224 TABLE DES MATIÈRES. TROISIÈME PARTIE. — Les âges des planètes. Pages. CHAPITRE [. — LES EFFETS DU RAYONNEMENT ET DE LA PERTE DE LA CHALEUR DIORIGINER Er rrc ce A ie de annee Re a mor 1 MEormationndes TOCheSDOUNNTIVES eee Lecce eee eec CEE 125 DMFormationtde la CroiLeNternestren tree CU CL CEE 128 3. ('appañitiongde la vie. 2-0 ere oies Ro oc 138 4. Le rôle géologique des êtres vivants.....,.... .......... Roule 5. Le rôle géologique de l’homme....... PAR ADO oc see OU GArasviemlanetaire Perret DO PE nee MDanaoc bouc LUS CHAPITRE II. —- LES EFFETS DE L'ABSORPTION DES ENVELOPPES FLUIDES PAR DESMNOVAÉSOMID Es eee ce ice ec sscncleesenlecece Ce 0016 1. La diminution des océans...... Be Re es vers eee 751 9. L'état de sécheresse de la Lune........... D OS anse ss te CHAPITRE LIT TES REFRETS DU NRELRAIT--e---e---------L CE se OR lrestrallesdetastenres crc ace setac secs CO DATesterevasses de l1ADUne eme cree Soc à ses ce AEOS 3. Les formes de petites planètes............ das sen ete ee CC RE AMT'es formes des (MÉtéOTIleS ee cm-e-recr--ce ee LR 184 5, Comment se sont produiles les météorites............. Dee Le QUATRIÈME PARTIE. — Les problèmes de la Terre. CHAPITRE Î. — L’AVENIR DE LA TERRE...... RARE Donne ben og oi CHAPITRE I[. — LES PROFONDEURS DE LA TERRE........ RO oo oc Lun 4. L'unité d’origine des météorites.....,... he SM PB Coc lo: 2. Comment était constitué l’astre d'où tt les météorites. 199 3. Les roches terrestres comparées aux météorites........ bacon AL 4Arefernatfdesprofondeursitencestres Ce. 207 5. Le mode de solidification du globe terrestre.......... cc AIO 6. Information fournie par la Lune...... Bdaconc Re one ke 2 CHAPITRE III. — L’AGE DE LA TERRE.... -............ MP ob ces ur TABLE DES GRAVURES............... Et. - cr PRO FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES. PARIS, — IMPRIMERIE ÉMILE MARTINET, RUE MIGNON, 2 LE MONDE ANIMAL | | LL | I) fl [12 AI l 1) | Il nt | ] 11] || | [I VAUTOUR DANS LA CORDILLIÈRE. BIBLIOTHÈQUE DES ÉCOLES ET DES FAMILLES LE MONDE ANIMAL PAR M" STANISLAS MEUNIER PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET C'° 19, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79 1880 Droits de propriété et de traduction réservés INTRODUCTION Tous les enfants aiment les animaux. Ils n’ont ni peur ni dégoût des plus formidables et des plus laids. Formes étranges, riches fourrures, écailles luisantes, bonds désordonnés, cris effrayants, ne sont pour eux que prétextes de Joie : ils diraient volontiers comme Victor Hugo : ... Que les hippopotames, Que les rhinocéros et que les éléphants Sont évidemment faits pour les petits enfants. Cette pensée pleine de sourires et de tendresse est digne de celui qui voudrait avoir la lune pour en faire un cadeau de grand-père; c'est une pensée de poète prodiguant les trésors, semant les fleurs pour les petits. Mais hélas! les aïeuls ont seuls le droit de ne voir que le côté riant des choses, en laissant dans l'ombre les tristesses et les dures nécessités de la vie. Dès que l'enfant passe des jeux du Jardin des Plantes à la contemplation de ce qui se déroule autour de lui, il se trouve en face de la réalité qui fait de tous les êtres vivants les héros et les victimes d’une guerre incessante. Celui-ci est mangé par celui-là, qui s’engraisse pour un plus fort. Des espèces tout entières disparaissent, absorbées par d’autres; certaines races humaines s’éteignent au milieu du cerelé de civilisation qui les enserre de plus en plus. 6 INTRODUCTION. Cachera-t-on cela aux jeunes intelligences? Il faudrait être aussi insensé que ce roi qui voulait que son fils ignorât la mort. La vérité éclate de toutes parts : pourquoi ne pas la dire? Les scènes de carnage, de chasse, ne choqueront pas plus les enfants que la vue des corbillards dans la rue, ou celle des quartiers de bœuf pendus aux crocs des boucheries. Au contraire, en lisant de quelle façon l’homme a conquis la plupart des animaux, comment il se défend contre ceux qui ont des intérêts opposés aux siens, de quelle façon il se met l'esprit en travail pour vaincre les ennemis qui lui restent, ou ceux qui, comme le phylloxéra, lui apparaissent tout à coup, l’en- fant sera pris d’une juste fierté : il aura le sentiment de sa puissance. Que lui dirons-nous alors ? € Tu es fort; n’abuse pas de ta force. Tue et mange les ani- maux, puisque tu y es contraint sous peine de périr toi-même ; mais évite les chasses cruelles qui ne sont qu’un jeu de luxe et d’orgueil; si tu deviens un savant, économise la vie des bêtessur lesquelles tu auras à faire des expériences; si tu es un paysan, sois doux pour ton âne qui peine à ton service, pour ton chien qui t'aime. En dépit de leurs étroites destinées, les animaux nous tiennent de bien près. Leurs yeux profonds cachent bien des mystères. Ils souffrent et ils aiment comme nous : qui oserait affirmer qu'ils ne pensent point? Il faut se préoc- cuper de leur sort, et les classer parmi les malheureux de ce monde. » Obligées de vivre en lutte perpétuelle, toutes les bêtes, même les plus infimes, ont à leur disposition un arsenal inépuisable de ruses, de stratagèmes, de moyens de défense ou d’attaque tout à fait inattendus. La conservation de la vie est obtenue à force de merveilles. On se mange, mais pas sans restrictions, les victimes mettant entre elles et leurs oppresseurs le plus obstacles possibles. En somme, nous espérons que ce livre ne nuira en rien à la 1 à Ni INTRODUCTION. 7 bonne opinion que les petits enfants ont des animaux. Parmi ceux-ci, point de méchants : le lion est simplement une grosse bête qui mange de la viande et qui a beaucoup d’appétit. Point non plus d'animaux sales, mais des bestioles qui piquent ou qui exhalent des odeurs non faites pour notre nez. Les seules qualifications qu’il nous soit permis d'appliquer à ces êtres placés au-dessous de nous, sont celles de nuisibles ou d’utiles : les animaux nuisibles étant surtout ceux qui aiment ce que nous aimons nous-mêmes, le cep de vigne, le grain de blé, la chair du mouton; les animaux utiles, ceux qui mangent nos ennemis ou nous aident à remplir nos coffres et notre garde- manger. * LE MONDE ANIMAL NOTIONS PRÉLIMINAIRES Les animaux forment une série si étendue, qu’on y voit tous les degrés : depuis le singe, qui par sa conformation se rap- proche le plus de l’homme, jusqu’au corail qui confine à la plante et à l’être inerte, jusqu’à la monade, simple cellule visible seulement au microscope. Pour se reconnaître dans cette multitude variée à l'infini, pour grouper ces caractères en apparence si changeants, on a, depuis. que l’on fait de l’histoire naturelle, essayé d'établir une classification : jamais on n’a pu en obtenir une qui fût absolu- ment satisfaisante, universellement adoptée. Bien mieux, plus la science marche, plus lon aperçoit la difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité d'y parvenir. Voici comment Aristote, le premier qui ait essayé cette en- treprise gigantesque, procédait avec tous les corps qui existent dans la nature : Il y faisait deux grandes catégories que l’on a conservées, la première pour les corps vivants ou organisés; la deuxième pour les corps bruts ou sans vie. Les corps vivants étaient partagés, comme ils le sont encore maintenant, en animaux et végétaux. Quant aux animaux, Aris- tote y faisait deux divisions : 1° les raisonnables; 2° les irrai- sonnables. ? 10 LE MONDE ANIMAL. Nous ne suivrons pas le philosophe grec jusqu’à la fin de sa classification, qui n’était d’ailleurs pas compliquée, car on ne connaissait alors que bien peu d'espèces; mais il est bon de remarquer qu'il avait admirablement trouvé les premières grandes divisions des êtres. Avec les innombrables découvertes des modernes sont arrivés d'innombrables embarras pour les naturalistes, qui se sont vus obligés de faire de iongues classifications, avec quantité de subdivisions. Chacun a la sienne, qui lui sert plus à diriger ses propres travaux qu’à instruire le lecteur; et un enfant ne sau- rait s’encombrer la mémoire de la multitude de noms grecs ou latins inventés pour faire face à de nouvelles difficultés. Il est cependant une classification qui, tout imparfaite et incomplète qu’elle soit, sert de base à toutes les autres : c’est celle de Georges Cuvier. Elle a du moins l’incontestable mérite d’une lumineuse simplicité, qui la met à la portée de toutes les mémoires. Cuvier partage tout le règne animal en quatre embranche- ments. 1° L’embranchement des vertébrés réunit les animaux dont le cerveau et la moelle épinière sont renfermés dans une enve- loppe osseuse qui se compose du crâne et des vertèbres. Les vertébrés ont tous le sang rouge, un cœur musculaire, une bouche à deux mâchoires placées l’une au-dessous de l’autre, des organes distincts pour la vue, pour l’ouie, pour l’odorat, pour le goût, situés dans les cavités de la face, jamais plus de quatre membres. 2 Les mollusques, qui forment le second embranchement, n’ont point de squelette, et sont par conséquent des animaux à corps mou. Les muscles sont attachés seulement à la peau, qui forme une enveloppe molle, contractile en divers sens, et dans laquelle se produisent en beaucoup d’espèces des plaques pierreuses appelées coquilles. Les masses nerveuses sont éparses dans tout le corps. NOTIONS PRÉLIMINAIRES. 11 3° L’embranchement des articulés est caractérisé par lab- sence de squelette intérieur et par la division de tout le corps en anneaux ou articles. Maintenant de cet embranchement on en fait deux, selon qu'il s’agit d'animaux ayant des pattes articulées (arthropodes) ou d’animaux dépourvus de pattes (vers). Le système nerveux consist: ici en deux cordons régnant le long du ventre, renflés d’espace en espace en nœuds ou ganglions, autant de petits cerveaux. 4° Enfin, dans un quatrième embranchement, Cuvier réuris- sait tous les animaux inférieurs. Le nom de z0ophytes qu'il leur attribuait fait allusion à l’analogie générale de leurs formes avec celles de certaines plantes. Toutefois, depuis Cuvier, la nécessité s’est fait sentir d’intro- duire dans la classification un dernier embranchement : 2° Celui des protozoaires, animaux tellement inférieurs, que chez un grand nombre, avec le secours même du microscope, il est impossible de trouver la moindre trace d'organisation. LES VERTÉBRES Les animaux vertébrés sont répartis en cinq classes, aux- quelles on a donné les noms de MAMMIFÈRES, OISEAUX, REPTILES, BATRACIENS, POISSONS. CHAPITRE PREMIER MAMMIFÈRES Les mammifères sont les animaux dont le caractère général et distinctif entre tous est de nourrir leurs petits avec du lait, liquide doux et sucré que tout le monde connaît et qui est sé- crété par de grosses glandes que l’on appelle des mamelles.… Les mammifêres respirent toùs par des poumons. Ces poumons, de la même substance dans toutes les espèces, sont des masses spongieuses, légères, placées dans la poitrine, et que vous connaissez fort bien, sans vous en douter peut- être : il y a du poumon chez tous les tripiers; et le mou que l’on donne aux chats n’est pas autre chose que du poumon de mouton. Les animaux à poumons ne peuvent respirer que dans lat- mosphère : les baleines remontent à la surface de l’eau pour prendre Pair dont elles revivifient leur sang. Tous les mammifères ont le sang chaud. Leur cœur, un gros muscle placé entre les poumons, a quatre cavités. Nous ne pou- vons vous dire 1€1 ni ce que c’est que le sang, ni quelles sont les TT LE GORILLE ET LE CHIMPANZÉ. 13 fonctions du cœur ; pour tout cela, et pour bien d’autres choses, il faut vous renseigner dans le livre charmant de M. Jean Macé, l'Histoire d’une bouchée de pain, qui, tout en vous amusant, vous mettra dans Pesprit mille faits intéressants. Les mammifères ont quatre membres, leur peau porte presque toujours des poils plus ou moins abondants. Ce sont les plus intelligents des animaux. C’est parmi eux que l’homme a trouvé ses plus fidèles alliés. Bien que ceux qu'on appelle les animaux féroces soient très redoutables, ils ne nous causent pas la centième partie du mal que peuvent nous faire de petites bêtes telles que le hanneton et Le phyl- loxéra. Mais nous allons faire plus ample connaissance avec eux, en étudiant quelques espèces intéressantes entre toutes. I, — LE GORILLE ET LE CHIMPANZÉ Le gorille, le chimpanzé, l’orang-outang et le gibbon sont ce qu'on appelle des anthropomorphes ou singes à aspect hu- main. [ls sont tous dépourvus de queue. Le gorille est le plus grand des singes. Il y en a un superbe empaillé au Jardin des Plantes, Les nègres considèrent cette bête vraiment féroce avec une terreur religieuse. À les entendre, c’est un égal, un homme des bois qui a sur eux la supériorité de la force. Ils ne taris- sent pas en histoires effrayantes et fantastiques sur ce redou- table compatriole : femmes enlevées et forcées de devenir épouses et servantes du monstre, hommes tués avec des raf- finements de cruauté, etc., etc. On est libre de ne pas les croire sans restriction. Le gorille marche debout, comme un homme courbé, car il n’apas, ainsi que nous, deux pieds pour le soutenir ; il est quu- drumane, c’est-à-dire pourvu de quatre mains, ce qui, peu commode pour marcher, l’est beaucoup pour courir dans les 14 LE MONDE ANIMAL. branches, d'arbre en arbre. Dans les forêts vierges d'Afrique ou d'Amérique, les singes font souvent des centaines de lieues sans descendre à terre. Les fruits leur fournissent la nour- riture, les feuilles larges et épaisses leur servent d’abri, Ce n’est pas sans émotion ni même sans remords que les premiers Européens qui chassèrent le gorille assistèrent à l’agonie du monstre dont la face grimaçante sous la douleur et couverte de larmes prend une apparence effroyablement hu- maine. Les blancs n’arrivent pas d’ailleurs aisément à consi- dérer les singes comme un simple gibier. Tandis que les sau- vages mangent de fort bon cœur ces quadrumanes rôtis, qui, dit-on, sont un mets excellent, les voyageurs civilisés ne peu- vent se résoudre à découper et à mettre sous la dent un être qui a tout à fait l’air d’un enfant accommodé par des canni- bales. Voici ce que dans son Dernier journal Livingstone raconte de quelques grands singes qu'il avait vus : « 2% août. — On a tué hier quatre gorilles { (sokos des indi- gènes). Le feu, mis à l'herbe sèche sur une grande étendue, les avait chassés de leur retraite habituelle et fait venir dans la plaine, où ils ont été tués à coups de lance. « Le soko marche souvent debout, mais alors il se met les bras sur la tête comme pour faire équilibre. Vu dans cette po- sition, c’est un animal très gauche. D'autres bêtes sont gra- cieuses et font plaisir à voir; les indigènes sont bien faits, souples et agiles; mais un soko adulte poserait parfaitement pour le diable. Le jaune clair de sa figure fait ressortir ses affreux favoris et quelques poils de barbe. Son front est vilaine- ment bas, flanqué d'oreilles placées très haut, et surmonte un “visage qui est fort éloigné de valoir le grand museau du chien. Les dents rappellent la forme des dents humaines, sauf les canines, qui sont très développées. Les mains ou plutôt les 1. Il s’agit ici du chimpanzé et non du gorille. | | {|| He ul DES DOIGTS AVEG SES DENTS BOUT LUI GOUPE LE ET JETTE. SUR LE CHASSEUR SE SOokoQ LE 16 LE MONDE ANIMAL. doigts sont pareils à ceux des indigènes. La chair des pieds est jaune; les Manyémas prétendent qu’elle est délicieuse, et l’avidité avec laquelle ils la dévorent fait supposer que c’est en mangeant du soko qu’ils sont arrivés au cannibalisme. « On représente ce grand singe comme très intelligent; il traque les naturels avec succès pendant que ceux-ci travaillent, et vole les enfants, qu’il emporte à la cime des arbres; mais souvent il se laisse séduire par un bouquet de bananes : si on lui en présente un, il descend et lâche le négrillon pour ra- masser les fruits. « L’un des hommes qui étaient à la chasse manque un soko; celui-ci prend la lance, la broie, se jette sur le chasseur, lui coupe le bout des doigts avec ses dents, et s'échappe sain et sauf. « À l’occasion, le soko triomphe du léopard en lui saisissant les pattes antérieures et en les lui mordant de manière à le mutiler. Il grimpe alors sur un arbre, où il gémit de ses bles- sures, qui guérissent, tandis que son adversaire ne tarde pas à mourir des siennes. « Un très grand soko a été vu se nettoyant les ongles; un autre, qu’on avaittué, avait les oreilles percées comme les oreilles d’un homme : ce qui a confirmé les Manyémas dans cette idée que leurs morts reviennent sur terre sous forme de sokos. « Ges derniers se réunissent et tambourinent, — les gens du pays disent que c’est avec des arbres creux; — puis tous ensemble poussent des hurlements fort bien imités par les indigènes dans leur musique embryonnaire. € 25 février. — Un jeune soko, pris au moment où sa mère a été tuée, m'a été donné par Katoumba. C’est une femelle; elle a sur tout le corps de longs poils noirs qui étaient jolis quand sa mère les soignait. C’est la moins maligne de toutes les créatures simiennes que j'aie rencontrées. Elle parait sa- voir qu’elle a en moi un ami, et reste tranquillement sur la natte à mon côté. Elle fait usage de ses bras comme de bé- La peur LE GORILLE ET LE CHIMPANZÉ. 17 quilles, pour se soutenir, et se projette entre ses deux sup- ports. Parfois une de ses mains antérieures est posée avant l’autre et alterne avec celles de derrière; ou bien elle marche debout et tend la main pour qu’on la soutienne, Si on refuse la main qu'elle présente, elle baisse la tête, et son visage a les contractions que donnent à la figure humaine les larmes les plus amères. Elle s’entoure de feuilles et d'herbe pour faire son lit, et ne permet pas qu’on touche à sa propriété. C’est la petite créature la plus aimante du monde; elle m'a pris en affection du premier coup, m'a gazouillé un salut, a flairé mes habits et m’a tendu la main. Dès qu’on l’a attachée, elle s’est mise à défaire le nœud de la corde avec ses doigts et en s’y prenant d’une façon tout à fait méthodique. Un homme ayant voulu l’en empêcher, elle lui a lancé des regards furieux et a essayé de le battre. L'homme avait un bâton; elle en a eu peur, est venue s’adosser à moi, et, reprenant confiance, a regardé l’homme en face. Elle tend les bras pour qu'on la porte, abso- lument comme un enfant gâté; si on n’y fait pas attention, elle pousse un cri de colère qui rappelle celui du milan, se tord les mains comme si elle était au désespoir, et d’une facon toute naturelle. Elle mange de tout, refait son lit tous les jours, se couvre d’une natte pour dormir, et s’essuie le visage avec une feuille. » Les gorilles ne sont pas aussi doux. Du Chaillu, par exemple, qui le premier vit ces étranges animaux, et qui réussit à en prendre un jeune vivant, remarque que jamais la sauvage petite bête ne s’apprivoisa; elle se lançait avec une telle force contre les barreaux de sa cage, qu’elle parvint une fois à les briser. Elle était toujours prête à mordre et à égratigner. Les gorilles qu’on parvient à apporter et à garder quelque temps en Europe sont extrêmement rares. Bien peu résistent aux fatigues du voyage et à l’âäpreté de nos climats trop froids et trop brumeux. Aussi les paye-t-on un prix très élevé. Il n’y a pas longtemps un muséede Berlin en aacheté un pour 25000 francs. LE MONDE ANIMAL. 2 18 LE MONDE ANIMAL. Il ne faut pas juger tous les singes d’après les gorilles : 1l y a de grandes différences entre les nombreuses espèces que l’on a réunies dans l’ordre des primates. Ainsi, au-dessous des an- thropomorphes, toutes les espèces portent une queue; chez beaucoup même cette queue est très longue et prenante, c’est- à-dire que l'animal peut l’enrouler autour d’un objet quel- conque, d’une branche par exemple, et s’y suspendre en toute sécurité. Les singes d'Amérique seuls ont la queue prenante. II. — LES CHAUVES-SOURIS Au premier abord les chauves-souris inspirent peu de sym- pathie; leurs habitudes nocturnes, leur vol silencieux, excep- tionnel dans la classe des mammifères, leur ont fait une mau- vaise réputation; aussi, jadis, les associait-on à tout lattirail de la sorcellerie. Les espèces qui vivent dans nos climats ne se composent cependant que d'animaux utiles à l’agriculture, en ce qu’ils se nourrissent exclusivement d'insectes. Les chauves-souris de France sont toutes de petite taille. Leurs ailes sont faites d’une membrane située entre les os très allongés des doigts des pattes antérieures, et qui, s'étendant également sur les flancs, va souvent jusqu’à la queue et aux jambes, qu’elle embrasse. Ces ailes ont valu aux animaux qui les portent le nom de chéiroptères, qui veut dire à la fois mains et ailes. Les chauves-souris passent l’hiver en léthargie. Il leur arrive souvent alors de se réfugier dans les cheminées abandonnées. Si, par hasard, on refait du feu dans leur domicile, les unes tout engourdies tombent dans le foyer, les autres se mettent à voler en nuées épaisses au-dessus de la maison, ce qui inquiète les gens superstitieux. Les grandes espèces appartiennent aux pays chauds : quel- ques-unes ont des ailes d’un mêtre d'envergure. Beaucoup sont fn À vdi Mo, LES CHAUVES-SOURIS. 19 malfaisantes. La roussette noire est tellement courmande de fruits, qu'aux îles Moluques qu’elle habite, on est obligé de garnir les arbres de filets pour les préserver de ses déva sta- tions. Elle fait aussi la chasse avec acharne ment, et sa grande taille lui permet d'attaquer avec succès les oiseaux et les pe- tits quadrupèdes. Les indigènes trouvent sa chair délicate; mais les Européens ne peuvent la souffrir à cause de son odeur de musc. Les vampires, qui vivent également sous les basses latitudes, TÊTE DU VAMPIRE ont donné lieu aux contes les plus absurdes. Leur nom, em- prunté à des fables d'autrefois, rappelle ces êtres fantastiques qui, hommes ou femmes, allaient, disait-on, déterrer la nuit les cadavres pour en boire le sang. Et nos chauves-souris ont été affublées de cette appellation tragique parce qu’on les accusait de profiter du sommeil de l’homme pour le faire mourir en suçant tout son sang. Leur morsure ne causait aucune douleur; bien au contraire, la victime jouissait d’un sommeil délicieux pendant cette opération scélérate, les monstres ayant la pré- caution de l’éventer doucement de leurs larges ailes. 20 LE MONDE ANIMAL. Mais c’est là une médisance qui touche à la calomnie, et voici ce qu'il y a de vrai sur ces chéiroptères : Ils ont de vilaines dents canines pointues et développées, — surtout celles du bas, — au point de faire tomber les inci- sives pour avoir plus de place. Les vampires font de petites morsures très cruelles, qui, sous l’action d’un climat malsain, peuvent fort bien s’envenimer. La figure du vampire est des plus singulières : elle est sur- montée d’une paire d'oreilles énormes; et le nez est entouré d’une feuille membraneuse qui, chez quelques espèces, a l’as- pect d’un fer de lance, et ne contribue pas peu à enlaidir lani- mal, dont la physionomie est à la fois féroce el comique. LIT I=ULANTAUPE La taupe est en Europe le représentant le plus intéressant de l’ordre des insectivores. On a groupé sous ce dernier nom, qui veut dire mangeurs d'insectes, tous les mammifères dont les dents, au nombre de vingt-quatre, sont tranchantes, poin- tues, dentelées comme des scies, et admirablement propres à déchirer de petites proies. Nous disons petites, car la taille des insectivores, parmi les- quels se trouvent les plus petits mammifères terrestres (la mu- saraigne étrusque n’a du museau à la naissance de la queue que 35 millimètres) ne leur permet guère, en général, de manger autre chose que des insectes. Quelquefois, dans les jardins, on est désagréablement surpris en voyant la terre remuée et de jeunes plantes soulevées et bousculées comme par une bêche malhabile : c’est une taupe qui vient de passer sous le sol. Va-t-on poursuivre et détruire cette bête qui menace de déranger un peu les plates-bandes ? A cette question, le jardinier, s’il est intelligent, se gratte l'oreille et hésite. 11 voit bien que la taupe, dans son travail, peut à Ja vé- rilé couper quelques racines; mais il sait qu’en revanche elle pr L LA TAUPE. 21 détruit quantité de vers et autres bêtes nuisibles, et il n’est pas tenté d’imiter ces cultivateurs dont on raconte l’histoire, et que la multiplication désastreuse des vers de hanneton a contraints de rappeler les taupes qu'ils s’élaient trop pressés de bannir. On a eu beaucoup de préjugés contre la taupe : on a dit qu’elle est aveugle. Destinée à vivre sous terre, elle a les yeux fort petits, mais elle distingue à merveille tout ce qu'il lui 1m- porte de voir. Grande destructrice de racines, elle fut nécessairement accu- sée de se nourrir de végétaux, par des ignorants qui ne te- naient aucun compte de sa dentilion de carnassier féroce. Gette accusation stupide eut tant de persistance, qu'il fallut que le célèbre professeur Flourens fit, pour convaincre les moins ob- stinés, les expériences que voici : JL enferma dans un tonneau deux taupes vivantes, et ne mit avec elles que des racines et des navets. Le lendemain il ne trouva d’une des deux taupes que la peau retournée; le reste avait été mangé par l’autre captive, qui, malgré ce copieux re- pas, fait sans doute dès le premier moment de l’emprisonne- ment, se trouvait très inquiète et très affamée : elle n’avait pas touché aux navets. Flourens introduisit alors dans le tonneau un moineau auquel il avait arraché les plumes des ailes *. La taupe le flaira tout autour, en reçut quelques coups de bec, puis se précipita sur lui, lui déchira le ventre, grandit louver- ture avec ses ongles, et ent en peu de temps dévoré, avec une sorte de rage, la moitié de ce que contenait la peau. Flourens introduisit alors dans le tonneau un verre d’eau complétement plein ; il vit la taupe se dresser contre le verre, se tenir au bord avec ses pieds de devant et boire avec avidité; elle mangea en- core un peu du moineau et fut pleinement repue. L’expérimen- 1. Ces expériences sont, comme on le voit, très cruelles. Pour être justifiées, elles doivent être entreprises dans l'intérêt de la science, et considérées comme de véritables sacrifices. Et alors même on ne doit les faire qu'avec la plus grande réserve. Flourens, qui a martyrisé des milliers d'animaux, aurait probablement pu être plus économe de la vie de bêtes inoffensives. 22 LE MONDE ANIMAL. tateur lui enleva l’eau et les restes de l'oiseau; six heures après elle était déjà affamée, inquiète et affaiblie ; elle flairait continuellement de tous côtés. On lui donna une grenouille, qu’elle mangea immédiatement, en commençant par les intes- tins. Le surlendemain, pour son repas, on lui présenta un cra- paud. Dès qu’elle approcha de celui-ci, 1l se gonfla, et la taupe détourna son museau comme si elle eût éprouvé un dégoût in- vincible. Alors on ne lui donna que des carottes, des choux et de la salade. Le jour suivant elle était morte de faim sans avoir touché à rien. Trois autres taupes furent réduites à des racines et à des feuilles. Elles moururent de faim toutestrois. Plusieurs, au contraire, nourries de moineaux vivants, de grenouilles, de vers rouges, de cloportes, vécurent très longtemps. Lorsque les taupes attaquent les racines, c’est qu’elles y trouvent des vers, des insectes, et surtout des larves; la perte n’est pas grande alors pour l’agriculteur. Un savant professeur de Genève, M. Carl Vogt, a disséqué des taupes, prises dans leur demeure souterraine, et ne leur a ja- mais trouvé dans l’estomac que des troncons de vers rouges à moitié digérés, des débris de la tête, des pinces et des pattes du ver blanc, des élvtres, des anneaux, des pieds et d’autres débris cornés et indigérables de la carapace des coléoptères, des cuirasses de mille-pieds et autres larves souterraines : pas une fibre de plante, une feuille, un morceau d’écorce ou debois, pas une trace de matières végétales. En vérité, la taupe n'était-elle pas calomniée, quand on la traitait d’herbivore, elle l’animal féroce, hargneux, insociable, qui livre des combats à mort à toutes les créatures vivantes qu’elle rencontre sur son chemin, voire même à son sembla- ble, et qui passe toute l’année à chasser ? Mais à quoi ressemble cette taupe do nt nous avons déjà tant parlé, sans rien savoir de son aspect? Elle est de la taille d'un petit rat; nous avons dit qu’elle a de très petits yeux; elle manque d'oreilles externes; son museau est allongé en forme LA TAUPE. 23 de groin; ses larges pieds sont de véritables pelles ; son corps est épais et vigoureux; sa fourrure fine. On voit tout d’abord que c’est un animal fait pour fouiller. Les taupes, en effet, exécutent. sous terre des travaux vrai- ment remarquables. « Le solide fort qu'habite la taupe, dit encore M. Carl Vogt, est un édifice tout particulier et très artiste- LA TAUPINIÈRE ment construit. D’ordinaire il est situé dans un endroit abrité, sous une haie, un mur ou entre les racines d’un arbre, à la profondeur de trois pieds au-dessous du sol. Au milieu se trouve une chambre bien lissée à l’intérieur, affectant la forme d'une bouteille; elle est rembourrée de mousse et de tiges d'herbes fines que la taupe recueille la nuit sur le sol. La chambre a différentes issues : vers le bas un conduit en forme 21 LE MONDE ANIMAL. de siphon devient plus loin horizontal et débouche dans le tube de sortie commun; en haut, trois conduits courts mènent dans un chemin circulaire à quelques pouces au-dessus de la cham- bre. De ce cercle supérieur cinq à six petits tubes conduisent à un second chemin circulaire qui entoure la chambre et est à peu près au même niveau. Du grand chemin de ronde infé- rieur rayonnent en tous sens souvent jusqu’à douze conduits qui, après un petit parcours, se courbent et débouchent tous dans le tube de sortie commun : de cette façon la taupe a de tous côtés, dans sa chambre, des issues qui lui permettent de se sauver dans toutes les directions sitôt qu’un danger la me- nace. Le tube de sortie est un chemin large, bien battu et lissé en dedans, qui a souvent 100 et 150 pas en direction horizontale, et c’est à son extrémité que commence en réalité le terrain de chasse reconnaissable aux buttes soulevées. La taupe ne chasse jamais dans le voisinage immédiat de sa de- meure. Elle va s’y reposer quand elle à fini son repas. Au moins trois fois par jour, elle court chercher son gibier, et quand on connaît le conduit de sortie, indiqué par une teinte plus jaune du gazon, on peut facilement observer l'entrée et la sortie de la taupe, et la grande rapidité avec laquelle elle se meut dans son tube; il suffit d'y introduire des pailles très minces armées de pelits pavillons qui, en remuant, indiquent sa marche. Malheur à la pauvre soucis ou à la musaraigne égarée dans un semblable conduit ! elle est perdue sans ressource. € Au bout du tuyau de sortie commence le terrain de chasse, ui se compose de chemins sans régularité, creusés tout en chassant, car la taupe pousse la terre devant elle et, en la reje- tant dehors, forme des buttes de distance en distance. A chaque chasse elle creuse de nouveaux chemins, rejette de nouvelles buttes, et il est rare qu’elle repasse dans le même endroit. Les taupiers habiles savent très bien cela; aussi placent- ils leurs pièges dans le tube de sortie même où la taupe passe au moins six fois par jour, au grand étonnement des profanes Fe LEN * LES CHATS. 25 qui voient placer les pièges dans des endroits où l’on ne voit aucune taupinière. » IV. — LES CHATS On a réuni sous le nom de carnivores ou mangeurs de chair les animaux qui se nourrissent surtout de viande fraîche ou corrompue, et qui — il ne faut pas oublier ceci — sont caractérisés par trois sortes de dents : incisives à couronnes coupantes, canines fortes et pointues, éminemment propres à déchirer, et molaires souvent aussi tranchantes que des lames de couteau. Bien d’autres animaux vivent de proies : insecti- vores, chéiroptères, certains édentés, ete.; mais comme ils n’ont pas celte dentition complète et puissante des carnivores, ils forment des ordres différents. Les carnivores sont extrêmement nombreux; on les a divisés en plantigrades et en digitigrades. Les plantigrades marchent sur la plante des pieds, ce qui, en dépit de leur agilité extrème, leur donne l'air lourd et pataud; les digitigrades marchent sur les doigts, ayant la plante et le talon plus ou moins relevés. Les ours sont des plantigrades. La grande famille des chats, la non moins intéressante famille des chiens, appartiennent aux digitigrades. A voir notre chat domestique si doux, si patelin, si faible, si mignon, qui penserait tout d’abord qu'il est un cousin de ces grands carnassiers, le lion, le tigre, la panthère, dont les noms seuls évoquent des idées de carnage, et un cousin portant le même nom de famille? Rien de plus réel pourtant que cette - parenté : le lion, le Ligre, la panthère sont des chats tout comme notre minet, el la seule chose qui manque à celui-ci pour être un animal aussi féroce que ces redoutables tyrans du désert et des jungles, c’est la taille et la force proportionnée. Offrez à minet un morceau de sucre, de pain sec, il détourne la tête avec mépris ; mettez dans sa pâlée de petits morceaux | RE à et NT LOT, 26 LE MONDE ANIMAL. de pain etdepetits morceaux de viande, il mange d’abord ces der- niers, et ne touche au pain arrosé de jus que s’il a encore une faim sérieuse, et la certitude de ne plus rien recevoir de vous. Voulez-vous le combler de joie, donnez-lui de la viande crue, sanglante, assez tendre — sa mâchoire est trop faible pour qu’il mange avec plaisir des fibres coriaces, — vous le verrez avec sa langue rugueuse râper, en le léchant, le morceau qu'il aura choisi, puis, mettant la tête de côté, il le fera passer sous ses molaires coupantes et toujours bien aiguisées, pour le hacher comme chair à pâté. A-t-1l réussi à saisir le petit oiseau qu’il guette avec une infatigable patience, quel triomphe! quelle lenteur à tuer sa victime! Il déploie à son aise la grâce de ses manières, sa dextérité, la puissance que la nature lui a donnée sur les pauvres petites bêtes inoffensives, pour qui il est un monstre gigantesque. Le chat civilisé ne guette pas la souris avec le plaisir qu'il met à attendre l'oiseau. Pour ce paresseux, la souris à prendre, c’est le travail ; l’oiseau, c’est la chasse de juxe, le passe-temps de grand seigneur. Il est plus raffiné en cela que ses illustres parents, qui chassent surtout pour vivre; il est vrai que depuis si longtemps le chat habite les villes... Quand minet est aimable, ce qui lui arrive souvent, car il faut bien reconnaitre qu’il est plein de bonnes qualités, il joue avec vous d’une patte si douce qu’on dit : Il fait patte de velours. De tous côtés, en effet, celte patte ne vous présente que poils soyeux ; et quand elle se pose à terre, on ne l'entend pas plus que si elle se posait sur un épais tapis. Mais essayez un moment d’être malhonnèête pour votre compagnon de jeu, de lui tirer la queue ou les moustaches, et vous sentirez aussitôt sur votre main ou sur votre figure des griffes acérées qui vous laisse- ront de longues égratignures. Puis, ce méchant tour exécuté, minet se sauvera, cachant ses griffes, sans faire plus de bruit que sil les avait remises dans sa poche. Il ne les remet pas dans sa poche, mais il les rentre si bien LES CHATS. 27 dans un repli de la peau des pattes, disposé à cet effet, que quand il marche ou n’a pas à s’en servir, les méchantes griffes ne dépassent par aucun endroit. Et pourquoi cette précaution? Est-ce pour que les petites filles jouent plus aisément avec le chat? Pas du tout : c’est pour que les griffes ne s’usent pas et restent constamment fortes et pointues. Notre petit chat est un tigre en miniature : même dentition propre à couper et à déchirer; mème langue rude, mêmes on- gles rétractiles, même corps élégamment allongé, même tête petite et ronde, même queue aux balancements inquiétants, même allure silencieuse et à certains moments terriblement prompte. Tout cela gracieux chez le chat, effrayant chez le tigre. D'un coup de dent un tigre estropie un homme, d’un coup de griffe il le tue. Les tigres sont avec les serpents le fléau de l'Inde. Des quantités de créatures humaines sont journellement les victimes des uns et des autres. Aussi livre-t-on à ces vi- laines bêtes une chasse sans merci. En quatre ans, on a tué dans un seul district de l'Inde anglaise 1052 tigres ! Les rajahs, les nobles, les officiers anglais se font des fètes des chasses au tigre. Les éléphants! sont presque toujours de la partie ; car chas- ser le tigre à pied est une véritable imprudence ou au bout de deux ou trois fois on est tué — quand ce n’est pas du premier car ce sont des animaux fort industrieux. Des peuplades en- tières de castors se réunissent pour construire de petits vil- lages. Des maisons invariablement à deux étages attestent le cénie uniforme des architectes. Le garde-manger occupe le rez- de-chaussée, tandis que le repas de la famille se prend au pre- mier. Les murs et la partie supérieure de l’habitation sont d’une épaisseur remarquable et mesurent quelquefois jusqu'à plu- sieurs pieds. Au commencement des grands froids, l’extérieur est enduit d’une épaisse couche de boue qui se congèle immé- diatement, et qui a le double avantage de fermer toute issue au froid extérieur et de garantir l'habitation elle-même contre toute attaque. La sagacité du castor se montre encore dans le soin qu'il a, non seulement de faire ses provisions à l’avance, “al 1 A COUPER ENT SERV R U LE S ELLE 1 FORTES QU’ LS ES SO S NCISIVE LEURS I S DES ARBRE mais aussi de ménager à sa maison des galeries qui assurent sa retraite en cas de surprise. L'œuvre la plus extraordinaire des castors est celle des di- oues qu'ils jettent à travers les rivières et au bord des étangs. Celui qui voit une chaussée de castors, où qui surtout tra vaille à la défaire, reste étonné du mode de construction si simple et si remarquable de ce mur inébranlable, qui résiste victorieusement au tourbillonnement des flots d’un courant ra- pide. On se demande comment cette boue, pétrie et appliquée avec les pattes du castor, sans même que la queue ait joué dans ce travail son rôle de truelle, a pu devenir un ciment hydrau- lique que les années durcissent au lieu de le dissoudre. La gran- deur du travail étonne autant que sa perfection ; quelques-unes de ces chaussées sont d’une longueur considérable. La destruction du castor à été suivie en plusieurs endroits de la disparition de la forêt ou de sa transformation en prairies. Voici comment : Les castors, à une époque antérieure, ont éLé prodigieusementnombreux dans le Canada, encore aujourd’hui L9 4 LE MONDE ANIMAL. leur lieu de prédilection, — puisque partout on y trouve leurs digues ou chaussées. L’eau contenue par ces obstacles ne suivait pas sa pente naturelle : de là une infinité de lacs de toutes aimen- sions, qui conservaient l'humidité dans le sol et dans l’atmos- phère, et aidajent ainsi à la croissance des bois, en même temps qu'ils les protégaient contre les incendies dévastateurs. Après la mort des castors, les travaux d’entretien ayant été abandonnés, les canaux de décharge que ces uliles quadrupèdes ouvraient ou fermaient suivant Pexigence des circonstances, ont laissé échap- per l’eau que renfermaient les étangs, qui se sont desséchés. Les bois, qui r’avaient plus autant d'humidité, ont langui; puis le feu à passé par là, et cet élément destructeur, ne trou- vant plus d'obstacles, n’a laissé d’autres vestiges de la forêt que les nombreuses digues consiruites autrefois par les castors. Le castor vit surtout de foin, de racines et d’écorces d’arbres; mais à l’état de domeslicité, où on le réduit facilement, il se LE MÉGATHÉRIUM. 