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PH.-EMMANUEL GLASER

Le Mouvement

Littéraire

(petite chronique des lettres)

- 1907 -

PARIS

SOCIÉTÉ D'EDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES

Librairie Paul Ollendorff

50, CHAUSSÉE d'antin, 50

1908 Tous droits réservés

Le Mouvement littéraire

1907

DU MÊME AUTEUR

Le Mouvement littéraire 1904.

Préface de M. Paul Hervieu, de l'Académie française.

Le Mouvement littéraire 1905.

Préface de M. Henry Roujon, Secrétaire perpétuel de TAcadémie des Beaux-Arts.

Le Mouvement littéraire 1906.

Préface de M. Jules Glaretie, de l'Académie française.

j Tous droits de reproduction et de traduction réservés

pour tous les pays, ' y compris la Suède, la Norwège, la Hollande et le Danemark.

S'adresser, pour traiter, à la Librairie Paul Ollendorff, 50, Chaussée-d'Antin, Paris.

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PH.-EMMANUEL GLASER

Le Mouvement

Littéraire

(petite chronique des lettres)

1907 -

PARIS

SOCIÉTÉ D'ÉDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES Librairie Paul Ollendorff

50, CHAUSSÉE d'aNTIN, 50

1908

IL A ÉTÉ TIRÉ A PART

5 exemplaires sur papier du Japon. i exemplaires sur papier de Hollande,

*'1

JANVIER

LIiS HOMA.\S

PIERRE LENGLE

Guillaumette.

Au moment les étalages des libraires quittent leur somptueux manteau de pourpre et d'or, les beaux livres d'étrennes s'en vont pour faire place à des volumes moins ingénus, aux ternes et grises couvertures, sous lesquelles se dissimuleront les nouveautés littéraires de Tannée, voici un volume tout désigné pour servir de transition, c'est Guil- laiimelle, véritable roman aux poignantes péripéties fait pour intéresser et passionner le grand public, œuvre charmante, honnête et chaste qui pouvait

\l LE iMOUVEMENT LITTERAIRE

être un délicieux livre d'étrennes ; elle a pour auteur M. Pierre Leoglé, écrivain délicat et lettré, qui ren- contre là un succès de bon aloi dont tout le monde se réjouira.

Je voudrais vous conter l'histoire de Pierre Fer- ran et de Guillaumette, la riche héritière d'Antoine Castéra, en butte à tant de haines, de convoitises, de tristesses et de dangers auxquels elle échappe heu- reusement pour devenir l'heureuse femme de son cousin et pour mettre en pratique cette parole de Voltaire que « le bonheur domestique est, à la longue, le plus solide et le plus doux »,

Je voudrais, mais je n'ose vous conter cette his- toire, de crainte de vous en gâter par une sèche analyse le charme délicat et prenant.

C'est un livre tout à fait aimable et qui est pré- senté très agréablement avec, sur la couverture, un joli dessin représentant Guillaumette et son fidèle chien Cagire, un des héros de l'aventure, et non le moins émouvant.

EUGENE MONTFORT

La Turque.

Singulièrement moins morale, voici la Turque, que M. Eugène Montfort, son auteur, qualifie « roman de mœurs parisiennes ». Je le regrette pour Paris,

JA.WlKh LES ROMANS -i

mais ce sont de bien mauvaises mœurs que celles de cette héroïne et de ces personnages : les aventures de Sophie Mittelette avec M. Parapelin, magistrat grenoblois, et Tétudiant Schlach, et Gaston, et l'Es- caloppe, et raille autres, ne sont pas édifiantes. Elles sont contées par M. Eugène Montfort avec- une verve parfois un peu outrancière, avec sou- vent une émotion poignante; elle est douloureuse, en eiïet, l'existence de celte ouvrière d'usine deve- nue servante, puis amenée sans plus de vocation à être u Turque », ce mot n'a pas ici le sens d'une nationalité, mais celui d'une profession... Au milieu des obligations douloureuses de cette pro- fession, l'héroïne de M. Montfort garde une Ame juvénile, candide et charmante. L'aventure pour invraisemblable qu'elle soit n'en est pas moins fré- quente et le romancier a su en dégager l'émotion profonde ; bonheurs précaires, rires factices et pleurs vrais: il a dit de façon simple, délicate et ])renante la vie de cette pauvre fille...

ARMAND CHARPENTIER

La Beauté du Devoir.

Dans la Beauté du devoir, M. Armand Charpen- tier, le curieux romancier auquel nous devons des œuvres audacieuses et fortes telles que V Initiateur

\ T.E MOUVEMENT LITTERAIRE

et V Amoureuse Rédemption, nous apparaît sous un jour tout nouveau : tout chaud encore des combats passionnés auxquels il prit part naguère, il nous parle de conseils de guerre, de justice militaire, d'influences hiérarchiques, et Ion reconnaît sans peine de brûlanls souvenirs. 11 semble bien en cette aventure que le roman ne soit que Taccessoire, le moyen choisi par Tauteur pour exprimer ses idées; mais, comme il est toujours romancier très habile et très éloquent, il a su donner un intérêt palpitant à l'histoire du capitaine Morin, le jeune officier placé tragiquement entre son devoir et ses intérêts et qui, avec héroïsme, brise sa carrière et sa vie pour obéir à sa conscience.

PAUL ET VICTOR MARGUERITTE

Vanité.

MM. Paul et Victor Margueritte entreprennent une fois de plus de châtier les mœurs de leur temps. Eq épigraphe de leur roman, cette pensée de Pas- cal : « Nous sommes si présomptueux que nous voudrions être connus de toute la terre, et même des gens qui viendront quand nous serons plus, et nous sommes si vains que Testime de cioq ou six personnes qui nous euvironnenl, nous amuse et nous contente », bien faite pour servir tout à la

5

JANVIER LKS ROMANS ^

fois de préface et de conclusion à l'aventure de Pierre Brevier, coramerçant audacieux et habile, ancien député, directeur du grand magasin « les Quatre Saisons ». Ne cherchez pas d'allusions à de récentes aventures, vous n'en trouverez pas: cet homme mène entre sa femme et ses filles l'existence la plus brillante, la plus fastueuse, la plus illogique et la plus attristante; contrairement à ses goûts, il se laisse entraîner dans un tourbillon d'apparence et de facticité. C'est que sa femme et sa fdle, Raymonde, mariée à un vague diplomate du nom de Gilles d'Arbelles, veulent à tout prix briller, éblouir Paris, exciter l'envie, l'admiration. Au milieu de cette fournaise, il ne serait pas question de famille, de devoir ni d'amour, si l'aimable ligure d'Alice la seconde fille de Brevier n'était pour nous rappeler que le cœur a ses raisons et que la raison parfois s'en accommode, u Les Quatre Sai- sons » sont entraînées dans un krach énorme, la fortune de Brevier est anéantie, et, comme dans V Armature de l^aul Hervieu, l'argent parti, tout s'en va à la débandade et à la dérive; c'est le moment des louches compromissions, des capitulations de conscience et des trahisons : sauf pour Alice qui goûte dans l'obscurité et dans la sagesse les dou- ceurs d'un honnête et pur amour.

Tel est, rapidement esquissé, le sujet de ce roman tout rempli d'aventures, de mouvement, de péri- péties émouvantes; et d'une haute et éloquente moralité.

LE ^MOUVEMENT LITTERAIRE

MARIUS-ARY LEBLOND

L Oued.

MM. Marius-Ary Lebloiid nous coûtent ici une histoire dramatique et romanesque dans laquelle on peut voir aussi une pénétrante étude du carac- tère arabe; « ils n'ont pas eu nous disent-ils un seul instant Tintention de donner à ce drame les tendances d'une thèse », mais ils se hâtent d'ajouter que « tous les détails, quoi qu'il en puisse paraître à certains qui estiment connaître les ca- ractères et les sentiments, sont vrais dans ce qu'ils ont parfois de romantique » ; ils disent eocore car ils ne veulent décidément pas avoir fait une étude qu' « ils n'ont prétendu tirer aucune conclusion : on ne saurait en proposer, sur un tel amour et de si graves problèmes, en un seul roman qui doit se satisfaire de refléter la vie dans l'harmonie de ses lumière et de ses ombres ». Ce sont là, semble-t-il, comme des précautions ora- toires un peu obscures pour nous préparer au drame tragique et passionné que nous allons voir dans ce décor d'Algérie, Mlle Ambroise Martin, fille d'un vieux colonial, administrateur de Car- tenne, inspire à Belkassem un immense et mortel amour. Ce drame est émouvant, poignant; les per- sonnages qui y prennent part Darcey et Marie,

JANVIER LES ROMANS 7

adjoints de l'administrateur, et surtout Mohamed, le ténébreux et haineux Kabyle —sont campés avec beaucoup de vigueur et d'ampleur; silhouettes énig- matiques et captivantes qui se détachent sur le décor lumineux des paysages d'Algérie.

FERNAxND MEDIXE

L'Éternelle Attente.

U Éternelle Allcnlc est un de ces romans de mœurs militaires auxquels le public a pris goût depuis les histoires LÏIéna ou Sedan et de Petite Garnison. L'auteur exprime cette vérité indéniable que la paix perpétuelle n'est pas un état favorable au développement moral et matériel des soldats et des officiers. Ceux-ci sont dans l'attente, dans u l'éternelle attente » des combats et des glorieuît carnages. Ils sont dans leur rôle, je dois l'avouer, tout en faisant, en ma qualité de pékin, des vœux pour les diplomates et les hommes d'État qui s'effor- cent d'éterniser encore cette ^( éternelle attente ». Elle ne réussit pas, c'est certain, à la petite gar- nison de l'Est servent le commandant de Char- delay et le commandant Paume, brillants officiers, types d'honneur militaire, et le déplorable capi-

fS LE MOUVEMENT LITTERAIRE

taine-trésorier Mauluison, époux malheureux et trompé d'une femme coquette qui le conduit à la ruine et au déshonneur et sombre elle-même dans une lamentable histoire sentimentale; grâce au dévouement souriant d'une noble femme, Mme de Chardelay, tout s'arrange dans la mesure les misères de ce monde sontarrangeables et ce roman militaire finit sur cette impression consolante: qu'au milieu des misères, des faiblesses de la vie d'une petite garnison pacifique, on trouve encore de l'héroïsme civique, du dévouement et de la générosité dans l'âme des officiers français; ce sont des choses qu'on lit toujours avec un certain plaisir, même quand on n'est pas militariste à ou- trance.

GASTON DERYS

La Dame d'Amour.

Avec la Dame d'Amour^ de Gaston Derys, nous sommes en pleine eau-forte, encore que les aqua- relles dont le peintre Dodina anime le texte soient délicieusement caressantes. Mais Gaston Derys n'est pas de ceux qui écrivent avec frivolité : s'il y a chez lui une grâce aimable, fréquente chez les conteurs du dix huitième siècle, il tient du vingtième siècle

JA.NMEIt l.i:> HO.MA.NS

une ironie, parfois cruelle, qui l'oblige à de rudes vérités : sa Dame dWnwiir n'est pas d'un autre temps que le nôtre, et c'est peut-être en cela qu'elle est de tous les temps. Le hasard, qui n'est pas aveugle et qui, pour une fois voulut être galant, lui a fait échoir un lot d'un million dans une loterie, million que de rapides spéculations lui feront per- dre ; mais cette dame d'amour a d'autres ressources et d'autres joies; elle a même de l'esprit et des lettres, de la sensibilité plus encore que de la sensua- lité, un grain de folie et le diable au corps, qui font d'elle une petite personne infiniment troublante et un tantinet troublée. Gaston Derys, qui est un de nos écrivains féministes les plus experts, a écrit ce joli livre avec sa verve jeune, avec cette couleur vive qui l'a fait apprécier déjà comme un artiste des plus délicats.

JEAN LORRAIN

L'Aryenne.

Jean Lorrain, lorsqu'il fut surpris par la mort, avait en projet ou en préparation des romans et des nouvelles, on le dit : il est fort probable que c'est exact et que nous verrons quelque jour apparaître les œuvres posthumes de cet écrivain troublant, douloureux, malsain, et, parfois, admirable.

1.

lO LE MOUVEMENT LITTERAIRE

V Aryenne ne saurait figurer au nombre de ces « œuvres posthuraes » ; non seulement, en elïet, elle fut tout entière écrite de sa main, mais il en a cor- rigé lui-même toutes les épreuves ; c'est donc bien un livre de Jean Lorrain vivant. Je l'ai lu avec une émotion profonde, c'est une des œuvres les plus complètes et les plus fortes qu'il ait produites, une de celles en face desquelles on se demande comment un écrivain doué de cette puissance a pu parfois perdre son temps et avilir comme à plaisir sa re- nommée en de vaines et malsaines outrances. Lisez V Aryenne, la première des nouvelles réunies dans ce livre : quel drame poignant, quelle analyse d'àmes et de races ramassés dans ces cent pages ! La révolte de l'Aryenne en face de la juive triom- phante et bienfaisante n'a jamais été exprimée avec plus de force et une émotion plus poignante. C'est une page maîtresse de cette littérature destinée à nous montrer la lutte des races, littérature dont nos meilleurs écrivains abusent peut-être quelque peu. Dans les autres nouvelles qui composent le livre, petits drames courts, petites comédies douloureuses le rire toujourss'achève enrictus, apparaîtla pro- digieuse souplessede ce talentquivraimentméritait un sort meilleur, et ce livre inquiétant, douloureux, •étrange, est d'un intérêt tout à fait passionnant.

LITTÉRATURE, POLITIQUE, POÉSIE. ETC.

CHARLES BAUDELAIRE

Lettres (1841-1866)

Les admirateurs de Charles Baudelaire ne liront pas sans une émotion profonde les lettres écrites par le grand poète de 1841 à 1860 et dont on nous ofire une belle et pieuse édition. Peut-être y a-t-il quelque cruauté à étaler ainsi au jour ces tristesses, ces douleurs, ces misères d'un poète et peut-être saura-t-on mauvais gré aux admirateurs indiscrets qui livrent au vent ses douloureux secrets. Cette réserve faite, il convient de dire l'émotion profonde qui se dégage de cette longue plainte d'un poète admirable qui fut en lutte sa vie durant avec les plus douloureuses et les plus mesquines difficultés matérielles, qui employa tant d'heures à parler

lf> LE MOUVEMENT LITTERAIRE

en tant de lettres de la triste question d'argent, du propriétaire implacable, du terme, du Mont-de- Piété. A côté de cette triste litanie qui est comme le leil motiv de cette correspondance, on y trouve encore des détails curieux sur l'alimentation, sur la vie quotidienne du poète ; on y trouve aussi des renseignements tout à fait précieux sur ses concep- tions dramatiques, sur ses opinions artistiques et philosophiques ; tout cela est écrit dans des lettres courtes, incisives, âpres, adressées à des corres- pondants qui sont souvent Sainte-Beuve, Flaubert, Alfred de Vigny, Edouard iManet, Barbey d'Aure- villy, parfois Gérard de Nerval, Champfleury, Mme Sabatier, Judith Gautier, Arsène Hous- saye, etc. C'est une page émouvante et suggestive de notre histoire littéraire.

TOLSTOÏ Shakspeare.

Au milieu des préoccupations sociales qui agi- tent le vieux et le nouveau monde, voici qu'à tra- vers les siècles une question littéraire surgit, et celui qui la provoque est justement un des hommes qui depuis quarante ans ont le plus remué d'idées sociales; il y a une question Shakspeare, et c'est

JANVIER LITTERATURE, POLITIQUE, POESIE, ETC. 1)

Tolstoï qui, au soir de sa vie, en pose les termes dans un livre dont M. J. W. Bienstock nous donne la traduction. Shakspeare est un génie; Shakspeare est un géant contre lequel il paraît dangereux d'es- sayer ses muscles ; et, dès l'abord, en songeant à la longue et belle vieillesse de Tolstoï, on eut l'im- pression que peut-être dans ce livre écrit au soleil couchant de la vie, le grand penseur de Yasnaïa Poliana s'était laissé aller à un paradoxe sénile. Un peu plus, tt avec une égale pitié, on eût crié, comme après VAgt'silas et VAttila, de notre Cor- neille : Hélas ! et Holà .'

Mais, dès le début de son livre, Tolstoï qui sait quelle bataille il livre et de quelles arraes on usera peut-être contre lui, Tolstoï prend soin de nous ren- seigner : le jugement qu'il porte contre l'immortel tragique n'est pas un jugement de la dernière heure ; c'est une opinion lentement mûrie par les années, une opinion qui lui a donné des doutes et de l'an- goisse, une opinion qui est demeurée en lui, im- muable, et qu'il a soumise au contrôle de sa raison, patiemment, avant de l'exprimer, avant de la jeter comme un défi à la lacede ceux qui admiraient ; que leur admiration soit née d'un examen personnel, ou qu'elle soit l'habituded'unegloire communément consacrée. Alors le livre de Tolstoï prend une impor- tancetoutespéciale : contrairement à beaucoupd'en- thousiastes qui ne connaissent peut être Shakspeare que par le titre de ses œuvres, par les livrets d'opéra qui lui sont empruntés, ou lesgravures des tableaux

LE MOUVEMENT LITTERAIRE

qui se sont inspirés des épisodes les plus réputés de ses drames. Tolstoï plusieurs fois il le dit et rien ne nous autorise à douter de sa parole a relu l'œuvre entier de Shakspeare, il la lu, la plume à la main, et il termine son jugement par cette phrase terriblement grande : « Invariablement, chaque fois, j'ai éprouvé la même chose : du dégoût, de l'ennui, de l'étonnement. »

C'est ce dégoût, cet ennui etcetétonnement qu'il s'applique à démontrer dans son livre. Je n'ai pas ici à me ranger à l'avis de Tolstoï, non plus qu'à y contredire. Mais l'œuvre vaut la peine d'être signalée ; il est curieux dans ces pages de découvrir comment -toute la philosophie de Tolstoï devait nécessairement l'amener à entreprendre contre Shakspaare - qui d'ailleurs ne s'en porte pas plus mal cette croisade violente, le grand écrivain fait montre de dialectique subtile et de talent.

SONIA

Le Journal d'une étrangère.

Un écho du Figaro m'ayant appris le retour à Paris de notre amie Sonia, je me suis rappelé les heures délicieuses que je devais à cette femme spiri- tuelle, dont les a Notes sur Paris» m'avaient, lan

JANVIER LlTTÉRATLKi:, l'ULITlOLi:, l'OÉSlL, ETC. l5

dernier, tant charmé, et j'ai couru à sa recherche: tout de suite, je l'ai rencontrée, car on ne voit qu'elle et on ne parle que d'elle dans Paris, et elle m'a remis son nouveau volume qui s'appelle le Journal (Viine étrangère et qui est bien l'œuvre la plus exquise, la plus délicate, la plus profonde, la plus légère qu'on puisse rêver ; je me suis hâté d'amonceler l'une sur l'autre les épilhèles, dans l'espoir que cela me dispenserait d'expliquer et d'analyser la séduction de ce livrj. Je me sens, en effet, si inférieur à cette tache, et j'ai si peur de parler lourdement d'une si jolie chose...

Vraiment, cette aimable dame d'Odessa, cette <( étrangère », comprend, pénètre et peint l'âme de la grand'villeavec une finesse, un esprit, une grâce incomparables ; la promenade qu'elle nous fait faire à travers un an de vie de Paris est d'un agré- ment prodigieux ; elle a, sur les choses et sur les hommes, des aperçus ingénieux, spirituels, pi- quants ; avec une ironie gentille et souriante elle plaisante les petites manies de Paris ; avec émotion et gravité, elle admire ses grandeurs et ses beautés Qu'elle regarde une séance à la Chambre ou un duel sur invitation, qu'elle écoute parler des anti- cléricaux ou des femmes artistes, quelle assiste aux séances de l'Académie ou aux fêtes de l'Elysée, qu'elle aille en omnibus, en métro ou en taximètre, qu'elle parle des gens du monde ou des baladins, qu'il soit question, dans ses « Notes sur Paris », du théâtre, de la politique ou de la littérature, elle a

l6 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

des trouvailles prime-sautières, iogéiiues et pro- fondes, d'unenotesi juste qu'on se dit en les lisant: '( Comme c'est cela ! c'est une idée que je dois avoir eue. » Seulement, voilà, on nel'apas eue et il a fallu que cette exquise étrangère survînt pour extraire la pimpante philosophie incluse dans les petites et les grandes choses de la vie de Paris ; il a fallu aussi que Sonia trouvât, pour la présenter au public, un homme du talent de notre ami Em. B... Telles sont en effet les discrètes initiales de l'écri- vain à qui nous devons le régal de ce ravissant volume...

VICTOR BERARD

La France et Guillaume II.

Il n'y a pas de sujet plus actuel, de sujet qu'il faille toucher avec une main plus ^délicate. A l'heure présente, il était utile qu'un historien donnât, en des pages claires et précises, une idée des relations existant entre la France et l'empereur allemand. De là,' la nécessité pour l'écrivain de mettre en regard la méthode française et la méthode allemande, le travail de la France et la crise allemande, notre politique et la politique impériale, les devoirs de notre diplomatie, agissant

JANVIER I.ii li.K

uu Dom d'un gouvernement démocratique, et le rêve mondial qui fut parfois si nettement indiqué par l'empereur allemand ; enfin l'attitude française avant les menaces et les oiïres allemandes. Il fallait, pour traiter ces questions, une plume alerte, un esprit renseigné et clairvoyant, un tact spécial à discerner, dans la masse des documents apportés par une actualité en fièvre d'information, ceux dont il convient défaire état. M. Victor Bérard s'est acquitté de sa tâche avec bonheur : il n*a subi aucun entraînement, ni dans un sens ni dans Tautre. Il parle le langage de la raison et de la sagesse ; et il le parle, en somme, simplement et vivement, sans se défendre d'un« franchise auda- cieuse, lorsqu'il sent que cette franchise sert la cause de la vérité.

JACQUES DK BOISJOSLIN

Les Partis en France.

Livre de philosophie et de psychologie plutôt que d'histoire, l'auteur a tenté de définir nos divers tempéraments politiques et a séparé les Français en quatre grands partis : le parti catho- lique ou mondain, le parti civique et scolaire, le parti syndicaliste collectiviste, le parti anarchiste

l8 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

cosmopolite. De cette nomenclature, il résulte que « les opinions politiques et sociales relèvent de con- cepts qui régissent aussi les autres conceptions de la vie. Les groupes ainsi déterminés se caracté- risent par Tune des forces ou formes qui président aux relations : 1" la coutume ; 2" la loi ; .3'' le con- trat; 4Ma liberté.» Après cette très curieuse et féconde étude, M. de Boisjolin se pose cette ques- tion : La Révolution française est-elle accomplie? Il recherche quelles institutions et quelles coutumes ont encore échappé à l'action de la Révolution, et veut montrer « ce que la logique des principes posés en 1789 exige des gouvernements pour que la Révolution soi^ accomplie, ou la situation révo- lutionnaire liquidée, ce qui revient au même »; après quoi, il conclut que « tant que la Révolution ne sera pas accomplie, réalisée, épuisée, la situa tion restera révolutionnaire et la nation incapable de se donner des lois... » Doux pays! heureuse perspective !

LEON DUTUIT

Droit Constitutionnel.

Dans notre pays nul n'est censé ignorer la loi, il est fort peu de gens qui la connaissent et qui se doutent du droit. Et pourtant combien cette science

JANVIER LITTÉRATURE, POLITIQUE, POESIE, ETC. U>

serait utile, non pas seulement aux spécialistes, mais à la foule investie de la puissance, et combien il est souhaitable que le livre publié par M. Léon Dutuit, professeur de droit à l'université de Bor denux. Droit consliiutionnel Théorie (jénèrale de l'Etal •— Organisation politique, soit lu, médité par un grand nombre de lecteurs. Ils auraient grand tort de s'elTrayer de la masse un peu com- pacte et imposante (1.100 pages) de ce livre, car il est, malgré son aspect rébarbatif, d'une lecture extrêmement facile et captivante. Il s'adresse « non seulement aux étudiants des facultés de droit, mais aussi à tous ceux qui, soucieux de remplir leurs devoirs de citoyens en connaissance de cause, vou- dront étudier les principes de notre droit public ». Souhaitons qu'ils soient nombreux ; la tâche leur sera légère d'autant que l'auteur a eu l'idée d'une ingénieuse disposition typographique qui permet aux profanes de i^e lire que le nécessaire, et de lire tout le nécessaire ; ils apprendront à y connaître la théorie générale de l'Etat, ses éléments, ses fonc- tions législatives, administratives, juridictionnelles; ils y liront surtout des pages magistrales sur les libertés, sont étudiés, tour à tour: la liberté du commerce, de l'industrie, les syndicats pro- fessionnels, puis la liberté d'opinion, la liberté de réunion, d'enseignement, la liberté de la presse, et enlin, point culminant et de suprême actualité : la liberté religieuse, avec un commentaire lumineux de la loi de 1905 sur la séparation de l'Église et de

20 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

l'État. Rien que ce chapitre, d'un intérêt palpitant, suffirait à assurer les destinées de ce livre, qui se recommande encore par un tableau d'une synthèse et d'une signification remarquables, consacré à for- ganisation politique de la France.

ROBRFrr DE MONTESQUIOU Les Hortensias bleus.

M. le comte Robert de xMontesquiou nous donne lédition définitive des Hortensias bleus.

Dans une page magistrale consacrée jadis à une œuvre de ce poète, M. Henry Bataille écrivait : « Il est à souhaiter que l'auteur fasse un jour une édition de ses œuvres complètes, épurées, débarrassées des scories et des fantaisies de la jeunesse; elle sera déjà considérable et passablement diaprée. » Ce conseil, M. Robert de Montesquiou Ta entendu : avec courage et ferveur, il a « poli et repoli » son œuvre, il l'a « remise sur le métier » et u sans vou- loir rien changer à ce qu'il avait tout d'abord essayé de dire, il a voulu le dire avec plus de précision et de concision ». « Bien que les suppressions soient nombreuses dit-il et les expressions grande- ment modifiées, l'œuvre demeure la même, ou plutôt devient plus exactement celle que j'ai voulu

JANVIER LITTERATURE, POLITIQUE , POESIE, ETC. 21

faire, et que je crois avoir faite. » Le travail de M. Robert de Montesquieu ne fut pas infécond; son œuvre, dans sa forme nouvelle, apparaît plus forte et plus expressive, entendez bien que le poète n'est pas devenu simple, son inspiration est toujours complexe, raffinée, subtile et il y a toujours de la mièvrerie dans sa.grâce; mais il a débarrassé l'ex- pression de certaines outrances, de certaines obs- curités qui étaient en elTet bien inutiles et n'ajou- taient rien, bien au contraire, à la très particulière saveur de ses poèmes; tels qu'ils sont aujourd'hui, ces poèmes apparaissent comme une œuvre tout à fait belle et forte, inégale et parfois discutable, mais œuvre d'un poète véritable à propos duquel il ne saurait plus être question d' u amateurisme », et qui a su protester de brillante manière contre <• la coutume de France, qui ne veut pas qu'un gen- tilhomme sache rien faire ».

MEMENTO DU MOIS DE JANVIER

R G M ANS

Ardel (Henry). Un Conle bleu, dans la collection Hermine. Béral (Paul). Le Mirage.

Berthaut (Léon). L'Absente, le Vainqueur de la mer, roman illustré. '

22 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Bcrtiieroy (Jean). Geneviève de Paris, n C'est à loutes les femmes de France que je voudrais dédier ce livre >), écrit l'au- teur en tête de cet ouvrage; et en effet, c'est un livre reposant, tendre, d'un patriotisme attendri, que cre roman historique, l'excellent écrivain suit de si près la légende Avec une érudition dont il faut la louer, Mme Jean Bertheroy évoque la vieille France au temps d'Attila, elle nous montre Lutèce assiégée, et elle fait apparaître aux heures tour à tour tra- giques et apaisées dans la foi la grande figure de Geneviève, héroïque et sainte. On dirait une belle tapisserie dont le temps aurait tempéré les éclats, pour ne plus laisser appa- raître que la délicieuse et émouvante harmonie.

Biloba. V. Ginko.

Boutry. Les Effacées, nouvelles.

Bransiet (Maurice).— /?a/yo, un livre qui nous initie aux amours mal- gaches : cette Raivo est une personne à la peau brune, qui sembletrèsouverteàlacivilisation européenne et que lacoquet- lerie tente rapidement. L'auteur nous dit bien qu'elle a une âme de concierge, mais en cela encore elle nous prouve que l'ancien continent n'en détient pas le monopole. M. Bransiet a écrit un livre curieux, que lisent tous ceux qu'attirent les écrits de- la vie coloniale.

Bruzon (Paul). La Poupée d'Argile.

Denoinville (Georges). Vies encloses.

Etelazar (Armand d'). Dans un certain monde, un roman qui commence au casino de Biarritz et se termine à Saint-Roch, à la chapelle de la Vierge.

Gaubert (Raoul). Jean sans Terre, roman contemporain.

Ginko et Biloba. Le Voluptueux Voyage ou les Pèlerines de Venise, un roman l'étude de l'art voisine avec une cu- rieuse étude passionnelle.

Grasset (Pierre). Le Journal de Pierre Daumis.

Jaloux (Edmond). U Ecole des Mariages.

Lenormand (H.-R). Le Jardin sur la glace.

Moutonné (Hortense). Les Caprices.

Normandy. V. Poinsot.

Poinsot et Normandy. Amorces.

Pommcrol (Jean). Le Cas du lieutenant Sigmarie. •révost (Marcel). Mademoiselle Jaufre, nouvelle édition.

Schuré (Edouard). La Prêtresse d'Jsis, légende de Pompéi.

JANVIER LITTÉRATURE, POLITIQUE, FOÉSIE, ETC. 2.3

Tlinraud (Jérôme et Jean). Dingley, rUluslre écrivain^ le cu- rieux livre à (|ui fut décerné le prix Goucourt.

Vuly ,'Jacques). V. Yorke.

Vorivo (Curtis). Les Mcdlicolts, roman traduit de l'anglais par M. Jacques Valy.

HISTOIRE LITTERATURE THEATRE POESIE

POLITIQUE DIVERS

Aveuel (Vicomte G. d'). Prêtres, soldais et juges sous Richelieu.

lierij'eral (Emile). Théâtre, uu volume sont réunies trois •l'uvres délicieuses du spirituel écrivain : La Fontaine de Jouvence, Petite Mère, le Combat des Cerfs.

Berlioz (Hector). Les Aurores ramant iques (1819-1842), corres- pondance publiée par Julien Tiersot.

lîloy (Léon). La Résurrection de Villiers de Vlsle-Adam.

Boische (Gnillaume). Descendance de V homme.

Bourguet (Alfred;. Études sur la politique extérieure du duc de Choiseul.

Gain (Georges). Promenades dans Paris.

Chantavoine. Beethoven, une curieuse étude parue dans la col- lection des « Maîtres de la Musique ».

Christiane. Paj-, Vers un monde meilleur, simples méditations. Lettre préface de Sully-Prudliomme. C'est uu livre de foi et d'élévation, profondément clirétieu, le cri d'une ;\me coura- geuse qui s'attriste du temps présent, mais puise dans rÉvangile la force de résister au découragement et d'aperce- voir dans le ciel obscurci par la tempête la clarté sereine du symbole d'éternité.

Colleville (Comte de). Carlos /" intime.

Des Courlis (Comte Marc). De Port-Arthur à Tsou-Chinin.

Cullru. Benyowsky, un empereur de Madagascar au dix-hui- tième siècle.

Daudet (Ernest). Histoire de V Émigration pendant la Révo^ lution Française, t. IIP. L'auteur consacre le troisième volume de son ouvrage à la période qui s'étend du Dix-huit

I

24 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

Brumaire à la R.estauratioti. .On rounaît l'œuvra d'histoire de M. Eraest Daudet à qui l'Académie française a décerné le grand prix Gobert : il a su, selon le mot du regretté Albert Sorel, « se débrouiller et retrouver la route la grande route de l'histoire de France dans cette brous- saille formidablement enchevêtrée, dans ce labyrinthe étour- dissant et déconcertant de l'Émigration ». Rien de plus inté- ressant en effet que les pages consacrées à la Cour de Milan en 1800, à Louis XVIU assuré d'un asile par la générosité du tsar Paul I", à l'entrevue de Colmir, au comte d'Ava- ray, etc.

Dodu (Gaston). Vers les Terres nouvelles.

Dufeuille (Eug.). Le Souverain dans noire République.

Fontin (Paul.) Guerre et Marine. Préface de M. A. Messinu.

Fourrey (E.). Curiosités géométriques.

Frémont (payeur principal). Les Payeurs d'armée, historique du service de la trésorerie et des postes aux armées (1293-1870).

llaeckel (Ernest). Religion et Évolution.

Herbette (Maurice). Une Ambassade persane sous Louis XIV. Un livre précieux pour lequel l'auteur a mis à contribution des documents inédits, .qui enlèvent toute espèce de doute sur cette ambassade, ambassade à l'authenticité de laquelle ne * prêtaient foi ni la duchesse d'Orléans, ni Saint-Simon, ni Montesquieu.

Hogier (Hector). Paris à la fourchette. La troisième série des « Curiosités parisiennes « recueillies par l'auteur et dans lequel on trouve encore une multitude d'anecdotes et de souvenirs pittoresques, depuis la pompe à feu de Chaillot jusqu'à la maison . de Banville, depuis le jardin de Victor Hugo jusqu'au familistère de Ménilmontaut, depuis le châ- teau de Napoléon jusqu'à la maison du peintre Lebrun. Tout cela est intéressant, mouvementé, écrit d'une plume alerte et aimable.

Hretzvitha. Théâtre, traduit du latin sur le manuscrit de Mu- nich, avec une introduction par Mme Cœcilia Vellini.

Huchon (Pi.). Un poète réaliste anglais, George Crable (1751- 1832).

Lafontaine (Abbé). Jehan Gerson (1363 à 1429), éloquente bio- graphie d'une grande àme, « tableau des souffrances sociales se meurt la civilisation du moyen âge ».

JANVIEH LITTERATURE, POLITIQUE, POESIES, ETC. 2^

La Mazelière (Marquis de). Le Japon, liistuire et civilisation,

Lecarinet (E.). L'Église de France sous la troisième Répu- blique. Ce premier volume d'un graud ouvrage embrasse huit années, de 1870 1878, et nous expose les causes et les débuts de la lutte engagée arfiielliMifut entre l'Kglise et l'État.

Loliée (Frédéric). La Comédie-Française (1G58-1907), préface de Paul Hervieu.

Lorin (F.). fiambouillel, la ville, le château, ses hôtes de 768 ii 1906 Ce curieux livre, avec les nombreux documents historiques qui l'enrichissent et les cinquanle et une eslampes qui l'illus- trent, oHre un intérêt anecdotique tout à fait remarquable ; dans ces douze cents années d'anecdotes, qui nous mènent des premiers seigneurs de Rambouillet jusqu'aux Présidents de la République qui habitèrent le château, il y a une mul- titude de petits détails et de petits faits qui intéressent la grande histoire.

Maeterlinck (L.). Le Genre saliriijue dans la peinture pa- mande. Ce superbe livre constitue une œuvre de bibliophilie d'une incomparable séduction.

Maurras (Charles). Le Dilemme de Marc Sangnier. Les livres de M. Charles Maurras ne sont pas de ceux qui laissent in- différent : on peut ne pas souscrire aux idées de l'ardent polémiste, on ne peut se soustraire à l'eutrainement de ses convictions et l'éloquence de son raisonnement. Quel est donc le Dilemme de Marc Sangnier q\ù fait l'objet de son dernier livre, avec ce sous-titre : Essai sur la démocratie religieuse ? Ce dilemme, le voici : « Ou le positivisme monarchique de l'Aclion française, ou le christianisme social du Sillon. ^ C'est co dilemme que M. Maurras discute dans son livre dédié à l'Église romaine, à l'Église de Tordre : livre grave, livre profond et subtil à la fois, livre de sociologie, où, après avoir étudié la vanité des hypothèses d'évolution sociale, . selon M. Marc Singnier, il fait la critique du fédéralisme absolu, et trace un tableau queUpie peu assombri de la vie démocratique.

Méridier (Louis). L'Influence de la seconde sophistique sur iœuvre de Grégoire de Nysse, et le philosophe Themis- tios devant Vopinion de ses contemporains.

Morice (Charles). Eugène Carrière. « L'Homme et sa pensée,

2

20 LE MOU^ŒMENT LITTÉRAIRE

l'Artiste et son œuvre, Essai de nomenclature des œuvres principales. » Nansouty (Max de). Au feu ! un manuel tout à fait ingénieux et judicieux destiné à remettre en mémoire certaines règles élémentaires de sécurité que d'autres préoccupations font souvent passer au second plan ; rempli d'indications pré- cises, écrit diins une langue simple, élégante et familière que M. Max de Nansouty sait si bien mettre au service de la science pratique, il rendra des services éminents et remplira l'utile et belle mission qu'il s'est proposée de « sauvetage familier v.

Nansouty (Max de). Actualités scientifiques, S^ année.

Picard (Ernest). 1870. La Perte de l'Alsace. Ce n'est jamais sans une émotion profonde que nous ouvrons un livre relatif à l'histoire de la guerre franco-allemande. Celui de M. Er- nest Picard, chef d'escadron d'artillerie breveté, est particu- lièrement poignant par la question qu'il veut résoudre : celle de savoir à qui incombent les responsabilités de la "défaite de Frœschwiller. Les conclusions de M. Picard sont des plus nettts. Pour lui, le revers terrible, source de tous les autres, est imputable à Terreur de Mac-Mahon et à l'iner- tie du général de Failly. Cette solution est-elle définitive? je ne sais. En tous cas, elle est appuyée sur une démonstration très éloquente et très scientifique, et quelle que soit l'incer- titude des réponses, ce sont des questions qu'il est bon de se poser, des souvenirs qu'il est sain de faire revivre.

Piobb (Pierre). Formulaire de haute magie.

Poinsot (C). Clemenceau, l'homme et l'œuvre.

Privas (Xavier). La Chanson sentimentale, recueil de mélodies charmantes et de gracieuses poésies, préfacé par Laurent Tailhade.

Quittard (Henri). Un musicien en France au dix-septième siècle : Henry du Mont (1619-1684).

Renard (Georges). Histoire socialiste, publiée sous la direction de J. Jaurès (suite). Préface de M. Millerand.

Revol (Lient.). L'Italie actuelle.

Rivière (Georges). La Terre des Pharaons.

Servières (Georges). Weber. Un volume tout à fait intéressant, très heureusement illustré et documenté, paru dans la col- lection des Musiciens célèbres.

JANVIER LITTERATURE, PCLITIQIE, POESIES, ETC. 27

Star (Maria). Visions de beauté.

Vallery-Radot (Robert). Les Grains de imjrrfie.

Wyzewa (Teodor de). Les Maîtres italiens d'autrefois.

Yermelulf (Alexis). La fiussie agricole. M. Alexis Vernielotr, membre du Conseil de l'Empire, auciea ministre de Tagri- culture et des domaines, était i|ualilié pour apporter un peu de lumière dans cette question, confuse pour beaucoup d'entre nous, et son esprit pondéré était un «("ir garant que s'il préconise des réformes nécessaires, il est très éloigné d'encourager les solutions révolutionnaires pleines de danger pour la Russie. Avec une grande autorité, il étudie sous tous ses aspects l'un des problèmes les plus grands qui se soient posés sur la situation des populations rurales de l'empire russe.

FEVRIER

LES BOMANS

GABRIEL D'AZAMBUJA

Un Ghassé-Groisé.

Après les livres qui demandent aux faits réels leur substance essentielle, voilà ceux Timagi- nation se donne libre cours, encore que celle-ci ait la plupart du temps la prétention de ne point se tenir hors de la vérité. Ainsi, Un Chasse-Croisé., par Gabriel d'Azambuja. C'est un conte spirituel, dont tous les acteurs, d'apparence sincères, et de volonté apparente, se laissent cependant entraîner par l'aveugle destin vers des fins contraires à ce qu'ils avaient toujours professé, et cela nous prouve que

FÉVRIER LES ROMANS 29

si nous traitons d'aveugle le destin qui nous mène, c'est que nous seuls sommes aveugles? nous nous donnons la comédie, etnousmentons à notre raison, à moins que ce soit la raison qui mente à nos rai- sonnements. Mais qu'importe: le livre de M.Gabriel (FAzambuja est charmant, et le paradoxe s'y fait si aimable que nous ne nous apercevons pas que les personnages de sa fable sont tout simplement ceux de notre réalité.

xMAUlUCh MOMELiL 1 La Réincarnation de Christian Chaumette.

L'occultisme et le spiritisme sont de bonnes his- toires inventées par des charlatans ingénieux* pour exploiter la crédulité des esprits faibles ou le désir d'espoir des âmes blessées par d'inconsolables douleurs. Pour nous, qui sommes des esprits forts, nous ne nous laissons pas prendre à toutes ces simagrées, ni à toutes ces fantasmagories d'imagi- nation malade; nous ne sommes pas des enfants, que diable! et je suis bien sûr que M. Maurice Montégut, lorsqu'il entreprit d'écrire la Réincarna- tion de Christian Chaumette, SQ promettait bien de rire aux dépens des exploiteurs du spiritisme et de leurs victimes. Seulement voilà, si sceptique que l'on soit, si convaincu de l'inanité de ces his-

2.

3^0 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

toires, oq ne peut se pencher sur ce goutïre ouvert sous nos pas, on ne peut sonder ce mystère de l'au- delà sans en éprouverde Tangoisse et sans en garder le frisson. C'est l'impression que j'ai ressentie en lisant cette œuvre émouvante, empoignanteet forte, qui, nette, précise et claire comme toutes les œuvres de ce brillant romancier, nous fait pé- nétrer cependant en des régions si obscures, si profondes et si mystérieuses que nous restons un peu interdits, et remués. Même, nous arrivons à n'être plus très fixés sur le sentiment de M. Mau- rice Montégut, qui nous dévoile dans la drama- tique aventure de Christian Chaumette réincarné quelques supercheries, mais qui aussi semble parfois décontenancé devant certaines manifesta- tions très réelles et très inexplicables. Je croirais volontiers cependant que M. Maurice Montégut est revenu assez sceptique de son excursion dans Tau delà qui nous a valu, en tout cas, un fort beau roman destiné à rester parmi les meilleurs et les plus curieux de ce bel écrivain.

GHARLES-HExNRY HIRSCH

Poupée fragile.

« Avant mille ans, espérons-le, la terre aura trouvé le moyen de suppléer au charbon de terre

1 h\l<ILl< l.h.-! l«<iMA.\S Ol

épuisé, et, jusqu'à un certain point, à la vertu di- minuée. » Ainsi s'exprimait Ernest Renan, ainsi pense M. Cbarles-IIenry Hirsch qui a mis cet apho- risme ironique, bienveillant et cynique en tête de son nouveau roman, Poupée fragile. Et de fait, on chercherait vainement parmi les héros de ce livre un champion de la vertu : ni la petite Suzanne Jaude, la « poupée fragile », ni sa maman, ni son « bon ami » le vieux M. d'Aigleux, non plus que MM. Cladessol, le ténor ivrogne et aimé, de Cliatz le tendre assassin... seule peut-être Mme Cladessol, touchante et douloureuse figure de femme et de mère, pourrait aspirera ce titre, aussi l'auteur l'a-t-il laissée dans une ombre symbolique. Donc nous sommes dans un monde sans vertu, et à me- sure que se déroule la dramatique, émouvante, confuse et douloureuse histoire, nous sommes ten- tés bien souvent de nous indigner contre le cynisme, l'immoralité de ces hommes et de ces femmes; mais notxe indignation s'arrête devant le rire qui nous monte aux lèvres, elle hésite devant les larmes qui viennent à nos yeux, car ces person- nages sans moralité sont des êtres très humains, très vivants', qui sont prodigieusement comiques et tragiques infiniment.

M. Charles-Henry Hirsch nous conte leurs aven- tures, nous dévoile leurs pensées secrètes, paisible- ment, avec candeur et sérénité : on sent qu'il ne se laisse pas entraîner, lui, à d'inutiles indigna- tions; il trouve ces « bonshommes » intéressants et

32 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

émouvants, il nous les peint, il trouve leurs aven- tures amusantes et significatives, il nous les conte, sans chercher à savoir si tout cela est très édi- fiant... C'est exquis, en tout cas, et ce roman- si coraiquement et si cruellement humain est le digne pendant d'Eva Tumarche et ses amis que j'ai tou- jours considéré comme l'œuvre maîtresse de ce remarquable écrivain.

JEANNE MARNI Pierre Tisserand.

Vibrant d'amour et de passion, voici un livre dhumanité douloureuse et de vivante sincérité, c'est Piej^re Tisserand de Mme Jeanne Marni. Ce beau roman fait suite au I^ivre d'une amoureuse, dont on n'a pas oublié le retentissement. Pierre Tisserand est voué à la même fortune, il la mérite. De cette histoire d'amour, complexe et poignante, il se dégage en effet une telle impression de vie, un tel parfum de vérité que le lecteur passe vraiment par toutes les misères et par toutes les angoisses des héros, il sort de cette lecture, les tempes battantes et le cœur meurtri, comme s'il avait vécu vraiment cette aventure sentimentale.

C'est que Mme Jeanne Marni excelle à humaniser ses fictions; elle a une tells finesse d'observation,

une si subtile pénétration de l'âme et du cœur que ses fictions semblent plus vraies que la vérité même, et si on n'avait pas tant abusé de la triviale expression « tranche de vie », je voudrais rappli- quer à l'œuvre de Mme Jeanne Marni. Ces belles qualités ont fait la fortune de ses dialogues si cruel- lement, si amèrement vrais, elles apparaissent plus remarquables encore dans le roman.

Elle a trouvé des accents d'une force, d'une élo- quence admirables, pour nous peindre les doulou- reuses aventures de l'amoureuse Claire, exquise, sincère et vraie, éprise d'une tendresse sans merci pour Pierre Tisserand, câlin, spirituel, verveux, mais dénué tout à fait de scrupules et d'amour. Peut-être, si l'on voulait voir une thèse dans ce roman, trouverait-on que Mme Jeanne Marni a fait la part un [)eu trop belle à la femme et a eu la dent un peu trop dure pour l'homme, mais Mme Jeanne Marni n'a pas eu, que je crois^ l'intention d'offrir une thèse à nos méditations, elle a voulu nous émouvoir et nous faire vibrer par un vivant et émouvant récit, et elle y a supérieurement réussi.

MARY LIE MAHKOVITGH

Le Dernier Voile.

Ce sont les « xMœurs de couvent » que Mme Ma- rylie Markovitch prétend nous faire connaître dans

3/| LE MOUVEMENT LlfTÉRAIRE

son roman. Je ne sais pas si cette peinture cette « monographie » est bien exacte et je soupçonne qu'elle sera contestée ; mais je n'ai pas Dieu soit loué ! à me préoccuper de cette question, et c'est le roman « en soi >> qui m'intéresse. Or, ce roman est d'un très vif agrément : ce journal de Mlle Yvonne Rev^rnay est vraiment plein de choses amusantes et jolies, il effleure des sujets terri- blement scabreux et côtoie des situations bien périlleuses, mais il garde, dans sa franchise, une sorte de candeur et de délicatesse qui le distingue heureusement de celui « Claudine » écrivit jadis ses souvenirs d'école et à laquelle on ne peut s'em- pêcher parfois de songer, en lisant...

Yvonne Revernay est, elle aussi, une très mo- derne jeune personne qui n'a pas froid aux yeux, et qui sait s'en servir pour fureter et découvrir des choses même imaginaires, car elle a de Timagi- nation, m^is c'est aussi un être de sensibilité et d'émotion qui souffre et vibre et qui sait exprimer la tristesse et la mélancolie des choses.

L'auteur prévoit que cette « offrande apportée par une pensionnaire sur le cercueil des couvents de France sera diversement interprétée », je le crois de reste, je n'y veux voir pour mon compte quun pur roman, et cela me permet d'en louer sans réserve le tour charmant et le verveux esprit.

f tVKIER LES ROMANS 35

lIExNRY GRKVILLK

Le Roi des milliards.

Ce roman est la dernière œuvre d'Henry Gréville, dont la place est marquée parmi les maîtres du roman romanesque en noire temps. Les amateurs d'émotions fortes et dhlstoires palpitantes et com- pliquées se passionneront au récit des aventure, des petites Canadiennes : Zite et Annie Debrodes transportées, comme par un coup de baguette ma- gique, de leur médiocre intérieur au milieu du faste, de la fièvre et des millions de leur oncle John Bruce, le roi du papier, le roi des chemins de fer, le « roi des milliards ». L'auteur voudrait bien profiter de cette occasion qui lui est olïerte de nous peindre les mœurs américaines, mais il n'en a pas le temps, car il est emporté et nous avec lui dans une tourbillon d'aventures dramatiques, sentimentales, passionnelles, dont la gradation habile et savante nous mène jusqu'au dénouement qui ressemble à l'apothéose d'une féerie avec, au centre, « Bruce imperator » submergé sous une impressionnante pluie d'or. C'est un roman très amusant et qui, fait pour plaire à la foule, est écrit dans une langue qui satisfera les délicats.

3() LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

EUGENE JOLICLERC

L'Aimée.

Les paradoxes ne font pas peur à M. Eugène Joli- clerc, romancier très agréable et très adroit. On n'a pas oublié sans doute son joli volume Demi-Maî- tresse^ où il nous faisait admettre en douceur une bien invraisemblable situation demi-maîtresse ! Son nouveau roman n'est pas moins paradoxal : songez en effet que le héros du livre, le musicien Robert Divry, amant inconsolable d'une maîtresse morte, « l'aimée », a la fortune singulière de ren- contrer sur son chemin successivement deux femmes dont les traits ressemblent miraculeuse- ment à ceux de la disparue, et qu'il aime tour à tour ou croit aimer; car celle qu'il cherche tou- jours, c'est la première aimée : « il est, en effet, des spectres que nul exorcisme ne saurait conjurer ». Le postulat de M. Eugène Joliclerc est un peu bien difficile à admettre et il a fait bon marché de la vraisemblance; mais, une fois qu'il l'a admis, le lecteur est récompensé de sa complaisance, car M. Eugène Joliclerc en tire des effets extrêmement émouvants et dramatiques et l'intérêt de son roman, d'une bonne tenue littéraire, va crescendo jusqu'à un dénouement palpitant et tragique.

IKNHIEH LES liOMA.NS l^J

MADAME JEAN POMMEROL

Le Cas du lieutenant Sigmarie.

Dans le Cas du lieutenant Sigmarie, roman, Mme Jean Poramerol nous conte « une histoire qui descend mélancoliquement les degrés de l'enthou- siasme jusqu'au découragement mortel ». Il est en effet profondément douloureux le « cas » du lieute- nant Sigmarie, d'autant plus que, si j'ai bien com- pris la pensée de l'auteur, il est loin d'être isolé dans l'armée française. (Vest celui de l'ofticier bril- lant, ardent, généreux, « marqué au front d'une étoile », mais qui ne saurait s'accommoder de la paix s'enlize et se perd le moral d'une armée, et qui est exposé aux pires entraînements et aux plus pénibles déchéances par la déprimante vie de gar- nison et par ce malentendu mortel « entre la société d'aujourd'hui et l'armée d'hier ».

Cette thèse, Mme Jean Pommerol la développe en un roman pénible, douloureux, poignant, s'affirme une fois de plus l'àpre et souple talent qui nous a valu déjà tant d'œuvres curieuses et fortes.

38 Li: MOUVEMENT LITTERAIRE

PAUL ACKER

Le Désir de vivre.

Il n'est pas vrai que le « journalisme mène à tout à la condition d'en sortir » ; c'est là, je crois bien, une facétie qui a fait son temps et dont la portée a sin- gulièrement diminué depuis qu'on a vu des écri- vains poursuivre tout entière dans le journalisme une noble carrière, et arriver à tout c'est-à-dire à la renommée et aux honneurs suprêmes sans jamais sortir de leur profession.

Ce qu'on peut retenir de cette boutade, c'est qu'un bon journaliste, observateur judicieux des hommes et des choses, narrateur fidèle, lettré et vivant des événements, est très préparé à d'autres besognes littéraires, et qu'il a de grandes chances, par exemple, de réussir dans le roman si la fantaisie lui prend de s'y essayer. M. Paul Acker nous en offre après d'autres un heureux exem- ple. On se souvient des savoureuses Petites Con- fessions publiées jadis par cet écrivain qui sut donner une allure si pittoresque, si originale, si précise, aux récits de ses visites cliez ies grands hommes de notre temps, aux descriptions de leur milieu, à la peinture de leurs physionomies, à la restitution de leur parole. C'était du journalisme et du meilleur, mais M. Paul Acker, après avoir rem-

porté dans la presse les plus llatteurs succès, avait décidé de devenir un romancier. 11 a tenu parole. Dès Tan dernier, il nous donna la Petite Madame de Thianges quifut très bien accueillie, et il publie cette année le Désir de vivre, œuvre émouvante, harmo- nieuse, ardente, lionnéte, empreinte d'unemélancolie profonde et d un peu de pessimisme résigné. C'qst l'histoire de Claire Fournier, « le roman de Claire Fournier », une jeune tille au cœur ardent, à Famé robuste et saine, et qui; en lutte avec les tristesses d'une vie médiocre, difficile, laborieuse, est animée pourtant d'un incoercible « désir de vivre », c'est-à- dire d'aimer, desoutïrir, de lutter; mais la destinée ne lui est pas complaisante, et si elle rencontre sur son chemin desâmescompalissantesetbonnes, car il va beaucoup de braves cœurs dans ce roman, et c'est une de ses heureuses originalités, elle s'aper çoit qu'il ne sied pas à une jeune fille pauvre et beso- gneuse d'être romanesque et d'avoir le cœur gontlé de désirs, d'illusions et de rêves ; la vie se charge de briser tout cela, et de prouver que le c< désir de vivre » ne saurait être réalisé pour tout le monde. Cette thrse, si l'on peut appeler cela une thèse, est développée au cours d'un roman tout à fait émouvant, ardent et chaste, d'une facture infini- ment littéraire, et apparaissent une série de figures touchantes et simples pour la peinture des- quelles M. Paul Acker a déployé toutes ses qualités d'analyse judicieuse et subtile, d'observation péné- trante et émue.

HISTOIRE, LITTÉRATURE, ART, VOYAGES, DIVERS.

WACLAW GASIOROWSKI

Mémoires de Joseph GraboTVski, officier à l'état- major impérial de Napoléon I^'

Encore des Mémoires napoléonieDs ! Encore un témoin de l'Epopée qui prend la parole du fond de son tombeau pour nous parler de Lui. Ces Mémoires de Joseph Grabowski, officier à V état-major impérial de Napoléon T% nous apportent une note tout à fait particulière, modeste, touchante infiniment, au milieu de cette foule décrivains-héros dont l'hu- milité est le moindre défaut. Grabowski se garde bien, lui, de se placer au premier plan : son héros à lui, c'est Napoléon! Ces trois années de récits: 1812, 1813, 1814, sont un hymne véritable d'amour au Grand Empereur, et ce Polonais, dont les mé-

FÉVRIER HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, ETC. t\\

moires ont cette valeur tout à fait spéciale, qu'« ils coraraencent au moment la majorité des autres mémoires se terminent ; au moment se préci- pitent fiévreusement les derniers événements de la tragédie napoléonienne », est vraiment beau de désintéressement et de piété ; il faut savoir gré à M. Waclavv Gasiorowski de nous avoir restitué avec tant d'intelligence les mémoires de son compatriote, que MM. Jan V. Chelminski et le commandant Mali- bran ont très fidèlement traduits.

EMILE BOURGEOIS et E. CLEHiMOiNT

Rome et Napoléon III (18491870).

Les auteurs entreprennent de nous montrer dans ce livre comment l'empire naquit à la suite de l'expédition à Rome de 1819 et comment il mourut en ISTO parce que Napoléon refusa obstinément de laisser rentrer les Italiens à Rome. On y voit donc se dérouler dans tous leurs détails, suivant l'expres- sion de M. Gabriel Monod, « les deux drames diplo- matiques et militaires qui ouvrent et ferment l'aventure brillante et néfaste du second Empire » et l'on y constate u la duplicité et la brutalité de la politique française à l'égard de la République

/,2 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

romaine en 1849, son aveuglement et son incohé- rence en 1861) et 1870, quand elle se lança sans alliés dans une guerre formidable ». Ces citations montrent assez que ce nest pas de la froide histoire, mais qu'il s'agit d'une thèse à développer et à démontrer. Toutes réserves faites sur la valeur de cette thèse, on ne saurait nier le très grand intérêt et la haute valeur documentaire de Toeuvre. Dans sa première partie, due à M. Clermont, elle contient Ihistoire de l'intervention française à Rome en 1849, depuis le moment fut décidé le départ du corps expéditionnaire du général Oudinot pour Civita-Vecchia jusqu'à l'époque l'Assem- blée législative approuva l'envoi des troupes fran-. çaises contre la République romaine. La seconde partie, œuvre de M. Emile Bourgeois, nous donne le récit des tentatives diplomatiques que fit le second Empire, depuis 1866 jusqu'au mois d'août 1870^ pour rapprocher ritalie de l'Autriche, pour s'assu- rer leur concours commun dans léventualité de la guerre avec la Prusse ; tentatives qui échouèrent parce que la question romaine ne fut pas réglée et le rappel des troupes françaises de Civita-Vecchia non accordé.

