condamnés à la mort , et il mourra pour racheter notre vie. Le sang, les humiliations, la mort d'un Dieu, voilà ce que nous valons à ses divins regards! Quelle gloire! quelle grandeur!

Jusqu'à la naissance du Messie un seul peuple avait été appelé à la connaissance du vrai Dieu ; mais à peine Jésus a touché la terre , que sa mission universelle commence. Les gentils, objets des mépris de cette orgueilleuse synagogue qui devait mettre le sceau à ses crimes par le déicide, les gentils, assis dans les ombres de la mort, ont vu tout-à-coup une grande lumière. Une étoile, aimable avant-courièrc du soleil de justice, une étoile leur apparaît; à ce signe sacré, les sages de l'Orient se lèvent , et , quittant tout , suivent le guide céleste qui conduit leur marche incertaine. Si, pour un moment, il se cache à leurs yeux, leur foi n'est point ébranlée; ils demandent hardiment au roi de la Judée en quel lieu ils trouveront celui qui est roi des Juifs, et quand ils savent à peine est cette Bethléem de Juda qui doit voir naître le Messie promis , l'astre bienfaisant se montre de nouveau à leurs regards; ils le saluent avec transport : guidés par lui , ils marchent , ils marchent encore , et , dans une pauvre crèche , ils trouvent un faible enfant , enveloppé de langes. C'est le roi qu'ils sont venus chercher de si loin; ils se prosternent et l'adorent! Ils versent devant lui l'or, l'encens et la myrrhe, confessant ainsi sa royauté, son humanité sainte et sa divinité.

Quelle est belle, cette fête sacrée de l'Epiphanie, où, dans la per- sonne des Mages, nous avons été appelés à la foi! C'est pour nous le jour de la joie; c'est vraiment pour nous le jour que le Seigneur a fait. 0 que sa miséricorde éternelle en soit louée! Que d'aujourd'hui à jamais nos chants de reconnaissance l'exaltent et la publient! Mais ne l'oublions pas , héritiers de la foi des Mages , nous devons à leur exem- ple jusliiicr cette foi par nos œuvres, la prêcher, sinon par nos pa- roles , du moins par nos exemples , à tous ceux qui , chrétiens de nom , ne suivent pas sa divine influence. Elle impose des sacrifices, il est vrai, mais son onction douce et puretés rend faciles, et, tandis que la magnificence de ses promesses encourage et fortifie, un charme secret verse, sur tout ce qu'elle inspire, un sentiment de bonheur et de consolation. Le monde promet, à ceux qui le suivent, des délices qu'il ne donne pas; la Foi donne, à ceux (pii marchent sous ses éten- dards, dos biens qu'ollo n'a point promis. ÏTeureux celui dont la vie

ET LITTÉKAIRE. 53

s'écoule dans ses bras nialcriiels! De son lait tout pur elle nourrit son enfance; à mesure qu'il grandit, des aliniens plus forts sont préparés par ses soins. S*il se blesse , elle \g guérit ; s'il pleure, elle Le console; et quand vient pour lui l'heure suprême, elle parle plus haut à son oreille qui déjà n'entend plus les voix de la tcTre; elle montre à ses regards éteints la patrie des récompenses et du bonheur; il a tout vu , tout entendu; la mort, pour lui , n'est plus qu'un sommeil, il s'endort doucement dans le temps et se réveille dans l'éternité!

0 vous tous qui cherchez le bonheur, venez le demander à la Reli- gion. Seule elle le possède; seule elle peut le donner!

E. Brl'n.

TRADUCTION DU PSAUME SIXIEME.

Remets à d'autres temps les coups de ta colère; Ne me fais point seiUir les traits de ta fureur ; Prends pitié de mon sort et monire-toi mon père ; Guéris-moi de mes maux, laisse fléchir ton cœur.

Je me sens agité d'une crainte mortelle ; Le Irouhle et le rem<;rds me viennent déchirei' ; Toi, qui peux terminer celle épreuve cruelle, Jusquesà quand, Seigneur, la ieras-lu durer?

Reviens à moi, Grand Dieu , pour délivrer mon ame i)\ie ta miséricorde arrête la rigueur ! Si , de mes tristes jours, la main coupe la trame, Pourrai-je chez les morts célébrer la douceur?

Vainement à. la nuit, témoin de mes alarmes> Je demande un sommeil qui calmerait mes maux, Et sur un lit de cendre , arrosé de mes larmes , Je me fatigue en-vain à chercher le repos !

La honte et la douleur o»t obscurci ma vue ! Vers ton trône éternel, comment lever les yeux? J'ai vieilli dans le crime, et mon ame éperdue , N'aperçoit qu'un vengeur dans le mailre des cieux î

Quoi ! lu daignes sourire à mes accens funèbres , Ils ont pu pénétrer à ton cœur plein d'amour ! Fuyez de ma présence, ouvriers des ténèbres. Le Seigneur m'a rendu tout l'éclat de son jour !

A la voix de mes pleurs, son oreille propice M'entendra plus le cri de mes ini(|tiités, El ma prière eniin , désarmant sa juslic<' , Wi. i'o:iverl le trésor do toulci se3 bontés.

54 LE MOIS RELIGFELX

Fuyez , en rugissant et de honte et de rage y Ennemis trop cruels qui m'aviez abattu. Tremblez à votre tour ; Dieu me rend mon courage : Redoutez de son bras la force et la vertu.

Gloire à vous, Père Saint ; à vous, Fils adorable, A vous, Esprit d'amour, source de tout bonheur , Puissé-je contempler votre gloire ineffable Et dans l'Éternit} vous consacrer mon CDCurî

M.

=S>Si<?:<:

IïOTRi:-DAZS£-P£-LORX:TTZ:r

NotreTcuille du mois dernier était entièrement composée et à la veille de paraître, lorsque nous avons reçu le Mandement de Monsei- gneur l'Archevêque de Paris , sous la date du 15 décembre 1836, à l'occasion de la consécration de l'église paroissiale de Notre-Dame- de-Lorette. Nous sommes encore dans un temps opportun pour re- cueillir et faire connaître les belles paroles du premier Pasteur de ce diocèse, qui ont précédé cette cérémonie.

Elle a été auguste et touchante : la Religion n'a reçu que des témoi- gnages de respect j on a pu le remarquer surtout au moment Mon- seigneur l'Archevêque, en habits pontificaux, et précédé de sou clergé , a parcouru en dehors , le tour de l'église , au chant des an- tiennes , et tandis qu'on encensait les reliques des saints, portées aussi en procession extérieure par deux prêtres de la paroisse. L'autorité civile avait pris ses mesures pour maintenir le bon ordre; mais son intervention a été inutile. Dans l'église on a vu régner un grand re- cueillement et un vif esprit de foi ; heureux présage d'un avenir consolateur; et au dehors, à l'aspect du signe du Salut , les specta- teurs se sont spontanément découverts. La foule a gardé un silence religieux.

M. de Paris, après la consécration ^ et avant de célébrer une messe basse , a adressé des félicitations au\ autorités qui ont concouru à élever ce monument , et aux artistes (jui ont consacré leurs talens à sa décoration. A celte cérémonie étaient présens MM. les Evêcjues de Nancy et d'Ajaccio, M. l'internonce du souverain Pontife, en cos- tume de prélat , et MM. les curés de Sl-Roch, de Si-Nicolas du Char- donnet , de Monlmarlrc et des RalignoUes.

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MANDEMENT DE MONSEIGNEUR L'AnCIlEVftQliE DE l'A H 18 A l/oCC\SION DE LA CONSÉCUATION DE l'ÉGLISE PAROISSIALE DE NOIUE-DAME-DE-LOIVETTE.

IIyacintiie-Louis de QUELEN, parlaMiséricordo divine et la grâce (lu saint Siège Apostolique, Archovc(|ue de Paris, etc.

Au Clergé et aux Fidèles de notre Diocèse , Salut et bénédiction en Notre Seigneur Jésus-Christ.

Un nouveau monument s'élève maintenant au scinde la Capitale, Nos très-chers Frères, un Temple remarcpiable par son élégance et sa richesse s'ouvre à la piété pres(jue impatiente des Fidèles d'une Paroisse, resserrés jusqu'alors dans une étroite Chapelle. Les soins , les sacrifices n'ont point coûté aux Magistrats, aux Conseillers (|ui ont successivement veillé jusqu'à ce jour aux intérêts et à l'embellisse- ment de la ville de Paris, afin de le rendre digne de sa destination, digne de la Majesté Suprême qui veut y habiter , digne de l'auguste et puissante Patronne de la Franco , en l'honneur de laquelle il fut érigé. Les arts ont olfert avec empressement à la Religion l'hommage et le magnifi- que tribut des talens ; la Religion vient de bénir et de consacrer les chefs- d'œuvre qu'elle a elle-même inspirés; heureuse alliance, puisse-t-ello se resserrer déplus en plusl Le Sanctuaire, orné par la main des hommes, a reçu delà main de Dieu, par notre ministère, l'Onction sacrée qui l'a sanctifié pour le cuite du Seigneur, sous l'invocation de Marie honorée dans sa très-pure Conception ; et la dédicace solen- nelle en a été faite en ce jour de l'octave d'une fètc si chère aux fer- vens serviteurs de la Vierge immaculée.

Cet événement doit être sans doute, pour tous les Chrétiens, le sujet d'une grande joie; mais l'Eglise do Paris surtout en doit témoi- gner sa vive allégresse et sa profonde reconnaissance , elle qui fit , dans tous les temps, une profession si ouverte d'honorer d'un culte par- ticulier la Conception de celle que le Seigneur a possédée dès le com- mencement de ses voies (i), de celle qui, de toute éternité, avait été choisie pour porter dans ses chastes enlvaû\cs\e Rédempteur incompa- rable que nous a valu le péché d*Adam (2). Oui, c'est une des gloires de l'Eglise de Paris. Instruits par les Pères du Concile de Trente, appuyés sur les Décrets, Bulles et Constitutions des souverains Pon- tifes (3), forts de la faveur accordée par le Siiint Siège Apostolique à leur pieuse croyance , ses Docteurs s'engageaient autrefois par un serment prêté sur les autels, à enseigner, à soutenir, à déreiulre le

(1) Prov. vni. 22.

(2) Hymne Exullct , Sahbalo sanclo.

^) Sixle 1\ , Pie Y, Grégoire XV, Alexandre \H , Benoîl X.UI:.

56 LE MOIS RELIGIEUX

privilège glorieux de la nouvelle Eve , montrée à nos premiers parens après leur chute, comme un rayon d'espérance, comme l'instrument de la miséricorde luttant contre la justice, comme la créature (|ui seule devait avoir la singulière prérogative d'écraser la tète du serpent , de triompher de la ruse infernale par la grâce anticipée de Jésus-Christ son fds, unique et divin médiateur des hommes.

L'Eglise, nous le savons, n'a pas défini, n'a pas proposé aux Fi- dèles comme un dogme delà Foi Catholique, la croyance de l'imma- culée conception de Marie et de son exemption de la tache originelle. Fils soumis et dévoué, nous chérissonsjusqu'cà son silence j mais nous savons aussi qu'elle a laissé à ses enfans la liberté de satisfaire, à cet égard, ce que leur inspire un sentiment si légitime de respect pour le Verbe fait chair dans le sein toujours virginal delà Mère de Dieu; bien plus, elle ne permet pas qu'ils soient contrariés publiquement dans l'usage de cette liberté; elle sourit à leur vénération , à leur amour ', à leur conliance pour Marie, lorsqu'ils l'invoquent sous le titre de sa con- ception immaculée. Non-seulement elle tolère , non-seulement elle autorise , mais encore elle encourage par ses indulgences (4) les prières qui se font, les sociétés qui se forment pour propager une dévotion déjà si ancienne et si répandue, une pratique si raisonnable et si na- turelle à ceux qui sont habitués à méditer le consolant mystère de l'Incarnation; si douce au cœur de ceux qui, comme nous , ont ex- périmenté tant de fois la puissance et les bontés maternelles de Marie. Ohî que nous aimons, N. T. C. F., à vous faire entendre, en celte circonstance, la voix puissante de notre Bossu^t, à nous associera ses pensées, à entrer dans ses sentimens, à nous approprier ses pa- roles en l'honneur de celle que l'E^îise ne se lasse pas d'appeler toute belle et pleine de grâces: « L'opinion de l'immaculée conception, dit-il, a je ne sais quelle force qui persuade les âmes pieuses. Après les articles de foi , je ne vois guère de choses plus assurées. C'est pour- (juoi je ne m'étonne pas que cette école des théologiens de Paris oblige tous ses enfans à défendre cette doctrine. Pour moi , je suis ravi de suivre aujourd'hui ses intentions. Après avoir été nourri de son lait, je me soumets volontiers à ses ordonnances, d'autant plus que c'est aussi, ce me semble, la volonté de l'Eglise. Elle a un sentiment fort honorable de la conception de Marie. Elle ne nous oblige pas de la <'roirc immaculée; mais elle nous fait entendre que cette créance lui est agréable. 11 y a des choses qu'elle commande, nous faisons con- naître notre obéissance; il y en a d'autres qu'elle insinue, nous pouvons témoigner notre alfeclion. II esl de noire piété, si nous

{[) Ui<5cril du Vi\i^o Pic \I; 21 novembre ITOô.

ET LITTÉRAIRE. 57

sommes vrais cnfans de l'Eglise, non-seulement d'obéir aux com- niandcmens, mais de (léeliir aux moindres signes de la volonlé d'une Mère si bonne et si sainte (5). »

C'est un (ait que nous sommes jaloux de constater, et nous dési- rons cjue la connaissance en parvienne jusqu'aux lieux les plus reculés du monde catholicpie ; dans notre Diocèse, cette dévotion a jeté avec le temps des racines de plus en plus profondes; les malheurs sont encore venus l'aiFcmir, l'accroître et l'étendre avec un merveilleux progrès ; les faveurs signalées, les grâces de guérison , de conservation, et (Je salut paraissent se multiplier à mesure que l'on implore parmi nous la icndvc pitié de M<irie conçue sans péché,

11 nous a donc semblé , N, T. C. F. , que c'était un devoir, comme c'est un bonheur pour nous, que de vous appeler tous aux pieds de cette très-sainte et très-immaculée Vierge, au jour de la Consécra- tion du Temple enrichi de ses images , qui va désormais retentir de ses louanges mille fois répétées, qui se remplira de ses souvenirs et qui deviendra comme un lieu de pèlerinage notre aimable, notre admirable Mère se plaira à verser par torrens toutes les bénédictions, toutes les grâces dont son divin Fils l'a établie la fidèle et généreuse dispensatrice : Totum nos volait habere per Mariam (Qt).

A CES CAUSES , et après en avoir conféré avec nos vénérables Frères, les Chanoines et Chapitre de notre Métropole , nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :

1" A l'avenir, la Fcte de la Conception de la très-sainte Vierge Marie sera célébrée dans l'Eglise et la Paroisse de Notre- Dame-de- Lorette, du rit annuel-mineur, avec faculté de faire aussi le jour de l'Octave du rit double-majeur,

2" Le Dimanche 18 de ce mois, à toutes les Messes on ajoutera les oraisons Pro gratiis arjendis,

Le même jour, après la Messe paroissiale ou après la Messe de communauté , on chantera ou l'on récitera la Prose Invlolaia avec les verset et oraison de la Fête de la Conception de la très-sainte Vierge.