43 nourrit de tout ce qu’on lui donne. Il paraît même qu'il est très friand de plum-pudding. Les longues incisives du castor étaient autrefois employées par les sauvages pour creuser le bois. Aujourd’hui on tire de l'animal un parti plus en rapport avec la civilisation : sa chair fournit un aliment abondant, et sa peau une solide fourrure. Cette fourrure a deux parties : le long poil, généralement d’un brun roux; et le sous-poil, duvet d’une extrême douceur, qui autrefois donnait une grande valeur à la peau du castor, lors- qu'il était la matière unique du feutrage. Bien que le nombre des castors ait fort diminué, la Compa- gnie de la Baie d'Hudson s’est procuré, l’une de ces dernières années, 63 374 peaux. Il y à encore quelques rares castors en Europe. On en trouve en Allemagne et sur les bords du Rhône; mais au lieu de maisons ils habitent de simples terriers. Nos pères qui les ont connus les appelaient, paraît-il, des bièvres, et c’est de là que viendrait le nom de notre Bièvre parisienne, qui, limpide et charmante dans la vallée de Chevreuse, finit en égout dans la Seine. VII. — LE MÉGATHÉRIUM En 1789, le vice-roide Buenos-Ayres cavoya à Madrid un sque- lette qui provoqua un étonnement profond. Comparable à l’élé- phant seul par sa taille énorme, l'animal dont on avait retrouvé les débris différait à première vue du gigantesque proboscidien. Après avoir été évidemment l’un des tyrans du monde organique, il représentait donc une espèce disparue de la nature actuelle. C’est sur les bords du fleuve Luxan, à trois lieues au sud- ouest de Buenos-Ayres, que l'étrange trouvaille avait été faite, et l'intérêt qu’elle excita augmenta beaucoup encore quand deux autres squeleltes, tout semblables au premier, eurent été ren- contrés à Lima et dans le Paraguay. Le grand naturaliste Cuvier, à qui revient la gloire d’avoir 44 LE MONDE ANIMAL. exhumé de leur tombe une foule d'espèces animales rayées du nombre des vivants, et qu'on pouvait croire vouées à l’oubli, Cuvier étudia d’une manière spéciale le monstre américain, le mégathérium!, comme on lappelle. Il trouva que les seules bêtes vivantes qui puissent lui être comparées sont de dimen- sions infiniment moindres. On les a réunies depuis longtemps. sous le nom d’édentés, qui fait allusion à l’absence d’incisives à SQUELETTE RESTAURÉjDE MÉGATHÉRIUM leur mâchoire, dont toute la partie antérieure est absolument démeublée. Les édentés qui vivent à présent, et qui sont exactement con- finés dans les régions tropicales, se présentent comme des êtres inférieurs à la plupart des mammifères. La lenteur de leurs 1. Ce nom a été fabriqué par la soudure de deux mots grecs et signifie litté- ralement gros animal. F- , * LE MÉGATHÉRIUM. 45 mouvements, si frappante qu'un édenté s'appelle le paresseux, les écailles imbriquées sous forme de carapace qui recouvrent le dos des tatous, la pelitesse de leur cerveau, sont autant de traits qui rapprochent ces êtres dégradés de la classe des rep- tiles. Le mégathérium devait partager avec les édentés actuels ces divers caractères d’infériorité relative, mais sa taille gigantesque et son énorme force musculaire devaient le dédommager amplement. Privé d'armes proprement dites, il avait contre ses ennemis une défense efficace dans sa masse elle-même, qui le rendait semblable à une véritable citadelle vivante. Il est admirable que l’on sache beaucoup de chose des mœurs et du genre de vie d’un être dont personne n’a rien vu que les ossements épars. Les notions recueillies dans cette voie sont positives, et il est facile de comprendre en quelques mots com- ment on les a acquises. Ainsi la forme large et aplatie des dents du mégathérium suffit à montrer qu’il se nourrissail exclusivement de feuilles et de fruits. Vous savez en effet que, si le régime carnivore exige des dents aiguës et tranchantes comme celles des chats et des chiens, la nourriture végétale, qui a besoin d’être, non pas cou- pée, mais écrasée, demande, au contraire, des dents construites comme de véritables meules. D'un autre côté, la disposition des jambes fait voir que le grand édenté fossile, loin d’être un coureur, n’était même pas un marcheur de profession. Il devait se déplacer fort peu, pares- seusement, et cela suffirait aussi à prouver qu’il n’était pas car- nassier, condition qui réclame l’agilité nécessaire à la poursuile de la proie. De plus, on remarque que les jambes de derrière diffèrent beaucoup de celles de devant. Elles reposaient sur le sol par leur plante, comme font les pattes des ours, mais beau - coup plus solidement encore, grâce à un talon extrêmement solide et proéminent, s’éloignant autant derrière la jambe que le bout des doigts s’en éloignait par devant; au contraire, les 46 LE MONDE ANIMAL. pattes antérieures, munics de doigts aux phalanges énormes et aux ongles tranchants, semblent avoir eu des fonctions toutes spéciales. La queue du mégathérium doit avoir contribué à l'assiette de l'animal en complétant avec les pieds de derrière un trépied sur lequel il pouvait s'établir d’une manière inébranlable. Sa tête, relativement très petite, devait alors s'élever très haut et ses deux bras puissants pouvaient faire une rude besogne. Quant à la nature de cette besogne, ce qui précède suffit à la faire pressentir. Mangeur de feuilles et doué, vu sa taille, d’un appétit immense, le mégathérium devait habiter les forêts. Mais, moins heureux que le paresseux d'aujourd'hui, 1l était rivé à terre par la lourdeur de ses formes, et l'ascension des arbres lui était interdie. Il eût donc succombé au supplice de Tantale s’il n'avait eu dans ses doigts d’incomparables outils de défri- chement. On se représente le colosse solidement établi au pied de l'arbre dont il convoite les frondes, en sapant la base, en cou- pant les racines, travaillant sans hâte et sans relâche jusqu’à ce qu’il puisse dépouiller deses feuilles et de ses fruits le bouquet de rameaux tombé à ses pieds comme la récompense de ses efforts. Toutefois, mangeur sans prévoyance, dévastateur sans réserve, il a péri victime de sa gloutonnerie; car il a suffi que la forêt, théâtre et matière première de ses festins, n'ait pu réparer ses pertes assez vite, pour que, ne trouvant plus auprès de lui les conditions d’abondance favorables à son avidité, il ait été voué lui-même à une destruction complète. VIII. — L'ÉLÉPHANT Ce qui frappe tout d’abord dans l'éléphant, plus peut-être que sa haute taille qui en fait le plus grand des mammifères terrestres, c’est le merveilleux instrument si souple, si délicat, qui manie les plus petits objets avec dextérité, ct qu’on appelle la trompe. LES ANGLAIS EURENT L’'IDÉE DE FAIRE PORTER PAR CES COLOSSES LEURS CANONS ARMSTRONG 48 LE MONDE ANIMAL. La trompe n’est autre chose que le nez de l'éléphant, et lorsque, au Jardin des Plantes, il veut prendre le pain que vous lui donnez, il vous montre très bien ses deux narines. On réunit les éléphants sous le nom de proboscidiens. Les proboscidiens ne comptent aujourd’hui que deux es- pèces : l'éléphant des Indes et l’éléphant d'Afrique. Comme détails remarquables dans léléphant, après la trompe, viennent les défenses, qui ne sontautres que les canines démesurément développées. Quelques races seulement d’éléphants sont dépourvues de défenses. L'intelligence de l’éléphant est encore plus étonnante que sa figure imposante et bizarre. Le dieu hindou de la Sagesse, Ganésa, a une tête d’éléphant. Dès la plus haute antiquité on employait les éléphants à la guerre. Les historiens rapportent même qu’on les enivrait pour les rendre furieux. Les éléphants apportaient une force considérable à l’armée qui les possédait, et plus d’une fois ils décidèrent de la victoire. Les Indiens et les Anglais les utilisent encore aujourd’hui de cette façon barbare. Lors de la guerre d'Abyssinie, les Anglais eurent en effet l’idée de faire porter par ces colosses leurs canons Armstrong. Chargé de la sorte, chaque éléphant n'avait pas sur le dos, en y compre- nant le bât et le harnachement, moins de 650 kilogrammes. Quelques-uns même portaient le poids formidable de neuf quintaux métriques. La difficulté dans cette entreprise n’était pas de faire marcher les dociles animaux avec cette charge, mais de la leur mettre sur le dos. On imagina alors de se servir de rampes sur les- quelles on faisait glisser les fardeaux. Ces rampes reposaient sur les flancs de l’éléphant accroupi qui, pendant tout le temps que durait l'opération, ne bougeait pas plus qu’une statue de pierre. Les fardeaux étaient retenus à l’aide d’une corde que l’on faisait passer sur le dos de l'animal et à laquelle se cramponnaient L'ÉLÉPHANT. 49 cinq ou six hommes, pendant que quelques soldats groupés le long des rampes tiraient le fardeau pour l’obliger à monter. Il y a actuellement plus de mille éléphants attachés dans les Indes aux services militaires. Les éléphants sont souvent employés aux travaux de con- struction. [ls apportent eux-mêmes les pierres, et les posent si délicatement, qu'il suffit, pour les ajuster, de quelques coups de la pince du maçon. Quand un éléphant veut retourner un bloc de pierre très lourd, il commence par le soulever avec le front autant que possible; il appuie ensuite les genoux contre le bloc, qu'il fait rouler en le poussant en avant, et il continue de la sorte jusqu’à ce qu’il ait placé la pierre à l'endroit indi- qué par l’homme qui le dirige. S'agit-il de trainer des chariots, et le poids paraît-il trop lourd à l’éléphant pour être entrainé lentement, 1l balance son corps deux ou trois fois, puis porte toute sa masse contre le collier, tire et part au trot. Les éléphants les plus estimés dans ces contrées sont ceux de l’île de Ceylan. On les vend à l’encan, et le marché attire généralement un grand nombre d’acquéreurs; celui de Mysore est particulièrement célèbre. Les éléphants à vendre ne doivent pas être âgés de moins de douze ans; c’est entre douze et quarante-cinq ans qu’on en tire le plus de services. {l peuvent bien travailler jusqu’à quatre- vingts ans. Chaque éléphant porte en moyenne une charge six fois plus forte que ne pourrait le faire un bœuf; mais aussi sa ration quotidienne est considérable : 20 à 30 livres de riz, mêlées à 3 onces de sel et 2 onces d'huile, ou bien 185 livres de fourrage sec ou 250 livres de fourrage vert, voilà ce qu’il lui faut à peu près pour la nourriture d’un jour. Voici comme on s'y prend pour capturer les éléphants à Ceylan. Les indigènes construisent à l’aide d’énormes piquets fichés en terre un enclos qu’ils nomment le corral, et qui est d’une superficie assez étendue. Les piquets sont reliés par des câbles LE MONDE ANIMAL. + 50 LE MONDE ANIMAL. formés de roseaux des jungles entrelacés. Une partie de l’enclos reste ouverte. Quand les traqueurs en chasse réussissent à trouver un troupeau d’éléphants, ils lenveloppent; et par leurs exclamations, leurs tam-tam, l’infernal tapage qu’ils pro- duisent, ils font sauver les éléphants qui se précipitent en nombre dans le corral. L'ouverture de celui-ci est alors fermée. Quand les éléphants pris au piège sont devenus plus paisibles, quand ils commencent à s’accoutumer à une foule nombreuse et au bruit, on cherche à les attacher; mais quelquefois ils se ruent contre la palissade pour tâcher de l’enfoncer, y réus- sissent et s’échappent. Sans l’aide des éléphants apprivoisés on ne parviendrait pas à attacher les éléphants capturés. Au moment favorable, les chasseurs pénètrent dans l’enclos sur le dos d’éléphants dressés ; puis se glissent par terre en se cachant derrière leurs jambes, et jettent des cordes au-dessus du pied des éléphants sauvages. [ls parviennent à lier ceux-ci très solidement en faisant un double nœud à la corde, dont ils entourent l’autre extrémité au tronc de grands arbres ou à des pieux. Les éléphants du corral sont domptés par un jeûne prolongé, et finissent par s’accoutumer à l’homme qui leur apporte la nourriture. A l’état sauvage, l'éléphant habite de préférence les forêts. Comme les autres grands animaux, 1l n’a pas de chemins habituels ni de directions régulières; il erre çà et là à l’aven- ture dans les bois pour y chercher sa nourriture. Cependant, quand un endroit lui plait, son habitude est d’y rester quelque temps, et il ne s’en laisse pas déloger facilement. Les Africains chassent l'éléphant pour recueillir l’ivoire de ses énormes défenses. De tous les points du continent on en expédie des quantités considérables vers la côte, où l’on sait que les navires viennent l'acheter avec empressement. Ce com- merce a valu à une partie de la Guinée le nom de côte de l’Tvoire. LE CHEVAL. 51 L'hippopotame fournit également de livoire aux peuples d'Afrique; il n’a pas de défenses, mais ses grandes incisives donnent des quantités d'ivoire qui ne sont pas à dédaigner. On mange la chair de l’éléphant partout où on le tue; mais au sujet de sa valeur comestible les avis des voyageurs sont fort partagés : Du Chaïllu la déclare détestable; Le Vaillant en fait ses délices. Selon ce dernier, la trompe et les pieds surtout sont choses absolument exquises. Pour les faire cuire, les chasseurs mettent ces morceaux dans des trous creusés en terre et chauffés par des cailloux rougis au feu. IX. — LE CHEVAL « Est-ce toi qui as donné la force au cheval, qui as hérissé son cou d’une crinière mouvante ? « Le feras-tu bondir comme la sauterelle? Son souffle ré- pand la terreur. € Il frappe du pied la terre, il s’élance avec orgueil, il court au-devant des armes. « Il se rit de la peur, il affronte le glaive. « Sur lui le bruit du carquois retentit, la flamme de la lance et du javelot étincelle. «Il bouillonne, il frémit, il dévore la terre. € A-t-il entendu la trompette? C’est elle. Il dit : Allons, et de loin il respire le combat, la voix tonnante des chefs et le fracas des armes. » (Job, ch. xxxix, v. 19 à 25.) Cette énergique et célèbre peinture s'applique au cheval de guerre. L'homme a tellement transformé ce noble animal en le faisant son associé, que, malgré sa tranquille nature d’her- bivore, le cheval est devenu aussi courageux et aussi ardent aux combats que lui-même. L'accord du cheval et du cavalier est si absolu, ils sont si bien proportionnés l’un à l’autre, que les Mexicains, qui n'avaient jamais eu l’idée de monter les animaux, crurent, en 52 LE MONDE ANIMAL. voyant Fernand Cortez et ses compagnons sur leurs chevaux, apercevouw des êtres fantastiques, tout-puissants, moitié hommes, moitié animaux ; — hommes pour lintelligence, ani- maux pour la force et la rapidité. [ls s’enfuirent épouvantés. Jadis les Grecs éprouvèrent semblable frayeur à la vue des Seythes, les inventeurs de l’art du cavalier; et leur gracieuse et féconde imagination créa le Centaure, être presque divin, habile dans l’art de guerir, instituteur des fils de Jupiter. Le cheval n’a de nos jours rien perdu de la considération qu'on lui témoignait autrefois; il est l’objet de mille soins; c’est l'animal de luxe par excellence, c’est l’utile bête de somme employée au transport de tous les fardeaux. Pour nous, c’est un allié; pour les Arabes, c’est un ami, et les trouvères qui vont de tribu en tribu, chantent aux acclamations de tous des vers en son honneur : Mon cheval est le seigneur des chevaux! Il est bleu comme le pigeon sous l'ombre, Er ses crins noirs sont ondoyants, Il peut la soif, il peut la faim; 1l devance le coup d'œil. Et véritable buveur d’air, Il noircit le cœur de nos ennemis. Aux jours où les fusils se touchent, Mebrouk est l’orgueil du pays !. La race arabe est peut-être, en effet, la plus estimée de toutes. Quelques-unes de ses qualités se retrouvent dans les chevaux anglais. Les Arabes sont extrêmement jaloux de leur cheval. Au temps de sa puissance, Abd-el-Kader punissait de mort quiconque était convaincu d’avoir vendu un cheval à un chrétien, dans le Maroc, on frappe l'exportation des chevaux de droits tels, que la permission d’en exporter devient illu- soire ; à Tunis, on ne cède qu’à des considérations impérieuses de politique; de même dans tous les États musulmans. Mais 1. Vers cités dans le livre du général Daumas, Les Chevaux du Sahara. LE CHEVAL. 53 maintenant que l'Algérie est à nous, il est facile de répandre en Europe cette race précieuse, et c’est ce que lon commence à faire. L'amitié ombrageuse des Arabes pour leurs chevaux s’ex- plique aisément. « Chez un peuple pasteur et nomade !, qui rayonne sur de vastes pâturages et dont la population n’est pas en rapport avec LE CHEVAL ARABE l'étendue de son territoire, le cheval est une nécessité de la vie. Avec son cheval, l’Arabe commerce et voyage, il surveille ses nombreux troupeaux, il brille au combat, aux noces, aux fêtes de ses marabouts; l’espace n’est plus rien pour lui. « L’amour du cheval est passé dans le sang arabe. Ce noble animal est le compagnon d'armes et l'ami du chef de la tente, c’est un des serviteurs de la famille; on étudie ses mœurs, ses besoins, on le chante dans des chansons, on l’exalte dans les causeries. Chaque jour, dans ces réunions en dehors du douar, 1. Général Daumas, les Chevaux du Sahara. 54 LE MONDE ANIMAL. où le privilège de la parole est au plus âgé seul et qui se dis- tinguent par la décence des auditeurs assis en cercle sur le sable ou sur le gazon, les jeunes gens ajoutent à leurs connais- sances pratiques les conseils et les traditions des anciens. La religion, la guerre, la chasse et les chevaux, sujets inépui- sables d'observations, font de ces causeries en plein air de véritables écoles où se forment les guerriers et où ils dévelop- pent leur intelligence en recueillant une foule de faits, de pré- ceptes, de proverbes, de sentences, dont ils ne trouvent que trop l'application dans le cours de la vie pleine de périls qu’ils ont à mener. C'est là qu'ils acquièrent cette expérience hip- pique que l’on est étonné de trouver chez le dernier cavalier d’une tribu du désert. Il ne sait ni lire, ni écrire, et pourtant chaque phrase de sa conversation s’appuiera sur l'autorité des savants commentateurs du Koran ou du Prophète lui-même. » Voici le portrait que les Arabes donnent du cheval de race, du buveur d'air. Le cheval de race est bien proportionné: 1l a les oreilles courtes et mobiles, les os longs et minces, les joues dépour- vues de chair, les naseaux larges « comme la gueule du lion », les veux beaux, noirs et à fleur de tête, l’encolure longue, le poitrail avancé, les hanches fortes, la croupe arrondie, les crins fins et bien fournis, la chair dure, la queue très grosse à sa naissance, déliée à son extrémité. Les couleurs les plus estimées pour la robe sont : le blanc : « Prenez-le blanc comme un drapeau de soie », avec le tour des yeux noirs; le noùr : « Il le faut noir comme une nuit sans lune et sans étoiles »; le bai, presque noir ou doré; l’alezan (le Prophète affectionnait les alezans); le gris foncé pommelé. Les chevaux pies sont méprisés; les Arabes disent qu’ils sont « les frères de la vache ». Les marchés où se vendent les chevaux sont choses curieuses à voir. L’Arabe méprise les ruses de nos maquignons pour ca- cher les défauts de l'animal, mais il emploie un luxe de paroles LE CHEVAL. 55 tout oriental qui peut séduire des gens sensibles aux méta- phores. Ainsi, en inontant son cheval, il vous dira : « Découvre son dos et rassasie ton œil! » Il ajoutera : « Ne dis pas que c’est mon cheval, dis que c’est mon fils. « Il est pur comme de l'or. « Il a la vue si bonne qu’il voit un cheveu pendant la nuit. « Il atteint la gazelle. « Il dit à l’aigle : Descends ou je monte vers toi. I comprend aussi bien qu’un fils d'Adam, il ne lui manque que la parole. » Et autres exagérations tout aussi poétiques. Dans un pays où le cheval est en tel honneur, les maréchaux ferrants jouissent de privilèges sans nombre. Ce sont les ar- tistes du désert; ils sont en même temps armuriers ; et dans chaque tribu ils habitent un douar séparé, appelé le douar des maîtres. Ils ne payent pas de contributions; la tribu se cotise pour leur acheter des grains dans le Tell; au printemps, ils re- çoivent une toison de brebis; quand on tue un chameau pour la boucherie, ils en prélèvent leur part; dans les razzias et les expéditions, qu’ils aient ou non assisté à l’entreprise, ils ont droit à une part de butin; si, à la guerre, ils font partie d’un goum vaincu, ils ont la vie sauve. Tout le luxe des Arabes se fait voir dans les armes et dans le harnachement des chevaux; car si le Prophète a sévèrement défendu l'or dans les habits des hommes, il l’a, par contre, au- torisé, prescrit même pour l'équipement du cheval. Celui, a-t-1l dit, qui ne craint pas de dépenser pour l'entretien des che- vaux de guerre sainte, sera considéré, après sa mort, à l’égal de celui dont la main aura toujours été ouverte {. Aussi n’est-il pas rare de voir encore maintenant un chef arabe posséder des selles de deux à trois mille francs. — « 1. Qui aura fait beaucoup d'aumônes. ob LE MONDE ANIMAL. Dans l'opinion des Arabes, le cheval vit de 20 à 25 ans, et la jument de 95 à 30. C’est de 7 à 14 ans que l’animal est le plus apte à supporter les fatigues de la guerre. Pendant cette période, il doit pouvoir porter un homme fait, ses armes, ses vêtements de rechange, des vivres pour tous deux, un drapeau, trainer au besoin un cadavre et courir toute la journée sans penser ni à boire ni à manger. Ces chevaux peuvent faire, quand il y va de la vie de leur maitre, 80 lieues en 24 heures. Le cheval arabe, comme le cheval anglais, comme les gros chevaux normands, de mème que les ânes, les hippopotames, les cochons, appartiennent à l’ordre des pachydermes ordinaires ou animaux à peau épaisse. Pour le cheval et l'âne on a fait la section des jumentés; pour le cochon et l’hippopotame, celle des porcins. X. — LE DROMADAIRE Le dromadaire fait partie de l'ordre considérable des rumi- nants. Les ruminants sont des animaux qui mangent de l'herbe, nourriture peu substantielle qui doit être absorbée en grandes quantités, et pour cette raison exige des organes digestifs trés puissants. Puisque nous prononçons ici ces mots, organes digestifs, 1l faut bien que nous vous parlions un peu de la digestion et des moyens par lesquels elle s’accomplii. Son principal objet est de fournir au corps de l’homme et des animaux ce qui est nécessaire à son entretien, c’est-à-dire de quoi faire les os, les muscles, les tendons, elc., et remplacer ce qui s’en va dans ces différentes parties, en réparant ce qui est consommé par le faitmême de la vie. Les aliments sont les ma- tériaux de cet entretien de tous les jours. Mais, pour être intro- duits dans la masse du sang, ils ont besoin de subir une trans- LE DROMADAIRE. 57 formation complète, de devenir, quelle que soit leur consis- fance, leur forme, leur couleur première, un liquide d’un blanc laiteux, qu’on appelle le chyle. Ce qui ne peut subir cette modification est rejeté. La transformation des aliments en chyle se fait sous lin- fluence successive de trois liquides : la salive, qui se trouve dans la bouche; le suc gastrique, que sécrète estomac; le suc pancréatique, qui est déversé dans lintestin par une grosse glande appelée le pancréas. Toutefois l’action des liquides » : suffit pas ou du moins se- rait infiniment trop lente. Les aliments sont soumis en outre à des actions mécaniques qui les broient, les malaxent, les retour- nent, les mêlent de plus en plus avec les liquides digestifs. La première de ces actions mécaniques est la mastication, faite par les dents, et si indispensable que les gens qui ont de mau- vaises dents ont presque toujours de mauvaises digestions, et qu’il est très malsain de manger trop vite, parce qu’alors les aliments ne sont pas suffisamment triturés. Les autres actions mécaniques ont lieu dans l'intestin et dans l’estomac, qui sont dans un mouvement perpétuel. Qu'est-ce que la bouche, l'estomac et les intestins? — Diffé- rentes parties du long tube où s’accomplit la digestion, et qui çà et là se trouve renflé en certaines cavités, dont la première est la bouche. La bouche communique avec la partie qu’on appelle arrière-bouche ou pharynx. Dans le pharynx s’ouvre l’œso- phage, tube qui conduit les aliments dans l'estomac. L’estomac est une sorte de réservoir qui garde les aliments un certain temps, et qui comprend une ou plusieurs loges, quatre chez les ruminants, trois chez les oiseaux, une chez l’homme et beaucoup d'animaux. Il a deux ouvertures, dont l’une, comme nous venons de le voir, reçoit tout ce qui vient de l’æsophage, et dont l’autre, beaucoup plus étroite, ne laisse passer qu’une certaine substance, qui pénètre alors dans l’in- testin. L’intestin est la plus longue portion du tube diges- 58 LE MONDE ANIMAL. tif. D’après les dimensions de son diamètre, on l’a divisé en deux parties : intestin grêle etgros intestin. L’intestin grêle est la partie qui tient à l'estomac. C’est là que les aliments se changent complètement en chyle. La longueur de l’inteslin varie suivant le genre de nourriture des individus. C’est chez les carnivores qu’il est de moindres dimensions. Chez l'homme il mesure environ douze mètres, chez le bœuf 50 mètres, c’est-à-dire 20 fois au moins la longueur du corps. Cette masse d’intestins est destinée à prendre tout ce qu’il peut y avoir de bon dans les herbages et fourrages absorbés par l’animal. Dans certaines espèces, le cheval, par exemple, il y a même au com- mencement du gros intestin une sorte d'estomac supplémen- taire où s'accumulent les matières non attaquées par les sucs digestifs, et où quelques-unes se décident enfin à abandonner quelque chose de profitable à l'animal. Cette partie de l’intes- tin s'appelle le cæcum. Donc les ruminants ont quatre divisions dans leur estornae, qui est considérable. [ls sont au pâturage, broutent abondam- ment, avalent avec précipitation. Les aliments tombent alors dans la partie qu’on appelle la panse. Peut à petit la panse laisse passer les herbes dans la seconde partie, qui est le bonnet. La fonction du bonnet est de mouler en petites pelotes ce qu’il reçoit de la panse. Les petites pelotes remontent une à une par l’œsophage dans la bouche À ce moment l’animal aime à se tenir tranquille, il rumine, c’est-à-dire mâche et insalive de nouveau ces aliments que lui renvoie l'estomac. Les aliments ruminés passent directement dans le feuillet, et commencent à y subir la digestion stomacale. Ils pénètrent ensuite dans la quatrième et dernière cavité, la caillelte, — ainsi nommée à cause de son action sur le lait, — et qui répond à la partie de notre estomac en communication avec l’intestin. L'ordre des ruminants est nombreux. Tous les animaux qui le composent sont des êtres paisibles, dont quelques-uns seulement sont capables de se défendre, et qui, pour la plupart, C’EST SUR SON DOS QUE LES TOUAREGS ÉCUMENT LE SAHARA 60 LE MONDE ANIMAL. rendent d'immenses services à lhomme, qu’ils servent, vêtis- sent et nourrissent depuis un temps immémorial. Pour classer ies ruminants, on à égard aux différences que présentent leurs cornes. D'abord viennent ceux qui ne possèdent pas ces appendices, parmi lesquels nous citerons les caméliens (chameau, droma- daire, etc.); puis les bovidés, chez qui ils consistent en un os recouvert d’un étui dont la substance est la véritable corne. Cet élui peut se détacher, non los qui tient au frontal ; les bovi- dés comprennent les bœufs, les moutons, les chamois, etc.; eniin 11 v a les cervidés, dont les cornes, appelées bois, sont ramifiées, recouvertes d’une simple peau, et tombent tous les ans comme du bois mort, pour repousser peu après avec un rameau de plus. Le genre qui a donné son nom à cette sub- division de ruminants est le genre cerf, dont l'espèce la plus intéressante est celle du renne. La femelle du renne porte des bois comme le mâle, ce qui n’a pas lieu pour celles des autres cervidés. Comme exemple parmi les caméliens nous prendrons le dro- madaire, avec lequel nous resterons au milieu des Arabes. Si pour ceux-ci le cheval est la monture de luxe, le dromadaire est la bête de somme infatigable, et quelquelois même l’heureux émule du célèbre coursier. C’est lui qui dans les migrations porte le palanquin des femmes. C’est sur son dos que les Toua- regs, surnommés les pirates du désert, écument le Sahara en pillant toutes les caravanes qu’ils rencontrent. Le signe distinctif du dromadaire, c’est d’avoir sur le dos une protubérance graisseuse appelée bosse; son voisin le chameau, avee lequel on le confond souvent, en a deux. Si le dromadaire se rencontre surtout en Afrique, le chameau ne se voit guère qu’en Asie, où il arpente les steppes de Gobi, pen- dant que le premier parcourt les champs d’alfa du Sahara. On peut dire qu’ils possèdent toutes les vertus qu’il soit donné à des animaux d’avoir : intelligence, douceur, courage, GR LE DROMADAIRE. 61 résignation, patience, docilité, sobriété, force indomptable. Leurs beaux veux, tendres et un peu tristes, disent toute leur vie de travail et d'efforts incessants. La vie de l’un et de l’autre est bien intéressante; c’est la même, pour ainsi dire, dans des milieux différents. Chez le dromadaire et chez le chameau lestomac présente celte particularité que la panse est garnie de groupes de cellules qui semblent destinées à servir de réservoir aux boissons; les aliments solides s'engagent moins facilement que les liquides dans ces cellules dont l'entrée est plus étroite que le fond. L'eau s’y conserve comme dans de petites bouteilles ; et il parait qu'au moment de la rumination elle remonte dans la bouche sèche de l'animal pour Paider à triturer l'herbe presque toujours brûlée dont il se nourrit. C’est en vertu de celte conformation que le dromadaire et le chameau peuvent se passer de boire pendant l’étonnante durée de dix jours, dans _des contrées exposées au soleil le plus ardent, où les sources sont souvent à des distances énormes les unes des autres. Aussi, avec quel prodigieux instinct savent-ils sentir la source à plus d’une demi-lieue de chemin! « Pour apprécier la grandeur du bienfait du Créateur, en donnant le dromadaire à l’homme condamné à parcourir ces immenses solitudes, et exposé à s’y égarer, qu’on se figure, dit Golberry, l'affreuse détresse de quelques voyageurs qui ont perdu leur route au milieu d’un océan de sable mouvant, dont les vents impétueux agitent et tourmentent la surface. « L’horizon n’est plus éclairé que d’une lumière incertaine et faible ; le soleil est obscurci par des nuages de poussière qui remplissent le ciel, qui retombent sur la terre, et au travers desquels l’œil cherche en vain à reconnaître quelques signes indicateurs de la direction qu’il faudrait suivre pour trouver un port de salut. « L’eau que les dromadaires portent renfermée dans des outres est ou évaporée par l'excès d’une chaleur brülante, ou 62 LE MONDE ANIMAL. consommée ou corrompue ; les hommes et les animaux, épuisés par de trop longues ou de trop nombreuses journées de fatigue, d’abstinence et d'angoisse, ne se traînent plus que d’un pas chancelant. « Une partie des dromadaires a été déjà sacrifiée, et leurs flancs ont été ouverts pour y recueillir cette eau, qui se garde saine et pure dans ces citernes vivantes; à peine a-t-elle suffi pour prolonger de quelques moments une vie défaillante ; les dromadaires qui ont survécu à ces massacres commandés par la nécessité, sont ménagés pour la dernière ressource ; mus sil faut en venir là, tout est perdu, et l’on n’a plus devant soi que le désespoir et la mort. «Quand, au terme de ces cruelles extrémités, l’instinet de ces animaux est averti de la présence d’une fontaine, ils tressail- lent; leur courage se ranime, et leurs mouvements convulsifs apprennent aux voyageurs désespérés que Pinstant de ia déli- vrance est arrivé; tous s’élancent d’un pas rapide vers la source conservatrice d’une vie qu’on allait perdre, et c’est le droma- daire, c’est cet animal saint et sacré, qui dans ces horribles cir- constances sauve la vie de l’homme. » Les pieds du dromadaire et du chameau sont faits pour mar- cher dans les sables fins et mouvants; le dessous en est large, fort charnu et revêtu d’une peau molle, épaisse et peu calleuse; ces pieds sont fendus par-dessous, de l'avant à l’arrière, sur les deux tiers de leur longueur, et munis au bout de deux petits ongles. Les jambes et le cou sont fort longs, et ce dernier se com- porte comme un balancier; la tête est petite à proportion du corps ; le museau allongé et fendu. Les dromadaires qu’élèvent les Arabes sont en général de couleur fauve, ou brune, ou cendrée ; comme tous les caméliens (lama, vigogne, alpaca), ils ont à certaines parties du corps des poils très longs et très soyeux, dont on se sert pour faire des tissus que les Arabes emploient à la confection de leurs tentes LE DROMADAIRE. 63 et de leurs vêtements. Le tissu des tentes est si serré et si épais, qu'il est imperméable à la pluie. Bien plus, le poil de chameau est employé par les Arabes pour faire des vases, des espèces de seaux dans lesquels on va chercher l'eau. On ne trouve plus ni chameaux ni dromadaires à l’état sau- vage; partout ce puissant animal est l’esclave de l’homme. Son éducation commence pour ainsi dire dès sa naissance, et elle est rude, comme on va le voir. Dès l’âge d’un mois, le petit est séparé de sa mère, qui ne peut plus l’approcher qu’à des heures réglées, et déjà le malheureux nourrisson est forcé d'apprendre l’abstinence : on ne lui accorde qu'une partie du lait que la nature lui avait des- tiné, le reste est employé aux besoins de la maison. Bientôt après on le condamne à une véritable torture : on lui plie les quatre pieds sous le ventre, absolument dans la situa- tion qu'il devra prendre pour recevoir sa charge et pour la quitter, son corps est couvert d’un tapis ou d’un morceau de tente, qui ne lui laisse de libre que la tête et le cou, et afin qu’il ne puisse ni remuer, ni se lever, les bords de cette couverture sont arrêtés par un grand nombre d’objets lourds et pesants. On le laisse longtemps de la sorte, et cette pénible gymnas- tique est souvent répétée : ce qui donne si bien à l’animal l’ha- bitude de la situation accroupie, qu’elle lui devient naturelle et qu'il la prend au moindre signal. C’est aussi dans un âge très tendre, à six ou sept mois, qu’on accoutume le dromadaire à dormir sous sa charge, dont on aug- mente le poids à mesure qu’il grandit et prend des forces; et c’est ainsi qu'il devient peu à peu, comme l’a dit Buffon, « une voiture vivante qu’on laisse quelquefois chargée plusieurs jours de suite, sans un seul moment de relâche ». Les Arabes choisissent les plus forts etles plus légers de leurs dromadaires pour les dresser à la course et à la guerre. Ils leur donnent de l’émulation en les faisant courir avec des chevaux. Dans ces courses, le cheval devance de beaucoup le droma- 64 LE MONDE ANIMAL. daire au commencement de sa carrière; mais, après quelques heures, épuisé d'efforts et de fatigue, 1l est forcé de ralentir sa vitesse, et enfin de s'arrêter ; le dromadaire, au contraire, pour- suit sa route, toujours au grand trot, quelquefois pendant quatre journées, durant lesquelles il peut parcourir 240 lieues pesam- ment chargé. Le conducteur, à son gré, maintient ou change lallure des dromadaires. Ils vont plus vite ou plus lentement selon le ton et le mouvement du chant du chamelier conducteur, toujours placé à la tête de la caravane; 1ls suivent à la file, d’un air triste et pensif, sans se détourner mi s’écarter, et observent la cadence du chant. Souvent, quand il est nécessaire, on les réveille par un coup de voix un peu marqué, ou par un petit sifflement; ces faibles avertissements suffisent pour ranimer ces pauvres bêtes, avec qui sont inutiles le fouet et l’éperon, et qui, excédées de faim, de soif et de fatigue, reprennent tout leur courage à la voix de leur maitre. Le trot du dromadaire est horriblement dur, et un Européen ne pourrait le supporter pendant quelques instants seulement sans ressentir une violente courbature. Il n’en est pas de même des Arabes, qui avec cette allure exécutent des courses de 60 et 70 lieues par jour, qu’ils continuent pendant quatre et cinq jours de suite, et au moyen desquelles ils mettent un intervalle de plus de 300 lieues entre eux etceux qu'ils ont pillés et dépouillés. Ce ne sont pas ces gens-là qui apprécieront beaucoup les bien- faits du éhemin de fer qu’il est question d'établir dans leur pays. Enfin, ajoutons comme dernier trait à l’élcge du droma- daire, que sa chair est excellente à manger; sa bosse surtout est, paraît-il, un morceau digne de la table des rois. XI. — LE BŒUF Aussi loin que remonte l’histoire, aux époques recu:ées dont les Védas et dont la Genèse nous ont laissé le souvenr, LE MONDE ANIMAL, PÉE EN 2 MU V | 4 ÿ : fil “ LU TN BŒUFS DE LABOUR 66 LE MONDE ANIMAL. le bœuf apparaît comme une des richesses de l’homme. C’est l'animal voué aux sacrifices : l’immoler en l'honneur de la Divinité constitue la plus riche offrande que la terre puisse faire au ciel. Chez les Grecs, pas de réjouissance publique sans hécatombe, c'est-à-dire sans sacrifice de cent bœufs, et si l'honneur était pour le dieu, le profit était pour les prêtres qui mangeaient les meilleurs morceaux. Par un raffinement de désintéressement, pour que le sacrifice fût complet, souvent, chez les Juifs, la victime était brûlée, et l’on avait ce qu’on appelait l’holocauste. Le bœuf est plein de bonnes qualités. Fort, patient, re- cueilli, il excelle à tirer la charrue; sa viande nourrissante est la meilleure pour les gens qui travaillent. Certains morceaux ont une délicatesse savoureuse qui les place au premier rang sur les tables les plus luxueuses : les Anglais ne mettent rien au-dessus du roast-beef (bœuf rôti). Le fumier du bœuf est un des meilleurs et en même temps un des plus vulgaires engrais. Bref, le bœuf nous est indispensable. Les Égyptiens, grands agriculteurs, et portés à adorer les bêtes, avaient fait du bœuf un dieu, et leur exemple corrompit Israël, qui se fit un veau d’or. Le bœuf Apis avait un temple magnifique; quand il mourait, l'Égypte prenait le deuil, jus- qu'à ce qu'un animal exactement pareil eût succédé au défunt. Au point de vue des services rendus par les bœufs, on peut distinguer : 1° Les races de boucherie, qu’on reconnait à la longueur du corps, à la petitesse des jambes, à la profondeur du thorax; sur ces caractères, on peut juger si l'animal donnera peu ou beau- coup de viande. La rapidité avec laquelle il s’engraissera est indiquée par la finesse des membres. La France possède d’ex- cellentes races de boucherie, parmi lesquelles il faut citer la race charolaise. En Angleterre, la célèbre race de Durham fournit des bœufs qui deviennent énormes; l’un de ces ani- maux, qui pesait 1370 kilogrammes, fut acheté 50 000 francs à | | “éédis. Ne | Œ, LE RENNE. 