FÉVRIER HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, ETC. 4^

JEAN D'lJSSEL La Défection de la Prusse.

(décembre 1812-MARS-1813)

L'étude de 1 amut- l.si;i, (|ui fut si nettement fatale à la fortune de Napoléon, fournit au vicomte Jean d'Ussel l'occasion d'un livre émouvant, inti- tulé : la De/eclion de la Prusse (décembre I8i2-mars 18n). C'est le prologue du drame terrible qui occu- pera les années 1813, 1814, 1815, pour aboutir aux heures néfastes de Napoléon. On a beaucoup écrit sur cette époque : des livres justement célèbres lui furent consacrés, livres d'où la passion n'est pas tou- jours absente; mais dans son étude documentée, le vicomte Jean d'Ussel a su apporter des lumi(>re3nou- velles:ilposeavecuuegrandeclartéleproblème dont la guerre, avec des chances diverses, devait apporter la solution, sans que quiconque pût prophétiser sûrement quelle elle serait : « L'année 18KÎ, écrit-il, est dominée par une grande idée, celle de l'indépen- dance des peuples, revendiquée au nom de leur nationalité, et cette idée trouve son expression dans un grand fait, le soulèvement de l'Europe contre le joug sous lequel l'Empereur veut la tenir courbée. La Prusse donne le signal : l'Europe va la suivre. L'année qui commence nous montrera donc un des

44 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

plus tragiques spectacles de l'histoire : la lutte d'un peuple et d'un homme contre les nations de TEu- rope ; mais, quelle que soit la disproportion des forces en présence, quand ce peuple est le peuple français et cet homme Napoléon, l'issue peut, de prime abord, en paraître incertaine. »

L'auteur a montré, avec une rare sûreté de méthode, le logique enchaînement des faits ; il a fait ressortir justement que l'idée de nationalité, surgissant tout à coup, avait été le facteur contre lequel devait se briser toute autre volonté, si géniale qu'elle pût être, et il a ainsi apporté sa contribution à l'intelligence d'une heure particulièrement com- plexe de l'histoire de l'Europe.

JACQUES GRÉPET Charles Baudelaire.

Rien ne manque plus à la gloire de Charles Bau- delaire; non seulement on le lit, on l'admire, mais on étudie sa vie, on écrit son histoire, on analyse sa métrique, et on a bien raison, car il n'est pas de vie plus émouvante à connaître, il n'est pas de poésie plus digne d'une. étude passionnée. Je crois bien que le livre de M. Jacques Crépet sur Charles Baudelaire, l'étude biographique d'Eugène Crépet est revue

FÉVRIER HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, ETC. /|5

et mise à jour et suivie des « Baudelairiana d'Asse- lineau », publiés pour la première fois in-exlenso, et de nombreuses lettres, est 1 œuvre la plus com- plète et la plus compréliensive qui ait été écrite sur le poète. L'auteur se fait gloire d'avoir pénétré jusqu'au fond de la vie privée de son héros, car il n'y a point, à ses yeux, « de considération qui doive prévaloir contre l'urgence de détruire, jusqu'en ses fondements, la légende baudelairienne qui fut si préjudiciable à son infortuné héros. Le plus graud service dont les baudelairiens puissent obliger la mémoire de leur poète c'est d'arracher à la vérité jusqu'au dernier haillon dont elle se voile, en pu- bliant intégralement tous les témoignages qu'ils possèdent, fussent ceux d'un ordre familier et intime », et M. Jacques Crépet ne s'en est pas fait faute. J'ajoute qu'il a très heureusement présenté, ordonné ces documents dont la lecture est très attrayante et très facile.

FORT UX AT STliOWSKI

Pascal et son temps.

Pascal devient décidément un auteur à la mode; j'ai eu dans ce volume même bien des occasions de le constater. Voici qu'une nouvelle étude lui est

8.

/|(> LE MOUVEMENT LITTERAIRE

dédiée : œuvre ample et magistrale qui paraît sous le titre Pascal et son temps et qui a pour auteur M. Fortunat Strowski, professeur de l'université de Bordeaux. Cette œuvre apporte une contribution considérable à l'histoire du sentiment religieux en France, histoire dont Fintérêt semble encore accru par la crise que traverse en ce moment la religion dans notre pays. L'objet du livre de M. Strowski est l'étude de « la crise profonde qui suivit immé- diatement le grand triomphe du mouvement reli- gieux au début du dix-septième siècle »; ce mou- vement, il nous l'avait dépeint en un volume dont saint François de Sales était la figure centrale : cette crise, il entreprend de nous la faire comprendre aujourd'hui en étudiant Pascal « dont la vie inté- rieure reproduit de la façon la plus pathétique, la plus sincère et la plus complète toute la vie reli- gieuse et morale de son temps ». Ainsi conçue, l'œuvre présente un intérêt historique et moral de premier ordre.

ACHILLE BIOVES Gordon-pacha.

M. Achille Biovès, qui nous fit connaître, en un volume d'une très riche et très sûre documentation,

rÉVRIER IIISTOIRlL, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. t\']

la curieuse figure Warren Hastings, le conquis- tador britannique qui installa les Anglais aux Indes, entreprend aujourd liui de fixer les traits d'un autre Anglais, «grand aventurier du dix-neuvième siècle », Gordon-pacha, lequel occupe une place tout à fait particulière dans l'histoire de son pays; au milieu de celte u race anglo-saxonne représentée couramment comme utililaire, égoïste, incapable de sacrifices que ne dicterait pas son intérêt », il incarne le <( dévouement à la cause des faibles et des opprimés », et ce dévouement, il le pousse aussi loin que les paladins hypothétiques de la Table Ronde. 11 est intéressant de connaître un héros comme celui-là, de le suivre à travers le monde et d'apprendre avec lui que la générosité, le cou- rage et le dévouement poussés jusqu'à l'excès et jusqu'à la folie sont des vertus qui n'appartiennent pas exclusivement aux siècles passés et que notre temps, parfois, mérita le nom de temps héroïque; c'est vraiment une belle histoire que celle de Gor- don-pacha, une histoire édifiante et réconfortante. M. Achille Biovès la connaît dans tous ses détails, et il nous la restitue avec beaucoup de clarté et de précision, avec une mesure qui le garde des enthou- siasmes excessifs et des légendes toutes faites, et qui donne à ce livre la valeur d'un véritable et pré- cieux document.

/,8 LE. MOUVEMENT LITTERAIRE

PIERRE DE COULEVAIN

L'Ile Inconnue.

Vile Inconnue, vous l'avez deviné, la Terra inco- gnita, comme le dit l'auteur, c'est TAngleterre, dont la majorité des Français « ne connaissent ni la langue, ni le caractère vrai, ni l'histoire, ni la littérature. Pendant des années, ils ont répété des paroles qui traînaient dans des cerveaux in- cultes, sans se demander si elles étaient vraies ou si elles l'avaient jamais été. Les insulaires, nos voisins, en ont usé de même à notre égard. Nous nous sommes calomniés mutuellement, nous nous sop^mes lancé des injures à la tête, comme pouvaient le faire deux peuples enfants ». x\iD si parle M. Pierre de Coulevain, et pour qu'au moins, désormais, nous ne soyons plus portés à calomnier nos voisins, il fait des mœurs et de Tesprit anglais une étude diserte, bienveillante et profondément réfléchie. Il s'applique à dissiper le malentendu qui depuis si longtemps a indisposé l'Anglais contre le Français, et le Français contre l'Anglais, et à l'aide d'un certain nombre de vérités, bonnes à dire, et qu'il dit fort bien, il apporte, lui aussi, sa part de ciment à Fentente cordiale.

FÉVRIER iriSTOIRi:, l.Il lllliAl l liE, VoYACiES, 1,T( . ''|()

CAMILLE LEMONNIER

Alfred Stevens et son œuvre.

Dans une rapide, légère et profonde élude, le grand écrivain wallon nous raconte la vie de celui u qu'on appehi le peintre de la grâce parisienne et qui avait vu le jour dans la patrie de la santé brabançonne ». Avec une remarquable finesse, il explique comment Alfred Stevens, peintre de la femme, peintre de ses grâces et de ses séductions, a su exprimer « l'aspect le moins dangereux de la féminéité dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle ». 11 faut lire toute cette étude; elle est vrai- ment délicieuse. Elle est suivie des (< Impressions sur la peinture de Stevens », se trouve dénom-' brée la somme des vérités auxquelles se conforma son art et qui pourrait passer pour un catéchisme du peintre. Ayant loué l'auteur de cette étude, il convient de rendre un juste hommage à l'éditeur, M. Van Oest, qui a su faire de ce livre un rare chef- d'œuvre de bibliophilie se trouvent réunies, en quarante-deux planches hors texte, des reproduc- tions desœuvresmaîtresses d'Alfred Stevens, repro- ductions qui sont en elles mêmes de purs chefs- d'œuvre; cette œuvre considérable et précieuse est certainement le plus beau monument que pouvaient rêver pour Stevens ses plus fervents admirateurs.

5o LE MOUVEMENT LITTERAIRE

HENRY ROUJOiN

Au milieu des hommes.

La séduction qui se dégage de ces feuillets, écrits naguère au gréde l'actualité et réunisen un volume, est bien connue d'une foule de lechîurs, et je les ferais sourire si je prétendais la leur découvrir... Comment ne pas dire pourtant le plaisir que j'ai éprouvé à lire ces pages exquises M. Henry Roujon obser-ve les événements, peint les hommes, écrit l'histoire avec tant de verve et d'esprit incisif!

Quelle merveilleuse érudition, soigneusement dissimulée d'ailleurs sous de pimpants atours, quelle connaissance des hommes et des choses dans ces pages d'histoire, de critique littéraire ou de chronique philosophique! Quelle saveur dans ce parallèle si malicieux et si imprévu entre Fénelon et Anatole France! Quelle éloquence dans cette évo- cation d'Athènes et du Parthénon défandu contre le vandalisme des constructeurs; que d'enseigne- ment dans ces réflexions sur les Primitifs français, et quel agrément dans ce tableau pittoresque et attristé de nos trépidantes neurasthénies, dans cette critique bienveillante et fine de notre féminisme, dans cette savoureuse apologie du louis-philippisme, dans cet hommage vibrant au grand journaliste Armand Carrel, dans cette fougueuse défense du

1 KVHIKR^ HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, ETC. 5l

patriolisme !... mais il faudrait tout citeret copier la table des matières, car il ne saurait êlre question de choisir. ..

Avec une ironie verbeuse, spirituelle et jamais malveillante, M. Roujon s'amuse à exprimer ce qu'il y a de comique parfois dans les sujets les plus sévères; avec une gravité souriante, il démêle souvent dans les plus frivoles une haute portée philosophique, et dans tout cela, pas l'ombre de prétention, une familiarité aimable qui met le lecteur tout près de l'écrivain: en vérité, c'est d'un art tout à fait raffiné, et Ton ne saurait dire, en une langue, d'une plus pure et plus souple élégance, des choses plus émouvantes, plus spirituelles, plus gracieuses, plus éloquentes.

r/est du « journalisme » tout à fait supérieur, car, ne l'oublions pas, M. Henry Roujon, ancien directeur des beaux-arts, secrétaire perpétuel de l'Académie des beaux-arts, a tenu à revenir, dès qu'il en a eu le loisir, à co journalisme dont on ne se contente décidément pas de « sortir », mais où, bien au contraire, les plus éminents rentrent avec joie, après une noble et féconde carrière. C'est une constatation agréable à faire, en passant...

52 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

HENRI MARECHAL

Paris, souvenirs d'un musicien.

Il y a des écrivains qui écrivent mal; mais lors- qu'un musicien écrit, c'est toujours délicieux, et ce n'est pas le livre de M. Henri Maréchal qui me fera changer d'avis : Paris, ^souvenirs d\in musicien, devait donc me tenter, et la lecture que je viens de faire n'a pas déçu la tentation. M. Henri Maréchal a revécu sa jeunesse dans ces cahiers où, comme des fleurs séchées, mais encore douces de parfum, il a collectionné ses souvenirs. Il parle' des maîtres qu'il a fréquentés, et dont il a reçu l'enseigne- ment, avec mieux que du respect, avec de la ten- dresse — cette forme de l'amitié qui s'illumine d'émotion, et il nous conquiert à son jugement singulièrement sagace. Tour à tour Léo Delibes, Massé, Bizet, Berlioz, Reber, Bernard, Joncières, passent devant nous, mais les premiers chapitres surtout, l'auteur nous entretient d'un temps qui n'était plus le sien aux années d'adolescence, ces premiers chapitres sont un régal. Il y parle de Paul Henrion, et à ce nom de Paul Henrion, c'est tout une époque qui ressuscite, l'époque des albums de mélodies en tête desquels les crayons les plus romantiques, Devéria, Nanteuil et d'autres, glis- sèrent des lithographies qui souvent sont des chefs-

FÉVRIER HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 53

(l'œuvre. Il me semblait en lisant la prose harmo- nieuse, élégante et simple de M. Maréchal, que j'allais voir apparaître ces douces images sentimen- tales, et ce qui m'a consolé d'avoir sitôt terminé ce petit livre de bonne foi et de cœur, c'est de remar- quer que les souvenirs de M. Maréchal s'arrêtaient en 1870, et que certainement il leur serait un jour donné une suite ; Rome et Paris nous ont mis en goût et M. Maréchal nous doit de continuer ses sou- venirs si attachants.

JULES GOMBARIEU

La musique, ses lois, son évolution.

Pour les gens qui aiment la musique ^^ comme des brutes », sans connaître rien de ses lois ni de ses principes, l'audition d une symphonie qui les émeut et les transporte présente tout l'attrait d'un grand mystère: comment, avec les sept notes de la gamme, un cerveau humain a-t-il pu penser, créer toute cette beauté impalpable? Ce sont des mys- tèresqu'il est très amusant d'étudier, mômesi l'onest assuré de ne les jamais comprendre complètement; elles profanes liront avec grand intérêt le livre que M. Jules Combarieu publie sur la Musique, ses lois, son évolution, dans la « Bibliothèque de philosophie

5^1 LE MOUVEMENT LIÏTÉIJAIRE

scientifique » car M. Corabarieu. bien que très savant, se donne la peine d'être très clair. Pour lui, « la musique est l'art de penser avec des sons », et il développe cette thèse au cours du livre où, après avoir recherché une explication scientifique de la musique qui procède de Tacoustique, de la physio- logie, des mathématiques, de la psychologie, de l'esthétique, de l'histoire et de la sociologie, il étu- die « les rapports de la pensée musicale et de la psychologie », ceux de la musique et de la vie sociale, ceux de la pexis'ée et de la physiologie, et ceux de la pensée musicale et des lois de la nature, non sans nous avoir exposé, avec exemples à l'appui, les lois de la musique, le mécanisme du rythme, les règles du contrepoint, les formes diverses de la composition.

Tout cela une fois bien étudié avec une compé- teuce et une science tout à fait remarquables, il s'agit de conclure. Mais comment conclure? « La musique est rebelle à toute analyse qui veut expli- quer son essence; elle paraît isolée au milieu des arts du dessin et du rythme. Mais s'il en est ainsi, c'est uniquement parce qu'elle a des attaches pro- fondes, et non superficielles avec la vie indivi- duelle, sociale, cosmique. Le mystère qui l'enve- loppe ne vient nullement de sa nature et de son organisation: il vient de la vie elle-même, qu'elle exprime avec une pénétration profonde et sous la forme la plus générale. Elle sort d'un instinct uni- versel et foncier de l'humanité; elle est sentiment

FKVRIER HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 55

et imagination; en même temps elle obéit aux lois qui régissent les choses et les êtres vivants. Si une partie de son secret nous échappe, c'est que celui de la nature nous est impénétrable; alors même que nous le connaîtrions, il ne nous serait pas pos- sible de le formuler avec des mots. » 11 reste donc du mystère dans tout cela, mais il faut sans doute qu'il en soit ainsi, et, à défaut des explications défi- nitives, nous trouvons dans le livre de M. Comba- rieu, en même temps que l'exposé d'une thèse tout à fait intéressante et curieuse, une foule de rensei- :'. gnements historiques et scientifiques présentés ;. dans une très philosophique synthèse.

MEMENTO DU MOIS DE FÉVRIER

R G iM A N s

Alanic (Mme Matliilde). Les Espérances.

Bojer (Jehan). La Puissance du mensonge, traduction de Guy- Charles Gros.

Cambry (Adrienue). Mésalliance, un livre de sentiment et de cœur, en tète duquel M. François Coppée a écrit une cha- leureuse préface.

Corday (Micljel). La Mémoire du cœur. Problème : pendant une absence de l'aimé, la femme s'est abandonnée à une défaillance traîtresse ; l'homme peut-il absoudre ? Dans le livre de M. Michel Corday, il s'agit d'un homme d'intelli-

56 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

gence affranchie et de culture positiviste, qui discute avec lui-même et finit par pardonner. Il fallait tout le talent de M. Mictiel Corday, la finesse et l'acuité de son analyse, la séduction et la force de son verbe varié, sa courageuse logique de conception et les mille caprices de son invention pittoresque et ingénieuse pour nous occuper tout un livre avec une donnée d'apparence si brève.

Dargenty. Voir A. d'Echerac.

Dourliac (A.). Le Joujou de la Dauphine.

Doyle (Conan). Le Crime du Brigadier.

Dumont (Louis). La Louve. « Mœurs de la décadence romaine. »

Echerac (A. d') et G. Dargenty. Mademoiselle de Kerauon^ un joli roman d'un sentiment délicat.

Edgy. Ames inquiètes.

Espinasse-Mongenet (Mme). La Vie finissante, un roman l'auteur nous peint sous des couleurs aimables, familières et gracieuses, de simples et honnêtes âmes villageoises.

Kadore (Pierre de). Le Livre de V Amour et de la Haine.

Kenavo. Sœur Guénolé.

Labour (Jacques;. Plus haut.

Lias (J. de). Le Trésor de Rochemonde.

Lucenay (Henri). La Peine imméritée. Cette « peine », nous dit l'auteur, c'est la vie, car, nous esplique-t-il, dans l'épigniphe de ce livre « les pères devraient chaque jour demander pardon à leurs enfants de leur avoir infligé la vie » ; comme on le voit, cette œuvre ne brille pas par un optimisme ou- trancier, mais sa mélancolie n'est point dénuée de charme, et on lira avec beaucoup d'émotion ce roman bien écrit.

Molin (Aloys de). OEyisthos, une délicieuse évocation de l'anti- quité, par un lettré délicat et érudit, un petit livre tout imprégné d'hellénisme et que l'éditeur a coquettement habillé d'archaïsme.

Nonce Casanova. La Vache, un fougueux roman dans lequel se déroule un drame de lucre, de passion et de terre tout à fait émouvant.

i*dléologue (Maurice). Le Point d'honneur. Dans ce roman, l'au- teur nous conte l'histoire simple d'un gentilhomme pauvre qui se refuse à épouser la femme qu'il aime parce que celle-ci est affligée d'ua bon million de rente ; toutes les supplications, toutes les objurgations de sa bien-aimée le

FÉVRIER HISTOIRE, LI 1 1 ÉlIATl l«E, VOYAGES, ETC. Sy

laissent itjflexible : il aime, m lis le « point d'honneur » ovige qu'il n'épouse point. La femme doit céder devant cette Irrévocable décision et elle se résigne à devenir la maîtresse du gentilhomme ; mais que devient son « point d'honneur » à elle, dans cette affaire ? Cette aventure est agréablement contée par M. Maurice Paléologue, qui la fait suivre d'une courte nouvelle, la Vengeance, tout à fait émouvante, cruelle et passionnée.

l'eyrebrune (Georges de). Les Femmes qui tombent.

Heepmaker. Le Gouffre de la Liberié.

Stevenson (R.-L.). Catriona, traduit de l'anglais par Jean de Nay.

Tolstoï. Pourquoi ? Un recueil de nouvelles et récits traduits par M. Halperine-Kaminski.

Tiîùdouze (Gustave). La Tradition d'amour, roman posthume du regretté romancier.

Vignaud (Jean). La Terre ensorcelée, une poignée de nou- velles dramatiques.

Zuylen de Nyevelt (Baronne Hrh^iie <leV f ^ Chemin du Sou- venir.

HISTOIRE LITTERATURE THEATRE POESIE

POLITIQUE DIVERS

Vlta (Docteur en Sorbonne). LÉvangile de VEsprit « Saint- Jean ». Traduit et commenté en un volume plein d'élo- quence, de poésie et d'inspiration l'auteur entreprend de " redévoiler à notre vingtième siècle la véritable religion de la Raison reliée à la Foi par le verbe de Dieu, Jésus, et par le verbe de Jésus, saint Jean ». Ce livre est dédié : « Au Pape de génie qui haussera l'Église catholique du christianisme matériel au christianisme spirituel. »

Aubry (J.-H.). S. M. Alexandra, reine d'Angleterre, intime.

Bab (Ali). Gastronomie pratique, un savoureux recueil de recettes culinaires, dont la simple lecture vous fait venir

58 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

l'eau à la bouche. Et pour répondre sans doute aux objec- tions des hygiénistes qui dénoncent les inconvénients de la bonne chère, fauteur olfre en post-scriplum de son livre, très joliment édité, Texposé d'une méthode de traitement de Tobé- sité des gourmands : c'est le remède à cùté du mal...

Baillière (Paul). Poètes allemands et Poêles anglais, un vo- lume où l'autedr s'est heureusement acquitté de la tàclie péiilleuse de traduire en vers français des vers allemands et anglais.

Bainville (Jacques). Bismarck et la France, un intéressant volume d'après les Mémoires du prince de Hohenlohe.

Bazalgette (Léon). Emile Verhaeren, une étude parue dans la collection des « Célébrités d'aujourd'hui ».

Belcourt (Victor). La Petite Vie du grand Jean-Jacques Rousseau.

Berthet (.Mme M.). Les V^oix de la Forêt.

Billard (Mas). Les Tombeaux des Rois sous la Terreur. Il y a peut-être quelque arrière-pensée d'ironie chez le docteur Max Billard, lorsqu'il publie en ce moment ses notes docu- mentaires. C'est au lendemain du jour la loi de sépara- tion confie au gouvernement de la République tous les édifices du culte catholique, avec les richesses qu'ils ren- ferment, que l'auteur nous montre de quels pillages la basilique de Saint-Denis fut le théâtre. Nous le suivons, pendant les journées des 6, .7 et 8 août 1793, devant les tom- beaux de Dagobert, de Clovis, de Charles Martel, puis, pen- dant les journées d'octobre, devant les sépulcres de Henri IV, de François I*"", de Turenne, et tous les autres, contre les- quels des énergumènes se ruèrent dans une fièvre de profa- nation et de bouleversement.

Bonnal (Ed.). Les Royalistes contre l'armée (1815-1820).

Boucherit (.Mme Magdeleine). Voir G. Le Faure.

Bouniols (Gaston). La Suppression des conseils de guerre.

Burckhardt (Jacob). La Civilisation en Italie au temps de la Renaissance, traduction de Schmitt.

Gain (Georges). -;- Promenades dans Paris. Les lecteurs du Figaro en ont eu la primeur et connaissent tous le guide abondant et érudit qu'est M. Georges Gain, lorsqu'il les mène à travers les siècles de notre histoire en même temps qu'à travers 'es vieux quartiers de la capitale. Mais le livre

FÉVHIER HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. D\)

ajoute au texte une série de documents graphiques, illustra- tions et plans, (jue le journal ne peut pas contenir et c'est une raison de relire ces page» écrites de verve, et de les signaler, ne fùt-ee que d'un mot parmi les livres à succès de l'année.

Cassagne (Albert). Versificalion el métrique de Ch. Baude- laire. Un livre d'un très vif intérêt l'auteur a voulu « en se plaçant au seul point de vue de la forme versiliée, lixer, non pas le rayg, mais la place occupée par Baudelaire au milieu des poètes de son temps, déterminer les influences (ju'il a subies et les tendances qu'il a représentées ».

€assagne (Albert). La Théorie de l'Art pour l'Art en France, chez les derniers romantiques el les premiers réalistes. Un remanpiable volume d'histoire et de critique littéraires.

Charleville (Kdm.). Voir Alb. Salmon.

Cliollet (Louis). lie fiels sur Houle, l'auteur nous dit les M Heures indulgentes », « les Heures pensives », « une Voix dans la Nuit ».

Olaretiè (Léo). Jean-Jacques Rousseau et ses Amies.

Dampierre (Jacques de). La Couronne de lierre.

DelebctMiue (J.). .1 travers l'Amérique du Sud, une très in'é- ressante relation de voyage l'auteur met sous nos yeux, suivant la par.ole de M. .Marcel Dubois, « l'un des plus gran- dioses aspects de la nature ; une description pleine de véri- tés et de nuances des Andes, de l'Equateur et du Pérou, le vrai géographe trouvera sa pâture dans des descriptions toujours rigoureuses et d'un style merveilleusement sincère ».

Denis (Fr.). Christian Garnier.

Dcrrécagaix (Général). Yusuf, «■ récits d'Afrique ».

Deverin (Edouard). Le Passant qui regarde.

Dutour (Philippe». Paris pittoresque et poétique, célébré /en quatre-vingt-dix sonnets... et quatre-vingt-huit photographies.

Duval (Georges). Londres au temps de Shakespeare.

K*tournelles de Constant (Paul d'). Pygmalion, uii drame d'après A. B;isiliadis, traduction faite par l'auteur,, voilà quelque trente ans « du grec moderne et pour l'amour du grec seulement ». Ou sait que l'éminent sénateur a changé de divertissement : n'aime plus, le sénateur, membre de lu Cour de La Haye, le Grec seulement, mais l'humanité tout entière qu'il s'est mis eu tète de pacilier.

Go LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Faguet (Emile). Le Socialisme en 1907.

Fallois (Comtesse A. de). Les Lettres de direction du Père L... de la Compagnie de Jésus, 1869-1890. En livrant ces lettres au public, l'auteur s'est proposé de « documenter la psychologie sur le rôle et la méthode des Jésuites dans cette direction spirituelle féminine dont ils sont si jaloux et qui a été de tout temps leur principale et redoutable force ». Et elle s'est demandé, tout en constatant la haute vertu et la douce sainteté du Père L,.,, « si les Jésuites sont bien sûrs d'être les compagnons de Jésus selon l'esprit évangélique ».

Gonnard (Philippe). Les Origines de la Légende napoléo- nienne.

Haize (Jean). Un mois en Espagne, « la conférence d'Algésiras. Tanger. Impressions de voyage. »

Hémon (Camille). La Philosophie de Sully-Prudhomme.

Hubert (Paul). Les Horizons dor ; ces poèmes obtinrent l'an dernier, on le sait, le prix Sully-Prudhomme. Ils sont d'une heureuse et noble inspiration, d'un rythme harmonieux et sonore ; et le délicat écrivain, Georges Lecomte, qui a apporté à ces « poèmes du Languedoc » l'appui dune belle et élo- quente préface, dit excellemment qu'en lisant certaines de « ces pièces d'une exquise joie païenne, d'un charme simple et pur, on penserait à la Grèce, aux délicieuses visions de Virgile... si l'on n'était frappé surtout par. l'ardente vie moderne qui se dessine en si fort relief sur l'éternelle beauté des choses ».

Ibsen (Henrik). Poésies, traduction de M. Charles de Bigault de Casanove.

La Bauche (Jean de). A la dérive.

La Nézière (de). Voir G. Le Faure.

Lavisse (Ernest), r- Histoire de France depuis les origines ; 4" Fascicule; tome VII ; 2^ partie, Louis XIV: le Gouver- nement de l'intelligence.

Le Faure (G.V La Journée de Suzy, l'auteur raconte à des petits enfants V « Histoire d'une poupée », que Mme Magde- leine Boucherit agrémente de jolie musique d'un grand charme mélodique et que de La Nézière égayé de spirituelles images.

Lemailrc (Jules). Théâtre, 3" volume contenant l'exquise " Donne Hélène », « VAge difficile » et « les Rois ».

FEVRIER HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, ETC. bl

Lemarcliaiid (Eniest). Le Châleau royal de Vincennes^.

Lenotre (G.). Mémoires et Souvenirs sur la Bévolulion et iEmpire : « Les Massacres de septembre, La Force, l'Abbaye, le couvent des Carmes, le Dossier des Massacreurs. »

Le Roy (Grégoire). La Chanson du pauvre, poésies.

Louboo (Ludovic). De Domrémy à Reims.

Maindroii (Maurice). Dans l'Inde du Sud (Le Coromandel), un livre l'auteur nous fait faire à travers l'histoire, les insti- tutions, les religions, rarchitecturc, l art plasti(|ue et la na- ture de ce pays qui nous est si mystérieux, une exploration fertile en surprises, en agréments.

Masson (Mnurice . Fénelon et Madame Guyon, un bien inté- ressant volume l'auteur, à laide de documents nouveaux et inédits, à l'aide surtout de la correspondance échangée, nous raconte la curieuse et émouvante histoire de l'amitié mys- tique qui s'établit entre « eet ecclésiastique à l'esprit infini et cette femme demi-folle, demi-sainte ».

Mathieu (Cardinal). L'Ancien régime en Lorraine et en Bar- rois [1698-1789;, une œuvre considérable, d'après des docu- ments inéf^lits.

Mony (Docteur A.). Notes d'ambulance (août 1870, février 1871.)

Mouton (Léo). L'Hôtel de Transylvanie, monographie.

Prosbert (Emma). Limoges.

Salmon (Alb.) et Edm. Charleville. Le Maroc, son état écono- mique et commercial, un ouvrage très documenté.

Schneider (René). Rome, <* Complexité et Harmonie, » un livre d'uoe grande séduction, où, sans vouloir épuiser un sujet inépuisable, l'auteur a choisi simplement certains sites, édi- fices ou œuvres d'art (jui « ont le pouvoir de résumer plus fortement ce que la cité de l'Ame a d'universel et d'éternel >♦. Il a essayé, nous dit-il, « en chaque chapitre, de fixer un accori et de fondre tous ces accords en une souveraine har- monie qui est Rome : Rome, la cité historique par excel- lence, celle chaque pas vous communique des pieds à la tète le sentiment quasi olympien de l'évolution, les con- tradictoires se fondent ». Et la promenade qu'il nous fait faire pour nous expliquer cela est toute remplie de séduc- tion, d'enseignement et d'émotion profonde.

Sonnenfeld (Nandor). Les Sentiments, un recueil de vers

4

62 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

français, œuvra d'un jeune poète hongrois. L'audace et l'originalité de cette teQtdtive sont faites dès l'abord pour lui concilier toutes les sympathies ; ne croyez pas pourtant que M. Sonnenfeld ait besoin d'indulgence : rien ne vient trahir son origine dans la forme de son vc^rs au style pur, à la rime et au rythme harmonieux et corrects; elle appa- raît, c'est dans l'inspiration de ces petits poèmes qui ont une pénétrante saveur de terroir et dans lesquels la mélan- colie légendaire des poètes magyars vient estomper un peu l'éclat d'un enthousiasme et d'une fougue ardents et juvér niles.

Stourdza (Alexandre A.-C). Histoire diplonialique des Rou- mains. Ptègne de Michel Stourdza, prince de Moldavie (1834-1849).

Tolstoï. Correspondance inédite, une traduction très serrée et très intéressante de J.-W. Bienstock.

Vannoz (Léon). Poèmes.

Wagner (Charles). Sois un homme ! « simples causeries sur la conduite de la vie ».

Wilmotte (Maurice). Trois semeurs d'idées : « Agénor de Gas- parin, Emile de Laveleye, Emile Faguet. »

MARS

LES ROMANS

ROMAIN ROLLAND Jean Christophe.

LA REVOLTE

Une des œuvres les plus absolument belles de ce temps, Jean Christophe, est aujourd'hui achevée. M. Romain Rolland a publié, cette année, le qua- trième et dernier volume de cette tétralogie : après <( TAube », « le Matin », « l'Adolescence ^), c'est « la Révolte ». Je ne puis oublier l'émotion que j'ai éprouvée lorsqu'il y a deux ans, je me suis trouvé en face de ce premier volume à l'aspect assez peu engageant, aux lignes serrées, aux chapitres dénués

64 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

de ces titres qui tentent la fantaisie du lecteur ou flattent sa paresse ; non sans appréhension j'en commençai la lecture, je fis connaissance avec Jean Christophe, nouveau-né vagissant dans son berceau, et de page en page ce fut un émerveil- lement, une joie, une indicible émotion.

Les deux volumes qui suivirent cette aube, œu- vres sincères et fortes nous vîmes Jean Chris- tophe enfant, puis adolescent, ne me parurent pas aussi complètement admirables (mais aussi, quelle audace de commencer un roman en quatre volumes par un chef-d'œuvre !) mais le quatrième qui ter- mine l'œuvre, « La Révolte », est, je crois bien, presque aussi beau que le premier. C'est l'histoire des luttes de Jean Christophe contre son milieu, contre son temps, contre l'art de son pays : art men- teur, traditionnel et si inférieur à celui qu'il sent bouillonner en lui, car la modestie est le moindre défaut de Jean Christophe mais les hommes de génie sont rarement modestes et les jeunes gens qui auront du génie ne le sont jamais, et Jean Chris- tophe va de déboires en déboires : on se venge, sur sa musique, qu'on ne comprend pas, des outrages dont il couvrit la musique allemande et ses idoles ; il se brouille avec le grand duc, son protecteur, avec ses amis eux-mêmes, et, après avoir entre temps noué quelques platoniques intrigues avec une juive de la haute société allemande, une petite actrice française et une institutrice qui ne dit pas son nom et qu'on ne revoit pas, et après s'en être

MARS LES ROMANS 65

allé, tout désemparé et le cœur meurtri, vers le vieux maître Hassler, dont il a gardé un si chaleu- reux et si émouvant souvenir, qui le repousse dure- ment, et vers Schulz, auprès duquel il trouve le réconfort d'une chaude et compréhensive tendresse, Christophe, étouffant dans sa petite ville, souhai- tant de plus vastes théâtres, attiré par toutes les lumières de Paris, s'en va vers la grand'ville, aban- donnant la bonne Louisa Kratît, sa mère, toujours indulgente, aimante et résignée...

J'ai voulu retracer d'un mot tous les épisodes de ce livre ; chacun d'eux es( développé par M. Romain Rolland avec un art magistral : le récit de l'entrevue de Jean Christophe et de l^eter Schiilz, notamment, est une page admirable, d'un sentiment exquis et d'une puissance d'observation et d'évocation vrai- ment prodigieuse. D'ailleurs je serais bien vite à court.si je voulais qualifier tout ce qu'il y a de beau et de supérieur dans ce livre M. Romain Rolland en discutant musique (car ce n'est qu'une longue discussion musicale) a fait une œuvre si belle et si haute de si poignante humanité.

Mais pourquoi diable, ayant écrit un aussi noble livre, M. Romain Rolland a-t-il cru devoir dauber la plus grande et la plus admirable des tragé- diennes de ce temps en deux pages qui sont vrai- ment d'une critique bien inférieure? C'est injuste, c'est inutile, et cela fait plus de tort, je crois, à l'auteur de ce beau livre qu'à l'admirable tragé- dienne.

<)6 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

ANDRE MAUREL

Poème d'Amour.

Le titre Poème d'amour, que M. André Maurel a donné à son dernier roman, avait de quoi sur- prendre un peu ses lecteurs habituels qu'il n'a point accoutumés à tant d'amour ni à tant de poésie. M. André Maurel passerait, en effet, difficilement pour un sentimental et son émotion se tourne vite en ironie. Aussi bien Poème d'amour est-il sur la couverture du livre une manière d'épigramme : ce poème est tout fait en prose, et cet amour est de ceux dont on ne meurt pas. Si elle ne nous réserve pas d'émotion forte, l'histoire de Pierre Duras l'étudiant et d'Odile la charmante veuve nous donne des moments tout à fait agréables, et après tout, cela ne vaut-il pas mieux? Vraiment le livre est tout à fait amusant. Rien de plus simple, rien de plus banal que cette histoire de deux amou- reux obligés à la séparation par les convenances et les nécessités sociales et qui sagement se résignent ; mais, autour de cette histoire, M. André Maurel a réussi à bâtir un roman séduisant, d'une verve très spirituelle, très mordante et un tantinet philoso- phique.

MARS LES ROMANS 67

EMILE MOSELfA

Terres Lorraines.

Dans Terres lorraines, M. Emile Moselly nous dit, avec une émotion poignante, l'aventure de Pierre Noël, le fils du vieux pécheur lorrain, qui, tour- menté par des désirs sauvages d'indépendance et de liberté, sentant gronder en lui l'instinct des ancêtres nomades, abandonne la terre lorraine, si douce pourtant, si séduisante, et à laquelle l'auteur chante un hymne émouvant. H la quitte, laissant les siens dans le désespoir et causant la mort de la douce fiancée abandonnée au pays. Pour lui, il s'en ira au loin, sur un chaland Reine des Eaux, qui fait le tra- fic de Lorraine en Flandre, il ira vers des villes inconnues et vivra de la vie large des tribus er- rantes qui ne s'attachent point à leur sol. Point de thèse dans ce livre, on sent bien que l'auteur désap- prouve son héros, qu'il plaint ses victimes, qu'il le plaint lui-même, mais il s'abstient de conclure, ce n'est qu'un tableau très émouvant, très expressif.

AUGUSTE GERMAIN

Frôleuses.

Notre pauvre humanité n'apparaît pas très noble dans le livre que M. Auguste Germain publie sous

68 LE MOUVEMENT LirTERAIRE '

le titre assez significatif de Frôleuses. Certes, elle n'est pas noble, mais elle est bien amusante, et on ne saurait s'ennuyer un instant dans la compagnie des capiteuses héroïnes de M. Aug. Germain ; on ne s'ennuie pas, mais on peut s'exaspérer; quelques- uns des messieurs qui se sont laissé prendre à rimpitoyable coquetterie de ces frôleuses en font la dure expérience, et la comédie tourne un instant au drame, ou plutôt elle le « frôle » seulement, car M. Aug. Germain est bien trop Parisien pour rien prendre au tragique, et son histoire cynique se ter- mine le plus décemment du monde, après avoir pendant trois cents pages égayé, diverti, et parfois oh ! bien rarement î ému et après avoir réalisé toutes les affriolantes promesses du joli dessin de Guillaume qui orne la couverture.

AIGUEPERSE

Mona.

Un peu de candeur et de naïveté après tout ce fard et cet artifice : voici Mona, une ravissante figure de jeune fille que M. Aigueperse nous présente en un roman dialogué ; c'est ingénu et virginal, et c'est en même temps amusant et spirituel au possible. La découverte de Paris par cette petite fille espiègle,

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ses réflexions prime-sautières, ses étonaeinents, ses inquiétudes, l'éveil de son cœur à Tamour, tout cela est raconté avec infiniment de délicatesse, de grâce et de verve. Le roman est dédié à Théodore Botrel qui lance son filleul à travers le monde avec ce viatique :

* Sois gai ! Va prouver à la ronde Que la vieille Gaule est toujours La Vclillante et rieuse blonde, Fidèle aux anciennes amours.

GUSTAVE AMIOT

Femme de peintre.

Femme de peintre met en scène, avec beaucoup d'agrément, de vigueur et d'émotion, un ménage disparate la femme n'est pas autre chose qu'une épouse aimante et une mère parfaite, tandis que le mari est un artiste, c'est-à-dire, par définition : un époux volage, un bohème incorrigible, un père in- différent, etc.. La thèse est peut-être un peu bien convenu.e; il se trouve dans le monde de grands artistes qui ont été des maris et des pères de fa- mille admirables; rendons cette justice à M. Amiot que le cas dont il nous parle est tout de même plus ■fréquent. D'ailleurs le dénouement de son livre

70 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

laisse la porte ouverte à toutes les espérances d'ave- nir pour ce ménage tourmenté, un providentiel accident d'automobile ayant jeté le mari dans les bras de sa femme. Le roman est, en tout cas, bien écrit, émouvant et vivant.

CLAUDE FARHERE

L'homme qui assassina.

Il n'est pas en notre .temps de fortune littéraire qui ait été plus brillante et plus rapide que celle de M. Claude Farrcre. Ce marin qui débuta dans les lettres il y a trois ans à peine est aujourd'hui écrivain célèbre; le public se souvient de sa trou- blante et angoissante Fumée d'opium; de ses diabo- liques et terribles Civilisés, et il attend désormais avec confiance les émotions fortes et les frissons que ne sauraient manquer de lui dispenser ses œuvres à venir. L'Homme qui assassina ne trompe pas cette confiance. Le titre, déjà, dont le sens reste mystérieux jusqu'aux dernières pages, vous oppresse d'une vague et dramatique inquiétude pendant tout le cours du roman.

Ce roman, c'est le journal d'un attaché militaire à Constantinople, le noble et généreux colonel marquis Renaud de Sévigné-Montmoron, lequel

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note au jour le jour ses impressions sur le corps diplomatique installé à Stamboul, sur les choses, sur les gens, sur la ville elle-même. Dans ce décor merveilleux, c'est un défilé, amusant au possible, de Turcs pittoresques et sympathiques tel ce Mehmed-pacha qui réhabilite la police et l'espion- nage politi([ue par sa vaillance et par sa belle allure, et d'Européens beaucoup moins sympa- thiques, tel ce Narcisse Boucher, un délicieux type d'ambassadeur auquel ses millions n'ont pas su donner la « race » ; tels ces représentants de la Banque et de la Régie, vautours civilisés de la bonne et patiente Turquie ; telles encore des péronnelles de Russie, d'Autriche et d'ailleurs. Tout cela est dune animation, d'une couleur, d'un agrément extraor- dinaires ; on sent que l'auteur connaît à merveille la vie des diplomates à Constantinople, qu'il a pé- nétré mille détails intimes de l'existence turque, dont il nous offre un tableau vraiment saisissant. Cependant nous gardons cette angoisse dont je par lais tout à l'heure, nous sentons que nous côtoyons un drame terrible et que nous allons à un dénoue- ment formidable; un malaise indicible nous em- pêche de goûter tout l'agrément du spectacle et c'est presque un soulagement pour nous lorsque ce drame éclate, empoignant, douloureux, terrible ! C'est un soulagement aussi pour nous que le crime généreux de « l'homme qui assassina ». Je n'es- sayerai pas, d'ailleurs, de vous conter cette histoire empoignante. Il faut la laisser dans le décor émou-

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vant Ta placée M. Claude Farrère, qui nous la fait vivre, avec cette âpreté, cette vigueur, cette violence dont est fait son très curieux et très rare talent.

LEON DE TINSEAU

La clef de la vie.

Un peu de calme et de sérénité après cette tour- mente : voici un roman nouveau de M.Léon de Tinseau, la Clef de la vie. M. Léon de Tinseau ne veut nous infliger ni terreur, ni angoisse, son désir est de nous divertir, de nous émouvoir et de nous charmer. 11 y a réussi souvent supérieurement dans des œuvres dont la fortune fut prodigieuse, telles Ma Cousine Pot-au-Feu, Bouche close et tant d'au- tres. La Clef de la vie fera bonne figure dans cette œuvre déjà considérable : c'est un roman infiniment agréable et il y a une très fine et très jolie psycho- logie dans l'histoire de ce Jacque Le Tonturier, ce « sans cœur » un peu honteux lui-même de son affreux égoïsme si souvent vitupéré et qui est en réalité le meilleur garçon de la terre, ainsi que le démontre l'aventure il trouve « la clef de la vie » c'est-à dire l'amour! Tout cela n'est pas dénué d'un grain de philosophie ser,eine; c'est surtout

MARS LES ROMANS 78

charmant, aimable, spirituel, empreint d'une douce et saine émotion.

QUILICUS ALBEnTÏNI

Chercheur d'amour.

M. Ouilicus Albertini, en dédiant à M. Emmanuel Arène ce Chercheur damow\ espère que son nou- veau-né trouvera dans ce seul nom d'Arène w un berceau très parisien dont les dentelles de prix pourraient ménager à ses balbutiements la sympa- thie du public ». Il a bien raison, et l'on ne saurait exprimer plus délicatement le sens et le prix d'un tel parrainage. Ajoutons que le livre en est digne et que le filleul fait honneur à son parrain : il est en effet bienséduisant, ce roman du chercheur d'amour, lequel s'appelle tout bonnement ! Théodore Percecœur, et s'en va, paré de toutes les grâces de l'esprit, de la beauté et de la richesse, à la recher- che de l'idéal et éternel amour. Il y met une bonne volonté et une vigueur admirables, aime et se fait aimer dans les cinq parties du monde, connaît auprès de Marcelle Bergerat, de Fiora d'xVnnunzio, l'Italienne, de miss Cécile Cromwell, la milliar- daire américaine, de Dorothée, l'Allemande senti- mentale, de Linda Stromirofï, la Russe poitrinaire, de la marquise Juanita de Morenos, l'inconstante

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^/| LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Espagnole, puis, tour à tour, auprès d'une Arabe, d'une Egyptienne, d'une Turque, d'une mousmé japonaise et j'en passe, car je veux en passer et neveux pas tout dire, les joies éphémères elles déceptions éternelles de l'amour; sans se décou- rager, il fait encore quelques loyaux essais avec Mme Bardin, une jeune veuve ; Louise Martin, une petite lingère quil épouse ; Jeanne Laurier, roma- nesque qui le trompe et qu'il tue pour châtier son infidélité ; Carmen Sabrier, une actrice, et enfin, déplorable conclusion d'une vie de don Juan, avec la terrible courtisane Satanina qui le conduit au désespoir, à la ruine et à la mort. Ainsi se termine en un dénouement tragique cette herculéenne course à l'amour dont M. Quillicus Albertini retrace éloquemment les impressionnantes péripéties.

ALFRED CAPUS

Histoires de Parisiens.

Les amateurs de « spectacle dans un fauteuil », c'est-à-dire les gens qui préfèrent leur fauteuil au spectacle, leur rêve au décor et la vie aux acteurs, marqueront ce mois de mars d'un joli caillou blanc : un auteur dont on voit plus souvent le nom sur les

MARS LES HOMANS 'jO

afiiches des colonnes Morris qu'à la devanture des librairies, un des maîtres du théâtre contemporain, un des plus charmants, un des mieux aimés, Alfred ('apus, publie un livre ; ce triomphateur de la scène abandonne un instant les planches, se dérange pour ces casaniers et vient non pas attiser quelque regret en leur lisant ses pièces dès longtemps applaudies, mais leur conter des histoires toutes neuves, des Histoires de Parisiens. Le public ordi- naire d'Alfred Capus ne manquera pas d'en profiter, si bien que, pour une fois, tout le monde peut-être sera content. Marquez, vous dis-je, ce mois d'un caillou blanc.

Histoires poignantes, histoires comiques, ces his- toires de Parisiens : romans faits avec ce rien qui s'appelle aussi la réalité quotidienne, héros mé- diocres qu'on rencontre tous les jours, ressemblant à la plupart d'entre nous, aventures qui arrivent à tout le monde ; et, de temps en temps, un mot, un trait qui porte la marque d'un seul, une rétlexiou trahissant l'existence d'une sensibilité profonde, d'une conscience créatrice, d'un homme ayant organisé pour nous la beauté mélancolique des choses...

HISTOIRE, POLITIQUE, DIVERS

PHILIPPE GONNARD

Les Origines de la légende napoléonienne.

Les Origines de la légende napoléonienne, «l'œuvre historique de Napoléon à Sainte-Hélène », tel est le titre d'un travail d'une conception tout à fait curieuse M. Gonnard a voulu étudier la part que Napoléon a prise personnellement à la formation de la légende; il n'a donc voulu étudier « l'œuvre de Napoléon à Sainte-Hélène qu'autant qu'elle a servi de base à la légende napoléonienne ». La lé- gende napoléonienne, pour M. Gonnard, est faite des intentions, des motifs que prêtent au Grand Empereur les historiens, les écrivains libéraux et bonapartistes. Pour eux, « Napoléon a été le repré- sentant convaincu, désintéressé des principes de 89 »... « Adepte des idées libérales, il ne fut die-

MARS HISTOIRE, POLITIQUE, DIVERS 77

tateur que par nécessité »... « De tempérament pacifique, il a été perpétuellement contraint à la guerre par la coalition européenne ».

Tout cela ou presque tout cela c'est de la légende pour i\l. (jonnard,et toute cette légende, ou presque toute, a été préparée de toutes pièces par Napoléon l^' à Sainte-Hélène. La thèse est, on le voit, fort ori- ginale; si elle est exacte, elle est faite pour donner une fière idée du proscrit de Sainte-Hélène qui , après l'épopée, après la défaite, songe encore avec tant de sang-froid, de clairvoyance et d'astuce à forger une légende dont profiteraient dans un avenir lointain les héritiers de son nom. C'est une thèse contestable, elle est développée dans le livre de M. (lonnard avec beaucoup d'ingéniosité et une très brillante documentation.

FRÉDÉRIC iMASSOIH

Napoléon et sa famille. * « 1812-1813 >)-« 1813 1814 »

M. Frédéric Masson continue la publication de son œuvre si belle et si émouvante, Napoléon et sa famille, en deux volumes : « 1812-1813 » et « 1813- 1814 ». Il n'est plus question de cette « légende napoléonienne » dont nous parlait M. Gonnard et

78 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

qui aurait été forgée par l'Empereur lui-même; c'est aujourd'hui l'histoire, l'histoire fervente, plus belle et plus émouvante que toutes les légendes du monde, appuyée sur une science et une documen- tation incomparables.

Quelle émotion, quelle angoisse douloureuse dans ces pages ! C'est que nous approchons du dénouement tragique, nous sommes à l'instant dou- loureux où tout dénonce l'imminence de la catas- trophe. La responsabilité de cette catastrophe in- combe, selon M. FrédéricMasson,aux membres de la famille impériale, qui, eux et leur descendants, ont tout fait pour jeter une obscurité profonde sur la part qu'ils avaient prise à la chute de Napoléon. Voilà bien l'envers de cette légende napoléonienne dont parlait M. Gonnard. Pour M. Masson, on s'est, durant un demi-siècle, « efforcé, par un travail mystérieux, savant et surtout persévérant, de fausser l'histoire au détriment de Napoléon et au profit de ses frères ».

L'éminent historien se réserve de l'établir; en attendant, il fait le procès de Joseph, de Jérôme, de Murât et d'Eugène, dont la responsabilité est lourde, mais qui ne sont point seuls d'ailleurs responsables de la catastrophe.

Celle-ci a d'autres causes bien plus lointaines, et historiquement bien plus graves, car « la chute de Napoléon en 1814, n'a point été le renversement d'un homme ou d'une dynastie; elle n'a pas été pour la France unéchectel qu'une nation le répare

MARS HISTOIRE, POLITIQUE, DIVERS 79

OU dont elle se relève. Elle a été l'abaissement de la France comme puissance directrice et, en même temps que de la France, la subordination à l'An- gleterre de la race latine et deTEurope entière.

« Napoléon n'est pas seulement «< le professeur d'énergie » que vénèrent les représentants les plus distingués de la génération qui suit la nôtre ; il n'est pas seulement l'exemple déterminatif du héros; pas seulement l'homme en qui la fortune a montré ses prodiges, élevant et abaissant tour à tour sa destinée pour la rendre la plus enviable et la plus lamentable qu'aient enregistrée les annales du monde; il n'est pas seulement l'admirable ouvrier qui, des débris de deux Frances, a édifié cette France nouvelle, battue depuis un siècle par toutes les tempêtes et encore debout; il est l'incarnaliou même d'une politique nationale, aussi vieille que notre France; il en fut le dernier soldat; il en a été le martyr. »

Un historien animé de tant de conviction, en proie à un tel enthousiasme et à une telle douleur, peut-ii être d'une parfaite impartialité ? On serait tenté d'en douter. On aurait tort: avec une cons- cience qui va jusqu'à la minutie, il met sous les yeux de son lecteur tous les faits, tous les docu- ments, tousies arguments qu'unelongue, patiente et fervente étude lui a révélés; et c'est une magistrale et passionnante leçon d'histoire napoléonienne.

80 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

JACQUES BOULENGER

Les Dandys.

Après Napoléon, Louis-Philippe et ce « louis- philippisme » dont M. Henry Roujon nous parlait naguère avec une verve attendrie : voici les Dandys qui s'illustrèrent « sous Louis-Philippe » et dont M. Jacques Boulenger nous conte les exploits en un charmant volume.

Cette évocation de la vie parisienne, au temps le Palais-Royal fut détrôné par le Boulevard, est d'un agrément prodigieux; vraiment il devait faire bon vivre à cette époque surannée et charmante Ton était si gai, si pimpant, l'on savait faire des choses inutiles et perdre son temps avec grâce.

Dans une jolie préface, M. Marcel Boulenger nous dit ses regrets de n'avoir pas vécu en ces temps, et la mélancolie que lui inspire notre mo- derne utilitarisme; on comprendra ces regrets et celte mélancolie lorsqu'on aura suivi M. Jacques Boulenger dans ses visites chez les dandys, chez ce George Brummel « qui devint extraordinairement illustre tant il s'habilla bien et tant il sut se montrer insolent; chez ce prestigieux comte d'Orsay, son émule au Jockey-Club naissant et au café de Paris; chez Alfred de Musset; chez cet étrange Milord l'Arsouille, roi du Boulevard; chez le fashionable

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Eugène Sue, et le magnanime Barbey d'Aurevilly enfin, discourant et paradant, orgueilleux et cambré, superbe ».

Toute cette époque, toutes ces figures, M. Jacques Boulenger les connaît à merveille, et d'une plume alerte il les fait revivre en un livre infiniment amusant et instructif.

D^ MARCEL RIFAUX

Les conditions du retour au Catholicisme.

M. le docteur Marcel Rifaux se préoccupe vive- ment de la crise que traverse le catholicisme; on n a pas oublié sans doute l'œuvre qu'il publia naguère sous le titre r Agonie du catholicisme. 11 poursuit avec angoisse l'étude de cette redoutable question, et pour s'éclairer lui-même il a posé à un certain nombre de sommités catholiques les questions suivantes :

<( Cette crise intellectuelle est-elle simplement une crise de laborieuse adaptation, par consé- quent transitoire, et de Tissue de laquelle le catho- licisme peut espérer un surcroît de vie?

u Ou bien, au contraire, est-elle une crise d'épui- sement de laquelle, humainement parlant, le catho- licisme ne saurait se relever?

« Dans la première hypothèse, quels sont les

82 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

moyeûs à mettre en oeuvre pour dénouer cette crise et précipiter le retour au catholicisme ?

« Dans la seconde hypothèse, que garderons-nous du catholicisme et par quel équivalent pourrons- nous jamais le remplacer?

Et il publie les réponses qui lui furent faites par MM. P. Beudant, Paul Bureau, M. Deslandes, Ch. Dunan, G. Fonsegrive, d'Haussonville, et tant d'autres, en un volume paru sous le titre : les Con- ditions du retour au cathoticisme; il les fait précéder de quelques études personnelles sur les difficultés d'ordre politique et social, la crise intellectuelle. Toutes les recherches qu'il a faites, toutes les réponses qu'il a reçues, n ont point apaisé son an- goisse, bien au contraire, et le fait que quelques- uns de ses correspondants aient hésité à lui répon- dre, par crainte de difficultés, lui inspire cette réflexion : « Quand les consciences sont à ce point asservies qu'elles n'osent ou ne peuvent pas faire usage de leur liberté, il serait vain de dissimuler la gravité de la crise dont elles souffrent. »

THÉODORE DE LA RIVE

Vingt-cinq ans dévie catholique.

Voici cependant qui est fait pour rassurer les caliioliaues et leur donner foi dans i'avenir :

MARS HISTOIRE, POLITIQUE, DIVERS 83

iM. Théodore de La Rive publie un livre, Vingt-cinq ans de vie catholique, qui n'est qu'une longue exal- tation du dogme catholique et des pratiques du catholicisme, parlant tour à lourde l'autorité de l'Eglise et de l'infaillibilité du Pape, de l'enfer, du purgatoire et de la prière pour les morts, des beau- tés de la liturgie et du culte exlérieur, du culte intérieur, de la prière individuelle, de la communion des saints, de la dévotion à l.i sainte Vierge, de la confession, des sentiments d'égalité et de fraternité produits par le culte catholique, M. de La Rive dit les beautés de sa foi et fait en somme le plus ardent pro- sélytisme; il ne s'en défend pas, il s'en fait gloire u J'ai raconté, dit-il, dans un précédent volume De Génère à Borne, le long travail de conscience qui, de l'Eglise protestante de Genève, j'avais vécu vingt cinq ans, m'a conduit dans l'Eglise catholique romaine, j'achève ma vingt-cinquième année ; je veux donner aujourd'hui la vision rapide de ce foyer de pure lumière qui n'a pas cessé un seul instant, pendant des années souvent difficiles, d'éclairer, de réchauffer, de ranimer mon pauvre cœur. Je puis le dire sans aucune exagération : j'ai véritablement « vécu » de ma foi catholique. » Et, faisant appel à ses anciens coreligionnaires à qui il dit simplement : u Venez et voyez », il con- damne une fois de plus son ancienne religion ; le protestantisme, laquelle n'est à ses yeux qu'un ratio nalisme mitigé.