4 "Nous exhortons les Fidèles à porter sur eux la médaille frapi)ée depuis quehjues années en riionneur de la très-sainte Vierge, et/ répéter souvent cette prière gravée au-dessus de T image : 0 Mii/'P> courue sa)is péché y priez pour nous qui avons recours à vous.

(1) Sorm. sur la Conceplion. {"2) Saint Bernard.

58 MOIS RELIGIEUX

FUBrÉRAII.I.£S BU ROI CHAB.I.ES X.

Nos lecteurs ont accueilli favorablement les détails dans lesquels nous sommes entrés , touchant la mort du roi Charles X , et les der- nières épreuves qui précédèrent la fin de sa noble carrière : ces suf- frages, pour nous la plus douce comme la plus belle récompense de nos travaux, ne nous ont cependant pas surpris : nos paroles s'adres- saient à des Français 3 et nous parlions d'un prince que la patrie, dans sa reconnaissance , a placé au rang des plus excellens rois qui furent appelés à la gouverner. Notre tâche était facile : nous étions assurés de captiver l'intérêt : le nom d'un Bourbon, le récit de ses belles ac- tions , le tableau de ses vertus , agissent toujours puissamment sur les âmes généreuses.

Toutefois il est à regretter que les bornes dans lesquelles nous étions resserrés, ne nous aient pas permis de donner plus d'étendue à ceite notice : on ne tarit guère lorsque le cœur parle ; l'oreille n'est jamais fatiguée lorsqu'elle écoute avec sympathie. Dans ces instans solennels on voit s'éveiller tous les souvenirs; chacun s'estime heureux de si- gnaler le beau trait dont il fut le témoin, et mille actes de bienfaisance sur lesquels une modeste générosité imprima jusqu'alors le cachet du mystère.

Mais la mort affranchit de tous les liens , brise tous les secrets, et c'est sur le bord de la tombe qu'il est permis à la reconnaissance do faire entendre ses accens , de faire éclater ses transports.

La fin de Charles X a été celle d'un grand roi, celle d'un chrd- tien , digne descendant de Louis IX , et de tant d'autres monar(|ues qui n'ont pas moins illustré notre patrie par leurs vertus, leur piété, que par leurs exploits.

Dans le jour lugubre ses restes ont été confiés au silence du tom- beau , les peuples de France no se sont point portés en foule vers la basilicpie de Saint-Denis : la musicpie guerrière de nos légions n'a point mêlé sa voix plaintive h Tliarmonie sacrée de nos prêtres : nos mains n'ont point épandu l'eau sainte sur le cercueil royal.

C'est dans une contrée lointaine, sur une terre hospitalière, il est vrai , que le fils aîné de l'Église, le roi très-chrétien, a reçu les hon- neurs de la sépulture : ils ont été simples ; mais , malgré leur simplicité, r*^us pensons que nos lecteurs n'en verront pas le récit sans inlérêl.

^^.DUE POtfH LES FUNÉRAILLES DE SA MAJKSTI^. LE ROI CHARLES X.

^- ^ le prince-Archevè(|ue de Corilz, \onlaul, assisté de son cha- pitre, «'tout son clergé et des ordres religieux, célébrer les funé- railles de;jj Majesté le ïloi Charles X j

ET LITTÉRAIRE. 5<)

M. le comlc de Glcisbach , capitaine du Cercle, et les chefs mili- taires ayant manifesté l'intention de suivre le convoi avec la garde bourgeoise, la noblesse, les notables du pays, les officiers de tout grade et les troupes de la garnison ;

L'ordre des cérémonies est ainsi réglé :

Demain, onze novembre, à neuf heures et demie du matin, M. le comte de Marnes et M. le comte de Chambord se rendront de leur logement, hôtel Strasoldo, au château du GralTenberg.

Immédiatement , et en leur présence , la levée du corps de Sa Majesté sera faite par le prince-archevêque , assisté du chapitre.

Le convoi se mettra en marche de la manière suivante :

Un détachement de troupes , avec leurs tambours drapés , et leur corps de musique;

Vingt-quatre pauvres en deuil portant des torches ;

Les frères de la miséricorde portant des flambeaux ;

Les religieux Capucins portant des flambeaux ;

Les religieux Franciscains portant des flambeaux ;

Le clergé des paroisses de Goritzi;

Le chapitre ;

S. G. le prince-archevôque ;

Le char funèbre surmonté d'une couronne et attelé de six che- vaux drapés de noir ;

M. le comte de Marnes en manteau noir, accompagné do M. le duc de Blacas, premier gentilhomme de la chambre de Sa Majesté.

M. le comte de Chambord, en manteau noir, accompagné* de M. le comte de Bouille , aide de camp du Roi , et remplissant les fonctions de gouverneur du prince ;

M, le comte O'IIégerthy , écuyer-commandant , dirigeant la marche du char funèbre;

A droite et à gauche du cercueil et des princes , douze valets de pied portant des torches ornées d'écussons aux armes de Fi ance ;

A la suite et ensemble :

MM. le mar(iuis de Clermont-Tonnerre , ancien ministre de Sa / Majesté , et le comte de Tonnerre , son fils.

Le comte de Montbel, ancien ministre de Sa Majesté;

Billot , procureur-général de Sa Majesté ;

Le docteur Bougon, médecin de Sa Majesté;

Le baron de Saint-Aubin, premier valet de chambre de Sa Majj?^*^ J

L'abbé Joc(|uarl , ciiapelain de Sa Majesté ;

L'abbé Trébu(iuet, attaché à Féducalion de M. le co^^ .^^ Chambord ;

Le colonel du génie Mounier j idem;

60 LE MOIS RELIGIEUX

Le chevalier Caucliy , de l'institut de France, idem;

Le capitaine Guîgnard;

De Sainte-Preuve, ancien garde du corps j

Henri Billot;

Les valets de chambre du Roi, portant des flambeaux;

M. le capitaine du Cercle;

MM. les officiers, et les notables en deuil;

Un détachement de troupes.

Des soldats borderont la haie.

En sortant du Graffenberg, le cortège se dirigera par le chemin de droite, et tournera devant le grand hôtel du comte Attems; il par- courra la grande rue, la place Saint-Ignace, et les rues suivantes, jusqu'à la cathédrale.

Le cercueil , porté par le service du Roi, sera placé sur un catafalque disposé à cet eflet.

Le service religieux commencera quand les princesses seront placées, dans une tribune drapée de noir au-dessus du chœur ; que M. le comte de Marnes et M. le comte de Chambord seront dans le sanctuaire, suivis de M. le duc de Blacas et de M. le comte de Rouillé. M. le cardinal de Latil et M. l'évêque d'IIermopolis se rendront aussi dans le sanctuaire.

Les autres Français et les notables du pays se rangeront à droite et à gauche du catafalque, dans des places drapées de noir.

Après la messe et les absoutes , le cortège se dirigera dans le niêmc' ordre , par la même porte, et par la rue à gauche , vers le couvent des religieux Franciscains.

Le cercueil sera porté dans l'église cl déposé dans le caveau funé- raire de la famille des comtes de ïhurm , situé devant la chapelle de Notre-Dame de Mont-Carmcl.

Fait à Goritz, le 10 novembre i83G. Blacas d'Aulps.

Vienne, 18 décembre. Le corps du roi Charles X, qui doit être déposé au caveau de Gratz, y sera reçu par ordre supiv^nc, avec toute la solennité et la pompe dues aux cendres du monarque dé- funt. Un commissaire de la Cour a reçu la mission d'assister à la cé- rémonie religieuse de l'inhumation et au dépôt du corps dans le ^^veau. L'ouverture du cercueil aura lieu avant de le descendre dans 1<* 'ombe, afin que le commissaire impérial puisse reconnaître le Corp.; \q cercueil sera fermé ensuite avec trois diirérentes clefs, dont l,ne sera envoyée à la Cour de Vienne, la seconde sera remise a S. A. > \^^ f\y^^. d'Angoulème , et la troisième sera placée entre les inanis du m>^\ ^^^^ Tèglise le corps doit être déposé.

ET LITTÉRAIUK. 01

LE MEXDIAXT.

Pa livre , et frusln'î d'un bien ardommonl onvié,

l)(î mes désirs tron.pés j'exhalais le MiurrnnK^ ;

Je mo plaignais au ciel , qui m'avait oublié.

Sur moi-môine arrôlanl un regard de pitié ,

J'accusais de ses dons l'inégale mesure.

Je contemplais les jours de ces rares humains ,

Sur qui le sort jeta ses dons à pleines mains,

Ou'on voit, nageant au sein d'une molle abondance,

A leurs vœux sans limite égaler leur pouvoir ,

Qui, le soir , du matin couronnent l'espérance.

Et rêvent, le matin, les délices du soir.

Un homme, auprès de moi , dans ce moment s'arrête : Ses traits creux et flétris attestaient la douleur ; Vieilli par les hivers moins que parle malheur, Une neige précoce avait blanchi sa tête.

Sur son visage sans couleur Sa barbe s'amassait à longs flots répandue ; Quelques lambeaux pendans couvraient son corps ; sa main

S'ouvrait immobile et tendue,

Et sa voix demandait du pain.

Je lui donne , il s'incline , il me bénit et passe , « Infortuné! pensai-je en le suivant des yeux, » Il se résigne , et moi j'importune les cieux. » Oh ! combien mes ennuis sont loin de sa disgrâce î » Vain jouet des frimats , et des vents , et des eaux , » Rebut du monde entier , voyageur sans asile , » Citoyen sans patrie , étranger dans sa ville,

» Isolé parmi ses égaux , » De l'arbre social branche nue et stérile, » Sur la terre féconde il naquit mendiant. » Du malheur, jusqu'au bout , il porte la livrée : » Dans sa marche assidue, incertaine, ignorée, » Traînant de ses lambeaux l'appareil suppliant, » Il étale aux regards sa hideuse infortune ; » Du riche qui l'écrase il fatigue l'orgueil ; » A sa porte il élève une voix importune , » Et l'oubli l'attend sur le seuil ! » Et l'opulence, au superbe langage, » Laissant tomber à peine un œil indifférent , » Lui reproche un destin que lui S(nil il comprend, » El lui jette à la fois le bienfait et l'outrage î

» Près des lieux consacrés l'homme , chaque jour » Vient adorer un Dieu d'espérance et d'amour,

62 LE MOIS RELIGIEUX

» Il allond le fidèle , au sortir du myslèro ;

» , pour abri le nuir , la borne pour soutien,

» Du lamentable cri de sa détresse amère,

» Il appelle, il poursuit l'aumône du chrétien ,

» Et le chrétien n'a pas un regard pour son frère !

» Misérable , il assiste aux plaisirs des heureux, » Partout il voit briller la pompe de leurs jeux, » Le luxe de leurs chars , l'orgueil de leurs parures , » De leurs riches banquets ses haillons sont témoins; » Leur joie irrite ses tortures, » Leur abondance insulte à ses besoins.

» Toujours humble, toujours formant à la prière

» Son air, son geste, son accent, » Du château fastueux à la pauvre chaumière , 11 va cherchant partout la porte hospitalière » Et le mortel compatissant.

A l'homme , son pareil , demandant sa pâture, » Déshérité des biens , tout, dans la nature,

» Réclame ses droits à son tour , » 11 ne possède rien sous l'astre qui l'éclairé ,

» Rien que sa place au sanctuaire,

» Et sa part aux rayons du jour.

» Image de la brute , à souffrir destinée,

» Qu'abaissa vers le sol la main de l'Éternel ,

» Sous un joug pesant et cruel » 11 sent fléchir sa tjto, et sa vue inclinée

» A perdu le chemin du ciel.

» Sur son front , par degrés , le sceau divin s'efface ; » Heurûux si , dans son cœur , par le sort abattu ,

» Le malheur , de sa main de glace,

» N'éteint pas jusqu'à la vertu : » La vertu rarement survit à l'espérance. » Hélas ! et l'indigent de sa longue souffrance « Demande en vain le terme à l'immense avenir : » L'espérance pour lui ressemble au souvenir. » Chaque soleil nouveau, qui sourit à la terre, » Rend le monde au bonheur, le pauvre à la misère. » Devant lui se prolonge un horizon d'airain : » Toujours le dénùment , et la honte et la faim ! » Toujours la solitude, et le jour qui s'éveille

> Transmet les douleurs de la veille

» A l'aurore du lendemain.

to F.ncor si, dans un cxur, du chagrin qui l'inonde

* Son cœur versait le torrent douloureux ! » Mais le pauvre n'a pas un ami dans le monde : V Souffrir n'est rien ; souffrir seul est affreux. »

ET LIÏTÉUAIKE. 63

Du pauvro ainsi jo mr; Ira ais l'imago.

Kl la pilié m'enseignait hi courage ; Et mes vœux du destin n'accusaient plus les torts, Et si de l'opulent j'(3nviais les trésors , C'était pour un meilleur usage.

Ah ! me dis-je, vers moi doucement ramené, J)(;vantce malheureux qui gémit sans murmure, ()uv\ mortel osera se croire; infortuné? Consolons-nous ; le sort dont il subit l'injure, A sur nous abaissé des regards indulgens. Remercions le dieu que sa prière implore , Et ne nous croyons pas , dans nos vœux exigeans,

Exclus des biens qu'il fait éclore,

Tant qu'il nous reste assez encore

Pour secourir les indigens.

A. Gallmier.

APPEL FAIT PAR l'ÉVÊQIJE d'aJACCIO AUX VRAIS AMIS DE LA RELIGION POUR L'ÉTABLIS- SEMENT d'un PETIT SÉ3UNAIRE DANS SON DIOCÈSE.

De toutes les œuvres qui doivent intéresser au plus haut degré les sincères amis de la Religion, la plus importante peut-être, la plus digne de leur sollicitude et des largesses de leur charité , la plus mc- riloire en un mot aux yeux de Dieu et de la société , c'est la fonda- tion d'une École ecclésiastique dans les pays qui manquent d'un si précieux établissement, et dans lesquels, par une conséquence inévi- table, la foi languit et s'éteint, les mœurs se dépravent, et la Reli- gion disparaît progressivement, faute d'un ministère apostolique, pré- paré d'avance dans la retraite du sanctuaire , et assez nourri de science et de piété pour soutenir sa vocation divine et se mettre à la hauteur de sa sublime mission.

Pénétré de l'importance de cette vérité, et persuadé qu'aucun de ceux à (\m il s'adresse ne la mettra en doute , l'évoque d'Ajaccio fait un appel aux vrais amis de la Religion et à tous les amis du peuple Corse, en faveur du petit Séminaire que réclament depuis long-temps les besoins de son diocèse.