67 sonpropriétaire, qui le montrait comme objet de curiosité.—Les races de Hereford et de Dishley sont presque aussi remarquables. % Les races travailleuses, parmi lesquelles il faut citer en première ligne la race vendéenne, qui sert de transition entre les races de boucherie et les races de travail. Du reste, la viande de presque toutes les races de charrue est très estimée, et il est à remarquer qu’un bœuf dont la vie serait consacrée au travail rapporterait peu à son propriétaire en comparaison de ce qu’il donne en travaillant jusqu'à cinq ans, pour être à cet âge livré au boucher. Les races auvergnate, garonnaise, gasconne, sont aussi très appréciées; la race de la Camargue fournit ces taureaux aux allures sauvages qui dans le Midi servent aux jeux du cirque. 3° Les races lailières, qui ne fournissent pas de viande de bonne qualité. Les principales sont les races hollandaise, d’Ayr, bretonne et normande. Le genre bœuf comprend un assez grand nombre d’espèces. Il y a d’abord les bœufs sauvages, représentés en Europe par les aurochs, espèce presque anéantie, et qui, aux temps géologiques appelés quaternaires, était très répandue ; en Amé- rique par les bisons, que des chasses sans aucune règle dé- truisent continuellement, et qui disparaîtront prochainement. On commence à domestiquer chez nous lyak, qni a pour patrie les monts Altaï et Himalava. Le zébu, propre à l'Inde, y rend des services. Les buffles, dont les cornes sont triangulaires, sont employés en Asie comme bêtes de somme; mais on a soin de ne pas leur faire porter des objets qui puissent être détériorés par l’eau, car ces bœufs ont des habitudes aquatiques et vont souvent se plonger tout à coup dans les rivières ou les étangs. XII — LE RENNE Les cervidés ou cerfs sont des animaux très rapides à la course, vivant généralement dans les forêts, d'herbe, de 68 LE MONDE ANIMAL. feuilles, de bourgeons. La femelle porte le nom de biche, les petits celui de faon. Le renne est le seul cerf qu'on trouve à l’état domestique. Dans les solitudes mornes du nord, où la vie se fait aussi peu abondante que possible, où les hommes sont petits, les végétaux rabougris et rares, les espèces animales peu nombreuses, ce cerf, dont les congénères pourraient être pris commes types de l'indépendance et du caprice, a été réduit à une dure ser- vitude. Les rennes apprivoisés sont, pour ainsi dire, l’unique ri- chesse des Lapons. Chez eux, comme chez les Orientaux de la Bible, dont ils rappellent les migrations (les extrêmes se touchent), les richesses d’un homme s'expriment en têtes de bétail. Or, ie bétail du Lapon, c’est le renne. La garde du troupeau est généralement confiée aux enfants ou à des serviteurs, mais quand il est la propriété d'un ménage nouvel- lement formé qui n’a ni enfants ni domestiques, c’est la femme qui prend ce soin. Si, en pareil cas, elle a un enfant à la mamelle, elle Le porte couché dans son berceau, et suit le troupeau, quel- que rigoureux et désagréable que puisse être le temps. Les chiens qui servent d’auxiliares aux bergers sont d’une extrême obéissance, et si bien habitués à se faire comprendre du trou- peau, qu'ils Le ramassent en un clin d’oœil. On à vu des Lapons posséder un troupeau de deux mille rennes. Le lait que donnent les rennés est très épais, abondant en fromage et en beurre: on ne peut le tirer qu’en attachant la bête; qui regimbe toujours quand on veut la traire. La chair du renne est très appréciée des Lapons, qui tuent souvent pour leur cuisine le renne apprivoisé et font une chasse aclive au renne sauvage. Les plus grands ennemis des rennes sont les loups; aussi leurs propriétaires sont-ils obligés à la plus grande diligence pour les garder et les défendre. Ils cherchent à effrayer et à War. LAPONIE TROUPEAU DE RENNES EN 10 LE MONDE ANIMAL. éloigner ces rusés carnassiers au moyen de pieux fichés en terre, auxquels pendent des morceaux de vêtements; mais leur vigi- lance redouble quand il survient quelque violent orage, car c’est alors que le loup est aux aguets pour tomber sur le timide troupeau. Les précautions sont d'autant plus nécessaires que le renne apprivoisé est très doux et, ‘au contraire du renne sauvage, incapable de la moindre défense. La principale nourriture des rennes en hiver est un lichen blanchâtre. Dans les forêts, l'animal est obligé, pour arriver jusqu’au lichen, de déblayer le terrain de la neige qui le re- couvre, et c’est ce qu'il fait d’une manière très adroite et très expéditive avec son pied. L'été, il se nourrit d'herbe. C’est surtout comme bêtes de trait que les rennes sont utiles aux peuples septentrionaux. Selon son degré de fortune, chaque Lapon met à son trai- neau un, deux ou plusieurs rennes. Ce n’est pas sans peine que ces pauvres ruminants se laissent atteler; quelques-uns même ne se résignent pas à cette pénible besogne, et le Lapon se venge en les mangeant. Les guides sont attachées aux bois de animal. Le traineau a exactement la forme d’un canot, et est fait de manière que l’eau ne puisse entrer dedans. Les Lapons ont jusqu’à quatre espèces de traineaux, qui leur servent ou de calèches ou de chariots, selon l’occasion. Lorsqu'un Lapon entre dans son traineau, ilcommence par mettre ses gants, qui sont fourrés en dehors ; puis il saisit la bride, la tient de son pouce droit, et, pour partir, la secoue avec violence. $e sentant frappé, le rennese porte en avant avec la plus grande vitesse. Le conducteur dirige la course de Pa- nimal presque toujours en zigzag, en tirant la bride du côté où il veut le conduire. Quand un renne est rétif, son maitre donne la bride au conducteur du traîneau qui le précède, lequel la lie au sien, ce qui maitrise facilement le rebelle. Il y a des Lapons qui sont de véritables nomades, perpétuel- de LES PHOQUES. 71 lement en route, voyageant toute l'année des montagnes à la côte, transportant avec eux leur famille, leurs tentes, leurs troupeaux, leurs bagages. L'ordre qu’ils suivent dans ces marches est toujours le même : le mari est dans le premier traineau comme chef de file; il est suivi de sa femme qui est dans le second, qu’elle conduit elle-même; si elle nourrit, elle a son enfant dans un berceau placé à côté d’elle et garni d’une bonne fourrure dont l'enfant est tout couvert, de manière à ne lui laisser qu'une petite ouverture au devant de la bouche, par laquelle il puisse respirer et recevoir le sein. Dans ce dernier cas, la mère est obligée d'arrêter le traineau pour se courber sur le côté, et donner ainsi à teter à l'enfant. Le reste de la famille, enfants et serviteurs, suit à pied les traineaux qui portent les bagages et la tente, et s’occupe à guider les rennes qui les tirent. XIII, — LES PHOQUES. Parmi les mammifères marins, il en est qui sont amphibies, d’autres entièrement aquatiques ; avec les premiers se placent les phoques ; avec les seconds, la baleine. Les phoques ont quatre membres, si courts, que sur terre ils ne sont bons qu’à la reptation. Ces membres sont envelop- pés dans la peau du corps, par devant jusqu’au poignet, par derrière jusqu’au talon ; ce sont des rames excellentes, car les intervalles des doigts sont remplis par des membranes. Comme les phoques ont le corps allongé, l’épine dorsale très mobile et pourvue de muscles qui la fléchissent avec force, et le poil ordinairement ras et serré contre la peau, ce sont de bons nageurs. La tête du phoque ressemble à celle du chien, dont il a aussi l'intelligence et le regard doux et expressif, On l’apprivoise facilement, et il s’attache bientôt à celui qui le nourrit. Cet animal vit de poissons, qu’il mange toujours dans l’eau ; 72 2 LE MONDE ANIMAL. quand il plonge, il ferme ses narines au moyen d’une val- vule. On trouve certaines espèces de phoques sur nos côtes; d'autres fréquentent les grands lacs d’eau douce de la Russie et de la Sibérie; mais c’est dans les mers arctiques que ces amphibies se rencontrent en abondance. Leur chairentre pour fait une grande partie dans la subsistance PHOQUES des Groenlandais ; elle cest également une précieuse ressource pour les voyageurs des mers glaciales : leur graisse donne l'huile destinée à éclairer la longue nuit du pôle; leur peau sert à la confection de vêtements, de couvertures, de canots ; leurs os et leurs intestins même ne sont pas inutiles. Aussi avec quelle ardeur on poursuit ces pauvres bêtes; c’est une chasse implacable comme la nécessité, et à laquelle l'homme est contraint de se livrer sous peine de périr lui-même. Depuis la mer Baltique jusqu'aux régions les plus extrêmes LES PHOQUES. 73 de l'océan Glacial, la chasse au phoque est une opération ré- eulière, à laquelle on se livre à époques fixes. On emploie dans la mer Baltique un moyen assez singulier. Placés sur les rochers et couverts de peaux de phoques — tels Ménélas et ses compagnons à la recherche de Protée — ou de sarraux de la même couleur, les chasseurs imitent le cri des bêtes qu'ils convoitent, et celles-ci arrivent aussitôt. On attend qu’elles soient un certain nombre, puis on les assomme toutes à la fois. Ceux qui prennent les phoques de cette manière sont regardés comme sorciers par les autres habitants de la côte, préjugé qu'ils entretiennent avec soin, parce qu’il fait respecter leurs habitations pendant leurs fréquentes absences. Pour les Finlandais, la saison de la chasse commence quand la débâcle a lieu sur la mer et que la glace flotte en montagnes. Quatre ou cinq paysans se mettent alors en mer dans un canot ouvert, garni d'un petit mât, et restent ainsi un mois hors de leur famille. Dans ces courses, ils s’expo- sent à tous les dangers des hautes mers, n'ayant pour leur chauffage qu’un petit feu qu'ils allument sur une sorte d’âtre fait de briques, et comptant pour leur nourriture sur la chair des phoques, dont ils ne rapporteront chez eux que lagraisse et les peaux. Les dangers que ces chasseurs ont à combattre sont incessants. Ils se trouvent à tout moment entre des masses de glace qui menacent de pulvériser leurs frêles nacelles. Ils grim- pent souvent sur ces iles flottantes pour tirer sur les phoques qui s’y reposent. Une des espèces de phoques les plus poursuivies est celle qui habite les îles Pribylov, dans la mer de Behring. On leur donne le nom de phoques à fourrures, à cause de la robe moel- leuse et élastique qu’ils portent, et qui est protégée et entière- ment recouverte par un poil grossier. La couleur dominante chez les mâles, lorsqu'ils sont à terre, est d’un brun de rouille noirâtre, avec une raie gris foncé ou d’ocre rouge sur les épaules. La robe des femelles a une teinte bronzée ou cou- T4 LE MONDE ANIMAL. leur d’acier le long du dos et toute blanche vers les parties inférieures. Lesiles Pribylov, découvertes en 1786 par les Russes, furent celonisées par des Aléoutiens qui, au service de la compagnie russo-américaine des fourrures, n’ont d'autre métier que de traquer les phoques ei de recueillir leurs belles peaux. C’est nar millions que les phoques arrivent en été dans les îles Pribylov pour y déposer et y élever leurs petits. Durant leurs six ou huit semaines de séjour sur ces rocs dénudés, l’on entend un bruit étourdissant qui ne cesse ni le jour ni la nuit. Souvent ce vacarme a suffi pour avertir des navires, enveloppés par la brume, du voisinage dangereux des récifs. Le rivage, sur une étendue de plus de vingt milles, est parfois entièrement couvert de phoques. Les petits sont allaités tous les deux ou trois Jours seulement, mais après leur repas ils sont si gros, qu'ils se trouvent dans l'impossibilité de se mouvoir durant des heures entières. Vers le milieu d'août, ils essayent de na- ger et se livrent à cet exercice jusqu’à l’époque du départ. La chasse de ces pauvres bêtes est une véritable boucherie. Destraqueurs, au nombre de quatre ou cinq seulement, com- mencent par pousser devant eux un troupeau considérable, de 4 à 5000 phoques. Lorsque ceux-ci ont été amenés à l’endroit où ils doivent être abattus, on les laisse se reposer et se ra- fraichir, car la course les a échauffés, et il paraît que, s'ils étaient tués dans cette condition, la peau serait de mauvaise qualité. Quinze à vingt hommes alors viennent du village sur le terrain, et commencent à détacher de tout le troupeau une centaine d'individus qu’ils entourent et assomment d’un coup bien dirigé à la tête. Après avoir tué 3 ou 400 animaux, les hommes se mettent immédiatement à les dépouiller, car, pour peu que la température soit douce, les cadavres, en se gon- flant, nuisent à la qualité de la fourrure. Les peaux sont salées, étendues les unes sur les autres. Après être demeurées dans une saumure durant huit ou dix F 5 ls LS PRES LA BALEINE. 75 jours, elles reçoivent une nouvelle couche de sel, et sont em- paquetées et embarquées. Cette fourrure, préparée avec art, est fine, moelleuse, et vaut de 15 à 40 dollars. Quant aux chas- seurs, ils reçoivent deux francs par peau. XIV. — LA BALEINE Les baleines sont sans contreditles plus grands des animaux. Elles ont jusqu’à 30 mètres de longueur, et plus de 10 mètres de circonférence. La tête, de forme triangulaire, est à elle seule égale au tiers de la longueur totale du monstre, et quand la bouche est ouverte, elle offre une cavité où pourraient tenir à l’aise un canot et tout son équipage. De chaque côté de la bou- che pendent, à la place de dents, les fanons, sortes d'immenses peignes de 5 mètres de haut, dont les dents, en forme de grandes lames placées les unes contre les autres, constituent la sub- stance élastique connue dans le commerce sous le nom de ba- leine. À l'extérieur, ces fanons portent une multitude de crins qui leur permettent de tamiser l’eau parfaitement. La queue, dont la surface seule est de 80 à 100 pieds carrés, est un éner- gique instrument de locomotion et une arme terrible. Sa lon- gueur n'est que de » ou 6 pieds, mais sa largeur atteint 18, 24 ou 26 pieds. Au contraire de ce qu'on voit chez les poissons, elle est dirigée horizontalement, et ce caractère suffirait à dis- tinguer à première vue deux grands groupes d'animaux que les ignorants sont parfois portés à confondre à cause de la commu- nauté d'habitat. La queue de la baleine, en forme de croissant, peut se mouvoir dans toutes les directions; sa puissance est immense. Les nageoires, au nombre de deux, sont placées à deux pieds environ en arrière de l'angle de la bouche. Elles ont deux mètres de long et plus d’un mètre de large. L’articulation étant parfai- tement sphérique, elles paraissent capables à première vue de prendre toutes les directions ; cependant la tension de la peau 76 LE MONDE ANIMAL. les empêche de se diriger au-dessous du plan horizontal, et il en résulte que l'opinion de quelques naturalistes d’aprèslesquels la baleine porterait ses petits sous son ventre à l’aide de ses nageoires, est entièrement erronée. La baleine n’a pas de na- geoire dorsale. La langue occupe une grande portion de la cavité buccale. Elle ne peut sortir de la bouche, retenue qu’elle est depuis la base jusqu’à la pointe dans les tissus qui s’étendent entre les deux mâchoires. La gorge est remarquablement étroite. Les couleurs de la baleine sont le noir velouté, le gris et le blane avec une teinte de jaune. Le dos, la mâchoire supérieure, une partie de la mâchoire inférieure, les nageoires et la queue sont noirs. La langue, la plus grande partie de la mâchoire in- férieure, les lèvres et une portion du ventre sont blancs. La peau est recouverte d’un épiderme mince comme un par- chemin qui à l’air, se dessèche et se détache en se recoquil- lant. Le derme, de trois quarts de pouce d’énaisseur, recouvre la peau proprement dite, qui est blanche. Elle est imprégnée d'huile et passe insensiblement aux couches sous-jacentes, de façon qu'on n’en peut préciser l’épaisseur. Immédiatement sous la peau gît le gras de baleine, c’est-à- dire la substance pour laquelle surtout on chasse le grand cétacé et qui représente de beaucoup le plus grand volume du corps tout entier. Sa couleur est le blanc jaunâtre, le jaune ou le rouge. Son épaisseur autour du corps est de 15 à 20 pouces, suivant les régions du corps et les individus. Les lèvres sont presque entièrement composées de cette graisse, et fournissent chacune deux tonnes d'huile pure. L'huile paraît être renfermée dans de petites cellules d’où la chaleur peut la chasser. C'est sur la graisse et sur les fanons que se porte l’attention des baleiniers. La chair et les os, sauf quelques cas spéciaux, sont rejetés. En moyenne, quatre tonnes de gras de baleine donnent trois tonnes d'huile. Une baleine en fournit de 20 à 30 tonnes. Ÿs — È = LES BALEINES SONT SANS CONTREDIT LES PLUS GRANDS DES ANIMAUX 178 LE MONDE ANIMAL. La baleine n’a pas d'oreille externe, et l’on ne découvre l’ori- fice pour la perception des sons qu'après avoir enlevé la peau; aussi la bête paraïît-elle avoir louie paresseuse. Un bruit dans l'air, tel que celui produit par une personne criant, n’est pas remarqué par elle, même à la distance de la longueur d’un navire. Cependant une légère éclaboussure dans l’eau par le temps calme excite son attention et l'alarme. Malgré la petitesse des yeux, qui sont à peine plus gros que ceux des bœufs, elles ont la vue perçante. Les baleines s’aper- coivent les unes les autres dans l’eau claire à une distance sur- prenante ; elles sont moins clairvoyantes à travers lair. Elles n’ont pas de voix; mais en soufflant elles font avec leurs évents un bruit très fort. Ces évents sont situés à la partie la plus élevée de la tête, à 16 pieds environ de la pointe antérieure de la mâchoire; c’est par eux que le poumon se décharge de l'air vicié qu'il contient, et si l'expiration se fait un peu au- dessous de la surface de la mer, de grandes gerbes liquides sont lancées verticalement. Dans l'air, la vapeur que les évents rejettent s’élève à plusieurs mètres et apparait de loin comme un panache de fumée. Quand animal est blessé, le Jet est coloré par du sang, et à l'approche de la mort, c’est du sang seul qui est lancé. Les baleines soufflent plus fort quand elles nagent vite et qu’elles sont alarmées, et aussi quand elles apparaissent à la surface après un plongeon prolongé. Elles soufllent quatre ou cinq fois par minute. L'animal étant plus léger que l’eau, il peut rester indéfiniment flottant à la surface de la mer avecses évents ouverts dans lair. Pour plonger, il lui faut au contraire faire un effort. Cest principalement à l’aide de la queue que la baleine pro- gresse dans l’eau. Les nageoires semblent servir surtout à la diriger. Elle peut réaliser une vitesse de 8 à 9 milles à l'heure; mais il faut dire qu'une pareille vélocité ne dure pas au delà de quelques minutes, après lesquelles arrive un ralentissement de moitié. Il en résulte que pendant quelques minutes elles 3 Le be hs , Fe POP E ] LA BALEINE. 79 sont capables de fendre Peau aussi vite qu’un navire sous ses voiles et de remonter avec tant de vigueur vers la surface qu’elles s’élancent entièrement hors de la mer. Elles paraissent se livrer à ces exercices par pur amusement, et c’est un sujet de grande admiration pour des spectateurs suffisamment éloi- onés, et de grande anxiété pour les baleiniers novices. Quel- quefois les baleines se tiennent dans une posture verticale, la tête en bas et la queue battant l’eau avec une extrême vio- lence. Alors la mer est projetée en écume et l'air est rempli de vapeurs; par les temps calmes le bruit est entendu à de grandes distances; et les ondes concentriques produites par l’ébranle- ment de l’eau se propagent sur une surface énorme. Quelque- fois les baleines agitent dans l’air leur formidable queue, qui, claquant comme un fouet,.résonne à la distance de deux ou trois milles. Les baleines plongent la tête en bas, et avec tant de rapidité que, bien qu’elles ne tardent pas à revenir à la surface, elles ont le temps d'atteindre à des profondeurs considérables. On a pu mesurer celte profondeur par la longueur de ligne qu’elles en- trainent quand on les a harponnées. Parfois, quand la mer n’est pas assez profonde, elles vont dans leur ardeur se briser la tète contre les rochers du fond. La nourriture des baleines consiste en espèces varices detrès petits animaux marins, tels que des actinies, des cliones, des méduses, des crabes et des mollusques. Pour manger, elles nagent très vite sous la surface de la mer avec la bouche toute grande ouverte. Un courant d’eau pénètre ainsi dans leur vaste bouche et amène avec lui de nombreux animaux. L’eau s'échappe ensuite par les côtés; mais les fanons la filtrent et retiennent tous les éléments solides, qui sont bientôt avalés. Les baleines n’ont le plus souvent à la fois qu’un seul petit, qui mesure au moment de la naissance de 10 à 14 pieds de long et qui n’a fini de grandir qu’à l’âge de 20 à 25 ans. L'amour maternel de la baleine, animal stupide sous tous les 80 LE MONDE ANIMAL. autres points de vue, est remarquable et intéressant. Le petit v’ayantaucune notion du danger est aisément harponné; et alors le tendre attachement de la mère est si vif que bien souventelle attaque les baleiniers. (est pour cela que, quoique un petit n'ait qu'une faible valeur et produise rarement plus d’une tonne d'huile, on le prend comme appât pour sa mère. Dans ce cas elle le rejoint à la surface chaque fois qu'il y vient pour respirer, l’encourage à nager, aide à ses sauts en le prenant sur sa nageoire, et ne le quitte pas tant que la vie du petit blessé persiste. Dans ces moments elle est de dangereuse approche, mais elle fournit aux courageux pêcheurs de fréquentes occa- sions d'attaque. Elle perd de vue tout ce qui concerne son pro- pre salut, tout entière à la délivrance de son petit. L'huile etles fanons sont, avons-nous dit, les substances pour lesquelles on chasse ordinairement la baleine; mais si pour le palais raffiné d’un Européen de nos jours la viande de baleme est un aliment épouvantable, pour les habitants des rivages septentrionaux des deux continents c’est un véritable régal. Les Esquimaux mangent avec gourmandise la chair et le gras de la baleine, et en boivent l’huile. Les femmes recherchent avec avi- dité la peau crue, surtout la portion interne qui est en contact avec le gras, et la donnent à manger à leurs enfants, suspendus sur leur dos, qui la sucent avec délices. Le voyageur Scoresby déclare que la chair des jeunes ba- leines convenablement assaisonnée et cuite, n’est point une mauvaise nourriture. D'ailleurs on sait qu'aux XH°, XI°, XIV° et xv° siècles c'était un aliment très ordinairement consommé par les Islandais, les Hollandais, les Espagnols, les Anglais et les Français eux-mêmes. La chair de la baleine était au xv° siècle communément vendue sur les marchés de Bayonne et de Biarritz et servie sur les meilleures tables. D’autres parties de la baleine sont utilisées par les Esqui- maux. Diverses membranes de l'abdomen entrent dans la con- fection des vêtements, et le péritoine en particulier étant trans- ot. LES MARSUPIAUX. 81 parent, sert à fabriquer les vitres des fenêtres des huttes. Les os sont travaillés sous forme de harpons et de massues pour chasser les phoques et les oiseaux de mer. Certains os entrent dans la construction des tentes et des bateaux, et les tendons sont divisés en filaments qui font d’excellent fil. La baleine est en voie de disparition rapide. Très rare au- jourd'hui, elle a été très commune autrefois, et on la pèchait en abondance dans les régions où elle est maintenant pour ainsi dire inconnue. XV. — LES MARSUPIAUX Les marsupiaux sont des animaux fort peu répandus actuel- lement au point de vue géographique. Les plus anciennement comus sont les sarigues, qui habitent l'Amérique centrale; les autres, kangurous, dasyures, habitent l'Australie et les iles voi- sines , et ils y sont si nombreux, qu’ils forment à eux seuls la plus grande partie des mammifères du pays. Quand le petit des marsupiaux vient au Jour, c'est, chez des espèces qui à l’âge adulte sont de la taille d’un chat, une masse informe, grosse tout au plus comme un grain de café, entière- ment nue, sans aucune force, dépourvue de membres. La mère recueille son rejeton, le fixe à ses mamelles, autour desquelles est disposée une sorte de poche. Le petit reste là à se gorger de lait un temps plus ou moins long, augmente con- . sidérablement de volume, prend tous ses membres et tous ses organes, devient, en un mot, un jeune animal tout à fait sem- blable à ses parents. Mais il ne perd pas vite l'habitude de s’abriter dans la poche maternelle; il y revient au moindre signe de danger, trouvant, comme l’a dit Florian, que l’asile le plus sûr est le sein d’une mère. Cette poche sert même à sa paresse d’une manière fort agréable: pour brouter, il n’a qu’à mettre le nez dehors, et se laisser porter aux bons endroits bien garnis d'herbes fraiches. LE MONDE ANIMAL. 6 82 LE MONDE ANIMAL. Le sarigue à oreilles bicolores est un joli marsupial, presque grand comme un chat, et dont les oreilles sont mi-parties de blanc et de noir. Cest un animal nuisible et courageux, qui vient la nuit dans les lieux habités attaquer les poules et manger les œufs, Les petits sont quelquefois au nombre de seize; ils adhèrent aux mamelles jusqu’à ce qu’ilsaient atteint la grosseur LE SARIGUE d’une souris, c’est-à-dire pendant cinquante jours. Ce nest qu'alors qu'ils ouvrent les veux. Ils ne cessent de retourner à la poche que quand ils ont la taille d’un rat. Le moyen sarigue de Cayenne, qui n’est pas, à beaucoup près, aussi grand que le précédent, n’a pas de poche, mais seule- ment un repli qui en est le vestige. Quand les petits ne sont plus continuellement fixés à la mamelle, la mère les porte sur son dos, leurs queues entortllées autour de la sienne. LES MARSUPIAUX. 83 Les plus grands des marsupiaux connus sont les kangurous, découverts par Cook en 1779 à la Nouvelle-Iollande. Ce qui distingue surtout ces animaux, c’est l'inégalité de leurs jambes, celles de derrière étant très longues, et celles de devant très courtes. Ils marchent avec beaucoup de peine à quatre pattes; mais, en revanche, ils sautent avec vigueur. Souvent les kangurous marchent sur les deux pieds de derrière en s’ap- puyant sur la queue, qui est énorme à la base. Ils peuvent même, en se tenant sur un pied et sur la queue, donner avec le pied de derrière des coups fort violents, car leur gros ongle du mi- lieu est épais eten forme de sabot. Pour en venir là, il faut qu'ils soient attaqués, car ce sont des animaux très doux qui ne vivent que d'herbe et se tiennent en troupes. Le kangurou géant est le plus grand animal de l'Australie. On essaye de l’acclimater en Europe. CHAPITRE II OISEAUX Les caractères les plus constants des oiseaux sont d’être cou- vert de plumes, de n’avoir que deux pattes, de posséder des ailes, et de donner naissance à des œufs d’où sortent leurs petits. Les oiseaux ont le sang très chaud, le corps peu dense, à cause de certaines cavités de la poitrine, du ventre et des ais- selles qui contiennent de l'air. [ls n’ont pas de dents, mais un bec plus ou moins fort; et, pour triturer leurs aliments qu'ils avalent entiers, ils possèdent un estomac composé de trois parties : le jabot, renflement de l’œsophage; Le ventricule suc- centurié, garni dans l'épaisseur de ses parois d’une multitude de glandes dont la sécrétion imbibe les aliments; enfin, le gé- sier, fait de deux muscles vigoureux où les aliments se broient d'autant plus aisément que les oiseaux ont soin d’avaler de petites pierres. Toutefois, dans la plupart des espèces qui ne vivent que de chair ou de poisson, les muscles du gésier sont d’une extrême faiblesse, et cet estomac a l'air de ne faire qu’un seul sac avec le ventricule succenturié. Les oiseaux n’ont jamais plus de quatre doigts aux pattes et jamais moins de deux. Le sens le plus aiguisé chez eux paraît être celui de la vue; leur œil, en effet, est disposé de manière à leur permettre d’apercevoir les objets aussi bien de près que de loin. Le sens du goût, au contraire, semble peu développé dans la plupart des oiseaux. LES OISEAUX DE PROIE. 85 Les plumes des ailes s'appellent les pennes rémiges; celles de la queue, les pennes rectrices. L'instinct des oiseaux se fait surtout voir dans l’industrie variée qu'ils mettent à la construction de leurs nids, et le tendre soin qu'ils prennent de leurs petits. Une autre marque non moins étonnante de la prévoyance dont ils sont capables, c’est larégu- larité avec laquelle certaines espèces accomplissent des voyages qui leur permettent, aux changements de saison, de suivre les climats qui leur conviennent. C’est d’après la forme du bec et celle des pattes que les oi- seaux ont élé classés. 1. — LES OISEAUX DE PROIE Un bec fort et crochu, des pattes à quatre doigts, munis de oriffes acérées ou serres, un vol puissant, tels sont les moyens et les armes que la nature a mis au service des oiseaux de proie ou rapaces. Les uns fondent sur leur proie au grand jour, et l’empor- tent : ce sont les rapaces diurnes. Les autres ne sortent que la nuit, craignent la lumière qui blesse leurs gros yeux à pupille trop dilatée, et vont saisir les petits oiseaux endormis dans les branches pour en faire leur repas. Vêtus d’un plumage léger pourvu d’ailes soyeuses, ils ne font aucun bruit en volant, pour ne pas donner l’éveil à leur victime : ce sont les rapaces nocturnes. Les oiseaux de proie diurnes comprennent deux grandes divisions naturelles : les vautours et les faucons. Les vautours ne se nourrissent que d’animaux morts. Avec leur aspect hideux et leur odeur félide, ce sont, dans les pays. chauds, des animaux fort utiles qui font disparaître avec rapi- dité les cadavres de toute sorte qui infecteraient l’air. Les faucons, qui recherchent les proies vivantes, ont été, se- lon l'usage qu’on en faisait autrefois en vénerie, divisés en 86 LE MONDE ANIMAL. deux sections : en oiseaux de proie nobles; ce sont les faucons proprement dits, qu'on pouvait dresser pour la chasse; et en oiseaux de proie ignobles, les aigles, qui ne s’emploient pas en fauconnerie. Le faucon fut pour la noblesse du moyen âge un objet de luxe des plus recherchés, et cela depuis une époque recu- lée, car le roi Mérovée avait des faucons. Aujourd’hui il n’est pas moins cher à l’aristocratie arabe qui vit dans les oasis du Sahara, à peu près à la manière des anciens barons dans leurs châteaux. M. A. Toussenel a dit : « Le faucon est le lévrier de Pair. » Rien n’est plus exact. Par cet oiseau, l'intelligence du chien est égalée, sa promptitude dépassée; les fauconniers français prétendaient mème qu’en fidélité le faucon l'emporte. Il était une fois un seigneur nommé Chabert, qui, parti en Palestine avec l’intention de battre les Sarrasins, y avait reçu maint horion et avait été dix ans captif. Étant parvenu, on ne sait au juste comment, à revenir dans sa patrie, il se présenta un beau soir dans le château de ses pères ; mais il trouva ses chiens menaçants, sa femme remariée, ses serviteurs insolents, tout le monde incrédule.…. il n’y eut que le faucon qui se sou- vint et se montra joyeux du retour du pauvre chevalier. Le faucon est un oiseau d’une rare élégance ; l'œil est vif, la tête fine, les tarses emplumés, de façon que les serres ont l'air de sortir de manchettes. Le faucon pèlerin, la seule espèce que la France nourrisse maintenant, « porte une large moustache noire, cränement rehaussée à la facon des guer- riers de son pays. Le bec est bleu d'acier, bleu noir, le dessus de la tête et la partie supérieure du cou d’une belle couleur noir mat, la gorge d’un blanc aussi pur que la poitrine, avec de fines raies noires longitudinales du plus charmant effet. La queue est traversée de bandes étroites alternant du gris cendré au brun sombre, les barbes des rémiges sont historiées de ta- ches rousses semblables aux arabesques d’une armure de Mi- 7, «6 LES OISEAUX DE PROIE. 87 lan; le tour des yeux et l'iris sont jaunes d’or comme les pieds.» L'ancienne fauconnerie admettait six espèces : le gerfaut, le sacre, le lanier, le pèlerin, lalèthe et l'alphanet. Le hobereau, l’émerillon et la cresserelle, qui sont de tout petits faucons, les plus petits des oiseaux de proie, — ne figuraient pas parmi les faucons de chasse. Les femelles de tout le genre sont d'un tiers plus grandes que les mâles, qui portent pour cette raison le qualificatif de liercelels : aussi sont-elles reines et maïtresses dans le mé- nage ; et, comme le fait remarquer M. Toussenel, les faucon- niers les reconnaissaient comme telies au point d'imposer leurs noms aux mâles : sacre et lanier sont des noms de femelles; et les mâles portent les diminutifs, sacret et laneret. Le prix des faucons était autrefois fort élevé; l'alèthe se payait sous les Valois jusqu’à trois cents écus la pièce, somme énorme pour ce temps. Maintenan! encore, bien que les faucons soient retirés du commerce, op paye les gerfauts non dressés environ cinq cents francs. Les gerfauts sont du reste fort rares. Ils paraissent retournés en Islande, d’où ils étaient venus. L'Islande, station obligée des nombreux oiseaux de passage qui font la traversée de l’Amé- rique du Nord à l'Europe, est un lieu de délices pour les oiseaux de proie. « L'Islande, dit M. Toussenel, est une des patries les plus aimées du grand cygne sauvage à bec jaune que nous luons l’hi- ver sur la Seine. La bécasse et la bécassine, deux fines bouches qui savent par leur nom tous les bons endroits du globe, en parlent comme d’un pays de Cocagne où elles aiment à passer un ou deux mois par an. L'hirondelle de cheminée y va faire entendre chaque printemps ses suaves chansonnettes. La caille elle-même y touche. On comprend que le gerfaut, qui est un amateur passionné de la chair de la bécasse et de celle du ca- nard, S’acoquine au séjour cher à ces volatiles, et ne le quitte pas pour nos terres dépeuplées. » 88 LE MONDE ANIMAL. Comment le faucon est dressé à chasser pour l’homme, c’est ce que peuvent voir tous ceux qui vont chez les Arabes du Sahara, et le général Daumas nous a donné à ce sujet de pré- cieux renseignements. Comme on le pense, l’éducation de celte bête de proie est des plus cruelles. La chasse, qui chez nous, quand elle n’est pas une nécessité, est seulement —- à part quelques exceptions — un faible reste des amusements barbares du passé, tend à perdre de jour en jour son caractère sauvage. Le chasseur est le’plus souvent un tranquille bourgeois qui prend avec lui un fusil et un chien, et a tout simplement envie de se donner dans les bois un exercice salutaire. Son carnier vide ou peu rempli lui vaut des plaisanteries qu’il accueille bien, con- vaincu qu'il est de n'avoir pas perdu son temps, et d’avoir attrapé. beaucoup de bon air. Chez les Arabes, c’est autre chose. Féroces comme nos ancêtres, ils font la chasse quand ils ne peuvent faire la guerre. Notre passé avait ses tournois : ils ont leurs fantasias, où ils montrent leurs belles armes, font courir leurs nobles chevaux, tirent en l'air des coups de fusil, pour le seul plaisir de brûler de la poudre et de faire du bruit devant la foule qui les regarde et les admire. Il est tout na- turel que ces gens-là aient le faucon. Le plus estimé des quatre faucons qu’emploient les Arabes est le terakel, dont la femelle atteint quelquefois la taille d’un aigle ordinaire. C’est pendant l’été qu’on cherche à se procurer le faucon, afin d’avoir le temps de le préparer pour les chasses qui ont lieu vers la fin de l'automne. On met un pigeon domestique dans une espèce de petit filet dont les mailles sont faites de laine et de poil de chameau ; un cavalier porteur de ce pigeon va se promener dans les lieux déserts et le lance en l'air quand il a vu un faucon, puis il va se cacher. Le faucon se précipite sur le pigeon, mais ses serres s’em- barrassent dans le filet, il ne peut ni les retirer ni s'envoler. LES OISEAUX DE PROIE. 89 On s’en empare alors facilement. Quand le faucon se voit pris, il ne donne aucun signe de colère ni de crainte. Il existe au désert un proverbe qu'on répète dans le malheur : « L'oiseau de race, quand il est pris, ne se tourmente plus. » _ L'oiseau est aussitôt emporté dans la tente, où l’on dresse un perchoir. Il y est attaché avec une élégante lanière de cuir, qu’on à bien soin de mettre de façon à ne pas incommoder l'animal. C’est le maitre de la tente qui seul, deux fois par jour, donne au faucon sa nourriture : de la chair de mouton crue, proprement et soigneusement coupée. L'oiseau peut manger à satiété. Pour ébaucher son éducation, on procède de la manière suivante : On présente le morceau de chair tout entier, en fai- sant de la voix un appel trois fois répété, et qui peut être re- présenté par ceci : « Ouye ! ouye! ouye! » L'oiseau se jette sur le morceau qu'on ne lui abandonne pas, mais qu’il s’efforce d’arracher ; on s'éloigne progressivement, toujours en lui présentant la chair et en provoquant cette lutte infructueuse ; puis enfin, avant qu’il soit tout à fait épuisé, on lui donne sur le perchoir sa pâture, divisée en plusieurs morceaux. Jusqu'à ce qu'il soit accoutumé aux femmes, aux enfants, aux animaux, on garde le faucon encapuchonné, c’est-à-dire la tête enveloppée de manière à l'empêcher de voir autour de lui. Quand il commence à se faire à sa nouvelle existence, son maitre l’attache à une longue corde, et emmène hors de la tente pour lui donner sa nourriture. Peu à peu il l'emporte sur le poing à d’assez grandes distances, lui ôtant et lui remet- tant son capuchon. Certain enfin de son apprivoisement, l’A- rabe lui retire définitivement ses liens, lui donne sa nourri- ture toujours loin de la tente, et le mène partout avec lui. Reste à apprendre la chasse au faucon, ce qui se fait au détriment des pauvres lièvres. 