84 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

CAMILLI^ PELLETAN

Victor Hugo homme politique.

M. Camille Pelletan a voulu être et il est un polé- miste redouté, un orateur éloquent dont les traits acérés n'épargnent personne et dont l'influence est grande au Parlement ; il a voulu être et il a été ministre de la marine et quel ministre ! il veut bouleverser au gré de sa fantaisie notre légis- lation fiscale, et sans doute avec quelque effort il y parviendra. Il est permis de dire pourtant qu'il a manqué sa vocation, car il aurait pu être tout sim- plement un très bon écrivain, ce qui aurait été infiniment préférable pour la marine, pour les par- lementaires, pour la législation fiscale, et pour lui- même !...

Je me faisais ces réflexions en lisant le très solide et très éloquent ouvrage qu'il a publié sous le titre Victor Hugo homme politique, et qui est un livre d'histoire, fort partiale à vrai dire, mais d'une su- perbe allure.

Conduit par son sujet autant que par ses goûts à parler politique, M. Camille Pelletan ne s'en fait pas faute, vous le pensez bien, et sa politique a toute la véhémence, toute fâpreté que vous pouvez supposer; mais il veut être aussi un historien, car « toute l'histoire du siècle est mêlée à la vie du

MARS HISTOIRE, POLITIQUE, DIVERS 85

poète qui en a été la gloire la plus éclatante », et il y réussit supérieurement; autour du grand poète, il a bâti une histoire de la vie publique et parlementaire de 1819 à 1885, d'une condensation, d'une vigueur et d'un intérêt extraordinaires.

Le but qu'il poursuit, c'est d'expliquer les varia- tions politiques qui ont conduit Victor Hugo, pair de France et légitimiste, à devenir le champion de ladémocratie.Ces variations qui furent si éclatantes, car il a *< marqué chacune des opinions qu'il traversa par des chefs-d'œuvre vivants dans toutes les mé- moires )),on les lui a reprochées violemment ; pour M. Pelletan, ce sont ses plus beaux titres de gloire; mais il ne lui suffit pas d'en faire l'apologie, elles méritent à ses yeux (^ un examen attentif et une analyse aussi attentive que possible ; cet exa- men et cette analyse ont un intérêt d'autant plus grand qu ils ne se rapportent pas seulement à l'his- toire du plus grand génie de notre temps, ils embras- sent l'histoire de notre temps lui-même».

Pour écrire cette histoire, M. Pelletan a divisé la vie de son héros en trois périodes : la première s'étend de 1819 à 1830 ; la seconde, de 1830 à 1851 ; la troisième, de 1851 à 1885; ces dates sont assez expressives par elles-mêmes. Dans la première pé- riode, c'est le poète qui, peu à peu, insensiblement, est conquis par l'idée de république ; la seconde période nous montre l'évolution terminée et le poète devenu définitivement homme politique, l'un des u quelques grands orateurs politiques qu'ait eus

86 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

la France en ce temps » ; dans la troisième, enfin, c'est la proscription, la gloire définitive, Tapothéose. « Pendant ces dix-neuf années de proscription, le rôle de Victor Hugo est d'attacher au despotisme une flétrissure immortelle, de donner à l'idée répu- blique l'éclat de sa gloire, de mêler à ses chefs- d'œuvre un enseignement démocratique, d'habi- tuer la France à unir indissolublement l'admiration pour le génie et le culte de la liberté ».

On le voit, M. Camille Peiletan dans son rôle d'historien ne dépouille pas le vieil homme, il parle politique et de façon à blesser même quelques consciences, mais du moins le sentiment qui l'ins- pire est celui d'une généreuse admiration, cela re- pose un peu des dénigrements constants auxquels il nous a habitués. J'ajoute que son livre témoigne d'une merveilleuse connaissance de l'œuvre de Vic- tor Hugo. Il ne se contente pas, en effet, d'étudier et d'analyser ses discours parlementaires, mais il est allé chercher dans ses romans, dans ses drames, dans ses poèmes, la trace de ses opinions succes- sives, et ainsi il nous a donné une page d'histoire politique et littéraire d'une intense originalité et d'une haute portée philosophique.

MARS HISTOIRE, POLITIQUE, DIVERS 8^

MEMENTO DU MOIS DE MARS

ROMANS

Barrie (J.-M.). Margaret Oyilvij. Traduction de M. Robert d'Humières.

Bernède (xVrthur). Les Mémoires d'une masseuse, « roman pas- sionnel ».

Bertheroy (Mme Jean). Sybaris. L'auteur, qui possède à un si haut degré l'art de f.dre revivre le passé lointain et d'évoquer la splendeur et la grAce des cités disparues, fut rarement mieux inspirée que dans sou roman antique, Syba- ris, où, dans le décor merv«!illeux, tout teinté de rose, de la cité voluptueuse, tanieuse entre les villes grecques, elle nous fait assister à un drame poignant, tumultueux, compliqué, drame de passion, d'amour et de sagesse aussi, i)uisqu'on y voit Pytlj;igore aimé, pour sa science et pour son génie, et préféré à Philippe, le «jeune premier;) c'est comme chez les Bouffons de Zamacois : l'esprit qui triomphe de la beauté.

Boissière. Le Crime de la rue Boissière.

Bulwer-Lytton (sir Edward). Ernest MaUravers, publié dans la collection des Meilleurs romans étrangers.

Ducoté (Edouard). L'Amour sans ailes. Ah 1 certes non, elles n'ont pas d'ailes les amours de Laurent Herbier et de Pau- lelte, la petite chanteuse de café-concert, elles ne planent pas très haut au-dessus des mille petitesses de la vie ; la question d'argent revient bien souvent dans ce livre, et on y voit bien vite la gène engendrer l'adultère.

Tout cela sans doute est très réel, mais ce n'est point gai;- ne nous frappons point cependant, et contentons-nous de goûter l'agrément très vif du roman sans trop nous préoc- cuper de sa moralité, si l'on peut dire !

Eriez (Jean). Ceux de Villaré. Un roman de mœurs villageoises nos paysans ne sont pas ménagés.

88 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Formout (Maxime). Les Mauvaises Maîtresses, un recueil de nouvelles,

Ghistelles (Voos de). A travers le prisme.

Gœtlie. Werther. Traduction nouvelle, par Mme Bachellery.

Lermontoff (Michel). Le Démon. ^

Maîzeroy (René). Yette, mannequin. Un roman l'auteur nous raconte l'aventure d'une de ces petites poupées de Paris dont le périlleux métier consiste a revêtir sur leurs épaules les robes somptueuses destinées aux belles madames, et qui risquent fort d'être très malheureuses et de tourner très mal; c'est ce qu'explique, dans une très jolie préface, notre ami, Pierre Valdague, c'est la thèse que développe avec beau- coup d'agrément et d'émotion M. Maizeroy dans un roman élégant, douloureux, rempli, de fines observations, parfois terriblement audacieux, mais toujours intéressant et amusant.

Mason (A.-E.-W.). Les Quatre Plumes, « roman pour la famille », traduit de l'anglais par Pierre Nozan.

Mauzens (Frédéric). Le Coffre- fort vivant.

Moore (George). Esther Waters. « Collection des meilleurs romans étrangers. >.

Morel (Emile). Les Gueules Noires. Préface de M. Paul Adam.

Morsang (Alain). Le Lierre.

Nief (Fernand). Le Chemin de l'amour.

Rod (Edouard). LOmhre s étend sur la montagne. J'ai à cœur de saluer d'un mot ce très beau et très noble livre ; je veux dire seulement l'émotion profonde qu'il m'a fait éprouver, et. aussi la satisfaction que j'ai ressentie à voir évoluer dans un roman moderne des héros aux âmes généreuses, aux sentiments élevés qui meurent^ et souffrent, non pas de la vilenie de leurs instincts, mais de l'élévation, de la probité supérieure de leurs sentiments. On a beau dire, puisqu'on fait partie de l'humanité, il est agréable de la voir parfois dans les livres, empreinte de quelque noblesse et de quelque beauté ; c'est agréable et c'est rare.

Saint-Point (Mme Valentine de). Un Inceste. L'auteur poursuit dans ce volume dont je voudrais dire toute l'àpre et forte valeur sa « Trilogie de l'Amour et de la Mort » ; le sujet en est terriblement délicat et Mme Valentine de Saint-Point, sans y mettre d'ailleurs la moindre intention de scandale, le traite avec une paisible audace...

MARS HISTOIRE, POLITIQUE, DIVERS 89

Serdana (F.) et H. de Vl.irainck. Ames de mannequins, « ro- man de mœurs modernes ».

Sienicka (Léonia]. /1m delà du présent.

Teramond (Guy de). Une maîtresse juive, un curieux roman d'amour moderne.

Trevalan (de). Ame de Marin.

Vlaminck (de). V. Serdana.

Waletle (Maurice de). La Madeleine amoureuse, « roman juif ».

Willy (Mme Colette). .— La lielraile sentimentale, un roman pour lequel l'auteur demande au public un peu de la faveur dont il combla les Claudines, « lilles léfjMtimes de sa collaboration avec Willy ». La Retraite sentimentale est bien en effet de la même famille, nous y retrouvons de vieilles connais- sances : Renaud, le vieil époux de Claudine ; Maugis et sa femme Annie ; nous y retrouvons aussi la même triomphante amoralité, dont le triomphe .pourt:tiit semble s'atténuer, s'es- tomper un peu.

HISTOIRE LITTERATURE THEATRE POESIE POLITIQUE DIVERS

Amiel (L.-R.). Sonnets, écrits devant les marbres et tableaux du musée du Luxembourg et devant les peinture murales du Panthéon.

Arkwrigt (William). Le Pointer. Un livre dont les chasseurs saluèrent avec joie l'apparition en France ; il est, paraît-il, classique en Angleterre et il a pour auteur un gentleman qui a voue à l'étude de ce noble chien de chasse, le Pointer, toute sa vie. Le livre est tout rempli de renseignements his- toriques et pratiques sur le chien d'arrêt, son élevage et son dressage, et aussi de détails précieux sur la chasse au grouse et à la perdrix. Je suis bien empêché de juger la valeur technique de l'ouvrage qui est, paralt-il, de pre- mier ordre, mais ce que j'ai goûté, c'est la clarté et Télé' g'ince de la traduction faite par M. le baron Jaubert et aussi

90 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

les images nombreuses dont le texte est agrémenté, repro- duites de f.içon très artistique. Bagès (Comte G.). Élude sur les Guerres d'Espagne. Bazin (René). Le Duc de Nemours, nouvelle édition. Bernard (Jean). La Vie à Paris en 1906. Biaudet (Henry). Le Saini-Siège el la Suède durant la se- conde moilié du seizième siècle, « origines et époque des relations non officielles (1570-1576). » Bocquillon (Emile). Pour la Patrie. L'aïUeur, qui doit à son patriotisme une notoriété presque égale à celle que M. Hervé gagna dans la négation de la patrie, firend à parti dan« ce livre préfacé par M. Georges Duruy le congrès des institu- teurs et son patriotisme conditionnel ; il rappeHe le souvenir de M. Goblet prenant avant de mourir la défense du patrio- tisme, il fustige l'hervéisme à l'école, etc. Tout cela est d'une bien attristante documentation. Bonet-Maury (J.). France, christianisme et civilisation, fréface

de M. Anatole Leroy-Beaulieu. Broustaille (Rémy). La Chanson des Gueuses. Bruck-Gilbert (Paul). Monsieur el Madame Moloch et la Presse Allemande, une très intéressante et très significative plaquette l'auteur a recueilli el traduit quelques-uns des articles consacrés au beau roman de M. ï*révost qui fit, on le sait, un énorme tapage oulre-Rhin ; à ces critiques est jointe la réponse tout à fiit topique de l'éminent roman- cier. Déglantine (Sylvain). La Lyre Malgache, un recueil poétique d'une heureuse et pittoresque inspiration dont l'auteur fut lauréat de la société des Poètes Français. Desplagnes (Li'^utenant Louis). Le Plateau central nigérien^ récit d'une « mission archéologique et ethnographique au Soudan Français ». Docquois (Georges). Le Plaisir des jours et des nuits. On sait que M. Georges Docquois est un des poète? de notre temps qui sait le mieux manier les petits vers pour conter des his- toires amusantes, lestes et d'une grâce très pimentée. Jamais la muse de M. Georges Docquois ne fut plus verveuse,. jamais non plus elle ne fut plus égrillarde, ce qui me dispense, à mon regret, de parler plus longuement de son livre. Duval (Commandant Jules). Vers Sadowa, une étude stratégique.

MARS HISTOIRE, POLITIQUE, DIVERS 9I

Franclie (Paul). La Légende dorée des bêles, dédiée par l'au- teur ;. à vous enfants, qui plus près du ciel gardez encore en vos yeux les reflets de la pure lumière de l'Eden ».

Friudet (René). Les Pierres de lune, un recueil de poésies, œuvre poétique de la vingt-deuxième année que Tauteur intitule les Pierres de lune, ayant voulu, dit-il, 1 choisir pour emblèmes ces délicieuses petites pierres lunaires qui semblent toujours s'excuser modestement de n'avoir pas alteiiit aux limpidités des autres plus admirables cristallisa- tions ». Cette modestie si joliment exprimée n'est point jus- tifiée : il y a, en effet, de la grâce, de la jeunesse, de l.i ferveur dans ces jolis vers très clairs, très harmonieux, d'une élégance tout à fait agréable, dans ces baHades mélan- coliques et noQchalantes, dans ces élégies toutes voilées de mélancolie qu'il dédie à une jeune lille ; il y a de l'éclat, du panache et beaucoup de belle jetuiesse dans cette Rose Flam- berge, épisode dramatique eu deux tableaux la gran- deur d'Ame d'une humble cantinière est exaltée en vers so- nores. Tout cela est rempli des plus ainrubles qualités et l'on est en droit d'espérer beaucoup de ce poète de vingt- deux ans (jui écrira sans nul doute comme il le souhaite « les Rubis » après « les Pierres de lune ».

Flury (Eugène). La Lulle par rAssocialion, » l'Action libérale populaire ».

dencé (Comtesse de). Savoir-vivre et Usages mondains.

Ginesta (Raoul). Les Grandes Victimes de l'hystérie, un vo- lume d'une pénible et forte documentation ; la formidable et terrible histoire que l'auteur nous raconte est, paraît-il, une histoire vraie ; il n'est pas cependant de roman plus Invrai- semblable et plus terrifiant que cette histoire.

(Joyau (Georges). Autour du catholicisme social.

llamel (Henry). Chroniques d\irt.

Hansen (Jul^s). Ambassade à Paris du baron de Mohrenheim, 1884-1898. Un livre qui apporte à l'histoire de notre temps une si précieuse et si émouvante contribution.

Hardy de Perini (Général). Turenne et Condé. 1626-1675.

Janssen (Jean). L'Allemagne et la Réforme, a La civilisation en Allemagne depuis la fin du moyen âge jusqu'au commence- ment de la guerre de Trente Ans. » Traduit de l'allemanil par M. E. Paris. Tome III.

92 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

La Jonquière (Comte de). L'Expédition d'Egypte (1798-1801), publiée pour la sectioQ historique de TEtat-Major de l'armée.

Lasserre (Pierre). Le Romantisme français. « Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au dix- neuvième siècle. »

Lasserre (Pierre). Les Idées de Nietzsche sur la musique.

Louis (Piaymond). La Séparation de l'Eglise et de VEtat, sont les Responsabilités ?

Maufroid. Du Mexique au Canada^ « journal de route ».

Metchnikoff (Elle). Essais optimistes.

Mourey (Gabriel). Les Cent Visages de Salomé, un ouvrage l'auteur se propose d'étudier les multiples aspects sous lesquels Salomé fut interprétée depuis tant de siècles par tant de peintres, de sculpteurs, de poètes et de musiciens.

Poizat (Alfred). Electre. Une adaptation de Sophocle que l'au- teur entreprit avec une piété si fervente et tout à la fois une si ingénieuse compréhension des nécessités du théâtre moderne, en des vers d'une belle et noble simplicité. L'œuvre est dédiée à sa superbe créatrice, à Mme Louise Sylvain, « à l'incomparable Electre, aux accents de laquelle ont tressailli les mânes de Piachel et de Clairon ».

Raviart (Emile). Comment on devient un homme d'action, ouvrage d'une excellente inspiration et rempli de conseils très judicieux et très précieux.

Riis (Jacob). Comment je suis devenu Américain. Un livre, se trouve racontée l'odyssée surprenante, émouvante et instructive d'un pauvre hère débarqué eu Amérique pour y chercher fortune et qui acquiert cette fortune à force de tra- vail, d'énergie, de courage ; c'est édifiant et c'est vraiment amusant : M. Bazalgette a été très heureusement inspiré en nous donnant de ce livre une exacte et littéraire traduction. Il fera mieux connaître en France celui que le président Roosevelt a dénommé, « le plus utile citoyen de New-York ».

Robiquet (Paul). Histoire et Droit.

Rodocanachi (E.). La Jeunesse italienne à l'époque de la Renaissance. « Sa vie privée et mondaine, son influence sociale. »

Roussel (Hem y). Les Dauphinoises célèbres. Cet ouvrage, figurent les biographies de plus de trois cents femmes

MARS HISTOIRE, POLITIQUE, DIVERS 93

dauphinoises, placées par ordre alphabétique et accompa- gnées de documents inédits et d'un grand nombre de portraits, constitue un document d'histoire tout à fait inté- ressant et précieux.

Saint-George de Bouhélier. Choix de pages anciennes et nou- velles, réunies dans un h*'vre d'une très jolie typographie et préfacées par M. Camille Lemoonier.

Seillière (Ernest). LImpérialisme démocratique.

Siéger (Cari). Essai sur la Colonisation.

Tardieu (André). La Conférence d'Algésiras, cette « histoire diplomatique de la crise marocaine, dont la publication fragmentaire à « La Kevue des Deux Mondes » a fait couler tant d'encre. »

Troimaux (Edgar). Les Procès célèbres de l'année l'J05-190<3. Préface de M. Emile de Snint-Auban.

Vandenbossche (D). Au Pe-Tchi-Li, un récit d'exploration.

Velquoi (Anna de). Simple Gerbe.

Wallier (René). Le Vingtième Siècle politique. Année 1906.

Zamacois (Miguel). Les Bouffons, pièce en troi» actes, en vers. C'est un plaisir véritable de relire tout à loisir ces pages, exquises et joyeuses et touchantes de poésie ailée et d'éblouis- sante verve.

Zola (Emile). Lettres de jeunesse.

AVRIL

LES ROMANS

JEAN MERAZZI

Vengeance !

Vengeance / Ce titre sur la couverture, d'un livre vous a des allures de défi, et c'est bien en efïet un défi que M. Jean Merazzi a voulu lancer, en publiant un roman qui porte ce titre : défi au lâche, qui ayant séduit une jeune fille, l'abandonne sans scru- pule au désespoir, à la misère, au vice, pour s'en aller tranquillement fonder une famille de bour- geoise honnêteté. C'est une histoire assez commune, mais il est permis de supposer qu'elle serait moins fréquente si les jeunes séducteurs pouvaientcraindre des vengeances comme celle d'Eléonore Vatin, l'hé- roïne du livre. C'est qu'elle n'y va pas de main

AVRIL LES ROMANS {p

morte cette jeune personne délaissée I Elle tire sa vengeance de loin et s'entend à préparer la ruine, le désespoir, le déshonneur d'une famille, comme un véritable démon.

L'histoire commence comme celle de l autine, mais Kléonore Vatin n'a pas l'àme résignée de l'hé- roïne des Misérables : lahaine, lacolère bouillonnent dans son cœur ; elle veut se venger de façon écla- tante, non pas seulement sur le coupable, mais sur sa race et sur sa famille, qu'elle détruit, dégrade et ruine avec un art consommé. Il y a peut-être un peu d'outrance dans tout cela ; l'âme d'une grisette nest pour l'ordinaire pas si profonde, et elle ignore le raffinement des vengeances à longue échéance ; mais cela une fois admis, M. Merazzi en a remar- quablement tiré parti ; son roman est très bien fait, et ce drame formidable, qui se déroule dans un milieu provincial très curieusement observé, est tout à fait poignant, pathétique et intéressant.

HENRY BLTEAU

Aimer.

Après tant de haine, de colère, de vengeance, on a le désir de penser à des sentiments plus doux, et voici justement M. Henry Buteau qui conjugue le

96 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

verbe Aimei\ en un roman qui pourrait porter comme épigraphe cette parole de George Sand : « Il n'y a au monde que l'amour qui soit quelque chose. » Mais cet hymne à Tamour, n'est pas, hélas! un chant de joie, car les héros de M. Buteau ne trouvent pas dans leur tendresse le bonheur définitif ; il y a de l'angoisse^ de la tristesse et de la douleur parmi eux, et le roman, très poignant, très émouvant, commencé dans une fanfare d'amour, se termine dans le doute, dans l'incertitude, dans la déception.

JANE DE LA VAUDERE

Le Peintre des frissons.

Ce n'est pas Mme Jane de La Vaudère, romancière elle aussi et romancière à succès, que je chicanerai jamais à l'occasion d'une thèse, car elle se garde bien d'en soutenir : elle n'écrit pas des romans pour l'édification oh ! non de ses lecteurs, elle veut simplement les amuser, les émouvoir, et '< monter leur imagination » ; elle y réussit supérieurement, et les romans qu'elle a publiés ces dernières années, romans aux sujets généralement exotiques, sont des modèles du genre.

Mais pourquoi s'en aller chercher des émotions violentes et passionnées aux confins du monde ou

AVRIL LES ROMANS 97

dans les ténèbres de l'histoire, en des romans de mœurs antiques, égyptien, ottoman, indou, japo- nais, persan, javanais, telles sont, en effet, les nationalités des derniers-nés de Mme Jane de La Vaudère ? Pourquoi, je vous le demande? Alors que Paris et le vingtième siècle sont tout près, avec leurs passions, leurs scandales bien faits pour contenter les imaginations les plus difficiles. Mme Jane de La Vaudère a compris ce que cet os- tracisme avait d'humiliant pour nous, et elle nous olïre aujourd'hui un u roman parisien ».

Le Peintre des frissons !un beau titre, n'est-ce pas, et tout plein de promesses ; il les réalise, je vous prie de croire, et même il les dépasse, et l'histoire du peintre Lucius et de sa cour de jeunes élèves, Edmée de Gyraude, l'héroïne du livre, Liliale Choizel, (iermaineLacour, Marceline Hopfer, jeunes filles du monde venues à son atelier pour apprendre la peinture et une multitude d'autres choses; les aventures de ce joli monsieur avec la courtisane Nina Corail, avec la comtesse de Gyraude, puis avec la fille de cette dernière, sont passionnelles, dramatiques et pimentées à souhait ; elles sont, en outre, contées avec beaucoup d'art par Mme de La Vaudère.

Vous objecterez peut-être que ce ne sont tout de même pas des u mœurs parisiennes >■> ; mais on vous mettra en présence de certain couple composé de deux femmes, Faunette Hassin et la princesse Minny, qui paraissent ensemble dans une panto-

G

()8 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

mime sur la scène des « Fantaisies Perverses », et alors vous serez bien forcé de vous incliner et de convenir que c'est du roman vécu...

COLETTE YVER

Princesses de science.

Mme Colette Yver est Tune des dernières venues de ces romancières qui, au vingtième siècle, se mul- tiplient et grandissent de façon si inquiétante pour les pauvres hommes, et déjà elle a pris une belle place au soleil. L'apparition de son premier roman remonte à quelque trois ans; il avait pour titre les Cervelines, et je crois bien avoir été des premiers à en signaler les très rares et 1res fortes qualités. Ces qualités, on les retrouve toutes dans Princesses de science, compliquées d'une habileté profes- sionnelle acquise par Mme Colette Yver, maintenant sûre de son art et très adroite à ménager ses effets et à tenir jusqu'au bout son lecteur haletant.

La fortune du livre n'est donc pas douteuse, et son succès est assuré. Cela me met à l'aise pour dire combien je suis irrité contre la thèse, que semble avoir adoptée pour toujours Mme Colette Yver, thèse qu'elle a développée dans son premier livre les Cervelines, qu'elle développe encore dans

AVRIL LES ROMANS 99

ses Princesses de science, qu'elle développera sans doute dans tous ses romans, car elle me semble bien en élre hantée. Il ressort de celte thèse qu'une femme supérieure, à l'esprit cultivé et qui a su acquérir un art ou une science, dans l'espèce celle de la médecine, Mme Colette Yver connaît très bien les nulieux médicaux, elle excelle et elle aime à les peindre, est incapable de remplir son rôle social do fomme mariée, incapable do faire le bon- heur d'un brave homme, si elle ne renonce pas, le jour de son mariage, à toutes ses ambitions, à toute sa science, à sa profession.

Telle est très exactement, je crois, la morale qui se dégage de l'émouvante aventure vécue par M. le docteur Guémené et Mlle Thérèse Herlinge, devenue >a femme. Rien ne me paraît plus inexact et plus faux que cette thèse : pour la soutenir et pour y croire, il faut être une de ces Cervelines que Mme Colette Yver semble si bien connaître, et chez lesquelles le cerveau a supprimé le cœur. Ce n'est pas le cas pourtant de la « Princesse de science », héroïne du roman dont Mme Colette Yver nous fait un portrait infiniment séduisant, flatteur et j'ajoute émouvant. Pourquoi donc cette femme au cerveau puissant ne serait-elle pas capable une fois mariée de se consacrer tout à la fois à son art, à son ambi- tion et à son mari? Les hommes de génie ou de talent sont bien souvent d'excelleots maris et de très bons pères de famille ; pourquoi les femmes de talent ou de génie ne seraient-elles pas aptes,

100 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

elles aussi, au rôle d'épouse et de mère, et ne sau- raient-elles pas concilier les obligations de leur profession à leurs devoirs de famille ? Pourquoi vouloir à toute force les faire opter, et condamner les femmes mariées à l'inaction intellectuelle et les savantes au célibat?

GABBIEL TRARIEUX

Elle Greuze.

L'auteur de ce livre porte un nom qui fut illustré au cours de la terrible affaire dont le souvenir à peine commence à s'apaiser. Son père, en efïet, fut l'un des principaux artisans de cette revision fameuse, et l'on peut dire qu'il mourut au service de cette cause. Mêlé à toutes ces luttes, à toutes ces angoisses, à toutes ces colères, Gabriel Trarieux en a gardé profondément l'empreinte, et il reste, dans son livre, hanté par cette affaire dont les héros revivent avec leur nom, une vie d'une intensité singulière et poignante; un seul nom est modifié, c'est celui de M. Trarieux lui-même, qui semble bien jouer sous un pseudonyme un rôle capital dans cette histoire. Le roman lui-même l'anecdote non historique, est très émouvant,

AVRIL LES ROMANS

exIrêmemeQt draniatique et poignant, et conté dans une langue forte, originale et sobre

MAHC VILLEHS

La Malepasse.

Le plus enviable privilège du chroniqueur de lettres le seul enviable sans doute est d'être amené, parfois, à découvrir au milieu de la produc- tion courante d'une semaine, une œuvre de très haute valeur et à révéler le nom d'un écrivain inconnu qui semble voué aux plus hautes destinées. J'ai éprouvé cette joie très vive et très émouvante Siwecldi Malepasse, qui a pour auteur M.Marc Villers. M. Marc Villers n'est pas, à ce qu'on me dit, un débu- tant; il a déjà publié un volume intitulé le Cyclone \ mais j'ignorais ce livre qui passa, je crois, assez ina- perçu. 11 n'en sera pas de même pour la Malepasse qui est, sans nul doute, l'une des œuvres les plus fortes, les plus solides, les plus remarquables de ces dernières années. C'est encore une fois un roman d'argent, nous sont dévoilés crûment les dessous d'une bourgeoisie avide de luxe et de jouis- sance, dénuée de scrupules, et prête à toutes les déchéances pour satisfaire ses goûts, ses passions, son indolence. Le sujet n'est pas neuf, mais M. Marc

6.

102 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Villers a su le renouveler avec une véritable maî- trise. Pour peindre ces mœurs d'exception car je me refuse à admettre que l'écrivain ait eu la prétention de nous offrir, avec son roman, un <( tableau moyen » de notre bourgeoisie il nous fait pénétrer dans une famille : la famille des Romène, dont il campe tous les membres, depuis le chef, Thomas Romène, qui a voué à son passé et à sa terre, « la Malepasse », un culte attendri et volontaire, jusqu'à ses filles, ses gendres, ses brus, son cousin, avec une sûreté de main, une vigueur tout à fait admirables. Il y a des types définitifs tels Cyprien, le fils aîné, pilier du foyer et défen- seur — comme son père du domaine ancestral ; tel aussi le gendre, de Galion, gentilhomme de douteuse noblesse et de moralité moins que dou- teuse ; tel M. Vercottes, le vieux galantin, cousin à héritage, qui par les promesses d'une fortune illu- soire trouve le moyen de se faire dorloter, choyer et... aimer (si j'ose dire); tel Pierre Blatu, l'indus- triel, qui aime les sources et les chutes d'eau uni- quement pour leur puissance dynamique ; telle enfin Eudoxie, la vieille fille aigrie, jalouse proche parente de la cousine Bette, figure vrai- ment balzacienne. Le souvenir de Balzac hante d'ailleurs le romancier, qui donne à l'un de ses héros, le jeune Bruno Romène, le surnom de Rasti- gnac, et, si démesuré que puisse paraître cet éloge, le lecteur aussi pense parfois à Balzac en lisant ce roman d'une vie si intense, si poignante, si doulou-

AVRIL LES ROMANS 103

reusement réelle, les questions d'argent se mêlent vilainement aux transports d'amour, les héroïnes sont prêtes aux pires déchéances et les héros décidés aux plus lâches complaisances.

C'est vraiment d'une bien affligeante humanité, et ce spectacle est peu réconfortant, mais il est je le répète mis en scène avec un art prodigieux, exclusif de tout artifice, et les efïets les plus intenses sont obtenus avec une rare simplicité de moyens. C'est une œuvre de premier ordre dont la destinée n'est pas douteuse, et son auteur s'est placé d'em- blée parmi les maîtres du roman contemporain.

HISTOIRE, LITTÉRATURE. DIVERS

ERNEST DAUDET

Lettres du comte Valentin Esterhazy (1784-1792).

M. Ernest Daudet, qui nous donna voilà quel- que deux ans cette précieuse et savante édition des Mémoires du comte Valentin Esterhazy, remar- quait, en publiant ces Mémoires, que « quelque attachants qu'ils fussent, les lettres qu'il écrivait à sa femme pendant les vingt-deux années que dura leur union, de 1784 date de leur mariage à 1806 date de sa mort, ne l'étaient pas moins et qu'elles permettaient, mieux peut-être que ses Mémoires, de reconstituer son existence, dont il semble parfois dissimuler les incidents les plus émouvants ».

Il était à prévoir que M. Ernest Daudet nous

AVRII. HISTOIRE, LITTERATURE, DIVERS i 05

ferait connaître quelque jour ces lettres, raais comme elles sont très nombreuses et très longues, il a fallu couper, il a fallu choisir, et, ce travail une fois fait avec cette conscience, ce tact, ce goût dont M. Ernest Daudet nous a donné tant de preuves, la matière s'est encore trouvée trop consi- dérable et les Lettres du comte Valentin Esterhazy publiées cette année ne vont que de 1784 à 1792 ; les autres suivront dans un prochain volume.

Le lecteur de ce livre comprendra l'émotion qui s'empara de M. Ernest Daudet lorsqu'il lut pour la première fois ces lettres ; il la partagera. Ce sont en effet des lettres d'amour tout à fait jolies, des déclarations passionnées que le comte Esterhazy fait à sa femme en même temps qu'il lui raconte minutieusement tous les actes de sa profession, laquelle lui permet d'apprendre, de voir et de raconter une multitude de choses intéressant la petite et la grande histoire. Dans ces lettres écrites en 1784, 1785, 1786 de Rocroy, Versailles, Ram- bouillet, Chantilly, du Vigan, en 1791 de Coblentz, puis de Saint-Pétersbourg, que de pages poignantes ! C'est tout le drame formidable de la Révolution qui passe et, côtoyant le drame, l'idylle du mari amoureux de sa femme. On ne saurait rien ima- giner de plus touchant, « de plus piquant et dis- trayant que cet incessant effort d'Esterhazy pour convaincre sa chère femme, dont il est éloigné, qu'au milieu de ses douloureuses préoccupations il ne cesse pas de songer à elle avec une tendresse

106 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

infinie et d'appeler de ses vœux le moment il pourra la rejoindre pour ne plus la quitter ».

EMILE BLEMONT

Artistes et Penseurs.

Comme Térence disait : « Rien de ce qui est hu- main ne m'est étranger », M. Emile Blémont pour- rait s'écrier : « Rien de ce qui touche à l'art, à la poésie, à la pensée ne me laisse indifférent- » Ce bon poète, ce délicat écrivain ne se contente pas de produire des œuvres charmantes et fortes, il est séduit et tenté par toutes les manifestations esthé- tiques du génie humain.

C'est à ce goût d'un poète pour l'étude, l'histoire, la critique, que nous devons le régal du livre publié sous le titre Artistes et Penseurs. L'agrément de ce livre est extrême et sa variété infinie ; songez qu'au cours des vingt chapitres qui le composent, vingt chapitres bourrés de documents, remplis d'aperçus ingénieux, piquants et toujours animés d'un noble enthousiasme pour tout ce qui est beau et grand, nous voyons défiler: J.-J. Rousseau, Lau- rence Sterne, l'humoriste par excellence, car a l'hu- mour est l'esprit qui vient du cœur » ; Camille Des-

AVRIL HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 1 07

moulins, « cœur enthousiaste, artiste révolution- naire, incomparable virtuose » ; André Chénier, « poète complet qui a fait vibrer toutes les cordes de la lyre et leur a même ajouté, comme disait plus tard VictorHugo, une corde d'airain » ; J. J. Henner, « qui représenta à souhait la Germanie pénétrée par ia Gaule, la nature allemande aiguisée par le sens français », et iMonticelli, et Joseph de Nittis, et Michelet, « qui fit de Tespoir avec de la désespé- rance, de la lumière avec de Tombre, de la vie avec de la mort » ; puis encore Edgar (juinet, Flaubert, Tolstoï...

On voit l'étonnante variété de ce livre, les peintres voisinent avec les philosophes, et les poètes avec les hommes politiques; sur chacun d'eux, M. Emile Blémont donne une note personnelle, ingénieuse, précise, éloquente, un document, un renseignement précieux; et si divers que soient les chapitres, il se dégage de l'ensemble une belle har- monie et, comme le désirait l'auteur, « quelques hauts principes, entre autres, celui du rythme sou- verain qui, dans la nature et dans l'humanité, pro- duit lumière, vie, conscience, justice, beauté, amour «.

108 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

JULES LEMAITRE

Jean- Jacques Rousseau.

Les Conférences de M. Jules Lemaîlre sur Jean- Jacques Rousseau ont été on le sait l'événe- ment littéraire et mondain de la saison dernière, et, durant un mois, les Parisiennes élégantes vin- rent en foule charmante se joindre à des hommes de lettres et à des professeurs dans Tespoir d'en- tendre « débiner » Jean-Jacques par un académicien éminent.J'ai peine à croire que cet espoir ait été comblé; j'ai peine à comprendre, surtout, que les maîtres de notre République, pour qui J.-J. Rous- seau est « tabou », se soient indignés, aient crié au sacrilège et aient médité je ne sais quelle céré- monie expiatoire pour veugerleur « saint )> des ou- trages dont il fut abreuvé au cours de ces confé- rences.

Plus raisonnable que ces « rousseauistes », éner- gumènes de l'admiration intégrale, Rousseau, je pense, eût été très flatté, s'il avait pu, dissimulé dans quelque coin, entendre ces exquises disserta- tions sur son œuvre, sur son génie et sur sa vie, M. Jules Lemaître, disséquant délicatement son pa- tient, nous a dit, en phrases vibrantes, son admira- tion, et, avec une émotion d'une indulgence à peine

AVRIL HISTOIRE, LITTERATURE, DIVERS IO9

ironique, sa réprobation pour des fautes et pour des erreurs vraiment assez peu défendables.

En qualifiant les actes fâcheux de son héros, xM. J. Lemaître a vraiment gardé une parfaite me- sure: il y a d'autant plus de mérite que, lorsqu'il choisit J.-J. Rousseau pour sujet de son cours, « ce ne fut point d'abord, nous dit-il, dans une pensée d'extrêmebienveillance pour le citoyen de Genève », il se promettait u d'étudier surtout, en lui, le père de quelques-unes des plus fortes erreurs du dix- hui- tième siècle et du dix neuvième siècle »;mais, quoi qu'il en eût, il tut touché par sa grandeur, par son génie, par sa candeur, et, après l'avoir longuement, passionnémentétudié, « aprùs cette longue fréquen- tation dont il tira plus d'un plaisir, il a voulu le quitter sans haine pour sa personne, avec la plus vive réprobation pour quelques-unes de ses plus notables idées, l'admiration la plus vraie pour son art qui fut si étrangement nouveau, la plus sincère pitié pour sa pauvre vie et une horreur sacrée au sens latin devant la grandeur et le mystère de son action sur les hommes ». Tout cela n'est point, je pense, d'une si extrême méchanceté, et les rousseauistes du vingtième siècle ont l'indignation un peu bien facile.

no LE MOUVEMENT LITTERAIRE

MAURICE MAETERLINCK

L'Intelligence des fleurs.

Voici un livre d'une adorable séduction, un livre qu'on ne voudrait voir manier que par des mains légères et douces, tant il serait dommage quen fût meurtrie la grâce sans seconde; il a pour titre i Intelligence des fleurs et pour auteur M. Maurice Maeterlinck. Les fleurs ont une intelligence, cela n'est pas douteux, elles ont aussi une volonté, et « ce monde végétal qui nous paraît si paisible, si résigné, tout semble acceptation, silence, obéis- sance, recueillement, est au contraire celui la révolte contre la destinée est la plus véhémente et la plus obstinée », car, depuis sa naissance jusqu'à sa mort, la plante, condamnée à l'immobilité par une loi inflexible, ne cesse de s'insurger contre cette loi, et « le spectacle de son idée fixe qui monte des ténèbres de ses racines pour s'organiser et s'épa- nouir dans la lumière de sa fleur est un spectacle incomparable ».

Telle est, exprimée dans un magnifique langage, la pensée que M. Maurice Maeterlinck entend déve- lopper dans son livre ; et les observations qu'il nous apporte à l'appui de sa thèse sont d'une rigoureuse et scientifique exactitude, car M. Maeterlinck, qui

AVRIL HISTOIRE, LITTERATURE, DIVERS I 1 l

s'était fait apiculteur pour nous dire la vie des abeilles, s'est fait botaniste pour nous parler de rintelligence des fleurs, botaniste très érudit qui examina à la loupe « les cinq valves de la balsa- mine », u les cinq capsules à détente du géranium », pour qui (( le loroglosse », «Torchis maculata », « le rostellum », « le labellum », ni « l'espurge », n'ont point de secret.

11 a toutes les précisions nécessaires, mais autour de ces précisions, quelle splendide parure de mois et d'images, de pensées délicates et profondes ! que de poésie dans cette science, que d'harmonie, de noblesse et de splendeur dans cette simplicité ! (Vest vraiment un régal incomparable, et il faut remercier avec ferveur l'écrivain qui sait nous donner de telles joies, qui sait parler si divinement des fleurs, de leur intelligence et de leur âme, leur parfum, dont la sagesse ailée s'ébat au- dessus des tristesses et des fadeurs de notre temps. Dans ce temps môme il sait cepeadant découvrir de la beauté, des raisons d'être juste, courageux et bon, des raisons aussi d'être fort et athlétique, lisez plutôt cet exquis ^< éloge de la boxe », des raisons, enfin, d'avoir confiance, de ne point craindre certains excès dont on nous fait des monstres, car « nos excès d'avenir sont nécessaires à l'équilibre de la vie et nous devons aller toujours aux lieux les plus extrêmes de nos pensées, de nos espoirs et de notre justice ». Ainsi le livre commencé dans la contemplation attendrie de la nature se termine

112 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

magnifiquement dans l'exaltation de Tliomme, de sa grandeur, de sa noblesse et de son avenir .

CAMILLE FLAMMARION Les Forces naturelles inconnues.

Les histoires de médiums, de tables tournantes, de spiritisme et d'occultisme m'ont toujours fait sourire, et lorsqu'on vient, très sérieusement, me conter quelqu'une de ces troublantes aventures, je suis tenté de me demander si mon interlocuteur se moque de moi ou si quelque fumiste a abusé de sa crédulité et de son amour du mystère pour lui jouer un bon tour. J'ai eu de telles preuves de la naïveté et de la crédulité peuvent être induits les gens les plus éclairés, les plus raisonnables, par leur désir de voir réaliser en leur honneur de stupé- fiantes sorcelleries, que mon scepticisme en est, je crois bien, devenu incurable.

Pourtant, lorsque le récit de ces phénomènes mystérieux produits par les Forces naturelles in- connues nous est offert par un homme qui a nom Camille Flammarion, mon scepticisme hésite un peu et demande à voir, à lire. J'ai beau avoir la prétention d'être uq(( esprit fort», je me persuaderai difficilement que M. Camille Flammarion soit un

AVRIL HISTOIRE, LITTERATURE.

esprit faible et qu'il puisse être une facile victime pour les mystificateurs. Il vit dans les nuages, c'est une chos^ entendue, ou plutôt dans le ciel il a fait les plus nobles études et les plus belles décou- vertes, — mais si cette contemplation des planètes, des étoiles et du ciel a pu mettre delà poésie et une sereine philosophie dans sa science, elle ne Tem- pôclie pas d'être un savant véritable. Aussi, lorsque ce savant vient nous donner eu un volume le récit d'expériences surnaturelles auxquelles il assista ou même prit part, le scepticisme systématique res- semblerait fort à de la niaiserie.

Il faut donc lire ces belles histoires parfumées de mystère et de magie ; c'est d'ailleurs un régal, car elles sont contées avec un art exquis, dans une langue brillante, harmonieuse et colorée. Puis M. Camille Flammarion, qui croit ce qu'il a vu, ne s'est pas enrôlé dans le troupeau des bons naïfs lisez plutôt le chapitre des « fraudes, tricheries, supercheries, fourberies, jongleries, mystifications » et, s'il se prépare à exciter la verve des scep- tiques, il est sûr aussi de la colère de ces spirites u qui s'imaginent avoir constamment des esprits à leur disposition dans un guéridon et évoquent sans sourciller Platon, Zoroastre, Jésus-Christ, saint Au- gustin, Charlemagne, Shakspeare, Newton ou Na- poléon ». Peu lui chaut, d'ailleurs. Il a voulu faire un livre de bonne foi et recueillir des faits matériels produits par des causes encore inconnues à la science et constater définitivement, d'après des

Il4 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

observations suffisantes, leur existence réelle. En résumé, conclut-il, <(' dans l'état actuel de nos con- naissances, il est impossible de donner une explica- tion complète, totale, absolue, définitive des phéno- mènes observés, mais on peut en déduire que 1 âme existe comme être réel, indépendant du corps; qu'elle est douée de facultés encore inconnues à la science: qu'elle peut agir à distance, sans Tinter- médiaire des sens, et qu'enfin il existe dans la nature un élément psychique en activité variable dont l'essence nous reste encore cachée ».

DOCTEUR J. HÉRICOURT

L'Hygiène moderne.

U Hygiène moderne publiée par le docteur J. Héri- court, dans la « Bibliothèque de Philosophie scien- tifique », est tout à la fois une œuvre de science et un ouvrage d'une précieuse valeur pratique. L'émi- nent savant y étudie tour à tour : les dangers inhé- rents à l'individu, ceux que recèle la maison, ceux qu'engendre la collectivité, ceux enfin qui se ré- pandent dans la vie extérieure. Le but que poursuit l'auteur de « ces mélanges, le lecteur trouvera, pour défendre sa santé, les conseils essentiels, les suggestions indispensables, c'est, nous dit le

AVRIL HISTOIRE, LITTERATURE, DIVERS 1 1 .>

docteur Héricourt, h d'attirer l'atlentioQ de chacun sur les principaux dangers auxquels sa santé est exposée, tant dans la vie intime que dans la vie extérieure, et d'une façon générale de mettre en garde contre les gros dangers qui, insidieusement, se glissent dans quelques-uns de nos actes les plus inolïensifs en apparence ». L'auteur souhaite et l'on doit souhaiter avec lui, « que ce livre soit lu par les jeunes gens à leur entrée dans le monde ».

MEMENTO DU MOIS D'AVRIL

ROMANS

r>illy (André . Benoni, « mœurs d'Eglise ».

(".itfroy (Gustave), Hermine Giliiuin, un romao passionnant et douloureux, écrit dans un noble et beau laugage.

Havard de la Montagne Robert). L'Ame qui se donne.

Legrand-Chabrier. L Amoureuse imprévue.

Meyer-Foster. Le Baron de Heidenstamm. Traduction de MM. Maurice Rémon et Wilhelm Bauer. Un roman qui lit quelque bruit en Allemagne et qui met en scène une aven- ture émouvante : aventure d'amour, aventure d'argent, aven- ture de robe et d'épée, l'on voit s'agiter dans le décor de Hanovre des usuriers, des magistrats, des officiers.

Psycha (C). Les Courtisans de la gloire.

lletté (Adolphe). Du Diable à Dieu, « histoire d'une conver- sion. »

Rùllaïul (Mme Marguerite). Madame Gosse.

Saint-Aulaire ^Comte de,. Le Secret d'un Conspirateur. Un recueil de nouvelles historiques très émouvantes.

Ou Saussay (Victorien. Médecins pour dames seules ('.).

ll(> LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Sinclair (Upton). Le Roman dun Roi de lor. Livre 1res pittoresque de cet écrivain qui nous révéla les Empoison- neurs de Chicago.

Tournier (Gastoo). LEpuiseuse.

Verga (Giovanni). Le Mari d'Hélène.

HISTOIRE LITTERATURE THEATRE POESIE

POLITIQUE DIVERS.

AUorare (Henri). Le Clavier des harmonies, « transpositions poétiques »,

Amade (J.). Etudes de litléralure méridionale.

Boyer d'Agen. Un Prélat italien sous VElal pontifical, « Léon XIII d'après sa correspondance inédite ».

Bransiet (Maurice). Les Rythmes errants, des poésies placéeji sous l'invocation de Jean Lombard.

Camo (Pierre). Le Jardin de la Sagesse.

Constantin (Capitaine). Le Rôle sociologique de la guerre.

Cyr Van Overbergh, Secrétaire général du Congrès de Mons. La Réforme de V Enseignement, un remarquable travail l'auteur, à qui l'on doit déjà de précieux ouvrages sur l'évolution de la sociologie, analyse et discute, avec infini- ment de compétence et de clarté, les rapports et proposi- tions présentés au congrès, << au sujet de ce que doit ap- prendre, corporellement et intellectuellement, le jeune homme qui se destine aux carrières mondiales ».

Delebecque (Mme Edmée). Je meurs de soif à côté de la fon- taine, poèmes.

Deschanel (Paul). A V Institut, un volume l'auteur a réuni une série de discours qui furent prononcés à l'Académie française, ou en son nom. Il y a dans ces discours de réception, discours d'inauguration de la statue de Jules Simon, discours sur les Prix de vertu <it réponse à M. Alexandre Ribot, de très beaux spécimens d'éloquence académique. A la fin de son livre, M. Paul Deschanel a publié quelques documents historiques : « Ptécits de journées

AVRIL HISTOIRE, LITTERATURE, DIVERS 1 I7

décisives depuis un demi-siècle se sont jouées les des- tinées de notre pays, » documents précieux à mettre sous les yeux du public, « car un rapide coup d'œil sur notre his- toire d'hier n'est peut-être pas inutile, dans un temps noire diplomatie, dominée par la politique intérieure, au lieu de conduire les événements, s'est trop souvent laissée mener par eux ».

Dorchain (Auguste). Les Chefs-d'œuvre lyriques de Ronsard et de son école, une très jolie plaquette précédée d'une notice,

Doucet (^Robert), Doit-on aller aux Colonies! Knquète du Comité Dupleix auprès des gouverneurs, commerçants, colons, etc.

Dubois (Paul). L'Irlande contemporaine.

Fauchier-Delavigne. Casimir Delavigne inlinie, avant propos de M. Victorien Sardou.

Ferenzy (Oscar de). Vers l'Union des Catholiques de France. « Etude générale des mouvements catholiques suivie d'une enquête » .

(iauchez (.Maurice). Jardin d'Adolescent, dbannonieux poèmes.

Giraud (Victor). Ferdinand Bruneticre, des notes et souvenirs d'un très vif intérêt.

Imbarl de La Tour. Questions d'histoire sociale et religieuse.

Jibé (Commandant). L Armée nouvelle : ce qu'elle pense, ce qu'elle veut.

Lamarre (Clovis). Histoire de la littérature latine au temps dWuguste.

I.i'ciercq (.Iules). Les Visions exotiques, sonnets pittoresques et mélodieux.

Lenotre (G.). Mémoires et souvenirs sur la Révolution et VEmpire : les Fils de Pbilippe-Egalité pendant la Terreur, un hvre vivant, émouvant et mouvementé.

Manuel (Eugène). Poésies choisies, « extraits tirés de ses œuvres et poésies inédites ».

Maret (Henry). Carnet d'un sauvage, l'auteur a réuni en un volume les lignes spirituelles, profondes, pittoresques, qu'il a écrites au jour le jour. ^

Martial (Docteur René). Hygiène individuelle du travailleur. Une très remarquable « Etude hygiénique, sociale et juri- dique » éloquemment préfacée par M. Paul Strauss.

7.

1 iS LE MOUVEMENT LITTERAIRE

IN'clienard (Mgr P.-L.), évêque de Soissons. Vers l'action.

PierliDijr. La Russie el le Saint-Siège, « Pierre le Graod, la Sorboane, les Dolgorouki, le duc de Liria, Jubé de la Cour », des études diplomatiques.

Pieiset (Vicomte de). Louise d'Esparbès, comtesse de Polas- tron. La figure de Louise d'Esparbès qui sourit et revit dans ce livre est tout à fait touchante, gracieuse et mélancolique. Son histoire, qui commence au couvent de Panthemont pour aller s'achever tristement en exil dans la petite maison de Brompton Grave, a été reconstituée par M. de Reiset avec des lettres intimes, des correspondances inédites, des ar- chives familiales inexplorées, qu'il a mises en œuvre avec beaucoup de goût, de conscience et d'agrément ; c'est de la petite histoire infiniment précieuse.

Pionsard (Pierre de). Livret de Folastries, une savante édition publiée sur l'édition originale de 1553 et augmentée d'un choix de pièces d'expression satirique et gauloise tirées des éditions originales.

Sainlyves (P.). Les Saints successeurs de Dieu, « Essais de mythologie chrétienne ».

Stead (Alfred). Le Patriotisme Japonais. Traduction de M. A.

Fournier. teinmetz (Docteur). La Guerre, moyen de sélection collective.

Stendhal (H. Beyle). Correspondance inédite, une édition en tète de laquelle on relira avec joie les belles pages de Pros- per Mérimée sur Beyle, dont il pénétra -si bien la nature, autant du moins qu'on pouvait pénétrer cette étrange, obs- cure et géniale nature.

Vaissière (Pierre de). Lettres d'aristocrates, la Révolution, racontée par des correspondances privées, 1789-1794.

Valvins (André). Bazar, poésies.

Voiture (Vincent). Stances, Sonnets, Rondeaux et Cliansons, choisis et précédés d'une notice sur Voiture par Alexandre Aruoux et parus dans « la Petite Bibliulhèque surannée. »

Wilde (Oscar). Poèmes. Traduction de M. Albert Savihe.

MAI

LES ROMANS

DANIEL LESUELR

Le Fils de 1 amant.

La Société des Gens de Lettres a accordé Tannée dernière à Mme Daniel Lesueur la plus flatteuse consécration dont elle puisse disposer en faveur d'une femme de lettres; elle l'a appelée à siéger dans son comité ; c'est la première femme admiseà cet honneur depuis George Sand...; l'ostracisme aura duré longtemps, mais il est bien fini et désor- mais il y aura toujours, je pense, au comité des Gens de Lettres une « représentante « de ce sexe faible qui a pris dans la littérature contemporaine une place si éminente.

120 I.E MOUVEMENT LITTERAIRE

Rien n'est plus juste, et nulle femme n'était plus nettementdésignée pour renouer cette tradition que Mme Daniel Lesueur, dont Tœuvre est si considé- rable et si forte, et qui peut passer à bon droit pour rinitiatrice de ce grand mouvement littéraire fémi- niste auquel nous assistons.

Il m'est trèsagréable de complimenter chaleureu- sement cette éminente femme de lettres, en même temps que jai à signaler son dernier livre le Fils de ramant. C'est un roman romanesque, quedis-je ! c'est un véritable roman-feuilleton il ne faut point avoir peur des mots, et Mme Daniel Lesueur ne me reprochera certainement pas d'avoir employé celui-là pour qualifier un roman elle a dépensé une imagination telle que jamais les Xavier de Montépin ni les Richebourg n'en firent pareille débauche, se multiplient et s'enchevêtrent les péripéties les plus dramatiques, les événements les plus surprenants,les intrigues les plus compliquées. Daniel Lesueur évolue là-dedans avec l'habileté et l'aisance d'un <( charpentier » émérite.

Je n'ai pas hésité à prononcer le mot de roman- feuilleton en parlant de ce livre; j'ai même osé rap- peler le nom des plus célèbres romanciers popu- laires; tout de même vous entendez bien qu'il faut faire une distinction. En nous contant les drames ténébreux qui se déroulent dans le ménage du comte d'Hermancy et de la comtesse Solange, sa femme, en nous faisant assister à un assassinat effroyable perpétré par des chauffeurs masqués, en

MAI LES ROMANS 121

nous disant les aventures de Gervais le brutal et farouche paysan, de xMarco et de sa sœur la prin- cesse de Trani, en nous conduisant chez les juges d'instruction, en nous racontant un enlèvement d'enfant, en mettant sous nos yeux une formidable catastrophe due à ces automobiles dont elle sait si bien dire l'aveugle fureur, Daniel Lesueur est restée un fort bel écrivain ; elle nous adonnéainsi le régal rare d'un roman-feuilleton écrit dans une langue très pure et très élégante par un romancier doué des plus remarquables qualités de psychologie : au milieu du tourbillon drauialique les péripéties se succèdent et s'enchevêtrent, il y a en effet des épisodes charmants, des coins d'observation in- time tout à fait exquis, l'on retrouve tout entier le talent si personnel de l'auteur de ce chef-d'œuvre qui a nom le Cœur chemine. D'ensemble, c'est une œuvre tout à fait remarquable et qui est faite, par ses qualités si diverses, pour avoir les suffrages de la foule et des délicats.

PAUL REBOIX

Le Phare.

Le Phare, « roman breton », est une belle et ter- rifiante histoire se mêlent de diaboliques lé-

122 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

gendes et de formidables réalités. Déjà la vie d'un gardien de phare, isolé et solitaire au milieu des flots, séparé du monde et comme emprisonné dans une forteresse que gardent les vagues furieuses, a quelque chose de mystérieux et d'émouvant; mais lorsque, en outre, « le phare » est un phare maudit, lorsqu'il a été bâti malgré les décrets du Malin sur la Roc'h-an-Diaoul —la Roche-au-Diable, écueil implacable que le démon se réserve comme un do- maine, alors cette existence de gardien, locataire de Satan, en butte à ses maléfices et à ses colères, devient tout à fait effrayante.

De fait, les aventures des gardiens qui se succè- dent dans le « phare > , et qui tour à tour meurent, s'enfuient, deviennent fous, sont faites pour vous glacer d'épouvante. La destinée du phare, lui-même attaqué la nuit par une troupe d'oiseaux de mer, ébranlé par la tempête qui secoue furieusement la roche ensorcelée, et qui, enfin vaincu, s'abîme pour toujours dans les flots, est tragique. Cette téné- breuse histoire se déroule dans le sombre décor de l'océanbreton et M. Paul Reboux, qui nous l'a contée sans emphase, dans une langue forte et sobre, a trouvé, pour décrire ces décors mouvants, magni- fiques et terribles, des traits saisissants de couleur et de vérité.

MAI LES ROMANS 1 '•>

HEMY DE GOURMONT

Un Cœur virginal.

u L'auteur avait pensé, nous dit-il, à qualifier ce livre : Roman sans hypocrisie »; mais il a réfléchi que ces mots paraîtraient malséants, l'hypocrisie étant de plus en plus à la mode. 11 songea ensuite à : Roman physiologique; c'était encore pire par ce temps de grands convertis la grâce d'en haut purifie si à propos les petites passions humaines. Ces deux sous-titres écartés, il ne restait rien : alors il n'a rien mis.