De tous les diocèses de France, la Corse était le seul qui, depuis plus de quarante ans, manquât de Séminaires, et peut-être n'y/*î avait-il aucun des établissemens de ce genre fassent plus nf'^s- saires et promissent de plus heureux résultats. Tout Francai'n^* il est incontestablement par ses sentimens, par ses allections ,f^^^' ^^'s institutions cpii le gouvernent, et i>ar tant d'autres titres,-^ P^js , néanmoins , soit à raison dos coutumes , du caractère et'^ ^''^"g^gc

04 LE MOIS RELIGIEUX.

de ses habitans, soit à cause de sa position isolée au milieu de la mer, et de l'aspect montagneux de son vaste territoire partagé autre- fois en cinq Évêcbés, forme, pour ainsi dire, comme un peuple dis- tinct et une nation à part. Envisagée sous ce point de vue, la Corse est, sans contredit, celui de nos diocèses dont l'administration inté- resse le plus la Religion et la France.

Mais ce qui est moins douteux encore , ce sont les immenses avan- tages qu'on doit espérer dans cette île de la fondation de ses sémi- naires. Il s'agit, en effet, d'évangéliser un pays qui, malgré les se- mences précieuses et les racines profondes (jue le Christianisme y a jetées et que l'esprit d'irréligion n'y a point étouiïées , a pourtant le malheur d'attendre encore aujourd'hui qu'une nouvelle bénédiction du Ciel vienne développer les germes de foi et de salut qui s'y sont conservés. Il s'agit de porter à une nation généreuse et brave , ca- pable de tous les genres d'héroïsme, comme son histoire l'atteste, mais réduite juscju'ici , malheureusement, à regretter l'absence d'une éducation religieuse telle qu'il la lui fallait, il s'agit de lui porter, non le présent fatal d'une civilisation corruptrice qui amollit et énerve les cœurs en éclairant les esprits, qui irrite et enflamme les passions , en augmentant les moyens de les satisfaire , mais le bien- fait inappréciable d'une civilisation chrétienne, la seule qui puisse adoucir les mœurs sans les corrompre, resserrer et multiplier les rapports sociaux sans les briser ni les confondre, et préparer le triomphe paisible et le règne durable de la vertu , en réformant effi- cacement les vices de la nature. Il s'agit principalement d'arracher un peuple infortuné à la tyrannie de préjugés funestes qui divisent les familles et les arment quel([uefois les unes contre les autres. Il s'agit, en un mot, par une restauration nîorale si désirable, d'assurer les intérêts éternels de ce peuple, et de lui ouvrir, avec les trésors de l'immortelle félicité , les sources d'une prospérité temporelle qu'il u'a point goûtée et que peut-être même il ne soupçonne pas.

Or, ces précieux et immenses résultats, de l'aveu de tous ceux qui connaissent le pays , on doit les attendre infailliblement de rinfluence de la Religion par le ministère d'un bon clergé, et on ne peut les at- tendre que de là. Le Corse a l'ame trop grande et trop haute pour céder à l'action coercitive d'une puissance humaine; mais il a tmp de •^ns et de foi pour ne pas se rendre au divin ascendant d'une Reli- g^n qu'il aime et qu'il n'a besoin (pie de mieux connaître. Ce que ï^'o* pu jusqu'ici, et ce que ne pourront jamais sur lui, ni la ter- reur Vs tribunaux, ni l'aspect menaçant de la force publique, ni les ressori ç.^ç,,çtg d'une police vigilante et active, un bon prêtre tout seul l oi:(.jj(]p.^ gr^j^^ peine par la puis^^tnce de la parole, et par la

ET LITTERAIRE. 05

force persuasive dcscs vertus et de ses exemples. îl \'ainora les préjugés, désarmera les haines, réconciliera les partis, et formera autour de la croix de Jésus-Christ une société de frères , unis étroitement par les liens delà charité, et qui ne conspireront plus que pour le bien com- mun. Si ces assertions n'étaient pas évidentes par elles-mêmes, elles ])ourraient être démontrées par des faits récens, passés sous les yeux même de l'évéciue d'Ajaccio.

Voilà les avantages que promet à la^Corsc un Clergé renouvelé dans la perfection de son état , un Clergé fortement trempé de l'esprit et de la grâce du sacerdoce. Ce Clergé doit sortir nécessairement des Sémi- naires; car, puisqu'il faut le dire, c'est une vérité qu'on ne saurait ni contester, ni dissimuler, ce ne sont pas les prêtres qui ont manqué à la Corse, ni à ceux-ci les dispositions naturelles pour devenir d'ex- cellens prêtres; ce sont les moyens de cultiver ces dispositions, ce sont les Séminaires qui ont manqué. Il suffirait pour le prouver de ci- ter les nombreux et honorables exemples dus uniquement à la circon- stance exceptionnelle d'une éducation cléricale soigneusement ména- gée. La Corse serait indubitablement, sous le rapport de la régularité, de l'instruction et du mérite de son clergé, un des premiers diocèses de France , si le malheur des temps n'avait fermé les sources de la science et de la piété dans cet infortuné pays, et ne l'avait en quelque sorte frappé de stérilité, en le privant, aux époques môme qui sem- blaient le plus devoir le favoriser, des établissemens ecclésiastiques et d'enseignement public dont jouissaient tous les autres.

L'évêque d'Ajaccio, à qui la Providence a confié, depuis trois ans l'importante et difficile administration de ce vaste et intéressant Diocèse , a donc regarder la fondation de ses Séminaires comme l'œuvre la plus essentielle et la plus urgente de son épiscopat. Il peut même dire qu'un des motifs qui ont le plus encouragé sa faiblesse à accepter le redoutable fardeau qu'on lui a imposé, c'est l'espoir d'as- surer à sa patrie des établissemens si nécessaires et depuis si long- temps désirés. Dieu a bien voulu bénir ses premiers efforts! le grand Séminaire qu'il a fondé dès le mois de mai 1835 , n'aura plus désor- mais une existence précaire. On a livré enfin le bâtiment qu'il devait occuper, et il y a été transféré le 18 octobre dernier, après un pro- visoire de quinze mois passés dans la maison étroite et incommode il avait pris naissance. Tout fait espérer que le Couvernement ne lais- sera pas le nouvel édifice incomplet , et que les secours nécessaires pour y faire les appropriations et les agrandissemens convenables, seront alloués. Mais un grand Séminaire ne sullisait pas aux besoins de l'É^^lise de Corse. Il lui fallait une Ecole secondaire ecclésiastique pour ali- menter le premier établissement, pour éprouver d'avance les jeunes

66 LE MOIS RELÏGIELX

vocations^ pour les former de bonne heure et les mettre à l'abri de la contagion du monde , pour les nourrir, dès le premier âge , du lait de la science et de la piété , pour compléter, en un mot , le système d'é- ducation cléricale sans lequel on se flatterait vainement d'obtenir un clergé parfait et à la hauteur de sa divine mission.

Un petit Séminaire a donc été ouvert au mois de novembre dernier, et l'affluence considérable des élèves qui s'y sont présentés dès son ouverture, a prouvé tout le prix que le pays attachait à celte nouvelle création. Mais si le personnel de rétablissement existe, s'il se com- pose même de tous les éiémens qui peuvent en garantir la durée, il n'en est pas ainsi de la maison qui doit le recevoir. H a fallu se résoudre à reprendre provisoirement le local que vient d'abandonner le grand Séminaire, et dont il faut payer un énorme loyer. Déjà le court essai qu'on a fait de ce local , en a démontré l'insuffisance et l'irrémédiable incommodité. Si ce provisoire devait durer deux ans, il mettrait en péril l'existence même de l'établissement. C'est une vérité aujour- d'hui reconnue; l'avenir du petit Séminaire cessera d'être com- promis que du moment le Diocèse pourra disposer en sa faveur d'un édifice construit sur un plan proportionné à la grandeur et à l'impor- tance de sa destination.

11 est donc urgent de bâtir un petit Séminaire en Corse. Malheu- reusement les ressources derÉvêque d'Ajaccio, et celles que peuvent lui promettre ses diocésains, sont bien loin d'être en rapport avec une si dispendieuse entreprise. Aussi , oserait-il à peine en former le des- sein , s'il ne comptait que la divine Providence et la charité chrétienne viendront au secours de son Diocèse. L'appel qu'il a fait l'année der- nière à la piété de ses compatriotes, a constaté tout ensemble l'em- prcsscment de leur zèle et l'impuissance de leur bonne volonté. Ce double résultat a été tel qu'on devait l'attendre. La Corse, on peut le dire sans crainte de l'oirenser, parce qu'elle n'a point à rougir de sa pauvreté, la Corse est un pays dont la plus grande richesse a été jus- qu'ici dans la vie sobre et frugale des populations' qui habitent ses montagnes. Le clergé n'y est pas plus aisé que le peuple. La plupart des paroisses sont sans presbytère. Les églises , dans un grand nombre de cantons , tombent en ruines , ou sont dans un état de dégradation et de dénùmcnt qui fait gémir la foi. Au milieu de tant de besoins et d'une si grande détresse, c'est une nécessité pour le premier Pasteur de ce Diocèse, de recourir à la générosité des vrais amis de la Reli- gion et de tous les amis du peuple Corse.

En s' adressant aux premiers , il les prie de se souvenir que le Chris- tianisme ayant appelé les peuples à l'unité d'une même foi, d'une même espérance et d'une même charité, a foil de tous les fidèles une

ET LITTÉRAIRE. ©T

seule et môme famille dans laquelle tous les hommes , à quelque pays qu'ils appartiennent , doivent se considérer et se traiter comme frères. C'est à ce titre qu'il les sollicite , au nom et parles entrailles de Jésus- Christ, en faveur d'un peuple chrétien les besoins et les ressources sont dans une triste et presque désespérante disproportion. Il n*ignore pas que chaque pays a ses nécessites, et que la cliaritc chrétienne est partout assiégée de sollicitations nombreuses. Mais il sait aussi que cette même charité, inépuisable dans son principe, infatigable dans son action, miraculeuse dans ses œuvres, n'est jamais implorée en vain par aucune infortune. Si elle s'empresse d'accomplir en détail chacune des œuvres de miséricorde spirituelles ou corporelles qui lui sont signalées, que ne fera-t-elle pas spécialement pour une œu\re qui équivaut elle seule à toutes les autres? Qu'on essaie de compter tous les genres de bénédictions qu'un bon prêtre doit porter dans une pa- roisse où la divine Providence l'appelle , et l'on demeurera convaincu que l'éducation d'un bon prêtre est l'œuvre par excellence, et que, s'associer à une telle œuvre, c'est coopérer efficacement à toutes celles que peut embrasser, dans sa sollicitude, la plus industrieuse et la plus ardente charité. Que sera-ce s'il s'agit, non d'un prêtre seul à former, mais d'un Séminaire à établir ; non d'une seule paroisse à se- courir, mais d'un vaste Diocèse à évangéliser! L'œuvre du petit Sémi- naire de la Corse , quoique venue après tant d'autres , peut donc es- pérer de trouver une place parmi celles que la charité chrétienne sou- tient de ses largesses.

En recourant aux amis delà Corse , Tévêque d*Ajaccîo s'adresse par^ ticulièrement à ceux qui , comme lui , s'honorent de lui devoir le jour. Il les supplie , au nom de tous les souvenirs et de toutes les affections qui les attachent à cette commune patrie , de contribuer de tous leurs efforts à lui former un établissement qu'elle réclame avec une si juste impatience , et dont la création , en commençant pour elle une nouvelle ère de civilisation et de prospérité , sera pour eux-mêmes auprès de leurs descendans un litre immortel de bénédiction et de reconnaissance. Ce qu'ils viennent de faire tout récemment par un élan généreux de patrio- tisme (i) , ils le feront par un sentiment de patriotisme plus généreux encore en faveur de leur propre pays, a(in ([ue la religion n'y périsse pas , que leurs arrière-neveux puissent y recueillir pur et embelli d'une plus riche culture , T héritage de foi et de bonnes mœurs qu ils ont reçu de leurs pères.

S'il était permis de joindre des considérations personnelles à des

(i) Une souscription vionl (î*cU'o ouverte pour élever un monument en Thon neur de Napoléon : toute la Corse y a pris part.

68 LE MOIS RELIGIEUX

motifs d'inlérét goncral d'une si grave et si liaute importance , l'évêque d'Ajaccio , s adressant enfin à ceux qui veulent bien lai conserver quel- que bienveillance , oserait les conjurer encore au nom de ce que l'ami- tié a de plus tendre /d'accorder à son église, à cette chère épouse à qui Jésus-Christ Ta uni par un contrat solennel et divin , un témoi- gnage d'intérêt qu'il ne demande pas pour lui-même, mais qu'il appré- ciera infiniment plus que tous ceux qu'il pourrait recevoir personnelle- ment.

Après avoir exposé avec franchise le tableau des besoins de son dio- cèse, et les motifs qui justifient l'importance et la nécessité de le se- courir ; plein de confiance en celui qui tient dans sa main le cœur do tous les hommes, et dont il n'a fait ici que suivre les inspirations, l'évêque d'Ajaccio ne doute pas que sa voix ne soit entendue, et n'ex- cite les vives sympathies de tout ce qui porte une ame généreuse et un cœur sincèrement catholique. C'est surtout vers ses vénérables col- lègues dans répiscopat qu'il tend avec confiance ses mains suppliantes, et les conjure au nom de cette solidarité que le même caractère, la môme mission établit entr'eux et lui , d'écouter sa voix plaintive , de jeter les yeux sur sa détresse, et de diriger pour la propagr.tion , pour la conservation de la foi dans son diocèse, quelque faible partie des se- v;ours qui rendent si florissans leurs établissemcns ecclésiasticjues , et dont les parcelles réunies assureraient à l'une des portions les plus souiïrantes de l'iîgiise de France , le moyen de sortir de l'état désolant elle languit.

En conséquence une Souscription est ouverte, à dater de ce jour, pour la construction d'un petit Séminaire dans le Diocèse de la Corse.

Toutes les offrandes , quelle que soit leur valeur, seront accueillies avec reconnaissance.

Tous les souscripteurs seront inscrits sur un registre particulier, qui sera soigneusement conservé dans les archives du séminaire.

L' Évoque d'Ajaccio, d'après l'autorisation qu'il en a reçue, se fait un devoir d'annoncer qu'en tête de ce registre et de la liste des souscrip- teur*^ se trouve déjà placé un auguste personnage dont le nom et le carac- tère vénérables tout seul, seront auprès des catholiques une puissante recommandation en faveur de l'œuvre à laquelle il a daigné s'associer , et dont le succès ne pouvait être mieux garanti que par la bénédiction qu'il a voulu y attacher.

Tous les souscripteurs connus et inconnus seront regardés comme bienfaiteurs du Séminaire, et auront part, en cette (jualité , à toutes les prieras el bonnes œuvres qui se feront dans l'étahiissoment. Tous les ans à perpétuité , on y célébrera un service solennel pour le repos de Tamc des bienfaiteurs décèdes.

ET LlTTÉlLVUa:. 69

Les souscriptions seront adressées directement à l'Évèriue d' Ajaccio, ou déposées entre les mains du Curé de la paroisse des Souscripteurs , s'ils habitent la Corse; ou bien, avec la permission de l'Évéque, entre celles du secrétaire-général de l'Évéché, s'ils résident dans un diocèse du Continent. Quanta ceux qui habitent Uonie ou Paris, ils pourront aussi confier leurs dons, les premiers à M. Uaphaël Ferrucci, rue de Montcbrianzo , 20; les seconds, à M. le comte Caccia, régent de la Ban(jue de France et banquier de N. S. P. le Pape, rue Ncuvc-des-Pe- tits-Champs, 66.