90 LE MONDE ANIMAL. On prend un lièvre et on lui fait au cou une grande bles- sure; puis on Ôte le capuchon de l’oiseau, qui saute aussitôt au cou de la victime. On le laisse déchirer cette proie pour qu'il y prenne goût; on l’en nourrit même ce jour-là, afin de l’affrian- der davantage. On recommence celte opération sept ou huit jours de suite; puis on présente un lièvre vivant au faucon, qui s’acharne dessus. Le temps de la chasse approchant, 1l est nécessaire d’éprou- ver l'oiseau. On sort à cheval, en l’emportant encapuchonné; on se rend dans une plaine découverte ou sur un vaste plateau. Arrivé au lieu choisi, on prend un lièvre, on lüi casse les qua- tre pattes, et on le lâche à portée de l'œil de l’oiseau; plaintif et criant, 1l court tant bien que mal. On décapuchonne alors le faucon en disant : (Au nom de Dieu, Dieu est le plus grand. » Le terakel, impatient, s’élance droit vers le ciel, et de très haut se précipite sur le lièvre, qu'il tue ou étourdit d’un -coup de ses serres crispées. On s'approche de la victime, on la sai- one, on l’ouvre, et on donne les entrailles, le foie, le cœur, à l'oiseau pour qu'il les mange sur place. Après plusieurs jours de cette épreuve, il est complètement dressé. On peut se mettre en chasse avec lui. Le faucon tue le lièvre, le lapin, le petit de la gazelle, la pintade, le pigeon, la perdrix, la tourterelle. Les rendez-vous de chasse favoris des Arabes porteurs de faucons sont les parties du désert où l’alfa croit en abondance, les hauts plateaux, la lisière du Sahara. Quand les nobles chassent au faucon, ce sont des rendez-vous de vingt-cinq ou trente personnages, sans compter les serviteurs. La saison propice est la fin de l'automne, l’hiver ; car l'oiseau ne chasse bien que pendant les temps brumeux, et même par les temps froids. On se met en route après un léger déjeuner, vers onze heures du matin, le faucon sur l'épaule ou sur le poing ; on s’est approvisionné seulement de lait de chamelle enfermé dans DER se NODNVA HI MVd HAAOUOJ HTIAZVOI à AR E = ET 92 LE MONDE ANIMAL. des peaux de bouc, de dattes, de pain et quelquefois de raisins secs. La chasse ne commence qu’après une assez longue course, vers trois heures de l’après-midi. Les cavaliers, arrivés sur le terrain, se disséminent, battent les broussailles, les touffes d’alfa, pour faire lever le gibier, qu’on rabat vers celui qui tient le faucon. Aussitôt qu’on aperçoit le lièvre ou tout autre animal, on enlève le capuchon de l'oiseau , qu'on lâche en lui indiquant du doigt le gibier, en lui disant : Le voici! Pendant que son maître prononce la phrase sacramentelle : ÇAu nom de Dieu, etc. »,le faucon s’élève à perte de vue, tout en suivant le lièvre de son œil perçant, puis s’abat sur lui et le frappe, soit à la tête, soit à l'épaule, d’un coup de ses serres fermées, assez violent pour l’étourdir ou même le tuer. Les cavaliers qui l’ont vu descendre accourent de tous côtés, l'entourent et le trouvent ordinairement occupé à manger les yeux de animal. Pour qu’il abandonne celui-ci, le maître tire de son burnous une peau de lièvre qu’on jette un peu plus loin, et sur laquelle l'oiseau se précipite. Ce n’est qu’une fois rentré au douar qu’on donne la curée. Il n’est pas rare, avec deux ou trois faucons, de tuer dix ou quinze lièvres. Le faucon fait alliance et amitié avec trois êtres seulement : l’homme, le cheval et le chien. Dans le Sahara, petit et grand, riche et pauvre, tout le monde aime et caresse l'oiseau de race. « Et comment en serait-il autrement? disait un noble de la tente au général Daumas; nous estimons le faste, l’éclat, la magnificence, et il faudrait n'être pas Arabe pour ne passe réjouir, s’exalter à la vue de nos guerriers revenant d’une chasse au faucon. Le chef marche en avant; il porte deux faucons, l’un sur l’épaule et l’autre sur le poing. Le capuchon de ces oiseaux est enrichi de soie, de maroquin, d'or et de: 4 ce ae Piles da chienne à dust : nt ne dé dés ME \ LA POULE. 93 petites plumes d’autruche, tandis que leurs entraves sont brodées et ornées de grelots d'argent. Les chevaux hennissent, les chameaux porteurs sont chargés de gibier, et leurs conduc- teurs murmurent sur un ton mélancolique l’un de ces chants qui savent si bien trouver le chemin de nos cœurs. » II. — LA POULE Les statisticiens évaluent à quarante millions le nombre des poules qui existent en France; à deux francs cinquante l’une, c’est un produit alimentaire qui représente une valeur de 100 millions. Celle de leurs œufs est de 24 millions de francs. De telle sorte qu’en poules, poulets, chapons et œufs, ces galli- nacés mettent en circulation quelque chose comme 391 millions. Les œufs, qui sont une telle richesse pour notre pays, méritent que nous leur consacrions quelques lignes; ce que nous en dirons pourra d’ailleurs s'appliquer à peu près aux œufs de tous les oiseaux. Il n’y a pas d'enfant qui ne connaisse les œufs et ne sache qu'ils comprennent une coquille, un blanc et un jaune; mais comme ils ne sont pas faits pour ne donner que des o me- lettes, ils ont une constitution plus compliquée qu’on ne le croirait tout d’abord. Le jaune est une substance huileuse formée par un grand nombre de cellules auxquelles se mêle une substance analogue au blanc. C’est dans le jaune que par l’incubation le poulet commence à se développer. Le blanc est formé de couches concentriques d’albumine; 1l est renfermé dans la membrane spéciale qui tapisse la face interne de la coquille, mais qui s’en détache vers le gros bout, et laisse ainsi un espace rempli d’air. Cet air est destiné à la respiration de l'œuf. La coquille recouvre le tout et sert à le protéger; elle est formée d’une substance présentant la même composition que 94 LE MONDE ANIMAL. la craie : aussi les poules dont la nourriture ne contient pas assez de sels calcaires pondent-elles souvent des œufs hardés, c’est-à-dire dépourvus de coquille. Chez les poules, la coquille de l’œuf est blanche. La durée de lincubation, c’est-à-dire le temps pendant le- quel l’oiseau reste sur ses œufs pour les chauffer, est chez l’es- pèce galline de vingt à vingt el un jours. Un des premiers organes qu’on voit apparaitre dans l'œuf, c’est le cœur; il se montre au centre d’un système de vaisseaux dans lesquels on trouve déjà du sang. Le corps du poulet se dessine : une masse elliptique avec les linéaments de la colonne vertébrale. Les membres se montrent sous la forme de petits moignons, aussi bien pour les ailes que pour les pattes. Les yeux sont gros et visibles dès les premiers temps. Quand le poussin a tout ce qu'il lui faut pour la vie exté- rieure, il brise la coquille au moyen d’un onglet placé sur son bec. Il sort avec le corps couvert de duvet, et gardant dans le ventre le reste du jaune de son œuf qui sera une première nourriture pour lui. Contrairement à beaucoup d'oiseaux, il ne reste pas au nid, car il peut marcher dès l’instant de sa naissance. La chair du poulet forme la plus usuelle des viandes blan- ches. C’est un mets délicat, précieux dans l'alimentation des convalescents. Le bouillon de poulet est donné aux malades, quelquefoismême comme médicament, Voici, d’après un savant hygiéniste, lesrègles à suivre pour en faire un consommé parfait : On prend un poulet d’une demi-livre, on le farcit d’orge ou de riz; on le fait bouillir un quart d'heure à vaisseau cou- vert; vers la fin, on ajoute des feuilles d’oseille et de laitue; on fait encore cuire un quart d'heure. La dose est d’un verre toutes les heures. Quand on ajoute quelques amandes coupées en petits morceaux, on donne au bouillon une couleur un peu laiteuse et un goût agréable. » ALI (LILI! | | (I POI. ELLE, WTA (41 # nl PRE . DT D = VER VA 14 GLADIATEURS VRAIS D OMME £ ILS COMBATTENT € VANT UNE FOULÉE STUPIDE #1 DE 96 LE MONDE ANIMAL. Pour les éleveurs, il y a deux catégories de poulets : les poules et coqs de grosse race, et les petites poules. Parmi ces dernières, les petits poulets à la reine et les poulets de bour- riche tiennent la première place comme finesse et succulence. Les jeunes poulets dits de grain commencent en avril et en mai; ils sont tendres et délicats; ceux qui ont atteint quatre mois sont plus fermes, mais de goût plus relevé. Les poules ne sont mangeables rôties que jusqu’à deux ans. Les poules et surtout les coqs ont quelquefois de fort belles plumes. Les blanches sont très estimées, parce qu’on peut les teindre. Dans certaines contrées, telles que la Beauce, les poules sont portées plumées au marché, et le propriétare augmente ainsi d’une façon très notable le bénéfice qu'il fait par tête de volaille. Les climats n’exercent que peu d'influence sur les différentes races de poules; il n’en est pas de même de l'élevage, qui obtient des résultats étonnants. La poule de Bankiva ou poule naine est celle qui fournit la chair la plus estimée. Les poules qui donnent les œufs les plus oros sont les races de Crèvecœur, de la Flèche; la poule de Nan- kin ou de Cochinchine, une race énorme puisqu'elle peut at- teindre jusqu’à kilogrammes, est aussi une excellente pon- deuse; elle donne en moyenne 140 œufs par an. En Belgique on possède des races indiennes perfection- nées. Une race curieuse est celle de Walikiki, chez laquelle la queue manque complètement. Certains pays possèdent les races de combat, utilisant d’une facon cruelle les instincts de bravoure de ces pauvres oiseaux. Dans un petit cirque on met l’un en face de l’autre deux coqs dressés, chacun ayant la patte munie d’une pointe acérée. Devant une foule stupide, excités par les cris, ils combattent comme de vrais gladiateurs. Aussi bien que le vaincu, le vainqueur trouve quelquefois la mort dans ces luttes, ne récoltant dans LE PIGEON,. 9 tous les cas qu’un honneur très contestable, pendant que son maitre empoche des enjeux souvent fort sérieux. A ces quelques détails sur les poules, joignons-en un qui ne les flattera pas : c’est leur manque de délicatesse ; elles se réga- lent avec bonheur d’une pâtée faite avec les os broyés, les in- testins et la chair d’autres poules. II. — LE PIGEON A côté des gallinacés, mais non pas avec eux, se placent les pigeons, pour qui Blainville faisait un ordre à part, qu'il appelait du nom d’épouseurs. Les pigeons, en effet, se choi- sissent une seule femelle, qu'ils ne quittent plus et avee la- quelle ils font un assez bon ménage. Cela rendait déjà les pigeons bien intéressants; mais cet altachement qu'ils Qu U fl Se 111] LB] Ant ALT, LE PIGEON. montrent pour leurs épouses n’est pas le seul dont ils soient susceptibles; ils ont une véritable passion pour les lieux LE_ MONDE ANIMAL. 7 98 LE MONDE ANIMAL. où ils sont nés, et certaines races douées d’un vol infatigable vont jusqu'à faire des centaines de lieues pour revenir à leur colombier chéri. On a utilisé cette qualité des pigeons et on a obtenu des races qui peuvent à de très grandes distances, et avec une grande rapidité, porter des dépèches d’un lieu à un autre. Vous savez tous combien cela peut être utile pour une ville que l'ennemi empèche de communiquer avec le reste du pays : le siège de Paris en est malheureusement la preuve; mais peut-être ne serez-vous pas fâchés d’avoir quelques détails sur ces jolis oiseaux et sur les services qu’ils ont rendus dans ces tristes circonstances. Lorsque en 1870 on vit Paris sur le point d’être bloqué, on fit venir du Nord environ 800 pigeons voyageurs; mais mal- . heureusement on n’envoya pas en province tous les pigeons des sociétés colombophiles de Paris; on remédia plus tard à cette négligence, en confiant à des aéronautes les pigeons nés à Paris qui devaient y rapporter les nouvelles du dehors. Car c’était de cette façon seulement que nous pouvions re- cevoir quelque message de la province. Grâce aux paquets de lettres que les ballons emportaient chaque jour, les parents et les amis que nous avions de l’autre côté des lignes allemandes pouvaient savoir à quoi s’en tenir sur notre compte. Mais nous! un léger papier attaché à la queue d’un pigeon étaitnotre unique espoir relativement aux nouvelles du monde. Ce fut M. Louis Van Rosebeke, vice-président de la Société colombophile l'Espérance de Paris, qui conçut l’idée intelli- gente de faire sortir de Paris en ballon ses pigeons voyageurs Les trois premiers partirent le 25 septembre dans le ballon la Ville de Florence ; ils étaient confiés aux soins de l’aéronaute M. G. Mangin. Les enfants se figurent-ils bien, en voyant par un beau temps calme, un ballon qui se détache majestueusement sur le ciel pur, tous les dangers que couraient les hommes coura- PNR TT LE PIGEON. 99 ceux qui traversaient les airs au-dessus des Prussiens pour faire le service de la poste? Il y avait deux chances mortelles à courir : ou bien être atteint par une balle, et tomber avec son ballon d’une hauteur de plusieurs centaines de mètres, ou bien atterrir, soit par erreur, soit parce qu'on manquait de lest, au milieu des lignes prussiennes, et se voir dans celte alternative : la captivité ou la fusillade. Pour atteindre les ballons, les Prussiens avaient fait fabri- quer au trop célèbre Krupp un mousquet spécial. M. Gaston Tissandier, qui partit dans un mauvais ballon, dont il fallut raccommoder les trous à la hâte au dernier mo- ment, n’a pas oublié, dans le récit de son voyage, les pigeons ses compagnons. Ge qui suit est extrait de son livre : En ballon pendant le siège. « À neuf heures, le ballon est gonflé, on attache la nacelle. J’y entasse des sacs de lest et trois ballots de dépêches pesant 80 kilogrammes. « On m’apporte une cage contenant trois pigeons. « — Tenez, me dit Van Rosebeke, chargé du service de ces précieux messagers, ayez bien soin de mes oiseaux. A la des- cente, vous leur donnerez à boire, vous leur servirez quel- ques grains de blé. Quand ils auront bien mangé, vous en lancerez deux, après avoir attaché à une plume de leur queue la dépèche qui nous annoncera votre heureuse descente Quant au troisième pigeon, celui-ci qui a la tête brune, c’est un vieux malin que je ne donnerais pas pour 500 francs, Il a déjà fait de grands voyages. Vous le porterez à Tours. Ayez-en bien soin. Prenez garde qu’il ne se fatigue en chemin de fer. € Me voilà flottant au milieu de l'air! «Il est neuf heures cinquante, je plane à 1000 mètres de haut. Mes yeux ne se détachent pas de la campagne, où j’aper- 100 LE MONDE ANIMAL. cois un spectacle navrant qui ne s’effacera jamais de mon esprit. Ce ne sont plus ces environs de Paris riants et animés ; ce n’est plus la Seine, dont les bateaux sillonnent l’onde, où les canotiers agitent leurs avirons. C’est un désert, triste, dénudé, horrible. Pas un habitant sur les routes, pas une voi- ture, pas un convoi de chemin de fer. Pas un canot sur la Seine : ce fleuve déroule toujours son onde au milieu des cam- pagnes, mais avec tristesse et monotonie. Pas un soldat, pas une sentinelle; rien, rien, l’abandon du cimetière. On se croi- rail aux abords d’une ville antique détruite par le temps; il faut forcer son souvenir pour entrevoir par la pensée les deux millions d'hommes emprisonnés près de là dans une vaste muraille. «Il est dix heures. J'entends un léger roucoulement au- dessus de moi. Ce sont mes pigeons qui gémissent. Ils ne pa- raissent nullement rassurés et me regardent avec inquiétude. « Pauvres oiseaux, vous êtes mes seuls compagnons : aéro- nautes improvisés, vous ailez défier tous les marins de l'air, car vos ailes vous dirigeront bientôt vers Paris que vous quittez, et nos ballons sauront-ils y revenir? » M. Tissandier passe au-dessus de Versailles, et jette sur la tète des Prussiens qui se promènent dans les jardins de Louis XIV, un paquet de proclamations. Un vent vif l'emporte rapidement et une petite ville apparait bientôt à l’horizon. C’est Dreux, avec sa grande tour carrée. « Le Céleste descend, je le laisse revenir vers le sol. Voilà une nuée d'habitants qui accourent. Je me penche vers eux et je crie de toute la force de mes poumons : «€ — Y a-t-il des Prussiens par ici? « Mille voix me répondent en chœur : « — Non, non! descendez. « Je dégonfle à la hâte le Céleste, faisant écarter la foule par quelques gardes nationaux accourus en toute hâte. Une voiture LE PIGEON. 101 vient me prendre, m'enlève avec mes sacs de dépèches et ma cage de pigeons. Les pauvres oiseaux, immobiles, ne sont pas encore revenus de leur émotion. « Qu’ai-Je à faire maintenant? A lancer mes pigeons pour apprendre à mes amis que je suis encore de ce monde et pour annoncer que mes dépêches sont en lieu sûr. Je cours à la sous- préfecture, où J'ai envoyé mes méssagers ailés. On leur a donné du blé et de l’eau ; ils agitent leurs ailes dans leur cage. J’en saisis un, qui se laisse prendre sans remuer. Je lui attache à une plume de la queue ma petite missive écrite sur un papier fin. Je le lâche ; il vient se poser à mes pieds sur le sable d’une allée. Je renouvelle la mème opéralion pour le second pigeon, qui va se placer à côté de son compagnon. Nous les observons attentivement. Quelques secondes se passent. Tout à coup les deux pigeons battent de l'aile et bondissent d’un trait à 100 mètres de haut. Là ils planent et s’orientent; ils se tournent vivement vers tous les points de l’horizon; leur bec oscille comme l'aiguille d’une boussole cherchant un pôle mystérieux. Les voilà qui ont reconnu leur route; ils filent comme des flèches en droite ligne dans la direction de Paris! » Et en effet, le même jour, à 8 heures du soir, les deux pigeons de M. Van Rosebeke étaient de retour à Paris, annon- çant l’heureuse descente du Céleste à Dreux. Il y eut des aéronautes pris par les Prussiens. Tel fut M. Nobécourt, membre de la Société colombophile de Paris. Son ballon, atteint par les balles prussiennes, échoua près d’un camp ennemi. Les Allemands accoururent, mais avant qu’ils eussent le temps de tomber sur lui, M. Nobécourt put lâcher six pigeons, qui rentrèrent le lendemain à Paris avec une dépêche annonçant ce malheur. Le courageux aéronaute fut envoyé dans un wagon à bestiaux à Glatz, en Silésie, où il subit cinq mois de captivité. Les Prussiens s'étant emparés des pigeons qu’il n’avait pu 102 LE MONDE ANIMAL. lâcher, envoyérent à Paris de fausses dépêches annonçant des victoires ; mais comme ils ne les avaient pas attachées selon les règles adoptées par les colombophiles français, on ne fut pas dupe de cette lugubre et lourde farce d’Allemand. Il n'existe que deux races vraiment bonnes de pigeons voya- geurs de longue course : la race anglaise et la race belge, et la dernière est supérieure à l’autre. UN PIGEON PORTEUR DE DÉPÈCHES. « Le pigeon voyageur belge de bonne race est de taille moyenne, dit M. le Perre de Roo, mais il a une grande enver- oure. Il a les formes élégantes et les mouvements vifs et gra- cieux; la tête petite, le bec court, les caroncules nasales et les membranes charnues qui encadrent les yeux peu développées la poitrine ample et souvent ornée d’un jabot, les ailes vigou- reuses, serrées contre le corps et s'étendant par les rémiges jusqu'aux 3/4 de la longueur de la queue, qui est très étroite chez les oiseaux de belle race. Il a en général le plumage très serré, un aspect coquet, et ses yeux saillants et vifs lui donnent un cachet très distingué. « Il ya diverses nuances de plumage; mais les couleurs do- minantes sont le bleu, le bleu étincelé, le rouge étincelé, le fauve, etc. Le pigeon blanc uni est le plus rare. » LES OISEAUX DE PARADIS. 103 La vitesse du vol d’un pigeon voyageur est à peu près celle d’un train express; elle atteint toujours 4 kilomètre à la minute et dépasse quelquefois cette mesure. On a vu des pi- geons parcourir 925 kilomètres en 430 minutes, il en est qui sont capables de traverser la Méditerranée, mais ils s’ar- rêtent pour boire et pour manger sur les côtes d'Espagne ou d'Italie. Quand les pigeons voyageurs partent, ils s'élèvent jusqu’à ce qu’ils trouvent la couche d'air la plus favorable à la rapidité de leur vol. Une foule de précautions sont à prendre dans l'élevage de ces intéressan{s oiseaux. Une des principales consiste à ne pas les surmener pendant leur jeunesse. Ceux que l’on a fait tra- vailler beaucoup avant d’avoir atteint leur développement, dé- clinent dès l’âge de cinq ans, tandis que les pigeons qui ont été ménagés les deux premières années durent au moins dix ou douze ans comme messagers. On cite même des exemples de vingt campagnes. IV, — LES OISEAUX DE PARADIS Nous sommes ici dans l’ordre des passereaux. De cet ordre, comme de celui des grimpeurs, on peut dire avec Cuvier que leurs caractères semblent d'abord purement négatifs, car ils embrassent tous les oiseaux qui ne sont ni nageurs, n1 échas- siers, ni rapaces, ni gallinacés. Les passereaux n’ont « ni la violence des oiseaux de proie, ni le régime déterminé des gallinacés ou des oiseaux d’eau; les insectes, les fruits, les grains fournissent à leur nourriture: les grains, d'autant plus exclusivement que leur bec est plus fort; les insectes, qu’il est plus grêle. Ceux qui l'ont fort pour- suivent même les petits oiseaux ». C’est parmi les passereaux qu’on trouve les oiseaux chan- teurs; c’est parmi les grimpeurs que se classent les perroquets, 104 LE MONDE ANIMAL. dont plusieurs’ imitent la parole, véritables singes de la classe des oiseaux. Les passereaux forment un ordre très nombreux; nous avons cho'si parmi eux, pour vous les présenter, les merveil- leux oiseaux de paradis. Quand les anciens voyageurs européens arrivèrent aux Mo- luques en quête de la muscade et du girofle, on leur présenta des peaux d'oiseaux si belles, qu’ils furent transportés d’ad- miration. Pour les trafiquants malais, c’étaient les Manouk dewla (oiseaux de Dieu); les Portugais, qui ne leur voyaient ni ailes ni pieds, et qui ne purent rien apprendre d’authen- tique sur leur compte, les appelaient « oiseaux du soleil ». Ge furent les Hollandais qui les baptisèrent du nom « d’oiseaux de paradis ». Les paradisiers sont un peu moins grands que nos corbeaux ; mais leur plumage est énorme. De grands faisceaux de plumes délicates et brillantes qui sortent de dessous les ailes forment des manteaux, des éventails, des boucliers; les pennes mé- dianes de la queue s’allongent souvent en filets fantastiquement tordus, ou étincelants des teintes métalliques les plus vives. Dans une certaine variété, ces plumes accessoires se dressent sur le dos, la tête ou les épaules, tandis que l'intensité de leur couleur et le luxe miroitant de la robe ne sont égalés par aucune autre des créatures ailées, si ce n’est par le colibri, qui ne les surpasse point. À la moindre cause d’excitation, les ailes de l’oiseau se re- dressent verticalement, la tête se penche en avant, les longs panaches se relèvent, se déploient et forment deux splendides éventails d’or, rayés de rouge foncé à la base et passant de teinte en teinte au brun pâle de leurs pointes finement divisées et ondulées légèrement. L'oiseau disparaît presque sous sa riche parure; le corps se déprime, et le jaune de la tête, la nuance émeraude de la gorge, ne servent qu’à faire ressortir le nimbe d’or qui rayonne au-dessus. | rs CHASSE AUX OISEAUX DE PARANIS 106 LE MONDE ANIMAL, Comme il arrive chez presque tous les oiseaux, le sexe mâle a seul le privilège de ces ornements; la femelle est un oiseau très simple, très ordinaire, d’une couleur brun café qui ne varie jamais. Elle ne possède pas non plus la longue queue qui donne au mâle une allure si majestueuse. Sur dix-huit espèces dignes de composer cette riche famille, onze se trouvent dans la grande île des Papous. Les plus ex- traordinaires et les plus belles sont particulières à la Nouvelle- Guinée, Chez les Papous, les oiseaux de paradis sont le monopole des chefs des villages du littoral, qui les obtiennent à vil prix des montagnards pour les revendre aux trafiquants ; une parte est réservée pour le tribut annuel qu’exige le sultan de Timor. Aussi les indigènes voient-ils d’un œil jaloux un étranger, un Européen, aller lui-même faire ses achats dans l’intérieur. Ils ne peuvent se figurer que le seul amour de la science ly puisse pousser, et ils lui opposent mille difficultés. L'espèce jaune se trouve dans toutes les boutiques des tra- fiquants de Ternate, de Macassar et de Timor; mais c’est à peu près la seule : que d’ennuis à supporter pour découvrir et con- quérir les autres! Le mode de nidification des oiseaux de paradis est inconnu. Les naturels prétendent que les nids sont composés de feuilles et placés sur un nid de fourmis ou sur quelque branche avan- cée d’un arbre très élevé, et ils croient que chacun de ces nids ne contient qu'un petit. Les paradisiers sont omnivores. Ils se nourrissent de fruits et d'insectes ; parmi les fruits, ils préfèrent les petites figues ; parmi les insectes, les cigales, les sauterelles, etc. L’ennui les tue en cage ; cependant, dans un espace suffisamment vaste, oùils peuvent se donner beaucoup d’exercice, on arrive à les garder assez longtemps. Un de ces oiseaux, rapporté par M. Alfred Rus- sel Wallace, à qui nous devons de bien connaître les paradi- siers, vécut pendant deux ans au Jardin zoologique de Londres. L’EIDER, 107 V, — L'EIDER S'il est une substance au monde qui soit douce et chaude, c’est bien ce duvet soyeux connu sous le nom d’édredon, et qui sert à couvrir les lits en hiver. L’édredon est la dépouille d’un oiseau habitant des pays bo- réaux, que la nature a vêtu confortablement pour le défendre du double froid de l’air et de l’eau. Car l’eider appartient à l’ordre des palmipèdes, qui re- cherche l’eau, on peut le dire, à l’égal de l'air. Quand ces oiseaux ne volent pas, ils nagent, et leur corps est naturelle- ment approprié à cette double destination. Entre les doigts des pattes se trouve une large membrane qui en fait des rames excellentes; les ailes, que l'oiseau ouvre à moitié lorsqu'il est sur l’eau, semblent faire l'office de voiles, et complètent la ressemblance du corps, généralement allongé et légèrement aplati, avec une petite embarcation; enfin, une matière grasse constamment sécrétée par la peau empêche l'eau de mouiller les plumes. Des oiseaux si heureusement faits pour naviguer ne peuvent pasavoir uneallure bien dégagée sur la terre ferme. Qui n’are- marqué combien est lourde et gauche la démarche des canards, et combien, une fois à terre, les beaux cygnes, si majestueux sur l’eau, perdent de leurs avantages? Tous les palmipèdes volent admirablement bien. On connait la rapidité des canards sauvages, des cygnes ; les mouettes, les alcyons, les albatros suivent les navires dans leurs plus longs voyages, se reposant à peine de temps à autre sur les mâts et sur les cordages, et se laissant emporter avec des cris de Joie par les vents des plus furieuses tempêtes. L’eider est du même genre que le canard et s’en rapproche beaucoup au point de vue des mœurs. Il est extrêmement com- mun en [slande, où la chasse en est interdite. L’île d’Ingoë sur- cl E. Sn. - £ ; 4 F <3 108 LE MONDE ANIMAL. tout, près de Revkiavik, est un point de prédilection pour cet oiseau. Dans la saison, elle est presque entièrement couverte de nids d’eider. Pour tapisser son nid, la femelle s’arrache le duvet du ventre et en fait pour ses œufs un lit moelleux. Ce chef-d'œuvre, terminé bien avant la ponte, est ravi à la pauvre bête par son propriétaire, Elle recommence aussitôt un autre nid, et s’ar- rache tout ce qu’elle peut donner de duvet. On prend encore ces nouvelles plumes. Alors, incapable d’un troisième sacrilice sous peine de compromettre sa propre existence, la femelle cède la place au mâle, qui se met à s’arracher les plumes à son tour. Le dernier nid doit être respecté si l'industriel ne veut pas compromettre l’avenir de son exploitation. I parait qu'on fait beaucoup plus de cas du duvet ainsi arraché à vif que de celui que l’on recueille sur un oiseau mort. Le duvet est vendu sous le nom d’édredon, après avoir été débarrassé des matières étrangères qui le souillent, telles que terre, plumes, débris de coquilles d'œufs, fucus, etc. L’édredon constitue un revenu très rémunérateur pour les propriétaires d'îles à eiders ; il se vend, en effet, sur place de 28 à 30 francs la livre de 400 grammes. Dans ces dernières années, il en était exporté environ 7900 livres par an. Dès le mois d'août, à l'approche des frimas qui viennent de bonne heure en Islande, on ne voit presque plus d’eiders ; ils émigrent vers les zones plus chaudes pour revenir en mars et en avril. Une remarque intéressante : les personnes dont le langage est peu raffiné disent souvent un égledon, pour un édredon. C’est une faute, mais une faute si ancienne qu’il faut lui accor- der quelque indulgence. Édredon vient de eiderdunen, mot qui dans le Nord signifie duvet de canard. Or, du temps d’Ander- -son, auteur danois qui a fait en 1750 une histoire naturelle de l'Islande, on avait déjà le mot corrompu egledun ; et c’est même L'AUTRUCHE. 109 ainsi que l’auteur désigne les eiders dans la table de son livre. De ce mot egledun des Danois, les personnes rebelles à la grammaire ont tout naturellement fait égledon. VI. — L'AUTRUCHE Les oiseaux perchés sur de très longues jambes portent le nom significatif d’échassiers. Parmi les échassiers, 11 y a la catégorie de ceux qui se nour- rissent de poisson, et, pour cette raison, affectionnent les lieux marécageux, se promènent dans les étangs, parcourent sans s’y empètrer les prairies inondées; puis il y a la tribu de ceux — les extrêmes se touchent — qui habitent les lieux arides, sa- blonneux, et qui, à l’aide de leurs longues et fortes jambes, peuvent errer dans l’immensité des déserts africains. En tête de ces derniers il faut mettre l’autruche, oiseau énorme, plus haut qu'un cheval et aussi fort. Une masse pa- reille ne saurait voler : l’autruche n’a pas vraiment d’ailes, mais des sortes de moignons sur lesquels sont implantées de longues plumes. Ces plumes et ces moignons, insuffisants pour le vol, sont, au contraire, d’un très grand secours pour la marche; ils supportent une grande partie du corps de l'oiseau et en font un rapide coureur. Vous connaissez du reste l’autruche pour lavoir vue au Jar- din d’Acclimatation ; peut-être même êtes-vous montés dans la petite voiture trainée par ce pauvre animal, né pour la vie sauvage et libre du désert, et que l’homme commence à do- mestiquer. Tout le monde sait quel prix on attache aux plumes de l’au- truche, surtout à celles de la queue, si longues et si blanches, qu'à Paris, chez nos modistes, on n'hésite pas à les payer trente francs la pièce. Les élégantes parisiennes ne sont pas seules à apprécier cette 110 LE MONDE ANIMAL. parure légère; les peuples semi-barbares du Sahara en font un grand cas. La tribu des Ouled-Sidi-Cheik, une des tribus nobles du désert, met des bouquets de plumes d’autruche au sommet de ses tentes et en orne ses atlatchichs, sortes de palanquins, qui, posés sur le dos des chameaux, renferment, pendant les émigrations, femmes, enfants et malades. Les Ouled-Sidi-Cheik ont des faucons, des meutes excel- lentes, des chevaux superbes. Outre leurs chasses de pur divertissement, ils pratiquent la chasse à l’autruche, où ils trouvent à la fois plaisir et profit. S'attacher et fixer autour de soi les animaux utiles plutôt que les détruire constamment a toujours été le rêve de l’homme civilisé. C’est pourquoi on a cherché dans la colonie anglaise du Cap à élever et à garder de jeunes autruches dans Pintention de leur faire subir, sans autre mal qu’une légère douleur, un arrachage périodique de leurs belles plumes. Le journal {a Nature à publié récemment, d’après des photographies, une série de jolis dessins qui forment l’his- toire complète de l’autruche réduite à cette espèce de domes- cité imaginée par un des plus riches éleveurs du sud de l'Afrique. M. Douglass possédait, il y a dix ans, des autruches sauvages. Ayant constaté qu’elles pondaient en captivité, il commença des expériences d’incubation artificielle. Tous ceux d’entre vous qui sont allés à l'Exposition univer- selle se sont certainement arrêtés autour d’un kiosque où des multitudes de petits poussins et de petits canetons à peine sortis de l'œuf se pressaient les uns contre les autres. Cependant aucune poule, aucune cane pour tous ces petits, aucune mère en un mot. C’est que les mères des oiseaux n’ont pas, comme celles des petits chiens et des petits chats, à leur donner du lait; leur rôle se borne à faire éclore leurs œufs, et pour cela à les maintenir dans une douce chaleur : aussi peut-on les remplacer dans cet office par des caisses bien doublées de s il AVNINV AUANVd 49 MVd AANIVUL AUNLIOA ALILAd VIT SNVA SHLNON SNOA=-SAULX ANGN 4 UL(=rNtd 112 LE MONDE ANIMAL. duvet, Gù l’on maintient pendant le temps voulu la tempéra- ture qui fait sortir les poulets et les canetons de leur coquille. Ces caisses sont ce que l’on appelle des incubateurs artificiels. On se sert d'incubateurs artificiels dans l'élevage des au- truches, afin de ménager les belles plumes du mâle et de la femelle, qui se froissent et se salissent pendant le couvage. Un autre grand avantage est de soustraire les œufs à une foule de causes d'accidents et de destruction. Seulement, cette substi- tution d’un appareil à la mère met l’éleveur dans l’obliga- tion de prendre entièrement les fonctions de celle-ci; el pour. J'autruche, ce n’est pas une sinécure. En effet, la coquille des œufs est si épaisse et si solide, que le petit autruchon n’en sort pas sans de sérieuses difficultés. Le poulet offre une particularité bien intéressante. Quand il est complètement développé dans l'œuf et qu’il a fini son temps de prison, 1l brise lui-même la coquille et apparaît à la lumière. Pour cela, la prévoyante nature a renforcé le bout de son bec d’une espèce de second bec où s'enfonce le pre mier comme le bout du doigt dans un dé à coudre. Ce dé corné très résistant accomplit aisément la besogne; l'opération ter- minée, il tombe comme un objet désormais inutile à l’oiseau. Chez l’autruchon, les choses se passent autrement et il reste dans son œuf jusqu'à ce que ses parents, reconnaissant à de certains signes qu'il est prêt pour la vie active du dehors, rompent eux-mêmes à coups de leurs gros becs la cellule du petit. Quand on emploie l’incubateur, il faut guetter de même l’époque où l’éclosion doit se faire, et, à défaut de bec, em- ployer un marteau à ja libération des jeunes élèves. Rien de curieux comme de voir ces petits êtres remuants remplacer tout à coup dans la chambre d’éclosion les œufs polis et inertes d’où ils sortent. Aujourd’hui M. Douglass est parvenu à faire de l’élevage des autruches en captivité l’objet d’une véritable exploitation industrielle, mais ce n’a pas été sans beaucoup de recher- Lt à L'AUTRUCHE. 113 ches et de déceptions. Il à commencé avec onze autruches ; il en possède à l'heure qu'il est plus de neuf cents, dont les plumes lui fournissent de très gros revenus. La ferme occupe environ 1200 acres d’un sol raboteux, destiné aupara- vant à l'élevage des moutons. Les autruches laissées dans ce clos y prospèrent et y pondent très souvent. Des inspections se font pour découvrir les nids, sur lesquels le père et la mère veulent se partager la tâche de couver. Il n’est pas sans danger d’ailleurs de déranger couveur ou couveuse; l’oiseau s’irrite, et si c’est un mâle qui couve, il met en fuite hommes et chevaux, effrayés de ses ruades furieuses. On plume les autruches quand elles n’ont pas encore un an. On en voit que l’on plume depuis seize ans et qui n’en possèdent pas moins un plumage complet. Quand vient l’époque de la plume, on allèche les autruches qui doivent subir l'opération en les gorgeant de maïs, après les avoir attirées dans un enclos où elles suivent quiconque leur présente cette friandise. Quand l’enclos est rempli, on en ferme l’entrée au moven d’une porte mobile qui resserre les autruches de plus en plus et les met hors d'état d’opposer la moindre résistance. Elles sont pressées au point de ne pou- voir déployer leurs ailes ni ruer avec leur vigueur habituelle. Alors des hommes s’introduisent dans leurs rangs, empoignent leurs ailes et arrachent ou coupent les plumes désirées. Les deux procédés s’emploient indifféremment, mais le premier est le plus profitable. Il paraît d’ailleurs que l'opération n’est pas trop douloureuse pour l’autruche, dont la santé ne pâtit pas. Les plumes sont triées avec soin et distribuées en lots; celles qui proviennent du dessous de l’aile sont de beaucoup les plus précieuses et se vendent 6295 francs la livre. L’autruche n’est pas seule à donner des plumes recherchées dans le commerce; beaucoup d’autres espèces partagent avec elle ce privilège qui leur est bien fatal, car pour s'emparer de leur belle dépouille on leur fait la chasse la plus acharnée. En Cochinchine, on voit arriver au commencement d'avril, LE MONDE ANIMAL. 8 114 LE MONDE ANIMAL. en troupes nombreuses, des aigrettes, des hérons, des cigo- ones, des marabouts. Ces milliers d'oiseaux réunis se prêtent un mutuel appui contre les ennemis de toutes sortes qui les entourent. Si un oi- seau de proie se hasarde au milieu d’eux, il est entouré immé- jatement : petits et grands s’acharnent après lui, passant et repassant autour de sa tête, le frappant de vigoureux coups d’aile et de coups de bec; s'ils ont affaire à un quadrupède, c’est aux yeux qu'ils Pattaquent : l’animal a beau prendre la fuite, il est aveuglé en peu de temps. | Vers la fin de mai, tous les jeunes sont élevés et ont pris leurs plumes, mais ils sont généralement lourds et ne savent pas voler. C’est ce moment que choisissent pour le massacre les Chinois, qui sont ordinairement les fermiers de la chasse. Pendant le temps de la couvée, ces industriels ont entouré de claies légères en bambou tout l’espace occupé par les nids; le terrain ainsi enclos est de 4 à 5 hectares. Ensuite on soulève soigneusement les herbes, et autour de la place dénudée on forme à laide de claies une sorte de cage peu étendue. Ces dispositions "prises, et le moment arrivé, voici ce que font les destructeurs d'oiseaux. Par un beau soir après le coucher du soleil, les vents de mer ayant remplacé les vents de terre, les Chinois, qui depuis quel- ques jours ont fait dans l’enceinte des oiseaux des amas de plantes sèches, y mettent le feu dans vingt ou trente endroits différents. Bientôt le sol est en combustion, les herbes se tor- dent, crépitent et pétillent; la fumée, les flammes lèchent et suivent la surface de la terre; c’est un coup d’œil imposant et terrible. Comme on le pense, les oiseaux adultes, saisis d’épouvante, ont pris leur vol; ils planent au-dessus de leur jeune famille, et par leurs cris répétés entraînent leur progéniture qui, les ailes déployées, les suit en marchant. Ils sont bientôt réunis dans la deuxième enceinte, où ils s’entassent les uns sur les autres et LE SERPENTAIRE. 