11 aurait pu mettre cependant, pour prévenir son monde : u Roman immoral » ; mais ce mot d'immo- ral est d'une banalité dont s'otïusquerait M. Remy de Gourmout qui a horreur de tout ce qui est con- venu. Il m'appartenait pourtant, à moi, de noter que cette histoire d^Un Cœur virginal n'est pas oh non ! une histoire pour jeunes filles. Cette réserve faite, j'avoue sans honte que j'y ai pris un plaisir infini : on ne saurait, en vérité, traiter avec plus de grâce, de délicatesse, d'agrément, un plus périlleux sujet; l'histoire du couple Desbois et de sa jeune fille Mlle Rose est vraiment, dans sa naïve impu- deur, tout à fait délicieuse et M. Remy de Gour- mont est dans toute la force du mot un merveil- leux artiste de lettres.

l'>A LE MOUVEMENT LITTERAIRE

ALEXIS NOËL

Le loup dans la bergerie.

Fort gracieuse aussi, voici une histoire tout à fait édifiante, c'est l'aventure d'un auteur dramatique parisien corrompu par définition, qui à la suite d'un insuccès a secoué sur le seuil de la grand ville la poussière de ses sandales, et est venu se retremper dans son austère et candide province ; il trouve dans une confortable « bergerie » une tendre et douce « brebis » dont la grâce ingénue a vite fait de conquérir ce loup, lequel se laisse bien genti- ment enchaîner et marier. C'est simple comme on voit, et l'auteur se défend d'avoir voulu nous ser- vir une sensationnelle c< tranche de vie » ; il s'est contenté de vouloir écrire une œuvrette aimable et saine et il y a fort bien réussi.

J. JOSEPH-RENAUD

Le Chercheur de merveilleux.

Dans ce volume M. J. J. -Renaud a réuni toute une série de contes fantastiques, dont le mystère

MAI LES ROMANS 120

oppresse et trouble, et devant lesquels le lecteur éprouve un sentiment mêlé d'angoisse et de curio- sité intense et ravie; un peu comme les enfants qui vous demandent en tremblant des « histoires qui font peur ». Dès le seuil de son livre, M. J. Joseph- Renaud a donné un souvenir au maître du genre, à Edgar Poe, auquel il emprunte cette épigraphe : c( Il nous oppressait par la terrible nouveauté de l'émotion. »

Elles sont terrifiantes en effet ces histoires du i< Violon de l'enlizé » englouti par les sables mou- vants et dont la mélodie persiste encore, étrange, douloureuse et mortelle aux promeneurs qui l'en- tendirent; du « Népenthe », cet arbre fantastique qui dévore les moutons, les brebis et les hommes; de l'ensorceleuse « Fatima » au pouvoir magique et meurtrier; celtes aussi des revenants, des fous et des fantômes qui s'agitent éperdument à travers ces pages.

Mais M. Joseph-Renaud a su mettre dans tout cela une note très personnelle et très originale de clarté, de verve et de lumière; ces histoires sont affolantes, mais on sent que leur auteur n'a point perdu la tête : il est resté très maître de lui, de son style et de sa pensée; de temps à autre il semble qu'il vienne rassurer son lecteur et lui rappeler qu'il est là, qu'il ne l'abandonne pas au cours de cette périlleuse promenade dans les ténèbres...

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l;>6 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

LEON FRAPIE

La Boîte aux gosses.

M. Léon Frapié doit beaucoup aux enfants : ce sont les petits élèves de ^ la Maternelle » qui lui valurent il y a trois ans le prix Goncourt et mirent en pleine lumière cet écrivain désormais classé parmi ceux dont le public attend impatiem- ment l'œuvre nouvelle. Et, comme il n'est pas un ingrat, il a continué à s'occuper des enfants : ils tiennent dans ses livres une place considérable et sont notamment les héros de presque toutes les nouvelles réunies sous le titre expressif, pitto- resque et quelque peu faubourien, la Boîte aux gosses.

Il faut se garder de faire grief à M. Léon Frapié de cette prédilection : il a choisi pour objet de ses études, de sa compassion, de son enthousiasme, la partie la plus émouvante et la plus belle de l'hu- manité. Quel spectacle que celui de l'âme d'un enfant, avec ses drames, ses poignantes tristesses, ses joies puériles ! et comme on comprend qu'un romancier s'y attarde et s'y passionne !

Dans ce vaste sujet aussi vaste que le monde lui-même M. Léon Frapié choisit; il délaisse systématiquement les enfants heureux, les petits bourgeois, pour nous raconter des histoires de

MAI LES ROMANS I27

pauvres gosses, de petits miséreux et de déshérités. Et encore, je le comprends ! car, si séduisants, si délicieux à regarder que soient les premiers, les seconds sont bien plus émouvants, avec leur petit cerveau et leur petit cœur trop tôt mûris par la misère...

Ce sont des petits hommes, ce sont des femmes véritables, que nous montre l'auteur de la Boite aux gosses, contemplant, d'un œil curieux et atten- dri, Nini, la petite aveugle, « d'une joliesse délicate jusqu'à faire peine, avec son dos étroit, son cou mince, ses membres grêles qui causaient un malaise nerveux aux plus indillerents », et Louise Morot, <( le type commun de fillette à figure intelligente, vieillotte et affectueuse, une douzaine d'années, pas grande, mince comme un garçon, vêtue de vête- ments très propres, rallonges au détriment de la forme et bien assortis de nuance : le noir du tablier, du jupon, des bas ayant passé au gris à force de lavages » ; et ce « polisson de cinq ans environ, bossu et malingre, avec des jambes auxquelles on aurait passé des bagues... Oh ! ces jambes ridicules, inoubliables, ces deux bougies plantées au milieu des souliers démesurés et grimaçants » ; et cet autre encore, « avec ses cheveux jaunes en salade, ses yeux de chien patient, ses joues creuses, blêmes, qu'il remue pour sourire et qui ne sourient pas, avec son cou trop long et trop mince ». Ces petits héros effrayants et lamentables, gracieux et char- mants malgré tout car ce sont tout de même

128 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

des enfants . vivent au cours de ce livre des aventures rapides, simples, touchantes et formi- dables qui vous laissent une indéfinissable impres- sion de douceur, de malaise et d'attendrissement ; dans quelques-unes de ces histoires, M. Léon Fra- pié s'est élevé très haut : telle cette pathétique aven- ture que traverse un grand souffle tragique nous voyons mourir « un petit homme de trois ans, long, avec des yeux bleus, la tête un peu grosse, un grand front blanc, des joues roses à fossettes, une fri- mousse mobile en continuelle éclosion drôle ; » il en est quelques autres qui me paraissent d'un goût détestable, mais dans celles-là qui sont rares les enfants sont relégués au second plan..

RÉMY SAINT-MAURICE

Les Ressuscites.

Belle histoire d'amour, de sanglots, de tristesse. L'auteur nous y raconte la douloureuse aventure du romancier Maurice Clerval, parfait et tendre époux de Josette, laquelle, subitement, sans aucun motif plausible, prend son mari en haine et se met en tète de le quitter pour jamais. En vain le malheureux homme supplie et pleure : Josette est butée; un médecin nous explique qu'il y a un

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cas physiologique et que Josette n'est pas respon- sable du mal qu'elle fait souffrir à son mari, que son aversion, inexplicable en apparence, est le résultat d'une sorte de neurasthénie consécutive à une douloureuse opération. En vérité, la neurasthénie a bon dos ! Il y a quelque vingt ans, alors que cette maladie n'était point encore cataloguée, nous n'au rions pas trouvé d'excuse à cette insupportable petite créature qui se laisse stupidement monter la tête contre riiomme qu'elle aima et qui l'aime tou- jours.

L'auteur cependant, qui est moderne, lui, est plein d'indulgence pour son héroïne : il explique, il discute, mais malgré tous ces beaux raisonne- ment, on s'irrite contre elle, on est tenté, maintes fois, de dire à l'infortuné mari : « Mais va-t'en donc, abandonne la partie et laisse cette méchante femme à ses influences néfastes et à sa neurasthé- nie. » C'est à quoi il se résout vers la fin du livre, et à ce moment, bien entendu, sa femme se décide à revenir à lui. Mais il est trop tard, il n'y a plus place entre eux que pour l'amitié, et c'est la con- clusion mélancolique d'un roman tout vibrant de passion, d'amour et de larmes, qui est vraiment une œuvre tout à fait curieuse et émouvante.

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ANDRÉ LICHTENBERGER L'Automne.

V Automne, cette triste et grise saison de la vie les hommes si fringants, si bien conservés qu'ils soient, doivent se résigner aux abdications néces- saires, d'autant plus pénibles qu'ils ont mieux gardé l'aspect de la jeunesse et de la force, tel est le sujet du roman de M. André Lichtenberger.

Il est très émouvant, ce livre, d'une observation aiguë et attendrie, et l'auteur a su, parune anecdote type, nous dire le drame que c'est, pour cer- tains hommes, de « dételer », comme on dit en lan- gage boulevardier, au tournant fatal de la cinquan- taine, qui est justement « l'âge d'aimer « ; son héros très sympathique, le beau clubman Le Hertier, longtemps épargné par Fâge et voulant ignorer les années, éprouve un déchirement profond en s'aper- cevant, au cours d'une émouvante aventure, que le temps a fait son œuvre. Mais il se résigne après une lutte douloureuse dont l'issue ne fait pas de doute : à vieillir en beauté et à goûter les saines et douces joies de la vieillesse, nous donnant ainsi, avec une belle histoire, une leçon de sereine philosophie.

MAI LES ROMANS l3l

ALBKRIC GAHLET

La Fêlure.

Les questions conjugales qui inspirent en ce temps de si étranges et audacieux paradoxes four- nissent et fourniront bien longtemps encore un thème inépuisable à laverve des romanciers: depuis « les petites misères de la vie conjugale », pour ne remonter qu'à Balzac, que de romans furent traitées sur le mode grave, ironique ou joyeux, les mille et une questions que soulève la vie d'un ménage.

M. Albéric Cahuet semble bien vouloir se spécia,- liser dans ce genre du « roman conjugal »,et ma foi, il a joliment raison, car il y réussit délicieuse- ment ; j'ai parlé de ses œuvres précédentes, qui m'avaient semblé tout à fait agréables, son nouveau livre, la Fêlure^ m'a tout bonnement ravi ; on ne saurait rien imaginer de plus spirituel, de plus aimable, déplus attendrissant que ce joli roman nous sont contées les aventures de Louise et de son mari, Roger, le dramaturge, deux époux entre les- auels un drame poignant éclate sans pourtant, malgré certaines apparences, que le moindre coup de canif ait été donné dans le contrat et qui se réconcilient dans la divine espérance de l'enfant

l.>2 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

sauveur, dont la ^râce candide les consolera, vien- dra défendre leur bonheur et leur amour.

11 y a une thèse dans ce roman : oh I une toute petite thèse, qui se dissimule le mieux du monde, à savoir: qu'une « fêlure » menace tout mariage entre un homme riche, arrivé, et une jeune fille qui, ne lui apportant que sa grâce et sa beauté, sans le moindre complément matériel, risque d'être son obligée : situation funeste à Iharmonie conjugale. Rien ne me paraît plus contestable que cette thèse, mais je ne m'attarderai pas à la discuter, car il me semble que M. Albéric Cahuet n'y attache pas lui- même une bien grande importance ; je me contente de dire le très vif plaisir que j'ai pris à la lecture de cette œuvre saine, délicate, émouvante, abon- dent les notes d'observation spirituelle, amusante et éminemment parisienne et dont, chose tout à fait remarquable, tous les héros ou presque tous sont sympathiques : cela repose un peu de la ros- serie à Tordre du jour.

M'"« HELENE DE ZUYLEN DE NYEVELT

Le Chemin du Souvenir.

OEuvre complexe, étrange, diverse, qui, tour à tour nous emporte dans des régions éthérées de

MAI LES ROMANS l33

rêve et de mystère, puis, nous met brusquement en face d'assez brutales réalités.

L'histoire de Gennaro et de Viola deux cousins issus d'une famille très noble et fort désargentée se déroule dans le cadre si poétique et si har- monieux de Florence. Viola est belle adorable- ment, Gennaro est poète, et il a du génie, et tous deux s'aiment éperdument; ils chantent un duo d'amour enflammé avec pourtant quelques moments de prose, car ils se souviennent que leur famille compte sur eux pour redorer son blason, et, noble- ment, ils décident que cette tâche sera accomplie par eux ; mais la mort vient briser leurs projets d'amour et de fortune : (îennaro meurt phtisique, non sans avoir fait promettre à sa fiancée de réaliser l'œuvre entreprise.

Dès lors. Viola, douloureuse, s'engage dans « le chemin du souvenir », lequel la conduit tout droit au mariage avec un rustre millionnaire qui îa fera souffrir, mais relèvera le palais florentin. Fidèle au souvenir de Gennaro et au pacte qui la lie à son tombeau, elle repousse l'ardent amour d'un certain Gérald de Linières, mais elle ne réussit pas à désar- mer la jalousie de son mari qui tue son pseudo- rival et répudie son épouse, qui se réfugie dans le rêve mystique d'un jardin embaumé elle revoit le visage aimé de Gennaro, et « la mort descend sur cet unique amour, comme la nuitsurle beau jardin ».

LE MOUVEMENT LITTERAIRE

MADAME BOUYER-KARR Une Amoureuse.

Mme Bouyer-Karr est la petite-fille d'Alphonse Karr ; c'est un nom difficile à porter en littéra- ture, mais M. Jules Claretie, qui a donné à ce roman une émouvante préface, nous rassure dès Tabord, nous affirmant que « le nom dAlphonse Karr n'est pas seulement bien porté, mais qu'il est bien con- tinué par sa petite-fille ».

Et ce roman est en effet une œuvre forte, poignante et douloureuse : c'est l'histoire d'une délicieuse jeune fille à l'âme ingénue 'et candide, au cœur romanesque, ardent, passionné, avide de bonheur et de tendresse, mais dont la marâtre nature fit une déplorable infirme, bancale et contrefaite, et c'est une chose vraiment émouvante que le spectacle de cette pauvre fille éperdue d'amour et toujours délaissée, incomprise par des êtres qui ne savent pas deviner la grâce et la séduction d'une âme sous la laide parure d'un corps contrefait.

Aussi elle appelle de tous vœux la mort compa- tissante et bonne qui vient enfin à elle et la délivre, et, « quand Virginie passa, elle avait dans les yeux une telle expression de joie que ses parents se regardèrent épouvantés», en ce jour « elle fut

MAI LES ROMANS l35

eulin délivrée de son corps et qui se couchait dans une splendeur du matin, dans une promesse d'au- rore ».

I

BRADA

Malgré lamour.

Brada, la très distinguée femme de lettres dont j'aime tant le beau talent et qui nous a donné avec Isolée et Madame cVEpone, pour ne citer que celles- là, des œuvres si remarquables, nous otïre dans son roman une leçon assez imprévue et décourageante : à savoir qu'un ardent et mutuel amour est mortel au bonheur de deux jeunes époux. Tout de même, la thèse me semble un peu paradoxale, et s'il est vrai de dire que l'amour tout seul ne suffit pas, qu'il faut encore, pour all'ronter les mille petites difficultés de la vie et déjouer les mille perfidies que les bonnes âmes sèment sous les pas des époux trop heureux, beaucoup debon senset d'espritde conciliation, il ne s'ensuit pasquele mariage sans amour soit plus que l'autre à l'abri des orages et des difficultés ; je crois même que c'est le contraire et, quoi qu'en dise cette dame russe qui, « ayant remarqué que dès que les gens s'aiment ils commencent à se torturer, avait décidé de n'épouser qu'un individu qu'elle n'aime-

l36 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

rait pas du tout », je crois bien qu'un peu d'amour ne fait pas mal dans le tableau.

C'est d'ailleurs l'avis de Brada, qui craint seule- ment les excès de la grande passion et, au dénoue- ment de la douloureuse et attendrissante aventure de Jean de Pavilly et de son épouse Julie Favron, nous fait assister à une réconciliation dans un amour qui, pour être assagi, n'en est pas moins de l'amour.

HISTOIRE. LITTÉRATURE, VOYAGES, POESIE, DIVERS

FHÉDÉRIC MASSON

L'Affaire Maubreuil.

L'affaire Maubreuil? Mais c'est un drame de la Restauration! Est-ce que M. Frédéric Masson serait décidé à faire des infidélités à l'Empereur et à son épopée ? On est bien vite fixé sur ce point en lisant la fougueuse introduction dont il fait précé- der son ouvrage. Non, M. Frédéric Masson n'aban- donne pas son Empereur, il ne l'abandonne pas surtout aux jours noirs et tristes de 1814, et c'est précisément en « disposant les matériaux qui ser- vent de base au tome dixième de Napoléon et sa famille qu'il a été arrêté par l'attentat commis à Fossard, le 21 avril 1814, sur la reine Catherine de

i'S8 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Westplialie, et par ce qu'on a appelé « l'Affaire Maubreuil ».

Dès lors, réminent historien a voulu aller jus- qu'au fond de son sujet et pénétrer toutes les obscu- rités dont ce gros fait divers, ce guet-apens, avait été entouré; aussi bien il est dans son rôle : garde du corps de l'Empereur et de Tépopée, ayant mis la main sur une bande d ennemis de la grande cause, il se garde de les lâcher; bien mieux, il veut découvrir et clouer au pilori tous les com- plices et il n'y va pas de main morte, car « ayant à choisir entre deux légendes parallèles qui s'éta- blirent au sujet de cette affaire : la première accu- sant les représentants les plus qualifiés de l'aris- tocratie française, l'autre, qui fut la version de Maubreuil, accusant Talleyrand lui-même d'avoir ourdi l'affaire, organisé l'attentat », M. Frédéric Masson en adopte une troisième, qui ne manque pas d'audace : « La vérité, dit-il, est que seule la bande du comte d'Artois a marché, qu'elle a tout mis en branle, tout risqué, tout fait » ; l'accusation, comme on le voit, n'est pas de mince importance. M. Frédéric Masson prétend l'établir formellement. En tout cas, il a réuni autour de cette palpitante affaire toute une série de documents nouveaux qu'il a présentés avec cette ampleur et cet art magistral d'évocation dont il a le secret.

MAI HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 1.^9

ÉTIENNK DKJEAX

Un Préfet du Consulat.

Ce Préfet du Consulat est « Jacques-Claude Beu- gnot, organisateur des préfectures au ministère de l'intérieur (1799-1800), préfet de la Seine Inférieure (1800-1806) ». Kt son histoire, rédigée d'après les papiers légués récemment par le petit-fils de Beu- gnot aux Archives nationales, est pleine d'intérêt et d'enseignements : on le sait de reste par la très belle et très éloquente étude que lui consacra M. Henry Roujon, lequel n'a vraiment pas laissé grand'chose à dire du livre : après l'avoir lue, j'ai eu le vif désir de connaître par les documents de M. Etienne Dejean ce fonctionnaire modèle et cet admirable administrateur, et je n'ai point été déçu : on ne saurait imaginer, en effet, œuvre plus ins- tructive, plus attrayante, plus émouvante même, parfois.

J. LAIR

Louise de La Vallière et la jeunesse de Louis XIV.

Ce volume, pour la composition duquel de nom- breuses archives ont été mises à contribution.

l4o LE MOUVEMENT LITTERAIRE

évoque de façon tout à fait émouvante la mémoire « de cette femme gracieuse et tendre, dont le désintéressement et la modestie voilèrent l'unique faute que le monde pardonnait, mais qu'elle voulut cependant expier par une pénitence de plus de quarante années ».

M. J. Lair s'est appliqué avec un soin pieux à ne rien laisser dans l'ombre de cette attachante his- toire, il y a consacré six années d'études et de recherches, dédiant à cette héroïne reléguée généra- lement au second plan un effort réservé pour l'ordi- naire aux grands premiers rôles. Il a eu bien raison, car il a réussi ainsi à faire revivre une figure de la plus intense et de la plus intéressante séduction et, en même temps, il a retrouvé mille détails qui reconstituent dans tout son pittoresque le milieu si brillant, si fastueux de la cour du Grand Roi.

Ce livre avait beaucoup séduit M. Brunetière qui, le premier, l'avait signalé au public et avait dit l'importance de cette monographie historique de Louise de La Vallière ; le public ne sera pas moins séduit que l'éminent écrivain et il lira avec infini- ment de profit, d'émotion et de plaisir, ce beau livre très copieusement illustré de tableaux et de portraits qui ont été reproduits avec beaucoup d'art et de goût.

MAI HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. l4l

FRANÇOIS ROUSSEAU

Le règne de Charles III d'Espagne .

En notre temps si épris d'études historiques et de reconstitutions, il ne s'était pas trouvé un écri- vain pour nous raconter le règne « du plus réputé, pour ne pas dire du plus grand des Bourbons espa- gnols », pas même un traducteur pour nous oflrir une adaptation des importants ouvrages que lui consacrèrent Ferrer del Rio et Danvilla y Collado. ('.e prince valait pourtant la peine d'être étudié et son règne de trente années (1759-1788) fut assez fécond en événements mémorables pour tenter la verve d'un historien.

On s'en rend' bien compte en lisant les deux volumes de M. François Rousseau, d'une si forte documentation, puisée aux archives d'État de Ma- drid, de Londres et de Paris, et d'un si puissant intérêt ; on y comprend à merveille cette histoire paradoxale des Jésuites persécutés par le plus chré- tien et le plus pieux des princes ; on y trouve, éga- lement, un « fort bon tableau d'ensemble qui nous montre la vie intellectuelle et artistique de nos voisins d'outre-Pyrénées sous la double influence de l'esprit de tradition si fort chez eux et de l'esprit de nouveauté importé de chez nous et déjà puissant en Espagne dès 1780 » ; on y voit, enfin.

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revivre avec une intensité singulière des person- nages fameux, d'un puissant intérêt, tels : Grimaldi, dAranda, le cardinal de Solis, Florida Blanca, et Goya, le peintre; Sarzillo, le sculpteur; Ramon de La Cruz, le dramaturge.

CHARLES BENOÏST Le Machiavélisme avant MachiaveL

Le machiavélisme avant Machiavel? Voilà qui est fait pour étonner les gens qui ne savent pas qu'il y a un machiavélisme perpétuel, car « il est une loi de tous les temps, valant pour tous les temps, malgré la différence des temps, si les hommes sont les hommes, si les choses sont les choses, si la poli- tique est Lart de plier soit les choses aux hommes, soit les hommes aux choses et de conformer les moyens au but ». Ils le sauront lorsqu'ils auront lu l'ouvrage très curieux dont M. Charles Benoist nous donne aujourd'hui le début, œuvre qui « n'est ni un livre d'érudition, ni même un livre d'histoire, mais plutôt un essai de psychologie historique ».

Dans ce premier volume il se demande, au moment Machiavel parut, « ce que le passé avait accu- mulé, ce que le présent contenait de machiavélisme

MAI HISTOIRE, LITTÉHATURE, VOYAGES, ETC. l\?)

en suspension», et pour résoudre cette question il étudie en des pages pittoresques et profondes quelques politiques italiens et quelques phases de Fhistoire politique de Sforza et de César Borgia. Tout cela est plein de renseignements, de documents et d'érudition, et c'est également tout à fait amusan et savoureux.

FERDINAND \).v: Vieille Allemagne.

LES PAYSAGES DE GOETHE

L'année dernière, Ferdinand Bac, peintre des petites femmes de Paris, s'avisa de débuter dans les lettres avec cette exquise Vieille Allemagne dont on se rappelle la fortune. Après un tel début et nous ayant ainsi mis en goût, Ferdinand Bac nous devait de nouveaux travaux, il nous devait de con- tinuer cette prestigieuse promenade à travers la u Vieille Allemagne », cette Allemagne de l'har- monie, de la poésie et de la philosophie sereine qui nous repose un peu de celle des reîtres et des diplo- mates et voici qu'avec sa deuxième série de Vieille Allemagne, il nous conduit aujourd'hui vers « les Paysages de Goethe ».

l/|4 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Il m'est bien difficile, dans ce cadre étroit, d'ana- lyser comme il faudrait ce livre se trouve évo- quée, en des traits inoubliables, la belle, la noble et olympienne figure du prodigieux poète. Jamais il ne nous est apparu plus harmonieux, plus com- plet, plus séduisant, plus vivant que dans cette série de « paysages », reconstitués avec un art et une poésie infinis, et les phases successives de sa vie sont narrées dans le cadre même elles se déroulèrent : à Francfort, dans le « paysage ma- ternel », le petit Wolfgang, cet « insupportable enfant prodige ^>, vit entre son père et son adorable maman; à Wetzlar, dans le « paysage de Werther », tout parfumé des lilasblancs etdes roses qui pendent lourdement en grappes par-dessus les murs; dans la maison de Charlotte, nous retrouvons les fra- giles souvenirs de la passionnelle épopée, et dans celle de Werther, le jeune Goethe «souffrit les souffrances du jeune Werther » ; à Weimar TAthènes germanique, nous parcourons tour à tour, le « paysage des Folies », le parc deTiefurt et le château de Belvédère avec ce théâtre de verdure la belle comédienne Corona Schrôder joua die Fischerin, et le « paysage du recueillement », ce parc de Weimar qui est « une édition des poésies de Goethe reliée en maroquin vert » ; à léna, le « paysage guerrier» Goethe, impassible etcurieux, prend des notes au milieu de la canonnade. Et c'est enfin le « paysage olympien », la chambre mor- tuaire, où, le 22 mars 1832, cette âme « qui avait

MAI HISTOIRE, LITTÉRAÏLRI:, VOYAGES, ETC. l4~>

contenu un univers, qui avait su tout comprendre et tout pardoanor » s'envola, cettechambre se ferma K le cercle multicolore de cette vie qui avait com- mencé dans la simplicité, qui avait traversé ensuite des pays éclatants de soleil, d'amour, de gloire, et s'acheva paisible dans la mAme simplicité' >>.

HENRI LICHTENBERGER

L'Allemagne moderne.

Après cette poétique, touchante et rêveuse Vieille Allemagne, voici V Allemagne moderne, bien moins séduisante, certes ! mais singulièrement intéressante et impressionnante. C'est M. Henri Lichtenberger qui nous convie à étudier son « évo- lution » dans un livre qu'il donne à la « Bibliothè- que de Philosophie scientifique »; sans doute, per- sonne n'était mieux désigné pour écrire un tel ouvrage que ce maître éminent qui a consacré toute une vie de labeur et de recherches à 1 étude appro- fondie de la littérature, de la langue et de la pen- sée allemandes, et qui, durant des années, foudroya de ses regards sévères les pauvres candidats à la licence d'allemand dont il excellait à réduire en poussière la science incertaine et trerifiée...

Le candidat d'autrefois ne pourra pas goûter

l\C> LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

aujourd'hui le plaisir de la revanche, il De pourra pas prendre en défaut M. Lichtenberger, dont l'œu- vre sévère, forte et complète défie ia critique. Impressionné par le spectacle si curieux de l'Alle- magne du dix-neuvième siècle, de cette nation chez laquelle « la raison scientifique et la volonté organisatrice ont accompli les plus extraordinaires prouesses », cependant que « Tesprit religieux, le respect de la tradition et de l'autorité gardaient tant de force », M. Lichtenberger cherche, nous dit- il, à décrire aussi impartialement que possible, et en faisant intervenir le moins possible son senti- ment personnel, un ensemble de faits singulière- ment intéressants pour nous. Ces faits, M. Lichten- berger les groupe en quatre livres : l'Evolution économique, l'ElvoIution politique. l'Evolution de la pensée religieuse et philosophique, l'Evolution artistique, qu'il étudie tour à tour dans tous leurs détails. Et il conclut que l'effort individuel est très intense en Allemagne, mais qu'il n'a pas pour conséquence l'individualisme anarchique ; par la science de la discipline, l'Allemagne s'élève pro- gressivement à une conception de la vie qui vient peu à peu corrigei; et compléter la conception de la libre concurrence. C'est par que son évolution mérite le plus notre admiration. En effet, cela est d'un exemple singulièrement précieux pour les Français de notre temps; d'ailleurs, loin de voir dans cet esprit de solidarité intensive, et pour tout dire, de nationalisme, une menace, M. Lichtenber-

MAI HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, ETC. l/Jj

ger veut au contraire « espérer que le vingtième siùcle verra grandir et s'étendre la religion mo- derne de la solidarité, que nous nous rapprocherons peu à peu de cet idéal du bon « Européen » qu'à l'apogée de la ferveur nationaliste Nietzsche osait prêcher à ses compatriotes ».

LEON DLUM

Du mariage.

Nous souffrons, paraît-il, d'une « crise du mariage »; les Français de notre temps se marient peu, ils se marient mal, ils font mauvais ménage, tout cela au grand détriment de la société et de l'individu. La monogamie aurait-elle donc fait son temps et serions-nous mûrs pour cette polygamie que nous pratiquons d'ailleurs quelque peu déjà? M. Léon Blum se pose fort sérieusement cette ques- tion et, après mûre réflexion, il conclut, que l'ins- titution a du bon et qu'il convient de s'y tenir, mais qu'il faut la réformer, car décidément le mariage, tel qu'il est pratiqué de nos jours, ne va pas, mais pas du tout !

Notons, en passant, que notre temps si décrié n'a pasle triste privilège de la « crise du mariage» ; et.

IV^ LE MOUVEMENT LITTERAIRE

que, il y a quelque vingt siècles, Sénèque s'écriait déjà : « 11 me semble qu'on ne se marie plus guère à Rome que pour donner à l'amour le piquant de l'adultère ! » M. Léon Blum n'est pas loin de partager la mauvaise opinion du philosophe latin : il ne voit partout que mauvais ménages, unions mal assorties, adultères; le mariage d'amour ne réussit pas mieux que le mariage d'argent, et le mariage de convenance a d'aussi fâcheux lendemains que le mariage d'inclination : que faire alors? C'est bien simple, il le faut réformer. Mais quelle réforme ? C'est ici que la chose devient délicate à exprimer. iVime Ackermann qui, elle aussi, a souvent dénoncé les méfaits du « conjungo », dit qu' « il est rare- ment l'union harmonieuse, de deux individus qui se trouvent être dans un même état de cœur. Ce n'est le plus souvent qu'un besoin de finir et un désir de commencer qui se rencontrent »; en d'autres termes, généralement le mariage est pour l'homme une fin, et pour la femme un commence- ment : c'est bien «ela que M. Léon Blum trouve tout à fait fâcheux et, pour tout remettre en ordre, il propose simplement d'organiser la vie des jeu- nes filles de telle façon que pour elles aussi il soit une fin...

Je ne sais si je me fais suffisamment comprendre. M. Léon Blum, lui, est aussi clair que possible dans son livre, et il n'est pas possible de se méprendre sur sa théorie qu'il développe com plaisamment, qu il étaye d'exemples soigneusement choisis, et de

MAI niSTOIRE, LITTÉHATURE, VOYAGES, ETC. 1 Vj

suggestives anecdotes ; c'est le projet mûrement rélléchi d'un homme qui veut assainir le mariage et réformer la société. Si M. Léon Blum avait pré- tendu écrire un livre d'humour et d'ironie, je prendrais plaisir à louer l'habileté qu'il met à développer son paradoxe, la grâce avec laquelle il se meut au milieu des plus périlleux sujets, mais puisqu'il a voulu être grave et qu'il nous convie à le lire sérieusement je ne puis m'empêcher de dire sans doute parce que je ne suis qu'un bour- geois attardé, incapable de comprendre les idées larges et les vastes conceptions combien j'ai été irrité et parfois indigné en lisant ce livre. D'ailleurs, M. Léon Blum, pris d'un tardif scrupule, avoue en terminant qu'il sait bien que les jeunes filles ne le liront pas, et il se demande : « Aurais-j.e souhaité qu'elles le lussent'^ si j'en voyais une devant naoi, oserais-je lui conseiller de rompre avec les pré- jugés qui l'enchaînent, d'agir comme il me paraît naturel et juste ? Oserais-je, si j'avais une fille, l'éle- ver dans ces vues? » Devant toutes ces questions, M. Léon Blum hésite, et c'est heureux ! Mais alors que deviennent ses grands projets de réforme, s'il se prive, par un sentiment que j'approuve infini- ment, du seul public qui les pourrait faire aboutir..

IDO LE MOUVEMENT LITTERAIRE

COMTE ROBERT DE MONTESQUIOU

Altesses Sérénissimes.

M. le comte Robert de Montesquiou nous offre un recueil d'études et de critiques d'art sous le titre : Altesses Sérénissimes, « jalouses, dit-il, de placer, avec prédilection, des couronnes de leur choix sur des têtes déjà laurées ». Je voudrais parler comme il convient de ce livre tout à fait curieux et fort, tout rempli de choses jolies ; mais la place m'est ici trop mesurée et je dois me conten- ter de signaler en courant la pénétrante étude sur Gustave Moreau, « le peintre lapidaire, le pictural joaillier ^ ; sur Albert Besnard, u Ten- chanteur » ; sur Jean Boldini, « le séducteur » ; les quelques réllexious sur Tœuvre de M. Sargent, quelque peu malmené ; des notes enthousiastes sur Rodin, et encore le « Jubilé d'Olympio », M. Robert de Montesquiou chante Victor Hugo, u le maître du verbe » ; des pages sur le Vendredi Saint; sur Verlaine; sur l'art japonais; sur Ver- sailles; sur l'Engadine, que sais-je encore! Mais cette énumération, aussi incomplète qu'elle soit, est faite pour donner une idée de Tétonnanle diver- sité de ce livre si séduisant.

iiiSTOiui:, LU j i.uAi i uK. \ova(ji:s, etc. i^ji

JULES BOIS

Le Miracle moderne.

DaQS le Miracle moderne, M. Jules Bois étudie cette science en formation qu'il a si heureusement baptisée la métapsychique, et ((ui est aux sciences psychiques ce que la métaphysique est à la phy- sique.

J'avais eu la bonne fortune de pouvoir pailer de ce livre bien longtemps avant son apparition, car M. Jules Bois m'avait exposé le plan de son ouvrage et notamment cette théorie si séduisante qui fait admettre et comprendre tous les miracles en les déplaçant, en les chassant de l'au-delà pour les faire rentrer dans l'en-deçà, en nous montrant qu'ils se produisent en nous-mêmes et non pas dans le monde extérieur, et que « le miraculé porte en lui la possibilité du miracle ».

Avec un peu de réflexion on se rend compte combien cette théorie est rationnelle, féconde, et prudente aussi, car elle met en garde l'explorateur de ces cryptes mystérieuses contre toutes les outrances et toutes les folies qui le menacent; c'est grâce à elle que M. Jules Bois a pu faire ce péril- leux voyage à travers le monde troublant, mysté- rieux, effrayant des fantômes, des revenants, des voyantes, et en revenir l'esprit sain et calme, ayant

l52 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

écrit sur ces vastes et profonds sujets un très beau livre tout rempli d'étranges et surprenantes his- toires d un vif attrait, et aussi d'une haute portée philosophique. Ce livre ne laisse pas, comme tant d'autres qui traitèrent du môme objet, une impres- sion de trouble et de malaise ; bien au contraire, il en ressort une leçon de confiance, de fierté, d'énergie, car « ce n'est point en dehors delà circon- férence que gît le mystère du cercle, mais dans le point central : le vrai miracle se réalise en soi, et le grand agent magique c'est la volonté, ou plutôt les deux volontés, l'inconsciente (foi, inspiration, intuition, génie) et la consciente. Or il est possible d'éveiller, de cultiver les deux volontés, mais il y faut une sagesse supérieure, car sans elle « l'arme se retourne contre l'ouvrier qui l'a fourbie ».

D^ MAURICE DE FLEURY

Quelques conseils pour vivre vieux.

Chamfort écrit quelque part cette phrase lapi- daire : « Vivre est une maladie dont le sommeil nous soulage toutes les seize heures ; c'est un pal- liatif: la mort est le remède. » C'est un pessi- misme bien outraucier pour être tout à fait sincère,

I

MAI HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, ETC. l53

et Gharafort ne devait pas être très convaincu en pro- clamant ainsi son horreur de la vie. En tout cas, M. « Tout le raonde >>, qui a plus d'esprit que M. de Voltaire et que M. Gharafort, se garde bien de se ranger à cet avis : il estime avec raison que si triste, si douloureuse que soit la vie, si pénibles que soient les obligations auxquelles elle nous soumet, elle vaut probablement beaucoup mieux que la mort; elle a du moins sur cette dernière l'avantage d'êtie bien mieux connue et, comme disent les bonnes gens avec leur philosophie simpliste qui pourrait bien être la suprême sagesse: « On sait ce qu on quitte, on ne sait pas ce qu'on prend ! »

Résignons-nous donc à vivre et écoutons les Quelques conseils pour vivre vieux, que nous donne en un volume le docteur Maurice de Fleury. Il est charmant, ce livre ! La science s'y pare de grâce et» d'agrément ; on ne sauraitdonner aux gens des con- seils d'hygiène dans une langue plus littéraire, sous une forme plus aimable [dus spirituelle, je dirai même plus alléchante, car vraiment la pilule de la sagesse y est dorée avec tant d'art qu'on l'avale comme une dragée.

Ces conseils familiers, ils embrassent toute notre existence, ils concernent tous les actes de notre vie individuelle et sociale. Après nous avoir expliqué comment nous vieillissons et nous avoir démontré l'utilité de l'optimisme systématique, M. Maurice de Fleury nous apprend tour à tour : comment nous devrions nous loger, dans quel quartier et à quel

9.

l54 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

étage ; comment nous devrions dormir, dans quelle position et dans quel costume; commeut il coq- viendrait de nous habiller, sans nous préoccuper maladivement comme nous le faisons trop sou- vent — du froid ; comment nous devrions manger, que nous soyons riches* ou pauvres, car, tout comme les riches, les pauvres mangent trop et mal. 11 nous enseigne mais que ne nous enseigne-t-il pas? Tart d'engraisser si nous sommes trop maigres, de maigrir si nous sommes obèses; avec l'indiscrétion d'un médecin il entre dans notre vie privée et sentimentale, et pour notre plus grand bien, pour notre sauvegarde et celle de nos fils, il nous dit « la physique de l'amour », en des pages d'une délicatesse et d'une discrétion iafinies. Après quoi, il nous apprend à travailler et à nous défendre contre la neurasthénie, et il nous exhorte à Ja préservation sociale en un cha- pitre qui est un hymne véritable à la santé et à la force et une protestation contre notre tendance à sacrifier les forts aux faibles, alors que, tout en étant charitables et bons, u tout en secourant les malades, tout en venant en aide aux malheureux, nous devons nous convaincre, si nous voulons demeurer un peuple vivant et qui compte, que la sauvegarde de l'homme sain doit nécessairement dominer notre conception de la bienfaisance pu- blique ».

Ainsi se termine ce bréviaire de l'homme sain et raisonnable qui redoute la maladie mais qui évite

MAI IlISTOlllK, LITTERATURE, VOYAGES, ETC.

l.K)

de verser dans l'excès et de vivre peureusement : l'auteur serait navré, nous dit-il, << d'avoir induit un seul de ses lecteurs aux craintes excessives, à la nosophobie, car s'il est coupable de demeurer indilïérent au mal physique, il est fou d'en avoir la terreur incessante ».

BlARl) n'AlNET

L Aurore australe.

Dans cet ouvrage, l'auteur étudie tour à tour v( la société australienne et son fonctionnement,* la valeur et la situation matérielles de l'Australie, l'xVustralie vue au dehors ». « Les Français, nous dit M. Biard d'Aunet, s'occupent peu de l'Australie, ils s imaginent sans doute n'avoir rien à craindre ni à espérer d'un pays situé aux antipodes. Mais de récents événements nous ont donné à réfléchir sur la valeur des distances géographiques et nous ccm- mençons à soupçonner l'importance de contrées fort lointaines. L'Australie n'est pas plus éloignée de nous que le Japon, qui s'est imposé à notre attention avec une vigueur inattendue. » Il y a de graves raisons de nous intéresser à ce qui se passe actuellement dans l'Australie, qui est dans un état de transformation active dont les conséquences

K)6 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

pour nous peuvent être incalculables : c'est « l'Au- rore australe » qui se lève, il convient de la saluer et de la regarder ; au surplus, le spectacle est plein d'intérêt et d'agrément.

COMTESSE DE NOAILLES

Les Eblouissements.

C'est un bien joli titre, prometteur de magni- fiques et claires lumières. L'œuvre est digne du titre, digne aussi du poète magnifique, « ardent et limpide », à qui nous devons le Cœur innombrable. On retrouve dans les Eblouissemenls les thèmes préférés de Mme de Noailles, la lumière, la joie, la beauté de la vie, le charme toujours nouveau de l'éternel printemps, la splendeur infiniment di- verse de l'éternel été, la fraîcheur vive des purs matins, la paix brûlante des lourds après-midi pâmés, les trésors étincelanls et secrets des immenses nuits étoilées, Tinnocence des jeunes verdures, la force des antiques rameaux... Toutes ces choses, Mme de Noailles les chante avec une délirante allégresse, avec aussi une prodigieuse puissance de verbe, un luxe inouï de notations aiguës, d'images ravissantes par la grâce desquelles elle sait comme personne nous faire goûter les

MAI IIISTOIF{i:, LU ThHATUtii:, \«i\AL.i.-, LiK.. K>7

innombrables saveurs des saisons, le baume ailé, composé d'air, d'eau, de soleil, d'essences de fleurs, de l'âme de la terre et des soupirs du ciel, et tout cela dans un mouvement entraînant, avec un souffle, un élan irrésistibles... En vérité, c'est un éblouissement...

MEMENTO DU MOIS DE MAI

ROMANS

Avozo (André). Nos Belles-Mèresi.

Boisiiard (Magali). La Vandale.

bray (Max de), Le Journal d'une femme du monde.

Chaavigny (Louis de). Les Souliers des morts.

Darin (Maurice). Colette ou la Protectrice^ un roman d un.' f^ràce pimpante et légère, l'auteur, à l'aide d'une ai- (uable histoire, nous démontre : que « ce que petite femme \eut, Dieu le veut! » et que pour parvenir aux honneurs suprêmes, rien ne vaut pour un jeune écrivain, l'affection ingénieuse d'une « amie » qui a de la volonté, de la persis- tance et de la séduction. Tout cela n'est pas autrement im- moral et c'est vraiment tout à fait agréaljle.

Davignon (Henri^. Croquis déjeunes filles.

Dranem. Isidore le Bouif\ « roman gai ».

Eschenbach (Mme Ebner). Un Incompris, recueil de nouvelles, paru dans la « Bibliothèque des meilleurs romans étrangers, » et traduit par M. Heinecke.

Faure (Paul). La Chapelle enchantée.

Hennezel ^Henri d'). Le lendemain du péché.

Lemaître ^Mme Claude). Les Fantoches. ,

l58 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Le Piolju (Pierre), Le Procès de Lucelte, « mœurs judiciaires >'.

Liebreclit (Heuri). Le Masque tombe.

Mandelstamm 'Valentin). Les Demi- Amours.

Meiegari (Dora), Caterina Spadaro.

iNief (Fernand), Le Chemin de Vamoiir.

Pontié (Edouard). Contes latins, un très agréable recueil de

nouvelles l'auteur a tenté une reconstitution pittoresque

des mœurs, des sentiments et de la philosophie à la fin de

la Piépublique romaine. Régnier (Henri de). La Peur deVamour. Schneider (Edouard). Les Baisons du cœur. Serao (Matilde), Les Amoureuses. Twain (Marck), Plus fort que Sherlock Holmes. Un recueil

d'étourdissantes nouvelles du délicieux humoriste, traduit

par M. François de Gail.

HISTOIRE LITTÉRATURE THEATRE POESIE

POLITIQUE DIVERS

Arcin (André). La Guinée Française, « races, religions, cou- tumes, production, commerce >>.

Aulard, Les Orateurs de la Révolution. Tome III, « La Législa- tive et la Convention ».

Barbey d'Aurevilly. Lettres à une amie, 1880 à 1887. Même privées delà légendaire et multicolore parure dont le grand poète ornait ses épitres, elles sont bien émouvantes et bien belles ces lettres d'une si confiante intimité, «. mémorandum des dernières heures ».

Baudin (Pierre). La Préparation au service militaire. L'au- teur, dans la plaquette qui porte ce titre, nous fournit des indications très précises, inspirées par un très pur, très ardent et très sage patriotisme ; il expose qu'étant donnée la forme nouvelle du service militaire, l'école doit préparer l'œiivre de l'armée; « ce n'est pas assez qu'elle forme des citoyens, il faut qu'elle forme des hommes à la fois citoyens

MAI HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, ETC. lOi)

et soldats ; c'est une (l'uvre (jui incombe aux instituteurs, mais il faut la leur rendre possil)le eu présentant à leur patriotisme, un plan clair, précis et pratique ». On ne sau- rait émettre de pensées plus sages et plus fécondes, eu un meilleur langage.

Brelte (Armand). Les Limiles et les divisions lerriloriales de la France en 1789.

lirulat (Paul). Ilisloire populaire de Jules Ferry.

Cabanes (Docteur). Les Indiscrétions de ihisloire (4" série).

Oaumont l.a Force (Marquis). LWrchilrésorier Lebrun, gouver- neur de Hollande, 1810-1813. ,

Oosse (Richard). La France et lu Prusse avant la guerre, deuxième volume consacré à la politique de Sedan.

Dauphin Fernande Odes à voix bas.^e.

Davray. La littérature anglo-canwlienne.

Dcsbrière (Commandant) et Capitaine Sautai. La Cavalerie pen- dant la Révolution, du \i juillet 1789 au 2^ juin 1794. La Crise, un livre publié p ■-• '• s^rtini. historique de rétat-m.ijor de l'armée.

DiftlofK (P.). La fin de l'énigirc, > e^sai sur la mathématique de l'amour ».

Donop (Général). Commandement et Obéissance, une plaquette cet éminent officier fait une critique du dogme de l'obéissance passive, d'où il résulte que, pour être entière, l'obéissance militaire ne doit être ni passive, ni servile; la thèse est intéressante et elle emprunte à la haute personna- lité de son auteur une valeur considérable; tout de même, il est des esprits simplistes qui coùtiuueront à prétendre que l'obéissance qui discute et (jui raisonne n'est plus l'obéis- sance.

Dulac (Edouard). De cœur à cœur, poésies.

Estève (Edmond). Byron et le Romantisme français.

Faguet (Emile). Musset des familles, 'un bien joli volume dans ' lequel ont été réunis les poésies, les pièces et les romans de

l'auteur des Nuits choisis et présentés de façon à ne pas etfaroucher les familles et à pouvoir suivant la formule consacrée : « être mis dans toutes les mains ! » Ces choix, ces sélections m'inquiètent toujours et me font l'effet d'être quelque peu sacrilèges ; je conviens néanmoins qu'ils s'im- posent à qui veut présenter « Musset dans les familles » ;

l6o LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

j'ajoute qu'on peut être rassuré sur la discrétion et la piété avec laquelle fui accomplie cette périlleuse besogne, lors- qu'elle a pour auteur M. Emile Faguet. Frager (Marcel). A fleur de lemp?.^ un livre de poésies l'auteur a réuni des « Brises d'Armor » des « Bigarrés », des « rubans roses et rouges »,

Le poète, parmi les choses, A Heur de temps Butine et s'abaisse ou s'élève. Au fil du rcve ! -

Gendarme de Bevotte. La Légende de Don Juan, « son évo- lution dans la littérature, des origines au romantisme ».

Gossart (Capitaine). Histoire de l'officier français, « ses trans- formations successives sous la monarchie absolue, sous la Révolution, sous l'Empire, sous la monarchie constitution- nelle, sous la République ».

Goyau ((ieorges). Jeanne d'Arc devant Vopinion allemande.

Grasset (Docteur J.). UOccullisme, hier et aujourd'hui.

Hervez (Jean). Les Femmes et la Galanterie au vingtième siècle.

Hocquart de Turtot (E.). Le Tiers-Etat et les Privilèges.

Huard (Charles). Berlin comme je l'ai vu, un délicieux livre, tout rempli d'observations judicieuses et amusantes, et sur- tout dune multitude de croquis pris sur le vif: petits tableaux délicieux d'humour et de pittoresque.

Ibels (André). Le Livre du Soleil, œuvre très intéressante u de polémiste, de penseur et d'artiste ».

Langlois (Général). Dix Jours à l'armée suisse.

Larzelles (Henri de). Lettres d'un réserviste.

La Sauge (Mme Elisabeth de). Adolescence, poèmes.

Laur (Francis). Le Cœur de Gambetta. C'est le récit, avec lettres et documenls à l'appui, de l'idylle du grand tribun avec Mme Léonie Léon dont le ravissant visage sourit à la première page du livre. Je regrette, pour mon compte, ces exhumations qui, quelque délicatesse et quelque tact qu'on y mette, sont toujours des profanations ; j'estime que le grand public pourrait se contenter des actes publics et des œuvres de nos grands hommes, et les laisser libres d'aimer dans l'ombre, le recueillement et le mystère; mais c'est im-

MAI HISTOIRE, LITTÉRAIURI^. VOYAGES, ETC. l6l

possible, paraîl-il ; je le regrette, mais je dois convenir ({u'on est empoi^-^ué par la leclure de ce livre plein de choses émonvanlcs.

Lavisse (Ernest;. llisloirc de France depuis les origines jus- qu'à la Réuolulion. Tome VII : Louis XIV, « La Religion, les Lettres et les Arts, la Guerre, 1()43-1685 ».

Lepelletier (Edmonfl). Paul Verlaine. Sa vie, son œuvre, un bel ouvraire, tout rempli de souvenirs, qui place l'énigma- tique ligure du pauvre Lélian, contre qui s'acharnèrent tant de légendes malveillantes, dans un jour souvent tout à fait nouveau.

Loth (G. -F.). La Tunisie et i(Jllavre du Protectorat français.

Magne (Emile). Madame de Villedieu. Ilortense des Jardins, 1G32-1G1)2, un livre tout à fait captivant, d'une documen- tation intéressante et ingénieuse au possible, publié d<ins la << Collection des femmes galantes du dix-septième siècle ».

Mares (Lient.). Quelques Observations sur la guerre russo- japonaise.

Mar(iuiset (Alfred). La Duchesse de Fallary, 1697-1782.

Martin (Rodolphe), Berlin-Bagdad. Rêves pangermanistes.

Martroye. Genséric. La Conquête Vandale en Afrique et la Destruction de l'Empire d'Occident.

Martynor (Général), de TEtat-Major russe. Quelques leçons sur la triste expérience de la guerre russo-japonaise.

Merlant (Joachim). Le Roman personnel, de Rousseau à Fro- mentin.

Metois (Capitaine). La Soumission des Touareg du \ord.

Mézières (Alfred). Hommes et Femmes d'hier et d' avant-hier, un livre charmant réminent écrivain effleure un grand nombre de sujets et Je personnages qu'il silliouette avec beau- coup de grâce, d'esprit et l'ingéniosité, depuis le père Didon jusqu'au chevalier d'Eon, à Mme d'Épinay, Mme de Genlis, au président Héoault et à Julie de Lespiuasse.

Munier (Capitaine). La Nation, VArmée et la Guerre, une inté- ressante étude préfacée par le général Mercier.

Nolhac (Pierre de). Pétrarque et l'Humanisme, nouvelle édition.

Nolte (Mme). Le Monténégro, un agréable et intéressant essai l'auteur a réuni une masse de documents et de notes sur riiistoire et les mœurs de ce pittoresque pays.

Ott (Jean). L'Effort des races, poésies.

l()2 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Perdriel-Vdissière (Mme Jeanne). Celles qui allendenl, des vers

liarmonieux et inspirés. Periii (Mme Cécile). Les Pas légers, poésies. Pierret (Kmile). Le Péril de la race, Avarie, Alcoolisme,

Tuberculose. Poincaré (Lucien). L Électricité. Le livre est étudiée cette fée des temps modernes que nous avons installée partout eu maîtresse et que nous connaissons si mal, a paru dans la u Bibliothèque de philosophie scientifique ». L'auteur se défend d'avoir voulu faire un traité d'électrotechnique ou un essai de vulgarisation ; il n'a pas cherché à écrire << un livre utile pour les seuls spécialistes, ou, au contraire, convenable pour des débutants inexpérimentés ; il a voulu s'adresser a ce public éclairé, si nombreux aujourd'hui, qui s'intéresse avec passion au progrès des sciences et lui présenter un tableau, aussi fidèle que possible, de l'état îictuel de l'élec- tricité ». II espère qu'il pourra rendre, quelques services « aux physiciens qui, trop souvent encore ignorent les ap- pUcations que les iogônieurs ont faites, dans l'industrie, des découvertes sorties du laboratoire, et, de l'autre côté, à ces ingénieurs eux-mêmes qui, parfois, perdent un peu de vue la source scientifique d'où découle toute vérité ».

Prost (Joseph). La Philosophie à l académie protestante de Saumur, 1606 à 1685.

Pié^araey (Jeanne et Frédéric). L'Allemagne à cheval. Pensons-y souvent, parlons-en toujours ! Jeanne et Frédéric Régamey nous otfreut, sous une couverture incendiaire et truculente, ce livre sur une Allemagne qui doit « savoir écraser ses adver- saires sous les pieds de sa monture ». Les auteurs, après avoir qualifié avec sévérité le gouvernement de notre pays, nous démontrent que « l'Allemagne fondée sur la spoliation. l'AUeratigne, crimiuelle, mourra des crimes qu'elle a commis, des haines qu'elle a suscitées ». Vous voyez le ton de l'ou- vrage, et que Jeanne et Frédéric Régamey n'y vpnt pas de- main morte...

Begismanset (Ch.). La Philosophie des Parfums.

Richard (Gaston). Les Feuilles du tremble, [poésies,.

Rohan (Mme la duchesse de), Les Lucioles, poésies.

Roz (Firmin), Alfred de Vigny, « essai ».

Sautai (Gapitiine). V. Commandant Desbrière.

MAI HISTOIKE, LITTERATURE, VOYAGES, ETC. l63

Séché (Léon). Alfred de Musset. Dcuk volumes tout à fait pré- cieux où l'auteur poursuit «. les études d'histoire romantique » et qui sont consacrés, le premier à « l'Homme et l'CEuvre les Camarades » et le second aux « Femmes » ; ces deux volumes, tout remplis de documents inédits, sont d'une lec- ture tout à fait attrayante et instructive.

La Correspondance d'Alfred de Musset (1827-1867). Une édition ornée d'un portrait eu héliogravure et de nom- breuses reproductions de dessins et d'autographes.

Sivet (Daniel). Les Montagnards. Sonnets.

Téry (Gustave). Jean Jaurès.

Theuriet (André). Pa(jcs choisies, publiées par .M. Bonnemain.

Tourguenetr (Ivan). Lettres à Madame Viardol, publiées et annotées par E. Halpérino-Kaminsky.

Trubert (Emmanuel). Le Prophète, un poème d'une forte et grave beauté.

Un Vieux Ghass' d'Af . Casse-Cou 1 une étude « sur notre cava- lerie, pour nos cavaliers ».

llrville (Gaston d'). Spectacles et Rêves, poèmes.

Vvan (Antoine). Les liendez-uous, poésies.

ft

JUIN

LES ROMANS

A. K. GREENE

Le Crime de Gramercy Park.

Conan Doyle avec son Sherloc/î Holmes a remis en honneur le roman policier. Nous raffolons au- jourd'hui de ces histoires ténébreuses, 1 auteur pose d'insolubles problèmes devant la sagacité de ses lecteurs qui se passionnentau jeu,et, spectateurs du drame, s'acharnent avec les acteurs à la re- cherchede la vérité. Tel estle roman de A. K. Greene. Le Crime de Gramercy Park, traduit par MM. J.-H. Rosny, qui déchaîna pendant de longues semaines les pa.ssions d'une foule avide de lecteurs de feuil-

JUIN LES UO.MA.NS

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letons, parmi lesquels l'éditeur nous cite orgueilleu- sement M. Edmond Rostand.

En fait, je comprends cet extraordinaire enthou- siasme, et quand je songe à la rapidité fiévreuse avec laquelle j'ai dévoré ces 350 pages, je me demande comment ma curiosité aurait pu s'accom- moder de tous ces délais de vingt-quatre heures imposés aux lecteurs du feuilleton. Je n'entre- prendrai pas la folle besogne de vous redire les péripéties qui se succèdent et s'enchevêtrent dans ce roman, péripéties à travers lesquelles se perdent les plus habiles détectives et dans les ténèbres desquelles miss Butterworth, une étonnante figure de policier amateur, finit, grâce à son flair et à une ténacité prodigieuse, par découvrir la vérité. Toutes ces histoires, toutesces marches et toutes ces contre- marches, toutes ces enquêtes, toutes ces aventures dramatiques, émouvantes ou divertissantes,.dansent dans ma tête une sarabande effrénée; en vérité, c'est un livre étourdissant, tout plein de séduction et d'intérêt.

CHARLES-HENRY HU^SCH

Les Châteaux de sable.

Ce roman est une très cynique histoire, et son cynisme est prémédité de longue date, car, deux

l66 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

saisons se sont écoulées déjà depuis que M. Hirsch m'écrivait : « Le jeu des marées contre les travaux d'art des enfants sur la plage m"a inspiré le plan d'un roman cynique: les Châteaux de sable, s'agiteront d'après nature les modèles qui paradent sous mes yeux attentifs... »

Ce programme, aussi vague qu'il fût, m'avait mis en goût, car j'aime infiniment le cynisme de M. Charles-Henry Hirsch : son ironie aiguë, son observation d'âpre et irrésistible drôlerie sont vrai- ment de qualité supérieure, et cet écrivain si remarquablement doué, qui sait à l'occasion émou- voir et attendrir, n'est jamais plus brillant que quand il observe et peint avec tant de vérité, de douleur et de cruauté les fantoches que nous sommes.