Paris, le (i jaiivioil8ô7. -f X. T. PiAPilAEL, Évéque d'Ajaccio.

I.£ TOMBEAU.

Une m'ère pleurait le fils de sa tendresse ,

A la fleur de ses ans, ce fils perdit le jour ;

Et près de son tombeau, pour calmer sa tristesse.

Sans cesse elle appelait l'objet de son amour.

Déjà , pour son époux , la croix du mausolée

Avait été plantée au vaste champ des morts.

Inconsolable veuve , et mère désolée,

En un même cercueil renfermant ses trésors.

Confondant ses amours dans la même prière,

Chaque jour de ses pleurs mouillant la froide pierre ,

Elle eût voulu vers eux. , . mais un fils lui restait.

En Paul on admirait les vertus de son père,

Avec sa loyauté , la bonté de son frère ;

Près de sa mère en pleurs, sur la tombe il pleurait ;

Il partageait son deuil, ressentait ses alarmes ;

Il mêlait ses regrets, aux regrets de son cœur ;

D'une main caressante il essuyait ses larmes.

Et sans la consoler suspendait sa douleur. . . .

Mais soudain parmi nous la trompette guerrière

Fait entendre un signal cher à tout cœur français :

Nos braves vont courir sur la terre étrangère

A de nouveaux dangers , à de nouveaux succès.

Paul veut les suivre aussi sur la rive africaine,

Il ira recueillir sur la ))lag(^ lointaine

Les accens d'Augustin redits par les échos.

Là, vit du nom chrétii^n la puissance innnortelle ;

Son ame y puisera quelque vertu nouvelle.

11 croira voir encor cet essaim de héros

70 LE MOIS RELIGIEUX

Abandonnant jadis mère , famille , épouse , Pour braver du Croissant l'orgueilleuse fureur Et ravir à son joug le tombeau du Sauveur. . . . Puis il verra bientôt la fortune jalouse Décimer ces guerriers , s'attaquer au saint roi : Il le verra vainqueur , tout en perdant la vie ! Oh ! qu'un si beau trépas est digne encor d'envie ! En plaignant ses malheurs comme on bénit sa foi. . . Paul sent son cœur ému. . . sa piété s'enflamme, Dans ces lieux, des Croisés il veut respirer l'ame , Il part. , . et pour sa mère encor un nouveau deuil ,

11 rêve le bonheur elle rêve un cercueil ! . . .

Nul danger n'a pourtant traversé le voyage :

Paul, du peuple africain a touché le rivage.

Tout-à-coup des combats le signal est donné. . . .

11 faut du Musulman réprimer l'insolence ,

Et de nouveau montrer à son œil étonné

Ce que peut dans nos cœurs la gloire de la France.

Constantine est la proie offerte à nos guerriers :

Dans ses fertiles champs ils or t vu des lauriers ;

Ils vont les moissonner , ils en ceindront leur tête.

Ils courent pleins d'ardeur à sa noble conquête ;

Mais contre eux tout conspire ; ils se croyaient vainqueurs

Et soudain la victoire a trahi leur audace :

La retraite a sonné. . . Tout a changé de face.

La tempête et les vents paralysent leurs cœurs ;

La neige tombe à flots. . . ces plaines sirianles

Sont des tombeaux glacés , leurs mains expirâmes

Creusent, en y tombant, un sépulcre d'iiorrcur. . . .

Et ton fils, ton cher fils , ô mère de douleur,

Ton fils qui les suivait. . . .Dans ton ame flétrie

Viendra-t-il rapporter le bonheur et la vie?

Pleure. . : . hélas ! il n*est plus! Au printemps de ses jours

Paul est mort loin de toi , sans les pieux secours.

Ils furent vains , les soins d'un serviteur fidèle. . . .

Dieu t'avait prêté Paul ; c'est Dieu qui le rappelle :

Ton fils est dans son sein. A son dernier soupir,

Il confondit en Dieu Ion tendre souvenir

Et sa mourante voix nommait encor sa mère

Quand elle murmura la dernière prière !. . .

Et c'est près d'un tombeau que ce nouveau malheur Vient comme le beffroi retentir à ton cœur î De Paul , ah ! si du moins la dépouille chérie Reposait doucement au sol de la patrie, Si , réunis ensemble à l'ombre de la croix, Tes deux fils et leur père y sommeillaient tous trois! '. Oui , c'est le seul bien que ton ame désire. Bientôt, couvert de deuil paraîtra le navire Chargé de ce dépôt si cher , si précieux ; Bientôt les compagnons de sa noble détresse

ET LITTÉRAIRE. il

Auront rendu ton (ils aux vœux de ta tendresse. . . Pour supporter ces maux, lixe, fixe les cicux, Élève jusques ton ame et ta paupiùrc ; Là, règne dans la gloire une femme , une mère . Elle aussi vit périr le iils de son amour. Il voulut expirer pour les péchés du monde. Ce fils, c'était un dieu! Sa douleur fut profonde, Vaste comme la mer !.. .Du céleste séjour , Elle aime à compatir aux douleurs maternelles : Verse , verse en son sein les alarmes cruelles , Et bientôt à sa voix descendra dans ton cœur Cette paix des élus qui semble le bonheur.

É-MiLiE BRLX.

ÉGScISE CATIïOïiI§lJ33 DE VEVSY.

De pieux efforts , de généreux sacriftces , des traits de dévouement, dignes des temps apostoliques, viennent, par intervalle, consoler les amis de l'Évangile : le réveil de la religion de nos pères , dans quelques cantons de la Suisse, est un de ces événemens qui font époque dans l'histoire d'une nation : grâces soient rendues à ceux qui les premiers, par la force de leurs exemples et de leur parole, aplanirent aux peu- ples égarés les voies qui devaient les ramener au Christianisme : puisse le ciel faire descendre sur ces chrétiennetés renaissantes la rosée qui donne l'accroissement et la vigueur.

Depuis plus de trois siècles , les accens de la vraie foi ne se faisaient plus entendre dans le canton de Yaud; un voile de mort couvrait en- core de ses ombres , et dans presque toute son étendue , cette belle contrée, lorsque les membres du gouvernement, revenus de leurs préjugés contre le culte ancien que professaient leurs pères , ont enfin accordé à leurs concitoyens, ainsi qu'aux nombreux étrangers qui s'y trouvent, l'exercice du droit reconnu actuellement par leurs lois fon damentales, d'élever, dans toutes les villes de leur ressort, des tem- ples catholiques, à la condition (\u\\ n'en résulterait aucune charge, ni pour l'État, ni pour les communes, et que, par conséquent, tout pèserait sur les paroissiens , les fi ais de construction , le traitement de leur pasteur et l'entretien de l'église.

Persuadé de l'impuissance est le protestantisme de mettre fin à l'anarchie des opinions religieuses qui le dévorent, le peuple, enhar- monie avec le pouvoir, voit avec satisfaction le retour des principes conservateurs du catholicisme : déjà plusieurs protostans ont abjure

72 LE MOIS UELIGIELX

l'hérésie : quelques-uns s'y disposent : d'autres ont contribué de leurs deniers à l'édification des églises catholiques qui se sont élevées à Lau- sanne et à \evey : dans cette dernière ville surtout, le zèle et l'enthou- siasme se sont manifestés d'une manière extraordinaire. La veuve et l'orphelin ont mêlé leur denier à l'offrande du riche , et les dames ont confectionné de leurs propres mains divers ouvrages qu'elles ont fait vendre au profit de cette bonne œuvre.

La ville de Yevey contient environ six mille aines : c'est un des plus beaux comme des plus agréables séjours de la Suisse : Yevey se re- commande par ses points de vue, la douceur de son climat, et un concours immense d'étrangers. Ils y affluent journellement et y de- meurent dans la belle saison, soit pour leur agrément, soit pour leur santé. Il n'y a rien de plus pittoresque que l'aspect de cette ville située sur la grande route qui conduit aux bains d'eaux thermales de Laïa, de Lavay , près de Saint-Maurice , de Louëche , près de Sion en Valais , et en Italie : elle est située sur les bords du lac Léman , à quatre lieues à l'est de Lausanne. Douze familles françaises y sont domiciliées, et plusieurs autres y passent l'été pour jouir, entre autres avantages , de l'air pur et tempéré qu'on y respire : durant l'été, le nombre des ca- tholiques y est au moins d'environ mille âmes , et tout porte à croire qu'il ne poat aller qu'en augmentant.

Peu favorisés de la fortune , les catholiques de Yevey sont dignes du plus haut intérêt : après avoir épuisé leurs faibles ressources , ils ont été obligés , comme les Missionnaires des Indes, de recourir à la piété des âmes charitables de tous les pays, pour se procurer en partie ce qui leur man(|uait. C'est la tâche que le ciel semble leur avoir imposée pour se sanctifier eux-mêmes , tout en s'efforçant de ramener à la reli- gion , par leurs exemples et leurs vertus , leurs frères égarés dont le sort , aux yeux de la Foi , est aussi à plaindre que celui des infidèles. Mais , pour couronner leur entreprise , une école catholicpie devient in- dispensable à Yevey. Quatre-vingts enfans sont contraints par l'auto- rité de fré(juentcr l'école protestante, aussi long-temps qu'il n'y en aura pas une de leur religion : dans cette fâcheuse position on comprend combien leur foi est exposée, et quelle est l'urgente nécessité d'en prévenir les suites funestes.

Mus par ces considérations, les catholiques de Yevey recourent avec conliance à la cliarité des fidèles, non-seulement pour fonder une école, mais encore pour assurer ce qu'ils ont déjà élevé avec tant de peine , l'église et le presbytère.

M. Sublet, prêtre du diocèse 'de Lausanne et curé de Yevey, aussi distingué par sa piété i\\\q par ses talcns et son zèle , est venu au mi- lieu des catholiques de France, se rendre l'interprète Je ses pauvres

ET LITTÉRAIRE. 73

paroissiens; il est venu faire entendre leur voix suppliante , et l'accueil honorable et touchant (pie ce respectable ecclésiastique a reçu dans les sommités du clergé , et dans les ranj^s élevés de la société , Tait espérer que la moisson sera abondante, malf,'ré les quêtes qui se font conti- nuellement, soit à domicile, soit dans les églises. Dans notre patrie lu charité ne se lasse jamais : ses mains s'ouvrent incessamment pour répandre des bienfaits : et l'on sera toujours écouté favorablement lorsqu'on plaidera la cause des autels du Seigneur, ou la cause des pauvres.

Des Dames chrétiennes ont voulu s'associer à l'œuvre de M. le Curé de Yevey : elles recevront les offrandes que la charité des fidèles consacrera aux besoins si pressans de l'église de Yevey. Des prières particulières auront lieu pour les bienfaiteurs.

Mesdames les quêteuses sont: la Duchesse de Dalberg, rue de Bourbon , n" 92 ; la Marquise de Gabuiac , place du Palais-Bour- bon , 89 , la Comtesse de Marescalcih , rue de Yarenncs , 29 ; Lady Dalberg-Acton, hôtel de Morlemart, rue de Bourbon, 72; la Comtesse de Ciielincourt, rue de Bourbon, n*" 105; la Comtesse DE La Rousière, rue de Sèvres, n" 31.

IiES j£VʧU3S5 ©S'IiA KrOUVSI;lE->OaiéAKïS ST Z>E MAB.ONEX.

Les Feuilles rehgieuscs ont annoncé, il y a plus de deux mois, le départ pour leurs diocèses , de NN. SS. Blanc , évoque de la Nouvelle- Orléans, etPompallier, évèque de Maronée, vicaire del'Océanie. Le mé- rite apostolique de ces prélats est connu depuis long-temps; et ce qui pou- vait nous consoler en France de les voir s'éloigner de notre patrie le besoin de saints prêtres, d'hommes capables et dévoués se fait incessam- ment sentir, c'était la pensée qu'ils franchissaient les mers pour aller exercer dans des contrées lointaines un apostolat, non moins sublime, non moins fructueux, non moins consolant pour les amis de la religion. Leur cortège excitait aussi tout à-la-fois notre admiration et nos regrets : à la suite de Monseigneur l'Évêque de la Nouvelle-Orléans , marchaient deux grands-vicaires, des jésuites appelés en Amérique à l'éducation des cnfans du sanctuaire, et des religieuses de la communauté du SacnvCœur, destinées à renouveler dans les régions d'outro-mer, les merveilles auxquelles leur saint institut nous a accoutumés depuis long-temps sur les points les plus impoilans de l'Europe.

Monseigneur Pompallier était accompagné de (luelques prêtres , Mis- sionnaires, et de simples frères qui se cousacrant également à Dieu,

H LE MOIS RELIGIEUX

aideront les prêtres dans toutes les fonctions religieuses qui ne ré- clament point la sublimité des saints ordres : ils montreront aux petits enfans les principes de la lecture : c'est par les enfans qu'ils commen- ceront l'édifice de la maison de Dieu. Ils feront les catéchismes et prendront soin des ornemens des autels : ils abattront des arbres dans les forêts pour en bâtir eux-mêmes leurs églises , et dans ces pénibles travaux, ils auront l'assistance des prêtres etdeleurévêque. il faudra être missionnaire et manœuvre. C'est au milieu des peuplades les plus plus sauvagesque ces apôtres vont planter l'étendard de la Croix : jamais dansées lieux le nom sacré de Jésus ne se fit entendre : c'est une im- mense conquête offerte au Christianisme : puisse le ciel bénir les tra- vaux des bons Missionnaires. Pendant que devant eux nous invoquions pour le succès de leur parole évangélique les bénédictions d'en haut , ils nous regardaient avec bonté et leur sourire semblait nous répondre : que la volonté de Dieu s'accomplisse sur nous î Si nous sommes des- tinés à soumettre à l'empire de la Foi des âmes jusque plongées dans les ténèbres de l'idolâtrie, nous acceptons cette couronne avec recon- naissance; mais elle ne sera ni moins vive, ni moins sincère , si au lieu de cette récompense de notre apostolat , nous cueillons la palme du martyre sur les rivages de l'Océanie, à l'instant même nous des- cendrons du navire qui nous aura amenés d'Europe. La main du Christ aura ceint nos fronts des bandelettes du triomphateur, avant même que nous soyons descendus dans l'arène des combats : gloire soit rendue à sa munificence : que la volonté de Dieu s'accomplisse sur nous.

Voilà les hommes que la France a vus naître : que le Christianisme a façonnés! Heureuses les contrées vers lesqueîk^s ils dirigent leur course : c'est l'étoile du Salut qui va briller aux nations infidèles! Avec quels sentimens de respect et de reconnaissance ne conservons-nous pas les saintes images, les grains de chapelet qu'ils nous laissèrentà leur départ. C'est la plume qui se détache de l'aile de l'oiseau qui do- mine dans les airs : c'est le legs pieux des enflms du Seigneur.