115 sont ensuite enfermés complètement à l’aide de nouvelles claies. Les Chinois, qui ont engagé de nombreux Annamites pour l'exécution des oiseaux, pénètrent avec leurs aides dans cette deuxième enceinte, et tous, munis de leurs bâtons, s’avancent en ligne, et frappent à la tête les pauvres jeunes oiseaux, qui, sans défense, tombent assommés, En une demi-heure, plusieurs milliers de cadavres couvrent le sol. On tue par année 18 000 Oiseaux. Le prix sur place est en moyenne d'environ 2 francs la paire d'ailes. Les plumes sans choix valent 5 francs le kilogramme. Toutes ces plumes sont dirigées vers l’industrieuse et grande ville de Canton, où elles servent à la fabrication si importante des écrans et des éventails; on voit, dans les rues occupées par les nombreux marchands d’éventails et d'écrans, des boutiques où les plumes sont enfilées et nouées par ordre de grandeur. Quant à la chair des oiseaux, elle est consommée sur place ou envoyée en Chine et au Japon, où elle est appréciée comme assaisonnement du riz. VIls — LE SERPENTAIRE. Monté sur de longues jambes comme un échassier, avec la tête d’un oiseau de proie, le serpentaire est placé tantôt dans l’un, tantôt dans l’autre de ces deux ordres. Son nom lui vient de la guerre sans trêve qu'il fait aux serpents. Naturel- lement il habite les pays où ce genre de gibier foisonne, notam- ment l’Afrique australe. Au Cap, il s’est acquis une véritable célébrité. Les Hollandais donnent à cet animal le nom de secrétaire, à cause de la touffe de plumes qu’il porte derrière la tête, et qui ressemble assez à la plume d’oie qu'un homme de bureau se pose quelquefois sur l’oreille quand il interrompt son travail. Il est très intéressant de voir un secrétaire aux prises avec 116 LE. MONDE ANIMAL. un serpent. D'abord le combat est très vif des deux côtés, la ruse égale de part et d’autre. Sentant l’infériorité de ses forces, le serpent emploie pour fuir et regagner son trou la prudence adroite qu’on lui attribue, tandis que l'oiseau, qui devine son intention, l’arrête tout à coup, et par un saut se jette au-devant de lui et coupe sa marche. De quelque côté que le reptile essaye de s’échapper, il retrouve toujours son ennemi. Alors, faisant appel à tout son courage, il se dresse fièrement pour LE SERPENTAIRE. l'intimider, et, avec un sifflement affreux, lui présente une oueule menaçante, des yeux enflammés et une tête gonflée de venin. Quelquefois cette résistance offensive suspend pour un in- LE SERPENTAIRE. 117 stant les hostilités ; mais bientôt l'oiseau revient à la charge, el se couvrant le corps avec une de ses ailes en guise de bouclier, se sert de l’autre comme d’une massue pour frapper le reptile, car ces ailes sont loin d’être uniquement l'éventail soyeux qu’on se figure chez tous les oiseaux : elles sont garnies de trois protubérances osseuses qui en font des armes tout à fait propres à assommer. Les protubérances tombent sans relâche sur l'infortuné serpent que rien ne garantit et qui, au bout de quelques secondes, reste étendu; alors le vainqueur, pour l’achever, lui ouvre le crâne d’un coup de bec. La voracité du serpentaire est énorme. Ua chasseur a trouvé dansle jabot d’un individu qu'il venait d’abattre : 11 lézard assez grands, 3 serpents de la longueur du bras, 11 petites tortues entères, une quantité de sauterelles et d'insectes, dont la plupart assez intacts pour aller figurer ensuite dans une collection. Les lézards, les serpents, les tortues avaient tous reçu le fatal coup de bec à la tête. Outre cette masse d'aliments, le jabot contenait une espèce de pelotte, de la grosseur d’un œuf d’oie, formée des vertèbres des reptiles qu'il avait dévorés auparavant, d’écailles de petites tortues, et d'ailes, de pattes et de corselets de différents sca- rabées. Cette pelote revenait sans doute de l'estomac et atten- dait que l’animal s’en débarrassâät en la vomissant, ainsi que cela arrive souvent aux oiseaux de proie. Mème repu à ne pouvoir faire tenir une parcelle de plus dans son complaisant jabot, le secrétaire se jette avec rage sur les serpents qu’il rencontre, poussé par la haine seule que ces bêtes lui inspirent. Au ‘Cap, les services du serpentaire sont tellement appré- ciés, que les colons et les Hottentots regardent comme une mauvaise action de le tuer. C’est leur oiseau sacré. On apprivoise facilement le serpentaire, et quand il est devenu domestique, toute nourriture, cuite ou crue, lui con- vient également, Si l’on a soin de lui donner toujours de quoi 118 LE MONDE ANIMAL. bien remplir son fameux jabot, il vit amicalement avec la volaille. Quand il voit quelque dispute, 1l accourt pour séparer les combattants et ramener l’ordre. En somme, les serpentaires sont de très jolis oiseaux. Vous en avez certainement vu au Jardin des Plantes, et vous en avez même remarqué un — peut-être sans savoir son nom, — car il avait une jambe de bois. Son intirmité lui valait beaucoup de succès dans le public d’enfants qui le regardait prendre ses ébats auprès du grand bassin des oiseaux. 7" é CHAPITRE II REPTILES Ainsi que leur nom l’indique, les reptiles sont des animaux qui rampent; beaucoup cependant ont des membres, mais si courts, que le ventre de la bête touche toujours le sol. Les reptiles nagent lous fort bien. Is ont le sang froid : leur corps est à la température de l'air ambiant. Leurs poumons ne ressemblent pas à ceux des mammifères ni des oiseaux; les cellules en sont extrêmement grandes. Les reptiles peuvent rester fort longtemps sans res- pirer. | Comme ils n’ont pas de chaleur à conserver, la nature ne s’est pas donné la peine de les couvrir chaudement; ils sont tout simplement revêtus soit d’écailles, soit même d’une peau nue. | Les reptiles pondent des œufs, mais ne les couvent pas. Ils sont beaucoup moins nombreux en espèces que les classes pré- cédentes, et c'est seulement dans les pays chauds qu’ils pullu- lent et alteignent de grandes dimensions. On n’admet généralement pas plus de quatre ordres parmi eux. I. — LES TORTUES Ces animaux se distinguent au premier coup d'œil par le double bouclier dans lequel le corps est enfermé, et qui ne 4 120 LE MONDE ANIMAL. laisse passer au dehors que la tête, le cou, la queue et les quatre pieds. Le bouclier supérieur, nommé carapace, est formé par les côtes, au nombre de huit paires, considérablement élargies et soudées entre elles. Le bouclier inférieur est appelé plastron. La carapace et le plastron donnent la substance précieuse connue sous le nom d’écaille. Les tortues n’ont point de dents; leurs mâchoires sont revêlues de corne, comme celles des oiseaux. Elles sont très vivaces; on en à vu se mouvoir sans tête pendant plusieurs semaines ; il leur faut très peu de nourriture, et Cuvier assure qu'elles peuvent rester des années sans manger. Ce qui est certain, c’est qu’elles passent souvent l'hiver dans un sommeil absolu. On a fait de Ja tortue le symbole de la lenteur. Pesamment chargée, elle ne peut en effet aller bien vite, mais elle dé- pense autant d’énergie pour trainer sa maison que le hèvre pour échapper aux chasseurs; et quand un soleil ardent échauffe sa carapace, elle se meut avec une rapidité très ap- préciable : il parait qu’en Algérie les petites tortues éléphan- tines (ainsi nommées à cause de leurs pieds, de vraies minia- tures de pieds d’éléphants) courent à merveille. Selon leur habitat, on classe les tortues en tortues de terre, tortues d’eau douce et tortues de mer. Les tortues de terre ont la carapace très bombée. Citons parmi elles la tortue des Indes, espèce d'un volume énorme, qui atteint trois pieds et plus de longueur. Les tortues d’eau douce ont une enveloppe généralement plus aplatie que celle des tortues de terre. Les intervalles de leurs doigts sont occupés par des membranes. La plupart vivent d'insectes, de petits poissons. Une des plus jolies espèces est la forlue peinte, qui est lisse, brune, et dont cha- cune des écailles est entourée d’un ruban jaune, fort large au bord antérieur. (Il IH\E [ Al Al | (|| | TORTUES 5 LE {122 LE MONDE ANIMAL. On la trouve dans l'Amérique septentrionale, le long des rivières, sur les rochers ou dans les troncs d'arbres, d’où elle se laisse tomber dans l’eau aussilôt qu’on l'approche. Les tortues de terre et les tortues d’eau douce peuvent ren- trer leur tête et même leurs pieds dans leur carapace. Il n’en est pas de même des tortues de mer, dont l'enveloppe ne se prolonge pas assez, eu égard surtont à la mension de leursdi LE CARET pieds, aplatis en nageoires, et dont tous les doigts sont étroi- tement réunis et enveloppés dans la même membrane. Parmi les tortues de mer, une espèce exquise à manger est la tortue franche, dont le célèbre Chevet ne dédaigne pas de faire des potages et des ragoûts. On l'appelle aussi tortue verte, à cause de la couleur de ses écailles. Ce chélonien a jusqu’à six à sept pieds de long, et pèse 7 à 800 livres. I vit dans la zone torride, où il pait en grandes troupes les algues au fond de la mer. Les œufs que la tortue franche dépose dans le sable, au soleil, sont très nombreux et excellents au goût. La plus belle écaille de tortue est fournie par une espèce voisine, le caret. Celle de la tortue franche n’est bonne à rien. <. LE CAMÉLÉON. 123 II. — LE CAMÉLÉON Les lézards, qu’on appelle aussi sauriens, ce qui en grec veut dire li mème chose, sont généralement pourvus de quatre patles, mais non pas tous, car l’orvet, confondu quelquefois avec les serpents, n’en a pas du tout. Nous avons dans nos cli- mats le lézard gris etle lézard vert, qui s’apprivoisent facile- ment. Dans les pays chauds, le plus remarquable est à coup sûr le caméléon, connu de toute antiquité pour ses change- ments de couleur. Bien qu'aujourd'hui l’on ait fait justice des fables auxquelles il avait donné lieu, le caméléon n’en reste pas moins un ani- mal fort singulier. Il à quatre paltes; sa peau est mince et souple. Il est d'un naturel doux et paisible, et ne se nourrit que d'insectes. M. Paul Bert a remarqué que lorsqu'on met le caméléon en présence d’une proie vivante, d’une grosse saulerelle par exemple, on le voit s'approcher, la regarder d’un œil, bâiller fortement pour dégager sa langue renfermée dans une poche spéciale ; puis, lorsqu'il se trouve à une distance de 10 à 15 centimètres, darder une langue tubuliforme et saisir Panimal en l’attirant avec une telle rapidilé, qu'on ne peut se rendre compte de ces derniers mouvements. Le savant physiologiste s’est assuré que la langue est pro- pulsée par un mécanisme analogue à celui par lequel s'échappe un noyau de cerise pressé entre les doigts : les bandelettes musculaires qui entrainent la langue font ici le même office que les doigts qui pressent le noyau. Golberry, auteur d’un très intéressant Voyage en À frique, dit qu’en liberté les caméléons, pour chasser, demeurent immobiles sur une branche ou dans l'herbe; alors ils laissent pendre leur langue glutineuse, qui ressemble à un ver de terre, et qui se recouvre bienlèt de petits insectes qu'ils a 4 Le OA Le avalent avec une rapidité prodigieuse. Ce manège esl sans cesse répété, et toujours avec succès, parce que l’insecte, trompé par la couleur du lézard qui se confond avec celle des herbes et des feuilles, s'approche sans méfiance et se prend de lui-même au piège. On prétendait autrefois que le caméléon se parait de la cou- leur de tous les objets qu’il touchait. C’est une erreur. On peut 124 LE MONDE ANIMAL. LE CAMÉLÉON l'envelopper aussi longtemps qu’on voudra d’étoffes bleues, jaunes, roses, vertes, sans qu'il se teigne de ces couleurs: ainsi on le trouvera quelquefois jaune dans une étoffe rose, ou réci- proquement. La couleur de l'animal, quand il est parfaitement heureux, semble être le beau vert émeraude. (C’est toujours celle qu’on lui voit quand il se promène, l'estomac bien pourvu d’insectes, dans les arbres ou au milieu des prairies. Mais la moindre sen- sation douloureuse suffit pour altérer cette couleur. Si lon inquiète le caméléon, le vert éclatant devient le vert terne; puis le vert terne passe au vert jaune, le vert jaune au jaune piqué de points rouges; puis viennent le jaune brun piqué LE CAMÉLÉON. 125 de rouge brun, le gris brun piqué de noir ; enfin, de nuance en nuance, la pauvre bête devient toute noire, ce qui est sa couleur de deuil, le signe extérieur de sa plus profonde dé- tresse. « Le beau vert de la peau de ce lézard dans son parfait état de santé, dit Golberry, le confond si bien avec les feuilles ou l'herbe dans lesquelles il se cache, que ce n’est que par hasard qu'on le découvre; cette belle couleur est aussi sa sauvegarde contre les animaux qui voudraient lui nuire et qui ne le voient pas; il faut effectivement un œil bien exercé pour l’aperce- voir. « Ce reptile sait donc bien que ce n’est que confondu avec les feuilles ou dans les arbres qu’il se procure sa nourriture et qu'il échappe à ses ennemis; et quand la perte de sa liberté lui enlève ces avantages, alors, plein d’appréhensions, de craintes et de terreurs, sa vie n’est qu'un tourment, et 1l est livré à toutes les angoisses de la peur; sa santé s’altère, ainsi que la fraicheur de sa couleur naturelle. € Aussi, toutes les fois que je prenais un caméléon libre, ou dans l’herbe ou sur la branche où il était perché, très peu de moments après j'apercevais non seulement une altération sensible dans sa belle couleur, mais aussi une diminution dans la rondeur du corps. « Je plaçais l'animal sur le sable aride, ou sur le plancher, ou dans une cage; bientôt il commençait à jaunir, bientôt il expirait insensiblement l'air dont il était rempli, il se désen- flait, et le volume de son corps diminuait à vue d’œii. » Tout récemment, M. Bert a vu passer le curieux reptile du noir profond au jaune pâle, au violet, au gris, au bleu, au rose, et cela dans un court espace de temps, sous l'influence de pas- sions diverses. Un autre fait qu’il nous a signalé est l'indépendance des yeux du caméléon. Chaque œil donne à cet animal une percep- tion différente, de sorte que, lorsqu'on le réveille en mettant 126 LE MONDE ANIMAL. une lumière devant un œil, la moitié du corps correspondant à l'œil réveillé se colore d’une nuance différente de celle que revêt l’autre moitié réveillée à son tour. Les deux perceptions lumineuses ont été différentes, les deux effets sur la coloration s’en sont ressentis. Comme tous les reptiles, les caméléons peuvent rester fort longtemps sans manger : il en est qui ont vécu quatre mois sans prendre aucune nourriture. Ïls sont très communs au Sénégal. III. — LES SERPENTS VENIMEUX. Il est peu d’animaux qui inspirent aussi généralement l’hor- reur el la répulsion que les serpents venimeux. La vue seule de ces êtres rampants, silencieux, froids et empoisonnés fige le sang dans nos veines : cette impression, quelquefois irréfléchie, est justifiée malheureusement par les terribles effets de leur morsure. On est tranquille, on respire avec bonheur l’air embaumé de quelque parterre ; on savoure le repos sous une véranda savam- ment abritée des ardeurs du soleil : tout à coup, le pied, la main, glissent sur un objet d'apparence inerte, à peine entrevu, et qui disparait sans bruit : on est mordu, et si le secours n’est pas là tout prêt, on est perdu! C’est comme une trahison de la nature; on croit marcher sur un bois mort, C’est la cobra; on croit toucher des fleurs brillantes, c’est le coral, c’est le flos- culus, car ces monstres revêtent parfois des parures mer- veilleuses d'éclat et de fraicheur. Lorsqu'on vient d’être blessé, on n’éprouve d’abord que la douleur de la morsure. Mais bientôt on ressent un fourmillement dansles membres, puis de l’engourdissement. La langue s’épais- sit, ou du moins il semble qu’elle augmente de volume. La tête s’emplit de douleurs violentes qui amènent parfois l’évanouisse- NE ï il il | C’EST AUSSI UN SPECTACLE TRÈS CURIEUX QUE CELUI DES CHARMEURS LORSQU'ILS ATTIRENT LES SERPENTS PAR LEUR MUSIQUE 128 LE MONDE ANIMAL. ment. La partie atteinte enfle, et la tuméfaction gagne de proche en proche. Après ces symptômes communs à la plupart des cas, appa- raissent les accidents spéciaux qui caractérisent la morsure des diverses espèces. Le serpent à lunettes, si commun aux Indes, tue un homme visoureux en un petit quart d'heure; un autre, presque fou- droyant, justifie le nom de cinco minulos (cinq minutes) qu'il porte à la Nouvelle-Grenade. Mais ce sont là les moins redou- tables, car rien n’égale l'horreur de l’interminable supplice infligé par d’autres espèces. Le venin du manddala naga à la propriété de rester à tout jamais dans le corps de ses victimes, et d’amener des espèces de taches assez semblables aux plaies de la lèpre, et qui peu à peu envahissent la peau tout entière. Plus terribles encore, la podridora uméricaine et la kollaga manddana de VInde don- nent lieu à une lente gangrène, c’est-à-dire à la pourriture des chairs, d’abord autour de la blessure, puis sur une surface et à une profondeur qui va toujours croissant. Les habitants des pays infectés par ces horribles bêtes ne sont pas sans avoir essayé d’une foule de contre-poisons, et dans chaque région on accorde des vertus bienfaisantes à des plantes dont on prend tantôt les feuilles, tantôt les racines, ou les fleurs ou les fruits. Parmi ces plantes il faut citer tout spécialement le quaco de l'Amérique du Sud. C’est un arbuste élégant, à fleurs violettes, qu’on peut voir dans la serre chaude du Jardin des Plantes, et dont la propriété antivenimeuse a, dit-on, été révélée aux habi- tants du nouveau monde par un oiseau. Cet oiseau, sorte de faucon du Choco, a, comme le serpentaire, reçu la noble mission de détruire les terribles reptiles qui nous occupent, et s’acquitte de sa tâche avec un courage et un succès qui lui ont valu l’ad- miration des sauvages eux-mêmes, Il faut le voir tomber du ciel sur son rampant adversaire, le saisir d’un bec sûr, l’élever au LES SERPENTS VENIMEUX. 129 plus haut des airs, et le précipiter sur le sol pour lécraser, Mais il ne fait pas cette guerre de tous les instants sans être atteint parfois par les crochets venimeux de ses ennemis. Sitôt mordu, il a recours à l’arbuste sauveur, et c’est le cri ordinaire de l'oiseau, kuaco, qui est devenu le nom de la plante. Mais ce qui vaut encore micux que les remèdes contre la blessure, ce sont les préservatifs qui éloignent les serpents et les empêchent de mordre. Il paraît que ces préservatifs existent réellement, et, si nous en croyons un savant qui a voyagé dans la république Argentine, la vulgaire gousse d'ail jouirait de cette bienfaisante propriété. Selon lui l'odeur de lPail est tellement antipathique à toute la cent rampante, qu'il suffit d’en porter deux ou trois gousses avec soi pour être absolument en sûreté au milieu d’elle. On ajoute que la sécrétion musquée de certains mammifères jouit du mème privilège; eton doit en conclure que les serpents ont l’odorat assez délicat. L'existence réelle d’antidotes puissants contre le venin est démontrée d’ailleurs par l’immunité dont jouissent, en présence des espèces les plus redoutables, les fameux charmeurs de l'Inde. L'adresse, la rapidité de mouvement, la présence d'esprit et un long exercice sont les qualités maïitresses de ces charla- tans dont tout le monde n’aurait pas choisi le métier; ils ont oénéralement pour compagnon un singe porlant sur sa tête une corbeille où se dressent un ou plusieurs serpents à lunettes; ce singe se promène avec sa corbeille jusqu’au mo- ment où tout à coup il la jette par terre avec ses serpents, à la plus grande Joie de la foule accourue autour du charmeur. Le jongleur alors se fait mordre par un serpent, après quoi il commence son « boniment », et apprend aux spectateurs qu’il possède des pierres magiques ayant la propriété de boire le poison; le public mord à l’hamecon et le bateleur vend ses pierres à des prix fabuleux. LE MONDE ANIMAL. 9 ÈS 130 LE MONDE ANIMAL. Ïl est de toute évidence que ces gens-là ont un remède assuré contre le venin des serpents, probablement ce qu’on appelle la racine de ñnagai. Mais cette racine, ils ne s’en dessaisissent pas; vous pouvez la leur marchander, ils vous la cèdent moyen- nant un bon prix; mais, au moment de vous la remettre, ils l’escamotent, la changent pour quelque racine vulgaire qui a la même apparence, mais non lès mêmes propriétés. C’est aussi un spectacle très curieux que celui des charmeurs lorsqu'ils attirent les serpents par leur musique. D'une mu- ‘ sette toute primitive, faite simplement d’une noix de coco et de deux tuyaux, ils tirent des accords à faire dresser les cheveux sur la tête, des notes saccadées reproduites toujours les mêmes pendant un certain temps. On voit bientôt les serpents attirés comme par une force invincible, sortir de leurs retraites les plus cachées et avancer vers le musicien. Celui-ci, au moment favorable, laisse tomber son instrument et empoigne la bête à pleine main par le milieu du corps, sans s'inquiéter des mor- sures cruelles qu'il en reçoit. Sans se presser, quand le rep- üile est privé de ses crochets et emprisonné dans un sac, le jongleur étanche son sang, et la fameuse racine de nagaï fait disparaître aussitôt tout danger. Une fois domptés, les serpents ne s’appartiennent plus; ils sont devenus la chose du charmeur. Il n’a qu’à faire résonner sa flûte, animal se dresse verticalement sur sa queue et se dandine'en mesure aussi longtemps qu’il plait à son maitre. Pour finir par quelques généralités sur les serpents, disons que de tous les reptiles ce sont ceux qui en méritent le mieux la dénomination, car ils sont entièrement dépourvus de pieds, et leur corps très allongé se meut au moyen des replis qu’il fait sur le sol. Tous les serpents ne sont pas venimeux, comme vous le savez bien; il y en a qui sont absolument dépourvus de crochets empoisonnés. La couleuvre est un animal à peu près inoffensif. Il n’en est pas de même des grands serpents, tels que les boas, : 4 LES SERPENTS VENIMEUX. 131 qui mangent souvent des animaux en apparence plus gros qu'eux. Au dire de beaucoup de voyageurs, le boa avale un bœuf; pour y arriver, 1l lécrase dans ses replis, l’enduit d’une salive gluante, et dilate d’une façon effrayante ses mâchoires et son gosier. Cette opération est fort longue, et quand elle est accomplie, le serpent est dans un tel état de tor- peur, qu'on peut l’approcher et le tuer sans danger , CHAPITRE IV BATRACIENS Une classe singulière est celle des batraciens. Les anciens na- turalistes faisaient de ces animaux des reptiles ; mais les mo- dernes, observateurs plus pénétrants, ayant remarqué que dans le jeune âge les batraciens vivent et respirent dans l’eau, où ils se comportent comme de véritables poissons, jugèrent à propos de réunir les genres qui offrent cette particularité en une classe à laquelle ils donnèrent le nom de batraciens. Ce mot, tiré du orec, signifie tout simplement grenouille. La grenouille y forme, en effet, un genre très important et très répandu. Sortis de l'œuf, les jeunes batraciens ont donc une existence purement aquatique, respirant par desbranchies', et possédant une circulation tout à fait analogue à celle des poissons. Ils sont alors ce qu'on appelle des létards. Au bout d’un certain temps, une métamorphose s’accomplit en eux : les branchies deviennent des poumons, le cœur prend trois cavités, et le batracien, quittant sa mare ou son étang, saute sur les bords humides pour y respirer, ou même, comme certaines espèces de crapauds, s’en éloigne à tout jamais. Les batraciens sont répartis en trois ordres : le premier, ce- lui des anoures”, a pour typesles grenouilles et les crapauds; le deuxième, celuides urodèles”, est représenté par les salamandres 1. Les branchies seront décrites à propos des poissons. 2. « Sans queue. » 3. « À queue, » LE CRAPAUD. 133 et les axolotls; le troisième est celui des cécilies, qui ne comprend que des espèces peu nombreuses et étrangères à l’Europe. I. — LE CRAP AUD Ayant à choisir, pour vous donner une idée des anoures, en- tre l’appétissante grenouille, qui est un mets délicat, et le hi- deux crapaud, dont la vue inspire l'horreur, nous prendrons, si LE CRAPAUD. vous le voulez bien, notre courage à deux mains, et nous regar- derons en face cette espèce de lépreux dont on fuit le contact. Oui, le crapaud est laid, selon les idées que nous nous formons de la beauté : un dos épaté, un ventre gonflé, une peau visqueuse souvent couverte de pustules, une démarche lente et rampante, une odeur d’ail répandue autour de son individu, tel est le per- sonnage. Mais que nous le trouvions beau ou laid, cela lui est égal. Quand il se promène la nuit, au clair de lune, devant sa femelle, celle-ci le trouve magnifique, et il n’en faut pas plus pour le rendre tout fier de sa personne. Ce qui ne lui est pas indifférent de notre part, ce sont les calomnies qu'on a répandues sur son compte, et qui l'ont exposé à toute sorte 134 LE MONDE ANIMAL. de persécutions. Jadis on en faisait l'associé et le complice des sorciers, et il montait avec eux sur le bücher; les fous qui se croyaient sorciers l’écrasaient sans pitié pour com- poser leurs poisons et leurs philtres; les apothicaires lui at- tribuaient des vertus curatives qu’il n’a pas, et qu’il ne prétend pas avoir, et mettaient dans leurs bocaux ses os réduits en poudre. Aujourd'hui, tout paysan est prêt à affirmer que le crapaud lance du venin, empoisonne les plantes sur lesquelles il se promène, fait des morsures dangereuses, va dans les étables teter iles chèvres et les vaches, et par sa bave leur fait perdre leur lait. Aussi pas de bête plus persécutée : on ne se contente pas de l’écraser par mégarde dans l’herbe, on la cherche pour la tuer. Enfants, vous aimez beaucoup les fables, du moins on l’a tou- jours assuré, et l’on vous a raconté en vers toutes sortes d’his- toires où les bêtes font la leçon à l’homme. Votre bon petit cœur trouve souvent des exemples à imiter parmi ces êtres que l’on a appelés, avec tant de justice et de vérité, nos frères inférieurs, et vous lirez avec émotion les fragments d’un admirable récit où l’on voit un misérable secourir un plus mi- sérable que lui : Que savons-nous”? qui donc connait le fond des choses? Le couchant rayonnait dans les nuages roses; C'était la fin d’un jour d’orage, et l’occident Changeait l’ondée en flamme en son brasier ardent. Près d’une ornière, au bord d’une flaque de pluie, Un crapaud regardait le ciel, bête éblouie; Grave, il songeait; l'horreur contemplait la splendeur. Les feuilles s’empourpraient dans les arbres vermeils; L'eau miroitait, mêlée à l'herbe dans l’ornière, Le soir se dépioyait ainsi qu’une bannière; L'oiseau baiïssait la voix dans le jour affaibli ; Tout s’apaisait dans l'air, sur l'onde; et, plein d’oubli, Le crapaud sans effroi, sans honte, sans colère, Doux, regardait la grande auréole solaire. 1. Vicror HuGo, la Légende des siecles. à a" _ > , +. +7 - .— LE CRAPAUD,. 135 Mais voilà qu’un homme passe, et qui, le trouvant laid lui met son lalon sur la tête; puis une femme, qui lui crève l'œil « du bout de son ombrelle ». D'autres bourreaux arrivent pour la- chever; ce sont des écoliers qui crient : « Tuons ce vilain animal, Et puisqu'il est si laid, faisons-lui bien du mal! » Et chacun d'eux, riant, — l'enfant rit quand il tue, — Se mit à le piquer d’une branche pointue, Élargissant le trou de l'œil crevé, blessant Les blessures, ravis, applaudis du passant; Car les passants riaient; et l'ombre sépulcrale Couvrait ce noir martyr qui n’a pas mème un ràle. Et le sang, sang affreux, de toutes parts coulait Sur ce pauvre être ayant pour crime d’être laid. 11 fuyait, il avait une patte arrachée; Un enfant le frappait d’une pelle ébréchée ; Et chaque coup faisait écumer le proscrit; Et les enfants disaient : « Est-il méchant! il bave! » Son front saignait; son œil pendait; dans le genêt Et la ronce, effroyable à voir, il cheminait: On eût dit qu'il sortait de quelque affreuse serre. Tout à coup les enfants ont une idée : Allons pour l’achever prendre une grosse pierre. Tous les yeux poursuivaient le crapaud dans la vase, C'était de la fureur et c'était de l’extase; Un des enfants revint, apportant un pavé, Pesant, mais pour le mal aisément soulevé, Et dit : « Nous allons voir comment cela va faire. » Or, en ce même instant, juste à ce point de terre, Le hasard amenait un chariot très lourd Trainé par un vieux àne écloppé, maigre et sourd ; Cet âne harassé, boiteux et lamentable, Après un jour de marche approchait de l’étable; Il roulait la charrette et portait un panier, Chaque pas qu'il faisait semblait l’avant-dernier ; Cette bête marchait, battue, exténuée ; Les coups l’enveloppaient ainsi qu'une nuée ; 11 avait dans ses yeux voilés d’une vapeur Cette stupidité qui peut-être est stupeur, Et l'ornière était creuse, et si pleine de boue, Et d'un versant si dur, que chaque tour de roue On CRE ee D DA 7, 1e 1? PRIT CANARD 4 HE r SS Fa RE. ‘ sin k CM er + $ at é . CLR. | 41 CE 1h4 « " Se 49 joe 156 LE MONDE ANIMAL. | Était comme un lugubre et rauque arrachement; Et l’âne allait geignant et l’âänier blasphémait, La route descendait et poussait la bourrique ; L'’âäne songeait, passif, sous le fouet, sous la trique, Dans une profondeur où l’homme ne va pas. Les enfants, entendant cette roue et ce pas, Se tournèrent bruyants et virent la charrette : « Ne mets pas le pavé sur le crapaud. Arrête! Crièrent-ils, vois-tu, la voiture descend Et va passer dessus, c’est bien plus amusant. » Tous regardaient,. Soudain, avangant dans l’ornière Où le monstre attendait sa torture dernière, L’âne vit le crapaud, et, triste, — hélas! penché Sur un plus triste, — lourd, rompu, morne, écorché, Il sembla le flairer avec sa tête basse; Ce forçat, ce damné, ce patient fit grâce; Il rassembla sa force éteinte, et, raidissant Sa chaine et son licou sur ses muscles en sang, tésistant à l’ânier qui lui criait : « Avance ! » Maitrisant du fardeau l’affreuse connivence, Avec sa lassitude acceptant le combat, Tirant le chariot et soulevant le bàt, Hagard, il détourna la roue inexorable, Laissant derrière lui vivre ce misérable ; Puis, sous un coup de fouet, il reprit son chemin. Alors, lâchant la vierre échappée à sa main, Un des enfants, — celui qui conte cette histoire, — Sous la voûte infinie à la fois bleue et noire Entendit une voix qui lui disait : « Sois bon! » La poésie pleure sur le crapaud. La science le réhabilite : elle démontre 4° que le crapaud n’est pas nuisible; 2 qu’il est utile. Aux accusations de sorcellerie, il n’y a qu’à hausser les épaules; même dédain pour les prétendues vertus thérapeu- tiques. Les crapauds ne lancent pas de venin. « Quand on les tourmente, dit M. Carl Vogt, ils émettent souvent par derrière un liquide clair comme de l’eau; la grenouille en fait autant, et aucun homme ne regarde chez elle ce liquide comme veni- meux; c’est presque de l’eau pure que ces animaux projettent hors d’eux de cette manière à laide de leur vessie, et il n’y a pas le moindre poison là dedans. TE PR A ax LE CRAPAUD. 137 € La morsure du crapaud, dit-on, est très venimeuse. Je le croirai volontiers, quand j'aurai vu la morsure d’un crapaud. Ses mächoires sont privées de dents, recouvertes d’une peau molle qui n’est pas moitié aussi dure, cornée ou puissante que _le bec d'un oiseau ou d’une tortue; elle est si mince, si faible, qu'un crapaud ne peut pas serrer à beaucoup près aussi fort qu'un enfant nouveau-né avec ses gencives dégarnies, qui lui donnent à peine la force de saisir le sein de sa mère ; soutien- dra-t-on qu’un nourrisson de quelques jours peut mordre jus- qu'au sang ? » Les crapauds ne peuvent pas plus teter que mordre; la con- formation de leur bouche ne le leur permet pas. Tout ce qu’on peut dire contre eux, c’est que de très grosses espèces sécrètent par leur peau rugueuse, tuberculeuse et pleine de glandes un liquide âcre et blanchâtre, d’une odeur désa- gréable, capable peut-être d'irriter légèrement une peau très tendre. Mais on n’a qu’à ne pas prendre les crapauds dans la main : on ne les a jamais donnés pour des animaux d'agrément. Ils sont utiles à la prospérité des champs. En effet, qu'on leur ouvre l'estomac au moment de la digestion, on y trouve des débris d'insectes, de larves et de vers, et surtout de limaces. € J’avais dans mon jardin, dit M. Carl Vogt, un cra- paud brun, gros comme le poing. Le soir, il rampait hors de son buisson et allait sous un banc de jardin. Je veillais soi- gneusement sur lui; une femme qui l’aperçut un jour le tua d’un coup de bêche, et crut avoir fait une belle action : mais les limaçons mangèrent les résédas qui embaumaient tout autour du banc. » Les jardiniers anglais ont bien compris qu’il ne saurait y avoir de meiïlleur gardien pour les plants de salade et les jeunes légumes, et il se fait actuellement entre la France et l'Angleterre un commerce considérable de crapauds. Un crapaud de bonne grosseur et en bon état se paye à Londres jusqu’à un shilling (1 fr. 25), et, respecté, soigné comme une chose qui coûte 138 LE MONDE ANIMAL. cher et rapporte beaucoup, l'animal se promène en paix dans son petit district, qu'il connait à fond, sortant surtout la nuit, par les temps humides, pour sa chasse lente mais sûre. Quel triomphe pour le pauvre crapaud et comme autrefois il était en droit de dire aux hommes qui se faisaient ses juges : € Vous êtes bien méchants! » ou plutôt : « Vous êtes bien ignorants! » ce qui souvent revient au même. Puisque nous ne tarissons pas sur les mérites du crapaud, disons un mot de ses vertus morales. Il est susceptible d’atta- chement pour l’homme, et une vieille histoire raconte qu’un crapaud qui, depuis trente ans, habitait sous un escalier, en sortait le soir quand la famille prenait son repas pour avoir sa part, commeles chiens et les chats. La famille pleura le jour où un accident la priva de ce fidèle commensal. On a été Jjus- qu’à prétendre que le crapaud n'oublie jamais les bienfaits re- çus, et M. Carl Vogt raconte la plaisante anecdote d’un capitaine qui avait tué un serpent en train de dévorer un crapaud. Celui-ci s'éloigne sans rien dire; mais six jours plus tard, le capilaine repassa par le même chemin. Tout à coup quelque chose lui saute après la jambe; c'était son crapaud aui voulait de cette manière lui témoigner sa reconnaissance et qui l'avait posilivement reconnu. € Mais, capitaine, lui dit M. Carl Vogt, comment avez-vous pu reconnaitre le crapaud que vous aviez sauvé? Un crapaud ressemble autant à un crapaud qu’un œuf à un œuf. — (C'est vrai, reprit le capitaine; mais il m’a regardé avec des yeux si reconnaissants que je n’ai pu douter de son iden- Hté > Une espèce de crapaud touchante entre toutes est celle qu’on appelle en latin alytes obstetricans. La femelle pond un chapelet d'œufs entourés d'une peau épaisse, qui se durcit au point de ressembler à une masse de caoutchouc. Le mâle laide à mettre au jour cette masse d'œufs, qu’il enroule autour de ses Jambes; puis il va, avec son fardeau, se cacher, souvent à LA SALAMANDRE. 139 plusieurs pieds de profondeur, dans de l'argile humide, et reste là des semaines entières, dans un trou noir, pour y faire éclore les œufs, et ne se donnant d'autre distraction que de pousser des sons très doux, semblables à ceux d’un harmonica dans le lointain. Lorsque les larves sont assez développées pour pouvoir vivre toutes seules, il cesse son incubation et cherche la flaque d’eau la plus voisine pour les y déposer. Il est de ces crapauds qui se serrent tellement la cuisse avec leur cordon d'œufs, qu’elle est comme gangrenée à la fin de lincubation. Pour finir par une curiosité, disons qu’il ya les crapauds sonneurs, qui sont d'habiles ventriloques. Leur ounk! ounk! semble venir de loin lorsqu'ils crient dans une flaque d’eau toute voisine de l’observateur. II. — LA SALAMANDRE Moins nombreuses que les grenouilles et que les crapauds, les salamandres sont tout aussi intéressantes et ont également donné lieu aux fables les plus absurdes. Chez les Romains, Pline a fait leur histoire naturelle d’une étrange manière. Qu'on en juge : « La salamandre a la forme d’un lézard; son corps est étoilé. Elle ne paraît jamais que dans les grandes pluies et disparait avec le beau temps. Elle est si froide que, par son contact, elle éteint le feu, comme ferait la glace. Le liquide blanc comme du lait qu’elle rejette par la bouche fait tomber le poil de toutes les parties du corps humain qu’elle touche, et laisse une tache blanche sur la partie touchée. « Des animaux venimeux, la salamandre est le plus dange- reux. Les autres ne frappent qu’une seule personne; en tuer. plusieurs à la fois leur est impossible ; et même on dit que dès qu'ils ont mordu un homme, la conscience de leur forfait les mène peu à peu à la mort et que la terre les repousse; mais la salamandre peut tuer à la fois toute une population impru- 140 LE MONDE ANIMAL dente. Si elle rampe sur un arbre, elle empoisonne tous les fruits, et tous ceux qui en mangent succombent à un poison non moins énergique que l’aconit; si on cuit du pain avec du bois qu’elle a touché rien que de la patte, le mal est le même. L'eau du puits où elle tombe est de même empoisonnée, etc. » Et Pline continue tranquillement à raconter ce que, s’il ne fallait être poli avec les Romains, on appellerait un tas de bê- tises. LA SALAMANDRE Le moyen âge n’eut garde de laisser passer un prodige. Pour lui, la salamandre était fille du feu. Benvenuto Cellini, dans ses mémoires, nous raconte que son père vit une salamandre dansant dans le feu. Aujourd'hui l’on établit parmi les salamandres deux genres principaux : les salamandres terrestres et les salamandres aquatiques. Les premières, n’ayant pas besoin de nager, ont la queue ronde et point de palmature aux doigts; les salamandres aquatiques, qu'on appelle aussi tritons, ont la queue comprimée, les pattes postérieures palmées. Les fables d'autrefois se rapportent à la grande salamandre terrestre; | ; nil ‘dé VS. EE LA SALAMANDRE. 141 et ce qui peut leur avoir donné naissance, c’est que l’épi- derme de cette bête sécrète un mucilage visqueux et blanc qui répand une odeur d'ail et a quelques propriétés caustiques. Cette sécrétion augmente considérablement quand on tour- mente la salamandre; et ceux qui ont fait la cruelle expérience de mettre la pauvre bête dans le feu, ont pu la voir éteindre par ce moyen quelques charbons autour d'elle, puis, la sécrétion ayant bientôt cessé, expirer dans d’horribles convulsions. La salamandre habite les lieux humides, ombragés et som- bres, se tient cachée le jour, ne sort de sa retraite que la nuit ou par un temps de pluie, et, comme le crapaud, se nourrit principalement de vers, de limaces et d'insectes. Chez nous elle est de la grosseur du aoigt. Au Japon il y en a une espèce qui a près d’un mètre de long et pèse plus de neuf kilozrammes. CHAPITRE V POISSONS Le trait le plus frappant des poissons est de vivre normale- ment dans le sein de l’eau, où nousserions infalliblement noyés en peu de temps et de mourir asphyxiés dans l'air, où nous nous trouvons si bien. Cependant les poissons respirent aussi bien que nous, et, ce qui est plus étrange, ils respirent de Pair comme nous, Seulement, au lieu de prendre lair sous sa forme ordinaire, ils ne peuvent en tirer parti que si cet air est préala- blement dissous et incorporé dans l’eau. St l’on met des pois- sons dans de l’eau froide, mais récemment bouillie, de façon à avoir perdu l'air qu’elle contenait, ils y sont asphyxiés comme nous le serions nous-mêmes. Pour respirer l'air dissous, les poissons ont, non pas des poumons, mais des organes spéciaux, auxquels on a donné le nom de branchies qu'ils méritent bien, étant essentiellement branchus et ramifiés. Les décrire ici serait du temps perdu, car nous les connaissons tous, n’étant pas sans avoir vu les cuisinières vider les poissons, et pour cela soulever les grandes plaques semi-circulaires des côtés de la tête, les ouies, et arra- cher d’abord les branchies, qui sont situées sous les ouïes. Les espèces de poissons sont extrèmement nombreuses; les unes vivent dans la mer, d’autres dans les rivières, et quelques- unes une partie du temps dans la mer et l’autre dans les riviè- res. Il y en a qui aiment les eaux très rapides et même qui re- montent les chutes des torrents, tandis que d’autres ne se plai- re à LES DIPNÉS. 