Donc il contemple aujourd'hui les c châteaux de sable » que bâtissent sur le bord de la mer un certain nombre de jeunes enfants, des marmots insupportables pour lesquels il n'a aucune indul- gence et qui s'appellent : Jules, Louis, Jojo, et leur amie, la petite Liane, fière de ses trois papas.

Tandis que ces bambins s'amusent, se que- rellent, se battent, échangent des propos d'une inquiétante profondeur, leurs parents vivent une idylle en partie double; Mme Nochat, en tendre conversation de yillégiature avec M. Pierre Evaille, ot M. Nochat, resté à Paris pour se consacrer aux importantes affaires de la maison Nochat et C'^ et à une certaine personne du nom de Germaine L^-

JIIN LES ROMANS iC^J

bigne. Les minces aventures vécues par ces person- nages sans vertu entre le mois de juillet et celui de novembre de la même année sont contées par M. Charles Henry Hirsch avec une verve merveil- leuse, un esprit étourdissant; tout cela est pourtant d'une déplorable et attristante immoralité, et nous devrions avoir honte de sourire en face de tels spec- tacles ; mais ne nous frappons pas et gardons-nous d'attacher trop d'importance aux principes. « La mer quand elle a passé ne laisse rien des châteaux de sable construits par les enfants sur la plage. A répreuve de la vie, les mille meilleurs principes dont les hommes accidentent leurs discours no résistent pas beaucoup plus. »

GEORGES GASELLA

Le Vertige des cimes.

M. Georges Casella aime la montagne d'une ten- dresse passionnée et violente, et cette tendresse il prétend nous la dire dans un roman d'aventures étranges, poignantes et formidables. Si M. Georges r^asella a voulu, en publiant ce roman, contribuer à répandre en France le goût de Talpinisme, je crois bien qu'il éprouvera quelque mécompte; car ce roman où, d'ascension en ascension, et de meurtre

l68 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

en meurtre, se déroule Taventure de John Whatt, de sir Stewart, du comte Jean de Maley, del'enlhou- siaste Dolorès et de la capricieuse Florence aven- ture où le vertige des cimes, <( mal puissant et ter- rible qui domine toutes les sensations et centralise tous les désirs », conduit les hommes à la folie et au meurtre n'est point fait, mais point du tout, pour déterminer les hommes paisibles que nous sommes à ces excursions dans « la montagne qui suggère l'idée de la mort et dans les paysages de glaces si terriblement farouches », et la plupart des lecteurs de M. Casella se garderont ou je me trompe fort, de suivre ces héros dans des ascen- sions si dangereuses pour Tâme et pour le corps. Mais grâce à l'auteur du Vertige des cimesW^ auront eu du moins, et sans courir le moindre risque, des visions d'une incomparable beauté, restituées sous leurs yeux avec une remarquable intensité, et ils auront compris « cette attraction extraordinaire, irrésistible et presque douloureuse de l'océan des cimes ».

RICHARD O'MONROY

L'Automne du cœur.

Dans Vxiutomne du cœw\ M. Richard O'iMonroy reprend le thème éternel, toujours émouvant et

JUIN LES ROMANS 169

nouveau, du cœur qui ne veut pas vieillir, de l'homme pour qui c'est encore, au seuil de Tliiver, l'âge d'aimer. Le héros de M. Richard O'Monroy, le vicomte Christian de Kerthauzon, fut sa vie durant un homme à bonnes fortunes, et il lui en coûte terriblement au seuil de la vieilles.se de se résigner au rôle de spectateur d'une pièce il joua si bril- lamment les premiers rôles ; ce vieux beau ne veut décidément pas dételer, et lorsque la petite Paule, qu'il a connue tout enfant, s'éprend de lui, il ne sait pas résister à la tentation et accepte l'étrange proposition qu'elle lui fait ^( pour plus tard, quand elle sera mariée ». Ce sont des mœurs vraiment un peu spéciales, on éprouve quelque soulagement à voir que cette jolie combinaison n'aboutit pas et il est vraiment difficile d'avoir de la pitié pour ce vieillard qui ne peut survivre à sa déception. Son aventure pourtant est pitoyable et douloureuse au possible, et M. Richard OMonroy la conte avec une émotion faite pour conciliera son héros une compa- tissante indulgence.

PIERRE VALDAGNE

Les Femmes charmantes.

Après des émotions si rudes on a besoin nest- il pas vrai ? d'un peu de gaieté et de folâtrerie.

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lyO LE MOUVEMENT LITTERAIRE

En voici beaucoup ! C'est M. Pierre Valdagne qui nous l'offre en un volume tout à fait joli, gracieux et pimpant, qu'il appelle les Femmes charmantes. Et certes, elles sont charmantes infiniment, les femmes de Pierre Valdagne ; elles ne sont ni ver- tueuses, ni sincères, ni fidèles, mais pour être char- mantes, elles le sont, et jolies aussi, et aimables, et spirituelles, et amusantes. Elles vivent dans ce livre toute une série de petites histoires, souvent un peu lestes, mais contées d'une plume si légère, avec une verve &i délicate et parfois si attendrie, car Pierre Valdagne, qui n'en veut pas avoir l'air, est parfois tout prêt de s'attendrir et de se laisser prendre aux roueries qu'il connaît si bien et qu'il excelle à dévoiler. En tout cas, il les excuse tou- jours, que dis-je ! il les exalte et semble s'écrier: Voyez comme elles nous roulent ! Comme elles sont perfides, injustes, volages... charmantes, enfin. Dans toutes ces nouvelles il y en a bien, ma foi, une trentaine, plus amusantes et plus aimables les unes que les autres les femmes ont toujoui-s le beau rôle: le rôle vainqueur; les hommes sont comme des comparses, uniquement pour les mettre en valeur, pour subir leur tyrannie et exercer leur coquetterie, et comme ils aiment parfois à être battus, je gage qu'ils liront avec infiniment d'agré- ment ce livre d'une verve si mousseuse et si jolie ; quant aux femmes, elles seraient vraiment d'une noire ingratitude si elle« n'en raffolaient pas.

JUIN LES ROMANS IJl

HENRY BORDEAUX

L'Écran brisé.

Le nom de M. Henri Bordeaux sur la couverture d'un livre équivaut à une promesse de choses hono- rables et vertueuses. Dans tous les livres publiés jusqu'ici par cet écrivain livres de genres très divers et qui attestent la variété et la souplesse de son talent la même préoccupation se retrouve, constante et tyrannique; M. Henry Bordeaux entend rester le champion du livre honnête qui lui valut ses premiers triomphes : rien de plus louable, nous sommes en un temps les écrivains qui encouragent et élèvent lame sont plus utiles et infiniment moins nombreux que ceux qui la dépii- ment ou l'avilissent.

Empressons-nous donc découler M. Henry Bor- deaux et de lire ses proses.

11 a pris plaisir une fois de plus à nous y mon- trer des âmes vaillantes, fortes et jolies, telle l'hé- roïne de < l'Ecran bri^é » qui se dévoue pour sauver l'honneur de sa sœur morte, telle encore l'exquise et fraîche figure de la loyale et prime- sautière < Jeune Fille aux oiseaux ». Avec le drame formidable de u la Maison maudite », et celui de « la Visionnaire », à laquelle une hallucination révèle une terrible vérité qu'elle ne peut s'em-

172 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

pécher de crier à la justice, cela fait quatre nou- velles qui sont de véritables petits romans oîi M. Henry Bordeaux a rais tout son art de compo- sition et tout son talent de lettré délicat.

C. F. RAMUZ

Les Circonstances de la vie.

Que nous parle-t-on de destinée ? La vie est faite de contingences et les existences sont boule- versées de fond en comble par les accidents les plus minimes, par les Circonstances de la vie les plus médiocres et qui semblent les plus dénuées d'importance : telle est la leçon qui se dégage du livre publié par M. C. F. Ramuz, l'auteur nous raconte l'aventure d'un excellent notaire, Emile Magnegnat, qui, en prenant pour bonne de son ménage une domestique allemande du nom de Frieda Henneberg, a rencontré une de ces « circons- tances » qui « chambardent » si j'ose dire la vie d'un notaire et en compromettent gravement la paix et la sérénité. Le sujet n'est pas neuf. M. Ramuz en a su tirer pourtant un roman d'une rare et intense originalité, et qui vaut, non seule- ment par une grave et belle tenue littéraire, mais

JUIN LES ROÎVIANS IJ.S

par une force, une acuité, une minutie d'observa- tion vraiment très remarquables.

JE.\N TARBEL

A la merci de l'heure.

Tout à l'heure M. Hamuz nous disait dans un fort l^eau roman l'importance décisive et la tyrannie des «circonstances de la vie ». U. Jean Tarbel semble bien avoir la même conception ; selon lui, nous sommes^ la merci de l'heure : c'est la morale assez immorale et décourageante qui se dégage du roman cet écrivain nous cpnte la douloureuse aventure de la comtesse Jeanne de Bargyle, éprise profon- dément, de tout son cœur et de tout son cerveau, du docteur Pierre Darney que ses recherches, ses explorations et ses travaux ont couvert de gloire ; une idylle s'établit entre eux, ils s'unissent dans un grand amour, mais le moment, l'heure psycho- logique, n'a pas encore sonné pour Jeanne ; le malheur veut que cette douce échéance arrive seule- ment alors que Pierre est parti au Brésil, et que ce soit le sceptique et léger docteur Noirel qui se trouve à point pour en profiter ; pourtant Jeanne n'a jamais cessé d'aimer Pierre de toute son âme, mais l'irréparable est entre eux désormais, ils

10.

174 ^^ MOUVEMENT LITTERAIRE

doivent renoncer au doux rêve caressé et s'en vont chacun de son côté tristes et solitaires.

Ainsi nous sommes A la merci de r heure. La thèse est assez contestable, et pour que le bonheur et l'amour de toute une vie soient ainsi à la merci d'une minute, il faut tout de même un tempérament heureusement exceptionnel; c'est un cas, et ce n'est qu'un cas, que M. Jean Tarbel nous présente dans son livre; j'ajoute bien volontiers qu'il le présente avec beaucoup d'attrait et de goût en un volume émouvant et bien conduit.

MARCEL PREVOST

Femmes !

« Femmes », un joli titre n'est-il pas vrai et qui pourrait être aussi bien celui de l'œuvre tout entière de M. Marcel Prévost. Toute son activité littéraire, tout son talent de romancier, toutes ses belles qua- lités d'observation et de psychologie, l'éminent écrivain les a mis en elîet depuis qu'il lient la plume, depuis Chonchelle et Mademoiselle Jaufre, au service de la femme du sphinx, auquel il tente, avec une douceur, une délicatesse, une perspicacité infinie, d'arracher son secret. La femme, toute la

JUIN ' ' - liO.MA.NS 170

feiinue, toutes les feuimus . vierges, demi-vierges aussi, hélas I épouses, amantes et mères, la femme depuis son printemps jusqu'à son automne^ tel est le sujet terrible, délicieux, éternel, que depuis vingt ans M. Marcel Prévost traite avec une passion toujours nouvelle.

l ne telle constance a eu sa récompense. M. M^arcel l'révost a fait la conquête définitive de ses modèles, elles ralïolent du romancier qui sut si bien les peindre et les définir, et elles sont prêtes à entendre avec ce plaisir particulier de la femme battue les vérités un peu désobligeantes qu'il lui plaît parfois de leur dire.

Ce n'est pas le cas d'ailleurs, cette fois-ci, et Hen- riette Deraismes, l'héroïne d'u Un Voluptueux » le roman placé en lète du livre émouvante, étrange et belle ligure de passio'n, de noblesse et d'orgueil, est une de ces femmes à qui l'on ne saurait dire que d'agréables vérités ; après nous l'avoir montrée si séduisante, si belle et si passion- nante, M. Marcel Prévost éprouve, semble-t-il, une joie ironique à priver de cette ultime et précieuse conquête le u voluptueux » Jean de Guercelles, gentilhomme épris de cette roturière et qui, après une vie d'homme à femmes, chaque rencontre fut une victoire, éprouve la plus imprévue, la plus triste et la plus douloureuse défaite : c'est la « mi- nute tragique le voluptueux reçoit le premier avertissement de la destinée avec l'apparition de ce spectre autrement redoutable que le Commandeur,

Iji^ LE MOUVEMENT LITTERAIRE

la vieillesse, qui lui fait faire sou examen de cons- cience ». Après avoir tant étudié les femmes mo- dernes, M. Marcel Prévost s'en prend ainsi à leur pire ennemi, au don Juan moderne, à la psychologie duquel il a apporté une contribution qu'il qualifie de fort modeste et qui est, en réalité, très ingé- nieuse et très ample.

MADAxME CAxMILLE PERT

LAutel.

Mme Camilje Pert, auteur de ces Florifères qui firent naguère un si beau tapage, reste hantée par la question qui la préoccupait déjà dans ce roman : celle « de la limitation de la progéniture dans les familles ». Je me hâte de m'approprier cette formule qui exprime en termes suffisamment clairs, et sans qu'il soit besoin de recourir au latin, le sujet de ï Autel.

Les intentions de fauteur sont certainement louables et saines, son indignation est de bon aloi contre la « vénalité et l'inconscience téméraire du chirurgien et contre l'égoïsme de l'époux », et nous devons nous y associer de grand cœur. Mais, tout de même, je crois que Mme Camille Pert, dans son légitime désir de dénoncer un danger so-

JLI.N LES ROMANS 177

cial, s'est laissé entraîner un peu loin ; il y a quelque chose de vraiment outrancier dans l'aven- ture de l'auteur dramatique Castély, dont chaque étape sur le chemin de la gloire et de la fortune est marquée par un crime de cette nature spéciale: sa femme, la frêle Suzanne, en est la première vic- time, puis c'est tour à tour la comédienne Made- leine Jaubert qui eu meurt, et la petite Cécile qui se suicide au moment elle constate avec terreur 1 irréparable. En vérité, cet auteur dramatique est une nature d'une richesse quelque peu para- doxale, et ses amies jouent de malheur ; son égoïsme inconscient et féroce lui réussit d'ailleurs supérieu- rement ; il est, au dénouement du livre, un auteur dramatique riche, envié, célèbre...

Il y a dans tout cela bien de l'exagération et du parti-pris, mais le roman, pour irritante que soit sa thèse, n'en est pas moius habilement conduit, vivant et intéressant au suprême degré, avec ses très amusants tableaux de mœurs littéraires et théâtrales.

BINET-VALMER

Le Gamin tendre.

Le nom de M. Binet-Valmer fut révélé naguère au grand public par une œuvre tout à fait remar-

IjS LE MOUVEMEiNT LITTERAIRE

cjuable et forte qui s'appelait les Métèques et qui eut une brillante fortune. Cet écrivain n'était pourtant point un débutant et les délicats avaient fait un chaleureux accueil à son premier livre publié sous le gracieux €t joli titre le Gamin lendre, et qu'on a réédité cette année.

Le lecteur des Mélèques éprouvera, à lire cette œuvre si ditïérente, un plaisir tout à fait curieux et littéraire ; il mesurera rétrospectivement tout le chemin parcouru par Tauteur entre ces deux livres : en fait, il est difficile d'imaginer contraste plus frappant, toute la cruauté, toute Tâpreté, toute la violence concentrée qu'on a admirée dans les Mélèques ne sont dans le Gamin tendre que dou- ceur, délicatesse, mélancolie souriante! Certes, les Métèques sont une œuvre plus forte, plus définitive, de contour plus ferme ; mais, que de grâce et de sé- duction, que de finesse dans cette histoire de Jean Lagieretde son étrange idylle avec JMadeleine, puis avec xMme Violés ! Celte figure de « gamin tendre » au corps chétif, au cœur indécis, à la courte et rapide destinée, est vraiment émouvante au pos- sible et ce roman, qui, avec ses personnages falots, douloureux et maladifs, laisse une impression mêlée de malaise et de douceur, est une bien jolie chose.

JUIN LES ROMANS 1 7*)

MAXIME FORMONT

Le Semeur.

Dans le Semeur, M. Maxime Formont émet de^ idées d'une fière audace : il plaide pour les jeunes filles le droit à la maternité, à la maternité libre, vous m'entendez bien ! Car nous vivons dans un siècle de liberté. « On a paru trouver légitime nous dit M. Formont dans la préface de son livre que la fçmme se passât du mariage pour aimer et même qu'elle aimât contre la loi du mariage, on n'a point encore songé à celle qui, n'aspirant qu'à la maternité, serait contrainte par les circons- tance à la chercher hors du mariage. » M. Maxime Formont comble cette lacune : « en cet âge d'éman- cipation il croit pouvoir ajouter la maternité libre à l'amour libre », et par une initiative hardie, son héroïne, Marie-Cécile de Laurétan, « malgré les conventions modernes, ravit la joie maternelle qu'il lui est interdit de posséder légitimement 1 »

Et allez donc ! Après le Mariage, de M. Léon Blum, voici la Maternité, de M. Maxime Formont. nous arrêterons-nous, Seigneur? Il paraît que lors de son apparition dans un journal, ce roman lut vivement discuté' je le crois de reste î -^ 11 paraît aussi que cette histoire est vraie (ce qui n'im- plique pas qu'elle soit vraisemblable). Pour mol

l8o LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

plus attardé que jamais dans mes préjugés bour- geoisie trouve tout de même la thèse un peu raide et je n'hésite pas à ra'insurger contre elle, tout en mettant hors de cause le talent de roman- cier de M. Maxime Formont qui a su traiter ce scabreux sujet avec infiniment de tact et de mesure en une anecdote du plus vif et du plus poignant intérêt.

EDMOND HARA.UCOURT

La Peur.

Lq Peur, voilà un titre significatif. A. ceux qu il n'aurait point suffisamment avertis, je conseille de lire tout d'abord la dédicace du livre, offert par M. Haraucourt à « la mémoire de son ami Maurice Rollinat ». « Vieil ami, écrit-il, je t'offre ces contes, parce que tu aimais les frissons de la peur, et parce que j'aime dédier mes livres à des morts. »

Après avoir lu cette dédicace, le lecteur est pré- venu ; s'il est tant soit peu neurasthénique, s'il redoute les cauchemars, qu'il n'aille pas plus avant. M. Haraucourt se propose, en effet, de mettre ses nerfs et son cerveau à une dure épreuve. Chroni- queur fidèle et consciencieux, je n'ai point le droit d'être neurasthénique ni impressionnable; j'ai donc

JUIN LES ROMANS l8l

suivi l'auteur dans les pays d'épouvante il lui a plu de me conduire.

(Vest un beau voyage car M. Haraucourt est un grand artiste de lettres et un conteur merveil- leux, — mais il est vraiment terrible, et je n'éprouve nulle honte à avouer que, après avoir lu les Douze Heures d'un tamponné y pour ne citer que ce récit, j'avais le nez pincé et blanc de l'homme qui vient d'éprouver un fier trac... 11 est beau desavoir ainsi, à son gré, troubler et épouvanter les gens, mais il ne faut pas en abuser; Rollinat en est la preuve, C.ette peur atroce, cette « peur fantastique, univer- selle, peur de la mort et de la vie, peur des formes perceptibles et des visions irréelles, du monde am- biant et du mystère, cette peur divine » est terri- blement dangereuse, non seulement pour ceux qui la subissent, mais aussi pour ceux-là même qui rinlligent...

PAUL BOURGET

L'Emigré.

Sous ce titre aux allures révolutionnaires et historiques, M. Paul Bourget nous ofire un roman très moderne et de la plus poignante actualité, il nous dit « la tragédie du noble, cette paralysie de l'être jeune, vibrant, affamé 'd'action, par un

11

l82 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

passé qui n'a pas été le sien même un jour ». C'est le cas du noble lieutenant Landry de Claviers- Grandchamp, qui a veut servir, nétre pas un oisif et un inutile, ne pas enfin redevenir un émigré à l'intérieur, conime son père qui, fasciné par le passé, est la dupe d'un mirage et ignore cette France contemporaine il est et dont il nest pas ». Comment cette France contemporaine accueillera-t-elle la jeune énergie de cet homme qui veut servir selon son expression, et servir dans l'armée, car il n'a pas d'autre res- source puisque toutes les autres carrières sout fermées aux nobles ?

Telle est la question que M. Paul Bourget se pose avec angoisse au début de son livre et qu'il résout dans un dénouement d'une mélancolie tragique : en expédiant Landry en Amérique, tandis qu'en face de lui, sur un quai de Liverpool, le dernier des Claviers-Grandchamp, par un soir brumeux, (( représente vraiment « l'Emigré », celui qui n'est plus ni de son pays, ni de son temps, qui incarne la mélancolie d'une caste vaincue dont la France n'emploie pas les représentants exemplaires d'une sélection fixée et supérieure. qu'elle para- lyse par la persécution, qu'elle dégrade par l'oisi- veté, qu'elle ruine par ses lois sur les héritages ».

Telle est la thèse (si j'ose employer ce vilain mot) du roman ; on peut la discuter, trouver même une multitude d'arguments et d'exemples pour la réfuter ; on doit convenir qu'elle est développée

JUIN LES ROMANS l83

avec une éloquence, une foi, une sincérité admi- rables. Ceux mêmes qu'elle irritera le plus ne pour- ront en tout cas échapper à la séduction du roman lui-même qui, dépouillé de toutes ses tendances, reste une œuvre extrêmement émouvante dont les pathétiques épisodes sont contés par M. Paul Bourget avec une inégalable maîtrise.

ALBERT-EMILE SOREL

Les Sentiers de Tamour.

M. Albert-Emile Sorel nous convieàlesuivreà tra- vers les Senliers de Vamoiir. Ils sont parfois bien difficiles et bien lointains, se compliquent en des labyrinthes presque inextricables, ces sentiers ; mais, au prix de beaucoup de souffrances et d'un peu de sincérité, deux êtres marqués par le destin pour un mutuel et durable amour finissent bien par s'y retrouver. Telle est à peu près l'idée qui ressort du joli roman M. Albert-Emile Sorel nous conte l'histoire de M. de Chavray et de sa tendre épouse, Pauline, ménage désuni par la faute du mari, que ses succès d' ^ homme à femmes ' ont gonflé de masculine vanité. A la suite d'un drame péril un jeune amoureux à la Wer- ther, le mari revient à son irréprochable épouse par

l84 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

le classique chemin de la jalousie, et le roman se termine dans la douceur des réconciliations défini- tives et des durables amours. Tout cela est conté par M. Albert-Emile Sorel avec beaucoup démo- lion, de ferveur et de finesse. C'est un roman tout à la fois très sincère et très adroit, et la carrière de cet écrivain, dont nous saluâmes il y a à peine deux ans un livre de début, Pour ienfant, s'affirme très brillante et très féconde.

JULES GLARETIE

Le Mariage d'Agnès.

L'« histoire d'amour et de théâtre », que M. Jules Claretie a publié sous le titre te Mariage d Agnès, était attendue depuis longtemps. Il y a tout pr(^s de deux ans déjà que Téminent académicien nous écrivait: « J'aurais pourtant voulu achever cet été un roman commencé depuis des années et dont le cadre est la Comédie-Française pendant le siège de 1870-1871. Les comédiennes devinrent, en ces jours sombres, ambulancières et sœurs de charité. Il y a une page touchante et que je veux écrire. »

Cette page touchante enfin écrite I je l'ai lue tout d'une traite avec cette émotion qui étreint

JUIN LES ROMANS l85

les hommes de ma génération lorsqu'on leur parle de cette tragique épopée, qu'ils ne connurent point, et dont le souvenir cependant éveille dans leur cœur des échos si douloureux.

Avec infiniment d'art, de puissance et de vérité, M. Claretie évoque cette histoire que Paris vécut avec tant de vaillance, de fermeté et aussi d'insou- ciance et de gaieté puérile, « du Paul de Kock revu par Shakspeare ». Son livre n'est point pour- tant une œuvre historique. « Il y a du rêve dans ces récits, de la fiction dans ces douleurs ou ces espé- rances évoquées. » (l'est un roman qui se déroule dans le cadre de la Comédie-Française transformée en ambulance, des centaines de blessés furent soignés avec un dévouement admirable par des infirmières qui s'appelaient: Madeleine Brohan, Marie Favart, Clémentine Jouassin, délicate- ment les doigts blancs de Célimène ou d'Iphigénie, de la Marianne de Musset ou de l'Henriette de xMolière, manièrent la charpie.

Des silhouettes délicatement tracées passent rapi- dement dans ce décor, et l'on ne saurait rien ima- giner de plus poignant et de plus humain que cette terrible histoire de huit mois, vécue en compagnie des gens de théâtre qui surent vibrer, soufîrir, pleurer et mourir pour de bon: on sent intensé- ment combien tout cela est sincère et vrai, plus vrai que l'histoire même, « puisque le livre incarne en ses personnages tant d'idées, de pensées, de sou- venirs communs à tous les Français qui avaient

iSG LE MOUVEMENT LITTERAIRE

ïàge d'homme, ou qui grandissaieut, adolescents, à l'heure l'on tuait tant d'hommes ».

Et je n'ai rien dit du roman lui-même, de l'aven- ture d'André Morère le tragédien héroïque et de Simone Aubry la petite Agnès idéale, fiancés dans une radieuse journée de juillet le Conservatoire consacra leur double triomphe, et mariés tragiquement six mois après dans l'ambu- lance du Théâtre Français le jeune tragédien est ramené mourant du champ de bataille de Bu- zenval; cette aventure de passion, de grâce et de tendresse est animée par la figure si émouvante de la bonne maman Morère, de Dornoy le peintre du vicomte de JaniUac et aussi de notre vieil ami Brichanteau, toujours théâtral, grandiloquent, sincère et délicieux.

Tout cela est pittoresque, attachant, émouvant au suprême degré, et M. Jules Claretie a écrit un très beau roman d'une noble et généreuse inspira- tion et qui figurera parmi les meilleurs de son œuvre si considérable.

IIIS TOI RE, PII IL OSOPHJE. DIVERS

»

ANDRE DREUX

Les Dernières Années de Tambassade en Alle- magne de M. de Gontaut-Biron (1874-1877).

Ce volume fait suite aux mémoires publiés l'an dernier sous le titre : Mon ambassade en Alle- magne (1872-1873), et dont le retentissement avait été si considérable. Il fut écrit par M. Dreux d'après de nombreux documents laissés par M. de Gontaut- Biron, documents inédits pour la plupart, notes au jour le jour rédigées sur des feuilles volantes, minutes ou copies au net d'un certain nombre de dépêches officielles, originaux de lettres person- nelles qu'il reçut, copies de lettres particulières communiquées par le ministre à M. de Gontaut- Biron. Ce volume nous montre encore les difficul-

l8(S LE MOUVEMENT LITTERAIRE

tés et les amertumes inséparables de la tâche de l'ambassadeur français; on y voit lés traitements que, depuis le printemps de 1875, M. de Gontaut- Biron eut à subir de la part du Chancelier. Il y a des pages vraiment formidables et douloureuses, il y en a de touchantes aussi, notamment celles sont relatées les attentions délicates du vieil empe- reur à qui, le jour du départ de notre ambassa- deur, lui rendit l'hommage le plus émouvant et le plus affectueux. L'ambassadeur avait fait, pen- dant ces six douloureuses années, de bonne et noble besogne pour son pays ; il importait d'en conserver le souvenir et de faire connaître au lec- teur français qui ne sera jamais trop informé de l'histoire franco-allemande « toutes les qualités mises en œuvre par ce diplomate français pour réussir dans une des tâches les plus délicates qu'un homme ait jamais pu entreprendre par dévoue- ment à son pays ».

DE MARGERE

L'Assemblée Nationale de 1871.

Après l'histoire extérieure de cette période si difficile et si tragique, voici son histoire intérieure: c'est celle de V Assemblée nationale de 1871, que

JUIN HISTOIRE, PHILOSOPHIE, DIVERS 1 89

M. de Marcère poursuit en un volume consacré à la « Présidence du maréchal de Mac-Mahon ». Cette deuxième partie de l'œuvre de M. de Marcère va jusqu'à l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire jusqu'au 31 décembre 187:i; la troisième ira jusqu'à l'élévation de M. J. Grévy à la Présidence de la République. « Ce dernier évé- nement marque, nous dit l'auteur, la fin de la Répu- blique conservatrice et libérale. A partir de ce jour, elle change de caractère. Je m'arrête là. »

Dans le présent volume, M. de Marcère nous raconte les tentatives de restauration monarchique, les négociations avec le comte de Chambord, le sep- tennat et le vote des lois constitutionnelles et nous rapporte une multitude de détails qui intéressent la grande et la petite histoire : le procès de Bazaine, la réception de Jules Ferry et de Littré dans la franc-maçonnerie, l'élection des inamovibles, que sais-je encore I 11 y a une mine féconde de docu- ments pleins d'intérêt, recueillis par quelqu'un qui les vécut et qui est doué d'une excellente mé- moire; ainsi, ceux qui aiment l'histoire trouveront plaisir et profit à lire ce livre, même s'ils ne par- tagent pas les opinions de M. de Marcère qui nous dit -il a voulu être et a été en réalité tout à fait impartial, mais ne songe point à dissimuler sa réprobation pour la politique actuelle et la joie qu il a à se plonger dans un passé à jamais regret- table ; u comme on se rappelle les jours heureux d'une personne aimée, qui était atteinte, sans qu'on

11.

1()0 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

s'en doutât, d'un mal incurable, ainsi il fait revivre un temps la société politique paraissait encore saine, quoiqu'elle eût en elle un germe de mort ».

EUGENE WELVERT Lendemains révolutionnaires.

LES REGICIDES

Voici une étude historique qui n'avait point, je crois, été, tentée encore et d'où se dégage une très piquante et tout à la fois très attristante leçon de philosophie. M. Eugène Welvert s'est avisé, en effet, de rechercher quelle fut, pendant les années qui suivirent la Révolution française, la tenue mo- rale des régicides: elle ne fut pas brillante, avouons- le, et ces grands justiciers furent assez piètres lorsque le vent eut tourné. Parmi les «votants » en question, il en est pourtant qui ont accepté leur responsabilité de sang-froid, « sachant ce qu'ils faisaient et le faisant d'un geste ferme et résolu; ceux-là, les « géants >, tombés presque taus dans la lutte, n'ont pas eu le temps de donner leur mesure; l'échafaud garde le secret de leur destinée ténébreuse ». Donc, que le bénéfice du doute profite à ceux-là, mais les autres? Ah ! les autres! « Pris

JUIN HISTOIRE, PHILOSOPHIE, DIVERS I9I

en masse, le sentiment qui les domine, il faut bien le reconnaître, c'est la peur; dès le procès et pour eux-mêmes, ils ont eu peur de Mnrat, des tribuns et des faubourgs »: la peur toujours les domina; c'est elle qui leur arracha le verdict de mort, c'est elle qui les réunit contre Robespierre, c'est elle qui les fait thermidoriens.

r.ette peur constante, vous pensez si elle les suit sous Xapoléon, si elle les aplatit sous Louis XVIII. Alors commence < ce lamentable défilé de suppliants qui, pour éviter ou abréger le châtiment, demandent pardon à Dieu et au Roi de ce qu'ils appellent maintenant leurs erreurs ou leurs crimes; les amendes honorables, les restrictions solennelles abondent, c'est à qui témoignera la plus vive dou- leur et le plus sincère repentir d'avoir voté la mort de Louis XVI ». Tout cela n'est pas d'une noblesse excessive, mais disons-le tout bas: c'est très humain, et sachons gré à M. Eugène Welvert qui nous res- titue en des pages vivantes et pittoresques un choix très copieux, très amusant, très émouvant de ces régicides repentis, de n'avoir point abusé des grands mots pour stigmatiser leur conduite: ce furent des hommes, de simples hommes, que leur destinée appela à jouer un rôle dans une épopée il aurait fallu être héros, demi-dieu...

192 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

DOCTEUR CHARLES RICHET

Le Passé de la guerre et l'Avenir de la paix.

Sous ce titre significatif de confiance et d'espé- rance, M. le docteur Charles Richet, professeur à l'Université de Paris, nous donne un beau livre d'une très philosopliique ordonnance, qui se divise en deux parties : « La guerre est un mal » ; ^"^ « La paix est possible ».

Dans la première partie, l'auteur établit sans peine, et en semblant s'excuser d'enfoncer des portes ouvertes, les maux de la guerre, maux mo- raux et matériels ; il nous dit la somme de dou- leurs et de détresses qu'elle représente, il évalue le poids écrasant des budgets de guerre, puis, en- trant dans le vif du débat, il réfute toutes les objec- tions des amis de la guerre. Cette longue réfuta- tion d'arguments qui semblent parfois très forts est tout à fait remarquable ; M. Richet y a mis une pas- sion, un enthousiasme et une science admirables, il y a mis aussi une louable mesure en s'abstenant de la fâcheuse formule : « Sois pacifique ou je te tue

Dans la seconde partie, M. Richet se posant cette question : « L'abolition de la guerre est-elle une chimère ? » croit pouvoir répondre hardiment que non. et conclut en ces termes : « Depuis six mille

JUIN HISTOIRE, PHILOSOPHIE, DIVERS Uj3

ans, dit-il, les sociétés ont vécu pour la guerre, de- puis six mille ans les hommes ont prodigué à la guerre toutes les ressources de leur intelligence, de leur énergie et de leur labeur; la science n'a eu que des restes. Les temps sont mûrs, il faut désor- mais que les hommes donnent à la science tout ce qu'ils ont donné.jusqu'ici à la guerre. »

DE LAUNAY

L'Or dans le monde.

La morale qui ressort de ce livre est que « la question de l'or domine tous les problèmes de la vie » ; les moralistes s'en doutaient, mais M. de Launay n'est point un moraliste, c'est un savant, il ne nous parle dans son étude que de géologie, d'extraction et d'économie politique.

Tout cela est austère, mais ce diable de métiii exerce sur notre esprit une telle fascination que rien de ce qui le concerne ne nous laisse indiffé- rent et que nous suivons avec infiniment d'intérêt le travail de M. de Launay qui, étant « allé chercher l'or il se trouve, c'est-à dire dans la terre », essaye de résoudre le problème de la teneur en or moyenne que peuvent présenter les continents et les mers, étudie la répartition géographique de l'or

lÇ)fi LE MOUVEMENT LITTERAIRE

dans le passé, dans le présent et même dans l'ave- nir, expose les perfectionnements récents apportés à l'industrie de l'extraction et les conséquences économiques qu'il en faut attendre, aborde la ques- tion si délicate des fluctuations dans le pouvoir d'achat de l'or, et enfin étudie les résultats finan- ciers, économiques et sociaux que, peut entraîner ce flot d'or épanché par les mines à raison de deux milliards par an pendant quinze ou vingt ans.

Très documenté, très savant et très clair tout à la fois, ce livre présente un vif intérêt, non seulement pour les spécialistes mais pour les profanes qui ai- ment toujours à jongler par la pensée avec des millions.

MEMENTO DU MOIS DE JUIN

ROMANS

Be&uard (Paul). La Pierre de jade, contes fantastiques.

Bovet (Mme Marie-Anne de). La Repenlie.

Ctiabrol (Albéricli). La Peur d'aimer.

Ghoiisiiy (Myriem de). La Brabina, pai'u dans la « Bibliothèque

de romans pour les jeunes filles ». Corrard (Pierre). Les Facéties d'un sage, l'auteur a mêlé

agréablement beaucoup de folie avec beaucoup de vérité. Diémer (Marie). Maître Josias, « conte du vieux Strasbourg ». Doyle (Gonan). Le Capitaine de « l'Etoile Polaire ». « Extmit

du Journal étrange de jkjlui Mac Alister Ra^r, étudiant en

JUIN

HISTOIRE, PHILOSOPHIE, DIVERS 19^

médecine. » traduction de M. François de GaiL C'est une série de nouvelles fantastiques, divertissantes ûu tiagiques, comme celles du Capitaine de l'Etoile-Polaire et de sa dis- parition mystérieuse, de « l'Anneau de Tliotlia » qui conduit son possesseur à la vie éternelle, ou encore « l'Amnésie de John Huxtord ». Il y a dan^ tout cela une imai,Muatioa dé- bordante qui ravit le lecteur et l'emporte jiuur quel:iucs heures dans lés heureux domaines de la fantaisie et de l'irréel, sans lui infliger, d'ailleurs, le moindre trouble ou le moindre malaise, ce <iui n'est [►as à dédaigner.

Dupl.iy (Maurice). Le Délire^ un roman d'amour bien fait pour vous donner la peur de l'amour, livre terrible où, sans ména- iremeiits, avec une véhémente et entraînante émotion, l'au- teur nous dit t'effrojable folie l'amour entraîne « les plus nobles représentants de notie pauvre espèce humaine ».

Forthuiiy (Pascal). Amours d' Allemagne : FrieiUi.

Franciade (Marquis de). La Cabine 27, « contes fantasques ».

Frej.ic (Ed. de). Sous le soleil d'Afrique, un livre préfacé par Mme Jean Bertheroy.

Hornuug (W.). Un Cambrioleur amateur : Raffles. Traduction.

Kaser (Isabelle). LEclair dans la voile, nouvelles.

Kipling (Rudyard). Simples Contes de^ (]<Alines, tra<ku-tioii d'Albert Savine.

La Hire (Jean de). Les Amours de la Urine.

La Vaudère (Jafte de). Le Rêve de Mysès, « roman de mœurs antiques et d'amour ».

Lefebvre ^Piaoul). En panne, nouvelles.

Mahalin (Paul). Les Sergents de la Rochelle.

Maizeroy (René). Mme Gilberte, 22, poste-restante.

Mary (André). Les Profondeurs de la forêt.

.Maryan. Le Secret du mari, piru dans la « Bibliothèque des mères de famille ».

Molta (Luigi). U Océan de feu, «. grand roman d'aventures ».

Rabnsson (Henri). Le Grief secret, un de ces drames intimes, drame d'amour, de passion et d'honneur que le brillant ro- mancier excelle à conter et dans lequel il a déployé ses remar- quables qualités d'émotion et de vérité.

Romeuf (Louis de). LWile brisée, « roman contemporain ».

Rydberg (Victor). Singoalla.

Valver (Guy). La Duchesse de Cordoha.

19<^ LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

Vibert (Paul-Théodore). Pour lire en ballon, nouvelles senti- mentales!

HISTOIRE LITTERATURE THEATRE POESIE

POLITIQUE DIVERS

Albert (François). V. Albert Bayet.

Bardoux (Jacques). Essai d'une psychologie de V Angleterre

, contemporaine, les Crises politiques. Protectionnisme et

Radicalisme.

Baschet (Jacques). Histoire de la peinture, Ecole française (des origines au dix-huitième siècle): un petit volume tout à fait séduisant et clair, tjue ne dépare aucune prétention et qui constitue une œuvre tout à fait précieuse de vulgarisation artistique.

Bayet (Albert) et (François) Albert. Les Écrivains politiques du dix-neuvième siècle, « extraits, avec une introduction et des notes M. *

Binet (Alfred) et le docteur Th. Simon. Les Enfants anormaux, un a guide pour l'admission des enfants anormaux dans les classes de perfectionnement », dont M, Léon Bourgeois sou- ligne l'intérêt : « Le devoir de justice dit-il, à l'égard de ces malheureux que la nature a si mal armés pour la vie, n'a pas encore trouvé une formule à la fois assez large et assez précise »; aussi faut-il savoir gré à « ceux qui ont su poser avec clarté la question et chercher la méthode scienti- fique pour la résoudre pratiquement ».

Bois (Jules). Le Monde invisible, un livre qui nous prépare aux conclusions philosophiques de lecrivain, et qui, avec sa pénétrante étude de l'occultisme, du luciférisme, du sata- nisme, des « marchands d'espoirs » devins, chiroman- ciens, somnambules, du spiritisme, du magnétisme, de l'hypnose et de l'hystérie, constitue, suivant la parole de Sully-Prudhomme, le meilleur garde-fou posé au bord de l'obscur abîme appelé TAu-Delà, sur la frontière du monde terrestre et de l'infini il plonge par toutes ses racines à la fois physiques et psychiques.

JUIN HISTOIRE, PHILOSOPHIE, DIVERS I97

Bol.iiul (Henri). Nouveaux Zigzags en France. L'auteur nous promène en des pages tout à fait charmantes dans la verte Normandie ; sur la Côte d'Azur brillée de soleil; dans l'île de Noirmoutiers, sur les rivages du golfe de (lascogne ; dans la Bret;igne mélancolique et dans la Corse parfumée.

Bouchor (M.iurice), Chants pour la jeunesse, troisième série.

Bourgain (Mme). Gréard, un beau livre nous est restituée la «rande figure diu» moraliste éducateur. -

Bourgin (Georges). Histoire de la Commune, parue dans la Bibliothèque socialiste,

Bovet (Mme Marie-Anne de). Hn Ecosse, une séduisante excur- sion.

Bureau (Paul). La Crise morale des temps nouveaux, un très sérieux et très courageux livre, l'auteur constate le fléchissement de la moralité dans notre pays et s'inquièle de voir la vie sociale se désagréger, se décomposer et se dis- soudre. Après avoir drossé le bilui de l'immoialité, il étu'lie SCS causes et cherchant le remède croit le trouver « dans l'observation analytique de la mentalité et de la vie des hommes que l'opinion publitjue considère, sans conteste, comme les bous citoyoïs de la cité moderne ». Cette ra[>itle analyse ne peut donner qu'une idée très lointaine de l'am- pleur et de la force de ce livre, qui représente plus de dix ans de labeur et de réflexion et d'où ressort cette haute, forte et nécessaire leçon: (|u'il faut rendre au peuple de France, avec des raisons profondes de vivre, une doctrine morale appropriée à ses besoin» nouveaux.

Butarou (Docteur P.). Dix ans dans les bagnes militaires.

Claudel (Paul). Art poéUque.

Constant Benjamin). Le Cahier BOuge, publié par L. Cons- tant de Rebecque. On a dit déjà l'intérêt de ces souvenirs intimes, de ces confessions de jeunesse, Benjamin Constant « enfant et adolescent raconté, critiqué, jugé par lui-même, parvenu à l'âge mflr semble plus apte à faire comprendre son véritable caractère et à expliquer les contradictions de sa vie que tous les essais de psychologie dont il a été l'objet».

Desdevises du Dézert (G.). L Église et lÉtat en France. Ce livre est le tome I" de l'ouvrage et va de l'édit de Nantes jusqu'au Consulat.

Dubùc (Edouard). Socialisme et Liberté, une étude sociologique

IÇ)^ LE MOUVEMENT LITTERAIRE

l'auteur s'efforce de nous montrer combien ces deux termes sont inconciliables.

Duruy (Georges). Zico/e el Pairie.

Fabrice (Delphi). L'Opium à Paris.

Fag-uet (Emile). Propos littéraires.

Franquevil'le (Comte de). Histoires de Bourbilly.

r.inisty (Paul). Mémoires d'une danseuse de corde : Ma- dame Saqui (178(i-1866), un très curieux et très [>iquant ouvraj,'-e. Mémoires d'anonymes el d'inconnus, récits d'histoire.

(ilaser (P.-E.). Le Mouvement littéraire, 1906. (Petites cliV)- niques des lettres). Préface de Jules Claretie.

Gregh (Mme Fernand). Jeunesse, un recueil de poèmes dont je liens à dire la grâce délicate et profonde ; c'est l'œuvre d'un vrai poète, et grâce à elle le iwm de Fernand Gregh sera désormais deux fois cher aux amis de la Muse.

Hansen (Norman). Toumân ou. le Cœur de la Russie, récits d'après la guerre, dont M. Bazalgette nous offre la traduc- tion.

Haussonville (Comte d'). A l'Académie française et autour de r Académie, quelques discours prononcés à l'Académie fran- çaise et un certain nombre d'articles dont les principaux ont pour sujet les ouvrages de queU[ues-uus de ses confrères. Ce sont des pages écrites dans un beau langage et animées d'un noble esprit, il importait de leur épargner cet oubli qui menace les feuillets dispersés, et les amis des bonnes lettres sauront gré à M. le comte d'Haussonville de les avoir réunies en ce volume.

Henriet (Frédéric). Etienne Moreau-Nélalon. Notes intimes.

Launay (de). La Bulgarie d hier et de demain, un très pitto- resque et très joli ouvrage.

Lenotre (G.). La Fille de Louis XVI, un passionnant volume publié dans la Collection des mémoires et souvenirs sur la Révolution,

Luchaiee (Achille). Innocent III el la question d'Orient, un livre l'émineat membre de l'Institut poursuit ses belles études sur la personnalité puissante qui a fondé la domi- nation politique et territoriale des Papes.

Maréclial (Gbristian). Lamennais et Lamartine, un très cons- ciencieux et très précieux travail l'auteur prétend établir

JUIN HISTOIRE, PHILOSOPHIE. DIVERS I99

<iue Lamennais fut le directeur de conscieoce religieuse, i»hilosophiq,ue, pûliti<iue et sociale de Lamartine.

Marig-ny (Mme de). Paris en i8i i, journal inédit, préfacé par M. Henry Houssaye.

Michaut. La « Bérénice » de Racine.

Mounier (Philippe), Venise au liix-huilième siècle.

Nicoullaud (Charles). Mémoires de la Comtesse de Boigne, née d'Osniond, d'après le manuscrit original. Ces curieux et piquants « réits d'une tante » sont vraiment d'un attrait délicieux et ils nous donnent, en des anecdotes piquantes et en des récits captivants, des renseignements tout à fait ' précieux sur une foule de figures, telles que celles du roi Victor-Emmanuel I", de la reine Charlotte, de la princesse Charlotte de Galles, du duc Decazes et de M. de Blacas, et de tant d'autres.

Osmont (Anne). Nocturnes (1902-1906).

Palat (Colonel). La Stratégie de Moltke en 1870.

Pirro l'André). L'Esthétique de Jean-Sébastien Bacfi.

Poirier (Jules). L'Officier., le Haut Commandement et ses Aides, en Allemagne : il y a des méthodes à étudier, des exemples à méditer, des comparaisons souvent un peu pénibles, mais d'autant plus nécessaires à faire...

Richardin (Edmond). L'Art du bien manger, que l'auteur nous dit en de savoureux croquis gastronomiques, en des recettes qui font venir l'eau à la bouche, en des souvenirs, des récits et des citations de toutes sortes.

>aelier-Masoch (Mme Wanda de). Confession de ma vie.

Simon (Docteur Tli.i. V. Alfred Binet.

Théophile. « Collection des plus belles pages ». Notice de Piemy de Gourmont.

Toudouze (Georges). Henri Riuière, « le peintre et l'imagier ».

Vitndal (Comte Albert). L'Avènement de Bonaparte, la Répu- blique consulaire.

Vivien Commandant). Souvenirs de ma vie militaire (1792- 1822) ; sous ce titre M. le commmdant Martin publie un choix des notes et souvenirs qu'écrivit le commandant Vivien lorsqu'il fut mis à la retraite. Cette carrière militaire de trente années ne fut pas exceptionnellement brillante, puis- que Vivien, enrôlé comme volontaire en 92, fut retraité comme chef de bataillon : elle n'en fourmille pas moins

200 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

d'épisodes tout à fait curieux et émouvants que Vivien sut observer et raconter avec beaucoup de saveur, d'esprit et de vigueur. C'est un volume tout à fait intéressant et qui figu- rera en bonne place dans la prodigieuse bibliothèque de Mémoires que nous out léguée les soldats de la Révolution et de l'Empire.

JUILLET

LES ROMANS

GABRIEL HAUTEMER

Petite Mousmé.

» L'héroïne de ce roman est une Petite Mousmé

japonaise qui répond au joli nom de <^ Clarté ».

C'est une très simple, très touchante histoire

d'amour et de mort. La « petite mousmé » amenée

à Saigon fut aimée par le lieutenant de vaisseau

Roger d'Aiguesvives, elle se donna à lui, elle Vaima

profondément et ne put survivre au déchirement

de la séparation.

Cette histoire d'Extrême-Orient pourrait se

passer aussi bien sur les bords de la Seine, car

202 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

ainsi que le dit le proverbe japonais placé en épi- graphe : « les coutumes changent avec les pays, le cœur de l'homme reste le même ». Mais ce qui donne précisément à cette touchante histoire un attrait particulier, c'est la grâce et la splendeur du cadre dans lequel elle se déroule et que M. Gabriel Hautemer évoque en des pages tout à fait remar- quables et faites pour séduire « ceux qui aiment le Japon : le pays des sites merveilleux, des hommes braves, des femmes charmantes ».

LEON BARRACAND

Le Cheval blanc.

J'éprouve toujours un très vif plaisir à voir exal- ter dans un roman des idées de noblesse, de géné- rosité et d'honneur et je n'hésite pas au risque parfois de leur déplaire à louer les romanciers qui cultivent dans leurs livres ces *< fleurs bleues », devenues plus rares encore dans le roman que dans la vie.

Le Cheval blanc est un de ces romans qui vous font voir notre pauvre humanité sous un jour meilleur ! L'aventure qui se déroule dans le cadre pittoresque de l'auberge du « Cheval blanc » met aux prises deux hommes, le lieu^tenant Lemarsy et

JUILLET LES KOMANS !>0.>

Pierre Lauzière, et une femme, Kdmée, qui sont tous les trois des êtres d'élection au cœur loyal et tendre, prêts à tous les dévouements, à tous les héroisraes, et si le roman se termine « bien » par le maria^^e des deux êtres qui s'aiment vraiment et le sacrifice du fiancé moins aimé, c'est que vraiment il fallait qu il en fût ainsi, car les héros ont fait contre leur bonheur, contre leur amour tout ce qui dépendait d'eux pour respecter la parole donnée et c'est d'un sacrifice volontaire qu'ils tienneut leur bonheur. Ce roman, très simplement écrit, est tout à fait émouvant et d'un intérêt qui ne se dément pas.

FRANÇOIS DENION

Notre Chair.

Irès curieux, très passionné, très émouvant, le roman, que M. Frani^ois de Nion publie sous ce titre, pose un problème singulièrement délicat, troublant à résoudre et bien difficile, même, à exposer ici. Ce problème c'est celui de la recher- che de la paternité dans un cas tout à fait spécial : celui la mère elle-même n'est pas très fixée, el le mari et l'amant ont tous deux d'excellentes raisons pour croire à leur paternité.

De ce cas, M. François de Nion a tiré un véri-

204 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

table drame tout à fait angoissant, et qu'il a mené jusqu'à son dénouement, très ingénieux et très moral, avec une rare maîtrise.

J'ai beaucoup aimé aussi la courte nouvelle qui suit ce roman et dans laquelle un « officier répu- blicain » nous raconte en belles phrases empana- chées un épisode émouvant et curieux de Tépopée napoléonienne au moment Bonaparte quitte I Egypte et voit la France entière saluer le Soleil (le Brumaire.

EUGENE JOLICLERC

Les Enchaînés.

J'ai eu plusieurs fois, en ces dernières années, l'occasion de prononcer le nom de M. Joliclerc qui nous a donné des œuvres tout à fait agréables comme Demi-Maîtresses, fort émouvantes comme V Aimée pour ne citer que ces deux livres et qui témoignent de très curieuses et très intéres- santes qualités. Ces qualités s'affirment brillam- ment dans le roman nouveau il nous conte l'étonnante et douloureuse aventure de Bernard Surville, officier de marine, marié par une déplo- rable erreur à la voluplueuse Italienne Assunta, alors qu'il aima toujours Nelly Moranges, une jeune fille connue pendant l'adolescence. Tout

JUILLET LES ROMANS 20 J

pourrait s'arranger, car un heureux divorce le libère de sa femme, et il peut épouser Nelly, mais cet homme infortuné est ' enchaîné » enchaîné à son navire, enchaîné à son destin il disparaît au cours d'un naufrage, et sa femme, réputée veuve, épouse un autre de ses camarades d'enfance : mais Bernard n'était pas mort, il se fdisait simplement soigner et dorloter aux Antipodes par une bonne petite Océanienne; revenu, au bout de cinq ans pour voir sa femme mariée à un autre, il ne peut supporter ce coup du sort et se jette du haut d'une falaise.

Tel est ce roman dont M. Joliclerc nous dit la signification dans une épigraphe empruntée au livre de .lob : «< La tentation est la vie de l'homme sur la terre. » Le public prendra plaisir à ce drame émouvant, pathétique et mouvementé à souhait et dont cette analyse rapide ne saurait on s'en doute donner qu'une idée fort incomplète.

BHADA

Les Amantes.

Recueil de nouvelles qui, toutes, ont pour héroïne une femme, une amante : vieilles idoles ou jeunes triomphantes, tristes ou joyeuses, adulées ou aban- données, ce sont toujours des femmes, toutes les

12

2o6 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

femmes, l'éternel féminin, que cette très curieuse et très distinguée femme de lettres fait défiler sous nos yeux ; elles sont, en somme, peintes « par elles- mêmes » ou par l'une d'entre elles, ce qui revient -au même, et elles sont peintes, je vous prie de le croire, sans aucune sévérité,

Brada, qui a infiniment de malice et d'esprit, juge inutile d'égratigner ses héroïnes, et c'est contre « ces messieurs » qu'elle s'escrime. Entre nous, elle a bien raison, car « les liommes se défendent comme on dit presque toujours entre eux », il est bon de temps en temps qu'une femme n'emploie pas soa talent à attaquer les femm-es. J'ajoute que toutes ces nouvelles, d'une grâce parfois un peu pimentée, sont tout à fait émouvantes et jolies.

CAMILLE LEMONNIER

Quand j'étais homme ; Cahier d'une femme.

Quand fêlais homme Cahier d'une femme indique en une ligne le sujet, l'audacieux sujet de ce roman : c'est l'histoire d'une jeune fille jetée dans la vie et qui, instruite par de dures expé- riences, des périls et des hontes auquels l'expose son sexe dans l'âpre lutte pour le travail et pour la vie; prend héroïquement son parti et décrète qu'elle sera un homme et que sous les habits masculins

JUILLET LES ROMANS 207

elle cherchera à gagner cette part de traTail, de fortune et de dignité que notre société mesure si chichement à la femme.

A travers mille difficultés, raille angoisses, mille périls, elle y réussit magistralement ; mais, une fois qu'elle est parvenue au succès, à la fortune, à la tranquillité, un instinct impérieux lui dit qu'elle n'aura pas rempli sa destinée tant que, femme, elle n'aura point été mère, et, avec une tranquille audace et un serein mépris pour.ce sexe fort qui n'aura passé qu'une minute à travers sa vie, elle s'offre si j'ose dire cette maternité sauhaitée.

Cette brutale et rapide analyse est faite pour souligner l'audace etle péril du livre. Pour le traiter, M. ('-araille Lemonnier a déployé. toutes les res- sources de son âpre et beau talent. Palpitant de vérité et de vie, avec ses types d'une si forte huma- nité, avec ses tableaux parfois terriblement osés mais si prodigieusement exacts de la petite et de la grande vie parisienne, c'est vraiment un très remar- quable livre, l'un des plus beaux l'un des plus audacieux aussi qu'ait écrits Camille Lemonnier.

DANIEL LESUEUR

Madame T Ambassadrice.

Madame V Ambassadrice est la « suite et fin » de ce u Calvaire de femme » dont le premier volume

r2o8 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

avait paru il y a quelques semaines sous le titre le Fils de V amant. Dans Madame V Ambassadrice nous assistons au dénouement du drame, du mélodrame, dont Mme Daniel Lesueur a si ingénieusement noué les fils et enchevêtré les pathétiques péri- péties, et nous voyons-, comme il convient, le crime puni, la vertu récompensée et Tinnocence sauvée. Mais après quelles luttes, quelles difficultés, quels drames, quelles intrigues ! C'est dans le noble cadre de la Ville éternelle que Solange d'Her- quancy, « Madame l'Ambassadrice », poursuit son enquête sur l'enlèvement de son fils et l'assassinat de son amant; dans ses recherches elle est puis- samment aidée par un nouveau personnage qui entre en scène comme le deus ex machina, le prince de Trani, grâce à qui la mère infortunée retrouve son enfant, grâce à qui éclate l'innocence d'un amoureux injustement soupçonné qui peut enfin épouser l'objet de son amour. Voilà pour la vertu ! Quant au crime, il a lui aussi son salaire : la ténébreuse Claudia, princesse de Trani, coupable ou inspiratrice de tous les crimes auxquels nous assistâmes, meurt de la façon la plus tragique, et le comte d'Herquancy, dont l'atroce et odieuse vengeance est au début du drame, est tué en duel par le prince de Trani.

Cette rapide analyse ne saurait prétendre à donner une idée, même lointaine, de cette téné- breuse et formidable histoire; il est évident que c'est du pur mélodrame, mais il y a mélo et

i

JUILLET LES ROMANS 20y

inélo, et celui de Mme Daniel Lesueur est de qua- lité tout à fait supérieure; pour le sens du pathé- tique, de rémotion, de la terreur, pour la science de la charpente, elle en remontrerait aux plus fa- meux des professionnels qui firent la fortune de l'Ambigu; en outre, elle a su, comme toujours, gar- dej^ dans le tumulte de ce roman-feuilleton la belle tenue littéraire qui a fait sa renommée, et ainsi elle a réussi à passionner la foule sans rien abdiquer de sa personnalité de romancier délicat et lettré.

MAURICE LEBLANC

Arsène Lupin. « gentleman cambrioleur ».