En voyant partir ces évêques, ces prêtres, ces frères, ces religieuses , nous pouvions nous écrier : le Seigneur a choisi parmi nous l'élite de ses enfans! Il en a formé un faisceau de lumières pour éclairer d'autres mondes ; les premiers pas de leur pèlerinage , lorsqu'ils étaient encore sur la terre de France , ont été signalés par des actes de religion, de charité, de patience ; c'étaient leurs adieux à la patrie ! C'étaient les derniers feux du jour qui deviennent plus éclatans et plus vifs à me- sure que le soleil est plus près de terminer sa carrière.

Ces pieuses colonies furent retenues pendant long-temps dans le port du Havre par les vents contraires : les capitaines, en marins ex- l>érimentés, ne voulurent mettre à la voile que par un vent favorable

ET LIÏTÉRAIRE. ^^

et fait : la Providence veillait sur ses onfans : si on eût lové l'ancre, il est probable que les vaisseaux auraient eu beaucoup de peine à sor- tir de la Manche, à cause des gros temps qui ont régné à cette époque durant plusieurs semaines. Alors les deux évéques consacraient la lon- gueur de leurs journées d'attente à l'étude et à la prière. Les Mission- naires apprenaient l'anglais : tous s'occupaient d'une manière utile : il est des vocations dans le Christianisme qui ne connaissent ni repos , ni trêve.

Pendant ce séjour , Monseigneur l'évèque de Maronée paya , au nom de tous les Missionnaires qui partirent du Havre depuis bien des années, la dette de reconnaissance qu'ils avaient contractée envers une dame chrétienne de cette ville, qui, durant quatorze ans, a reçu avec une générosité digne des premiers âges de l'Église , tous les prêtres des mis- sions étrangères, des établissemcns de Picpus, du séminaire du Saint- Esprit, et même ceux qui entreprennent des voyages d'outre-mer sans appartenir à aucune corporation religieuse. Nommer madame Dodard , c'est réveiller dans tous les coeurs ie souvenir des bienfaits sans nombre dont elle a comblé les ministres de la Religion et une foule de commu- nautés auprès desquelles son nom et sa mémoire seront toujours en vénération. Plusieurs évéques se rappellent avec plaisir l'hospitalité (ju'ils en ont reçue. Cette dame demeurait à ingouville et depuis long- temps se trouvait dans un état de santé qui donnait les plus graves in- quiétudes. Elle a reçu le Saint-Viatique des mains de Monseigneur révoque de Maronée : tous les Missionnaires portant des cierges allu- més , accompagnaient l'auguste sacrement de nos autels. Ce fut un touchant spectacle pour les habitansd Ingouville : une consolation inef- fable pour la vénérable infirme ; un hommage à la reconnaissance , bien digne de flatter un cœur aussi généreux que le cœur de Monseigneur l'évêque Pompallier.

Quelques jours avant Noël , les vents parurent devenir favorables. Les évéques et leurs cortèges profitèrent avec empressement de la sé- rénité qui semblait renaître sur la mer : ils s'embarquèrent le 24 dé- cembre. Mais on apprit que plusieurs navires avaient péri le lendemain corps et biens sur les cotes de Normandie : que d'inquiétudes, que d'alarmes sur le sort des apôtres de l'Évangile! Cette nouvelle arriva promptement à Paris et jeta dans la consternation leurs amis , leurs Hv milles, toutes les personnes, en un mot, qui avaient été assez heureuses pour les connaître , ou simplement les voir. Quatre jours se sont passés dans les incertitudes les plus cruelles. Ce ne fut qu'au bout de ce terme qu'elles furent entièrement calmées par des lettres reçues du Havre : on sut que les batimens qui avaient péri , et dont l'un avait sombré sous voile à la vue de la côte , étaient ceux que l'on avait vus partir à la marée

T0 LE MOIS RELIGIEUX

du soir. En déplorant amèrement leur perte, car leurs passagers aussi étaient nos frères par leur naissance chrétienne, on dut se féli- citer que le même désastre n'eût pas enveloppé les deux évêques et ceux qui les accompagnaient. La Joséphine portait vingt-deux ecclé- siastiques et religieuses, et sur la Delphine on comptait huit Mission- naires, y compris les frères et l'évèque de Maronée. Heureusement les deux navires avaient pu sortir de la Manche avant que la temjiète eût commencé à soulever la mer.

DE L'ÉCRIT DE M. DE MO.NTBEL SLR LES DERNIERS INSTANS DE

CHARLES X ET DE l'ÉLOGE FUNÈBRE DE LOUIS XVUI ,

PAR M. l'abbé LIAUTARD.

L'écrit de M. de Montbel a, dès les premiers jours de son apparition,, excité dans les cœurs des émotions vives et profondes : il était fâ- cheux seulement que le prix trop élevé de ce volume ne permît pas à tout le monde de se le procurer. C'est donc une heureuse et excel- lente idée, que celle de le mettre à la portée de tous les lecteurs sans rien retrancher du texte, ni diminuer en aucune manière l'intérêt qu'il inspire.

Ainsi, au moyen du petit in- 18 qui se publie en ce moment, il n'y aura personne en France, parmi ceux qui peuvent lire, qui ne soit à même de connaître toutes les belles actions que Ton cite à chaque pas dans la longue vie de Charles X, et surtout d'admirer le courage, h grandeur d'ame et la résignation dont cet excellent prince a donné de si grands exemples dans les dernières années de sa carrière.

C'est ici le moment favorable de rappeler T oraison funèbre de Louis XVUI, par M. l'abbé Liautard. Elle lit dans le temps une grande sensation : le sujet par lui-même excitait l'intérêt au dernier degré ,n et personne n'était plus capable et plus digne que M. Liautard de tra- cer le portrait du prince qui, après un si long exil, avait fait sortir la monarchie de ses ruines, et eut assuré à jamais le bonheur de notre patrie, si la franchise et la loyauté des Bourbons n'eussent point été surprises par les manœuvres des ingrats et des traîtres.

Personne, nous le répétons, n'était plus digne et plus capable que M. Liautard de remplir cette noble tache: la renommée de ce ver- tueux et savant ecclésiastique n'estpoint renfermée dans les limites de la France : le bruit de son mérite est allé frapper au-delà des mers les échos les plus lointains. Les hommes les plus distingués de l'époque actuelle ont appartenu à cette bonne et parfaite maison qui , désignée pendant

ET LITTÉHAmE. 77

long-temps p^r le titre m od este de pension de M. F^îaritard, poursuit maintenant ses dcstinc'^es sous îe nom de collège Stanislas.

Louis XVlîl ({ui savait apprécier et estinicr son fondateur, avait voulu que sa maison j)ort;U l'un de ses prénoms, en même temps qu'il l'érigeait en collège. C'était une récompense bien méritée, et celui qui la recevait en témoigna sa reconnaissance dans l'écrit que nous rap- pelons à cette heure.

En rapprociiant l'oraison funèbre de Louis XVI de l'écrit de M. de Montbel, sur son successeur, on aura une idée parfaite de ces deux princes. Grâces soient rendues aux écrivains qui , tout en sui- vant la noble et touchante impulsion de leur cœur, savent si bien faire passer dans l'amc du lecteur les sentimens qu'ils éprouvent eux- mêmes.

LE SÉMÎ^AIUE DES MISSîO:VS ÉTI\A\GÈnES.

Le séminaire des Missions ét'^angères est sur le point de faire partir cin(| prêtres pour l'Orient; on pense que leur destination est pour Siam. Ils sont allés, il y a quelques jours, demander leurs passeports à la pré- fecture de police. Il esld'usage de percevoir un droit pour tous les passe- ports à l'étran jor : les cinq missionnaires ont donc déposé chacun dix francs. Mais M. le préfet de police, instruit du but de leur voyage, n'a point voulu qu'on reçût cette somme. Il était trop heureux, a-t-il dît, de montrer quel intérêt il prenait à leur généreux dévouement. Ce pro- cédé est d'autant plus remarquable, que M. le préfet de police, on le sait , est protestant , et qu'aux époques la religion paraissait le plus favorisée, la préfecture de police n'avait pas montré tant de bienveil- lance pour les pauvres Missionnaires.

DES MABJAG^XS C1V11.2.

Une des choses qui affligent le plus les amis de la religion et des mœurs, c'est la licence des mariages civils et la funeste habitude qui prévaut dans quelques pays et dans quelques classes, de négliger l'in- tervention de la religion dans l'acte le plus important de la vie domes- tique et sociale. Cette plaie désolante est le sujet d'une circulaire que M. révêque de Versailles a adressée le 12 décembre dernier à ses cures ;

7S LE MOIS RELIGIEUX

« Le premier effet de pareilles alliances, dit le prélat, c'est d'engager les ameâ dans une vie criminelle. Car enfin il ne faut pas ici se faire illusion. Le contrat civil produit sans doute des effets importans dans l'ordre civil. Ce contrat est bon ; il est même nécessaire, suivant nos institutions sociales. Mais qu'est-t-il dans l'ordre de la religion? qu est-il dans l'ordre du salut? Est-ce à ce contrat que Jésus-Christ a attaché des promesses? et sous le règne de l'Evangile, est-ce du Code qu'il faut attendre, pour les époux chrétiens, la grâce de vivre et de mourir saintement? Non, certes. Depuis que le Sauveur du monde a élevé l'union conju- gale à la dignité de sacrement , il n'y a plus, pour les vrais disciples, qu'une seule manière d'entrer dans le mariage. C'est par l'Eglise qu'il faut passer : c'est par le ministère du prêtre qu'il faut bénir son union. Sans quoi l'iniquité s'attache au pacte conjugal : en devenant époux on devient parjure ; et, pour \ivre sous le manteau de la loi , on n'en vit pas moins dans le désordre , l'ignominie et le scandale.

» Un autre efTet des mariages purement civils, c'est la haine dont s'arment contre l'Église les personnes engagées dans ce mauvais état. Hérode décapita St. Jean-Baptiste, parce que St. Jean-Baptiste condamnait le mariage d'IIérode. I)e même il est bien diflicileque des époux criminels ne passent point de la ré- volte à la haine. Il y a un noii Ucet qui vient sans cesse frapper leurs oreilles, et empoisonner leurs joies coupables; et dans l'impuissance d'étouffer cette voix importune, il leur semble que c'est déjà quelque chose que de la détester et de la maudire. D'ailleurs , ainsi que l'a remarqué un ancien, il est dans la nature de l'homme de haïr qui l'on a offensé , proprium est ingenii humani odisse quem lœseris. Ces époux mal obéissansont méconnu l'autorité de l'Église : ils l'ont blessée au cœur, en ne l'invitant pas à leurs noces; il est donc comme nécessaire qu'ils se fassent ses ennemis ; et que, pour éviter l'anathème dont ils se croient menacés, les premiers ils disent anathème et à l'Eglise, et à ses sacremens, et à son culte. »

M. révoque déplore les suites de cette première démarche, l'éloi- finement des églises, la mauvaise éducation des enfans , l'habitude de vivre dans l'oubli de la religion. Son zèle cherche ensuite les moyens d'y porter remède. Un de ces moyens est rinstructionj il faut éclai- rer de bonne heure la jeunesse à cet égard :

« L'instruction des autres âges ne doit pas moins éveiller la charité d'un pas- teur. Combien en effet qui ne voient dans le sacrement de mariage qu'une pra- tique arbitraire, et comme un luxe de dévotion! 11 faut les désabuser sur ce point; leur bien faire comprendre que si, en qualité de Français, ils sont rede- vables aux lois de l'état, en qualité de chrétiens, ils ne le sont pas moins aux lois de l'Eglise : que l'acte civil répond à la première de ces qualités, et l'acte reli- gieux à la seconde; et qu'on ne peut pas plus séparer ces deux actes, qu'on ne peut renoncer à son origine ou à son baptême. >'ul ne s'avise, et il a raison, de ne se marier qu'à l'Église, parce que notre législation s*y oppose. Mais à côté de cette législation humaine , n'y en a-t-il pas une , plus âgée que celle-là de dix- huit siècles, fondée par Jésus-Christ lui-même, laquelle défend aux chrétiens de ne s'unir que devant le magistrat? Pourquoi donc en respeclanl l'une, croi- rait-on pouvoir mépriser l'autre? Et ne serait-ce pas le comble de la démence que de craindre les mcnuccs du Code pénal, et de ne pas craindre l'indignalion du

ET LITTÉRAIRE. 7f

ciel ? Qu'on ne s'y trompe pas : Dieu est patient, mais il est juste ; et il est im- possible que sa coltiivi n'éclate pas un jour sur les contempteurs rie ses ordon- nances, qui réduisent le mariage à des élémens tout humains, et font de la lé- galité comme un masque , pour couvrir, vaille que vaille, la corruption de leurs mœurs. y>

Le sage et pieux prélat veut aussi que Ton éclaire les fidèles sur les peines canoniques et les incapacités que les régies de l'Église imposent à ceux qui se privent des grâces du sacrement. 11 engage les curés à trai- ter de temps en temps ce sujet , et il termine par des avis on recon- naîtra toute la sollicitude d'un charitable pasteur.

(La suite au numéro prochain. )

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80 LE MOIS RELIGIEUX

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Nous avons sous les yeux une carte des principaux lieux qu'a parcourus IS. S. J.-C. pendant sa Passion. On y voit, parfaitement gravés et accompagnés d'un texte explicatif du plus vif intérêt, les principaux monumens de Jérusalem au temps du Sauveur, et le mont sacré de Golgotha dominant la plus grande partie de la viîle.— Nous avons surtout remarqué la salle du Ccnacle , la grotte de C Agonie, Va maison d^Anne, changée maintenant en monastère aussi bien que celle de Caïphe, le palais d'Hérode y la salle de la flagellation, le prétoire de Pilate^ dont les marches de marbre ont été transportées à Rome , le saint Sépulcre , le mont des Oliviers, l'on voit encore le vestige d'un pied de >. S. imprimé sur le roc , etc. Avec Viacrucis de M. Lejeune , on peut suivre des yeux et de l'esprit toute l'histoire de la Passion, et l'on y trouvera en même temps de précieuses notices sur les circonstances de ce drame douloureux.

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ET un i: Il AI lu:, 8i

Suite (lu Précis historique sur le Monastère tle La Tuappl.

Ce que l'on no saurait conlosler, c est qu'il fut atti-iiU, elLosbailos (|ui ([levaient lui donner la inoit frappèrent contre l'acier de sa cuirasse. il fut ainsi sauvé : iiélas ! s'écria-il, avec l'acctînt de la reconnaissanc(î , que serais-je devenu si Dieu n'eut eu pitié de moi !

A travers les belles (jualités de Rancé, que nous avons sigm>lé4^s vers le couiniencenient de cet écrit , on remarquait une certaine fierté de caractère, ,une prompte et vive détermination qui ne s alliaient pas toujours avec les règles de la sagesse.