143 sent que dans le fond stagnant des lacs profonds. Certains pois- sons n'habitent que des nappes d’eau souterraines, et plus d’une fois on les a vus arriver au jour dans le jet des puits artésiens. Malgré le grand nombre de ces espèces et la diversité qu’elles présentent, on sait qu’elles ont des caractères communs si nets qu’on reconnait à premiére vue un poisson pour un poisson. Le corps, en général allongé, est muni de nageoires dont l’ani- mal se sert pour se mouvoir. La plus importante est le prolongement de la queue, qui constitue un véritable gouvernail; il y en a souvent quatre autres qui répondent à peu près aux quatre pattes des mammi- fères; on les appelle nageoires pectorales et nageoires ventrales, d’après leur position. Le long du dos se montrent des nageoires dorsales, quelquefois réunies en une seule, qui alors a toute la largeur du corps. Il y a aussi parfois des nageoires dites anales et qui sont situées sous la queue. Le nombre et Ia position des nageoires fournissent de bons caractères pour la classification. Toutefois la division principale est fondée sur la consistance du squelette. Vous savez tous, par expérience, combien il est ennuyeux de trier sur son assiette les innombrables arêtes du hareng ou d’une foule d’autres poissons. Or certains pois- sons, au lieu d’arêtes piquantes, n’ont, comme la raie, que de gros fils très souples qui croquent sous la dent et qui ne font courir aucun danger. Les poissons à arêtes sont dits pois- sons osseux; les autres, poissons cartilagineux. Les exemples qui suivent, choisis dans toute la classe des poissons, feront voir dans quelles limites étendues varient les caractères et les mœurs de ces intéressants animaux. I. — LES DIPNÉS Le mot dipné est formé de deux mots grecs qui veulent dire double respiration. On en a fait le nom d’un ordre peu nom- 144 LE MONDE ANIMAL. breux de poissons pourvus à la fois de poumons et de branchies, ce qui leur permet de respirer dans l'air et dans l’eau. Ces pois- sons amphibies pourraient à larigueur être aussi bien des batra- ciens; en tout cas, ils amènent la transition entre ceux-ci et les poissons pourvus seulement de branchies, d’une façon telle, qu'il faut y regarder de près pour s’apercevoir qu’on passe d’une classe dans une autre. Deux genres principaux forment l’ordre des dipnés : celui des lépidosirènes et celui des protoptères. Les lépidosirènes se trouvent en Amérique, dans le bassin de l'Amazone; leur forme générale est celle d’une anguille; ils atteignent un mètre de long et se nourrissent de jeunes pois- sons ; leur queue est pointue; leurs nageoires pectorales et ven- trales sont très écartées l’une de l’autre. Le protoptère habite les marais des fleuves d'Afrique : la Gambie, le Nil Blanc, le Niger, etc. Il est vert olive, et les os de son squelette sont également teints en vert. La queue est effilée,les nageoires sont très longues; il se nourrit sans doute comme les lépidosirènes. Protoptères et lépidosirènes ont l'habitude de s’enfouir, à la fin de la saison des pluies, avant la saison sèche où leurs marais restent sans eau, dans des mottes de vase molle encore, mais qui se durcit bientôt sous linfluence des räyons du soleil. Lorsqu'on brise cet amas de vase, qui est roulé en boule, on trouve à l’intérieur une espèce de poche ou de cocon à parois minces, soulevé çà et là par les saillies du corps de Fanimal qu'il protège ; arrondie vers le gros bout, cette poche est fermée à l’autre extrémité par une sorte de couvercle peu bombé, percé à son centre d’une étroite ouverture. Si l’on vient à toucher, mème légèrement la surface du cocon, l’on entend un cri assez fort, que l’on a comparé au miaulement d’un chat. Le cocon est produit par le dessèchement d’une épaisse sécrétion de mueus. Auguste Duméril a été témoin de sa forma- tion, | PT AN LES DIPNÉS. 145 « Deux protoptères, dit-il, revenus à l’état deliberté par suite du ramollissement lentement obtenu des mottes où ils étaient logés, donnèrent, après un mois d'existence active dans un aquarium, la preuve que le moment était venu pour eux de chercher dans la terre molle que l’eau recouvrait, l'abri qui, dans les conditions ordinaires de leur vice, est indispensable durant la saison sèche : agitation, sécrétion abondante de mucus, efforts pour fouir, tout annonçait un irrésistible be- soin de trouver un milieu autre que celui dans lequel ils étaient plongés. « Je n’efforçai donc de les placer dans des conditions ana- logues à celles qu'ils rencontrent lorsque le sol, abandonné par les eaux, se dessèche et finit par se durcir. L'eau de l’aqua- rium fut peu à peu enlevée dès que les animaux eurent creusé la vase. Trois semaines environ étaient à peine écou- lées, el déjà la terre dureie formait une masse fendillée sur plusieurs points par la dessiccation. Ce sont ces ouvertures qui permettent l’arrivée d’une petite quantité d’air pour les besoins de la respiation. « Au bout de soixante-dix jours, j’explorai le sol et je pus constater que les deux animaux avaient trouvé des conditions favorables pour traverser sans danger la saison de sécheresse artificiellement produite, car ils étaient enveloppés dans des cocons et pleins de vie, comme le prouvaient leurs mouve- ments provoqués par les plus légers attouchements. « Le cocon est donc un étui protecteur produit par la sécré- tion muqueuse. La mucosité, abondamment sécrétée, recouvre d’abord et agglutine les parois du sol que le protoptère tra- verse; aussi les parties du canal souterrain qu’il s'était creusé, et qui resla béant, étaient-elles, après la dessiccation, lisses et comme polies; puis, dans le lieu où il s'arrête, la sécrétion devenant plus active encore, la mucosité se dessèche et ac- quiert la consistance d’une enveloppe membraneuse remar- quable par sa structure. » LE MONDE ANIMAL, 10 146 LE MONDE ANIMAL. Dans le cocon, l'animal est enroulé sur lui-même, la queue ramenée au devant de la tête; la bouche est hbre; c’est par cet organe que pénètre l’air nécessaire à la respiration, qui est, on le comprend, exclusivement pulmonaire, tandis que dans l’eau l'animal respire par des branchies. IJ. — LE THON Quand on compare entre elles une série d'espèces de pois- sons à squelette osseux, on reconnait que les unes ont à l’ex- trémité de la nageoire dorsale des rayons très durs, épineux, tandis que chez les autres cette nageoire est souple et molle. Depuis bien longtemps on a fait des premiers l’ordre des acan- thoptérygiens, de deux mots grecs qui signifient nageoires épi- neuses, et des autres l’ordre des malacoplérygiens, c’est-à- dire des poissons à nageoires molles. Comme exemple remarquable d’acanthoptérygiens, nous ne pouvons mieux choisir que le thon. Le thon est une des richesses de la Méditerranée. C’est par lésions innombrables qu'on le voit, à certaines époques de l’année, apparaitre près des côtes, et ce sont naturellement ces époques que l’on choisit pour organiser les pêches; car, mal- heureusement pour lui, ce poisson a une chair très estimée, très ferme et qui se prête à toutes les combinaisons culinaires. On la mange frite, à la sauce blanche aux câpres, avec des pommes de terre, à la chartreuse, au gras, au maigre. On en fabrique des pâtés où, jointe à celle du saumon, son alliée na- turelle, elle fait les délices du carême. Le thon mariné dans de bonne huile d’olive, et conservé dans des boites de fer-blanc hermétiquement fermées, est peut-être meilleur encore que le thon frais. | Avant l'établissement des chemins de fer, les Parisiens ne le mangeaient guère que mariné, le trajet étant trop long pour MÉDITERRANEE L A DANS LE THON INNOMRBRA LES QU ON PÈCHE LÉGIONS PAR Unem C'EST 148 LE MONDE ANIMAL. qu'on püt le garder frais des bords de la Méditerranée à ceux de la Seine; maintenant, grâce aux trains express, nous les mangeons aussi frais que les Marseillais eux-mêmes. Le poids moyen du thon est de 40 à 50 kilogrammes, sa longueur dépasse généralement 1 mètre, et quelquefois elle est de 2 mètres et plus; son poids varie alors entre 100 et 150 kilogrammes. Sur les côtes ae Sardaigne, on en a même pêché qui pesaient de 500 à 900 kilogrammes : de véritables curio- sités tout à fait exceptionnelles. Ce gros poisson mange les petits ; ilse régale volontiers de sardines. La pêche du thon est pour ainsi dire le monopole de l'ftahe, dont ce poisson aime les côtes. Pour le capturer les Italiens se servent de madragues. On appelle madraques des filets fixes à très grandes mailles, formés avec de solides tresses de sparte et de chanvre, capables de résister à l'effort des massés de poissons énormes qu'ils sont destinés à capturer. La madrague est un engin de capture fort ancien. On la fait remonter aux Phéniciens, qui la transmirent aux Grecs d’[onie. Les Romains la propagèrent sur tous les rivages soumis à leur domination, notamment en Sicile et sur les côtes de la pénin- sule ibérique. C’est de l'Espagne que la madrague à été im- portée en Provence par un seigneur de Bandol, gentilhomme de la chambre du roi Henri IV, et qui obtint pour sa peine le privilège de la pêche aux madragues depuis la Ciotat jusqu’à Antibes. Aujourd’hui les madragues sont remplacées chez nous par les thorraires, qui prennent infiniment moins de poisson, et que l’on désire voir remplacés à leur tour par les madragues. L'ensemble des madragues compose un immense parallélo- gramme qui a environ 245 mètres de longueur et 65 mètres de largeur, et offre trois compartiments ou chambres appelées grandou, pichou et corpou. La dimension de ces chambres va en diminuant jusqu’au corpou ou chambre de mort, où le poisson est capturé. LE CYPRIN DORÉ. 149 Des filets mobiles qu’on laisse tomber à mesure que la proie parcourt les différentes chambres, en marquent les sépara- tions; le tout est relié au rivage par un filet de direction ap- pelé la queue, dont la longueur varie de 150 à 1000 et même à 1500 mètres. Cette queue arrête le poisson et le guide vers les chambres. Lorsqu'il est dans le corpou, les pêcheurs placés dans quatre bateaux aux quatre angles de l'appareil le soulèvent à la surface de l’eau au moyen de cordes fixées à des bouées, et, ouvrant le plafond volant du corpou, se préparent à s'emparer de leur proie et en font une tuerie immense. Outre le thon, les madragues peuvent capturer l’espadon, le maquereau, l’anguille, etc. On peut prendre par ce moyen des dauphins, qui font un grand tort au poisson et qui sont la ter- reur des pêcheurs, dont ils brisent les filets à coups de queue. Toute leur force échoue contre les solides mailles de sparte du corpou, quand ils s'engagent à la poursuite des thons, et c’est là que les pêcheurs saisissent le persécuteur en même temps que sa victime. III. — LE CYPRIN DORÉ L'ordre des malacoptérygiens renferme d'innombrables es- pèces. Pour le subdiviser on a fait attention à des dispositions particulières des nageoires ventrales; c’est ainsi qu’on a réuni sous le nom de malacoptéryqiens abdominaux (nageoires ven- trales placées en arrière de l’abdomen) des poissons si remar- quables soit comme beauté, soit comme utilité, que nous nous voyons forcé de leur consacrer plusieurs paragraphes. Le cyprin doré est appelé aussi poisson doré, doré de la Chine. Vous l’avez vu dans les bassins des jardins publics, et vous lui avez donné le nom de poisson rouge. Les cyprins dorés sont originaires de lacs situés en Chine vers le 30° degré de latitude. Leur véritable patrie a donc un EE LÉ LA 5m 1 ui be climat assez chaud, mais on n’a pas eu grand’peine à les ac- climater dans nos contrées. Où ils sont intéressants à observer, c’est chez les Chinois, qui, au moyen de procédés dont ils gardent le secret, parvien- nent à leur donner les formes les plus bizarres et à modifier complètement leurs organes de natation. Chez plusieurs Imdi- vidus la surface de la nageoire a été augmentée; chez d’autres, diminuée; ceux-ci ont la nageoire dorsale réduite à un très petit nombre de rayons, ou remplacée par une sorte de bosse; 150 LE MONDE ANIMAL. TTL LULU SI ST LE CYPRIN DORÉ ceux-là n’ont plus de ventrales. Tous ces changements, comme | on le pense bien, ont demandé des siècles : les Chinois imitant avec respect les procédés de leurs pères, ont toujours agi par les mêmes moyens sur le doré; les empreintes ont été de plus en plus creusées, et les changements sont devenus profonds et durables. | Le télescope, à tète courbe et grosse, que vous avez certai- nement vu à l'exposition de 1878, dans l’aquarium de M. Car- LE CYPRIN DORÉ. 151 bonnier, est un des cyprins monstrueux fabriqués par les Chinois. « Le désir d’orner sa demeure, dit Lacépède, a produit le per- fectionnement des cyprins dorés; la nouvelle parure, les nou- velles formes, les nouveaux mouvements que leur a donnés l'éducation ont rendu leur domesticité plus nécessaire encore aux Chinois. Les dames de la Chine, plus sédentaires que celles des autres contrées, plus obligées de multiplier antour d’elles tout ce qui peut distraire l’esprit, amuser le cœur, et charmer des loisirs trop prolongés, se sont surtout entourées de ces eyprins si décorés par la nature, si favorisés par l’art, images de leur beauté admirée mais captive, et dont les évolutions et les jeux peuvent remplacer, dans des âmes mélancoliques, la peine de l’inaction, l’ennui du désœuvrement par des sensa- tions légères mais douces, des idées fugitives mais agréables, des jouissances faibles mais consolantes et pures. Non seule- ment elles en peuplent leurs étangs; mais elles en remplissent leurs bassins, et elles en élèvent dans des vases de porcelame ou de cristal, au milieu de leurs asiles les plus secrets. » Lorsqu'on introduit des dorés dans un vivier ou dans un étang où l’on désire les voir se multiplier, il faut, si la pièce d’eau ne présente ni bords unis ni fond tapissé d'herbes, y pla- cer, à l’époque de la ponte, des branches et des rameaux verts. Si le bassin renferme du terreau ou de la terre grasse, les cyprins trouvent dans cet humus un aliment suffisant. Si le fond est sablonneux, il faut donner aux poissons du fumier, du pain de froment et du pain de chènevis. Veut-on les garder dans des vases, on les nourrit avec des fragments de petites oublies, de la mie de pain blanc bien fin, des jaunes d'œufs dureis et réduits en poudre, de la chair de porc hachée, des mouches, de petits limaçons. Pendant l'été, il faut leur renouveler l’eau tous les trois jours, et mème plus souvent si la chaleur est vive et étouffante. Pendant l'hiver, il suffit de la changer tous les huit ou quinze jours. 152 LE MONDE ANIMAL. IV. — LE POISSON ARC-EN-CIEL DE L'INDE Pour léclat des couleurs, l’arc-en-ciel le dispute au ceyprin doré, mais il le surpasse beaucoup en intérêt en ce qui concerne ses mœurs. En effet, les poissons n’ayant pas ordinairement un sentiment bien vif de la famille, puisque souvent le mâle et la femelle ne se connaissent même pas, une espèce qui prépare un nid pour ses petits mérite une attention considérable. Or l'arc-en-ciel fait un nid. I n’est pas le premier chez qui l’on ait observé cette pré- voyance ; un pelit garçon nommé Lecoq, à force de patience, et guettant nuit et jour des tpinoches, avait fait cette découverte étonnante pour tous ceux qui croyaient connaître à fond les mœurs des poissons : l’épinoche construit un nid pour sa jeune famille, tout comme l'oiseau le plus tendre. Nous suivrons ici des observations plus récentes. L’arc-en-ciel de l'Inde se fait remarquer, outre ses vives cou- leurs, par la présence d’un long fil substitué aux nageoires ventrales. Il vit dans les étangs et les fossés des pays arrosés par le Gange. Sa plus grande longeur est de 4 centimètres. C’est un bijou de poisson. Toutes les particularités de sa nidification ont été suivies par M. Carbonnier dans son aquarium. Aux approches dela ponte, le mâle commence à préparer son nid. Prenant avec sa bouche un peu d'herbe et de mousse, il l’apporte à la surface de l’eau. Ces végétaux, en raison de leur densité plus grande que celle de l’eau, tomberaient bien vite au fond; mais notre travailleur hume à l'extérieur quelques bulles d'air qu'il place, en les divisant immédiatement, sous les plantes pour les soutenir et les empêcher de descendre. Il recommence à diverses reprises et forme ainsi, le premier jour, une île flot- tante de 8 centimètres de diamètre. Le lendemain, le mâle continue ses provisions d’air, qu’il accumule cette fois vers le LE POISSON ARC-EN-CIEL DE L'INDE. 153 point central. Les bulles exercent de bas en haut une poussée dont la conséquence est le soulèvement du disque végétal, qui se transforme, au sortir de l’eau, en une sorte de dème se ba- lançant à la surface. Le nid terminé au dehors, le poisson s’occupe à lui donner une fixité qui l’abrite du raufrage. À cet effet, autour de son dôme il établit, avec les mèmes matériaux (plantes et bulles d'air), un cercle horizontal de 2 centimètres de large, ce qui donne à l’ensemble la forme générale d’un chapeau mou à larges bords, s’élevant de #4 à 5 centimètres au-dessus de l’eau. Ce travail achevé, il égalise le nid à l’intérieur, et pour cela il rampe pour ainsi dire en tous sens et glisse sur les parois pour en adoucir les surfaces. De son museau et de sa poitrine il presse ce feutre avec force. L'un des rameaux est-il trop saillant, il le prend et l'emporte. C’est en tournant et en refou- lant le mur de tous côtés qu’il réussit à bien l’arrondir. Le toit protecteur établi, le mâle tourne autour de la femelle, lui montre l'éclat de sa robe et semble vouloir l’inviter à le suivre. Bientôt cette dernière pénètre dans le nid. Après la ponte, la femelle s'éloigne pour toujours du toit conjugal, abandonnant au poisson mâle les soins de l’éducation de la famille, labeur dont il s’acquitte avec un zèle tout pater- nel. Recueillant avec sa bouche les œufs épars dans les herbes, il les place dans le nid et les dispose avec ordre; puis il sort du nid. et avec une activité extrême se met en devoir d’en ré- trécir l'entrée. Ce travail terminé, il s'éloigne et tourne autour de son édifice, pour en examiner l’ensemble, non sans inquié - tude. En effet il va souvent chercher de nouvelles bulles d’air, qu’il place avec intention sous les points douteux ou sous les parties menacées. Au bout de soixante-dix heures d’incubation, l’arc-en-ciel, sachant que les œufs réclament de nouveaux soins et un milieu tout autre, perce le sommet du nid. Les bulles d'air s’échap- pent, et le dûme s’affaisse à l'instant sous l’eau, emprisonnant 154 LE MONDE ANIMAL. tous les embryons, dont l’existence commence à se mani- fester. Craignant que les petits n’échappent à sa sollicitude, le père se met en devoir de leur créer une nouvelle barrière, il parcourt le bord externe du tapis flottant, et, le tirant avec force, en désunit le feuire. Il obtient ainsi une bordure, une sorte d'effilé pendant où les fuyards ne sauraient trouver pas- sage. Alors sans inquiétude de ce côté, il prend ses petits dans sa bouche et les déplace par intervalles, ramenant toujours vers le centre ceux de la circonférence. Si quelques jeunes pois- sons se risquent dans le sens vertical, il va les chercher et les rapporte au gite protecteur. Cette surveillance dure ainsi jusqu’au moment où les em- bryons, ayant subi leur complète évolution, ont pris de la force et de l’agilité. Leurs fuites multipliées et fréquentes an- noncent au père la fin de ses fatigues, qui a lieu huit où dix Jours après l’affaissement du nid. VA TENS'AULON Le saumon, également un malacoptérygien abdominal, a cela de particulier qu’il tient le milieu entre les poissons d’eau douce et les poissons de mer. Il nait dans les fleuves et y passe la belle saison; pendant l'hiver, il se réfugie dans l'océan. Ce poisson, délicieux entre tous, se rencontre pour ainsi dire partout : du pôle à l'équateur, dans les deux hémi- sphères. On le trouve dans les mers intérieures et dans les grands lacs. La Méditerranée seule fait exception, de sorte que les Romains, ces gourmands émérites, n'avaient pas la joie d’avoir des saumons tout près d’eux, et Pline ne parle que de ceux qu'on prenait dans les Gaules. Les saumons parcourent avec facilité toute la longueur des LE SAUMON. 155 plus grands fleuves, parviennent jusqu’en Bohème par l'Elbe, en Suisse par le Rhin, et auprès des hautes Cordiliéres de l'Amérique méridionale par l'immense Amazone. On a prétendu qu'on trouvait dans la mer Caspienne des saumons du golfe Persique, reconnaissables aux anneaux d’or et d'argent dont les habitants de ces contrées les avaient parés. La vitesse du saumon est considérable : il peut faire en moyenne huit mètres par se- conde. Il a dans sa queue une rame puissante, dont les mus- cles ont une si grande énergie que des cataractes élevées ne sont pas pour ce poisson un obstacle insurmontable. Il s'appuie contre de grosses pierres, rapproche de sa bou- che l'extrémité de sa queue, en serre le bout avec les dents, en fait par là une sorte de ressort fortement tendu; puis, débandant avec vivacité | l'arc qu'elle forme, en frap- LE SAUMON FRANCHIT LES CATARACTES pant avec violence contre l’eau, il s’élance ainsi à une hauteur de plus de 4 ou 9 mè- tres, et franchit la cataracte. Il retombe quelquefois sans avoir pu s'élancer au delà des roches, ou résister à la chute de l’eau; mais il recommence bientôt ses manœuvres, et finit presque toujours par réussir. La queue du saumon est un excellent moyen d’attaque et de défense ; mais 11 a des armes non moins efficaces dans les dents nombreuses et pointues qui garnissent ses deux mächoires et son palais. 156 LE MONDE ANIMAL. On suppose les saumons âgés de deux ans lorsqu'ils pèsent de 3 à 4 kilogrammes. Agés de cinq ou six ans, ils pèsent 5 à 6 kilogrammes ; il en est qui se développent au point d’atteindre la taille de 2? mètres, etle poids de 40 kilogrammes. Les saumons vivent d’insectes, de vers et de jeunes pois- sons ; ils saisissent leur proie avec beaucoup d’agililé, surtout quand il s’agit d'attraper les moucherons, les papillons, les sauterelles et les autres insectes que les courants charrient ou qui voltigent à quelques centimètres au-dessus de la surface des eaux. Ils ont eux-mêmes à craindre un grand nombre d’ennemis. Ils sont poursuivis par les requins, par les phoques; les gros oiseaux aquatiques les attaquent aussi, mais aucun de ces ani- maux n’est aussi redoutable pour eux que le pêcheur. Dans les contrées tempérées, les saumons quittent la mer vers le commencement du printemps, en partant avec Île flux. Quand les chaleurs de l’été deviennent trop fortes, 1ls se ré- fugient dans les endroitsles plus profonds, où ils peuvent jouir, à une grande distance de la surface de la rivière, de la fraicheur qu'ils recherchent, et qui leur fait aimer les eaux douces dont les bords sont ombragés par des arbres touffus. Ils redescendent dans la mer à la fin de l’automne. Plusieurs restent néanmoins pendant l'hiver dans les rivières qu'ils ont parcourues, bloqués quelquefois par les glaces qui se forment à l'embouchure. Ils voyagent en troupes nombreuses, disposées avec une grande régularité. Le plus gros, qui est ordinairement une femelle, s’avance le premier; à sa suite viennent les autres femelles, deux par deux, et chacune à la distance d’un ou deux mètres de celle qui la précède; les mâles les plus grands pa- raissent ensuite, observant le même ordre que les femelles, et sont suivis des plus jeunes. Ils nagent ainsi au milieu du fleuve et près de la surface de l’eau; et, comme ils sont très nombreux et qu’ils agitent l’eau LE SAUMON. 157 violemment, on les entend de loin : c’est comme le murmure sourd d’un orage lointain. D’anciens écrivains ont assuré que la femelle ne se contente pas de choisir le lieu le plus favorable à la ponte, mais qu’elle travaille encore à le rendre plus commode, en creusant dans l'endroit élu un trou de 4 à 5 décimètres de profondeur, qu'elle s’y décharge de ses œufs, et qu'avec sa queue elle les recouvre ensuite de sable. Sans nier le fait, Lacépède émet quelques doutes; peut-être lui eût-il accordé plus de créance, s’il avait connu comme nous les nids que se font l’épinoche et larc-en-ciel. Les saumons que nous mangeons frais à Paris sont apportés par le chemin de fer en grande vitesse. Ceux que l’on veut garder sont salés et fumés. Dans le Nord, on coupe le saumon en petites tranches transversales, que lon met dans le sel. Ces tranches sont placées ensuite dans une écuelle de bois où elles trempent dans un peu d’eau. Trois jours après, sans autre préparation, elles sont devenues un manger délicieux. C’est le mets favori de la haute société de Stockholm, qui donne rare- ment un diner sans que le saumon paraisse sur la table. La méthode la plus ordinaire pour prendre le saumon dans le Nord consiste d’abord à enfoncer une palissade qui se pro- longe d’un côté jusqu’au milieu de la rivière, et quelquefois même jusqu’à la rive opposée. On entrelace dans les pieux de cette palissade des branches d'arbres pour empêcher Le saumon de remonter le courant, et on ne laisse qu’une ou plusieurs ouvertures garnies de filets où le saumon vient se prendre aussitôt. On établit toujours cette palissade à un endroit où la rivière est très bruyante, et ou elle forme quelques cascades. Les paysans riverains sont d’une adresse incroyable pour mar- cher sur les pieux, que le courant fait souvent osciller d’une manière inquiélante. Dans d’autres contrées on prend le saumon à la ligne. Aïlleurs on préfère le harponner avec un trident qu’on lance 158 LE MONDE ANIMAL. ordinairement d’une distance de 12 à 15 mètres. Les poissons blessés qu’on veut entourer de filets, s’enfoncent souvent sous les roches, ou se collent contre le sable et, immobhiles, laissent glisser sur eux les plombs du bas des filets que trainent les pêcheurs; ou bien encore ils se précipitent dans un courant rapide, ei, cachés dans l’écume et les bouillons des eaux, souf- frent avec constance, et sans changer de place, la douleur que leur cause une gaule qui frotte avec force sur leur dos. Il y a, dit-on, des Tartares qui tannent la peau des grands saumons et en forment un habillement très souple. VI — LE HVRENG L'industrie qui a pour objet la grande pêche du hareng semble avoir pris naissance en Hollande. Ce fut, en effet, un pêcheur nommé Guillaume Beuckels, né à Berflit, dans la Flandre holandaise, et mort dans la même ville en 1449, qui eut l’idée de saler le hareng. On eut dès lors intérèt à exploi- ter en grand les bancs énormes de harengs qui apparaissent à certaines époques non loin des rivages froids et tempérés de l'hémisphère nord; les Hollandais se répandirent dans toutes les mers; ils approvisionnèrent longtemps de harengs les marchés de l’Europe, et appelèrent ces grandes pêches leurs véritables mines d’or. En reconnaissance du service rendu par Guillaume Beuckels, sa patrie lui éleva une statue ; et, un siècle plus tard, Charles-Quint et sa sœur, la reine de Hongrie, firent un pèlerinage au tombeau de celui à qui les Pays-Bas étaient redevables de tant de richesses. C'est en pleine mer, à peine retirés de l’eau, qu’on sale les harengs. On choisit les plus gros, on les ouvre, on les vide; on les met dans une saumure assez chargée pour qu'ils y surna- gent; on les en tire au bout de 15 à 18 heures; on les met dans des tonnes, et on les transporte à terre. Là on les encaque de gti PÊCHE HARENG U D 160 LE MONDE ANIMAL. nouveau, c’est-à-dire qu’on les place par lits dans les caques ou tonnes qui doivent les conserver, et on sépare ces lits par des couches de sel. On a soin de choisir du bois de chène pour les tonnes ou caques, et de bien en réunir toutes les parties afin que les harengs ne se gâtent pas. Cependant Bloch assure que les Nor- végiens se servent de bois de sapin; selon lui, le goût commu- niqué par le sapin aux harengs fait qu’on les recherche dans certaines parties de la Pologne. Au xvu siècle, un Suédois industrieux indiqua des procédés faciles pour extraire du hareng l'huile qu’il renferme. On commence la fabrication de l'huile quand le poisson baisse de prix. Chaque chaudière occupe plusieurs personnes; elle peut recevoir de 9 à 10 tonnes de harengs, et l’on y fait entrer, par des pompes, de 7 à 8 tonnes d’eau. Les débris des harengs ainsi employés, et que l’on appelle du marc d'huile forment des masses compactes, dont une partie est employée comme en- orais par les cultivateurs pour fumer les champs. Un docteur suédois imagina un beau jour de faire du pain avec ces débris, tels qu’ils sortent de la chaudière, en y mêlant un peu plus du quart de farine ; il paraît que cette mixture était très mangeable; mais l'usage ne s’en est pas universellement répandu. D'une facon plus pratique, on a utilisé ces résidus pour la préparation de l’alcali volaul et du sel ammoniac. Si c’est au Nord que revient l'honneur d’avoir eu l’idée de conserver le hareng par le sel et d’en retirer de lhuile, c’est un Dieppois qui imagina de le fumer. On fume ou saure les harengs de deux manières : 1° en les salant très peu, en ne les exposant à la fumée que pendant peu de temps, eten ne leur donnant ainsi qu'une couleur dorée; 2° en les mettant pendant un jour dans une saumure épaisse. On les enfile ensuite par la tête dans de menues branches, et on les suspend dans des espèces de cheminées où on les laisse ex- posés à la fumée d’un feu de bois jusqu’à ce qu’ils prennent une Li , Ét ; À LE REQUIN. 161 teinte très foncée ; après quoi on les met dans des tonnes ou dans de la paille. La fécondité du hareng est étonnante, et malgré la prodigieuse consommation qu’on en fait depuis des siècles, le volume des bancs ne semble pas avoir diminué. Il est telle petite anse de la Norvège où plus de 20 millions de harengs sont le produit d’une seule pêche. Bloch a calculé que les habitants des envi- rons de Gothembourg, en Suède, capturent annuellement 700 millions de ces poissons. Et combien meurent victimes des cétacés, des requins! combien s’étouffent les uns les autres et s’écrasent contre les bas-fonds! VII. — LE REQUIN « Le requin, dit Lacépède, est véritablement le tigre de la mer. Recherchant sans crainte tout ennemi; poursuivant avec plus d’obstination, attaquant avec plus de rage, combattant avec plus d’acharnement que les autres habitants des eaux; plus dangereux que plusieurs cétacés, qui presque toujours sont moins puissants que luis inspirant même plus d’effroi que les baleines, qui, moins bien armées, et douées d’appétits bien différents, ne provoquent jamais ni l’homme ni les grands animaux; rapide dans sa course, répandu sous tous les cli- mats, ayant envahi, pour ainsi dire, toutes les mers; parais- sant souvent au milieu des tempêtes; aperçu facilement par l'éclat phosphorique dont il brille au milieu des ombres des nuits les plus orageuses; menaçant de sa gueule énorme et dévorante les infortunés navigateurs exposés au naufrage, leur fermant toute voie de salut, leur montrant en quelque sorte leur tombe ouverte, et plaçant sous leurs yeux le signal de la destruction, il n’est pas surprenant qu’il ait reçu le nom sinistre qu’il porte, et que, réveillant tant d'idées lugubres, il rappelle surtout la mort, dont il est le ministre. Requin est en LE MONDE ANIMAL. 11 162 LE MONDE ANIMAL. effet une corruption de Requiem, qui désigne depuis long- temps, en Europe, la mort et le repos éternel, et qui a dû être souvent pour des passagers effrayés l'expression de leur con- sternalion. » La vue du requin a vraiment quelque chose d’épouvantable. Sa taille atteint souvent 10 mètres; mais ce qui frappe surtout en lui, c’est sa bouche, dont l’ouverture, en forme de demi- cercle, est placée transversalement au-dessous de la tête et derrière les narines. Le contour de la mâchoire supérieure d’un requin de 10 mètres est d'environ 6 mètres; et comme son gosier est d’un diamètre proportionné, on n’est pas étonné de lire dans les récits des voyageurs que les grands requins peuvent avaler un homme tout entier, et que, lorsqu'ils sont morts et gisants sur le rivage, on voit quelquefois des chiens entrer dans leur gueule et aller chercher jusque dans l’es- tomac les restes des aliments dévorés par l’énorme poisson. Lorsque cette gueule est ouverte, on voit au delà des lèvres, qui sont étroites, et de la consistance du cuir, des dents plates, triangulaires, dentelées sur leurs bords et blanches comme de l'ivoire. Chacun des bords de la partie émaillée, qui est hors des gencives et qu’on appelle la couronne, a environ 5 cen- timètres de longueur dans les requins de 10 mètres. Le nom- bre des dents augmente avec l’âge de l’animal. Lorsqu'il est très jeune, il n’en montre qu'un rang; mais lorsqu'il a atteint toute sa force, sa gueule est armée, dans le haut comme dans le bas, de six rangs de dents fortes et taillées en scie. Ces dents sont logées dans des cellules membraneuses qui se prêtent aux différents mouvements que les muscles placés autour de la base de la dent tendent à lui imprimer. Le requin peut coucher en arrière ou redresser à volonté les divers rangs de dents dont sa bouche est garnie; il peut les mouvoir ensemble ou séparément, ne montrer qu’un ou deux rangs, ou, les mettant toutes en action, atteindre sa proie de tous ses dards pointus et relevés. CAPTURE D'UN REQUIN., 1564 LE MONDE ANIMAL. Le requin est un poisson cartilagineux. Selon Cuvier, les cartilagineux forment une série qui ne peut être considérée ni comme supérieure ni comme inférieure à celle des poissons osseux; elle lui est plutôt parallèle, « comme les marsupiaux sont parallèles aux autres mammifères onguiculés ». Les requins font souvent une escorte inquiétante aux navires, espérant toujours qu'il leur en tombera quelque proie. Ils attendent les cadavres qu’on jettera à la mer. Naguère les vais- seaux négriers qui renfermaient des centaines d'esclaves logés à fond de cale, et parmi lesquels d’horribles épidémies ré- onaient presque toujours, navigualent constamment avec plu- sieurs requins qui s’engraissaient des nègres morts ou seule- ment malades qu’on s’empressait de leur jeter. Le requin a des ennemis : de très petits qui le harcellent, et l’homme qui le détruit autant qu’il est en son pouvoir. L’estomac et les intestins de celte horrible bête sont remplis d’un nombre énorme de tænias qui non seulement en infec- tent les cavités, mais se logent aussi dans les tuniques inté- rieures des viscères, dans des cellules qu’ils s’y pratiquent. Com- merson a vu plus d’une fois le fond de l’estomac gonflé et en- flammé par ces parasites, qui absorbent une grande partie de ce qu’avale le requin, aiguillonnent sans cesse son appétit, et font de l’effroyable goulu le plus grand affamé de toute la terre. La chair du requin est dure, coriace, d’un goût désagréable et difficile à digérer. Les nègres de Guinée la mangent cepen- dant, après en avoir diminué la dureté en la gardant très long- temps. On mange aussi sur plusieurs côtes de la Méditerranée de tout petits requins. La peau, extrêmement dure et tuberculeuse, est employée dans les arts au polissage de différents ouvrages de bois et d'ivoire, on s’en sert aussi on faire des liens, des cour- roles, des étuis, etc. bu). TT LES ARTICULÉES Ainsi que nous l'avons dit en commençant, il faut faire dans l'embranchement des articulés deux divisions tellement dis- tinctes, qu’elles sont pour les modernes deux embranchements véritables : les arthropodes, à pattes articulées; et les vers, dé- pourvus de pattes. Les classes les plus importantes des arthropodes sont celles des insectes, des arachnides et des crustacés. Les vers comprennent les classes des annélides et des hel- minthes. CHAPITRE PREMIER INSECTES Le corps des insectes est toujours divisé en trois parties : la tête, le thorax et l'abdomen. La tête porte les antennes, organes d’olfaction, au nombre de deux, les yeux, la bouche et les mâchoires. Le thorax, composé de trois articles ou anneaux, porte les ailes et les pattes au nombre de trois paires. L’abdomen est de beaucoup la partie la plus développée de l'insecte : il se partage en général en neuf ou dix articles. La respiration des insectes s'opère par les frachées, sortes de longs tubes s’ouvrant au dehors par plusieurs orifices habi- tuellement percés sur les côtés du corps. 166 LE MONDE ANIMAL. Beaucoup d'insectes éprouvent avec l’âge des changements de forme, qu’on appelle leurs métamorphoses. Les insectes sont groupés en ordres, d’après les différents caractères que présentent leurs ailes. I. — LE HANNETON Les dégâts occasionnés par le hanneton ne peuvent être com- parés qu’à ceux des sauterelles. Vous le connaissez tous trop bien. et ilest inutile de le décrire. Ses élvtres, grosses ailes ? ca ? LE HANNETON dures, brunes, véritables étuis pour les ailes légères qui ser- vent au vol, lui font donner, ainsi qu’à tous les insectes qui les portent, le nom de coléoptères. Sa bouche est disposée pour broyer, et il subit des métamorphoses complètes. Un hanneton vit trois ans. L’œuf qui le contient est pondu au mois de mai. Au bout de six semaines, il en sort un ver blanc qui demeure à l’état de ver pendant vingt-six mois, puis se transforme en chrysalide après s'être construit, à une grande profondeur, une boule de terre pétrie, creuse et lisse à l’inté- rieur. Après cinq ou six semaines, apparaît le coléoptère, qui pendant six mois, des mois d'hiver, reste dans un état d’en- “ LE HANNETON. 167 œourdissement et de sommeil. Dans le milieu d'avril, le han- neton sort de terre, et vil encore de quinze jours à un mois, s’occupant d'assurer les conditions d'existence de sa fatale pro- géniture. A l’état de développement complet, le hanneton n’est certai- nement pas utile aux plantes; mais ce qui lui a valu surtout la haine des cultivateurs, c’est la conduite qu’il tient pendant les vingt-six mois qu’il passe à l’état de ver blanc. Voici ce que c’est que le ver blanc : une larve mollasse et livide en forme de sac gonflé, avec une tête jaune, de fortes mandibules cornées, très tranchantes, capables de mordre jus- qu’au sang un doigt délicat, enfin de longues pattes Jaunes. Pendant la première partie de l'été, les larves, au nombre de trente environ, sorties du même amas d'œufs, restent ensemble et cherchent leur nourriture dans le voisinage du nid. En automne, elles s’enfoncent plus profondément et changent de peau ; elles se séparent de plus en plus pendant la seconde et la troisième année, à la fin de laquelle elles ont atteint toute leur grandeur. Que font sous terre les vers blancs ? Ils mangent. Rien n'’égale leur voracité. Ils dévorent des racines, des salades, des choux, des raves, des haricots, du lin, du chanvre, des céréales, des frai- siers, etc. [ls coupent aisément des racines d'arbres forestiers d’un pouce d'épaisseur, surtout celles des jeunes sapins; 1ls raffo- lent également des racines de rosier. < M. Carl Vogt a vu des plantes délicates, 4, ex puave telles que des verveines, qui ne peuvent supporter aucune blessure, courber la tète et se flétrir pen- dant qu'il les regardait. Une petite pelle amenait aisément au Jour la cause de cette défaillance subite : un gros ver blanc qui avait entamé la racine au collet. 