Arsène Lupin, « gentleman cambrioleur » : ce nom est dès maintenant entré dans la légende, sa renommée s'est répandue à travers le monde avec une foudroyante rapidité, trois cent mille familles se sont passionnées déjà au récit fantastique des exploits de ce héros, et le roman de M. Maurice Le- blanc, paru dans Je sais tout, était célèbre bien avant sa publication en volume.

Ce volume apporte pourtant une consécration suprême à la gloire de cet admirable cambrioleur, et, sans avoir la prétention de rien ajouter à cette gloire, je veux en dire un mot, ne fût-ce que pour

12.

•MO LE MOUVEMENT LITTERAIRE

me rappeler les heures étonnantes vécues en com- pagnie de cet admirable bandit.

II est vraiment délicieux, cet Arsène Lupin, et M. Maurice Leblanc a doté notre littérature d'un type qui, suivant l'heureuse expression de M. Jules Claretie, restera dans l'avenir <^ aussi vivant que les vivants ». Grâces soient rendues à M. Maurice Leblanc, nous n'avons plus rien à envier à l'Angle- terre : elle a Sherlock Holmes le policier gé- nial — nous possédons « Arsèùe Lupin », gentil- homme cambrioleur, filou prodigieux, d'une dexté- rité sans pareille, d'une incomparable culture artis- tique, d'une science psychologiquetrès fine, qui élève le vol à la hauteur d'un art si parfait et si complet que, vraiment, on ne songe plus à plaindre les victimes, occupé que l'on est à admirer passion- nément le voleur.

Il a d'ailleurs d'exquises délicatesses et d'émou- vantes générosités, ce voleur ! il choisit ses vic- times — comme aussi les objets qu'il leur dérobe, laissant de côté ceux dont le style peut être sujet à caution, et il est à l'occasion redresseur de torts et champion de la justice supérieure. Il est surtout prodigieusement amusant, d'une souplesse, d'une ingéniosité, d'une prestesse miraculeuses ; dans toutes ces histoires dont il est le héros attendu, vous le voyez paraître au moment il vous semblait impossible qu'il pût arriver, chacune de ses aven- tures vous tient haletant, jusqu'au dernier mot de la dernière ligne, et je serais, pour mon compte, bien

JUILLET LES ROMANS 211

embarrassé de procéder au choix que propose à la dernière paj^e de ce livre liugénieux éditeur qui a saisi au vol l'occasion d'organiser un concours « Arsène Lupin ». J'ai pris tropde plaisir àlire toutes ces histoires pour consentir à en sacrifier aucune, même dans Tespoir d'être lauréat d'un concours

LOUIS UE CHAUX IG.NV

Les Souliers des morts.

(Vest l'histoire touchante, curieuse, étrani^e, de deux hommes unis par les liens d'une très sincère et très noble afïection, épris tous deux d'idéal et de beauté morale, mais conquis à des doctrines diamétralement opposées : tandis que l'un, le gen- tilhomme Courtangis, se sent attiré par une force irrésistible vers le peuple et vers la démocratie, son ami Monestrol, en opposition avec toutes ses origines, est poussé vers le dogme catholique. Et c'est dans l'histoire de la lutte que ces deux hommes ont à soutenir contre leur passé, que réside le thème pathétique de ce roman, éclairé par une belle et émouvante aventure d'amour.

Dans cette œuvre étrange et attirante, M. Louis de Chauvigny a voulu développer une thèse d'ail- leurs assez contestable, qu'il résume au cours de sa

L

212 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

préface : « Après avoir perdu leurs signes ances- traux, dit-il, ils les héros du livre ont erré, dépaysés, dans leurs nouveaux symboles, un peu comme, sur une terre étrangère, des exilés que plus rien n'attache, détournés inconsciemment, fatalement, de leurs voies propres'par ces souliers des morts dont on s'était flatté de les munir pour la route. »

Cette thèse contestable, l'auteur la développe en un fort beau langage, très clair, très littéraire, exempt d'emphase, et son roman, pris en soi, dépouillé de toute tendance, est très attachant; c'est l'œuvre d'un véritable romancier.

PIERRE DE OUERLON

La Boule de vermeil.

M. Jacques des Gâchons, poursuivant son œuvre de piété fraternelle, nous a offert un nouveau livre posthume de son frère Pierre de Querlon, inti- tulé la Boule de vermeil. C^est un recueil de nou- velles tout à fait agréables, malicieuses et vivan- tes, où j'ai goûté surtout le « Souvenir de Char- lotte » et le « Dialogue des x\rmoires » ; puis une pièce en un acte, le Bandeau, très émouvante anecdote d'amour et d'infidélité conjugale, puis

JUILLET LES ROMANS 21.'î

encore les fragments d'un petit roman épistolaire; des notes curieuses, littéraires, pittoresques sur « Paris rustique » et « TArt de tourner les pots » ; des pages de critique sur « Hemy de Gourmont »; des « Notes sur l'art », etc..

On appréciera d'autant plus la valeur et l'intérêt de ces divertissements littéraires, si Ton songe que leur auteur mourut à peine âgé de vingt-quatre ans, et tout au début d'une carrière qui eût été belle.

' EMILE MOREL

Les Gueules noires.

Dans les nouvelles qui composent ce livre, M. Emile Morel a su exprimer avec un intense accent de vérité la tragique, la sombre, Ihéroïque destinée de ces Gueules noires, dont l'existence de labeur et de peine se poursuit dans les ténèbres de la mine ; tour à tour terribles, enfantins, lamen- tables ou tragiques, ils vivent dans ces nouvelles, dont quelques unes sont tout à fait admirables, comme u Multitude- Solitude » et « Veuve », des aventures médiocres ou formidables, mais toujours d'une vivante et palpitante vérité.

C'est, comme ledit M. Paul Adam au cours d'une magistrale et superbe préface, « la vérité qui cons-

2l4 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

titue le mérite si rare de ce livre ; il la contierrl précise, soudaine, effroyable, ironique envers soi », et cette œuvre est « un monument littéraire en riionneur de ces héros, monument de sincérité, de pitié, de vérité ».

Ce que M. Emile Morel a su exprimer avec tant de couleur, d'éloquence et de sincérité parle verbe, Steinlen le redit à côté de lui en d'admirables des- sins, et ainsi la valeur littéraire de ce livre se double d'un attrait artistique de premier ordre.

HiSTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, POÉSIE

ETIENNE LAMY

Témoins de jours passés.

Sous ce titre, M. Etienne Lamy a réuni en un volume une série de pages de critique historique d'une haute valeur et d'un très vif attrait. Ce sont d'abord les émigrés, dont il évoque avec infiniment de finesse et de pénétration l'esprit et les mœurs, ces émigrés qui surent rester gais trop gais peut- être car, s'il est très français « de déconcerter la mauvaise fortune en lui riant au nez, le rire sied contre la déception et la misère, pas contre le deuil» ; puis, c'est dans « les Derniers Jours du Consulat » un examen très judicieux du manuscrit laissé par Fauriel, secrétaire de Fouché, « manuscrit qui ne sert ai l'histoire, ni la philosophie, ni l'art '.

:U6 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Voici maintenant le premier Empire évoqué à l'occasion des Mémoires du général Philippe de Ségur, « qui n'égala pas Tacite son modèle, mais témoigna de qualités de penseur remarquable et d'écrivain » ; enfin, les notes de Charles de Lacombe nous font pénétrer à l'Assemblée nationale de 1871. nous voyons revivre ce représentant dont l'idée fixe « fut d'être utile et qui en était à ce point obsédé que, la journée finie, il revivait par le souvenir, la plume à la main, ses actes, ses dé- marches, ses entretiens, ses opinions, ses incer- titudes, et dans ses notes de chaque soir faisait son examen de conscience «.

Cet exposé rapide, qui n'est guère qu'une table de matières, peut donner une idée de la variété et de l'intérêt du livre de M. Etienne Lamy, dont on retrouve en ces pages d'une belle et noble simpli- cité la conscience scrupuleuse et la forte érudition.

GEORGES NORMANDY

Jean Lorrain : son enfance, sa vie, son œuvre.

Lorsque mourut Jean Lorrain, je ne pus mem- pêcher de m'indigner un peu contre le « lâchage » doût sa malheureuse dépouille fut l'objet de la part (le nos contemporains littérateurs; on oublia vrai-

JL'ILIytT

ment trop, dans la presse, que Jean Lorr.iin avait été souvem un fort remarquable écrivain et que sa détestable renommée qu'il s'était plu d'ailleurs lui-même à rendre plus détestable encore n'avait rien à voir avec son œuvre si belle, parfois, jusque dans ses scories.

L'écrivain avait cependant quelques fidèles qui surent et cela leur fait le plus grand honneur ^^arder son souvenir et dire leur admiration; au ])remier rang de ceux-là, il faut nommer M. Georges Xormandy, qui a publié Jean Lorrain: son enfance^ sa vie, son œuvre, un très curieux et très intéressant ouvrage, bourré de documents graphiques, de faits et de souvenirs, oii l'auteur a su donner toute sa valeur à son hommage posthume, en se gardant des outrances et de ces enthousiasmes excessifs dont Jean Lorrain fut la victime, autant, et plus peut-être, que des attaques furibondes dirigées contre lui.

La place me manque malheureusement pour analyser comme il conviendrait ce livre, Paul Duval c'était le nom de Jean Lorrain est étudié depuis sa naissance, à Fécamp, le 9 août 1855, jusqu'à sa triste fin en 1905; toute son existence s'y trouve racontée, toute son œuvre appréciée et com- mentée avec un sens très fin de la critique ; on y trouve aussi un très beau chapitre de Mme Aurel : « Jean Lorrain à la Riviera », et aussi des opinions de quelques écrivains notoires sur son œuvre.

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2l8 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

JULES HURET

EN ALLEMAGNE

Rhin et Westphalie.

M. Jules Huret a publié en un volume la pre- mière partie de ses études sur l'Allemagne : Rhin et Westphalie. Comme tous les lecteurs du Figaro que durant six mois ces feuilletons ont tenus sous le charme j'avais déjà goûté ces études, en détail ; je viens de les relire. en bloc, dans la belle ordonnance du livre, et je suis émerveillé. Qu'il est beau de savoir ainsi comprendre, pénétrer, expri- mer l'esprit, le tempérament, le corps et l'âme d'un peuple ! C'est tout à la fois de l'analyse et de la synthèse : avec minutie, M. Jules Huret recueille une multitude de petits détails pittoresques, il furette dans les rues, examine avec des yeux de myope les pavés et les murs, les passants et leur accoutrement, il nous raconte, chemin faisant, en des notes et des croquis, une foule de choses amu- santes et pittoresques, puis, entre temps, il s'élève très haut et nous donne une vue d'ensemble, ma- gistrale, d'une ville, d'une industrie, du pays tout entier.

Entrerai-je dans le détail de chacun de ces cha- pitres,dont lesommaireditlesujetde façon siadroile et si attrayante, en des titres alléchants et exacts ? Vous dirai-jecette promenade merveilleuse à travers

JUILLET HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, ETC. 2I9

Mayence, Francfort, Cologne, Dusseldorf, Gœt- tingue, Hanovre, ces villes dune prospérité prodi- gieuse, prospérité faite d'un labeur et d'un elïort admirables, faite aussi, hélas ! de nos revers et de notre indolence ? Vous dirai-je ces études si com- préhensives sur l'industrie chimique et sur le syn- dicat de l'acier, sur les industriels géants : Krupp, Thyssen et Ehrhardt, ces notes si pittoresques sur les mœurs, sur la discipline, et ses étonnants cha- pitres du «. goût » et du « ventre », qui consolent un peu le lecteur frivole auquel M. Huret ne dissi- mula aucunedes supériorités germaniques ? Dirai- je, enfin, cet étourdissant portrait l'empereur apparaît si vivant, si humain, si différent des images convenues ?

iMais comment exprimer tout ce qui fait l'attrait, la séduction, l'intérêt prodigieux de ce livre I OEuvre d'un journaliste incomparable, doublé d'un écrivain de race, qui voit tout, étudie tout, pénètre partout, et sait dire ce qu'il a appris, peindre ce qu'il a vu, en un langage tout à la fois admirable de couleur, d'éloquence et de limpide simplicité.

v>20 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

MEMENTO DU MOIS DE JUILLET

ROMANS

Anjou (René d'). Le Maître de la chance.

Cherblanc (Emile). U Universelle^ roman espérantiste.

Gorday (Michel). Monsieur, Madame et VAulo, recueil de tris sportives et très littéraires nouvelles.

Derennes (Charles). Le Peuple du pôle.

Fischer (Max et Alex). Pour s'amuser en ménage, une nou- velle édition, délicieusement illustrée par Sem, de ce livre si joyeux et si amusant.

Gaillard (Gaston). La Beaulé d'une femme.

Golesco (Mme de). U Histoire d'Edmée ou V Expiation, roman moral et religieux l'auteur développe en un langage simple et dans une édifiante histoire, de très louables et très vertueuses théories.

Heuze (Paul). Ambrosio Pesarini., un recueil de nouvelles d'uf) très aimable tour, souriantes, tragiques ou divertissantes, contées avec infiniment d'art et d'agrément.

Ibanez (V. Blasco). Dans l'Ombre de la Cathédrale, un romai» curieux, troublant et fort, le célèbre romancier espagnol V. Blasco Ibaïlez nous raconte l'aventure d'un anarchiste réfugié « dans l'ombre de la cathédrale » et gagné peu à peu par la paix, la douceur, la résignation du refuge, cepen- dant qu'autour de lui un vent de révolte et de haine est soulevé par ses théories d'autrefois. C'est tout à fait émou- vant et curieux; j'ajoute (|ue la traduction donnée par M. Hérelle est fort littéra're.

La Vaudère (Mme Jane de). Prêtresses de Mylitta.

Martel (Tancrède). Le Prince de Hanau, un « roman national » qui fait revivre en des pages émouvantes et vivantes, très ingénieusement l'histoire se mêle à la fiction, les années de l'épopée révolutionnaire et impériale, « époque antique tout était si grand ».

I

JUILLET HISTOIRE, LITTERATLUL, VOYAGES, ETC. 221

Paul ^Vlexaudrc;. Les Contes du Pays bleu.

Péladan (Jnséphin), Le Nimbe noir.

Raiidau (Robert). Les ColonSy roman de la patrie algérienne.

Roland (Marcel;. Le Presqu'homme, un « roman des temps futurs qui ne nous présage rien de bien joli pour l'avenir à en juger par la couverture grimace la fort laide figure d'un homme à face simiesque.

HISTOIRE LITTERATURE THEATRE l'OESlE

POLITIQUE DIVERS

Aubœuf (D>" J.). Le Coup de nuifisuc, une étude militaire pré- facée par M. Paul Déroulède.

B:irbet. Les Grandes Eaux de ['ersailles, « installations mé- caniques et étangs artiliciels, description des fontaines et de leurs origines », « livre de gai savoir et de bonne foi l'on trouve des chitiVes, des documents, de quoi s'instruire et s'amuser », ainsi que dit notre éminent ami Henry Roujon dans la belle préface qu'il a donnée à l'ouvrage.

Beulay (Honoré). Mémoires d'un Grenadier de la Grande Armée (18 avril 1808 au 10 octobre 1815).

Blache (Noël). Le Socialisme, Méthode et Chimère.

Canonge (Général). Jeanne d'xirc guerrière, « étude militaire sur les campagnes de Jeanne d'Arc ».

Carrière (Eugène). Ecrits et lettres choisis, avec le portrait du grand peintre peint par lui-même.

Cunisset-Carnot. La Vie à la campagne.

Dumas (Lieutenant-Colonel). Neuf mois de campagne à la suite du maréchal Soult. « Quatre manœuvres de couverture en 1813 et 1814 : Pampelune, Saint-Sébastien, Rayonne, Bor- deaux, Orthez, Toulouse. »

Fouquier (Marcel^. Les Grands Châteaux de France, deuxième volume.

GaiUy de Taurines. Aventuriers et femmes de qualité, un

charmant volume d'histoire anecdotique contenant une série de tableaux pittoresques, aimabhs ou dramatifjues, s'agitent en de véridiques aventures : Roger de Rabutin, comte de Bussy ; François Poisson, père cynique et heureux

222 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

de la Pompadour ; Mme de Miramion, la maréchale d'Es- trées, la marquise de Monconseil, la princesse d'Hénin, hôtes de Bagatelle ; c'est de la petite histoire, mais si sédui- sante et si agréablement instructive.

Georgesco (Mme Lélia). Inassouvis. L'auteur, cette jeune femme étrangère, qui eut jadis la belle audace de publier en fran- çais un volume de peusées iutitulé les Aphorismes du cœur, ne s'est pas arrêtée en si beau chemin: enhardie par la sym-, palhie que rencontra son premier volume, elle puhlie au- jourd'hui sous le titre Inassouvis une grande pièce en quatre actes, drame philosophique où, à l'occasion d'une pathétique aventure d'amour, nous entendons les plus sub- tiles et les plus ingénieuses dissertations. Mme Georgesco aime à raisonner sur les choses du cœur, elle le fait avec beaucoup d'ingéniosité et dins une langue que vient relever très agréablement de temps à autre une pointe d'exotisme.

Gobineau (Comte de). La Troisième République et ce quelle vaut, œuvre posthume.

Grasset (Lieutenant). La Doctrine allemande et les Leçons de Moukden, série de conférences faites devant la garnison de Marmande.

Henry (René). —.La Suisse et la question des langues.

Laudet (Fernand). Souvenirs d'hier, un livre l'auteur (ixe ei> des pages émouvantes et jolies des impressions de Rome, au moment de la mort de Léon XIII; des impressions de Gas- cogne avec « l'école v, « l'église », « la mairie », « le châ- teau )», exprimées en des tableaux d'une grâce pittoresque et émue et qui ont pour but simplement « fixer le souvenir des choses qui s'effacent a et de faire retrouver à ceu:x qui ont la piété du souvenir un peu du passé qu'ils aimèrent.

Le Bon (Docteur Gustave). L'Evolution des forces, un ouvrage paru dans cette « Bibliothèque de Philosophie scientifique » qui s'affirme aujourd'hui avec ses vingt-deux volumes dus à des maîtres tels que MM. Poincaré, Dastre, Héricourt, Le Dantec, Lichtenberger, d'autres encore, comme un monument véritable de la science contemporaine ou plutôt « présente clairement la synthèse philosophique des diverses sciences^ l'évolution des principes qui les dirigent, les problèmes géné- raux qu'elles soulèvent » ; le livre nouveau dont cette biblio- thèque s'enrichit est de ceux, malheureusement, que mon

JUILLET HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 2'23

ignoraoce m'oblige à admirer sans trop bien les comprendre, mais le nom du très éminent auteur de ce livre est un sûr garant que les problèmes. de l'iudestructibililé de l'énergie, de la pbospliorescen.ce, de la force, y sont magistralement traités.

LetuHjue (Henry). Au Pays des Gauchos.

Luzeau (Albert). L'Ame solitaire, poésies.

Mazade (Fernand de). Le Drapeau rouge.

Nigond (Gabriel). Nouveaux Contes de la Limousine, poésies.

Ôllivier (Emile). L'Empire libéral^ « Études, Récits et Sou- venirs ». Tome XII.

Parisette (.\ïme G. Reynal). La Broderie, une œuvre très com- plète et très iustrnclive.

Picrling (Le P.). La fiussie el le Saint-Siège. T. IV, une œuvre considérable apparaît de façon tout à fait impres- sionnante (i cette nécessité fut toujours la Russie de regarder du côté de Home, forcée qu'elle et lit par la diver- sité des nations soumises au sceptre de ses empereurs de compter avec le Saint-Siège ».

Saint-Pol-Roux. Les Féeries intérieures.

Sûubies (Albert). Almanach des Spectacles, le trente-sixième volume de cet ouvrage toujours si bien renseigné, si agréa- blement documenté et édité avec un goût si sur et si délicat.

Tailbade (Laurent). Poèmes élégiaques. « Le Jardin des rêves, Épigrammes nocturnes. Rêves antiiiues. Six ballades élé- gia(|ues, La Forêt, Vitraux», figurent des choses exquises et des pages détestables, le meilleur voisinant avec le pire, œuvres toujours d'un poète très curieux et très original.

Tresserre (François). Les Litas refleurissent, poésies ».

TuPessimiste. Guillaume II elson^Peuple. Traduit de l'allemand.

Van Bever. «( Les Amours et autres poésies » d'Estienne Jodelle, sieur de Lymodin. Une très solide el très intéres- sante étude de M. Van Bever précède ces œuvres « publiées sur des éditions originales et augmentées de poésies rares et inédites ».

AOUT-SEPTEMBRE

LES ROMANS

PAUL ADAM

Clarisse et THomnie heureux.

M. Paul Adam, qui naguère scandalisait nos sensibleries avec sa « Morale de l'amour », nous offre aujourd'hui un étrange et complexe et beau roman, Clarisse et VHomme heureux, qui m'a tour à tour séduit, enthousiasmé, scandalisé, et qui, au moment j 'en dois parler, me trouble et m'embar- rasse terriblement. Comment en effet analyser cette œuvre étrange et forte, comment préciser le sens philosophique inclus dans la belle et cynique histoire vécue par « l'Homme heureux » avec Cla- risse Gaby, avec Marceline et avec Louise, com-

AOUT-SEPTEMBRE LES ROMANS 225

ment raconter même cette histoire parfois un peu vive et scabreuse, et celles plus scabreuses encore de Mme Alexandrit et de ses nièces, de M. Rambert et de sa profitable épouse, comment surtout mettre en ordre les idées dont fourmille ce livre, alors qu'elles dansent dans mon cerveau une sarabande effrénée? C'est toujours avec M. Paul Adam la môme joie et le même tourment : joie du lecteur entraîné dans un tourbillon de pensées profondes, de belles et voluptueuses images ; tourment de sentir combien on est inférieur à la tâche de repro- duire ces images, de redire ces mots, de faire com- prendre cette pensée.

("est peut-être mieux ainsi d'ailleurs, car si j'avais l'éloquence nécessaire pour l'exprimer, il me semble bien que je serais forcé de la réprouver ; j'aime bien mieux dire sans détail et sans réserve, à propos de Clarisse ei l Homme heureux, toute mon admiration pour l'œuvre de Paul Adam.

VICTOR MARGUERITTE

Prostituée.

Dans Prostituée, M., Victor Margueritte aborde l'un des problèmes sociaux les plus douloureux de notre temps. Ce problème, il l'aborde résolument,

13.

2'>6

LE MOUVEMENT LITTERAIRE

brutalement presque, sans avoir peur ni des mots, ni des choses ; ayant prévenu dès le titre son lecteur du sujet périlleux qu'il prétend épuiser, il ne lui en épargne aucun détail, si attristant, si pénible, si rebutant parfois qu'il puisse être. M. Victor Mar- gueritte entend faire le procès de tout un « odieux système résultant de coutumes et de lois iniques^, et pour nous en montrer Ihprreur et l'injustice, il nous conte l'histoire de deux jeunes femmes Rose D«sbois et Annette Sorbier qui, après avoir été séduites par un assez malpropre bourgeois, Raoul Dûmes, suivent toutes les étapes de la haute et de la basse prostitution : la première, jus- qu'à l'hôpital, à la prison et à la mort ; la seconde, jusqu'à l'hôtel somptueux, aux perles, aux dia- mants et au théâtre.

Entre temps, nous pénétrons dans les hôpitaux, dans les dispensaires, dans tous les endroits fréquentent pour l'ordiDaire les personnes sou- mises à la surveillance de la police; nous enten- dons parler d'entôlage, de visites et d'avarie. Sans méconnaître ce qu'il y a de factice dans un tel roman, nécessairement et pour les besoins de la cause les héros sont d'avance condamnés à vivre certaines aventures et à subir certains accidents, il faut convenir que ce livre pénible et compliqué est souvent très intéressant et très poignant, et que, par sa documentation précise et impitoyable, il est de nature à servir la cause du progrès et à hâter l'accomplissement de certaines réformes nécessaires

AOUT-SEPTEMBRE LES ROMANS 227

auxquelles on ne saurait, d'ailleurs, procéder sans une extrême prudence.

EMILE iiliUNl

Les Deux Nuits de don Juan.

M. Bruni a une conception curieuse et haute du roman; il nous la dit dans sa préface : « Le roman représente l'homme, c'est l'âme totale qu'il exprime, l'âme universelle, matrice profonde de nos âmes diverses. 11 évoque ce qui est primordial et éternel dans le drame des {fassions et de la destinée hu- maines: douleur de vivre, poignant amour quand même de la vie. >• Et fidèle à sa théorie, il entend nous montrer, dans la troublante et voluptueuse histoire qu'il nous conte, que don Juan représen- tant le désir illimité et inassouvi est « en symbole l'amour de la vie, l'anxiété ardente et vaine de l'appel au bonheur >^ ; ainsi, après nous avoir montré sous les plus riches et les plus somptueuses couleurs de belles et voluptueusesimages, il ratiocine sur leur signification. M. Emile Bruni a déployé, dans ce roman d'un genre très original et d'ailleurs très discutable, beaucoup d'art et de talent ; c'est, à n'en pas douter, un écrivain de race.

i^'^S LE MOUVEMENT LITTERAIRE

ERNEST LA JEUNESSE Le Forçat honoraire.

On sait que M. ?]rnest La Jeunesse tient notre pauvre société contemporaine en fort médiocre estime; il lui a dit son mépris, son dédain, son dégoût en plusieurs volumes; il les lui redit une fois de plus dans le Forçat honoraire, un « roman immoral ». OEuvre curieuse, inégale et forte, des pages vraiment belles témoignent d'un talent digne d'un meilleur sort et d'un meilleur emploi que cette débauche de haineuse ironie, cette frénésie de dégoût et de mépris cet écrivain semble se complaire.

La naïveté de ce regret sans doute fera sourire M. Ernest La Jeunesse, qui est un bon sceptique et pour qui, je crois bien, le mépris est un genre au moins autai^t qu'une opinion, mais il me plaît à moi d être un naïf, d'admirer dans la rocambo- lesque histoire du « forçat honoraire » les choses très belles que l'auteur a bien soigneusement recouvertes de scories, et de déplorer que de si fortes qualités soient employées surtout à « épater le bourgeois ».

CHARLES CHABAULT

Le Triomphe d'Aphrodite.

Oublions ces modernes laideurs en contemplant quelque antique, éternelle et sereine beauté :

AOUT-SEPTEMBRE LES ROMANS 229

M. Charles Chabault nous y convie en un '< roman grec », intitulé le Triomphe cV Aphrodite] u roraan grec », nous dit l'auteur, et M. Bernardin le con- (irme dans une préface il loue ce roraan de n'oltrir pas « une fausse note, d'être grec de senti- ment, de couleur et de style, à ce point qu'écrit en 190(), il pourrait être offert au public comme la tra- duction d'un vieux roman grec ».

Et, de fait, l'histoire émouvante, passionnée, colo- rée, du riche Athénien Mandris, de sa fille Myrtho à la rayonnante beauté, de la ravissante Bacchis, du sculpteur Clinias, de la courtisane Callidoxa et de Charmidès le descendant d'Achille, a dans tout son mouvement, dans toute sa vie, dans toute sa passion, une pénétrante et subtile saveur d'hellé- nisme gracieux. « Lorsqu'on débouche, dit le pré- facier, un pot du véritable miel de l'Hymette, le parfum de toutes les fleurs de la montagne se répand dans la pièce; eh bien ! de même lorsqu'on lit le Triomphe d Aphrodite, on respire tous les parfums de l'âme hellénique. » On ne saurait dire la vérité de façon plus aimable.

MADOL

Ces Daines du régiment.

Après ces grâces hiératiques, quelques frou-frous parisiens ! Madol nous offre les plus mousseux, les

230 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

plus vaporeux qui soient, dans un charmant vo- lume intitulé Ces Dames du régiment. Frou-frous parisiens? c'est pourtant la province qui règne à Assy-sur-Loir, évoluent « ces Dames du régi- ment » ; mais l'héroïne est Parisienne jusqu'au bout des ongles et Madol nous conte ses minces aven- tures avec infiniment d'esprit, de grâce et de séduc- tion; il y a une série de tableautins d'une touche légère et d'une jolie couleur qui sont d'une artiste véritable, et cette jeune femme de lettres est appe- lée, ou je me trompe fort, à nous donner des œuvres tout à fait charmantes.

MAX DE NANSOUTY

Fantasias.

Sous ce titre jovial, M. Max de Nansouty a publié un recueil de nouvelles. Des nouvelles? M. Max de Nansouty aurait-il abandonné cette littérature scientifique il est passé maître et qu'il excelle à rendre, non seulement accessible, mais infiniment attrayante aux profanes que nous sommes? Non pas, mais notre distingué confrère s'est avisé que nous étions en vacances et qu'il avait bien le droit lui aussi, pendant la canicule, de prendre quelque divertissemeût.

AOUT-SEPTEMBRE LES HOMANS 23 1

Cette fantaisie de savant nous vaut un livre bien agréable et d'une note tout à fait personnelle, car en un grand nombre de ses nouvelles M. Max de ^ansouty a mis à contribution sa science d'ingé- nieur; des phénomènes physiques, chimiques ou mécaniques viennent souvent, au cours de ces prestes récits, nous offrir une péripétie dramatique ou un dénouement comique, et c'est tout à fait amusant, semé de traits d'observation piquants et ingénieux.

HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS

LOUIS DU SOMMERARD

Anne Gommé ae, témoin des Croisades, Agnès de France.

M. Louis du Soramerard a publié, sous ce titre, un curieux et solide volume d'érudition historique il nous restitue les traits de « deux princesses d'Orient au douzième siècle », figures tout à fait intéressantes et inattendues : la première témoi- gnant, dans l'éloignement elle est placée « pour tout un monde oublié qui fut grand, qui connut toutes les complexités et les raffinements de l'intel- ligence, toute la douceur des sentiments, toutes les grâces mondaines, mais à qui, nous, issus de la barbarie, nous avons fait, dans notre ignorance et notre dédain, une mauvaise fortune historique tout

AOUT-SEPTEMBRE HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 233

à fait sans exemple », et la seconde, cette Agnès de France, impératrice d'Orient, « image de femme à la fois gracieuse et fugace, mal précisée par l'his- toire et qui pourtant méritait mieux, alors que, n'ayant guère connu la France que de loin et ayant toujours été inconnue de la France, elle se rappela son pays dorigine et lui donna des preuves écla- tantes de fidélité ».

GASTON MAUGHAS La Fin d'une société.

Le duc de Lauzun a la cour intime de Louis XV Le duc de Lauzun a i. v cour dk M\rif-Antoinette.

Notre temps est fertile en revisions de procès jugés depuis des siècles, et il n'est presque pas de semaines un historien ne vienne proclamer rinnocence d'une princesse calomniée ou l'indignité d'un héros exalté par des générations successives. Nous démolissons les légendes, nous défaisons les réputations ; celle de Lauzun n'a pas échappé à l'impitoyable loi, et pourtant, s'il en est une qui pouvait paraître définitivement établie, c'était bien la sienne. Lauzun ! ce nom seul est pour les plus ignorants tout un programme, tout un portrait ;

234 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

c'est le type « du Lovelace, du mari infidèle, de l'homme à bonnes fortunes, égoïste et sans cœur, qui n'a d'autre but, qui ne poursuit que le plaisir ».

Eh bien ! il paraît que ce n'est pas la vérité ou du moins pas la vérité tout entière et que Lauzun n'eut pas seulement ces défauts si soigneusement mis en relief, mais une foule de qualités charmantes qu'on oublia toujours de faire valoir ; c'est M. Gaston Mau- gras qui nous affirme cela dans les deux volumes qui conduisent successivement le duc de Lauzun « à la cour intime de Louis XV » et «à la cour de Marie- Antoinette » ,et l'affirmation de cet historien est de celles devant lesquelles il convient de s'incliner: M. Maugras, c'est le dix-huitième siècle en personne ; il connaît cette admirable période de la vie fran- çaise, si belle, si gracieuse^ si spirituelle, si émou- vante, d'une façon admirable ; il l'a étudiée avec passion, avec amour, et, en effet, on ne saurait fréquenter ces temps et ces héros sans les aimer.

Et c'est de quoi justement bénéficie le duc de Lauzun, car il fut l'incarnation la plus complète et la plus parfaite de son temps ; dès lors, si on lui reproche ce « libertinage qui fut la règle absolue du monde il vécut, cette infidélité conjugale qui fut, on peut dire, presque obligatoire), pourquoi n'a-t-on pas rappelé en même temps combien il fut bon, généreux, spirituel, brave jusqu'à la folie, pourquoi n'a-t-on pas conservé ce jugement du prince de Talleyrand qui disait de Lauzun : « Il avait tous les genres d'éclat : beau, brave, généreux,

AOUT-SKPTEMBRE HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 235

spirituel ; » et cette exclamation de Fersen : « C'est rânie la plus noble el la plus élevée que je con- naisse ! )•

En somme, si Lauzun eut les défauts de son temps, il en eut aussi toutes les belles, gracieuses et nobles qualités. M. Gaston Maugras nous le démontre en s'appuyant, non seulement sur les fameux mémoires dont il démontre l'authenticité, mais aussi sur les contemporains qui se montrèrent [)Our son héros plus équitables que la postérité, (.hemin faisant, au cours de cette histoire d'un homme, M. G. Maugras trouve l'occasion de faire levivre un temps qu'il connaît à merveille, des héros et des héroïnes qu'on revoit toujours avec le plaisir le plus raffiné, et c'est un ouvrage tout à fait délicieux.

ALBERT KEIM

Helvétius, sa vie et son œuvre.

M. Albert Keim a publié, sur Helvétius, sa vie et son œuvre « d'après ses ouvrages, des écrits divers et des documents inédits », un livre tout à fait magistral qui nous donne des lumières inédites, des aperçus infiniment ingénieux et féconds sur Hel- vétius ^^ psychologue, moraliste, poète épicurien, idéologue, économiste », sur le compte duquel, au

236 LE MOUVEMEx\T LITTERAIRE

sens de M. Keim, on s'est singulièrement «mépris, comme d'ailleurs sur celui de tous ces philosophes contre lesquels furent lancées tant d'imputations légères, injustes, dues à l'ignorance et au parti pris » ; pour Helvétius, « quelles que puissent être ces erreurs, il doit, nous dit l'auteur, être considéré comme l'inventeur de la sociologie et de l'utilita- risme altruiste en France, comme le premier grand théoricien d'une morale scientifique et laïque ; il a prévu en outre, on ne saurait le nier, les principales transformations et les préoccupations essentielles de l'état moderne ».

PAUL ADAM

La Morale de l'amour.

Ce livre, M. Paul Adam le dédie « aux adoles- cents », et la thèse qu'il y soutient est contenue daùs cette épigraphe : « Mieux vaut être la luxure de Priape entre les Bacchantes, que la bêtise d'Hercule filant aux pieds d'Omphale. » En d'autres termes : en voilà assez de l'amour ! Sous l' influence de malsaines littératures, il a pris dans notre vie une trop grande place et sa tyrannie est mortelle à nos intelli- gences, à nos énergies, à notre œuvre. Il est temps de mettre en garde les jeunes gens contre la falla-

AOUT-SEPTEMBRE HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 287

cieuse séduction des « promenades sentimentales Ton se répète des niaiseries banales et sempi- ternelles », contre cet amour qui « sert d'excuse à toutes les lâchetés, à tous les mensonges, à toutes les bassesses et qui est le ^rand professeur d'infa- mie ». 11 est temps de leur dire : Ne soyez pas amoureux, chassez de votre intelligence toutes les tentations sentimentales, car votre énergie, votre talent, votre génie sont destinés à en mourir, car « votre voix s'enroue dans les duos grotesques au clair de lune ». Tout cela c'est de la littérature, c'est du romantisme dont la néfaste influence pèse sur vous, et vous monte* la tète, et contre laquelle il vous faut défendre, c'est un devoir national, car « c'est dans l'amour que nos races latines dilapident le trésor de leur volonté ».

Comme vous voyez, M. Paul Adam n'y va pas de main morte, et son réquisitoire témoigne d'une belle audace, car il n'épargne aucune de ces choses sacro-saintesquisont: les sermentsd'éternel amour, les imprécations de la jalousie, le meurtre passion- nel pour qui nos jurés témoignent d'une si douce indulgence, établissant qu' « il suffit, pour tuer impunément, de ne pas jouir du même sexe que sa victime ».

Je m'indigne contre ces sacrilèges, je voudrais défendre les petites fleurs bleues de notre senti- mentalité, et pourtant je finis par croire que M. Paul Adam n'a pas tort, non sans estimer tou- tefois qu'il va tout de même un peu loin dans son

■238 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

apologie de la volupté contre l'amour et que tout cela est d'une morale terriblement païenne et im- morale; en tout cas, on ne saurait contester la sincérité, l'élévation, rhoiinêteté de la pensée qui domine le livre; et puis ces idées subversives sont exprimées en un si magnifique langage, les docu- ments y sont drapés dans une si somptueuse parure de mots, et M. Paul Adam, lorsqu'il veut moraliser, reste toujours un si grand artiste de lettres...

ERNEST GAUBERT

La Sottise espérantiste.

En une vigoureuse plaquette, M. Ernest Gaubert part en guerre contre la Sottise espérantiste. J'ai lu cette brochure avec un vif intérêt et les arguments sentimentaux, matériels, moraux, de l'auteur m'ont paru assez impressionnants. Malheureusement, tous les arguments du monde n'y feront rien, ils n'em- pêcheront pas que la langue nouvelle n'ait conquis depuis quelque s\ii ans des centaines de milliers d'adhérents; ce résultat, quoi qu'en dise M. Remy de Gourmont, ne fut jamais obtenu par aucun volapùk, langue bleue ou autres, c'est un fait qu'on peut déplorer mais contre lequel les protestations

AOUT-SEPTEMBRE HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. 23^)

sont vaines, je crois. Loin de moi la pensée de m'en réjouir; je fus même, je crois bien, des premiers à protester contre ce mouvement et je me suis attiré, il y a longtemps déjà, les premières foudres des pre- miers espérantistes ; mais, hélas'! je le répète, ni M. Gaubert, ni M. Remy de Gourmont ne change- ront rien, l'espéranto continuera son chemin, cependant que le pauvre latin, qui fut, pendant bien des siècles, la langue vulgarisatrice rêvée, dis- paraîtra de plus en plus, chassé par les vandales de renseignement moderne de tous les « cycles » universitaires.

A. DE MOXZIK

Les Réformes scolaires.

Selon l'auteur de ce volume très documenté et d'une sage et libérale inspiration, la pensée qui a procédé à l'organisation de l'école moderne est très noble et très belle, mais le résultat obtenu ne res- semble guère à celui qui fut poursuivi ; il serait d'ailleurs fort simple de parvenir à ce résultat idéal, de faire produire à l'école son maximum de profits ; il suffirait pour cela « de rendre et l'école et l'insti- tuteur à leur fonction essentielle, à leur fonction unique, l'enseignement. Plus didéalisme scolaire, plus de religion laïque, d'apostolat social, de caté-

240 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

chîsme moral : qu'on fasse œuvre réaliste, pour faire œuvre réelle ! >> On ne saurait tenir un langage plus raisonnable, mais, hélas ! la raison n'est pas toute-puissante parmi nos instituteurs, et l'homme qui leur donne ce sage conseil sera sans cloute tout bonnement traité par eux de vil « réacteur », pour parler le jargon de la sociale.

MEMENTO DES MOIS D'AOUT ET SEPTEMBRE

ROMANS

Adelsward-Fersen (Jacques d'). Une Jeunesse^ ua livre auquel l'auteur a cru bon de donner connme sous-titre « le Baiser de Narcisse » et qu'il a dédié à un personnage « plus' beau que la lumière romaine ».

Beaupré (Pierre de). Le Seuil, un curieux roman de mœurs an- glaises où l'auteur entend nous dévoiler une u Angleterre plus riante et moins austère que celle imaginée générale - ment sur la foi de préjugés >> et montrer aussi « de vrais Anglais et non point ceux dont les agences devoyage ont malheureusement consacré le type et que la caricature a coiffés pour toujours de casquettes, habillés de complets à carreaux et de jupons courts ».

BeltramelU (Antonio).' Au Seuil de la vie, un roman traduit de l'italien par M. Henry-L. de Pérera et paru dans la « Biblio- thèque des Meilleurs romans étrangers ».

AOUT-SEPTEMBRE HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 2^,1

Bezançori (Mme Henriette). Marie-Aimée. «. L'excès en tout est un défaut, la vertu elle-même doit Otre tempérée de quelque raodératioD, » Telle pourrait être l'épigraphe de ce roman. En effet, si la pauvre Laure est justement dévorée de remords et de tristesses pour avoir causé la mort d'un père tendrement chéri, et poussé au trépas la belle et séduisante Marie-Aimée, c'est qu'elle fut d'une ' vertu trop rigide, trop absolue, trop implacable ; c'est la leron d'indulgence, de rési- gnation, qui ressort de cette très touchante histoire, contée par Mme Henriette Bezanron aveo un art très agréable et une fort sincère émotion,

(ihar (Ed.). La Mascotte de Son Excellence, << roman parisien ».

Desch.uimes (Edmond). Les Jeux de Vanioar et du milliard, un amusant roman l'auteur, d'une plume preste et légère, nous conte les aventures du milliardaire Smithson et de ses sympathiques protégés.

lMl(»n (Augustin). Vacances d'artistes, un recueil d'aimables nouvelles.

.loze (Victor). Madame Prudhomme, u roman de mœurs de l»rûviuce ».

La Hire (Jean de). Les Vipères, « roman moderne ».

Langlois (J. -Jacques). Une Fugue à travers léternité.

Launay (Robert). Les Cagneux.

Le Tersec (Commandant). Ames de soldats, nouvelles.

Maindron (Maurice). Le Carquois, un recueil de nouvelles qui se déroulent dans de prestigieux tableaux d'Orient, évo(iués en un langage savoureux et coloré.

Maryan. La Robe brodée d'argent.

Narquet (Louis). Les Chemins du cœur.

Nesmy (Jean). L'Ame limousine, décrite par l'auteur en des nouvelles d'un savoureux goût de terroir, qui paraissent dans la très intéressante Collection des Ecrivains régionaux « les Pays de France ».

Palamas (Costis). La Mort du Pallikare, une nouvelle traduite par .M. Jean d'Argos,

Pollet (André). Rolande sans peur, un roman moyenâgeux.

Rolland (Mme Marguerite). Tu ne tueras point, œuvre de ten- dresse où la distinguée femme de lettres met en scène des récents épisodes de la crise russe avec beaucoup d'émotion, de force et de vérité.

U

^f^2, LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Rovida (.feaii). Buveuse dames, un roman illustré par des images d'Atamian l'on ne voit point des âmes, mais de fort jolies figures de femmes généralement assez dévêtues.

Sales (Pierre). Petite main, « mœurs contemporaines ».

Sauvage (Louis-Frédéric). ' La Marche au supplice, « conte romanesque ».

Sazie (Léon). Le Pouce, grand roman de police.

Segonzac (Paul). Le Docteur Méphislo.

Thiery (Jean). Choc en retour.

Valtat (Georges). Cassé !... « iMœurs militaires ».

Yiollier (Georges). Vers la Fortune.

HISTOIRE LITTÉRATURE THEATRE POESIE POLITIQUE DIVERS

Alexandre (Arsène). Les Arts et les Industries clart en Al- gérie.

Barraute du Plessis (Mme). Les Treize Cauchemars, des poèmes d'une forme étrange, originale, d'une noble inspiration ; « impressions volontairement dévêtues de charme dans leur brutale crudité et destinées à ceux que consume la flamme intérieure et que hante l'ardent vouloir de choses meil- leures. »

Basset (Serge). Une Aventure de Frederick Lemaître, une curieuse et émouvante comédie.

Bonnier (Gaston). Le Monde végétal.

Boutron (Fernand). Éteules,<( pérégrinations d'un berger distrait ».

Canora (Jean). L'Humanité triomphante, poème composé pour le cinquantième anniversaire de la mort d'Augxiste Comte.

Carette (Ernest). V. Albert Soubies.

Carnot (Hippolyte). Mémoires sur Lazare-Carnot (1758-1823), nouvelle édition.

Choppin (Capitaine Henri). Le Maréchal de Gassion (1609- 1642), d'après des documents inédits.

Choucary (Eugène). Petits Vers de Bourgogne.

aout-.si:pteisibrk histoire, littéuatiiœ. etc. 2^53

Cliriï^toflour (liaymond), LOr dex milomnea, jioésies.

Daiiiuii (L.). La Musique el r Oreille, « les l>ases ralioiui«^ll.es de la niusit(ue, le faux pas de l'art nouveau ou musique dite de r.iveiiir »>.

Desbrière (Edouard). La Campagne maritime de 1805, Tra- falgar.

Deslaades (Baron). Au Hasard de Iheure, un recueil d'aimables et harmonieuses [>oésies que l'auteur lit imprimer, nous dit-il avec modestie, uni(iuement pour « revivre les heures agréables <iu'elles lui ont procurées, telles des fleurs cueillies au hasard de l'heure et qui s'assemblent en un très humble bouquet ».

Du Gay (Adam). Souvenir,^ dei< Paya bleus. Souvenirs d'his- toire, notes de voyage, récits miMés d'imagination el de réa- lité, il y a dans ce livre une multitude de choses, des pein- tures animées et vivantes de l'étonnante société qui s'agite sur la Rlviera, des nouvelles formidables ou divertissantes, de chatoyantes descriptions dos sites enchantés de la Médi- terranée, de poignants souvenirs d'histoire retrouvés dans lauberge de Fréjus qui vit l'aurore et le déclin de l'épopée napoléonienne, des pages de criti([tie d'art... Mais, que n'y a-t-il pas dans ce volume d'une étonnante variété, divertis- sement d'un écrivain aimable, érudit et disert ?

Gayet (Albert). La Civilisation pharaonique.

Hartenberg (Docteur Paul). Sensations païennes, un ouvrage de littérature, de philosophie et d'art.

Kahn (Armand). Le Théâtre social en France de 1870 à nos jours.

La Salle de Rochemaure (Duc de). Esquisses rhénanes, à l'occa- sion desquelles l'auteur étudie le caractère allemand, les relations franco-allemandes, études fécondes et utile^i, « car il y a de grands prolits moraux à recueillir de la fréquenta- tion de ce pays ».

Legendre (Louis). Le Bruit et le Silence, poésies.

Lepage (Auguste). Les Sièges héroïques.

Saisset (Frédéric). La Moisson et la Solitude, poésies. ; Soubies (Albert) et Ernest Carette. Les Régimes politiques au

vingtième siècle, (suite). La République démocratique. ;. Souri au (Maurice), Moralistes et Poètes, « Pascal, Lamartine, Casimir Delavigne, Alfred de Vigny, René Bazin ».

[

244 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

Van Bruyssel (Ernest). La Vie sociale et ses évolutions.

Vaiidoyer (Louis). Quarante petits Poèmes.

Venancourt (Daniel de). Au Champ de, course, dont Tauteur

nous dit la « vie fiévreuse » et dont il nous dévoile les

étonnants mystères. Verlaine (Paul). Voyage en France par un Français. Yaiiscliitch (Grégoire). LEuPope et la Résurrection de la

Serbie.

OCTOBRE

LES BOMAAS

GEORGES BOURDON

Lorsque le coq chanta.

Dans ces brèves chroniques, j'ai parlé plus briè- vement que de coutume du beau roman que M. Georges Bourdon publia sous ce titre. Ce roman, en efïet, les lecteurs du Figaro en avaient eu la primeur ; ils avaient vécu les poignantes angoisses de l'histoire du baryton Franz Portai, lequel, « après une vie insouciante et heureuse, mourut par une nuit bleue dans une aventure effroyable ».

Il eût donc été vain et dangereux de refaire le récit de cette tragédie que l'auteur emprunta d'ail- leurs, nous dit-il, à la réalité; mais ce que j'aurais

14.

246 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

voulu du moins savoir exprimer, c'est avec quel art il Ta mise en scène, avec quelle finesse psycho- logique il a analysé le cœur et l'âme de ses héros, avec quelle noblesse et quelle grâce il a campé cette superbe et si humaine figure de femme de devoir et d'amour, avec quelle puissance de terreur il a reconstitué la tragédie finale! Et tout cela est écrit dans une langue admirable de fermeté, de noblesse, de pureté. En vérité, M. Georges Bourdon, dont il est vain de dire le beau talent de journaliste, se révèle, dans ce livre, romancier de premier ordre.

ANDRE LIGHTENBERGER

Notre Minnie.

L'âme d'une petite fille est un spectacle émou- vant et joli au possible, inquiétant aussi, tout rem- pli de mystères et de promesses. Il faut, pour le comprendre, beaucoup de finesse et de perspicacité ; pour le décrire, infiniment de grâce, de mesure et de délicatesse. Ces qualités nécessaires en un sujet à la fois si séduisant et si périlleux, M. Lich- tenberger les a au suprême degré, et il « tient », comme personne, la petite fille de notre temps : rappelez-vous la Petite Sœur de Trott et l'exquise

OCTOBRE LES ROMANS 247

/.//?(?; d a Qs celle galerie de petiles persoanes con- temporaines, Ao/re Minnie occupera une place d'honneur. Elle est vraiment exquise cette enfant espiègle et primesaulière, dans la toute petite âme de laquelle s'éveille déjà, inconscient et joli, ce besoin divin de tendresse, de dévouement et de générosité qui est la marque de la femme, de la vraie femme. Comment elle s'ébroue dans l'austère salon de sa dévote marraine, comment elle boule- verse tout à la fois ses meubles et ses principes, comment elle fait adopter de petits athées par cette pieuse personne, comment, après avoir rempli son rôle de femme consolatrice et généreuse, elle s'en va au milieu des attendrissements et des bénédic- tions. Tel est le sujet que M. Lichtenberger a traité dans son roman avec infiniment d agrément, d'émo- tion et d'esprit.

MAURICE MONTEGLT

Du pain !

« Deux grenadiers s'en revenaient... » Je pensais à l'admirable poème de Henri Heine en lisant les premières pages du roman de M. Maurice Monlégut et en contemplant les soldats licenciés des armées impériales: « poussiéreux, boiteux, béquillants sur des bâtons coupés le long des routes, le dos cassé, le nez baissé vers la pente. » Ces soldats sont les

248 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

héros du roman ; après la chute de l'Aigle ils re- viennent au pays natal, au village des Herveux, d'où ils étaient partis au début de l'épopée ; ils étaient deux cents, ils sont dix ! et c'est l'histoire tragique, émouvante et romanesque de ces soldats redevenus laboureurs, que nous conte M. M. Mon- tégut, en un livre tout à fait émouvant et remar- quable, où se retrouve la manière forte et belle de l'auteur des Épëes de fer.

L'écrivain excelle, en elTet, dans ce genre qui n'est pas le roman historique, mais Ihistoire éclaire, pénètre, domine le roman. Dans les aven- tures d'amour, de haine, de révolte et de meurtre qui se déroulent aux Herveux entre l'an 1815 et l'an 1847, M. M. Montégut a mis beaucoup de lui- même, de son ardente et féconde imagination de romancier, mais autour de ces aventures roma- nesques il a planté comme un décor d'histoire réelle, de cette histoire si étrange, si mouvementée, si douloureuse parfois, que vécut la France entre la chute de l'Empereur et l'avènement de Louis- Philippe, et c'est d'un rare et poignant intérêt.

RENÉ BAZLN

Le Blé qui lève.

Pour sauver les hommes, pour faire « monter un peu de joie dans leur cœur renouvelé », il faut les

OCTOBRE LES ROMANS 2^^

ramener à Dieu et à la terre. Telle pourrait être, je crois bien, l'épigraphe de l'œuvre tout entière de M. René Bazin, tel est, en tout cas, le sens du Blé qui lève.

Dans ce livre aux lignes harmonieuses et simples, l'académicien poursuit cette croisade littéraire qu'il a entreprise pour la glorification du sol nourricier, pour lexaltation de la foi agissante, de la foi qui sauve. Cette préoccupation apparaît dans tous les épisodes dramatiques et touchants de ce roman rural, et Ihistoire de (jilbert (Hoquet, paysan à rame généreuse et forte, éprise d'idéal et de pro- grès, est faite pour démontrer que les efforts vers la solidarité sociale, vers le bonheur des hommes, sont vains, décevants et dangereux s'ils n'ont pas la terre à la base et le ciel au sommet.

On peut discuter les opinions de M. René Bazin, mais il faut louer sans réserve l'art du romancier qui a su camper avec tant de maîtrise cessilhouettes de gens de la campagne, le bon abbé Roubiaux, le gentilliomme campagnard conscient de ses devoirs envers les paysans, Lureux, le paysan fainéant et dépensier, et la douce et charmante Antoinette ; il faut admirer aussi ces tableaux de campagne que M. René Bazin peint avec de si jolies couleurs, ému profondément d'une communicative émotion devant l'herbe si belle, devant « les jachères qui attendent la charrue, devant le froment qui lève sa pointe verte au-dessus des terres brisées... »

250 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

GEORGES OHNET

Cœurs en deuil.

Un livre de Georges Ohnet ! Ce n'est pas un événement de mince importance pour la foule avide de saines etcopieuses émotions qui suit si fidèlement depuis un quart de siècle Tauteur du Maître de forgea. L'une des raisons de cette fidélité, c'est que les lecteurs savent qu'avec leur auteur favori, ils en auront pour leur argent; son nom sur la cou- verture d'un livre est pour eux mieux qu'une promesse, une garantie ! De cette conscience, M. Georges Ohnet leur offre aujourd'hui une preuve nouvelle : ayant à publier le très palpitant roman^ la Bête à chagrin^ il remarque que l'œuvre est un peu courte pour constituer les trois cents pages tra- ditionnelles d'un volume : tel de ses confrères ne s'embarrasserait pas pour si peu, les artifices de la typographie, pages blanches, titres répétés, espaces doublés ; que sais-je encore ? ne sont ils pas pour corriger la brièveté des romans ! Nous avons eu ces derniers temps quelques exemples illustres de ces petites supercheries qui irritent le lecteur trompé sur la quantité comme les entr'actes démesurés agacent le spectateur. M. Georges Ohnet, lui, a trouvé une autre solution, il a bravement donné un autre roman d'une note toute différente : Au Bord

OCTOBRE LES ROMANS 2D1

de la rivière, et il les a réunis tous deux en un vo- lume qu'il intitule : Cœurs en deuil.

Je ne vous rappellerai pas les tourments et les luttes de la géniale artiste, Rosalie Herbelin,la dou- loureuse et noble héroïne de la Bêle à chagrin, tourmentée par sa sœur Jacqueline; je ne vous dirai pas la pathétique aventure de la courageuse etvail- lante Zéphyrine, victime de sa sœur de lait, Glo- riette ; on ne raconte pas les romans de M. Georges Ohnet, on les lit. L'éditeur a soigné, comme il con- venait, le volume d'un écrivain qui ignore la crise du livre, et il en a fait une très artistique édition qu'illustrent de belles images de Vogel soigneu-

ABEL HEHMANT

La Discorde.

La société contemporaine n'a pas d'historio- graphe plus élégamment cruel que M. Abel Her- mant. La série des <( Mémoires pour servir à l'his- toire de la société » qu'il a entreprise depuis quel- ques années et qu'illustre l'étonnante figure de M. de Courpière, constitue pour la renommée future de notre temps une documentation plutôt fâcheuse, mais d'un si agréable et savoureux cynisme.

La Discorde donne dans ces « Mémoires » une

252 LE iMOUVEMENT LITTERAIRE

note nouvelle, particulièrement grave et doulou- reuse : c est que le sujet ne prête point à rire, ni à sourire. La Discorde, titre d'un roman, épigraphe aussi de toute une époque, de tout un pays, qu'elle est venue déchirer et troubler; cette discorde qui couvait dans la famille Langellier etque « l'affaire » fit soudain apparaître éclatante et irréparable, elle a fait ses ravages aussi dans la grande famille fran- çaise qui connut, hélas ! tant de frères ennemis. Certes, la Discorde est bien faite « pour servir à l'histoire de la société » !

Mais voilà de bien grands mots, et sans doute le narrateur de M. Abel Hermant, Yves Langellier, me regarde avec un sourire narquois. Ce n'est pas lui qui prendrait ainsi les choses au tragique. Il sait qu'il faut considérer les événements avec tranquil- lité, scepticisme et ironie, et, mêlé très intimement à un drame effroyable d'amour et de discorde, dont les héros et les victimes sont tout simplement ! ses frères, sa sœur, son beau-frère et son père, il nous le conte avec un détachement et un sang- froid prodigieux, il disserte avec infiniment d'esprit, de grâce et donction sur des choses navrantes dont son cœur devrait être déchiré et dont le lecteur est profondément ému. Il y a un séduisant et très philosophique contraste entre l'angoisse du drame et le calme du narrateur, à qui M. Abel Hermant a prêté la grâce nonchalante de son style si curieux, si personnel : ce livre, pour attristant et pénible qu'il soit, est un fin régal de lettré.

OCTOBRE Li:s HO.MA.NS '20o

PAUL HllNALDLN

Les Ghampier.