Dès le berceau de la monarchie, la chasse fut toujours le plus agréable passe-temps des gentilsiiommes : ils avaient sur ce point (h*. très-grands pri\ilégGS, et ils y tenaient presqu'auîant qu'à leur arbre généalogique. Ilancé s'en nionlra toujours fort jaloux : on croirait diflicilement jusqu'où pouvait le porter ce sentiment qui dégénérait en passion. Des genlilshomnies s'étaient introduits sur ses terres pour ehasser : Armand les aperçoit : il court à eux , seul, sans armes; il parvient à les mettre en fuite. L'un d'eux, l'homme le plus déter- miné de la contrée, honteux de céder le terrain à un seul cavalier, se retourne et dirige son fusil vers le jeune seigneur, comme s'il eut voulu faire feu. Sans éprouver le moindre effroi, Rancé se précipite sur lui cl le force à lui remettre son arme. Ce gentilhomme avoua de- puis que, dans cette circonstance, il ne s'était pas reconnu lui-même : il avait lété désarmé, disait-il, par une force irrésistible, qui n'était point celle de son adversaire : il rceonnaissait dans cet événement , une main puissante surnaturelle.

La dissipation de l'abbé de Rancé ne faisait qu'obscurcir les lu- iniéres de son ame ; par intervalle ses ténèbres se dissipaient : alors, comme un autre Augustin , il gémissait sur ses égarcmens, il procla- mait avec transport, la miséricorde du Seigneur, qui lui avait conservé la vie, dans tant de périlleuses occasions; mais il n'avait pas encore assez de force , pour faire briller dignement sa reconnaissance. Toute- fois, il marchait à grands pas et pour ainsi dire à son insu, vers une conversion éclatante.

Ln écrivain crédule , ({ui a puisé ses docuuiens dans les libelles pu- bliés par les ennemis du saint Réformateur, a cru trouNcr un des grands motifs de sa C4>n version , dans la mort de la duchesse de Mont» bazon, àwv. la^pielle, dil-il , il a\ail eu une liaison inliu\o durant piiyi»

sieurs années.

, ...

82 LE MOIS RELlGliEljX

Un auteur plus luoderne a copié celte opinion dans presque tous SCS détails; il ajoute m^rne qu'à La Trappe, on conservaft avec grand soin, la tête de la duchesse, comme un monument delà grâce qui avait fait rentrer Rancé dans les voies du salut.

Tout porte à croire que ces récits ne proviennent que de la malveil- lance. Peut-être encore un cerveau malade les aura supposés pour ajouter du merveilleux à la |>énitence de l'abbé de La Trappe.

« Au lieu du roman que débite Daniel-Delaroque , dans : ^cs véritables motifs de sa conversion, imprimés à €ologne, en 1685 , du cercueil que Rancé trouva dans l'appTirtement de la dudîesse , en y entrant à rimproviste , de sa tête sanglante , tomljée par hasard de dessous le firap dont on l'avait couverte avec beaiicoup de né^igciK^e, et qu'on avait détachée du reste du corps , afin de gagner la longueur du cou et faire un nouveau cercueil qui fût plus long que celui dont on se servait et donton avait si mal pris la mesure, qu'il se trouvait tropcourtd'un demi-pied ; au lieu de tout cela , Gorvaise dit formellement : que l'abbé (le Rancé assista la duchesse à ses derniers momens , la pressa de faire une fin chrétienne, et qu€ rentrant chez elle à cinq heures du matin, après l'avoir quittée à deux , il arriva qu'elle rendit le dernier soupir clans cet intervalle. '>

La conservation de la tête de la du€hesse à l'abbaye de La Trappe n'a pas plus de fondement : cette fable s'évanouit comm<î la précédente : d'ailleurs, les Trappistes en attestent toute la fausseté ; et la vie et la mort de M. l'abbé de Rancé, no sont pas assez éloignées de nous, pour que la tradition de tout ce qui s'y rapporte se soit altérée d'une manière aussi grande. ^

Pourquoi, d'ailleurs, aîlerchercherdanslemerveilleux des motîfsd'un retour sincère. Le doigt de Dieu, ses miséricordes, ne s'étaient-ils pas assez souvent manifestés en fiiveur du jeune Routhillier? Pouvait-il le méconnaître? non. Les Ixîllesames ne persévèrent pasdansl'ingratitude.

A ces raisons qui paraissent suflisantes , l'Histoire en ajoute d'autres que personne ne conteste. Je l'ai dit plus haut, Rancé remplissait au* près de Gaston d'Orléans, frère du roi , les fonctions de premier au- mônier : ce prince avait pour lui ralTection la plus tendre, mais à ce '.entiment du cœur, se joignit une confiance aveugle, lorsque le bruit commença à se répandre et parvint jusqu'à son Altesse Royale , que •abbé de La Trappe avait formé le plan d'une conduite plus régulière, cl plus en harmonie avec les liens sacrés qui l'unissaient à l'Église, comme prêtre et comme abbé commendataiix\ A celte nouvelle, Gaston fit écrire à son aumônier de venir le trouver à Blois il était alors dangereusement malade. Rancé accourut; sa conduite fut admirable : il limiplit sa mission en digne ministre de J.-G. Son zèle fut grand , vif,

i:t Mni:ri\irif:, x?>

ftfiuTciix, comme son aUix-tion , <n ie prince tit (iuns ses brus une lin livs-iclinHieniK3 : c'était le dernier aNerlissenienl de la Provid«'nce : ra])iréd'e La Trappe ne reçnt \Hni){ en Mîin \n\ si ♦jrîuid enseignement; <'e spectacle resta gravé dans sa pensée. I^a jjreniiére place du rovaume, après celle du roi, les litres les plus pompeux, les jjonneurs les plus niagnili(|ues, ce <pii peut rendre la vie heureuse, soit du côté des ri- chesses, soit du coté de la naissance, tout venait d(î disj)araitre sans retour , avec prince, auijuel la Providenceavait départi tantd'avan- tîigcs. Le silence et le deuil de la tombe succédaient aux bruyantes ac- clamations des courtisans ; un j)rince adoré devenait tout-à-coup une jTOussière vile et insensible : les llatteurs, renccnsoir à la m.ain , se di- rigeaient vers d'autres autels : (jue de leçons sublimes renfermées dans le trépas d'un seu' homme!

Ce fut donc sur le lit de mort de son maître que se consomma la conversion de Uancé : c'est qu'il stî fit solitaire: c'est qu'il fit à Dieu serment de \ivre et de mourir dans les austérités de la pé- nitence. Les conseils du pèr€ de Mouchy, l'une des lumières de l'ora- toire, conlirmèrent l'œuvre du la grâce. Peu de temps auparavant, ce nouveau converti se ircriait en présence d'un vertueux prélat, sur l'impossibilité ÙQ vivre à Paris sans un carrosse, une suite nombreuse, et un revcfiu considérable ; à cette heure, il ne craint plus aucun sa- crifice: il n'hésite pas : il donne sa démission des abbayes de Saint- Symphorien et de Notre-Dame-du-Val : ses prieurés de Saint-Cîémentin et de Boulogne sont résignés : il ne conserve que son titre d'abbé de La Trapj>e. Ge ne fut qii'apivs avoir surmonté de grandes diflicullés qu'il obtint du roi la permission de tenir soti abbaye en règle. Celte fa>eui- toutefois ne fut pas sans restriction ; il fut stipulé qu'à sa mort, k* monastèixî du Perche iiHDurnerail en com monde.

Celui qui , (pielcpies années auparavant , s'était écrié devant mon- seigneur de Comminges: vio'i , me faire frocard , \m[ généreusement il-ans l'abbaye de Pcrseigne, l'habit de l'Élroite-Obscrvance de Cîteaux. Cette grande l<x'on fut donnc^c au monde, le 13 juin i()03. Alors k- novice était âgé de 37 ans et cinq mois.

Lorsque l'année do son noviciat fui expirée, il reçut du Saint-Siège deii bulles d'abbé régulier : un da ses anciens domestiques voulut le suiviHi dans la Thébaïde moderne : il lit profession a>ec son maître ; 0 ivligion sublime! (pii rap[)roches ceux que les préjugés du monde tiennent à une si grande distance !

Ce fut à Séez, dans l'église de SainMIartin de la congrégation de Saint-Maur, que Uancé reçut la bénédiction abbatiale des mains de Maurice-Planlvclt , évèque d'Ardack, en Irlande: merveilleux spec- tacle ménagé par la Pro^ideI>ce : un cltef d'oriïr^ suscite dans sa |ju-

C.

84 Li: MOIS UELlGliaX

Iric pour la iVrormedos ordres nionasti(|ues, rox^evant l'onction sainte (les mains d'un évc({iie étranger, dont les disciples ont été établis dé- |)0sitaires du feu sacré de la Foi , pour le transmettre plus tard à leurs persécuteurs ; et les temps ne sont point éloignés la puissance (H la miséricorde de Dieu seront manifestées d'une manière éclatante.

IlÉFORME.

J'ai décrit Télat d'abjection , de désordre et de délabrement était descendu le monastère de La Trappe.

Dieu touclia le cœur d'un autre Augustin , et le députa vers ces nou- veaux infidèles pour les rappeler à leurs sermens, à l'honneur, à la Foi. A l'aspect de maux si grands et si aifreux, Rancé s'humilia devant le Seigneur : il s'accusa de tous les désordres qui frappèrent ses re- gards : il se reprochait avec amertume d'avoir possédé ce monastère en commende pendant 27 ans, sans avoir rempli l'ombre de sa mission. Si ses religieux étaient tombés dans la licence, se disait-il, c'est que jamais la voix de leur Père spirituel ne s'est fait entendre parmi eux. Si de toute part on ne voyait que des ruines , c'est qu'au lieu de veil- ler à l'entretien du monastère , il en avait dévoré la substance au mi- lieu de la dissipation et des plaisirs.

Il n'y a rien d'impossible à liiomme, quand il est animé par l'esprit le Bien. Moïse fit jaillir une source d'eau vive de la pierre d'Iloreb ; David terrassa le géant Goîialii ; fort de la protection du ciel, qui s'était manifestée pour lui dans tant de circonstances , Rancé ne désespéra point damollir les cœurs de ses frères, de terrasser ces enfans re- belles à la religion.

Que de difficultés à vaincre pour ramènerai' Étroite-Observance de Cileaux, ces moines indociles et scandaleux, qui se sentaient appuyés dans la résislanccî qu'ils opposèrent d'abord à ses efforts , par les ca- lomnies sans cesse renaissantes contre l'abbé de Rancé depuis sa con- version, par la malignité et la censure du monde, honteux de sa fai- blesse, comme de la générosité de ceux (}ui le quittent pour le ciel, et surtout par les manœuvres des ecclésiastiques et des religieux re- lâchés, qui ne se sentaient pas le courage d'imiier un aussi bel exemple. Rancé se présenta à la rencontre de ses enfans endurcis , avec les armes des apôtres ,1a patience , la mansuétude et la persuasion.

Il appela ses religieux au chapitre j ils étaient au nombre de six avec un frère convers. 11 leur exposa le dessein qu'il avait conçu , de mettre la ! élorme dans le monastère : ils furent frappés d'étonnement à cette

m ïJ'iTÉUAlllE. Sr,

jproposilion, H leur réponse l'iil une protcslation éiicrgi(|iie, aîliniKni! qu'ils s'opposeraient à l'inUodiiction de la rclbrine, par toute espèc(î (le voie.

Il voulut insister : ils se soulevèrent : sa vie courut les plus grands dangers ; mais aussi impassibh; (jue le Prophète dans la fosse aux lions, il vivait en paix au milieu de ces iionunes féroces, lis le mena- cèrent du poison et du poignard : leur fureur alla si loin qu'ils furent sur le point de le précipiter dans les étangs qui entouraient le monas- tère, en plus grand nombre ({u'aujourd'iiui. Ces violences ne Tépou- vantèrenl pas. Elles se répandirent cependant au. deiiors et parvinrent jusqu'à M. Louis, brigîxlier des arméos du roi : il se trouvait alors dans les environs de Mortagne et vint olfrir à Raneé son secours contie ses moines rebelles.

Le saint Réformateur jugeant inutiles les armes séculières dans une cause qu'il soutenait au nom et pour la gloire de Dieu , le remercia son attention : mais ce pieux et brave olïicier , ami depuis long-temps de M. de Rancé , reconnaissant les merveilles que îa grâce avait opé- rées en lui , vint, admirateur de sa patience et de sa charité, se sou- mettre dans la suite sous sa discipline, à toutes les austérités du cloître. Il y mourut en odeur de sainteté, après un séjour de 37 ans : il survécut peu à son abbé , et son corps, comme iU'avait demandé, fut déposé à ses côtés.

Cependant désespérant de convertir ces aines flétries par la dcbauclic et la dissipation^ Rancé finit par leur dire, que s'ils persistaient dans leur opiniâtreté, il se verrait, malgré sa répugnance ^ contraint d'en informer le roi : que ce prince avait trop de zèle pour la gloire de Dieu et l'honneur de l'Église, pour tolérer davantage le scandale de leurs déréglemens. Cette menace les fit pâlir : leur fureur se calma : les armes leur tombèrent des mains. Ne se sentant pas le courage de suivre leur abbé dans les sentiers d'une véritable et sincère pénitence, ils consentirent à se retirer ; quand ils sortiront du monastère, on leur assura une pension de 400 livres. A leur place, vinrent des religieux de r Etroite-Observance que Rancé appela sur-le-champ.

Dans le nombre do ces moines fugitifs , il y en eut un <pn consola Rancé par sOâi repeutir : Joseph Rcrnicr, natif de Morlagne, fut tou- ché des conseils paternels de l'abbé. Il atteignait sa quarantième année , lorsqu'il fit un second noviciat à Porseigne : sa pénitence fut grande : comme le Pro})hète royal , il arrosait sa couche de ses larmes : ses dé- réglemcîîs passés étaient la cause de ses géniissemens conlinuels. Il de- vint un modèle de résignation et d'humilité : il poussa si hun Vanneur de ces vertus , qu'élaiU couché sur la coudre et sur le point do rendvt» le dernier soupir, il dcuiiuida . comme une grâce, (rèlre jeté à 1m

Sfi Lr«: MOIS UELIGIELX

\oii*ic, irélanl [jus (ligii(i que ses ossemens an mêlassent à ee<i\ ih scîs frères.

A une épo<îuc le luxe faisait en France de si rapides et de si. «grands progrès, les mœurs de la Cour semblaient autoriser de toute part le relâchement de la morale , dans un siècle un grand nombre- de maisons religieuses n'étaient point à l'abri d'une juste censure^ c était un spectacle tout-à-fait extraordinaire, que le rappel de La Trappe déréglée, aux austérités primitives de Saint-Bernard.

Le bruit de celte réforme, après avoir retenti d'un bout de la Franco à l'autre , franchit les montagnes et les mers ; elle alla frapper au loin tous les échos de la Chrétienté.

Les ennemis de Rancé ne voulurent voir eu lui qu'un amant nwil- lieureux , imposant à ses moines les peines de sa douleur et le chali- nient de ses anciens désordres, qu'un hmnmevain et ambitieux (pii aspirait au titre de chef d'ordre : qu'ua insensé, un esprit faible qui croyait aux rêveries de l'astrologie Judiciaire : qu'un prêtre indocile,, (pii , après avoir soustrait à la juridiction de son évé(pie le couvent ({u'il gouvernait, prétendait tout bouleverser et ramener les ordres re- ligieux à une réforme qui n'était plus en harmonie avec les mœurs di\ siècle.