168 LE MONDE ANIMAL. Les hannetons paraissent quelquefois en quantités si consi- dérables qu’on en ramasse par quintaux, et qu’on ne sait où les déposer. Les enterrer, ce serait les mettre en état de se déve- lopper; les écraser est par trop répugnant ; les noyer n’est pas possible, ils se tirent fort bien de l’eau ; à force d’en manger, les poules et les cochons n’en veulent plus. Dans le canton de Berne, les autorités imaginèrent, une année où il y en avait plus que de raison, de les faire piler dans une huilerie et de les employer comme engrais. Les Allemands s’ingénièrent encore plus, et M. Victor Meunier, dans ses Animaux à méta- morphoses, raconte qu'ils proposent... de les manger : « Prenez une trentaine de hannetons bien vigoureux, et dé- pouillez-les tout vivants de leurs élytres, puis... réduisez en pâte dans un mortier métallique. « À première lecture, cela semble affreux. Mais quoi! ne dépouille-t-on pas les grenouilles et les anguilles vivantes ? Ne mange-t-on pas les huîtres et les oursins vivants ? Ne jette-t-on pas le poisson vivant dans la poêle ardente, l’écrevisse et le homard dans l’eau bouillante ? La mort par le pilon est-elle plus cruelle que par le couteau ou la massue ? « Notre émotion n’est que préjugé, à moins qu'il n’y ait à reprendre dans tous ces procédés. Revenons donc à notre bouillon de hanneton, « Le scarabée étant réduit en pâte, faites frire dans le beurre frais, puis ajoutez du bouillon fort ou faible, ou même de l’eau ; faites chauffer; enfin versez à travers un tamis de crin sur des tranches de pain blanc grillé, et. dégustez. Le con- sommé l’emporte incomparablement en délicatesse, en saveur et en parfum sur la meilleure soupe d’écrevisses, c’est le jour- naliste teuton qui l’affirme. » L'idée de cette soupe soulève le cœur. Ce n’est pas réfléchi, nous dira-t-on, c’est affaire de préjugé. Point : les sentiments les plus naturels et les plus forts ne soutiendraient pas l'épreuve de la logique; les instincts ne sont pas toujours des préjugés. nn 0 8, fé TPE nn 7 7 ‘ L + 3% LE HANNETON. 169 Au reste, tout le monde n’a pas de ces répugnances, et les amateurs d’escargots trouveront peut-être bien que c’est une fort bonne idée qu’on leur donne là. Ce qu'il y a encore de plus pratique comme remède contre les hannetons, ce sont les labourages fréquemment répétés, et qui amènent à la surface du sol une quantité de vers blancs. « Voyez, dit M. Carl Vogt, l'attention avec laquelle les oiseaux de la race des corbeaux, les corneilles, les choucas et les étour- neaux suivent la charrue, picotant à droite et à gauche, et man- geant avec délices les gros vers blancs qui remuent entre les mottes de terre. Voyez les perdreaux et les petits oiseaux aller, quand le laboureur s’est éloigné, grattant les sillons fraiche- ment retournés, vous vous convaincrez de nouveau des riches bénédictions que le cultivateur trouve dans les fréquents la- bourages du sol. » Les taupes seront la sauvegarde des prés et des bois. Les hannetons ont la vie très dure. On sait comment ils sup- portent les tourments que certains enfants ont le tort de leur infliger. Le fait suivant est raconté par le physiologiste A. Pou- chet, qui mit des hannetons sous l’eau et les y laissa quarante- huit heures. « Tous les insectes, dit-il, semblaient non seulement morts, mais avoir subi un commencement de décomposition, à cause de la fétidité etde la légère coloration que le liquide avait con- tractées. Les hannetons ayant été retirés de l’eau et exposés à l’action de la lumière et d’une température de 25 degrés cen- tigrades, donnèrent tous, au bout d’une heure, des signes de vie consistant dans des mouvements spasmodiques des tarses antérieurs. Abandonnés ensuite pendant une nuit dans un lieu où la température s’abaisse à 15 degrés, le lendemain les quatre cinquièmes d’entre eux reprirent leur vol. » 170 LE MONDE ANIMAL. II. — LES SAUTERELLES Les sauterelles sont des orthoptères, c’est-à-dire des in- sectes à ailes droites, demi-membraneuses. Deux de leurs six pattes, placées en arrière des autres, sont très orandes et très fortes et leur permettent de sauter à une grande hauteur ; leurs mandibules leur servent à broyer les matières végétales. Dans les pays chauds, elles sont d’une fécondité prodigieuse. Suivant une légende arabe, une sauterelle dit au prophète Ma- homet : « Nous sommes l’armée du grand Dieu; nous pondons quatre-vingt-dix-neuf œufs; si la centaine était complète, nous dévorerions la terre. » Cette sauterelle se vantait sans doute; mais les Arabes sont bien autorisés à lui prêter ce langage, lorsqu'ils les voient engloutir en un jour leurs plus belles récoltes. Dès qu'un champ est envahi par ces animaux des- tructeurs et que chaque tige en porte une vingtaine, on entend un bruit sinistre, semblable au bruissement du vent qui souffle sur les roseaux, et qui est produit par l’infatigable activité de leurs mandibules, attaquant le chaume immédiatement au- dessous de lépi; lépi tombe à terre, le chaume est rapide- ment dévoré de haut en bas jusqu’à la racine, ensuite vient le tour de l’épi. Quand les sauterelles arrivent dans une contrée, c’est la fa- mine, et souvent, lorsque leurs corps tombent en putréfaction, c’est la peste. Leurs pays de prédilection sont l'Inde, l'Afrique et autres lieux aussi voisins des tropiques. Mais, sous empire de certaines circonstances, des enva- hissements de sauterelles ont pu se produire en Europe. C’est ainsi que de 1831 à 1840 les environs de Liège furent ruinés par ces horribles insectes. Dans les pays chauds les sauterelles ont un ennemi redou- table dans le martin, oiseau de l’ordre des passereaux; aussi 172 LE MONDE ANIMAL. en raison de son incomparable utilité, les lois protégeaient- elles jadis l’existence du martin, au moyen de fortes amendes. Apporté des îles Philippines aux colonies de Maurice et de Bourbon, le martin y a gardé longtemps le nom de merle des Philippines. Il est cependant plus gros qu’un merle; il a la tête et le cou revêtus de plumes longues, étroites, pointues et d’un beau noir lustré. Tout le dessus du corps est marron; la poi- trine et la gorge sont grises, le ventre et la queue couverts de plumes d’un blanc pur; les ailes sont noires. Le martin n’est point, comme on l'avait pensé un moment, redoutable pour l’agriculture : il ne mange jamais de grains, et s’il déterre parfois le maïs, c’est pour en retirer le ver qui le ronge. Avant son introduction, les îles Mascareignes, et plus particu- lièrement Bourbon, surnommé à cette époque le grenier de la France, voyaient fréquemment leurs campagnes réduites en un instant à la plus horrible stérilité par les sauterelles. En 4767, l'ingénieur Poivre, intendant des îles Maurice et de Bourbon, pensa aux martins, dont pendant ses voyages il avait pu apprécier les services. Il en fit plusieurs importations, et le succès le plus complet couronna ses efforts : les sauterelles ont abandonné Maurice etla Réunion. On ne paye plus l’amende qui était la sauvegarde des mar- ns, car ces oiseaux, en échange de leurs services, ont anéanti bien des espèces d'insectes dans les deux îles. Mais bien des colons de pays exposés aux ravages des sauterelles, instruits par l’exemple que nous venons de citer, essayent d’acclimater chez eux le martin. III: — LE PHYLLOXÉRA Si l’on faisait une histoire des animaux illustres, le phyl- loxéra y aurait certes une place d'honneur. Il n’est pas un d’entre vous qui ne connaisse son nom et qui ne sache que plusieurs LE PHYLLOXÉRA. 173 nations des plus puissantes de l'Europe s’émeuvent de son ap- proche et cherchent à s’en garantir par des précautions extra- ordinaires. Or le phylloxéra est de si petite taille que sans un verre grossissant on peut difficilement l’apercevoir. C’est d’ailleurs un simple puceron. Tout le monde a vu ces pucerons qui recouvrent en bandes serrées les jeunes pousses des rosiers el des sureaux; ils peu- vent donner une idée presque exacte de ce qu’estle phylloxéra. Ils font beaucoup de mal aux arbustes qui les portent. Chaque puceron enfonce dans l'écorce tendre un long bec par lequel il aspire la sève, et lorsque les feuilles, ainsi épuisées, tombent flétries, les voraces bestioles se transportent ailleurs pour continuer leurs ravages. Si l’on examine l’une de ces colonies, on y aperçoit des four- mis au milieu des pucerons. Les fourmis, très affairées, cou- rent à droite et à gauche, paraissent s'intéresser vivement au sort des pucerons et les caressent fréquemment de leurs lon- gues antennes. On a été bien longtemps avant de comprendre la signification d’une pareille manœuvre. Des observateurs très patients et très perspicaces ont fini par découvrir que le puce- ron est pour la fourmi une véritable vache laitière, sécrétant un liquide laiteux dont la fourmi est très friande et qu’elle em- magasine avec le plus grand soin. Les caresses n’ont d’autre but que d'amener la sortie de la précieuse liqueur et l’activité des fourmis a pour objet le choix des pucerons bons à traire. On est donc là en présence de vrais éleveurs avec leurs trou- peaux, et dans certains cas les fourmis ont même réduit les pu- cerons à l’état d’esclavage, les enfermant dans leurs cités sou- terraines et faisant la guerre à des fourmis voisines à seule fin de leur ravir leur bétail à six pattes. C’est sur des faits de ce genre qu’on peut appuyer l'opinion que les animaux, même les plus éloignés de l’homme, ne sont pas dépourvus d’une sorte d'intelligence rudimentaire, 171 LE MONDE ANIMAL. Parmi les pucerons il en est qui méritent une attention spé- ciale, en raison de la splendide couleur rouge qu’ils fournis- sent à l’industrie sous leur propre nom de cochenille. On les rencontre dans les pays chauds, solidement fixés à la surface des grosses feuilles de certains cactus, et on les récolte avec grand soin. Il suffit d’écraser leur corps nour en tirer le car- min. Ce groupe d'insectes est donc recommandable à certains égards. Pourquoi faut-il que le phylloxéra ne possède que de mauvaises qualités”? C’est sur la vigne qu'il vit, lui, et, pour vivre, il tue le pré- cieux végétal, dont les produits sont une des principales sources de richesses industrielles de notre beau pays. Il n'y a pas longtemps que nous en souffrons. En 1872 seuie- ment l’on reconnut à Roquemaure que la vigne, jusque-là si belle de cette région dépérissait à vue d'œil. Déjà les cépages avaient présenté à maintes reprises des aceidents plus ou moins graves, dont on avait su les guérir. Le plus célèbre est la maladie causée par un petit champignon appelé oidium et qui cède assez aisément à des applications de fleur de soufre. Mais on vit bientôt que le mal était cette fois tout différent. Les racines présentaient une foule de nodosités et les feuilles flétries et desséchées étaient recouvertes de galles. Sur les racines on trouvait le puceron appelé depuis phyl- loxéra (ce qui veut dire en grec : flétrisseur des feuilles) et, en ouvrant les galles, on fit sortir des œufs du même insecte. Il est certain aujourd’hui que le phylloxéra vient d'Amérique, où il vit sur les vignes sauvages, lesquelles ne paraissent pas souffrir de ses attaques autant que nos cépages cultivés. Malgré des efforts héroïques pour enrayer le mal et pour le détruire, tous les ans la surface de pays atteinte s’est considé- rablement étendue. Aujourd’hui les départements les plus re- nommés pour les vins sont cruellement éprouvés et plusieurs sont complètement ruinés. Les vignes malades ont été arrachées LE PHYLLOXÉRA. 175 et brülées. La grande Champagne, c’est-à-dire la résion des Charentes, a été fortement attaquée, et l’on ne peut considérer sans terreur le terrible insecte s’a- vançant toujours vers le nord dans des localités non dévastées Jjus- qu'ici. Ce qui explique les ravages énor- mes d’une si petite bôte, c’est son extrème fécondité. Le phylloxéra pond des milliers d'œufs de chacun desquels sort un petit animal vo- race qui se gorge de sève et qui pond à son tour avec la même abondance. Après plusieurs géné- rations de ce genre, qui se suc- cèdent durant tout l'été, on voit LE PHYLLOXÉRA, apparaître des phylloxéras pourvus ""?* FORTEMENT 6R0sst. d'ailes qui vont au loin fonder de nouvelles colonies destruc- tices dans quelque vignoble jusqu'alors épargné. [ls pondent sur les feuilles des œufs spéciaux construits pour passer l’hiver sans subir les atteintes du froid et qui, au printemps, laissent sorlir des pucerons pareils aux premiers et qui n’ont rien de plus pressé que de descendre sur les racines pour y enfoncer leurs suçoirs. Le phylloxéra constituant une véritable calamité publique, le gouvernement a promis un prix de 100 000 francs à celui qui trouvera un moyen efficace de destruction. Inutile de dire avec quelle activité on a cherché la solution du problème. Les uns ont proposé d’inornder les vignobles, les autres d’en mêler la terre avec du sable ; ceux-ci veulent v cul- tiver des plantes vénéneuses comme le tabac, ceux-là pensent que la solution est dans l'importation d’ennemis naturels du phylloxéracomme divers insectes qui s’en nourrissent aux États- Unis. 176 LE MONDE ANIMAL. Mais les remèdes qui ont paru le plus efficaces sont des sels variés, dont le plus recommandé s'appelle sulfocarbonate de po- tasse, et des corps très volatils, comme le sulfure de carbone, le pétrole et les huiles de houille. Dans plusieurs circonstances ces agents, appliqués avec discernement, ont paru rendre des services, mais aucun ne s’est montré digne de la grande récom- pense offerte. IV. — LA FOURMI NOIRE (est surtout dans les climats chauds que les facultés éco- nomes et prévoyantes de la fourmi se manifestent. Beaucoup de naturalistes prétendent que dans les pays où l’hiver est rigou- reux, elles s’engourdissent pendant cette saison, et n’ont nul besoin, quoi qu’en ait dit la Fontaine, d’amasser des provisions qu’elles ne consommeraient pas. Celles dont nous allons parler ont été observées par un savant anglais, M. Moggeridge, dans les environs de Menton (Alpes- Maritimes), pays où l’on ne connait, pour ainsi dire, l'hiver que de nom. Les fourmis appartiennent à l’ordre des hyménoptères, parce qu’elles ont des ailes membraneuses. Elles ont des ailes; oui, mais non pas toutes. Celles dont nous allons dire les exploits, les ouvrières, en sont dépourvues. Les ouvrières ne pondent pas; elles travaillent : elles sont comme les esclaves des mâles et des femelles qui, eux, n’ont d'autre fonction que de voler, et de donner naissance à de futures fourmis. Les ouvrières prennent soin iles œufs, les enfonçant dans la terre quand il fait froid, les ramenant près du sol quand le temps devient plus doux. Ce sont elles enfin qui font les provisions. Dans la vallée bien abritée où M. Moggeridge observa les four- mis noires, il y avait trente nids, dont l'entrée était ombragée par de petites broussailles de ciste. La ligne non interrom- pue des travailleuses aux endroits cultivés avait quelquefois LA FOURMI NOIRE. 177 vingt-quatre mètres de longueur, pendant que des centaines appartenantau même établissement étaient à l’œuvre au milieu des plantes, préparant les convois ; enoutre, plusieurs ouvrières, restées dans la fourmilière, surveillaient et épluchaient les ma- tériaux, et s’occupaient des détails de l’économie intérieure. Non seulement les fourmis charriaient des semences de forte taille et des graines tombées, mais quelques-unes rapportaient aussi des matériaux différents : un insecte mort, un petit mollusque écrasé, la corolle d’une fleur, un morceau de tige, une feuille. Si l’une des pourvoyeuses avait par méprise fait un mauvais choix, elle était renvoyée du nid à son arrivée, et forcée deJeter au dehors un fardeau qu’elle avait rapporté souvent avec beau- coup de peine. Des graines de chanvre, d'avoine, fardeaux assez lourds pour les fourmis, ayant été répandues par l'observateur près de l'entrée d’une fourmilière, furent rapidement emportées à l’in- térieur, et le lendemain on trouva les épluchures de ces graines ajoutées anx matières de rebut amoncelées dans le voisinage de la fourmilière. Quelquefois, à la suite d’une ondée survenue après leur emmagasinement, ces mêmes graines étaient portées au soleil pour y sécher. Les fourmis noires n’ont pas besoin de matériaux pour la construction de leurs nids, qu’elles creusent simplement dans la terre ou dans le grès tendre. Les gros monticules qui avoi- sinent les entrées de la fourmilière sont formés de boulettes de terre, de morceaux de gravier charriés en dehors, lors du creusement des galeries, de matériaux de rebut, tels que balles de graminées, capsules vides, graines rongées à l’inté- rieur, Si ces monticules sont à l’abri du vent et de la pluie, ils peuvent acquérir des dimensions importantes; un seul sou- vent suffirait pour remplir un quart de boisseau. Avant donné un coup de truelle dans un des nids, M. Mog- geridge vit des masses considérables de grains distribués dans des chambres souterraines. Quelques-unes de ces chambres LE MONDE ANIMAL., 12 178 LE MONDE ANIMAL. prés entaient la forme de longues galeries à peu près eylin- driques, et l’on eût dit, en raison de la grande quantité de graines noires et brillantes d’une espèce d’amarante, qu’elles étaient remplies par des trainées de poudre. Ailleurs les raines étaient agglomérées dans des chambres horizontales, à plafond concave et à plancher plat, dont la texture, composée de grains, puis de mica et de quartz plus ou moins cimentés ensemble, différait du sol environnant. Bien qu'humides, les graines n'offraient pas la moindre trace de germination, tandis que les mêmes espèces qui s'étaient semées d’elles-mêmes sur les terrasses voisines, étaient en pleine et abondante végéta- tion. Évidemment les fourmis ont un procédé pour conserver toutes ces matières alimentaires, et jusqu'ici ce procédé est demeuré leur secret. Les fourmis, si pleines d’ailleurs d'excellentes qualités, ont des vices sérieux : on voit quelquefois une colonie de fourmis noires chercher à piller les magasins d’une autre colonie. Il s’engage alors une lutte terrible, qui dure souvent plusieurs semaines. Enfin, pour en finir avec tant de faits intéressants, citons encore celui-ci : M. Moggeridge observa que ces fourmis je- taient dans l’eau d’un petit récipient qu’il leur avait disposé à la surface du sol, les individus malades ou dans un état de mort apparente; peut-être voulaient-elles se débarrasser du cadavre, peut-être aussi faisaient-elles un essai de traitement curatif. VI, — LES TERMITES Les termites appartiennent à l’ordre des névroptères, in- sectes dont les ailes sont caractérisées par de fortes nervures. Ils sont un des fléaux des contrées chaudes de l’ancien et du nouveau monde; mais leur industrie, l’organisation de leur société, méritent que nous leur consacrions un chapitre. All | | l | | IL ll {ll | 1, || ll NUL (ll | 1) ll | | | (IL ln tl II HI CES SINGULIÈRES ll VU) S dl CONSTRUCTIONS SONT DES NIDS DE TERMITE 180 LE MONDE ANIMAL. Le voyageur qui parcourt les bois du Sénégal peut se trou- ver tout à coup en face de pyramides de 10,15,16 pieds de haut, d’une couleur rouge absolument semblable à celle de la terre bien cuite. Sa première impression, s’il n’est pas prévenu, est que ces pyramides sont l'ouvrage des hommes; peut-être même va-t-il, comme Golberry, les prendre pour des monu- ments funéraires. Erreur considérable! Ces singulières con- structions sont des nids de termites. Les termitières sont l’œuvre des larves, les maçons de toute la république. Les larves n’ont que deux lignes de longueur; elles sont d’un blanc de farine, possèdent six pieds, une petite tête sans yeux, des antennes et des mâchoires. Ces infiniment petits, outre le soin des constructions, ont celui des approvisionnements : ce sont eux qui agissent à l’ex- térieur, et leurs excursions s'étendent à des distances consi- dérables. À l’intérieur, ils circulent ou par des conduits sou- terrains qu’ils se creusent à plusieurs pieds au-dessous du sol, ou sous de petites voûtes qu’ils construisent à la superficie avec de l'argile. A l’aide de leurs petites mâchoires, les larves dévorent et réduisent en poudre impalpable les arbres les plus monstrueux, les plus fortes pièces de bois : Dieu a donné à ces milliards de microscopiques ouvrières la tâche de nettoyer les immenses forêts de l'Afrique et de l'Amérique. Elles n’attaquent jamais les bois verts et sains, mais dévo- rent les bois morts, dont le corps n’est plus qu’un embarras dans la nature, un obstacle à la végétation et à la circulation de l’air dans ces forêts déjà si serrées et si épaisses. Dans l’espace de quelques heures, elles dissèquent les ani- maux énormes, dignes habitants de pareilles régions, et ne leur laissent pas le temps d’infecter l'air de miasmes putrides. Pas plus que les larves, les nymphes ne sont inactives. Elles sont aveugles également, mais leur tête est devenue très grosse. Ce sont elles qui forcent les larves au travail, et cumu- LES TERMITES. 181 lent les deux emplois très différents de nourrices et de guer- riers. Chargées du logement des œufs, elles commencent par con- struire de longues galeries conduites dans l’intérieur des pyra- mides ; dans ces galeries, elles faconnent en nombre immense de petites loges, dont la forme et la grandeur sont à peu près celles de la moitié d’une très petite coquille de noisette. Ces loges creusées dans la terre sont intérieurement revètues de petits filaments de bois, de la grosseur d’un cheveu, très artistement appliqués les uns à côté des autres, et qui, obser- vés au travers d’une très forte loupe, font leffet d’un lambris de Joncs. Celles des nymphes qui remplissent les fonctions de soidats, fonctions dont elles s’acquittent avec une grande énergie, res- tent toujours à l’état de nymphes : elles ne doivent pas devenir insectes parfaits. La plupart des termites qui arrivent à l’état parfait subis- sent untriste sort. Dès qu'ils ont leurs ailes, ils s’envolent, mais le lendemain, au point du jour, on les retrouve gisants sur le sol, dépourvus des jolies mais fragiles membranes qui les ont soutenus un instant. Alors de toutes parts arrivent les oiseaux, les reptiles, qui les dévorent avec avidité; les nègres aussi pren- nent leur part du butin, ramassant les insectes à la surface des ruisseaux et des fontaines avec des calebasses, pour les faire griller dans un pot de fer, sur un feu de braise à moitié éteinte, et les manger ensuite comme un mets exquis. Cependant tous les termites ailés ne périssent pas dans cette ruine; il se trouve toujours quelques mâles et quelques fe- melles que les larves sauvent et emportent dans les nids. Chaque couple est enfermé dans une grande cellule qui est la chambre royale. Ces époux sont nourris par les larves et par les nymphes. Le mâle ne change pas de dimensions; mais il n’en est pas de même de la femelle, dont l'abdomen augmente par degrés, s’é- 182 LE MONDE ANIMAL. largit et parvient à une grandeur prodigieuse : quelque chose comme 1500 ou 2000 fois le volume du reste du corps. Inca- pable de remuer, cette reine ne fait pas autre chose que pondre; il y a des auteurs qui prétendent qu’elle ne s’interrompt pas un instant, donnant 60 œufs à la minute, ce qui fait 86400 œufs en 24 heures, et plus de 31 milliards par an. Ces chiffres paraissent fabuleux; mais quand on réfléchit que les larves ont 5 millimètres de long, qu’elles ont mangé des forêts et construit des pyramides qui, vu la petitesse de eur taille, sont 4 ou 5 fois hautes comme les pyramides d'Egypte, il est bien permis d’ajouter quelque foi au récit des vieux auteurs. VI. — LE VER A SOIE Tout le monde sait que ce sont les chenilles du bombyce qui nous donnent la soie. Connu en Chine depuis un temps immémorial, ce papillon procure aux habitants du Céleste Empire de quoi fabriquer les inusables vêtements qu’on se transmet de père en fils, mais dont la soie, qui a un faux air de forte percaline, n’a pas les qualités élégantes de la nôtre. C’est seulement depuis le xvr siècle que nous possédons des vers à soie, et c’est une des bonnes idées de Henri IV d’avoir, malgré Sully, favorisé la nouvelle industrie. Aujour- d'hui, nos départements du Midi produisent annuellement plus de 30 millions de kilogrammes de cocons, qui donnent un revenu de 190 millions. Comme tous les papillons, le bombyce appartient à l’ordre des lépidoptères, c’est-à-dire des insectes dont les ailes sont couvertes d’écailles microscopiques qui les colorent. Le bombyce offre un exemple complet des métamorphoses des insectes. Les œufs, pondus en grande quantité, donnent naissance à des larves. LE VER A SOIE. 183 Les larves — ce sont les vers — changent plusieurs fois de peau, ou, pour parler le langage technique, subissent plus LE BOMBYCE OU VER A SOIE sieurs #ues. La seule occupation des vers est de manger; chez nous, ce sont les feuilles du mürier, arbre dont on fait à dessein de grandes plantations dans le voisinage des ma- gnaneries (c’est ainsi que l’on appelle les endroits où l’on élève les vers à soie). | 184 LE MONDE ANIMAL. Le bombyce reste à l’état de ver pendant environ trente- quatre jours. Lorsque ce terme est expiré, il cesse de prendre des aliments, et se prépare à sa seconde métamorphose en filant son cocon. La soie qu’il emploie est sécrétée à l’état liquide dans une paire de longues glandes en forme de tube, plusieurs fois repliées sur elles-mêmes, et suivant intérieurement la face extérieure du corps. La soie est filée à travers un petit appareil percé à son sommet d’un orifice unique et très fin, placé auprès de la bouche dont il constitue la lèvre inférieure, et auquel on donne le nom de filière. Les premiers fils sont attachés par animal à quelques points des corps environnants; puis le cocon est tramé d’un seul fil qui n’a pas moins de 4 à 500 mètres de longueur, contourné et replié de telle façon, qu'il enveloppe l’animal comme dans une molle prison. C’est dans cette retraite mystérieuse que le ver, devenu chrysalide, prend tous les organes du papillon; pattes fines, corps peu allongé, antennes, ailes couvertes de poussière, etc. La troisième mé- tamorphose accomplie, le bombyce perce le cocon et sort à l'état d’insecte parfait. Celui-ci, dont la vie ne dure que peu de jours, et qui ne prend aucune nourriture, donne des œufs. Quand le cocon est percé, il n’est plus bon à rien. Aussi dans les magnaneries fait-on deux parts de ce que l’on a obtenu de cocons : l’une, la plus petite, est destinée à donner jour aux papillons qui produiront la graine; l’autre, à être plongée dans l’eau bouillante pour étouffer la chrysalide. Les cocons non percés sont dévidés plusieurs ensemble, et donnent des échevaux de soie grège. L'opération qui con- siste à débarrasser la soie de la matière gélatineuse dont elle est recouverte, s'appelle le décreusage. Vous lirez dans d’autres livres sur le bombyce du mürier toutes sortes de choses intéressantes, car on ne cesse d'écrire MAGNANERIE, Z = Z TL: r " n vo « - 2. VONT 186 LE MONDE ANIMAL. sur un animal si utile. Aussi, sans nous occuper davantage de cette espèce, allons-nous donner quelque attention à celle qu’on appelle le bombyce du chêne, et qu'on ne cultive encore en grand que dans la Chine. Il est bon d’ailleurs de voir com- ment les Chinois, ces antiques propriétaires de la soie, Sy prennent pour l'obtenir. Autre considération plus sérieuse : les maladies qui frappent trop souvent notre bombyce nous préviennent qu’il serait temps de penser à lui donner des auxiliaires parmi les autres espèces. Dans le nord de la Chine on compte deux récoltes de cocons : la récolte du printemps et la récolte de l’automne. C’est au mois de septembre que les cocons sont apportés sur le marché, et que les éleveurs font trier ceux de meilleure qualité destinés à la reproduction pour le printemps. On les conserve dans des paniers que les Chinois suspendent dans leurs maisons d’habi- tation, presque toujours exposées au midi, et ne présentant qu'un mur aux vents froids du nord. Les appartements sont chauffés en pariie par un grand poële en brique, qui oc- cupe le tiers de la pièce, et qui sert de lit la nuit et de siège le jour. Malgré toutes ces précautions, la température des maisons chinoises, dans les districts séricicoles des mon- tagnes, s’abaisse, pendant la plus grande partie de lhiver, au-dessous de zéro. La chaleur naturelle du printemps suffit à amener la trans- formation de la chrysalide en papillon. Au bout de quatre ou cinq jours, les femelles font leur ponte. Les œufs sont étendus sur du papier déroulé sur des naltes, des tables, etc. Cinq ou six jours après, chacun produit un petit ver d’une teinte noire et de la grosseur d’une fourmi, à peu près. Cette éclosion a lieu à la fin d'avril, au moment où les bourgeons des jeunes chênes ont commencé à paraitre. On pousse les jeunes feuilles à un prompt développement; pour cela, on coupe les rameaux qui les portent, et on les met dans l’eau. On répand les feuilles LE VER A SOLE. 187 tendres sur le papier, et pendant quelques jours on en nour- rit les vers nouvellement éclos. Quant les larves ont atteint un pouce de longueur, on les transporte sur des buissons de jeunes chènes, à feuilles très tendres. A sa première mue, le ver perd sa couleur noire, et sa nou- velle peau est d’une belle nuance verte. A l’époque qui précède immédiatement le tissage, la chenille a le corps d’un vert écla- tant, la tête brun clair, et mesure en tout cinq pouces et demi. Le corps est formé de douze anneaux, dont huit portent chacun une paire de grifles. Lorsque le ver commence son cocon, il choisit deux ou plu- sieurs feuilles de chêne en regard les unes des autres, et sur la face inférieure de la branche. L’insecte les réunit par un tissu de fils de soie qui sortent continuellement de sa filière, pendant qu’il porte sa tête d’une feuille à l’autre. En même temps, il se retient à la branche par les griffes de derrière. Lors- que les fils, qui vont d’une feuille à l’autre, forment une sorte de corbeille suspendue, le ver lâche prise et se laisse choir dans le logement qu'il vient de se préparer. Alors ses sept derniers an- neaux sont repliés sur eux-mêmes, l'arrière du corps demeure dans la plus complète inaction, et l’insecte ne s’en sert que comme d’un sac d’où il tire la matière première de la soie. Le travail est accompli par la tête de l’animal et la partie supé- rieure du corps. Il commence par s’entourer de la soie lé- gère et glacée qui forme la partie extérieure des cocons, enve- loppe au travers de laquelle son petit corps teinté de vert s'aperçoit longtemps. Ensuite l’insecte fabrique la partie plus dense, assez dure, qui compose l’intérieur du cocon. Le rendement de la récolte de printemps passe pour être de beaucoup plus faible que celui de la récolte d'automne; mais la soie qui en provient est, dit-on, de qualité supérieure. Les Chinois, gens fort économes, emploient comme comes- tible les chrysalides étouffées dans les cocons. CHAPITRE Il ARACHNIDES La classe des arachnides comprend les animaux à huit pattes dont le corps est divisé en deux parties : 1° une tête et un thorax réunis; 2° un abdomen très développé. Les arachnides ne subissent pas de métamorphoses propre- ment dites; quelquefois cependant, au début de leur vie, ils n’ont que six pattes. LES ARAIGNÉES MINEUSES Tout le monde a remarqué les araignées à cause de l’indus- trie qu’elles déploient dans la confection de leur toile, piège merveilleux où se prennent les petits insectes dont elles se nourrissent. Quelques espèces, surtout dans les contrées chaudes, ou du moins tempérées, se font dans la terre des nids en forme de tubes doublés d’un revêtement de soie. Ces logis sont fermés de portes de la même substance, tantôt épaisses et adaptées comme un bouchon dans l’intérieur, tantôt minces comme un pain à cacheter et reposant sur l’ouverture. C’est avec ses mandibules que l’araignée mineuse creuse son tube dans la terre humide; puis elle charrie à mesure les déblais au dehors et tapisse l’intérieur pour empêcher l’éboule- ment de la terre qu’elle vient d'enlever; elle continue avec les LES ARAIGNÉES MINEUSES. 189 mêmes précautions jusqu'à ce que le tube ait la longueur voulue. Quelquefois la porte est percée de trous extrèmement fins. LES ARAIGNÉES MINEUSES Quelques naturalistes pensent que ce sont des trous à air; M. Moggeridge croit qu'ils ont une autre destination. Un jour, ayant touché légèrement avec son canif la porte d’un nid, ils’aperçut que cette porte s’enfonçait graduellement; la surface, qui dépassait un peu le niveau du sol, se trouva bientôt en dessous. Avec la pointe du canif, l'observateur s’ar- 190 LE MONDE ANIMAL. rangea de manière à soulever tout doucement la porte, et, mal- gré la résistance vigoureuse qu'opposait l’araignée, il finit par plonger ses regards dans l’intérieur. Il vit alors l'animal ti- rant sur sa porte Ge toutes ses forces, le dos en bas et les pointes des pattes enfoncées dans la doublure soyeuse de la surface du bouchon. Sa tête était écartée de la charnière, et son corps, placé en travers, remplissait exactement le tube contre les pa- rois duquel il s’arc-boutait. M. Moggeridge ne força pas l’arai- gnée à lâcher prise; mais, coupant vivement avec un couteau le tube à une certaine distance en dessous, s’empara du nid, de la trappe et de la bête, dont il surprit ainsi les secrets. Donc, toutes les fois qu’une araignée a à soutenir un siège, ses pattes produisent nécessairement des trous sur la circonférence de la porte, excepté du côté de la charnière. Les araignées mineuses sortent la nuit de leurs nids pour chasser. Elles fixent la porte aux objets environnants, et filent une toile afin d'y capturer les insectes nocturnes. Le matin, cette toile est enlevée avec soin et employée à fortifier les couches de soie de la porte. CHAPITRE III CRUSTACÉS Les crustacés sont des articulés arthropodes qui respirent par des branchies dépendant des pattes ou même placées des- sus. Il en est qui ne respirent que par la peau. La plupart des crustacés sont marins, très carnassiers, et capables de dévorer des naufragés sans même attendre qu’ils soient tout à fait morts. L’exquise langouste et le délicieux homard, qu'on appelle aussi écrevisses de mer, et dont les Ro- mains faisaient tout autant de cas que nous, sont des exemples bien connus de gros crustacés; ils habitent les profondeurs, et sont d’une fécondité étonnante. La langouste pond jusqu’à cent mille œufs. Il y a aussi des crustacés d’eau douce, par exemple l’écre- VISSE. L'ÉCREVISSE. L’écrevisse est un des représentants de l’ordre des déca- podes, c’est-à-dire des crustacés qui ont dix pattes, sans compter un certain nombre de pieds-mâchoires. Les déca podes ont les yeux supportés par des pédicules. La tête et le thorax de l’écrevisse sont soudés ensemble. La chair est extrêmement délicate; on en fait la délicieuse soupe appelée bisque d’écrevisse, où la carapace même est 192 LE MONDE ANIMAL. employée; et le crustacé dans son entier fait l’ornement d’une foule de plats de haut goût. L’écrevisse ne grossit que très lentement et est obligée de changer de robe pour augmenter de volume. Le temps de la mue est un moment de maladie, pendant lequel elle reste inerte et parait quelquefois comme morte; assez souvent même il en est qui succombent, ne pouvant sortir de la vieille carapace. Après la mue, le crustacé est très mou et reste plu- sieurs jours sans prendre de nourriture, jusqu’à ce que sa L’ÉCRE VISSE nouvelle robe soit bien formée et durcie. Il faut au moins sept ans pour faire une belle écrevisse. Les écrevisses se nourrissent surtout de petils animaux, mais elles aiment beaucoup les matières végétales, telles que carottes, potirons, tiges de roseaux, charas. Ce n’est qu’excep- tionnellement qu’elles mangent des viandes avancées. Les femelles aiment à se retirer dans les cavités de la berge, mais souvent elles trouvent déjà des habitants dans les creux qu’elles explorent, et alors elles se retirent précipitamment, tandis que celle qui a été dérangée se montre un instant au dehors, comme si elle voulait reconnaitre la cause de cette violation de domicile. Jamais une écrevisse, quelque forte L'ÉCREVISSE. 193 qu'elle soit, n’en exproprie une autre. Quand elle est bien as- surée qu’elle ne trouvera pas de logement vacant, elle se décide à se creuser une demeure dans la berge. Elle y parvient en grat- tant la terre, et quand elle en a détaché une petite quantité, elle se relève en l’emportant entre ses pinces, rapprochées l’une de l’autre par leurs extrémités. Lorsque le trou est suffisamment creux, la bête y entre à reculons, et au bout de quelque temps ressort, toujours chargée de terre. Le travail est assez long et coupé par plusieurs repos. L'éclosion a lieu en général vers la mi-juin. Les petites écrevisses, semblables de forme aux adultes, sont très molles et transparentes. Pendant quelque temps elles restent fixées sous la queue de leur mère, qu’elles abandonnent après la première quinzaine. Ces crustacés ont pour ennemis un grand nombre d’ani- maux, tout aussi friands de sa chair que l’homme lui-même. Jeunes, elles font les délices des grenouilles; à tout âge, celles des hérons, canards, loutres, couleuvres, etc. ; mais nul de ces animaux ne les recherche avec autant d’avidité que l’anguille. Ce poisson prend l’écrevisse par une patte qu’il tourne jusqu’à arrachement, et lui enlève successivement tous les membres: LE MONDE ANIMAL. 143 CHAPITRE IV ANNÉLIDE Les annélides on vers ont ie corps formé d’articles successifs auxquels on à donné le nom de zoonûtes, el que les naturalistes modernes sont portés à considérer comme doués chacun d’une vie distincte. Selon M. de Lacaze-Duthiers, il y a beaucoup d’ar- ticulés dont chaque zoonite a son système nerveux particulier, son cœur ou ce qui en tient lieu, et son organe respiratoire; seulement chacun a en plus une fonction spéciale à remplir : celui-ci porte la bouche, ces autres les organes de la locomo- tion, etc. Gela est si vrai, que M. Moquin-Tandon a vu une sangsue coupée en travers continuer à sucer le sang de l’animal sur lequel elle était attachée, et le sang couler par la section transversale. | De tous les articulés les annélides sont ceux chez lesquels les zoonites sont le plus nettement distincts. LES SANGSUES Les sangsues appartiennent à la division des apodes, c’est- à-dire des animaux sans pieds, qui se meuvent au moyen de ventouses placées aux deux extrémités du corps. Elles ne subissent pas de métamorphoses. Les œufs, au nombre de dix-huit environ, sont déposés dans des cocons. M (l UT] TUE mi ni NT == AINSI. SAGRIFIE EUR LI HEVAUX QU’ON C VIEUX S SONT DE £PAUVRE GE 196 LE MONDE ANIMAL. Quelques espèces très rares sont marines ; les autres vivent surtout dans les eaux douces des marais. Les sangsues employées en médecine ont la bouche garnie de trois petites mâchoires dentelées, avec lesquelles elles entament la peau des animaux. Leur ventouse buccale leur permet de sucer le sang par la plaie qu'ont faite les mâchoires. On sait qu’elles peuvent se gorger en peu de temps. La petite cicatrice SANGSUES. qui subsiste aux endroits piqués est due à l’action de ces trois mâchoires. Dans les pays civilisés, les grenouilles, les salamandres, les poissons sont les animaux aux dépens desquels elles se nour- rissent. Dans les contrées où vivent des troupeaux d'animaux sauvages qui fréquentent les marais, elles trouvent sur eux une abondante nourriture. Livrées à leurs propres ressources, les sangsues ne se multi- plieraient pas au point de faire un objet de commerce; aussi leur élevage a-t-1l donné lieu à une industrie qui consiste à LES SANGSUES. 