Le livre de M. Paul Henaudin eut un roman réa- liste, mais d'un réalisme sourit parfois un peu d'idéal, ce qui n'enlève rien à l'exactitude ni au pittoresque de cette peinture delà vie faubourienne, tout en y mettant un peu d agrément et de lumière. Le cadre choisi par M. Paul Henaudin pour nous montrer la vie des ouvriers dans nos faubourgs est une pauvre maison du iîn fond de Grenelle dont, comme dans Pol-Bouille, on nous fait connaître un à un tous les locataires, pauvres gens pour qui la vie n'est que peine et misère, mais qui savent aimer et espérer.

Les histoires qui se passent de haut en bas de cette maison, les idylles qui se nouent d'un loge- ment à l'autre, les misères qu'y font pénétrer le syn- dicat et ses grèves, le départ pour le régiment, sont contées par M. Paul Renaudin avec émotion et sin- cérité, et s'il y a parfois un peu de convention dans ces tableaux, le livre n'eu est pas moins rempli d'agrément et d'intérêt.

15

HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE, DIVERS

G. FERRERO Grandeur et Décadence de Rome.

V. LA RÉPUBLIQUE DAUGUSTE

L'œuvre magistrale de M. G. Ferrero en est main- tenant à son cinquième volume. Dans ce volume, réminent historien, qui a si vigoureusement secoué la poussière classique sous laquelle dormait l'his- toire romaine, aborde « la République d'Auguste » et nous montre avec quelle force de vérité et de vie ! l'admirable spectacle de Rome parvenue à l'apogée de sa destinée, dans l'épanouissement de la

OCTOBRE HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE, ETC. 255

religion renaissante, de la paix, de l'intelligence, du génie. Spectacle vraiment admirable, inquiétant aussi : Rome est sur un sommet, mais il est visible, à des signes certains, qu'elle va descendre et se dégrader. Tout cela est exprimé par M. Ferrero avec un extraordinaire talent d'évocation, et vrai- ment, un^ œuvre comme la sienne fera date dans les fastes de la littérature historique.

PIERRE MORANE

Paul I'^'' de Russie, avant l'avènement (1754-1796).

La troublante et légendaire histoire de cet empe- reur en délire est un sujet qui a tenté bien des écrivains, et les profanes eux-mêmes connaissent les horreurs de ce r»^^gne tragique. Ce tableau qui fut fait tant de fois, M. Pierre Morane a voulu l'éclairer, il a voulu nous faire comprendre le pour- quoi de ce drame, et c'est ainsi qu'il s'est trouvé amené à étudier la jeunesse de cet « Hamlet mosco- vite », lequel < grandit dans une famille dévorée de haine, parmi un tumulte de passions vulgaires et de querelles avilissantes, dans une atmosphère d'es- pionnage et de délation. Point de tendresse auprès de l'enfant. Tout jeune encore, il assiste à un spec- tacle hideux et sanglant : le meurtre de son père. Sa

25() LE MOUVEM-ENT LITTERAIRE

mère, lusurpatrice du trône, le châtie de ce que les méconteats du nouveau règne se rallient sur son nom, elle lutte contre ce rival avec des habi- letés'de femme sournoise et rusée, elle le méprise et s'applique à le déconsidérer » ; c'est délicieux comme on voit.

On ne songe plus guère, après cela, à s'étonner qu'il y ait eu dans l'existence de cet empereur « quelque chose d'incertain, de précaire et qu'une inquiétude perpétuelle ait troublé son caractère énigmatique ». L'étude de M. Morane, très com- plète et très documentée, nous donne sur cette triste enfance et sur cette déplorable jeunesse une foule de renseignements, propres à éclairer cet émouvant problème historique.

En outre, c'est une occasion pour l'écrivain de nous restituer un tableau de la Russie de la fin du dix-huitième siècle, du palais impérial Cathe- rine II, cette femme extraordinaire, déploya les plus hautes qualités de l'homme d'État et donna tout leur jeu à ses violentes passions.

MARQUIS COSTA DE BEAUREGARD

Madame Loyse de Savoye. « Amours de sainte ».

Dans les jardins de l'histoire, voici un récit déli- cieux tout parfumé d'une grâce légendaire : c'est l'ouvrage que l'éminent académicien dédie à S. A. R.

1

OCTOHKE HISTOIRE, LITTERATURE, POLITIQUE, ETC. 2^7

Madame Louise de France, duchesse d'Aoste, et dans lequel il a tenté de retracer la vie, si pleine de vertus héroïques et charmantes, de la bienheu- reuse Loyse, « d'entendre et faire entendre dans cette si sombre nuit du quinzième siècle une voix céleste chantant d'éternelles amours ». De fait, c'est une bien touchante et bien belle histoire que celle de « Loyse de Savoye », petite-fille de saint Louis, fille du duc Amédée IX et d'Yolande de France, fiancée, à treize ans, à Hugues de Chalon épris éperdument de ses grâces physiques et mo- rales, mêlée aux luttes de Charles le Téméraire contre Louis XI et qui, entre l'âge de treize et de dix-neuf ans, vécut sur les champs de bataille et dans les forteresses une véritable épopée dont elle traversa les épreuves et les dangers avec une vail- lance ingénue et une constante et fervente piété. Lorsqu'elle atteint l'âge de dix-neuf ans, elle épouse enfin, par ordre de Louis XI, Hugues de Chalon; c'est l'idylle qui commence, une idylle qui dure dix ans, jusqu'à la mort de son mari.

Alors Loyse décide de se retirer au monastère de Lorbes où, pendant quinze années, elle mena la plus belle, la plus douce et la plus sainte des exis- tences, jusqu'au jour béni son âme '* s'échappa de ses lèvres en un murmure qui se perdit dans la nuit comme un dernier chant d'amour » et où, tout éblouissante de beauté, elle parvint en ce paradis tant désiré et •< franchit ce seuil sur lequel l'atten- daient les saints de sa race ».

258 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Belle et touchante histoire vraiment; le marquis Costa de Beauregard a trouvé, pour la conter, les accents qui convenaient : doucement, sans élever la voix, dans un langage plein de noblesse et de sim- plicité, dune grâce volontairement surannée, il a fait revivre à nos yeux cette vision qui si douce- ment Favait charmé et qu'il u avait vu s'évaporer sans pouvoir la retenir ».

CHARLES NICOULLAUD

Récits d'une tante. Mémoires de la comtesse de Boigne, née d'Osmond (3® vol.).

M. Charles Nicoullaud poursuit la publication de ces Mémoires de la comtesse de Boigne^ née d'Os- mond, qui nous ont déjà tant divertis, intéressés et ii;istruits. Le troisième volume de ces prestes, jolis et malicieux « récits d'une tante », ne le cède en rien aux précédents, et il embrasse, d'ailleurs, une période bien curieuse et bien émouvante de notre histoire, débutant avec l'assassinat du duc de Berry pour finir à la chute de la monarchie légitime.

Que de choses dramatiques ou pittoresques à nous décrire : le crime et le procès de Louvel, le carnaval de 1820, le bal à l'Elysée, l'exécution des quatre sergents de la Rochelle, l'entrée de Charles X à

OCTOHRE HISTOIRE, LITTERATURE, POLITIQUE, ETC. 2b\)

Paris et son sacre, l'aspect des rues lors de la révolu- tion de 183Q! que d'hommes à peindre ou à silhouet- ter depuis le duc de Richelieu jusqu'au prince de Carignan, à Metternich, à l'empereur Alexandre, à iM. de Villèle, au duc d'Angoulême, au prince de Talleyrand, depuis Arago et Benjamin Constant jusqu'à iMme de Uécamier et à Pasquier ! tous ces tableaux, tous ces poriraits, tous ces récits, Mme de Boigne les fait avec une verve, un esprit endiablés, je dirais avec un art merveilleux, si l'absence d'ar- tifice et la malice primesautière n'étaient justement un des charmes de ce livre captivant.

CiLSTANE ROBERT

Philosophie et Drame.

î:ss\i d'une explication des drames wagnériens

Combien parmi les plus fervents admirateurs de l'œuvre de Waprner en est-il qui admirent « comme des brutes pour employer l'expression de ^lichelet sans comprendre un mot à l'objet de leur admiration? Je crois pouvoir affirmer, sans manquer au respect à ces mélomanes convaincus, qu'ils sont assez nombreux; quelques-uns, d'ail- leurs, l'avouent et même le proclament, si l'on comprenait, ce serait bien moins beau ! et

•>Go . LE MOUVEMENT LITTERAIRE

« rambiguïté de ces œuvres énigmatiques constitue précisément un de leurs charmes et non le moin- dre ». M. Gustave Robert ne trouve pas cette for- mule convaincante, il a essayé de comprendre quel- que chose à ces énigmes, et nous a donné « l'essai d'une explication des drames wagnériens ». De cette explication, il résulte, en substance, que Wagner fut dominé dans toute son œuvre par une pensée d'optimisme, qu'il a eu foi aux heureuses destinées de la race humaine, et qu'une pensée chrétienne est au fond de toute son œuvre ; selon M. Gustave Ro- bert, il eut, en outre, de la suite dans les idées. « On le voit, dit-il, fidèle à son idée initiale, gouverner chaque partie de son œuvre, de manière à en faire un tout qui se développe non sans une réelle har- monie. »

Si, après cela, vous ne comprenez pas Parsifal, c'est h y renoncer.

BAYET

Giotto.

Gioiio, en qui Dante saluait le maître par excel- lence et qui, profondément admiré aux quatorzième, quinzième et seizième siècles dans toute l'Italie, est fameux encore en notre temps on vante surtout son naturalisme, na point encore tenté la verve des

OCTOimi- HISTOIRE, LITTERATURE, POLITIQUE, ETC. 261

écrivains d'art ; sur cet artiste et sur cette œuvre d'une si haute importance dans l'histoire de l'art, il n'existait pas en l'rance d'ouvrage vraiment clair, complet et accessible ; celui de M. Hayet comble très heureusement cette lacune : il est tout à la fois très documenté, très instructif, très séduisant. Avec les nombreuses images qu'il contient, les appendices, tableaux chronologiques, catalogues, bibliographies, index, il constitue un utile et précieux instrument de travail, qui vient enrichir la belle collection des ' Maîtres de l'Art », instituée par M. Jules Comte.

LE P. MALMUS

Défense de la foi.

En un temps les ministres de la République s'arrogent la fonction d'éteigneurs des lumières célestes, le Père Maumus dédie son livre à ceux dans l'àme de qui cette divine lumière s'est éteinte, espérant que « ces pages leur inspireront de demander à Dieu de rallumer le flambeau sacré » ; son livre voudrait être, en somme, une apparition de la vérité dans les âmes tourmentées du besoin jl de croire. Pour atteindre son but, il s'efforce de concilier la science et la raison avec la religion, en

t montrant les limites de la science et les mystères qui l'entourent, en expliquant quel'immutabilité et i

202 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

les progrès de la vérité de la foi ne sont point en contradiction, en traitant enfin, avec sa science pro- fonde de la théologie, des questions de la trinité, de la création et de l'eucharistie.

Il conclut enfin que la science vraie n'est pas rivale de la foi : « la foi et la raison sont deux rayons qui descendent du même foyer et leurs lumières s'harmonisent sans se confondre; l'apôtre de la foi peut donc être en même temps, et est, en réalité, un défenseur de la raison. » Telle est la thèse soutenue par le Père Maumus en des pages d'une grande élévalion, d'une vive ferveur et d'une persuasive éloquence.

MERMEIX

Le Syndicalisme contre le Socialisme.

L'an dernier, M. Mermeix nous présentait en un volume dont le retentissement fut grand, << le Socia- lisme », exposant le pour et le contre de cette doctrine dont tout le monde parle et que si peu con- naissent. Grâce à lui, grâce à sa lumineuse, impar- tiale et forte étude, nous avons pénétré les mystères du socialisme, et nous connaissons nos maîtres de demain. Nos maîtres de demain? Est-ce certain? M. Mermeix, qui n'en a jamais été bien sûr, en doute plus que jamais, et il lui apparaît que les

OCIUl:l«K lll^rOlHE. Lli ii.nAiL HE, I^OLITIOUE. EIC. 1>U.)

socialistes sont actuellement singulièrement me- nacés par une force nouvelle, un hôte inattendu qui €stvenu troubler la fête, et s'appelle « le Syndica- lisme ». Ouest-ce encore que cela? M. IVIermeix entreprend de nous l'expliquer dans ce volume il raconte « l'origine et le développement de la Con- fédération générale du travail .

Avec cette conscience, cette sûreté de méthode, cette force de documentation qu'il appliqua naguère à l'étude du Socialisme, M. Merraeix explore aujourd'hui « le Syndicalisme » et cette redoutable Confédération générale du travail : il montre la façade et ce qu'il y a derrière, et c'est, je vous assure, d'un bien vif et bien palpitant intérêt.

Bien d'empoignant comme les chapitres de ce livre, l'auteur pourtant n'apporte que des chif- fres, des faits, de froides déductions ; c'est que le sujet a de quoi nous passionner, il s'agit tout sim- plement de notre existence à nous tous, bourgeois, et les boui:geois sont bien nombreux pour les syndicalistes... Songez, en effet, qu'aux yeux des libertaires de la C. G. T., les socialistes avec leurs méthodes actuelles, avec leurs procédés et leurs dis- cussions politiques, leurs recherches des mandats électoraux, leur participation aux délibérations des assemblées, sont, eux aussi, entachés de « bour- geoisisme » et infidèles à la doctrine de Karl Marx, lequel a dit: « L'émancipation des prolétaires doit être l'œuvre des prolétaires eux-mêmes. »

Le syndicalisme, avec ses tendances et ses ori-

•>(>4 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

gines anarchistes, est donc actuellement l'adver- saire le plus redoutable du socialisme, à qui il pré- tend enlever son action et son autorité sur la classe ouvrière. Comment s'est formé le syndicalisme ? Quels sont ses projets? C'est à ces questions que M. Mermeix vient répondre, en des pages d'histoire vraiment impressionnantes, est étudié le sort du travailleur à travers les siècles, depuis l'esclavage d'autrefois jusqu'à notre actuelle émancipation ouvrière, à la Bourse du travail, à la grève géné- rale, à l'action directe et au sabotage préconisé par la C. G. T. Après cette étude magistrale, on com- prend et on mesure la force de cette Confédération générale du travail et sa raison d'être, car M. Mer- meix, qui ne l'aime pas, a jugé inutile de la cou- vrir d'anathèmes ; il a préféré, ce qui vaut infini- ment mieux, l'expliquer. Comme il arrive souvent, répouvantail une fois bien connu, la machine infernale une fois démontée, tout cela est devenu beaucoup moins terrifiant : sans contester la puis- sance nuisible de la C. G. T. et sa force d'organisa- tion — elle nous en a donné, hélas ! trop de preuves il est bon de savoir et de proclamer que sur l'en- semble des ouvriers français tout juste 5 p. 100 jusqu'ici se sont laissé inscrire sur la liste syndi- caliste, ce qui n'autorise peut-être pas tout à fait la Confédération à parler au nom de l'universalité des travailleurs. En face de ces deux ennemis aux prises, le syndicalisme et le socialisme, la société moderne a donc encore de beaux jours devant elle,

OCTOBliE

HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE, ETC. 265

pour peu qu'elle consente à se défendre avec ses armes légitimes, les lois. Telle est la conclusion rassurante, tel est l'avertissement du livre de M. Mermeix.

MEMENTO DU MOIS D OCTOBRE

ROMANS

Adrianne (Charlette). Hnviolable.

Ailliez (Danielle d'). Le Flol qui monte.

Aoely (Max). Les Immémoriaux.

Danrit (Capitaine). Ordre du Tsar.

Delcamp (André;. Lc^ Pourceaux d'Épicure, « roman mo- derne ».

Derennes (Cliarles;. La Vie et la Mort de M. de Tournèues, une petite histoire très cynique et très émouvante à la fois.

Foley (Charles). Histoire de la reine de Bohême et de ses sept châteaux. « Collection des romans honnêtes. »

Germain (André). La Cousine et iAmi.

Le Febvre (Yves). Les Barbares.

Marbo (Camille). Blassenay-le-Vieux.

Payen (Louis). L'Autre Femme, un roman dont l'auteur est un écrivain tout à fait intéressant, une nature. Ses œuvres de début témoignaient de très réelles qualités, un peu bru- tales, heurtées, violentes et qui, sans nul doute, avaient besoin d'être assagies et disciplinées. Elles ne le sont pas encore ! et V Autre Femme passera difficilement pour une œuvre sage bien au contraire ! L'aventure du peintre Marcel Louvaine frêle et raftiné et de miss Stark énergique et impérieuse est si étrange, si maladive, si

:>()6 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

scabreuse, que je serais bien empêclié de vous la couler.

Tout (le même, le romau est bien curieux, et il contient de

bien remarquables pages, dignes d'un véritable écrivain et

d'un romancier de race. Poltoralzky (Mlle Hermione). Une Idylle sibérienne. Prin (A. de). Le Semeur diuraie, « mœurs parlementaires. » Smulders (Cari). La Correspondance de Sylvain Darloi.<.

HISTOIRE LITTERATURE THEATRE POESIE POLITIQUE DIVERS

Balagny (Commandant). Campagne de F empereur Napoléon en Espagne (1808-1809), AlmaraZy Udès, Départ de Napo- léon, i^ voluin^ publié par la section historique de l'Elat- Major de l'armée.

Baldensperger (Fernand). Études dlnstoire littéraire, un fort intéressant ouvrage l'auteur traite tour à tour des sujets fort divers : « Gomment le dix-huitième siècle expliquait Tuniversalité de la langue française >• ; Young et ses Nuits en France; le « genre troubadour » ; Lénore, de Burger, dans la littérature française ; les « définitions de l'humour ». Sur tous ces sujets, l'auteur a tenu, il nous le dit dans sa préface, à ne point faire œuvre de critique, mais unique- ment d'historien, et il a réussi à nous donner un ouvratre plein d'idées, de faits et de renseignements.

Baye (Baron de). Visions de Russie.

Béral (Paul). Y. Rolland-Chevjllo.n.

Billard (Docteur Max). La Conspiration de Malet, un volume consacré, après tant d'autres, à ce passionnant fait divers, qui, à un siècle à peine de distance, conserve, malgré tous les documents et toutes les études publiées, un air de légende et de mystère.

Boucher (Henri). Souvenirs d'un Parisien pendant la seconde République (1830-1852).

Charles (Ernest). Les Samedis littéraires.

Daudet (Ernest). La Révolution de 1830 et le procès des mi- nistres de Charles X. Nouvelle édition revue et augmentée.

OCTOIiRE HISTOIRE, LITI ÉRATUIŒ, POLITIQUE, ETC. 26

Des Granir<>s ^C.-M.). La Presse lilléraire sous la Resl aura- lion (1815-1839), une ùtiide vivante et documentée.

Faucigny-Luciiig'e (F. de). Lord Ciirzon aux Indes. Une sélec- tion de ses discours comme vice-roi et i,'ouverneur des Indes (1899-1905). liilroduction de Sir Thomas Raleigh.

Guerlin (Henri). Espagne^ « impressions de voyage et d'art. » C'est la preste et vivante relation d'une admirable prome- nade faite par M. (iuerliu, de Saint-Sébastien à Cadix, et d'Alicante à Saint-Jacnaes-de-CompostellH ; observateur judi- cieux et enthousiaste, l'écrivain sait à merveille voir et faire voir, d'autant mieux (|ue son livre est copieusement illustré par 160 photographies prises en cours de route et qui par- sèment et agrémentent ces descriptions et ces récits.

Halphen (Louis). Éludes sur Vadminislralion de Home au nioi}en-ài/e ;751-1252;.

Ignis Ardens. Les Coulisses du Vatican.

Janas^ (J.-L. de). Les Laganaires, poèmes.

La Paye (F. Jicques de). Souvenirs du général Lacrelelle.

Lehuutcourt Pierre). Histoire de la Guerre ' '^"'MS71. 2" volume.

Léouard (David). Catholiques décadents, « mœurs actuelles ».

Maricourt (Bai'on de). Madame de Souza et sa famille, « les Mariguy, les Flahaut, Auguste de Moruy (1761-1836) », un curieux et pittoresiiue volume.

Mitcliell (Mme). Spes et Fides, un harmonieux et émouvant lecueil poétique.

Orliac (Mme Jehauue d'). Les Murmures, les Chants, les Cris, poèmes,

Pascal (Georges de). Lettres sur l'histoire de France. Préface <le Paul Bourget.

Picot (Emile). Les Français italianisants au seizième siècle.

Pinçon. Voix de la vie el Voix den-haul, poésies.

Rifaux (Docteur Mircel). La Crise de la foi catholique.

Rolland-Ghevillon et Paul Béral. La France, VAllemagne au Maroc; leur politique, leur commerce.

Roudès Silvain). Pour faire son chemin dans la vie. « Moyens et qualités qui permettent d'arriver au succès et à la fortune. » Ce sont n'est-il pas vrai ? de pré- cieuses recettes 1

Sainéan '^Lazirc;. L Argot ancien 1455-1850).

268 LE MOUVEMENT LITTÉflAIRE

Séché (Alphonse). Alfred de Musset anecdotiqiie.

Stenger (Gilbert). La Société française sous le Consulat 6^ volume. C'est le couronnement d'une œuvre considérable d'un très vif attrait et d'une haute portée. Ce dernier vo lume traite de la réforme de l'armée, du clergé, delà magis trature et de Tiostruction publique pendant le Consulat qui fut, selon M. Gilbert Stenger, la période la plus éblouissante de notre histoire, opinion exprimée aussi par M. Fevrero qui, dans le volume dont j'ai parlé plus haut, se montre frappé de l'analogie que présentent la République d'Auguste et le Consulat de Bonaparte.

Sykes (Major). A travers la Perse orientale.

Thalasso (Adolphe). Anthologie de V amour asiatique. Grâce à cet ouvrage qui a coûter à son auteur un bien grand labeur, nous savons désormais comment on dit l'amour en Afghanistan, au Cambodge, dans le Béloutchistan, en Mon- golie, en Perse, au Siam, dans l'Hindoustan, dans l'Arabie, en Circassie, que sais-je encore ! on y constate que si Eros est toujours semblable et égal à lui-même, l'art de le chan- ter est divers à l'infini, et, s'il y a^ dans « cette gerbe aux parfums ignorés » des fleurs étranges, surprenantes, un peu comiques parfois, il en est aussi de vraiment très belles, que pourront respirer avec profit les poètes et les amoureux des bords de la Seine.

Tolstoï. La Révolution russe., sa portée mondiale, traduction d'Halperine-Kaminsky.

Vannier (Antonin), La Clarté française, « art de composer, d'écrire et de se corriger ».

NOVEMBRE

LES ROMANS

JEAN RAMEAU

L'Ami des Montagnes.

UAmi des montagnes est très dilTérent des pré- cédentsvolumes de M. Jean Rameau et bien fait pour f montrer combien est souple et varié le talent du brillant romancier. Tous les romans qu'il a donnés en ces dernières années sont, en elîet, de touchantes histoires, Fauteur semble prendre à tâche de contenir ses émotions et se contente de faire couler de douces larmes, ce à quoi il réussit supé- rieurement.

Tout autre est ÏAml des montagnes; c'est la ma- nière forte! La passion du docteur Laurent Lucq

270 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

pour la gentille Passerine de Cazaubon a quelque chose de sauvage, et de heurté, tout en étant d'une immense douceur.

Et lorsque, dans ce ménage d' « amis de la mon- tagne » surgit le drame sentimental, l'aventure tourne vite à. la tragédie. Et c'est à la montagne, confidente tragiquement accueillante, que le héros infortuné du roman confie tour à tour sa vengeance et son désespoir. Après ces épisodes tragiques, un dénou-ement douloureux, mélancolique et tendre, vient clore cette histoire que M. Jean Rameau a contée avec beaucoup de charme, de force et de talent, et c'est vraiment un des très bons livres de cet écrivain.

LOUIS BERTRAND

L*Invasion.

Un très beau livre, une œuvre d'une intense, courageuse et puissante originalité, tel est le rare régal que nous ofîre M. Louis Bertrand avec son livre r Invasion. La forte et volontaire personnalité de cet écrivain est bien connue: elle est attestée par une œuvre déjà considérable, chaque étape est marquée par un progrès nouveau, jusqu'à cet admirable Jardin de la mort, dont j'ai di! naguère la mâle et vivante beauté. Aujourd'hui avec Y Invasion,

NOVEMBRi: LES UOMANS 27 1

iM. Louis Bertrand nous donne, je crois bien, l'œuvre décisive de sa carrière, car il ne trouvera pas de sujet ni de tableau mieux appropriés à son talent si tumultueux, si ardent, si coloré. Ce tableau, c'est Marseille, envahie par la foule miséreuse et bigarrée des Italiens qui viennent chercher dii travail dans la riche cité et qui y vivent, sous le soleil de Provence, de si sombres et si violentes aventures de misère, d'amour, de haine, compliquées encore et ensan- glantées parles démences ou les calculs de la révo- lution.

La révolution à Marseille ! c'est bien en effet le sujet du roman de M. Louis Bertrand ; elle domine, elle pénètre, elle termine tragiquement l'aventure de Marguerite Girardi, de Cosmo, d'Emmanuel et de Mares, et, si émouvants, si humains que soient les épisodes du drame vécu par ces héros, on sent bien que la véritable héroïne, c'est la révolution avec son cortège hurlant et bigarré d'ouvriers aveuglés, de rhéteurs et de < nervis ». Cette révo- lution, M. Louis Bertrand la campée devant nous entraitsinoubliables,il l'a courageusement regardée face à face, et il a dressé sa vérîdique et terrifiante image à sa place réelle : en face de l'ouvrier, contre lui, i< opposant le travailleur au socialisme, et Lhomme à linhumanité de la doctrine »...

272 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

G. FORESTIER La Pointe aux Rats.

Ce roman, quelque peu colonial, est, nous dit l'au- teur, Thistoire d'une colonie française naissante dans rOuest canadien; vrai, elle n'a rien de très allé- chant et je ne. suppose pas que M. Forestier ait le désir défavoriser l'émigration vers ce pays d'outre- mer. Bien au contraire, il prend à partie « ces bro- chures de colonisation » Ton fait miroiter aux yeux des colons ignorants les délices d'une terre promise, dans laquelle ils ne trouvent que décep- tions, douleurs et désespoirs. Je ne sais pas si les Franco-Canadiens sont des êtres aussi abominables que les héros de M. Forestier, et si son triste tableau est tout à fait exact ! Mais ce tableau est, en tout cas, terrifiant et douloureux à souhait, et si extra- ordinaires et tragiques que soient les aventures du vicomte d'Arcilly, du baron des Audelles et de la famille Verdier, elles donnent une frémissante impression de vérité et de vie, et l'on éprouve un véritable soulagement lorsque quelques-uns des personnages sympathiques s'enfuient de cet enfer pour se réfugier dans la douce et bienveillante Algérie.

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NOVEMBRE LES HOMANS 278

BOJER

Maternité..

Le roman de l'écrivain norvégien Bojer, dont M. Guy-Charles Cros a donné la traduction, est une (iMivre bien singulière : outrancière souvent et d'une invraisemblance vraiment excessive, elle est pour- tant d'une poignante et douloureuse humanité. Ce roman nous dit les douleurs, les cruautés, la folie d'une mère obligée d'abandonner son enfant et qui traverse une vie tout entière hantée par le souve- nir de cette première maternité, dévorée du désir de reprendre son enfant —ce qui est très naturel mais aussi décidée à se venger de son malheur sur l'humanité tout entière, sur Ihonnôte homme qui la chérit et sur son second enfant lui-môme, pour lequel elle n'éprouve nulle tendresse, et cela est tout de môme un peu excessif et dune ^ maternité » bien relative. Il y a, d'ailleurs, de belles pages, toiutes remplies de brumes et d'obscurités dans cette étrange et tragique histoire, et le traducteur en a très heureusement respecté la couleur.

274 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

MATHILDE ALANIG

La Gloire de Fonteclaire.

Mme Mathilde Alanic ne se perd pas dans les brouillards norvégiens, elle reste toujours d'une clarté bien française et nulle prétention ne dépare les livres probes, émouvants et sains qu'elle nous a donnés et parmi lesquels j'ai eu l'occasion de signaler déjà des oeuvres tout à fait remarquables, tel \q Maître du Moulin-Blanc^ une manière de petit chef-d'œuvre.

La Gloire de Fonteclaire brille des mêmes qualités que les précédentes : simple et émouvante, elle exaite, sans fausse honte, des sentiments nobles, tels que le mépris de l'argent, l'amour de la justice, le respect passionné de la science désintéressée. Lieux communs, diront les esprits forts, qui savent pourtant bien à quel point tout cela est peu com- mun en notre temps et combien il est utile de nous rappeler de temps à autre au mépris des richesses, au culte de la vraie noblesse et du pur amour. En tous cas, il faut louer Mme Alanic d'avoir su ainsi cultiver et exalter la petite fleur bleue dans un roman tout à fait intéressant et émouvant, sont campés avec, beaucoup de maîtrise de touchantes 'igures et des types bien amusants, et dans lequel ^ont peintes, avec beaucoup d'agrément et de vérité, !3s mœurs bourgeoises de notre temps.

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NOVEMBRE LES ROMANS 270

ARSÈNE ALEXANDRE

Bertha et Roda ou les deux Illusions.

C'est toujours une entreprise hasardeuse pour un écrivain qui, dans un genre littéraire, s'est acquis une grande renommée, d'aborder tout à coup un genre tout différent, tout nouveau. La médiocrité aimable, la banalité plaisante, permises à tant (Vautres, lui sont interdites : il faut qtiil soit excel- lent et original. Cette redoutable obligation n'a point effrayé M. Arsène Alexandre, et l'éminent écrivain d'art, dont l'autorité €st si grande et si légitime, se présente à nous, cette année, comme un débutant, un roman à la main : Bertha et Roda.

Lt il sort tout à fait victorieux de l'épreuve, car son roman est vraiment une œuvre forte et nouvelle dans toute l'acception du mot : étrange diptyque, où, en deux tableaux d'une note très différente et très harmonieuse tout à la fois, l'auteur entreprend de symboliser, sous une forme romanesque et dra- matique : la vanité de la possession et la vanité du désir, u L'expression trompe », nous dit l'épi- graphe du premier épisode ; « l'impression tue », nous dit celle du second. Telles sont les prémisses, telles les mélancoliques conclusions de ces u deux illusions ».

Volontairement l'écrivain a laissé planer sur son

2yi^ LE MOUVEMENT LITTERAIRE

œuvre une ombre, une obscurité, qui ajoutent au mystère et à la gravité du symbole, dont le sens profond reste pourtant très précis. L'aventure amoureuse de Bertha Brucker, la muette, fille du grand poète, avec Pierre Loréal, lequel « ayant voulu chez une femme la chose la plus chimérique : la sincérité absolue, et l'ayant, a voulu de plus en avoir la preuve » ; la chimérique idylle de Jean de Gabre et Roda Carrington, qui s'aimèrent sans se connaître, à travers les espaces, et moururent sans se voir, ces aventures si différentes ont une ana- logue conclusion, décevante et mélancolique, et M. Arsène Alexandre a trouvé, pour nous conter ces choses mystérieuses et troublantes, pour nous dire ces symboles d'un sens si profond, les mots et les images qu'il fallait : c'est une œuvre romanesque, écrite par un philosophe et par un poète, et c'est vraiment d'une étrange et délicate saveur.

JACQUES DES GACHONS

Le Roman de la vingtième année.

Le Roman de la vingtième année est un volume tout à fait délicieux, d'une grâce spirituelle, émou- vante et saine, où, dans le cadre charmant de Versailles et des Trianons, au milieu des dentelles,

NOVEMBRE LES ROMANS 277

des audaces et des héroïsraes du temps de Louis XV, l'auteur a évoqué « deux jeunes héros qui, avec leurs défauts, sont, par-dessus tout, loyaux. Ils sont pleins de bonne volonté, d'une saine bravoure quand vient la lutte, et quand se présente 1 adversité, ils courbent le dos avec une émouvante humilité. » C'est ainsi que les décrit M. Jacques des Gâchons dans un ingénieux post-scriptum^ il nous dit son optimisme, sa prédilection pour l'honnêteté, la moralité, la bienséance, toutes ces choses un peu surannées mais qui ne rendent pas nécessairement ennuyeux, r/est l'avis de l'auteur ; ce sera aussi l'avis de ses lecteurs, amusés et émus par l'aven- ture de Louise de Monincourt et de Jean de Castréau, aventure sentimentale et mélancolique, qui se déroule dans un joli cadre d'histoire et que vient traverser la fameuse conspiration des Mar- mousets, reconstituée avec beaucoup d'ingéniosité et de vie.

LÉON BERTHAUT

Le RéveiL

Le roman de M. Léon Berthaut évoque une ques- tion bien attristante et bien actuelle : celle du patriotisme. Car, cela n'est que trop vrai, le patrio- tisme qui doit être et rester un dogme est devenu

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278 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

une question. Sur ce poignant débat M. Léon Ber- thaut a écrit un roman très attachant, très géné- reux, où, dans un langage mesuré, sans mutile emphase, il a défendu la bonne cause et réussi, après maints épisodes émouvants ou douloureux, à faire au dénouement rentrer dans ie droit chemin soa kéros, un jeune soldat antimilitariste, Robert Lagarde, ramené au bercail et à la patrie par une gentille petite fiancée alsacienne. Et, tout cela est très bien...

JEAN LORRAIN

Maison pour Dames.

L'âpre et cruelle verve de Jean Lorrain ne peut, semble-til, se résoudre au définitif repos et à la mansuétude finale ; d'outre-tombe, il continue ce « jeu de massacre » auquel il se plaisait tant, et ses livres raillent toujours et meurtrissent et blessent aussi impitoyablement ceux ou celles qui eurent la fâcheuse fortune d'attirer son attention.

Le dernier venu de ces livres, Maison pour Dames, est un modèle du genre ; je ne crois pas que Jean Lorrain ait jamais fait mieux ou pis. Sous ce titre volontairement équivoque, il désigne une cer- taine revue d'art féministe, installée rue de la Paix, et qui s'appelle le Laurier d'or : belle occasion pour

NOVEMBRE LES ROMANS 279

l'écrivain de nous faire pénétrer dans un de ces magazines qui se fondèrent depuis quelques années en riionneur de Téternel férainin, et de nous en olïrir un tableau chargé, prodigieusement injuste, <illonné de silhouettes d'autant plus cruellement lausses qu'elles s'efforcent parfois d'être reconnais- sablés ; tout cela est bien pénible et par trop mé- chant.

Mais c'est aussi avouons-le tout à fait diver tissant, et cette rédaction du Laurier d'or est vrai- ment de toute saveur, avec son Mécène Agrado, le banquier richissime et passionné, *< aux mains d'es- croc, de voluptueux et de prestidigitateur », son directeur M. Le Farenbourjj^, adroit et cynique entre- metteur, — et son chroniqueur des modes, la com- tesse des (jlaïeuls, pseudonyme d'un certain Noir- mont u à la petite tète plate et venimeuse se redres- sant sur des épaules étroites, ne répugnant à aucune sale besogne », et sa chroniqueuse des sports, Oriane de Mauves, très <^ blanche personne, d'une blancheur dhostie ou de chose très froide », et qui signe Gontran de Maufrignan, ^ car dans cette revue les hommes ont des noms de femmes, et les femmes des noms d'homme. Quanta leurs mœurs, n'en parlons pas î

Larrivée, dans un tel milieu, de M. Farnier, conservateur des hypothèques à Avignon, et de sa femme, lauréate d'un concours de poésie, leur effarement, leurs aventures et leur fuite éperdue vers leur reposante et chaste province, telle est

280 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

l'anecdote du ronaan ; elle est très amusante, très vivante, avec des pages d'une brutalité et d'une audace inci'oyables, avec aussi, de-cide-là, des notes bien jolies, d'une émotion prenante et sincère, et qui sont là, semble-t-il, pour nous rappeler quel admirable et quel séduisant écrivain Jean Lorrain aurait pu être s'il avait voulu...

MAURICE VAUCAIRE

Le Piège.

Après ce vitriol, un peu de menthe oh ! très poivrée encore ! C'est le Piège, de M. Maurice Vau- caire, livre étrange, sentimental et sensuel, tendre et pervers, l'humour se mêle intimement à l'amour, livre dont le titre reste mystérieux et inex- pliqué presque jusqu'à la dernière page, « histoire possible, conte gai, aventure tragique » ; c'est en tout cas un bien joli roman que celui nous sont coûtées les aventures de la jolie Daphné Simonet, fille d'un jeune seigneur et de la rosière de Romain- ville, devenue très vite, grâce à la complaisante entremise de la Guyot, Daphné de Gourville, maî- tresse adulée de M. de Couvions, puis du comte Julien de Folligny, puis enfin du roi de Naples, Murât.

NOVEMBRE LES ROMANS 28 1

Cette ravissante personne fait sur son passage tourner toutes les têtes, et elle-même se donne parfois le luxe d'aimer avec une entière sincé- rité. Et c'est au cours d'une entrevue passion- née avec M. de FoUigny qu'elle apprend le secret de sa naissance, « le piège » terrible Taraour la lit tomber. D'une aventure fort analogue à celle-là, Sophocle fit autrefois une terrible tragédie qui s'appelait Œdipe roi; mais M. Maurice Vaucaire ne cultive pas la tragédie, c'est tout au plus si ses héros éprouvent quelque mélancolie devant la pénible révélation ; tout cela est donc d'une assez douteuse moralité, mais il faut avouer que les his- toires de Murât et de son policier Copain, celles des amours et des voyages de Daphné, senties plus divertissantes du monde et contées avec infiniment de prestesse, de grâce et d'adresse.

MARCELLE TLNAYRE

La Rançon.

Ce roman date de dix ans. Mme Marcelle Ti- nayre l'écrivit, nous dit-elle, « avec la hardiesse ingénue de l'inexpérience », elle le « republie » cependant, car il ne lui paraît pas tout à fait mé- diocre. Certes, ce n'est pas un roman médiocre!

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:>8!2 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

J'estime même que c'est un des très bons livres de Mme Marcelle Tinayre, et qu'en dehors de la fameuse Maison du péché, elle n'a pas écrit de roman supérieur à la Rançon. Du moins, il n'en est pas qui m'ait fait éprouver pareille émotion d'humanité douloureuse et vraie, d'audace honnête et sincère.

L'aventure amoureuse de Jacqueline Vallier et d'Etienne Charlrain est d'une vérité supérieure et nous sort de la banalité des adultères de romans les trois personnages classiques du mari, de la femme et de l'amant sont toujours les mêmes avec leurs traits aussi définitifs que conventionnels; et la mélancolique impression du dénouement, est, elle aussi, d'une vérité et d'une humanité supé- rieures : elle conclut comme il convenait cette his- toire de deux amants « faibles devant la douleur d'autrui, et contraints au stérile sacrifice de leur grand et bel amour parce qu'ils ont préféré le « bon mensonge » à la vérité libératrice ».

OCTAVE MIRBEAU

La 628 E 8

Les numéros d'automobiles ont leur destin... Parmi ces formules algébriques qui gardent un obscur anonymat et qui, une seconde apparues

NOVKMBHE LES ROMANS '^83

dans un tourbillon de poussière, se perdent aussitôt dans l'oubli, le (S^S-E 8 se dresse orgueilleusement, ii^ràce au hasard qui le fil attribuer à la voiture de M. Octave Mirbeau.

La ^2B-E 8/ C'est à la manière d'une auto verti- gineuse que ce livre fait irruption dans le monde des lettres, au milieu du fracas et de l'émotion. Bien avant son apparition, on se préoccupait du bolide, et les lecteurs de la <( Petite Chronique des Lettres » en eurent, je crois bien, la première nou- velle : il y a quelque huit mois, en effet, j'annonçais le titre et l'œuvre, et je parlais même du grand chapitre, du chapitre historique, du chapitre dis- paru...

Vous connaissez cette histoire et vous savez comment Octave Mirbeau, cédant à de pieuses sollicitations, a renoncé à nous raconter la mort de Balzac. Nous y perdons, je le sais, une page admirable, mais tout de même M. Octave Mirbeau a eu raison de la déchirer, et le grand public, même un peu déçu, lui saura gré de s'être incliné devant le plus respectable, le plus touchant des vœux, et d'avoir respecté le repos d'une illustre mémoire.

Le livre, d'ailleurs, supporte allègrement cette pieuse mutilation, il reste d'un intérêt, d'un agré- ment prodigieux et dune incomparable puissance. Dans ce journal d'un voyage automobile à travers un peu de la France, de la Belgique, de la Hollande, de l'Allemagne, M. Octave Mirbeau a mis surtout

284 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

un peu de lui-même. Il nous a dit « les rêves, les rêveries, les souvenirs, les impressions, les récits que firent naîtreourenaître en lui, toutsimplement, une figure rencontrée, un paysage entrevu, une voix qu'il a cru entendre chanter ou pleurer dans le vent »...

Et c'est un bien beau, un bien presligieux voyage que nous fait faire ainsi M. Octave Mirbeau ; dans ces excursions à travers des paysages et des villes croqués en notes rapides, il nous offre la plus riche et la plus surprenante moisson de pensées pro- fondes, de remarques badines, de souvenirs histo- riques, d'imaginations romanesques ; c'est d'une séduction étrange, mouvementée, qui vous emporte, vous étourdit, vous ravit. Je voudrais citer telle page, telle description, telle remarque ; je ne puis ! Elles se présentent en foule trop nombreuse à ma mémoire, car ce livre est vraiment plein, jusqu'à en déborder, d'images et d'idées, et jamais la verve acérée, la cruelle ironie, le talent puissant de l'écri- vain ne s'exercèrent en une œuvre plus saisissante, plus séduisante, plus originale, plus nouvelle.

N0V1:MBRE I.KS HU.MA.N8 285

EMILE MOSELLY

Jean des Brebis ou le Livre de la misère (1).

M. Emile Moselly a réimi, sous le titre Jean des Brebis ou le Livre de la misère, une série de nou- velles d'une très particulière saveur. En ces récits très sobres, très poignants, fauteur nous raconte d'humbles douleurs, de mornes et simples tris- tesses; ses héros sont, pour la plupart, des paysans attachés à la glèbe, des âmes frustes, en lutte pas- sive et morne avec les misères humaines. L'extrême sobriété de ces récits, sobriété qui semble aller parfois jusqu'à la sécheresse de l'expression, en accroît encore l'effet poignant et douloureux. C'est d'un art tout à fait particulier, original et neuf, et qui s'élève parfois très haut, dans l'histoire du u revenant », par exemple.

(l) Ce livre fut couronné à la lin de l'année par l'académie Gou- court et on le retrouvera dans le chapitre des Prix et Concours littéraires.

HISTOIRE, LITTERATURE, PHILOSOPHIE, POLITIQUE, DIVERS

COMTE DE MIRAMON-FARGUES

L'héritage de Beauvau-Tigny.

Quand l'histoire se met à être romanesque, elle Test plus que tous les romans du monde, et il n'est pas de Gaboriàu ni de Conan Doyle qui oserait imaginer des aventures aussi incroyables, des mystères aussi impénétrables que ceux au milieu desquels l'historien est appelé parfois à rechercher la vérité. Il ne me semble, par exemple, pas possible dimaginer aventure plus étrange, plus mystérieuse et plus surprenante que celle dont M. le comte de Miramon-Fargues nous fait le récit dans V Héritage de Beauvau-Tigny.

Beau titre de roman-feuilleton, n'est-il pas vrai ? Ce sont cependant des « aventures historiques »

^NOVEMBRE HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 287

que nous conte l'auteur, d'après des documents très réels, procès-verbaux, commissions rogatoires, notes et extraits généalogiques, rapports judiciaires, bulletins de police, lettres particulières, actes de naissance et de décès, documents de l'enregislre- inent, qu'il a soigneusement examinés, compulsés, confrontés, pour essayer d'apporter un peu de lumière dans cette ténébreuse histoire de la famille Keauvau-Tigny, qui avait connu déjà les plus ji^randes douleurs et les pires déchéances lors- qu'une dernière aventure la vint bouleverser : l'apparition d'un jeune chouan qui, malgré l'affir- mation d'un acte mortuaire authentique, se pré- tendit Théritier légitime de cette lignée fameuse. Était-ce une supercherie ou la vérité ? et cet t'nigmatique personnage fut-il un aventurier ou une victime? H est bien malaisé de le savoir, car au cours des dramatiques procès auxquels donna lieu cette aventure, des membres de la famille Beauvau-Tigny qui étaient simplement sa mère et sa sœur î Tavouèrent et le renièrent tour à tour. En tout cas, M. de Miramon-Fargues aura fourni à nos imaginations et à nos perspicacités toutes les pièces du procès habilement disposées en un volume fort intéressant de petite et de grande histoire.

•288 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

ARTHUR GHUQUET

Journal de voyage du général Desaix. Suisse et Italie (1797).

Il est très iûtéressant, ce journal Desaix retrace ses souvenirs avec tant de bonhomie et de franchise, sans jamais la moindre arrière-pensée, sans se douter surtout que ces notes écrites à la diable, en un style plutôt lâché, seraient quelque jour pu- bliées; c'est justement cette spontanéité, ce laisser aller qui font l'agrément et la valeur historique de cet intéressant ouvrage, car, à travers ces pérégri- nations, qu'il nous raconte, en Italie : à Milan, à Crémone, à xMantoue, Padoue, Venise, Trévise, Passariano, Udine et Trieste, « c'est un portrait complet qu'il nous offre de lui-même, l'homme y apparaît de pied en cap », et cet homme^ suivant le mot de M. Arthur Ghuquet qui nous donne sa biographie très étendue, très complète et éloquente, est « une des plus belles et des plus touchantes figures que nous offre l'armée de la Révolution », la seule qui, au dire de Mme de Rémusat, ait forcé l'admiration de Napoléon V".

NOVEMBRl:: HISTOIKK. LITTÉRATURE. ETC. 28(

AULARD

Taine, historien de la Révolution Française.

M. Aulard, historien d'une très haute valeur, d'une probité et d'une science incontestées, a voué sa vie à l'étude passionnée de la Révolution fran- çaise. Il la connaît à merveille, il l'admire éperdu inent, et s'est donné pour mission de la défendre contre ses détracteurs. Aussi, dès que j'ai lu le titre de son livre, j'ai soupçonné tout de suite que le pauvre Graindorge allait passer un mauvais (|uart d'heure, et je ne me trompais pas.

M. Aulard en effet, après un fort intéressant cha- pitre sur l'éducation littéraire et historique de Taine, suit pas à pas le livre des Origines, passe au crible tous les documents cités sur « 1 Assemblée constituante, la conquêle jacobine, rétablissement du gouvernement révolutionnaire, le gouvernement révolutionnaire et sa fin », et aussi toutes les déduc- tions tirées de ces documents, pour arriver à cette conclusion que, dans le livre de Taine, u une trans- cription de texte, une assertion exacte, c'est l'excep- tion », et qu'il a « mutilé la réalité avec une audace plus systématique encore qu'il ne mutile le texte ». D'ailleurs, ajoute M. Aulard qui veut parler de Taine « avec le respect que l'on doit à un puis- sant cerveau, à une imagination vraiment créa-

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9.Ç)0 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Irice, à un écrivain qui était un artiste, en un mot à Tun des plus admirés parmi les types de l'esprit français au dix-neuvième siècle », d'ailleurs (( Taine était de bonne foi ».

Qu'aurait-ce été, Seigneur ! s'il avait été de mau- vaise foi ?

L'impartialité est décidément une chose bien dif- ficile à l'historien et je ne crois pas qu'elle soit le fait de M. Aulard lui-même. Son livre, si remar- quable d'ailleurs et si solidement documenté et pensé, n'est pas un livre impartial; il a beau nous dire que cette (v vérification sans préjugés et sans malveillance, il l'a entreprise en se disant qu'il n'était pas possible qu'un homme qui avait manié tant de textes si divers n'eût pas commis d'erreurs » , je ne puis m'empêcher de croire, moi, qu'il a eu surtout cette pensée a priori : a Taine a mal parlé de la Révolution française, donc il a se tromper.»

JEAN DORNIS

Le Roman Italien contemporain.

La très distinguée femme de lettres qui signe .Jean Dornis, et dont j'ai signalé naguère le très humain, très noble et très beau roman, le Voile du Temple, cultive aussi la critique et l'histoire litté- raire.

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NOVEMBRE HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 29I

Dans de précédents volumes fort appréciés, Jean-Dornis avait étudié la poésie italienne et le théâtre italien. Le Roman iialicn, qui complète cette trilogie, est une œuvre vraiment remarquable. Je l'ai lu avec un vif intérêt, avec aussi un agré- ment, une émotion que ne procure pas pour l'or- dinaire une étude de pure littérature. C'est que Jean Dornis fait de la critique et de l'histoire litté- raire, vibrante, passionnée, vivante. L'étude n'a pas éteint en lui l'étincelle des enthousiasmes. 11 expli- que, il raconte, il analyse, mais il admire aussi, et vrai, cela repose un peu des tristes élucubrations de nos dénigreurs contemporains.

Après avoir, en quelques pages d'avant-propos qui sont un modèle d'histoire substantielle et ra- |)ide, retracé à grands traits le passé et rattaché le vingtième siècle au quatorzième, et le roman con- temporain à Boccace, l'auteur aborde le présent avec AJessandro Manzoni qui représente glorieuse- ment la période romantique ; puis c'est Edmondo de Vmicis, le u précurseur de la génération nouvelle » ; (Hrolamo Rovetta, et ses romans-feuilletons ; An- tonio Fogazzaro, et l'école des « Vérisles » ; c'est l'école des « Terriens » avec Grazzia Deledda; Matilde Serao, cette « tleur naturelle de la Méditer- ranée »; Gabriele d'Annunzio et l'égotisme ; ce sont ensuite les humoristes, les symbolistes; les femmes triomphantes au delà comme en deçà des Alpes, avec Dora Melegari, Paola Lombroso, et tant d'autres. C'est enfin, illustrée d'exemples fameux,

!>()•> T.E MOUVEMENT LITTERAIRE

une délicate notation du « réveil de la spiritualité » de cette préoccupation de l'idéal qui éclate dans tous les romans modernes en Italie et qui est d'une exceptionnelle noblesse ; « les romanciers italiens, en efïet, s'appliquent à dégager de la beauté, de la foi, de la science, de la raison, les utilités supé- rieures qui sont l'indispensable bagage d'une géné- ration en marchf^. C'est pourquoi l'univers arrête aujourd'hui ses yeux sur leur efïort littéraire, avec une émotion d'attente déjà perce de la grati- tude »

E. GUIEYSSE-FRERE

Sedaine, ses protecteurs et ses amis.

Dans ce livre qui appartient au genre charmant de riiistoire anecdotique, l'auteur a retracé en des page» délicieuses, dune très amusante documenta- tion, la vie de l'auteur du Philosophe sans le savoir, nous renseignant en même temps sur ce que put être l'existence d'un homme du tiers-état entre le règne de Louis XV et la fin de la Révolution fran- çaise ; grâce à elle, nous vivons, comme le dit dans la préface Michel Bréal, « en compagnie des beaux esprits et des grands seigneurs du temps de Louis XV », nous apprenons à connaître « Phili- dor, Rameau, Marmontel, J-J. Rousseau, Voltaire,

NOVEMBRE HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. 298

Mme Geofïrin, toute cette grande et vivante époque ». J'ajoute que toute cette histoire est écrite avec une simplicité ciiarmante, sans l'ombre de pré- tentioQ, car elle fut destinée aux petits-enfants de l'auteur.

FOHTl NAT STliOW SKI

Histoire de Pascal.

J'avais signalé l'an dernier le volume M. Fortuuat Strowski, étudiant A/sca/ el son temps, avait expliqué et raconté d'une façon très complète la crise religieuse qui secoua le dix-septième siècle : c'était le cadre de l'œuvre de M. Strowski; voici aujourd'hui le portrait : c'est V ^ histoire de Pas- cal ».

Cette histoire, il nous la raconte jusque dans ses plus petits détails, estimant, et avec raison, quil n'en est point de négligeables pour la compréhen- sion d'une si grande âme et d'une si vaste pensée. Cette étude présente d'ailleurs pour le lecteur beau- coup d'agrément et d'intérêt; et il y a des choses fort romanesques dans l'histoire des premières expériences scientifiques de Pascal à Rouen, dans celle de la polémique avec le P. Noël, dans celles des relations avec Port-Royal, et aussi de cette

29'i LE MOUVEMENT LITTERAIRE

excursion de Pascal dans la vie mondaine cer- taine aventure lui inspire le « discours sur les passions de l'amour » ; celle enfin de sa définitive conversion.

ERNEST RENAN

Nouveaux Cahiers de jeunesse.

1846, telle est la date que portent les Nouveaux Cahiers de jeunesse d'Ernest Renan. Il faut donc admettre que Renan avait vingt-trois ans, lorsque, entre deux cours de grammaire hébraïque, il jetait sur le papier ces notes badines ou profondes qui embrassent le domaine tout entier de la pensée humaine : on éprouve un véritable vertige d'admi- ration en face de ce prodigieux cerveau d'un ado- lescent qui, encore à l'école, préparant sa licence, avait déjà une science si profonde et une si haute et sereine sagesse.

On â eu bien raison de recueillir pieusement et de nous garder ces feuilles vénérables et juvéniles se trouvent en promesses, en phrases inache- vées, toute une œuvre et tout un génie. C'est toute la gamme, toute la lyre, des sentiments, de la science et de la pensée...

Ecoutez ce vœu touchant du penseur dont le

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cerveau bouillonne et fermente d'inquiétante manière :

« Oui, il faut au penseur une mère, une sœur, un ami, une petite vie bien jolie et bien simple, bien peu préoccupante, pour ne pas devenir fou. »

h^tces profondes réflexions sur les gouvernements, réflexions dont l'actualité ne se périme pas :

» Un gouvernement n'est établi que pour faciliter le développement d'un peuple. Quel monstre donc qu'un gouvernement qui croit ne pouvoir se main- tenir qu'en le déprimant, et qui, pour son égo'isme, l'écrase, étouiîe tout progrès, tient pour suspecte toute tentative d'éveil. »

Et cette note si fine sur la critique littéraire : La fonction du vrai critique est de faire ressor- tir le beau des ouvrages d'esprit. Malheureusement, la plupart croient que leur office est de faire ressor- tir les défauts. »

Et cette ironique et mélancolique réflexion sur l'amitié :

u Jamais un ami ne nous est plus cher et plus idéal que quand il est mort, car alors ses facultés attractives conservent seules leur elïel, les répul- sives sont effacées. Et puis l'usage alïadit, émousse. »

Et j'en voudrais citer tant d'autres encore qui me charmèrent; mais il faut me borner, admirer en silence et ne pas me donner le ridicule de < découvrir Renan »...

>-96 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

FELIX LE DANTEC De rhomme à la science.

PHILOSOPHIE DU XX^ SIECLE

De rhomme à la science, « Philosophie du ving- tième siècle », tel est le redoutable et vaste objet du livre de M. Félix Le Dantec. Au vingtième siècle, nous dit l'auteur, nous attendons tout de la science ; nous lui demandons même de nous apprendre ce que nous sommes, ce qu'est la vie. Mais la science, fille de l'homme, est-elle devenue assez indépen- dante, s'est-elle suffisamment libérée de son ori- gine, pour être capable d'étudier celui qui l'a créée? » Oui, répond-il : « la science a le droit d'étudier Ihomme parce que, née de l'homme, elle n'a plus conservé de son origine humaine que sa forme extérieure » ; et après avoir établi l'imper- sonnalité de la science, étudié le sens des phéno- mènes naturels, l'équilibre, les lois et les mesures, après avoir affirmé que tout peut se mesurer, ou du moins qu'il y a dans tous les phénomènes un côté par lequel ils sont accessibles à la mesure, il con- clut qu' « on doit pouvoir refaire toute la philo- sophie en partant des quantités mesurables », et nous donne en un langage d'une grande élévation et d'une impressionnante précision scientifique les « grandes lignes d'une biologie objective ».

NOVEMBRi: HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. 297

C'est un vaste sujet traité avec une magnifique ampleur, un livre fait pour instruire, séduire et troubler les lecteurs peu réconfortés par ce mot de la fin : « L'homme nest qu'un tourbillon actuel. La liberté absolue est une illusion. L état du monde, après la disparition de l'homme, sera un état d'équi- libre dans lequel, petit à petit, disparaîtra la trace éphémère des activités humaines. Nous nous serons agités en vain ! » Tout cela n'est pas très encou- rageant.

LEON DENIS

Le Problème de l'être et de la Destinée.

11 y a deux ans, je signalais le livre publié par M. Léon Denis sous le titre: Après la mort, « Exposé de la doctrine des esprits », livre dont le succès et le retentissement furent considérables et qui est aujourd'hui le bréviaire d'un grand nombre des adeptes du spiritisme. Et c'est tant mieux ! car le spiritisme de M. Léon Denis est infiniment moins pénible, douloureux et décevant que celui de nos mages habituels. Cet écrivain veut voir dans sa doc- trine la base d'une philosophie optimiste et récon- fortante, et si la doctrine ne m'a pas tout à fait con- vaincu, du moins la tendance et la philosophie me séduisent beaucoup.

17.