Rancé s'était placé dans une région inaccessible aux orages : c'était aux pieds du Crucilix qu'il avait puisé les principes de sa conduite ; il poursuivait donc ses destinées sans éprouver la moindre atteinte, ni des murmures, des sarcasmes, des calomnies, des violences de ses ennemis , ni des conseils timides dont l'amitié souvent l'entoura. H lui suffisait de l'approbation de celui qui règne au plus haut des cieux.

Toutefois les sulîragesde la terre ne lui mancpièrent pas : Innocent xi lui porta constamment un vif et paternel intérêt : il lui donna mill^ marques de son aifection. L'abbé de Rancé lit une chute grave; elle porta à concevoir des in(piiétudes pour ses jours : informé de cet acn. cident , le Pape ordonna au cardinal Cibo d'écrire aux Trappistes qu'il les autorisait à dispenser leur abbé de tout ce qui paraîtrait nécessaire) pour la conservation d'une vie aussi chère à l'ICglise. Innocent xi lui destinait le chapeau do cardinal : ce projet ne s'exécula point, par la mort du Pape. Saiîs doute, l'ollre decetteéminente dignité eût été pouï le saint Réformateur une occasion nouvelle demanifester son humilité,, sans doute, il eut refusé , comme s'en regardant indigue, une distinc-r tion à laquelle on aspire (|uel([uefois avec trop peu de modération.

La réforme des Trappistes dont la ferveur allait toujours croissant, ne fut pas le vseul service (pu) la religion reçut de Rancé : à mesure que ses travaux se multipliaient; que les infirmités s'accumulaient sur son corps, déjà anéanti par les rigiieurs de la pénitence, son courage, seul

ET LnntIUlUE. 87

ïAàïv pour la gloire (Je Dieu , semblaient prendre une nouvelle vigueur. \\ fit rentrer dans ses attributions la direetion de l'abbaye des Clairets, au diocèse de Chartres : ce couvent était alors composé de trente-quatre religieuses de Chœur, dont il était le pèrcimmtHjiat^ ainsi que Tavaicril été ses prédicesseurs , juscju'au moment où: les ordres religieux furent soumis à des abbés commendataire?w

Dès cette épo(|ue il opéra >ies prodiges dans celte maison, à l'aide d<^ madame de Valencey , qui en était ab{:)esse ; la première de ses visit(r-i eut lieu en 1GÎ)0 , et la seconde , Tannée suivante : c'est alors qu'il iii passer ce monastère , de l'oUservauce commune, à la stricte ou étroit'^ observance.

Ainsi rivalisaient pour la gloire de Dieu , deux ordres auxquels KancC* consacrait avec le plus grand zèle et ses travaux et sa santé.

Dans le premier, 1<îs religieux réformés, de concert avec leur saint abbé , levaient les mains au ciel pour le remercier des changemens qui s'étaient opérés..

On voyait l'accomplissement de ces paroles qui s'échappaient naguère de la bouche des prophètes de Dieu : je vous rendrai desju(jes-^ f/.'/v qHiL^ iHaient dans les. premiers temps y je vous donnerai d^s Publeurs selon mo*^ vœnr , et après.,, vous serez appelés : la ci du^ juste, la ville fidèle. Dans les cavernes les dra^jons liabitaienk,. on verra naître la verdeur des ro- seaux ctduJQiiC'yClilijaura un sentier et une voie qui sera appelée la voie sainte.

De telles consolations devaient avoir un grand empire sur Ife cœu*- de liancé et le bien dédommager des sarcasmes du monde. Sembiabli.' à un capitaine infatigable, il était toujours le premier à son poste.

On dit de saint Bernard , que , lorsqu'il eut édilié un monastère dans la vallée de Cbjrvaux , il vit plusieurs religieux de dilîl'rens ordjies, et d'un mérile distingué, venir se ranger sous sa conduite. On reriiar- quale même empressement au tour du révérend père abbé de La Trappe. C'était, il est vrai ,..u ne école angélique. Que la calomnie se taise en face de la vérité : loin d'imposer à ses frères aucun fardeau dont il n'avaitluL- mèmesenti tout le poids, il selivrait auxexcès d'une sainte ferveur, que sa dignité lui ptM'mettait de suivre, sans avoir à redouter aucune obser- vation, puis(ju'il était le maître. Il n'était aucun point de la règle, qu'il ne prêchât autant [y^r l'ascendant de l'exempie , ([ue pai l'éloquence do ses discours. H se trouvait toujours le premier à l'oilice et aux autres exercices delà communauté : ses fatigues^ ses inlirmités, lui f.iisaier.r un devoir de prendre (iuel(|U(nidoucissomonl : le Saint-Siège l'avait pr/- vu : loin de , il ne se nourrissait (jue d'alinicns grossiers et peu sub^- tanliels, do légumes^ de racines : le poisson et les œufs étant inloi - dits. Il choisissait les travaux les plus hujudians. La ProYidrnce sca'^f

88 LF: mois UELfGlFJX

(le son soufïîc soiUenait ce héros delà réforme, aiitrenieul il eut été im- possible (jit'ily résistât. Les immensesocciipationsqii'il s'était imposées, auraient eu même de quoi étonner un religieux bien portant. Malgrf» (les maladies iré({iientes , des infirmités continuelles, dont l'aspect excitait la compassion , il ne se contentait pas d'observer la règle exactement; il écoutait en direction ses religieux, qui, du reste, se présentaient tous à lui au tribunal de la pénitence. Il veillait à tous les intérêts du couvent. îl dirigeait les travaux, accueillait les étrangers; consolait les pauvres , adressait aux pèlerins des paroles de foi et de mansuétude. Toute la correspondance extérieure roulait sur lui : il donnait des conseils, soit de vive voix, soit par écrit, à tous ceux qui réclamaient le secours de ses lumières. Outre cela , il composa une foule d'écrits sur la vie religieuse, qui sont encore pour ses enûms un testament auguste ils viennent se formera la vie monastique. L'in- crédule lui-même est obligé , à l'aspect de tant de merveilles , d'incliner son front et de reconnaître, dansée prodige sans cesse renaissant, le doigt du Très-Haut.

Enfin , après quarante années de travaux excessifs et d' une pénitence qui rappelait les déserts de la Thébaïde, couvert d'ulcères, frappé de paralysie dans une grande partie de son corps , il mourut dans la 11" année de son âge , au milieu de ses religieux , qui se regardaient comme des orphelins dans cette vallée de larmes : chacun de ses enfans eiit fait volontiers le sacrifice de sa vie , pour conserver des jours si pleins , si utiles à la religion et au salut des hommes. Son ame reprit son vol vers son créateur, le 27 octobre 1700.

Rancé descendit dans la tombe, treize ans avant que l'abbé de Ci- teaux n'approuvât ia réforme de La Trappe : si la Providence lui refusa la satisfaction de la voir sanctionner par ses suj>érieurs , il emporta du moins en mourant la consolante certitude que son ouvrage ne serait pas exposé à être détruit par la prise do possession d'un abbé commenda- taire. Le monastère, parla volonté du roi, continua à être soumis à un abbé n'guiier.

CHAPITRE VI.

I. A tiîapîm; nr.î'i is hanck ji s(}! a i. \ ni voi i Tn>\.

Pendant l'espace déplus de quatre-vingts ans, La Trapjx^ dountiau monde le spectacle leplusédiliant : l'humilité de ses religieux ne put ren- fermer dans l'enceinte du monastère l'éclat de tant de vertus : IcbriiK son répandit dans l'univers par les pèlerins de toupies âges et de tous les iangs,(pii venaient dans la solitude du Perche demandei' à Dieu le par-

flon de leurs l'aules et la traii(|uillité d'aine : ils retoiirnaionLdans leurs provinces en frappant leurs poitrines : ils publiaient (pi'ils étaient indi- gnes de porter le nom de soldats de Jésus-Christ , après avoir admiré ces içénéreux athlètes dont lesconibats et la pénitence n'avaient de terme que. leur vie. Grand Dieu ! que vos desscûns sont impénétrables ! Vous con- duisez vos élus par des routes inconnues à la sagesse du siècle : combien de chrétiens durent leur salut à un pèlerinage au tombeau de Rancé?

Les pères de l'Étroite-Observance de Cîteaux, délégués pour faire les visites du monastère de La Trappe, ces pères, ordinairement la ter- reur et l'ellroi des abbayes en décadence et relAchées, ne trouvèrent dans celle-ciquedes sujets d'admiration. Leurs cartes, au lieu de censures, ne contenaient que des éloges : ils reportaient dans leurs propres monas- tères la bonne odeur de Jésus-Christ. Leurs frères écoutaient avec un pieux recueillement leurs récits sur la solitude du Perche; (jucde reli- gieux tièdes , relâchés , et sur le point de tomber dans l'abîme , se rctrem pèrent dans leur vocation , renouvelèrent intérieurement leurs vœux sacrés aux pieds des autels. 0 saint Monastère î Maison chérie de Dieu : Arche de Noé : vous portiez dans vos flancs la précieuse semence qui devait repeupler les abbayes, de religieux saints et fervens.

La citation de quelques cartes de visite sera le meilleur historique de La Trappe pendant cette longue période de ferveur. Celui qui a vécu durant une année dans un monastère bien réglé , peut se faire une idée de ce qu'il sera l'espace d'un siècle s'il conserve son esprit. L'histoire de La Trappe ne peut pas ctre variée comme celle des empires : là, ni révolutions, ni troubles, ni cabales, ni trahisons, ni chutes, ni divi- sions : ce sont toujours et perpétuellement de bons et paisibles reli- gieux qui marchent en silence devant le Seigneur : la mortilication , la charité, le travail des mains, la prière ; voilà leur unique sollicitude , voilà le cercle continuel dans lequel tourne leur existence ; ils ignorent ce qui se passe dans le monde qui les entoure et ils meurent comme ils ont vécu, dans une paix ineflable.

Carlos de visites lailos à La Trappe par les délégués de rEiroile-Observance

de C fléaux.

Première Carte.

H Frère Hervé Dutcrlre , abbé de Notre-Dame de Prières de » troite-Observance de l'ordre de Citeaux , vicaire-général des monas- ^> tèrcs dans les provinces de Bretagne et de Normandie, etc.

» Savoir faisons que visitant le dévot monastère de la Maison-Dieu > iNotrc-Damede La Tra[)pe, accom[)agné de noire vénérable confrère

î)0 LE MOIS RELltilELX

» Doiii BeniaiH,! C-orbière, etc. , nous avons Irouv^ les religieux si ►> unis ensemble parles liens de la charité fraternelle, si uniformes en toutes choses, si également portés à leurs devoirs, et si univer- » sellement zélés pour l'observance régulière, et jouissant enseniblo •> d'une si profonde paix, que pendant trois jours consécutifs cm- w pldyés à notre scrutin régulier y nous n'avons reçu aucun^e plainte » ni des supérieurs contre les inférieurs , ni des inférieurs contre les » supérieurs, ni des inférieui^ les uns contre les autres, et n'v avons ' aperçu ni remarqué , non-seulement aucun mécontentement , mur»

> mure, division, aversion ou dégoiit les uns des autres, mais non »> pas même la moindre apparence ou ombre de tout cela , dont ils oui '• un très-pressant et indispensable sujet de remercier continuelle-

> ment le Seigneur avec nous. Et ainsi , tout bien considéré et exa-

> miné, nous n'avons pas cru devoir leur faire aucune ordonnance

» ni règlement, mais seulemx^U les exhortera persévérer etc. De

» tout quoi nous avons bien voulu avertir lesdits religieux et le leur » donner par écrite aftn que, d'un coté, ceux qui sont maintenanl » dans les saintes dispositions nous les avons trouvés , s eiicou- » ragent de plus en plus à s'y affermir , et que ceux qui viendroni »♦ après eux , en étant informés , comme ils pourront l'être par la pré-

» sente carte de visite apprennent quels ils doivent être, en con-

sidérant l'heureux état où, par la grâce de Dieu, nous avons trou- » ceux que la divine Providence a choisis pour être les réforma- » teurs et les restaurateurs de la maison, etc. , etc.

» Fait et prononcé à La Trappe, le 7 février iOTG. »

Sujnv. du visiteur et du seerctairc.

Deuxième Qirte.

« Nous frère Hervé, etc.

» Savoir faisons (pie visitant le Monastère de Lii Trappe jxu' le

» scrutin que nous y avons fait pendant trois jours, nous y avons

» eu cette consolation de reconnaître et d être obligé d'avouer que

)• le doigt de Dieu est dans la maison, et (juela main même du Sei-

» gneur est tout entière avec ceux (jui y demeurent, pour les sou-

tenir et appuyer dans la vie pénitente (pi'ils y ont embrassée ;

> d'autant plus que tous les religieux , (pioi(|u il y en ait de fort âgés ,

* et même pins qu'octogénaires , de petite et faiblc^complexion, et in-

lirmes, nous n'en avons trouvé aucun qui nous ait rien dit, exposé,

» ou demandé, ou même insinué, (|ui tende tant soit peu aurcldchey

" mais bien proposé , remontré et demandé d'augmenter leurs |)éniten-

' ces, austérité? cl mortilications... et entre autreschoses qu'on les irai-

ET LITTÉIlAlllE. ni

» làt rgaloinont sains ol nialados , on sorte (lu'on ne leur donnât r'um

» d'exlraordinaire otc etc.... (lo que; nous déclarons et cer-

•> tilions, non pour leur donner sujet d'en tirer vanité, mais pour »> les avertir de la part de Dieu, au nom ducpiel nous sommes venu les •' visiter, qu'ils ont une obligation indispensable de l'en remercier

» toute leur vie et ce qui étant ainsi attesté et certiîic par nous

» comme véritable, devant Dieu, nous n'avons pas ju^m* à propos du » leur faire aucune nouvelle ordonnance.

» Fait et prononcé à La Trappe, le 18 septembre» 1078.