197 nettoyer leurs marais de tout ce qui peut leur être nuisible et à leur donner la nourriture qu’elles aiment le plus, le sang pris sur un animal vivant. Ce sont de pauvres vieux chevaux, des ânes, des mulets hors de service qu’on leur sacrifie ainsi. On attache ces malheureuses bêtes au milieu du marais, et on les laisse pendant deux heures en proie aux morsures de toutes les sangsues. On recommence chaque jour Jusqu'à ce que les victimes meurent d’épuisement. Se figure-t-on un plus horrible supplice? La pêche à la main est le mode de capture le plus usité pour les sangsues. Les pêcheurs, chaussés de grosses bottes imper- méables, sont munis d’un sac et d’un petit banc en bois léger qui leur sert à s'asseoir. Les sangues s’empressent autour de leurs jambes, et ils peuvent alors les choisir et les saisir avec l'index et le pouce. Après la pêche, on trie les sangsues sur une table de bois ou de marbre ; on les compte en les rangeant par grosseurs et en faisant glisser chaque sorte dans un vase particulier. Tenues en un lieu frais, les sangsues peuvent se conserver deux ou trois mois. Pour les transporter, ce qu’on ne doit faire que quand elles sont parfaitement à jeun, on les met dans des sacs de toile qui peuvent tenir chacun un millier d'individus et un volume égal d'argile mouillée. Ces sacs, placés dans une caisse de bois percée de trous, sont isolés par des couches vé- gétales. ge LES MOLLUSQUES Les mollusques forment un embranchement extrêmement nombreux, que l’on divise maintenant en six classes. - Ne pouvant nous occuper de toutes, nous en prendrons deux, qui fournissent des espèces utiles à l’homme : ce sont les céphalopodes et les acéphales. CHAPITRE PREMIER CÉPHALOPODES Les céphalopodes sont des animaux qui méritent d'occuper un assez haut rang dans la série. Ils ont un rudiment de cerveau et un rudiment de squelette; par certains côtés 1ls confinent aux poissons. C’est ce qui avait déterminé Cuvier à placer ies mol- lusques après les vertébrés, la classe des mollusques se trou- vant ainsi immédiatement au-dessous de celle des poissons. Le mot céphalopode vient de deux mots grecs qui veulent dire, l’un têle, l’autre pied. Ges animaux étranges ont, en effet, les pieds ou les bras, comme on voudra, sur la tête. Les pieds, au nombre de huit ou dix, sont armés de suçoirs ou ventouses à l’aide desquelles ils adhèrent avec beaucoup de force sur les corps qu’ils embrassent. Ils servent aussi à l’animal pour saisir, pour marcher et pour nager. Le céphalopode nage la tête en LES SEICHES. 199 arrière et marche dans toutes les directions, ayant la tête en bas et le corps en haut. En outre des pieds, la tête, qui est ronde, est pourvue de deux grands yeux, d’une bouche placée à la base des pieds et dans laquelle sont deux mâchoires de corne semblables au bec d’un perroquet; entre les deux mâchoires est une langue hérissée de pointes cornées; devant le cou, un entonnoir charnu qui donne passage aux excréments. Les autres organes sont placés dans un sac musculaire qui n’est autre que le corps de lPanimal. Ce sont : les branchies, des veines, des artères, trois estomacs ayant du rapport avec ceux des oiseaux, l'intestin, le foie et une glande secrétant un liquide d’un noir très foncé dont les céphalopodes teignent l’eau de la mer pour se cacher. Les coquilles des céphalopodes sont de deux sortes : exté- rieures ou intérieures. Les argonautes en possèdent une de la première sorte qui est de forme charmante, délicieusement nacrée, transparente, et si frèle qu’il est rare de la trouver entière. Les seiches, dont nous allons parler, offrent un exemple des coquilles internes. Tous les céphalopodes vivent dans la mer. Ils sont voraces et détruisent beaucoup de poissons et de crustacés, on accuse même les grands poulpes ou pieuvres d’avoir fait périr des hommes. Leur chair peut se manger. L S SEICHES Outre huit bras chargés de petits suçoirs sur de courts pé- dicules, la tête des seiches porte encore deux bras beaucoup plus longs, armés de ventouses seulement vers le bout, qui est élargi. Elles s’en servent pour se tenir à l’ancre. De plus; une nageoire charnue règne tout le long et de chaque côté de leur sac. 200 LE MONDE ANIMAL. La coquille des seiches est ovale, bombée et composée d’une infinité de lames calcaires très minces, parallèles, jointes en- semble par des milliers de petites colonnes creuses qui vont perpendiculairement de l’une à l’autre. Une telle structure la rendant très friable, on l’emploie, sous le nom d’os de seiche, à LA SEICHE. polir divers ouvrages, et on la donne aux petits oiseaux pour s’aiguiser le bec. Les œufs des seiches sont attachés les uns aux autres en grappes que l’on nomme vulgairement raisins de mer. La bourse à l’encre est située profondément dans l'abdomen et donne la substance connue sous le nom de sépia. L'espèce répandue dans toutes nos mers atteint un pied et plus de longueur. Sa peau est lisse, blanchâtre, pointillée de LES SEICHES. 201 roux. La mer des Indes en produit une dont la peau est hérissée de tubercules. La seiche est excellente à manger. On la pêche dans la Médi- terranée au woyen de lignes où l’on met pour appât des bandes de drap rouge que l'animal prend sans doute pour une proie vivante. Si une seiche se trouve aux environs, dit le vicomte de Dax, elle accourt, agite ses bras nombreux, fond sur la proie qu’elle convoite, l’enserre, fait agir toutes ses ventouses, et quand elle croit la tenir en son pouvoir, elle cherche à l’entrainer dans quelque trou, où elle pourra la dévorer à son aise; mais ses calculs sont trompés, sa voracité cause sa perte : les secousses qu'elle imprime à la ligne avertissent le pêcheur; 1l donne un coup sec, et deux ou trois hamecçons percent la seiche, qui, en se sentant piquer, redouble ses efforts de constriction; et ce west que lorsqu'elle est hors de son élément qu’elle abandonne l’'appât trompeur et fait des tentatives pour se dégager, mais trop tard. Violemment jetée sur le sol ou frappée contre un rocher, elle reste étendue, ne présentant à l'œil qu'une masse molle et sans forme. Quand on est en bateau, on peut pêcher un peu loin des côtes, mais toujours dans les parages rocheux et dans les endroits où l’eau est peu profonde. CHAPITRE II ACÉPHALES Les acéphales — littéralement mollusques sans tête — n’ont pas de tête apparente, mais seulement une bouche ca- chée dans le fond ou entre les replis du manteau. Celui-ci est presque toujours ployé en deux et enveloppe le corps, comme une couverture renferme un iivre; le manteau est le plus souvent garni d’une coquille calcaire bivalve. La bouche n’a jamais de dents et ne peut prendre que les molécules que Peau lui apporte; l'estomac est quelquefois double et entièrement entouré par le foie. HUITRES ET PINTADINES Extérieurement, les deux valves qui enferment lhuître sont rugueuses, grisâtres, désagréables d'aspect. Ouvrez-les, vous les voyez polies, blanches, nacrées à l’intérieur. Mangez la bête, c’est un mets délicieux, si recherché qu’une douzaine d’huitres vraiment bonnes se paye 2 fr. 59. Une fois de plus le pro- verbe a raison : il ne faut pas se fier aux apparences. Une autre coquille, la pintadine, a avec l’huître tant d’ana- logie, qu'on la désigne presque toujours sous le nom d’huitre à perles; comme son surnom vous en prévient, celle-ci a un bien autre mérite que celui de fournir à la table des gourmets HUITRES ET PINTADINES. 203 un aliment savoureux : les perles, blanches, chatoyantes, à reflets d’opale, de formes si agréables, qui produisent un si charmant effet enchâssées dans Por dun bracelet ou d’une bague, ou bien encore enfilées, pressées les unes contre les autres autour d’un cou blanc, — les perles sont des produits sécrétés par les pintadines. Si, à la dernière Exposition, vous avez eu la patience de faire la queue autour de la vitrine des joyaux de l’État, vous avez pu y voir une collec- tion de 408 perles représentant une valeur de 500 000 francs. Lesparures qu’elles composaientétaient véritablement éblouts- santes. La nacre, de teintes si pures, d’un poli si brillant, d’une substance si fine, qui est employée à orner une foule d'objets, que l’on incruste, par exemple, dans le bois des coffres pré-. cieux, le cadre de certaines glaces, qui sert à faire des bou- tons, des boucles de ceinture, des poignées d’épée, des manches de couteau, l’huitre perlière. la nacre est le revêtement interne de Les huîtres ordinaires sont fixées au fond de la mer sur des rochers, et souvent les unes sur les autres. Ainsi accumulées, elles forment ce qu’on appelle des banes. Une huître produit quelquefois un million d'œufs, qu ’elle garde jusqu’à ce qu’ils éclosent entre les lamelles de ses bran- chies. Les jeunes huîtres, qui n’ont aucune ressemblance avec leur mère, ont la faculté de se déplacer : et il le faut bien pour qu’elles puissent choisir le lieu où s’écoulera leur paisible exis- tence; une fois qu’elles l'ont trouvé, elles s’y attachent forte- - ment, subissent des métamorphoses profondes, et ne bougent que lorsque la drague du pècheur vient les en arracher par la violence. Par suite de la consommation toujours croissante, la culture des huîtres a donné lieu à une industrie qu’on appelle lostréi- culture. Elle était connue des Romains. Son principe est celui-ci : recueillir les huîtres et les placer 204 E LE MONDE ANIMAL. dans des parcs, bassins remplis de 1 mètre et plus d’eau, dont le fond est recouvert de sable et de galets, et communiquant LA PÊCHE DES PERLES EST DES PLUS FATIGANTES. avec la mer par un conduit à l’aide duquel on fait entrer et sortir l’eau à volonté. Là on peut entourer les mollusques des condi- tions les plus favorables au développement de leurs qualités HUITRES ET PINTADINES. 205 comestibles. C’est grâce à l’ostréiculture que nous pouvons manger encore des huîtres, car les draguages par trop énergi- ques des pêcheurs auraient fini par les détruire entièrement. Ce qui distingue surtout la pintadine de l'huître, c’est qu’au lieu d’être adhérente au roc par sa coquille, elle y est amarrée par un byssus ou sorte de càble. Quand l’animal veut se fixer, il allonge son pied, appendice charnu qui n’a rien de com- mun, maleré son nom, avec le membres des mammifères. Après avoir cherché pendant quelques minutes une place con- venable, il le rentre dans sa coquille: mais une forte fibre, ayant la forme du sillon longitudinal dont le pied est creusé, reste attachée par une da ses extrémités à la base du pied et par l’autre au roc. Ce petit manège est répélé plusieurs fois, jus- qu’à ce que le byssus se soit formé. L'animal peut reproduire un nouveau byssus lorsque celui qui l’amarrait a été rompu, soit par un déplacement, soit par un accident quelconque. La mer des Indes est la productrice par excellence des huîtres perhères; c’est de là que les anciens, qui aimaient beaucoup les perles, tiraient les leurs. Le banc qui avoisine Cevlan n’a pas moins de 10 lieues de longueur. On trouve aussi des hui- tres perlières dans le golfe du Mexique et-dans la mer Ver- meille. La pêche des perles est des plus fatigantes, et aussi des plus dangereuses, à cause du voisinage des requins. Elle est faite par des plongeurs exercés depuis l’enfance à ce rude métier. Des barques les conduisent dans le voisinage des bancs. Ils se partagent en deux groupes de cinq hommes chacun, qui alter- nativement restent à bord pour hisser ceux qui plongent. Au cou des plongeurs est suspendu un petit panier ou un sac en filet destiné à recevoir la récolte. Chacun saisit une corde lestée d’une grosse pierre, met ses pieds sur la pierre, remplit sa poitrine d’une grande quantité d’air et donne un signal. On laisse filer la corde, que l’on fait remonter immédiatement. De la sorte, l’homme est resté à peu près une minute et demie 206 LE MONDE ANIMAL. sous l’eau, et souvent, lorsqu'il arrive dans la barque qui le recueille, il rend le sang par la bouche et par le nez. Pour retirer les perles de la coquille on emploie deux mé- thodes : ou bien on ouvre la coquille avec le couteau et on cherche en écrasant le mollusque entre les doigts; ou bien, et c’est ce qui se fait dans l’Inde, on laisse l’huître se décomposer et l’on recueille les perles qu’elle peut contenir. Les perles sont soumises ensuite à un grand lavage, puis polies avec de la nacre, enfin perforées avec des poinçons de différentes tailles et réunies par grandeurs en chapelets ou masses. La nacre est difficile à travailler. On la taille à l’aide de petites scies, de limes fines et d’acide sulfurique affaibli; on la polit à l’émeri et on achève sa toilette avec le colcolar. Une grande quantité de nacre est importée en France, et comme la consommation va toujours croissant, les prix suivent la même progression. La pêche des coquilles à nacre est une des principales indus- tries des Canaques dans la Nouvelle-Calédonie. L’exportation annuelle produit environ 7 à 800 000 francs. Les plus belles huitres se trouvent dans le sable et dans les courants à une assez grande profondeur. L'animal sert de nourriture aux plongeurs. hd. ÿ és. LES POLYPES On peut diviser les polypes au moins en trois classes; nous ne nous occuperons Ici que de celle des coralliaires. LE CORAIL C’est l’ambition de plus d’une petite fille de posséder un de ces jolis colliers de corail rose ou rouge qui font si bien res- sortir la blancheur du cou; plus d’un petit garçon mettrait vo- lontiers à sa cravate une épingle de la même substance. Peut- être si on leur demandait ce que c’est que le corail, même en leur promettant comme récompense l’objet qu’ils convoitent, seraient-ils bien embarrassés. À moins cependant que, sans hésitation, comme il arrive trop souvent à l’ignorant, ils ne déclarent que le corail est une pierre. Sans doute l'apparence leur donne raison, et même il est ordinaire de compter le corail parmi les pierres fines. Mais l'opinion qu'on s’en fait change singulièrement quand on sait d’où on le tire et comment il prend naissance. Le corail est un produit de la mer ; mais au moment où il sort de l’eau, il est bien loin d’avoir l’aspect agréable que vous savez, et certainement vous ne le reconnaîtriez pas. C’est comme un branchage capricieusement ramifié et tout en- duit d’une matière grisätre et visqueuse. d’un contact déplai- sant. Si l’on se hâte de mettre le corail frais pêché dans un bocal d’eau de mer, on ne tarde pas à assister à un spectacle 208 LE MONDE ANIMAL. merveilleux : cette substance gélatineuse qu’on prendrait pour une souillure accidentelle, la voilà qui se met à fleurir ; de distance en distance de jolies étoiles aux rayons crénelés s’épanouissent, absolument comme les pâquerettes des champs sous l'influence du soleil. — Décidément le corail n’est pas une pierre : cette forme branchue, ces fleurs sur des rameaux montrent bien que c’est une plante !.… Eh bien non! Ce n’est pas davantage une plante. Touchez une des fleurs ouvertes, et vous la verrez subite- DE JOLIES ÉTOILES AUX RAYONS CRÉNELÉS S'ÉPANOUISSENT COMME DES PAQUERETTES. ment se refermer avec des mouvements comparables à ceux du limaçon qui rentre ses cornes au moindre contact. Approchez une petite bestiole, elle sera saisie, et quand plus tard la fleur se rouvrira, cette proie aura disparu, véritablement digérée. Les savants qui ont examiné la chose de plus près ont même constaté qu’à une certaine époque de l’année le corail pond de vrais œufs d’où il sort de petits êtres très vifs, couverts de cils, et qui, après avoir nagé acuvement quelques heures, s’arrê- tent à la surface d’un rocher, subissent des métamorphoses étranges et donnent bientôt naissance à des végétations coral- lines toutes semblables à celles d’où ils sont sortis. LE CORAIL. 209 Le corail n’est donc ni une pierre ni une plante : c’est un animal. Et si déjà, par lui-même, le corail est un objet d'intérêt, quelles réflexions il suggère! Ne montre-t-il pas d’une ma- nière saisissante combien ces trois grandes divisions que l’on établit à première vue dans la nature et qu’on appelle les {rois règnes, sont, en définitive, si intimement soudées entre elles, malgré l'apparence, qu'il est presque impossible d'établir de l’une à l’autre des limites précises ? Le corail offre d’ailleurs à l'observateur d’autres sujets d’ad- miration. Outre qu’il est bien curieux de voir une pierre pré- cieuse produite par un animal, il faut ajouter que le corail n’est que l’un des membres d’une grande catégorie d'êtres analogues qui méritent la qualification de constructeurs d’iles. On les dé- signe sous le nom de madrépsres, et c’est dans les mers très chaudes des régions équatoriales de l'océan Pac fique qu'il faut aller pour les observer. Vous connaissez tous la disposition exceptionnelle de cette cinquième parlie du monde qu’on appelle l'Océanie. A part le grand continent australien, elle est exclusivement composée d’iles dont beaucoup sont fort petites et qui, très différentes de la plupart des terres des autres régions du globe, offrent entre elles d’étroites analogies. La plupart sont de forme annulaire, et quelquefois elles se groupent ensemble en vastes couronnes. D'année en année elles augmentent de dimensions et elles s’accroissent en nombre, de telle sorte qu’on a pu découvrir de quelle façon elles se produisent. Le fond de l'Océan, au lieu d’être plat, comme le fond du bassin des Tuileries, par exemple, est fort accidenté, et dans la région du Pacifique il s’y montre une foule de vraies montagnes coniques de nature volcanique. C’est vers le haut de ces mon- lagnes, tout autour du sommet, que des madrépores viennent se fixer, et il en résulte une vraie végétation annulaire qui pro- gressivement, comme le ferait une haie de plantes, s’accroiten LE MONDE ANIMAL. 14 Aer 210 LE MONDE ANIMAL. hauteur en même temps qu’elle devient plus épaisse. Au bout d’un temps suffisant, elle atteint la surface del’eau et constitue alors un bas-fond ou récif, dangereux pour la navigation et soi- eneusement marqué sur les cartes marines. Il arrive un moment où, à la marée basse, la surface de l’île madréporique sort de l'eau. Sous l’action du soleil tropical elle se fendille, et la tem- pôte, quand elle se déchaine ensuite, détache de ses bords cre- vassés de gros blocs de corail que les vagues rejettent sur la partie moyenne de lacouronne. Celle-ci s'élève donc peu à peu au-dessus de la mer d’une quantité telle que, les plus hautes eaux ne peuvent plus y atteindre. L’exhaussement sépare ainsi del’Océan la pièce d’eau circulaire contenue au centre de lile, et cette eau, sous l'influence des pluies qui la lavent, perd succes- sivement tout son sel et passe peu à peu à l’état d’eau douce. Les vents et les oiseaux, les courants de la mer eux-mêmes, ap- portent des îles voisines des germes de plantes dont quelques- unes trouvent sur le roc nu des conditions suffisantes à leur développement. La pierre se couvre peu à peu d’un tapis de lichens et de mousses qui, en pourrissant après leur mort, donnent progressivement naissance à une mince couche de terre végétale, où des herbes, des arbustes et même des arbres peuvent croître et prospérer. C’est par ce mécanisme admirable que, dans des régions où la mer est sans fond, la portion solide du monde arrive à s'étendre, et, comme on le voit, cette conquête si profitable à l'industrie de l’homme est accomplie par des êtres dont la nature a été méconnue longtemps et qu’on ne soupçonnerait jamais d’une pareille activité, Le corail rouge ou rose est trop rare pour produire des phé- nomènes aussi grandioses que les précédents; mais la pêche à laquelle il donne lieu est une source de bénéfices énormes pour de nombreuses populations. Ainsi que le corail rose, le corail blanc est fort estimé, et en Italie on recherche un corail tout à fait noir pour les parures PÊCHE DU CORAIL 212 LE MONDE ANIMAL. de deuil. Le corail noir ne figure pas dans les produits de la pêche ordinaire; on ne le trouve jamais vivant, et sa couleur paraît résulter d’une décomposition particulière de la ma- tière rouge normale. C’est pour cela que dans le commerce il est souvent désigné sous Le nom de corail pourri ou de corail mort. La pêche se fait à l’aide d’une drague, sorte de filet avec un cadre très lourd qui racle le fond de la mer eten détache les co- raux. La drague est manœuvrée au moyen de câbles qui permet- tent de la descendre sous l’eau et de la remonter sur le bateau des pêcheurs. En tombant au fond de la mer, la machine s’en- gage si bien dans les aspérités du sol, que la marche de l’embar- cation en est entravée : tous les corailleurs s’attellent alors au câble et hissent violemment le filet jusqu’à ce qu’il soit dégagé. Ce procédé de pêche est d’ailleurs tout à fait barbare. Il ne permet pas d'atteindre les coraux qui poussent dans les caver- nes sous-marines et qui sont précisément les plus beaux. fl cause en outre une grande fatigue inutile, les pêcheurs rame- nant avec le corail une foule d'objets sans valeur, sans compter que souvent des fragments de corail, après avoir été brisés par la drague, s’échappent par les mailles du filet et sont ainsi per- dus. On obvie à tous ces inconvénients par l’emploi du sca- phandre, dont nous allons avoir l’occasion de parler à propos des éponges. LES PROTOZOAIRES L’embranchement des protozoaires contient trois classes : les spongiaires, les foraminifères et les infusoires. CHAPITRE PREMIER LES SPONGIAIRES LES ÉPONGES USUELLES Les éponges sont composées de deux substances bien difté- rentes : à l’intérieur, un tissu feutré percé d’une multitude de pores; à l’extérieur, une sorte de mucosité. Cette dernière est la partie animale, une agrégation d’animalcules fort peu com- pliqués. L'intérieur est la partie dont nous nous servons, selon son plus ou moins de finesse, pour la toilette ou pour le mé- nage. Toutes les éponges sont aquatiques, et celles que l’on peut utiliser ne vivent que dans la mer. On pêche l'éponge sur les côtes d’Afrique, et plus activement encore dans le Levant, surtout en Grèce, où cette industrie est ancienne. Elle a acquis un grand développement, tant à cause du nombre croissant des barques affectées à la pêche, que par l'introduction d'appareils spéciaux mis en usage par les plongeurs. Autrefois les hommes capables d'accomplir ce rude 214 LE MONDE ANIMAL. labeur étaient rares ; car illeur fallait déployer une vigueur peu commune, sans compter qu'ils étaient exposés à de nombreux accidents. Les plus habiles ne pouvaient rester sous l’eau qu’un temps très court, deux minutes au plus, et arrachaient à la hâte el au hasard les éponges bonnes ou mauvaises qui leur tom- PÊCHE DE L’ÉPONGE SUR LES COTES D'AFRIQUE baient sous la main. Souvent ils restaient au fond, asphyxiés, sans avoir même la force de tirer la corde de signal qui com- muniquait avec la barque. Les pêcheurs de la côte d'Asie Mi- neure, au sud du golfe de Smyrne, étaient alors regardés comme les meilleurs pêcheurs du monde entier. Aujourd’hui les pêcheurs d’éponges emploient le scaphan- dre, appareil très ingénieux qui permet à un homme de vivre et de travailler longtemps sous l’eau, même à de grandes profondeurs. Dans Paris même, en pleine Seine, on voit LES ÉPONGES USUELLES. 215 souvent fonctionner des scaphandres, car on les emploie à explorer le fond de la rivière quand on construit un pont ou quand on cherche à remettre à flot quelque bateau coulé. C’est un costume hydrofuge dont s’enveloppe le plongeur; il com- prend un casque parfaitement étanche, qui emprisonne toute la tête et dans lequel on injecte constamment de l'air respi- rable à l’aide d’une pompe placée sur un bateau, Avec un peu d'habitude le plongeur se trouve sous l’eau aussi à l’aise qu’en plein air et peut y accomplir des besognes très délicates. L'ile d’Egine seule possède vingt-quatre de ces appareils, et la Grèce entière, quarante. Les plongeurs travaillent six heures par jour et peuvent res- ter sous l’eau tout le temps nécessaire pour choisir les éponges et ne cueillir que les plus grosses et les plus fines. Les accidents sont rares avec le scaphandre, et un peu de dureté d'oreille est Le seul inconvénient qui en résulte pour les pêcheurs. Quand les éponges arrivent sur le pont de la barque, on ne devinerait guère, sous l’enveloppe noirâtre et visqueuse qui les entoure, le tissu blond et moelleux qui figurera plus tard dans les vitrines des parfumeurs. C’est qu'avant de les livrer au com- merce on leur fait subir une série de manipulations minu- tieuses, après les avoir battues et lavées à grande eau à plu- sieurs reprises pour les débarrasser du sable et de la matière putrescible qui les entoure. CHAPITRE II LES INFUSOIRES ET LES FORAMINIFERES LES ORGANISMES ÉLÉMENTAIRES Vous avez lous entendu parler du microscope et vous savez que, grâce à ce merveilleux instrument, la vue devient capable d'étudier en détail des objets si petits, que l’œil nu n’en soup- çonnerait jamais l'existence. C’est ainsi que le sang, vu au mi- croscope, se présente comme un assemblage de granules rouges suspendus dans un liquide incolore qu’on appelle sérum, et où ils nagent pour porter aux diverses parties de notre corps l’oxy- gène qui entretint la vie. Parmi les sujets d’étonnement que le microscope fait naître par milliers, l’un des plus vifs est certainement la découverte d’animalcules vivant dans des liquides transparents qui sem- blent absolument purs, comme une tasse de thé froid, ou encore dans des liquides chargés de matières organiques et en décomposition, dont l’odeur est pestilentielle et qu’on jugerait mortels pour toute espèce vivante. Ces êtres microscopiques ont d’abord été nommés infu- soires. Ils sont extrêmement variés, et parmi eux on en distingue qui certainement sont de vrais animaux, tandis que d’autres sont des plantes. Le plus grand nombre ont des caractères ambigus € EU Fr» LES ORGANISMES ÉLÉMENTAIRES. 217 entre ces deux règnes, et plus on les étudie, moins on sait où les classer. Les plus simples, d’un centième de millimètre seulement de longueur, apparaissent les premiers dans les infusions abandon- nées quelques jours à elles-mêmes : ce sont des bactéries. Leur nom vient de leur ressemblance avec de petits bâtonnets droits et rigides. Sous le microscope on les voit se mouvoir avec une rapidité considérable et ils sont d’une activité surprenante. Parfois leur nombre est si grand que, réunis à la surface du li- quide où 1ls vivent, ils y constituent par leur agglomération une véritable peau ou membrane superficielle parfaitement visible à l'œil nu. A côté d’eux il faut citer, comme tout aussi fréquents et faciles à obtenir, les vibrions, sortes de petits filaments enroulés sur eux-mêmes et quise tortillent de mille facons. Mentionnons aussi, à cause de leur élrangeté, de petites masses gélatineuses, assez semblables à des gouttes d'huile, mais qui se déplacent lentement d’elles-mêmes. Ce sont les amibes. D'abord sphériques, les amibes se gonflent lentement en un point de leur surface, d’où l’on voit pousser peu à peu une sorte de bras. Grâce à ce bras, l’amibe se fixe en avant du lieu où elle était, puis elle se hisse dessus en le résorbant au fur et à mesure de cette bizarre progression. Les bactéries, les vibrions, les amibes, véritables atomes vi- vants, ont dérobé jusqu'ici aux microscopes les plus puissants les détails de leur organisation, sur laquelle on n’a, par consé- quent, encore aucune notion. Mais il n’en est pas de même pour d’autres animalcules plus volumineux et presque aussi communs, qu’on appelle infusoires ciliés, pour marquer qu’à la surface de leur corps existent des poils ou cils propres à la locomotion. L'un des plus frappants est le colpode, dont la forme générale est celle d’un haricot, et qui paraît faire une guerre acharnée aux infusoires précédents. Dans son corps, qui est transpa- 218 LE MONDE ANIMAL. rent, on voit des corps sphériques dont la place change peu à peu et que l’on considère comme des estomacs. Les vorticelles sont d’une élégance extrême : figurez-vous des petites fleurs au calice bordé de long filaments et portées par des tiges qui peuvent s’enrouler sur elles-mêmes pour se dé- tendre tout à coup de toute leur longueur. Ces animalcules sont tantôt isolés, tantôt réunis en touffes, et nous nous sommes di- verti bien souvent au charmant spectacle de leurs mouvements sac- cadés. Parmi les infusoires qu’on s’ac- corde à regarder comme des plan- tes, les diatomées se distinguent par leurs formes géométriques. Elles sont enveloppées d’une ca- rapace prismatique, siliceuse, diaphane et fragile, résultant de VORTICELLES VUES AU la juxtaposition de deux valves ARR ET EU parfaitement ajustées l’une sur l'autre et qui laissent entre elles une cavité carrée, ou trian- gulaire, ou cordiforme, ou en forme de bateau, etc. De plus, leur surface extérieure est parfois finement guillochée. Nous verrons dans un moment l'importance de ces petits êtres. Au nombre des infusoires qui sont certainement des ani- maux, nous citerons les rotifères et les tardigrades, relati- vement très gros et communs sur les toits de tuiles, dans les petites plaquettes hémisphériques de mousse qui en ponc- tuent la surface. Ces animaux sont soumis, en raison même de leur habitat, à des conditions extrêmement variables : quand il pleut, ils sont dans l’eau comme des poissons dans la rivière; mais lorsque vient le soleil, ils ne tardent pas à se des- sécher, et durant les ardeurs de l’été la mousse où ils se tien- nent se recoquille et rissole sur la tuile brûlante. L’infusoire subit alors le sort de tout ce qui l’entoure : il se dessèche com- LES ORGANISMES ÉLÉMENTAIRES, 219 plètement, il se ratatine, perd sa forme et cesse de manifester aucun phénomène vital. Il ne meurt pourtant pas pour cela; il est seulement endormi, et tout à l’opposé des marmottes et des autres animaux dits hibernants, il cède à un vrai sommeil es- tival. Aussi est-ce une expérience bien curieuse que d’humecter doucement des rotifères secs placés sous le microscope et de les voir peu à peu renaître au mouvement à mesure que l’eau pénètre leurs tissus : on croit assister à une vraie résurrection. Ce qui précède suffit pour faire voir que les infusoires con- stituent à eux seuls tout un monde. On a écrit de très gros volumes pour en énumérer les espèces et en faire connaître tous les caractères. Le seul point qui doive nous arrêter ici, c’est que ces êtres, si inférieurs à tant d’égards, jouent pour- tant dans l’économie de la terre un rôle de première impor- tance et qu’on peut apprécier dans des directions très variées. D'abord, c’est avec un très vif intérêt que dans ces derniers temps on a appris de M. Pasteur que la plupart des phéno- mènes de fermentation sont l’œuvre de certains infusoires. Vous savez ce que c’est que la fermentation, cette opération qui transforme en vin capiteux le jus sucré du raisin. Les grappes écrasées dans la cuve ne tardent pas à mousser et à écumer. Elles dégagent des torrents d'acide carbonique, et en même temps le sucre se change en alcool. Or c’est une petite plante microscopique qui opère cette transformation, et il faut l'empêcher d'aller trop loin, car elle ferait passer lalcool à l'état de vinaigre, et c’est à elle qu'il faut s’en prendre si le vin aigrit quand on le laisse à l'air. Au lieu de prêter, comme le précédent, leur concours à notre industrie, beaucoup d’infusoires, rangés parmi nos ennemis, jouent un rôle terrible et sont la cause et les agents de trans- mission des maladies les plus graves : choléra, peste, fièvre typhoïde et bien d’autres. Il arrive trop souvent, par les chaleurs, que la piqüre d’une simple mouche détermine sur la peau la formation d’une pus- 220 LE MONDE ANIMAL. tule qui est comme le signal d’accidents épouvantables aux- quels la mort succède bientôt : c’est le charbon. Si, comme l'a fait M. Pasteur au cours d’un travail qui a produit une profonde impression, l’on examine au microscope une goutte de sang du malheureux qui vient de succomber, on y voit par milliards de petits infusoires, appelés bactéridies, qui n'existent pas chez les personnes saines. Il suffit, avec une épingle trempée dans ce sang infesté, de piquer un animal en RHIZOPODES DE LA CRAIE BLANCHE VUS AU MICROSCOPE, bonne santé pour lui communiquer le charbon, et il est bien certain que la grosse mouche qui se nourrit de viande cor- rompue avait la trompe souillée de ces mêmes bactéridies. Elles sont donc la vraie cause du mal; par conséquent, il faut chercher le remède parmi les médicaments funestes aux infusoires. Sans doute cette importante notion,en dirigeant les recherches des médecins, permettra d’arriver enfin au succès si vainement cherché jusqu'ici. LES ORGANISMES ÉLÉMENTAIRES. 221 Enfin, pour vous donner au moins une idée du rôle impor- tant des infusoires, 1l faut ajouter qu’ils sont les artisans et les constructeurs de montagnes entières. Pour comprendre comment ces infiniment petits peuvent remplir une si gigantesque fonction, regardons un instant ce qui se passe dans la première mare venue. Le microscope nous y montre en mullitudes innombrables ces diatomées que nous venons de citer. On aura une idée de leur abondance et de leur faible volume en se rappelant que, certaines d’entre elles ayant à peine un centième de millimètre, dans 1 millimètre cube, c’est-à-dire dans un espace plus petit qu'une tête d’épingle, il ya 1 million de leurs carapaces. Or ces carapaces siliceuses résistent, après la mort de l'infusoire, à la décomposition : elles se déposent les unes contre les autres dans le fond de la mare et arrivent, avec le temps, à constituer des couches de plus en plus épaisses, de vraies formations géologiques. Les tripolis, roches à grain excessivement fin, rudes au tou- cher, quelquefois compactes, plus souvent pulvérulentes, ont pour la plupart une origine organique résultant de l’accumu- lation d’un nombre prodigieux de carapaces de diatomées. Les rhizopodes ou foraminifères sont des infusoires de très petite taille et dont le corps est protégé par une enveloppe presque toujours éalcaire. Le sable du littoral des mers est tellement rempli de ces rhizopodes qu’ils composent la moitié de sa substance. On en a compté 6000 dans une once de sable de l’Adriatique, et jusqu’à 3840 000 dans une once de sable des Aniilles. Les restes de rhizopodes forment en grande partie des bancs qui gênent la navigation, obstruent les golfes et les détroits, comblent les ports et forment avec les coraux ces iles qui germent au sein des régions chaudes de l'Océan et dont nous avons précédemment parlé. Les rhizopodes entrent pour beaucoup dans la composition de couches entières. À l’époque carbonifère, une seule espèce 222 LE MONDE ANIMAL. du genre fusulina a formé en Russie des bancs énormes de calcaire. Le terrain crétacé en montre une immense quantité dans la craie blanche, depuis la Champagne jusqu’en Angle- terre. Les bassins tertiaires de la Gironde, de l'Italie et surtout de Paris renferment un nombre prodigieux de rhizopodes. On peut dire que la capitale de la France en est presque entière- ment bâtie. TABLE DES MATIÈRES Pages. OR NOTION 20 LS A RE PL LE 5 NO TEN SRE RDINIMIN AIRE Sete de rs er mntseeie ste rats tele toioe este le een SL D AO AO 9 Les vertébrés CHAPITRE PREMIER." MAMMIRÈRES.. eee serment 12 1° — Le gorille etle chimpanzé................................ 13 MAL eSChANVES-SOUTIS CE 2e -nmeeececcccre PR RE TN TE 18 AN AUDE Re Rene ressens eme PeT ei 20 D = MEN RE RE Se bocc once phobie Modo ane s coo 25 NRC hiensens einen eo de mener dima co dico tee 33 Mes CAS LOS entree eneoccse I TO Te ET 39 VS = HOME MERS EEE CE Ro CE cote RTS OO CU 43 MIT =" IrÉléphant. AN D PNR AS AN As PR SRE se 46 De Lercheval::...: 10 Re NE to MR ON EU DNS 51 Det esdromadaite. eee... À DOI CO A NES PE OT D 56 DUREE Se pŒut re Le. PR NS ee MOT OU OR MES SE RETOUR de CO 64 RU etrenne:-2: uote TN PRE SE SE LOS 67 NUIT ES phoques sn RER CM RC ee CAR EE OCR 71 Dal eine a Rene ce mate cie ce TE NES MarSUPIaux 2 Rte eee C-rerCLCiE 81 DD NIRIERTIÉE == TOISEAUX 2 225.2 ne cames nos cie EQ 84 PES OISEAUX EMPLOIE. ee es. -eer A Po to 85 = nes SE ER ne ao ee booba ces 93 UT, = oo STE one Ro enr ones pie à 97 NAS oiseauxtdennaradise ne eee en er CCR CET 103 Ve ee ONE RE SE RAD ON de Enis L0NTI 0 DO ES Lo a 107 NN A ibn ire PR RU Et RSR PE Ne els te ete 109 MP Tes enpentaire certe = ee eee Ce EC ee 115 CHAPITRE TI = UREPTILES.- 2 0e. .0 SE DE nt SLR D CO 119 ME les tortues ne em RO RE RM eee et os 119 NAT EL CAIMElÉ DE sn rate re br En ADN Re SI Se Te re ie à 193 ST eSSSespentSivVemineUx ec CCC CCE Ce rene: 126 CHAPIDR EAN RATRACIENS. Let Son en en me ce neiieleelaerete se 132 PPT DCR PAU RE Eee CD EL en once e 133 I — "La salamandre ne -cenrecu.nr AA ADO OR E ae 139 224 TABLE DES MATIÈRES. HE re ones sonner, cc 06 doc ESS HAS Ts NÉ EE RE PE PEER IV. — Le poisson arc-en-ciel de l’fnde............ VEN SAnnOn eee -Ece-ee--e--C-c-- 0 VE TE MERE oo ecran ee tonoet NT =ONMNIT ee RERO b Cooe ceer Les articulés CHAPETREPREMIER "INSECTES: 2-77. Lethanne tonte Ce eee ee Lire re IL Lestsauterelles terne CRE AC Ce MED e PhyROxEr AP EEE ET CEE EEE INA Sa MOoUTMIMOITe rer eee PC Eee NV Lestiermiles een une acer note NP Te ver AiS0Ie: ER I Etre Peer GE CHAPITRE II. — ARACHNIDES..,.. PRINT RE Les araignées mineuses ............ ..... CHAPITRE IfT. IFÉCreVISSe er RER EE EL ete ee CHAPITRE IV. — ANNÉLIDES......... ÉTAT LA IT DESISANOSUES PRE CAC EC CEE CCE CEE CRUSTACÉS ES EE ES PU Les mollusques CHAPITRE PREMIER. — CÉPHALOPODES ............ LeSFSCICRESE ES EME ER AE ER RRIA CHAPITRE NL ALES ACÉPHAPES- cac ces -- Huile SNetIDINAUITNESR EE EEE EE Les polypes He Coral 52 cree memes serre Re Les protozoaires CHAPITRE PREMIER. — SPONGIAIRES..... Ste soso se ÉeSTépoASes use NES ESS EEC EEE CE CC REC CHAPITRE II. — ([NFUSOIRES ET FORAMINIFÈRES....... FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES. DARIS. — IMPRIMERIE ÉMILE MARTINET, R UE MIGNON, ©. 207 213 213 216 216 F LE MONDE VÉGÉTAL