298 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

M. Léon Denis leur reste fidèle, et dans son nou- veau livre, il développe la même pensée réconfor- tante et sereine à Toccasion de ses « études expéri- mentales sur les aspects ignorés de l'être humain, sur les doubles personnalités, la rénovation de la mémoire, les vies antérieures et successives ». Des faits eux-mêmes et des théories je ne puis rien dire, sinon qu'ils sont exposés avec beaucoup de science et de conviction et aussi beaucoup de clarté ; mais ce que je peux louer en toute sincérité, c'est l'esprit qui anime les conclusions, ce désir de trouver un idéal nouveau qui rende à « l'homme la confiance en l'avenir et l'ardeur pour le bien », cette certi- tude profonde que « l'âme humaine ne peut s'en- lizer entièrement et périr », cette volonté enfin de tracer « sa voie à Fhumanité future, dont nous ferons encore partie intégrante », et « d'apporter aux hommes le moyen de mieux vivre, de mieux agir et de mieux mourir ».

COLONEL BIOTTOT

Les Grands Inspirés devant la science. Jeanne d'Arc.

Enigmes que tout cela î énigmes insondables et séduisantes. Celle des « Grands Inspirés » n'est pas moins attirante; le colonel Biottot l'étudié en un

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NOVKMliRK HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. '2i)i)

volume qui parait daus la Bibliothèque de Philo- sophie scientifique : les Grands Ir^spirés devant la science: Jeanne d'Arc. Car, et c'est encore un signe des temps, Jeanne d'Arc est devenue un t( cas » tributaire de la science. Naguère encore, nous étions, devant la merveilleuse histoire de la Pucelle, comme des gosses émus et transportés par un spectacle sublime, désireux d'admirer sans chercher.

Puisque cela n'est plus possible, puisque nous devons connaître lenvers de toutes nos légendes et le dedans de tous nos joujoux, louons du moins, louons sans réserves le colonel Biottot de nous avoir épargné les hypothèses de la médecine mentale et d'avoir exprimé seulement, en se basant sur les données scientifiques de la biologie, cette certitude que « Jeanne d'Arc est un phénomène naturel de la vie de la collectivité française, phénomène compa- rable, dans ses manifestations, aux phénomènes leucocytaires de la physiologie, qu'elle fut réaction de la race, de l'espèce, contre les conditions atten- tatoires à leur existence et à leur évolution », que les voix entendues par elle rappelaient <' à l'obser- vation des lois violées, à la coopération, à l'amour mutuel, à Téquité, au réalisme et à lidéafisme ■équilibrés ».

En un langage moins scientifique, c'est bien ce que disaient nos maîtres d'école ceux d'autre- fois ! lorsqu'ils nous expliquaient que Jeanne d'Arc était l'émanation sublime de la vie nationale

300 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

et la première manifestation du patriotisme fran çais.

RAYMOND POINCARÉ

Questions et figures politiques.

Sous le titre Questions et Figures politiques, M. Raymond Poincaré poursuit en un second volume la publication de ses discours dont les pre- miers avaient paru Tan dernier sous le titre Idées contemporaines. Les discours de M. Poincaré sont de ceux que Ton a grande joie et grand profit à relire ; ils font honneur à la tribune et à la pensée rançaises : éloges funèbres, discours académiques prononcés par un académicien de demain, haran- gues politiques, calculs budgétaires, viennent attester dans ce livre la force, la souplesse et la variété de ce beau talent et de ce remarquable esprit, et il y a telles pages sur « la petite et la grande patrie », sur « le respect de la vérité », sur la u science et la patrie », qui sont vraiment belles et émouvantes.

N0VL:MBRE HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 3oi

ELGENK ETIEiNM!] Son œuvre coloniale, algérienne et politique.

Le 14 avril de l'an 1907, la ville d'Oran célébrait, ON une fôte tout à la fois grandiose et familiale, les noces d'argent politiques de son représentant au Parlement, M. Eugène Etienne.

Noces d'argent ! En efïet depuis vingt-cinq ans, M. Eugène Etienne est « dans la politique )',et dans ce quart de siècle il a fait vraiment de bonne, utile et noble besogne. Ce député fidèle, cordial et bon, (|ue ses électeurs aiment d'une atïeclion profonde et touchante, est un homme [d'Etat considérable, dont l'œuvre mérite la reconnaissance de tous les bons Français. Aussi, en même temps que les élec- teurs d'Oran célébraient leur député, la Dépêche coloniale a entrepris de commémorer ïœiivre colo- niale, algérienne et politique accomplie par l'homme d'Etat entre 1881 et 1906, et dans ce but elle a réuni en deux gros volumes ses discours et ses écrits pendant ce long espace de temps.

La lecture de ces pages est singulièrement ins- tructive et réconfortante, car le récit de l'œuvre coloniale de M. Etienne c'est, en effet, l'histoire même de l'expansion coloniale de la France depuis vingt-cinq ans, expansion qui fut prédite, voulue,

I.E MOUVEMENT LITTERAIRE

organisée sous son ardente et enthousiaste impul- sion. En regardant la carte du monde et la place qu'y occupe la France, M. Etienne pourrait éprouver quelque orgueil s'il était capable d'orgueil, car « aucun pas en ayant n'a été fait dans notre do- maine extérieur, aucun progrès n'a été réalisé pour sa mise en valeur, sans son intervention. »

Mais, si grand, si fécond que soit ce domaine de l'expansion extérieure, M. Eugène Etienne ne s'y est point cantonné : il a pris une part éminente à toutes les grandes discussions politiques l'intérêt national a été enjeu : député, journaliste parfois, ministre de l'intérieur, ministre de la guerre, il a rendu des services dont le souvenir ne se perdra pas, et il a dit toujours les mots qu'il fallait dire : paroles empreintes de sagesse, de loyauté, de fran- chise, vibrantes surtout d'un patriotisme ardent et généreux, paroles qu'il est bon, qu'il est utile de conserver et de relire, en un temps sont proférés dans le désert, espérons-le de si odieux et si absurdes blasphèmes contre la patrie...

VICTOR BÉRARD

Le Sultan, l'Islam et les Puissances

Arabes et Musulmaos restent encore, et pour longtemps, il y a lieu de le craindre, au premier

NOVJ.Mliui. IllMolKi:, LITTLI; \ 1 L Hl-, l. ll>. 3oo

plaQ de l'actualité, et il ne fut jamais plus utile à des Français d'étudier, sous toutes ses faces, cette question si complexe et si délicate. Personne ne la connaît mieux que M. ^'icto^ Bérard, dont les ou- vrages font autorité en la matière, et qui a su démêler dans VA /faire marocaine les fils enche- vêtrés de cet imbroglio et rapprocher le discours du Kaiser à Tanger des projets du ^ Bagdad alle- mand » dont le monde parle aujourd'hui.

Son nouveau livre précise la question de façon impressionnante et décisive ; il expose par le détail la genèse et l'étendue de ce projet allemand, et, nous conduisant de Constantinople à la Mecque et à Bagdad, il nous explique l'importance capitale de cette fameuse voie ferrée pour la politique mondiale allemande, il montre clairement combien il est essentiel pour l'Allemagne de tenir Bagdad sous son influence, en face du Liban Français, du golfe anglais, de la Perse anglo-russe, et le livre tout entier, avec son parallèle entre Turcs et Arabes, son histoire du chemin de fer sacré, son récit de l'aventure de Tabah, son impressionnante relation de u la politique du massacre », est rempli de documentsprécieux, émouvants, de renseignements et d'enseignements utiles. C'est une œuvre à lire, à étudier et à méditer.

3o4 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

EMILE ANDRÉ

L'Éducation physique et sportive des jeunes filles.

Cette éducation physique, elle est indispensable à la santé physique et morale de la jeune fille. M. Emile André, non content de l'établir, le fait attester tour à tour par Mme la duchesse d'Uzès, Mme Aumont, M. le sénateur Blanchier, M. le député Clément Clament et le lieutenant-colonel Coste, de l'École de Joinville, lesquels sont una- nimes à déclarer que les femmes doivent être vigou- reuses, saines et fortes, et que, selon le mot de la duchesse d'Uzès, « le temps n'est plus aux femme- lettes de chaise longue, qui ne sont pas des femmes, mais des objets d'étagère ».

Cette nécessité bien établie, M. Emile André met très sagement ses lectrices en garde contre les excès et la disgrâce des sports trop garçonniers, et dans des pages très documentées, très alertes, agré- mentées de photographies, il expose les avantages de la gymnastique suédoise, de la marche, de l'alpi- nisme, du lawn-tennis, du golf, du patinage, de la natation, de l'aviron, de la pêche, de la bicyclette. Puis ce sont les sports de luxe : l'équitation avec une lettre de M. Molier ; la chasse, la chasse à courre, la chasse à tir, le pistolet, l'escrime, l'auto-

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N0VKMHH1-: UlMniHi., il l Ttli A IL HE, KTC. 3o5

mobile. Et si nous n'avons pas une génération de jolies Françaises bien saines, bien solides, bien musclées, vaillantes amazones parées de toutes les grâces de la femme, ce ne sera pas la faute de M. Emile André.

MEMENTO DU MOIS DE NOVEMBRE

ROMANS

André (Paul). La Guirlande.

Beaiime (Georges). La Femme et le Larron, uu charmant livre Fauteur nous peint, avec beaucoup d'émotion, de grâce et d'esprit, des mœurs de campagne.

Brydon (Joseph). L'Abbé Guérande.

Chabrol (Alberioh^ <>; plus digne. Pt^tito bibliotluqno de la Famille ».

tîhastaing (Daniel . Mon « Moi » intime.

Doderet (André). La Fontaine aux Acanthes.

Gaigoeron (Ludovic de). Le Bélier, « conte social d'après l'an- tique ».

Ginisty yPaul). Lucinde, uu très captivant et très vivant » romnn de théiUre ».

Gorki ^Maxime . La Mère, traduction de M. S. Persl<y.

Kipling (Ruilyard). Le Retour d'Imray, des nouvelles traduites par MM. Louis Fabulet et Arthur Austin-Jackson.

Larmandie Comte Léonce de). Un Essai de résurrection l'auteur nous raconte, en des ptiges rapides et haletantes, une formidable et dramatique histoire d'alchimie ésotérique et nous montre l'hermétiste Yésode rappelant à la vie une femnie morte qu'il rejette ensuite dans la mort... brrr !

Madol. Le Journal d'un mannequin, un livre gracieux, pim- pant et spirituel, les aimables et affriolants dessous de la rue de la Paix, les petites âmes des mannequins et de leurs clientes sont racontées en des pages spirituelles, malicieuses à

3o6 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

peine, car Madol est bien.trop parisienne pour vouloir égra- tigner vraiment les petites personnes qui défilent dans son livre.

Pavie (André). L'Embardée.

Pradels (Octave). L'Eternel Cotillon.

Provins (Michel). Les Joies, un recueil de savoureux, amers et charmants dialogues.

Saint-Chéron (de). La Jeune Fille de la Mer, un roman très émouvant, magnifiquement idéaliste, du regretté écrivain, à qui M. Henri de Régnier consacre de belle» pages liminaires.

Teramond (Guy de). La Force de r Amour.

Tlmrsion{K. G.). John Chilcole M. P. ..,le romatj aiiglaisdontM. Al- fred Martin a publié une ingénieuse et attachante traduction.

Tournier (Gaston). La Fabrique d'Anges, un romun, au titre significatif qui se pisse de commentaires et qui les exclut, « étude brutale, mais sincère, d'une de nos plaies sociales », nous dit l'auteur.

Trêves (Jacques). La Robe d'amour.

Trouessart (Mlle). Le Choix de Ginette, « Petite Bibliothèque de la famille ».

Ulric (Pierre). Aux Domaines incertains.

Veber (Pierre). L'Ecole des Ministres, « roman satirique, galant et parisien », j'ajouterai modèle de roman rosse, mais si amusant... Les Belles Histoires.

Veuillot (François). Humbles Victimes, un recueil de contes et nouvelles, émouvants, gracieux et poignants.

Willy. Un Petit Vieux bien propre, « roman sensationnel ».

HISTOIRE LITTERATURE THEATRE POESIE

POLITIQUE DIVERS

Anfossi (Marc). Quelques Fleurs de mon jardin, poésies.

Aynard (Joseph). La Vie d'un poète, Coleridge, une curieuse, instructive et attrayante étude.

Douchaud (Pierre de). Gœltie et Le Tasse, une étude éloquente, ccimpréhensive et enthousiaste. Giosué Carducci, une précieuse et attachante étude litté- raire et biographique.

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NOVEMBRE HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. 307

C. G. F. Journal des Campagne:; du Prince de Wurlcmbcrcj (1812-1814), avec une introduction, des notes et des pièces justificatives.

Chardon | Henri). L' AdminUtralion de la France. Les Fonc- tionnaires.

<>oste (Lieutenant-Colonel). L'Education physique en France, « ce qu'elle est », u ce qu'elle devrait être ».

Cottin (Paul). V. Vicomte de Grouchy.

Oelacour (André). Les Oasis, poènfies.

Deperet (Charles. Les Transformations du monde animal, un volume tout à fait remaniuahle, l'auteur étudie les varia- tions de l'espèce dans l'espace et le temps, recherche Tori- gine des espèces, détermine le rAle des migrations, et après nous avoir appris mille choses curieuses et belles, conclut tristement : « qu'il faut vraisemblablement renoncer à résoudre le passionnant problème des débuts de la vie sur le globe », à moins que «juelque jour les continents polaires, débarrassés un instant de leur manteau de glace, ne consen- tent à nous livrer un peu de leur secret...

Diguet (Colonel E.). L'Annam et Vlndo-Chine française, « Esquisse de l'histoire 'annamite, histoire de l'intervention française. »

Dreyfus (Robert). Quarante-Huit, « Essai d'histoire contempo- raine », des pages tout à fait remarquables, ingénieuses et fortes, qui, nous dit l'auteur, aideront « le lecteur à com- prendre comment la reconstitution très rapide des forces conservatrices, après la tourmente de février-juin 1848, prépara l'opinion française à désirer ou à accepter le coup d'Etal du 2 décembre 1851. »

Ducrocq (Georges). Les Matins lumineux, poésies.

Dugré (Ferdinand). Poésies Complètes. 3 vol.

Estoc (d'). L'Inquisition maçonnique, deux volumes dont le premier dit « Leur DerniiM- Grime >> et le second " La Marche à la mort ».

Faure (Abel). L'Individu et l'Esprit d'autorité.

Funck-Brentano (Frantz). Mandrin, capitaine général des con- trebandiers de France, une œuvre d'histoire anecdotique passionnante et pittoresque.

Gaubert (Ernest). Les Roses latines, un recueil de poèmes bien émouvants et bien jolis : « les Paysages sur la mer, la

3o8 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

RoikJc des heures, les Élégies pour Bérénice, Du souvenir aux lèvres ». Ces poésies, selon M. Pierre Loujs qui préface le recueil, sont « dignes de leur titre et de leur ambitiou ; elles furent écrites à la lumière de cette Méditerranée, « mer naturelle d'Aplirodite, eau sacrée qui a conservé par delà les âges le don de répandre la beauté sur tout ce que blanchit l'écume de ses flots »•; cette préface se termine, comme il convenait, par un bel alexandrin. Gebhardt (Emile). Sandro Botlicelli, une édition nouvelle du beiu livre Téminent académicien nous restitue avec taut d'émotion et de vérité la figure du peintre de la « Prima- vera. >• Germain (Comm;'.ndant Prosper). La France africaine. Grouchy (Vicomte de; et Paul Cottin. Journal inédit du duc de

CroL], 1718-1784. Hauterive (Ernest d'). La Police aecrète du premier Empire. Une très curieuse édition des Bulletins quotidiens adressés par Fouché à l'cmpereui', Hérissay (Jacques). Un Girondin : François Buzot, « député de l'Eure à l'Assemblée constituante et à la Gonvention (1760- 1794) », une émouvante monograpliie. Hess (Jean). Israël au Maroc, un volume sans doute un peu bien injuste et outrancier, l'auteur prétend nous rensei- gner sur les mobiles de notre action au Maroc. L'excuse d'un tel livre car je crois qu'il a besoin d'excuse c'est qu'il s'agrémente de dessins très originaux et très verveux dus à l'écrivîiin lui-même, auquel on ne soupçonnait pas fn talent. Julien (Docteur Louis). Le Mauvais Mal.

Lacroix (Général de). Voyage d' État-Major de corps d'armée. La Grèze (Jean). Au fd des heures, un recueil de poésies d'une forme originale et harmonieuse, d'une grâce prenante et délicate. Le Blond (Maurice). La Crise du Midi, étude historique. Lheureux (Lucien). Jehan le Fou, un recueil de poésies d'un beau lyrisme l'auteur essaye de traduire, d'exprimer ce qu'il « considère comme la seule beauté en poésie, une idée simple ou exagérée, naïve ou vigoureuse, transparaissant clairement sous la riche parure du vers », s'excusant si par- fois « cette parure est tro]> étincelante et si l'imaginatio?!

NOVEMBRE HISTOIRE. LITTÉRATURE, ETC. 30(J

tisse de trop belles étoffes pour draper la peusée. Qu'imixjrte si l'idée, uuique cellule vitale, est là, réelle, d.iire, intéres- sante... »> Elle y est en effet, et c'est l'œuvre d'un bon poète !

Martin de Condé. Chants de guerre, u réponses à Tenncmi béréditiire », leaiplies d'intentions héroïnues.

Massun 'Maurice). Alfred de Vigny, un intéressant essai acctim- pi|,'né d'une note biblioi?raplii(|ue et de lettres inédites.

Mulina (E.-\. de). Vers le bleu, un joli volume d' « Impressions Alj-'^érieunes » (|u'illustrent de bien séduisantes et lumineuses pholuufraplnes.

Mun (Gabriel de). Richelieu et la maison de Saïutie. « l'Am- bassade de Partieelli d'Hémery en Piémont ».

Noblet (Albert). L"s Feuilles qui tombent, poésies.

.\(irmand (Cb.). La Bourgeoisie française au dix-septième siècle, la vie publique, les idées et les actions publiques.

Péladan. Les Idées et les Formes, « de la sensation d'art, la doctrine de Dante ».

llageot (Gaston). Les Savants et la Philosophie, « Herbert Spencer, H. Poincaré, H. Bergson ».

Uolland (Romain). Vie de Michel-Ange, « Collection des vies des hommes illustres. »

•>.iiii,Miier (Marc). La Lutte pour la démocratie. liitîmacber (Edouard). Job, poème.

-. reno (Docteur). Ce qu'une femme doit savoir.

riiomières (Eugène). Deux mois à Tours, capitale provisoire (1870 .

Van Bever. La Guirlande de Julie, augmentée de pièces nou- velles avec un portrait de Julie d'Angennes.

Wvzewa (Teodor de). Quelques Figures de femmes aimantes ou malheureuses.

Zyromski (Ernest). Sully Prudhomme, un excellent ouvrage, pieut et délicat hommage à la mémoire « d'un sage, dont la vie nous offrit le spectacle d'un esprit qui s'ennoblit sans 1 esse parla souffrance et la méditation et chez qui la douceur de la mort est venue achever l'harmonie de la vie » ; forte étude sur l'œuvre et sur l'évolution intellectuelle de cet écri- vain qui, après avoir dissipé l'erreur parnassienne, « subit de façon décisive l'influence d'Alfred de Vigny dont il est l'héritier authentique ».

DECEMBRE

LES ROMANS

xMARY FLORAN

Mystérieux Dessein.

Livre tout rempli d'émotion et qui fera couler des larmes. Ce « mystérieux dessein », dont nous parle le titre, c'est celui que forma Louise d'Arbannes de faire de sa fille, la charmante et sentimentale Chris- tiane, une religieuse, et c'est tout à fait désolant, car une idylle s'est ébauchée entre Christiane et un beau jeune homme tendre et discret, du nom de Gérard de Meyriel ; devant les supplications de sa lille, la mère reste implacable et finit par lui avouer ([ue jadis, au cours d'une maladie qui mit sa vie en péril, elle fit le vœu solennel, si sa fille était sauvée,

DÉCEMBRE LES ROMANS 3l l

(Je la consacrer à Dieu. Tout serait donc perdu et nous devrions nous résigner à voir un pauvre amou- reux désespéré et une religieuse sans très grande religion, si un bon évoque n'intervenait pour délier la maman de son serment et pour bénir les deux jeunes époux. C'est une histoire bien écrite, intéres- sante et édifiante.

COMTE LEONCE DE LARMANDIE Le Diable en cellule.

JOURNAL INTIME d'uNE CONVERTIE

Le Diable en cellule^ Journal inlime d'une conver- tie, que publie M. le comte de Larmandie, est une œuvre émouvante et curieuse où, avec une singu- lière habileté, Tauteur côtoie les pires écueils et traite le plus scabreux des sujets sans dommage pour la morale supérieure, et au contraire pour son plus grand bien, car *< c'est Taventure d'un pécheur qui, courant à la damnation la plus parfaite, se rue à son salut » ; ainsi s'exprime M. Jules Bois dans une éloquente préface qui est un modèle d'analyse critique. Le livre, écrit dans une langue harmo- nieuse et simple, est très touchant, très émouvant, la vie des cloîtres y est décrite avec beaucoup de

3l2 DÉCEMBRE LES ROMANS

couleur et, on le devine sans jamais avoir péné- tré dans un couvent, beaucoup de vérité ; les héros sont dessinés avec maîtrise, et le type du con- fesseur Alta, notamment, est tout àfait remarquable. C'est une œuvre vraiment intéressante et dont ne sauraient s'offusquer les consciences catholiques, car une grande et pieuse leçon ressort de l'histoire de ce couple diabolique : « c'est en voulant com- mettre un péché plus grand que son scrupule se réveille, il redevient chrétien en voulant s'affirmer antichrétien outre mesure. L'idée, quoique para- doxale, est profondément catholique ».

DE LA NOE

Susanne et les deux Vieillards.

La belle, édifiante et scabreuse histoire de la chaste Susanne car il faut écrire Susanne et non Suzanne et de Belioth et Rekiba, les deux vieil- lards lubriques épris de ses charmes, a singulière- ment excité la verve des peintres et des sculpteurs de tous les temps et de tous les pays et il n'est guère d'aventure qui ait été, plus souvent que celles- là, racontée par l'ébauchoir et par le pinceau, depuis l'an 606 avant Jésus-Christ jusqu'au ving- tième siècle, et depuis Rubens, Rembrandt et Van Dyck jusqu'à Henner et K.-X. Roussel.

DÉCEMBRE LES ROMANS 3l3

Cette débauche iconographique a suggéré à M. de La Noé l'audacieuse pensée de renouveler le roman biblique et de le continuer en faisant vivre au trio légendaire toute une série d'aventures étonnantes, inspirées par ces multiples effigies.

Elles sont plutôt un peu vives, ces aventures au cours desquelles nous voyons Susanne et ses deux inlassables persécuteurs dans les fresques du palais de Saloraon, sur un délicieux bijou grec qui tombe entre les mains de saint Antoine, dans les enlumi- nures d'un palimpseste, sur un surtout de table de César Borgia, dans les broderies d'un fin mouchoir de la Pompadour, sur l'éventail d'une belle com- tesse.

Tout cela pourrait être d'un goût détestable, mais ces histoires sont contées avec tant de grâce et d'agrément, en un langage si joli et si spirituelle- ment archaïque, elles sont présentées avec un goût si sûr et de si belles images, que, tout en s'indi- gnant comme il convient contre le sacrilège, l'on ne saurait résister à l'agrément de cette lecture.

EMILE GUILLAUMIN

Rose et sa Parisienne.

M. Emile Guillaumin reste « près du sol », fidèle à ces robustes peintures rurales « d'écrivain pay-

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3l4 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

san » qui ont fini par conquérir le public et mettre son talent en pleine luraière. C'est encore chez les paysans que se déroule l'action de Bose et sa Pari- sienne, son dernier roman, et il apporte au récit des violentes luttes politiques qui déchirent le hameau de la Reynerie, à la peinture des humbles, mono- tones et laborieuses existences de village, cette robuste simplicité, ce souci de la vérité sans phrases et sans vains ornements qui nous séduisirent dans ses premiers ouvrages. Pourtant, et sans rien perdre de sa sincérité, son fruste talent s'est un peu adouci, et il y a des notes de délicatesse attendrie, dans ces silhouettes de Page, le cantonnier, de Mme Beroux, la bourgeoise vaniteuse, et surtout dans Fhumble et touchante histoire de Rose Micaud, la pauvre infirme, et de sa « Parisienne », une petite fille de l'Assistance publique, qu'elle élève.

Ce récit de toute une vie, sans heurt, sans grandes histoires, toute simple, paisible, monotone, renferme des choses d'un sentiment exquis et très délicatement exprimées. C'est un beau roman, plus complet, à mon sens, que les œuvres précédentes de M. Emile Guillaumin,et que le grand public lira avec plus d'agrément.

Dl^CEMBRE

LES ROMANS 3li

CLAUDE FARRERE

Mademoiselle Dax, jeune fille.

Mademoiselle Dax, jeune fille, est bien le, livre le plus gracieux, le plus pénible, le plus émouvant, le plus poélique, le plus surprenant, le plus auda- cieux, le plus révoltant... Mais je m'arrête... Toutes les épithètes de Mme de Sévigné jointes à toutes celles que vous voudrez bien imaginer, seraient impuissantes à exprimer les sentiments si divers, si contradictoires, si poignants, que fait naître la lecture de cette œuvre étrange, simple et forte.

Son auteur est M. Claude Farrère, qui nous donne avec elle une preuve nouvelle delà souplesse et de l'ampleur de son talent. Il est difficile, en effet, d'imaginer une œuvre plus complètement différente de ses livres précédents par la forme, parla pensée, par l'observation.

Ce roman, u histoire toute simple et nue d'une jeune fille pareille à beaucoup d'autres, d'une jeune fille que nous avons tous rencontrée et que nous avons tous dédaignée, d'une pauvre enfant mal élevée, mal armée pour la vie, tête laissée vide et cœur resté mou », commence bien sagement dans la maison lyonnaise vit Mlle Dax, une belle jeune fille de vingt ans, inconsciente de sa grâce, réservée, (< bien élevée », entre son père, un riche

3l6 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

et laborieux « soyeux » dont le calvinisme intolé- rant ignore la tendresse et méprise les expansions, sa mère, une agressive et hargneuse dévote, son frère, un gamin de quatorze ans, orgueil de la famille, que les gâteries ont rendu sournois et mé- chant, et son fiancé, le docteur Barrier, occupé de sa clientèle, de sa fortune future, ravi de la bonne aubaine que représente une alliance profitable, gendre tout indiqué d'un tel beau-père.

Mlle Dax devrait être heureuse î Bien dotée, riche de somptueuses « espérances », fiancée à un homme « très bien >>, que peut désirer de plus une honnête et sage provinciale ? Pourtant, Mlle Dax n'est pas heureuse ! Inconsciente, sans très bien savoir pourquoi, elle voudrait un peu moins de bien- être malériel, un peu plus d'affection et de ten- dresse; elle s'en confesse à l'abbé Buire, un homme excellent, mais qu'étonnent et scandalisent ces plaintes d'une jeune fille « si heureuse ». A moitié calmée par ses paternelles remontrances, la jeune fille sans doute se résignerait, si elle ne se trouvait brusquement mise en rapport, au cours d'une villé- giature en Suisse, avec un certain Bertrand Fou- gères, un secrétaire d'ambassade à Constantinople et c'est une occasion pour M. Farrère de nous parler de la Perle de l'Orient, qu'il connaît et décrit si bien, lequel aime la vie, le bonheur et l'amour, et n'a pas pour la jeune fille ce respect attendri auquel nous autres, bourgeois attardés, nous nous croyons obligés. Avec ses amis: la roman-

DÉCEMBRE LES ROMANS 817

cière Carmen de Retz, Mme Terrien et son fils, il se charge d'apprendre à la jeune fille que la vie sentimentale n'est point du tout ce qu'une petite provinciale de Lyon pourrait imaginer ; tous ces gens, qui prisent par-dessus tout Tindépendance-, parlent sans précaution devant une jeune fille qui a droit à la niaxima reverentia du poète, et com- mentent certaines lettres de Julie de Lespinasse avec une bien singulière liberté de langage. La pauvre petite a bien vite la tête tournée par ces dangereuses conversations. Après avoir mesuré rinditïérence et la grossièreté de son fiancé, elle refuse à ses parents stupéfaits de se laisser livrer à un homme qui ne Laime pas et qu'elle n'aime pas, Kt cette enfant de vingt ans, après avoir vécu en quelques semaines les tourments de la vie et tou- ché le fond du désespoir humain, s'en va, dans un dénouement mélancolique et douloureux, chercher très loin, très bas, cet amour qui lui fut, jusqu'alors, refusé.

C'est vraiment ^un peu vif, et l'on ne peut se défendre d'un mouvement de révolte contre ce dénouement que la brutalité logique de l'auteur nous impose; mais c'est tout de même un livre bien remarquable, d'une large et poignante humanité^ écrit dans une langue d'une originale et ferme beauté.

18.

HISTOIRE DE LART

MAXIME GOLLIGNOxN

Scopas et Praxitèle.

Dans le précieuse « Collection des Maîtres de l'Art », M. Maxime Collignon, membre de l'Ins- titut, nous donne un livre sur Scopas et Praxitèle, dont les noms illustres dominent la plus belle période de l'art grec, celle qui s'étend du qua- trième siècle jusqu'au temps d'Alexandre: c'est Tapogée de l'art grec, c'est aussi la dernière période de l'hégémonie artistique d'Athènes : après elle, « l'art grec désertera la vieille Hellade pour les belles cités de l'Asie Mineure, pour les capitales royales des Attalides, des Séleucides et des Ptolémées, et c'est que sa dernière sève s'épanouira dans une riche et luxuriante floraison ».

Cette période si riche et si émouvante. M. Maxime

dkcemurl: HisTOiHE DE l'art 3i9

CollignoQ létudie en des pages éloquentes et savantes, non seulement dans l'œuvre de ces deux grands artistes, mais dans celle des maîtres de second rang qui travaillèrent dans leur ombre. Avec ses trente et une figures très artistiquement reproduites, son index alphabétique et sa très com- plète bibliographie, ce volume n'est pas seulement un ouvrage dune haute séduction, c'est aussi, comme tous ceux qui ont précédemment paru dans les « Maîtres de l'Art », un fort utile instrument de travail.

MEMENTO DU MOIS DE DÉCEMBRE

R G M A N S

Raltiu (Mlle Marcelk- . Pharmacienne, \ui\i\ va portant K' même titre que son auteur, lequel cumule, paraît-il, la chimie et la littérature.

Dassier (Pierre), Les Sepl Fléaux du Tonkin, un livre l'au- teur sous la foroie d'un rumau, uous dit les « mœurs euro- péennes d'Asie », corromi>ut'S par lopium, l'alcool, le jeu, la folie, la neurasthénie... je passe les autres.

Deterroac (Valinx). Les Vieux Créneaux, « roman satirique ».

Fabry Paul). Après le rêve.

Finckh (Ludwig). Le Docteur aux roses, traduit de l'allemand par François Germain.

Flamant PauV. Isarina la plus disrrèfe, « conte d';irt >>.

320 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Foley (Charlos). Tuteur, une œuvre charmante et jolie.

Green (A.-K.). V Enfant millionnaire, traduit de l'anglais par J.-H. Rosny.

Krafft (Adolphe). Edgar le Bon Sujet, un « roman humoris- tique », spirituel, mouvementé et amusant, qui a bien h goût du terroir lorraui.

Maurière (Gabriel). Monsieur Cailloux homme politique, uu livre l'auteur nous conte l'existence d'un tyranneau de vil- lage depuis l'école, ce futur homme politi(iue se montrait, comme il coavient, turbulent, volontaire et indiscipliné ; « étude sociale », nous dit M. Gabriel Maurière, en tout cas, roman amusant et verveux.

Mirtel (Mme Hera). Loupita, « mœurs mexicaines », un remar- quable livre féminin, non pas féministe, suivi d'une très curieuse et suggestive nouvelle. Une Doctoresse dans les Alpes.

Moselly (Emile). La Vie Lorraine, « contes de la route et de l'eau ».

Pavie (André). L'Embardée.

Sales (Pierre). Le Sentier de la vertu, « un roman de mœurs contemporaines », l'auteur nous démontre, avec exemplt s et images à l'appui, que rien au monde n'est moins vertueux que ce sentier.

Toucas-Massillon. La Double Aventure, un curieux et original roman, d'un vif intérêt, d'une observation fort aiguë et d'un style très personnel, trop personnel parfois.

HISTOIRE LITTERATURE THEATRE POESIE

POLITIQUE DIVERS

Bertaut (Jules). Balzac anecdotique, un intéressant petit vo- lume d'histoire littéraire. La Femme et l'Amour, par Honoré de Balzac, une plaquette pour laquelle M. Bertaut a ingénieusement choisi dans l'œuvre du grand romancier.

DÉCEMBRE LIVFtES DIVERS 321

Huissier (Gaston). \ L'In&litul de France, iiu livre d'une très Perrut (Georges), i haute valeur documentaire et d'un bien vif Darl)oux (Gaston). \ intérêt, il est consacré à iinstilut de France^ Koujon (Henry), i et il a pour auteurs les secrétaires perpétuels Picot (Georges). ] des cinq Académies. C'est donc: M. Gaston Boissier, qui nous raconte l'Académie française ; M. Georges Perrot, l'Académie des inscriptions et belles-lettres ; M. Gas- ton Darboux, l'Académie des sciences; mon éminent et cher ami, Henry lloujon, l'Académie des beau\-arts; et M. George» Picot, l'Académie des sciences morales et {)olitiques. Chacun de ces chapitres, comme aussi la remarquable étude de M, Georges Perrot sur l'Institut et le pittoresque travail de M. Franklin sur les bâtiments, mériterait une analyse dé- taillée, qui ne m'est malheureusement pas possible. Du moins, j'ai plaisir à dire l'intérêt de l'ouvrage, et la séduc- tiuii des images qui l'illustrent. Bout (A.). Les Pages de la vie, poésies. Brière (Gaston). V. Paul Vitry.

Rrisson (Adolphe). Le Théâtre, un volume notre confrère réunit ses critiques théâtrales si attendues ch.ique lundi et qu'on relit un an après avec infiniment de plaisir et d'agré- ment, ce qui, comme chacun le sait, est la pierre de touche de ces travaux de journalistes, éphémères par défini- tion. Byram (Léo). Pelit Jap deviendra grand, un volume très documenté et très vivant, très pittoresque aussi, sur le Japon, ses victoires, ses conquêtes, ses progrès ; « ce sont, nous dit M. Jules Claretie qui préface l'œuvre, les impres- sions de voyage d'un penseur qui aurait emporté la boîte de couleurs d'un peintre ». Carlyle (Thomas). Essais choisis de critique et de morale, traduits de l'anglais par M. Barthélémy. Lettres de Thomas Carlyle à sa mère, traduites par M. Masson. Cliambord (Comte de). \ La Monarchie française, « des lettres Paris (Comte de). ? et documents politiques » du plus haut Orléans (Duc d'). ; et du plus palpitant intérêt ; ils s'étendent sur plus de soixante années de la vie française, de 1844 à 1907, et ils paraissent réunis dans un volume pour lequel le duc d'Orléans a écrit une vibrante préface.

322 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

Chevalier (Auguste). L Afrique cenlrale française, le palpitant récit de la « mission Chari-lac Tchad, 1902-1904 ».

Darbou^î (Gaston). V. Gaston Boissier.

Daveaux (F.). Poésies lentes.

Déroulède (Paul). Nouvelles feuilles de roule-70-71, des pages d'histoire douloureuses et tragiques mais réconfortantes aussi, vigoureuses et nobles, le vaillant soldat nous con- duit de la forteresse de Breslau aux allées de Tourny ; toutes vibrantes d'héroïsme, de confiance têtue dans la des- tinée de la patrie, toutes chaudes encore des souvenirs qui semblent dater d'hier, ces pages sont vraiment belles et émouvantes.

Du Menil (Félicien). Les Préjugés contre l'Espéranto, unf verveuse et intéressante plaquette l'auteur répond pas tout à fait victorieusement à mon sens a. la Sottise es- pérantiste, » de M. Gaubert.

Durrieu (Paul;. Les Antiquités judaïques et le peintre Jean Foucquet.

Fesch (Paul). Constantinople aux derniers jours d'Abdul- Ilaniid.

Franklin. La Civilité, l'Étiquette, la Mode, le Bon ton du treizième au dix-neuvième siècle. Un livre d'histoire anec- dolique d'une bien amusante séduction. Il y a une foule extraordinaire de documents curieux, dénichés par M. Fran- klin dans la poussière des bibliothèques et remis en lumière pour notre intérêt et notre agrément : c'est une contribution précieuse à l'histoire de la société française.

GafFarel. La Politique coloniale en France de 1789 à 1830.

G:irnier (Georges). Vers V Idéal.

Gaultier (Jules de). La Dépendance de la morale et Vlndépen- dance des mœurs.

Géraut-Bestet. Comment combattre les commencements d'in- cendie à la ville et à la campagne.

Gourmont (Remy de). Dialogues des amateurs, sur, les chose-

du temps, 1905-1907, un riche répertoire d'idées fraîches. Guenin (Louis-Prosper) et Eugène Guenin. Histoire de la sté- nographie dans l'antiquité et au moyen-âge.

Hareux (Ernest). Le Paysagiste devant la nature.

Lacaze-Duthiers (Gérard de). L'Unité de l'Art, un livre tout rempli de théories ingénieuses et parfois de fortes pensées.

I

DÉCEMBRE - LIVRES DIVERS 323

daus lequel l'auteur a essayé, nous dit-il, de fi\er queliiues- uoes de ses idées sur l'art et qui porte uue épigraphe de M. Hello, de nature à faire supposer que M. de Lac9ze-Du- thiers ne croit pas beaucoup à l'existence de la critique ^ Paris.

Leblond (Marius-Ary). La Grande Ile de Madagascar, « ks réi^'ions et les races, les mœurs, les fêtes, la poésie, l'art, les croyances, la civilisation du bœuf et du riz, les res- sources naturelles ». D'un style très incisif et verveux, rem- pli de documents, illustré de nombreuses images, ce livre est fait pour inspirer quehjue orgueil à des Français et leur démontrer qu'ils ne sont pas si mauvais colonisateurs. « Partout nous avons passé, disent en eflet les auteurs, nous avons constaté non seulement la pacification, mais la possession accomplie par l'esprit français, poète, géologu(\ ethnologue, éducateur d'enfants, agronome et industriel. »

Leroy-AUais (Mme Jeanne). Comment j'ai instruit mes filles des choses de la maternité : c'est pour une mère un sujet de conversation terriblement scabreux. Mme Jeanne Leroy-AUais l'estime nécessaire et il semble, à lire son petit livre, qu'elle s'en est tirée avec infiniment d'adresse,

Levallois 'Ernest). Une France nouvelle, « les idées d'un maire de Paris », livre tout rempli de souvenirs pittoresques et d'inzénieux projets de réformes.

Lévy ( Arthur). La Culpabilité de Louis XVI et de Marie- Antoinette, le très savant et brillant historien de Napo- léon l", entreprend en un très intéressant petit volume uu« tâche ingrate, celle de démontrer que « le Roi et la Reine n'ont pas été victimes uniquement de la fatalité de leurs naissances », et de « mettre en évidence leur réelle et volontaire responsabilité avec les circonstances d'une longue préméditation ».

Lovio. Rondels païens.

Muller (Charles). V. Paul Reboux.

Muller Sophus). L'Europe préhistorique, « principes d'archéo- logie préhistorique », un bel ouvrage traduit du danois par Emmanuel Philippot, une œuvre tout à fait remarquable qui, dans des pages à la fois savantes et claires, parsemées de curieuses images, nous raconte les débuts de la civilisatioE pendant la période glaciaire, nous révèle les mystères de la

32/5 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

période néolithique, de la civilisation prémycénienne, de l'âge de bronze, et nous renseigne d'impressionnante façon sur nos lointaines et mystérieuses origines.

Péon del Valle. Terre nihiliste, « souvenirs de Russie ».

Pichardo (Manuel S.). Canto a Villaclara, Tœuvre d'un poète cubain de la jeune génération, qui, au cours des récentes fêtes à Villaclara, fut chantée devant une foule enthousiaste et vi- brante d'admiration pour le poète de « l'Etoile des Antilles > . C'est très beau, paraît-il ; mais comme ce sont des vers espa- gnols, je suis forcé d'admirer un peu de confiance...

Reboux (Paul) et Charles Muller. A la manière de..., des pas- tiches très malicieux et très divertissants d'écrivains notoires tels que : Adam, Maeterlinck, Barrés, Bernard, Renard, etc.

Toussaint (François-Vincent). Anecdotes curieuses de la Cour de France sous le règne de Louis XV, dans le texte ori- ginal publié par M. Paul Fould. Il y a deux ans, au moment même l'œuvre parut, illustrée de merveilleuse? images, dans une édition de luxe aujourd'hui complètement épuisée, j'ai eu l'occasion de dire le captivant intérêt de ce volume Toussaint l'encyclopédiste, l'ami de Diderot et du grand Frédéric, a tracé avec un esprit, une verve, une maîtrise ex- traordinaires, les portraits de Marie Leczinska, de la Pompa- dour, de la marquise de Prie, des sœurs de Nesle, des mi- nistres de Louis XV, et réuni des documents d'une richesse incomparable sur notre inépuisable dix-huitième siècle. Privé du luxe typographique et de l'ornement des eaux-fartes, ce livre présente encore une très vive séduction ; même on est ravi de le posséder sous un format abordable et de pouvoir le lire sans crainte de froisser de trop belles pages,

Turquan (Joseph). —Du nouveau sur Louis XVII, un livre l'au- teur émet l'audacieuse prétention de nous donner la « solu- tion du problème ».

Vacaresco (Mme Hélène). Rois et Reines que j'ai connus, un volume traduit de l'anglais par Gaston Jeffry, l'auteur nous raconte des souvenirs pittoresques et intéressants sur Carmen Sylva, l'empereur d'Allemagne, l'empereur d'Au- triche, la reine Victoria, la reine Alexandra, 1^ roi Edouard VII, les souverains de Serbie, Marguerite de Savoie, Victor-Em- manuel ni et la reine Hélène, la reine Marie-Christine et le roi Alphonse XIII, relations peu banales comme on le voit.. .

I

DÉCEMBRE LIVRES DIVERS 325

Vitry (Paul) et Gaston Brière. L'Eglise abbatiale de Saint- Denis et ses tombeaux, » notice liistoriijue et archéolo- gi(jue ».

Anonyme. La Reine Victoria d'après sa correspondance inédite^ 1837-1861, « ouvrage publit' avec l'autorisation et sous le haut patronage de S. M. le roi Edounrd Vil. »

19

QUELQUES DISPARUS

QUELQUES DISPARUS

ERNEST BLUM

Ernest Blum, mort le 19 septembre 1907, avait 7^2 ans. Il représentait parmi les hommes de notre temps une génération disparue, ou presque, celle du spectateur d'Ofïenbach et du dîneurchez Brébant. Mais il n'avait pas cru nécessaire pour cela d'engen- drer la mélancolie; au contraire, il tenait à honneur d'incarner allègrement, parmi nous, un esprit, un genre, une époque disparus et dont il se plaisait à évoquer l'agrément dans ce « journal d'un vaude- villiste » où, pendant plus de dix ans, il remua, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs, les souve- nirs à la pelle.

^^ertes, ce ne fut pas un grand écrivain, et dans ses productions, tel le dernier volume qu'il nous donna, /e Jeu de Vamoiir et de la roulette, le style est plutôt lâché et la verve plutôt grosse, mais l'es-

330 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

prit y coule de source si rapide et si facile que l'on excuse facilement sa familiarité et qu'on ne songe pas à réclamer de Tatticisme à ce charmant compa- gnon qui ne voulut être qu'un Parisien de Paris.

QUELQUES I>l>i'AHL> 33 1

WILLIAM BUSNAGH

Encore un écrivain à qui son âge aurait pu con- férer la qualité de patriarche des lettres. William Busnach avait 75 ans lorsqu'au mois de janvier lî)07 la mort vint le surprendre en pleine jeunesse, en pleine bohème, car les ans s'étaient accumulés sur sa tête sans l'assagir. Pendant plus de cinquante ans, il dispersa au vent de la vie de Paris des quali- tés qui, disciplinées, fussent devenues peut-être fort belles, et des travaux sans nombre parmi les- quels les circonstances ne lui permirent pas de faire les sélections nécessaires.

Et c'est ainsi qu'après avoir beaucoup écrit, beau coup besogné, il restera surtout le collaborateur d'Emile Zola, charpentier dramatique émérite des romans du maître mis à la scène, et, que cet écrivain très curieux, très doué, très personnel, restera seu- lement, par une ironique destinée, comme le reflet de « r Esprit des autres », titre qu'il donna à l'un de ses derniers volumes.

332 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

CHARLES GUERIN

Les poètes aimés des Dieux meurent jeunes. Charles Guérin fut sans' doute un de ces favorisés, puisque sa courte existence s'écoula entre l'année 1874 et Tannée 1907.

Trente-trois ans! C'est à trente-trois ans que mou- rut ce poète et l'œuvrequ'ilnousalaisséedonnepour- tant l'impression d'une carrière très remplie, très personnelle entre son premier livre, Fleurs de neige, paru en 1893 et le dernier, V Homme intérieur, publié en 1905 ; c'est une carrière et c'est une œuvre dont on peut ne point priser la forme prosodique, mais dont l'inspiration est souvent admirable et qui laisse une poignante impression de noble et infinie tristesse. La Mort hante perpétuellement ce cerveau douloureux et jeune, et, sans relâche, dans ses poèmes, il chante la Camarde, comme si, con- scient de sa destinée, il se préparait à lui faire ac- cueil ou tentait de la désarmer par son chant.

QUELQUES DISPARUS * 333

(;lo\ is iiUijUKS

Le beau nom ! sonore comme une fanfare et qui vraim3nt allait bien au personnage, au journaliste enflammé, au tribun ardent, au poète fougueux dont toutes les manifestations avaient, de façon délicieuse, le goût du terroir méridional.

Quelle existence étrange, mouvementée, drama- tique, que celle vécue par Clovis Hugues pendant un peu plus d'un demi-siècle, de 1851 à 1907 ! Des- tiné à la prêtrise, ordonné môme, il jette à vingt ans le froc aux orties, se précipite ardemment dans la mêlée socialiste il recueille quelques années de prison, au bout desquelles, en 1881, il entre au Par- lement où il resta jusqu'en 1891) (exception faite de la législature 1889 1893) et bien souvent la tri- bune retentit de ses harangues entlammées.

Entre temps, il fut un très bon écrivain et un très bon poète, c'est à ce titre que nous avons à le saluer ici et c'est par d'ailleurs que son souvenir restera, car il laisse derrière lui une œuvre considérable qui témoigne de très hautes et très belles qualités, et des poèmes qui sont parfois d'un lyrisme admi- rable, tels u Les Soirs de Bataille », « Les Evo- cations > et cette exquise « Chanson de Jeanne d'Arc )) que naguère l'Académie couronna.

Sans avoir rempli toute sa destinée, le bon poète

19.

334 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

s'en est allé, demandant'comme dernière prière que sa dépouille mortelle fût portée dans les Alpes, à ce cimetière d'Embrun, « les tombes sont comme des jardins fleuris ».

QUELQUES DISPARUS 33^

J. K. HUYSMANS

Le 12 mai 1907, J. K. Huysmans s'éteignit dans la cinquante-neuvième année de son âge, après une agonie atroce supportée avec une constance, un courage, une résignation qui forcèrent l'admiration de ses amis et les édifièrent sur la sincérité de ses sentiments chrétiens.

Nous devrions arrêter cette notice sur Huys- mans; ce serait, en efïet, une folle prétention de pré- tendre donner, en ces courtes notes, une idée, même lointaine, de cette carrière prodigieuse, des étapes parcourues par cette âme, étapes si éloquem- ment exprimées par son œuvre, depuis le natura- lisme du début jusqu'à l'idéal chrétien de la fin.

Quel chemin parcouru en effet, et quelle œuvre accompliedepuislanouvelledesuSoiréesdeMédan», Sac an dos jusqu'aux Foules de Lourdes, en pas- sant dans la première période de sa vie par le Dra- geoiraax épices, les Croquis Parisiens, d'une obser- vation si aiguë, d'une telle couleur, que ce sont œuvres de peintre plus encore que d'écrivain, par les Sœurs Valard, et dans la seconde par le livre paru en 1885, A Rebours, qui marque l'évolution décisive de sa pensée ; et, marquant chacun des progrès de sa conversion: En route, rOblat, la Calhédrale, Sainte Ly divin de Scliiedam, livres qui sont, suivant la belle expression de M. Edouard

336 T,E MOUVEMENT UTTÉMAIRE

Rod, « égaux aux précédents par la qualité d'art, très supérieurs par la portée, et dont le sentiment va d'ailleurs s'épurant et s'éclaircissant toujours, comme l'atmosphère dans une ascension ».

QUELQUES DISPARUS SSj

ALFRED JARRY

Alfred Jarry mourut le jour de la Toussaint de Tan 1907, âgé de trente-trois ans, bien jeune on le voit, pour avoir pu donner sa mesure, mais l'ayant donnée; cependant, il restait pour ainsi dire le pri- sonnier de son œuvre de début, et son existence aurait pu se prolonger bien longtemps qu'il serait toujours demeuré, pour les gens, l'auteur de l'œuvre de la vingtième année, l'auteur d' a Ubu Roi » de joviale, scandaleuse et truculente mémoire.

(Vest rinconvénient des œuvres dont l'apparition fait trop grand tapage, de plonger dans l'ombre toutes celles qui suivent ; Alfred Jarry méritait mieux que cette demi-destinée, il valait mieux qu' « Ubu Roi )^ et outre « Ubu Roi », tel ouvrage, tel roman, Messaline, par exemple, donnera à cet écrivain une place dans l'histoire littéraire.

■>38 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

HECTOR MALOT

Une longue vie d'écrivain, belle, calme, unie, sans désordre et sans génie, telle est en raccourci l'existence de l'écrivain rouennais, du compa- triote de Flaubert, qui naquit en 1830 et mourut, presque octogénaire, le 19 juillet 1907 dans sa pai- sible retraite de Fontenay-sous-Bois.

Honnête, moyenne, tranquille, son œuvre n'est point, il s'en faut, dénuée de valeur ; parmi les qua- rante romans qu'il publia de 1860 à 1895, il en est de tout à fait remarquables, il n'en est point d'indif- férents. Comme l'a dit un très bon juge, son œuvre n'est point de celles qui marquent leur empreinte sur une époque, mais elle a servi copieusement à l'agrément, à la distraction, au réconfort de plu- sieurs générations, ce qui est bien déjà quelque chose, et l'écrivain qui a charmé, attendri, passionné nos jeunes années au récit de « Sans Famille » mériterait, par même, son petit coin d'immor- talité.

Après un long labeur littéraire de trente-cinq années, marqué chemin faisant par des œuvres telles que, le lieutenant Bonnet, Micheline, Zyte, Hector Malot eut la sagesse suprême de se retirer en pleine vigueur intellectuelle dans une retraite absolue, il vécut en consacrant ses labeurs à la rédaction de contes et de romans

QUELQUES DISPARUS 33()

réservés exclusivement à raniuseraent de sa petite fille et dérobés au public. Il en est un parmi eux, cependant, « le Petit Mousse », qu'on nous livrera, paraît-il, quelque jour.

La droiture et la simplicité de sa vie, la loyauté de son talent, lui avaient fait beaucoup d'amis et s'il eut des critiques, comme le romancier Dickens, qui lui disait eu manière d'épigramme : < Je n'aime que les fous et vous êtes décidément trop sage pour moi, i) il eut aussi des approbateurs de choix comme Jules Vallès, qui écrivit de ses romans : ^ On leur reproche d'être gris ; ils sont gris comme le vête- ment du garçon d'hôpital qui coudoie la douleur humaine et la console. »

3^|0 LE MOUVEMENT LlTTÉliAlRE

VICOMTE CHARLES DE SPOEL- BERGH DE LOVENJOUL

L'ïiomme aimable, érudit et fin, le grand sei- gneur belge qui mourut le 4 juillet 1907, appartient à la littérature française comme un amateur épris passionnément de beauté littéraire et qui, sans tapage, avec une ferveur tranquille, mit au service des lettres sa fortune, son activité, et sa vie ; que la gloire des écrivains illustres auxquels il se consacra ait rejailli sur lui, lui ait constitué une enviable renommée, rien de plus juste et de plus moral.

Le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul avait de la critique et de l'histoire littéraire une conception très ingénieuse et féconde, il estimait que dans l'étude d'une œuvre il convient de tenir compte non seulement de l'œuvre elle-même, mais des circons- tances où elle a vu le jour, des conditions morales et physiques se trouvait son auteur lorsqu'il la composa, et il s'appliqua à fouiller pieusement la vie des grands romantiques à qui il demanda l'explication de leur œuvre ; « il savait de Gautier, de George Sand, de Musset, de Balzac, tout ce qu'on peut savoir », il possédait dans soq cerveau et dans sa bibliothèque une encyclopédie incompa- rable, unique, qu'il ouvrait largement et généreu- sement à tous les chercheurs, à tous les curieux, en quête de renseignements.

QUELQUES DISPARUS 34 1

Merveilleusement documenté sur une foule d'écri- vains, il avait voué un culte particulier, un culte de dévot ardent et passionné à Balzac qui, <' du fond de son tombeau, sut, suivant l'expression de M. Paul Bourget, le fanatiser, l'hypnotiser ». Un tel dévoue- ment, une telle passion devait avoir sa récompense : Charles de Spoelberch de Lovenjoul qui, sans ambition de gloire persoiyielle, voulut se consacrer tout entier à la gloire d'uu autre, est désormais inséparable de son héros, et il participe sûrement de l'immortalité du prodigieux auteur de la Comé- die Humaine.

'V|2 LE MOUVEMENT LITTERAIRE

SULLY-PRUDHOMME

Une belle, pensive et noble figure. Un poète char- mant et profond un philosophe souriant et résigné, auquel les pires souffrances d'une longue et impla- cable maladie ne surent rien enlever de sa sérénité^ de sa douceur, de sa bonté.

Le poète, qui mourut le 7 septembre 1907, dans la soixante-huitième année de son âge, ne connut pas les tumultes de la popularité bruyante, mais il goûta la douceur suprême d'être aimé universelle- ment, et si son œuvre restreinte et tôt finie (il ne produisait plus guère depuis quelque vingt ans) ne fut pas déclamée devant les foules électrisées, elle chante en nous une musique mystérieuse, tendre et prenante; la plus célèbre d'entre elles fut, est-il besoin de le rappeler, ce « Vase Brisé » publié en 1865, et ce n'est certes pas la meilleure, car il y a dans « Les Solitudes » des pages d'un lyrisme et d'une inspiration bien supérieurs.

Le grand prix Nobel, qui lui fut décerné en l'an 1901, apporta à son œuvre et à son talent une con- sécration suprême et lui donna l'occasion d'un très beau geste de fraternité poétique : avec la plus grande partie de cette somme, il fonda le Prix

QUELQUES DISPARUS 34^

Sully-Prudhomme destiné à faciliter les débuts des jeunes poètes et ainsi, sans l'ombre d'une arrière- pensée, il érigea de ses propres mains le plus beau et le plus durable des monuments à sa mémoire.

3'','', LE MOUVEMENT LITTERAIRE

ANDRE THEURIET

sous les ombrages familiers de Marly-le-Roi en Tan 1833, André Theuriet mourut le 24 avril 1907, chargé d'ans et de paisible renommée sous les om- brages, non moins familiers, de Bourg-la-Reine, il exerçait depuis longtemps déjà, avec exacti- tude, conscience et dévouement, les fonctions de maire.

La carrière dAndré Theuriet est longue, tran- quille, heureuse, unie comme un beau lac que nulle tempête ne vint jamais troubler et qui doucement frémit au souffle du zéphir. L'épigraphe de son œuvre et de sa vie pourrait être cette simple phrase : u il aima les arbres » ! 11 consacra en effet aux forêts, à la verdoyante campagne , à la douce nature, le meilleur de son cœur et de son talent, d'un talent qui ne fut pas négligeable, car poète il publia des vers exquis rappelez-vous « Dans le Che- min des Bois » et romancier il nous donna, avec Sauvageonne^ Chantereine et surtout la Maison des Deux Barbeaux, des manières de chefs d'œuvre.

Peu compliqués, ces romans ne s'embarrassaient pas d'études de caractères trop profondément fouil- lés, ni d'aventures trop compliquées, il imaginait ses anecdotes et ses personnages, toujours d'ailleurs fort intéressants et attachants, pour le plaisir, semblait- il, de les situer dans les cadres agrestes qu'il aimait

QUELQUES DISPARUS 3^f5

et dont la peinture l'eachantait. « Sa Muse, observe joliment Gustave Kahn, n'est pas pédestre, elle piète et vole, et se repose parmi les chemins des champs et les chemins des bois; » et il ajoutait lui- même : « Je n ai guère analysé que les plantes, ou parfois le cœur peu compliqué des bûcherons ou des charbonniers de la forêt. >•

Ce fut l'homme de son œuvre : calme, paisible, souriant, accueillant et simple, sa vie s'écoula sans heurts, sans orages, il mourut par un beau soir de printemps avec la conscience d'une destinée heureuse, bien et laborieusement remplie.

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