^ Sif/iic frère lii:uvé. •♦

Troisième prorcs-verbal f'c Te lal api ri lu ri dr La Trappe, drcsic pnr Dmn D'nn'ni'jnr, (icoryes , Abhé du Vof-Richer , Supérieur et ricairc-f/ùu'ral de l' ElroUc-Obatr- vance^ dans la visite (jn'ilft dd ce Monaalère , le W novembre U)So y et présenté au chapitre (jénéral tenu à Cileaux :

X Sur la fin de ngtrc visite, le 10 novembre 1085, j'arrivai à La » Trappe, et j'y trouvai le révérend père abbé, etc. On nous dit que n les religieux étaient tous de diverses provinces du royaume, et >• même des pays étrangers, de professions et de nucurs très-diffé- >} rentes, n\ais la charité les unit si parfaitement entn» eux (pi'ils >' j)ortent tous ensemble le joug du Seigneur d'un même esprit et >? d'une môme volonté, comme dit le Prophète; car ils n'ont qu'un » cœur et qu'une ame; ils ne désirent que de mourir au monde et à y* eux-mêmes, et vivre pour Dieu seul; ils aiment leur abbé , ils » mettent toutes leurs délices à lui demeurer attachés, à lui faire; connaître le fond de leur conscience, et à lui obéir en tout; cecjui X fait qu'ils jouissent d'une paix profonde, d'un souverain repos et

)) d'une tranquillité que rien ne peut troubler Comme la règle

» l'ordonne, ils se rendent les uns aux autres à l'envi toute l'obéis- » sance et tout le respect qu'on peut désirer, sans faire jamais par paroles, par signes ou par gestes la moindre contradiction. Cet heu- reux accord de volonté les appli(|ue aux mêmes choses : ils prient et méditent ensemble, ils oIVrent ensemble, la nuit et le jour, le

sacrifice de louanges ils sont tous exercés par les corrections,

>^ les répréhensions et les humiliations. Que dirai-j(»? on n'y voit » (pi'une ame qui aninie plusieurs corps. Ce bonheur inoui et cette » charité si parfaite n'ont point d'autre source (pie la pralicpie sainte » du silence perpétuel dont la loi est si inviolable, (pi' ils n(; parlent « jamais qu'à leurs supérieurs, mais si volontairement observée, (pie « si on leur permettait deparlei', ils ne pourraient jamais y consentir, \ comme ils l'ont représenté plus d'une fois; car ils connaissent

9t> LE MOIS KELIGIEIV

» parCailemenl rexcellence des fruits précieux el inestimables de cet » arbre de vie »

ABBÉS DE LA TRAPPE DEPUIS LA RÉFORME.

Le lîouibre des abbés de La Trappe, depuis la réforme, a été de dix, (jui sont :

1", Le Réformateur, Armand-Jean de Rancé, fut vingt-huit ans abbé commendataire, ensuite trente-deux ans abbé régulier; après (juoi , à raison de son âge, de ses infirmités, et surtout dans le désir de vaquer plus librement à sa propre perfection , il se démit en faveur du suivant.

2% Zozime 1", connu dans le monde sous le nom de Pierre Foisil , à Beîlesme, ne posséda la charge d'abbé qu'environ dix ans, au bout desquels il mourut. Tan 1090, âgé de trente-cin(| ans, après quinze ans de profession.

3% François-Armand Gervaise, à Paris, d'abord Carme dé- chaussé, puis Trappiste, il donna sa démission en 1608, après deux ans d'investiture de cette charge, et mourut en 1701.

4% Jacques de La Cour, à Boissons, devint abbé en 1698, se démit en 1713, et mourut en 1720.

5% Isidore, dans le monde Maximilien Dannetière, à Tournai. D'abord chanoine régulier de Sainte-Geneviève, après avoir été abbé de La Trappe environ treizeans, il mourut en 1727, à l'âge de soixante- six ans, après vingt-deux ans de profession.

()% François-Augustin Couche, à Eu, nommé en 1727; il mourut en 1734, âgé de cinquante-deux ans, après dii-huit ans de profession.

7% Zozime H (Hurel), du Vexin français, lîéni en 1735, iiîourut en 1747, âgé de soixante-dix-sept ans, après quarante ans de pro- l'ession.

8% Malachie Brun, élu abbé en 1747, mourut en 1760, à Tàge de soixante-sept ans , après vingt-neuf ans de profession.

9% Théodore Chambon prit possession en 1766. L'époque de sa mort nous est inconnue.

10', 'Pierre Olivier. Sa bulle de nomination est du 2 janvier 1781. Il était encore à la tète de la communauté , lors de sa suf>pressiou. en 1790.

CEAPIT3LE VII.

NOBLES IIÙTES DE LA TRAPPE.

N(ks pcres avaicul la foi! Que cette justice rendue aux anciens àges^ ne fasse pas sourire finipie: la foi, c'est un don de Dieu : c'est le don

î:t litti':îiaikî:. ^ti

J)ar (^xcclkîiico : iiialluMîr à oclui (jiii le prostitue et le foule aux pieds peuîiant (|iie ses jours sont pleins de santé et s'écoulent dans Tivresse <ies plaisirs. Il l'invoquera trop tardivement sur son lit de mort : et la mort de l'impie est alïVeuse.

Nos pères avaient la Coi : quchpies-uns pouvaient tomber comme Menri IV et Louis XIV; comme eux, ils se relevaient : comme eux , ils savaient a{)rès leurs fautes, vivre et mourir en disci}>les du Ciirist.

Leurs faiblesses ne prenaient pas leur source dans des opinions phi- losophi([ues, mais dans des illusions du cœur, et lecœur de l'iiomme ^'st si prompt à s'égarer.. 1

Que de puissans seigneurs, que de grands capitaines, que de gé- néraux illustres, après avoir scandalisé le monde par leurs désordres, venaient dans le cloître. Les uns y passaient le reste de leurs jours, les autres ne faisaient que le traverser: et de môme que l'abeille ne se repose pas sur une fleur sans reporter à la ruche un butin précieux , <]e même ces illustres piMiitens retournaicnl dans le monde ave(; la ferme volonté d'y donner l'exemple de toutes les vertus.

Le duc de Saint-Simon , l'une des célébrités du grand Siècle, s'éloi- gnait souvent de la cour , pour venir s'ensevciir dans la solitude du Perche. Plus tard, cemêmeexemplefuldonnépar le duc de Pentliièvre, fils du comte de Toulouse. Ce prince qui comballit vaiilaniment à la bataille de Dettingucs, qui fut le Mécène de Florian , avait fait con- struire près le Monastère une habitation , qui a porté depuis le nom d'Abbatiale, et faii actuellement partie delà Maison des Retraites ecclé- siastiques, fondée par Monseigneur de Nancy.

0 noble duc de Pcnthièvre , dont le nom est encore béni sous la cabane du pauvre, comme sous les lambris dorés, nom sacré que la bouche môme des méchans n'osa jamais flétrir , vous ne veniez pas à La Trappe pour expier vos crimes : votre modestie , votre douceur , vos vertus, édifiaient les religieux eux-mêmes : vous veniez goûter cette douce paix , cet air pur de la solitude que vous cherchiez vainement dans les palais des rois. Nos orages politiques , en renversant les cloî- tres, vous privèrent de cette retraite ; votre douleur ne se prolongea pas : la terre n'était pas digne de vous posséder ; Dieu vous rappela bientôt dans son sein.

Une pieuse tradition raconte que saint Bernard visita cette solitude. Non loin du Monaslère et dans une grotte , (jui porte le nom de ce saint fondateur, Uancé convoquait ses religieux à de pieux entretiens: Bossuet, plus d'une fois, vint à la suite du moindre novice, s'asscx)ir sur le banc de pierre, revêtu de l'habit monastique, Bossuet, l'ami de Rancé, le compagnon de son enfîmce et son émule dans les luttes li!t<'*- raires du jeune Ag<?.

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9 4 LE MDIS KtJJGlElX

On montre encore près de la grotte, rallée dans laquelle se prome- nèrent le saint Réformateur de La Trappe et le prince des orateurs sacrés; les grands arbres qui ombrageaient cette avenue, ont dis- paru depuis long-temps , mais le souvenir de ces hommes illustres est vivant dans cette solitude; on croirait voir encore leurs ombres majes- tueuses ; il semble que l'écho vient de répéter les derniers sons de leurs entretiens sublimes.

Jac(|ues H , descendu du faîte des grandeurs dans la vie privée , vint souvent à La Trappe , avec la reine sa femme. On remarcpie encore dans le Monastère du Perche deux portraits de ce prince : il est aussi représenté dans une estampe du réfectoire, mangeant à la table du Père Abbé, avec son aumônier, le maréchal de l>ellefonds et le duc do Berwick.

Dans cet asile de toutes les vertus , ce prince apprenait à mépriser les grandeurs de la terre ; s'il avait perdu une couronne, si le sceptre avait été brisé dans ses mains , il s'en consolait par respérance d'unci couronne immortelle, et d'un trône impérissable.

0 la belle réponse de ce prince! Qu'il était bien digne de régner sur ce noble pays d'Irlande, si pur dans sa foi , si constant dans une persécution de trois siècles, si hospitalier^ malgré ses propres pri^ valions.

On lui proposait de feindre d'embrasser le protestantisme pour conserver son trône , et pouvoir même protéger le catholicisme : « A Dieu ne plaise j répondit-il , que je me rende coupable d'une telle lâcheté : je préfère la couronne qui m'attend au ciel , à celle (pie je perds sur la terre : mon slnitagème ne sauverait pas la religion ; ce soin regarde Dieu. »

Ainsi, nouvel Éléazar, il ne voulut pas même descendre à rarlifice.

Dieu lui-même, dans cette paisible retraite , se plaisait à le consoler. Ce monarque assista un jour à tous les ollices, communia à la grand'messe, et fut frappé d'entendre ces paroles, qiii s'appliquaient si bien à sa position : conjundanuir siipcrhi y quia injuste iniquilalrm ff- ct'runt super mt"^ ego aulem exercebor in mandiilis tuis. Que mes superbes ennemis soient coiil'ondus de leur injustice à mon égard, j'en laisse à Dieu le soin ; quant à moi , je m'exercerai dans la i>ratiipie des di\ins préceptes.

Le roi Charles X vint aussi visiter le monastère de La Ti*a[)pe : on ne prévoyait point alors (pi'il monterait un jour sur le trône : il en était séparé par deux de ses frères dont l'un avait lui-même des en- fans : on prévoyait encore moins les malheurs cpii devaient lefrap[)er et établir une si juste comparaison entre lui et l'infortuné Jacques ! L

Dans un voyage, ce prince passa plusieurs jours au moiîasU're : il

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.Suivit tous les exercices , assista à ceux de la nuit , manj^eu dans le ré- fectoire avec les religieux : sa nourriture fut la niônie <|ue la leur ; tjuel(|ues pères, qui ont survécu à ces grands orages, se l'appellent l'avoir vu assis à la table du père Abbé.

Rentré en France avec sa famille , et n'étant encore que Monsieur, Charles n'avait point oublié la vieille hospitalité du couvent du Perche : fl ht le plus gracieux accueil aux députalions de Trappistes (jui furent successivement présentées à la Cour. Il savait que le monastère avait été pillé , ravagé, renversé de fond en comble : il contribua généreu- gement à son rétablissement : dans cette occurrence , Louis XVlll sn conduisit en roi , et les autres princes de la Maison de Bourbon prou- vèrent qu'ils étaient héritiers de la générosité, comme des autres wr- tus de Saint-Louis et de Louis XIV.

CHAPITRE VIII.

QL'TÈLQLES COWFRSIONS f:C!.ATA?<TES.

En Tannée 1G89, La Trappe fut le théâtre delà mort de dom Muer, tîonnu dans le monde, sous le nom de Pierre, ou l'raneois Fnure, fiatif de Sauzet, dans le diocèse de ^alence. Il passa de l'onlro de €luny à La Trappe, et y fit sa profession, le 40 février 1080.

Ce religieux avait consumé ses premières années au milieu de la dé- bauche et dans les plus grands déréglemens. Il passa plus tard en qua- lité de sous-lieutenant dans un corps de grenadiers, que tout U' mondée sait être, dit Rancé dans son instruction sur la mort de don Muce , les plus déterminés entre ceux qui font le métier de la guerre. Il s'engagea dans initie affaires pires les unes que les autres; il fut blessé dans plusieurs «rencontres il aurait du perdre la vie. Une lettre de l'archevêque de Vienne, sous la date du 0 février 1603, atteste qu'à cette époque, il était poursuivi par dix ou douze sentences de prises de corps : cepen- dant il forma le dessein de changer à la fois de conduite et d'état : il se f {religieux dans le prieuré de Saint-Marcel , fut élevé au sacerdoce, eut aussi un olfice dans l'abbaye de Crevés , au diocèse de Viers , « et par » une profanation digne des derniers supplices, continue le vénérable > abbé de La Trapi)e, il osa toucher, doses doi;^ts sacrilèges, le Saint des » saints. » Le panégyriste de Pierre Taure, tout en prenant delà occasion de faire ressortir les merveilles de la miséricorde de Dieu et la toute puissance de sa grâce, dit qu'il se précipita dans l'abîme du désordre et qu'il alla jusqu'au crime. Ce grand coupable en vint au |)ointque, dans son état d'erreur et d'aveuglement, il fut quehpie temps incer- tain s'il chercherait un asile en Angleterre, en \llen)agne on en Mon-

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m LE MOIS UEI.IOIEIX

grie, ou bion s'il irait apostasicr an milieu des troupes oUoîuanes, et (.lemander le turban à ces (iers et implacables ennemis du Christ et de ses serviteurs. Il n'alla pas plus loin. Ici se brisa l'horrible chaîne de ses passions. Il fut tout-à-coup effrayé par l'idée d'un supplice igno- minieux et d'une mort infâme qui flétrirait l'honneur de sa famille.

Quand, par l'ordre de Dieu, l'heure du salut vient à sonner pour une ame coupable , rien ne saurait la retenir plus long-temps dans les voies de l'iniquité.

Un ecclésiastique, encore préoccupé d'une visite qu'il venait de fairo à La Trappe, dont l'histoire était alors très-célèbre, arraciia, parle récit qu'il lui fit de ses merveilles , le bandeau qui couvrait ses yeux.

L'éclair céleste a dissipé les ténèbres de son cœur; il est frappé des a\istérités du monastère de La Trappe. U reconnaît que c'est là, scut lement qu'il peut expier ses crimes, apaiser les remords de sa con- science , et commencer à mener une vie nouvelle.

Cette révolution spirituelle s'opérait vers la fin de l'hiver : à l'heure même ce nouveau pénitent se dirigea , guidé par cette étoile du salut : ni les rigueurs de la saison, ni les chemins affreux qui se rencontrerit pendant un espace de quatre cents lieues; rien ne l'arrête; il sur- monte tous ces obstacles en peu de temps : il n'était plus séparé que de quatorze lieues du terme de son voyage, il les franchit en un jour; la Trappe se présente à lui, mais il y entre en moribond : il était affecté d'un catarrhe : cette indisposition se change en fluxion de poitrine : bientôt il devait descendre dans la tombe.

On vint annoncer à l'abbé de La Trappe qu'il se présentait aux portesdu monastère, un homme se disant Bénédictin et aspirant à l'habit denovice de La Trappe, et qui n'en avaitpas moinsl'œil hagard, une ex- pression hautaine et dure , un sourcil haut et fier, et une contenance rude et farouche qui convenait mieux à un homme de guerre qu'à un religieux. Rancé s'aperçut bien que la peinture n'avait point été exa- gérée; toutefois il ne Taccueillit pas avec moins de tendresse et de bonté, lorsqu'il se fut assuré que sa vocation était sincère, et qu'elle venait d'en haut.

Il n'y a pas, au monastère de La Trappe, de temps déterminé durant lequel les postulans doivent garder les habits du siècle, quoiqu'ils ;aient été admis aux exercices de la communauté : le plus ou le moins dépend de la ferveur du sujet , <le la connaissance que l'on a de ses mœurs et de sa conduite passée. Ce ne fut (pi'au bout de trois semaines <|ue Faurc quitta son pre.riier habit pour recevoir, des mains doUancé, celui des Trappistes : rien n'échappait à l'œil exercé du Réformateur;

{La mile an nmuiro procku'iu. )

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